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Full text of "Histoire de l'établissement du protestantisme en France, contenant l'histoire politique et religieuse de la nation depuis Francois Ier jusqu'a l'Édit de Nantes"

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u 


DC~ïTi".A4  1886   V.4 
Aguesse,  Laurent,  1794-1862, 
Histoire  de  1'  établissement 
du  protestantisme  en  Franc^ 


HISTOIRE    DE   L'ETABLISSEMENT 


DU 


PROTESTANTISME  EN  FRANGE 


TOME   QUATRIÈME 


ORLÉANS,   IMPRIMERIE    DE   G.   JACOB,    CLOÎTRE    SAINT-ÉTIENNE,   4. 


^X  Or  mic[^ 


HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT  (*    oct  241910 


A 


DU 


PROTESTANTISME 


EN    FRANCE 


CONTENANT 


L'HISTOIRE  POLlTIOllE  ET  IIELIGIEUSE  DE  LA  NATION 


DEPUIS 


FRANÇOIS   I«>    JUSQU'A  L'ÉDIT  DE  NANTES 
L.     AGUESSE 


TOME  QUATRIÈME 
-1589-1599 


PARIS 

LIBRAIRIE     FISGHBAGHER 


SOCIETE    ANONYME 


33,     RUE     DR     SEINE,     33 

18^0 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/histoiredeltab04ague 


septième:  partie 


CHAPITRE    PREMIER 


1589.  —  ARGUMENT  :    diverses  opinions  dans  l'armée  touchant 

LA   reconnaissance   DE   HENRI    IV. 

LE   ROI   LUI-MÊME   INCERTAIN    PENSE   A   SE   RETIRER   A   TOURS. 

GUITRY   LE   FAIT   CHANGER   d'aVIS.  —    SANCY   LUI   GAGNE   LES   SUISSES. 

LES   ROYALISTES   DE   L'aRMÉE   FINISSENT   PAR   LUI    PRÊTER   SERMENT 

APRÈS    qu'il   A    PRIS    CERTAINS   ENGAGEMENTS    DONT    ON    DRESSE   UN    ACTE, 

D'ÉPERNON    se   RETIRE.    —   ALLOCUTION   DU    ROI   A    CETTE    OCCASION. 

IL   PROMET   UNE   ASSEMBLÉE  DES   ÉTATS- GÉNÉRAUX  A  TOURS. 

IL   MET   EN    DÉLIBÉRATION    SI   L'ON   DOIT    CONTINUER   LE   SIÈGE   DE   PARIS. 

il  essaie  de  traiter  avec  mayenne  qui  refuse. 

henri  en  conduisant  le  corps  du  feu  roi  a  compiègne 

s'empare  de  différentes  places. 

IL  sépare  l'armée  en  trois  corps,  et  lui-même  a  la  tête  de  l'un  passe 

en   NORMANDIE.    —   ON   LUI    REMET   DIEPPE    ET   LA    VILLE   DE   CAEN. 

IL   FEINT   d'assiéger   ROUEN   POUR   ATTIRER   MAYENNE. 

CE   QUI    S'ÉTAIT   PASSÉ   A   PARIS,    APRÈS    LA   MORT   DU   FEU    ROI,    —   A    BORDEAUX, 

A   TOULOUSE,    —   A   TOURS,    —   EN    LANGUEDOC,    —   EN   BOURGOGNE. 

MAYENNE   AVEC   UNE   NOMBREUSE   ARMÉE   POURSUIT   LE   ROI   EN   NORMANDIE. 

CELUI-CI    VIENT   CAMPER   A   ARQUES.    —   BATAILLE   d'aRQUES. 


Henri  IV  était  roi,  sinon  de  fait,  du  moins  de  droit;  mais  ce  droit 
n'était  pas  universellement  reconnu.  La  grande  majorité  du  parti  catho- 
lique ne  pouvait  s'accoutumer  a  croire  que  Dieu,  qui,  par  sa  grâce,  dis- 
pose des  couronnes,  eût  pu  disposer  de  la  couronne  de  France  en  faveur 
d'un  hérétique  notoirement  excommunié  par  le  pape.  Cette  croyance, 
tout  a  fait  dans  les  mœurs  et  les  opinions  du  temps,  fut  cause  que  les 
véritables  croyants  refusèrent  longtemps  encore  d'accepter  le  nouveau 
monarque,  et  que  les  ambitieux  purent  continuer,  comme  par  le  passé, 
a  se  faire  un  marchepied  de  la  religion  pour  mener  au  but  leurs  projets 
intéressés. 

La  mort  de  Henri  IH,  n'apportait  donc  qu'un  seul  changement  dans  la 

IV.  1 


-2  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

situation  des  affaires  du  royaume  :  c'est  qu'au  lieu  d'avoir  a  lutter  contre 
un  prince  dont  les  droits  étaient  généralement  reconnus,  mais  qui  s'était 
tellement  avili  qu'il  avait  presque  déjà  perdu  la  partie  ;  la  Ligue  avait 
maintenant  affaire  à  un  prétendant  aussi  actif  qu'habile,  et  qui  pouvait, 
par  ses  victoires  autant  que  par  les  ressources  de  sa  politique,  forcer  tôt 
ou  tard  les  plus  récalcitrants  a  reconnaître  la  légitimité  de  ses  pré- 
tentions. 

C'est  l'histoire  de  cette  lutte  curieuse  que  j'ai  a  retracer  dans 
cette  dernière  partie  de  mes  récits  :  et  cette  histoire  est  encore  celle  du 
fanatisme  religieux  qui,  bon  gré  mal  gré,  finit  toujours  par  n'être  que 
l'instrument  bientôt  dédaigné,  de  ceux  qui  n'ont  en  vue  que  des  intérêts 
mondains. 

Les  protestants  n'étaient  déjà  plus  que  les  auxiliaires  de  ceux  qui 
s'appelaient  alors  les  royalistes,  et  on  a  vu  que  leur  secours  avait  suffi 
pour  changer  la  face  des  affaires  en  réduisant  la  Ligue  presque  aux 
abois.  Après  avoir  mis  la  royauté  à  deux  pas  de  sa  ruine,  c'était  leur 
parti  qui  en  était  devenu  le  sauveur,  bien  involontairement  sans  doute  ; 
aussi  ne  fut-il  payé  que  d'ingratitude;  mais,  du  moment  que  les  protes- 
tants se  furent  mis  a  combattre  pour  un  intérêt  politique,  et  qu'ils  eurent 
fait  alliance  avec  les  royalistes,  la  guerre  cessa  d'être  religieuse,  et  tout 
l'intérêt  religieux  s'efface  peu  'a  peu  dans  ces  longues  querelles  qu'il  me 
reste  encore  a  décrire.  Tout  ce  qu'y  gagna  le  protestantisme,  ce  fut  un 
édit  de  tolérance  (édit  de  Nantes),  qui  même  bientôt  devait  lui  être  retiré. 
Du  temps  de  Constantin  aussi,  le  christianisme,  longtemps  persécuté, 
monta  sur  le  trône  des  Césars,  après  s'être  mis  au  service  d'un  intérêt 
politique  ;  mais,  à  cette  époque,  Dieu  avait  conduit  les  événements  de 
telle  sorte,  que  Constantin  n'avait  plus  d'intérêt  a  redevenir  païen,  au  lieu 
que,  maintenant,  l'intérêt  de  Henri  IV  était  de  redevenir  catholique. 
(Dr  Thou,  t.  XI,  liv.  97,  p.  4  et  sup.) 

En  attendant,  la  mort  de  Henri  III  venait  de  remettre  bien  des  choses 
en  question  parmi  ceux  qui  composaient  l'armée  royale.  On  avait 
pu  accepter  les  huguenots  comme  des  alHés  utiles,  mais  prendre  leur 
chef  pour  maitre,  c'était  en  quelque  sorte  se  faire  huguenot  soi- 
même. 

Pourtant  ceux  des  seigneurs  qui  jugeaient  le  plus  sainement  de  la 
position,  convenaient  qu'il  n'y  avait  aucun  autre  moyen  de  conserver 
l'Étal  de  France,  tel  qu'il  avait  existé  depuis  des  siècles,  que  de  garder 
l'ordre  de  succession  établi  par  les  anciennes  lois.  En  refusant  la  cou- 
ronne a  celui  qui  y  avait,  par  le  sang,  les  droits  les  plus  rapprochés, 
c'était,  disaient-ils,  laisser  la  disposition  du  pouvoir  souverain  à  autant 
de  petits  tyrans  qu'il  y  a  de  provinces  en  France.  Quant  'a  la  religion, 
suivant  eux,  elle  ne  saurait  être  un  obstacle  'a  la  réunion  des  sujets  a 
leur  prince  légitime,  puisque  celui-ci  n'avait  nullement  l'intention  de 
forcer  les  consciences  ;  qu'au  reste,  ceux  qui  se  servaient  de  ce  prétexte 
de  religion,  pour  tromper  les  simples  et  les  faire  servir  a  leurs  ambitieux 
projets,  ne  manqueraient  pas  de  continuer  les  mêmes  menées  dans  tous 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  3 

les  cas,  et  qu  on  en  avait  déjà  une  bien  triste  preuve  par  la  guerre  qu'ils 
avaient  faite  au  feu  roi,  quoiijue  éminemment  bon  catholique,  et  par  le 
dernier  attentat  qu'ils  venaient  de  faire  conimeltre  sur  sa  personne  sacrée. 
«  C'est,  ajoutaient-ils,  îi  son  successeur  a  punir  ce  crime  infâme  qui  est 
la  honte  de  la  nation,  et,  pour  le  mettre  en  état  de  le  faire  prompte- 
mcnt,  nous  ne  pouvons  trop  nous  hâter  de  reconnaître  ses  droits  légitimes. 
D'autres,  dont  le  mot  d'hérésie  et  surtout  d'excommunication  réag- 
gravée effrayait  la  conscience,  soutenaient  qu'avant  tout  le  devoir  d'un 
chrétien,  était  d'obéir  aux  commandements  de  Dieu  et  a  ceux  de  sa 
Sainte  Église  ;  que  nulle  considération  mondaine  de  politique  ou  d'inté- 
rêts ne  devait  prévaloir  contre  une  obligation  aussi  sacrée;  qu'il  fallait 
avant  tout  chercher  le  royaume  de  Dieu,  et  s'en  rapporter  pour  le  reste 
à  sa  providence. 

Un  troisième  parti  (et  celui-ci,  comme  c'est  l'ordinaire,  n'était  pas 
le  moins  nombreux)  ne  consultait  que  ses  intérêts  personnels.  Ceux  de 
ce  parti  trouvaient  qu'en  effet  il  était  bon  que  la  noblesse  restât  réunie 
et  continuât  de  se  tenir  en  corps  armé  pour  mieux  défendre  ses  préro- 
gatives. L'armée  ne  devait  donc  pas  se  séparer:  mais  quant  au  prince 
qu'cMe  consentirait  à  reconnaître,  et  'a  mettre  'a  sa  tête,  c'était,  au  dire 
de  ces  honnêtes  gens,  le  cas  de  lui  imposer  des  conditions  avantageuses, 
'a  tous  en  commun  et  'a  chacun  en  particulier. 

Pendant  ce  temps-Fa,  le  nouveau  roi,  qui  ne  savait  pas  encore  si  son 
autorité  serait  reconnue  par  les  royalistes,  et  qui  avait  même  plus  d'une 
raison  d'en  douter,  tenait  'a  Meudon,  un  conseil  avec  ses  plus  fidèles 
amis,  et  on  y  délibérait  sur  le  parti  qu'il  convenait  de  prendre  dans  une 
circonstance  aussi  importante  pour  l'avenir  de  la  monarchie.  Presque 
tous  étaient  d'avis,  que  ce  prince  devait  d'abord  et  surtout  penser  a  sa 
sûreté  personnelle  ;  qu'en  conséquence,  il  serait  prudent  de  réunir  les 
troupes  protestantes  et  le  petit  nombre  de  royalistes  sur  lesquels  on  pou- 
vait compter,  et  de  marcher  sans  retard,  a  la  tête  de  toutes  ces  forces, 
pour  surprendre  la  ville  de  Tours,  où  le  feu  roi,  avait  mis  comme  en 
dépôt  tout  ce  qui  a  coutume  d'annoncer  la  présence  et  la  majesté  de  nos 
souverains.  Une  fois  en  possession  de  cette  ville,  elle  servirait  de 
rempart  a  toute  la  Guyenne,  sur  laquelle  on  pouvait  déjà  compter,  et  il 
serait  ensuite  aisé  de  porter  la  guerre  dans  les  provinces  situées  sur  les 
deux  rives  de  la  Loire  et  de  revenir  attaquer  la  capitale. 

Henri  IV  semblait  d'abord  assez  disposé  a  adopter  ce  parti  ;  mais  le 
seigneur  de  Guitry  le  lit  revenir  a  un  autre  avis.  «  Sire,  lui  dit-il,  si  vous 
vous  relirez,  vos  ennemis  ne  manqueront  pas  d'attribuer  cette  retraite  à 
la  peur  et  de  la  faire  passer  pour  une  fuite.  Or,  vous  le  savez,  le  succès 
d'une  guerre,  dépend  prescjue  toujours  de  la  réputation  qu'on  se  fait  en 
la  commençant,  et,  dans  les  circonstances  où  vous  vous  trouvez,  il  faut 
bien  se  résoudre  a  ris(juer  (|uel(|ue  chose,  quand  il  s'agit  pour  vous  de 
vous  concilier  l'estime  des  peuples,  si  nécessaire  'a  raiïermissement  d'un 
nouveau  règne.  D'ailleurs  le  danger  est  loin  d'être  aussi  grand  qu'on 
semble  le  croire.  En  vous  conliant  'a  l'armée   qui  vient  de    perdre   le 


4  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

souverain  que  vous  remplacez,  je  suis  persuadé  que  la  plus  grande  par- 
tie de  ces  braves  se  fera  un  point  d'iionneur  de  vous  faire  triompher  de 
vos  ennemis.  Si,  au  contraire,  on  vous  voyait  vous  défier  de  vous-même 
et  vous  retirer  timidement  vers  la  Loire,  en  abandonnant  les  conquêtes 
déjà  faites,  toute  cette  armée,  qui  peut  vous  être  si  utile,  ne  manquerait 
pas  de  se  débander.  »  (De  Tnou,  iibisup.,  p.  4.) 

Cet  avis  l'emporta,  et  il  fut  résolu  qu'on  commencerait  par  négocier 
avec  les  Suisses  qu'avait  amenés  Sancy.  On  craignait,  en  effet,  qu'ils  ne 
regardassent  leur  engagement  comme  résilié  par  la  mort  du  feu  roi. 
Mais  Sancy  était  lui-même  fort  bien  disposé,  et  sans  avoir  été  pré- 
venu du  service  qu'on  attendait  de  lui,  il  avait,  aussitôt  qu'il  fut  instruit 
de  la  mort  du  roi  Henri  III,  assemblé  tous  les  officiers  de  ses  troupes 
pour  les  décider  a  servir  le  nouveau  roi,  leur  représentant  que  leur 
propre  pays  tirerait  de  leur  dévouement  en  cette  circonstance,  une  grande 
gloire  et  beaucoup  d'avantages,  puisqu'il  s'assurerait  par  la  à  tout  ja- 
mais, la  reconnaissance  et  l'appui  de  la  France. 

Comme  l'adroit  négociateur  avait  pris  d'avance  l'utile  précaution  de 
se  procurer  la  coopération  des  principaux  officiers,  qu'il  avait  su  gagner, 
il  fut  décidé  que  les  troupes  suisses  resteraient  encore  deux  mois  au 
service  du  nouveau  monarque,  en  attendant  les  ordres  des  cantons,  et 
que,  pendant  ce  temps,  elles  n'exigeraient  pas  le  paiement  immédiat  de 
leur  solde.  (Davila,  t.  III.) 

Henri  IV,  instruit  de  cette  résolution,  vint  lui-même  remercier  ces 
braves  gens  avec  un  air  riant  ;  il  donna  sa  main  a  baiser  à  tous  les  offi- 
ciers, et  il  ne  songea  plus  à  retourner  vers  la  Loire.  Il  alla,  tout  joyeux, 
prendre  ses  logements  au  bas  du  bourg  de  Saint-Cloud,  où  bientôt  la 
foule  des  seigneurs  et  des  gentilshommes  du  camp  accourut  pour  le 
saluer.  H  les  reçut  dans  un  appartement  qu'il  avait  fait  tendre  en  violet 
avec  les  mêmes  tapisseries  qui  garnissaient  la  chambre  de  Henri  III,  et 
où  il  se  montra  lui-même  en  grand  deuil,  à  cause  de  la  mort  du 
feu  roi. 

On  murmurait  bien  encore  un  peu,  parmi  les  catholiques  de  l'armée, 
touchant  l'hérésie  et  l'excommunication  du  nouveau  souverain.  Les  plus 
entêtés  demandaient  qu'avant  de  reconnaître  les  droits  d'un  prince  en- 
taché d'une  pareille  souillure,  on  en  référât  aux  Etats-Généraux;  mais 
on  finit  par  convenir  qu'en  attendant,  il  fallait,  pour  ne  pas  mettre  le 
salut  commun  en  péril,  reconnaître  le  roi  de  Navarre,  comme  généralis- 
sime de  l'armée,  et  lui  prêter  obéissance  en  celte  qualité.  (Mézeray, 
t.  m,  p.  692.) 

Ceux  qui  voulaient  le  reconnaître  immédiatement  pour  roi,  eurent 
l'air  de  ne  pas  prendre  garde  'a  celte  restriction  de  leurs  adversaires,  et, 
le  quatrième  jour  d'août,  Henri  de  Bourbon  fut  proclamé  par  l'armée, 
comme  héritier  légitime  de  la  couronne.  Il  reçut  les  serments  de  tous, 
après  s'être  engagé  lui-même  sur  sa  foi  et  parole  de  roi,  'a  conserver 
dans  le  royaume  la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine.  Il  renou- 
vela aussi  la  promesse  qu'il  avait  déjà  faite  plusieurs  fois  de  se  sou- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  5 

mettre  lui-même,  pour  sa  croyance,  a  la  décision  d'un  concile  qu'il  ferait 
assembler  dans  le  terme  de  six  mois,  s'il  était  possible.  Il  s'engageait, 
de  plus,  a  ne  conlier  qu'a  des  catlioIi<iues  le  commandement  des  places 
dont  on  se  rendrait  maître,  pendant  le  cours  de  cette  guerre,  comme 
aussi  a  ne  nommer  que  des  catboliques  aux  charges  et  places,  dans  les 
villes  autres  cpie  celles  qui  étaient  déjà  entre  les  mains  des  prolestants, 
et  enfin  il  promettait  de  tirer  une  vengeance  rigoureuse  et  exemplaire  du 
meurtre  de  son  prédécesseur. 

On  dressa  un  acte  de  ces  conventions  qui  fut  signé  par  le  prince  et 
les  ofliciers  de  la  couronne  présents  au  camp.  Quelques-uns,  cepen- 
dant, refusèrent  de  souscrire  cet  acte,  «  non,  disaient-ils,  (pi'ils  le  désap- 
prouvassent, mais  seulement  pour  ne  pas  préjudicier  aux  droits  acquis 
à  leur  rang.  »  De  ce  nombre  fut  le  duc  d'Epernon.  Depuis  que  le  roi  de 
Navarre  avait  fait  sa  paix  avec  Henri  III,  cet  ancien  favori  le  regardait  de 
mauvais  œil,  dans  la  crainte  qu'il  ne  s'insinuât  dans  les  bonnes  grâces 
du  souverain.  «  S'il  prétend  en  agir  avec  moi  comme  il  a  fait  avec  les 
Guises,  avait  dit  le  nouveau  roi,  dans  un  moment  d'impatience,  je  lui 
promets  qu'il  y  trouvera  encore  plus  mal  son  compte.  »  D'Epernon  di- 
sait, de  son  côté,  que  le  roi  de  Navarre  ne  pouvait  se  déshabituer  de 
faire  la  guerre,  comme  un  chef  de  vagabonds  et  de  proscrits  ;  il  se  vantait 
qu'à  la  prise  J'Étampes,  il  avait  lui-même  tué  de  sa  propre  main  un  des 
gardes  du  prince,  (|ui,  pour  voler  le  saint  ciboire  d'une  église,  avait  osé 
profaner  le  Très-Saint-Sacrement.  (Davila,  t.  III,  p.  470.) 

On  conçoit  que  ces  propos,  malignement  répétés  et  envenimés,  ne 
pouvaient  rendre  amis  ceux  qui  les  avaient  tenus.  D'Epernon  prétjiwla 
qu'en  sa  qualité  de  duc  et  pair,  il  était  au-dessus  des  maréchaux  de 
liiron  et  d'Aumont.  Ceux-ci  soutinrent  qu'à  l'armée,  leur  charge  ne 
devait  point  reconnaître  de  supérieur  après  le  roi  et  les  princes  de  son 
sang.  Cette  opinion  ayant  prévalu  dans  le  conseil,  le  duc,  mécontent, 
partit,  suivi  des  troupes  qu'il  avait  amenées  et  de  beaucoup  d'autres 
d'entre  les  catholiques,  qui  ne  demandaient  qu'une  occasion  de  s'éloigner 
d'un  service  dans  lequel  leur  conscience  religieuse  se  trouvait  compro- 
mise. D'Epernon,  après  avoir  traversé  la  Touraine,  se  rendit  dans  son 
gouvernement  d'Angoulême. 

Le  roi  fut  très-sensible  à  cette  retraite,  qui  pouvait  être  d'un  fâcheux 
exemple,  mais  il  dissimula  son  ressentiment,  et,  pour  empêcher  que 
l'idée  d'une  pareille  défection  ne  se  propageât  parmi  ses  troupes,  il 
assembla  les  autres  seigneurs  royalistes  et  leur  dit  :  «  Vous  savez  tous. 
Messieurs,  quelles  recommandations  m'a  faites  sur  son  lit  de  mort,  le 
roi,  mon  illustre  et  glorieux  prédécesseur:  c'est  principalement  de  main- 
tenir mes  sujets  catholiques  et  prolestants  dans  une  liberté  égale,  jusqu'à 
ce  qu'un  concile  ait  décidé  ce  grand  différend.  Maintenant,  j'apprends 
que  certaines  gens,  dans  mon  armée,  se  font  scrupule  de  rester  à  mon 
service,  à  moins  que  je  n'embrasse  immédiatement  la  religion  catho- 
lique. Je  suis  bien  aise  de  leur  déclarer  ici,  d'abord:  (jue,  ni  pour  le 
innie  de  France,  ni  pour  celui  même  de  lunivers,  je  ne  voudrais  (juiller 


6  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

une  foi  dans  laquelle  j'ai  été  élevé,  s'il  ne  m'est  pas  clairement  prouvé 
que  celte  foi  est  erronée  ;  je  ne  suis  pas  homme  a  vendre  ma  religion 
pour  aucun  prix.  Que  ceux  qui  voudraient  me  voir  m'avilir  moi-même 
par  un  aussi  ignoble  trafic  se  retirent  de  moi,  je  leur  en  accorde  bien 
volontiers  l'autorisation.  Je  compte  plus  sur  cent  bons  Français  que  sur 
deux  cents  qui  auraient  des  sentiments  si  indignes.  Dieu  saura  toujours 
protéger  les  gens  de  bien,  et,  après  m'avoir  conduit,  depuis  mon  enfance, 
comme  par  la  main,  a  travers  tant  de  dangers  qui  menaçaient  ma  vie,  je 
ne  crois  pas  qu'il  veuille  m'abandonner  maintenant.  Je  ne  doute  nulle- 
ment que,  puisqu'il  a  daigné  me  placer  sur  le  trône,  malgré  tant  d'ob- 
stacles, il  ne  m'y  conserve,  non  pour  mes  mérites,  mais  pour  le  salut  de 
tant  d'âmes  qui  implorent  son  secours  contre  la  plus  cruelle  tyrannie, 
et  pour  se  servir  de  mon  bras  comme  d'un  instrument  de  son  pouvoir 
tout-puissant.  Du  reste,  considérez,  je  vous  prie,  s'il  ne  doit  pas  être 
bien  dur  et  bien  fâcheux  pour  moi,  qui  suis  votre  maître,  de  voir  que, 
tandis  que  je  vous  laisse  a  tous  la  liberté  de  conscience,  des  gens  de 
peu  d'importance  veuillent  m'astreindre  a  adopter  sans  examen  leurs  opi- 
nions, qui,  après  tout,  peuvent  bien  n'être  pas  les  meilleures.  Moi,  je 
ne  veux  m'en  rapporter  qu'a  la  décision  des  seuls  juges  compétents  en 
cette  matière,  c'est-a-dire  aux  décrets  d'un  concile  que  j'ai  promis  et 
que  je  promets  encore  de  faire  convoquer,  d  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  IV, 
p.  954.) 

Cette  allocution,  prononcée  avec  ce  ton  de  h-anchise  que  Henri  IV 
savait  si  bien  prendre,  eut  tout  l'effet  que  ce  prince  en  attendait.  Elle  ne 
contenait  rien  qui  pût  décourager  les  protestants,  et  tout  catholique  rai- 
sonnable devait  s'en  montrer  satisfait.  Il  n'y  eut  donc  qu'un  très-petit 
nombre  de  gentilshommes  qui  osèrent  abandonner  l'armée,  et  l'acte 
contenant  les  assurances  que  le  nouveau  roi  avait  données,  ainsi  que  le 
serment  qui,  en  conséquence,  lui  avait  été  prêté  par  les  princes,  ducs  et 
seigneurs,  fut  envoyé  au  parlement,  séant  à  Tours,  lequel  en  fit  l'enre- 
gistrement le  quatorzième  jour  d'août. 

Au  reste,  parce  que  plusieurs  s'étaient  plaints  que  les  ministres  de 
la  nouvelle  religion  prenaient  trop  hardiment  le  dessus  dans  ses  conseils, 
le  roi,  qui  ne  les  aimait  guère  déjà,  et  qui  comprenait  tout  le  tort  qu'ils 
pouvaient  lui  faire  avec  leurs  prétentions  exagérées  ;  mais  qui  n'osait 
pas  encore  lutter  ouvertement  contre  eux,  imagina  un  biais  pour  se 
défaire  de  leur  importunité,  ce  fut  d'assigner  a  Tours,  une  assemblée 
des  États-Généraux,  où  se  trouveraient  les  députés  des  deux  religions,  et 
de  jurer  qu'en  cette  assemblée  il  voulait  .recevoir  éclaircissement  sur  les 
controverses  de  religion,  promettant  qu'il  s'en  remettrait  a  ce  que  les 
lumières  du  Saint-Esprit  et  les  avis  des  plus  doctes  hommes  de  son 
royaume  lui  feraient  voir.  C'était  ce  qu'il  disait  tout  haut,  et  cela,  au  fait, 
ne  l'engageait  a  rien  ni  envers  les  catholiques,  ni  envers  les  protestants  ; 
mais,  en  particulier,  il  expliquait  différemment  ces  paroles,  suivant  ceux 
à  qui  il  avait  affaire,  et  sachant  que  ce  qu'il  disait  sur  un  pareil  sujet 
était  soigneusement  observé  par   les   deux  partis,  il   mesurait  tous  ses 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  7 

propos  avec  la  plus  grande  circonspection,  pour  gagner  les  uns  et  ne  pas 
perdre  les  autres.  Il  se  montrait,  en  outre,  doux  et  affable  a  tout  le 
monde,  et  son  plus  grand  soin  était  de  ne  pas  mécontenter  les  religion- 
naires,  qui  commençaient  déjà  a  murmurer  de  sa  tiédeur  et  a  se  plaindre 
des  rudesses  de  François  d'O,  surintendant  des  finances,  lequel  n'avait 
jamais  d'argent  pour  eux,  quoiqu'il  y  en  eût  toujours  un  peu  pour  payer 
les  catholiques.  (Mkzeray,  t.  III,  p.  702.) 

«  Mes  amis,  leur  disait  tout  doucement  ce  bon  prince,  patientons 
encore  un  peu.  Un  jour  viendra  où  vous  partagerez  ma  bonne  fortune.  » 
Et  cela  était  dit  avec  tant  de  bonhomie  et  de  si  bonne  grâce,  qu'il  n'y 
avait  pas  moyen  de  refuser  son  dévouement  'a  un  prince  aussi  avenant. 
Or,  cette  conduite  habile  du  nouveau  monarque  put  durer  avec  succès 
pendant  plus  de  quatre  ans.  C'était  un  grand  et  prudent  prince  que  le 
roi  Henri  IV. 

Restait  pourtant  'a  délibérer,  si,  avec  les  forces  qu'on  tenait  encore 
réunies,  mais  qui  très-probablement  devaient  se  disperser  sous  peu,  on 
devait  s'attacher  au  siège  de  Paris  et  presser  vigoureusement  cette  capi- 
tale, comme  c'était  l'intention  du  feu  roi.  On  trouva  (ce  qui  était  vrai) 
que  la  mort  de  ce  prince  avait  bien  changé  les  choses,  en  refroidissant 
d'abord  le  courage  des  royalistes,  dont  la  fidélité  pour  le  nouveau  Roi 
n'était  pas  trop  affermie,  attendu  sa  qualité  d'hérétique  excommunié  ; 
qu'ensuite  cette  mort  avait  relevé  l'ardeur  des  Parisiens,  h  qui  leurs  pré- 
dicateurs la  représentaient  comme  un  coup  du  ciel;  et  enfin,  qu'elle 
avait  rompu  toutes  les  intelligences  qu'on  avait  dans  la  ville  assiégée. 
Ceux  des  capitaines  et  des  bourgeois  qui  avaient  promis  de  se  déclarer 
en  faveur  du  feu  roi  avaient  changé  d'avis,  et  maintenant  ils  ne  se  sen- 
taient plus  dans  la  même  disposition  pour  obliger  un  prince  hugiienol. 
{Journal  de  Henri  IV,  p.  5.) 

Henri,  qui  appréciait  toutes  ces  difficultés,  crut  qu'il  n'y  aurait  pas 
d'inconvénient  de  traiter  avec  Mayenne  avant  d'en  venir  'a  la  voie  des 
armes,  à  laquelle  on  aurait  toujours  le  temps  de  recourir.  Par  un  nommé 
Bigot,  domestique  de  Villeroy,  et  qui  venait  assez  souvent  au  camp,  il 
fit  prévenir  ce  seigneur  qu'il  voulait  lui  parler  bouche  à  bouche,  et  qu'il 
lui  offrait  un  sauf-conduit,  pour  se  trouver  en  tel  lieu  que  le  dit  seigneur 
choisirait  lui-même.  {Mém.  de  Villeroy,  ad  ann.  1589.) 

Villeroy  répondit  qu'il  ne  pouvait  accepter  ce  rendez-vous  sans  la 
permission  du  duc  de  Mayenne,  qui  ne  voulait  pas  la  donner,  attendu  que 
chacun  entrerait  en  ombrage  de  cette  entrevue,  qui  ne  pouvait  nianciuer 
d'être  sue  de  tout  le  monde,  et  qui,  partant,  serait  préjudiciable  a  ses 
intérêts  ;  mais  (pie,  si  le  roi  voulait  envoyer  un  gentilhomme  'a  Paris,  on 
accorderait  très-probablement  un  pourparler.  Marsillou  y  fut  dépêché,  et 
il  dit  a  Villeroy  :  «  Monseigneur  le  duc  de  Mayenne  ne  doit  pas  voir  un 
ennemi  dans  mon  maître.  Ce  n'est  pas  lui  (pii  a  commis  les  actes  dont 
le  noble  duc  a  juré  de  poursuivre  la  vengeance.  Il  n'a  ni  conseillé  ni 
approuvé  le  meurtre  des  illustres  princes;  mais,  au  contraire,  il  a  tou- 
jours chéri  avec  une  considération  particulière  Monseigneur  de  Mayenne, 


8  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

et  il  le  prie  de  se  souvenir  de  Tétroite  amitié  qui  a  toujours  existé  entre 
eux.  Il  1  exhorte  donc,  comme  son  bon  parent  et  son  ami,  et,  en  consi- 
dération des  services  qu'il  est  appelé  à  rendre  à  rEtat,à  ne  pas  se  perdre 
de  gaieté  de  cœur,  et  a  rechercher  plutôt  son  avancement  dans  les  faveurs 
d'un  maître  bien  disposé  que  dans  les  troubles  et  misères  publiques,  où 
il  ne  doit  trouver  a  la  fin  que  honte  et  abaissement.  Sa  Majesté  lui  offre 
le  premier  rang  d'honneur  auprès  de  sa  personne,  la  meilleure  part  dans 
ses  conseils  et  le  choix  dans  les  plus  grandes  charges  comme  dans  les 
meilleurs  gouvernements  de  la  France,  » 

Villeroy  transmit  ces  propositions  au  duc.  «  La  diversité  de  religion, 
répondit  celui-ci,  ne  permet  pas  de  traiter  avec  l'hérétique  Henri  de 
Navarre,  et  je  ne  puis  accueillir  aucune  proposition  de  sa  part  avant  qu'il 
ne  se  soit  réconcilié  avec  la  Sainte  Eglise,  notre  mère  a  tous.  » 

Quand  cette  réponse  fut  rapportée  au  roi,  il  ne  lui  restait  plus  qu'à 
lever  le  camp,  car,  bien  loin  de  songer  a  prendre  Paris  par  force,  le 
voisinage  de  cette  ville  lui  devenait  désormais  fort  dangereux.  Les  in- 
trigues des  Ligueurs  lui  débauchaient  'a  chaque  moment  quelques-uns  de 
ses  gens.  De  plus,  il  avait  nouvelle  que  de  toutes  parts,  il  venait  des 
secours  au  duc.  Il  fut  donc  résolu,  dans  le  conseil,  qu'il  fallait  abandonner 
le  siège  de  la  capitale.  (Mézeray,  t.  111,  p.  699.) 

Henri  IV,  pour  se  concilier  les  partisans  du  feu  roi,  exposa  alors  que 
les  fureurs  de  la  Ligue  ne  s'étaient  déj'a  que  trop  manifestées  contre  ce 
regrettable  prince,  pour  qu'on  n'eût  pas  à  craindre  qu'en  laissant  ses 
dépouilles  mortelles  dans  le  voisinage  de  Paris,  elles  ne  fussent  bientôt 
profanées  indignement  par  une  populace  fanatisée.  Il  proposa  de  porter 
le  corps  à  Compiègne,  où  il  fut  mis,  comme  on  l'a  vu,  en  dépôt,  en 
attendant  des  jours  plus  tranquilles.  Il  engagea  toute  l'armée  à  ne  pas 
se  séparer  avant  d'avoir  accompagné  cesîprécieux  restes  à  l'asile  pro- 
visoire mais  sûr  qu'il  indiquait,  et  l'on  se  mit  en  marche  avec  deuil  et 
recueillement.  (Mézeray,  t.  III,  p.  701. 

Mais,  sur  la  route,  le  roi  se  rendit  maître  de  Creil,  de  Meulan,  de 
Gisors,  de  Clermont-en-Beauvoisis,  et  généralement  de  tous  les  postes 
qui  pouvaient  interrompre  les  communications  de  Paris  avec  les  Ligueurs 
de  la  Picardie.  Puis,  voyant  que  ceux  de  la  capitale,  tout  occupés  à  se 
réjouir  de  la  mort  de  Henri  III,  ne  songeaient  pas  à  l'attaquer,  il  divisa 
ses  forces  en  trois  corps,  dont  l'un  fut  mis  sous  les  ordres  du  duc  de 
Longueville,  pour  rester  en  Picardie,  et  y  maintenir  dans  leurs  bonnes 
dispositions  ceux  de  la  noblesse  de  cette  province,  qui  avaient  déj'a 
adhéré  au  nouveau  roi.  Le  second  corps,  ayant  à  sa  tête  le  maréchal 
d'Aumont,  eut  ordre  d'aller  en  Champagne  et  d'y  tenir  dans  le  respect 
les  villes  dévouées  à  la  Ligue,  et  Henri,  s'étant  réservé  le  commande- 
ment du  troisième  corps,  qui  était  le  plus  nombreux,  prit  la  route  de 
Normandie.  Son  but  était  de  s'assurer  une  retraite  par  mer  en  cas  d'ac- 
cident, et  en  même  temps  d'ouvrir  une  communication  facile  aux  secours 
qu'il  attendait  d'Angleterre.  Il  comptait  qu'en  effet  ils  ne  devaient  pas 
tarder  beaucoup  d'arriver,  puisqu'ils  étaient  demandés  et  promis  depuis 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  9 

plus  de  deux  mois,  du  vivant  même  du  feu  roi  Henri  III.  {Hisl.  des  dern. 
troubles,  Henri  iV,  fol.  0,  mss.) 

Henri  écrivit  aussi  au\  cantons  suisses  protestants  et  aux  princes 
luthériens  de  rAllemagne.  Sous  prétexte  de  leur  donner  avis  de  son 
avènement  à  la  couronne,  il  profitait  de  l'occasion  pour  leur  demander 
leur  appui  contre  ses  ennemis, et,  pour  ne  pas  leur  laisser  de  mauvaises 
pensées  sur  son  compte,  il  leur  expliquait  lui-même  les  promesses  qu'il 
avait  été  obligé  de  l'aire  aux  seigneurs  catholiques.  Elles  lui  avalent, 
disait-il,  été  arrachées  |)ar  la  nécessité  des  circonstances,  mais  il  pro- 
testait que  rien  n'était  capable  d'ébranler  sa  foi  religieuse  ni  de  le  sépa- 
rer d'avec  Christ.  (Mkzkhav,  t.  III,  p.  105.) 

Il  continuait  cependant  sa  route  eu  Normandie,  et  il  arriva  devant 
Ponl-de-l'Arche,  dont  le  capitaine  Rolet  était  commandant  ;  celui-ci  lui 
apporta  toute  assurance  de  (idélité  de  la  part  des  habitants  de  la  dite 
ville.  {M cm.  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  48  et  su iv.) 

De  Ta,  en  suivant  les  bords  de  la  Seine,  le  roi  vint  camper  avec  toutes 
ses  troupes  au  bourg  de  Darnetal,  situé  presque  sous  les  murs  de  Rouen. 
Puis,  prenant  avec  lui  un  camp  volant  de  quatre  cents  chevaux,  il  alla 
faire  une  course  jusqu'aux  portes  de  Dieppe.  Cette  ville,  qui  a  un  bon 
port  sur  la  Manche,  et  où,  par  conséquent,  peuvent  aborder  facilement 
tous  les  arrivages  d'Angleterre  et  de  la  Hollande,  lui  semblait  a  juste 
titre  une  possession  de  très-haute  importance.  Aymar  de  Chastes  en  était 
gouverneur. 

A  la  nouvelle  de  l'approche  du  roi,  Aymar  lui  envoya  dire  qu'il  tenait 
la  ville  'a  sa  disposition,  et  cela,  sans  demander  aucune  sûreté  ni  dédom- 
magement. Comme  c'était  la  une  manière  d'agir  tout  a  fait  contraire  a 
celle  que  pratiquaient,  en  ce  temps-la,  les  gouverneurs  des  places  fortes, 
lesquels  ne  cédaient  rien  pour  rien,  Henri,  montra  quchpie  méfiance 
avant  d'accepter  cette  proposition  qui  pouvait  bien  cacher  un  piège. 
Aymar,  voyant  cette  hésitation,  sortit  lui-même  de  la  ville  'a  la  tête  de 
tous  ses  soldats.  «  Sire,  dit-il,  me  voici  a  vos  ordres  avec  tous  ceux  (pie 
je  commande;  il  n'y  a  plus  maintenant  un  seul  homme  de  guerre,  ni 
dans  la  place  ni  dans  le  château.  Toutes  les  portes  sont  toutes  grandes 
ouvertes;  vous  pouvez  y  envoyer  qui  bon  vous  semblera  pour  en  prendre 
possession.  » 

«  Mon  ami,  dit  le  roi  en  l'embrassant,  c'est  vrai  que  j'avais  de  la 
méliance  et  j'aime  mieux  m'en  excuser  que  de  le  nier.  Dans  les  tristes 
circonstances  où  je  me  trouve,  je  n'ai  véritablement  pas  été  sans  soup- 
çons en  vous  voyant  mettre  tant  d'empressement  et  de  générosité  'a  vous 
soumettre,  sans  exiger  les  conditions  que  d'autres,  à  votre  place,  auraient 
voulu  m'imposer.  Mais  maintenant,  il  y  aurait  de  ma  part  de  l'ingrati- 
tude Il  ne  pas  me  conlier  entièrement  a  votre  loyauté.  Allez  donc  avec 
vos  braves  soldais  reprendre  la  garde  de  votre  ville;  je  ne  pourrais  lui 
donner  un  plus  digne  gouverneur,  ni  une  plus  fidèle  garnison,  et  j'exige 
que  ce  soit  vous  qui  me  présentiez  vous-même  à  mes  bons  habitants  de 
Dieppe. 


10  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Henri  marcha  aussitôt  côte  à  côte  avec  le  gouverneur,  et  fut  reçu 
par  les  Dieppois  avec  de  grandes  acclamations.  Ce  jour-là,  a  ce  qu'il  a 
dit  depuis  lui-même,  fut  le  premier,  où  il  goûta  le  plaisir  d'être  roi 
de  France.  (Mézerav,  t.  III,  p.  705.) 

Le  gouverneur  de  Caen,  autre  place  très-forte  alors,  suivit  presque 
aussitôt  l'exemple  du  brave  Aymar,  dont  au  reste  il  était  parent.  «  Or, 
on  peut  dire  de  ces  deux  braves,  qu'ils  ne  sont  point  de  ceux,  qui  sont 
justes  et  innocents  parce  qu'ils  n'ont  pas  eu  l'occasion  de  faillir;  car  ils 
l'avaient  belle,  pour  imposer  de  dures  conditions  'a  leur  prince,  et  ils  pré- 
férèrent ne  lui  montrer  que  leur  fidélité  et  leur  dévouement,  j)  La  pos- 
session des  deux  places  importantes  qu'ils  avaient  remises  au  roi  le  rendit 
maître,  tant  que  la  guerre  dura,  de  toute  la  basse  Normandie,  ce  qui  lui 
fut  d'une  grande  utilité  parla  suite.  {Mém.  de  la  Ligue, t.  IV,  p.  55.) 

Pour  le  moment,  dans  toute  la  chaleur  de  leur  enthousiasme,  les 
Dieppois  proposèrent  au  monarque  d'aller  faire  le  siège  de  Rouen,  et  lui 
offrirent  pour  cela  leur  bourse  et  leurs  personnes.  Henri  comprit  que,  mal- 
gré cette  bonne  volonté,  dont  il  ne  devait  pas  abuser,  s'il  voulait  la  rendre 
stable,  il  y  aurait  de  l'imprudence  de  sa  part  a  tenter  une  entreprise 
aussi  importante.  Il  accueillit  néanmoins  avec  reconnaissance  les  offres 
de  sa  bonne  ville  de  Dieppe,  et  il  promit  qu'il  en  conférerait  avec  les 
officiers  généraux  de  son  armée,  [qu'il  avait  laissés  au  camp.  Bientôt 
après  il  retourna  rejoindre  le  reste  de  ses  troupes  a  Darnetal. 

L'a,  il  parla  au  duc  de  Montpensier  et  a  Biron,  de  la  proposition  des 
Dieppois.  On  fut  d'avis  qu'il  ne  fallait  pas  la  dédaigner,  attendu  que, 
dans  les  circonstances  présentes,  il  était  bon  que  le  roi  donnât  une  grande 
réputation  a  ses  armes,  en  paraissant  ne  pas  hésiter  a  accepter  de  grands 
projets,  mais  qu'il  n'en  fallait  pas  moins  agir  avec  toute  la  précaution 
possible  et  ne  pas  risquer  un  échec  qui  perdrait  tout. 

On  convint  donc  de  faire  tous  les  mêmes  préparatifs  qui  auraient  été 
nécessaires,  si  le  roi  eût  eu  sérieusement  l'intention  d'assiéger  Rouen, 
mais  de  ne  pas  trop  s'engager  et  de  se  tenir  prêt  à  se  retirer  vers  Dieppe, 
au  cas  que  la  place  fût  secourue,  et  on  comptait  qu'elle  le  serait.  C'était 
même  pour  obtenir  ce  résultat  qu'on  faisait  cette  démonstration.  On  vou- 
lait attirer  de  ce  côté  les  forces  que  la  Ligue  avait  a  Paris,  et  empêcher 
ces  mêmes  forces  de  reprendre  les  places  que  le  roi  avait  déjà  conquises 
aux  alentours  de  la  capitale.  On  commença  donc  par  brûler  et  ruiner 
tous  les  moulins  qui  étaient  aux  environs  de  Rouen,  ce  qui  causa  un  grand 
dommage  à  la  ville.  Le  duc  d'Aumale  et  le  comte  de  Brissac,  qui  étaient 
dans  Rouen,  à  la  tête  d'une  cavalerie  nombreuse,  mais  sans  infanterie, 
écrivirent  au  duc  de  Mayenne  de  tout  quitter  pour  venir  à  leur  secours, 
s'il  voulait  conserver  une  place  aussi  importante,  et  celui-ci,  avec  quinze 
mille  hommes  de  pied  et  quatre  mille  chevaux  se  mit  incontinent  en 
route,  publiant  qu'il  s'en  allait  prendre  le  Béarnais  et  le  ramener  prison- 
nier à  Paris.  {Journal  de  Henri  IV,  i.  I,  p.  6.) 

Or,  voici  ce  qui  s'était  passé  dans  cette  capitale.  Aussitôt  qu'on  y  fut 
instruit  de  la  mort  du  feu  roi  et  de  la  manière  dont  l'assassin  avait  été 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  11 

massacré  au  moment  même,  Mayenne  avait  fait  relâcher  tous  ceux  qu'on 
avait  arrêtés  la  veille,  «  ce  qui  prouverait,  juscpf  à  un  certain  point,  (pie 
ces  arrestations  n'avaient  été  faites  que  |)0ur  avoir  des  otages  peur  la 
vie  de  Jacques  Clément.  Celui-ci  n'étant  plus,  on  n'avait  plus  besoin 
d'otages.  »  (De  Thol',  ibid.^  p.  10.) 

Mayenne  délibéra  ensuite  quel  titre  il  se  donnerait  pour  faire  valoir  la 
bonne  fortune  qu'il  voyait  maintenant  entre  ses  mains.  Les  plus  hardis 
de  ses  partisans,  et  principalement  la  duchesse  de  Montpensier,  lui  con- 
seillaient de  |)rendre  sans  hésitation  la  qualité  de  roi.  "  Car,  disaient- 
ils,  c'est  le  seul  titre  qui  puisse  vous  donner  assez  d'empire  sur  les 
peuples,  qui  sont  tout  accoutumés  depuis  longtemps  à  respecter  la 
royauté,  et  qui,  pour  le  moment,  comprendraient  dillicilement  tout  autre 
pouvoir.  Or,  il  vous  est  facile  de  trouver  de  fort  bonnes  raisons  pour 
appuyer  vos  droits  h  prendre  ce  titre.  Dabord,  selon  toutes  les  lois  di- 
vines et  humaines,  c'cst-a-dire  ecclésiastiques  et  politiques,  ceux  qui  sont 
par-del'a  le  septième  degré  de  parenté  ne  sont  plus  estimés  parents  et 
ne  peuvent  venir  de  si  loin  h  une  succession;  partant,  tous  les  princes 
de  la  maison  de  Bourbon  n'ont  rien  a  prétendre  a  la  couronne,  vu  (ju'ils 
n'ont  de  parenté  avec  le  feu  roi  qu'à  plus  du  onzième  degré.  En  outre, 
l'hérésie  dont  cette  maison  s'est  entachée,  la  rend  déchue  dans  tous  les 
cas,  puisque  la  qualité  de  roi  très-chrétion,  est  inséparable  de  celle  de 
roi  de  France.  Une  fois  ceci  établi  et  la  couronne  déclarée  vacante,  il 
vous  est  aisé  de  faire  voir  que  vous  avez  le  droit  de  vous  en  saisir  pour 
le  bien  de  tous,  comme  étant  celui  qui  a  hasardé  avec  le  plus  de  zèle  et 
d'ardeur  sa  personne  et  ses  biens,  pour  la  défense  de  la  Sainte  Église. 
Pépin  et  Gapet  lui-même  n'ont  jamais  eu  d'autre  titre.  Vous,  vous  pou- 
vez encore  alléguer,  au  besoin,  votre  descendance  de  l'illustre  Charle- 
magne,  telle  qu'un  chroniqueur  bien  intentionné  l'a  fabriquée  naguère  ; 
mais  surtout,  n'oubliez  pas  qu'il  n'y  a  point  de  droits,  si  contestables 
qu'ils  soient,  qu'on  ne  puisse  faire  prévaloir,  quand  on  est  habile  et 
qu'on  a  la  force  en  main.  »  Mayenne  goûtait  assez  toutes  ces  raisons; 
mais  une  chose  le  troublait,  car,  comme  on  sait,  son  caractère  n'était 
rien  moins  qu'audacieux  et  ferme  ;  il  se  demandait  si  tous  les  princes  et 
seigneurs  qui  n'avaient  pas  hésité  'a  le  reconnaître  comme  un  chef  choisi 
parmi  leurs  égaux,  et  comme  n'ayant,  au  résumé,  d'autre  droit  de  préé- 
minence sur  eux  que  leur  volonté,  consentiraient  de  bonne  grâce  à  lui 
accorder  les  droits  plus  décisifs  de  la  royauté  et  'a  le  reconnaître  pour 
leur  souverain  seigneur  et  maître.  «  Hélas  !  disait-il  h  la  duchesse  de 
Montpensier,  qui  l'excitait  avec  toute  l'ardeur  de  ses  rancunes,  ne  dois- 
je  pas  craindre  (jue  les  peuples  ne  soient  comme  vous  autres,  belles 
dames,  qui  souvent  consentez  à  recevoir  pour  galant  un  homme,  dont 
vous  ne  voudriez  pas  faire  votre  mari.  »  (Mézerav,  t.  111,  p.  695 
et  suiv.) 

Avant  donc  d'aller  plus  loin,  il  lit  sonder  indirectement  les  inten- 
tions du  parlement,  du  conseil  des  Quarante,  des  capitaines  des  quartiers, 
des  principaux   bourgeois  de  Paris,  et  même  du  peuple  en  général.  Il 


12  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

trouva  justement,  ce  qu'il  avait  appréhendé,  que  personne  n'adhérerait 
volontiers  a  se  donner  Mayenne  pour  roi.  Bien  plus,  Mendoce,  ambas- 
sadeur d'Espagne,  qui  fut  aussi  consulté,  déclara  brusquement  que  cela 
n'était  point  conforme  aux  intentions  du  roi  son  maître.  «  La  mort  de 
Henri  III,  dit  a  ce  sujet  Villeroy,  avait  aiguisé  l'appétit  du  monarque 
espagnol.  »  {Mém.  de  Villeroij,  ad  ann.  1589.) 

Mayenne^  plus  irrésolu  que  jamais,  n'osa  pas  aller  plus  avant.  Que 
devait-il  donc  faire?  Le  président  Jeannin  lui  dit  :  «Mon  avis  est  que  vous 
fassiez  savoir  à  tous  les  catholiques  de  l'armée  royale,  par  une  belle 
déclaration,  que  tous  vos  ressentiments  demeurant  éteints  par  la  mort 
de  Henri  111,  et  que,  n'ayant  plus  à  poursuivre  la  vengeance  de  l'assas- 
sinat de  vos  illustres  frères,  il  ne  vous  reste  plus  maintenant  d'intérêt  a 
défendre  que  celui  de  la  religion  ;  que  ce  devoir  étant  d'obligation  divine 
et  regardant  tous  les  bons  chrétiens,  vous  conjurez  les  dits  catho- 
liques de  se  joindre  a  vous  pour  exhorter  le  roi  de  Navarre  à  rentrer 
dans  le  giron  de  l'Église  ;  que,  s'il  le  fait,  vous  êtes  tout  prêt  a  le  recon- 
naître pour  roi;  mais  que,  s'il  refuse,  vous  demandez  que,  d'un  com- 
mun accord,  on  désigne  un  autre  prince  pour  occuper  le  trône.  » 

En  suivant  cet  avis,  Mayenne  eût  probablement  mis  fin  'a  la  guerre; 
car  il  n'est  pas  douteux  que  le  roi,  n'ayant  plus  besoin  des  protestants, 
n'eût  pas  hésité  'aies  abandonner;  mais  ce  fut  précisément  la  crainte 
d'une  pareille  solution  qui  l'engagea  a  rejeter  le  conseil  de  Jeannin. 
Tous  les  avantages  que  le  roi  aurait  pu  lui  accorder  eussent  toujours 
été  moindres  que  ses  prétentions,  et,  dans  les  différentes  chances  qui 
devaient  naître  de  la  lutte,  si  elle  se  continuait,  il  comptait  bien  qu'il 
s'en  présenterait  de  favorables  aux  ambitieux  desseins  de  la  famille  des 
Guises,  desseins  auxquels  il  n'avait  pas  renoncé,  quoiqu'au  fond  il  ne 
fut  nullement  l'homme  capable  de  mener  'a  bonne  fin  une  semblablee 
entreprise. 

H  imagina,  comme  moyen  terme,  de  nommer  roi  le  vieux  cardinal 
de  Bourbon.  H  savait  que  ce  prince  était  aimé  des  Parisiens,  et  il  espé- 
rait que,  faible  d'esprit,  caduc,  languissant  comme  il  l'était,  et,  de  plus, 
prisonnier,  ce  fantôme  de  roi  laisserait  le  pouvoir  assez  longtemps  entre 
ses  mains  pour  lui  donner  le  loisir  de  s'assujettir  tout  doucement  les 
esprits  dans  les  provinces,  et  d'accoutumer  les  seigneurs  de  son  parti  a 
ne  plus  s'effaroucher  en  lui  voyant  garder  une  autorité  qu'il  aurait  déj'a 
exercée  sous  le  nom  d'un  autre.  En  conséquence,  le  vieux  cardinal,  par 
l'avis  du  conseil  des  Quarante  et  des  plus  notables  bourgeois,  fut  pro- 
clamé roi  sous  le  nom  de  Charles  X.  Déjà,  au  reste,  sous  le  règne  de 
Henri  III,  les  plus  fanatiques  des  Ligueurs  lui  avaient  donné  ce  nom 
après  l'excommunication  du  monarque,  qui  avait  ordonné  la  mort  d'un 
prince  de  la  Sainte  Église.  {Mém.  de  Villeroy,  ad  ann.  1589.) 

L'édil  de  déclaration  de  l'avènement  de  Charles  X,  fut  signé  par 
Mayenne,  qui  continua  à  prendre,  même  pour  cette  signature,  le  titre  de 
lieutenant-général  de  l'État  et  couronne  de  France.  Plusieurs  s'en  éton- 
nèrent et  firent   l'observation  que  la  qualité  de  régent,   usitée  pendant 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  43 

l'absence  ou  la  prison  des  rois,  eût  été  tout  à  la  fois  et  plus  convenable 
a  la  circonstance  et  pbis  majestueuse.  {Mém.  de  la  Ligue,  l.  IV,  p.  '29.) 

Mayenne  écrivit  ensuite  a  toutes  les  villes  et  a  tous  les  gouverneurs 
du  parti.  En  leur  parlant  de  la  mort  l'unesle  du  l'eu  roi,  il  leur  disait  que 
ce  qui  venait  d'arriver  la  ne  devait  pas  être  regardé  comme  un  eflet 
d'aucun  conseil  humain,  mais  comme  un  coup  de  la  providence  admi- 
rable du  Tout-Puissant,  qui  avait  voulu  venger  les  hommes  dévoués  'a 
la  vraie  foi  de  l'oppression  dont  leurs  ennemis  étaient  parvenus  à  leur 
imposer  le  joug.  «  Profitons  d'un  aussi  grand  bienfait,  ajoutait-il,  et  ne 
laissons  pas  échapper  une  aussi  belle  occasion  de  procurer  la  gloire  de 
Dieu  et  le  salut  des  hommes.  Dieu  lui-même  s'est  chargé  de  la  punition 
des  ennemis  secrets  de  sa  religion,  et,  maintenant,  ce  n'est  plus  qu'aux 
hérétiques  avoués  que  nous  avons  afïaire.  Pour  seconder  nos  ellbrts  contre 
eux,  nous  pouvons  déjà  compter  sur  les  secours  du  puissant  roi  des 
Espagnes,  qui  n'a,  jusqu'à  présent,  hésité  de  se  déclarer  en  notre  faveur 
que  par  suite  de  certains'égards  pour  la  personne  du  roi  Henri  111;  mais, 
'a  présent  que  nous  n'avons  plus  à  combattre  que  contre  un  prétendant 
dont  les  droits,  s'il  en  a,  sont  annulés  par  l'hérésie.  Sa  Majesté  espagnole 
ne  peut  plus  être  arrêtée  par  aucune  considération.  (Mézerav,  t.  111, 
p.  695.  —  De  Tiiou,  uhi  sup.,  p.  20.) 

Ceux  qui  colportaient  cette  proclamation  jusqu'au  milieu  des  armées 
royales  s'appliquaient  à  gagner  les  ofdciers  et  les  soldats  en  prodiguant 
l'argent  et  les  promesses,  et  chaque  jour  ils  en  débauchaient  un  bon 
nombre.  La  religion  servait  ensuite  d'honnête  prétexte  aux  transfuges,  et, 
dit  Mézeray,  «  j'ai  su  (]ue  dans  ces  commencements,  oîi  la  chance  était 
encore  bien  douteuse,  et  où  le  parti  de  la  Ligue  était  même  le  plus  fort, 
du  moins  en  apparence  ;  il  se  serait  trouvé  bien  peu  de  gens  qui 
n'eussent  été  à  vendre,  si  on  eût  eu  de  quoi  les  acheter.  »  Mais  telle 
avait  été  la  dilapidation  du  trésor'public  de  la  Ligue,  qu'il  restait  h  peine 
au  lieutenant-général  de  l'Etat  et  couronne  de  France,  (puisque  c'est  le 
nom  qu'il  se  donnait)  de  quoi  entretenir  encore  pendant  (juinze  jours  ses 
gens  de  guerre.  (Mézeray,  t.  III,  p.  098.) 

Il  s'adressa  au  roi  d'Espagne  par  une  lettre  fort  pressante  :  «  Très- 
glorieux  défenseur  et  vengeur  de  la  [religion,  lui  disait-il,  c'est  mainte- 
nant à  vous  d'employer  généreusement  cette  puissance  redoutable  dont 
Dieu,  a  récompensé  vos  vertus,  'a  délivrer  un  des  plus  florissants  royaumes 
de  la  chrétienté  de  la  tyrannie  des  hérétiques.  Nous  n'avons  d'autre 
recours  qu'en  vous,  et  tous  les  vrais  catholiques  de  France  attendent 
humblement  cette  grâce  de  votre  zèle  pour  la  foi.  »  (De  Tiiol-,  nbi  sup.) 

En  même  temps,  et  en  attendant  qu'on  pût  assembler  les  Etats- 
Généraux,  qu'il  promettait  de  convoquer  pour  la  fin  de  novembre,  il  faisait, 
tant  en  son  nom  de  lieutenant-général  de  France,  qu'en  celui  de  la  Ligue 
fiu  Sainte-Union  catholi(iue,  enregistrer  i)ar  le  i)arlement  de  Paris,  un 
édit  dans  lequel  il  exhortait  tous  les  princes,  seigneurs  et  vilains,  a  se 
réunir 'a  lui.  «  Puisque  la  Providence  a  daigné  enfin  nous  délivrer  d'un 
protecteur  de  Ihérésie,  était-il  dit  dans  cet  édit,  il  ne  nous  reste  plus 


14  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

qu'à  rendre  h  l'héritier  légitime  du  trône,  Monseigneur  le  cardinal  de 
Bourbon,  maintenant  Sa  Majesté  Charles  X,  l'obéissance  qui  lui  est  légi- 
timement due.  11  faut  que  chacun  prenne  rengagement  de  n'aider  le  soi- 
disant  prétendant  hérétique  ni  de  ses  forces  ni  de  ses  conseils.  » 

Nul  doute  que  toutes  ces  proclamalionset  démarches  n'eussent  pu  avoir 
un  succès  favorable,  car  elles  étaient  parfaitement  dans  les  idées  du 
temps,  mais  il  eût  fallu  pour  les  soutenir  efficacement  faire  montre  d'une 
grande  activité  et  de  beaucoup  d'audace.  Outre  que  ces  deux  qualités 
n'étaient  pas  dans  le  génie  de  Mayenne,  il  était  alors  tristement  souf- 
Irant  d'une  de  ces  maladies  dont  le  patient  ne  peut  avouer  la  cause. 
«  Un  jour,  quatre  ou  cinq  des  principaux  de  son  parti  faisaient  débauche 
dans  l'hôtel  Carnavalet  avec  des  filles  de  joie  ;  un  d'entre  eux,  qui  le  vit 
passer,  courut  après  lui  et  l'engagea  à  venir  se  divertir  avec  la  com- 
pagnie. Il  n'y  demeura  pas  une  demi-heure;  mais,  dans  ce  peu  de  temps, 
les  faveurs  d'une  de  ces  dames  lui  causèrent  une  disgrâce  qui  ne  se  put 
guérir  par  les  remèdes  ordinaires,  et  qui  le  mit  en  si  piteux  état  qu'il  fut 
contraint  d'avoir  recours  a  une  cure  plus  fâcheuse,  gardant  la  chambre 
et  n'ayant  plus  le  cœur  de  s'occuper  d'autre  soin  que  de  celui  de  sa 
santé.  Ses  affaires,  par  conséquent,  n'avançaient  point,  et  quand  il  fut 
guéri,  il  lui  resta  pour  longtemps  une  débilité  chagrine  et  une  certaine 
pesanteur  qui,  jointes  'a  sa  lenteur  naturelle,  attachèrent,  pour  ainsi  dire, 
un  billot  aux  pieds  de  sa  fortune,  lorsqu'elle  allait  s'élever  le  plus  haut.  » 
(MÉZERAV,  t.  111,  p.  698.). 

Henri  IV,  cependant,  commençait  alors  'a  craindre  que  le  cardinal  de 
Bourbon,  surtout  s'il  retombait  entre  les  mains  des  Ligueurs,  ne  devînt 
un  prétexte  sérieux  de  lui  disputer  le  trône.  Le  noble  prélat  était  toujours 
prisonnier  au  château  de  Chinon,  gardé  par  le  sieur  de  Chavigny,  homme 
d'une  fidélité  a  l'épreuve,  sans  doute,  mais  qui,  étant  bien  vieux  alors  et 
devenu  presque  aveugle,  se  laissait  gouverner  par  sa  femme.  Or,  les 
Ligueurs  en  étaient  déj'a  'a  faire  des  propositions  'a  cette  dernière,  pour 
qu'elle  leur  rendit  leur  roi.  Henri  jugea  donc  prudent,  de  retirer  un  pri- 
sonnier aussi  important  des  mains  d'un  pareil  gardien,  et  il  chargea 
Duplessis-Mornay  de  le  faire  transférer  en  Poitou.  (De  Tnou,  ubi  siip.  — 
Palma  Cayet,  Chron.  novenn.,  ad  ann.  1589.  —  Vie  de  Duplessis- 
Mornay,  liv.  1,  p.  158  et  suiv.) 

Pendant  ce  temps-la,  la  nouvelle  de  la  mort  du  roi,  en  se  répandant 
dans  les  provinces,  y  causait  divers  événements  plus  ou  moins  favo- 
rables au  parti  royaliste,  suivant  que  ces  provinces  se  trouvaient  plus  ou 
moins  bien  disposées.  Presque  partout  le  clergé  était  dévoué  à  la  Ligue; 
la  noblesse  tenait  au  principe  royaliste,  fondement  de  ses  privilèges;  le 
peuple,  en  général,  penchait  plus  pour  Mayenne  et  les  Ligueurs,  qui  se 
proclamaient  les  défenseurs  de  la  foi  catholique,  et  quant  â  la  magistra- 
ture, il  n'y  avait  encore  pas  un  seul  des  huit  parlement^,  composant  l'ordre 
judiciaire  du  royaume,  qui  se  fût  haulement  déclaré  pour  le  roi.  Ceux  des 
membres  de  ces  compagnies  qui  avaient  embrassé  la  cause  du  trône 
avaient  été  obligés  de  se  séparer  de  leurs  corps,  et  d'aller  tenir  leurs 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  15 

séances  dans  quelques  petites  villes,  d'où  ils  combattaient  en  faveur  de 
leur  opinion  a  coups  déplumes  et  d'arrêts,  avec  grande  animosilé. 

Matignon,  h  Taide  du  Chàteau-Tromi)Ctte  dont  il  avait  su  s'emparer, 
comme  on  Ta  vu,  était  parvenu  à  maintenir  la  ville  de  Bordeaux,  dans  le 
devoir;  mais  il  commençait  à  s'apercevoir  (|ue  les  magistrats,  et  surtout 
le  parlement  de  cette  place  importante,  n'étaient  rien  moins  que  favora- 
blement portés  pour  le  service  du  roi  Henri  IV.  11  ne  se  fiait  pas  trop 
sur  la  force  du  cliàteau  (|ui,  en  ell'et,  n'aurait  pas  été  une  place  de  grande 
défense,  si  la  ville  tout  entière  eût  pris  parti  contre  lui.  Il  aima  mieux 
prendre  une  voie  détournée,  comme  c'était  assez  son  babitude.  Il  alla  au 
palais,  et,  sans  dire  un  mot  du  nouveau  roi,  il  parvint  'a  faire  rendre  a 
la  cour  un  arrêt  qui  portait  que  le  parlement,  instruit  de  la  déplorable 
fin  du  feu  roi,  exhortait  tous  les  évêques  et  curés  du  ressort  du  dit 
parlement  a  faire  des  prières  pour  le  repos  de  l'âme  de  l'illustre  défunt, 
enjoignant  en  môme  temps  aux  magistrats  de  veiller  à  ce  qu'il  ne  se  fit 
aucun  changement  dans  la  religion  ni  dans  le  gouvernement,  et  h  main- 
tenir strictement  les  édits  publiés  aux  Etals  de  iJlois,  jusqu'à  ce  que  Dieu, 
dans  sa  miséricorde,  en  eût  autrement  ordonné,  louchant  l'administra- 
tion et  la  tranquillité  de  la  France.  Quoique  cet  arrêt  ne  contint  rien  en 
faveur  des  prétentions  de  Henri  IV,  Matignon,  qui  lui  était  dévoué,  n'en 
tira  pas  moins  un  excellent  parti  pour  contenir  toute  la  Guyenne  dans  le 
devoir.  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  45.) 

Le  parlement  de  Toulouse  rendit  pareillement  un  édit,  mais  bien 
différent  de  celui-là.  Il  y  était  dit  que  la  cour,  instruite  de  la  terrible 
mort  de  Henri  III,  ordonnait  à  tous,  princes,  prélats,  seigneurs  et  autres, 
de  réunir  leurs  conseils,  crédit  et  force  pour  le  maintien  de  la  loi  catho- 
lique et  de  la  Sainte  Union,  qui  s'était  formée  en  France  dans  le  même  but. 
Le  même  arrêt  portait  qu'ahn  de  témoigner  au  ciel  la  reconnaissance 
qui  lui  était  due,  pour  avoir  délivré  la  France  d'un  tyran  protecteur  de 
l'hérésie,  on  ferait  tous  les  ans,  a  la  date  du  premier  jour  d'août,  une 
procession  publique.  En  outre,  il  était  défendu,  sous  les  plus  graves 
peines,  de  reconnaître  Henri  de  Bourbon,  soi-disant  roi  de  Navarre,  et 
de  l'assister  en  rien  dans  ses  prétentions,  comme  étant  notoirement 
excommunié,  convaincu  de  plusieurs  crimes,  et  par  cela  seul  incapable 
de  succéder  'a  la  couronne.  Dans  cette  même  ville  de  Toulouse,  on 
célébra  un  service  solennel  pour  frère  Jacques  Clément,  meurtrier  de 
Henri  IH,  et  l'efligie  du  roi  défunt  fut  traînée  par  la  populace  dans  la 
boue  des  rues.  {Mém.  de  l:i  Ligue,  ibid.,  p.  47.  —  Mém.  de  Philippi, 
adann.  ir)80.) 

En  ce  même  temps,  la  ville  de  Tours,  où  le  feu  roi  avait  réuni, 
comme  dans  une  nouvelle  capitale,  toutes  les  grandes  administrations 
du  royaume,  fut  l'objet  d'un  complot  qui  ne  tendait  a  rien  moins  qu'à 
livrer  aux  Ligueurs  et  le  parlement  royaliste  tout  entier,  et  les  grands 
officiers  de  la  couronne  (|ui  y  exerçaient  leur  charge.  H  y  avait  dans  cette 
ville  un  parti  dévoué  a  la  Ligue,  qui  avait  déjà  su  gagner  secrètement  à 
lui  un  grand  nombre  des  habilants.  A  la  tête  de  ce  parti  se  trouvait  un 


16  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

nommé  Lelièvre,  receveur  a  Ingrande,  mais  qui  demeurait  habituelle- 
ment a  Tours.  Cet  homme,  et  quelques-uns  de  ses  complices,  allèrent 
trouver  le  sieur  de  Lessart,  ancien  gouverneur  de  Saumur,  qui  comman- 
dait alors  dans  la  ville  une  compagnie  de  gens  de  pied.  Espérant  s'en 
faire  aisément  un  ami  et  un  appui,  ils  commencèrent  par  le  plaindre  de 
ce  que,  par  une  injustice  criante,  on  lui  avait  ôté  son  gouvernement 
pour  en  gratifier  un  hérétique,  Lessart  feignit  d'entrer  dans  cette  idée  ; 
alors  on  ne  craignit  plus  de  s'ouvrir  a  un  homme  qui  paraissait  si  bien 
disposé,  et  on  lui  dit  qu'il  ne  tenait  qu'a  lui  d'avoir  un  autre  gouverne- 
ment bien  meilleur  que  celui  de  Saumur,  et  qu'il  pouvait  se  rendre 
maître  de  celui  de  Tours,  chose  en  quoi  on  s'offrait  volontiers  à  aider  un 
aussi  bon  catholique.  «Eh!  comment  faudrait-il  s'y  prendre?  »  demanda- 
t-il,  avec  l'air  de  la  plus  grande  bonhomie.  Ils  lui  découvrirent  alors 
leur  complot  déjà  formé,  et  tous  les  moyens  qu'ils  avaient  préparés  pour 
le  mener  'a  bonne  fin.  On  devait  commencer  par  surprendre  et  mettre  à 
mort  tous  ceux  du  conseil  royal,  tous  les  membres  du  parlement  et  de 
la  cour  des  comptes,  et  abandonner  le  pillage  de  leurs  maisons  à  la  popu- 
lace, qui  ne  demanderait  pas  mieux  que  de  seconder  les  conjurés  quand 
elle  verrait  un  pareil  profit  a  faire.  Lessart  répondit  qu'il  était  tout  disposé 
'a  prêter  sa  coopération  a  une  œuvre  aussi  profitable  à  la  religion  ;  mais 
qu'il  voulait  auparavant  voir  clair  en  cette  entreprise,  et  qu'il  ne  s'y  asso- 
cierait que  quand  il  saurait  sur  combien  de  gens  et  sur  quels  person- 
nages influents  on  pouvait  comj)ter.  On  lui  promit  de  lui  fournir  un 
mémoire  détaillé  à  ce  sujet,  et  signé  des  principaux  d'entre  les  conjurés. 
Aussitôt  qu'il  fut  demeuré  seul,  le  capitaine  alla  trouver  le  cardinal  de 
Vendôme  et  lui  révéla  tout  ce  qu'il  venait  d'apprendre,  et  celui-ci  lui 
donna  des  archers  et  des  hommes  fidèles  pour  qu'il  les  fît  cacher  dans  sa 
maison,  afin  de  surprendre  les  conjurés  quand  ils  reviendraient.  Ils 
revinrent,  en  effet,  comme  ils  l'avaient  promis,  apportant  leur  mémoire. 
Alors  les  archers,  sortant  de  leur  cachette,  se  jetèrent  sur  eux,  s'empa- 
rèrent de  leur  mémoire  et  les  arrêtèrent.  Aussitôt  les  portes  de  la  ville 
furent  fermées,  et  l'on  mit  en  prison  tous  ceux  qui  étaient  compromis 
en  grand  nombre,  dans  le  dit  mémoire.  Lelièvre  et  deux  de  ses  princi- 
paux complices  furent  pendus  dès  le  lendemain,  mais  cette  exécution  un 
peu  sommaire,  ne  se  fit  pas  sans  un  grand  tumulte  dans  la  bonne  ville  de 
Tours.  Un  homme  du  peuple  tira  un  coup  de  pistolet  sur  la  garde  et  fut 
tué  sur-le-champ,  ainsi  qu'un  tailleur,  qui  était  sorti  de  sa  boutique,  bran- 
dissant une  épée  et  criant  :  <c  Vivent  les  Guises!  à  sac  les  royaux  et  les 
hérétiques  !  »  Le  calme  s'élant  alors  rétabli  dans  la  foule  effrayée,  force 
resta  à  la  loi,  et  la  ville  de  Tours  fut  dès  lors  tout  assurée  au  roi.  On 
pendit  encore,  deux  jours  après,  sans  la  moindre  opposition,  deux  autres 
des  plus  coupables,  puis  on  fît  grâce  au  reste.  (Cayet,  Chron.  novenn., 
ad  ann.  1589.) 

En  Bretagne,  le  duc  de  Mercœur,  qui  voulait  prendre,  pour  sa  pari, 
cette  riche  province  (dont  on  a  déj'a  vu  qu'il  se  portait  comme  légitime 
seigneur,  en  vertu  des  droits  prétendus  de  sa  femme),  s'était  rendu  maître 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  17 

absolu  de  la  plus  grande  partie  des  villes  et  des  places  de  quelque  impor- 
tance, et  il  n'était  pas  Hicile  de  l'en  déloger. 

La  Normandie  était  partagée  a  peu  près  entre  les  deux  partis;  la 
Picardie  ainsi  que  la  Champagne  appartenaient  presque  entièrement 
a  la  Ligue.  (Mkzeray,  t.  111,  p.  723.) 

En  Bourgogne,  Ta  vannes,  qui,  sans  aucun  secours  de  la  cour,  et  avec 
ses  seules  ressources  et  celles  de  ses  amis,  guerroyait  depuis  longtemps 
déjîi  contre  les  nombreux  partisans  de  la  Ligne  en  cette  province,  venait 
d'apprendre  tout  a  la  lois  et  l'avènement  de  Henri  IV  et  la  mort  du  feu 
roi,  «  tué,  dit-il  lui-même,  d'un  coup  de  couteau  poussé  de  la  main 
d'un  Jacobin,  par  l'artidce  des  chefs  rebelles  et  des  princes  ligueurs.  » 
Le  duc  de  Mayenne  et  le  président  Jeannin,  son  conseiller, avaient  envoyé 
le  sieur  de  Toire  avec  des  lettres  pour  engager  ce  brave  capitaine  à 
prendre  le  parti  du  dit  duc,  qu'ils  disaient  être  le  parti  de  l'union  de 
l'ordre  et  de  la  foi  catholique;  mais  tant  s'en  faut  qu'il  y  voulut  entendre, 
qu'au  contraire,  il  s'en  alla  faire  incontinent  prêter  à  son  armée  le  ser- 
ment de  lidélité  au  roi  Henri  IV,  et  lit  jurer  a  tous  de  s'employer  jusqu'à 
la  dernière  goutte  de  leur  sang,  'a  venger  la  mort  de  leur  délunt  souve- 
rain traitreusem.ent  assassiné.  {Mém.  de  Tavannes,\i\.  4,  ad  ann.  1589.) 

Le  parlement,  qui  était  dans  la  ville  de  Flavigny,  fit  le  même  ser- 
ment a  l'instance  du  président  Frémiot,  royaliste  dévoué,  et  le  sieur  de 
Tavannes  continua  avec  un  redoublement  d'activité  ses  exploits  contre 
les  Ligueurs  de  Bourgogne. 

Dans  le  Berry,  les  royalistes  ne  possédaient  que  la  ville  d'Issoudun, 
qu'ils  étaient  parvenus  à  remettre  sous  l'obéissance  du  roi,  avec  l'aide 
de  quelques  habitants,  qui  en  avaient  favorisé  la  surprise;  mais  tout  le 
reste  de  la  province,  dominé  par  La  Châtre,  ne  respirait  que  pour  la  Ligue. 

L'Auvergne  était  à  peu  près  partagée;  le  comte  de  Randan  occupait 
toute  la  Limagne  au  nom  de  la  Sainte  Union  catholique.  Levy,  comte  de 
La  Voûte,  conservait  le  Limousin  dans  l'obéissance  du  roi,  malgré  tout 
ce  qu'avait  [»u  faire  l'évêque  de  Limoges,  qui  avait  été  forcé  de  prendre 
la  fuite. 

Pour  le  Dauphiné,Lesdiguières  était  la  avec  ses  huguenots,  et  aussitôt 
qu'on  eut  appris  l'attentat  de  Jacques  Clément,  tous  les  royalistes,  saisis 
d'horreur,  n'hésitèrent  plus  à  se  joindre  à  lui,  de  sorte  qu'il  se  vit  en 
état  de  venir  bloquer  Genève. 

Ainsi  on  se  battait  |)ar  toute  la  France,  et  ce  malheureux  pays,  au 
lieu  d'être  fertilisé  par  les  sueurs  des  travailleurs,  se  voyait  partout 
arrosé  du  sang  de  ses  enfants.  Et  cela  parce  qu'un  novateur,  peut-être 
plus  orgueilleux  encore  que  croyant,  avait  voulu,  à  tort  ou  à  raison, 
faire  quelques  changements  a  une  vieille  religion,  parce  que  les  idées  de 
ce  novateur  avaient  pénétré  dans  un  grand  nombre  d'esprits  plus  ou 
moins  justes,  et  surtout  parce  que  des  ambitions  mondaines  étaient 
venues  se  mêler  dans  le  débat,  et  avaient  su  tirer  parti  de  ces  dissen- 
timents religieux  pour  les  faire  servir  à  des  projets  qui  n'avaient  rien 
moins  que  la  religion  pour  objet. 

IV.  2 


18  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Henri  s'était  cependant  empressé  d'écrire  au  maréchal  de  Montmo- 
rency, son  ancien  allié.  11  lui  mandait  son  avènement  à  la  couronne,  par 
suite  du  crime  qui  venait  d'être  commis,  par  les  suggestions  de  la  Ligue, 
sur  la  personne  de  Sa  Majesté  très-sacrée,  et  il  le  prévenait,  en  même 
temps,  de  l'assemblée  des  Etats-Généraux  qu'il  avait,  disait-il,  l'intention 
de  convoquer  a  Tours  pour  le  mois  de  mars  prochain.  A  cette  nouvelle, 
que  Montmorency  s'empressa  de  communiquer  à  Monsieur  de  Joyeuse, 
frère  de  l'amiral,  qui  lui  faisait  alors  la  guerre,  celui-ci  qui  n'aimait 
pas  beaucoup  Monsieur  de  Mayenne,  quoiqu'il  eût  accepté  de  servir  la 
Ligue,  du  vivant  du  feu  roi,  s'empressa  de  conclure  une  trêve  de  quatre 
mois,  mais  qui  se  prolongea  pendant  toute  l'année  suivante,  les  deux 
partis  se  contentant  de  s'observer  mutuellement  et  de  se  tenir  sur  leurs 
gardes.  [Mém.  de  Philippi,  ad  ann.  1589.) 

Pendant  ce  temps-la,  Mayenne,  qui  était  venu  au  secours  de  Rouen, 
était  arrivé  'a  Vernon.  L'a,  il  apprit  bientôt  par  ses  coureurs  que  le  pré- 
tendu siège  de  la  capitale  de  la  Normandie,  n'avait  rien  de  bien  sérieux, 
et  que  l'armée  royaliste  n'avait  pas  même  assez  de  monde  pour  oser  en- 
trer dans  la  ville,  quand  on  lui  en  ouvrirait  les  portes.  Mais  il  résolut  de 
frapper  un  grand  coup  et  d'écraser  complètement  cette  faible  troupe 
avec  son  chef.  Avec  sa  circonspection  ordinaire,  qui  n'était  pas  toujours 
de  la  prudence,  il  jugea  que,  pour  être  plus  certain  du  succès,  il  devait 
encore  augmenter  son  armée,  déjà  bien  supérieure  en  nombre,  et,  au 
lieu  de  profiter  de  ce  premier  avantage  que  la  fortune  lui  offrait,  il  quitta 
secrètement  son  camp  pour  passer  en  Flandre,  afin  de  s'assurer  des 
secours  du  prince  de  Parme.  (De  Tiiou,  uhi  sup.) 

11  eut  une  entrevue  'a  Bins  avec  le  vice-roi  espagnol,  et  celui-ci  lui 
promit  de  lui  envoyer  immédiatement  des  troupes. 

Le  duc  revint  de  suite  avec  cette  promesse  se  remettre  'a  la  tête  de 
son  armée;  mais  il  trouva  que  le  roi  venait  de  décamper  deDarnetal,  et 
s'était  rapidement  porté  dans  le  comté  d'Eu,  qui  appartenait  à  Catherine 
de  Clèves,  veuve  du  feu  duc  de  Guise. 

A  l'approche  de  l'armée  royale,  qu'on  ne  croyait  pas  aussi  peu  nom- 
breuse, la  ville  et  le  château  d'Eu  se  rendirent  sans  attendre  même 
que  la  tranchée  fût  ouverte.  Le  gouverneur,  qui  se  voyait  à  la  tête  de 
quatre  cents  hommes  de  garnison  et  dans  une  ville  bien  fortifiée,  avait 
bien  eu  d'abord  l'intention  de  soutenir  un  siège,  ce  qui  aurait  fortement 
embarrassé  le  roi;  il  avait  même  commencé  a  mettre  le  feu  dans  un  des 
.  faubourgs,  de  peur  que  les  royaux  ne  s'y  logeassent;  mais,  ayant  su 
que  le  roi  était  lui-même  présent,  et  voyant  le  canon  approcher,  il  fut 
frappe  d'une  terreur  panique  et  demanda  à  capituler.  11  lui  fut  permis 
de  sortir  lui  et  sa  garnison,  avec  armes  et  bagages,  et  Henri  donna  le 
commandement  de  la  place  au  brave  Châtillon,  le  plus  honnête  homme 
de  l'armée,  de  sorte  qu'il  n'y  arriva  aucun  trouble  ni  violence.  Pour  lui, 
avec  le  reste  de  ses  troupes,  sans  vouloir  même  entrer  dans  la  ville,  où 
il  aurait  craint  de  se  voir  bientôt  renfermer,  il  alla  camper  au  Tréport. 

Mayenne,  après  avoir  passé  la  Seine,  s'était  enfin  mis  à  sa  poursuite  ; 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  19 

mais  il  s'élail  arrêté  encore  pour  reprendre  Gournay,et  pour  donner  aux 
secours  qu'il  attendait  le  temps  d'arriver.  Il  fut,  en  effet,  rejoint  par 
trois  cornettes  de  reitres  que  lui  amenait  Hassompierre,  et  parles  milices 
du  Cambrésis,  sous  la  conduite  de  Jean  de  Montluc,  seigneur  de  Balagny 
(lils  de  révoque  de  Valence).  Bientôt  après,  Henri  de  Lorraine,  seigneur 
(le  Pont-a-Mousson,  arriva  également  suivi  de  mille  chevaux  et  de  deux 
mille  hommes  de  pied,  et  enfin  il  reçut  du  prince  de  Parme  un  premier 
secours  de  cavalerie  et  d'infanterie.  Son  armée  se  trouvait  alors  forte  de 
plus  de  trente  mille  hommes  tant  'a  pied  qu'à  cheval.  Celle  du  roi  n'en 
comptait  pas  trois  mille  au  plus  en  ce  moment-là. 

Henri  ne  s'était  pas  attendu  à  se  voir  sur  les  hras  des  forces  aussi 
supérieures.  Incontinent  il  manda  au  duc  de  Longueville  et  au  maré- 
chal d'Aumont  de  venir  sans  relard  à  son  secours,  et,  pour  les  attendre, 
il  alla  camper  près  d'Arqués  à  une  lieue  et  demie  de  Dieppe. 

Sur  ce  point  du  littoral,  la  terre  ouvre  un  sein  recourbé  de  quatre  ou 
cinq  lieues  de  long,  comme  pour  recevoir  plus  doucement  les  Ilots  de  la 
mer.  Deux  collines  assez  rapprochées,  qui  du  rivage,  s'avancent  dans  le 
pays  en  s'opposant  l'une  à  l'autre,  forment  entre  elles  une  vallée  au 
milieu  de  laquelle  passe  la  petite  rivière  de  Béthune,  et,  comme  le  rellux 
remonte  à  près  de  deux  lieues  dans  cette  rivière,  ses  bords  ne  sont  que 
des  marécages  inabordables.  La  ville  de  Dieppe  est  bâtie  à  gauche  sur 
l'embouchure  de  cette  rivière  qui  forme  son  port.  Non  loin  de  là,  sur 
l'autre  rive,  est  un  gros  faubourg  nommé  le  Pollet,  qui  communique  à  la 
ville  par  un  pont  sur  la  Béthune,  et,  à  une  lieue  de  là  environ,  entre  les 
deux  coteaux  qui,  en  cet  endroit,  sont  fort  rapprochés,  se  montre, 
sur  la  rive  gauche  de  la  rivière,  le  château  d'Arqués,  bâti  sur  une  émi- 
nence  assez  rude  ;  au  pied  est  le  bourg  du  même  nom,  et,  à  main 
droite,  presque  vis-à-vis,  mais  sur  l'autre  côté  de  l'eau,  est  le  village 
de  Martin-Eglise;  puis,  entre  les  deux,  mais  sur  la  rive  à  gauche,  on 
aperçoit  une  maladreric  ou  hôpital  autrefois  destiné  aux  lépreux. 

Henri  avait  précédemment  remarqué  cette  position,  comme  un  point 
où  il  lui  serait  aisé  de  se  fortifier  et  de  se  défendre,  en  cas  que  les 
chances  de  la  guerre  le  réduisissent  à  cette  extrémité.  Il  jugea  que  ce 
cas-là  était  vcnu_,  maintenant  qu'il  se  voyait  acculé  contre  l'Océan  par 
des  forces  aussi  supérieures.  Sans  le  secours  d'aucun  ingénieur  et  aidé 
seulement  de  Biron,  qui  s'en  fit  bien  valoir  par  la  suite,  il  traça  le  plan 
des  fortifications  et  des  retranchements,  qu'il  fallait  ajouter  à  la  force 
naturelle  du  lieu.  Il  mit  le  premier  la  main  à  la  bêche,  et  les  troupes, 
encouragées  par  son  exemple,  se  portèrent  à  l'ouvrage  avec  tant  d'ar- 
deur, qu'en  trois  jours  le  camp  fut  environné  tout  entier  d'un  retranche- 
ment de  huit  pieds  de  hauteur,  protégé  par  un  fossé  profond.  Les 
Suisses  furent  chargés  de  la  garde  de  ces  ouvrages.  (iMézerav,  t.  III, 
p.  700.) 

La  cavalerie,  (jui  n'était  pas  nombreuse,  mais  presque  toute  com- 
posée de  gentilshommes,  prit  ses  quartiers  dans  un  renfoncement  de  la 
colline,  où,  en  cas  d'attaque  qu'on  attendait  sur  la  rive  gauche,   elle 


20  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

devait  se  trouver  a  Tabri  du  premier  feu  de  l'ennemi,  et  en  état  de  se 
porter  où  on  aurait  besoin  de  son  service  ;  puis,  dans  le  château 
d'Arqués,  qui  commandait  au  loin  la  plaine  et  les  marais,  le  roi  fit  placer 
de  Tartillerie,  dont  le  feu  devait  rendre  les  abords  du  camp  extrême- 
ment difficiles.  Après  ces  précautions  prises,  il  attendit  tranquillement 
que  Mayenne  vînt  l'attaquer. 

Ce  n'était  pas  l'avis  de  tout  le  monde,  ni  surtout  celui  de  ses  meil- 
leurs amis.  On  le  voyait,  en  effet,  tenu  comme  en  échec  dans  un  petit 
coin  de  la  Normandie,  d'où  il  ne  pouvait  plus  s'échapper, a  moins  que  de 
sauter  dans  la  mer.  Le  parlement  royaliste  de  Tours  lui-même,  instruit 
de  cette  situation  désespérée,  se  proposait  de  rendre  un  édit  par  lequel 
il  offrirait,  pour  sauver  l'État,  de  reconnaître  deux  rois  de  France, 
l'oncle  et  le  neveu.  Les  capitaines  de  l'armée  et  les  vieux  chefs  hugue- 
nots, quoique  endurcis  par  tant  de  combats  et  éprouvés  par  tant  de 
fatigues,  concluaient,  dans  un  conseil  de  guerre  tenu  a  cet  effet,  à  ce 
que  leur  prince  bien-aimé  laissât  ses  troupes  se  défendre  comme  elles 
le  pourraient  dans  le  poste  fortifié  où  il  venait  de  les  établir,  et  'a  ce 
que  lui-môme  s'embarquât  au  plus  tôt  pour  prendre  la  route  de  l'Angle- 
terre ou  de  La  Rochelle;  mais  Henri  avait  confiance  dans  sa  fortune  et 
dans  son  courage;  il  voulut  rester  a  la  tête  des  siens  pour  faire  face  à 
l'ennemi. 

Mayenne,  en  effet,  après  avoir  repris  la  ville  d'Eu,  vint  passer  la 
Béthune  un  peu  au-dessus  d'Arqués,  et  prit  position  sur  la  colline  à  l'op- 
posite  de  celle  où  était  bâti  le  château  dont  il  se  trouvait  alors  séparé  par 
la  rivière.  On  ne  l'attendait  pas  de  ce  côté-lâ  ;  mais  les  soldats  et  les 
habitants  se  hâtèrent  de  fermer  les  avenues  du  bourg  de  Martin-Église,  qui 
se  trouve  sur  cette  rive;  ils  creusèrent  une  tranchée  et  élevèrent  une 
palissade  de  pieux  et  de  tonneaux.  Châtillon  et  quelques  troupes  d'infan- 
terie \inrent  prendre  la  garde  de  ce  poste,  qui  couvrait  seul  le  faubourg 
beaucoup  plus  important  du  PoUet.  Au  reste,  les  habitants  de  Dieppe,  de 
tout  sexe  et  de  tout  âge,  accoururent  eux-mêmes  avec  empressement, 
aussitôt  qu'ils  surent  que  leur  faubourg  était  menacé,  et  y  établirent  en 
toute  diligence  des  tranchées  et  des  barricades  pour  arrêter  l'ennemi. 

Mayenne  voyait  tranquillement  tous  ces  préparatifs  de  défense.  Il 
passa  trois  jours  dans  l'inaction,  comptant  sans  doute  qu'avec  la  supé- 
riorité de  ses  forces,  il  écraserait  facilement  un  ennemi  qui  ne  pouvait 
pas  lui  échapper,  et  que,  très-probablement,  Henri  ne  manquerait  pas 
de  chercher  son  salut  dans  une  évasion  par  mer,  abandonnant  sa  petite 
armée  qui,  alors,  serait  bien  forcée  de  se  rendre  ou  de  se  disperser. 

Enfin,  le  seizième  jour  de  septembre,  voyant  que  rien  de  ce  qu'il 
avait  espéré  ne  se  réalisait,  il  parut  en  bataille.  H  fit  marcher  une  partie 
de  ses  troupes  vers  le  Pollet,  qu'il  espérait  emporter  de  prime  abord,  et 
dirigea  le  reste  vers  Martin-Église. 

Le  roi  accourut  lui-même  a  la  défense  de  ce  faubourg,  dont  dépen- 
dait la  conservation  si  importante  en  ce  moment  de  la  ville  de  Dieppe. 
«  Mon  compère,  dit-il  a  un  colonel  de  Suisses,  qui  se  trouvait  en  avant 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  21 

de  ce  poste,  je  viens  ici  pour  mourir  ou  acquérir  de  l'honneur  avec 
vous.  Je  veux  qu'on  me  donne  une  de  vos  piques,  car  je  prétends  bien 
combattre  au  premier  rang  de  vos  braves.  »  (.Mattimeu,  t.  II,  p.  14.) 

En  parlant  ainsi,  Henri  se  mit  en  effet  a  la  tête  de  ses  soldats  ;  mais 
il  ne  voulut  pas  les  enfermer  dans  le  faubourg;  il  les  posta  devant,  de 
telle  sorte  que  les  hommes  couvraient  les  retranchements  et  non  pas  les 
retranchements  les  hommes.  (Manuscr.,  t.  111, p.  700  et  710.) 

La  présence  du  monarque,  qui  payait  lui-même  de  sa  personne,  donna 
un  tel  courage  'a  celte  petite  troupe  qu'elle  resta  inébranlable  et  repoussa 
victorieuscmont  les  forces  des  Ligueurs,  quoique  celles-ci  fussent  incom- 
parablement plus  nombreuses. 

Ceux  qui  s'étaient  portés  sur  Martin-Eglise  furent  encore  plus  maltrai- 
tés. C'était  Biron  qui  était  accouru  prendre  le  commandement  sur  ce 
point  de  ratla(jue  ;  il  avait  avec  lui  le  grand-prieur  de  France  et  Mont- 
morency-Méru,  dit  maintenant  Damvillc.  Pendant  que  Chàtillon  gardait 
les  retranchements,  ceux-ci  firent  sur  l'ennemi,  qui  s'était  avancé  jus- 
qu'à la  maladrerie,  une  si  furieuse  charge  qu'ils  le  culbutèrent  complète- 
ment et  lui  tuèrent  plus  de  cent  hommes. 

Le  comte  de  Belin,  sous-gouverneur  de  Paris,  pour  le  duc  de 
Mayenne,  fut  fait  prisonnier  en  cette  occasion.  Le  roi,  auquel  on  le  con- 
duisit, alla  gracieusement  'a  sa  rencontre  et  l'embrassa  en  souriant. 
Celui-ci,  qui  cherchait  partout  des  yeux  une  armée  et  qui  ne  voyait  que 
quehjucs  i)elotons  d'hommes  fort  peu  nombreux,  parut  surpris  (|u'avec 
aussi  peu  de  gens  Henri  se  fût  décidé  'a  attendre  l'armée  de  la  Ligue. 
«  Oh!  c'est  que  vous  ne  voyez  pas  tout  mon  monde,  lui  dit  le  roi  avec 
gaieté,  car  vous  ne  comptez  pas  Dieu  et  le  bon  droit,  qui  sont  de  mon 
côté.  »  {Économies  de  Sully,  ch.  xxvni.) 

Ce  premier  échec  fut  d'un  mauvais  augure  pour  les  Ligueurs;  la 
mésintelligence  se  mit  parmi  les  chefs,  et  les  troupes  commencèrent  'a 
murmurer.  Les  Allemands  et  les  Suisses  refusèrent  de  combattre,  s'ils 
ne  touchaient  auparavant  la  paye  qu'on  leur  avait  promise  pour  les 
amener  la.  D'un  autre  côté,  parmi  tous  les  princes  et  seigneurs  qui 
composaient  cette  armée,  si  formidable  en  apparence,  il  n'y  en  avait 
peut-être  pas  deux  qui  vissent  les  choses  de  la  même  manière  et  qui  ne 
pensassent  'a  se  défaire  l'un  de  l'autre,  pour  arriver  chacun  'a  la  réalisa- 
tion de  ses  projets  })articuliers;  car,  comme  ils  avaient  cru  la  prise  du 
roi,  ou  au  moins  sa  fuite,  bien  certaine,  ils  considéraient  déjà  le  royaume 
comme  leur  conquête,  «  et  ils  se  regardaient  entre  eux  du  même  œil 
dont  se  regardent  les  voleurs,  quand  ils  ont  une  riche  proie  'a  ])artager.  » 
Ils  auraient  dû  voir  pourtant,  par  ce  qui  venait  de  se  passer,  quoique 
l'affaire  ne  fût  rien  moins  que  décisive,  que  celte  proie  n'était  pas  encore 
tout  'a  fait  livrée  en  curée  'a  leur  avidité.  Toutefois,  le  duc  de  Mayenne, 
occupé  'a  raccommoder  toutes  ces  brouilleries,  ne  put  rien  tenter  durant 
quelques  jours. 

Mais  le  dix-neuvième  jour  de  ce  même  mois  de  septembre,  il  résolut 
de   faire  un  puissant  eflbrt  pour  gagner  les   relranchemenls  du  camp 


22  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

royal.  Un  peu  après  minuit  et  a  la  faveur  des  ténèbres,  il  fit  passer  la 
rivière  à  ses  troupes  et,  a  la  pointe  du  jour,  il  vint  attaquer  la  maladrerie. 
Il  croyait  bien  emporter  ce  poste  avant  que  ceux  qui  le  gardaient  se 
fussent  reconnus  et  qu'ils  eussent  eu  le  temps  de  prévenir  le  roi;  mais 
il  avait  affaire  a  un  ennemi  vigilant,  et  deux  heures  auparavant,  Henri 
était  déjà  en  personne  sur  le  point  menacé,  avec  Biron,  huit  cents 
suisses  et  deux  cents  lansquenets.  Les  chevau-légers,  commandés  par  le 
grand-prieur,  et  trois  compagnies  d'ordonnance,  étaient  postés  au  haut 
de  la  tranchée  pour  accourir  au  besoin. 

Cependant,  les  troupes  allemandes  qui  étaient  au  service  de  la  Ligue 
et  qui  marchaient  en  première  ligne,  imaginèrent  un  stratagème  pour 
pénétrer  dans  les  premiers  retranchements  sans  coup  férir  et  sans  s'ex- 
poser au  feu  meurtrier  qui  allait  en  partir.  Elles  élevèrent  leurs  cha- 
peaux sur  la  pointe  de  leurs  piques,  et,  étendant  les  mains,  elles  firent 
signe  qu'elles  ne  venaient  point  a  dessein  de  combattre,  mais  de  passer 
dans  le  parti  royaliste.  On  crut  d'autant  plus  facilement  a  cette  iéinte, 
que  le  bruit  de  leur  mécontentement  contre  le  duc  de  Mayenne,  s'était 
déj'a  répandu  et  qu'on  savait  qu'ils  avaient  menacé  de  l'abandonner. 
(Davila,  t.  II,  p.  508.) 

Ceux  de  leurs  compatriotes  qui  servaient  dans  l'armée  du  roi  les 
aidèrent,  en  les  tirant  par  la  main,  a  monter  sur  le  retranchement  ; 
mais  a  peine  y  furent-ils  entrés,  que,  baissant  leurs  pertuisanes  et  tour- 
nant la  pointe  de  leurs  piques,  ils  chargèrent  brusquement  Suisses  et 
Français  qui  se  trouvaient  là,  tout  ébahis  d'une  pareille  attaque  a  laquelle 
ils  étaient  bien  loin  de  s'attendre  ;  aussi  tournèrent-ils  le  dos  sans  ré- 
sistance. 

L'ennemi,  encouragé  par  ce  premier  succès,  courut  au  second 
retranchement.  L'attaque  commença  chaudement  et  fut  soutenue  de 
même.  En  ce  même  moment,  la  cavalerie  de  la  Ligue,  qui  attendait 
l'instant  de  charger,  fut  chargée  elle-même  par  le  grand-prieur  avec  une 
telle  impétuosité  qu'elle  fut  mise  en  déroute  malgré  la  grande  supério- 
rité du  nombre;  les  compagnies  d'ordonnance  donnèrent  de  pareille 
force,  et  se  firent  jour  jusqu'à  la  cornette  blanche  de  la  Ligue.  (Mézeray, 
ubi  sup.) 

Alors,  d'Aumale,  qui  se  tenait  en  réserve,  les  arrêta  court  devant  le 
village  de  Martin-Eglise,  dont  les  Ligueurs  s'étaient  emparés,  et  les  esca- 
drons royalistes  furent  repoussés  et  rompus  par  cette  troupe  qui  n'avait 
encore  pris  nulle  part  à  l'action,  et  qui  combattait  toute  fraîche  et 
reposée  contre  des  gens  déjà  fatigués.  Mayenne  fit  aussitôt  avancer  un 
autre  corps  de  cinq  cents  chevaux  pour  les  envelopper,  mais  Damville 
fit  sortir  des  retranchements  un  régiment  d'infanterie,  qui  fit  sur  la 
troupe  ennemie  un  feu  si  bien  nourri  qu'il  donna  le  loisir  à  la  cavalerie 
royaliste  de  venir  se  rallier  derrière  ses  rangs. 

Le  roi  lui-même  courait  partout,  ramenait  les  fuyards  et  les  formait 
en  rangs;  en  ce  moment,  Châtillon  arrivait  d'Arqués  avec  deux  régi- 
ments qui  accouraient  au  pas  de  course.  «  Courage!  sire,  criait  le  brave 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  23 

commandant,  nous  voici  pour  vaincre  ou  mourir  avec  vous.  »  Les  Suisses 
et  les  Allemands,  a  la  vue  de  ce  renfort  qui  leur  venait  si  à  propos, 
tirent  une  nouvelle  ciiarge  avec  tant  d'ardeur  (ju'ils  dégagèrent  le  ter- 
rain en  culbutant  et  taillant  en  pièces  tout  ce  qui  se  trouvait  devant 
eux.  Le  duc  de  Montpcnsier  et  La  Noue  arrivaient  au  même  instant  avec 
les  corps  qu'ils  commandaient,  et  les  Ligueurs,  voyant  toutes  ces  troupes 
marcher  sur  eux  avec  bonne  résolution,  se  mirent  à  faire  retraite  sous 
les  yeux  du  duc  de  Mayenne,  qui  ne  jugea  pas  'a  propos  de  continuer  la 
bataille,  car  le  soleil  se  couchait  alors,  tout  son  monde  était  barrasse  de 
fatigue,  par  un  combat  (jui  avait  duré  toute  une  journée  entière,  et  il 
craignait  de  voir  une  partie  de  ses  bataillons  poussés  dans  les  marais, 
qu'il  ne  connaissait  pas  aussi  bien  (jue  ses  adversaires.  Le  roi,  qui  ve- 
nait de  faire  venir  du  canon  d'Anjues,  termina  la  journée  en  accom- 
pagnant de  plusieurs  décharges  meurtrières  la  retraite  de  l'ennemi,  qui 
avait  assez  l'air-  d'une  fuite. 

Ce  fut  après  ce  combat  que  Ilen.ri  I\'  écrivit  a  Grillon  ces  mots  sou- 
vent cités  :  «  Pends-toi,  brave  Grillon,  nous  avons  combattu  a  Arques  et 
tu  n'y  étais  pas.  Adieu,  mon  brave;  je  vous  aime  'a  tort  et  a  travers.  » 

Les  Ligueurs,  pour  se  concilier  la  Hueur  du  peuple,  (irent,  de  leur 
côté,  composer  une  relation  de  cette  journée  tout  a  fait  îi  leur  avantage. 
Jls  publièrent  que,  dans  une  charge,  il  était  resté  sur  la  place  plus  de 
cin(i  cents  hommes  des  troupes  du  roi;  que  les  Suisses  et  les  Allemands 
de  son  armée,  consternés  d'une  si  grande  défaite,  avaient  livré  leurs 
étendards  et  déserté  en  masse,  et  que  le  maréchal  de  Biron  lui-même, 
après  avoir  été  forcé  de  se  rendre  prisonnier,  n'était  parvenu  a  recouvrer 
sa  liberté  qu'en  faussant  la  parole  qu'il  avait  donnée.  Pour  mieux  faire 
croire  à  ce  prétendu  succès,  Mayenne  lit  porter  à  Paris  avec  beaucoup 
d'ostentation  un  étendard  des  chevau-légers,  et  trois  drapeaux  que  ses 
Allemands  avaient  enlevés  en  surprenant,  comme  on  l'a  vu,  les  premiers 
retranchements  des  royalistes.  (Davila,  t.  II,  p.  512.) 

Des  deux  côtés,  au  surplus,  le  récit  de  cette  alfaire  est  fort  em- 
brouillé; j'ai  tâché  d'en  présenter  les  circonstances  qui  m'ont  paru  le 
mieux  api)uyées;  mais,  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  le  roi  resta 
maître  du  champ  de  bataille,  et  que  Mayenne  ne  parut  plus  })our  le  lui 
disputer.  «  Je  commence  'a  craindre,  disait  en  plaisantant  Henri  IV,  que 
mon  beau  cousin  ne  soit  pas  tout  'a  (ait  aussi  bon  général  que  je  me 
plaisais  'a  le  croire.  S'il  n'en  sait  pas  plus  long,  je  le  battrai  'a  chaque 
fois  en  j)ieine  campagne;  mais  peut-être  qu'il  me  ménage  et  qu'il  cache 
son  jeu  pour  mieux  prendre  sa  revanche  dans  une  autre  occasion.  » 

Quoi  (ju'il  en  soit,  il  se  passa  deux  jours  sans  que  Mayenne  osât 
tenter  la  moindre  entreprise,  malgré  l'immense  supériorité  de  ses  forces. 
Enfm,  le  vingt-neuvième  jour  du  mois,  (jui  était  un  dimanche,  il  dé- 
campa a  petit  bruit,  et,  faisant  le  tour  des  coteaux,  au  bout  de  trois 
journées  de  marche,  on  le  vit  tout  'a  coup  reparaître  sur  la  rive  opposée, 
entre  le  village  d'Arcpies  et  la  ville  de  Dieppe,  qu'il  se  proposait  d'atta- 
quer de  ce  côté,  après  avoir  échoué  de  l'autre. 


24  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Le  roi,  a  cette  nouvelle,  laissa  sous  la  conduite  de  Méru-Damville 
environ  la  moitié  d'un  régiment  et  quelques  compagnies  suisses  pour 
garder  les  fortifications  de  son  camp  ;  et  lui-même,  avec  tout  le  reste  de 
sa  petite  armée,  il  se  porta  vers  Dieppe,  qu'il  importait  de  ne  pas  laisser 
tomber  au  pouvoir  de  l'ennemi.  Il  logea  une  partie  de  ses  gens  dans  les 
villages  les  plus  rapprochés,  et,  avec  les  autres,  il  vint  prendre  position 
dans  les  faubourgs. 

Mayenne  crut  alors  pouvoir  faire  une  nouvelle  tentative  sur  Arques. 
Mais  il  fut  encore  repoussé  par  ceux  qui  étaient  restés  a  la  garde  des 
retranchements,  et  Damville  lui  tua  plus  de  cent  hommes. 

Le  roi,  en  môme  temps,  fit  une  sortie  avec  un  gros  corps  de  cava- 
lerie. Le  duc  de  Mayenne,  en  voyant  ce  corps  s'avancer  aussi  audacieu- 
sement,  et  sachant  qu'il  était  commandé  par  le  roi  en  personne,  crut 
qu'il  lui  serait  facile  de  le  couper.  Il  lança  ses  escadrons  pour  l'envi- 
ronner et  l'attaquer;  mais  a  leur  approche,  les  rangs  des  royalistes 
s'ouvrirent,  et  l'on  vit,  au  milieu,  paraître  deux  grosses  couleuvrines 
qui,  tirant  et  marchant  en  même  temps  avec  une  justesse  et  une  promp- 
titude admirables,  tuèrent  beaucoup  de  monde  aux  ennemis.  Aussi 
tournèrent-ils  le  dos  et  s'enfuirent-ils,  tout  étonnés  de  voir  deux 
machines  aussi  pesantes  escarmoucher  avec  de  la  cavalerie.  «  Cette  façon 
singulière  et  inusitée  de  faire  ainsi  manœuvrer  la  grosse  artillerie  était 
de  rinvention  d'un  nommé  Charles  Brisa,  bombardier,  natif  de  Nor- 
mandie, et  qui  avait  longtemps  servi  parmi  les  corsaires  dans  les  mers 
des  Indes  occidentales.  (Davila,  ubi  sup.) 

Malgré  tous  ces  heureux  succès,  les  troupes  du  roi  n'en  étaient  pas 
moins  épuisées  de  fatigue,  parce  qu'a  cause  de  leur  petit  nombre,  il 
fallait  qu'elles  fussent  continuellement  sous  les  armes.  De  plus,  on  com- 
mençait déjà  a  souffrir  de  la  disette  de  vivres  ;  car  la  mer,  qui  avait 
abondamment  amené  des  provisions  jusqu'alors,  était  devenue  imprati- 
cable par  la  saison  pluvieuse  où  l'on  venait  d'entrer.  Le  roi,  il  est  vrai, 
attendait  chaque  jour  des  secours  de  l'Angleterre,  mais,  dans  une 
pareille  saison,  il  était  douteux  qu'ils  pussent  aborder.  Heureusement,  il 
avait  écrit,  comme  on  l'a  vu,  au  duc  de  Longueville  et  au  maréchal 
d'Aumont  de  tout  quitter  pour  venir  a  son  aide,  et  l'on  eut  enfin  nou- 
velle qu'ils  approchaient  tous  les  deux  avec  leurs  troupes  réunies. 

Mayenne,  craignant  alors  de  se  voir  renfermé  entre  deux  armées,  se 
décida  à  décamper  et  a  prendre  la  route  de  Picardie;  ce  qu'il  exécuta, 
en  effet,  le  cinquième  jour  d'octobre,  sans  lever  même  les  sentinelles 
qu'il  avait  mises  du  côté  des  royaux.  On  croit  que  ce  qui  le  décida  a 
courir  bien  vile  dans  cette  province  était  la  crainte  qu'il  avait  que  les 
Picards,  «  gens  sincères  et  francs,  mais  fort  simples,  »  ne  se  laissassent 
surprendre  aux  artifices  de  l'Espagne,  qui  ne  demandait  pas  mieux  que 
de  les  voir  se  jeter  sous  la  protection  du  roi  leur  maître.  »  Mayenne  ne 
voulait  pas  laisser  démembrer  le  royaume  qu'il  convoitait  pour  lui. 
(Cayet,  1589.  —  Péréfixi:,  II^^  partie,  1589.) 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  25 


CHAPITRE    II 


1589.  —  ARGUMENT  :  appréciation  de  l'avènement  de  henri  iv 

CHEZ   les    princes   DE   LA   LIGUE    PROTESTANTE,    —   EN   ANGLETERRE,    —   EN    SUISSE, 

DANS   LES   ÉTATS    d'iTALIE,   —   A   LA    COUR   DE   ROME,    —    EN    ESPAGNE, 

EN   SAVOIE,    —    EN    LORRAINE. 

LE   PARLEMENT   DE   PARIS   ET    LE   PARLEMENT    DE   TOURS. 

FAUSSES    NOUVELLES   DANS   LA    CAPITALE.    —   ARRÊT   DU    PARLEMENT   DE   ROUEN. 

LES   ANGLAIS    AU    SECOURS    DU    ROI.    —    IL   MARCHE   SUR   PARIS. 

IL     FAIT    DES     PROPOSITIONS    A     MAYENNE.     —    IL    ATTAQUE     PARIS. 

MAYENNE    Y   REVIENT   AVEC    SON   ARMÉE.   —   RETRAITE   DE   L'aRMÉE   ROYALE. 

•SUPPLICE   DE   BLANCHET    ET   DU    PRIEUR   BOURGOING. 

LA   LIGUE    REFUSE   UNE   PENSION    A    SON    ROI   CHARLES    X. 

PROPOSITIONS   DU   ROI   D'ESPAGNE   AUX   LIGUEURS.  —    LE   LÉGAT   GAÉTAN. 

SON   ARRIVÉE   A   PARIS.    —   LE   ROI    PREND    ÉTAMPES   DONT   IL   DÉTRUIT    LE   CHATEAU. 

IL   PASSE   LA   LOIRE.    —   IL   ASSIÈGE   ET   PREND   VENDÔME. 

SUPPLICE   DU    GOUVERNEUR.   —    LE   ROI   A   TOURS.    —   PRISE   DU    MANS. 

LE  DUC   DE   NEVERS.    —    IL   PRÊTE   DE   l'aRGENT   A   HENRI    IV. 

HENRI   IV   A   LAVAL,   —   A   MAYENNE,    —   A   ALENÇON. 

SIÈGE   ET   PRISE   DE   FALAISE. 

LE   ROI   EST   MAÎTRE   DU   LITTORAL   DE   LA  NORMANDIE   ET   PREND    RONFLEUR. 


Pendant  que  les  deux  armées,  éloignées  Tune  de  l'autre,  semblent 
avoir  fait  trêve  pour  quelques  jours,  voyons  comment  l'avènement  du  roi 
Henri  IV  était  apprécié  dans  les  divers  pays  voisins.  (Mézerav,  t.  111, 
p.  715.) 

Les  puissances  protestantes  furent  d'abord  dans  rencbantement(ju'un 
prince  de  leur  religion  lut  arrivé  a  la  couronne  de  France  ;  mais  elles  ne 
lardèrent  pas  'a  avoir  'a  craindre,  ou  qu'il  ne  succombât  sous  la  force  et 
la  multitude  des  catlioliques  de  son  nouveau  royaume,  ou  ipi'il  ne  lut 
contraint  d'adopter  la  religion  de  cette  imposante  majorité.  Dans  l'un  et 
l'autre  cas,  c'était  toujours  un  écbec  grave  dont  les  suites  devaient  être 
funestes  'a  leur  parti.  Les  princes  allemands  de  la  confédération  lutbé- 
rienne  devaient  donc  se  hâter  de  venir  au  secours  de  Henri  de  Bourbon; 
mais  leurs  troupes  ne  marchaient  alors  qu'à  force  d'argent,  et  le  nou- 
veau roi  n'en  avait  point  h  leur  donner. 

La  reine  Elisabeth  d'Angleterre,  qui  avait  conçu  pour  lui  beaucoup 
d'estime,  quand  il  n'était  encore  que  roi  de  Navarre,  se  montra  moins 
bassement   intéressée;   elle    lui   cnvova  sans  marchander  des  secours 


26  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

qui  lui  furent  en  effet  d'une  grande  utilité  pendant  tout  le  cours  de  cette 
guerre. 

Pour  les  cantons  suisses,  ils  comprirent  que  l'intérêt  de  leur  répu- 
blique était  de  maintenir  sur  le  trône  de  France,  un  prince  qui  ne 
devrait  pas  sa  couronne  à  l'appui  de  la  maison  d'Autriche,  leur  ennemie 
naturelle,  et  ils  envoyèrent  immédiatement  aux  compagnies  de  leur 
nation  qui  étaient  déjà  au  service  de  Henri,  l'ordre  de  continuer  de  le 
servir  avec  fidélité,  promettant  de  plus,  de  faire  de  nouvelles  levées,  s'il 
en  était  besoin. 

Tous  les  petits  princes  de  l'Italie  eussent  probablement,  et  pour  le 
même  motif,  suivi  cet  exemple;  car  ils  avaient  le  même  intérêt;  mais 
l'appréhension  de  la  puissance  espagnole,  qui  leur  tenait  le  pied  sur  la  gorge, 
retenait  ces  esprits  faibles  et  timides.  Pourtant,  les  ducs  de  Florence  et 
de  Mantoue,  un  peu  plus  hardis  que  les  autres,  employèrent  sous  main 
tout  leur  crédit  pour  servir  Henri  a  la  cour  de  Rome,  et  surtout  pour 
empêcher  l'alliance  de  l'Espagnol  avec  certains  chefs  influents  des 
Suisses.  A  cet  effet,  ils  firent  passer  secrètement  d'assez  fortes  sommes 
d'argent  dans  les  cantons,  pour  désintéresser  ceux  qui  pourraient  se 
plaindre  que  la  France  leur  retenait  le  salaire  de  leurs  services.  Le  duc 
Florentin  ht  même  plus  encore.  Il  offrit  trois  cent  mille  écus  comptant 
au  roi,  ne  lui  demandant  en  retour  que  de  vouloir  bien  s'entremettre 
pour  que  le  prince  de  Bombes  épousât  la  princesse  Marie,  sa  nièce  bien- 
aimée.  Mais  tous  les  autres  souverains  de  ce  pays  si  divisé  n'osèrent 
faire  aucune  démarche  pour  manifester  leurs  sympathies. 

La  seigneurie  de  Venise,  où,  a  cette  époque,  la  nationalité  italienne 
semblait  s'être  retranchée  comme  dans  son  dernier  fort,  se  trouvait  assez 
puissante  pour  ne  pas  obéir  a  de  pusillanimes  considérations  ;  aussi 
n'hésita-t-elle  pas  a  se  déclarer  ouvertement  pour  le  nouveau  roi  fran- 
çais. Quand  on  avait  appris,  dans  celte  république,  la  nouvelle  de  l'as- 
sassinat de  Henri  III,  ce  fut  d'abord  une  affliction  générale,  a  laquelle  se 
joignit  bientôt  l'inquiétude  des  suites  que  pouvait  avoir  cet  attentat.  La 
populace  fut  saisie  d'une  telle  horreur  contre  le  meurtrier  Jacques 
Clément,  que,  faisant  retomber  sa  fureur  sur  l'ordre  monastique  dont  il 
avait  fait  partie,  elle  voulut  aller  mettre  le  feu  au  couvent  que  les  Jacobins 
avaient  dans  la  ville,  et  on  eut  beaucoup  de  peine  a  l'en  empêcher; 
mais  quand  on  apprit  que  Henri  de  Bourbon,  avait  été  reconnu  pour  roi 
par  la  plus  grande  partie  de  la  noblesse  et  par  l'armée  du  feu  roi,  que 
l'ambassadeur  de  France  vint  demander,  pour  son  nouveau  maître, 
l'amitié  et  l'appui  des  Vénitiens,  en  qualité  d'anciens  et  fidèles  alliés  du 
royaume  très-chrétien  ;  le  Sénat  s'assembla  sans  retard  et  décida  tout 
d'une  voix,  en  présence  du  nonce  du  pape  et  de  l'ambassadeur  d'Espagne, 
que  la  république  reconnaissait  les  droits  du  roi  de  Navarre  à  la  cou- 
ronne de  France,  et  qu'elle  renouvelait  avec  lui  toutes  les  anciennes 
alliances.  (Mézeray,  t.  IH,  uhi  sup.) 

Le  Saint-Père  se  plaignit  fort  amèrement  d'une  pareille  résolution. 
Il  alla  même  jusqu'à  faire  menacer  le  Sénat  des   censures  de  Rome, 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  27 

pour  s'être  allié  a  un  hérétique  excommunié.  «  Le  bien  de  notre  Etat, 
iut-il  répondu  à  celte  menace,  demande  qu'il  y  ait  un  roi  en  France, 
et  c'est  Henri  de  liourl)on  que  le. droit  de  succession  appelle  a  ce  trône. 
C'est  la  une  affaire  purement  politique  et  nullement  religieuse.  Si  le 
Pape  en  juge  autrement,  cela  le  regarde;  mais  quant  a  l'excommunica- 
tion dont  il  nous  menace,  nous  savons  comment  nous  devons  la  rece- 
voir si  elle  est  prononcée  mal  a  propos.  »  (Mkzkuav,  t.  III,  p.  717.) 

Le  Pape  était,  au  reste,  lui-même  dans  une  grande  indécision,  et  ne 
savait  trop  quel  parti  i)rendre  relativement  aux  alVaires  de  France.  Ce 
qu'il  désirait  surtout,  c'était  l'agrandissement  de  son  autorité  et  la  con- 
servation de  l'Église  romaine.  Mais  le  choix  des  moyens  lui  j)araissait 
difficile.  Il  voyait  dans  la  chute  de  la  Ligue  l'ahaissement  de  sa  propre 
puissance  et  un  grand  péril  pour  la  religion  catholique  ;  aussi  avait-il 
appris  avec  une  grande  joie  le  meurtre  de  Henri  III,  au  moment  où  ce 
prince  était  sur  le  point  de  recon(piérir  Paris  et  de  porter  le  dernier 
coup  aux  Ligueurs.  En  plein  consistoire,  il  avait  loué  l'action  du  moine 
régicide.  «  Le  Seigneur  a  fait  lui-même  ce  coup,  avait-il  dit,  en  se  ser- 
vant des  paroles  du  Psalmiste,  et  c'est  une  merveille  à  nos  yeux.  »  Mais 
quand  il  sut  que  la  noblesse  et  le  roi  défunt  avaient  reconnu  le  roi  de 
Navarre,  il  retomba  dans  ses  perplexités.  Pourtant,  il  lit  réflexion  que  si  les 
succès  du  nouveau  monanjue  semblaient  devoir  être  favorables  à  l'hérésie, 
il  était  bien  plus  certain  encore  que  la  Ligue,  en  ruinant  la  monarchie 
française,  allait  livrer  l'Europe  entière  'a  la  tyrannie  de  la  maison  d'Au- 
triche, dont  cette  monarchie  qu'on  voulait  détruire  était  le  seul  contre- 
poids. Cette  considération  ne  pouvait  manquer  d'avoir  une  grande 
influence  sur  un  esprit  aussi  juste  que  Tétait  celui  de  Sixte  V,  et  voilà 
pourquoi  le  Saint-Père  hésitait  'a  ouvrir  a  la  Ligue  ses  trésors  et  îi  lui 
envoyer  des  secours.  {Ibicl.) 

Il  avait  peut-être  encore  une  autre  raison.  «  II  me  semble,  disait-il 
en  plaisantant,  que  je  pourrais  déjà  prédire,  sans  crainte  d'être  pris  en 
défaut,  que  ce  diable  de  Béarnais  aura  le  dessus  dans  cette  lutte,  car  il 
n'est  pas,  a  ce  qu'on  dit,  plus  longtemps  au  lit  que  le  duc  de  Mayenne 
a  table,  et  il  use  plus  de  bottes  que  celui-ci  de  souliers.  »  (Pi:iu:fixi;, 
IP  partie,  ad  ann.  1589.) 

Mais  (|uand  le  commandeur  de  Diou,  envoyé  par  Mayenne,  et  qui 
arriva  à  Rome  vers  la  fin  de  septembre,  eut  trouvé  le  moyen  de  faire 
croire  a  Sa  Sainteté,  que  tous  les  caHioliques  de  la  France  avaient 
reconnu  pour  roi  le  cardinal  de  Bourbon;  que  Mayenne  avait  derrière  lui 
la  grande  majorité  de  la  nation,  et  qu'en  ce  même  moment  il  tenait  le 
Béarnais  acculé  sur  un  petit  coin  des  côtes  de  la  Normandie,  d'où  il  était 
impossible  qu'il  échapjjùt.  Sixte  crut  pouvoir  sûrement  embrasser  un  |)arti 
qui  se  présentait  avec  d'aussi  belles  chances,  et  se  déclara  publique- 
ment pour  le  roi,  que  les  catholiques  français  s'étaient  soi-disant  donnés. 

Le  monarque  espagnol,  de  son  côté,  avait  aussi  ses  projets  particu- 
liers :  il  ne  voulait  |)as  de  roi  en  France  ;  car  une  division  perpétuelle 
entre  les  Français  lui  semblait  devoir  beaucoup  mieux  faire  son  allaire. 


28  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

En  effet,  il  ne  pouvait  espérer  d'emporter  toute  entière  et  de  prime 
abord  une  aussi  grande  pièce  que  l'était  la  couronne  du  royaume  très- 
chrétien  ;  et  son  intérêt  était  d'abord  que  cette  pièce  se  déchirât  en 
plusieurs  morceaux,  comptant  bien  s'emparer  de  tous  ces  morceaux  les 
uns  après  les  autres,  et  réduire  enfin  la  nation  tout  entière  sous  sa 
domination,  quand  elle  en  serait  venue  aux  derniers  abois.  (Mézeray, 
ibid.^  p.  718.) 

Mayenne  n'était  donc  pas  son  homme,  et  il  appréciait  à  sa  juste 
valeur  le  prétendu  roi  Charles  X.  Il  ne  doutait  pas  qu'en  cas  de  réussite, 
le  premier,  après  avoir  très-facilement  écarté  le  dernier,  ne  le  payerait, 
lui,  que  d'un  honnête  remercîment  ;  aussi  il  n'avait  garde  de  fournir  à 
ce  chef  de  la  Ligue  toute  l'assistance  qui  eût  été  nécessaire  pour  termi- 
ner promptement  cette  grande  affaire;  il  lui  donnait  seulement  de  petits 
secours  et  de  grandes  promesses,  afin  de  le  tenir  en  haleine,  et  pour 
que  la  guerre  continuât. 

Le  duc  de  Savoie,  autre  voisin  de  la  France  et  allié  de  Philippe,  en- 
trait ouvertement  dans  tous  les  projets  du  souverain  des  Espagnes,  son 
beau-père;  mais  il  avait  aussi  ses  pians  particuliers.  Il  ne  se  proposait 
rien  moins  que  de  se  composer,  a  la  faveur  de  ce  boulevari  général,  un 
petit  royaume,  des  terres  qui  faisaient  autrefois  le  royaume  d'Arles,  et 
dans  ce  dessein,  il  entretenait  avec  beaucoup  de  soin  et  'a  grands  frais 
des  intelligences  dans  tous  ces  pays-la. 

En  apprenant  la  mort  de  Henri  III,  il  avait  envoyé  une  députation 
au  parlement  de  Grenoble,  qu'il  croyait  avoir  fort  bien  disposé  en  sa 
faveur.  «  Messieurs,  disaient  ses  députés,  nous  venons  vous  faire  part 
du  regret  qu'a  notre  excellent  maître,  de  la  mort  du  feu  roi  son  frère  et 
ami  ;  ce  qui  l'aftlige  plus  encore,  c'est  le  déplorable  état  où  cette  mort 
jette  la  France,  et  toutes  les  horreurs  des  guerres  civiles  dont  voilà  votre 
pays  devenu  inévitablement  le  théâtre  pour  longtemps.  Notre  duc,  qui 
voudrait  vous  éviter  ces  malheurs,  et  qui,  d'ailleurs,  a  des  droits  incon- 
testables a  la  souveraineté  de  vos  cçntrées,  lesquelles,  comme  vous  le 
savez,  ont  appartenu  à  ses  ancêtres,  notre  duc  vous  propose  de  vous 
confier  'a  lui  et  de  le  reconnaître  pour  roi.  Vous  savez  que  ce  grand  prince 
est  assez  puissant  pour  vous  défendre  ;  qu'il  aura  d'ailleurs  à  sa  dispo- 
sition toutes  les  forces  du  roi  d'Espagne,  son  beau-père,  et  nul  de  vous 
ne  peut  ignorer  quelles  sont  ses  vertus  royales,  sa  valeur  héroïque  et  sa 
bonté  héréditaire  envers  ses  sujets.  Aussi,  en  considérant  tout  le  bien 
qui  résulterait  pour  vous  en  particulier,  et  pour  la  France  en  général,  de 
votre  assentiment  'a  un  aussi  digne  souverain,  nous  sommes  persuadés 
que  tous  ceux  d'entre  vous  qui  aiment  la  justice  autant  que  le  bonheur  de 
leur  patrie  ne  voudront  point  reconnaître  d'autre  roi  que  lui.  »  (Mézeray, 
uhi  sup.) 

Le  Parlement  répondit  que,  «  attendu  que  la  proposition  concernait 
les  intérêts  de  tout  le  royaume,  il  ne  pouvait  aucunement  délibérer  sur 
un  pareil  sujet,  et  qu'il  fallait  proposer  la  chose  aux  Étals-Généraux.  » 
Ce  n'était  pas  là  ce  que  le  Savoyard  espérait. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  29 

Il  y  avait  encore  un  antre  prélendanl  ii  la  couronne,  c'était  le  duc  de 
Lorraine;  mais  celui-ci  allait  plus  rondement  au  but  :  il  ne  se  contentait 
pas  de  prendre  d'abord  une  ou  deux  provinces;  c'était  la  France  toute 
entière,  qu'il  voulait  de  prime  abord  posséder  en  (pialité  de  roi  légitime 
et  par  la  grâce  de  Dieu.  On  a  vu  que,  de  son  vivant,  Catherine  de 
Médicis  avait  conçu  ce  plan  en  laveur  du  fils  de  sa  fille  bien-aimée,  la 
duchesse  de  Lorraine,  et  qu'elle  avait  fait  tout  son  possible  pour  le  faire 
accepter  par  ses  nombreuses  créatures.  Mais  Catherine  n'était  plus  la, 
et  les  créatures  ont  bientôt  oublié  les  protecteurs  qui  ne  sont  plus. 

Le  duc,  trop  haut  placé  sans  doute  pour  se  rendre  compte  de  cette 
triste  vérité,  crut  qu'il  aurait  toujours  nn  parti  puissant  en  France,  et, 
dans  cette  étrange  idée,  aussitôt  après  la  mort  de  Henri  III,  il  fit  passer 
son  fils  en  Champagne,  pour  donner  un  noyau  à  ce  parti,  et  il  le  fît 
accomj)agner  d'une  petite  armée.  Le  prince  était  jeune  et  intéressant; 
on  dit  (ju'il  fit  beaucoup  de  conquêtes  i)armi  les  dames  de  la  province; 
mais  dans  une  assemblée  qui  se  tint  ii  Chaumont-en-Bassigny,  où  on 
proposa  de  reconnaître  l'illustre  seigneur  mar(|uis  Du  Pont,  comme  roi 
de  France,  en  vertu  des  droits  de  sa  mère,  fille  et  héritière,  'a  délaut  de 
lignée  masculine,  du  roi  Henri  H,  pas  un  des  assistants  ne  voulut 
donner  sa  voix  au  jeune  prétendant.  Tous  répondirent  qu'ils  assisteraient 
volontiers  le  duc  de  Lorraine,  a  tirer  vengeance  de  ceux  (jui  avaient  fait 
tuer  le  feu  roi,  son  beau-frère  et  l'oncle  de  son  fils,  mais  que  la  pro- 
position qui  leur  était  faite  était  contraire  de  tout  point  aux  lois  fonda- 
mentales de  l'Etat  de  France.  Le  jeune  prince  fut  donc  contraint  de 
s'en  retourner  en  Lorraine,  ne  remportant  pour  fruit  de  son  voyage 
qu'une  triste  maladie,  fruit  de  ses  exploits  galants. 

Pendant  ce  temps-la,  les  meneurs  du  parti  de  la  Ligue  a  Paris, 
étaient  parvenus  'a  monter  si  bien  les  têtes,  que  le  peuple  voulait  courir 
au  logis  des  politiques  pour  les  massacrer  sans  rémission.  Or,  on  appe- 
lait politiques  tous  ceux  qu'on  soupçonnait  a  tort  ou  à  raison  de  n'être 
pas  hostiles  au  parti  du  roi.  H  pouvait  se  trouver  parmi  ces  suspects- la 
bien  des  gens  qui,  sans  être  royalistes  de  cœur,  n'étaient  que  raison- 
nables, et  qui,  tenant  surtout  'a  la  gloire  et  îi  la  prospérité  de  leur  pays, 
n'approuvaient  pas  les  déportements  des  zélés.  11  est  probable  que  ces 
gens-lli  n'étaient  ni  les  moins  compromis,  ni  les  moins  odieux. 

Le  grand  mobile  dont  les  meneurs  s'étaient  principalement  servis 
pour  exciter  la  populace,  était  les  quatre  ou  cincj  exécutions  faites  à 
Tours  par  l'ordre  du  i)arlement  royaliste  sur  des  gens  à  qui  on  n'avait 
a  reprocher  d'autre  crime  que  d'avoir  voulu  mettre  leur  ville  sous  la 
protection  de  la  Sainte  Fnion  catholique.  On  eut  beaucoup  de  peine  'a 
empêcher  cette  populace  de  traduire  en  actes  sanglants  les  atroces 
représailles  qui  lui  avaient  été  suggérées.  H  fallut  que  le  parlement  de 
Paris,  sur  la  requête  du  procureur  général,  donnât  un  arrêt  assez  ridi- 
cule, par  lequel  il  cassait  tous  les  jugements  rendus  a  Tours  contre  les 
catholiques  de  la  Sainte-Union.  H  pouvait  bien  déclarer  les  jugements 
cassés  ;  mais  ressusciter  les  suppliciés  ?  Cela  n'était  plus  en  son  pouvoir. 


30  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Ceux-ci  n'avaient  plus  îx  compter  qu  avec  la  divine  miséricorde.  (Mézeray, 
p.  lU.) 

Le  même  arrêt  ordonnait  aux  condamnés  d'en  appeler  et  de  prendre 
leurs  juges  à  partie,  pour  que  les  dits  juges  eussent  à  venir  répondre 
devant  Monsieur  le  procureur  général.  Puis  le  conseil  des  Quarante 
joignit  a  tout  cela  une  ordonnance  portant  qu'il  serait  envoyé  un  trom- 
pette à  Tours,  pour  signifier  au  soi-disant  parlement,  séant  dans  cette 
ville,  et  au  conseil  du  roi  de  Navarre,  que,  s'ils  ne  cessaient  de  persé- 
cuter les  bons  catholiques,  ils  seraient  traités  comme  déserteurs  de  la 
cause  de  Dieu  et  comme  ennemis  de  l'Etat,  et  qu'on  userait  de  la  peine 
du  talion  sur  leurs  femmes  et  leurs  enfants. 

Le  parlement  royaliste  reçut  ce  message  et  répondit  que  c'était  'a 
tort  et  pour  abuser  les  peuples  qu'on  l'accusait  d'hérésie  ou  de  persé- 
cuter les  catholiques  ;  que  tous  les  membres  de  la  compagnie  étaient, 
au  contraire,  prêts  'a  donner  leurs  biens  et  leur  vie  pour  la  conservation 
de  l'intégrité  de  la  foi  ;  que  tous  les  criminels  qu'ils  avaient  fait  punir 
n'avaient  pas  été  suppliciés  comme  catholiques,  mais  bien  au  contraire 
comme  impies,  scélérats,  factieux  et  pires  que  tous  les  hérétiques  du 
monde. 

A  ces  raisons,  et  pour  payer  leurs  adversaires  en  même  monnaie, 
ils  ajoutèrent  un  arrêt  portant  défense  aux  membres  de  leur  corps,  qui 
étaient  demeurés  dans  la  ville  rebelle,  de  prendre  le  titre  de  parlement, 
ou  toute  autre  désignation  indiquant  une  juridiction  légitime.  11  était 
défendu  a  toute  personne  habitant  le  royaume  de  France  de  déférer  à 
leurs  jugements,  et  de  payer  aucuns  deniers  royaux  sur  leurs  ordres,  sous 
peine  de  nullité.  Et  pour  les  membres  du  dit  parlement  réfractaire,  s'ils 
n'obéissaient  eux-mêmes  et  sans  retard  à  cet  arrêt,  il  était  ordonné  de 
leur  courir  sus  au  son  du  tocsin.  De  plus,  leurs  biens  étaient  déclarés 
confisqués,  les  deux  tiers  au  profit  du  roi,  et  l'autre  tiers  pour  ceux  qui 
prendraient  les  délinquants  morts  ou  vifs. 

Cet  arrêt  eut  plus  d'effet  que  celui  du  parlement  de  la  Ligue.  Ceux 
des  parlementaires  parisiens  qui  avaient  l'esprit  juste  et  qui  ne  s'étaiçnt 
pas  laissés  entrahier  trop  loin  par  l'ivresse  des  circonstances,  com- 
prirent que,  dans  un  État  monarchique,  le  droit  de  rendre  la  justice 
devait  émaner  du  roi  légitimement  appelé  au  trône,  par  les  anciennes 
constitutions  du  royaume.  Plusieurs  conseillers  désertèrent  donc  succes- 
sivement la  capitale  pour  se  rendre  à  Tours. 

Enfin,  le  premier  président  Achille  De  Harlay,  ayant  obtenu,  moyen- 
nant dix  mille  écus  de  rançon,  de  sortir  de  la  Bastille,  où  Bussy  le 
tenait  renfermé,  n'eut  rien  de  plus  pressé  que  de  venir  aussi  à  Tours 
se  mettre  'a  la  tête  du  parlement  royaliste.  L'exemple  d'un  homme  aussi 
universellement  estimé  augmenta  tout  à  la  fois  et  le  courage  de  ceux 
qui  étaient  restés  fidèles  'a  la  royauté  et  le  nombre  des  transfuges  du 
parlement  ligueur. 

Dans  la  capitale,  cependant,  on  avait  soin  de  repaitre  le  peuple  de 
fausses  nouvelles,  afin  de  le  tenir  en  haleine.  Aux  quatre  drapeaux  que 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  31 

Mayenne  avait  envoyés,  la  duchesse  de  Montpensier  en  joignit  une  dou- 
zaine de  sa  façon,  qui  f'urenl  portés  dans  les  rues  avec  grande  pompe. 
[Mém.  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  95  et  suiv.) 

On  falsiliait  ou  on  exagérait  les  messages  qu'on  recevait  des  provinces. 
Ainsi  on  répandait  (jue  le  capitaine  Saint-Paul,  qui,  de  simple  paysan  était 
devenu  maréchal  pour  la  Ligue  et  puis  roi  »le  Mézières,  faisait  mainte- 
nant des  prodiges  en  Champagne;  qu'en  Provence,  les  Ligueurs  venaient 
de  défaire  et  tailler  en  pièces  vingt-cinq  compagnies  envoyées  par  le 
maréchal  de  Montmorency  ;  que,  partout,  TUnioii  catholique  était  triom- 
phante; que  révê(|ue  de  Comminges  venait  d'expulser  les  hérétiques  et 
les  politi(|ues  de  Toulouse,  et  mille  autres  hruits  semblables.  «  Parmi 
tous  ces  mensonges  il  y  avait  bien  (juelque  grain  de  vérité,  et  comme  en 
arithméli(|ue,  en  ajoutant  un  zéro,  de  dix  on  fait  cent,  et  cent  mille, 
le  duc  de  Mayenne  et  ses  amis  faisaient  crier  a  chaque  instant,  parmi  les 
carrefours,  la  relation  déjà  embellie  du  plus  petit  succès,  et  ces  nouvelles, 
en  passant  de  bouche  en  bouche  se  dénaturant  de  plus  en  plus,  repais- 
saient ce  pauvre  peuple  des  plus  folles  espérances.  » 

On  eut  grand  soin  aussi  de  distribuer  avec  profusion,  un  arrêt  du 
parlement  de  Houen,  en  date  du  vingt-troisième  jour  de  septembre,  qui 
déclarait  criminels  de  lèse-majesté  divine  et  humaine,  ennemis  de  Dieu 
et  de  rÉlal,  tous  ceux  qui  adhéraient  au  Béarnais  hérétique;  eux  et  leur 
postérité  étaient  déchus  de  tous  privilèges  de  noblesse,  leurs  charges  et 
dignités  devenaient  vacantes  et  impélrables,  et  leurs  biens  étaient  acijuis 
et  confisqués  au  profit  du  roi  Charles  X.  De  plus,  tout  gentilhomme 
français,  faisant  profession  des  armes,  était  sommé  de  venir,  sans  retard 
et  sous  peine  d'infamie,  combattre  pour  le  maintien  de  l'honneur  de 
Dieu  et  de  la  foi  catholique.  {Journal  de  Henri  /F,  t.  I,  p.  10.) 

Enfin,  des  colporteurs,  secrètement  soldés  'a  cet  eflet,  criaient  dans 
toute  la  ville  avec  une  voix  retentissante  un  plan  de  la  ville  de  Dieppe, 
accompagné  d'une  relation  dgns  laquelle  on  annonçait  que  Mayenne 
tenait  cette  place  étroitement  bloquée  par  terre,  tandis  que  le  duc 
d'Auinalc,  après  avoir  battu  la  Hotte  anglaise,  coupait  toutes  les  com- 
munications par  mer.  Monsieur  de  Nemours  avait  battu  le  duc  de  Longue- 
ville  et  le  maréchal  d'Aumont,  et  le  Béarnais,  renfermé  dans  Dieppe,  ne 
pouvait  plus  échapper,  'a  moins  que  d'avoir  des  ailes. 

A  cha(jue  instant,  on  parlait  de  courriers  qui  venaient  donner  d'heure 
en  heure  des  nouvelles  des  progrès  du  siège.  Le  Béarnais  avait  déj'a 
demandé  a  se  rendre,  i)0urvu  qu'il  eût  la  vie  sauve;  puis,  pour  terminer, 
le  bruit  courut  (ju'il  était  prisonnier  du  duc  de  Mayenne,  qui  se  préparait 
'a  le  ramener  'a  Paris,  pour  y  faire  une  entrée  triomphante  'a  la  manière 
des  anciens  vainqueurs  romains.  Ce  faux  bruit  prit  une  telle  consistance 
que  les  dames  ligueuses  se  hâtèrent  de  louer  des  fenêtres  et  de  faire 
dresser  des  estrades  tapissées  dans  la  rue  Saint-Denis,  pour  voir  passer 
l'illustre  captif  et  son  vainqueur. 

Henri  W  leur  préparait  alors  un  tout  autre  spectacle,  et  la  visite  (ju'il 
avait  résolu  de  leur  faire  n'était  pas  en  qualité  de  prisonnier.  H  venait  de 


32  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

recevoir  de  la  reine  Elisabeth,  un  secours  de  quatre  mille  Anglais  et  deux 
cent  vingt  mille  (rancs  d'argent,  avec  quantité  de  munitions  de  guerre. 
Ce  secours  venait  a  point  :  peu  s'en  iallut  pourtant  qu'il  ne  causât  la 
ruine  complète  du  roi.  Les  catholiques  de  son  armée  murmurèrent  d'abord 
de  voir  arriver  ces  soldats  hérétiques.  Ils  soupçonnèrent  que  Henri,  vou- 
lant persister  dans  sa  fausse  religion,  cherchait  à  s'entourer  d'hommes 
de  cette  croyance,  auxquels  il  allait  désormais  donner  sa  coniiance 'a  leur 
détriment.  Le  duc  de  Montpensier  lui-même,  qui  avait  plus  de  dévotion 
que  de  lumières,  s'était  laissé  gagner  par  ces  idées,  et  on  le  disait  a  la 
tète  du  parti  des  mécontents.  Bientôt  les  soldats,  se  croyant  forts  de 
l'appui  d'un  homme  aussi  puissant  et  aussi  respecté,  se  mutinèrent  ou- 
vertement, et,  un  jour  que  le  roi  était  au  prêche,  en  compagnie  des 
chefs  anglais,  quelques-uns  des  plus  turbulents  catholiques  s'ameutèrent 
à  l'entrée  du  logis,  pour  insulter  ceux  des  religionnaires  qui  venaient  y 
faire  leurs  dévotions  à  leur  manière.  Il  y  eut  des  coups  donnés  et  reçus 
de  part  et  d'autre,  et  l'affaire  menaçait  de  ne  pas  en  rester  la. 

Le  roi  dissimula  prudemment  son  ressentiment  d'une  pareille  injure; 
mais,  pour  couper  court  a  cette  dangereuse  querelle,  il  résolut  de  don- 
ner le  plus  promptement  possible  assez  d'occupation  sérieuse  a  son 
armée  pour  qu'elle  n'eût  plus  le  temps  de  songer  a  disputer  sur  la  reli- 
gion. Il  venait  précisément  de  recevoir  un  message  secret  du  président 
Blancménil,  l'un  des  membres  du  parlement  qui  avaient  cru  devoir  rester 
dans  Paris,  pour  y  servir  secrètement  les  intérêts  de  la  royauté.  Celui- 
ci  lui  faisait  savoir  que,  si  l'armée  royale  parvenait  seulement  à  se  loger 
dans  les  faubourgs  de  la  capitale,  lui  et  ses  amis  étaient  en  mesure  de 
se  saisir  d'une  des  portes;  qu'ils  l'ouvriraient  h  Sa  Majesté,  h  laquelle 
il  serait  ensuite  facile  de  s'emparer  du  reste  de  la  ville,  attendu  que  la 
plus  grande  partie  de  la  garnison  avait  suivi  Mayenne,  et  que  le  gouver- 
neur de  Rône  venait  de  partir  avec  le  reste  pour  surprendre  Elampes. 
{Cayet,  Chruii.  novenn.,  ad  ann.  1589.) 

Il  se  mit  donc  incontinent  en  marche  pour  retourner  vers  la  capi- 
tale. Il  comptait  alors  sous  ses  drapeaux  vingt  mille  hommes  d'infan- 
terie, trois  mille  de  cavalerie,  et  il  avait  quatorze  pièces  de  canon. 
C'était  peu  pour  entreprendre  un  siège  aussi  important;  aussi  n'avait-il 
l'intention  que  de  tenter  une  surprise,  qui,  au  bout  du  compte,  pouvait 
lui  réussir,  grâce  aux  intelligences  qu'il  avait  dans  la  place.  Il  passa  la 
Seine  'a  Meulan  et  vint  camper  'a  Gentilly,  s'emparant  de  tous  les  villages 
qui  étaient  de  ce  côté  du  lleuve  jusqu'aux  portes  de  Paris.  (Davila,  t.  II, 
liv.  10,  p.  516.) 

Henri  pourtant  était  trop  expérimenté  capitaine,  pour  n'avoir  pas 
deviné  que  l'occupation  de  Paris,  quand  même  elle  aurait  lieu,  ne  serait 
pas  sans  danger  pour  une  armée  aussi  faible  que  la  sienne.  En  pleine 
campagne,  il  se  savait  assez  de  ressources  et  de  talents  militaires  pour 
vaincre  ou  du  moins  tenir  en  respect  un  ennemi  supérieur  en  nombre,  et 
il  venait  de  le  prouver.  Mais,  dans  une  ville  aussi  populeuse  et  dont  la 
grande  majorité  des  habitants  était  aussi  mal  disposée  à  son  égard,  cora- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  33 

ment,  avec  aussi  peu  de  monde,  garder  tous  les  postes?  comment 
maintenir  les  communications  entre  eux?  La  prise  de  Paris  pouvait  deve- 
nir le  tombeau  de  toutes  ses  espérances. 

Il  avait  donc,  même  avant  de  s'éloigner  de  Dieppe,  envoyé  Belin,fait 
prisonnier  a  Arques,  au  duc  de  Mayenne,  pour  lui  demander  la  paix,  «  de 
laquelle  il  avait,  disait-il,  telle  envie  que,  sans  avoir  égard  a  sa  dignité 
royale,  il  voulait  bien  la  rechercher,  maintenant  qu'on  ne  pouvait  dire 
que  ce  lût  par  nécessité,  mais  uniquement  par  la  compassion  qu'il  avait 
des  malheurs  publics.  »  Cette  proposition  avait  été  de  nouveau  débattue 
dans  le  conseil  du  duc.  Quelques-uns  voulaient  que  Monsieur  de  Mayenne 
l'acceptât.  Cela, 'a  ce  qu'ils  prétendaient,  ne  pouvait  manquer  de  lui  faire 
grand  honneur,  parce  qu'on  le  regarderait  partout  comme  le  bienveillant 
pacificateur  des  troubles  qui  désolaient  la  France,  et  il  aurait  de  plus 
grands  profits,  étant  le  maître  en  quelque  sorte  de  dicter  ses  condi- 
tions. »  Mais  l'autre  partie  des  conseillers,  en  majorité,  répondit  :  «  Notre 
guerre  concerne  plus  encore  les  affaires  de  la  religion  que  le  droit  de 
succession  a  la  couronne,  et  on  ne  peut  ni  en  conscience  ni  en  bonne 
justice  écouter  les  propositions  d'un  prétendant  hérétique,  sans  avoir 
pris  l'avis  du  Pape  ei  le  consentement  des  prélats,  ainsi  que  celui  des 
villes  et  communautés,  et  même  dos  princes  étrangers  qui  ont  embrassé 
notre  cause.  »  Cet  avis  prévalut.  (Matthieu,  Règne  de  Henri  IV,  liv.  1, 
p.   17.  —  Mém.  de  Villeroy,  ad  ann.  1589.) 

Tout  en  faisant  cette  démarche  pacifique,  Henri,  comme  on  l'a  vu, 
ne  s'était  pas  moins  avancé  sur  Paris,  et  il  se  disposait  déjà  'a  l'attaquer. 
Les  Parisiens,  lors  du  premier  siège,  du  temps  de  Henri  111,  avaient  cons- 
truit 'a  grands  frais  un  retranchement  devant  les  faubourgs,  de  ce  côté 
du  fleuve.  Ils  l'avaient  flanqué  de  redoutes  et  muni  de  quelque  artillerie  ; 
mais  leurs  ingénieurs,  dans  le  but  d'enceindre  quelques  petites  émi- 
nences,  avaient  donné  'a  ce  retranchement  une  longueur  immense,  de 
sorte  qu'il  aurait  fallu  plus  de  vingt  mille  hommes  pour  le  garder.  Le 
roi,  ayant  reconnu  ces  grands  travaux  dont  il  n'eut  pas  de  peine  à  décou- 
vrir le  défaut,  donna  ses  ordres  pour  les  attaquer  le  lendemain. 

11  partagea  son  infanterie  en  trois  corps.  Biron,  son  fils  et  Guitry, 
avec  les  Anglais,  étaient  chargés  de  l'attaque  des  faubourgs  Saint-Marcel 
et  Saint-Victor;  le  maréchal  d'Aumont,  avec  Damville,  devait  se  porter 
contre  le  faubourg  Saint-Jacques,  et  La  Noue  et  Coligny,  soutenus  par 
Sully,  avaient  l'ordre  de  forcer  en  même  temps  le  faubourg  Saint-Germain. 
Chaque  corps  avait  sa  réserve  destinée  a  l'appuyer  et  a  se  porter  où  l'on 
aurait  besoin  de  secours.  La  cavalerie,  partagée  en  autant  de  gros,  sui- 
vait les  assaillants  pour  les  rallier  en  cas  d'échec. 

L'aflaire  s'engagea  bien  avant  la  pointe  du  jour,  le  premier  novembre, 
fête  de  tous  les  saints,  et  pendant  qu'un  épais  brouillard  couvrait  la 
ville  et  l'armée.  Ce  brouillard  était  favorable  aux  assiégeants,  en  les  em- 
pêchant d'être  vus  des  assiégés,  qui  ne  pouvaient  plus  savoir  quel  point 
de  leur  immense  retranchement  allait  être  attaqué,  et  où  il  fallait  porter 
leurs  forces;  aussi,  de  prime  abord,  ce  retranchement  fut  forcé  de  tous 
IV.  3 


34  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

les  côtés;  mais  la  résistance  devint  plus  vive  a  la  tête  des  faubourgs. Ils 
lurent  pourtant  tous  gagnés  en  moins  d'une  heure,  à  l'exception  de 
l'abbaye  de  Saint-Gcrmain-des-Prés,  où  cent  cinquante  mousquetaires  qui 
s'y  étaient  renfermés  tinrent  généreusement  jusqu'au  soir.  (Cayet, 
Chron.  novenn.,  ibid.) 

L'aspect  de  ceux  des  leurs  qui  avaient  été  tués  en  grand  nombre  et 
dont  les  cadavres  restaient  étendus  a  l'entrée  des  rues  effraya  tellement 
les  Parisiens,  que  si  le  canon  eut  pu  arriver  de  suite  pour  forcer  les 
portes  Saint-Jacques  et  Saint-Micbel,  le  roi,  dès  le  matin  même,  eût  été 
maître  de  tout  le  quartier  de  l'Université.  Mais  les  habitants  eurent  le 
temps  de  barricader  ces  portes  avec  des  poutres  et  du  fumier. 

.  Pendant  ce  temps-la,  La  Noue,  qui  venait  de  descendre  par  la  rue  de 
Tournoi!  jusqu'au  bord  de  la  Seine,  tenta  de  franchir  le  fleuve  avec  sa 
cavalerie^  un  peu  au-dessous  de  la  tour  de  Nesle.  Mais  de  Rosne,  que  les 
Parisiens  avaient  fait  avertir  la  veille,  et  qui  était  accouru  d'Étampes  en 
toute  hâte,  lit  faire  sur  les  assaillants  une  si  furieuse  décharge  de  mous- 
queterie,  qu'ils  furent  obligés  de  s'arrêter  tout  court.  Plusieurs  des  sol- 
dats royalistes  furent  tués  ;  d'autres  se  noyèrent  misérablement,  car,  en 
cet  endroit-la,  il  se  trouva  que  la  rivière  était  rapide  et  plus  profonde 
qu'ils  ne  l'avaient  pensé.  La  Noue  lui-même  fut  blessé  assez  grièvement. 
On -le  rapporta  dans  le  faubourg  dont  Châtillon  et  Sully  venaient  de 
s'emparer  tout  'a  fait,  et  il  s'y  passait,  comme  dans  toutes  les  places 
prises  d'assaut,  de  ces  choses  que  l'histoire  ne  peut  raconter  qu'en  les 
déplorant. 

Deux  troupes  de  bourgeois  avaient  été  cernées  dans  une  rue,  près  de 
l'enclos  d^  la  foire  Saint-Germain.  «  En  un  instant,  il  fut  tué  quatre  cents 
de  ces  malheureux  en  un  monceau.  «  Je  suis  las  de  frapper,  dit  alors 
«  Sully,  et  je  ne  saurais  plus  tuer  des  gens  qui  ne  se  délendent  point.  » 
Alors  on  commença  'a  piller.  —  a  Vous  ne  fites,  Monseigneur,  ajoute  le 
rédacteur  des  Économies  royales  de  ce  fidèle  ami  de  Henri  IV,  vous  ne 
fites  qu'entrer  dans  six  ou  sept  maisons,  et  y  eûtes  par  hasard  quelque 
deux  'a  trois  mille  écus  qui  vous  furent  baillés  pour  votre  part,  »  Très- 
probablement  le  prudent  Sully  avait  su  parfaitement  choisir  les  maisons 
qu'il  avait  visitées.  (Sully,  Econom.  roy.,  ch.  xxix.) 

Châtillon  fit  alors  appliquer  le  pétard  à  la  porte  de  Nesle,  mais  il  n'y 
fit  point  d'effet,  parce  que  les  bourgeois,  étant  accourus,  l'avaient 
appuyée  par  derrière,  comme  ils  avaient  fait  aux  portes  Saint-Michel  et 
Saint-Jacques. 

Il  était  au  plus  huit  heures  du  matin,  quand  le  roi  entra  l'un  des 
premiers  dans  le  dit  faubourg  Saint-Jacques,  que  ceux  qui  étaient  sortis 
de  la  ville  pour  le  défendre  avaient  abandonné  en  toute  hâte.  Sa  présence 
fut  un  bonheur  pour  les  habitants.  Il  les  vit  à  leurs  portes  et  a  leurs 
fenêtres,  qui  criaient  :  «  Vive  le  roi!  »  Aussi  son  premier  soin  fut  de 
défendre  qu'on  leur  fit  aucune  violence.  II  envoya  réprimander  Châtil- 
lon, qui,  pour  venger  la  mort  de  l'amiral,  son  père,  voulait  tout  laire 
égorger  sans  merci,  et  non  content  d'avoir  empêché  le  pillage  et  surtout 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  35 

la  violation  des  églises,  il  ordonna  que  le  service  divin  ne  fût  pas  inter- 
roni|)u,  de  sorte  que  les  catholiques  de  son  armée  y  assistèrent  paisi- 
blement avec  les  bourgeois  et  purent  solonniser  la  bonne  léte  de  la 
Toussaint.  (Mattii.,  Hist.  des  dern.  troîibles,\i\.  5,  fol.  12.) 

Pour  lui,  il  monta  au  clocher  de  Saint-Germain,  considérant  attenti- 
vement ce  qui  se  Caisail  dans  la  ville,  où,  suivant  la  promesse  de 
Blancménil,  il  attendait  quehjue  mouvement  en  sa  faveur.  (Pkréfixk, 
II"  part.,  ad  ann.  15(S9.) 

Cependant  le  duc  de  Mayenne,  qui  n'avait  pu  croire  que  le  roi  oserait 
marcher  sur  Paris,  venait  de  prendre  La  Fère,  et  s'occupait  tranquille- 
ment a  s'assurer  des  esprits  en  Picardie.  Il  avait  fait  une  entrée  quasi 
royale  a  Amiens,  et  les  habitants  avaient  même  voulu  lui  porterie  poêle; 
mais  il  eut  la  modestie  de  ne  pas  accepter  un  pareil  honneur,  qui  ne 
se  rend  qu'au  souverain.  La  nouvelle  que  le  Béarnais  assiégeait  Paris 
vint  le  surprendre  au  milieu  de  son  triomphe.  Sans  perdre  de  temps,  il 
lit  partir  le  duc  de  Nemours  avec, quelque  cavalerie,  et  celui-ci  (\t  une 
telle  diligence  qu'il  arriva  'a  Paris  le  soir  même.  {Mém.  de  la  Ligne, 
t.  IV,  p^  08.) 

Le  lendemain,  Mayenne  y  entrait  aussi  lui-même  avec  toute  son 
armée,  au  grand  désappointement  des  politiques,  mais  à  la  grande  joie 
des  Ligueurs,  qui  avaient  dressé  dans  les  rues  des  tables  chargées  de 
viandes  et  de  vin,  pour  faire  rafraîchir  les  soldais.  (Mkzkuav,  p.   77)6.) 

Le  roi  n'avait  pas  compté  que  le  duc  put  passer  l'Oise  aussi  facile- 
ment ;  car  il  avait  chargé  Thoré  de  garder  le  passage  'a  Sainte  Maxence, 
et  de  rompre  le  pont  qui  existait  en  cet  endroit.  Mais  celui-ci  se  trouva 
par  hasard  malade  ce  jour-fa;  son  lieutenant,  qu'il  chargea  de  le  rempla- 
cer, s'était  fort  mal  acquitté  de  cette  importante  commission  ;  le  pont 
n'avait  été  ni  rompu  ni  gardé,  et  l'armée  ligueuse  put  passer  sans  ren- 
contrer d'obstacles. 

Jugeant  donc  que  ses  partisans  dans  la  capitale  n'oseraient  plus,  et 
même  ne  pouvaient  plus  tenir  les  promesses  (ju'ils  lui  avaient  faites,  il 
regarda  comme  une  dangereuse  témérité  de  persister  a  attaquer  une  ville 
aussi  populeuse,  où  il  ne  pouvait  plus  compter  sur  personne  pour  le 
seconder,  et  surtout  quand  il  la  voyait,  en  outre,  défandue  par  une 
armée  bien  plus  nombreuse  que  la  sienne.  D'ailleurs,  il  avait  déjà  obtenu 
une  partie  de  ce  qu'il  désirait  le  plus,  c'était  de  forcer  Mayenne  a  s'éloi- 
gner de  la  Picardie,  où  il  aurait  pu  rallier  un  grand  nombre  de  partisans 
et  se  fortilier  par  la  suite.  Le  troisième  jour  de  novembre,  il  décampa 
donc  sans  qu'on  osât  ratta(picr,  (pioicjue,  |)our  prouver  aux  Ligueurs  et 
aux  Parisiens  (|ue  cette  retraite  n'était  |)as  une  fuite,  il  resta  plusieurs 
heures  dans  la  plaine  en  ordre  de  bataille,  pour  les  engager  à  faire  une 
sortie  s'ils  l'osaient.  (Cavi:t,  ubi  sup.) 

Il  se  retira  d'abord  a  Linas,  emmenant  les  douze  i)ièces  de  canon 
(pi'il  avait  prises  'a  l'attaque  du  relranchemenî,  et  plus  de  douze  cents 
prisonniers  (pi'il  avait  laits  (M!  l'orçant  les  faubourgs.  ])o  ce  nombre  était 
un  riche  marchand  nommé  Cliarpenlier,mLMnl)re  du  conseil  des  Quarante, 


36  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

et  Bourgoing,  prieur  des  Jacobins,  qui  fut  pris  le  corselet  sur  le  dos  et 
les  armes  a  la  main,  en  se  battant  comme  un  soldat. 

Quand  le  roi  fut  éloigné,  les  habitants  de  Paris,  qui  avaient  eu  un 
assez  grand  nombre  de  tués  et  de  blessés,  et  un  plus  grand  nombre 
encore  de  prisonniers,  se  mirent  a  déplorer  leurs  pertes.  On  n'entendait 
partout  que  les  cris  des  femmes  et  des  enfants  qui  avaient  a  regretter  un 
père  ou  un  mari.  Pour  donner  quelque  peu  de  satisfaction  a  cette  mul- 
titude éplorée,  le  conseil  de  l'Union  fit  paraître  un  édit  par  lequel  il  était 
ordonné  qu'on  nommerait  des  commissaires  pour  dresser  un  mémoire 
exact  de  tous  ceux  qui  [avaient  perdu  la  vie  ou  la  liberté  en  cette  occa- 
sion. Les  dits  commissaires  étaient  chargés,  en  outre,  de  faire  la  re- 
chercbe  exacte  de  tous  les  biens  des  hérétiques  et  de  leurs  fauteurs,  pour 
les  vendre  a  l'encan  et  dédommager  ceux  qui  avaient  souffert.  Mais  ce 
dédommagement  se  réduisit  à  bien  peu  de  chose,  car  il  n'y  avait  rien 
qui  fût  de  bonne  prise  dont  les  Seize  n'eussent  eu  grand  soin  de  s'em- 
parer depuis  longtemps.  (De  Thou,  t.  XI,  liv.  97,  p.  35.) 

Pour  lors,  les  chefs  ligueurs,  ayant  été  instruits  que  le  président  Blanc- 
ménil  avait  montré  un  visage  plus  riant  que  de  coutume,  au  moment  où 
le  Béarnais  était  maître  des  faubourgs,  soupçonnèrent  qu'il  avait  quelque 
intrigue  avec  les  royalistes.  Ils  le  mirent  en  prison  au  Louvre  et  lui  firent 
faire  son  procès.  La  vie  de  ce  magistrat  courait  les  plus  grands  risques, 
s'il  n'eût  trouvé  le  moyen  de  s'évader  de  leurs  mains  ;  mais  pour  se 
consoler,  ils  firent  pendre  deux  pauvres  diables  qui  avaient  été  surpris 
semant  dans  le  Palais  des  écrits  destinés  à  émouvoir  le  peuple  en  faveur 
du  roi.  Un  nommé  Blanchet,  l'un  des  plus  riches  bourgeois  de  la  cité, 
avait  été  aussi  arrêté  pour  la  même  cause  ;  seulement  on  ne  pendit  pas 
celui-là  d'abord.  On  jugea  plus  à  propos  de  le  garder  pour  l'échanger 
contre  Charpentier,  que  le  Béarnais  avait  emmené.  (Journal  de 
/7mn/V,  fol.  12.) 

Or,  Charpentier  n'avait  pas  attendu  cet  échange  pour  traiter  de  sa 
liberté  ;  il  venait  de  convenir  d'une  rançon  et  le  prix  en  était  déjà  payé. 
Par  malheur  pour  lui,  au  lieu  de  s'en  aller  bien  vite,  il  s'amusa  a  faire 
ses  adieux  'a  Richelieu,  grand-prévôt  de  l'hôtel,  qui  était  son  ami,  et  qui 
lui  faisait  même  quelquefois  l'honneur  de  lui  emprunter  de  l'argent.  Pen- 
dant qu'il  s'arrêtait  aussi  malencontreusement,  il  vint  nouvelle  au  camp 
que  les  chefs  de  la  Ligue,  pour  apaiser  la  populace,  prête  à  s'insurger 
parce  que,  disait-elle,  on  ne  faisait  pas  justice  des  riches,  avaient  fait 
pendre  Blanchet.  Le  maréchal  de  Biron  vint  aussitôt  trouver  le  roi  et  lui 
dit  que  si  le  supplice  de  ce  brave  homme  n'était  pas  vengé,  tous  les 
bons  serviteurs  de  Sa  Majesté,  et  lui  le  premier,  étaient  décidés  à  s'éloi- 
gner ;  qu'on  tenait  la  Charpentier,  et  qu'il  fallait  que  Charpentier  payât 
pour  Blanchet.  Henri  se  vit  forcé  de  consentir  à  cette  rigueur,  et  Biron 
envoya  sans  retard  'a  Richelieu  l'ordre  de  faire  pendre  incontinent  le 
malheureux  Charpentier.  Ce  dernier  allait  monter  à  cheval;  mais  le  pré- 
vôt de  l'hôtel  lui  fit  observer  que,  tout  son  ami  qu'il  était,  il  ne  pouvait 
se  dispenser  de  faire  exécuter  un  commandement  aussi  précis,  et  le 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  37 

pauvre  homme  fut  pendu,  a  la  porte  même  de  son  ami  le  grand-prévôt. 
Or,  ceci  se  passait  à  Vendôme,  où  l'armée  royaliste  était  allée  en  quit- 
tant Linas,  et  où  nous  la  retrouverons  dans  un  moment. 

Pour  le  prieur  Bourgoing,  il  fut  conduit  a  Tours,  où  le  parlement 
travailla  a  son  procès,  sur  la  requête  de  la  reine  Louise  et  du  procureur 
général.  Celte  princesse  avait  écrit  au  roi  pour  lui  demander  justice  de  la 
mort  de  son  mari,  et  le  roi  avait  accédé  à  cette  demande.  Or,  comme  il 
était  notoire  que  Bourgoing  avait  été  le  supérieur  de  Jacques  Clément, 
que,  dans  ses  sermons,  il  avait  souvent  comparé  l'acte  de  l'assassin  au 
dévouement  de  Judith,  l'accusation  le  chargea  d'en  avoir  été  le  complice 
et  de  l'avoir  conseillé.  Quelques  témoins  allkmèrent,  de  plus,  qu'il  en 
était  convenu  publiquement,  et  qu'il  s'en  était  vanté.  Il  fut,  en  consé- 
quence, condamné  comme  régicide  'a  être  tiré  à  quatre  chevaux,  pour  les 
quartiers  être  ensuite  brûlés  et  les  cendres  jetées  au  vent. 

Le  prieur  se  prépara  a  la  mort  avec  une  fermeté  merveilleuse.  Ce  fut 
lui-même  qui  disposa  soigneusement  son  caleçon  pour  que,  pendant 
l'exécution,  on  ne  vit  rien  de  son  corps  qui  pût  choquer  la  pudeur.  Il 
adressa  ensuite  au  ciel  une  ardente  prière,  prolestant  qu'il  était  innocent 
du  crime  qu'on  lui  imputait.  «  Je  pardonne  a  mes  juges,  dit-il,  ils  n'ont 
pu  que  me  condamner,  puisqu'il  y  a  des  témoins  qui  ont  déposé  contre 
moi,  et  que  je  n'ai  aucun  moyen  de  les  confondre;  mais  ce  sont  de  faux 
témoins,  et  je  les  attends  devant  le  tribunal  du  Juge  suprême,  j»  Ensuite 
il  se  livra  aux  bourreaux,  et,  au  milieu  des  atroces  déchirements  d'un 
pareil  supplice,  on  ne  l'entendit  pas  pousser  un  seul  cri  qui  témoignât  du 
désespoir  ou  de  l'impatience. 

Cette  résignation  inspira  de  la  compassion  'a  la  plus  grande  partie 
des  spectateurs.  On  l'avait  connu  pour  avoir  été  un  assez  bon  religieux, 
et  l'on  ne  pouvait  s'empêcher  de  plaindre  en  lui  cette  folie  de  l'esprit 
humain  qui,  s'aveuglant  lui-même,  est  capable  de  tout  entreprendre  et 
de  tout  souffrir. 

Déj'a  près  de  quatre  mois  s'étaient  écoulés  depuis  la  mort  du  roi.  On 
a  vu  comment  Mayenne,  n'osant  pas  se  proclamer  de  suite  son  succes- 
seur, avait  donné  ce  titre  au  vieux  cardinal  de  Bourbon.  Mais  personne  ne 
semblait  plus  s'occuper  de  ce  pauvre  prince  qui  restait  oublié  dans  sa 
prison.  Quelques  amis  qu'il  avait  encore  se  reprochèrent  à  la  lin  cet 
oubli,  et  parlèrent  alors  de  lui  assigner  une  pension  sur  l'Etat.  Hotman, 
l'un  de  ces  amis,  présenta  îi  cet  effet  au  conseil  de  l'Union  une  requête 
exposant  que  le  dit  cardinal  de  Bourbon,  leur  roi  légitime,  suppliait  ses 
sujets  de  lui  accorder  au  moins  le  revenu  indispensablement  nécessaire 
à  son  entretien,  attendu  que  ses  bénéfices  ecclésiastiques,  dont  il  aurait 
pu  vivre,  étaient  maintenant  entre  les  mains  des  ennemis  de  Dieu  et  de 
la  nation.  (De  Thou,  t.  II,  liv.  97,  p.  52  et  suiv.) 

Hennequin,  évêque  de  Rennes,  présidait  alors  le  conseil.  Il  commença 
par  réprimander  l'auteur  de  la  requête,  parce  qu'elle  était,  disait-il, 
conçue  en  termes  malséants,  un  roi  ne  devant  pas  adresser  de  suppli- 
cations'a  ses  sujets.  «  Vous  avez  raison.  Monseigneur,  reprit  Hotman; 


:î8  histoire  de  l'établissement 

mais  passez  sur  le  vice  de  la  forme.  La  demande  du  roi  n'en  est  pas 
moins  pressante  et  légitime,  et  peu  importe  de  quelle  manière  elle  soit 
faite,  pourvu  que  vous  y  fassiez  droit.  » 

On  se  mit  en  effet  a  délibérer  et  on  affecta  de  délibérer  longtemps, 
après  quoi  le  conseil  fit  cette  réponse  :  «  Que  la  nécessité  de  subvenir 
aux  frais  de  la  guerre  absorbant  tous  les  fonds,  l'État  se  voyait  dans 
l'impossibilité  de  faire  une  pension  au  roi  ;  que  la  Sainte-Union  allait 
s'occuper  de  reprendre  et  de  lui  remettre  les  bénéfices  dont  le  parti  du 
Béarnais  l'avait  dépouillé  ;  qu'il  y  pouvait  compter,  et  que  ces  revenus 
considérables  seraient  plus  que  suffisants  pour  son  entretien  et  celui  de 
sa  maison  jusqu'à  la  fin  de  cette  guerre.  » 

Cette  réponse  véritablement  dérisoire  mécontenta  tous  ceux  qui 
n'étaient  pas  aveuglément  dévoués  au  duc  de  Mayenne,  et  plusieurs  s'en 
allaient  disant  ouvertement  :  «  On  le  voit  bien  aujourd'hui,  ce  ne  fut 
jamais  a  la  défense  de  notre  religion,  mais  bien  au  trône  que  cet  étranger 
a  toujours  aspiré;  son  prétendu  dévouement  a  la  foi  catholique  n'a 
jamais  été  qu'un  prétexte  dont  il  cache  ses  vues  ambitieuses,  puisqu'il 
abandonne  a  la  misère  un  prince  qu'il  a  lui-même  proclamé  légitime  et 
qui  est  éminemment  bon  catholique.  » 

Le  duc  fut  instruit  de  ces  murmures  ;  il  crut  que  pour  les  apaiser  il 
suffirait  de  faire  rendre  par  le  parlement  un  arrêt  par  lequel  il  était  or- 
donné 'a  tous  les  sujets  du  royaume  d'être  fidèles  a  Sa  Majesté  Charles  X, 
et  de  lui  dévouer  leur  vie  et  leurs  biens,  pour  le  tirer  de  sa  prison  et  le 
remettre  en  liberté.  Le  même  arrêt  ordonnait,  de  plus,  qu'en  attendant, 
on  eût  a  reconnaître  le  lieutenant-général  du  royaume,  au  nom  duquel 
devaient  jusque-la  être  faits  tous  les  actes  publics,  comme  aussi  la  mon- 
naie être  frappée  en  son  dit  nom  et  porter  son  image. 

Huit  jours  après,  le  parlement  rendit  un  autre  arrêt  par  lequel  les 
Étals-Généraux  étaient  convoqués  'a  Melun  pour  le  mois  de  février  sui- 
vant, afin  de  délibérer  avec  le  concours  de  tous  les  ordres  de  l'État  sur 
ies  moyens  de  délivrer  la  personne  de  Sa  Majesté  et  de  maintenir  la  sainte 
religion  contre  les  hérétiques  et  leurs  suppôts. 

Mayenne  alors  pouvait  s'apercevoir  plus  que  jamais  que  la  position 
qu'il  avait  osé  prendre  devenait  de  plus  en  plus  embarrassante,  et  qu'elle 
exigeait  de  lui  des  efforts  incessants  qui  coûtaient  beaucoup  trop  'a  sa 
paresse.  Monsieur  de  Tassis,  membre  du  conseil  du  roi  d'Espagne  aux 
Pays-Bas,  venait  de  se  rendre  à  Paris  avec  une  mission  toute  particu- 
lière de  son  royal  maître.  «  Philippe,  qui,  disait-il,  avait  déjà  bien  assez 
de  tous  les  immenses  royaumes  que  le  ciel  lui  avait  donnés  à  gouverner, 
consentait,  pour  le  bien  de  la  foi,  à  augmenter  cette  charge  pénible.  » 
Il  demandait  qu'on  le  déclarât  protecteur  du  parti  catholique  en  France, 
«  avec  des  autorités,  puissances  royales,  et  autres  souverainetés  qu'il 
détaillait  et  voulait  qu'on  lui  accordât  en  retour  de  sa  protection  et  des 
services  qu'il  rendrait  à  la  nation.  11  voulait,  par  exemple,  avoir  le 
droit  de  pourvoir  aux  principales  dignités  tant  civiles  qu'ecclésias- 
iiijues.  »  En  effet,  c'eût  été  dès  lors  être  véritablement  roi  de  France. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  30 

On  tint  a  cfi  sujet  un  conseil,  où  \'ilIero\  représenta  qu'en  accédant  a  do 
pareilles  exigences,  c'était  inainpier  non  seulement  a  la  fidélité  qu'on 
venait  de  jurer  a  Sa  Majesté  Charles  X,  mais  aussi  violer  toutes  les  lois 
et  constitutions  du  royaume.  Mayenne,  pour  gagner  au  moins  du  temps, 
demanda  à  son  tour  qu'avant  de  rien  décider,  on  attendit  l'arrivée  du 
légat,  que  le  Pape  envoyait  pour  régler  toutes  ces  choses  dans  l'intérêt 
commun  de  tous  ceux  qui  faisaient  profession  de  la  foi  catholique.  {Mém. 
de  ViUeroy,  ad  ann.  1589.) 

Les  Espagnols  dissimulèrent  le  mécontentement  que  leur  faisait  éprou- 
ver ce  délai.  «  Hé  bien!  dit  alors  l'un  des  négociateurs,  puisque  les 
Français  ne  veulent  pas  de  mon  maître  comme  protecteur,  il  faudra  qu'il 
continue  de  se  battre  pour  eux  en  qualité  de  simple  auxiliaire.  »  {Chron. 
novenn.  de  Cayet,  liv.  2,  ad  ann.  1589.) 

Or  ce  légat,  que  le  Pape  venait  en  effet  de  faire  partir,  était  le  cardi- 
nal Gaétan.  Sa  Sainteté  aurait  pu  faire  un  meilleur  clioix,  non  pas  que  le 
cardinal  manquât  de  génie  et  d'expérience  pour  les  grandes  affaires  ;  il 
était  même  regardé  comme  un  três-habile  diplomate  dans  une  cour  où 
de  tout  temps  les  finesses  de  la  diplomatie  ont  été  portées  jus(]u'au 
suprême  degré  de  perfection;  mais,  par  tousses  antécédents,  par  toutes 
ses  liaisons  de  lamille,  il  se  trouvait  lié  au  parti  espagnol.  Son  frère 
servait  le  roi  d'Espagne  dans  les  Pays-Bas,  et  lui-même,  ainsi  (pic  tous 
les  siens,  recevait  des  pensions  de  ce  monarque.  Au  surplus,  il  est  pro^ 
bable  que  le  Pape  lui-même  croyait  utile  à  ses  intérêts  d'avoir  en  France 
un  légat  (jui  fût  agréable  a  Philippe.  (Mézeuav,  t.  III,  p.  741  et  suiv.) 

Quoi  qu'il  en  soit,  pour  donner  plus  d'éclat  a  cette  légation.  Sixte 
adjoignit  a  Gaétan  un  grand  nombre  de  personnes  considérables,  ou  par 
leur  doctrine,  s'il  fallait  combattre  les  hérétiques  avec  les  armes  de  la 
dialectique,  ou  par  leur  qualité,  s'il  fallait  entrer  en  quehjue  traité 
d'apparat.  Ainsi  le  légat  amenait  en  France,  à  sa  suite,  les  deux  célèbres 
jésuites  Dellarmin  et  Tyrceus,  et  dix  évêqucs,  au  nombre  desquels  on 
comptait  le  fameux  Panigarole,  qui  s'était  fait  une  grande  réputation 
(rélo(|uence  par  ses  prédications. 

Gaétan  arriva  a  Lyon  le  neuvième  jour  de  novembre.  Il  s'imaginait, 
grâce  aux  renseignements  que  la  Ligue  avait  fait  donner  au  Saint-Père, 
qu'il  allait  disposer  de  toute  la  France  a  sa  volonté;  que  les  huguenots 
n'avaient  plus  d'autre  ressource  que  de  demander  humblement  pardon, 
et  que  tous  les  catholiques,  parfaitement  d'accord  entre  eux,  étaient 
disposés  à  accepter  avec  soumission  les  décisions  qu'il  prononcerait  au 
nom  du  Souverain-Pontife  ;  de  sorte  qu'il  n'aurait  que  des  absolutions  à 
donner  aux  premiers,  et  des  remerciements  à  faire  aux  autres. 

Mais  les  choses  n'étaient  pas  tout  a  fait  <lans  cet  état.  Le  cardinal 
Morosini,  son  prédécesseur,  (pi'il  avait  rencontré  'a  Boulogne,  avait  déjà 
tenté  de  lui  montrer  quelle  était  la  vraie  position  des  affaires  de  France; 
que  le  parti  du  roi  de  Navarre  n'était  pas  autant  a  mépriser  qu'on  le  lui 
avait  fait  croire,  et  que  la  Liguo  n'était  au  fond  qu'un  grand  corps  sans 
tète,  'a  cause  de  la  jalousie  et  de  la  multitude  de  ses  chefs.  En  consé- 


40  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

quence,  il  lui  conseillait  de  ne  pas  trop  s'engager  avec  cette  dernière, 
et  de  ne  pas  oublier  que  le  Béarnais  iinirait,  suivant  toute  probabilité, 
par  se  rendre  maître  de  fait  d'une  couronne,  qui  lui  appartenait  déj'a  de 
droit;  qu'ainsi,  l'intérêt  bien  entendu  de  l'Eglise  était  plutôt  de  ramener 
ce  prince  à  la  foi  catholique,  par  de  bons  offices,  que  de  l'en  écarter 
davantage  en  favorisant  ses  ennemis. 

Gaétan  ne  goûta  pas  ces  sages  avis.  En  ce  moment  même  le  duc  de 
Savoie  le  comblait  d'honneurs  et  de  soumissions,  lui  faisant  préparer 
dans  toutes  les  villes  la  même  réception  qu'il  aurait  faite  au  Saint-Père, 
et  ne  lui  demandant,  comme  à  un  arbitre  souverain,  que  d'avoir  égard 
à  ses  légitimes  prétentions  sur  la  couronne  de  France. 

Dès  son  arrivée  a  Lyon,  le  légat  envoya  prévenir  de  sa  mission  le 
duc  de  Mayenne  et  l'ambassadeur  d'Espagne,  sans  en  donner  aucune 
connaissance  au  roi  ni  aux  seigneurs  catholiques  qui  se  trouvaient  dans 
l'armée  royaliste.  Par  cette  première  démarche,  il  s'ôtait  déjà  la  faculté 
de  se  poser  en  arbitre  entre  les  deux  partis,  puisqu'il  ne  s'avouait  en 
qualité  de  légat  que  près  d'un  seul.  11  fit  ensuite  publier  le  bref  du  Pape. 
Dans  ce  bref,  daté  de  Rome,  le  septième  jour  de  novembre.  Sa  Sainteté, 
après  avoir  fait  l'éloge  de  la  France  et  de  son  antique  fidélité  envers  le 
Saint-Siège,  rappelait  en  détail  toutes  les  grâces  dont  ses  saints  prédé- 
cesseurs avaient  en  retour  comblé  nos  rois.  Déplorant  ensuite  le  triste 
état  011  se  trouvait  réduit  ce  florissant  royaume,  «  pour  y  apporter  un 
remède  convenable,  disait-elle,  je  vous  envoie  mon  légat,  le  cardinal 
Gaétan,  afin  que,  aidé  de  la  grâce  de  Dieu,  «  il  arrache,  détruise, 
«  dissipe,  bâtisse  et  plante,  selon  qu'il  le  jugera  nécessaire,  pour  la 
«  gloire  de  notre  divin  maître  et  pour  le  salut  des  âmes.  Je  l'ai  chargé 
«  de  prendre  les  moyens  les  plus  propres  pour  protéger  notre  sainte  foi, 
«  et  pour  ramener  les  hérétiques  au  giron  de  l'Église,  afin  que  toute  la 
«  nation,  réunie  un  jour  sous  un  roi  débonnaire  et  véritablement  chré- 
«  tien,  puisse  trouver  le  bonheur  dans  sa  soumission  'a  ce  prince.  »  Sixte 
finissait  en  recommandant  que  son  légat  fût  reçu  partout  avec  le  respect 
et  les  honneurs  qui  lui  étaient  dus,  et  il  exhortait  'a  se  soumettre  aux  con- 
seils de  l'envoyé  .du  Saint-Siège,  afin  de  mériter  par  Ta  les  grâces  du 
Seigneur,  source  unique  des  véritables  biens  en  cette  vie  comme  en 
l'autre.  {Journal  de  Henri  IV.) 

Les  partisans  du  malheureux  cardinal  de  Bourbon,  voyant  que,  dans 
cette  proclamation  pontificale,  on  ne  prononçait  même  pas  son  nom, 
commencèrent  à  ne  plus  douter. que  leur  prince  n'était  au  fond  qu'un 
prétexte;  qu'on  les  avait  pris  pour  dupes,  et  que  le  but  de  tous  ceux  qui 
se  mêlaient  en  ce  moment  des  affaires  de  la  France  n'était  autre  que 
de  faire  les  leurs  propres,  en  excluant  d'abord  du  trône  tous  les  princes 
du  sang  qui  avaient  le  droit  d'y  monter,  pour  s'y  placer  eux-mêmes,  ou 
pour  y  mettre  un  étranger,  auquel  ils  le  vendraient  le  plus  chèrement 
possible  ;  aussi  la  plupart  d'entre  eux  se  détachèrent  en  cette  occasion  du 
parti  de  la  Ligue. 

Quant  au  roi  Henri  IV,  aussitôt  qu'il  eut  eu  connaissance  de  l'arrivée 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  41 

en  France  d'un  nonce  du  Pape,  il  publia  à  son  tour  un  mandement 
qui  enjoignait  a  toutes  les  villes  et  a  tous  les  gouverneurs  de  son  obéis- 
sance de  le  recevoir  avec  honneur  et  de  le  faire  accompagner  en  toute 
sûreté  jusqu'à  sa  cour,  où  il  aurait  toujours  pleine  liberté  d'aller  et 
venir  comme  bon  lui  semblerait;  mais  que  s'il  faisait  sa  retraite  dans 
quelques-unes  des  villes  tenues  par  la  Ligue,  il  le  déclarait  dès  lors 
son  ennemi,  partisan  de  la  rébellion,  émissaire  de  l'étranger  et  devant 
être  considéré  comme  tel  par  tous  ses  lidèles  sujets.  (Mézerav,  ibid., 
p.  750  et  suiv.) 

Le  légat  Gaétan  ne  tint  aucun  compte  ni  de  ces  offres  ni  de  ces 
menaces.  Comme  Mayenne,  'a  qui  il  avait  demandé  une  escorte,  ne  pou- 
vait lui  en  envoyer  une  assez  forle  pour  le  mettre  a  l'abri  des  partis  roya- 
listes qui  parcouraient  les  pays  par  lesquels  il  avait  'a  passer  en  prenant 
la  route  directe,  il  se  joignit  a  un  corps  de  reîtres  que  le  duc  de  Lorraine 
lui  envoya,  et  prenant  avec  eux  son  chemin  par  Dijon,  il  put  arriver 
dans  la  capitale  sans  mauvaise  rencontre.  (Legrain,  Décad.,  liv.  5, 
p.  449.) 

Avant  d'entrer  dans  la  ville,  «  on  lui  fit  faire  une  station  au  faubourg 
Saint-Jacques,  où,  par  honneur,  les  Suisses  vinrent  lui  faire  une  salve  de 
huit  ou  dix  mille  coups  tant  de  mousquets  que  d'arquebuse,  pendant  que 
le  canon  de  la  place  et  des  remparts  faisait  de  son  côté  une  décharge 
générale.  Le  légat,  tout  effrayé  d'un  pareil  bruit,  tremblait  de  peur  que 
quelque  maladroit  ou  quelque  politique,  s'étant  glissé  dans  les  rangs, 
n'eût  chargé  son  arme  'a  balle.  11  faisait  perpétuellement  signe  de  la  main 
que  l'on  cessât,  mais  ces  bonnes  gens,  pensant  que  ce  fussent  bénédic- 
tions qu'il  leur  donnait,  ne  s'en  évertuaient  que  mieux  à  recharger  et  a 
tirer  toujours,  de  sorte  qu'ils  le  tinrent  une  bonne  heure  en  cette 
alarme.  »  (Legrain,  ibid.) 

11  trouva  la  capitale  divisée  en  quatre  différentes  factions,  qui  s'unis- 
sant  ou  se  choquant  selon  la  diversité  de  leurs  intérêts,  donnaient  lieu 
tour  'a  tour  aux  combinaisons  les  plus  imprévues,  et  tiraillaient  en  tous 
sens  l'administration  de  cette  malheureuse  ville.  D'un  côté,  le  parti  roya- 
liste, qui  se  composait  de  la"majorité  du  parlement,  de  presque  tous  les 
officiers  de  justice  et  des  plus  riches  bourgeois,  exerçait  sur  les  masses 
populaires  l'influence  de  la  richesse  et  de  la  considération  personnelles; 
d'un  autre  côté,  les  principaux  chefs  de  la  Ligue  et  les  serviteurs  dévoués 
de  la  maison  de  Guise,  appuyés  sur  l'autorité  du  duc  de  Mayenne,  lieu- 
tenant-général du  royaume,  secondaient  de  tous  leurs  cfïbrts  les  préten- 
tions de  cette  maison  au  trône  de  France.  Un  troisième  parti,  gagné  par 
l'or  de  l'Espagne,  se  montrait  tout  dévoué  au  roi  catholique,  et  de  ce 
parti  étaient  plusieurs  des  Seize  et  du  conseil  des  Quarante,  ainsi  que  la 
plus  grande  partie  des  moines  et  l'ordre  tout  entier  des  Jésuites.  Quant 
au  quatrième  parti,  «  c'était  le  moins  nombreux,  mais  peut-être  le  plus 
redoutable  de  tous,  s'il  se  fût  trouvé  alors  une  tête  assez  forte  pour  le 
diriger.  Il  se  composait  de  certaines  gens  qui,  détestant  également  l'admi- 
nistration de  tous  les  puissants  de  la  terre,  rêvaient  déjà  une  république 


42  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

démocratique  et  se  proposaient  de  profiter  de  la  circonstance  pour  en 
jeter  les  fondements.  »  (Mézeray,  uhi  sup.) 

Ce  fut,  comme  il  avait  été  facile  de  le  prévoir,  au  parti  espagnol  que 
s'attacha  le  cardinal  légat,  après  toutefois  qu'il  eut  eu  de  prime  abord 
reconnu  la  prétendue  royauté  de  Charles  X. 

Cependant,  le  roi  Henri  IV  avait  eu  nouvelle  que  le  jeune  Casteinau, 
comte  de  Clermont-Lodève,  après  avoir  assez  étourdiment  embrassé  le 
parti  de  la  Ligue,  venait  de  se  renfermer  dans  Étampes,  avec  cinquante 
gentilshommes.  Sa  Majesté  s'était  aussitôt  mise  en  route,  et  le  cinquième 
jour  de  novembre,  sur  le  soir,  elle  était  arrivée  devant  cette  ville.  Castei- 
nau, disait-on,  comptait  sur  lesecours  immédiat  du  duc  de  Mayenne, 
qui  lui  avait  promis  de  venir  en  personne  pour  le  soutenir;  et  le  roi  se 
flattait  d'avoir  la  une  occasion  de  se  mesurer  de  nouveau  en  bataille 
rangée  avec  ce  chef  de  la  Ligue.  Mais  Mayenne  ne  vint  pas.  La  ville  fut 
prise  presque  aussitôt  qu'attaquée,  et  la  garnison,  avec  toute  la  noblesse 
et  le  comte  lui-même,  se  retira  dans  le  château,  où  ils  n'eurent  plus 
d'autre  ressource  que  de  capituler. 

Le  roi  ordonna  de  retenir  seulement  les  principaux  officiers  pour  les 
échanger  contre  ceux  des  royalistes  qui  avaient  été  pris  par  les  Ligueurs. 
Quant  au  comte  de  Clermont,  il  lui  permit  de  se  retirer  librement,  sur  la 
parole  qu'il  lui  donna  de  ne  plus  porter  les  armes  contre  lui.  Puis,  sur 
la  demande  même  des  principaux  habitants,  il  fit  démolir  le  château 
d'Étampes,  pour  éviter  de  nouveaux  désastres  'a  cette  malheureuse  ville, 
déjà  pillée  plusieurs  fois,  en  moins  de  deux  ans.  Ce  château,  en  effet, 
qui  était  fort  et  bien  placé,  rendait  la  pauvre  petite  ville  un  objet  de  con- 
voitise pour  tous  les  partis.  Après  donc  lui  avoir  ôté  ce  qui  seul  lui  avait 
attiré  tant  de  malheurs,  il  n'hésita  pas  a  la  laisser  sous  la  garde  de  ses 
seuls  habitants.  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  74.) 

Il  partagea  ensuite  ses  troupes.  Il  en  donna  une  partie  a  Longue- 
ville  et  à  La  Noue,  avec  ordre  de  passer  eji  Picardie,  pour  contenir  cette 
province  dans  le  devoir,  et  ramener  ceux  que  le  duc  de  Mayenne  avait 
pu  égarer  pendant  sa  dernière  excursion  dans  ces  contrées.  Givry  fut 
renvoyé  dans  la  Brie,  et  lui-même,  se  dirigeant  vers  la  Loire,  passa  par 
Blois  et  se  rendit  a  Châteaudun.  Ce  fut  fa  qu'il  reçut  la  députation  des 
Cantons  Suisses,  qui  venaient  l'assurer  que  leur  république  avait  résolu 
de  le  soutenir  avec  le  même  zèle  qu'elle  avait  toujours  témoigné  au  roi 
son  prédécesseur. 

Le  roi  partit  de  Châteaudun  le  quatorzième  jour  de  novembre,  et  s'en 
alla  coucher  a  Meslay.  Il  avait  résolu  de  reprendre  la  ville  de  Vendôme  et 
de  punir  la  trahison  dont  le  gouverneur  de  cette  ville,  Jacques  de  Maillé 
Bennehart,  s'était,  comme  on  l'a  vu,  rendu  coupable. 

Cette  place,  dont  la  situation  sur  les  bords  du  Loir  est  très-forte 
et  très-avantageuse,  avait  en  outre  un  bon  château  du  côté  où  elle  est 
abordable  ;  elle  était  défendue  par  un  large  fossé  et  par  d'épaisses  mu- 
railles, et  le  château  était  bâti  sur  un  rocher  presque  inaccessible  qui 
domine  la  ville.  Ce  fut  précisément  ce  château  que  le  roi  résolut  d'atta- 


Dû  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  43 

qiier,  parce  qu'une  Ibis  maître  de  ce  poste  il  n'aurait  plus  de  résistance 
à  craindre. 

Le  gouverneur  demanda  d'abord  à  traiter,  et  il  eut  plusieurs  conlé- 
renccs  à  ce  sujet  avec  Richelieu,  grand  prévôt  de  l'armée,  (|ui  était  son 
ami  ;  «  mais  Dieu,  disent  les  historiens  du  temps,  voulant  le  punir  de 
son  infâme  trahison,  ne  permit  pas  que  ces  conlérences  eussent  aucun 
succès.  »  Dans  son  aveuglement,  Hennehart,  qui  se  sentait  appuyé  par 
une  bonne  garnison  et  défendu  par  de  bons  remparts,  croyait  (pie  l'armée 
royale,  plutôt  que  d'entreprendre  un  siège  hasardeux,  consentirait  h 
s'éloigner  sans  l'obliger  a  rendre  la  place,  ou  la  lui  achèterait  'a  un  prix 
avantageux.  Mais  le  roi  n'avait  ni  temps  'a  perdre  ni  argent  a  prodiguer. 
Il  donna  le  signal  de  raltacjue.  Le  canon  royaliste  commença  a  battre 
deux  des  tours  du  château  pour  y  ouvrir  une  brèche  et  frayer  la  route  à 
un  assaut;  mais  l'impatience  des  troupes  ne  laissa  pas  le  temps  a  l'artil- 
lerie de  produire  tout  son  effet;  les  boulets  avaient  'a  peine  fait  dans 
l'une  des  tours  un  trou  de  quelques  pieds,  que  les  soldats  s'élancèrent 
l'épée  a  la  main,  montèrent  juscjue  sur  le  haut  de  la  tour  et  s'emparèrent 
du  retranchement  intérieur,  que  les  assiégés  se  hâtèrent  d'abandonner 
pour  se  retirer  en  contusion  dans  la  ville  par  la  porte  du  château.  Les 
assiégeants  les  poursuivirent  et  entrèrent  ])êle-mêle  avec  eux  ;  de  sorte 
qu'en  moins  de  trois  heures,  et  sans  avoir,  pour  ainsi  dire^  rencontré  de 
résistance,  le  roi  se  trouva  maître  partout. 

Aussitôt  il  chargea  Châtillon  et  Riron  de  veiller  'a  ce  que  le  pillage  se 
fit  (lune  manière  h  peu  près  régulière  et  sans  cruautés  superilues  ;  il  leur 
recommanda  surtout  d'en  préserver  les  églises.  Le  gouverneur,  qui 
s'était  retiré  dans  une  maison,  fut  fait  prisonnier,  ainsi  qu'un  cordelier 
qui  avait  jadis  trcmjjé  dans  le  complot  de  Tours,  et  (jui,  depuis  (ju'il 
s'était  réfugié  a  Vendôme,  après  le  mauvais  succès  de  ce  complot,  n'avait 
cessé  d'exhorter  les  habitants  à  la  révolte.  A  la  sollicitation  des  bour- 
geois eux-mêmes,  qui  l'accusaient  de  tous  leurs  malheurs,  le  cordelier 
fut  d'abord  livré  îi  rexéculcur  pour  être  pendu;  et  il  marcha  au  supplice 
avec  une  tranquillité  admirable.  Pour  le  gouverneur,  en  sa  qualité  de 
gentilhomme,  on  lui  accorda  la  distinction  d'avoir  la  tête  tranchée;  mais 
il  montra  en  présence  de  la  mort  autant  de  tâiblesse  que  le  moine  avait 
déployé  de  courage  ;  il  se  jeta  aux  pieds  de  Riron  pour  en  obtenir  sa 
grâce  ;  et  celui-ci  lui  tourna  le  dos  en  lui  disant  qu'il  était  indigne  de 
vivre,  puisqu'il  n'avait  eu  ni  assez  de  courage  pour  se  défendre,  ni  assez 
(le  prudence  pour  capituler.  (Dk  Tiiou,  uhi  sup.^  p.  GO.) 

La  prise  de  Vendôme  entraîna  la  reddition  de  plusieurs  places  des 
environs,  et  entre  autres  des  villes  de  Lavardin,  Monloire  et  Chàteau- 
(hi-Loir,  qui  n'osèrent  pas  s'exposer  aux  hasards  d'un  assaut  cl  qui  ou- 
vrirent leurs  portes  a  la  première  sommation. 

Le  roi,  se  voyant  alors  un  peu  de  loisir,  (juitta  son  armée  et  se  ren- 
dit en  poste  a  Tours,  où,  n'étant  arrivé  que  la  nuit,  il  lit  son  entrée  aux 
llambeaux.  Toutes  les  fenêtres  étaient  illuminées  et  le  peuple  accourut 
de  toutes  parts  sur  son  passage,  en  poussant  des  cris  de  joie.    Le  len- 


44  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

demain,  il  donna  audience  aux  députés  du  parlement,  et  ce  fut  le  pre- 
mier président  de  Harlay  qui  porta  la  parole  au  nom  de  toute  sa  com- 
pagnie. L'ambassadeur  de  Venise  lut  ensuite  reçu  par  Sa  Majesté,  et  lui 
présenta  les  lettres  de  la  république  par  lesquelles  elle  renouvelait  avec 
le  nouveau  prince  tous  les  anciens  traités  qui  la  liaient  à  la  France. 

Henri,  dont  la  merveilleuse  activité  faisait  tout  le  succès,  ne  s'arrêta 
pas  longtemps  a  Tours.  Quelques  jours  après,  il  marchait  contre  Le  Mans, 
en  se  faisant  précéder  de  Philippe  d'Angennes,  qui  avait  été  jadis  traî- 
treusement chassé  de  cette  ville,  et  qui  venait  de  sortir  de  la  prison  où 
les  Ligueurs  l'avaient  enfermé  à  Paris  avec  le  premier  président  de  Harlay. 
L'ancien  gouverneur  du  Mans  tenait  à  se  venger  des  affronts  qu'il  avait 
reçus.  Dès  en  arrivant  et  de  prime  abord,  il  attaqua  avec  une  telle  furie 
qu'il  emporta  les  faubourgs,  qui  sont  fort  grands,  et  que  les  Ligueurs 
avaient  fortifiés  à  grands  frais  ;  mais,  avant  de  se  retirer  dans  la  ville,  le 
gouverneur  Bois-Dauphin  donna  l'ordre  de  mettre  le  feu,  qui  consuma 
tout  ce  vaste  amas  de  maisons,  à  l'exception  de  l'hôpital  et  de  l'abbaye 
de  la  Couture  qu'on  parvint  a  préserver.  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  IV, 
p.  81  et  suiv.) 

Sur  ces  entrefaites,  le  roi  arriva  avec  le  reste  de  son  armée.  D'après 
ce  que  venait  de  faire  l'ennemi.  Sa  Majesté  s'attendait  a  avoir  a  pour- 
suivre un  siège  long  et  meurtrier;  mais,  contre  toutes  ses  prévisions, 
Le  Mans  demanda  a  capituler  au  bout  de  cinq  jours. 

Le  comte  de  Brissac,  a  la  tête  de  deux  régiments  d'infanterie,  accou- 
rait en  ce  moment  pour  soutenir  la  place  assiégée,  et  il  était  déjà  à  La 
Ferté-Bernard.  Mais,  a  la  nouvelle  de  la  capitulation,  il  retourna  sur  ses 
pas,  et,  étant  tombé  sur  un  quartier  des  reîtres  royalistes,  qui  se  trou- 
vait sur  son  passage,  il  les  mit  en  désordre,  pilla  cinquante  charriots, 
emmena  trois  cents  de  leurs  chevaux,  et  seulement  dix  soldats,  qui 
s'étaient  laissé  prendre,  les  autres  s'étant  sauvés,  en  abandonnant  armes 
et  bagages  ;  après  quoi  il  se  retira  sans  plus  rien  oser  tenter.  (Mézeray, 
ubi  sup.,  p.  740.) 

Conformément  a  l'usage  qu'il  avait  adopté,  le  roi  donna  l'ordre  à 
Biron  d'entrer  dans  la  ville  pour  la  préserver  du  pillage,  et  deux  soldats, 
qui  avaient  été  surpris  volant  un  calice,  furent  immédiatement  pendus 
pour  servir  d'exemple  aux  autres.  C'étaient  pourtant,  disait-on,  deux  des 
plus  braves  de  l'armée  royale.  D'Angennes  fut  remis  en  possession  de 
son  gouvernement,  et  l'évêque  du  Mans,  son  frère,  fut  rétabli  dans  son 
évêché. 

Cependant  le  moment  où  Sa  Majesté  s'était  engagée  a  convoquer  les 
États-Généraux  approchait.  Elle  représenta  que  les  Ligueurs,  en  l'obli- 
geant par  leur  opiniâtreté  a  consacrer  tout  son  temps  à  leur  faire  la 
guerre,  ne  lui  laissaient  pas  le  loisir  de  s'éloigner  de  son  armée,  et  de 
venir  vaquer  aux  affaires  importantes  dont  on  devait  s'occuper  dans  cette 
grande  assemblée.  En  conséquence,  il  en  ajourna  la  réunion  jusqu'au 
quinzième  jour  de  mars  suivant,  «  auquel  temps,  disait-il,  il  espérait 
bien  se  voir  en  liberté  d'apprécier  les  sages   avis  qu'il  attendait  des 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  45 

députés  des  trois  ordres,  et  de  profiter  des  lumières  qu'ils  lui  apporte- 
raient. »  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'en  ce  moment  son  autorité 
n'était  pas  encore  assez  affermie  dans  le  parti  catholique  pour  qu'il  crût 
pouvoir  risquer  de  mécontenter  les  protestants. 

De  plus,  l'argent  lui  manquait  pour  entretenir  ses  troupes;  il  est 
vrai  que  chaque  ville  qu'il  prenait  ou  qui  se  rendait  était  frappée  d'une 
contribution.  Mais  les  deniers  qu'il  se  procurait  ainsi  suffisaient  a  peine 
pour  donner  des  'a-compte  aux  troupes  étrangères  sur  leur  solde;  (|uant 
aux  soldats  français,  ils  ne  recevaient  que  le  pain,  et  ils  n'avaient  guère 
pu  être  retenus  sous  les  drapeaux  que  par  l'espoir  du  butin.  Il  est  vrai 
que  c'était  en  ce  tenq)s-la  a  peu  près  le  seul  motif  qui  décidait  ceux  qui 
n'avaient  rien  de  mieux  à  faire   à  prendre  le  parti  des  armes. 

Pour  les  seigneurs  qui  avaient  embrassé  son  parti,  «  dès  qu'ils 
avaient  dépensé  ce  qu'ils  avaient  apporté  de  chez  eux,  et  ce  qu'ils  avaient 
pu  picorer  dans  leurs  quartiers,  il  les  renvoyait  d'ordinaire  dans  leurs 
manoirs,  pour  qu'ils  pussent  s'y  refaire  et  s'y  procurer  de  quoi  fournir 
aux  frais  d'une  nouvelle  campagne,  les  invitant  par  son  exemple  à  retran- 
cher la  dépense  superflue  des  habits  et  des  équipages,  et  les  traitant, 
outre  cela,  avec  tant  de  civilité  et  d'accortise  qu'ils  emportaient  toujours 
le  désir  de  venir  le  rejoindre  le  plus  tôt  possible.  »  (Pi:ri:fixe,  11"  partie, 
ad  ann.  1589.) 

Mais  cet  étal  de  choses  ne  pouvait  toujours  durer;  les  troupes 
étrangères  surtout  réclamaient  le  complément  de  ce  qui  leur  était  dû, et 
les  soldats  français,  dont  on  réprimait  autant  que  possible  le  goût  pour 
le  pillage,  demandaient  en  retour  une  solde  plus  régulière.  Henri  se  rap- 
pela alors  que  le  duc  de  Nevers  avait  en  dépôt  chez  un  banquier  de 
Francfort  une  somme  de  trente-trois  mille  écus  d'or,  qui  lui  revenait 
'pour  restant  de  sa  légitime  comme  fils  puîné  du  feu  duc  de  Mantoue, 
père  du  duc  actuellement  régnant.  C'était  une  somme  énorme  pour  le 
temps  et  les  circonstances,  et  aucun  seigneur  du  royaume  ne  pouvait  se 
vanter  d'en  avoir  une  pareille  a  sa  disposition.  Le  duc  était  donc  un 
homme  qu'il  fallait  absolument  gagner;  car,  retenu  par  certains  prin- 
cipes religieux,  il  était  un  de  ceux  qui  n'avaient  pas  encore  embrassé  le 
parti  du  roi.  Henri  kii  envoya  de  Thou,  pour  tâcher  d'abord  de  l'attirer 
par  la  promesse  qu'il  aurait  le  commandement  de  l'armée  qu'on  se  pro- 
posait de  faire  marcher  contre  le  duc  de  Savoie,  ancien  rival  de  sa  maison, 
et  ensuite  et  surtout  pour  le  décider  a  prêter  son  argent  au  roi.  (De 
Thou,  itbi  siip.) 

De  Thou,  après  avoir  traversé  heureusement  la  Touraine  et  le  Berry, 
où  les  Ligueurs  faisaient  des  courses  continuelles,  arriva  à  Nevers  pour 
s'acquitter  de  sa  commission,  qu'une  circonstance  toute  particulière 
venait  de  rendre  plus  difficile  encore.  Le  duc  n'avait,  il  est  vrai,  adopté 
aucun  parti  ;  mais  voila  que  se  sentant  fier  de  son  indépendance  et  de 
toute  l'influence  que  ne  pouvait  manquer  de  lui  donner  sa  haute  for- 
tune, il  eut  ridée  qu'au  milieu  de  tous  ces  intérêts  qui  se  débattaient 
autour  de  lui,  il  lui  serait  aussi  facile  que  glorieux  de  jouer  le  rôle  d'ar- 


46  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

l)ître.  Il  avait  donc  écrit  au  légat,  alors  encore  a  Rome,  de  prendre  sa 
route  par  son  duché,  lui  offrant  sa  bonne  et  jolie  ville  de  Nevers  pour 
résidence.  Il  ajoutait  que  lui-même,  n'ayant  encore  embrassé  aucune 
opinion,  et  ne  souhaitant  que  le  bien  de  la  religion  et  la  prospérité  de 
l'État,  était  mieux  que  qui  que  ce  soit  en  position  de  mettre  Son  Excel- 
lence au  fait  des  véritables  intérêts  du  royaume  de  France. 

Cette  lettre  venait  de  partir  quand  de  Thou  arriva  à  Nevers,  et  le 
duc,  qui  venait  d'affirmer  qu'il  n'avait  embrassé  aucun  parti,  se  fit  un 
point  d'honneur  de  continuer  à  paraître  neutre.  Il  ne  voulut  pas  même 
décacheter  la  missive  royale  que  ce  magistrat  lui  apportait. 

Mais  quand  il  eut  appris  que  le  légat  avait  rejeté  ses  offres;  que  ceux 
qui  entouraient  ce  haut  dignitaire  ecclésiastique,  semblant  l'avoir  deviné, 
avaient  fait  entendre  à  Son  Eminence  que  le  duc  de  Nevers  n'obéissait 
qu'à  une  ambition  personnelle,  et  ne  cherchait  qu'à  se  rendre  l'arbitre 
des  affaires  de  l'Etat,  à  l'abri  de  l'autorité  pontificale  dont  il  voulait  se 
servir  comme  d'un  instrument;  quand,  enfin,  il  sut  que  le  légat  venait 
d'arriver  à  Paris,  en  passant  par  Dijon,  il  comprit  que  le  rôle  auquel  il 
aspirait  lui  avait  échappé,  et  il  se  montra  beaucoup  plus  traitable  avec 
l'envoyé  du  roi.  Après  s'être  fait  donner  toutes  les  sûretés  convenables, 
il  consentit  au  prêt  de  la  somme  dont  Sa  Majesté  avait  besoin,  et  il  ac- 
cepta, sans  se  faire  trop  prier,  la  proposition  qui  lui  était  faite  de  com- 
mander les  forces  françaises  contre  la  Savoie.  L'évêque  de  Nevers,  Armand 
Sorbin,  en  prit  occasion  de  le  censurer  en  sa  propre  présence,  dans 
un  sermon  où  le  duc  assistait.  Il  lui  reprocha  d'écouler  trop  facilement 
«  les  courtiers  de  l'hérésie  »  .Mais  l'audacieux  prélat  fut  obligé  de  se 
rétracter  lui-même  publiquement  quelques  jours  après  ;  car  Monseigneur 
le  duc  était  et  savait  être  tout-puissant  dans  ses  domaines.  (Gillet, 
Aim.  de  Nevers  de  1810.) 

Le  roi  était  alors  à  Laval,  l'une  des  principales  et  des  plus  puissantes 
villes  du  Maine.  Il  y  avait  été  reçu  comme  un  triomphateur.  «  Tous  les 
ecclésiastiques,  tant  chanoines  que  religieux,  avec  leurs  ornements  et 
comme  ils  ont  accoutumé  d'aller  aux  processions,  étaient  venus  au- 
devant  de  lui,  bien  loin  sur  la  route.  L'un  d'eux,  dans  un  beau  discours, 
protesta  de  la  fidélité  et  obéissance  inaltérables  de  tous  les  habitants  de 
la  dite  ville;  après  quoi,  ils  accompagnèrent  Sa  Majesté  en  chantant  tou- 
jours vive  le  roi!  en  très-bonne  musique;  cependant  que  le  reste  du 
populaire,  à  la  tête  duquel  étaient  ceux  de  la  justice  et  de  l'administra- 
tion municipale,  poussait  d'incessantes  clameurs  de  joie.  »  {Mém.  de  la 
Ligue,  ubi  siip.,  p.  85.) 

Ce  fut  dans  cette  ville  que  son  cousin,  Henri  de  Bourbon,  prince  de 
Dombes  et  gouverneur  de  la  Bretagne,  vint  le  saluer  à  la  tête  d'un  corps 
brillant,  tout  entier  composé  de  la  noblesse  de  sa  province.  Le  roi, 
après  lui  avoir  fait  un  accueil  distingué,  le  renvoya  dans  son  gouver- 
nement, où,  comme  on  le  verra  bientôt,  la  Ligue  avait  jeté  de  profondes 
racines.  Ce  fut  là  aussi  qu'il  vit  arriver  le  brave  Tavannes,  lequel,  s'étant 
mis  en  route  avec  quelques  cavaliers  seulement,  venait  du  fond  de  la 


DU  PUOTESTANTISME  EN  FRANGE.  47 

Bourgogne  lui  onVir  son  dévouement  et  celui  des  braves  qui,  sons  ses 
ordres,  conihaltaient  depuis  si  longtemps  contre  les  nombreux  et  puis- 
sants partisans  que  les  princes  lorrains  s'étaient  laits  dans  cette  province. 
{Mém..  de  Tavannes,  ad  ann.  J51)0.) 

Sa  Majesté,  après  être  restée  «juebjues  jours  a  Laval,  se  rendit  a 
Mayenne,  dont  la  ville  et  le  château  lui  lurent  livrés  sans  aucune  diffi- 
culté. Puis,  tandis  que  le  maréchal  d'Aumont  allait  en  Champagne,  pour 
y  recevoir  les  secours  qu'on  attendait  des  princes  allemands,  l'armée 
royaliste  se  dirigea  vers  Alençon.  Le  gouverneur  de  celle  place  avait 
bien  résolu  de  la  défendre,  mais  les  habitants,  (jui  n'étaient  pas  de  cet 
avis,  traitèrent  sans  lui  de  la  capitulation,  après  l'avoir  forcé  de  chercher 
un  asile  dans  le  château,  où  lui-même,  dans  la  crainte  de  pire,  et  ne 
voyant  aucun  espoir  de  secours,  capitula  quelques  jours  après.  {Mém. 
de  la  Ligue,  ubi  sup.) 

Dès  son  entrée  dans  la  ville  qui  s'était  rendue  de  si  bonne  grâce, 
«  le  roi  y  donna  un  si  bon  ordre  qu'il  n'y  eut  apparence  qu'elle  eût  été 
assiégée,  et  les  boutiques  lurent  ouvertes  ce  même  jour,  comme  si  l'on 
eût  été  en  pleine  j)aix.  »  {Hist.  des  deni.  troubles,  1.  5,  fol.  Li.) 

D'Alen^on,  l'armée  marcha  vers  Falaise,  en  prenant  sur  sa  roule  la 
ville  d'Argentan,  où  Brissac  avait  fait  entrer  trois  de  ses  compagnies; 
mais  les  habitants  s'étaient  de  leur  côté  emparés  de  la  citadelle  et  la 
livrèrent  au  roi,  à  qui  il  devint,  par  ce  moyen,  facile  de  réduire  la  gar- 
nison ennemie.  {Mém.  de  la  Ligue,  ubi  sup.) 

Falaise,  (ju'on  alla  assiéger  ensuite,  était  une  place  d'une  tout  autre 
importance  par  sa  force  et  sa  population.  Elle  est  bâtie  sur  le  penchant 
d'un  coteau,  dont  le  pied  est  enviroimé  d'un  étang  qui  ne  tarit  jamais, 
et  son  château,  après  celui  de  Caen,  était  réputé  le  plus  fort  de  la  pro- 
vince. C'était  Brissac  qui  gouvernait  dans  la  ville,  au  nom  de  la  Ligue, 
et  c'était,  la  qu'il  avait  mis  en  dépôt  la  i)lus  grande  partie  des  objets  pré- 
cieux (juil  avait  pu  sauver  du  pillage  d'Angers;  aussi  était-il  résolu  de 
faire  une  vigoureuse  résistance.  Il  comptait  dailleurs  sur  un  régiment 
que  devait  lui  amener  le  chevalier  Picard,  un  de  ces  aventuriers  qui 
s'étaient  mis  en  grand  nombre  au  service  de  la  Ligue;  et,  une  fois 
rejoint  par  cette  troupe,  il  se  llattait  d'être  assez  fort,  non  seulement 
pour  résister  au  roi,  mais  encore  pour  reprendre  les  villes  (jue  l'armée 
royale  venait  d'enlever  a  son  parti. 

Il  venait  de  faire  décider  par  les  bourgeois  eux-mêmes,  dévoués 
depuis  longtemps  au  parti  ligueur,  que  pour  faciliter  la  défçnse  de  la 
place,  on  brûlerait  le  faubourg  de  Guibray,où  se  tient  chatpie  année  une 
ibire  célèbre,  et  ses  gens  étaient  déjà  sortis  pour  mettre  ce  plan  a  exé- 
cution, quand  Biron,  a  la  tête  de  Pavant-garde  royaliste,  arriva  à  l'instant 
même.  Les  soldats  de  Brissac  furent  vigoureusement  repoussés  et  ne 
purent  mettre  le  feu  (]u"a  deux  ou  trois  des  maisons  les  plus  ra|)prochées 
de  la  ville. 

Le  roi,  (jui  suivait  de  près,  jugea  a  propos  de  commencer  le  siège 
par  l'attaque  du  château.  C'était  la  même  tacti(jue  (jui  lui  avait  si  bien 


48  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

réussi  a  Vendôme.  Or,  ce  château  élail  commandé  par  un  rocher  tout 
hérissé  de  pointes  et  qui  en  est  séparé  par  une  espèce  de  précipice. 
Ce  fut  sur  ce  rocher  que  Sa  Majesté  lit  dresser  en  hatterie  deux  grosses 
couleuvrines,  et,  par  un  feu  continu,  ces  deux  pièces  commencèrent  a 
incommoder  grandement  les  assiégés  qu'elles  prenaient  a  découvert.  Un 
peu  au-dessous,  les  royalistes  dressèrent  deux  autres  batteries  qui  fou- 
droyaient en  plein  les  murs  du  château  de  ce  côté-la.  Brissac  fut  alors 
sommé  de  se  rendre  ;  mais  il  répondit  qu'en  sûreté  de  conscience  il  ne 
le  pouvait  pas,  attendu  qu'il  avait  juré  sur  le  Saint-Sacrement  de  ne 
jamais  consentir  a  aucune  capitulation.  «  Qu'on  revienne  dans  six  mois, 
ajouta-t-il,  et  je  pourrai  alors  donner  une  plus  ample  réponse.  —  Nous 
verrons,  répondit  le  roi,  piqué  de  cette  forfanterie,  si  ces  six  mois-la 
dureront  plus  de  six  jours.  J'espère  bien,  moi,  qu'il  ne  me  faudra  pas 
plus  de  temps  pour  dégager  Monsieur  de  Brissac  de  son  serment.  Seule- 
ment il  payera  les  frais.  »  {Mém.  de  la  Ligue,  uhi  sup.) 

En  effet,  les  batteries  qu'il  avait  fait  dresser  dans  des  positions  admi- 
rablement choisies  abattirent  tout  le  haut  de  l'une  des  tours  qui  cou- 
vraient le  mur  du  château,  et  l'autre  tour  fut  percée,  par  le  pied,  d'un 
trou  assez  grand  pour  y  faire  passer  un  homme.  Le  roi,  sans  attendre 
que  celte  brèche  fût  élargie,  ordonna  'a  quelques  braves  de  se  glisser 
par  cet  étroit  passage.  Les  premiers  s'avancèrent  résolument  et  sans 
avoir  été  aperçus  au  milieu  de  la  fumée  ;  un  grand  nombre  d'autres  les 
suivirent,  et,  en  se  tirant  et  se  soutenant  les  uns  les  autres  par  la  main 
et  avec  le  manche  de  leurs  hallebardes,  ils  s'introduisirent  dans  la  tour. 

La  trouvant  sans  défense,  car  on  ne  s'attendait  pas  a  une  entreprise 
aussi  brusque  et  aussi  téméraire,  ils  gagnèrent  l'étage  d'en  haut,  où  ils 
ne  rencontrèrent  également  personne.  De  la,  ils  pénétrèrent  silencieuse- 
ment dans  le  château,  en  suivant  les  passages  les  moins  en  vue  et  en 
évitant  avec  soin  les  endroits  où  se  tenaient  les  postes  ennemis.  Ils  par- 
vinrent ainsi,  sans  avoir  été  découverts,  jusqu'à  la  porte  qui,  de  cette 
citadelle,  donne  dans  la  ville;  ils  l'enfoncèrent  après  avoir  surpris  le 
poste,  et,  se  répandant  ensuite  dans  les  rues,  ils  s'en  rendirent  maîtres 
en  peu  de  temps  a  la  faveur  de  la  surprise  que  causa  leur  apparition  si 
peu  attendue. 

Le  grave  Mézeray  nous  a  conservé  l'histoire  touchante  de  deux  amants, 
habitants  de  cette  malheureuse  ville,  et  qui  périrent  victimes  d'une 
querelle  dans  laquelle  se  débattaient  des  intérêts  dont  ils  avaient  peu  à 
s'occuper.  Un  riche  marchand  de  Falaise,  nommé  La  Chesnaie,  devait  se 
marier  avec  une  jeune  fille  de  son  voisinage.  Au  bruit  qui  se  fit,  quand 
les  soldats  du  roi,  après  avoir  forcé  la  porte  du  château,  pénétrèrent  dans 
la  ville,  La  Chesnaie  accourut  en  armes,  l'un  des  premiers,  pour  les 
repousser,  et  il  fut  tué  d'un  coup  de  mousquet.  Sa  fiancée  se  jeta  sur 
le  cadavre  qu'elle  embrassa  avec  désespoir  ;  puis,  se  saisissant  de  l'épée 
de  son  amant,  et  sans  vouloir  accepter  aucun  quartier,  elle  se  rua  au 
plus  épais  du  bataillon  royaliste,  frappant  sans  ménagement  tout  ce  qui 
se  présentait  devant  elle,  jusqu"a  ce  que,  se  sentant  blessée  à  mort  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  49 

plusieurs  coups,  elle  revint  auprès  du  corps  de  son  amant  mêler  son 
sang  avec  le  sien  et  rendre  le  dernier  soupir  sur  sa  bouche.  (Mézeray, 
l.  lil,  p.  750.) 

i^cndant  ce  temps-là,  les  batteries  du  roi  continuaient  de  tirer  sans 
relâche  contre  la  garnison  du  château  qui,  distraite  par  ce  feu  continuel, 
ne  s'était  encore  aperçue  de  rien  ;  mais  le  bruit  qui  s'élevait  dans  la 
ville,  qu'on  commençait  a  piller,  Ht  enfin  connaître  à  Brissac  ce  qui 
venait  de  se  passer  et  tout  le  danger  de  sa  position.  Il  perdit  alors  toute 
son  assurance  et  demanda  humblement  'a  capituler.  «  Il  est  trop  tard, 
répondit  le  roi  :  vous  n'avez  plus  d'autre  ca|)itulation  'a  attendre  que  de 
vous  rendre  'a  discrétion.  » 

«  Pourtant  il  obtint  de  la  clémence  de  Sa  Majesté,  que  lui  et  (juinze 
de  ses  principaux  ol'liciers  auraient  la  vie  sauve  et  resteraient  seulement 
prisonniers.  A  cette  condition,  Brissac  abandonna  tous  les  autres  a  la 
discrétion  du  vainqueur.  Heureusement  Henri  n'était  pas  sanguinaire,  il 
n'en  lit  mourir  que  très-peu,  et  encore  la  plupart  de  ceux  qui  furent 
suppliciés  l'avaienl-ils  mérité  par  d'autres  crimes.  »  {Mém.  de  la  Ligue, 
ubi  Slip.) 

Après  cet  exploit,  l'armée  se  porta  vers  Lisieux,  qui  se  rendit  à  l'ap- 
proche du  canon.  Pont-Audemer,  Pont-l'Évêijue  et  Bayeux  suivirent  cet 
exemple.  Il  ne  restait  plus  aux  royalistes,  pour  être  maîtres  de  toute  cette 
partie  du  littoral  qui  est  en  deçà  de  la  Seine,  que  de  se  mettre  en  pos- 
session de  Honlleur.  Celte  ville  est  dans  une  position  qui  en  rendait  la 
prise  dilïicile,  et  le  roi  se  vit  obligé  d'en  faire  le  siège  dans  les  règles. 
On  commença  donc  'a  ouvrir  la  tranchée  qu'on  parvint  à  pousser  jusque 
sur  le  bord  du  fossé;  mais  on  n'en  était  pas  beaucoup  plus  avancé,  parce 
(iu"a  chaque  instant  de  nouveaux  secours  arrivaient  aux  assiégés  par 
mer,  du  Havre  et  du  pays  de  Caux,  qui  est  de  l'autre  côté  du  fleuve. 

On  imagina  alors  de  faire  couler  'a  fond  un  grand  vaisseau  à  l'entrée 
du  port,  qu'il  barra  tout  entier;  et  par  ce  moyen,  on  interrompit  toutes 
les  communications  de  la  ville  avec  les  dehors.  Aussi,  se  voyant  réduits 
à  leurs  seules  forces  contre  une  armée  accoutumée  à  vaincre,  les  habi- 
tants demandèrent  bientôt  a  traiter,  et  on  convint  d'une  trêve  pour  discuter 
les  conditions  de  la  capitulation. 

Il  arriva  que  pendant  celte  trêve,  un'certain  capitaine,  nommé  Belle- 
fontaine,  (jui  ressemblait  beaucoup  au  roi  et  qui  alléctait  de  s'habiller 
comme  lui,  alla  avec  quelques  amis  se  promener  sans  méllance  à  la 
portée  du  feu  de  la  place.  Un  coup  d'arquebuse,  parti  des  murailles, 
rétendit  roide  mort,  et  l'on  entendit  de  grands  cris  de  joie  dans  toute  la 
ville,  où  l'on  ne  doutait  i)as  que  le  roi  venait  d'être  tué.  Le  conseil 
de  Sa  Majesté  voulait  que,  pour  punir  un  semblable  attentat  commis 
en  pleine  trêve,  on  rompit  toute  négociation  et  qu'on  livrât  Hontleur 
au  pillage;  mais  Henri,  (pii  tenait  'a  se  voir  promptement  maître  de  cette 
ville  et  qui  ne  voulait  pas  perdre  un  temps  précieux,  accorda  la  capi- 
tulation. 


lY. 


5P  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 


CHAPITRE  III 


1590.  —  ARGUMENT  :  intrigues  de  Philippe.  —  l'archevêque  de  lyon. 

MAYENNE   EN    CAMPAGNE.  —   IL   REPREND   VINCENNES   ET   PONTOISE. 

IL    ASSIÈGE    MEULAN.    —    L'aPPROCHE    DU     ROI    FAIT    LEVER    LE    SIÈGE. 

LE   ROI   PREND   PACY.    —   IL    iMARCHE   VERS   DREUX. 

LES   ALLEMANDS   ENVOYÉS   AU    SECOURS   DU    ROI,    MIS   EN    DÉROUTE   PAR   LE   DUC 

DE   LORRAINE.    —    LE   LÉGAT   AU   PARLEMENT   DE    PARIS. 

ARRÊT   DU   PARLEMENT  DE   TOULOUSE  CONTRE   LE   LÉGAT.  —  DÉCRET  DE   LA    SORBONNE. 

LETTRES   DU   LÉGAT   CONTRE   HENRI   IV.    —   PROCESSION   ET   SERMENT. 

DÉCLARATION   DU   ROI   D'ESPAGNE.    —    SIÈGE   DE   LUEUX. 

ARRIVÉE    DES   TROUPES   FLAMANDES   AU    SECOURS   DE   MAYENNE. 

LE   MARÉCHAL   DE    SCHOMBERG.    —   LA   VEUVE  LECLERC.    —   BATAILLE  d'iVRY. 

LETTRES   DE   MAYENNE   AU    ROI    D'ESPAGNE   ET  AU   PAPE.    —   POLITIQUE  DE    SIXTE   V. 


Mayenne  n'avait  pas  peu  a  faire  a  se  démêler  des  menées  de  la  poli- 
tique espagnole  ;  car  Philippe  avait  trop  d'opiniâtreté  pour  abandonner  un 
projet  qu'il  avait  une  ibis  jugé  utile  à  ses  vues  ambitieuses.  C'étaient, 
chaque  jour,  dans  les  conseils  de  la  Ligue,  des  discussions  ora- 
geuses où  les  principaux  d'entre  les  Seize,  vendus  a  ce  monarque, récla- 
maient en  faveur  de  ce  soi-disant  allié  de  la  France,  et  reprochaient 
aigrement  au  duc  de  s'opposer  par  une  folle  ambition  a  ce  que  tout  le 
parti  catholique  demandait  pour  le  bien  de  la  foi.  L'ambassadeur  Mendoce 
voyait  cela  avec  grande  joie  et  s'appliquait  encore  plus  a  flatter  ces  gens- 
La.  Il  commença  même  à  chercher  a  leur  faire  comprendre  que  Mayenne 
n'avait,  après  tout,  d'autre  autorité  que  celle  qu'ils  voulaient  bien  lui 
reconnaître,  et  que  rien  ne  les  empêchait  de  faire  leurs  affaires  sans  lui. 
(Matthieu,  Règne  de  Henri  iF,  liv.  1,  p.  19.  —  Mém.  de  Villeroy,  ad 
ann.  1590.) 

Mais  tout  à  coup,  il  vint  au  lieutenant  général  de  France,  presque 
malgré  lui,  un  secours  inespéré  contre  ces  brouillons.  L'archevêque  de 
Lyon,  qui  avait  longtemps  partagé  la  prison  du  cardinal  de  Bourbon, 
obtint  en  ce  temps-Ia  de  traiter  de  sa  rançon,  et  comme  on  lui  dit  que 
le  duc  de  Mayenne  la  trouvait  excessive,  il  lui  écrivit  qu'il  croyait  valoir 
beaucoup  plus  pour  son  service  que  la  somme  qu'on  lui  demandait,  et 
en  effet,  il  ne  fut  pas  plus  tôl  arrivé  à  Paris  que,  par  son  énergie,  il 
fortifia  et  autorisa  grandement  ceux  qui  contredisaient  encore  aux 
Espagnols,  jusque-la  qu'un  jour,  lUissy-Leclerc  ayant  parlé  avec  beau- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  51 

cou|)  (l'audace  el  (rimpuilencc  des  prélentions   du  roi  Philippe,  rarche- 
vèque  peu  endurant  lui  sauta  au  collel.  (Mattiiiku,  iibi  sup.) 

Le  duc  de  Mayenne,  dont  la  mollesse  habituelle  avait  besoin  dun 
pareil  appui,  le  nomma  son  garde  des  sceaux. 

Mais  il  avait  bien  d'autres  iufjuiétudes  encore  :  il  se  voyait  avec  une 
armée  mutine  et  exigeante,  et  il  manquait  d'argent  pour  la  payer.  Le 
peuple  murmurait  assez  haut  d'avoir  a  nourrir  tous  ces  gens  d'armes, 
qui  lui  consumaient  ses  vivres,  au  lieu  de  lui  en  ap[)orter  ;  et  Ton  com- 
mençait à  s'en  prendre  'a  l'indolence  du  lieutenant  général,  qui,  après 
avoir  laissé  piller  les  faubourgs  de  Paris  sans  avoir  osé  prendre  aucunes 
représailles,  n'osait  pas  même  encore  sortir  en  campagne,  (juoique  l'en- 
nemi lût  maintenant  a  plus  de  soixante  lieues  de  la.  N'était-ce  pas  le 
moment  de  déboucher  au  moins  les  passages  et  de  rétablir  les  commu- 
nications qu'il  avait  laissé  intercepter?»  (Mkzerav,  t.  III,  p.  749  et  suiv.) 

Mayenne  sentait  qu'il  n'avait  rien  a  répondre  à  ces  raisons,  et  le 
légat  du  Pape,  lui  ayant  promis  cinquante  mille  écus  au  premier  siège 
qu'il  ferait,  il  sortit  enfin  de  Paris  le  vingt-deuxième  jour  de  novembre. 
Le  fort  (le  \'iacennes,  qu'il  tenait  assiégé  depuis  longtemps,  se  rendit  'a 
composition.  iJeaumont-sur-Oise,  Creil,  Dammarlin  et  Nanteuil,  ne  ten- 
tèrent pas  même  de  résister,  n'en  ayant  aucun  moyen,  et  dès  les  pre- 
miers jours  de  l'année  1590, il  vint  mettre  le  siège  devant  Pontoise.  Cette 
place,  qui  était  assez  forte,  se  rendit  avec  une  telle  facilité,  qu'on  soup- 
çonna l'ollicier  qui  y  commandait  de  s'être  entendu  avec  l'ennemi  et 
d'avoir  vendu  la  ville. 

Le  duc  marcha  de  là  contre  Meulan,  résolu  de  s'en  emparer  à  tout 
prix.  C'est  une  petite  ville  située  sur  la  rive  droite  de  la  Seine,  et  qui 
ne  manque  pas  d'une  certaine  importance  a  cause  de  sa  position.  Mais  il 
y  avait  l'a  un  gouverneur,  homme  de  bien  et  d'action.  C'était  IJaringueville, 
a  qui  le  roi  en  avait  confié  la  garde  après  l'avoir  tout  dernièrement  re- 
conquise. Cet  oflicier,  brave  et  dévoué,  résolut  de  se  défendre  jusqu'à  la 
dernière  extrémité,  quoique  le  poste  ne  fût  guère  tenable.  La  ville,  en 
ellet,  est  commandée  par  une  montagne  où  il  y  avait  autrefois  un  châ- 
teau, mais  qui  était  déjà  démoli  depuis  longtemps.  Un  pont  de  commu- 
nication la  joint  à  une  île  de  six  arpents  détendue,  oij  se  voyait  un  fort 
llanqué  de  (jualre  tours;  de  là,  on  passe  la  Seine  sur  un  autre  pont  dont 
la  tête,  sur  le  rivage  opposé,  était  détendue  par  une  grosse  tour  nommée 
la  Sangle. 

Le  premier  Soin  du  commandant  royaliste,  avait  été  de  faire  soutenir 
par  des  terrassements  les  murs  en  assez  mauvais  état  de  la  pauvre  petite 
ville.  Il  lit  élever  quelques  cavaliers  dans  les  endroits  où  il  jugea  en 
avoir  besoin,  et  tira  à  la  tête  du  petit  pont  deux  retranchements  qu'on 
fortifia  avec  de  la  terre.  Le  maréchal  d'Aumont  lui  avait  laissé  cinq  com- 
pagnies de  sou  régiment;  il  en  détacha  une  pour  aller  se  saisir  du  pont 
de  Poissy,  afin  de  fermer  ce  passage  à  l'ennemi. 

Sully,  que  le  roi  avait  laissé  dans  ces  contrées  pour  surveiller  les 
Ligueurs,  se  tenait  alors  dans  la  petite  ville  de  Pacy,  qu'il  s'était  chargé 


52  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

(le  défendre,  et  qui,  située  a  quelques  lieues  a  Touest  de  Rosny,  touchait 
par  conséquent  a  ses  propres  domaines.  Il  songea  d'abord  a  faire  passer  a 
Meulan  une  bonne  provision  de  poudre,  et  pour  cela  «  il  se  servit  d'une 
jolie  invention.  »  Ce  furent  des  hommes  qui,  malgré  la  riguenr  de  la 
saison  se  mirent  a  la  nage  pour  !a  porter  dans  la  ville  assiégée.  Ensuite 
il  écrivit  au  roi  de  venir  en  toute  hâte  pour  empêcher  la  prise  de  celte 
place.  Il  lui  représentait  que  sa  possession  était  de  la  dernière  impor- 
tance pour  terminer  promptement  celle  guerre,  parce  que  de  Ta  on  pou- 
vait aisément  intercepter  la  plus  grande  partie  des  convois  dirigés  vers 
la  capitale,  et  forcer  par  ce  moyen  les  Parisiens  à  demander  la  paix. 
[Économies  royales,  ch.  xxix.  —  Matthieu,  t.  II,  p.  22.  —  Davila,  t.  III, 
liv.  11,  p.  25.) 

Cette  lettre  trouva  Henri  de  Bourbon  occupé  du  siège  de  Honfleur,  et 
ce  prince  répondit  incontinent  :  «  Monsieur  de  Rosny,  par  votre  impor- 
tunité  je  m'achemine  au  secours  de  Meulan  ;  mais  s'il  m'en  arrive  incon- 
vénient, je  vous  le  reprocherai  à  jamais.  »  [Economies  royales,  iihi  sup., 
chap.  XXIX.) 

Il  partit  en  effet  avec  quelque  cavalerie,  laissant  toute  son  infanterie 
vers  Honfleur,  et  il  arriva  jusqu'à  Ivry  ;  mais  la,  il  apprit  que  les  ennemis, 
avertis  de  son  approche,  venaient  de  faire  partir  un  gros  de  troupes  pour 
l'enlever,  et  il  lut  obligé  de  se  retirer  à  Verneuil.  Il  se  mit  en  une  mer- 
veilleuse colère  contre  Sully,  qui  lui  valait  cet  affront,  a  ce  qu'il  préten- 
dait. «  Je  vois  bien,  lui  dit-il,  que  c'est  pour  sauver  votre  maison  que 
vous  ne  vous  êtes  point  soucié  de  hasarder  ma  vie.  —  Sire,  répondit 
Sully,  je  ne  vous  avais  point  écrit  de  venir  sans  votre  armée,  et  si  vous 
l'aviez  touie  amenée,  comme  je  m'y  attendais,  le  siège  serait  déj'a  levé.  » 
Le    roi    envoya  l'ordre  a    toutes    ses    troupes    de   le  rejoindre    sans 

délai. 

Mayenne  cependant  avait  fait  dresser  ses  batteries  contre  Meulan  ;  mais 
le  brave  commandant  fit  une  sortie  avec  tant  de  succès,  qu'il  se  vit  pen- 
dant quelque  temps  maître  du  canon  de  ses  ennemis,  et  qu'il  aurait  même 
pu  l'emmener  si  les  portes  de  sa  ville  n'eussent  pas  été  murées. 
Aussi,  dès  le  lendemain,  les  Ligueurs  changèrent  leur  plan  d'attaque  et 
allèrent  placer  leurs  pièces  sur  la  hauteur  qui  avait  servi  d'emplace- 
ment au  vieux  château.  Ils  commencèrent  de  là  à  foudroyer  le  mur,  qui 
était  très-faible  en  cet  endroit,  et  bientôt  il  y  eut  une  brèche  d'une  qua- 
rantaine de  pas. 

Barangueville  s'attendait  à  un  assaut,  car  la  brèche  était  plus  que 
praticable,  et  il  n'y  avait  guère  d'apparence  qu'il  pût  tenir  longtemps 
contre  toute  une  armée;  il  résolut  donc  d'abandonner  la  ville  et  de  se 
contenter  d'en  retirer  ses  gens  sans  perte.  Pour  cela  il  imagina  de  faire 
venir  quelques  troupes  de  celles  qui  étaient  dans  l'île  et  de  les  faire 
passer  sur  le  pont  à  la  vue  des  assiégeants,  qui  se  préparaient  déjà  à 
l'attaque.  Ceux-ci  crurent  que  c'était  un  secours  qui  arrivait  de  l'autre 
rive  aux  assiégés  et  s'arrêtèrent  tout  court.  Pendant  ce  temps,  le  gou- 
verneur eut  le  temps  de  faire  rentrer  tout  son  monde  dans  l'île,  et  les 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  53 

ennemis,  tout  étonnés,  (Vanchircnt  la  hrèclie,  sans  rencontrer  de  résis- 
tance. Ils  se  répandirent  aussitôt  dans  les  ép;lises,  oii  les  liahitanls 
s'étaient  réfugiés  avec  leurs  femmes  cl  leurs  enfants,  et  se  livrèrent  sur 
ces  malheureux  sans  défense  à  toutes  les  horreurs  du  pillage. 

Ils  s'avancèrent  ensuite  pour  s'emparer  du  petit  pont,  et  commen- 
cèrent a  se  harricader  avec  des  tonneaux  pleins  de  terre,  pour  pouvoir 
faire  leur  approche  a  couvert;  mais  Barangueville  fit  une  sortie  et  ren- 
versa avec  des  crocs  dont  il  avait  armé  ses  gens  la  plus  grande  partie  de 
ce  retranchement. 

Ensuite,  comme  les  assiégés  étaient  décidés  'a  tenir  ferme  jusqu'au 
bout,  on  songea  qu'il  devenait  im|)ortant  de  ménager  les  provisions  dont 
on  pouvait  disposer;  une  commission  de  bourgeois  fut  nommée  pour  dis- 
tribuer a  chacun  la  ration  de  pain  et  do  vin  qui  lui  était  assignée.  Le 
froid,  pour  comble  d'embarras,  venait  de  faire  prendre  la  rivière  au- 
dessus  et  au-dessous  du  pont,  et  se  chargeait  ainsi  d'ouvrir  un  chemin  à 
l'ennemi  ;  mais  le  commandant  ordonna  de  rompre  la  glace  a  coups  de 
hache. 

Quelque  pressés  que  fussent  les  assiégés,  jusque-la  tout  leur  avait 
réussi.  Un  nouveau  succès  vint  encore  augmenter  leur  courage.  Deux 
braves,  malgré  l'intensité  du  froid,  profilèrent  d'une  nuit  fort  noire  pour 
descendre  dans  la  rivière  ;  ils  allèrent  à  la  nage  couper  les  amarres  des 
bateaux  que  le  duc  de  Nemours  venait  d'amener  avec  grand'peine  pour 
faire  passer  les  troupes  de  la  Ligue;  ils  trouèrent  ensuite  ces  bateaux 
avec  des  tarrières  dont  ils  s'étaient  munis,  et  les  firent  couler  'a  fond. 

Mayenne  alors,  s'ennuyant  de  se  voir  si  longtemps  arrêté  devant  ce 
pont  infranchissable,  envoya  le  colonel  Jauge,  avec  mille  fantassins, 
passer  la  Seine  'a  Mantes,  avec  ordre  de  se  rendre  de  là  au  village  de 
Mureaux  et  de  se  saisir  de  la  tour  de  la  Sangle.  Le  colonel  parvint  en 
effet  'a  exécuter  cet  ordre  avant  que  ceux  de  l'Ile  se  fussent  aperçus  de 
rien.  Mais  IJarangueville  survint  tout  a  coup  a  la  tête  de  quatre-vingts 
arquebusiers  et  de  trente  cuirassiers,  et,  avant  que  l'ennemi  eût  eu  le 
temps  de  s'établir,  il  fit  une  charge  si  heureuse  que,  sans  avoir  perdu 
un  seul  homme,  il  culbuta  les  Ligueurs,  renversa  les  retranchements 
qu'ils  commenc^aient  'a  élever,  et  les  força  d'aller  se  renfermer  bien  loin 
dans  l'église  du  village. 

En  ce  moment,  un  intrépide  soldat  de  l'armée  de  Henri  traversait 
aussi  la  Seine  à  la  nage,  pour  apporter  au  gouverneur  des  lettres  du 
roi,  par  lesquelles  Sa  Majesté  lui  donnait  avis  de  sa  prochaine  arrivée. 

Mayenne  venait  de  son  côté  d'envoyer  un  nouveau  détachement  pour 
soutenir  le  colonel  Jauge.  C'était  le  sieur  de  Rosne  qui  commandait  cette 
nouvelle  troupe,  et,  aussitôt  son  arrivée,  l'attaque  recommença  du  côté 
de  la  tour  de  la  Sangle.  Les  Ligueurs  tirèrent  plus  de  cinq  cents  coups 
de  canon,  qui  ouvrirent  une  large  brèche  par  où  ils  tentèrent  immédia- 
tement de  monter  ii  l'assaut.  Mais  Barangueville,  qui  avait  fait  élever  à 
la  hâte  un  retranchement  par  derrière,  les  reçut  avec  un  feu  si  bien 
nourri,  que  la  plupart  des  assaillants  restèrent  sur  la  place.  De  Uosne 


54  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

fui  obligé  de  demander  une  trêve  pour  retirer  ses  morts  et  ses  blessés, 
dont  les  corps  remplissaient  toute  retendue  de  la  brèche. 

Sur  ces  entrefaites,  il  eut  nouvelle  de  l'approche  du  roi,  qui  allait 
bientôt  le  placer  entre  deux  feux.  Ne  jugeant  pas  prudent  de  rester 
exposé  à  un  pareil  danger,  il  fit,  dès  la  nuit  suivante,  retirer  son  artil- 
lerie, et  lui-même,  avec  son  corps  d'armée,  alla  repasser  la  rivière  a 
Triel  sur  des  bateaux  qu'on  avait  eu  soin  de  lui  tenir  prêts  d'avance. 

Ce  fut  le  treizième  jour  de  janvier  que  l'armée  royaliste  parut  'a  la 
vue  de  Meulan.  Henri  trouva  cette  rive  de  la  Seine  toute  vide  de  ses 
ennemis,  qui  n'avaient  osé  l'attendre.  Il  fit  son  entrée  par  la  porte  de 
la  Sangle,  et,  après  avoir  donné  de  grands  éloges  à  la  valeur  des  assié- 
gés, il  voulut  monter  au  clocher  de  Saint-Nicaise,  pour  observer  de  lîi  la 
position  de  l'armée  ennemie,  qui  était  de  l'autre  côté  de  la  rivière.  Au 
iiiême  instant  un  boulet  de  canon  lui  passa  entre  les  jambes;  car  les 
assiégeants  venaient  de  pointer  précisément  une  batterie  contre  ce 
clocher,  et  les  degrés  en  furent  ruinés  par  une  suite  de  volées  avant  que 
le  roi  eût  eu  le  temps  d'en  descendre,  de  sorte  que  lui-même  et  ceux 
qui  l'accompagnaient  furent  obligés  de  se  laisser  glisser  par  une  corde. 
(Matthieu,  iihi  sup.,  p.  24.) 

11  laissa  dans  la  ville  trois  cents  Suisses  et  deux  cents  arquebusiers 
français,  et  il  s'en  revint  'a  son  camp  dans  l'espoir  de  pouvoir  bientôt  se 
mesurer  en  rase  campagne  avec  son  rival.  En  effet,  on  aurait  pu  croire 
que  le  duc  était  décidé,  cette  fois,  'a  attendre  la  présence  de  Sa  Majesté. 
Il  avait  fait  transporter  toute  son  artillerie  sur  le  coteau  et  a  l'église  qui 
se  trouve  au  pied;  il  s'était  fortifié  par  de  bons  retranchements,  et  il 
continuait  de  faire  tirer  sur  le  petit  pont  et  sur  File,  comme  s'il  se  fût 
fait  une  gloire  d'emporter  ce  poste  sous  les  yeux  mêmes  du  roi.  11  eut 
bientôt  démoli  la  tour  qui  protégeait  la  tête  du  pont  et  dont  les  murs 
étaient  vieux  et  chancelants,  et  il  donna  l'ordre  de  marcher  a  l'assaut; 
mais  il  trouva,  par  derrière,  Barangueville  'a  la  tête  de  ses  braves,  qui 
s'étaient  rangés  près  des  arches  du  pont  et  lui  firent  face  avec  leur 
intrépidité  accoutumée.  Le  roi  accourut  pendant  ce  temps-la,  et,  ayant 
fait  mettre  son  canon  en  batterie  près  la  porte  de  la  Sangle,  il  força 
bientôt  l'ennemi  a  faire  retraite.  (Davila,  iibi  sup.,  p.  22.) 

Une  nouvelle  qui  venait  d'arriver  au  camp  de  la  Ligue  força  enfin 
Mayenne 'a  sortir  de  ses  retranchements.  On  vint  lui  dire  que  ceux  qui 
tenaient  dans  Rouen  pour  le  parti  du  roi  venaient  de  se  saisir  du  vieux 
château,  et  cortime  il  appréhendait  les  suites  que  [)0uvait  avoir  un  pareil 
coup  de  main,  il  se  mit  en  marche  avec  son  armée  vers  ce  côté-la.  Le 
roi,  qui  avait  reçu  le  même  avis,  prit  incontinent  la  même  direction  en 
suivant  l'autre  rive  du  fleuve  pour  soutenir  les  siens,  et  principalement 
attiré  par  l'espoir  d'avoir  affaire  aux  Ligueurs  en  champ  découvert.  Mais 
tous  les  deux  apprirent  en  route  qu'il  était  inutile  d'aller  plus  loin;  que  le 
vieux  château  était  repris  par  les  bourgeois,  et  (jue  les  conjurés 
royalistes  (|ui  venaient  de  faire  ce  coup  avaient  été  pendus.  Mayenne 
revint  a  son  camp  de  Meulan,  dont  il  augmenta  les  fortifications  de  telle 


DU  PROTESTAiNTISME  EN  FRANGE.  55 

sorte  qiril  n'y  avait  <rapparencc  de  l'y  altarpier  avec  succès,  ni  de  l'en 
lairo  sortir  autrement  (juc  de  son  bon  u^r 6.  [Cwp.j^Chron.  novciin.,\\\.'2, 
ad  ann.  l')90.  —  Mkzkuay,  t.  III,  p.  750  et  suiv.) 

Ce  que  voyant  Sa  Majesté,  elle  vint  assaillir  Poissy,  qui  est  'a  trois 
lieues  sur  la  rivière.  D'abord  Henri  emporta  la  ville  par  escalade,  malgré 
deux  régiments  d'infanterie  que  le  duc  y  avait  mis  ;  puis,  poursuivant 
ces  soldats  (pii,  après  la  i)remière  furie  des  assaillants,  s'étaient  retirés 
dans  un  petit  fort,  sur  le  milieu  du  pont,  il  en  fit  battre  tout  aussitôt  les 
murailles  avec  cinq  grosses  pièces  de  canon,  tellement  que  le  duc,  averti 
par  le  bruit  de  cette  artillerie,  fut  contraint  d'y  venir  avec  toutes  ses 
forces.  11  lit  dresser  une  contre-batterie  à  l'extrémité  du  pont  qui  était 
de  son  côté;  ce  qui  n'empècba  pas  les  royalistes  de  donner  l'assaut  au 
fort  et  de  le  prendre  sous  les  yeux  mêmes  de  celui  qui  était  venu  pour  le 
secourir.  Mayenne,  tout  effrayé  de  cette  impétuosité,  ne  trouva  rien  de 
mieux  a  faire  que  de  rompre  deux  arches  du  pont,  pour  en  interdire  le 
passage  à  l'ennemi,  et  de  retourner  de  nouveau  dans  son  camp  fortifié. 
Pour  le  roi,  désespérant  de  l'attirer  hors  de  cette  position,  il  prit  son 
chemin  vers  Dreux,  dont  il  avait  résolu  de  s'emparer,  afin  de  boucher 
aux  Ligueurs  l'entrée  de  la  Normandie,  et  pour  interrompre  aussi  les 
communications  de  la  capitale  avec  la  Beauce  et  avec  Chartres. 

Mais  il  reçut  en  ce  lemps-Pa  d'assez  tristes  nouvelles  de  l'Allemagne, 
où  il  avait  envoyé  Sancy  pour  obtenir  des  secours  des  princes  protes- 
tants et  pour  faire  quelques  nouvelles  levées  de  reîtres  et  de  lansque- 
nets. Ce  ne  fut  (pi'après  de  grandes  difficultés  que  cet  envoyé  du  roi 
put  parvenir  a  obtenir  quehjuc  succès  dans  sa  double  négociation,  car  il 
n'apportait  pas  d'argent.  Enfin  l'électeur  de  Hesse  lui  procura  un  peu 
d'argent;  le  i)rince  Casimir  permit  qu'on  levât  quehjues  régiments,  et 
ces  troupes,  qui  n'arrivaient  que  lentement  au  lieu  du  rendez-vous,  parce 
qu'on  ne  pouvait  au  plus  leur  donner  que  de  rares  h-compte  sur  leur 
engagement,  se  réunirent  enfin  tant  bien  que  mal  à  Strasbourg.  (Di-Tiior, 
t.  X,  p.  t)t2.) 

Le  duc  de  Lorraine,  ayant  eu  avis  du  désordre  qui  régnait  parmi  ces 
nouvelles  levées,  résolut  de  les  tailler  en  pièces  avant  (|u'elles  fussent 
tout  a  fait  réunies.  Avec  deux  mille  chevaux  et  quatre  mille  hommes 
d'infanterie,  tous  en  bon  ordre,  il  passa  la  rivière  d'Ille  et  vint  attaquer 
brusquement  cette  troupe  désordonnée  dans  l'espèce  de  camp  (ju'elle 
avait  établi  alîotzen.  Il  n'y  eut  pas  même  de  combat  :  trois  conij)agnies 
se  rendirent  'a  l'instant,  et  le  reste  chercha  son  salut  dans  la  fuite. 

Sancy  eut  pourtant  le  bonheur  de  rallier  quelques-uns  de  ces  fuyards. 
Il  leur  persuada  de  laisser  la  tout  l'attirail  de  leurs  charriots  et  de  leurs 
bagages,  (jui  ne  servaient  cpi'a  embarrasser  leur  marche,  et  de  se  retirer 
du  côté  de  liâle,  d'où  il  leur  serait  facile  ensuite  de  prendre  la  route  de 
Langres,  en  traversant  le  comté  de  Montbéliard  et  la  l'ranche-Comté, 
et  la  il  leur  assurait  qu'ils  trouveraient  le  maréchal  d'Aumont,  lequel 
avait  ordre  du  roi  de  les  attendre  avec  un  détachement  de  l'armée 
française. 


56  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Ce  plan  fut  suivi  avec  plus  de  persévérance  qu'on  n'était  en  droit  de 
l'attendre  de  troupes  battues  et  découragées.  Elles  traversèrent  brave- 
ment a  la  nage,  et  en  se  tenant  'a  la  queue  des  chevaux,  les  rivières  et 
les  ruisseaux,  dont  le  débordement  en  cette  saison  avait  inondé  les  cam- 
pagnes, et  elles  arrivèrent  enfin  en  France  où  elles  joignirent  en  effet  le 
maréchal  d'Aumont. 

Pour  le  duc  de  Lorraine,  il  fit  aussi  entrer  ses  lansquenets  en  Cham- 
pagne, sous  la  conduite  du  capitaine  Saint-Paul,  lequel  passa  de  la  en 
Bourgogne,  et  ce  fut  cette  bande  qui,  comme  on  l'a  vu,  servit  de  cor- 
tège au  légat  du  Saint-Père  jusqu'à  Paris.  Elle  ne  s'en  montra  pas  pour 
cela  moins  impie,  pillant  partout  les  églises  et  les  monastères,  mangeant 
de  la  chair  les  jours  d'abstinence,  et  plaisantant  grossièrement  sur  de 
pareils  forfaits.  «  Nous  pouvons  bien,  disaient-ils,  nous  en  donner  de 
toutes  les  façons,  en  toute  sûreté  de  conscience,  puisque  nous  menons 
avec  nous  le  très-vénérable  légat,  qui  porte  les  absolutions  en  poche.  » 
Le  cardinal,  en  effet,  leur  donnait  tous  les  jours  l'absolution  et  leur 
ouvrait  le  chemin  du  ciel.  (De  Thou,  iihi  sup.,  p.  98  et  suiv.) 

Ce  légat,  qui  se  montrait  de  si  facile  composition  avec  les  gens  de 
guerre  dont,  au  reste  il  avait  besoin,  traitait  d'une  manière  toute  diffé- 
rente les  membres  du  parlement  de  Paris  et  les  autres  dignitaires  de 
l'Etat.  J'ai  dit  précédemment  que,  tout  en  reconnaissant  pour  la  forme 
la  prétendue  royauté  du  cardinal  de  Bourbon,  il  n'en  était  pas  moins 
Espagnol  dans  le  cœur.  Peut-être  était-il  encore  plus  sacerdotal.  Après 
avoir  fait  enregistrer  ses  lettres  par  les  chambres  assemblées,  sans  qu'il 
y  lut  fait  aucune  observation,  quoique  plusieurs  articles  enfreignissent 
les  vieux  droits  du  royaume,  il  vint  lui-même,  suivi  d'un  brillant  cortège, 
prendre  séance  dans  l'assemblée.  Il  eut  l'insolence  de  vouloir  se  placer 
sous  le  dais  qui  est  réservé,  en  cet  auguste  lieu,  pour  le  roi  de  P'rance  ; 
mais  le  président  Barnabe  Brisson,  qui  faisait  alors  les  fonctions  de  pre- 
mier président,  le  retint  par  le  bras  et  le  fit  asseoir  sur  un  banc  immé- 
diatement après  lui.  (Mézerây,  t.  III,  p.  754.) 

Quant  au  parlement  royaliste  qui  siégeait  'a  Tours,  sur  le  réquisi- 
toire de  son  procureur  général,  il  donna  un  arrêt  contre  le  nommé 
Gaétan,  soi-disant  légat  du  Saint-Père.  «  Car,  disait  cet  arrêt,  ce  n'est 
pas  comme  envoyé  du  Père  des  fidèles  et  pour  raffermir  la  religion  que 
cet  homme  est  venu  en  France  ;  mais  comme  émissaire  de  l'Espagne  et 
pour  fomenter  nos  troubles  dans  l'intérêt  du  prince  étranger  auquel  il 
s'est  vendu.  Il  est  entré  dans  le  royaume  sans  en  avoir  préalablement 
demandé  l'autorisation  au  roi,  suivant  l'usage  ordinaire;  il  n'a  choisi 
pour  son  séjour  que  les  villes  dévouées  'a  la  Ligue,  et  sa  conduite  est  en 
tout  celle  d'un  ennemi  déclaré.  En  conséquence,  défense  est  faite  au 
peuple  et  'a  la  noblesse,  ainsi  qu'au  clergé,  d'avoir  aucun  commerce 
avec  lui,  jusqu'à  ce  que,  suivant  les  lois  de  l'État,  et  conformément  aux 
droits  de  l'Eglise  gallicane,  le  dit  Gaétan  ait  obtenu  l'agrément  de  Sa 
Majesté;  la  dite  défense  sous  peine  contre  les  contrevenants  d'être  traités 
comme  criminels  de  lèse-majesté;  il  est  ordonné  qu'il  sera  procédé  immé- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  57 

(lialement  contre  eux  par  tous  moyens  ordinaires  et  extraordinaires, 
même  par  monitoires;  et  injonction  csl  faite  aux  archevêques  et  évoques 
du  royaume  d'avoir  soin  de  faire  publier  les  dits  monitoires  dans  leurs 
diocèses.  »  {Mcm.  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  201  et  suiv.) 

Le  parlement  de  Paris  cassa  cet  arrêt  comme  ayant  été  rendu  par 
des  juges  incompétents,  et  défendit  d'y  obéir.  {IbicL,  p.  264.) 

En  même  temps,  la  Sorbonne  tint  une  assf'mblée  extraordinaire  de 
ses  docteurs,  et,  après  une  messe  du  Saint-Esprit,  la  sacrée  Faculté 
décréta,  que  tous  vrais  et  sincères  catholiques  devaient  tenir  pour  abo- 
minables les  propositions  suivantes,  à  savoir  :  «  Que  Henri  de  Bourbon 
pouvait  être  reconnu  comme  roi  de  France;  que  son  parti  pouvait  être 
embrassé  sans  intéresser  la  conscience  ni  la  foi  ;  qu'on  pouvait  lui  payer 
impôts  ou  tributs;  qu'un  hérétique  relaps  et  excommunié  peut  avoir  des 
droits  a  la  couronne  du  royaume  très-clu'étien  ;  que  le  Pape  n'a  pas  le 
pouvoir  d'excommunier  les  rois;  et  qu'enfin  il  est  licite  aux  catholiques 
de  traiter,  à  quelque  condition  que  ce  soit,  avec  le  Béarnais  et  ses  hé- 
rétiques. 11  est  en  outre  défendu  de  tenir  aucun  discours  irrespectueux 'a 
l'égard  du  Saint-Siège  et  de  Monseigneur  le  légat,  de  désapprouver  les 
secours  étrangers  que  veulent  bien  nous  envoyer  les  princes  catho- 
liques pour  la  conservation  de  la  foi,  et  de  chercher  'a  rendre  odieuse  aux 
peuples  la  Sainte-Union.  Ceux  qui  ne  se  conformeraient  pas  a  cette  doc- 
trine sont  déclarés  ennemis  de  l'Eglise,  parjures  a  Dieu,  et  retranchés 
du  corps  des  (idèles  comme  membres  pourris  et  gangrenés.  »  Tous  les 
curés  (le  Paris,  et  l'évêque  'a  leur  tête,  signèrent  de  leur  propre  main  ce 
décret  et  jurèrent  sur  les  saints  Evangiles  de  s'y  conformer.  (Ibicl.) 

Au  reste,  la  Sorbonne  se  fit,  un  peu  plus  tard,  un  point  d'honneur 
de  déclarer  que  cette  résolution,  ainsi  que  tous  les  autres  décrets  sédi- 
tieux, rendus  sous  la  fin  du  règne  de  Henri  111  et  au  commencement  de 
celui  de  Henri  IV,  n'étaient  point  son  ouvrage;  et  en  elVct  on  ne  trouve 
aucune  trace  de  ces  actes  dans  les  registres  de  cette  illustre  société. 
(D'Argentué,  Colled.  jud.  de  noies  man.,  t.  11,  p.  485  et  suiv.) 

Monseigneur  le  légat,  dont  la  main  ne  paraissait  que  trop  dans  les  dé- 
cisions qu'on  vient  de  lire,  imagina  a  son  tour  un  nouveau  moyen  d'ef- 
frayer les  consciences.  Il  publia  une  lettre  a  tous  les  évêques  et  arche- 
vêques de  France,  dans  lacjuelle  il  disait  «  qu'ayant  été  informé  qu'un 
grand  nombre  d'entre  eux  avaient  été  invités  'a  se  rendre  a  Tours,  pour 
délibérer  sur  les  moyens  de  ramener  à  la  foi  rhérélique  relaps  Henri  de 
Bourbon,  il  voulait  bien  les  prévenir  qu'une  pareille  démarche,  s'ils  la 
faisaient,  serait  la  ruine  complète  de  la  discipline  ecclésiasti(]ue;  que 
ceux  qui  la  leur  proposaient,  sous  prétexte  de  rétablir  la  religion, 
n'avaient  aucun  droit  de  rien  prescrire  en  pareil  cas,  quelle  que  pût  être 
d'ailleurs  leur  autorité  en  matière  ordinaire  ;  qu'il  y  avait  en  France  un 
légat  du  Père  de  tous  les  fidèles,  envoyé  spécialement  pour  cet  objet  et 'a 
qui  seid  il  appartenait  d'assembler  les  pasteurs  de  l'Église  de  F'rance,  au 
cas  où  il  le  jugerait  nécessaire  a  la  glorification  de  la  foi;  qu'au  reste 
l'affaire  pour  laquelle  on  les  voulait  convoquer  n'avait  nul  besoin  d'eux 


58  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

pour  être  terminée  régulièrement;  que  si  Henri  de  Bourbon  demandait 
luimblement  et  dans  la  sincérité  de  son  cœur  a  se  l'aire  instruire  dans  la 
vraie  religion,  il  y  avait  assez  de  prédicateurs  et  de  docteurs  catholiques 
pour  lui  donner  cette  instruction,  sans  qu'il  fût  nécessaire  de  déranger 
tant  de  prélats  pour  un  seul  homme;  que  si,  au  contraire,  lui  et  ses 
fauteurs  n'avaient,  comme  la  chose  était  probable,  d'autre  but  que  de 
remettre  de  nouveau  en  discussion  les  dogmes  impies  de  Calvin,  en 
acceptant  de  pareilles  conférences,  ce  serait  vouloir  révoquer  en  doute 
les  saints  décrets  du  concile  de  Trente,  qui  avait  déjà  légitimement  pro- 
noncé son  jugement  sur  ces  dogmes  au  nom  de  l'Eglise  universelle; 
qu'ainsi  donc  lui,  légat  du  Souverain-Pontife,  il  défendait  à  tous  les 
prélats  du  royaume,  en  vertu  iie  l'autorité  dont  Sa  Sainteté  l'avait  revêtu, 
de  se  trouver  'a  l'assemblée  de  Tours,  déclarant  excommuniés  tous  ceux 
qui  enfreindraient  cette  défense.  .^> 

Pour  sanctionner  par  une  cérémonie  religieuse  cette  décision  qu'il 
venait  de  prendre  assez  arbitrairement,  et  (jui  n'était  au  fond  qu'un 
moyen  de  servir  le  parti  auquel  il  s'était  attaché,  le  cardinal  légat  voulut 
qu'on  fit  une  procession  solennelle  aux  Grands-Augustins.  La  procession 
eut  lieu  avec  toute  la  dévotion  et  toute  la  pompe  requises  en  cas  pareil. 
Ce  fut  l'abbé  de  Sainte-Geneviève  qui  chanta  la  messe,  'a  laquelle  Son 
Éminence  assista  royalement  sous  un  dais.  11  y  eut  un  beau  sermon  du 
frère  Bernard,  ligueur  effréné,  plus  connu  sous  le  nom  du  petit  Père 
Feuillant;  puis,  le  prévôt  des  marchands,  La  Chapelle-Marteau,  autre 
Ligueur  dévoué  a  l'Espagne,  les  échevins  et  les  capitaines  des  quartiers, 
jurèrent  de  rechef  entre  les  mains  du  dit  légat  de  persévérer  dans 
l'Union  jusqu'au  dernier  soupir,  et  de  ne  jamais  faire  de  trêve  avec  le 
Béarnais.  (Mézeray,  t.  lll,  p.  755.  — Bibl.  nation..  Manuscrit,  n"  8951.) 

Le  parlement  fut  obligé  ensuite  de  prêter  le  même  serment;  on 
l'exigea  de  tous  les  habitants,  et  les  politiques  eux-mêmes  se  virent  con-- 
traints  de  jurer  comme  les  autres,  a  l'exception  d'un  très-petit  nombre 
qui,  persuadés  qu'on  ne  devait  pas  promettre  ce  qu'on  ne  voulait  pas 
tenir,  aimèrent  mieux  abandonner  la  ville  et  leurs  biens  que  d'engager 
leur  foi  contre  leur  conscience.  On  trouva  qu'ils  montraient  en  cela 
beaucoup  de  générosité,  mais  qu'ils  étaient  un  peu  trop  scrupuleux,  et 
ils  n'eurent  point  d'imitateurs. 

Le  roi  d'Espagne  faisait  en  même  temps  partir  de  Madrid  une  décla- 
ration par  laquelle,  après  s'être  félicité  lui-même  du  zèle  qu'il  avait 
toujours  montré  pour  la  foi  catholique  et  de  l'efficacité  des  secours 
qu'il  avait  généreusement  fournis  'a  la  France,  pour  y  exlir[)er  les  dam- 
nables  racines  de  l'hérésie,  il  ajoutait  :  «  J'ai  su  châtier  les  hérétiques 
dans  mes  domaines  des  Pays-Bas,  et  j'ai  délivré  ces  provinces  du 
poison  de  l'erreur.  Malgré  tout  ce  qu'ont  pu  (aire  ces  mêmes  hérétiques, 
tant  ceux  de  la  France  que  ceux  de  l'Angleterre,  pour  m'enlever  la  cou- 
ronne du  Portugal,  qui  m'était  légitimement  dévolue  par  la  mort  de  don 
Sébastien,  cette  couronne  est  maintenant  sur  ma  tête;  car  j'ai  pour  moi 
la  toute-puissante  protection  du  Seigneur.  Aussi,  'a  l'heure  (ju'il  est,  lort 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  59 

(1(1  secours  (le  ce  prolecleur  divin,  et  voyant  la  clirétient(!'  en  danger  de 
devenir  la  proie  des  infidrles  par  rartidce  de  ces  ni(*mes  li(îr(jli(jiies,  (|ni 
sèment  la  discorde  de  tontes  parts,  je  ne  puis  m'enipêclier  de  m'inté- 
resser  en  faveur  de  cette  malheureuse  France,  depuis  si  longtemps 
d(.'sol(îe  par  la  guerre  civile.  J'exhorte  donc  tous  les  princes  callioli(|ues 
a  concourir  avec  moi  pour  l'anéantissement  des  impies  et  pour  la  déli- 
vrance du  roi  Charles  X,  détenu  injustement  en  j)rison  par  un  concur- 
rent mal  fondé,  hérélicjuc  et  excommunié;  alin  (juaprès  avoir  purgé  ce 
florissant  royaume  de  cette  peste  (jui  le  menace  d'une  ruine  complète, 
nous  puissions  tous  tourner  nos  armes  du  ciAé  de  la  Terre  sainte  et 
contre  le  Turc,  (jui  est  l'opprobre  du  christianisme.  Pour  accomplir  un 
aussi  louable  dessein,  je  déclare  que  je  suis  prêt  'a  sacrifier  non  seule- 
ment toutes  les  forces  et  les  richesses  de  mes  royaumes,  mais  jus(ju'a 
ma  vie  même,  n'étant  pas  possible  de  verser  son  sang  pour  une  plus  juste 
cause.  »  Ce  manifeste  était  daté  du  huitième  jour  de  mars.  {Mém.  de  la 
Ligue,  t.  IV,  p.  l()(î.) 

On  répandit  simultanément  a  Paris  une  autre  lettre  de  ce  prince  a 
Tarchevêque  de  Tolède,  grand  inquisiteur,  par  laquelle  ce  prélat  était 
chargé  de  dresser  un  état  de  tous  les  bénéficiers  de  l'Espagne,  qui 
pourraient  contribuer  'a  l'entretien  des  troupes  que  Sa  Majesté  se  dispo- 
sait a  envoyer  en  France,  pour  le  soutien  de  la  foi  catholique,  et  les 
Ligueurs,  se  laissant  bonnement  prendre  a  cet  a|)pàt,  en  auguraienfqiie 
les  doid)lons  espagnols  allaient  immédiatement  affluer  en  France.  (Cwet, 
Chron.  novenn.,  liv.  Il,  ad  ann.  1590.) 

Mais,  pendant  qu'on  l'attaquait  ainsi  avec  un  si  grand  luxe  de  bulles, 
de  décrets,  d'arrèls  et  de  proclamations,  le  Béarnais  poussait  vigoureu- 
sement le  siège  de  Dreux.  Le  sieur  de  Falandre  y  commandait  au  nom  de 
la  Ligue,  et  avait  avec  lui  une  garnison  nombreuse.  Le  roi  avait  été  re- 
joint  par  le  maréchal  d'Aumont  et  par  le  grand-prieur,  qui  lui  avaient 
amené  une  partie  des  troupes  royalistes  de  la  Champagne  et  de  la  lîrie. 
11  commen(;a  par  attatiuer  les  faubourgs,  qui  furent  emportés,  après  un 
combat  assez  meurtrier,  et  les  assiégés  furent  obligés  de  se  renfermer 
dans  leurs  murailles.  Les  royalistes  dressèrent  leurs  batteries,  qui  eurent 
bientôt  ouvert  une  brèche,  et  toute  l'armée  se  disposa  joyeusement  'à 
l'assaut. 

L'action  commença  par  quelques  volées  de  canon  destinées 'a  écarter 
les  assiégés  de  la  brèche.  On  marcha  ensuite  résolument  et  l'épée  au 
poing;  mais  ceux  du  dedans,  qui  n'avaient  pas  moins  de  résolution,  se 
tenaient  prêts  et  reçurent  si  chaudement  les  troupes  du  roi,  qu'elles 
furent  ol)ligées  de  se  retirer,  après  avoir  perdu  beaucoup  de  monde. 
La  nuit  qui  suivit  fut  tout  entière  employée  par  les  Ligueurs  a  réparer 
leur  brèche  et  a  se  fortifier  en  dedans  par  un  bon  retranchement; 
car  ils  attendaient  un  nouvel  assaut  pour  le  lendemain.  (Davu^a,  t.  111, 

Mais  il  arriva  qu'on  manquait  île  poudre  et  de  balles  dans  le  camp 
du  roi,  et  il  fallait  attendre  quelipies  jours,  jus(|u'a  ce   (jue  Givry,  (ju'on 


60  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

avait  fait  partir  pour  en  aller  chercher  a  Meulan,  pût  être  de  retour  avec 
son  convoi.  (De  Thou,  ubi  sup.) 

Pendant  que  Sa  Majesté  se  voyait  ainsi  arrêtée  devant  une  place 
qu'elle  avait  espéré  pouvoir  emporter  beaucoup  plus  facilement,  elle 
apprit  que  l'ennemi  s'approchait  avec  des  forces  supérieures;  elle  fit 
aussitôt  retirer  son  artillerie  et  leva  le  camp  après  trois  jours  de  siège. 

Mayenne,  en  effet,  avait  profité  de  l'éloignement  des  troupes  royales 
pour  courir  encore  'a  Bruxelles  auprès  du  duc  de  Parme,  et  pour  hâter  les 
secours  que  le  roi  Philippe  avait  promis.  Le  duc  de  Parme,  en  effet,  d'a- 
près les  ordres  de  son  maître,  avait  immédiatement  fait  partir  une  armée 
de  Flamands  sons  les  ordres  du  jeune  comte  d'Egmont.  Ces  troupes 
venaient  de  rejoindre  celles  de  Mayenne,  et  toutes  ensemble,  formant 
un  corps  de  plus  de  quatre  mille  chevaux  et  de  dix  mille  hommes  de 
pied,  s'étaient  mises  en  marche  pour  venir  au  secours  de  Dreux.  L'armée 
du  roi  ne  comptait  guère  alors  qu'un  peu  plus  de  la  moitié  de  ce  nombre 
de  combattants.  {Mém.  de  la  Ligne,  t.  111,  p.  255  et  suiv.) 

Les  troupes  de  Mayenne  et  de  ses  alliés  avaient  donc  passé  la  Seine 
au  pont  de  Mantes,  et  déj'a  leur  avant-garde,  commandée  par  de  Rosne, 
était  devant  Pacy,  où,  comme  on  sait,  Sully  avait  promis  de  tenir  ferme. 
Or,  il  se  trouvait  que  le  commandant  ligueur  était  proche  parent  du  dit 
Sully.  Avant  que  de  le  faire  sommer  il  lui  écrivit  en  ces  termes  : 
«  Monsieur  mon  cousin,  vous  n'êtes  pas  fin  de  vous  être  fourré  dans  une 
bicoque,  à  la  descente  d'une  armée  telle  que  la  nôtre.  Pourtant,  désirant 
de  vous  gratifier,  je  vous  prie  de  regarder  de  quelle  sorte  vous  voulez 
sortir  de  Ta,  car  je  m'y  accommoderai  pour  votre  honneur.  »  {Economies 
royales,  ch.  xxix.) 

Sully  recevait  en  même  temps  une  lettre  du  roi  qui  lui  mandait  de 
faire  comme  il  pourrait,  «  étant,  disait  la  lettre,  tout  'a  la  fois  soldat  et 
capitaine,  ou  devant  l'être.  » 

Il  répondit  a  son  cousin  :  «  Voil'a  le  roi  qui  est  prêt  a  donner  la 
bataille;  dites  a  Monsieur  de  Mayenne  qu'il  pense  d'abord  a  la  gagner, et 
puis  je  verrai  si  je  dois  me  rendre.  »  Et  il  passa  la  nuit  h  fortifier  du 
mieux  qu'il  put  la  petite  ville  qu'il  s'était  chargé  de  défendre.  Mais 
l'ennemi  n'avait  pas  de  temps  à  perdre  devant  une  place  si  médiocre.  Il 
était  en  forces  et  jugeait  plus  nécessaire  de  tomber  promptement  sur 
le  roi,  avant  que  ce  prince  ne  fût  rejoint  par  les  secours  qui  lui  arrivaient 
de  toutes  parts.  On  laissa  donc  Sully  tranquille,  et  l'on  se  disposait  'a 
traverser  la  rivière  d'Eure,  quand  on  apprit,  par  les  éclaireurs  qu'on  avait 
envoyés  devant,  que  le  Béarnais  avait  levé  le  siège  de  Dreux  et  qu'il 
s'était  retiré  au  bourg  de  Nonancourt,  se  tenant  retranché  derrière  la 
petite  rivière  d'Âvre.  (Matthieu,  t.  II,  liv.  1,  p.  25.) 

On  s'attendait,  dans  le  camp  ennemi,  qu'il  se  bornerait  'a  défendre 
cette  position,  et  l'on  craignait  même  qu'il  ne  tentât  de  se  retirer  sur 
Verneuil.  On  redoubla  donc  de  diligence  afin  d'arriver  à  temps  pour 
lui  couper  cette  retraite;  mais  Henri  de  Bourbon  avait  bien  un  autre 
projet.  «  Qu'ils  soient  les  bienvenus!  dit-il  en  apprenant  l'approche  des 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  61 

Ligueurs.  Je  les  attendais.  »  Et  il  passa  la  nuit  a  dresser  son  plan  de 
bataille,  avec  les  maréchaux  d'Âumont  et  de  Biron  et  ses  autres  vieux 
capitaines. 

Cela  fait,  Sa  Majesté  avait,  a  haute  voix,  adressé  au  ciel  une  prière 
(jui  ravit  tellement  les  assistants,  que  chacun  se  sentit  le  besoin  de  prier 
Dieu  aussi,  et  Ton  vit  aussitôt  toutes  les  églises  de  Nonancourt  remplies 
de  princes,  seigneurs,  noblesse  et  soldats,  qui  accouraient  pour  ouïr 
messe,  communier  et  faire  tous  les  oflices  de  vrais  et  bons  catholiques. 
Ceux  de  la  religion  tirent  aussi,  de  leur  part,  leurs  prières  et  dévotions. 
{Hist.  des  derniers  troubl.^  liv.  5,  fol.  15.) 

Le  roi  partit  d'assez  bonne  heure  avec  toute  son  armée,  et  il  vint  se 
ranger  devant  le  petit  village  de  Saint-André.  Mayenne  avait  de  son  côté 
traversé  l'Eure  sur  le  pont  d'Ivry  et  s'était  établi  dans  le  bourg  de  ce 
nom.  Toute  son  inquiétude  était  s'il  pourrait  fiiire  assez  de  diligence 
pour  empêcher  le  roi  de  lui  échapper. 

Mais  il  fut  bien  surpris,  quand  ses  coureurs  vinrent  lui  apporter  la 
nouvelle,  qu'ils  avaient  aperçu  l'armée  royaliste  déjà  en  bataille  au  bout 
de  la  plaine.  Mayenne  se  hâta  de  ranger  aussi  les  siens,  et  ces  deux 
armées  restèrent  en  présence  depuis  midi  jusqu'au  soir  qu'elles  se  reti- 
rèrent chacune  de  leur  côté,  sans  "avoir  rien  tenté  que  quelques  légères 
escarmouches. 

En  ce  moment  arrivaient  au  camp  royal  les  troupes  d'Évreux,  de 
Dieppe  et  de  Pont-de-l'Arche,  commandées  par  le  brave  de  Chastes. 
Sully  arriva  aussi  quelques  heures  après.  Sa  Majesté  lui  avait  écrit  en  ces 
termes  :  «  Mon  ami,  je  pense  donner  bataille  demain;  vous  seriez  lâché 
toute  votre  vie  si  vous  ne  vous  y  trouviez  pas.  Partez  donc  bien  vite,  et 
amenez-moi  le  plus  de  monde  que  vous  pourrez.  »  Et  Sully  était  accouru 
avec  tout  ce  qu'il  avait  de  soldats  sous  ses  ordres.  {Economies  royales^ 
ch.  xxix.) 

Mais  au  moment  de  livrer  une  bataille  d'où  dépendait  le  sort  de  sa 
royauté,  Henri  se  trouva  dans  un  cruel  embarras.  Le  colonel  Schomberg, 
qui  commandait  les  Suisses  dont  les  cinq  bataillons  faisaient  sa  princi- 
pale force,  poussé  par  les  criailleries  de  ses  soldats,  vint  demander  l'ar- 
gent qui  leur  était  dû.  «  Sire,  dit-il,  ces  gens  menacent  de  ne  pas  com- 
battre et  même  de  passer  a  l'ennemi  s'ils  ne  sont  payés  de  suite.  — 
Colonel,  répondit  le  roi  d'un  ton  sévère,  est-ce  le  fait  d'un  homme 
d'honneur  de  venir  demander  de  l'argent  quand  il  faut  prendre  les  armes 
pour  combattre?  »  Schomberg, qui  n'avait  fait  cette  démarche  qu'a  contre- 
cœur, se  retira  tout  confus. 

Le  danger  de  voir  déserter  cette  troupe  dans  un  moment  aussi  critique 
n'en  était  pas  moins  pressant.  Henri  savait  (jue  c'était  assez  l'usage  chez 
ces  soldats  mercenaires  d'en  agir  ainsi,  et  il  n'avait  pas  d'argent  pour  les 
contenter.  Il  était  donc  dans  la  plus  grande  perplexité,  lorsque  Sully  lui 
dit  (ju'il  connaissait  dans  le  voisinage  une  brave  femme,  veuve  d'un 
tanneur,  prête  a  sacrilier  toute  sa  fortune  à  la  cause  royale.  «  Allons-y!  » 
s'écria  le  roi;  et  Sully  le  conduisit  'a  la  maison  de  la  veuve  Leclerc. 


02  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Celle-ci  n'avait  jamais  vu  le  monarque,  et  par  conséquent  ne  pouvait 
le  reconnaître.  «  Comment  se  porte  notre  bon  roi?  dit-elle  a  Sully.  — 
Hélas!  répondit  Sully,  ce  bon  roi  est  bien  malbeureux.  Obligé  de  livrer 
bataille  demain,  il  sera  infailliblement  vaincu  parce  qu'il  n'a  pas  d'argent 
et  que  les  Suisses  déclarent  qu'ils  tourneront  leurs  armes  contre  lui,  s'il 
ne  leur  paye  ce  qu'il  leur  doit.  —  Et  combien  leur  doit-il  donc?  —  Une 
somme  très-considérable  :  deux  cent  mille  francs.  —  Ah!  que  je  suis 
heureuse  !  » 

Elle  ouvre  précipitamment  une  armoire,  et,  jetant  des  sacs  d'or  et 
d'argent  a  terre  :  «  Voila  les  deux  cent  mille  francs,  dit-elle.  C'est  le 
meilleur  emploi  que  je  puisse  faire  de  cette  fortune  que  m'a  laissée  mon 
mari.  Portez-les  à  notre  bon  roi,  et  dites-lui  que  la  pauvre  veuve  a 
encore  eu  un  moment  de  bonheur  dans  sa  vie.  »  Henri,  tout  attendri  par 
ce  dévouement,  se  fit  reconnaître,  il  embrassa  la  veuve  du  tanneur  avec 
reconnaissance,  emporta  l'argent  et  se  hâta  d'aller  payer  les  Suisses. 
Plus  tard,  quand  il  eut  reconquis  son  trône,  il  donna  à  la  veuve  Leclerc 
une  charge  de  conseiller  au  parlement  pour  son  fils,  avec  des  lettres  de 
noblesse  qui  rappellent  en  détail  l'historique  de  ce  fait. 

Après  avoir  satisfait  a  l'exigence  des  Suisses,  le  roi  ht  établir  la  garde 
du  camp  et  donna  l'ordre  a  tous  les  autres  d'aller  se  reposer.  Pour  lui, 
il  resta  longtemps  encore  a  cheval,  et  tint  un  nouveau  conseil  de  guerre 
avec  ses  plus  expérimentés  capitaines,  qui,  tous,  approuvèrent  ses  plans 
et  trouvèrent  qu'il  n'y  avait  rien  a  y  changer,  lï  passa  ensuite  une 
partie  de  la  nuit  'a  reconnaître  le  camp  ennemi,  malgré  le  froid  qui 
était  très-intense  ce  jour-la;  puis,  quelques  heures  avant  le  lever  du 
soleil,  il  alla  se  jeter  tout  habillé  sur  une  paillasse  pour  prendre  un 
peu  de  repos.  (Cayet,  C/iro?i.  noven.,  liv.  2,  ad  ann.  1590.) 

On  tenait  aussi  un  conseil  de  guerre  dans  le  camp  du  duc  de 
Mayenne,  et  on  délibérait,  sur  sa  demande,  s'il  était  prudent  de  risquer 
la  bataille.  Ce  fut  l'avis  général  de  toute  l'assemblée.  Mayenne  seul,  qui 
n'avait  pas  encore  oublié  ce  qui  s'était  passé  a  Arques,  et  qui  avait  déj'a 
fait  l'épreuve  dé  toutes  les  ressources  que  savait  trouver  le  roi  sur  un 
champ  de  bataille,  paraissait  hésiter  encore  et  n'augurait  pas  bien  du 
combat  qu'on  allait  livrer.  «  Eh  bien  !  dit  le  comte  d'Egmont,  si  les 
Français  craignent  tant  d'en  venir  aux  mains,  qu'on  me  laisse  seulement 
faire  avec  mes  braves,  et  je  me  charge  de  mettre  votre  Béarnais  a  la 
raison.  »  Quelque  injurieuse  que  fût  pour  la  nation  cette  rodomontade 
espagnole,  Mayenne  crut  prudent  de  la  laisser  passer  sans  répliquer,  et 
il  acquiesça  a  l'avis  d'en  venir  à  une  action  générale.  (Mézeray, 
t.  m,  p.  764.) 

C'était  un  mercredi,  quatorzième  jour  de  mars,  et  toute  la  nuit  avait 
été  rude.  Le  roi,  'a  qui  son  inquiétude  ne  permit  pas  de  dormir  long- 
temps, s'était  déjà  levé  avant  le  jour.  Les  premiers  objets  qui  frappèrent 
ses  yeux  furent  de  grands  feux  dans  le  camp  ennemi,  quoique  un 
profond  silence  y  régnât;  il  crut  que  c'était  la  une  ruse  de  guerre,  et 
que  l'ennemi  avait  repassé  LEure.  C'était  aussi  ce  que  semblait  conhrmer 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  63 

le  rapport  de  ses  coureurs,  qui  vinreiil  lui  dire  qu'au  moment  où  ces 
feux  avaient  été  allumés,  ils  avaient,  en  ellet,  vu  sur  le  matin  beaucoup 
de  mouvement  dans  le  camp.  Mais  bientôt  après  on  l'ut  assuré  du  con- 
traire, et  on  apprit  que  larmée  ligueuse  se  rangeait  en  bataille.  Le  roi 
rangea  aussi  la  sienne  dans  le  même  ordre  (jue  la  veille  et  se  disposa  a 
marchera  l'ennemi.  (Ibid.) 

En  parcourant  les  rangs  pour  encourager  ses  soldats  a  bien  l'aire,  Sa 
Majesté  se  rappela  qu'elle  avait  une  réparation  îi  donner.  (Pkukfixe,  liv.  2, 
ad  ann.  1590.) 

Au  moment  où  les  troupes  allaient  défiler  en  bataille,  le  roi  aperçut, 
le  colonel  Schomberg,  qu'il  avait  traité  la  veille  d'une  manière  si  brusque 
Il  vint  a  lui  :  «  Mon  ami,  dit-il,  nous  voici  dans  l'occasion,  et  il  se 
peut  faire  que  j'y  demeure.  Or,  il  n'est  pas  juste  que  j'emporte  l'hon- 
neur d'un  brave  gentilhomme  comme  vous.  Je  déclare  donc,  en  pré- 
sence de  tous,  que  je  vous  reconnais  pour  homme  de  bien  el  incapable 
de  faire  une  lâcheté.  —  Sire,  répondit  le  colonel,  vous  me  rendez 
l'honneur,  mais  vous  m'ôtez  la  vie;  car  j'en  serais  indigne  si  je  ne  la 
sacriliais  pas  aujourd'hui  pour  votre  service.  »  Et  en  eliet  le  colonel 
Schomberg  se  (il  tuer  en  faisant  des  prodiges  de  valeur  a  la  léle  de  son 
régiment. 

Cependant  chaque  corps  avait  pris  la  position  que  le  roi  lui  avait 
assignée.  On  reçut  alors  la  nouvelle  que  les  troupes  de  Picardie  ame- 
nées par  les  sieurs  de  Humières  et  de  Mouy  n'étaient  plus  qu'a  une 
petite  distance.  Sa  Majesté,  pour  ne  pas  changer  son  ordre  de  bataille, 
ne  voulut  pas  les  attendre,  et  leur  envoya  l'ordre  de  se  ranger  avec  le 
corps  de  réserve,  que  commandait  le  maréchal  de  Biron.  Et  il  lit  conti- 
nuer la  marche  vers  Ivry.  [Mém,  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  244.) 

Quand  on  fut  'a  une  demi-lieue  de  l'ennemi,  le  roi  lit  tourner  vers  la 
gauche.  Mayenne,  voyant  ce  mouvement,  crut  que  l'intention  du  i)rince 
était  de  se  saisir  d'un  village  voisin,  afin  de  s'y  appuyer  et  d'avoir 
l'avantage  du  terrain.  Il  (ît  avancer  tout  a  la  fois  ses  deux  ailes  pour 
empêcher  le  roi  de  s'emparer  de  ce  village,  et  pour  le  prendre  en 
liane  et  rompre  son  ordre  de  hataille.  (De  Thou,  ubi  sup.,  p.  122.) 

Or,  le  mouvement  du  roi  n'avait  d'autre  but,  comme  il  l'a  dit  depuis, 
que  de  se  mettre  le  vent  et  le  soleil  à  dos,  alin  que  la  fumée  de  la 
mousqueterie  n'incommodât  point  ses  soldats. 

«  Messieurs,  dit-il  aux  siens,  en  leur  montrant  l'ennemi,  voila  devant 
vous  ceux  qui,  depuis  trente  ans,  travaillent  a  la  ruine  de  notre  beau 
pays  de  France.  La  religion  leur  a  servi  de  prétexte  ;  mais  c'est  bien  a  la 
couronne  qu'ils  aspirent  réellement.  Ce  sont  eux  (jui  ont  lâchement  fait 
assassiner  le  roi  mon  prédécesseur.  Il  est  inutile  de  vous  en  dire  davan- 
tage. Seulement,  si  vous  perdez  vos  rangs  dans  la  chaleur  du  combat, 
pensez  aussitôt  à  vous  rallier  ;  c'est  lîi  le  gain  de  la  bataille. 
Vous  le  ferez  près  de  ces  trois  poiriers  que  vous  voyez  là  dans  ce  c'namp 
a  main  droite.  C'est  la  place  (jue  j'ai  jugée  la  plus  convenable.  Si  vous 
perdez  enseignes,  cornettes  ou  guidons,  ne  perdez  point  de   vue   moi: 


64  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

panache  blanc  ;  vous  le  trouverez  toujours  au  chemin  de  l'honneur  et  de 
la  victoif-e.  »  (Mézeray,  ibid.,  p.  769.  —  De  Thou,  ibid..  p.  123.) 

Mayenne  exhortait  aussi  les  siens  et  les  faisait  souvenir  que  c'était  la 
cause  de  Dieu  qu'ils  défendaient  ;  qu'ils  allaient  combattre  non  pas  tant 
pour  la  conservation  d'une  vie  mortelle,  quoique  de  ce  côté-l'a  même 
ils  avaient  tout  'a  craindre  des  hérétiques,  altérés  de  sang,  mais  pour 
s'assurer  la  béatitude  dans  l'éternité.  «  C'est  sous  les  auspices  de  notre 
divin  Seigneur  lui-même,  ajoutait-il,  et  de  son  vicaire  sur  la  terre,  que 
nous  avons  entrepris  cette  juste  guerre.  Vous  devez  donc  vous  porter 
contre  un  ennemi  impie  avec  tout  le  zèle  et  la  confiance  qu'inspire  un 
droit  sacré.  Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  rappeler  que  la  cause  que  nous 
défendons,  outre  la  protection  du  Saint-Siège,  a  pour  elle  encore  l'appui 
du  glorieux  roi  des  Espagnes,  le  plus  puissant  des  monarques  de  la  chré- 
tienté, et  que  ses  troupes  sont  l'a  pour  combattre  avec  nous.  Voil'a,  mes 
frères,  dit-il  en  leur  montrant  un  gros  crucifix,  qu'il  faisait  porter  par  un 
moine  'a  la  tête  de  ses  troupes,  voila  le  signe  sous  lequel  vous  allez 
combattre,  et  l'image  de  celui  qui  tient  toute  prête  votre  récompense 
entre  ses  mains.  »  (Mézeray,  t.  III,  p.  707  et  suiv.) 

Des  deux  côtés  on  pria  D-eu,  pour  lui  demander  chacun  le  succès  dans 
la  bataille  qui  allait  se  livrer.  Ce  fut  un  cordelier  qui  pria  en  tête  de 
l'armée  du  duc.  Le  ministre  Louis  d'Amour  pria  dans  les  rangs  protes- 
tants qui  accompagnaient  le  roi.  «  Seigneur,  dit  Henri,  'a  haute  voix, 
quand  le  ministre  eut  fini  son  invocation,  tu  sais  que  je  n'ai  point  d'autre 
ambition  que  l'honneur  de  ton  saint  nom  ;  accorde-moi  donc  la  grâce  de 
réduire  aujourd'hui  ces  rebelles  que  tu  m'as  donnés  pour  sujets;  mais 
si  je  ne  dois  être  qu'un  de  ces  mauvais  rois  que  tu  envoies  aux  peuples 
dans  ta  colère,  ordonne  plutôt  que  je  perde  la  vie  dans  cette  bataille, 
et  puisse  mon  sang  être  le  dernier  qui  soit  répandu  dans  cette 
querelle.  » 

Ayant  ainsi  parlé,  il  envoya  l'ordre  'a  La  Guiche  de  commencer  l'affaire 
par  une  décharge  générale  de  l'artillerie,  et  les  pièces  royalistes  furent 
si  vivement  servies  qu'il  partit  neuf  volées  de  suite,  avant  qu'on  eût  pu 
mettre  seulement  le  feu  au  canon  du  duc  de  Mayenne.  Ce  feu  meurtrier  fit 
un  si  terrible  ravage  parmi  les  reîtres,  qui  se  trouvaient  au  premier 
rang  de  l'armée  de  la  Ligue,  qu'au  lieu  d'aller  en  avant,  ils  se  culbu- 
tèrent sur  le  centre  et  y  causèrent  un  grand  désordre.  Mayenne  qui 
voyait  l'armée  ennemie  prête  à  lui  tomber  sur  les  bras,  fut  obligé  d'or- 
donner qu'on  repoussât  ces  malheureux  en  leur  mettant  la  lance  dans 
les  reins  pour  qu'ils  n'achevassent  pas  de  rompre  ses  bataillons. 

En  même  temps  le  maréchal  d'Aumont  chargeait  le  principal  corps 
de  la  cavalerie  ennemie  et  le  forçait  de  se  retirer  en  désordre  dans  un 
petit  bois  qui  est  sur  la  droite  du  côté  du  sud.  Le  duc  de  Montpensier, 
qui  eut,  dans  cette  occasion,  son  cheval  tué  sous  lui,  commandait  de 
son  côté  une  charge  non  moins  brillante  contre  les  troupes  de  l'aile 
opposée,  où  était  le  duc  de  Nemours,  et  où  le  combat  se  soutint  plus 
longtemps  avec  une  égale  animosité. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  C5 

Alors  les  deux  centres  s'ébranlèrent,  et  (juatre  cents  ar(|uebusiers  a 
cheval,  armés  de  casques  et  de  cuirasses,  sortirent  du  gros  du  duc  de 
Mayenne,  et  vinrent  l'aire  une  décharge  meurtrière  a  vingt-cinq  pas  du 
corps  oi!i  était  le  roi.  Ils  y  mirent  d'abord  beaucoup  de  désordre.  Celui 
(pii  portait  la  cornette  blanche  ou  étendard  royal  reçut  dans  le  front 
une  dangereuse  blessure,  et  le  sang  qui  en  sortait  en  abondance  l'empê- 
chant de  voir,  il  fut  emporté  par  son  cheval  (pi'il  ne  pouvait  plus  diriger. 
Plusieurs,  en  voyant  l'étendard  s'éloigner,  s'imaginèrent  que  le  roi  se 
retirait  de  la  mêlée,  et  suivirent  étourdiment  cet  étendard  partout  où  il 
plut  au  cheval  de  le  promener.  Ce  qui  contribua  a  augmenter  encore  le 
désordre  l'ut  qu'un  jeune  seigneur,  pour  se  rendre  plus  remanjuable  ce 
jour-Ia,  avait  eu  l'idée  de  s'habiller  'a  peu  près  comme  le  roi,  et  de  s'or- 
ner aussi  d'une  aigrette  blanche  ;et,  en  voyant  l'étendard  royal  s'éloigner, 
il  avait  été  des  premiers  à  le  suivre.  Cela  l'ut  cause  (jue  quelques  per- 
sonnes qui,  peut-être,  se  seraient  battus  bravement,  prenant  a  ses  habits 
ce  jeune  l'anlaron  |)0ur  le  roi  qui  s'en  allait,  se  retirèrent  du  combat; 
mais  les  plus  sages  se  rappelèrent  ce  que  Sa  Majesté  avait  dit,  en  commen- 
çant la  bataille,  qu'on  verrait  toujours  son  panache  blanc  dans  le  che- 
min de  l'honneur  et  de  la  victoire,  et  le  voyant,  en  efi'et,  toujours  aux 
premiers  rangs,  se  rallièrent  bravement  autour  de  lui. 

L'un  des  premiers  il  donna,  Tépée  a  la  main,  sur  le  corps  (|ue  com- 
mandait le  duc  de  Mayenne  en  personne,  et  celui-ci  reçut  le  choc  avec 
vigueur.  Les  lanciers  llamands,  et  le  comte  d'Egmont  a  leur  tête,  l'or- 
maient  une  ligne  impénétrable  devant  le  corps  de  bataille  des  Ligueurs, 
et  la  victoire  l'ut  longtemps  disputée;  car,  des  «deux  côtés,  tous  les 
hommes  de  cœur.  Français,  Espagnols  et  Allemands,  accouraient  a 
chaque  instant  se  joindre  aux  combattants,  et  chacun  sans  vouloir 
reculer  se  tenait  courageusement  a  la  place  qu'il  occupait.  A  la  fin  pour- 
tant, cette  redoutable  ligne  de  lanciers  l'ut  rompue,  le  comte  d'Egmont 
tomba  mortellement  blessé,  et  le  découragement  se  mit  parmi  ses 
soldats.  «  Bientôt  on  ne  vit  plus  que  le  dos  de  ceux  qui  étaient  venus 
si  lièrement  présenter  leur  visage  et  leurs  bras  armés,  et  qui  n'eurent 
plus  de  recours  que  dans  leurs  talons.  Ce  l'ut  parmi  les  Ligueurs  une 
déroute  générale.  Mayenne  se  vit  presque  seul  au  milieu  de  la  foule  des 
ennemis;  il  ne  restait  plus  autour  de  lui  que  les  ducs  de  Nemours  et 
d'Aumale,  et  une  trentaine  de  chevaliers,  dont  la  plupart  étaient  plus  ou 
moins  dangereusement  blessés.  La  bataille  était  décidément  perdue  pour 
lui;  il  n'y  avait  plus  a  disputer.  Il  conseilla  aux  braves  qui  l'entouraient 
encore  de  chercher  leur  salut  comme  ils  pourraient,  et  de  se  réserver 
pour  une  meilleure  occasion,  et  lui-même  se  retira  a  toute  bride  vers 
Ivry.  »  (C.wp.T,  Chron.  noven.,  liv.  2.) 

Le  cliam[)  de  bataille  demeurait  aux  royalistes;  mais  le  roi  avait 
disparu  au  moment  même  où  les  lanciers  llamands  avaient  été  rompus. 
On  l'avait  vu  se  jeter  le  premier  dans  leurs  rangs,  et  il  avait  tué  de  sa 
propre  main  Lécuyer  du  comte  d'Egmont.  «  11  faut  bien  jouer  du  pistolet 
et  payer  ici  de  sa  personne,  avait-il  dit  'a  ceux  (pii  le   suivaient;  mes 

IV.  5 


Ot>  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

amis,  iaisons  quartier  aux  Français,  mais  point  de  pitié  pour 
les  étrangers;  ils  n'avaient  pas  besoin  de  venir  ici.  »  Depuis  lors,  il 
n'avait  plus  reparu;  de  sorte  qu'on  craignait  qu'il  ne  tut  tué  ou 
prisonnier,  quand  on  le  vit  revenir,  son  épée  toute  rouge  de  sang, 
son  panache  tout  froissé  et  son  armure  toute  martelée  des  coups  qu'il 
avait  reçus  dans  la  mêlée.  (Cayet,  ubi  sup.  —  Matthieu,  t.  II,  p.  26 
et  suiv.) 

Après  avoir  traversé  la  ligne  ennemie,  il  était  allé  jusqu'aux  trois 
arbres  qu'il  avait  indiqués  pour  point  de  ralliement;  et  Ta,  il  n'avait 
trouvé  qu'une  vingtaine  de  cavaliers  qu'il  avait  ralliés  et  qu'il  se  dispo- 
sait a  ramener  contre  l'ennemi.  Mais  tout  a  coup  il  aperçut  un  escadron 
entier  de  Wallons,  portant  la  croix  rouge  sur  leurs  casques,  et  qui  s'en 
venaient  droit  'a  lui.  Ce  péril  lui  sembla  le  plus  grand  de  tous  ceux  qu'il 
eût  jamais  courus.  Par  bonheur,  le  grand-prieur  et  d'AumOnt,  comman- 
dant la  cavalerie,  venaient  de  ce  côté-la,  de  sorte  que  les  Wallons,  au 
lieu  de  penser  'a  l'attaquer,  ne  songèrent  qu'à  se  rendre.  Sa  Majesté 
rapportait  leurs  enseignes.  «  Sire,  lui  dit  Biron,  qui  resté  a  la  tète  de  la 
réserve,  n'avait  point  eu  l'occasion  de  prendre  part  au  combat,  cela 
n'est  pas  juste.  Vous  avez  fait  aujourd'hui  ce  que  de^ait  faire  Biron,  et 
Biron  a  été  obligé  de  faire  ce  que  devait  faire  le  roi.  »  Henri,  répondit  en 
souriant  :  «  Louons  Dieu  tous  les  deux,  Monsieur  le  maréchal  ;  car  c'est 
de  lui  seul  que  vient  la  victoire.  »  (Péréfixe,  ubi  sup.  —  Cayet, 
ubi  sup.) 

Il  ne  restait  plus  sur  toute  la  plaine  d'Ivry  qu'un  corps  d'infanterie 
suisse,  à  qui  dans  ce  tumulte  si  rapide  et  si  accidenté,  Mayenne  n'avait 
pas  songé  a  envoyer  l'ordre  de  prendre  part  a  l'action.  Ces  dignes  enfants 
de  l'Helvétie  étaient  restés  la,  sans  rompre  leurs  rangs  et  sans  faire 
aucun  mouvement,  attendant  avec  un  sang-froid  merveilleux  que  le 
général  a  qui  ils  avaient  vendu  leurs  services  leur  fit  savoir  ce  qu'ils 
devaient  faire;  et  ils  avaient  été  les  tranquilles  spectateurs  de  cette 
défaite.  On  délibéra  sur  le  parti  à  prendre  vis-à-vis  de  cette  espèce  de 
muraille  humaine.  Quelques-uns  étaient  d'avis  de  l'attaquer  avec  toute 
l'infanterie  française;  mais  le  maréchal  de  Biron,  conseilla  de  faire  plutôt 
avancer  le  canon,  de  le  mettre  en  batterie,  et  de  procéder  en  tout 
comme  s'il  s'agissait  d'emporter  un  bastion,  afin  de  ne  pas  risquer  inu- 
tilement la  vie  des  soldats  du  roi. 

Cet  avis  fut  trouvé  bon  et  l'on  se  mit  en  devoir  de  l'exécuter;  mais 
les  Suisses,  qu'on  envoya  préalablement  sommer  de  se  rendre,  voyant 
qu'ils  n'avaient  aucun  espoir  de  secours  de  la  part  d'une  armée  en 
pleine  déroute,  remirent  tout  d'abord  leurs  enseignes,  pour  marquer  de 
leur  soumission,  et  le  roi  eut  la  bonté  de  les  leur  faire  rendre.  Il  leur 
permit  de  se  retirer  dans  leur  pays,  et  il  les  fit  accompagner  par  des 
commissaires,  avec  des  lettres  très-civiles  pour  leurs  supérieurs  :  conte- 
nant  qu'il  avait  fait  grâce  à  ces  hommes,  en  considération  de  la  vieille 
alliance  qui  était  entre  la  France  et  les  Cantons  ;  mais  qu'il  priait  Leurs 
Seigneuries  de  donner  ordre  qu'il  n'en  tombât  pas  d'autre  en  pareille 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  67 

faille;  «  autrement  qu'il  serait  contraint  de  changer  sa  clémence  en 
justice.  »  (Mém.  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  250.) 

Un  autre  que  le  roi  avait  eu  aussi  de  singulière?  aventures.  C'était 
Monsieur  de  Sully.  Dans  la  mêlée  qui  avait  eu  lieu  pour  rompre  la  ligne 
des  lanciers  flamands,  il  avait  eu  successivement  deux  chevaux  tués  sous 
lui,  et  lui-même  avait  reçu  cincj  blessures  graves,  de  sorte  que  s'étant 
évanoui,  il  y  eut  un  moment  où  on  le  crut  mort.  [Économies  royales, 
ubi  sup.) 

Quand  il  revint  a  lui,  il  se  trouva  seul  au  milieu  des  cadavres;  la 
bataille,  qui  n'était  plus  qu'une  déroute  pour  les  Ligueurs,  allait  s'éloi- 
gnanl  de  l'a  du  côté  d'Ivry.  Alors  il  aperçut  un  page  menant  en  main  un 
petit  courtaut,  qu'il  avait  gagné  dans  le  combat.  Il  lui  bailla  cinquante 
écus  et  prit  le  cheval,  sur  le(juel  il  se  hissa  malgré  ses  blessures,  et  il 
cherchait  'a  rejoindre  quelque  corps.de  l'armée  royale,  quand  soudain  il 
vit  venir  'a  lui  cirHj  chevaliers  portant  des  cottes  d'armes  parsemées  de 
croix  de  Lorraine.  «  Qui  vive?  crièrent-ils.  —  Messieurs,  je  suis  Sully. 
—  Nous  vous  connaissons  bien  tous,  répondirent-ils;  voulez-vous  nous 
garantir  la  vie  sauve?  —  Vous  parlez.  Messieurs,  comme  gens  qui 
auraient  perdu  la  bataille.  — Est-ce  la  tout  ce  que  vous  en  savez?  reprit 
un  des  chevaliers.  Eh  bien  !  oui,  nous  l'avons  perdue,  et  parmi  nous,  en 
voil'a  trois  qui  ne  peuvent  aller  plus  loin,  car  leurs  chevaux  sont  comme 
morts.  »  Et,  en  effet,  il  y  en  avait  deux  qui  n'allaient  qu'a  trois  jambes, 
et,  au  troisième,  les  boyaux  lui  sortaient  du  ventre. 

Or,  de  ces  cinq  chevaliers,  les  deux  dont  les  coursiers  étaient 
encore  en  état  de  les  porter  étaient  le  duc  de  Nemours  et  Monsieur 
d'Aumale;  et  l'un  des  trois  autres  portait  la  grande  cornette  du  duc  de 
Mayenne,  avec  les  croix  de  Lorraine  brodées  en  noir  sur  l'étoffe  blanche. 
«  Adieu,  Monsieur,  dirent  les  deux  premiers  en  voyant  revenir  de  ce 
côté-la  un  gros  des  troupes  du  roi;  nous  vous  recommandons  nos  amis, 
ils  sont  vos  prisonniers.  »  El  ils  s'élancèrent  a  toutes  brides  pour  gagner 
la  route  de  Chartres,  laissant  leurs  compagnons  avec  la  grande  cornette 
de  leur  armée,  entre  les  mains  de  Sully,  (pii  resta  bien  étonné. 

Mais  tandis  que  ces  cliOvSes  se  passaient,  le  duc  de  Mayenne,  avec 
quelques  débris  de  son  armée  qu'il  avait  retrouvés  à  Ivry,  s'occupait  à 
passer  l'Eure  le  plus  promptement  possible,  pour  mettre  cette  rivière 
entre  lui  et  l'ennemi  victorieux.  Quand  le  maréchal  d'Aumont  arriva 
avec  sa  cavalerie,  le  duc  et  une  partie  de  ses  troupes  étaient  déjà  sur 
l'autre  rive,  et  ceux  qui  étaient  déjà  passés  coupèrent  le  pont,  abandon- 
nant ainsi  leurs  malheureux  compagnons  au  sort  qui  attend  les  vaincus 
après  une  défaite.  Les  uns  cherchèrent  a  se  barricader  dans  le  bourg, 
dont  les  rues  étaient  fort  étroites.  Ils  les  barricadèrent  avec  les  corps 
de  leurs  propres  chevaux,  (juils  tuèrent  eux-mêmes;  mais  ils  périrent 
presque  tous  et  le  carnage  fut  horrible.  D'autres  tentèrent  de  franchir 
la  rivière;  comme  elle  était  remplie  (Ltme  vase  profonde  en  cet  endroit, 
la  plupart  se  noyèrent  dans  ces  boues,  de  sorte  qu'il  y  eut  encore  la  plus 
de  morts  que  sur  le  champ  de  bataille  même. 


68  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Pour  Mayenne,  les  royalistes  ne  pouvaient  plus  le  poursuivre  qu'en 
allant  passer  l'Eure  au  gué  d'Anet.  H  eut  donc  tout  le  temps  de  se 
jeter  dans  Mantes,  où  pourtant  il  eut  bien  de  la  peine  d'obtenir  d'être 
reçu  par  les  habitants,  que  la  nouvelle  du  succès  de  celte  journée, 
apportée  par  les  fuyards,  avait  comme  de  juste  détachés  de  son  parti.  11 
fut  obligé  de  leur  assurer  que,  du  moins,  le  Béarnais  avait  été  îné  dans  ie 
combat;  que  les  pertes  n'étaient  pas  a  beaucoup  près  aussi  considé- 
rables qu'on  pouvait  le  croire  dans  un  premier  moment  ;  que  son  frère, 
le  duc  de  Nemours,  emmenait  en  ce  moment  presque  toute  son  infaiî- 
lerie  et  une  partie  de  sa  cavalerie  du  côté  de  Chartres,  et  que  lui-même 
ne  retournait  en  toute  hâte  à  Paris  que  pour  y  préparer  les  moyens  de 
prendre  prompîement  une  sanglante  revanche  contre  des  rebelles  qui 
n'avaient  plus  de  chef. 

Par  malheur,  le  roi,  qui  le  suivait  de  près,  venait  d'arriver  pour 
coucher  a  Rosny,  qui  n'est  qu'a  une  lieue  de  la;  aussi  le  lendemain,  do 
très-grand  matin,  Mayenne  n'eut  rien  de  plus  pressé  que  de  sortir  de 
Mantes,  et  la  ville,  de  son  côté,  se  hâta  de  faire  sa  soumission  a  Sa 
Majesté. 

Mayenne,  toujours  fuyant,  se  rendit  a  Pontoise,  où  ne  se  trouvant  pas 
encore  en  sûreté,  il  ne  fit  qu'un  court  séjour,  et  arriva  'a  Saint-Denis.  Le 
légat  et  l'ambassadeur  d'Espagne  vinrent  l'y  trouver  pour  le  consoler,  et 
lui  promirent  de  nouveaux  et  de  plus  amples  secours  de  la  part  de  leurs 
souverains.  11  reçut  aussi  quelques  visites  de  l'archevêque  de  Lyon  et  de 
Madame  la  douairière  de  Montpensier;  [mais  il  n'osait  toujours  pas  se 
montrer  aux  Parisiens,  dont  il  appréhendait  les  reproches  et  les  brocards, 
après  avoir  éprouvé  un  échec  aussi  décisif. 

il  écrivit  au  roi  d'Espagne,  d'après  le  conseil  de  l'ambassadeur  Men- 
doce.  «  Sire,  dit-il  dans  cette  lettre,  il  m'a  bien  fallu  risquer  la  bataille 
que  je  viens  de  perdre  si  malheureusement  et  contre  toutes  prévisions 
humaines  possibles.  D'abord,  c'était  l'uniijue  moyen  (\\i  forcer  ie  Béarnais 
a  lever  le  siège  de  Dreux,  ville  dont  la  possession  est  pour  nous  de  la 
dernière  importance,  étant  une  des  principales  portes  ouvertes  a  l'appro- 
visionnement de  Paris.  Ensuite,  mon  armée  était  bien  plus  nombreuse 
que  celle  de  l'ennemi,  et  je  ne  pouvais  m'attendre  que  le  jour  même  de 
Faction  il  serait  rejoint  par  plus  de  troupes  que  je  ne  l'avais  espéré.  De 
plus,  mes  Suisses  et  mes  reitres  commençaient  a  se  mutiner  et  mena- 
çaient de  se  retirer,  si  on  ne  leur  payait  sur-le-champ  ce  qui  leur  était 
dû.  Or,  Votre  Majesté  sait  mieux  que  personne  que  je  n'avais  pas  d'argent 
pour  satisfaire  'a  cette  exigence.  H  ne  me  restait  donc  d'autre  parti  'a 
prendre  que  d'en  venir  promptement  aux  mains;  du  reste,  mes  mesures 
étaient  si  bien  prises  que  je  devais  gagner,  et  en  effet,  dès  le  premier 
choc,  l'armée  ennemie  a  été  mise  en  déroute;  mais  les  reîtres,  qui  ont 
mal  fait  leur  devoir,  ont  reculé  a  leur  tour  devant  quelques  volées  de 
canon,  et  ils  sont  venus  se  renverser  sur  mon  corps  de  bataille,  au 
moment  où,  par  une  seconde  charge,  je  me  disposais  à  fixer  décidé- 
ment la   fortune  de   la  journée.  Il  est  arrivé  de  la  qu'au  milieu  de  ce 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  69 

désorilro  le  Béarnais  a  cm  lont  le  Icmps  de  rallier  ses  troupes  et  de 
venir  nous  attaquer  avec  succès.  Cet  échec,  au  reste,  est  loin  d'avoir 
déco!ira,;;é  notre  parti.  Aucune  des  viiles  de  l'Union  ne  s'est  encore 
démentie,  et  Paris  donne  l'exemple  d'une  fidélité  à  toute  épreuve.  Mais 
ce  (|ui  nous  manque,  c'est  l'anjient  dont  nous  avons  le  plus  pressant 
besoin,  et  si  Votre  Majesté  cat])oli(]ue  veut  bien  nous  envoyer  an  plus 
tôt  quelque  somme  assez  importante,  je  me  lais  fort  de  reprendre  en 
peu  (le  temps  tout  ce  que  le  parti  peut  avoir  perdu.  Dans  tous  les  cas, 
je  suis  toujours  prêt  a  répandre  mon  saniç  jus(|ii'a  la  dernière  goutte, 
pour  la  cause  de  Dieu,  <ju!  n'abandonne  jamais  ses  serviteurs.  »  (De 
Tnov,  ubi  snp.,  p.  'ioO.) 

Le  même  jour,  le  duc  écrivait  aussi  au  Pape.  Il  iui  e:q»!iquait  que 
l'échec  qu'il  venait  d'éprouver  provenait  tout  entier  de  la  faute  des 
trou[)e3  étrangères  qui  servaient  dans  son  armée,  et  desquelles,  faute 
d'argent,  il  n'avait  pu  se  faire  oi)éir.  «  Votre  Sainteté,  ajoutait-il  assez 
librement,  n'a  voulu  jus(|u'a  présent  me  fournir  aucun  secours  d'hommes 
ni  d'écus,  et  cette  indifférence,  qu'elle  a  trouvé  bon  de  montrer  pour 
une  cause  aussi  juste  que  celle  a  laquelle  je  me  suis  dévoué,  va  donner 
tout  le  tem[)s  au  roi  de  Navarre,  chef  des  hérétiques  de  la  France,  de 
s'afTermir  sur  le  trône,  en  se  servant  des  catholiques  eux-mêmes,  pour 
ruiner    la    religion   en   ce   malheureux    pays.    »   (De    Tuor,   ubi  sup., 

1>.  i'^1-)    .        ^ \   . 

a  Quoique  le  feu  roi  fût  légitime,  disait-il  encore,  et  qu'il  lit,  du 
moins  en  apparence,  profession  de  la  foi  catholique,  vous  n'avez  pas 
hésité,  Très-Saint-Père,  'a  approuver  qu'on  prit  les  armes  contre  lui  ;  je 
ne  comprends  donc  pas  pourquoi  vous  balancez  tant  à  seconder  de  tous 
vos  efforts  une  guerre  contre  un  prétendant  notoirement  hérétique,  et 
que  vous  venez  vous-même  d'excommunier.  J'ai  lieu  d'être  étonné  que 
vous  n'ayez  pas  encore  fourni  les  secours  que  vous  aviez  promis.  A  quoi 
donc  destinez-vous  tant  de  richesses  que  vous  avez  accumulées  avec  un 
si  grand  soin,  si  vous  ne  daignez  pas  les  eiiiployor  a  la  conservation 
d'un  royaume  à  (]ui  le  Saint-Siège  a  été  de  tout  t-mips  si  redevable,  et 
du  salut  duquel  dépend  le  repos  de  tout  le  reste  de  la  chrétienté? 

«  N'espérez  pas,  au  reste,  que  le  roi  de  Navarre  se  convertisse  jamais, 
et  qu'il  ramène  par  son  exemple  les  autres  héréliciues  de  son  parti.  Au 
contraire;  si  la  victoire  continue  a  le  favoriser,  il  ne  s'en  montrera  (juc 
plus  opinifitre  et  plus  réfracîaire  aux  ordres  du  Saint-Siège.  Pour  moi, 
je  suis  loin  d'accuser  \'otre  Sainteté.  Je  repousserais  avec  horreur  une 
pareille  idée,  si  elle  me  venait  jamais;  le  chef  auguste  des  fidèles,  tout 
entier  occupé  de  ses  hautes  fondions  de  représentant  de  Dieu  sur  la 
terre,  ne  peut  sans  doute  s'être  laissé  influencer  par  de  minces  consi- 
dérations politiques  qui  ne  prouveraient  que  l'intention  mondaine  d'accu- 
muler de  vains  trésors,  sans  en  dépenser  que  le  moins  possible.  Le 
Souverain-Pontife  ne  saurait  se  ravaler  jusqu'à  jouer  le  rôle  d'un  avare, 
et  a  rester  tranquille  spectateur  de  la  calamité  publique,  pourvu  qu'il 
n'en  coûte  rien  'a  ses  coffres.  Seulement  je  pense  prendre  le  ciel  et  la 


70  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

IciTC  a  témoin  que  c'est  sans  l'avoir  rnérili;  en  aucune  façon  que  je  me 
suis  vu  abandonné  du  vicaire  de  Jésus-Ciirist,  tout  en  soutenant  la  cause 
de  Dieu  lui-même.  •» 

Cette  lettre  était,  comme  on  voit,  assez  peu  respectueuse,  et  le  duc 
de  Mayenne  n'eût  jamais  osé  écrire  de  ce  style  au  Pape,  s'il  n'y  avait  été 
en  quelque  sorte  contraint  par  la  cour  d'Espagne.  Ce  qui  tendrait  a  le 
prouver,  c'est  que  le  comte  d'Olivarès,  ambassadeur  de  Philippe  a 
Rome,  voulait  en  même  temps  forcer  Sa  Sainteté  de  secourir  ouverte- 
ment les  Ligueurs,  et  menaçait  de  protester  publiquement  au  nom  de 
son  maître  contre  Sixte  V,  s'il  continuait,  par  ses  inconcevables  délais, 
'a  contribuer  a  la  ruine  d'une  cause  aussi  sacrée. 

Sixte  avait  d'autres  vues.  L'argent  qu'il  avait  effectivement  amassé 
avec  beaucoup  de  soin,  il  ne  voulait  pas  le  risquer  sur  des  chances 
aussi  incertaines  que  celles  qu'il  voyait  maintenant  au  parti  de  la  Ligue, 
qui,  comme  le  disait  plaisamment  l'ambassadeur  de  Venise,  n'avait  plus 
guère  d'autre  ressource  que  de  se  marier  publiquement  au  roi  d'Espagne. 
Sa  Sainteté,  d'ailleurs,  destinait  depuis  longtemps  cet  argent  a  réunir  le 
royaume  de  Naples  au  Saint-Siège,  au  moment  où  Philippe  viendrait  'a 
mourir,  et  il  n'entrait  nullement  dans  sa  politique  de  contribuer,  en 
attendant,  a  l'agrandissement  de  ce  monarque  ambitieux,  ce  qui  ne 
manquerait  pas  d'arriver  si  la  Ligue  avait  le  dessus  en  France.  Philippe, 
pour  se  faire  payer  l'appui  qu'il  aurait  donné  aux  Ligueurs,  demanderait 
indubitablement  de  partager  le  royaume  avec  eux.  Enfin,  Sa  Sainlelo 
savait  bien  que  le  Déarnais  avait  trop  de  raisons,  toutes  décisives  et 
péremptoires,  pour  qu'il  pût  refuser  de  se  convertira  la  vraie  foi,  aussi- 
tôt qu'il  lui  serait  loisible  de  le  faire  sans  inconvénient.  Aux  menaces 
du  comte  Olivarès,  elle  répondit  par  une  plainte  au  roi  d'Espagne  contre 
son  ambassadeur,  qui  disait-elle,  lui  avait  manqué  de  respect,  et  elle 
demanda  que  Sa  Majesté  voulût  bien  en  envoyer  immédiatement  un 
autre,  et  le  fier  monarque  des  Espagnes  se  vit  obligé  de  complaire  en 
cela  au  prêtre  couronné. 


DU  PROTESTANTJtsMt:  EN  FRANCE.  71 


CHAPITRE    IV 


1590.  —  ARGUMENT  :  les  nouvelles  de  la.  bataille  a  paris. 

ENTREVUE    RU    LÉGAT    ET    DE     DIRON.    —   VILLEROY  AU     CAMP   ROYALISTE. 

LE    ROI    PREND    CORBEIL,    —    LAC.NY,    —   MELUN,    —   MORET,    —    GRÉQUY,    —    PROVINS, 

MONTEREAU,    —    NOGENT,    —    MÉRY. 

IL   EST   CONTRAINT   DE   LEVER    LE   SIÈGE   DE   SENS. 

LE   VÉNITIEN    MONCENIGO    ENVOYÉ    DU    LÉGAT.    —   SIÈGE   ET   BLOCUS    DE    PARIS. 

GIVRY    A     CIIARENTON.    —    D'aUMONT   A   SAINT-CLOUD. 

OCCUPATION   DE   LA   RIVE   GAUCHE.  —  MORT   DU    PRÉTENDU    ROI    CHARLES   X. 

MAYENNE   AVEC   UN    SECOURS   DE   FLAMANDS    RENTRE   EN    PICARDIE. 

IL    EST   REPOUSSÉ   PAR   LE   ROI.  —  ARRÊTS   DES   PARLEMENTS   DE   ROUEN    ET   DE   PARIS. 

PROCESSION    DE    LA   LIGUE.    —    EXPLOITS    DU   LIGUEUR    LA   BOURDAISON. 

CONTINUATION    DU    SIÈGE.   —    PRISE    DE   SAINT-DENIS.    —   RAPPEL   DE   CIIEVERNY. 

COMPLOT    DÉJOUÉ   A    SENLIS.    —   ATTAQUE   ET   PRISE   DES   FAUBOURGS   DE   LA    CAPITALE. 

FAMINE.    —   PROVISIONS   TROUVÉES   DANS   LES   COUVENTS. 

LETTRE   DE   LA   DUCHESSE   DE   MAYENNE  A   SON   MARI. 

l'arrivée    du     DUC   DE   PARME    FAIT   LEVER   LE    SIÈGE. 


Un  genlilhomme,  nommé  Monsieur  Du  Tremblay,  témoin  de  cette 
sanglante  bataille,  et  qui  avait  su  mieux  ménager  son  cbeval  (jue 
les  autres,  fut  le  premier  qui  en  appoila  la  nouvelle  a  Paris.  Il  y 
avait  tout  a  craindre  que  cette  nouvelle  ne  causât  un  trouble  dange- 
reux dans  la  capitale,  qui  se  trouvait  alors  presque  sans  délensc.  Les 
brècbes  des  murailles  n'avaient  pas  même  été  réparées,  et  il  n'y  avait 
ni  munitions,  ni  artillerie,  a  ce  point  qu'on  ne  pouvait  disposer  que  d'une 
seule  pièce  montée  et  en  état  de  servir.  Le  pain  surtout,  le  vin  et 
le  bois,  ainsi  que  les  autres  cboses  nécessaires  à  la  vie,  étaient 
en  si  petite  quantité,  qu'à  la  connaissance  de  tout  le  monde,  il  n'y 
en  avait  pas  pour  plus  de  quinze  jours,  tant  les  Ligueurs,  dans  leur 
enthousiasme,  avaient  peu  compté  sur  un  succès  possible  de  l'armée 
du  roi.  {Journal  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  85.  —  Méni.  de  la  Ligne,  t.  IV, 
p.  277.) 

Les  chefs  de  l'Union,  pour  parer  au  découragement  qui  allait  suivre 
une  aussi  grande  conliance,  si  la  nouvelle  du  désastre  d'Ivry  était  publiée 
trop  brusquement,  firent  aussitôt  semer  dans  la  grande  ville  quelques 
rumeurs  confuses.  On  disait  que  le  béarnais  venait  de  perdre  cinq  cents 
hommes  de  ses  meilleures  troupes  dans  un  assaut  qu'il  avait  inutile- 
ment livré  'a  la  ville  de  Dreux;  puis,  qu'il  avait  élé  tué  dans  un  combat  ; 


72  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

quelques  heures  après,  on  annonçail  qiîe  ce  combat  avait  été  très- 
sanglant,  et  que  Mayenne  y  avait  perdi]  une  partie  de  son  infanterie;  et 
enfin,  on  laissa  transpirer  la  vérité  tout  entière.  «  En  celte  première 
pointe  de  douleur  que  les  lidèles  catholiques  éprouvaient  de  celte  perle 
immense  et  des  suites  qu'elle  pouvait  entrahier,  leur  unique  consolation 
fut  de  recourir  aux  conseils  et  aux  exhortations  de  Monseigneur  le  légat; 
car  il  y  en  avait  déjà  (juelques-uns  qui  tenaient  le  salut  de  la  ville  pour 
désespéré,  eu  égard  a  l'excessive  étendue  de  murailles  qu'on  aurait  'a 
défendre,  et  aux  intelligences  que  l'ennemi  pouvait  avoir  dans  la  place 
avec  le  parti  des  politiques.  »  (Mézeray,  t.  III,  p.  776.) 

«  Parmi  toutes  ces  confusions  et  difiîcultés,  Monseigneur  le  légat  ne 
faillit  'a  faire  paraître  sa  prudence  et  sa  constance  accoutumées,  encou- 
rageant tout  le  monde  et  dissuadant  les  plus  timides  d'avoir  recours  a  un 
traité  de  paix,  comme  ils  en  manifestaient  déjà  l'intenlion.  Il  remontra 
que  les  troupes  de  Monsieur  de  Mayenne  ne  pouvaient  manquer  de  se 
réunir  de  nouveau  pour  venir  défendre  la  capitale,  et  que  Sa  Majesté 
calholique  allait  faire  arriver  de  Flandre  l'armée  qui  se  trouvait  la  toute 
prèle  sous  les  ordres  du  duc  de  Parme. 

c(  Il  fut  ensuite  mis  en  délibération  si  le  légat  continuerait 'a  demeu- 
rer de  sa  personne  dans  la  ville  de  Paris,  ou  s'il  ne  vaudrait  pas  mieux, 
pour  le  bien  de  la  cause  et  le  but  de  sa  légation,  qu'il  en  sortit  avant  le 
siège.  Tous  furent  d'avis  qu'il  demeurât  pour  raffermir,  par  sa  présence, 
le  courage  et  la  résolution  des  habitants.  Monseigneur  le  légat  promit 
donc  de  rester,  et  on  prononça  de  nouveau  entre  ses  mains  le  serment 
de  tenir  bon  jusqu'à  la  dernière  extrémilé. 

«  Au  reste,  on  avait  déjà  fait  élat  que  les  troupes  dont  on  pouvait 
disposer  montaient  'a  trente  mille  Parisiens  bien  armés,  déjà  engagés  et 
commandés  par  des  chefs  sur  lesquels  on  pouvait  compter.  Il  y  avait  de 
plus  quatre  mille  hommes  de  pied,  tant  Suisses  que  lansquenets,  soldés 
en  partie  par  le  roi  d'Espagne,  et,  en  abandonnant  les  faubourgs,  dont 
les  habitants  viendraient  augmenter  encore  les  forces  de  la  ville,  on 
comptait  pouvoir  avec  succès  repousser  les  attaques  de  l'ennemi,  dont 
on  disait  que  l'armée  ne  dépassait  pas  dix  mille  hommes  de  pied  et  trois 
mille  chevaux.  »  (Man.  de  la  Bibl.  roy.,  n"  8951.) 

Cette  résolution  prise,  les  prédicateurs  soldés  par  l'Espagne  se  ré- 
pandirent dans  toutes  les  églises;  et  Ta,  parlant  de  pénitence  et  de  mor- 
tification (car  c'était  en  carême),  ils  insinuèrent  tout  doucement  que 
«  Dieu, pour  éprouver  ses  élus,  les  visitait  quelquefois  sévèrement;  qu'il 
fallait  se  soumettre  avec  humilité  et  persévérance  'a  ces  épreuves,  qui 
étaient  tout  aussitôt  suivies  de  récompenses  et  de  consolations  ineffables. 
La  Sainte-Union  ajoutaient-ils,  vient  d'éprouver  une  grande  perte  àivry; 
mais  cette  perte  est  loin  d'être  irréparable,  et  Dieu  saura  bien  proléger 
ceux  qui  le  servent  lidèiement.  Il  tient  déjà  tout  prêts  dans  ses  mains 
puissantes  les  moyens  qui  doivent  nous  aider  a  remédier  a  ce  désastre 
avec  avantage  :  le  vice-roi  des  Pays-lias  amène  en  ce  moment  même  'a 
notre  secours  des  forces  irrésistibles.  »  (Mézeray,  ubi  siijp.) 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  73 

En  même  temps,  on  se  dépèeliail  de  faire  entrer  dans  la  ville  tontes 
les  provisions  qu'il  était  possible  de  recevoir;  «  mais  il  y  avait  si  peu 
d'ordre  parmi  cette  populace  (analisée,  qu'à  l'exception  des  couvents,  de 
Messieurs  les  ecclésiasliipies  et  de  quelques  riches  bourgeois  (jui  pen- 
sèrent a  l'avenir,  ces  provisions,  d'ailleurs  insuriisanles  pour  une  popu- 
lation aussi  nombreuse  menacée  d'un  siège,  furent  promptement  gaspil- 
lées. »  {Mém.  de  la  Ligue,  ubi  sup.,  \).  278.) 

Cependant  l'armée  royale  venait  d'entrer  a  Mantes,  qui,  comme  on 
l'a  vu,  s'était  empressée  d'ouvrir  ses  portes,  après  le  départ  de  Mayenne. 
Le  roi  voulut  y  rester  quebpies  jours,  alin  de  donner  à  ses  soldats  le 
temps  de  se  remettre  de  leurs  fatigues  ;  et  pour  lors,  le  cardinal  Gaétan 
envoya  demander  une  entrevue  au  maréchal  de  Biron.  Ce  prélat  savait 
bien,  malgré  l'assurance  qu'il  avait  donnée  aux  Liguei^rs,  que  les  secours 
que  Mayenne  attendait  des  Pays-Bas  et  de  Rome  ne  pouvaient  être  sur 
pied  avant  quelques  mois,  ainsi  que  les  autres  troupes  qu'on  se  propo- 
sait de  faire  venir  des  provinces  ligueuses  de  la  France  ;  et  il  jugeait 
cette  démarche  utile  pour  arrêter  au  moins  les  progrès  de  l'armée  roya- 
liste, à  l'aide  de  quelques  propositions  de  paix  qu'il  jetterait  en  avant, 
propositions  auxquelles  Son  Eminence  était  bien  certaine  que  Henri  ne 
se  montrerait  pas  indifférent. 

En  effet,  le  roi  envoya  tout  aussitôt  un  sauf-conduit  au  légat,  pour 
lui  et  les  personnes  de  sa  suite.  Biron,  accompagné  des  principaux  sei- 
gneurs de  la  cour,  se  rendit  au  château  de  Noisy  pour  y  recevoir  le 
représentant  du  Pape,  et  là,  on  se  fit  d'abord  beaucoup  de  politesses 
et  de  compliments  ;  mais  lorsqu'il  fut  question  d'entrer  en  négocia- 
tions, le  légat,  suivant  la  méthode  italienne,  chercha  tout  doucement  à 
dé1)aucher  ces  fidèles  serviteurs  du  roi.  Par  malheur  pour  lui,  il  les 
trouva  si  résolus  à  défendre  la  cause  qu'ils  avaient  embrassée,  qu'il  ne 
remporta  que  honte  et  confusion.  (De  ïuou,  t.  X,  îiv.  08,  p.  140 
et  suiv.) 

Il  y  eut  même  une  scène  assez  burlesque  :  le  légat,  ayant  pris  en  par- 
ticulier Givry,  qui  avait  commandé  l'artillerie  à  la  bataille  d'Ivry,  l'accabla 
de  llatleries  et  de  promesses.  Voyant  (pie  cela  n'aboutissait  à  rien,  il 
finit  par  dire  à  ce  seigneur,  qu'en  qualité  de  bon  catholique,  il  devait 
du  moins  profiter  de  l'occasion  pour  demander  au  Pape  et  à  celui  qui 
le  représentait  l'absolution  de  tout  le  passé.  «  Vous  avez  raison,  saint 
homme,  dit  Givry  en  se  jetant  à  genoux;  absolvez-moi  de  tous  les  maux 
que  je  reconnais  avoir  déjà  laits  à  ces  bons  Parisiens.  »  Le  légat  leva  ses 
doigts  bénissants.  «  Par  la  même  occasion,  ajoute  Givry,  absolvez-moi 
aussi  de  tous  ceux  que  je  me  propose  de  leur  faire.  »  El  il  se  leva  avec 
un  grand  éclat  de  rire. 

En  même  temps,  Villeroy  vint  à  la  cour.  Lui  aussi  avait  mission 
d'amuser  Sa  Majesté  par  des  propositions  d'arrangement  (|ue  lui-même 
ne  devait  pas  croire  sérieuses,  malgré  toute  la  peine  qu'il  se  donne 
dans  ses  mémoires  pour  justifier  sa  bonne  foi.  «  Avec  l'agrément  du 
roi,  il  rendit  une  visite  danjilié  à  Duplessis-Mornay,   qui  jouissait  alors 


74  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

d'une  grande  considération  auprès  de  Henri.  La,  il  lit  tomber  la 
conversation  sur  le  besoin  qu'avait  le  royaume  d'une  bonne  paix,  faisant 
entendre  que  Mayenne  n'était  pas  éloigné  d'y  prêter  la  main;  mais 
comme  il  disait  n'avoir  jusqu'à  présent  aucun  pouvoir  spécial  du  duc, 
pour  négocier  une  affaire  aussi  importante,  Duplessis  l'engagea  'a  en 
aller  chercher.  »  {Mém.  de  Yilleroy^  ad  ann.  1590.) 

Villeroy  fut  en  effet  trouver  Mayenne  a  Soissons,  où  ce  prince  se 
tenait  pour  l'instant,  «  étant  très-mal  de  sa  santé,  et  encore  plus  affligé 
de  l'esprit,  à  cause  du  mauvais  état  de  ses  affaires.  »  II  lui  fit  part  de 
ce  commencement  de  négociations  qu'il  avait  cru,  'a  ce  qu'il  dit  lui- 
même,  devoir  entamer.  Mais  Mayenne  craignait  d'offenser  les  Espagnols, 
et  il  refusa  d'abord  d'entendre  cette  communication.  Le  lendemain  pour- 
tant il  fit  revenir  Villeroy,  et  l'autorisa  à  aller  dire  au  roi  de  Navarre 
que,  s'il  voulait  donner  contentement  aux  catholiques  en  se  faisant  de 
leur  religion,  il  était  tout  disposé  a  traiter  avec  lui  d'une  bonne  paix, 
et  qu'il  offrait  même,  pour  son  compte,  de  se  retirer  dans  sa  maison  et 
d'y  vivre  en  simple  particulier. 

Mais  le  roi  ne  crut  pas  devoir  attendre  le  résultat  des  démarches  de 
Vilieroy,  dont  les  bonnes  intentions  ne  lui  semblaient  pas  clairement 
prouvées,  attendu  même  que  le  fds  de  cet  homme  d'Etat  était  gouver- 
neur pour  la  Ligue  de  la  ville  de  Pontoise,  qu'il  refusait  obstinément  de 
rendre.  Le  vingt-huitième  jour  de  mars.  Sa  Majesté  quitta  donc  Mantes, 
dont  elle  laissa  le  commandement  a  Rosny,  frère  de  Sully,  et  qui  était 
calholique. 

Sully  avait  demandé  vainement  pour  lui-même  cette  charge,  comme 
une  récompense  due  'a  ses  services  et  'a  ses  blessures;  mais  Henri, 
dans  la  crainte  d'offenser  les  catholiques,  n'avait  pas  voulu  la  lui  ac- 
corder; et  l'orgueilleux  gentilhomme,  trouvant  ce  refus  injuste,  s'était 
laissé  emporter  jusqu"a  reprocher  'a  son  maître  de  se  montrer  ingrat 
après  tant  de  services  qu'il  lui  avait  rendus  et  toutes  les  blessures  qu'il 
avait  reçues  pour  sa  cause.  Henri  avait  supporté  patiemment  ces 
reproches  et  cette  mauvaise  humeur  sans  rien  changer  pourtant  a  sa 
décision.  [Économies  royales^  t.  II,  ch.  i.) 

Il  laissa  Sully  entre  les  mains  des  chirurgiens  et  se  mit  en  route 
avec  sou  armée.  Comme  il  se  voyait  déj'a  maître  de  tous  les  ponts  qui 
sont  sur  la  Seine  entre  Paris  et  Rouen,  il  avait  résolu  de  s'emparer 
aussi  de  ceux  qui  sont  en  amont  de  la  rivière,  pour  réduire  la  capitale 
par  la  disette,  en  empêchant  les  convois  d'y  arriver.  Prenant  donc  son 
chemin  par  Montlhéry,  il  alla  mettre  le  siège  devant  Corbeil,  qui  se 
rendit  le  premier  jour  d'avril.  Le  lendemain,  Lagny,  qui  a  un  pont  sur  la 
Marne,  suivit  cet  exemple.  De  Ta,  Sa  Majesté  alla  assiéger  Melun.  (Cayet, 
Cliron.  novenn.,  ad  ann.  1590.) 

Cette  ville,  quoique  assez  peu  considérable,  a  sur  les  rives  de 
la  Seine  une  position  à  peu  près  pareille  a  celle  de  Paris;  c'est-a- 
dire  qu'elle  est  partagée  en  trois  parties,  dont  l'une  dans  une  île  où 
se  voyait  un  château   d'une  structure  antique.  Cette   iic  est   reliée  par 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  75 

(Jeux  ponts  a  rime  cl  a  l'aulro  rive,  sur  chacune  desquelles  ia  ville  a 
étendu  son  prolongement.  Mais  le  côté  qui  tient  a  la  IJrie  est  de  beau- 
coup le  plus  considérable.  Ce  fut  de  ce  côté-là  que  le  roi  dirii  ea  ses 
attaques.  On  éleva  sur  une  côte  voisine  deux  batteries  de  sept  pièces 
de  canon  et  de  deux  couieuvrines,(iui  commencèrent  a  tirer  sur  ia  place 
de  deux  endroits  diflérents. 

Le  commandant  ligueur  de  Melun  avait  une  garnison  composée  d'une 
soixantaine  de  chevaux  et  de  quatre  cents  hommes  d'infanterie  ;  mais  il 
y  avait,  en  outre,  cinquante  bourgeois  armés  el  bien  résolus  de  seconder 
la  défense  de  tous  leurs  efforts. 

L'artillerie  du  roi  avait  déjà  tiré  plus  de  deux  cents  coups  et  n'avait 
pu  faire  encore  qu'une  très-petite  ouverture  dans  la  muraille,  quand  ses 
troupes,  impatientes  d'en  venir  aux  mains,  s'élancèrent  sans  vouloir 
attendre  que  la  brèche  eût  été  rendue  ])lus  praticable.  Il  y  avait  un  fossé 
de  vingt  pieds  de  jtrofondeur  a  franchir  ;  les  soldats  en  vinrent  a  bout. 
Les  plus  dispos  et  les  premiers  arrivés  tendirent  aux  autres  des  cordes, 
dont  ils  s'étaient  munis  a  cet  effet,  et  les  tirèrent,  pour  ainsi  dire,  l'un 
après  l'autre. 

Une  attaque  aussi  brusque  et  exécutée  avec  un  tel  mépris  pour  h; 
danger  déconcerta  les  assiégés,  qui  après  avoir  mis  eux-mêmes  le  l'eu 
avec  de  la  poix  a  une  tour,  qui  était  de  ce  côté-la  pour  protéger  le  pont, 
se  retirèrent  dans  l'Ile.  Ils  espéraient  que  la  fumée  et  la  puanteur  suffo- 
cante de  cet  incendie  arrêteraient  du  moins  l'impétuosité  des  royalistes. 
Mais,  quand  ils  virent  ceux-ci  s'avancer  avec  la  même  ardeur  'a  travers  les 
tourbillons  de  la  llamme  pour  forcer  le  passage  du  pont,  ils  demandèrent 
il  capituler.  Seulement,  les  habitants,  pour  sauver  leur  réputation  de 
bravoure,  posèrent  pour  premier  article  (ju'il  leur  serait  accordé  deux 
jours,  et  que  si,  ce  temps  écoulé,  le  duc  de  Mayenne  ne  venait  pas  'a 
leur  secours,  ils  rendraient  la  place. 

Le  roi,  aussi  bien  qu'eux-mêmes,  savait  que  le  duc  de  Mayenne  n'au- 
rait garde  de  venir;  pourtant  il  daigna  accepter  cette  condition  pour 
mettre  leur  conscience  de  braves  en  repos,  et  Melun  se  rendit  suivant 
la  capitulation,  le  onzième  jour  d'avril,  après  cinq  jours  de  siège.  La 
partie  seule  de  la  ville  qui  touche  a  la  Brie  avait  été  pillée  quand  les 
assiégeants  s'en  emparèrent;  tout  le  reste  fut  scrupuleusement  respecté 
après  la  capitulation. 

Moret  et  Crécy  envoyèrent  à  l'instant  même  leur  soumission,  ainsi 
que  Provins,  ville  très-riche,  mais  sans  défenses.  Montereau  ouvrit  égale- 
ment ses  portes  au  roi  à  la  première  sommation,  et  Sa  Majesté  y  mit 
une  forte  garnison;  car  cette  place  lui  était  d'une  grande  im])orlance, 
parce  que  c'est  en  cet  endroit  que  la  Seine  reçoit  l'Yonne,  un  des  prin- 
cipaux canaux  de  l'alimentation  de  Paris. 

Ce  fut  l'a  que  Villeroy  vint  pour  reprendre  la  négociation  (juil  avait 
entamée  a  Mantes.  «  Je  suppliai,  dit-il.  Sa  Majesté  de  prendre  en  bonne 
part  ce  que  je  venais  lui  dire,  comme  son  humble  et  dévoué  serviteur  : 
(ju'il  ne  dépend;!it  plus  que  d'elle  de  devenir  le  monarque  le  plus  glo- 


76  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

riciix  (\{\  monde  enlier;  qu'elle  n'avait  besoin  pour  cela  que  de  se  faire 
catholique,  et  qu'a  cette  condition  le  duc  de  Mayenne  était  tout  prêt  a 
le  reconnaître  et  a  se  retirer  dans  sa  maison,  pour  y  vivre  en  simple 
particulier.  »  —  «  Je  vous  sais  gré  de  vos  bonnes  intentions,  répliqua 
le  roi,  quoique  la  conduite  de  Monsieur  voire  iils,  qui  s'obstine  a  me 
retenir  ma  ville  de  Pontoise,  ne  soit  pas  tout  a  l'ait  d'accord  avec  les 
sentiments  que  vous  me  manifestez,  et  quoiqu'on  ait  cherché  a  me  faire 
croire  que  le  but  de  vos  démarches  n'était  autre  que  de  préserver  vos 
propriétés  des  ravages  de  mes  troupes.  Au  reste,  vous  pouvez  dire  au 
duc  que  je  réfléchirai  a  ce  qu'il  vous  a  chargé  de  venir  me  dire,  et  que 
je  ferai,  au  sujet  de  la  religion,  tout  ce  que  ma  prudence  et  ma  con- 
science me  permettront  de  faire.  Il  me  trouvera  toujours  disposé  a  traiter 
quand  il  s'agira  d'une  paix  sincère  et  sérieuse;  mais,  en  attendant,  je 
ne  dois  pas  discontinuer  la  guerre  que  j'ai  entreprise  pour  Iç  soutien  de 
mes  droits,  ni  donner  par  la  au  dit  seigneur  duc  de  Mayenne  le  moyen 
de  relever  ses  affaires  et  de  mieux  dresser  sa  faction.  »  [Mém.  de 
Villeroy,  ad  ann.  1590.  —  Maïïhiei-,  Ilist.  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  54.) 

Et  en  effet  le  roi  envoya  sommer  immédiatement  ceux  de  Nogent  de 
se  rendre,  et  ceux-ci,  ne  se  sentant  pas  assez  forts  pour  résister,  s'en 
remirent  'a  la  clémence  de  Sa  Majesté,  qui  en  usa  gracieusement  avec 
eux;  mais  la  petite  ville  de  Méry,  s'étant  laissé  prendre  par  escalade,  fut 
livrée  au  pillage,  cl  les  soldats,  «  qui  ne  resj)iraient  que  sang  et  que 
butin,  s'y  livrèrent  a  toutes  sortes  d'excès.  »  Le  roi  laissa  faire,  parce 
qu'il  fallait  bien  donner  de  temps  en  temps  quelque  licence  au  soldat, 
aux  dépens  des  particuliers,  plutôt  que  de  lui  fournir  un  motif  de 
passer  à  l'ennemi,  en  voulant  l'astreindre  à  une  discipline  trop  sévère. 
(De  Tiiou,  ïibi  sup.,  p.  147.) 

On  était  alors  aux  fêtes  de  Pâques,  et  pendant  que  tout  le  monde 
était  occupé  de  ses  dévotions,  Henri  fit  sommer  la  ville  de  Sens.  Cette 
place  était  une  de  celles  qui,  de  tout  temps,  avaient  tenu  le  plus  chau- 
dement pour  la  Ligue.  Les  habitants  répondirent  à  la  sommation  royale 
qu'ils  feraient  consiaître  leur  décision  après  les  fêtes,  et  on  ne  put  tirer 
d'eux  d'autre  réponse,  parce  que,  disaient-ils,  ils  aimaient  mieux  tout 
risquer  que  de  jiaraître  sacrifier  le  service  de  la  religion  'a  un  intérêt 
particulier.  Henri,  (jui  songeait  déjà  a  retourner  vers  Paris,  ne  jugeait 
pas  a  propos  de  s'arrêtera  prendre  une  place  dont  la  possession,  pour  le 
moment,  n'était  d'aucune  importance  pour  lui.  H  était  déjà  maître  de 
tous  les  débouchés  qui  pouvaient  apporter  des  vivres  dans  la  capitale,  et 
il  était  sûr  maintenant  de  la  réduire  promptement  par  la  famine.  11  se 
disposait  donc  'a  laisser,  pour  cette  fois,  les  habitants  de  Sens 
lran(îuilles. 

Mais  le  gouverneur  Chanvallon,  dévoué  au  parti  ligueur,  crut  que  le 
plus  grand  service  qu'il  pouvait  rendre  a  ce  parti  était  d'arrêter  le  roi, 
afin  de  laisser  aux  Parisiens  plus  de  temps  pour  se  munir  et  se  fortifier. 
Il  fit  donc  savoir  secrètement  a  Sa  Majesté  que  si  elle  voulait  envoyer 
pour  entamer  les  négociations  le  maréchal  d'Aumonl,dont  tout  le  monde, 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  77 

niL'inc  pnrnii  les  ennemis,  respectait  la  droiture,  il  y  avait  tout  lieu  d'es- 
pérer (]ue  Sens  se  soumettrait.  {C\vi:r,  ubi  sup.) 

D'Aumonl  partit.  A  peine  l'ut-il  entré  dans  la  ville  que  le  peuple  eut 
l'air  de  se  soulever,  et  le  gouverneur,  qui  avait  préparé  cette  scène,  alla 
chercher  avec  sa  garnison  un  asile  dans  rarchevêché  contre  celte  émeute 
factice.  DWumont,  dupe  de  toute  celte  comédie,  écrivit  au  roi  pour  lui 
faire  part  de  la  situation  où  il  voyait  les  choses.  Il  l'engageai!  a  faire 
approcher  son  armée  sans  perdre  de  temps,  parce  cpie,  disait-il,  les 
mutins  ne  manqueraient  pas  de  rentrer  dans  le  devoir,  quand  ils  se  ver- 
raient en  même  temps  attaqués  a  l'intérieur  par  les  soldats  de  Chanvallon, 
et  à  l'extérieur  par  les  troupes  royales. 

Henri  vint  donc  camper  sous  les  murailles  de  la  ville,  et  après  avoir 
hattu  la  place  avec  son  artillerie  pendant  quelques  heures  seulement, 
com|)tanl  sur  une  diversion  au  dedans,  il  fit  donner  l'assaut.  La  brèche, 
(]ui  était  a  peine  ouverte,  fut  vivement  défendue,  et  le  roi  y  perdit  plu- 
sieurs (le  ses  plus  hraves  soldats.  Pour  lors,  voyant  que  personne  n'avait 
remué  dans  l'intérieur,  il  comprit  qu'on  lui  avait  tendu  un  piège  dans  le 
but  de  lui  faire  perdre  un  tem|)s  précieux.  Il  leva  le  siège  sans  retard, 
et  dit  en  })artant  :  «  J'ai  tout  récemment  levé  aussi  le  siège  de  Dreux,  et 
c'était  pour  aller  gagner  la  bataille  d'Ivry  ;  aujourd'hui,  je  décampe  de 
devant  Sens,  mais  c'est  pour  aller  prendre  Paris.  » 

Tout  se  préparait  avec  activité  dans  le  camp  royaliste  pour  com- 
mencer ce  siège  important  dont  dépendait  la  lîn  de  la  lutte.  Dans  la 
ville,  on  prenait  également  les  mesures  les  plus  actives  pour  opposer  la 
plus  vigoureuse  résistance.  Le  duc  de  Nemours  distribuait  les  comman- 
dements et  les  consignes,  et  assignait  a  chacun  le  poste  qu'il  devait 
garder;  Monseigneur  de  Lyon,  le  prévôt  des  marchands  et  les  autres 
magistrats,  veillaient  en  personne  au  maintien  de  l'ordre  et  a  la  police,  et 
Monseigneur  le  légat,  prévoyant  que  Paris  une  fois  investi  serait  bientôt 
forcé  par  la  disette  a  cesser  toute  résistance,  imagina  d'entamer  encore 
une  nouvelle  négociation  pour  gagner  (pielques  jours  de  plus,  et  donner 
le  temps  de  faire  entrer  une  plus  forte  quantité  de  vivres  dans  la  ville.  Il 
députa  Moncenigo,  évéque  de  Cencda  et  noble  Vénitien,  à  Brie-Comte- 
Robert,  où  était  alors  le  roi,  et  ce  prélat,  qui  ne  devait  pas  s'adresser 
directement  a  Sa  Majesté,  attendu  quelle  était  excommuniée  par  le 
Saint-Père,  eut  plusieurs  entrevues  avec  Biron;  mais,  comme  toutes  ses 
propositions  ne  tendaient  (pi'a  obtenir  une  trêve  de  (piehpies  mois, 
Biron,  par  l'ordre  du  roi,  lui  dit  (pi'il  n'y  avait  d'autre  traité  a  faire  que 
celui  qui  établirait  une  paix  générale  et  immédiate;  que  le  roi  était  tout 
prêt  'a  consentir 'a  un  pareil  traité  a  quel(|ue  condition  (pie  ce  fût,  pourvu 
que  sa  gloire  et  ses  droits  fussent  sauvegardés;  mais  que  si  l'on  ne  pre- 
nait incessamment  une  bonne  résolution  la-dessus,  on  devait  s'attendre 
a  une  guerre 'a  toute  outrance. 

L'évéquc,  qui  avait  res[)rit  juste,  voyant  que  la  cour  de  Flenri  se 
composait  surtout  d'un  grand  nombre  de  seigneurs  catholiques,  lesquels 
assistaient  respectueusement  à  sa  messe,  se  trouva  convaincu  que  les 


78  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

affaires  étaient  dans  une  situation  tonte  différente  de  ce  qu'on  en  publiait 
dans  Paris.  Il  souhaitait  de  parler  au  roi  iui-méme.  Mais  le  légat  ne  lui 
en  avait  pas  donné  la  permission.  Il  partit  donc  sans  avoir  osé  se 
donner  cette  satisfaction  ;  mais  Henri,  instruit  de  son  désir,  se  trouva 
sur  son  passage  en  revenant  de  la  chasse.  Moncenigo  mit  pied  a  terre 
et  le  salua  avec  respect.  «  Remontez,  Monseigneur,  lui  dit  le  prince  avec 
bonté,  »  et  poussant  son  cheval  a  côté  de  celui  du  prélat,  il  eut  avec 
lui  une  longue  conversation.  Affectant  de  ne  voir  en  lui  qu'un  membre 
de  la  république  de  Venise,  qui,  tout  récemment,  lui  avait  donné  des 
preuves  d'affection,  il  se  plaignit  de  la  conduite  du  légat.  «  Il  s'est, 
dit-il,  bien  volontairement  posé  comme  mon  ennemi  déclaré,  quand 
sa  mission  était  d'apporter  la  paix  entre  moi  et  mes  sujets  rebelles. 
Il  est  entré  dans  mon  royaume,  non  seulement  sans  m'en  donner 
avis,  conformément  aux  usages  établis,  mais,  qui  pis  est,  en  se  faisant 
accompagner  par  les  troupes  d'un  prince  étranger.  Il  a  mieux  aimé 
s'unir  aux  rebelles  que  d'agir  de  concert  avec  les  cardinaux  de  Vendôme 
et  de  Lenoncourt,  qui  sont  comme  lui  membres  du  Sacré-Collège,  mais 
qui  entendent  mieux  que  lui  les  devoirs  d'un  prélat  véritablement  chré- 
tien. De  plus,  il  a  mis  une  sorte  d'affectation  a  favoriser  le  parti  espagnol, 
dans  tout  ce  que  ce  parti  entreprend  pour  la  ruine  de  la  France.  Dites- 
lui,  Monseigneur,  que  je  sais  que  dans  ce  moment,  s'il  parle  de  trêve, 
c'est  uniquement  pour  donner  le  temps  aux  secours  de  Flandre  d'arriver; 
mais  Dieu  aidant,  j'espère  bien  montrer  aux  séditieux  que  je  ne  suis  pas 
tout  'a  fait  indigne  de  succéder  a  tant  de  rois  illustres,  t|ui  m'ont 
transmis  leurs  droits.  » 

Après  ces  paroles,  il  congédia  l'évêque,  qui  s'en  retourna  a  Paris, 
enchanté  des  amitiés  et  des  caresses  que  Sa  Majesté  lui  avait  faites. 

Enfin  le  roi  se  rendit  a  Chelles  le  neuvième  jour  de  mai,  et  dès  le 
lendemain,  il  fit  attaquer  le  faubourg  Saint-Martin.  «  Les  politiques  de 
Paris  (dit  le  manuscrit  ligueur  déjà  cité),  toujours  prêts  a  machiner 
quelques  secrètes  méchancetés,  avaient  fait  savoir  a  l'ennemi  de  se  pré- 
senter 'a  ce  faubourg,  lui  promettant  en  ce  cas  de  remuer  de  telle  sorte 
en  dedans  que  l'entrée  lui  en  serait  facile;  mais  leur  mauvaise  intention 
fut  déjouée,  et  l'attaque  recommença  vainement  pendant  trois  jours  de 
suite.  Le  duc  de  Nemours,  qui  arrivait  de  Chartres,  où  il'  s'était  retiré 
après  la  bataille  d'Ivry,  venait  d'être  nommé  commandant  général.  Sa 
prudence,  secondée  de  la  brillante  valeur  du  chevalier  d'Aumale  et  du 
dévouement  de  tous  les  bons  et  vrais  catholiques  de  la  ville,  qui  s'empres- 
sèrent de  dresser  des  barricades  pour  défendre  les  endroits  menacés  et 
de  garnir  de  gens  sûrs  les  postes  suspects,  empêchèrent  qu'aucun  des 
mal  intentionnés  ne  remuât  a  l'intérieur  et  repoussèrent  victorieusement 
les  attaques  de  l'extérieur.  L'ennemi,  frustré  des  promesses  qu'on  lui 
avait  faites,  fut  obligé  de  battre  en  retraite,  après  avoir  perdu  un  grand 
nombre  des  siens.  Le  capitaine  La  Noue,  entre  autres,  y  fut  blessé  d'un 
coup  d'arquebuse  dans  la  cuisse.  »  {Mém.  de  la  Ligue^  t.  IV,  p.  282.  — 
Man.  cité  sup.) 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  79 

Cependant  le  roi  s'emparait  de  Cliarenton,  dont  il  lit  pendre  le  com- 
mandant, pour  avoir  l'ait  une  résistance  désespérée  contre  une  armée 
royale  dans  une  place  aussi  faible  (jue  celle-là.  Ce  lut  a  Givry  qu'il  confia 
ensuite  la  garde  de  ce  poste,  qu'il  jugeait  fort  important,  parce  que  c'est 
la  que  la  Marne  se  jette  dans  la  Seine;  aussi  y  plaça-t-il  une  garnison 
nombreuse,  composée  en  quelque  sorte  de  l'élite  de  son  armée  et  bien 
munie  (rartillerio.  .Mais  Givry,  qui  se  pi(]uait  de  galanterie,  laissa,  dit-on, 
pour  faire  plaisir  aux  ducbesses  de  Nemours,  de  Guise  et  de  Monlpensier, 
et  autres  belles  dames  qui  se  trouvaient  dans  la  ville,  passer  tous  les 
jours  des  vivres  et  des  rafraicbissements;  ce  qui  fut  cause  que  le  siège 
se  prolongea.  Ce  n'était  pas  là  pourtant  ce  que  le  dit  seigneur  avait 
promis  de  faire,  quand  il  demandait  si  plaisamment  l'absolution  du  légat 
Il  .Mantes.  .V  son  exemple,  les  autres  jeunes  ofliciers  de  l'armée  royale  se 
montrèrent  aussi  beaucoup  trop  compatissants  pour  les  dames. 

Néanmoins,  le  blocus  se  continuait  et  se  complétait  chaque  jour. 
D'.Vumont,  un  peu  plus  rigide  observateur  de  la  discipline  que  Givry, 
s'était  cbargé  de  la  garde  du  pont  de  Saint-Cloud  ;  les  moulins  a  vent  qui 
entourent  Paris  avaient  tous  été  incendiés;  le  château  de  Beaumont, 
risle-Adam  et  Sainte-Honorine,  au  continent  de  l'Oise,  étaient  occupés 
par  des  garnisons  royalistes,  et  le  roi  avait  envoyé  des  détachements  sur 
toutes  les  routes  de  la  Normandie,  pour  arrêter  les  convois  qui  pou- 
vaient venir  de  ce  côté-là.  Quant  a  ceux  qui  auraient  tenté  d'arriver  de 
l'autre  rive  de  la  Seine,  toutes  les  villes  de  ce  côté  avaient  été  soumises, 
et  leurs  garnisons  mettaient  bon  ordre  ace  (|ue  rien  ne  passât.  De  plus. 
Sa  Majesté  avait  fait  jeter  un  pont  de  bateaux  sur  la  rivière  et  avait  fait 
passer  sur  cette  rive  ses  compagnies  de  chevau-légers.  Ces  troupes 
s'étaient  logées  dans  toutes  les  maisons  oùelles  avaient  pu  se  retrancher, 
et  elles  battaient  l'estrade  jour  et  nuit.  «  Ainsi  Paris  se  trouva  complète- 
ment assiégé  et  privé  presque  entièrement  de  toutes  sortes  de  commu- 
nications et  de  vivres.  Pour  comble  d'embarras,  la  ville  s'était  remplie 
d'une  foule  de  pauvres  paysans  d'alentour,  que  l'ennemi  y  avait  indus- 
trieusement  repoussés  pour  aider  à  y  consommer  les  provisions.  Ce  qui 
fut  cause  que  ceux  qui  avaient  des  grains  vinrent  à  les  resserrer  ;  et  dès 
lors  commença  à  se  faire  sentir  la  difficulté  de  fournir  du  pain  à  cette 
grande  et  presque  incroyable  multitude,  difficulté  qui  s'accrut  rapidement 
cha()ue  jour.  »  (Caykt,  Chron.  iiovenn.,  ad  ann.  1590.  —  .Mézeray, 
p.   780.) 

Ceux  du  parti  des  politiques  qui  se  trouvaient  dans  la  ville  travail- 
laient de  tout  leur  possible  à  ajouter  encore  aux  inconvénients  et  dan- 
gers do  la  situation,  soit  en  fomentant  secrètement  des  séditions  parmi 
la  populace,  tout  en  ayant  l'air  de  montrer  leur  zèle  pour  la  défense,  soit 
en  donnant  avis  à  l'ennemi  de  tout  ce  qui  se  passait  à  l'intérieur  et  de 
la  marche  des  convois  (pion  atltMidait  pour  ravitailler  la  place. 

«  Malgré  ces  difficultés,  la  garnison  et  tous  les  bous  catholifjues  n'ei» 
continuaient  pas  moins  de  donner  de  grandes  et  signalées  preuves  de 
leur  valeur,  par  les  continuelles  escarmouches  et  braves  sorties  qu'ils  fai- 


80  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

salent  sur  ronnemi,  et  aussi  en  appliquant  leurs  soins  et  vigilance  a 
réprimer  les  pratiques  de  ceux  qui  machinaient  en  dedans.  11  fallut 
même  plus  d'une  fois  que  Monseigneur  le  légat  et  Monseigneur  de  Lyon, 
avec  leur  dextérité  et  prudencjs  accoutumées,  s'interposassent  pour 
réprimer  l'ardeur  de  ces  trop  zélés  défenseurs  de  la  religion,  sans  quoi 
il  s'en  serait  ensuivi  beaucoup  de  meurtres  et  autres  grands  inconvé- 
nients. »  (Manuscrit  cité  suprà.) 

Ce  fut  en  ce  lemps-l'a  que  le  cardinal  de  Bourbon,  âgé  de  plus  de 
soixante-dix  ans,  mourut  de  la  pierre  dans  sa  prison  de  Fonlenay-en- 
Poitou.  Prince  du  sang,  il  avait  été  pourvu  successivement  des  évèchés 
de  Nevers  et  de  Saintes,  et  de  l'archevêché  de  Reims.  11  administra 
révêché  de  Beauvais,  (juand  le  cardinal  de  Châtillon  se  déclara  protes- 
tant. Il  fut  légat  d'Avignon,  pair  de  France,  commandeur  des  ordres  du 
roi,  ai)bé  de  Saint-Denis,  de  Saint-Germain-des-Prés  et  de  Saint-Ouen. 
Le  pape  Paul  111  le  nomma  cardinal  en  loiH.  La  Ligue  l'appela  roi  de 
France,  et,  pendant  qu'elle  faisait  battre  la  monnaie  en  son  nom,  elle  le 
laissa  manquer  du  nécessaire  dans  sa  prison.  (Daniel,  Hist.  de  Fr.^ 
ch.  Vil,  p.  bi  et  05.) 

Cette  mort  du  roi  qu'ils  s'étaient  donné  ne  fit  pas  perdre  cœur  aux 
rebelles,  comme  on  aurait  dû  s'y  attendre.  Ils  n'avaient  jamais  compté 
sur  lui;  jamais  ils  n'avaient  voulu  autre  chose  que  se  servir  de  son  nom 
pour  entretenir  les  troubles  du  royaume.  Pourtant,  ils  ne  laissèrent  pas 
que  de  se  trouver  embarrassés  :  il  leur  fallait  au  moins  un  nom  sous 
l'autorité  duquel  pussent  se  rendre  les  édils,  les  arrêts,  déclarations  et 
ordonnances;  et  les  Espagnols  recommencèrent  leurs  intrigues  par  le 
moyen  du  légat  et  du  clergé  pour  obtenir  que  ce  nom  fût  celui  de  leur 
maître.  (Mézer.w,  ubi  sitp.) 

Pour  Mayenne,  il  voyait  augmenter  encore  les  difficultés  de  sa  posi- 
tion ;  il  lui  fallait  tout  'a  la  fois  et  ne  pas  offenser  Philippe,  des  secours 
duquel  il  ne  pouvait  se  passer,  et  empêcher  que  la  couronne  qu'il  am- 
bitionnait pour  lui-même  ne  fût  prise  par  ce  prince.  11  avait  déj'a, 
comme  on  l'a  vu,  convoqué  les  Etats-Généraux  du  royaume  'a  Melun.  Il 
résolut,  pour  gagner  du  temps,  de  remettre  la  question  du  choix  d'un 
maître  a  leur  jugement,  et  1!  leur  adressa  une  nouvelle  convocation  a 
Paris,  portant  «  (pi'i!  serait  par  eux  procédé  'a  l'élection  d'un  roi  catho- 
lique. En  attendant,  il  garda  toujours  son  titre  de  lieutenant-général  du 
royaume.  » 

Il  était  alors  en  Flandres,  où  il  était  allé  demander  de  nouveaux 
secours  au  duc  de  Parme,  a  qui  Philippe  avait  recommandé  de  soutenir 
les  Parisiens  et  de  faire  lever  le  siège  de  leur  ville.  Mayenne,  malgré  cet 
ordre  du  maiire,  n'en  fut  pas  moins  obligé  «  a  se  soumettre 'a  des  trai- 
tements non  seulement  Indignes  de  sa  qualité,  mais  insultants  pour  la 
majesté  du  royaume.  11  fallut  que  celui  qui  se  disait  lieutenant-général 
de  l'État  et  couronne  de  France  s'abaissât  devant  le  lieutenant  du  roi 
d'Espagne  dans  une  simple  province  ;  tant  est  vrai  ce  mot  d'un  ancien  : 
«  Celui  qui  entre  libre  dans  le  palais  des  princes  en  sort  presque  tou- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  81 

jours  esclave,  et  les  vaincus  qui  vont  requérir,  les  mains  vides,  les 
secours  des  monar(|ues  étrangers,  sont  surtout  exposés  à  ces  afl'ronts- 
là.  »  (Deuxième  Discours  sur  l'étal  de  la  France.) 

Le  duc  de  Parme  promit  pourtant  à  la  lin  que,  sous  peu,  il  viendrait 
lui-même  en  France  a  la  léle  d'une  puissante  armée.  En  attendant,  il 
.donna  à  Mayenne  un  régiment  espagnol,  un  régiment  italien  et  trois 
cents  hommes  de  gendarmerie  llamande.  Ces  soldats  étrangers,  avant 
d'avoir  vu  l'ennemi,  parlaient  déjà  comme  s'ils  en  eussent  triomphé. 
«  Nous  ne  demandons  <prune  seule  chose,  disaient-ils,  c'est  qu'il  y  ait 
seulement  de  l'eau  dans  l'endroit  où  on  nous  conduira,  et  nous  nous 
chargeons  du  reste.  Toutefois  nous  sonmies  curieux  de  savoir  si  le  Béar- 
nais, dès  qu'il  nous  aura  vus,  osera  hien  nous  attendre.  »  (Mém.  de 
Yilleroy,  ad  ann.  1590.) 

-  Mayenne,  à  la  tète  de  ces  fanfarons,  rentra  en  Picardie  ;  mais  il  y 
pensa  être  surpris  par  le  roi,  qui  ayant  fait  dix-huit  lieues  en  un  jour, 
accompagné  d'un  corps  de  cavalerie,  était  venu  se  poster  à  Crécy  pour 
disputer  le  passage  à  l'ennemi.  Le  duc,  averti  à  temps,  se  retira  à  Laon 
et  se  retrancha  dans  les  fauhourgs  de  cette  ville,  où  le  roi  le  fit  attaquer 
par  le  haron  de  Hiron  qu'il  avait  amené  avec  lui.  Mais  voyant,  après 
deux  tentatives  inutiles,  qu'il  n'était  pas  possihle  de  faire  sortir  en  rase 
campagne  ces  braves,  qui  s'étaient  si  hautement  vantés  quand  l'ennemi 
était  loin,  il  ne  voulut  pas  perdre  le  temps  a  les  forcer  dans  un  poste 
où  ils  pouvaient  se  défendre  longtemps,  et  il  revint  vers  Paris,  où  il 
venait  d'apprendre  que  le  capitaine  Saint-Paul,  avec  huit  cents  chevaux, 
se  proposait  de  faire  entrer  un  grand  convoi  par  le  chemin  de  Meaux. 

ce  Le  duc  de  Nemours  en  était  réduit  depuis  longtemps  a  emplover 
toutes  sortes  de  moyens  pour  maintenir  les  Parisiens  dans  la  résolution 
de  se  défendre  jusqu"a  la  dernière  extrémité.  Il  avait  grand  soin  de 
répandre  parmi  le  populaire  les  communications  de  Monseigneur  de 
Mayenne,  et  chacune  de  ces  nouvelles,  fabriquée  pour  gagner  du  temps, 
annonçait,  ou  que  tous  les  obstacles  étaient  levés  et  que  de  puissants 
secours  allaient  venir  faire  lever  le  siège  ;  ou  (ju'on  avait  eu  l'avantage 
dans  quelque  entreprise  tentée  contre  l'armée  ennemie;  ou  que  d'abon- 
dants convois  de  vivres  se  réunissaient  de  toutes  parts.  Mais  Monsieur  de 
Nemours  se  gardait  bien  de  dire  a  personne  la  vérité,  qu'il  ne  connais- 
sait que  trop  lui-même  :  c'est  qu'il  n'était  pas  bien  sur  que  le  secours 
promis  par  le  duc  de  Parme  pût  s'approcher  à  temps.  Cependant, 
comme  il  prévoyait  que  le  roi  répugnerait  toujours  h  en  venir  aux  der- 
nières extrémités  contre  la  capitale  de  son  royaume,  il  avait  compris  que 
pour  lui,  le  principal  danger  viendrait  de  ceux  du  dedans,  (jui,  quand 
les  privations  d'un  long  siège  commenceraient  a  se  faire  sentir,  ne 
manqueraient  pas  de  se  décourager  d'abord,  et  peut-être  même  de  se 
révolter.  Il  chargea  les  prédicateurs,  dont  l'éloquence  était  toute-puis- 
sante en  ce  temps-la  sur  les  masses,  de  préparer  le  peuple  à  la  patience, 
et  de  l'exhorter  'a  tout  endurer  pour  la  défense  de  la  religion.  (Cavkt, 
uhi  sup.) 

IV.  6 


82  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Déjà  le  parlement  de  Rouen  avait,  dès  le  mois  d'avril  précédent, 
donné  un  arrêt  par  lequel  il  était  enjoint  a  tous,  gentilshommes  ou 
autres  portant  les  armes,  de  se  joindre  au  duc  de  Mayenne,  ou  du  moins 
de  se  retirer  en  leurs  maisons  dans  le  terme  de  huit  jours,  en  taisant  la 
promesse  de  ne  plus  servir  le  Béarnais.  Le  parlement  de  Paris  voulut 
encore  enchérir  sur  cette  décision,  et  il  prononça  la  peine  de  mort  et 
de  confiscation  des  biens  cohtre  quiconque,  de  sa  personne,  de  ses  con- 
seils ou  de  son  argent,  aiderait  le  dit  prétendu  roi  de  Navarre.  {Mém. 
de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  54.) 

Mais  on  craignit  que  tous  ces  sermons  el  tous  ces  arrêts  ne  fissent 
pas  encore  assez  d'effet  sur  la  populace,  et  la  Ligue  imagina  de  faire 
une  belle  procession,  d'un  goût  tout  a  fait  nouveau.  A  la  tête  marchait 
Guillaume  de  Rose,  évêque  de  Senlis,  et  le  prieur  des  Chartreux,  tous 
deux  tenant  un  crucilix  d'une  main  et  une  hallebarde  de  l'autre.  Dans 
cet  attirail,  moitié  guerrier  moitié  religieux,  «  ils  aimaient 'a  s'entendre 
appeler  les  braves  Macchabées.  »  Venaient  ensuite  les  Pères  capucins, 
feuillants,  minimes,  carmes,  cordeliers  et  jacobins,  tous  ayant  leur  froc 
retroussé,  le  capuchon  abattu,  le  casque  en  tête  et  la  cuirasse  sur  le 
dos,  comme  soldats  de  l'Église  militante.  Les  anciens  marchaient  les 
premiers,  grinçant  les  dents,  se  donnant  une  mine  fière  et  tâchant  de 
contrei'aire  de  leur  mieux  une  attitude  guerrière.  Les  jeunes  moines, 
dans  le  même  équipage,  les  suivaient  armés  d'arquebuses  qu'ils  avaient 
parfois  la  maladresse  de  laisser  partir  dans  la  tête  de  ceux  qui  étaient 
accourus  pour  voir  un  aussi  étrange  spectacle.  On  dit  même  (pi'un  des 
officiers  de  la  maison  de  Monseigneur  le  légat  eut  le  malheur  d'être  tué 
raide,  et  qu'il  y  en  eut  deux  autres  blessés  dangereusement  par  ces  ar- 
quebusiers de  nouvelle  espèce.  Pour  apaiser  le  tumulte  que  de  pareils 
accidents  avaient  excité  parmi  le  peuple,  on  fit  savoir  'a  tous  que  l'âme 
du  meurtri  s'était  envolée  tout  droit  au  ciel,  pour  prendre  place  parmi  les 
confesseurs,  et  qu'il  fallait  le  croire  parce  que  Monsieur  le  légat,  qui 
savait  bien  ce  qu'il  en  était,  l'assurait  ainsi.  (De  Thou,  ubi  siip.,  p.  280. 
—  Leguai>',  Décades  de  Henri  le  Grand,  liv.  5.) 

Au  reste,  c'était  plaisir  de  voir  un  petit  feuillant  jouer  d'un  espadon 
aussi  long  que  lui,  et  toujours  en  mouvement,  tantôt  a  la  tête  tantôt  'a 
la  queue  de  celte  milice  sacrée.  Il  y  mettait  tant  d'action  que,  quoi- 
qu'il fût  boiteux,  on  ne  s'apercevait  presque  pas  de  celte  infirmité  assez 
peu  convenable  dans  un  sergent  de  bataille.  Les  moines  mêlaient  à  tout 
cela  le  chant  des  psaumes,  et  surtout  ils  répétaient  presque  continuel- 
lement d'un  ton  lugubre  ces  paroles  du  livre  de  Job  :  «  La  vie  de  l'homme 
est  un  combat  perpétuel.  »  (Job,  chap.  vu,  vers.  1.)  Mais  à  ce  texte 
sacré  ils  ajoutaient  cette  espèce  de  commentaire,  qu'en  braves  soldats 
de  l'Église  militante  ils  trouveraient  un  jour  leur  récompense  dans 
l'Église  triomphante  qui  est  au  ciel. 

La  populace  ne  manqua  pas  de  trouver  tout  cela  beau  et  édifiant,  et 
le  but  que  se  proposaient  les  auteurs  de  cette  indécente  mascarade  fut 
pleinement  atteint;  elle  contribua  à  monter  les  esprits  a  ce  poiht  que,  si 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  83 

quelqu'un  était  assez  hardi  pour  parler  d'accommodement  avec  l'héré- 
tique, «  il  était  incontinent  lié  et  jeté  a  l'eau,  ce  qu'ils  ont  fait  'a  plus 
de  vingt.  »  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  280.) 

Pour  les  gens  sensés,  ils  ne  pouvaient  voir  sans  indignation  qu'on 
cherchât  par  d'aussi  déplorables  moyens  a  se  jouer  d'un  peuple  que  l'on 
trompait,  a  l'exposer  a  tous  les  maux  faciles  a  |)révoir  dont  ce  siège  fut 
accompagné. 

Le  duc  de  Nemours,  tout  en  approuvant  et  même  en  provoquant  ces 
moyens  d'agir  sur  les  esprits  par  la  superstition  et  le  fanatisme,  ne  né- 
gligeait pas  toutefois  les  moyens  humains.  Il  lit  venir  le  seigneur  de 
Vitry  qui,  après  la  mort  de  Henri  III,  s'était,  ainsi  (pi'on  l'a  vu,  retiré  du 
parti  royaliste.  Ce  seigneur,  a  qui  Ton  promit  des  appointements  consi- 
dérables, amena  sa  compagnie,  composée  de  cent  cinciuante  gens 
d'armes 'a  cheval,  tous  bien  et  dûment  équipés.  On  rappela  aussi  dans 
la  ville  (piinze  cents  lansquenets  commandés  par  le  comte  de  Colalto, 
et  qu'on  avait  précédemment  cantonnés  dans  les  places  voisines.  (De 
Tiioi;,  ubi  sup.) 

Enlln,  le  jour  de  l'Ascension,  on  lit  une  nouvelle  procession,  un 
peu  moins  ridicule  que  la  première.  Toutes  les  reliques  et  toutes 
les  châsses  de  Paris  y  furent  portées  avec  grande  pompe.  L'a,  on 
ne  vit  plus  de  moines  armés  d'une  façon  grotesque,  mais  tous  les 
seigneurs  du  parti,  a  la  tête  desquels  étaient  !e  duc  de  Nemours  lui- 
même  et  le  chevalier  d'Aumale,  tous  les  chefs  et  officiers  des  troupes, 
chacun  armé  de  pied  en  cap  et  dans  le  costume  de  son  grade,  défi- 
lèrent en  bon  ordre  aux  yeux  du  peuple.  Ils  se  rendirent  'a  la  cathédrale, 
où,  sur  les  saints  Évangiles,  ils  jurèrent  tous  'a  haute  voix  de  mourii 
pour  le  salut  de  la  religion,  et  de  défendre  Paris  jusqu'à  la  dernière 
extrémité  contre  les  entreprises  du  Béarnais.  Mais  dtvja  'a  cette  époque  il 
y  avait  bien  des  gens  qui  savaient  qu'un  serment  n'engage  qu'autant 
qu'on  veut  le  tenir,  et  qu'il  y  a  toujours  mille  moyens  de  se  dégager  de 
ses  liens. 

Par  les  ordres  du  commandant  général,  on  faisait  pendant  ce  temps- 
la  tous  les  préparatifs  d'une  résistance  désespérée.  Trois  cents  ouvriers 
étaient  occupés  sans  relâche  a  fabriquer  de  la  poudre;  les  brèches  des 
murailles  étaient  soigneusement  réparées,  les  faubourgs  étaient  protégés 
par  de  grands  retranchements;  plusieurs  édifices,  qui  auraient  pu  gêner 
la  défense,  étaient  abattus;  les  remparts  se  garnissaient  d'artillerie,  et 
pour  empêcher  les  surprises,  on  tendait  deux  fortes  chaînes,  lune  en 
amont,  l'autre  en  aval  de  la  rivière.  (Mézeray,  t.  III,  p.  787.) 

Le  roi  n'avait  pas  assez  de  troupes  pour  empêcher  tous  ces  travaux, 
et  les  Parisiens  s'y  portaient  avec  tant  dardeur  que  chaque  famille  four- 
nissait journellement  un  homme  pour  y  prêter  la  main.  Ils  donnèrent 
même  juscpi'a  leur  batterie  de  cuisine  pour  fondre  les  canons  dont  on 
avait  besoin. 

On  fit  ensuite  le  dénombrement  de  toutes  les  bouches  qui  se  trou- 
vaient dans  Paris.  Il  fut  trouvé  qu'il  y  en  avait  deux  cent  mille,  et  que 


84  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

le  blé  qu'on  avait  suffirait  a  peine  pour  les  nourrir  pendant  un  mois;  on 
avait  de  plus  quinze  cent  muids  d'avoine,  dont,  disaient  les  recenseurs, 
on  pourrait  encore  tirer  parti  en  cas  de  nécessité.  Mais,  comme  on  venait 
de  recevoir  une  nouvelle  lettre  de  Mayenne,  et  que  celui-ci  annonçait 
qu'il  allait  venir  incessamment  avec  un  grand  renfort  d'Espagnols  et  de 
Flamands,  le  duc  de  Parme  en  téte^  on  comptait  bien  être  muni  de  vivres 
sul'iisants  jusqu'à  son  arrivée.  (De  Thoiu,  ubi  sup.) 

Pourtant,  afin  que  les  provisions  qu'on  avait  ne  fussent  pas  gas- 
pillées, on  décida  qu'il  serait  choisi,  dans  chacjue  quartier  de  la  ville,  un 
boulanger  a  qui  on  délivrerait,  par  semaine,  la  quantité  nécessaire  de 
blé  a  raison  de  quatre  écus  le  setier,  mais  'a  condition  qu'il  vendrait  le 
pain  a  six  blancs  la  livre;  de  plus,  comme  l'argent  manquait  a  la  plus 
grande  partie  des  consommateurs,  qui,  pendant  un  siège,  n'avaient  plus 
le  moyen  d'en  gagner  par  leur  travail.  Monseigneur  de  Gondi,  arche- 
vêque de  Paris,  ordonna  que  toutes  les  paroisses  et  églises  de  la  ville 
donneraient  tous  les  ornements  et  vases  d'or  et  d'argent  pour  être  fon- 
dus, afin  que  la  monnaie  qui  en  proviendrait  fût  distribuée  aux  plus 
•nécessiteux,  promettant  que  le  prix  des  dits  vases  et  ornements  serait 
payé  aussitôt  après  la  levée  du  siège.  {Journal  de  Henri  IV,  t.  I, 
p.  47.) 

Le  légat  fit  aussi  quelques  aumônes  de  l'argent  qu'il  avait  tiré  du 
Pape,  et  l'ambassadeur  d'Espagne  s'engagea  a  payer  par  jour  pour  cent 
vingt  écus  d'or  de  pain,  lequel  serait  livré  gratuitement  aux  pauvres. 

Il  advint  en  ce  même  temps  que  le  seigneur  de  La  Bourdaizière, 
zélé  Ligueur,  sortit  d'Orléans  'a  la  tête  d'un  corps  de  troupes,  et  accom- 
pagné de  quelques  pièces  de  canon  ;  il  se  vantait  de  rétablir  les  commu- 
nications entre  sa  ville  et  la  capitale  assiégée.  Mais  il  ne  prit  pas  le  che- 
min le  plus  direct;  il  commença  par  descendre  la  Loire  et  vint  investir 
le  château  de  Mesmes,  qui  appartenait  a  l'évêque  diocésain,  et  dans 
lequel  il  savait  qu'il  y  avait  de  grandes  richesses.  Comme  cette  place 
n'avait  qu'une  garnison  très-faible,  elle  se  rendit  sans  difficulté  après  les 
premières  volées  de  canon,  et  La  Bourdaizière  y  fit  un  plantureux  butin. 
(De  Thou,  ubi  sup.  — Matthieu,  Vie  de  Henri  /F,  liv.  1,  p.  114.) 

Il  s'en  alla  ensuite  a  Chàteaudun,  ancienne  capitale  du  comté  de 
Dunois.  Le  fameux  bâtard,  si  connu  sous  ce  nom,  y  avait  fait  élever,  du 
temps  de  Charles  VI,  un  château  et  une  chapelle  où  il  a  sa  sépulture, 
ainsi  que  les  comtes  ses  descendants.  Néanmoins,  cette  ville,  quoique 
importante,  n'avait  ni  fortihcations  ni  garnison  ;  aussi  se  pressa-t-elle  de 
capituler  'a  la  première  sommation. 

Le  roi,  en  ayant  eu  avis,  comprit  que  la  possession  de  cette  place 
pouvait  donner  aux  ennemis  la  facilité  d'intercepter  'a  leur  tour  les  con- 
vois de  vivres  qu'il  tirait  de  la  Beauce,  et  il  donna  l'ordre  au  maréchal 
d'Âumoiit  et  au  prince  de  Conti  de  partir  incontinent  pour  la  reprendre. 
Chàteaudun  se  rendit  aux  troupes  royalistes  avec  autant  de  facilité  qu'elle 
s'était  rendue  aux  Ligueurs;  mais  ceux-ci  y  avaient  déjà  mis  le  feu,  et 
tous  les   faubourgs,   qui  valaient  mieux  que  la  ville,  furent  réduits  en 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  85 

cendres.  Tous  les  biens  des  habitants  y  furent  perdus.  «  L'eml)rasenient 
fut  si  "rand  que  les  vins  bouillaient  dans  les  caves  de  la  chaleur  du  feu, 
et  (jue  tous  les  blés  lurent  brûlés  dans  les  greniers  :  c  était  une  grande 
désolation.  »  On  estima  la  perte  a  cent  mille  écus  d'or,  et  dWumont,  en 
représailles,  fit  pendre  une  partie  de  la  garnison.  (Cavet,  Chron. 
noven7i.,  1590.) 

Le  siège  de  Paris  continuait  pendant  ce  temps-la.  Sa  Majesté  (jui, 
depuis  son  retour  de  Picardie,  avait  pris  son  quartier  général  a  Auber- 
villiers,  écrivit  aux  Parisiens,  le  (juinzième  jour  de  juin,  pour  les  exhor- 
ter a  penser  sérieusement  a  leurs  véritables  intérêts.  «  Ne  prêtez  pas 
plus  longtemps,  disait-il,  l'oreille  a  des  conseils  perfides  et  dangereux; 
ceux  (jui  vous  les  donnent  n'ont  d'autre  but  que  de  profiter  de  votre 
témérité  et  de  vos  malheurs,  et  ils  ne  cherchent  que  leur  intérêt  per- 
sonnel qu'ils  espèrent  trouver  dans  vos  désastres  mêmes.  Moi,  qui  suis 
votre  roi  légitime  et  votre  père,  je  vous  offre  pardon  et  oubli  du  passé, 
et  tout  peut  encore  se  réparer;  mais  n'attendez  pas  plus  longtemps  pour 
avoir  recours  h  ma  clémence  :  une  trop  longue  obstination  m'obligcniit  'a 
ne  plus  écouter  que  la  justice.  » 

Ces  lettres  ne  produisirent  aucun  elTet  sur  les  chefs  de  la  Ligue,  qui 
se  gardèrent,  au  reste,  de  les  rendre  publiques.  Au  contraire,  pour  faire 
parade  de  leur  fermeté,  ils  firent  donner,  le  même  jour,  par  le  parle- 
ment, un  nouvel  arrêt  «  qui  défendait,  sous  peine  de  la  vie,  'a  (pii  que  ce 
fût,  de  proposer  d'entrer  en  aucun  accommodement  avec  Henri  de  Bour- 
bon, »  et  qui  obligeait  d'obéir  sans  réplique  a  Monseigneur  le  duc  do 
Nemours,  gouverneur  de  la  ville,  et  commandant  général  des  troupes  de 
la  Sainte-Union  dans  celte  capitale.  {Mém.  de  la  Ligue,  p.  21b.) 

Tout  le  reste  du  mois  se  passa  en  diverses  escarmouches  et  sorties 
des  assiégés,  qui  n'ayant  pas  encore  eu  le  temps  de  souffrir  beaucoup  de 
la  faim,  déployaient  en  effet  un  grand  courage.  Dans  une  de  ces  sorties, 
le  chevalier  d'Aumale  força  les  royalistes  à  abandonner  l'abbaye  de  Saint- 
Antoine,  où  ils  s'étaient  établis,  «  action  brave  et  généreuse,  mais  qui 
fut  tachée  par  l'indécente  conduite  de  ses  soldats.  Sans  respect  pour  la 
religion  dont  ils  se  disaient  les  soutiens,  ces  malheureux  entrèrent  dans 
la  dite  abbaye,  (pii  était  une  abbaye  de  femmes,  pillèrent  les  vases  sacrés 
ainsi  que  les  ornements  de  l'église,  et  commirent  de  plus  damnables 
excès  encore  sur  les  épouses  de  Jésus-Christ.  »  {Journal  de  Henri  IV, 
l.  I,  p.  47.) 

Le  roi,  pour  réprimer  ces  entreprises,  dont  le  succès  ne  mancpiait 
jamais  d'ajouter  encore  ii  l'outrecuidance  d'une  populace  égarée,  fit  dres- 
ser une  batterie  sur  la  butte  de  Monlfaucon;  quebpies  jours  après,  il  en 
établit  une  seconde  sur  les  hauteurs  de  Montmartre,  et  l'on  commença  à 
foudroyer  la  ville  et  les  faubourgs  (|ui  élaient  de  ce  coté,  mais  sans  pro- 
duire beaucouj)  d'ellet.  Pour  lors,  \itry  sortit  a  la  tête  de  son  régiment, 
ce  qui  donna  lieu 'a  une  rencontre  très-chaude  entre  lui  et  Givry,  comman- 
dant de  Cliarenton.  Ces  deux  capitaines  étaient  panMits  fort  proches  et  de 
plus  très-grands  amis.  En  se  revoyant,  ils  commencèrent  par  s'embras- 


86  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

scr;  juiis,  mettant  l'épée  à  la  main,  ils  donnèrent  le  signal  cju  combat 
qui  devint  très-sanglant.  Les  royalistes  finirent  par  avoir  le  dessous,  et 
plusieurs  de  ceux  qui  accompagnaient  Givry  turent  ou  tués  ou  dange- 
reusement blessés.  (Cayet,  ubi  siip.) 

Pendant  cette  escarmouche,  Saint-Paul,  avec  son  convoi,  après  s'être 
quelque  temps  arrêté  a  Meaux,  était  parti  de  cette  dernière  ville,  et 
côtoyant  la  Marne,  il  cherchait  un  moyen  de  pénétrer  dans  la  ville 
assiégée.  Il  eut  le  bonheur  de  rencontrer,  près  de  la  forêt  de  Livry,  un 
grand  bateau  qui  portait  aussi  des  vivres  au  camp  du  roi.  Il  s'en  empara, 
fit  monter  tout  son  monde  dessus  avec  ce  qu'il  apportait  lui-même,  et, 
tenant  le  milieu  de  la  rivière,  il  parvint  a  passer  heureusement,  malgré 
les  troupes  du  roi.  On  ajoute  qu'une  somme  de  dix  mille  écus  payée  a 
Givry  ne  contribua  pas  peu  a  faciliter  le  passage  de  ce  convoi,  qui  aurait 
dû  naturellement  être  intercepté  au  pont  de  Charenton.  (MézerAv, 
t.  m,  p.  786.) 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'entrée  d'un  pareil  secours  dans  la  capitale  fut 
un  véritable  triomphe  pour  celui  qui  l'amenait,  car  ces  provisions  ne 
pouvaient  arriver  plus  a  propos  aux  Parisiens.  Ils  commençaient  déjà  'a 
s'apercevoir  que  les  vivres  allaient  bientôt  leur  manquer,  et  que  le 
siège,  malgré  les  promesses  de  Mayenne,  pouvait  durer  longtemps 
encore. 

Pour  faire  diversion  a  cette  joie,  le  Béarnais,  dit  une  relation  com- 
posée dans  la  ville  même  et  pendant  le  siège,  fit  tirer  de  sa  batterie  de 
Montmartre  soixante  coups  de  canon  «  lesquels,  par  la  grâce  de  Dieu, 
ne  firent  aucun  mal,  sinon  qu'un  boulet  vint  rompre  les  jambes  'a  un 
avocat,  l'un  des  plus  entêtés  politi(iues  (jui  fussent  dans  la  ville.  »  Le 
dix-huitième  jour  de  juin,  on  tirade  nouveau  plus  de  cent  quarante  coups 
qui  firent  encore  moins  de  mal,  «  n'ayant  abattu  qu'un  pot  a  moineaux.  » 
Aussi  tout  ce  bruit  étonna  si  peu  les  Parisiens  que  les  boutiques  ne 
furent  pas  même  fermées,  et  que  la  justice  ainsi  que  les  études  eurent 
leur  cours  comme  a  l'ordinaire.  {Mém.  de  la  Ligne,  t.  IV,  p.  174 
et  suiv.) 

Au  mois  de  juillet,  les  assiégés  firent  une  nouvelle  sortie  dans  la- 
quelle fut  lait  prisonnier  D'Andelot,  frère  de  Cbàtillon.  Nemours  et  le 
légat  entourèrent  ce  jeune  homme,  d'un  caractère  vain  et  peu  ferme,  de 
tant  de  caresses  et  de  prévenances,  que  malgré  les  reproches  de  son 
frère,  arrivé  tout  récemment  à  l'armée  royale  avec  une  partie  des  forces 
du  Languedoc,  il  embrassa  ouvertement  le  parti  de  la  Ligue,  signa 
l'Union  et  se  mit  iiu  service  du  duc  de  Nemours.  On  vit  l'un  des  fils  de 
Coligny  consacrer  son  épée  a  la  défense  de  ceux  qui  avaient  assassiné 
son  père.  (De  Thou,  ubi  sup.) 

Or,  toutes  les  avenues  de  Paris  et  tous  les  passages  des  rivières 
étaient  tellement  bouchés  qu'il  n'entrait  plus  aucune  provision  dans 
cette  ville,  déjà  réduite  au  pain  d'avoine  et  a  la  chair  de  cheval.  Les 
malheureux  affamés  pouvaient  encore  aller  fourrager  hors  des  mu- 
railles,   et  recueillir  dans   les   cbamps  avoisinants   quelques  herbages, 


DU  PllOTESTANTISME  EN  FRANCE.  87 

pois,  frves  et  autres  fruits  de  la  saison  ;  et  même,  comme  il  arriva  celle 
année  que,  par  une  faveur  toute  spéciale  du  ciel,  la  moisson  vint  en 
maturité  bien  plus  tôt  (jue  de  coutume,  on  avait  pu,  sous  l'escorte  des 
soldats  qui  combattaient  valeureusement  pour  repousser  les  j)artis  enne- 
mis, et  sous  la  protection  de  lartillerie  des  remparts,  recueillir  et  rap- 
porter dans  la  ville  une  partie  des  blés,  orges  et  seigles  qui  avaient 
poussé  aux  environs.  Cette  récolle  était,  il  est  vrai,  chèrement  achetée 
au  prix  du  sang  des  moissonneurs  et  de  leurs  délensein-s,  mais  elle 
n'en  était  pas  moins  une  précieuse  ressource,  tant  à  cause  du  grain  que 
de  la  paille.  Cependant  on  pouvait  déjii  prévoir  que  ces  rafraîchisse- 
ments allaient  bientôt  l'aire  défaut,  et  il  n'y  avait  |)lus  'a  compter  sur  les 
ressources  des  places  voisines. 

De  toutes  celles  qui  entouraient  la  capitale,  il  ne  restait  plus  'a 
prendre  par  l'ennemi  que  Saint-Denis,  Dammartin  et  le  fort  de  Vin- 
cennes.  Le  roi  fit  ttltaquer  à  la  fois  c^s  trois  endroits.  Lamarck,  comte 
de  Maulevrier,  fut  chargé  d'assiéger  Dammartin,  qui  ne  tarda  pas  'a  se 
rendre.  Ce  fut  Sa  Majesté  elle-même  qui  voulut  commander  en  personne 
l'attaque  de  Saint-Denis. 

Les  fortidcations  de  cette  ville  ne  permettaient  pas  d"espérer  de 
l'emporter  par  un  coup  de  main,  sans  s'exposer  a  perdre  beaucoup  de 
monde.  Le  roi,  (jui  était  ménager  du  sang  de  ses  soldais,  la  blo(|ua  de  si 
près  qu'elle  fut  bientôt  en  proie  a  la  plus  extrême  disette.  Les  Parisiens, 
en  ayant  eu  connaissance,  résolurent  de  la  secourir.  Quelques  cavaliers 
sortirent  de  Paris,  pendant  (pie  le  chevalier  d'Aumale  délournait  l'allen- 
tion  des  assiégeants  en  venant  faire  une  attaque  sur  un  autre  point.  Ces 
cavaliers,  ayant  mis  pied  a  terre,  se  glissèrent  silencieusement  dans  les 
blés,  (pii  étaient  déjà  fort  "hauts  en  celte  saison;  ils  parvinrent  pour  la 
plupart  a  tromper  la  vigilance  des  sentinelles,  et  ils  entrèrent  dans 
Saint-Denis  avec  (|uel(|ues  pains  qu'ils  apportaient;  mais,  à  la  vue  de 
ces  pains  faits  avec  de  la  farine  d'avoine,  dont  on  n'avait  pas  même 
séparé  le  son  et  les  balles,  ceux  de  Saint-Denis  purent  juger  que  la 
disette  n'était  pas  moins  grande  dans  Ifi  capitale  que  chez  eux.  Le  cin- 
quième jour  de  juillet,  ils  convinrent  de  se  rendre  au  roi  dans  trois 
jours,  s'il  ne  leur  arrivait  d'ici  la,  ni  vivres  ni  troupes.  (Cavet,  Chron. 
novenn.,  ad  ann.  J^OO.) 

Le  roi  accepta  le  traité,  mais  il  eut  soin  de  faire  faire  une  garde  fort 
exacte,  et  lui-même  passait  les  nuils  a  cheval.  Le  (jualrième  joui'  donc, 
nul  secours  n'ayapt  pu  aborder,  la  ville  S0  rendit  dès  le  malin,  confor- 
mément aux  conventions.  Les  six  cents  soldats  qui  composaient  la  garni- 
son eurent  la  liberté  de  se  retirer  avec  armes  et  bagages,  et  Henri  les 
lit  reconduire  en  lieu  de  sûreté.  «  H  prit  ses  quartiers  dans  la  ville  con- 
(piise;mais  le  jour  même,  il  se  lit  un  grand  orage.  Lu  prodigieux  éclat 
de  tonnerre  tomba  sur  la  niaison  Qij  il  s'élail  logé  et  tua,  en  sa  chambre, 
(Ml  de  ses  plus  chers  favoris  avec  trois  autres  personnes,  le  laissant  lui- 
même  étonné  et  \]ovs  de  sens  pendant  un  assez  long  espace  de  temps. 
Les  partisans  de  la  Ligue  ne  mantiuèrent  pas  de  crjer  que  c'était  l'a  un 


88  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

sinistre  présage,  et  plusieurs  des  royalistes  en  portèrent  le  même  juge- 
ment. »  (Manuscrit  cité  suprà.) 

Quant  au  fort  de  Vincennes,  le  succès  ne  fut  pas  heureux.  D'Aumale 
y  avait  placé  un  parti  de  ses  meilleurs  soldats.  Les  royalistes  tirent  plu- 
sieurs tentatives  pour  les  surprendre  ;  mais  celui  qui  avait  le  comman- 
dement de  cette  forteresse  sut  rendre  leurs  efforts  inutiles,  et  Vincennes 
resta  au  pouvoir  de  la  Ligue  jusqu'à  la  reddition  de  Paris. 

Sur  ces  entrefaites,  le  roi  rappela  le  chancelier  Cheverny,  en  l'invi- 
tant par  lettres  extrêmement  gracieuses  à  venir  reprendre  sa  place  à  la 
cour.  Henri  sentait  le  besoin  de  réorganiser  l'administration,  et  de  con- 
fier la  garde  des  sceaux  à  quelqu'un  qui  eût  au  moins  la  connaissance 
des  lois  et  des  usages  du  royaume.  Depuis  qu'il  était  roi,  cette  ciiarge 
avait  été  confiée  'a  des  mains  inhabiles  et  inexpérimentées;  de  sorte  que, 
suivant  l'influence  de  tel  ou  tel  personnage,  tantôt  du  marquis  d'O, 
tantôt  du  maréchal  de  Biron,  il  se  commettait  de  nombreux  abus  dans 
l'apposition  du  scel  royal  a  des  lettres  et  à  des  ordres  fort  souvent  con- 
tradictoires. {Méni.  de  Cheverny,  ad  ann.  1590.) 

Personne  n'était  plus  en  état  de  remédier  'a  ces  désordres  que  le 
chancelier,  homme  versé  dans  la  jurisprudence  et  qui  avait  déjà  fait  ses 
preuves  sous  le  règne  précédent.  Comme  on  le  pense  bien,  Cheverny, 
qui  avait  eu  tout  le  temps  de  s'ennuyer  de  son  éloignement  des  affaires, 
ne  se  fit  pas  beaucoup  prier  pour  se  rendre  îi  l'invitation  de  Sa  Majesté; 
la  conscience  d'un  homme  d'État  est  toujours  disposée  'a  lui  faire  croire 
que  son  inaction  est  une  perte  pour  le  pays,  et  qu'il  se  doit  au  bonheur 
de  ses  concitoyens.  Cheverny  arriva  donc  a  Aubervilliers  la  veille  de  la 
capitulation  de  Saint-Denis,  et  Henri,  qui  avait  heureusement  un  talent 
particulier  pour  gagner  les  hommes  qu'il  savait  lui  devoir  être  utiles,  le 
reçut  avec  tant  de  caresses  qu'il  s'en  fit  un  serviteur  dévoué. 

En  effet,  Cheverny  trouva  le  moyen  de  rendre  en  peu  de  temps  a  la 
cour  du  nouveau  monarque  quelque  apparence  de  dignité  royale.  H  par- 
vint a  rappeler  autour  du  prince  la  plupart  des  grands  officiers  de  la 
couronne.  Il  fit  même  revenir  la  musique  de  la  chapelle  du  roi,  dont 
Monsieur  l'archevêque  de  Bourges  avait  la  charge,  et  l'on  recommença 
à  dire  tous  les  jours  la  messe  de  Sa  Majesté,  comme  sous  les  règnes 
précédents;  ce  qui  fut  du  meilleur  effet  auprès  des  seigneurs  catholiques; 
aussi  tje  toutes  parts  arrivait-il  de  nouveaux  renforts  a  l'armée  ;  car  ce 
premier  pas  fait  vers  une  conversion  depuis  si  longtemps  promise  ré- 
chauffa le  zèle  de  ceux  que  n'arrêtait  plus  qu'un  scrupule  de  conscience, 
et  puis,  il  faut  bien  le  dire  aussi,  le  succès  de  la  bataille  d'ivry  ne  devait 
pas  peu  contribuer  à  lever  ce  scrupule  :  rien  ne  consacre  mieux  un 
droit  qu'une  grande  victoire. 

Le  duc  de  Nevers,  le  vicomte  de  Turenne,  deux  des  plus  puissants 
seigneurs  de  la  France,  et  qui  étaient  comme  des  rois  dans  leurs  do- 
maines, n'hé-itèrent  plus  a  embrasser  ouvertement  la  cause  royale, 
tous  deux,  peut-être,  parce  qu'ils  voyaient  celle  de  la  Ligue  trop  faible 
pour  se  relever  jamais,  etqu'il  était  temps,  par_  conséquent  de  s'atta- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  89 

cher  a  celui  qui  allait  indubilahlemenl  devenir  leur  souverain.  (Le  duc 
de  Nevers  cependant  avait  déjà,  comme  on  Ta  vu  (cliap.  ii),  prêté  son 
argent  au  roi.)  Une  i'oulc  d'autres  seigneurs  de  moindre  importance 
accouraient  aussi  avec  empressement,  attirés  par  l'espérance  d'un  riche 
butin,  car  ils  s'imaginaient  (|ue  Paris  serait  livré  'a  la  discrétion  du 
soldat  et  qu'on  y  trouverait  des  montagnes  d'or.  (Mi^zkrav,  t.  III, 
p.  812.) 

Conti,  après  la  prise  de  Châteaudun,  avait  déjà  depuis  (jnelque  temps 
rejoint  le  roi  avec  toutes  les  troupes  royalistes  de  la  Touraine,  du  Maine 
et  de  l'Anjou,  et  l'on  a  vu  aussi  que  Chàtillon  lui  avait  amené  une  partie 
de  celles  du  Languedoc.  Son  armée  était  presfpic  doublée. 

Il  recevait  alors  l'heureuse  nouvelle  qu'une  tentative  faite  par  les 
Ligueurs  pour  reprendre  SenHs  venait  d'être  déjouée,  à  la  grande  honte 
de  ces  derniers.  C'était  un  nommé  Dezonville  qui  avait  monté  ce 
complot.  Ce  genlilliomme,  ayant  été  lait  prisonnier  quel(|ue  temps  aupa- 
ravant par  les  troupes  du  roi,  avait  été  envoyé  'a  Senlis  pour  y  être 
gardé.  Il  proposa  a  quelques  ccclésiasti(iues  de  livrer  cette  place  h  la 
Ligue;  mais  les  habitants  étaient  sur  leurs  gardes,  et  ceux  des  bourgeois 
de  Paris,  qui,  pour  ne  pas  mentir  a  leur  conscience,  s'y  étaient  réfugiés 
lors  du  fameux  serment  exigé  par  le  conseil  des  Seize  et  par  le  légat, 
veillaient  aussi  de  leur  côté.  Ils  n'étaient  pas,  en  efTet,  les  moins  inté- 
ressés à  observer  les  démarches  du  clergé  qu'on  savait  bien  n'être  que 
trop  porté  pour  le  parti  des  ennemis  du  roi.  Pourtant,  toute  leur  vigi- 
lance fut  sur  le  point  d'être  mise  en  défaut. 

Un  ouvrier  brasseur,  qui  travaillait  cbcz  les  Révérends  Pères  corde- 
liers,  découvrit  le  premier  cette  mystérieuse  conjuration.  \^n  jour,  plu- 
sieurs de  ces  religieux  buvaient  dans  l'atelier  où  il  était  occupé,  et,  se 
trouvant  échaulFés  par  la  boisson,  ils  se  prirent  a  dire  que  dans  peu 
ils  auraient  repris  leur  première  autorité;  qu'afors  ils  sauraient  bien  se 
venger  des  hérétiques,  et  punir  comme  ils  le  méritaient  tous  ces  poli- 
tiques qui  étaient  venus  pervertir  les  habitants  de  leur  ville,  lis  ajou- 
tèrent qu'aussitôt  que  le  complot  aurait  réussi,  on  n'épargnerait  aucun 
de  ces  maudits  réfugiés  parisiens,  et  qu'on  traiterait  de  même  ceux  des 
bourgeois  (jui  avaient  engagé  les  autres  à  abandonner  la  Sainte-Union, 
(ju'on  n'en  laisserait  pas  un  seul  en  vie. 

Le  brasseur  frémit  d'horreur  en  entendant  i)arler  ces  bons  Pères 
d'une  pareille  boucherie;  mais  il  se  maîtrisa  et  chercba  a  savoir  (juel 
jour  devait  se  lai-e  cette  sanglante  exécution.  Il  apprit  (pfelle  était  lixée 
a  la  nuit  du  troisième  au  quatrième  jour  de  juin,  et  aussitôt  il  alla  pré- 
venir Monsieur  de  Montmorenry-Thoré  de  faire  laire  bonne  garde  cette 
nuit-Ta.  Comme  il  relusait  d'indiijuer  le  nom  des  complices,  pour  ne  pas 
compromettre  des  gens  qui  lui  faisaient  gagner  sa  vie,  on  ne  tint  nul 
compte  de  cet  avis;  lu  moins  est-il  certain  qu'on  ne  prit  aucune  pré- 
caution extraordinaire. 

C'était  un  sieur  Savigny  de  Rosne  qui  avait  promis  de  fournir  les 
forces  nécessaires  a  l'exécution  de  l'entreprise;  et   voici  comment  la 


90  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

chose  fut  conduite  :  d'abord  douze  soldats  s'introduisirent  séparénnent 
dans  la  ville,  déguisés  en  paysans  et  portant  des  hottes,  comme  s'ils 
venaient  vendre  des  légumes  au  marché.  Ils  se  réunirent  ensuite  chez 
un  chanoine,  dont  la  maison  était  voisine  du  rempart.  La,  les  ecclésias- 
tiques et  les  moines  qui  faisaient  partie  du  complot  avaient  déjà  apporté 
secrètement  une  assez  grande  quantité  d'armes  qu'ils  cachaient  aisé- 
ment sous  leurs  robes  et  sous  leurs  frocs. 

De  ce  côté-la,  précisément,  le  rempart  était  fort  étroit,  fort  bas,  et 
d'une  vieille  construction  déjà  presque  ruinée  par  le  temps  ;  le  fossé  était 
peu  profond  et  en  pente.  De  Rosne  s'avança  pendant  la  nuit,  qui  était 
sans  lune  et  fort  sombre,  amenant  avec  lui  huit  cents  hommes.  H  les  fit 
descendre  dans  le  fossé;  ensuite  il  fit  dresser  les  échelles,  et  l'on  com- 
mença a  monter  sur  le  rempart  avec  le  moins  de  bruit  possible.  Les  sol- 
dats qui  s'étaient  introduits  la  journée  d'avant  dans  la  ville  attendaient 
leurs  camarades  en  faisant  le  guet. 

En  ce  moment,  Boutteville,  lieutenant  de  Thoré,  faisait  sa  ronde  de 
nuit.  Il  vit  un  homme  qu'il  prit  pour  une  sentinelle.  11  lui  demanda  si 
tout  était  tranquille.  «  Oui,  Monsieur,  »  répondit  celui-ci.  «  Parlez  donc 
plus  bas,  dit  une  voix  qui  partait  du  fond  du  fossé;  vous  allez  nous 
faire  découvrir.  —  Soyez  sans  inquiétude,  dit  Boutteville,  avec  une  admi- 
rable présence  d'esprit,  tout  va  bien.  »  Il  entrevit  alors  qu'un  croc  de 
fer  venait  d'accrocher  un  des  créneaux,  il  y  courut  et  fit  un  si  grand 
effort  qu'il  abattit  le  créneau,  renversant  en  même  temps  dans  le  fossé 
les  échelles  et  ceux  qui  étaient  dessus.  Pendant  ce  temps-la,  les  soldats 
déguisés  qui  faisaient  le  guet,  croyant  que  Boutteville  était  suivi  d'une 
troupe  nombreuse,  n'osèrent  faire  aucun  mouvement,  et  leur  inaction 
sauva  la  ville. 

Le  bruit  des  échelles  brisées  et  des  soldats  renversés  donna  l'alarme 
dans  tous  les  postes  de  la  garnison  qui  se  mit  partout  sous  les  armes  ; 
le  tocsin  sonna,  et  les  habitants,  se  levant  en  toute  bâte,  accoururent 
avec  des  flambeaux.  De  Rosne  put  alors  se  convaincre  que  son  entre- 
prise avait  échoué.  Il  se  retira,  et,  quand  le  jour  fut  venu,  on  ne  trouva 
dans  le  fossé  qu'un  soldat  qui  avait  la  jambe  cassée  et  que  ses  cama- 
rades avaient  abandonné.  Ce  fut  sur  sa  déposition  qu'on  arrêta  les  douze 
autres  soldats  qui  s'étaient  cachés  chez  le  chanoine.  On  arrêta  aussi 
vingt-sept  moines  et  ecclésiastiques  qui  furent  incontinent  pendus  avec 
les  douze  soldats.  L'un  de  ces  malheureux  confessa  que,  pour  les  en- 
gager dans  cette  conspiration,  on  leur  avait  promis  la  jouissance  des 
plus  belles  femmes  et  filles  de  la  ville  ;  et  qu'on  avait  même  déjà  fait  le 
partage,  afin  qu'après  le  succès  chacun  sût  où  il  devait  s'adresser,  et 
qu'il  n'y  eût  point  çle  dispute  à  ce  sujet.  (De  Thou,  t.  X,  liv.  99,  p.  173.) 

Pendant  ce  temps-Fa,  on  avait  déjà  mangé  dans  Paris  les  chevaux  et 
les  ânes.  On  devait  bientôt  manger  les  chiens  et  les  chats,  et  jusqu'aux 
rats  mêmes,  jusqu'aux  choses  qui  répugnent  le  plus  aux  goûts  naturels 
de  l'homme  ;  mais  on  était  parvenu  'a  persuader  'a  tous  ces  malheureux 
affamés  qu'ils  devaient,  pour  la   plus  grande  gloire  de  Dieu,  tenir  jus- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  «!1 

qu'il  la  dernière  extrémité,  et  que  Mayenne,  avec  son  avniée  libératrice, 
ne  pouvait  tarder  de  venir  à  leur  secours.  Quand  la  politique  peut 
s'appuyer  tant  bien  (|ue  mal  sur  la  religion,  il  lui  est  facile  de  faire  des 
fanatiques  jusqu'au  martyre. 

Henri  n'ignorait  pas  la  disette  qui  régnait  dans  la  ville  assiégée. 
A  chaque  instant  des  malheureux,  mourant  de  faim,  venaient  se  rendre 
au  camp,  im|)lorant  ou  une  mort  plus  prompte  ou  des  aliments.  Aussi 
s'étonnait-il  que  les  Parisiens  persistassent  encore  'a  ne  pas  se  rendre. 
Il  résolut  de  les  serrer  de  plus  près  en  s'emparant  de  tous  les  faubourgs. 
Le  jeune  Hiron  eut  ordre  d'attaquer  le  faubourg  Saint-Martin  ;  Fervacques 
fut  chargé  de  prendre;  le  faubourg  Saint-Denis  ;  Saint-Luc  marcha  contre 
le  faubourg  Montmartre,  et  le  maréchal  de  Biron  se  réserva  le  faubourg 
Saint-llonoré. 

En  même  temps,  le  maréchal  d'Anmont  et  Beaumanoir  de  Laverdin 
passaient  la  Seine  pour  occuper  le  faubourg  Saint-Germain,  pendant  que 
Châtillon,  avec  les  troupes  qu'il  avait  amenées  du  Languedoc,  devait  se 
porter  du  côté  des  faubourgs  Saint-Michel,  Saint-Jacques^  Saint-Marceau 
et  Saint-Victor. 

Ce  fut  au  milieu  de  la  nuit  du  vingt-cinquième  jour  de  juillet  que 
toutes  ces  dilférentes  atlacpies  commencèrent  en  même  temps,  sous  les 
yeux  mêmes  de  Sa  Majesté,  qui  s'était  postée  sur  les  hauteurs  de  Mont- 
martre pour  être  témoin  de  ce  spectacle.  Bientôt,  au  milieu  des 
ténèbres,  on  entendit  gronder  les  décharges  de  l'artillerie  etdelamous- 
queterie.  En  un  instant,  la  vaste  plaine  parut  être  toute  en  feu;  puis, 
on  ne  vit  plus  (ju'un  nuage  d'une  fumée  rougeâtre  que  déchiraient  con- 
tinuellemenl,  comme  autant  d'éclairs,  les  feux  des  bataillons  et  des 
batteries.  Les  faubourgs  furent  partout  emportés  avec  une  rapidité  mer- 
veilleuse, quoi(|ue  les  assiégés,  du  haut  des  remparts  de  la  ville,  fissent 
sans  relâche  pleuvoir  les  balles  et  les  boulets.  Avant  l'aurore  tout  était 
hiii,  et  les  royalistes  avaient  eu  partout  V^Minla^^e.  {Économies  royales 
de  Sully,  ubi  sup.) 

Biron,  dès  le  grand  matin,  fit  pointer  deux  pièces  de  canon  contre 
la  porte  Saint-llonoré,  dont  il  ruina  toutes  les  défenses;  mais  on  n'osa 
pas  encore  en  venir  a  un  assaut.  Dans  le  faubourg  Saint-(îermain,  l'ab- 
baye, où  se  trouvaient  cincpiante  soldats  résolus,  fut  défendue  pendant 
deux  jours,  et  ce  ne  fut  (ju'au  roi  lui-même  que  le  commandant  de  ces 
braves  consentit  a  rendre  son  épée. 

C'en  était  fait  de  Paris,  et  il  n'y  avait  plus  a  douter  que  celte  capi- 
tale \w  fût  elle-même  obligée  sous  peu  d'implorer  la  misériconle  du 
vaincjucur.  La  famine  y  faisait  un  tel  ravage  que  la  plupart  des  habi- 
tants, bien  loin  d'être  en  état  de  repousser  l'ennenii,  n'avaient  môme 
|)lus  la  force  de  porter  leurs  armes.  Il  y  avait  déjà  bien  des  jours  (jue  le 
peuple  ne  savait  plus  dans  cette  ville  ce  (pie  c'était  que  la  viande  et  le 
pain  ;  la  plupart  ne  vivaient  plus  que  des  herbes  et  des  racines  qu'ils 
allaient  arracher  d'entre  les  pierres  du  rempart.  L'ambassadeur  d'Es- 
pagne, pour  faire  illusion  aux  besoins  de  tant  d'estomacs  affamés,  avait 


92  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

philanthropiqiiement  imaginé  de  leur  faire  manger  ces  herbes,  bouillies 
avec  un  peu  de  son  d'avoine  qui  restait  encore  dans  les  magasins  ;  et 
comme  le  bois  manquait  ainsi  que  tout  le  reste,  on  brûlait  les  meubles, 
les  portes  et  les  fenêtres  des  maisons,  et  jusqu'aux  solives  des  toits, 
pour  faire  cuire  ce  dégoûtant  brouet.  A  chaque  carrefour,  on  avait  établi 
de  grandes  chaudières  dans  lesquelles  se  préparait  cette  cuisine  de  nou- 
velle espèce  ;  mais  de  pareils  aliments,  au  lieu  de  soutenir  la  vie,  cau- 
saient de  déplorables  accidents.  La  pbipart  des  misérables  qui  s'en  re- 
paissaient devenaient  enflés  et  hydropiques  ;  à  tout  moment,  on  en 
voyait  tomber  en  faiblesse  au  milieu  des  rues,  et,  chaque  matin,  on  en 
ramassait  par  centaines  a  la  porte  des  églises:  chaque  jour,  ils  mouraient 
par  milliers.  Il  est  vrai  qu'on  continuait  de  leur  faire  de  belles  proces- 
sions, que  le  Saint-Sacrement  était  nuit  et  jour  exposé  a  leur  adoration 
dans  les  églises,  et  que  leurs  prédicateurs,  plus  éloquents  que  jamais, 
se  relayaient  pour  leur  faire  continuellement  de  beaux  sermons.  Ils  leur 
prouvaient  clairement  qu'ils  étaient  heureux  de  mourir  pour  une  cause 
aussi  belle  ;  que  le  ciel  était  ouvert  pour  les  récompenser  de  leur  sainte 
constance,  et  ils  avaient  soin  d'ajouter  que  le  duc  de  Mayenne  était  sur 
le  point  d'arriver  pour  les  faire  triompher  de  leurs  ennemis.  On  dit  que, 
grâce  a  ces  exhortations,  plus  de  douze  mille  personnes  moururent  ainsi 
avec  résignation  dans  Paris,  au  milieu  des  tourments  horribles  de  la 
faim,  mais  la  tête  pleine  des  espérances  dont  on  les  repaissait.  (Mézerav, 
t.  m,  p.  819.) 

On  se  décida  pour  lors  a  députer  au  camp  royal,  pour  demander  qu'il 
fût  permis  aux  malades  et  aux  pauvres  de  sortir  de  la  ville;  Monsieur  le 
légat  accorda  même  dispense  pour  ce  laire  aux  personnes  riches  et 
valides  qui  lui  en  payeraient  l'autorisation.  Mais  la  demande  fut  refusée 
par  ceux  du  conseil  du  roi  ;  et  ces  malheureux,  qui  s'étaient  déjà  assem- 
blés en  grand  nombre  près  la  porte  Saint-Victor  pour  quitter  une  ville 
où  la  famine  devait  indubitablement  les  tuer  sous  peu,  poussèrent  des 
cris  lamentables  en  apprenant  qu'il  fallait  rentrer.  (Péréfixe,  Vie  de 
Henri  le  Grand,  liv.  2,  adann.  1590.) 

Plusieurs  néanmoins  se  hasardèrent,  au  risque  de  toute  perte  de 
fortune  et  même  de  la  perte  de  la  vie,  a  quitter  une  ville  où  ils  voyaient 
la  mort  inévitable.  Ceux  qui  prenaient  ce  parti  et  qui  n'avaient  pas  le 
moyen  de  se  racheter  tombaient  presque  infailliblement  sous  le  fer  de 
l'ennemi  ;  ceux  qui  étaient  riches,  outre  l'argent  qu'ils  étaient  d'abord 
obligés  de  payer  pour  obtenir  la  dispense  de  sortir,  devaient  encore 
traiter  avec  l'ennemi  et  se  racheter,  pour  ainsi  dire,  comme  s'ils  eussent 
été  prisonniers  de  guerre.  Encore  ne  se  pouvaient-ils  garantir,  même 
avec  leurs  doubles  passeports,  de  plusieurs  torts  et  outrages  qu'ils  re- 
cevaient de  la  soldatesque,  laquelle,  n'étant  ni  soudoyée  ni  entretenue, 
vivait  de  pillage,  sans  ordre  ni  discipline.  Aussi  la  populace,  exaspérée 
par  la  faim,  et  ne  voyant  aucun  moyen  d'y  échapper,  commençait  par- 
tout a  murmurer.  (Manuscrit  cité  siiprà.) 

Le  légat,  pour  tenter  de  faire  prendre  leur  mal  en  patience  'a  tous 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  93 

ces  malheureux,  leur  fit  jeter  par  ses  gens  un  assez  grand  nombre  de 
demi-sous,  mais  celte  populace,  qui  nV'lait  plus  sensible  (ju'aux  déchi- 
rements de  la  laim,  ne  tint  aucun  compte  de  celte  libéralité  de  grand 
seigneur.  «  Hélas!  criaient-ils,  faites-nous  jeter  plutôt  du  pain,  car  nous 
allons  mourir.  » 

Il  fallait  bien  pourvoir  tant  bien  que  mal  a  cette  affreuse  misère.  On 
fit  alors  le  dénombrement  de  ceux  qui  n'avaient  plus  aucun  moyen 
d'existence  :  il  s'en  trouva  prcs  de  douze  mille.  On  décida  qu'il  serait 
fait  une  visite  dans  les  maisons  des  religieux  et  des  ecclésiastiques 
quon  savait  avoir  des  provisions  cachées.  Alors  le  recteur  des  Jésuites 
voulut  faire  exempter  sa  maison  de  cette  mesure,  qu'il  appelait  vexa- 
loire  et  injurieuse  pour  des  personnes  consacrées  à  Dieu.  «  Monsieur  le 
recteur,  lui  dit  le  prévôt  des  marchands,  vous  ne  parlez  ni  en  citoyen 
ni  en  chrétien.  Nous  autres,  qui  ne  sommes  point  des  religieux  de  pro- 
fession, il  y  a  déjà  longtemps  que  nous  avons  donné  tout  ce  que  nous 
avions  pour  subvenir  'a  la  nécessité  publique.  Votre  vie  est-elle  donc 
d'un  plus  grand  prix  que  la  nôtre?  »  11  fallut  se  soumettre.  {Mem.  de  h 
Ligue,  t.  IV,  p.  507.) 

On  alla  donc  visiter  leur  maison,  où  Ion  trouva  quantité  de  blé  et 
de  biscuit.  Il  y  en  avait  de  quoi  les  nourrir  pendant  plus  d'un  an;  on  y 
trouva  aussi  de  grandes  provisions  de  chair  salée  qu'ils  avaient  fait 
sécher  pour  la  mieux  garder.  On  visita  ensuite  tous  les  autres  couvents  : 
partout  on  découvrit  que  les  bons  Pères  ne  s'en  étaient  pas  unique- 
ment rapportés  'a  la  Providence  du  soin  de  pourvoir  à  leurs  besoins; 
et,  jusque  chez  les  Capucins,  'a  qui  leur  règle  prescrit  de  ne  rien  ré- 
server pour  le  lendemain,  il  y  avait  des  amas  de  vivres  dont  on  fut 
étonné. 

Le  conseil  de  la  ville  prononça  alors  que  tous  ces  pauvres,  dont  on 
ne  savait  plus  que  (aire,  seraient  nourris  par  les  maisons  religieuses 
pendant  quinze  jours  et  qu'il  leur  serait  donné  à  chacun  un  repas  de 
pain  et  de  viande  pris  sur  les  provisions  dont  on  avait  constaté 
l'existence. 

Pour  accomplir  cette  œuvre  de  charité  avec  le  moins  de  dépense 
possible,  les  moines  firent  prendre  tous  les  chiens  et  les  chats  qui 
purent  encore  être  rencontrés,  et  ce  fut  de  cette  viande  qu'ils  nour- 
rirent les  pauvres  qu'on  leur  avait  imposés,  en  y  ajoutant  quelques 
bribes  de  pain  fait  avec  du  son  d'avoine;  puis,  les  quinze  jours  expirés, 
ils  dirent  (pi'ils  n'avaient  plus  rien  et  se  prétendirent  quilles  de  celte 
charge. 

Ils  trouvèrent  même  un  moyen  d'en  faire  un  notable  profit.  Comme  la 
famine  augmentait  toujours,  ils  mirent  en  vente  les  peaux  des  chiens  et 
des  chats  qu'ils  avaient  lait  manger,  et  il  s'en  vendit,  dil-on,  pour  plus 
de  trente  mille  écus.  «  J'ai  vu,  dit  le  ligueur  Cornelio,  dévorer  de  ces 
peaux  toutes  crues,  ainsi  que  des  tripes  qu'on  avait  jetées  dans  les 
égouls,  et  une  foule  d'autres  ordures  semblables,  horribles  et  putré- 
fiées. »  {Mém.  delà  Ligue,  t.  IV,  p.  297.) 


94  HISTOIRE  DE  L^ÉTABLISSEMENT 

Le  pain  pourtant  vint  aussi  a  manquer  chez  le  légat  lui-même  et  chez 
les  plus  grands  seigneurs  de  la  Ligue.  Une  des  femmes  de  service  de 
Madame  de  Montpensier  mourut  de  faim.  Sur  la  table  même  des  maîtres, 
il  ne  paraissait  plus  que  du  pain  d'avoine,  et  encore  en  très-petite  quan- 
tité. Les  troupes  étrangères,  qui  formaient  la  principale  force  de  la  gar- 
nison, et  qu'on  s'était,  dans  les  commencements,  appliqué  a  ne  pas 
laisser  manquer  de  nourriture,  ne  recevaient  plus  de  ration  depuis  long- 
temps. On  vit  ces  soldats  se  mettre  au  guet  pour  essayer  d'attraper 
encore  quelque  misérable  chien  ou  chat  tout  galeux  qui  aurait  échappé  a 
la  voracité  générale  ;  et,  quand  ils  avaient  eu  le  bonheur  de  faire  une 
chasse  fructueuse,  ils  dévoraient  l'animal,  peau,  chair  et  entrailles,  sans 
même  prendre  le  temps  de  le  faire  cuire.  On  dit  que  l'un  d'eux,  qui 
n'avait  pas  ses  armes,  lutta  longtemps  conti-e  un  fort  mâtin  qu'il  avait 
rencontré.  A  la  fin,  ce  fut  l'homme  qui  succomba;  le  mâtin  le  terrassa 
et  l'étrangla,  et  cet  animal,  aussi  affamé  que  son  antagoniste,  aurait  fini 
par  dévorer  le  cadavre  s'il  n'eût  été  mis  en  fuite  par  les  cris  de  ceux 
qui  arrivaient  trop  lard  au  secours  de  leur  camarade. 

Enfin,  pour  comble  d'horreur,  on  mangea  de  la  chair  humaine,  et 
l'on  vit  jusqu'à  des  mères  se  nourrir  du  cadavre  de  leurs  enfants. 

L'ambassadeur  d'Espagne,  qui  avait  le  génie  de  l'invention,  ne  i)ou- 
vanî  plus  fournir  à  la  distribution  de  ses  potages,  parce  que  l'herbe,  les 
racines  et  le  son  d'avoine  avaient  fini  par  manquer  tout  'a  fait,  proposa 
alors  de  moudre  les  ossements  des  morts  qui  gisaient  desséchés  dans 
les  charniers  et  dans  les  églises.  Il  assura  qu'une  garnison  turque,  assié- 
gée par  les  Perses,  avait  en  recours  a  ce  genre  d'aliment  et  qu'elle  s'en 
était  très-bien  trouvée.  Madame  de  Montpensier  loua  très-fort  cette 
invention.  On  fît,  en  effet,  avec  cette  horrible  farine  du  pain  qu'on 
nomma  le  pain  de  la  Montpensier;  mais  tous  ceux  qui  eurent  le  cou- 
rage d'en  manger  moururent  empoisonnés.  {Satire  Ménippée,  note  de 

Dupuy-). 

Le  cinquième  jour  d'août,  on  trouva  pourtant,  malgré  la  sévérité  du 
blocus,  le  moyen  de  faire  parvenir  une  lettre  au  duc  de  Mayenne.  Sa 
femme,  qui  était  dans  la  place  assiégée  avec  ses  enfants,  lui  écrivit 
d'avoir  au  moins  compassion  de  ceux  qui  étaient  nés  de  son  sang, 
puisque  les  souffrances  de  tout  un  peuple  n'étaient  pas  capables  de  l'at- 
tendrir. «  Moi,  lui  disait-elle,  j'ai  fait  le  sacrifice  de  ma  vie;  mais  ces 
pauvres  innocents  dont  je  suis  la  mère,  me  faudra-t-il  les  voir  passer 
sous  le  sabre  d'un  ennemi  cruel  et  implacable,  auquel  nous  allons  être 
forcés  de  nous  rendre  à  discrétion  si  vous  ne  vous  hâtez  pas  d'arriver?» 
(De  Thou,  ubi  siip.) 

Tant  de  calamités  épouvantables  étaient  trop  au-dessus  de  la  patience 
humaine,  pour  que  la  résignation  ne  manquât  pas  au  moins  'a  quelques- 
uns.  Malgré  les  exhortations  de  leurs  prédicateurs,  un  certain  nombre  de 
ces  malheureux  habitants  finit  par  trouver  la  situation  intolérable.  Un 
nommé  Renard,  procureur  au  Châtelet,  les  encouragea  'a  faire  du  moins 
une  tentative  pour  obtenir  la  fin  d'un  pareil  état  de  choses.  Il  se  mit  à 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  95 

leur  tête,  et  ils  s'en  allèrent  an  Palais  demandant  a  jgrands  cris  la  paix 
ou  du  pain.  Le  chevalier  crAumale  et  les  Seize  se  jetèrent,  Tépée  a  la 
main  sur  celte  foule  de  désespérés  qui  fut  bientôt  dissipée.  Le  procu- 
reur Renard  fut  arrêté;  lui  et  son  (ils  furent  pendus  a  la  même  potence 
pour  servir  d'exemple  aux  autres,  et,  par  une  harbare  dérision,  on  appela 
cette  journée  la  Journée  de  la  Paix  ou  du  Pain. 

Mais  pour  empêcher  de  pareilles  scènes  de  se  renouveler,  et  afin 
d'amuser  le  peu|)le  par  quelipies  lueurs  d'espérance,  le  légal  et  l'ambas- 
sadeur de  Philippe  proposèrent  de  négocier  une  trêve  entre  le  duc  de 
Mayenne  et  le  roi*  de  Navarre.  Il  fut  arrêté  que  le  cardinal  de  Gondi, 
l'archevêipie  de  Lyon  et  (pielques  autres  ecclésiastiques,  se  rendraient 
d'abord  au  camp  ennemi,  et  iraient  ensuite  trouver  le  duc  pour  ména- 
ger cette  espèce  d'arrangement. 

Ces  députés  toutefois,  avant  de  s'éloigner,  voulurent  melire  leur 
conscience  de  bons  catholiques  en  repos  et  être  bien  assurés  (|u'ils 
n'encouraient  aucune  censure  en  communiquant  avec  Un  prince  excom- 
munié. Monsieur  le  légat,  ayant  alors  pris  l'avis  du  recteUr  des  Jésuites 
et  du  Père  Panigarole,  cordelier,  prononça  que  ce  cas  particulier  n'était 
pas  compris  dans  l'excommunication  fulminée  par  le  Saint-Père  contre 
le  Béarnais  et  ses  adhérents,  et  que  les  dits  députés  pouvaient  partir 
en  toute  sûreté  de  conscience.  {Journal  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  70.) 

Le  roi  s'étanl  prêté  volontiers  a  la  démarche  qu'on  venait  tenter 
auprès  de  lui,  l'entrevue  eut  lieu  en  ellel  dans  l'abbaye  Saint-Antoine. 
Le  cardinal  de  Gondi  prit  le  i)remier  la  parole  et  dit  que,  pour  mettre  un 
ternie  aux  malheurs  de  la  France,  lui  et  ses  collègues  étaient  députés  par 
la  ville  et  le  parlement  de  Paris,  avec  mission  de  faciliter  de  tous  leurs 
moyens  un  accommodement  entre  le  lieutenant  général  de  l'État  et  cou- 
ronne de  France  et  Sa  Majesté  le  roi  de  Navarre.  {Mém.  de  la  Ligue, 
t.  IV,  p.  517.) 

I*endant  qu'il  délayait  cette  simple  proposition  dans  un  grand 
nombre  de  phrases,  les  princes  et  les  seigneurs  de  la  cour  l'entouraient 
en  foule,  et  cette  foule  s'augmentait  a  chaque  instant.  Le  pauvre 
cardinal  se  trouva  tout  troublé  de  se  voir  au  milieu  de  tous  ces  guer- 
riers. «  Ne  vous  tourmentez  pas  de  cet  empressement,  lui  dit  le  roi  en 
riant;  ces  Messieurs  ont  l'habitude  d'entourer  ainsi  l'ennemi  un  jour 
de  bataille;  mais  prenez  un  peu  de  patience,  je  vais  communi- 
quer voire  demande  a  mon  conseil,  et  je  vous  ferai  part  de  la  réponse 
que  nous  jugerons  convenable  de  faire  à  votre  proposition.  » 

Dans  le  conseil  on  trouva  d'abord  que  les  pouvoirs  de  ces  envoyés 
n'étaient  pas  en  forme,  et  le  roi  comprit  que  ceux  de  la  Ligue  ne  cher- 
chaient (ju'a  gagner  du  temps.  Ils  alfeclaient  en  oulre  de  ne  pas  lui 
donner  le  titre  le  roi  de  France.  «  Messieurs,  dit  Henri  "a  la  dépulation,il 
n'y  a  certainement  personne  qui  soit  plus  sensible  que  moi  aux  malheurs 
de  mon  royaume;  car  [)endant  (|ue  les  autres  ne  soullrent  (jue  de  leurs 
maux  particuliers,  un  bon  roi  porte  toutes  les  misères  de  son  peuple.  Je 
ne  denianile  donc  pas  mieux  (|ue  de  mettre  le  plus  promplement  pos- 


96  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

sible  fin  à  ces  désastreuses  querelles  que  le  poison  de  la  Ligue  enve- 
nime en  France  ;  mais  je  ne  comprends  pas  que  les  Parisiens,  mes  sujets, 
veuillent  se  rendre  arbitres  entre  moi  et  le  duc  de  Mayenne,  qui  bien 
qu'aidé  des  forces  de  TEspagne  n'en  est  pas  moins,  lui  aussi,  mon  sujet 
révolté. 

«  Je  dois  vous  dire  encore  que  vous  qui  avez  l'bonneur  d'être 
Français,  vous  devriez  mourir  de  honte,  quand,  pour  ne  pas  déplaire  a 
Monsieur  l'ambassadeur  d'Espagne,  vous  consentez  a  laisser  expirer 
misérablement  dans  votre  ville  tant  de  milliers  de  pauvres  gens.  Si  vous 
persistez  encore  dans  cet  entêtement  inconcevable,  il  en  mourra  encore 
peut-êlre  dix  a  douze  mille,  et  soyez  sûrs  que  leur  mort  retombera  sur 
vous.  Dieu  vous  punira  un  jour  sévèrement  d'avoir  fait  si  peu  de  cas  de 
la  vie  de  vos  concitoyens.  Je  veux  bien,  au  reste,  vous  accorder  huit 
jours  pour  consulter  le  duc  de  Mayenne,  a  cette  condition  qu'au  cas  où 
il  ne  parvienne  pas  d'ici  la  à  me  faire  lever  le  siège  de  votre  ville,  les 
portes  m'en  seront  ouvertes.  » 

Le  cardinal  de  Gondi  demanda  alors  que  le  roi  d'Espagne  fût  égale- 
ment consulté,  «  parce  que,  dit-il,  si  nous  faisons  cette  paix  sans  son 
assentiment,  il  ne  manquera  pas  de  venir  nous  assiéger  'a  son  tour.  — 
Par  Dieu!  s'écria  le  roi,  en  se  laissant  emporter  'a  sa  vivacité,  c'est  ce 
que  je  demande.  Il  n'a  qu'a  venir,  et  il  sera  bien  frotté,  je  vous  en 
réponds.  »  Puis,  Sa  Majesté  ajouta  d'un  air  honteux,  en  se  tournant  vers 
ses  nobles  :  «  Je  vous  demande  pardon.  Messieurs;  je  viens  contre  ma 
coutume  de  jurer  par  le  nom  du  Bon  Dieu! — Et  vous  avez  bien  fait,  Sire, 
répliquèrent  ceux-ci.  La  chose  vaut  bien  un  bon  jurement  :  nous  vous 
promettons  a  notre  tour  que  vous  n'aurez  pas  juré  en  vain.  »  (Mézeray, 
t.  III,  p.  826  et  suiv.) 

Les  députés  retournèrent  à  Paris  pour  communiquer  la  réponse  du 
roi  à  ceux  qui  les  avaient  envoyés;  mais  le  conseil  de  la  Ligue  ne  vou- 
lait pas  la  paix,  et  sans  faire  part  au  peuple  des  conditions  qu'avait  of- 
fertes le  roi,  ils  firent  répandre  par  toute  la  ville  qu'on  ne  devait 
attendre  du  Béarnais  ni  trêve  ni  pitié.  Les  princes  du  sang  et  toute  la 
fleur  de  la  noblesse  qui  suivaient  le  parti  de  Henri  de  Bourbon  se  trou- 
vaient alors  dans  la  plaine,  pour  profiter  de  la  trêve  a  laquelle  donnaient 
lieu  les  conférences  ;  pareillement,  du  côté  de  la  ville,  une  infinité  de 
peuple  était  accourue,  qui  sur  les  remparts,  qui  au  milieu  de  la  cam- 
pagne. Tout  ce  monde  allait  se  promenant  sans  distinction  d'amis  ni 
d'ennemis,  les  gentilshommes  saluant  les  dames,  s'embrassant  les  uns 
les  autres  et  devisant  entre  eux  en  toute  familiarité.  Mais  aussitôt  que 
les  députés  furent  rentrés,  Bussy,  par  l'ordre  du  conseil,  pour  empêcher 
que  la  vérité  ne  se  découvrît,  fit  tirer  tout  aussitôt  les  canons  de  la 
Bastille  et  balaya  la  plaine  de  plusieurs  volées  pour  éloigner  ceux  du 
camp  ennemi  et  les  empêcher  de  donner  quelques  communications. 
(Manuscrit  cité  suprà.) 

La  Noue  voulait  qu'on  attaquât  enfin  la  ville  de  vive  force  sans  se 
laisser  amuser  par  tous  ces  pourparlers,  et  c'était  un  sage  conseil.  Mais 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  S7 

le  roi  avait,  pour  ne  pas  le  suivre,  deux  raisons  dont  la  première,  qu'il 
mettait  en  avant,  ne  servait  probablement  que  de  passeport  a  l'autre 
(ju'il  se  gardait  bien  d'avouer.  Il  disait  donc  dans  les  conseils  qu'il  lallait 
épargner  le  sang  de  ses  sujets,  et  sauver  a  sa  capitale  les  horreurs  qui 
se  commettent  dans  uue  ville  prise  d'assaut.  Mais  ce  qui  le  retenait 
encore  plus,  c'est  que,  suivant  sa  coutume,  il  avait  trouvé  a  se  délasser 
des  latigues  de  la  guerre  dans  les  plaisirs  <le  l'amour.  Il  rendait  sou- 
vent visite  à  une  jeune  et  belle  veuve  de  la  maison  de  Ponts,  et  de  plus, 
il  avait  découvert  dans  l'abbaye  des  religieuses  de  Montmartre  comme 
une  espèce  de  sérail,  où  il  passait  agréablement  le  temps  (jue  les  tra- 
vaux du  siège  lui  laissaient  libre.  Il  avait  aussi  trouvé  la  facilité  de  se 
livrer  aux  mêmes  plaisirs  avec  les  jeunes  sœurs  du  couvent  dePoissy; 
et,  'a  son  exemple,  la  plupart  des  olïiciers  de  l'armée  avaient  rencontré 
des  maîtresses  complaisantes  dans  l'une  et  l'autre  de  ces  deux  saintes 
maisons.  «  Est-ce  que  Votre  Majesté  aurait  déjà  changé  de  religion,  lui 
dit  un  jourBiron,  que  nous  la  voyons  maintenant  si  bien  letée  par  les 
abbesses  et  les  nonnes?  » 

Ce  goût  pour  la  volupté  était  très-probablement,  et  peut-être  à  son 
insu,  l'unique  cause  qui  le  rendait  moins  empressé  a  en  finir  avec  les 
Parisiens.  Il  lui  en  aurait  coûté  de  s'ôter  l'occasion  de  passe-temps  aussi 
agréables.  Partant,  il  voulut  tenter  encore  une  dernière  négociation  avec 
le  duc  de  Nemours  lui-même,  et  il  lui  ht  proposer  de  lui  donner  en 
mariage  sa  sœur,  la  princesse  Catherine,  s'il  voulait  lui  faciliter  l'entrée 
de  Paris.  Mais  ce  jeune  prince  répondit  :  «  J'ai  pris  les  armes  pour  la 
défense  de  la  loi  catholique,  et  je  ne  veux  ni  ne  dois  accepter  aucune 
proposition  de  votre  part,  tant  (jue  vous  resterez  l'ennemi  déclaré  de 
celte  foi.  » 

Cependant  le  duc  de  Mayenne  était  déjà  à  Meaux,  oii  un  grand 
nombre  des  partisans  de  la  Ligue  étaient  venus  grossir  son  armée.  Le 
duc  de  Parme,  ainsi  qu'il  en  avait  fait  la  promesse,  vint  se  réunir  à  lui 
avec  une  autre  armée  de  treize  mille  hommes  de  pied,  et  de  trois  mille 
chevaux.  Il  amenait,  en  outre,  une  troupe  nombreuse  et  brillante  de 
jeunes  gentilshommes  des  plus  riches  et  des  plus  nobles  familles  de 
l'Espagne  et  des  Pays-Bas.  Son  entrée  à  Meaux  fut  une  fête,  et  il  fut  revu 
dans  la  cathédrale  où  l'on  chanta  le  Te  Deiim. 

Aussitôt,  prenant  le  commandement  général,  il  n'eut  plus  l'air  de 
considérer  Mayenne  que  comme  un  simple  lieutenant.  II  se  réserva  de 
donner  seul  le  mot  de  guet  aux  troupes  françaises  comme  aux  troupes 
espagnoles.  Ce  n'était  pas  un  allié,  mais  c'était  un  maître  (pie  l'imprudent 
chef  de  la  Ligue  avait  appelé  à  son  secours.  (Mattiiiel,  Règne  de 
Henri  IV,  liv.  I,  p.  50.) 

Il  fit  jeter  deux  ponts  de  bateaux  sur  la  Marne,  et  ayant  fait  passer 
celte  rivière  à  ses  troupes,  il  se  mit  en  marche  vers  Paris.  Le  duc 
d'Aumale  commandait  son  avant-garde.  Lui-même,  ayant  en  quehjue 
sorte  Mayenne  sous  ses  ordres,  marchait  à  la  tête  du  corps  de  bataille, 
et  le  comte  de  Chaligni  conduisait  l'arrière-garde. 

IV,  7 


08  •  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Henri  avait  longtemps  hésité  a  croire  que  le  duc  de  Parme  viendrait 
en  personne  en  France.  11  savait  que  la  présence  de  ce  prince  était  né- 
cessaire dans  les  Pays-Bas,  pour  comprimer  les  tentatives  des  ennemis 
du  joug  espagnol;  et  il  le  croyait  trop  habile  politique  pour  faire  une 
pareille  démarche,  au  risque  de  voir  son  absence  donner  le  signal  d'une 
révolte  générale,  dans  les  pays  qui  avaient  été  confiés  h  sa  garde;  quand 
il  apprit  plus  tard  que  les  troupes  de  Sa  Majesté  catholique  venaient 
rejoindre  Mayenne,  il  se  persuadait  encore  que  ce  n'était  qu'un  simple 
détachement  plus  ou  moins  nombreux  sous  les  ordres  d'un  des  lieutenants 
du  vice-roi. 

Mais  quand  il  sut  que  l'ennemi  avait  déjà  franchi  la  Marne,  et  que 
c'était  bien  le  duc  de  Parme  lui-même  qui  s'avançait  contre  lui  a  la  tête 
d'un  corps  formidable,  il  assembla  un  grand  conseil  de  guerre.  On  déli- 
béra si  l'on  devait  s'en  tenir  a  un  plan  qu'on  avait  arrêté  d'abord, 
(|uand  on  croyait  n'avoir  affaire  qu'au  duc  de  Mayenne  et  tout  au  plus 
a  quelques  troupes  espagnoles  envoyées  a  son  aide.  Ce  plan  consistait  'a 
laisser  une  partie  de  l'armée  continuer  le  blocus  de  Paris,  et  a  marcher 
avec  le  reste  au-devant  de  l'ennemi  pour  lui  livrer  une  bataille  qu'on 
espérait  bien  gagner  s'il  l'acceptait:  mais  maintenant,  les  choses  étaient 
bien  changées  ;  on  avait  nouvelle  que  les  forces  qui  s'approchaient 
étaient  de  beaucoup  plus  considérables  que  toutes  celles  dont  on  pou- 
vait disposer,  et  l'on  trouva  que  ce  serait  beaucoup  trop  risquer  que 
d'aller  offrir  le  combat  en  divisant  ses  forces. 

Sa  Majesté  rappela  donc  toutes  celles  de  ses  troupes  qui  occupaient 
les  faubourgs.  Elle  lit  construire  a  la  hâte  deux  espèces  de  torts,  l'un  a 
Conflans  et  l'autre  a  l'endroit  où  la  Seine  sort  de  Paris  ;  elle  y  mit 
quelques  soldats  pour  avoir  l'air  de  continuer  encore  le  blocus  de  Paris, 
et,  avec  toute  son  armée,  elle  alla  prendre  position  a  Chelles  le  tren- 
tième jour  d'août. 

Le  siège  de  Paris  était  levé,  et,  pour  la  seconde  fois,  l'armée  royale 
se  retirait  de  devant  cette  capitale. 


DU  PROTESTANTISxME  EN  P^RANGE.  99 


CHAPITRE  Y 


1590.   —  ARGUMENT  :  la  guerre  civile  dans  le   maine  et  en  Bretagne. 

LANSAC.   —    LE   PRINCE   DE   CONTI.  —    MERCŒUR.  —   LE   PRINCE   DE   DOMUES. 

LES    PAYSANS   FONT   LA   GUERRE   AUX   NOBLES. 

EN   AUVERGNE.    —    LE   COMTE   DE   LA  ROCHEFOUCAULD.    —   RANDON. 

LE    MAIRE   TISSANDIER.    —    LE   GRAND    SÉNÉCHAL   d'.\UVERGNE. 

LE   MARQUIS   DE   CUARANNE. 

EN    LANGUEDOC,    EN    DAUPHINÉ,    EN    PROVENCE   ET   QANS   LE   LYONNAIS. 

LESDIGUIÈRES   ET   LA    VALETTE.    —   LE   PARLEMENT   D'aIX.    —    LA   COMTESSE   DE   SAULT. 

LE   COMTE   DE    CARAS.    —   MARTININGUE,    SENAS   ET   LES    SAVOYARDS. 

GADAGNE.    —    ORNANO.    —   SAINT-SORLIN.    —   SENNECI. 

EN   BOURGOGNE.  —  TAVANNES.    —   DESPEVILLE. 


Pendant  que  ces  choses  se  passaient  a  Tarniée  du  roi,  d'autres  sièges 
et  d'autres  combats  avaient  également  lieu  dans  pres(|ue  toutes  les  pro- 
vinces de  la  France.  Partout  régnait  la  guerre  civile,  la  plus  sanguinaire 
et  la  plus  implacable  de  toutes  les  guerres. 

Le  même  jour  que  le  roi  remportait  la  célèbre  victoire  d'Ivry,  Lansac, 
malgré  la  parole  qu'il  avait  donnée  tout  récemment,  essayait  de  nouveau 
de  se  saisir  de  la  ville  du  Mans  i)ar  surprise.  Déjà,  l'année  précédente, 
il  avait  tenté  la  même  entreprise  (jui  lui  avait  d'abord  réussi  ;  mais  il 
s'était  lui-même  laissé  assiéger  dans  le  château  de  Toussei,  dont  il 
n'avait  pu  se  tirer  qu'en  prêtant  serment  de  fidélité  au  roi,  serment  qu'il 
ne  garda  pas  longtemps,  comme  on  va  voir.  (Mézerav,  t.  III,  p.  799.  — 
Cayet,  Chron.  novenn.,  ad  ann.  1589.) 

Dès  (jue  Sa  Majesté  se  fut  éloignée,  il  commenta  par  s'aboucher  avec 
tous  ceux  qui  dans  la  contrée  avaient  la  réputation  d'être  dévoués  à  la 
Ligue.  Sur  ce  que  le  sire  de  Rambouillet,  (jui  commandait  au  Mans,  en 
l'absence  de  son  frère,  parti  pour  l'armée  du  roi,  lui  en  faisait  quelques 
reproches:  «  Soyez  tranijuille,  lui  dit-il,  je  n'en  suis  pour  cela  pas  moins 
un  excellent  et  très-dévoué  royaliste.  Je  fais  comme  nos  apothicaires 
(|ui  composent  la  thériaque  avec  des  vipères.  »  Et  en  parlant  ainsi,  il 
prenait  ses  mesures  pour  faire  réussir  le  coup  qu'il  méditait.  (Cayet, 
uhi  sup.,  ad  ann.  1590.) 

En  ce  temps-la,  on  réparait  au  Mans  l'église  de  Saint-Julien.  Lansac, 
s'étant  assuré  la  coopération  d'un  grand  nombre  de  gens  de  son  opinion, 


100  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

en  fit  déguiser  fjoelqiies-uns  en  ouvriers  plombiers.  Ceux-ci,  prenant  sur 
leurs  épaules  d'énormes  gouttières  de  plomb,  devaient  avoir  Tair  de  les 
porter  à  la  ville  pour  la  réparation  de  l'église.  Arrivés  sous  l'ouverture 
de  la  porte,  ils  devaient  les  laisser  tomber  pour  empêcher  qu'on  la  fer- 
mât, et  lui-même  avec  les  autres  conjurés,  accourant  alors,  comptait  bien 
s'emparer  aisément  du  passage.  Par  malheur  pour  la  réussite  de  ce  plan, 
il  ignorait  qu'avant  d'ouvrir  la  porte  de  la  ville,  on  avait  adopté  depuis 
quelque  temps  la  précaution  de  faire  sortir,  par  une  espèce  de  guichet, 
un  soldat,  qui  allait  à  la  découverte  dans  la  campagne  et  s'assurait  que 
rien  ne  bougeait  dans  les  environs. 

Ce  soldat  aperçut  le  corps  que  Lansac  tenait  tout  prêt  pour  faire 
son  coup,  et  il  revint  bien  vite  donner  l'alarme.  Il  n'y  avait  plus  rien  a 
tenter  de  ce  côté-là.  Lansac  se  retira  au  bourg  de  Mamers,  où  on  ne  le 
laissa  pas  longtemps  tranquille.  Le  gouverneur  d'Alençon,  ayant  assemblé 
la  noblesse  du  pays,  vint  l'y  attaquer  et  tailla  toute  sa  troupe  en  pièces  ; 
lui-même  n'eut  d'autre  ressource  que  dans  ses  éperons,  et  se  sauva  jus- 
qu'en Bretagne. 

Cet  échec  ne  découragea  pas  les  autres  gentilshommes  ligueurs  de 
ces  contrées.  S'étant  réunis  au  nombre  de  plus  de  trois  cents  chevaux 
et  de  huit  cents  hommes  de  pied,  ils  s'étaient  portés  du  côté  de  Sablé, 
dont  ils  comptaient  bien  se  rendre  maîtres  sans  difficulté;  et,  en  effet, 
dès  la  première  attaque,  ils  s'emparèrent  de  la  ville,  qui  est  située  sur  la 
Sarthe  et  qui  n'a  pas  grande  défense;  et  ils  assiégeaient  déj'a  le  château. 

Or,  la  femme  de  mon  dit  sire  de  Rambouillet,  qui  s'était  en  ce 
moment-iâ  trouvée  dans  la  ville  de  Sablé,  était  au  nombre  des  prison- 
niers. Ce  seigneur  assembla  de  son  côté  ses  amis  et  se  mit  incontinent 
en  marche  pour  aller  délivrer  sa  dame.  Tout  en  arrivant,  il  livra  aux 
vainqueurs  de  Sablé  un  combat  qui  fut  bravement  soutenu  de  part  et 
d'autre,  car  il  dura  plus  de  neuf  heures  sans  que  la  victoire  se  pro- 
nonçât pour  aucun  des  deux  partis,  et  les  royalistes  ne  purent  même 
parvenir  â  jeter  aucun  secours  dans  le  château  ;  aussi  étaient-ils  tout 
déconcertés. 

Toutefois,  ayant,  peu  de  jours  après,  reçu  du  canon  qui  leur  fut 
envoyé  par  le  gouverneur  d'Angers,  ils  recommencèrent  l'attaque  avec 
plus  d'avantage,  et  après  avoir  emporté  tous  les  forts  que  les  Ligueurs 
avaient  élevés  â  l'entour  de  la  ville  pour  se  défendre,  ils  entrèrent  pêle- 
mêle  avec  eux,  par  la  brèche  que  leur  artillerie  avait  ouverte  dans  le 
rempart. 

L'ennemi  fut  tellement  épouvanté  de  l'impétuosité  de  cette  attaque, 
que  chacun  ne  songea  plus  qu'à  chercher  son  salut  dans  la  fuite,  sans 
même  penser  à  rompre,  après  l'avoir  blanchi,  le  pont  qui  traverse  la 
Sarthe,  de  sorte  que  presque  toute  l'infanterie  des  Ligueurs  y  fut  dé- 
truite, et  qu'on  compta  plus  de  sept  cents  des  leurs  demeurés  morts  parmi 
les  champs. 

La  Chesnaye  et  quelques-uns  des  principaux  chefs  de  cette  expédi- 
tion malheureuse,  étant  restés  quelque  peu  par  derrière  pour  essayer  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  lOi 

protéii^er  la  retraite  des  leurs,  ne  durent  leur  salut  qu'a  la  dame  de 
Rambouillet,  qui  cul  la  g('nérosité  de  les  cacher  dans  la  maison  même 
(ju'ils  lui  avaient  donnée  pour  prison. 

Les  royaux  pensaient  bien  par  cet  exploit  avoir  complètement  réduit 
la  Ligue  au  silence  dans  tout  le  pays  du  Maine  et  dans  les  environs. 
Mais  ils  se  trompaient.  A  peine  chacun  fut-il  rentré  chez  soi,  qu'on  eut 
nouvelle  que  Lansac  revenait  de  Bretagne,  avec  deux  mille  cinq  cents 
hommes  de  pied  et  deux  cents  chevaux  que  le  duc  de  Mercœur  lui  avait 
donnés.  Néanmoins,  il  ne  fut  pas  plus  heureux  dans  cette  expédition  (jue 
dans  la  précédcMite.  Il  s'empara  d'abord  de  la  ville  de  Mayenne,  en  l'ab- 
sence du  gouverneur  Messire  d'E^-tclIe,  qui  était  parti  avec  la  plus  grande 
partie  delà  garnison  pour  aller  trouver  le  roi  devant  Paris;  il  ne  lui  res- 
tait plus  à  prendre  (pie  le  château,  quand  d'Estelle,  instruit  de  cette 
surprise,  rebroussa  cliemin  et  parvint  d'abord  a  l'aire  entrer  soixante 
soldats  choisis  dans  le  château  assiégé.  Ensuite,  ayant  été  rejoint  par 
quinze  cents  hommes  d'armes  envoyés  à  son  secours  par  le  prince  de 
Conti,  lieutenant  général  de  Sa  Majesté  dans  toutes  les  provinces  qui 
avoisinent  la  Loire,  il  n'hésita  plus  a  attaquer  les  Ligueurs  jusque  dans 
la  ville  dont  ils  s'étaient  emparés. 

Tombant  brusquement  sur  eux,  il  les  eut  bientôt  mis  en  désordre; 
car  la  plus  grande  partie  des  habitants  était  en  sa  faveur.  Lansac  parvint 
pourtant  a  rallier  ses  gens  devant  les  halles,  où  ils  tinrent  ferme  assez 
longtemps  encore;  mais,  a  la  fin,  se  voyant  foudroyés  par  le  feu  qui  par- 
tait contre  eux  de  toutes  les  rues  et  de  toutes  les  maisons,  ils  commen- 
cèrent leur  retraite,  lentement  d'abord  et  en  bon  ordre,  jusqu'à  ce  qu'ils 
fussent  arrivés  en  pleine  campagne.  La,  les  royalistes  les  chargèrent 
tout  'a  la  fois  et  en  queue  et  en  lianes,  et  en  firent  un  horrible  carnage. 
Trois  cents  hommes,  qui  restèrent  au  plus  après  cette  sanglante  déroute, 
furent  obligés  d'abandonner  leurs  armes  pour  prendre  la  fuite.  Lansac 
se  sauva  pour  la  seconde  fois  en  Bretagne,  ne  remportant  que  le  blâme 
d'avoir  montré  tout  aussi  peu  de  prudence  que  de  respect  pour  sa 
parole.  (Mézehav,  t.  III,  p.  801.) 

Il  ne  restait  plus  a  la  Ligue,  dans  tout  le  pays  du  Maine,  que  la  ville 
deLa  Ferté-Bernard.  Celle  place  est,  en  elfet,  dans  une  position  qui  en 
rend  les  abords  assez  difficiles;  elle  est  située  sur  la  petite  rivière  de 
l'iluisne,  au  milieu  de  prairies  marécageuses,  où  l'on  ne  saurait  mettre  le 
pied  sans  enfoncer  :  de  sorte  qu'il  n'y  a  que  deux  endroits  par  où  l'on 
puisse  y  arriver;  l'un  par  le  laubourg  de  la  porte  Saint-Barthélémy, 
l'autre  par  celui  de  la  porte  Saint-Julien. 

Le  Prince  de  Conti  vint  lui-même  en  laire  le  siège,  le  trentième 
jour  d'avril;  il  se  logea  au  premier  de  ces  deux  laubourgs,  où  Comnène, 
l'un  des  descendants  des  empereurs  grecs,  et  qui  était  gouverneur 
de  la  place  pour  la  Ligue,  venait  de  faire  mettre  le  feu.  Le  prince 
arriva  assez  "a  temps  pour  arrêter  les  progrès  de  l'incendie  ;  mais  il  ne 
put  sauver  également  le  faubourg  de  Saint-Julien,  qui  fut  tout  entier 
dévoré  par  les  llammes. 


102  HISTOIRE  DE  L^ÉÏABLISSEMENT 

Comnèno  se  défendit  d'abord  assez  vigoureusement,  car  le  prince 
n'avait  pu  amener  pour  battre  les  murailles  que  trois  petites  pièces  de 
campagne  ;  mais  quand  la  grosse  artillerie  fut  arrivée  d'Angers  et  com- 
mença a  tirer  plus  sérieusement,  les  bourgeois,  dans  la  crainte  du 
pillage,  demandèrent  à  capituler,  et  le  gouverneur,  qui  s'était  retiré  dans 
le  château,  fit  a  son  tour  sa  composition.  Ce  fut  de  la  que,  sur  les  ordres 
du  roi,  le  prince  alla  joindre  le  maréchal  d'Aumont,  et  reprendre,  ainsi 
qu'on  l'a  vu,  la  ville  de  Châteaudun. 

En  Bretagne,  le  prince  de  Dombes,  après  avoir  pris  congé  de  Sa 
Majesté  a  Laval,  comme  je  l'ai  dit  précédemment,  était  revenu  a 
Rennes,  où  ayant  rassemblé  une  petite  armée,  il  se  disposa  a  entrer  en 
campagne. 

Or,  voici  ce  qui  avait  eu  lieu  dans  cette  province  (1).  «  La  nouvelle 
de  la  mort  de  Henri  111  avait  été  sue  'a  Nantes  dès  le  jour  de  la  Saint- 
Laurent,  dixième  d'août.  Le  duc  de  Mercœur,  a  qui  les  Ligueurs  de 
Paris  s'étaient  empressés  de  faire  part  de  cet  événement,  envoya  le  séné- 
chal de  P'ougères  pour  l'annoncer  a  ceux  de  Rennes  et  pour  représenter 
aux  bourgeois  de  la  dite  ville  qu'il  était  temps  pour  eux  de  se  joindre  a 
la  Sainte-Union,  comme  l'avaient  déjà  fait  toutes  les  autres  villes  et 
communautés  du  plat  pays.  »  (Moreau,  Hist.  de  la  Ligue  en  Bretagne.) 

Le  parlement  de  Rennes,  ne  voulant  pas  ajouter  foi  a  la  nouvelle,  fit 
mettre  cet  envoyé  en  prison.  On  lui  fil  son  procès  comme  perturbateur 
du  repos  public,  et   il  fut  condamné  a  être  pendu,  ce  qui  fut  exécuté. 

«  Le  duc  de  Mercœur  se  trouva  très-scandalisé  de  ce  qu'on  avait 
traité  avec  aussi  peu  de  cérémonie  un  homme  cpii  avait  l'honneur  d'être 
envoyé  par  lui,  et  pour  venger  cette  mort  sur  personne  de  pareille 
étoffe,  il  fit  pendre  'a  son  tour  le  sénéchal  de  Laval,  qu'il  tenait  prison- 
nier 'a  Nantes.  » 

Ensuite,  et  ce  qui  était  d'une  plus  grande  importance  pour  lui,  il 
parvint  a  s'emparer  adroitement  de  la  ville  de  Saint-Malo.  Cette  place, 
que  son  port  -et  son  commerce  rendent  fort  importante,  était  presque 
entièrement  peuplée  de  partisans  de  la  Ligue,  qui  n'étaient  retenus  dans 
le  devoir  que  par  l'autorité  de  leur  gouverneur,  Messire  Honoré  Dubreuil, 
lequel  avait  été  jadis  le  favori  du  roi  Charles  IX.  Mercœur  désespérait 
d'attirer  cet  homme  a  son  parti;  car  Dubreuil  passait  généralement  pour 
posséder  des  richesses  immenses,  et  on  voyait  peu  de  gens  riches,  ou 
même  ayant  quelque  chose  a  perdre,  embrasser  sincèrement  le  parti  de 
la  Ligue. 

Or,  la  ville  avait  un  château  assez  fort,  où  Dubreuil,  se  méfiant  de  ses 
administrés,  avait  établi  sa  demeure,  et  où  il  avait  mis  tous  ses  objets 
les  plus  précieux.  Cette  dernière,  circonstance  ne  servit  pas  peu  au  duc 


(1)  J'ai  sous  les  yeux  l'ouvrage  du  chanoine  Moreau,  grand  ligueur  et  témoin 
oculaire  des  laits  qu'il  raconte  d'une  manière  aussi  pittoi-esque  qu'intéressante. 
Comme  cet  ouvrage  ne  paraît  point  avoir  été  connu  de  nos  historiens,  je  crois  qu'on 
me  pei^mettra  d'en  donner  d'assez  longs  extraits. 


DU  i'IlOTEyTANTlSML  EN  l-'UAiNGE.  1U3 

(le  Mercœur  pour  mouler  et  encourager  la  conspiration  qni  devait  lui 
livrer  la  ville.  Aux  moins  (K'Iicats,  il  lit  tout  doucement  comprendre  (pi'il 
y  avait  la  un  coup  l)ien  |)rolital)le  a  l'aire;  a  (|ucl(|ues  autres,  il  persuada 
que  ce  gouverneur,  déjà  si  riche,  pour  augmenter  encore  ses  trésors, 
avait  l'intention  de  piller  leur  ville,  et  qu'il  n'attendait  pour  cela  qu'un 
moment  favorable.  11  fut  donc  décidé  parmi  les  initiés  qu'd  fallait  se 
défaire  d'un  pareil  honime,  et  remettre  la  ville  entre  les  mains  d'un 
prince  éminemment  catholique,  si  on  ne  voulait  pas  la  voir  devenir  bien- 
tôt le  repaire  de  l'hérésie. 

Par  suite  de  cette  décision,  les  conjurés  ayant  remarqué  un  endroit 
faible  et  mal  gardé  dans  les  remparts  du  château,  jugèrent  qu'il  ne 
serait  pas  trop  diflicile  d'y  entrer  par  la.  Ils  gagnèrent  un  valet  de 
chambre,  qui  leur  promit  de  leur  faire  savoir  par  un  signal  l'heure  à 
laquelle  la  garde  se  retirait;  et  en  elFet  ils  s'introduisirent,  h  la  faveur  de 
la  nuit,  dans  la  place  par  ce  point  imprudemment  négligé.  Ils  égor- 
gèrent les  premiers  (|ui  se  présentèrent  pour  leur  résister,  et  Dubreuil, 
réveillé  par  le  bruit,  s'étant  présenté  à  une  fenêtre  pour  demander 
(juelle  en  était  la  cause,  reçut  un  coup  d'arquebuse  qui  l'étendit  raide 
mort. 

Après  cela,  les  conjurés  se  payèrent  de  leur  peine  en  pillant  l'ar- 
gent et  les  effets  précieux  du  gouverneur,  dont  ils  cédèrent  une  petite 
partie  aux  échevins  de  la  ville,  afin  de  les  mettre  dans  leurs  intérél»; 
aussi  les  habitants  de  Saint-Malo  arborèrent  incontinent  l'étendard  de 
la  Sainte-Union.  Il  est  vrai  que  leur  commerce  n'y  gagna  pas,  et  qu'il 
fallut  inlerrom|)re  leurs  communications  avec  les  ports  du  littoral  et  ceux 
de  l'Angleterre;  mais  au  lieu  d'avoir  un  roi  liéréti(jue,  ils  passaient 
sous  la  domination  d'un  prince,  étranger  il  est  vrai,  mais  fort  hou  calho- 
lique.  Le  <luc  de  Mercœur,  comme  on  le  pense  bien,  s'empressad'ajiprou- 
ver  tout  ce  qu'ils  avaient  fait. 

Après  ce  premier  succès,  qui  ne  lui  avait  pas  coûté  beaucoup,  il  ne 
lui  restait  plus,  pour  être  maître  absolu  sur  toute  celte  vaste  étendue 
de  côtes  (|ui  bordent  la  mer  britannique,  qu'a  occuper  Brest  et  Quimper. 
C'était  le  sire  Uené  de  Uieux,  sieur  de  Sourdéac,  qui  commandait  pour 
le  roi  dans  la  première  de  ces  deux  villes,  et  ce  seigneur  n'étail  pas 
homme  facile  a  soumettre,  ou  "a  se  laisser  gagner.  Se  voyant  aidé  des 
commodités  de  la  mer,  et  à  la  tête  d'une  bonne  et  fidèle  garnison,  non 
seulement  il  ne  craignait  aucun  ennemi,  mais  il  molestait  beaucoup 
l'évêché  de  Léon,  dont  il  tirait  grosses  conlribulions  de  deniers.  Le  duc, 
après  quel(]ues  tentatives  inutiles  où  échouèrent  toutes  les  ruses  de  sa 
politique,  fut  obligé  de  le  laisser  tranquillement  continuer  ses  exactions 
sur  les  pauvres  catholicpies  de  la  contrée. 

Il  fut  plus  heureux  a  Quimper,  où  il  y  avait  un  grand  nombre  de 
Ligueurs,  et  entre  autres  tous  les  eeelésiasliques,  à  la  réserve  du  seigneur 
évêque,  «  i\m  sentait  un  peu  son  polili(|ue.  »  Quant  a  Messieurs  de  la 
justice  et  du  siège  i)r(''sidial,  on  n'en  comptait  (|iie  trois,  dit  le  cha- 
noine Moreau,  qui  fussent  du  bon  parti  :  tous  les  antres  paraissaient  se 


104  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

soucier  fort  peu  du  péril  de  la  religion.  Le  sénéchnl  Laurent  de  La  Motte 
se  montrait  surtout  fort  entêté.  «  Quand  même  le  roi,  disait-il,  serait  un 
diable  incarné,  et  qu'il  aurait  les  cornes  aussi  longues  que  mon  bras,  je 
n'en  resterais  pas  moins  son  serviteur  plutôt  que  de  devenir  celui  d'un 
prince  étranger,  »  Aussi  faisait-il  tout  son  possible  pour  faire  consentir 
les  habitants  a  recevoir  une  garnison  royaliste. 

Ayant  reçu  pour  cet  objet  quelques  lettres  du  roi  de  Navarre,  ou  plu- 
tôt du  parlement  de  Rennes,  il  les  publia  fièrement  en  grande  assemblée 
du  peuple,  enjoignant  a  un  chacun  d'avoir  'a  s'y  soumettre.  Ceci  causa 
un  tel  trouble  en  l'esprit  des  habitants,  assistés  des  religieux  cordcliers, 
qu'ils  prirent  des  arquebuses  et  vinrent  assiéger  les  portes  de  la  salle 
oîi  se  tenait  l'assemblée.  Ce  fut  alors  au  sénéchal  'a  se  sauver  bien  vite, 
avec  ceux  qui  avaient  eu  le  malheur  de  se  laisser  entraîner  dans  son 
parti.  Pour  lui,  il  prit  la  route  de  Rennes  au  grand  galop  de  son  cheval; 
quelques  autres  se  retirèrent  à  Brest,  auprès  du  seigneur  de  Sourdéac, 
et  les  moins  compromis  ne  se  firent  pas  prier  pour  prêter  serment  de 
fidélité  a  la  Sainte-Union.  La  ville  de  Quimper,  se  rangeant  tout  aussitôt 
sous  l'autorité  du  duc  de  Mercœur,  reconnut  pour  son  gouverneur  le 
sire  de  Quellenec,  lequel  se  comporta  fort  bien  en  cette  cbarge,  quoi- 
qu'il fût  naturellement  d'une  humeur  revêche. 

Ainsi  donc  toute  la  Basse-Bretagne,  ou  bien  peu  s'en  faut,  obéissait 
au  gouvernement  de  Monseigneur  le  duc,  quand  un  jeune  homme  a  tête 
éventée,  nommé  Trogoff,  s'étant  laissé  monter  l'esprit  par  une  lettre  du 
sire  de  Beaumanoir,  s'avisa  de  rassembler  quelques  huguenots  et  mau- 
vais chrétiens  des  environs,  et  d'aller  se  jeter  avec  eux  dans  le  château 
du  Pont.  Il  se  nomma  lui-même  capitaine  de  la  place,  et  tout  son 
monde  s'empressa  de  lui  obéir,  comme  à  celui  qui  avait  mandat  du  sire 
de  Beaumanoir,  seigneur  du  Pont. 

Une  fois  maître  de  ce  poste,  qui  n'était  pas  sans  importance,  Trogoff 
se  prit  'a  faire  des  courses  contre  ceux  de  Quimper,  et  il  y  faisait  très- 
bien  ses  affaires,  parce  que  le  pays  est  riche  et  que  les  habitants  n'ont 
pas  l'humeur  belliqueuse. 

Le  gouverneur  de  Concarneau,  instruit  de  ces  déportements,  ras- 
sembla toute  la  noblesse  des  environs,  et  avec  quelques  pièces  de 
canon  et  les  hommes  de  sa  garnison,  il  alla  assiéger  Trogoff  dans  le 
château  du  Pont,  On  allait  la  comme  'a  la  noce,  tant  on  était  sûr  de  la 
réussite  et  d'un  beau  butin.  Pourtant  la  place  était  protégée  par  de  solides 
et  épaisses  murailles  que  les  petites  pièces  des  assiégeants  ne  purent 
entamer,  et  on  commençait,  après  tant  d'empressement,  'a  trouver  bon 
de  se  retirer  chacun  chez  soi. 

Mais  il  arriva  que  Trogoff,  regardant  un  jour  par  une  petite  lucarne, 
pour  voir  ce  qui  se  passait  dans  le  camp  ennemi,  un  soldat  qui  l'aper- 
çut lui  tira  dans  la  tête  une  arquebusade  «  dont  il  mourut  subite- 
ment, j)  et  ceux  du  dedans,  voyant  leur  capitaine  mort,  demandèrent  k 
capituler. 

Leur  proposition  fut  admise,  a  condition  que  tous  ceux  d'entre  eux 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  105 

qui  étaient  huguenots  avoués  demeureraient  prisonniers  de  guerre,  jus- 
qu'à ce  qu'ils  eussent  payé  pour  eux  tous  et  solidairement  cinq  mille 
écus  d'or  de  rançon,  plus  tous  les  frais  de  l'expédition.  On  lit,  en  outre, 
un  très-bon  butin  dans  le  château,  où  il  y  avait  force  vaisselle  d'argent, 
force  joyaux  et  autres  meubles  de  prix  appartenant  au  sire  de  Beau- 
manoir.  Le  gouverneur  de  Concarneau  emporta  jusqu"a  l'horloge  qu'il 
lit  placer  dans  sa  ville,  et  c'est  depuis  ce  temps-Fa  cpi'ou  dit,  en  matière 
de  proverbe,  que  l'horloge  du  château  du  Font,  toute  petite  (ju'elle  est, 
s'entend  jusqu'à  Concarneau. 

Cette  mémo  ville  de  Concarneau  avait  été  précédemment,  pendant 
quelques  jours,  au  pouvoir  des  huguenots';  mais  Dieu  n'avait  pas  permis 
qu'ils  la  gardassent  longtemps.  Or,  voici  comment  la  chose  s'était 
passée. 

Il  est  bon  de  savoir  d'abord  que  la  dite  ville  est  toute  environnée  par 
la  mer  ou  par  des  marécages  inabordables,  excepté  du  côté  de  sa  prin- 
cipale porte  qui  est  vers  l'occident.  Ce  n'était  au  commencement  qu'un 
pauvre  village,  uniquement  habité  par  (juelques  familles  de  pécheurs  et 
de  matelots;  mais  le  bon  roi  Louis  XII,  ayant  remarqué  la  belle  assiette 
de  cette  place,  avait  ordonné  qu'elle  lut  fortifiée,  et  y  avait  établi  une 
garnison  à  morte-paye  (I).  Il  en  résulta  que  Concarneau  devint  bientôt 
une  retraite  de  voleurs  et  de  gens  méritant  la  corde;  car  si  quelqu'un 
avait  assassiné  son  voisin,  ou  fait  quelque  vol,  ou  ravi  fille  ou  femme,  il 
trouvait  asile  à  Concarneau,  pour  peu  qu'il  eût  de  quoi  en  payer  les 
fraisa  Monsieur  le  commandant  à  morte-paye. 

Les  huguenots  avaient  donc  jadis  surpris  cette  ville  (en  1570).  Un 
des  leurs,  pendant  que  les  autres  se  tenaient  cachés  derrière  de  vieilles 
masures,  se  présenta  à  la  porte,  où  il  ne  se  trouvait  d'ordinaire  que  le 
portier  tout  seul,  et,  feignant  d'avoir  besoin  d'un  asile,  il  demanda  à 
parler  au  capitaine  commandant.  Alors  il  tira  quelques  papiers  de  ses 
poches,  et  il  en  laissa  tomber  un  par  terre;  le  portier  se  baissa  pour  le 
ramasser,  et  le  soldat,  qui  s'attendait  à  ce  mouvement,  enfon(,'a  son  poi- 
gnard dans  les  reins  de  ce  malheureux,  lequel  mourut  sans  avoir  eu 
le  temps  de  pousser  un  seul  cri.  Le  soldat  lit  signe  à  ceux  (]ui  étaient 
demeurés  derrière,  et  ceux-ci  étant  accourus  entrèrent  dans  la  place, 
dont  ils  se  rendirent  maîtres  avant  qu'on  se  lût  aperçu  de  rien.  Ils  ren- 
fermèrent ensuite  tous  les  habitants  dans  un  grand  bâtiment,  et  ils  en- 
voyèrent par  mer  à  La  Rochelle  pour  avenir  leurs  confrères  en  Christ  du 
succès  qu'ils  venaient  d'obtenir,  en  les  piiant  très-instamment  de  leur 
envoyer  des  secours,  n'étant  en  tout  (|ue  trente  pour  garder  leur 
conquête. 

Mais  aussitôt  que  dans  les  paroisses  voisines  on  eut  eu  connaissance 
de  ce  hardi  coup  de  main,  le  tocsin   sonna  à  tous  les  clochers   el  la 

(1)  On  appelait  soldats  à  morte-paye  ceux  qui  étaient  entretenus  tant  en  paix 
qu'en  guerre.  Ils  n'avaient  d'autre  service  que  celui  du  poste  où  on  les  avait  placés  : 
aussi  ils  y  devenaient  assez  souvent  maîtres  absolus. 


106  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

place  fut  soudainement  investie  par  plus  de  huit  mille  hommes.  Trente 
huguenots  ne  pouvaient  guère  espérer  de  résister  a  cette  mullitude  ;  ils 
avaient  beau  s'épuiser  en  veilles  et  en  efforts,  passer  les  jours  et  les 
nuits  sur  les  remparts,  ils  devaient  naturellement  finir  par  succomber 
tôt  ou  tard,  au  nombre  et  a  la  fatigue.  Par  bonheur  pour  eux,  les  assié- 
geants ignoraient  leur  petit  nombre,  et  le  sire  de  La  Vigne,  qui  avait  été 
le  chef  de  cette  audacieuse  entreprise,  avait  grand  soin  de  faire  paraître 
ses  gens  tour  a  tour  sur  tous  les  points  du  rempart,  pour  faire  croire 
qu'on  faisait  bonne  garde  partout.  Lui-même  se  montrait  avec  une  con- 
tenance fière  et  assurée,  se  faisant  remarquer  par  une  grosse  chaine  d'or 
qui  faisait  trois  tours.  ^ 

Pendant  ce  temps-la,  on  apprenait  a  Quimper,  qui  n'est  qu'a  quatre 
lieues  de  la,  que  Concarneau  était  au  pouvoir  des  huguenots.  L'alarme 
fut  d'abord  très-grande  de  savoir  l'ennemi  aussi  près,  d'autant  plus  qu'il 
n'y  avait  pas  une  seule  porte  en  état  d'être  fermée,  ni  pas  un  pont-levis 
en  état  d'être  haussé  ;  mais  quand  on  sut  que  les  gens  de  la  campagne 
tenaient  les  hérétiques  assiégés,  on  se  rassura  peu  a  peu;  puis  on  se  réu- 
nit en  grandes  bandes,  et  l'on  se  mit  en  marche  pour  porter  aide  'a  ceux 
qui  avaient  si  heureusement  déjà  entouré  l'ennemi. 

Le  siège  dura  néanmoins  jusqu'au  vingt-deuxième  jour  de  janvier.  Ce 
jour-Pa,  l'officier,  qui  avait  les  clés  de  la  porte  de  la  ville  et  qui  les  por- 
tait en  un  trousseau  'a  sa  ceinture,  s'était  endormi  de  fatigue  dans  la 
maison  d'un  des  habitants  qu'il  avait  pris  pour  son  hôte,  et  qui,  pour 
cette  raison,  n'avait  pas  été  renfermé  avec  les  autres.  Cet  homme, 
voyant  le  capitaine  endormi  profondément,  les  clés  pendues  à  sa  cein- 
ture et  son  poignard  nu  a  côté  de  lui,  «  se  résolut  de  faire  un  acte  de 
courage  pour  sa  foi  et  pour  la  vraie  religion.  »  11  prit  le  poignard  et  en 
perça  l'officier  ;  puis  s'étant  saisi  des  clés,  il  courut  a  la  porte  pour 
l'ouvrir  aux  assiégeants. 

Un  soldat  qui  était  en  sentinelle  sur  le  rempart,  de  ce  côté-la,  l'aper- 
çut pendant  qu'il  cherchait  dans  le  trousseau  de  clés  'a  démêler  celle 
dont  il  avait  besoin.  Le  rempart  était  très-haut  en  cet  endroit,  mais  le 
soldat  n'hésita  pas  a  sauter  de  la  muraille  où  il  se  trouvait  posté  sur  le 
pavé,  et  ce  fut  un  miracle  qu'il  ne  se  rompit  pas  le  cou;  pourtant  il 
arriva  trop  tard  encore.  La  porte  était  déjà  ouverte,  le  pont-levis  tombé, 
et  le  bourgeois  appelait  'a  grands  cris  les  assiégeants  qui  entrèrent  en 
foule  dans  la  place. 

Les  ennemis  furent  tous  égorgés  sans  rémission.  Le  sieur  de  La 
Vigne  lui-même,  qui  s'était  caché  dans  un  grenier  a  foin,  ne  tarda  pas 
'a  être  découvert;  il  fut  tué  comme  les  autres,  et  son  cadavre  fut  lancé 
tout  nu  par  la  fenêtre  ;  sa  belle  chaine  d'or  devint  la  propriété  d'un  des 
gentilshommes  catholiques  qui  avaient  pris  part  à  l'action,  et  dans  la 
•iamille  duquel  elle  a  été  conservée  longtemps,  comme  un  titre  de  gloire. 
Depuis  ce  moment-l'a,  Concarneau  resta  toujours  entre  les  mains  des 
catholiques,  et  dans  ces  derniers  temps,  cette  ville  n'avait  pas  été  une 
des  dernières  'a  se  soumettre  'a  Monseigneur  le  duc  deMercœur.  On  vient 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  407 

(le  voir  comment  son  commandant  avait  prouvé  son  dévonemenl  î»  colle 
cause,  en  prenant  le  château  du  Pont  dont  il  avait  emporté  Thorloge. 

Après  cet  exploit,  on  devait  compter  que  rien  ne  s'opposerait  plus  a 
la  puissance  de  la  Sainte-Union  dans  tout  le  territoire  de  Quimpcr,  et 
c'était  bien  la  ce  que  désirait  le  duc  de  Mercœur,  (jui  espérait  l'aire 
réussir  tout  doucement  ses  plans  de  domination  h  Tombre  de  ce  parti, 
dont  il  se  posait  comme  un  des  chefs  les  plus  dévoués  ;  mais  on  apprit 
que  le  seigneur  de  Cuingant,  qui  passait  pour  tenir  le  parti  des  politiques, 
cherchait  à  se  l'orlilier  dans  son  château,  qui  n'est  qu'a  deux  lieues  de  la 
ville,  et  ([u'il  y  attirait  et  entretenait  un  grand  nombre  de  gens  de  guerre. 
On  alla  l'assiéger  et  on  pilla  son  dit  château,  ainsi  (jue  celui  de  La  (^ou- 
draye,  qui  appartenait  'a  une  dame  huguenote,  et  où  on  ne  laissa  ni 
meubles,  ni  l'enètres,  ni  portes,  ni  grilles. 

C'est  alors  (|u'on  eut  nouvelles  de  l'approche  du  prince  de  Dombes. 
11  arriva  au  milieu  d'une  nuit  obscure,  avec  son  armée,  à  Quimperlé,  pen- 
dant qu'on  le  croyait  encore  bien  loin  de  la;  et  ayant  fait  mettre  pied  à 
terre  a  sa  cavalerie,  pour  que  le  bruit  des  fers  des  chevaux  sur  le  pavé 
ne  donnât  pas  l'éveil,  il  vint  applicjuer  le  pétard  a  la  poile  de  cette  ville, 
du  côté  de  Vannes.  La  sentinelle,  qui  entendit  du  bruit,  demanda  : 
«  Qui  va  là?  »  On  lui  répondit  :  «  Ami!  »  et  elle  ne  donna  pas  l'alarme 
croyant  <jue  c'était  (pielqu'un  du  faubourg.  Le  pétard  fit  sauter  la  porte 
et  livra  |)assage  aux  royaux  (jui  mirent  la  ville  au  pillage  et  égorgèrent 
tous  ceux  des  habitaiits,  hommes,  femmes  et  enfants,  qui  ne  cherchèrent 
pas  leur  saint  dans  la  Inile. 

Pour  se  venger  de  cette  perte  (car  la  ville  de  Quimperlé  était  bien 
riche  en  ce  temps-là),  ceux  de  la  Sainte-Union  assiégèrent  le  château  de 
Kerouzeré,  dont  le  seigneur  s'était  déclaré  pour  le  roi,  et  commettait 
toutes  sortes  de  pilleries  et  ravages  dans  les  environs;  aussi  était-il 
mortellement  et  généralement  haï  partout.  Les  assiégeants  avaient  fait 
venir  du  caiion  de  lîrignou;  ce  (jue  voyant  les  assiégés,  ils  ne  voulurent 
s'exposer  aux  riscjues  d'un  assaut,  et  ils  demandèrent  à  capituler.  On  leur 
accorda  la  vie  sauve,  avec  promesse  de  les  conduire  en  lieu  de  sûreté,  et 
la  noblesse  (]ni  se  trouvait  dans  le  camp  avait  bien  l'intention  de  garder 
religieusement  celte  capitulation  ;  mais  il  fallut  (|u'elle  se  battit  elle- 
même  contre  la  populace,  qui  voulait  tuer  tous  ces  misérables.  Leur 
commandant,  (|ui  s'était  déguisé  pour  n'être  pas  reconnu  de  ces  furieux, 
ne  put  éviter  de  l'être  par  (jiiel(|nes  jiaysans  (ju'il  avait  maltraités  dans 
ses  courses.  Ils  crièrent  «  haro  !  »  sur  lui  et  il  fut  mis  littéralement  en 
pièces.  Chacun  voulut  en  avoir  son  morceau.  On  plaça  au  bout  d'une 
pi(pie  les  parties  houleuses  qu'on  [)romena  avec  de  grands  cris  de 
triomphe  par  tout  le  camp. 

Les  seigneurs,  cpii  s'étaient  déclarés  pour  le  roi  dans  ces  contrées, 
arrivèrent  trop  tard  pour  empêcher  ces  horreurs,  et  les  catholiques 
enreiit  le  temps  de  se  retirer  à  Morlaix  avec  ceux  de  leurs  prisonniers 
qu'ils  avaient  pu  soustraire  au  massacre.  Ils  en  tirèrent  |)ar  la  suite  une 
bonne  et  prolilahle  rançon. 


108  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Alors  cette  troupe  «  assez  gaillarde  de  royaux,  tous  gens  de  main  et 
qui  avaient  envie  de  mordre,  »  se  retourna  vers  la  petite  ville  de 
Garhaix,  où  elle  savait  qu'on  célébrait  les  noces  de  la  tille  d'un  des  prin- 
cipaux d'entre  les  bourgeois,  greffier  de  la  dite  ville.  C'était  une  occa- 
sion de  faire  un  riche  butin.  Comme  on  était  loin  d'attendre  l'ennemi, 
il  n'y  avait  sur  les  remparts  ni  gardes  ni  sentinelles.  Les  royaux,  y  étant 
arrivés  environ  deux  heures  avant  le  jour,  montèrent  facilement  et  sans 
être  aperçus  par  dessus  les  murailles;  les  premiers  entrés  allèrent  bien 
vite  ouvrir  la  porte  a  la  cavalerie,  et  les  habitants,  qui,  après  la  bonne 
chère  des  noces  de  la  fille  de  leur  greffier,  s'étaient  endormis  tranquil- 
lement, ne  furent  réveillés  que  par  le  pillage  de  leurs  maisons. 
Quelques-uns,  qui  tentèrent  de  se  défendre,  furent  tués;  les  autres  furent 
faits  prisonniers  dans  leurs  lits,  et  les  plus  prudents,  tant  hommes  que 
femmes,  se  sauvèrent  a  demi-nus  dans  la  campagne. 

Ceux-ci  donnèrent  l'alarme  dans  la  contrée.  Le  tocsin  sonna  a  tous 
les  clochers,  et  les  paysans  coururent  aux  armes.  Mais  ce  n'étaient  que 
grandes  bandes  inexpérimentées  et  sans  aucun  usage  des  choses  de  la 
guerre.  En  arrivant  à  quelque  distance  de  Carhaix,  ils  aperçurent  une 
vingtaine  de  cavaliers  ennemis  que  les  royaux  avaient  placés  la,  pour  les 
attirer  dans  un  piège.  Ces  paysans,  dont  la  plupart  n'étaient  armés  que 
de  fourches,  franchirent  aussitôt  la  rivière  de  l'Aulne,  derrière  laquelle 
un  de  leurs  chefs,  plus  expérimenté  que  les  autres,  leur  proposait  de  se 
retrancher  ;  ils  coururent  pêle-mêle  aux  cavaliers  qu'ils  pensaient  bien 
faire  prisonniers;  mais  ils  n'allèrent  guère  loin.  Il  y  avait  La  une  embus- 
cade de  quatre  ou  cinq  cents  chevaux  qui  se  précipita  sur  eux,  les  uns 
en  tête,  les  autres  en  liane,  et  d'autres  par  derrière,  et  qui  les  eut  bien- 
tôt mis  en  déroute.  Un  grand  nombre  de  ces  pauvres  gens  furent  tués 
sur  la  place,  et  presque  tous  les  autres  se  noyèrent  en  voulant  repasser 
la  rivière  qu'ils  avaient  si  imprudemment  franchie. 

L'ennemi,  poussant  sa  pointe,  passa  à  son  tour  sur  l'autre  rive,  où 
il  n'y  avait  plus  personne  pour  lui  disputer  le  passage  ;  il  ravagea  tout  le 
pays  h  plus  d'une  lieue  a  la  ronde,  et  il  y  eut  partout  grande  tuerie  de 
paysans. 

Les  paroisses  plus  éloignées,  qui  n'avaient  pas  eu  le  temps  de  venir 
prendre  part  a  cette  première  affaire,  ne  perdirent  pas  courage  en  appre- 
nant la  défaite  de  leurs  voisins.  Dès  le  lendemain,  qui  était  un  di- 
manche, elles  se  mirent  en  route,  traversèrent  ces  mêmes  plaines, 
où  gisaient  encore  les  corps  sanglants  de  ceux  qui  avaient  péri  la  veille, 
et  vinrent  en  beaucoup  plus  grand  nombre  attaquer,  'a  Quimperlé,  les 
royaux  qui  ne  s'attendaient  pas,  après  leur  victoire,  a  se  voir  si  promp- 
tement  de  nouveaux  ennemis  sur  les  bras.  Quand  ils  aperçurent  cette 
multitude,  qui  s'élançait  avec  furie  jusque  sous  les  remparts  de  la  ville, 
la  plupart  d'entre  eux  se  sauvèrent  dans  la  halle  où  ils  se  barricadèrent 
pour  donner  le  temps  a  leur  cavalerie  de  monter  à  cheval.  Les  paysans 
cependant  étaient  déjà  maîtres  de  la  porte  ;  mais  la  pluie,  qui  tombait  ce 
jour-la,  avait  mouillé  leurs  armes,  de  sorte  que  leurs  arquebuses  leur 


j 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  109 

rievenaicnt  inutiles;  aussi  ne  pouvaient-ils  en  tirer  parti  contre  l'ennemi 
qui,  se  trouvant  a  couvert  et  avec  des  armes  sèches,  tirait  sur  eux  avec 
avantage. 

Pendant  ce  temps-la,  la  cavalerie  royaliste,  ayant  eu  le  temps  de  se 
préparer,  arriva  et  chargea  brusquement  les  assaillants  par  derrière.  Que 
pouvaient  ces  bandes  inexpérimentées  contre  une  troupe  aguerrie  et 
bien  organisée?  Ils  lurent  obligés  de  prendre  la  luite.  Il  y  en  eut  un 
grand  nombre  qui  perdirent  la  vie,  entre  autres  presque  tous  leurs  chefs 
et  jusqu'à  leur  curé,  (jui  avait  voulu  marcher  a  leur  tête  et  qui  se  battait 
en  désespéré  au  premier  rang. 

Le  vainqueur  avait  éprouvé  toutefois  des  pertes  assez  considérables,  et 
le  commandant,  (jui  avait  eu  une  main  coupée  par  le  belliciueux  curé, 
avec  lequel  il  s'était  battu  corps  'a  corps,  ordonna,  pour  se  venger,  qu'on 
réduisît  la  ville  en  cendres,  ce  qui  fut  fait  incontinent,  après  quoi  il  se 
mit  en  route  pour  s'en  retourner  avec  ses  gens,  lesquels  étaient  tous 
chargés  de  butin. 

Ceux  de  Chàteauneuf,  ayant  eu  avis  de  la  double  défaite  que  leurs 
amis  venaient  d'éprouver,  s'en  prirent  a  leur  propre  commandant  qui  ne 
les  avait  pas  convo(jnés  assez  tôt  pour  aller  porter  du  secours  a  leurs 
frères;  ils  l'accusèrent  d'être  un  politique,  se  ruèrent  sur  lui,  le  massa- 
crèrent et  jetèrent  son  corps  dans  une  fondrière. 

En  ce  même  temps,  mon  dit  seigneur  de  Mercœur,  s'étant  mis  en 
campagne  vers  le  pays  de  Saint-Hrieue,  manda  à  l'arrière-ban  de  la 
noblesse  de  Cornouailles  de  venir  le  rejoindre.  Il  n'y  en  eut  qiie  peu  qui 
obtempérèrent  à  cet  ordre,  «  et  encore  de  ceux-là  la  plupart  n'avaient 
jamais  dégainé  Tépée  que  pour  la  dérouiller.  »  Toute  cette  com- 
pagnie de  gens  d'armes  montait  à  peine  au  nombre  de  trente-cin(|.  Ils 
prirent  des  chemins  détournés  pour  n'avoir  aucune  rencontre  fâcheuse, 
s'il  était  possible;  mais  la  garnison  du  bourg  de  ïonquedec  tomba  sur 
eux  et  en  eut  bon  marché.  «  Ceux  qui  n'eurent  pas  le  temps  de  tourner 
les  talons  assez  vite  furent  tués  sur  la  place  ;  les  autres  retournèrent  en 
toute  hâte  dans  leurs  manoirs,  et  ainsi  fut  dissipé  l'arrière-ban  du  pays 
de  Cornouailles,  ce  qui  donna  à  plusieurs  l'occasion  d'une  grande 
risée.  » 

Or,  les  paysans  se  tenaient  partout  sous  les  armes, et  dans  ce  temps 
de  désordres  quelques  mauvais  péroreurs  leur  avaient  mis  dans  l'esprit 
que  l'occasion  était  favorable  pour  secouer  le  joug  de  la  noblesse  et  de 
la  bourgeoisie.  Ainsi  donc,  comme  ils  le  disaient  eux-mêmes,  ils  ne  vou- 
laient plus  reconnaître  aucun  seigneur,  pas  plus  catholique  que  du  parti 
des  royaux.  Le  sire  Du  Chastel,  baron  de  kerlech,  dans  le  pays  de  Léon, 
s'en  était  allé  à  Rennes  pour  y  épouser  une  dame  fort  riche,  toute  jeune 
et  bien  famée,  et  il  la  ramenait  chez  lui,  en  com|)agnie  de  soixante  ou 
(juatre-vingts  braves  cavaliers,  avec  l'aide  desquels  il  se  croyait  bien 
assez  fort  pour  éviter  les  dangers  de  la  route,  malgré  la  mauvaise 
volonté  des  paysans,  'a  peu  près  insurgés  partout.  11  n'était  plus  qu'à 
cinq  lieues  de  Quimpcr   quand  il   alla,  avec  sa  suite,  prendre  gite  à 


110  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Roscanoii,  dans  le  château  d'une  noble  dame,  veuve  d'un  conseiller  du 
présidial. 

Celte  dame,  que  les  nouveaux  mariés  avaient  fait  prévenir  de  leur 
visite,  les  attendait  pour  leur  faire  fête  et  bonne  réception.  Incontinent, 
le  bruit  courut  qu'il  y  avait  grande  assemblée  de  royaux  a  Roscanou  ;  le 
tocsin  se  fit  entendre  de  paroisse  en  paroisse,  jusqu'aux  portes  mêmes 
de  Quimper,  où  l'on  ne  savait  ce  que  cela  voulait  dire.  Les  paysans 
coururent  aux  armes,  et  les  premiers  arrivés  bloquèrent  la  maison  de  la 
noble  dame,  pendant  que  ceux  qui  étaient  dedans,  ne  se  doutant  nulle- 
ment du  danger,  ou  peut-être  méprisant  trop  ce  ramassis  de  paysans,  ne 
songeaient  qu'à  faire  bonne  chère. 

Pourtant  le  nombre  de  leurs  ennemis  s'augmentait  d'un  instant  'a 
l'autre.  Déjà  on  avait  fait  des  retranchements  sur  toutes  les  avenues  de 
la  maison,  de  manière  à  empêcher  qu'aucun  n'en  sortît.  Les  gentils- 
hommes, voyant  toute  cette  foule,  sentirent  trop  tard  qu'ils  avaient  eu 
tort  de  ne  pas  se  retirer  plus  tôt  ;  ils  tentèrent  une  sortie  pour  déblayer 
le  passage,  mais  ils  furent  vigoureusement  repoussés.  Le  sire  Du  Châtel 
et  ses  amis  résolurent  alors  de  mourir  bravement  avec  la  jeune  dame 
qu'ils  avaient  si  imprudemment  engagée  dans  ce  guet-apens  ;  ils 
n'eurent  pas  longtemps  à  attendre. 

Les  paysans  avaient  déjà  mis  le  feu  à  la  maison  qui,  tout  aussitôt, 
s'alluma  partout;  les  malheureux  qui  se  trouvaient  dedans,  pour  éviter 
d'être  rôtis  tout  vifs,  se  jetaient  à  mesure  que  le  feu  les  pressait  au  milieu 
de  leurs  ennemis,  qui  les  recevaient  a  coups  de  fourches  et  de  halle- 
bardes. La  jeune  dame  pourtant  obtint  la  vie  sauve,  après  avoir  reçu  dans 
la  gorge  un  coup  de  fourche  dont  elle  pensa  mourir.  Quelques-uns  des 
assaillants,  plus  compatissants  que  les  autres,  la  recueillirent  et  la  sau- 
vèrent toute  sanglante;  mais  son  mari  et  tous  les  autres  qui  étaient  dans 
la  maison,  gentilshommes,  dames  et  demoiselles,  furent  ou  tués  ou 
brûlés. 

Le  prince  de  Dombes  venait  alors  de  prendre  la  petite  ville  de 
Hennebont,  où  il  laissa  une  forte  garnison  avec  neuf  pièces  de  canon, 
sous  les  ordres  de  Dupré,  parce  que  ce  poste  lui  parut  important,  étant 
situé  sur  la  côte  entre  Nantes  et  les  Pays-Bas,  et  pouvant  aider  à  inter- 
rompre les  communications.  De  là,  il  s'avança  vers  Josselin,  espérant 
toujours  obliger  le  duc  à  venir  lui  livrer  une  bataille  rangée.  Enfin,  après 
avoir  longtemps  fatigué  ses  troupes  dans  cette  espérance,  il  fut  obligé  de 
se  retirer  à  Malestroit,  sur  la  rivière  d'Oust,  pour  leur  laisser  prendre  un 
peu  de  repos.  (Mézerav,  t.  III,  p.  802.) 

Mercœur,  le  voyant  éloigné,  vint  à  son  tour  bloquer  Hennebont.  Il 
fit  dresser  deux  batteries,  qui  après  avoir  tivé  sans  relâche  pendant 
vingt-quatre  heures,  ouvrirent  une  large  brèche  aux  assaillants.  Dupré, 
qui  savait  les  habitants  fort  affectionnés  au  parti  du  duc,  et  qui  se  voyait 
sans  espoir  d'être  secouru,  demanda  à  capituler.  On  lui  accorda  la  vie 
sauve  et  qu'il  sortirait  enseignes  déployées.  Cette  convention  fut  rigou- 
reusement respectée  par  le  vainqueur.  (Moreau,  ttbi  sup.) 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE  111 

De  la,  le  duc  alla  assiéger  le  port  du  Hlavct,  qui  se  trouve  a  Teni- 
houclnire  de  la  rivir-re  de  ce  nom.  C'était  le  meilleur  havre  et  le  plus 
sûr  de  toute  la  province,  parce  que  les  vaisseaux  y  peuvent  entrer  par 
tous  les  vents  et  par  toutes  les  marées.  La  ville  est  située  sur  une  langue 
de  terre  (jui  ne  tient  au  continent  que  par  un  seul  côté.  L'année  précé- 
dente, les  royaux  s'en  étaient  emparés  et  s'y  étaient  fortifiés,  en  élevant 
du  côté  de  la  terre  ferme  un  rempart  qu'ils  avaient  garni  des  canons 
tirés  des  vaisseaux  du  port.  Dans  cette  position,  ils  incommodaient  gran- 
dement les  habitants  d'Ilennebont,  qui  ne  pouvaient  plus  rien  tirer  de 
la  mer  tant  que  ce  port  appartiendrait  a  un  parti  contraire  au  leur.  Ce 
fut  donc  a  leur  prière  que  Mercœur  se  décida  a  en  aller  chasser  les 
royaux. 

Ceux-ci  firent  d'abord  bonne  contenance  et  soutim'ent  bravement  un 
assaut  qui  coûta  la  vie  'a  un  assez  grand  nombre  des  assaillants;  les 
femmes  mêmes  y  firent  preuve  d'un  courage  indomptable.  On  les  voyait 
jeter  du  haut  du  rempart  des  pierres,  de  l'eau  bouillante  et  tout  ce  qui 
leur  tombait  sous  la  main  ;  mais,  pendant  qu'on  se  battait  avec  anime- 
site  de  part  et  d'autre,  voici  le  seigneur  de  Lansac  qui  arrive  par  mer 
avec  trois  ou  quatre  grands  vaisseaux  chargés  de  soldats.  Ne  trouvant 
aucune  résistance  de  ce  côté  de  la  ville,  il  débarque,  entre  dans  la 
jdace,  et  vient  attaquer  par  derrière  ceux  qui  défendaient  le  retranche- 
ment. Ce  fut  alors,  parmi  ces  derniers,  'a  (|ui  se  sauverait  le  plus  vite, 
tant  la  panique  devint  générale,  et  les  assiégeants  se  ruèrent  dans  la 
ville,  égorgeant  tout  ce  qu'ils  rencontraient,  sans  distinction  d'âge  ni  de 
sexe.  Ceux  qui  avaient  été  assez  lestes  pour  se  soustraire  a  cette  pre- 
mière furie  vinrent  se  jeter  a  corps  perdu  dans  les  bateaux  du  port, 
espérant  fuir  sur  la  mer  ;  c'était  en  efl'et  la  seule  route  qui  leur  restait 
ouverte;  mais  ces  bateaux  se  trouvèrent  bientôt  tellement  surchargés 
qu'ils  enfoncèrent  presque  tous.  Quelques-uns  furent  pris  avant  d'avoir 
pu  s'éloigner  du  rivage,  et  il  n'y  en  eut  qu'un  très-petit  nombre  qui 
arriva  jus(ju'a  Vannes. 

On  raconte  que  quarante  jeunes  lilles,  pour  se  soustraire  'a  la  bruta- 
lité du  soldat,  s'étaient  réfugiées  dans  un  navire;  mais  ce  navire  n'ayant 
pas  eu  le  temps  de  (piitter  le  bord,  dès  qu'elles  virent  les  soldats  y 
entrer,  elles  se  prirent  toutes  par  la  main  et  se  précipitèrent  ensemble 
dans  la  mer. 

Toutes  les  maisons  furent  livrées  aux  flammes  ai)rès  avoir  été 
pillées. 

Le  prince  de  Dombes  accourut  pour  tirer  vengeance  de  semblables 
excès.  Le  duc  ne  voulut  pas  l'attendre,  et  passant  le  canal,  il  se  retira 
a  Auray,  où  le  prince  l'ayant  poursuivi,  il  quitta  encore  celte  ville  qui  ne 
lui  semblait  pas  assez  forte,  et  alla  se  renfermer  dans  Vannes.  Les  royaux 
vinrent  l'y  assiéger.  Ils  attaquèrent  de  prime  abord  les  faubourgs  avec 
une  grande  impétuosité  ;  mais  ils  rencontrèrent  une  résistance  cpii  les 
força  de  se  retirer  avec  pertes.  Ils  se  rangèrent  alors  en  bataille  dans  la 
plaine,  pensant  que   le  duc  de  Mercœur,  entlé  du  succès  qu'il  venait 


dl2  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

d'obtenir  en  défendant  la  place  et  les  croyant  découragés,  ne  manque- 
rait pas  de  venir  les  attaquer.  Ils  furent  trompés  dans  leur  attente,  et, 
après  être  restés  toute  la  journée  sous  les  armes  par  Textrème  chaleur 
qu'il  taisait  ce  jour-la,  ils  furent  obligés  de  se  retirer,  en  regrettant  d'être 
demeurés  a  languir  au  soleil,  pendant  que  le  duc  et  les  siens  étaient  a 
couvert  a  boire  leur  vin  frais. 

Le  prince  de  Bombes  se  vit  presque  a  l'instant  même  abandonné  de 
la  plus  grande  partie  de  son  armée;  car  comme  en  ce  temps-la  il  n'y 
avait  que  très-peu  de  troupes  réglées  et  point  du  tout  de  payées,  chacun 
faisait  la  guerre  avec  des  gens  ramassés  par  le  crédit  de  ses  amis,  ou 
attirés  par  l'espoir  du  butin  ;  et  c'était  beaucoup  que  de  les  faire 
tenir  un  mois  ou  cinq  semaines  ensemble.  Mais  si  elles  se  dissipaient 
facilement,  il  en  revenait  facilement  d'autres.  Le  prince  de  Dombes  eut 
donc  bientôt  trouvé  une  nouvelle  armée,  avec  laquelle  il  vint  assiéger  la 
ville  de  Moncontour,  qui  se  rendit  par  capitulation  après  avoir  repoussé 
deux  assauts.  Après  quoi,  se  trouvant  encore  une  fois  quitté  par  ceux  qui 
l'avaient  aidé  dans  cette  dernière  expédition,  il  s'en  revint  presque  seul 
'a  Rennes.  (Mézeray,  t.  III,  p.  805.) 

Les  partisans  du  roi  obtenaient,  pendant  ce  temps-la,  un  succès  bien 
plus  décisif  en  Auvergne.  Le  même  jour  où  se  livrait  la  bataille  d'Ivry 
(ce  jour  était  heureux  pour  les  armes  de  Henri  IV),  ils  battaient  complète- 
ment les  troupes  de  la  Ligue  devant  Issoire.  Cette  ville  est  située  au  pied 
des  Gévennes,  dans  le  canton  le  plus  délicieux  de  la  Limagne.  La  Roche- 
foucauld, comte  de  Randon,  s'en  était  saisi  l'année  précédente  au  nom 
de  la  Ligue;  mais  cette  place  était  trop  importante  pour  que  la  posses- 
sion n'en  fût  pas  vivement  disputée  entre  les  deux  partis.  Tissandier, 
échevin  de  Clermont,  d'accord  avec  les  bourgeois  de  sa  ville  qui  avaient 
embrassé  le  parti  du  roi,  forma  le  dessein  de  l'enlever.  (De  Thou,  t.  X, 
liv.  98,  p.  150  et  suiv.) 

Ils  partirent  donc  avec  des  échelles,  et  étant  arrivés  au  point  du 
jour  auprès  des  fossés  de  la  place,  ils  descendirent  dedans,  malgré  les 
cris  de  la  sentinelle  qui  venait  de  donner  l'alarme,  et  ils  escaladèrent 
incontinent  les  murailles.  La  garde  qui  accourait  fut  passée  au  iil  de 
Tépée,  on  était  maître  de  la  ville;  mais  le  château  restait  a  prendre, 
et  la  garnison  tout  entière  s'y  était  retirée.  On  appliqua  deux  fois  inutile- 
ment le  pétard  'a  la  porte.  Alors,  voyant  qu'il  fallait  faire  un  siège  régu- 
lier, on  fit  venir  de  nouvelles  troupes  de  Clermont  qui  accoururent,  ayant 
'a  leur  tête  le  grand  sénéchal  d'Auvergne. 

On  était  en  train  de  se  fortifier  et  de  pousser  les  tranchées  autour 
de  cette  citadelle,  quand  l'ennemi  parut  avec  tout  ce  qu'il  avait  pu 
ramasser  de  forces,  sous  la  conduite  de  ce  même  La  Rochefoucauld- 
Randon  qui  avait  déjà  pris  la  ville  une  première  fois.  La  ville  fut  entou- 
rée, et  d'assiégeants,  les  royalistes  devinrent  assiégés,  et  de  plus  placés 
entre  deux  feux.  Quoiqu'ils  manquassent  absolument  de  fourrage  et  qu'ils 
eussent  fort  peu  de  vivres,  ils  résolurent  de  ne  pas  se  départir  de  leur 
entreprise,  comptant  d'ailleurs  sur  le  secours  que  leurs  amis  du  même 


1 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  113 

parli  ne  manf|ucraient  pas  de  leur  amener.  Ils  conlin lièrent  donc  de  se 
l)altre  chaque  jour  et  autour  du  château  pour  repousser  les  sorties  des 
l>igueurs  qui  étaient  dedans,  et  sur  les  remparts  de  la  ville  pour  empêcher 
qu'ils  ne  fussent  forcés  par  l'armée  de  secours. 

A  chaque  instant,  ceux  du  dehors  voyaient  leur  nomhre  s'accroître  des 
nouvelles  troupes  que  leur  amenaient  leurs  partisans.  Toutes  les  (orces  des 
Ligueurs  du  pays  semhlaient  s'être  réunies  là,  et  on  ne  voyait  pas  encore 
paraître  un  seul  bataillon  royaliste. 

Cette  singulière  situation  se  prolongea  pendant  plusieurs  semaines  ; 
mais  tout  à  coup  le  camp  des  Ligueurs  fut  attaqué  au  milieu  de  la  nuit. 
C'était  un  premier  corps  de  royalistes  qui  venait  d'arriver,  et  qui,  passant 
a  travers  renneini,  parvint  a  rejoindre  le  sénéchal. 

Il  |)rolita  de  ce  renfort  pour  serrer  le  château  de  plus  près  et  pour  faire, 
le  jour  suivant,  une  sortie  dans  laquelle  il  tua  beaucoup  de  monde  à  ses 
adversaires.  Pendant  ce  temps-la,  le  marquis  de  Chahannes,  îi  la  tète 
d'environ  quatre  cents  bourgeois  armés  d'arquebuses,  était  parti  de  Cler- 
mont.  Il  alla  d'abord  faire  sa  jonction  avec  les  troupes  qui  venaient 
d'Aurillac,  et  avec  celles  qu'amenaient  les  autres  seigneurs  du  parti; 
puis,  il  arriva  tout  près  d'Issoire,  au  moment  même  où  les  Ligueurs  ve- 
naient de  donner  un  assaut  aux  murailles  et  avaient  été  repoussés  avec 
perte.  Le  sénéchal,  averti  de  l'arrivée  de  ce  secours,  sortit  de  la  ville  'a  la 
tête  d'un  détachement  de  quatre-vingts  gens  d'armes,  après  avoir  dévote- 
ment adressé  ses  prières  'a  Dieu. 

Les  ennemis,  de  leur  côté,  a  la  nouvelle  de  l'attaque  qui  se  préparait, 
s'étaient  déj'a  rangés  en  bataille  entre  la  ville  et  une  montagne  qui  n'en 
est  pas  très-éloignée  et  qu'on  aj)pelle  le  cros  Roland.  Mais  l'armée  royaliste, 
au  lieu  d'arriver  de  face,  tourna  de  côté  et  alla  s'emparer  du  sommet  de. 
cette  montagne,  d'où  elle  <lominait  toute  la  ligne  de  ses  adversaires.  Elle 
commença  par  tirer  sur  eux  quelques  volées  de  canon,  qui  les  obligèrent  à 
reculer  leur  ordre  de  bataille,  pour  se  mettre  'a  l'abri.  Alors  Chahannes 
ordonna  aux  siens  d'avancer,  le  canon  en  tête,  en  se  faisant  un  rempart 
mobile  avec  leins  chariots  de  bagage.  Le  comte  de  La  Rochefoucauld- 
Randon,  pour  réparer  la  faute  qu'il  avait  faite  de  ne  s'être  pas  d'abord 
emparé  du  sommet  du  cros  Roland,  ne  vit  pas  plus  tôt  les  ennemis  aban- 
donner ce  point,  qui!  lit  un  mouvement  pour  aller  s'y  loger;  mais  ce  mou- 
vement était  plus  mal  calculé  encore;  il  quittait  la  plaine  (pi'il  pouvait 
défendre,  et  il  laissait  l'ennemi  eu  toute  liberté  de  se  joindre  aux  troupes 
de  la  ville  ;  aussi  le  sénéchal  profita  de  celle  facilité  inespérée  pour  se 
réimir  à  ceux  qui  venaient  le  secourir. 

Randon  descendit  la  montagne  a  son  tour,  résolu  d'attaquer  de  ce 
côté-là.  Le  combat  commença  à  l'instant  même.  La  première  ligne  des 
Ligueurs,  qui  s'avançait  avec  beaucoup  d'impétuosité,  fut  reçue  avec  la 
même  résolution  par  les  royalistes,  qu'elle  ne  parvint  pas  à  ébranler. 
Comme  la  seconde  ligne  ne  donnait  pas  assez  prom[)temenl,  larrière- 
garde  s'avança,  avant  d'avoir  pris  même  la  précaution  de  reformer  ses 
rangs.  L'action  fut  chaude  et  meurtrière  ;  mais  le  courage  ne  supplée  pas 

IV.  S 


114  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

toujours  a  Tordre  et  a  la  bonne  direction.  A  la  lïn,  les  ennemis  du  roi 
furent  battus  et  mis  en  déroute  complète.  Le  comte  de  Randon  lui-même, 
avant  été  fait  prisonnier,  fut  conduit  a  Issoire,  où  il  mourut  quelques 
jours  après,  d'une  blessure  qu'il  avait  reçue  dans  le  combat. 

De  la,  les  royalistes  tournèrent  leurs  armes  vers  le  cbâteau,  dont  les 
défenseurs,  informés  de  la  mort  de  Randon,  se  rendirent  le  même  jour, 
livrant  tout  leur  canon  et  toutes  leurs  munitions.  Les  vainqueurs  firent, 
le  lendemain,  cbanter  une  messe  solennelle  en  actions  de  grâces;  puis 
ils  revinrent  en  triomphe  a  Clermont,  où  un  Te  Deiim  fut  encore  chanté 
en  grande  cérémonie  dans  l'église  cathédrale.  Ce  succès  en  effet 
venait  d'assurer,  en  Auvergne  et  dans  les  provinces  voisines,  une  supé- 
riorité incontestable  au  parti  du  roi. 

Or,  dans  les  provinces  du  Midi,  c'est-a-dire  en  Dauphiné,  en  Lan- 
guedoc et  en  Provence,  la  guerre  civile,  depuis  le  temps  qu'elle  s'était 
déclarée  pour  la  première  fois,  sous  le  prétexte  de  la  religion,  n'avait 
pas  cessé  un  seul  moment  de  rendre  irréconciliables  toutes  ces  têtes 
méridionales,  qui  ne  voulaient  plus  rien  admettre  que  le  triomphe 
absolu  du  parti  que  chacun  avait  adopté.  Les  seigneurs  de  ces  contrées 
n'avaient  pas  manqué  de  faire  tourner  ce  fanatisme  religieux  au  profit 
de  leurs  intérêts  tout  a  fait  mondains.  On  pouvait  compter  sur  l'appui  et 
le  dévouement  jusqu'au  martyre  de  tel  ou  tel  individu  catholique  ou 
protestant,  suivant  (ju'on  arborait  les  enseignes  de  la  foi  qu'il  avait 
adoptée. 

En  Languedoc,  l'ancienne  rivalité  entre  les  Joyeuse  et  le  maréchal 
de  Montmorency  continuait  avec  plus  d'animosité  que  jamais.  Ce  dernier 
attendait  du  nouveau  roi  l'envoi  de  d'épée  de  connétable  qu'avait 
.  portée  son  père,  et,  suivant  lui,  c'était  la  moindre  des  récompenses 
légitimement  due  à  la  complaisance  (ju'il  avait  bien  voulu  avoir  d'em- 
brasser son  parti.  Les  Joyeuse,  de  leur  côté,  jugeaient  l'occasion  favo- 
rable pour  augmenter  leur  pouvoir  dans  la  province,  en  se  portant 
comme  défenseurs  de  la  vraie  foi,  et  ennemis  déclarés  de  l'hérésie.  Ce 
n'était  pas  un  mauvais  calcul  par  le  temps  qui  courait  alors.  Scipion  de 
Joyeuse  se  rendit  maître  par  ce  moyen  de  la  basse  ville  de  Carcassonne, 
qui  n'avait  jamais  voulu  S3  soumettre  a  son  père  le  maréchal,  quoiqu'il 
fût  depuis  longtemps  maître  de  la  haute  ville,  et  cette  conquête,  il  la 
dut  plus  a  l'affection  qu'il  avait  su  inspirer  aux  habitants  par  son 
dévouement  'a  la  foi  catholique,  qu'a  la  force  de  ses  armes.  {Vie  du 
connétable  de  Lesdiguières,  1589  et  1590.) 

Ensuite,  ayant  reçu  vers  la  lin  du  mois  de  mai  un  secours  de  dix 
mille  Allemands,  que  lui  envoyait  le  roi  d'Espagne,  toujours  prêt  à  con- 
tribuer au  morcellement  de  la  France,  il  prit  la  ville  de  Lautrec-en- 
Albigeois  et  quelques  autres  châteaux  voisins,  et  après  avoir  mis  ses 
Allemands  en  garnison  dans  ces  différentes  places,  il  s'en  revint  a 
Narbonne  avec  le  reste  de  son  armée. 

Montmorency  aurait  bien  pu  opposer  une  résistance  efficace  à  ces 
conquêtes  de  son  rival  ;  mais  il  voulait  forcer  le  nouveau  monarque  a  ne 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  415 

plus  rclanler  Tenvoi  de  cette  épée  de  connélable  ((u'il  avait  demandée; 
et  pour  cela,  il  cherchait  a  se  faire  regarder  comme  nécessaire.  Il  n'ar- 
mait donc  ([ue  lentement,  laissant  a  son  ennemi  tout  le  temps  de  laire 
des  progrès  (|ui  pussent  devenir  alarmants.  \  la  lin  pourtant,  il  ne  crut 
pas  dans  son  intérêt  d'attendre  plus  longtemps.  Il  se  mit  en  marche 
pour  venir  reprendre  les  divers  châteaux  où  Joyeuse  avait  laissé  ses 
.\llcmands  en  garnison. 

Ceux-ci,  qui  n'étaient  pas  en  force,  capitulèrent  d'autant  plus  facile- 
ment (|u'on  avait  si  peu  pris  de  précautions  pour  leur  cantonnement, 
(pic  la  famine  et  la  peste  rendaient  déjà  leurs  postes  insoutenables. 
Mais  le  vain([ueur  en  laissa  massacrer  la  plus  grande  partie  par  ses 
soldats;  les  autres  (pi'on  avait  épargnés  allèrent  se  loger  en  pleine  cam- 
pagne, dans  de  méchantes  huttes  (pi'ils  construisirent,  et  où  on  les 
obligea  à  se  tenir  isolés,  comme  pestiférés;  puis,  une  nuit,  pour  se 
débarrasser  d'un  seul  coup  de  tous  ces  gens-l'a,  on  vint  mettre  le  feu  à 
ces  huttes  où  ils  furent  tous  brûlés. 

La  nouvelle  de  cette  atroce  expédition  fut  portée  'a  Narbonne,  par 
deux  ou  trois  de  ces  malheureux,  (pii  avaient  pu  s'échapper  'a  demi- 
grillés.  Aussitôt  la  populace  entra  dans  une  telle  fureur,  qu'a  linstant 
même  elle  alla  enfoncer  les  prisons  de  la  ville,  en  tira  dix  ou  douze 
prisonniers  de  guerre  qui  y  étaient  renfermés,  et  se  mit  a  les  massacrer 
par  forme  de  représailles. 

Mais  ce  fut  surtout  en  Provence  et  eu  Dauphiné  ([ue  la  guerre  se 
lit  avec  plus  d'acharnement  encore,  malgré  les  glaces  et  les  rigueurs  de 
l'hiver,  qui,  cette  année-la,  fut  plus  long  qu'a  l'ordinaire.  La  Valette  et 
Lesdiguières  avaient  réuni  leurs  efforts  pour  empêcher  (|ue  ces  provinces 
ne  fussent  entièrement  démembrées  du  royaume  de  France;  de  soii 
côté,  le  duc  de  Savoie,  'a  force  d'intrigues  et  en  prodiguant  l'argent,  était 
parvenu  'a  soidever  presque  tout  le  pays  en  sa  faveur.  Il  avait  déjà  gagné 
une  bonne  partie  des  magistrats  des  meilleures  villes,  particulièrement 
d'Aix  et  de  Marseille,  et  il  y  entretenait  des  gens  à  ses  gages  qui  pos- 
sédaient l'art  d'agiter  a  leur  gré  les  masses  populaires,  en  mettant 
comme  toujours  en  avant  les  grands  mots  de  liberté,  d'intérêt  du  peuple 
et  de  religion.  {Vie  de  Lesdiguières,  uhi  sup.) 

Il  arriva  pour  lors  que  (pielques  gentilshommes  de  Marseille,  qui 
étaient  du  parti  du  roi  et  qui,  d'ailleurs,  voyaient  avec  impatience  leurs 
ennemis  de  l'autre  parti  triompher  dans  la  ville,  voulurent  tenter  un 
effort  pour  les  en  chasser.  Ils  s'en  furent  donc  l'épée  a  la  main  par  les 
rues,  criant  :  «  Dehors  les  Savoyards,  les  Espagnols,  et  les  ennemis  de 
la  France!  »  Ils  avaient  compté  que  la  populace  se  joindrait  à  eux  'a  ce 
cri;  mais  la  populace  n'écoule  (|ue  quand  elle  n'est  pas  payée  pour 
rester  sourde.  Les  conjurés  restèrent  seuls,  et  les  consuls,  ayant  fait 
prendre  les  armes  îi  la  bourgeoisie,  vinrent  les  attaquer, 

11  y  en  eut  deux  des  plus  hardis  (|ui  se  firent  bravement  tuer  sur  la 
place.  De  Pennes,  (pii  était  a  la  tête  de  rentreprise,  fui  lait  prisonnier, 
et  les  autres  se  sauvèrent  en  désordre  hors  de  la  ville.  Le  parti  vainqueur 


116  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

lit  tout  aussitôt  nommer  par  le  président  du  parlement  d'Aix  une  com- 
mission de  sept  conseillers  pour  informer  contre  les  auteurs  du  complot. 
On  condamna  a  mort  les  contumaces.  De  Pennes  trouva  le  moyen 
d'échapper,  et  trois  hommes  du  menu  peuple,  qui  s'étaient  laissés 
prendre,  furent  livrés  au  hourreau. 

Mais  le  parlement  lui-même  n'était  pas  exempt  de  ces  dissensions 
qu'il  prétendait  punir  dans  les  autres.  Il  y  avait  un  assez  grand  nombre 
de  ses  membres  qui  tenaient  pour  le  parti  du  roi,  et  de  ceux-ci  les 
uns,  s'étant  hautement  séparés  du  corps,  s'en  étaient  allés  tenir  leurs 
séances  a  Manosque,  où  ils  contrecarraient  par  des  arrêts  contraires  les 
arrêts  de  la  cour  séant  a  Aix.  Les  autres  étaient  a  la  vérité  restés  'a  leur 
poste;  mais  ils  n'oubliaient  pas  de  marquer  leur  zèle  pour  Sa  Majesté  en 
faisant  systémati(piement  une  opposition  ouverte  ou  cachée  a  toutes  les 
délibérations  de  la  compagnie.  Un  autre  parti  s'était  vendu  au  duc  de 
Savoie  ;  un  autre  soutenait  la  comtesse  de  Sault,  «  femme  de  grand 
cœur  et  d'esprit  fort  relevé,  qui  jouissait  d'une  grande  influence,  »  et 
qui,  je  ne  Sais  trop  pour  quelle  raison,  si  ce  n'est  pour  se  faire  aduler 
et  rechercher  par  les  autres  partis,  s'était  appliquée  a  se  faire  un  grand 
nombre  de  créatures,  lesquelles  ne  parlaient  et  n'agissaient  que  d'après 
ses  ordres;  enfin,  il  y  en  avait  un  assez  bon  nombre  qui  étaient  pour  le 
comte  de  Carces.  Pour  celui-ci,  ce  n'était  pas  l'autorité  suprême  qu'il 
ambitionnait  pour  son  compte;  mais  se  voyant  déjà  lieutenant  général 
des  armées  sous  l'autorité  du  parlement,  il  ne  visait  qu'a  se  maintenir 
dans  un  poste  aussi  avantageux,  et  il  s'arrangeait  pour  que  son  influence 
valût  la  peine  d'être  achetée,  par  le  roi  ou  par  le  duc  de  Savoie,  se  tenant 
prêt  a  la  vendre  a  celui  qui  lui  en  donnerait  le  meilleur  prix.  En  atten- 
dant, il  faisait  mine  de  servir  le  duc  de  Savoie,  pour  en  tirer  les  secours 
dont  il  avait  besoin;  mais  il  avait  grand  soin  de  s'opposer  par-dessous 
main  'a  tous  les  projets  que  ce  prince  cherchait  a  faire  réussir  avant 
d'avoir  traité  avec  lui. 

L'argent  que  prodiguait  le  Savoyard  parut  pourtant  faire  pencher  la 
balance  en  sa  faveur,  dans  une  grande  assemblée  de  la  noblesse  et  du 
clergé  qui  se  tint  a  Aix,  au  mois  de  janvier.  Il  fut  décidé  qu'on  mettrait 
la  Provence  sous  sa  protection,  et  le  parlement  décréta  qu'il  serait  appelé 
a  la  défendre  avec  ses  armes  ;  que  les  biens  des  bigorrats  (c'est  ainsi  qu'on 
appelait  ceux  qui  favorisaient  le  parti  du  roi)  seraient  confisqués. 

Carces  était  en  ce  moment-ra  occupé  au  siège  de  la  petite  ville  de 
Salon.  Les  assiégés,  fort  incommodés  par  l'artillerie  qu'il  avait  amenée, 
avaient  déjà  été  contraints  d'abandonner  la  nouvelle  ville,  qu'on  appelle 
la  bourgade,  et  de  se  retirer  dans  la  vieille,  oîi  ils  ne  voyaient  plus 
guère  d'autre  moyen  de  salut  que  de  capituler,  quand  on  apprit  que 
La  Valette,  avec  ses  troupes,  n'était  plus  qu'a  deux  lieues  de  la.  Bientôt 
après  le  général  royaliste  jeta  par  la  poterne  du  château  deux  cent  cin- 
quante de  ses  meilleurs  arquebusiers  dans  la  place  assiégée,  et  Carces 
ne  trouva  rien  de  mieux  a  taire  que  de  décamper  en  toute  hâte. 

Mais,  son  armée  ayant  été  rejointe  par  un  assez  grand  nombre  des 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  117 

nouvelles  recrues  du  pays,  qui  lui  étaient  envoyées  par  le  parlement,  il 
se  sentit  assez  lort  pour  tenter  de  prendre  sa  revanche.  Tout  ce  qu'il  put 
faire  pourtant,  ce  l'ut  de  surprendre  et  de  tailler  en  pièces  un  régiment 
d'infanterie  protestante,  que  Lesdiguières  envoyait  des  Cévennes  au 
secours  de  son  nouvel  allié,  La  Valette.  Il  y  eut  ensuite  une  espèce  de 
suspension  d'armes  jusqu'au  mois  d'avril  ;  mais  cette  trêve  fut  en  quelque 
sorte  plus  sanglante  que  la  guerre  elle-même.  Les  ressentiments  et  les 
inimitiés  particulières  qui  régnaient  dans  chaque  ville  se  donnèrent 
pleine  carrière,  et  ce  ne  fut  partout  (jue  proscriptions,  meurtres,  assas- 
sinats et  supplices. 

Quand  la  trêve  cessa,  Carces,  qui  venait  de  recevoir  de  Savoie  un 
grand  renfort  de  munitions  de  guerre,  alla  mettre  le  siège  devant  Barjols, 
qui  capitula  après  avoir  vu  ses  murailles  ruinées  par  deux  cents  volées 
de  canon,  et  qui  se  racheta  du  pillage  moyennant  trente  mille  écus  d'or. 
Il  alla  ensuite  forcer  la  malheureuse  ville  de  Luc,  où  tout  fut  passé  au 
fil  de  répée.  Aups,  Lorgnes  et  Draguignan,  dans  la  crainte  d'un  pareil 
traitement,  lui  apportèrent  les  clés. 

De  son  côté,  La  Valette  venait  d'être  rejoint  par  Lesdiguières,  tou- 
jours en  mouvement  et  qui  semblait  se  multiplier  |)Our  être  partout, 
presque  en  même  temps,  sur  les  différents  points  de  ces  régions  déso- 
lées. L'armée  royaliste,  (ortiliée  de  celle  des  huguenots,  prenait  Monta- 
giiac,  Soliers,  Valensole  et  Pignans.  Elle  se  proposait  de  continuer  ses 
conquêtes,  quand  le  comte  de  Martiningue,  amenant  huit  cents  hommes 
de  pied  et  (juatre  cents  lances  que  le  duc  de  Savoie  envoyait  au  secours 
de  la  Ligue,  força  les  royaux  h  se  tenir  sur  la  défensive.  Martiningue, 
pour  signaler  son  arrivée,  alla  mettre  le  siège  devant  la  ville  de  Seigne. 
Il  eut  d'abord  le  bonheur  de  défaire  un  secours  de  cent  cinquante  hommes, 
que  Lesdiguières  avait  tenté  de  faire  entrer  dans  la  place  ;  mais  les  assié- 
gés, loin  de  perdre  courage,  firent  une  vigoureuse  sortie,  nettoyèrent 
complètement  la  tranchée,  et  tuèrent  plus  de  deux  cents  hommes  k 
l'ennemi.  Cet  exploit  causa  une  si  grande  terreur  parmi  les  assaillants, 
qu'ils  décampèrent  subitement,  dans  la  crainte  (ju'il  ne  leur  arrivât  pis. 
Les  pluies  et  la  mauvaise  saison  vinrent  alors  suspendre  des  deux  côtés 
toute  opération  utilitaire. 

Lesdiguières  ne  voulut  pas  cependant  attendre  jusqu'à  ce  que  le 
temps  fût  redevenu  tout  îi  fait  favorable  pour  recommencer  la  guerre  ;  dès 
le  mois  de  janvier,  on  le  vit  reparaître  devant  Grenoble,  qu'il  entreprit 
de  bhxjuer,  et  il  s'occupait  a  faire  construire  des  forts,  dont  il  avait  résolu 
d'entourer  cette  ville,  pour  couper  toutes  les  communications  et  la  sou- 
mettre ])ar  la  lamine.  Sur  ces  entrefaites,  il  apprit  (|ue  le  duc  de 
Nemours  faisait  marcher  huit  cents  soldats  vers  les  frontières  de  Savoie, 
pour  y  recevoir  un  nouveau  secours  d'hommes  et  de  munitions,  dont  le 
prince  savoyard  faisait  l'envoi  a  la  Ligue.  Lesdiguières,  abandonnant  son 
blocus,  nsa  d'une  telle  diligence  <pi'il  atteignit  cette  troupe  au  pont  de 
Chervis,  et  la  défit  si  complètement  (|ua  peine  quelques  fuyards  purent 
s'échapper  dans  les  montagnes. 


118  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

De  la,  il  tira  vers  Crémieu,  pour  se  rapprocher  de  Lyon  et  pour  y 
appuyer  uuc  entreprise  du  parti  royaliste,  dont  on  venait  de  lui  donner 
avis,  en  demandant  son  assistance.  Voici  ce  dont  il  était  question  : 
Le  seigneur  Gadagne  de  Botéon  avait  promis  de  réduire  la  ville  de  Lyon 
à  Tobéissance  du  roi,  par  des  moyens  a  lui  connus,  et  Sa  Majesté  avait 
promis  au  dit'  seigneur  que,  s'il  exécutait  cette  entreprise,  il  aurait  pour 
sa  récompense  le  gouvernement  de  la  ville. 

Gadagne  avait  donc  gagné  un  capitaine  de  quartier  et  un  assez 
grand  nombre  de  bourgeois.  Lesdiguières,  qu'on  avait  prévenu,  devait 
venir  le  premier  donner  l'alarme  du  côté  du  pont  du  Rhône.  Le  gouver- 
neur de  Bombes,  tout  aussitôt  se  présentait  à  la  porte  Saint-André  ; 
une  autre  troupe  de  royaux  avait  également  le  mot  pour  arriver  par  la 
porte  de  Vaize,  et  deux  régiments  qu'on  venait  de  lever  en  Auvergne, 
sous  prétexte  d'assiéger  Le  Puy,  avaient  ordre  d'entrer  par  la  porte 
Saint-Jus.  En  même  temps,  le  capitaine  de  quartier  et  les  bourgeois  qui 
étaient  dans  le  complot  couraient  se  rendre  maîtres  de  la  place  des 
Cordeliers  au  beau  milieu  de  la  ville,  et  on  espérait  bien  qu'au  milieu  de 
tant  d'attaques  imprévues,  la  garnison,  ne  sachant  de  quel  côté  se  porter, 
serait  facilement  désarmée  ;  mais  toute  cette  conspiration  fut  décou- 
verte quelques  jours  avant  celui  marqué  pour  l'exécution,  et  sept  ou  huit 
des  conjurés  de  l'intérieur  furent  envoyés  a  l'échafaud.  Lesdiguières, 
voyant  que  le  coup  était  manqué,  revint  sur  ses  pas.  Pendant  son 
absence,  les  Ligueurs  lui  avaient  enlevé  le  fort  de  Gières  ;  il  ne  leur 
donna  pas  le  temps  de  s'y  établir,  et  avant  que  la  brèche  [)ar  laquelle  ils 
étaient  entrés  fût  réparée,  il  reprit  la  place,  en  y  rentrant  par  cette 
môme  brèche. 

Il  apprit  alors  que  Maugiron,  qui  tenait  le  parti  du  roi,  venait  d'être 
réduit  par  les  habitants  de  la  ville  de  Vienne,  dont  il  était  commandant, 
a  se  retirer  dans  un  des  châteaux  de  cette  place,  qu'on  nomme  le  châ- 
teau de  Pipat,  et  qu'il  y  était  assiégé.  Lesdiguières  se  hâta  de  courir  à 
son  secours;  mais  il  trouva  que  l'ennemi,  qui  avait  sept  pièces  de 
canon,  s'était  trop  bien  fortifié  dans  cette  ville  pour  qu'il  osât  risquer 
une  attaque  contre  les  remparts.  Pour  tâcher  de  l'attirer  en  pleine  cam- 
pagne, il  alla  assiéger  la  petite  place  de  Condrieu.  Les  Viennois  ne  bou- 
gèrent pas.  Condrieu  se  rendit  le  quatrième  jour  ;  et  en  même  temps, 
ceux  de  Vienne  démolissaient  de  leur  côté  le  château  Pipat,  que  Maugi- 
ron avait  consenti  a  leur  rendre.  Il  est  vrai  qu'en  faisant  cette  conces- 
sion, il  s'était  arrangé,  par  le  moyen  des  nombreux  amis  qu'il  avait,  de 
telle  sorte  qu'il  conservait  son  gouvernement  et  que  le  château  démoli 
fut  bientôt  par  ses  soins  rebâti  plus  fort  que  jamais. 

Cependant  le  marquis  de  Saint-Sorlin,  gouverneur  du  Lyonnais  pour 
la  Ligue,  en  l'absence  du  duc  de  Nemours  son  frère,  appela  a  lui  les 
troupes  ligueuses  de  la  Bourgogne,  que  lui  amena  le  seigneur  de 
Sennecé;  et  les  ayant  jointes  a  celles  qu'il  avait  déjà  assemblées,  il 
résolut  de  passer  en  Dauphiné.  Alphonse  d'Ornano,  qui  commandait  les 
catholiques  royalistes   dans  ces   contrées,  vint  tout  d'abord  pour  s'op- 


DU  PROTESTANTISMK  EN  FRANGE.  11'.' 

poser  à  l'entrée  de  cette  armée.  Par  niallicur  pour  lui,  il  se  présenta 
une  occasion  où  il  voulut  faire  le  soldat  plutôt  que  le  général,  lin  gen- 
tilhomme bourguignon,  nommé  Labarre,  sortit  des  rangs  de  Tarmée  des 
Ligueurs  et  vint  demander  si,  parmi  les  royaux,  il  y  avait  quelqu'un 
assez  brave  pour  venir  faire  le  coup  de  pistolet  avec  lui  en  l'honneur 
des  dames.  Ornano,  qui  était  tout  armé,  sauta  en  selle  et  courut  sur  cet 
insolent  cavalier;  celui-ci  lui  tira  son  coup  de  pistolet  dans  la  visière, 
et  quoi  qu'il  ne  l'eût  pas  blessé,  l'armure  étant  'a  l'épreuve,  il  l'étourdit 
tellement  qu'il  put  se  saisir  de  la  bride  de  son  cheval,  et  l'emmener 
prisonnier. 

Ce  seul  coup  de  pistolet  fut  cause  que  les  deux  armées,  qui  étaient 
en  présence  et  prêtes  a  en  venir  aux  mains,  se  dissipèrent  comme  par 
enchantement.  Sennecé,  pour  avoir  tout  seul  le  profit  de  la  prise  du 
général  ennemi  laite  par  un  de  ses  gens,  s'en  retourna  'a  grandes  jour- 
nées dans  la  Bourgogne,  où  il  mit  son  prisonnier  a  vingt  mille  écus  de 
rançon;  Saint-Sorlin,  après  le  départ  des  bandes  bourguignonnes,  ne 
se  sentant  pas  assez  fort  pour  attendre  Lesdiguières,  qui  venait  au 
secours  de  ses  alliés,  rebroussa  vers  Lyon,  et  les  catholiques  royaux, 
se  voyant  sans  chef,  retournèrent  chacun  cbez  soi. 

Or,  pendant  que  Lesdiguières  faisait  toutes  ces  marcbes  et  contre- 
marches, le  duc  de  Savoie  avait  de  nouveau  envoyé  un  de  ses  capitaines, 
nommé  Somas,  avec  une  nouvelle  armée  de  quatre  mille  hommes  de 
pied,  qui  vint  mettre  le  siège  devant  Montbonnot.  Lesdiguières,  en 
revenant  pour  secourir  cette  place,  trouva  l'Isère  tellement  débordée 
parla  fonte  des  neiges,  qu'il  lui  fut  impossible  de  passer;  de  sorte  que 
le  gouverneur  de  Montbonnot,  se  voyant  sans  espoir  de  secours  et 
presque  sans  garnison,  parce  qu'il  avait  trouvé  bon  de  mettre  dans  sa 
poche  l'argent  qui  lui  avait  été  donné  pour  en  entretenir  une,  se  rendit 
sans  la  moindre  résistance.  Gières,  qui  était  dans  le  voisinage  et  qui  ne 
venait  que  d'être  repris  sur  les  Ligueurs,  suivit  le  même  exemple. 

Lesdiguières  se  dédommagea  de  ces  pertes  en  prenant  la  ville  bien 
autrement  importante  de- Briançon.  Cette  place  tenait  pour  la  Ligue,  sans 
avoir  voulu  donner  encore  son  adhésion  au  parti  du  prince  savoyard  ; 
mais  il  y  avait  dans  les  environs  un  capitaine  aventurier,  nommé 
La  Gazette,  qui  négociait  pour  obtenir  celte  adhésion,  et  il  ne  pouvait 
guère  manquer  de  réussir.  Lesdiguières  lit  attaquer  la  demeure  de  cet 
homme,  pendant  la  nuit,  par  vingt-neuf  soldats  déterminés  qui  pélar- 
dèrent  les  portes,  massacrèrent  ses  gens,  et  le  tuèrent  lui-même  'a  coups 
d'arquebuse,  pendant  qu'il  se  défendait  courageusement  la  hallebarde  'a 
la  main. 

Briançon  se  rendit  presque  aussitôt  par  capitulation.  Le  fort  d'Exilés, 
qui  est 'a  quelque  distance  de  la,  dans  la  vallée  d'Ouïes,  ne  se  montra 
pas  d'aussi  facile  composition.  Le  général  huguenot,  (jui  pensait,  en  s'en 
rendant  maître,  couper  par  la  le  passage  aux  troupes  du  roi  de  Savoie, 
pour  lesquelles  cette  vallée  était  le  chemin  le  plus  direct  afin  d'entrer 
en  Dauphiné,  avait  déj'a  ménagé  quelques   intelligences  dans  la  place; 


120  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

mais  le  gouverneur  ligueur,  a  qui  il  avait  fait  proposer  de  la  lui  vendre, 
se  montrait  beaucoup  trop  exigeant  dans  ses  prétentions,  et  Lesdiguières 
fut  contraint  de  se  retirer,  d'autant  plus  que  La  Valette  l'appelait  en  ce 
moment  en  Provence,  pour  secourir  la  ville  de  Saint-Maximin,  qui  était 
alors  assiégée  par  Martiningue. 

Quand  il  arriva,  il  trouva  (lue  Martiningue  avait  levé  le  siège,  et, 
pour  n'avoir  pas  fait  une  course  inutile,  il  attaqua  le  fort  de  Burles,  qui 
se  rendit  le  huitième  jour.  Le  duc  de  Savoie  venait  en  personne 
a  la  tête  de  trois  autres  mille  hommes  de  pied  et  de  quatre  cents 
chevaux.  Lesdiguières  retourna  tout  aussitôt  sur  ses  pas  pour  le  recevoir, 
et  le  duc,  n'osant  l'attendre,  se  sauva  bien  vite  dans  la  montagne  de 
l'Are,  si  épouvanté,  dit-on,  qu'il  continua  sa  marche  aux  flambeaux,  jus- 
qu'à ce  qu'il  se  vît  en  lieu  de  sûreté. 

Ce  qui  avait  engagé  ce  prince,  si  prudent  de  son  naturel,  'a  s'avancer 
ainsi  sur  les  terres  de  France,  c'est  qu'il  comptait  y  traiter  de  l'acquisi- 
tion du  fort  d'Exilés,  déj'a,  comme  on  l'a  vu,  marchandé  par  Lesdiguières. 
Pour  mieux  décider  le  gouverneur,  en  même  temps  qu'il  se  présentait 
lui-même  'a  la  tête  d'une  armée  assez  respectable,  il  avait  envoyé  l'ordre 
'a  son  lieutenant  Somas  de  se  porter  aussi  de  ce  côté  avec  ses  quatre 
mille  hommes  de  pied.  Mais  celui-ci  eut  le  malheur  de  renco-ntrer  dans 
les  défilés  des  montagnes  Taclif  et  infatigable  Lesdiguières,  qui  tailla  en 
pièces  son  armée  et  la  repoussa  toute  désorganisée  jusqu'à  Suze. 

Cela  fait,  le  vain(jueur  revint  assiéger  le  fort  d'Exilés,  et  le  gouver- 
neur, qui  s'était  montré  si  difficile  auparavant  sur  les  conditions  qui  lui 
étaient  tour  'a  tour  offertes  par  les  deux  partis,  s'estima  heureux,  cette 
fois,  d'obtenir  qu'il  aurait  vie  et  bagues  sauves. 

Voici  maintenant  ce  qui  dans  le  même  temps  se  passait  en  Bour- 
gogne. Tavannes,  après  être  revenu  de  Laval,  où  il  avait  été  ofl'rir  ses 
hommages  au  nouveau  roi  de  France,  assembla  le  conseil  des  royaux  de 
la  province,  a  Semur.  «  Il  s'y  trouva  vingt-huit  personnes  et  plus,  tant 
de  Messieurs  du  parlement  que  des  chefs  de  guerre.  »  On  mit  en  discus- 
sion ce  qu'il  y  avait  'a  faire  pour  le  présent,  et  il  fut  avisé  qu'en  la 
grosse  tour  de  Milamperle,  près  de  la  ville  de  Marcilly,  il  y  avait  garni- 
son de  rebelles,  les(juels  étaient  la  pour  y  garder  un  magasin  de  sel  et 
le  faire  bientôt  transporter  à  Lyon.  On  décida  qu'on  y  irait  en  forces 
pour  enlever  ce  sel,  et  que  la  vente  d'icelui  servirait  d'abord  'a  fournir 
aux  urgentes  nécessités  de  l'armée  rovaliste.  (Mém.  de  Tavannes,  ad 
ann.  1590.) 

Tavannes  partit  à  la  tête  de  l'expédition  ;  il  eut  une  rude  escar- 
mouche 'a  soulenir  en  passant  près  de  Beaune  ;  mais  il  força  le  passage, 
et  arrivé  a  la  tour,  il  la  trouva  flanquée  de  guérites  et  protégée  par  un 
bon  fossé.  A  la  faveur  de  quelques  chariots  de  foin,  que  les  siens  pous- 
saient devant  eux  pour  se  mettre  à  couvert,  il  la  fit  d'abord  attaquer  par 
ses  arquebusiers  ;  mais  pendant  qu'il  se  disposait  à  en  venir  a  la  sape,  la 
garnison,  ignorant  s'il  ne  s'était  pas  fait  suivre  par  de  l'artillerie,  offrit  de 
se  rendre.  La  ville  de  Marcilly,  qui   était  tout  près  de  Là,  ouvrit  aussi 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  421 

très-volontiers  ses  portes,  et  Tavannes,  se  voyant  maître  du  sel,  établit 
tout  aussitôt  des  receveurs  et  contrôleurs,  pour  en  faire  la  vente  au  profit 
de  son  armée. 

Pendant  qu'il  s'occupait  de  ce  soin,  il  eut  nouvelle  que  trois  cents 
cavaliers,  partis  de  Màcon,  étaient  en  route  |)Our  l'attaquer;  il  envoya 
incontinent  prévenir  ses  amis  de  venir  a  son  aide  ;  et  sans  les 
attendre,  il  marcha  d'abord  avec  sa  cavalerie  au-devant  de  l'ennemi.  Il 
apprit  par  des  paysans  (ju'il  rencontra  sur  sa  route  (|ue  ce  corps  s'était 
arrêté  a  une  lieue  plus  loin  pour  y  |)asscr  la  nuit;  alors  continuant 
d'avancer,  quoicpi'il  eût  déjà  t'ait  faire  plus  de  six  lieues  'a  ses  gens,  il 
rencontra  en  effet  ceux  qu'il  cherchait  a  L'Espinasse,  où  ils  n'avaient 
pas  encore  eu  le  temps  de  s'établir  tout  a  fait  et  de  poser  des  sentinelles. 

Comme  la  nuit  était  devenue  sombre,  Tavannes  lit  mettre  le  feu  à 
une  maison  pour  donner  de  la  lumière,  et  commanda  de  charger  sans 
retard.  Les  premiers  (|ui  se  présentèrent  pour  opposer  de  la  résistance 
lurent  culbutés,  et  on  leur  prit  un  assez  grand  nombre  de  prisonniers  ; 
puis  la  cavalerie,  ayant  'a  peine  eu  le  temps  de  monter  a  cheval,  sans 
pouvoir  se  ranger  en  bataille,  au  milieu  d'une  pareille  surprise,  se  dis- 
persa de  tous  les  côtés.  Tavannes,  après  cet  exploit,  et  ayant  lait  près 
de  quatorze  lieues,  revint  dans  la  même  nuit  'a  Marcilly,  où  il  continua 
de  s'occuper  de  la  vente  du  sel. 

Quand  le  magasin  fut  vide,  il  s'achemina  du  côté  du  bailliage  d'Âuxois, 
où  il  avait  donné  rendez-vous  aux  troupes  royalistes  de  la  Champagne. 
H  y  fut  également  joint  par  les  reitres  du  seigneur  Dampmartin,  et  par 
deux  canons  et  une  coulcuvriiie  qui  arrivèrent  de  Langres.  Il  prit  la  ville 
de  Montréal,  qui  se  rendit  bien  vite  après  quelques  canonnades  tirées,  et 
il  alla  attaquer  la  ville  et  le  château  deMontbard. 

Cette  place  était  conveiiablement  fortifiée,  et  l'assaut  qu'il  y  lit  don- 
ner ne  servit  qu'a  faire  tuer  inutilement  quelques-uns  des  plus  braves 
des  deux  partis;  puis,  comme  Dampmartin  et  ses  reitres  reçurent  en 
ce  tcmps-la  l'ordre  de  rejoindre  le  roi,  pour  se  trouver  'a  la  bataille 
d'Ivry  (où  pourtant  ils  arrivèrent  trop  tard),  Tavannes  fut  obligé  de 
lever  ce  siège,  qui  avait  duré  près  d'un  mois.  C'était  dans  ce  temps-la 
même  que  Sennecé  faisait  son  expédition  en  Daupbiné  avec  le  frère  du 
duc.de  Nemours,  et  ce  fut  Tavannes  qui,  avec  quelques  autres  gentils- 
hommes royalistes,  répondit  de  la  rançon  du  général  Alphonse  d'Ornano. 

Quelque  temps  après,  Tavannes  rentra  de  nouveau  en  campagne, 
par  suite  de  la  mort  d'un  de  ses  amis  et  compagnons  d'armes,  le  sei- 
gneur d'Espeville,  gouverneur  pour  le  roi  de  la  ville  de  Saint-Jean-de- 
Losne.  Ce  seigneur  venait  de  se  laire  tuer  en  voulant  surprendre  la  ville 
de  La  Seurre.  Quehpies  soldats  de  la  garnison,  qu'il  croyait  avoir  gagnés 
'a  prix  d'argent,  avaient  promis  de  lui  en  ouvrir  les  portes  ;  mais  comme 
il  arrivait  par  le  pont  avec  ses  gens,  croyant  n'avoir  qu'a  entrer,  il  fut 
renversé  mort  d'un  coup  d'anpiehuse  tiré  du  rempart. 

Aussitôt  Tavannes  accourut  pour  empêcher  que  l'ennemi  ne  s'empa- 
rât de  Sainl-Jean-de-Losne;  et  il  était  en  elfct  grand  temps  qu'il  arrivât, 


122  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

car  les  Ligueurs  étaient  en  route  pour  venir  prendre  cette  .ville.  La  pré- 
sence du  vieux  guerrier  royaliste  leur  ôta  le  courage  d'aller  plus  loin. 
Pour  lui,  après  avoir  pourvu  a  la  sûreté  de  la  place,  il  alla  s'emparer  de 
la  ville  de  Verdun  sur  le  Doubs,  qui  se  rangea  sous  l'obéissance  du  roi.  Il 
prit  ensuite  plusieurs  châteaux  dans  les  environs  ;  et  il  tenta  même  une 
entreprise  sur  Auxonne;  mais  par  la  bonne  garde  de  celui  qui  y 
commandait,  cette  entreprise  échoua,  après  lui  avoir  coûté  la  vie  de 
quelques-uns  des  siens,  qui  furent  tués  en  tentant  de  traverser  les 
fossés. 

Alors,  se  rabattant  du  côté  de  Langres,  il  alla  assiéger  le  fort  de 
Trichâteau,  qui  venait  d'être  pris  par  les  ennemis,  et  où  commandait  le 
capitaine  Laverdure  Tavannes  envoya  sommer  cet  ofticier  par  un  trom- 
pette, auquel  Laverdure,  lit  pour  toute  réponse  tirer  deux  arquebusades. 
Le  fort  fut  incontinent  attaqué  et  emporté  d'emblée,  et  le  commandant 
fut  pendu. 

Le  château  de  Salins  eut  le  même  sort  que  Trichâteau,  et  deux  gen- 
tilshommes, qui  s'étaient  mis  â  la  tête  des  défenseurs  de  cette  place, 
furent  également  livrés  au  prévôt  de  l'armée.  Ils  cherchaient  a 
s'échapper,  déguisés  en  soldats  ;  mais  Tavanne  les  reconnut  et  les  fit 
exécuter. 

L'hiver,  qui  était  devenu  fort  rude,  mil  fin  pour  cette  année  a  toutes 
ces  expéditions. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  12:5 


CHAPITRE    VI 


¥ 


1590.  —  AROF.MENT  :  le  roi  va  au-devant  du  duc  de  parme. 

LES   PARISIE.NS   DÉLIVRÉS    l'ONT   UNE   PROCESSION.   —  LES    DEUX  ARMÉES   EN    PRÉSENCE. 

LE   DUC    SE   RETRANCHE.    —   IL   PREND    LAGNY. 

LE   ROI   REVIENT   A   L'ATTAQUE   DE   PARIS. 

MÉCONTENTEMENT   DES    CATHOLIQUES   DE   SON   ARMÉE.    —   ELLE   SE   DISPERSE. 

LE   ROI   SE   RETIRE   A   SENLIS.    —   IL   PREND    CLERMONT. 

LE  DUC   PREND    CORDEIL.    —    MORT   DE   SIXTE   V.  —    LE   LÉGAT   RETOURNE   A    ROME. 

ÉLECTION    d'urbain   VII.    —   SA    MORT.    —   ÉLECTION    DE    GRÉGOIRE   XIV. 

LES   LIGUEURS  DE   PARIS   PROJETTENT   UNE   ESPÈCE   DE   RÉPURLIgUE. 

ILS    DÉPUTENT   AU    DUC   DE    MAYENNE. 

LE   DUC   DE   PARME   RETOURNE   EN    FLANDRES.    —   GIVRY   REPREND    CORDEIL. 

LE    ROI   A   LA    POURSUITE    DU    DUC.   —    LA     BELLE    GABRIELLE. 

LE   ROI   BAT   L'aRRIÈRE-GARDE   ET   l'AVANT-GARDE   DU   DUC. 

CELUI-CI    QUITTE   LA    FRANCE.    —   SES   PROJETS. 

IL    LAISSE   UNE   PARTIE   DE   SES   TROUPES   A   MAYENNE. 


On  a  vu  qu'a  la  nouvelle  tle  rapproche  du  duc  de  Parme,  Henri 
avait  été  contraint  de  quitter  le  siège  de  Paris,  et  de  venir  prendre  posi- 
tion a  Chclles.  C'était  le  maréchal  de  Biron,  qui,  dans  le  conseil  tenu  à 
cet  ciïet,  avait  voulu  qu'on  s'avançât  jusque-la  pour  y  donner  bataille  à 
l'ennemi.  Ce  n'était  cependant  pas  l'avis  du  roi,  ni  celui  de  La  Noue,  de 
I)u|)lessis-MornaY  et  des  autres  capitaines  expérimentés  qui  se  trouvaient 
dans  l'armée.  Il  leur  semblait  a  tous  (|u'il  y  avait  honte  et  danger  a 
abandonner  un  siège  depuis  si  longtemps  commencé,  et  a  s'éloigner 
autant  de  Paris.  On  pouvait  en  eiîet  mettre  une  partie  des  troupes  en 
bataille  dans  la  plaine  de  Dondy,  par  exemple,  entre  l'aris  et  le  duc  de 
Parme,  et  pendant  que  cette  partie  de  l'armée  couvrirait  l'autre  et  arrê- 
terait l'ennemi,  la  capitale,  réduite  déjà  à  la  dernière  extrémité,  aurait 
été  forcée  d'ouvrir  ses  portes.  Biron  persista  a  l'aire  adopter  un  plan 
tout  a  lait  contraire,  par  jalousie  peut-être  de  ce  qu'il  ne  l'avait  pas 
imaginé  le  premier.  Or,  son  autorité  étant  grande  parmi  les  gens  de 
guerre,  il  aurait  été  dangereux,  dans  la  situation  présente,  de  vouloir  le 
contredire;  on  se  rendit  donc  a  son  0[)inion,  mais  ce  lut  une  faute. 
(Péréiixe,  Hist.  de  Henri  le  Grand,  II"  part.,  ad  ann.  1590.) 

Cet  abandon  pouvait  avoir  des  suites  presque  aussi  dangereuses 
qu'une  déroute.  H  était  constant,  en  elVet,  (jue  l'espérance  seule  de 
prendre  Paris,  et  d'y  l'aire  un  butin  considérable,  retenait  sous  les  dra- 


124  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

peaux  la  majeure  partie  de  Tarmée  royaliste,  et  qu'elle  ne  manquerait  pas 
de  se  débander  sitôt  qu'elle  se  verrait  frustrée  dans  son  attente.  Mais  le 
maréchal  de  Biron,  pour  tâcher  de  parer  a  cet  inconvénient,  fit  adroite- 
ment courir  le  bruit,  que  le  siège  n'était  que  suspendu  pour  quelques 
instants;  qu'il  s'agissait  seulement  d'aller  livrer  une  petite  bataille  au 
duc  de  Parme,  et  qu'après  l'avoir  vaincu  ou  repoussé,  on  reviendrait 
reprendre  le  blocus,  lequel  ne  pouvait  manquer  alors  d'avoir  le  succès 
désiré.  Grâce  'a  cette  ruse  diplomatique,  l'armée  tout  entière  se  trouva 
en  bonne  disposition  de  suivre  le  roi  jusqu'à  Chelles.  (De  Thou,  t.  XI, 
liv.  99,  p.  187  et  suiv.) 

C'était  le  jeudi,  trentième  jour  du  mois  d'août.  Dès  la  pointe  du 
jour,  les  sentinelles  qui  veillaient  sur  les  remparts  de  Paris,  ne  voyant 
plus  de  soldats  autour  de  la  ville,  avertirent  les  habitants.  On  accourut 
pour  s'assurer  du  fait,  auquel  on  n'osait  qu"a  peine  ajouter  foi.  Quelques 
soldats  des  plus  hardis  proposèrent  de  sortir  pour  aller  voir  ce  qu'il  en 
était,  et  ils  furent  suivis  dans  leur  excursion  d'une  multitude  de  peuple. 
Le  camp  fut  trouvé  abandonné,  et  bientôt  on  vit  rentrer  dans  la  ville 
des  gens  qui  y  rapportaient  le  bagage,  les  bardes  et  les  vivres  que 
l'ennemi  avait  laissés.  Plusieurs  de  ces  assiégés  si  affamés  poussèrent 
même  jusqu'aux  vignes  et  villages  les  moins  éloignés,  d'où  ils  revinrent 
chargés  de  raisin,  de  blé,  de  pain,  de  volaille  et  de  provisions  de  toutes 
sortes.  Ce  fut  une  joie  impossible  a  décrire.  {Journal  de  Henri  IV, 
t.  I,  p.  85.  —  Mém.  de  Villeroy,  ad  ann.  1590.) 

On  fit  le  jour  même  une  belle  procession,  'a  laquelle  le  légat,  le  duc 
de  Nemours,  l'archevêque  de  Lyon  et  tous  les  seigneurs  ligueurs  se 
joignirent  de  grand  cœur  au  pauvre  peuple.  Un  Te  Deum  fut  chanté  dans 
l'église  de  Notre-Dame,  et  Panigarolle  y  prononça  un  sermon  sur  la 
miraculeuse  délivrance  que  Dieu  venait  d'accorder  enfin  h  son  fidèle 
peuple  de  Paris.  Il  s'étendit  surtout  sur  les  louanges  de  Monseigneur  le 
légat,  disant  que  Dieu,  touché  des  prières  de  ce  saint  prélat,  son  servi- 
teur bien-aimé,  avait  daigné,  'a  sa  considération,  abaisser  un  regard  de 
compassion  sur  ceux  qui  avaient  déjà  souffert  tant  de  misères  et 
d'afflictions.  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  V,  p.  500  et  suiv.  —  Journal  de 
Henri  lY,  ibid.) 

Chelles,  où  il  avait  été  décidé  que  l'armée  royaliste  viendrait  attendre 
l'ennemi,  est  célèbre  par  l'abbaye  de  filles  qui  porte  ce  nom.  Ce  n'est 
pourtant  qu'un  bourg  de  peu  d'importance,  situé  dans  un  terrain  maré- 
cageux au  travers  duquel  passe  un  ruisseau  assez  fort.  Les  maréchaux  des 
logis  du  duc  de  Parme,  y  étaient  déj'a  arrivés  pour  y  choisir  et  désigner 
les  quartiers,  quand  l'avant-garde  du  roi,  conduite  par  Châtillon  et 
Lavardin,  se  présenta  'a  son  tour.  Les  maréchaux  de  logis  furent  bientôt 
forcés  de  se  retirer,  ainsi  qu'un  gros  corps  qui  les  suivait  et  dans  lequel 
étaient,  dit-on,  le  duc  de  Parme  lui-même  et  Monsieur  de  Mayenne.  (De 
Thou,  ubi  siip.) 

Le  lendemain,  les  deux  armées  se  rangèrent  en  bataille  dans  une 
plaine  qui  est  un  peu  au-dessus  de  Chelles,  et  qui  se  trouve  terminée  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  lt>5 

pari  (H  (raulrc  par  deux  collines  où  chacun  des  deux  partis  prit  sa  posi- 
tion. In  ruisseau  séparait  les  deux  armées;  du  côté  où  se  trouvait  le 
duc  de  l'arme  il  y  a  un  petit  bois,  au  milieu  du(pielesl  le  château  de  Brou, 
(jui  servait  de  (juartier  général  a  Tennemi  ;  au  delà,  et  tirant  vers  le 
sud,  un  marais  (|ui  s'étend  jusqu'aux  rives  de  la  .Marne. 

A  l'aspect  de  l'armée  royale,  le  duc  de  l'arme,  (|ui  la  contemplait  du 
haut  de  la  colline  dont  il  s'était  emparé,  fut  bien  étonné  de  la  voir  si 
nombreuse  et  si  bien  en  point.  Il  y  avait  la  plus  de  seize  mille  hommes 
de  pied  et  au  moins  sept  mille  chevaux,  et  |)armi  cette  cavalerie,  on 
comptait  quatre  mille  gentilshommes,  sept  princes,  et  un  plus  grand 
nombre  de  bons  et  expérimentés  capitaines  qu'en  tout  le  reste  de  la 
chrétienté.  Le  duc  alors  se  tourna,  a  ce  qu'on  prétend,  vers  Mayenne, 
et  lui  dit  d'un  air  mécontent  :  «  Sont-ce  ces  dix  mille  va-nu-pieds,  au 
plus,  dont  vous  nous  faisiez  la  victoire  si  facile?»  (C\\E\\Chron.novenn., 

\:m.) 

Au  reste,  s'il  avait  eu  l'envie  de  combattre,  il  la  |)erdit  tout  'a  fait; 
il  commanda  bien  vite  à  ses  gens  de  quitter  la  i)ique  et  le  mousipiet,  et 
de  prendre  la  pelle  et  la  pioche  pour  élever  des  retranchements  en  toute 
diligence. 

Ce  fut  sur  une  espèce  de  petite  plaine  d'un  terrain  un  peu  |)lus 
ferme,  (jui,  partant  du  château  de  Brou,  s'allonge  au  milieu  du  marais 
jusqu'au  bord  de  la  Marne,  (|uc  le  prince  établit  son  camp.  «  Dans  cette 
position,  disait-il,  je  délie  bien  le  roi  de  Navarre  de  me  forcer  'a  accepter 
une  bataille  qu'il  n'entre  plus  dans  mes  vues  de  risquer,  h  présent  que 
je  connais  ses  forces.  Il  est  maintenant  inutile  de  courir  une  pareille 
chance,  et  je  veux  même  prendre  une  ville  et  déboucher  le  passage  a  sa 
vue,  sans  qu'il  puisse  m'en  empêcher.  (PHRiirixt:,  iibi  sup.) 

Le  duc  de  l'arme  était  en  etlet  un  des  plus  habiles  généraux  de  son 
temps,  et  on  va  voir  qu'il  avait  fait  un  calcul  assez  juste. 

Les  deux  armées  restèrent  donc  en  présence  l'une  de  l'autre,  pen- 
dant huit  jours  de  suite,  sans  qu'il  y  eût  entre  elles  autre  chose  (|ue  (juel- 
(pies  escarmouches  plus  ou  moins  sanglantes.  A  la  lin,  le  roi,  qui  se 
voyait  sur  le  point  de  tout  perdre  par  suite  de  cette  inaction,  envoya, 
suivant  l'usage  du  temps,  un  bchaut  au  duc  de  Mayenne,  pour  le  sommer 
au  nom  de  riionnein-  de  linir  dans  une  seule  action  tous  les  malheurs 
d'une  guerre  déjà  si  longue.  Mayenne,  dont  en  effet  la  véritable  position 
n'était  plus  (pie  celle  d'un  lieutenant  du  duc  espagnol,  renvoya  le  héraut 
a  ce  |)rince,  et  celui-ci  répondit  :  «  Dites  a  celui  qui  vous  a  député  que 
je  ne  suis  pas  venu  en  France  pour  y  jouer  au  chevalier;  j'y  suis  par  le 
commandement  du  roi  Philippe,  mon  maître,  le  plus  puissant  des  poten- 
tats de  la  terre;  et  ses  ordres  portent  (jueje  dois  faire  lever  le  siège  de 
F'aris.  Or,  il  y  aurait  de  limprudence  'a  un  général  comme  moi  de 
remettre  de  nouveau  'a  la  décision  d'une  bataille  rangée  une  cliose  dont 
je  suis  déjà  maître.  Si  votre  prince  tient  tant  'a  en  venir  aux  mains  avec 
moi,  c'est  a  lui  'a  m'y  forcer  :  (|u'il  le  lente  s'il  l'ose  ;  je  l'attends.  » 
(De  Tiiou,  ubi  siijj.  —  Cavi:t,  ubi  siip.) 


•126  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Un  matin,  pourtant,  on  vit  l'armée  ennemie  sortir  de  ses  retranche- 
ments et  s'avancer  en  ordre  de  bataille,  enseignes  déployées.  Henri,  'a  la 
vue  de  ce  mouvement,  se  flatta  qu'il  allait  enfin  pouvoir  se  mesurer 
contre  l'ennemi  en  bataille  rangée,  et  c'était  en  effet  ce  qui  pouvait  lui 
arriver  de  plus  heureux.  Il  fit,  de  son  côté,  ses  dispositions.  Mais  le  duc 
de  Parme,  voyant  tout  le  terrain  masqué  par  l'avant-garde  royaliste  et  le 
roi  qui  l'attendait  de  pied  ferme,  courut  à  toutes  brides  se  mettre 
a  la  tête  de  la  première  ligne  des  siens  et  arrêta  brusquement  leur  élan. 
Il  ordonna  au  duc  de  Mayenne,  qui  allait  commencer  l'attaque,  de  tour- 
ner avec  ses  Français  vers  Lagny,  et  de  s'emparer  d'abord  de  celui  des 
faubourgs  de  cette  ville  qui  est  de  ce  côté-ci  de  la  Marne.(DAviLA,  t.  III, 
liv.  11,  p.  98  et  suiv.) 

Mayenne,  après  avoir  exécuté  ces  ordres  sans  rencontrer  aucune 
résistance,  fit  tout  aussitôt  passer  la  rivière  a  son  artillerie  et  commença 
à  battre  la  ville  pendant  que  l'armée  royale,  a  qui  l'épaisseur  du  brouil- 
lard qu'il  faisait  ce  jour-la  empêchait  de  voir  cette  manœuvre,  s'attendait 
encore  a  bientôt  commencer  la  bataille. 

Le  roi  avait  bien  eu  la  précaution  de  jeter  dans  Lagny  huit  compa- 
gnies d'infanterie;  mais  la  place  n'avait  par  elle-même  aucun  moyen  de 
résistance,  et  les  boulets  donnaient  directement  dans  les  murs  des 
maisons.  Le  gouverneur,  voyant  l'impossibilité  de  se  défendre,  demanda 
a  capituler.  Pendant  qu'il  était  en  pourparlers,  l'ennemi  montait  déjà  'a 
l'assaut,  et  la  place  fut  emportée  l'épée  a  la  main,  sous  les  yeux  mêmes 
du  roi,  qui,  instruit  trop  tard  de  ce  qui  se  passait,  s'avançait  pour  la 
secourir. 

La  plupart  des  soldats  de  la  garnison  purent  toutefois  se  sauver  a 
temps  par  la  rivière,  mais  ceux  qui  ne  furent  pas  assez  diligents,  et 
presque  tous  les  malheureux  habitants,  furent  passés  au  fil  de  l'épée.  Les 
femmes  et  les  filles  furent  violées  avec  des  brutalités  inconcevables, 
malgré  leurs  cris  de  détresse,  qu'on  entendait  jusque  dans  le  camp  du 
roi.  Pourtant,  le  duc  de  Parme,  ayant  fait  crier  qu'on  épargnât  les  prêtres 
et  les  églises,  il  n'y  eut  point  de  meilleure  sauvegarde  qu'une  soutane 
et  un  bréviaire  ;  aussi  vit-on  ce  jour-la  quelques-uns  des  huguenots  les 
plus  endurcis  a  genoux  dévotement  dans  les  églises  et  priant  Dieu  tout 
haut,  a  la  cathelique.  Il  y  eut  même  un  capitaine,  du  nom  de  Mont- 
gommery,  qu'on  trouva  auprès  d'un  autre  officier  blessé,  qu'il  faisait 
mine  d'exhorter  'a  la  mort  en  tenant  un  crucifix  a  la  main  et  vêtu  d'un 
surplis.  (Mézeray,  t.  III,  p.  857.) 

Henri  regarda  la  prise  de  Lagny  comme  un  affront  que  sa  gloire  était 
intéressée  a  venger  sans  délai.  Il  comprenait  qu'on  pouvait  en  conclure 
que  le  prince  de  Parme  était  meilleur  général  que  lui,  et  c'était  en  effet 
ce  (pie  les  catholiques  de  sa  propre  armée  n'hésitaient  pas  à  dire  tout 
haut  ;  car  il  est  rare  qu'on  puisse  compter  sur  les  bras  de  ceux  dont  on 
ne  possède  pas  le  cœur.  Pour  couper  court  a  ces  propos  injurieux  qui 
blessaient  tout 'a  la  fois  son  intérêt  et  son  amour-propre,  il  jura  que  cette 
fois  il  prendrait  Paris,  de  gré  ou  de  force,  et  sans  aucun  ménagement. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  127 

C'était  pour  le  moment  beaucoup  plus  facile  a  jurer  qu'à  exécuter.  {Mém. 
de  Sully,  t.  H,  liv.  4,  p.  19.) 

A  cet  effet,  il  décampa  pendant  la  nuit  et  réunit  toutes  ses  troupes 
dans  la  plaine  de  Bondy,  au-dessous  de  Livry.  Il  en  détacha  ensuite  la 
plus  içrande  partie  pour  aller  alla(|uer  la  capitale,  (|ui  ne  devait  pas  s'at- 
tendre a  une  pareille  surprise;  et  avec  le  reste,  il  se  tint  prêt  soit  à  s'op- 
|)oser  au  duc  de  Parme,  s'il  voulait  tenter  de  porter  secours  aux  Pari- 
siens, soit  'a  appuyer  ceux  (^l'il  avait  chargés  de  l'attaciue.  {Mém.  de  la 
Ligue,  t.  V,  p.  5()'2  et  suiv.) 

C'était  du  côté  des  faubourgs  Saint-Germain  et  Saint-Jacques  que 
cette  attaque  devait  avoir  lieu,  parce  (|ue  de  ce  côté-la  la  ville 
était  plus  faible.  Cette  entreprise  manqua,  attendu,  dit-on,  que  les 
échelles  qu'on  avait  emportées  pour  monter  a  l'escalade  se  trouvèrent 
trop  courtes.  L'auteur  de  la  relation  ligueuse  du  siège  n'hésite  pas  au 
contraire  a  attribuer  la  conservation  de  la  ville,  en  cette  occasion,  a  la 
bonne  garde  que  faisaient  les  jésuites.  «  Par  l'inspiration  de  Dieu,  dit-il, 
ces  Révérends  Pères  lurent  les  premiers,  qui,  sous  la  conduite  de  leur 
Père  provincial,  accoururent,  la  hallebarde  à  la  main,  a  un  bruit  (|ue  leur 
sentinelle  avait  entendu  dans  les  fossés.  Pourtant,  le  brouillard  était  si 
épais  que,  n'ayant  rien  vu  et  n'entendant  plus  rien,  ils  étaient  sur  le 
point  de  se  retirer,  quand  un  soldat  royaliste,  qui  avait  déjà  escaladé  la 
muraille,  parut  tout  'a  côté  d'eux  sur  le  rempart.  Ils  le  tuèrent  et  renver- 
sèrent ensuite  l'échelle  sur  laquelle  plusieurs  de  ses  compagnons  étaient 
déj'a  en  train  de  monter  ;  puis,  ayant  jeté  le  cri  d'alarme,  il  accourut  tant 
de  gens  'a  leur  secours,  qu'il  fallut  bien  que  les  royaux  se  retirassent 
avec  leur  courte  honte.  »  {Mém.  de  la  Ligue,  ubi  su  p.) 

Cette  fois,  il  n'y  avait  pas  moyen  de  déguiser  que  le  siège  ne  fût 
entièrement  levé  ;  car,  dans  la  circonstance,  on  ne  pouvait  même  plus 
laisser  autour  de  la  ville  aucune  troupe  de  l'armée  royale,  sans  l'exposer 
'a  être  entièrement  détruite,  soit  par  les  assiégés,  <\u\  avaient  repris  cou- 
rage, soit  par  l'armée  du  prince  de  Parme.  Quand  les  troupes  du  roi 
s'y  seraient  môme  prêtées  de  bonne  grâce,  il  était  devenu  impossible 
(|u'elles  restassent  plus  longtemps  dans  les  environs,  parce  que  le  pays 
était  ruiné,  et  (|ue  les  vivres  n'arrivant  plus  aussi  facilement  au  camp 
depuis  la  prise  de  Lagny,  on  commenc^ail  'a  y  soufTrir  de  la  disette. 

Henri,  pour  tâcher  d'obvier  au  découragement  qu'une  pareille  nou- 
velle ne  pouvait  manquer  de  jeter  parmi  ses  partisans  de  province, 
écrivit  a  tous  les  gouverneurs  qui  tenaient  pour  lui  ;  il  leur  disait  : 
«L'amour  que  je  ressens,  en  bon  roi,  pour  mes  sujets,  vient  en  effet  de 
me  faire  manquer  l'occasion  de  me  rendre  maître  de  Paris.  J'ai  mieux 
aimé  attendre  encore,  (pie  d'exposer  cette  capitale  au  pillage  et  a  des  vio- 
lences inévitables  si  elle  eût  été  prise  d'assaut.  Au  reste,  ce  n'est  au  plus 
qu'un  léger  relard  :  comme  j'ai  pris  soin  de  bosicher  tous  les  passages, 
le  peu  de  vivres  que  i)Ourront  lui  fournir  les  environs,  déjà  affamés  eux- 
mêmes,  pendant  le  temps  que  j'ai  cru  nécessaire  d'interrompre  le  blocus, 
ne  l'empêchera  pas  d'être  obligée  de  se  soumettre,  quand  je   viendrai 


128  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

bientôt,  comme  je  l'espère,  me  présenter  de  nouveau  devant  ses  portes.  » 
(Matthieu,  Hist.  de  Henri  /F,  p.  50  et  suiv.) 

Ensuite,  ne  pouvant  mieux  l'aire,  il  quitta  tout  a  fait  Chelles,  où  il 
désespérait  d'obliger  le  prince  de  Parme  à  sortir  de  la  position  que  ce 
dernier  avait  si  babilement  prise,  et  il  se  rendit  a  Gonesse,  le  cœur 
ulcéré,  regrettant  vivement  d'avoir  tant  ménagé  Paris,  quand  il  lui  aurait 
été  si  facile  d'y  entrer  en  vainqueur.  On  dit  que,  pour  ajouter  encore  a  la 
vivacité  de  ce  repentir,  il  avait,  en  rentrant  dans  son  logement,  trouvé 
sur  la  table  un  certain  écrit  de  la  main  du  duc  de  Montpensier,  dans 
lequel  écrit  il  lui  était  remontré,  de  la  part  de  tous  les  catholiques  atta- 
chés a  son  parti,  que  ceux-ci  n'avaient  pas  hésité  a  lui  rendre,  aux  dépens 
de  leur  vie  même,  tous  les  services  qu'il  pouvait  attendre  deux,  et  peut- 
être  même  davantage,  comptant  pour  la  tranquillité  de  leur  conscience 
sur  la  promesse  qu'il  avait  faite  et  tant  de  fois  réitérée  d'abjurer  l'hérésie 
et  de  se  convertir  à  la  véritable  foi;  que  cependant  il  n'avait,  lui,  nulle- 
ment gardé  cette  promesse;  qu'en  conséquence  ils  étaient  résolus  de  se 
retirer  chacun  dans  sa  maison.  (De  Tnou,  ubi  sup,  — Mém.  de  Villeroy, 
1590.) 

Le  roi,  ayant  lu  cet  écrit,  regarda  tristement  le  duc  qui  l'avait  signé, 
et  qui  se  trouvait  la.  Il  ne  prononça  pas  un  seul  mot.  Seulement  les 
larmes  lui  vinrent  aux  yeux,  et  sans  faire  autre  réponse,  il  demanda 
qu'on  assemblât  le  conseil  de  guerre. 

L'a,  il  fut  décidé  que,  puisque  aussi  bien  on  ne  pouvait  plus  espérer 
de  retenir  sous  les  drapeaux  la  majeure  partie  de  l'armée  royaliste,  il 
fallait  se  décidera  la  licencier,  attendu  qu'un  licenciement  était  toujours 
plus  honorable  pour  le  chef  qu'une  désertion  générale. 

En  conséquence,  le  roi,  après  avoir  mis  dans  les  places  voisines  la 
plus  grande  partie  de  ses  troupes  étrangères  et  de  ceux  de  ses  soldats 
qui  consentaient  a  faire  leur  métier  de  la  guerre,  ne  garda  autour  de  lui 
qu'un  camp  volant.  Il  renvoya  le  prince  de  Conti  avec  tous  ceux  qui 
l'avaient  suivi  dans  le  Maine,  l'Anjou  et  la  Touraine  ;  le  duc  de  Mont- 
pensier retourna  avec  les  siens  en  Normandie  ;  Longueville  resta  en 
Picardie;  le  duc  de  Nevers  alla  en  Champagne,  et  le  maréchal  d'Aumont 
en  Bourgogne.  Chacun  de  ces  chefs  remmenait  avec  lui  un  corps  com- 
posé des  hommes  de  la  province  dont  la  garde  lui  était  assignée,  mais  il 
n'était  pas  douteux  que  ces  hommes,  une  fois  dans  leur  pays,  sans  solde 
et  sans  espoir  de  pouvoir  de  longtemps  fournir  à  leurs  besoins,  par  le 
pillage  de  l'ennemi,  ne  se  dispersassent  bientôt.  Quant  à  Sa  Majesté, 
elle  se  rendit  'a  Senlis,  pour  y  attendre  les  événements.  (De  Thou,   ubi 

Slip.) 

Or,  les  Ligueurs  étaient  maîtres  de  Clermont,  qui  n'est  qu'a  une 
dizaine  de  lieues  de  Ta  ;  et  comme  cette  petite  place  est  dans  une  situa- 
tion assez  avantageuse,  avec  un  bon  château,  ils  s'y  sentaient  si  bien 
établis  qu'ils  ne  craignaient  pas  de  faire  des  courses  jusqu'aux  portes  de 
Senlis  même  et  de  Compiègne.  Ce  fut  ce  qui  détermina  le  roi  à  aller  les 
assiéger.  Son  artillerie,  qu'il  avait  presque  toute  conservée  avec  lui,  fît 


DU  PROTEïj'rANTlSxMt:  EN  FRANCE.  WJ 

(rabord  une  large  brùclie,  et  les  royalistes  montèrent  intrépidement  ii 
l'assaut.  Alors  les  assiégés,  qui  s'étaient  tout  aussitôt  retirés  dans  le 
château,  après  avoir  mis  le  feu  à  quelques  maisons  de  la  ville,  deman- 
dèrent a  capituler,  ce  {|ue  le  roi  leur  accorda  de  grand  cœur. 

En  même  temps,  Lavardin,  a  «pii  llemi  IV  venait  de  confier  la  garde 
de  Saint-Denis,  ayant  eu  avis  (jue  deux  régiments  ennemis  s'étaient  can- 
tonnés dans  le  bourg  de  Suresnes,  se  mit  en  marche  avec  une  partie 
de  sa  garnison,  et  les  ayant  surpris,  il  les  battit,  les  désarma,  fit  leurs 
commandants  prisonniers  et  leur  enleva  trois  drapeaux. 

De  son  côté,  le  prince  de  Parme  n'eut  pas  plus  tôt  appris  que  le  roi 
avait  licencié  son  armée,  (ju'il  cpiilta  enfin  ses  retranchements  et  vint 
assiéger  Corbeil.  Il  avait  eu,  dit-on,  auparavant  la  curiosité  de  voir  ce 
Paris,  dont  il  avait  tant  ouï  raconter  de  merveilles.  II  y  alla,  sans  se  faire 
connaître,  avec  dix  ou  douze  de  ses  cavaliers,  et  vint  loger  pendant  deux 
jours  chez  un  hôtelier  de  la  rue  Cullure-Sainte-Catherine.  Le  misérable 
état  dans  lequel  les  malheurs  d'un  aussi  long  siège  avaient  réduit  cette 
grande  ville  ne  lui  en  donnèrent  pas  une  idée  bien  favorable;  il  ne  put 
voir  partout  que  ruines,  souiïrances  et  découragement.  (Mkzkuay,  t.  III, 
p.  859.) 

Quoique,  depuis  la  levée  du  siège,  une  très-grande  quantité  de  bateaux 
chargés  de  toutes  sortes  de  provisions  iùt  déjà  arrivée,  conduite  par  les 
marchands  des  environs,  toujours  a  l'affût  d'une  bonne  occasion  de  tirer 
le  meilleur  parti  possible  de  leurs  denrées,  les  Parisiens  s'étaient  telle- 
ment épuisés  et  il  leur  restait  si  peu  d'argent,  que  les  marchands  furent 
trompés  dans  leur  calcul.  Il  est  certain  que  ceux  de  Paris,  auxquels  il  res- 
tait encore  des  moyens  de  responsabilité,  tirent  aux  banques  italiennes  des 
emprunts  a  trente  pour  cent  d'intérêt.  Aussi  ce  pauvre  peuple  n'était-il 
plus  capable  d'aucun  sentiment  de  réjouissance.  (Pkréfixe,  ubisiip.) 

Le  duc  se  bâta  donc  de  rejoindre  son  armée,  qui  avait  déjà  commencé 
le  siège  de  Corbeil.  Dès  la  première  attaque,  on  s'était  emparé  du  fau- 
bourg qui  est  sur  la  rive  droite  de  la  Seine,  et  qui  se  trouve  joint  a  la 
ville  par  un  beau  pont  de  pierre.  Tout  auprès  de  ce  i)ont,  du  côté  de 
l'orient,  était  une  ancienne  tour  que  les  habitants  disaient  eux-mêmes 
avoir  été  construite  par  les  Romains;  les^murs  en  étaient  si  solides  que 
le  canon  n'y  faisait  rien.  Le  prince  jugea  que  pour  en  venir  a  bout  il 
fallait  avoir  recours  a  la  mine.  (Di:  Tuor,  ubi  sup.) 

Il  y  fit  donc  travailler  pendant  plusieurs  jours,  au  bout  desquels  ceux 
qui  défendaient  ce^poste,  s'élant  convaincus  qu'il  allait  bientôt  sauter, 
curent  la  sagesse  dé  se  retirer.  Le  prince,  alors  maître  de  toute  celte 
p:u'tie  de  la  rive,  fit  dresser  sur  la  hauteur  une  batterie  de  cin(j  pièces 
de  canon  et  de  deux  couleuvrincs,  dont  il  partit  aussitôt  un  feu  si 
terrible,  que  personne  ne  pouvait  paraître  impunément  dans  les  rues. 
Pour  remédier  'a  cet  inconvénient,  les  habitants,  (pii  avaient  déj'a  barri- 
cadé l'entrée  de  leur  pont,  dressèrent  partout  des  retranchements  avec 
des  pieux  et  des  tonneaux  remplis  de  terre  derrière  lesquels  ils  se  trou- 
vèrent bientôt  'a  couvert  de  l'artillerie. 


IT. 


•130  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

L'ennemi  parut  tout  étonné  de  trouver  devant  cette  petite  vilie  une 
résistance  si  longue  et  si  opiniâtre,  ce  qui  donna  beaucoup  de  conten- 
tement non  seulement  a  ceux  des  nobles  Français  qui  avaient  embrassé 
le  parti  du  roi,  mais  encore  a  ceux  qui  avaient  accompagné  le  duc  de 
Mayenne.  Ces  derniers,  humiliés  dans  leur  amour-propre  national  par 
l'orgueil  espagnol,  n'étaient  pas  trop  fâchés  de  voir  les  affaires  de  Monsei- 
gneur de  Parme  ne  pas  marcher  tout  à  fait  aussi  vite  qu'il  s'en  était 
flatté.  «  Votre  Altesse,  lui  disaient-ils  en  riant,  peut  voir  que  les  villes 
en  France  ne  se  laissent  pas  prendre  tout  'a  fait  aussi  laciiement  qu'en 
Flandre.  »  {Mém.  de  Villeroy,  1590.) 

Pressé  d'en  finir,  le  duc  donna  l'ordre  a  Sinigaglia  d'envoyer  reconnaître 
la  l)rèche  que  ses  boulets  avaient  dû  faire  un  peu  au-dessus  du  pont. 
Deux  habiles  nageurs,  un  Français  et  un  Espagnol,  furent  chargés  de 
cette  mission.  Tous  deux  passèrent  la  rivière  a  la  nage  ;  mais  l'Espagnol, 
transi  de  froid,  quoique  ce  fût  encore  !a  saison  des  bains,  alla  se  rendre 
aussitôt  aux  assiégés.  L'autre,  (|ui  montra  plus  de  courage,  fut  blessé 
légèrement  d'un  coup  d'arquebuse,  et  il  revint  dire  au  prince  qu'il  serait 
dangereux  d'attaquer  la  place  par  ce  côté-fa.  Alors  le  duc  de  Parme, 
changeant  subitement  son  artillerie  de  place,  la  fit  mettre  en  batterie 
vis-â-vis  une  maison  qui  termine  l'angle  oii  la  petite  rivière  qui  vient 
d'Étampes  se  jette  dans  la  Seine;  en  même  temps,  il  fit  construire  un 
pont  de  bateaux,  garni  de  forts  madriers  pour  mettre  les  siens  a  l'abri 
de  la  mousqueterie  de  l'ennemi,  et  afin  qu'ils  pussent  conduire  avec 
moins  de  danger  leur  attaque  dans  cette  nouvelle -direction, 

La  Grange,  gentilhomme  royaliste  du  voisinage,  avait  pris  le  comman- 
dement de  la  place,  et  c'était  un  nommé  Piigaud,  naguère  simple  greffier, 
qui  lui  servait  de  lieutenant.  Le  roi,  apprenant  donc  que  ces  deux  braves 
faisaient  une  aussi  belle  défense  dans  un  poste  qui,  d'ailleurs,  était  si  peu 
tenable.  résolut  de  les  aller  secourir  en  personne.  Il  partit  de  Chaumont, 
où  il  s'était  rendu  quelques  jours  auparavant  avec  un  détachement  de 
ses  troupes  ;  mais  il  rencontra  sur  sa  route  un  gros  parti  de  reitres  et  de 
lansquenets  de  l'armée  ennemie.  Il  l'attaqua,  le  battit,  et  prit  presque 
tous  leurs  officiers.  (Dr  Thou,  uhi  sup.) 

Cet  exploit,  néanmoins,  avait  eu  l'inconvénient  de  relarder  sa  marche, 
et,  pendant  ce  lemps-l'a,  la  ville  de  Corbeil  avait  été  prise.  Le  seizième 
jour  d'octobre,  les  Espagnols,  a  l'aide  de  leur  pont  de  bateaux,  avaient 
franchi  la  rivière  et  étaient  venus  donner  l'assaut  a  la  nouvelle  brèche. 
La  résistance  avait  été  longue  et  opiniâtre.  Le  brave  greffier  Rigaud  s'était 
fait  tuer  en  disputant  courageusement,  a  la  lète  des  siens,  le  passage  a 
reniicmi;  mais,  'a  la  fin,  il  avait  fallu  céder  au  nombre.  La  brèche  fut 
franchie.  Tout  fut  passé  au  fil  de  l'épée  :  les  femmes,  les  filles,  les  vieil- 
lards et  les  enfants  ne  trouvèrent  aucune  pitié;  et  la  ville  fut  jonchée  des 
cadavres  de  ses  habitants.  Il  n'y  eut  que  le  commandant  La  Grange  qui, 
avec  un  petit  nombre  des  principaux  bourgeois,  ayant  eu  le  temps  de  se 
retirer  duns  une  tour,  put  faire  une  sorte  de  capitulation  ;  ils  eurent  le 
bonhciir  de  n'être  faits  que  prisonniers.  Le  roi,  qui  apprit  cette  désas- 


I 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  131 

Ircuse  nouvelle  comme  il  continuait  sa  route,  fut  obligé  de  revenir  sur 
SCS  pas. 

Au  reste,  la  prise  de  Corbeil,  qui  avait  coûté  tant  d'efforts  et  tant  de 
temps  au  duc  de  Parme,  car  il  lui  avait  lallu  un  mois  tout  entier  pour 
s'en  emparer,  avait  été  plus  fatale  (ju'avanlagcuse  à  son  armée.  C'était  le 
temps  où  les  raisins  mûrissent  dans  les  vignes.  Les  Flamands  se  mirent 
il  en  manger  avec  une  telle  passion,  et  en  si  grande  (juanlité,  qu'il  s'en- 
gendra parmi  eux  des  dyssenteries  et  des  flux  de  sang  qui  en  lirent 
mourir  plus  de  trois  mille  pendant  la  durée  du  siège.  (Mézerav,  ubi 
sup.,  p.  81-0.) 

Cependant  le  nonce  du  pape,  Monseigneur  Gaetano,  après  avoir  vu 
le  siège  de  Paris  levé,  et  la  ville  bien  pourvue  de  vivres  par  les  convois 
qu'on  se  bâtait  d'y  amener  de  tous  les  points  dont  les  royalistes  avaient 
abandonné  l'occupation,  venait  de  se  mettre  en  route  pour  retourner  en 
Italie.  11  passa  par  celte  pauvre  ville  de  Corbeil,  encore  fumante  et  toute 
remplie  des  corps  morts  de  ses  défenseurs;  il  complimenta  le  prince  de 
Parme,  ainsi  que  le  duc  de  Mayenne,  de  l'beureux  succès  de  leurs  armes; 
puis  il  continua  sa  route  'a  grandes  journées;  car  il  était  appelé  a  Rome, 
où  pourtant  il  arriva  trop  tard,  parle  désir  de  coopérer  en  sa  qualité  de 
membre  du  Sacré-Collège  a  l'élection  d'un  nouveau  pape.  Sixte  V  venait 
de  mourir. 

La  nouvelle  de  cette  mort  était  arrivée  'a  Paris  le  vingtième  jour  de 
septembre,  et  le  parti  espagnol,  ainsi  que  celui  de  la  Ligue,  furent  loin 
de  s'en  montrer  allligés.  Ils  disaient,  et  leurs  prédicateurs  s'en  allaient 
répétant  dans  les  cliaires,  que  ce  pape  était  mort  fauteur  des  hérétiques, 
et  s'entendait  avec  les  politiques  pour  perdre  la  foi  en  France  ;  que 
c'était  la  ce  qui  lavait  empêché  d'assister  la  Sainte-Union  comme 
il  aurait  dû  le  faire,  et  comme  on  était  en  droit  de  l'attendre  du  Père  de 
tous  les  fidèles.  {Remarques  sur  la  Satire  Ménippée,  t.  Il,  p.  207.) 

Quoi  (ju'il  en  soit,  depuis  quelque  temps  déjà,  et  surtout  depuis  sa 
(luerclle  avec  l'ambassadeur  d'Espagne,  Sa  Sainteté  se  sentait  indisposée 
d'une  violente  douleur  de  tête  ;  mais  elle  chercha  à  se  persuader  que 
c'était  la  suite  de  sa  trop  grande  application  au  travail,  ce  qui  ne  l'em- 
pèclia  pas  de  vaquer  avec  la  même  activité  a  ses  occupations  ordi- 
naires, car,  disait  Sixte  V,  en  répétant  les  paroles  de  V'cspasien,  «  il 
faut  (|u'un  prince  meure  debout.»  {LxmE,  Collect.  conc.,t.  XV,  p.  1578 
et  suiv.) 

Le  dix-huitième  jour  du  mois  d'août,  il  voulut  même,  malgré  les 
conseils  de  ses  médecins,  aller  'a  l'église  de  Sainte-Marie-des-Allemands 
pour  y  rendre  grâces  a  Dieu  de  la  conversion  d'un  prince  de  l'Empire 
(jui  venait  d'abjurer  le  luthéranisme,  et  il  s'obstina  à  faire  le  voyage  à 
pied.  Do  retour  au  Vatican,  il  eut  un  violent  accès  de  lièvre:  il  fallut  le 
mettre  au  lit. 

Le  lendemain,  quelques  instances  qu'on  lui  fit  de  prendre  du  repos, 
il  se  leva  et  travailla  aux  afîairos  do  TElal,  comme  c'était  son  habitude  de 
chatjue  matinée.  Il  lit  même  venir  le  gouverneur  de  Rome  et  lui  ordonna 


^32  HISTOIRE  DE  L  ÉTABLISSEMENT 

(l'un  ton  assez  aiiçre  de  condamner  de  suite  aux  galères  tous  ceux  qui 
étaient  accusés  de  quelque  crime,  a(in,  disait-il,  de  débarrasser  la  ville. 
Il  ajouta  qu'il  voulait  tous  les  voir  en  route  pour  Civita-Vecchia  avant  la 
fin  de  la  semaine.  (Spginde,  ad  ann.  1590,  n"  18.) 

Les  jours  suivants  la  fièvre  redoubla,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  se 
lever  encore,  malgré  les  intolérables  douleurs  qu'il  ressentait.  Il  se  fit 
présenter  la  liste  des  prisonniers  de  la  Sainte-Inquisition,  et  l'examina 
avec  toute  la  sévérité  d'un  juge  mal  disposé,  sans  demander  pourtant 
aucune  condamnation.  Enfin,  un  matin,  le  mal  avait  fait  de  tels  progrès 
qu'on  s'aperçut  que  le  Saint-Père  ne  pouvait  plus  se  soutenir.  Il  se  fit 
dire  la  messe,  a  laquelle  il  communia;  puis,  se  sentant  tout  a  fait  dé- 
faillir, il  demanda  qu'on  lui  administrât  l'extrême-onction,  et  il  expira  le 
soir  de  ce  même  jour,  trentième  du  mois  d'août.  H  était  âgé  de  près  de 
soixante-dix  ans,  et  son  pontificat  avait  duré  cinq  ans  quatre  mois  et 
trois  jours. 

Le  bruit  courut  qu'il  avait  été  empoisonné,  et  les  médecins,  lui  ayant 
ouvert  le  crâne,  trouvèrent,  dit-on,  toule  la  substance  du  cerveau  gâtée 
par  la  malignité  du  venin  qui  y  était  attaché.  Lui-même,  ajoute-t-on, 
avait  manifesté  ses  soupçons  'a  cet  égard  dès  la  première  attaque  du 
mal.  «  Il  me  semble,  avait-il  dit  à  son  médecin  ordinaire,  que  mes  bons 
amis  les  Espagnols  sont  las  de  me  voir  si  longtemps  pape.  Je  sens  qu'ils 
ont  pris  les  moyens  d'en  avoir  bientôt  un  autre.  »  Son  corps  fut  porté 
dans  l'église  de  Saint-Pierre,  où  il  fut  inhumé  avec  les  cérémonies 
ordinaires. 

Le  Saint-Siège  ne  fut  vacant  que  dix-huit  jours;  ce  qui  n'empêcha  pas 
que  ce  court  espace  ne  fût  suffisant  pour  donner  a  la  populace  le  temps 
de  se  venger  avec  scandale  de  la  sévérité  avec  laquelle  elle  avait  été 
traitée  par  le  défunt  pape.  Une  foule  de  mécontents,  au  nombre  desquels 
on  ne  manque  pas  de  mettre  les  Espagnols,  courut  au  Capitole  pour  y 
briser  la  statue  que  la  ville  de  Rome,  dans  ses  moments  d'adulation, 
avait  érigée  'a  Sixte  V,  pendant  qu'il  vivait  encore.  On  criait  que  les 
tributs  et  les  nouveaux  impôts  que  l'avarice  de  ce  pontife,  porcher 
parvenu,  avait  fait  peser  sur  le  peuple,  ne  méritaient  (]ue  trop  une  pareille 
avanie.  Pourtant  on  parvint,  quoique  avec  peine,  a  empêcher  ces  furieux 
d'exécuter  leur  dessein.  Mais  le  sénat  crut,  a  cette  occasion,  devoir 
rendre  un  décret  par  lequel  il  est  défendu  d'ériger  dorénavant  aucune 
statue  'a  un  pape  encore  en  vie. 

Cinquante-quatre  cardinaux,  qui  se  trouvaient  pour  lors  à  Rome, 
étaient  entrés  en  conclave  le  septième  jour  de  septembre,  qui  était  le 
neuvième  après  la  mort  du  défunt  pape.  La  messe  du  Saint-Esprit  ayant 
été  célébrée,  les  portes  furent  fermées  sur  l'heure  de  minuit  ;  car  il  fallut 
tout  ce  temps  pour  laisser  se  retirer  les  ambassadeurs  des  diverses  puis- 
sances, occupés  'a  former  des  brigues,  chacun  pour  le  protégé  de  son 
souverain.  Enfin,  on  put  mettre  des  gardes  a  l'entrée,  qui  ne  devait  plus 
s'ouvrir  pour  personne  qu'après  Télection  du  nouveau  prêtre  roi.  (Sponde, 
ubi  swj9.,adann.  1590,  n"  20.) 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  133 

Le  lendemain,  après  la  messe,  où  les  cardinaux  communièrent  tous 
en  rochet  et  en  camail,  on  procéda  au  premier  tour  de  scrutin  ;  mais 
aucun  des  candidats  n'obtint  le  nombre  de  voix  suffisant.  Us  étaient 
trois  a  poursuivre  ce  poste  éminent,  savoir  :  le  cardinal  Castagna,  que 
Sixte  V  avait  lui-même  désii,Mié  comme  le  plus  digne  de  lui  succéder;  le 
cardinal  Colonne,  que  portaient  tous  les  prélats  de  l'Italie,  et  le  cardinal 
Cosme,qui  avait  pour  lui  l'appui  si  puissant  de  l'Espagne. 

La  brigue  continua  dans  le  conclave  jusqu'au  jeudi  treizième  jour 
de  septembre,  et  chacun  s'efforça  de  gagner  le  plus  de  voix  possible  a 
son  parti.  Le  lendemain,  le  Saint-Esprit  prononça,  et  ce  l'ut  Castagna,  car- 
dinal de  Saint-Marcel,  qui  fut  nommé.  Les  cardinaux  cependant,  pour  se 
soustraire  a  l'usage  assez  désagréable  pour  eux,  qui  s'était  introduit 
depuis  quelque  temps,  de  laisser  piller  au  peuple  le  local  où  s'était  tenu 
le  conclave,  et  pour  se  donner  le  temps  de  faire  emporter  leurs  eftets, 
convinrent  qu'on  tiendrait  l'élection  secrète  jusqu"a  ce  que  chacun  eût 
mis  'a  couvert  ce  qu'il  tenait  le  plus  a  conserver,  et  on  fit  répandre  le 
bruit  que  le  pape  n'était  pas  encore  élu.  Ce  ne  fut  que  le  lendemain,  et 
quand  chacun  des  électeurs  eut  bien  pris  toutes  ses  mesures,  qu'ils  con- 
duisirent le  nouveau  pontife  dans  la  chapelle  Pauline,  où  ils  le  revêtirent 
solennellement  des  ornements  pontificaux. 

Castagna  prit  le  nom  d'Urbain  ML  On  le  porta,  suivant  l'usage,  dans 
l'église  de  Saint-Pierre,  «  où,  avec  un  visage  sur  lequel  éclatait  la  mo- 
destie chrétienne,  il  bénit  la  foule  qui  se  pressait  sur  son  passage.  »  On 
le  plaça  ensuite  sur  l'autel  des  Saints-Apôtres,  où  il  reçut,  toujours  avec 
la  même  modestie,  les  adorations  ordinaires.  Ce  nouveau  pape  étail,  au 
reste,  d'une  noble  famille  romaine  ;  il  avait  par  sa  science  et  par  son 
mérite  obtenu  sous  les  pontifes  précédents  un  grand  nombre  d'emplois 
importants,  tant  dans  le  gouvernement  que  dans  l'Eglise.  11  était  alors 
dans  sa  soixante-neuvième  année.  (Ciaccon.,  Yit.  Pontif.,  t.  IV,  p.  202 
et  suiv.) 

Dès  les  premiers  jours  de  son  pontificat,  il  fit  de  grandes  largesses 
aux  cardinaux  qui  avaient  contribué  a  sa  nomination.  Pour  se  concilier 
la  faveur  du  peuple,  il  fit  payer  toutes  les  dettes  des  monts-de-piété,  et 
leur  fit  don  de  tout  l'argent  qu'il  leur  avait  lui-même  prêté,  n'étant  que 
cardinal.  Il  fit  d'abondantes  distributions  aux  pauvres,  et  il  donna  l'ordre 
a  l'intendant  des  vivres  dans  Rome  de  faire  augmenter  le  poids  du  pain, 
se  chargeant  de  dédommager  les  boulangers  de  ce  qu'ils  y  pourraient 
perdre.  H  voulut  aussi  abolir  le  luxe  parmi  les  gens  d'église,  exigeant 
(jue  ses  officiers  fussent  les  premiers  à  donner  l'exemple;  enfin,  il  donna 
des  ordres  et  lit  des  fonds  pour  continuer  les  bâtiments  de  l'église  de 
Saint-Pierre,  ainsi  que  ceux  des  palais  du  Vatican  et  du  Quirinal  ;  mais 
ce  qui  fait  surtout  son  éloge,  c'est  que,  quand  on  lui  j)roposa  quelques- 
uns  de  ses  plus  proches  parents  pour  remplir  les  charges  vacantes,  il 
répondit,  a  ce  qu'on  assure  :  «  .\ucun  d'eux,  tant  que  je  serai  pape,  ne 
se  verra  jamais  appelé  a  un  emi)loi  j)ul)lic,  car  je  veux  me  réserver  la 
liberté  de  punir  quiconque  manquera  a  son  devoir.  » 


134  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Ce  bon  Pape  n'eut  guère  le  temps  d'accomplir  tout  le  bien  qu'il  avait 
promis  de  faire.  Il  tomba  malade  d'une  lièvre  violente,  le  troisième  jour 
de  son  pontificat,  pendant  qu'on  célébrait  encore  les  l'êtes  de  son  exalta- 
tion. «  Dieu,  qui  voulait  récompenser  ses  vertus  dans  le  ciel,  ne  fit 
pour  ainsi  dire  que  le  montrer  li  son  Eglise,  et  Urbain  VIÏ  ne  fut  pas 
couronné.  Il  mourut  le  vingt-septième  jour  de  septembre,  après  avoir 
prononcé  ces  paroles  :  «  Dieu  ne  m'a  pas  jugé  digne  de  ces  fonctions 
«  suprêmes.  Sans  doute  îl  a  prévu  dans  sa  sagesse  que  je  pourrais 
«  succomber  a  l'enivrement  d'un  aussi  haut  rang;  je  le  remercie  de 
«  vouloir  bien  me  soustraire  a  un  pareil  danger.  » 

Les  cardinaux  rentrèrent  donc  de  nouveau  en  conclave  le  huitième 
jour  d'octobre.  On  proposait  cette  fois  le  cardinal  de  Mondovi  ;  mais  ce 
prétendant  ne  se  trouva  pas  du  goût  du  tout-puissant  roi  des.Espagnes, 
quoique  ce  prélat  fût  né  son  sujet  et  qu'il  fût  l'ami  du  duc  de  Savoie,  son 
gendre.  Quelques  cardinaux  jetèrent  alors  leurs  vues  sur  Aldobrandini, 
homme  d'une  profonde  érudition  et  d'une  intégrité  de  mœurs  irrépro- 
chable. On  croyait  son  élection  assurée,  quand  l'intrigue  espagnole  par- 
vint encore  'a  déjouer  toutes  les  mesures  qu'on  avait  prises,  et  a  la  fin, 
ce  fut  le  cardinal  de  Crémone,  l'un  de  ceux  que  Philippe  avait  lui-même 
fait  désigner  au  conclave  par  son  ambassadeur,  qui  réunit  la  majorité 
des  voix.  (Ciaccon.,  iibi  sup.) 

Ce  nouveau  pape  était  fils  de  François  Sfondratc,  célèbre  juriscon- 
sulte de  Milan.  Il  prit  le  nom  de  Grégoire  XIV.  Aussitôt  qu'il  lut  élu,  il 
fit  donner  mille  écus  à  chacun  des  cardinaux,  pour  les  dédommager  des 
dépenses  qu'ils  avaient  été  obligés  de  faire  pendant  le  conclave,  dont  la 
durée,  au  milieu  de  toutes  les  intrigues  qui  avaient  eu  lieu,  s'était  en 
effet  prolongée  plus  longtemps  que  de  coutume.  I!  fut  couronné  le 
huitième  jour  de  décembre,  et  on  prétend  qu'on  le  vit  rire  d'une  ma- 
nière peu  convenable  au  bruit  des  acclamations  du  peuple;  ce  qui  donna 
lieu  a  plusieurs  de  l'accuser  de  vanité  mondaine.  Du  reste,  il  n'oublia 
pas  sa  famille;  il  créa  tout  d'abord  son  neveu  cardinal,  et  il  nomma  son 
frère  général  de  la  Sainte  Église. 

En  France,  pendant  ce  temps-la,  ceux  qui  se  nommaient  eux-mêmes 
les  catholiques  zélés,  ou  simplement  les  Zélés,  voyant  Paris  délivré  et  le 
légat  parti,  jugèrent  le  temps  venu  de  prendre  leurs  mesures  pour 
rendre  désormais  impossible  tout  traité  avec  le  roi.  «  Quoiqu'ils  fissent 
semblant  d'être  affectionnés  de  tout  leur  cœur  'a  l'Espagne,  ils  avaient 
en  secret  un  tout  autre  projet  :  c'était  de  faire  de  la  France  une  répu- 
blique en  laquelle  ils  se  promettaient  d'être  comme  autant  de  souve- 
rains, après  avoir  anéanti  toute  la  noblesse.  »  Ils  dressèrent  donc  un 
mémoire  pour  le  présenter  au  duc  de  Mayenne,  qui,  a  leur  avis,  était 
tenu  <le  leur  accorder  tout  ce  qu'ils  demandaient,  a  cause  des  grands 
services  qu'ils  avaient  rendus  a  sa  cause.  Ils  lui  députèrent  a  Choisy, 
où  il  avait  établi  son  quartier  général,  ceux  des  leurs  qui  s'étaient  fait 
une  réputation  de  dévouement  parmi  le  peuple.  Ce  furent  le  docteur 
Boucher,  le  Petit-Feuillant,  La  Gresle,  Crucé  et  Borderel.  Boucher  pérora 


DU  l'UÛTtvSTA.NÏiS.Ml':  lùX  l'IlAXCl-;.  -j;i-> 

pour  SCS  collôgiios  et  présenta  le  mémoire.  (Caykt,  Chron.  novcnn.,  ad 
ann.  1D9(I.) 

Cette  pièce  demandait  an  duc   de  ne  jamais  déposer  les  armes,  ni 
pour  paix   ni  pour   Irrve,  jusqu'à   ce    (|ue    l'ennemi   commun,   c'est-a- 
dire  le  Béarnais,  i'ùt  entièrement  anéanti.    Pour  cela  le   dit   duc   était 
supplié  d'implorer  le  plus  promptement  possible  l'aide  et  le  secours  de 
tous  les  potentats  catholiques,  et  spécialement  de  la  part  du  pape  et  du 
roi  d'Espagne,  comme  étant  les  plus  intéressés  dans  cette  cause  sacrée. 
On  l'engageait  ensuite  'a  bien  éplucher  la  conduite  et  les  opinions  des 
personnes  qui  composaient  actuellement  son  conseil,  et  à  éloigner  géné- 
ralement quiconque  aurait  proposé  de  s'accorder  avec  le  dit   Béarnais, 
quiconque  conseillerait  de  ne   pas  écouter  les  plaintes  des  catholiques, 
disant  ou  insinuant  que  c'était  chose  importune  et  sans  raison,  et  enlin 
(juicont|ue  ne  parlerait  que  de  rétablir  l'Etat,  aux  dépens  de  la  religion  ; 
(lu  nombre  des  proscrits  devaient  être  encore  tous  ceux  qui  avaient  pris 
séance  auparavant  dans  les  conseils  du  feu  roi,  et  qui  ne  s'étaient  ralliés 
'a  la  Sainte-Union  que  pour  sauver  leurs  biens  et  leurs  honneurs  et  dignités  ; 
or,  était-il  ajouté,  la  majeure  partie  des  conseillers  actuellement  en  fonc- 
tions auprès  de  la  personne  de  Monseigneur  le   lieutenant  général   de 
l'Etat  et  Couronne  de  France  sont  précisément  dans  ce  dernier  cas,  et 
nous  nous  odVons  \\  en  fournir  la  preuve.   Enfin,  la  plupart  des  cours 
.'    souveraines  du  royaume  ont  montré,  dans  ces  derniers  temps  d'épreuves, 
tant  de  mauvais  vouloir  qu'il  a  bien  fallu  emprisonner  et  punir  plusieurs 
de  ceux  qui  les  composent;  maintenant,  il   devient  urgent  d'empêcher 
que  ces  mécontents   puissent,  en   rentrant   dans   leurs    charges,   faire 
tourner  l'autorité  qui  leur  serait  rendue  au  profit  de  leurs  vengeances 
particulières.  A  cet  effet,  Monseigneur  le  duc  est  supplié,  premièrement, 
de  donner  d'abord^  un  édit  d'aveu  des  dits  emprisonnements,   exécutés 
pour  le  bien  de  l'État,  avec  défense   qu'il   soit  fait  à   ce  sujet  aucune 
recherciie  contre  personne;  secondement  d'établir  une  chambre  de  magis- 
trats élus  et  choisis,  avec  pouvoir  de  juger  souverainement  tous  ceux 
qui  contreviendraient  en  quoi  (jue  ce  soit  a  la  Sainte-Union.   Plaise  en 
outre  'a  mon  dit  seigneur  de  mander  sans  relard  au  conseil  général  de 
l'Union,  de  reprendre  ses  séances  pour  la  continuation  de  la  prospérité 
et  de  la  défense  de  la  foi;  qu'il  lui  plaise  aussi,  en  attendant  l'assemblée 
des  Etats-Généraux  du   royaume,  d'ordoîiner  que  l'autorité  de  ce  con- 
seil soit  reconnue  de  tous,  et  que  les  villes  et  provinces  lui  demeurent 
obéissantes,  attendu  que  c'est  le  seul   corps  judiciaire  véritablement 
souverain,    et  qu'il  n'y  a  que  lui  qui   puisse  empêcher  la   Sainte-Union 
de  défaillir. 

Mayenne,  après  avoir  parcouru  ce  mémoire,  répondit  qu'il  y  ferait 
droit;  mais  aussitôt  que  les  députés  se  furent  éloignés,  le  conseil  s'as- 
sembla, et  tous  turent  indignés  de  l'outrecuidance  de  ces  bourgeois. 
Quel(|ues-uns  des  plus  emportés  opinèrent  pour  qu'on  mit  tout  à  la  fois 
en  pièces  et  le  mémoire  et  ceux  qui  avaient  eu  l'audace  de  l'apporter; 
mais  l'archevêque  de  Lyon  et  d'autres  conseillers  d'un  sens  plus  rassis 


136  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

dirent  qu'il  fallait  se  contenter  prudemment  de  ne  rien  répondre,  et  lais- 
ser la  chose  se  perdre  et  s'éteindre  dans  le  mépris  qu'elle  méritait. 
{Dialogue  du  manant  et  du  maheutre.) 

Les  députés  des  Seize  furent  donc  obligés  de  s'en  retourner  «  a  vide 
et  mocqués  ».  Ils  voulurent,  aflectant  tous  les  airs  d'une  république 
libre  d'Allemagne  ou  d'Italie,  aller  saluer  le  duc  de  Parme,  au  nom  de 
ceux  qui  les  envoyaient.  Mayenne,  a  qui  l'on  fit  comprendre  combien  il 
pouvait  devenir  contraire  a  son  intérêt  que  ces  gens-la  eussent  commu- 
nication avec  l'Espagnol,  leur  fit  défendre  expressément  une  pareille 
démarche;  ce  qui  n'empêcha  pas  le  docteur  Boucher  de  trouver  bientôt 
les  moyens  d'entretenir  une  correspondance  secrète  avec  le  prince,  auquel 
il  fit  connaître  toutes  les  idées  républicaines  qui  germaient  déj'a  dans  le 
parti.  (Cayet,  uhi  sup.) 

Le  duc,  après  la  prise  de  Corbeil,  se  voyant,  par  suite  du  mauvais 
vouloir  assez  mal  déguisé  des  nobles  français  qui  étaient  avec  lui,  dans 
l'impossibilité  de  rien  entreprendre  contre  les  autres  places  tenues  par 
les  royalistes,  se  décida  a  retourner  en  Flandre;  d'autant  que  l'hiver 
approchait  et  qu'il  avait  des  nouvelles  assez  alarmantes  de  quelques  ten- 
tatives du  prince  Maurice  dans  ces  contrées.  Mais,  avant  de  quitter  tout 
à  fait  la  France,  oîi  il  était  entré  avec  les  airs  d'un  conquérant,  il  voulut 
encore  essayer  de  tirer  quelque  avantage  pour  l'Espagne  d'une  expé- 
dition qui  avait  déj'a  coûté  tant  de  dépenses.  Il  demanda  au  duc  de 
Mayenne  quelles  villes  on  céderait  a  Sa  Majesté  catholique  pour  la  dé- 
dommager des  frais  qu'elle  venait  de  faire.  Alors  les  seigneurs  du  parti 
lui  firent  entendre  ouvertement  et  lui  prouvèrent  (comme  c'était  en  effet 
la  vérité)  que  toutes  les  places  un  peu  importantes  qui  avaient  embrassé 
la  Sainte-Union  étaient  au  pouvoir  du  peuple.  C'était  précisément  ce 
qu'il  avait  déjà  appris  par  sa  correspondance  secrète  avec  le  docteur 
Boucher. 

L'ambassadeur  Mendoce  même  lui  expliqua,  dans  une  entrevue 
qu'ils  eurent  ensemble,  que  les  choses  en  étaient  véritablement  h  ce 
point,  et  que  le  roi  Philippe  n'avait  rien  a  espérer  en  France,  s'il  ne 
parvenait  d'abord  a  gagner  ou  'a  écraser  tous  ces  petits  chefs  populaires 
du  parti  de  la  Ligue,  dans  toutes  les  principales  villes  du  royaume. 

Il  fut  reconnu  que  le  duc  de  Mayenne  n'était  au  fond,  malgré  sa  pré- 
tendue popularité,  rien  moins  qu'un  homme  sur  lequel  on  pût  asseoir  des 
projets  sérieux;  que  son  incapacité,  son  irrésolution  dans  les  conseils, 
son  engourdissement  et  sa  lenteur  dans  l'exécution,  ses  défiances  et  ses 
scrupules,  quand  il  s'agissait  de  prendre  un  parti  décisif,  le  rendaient 
tout  a  fait  incapable  de  se  maintenir  longtemps  dans  la  place  a  laquelle 
le  hasard  l'avait  porté,  et  que  par  conséquent,  pour  l'intérêt  du  monarque 
espagnol,  il  était  plus  prudent  de  s'attacher  à  gagner  peu  'a  peu  le  peuple 
des  grandes  villes,  en  employant  l'argent  de  Sa  Majesté  a  y  pratiquer 
des  créatures,  a  soudoyer  les  Seize,  les  prédicateurs,  les  confréries  du 
Saint-Cordon,  du  Nom-de-Jésus,  du  Saint-Esprit,  du  Saint-Sacrement  et 
autres,  récemment  inventées  par  les  Pères  jésuites,  «  lesquels   savaient 


j 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  137 

d'ordinaire  couvrir  habilement  du  prétexte  de  dévotion  les  plus  dange- 
reuses cabales.  »  (Pi':ui;i  i\k,  H'  partie,  1500.) 

La  chose  semblait  d'autant  plus  facile  qu'il  y  avait  déjà  partout  une 
grande  disposition  a  voir  changer  l'état  du  gouvernement,  parce  que, 
sous  les  règnes  derniers,  le  joug  avait  été  fort  lourd  pour  les  pauvres 
peuples;  et  les  villes  avaient  déjà  propension  à  se  joindre  ensemble,  en 
manière  de  république,  ou  a  faire  un  roi  dont  la  puissance  fût  si  limitée 
(|u'il  ne  pût  a  l'avenir  les  accabler,  suivant  son  bon  plaisir,  d'impôts  ou 
(le  gens  de  guerre,  comme  avaient  fait  les  deux  derniers  monarques.  Or, 
on  dit  que  le  roi  d'Espagne,  qui  espérait  bien  trouver  son  compte  dans 
l'un  ou  l'autre  arrangement,  dépensa  de  si  grandes  sommes  'a  soudoyer 
et  a  exciter  ces  factions,  que  s'il  en  eût  seulement  employé  la  moitié  a 
entretenir  des  armées,  il  eût  pu  conquérir  tout  le  royaume. 

On  convint  donc  dans  le  conseil  secret  du  duc  de  Parme  que  pour 
le  moment  il  n'y  avait  rien  a  faire  qu'a  entretenir  soigneusement  la 
discorde  en  France,  pour  profiter  de  la  première  occasion  qui  s'ofl'rirait, 
et  que  pour  cela  il  ne  fallait  fournir  aux  Ligueurs  que  juste  assez  de  se- 
cours pour  les  mettre  en  état  de  résister  aux  royaux  et  les  empêcher  de 
reconnaître  le  roi.  S'ils  se  trouvaient  réduits  a  en  demander  davantage, 
on  se  promettait  bien  de  ne  rien  leur  accorder,  cette  fois,  qu'a  condition 
qu'ils  livreraient  d'abord  de  bonnes  places  en  garantie,  et  qu'ils  recon- 
naîtraient l'infante  d'Espagne  pour  reine.  Mendoce,  en  attendant,  se 
chargea  d'animer  de  plus  en  plus  la  rébellion  dans  la  capitale,  au  moyen 
des  Seize,  qui  lui  étaient  vendus,  et  de  sa  bande  de  prédicateurs,  dont 
il  soudoyait  généreusement  la  furibonde  loquacité. 

Ce  plan  de  conduite  ayant  été  arrêté  entre  eux,  le  duc  de  Parme  lit 
avec  Mayenne  les  dispositions  nécessaires  pour  mettre  les  partisans  de 
l'Union  en  état  de  résister  aux  royaux.  La  Châtre  fut  nommé  maréchal  de 
France  et  envoyé  à  Orléans,  avec  un  corps  de  troupes,  pour  défendre  la 
Sologne  et  le  Berry.  Belin  eut  le  gouvernement  de  Paris,  en  la  place 
du  duc  de  Nemours.  Celui-ci  aurait  bien  voulu  avoir  le  gouvernement 
de  Normandie  ;  «  mais,  comme  lui  dit  Monseigneur  de  Mayenne,  il  n'au- 
rait pas  été  sage  de  disposer  de  la  peau  du  loup  avant  d'avoir  mis  la 
bête  'a  bas;  »  et  il  fut  obligé  de  s'en  retourner  dans  son  gouvernement 
du  Lyonnais,  avec  charge  de  veiller  sur  les  provinces  du  Dauphiné,  de 
l'Auvergne  et  du  Bourbonnais.  (Cayet,  ubi  siop.) 

On  envoya  aussi  plusieurs  troupes  de  gens  de  guerre,  avec  des  ca- 
pitaines capables  dans  diverses  autres  provinces;  puis,  l'armée  espa- 
gnole, accompagnée  du  duc  de  Mayenne  et  des  seigneurs  de  son  parti 
(pi'elle  traînait  'a  sa  suite,  reprit  la  route  de  Flandre,  en  traversant  la 
Brie. 

Or,  le  duc  de  Parme  était  'a  peine  a  Coulommiers,  qu'il  reçut  la 
nouvelle  de  la  reprise  de  Corbeil.  Le  sieur  de  Civry,  qui  était  'a  Melun, 
ayant  eu  connaissance  du  départ  de  ce  prince,  s'était  aussitôt  mis  en 
route  avec  une  partie  de  sa  garnison,  et,  arrivant  a  l'improviste,  il  avait 
gagné  la  place  par  escalade.  Les  soldats  espagnols  (jue  le  duc  de  Parme 


138  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

avait  laissés  pour  !a  garder  furent,  tous  passés  au  (il  de  Tépée,  au  grand 
plaisir  des  royaux,  et  surtout  de  ceux  de  la  ville,  qui  ne  pouvaient  par- 
donner a  Tennemi  tout  le  mal  qu'il  leur  avait  l'ait. 

En  même  temps,  le  roi,  qui  ne  voulait  pas  laisser  partir  le  dit  sei- 
gneur duc,  sans  lui  l'aire  un  petit  bout  de  conduite,  ne  fût-ce  que  pour 
rempècher  de  rien  entreprendre  sur  les  places  où  il  y  avait  garnison 
rovaiiste,  se  mit  de  son  côté  en  campagne.  A  la  tête  de  huit  cents  che- 
vaux et  de  la  noblesse  de  Picardie,  qui  venait  de  le  rejoindre,  il  partit 
de  Compiègne,  laissant  au  maréchal  de  Biron  le  reste  de  son  armée. 
La  Noue  eut  ordre  de  se  jeter  dans  Château-Thierry,  et  d'empêcher  a 
tout  prix  que  Tennemi  ne  s'en  emparât.  Les  autres  villes  royalistes,  qui 
se  trouvaient  sur  le  passage  des  Espagnols,  reçurent  également  des 
renforts,  et  le  roi  se  chargea  de  suivre  le  duc  et  de  lui  donner  assez 
d'occupation  pour  l'empêcher  de  s'arrêter  a  faire  des  sièges. 

Pendant  que  Sa  Majesté  chevauchait  ainsi  pour  la  gloire  et  pour  le 
salut  de  sa  cor.ronne,  «  ce  fut,  dit  Thislorien  Matthieu,  la  première 
occasion  qu'eut  ce  bon  prince  de  voir  la  belle  Gabrieile,  dont  quelques- 
uns  de  ses  courtisans  lui  avaient  vanté  la  bonne  grâce  et  la  grande 
beauté.  En  passant  a  Cœuvres,  il  s'arrêta  a  la  porte  du  château;  mais, 
pour  ne  pas  donner  de  soupçons  au  père,  il  se  contenta  de  prendre  de 
la  main  de  cette  jeune  dame  du  pain  et  du  beurre,  sans  entrer  ;  puis, 
remontant  a  cheval  :  «  Ma  belle  dainoiselle,  dit-il,  je  vais  céans  vers 
«  l'ennemi,  et  vous  entendrez  parler  sous  peu  de  ce  que  j'aurai  fait 
«  pour  l'amour  de  votre  incomparable  beauté.  »  (Mattihku,  Vie  de 
Henri  1\\  t.  Il,  p.  59.) 

Ce  fut  le  vingt-troisième  jour  de  novembre  qu'il  atteignit  et  tailla  en 
pièces  une  partie  de  l'arrière-garde  espagnole.  Après  cet  exploit,  il  se 
retrancha  dans  le  village  de  Longueval,  où  la  cavalerie  de  Flandre,  en- 
voyée au  secours  de  ceux  qu'il  venait  de  battre,  vint  donner  des  coups 
de  lance  jusque  dans  les  portes;  mais  elle  fut  reçue  par  une  salve  de 
mousqueterie  qui  la  contraignit  bienlê)t  a  tourner  bride. 

En  ce  moment,  le  roi  fut  rejoint  par  Monsieur  le  duc  de  Nevers, 
avec  cinq  cents  chevaux,  et  par  le  sieur  de  Givry,  qui  après  avoir  repris 
Corbeil,  comme  on  l'a  vu,  lui  amenait  la  garnison  de  Melun.  Se  trou- 
vant alors  a  la  tête  de  deux  mille  chevaux  et  de  mille  arquebusiers, 
il  résolut  de  couper  et  d'enlever  toute  l'arrière-garde  du  duc  de 
Parme  ;  ce  qu'il  aurait  en  elîet  exécuté,  si  le  hasard  ne  fût  venu 
déranger  son  plan.  Deux  canons  du  duc  étant  demeurés  embourbés  dans 
un  mauvais  chemin,  l'armée,  qui  ne  voulait  pas  les  abandonner,  revint 
toute  entière  sur  ses  pas,  et  Henri  n'osa  rien  tenter  en  présence  de  forces 
aussi  supérieures  aux  siennes.  (Cavet,  uhi  sup.) 

Mais,  dès  le  lendemain,  ayant  fait  pendant  la  nuit  une  marche  forcée 
avec  une  partie  de  sa  cavalerie,  il  tomba  inopinément  sur  l'avant-garde, 
au  m.oment  où  elle  débouchait  par  le  chemin  de  Marie  pour  gagner  le 
lieu  nommé  «  l'arbre  de  Guise  »,  au  passage  de  la  rivière  d'Aisne,  Le 
jeune  Biron,  qui  conspira  depuis  contre  Henri   ÏV,   se  trouva  tellement 


DU  rUOÏESTANTISME  EN  FRANCE.  139 

engagé  par  suite  de  rimpétuosilé  avec  laquelle  il  chargea  rcnneini,  que 
si  le  roi,  avec  les  genlilslioiumes  de  sa  suite,  ne  fût  venu  lui-même  au 
secours  de  cet  imprudent,  «  il  ne  s'en  fût  jamais  retiré.  »  Le  choc  tut  si 
soudain  et  si  vif,  que  toute  cette  troupe  espagnole,  ayant  été  de  prime 
ahord  mise  en  désordre,  se  sauva  vers  le  gros  de  l'armée,  laissant  ses 
morts  tout  armés  sur  la  place,  ainsi  qu'une  quantité  de  bagages  et  de 
chariots.  Si  le  roi  eut  eu  là  tout  son  monde  avec  lui,  il  est  probable 
(ju'il  eût  pu  couper  alors  le  passage  au  duc  de  Parme,  et  peut-être 
anéantir  son  armée;  du  moins,  s'il  le  laissa  passer,  il  l'avait  empêché  de 
rien  entreprendre  dans  sa  retraite,  et  la  vivacité  avec  laquelle  il  lavait 
poursuivi  avait  obligé  ce  prince  à  faire  de  si  grandes  journées  qu'il 
laissait  derrière  lui  une  longue  lile  de  ceux  des  siens  qui  ne  pouvaient 
marcher,  ainsi  que  la  plus  grande  partie  de  ses  bagages,  dont  les  paysans 
prolitèrent.  {Économie.'^  royales  de  Sully,  t.  II,  ch.  i.) 

Arrivé  'a  la  frontière,  le  duc  lit  le  partage  de  son  armée  conformé- 
ment au  plan  qui  avait  été  arrêté  entre  lui  et  l'ambassadeur  Mendoce. 
11  ne  laissa  à  Mayenne  qu'un  corps  de  huit  mille  hommes,  et  ayant 
rangé  cette  troupe  en  bataille,  il  fit  cette  allocution  légèrement  em- 
preinte de  la  braverie  castillane  :  «  Je  ne  viens  pas  ici  vous  rappeler  la 
gloire  que  vous  avez  si  récemment  acquise  par  la  délivrance  de  Paris,  et 
par  tous  les  autres  exploits  que  vous  avez  accomplis  en  France.  Je  ne 
veux  que  vous  engager  'a  conserver  l'honneur  justement  dû  'a  ces  pre- 
miers succès,  en  continuant  de  vous  montrer  Mdèles  a  Dieu,  'a  la  sainte 
Église  et  au  roi  catholique,  notre  souverain.  Je  ne  doute  point  que  sous 
peu  vous  ne  remettiez  la  France  en  liberté,  sous  l'obéissance  du  Saint- 
iègc  apostolique  ;  mais  si  pourtant  l'hérésie  parvenait  à  résister  à  vos 
limes,  comptez  que  je  ne  vous  laisserai  pas  manquer  de  secours.  S'il 
était  besoin  (|ue  je  revienne  en  personne  vous  aider  a  achever  ce  que 
nous  avons  si  glorieusement  commencé  ensemble,  je  ne  ferai  faute  de 
m'y  acheminer;  car  je  vous  affirme  qu'il  n'y  a  chose  au  monde  'a  laquelle 
Sa  Majesté  catholique,  notre  bien-aimé  monarque,  tienne  plus,  qu'à  voir 
diu'ant  sa  vie  exterminer  l'hérésie  et  les  hérétiques,  contre  lesquels, 
pour  le  devoir  de  sa  dignité,  il  est  bien  résolu  d'employer  tous  ses 
moyens  et  toute  sa  puissance.  »  (Cavet,  tibi  sup.) 

«  Quant  à  vous.  Messieurs  les  catholiques  français,  ajouta-t-il  en 
s'adressant  au  duc  de  Mayenne  et  aux  autres  seigneurs  du  parti  qui 
assistaient  à  cette  espèce  de  revue,  je  compte  que  vous  n'oublierez  pas  que 
les  braves  (jue  je  vous  laisse  pour  vous  aider  sont  un  secours  que  vous 
(levez  uniquement  à  la  générosité  de  mon  noble  maître,  le  puissant  roi 
des  Espagnes,  et  que  vous  aurez  pour  chacun  d'eux  tous  les  égards  et 
tous  les  soins  dus  à  une  aussi  haute  protection,  dont  l'uniquecause,  je 
vous  le  répète,  est  l'intérêt  sacré  de  notre  Sainte  Religion.  » 

Ensuite,  prenant  à  part  le  duc  de  Mayenne,  il  lui  conseilla  d'entre- 
t(Miir  toujours  le  roi  par  (piehiue  ouverture  de  paix  oii  de  trêve,  et  de 
1  amuser  parce  moyen,  afin  de  l'empêcher  de  rien  entreprendre  pendant 
cet  hiver,  «  car  j'ai  reconnu,   dit-il,  que    votre   Béarnais    use  plus  de 


140  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

bottes  que  de  souliers,  et  qu'on  le  ruinera  plutôt  par  délaiemenls  que 
par  la  force.  » 

Le  duc  de  Parme,  après  avoir  ainsi  réglé  les  choses,  s'achemina 
droit  à  Bruxelles,  où  il  trouva  que  le  prince  Maurice,  pendant  son  absence, 
lui  avait  taillé  une  grande  besogne.  Mais  cette  partie  de  l'histoire  n'ap- 
partenant plus  au  plan  que  je  me  suis  tracé,  je  crois  devoir  la  laisser  a 
l'écart,  sauf  à  en  rappeler  par  la  suite  ce  qui  pourrait  contribuer  à 
rendre  mes  récits  plus  faciles  à  comprendre. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  141 


CHAPITRE    VII 


1590  ET  1591.  —  ARGUMENT  :  le  hoi  a  saint-quentin. 

l'niSE    DE    CORBIE.    —    LE   ROI    A     SENLIS.    —    MATIGNON    EN    GUYENNE. 

LES   JÉSUITES.    —   LE   PARLEMENT   DE   BORDEAUX.   —   TROUBLES   EN    CHAMPAGNE. 

LES    LIGUEURS    PRENNENT   VILLEFRANCIIE.    —    JOYEUSE     EST    REPOUSSÉ    A     TROYES. 

SUCCÈS   DE   LA   LIGUE   EN    POITOU.    —   LE   CAPITAINE   LA   GUERCIIE. 

MARGUERITE   DE   COLIGNY.    —   LE    DUC   DE   SAVOIE   PREND    DRAGUIGNAN. 

SON     ENTRÉE   A    AIX.   —    MARSEILLE    L'aPPELLE.    —    LESDIGUIÈRES    PREND    GRENOBLE. 

MAURICE   FAIT   ALLIANCE    AVEC    LE   ROI.    —    ÉLIZABETII    LUI    ENVOIE   DES   TROUPES. 

D'aUMALE   tué   a   l'attaque   de   SAINT-DENIS. 

LE   ROI   TENTE   INUTILEMENT   DE   SURPRENDRE   PARIS. 

ENVOI   d'un   NONCE   EN    FRANCE.    —   SIÈGE    DE   CHARTRES. 

INTRIGUES   DU    CARDINAL    DE   VENDÔME.    —    LE    TIERS   PARTI.    —    CHARTRES   CAPITULE. 

MORT   DE   CHATILLON. 


Le  roi,  de  son  côté,  retourna  vers  Saint-Quentin,  où  il  entra  comme 
en  triomphe.  Le  peuple  lui  savait  gré  d'avoir  chassé  l'étranger  du  sol  de 
la  patrie,  et  s'il  n'avait  pu  le  vaincre,  de  l'avoir  du  moins  empêché  de 
s'y  établir.  Ce  qui  augmenta  encore  la  joie  publique  fut  l'heureuse  nou- 
velle de  la  prise  de  Corbie,  qu'on  reçut  presque  en  même  temps.  Cette 
ville,  située  sur  la  Somme,  a  quatre  lieues  au-dessus  d'Amiens,  est  fa- 
meuse par  une  ancienne  abbaye,  fondée,  dit-on,  par  sainte  Bathilde, 
reine  de  France,  et  par  son  fils,  le  roi  Mérovingien  Clotairc  III.  C'était 
alors  une  place  importante  et  bien  fortifiée;  aussi,  sorf  gouverneur  le 
seigneur  de  Bellefouriére,  s'étant  déclaré  pour  la  Ligue,  le  feu  roi  avait 
tout  tenté  inutilement  pour  le  rappeler  a  son  parti.  (Moiiéri,  verbo 
Corbie.) 

Charles  d'IIumières,  lieutenant  du  duc  de  Longuevillc,  se  mit  en 
route  pour  attaquer  celte  place  dans  la  nuit  du  dixième  jour  de  dé- 
cembre. Malgré  toutes  les  précautions  qu'il  avait  prises  pour  tenir  sa 
marche  secrète,  il  trouva  sur  son  passage  tout  le  pays  soulevé  par  le 
tocsin  qu'on  sonnait  avec  fureur  dans  chaque  village,  ce  qui  ne  l'empê- 
cha pas  cependant  de  poursuivre  son  entreprise,  et  il  arriva,  une  heure 
environ  avant  le  jour,  sous  les  murs  de  la  dite  ville.  Tous  les  habitants, 
avertis  de  son  approche,  se  tenaient  en  armes  sur  leurs  remparts,  à  la 
lueur  de  grands  feux  qu'ils  avaient  allumés.  Par  le  moyen  du  pétard, 
d'IIumières  fit  sauter  la  grille  de  fer  du  canal  qui  sort  au-dessous  de  la 


-142  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

ville  ;  la  gelée,  qui  avait  glacé  Teau  de  ce  canal,  lui  fournit  le  moyen 
d'introduire  par  la  son  infanterie,  et  comme  les  assiégés  accouraient  en 
bon  ordre,  ayant  leur  gouverneur  a  leur  tête,  le  combat  fut  sanglant  et 
dura  trois  beures;  mais,  a  la  fin,  le  gouverneur  ayant  été  tué,  la  ville 
fut  gagnée  et  livrée  au  pillage.  La  garnison  tout  entière  fut  passée  au 
fil  de  répée,  et  la  précieuse  bibliothèque  de  l'abbaye,  qui  contenait  un 
grand  nombre  de  livres  et  de  manuscrits  curieux,  fut  entièrement  dévastée 
et  perdue.  (Davila,  t.  III,  liv.  il,  p.  125.) 

Henri  se  rendit  ensuite  à  Senlis.  Ce  fut  la  qu'il  donna  audience  à 
Daffis,  premier  président  du  parlement  de  Bordeaux,  qui,  accompagné  de 
deux  conseillers  de  cette  cour,  venait  en  dépulation  auprès  de  Sa 
Majesté,  pour  lui  apporter  l'adhésion  et  les  remontrances  de  sa  com- 
pagnie. (De  Tiiou,  t.  XI,  liv.  99,  p.  224  et  suiv.) 

Le  maréchal  de  Matignon  était  parvenu  a  maintenir  cette  capitale  de 
la  Guyenne,  ainsi  que  la  plus  grande  partie  de  la  province,  sous  l'obéis- 
sance du  roi,  malgré  les  tentatives  des  Pères  de  la  Société  de  Jésus.  Ces 
religieux,  (|U!  se  disaient  suscités  de  Dieu  lui-même  pour  la  défense  de 
l'Église  et  pour  combattre  l'hérésie  nouvelle,  avaient  été  forcés  d'abord 
de  se  réfugier  ÎJ  Agen  et  à  Périgueux,  villes  du  parti  de  la  Ligue,  par  les 
magistrats  royalistes  de  Bordeaux,  qui  avaient  trouvé  que  leur  manière 
de  défendre  ce  qu'ils  appelaient  la  bonne  cause  ne  servait  qu'a  entre- 
tenir les  troubles  et  la  discorde  dans  la  cité;  mais,  loin  de  se  croire 
battus,  ils  continuaient,  par  des  émissaires  secrets,  à  gagner  les  âmes  a 
leur  parti.  Bien  des  gens  étaient  donc  fort  mal  disposés  contre  le  roi 
par  les  soins  de  ces  bons  Pères.  Pourtant  personne  n'osa  bouger,  grâce 
a  la  terreur  qu'inspirait  Matignon,  lequel,  ainsi  qu'on  l'a  vu  plus  haut, 
avait  eu  le  bon  esprit  de  s'emparer  du  château  Trompette. 

Restait  au  maréchal  a  gagner  aussi  le  parlement.  La  vieille  haine  de 
ce  corps  contre  les  protestants  retombait  naturellement  sur  le  roi,  qui 
suivait  leurs  doctrines,  et  le  crédit  que  celte  noblesse  de  robe  avait 
acquis  sur  les  peuples  ne  permettait  pas  d'agir  trop  brusquement  a  son 
égard.  Matignon,  avec  ses  ruses,  sa  prudence  et  son  sang-froid^  était 
précisément  l'homme  que  demandaient  les  circonstances. 

Il  commença  par  gagner  le  maître  des  requêtes.  Gomme  celui-ci 
était  dépositaire  du  sceau  du  parlement,  il  le  décida  a  faire  fondre  ce 
sceau,  lequel'  était  toujours  celui  de  Henri  III,  et  à  en  faire  faire  un 
nouveau  au  nom  de  Henri  IV,  roi  de  France  et  de  Navarre.  D'abord,  le 
parlement  ne  voulut  pas  admettre  les  lettres  et  les  actes  scellés  de  ce 
nouveau  sceau;  et  a  la  requête  de  son  procureur  général,  il  donna 
même  une  sentence  d'ajournement  personnel  contre  le  maître  des 
requêtes.  Alors  Matignon  intervint.  Sous  divers  prétextes,  il  éloigna 
ceux  des  membres  de  la  cour  qu'il  savait  être  les  plus  entêtés  dans  leur 
opposition  ;  il  gagna  habilement  les  autres  en  leur  représentant  qu'il 
devenait  en  effet  ridicule  de  mentionner  le  nom  d'un  roi  qui  n'était 
plus,  quand  son  successeur  légitime  suivant  les  lois  du  royaume  était 
déjà   sur   le  trône,  et  il  obtint  un  arrêt  ordonnant  que  dans  tout  le 


DU  niOTESTANTISME  EN  FRANCE.  143 

ressort  du  dit    parlement  les  actes   publics  n'auraient  d'autorité  qu'au- 
tant qu'ils  seraient  scellés  du  nouveau  sceau  royal. 

Alin  de  n'avoir  pas  l'air  pourtant  de  mettre  tout  a  fait  de  côté  les 
intérêts  de  la  foi,  la  cour  avait  arrêté  que  son  premier  président,  Daflis, 
partirait  incessamment  pour  aller  exhorter  le  roi  a  abjurer  l'hérésie  et  'a 
tenir  les  promesses  qu'il  avait  faites  aux  catholiques,  et  c'est  cette  dépu- 
talion  que  Henri  eut  a  recevoir 'a  son  arrivée  a  Senlis. 

Sa  Majesté  répondit  qu'elle  prenait  en  bonne  part  les  remontrances 
de  son  fidèle  et  bien-aimé  parlement  de  Bordeaux,  et  ([u'aussitot  que  les 
perturbateurs  de  l'État  lui  laisseraient  le  loisir  de  s'occuper  de  cette 
importante  affaire,  elle  était  bien  décidée  à  convoquer  un  concile 
national,  et  'a  se  soumettre  'a  la  décision  qui  émanerait  de  cette 
assemblée. 

Dans  ce  même  temps,  le  roi  congédia  le  duc  de  Nevers,  car  il  venait 
d'apprendre  que  dans  la  province  de  Champagne,  dont  ce  seigneur  avait 
le  gouvernement,  le  duc  de  Lorraine  et  le  parti  des  Guises  faisaient 
chaijue  jour  de  nouveaux  progrès.  Le  capitaine  Saint-Paul  était  même 
venu  mettre  le  siège  devant  Villefranche,  place  frontière  sur  la  Meuse  et 
soigneusement  fortifiée.  Le  premier  soin  du  duc  de  Nevers  fut  de  se 
porter  au  secours  de  cette  ville;  mais  au  moment  on  il  arrivait  avec  ses 
troupes,  il  apprit  (jue  le  gouverneur,  par  lâcheté  ou  |)ar  trahison,  avait 
déjà  livré  les  portes  a  l'ennemi,  saris  attendre  même  que  la  brèche  fût 
ouverte.  Le  duc  fut  obligé  de  revenir  sur  ses  pas,  après  avoir  perdu  inu- 
tilement quelques-uns  de  ses  plus  braves  soldats,  en  tentant  de  reprendre 
la  ville. 

Les  entreprises  des  royalistes  ne  devaient  pas,  cette  année,  être 
heureuses  en  Champagne.  Il  y  avait  longtemps  déjà  qu'ils  se  propo- 
saient do  reprendre  la  ville  de  Troyes,  capitale  de  la  province,  et  qui, 
s'étant  hautement,  dès  le  commencement,  déclarée  pour  la  Ligue,  avait 
reconnu  pour  commandant  Claude  de  Lorraine,  prince  de  Joinville. 
Joyeuse  de  Torlerone,  désireux  de  signaler  par  un  coup  d'éclat  son 
attachement  au  parti  du  roi,  assembla  aux  moulins  de  Fourchi  un  grand 
nombre  de  seigneurs  et  de  gens  de  ce  parti.  Il  en  fit  déguiser  quelques- 
uns  en  vendangeurs,  et  les  envoya  passer  sur  la  contrescarpe  des  fossés 
en  chantant  des  vaux-de-vire,  espèce  de  chanson  devenue  depuis  peu 
fort  en  vogue,  parmi  les  buveurs  de  la  Champagne  et  de  la  Bourgogne. 
Ces  hommes  avaient  ordre  de  remarquer  si  la  garde  des  remparts  se 
faisait  régulièrement.  Sur  le  rapport  (|u'ils  firent  (juils  n'avaient  pas 
même  vu  de  sentinelles,  Joyeuse,  profilant  d'une  nuit  obscure,  s'en  vint 
faire  planter  des  échelles  a  l'endroit  qu'on  nomme  les  Moulins-Brûlés  et 
(pii  était  en  effet  le  plus  désert  de  la  ville.  (Mi:/i:uav,  t.  III,  p.  8i4.) 

Cent  cinquante  de  ses  soldats,  armés  de  corselets,  de  haches  et  de 
marteaux,  s'introduisirent  par  l'a  dans  la  place,  et  vinrent  briser  la  porte 
Saint-Jacques,  par  où  les  reilres  royalistes  ainsi  (|ue  la  cavalerie  purent 
entrer  de  plain-pied.  Tout  ce  mi)nde,  qui  pouvait  bien  monter  a  sept 
ou  huit  cents  hommes,  se  répandit  incontinent  dans  la  rue  Saint-Pierre 


i44  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

et  devant  révêché,  où  logeait  Monseigneur  le  prince.de  Joinville.  Aux 
cris  de  «  Vive  le  roi  !  »  on  arbora  un  drapeau  blanc. 

Joinville,  surpris  par  celte  attaque  inopinée,  n'eut  que  le  temps  de  se 
sauver  dans  la  sacristie  de  l'église  de  Saint-Pierre,  pendant  qu'on  criait 
c(  Aux  armes!  »  par  toute  la  ville.  Soudain,  les  bourgeois  s'attroupent, 
barricadent  les  rues  et  reviennent  fermer  la  porte  Saint-Jacques,  qui 
avait  donné  entrée  aux  assaillante,  et  que  ceux-ci  n'avaient  pas  eu  la 
précaution  de  (aire  garder.  L'épouvante  se  mit  aussitôt  parmi  les  roya- 
listes, qui  ,se  voyant  coupés,  cherchèrent,  les  uns  'a  se  retirer  dans  l'évê- 
ché,  et  les  autres  a  se  renfermer  dans  l'église.  Les  plus  courageux  tentent 
de  s'ouvrir  de  force  le  passage  par  lequel  ils  s'étaient  introduits;  mais 
partout  ils  rencontrent  des  hommes  armés  qui  les  repoussent. 

Le  doyen  de  Saint-Etienne,  Jean  Tartier,  se  mit  lui-même  'a  la  tête  de 
ses  paroissiens;  et  l'épée  a  la  main,  il  les  excitait  et  les  encourageait 
à  repousser  l'ennemi.  Par  malheur,  un  coup  d'escopette,  parti  de  la 
main  d'un  royaliste,  étendit  ce  prêtre  belliqueux  raide  mort  sur  le  pavé 
de  la  rue  :  ce  fut  le  signal  d'un  massacre  épouvantable.  En  un  moment, 
plus  de  deux  cents  des  soldats  de  Joyeuse  sont  tués  ou  mis  hors  de 
combat  par  une  terrible  décharge  qui  pleut  sur  eux  de  tous  les  côtés. 
Ceux  qui  eurent  le  bonheur  d'échapper  a  ce  premier  feu  se  sauvèrent 
jusqu'il  Sainte-Maure,  qui  est  a  près  de  deux  lieues  de  l'a;  mais,  pour 
ceux  qui  se  rendirent  prisonniers,  ils  furent  tous  impitoyablement  égorgés 
par  la  populace,  devenue  furieuse  par  suite  de  la  mort  de  son  curé. 

La  Ligue  venait  aussi  d'obtenir  des  succès  en  Poitou.  La  Guerche, 
l'un  des  principaux  chefs  du  parti  dans  cette  province,  venait  de  forcer 
la  ville  et  le  château  de  Mircbcau,  appartenant  au  duc  de  Montpensier. 
Peu  s'en  fallut  même  que  ce  chef  aussi  rusé  qu'entreprenant, 
ne  s'emparât  du  maréchal  d'Aumont  et  de  Duplessis-Mornay,  que  le  roi 
avait  envoyés  dans  ces  contrées  pour  y  soutenir  son  parti.  La  Guerche 
leur  écrivit  qu'il  était  tout  décidé  a  faire  sa  soumission  'a  Sa  Majesté, 
et  que  voulant  signaler  son  zèle  'a  cette  occasion,  il  méditait  de 
remettre  entre  les  mains  du  monarque  l'importante  ville  de  Poitiers; 
«  mais,  ajoutait-il,  je  crains  que  mon  autorité  ne  soit  pas  encore  assez 
bien  établie  auprès  des  royalistes  qui  sont  dans  cette  ville,  et  qu'ils 
hésitent  'a  me  prêter  leur  concours,  dont  je  ne  puis  pourtant  me  passer. 
Votre  présence  les  déciderait  sans  contredit,  et  je  puis  vous  intro- 
duire secrètement  dans  nos  murs.  »  Les  deux  chefs  royalistes  se  dispo- 
saient en  effet  a  se  rendre  a  cette  invitation,  quand  heureusement 
ils  furent  avertis  que  ce  n'était  qu'une  perfidie  pour  les  entraîner  dans 
un  piège. 

«  Je  crois  pouvoir  passer  sous  silence  beaucoup  d'autres  sièges  de 
places,  de  rencontres  et  d'entreprises,  »  qui  eurent  lieu  dans  diverses 
provinces,  car  tous  ces  faits  présentent  partout  le  même  caractère  et  ne 
serviraient  guère  qu'à  allonger  indéfiniment  mes  récits.  Je  ne  saurais 
pourtant  omettre  ici  l'action  héroïque  de  Marguerite  d'Ailly,  épouse  de 
François  de  Coligny,  que  nous  avons  vu  se  montrer  l'un  des  chefs  les 


DU  PR0'l'l':STAiNTlt5MI':  EN  FllANCE.  145 

plus  lidèlcs  el  les  plus  ciilreprenaïUs  de  rannée  du  roi.  (Mk/liiav, 
ubi  sup.) 

Prolilanl  do  rabscncc  de  ce  seigneur,  le  gouverneur  de  Monlargis, 
(|ui  tenait  pour  la  Ligue,  vint  assiéger  .^largueritc,  dans  son  château  de 
Chàtillon-sur-Loing,  où  elle  Taisait  sa  résidence.  Déjà  le  bourg  qui  s'étend 
au  |)ied  du  cliàleau  était  pris,  et  lennenii  avait  même  pénétré  dans  les 
cours  extérieures.  .Madame  de  Coligny  rassembla  ses  domesti((ues,  se  mit 
elle-même  à  leur  tête  et  lit  une  sortie  avec  un  tel  courage,  qu'après 
avoir  tué  un  grand  nombre  des  assaillants,  elle  repoussa  les  autres, 
tout  en  désordre,  bien  au  delà  du  bourg,  leur  reprit  le  butin  qu'ils 
avaient  déjà  chargé  sur  des  charrettes,  et  lit  de  plus  prisonnier  le  gou- 
verneur de  Monlargis. 

Cependant  le  roi  Henri  IV  était  revenu  a  Manies,  où  il  n'était  pas 
moins  embarrassé  pour  retenir  dans  son  parti  ceux  des  seigneurs  catlio- 
li(|ues  qui  Tavaient  déjà  reconnu,  que  |)Our  ne  pas  cho(|uer  la  suscepti- 
bilité des  protestants,  aux(]uels  il  devait  déjà  tant,  et  qui  avaient  fait  sa 
principale  force  dans  des  temps  diflicileSo  Aux  premiers,  il  avait  promis 
dès  Tannée  précédente,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  de  se  laire  instruire  dans  leur 
religion.  Jusque-la  il  avait  pu  dilférer  l'exécution  de  cette  promesse  assez 
souvent  renouvelée;  les  grands  événements  qui  l'avaient  occupé  lui 
avaient  fourni  une  excuse  toute  naturelle;  mais  maintenant,  on  commen- 
çait a  lui  rappeler  assez  librement  que  le  temps  était  venu  où  il  ne  pou- 
vait plus  dilférer  de  donner  satisfaction  'a  ceux  qui  ne  s'étaient  ralliés  a 
lui  (lu'a  condition  qu'il  abjurerait  l'bérésie.  Quant  aux  buguenots,  était- 
il  possible  que  sans  ingratitude  il  se  séparât  d'eux,  qui,  l'ayant  reconnu 
pour  le  chef  et  l'espoir  de  leur  église,  lui  avaient,  en  cette  qualité,  consa- 
cré leurs  fortunes  et  leurs  vies?  (Davila,  t.  III,  liv.  XI,  p.  127.) 

Il  fallait  cependant  mécontenter  l'un  ou  l'autre  parti.  Le  roi  chercha 
d'abord  a  apaiser  celui  des  deux  qui  lui  semblait  le  plus  puissant,  en  lui 
faisant  une  première  concession  ;  et  le  dixième  jour  de  novembre,  il 
donna  une  déclaration,  enregistrée  dix  jours  après  au  parlement  séant  a 
Tours,  par  laquelle  il  révoquait  les  chambres  établies  dans  diverses  pro- 
vinces par  le  feu  roi,  au  commencement  de  ces  troubles,  pour  juger  des 
afl'aires  des  protestants.  La  connaissance  de  ces  affaires  était  rendue  aux 
anciens  tribunaux  et  aux  parlements  dans  le  ressort  des(iuels  les  parties 
habitaient.  Si  cette  nouvelle  disposition  donna  quebiue  satisfaction  aux 
catholiques,  les  huguenots  de  leur  côté  s'en  plaignirent  amèrement  et 
commencèrent  'a  s'apercevoir  que  le  vent  de  la  faveur  d'un  prince,  au- 
(|uel  ils  avaient  en  quelque  sorte  servi  de  marchepied,  ir'  soidïlait  plus 
de  leur  côté.  (De  Tnou,  ubi  sup.) 

Sur  ces  entrefaites,  le  duc  de  Savoie,  quoiqu'il  comptât  beaucoup 
plus  sur  les  intrigues  et  sur  les  intelligences  secrètes  (juil  avait  avec 
les  Ligueurs  que  sur  ses  forces,  venait  de  mettre  sur  pied  une  nouvelle 
armée,  pour  laquelle  le  roi  d'Espagne,  son  beau-|)ère,  lui  avait  tout  a  la 
lois  fourni  des  fonds  et  des  soldats.  Il  était  parti  de  Nice,  et,  prenant  la 
route  de  Provence,  le  long  des  côtes,  il  arriva  a  Anlibes,  d'où  il  alla,  au 
IV.  10 


146  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

commencement  d'octobre,  se  rendre  maître  deFréjus,  siège  d'un  évêché 
fort  ancien.  Ensuite,  il  prit  Draguignan  et  quelques  autres  petites  places 
des  environs. 

Pour  lors,  la  ville  d'Aix,  qui  était  devenne  pour  ainsi  dire  le  quartier 
général  de  tous  les  factieux  de  la  Provence,  envoya  en  députation  a  ce 
prince,  Eléazar  Rastel,  évéque  de  Riez,  pour  le  prier  de  venir  prendre 
leur  ville  sous  sa  protection,  afin  de  la  mettre  a  couvert  de  l'invasion  et 
de  la  tyrannie  des  hérétiques.  «  Daignez,  lui  dit  le  bon  évéque  avec 
onction,  venir  consoler  nos  peuples  par  votre  présence,  et  répandre  sur 
notre  cité  les  rayons  de  votre  gloire.  »  (Mézerav,  t.  III,  p.  84i.) 

Le  duc,  qui  ne  demandait  pas  mieux  que  d'accueillir  une  semblable 
proposition,  loua  très-fort  la  sagesse  et  le  zèle  des  bons  catholiques 
d'Aix,  et  il  assura  leur  vénérable  député  qu'il  était  bien  résolu  de 
répondre  a  la  confiance  qu'on  avait  en  lui,  aux  dépens  même  de  ses 
propres  Etats  et  de  sa  vie.  Il  ajouta  qu'il  allait  immédiatement 
prendre  les  mesures  nécessaires  pour  se  rendre  aux  vœux  qu'on  lui 
manifestait  si  honorablement;  puis  il  renvoya  l'évéque  comblé  de  ca- 
resses et  de  présents. 

La  ville  d'Aix  se  prépara  donc  a  recevoir  avec  toutes  sortes  d'hon- 
neurs le  prince  étranger  qui  voulait  bien  lui  faire  la  grâce  de  s'y  établir 
en  maître;  mais  ceux  de  ses  habitants  qui. conservaient  encore  quelques 
sentiments  patriotiques  au  fond  du  cœur  étaient  indignés  de  voir  qu'à  la 
honte  de  la  nation,  une  ville  française  voulût  se  livrer  si  lâchement  et  si 
imprudemment  â  l'ennemi  de  la  France.  De  son  côté,  le  duc,  qui  ne 
savait  trop  jusqu'à  quel  point  il  pouvait  compter  sur  les  propositions  si 
inespérées  qu'on  lui  avait  envoyé  faire,  ne  s'approchait  que  lentement, 
étant  bien  aise  de  voir  comment  les  affaires  tourneraient,  avant  de 
hasarder  sa  personne  dans  une  ville  où  il  était  bien  possible  qu'il  trou- 
vât encore  beaucoup  d'ennemis. 

En  effet,  le  comte  de  Carces,  qui  était  revenu  à  Aix  après  sa  retraite 
de  devant  Salon,  tout  attaché  qu'il  fût  à  la  Ligue,  tenait  encore  plus  à 
ses  intérêts  particuliers;  et  il  était  évident  qu'il  allait  déchoir  du  rang 
dont  les  circonstances  l'avaient  mis  en  possession,  si  le  prince  savoyard 
entrait  une  fois  à  Aix,  en  qualité  de  protecteur  des  catholiques.  Aussi 
mettait-il  tout  en  usage  pour  empêcher  que  cette  entrée  n'eût  lieu.  A  la 
fin  pourtant,  voyant  ses  efforts  devenus  inutiles,  il  prit  le  parti  de 
se  retirer  lui-même,  et  le  duc,  bien  sûr  alors  que  son  parti  était  le  plus 
fort,  n'hésita  plus  à  faire  son  entrée,  laquelle  eut  lieu  le  quatorzième 
jour  de  novembre. 

Il  fut  reçu  par  tous  les  ordres  de  la  ville  qui  lui  présentèrent  même 
le  dais,  comme  à  un  souverain  reconnu  ;  mais  il  eut  la  modestie  de  le 
refuser,  en  disant  aux  habitants  qu'il  fallait  réserver  cet  honneur  pour  le 
roi  que  le  ciel  leur  destinait.  Il  sentait  qu'il  avait  à  ménager  la  suscep- 
tibilité du  roi  d'Espagne,  qui  avait,  lui  aussi,  ses  vues  particulières  sur  la 
couronne  de  France.  Cela  pourtant  n'empêcha  pas  qu'il  ne  trouvât  par- 
tout sur  son  passage  des  arcs-de-triomphe  ornés  de  ses  armes  et  de  ses 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  147 

devises,  «  et  que  cin(|  cents  petits  enfants  des  principales  (amilles  de  la 
ville,  tons  vêtus  de  tadelas  jaune  et  portant  des  handeroles,  ne  mar- 
chassent devant  lui,  en  criant  :  «  \ive  Son   Altesse!   vive  la  messe!   » 

(Ml'ZKHAY,   llbi  Slip.) 

Le  lendemain,  le  duc  se  rendit  au  palais,  où  tons  les  membres  du 
l)arlenient,  après  être  venus  lui  baiser  la  main  chacun  selon  son  rang  et 
sa  dignité,  le  proclamèrent  prolecteur  et  gouverneur  général  de  la  pro- 
vince, ce  (]ui  ne  plut  pas  beaucoup  a  Mayenne,  quand  il  apprit  cette  nou- 
velle ;  car  il  voyait  Ta  surgir,  dans  les  provinces  du  Midi,  un  nouveau 
compétiteur  a  son  titre  de  lieutenant  général  des  États  de  France,  et  il  ne 
se  sentait  guère  de  force  a  lutter  contre  ce  nouveau  venu,  qui  avait  pour 
lui  Tappui  de  l'Espagne. 

Presque  au  môme  instant  le  duc  de  Savoie  recevait  une  députation 
des  Ligueurs  de  Marseille,  qui  le  priaient  de  vouloir  bien  aussi  se  rendre 
dans  leur  ville  et  la  prendre  également  sous  sa  protection  ;  mais  comme 
il  savait  (jue  tous  les  Marseillais  ne  partageaient  pas  cet  avis,  en  homme 
prudent,  il  répondit  que  la  nécessité  des  affaires  dont  il  venait  de  se 
charger  a  .\ix  ne  lui  permettait  pas  pour  le  moment  de  se  rendre  à  leurs 
désirs. 

Lesdiguières  revenait  alors  de  son  expédition  de  Provence.  Son  pre- 
mier soin  avait  été  de  reprendre  le  siège  de  Grenoble,  et  il  avait  assis  son 
camp  au  bourg  de  Saint-Laurent.  D'Albigny,  gouverneur  pour  la  Ligue 
de  la  place  assiégée,  avait  mis  tout  en  œuvre  pour  détourner  les  habi- 
tants d'une  capitulation  qui  devenait  de  jour  en  jour  plus  nécessaire  ; 
car,  par  le  moyen  des  forts  dont  les  huguenots  l'avaient  entourée,  Gre- 
noble était  déjà  réduite  aux  dernières  extrémités  de  la  disette.  Malgré  ce 
gouverneur  obstiné,  on  convint  avec  Lesdiguières  que  la  religion  catho- 
lique, apostolique  et  romaine  continuerait  d'être  exercée  librement,  tant 
dans  la  ville  que  dans  les  faubourgs  ;  que  les  ecclésiastiques  conserve- 
raient tous  leurs  droits  et  prérogatives;  que  le  culte  protestant  ne  pour- 
rait tenir  ses  prêches  que  dans  le  faubourg  de  Trécloître,  et  (|ue  tous  les 
habitants  prêteraient  serment  de  fidélité  a  Henri  IV,  roi  de  France  et  de 
Navarre.  (Df.  Thou,  ubi  siip.) 

Ceux  pourtant  a  qui  la  conscience  ne  permettrait  pas  de  prêter  un 
pareil  serment  se  réservaient  la  liberté  de  se  retirer  où  bon  leur  sem- 
blerait, et  on  leur  garantissait  la  jouissance  de  leurs  biens,  a  condition 
seulement  qu'ils  n'entreprendraient  rien  contre  le  roi  et  contre  l'Etat. 
Le  gouverneur  de  la  ville  était  a  la  nomination  de  Sa  Majesté,  la(pielle 
pourtant  était  priée  de  vouloir  bien  maintenir  dans  cet  emploi  le  dit 
sieur  d'Albigny,  au  cas  où  celui-ci,  dans  un  délai  de  trois  mois,  consen- 
tirait 'a  prêter  son  serment  de  fidélité.  Fin  outre,  j)ersonne  ne  serait  ni 
inquiété  ni  recherché,  au  sujet  des  contributions  et  deniers  qu'on  avait 
levés  pendant  la  guerre,  non  plus  (ju'au  sujet  des  traités  faits  avec 
l'étranger;  Lesdiguières  s'engageait  'a  obtenir  du  roi  l'oubli  et  le  pardon 
absolu  du  passé.  Ces  conventions  furent  conclues  le  vingt-deuxième  jour 
de  décembre. 


148  IIISTOlllE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Or,  en  ce  lem(3s-là,  le  prince  Maurice  de  Nassau,  que  lesEtats-Géné- 
raux  des  provinces  de  Flandre  insurgées  contre  l'Espagne  avaient  nommé 
leur  généralissime,  décida  celte  république  naissante  a  se  déclarer  en 
faveur  du  nouveau  roi  de  France.  Il  fit  comprendre  aux  seigneurs  du 
conseil  qu'il  était  de  leur  intérêt  de  soutenir  Henri  IV  contre  le  mo- 
narque espagnol,  leur  ennemi  commun,  et  il  fut  décidé  qu'on  enverrait 
au  roi  français  des  provisions  de  guerre,  une  somme  de  cent  mille  livres, 
avec  une  ambassade  honorable,  chargée  de  faire  avec  lui  une  alliance 
offensive  et  défensive.  (De  ïiioi;,  t.  XI,  liv.  100,  p.  2i0  et  suiv.) 

De  son  côté,  la  reine  Elisabeth  d'Angleterre,  égalemetit  intéressée  a 
ne  pas  laisser  faire  a  l'Espagnol  des  progrès  trop  considérables,  envoya 
fort  'a  propos  en  France  un  nouveau  secours  de  quatre  mille  Anglais,  et 
de  deux  cent  mille  livres,  ce  qui  devait  mettre  le  roi  a  peu  près  en  état 
de  reprendre  la  campagne  avec  quelque  avantage. 

Ce  furent  pourtant  les  Parisiens  qui  recommencèrent  les  premiers 
les  hostilités,  par  une  tentative  qu'ils  firent  sur  Saint-Denis  celui  des 
postes  tenus  par  les  royalistes  dans  les  environs  de  la  capitale,  qui  nui- 
sait le  plus  a  l'arrivée  des  approvisionnements.  Claude  de  Lorraine, 
qu'on  appelait  le  chevalier  d'Aumale,  parce  qu'il  était  chevalier  de  Malte, 
partit  dans  la  nuit  du  deux  janvier,  veille  de  la  fête  de  sainte  Geneviève,  a 
la  tête  de  huit  cents  hommes  d'infanterie,  et  de  deux  cents  chevaux, 
pour  reconquérir  cette  place. 

Les  Parisiens  se  flattaient  que  cette  bonne  sainte  ferait  réussir 
cette  entreprise,  parce  qu'elle  était  la  patronne  de  leur  ville  ;  aussi 
Mesdames  les  princesses  de  la  Ligue  et  plusieurs  âmes  dévotes,  aux- 
quelles les  prédicateurs  avaient  recommandé  d'intercéder  auprès  de  la 
bienheureuse,  pour  la  réussite  d'une  grande  affaire  qu'ils  ne  désignaient 
pas,  passèrent  pieusement  toute  la  nuit  en  prières  devant  le  tombeau  de 
la  sainte.  {Journal  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  101  et  suiv.) 

Le  froid,  celte  nuit-la,  se  faisait  vivement  sentir.  Déjà,  depuis  quel- 
ques jours,  la  gelée  avait  durci  et  rendu  partout  praticables  les  marais 
et  les  terrains  fangeux  qui  entourent  la  ville  de  Saint-Denis.  Les  soldats 
royalistes  en  étaient  réduits  a  se  chauffer  avec  les  matériaux  qu'ils  arra- 
chaient des  maisons  désertes,  et  même  des  fortifications  que  Biron  avait 
autrefois  élevées 'a  la  hâte.  (De  Tnou,  iibi  siip.,  liv.  101,  p.  557.) 

C'était  le  seigneur  de  Vie  qui,  depuis  huit  jours  seulement,  venait 
de  succéder  a  Lavardin  dans  le  commandement  de  celte  garnison.  Or, 
voyant  la  ville  en  si  mauvaais  état,  il  se  trouvait  fort  embarrassé. 

La  fortune,  en  effet,  parut  d'abord  se  déclarer  pour  le  parti  des 
Ligueurs.  Leurs  soldats  passèrent  sur  les  glaces  des  fossés,  et  sans  trou- 
ver de  résistance,  entrèrent  par  les  brèches  que  leurs  adversaires  avaient 
eux-mêmes  faites  aux  retranchements.  Ils  arrivèrent  sans  avoir  rencontré 
personne  'a  la  porte  dite  de  Paris,  qu'ils  ouvrirent  après  avoir  brisé  la 
herse  'a  coups  de  haches,  et  la  cavalerie,  pénétrant  par  ce  passage,  com- 
mença 'a  se  répandre  dans  les  rues  qu'elle  parcourait  au  grand  trot,  aux 
cris  de  «  Vive  la  Ligue  !  Vive  d'Aumale  !  »  et  ce  jeune  prince,  qui  se 


J 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  149 

croyait  déjà  maître  de  la  place,  s'en  venait  lui-même  à  pied,  la  tête 
liante,  répée  a  la  main,  criant  :  «  Tue!  tue!  »  (Cayet,  Chron.  novenn., 
ad  ann.  1591.) 

De  Vie,  qui  avait  pris  ses  logements  dans  l'abbaye,  en  sortit 
au  bruit,  car  l'homine  de  guet,  qui  se  tenait  suivant  l'usage  au 
liaut  (lu  cloclier,  s'était  mis  a  sonner  le  tocsin  de  toutes  ses  forces. 
De  Vie  donc,  voyant  la  ville  occupée  par  rennemi,  s'élança  sur  le  pre- 
mier cheval  qui  lui  fut  donné  par  un  palelVenier,  bien  résolu  d'aller 
se  faire  tuer,  pour  ne  pas  survivre  à  la  perle  d'une  place  de  si  grande 
importance,  et  dont  le  roi  lui  avait  conlié  la  garde. 

Sept  gentilshommes  de  ses  amis  le  suivirent,  prêts  'a  partager  son 
sort.  Sur  sa  roule,  il  rencontra  un  Irompelle,  qui  réveillé  en  sursaut  et 
sorti  de  son  logis,  se  tenait  la  tout  déconcerté,  son  instrument  à  la 
main.  «  Sonne  la  charge!  »  lui  dit  de  Vie. 

En  entendant  ce  son,  les  Ligueurs  crurent  qu'ils  allaient  être  attaqués 
par  un  corps  nombreux  de  cavalerie;  car  la  nuit  élait  obscure  et  sans 
lune,  et  il  leur  était  impossible  de  reconnaître  le  petit  nombre  de  ceux 
(pii  venaient  contre  eux  dans  une  rue  étroite  et  tortueuse.  Ils  se  sen- 
tirent ell'rayés.  En  ce  moment,  de  Vie,  accompagné  de  ses  sept  gentils- 
hommes et  du  trompetle  qui  continuait  de  souiller  de  toutes  ses  l'orces 
dans  son  cornet  de  cuivre,  se  jetèrent  l'épée  a  la  main  au  milieu  des 
ennemis,  et  ceux-ci,  dont  le  désordre  allait  croissant,  se  replièrent  dans 
la  grande  rue  jusque  sous  l'enseigne  d'une  hôtellerie,  qui,  par  un  hasard 
bizarre,  portait  l'épée  fleurdelisée.  D'Aumale  s'efforça  la  de  rallier  ses 
gens  a  la  lueur  d'une  torche  qu'on  avait  allumée  ;  mais  un  des  braves 
compagnons  du  seigneur  de  Vie,  sans  avoir  pris  le  temps  de  reconnaître 
quel  élait  cet  officier  qui  tentait  d'arrêter  les  fuyards,  poussa  son 
cheval  contre  lui,  et  l'étendit  raide  mort  d'un  grand  coup  d'épée  dans  le 
visage. 

Quelques-uns,  parmi  les  Ligueurs,  ont  voulu  faire  entendre  que  le 
jeune  prince  n'était  pas  mort  de  la  main  d'un  royaliste,  et  ont  insinué 
{[ue  .Mayenne,  jaloux  de  sa  réputation  dans  le  parti,  où  on  ne  l'appelait 
que  le  Lion  de  la  Ligue,  avait  lui-même  dirigé  et  payé  le  coup  qui  ter- 
mina ses  jours,  pour  se  défaire  d'un  rival  qui  pouvait  devenir  dangereux. 
Mais  Mayenne,  je  pense,  n'avait  ni  la  férocité  ni  la  fcrmelé  de  caractère 
qu'il  aurait  fallu  pour  commettre  une  pareille  action. 

Quoi  (pi'il  en  soit,  ceux  (pii  élaient  restés  jusque-l'a  auprès  du  malheu- 
reux chevalier  prirent  la  fuite  dans  toutes  les  directions,  et  la  nouvelle 
de  sa  mort  étant  répandue  par  eux  parmi  les  autres  soldats  (pii  occu- 
paient déj'a  les  diverses  rues,  ce  fut  une  panicjue  gt-nérale;  chacun  ne 
pensa  plus  (pi'a  chercher  son  salut  par  le  plus  court  chemin  qu'il  put 
trouver.  Officiers  et  soldats  se  précipitaient  les  uns  sur  les  autres,  au 
milieu  de  l'obscurité,  sans  pouvoir  se  reconnaître.  Les  royalistes  en 
tuèrent  |)lus  de  deux  cents  (pii  s'étaient  égarés  dans  les  sinuosités  de  la 
ville;  les  autres  coururent  tout  tremblants  se  renfermer  dans  Paris. 

Les  Parisiens  se  prirent  de  ce  désastre  a  sainte  Geneviève  «  qu'ils 


150  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

accusèrent  de  les  avoir  abandonnés,  »  et  depuis  ce  temps,  ceux  du 
moins  qui  tenaient  à  la  Ligue  n'eurent  plus  la  même  dévotion  envers 
cette  sainte  patronne.  (De  Tiioii,  ibid.,  p.  559.) 

Quant  au  chevalier  d'Aumale,  son  corps,  resté  dans  la  ville,  fut 
retrouvé  tout  nu,  ayant  le  visage  tout  sanglant  et  défiguré  d'une 
grande  balafre.  On  ne  put  même  le  reconnaître  cju"a  certains  signes 
«  qu'une  femme  d'amour  »,  nommée  La  Raverie,  lui  avait  gravés  sur  le 
bras.  Il  fut  mis  dans  un  cercueil  de  bois,  parce  qu'on  n'en  avait  pas  de 
plomb,  et  déposé  dans  une  chapelle  de  l'abbaye.  On  ajoute  que  les  rats 
vinrent  se  glisser  dans  sa  bière  et  rongèrent  le  bout  du  nez  du  cadavre  (1) . 
(Mkzeray,  t.  III,  p.  952.  —  Caveï,  ubi  sup.) 

Or,  il  s'était  trouvé  a  Saint-Denis,  le  soir  même  de  l'attaque  de  cette 
place  par  les  Ligueurs,  un  gentilhomme  toscan  fort  aimé  du  roi.  Il  s'était 
logé  dans  l'hôtellerie  la  plus  voisine  de  la  porte  de  Paris,  qui  fut,  comme 
on  l'a  vu,  un  des  premiers  points  dont  l'ennemi  s'empara.  Dès  que  ce 
gentilhomme  vit  l'ennemi  dans  la  ville,  il  crut  devoir  courir  avertir  Sa 
Majesté,  qui  était  alors  à  Senlis,  afin  qu'elle  se  mît  en  mesure  de  re- 
prendre la  place,  pendant  que  les  vainqueurs  seraient  encore  occupés, 
comme  il  le  pensait,  au  pillage.  Henri,  'a  celte  nouvelle,  se  disposait  en 
effet  a  partir  avec  un  corps  de  troupes,  quand  un  courrier  du  seigneur 
de  Vie  arriva  avec  une  lettre  par  laquelle  ce  seigneur  annonçait  que 
Saint-Denis  était  heureusement  resté  en  son  pouvoir,  et  que  le  chevalier 
d'Aumale,  chef  de  cette  entreprise,  y  avait  perdu  la  vie. 

Le  roi  fut  très-content  de  recevoir  ces  nouvelles,  et  il  ordonna  d'en 
remercier  Dieu  ;  ce  pourquoi  Messieurs  les  huguenots  chantèrent  un 
psaume  dans  son  oratoire  particulier,  où  il  s'était  rendu  lui-même,  et  les 
catholiques  chantèrent  également  un  Te  Deum  dans  la  cathédrale.  Pour 
récompenser  le  brave  de  Vie,  Sa  Majesté  lui  donna  l'abbaye  du  Bu,  dans 
le  diocèse  de  Lisieux,  dont  le  chevalier  d'Aumale,  en  sa  qualité  de 
membre  de  l'ordre  de  Malte,  avait  eu  la  jouissance. 

Henri  voulut  ensuite  rendre  aux  Ligueurs  stratagème  pour  strata- 
gème. Il  eut  l'idée  d'essayer  contre  Paris  même  une  tentative  semblable 
à  celle  dans  laquelle  les  Ligueurs  venaient  d'échouer  contre  Saint-Denis. 
II  fit  courir  le  bruit  qu'il  allait  mettre  ses  troupes  en  quartier  d'hiver; 
mais  il  envoya  sous  main  aux  chefs  des  ordres  particuliers,  pour  qu'ils 
eussent  'a  lui  ramener  le  plus  tôt  possible  toutes  celles  qui  étaient  déjà 
éloignées.  Ce  projet  ne  put  cependant  être  conduit  si  secrètement  (]ue 
les  Ligueurs  n'en  eussent  quelques  nouvelles.  Ils  surent  que  le  duc  de 
Nevers,  alors  occupé  par  le  siège  de  Provins,  venait  de  lever  brusquement 

(1)  Les  Royalistes  s'évertuèrent  à  faire   des  opitaplies  satyriques  sur  ce  "jiauvre 
prince.  Voici  la  meilleure  à  mon  go\\t  : 

Celui  qui  gît  ici  fut  un  hardi  preneur, 
Qui  fit  sur  saint  Denis  une  fine  entreprise, 
Mais  saint  Denis  plus  fin  que  cet  entrepreneur, 
Le  prit  et  le  tua  dedans  sa  ville  prise. 

(Remarques  sur  la  Satire  Mé nippée.) 


DU  PROTESTANTISME  EX  Fil  ANGE.  ir,l 

ce  siège,  et  ramenait  ses  troupes  a  Lagiiy,  sons  prétexte  de  les  remetlro 
aux  mains  du  roi  qui  les  lui  avait  conliées,  et  de  s'en  retourner  ensuite 
dans  ses  terres,  «  attendu,  alloctait-il  de  publier  tout  haut,  (ju'cn  sa 
(pialité  de  catholique  lidrlc  et  sincère,  il  ne  lui  était  plus  permis  de  taire 
service  à  un  roi  de  contraire  religion,  le(|uel,  après  avoir  demandé  seu- 
lement six  mois  pour  se  l'aire  instruire  dans  la  véritable  foi,  en  avait 
déjà  passé  dix-sept  sans  donner  le  moindre  signe  de  conversion.  y>{Mém. 
(le  la  Ligue,  t.  IV,  p.  540  et  suiv.) 

En  même  temps,  on  eut  avis  que  le  duc  d'Epernon,  qui  semblait  a 
peu  près  réconcilié  avec  le  roi,  et  (pii,  du  reste,  n'avait  jamais  cessé 
d'être  hostile  aux  Ligueurs,  s'était  avancé  jusqu'à  Beaumont,  avec  un 
corps  assez  nombreux,  et  que,  de  plus,  le  seigneur  de  Givry,  ayant 
lait  passer  la  Marne  a  ses  soldats,  se  rapprochait  aussi   de  Saint-Denis. 

Ces  mouvements  de  troupes,  (juoique  dissimulés  sous  divers  pré- 
textes, donnèrent  l'alarme  à  Bclin,  gouverneur  de  Paris,  qui,  soupçon- 
nant une  atlacpie  prochaine,  prit  de  son  côté  ses  mesures  pour  la 
repousser.  11  distribua  des  soldats  dans  les  seize  quartiers  de  la  capitale 
et  (it  doubler  la  garde  à  tous  les  postes. 

On  touchait  au  dimanche  vingtième  jour  de  janvier,  jour  auquel  on 
(levait  l'aire  des  processions  dans  la  ville,  pour  rendre  grâces  'a  Dieu  de 
l'heureux  avènement  de  Grégoire  XIV  au  souverain-pontificat.  Tout  h 
coup,  et  bien  avant  le  jour,  l'alarme  se  répandit  successivement  dans 
toutes  les  rues.  Ln  gentilhomme,  qui  avait  été  le  soir  à  la  découverte, 
revint  annoncer  qu'une  grosse  troupe  d'ennemis  se  montrait  dans  les 
campagnes  voisines.  Toutes  les  cloches  furent  aussitôt  mises  en  branle, 
et  tout  le  monde  courut  aux  armes.  Ceux-mèines  qui  étaient  suspects  de 
royalisme  furent  obligés  de  faire  comme  les  autres;  car  on  menaça  d'ar- 
racher les  récalcitrants  de  leur  demeure  et  de  les  conduire  en  prison. 

Cependant,  vers  les  trois  heures  du  matin,  des  ofiiciers  de  l'armée 
royale,  déguisés  en  paysans  et  poussant  devant  eux  des  ânes  chargés  de 
farine,  se  présentèrent  a  la  porte  Saint-llonoré,  que,  pour  plus  de  sûreté, 
on  venait  de  boucher  avec  de  la  terre  et  du  fumier.  Ils  demandèrent 
(pi'on  les  fit  entrer.  «  Nous  vous  amenons  des  vivres,  dirent-ils,  et  nous 
avons  marché  toute  la  nuit  pour  éviter  les  partis  royalistes  qui  rôdent 
dans  la  campagne.  »  L'ollicier  commandant  'a  ce  poste  répondit  qu'il 
ne  pouvait  ouvrir,  et  il  engagea  les  jjrétcndus  paysans  a  se  rendre  sur  le 
bord  de  la  rivière,  où  un  bateau  viendrait  les  prendre  eux  et  leur 
convoi. 

D'autres  soldats,  également  déguisés,  arrivaient  après  ces  premiers, 
avec  des  charrettes  dont  ils  se  proposaient  d'embarrasser  le  passage  et 
d'empêcher  la  porte  de  se  refermer  dès  qu'elle  serait  ouverte,  et  derrière 
ceux-ci  étaient  Lavardin  avec  ses  cuirassiers,  le  jeiuie  lliron,  conduisant 
huit  cents  hommes  dintanterie,  divry  avec  sa  compagnie  de  gendarmes, 
et  enfin  les  Suisses,  munis  d'artillerie  et  portant  des  échelles,  ainsi  que 
tous  les  autres  instruments  nécessaires  pour  briser  ou  franchir  les  obs- 
tacles (jui  pourraient  arrêter. 


152  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Le  roi  lui-même  était  a  l'entrée  du  faubourg  avec  Longueville,  La 
Noue,  d'Épernon  et  les  autres  chefs,  tous  a  pied.  Il  n'y  avait  que  Mon- 
sieur de  Nevers  qui  fût  a  cheval,  a  cause  de  la  faiblesse  de  sa  jambe 
depuis  la  blessure  qu'il  avait  reçue.  Du  reste,  toutes  ces  troupes 
gardaient  un  ordre  admirable;  on  n'entendait  pas  le  moindre  bruit; 
on  ne  voyait  nulle  part  ni  lumière  ni  feu,  de  sorte  qu'il  était  impos- 
sible aux  Parisiens  de  deviner  qu'il  y  avait  la  une  armée  toute  prête 
à  s'emparer  de  leur  ville.  {Mémoires  de  la  Ligue.) 

Le  roi  maintint  tout  son  monde  sous  les  armes  et  avec  le  même 
silence,  pendant  sept  ou  huit  heures  ;  mais  quant  on  vint  lui  dire  que  la 
porte  Saint-Honoré  ne  s'ouvrait  pas,  et  qu'il  se  faisait  un  grand  mouve- 
ment dans  la  ville,  dont  il  pouvait  entendre  lui-même  le  son  des  cloches 
tintant  le  tocsin,  il  vit  bien  que,  malgré  toutes  les  précautions  qu'il  avait 
prises,  tout  était  découvert.  Il  assembla  incontinent  un  conseil  de  guerre, 
et  il  y  fut  décidé  qu'il  serait  imprudent  de  poursuivre  cette  entreprise; 
ainsi  les  troupes  reçurent  l'ordre  de  se  retirer  sans  rien  tenter. 

Les  Parisiens,  délivrés  du  péril  qu'ils  venaient  de  courir,  rendirent 
grâces  "a  Dieu,  et  il  y  eut  grand  concours  dans  toutes  les  églises.  De  plus, 
il  fut  décidé  que  l'anniversaire  de  ce  jour-la,  qu'ils  appelèrent  «  la  Jour- 
née des  farines  »,  serait  a  l'avenir  célébré  par  des  réjouissances  publiques, 
comme  on  célébrait  déjà  le  jour  de  la  fuite  du  feu  roi,  et  celui  de  la 
levée  du  siège  de  Paris.  Ilélas!  toutes  ces  fêtes,  destinées  a  rappeler  le 
triomphe  d'un  parti  sur  un  autre,  et  qu'on  décrète  a  perpétuité,  durent  'a 
peine  quelques  années.  Celles  dont  je  parle  ici  furent  bientôt  abolies, 
et  même  déclarées  infâmes.  C'est  assez  l'ordinaire. 

Les  partisans  du  monarque  espagnol  surent  du  reste,  habilement 
mettre  a  profit  cette  occasion  pour  faire  consentir  les  Parisiens,  'a  accepter 
la  garnison  que  le  roi  Philippe  voulait  bien  leur  offrir  et  qu'ils  avaient 
refusée  jusqu'alors.  Mayenne  lui-même,  consulté  a  ce  sujet,  quoiqu'il 
prévît  bien  que  l'intention  des  Espagnols,  en  se  fortifiant  dans  la  capi- 
tale, était  de  se  débarrasser  de  son  pouvoir,  trouva  que  ce  qu'il  avait  le 
plus  'a  craindre  pour  le  moment  était  l'activité  et  les  entreprises  du 
Béarnais;  mais,  conformément  'a  son  irrésolution  habituelle,  il  remit  les 
choses  a  la  décision  du  parlement,  qui  s'assembla  en  effet  'a  cette  occa- 
sion, et  le  résultat  de  la  délibération  fut  «  que  les  Espagnols  seraient 
bien  reçus  dans  la  capitale  de  la  France;  qu'on  y  admettrait  quatre  mille 
hommes  de  garnison  ;  et  que  Meaux,  comme  place  importante  et  menacée, 
accepterait  également  une  garnison  étrangère  ;  comme  si  les  troupes 
de  Philippe  eussent  été  désormais  les  seules  ressources  qu'on  pût 
opposer  'a  la  fortune  et  aux  armes  victorieuses  de  Henri.  »  (Legrain, 
Décades,  liv.  5,  p.  252.) 

Au  reste,  on  s'était  arrangé  afin  de  dorer  le  mieux  possible 
ce  qu'il  y  avait  d'humiliant  pour  la  nation  dans  ces  mesures.  Le 
pape  Grégoire  XIV  venait  d'expéjier  en  France  un  nouveau  nonce 
apostolique.  Monseigneur  Févêque  de  Plaisance,  et  il  l'avait  muni  d'un 
bref  magnifique.  Dans  ce  bref,  Sa  Sainteté,  qui  avait  l'âme  toute  espa- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  153 

gnole,  déclarait  que  son  désir  le  plus  cher,  en  (jualité  de  chef  suprême  de 
l'Église  Universelle,  était  de  rétablir  la  paix  dans  le  royaume  très-chré- 
tien, en  y  extirpant  la  funeste  hérésie  <l  où  étaient  nés  tant  de  troubles 
et  de  désaccords.  «  Pour  cela,  disait-il,  je  ne  vois  d'autre  moyen  que 
d'élire  un  roi  calholi(pie  et  sans  aucune  tache  de  soupçon  d'hérésie. 
Mais  d'abord,  pour  que  cette  élection  puisse  se  faire  sous  l'inspiration 
seule  de  la  volonté  de  Dieu,  il  convient  de  mettre  a  couvert  des  insultes 
de  l'ennemi  de  la  foi  et  de  ses  fauteurs  la  capitale  de  la  France  qui 
juscpi'a  ce  jour  s'est  maintenue  heureusement  comme  le  boulevard  de 
la  foi  catholicpie.  Je  sais  a  quelles  extrémités  cette  ville  s'est  vue  réduite 
par  son  dévouement  a  la  sainte  cause,  et  combien  elle  s'est  épuisée  par 
les  dépenses  qu'elle  a  été  obligée  de  laire  dans  la  dernière  guerre;  aussi 
ai-je  formé  la  résolution  d'envoyer  a  son  secours  des  troupes  dont  la 
paye  se  prendra  sur  le  trésor  apostolique,  et  je  fournirai  par  mois,  |)Our 
contribuer  au  triomphe  de  la  foi,  quinze  mille  écus  d'or,  pendant  tout  le 
temps  que  cela  sera  nécessaire.  Je  suis  bien  aise  de  prouver  aux  bons  et 
fidèles  Parisiens  (pie,  n'ayant  jamais  eu  d'autre  but  que  la  défense  de 
notre  sainte  religion,  je  ne  me  contente  pas  de  leur  donner  des  louanges 
stériles,  mais  que  je  suis  aussi  bien  décidé  a  les  aider  activement  de  tous 
les  njoyens  que  le  ciel  a  mis  en  mon  pouvoir.  »  (De  Tiiou,  ubi  sup.) 

L'évéque  de  Plaisance,  qui  n'avait  encore  eu  le  temps,  ni  peut-être 
la  volonté,  d'entrer  de  sa  personne  a  Paris,  adressa  le  bref  de  Sa  Sainteté 
au  conseil  de  la  Sainte-Union,  et  il  l'accompagna  d'une  lettre  de  sa 
main  en  date  du  vingtième  jour  de  février.  11  faisait  valoir  en  termes 
pompeux  les  dispositions  bienveillantes  du  Saint-Père  pour  la  France. 
«  La  lettre  de  ce  bref,  disait-il,  doit  confirmer  les  gens  de  bien  dans 
leur  résolution  de  ne  jamais  transiger  avec  l'hérétique,  réchaufler  les 
tièdes  et  confondre  les  obstinés.  Qui  pourrait  en  effet  hésiter  encore,  en 
voyant  avec  quel  empressement  le  représentant  de  Dieu  sur  la  terre, 
mil  par  une  inspiration  toute  céleste,  a  préparé  de  sa  propre  main  le 
remède  qu'elle  vient  appliquer  aux  maux  de  la  capitale?  Comme  un  pru- 
dent médecin,  (\m  s'attache  d'abord  'a  fortifier  les  parties  nobles  et  vi- 
tales du  corps  de  son  malade,  pour  atta(iucr  ensuite  la  maladie  avec 
moins  de  ris(|ues  et  plus  de  certitude  de  succès  :  ainsi  c'est  sur  Paris, 
qui  est  comme  le  cœur  du  royaume  et  la  source  de  la  vie  de  la  France, 
que  le  Souverain-Pontife  porte  d'abord  son  attention  principale.  Quand 
Paris  n'aura  |)lus  rien  'a  craindre  des  entreprises  de  gens  malheureuse- 
ment égarés  dans  une  voie  funeste,  Nolre-Saint-Père  sait  et  es|)ère 
qu'on  y  pourra  choisir  un  roi  propre  'a  défendre  la  religion,  et  capable 
de  rétablir  et  maintenir  la  paix  dans  ce  royaume  si  longtemps  affligé.  » 
(De  Tiior,  itbi  sup.) 

Cette  lettre  et  le  bref  du  Pape  furent  distribués  avec  profusion  aux 
Parisiens.  En  demanda-t-on  (comme  c'était  de  droit  en  France)  l'enre- 
gistrement au  parlement  ?  C'est  ce  que  jusqu'à  présent  aucun  document 
historique  n'a  pu  me  mettre  en  état  de  savoir.  Je  crois,  pour  mon 
compte,  qu'on   supprima   cette  fois  cette   formalité;   car  tout   ligueur 


154  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

qu'était  le  parlement  séant  a  Paris,  je  ne  pense  pas  qu'il  eut  volontiers 
donné  son  assentiment  a  de  pareils  principes.  Quoi  (ju'il  en  soit,  on 
comprend  quel  dut  être  Teffet  d'une  publication  semblable  sur  l'esprit 
d'une  populace  déjà  fanatisée. 

Au  reste,  Grégoire  XIV  n'avait  pas  l'intention  de  s'en  tenir  'a  de  vaines 
promesses.  En  ce  moment  même,  il  assemblait  'a  grands  frais  une  armée 
pour  l'envoyer  en  France.  Il  avait  équipé  mille  chevau-légers,  qui  for- 
maient dix  compagnies;  en  outre,  il  avait  fait  lever  six  mille  hommes  de 
pied  en  Suisse.  Il  avait  cent  gendarmes  et  quatre-vingts  arquebusiers  a 
cheval.  Toutes  ces  troupes  furent  mises  sous  les  ordres  de  son  neveu. 
Hercule  de  Sfondrate,  'a  qui  il  avait  donné  en  grande  cérémonie  le  bâton 
de  commandant  général  des  forces  de  l'Eglise.  H  lui  remit  aussi,  de  sa 
propre  main,  deux  étendards  bénits,  un  pour  la  cavalerie  et  un  pour, 
l'inlanterie;  puis  l'armée,  ayant  été  passée  en  revue,  partit  sous  la  con- 
duite de  Visconti,  lieutenant  du  nouveau  commandant.  (Cavet,  ubi  sup.) 

«  Elle  était  déjà  arrivée  dans  le  Milanais,  faisant  de  grands 
ravages  dans  les  campagnes;  ce  qui  sembla  d'autant  plus  insup- 
portable aux  pauvres  gens,  dont  on  pillait  les  maisons  et  dont  on  violait 
les  lilles  et  les  femmes,  qu'un  pays  catholi(pie  et  allié  ne  devait 
s'attendre  à  rien  de  pareil  de  la  part  de  soldats  du  Saint-Père.  »  (DeThou, 
ubi  sup.) 

Sur  ces  entrefaites,  le  roi,  qui  ne  perdait  pas  de  vue  son  projet  de 
réduire  Paris  par  la  famine,  résolut  de  s'emparer  de  la  ville  de  Chartres, 
parce  que  c'était  de  l'a  que  partaient  les  principaux  convois  de  vivres 
qui  arrivaient  de  la  Beauce  et  du  pays  Charlrain  a  la  capitale.  A  cet 
eflet,  il  partit  de  Senlis  avec  son  armée,  et  pour  ne  pas  laisser  deviner 
son  dessein,  il  s'en  allait  faisant  mine  de  se  diriger  tantôt  vers  Troyes, 
tantôt  vers  la  ville  de  Sens  ;  puis,  tout  a  coup,  il  revint  brusquement 
vers  Tours,  laissant  les  Ligueurs  dans  l'incerlitude  du  point  qu'il,  se 
proposait  d'attaquer,  et  les  obligeant  par  cette  ruse  a  disséminer  leurs 
troupes  pour  garnir  les  villes  qu'ils  supposaient  devoir  l'être  objet  d'un 
coup  de  main.  (De  Tiiou,  t.  XII,  liv.  101,  p.  540.  —  Cavet,  liv.  5,  ad 
ann.  1591.) 

En  même  temps,  il  avait  écrit  au  maréchal  de  Biron,  qui  était  alors  'a 
Dieppe  avec  un  corps  de  troupes,  de  feindre  de  venir  le  rejoindre  et  de  se 
porter  inopinément  devant  les  murs  de  Chartres,  avant  que  les  Ligueurs 
eussent  eu  le  temps  de  jeter  du  secours  dans  cette  place.  Le  maréchal 
se  présenta  en  elfet  devant  Chartres  le  neuvième  jour  de  février. 

Monsieur  de  La  Châtre,  averti  trop  tard  de  l'approche  des  troupes 
royales,  était  accouru  du  Berry  jusqu'à  Orléans,  d'où  il  ht  partir  en  toute 
hâte  le  capitaine  Lacroix  avec  un  corps  de  cavalerie,  pour  tâcher  de  porter 
du  secours  aux  assiégés.  Mais  le  capitaine  et  sa  troupe  tombèrent  au 
beau  milieu  de  l'armée  de  Biron,  qui  lui  tua  presque  tout  son  monde,  de 
sorte  qu'il  eut  lui-même  beaucoup  de  peine  à  pénétrer  dans  la  ville  avec 
seulement  cinq  de  ses  cuirassiers,  de  cinq  cents  qu'il  avait  amenés  avec 
lui.  Ce  jour-là,  pourtant,  on  avait  fait  'a  Paris  une  belle  procession  pour 


i 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  155 

demander  à  Dieu  la  conservation  de  la  bonne  ville  de  Chartres.  {Journal 
de  Henri  IV,  t.  I,  p.  100.) 

Deux  jours  après,  le  roi  arriva  lui-même  au  siège  avec  le  duc  de 
Nevers,  le  maréchal  d'Aumont,  Chàlilion  et  ses  autres  ciiels  de  guerre. 
On  devait  croire  que  ceux  de  Cliarlres  aliaieul  s'empresser  de  ca- 
pituler :  il  ncn  fut  pas  ainsi.  Il  y  a  dans  l'église  cathédrale  de  Chartres 
une  très-ancienne  statue  qu'on  prétend  remonter  aux  temps  des  druides, 
et  qui,  selon  la  même  tradition,  fut  trouvée  avec  cette  inscription  la- 
tine :  Yirgini  paritimc,  «  a  la  vierge  qui  doit  enlanter.  »  Or,  les  pré- 
dicateurs, payés  par  la  Ligue,  avaient  imaginé  d'attribuer  de  grandes 
vertus  à  cette  vénérable  relique,  datant  d'une  époque  aussi  reculée  et 
aussi  mystérieuse.  A  leur  dire,  jamais  les  hérétiques  ne  pourraient 
lorcer  une  ville  protégée  par  une  image  de  la  Vierge  aussi  merveil- 
leuse, et  ils  citaient  a  l'appui  de  cette  assertion  le  peu  de  succès 
qu'avait  eu  le  prince  de  Condé  vingt  ans  auparavant,  allirmant  qu'on 
n'en  devait  pas  chercher  ailleurs  la  cause,  (pioiqu'il  ne  paraisse  pas 
qu'on  eût  alors  songé  le  moindrement  aux  vertus  de  cette  statue. 
(De  Tuor,  iibi  sup.) 

Peu  s'en  fallut,  en  effet,  que  le  succès  ne  répondit  aux  espérances 
que  l'on  fondait  sur  le  pouvoir  de  cette  image.  Le  roi  n'avait  amené  avec 
lui  ni  artillerie,  ni  boulets,  ni  autres  machines  de  guerre.  La  poudre 
même  était  rare  :  il  avait  compté  emporter  la  ville  par  surprise  et  d'un 
coup  de  main.  La  première  atta(|ue  eut  lieu  a  la  porte  des  Espars,  qui 
est  un  des  plus  forts  endroits  de  la  ville,  «  et  là,  Sa  Majesté  perdit 
sans  elTets  au  ravelin  de  la  dite  porte,  force  gens  de  (jualité  et  force  capi- 
taines, car  la  garnison  se  composait  de  près  de  trois  mille  étrangers, 
outre  les  habitants,  tous  bien  résolus  a  se  défendre.  »  {Mém.  deCheverny, 
ad  ann.  ir)91,) 

Sa  Majesté,  voyant  alors  épuisées  le  peu  de  munitions  qu'elle  avait 
apportées,  et  que  les  habitants  de  Chartres  montraient  tant  de  résolution, 
délibéra  s'il  n'était  pas  a  i>ropos  de  lever  le  siège.  Cet  avis  était  sur  le 
point  d'être  adopté;  mais  Cheverny,  chancelier  de  France,  et  qui  était 
en  outre  gouverneur  de  Chartres,  tenait  a  reprendre  possession  de  ce 
gouvernement,  dont  il  n'avait  rien  tiré  depuis  sa  disgrâce  sous  Henri  IIL 
Il  promit  de  faire  tous  les  frais  du  siège,  (jui,  'a  ce  qu'il  prétendait,  ne 
devait  être  ni  long  ni  difficile;  «  car,  disait-il, la  domination  des  Ligueurs 
avait  fait  beaucoup  de  mécontents  dans  la  ville;  on  pouvait  en  outre 
compter  sur  Nicolas  de  Thon,  évêque  de  ce  diocèse;  et  indubitablement 
le  prélat  et  la  plupart  des  notables,  qui  pensaient  comme  lui,  ne  man- 
queraient pas  d'user  de  leur  inlluence  pour  décider  la  ville  'a  se  rendre, 
(piand  elle  se  verrait  sérieusement  attaijuée.  »  Le  chancelier  ajouta  que  si 
Ton  j)renail  le  parti  contraire,  cela  encouragerait  dans  leur  résistance 
non  seulement  ceux  de  la  Ligue,  mais  produirait  un  elfet  plus  dangereux 
encore  sur  beaucoup  de  ceux  qui  se  disaient  du  parti  royaliste.  (DeTiiol;, 
ubi  sup.) 

Cette  dernière  assertion  n'était  pas  sans  fondement.  J'ai  dit  plus  haut 


156  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

que  les  royalistes  catholiques  commençaient  a  se  trouver  scandalisés  de 
ce  que  Henri  IV  ne  montrait  pas  plus  d'empressement  a  remplir  la  pro- 
messe d'abjuration  qu'il  leur  avait  faite.  Charles,  l'un  des  fils  du  prince 
de  Condé,  tué  a  Jarnac,  était  seul  alors  survivant  'a  tous  ses  h'ères.Ensa 
qualité  de  quatrième  rejeton  d'une  tige  princière,  on  l'avait  fait  entrer 
dans  les  ordres  sacrés,  quoique  élevé  parmi  les  protestants,  et  a  l'âge 
de  vingt  et  un  ans,  le  pape  Grégoire  Xlll  l'avait  fait  cardinal  en  1585.  11 
était  jeune,  ambitieux  et  avide  de  toute  sorte  d'éclat.  Après  la  mort  de 
son  oncle,  le  vieux  cardinal  de  Bourbon,  il  imagina  qu'il  avait  comme 
lui  des  droits  à  se  faire  reconnaître  comme  héritier  de  la  couronne  de 
France.  Il  chercha  donc  a  se  faire  proclamer  roi  'a  la  place  de  celui  que 
sa  persistance  dans  l'hérésie  frappait  d'une  incapacité  dirimante  aux 
yeux  de  tout  hon  catholique.  (Mouéri,  verho  Charles.) 

Dans  ce  dessein,  il  s'appliqua  à  se  faire  bien  venir  de  ce  parti,  qui 
venait  de  se  former  secrètement  en  association  ou  Ligue  nouvelle  a  la- 
quelle on  donnait  déjà  le  nom  de  Tiers-Parti,  et  que  le  roi,  par  dérision, 
nommait  lui-même  le  parti  des  tiercelets.  Le  cardinal,  voyant  ses  projets 
appuyés  par  celte  faction,  ht  d'abord  publier  un  écrit  anonyme  en  forme 
de  requête  au  roi,  dans  lequel,  sous  l'apparence  de  ne  chercher  qu'a 
ramener  Sa  Majesté  dans  le  giron  de  la  sainte  Eglise,  il  s'adressait  indi- 
rectement a  tous  ceux  qui  n'avaient  consenti  'a  reconnaître  Henri  comme 
héritier  légitime  de  la  couronne,  qu'a  condition  qu'il  ferait  abjuration.  Il 
leur  donnait  'a  entendre  que  leur  conscience  de  bons  catholiques  allait 
être  intéressée  'a  ne  plus  faire  cause  commune  avec  un  roi  qui  ne  se 
décidait  pas  à  rompre  ouvertement  avec  l'erreur.  «  Ce  n'est  pas  a  Genève, 
disait-il,  qu'on  a  canonisé  saint  Louis,  notre  ancêtre,  dont  nous  tenons 
nos  droits  au  sceptre  de  France;  c'est  'a  Rome,  siège  de  la  vraie  et 
unique  religion  de  Notre-Seigneur-Jésus-Christ,  et  l'héritier  de  saint 
Louis  ne  doit  pas  adopter  la  foi  de  Genève.  Si  donc  Sa  Majesté  ne  peut 
se  décider  a  rompre  ouvertement  avec  l'erreur,  il  n'y  a  plus  a  balancer. 
La  conscience  de  tous  ceux  qui  veulent  servir  Dieu,  en  esprit  et  en 
vérité,  leur  fait  un  devoir  d'abandonner  la  cause  d'un  prince  qui  s'en- 
durcit dans  l'erreur,  et  de  prendre  toutes  les  mesures  que  les  circons- 
tances, ainsi  que  la  sauvegarde  de  la  foi,  ne  permettent  plus  guère  de 
différer.  »   (Mézehav,  uhi  sup.) 

Il  est  vrai  que  tout  cela  était  enveloppé  avec  art  dans  des  termes 
suppliants,  et  que  l'écrit,  tout  perhde  qu'il  était  au  fond,  pouvait  'a  la 
rigueur  ne  paraître  être  dicté  que  par  un  zèle  affectionné  pour  Sa  Majesté. 
Mais  les  parlements  royalistes  n'en  furent  pas  dupes.  Tous  en  défendirent 
l'impression  et  le  colportage  sous  peine  de  la  potence.  Au  reste,  c'étaient 
le  savant  Touchard,  précepteur  du  cardinal  lui-même,  et  le  docteur  Du 
Perron,  tous  les  deux  pensionnés  du  prince,  qui  en  étaient  les  auteurs, 
et  tous  les  deux  étaient  hommes  de  grand  talent. 

Le  cardinal  de  Bourbon  (1)   (il  avait  pris  ce  titre  après  la  mort  de 

(1)  Jusque-là  il  s'était  appelé  le  cardinal  de  Vendôme. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  157 

son  oncle)  ne  s'en  tint  pas  a  cet  écrit.  11  lit  partir  secrèlemciil  un 
homme  de  conliance  pour  aller  assurer  le  Saint-Père  de  sa  soumission 
au  Saint-Siège.  «  Si  je  reste  dans  le  camp  du  roi  de  Navarre,  écrivait-il. 
Voire  Sainteté  ne  doit  pas  croire  que  ce  soit  [)ar  aucun  attachement  pour 
riiérésie.  Je  l'ai  toujours  eue  en  horreur,  et  je  la  déteste  aujourd'hui  plus 
(jue  jamais;  mais  j'ai  cru  qu'après  la  mort  du  l'eu  roi  je  devais  suivre 
celui  qui  est  en  ellet  le  chef  de  notre  maison,  et  (jui  nous  avait  donné  sa 
parole  d'ahjurer  ses  erreurs.  AujoinMlliui,  il  i)araît  (|ue  le  succès  lui  a 
l'ail  oublier  cette  promesse  sacrée,  et  qu'il  a  Tinlcntion  de  rester  attaché 
a  sa  secte.  Or,  je  crains  avec  raison  qu'en  continuant  de  paraître  rester 
dans  son  parti,  je  ne  contribue  a  entretenir  le  mal  cl  a  mettre  en  dan- 
ger notre  sainte  religion  ;  ainsi  donc,  pour  que  Voire  Sainteté  ne  donne 
pas  'a  mes  actions  d'autres  motifs  que  ceux  qui  ont  toujours  servi  de 
règle 'a  ma  conduite,  j'ai  voulu,  Saint-Père,  vous  informer  de  mes  senti- 
ments. Après  cela,  en  ma  qualité  de  premier  prince  du  sang,  après  celui 
qui  se  rend  indigne  de  la  couronne  par  son  obstination  dans  l'erreur,  et 
(|ui  n'a  que  trop  longtemps  abusé  de  la  patience  des  vrais  lidèles,  je 
viens  vous  supplier  de  garder  l'ordre  de  succession  tel  (|ue  nos  vieilles 
lois  françaises  l'ont  établi,  et  d'interposer  votre  autorité  divine,  pour 
qu'au  défaut  de  rhéréti(iue  (pii  refuse  de  donner  satisfaction  'a  l'Eglise, 
le  scei)tre  de  France  ne  passe  pas  en  des  mains  étrangères,  et  qu'il  soit 
remis  a  celui  qui  y  a  droit  comme  le  plus  proche  héritier,  après  l'exclu, 
du  glorieux  saint  Louis,  mon  ancêtre.  Veuillez,  'a  cet  effet,  donner  vos 
ordres  aux  partisans  de  la  Sainte  Ligue.  Quant  au  prince  de  Conli,  mon 
neveu,  quoique  descendant  de  mon  frère  aîné,  sa  parenté  avec  la  souche 
de  notre  maison  est  de  deux  degrés  plus  éloignée  que  la  mienne,  et, 
d'ailleurs,  ce  prince  ne  doit  faire  ici  aucun  obstacle,  puisqu'il  est  muet, 
et  qu'ayant  été  taillé  de  la  pierre  dans  son  enfance,  il  est  reconnu  inca- 
pable d'avoir  jamais  d'héritiers.  Si  Votre  Sainteté  veut  bien  avoir  égard  à 
ces  raisons,  je  vous  donne  ma  parole  que  tous  les  vrais  catholiques,  qui 
suivent  aujourd'hui  le  parti  du  roi  de  Navarre,  abandonneront  aussitôt 
son  camp,  et  que  toutes  les  villes  du  royaume  se  soulèveront  contre  lui 
en  ma  laveur.  »  (De  Thou,  ubi  sup.) 

Celui  qui  portait  cette  missive  lut  rencontré  sur  la  route  par  un  autre 
envoyé  (|ue  Mayenne  députait  aussi  de  son  côté.  Ce  dernier  homme,  fin 
et  insinuant,  vint  a  bout  de  tirer  de  l'autre  le  secret  de  sa  mission;  il  se 
procura  même  une  copie  de  la  lettre  du  cardinal;  puis  il  alla  prévenir 
l'esprit  de  Grégoire  XIV  contre  cette  nouvelle  intrigue,  dans  laquelle  on 
voulait  faire  entrer  Sa  Sainteté.  Aussi  le  pontife,  ayant  lu  ce  que  lui 
écrivait  Monsieur  le  cardinal  de  Bourbon,  répondit  froidement  qu'il 
voyait  avec  plaisir  la  soumission  de  ce  prince  envers  le  Saint-Siège  ; 
niais  (ju'avant  de  se  prononcer  sur  les  propositions  que  contenait  son 
écrit,  il  voulait  d'abord  mettre  la  religion  hors  de  tout  danger  en  France; 
qu'après  cela,  il  verrait  'a  faire  ce  qui  serait  le  plus  convenable  et  le  plus 
conforme  'a  l'équité.  L'envoyé  ne  put  obtenir  d'autre  réponse.  Mais  il  se 
garda  bien  de  la  rendre  textuellement  au  cardinal,  dont  il  tenait  à  flatter 


158  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

l'ambition  ;  il  y  ajouta  beaucoup  de  choses  qui  n'avaient  pas  été  dites 
par  le  Saint-Père  et  qu'il  jugeait  devoir  être  plus  agréables  a  son  noble 
patron.  Mayenne,  au  contraire,  recevait  au  même  instant  une  copie  fidèle 
et  de  la  lettre  de  ce  nouveau  prétendant  et  de  la  sèche  réplique  qu'y 
avait  faite  le  Pape.  Le  roi  en  eut  pareillement  connaissance;  mais  il  sen- 
tait qu'il  avait  des  ménagements  a  garder. 

Pour  ceux  du  tiers-parti,  encouragés  par  les  bonnes  paroles  qu'on 
leur  apportait,  soi-disant  de  la  part  du  Saint-Père,  ils  se  montraient  de 
jour  en  jour  plus  indociles  et  plus  entreprenants.  Souvré,  gouverneur  de 
Tours,  venait  de  recevoir  des  offres  séduisantes  de  la  part  du  duc  de 
Mayenne,  pour  livrer  cette  place  importante  à  la  Ligue.  On  ne  lui  pro- 
mettait pas  moins  que  cent  mille  écus  d'or  comptant,  avec  un  comman- 
dement de  mille  hommes  d'infanterie  et  de  deux  cents  chevaux;  mais 
Souvré  avait  répondu  qu'il  aimerait  mieux  mourir  que  de  trahir  ses  ser- 
ments faits  au  roi.  Alors  ceux  du  tiers-parti,  qui  commençaient 
a  regarder  la  Ligue  comme  faisant,  ainsi  qu'on  le  leur  avait  fait  croire, 
cause  commune  avec  eux,  cherchèrent  a  ébranler  la  fidélité  de  cet  hon- 
nête gouverneur.  Ils  lui  insinuèrent  que  le  roi,  n'ayant  de  contiance 
que  dans  les  huguenots,  avait  résolu  de  lui  ôter  son  gouvernement; 
par  conséquent,  il  ne  devait  plus  se  croire  obligé  à  un  prince  ne  le 
payant  que  d'ingratitude  ;  et  la  prudence  lui  faisait  une  loi  d'accepter 
l'appui  de  ceux  qui  ne  demandaient  pas  mieux  que  de  le  maintenir  dans 
son  poste.  Souvré  pourtant  résistait  encore  a  toutes  ces  raisons  si  ca- 
pables de  le  corrompre.  Et  d'aussi  perlides  insinuations  parlaient  du 
camp  même  du  roi;  et  le  roi  était  instruit  de  toutes  ces  intrigues  ;  mais 
il  se  sentait  dans  l'impossibilité  de  les  réprimer  par  la  force.  {De  Tiiou, 
ubi  sup.,  p.  551.) 

Une  autre  contrariété  aussi  poignante,  quoique  moins  grave,  venait 
de  surgir  encore.  On  sait  que  ce  prince  avait  été  l'amant  de  la  belle 
Corisande  d'Andouin.  Ses  goûts  volages  l'avaient  plus  d'une  fois  rendu 
infidèle  a  cette  dame,  et  il  avait  fini  par  la  négliger  tout  a  fait.  Cori- 
sande, abandonnée,  chercha  a  se  venger  d'un  ingrat,  et  en  sa  qualité 
de  femme  adroite  et  outragée,  elle  sut  précisément  trouver  l'endroit  sen- 
sible où  elle  devait  porter  ses  coups.  Dans  un  temps  où  Henri  avait  le 
plus  grand  besoin  de  se  faire  des  amis,  il  avait  promis  au  comte  de 
Soissons  la  main  de  sa  sœur  Catherine  de  Navarre  ;  puis,  les  événe- 
ments et  la  conduite  du  prince  lui  ayant  fait  changer  d'idée,  il  avait 
retiré  cette  promesse.  Corisande  imagina  de  reprendre  secrètement  et 
pour  le  compte  de  sa  vengeance  ces  projets  de  mariage.  Elle  écrivit  au 
comte  et  a  la  princesse,  «  et  fit  si  bien  par  ses  lettres  insinuantes  qu'elle 
ralluma  leur  amour  qui  était  presque  éteint.  »  Les  choses  en  vinrent 
au  point  que  l'on  regardait  partout  ce  mariage  comme  ne  pouvant  plus 
manquer  de  se  faire,  sans  consulter  le  roi  et  même  malgré  lui.  (DeTiiou, 
ubi  sup.) 

Henri,  dans  tout  cela,  vit  surtout  le  mépris  qu'on  témoignait  pour 
lui,  et  jugeant  qu'on  ne   se  permettait  de  pareilles  choses  que  parce 


I 


DU  PllOTESÏANTISME  EN  FRANCE.  150 

qu'on  regardait  ses  aflaires  comme  désespérées,  il  comprit  la  nécessité 
où  il  était  de  rétablir  par  un  coup  d'éclat  la  réputation  de  ses  armes. 

Le  cliaiicclier  Cheverny  n'eut  donc  pas  grand'peine  a  lui  persuader  de 
continuer  le  siège  de  Chartres.  Aussitôt  (jue  son  artillerie  lut  arrivée,  il 
lit  dresser  une  puissante  batterie  devant  la  porte  de  Dreux,  et  dès  (|ue 
la  brèche  se  trouva  ouverte,  il  ordonna  de  monter  'a  l'assaut.  Les  troupes 
royales,  malgré  des  ellbrts  prodigieux,  ne  purent  encore  celte  lois  péné- 
trer dans  la  ville.  Deux  régiments,  qui  avaient  été  commandés  pour 
Irancbir  la  brèche,  lurent  obligés  de  reculer  sous  le  leu  meurtrier  de 
rennemi.  Alors  les  olllciers  et  les  volontaires  y  coururent  tète  baissée; 
ils  parvinrent  a  s'y  loger  et  a  s'y  retrancher;  mais  la  garnison  vint  bien- 
tôt les  atlaijuer  de  nouveau.  (.Mézeuay,  t.  III,  p.  SG,).) 

Il  y  eut  un  combat  acharné  et  sanglant.  Du  côté  des  assiégés,  il  y  fut 
tué  cent  hommes;  mais,  du  côté  du  roi,  soixante  capitaines  et  gentils- 
hommes perdirent  la  vie  dans  cette  occasion,  sans  compter  le  double  au 
moins  qui  y  lurent  blessés  plus  ou  moins  dangereusement.  Henri,  touché 
de  la  perte  de  tant  de  braves  gens,  voulait  faire  sonner  la  retraite,  et 
dit  tout  en  colère  a  Cheverny,  qui  le  pressait  pour  qu'on  continuât  l'at- 
taque :  «  Hé  bien!  allez-y  donc  vous-même,  Monsieur:  pour  moi,  je  ne 
suis  pas  accoutumé  à  l'aire  si  bon  marché  de  ma  noblesse.  »   • 

Le  combat  continuait  néanmoins  avec  plus  d'animosité  que  jamais  et 
la  victoire  était  encore  incertaine,  lorsque  le  sieur  du  Pescheray,  qui 
commandait  dans  la  ville  au  nom  de  la  Ligue,  et  en  qui  les  habitants 
avaient  mis  leur  espérance,  tomba  mortellement  blessé.  Cette  mort 
déconcerta  les  assiégés,  qui  perdirent  enhn  toute  résolution  en  voyant 
se  dresser  contre  leurs  murailles  une  énorme  machine  de  l'invention  de 
Chàtillon,  avec  un  pont  de  bois  couvert  d'épais  madriers,  a  l'abri  des- 
quels les  arquebusiers  du  roi  foudroyaient  ceux  qui  combattaient  sur  les 
remparts. 

Ou  entra  donc  en  pourparlers,  le  jour  du  dimanche  de  la  Passion,  et 
il  lut  convenu  (|uesi  le  duc  de  Mayenne,  qu'on  disait  être  alors  à  Soissons, 
ne  venait  pas  d'ici  'a  huit  jours  au  secours  de  la  ville,  elle  serait  rendue 
au  roi.  Or,  le  duc,  suivant  son  habitude,  n'osa  rien  tenter  d'important, 
et  s'étant  mis  en  route,  il  s'arrêta  a  faire  le  siège  de  Château-Thierry,  où 
il  se  promettait  un  succès  plus  facile.  Chartres  capitula  donc  le  dix-neu- 
vième jour  d'avril.  La  garnison  étrangère  obtint  de  sortir  enseignes  dé- 
ployées; un  grand  Jiombre  de  dames  de  la  ville,  qui  ne  voulaient  avoir 
aucun  commerce  avec  les  hérétiques,  sortirent  avec  ces  soldats,  et 
Biron,  'a  la  tête  de  douze  cents  hommes  d'infanterie  et  de  deux  cents 
chevaux,  prit  j)Osscssion  de  la  place. 

Le  roi  conlirma  les  franchises  et  les  privilèges  de  sa  bonne  ville  de 
Chartres  qu'il  venait  de  reconquérir;  il  promit  d'y  conserver  l'exercice  de 
la  religion  catholique;  il  défendit  même  d'y  professer  publiquement  le 
culte  réformé,  et  il  put  y  laire  sa  joyeuse  entrée  ledit  jour  dix-neuvième 
du  mois  d'avril. 

Mais  ce  siège  avait  coûté  cher  'a  Henri  IV.  On  peut  évaluer  la  perte 


1G0  HISTOIRE  DE  L-ÉTABLISSEMENT 

des  simples  soldats  par  le  nombre  des  ofliciers  qui  y  périrent.  Or,  les 
assiégés,  avant  de  se  rendre,  lui  avaient  lue  douze  maistres  de  camp  et 
soixante  capitaines,  plus  de  cent  autres  avaient  été  blessés.  Aussi,  lorsque 
le  magistrat  qui  le  baranguait,  en  lui  présentant  les  clés  a  la  porte  de  la 
ville,  s'en  vint  a  lui  dire  que  les  babitants  offraient  de  tout  cœur  leurs 
respectueux  bommages,  a  celui  qui  était  leur  maître  par  le  droit  divin  et 
par  le  droit  bumain...  «  Mon  brave  bomme,  interrompit  brusquement  le 
roi,  en  poussant  son  cbeval,  ajoutez  aussi  :  et  par  le  droit  canon.  » 
(Matthifa-,  Règne  de  Henri  IV,  liv.  l''"',  p.  Gi.) 

Châlillon,  qui  avait  tant  contribué  au  succès  du  siège  parla  macbinc 
qu'il  avait  inventée,  fut  lui-même  du  nombre  des  blessés.  Une  balle 
l'avait  atteint  a  la  tête.  Il  se  relira  en  sa  maison,  qui  est  sur  la  rivière  du 
Loing,  et  il  y  mourut  dans  les  bras  de  sa  jeune  femme,  a  l'âge  de  trente 
ans  seulement,  «  ce  qui  fut  cause  qu'il  ne  put  être  converti  a  la  vraie 
foi,  comme  on  avait  tout  csjjoir  de  l'y  amener  bientôt,  ainsi  qu'on  y 
avait  amené  son  frère  d'Aiidelot,  lequel  avait  abjuré  l'année  précédente.  » 
(Gâvet,  Cliron.  novcnn.,[\û  ann,  1591,  liv.  3.) 

Le  roi,  cependant,  après  avoir  tiré  des  ba!)ilanls  de  Cbartres  une  assez 
forte  somme,  et  les  avoir  obligés  a  lui  fournir  une  grande  quantité  de  blé 
pour  son  armée,  rétablit  le  cbancclier  Cbeverny  dans  son  gouvernement 
de  cette  place,  après  quoi  il  partit,  et  n'ayant  pris  que  le  temps  de 
recevoir  en  passant  la  soumission  d'Anneau  et  de  Dourdan,il  se  disposait 
a  marcbcr  incontinent  au  secours  de  Cliâteau-Tbierry,  que  Mayenne  assié- 
geait encore. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  J61 


CHAPITRE   VIII 


1591.  —  ARGUMENT  :  chateau-tiiierry  livué  a  mavk.nne. 

NOUVELLES   NÉGOCIATIONS   DE    VILLEnOY. 
CONSEIL   TENU    PAU   LE   DUC   DE   LORRAINE,    LES   CUISES   ET   DE  DUC   DE   SAVOIE. 

ON   Y   DÉCIDE   d'envoyer   UN   AMBASSADEUR   AU    ROI   D'ESPAGNE. 

JEANNIN   CHARGÉ  DE   CETTE   MISSION.    —    LETTRE   DU    PARTI    ROYALISTE   AU    PAPE. 

LETTRE   DU    PAPE   A   LA   LIGUE.    —    LE   ROI   SURPREND    LOUVIERS. 

LE   PARLEMENT  DE   CIIÂLONS    CONDAMNE    LA   BULLE   DU    PAPE. 

LE   PARLEMENT  DE   TOURS   DÉCLARE   LE   PAPE   FAUTEUR   DE    RÉDELLION 

ET   ENNEMI   DU    ROYAUME. 

LE   PARLEMENT   DE   PARIS   CONDAMNE   ET    CASSE    CES    DEUX   ARRÊTS. 

I,E   ROI    RÉVOQUE   l'ÉDIT  DE   JUILLET.   —  ASSEMBLÉE   DES   PRÉLATS    ROYALISTES. 

INTRIGUES    DU     CARDINAL   DE   BOURBON.    —    MAYENNE   TENTE   DE   SURPRENDRE   MANTES. 

MANDEMENT   DES   PRÉLATS   ASSEMBLÉS.    —    LE   ROI    PREND    NOYON. 

LE   JEUNE    GUISE    ÉCHAPPE    DE   PRISON. 

CONTINUATION   DE   LA   GUERRE   CIVILE   DANS   LES   PROVINCES  :   —   DANS    LE   BERRY, 

DANS   LE   LIMOUSIN,    —   DANS    LA    MARCHE,    —    EN   TOURAINE, 

EN    BRETAGNE    OU    LA   NOUE   EST   TUÉ.   —   DANS    L'ANJOU.    —   EN   AUVERGNE, 

EN     liUURGOGNE.    —   DANS    LES   PROVINCES     DU    MIDI.    —    EXPLOITS    DE   LESDIGUIÈRES. 


La  prise  de  Chartres  coupait  les  communications  de  Paris  avec  la 
plus  grande  partie  des  pays  qui  contribuaient  le  plus  abondamment  a  son 
approvisionnement,  et  la  lamine,  dans  cette  grande  cité,  paraissait  de- 
voir être  la  conscMiuence  inévitable  de  cette  nouvelle  conquête  du  roi  sur 
les  Ligueurs;  mais  Mayenne,  en  prenant  de  son  côté  Château-Thierry, 
venait  d'ouvrir  une  autre  route  a  l'arrivage  des  provisions  nécessaires 
aux  Parisiens.  Le  vicomte  de  Comblesy,  qui  commandait  dans  cette  place 
au  nom  du  roi,  Pavait  traîtreusement  livrée  par  des  considérations  d'in- 
térêt personnel.  Lui  et  son  père,  Claude  Pinart,  secrétaire  d'Etat  du  leu 
roi  Henri  111,  possédaient  de  grands  biens  dans  les  environs;  ils  crai- 
gnaient de  les  voir  ravagés  par  l'ennemi,  s'ils  se  décidaient  à  soutenir  un 
siège,  et  ils  lirent  avec  Mayenne  un  traité  secret,  par  le(|uel  il  était  con- 
venu que  celui-ci  ouvrirairune  brèche,  pour  mettre  seulement  l'honneur 
du  gouverneur  à  couvert,  et  que  la  ville  lui  serait  rendue  aussitôt  après, 
'a  condition  <jue  les  biens  des  deux  Pinart,  père  et  (ils,  seraient  respectés 
et  ne  souIVriraient  aucun  dommage.  (l)i:  Tnoi ,  t.  M,  liv.  101,  p.  555. ") 
Mayenne  lit  donc  jouer  son  artillerie,  et  la  garnison,  (|ui  ne  soup- 
çonnait rien  du  traité   lait  avec  son  commandant,    se   disposait  h  une 

IV.  11 


162  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

vigoureuse  défense  ;  mais  Comblesy  la  fit  tout  d'abord  rentrer  dans  la 
citadelle,  abandonnant  la  ville  à  l'ennemi.  Les  Espagnols  y  commirent 
toutes  sortes  d'excès,  tant  pour  assouvir  leur  avidité,  que  par  suite  de  la 
haine  qu'ils  ont  naturellement  pour  les  Français.  Le  canon  fut  ensuite 
pointé  contre  la  citadelle.  Alors,  le  gouverneur  s'adressa  'a  ses  soldats. 
«  Je  ne  vois  pas,  dit-il,  pourquoi  nous  exposerions  notre  vie,  pour  défendre 
un  poste  qu'il  faudra  toujours  finir  par  rendre  a  des  forces  aussi  supé- 
rieures. Monseigneur  de  Mayenne  nous  offre  des  conditions  avanta- 
geuses et  honorables.  Mon  avis  est  de  les  accepter.  » 

L'autorité  du  chef  entrahia  tous  les  autres,  et  Pinart  et  son  fils  con- 
servèrent leurs  biens;  Mayenne  leur  accorda  de  plus  une  pension  équi- 
valente au  revenu  du  gouvernement  que  le  fils  consentait  d'abandon- 
ner. Mais  le  parlement  de  Châlons,  trouvant  qu'il  y  avait  eu  lâcheté  dans 
cette  affaire,  cita  par  devant  lui  les  deux  Pinart.  Ceux-ci  n'ayant  pas 
voulu  comparaître,  il  les  condamna  a  mort  par  contumace  et  déclara  tous 
leurs  biens  confisqués.  Le  roi  voulut  bien,  dans  la  suite,  révoquer  cette 
condamnation,  et  le  père  et  le  fils  en  furent  quittes  pour  trente  mille 
écus  d'or  qu'ils  lui  payèrent  comptant. 

Mayenne  donna  le  commandement  de  la  ville  qu'il  venait  de  conqué- 
rir par  un  pareil  moyen  à  l'abbé  de  Lenoncourt,  frère  du  cardinal  de  ce 
nom,  et  y  plaça  une  forte  garnison;  puis,  selon  sa  tactique  habituelle,  il 
renoua  les  négociations  pour  la  paix.  C'était  toujours  ainsi  qu'il  se  pro- 
curait un  peu  de  répit,  quand  les  armes  du  roi  l'emportaient  trop  sur  sa 
fortune.  Villeroy  était  l'agent  accoutumé  de  tous  ces  pourparlers  sans 
effet,  et  voici  comment  il  rend  compte  lui-même  de  sa  mission.  (Mézeray, 
t.  m,  p.  809.) 

«  J'avais  été,  dit-il,  autorisé  par  Monsieur  de  Mayenne  a  faire  courir 
le  bruit  que  je  me  relirais  dans  ma  maison,  pour  ne  plus  me  mêler  de 
rien;  mais  j'étais  chargé  de  voir  le  roi  et  d'avoir  de  sa  part  de  bonnes 
conditions  de  paix,  ce  que  je  désirais  par-dessus  tout  pour  le  bien  du 
pays.  Il  fallait  d'abord  obtenir  une  suspension  d'armes,  afin  qu'on  eût  le 
loisir  de  traiter  ces  importantes  affaires,  et  j'eus,  a  cet  effet,  plusieurs 
entrevues  avec  le  sieur  Duplessis-Mornay.  Mais  celui-ci  ne  s'y  portait 
que  mollement,  prévoyant  bien  que  tout  cela  devait  amener  promptement 
le  changement  de  religion  de  Sa  Majesté,  qui,  a  son  avis,  n'y  semblait 
déjà  que  trop  disposée.  Je  devais  aussi  obtenir  liberté  et  sûreté  de  com- 
merce pour  Paris,  pendant  cette  trêve,  ainsi  que  la  délivrance  des  prison- 
niers de  guerre,  notamment  celle  des  ducs  de  Guise  et  d'Elbeuf.  De  plus, 
comme  le  duc  Mayenne  ne  devait  traiter  sans  l'avis  et  consentement  de 
ceux  de  son  parti,  lesquels  il  ne  pouvait  assembler  durant  la  guerre  à 
cause  du  danger  des  chemins,  je  devais  préalablement  demander  des 
passeports,  pour  les  faire  venir  sûrement.  Les  passeports  me  furent  ac- 
cordés sans  trop  de  difficultés;  mais  ceux  auxquels  le  duc  donna  charge 
de  dresser  la  lettre  qui  devait  accompagner  les  dits  passeports  que  je  lui 
avais  envoyés  y  mirent  que  c'était  pour  une  réunion  des  Etals-Généraux 
du  royaume,  dont  pourtant  je  déclare  que  je  n'avais  eu  aucune  charge  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  1G3 

parler,  et  de  plus,  il  y  avait  dans  la  lettre  tout  ce  qu'il  fallait  pour 
donner  occasion  de  croire  que  le  dit  duc  voulait  assembler  ceux  de  son 
parti  a  celle  lin  d'élire  un  roi.  En  outre,  il  arriva  en  même  temps  cpie  le 
sieur  d'Ornano,  colonel  des  Corses,  ayant  eu  l'occasion  de  voir  le  duc 
de  Mayenne,  s'en  revint  dire  au  roi  lui-même  :  «  Sire,  je  sais  de  bonne 
«  part  que  Monsieur  de  Mayenne  est  si  bien  lié  et  engagé  avec  les  Espa- 
«  gnols,  qu'il  ne  peut  plus  traiter  avec  Voire  Majesté,  et  qu'il  dépend  en 
«  tout  maintenant  de  leur  vouloir.  »  J'eus  donc  beau  faire  ;  ceux  qui 
trouvaient  leurs  prolils  et  commodités  ordinaires  dans  la  guerre  par- 
vinrent a  persuader  a  Sa  Majesté  (pi'elle  pouvait  mieux  venir  à  bout  de 
ses  ennemis  par  les  armes  que  par  un  accord,  et  partant  la  dissua- 
dèrent d'entendre  a  toute  réconciliation.  »  {Mém.  de  Villcroy,  ad 
aini.  LM)1.) 

l'endanl  ce  temps-la,  le  duc  Cbarles  de  Lorraine,  les  princes  de  sa 
maison  et  l'envoyé  de  Savoie,  s'assemblèrent  a  Reims,  pour  prendre  des 
mesures  sur  l'état  présent  des  alTaircs.  Le  cardinal  dePellevé,  qui  s'était 
vanté  à  Rome  de  sacrer  bientôt  lui-même  le  roi  que  la  Ligue  nommerait, 
se  trouvait  aussi  h  cette  réunion,  dans  laquelle  il  fut  question  de  cboisir 
celui  (pion  porterait  a  cette  liante  dignité.  Mais  on  était  loin  d'être 
d'accord.  Le  duc  de  Lorraine,  comme  cbef  de  la  famille,  prétendait  que 
la  couronne  revenait  de  droit  au  lils  <ju'il  avait  eu  de  son  mariage  avec 
la  sdMir  de  Henri  IIL  Les  Guises,  au  contraire,  comptant  sur  la  popularité 
que  leur  nom  avait  ac(piise  en  Fiance,  depuis  bientôt  cent  ans  qu'ils  s'y 
étaient  établis,  ne  voulaient  pas  céder  une  pareille  fortune.  Seulement  ils 
ne  pouvaient  s'entendre  sur  celui  d'entre  eux  qui  en  profilerait.  Mayenne, 
qui  se  trouvait  déjà  a  la  tête  de  la  Ligu(%  demandait  (|ue  le  clioix  tombât 
sur  lui;  mais  il  avait  beaucoup  perdu  de  sa  répulalion  depuis  la  bataille 
d'ivry,  et  cela  rendait  l'audace  aux  autres.  Ceux  (jui  n'avaient  pas  de 
prétentions  pour  eux-mêmes  i>ortaienl  le  jeune  duc  de  Cuise,  (pioiqu'il 
lïil  encore  prisonnier.  Le  duc  de  Mercœur  voulait  se  rendre  maître  de  la 
Bretagne;  le  duc  de  Nemours  songeait  à  se  faire  une  principauté  dans 
ses  gouvernements.  De  son  côté,  le  duc  de  Savoie  tenait  pins  (pie  jamais 
a  avoir  au  moins  les  provinces  méridionales  de  la  France.  Mais  à  tous 
les  cboses  ne  paraissaient  pas  assez  avancées  encore  pour  (pion  pût 
agir  sans  |)récaution.  On  n'ignorait  pas  (|ue  le  roi  d'Espagne  avait  aussi 
des  prélenlions  sur  cette  riclie  proie;  or,  comme  Sa  Majesté  ealliolique 
était  le  plus  fort  appui  de  la  Sainte-Union,  et  (pie  tout  dépendait  à  peu 
près  des  secours  qu'elle  fournissait  au  parti,  on  sentait  qu'il  y  avait  des 
précautions  a  garder  avec  un  pareil  conipélileui;.  (Dk  Tiiue,  nOi  ,sup.  — 
Davila,  t.  III,' p.   KiS.) 

On  décida  donc  (pion  lui  enverrait  un  ambassadeur,  pour  lui  repré- 
senter (pie  la  cause  de  la  religion  s'en  allait  eiilièrement  ruinée  par  les 
succès  des  liéréliiiues,  s'il  n'accordait  immédiatement  de  plus  puissants 
secours;  (|ue  les  forces  de  l'ennemi  s'augmeiilaienl  joiiinellemenl  ;  ipie  la 
reine  d  Angleterre  et  les  princes  protestants  de  l'Allemagne  avaient  |)ris 
ouvertement  parti  pour  le  Béarnais,  et  que  la  noblesse  fran(^'aise,  vovant 


164  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

combien  Sa  Majesté  catholique  mettait  de  tiédeur  a  envoyer  des  troupes 
toujours  insuflisanles,  n'osait  plus  se  détacher  d'un  prince,  dont  au  bout 
du  compte  le  peu  de  forces  qu'on  avait  pu  lui  opposer  jusqu'à  ce  jour 
faisait  tout  le  succès;  qu'il  était  donc  nécessaire,  si  l'on  voulait  obtenir 
des  États-Généraux  une  bonne  et  catholique  élection,  de  mettre,  avant 
de  les  assembler,  les  affaires  de  la  Ligue  en  meilleur  état,  et  qu'il  était 
de  l'honneur  et  de  la  majesté  du  puissant  roi  des  Espagnes  de  conduire 
à  bonne  (in,  par  un  coup  décisif,  une  entreprise  si  glorieusement  com- 
mencée par  lui,  pour  le  salut  de  la  Sainte-Église,  notre  mère  commune. 
(Mézerav,  t.  III,  p.  871.) 

Ce  fut  Jeannin,  président  au  parlement  de  Dijon,  et  ami  intime  du 
duc  de  Mayenne,  qui  fut  chargé  de  cette  ambassade.  Le  duc  l'avait  prié 
secrètement,  en  outre,  de  sonder  Philippe  et  de  tâcher  de  savoir  s'il 
consentirait  'a  appuyer  son  élection,  a  certaines  conditions;  et  il  s'enga- 
geait a  accepter  toutes  celles  qui  sembleraient  le  plus  avantageuses  au 
monarque  espagnol. 

Jeannin,  tout  ami  qu'il  était  du  duc  de  Mayenne,  tenait  aussi  'a  se 
ménager  des  ressources  dans  le  parti  du  roi;  il  lit  demander  sous  main  à 
Henri  s'il  aurait  pour  agréable  qu'au  cas  où  le  monarque  d'Espagne  pour- 
rait être  amené  a  traiter  de  la  paix,  il  abordât  aussi,  lui  Jeannin,  la 
question  des  droits  de  Sa  Majesté  sur  le  royaume  de  Navarre.  Henri  répon- 
dit qu'il  le  trouvait  bon,  et  lui  en  saurait  gré.  En  conséquence,  le  prési- 
dent Jeannin  vint  s'embarquer  a  Marseille,  chargé  tout  'a  la  fois  de  sou- 
tenir les  intérêts  du  roi,  ceux  de  la  Ligue,  et  ceux  du  duc  de  Mayenne, 
son  ami.  (De  Tiiou,  ubi  sup.  —  Mézerav,  ibid.) 

Philippe,  qui  faisait  cas  de  la  capacité  de  ce  diplomate,  lui  accorda 
deux  audiences.  Dans  la  première,  Jeannin  parla  en  faveur  de  la  Ligue, 
dont  il  exposa  habilement  les  besoins  et  les  dangers,  suppliant  le 
monarque  de  rendre  «  sa  protection  aussi  puissante  que  le  protecteur.  » 
«  Le  temps  est  venu,  dit-il,  où  Votre  Majesté  ne  doit  plus  se  contenter  de 
tendre  a  la  bonne  cause  le  bout  du  doigt  seulement,  mais  où  il  faut  l'ap- 
puyer avec  le  bras  et  avec  l'épaule.  » 

Dans  la  seconde  audience,  il  justifia  la  conduite  de  Mayenne,  que 
l'ambassadeur  d'Espagne  accusait  d'être  d'intelligence  avec  le  Béarnais. 
«  Si  le  noble  duc,  son  ami,  n'avait  pas  préféré  l'intérêt  de  la  religion  'a 
son  intérêt  propre,  il  ne  tiendrait  encore  (ju'â  lui  de  partager  la  couronne 
de  France  avec  le  roi  de  Navarre  ;  la  proposition  lui  en  a  été  faite  de  bon 
lieu.  Mais  il  professe  tant  d'attachement  pour  Sa  Majesté  catholique,  qu'il 
ne  veut  entendre  a  aucun  traité  sans  son  consentement,  et  qu'il  aime 
mieux  ne  devoir  qu'a  elle  seule  une  royauté  dont  son  mérite  le  rend  si 
digne  sous  tous  les  rapports.  Au  surplus  de  tous  ceux  qui  prétendent  à 
ce  rang  suprême  en  France,  «  n'est-il  pas  le  seul  capable  de  tenir  parole  t 
«  a  Sa  Majesté  catholique,  et  disposé  a  exécuter  fidèlement  tout  ce  qu'il 
«  promettrait?  » 

Il  est  probable  que  si  Jeannin  eût  eu  une  troisième  audience  du  roi, 
il  aurait  parlé  avec  autant  d'éloqnence  en  faveur  des  droits  de  Henri  IV 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  165 

sur  la  Navarre  ;  mais  cette  occasion  de  déployer  son  talent  diplomatique 
ne  lui  fut  pas  fournie.  Philippe,  qui  dans  ses  plans  de  monarchie  uni- 
verselle s'était  facilement  laissé  persuader  par  ses  llatteurs  que  la  France 
tout  entière  n'aspirait  qu'a  le  reconnaître  pour  maître,  qu'il  n'avait  plus 
qu'a  mettre  la  main  dessus,  ne  donna  aucune  réponse  ;  et  sans  vou- 
loir en  entendre  davantage,  il  se  contenta  d'envoyer  gracieusement  le 
diplomate  discuter  de  ces  matières  avec  don  Juan  Ydiaque,  qui  avait, 
au  conseil  royal,  le  département  des  affaires  de  France.  Ydiaque  s'ex- 
pli(jua  sans  trop  de  détours.  Il  dit  que  son  royal  maître  avait  déjà  employé 
plus  de  six  millions  d'or,  et  avait  encore  la  volonté  d'en  employer  six 
ibis  autant  pour  le  bien  de  la  France,  mais  qu'il  n'était  pas  juste  qu'il 
semât  toujours  sur  l'arène,  sans  récolter  proiit  pour  toute  sa  dépense, 
tandis  que  d'autres  en  auraient  tous  les  fruits.  «  On  ne  peut  nier,  ajouta 
le  ministre  espagnol,  que  la  couronne  de  France  appartient,  suivant 
tout  droit  légitime,  a  notre  infante  Isabelle,  comme  étant  la  princesse 
du  sang  royal  la  plus  proche  parente  des  derniers  rois.  Son  i)ère,  notre 
roi  et  seigneur,  (|ui  veut  la  marier  a  l'archiduc  Ernest,  a  l'intention  de 
lui  donner  en  dot  les  Pays-Bas.  Si  donc  la  France  reconnaissait  les 
droits  légitimes  de  cette  princesse,  la  nation  trouverait  la  des  avantages 
(|u'elle  ne  saurait  rencontrer  ailleurs;  ses  limites  seraient  étendues  de 
|)lus  d'un  tiers,  son  domaine  accru  des  plus  riches  provinces  de  l'Eu- 
rope, et  la  paix  pour  toujours  affermie.  »  (Matthiei,  Règne  de  Henri  IV, 
V'  part.,  p.  69.) 

Jeannin  n'osa  rien  opposer  a  ce  plan,  qui  n'avait  guère  que  l'incon- 
vénient d'être  en  opposition  directe  avec  l'antique  loi  salique,  fonde- 
ment de  la  monarchie  française.  L'habile  homme  craignait  (jue  le  roi 
d'Espagne  n'abandonnât  le  duc  de  Mayenne,  et  n'élevât  quelque  autre 
chef  de  la  Ligue  îi  la  place  de  celui-ci.  Il  jura  donc  sans  hésiter  que  le 
duc  et  son  parti  employeraient  tout  leur  pouvoii'  pour  le  service  de  Sa 
Majesté  catholique,  «  et  il  se  conduisit  avec  tant  d'habileté,  (|iril  obtint 
que  le  roi  d'Espagne  continuerait  d'entretenir  une  armée  en  France,  pour 
en  chasser  le  roi  de  Navarre,  et  donnerait  a  Mayenne  dix  mille  écus  d'or 
par  mois,  'a  la  charge  que  les  États-Généraux  seraient  assemblés  et  ap- 
prouveraient certaines  conditions  qu'il  se  réservait  de  leur  laire  présenter 
par  ses  ambassadeurs. 

Jeannin  rapporta  cette  réponse  à  Mayenne;  mais  comme  il  fut  obligé 
de  traverser  la  Flandre,  a  son  retour,  il  y  fut  témoin  de  la  position  où  le 
duc  de  Parme  s'y  trouvait  alors,  et  il  put  juger  (ju'il  était  beaucoiq)  plus 
facile  aux  Espagnols  de  promettre  des  secours  que  d'en  donner. 

Pendant  ce  temps-la,  le  bruit  s'était  répandu  dans  toute  la  France  que 
l'armée  du  Pape  allait  bientôt  arriver  au  secours  de  la  Ligue.  Le  roi, 
(jui  n'avait  pas  encore  pu  réunir  toutes  les  troupes  que  les  alliés  lui 
avaient  promises,  et  qui  craignait  surtout  le  tort  que  l'intervention 
directe  de  Sa  Sainteté  pouvait  lui  faire  dans  l'esprit  des  catholicpies,  fit 
écrire  ii  Grégoire  Xl\',  pour  lâcher  d'obtenir  de  lui  des  mesures  plus 
modérées  et  surtout  le  retard  de  l'envoi  d'une  armée.  La  lettre  était  faite 


166  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

au  nom  de  tons  les  princes  el  seigneurs  catholiques,  qui  se  trouvaient 
au  camp  royaliste,  et  elle  était  écrite  par  Monsieur  de  Luxembourg. 
Après  avoir  rappelé  les  négociations  qui  avaient  déjà  été  entamées  de 
la  part  du  roi  avec  Sixte  V,  et  la  bonne  volonté  que  ce  saint  Pape 
n'hésitait  pas  déjà  à  manifester,  «  Très-Saint-Père,  disail-on,  nous  crai- 
gnons que  les  ennemis  de  notre  prince  ne  viennent  a  bout  de  vous 
inspirer  sur  les  affaires  de  France  des  sentiments  opposés  à  ceux  que  le 
bien  même  de  la  religion  demande  que  vous  ayez.  C'est  pourquoi  nous 
vous  supplions  de  n'écouter  pas  si  facilement  ceux  qui  ont  intérêt  a  la 
ruine  de  ce  royaume.  Votre  Sainteté,  au  reste,  pourrait  ne  pas  trouver 
toute  facilité  dans  la  démarche  qu'on  veut  la  pousser  a  îaire  ;  nous 
sommes  depuis  longtemps  accoutumés  au  bruit  des  armes  en  France,  et 
vous  devez  avoir  appris  que  la  guerre  ne  nous  effraye  point.  Si  la  noblesse 
française  se  voit  abandonnée  par  le  Saint-Siège,  elle  ne  prendra  conseil 
que  de  son  courage,  et  vous  devriez  frémir,  comme  je  le  fais  moi-même 
à  l'aspect  de  tous  ces  troubles,  qui  seront  la  suite  inévitable  de  la  mauvaise 
décision  qu'on  veut  vous  forcer  a  prendre.  Car  enfin,  qu'arrivera-t-il  en 
France,  si  tous  ceux  qui  sont  dévoués  à  leur  patrie,  et  bien  décidés  'a 
avoir  recours  aux  dernières  extrémités  plutôt  que  de  se  soumettre  a  une 
domination  étrangère,  se  déterminent  a  accepter  les  secours  des  princes 
protestants  de  l'Allemagne  et  de  la  reine  d'Angleterre?  Je  vous  laisse  a 
décider  quels  préjudices  en  souffrira  la  fol  catholi(|iie,  et  quelle  réproba- 
tion mériteront,  au  jugement  de  Dieu,  ceux  qui  auront  exposé  son 
Église  'a  un  danger  aussi  manifeste.  En  vérité,  nous  ne  saurions  croire 
que  vous,  père  commun  de  tous  les  fidèles,  puissiez  avoir  formé  la  fatale 
résolution  d'envoyer,  comme  on  en  fait  courir  le  bruit,  un  secours 
d'hommes  et  d'argent  aux  Parisiens,  pour  leur  aider  à  donner  l'exemple 
de  la  révolte  contre  une  autorité  légitime,  et  du  désordre  le  plus  désas- 
treux. Votre  prudence  et  votre  amour  bien  connu  pour  la  justice  nous 
rassurent  contre  tous  ces  bruits  sans  doute  mensongers.  Nous  nous  rap- 
pelons que  vous-même,  lorsque,  l'année  dernière,  vous  vous  rendiez  au 
conclave,  après  la  mort  de  Sixte  V,  vous  avez  dit  très-judicieusement  ces 
propres  paroles  :  «  Pour  conserver  la  paix  et  l'ordre  en  Europe,  il  faut 
ce  que  le  roi  d'Espagne  conserve  ses  États,  et  que  le  roi  de  France  possède 
«  tout  ce  qui  appartient  a  la  France,  afin  que  ces  deux  puissants  rois 
«  soient  vis-'a-vis  l'un  de  l'autre  une  barrière  a  leur  ambition  réciproque.  » 
C'est  moi-même,  Saint-Père,  qui  ai  entendu  ces  propres  paroles  sortir 
de  votre  bouche.  Il  nous  semble  donc  impossible  que  les  suggestions 
intéressées  de  l'Espagne  vous  aient  pu  faire  dévier  a  ce  point  de  la  ligne 
que  vous  aviez  vous-même  si  prudemment  tracée.  »  (De  Thou,  ubi  sup., 
p.  550. —  Cavet,  Chron.  novenn.,  liv.  5.) 

Celte  lettre  arriva  trop  tard,  peut-être;  Sa  Sainteté  Grégoire  XIV 
avait  déj'u  pris  la  peine  d'écrire  (en  français  même)  au  conseil  des  Seize 
de  Paris,  et  après  leur  avoir  donné  le  salut  et  la  bénédiction  aposto- 
lique, elle  les  félicitait  d'avoir  si  glorieusement  «  souffert  et  porté 
mes-ayses  »  pour  la  sainte  foi,  pendant  ce  long  et  fâcheux   siège  dont 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  1G7 

Dieu  venait  de  les  délivrer.  Le  Saint-Père  terminait  en  les  exhortant,  au 
nom  de  Dien,  a  persévérer  «  dans  ce  beau  commencement  »,  et  a  ne  pas 
l'aillir,  avant  (|ue  d  être  arrivés  au  but  de  la  course.  Puis,  il  leur  promet- 
tait secours  d'hommes  et  d'argent,  «  voire  même,  disait-il,  plus  que  nos 
moyens  et  nos  olïVes  ne  .permettent.  » 

Ce  (ut  Marcilio  Landriano  (jui,  en  qualité  de  nonce  du  pape,  apporta 
cette  lettre  ponliticale  en  France,  annonçant  partout,  pour  encourager  les 
fidèles,  l'arrivée  prochaine  des  secours  (lu'elle  promettait;  il  avait, 
de  plus,  des  ordres  terribles  pour  obliger  le  clergé  royaliste  a  se  ranger 
du  côté  de  la  Ligue,  sous  peine  d'excommunication.  Il  était  aussi  chargé 
d'exhorter  la  noblesse  a  prendre  le  même  parti  :  sinon  Sa  Sainteté 
tournerait  sa  bonté  paternelle  en  sévérité  de  juge.  Au  reste,  Henri  de 
Navarre  était  de  nouveau  déclaré  excommunié,  relaps,  et,  comme  tel, 
déchu  de  tous  ses  royaumes  et  seigneuries.  Mais  ces  bulles  et  les  troupes 
(|ui  devaient  les  soutenir  ne  firent  pas  plus  d'edet  les  unes  que  les 
autres  ;  les  Espagnols  seuls  eurent  'a  s'applaudir  de  ce  que  le  Pape  avait 
inutilement  dissipé  pour  cette  entreprise  les  trésors  que  son  prédécesseur 
avait  amassés  pour  leur  reprendre  le  royaume  de  Naples,  «  et  le  coup 
fut  si  mou,  pour  TelTroyable  bruit  qu'on  avait  fait  par  toute  la  chrétienté, 
(ju'on  comiTiença  dès  lors  'a  reconnaître  que  la  puissance  de  Rome 
n'était  plus  aussi  formidable  (|ue  par  le  passé,  et  que  de  quelque  arme, 
spirituelle  ou  temporelle,  qu'elle  voulût  frapper,  elle  n'était  pas  fort  à 
craindre,  si  elle  ne  se  tenait  dans  les  règles  de  la  justice  et  des  saints 
canons.  »  (Mk/iîrav,  t.  III,  p.  (S7;j.  — Journal  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  117. 
—  Mkzeuav,  nbi  snp.) 

Ainsi,  malgré  les  menaces  et  les  foudres  de  la  cour  de  Rome,  le  roi 
continuait  a  rallier  a  son  parti  presque  toute  la  noblesse  de  France,  et  à 
s'emparer  de  gré  ou  de  force  des  places  qui  avaient  quchpie  importance. 
Le  gouverneur  de  La  Fère-sur-Oise  avait  été  gagné  au  parti  royaliste  et 
avait  promis  de  rendre  sa  ville  au  roi.  Sa  Majesté  s'était  même  avancée 
jusqu'à  Compiègne  pour  favoriser  ce  dessein  ;  mais  le  duc  de  Mayenne, 
en  ayant  eu  avis,  dépêcha  incontinent  à  La  Fère  un  nommé  Colas,  homme 
de  sang,  qui  avait  jadis  quitté  la  robe  pour  prendre  l'épée,  mais  adroit  et 
dévoué.  Aussi  le  duc  avait-il  coutume  de  s'en  servir  dans  les  occasions 
importantes,  et,  pour  le  récompenser  de  ces  sortes  de  services,  il  l'avait 
lait  sortir  de  la  dernière  classe  du  populaire,  pour  le  créer  sénéchal  de 
Montélimart.  Colas  étant  donc  entré  dans  La  Fère,  et  interprétant,  a  ce 
(pi'ou  dit,  les  ordres  ({uon  lui  avait  donnés  plus  criminellement  que  son 
maître  ne  l'entendait,  assassina,  en  plein  jour,  le  malheureux  comman- 
dant au  moment  oùil  sortait  de  l'église  ;  ce  qui  fit  dire  partout  que  les 
armes  de  Monsieur  de  Mayenne  n'étaient  mortelles <|u"a  ses  partisans.  On 
dit  que  ce  bon  duc  lui-même  fut  outré  en  apprenant  la  nouvelle  d'un 
pareil  attentat,  et  qu'on  le  vit  répandre  des  larmes  ;  mais  Colas  n'en  fut 
pas  moins  nommé  par  lui  gouverneiu"  de  la  Fère  a  la  place  de  sa  vic- 
time. Pour  Sa  Majesté,  elle  fut  bien  fâchée  (ju'uu  si  tragi(|ue  accident  lui 
eût  fait  manquer  une  bonne  occasion  de  recouvrer  une  place  aussi  im- 


168  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

portante.  (Davila,  t.  III,  p.  170.  —  Mém.  de  Yilleroij,  ad  ann.  1591. — 
Mézeray,  |).  077.) 

Elle  revint  donc  sur  ses  pas  et  poussa  jusqu'à  Vernon.  Celui  que  la 
Ligue  avait  chargé  de  la  défense  de  Chàteau-Gaillard-sur-Seine  livra 
d'abord  sa  place  sans  l'aire  aucune  difficulté.  Alors  le  roi,  ayant  appris 
que  ceux  de  Louviers  gardaient  leur  ville  avec  beaucoup  de  négligence; 
que  le  commandant,  avide  de  pillage,  sortait  continuellement  avec  la 
plus  grande  partie  de  la  garnison  pour  aller  rançonner  le  plat  pays,  et  ne 
laissait  que  peu  de  monde  à  la  garde  des  murailles,  se  résolut  de  tenter 
un  coup  de  main  sur  cette  place.  Comme  il  méditait  déjà  le  siège  de  Rouen, 
il  jugeait  avec  raison  que  la  possession  de  Louviers  lui  serait  d'un  grand 
avantage  pour  celte  dernière  expédition. 

Un  certain  prêtre,  aux  gages  du  gouverneur,  faisait  simultanément 
avec  la  sentinelle  du  jour  le  service  du  guet,  établi  a  la  tour  de  Téglise, 
du  haut  de  laquelle  on  découvrait  tout  ce  qui  se  passait  dans  la  cam- 
pagne. C'était  le  prêtre  qui  veillait  pendant  que  la  sentinelle  allait  prendre 
ses  repas,  avec  charge  d'avertir  par  le  son  du  tocsin,  au  cas  où,  du  poste 
élevé  qu'il  occupait,  il  apercevrait  quelque  troupe  ennemie  dans  la  cam- 
pagne. Ce  prêtre  fut  gagné,  moyennant  dix  mille  écus  qu'on  lui  promit 
pour  récompense,  et  il  fut  convenu  que  lorsque  le  gouverneur  serait 
sorti  pour  aller  faire  ses  courses  ordinaires,  le  dit  prêtre,  qui  était  dépo- 
sitaire des  clés  de  la  tour,  s'y  enfermerait  après  avoir  éloigné  la  senti- 
nelle, et  donnerait  aux  troupes  du  roi  le  temps  de  s'emparer  de  la  porte 
avant  de  sonner  l'alarme.  (Cavet,  Chron.  novenn.,  p.  105.) 

A  l'heure  convenue,  le  sieur  du  Raulet,  qui  avait  monté  ce  complot, 
vint  d'abord  avec  un  détachement  de  soldats  déguisés  en  paysans,  qui, 
arrivés  à  la  porte  de  la  ville,  se  jetèrent  sur  ceux  qui  la  gardaient  et  les 
égorgèrent  en  criant  «  Vive  le  roi!  »  Le  jeune  Biron,  qui  suivait  avec  un 
corps  de  cavalerie  et  d'infanterie,  se  préparait  a  entrer  'a  son  tour;  ce 
qu'il  eût  certainement  pu  faire  sans  rencontrer  le  moindre  obstacle,  si  le 
prêtre,  qui,  du  haut  de  sa  tour,  avait  vu  ce  (jui  s'était  passé,  ne  s'était 
pas  avisé,  a  part  lui,  qu'il  avait  suffisamment  gagné  son  argent  et  rempli 
loyalement  toutes  les  conditions  qui  lui  étaient  imposées,  en  laissant 
approcher  les  royalistes  sans  donner  le  signal.  Le  brave  homme,  dans 
l'incertitude  de  l'événement  qui  allait  suivre  et  pour  se  ménager  une 
porte  de  salut,  quel  que  fût  le  résultat  de  l'entreprise,  se  mit  alors  'a 
sonner  le  tocsin  de  toutes  ses  forces. 

A  ce  bruit,  les  habitants  coururent  aux  armes;  le  gouverneur,  qui 
n'était  pas  encore  bien  loin,  se  hâta  de  rentrer  par  une  autre  porte,  et 
il  y  eut  dans  les  rues  un  combat  sanglant;  ceux  de  Louviers  y  perdirent 
plus  de  cent  hommes,  après  quoi  Biron  et  les  siens  demeurèrent  enlin 
maîtres  de  la  ville.  Alors,  si  l'on  s'en  rapporte  aux  écrits  ligueurs  du 
temps,  furent  commises  d'horribles  impiétés  et  cruautés  abominables. 
Le  très  saint  Sacrement  de  l'autel  y  fut  foulé  aux  pieds,  l'extrême  onction 
et  les  lavoirs  baptismaux  furent  scandaleusement  profanés  par  les  Anglais  : 
et  cela  en  la  présence  de  ceux-mêmes  qui  veulent  être  estimés  bons  ca- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  469 

tlioliqiies,  et  deux  saints  religieux  de  Soissons  de  Tordre  de  Prémontré 
furent  vilainement  pendus  par  ces  hommes  féroces.  {Mém.  de  la  Ligue, 
t.  V,  p.  103.) 

Au  nombre  des  prisonniers  se  trouva  Claude  de  Saintes,  évèque  d'E- 
vreux,  Tun  des  plus  fanatiques  partisans  de  la  Ligue;  on  se  saisit  de  ses 
papiers  parmi  lesquels  il  y  avait  un  écrit  de  sa  main,  faisant  Tapologie 
du  meurtre  de  Henri  III,  et  où  il  était  dit  (|u'il  était  permis  et  même  mé- 
ritoire de  tuer  aussi  le  Héarnais.  On  jugea  d'après  cela  (pie  ledit  évêque 
ne  devait  |)as  être  traité  comme  un  simple  prisonnier  de  guerre,  mais  on 
l'envoya  sous  bonne  garde  a  Caen,  pour  son  procès  lui  être  fait  comme 
criminel  de  lèze-majesté.  Il  ne  s'en  fallut  de  rien  (ju'il  ne  fût  condamné  à 
mort,  car  en  France  on  n'a  point  d'égard  aux  privilèges  du  clergé  quand 
il  s'agit  d'un  crime  d'État.  Toutefois,  le  cardinal  de  Bourbon  et  les  pré- 
lats royalistes  intercédèrent  en  sa  laveur,  et  on  ne  prononça  contre  lui 
que  la  peine  d'une  réclusion  perpétuelle  dans  laquelle  il  mourut  peu  de 
temps  après,  soit  d'ennui  ou  de  vieillesse,  soit  de  quelque  autre  manière. 
(Mkzkuay,  t.  m,  p.  878.) 

La  ville  de  Louviers  fut  livrée  au  pillage,  car  les  habitants  avaient  la 
réputation  d'être  des  Ligueurs  endurcis.  Le  principal  butin  était  en  toiles, 
draps  et  cuirs,  dont,  disent  les  rédacteurs  des  Économies  royales  de  Sidly, 
toujours  en  s'adressant,  comme  de  coutume,  a  leur  noble  maître,  «  vous 
eûtes,  Seigneur,  quelques  milliers  d'écus  pour  votre  part,  parce  que  ceux 
que  vous  aviez  menés  avec  vous  a  cette  affaire,  étant  de  Louviers  même, 
en  savaient  tous  les  êtres  et  connaissaient  parfaitement  les  bons  en- 
droits. »  Pour  le  roi,  aprèstivoir  nommé  Raulet  gouverneur  de  la  place, 
il  s'en  revint  a  Mantes  avec  son  armée.  (Écon.  roy.,  2''  part.,  cbap.  II.) 

Il  y  avait  mandé  le  cardinal  de  Hourbon  sous  prétexte  de  rassembler 
en  un  seul  corps  le  conseil  d'État,  dont  une  partie  était  toujours  restée 
a  Tours  depuis  la  mort  du  feu  roi,  tandis  que  le  chancelier  et  quelques 
autres  membres  suivaient  Henri  dans  toutes  ses  campagnes;  mais  son  vé- 
ritable dessein  était  de  déconcerter  les  projets  du  tiers  parti,  en  gardant 
désormais  sous  sa  main  celui  qui  s'en  était  fait  le  chef.  Le  cardinal,  qui 
se  doutait  de  cette  intention,  ne  se  décida  à  obéir  (pi'après  avoir  reçu 
plusiem's  ordres  de  Sa  Majesté,  laipielle,  pour  lui  ôtertout  soupijon,  sortit 
de  la  ville  et  alla  au-devant  de  lui.  Dès  qu'elle  l'aperçut,  elle  descendit 
de  cheval  et  lui  lit  de  grandes  caresses,  ainsi  qu'à  tous  ceux  qui  l'ac- 
compagnaient, du  nombre  desfjuels  étaient  Touchard  et  Duperron.  Le 
roi  sut  si  bien  faire  par  sa  courtoisie,  qu'il  gagna  Duperron  et  celui-ci  lui 
révéla  tous  les  secrets  de  son  maître  et  delà  conjuration;  mais  sur  l'avis 
du  chancelier  Cheverny  et  du  brave  La  Noue,  qui  lui  représentèrent  (pfen 
sévissant  contre  le  cardinal,  il  se  mettrait  'a  dos  tous  les  autres  princes 
du  sang,  et  que  ce  serait  comme  s'il  se  coupait  un  bras  a  lui-même  pour 
se  mettre  volontairement  hors  d'état  de  résister  à  ses  adversaires,  il 
trouva  bon  de  dissimuler  encore.  (Di-  Tiioc,  ubi  sup.  —  Davila,  t.  III, 
liv.   12,  p.  161.) 

Il  assembla  ensuite  dans  cette  même  ville  de  Mantes  les  princes,  les 


470  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

seigneurs  et  les  évêques  de  son  parli  pour  les  consulter  touchant  ce  qu'il 
fallait  taire,  en  réponse  à  la  nouvelle  agression  de  la  cour  de  Rome.  De 
plus,  il  voulait  aussi  trouver  le  moyen  de  ne  pas  trop  mécontenter  les 
protestants,  qui  lui  étaient  encore  utiles  et  dont  il  professait  encore  la  re- 
ligion. Il  s'agissait  d'imaginer  un  biais  pour  les  préparer  tout  doucement 
et  sans  les  etfarouclier  a  son  abjuration,  qu'il  voyait  bien  ne  pouvoir  re- 
tarder encore  longtemps.  (De  Thou,  ubi  sup.) 

Le  parlement  de  Chàlons,  pendant  qu'on  discutait  lentement  et  gra- 
vement ces  questions  a  la  cour  du  monarque,  rompit  soudainement  la 
glace.  Mayenne,  en  lisant  les  bulles  que  le  nouveau  nonce  apportait, 
avait  prudemment  jugé  qu'elles  étaient  plus  propres  a  alarmer  l'esprit 
susceptible  des  Français  qu'à  les  rappeler  à  son  parli,  et  il  voulait  qu'on 
en  différât  la  publication,  disant  «  qu'il  était  bon  avant  que  de  déployer 
ces  bulles  de  voir  l'effet  que  produirait  l'armée  du  Pape  et  de  la  laisser 
d'abord  arriver.  »  Mais  Landriano,  nourri  dans  les  opinions  de  la  cour  de 
Rome,  et  rempli  de  la  prétention  que  la  puissance  du  Saint-Père  devait 
être  en  tout  et  partout  absolue,  ne  savait  que  se  mettre  en  colère  quand 
on  se  permettait  de  lui  faire  entrevoir  quelques  difficultés.  Il  exigea  que 
ses  bulles  reçussent  toute  la  publicité  possible,  qu'elles  fussent  immé- 
diatement imprimées  et  envoyées  sans  aucun  délai  par  toutes  les  villes 
de  la  France,  pour  que  chacun  eût  a  s'y  soumettre.  Le  parlement  de  Châ- 
lons  n'eut  donc  pas  plus  tôt  eu  connaissance  de  cette  publication,  qu'il 
rendit  en  date  du  dixième  jour  de  juin  un  arrêt  conforme  au  réquisitoire 
par  lequel  son  procureur  général  se  portait  appelant  comme  d'abus  contre 
les  excommunications  lancées  parle  Pape  eP  les  monitoires  apportés  par 
ledit  légat.  Injonction  fut  faite  de  procéder  contre  Landriano,  qui  s'était 
ingéré  d'entrer  dans  le  royaume  sans  la  permission  de  Sa  Majesté,  et  il 
fut  ajourné  personnellement;  puis,  faute  d'avoir  comparu,  on  le  décréta 
de  prise  de  corps.  Ses  bulles  lurent  déclarées  nulles,  scandaleuses, 
pleines  d'impostures,  tendantes  h  la  révolte,  contraires  aux  saints  décrets, 
attentatoires  aux  privilèges  de  l'église  gallicane,  et  comme  telles  elles 
furent  condamnées  'a  être  brûlées  par  la  main  du  bourreau.  De  plus,  une 
récompense  de  dix  mille  livres  fut  promise  'a  quiconque  livrerait  ledit 
Landriano  se  prétendant  nonce  du  Pape,  et  défense  fut  faite  'a  tous  sous 
peine  de  mort  de  lui  donner  asile  et  protection.  Tous  archevêques, 
évêques  ou  autres  qui  feraient  ou  autoriseraient  la  publication  desdites 
bulles  seraient  traités  comme  criminels  de  lèze-majesté,  après  avoir 
été  préalablement  privés  de  tous  leurs  bénéfices.  Le  parlement,  par 
le  môme  arrêt,  donna  acte  au  procureur  général  d'un  appel  qu'il  forma 
au  futur  concile  contre  l'élection  du  soi-disant  pape  Grégoire  XIV.  (De 
Thou,  iibi  sîip.) 

Le  roi  fut  enchanté  de  cet  arrêt  et  il  s'empressa  de  l'appuyer  de  toute 
son  autorité.  En  conséquence,  le  quatrième  jour  de  juillet,  il  donna  un 
édit  sous  le  titre  de  déclaration,  par  lequel,  confirmant  d'abord  les  pro- 
messes qu'il  avait  faites  'a  son  avènement  'a  la  couronne,  il  demandait, 
pour  se  faire  instruire  des  articles  de  la  foi  catholique,  la  convocation 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  171 

(l'un  concile  général  qui  déciderait  régulièrement  et  en  dernier  ressort 
des  points  controversés.  Il  s'engageait  jusque-la  'a  ne  rien  innover  en  ma- 
tière religieuse.  «  Cet  engagement  que  je  renouvelle  aujourd'hui,  ajou- 
tait-il, aurait  dû  contenter  tous  ceux  qui  allectent  tant  de  zèle  pour  la  re- 
ligion, et  qui,  a  leur  dire,  n'ont  pris  les  armes  (pie  pour  la  défendre,  s'ils 
n'avaient  pas  eu  un  tout  autre  motif,  celui  de  (lémembrer  le  royaume  et 
de  le  partager  entre  eux.  C'est  ce  que  le  pape  Sixte  V  avait  fort  bien  dé- 
mêlé; aussi  était-il  décidé  a  lever  l'excommimication  qu'il  avait  lancée 
sur  nous,  à  la  sollicitation  de  nos  ennemis.  Mais  sa  mort  a  malheureu- 
sement fait  place  sur  la  chaire  de  Saint-Pierre  a  un  pontife  qui  n'aime 
que  l'imposture.  On  a  fait  croire  aisément  a  ce  nouveau  Saint-Père  que 
je  rejetais  obstinément  toute  instruction,  et  voila  qu'il  a  de  son  autorité 
privée  envoyé  un  nonce  dans  nos  États  pour  y  semer  la  rébellion  contre 
nous.  Considérant  donc  que  celle  démarche  de  la  cour  romaine  porte  at- 
teinte 'a  notre  autorité,  aux  privilèges  du  royaume  et  aux  libertés  de  l'é- 
glise gallicane,  'a  la  conservation  desquelles  nous  avons  mission  de  veiller; 
nous  avons  jugé  'a  propos  de  renvoyer  l'aflair.e  'a  nos  parlements  comme 
étant  de  leur  compétence  spéciale,  et  pour  (pi'ils  statuent  et  ordonnent 
sur  la  matière  avec  une  autorité  pleine  et  entière,  conformément  aux  lois 
de  l'État.  Nous  exhortons  en  outre  nos  archevê(jues,  év(*ques  et  tous  au- 
tres prélats  'a  s'assembler  au  plus  t(H  pour  prendre  des  mesures  cou- 
formes  'a  la  justice  suivant  les  saints  décrets  et  constitutions  canoui(iues, 
.  et  nous  protestons  de  regarder  comme  déserteurs  de  l'église  gallicane 
'  ceux  (pii  manqueront  a  leur  devoir  dans  cette  circonstance,  les  déclarant 
dès  a  présent  déchus  du  droit  de  jouir  et  d'user  de  ces  libertés  et  privi- 
lèges. »  (De  Tiiol',  p.  005  et  suiv.;. 

Le  roi,  s'adressant  après  cela  au  conseil  oii  se  trouvait  le  cardinal  de 
Bourbon,  remontra  la  nécessité  de  faire  un  édit  en  faveur  des  protes- 
tants, pour  tenir  lieu  des  précédents  édits,  que  les  ennemis  de  la  paix 
pul)li(|ue  avaient  forcé  le  roi  Henri  111  a  révo(pier.  «  Si  cette  révocation 
devait  (Continuer  d'avoir  son  effet,  voyez,  dit-il.  Messieurs,  où  nous  en 
serions  tous.  Moi-même,  'a  qui  vous  manpiez  tant  d'attachement,  je  se- 
rais déchu  de  tous  mes  droits  au  trêine.  Vous,  vous  mériteriez  d'être 
punis  comme  traîtres,  |)uisque  vous  avez  accepté  le  secours  des  réformés 
qui  vous  ont  aidé  a  vaincre  les  rebelles  et  que  vous  avez  arrêté  par  voire 
courage  et  votre  dévouement  les  progrès  de  ceux  qui  se  fondaient  sur 
ces  mêmes  édits  de  révocation  (pi'ils  avaient  provoqu(''s.  Il  est  donc  né- 
cessaire dans  l'intérêt  et  pour  l'honneur  de  tous  les  gens  de  bien  d'a- 
broger cette  révocation  par  un  édit  nouveau.  Mais  nous  avons  encore 
pour  cela  une  autre  raison.  La  reine  d'Angleterre  et  les  princes  de  l'em- 
pire qui  vont  arriver  avec  une  armée  auxiliaire  ne  mamiueront  pas  de 
taire  des  demandes  exorbitantes  en  faveur  de  leurs  coreligionnaires,  et  que 
pourrons-nous  refuser  a  des  alliés  aussi  utiles?  Tandis  que  si  nous  al- 
lons au-devant  de  ces  demandes,  en  faisant  d'avance  strictement  ce  (|ui 
est  juste,  ils  n'auront  aucun  prétexte  pour  porter  plus  loin  leur  exi- 
gence.  » 


172  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

L'assemblée  n'eut  rien  a  répondre  ;  il  n'y  eut  que  le  cardinal  de  Bour- 
bon, qui,  après  avoir  bégayé  quelques  mots  qu'on  ne  put  entendre,  fit 
mine  de  se  retirer  avec  indignation.  Le  roi,  voyant  qu'aucun  des  autres 
prélats  ne  bougeait,  lui  ordonna  d'un  ton  sévère  de  rester  a  sa  place,  et 
un  édit  qui  révoquait  celui  de  Juillet  lut  dressé  séance  tenante,  avec 
cette  clause  pourtant,  qu'il  n'aurait  lorce  de  loi  que  jusqu'au  moment  où, 
la  paix  étant  établie,  les  différends  de  religion  pourraient  se  terminer  du 
consentement  de  tous  les  ordres  du  royaume.  (Davm.a,  l.  III,  p.  165  et 
suiv.) 

L'indignation  que  les  Français  naturellement  libres  avaient  conçue 
contre  les  rigueurs  du  Monitoire  contint  si  bien  les  esprits  que  personne 
ne  remua.  Au  contraire,  la  plus  grande  partie  de  ceux-mêmes  qui  étaient 
déj'a  entrés  dans  les  cabales  du  cardinal  de  Bourbon  ne  songèrent  plus 
qu'a  soutenir  le  roi  dont  ils  voyaient  les  armes  victorieuses  prospérer  de 
jour  en  jour.  (Davila,  t.  III,  p.  105  et  suiv.) 

Ce  fut  l'bistorien  De  Thou  que  le  roi  chargea  de  porter  la  déclaration 
et  l'édit  dont  il  vient  d'être  question  au  parlement  de  Tours  pourFy  faire 
enregistrer.  On  lui  donna  en  même  temps  la  commission  d'emprunter 
de  l'argent,  où  il  pourrait,  pour  solder  les  troupes  auxiliaires  qu'on  atten- 
dait. A  cet  effet,  il  parcourut  les  diverses  villes  de  l'Anjou  et  de  la  Tou- 
raine  ;  il  alla  jusqu'au  Mans  et  jusqu'à  Limoges,  et  il  parvint  a  réunir 
une  somme  de  trente  mille  écus  d'or  qu'il  rapporta  au  camp  royal.  (De 
ïnou,  ubi  Slip.) 

De  son  côté,  le  parlement  de  Tours,  en  recevant  les  deux  édits  qui 
venaient  d'être  rendus,  ne  put  entendre  sans  indignation  la  lecture  des 
dernières  bulles  du  Pape.  Sur  le  réquisitoire  de  messire  Seguier,  avocat 
du  roi,  il  donna  un  arrêt  tout  a  fait  conforme  a  celui  qu'avait  rendu  le 
parlement  de  Cbâions,  déclarant  en  outre  que  Grégoire  soi-disant  Pape 
n'était  qu'un  ennemi  de  la  tran(|uillité  publique  et  de  l'union  de  l'Eglise 
catholique,  apostolique  et  romaine,  fauteur  des  rebelles  et  complice  de 
l'ambition  outre-cuidante  de  l'Espagnol,  ainsi  que  du  détestable  parricide 
commis  traîtreusement  sur  la  personne  du  feu  roi  Henri  III.  Défense  fut 
faite  a  tout  bénéficiaire  d'envoyer  des  fonds  a  Rome,  et  de  s'adresser  à 
cette  cour  pour  la  provision  des  bénéfices.  Il  lut  ordonné  que  cet  arrêt 
serait  affiché  et  publié  dans  toutes  les  églises  par  les  soins  des  archevê- 
ques et  évêques.  (Mézerav,  t.  III,  p.  880.) 

En  apprenant  cette  démarche  des  parlements  royalistes  de  Tours  et 
de  Châlons,  le  parlement  de  Paris,  toutes  les  chambres  assemblées,  in- 
terposa son  autorité.  L'arrêt  de  Châlons  fut  d'abord  déclaré  nul,  scanda- 
leux et  tendant  au  schisme.  Il  fut  ordonné  qu'il  serait  lacéré  a  l'audience 
et  brûlé  par  le  bourreau,  avec  défense  a  tous  d'y  obéir. 

Quelques  jours  après,  l'arrêt  de  Tours  fut  traité  de  la  même  manière 
et  avec  plus  d'animosilé  encore.  Il  fut  llétri  des  termes  d'exécrable,  fait 
par  des  gens  sans  pouvoir,  apostats,  et  livrés  corps  et  âme  aux  héré- 
tiques et  aux  schismatiques.  Ordre  fut  donné  a  tous  d'avoir  â  porter  a  Gré- 
goire XIV  l'honneur  et  le  respect  qui  étaient  dus  au  souverain  pontife, 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  473 

représentant  de  notre  seigneur  Jésus-Christ,  d'obéir  à  ses  bulles  comme 
provenant  du  chef  légitime  de  l'Église  ;  puis  la  cour  prescrivit  (|n'on  fe- 
rait des  processions  et  des  prières  pul)li(|ues,  alin  d'apaiser  la  colère  de 
Dieu,  justement  excitée  par  d'aussi  horribles  profanations. 

Cet  arrêt  fulminant  n'emj)êcha  pas  cependant  les  prélats  du  parti 
royaliste,  sans  en  excepter  ceux  d'entre  eux  qui  trempaient  dans  le  tiers 
parti,  de  s'assembler  'a  Mantes  comme  le  roi  les  y  avait  invités.  Il  s'a- 
gissait de  convenir  des  mesures  'a  |)rendre  pour  se  mettre,  eux  et  leur 
clergé,  a  couvert  des  bulles  de  Rome.  Le  cardinal  de  Bourbon  montra  en 
cette  occasion  toute  sa  mauvaise  volonté,  en  s'opposant  de  tout  son  pou- 
voir aux  décisions  de  cette  assemblée,  et  en  entravant  a  cbaijue  instant 
les  délibérations.  La  plus  grande  difliculté  était  d'établir  un  ordre  pour 
les  provisions  des  bénéfices,  puisque  l'arrêt  du  parlement  défendait  de 
s'adresser  désormais  a  Rome.  On  proposa  plusieurs  expédients  que  le 
cardinal  trouva  toujours  moyen  d'écarter.  On  parla  enlin  de  laire  un  pa- 
triarche en  France,  et  peut-être  que  ledit  cardinal  y  aurait  consenti  s'il 
eût  eu  toutes  les  conditions  requises  pour  occuper  ce  rang  suprême; 
mois  comme  il  n'était  pas  même  prêtre  et  qu'ainsi  il  eût  été  contraint  de 
céder  cet  honneur  à  un  autre,  il  rejeta  cette  proposition  et  maltraita 
même  de  paroles  l'archevêque  de  Bourges,  qui  dans  l'espoir  que  cette 
dignité  lui  reviendrait  a  cause  du  titre  de  primat  déjà  attaché  a  son  siège, 
briguait  de  toutes  ses  forces  en  faveur  de  la  création  d'un  patriarchat  en 
France.  (Mkzerav,  «6i  siip.,  p.  883.) 

Il  arriva  alors  une  chose  dont  on  soupçonna  ce  même  cardinal  de 
Bourbon  d'être  complice.  Le  duc  de  Mayenne  se  présenta  de  nuit  et  ino- 
pinément aux  portes  de  Manies;  déjà  il  avait  fait  en  grand  silence  dres- 
ser l'échelle  pour  s'emparer  de  la  ville  par  escalade,  mais  il  se  trouva 
l)ar  hasard  <|uc  précisément  aux  deux  endroits  où  les  Ligueurs  tentèrent 
cette  escalade,  les  sentinelles  étaient  demeurées  éveillées.  Au  signal  d'a- 
larme qu'elles  se  hâtèrent  de  donner,  Béthune,  frère  de  Sully,  qui  était 
gouverneur  de  la  j)lace,  et  Duplessis-Mornay,  qui  s'y  trouvait  en  ce  mo- 
ment-la, accoururent  sur  le  rempart.  Leur  piésence  découragea  ceux  du 
dedans  qui  devaient  seconder  les  assaillants;  personne  n'osa  rien  tenter 
dans  la  ville,  et  Mayenne,  voyant  son  projet  échoué,  se  retira  après  avoir 
fait  plus  de  bruit  que  de  mal.  (Davila,  t.  111,  p.  171.) 

Le  roi,  cependant,  qui  venait  de  s'apercevoir  par  cette  dernière  ten- 
tative des  Ligueurs  (ju'ils  avaient  des  intelligences  parmi  les  bourgeois, 
et  que  Mantes  n'était  pas  une  place  trop  sûre,  ordonna  cpie  l'assemblée 
des  prélats  ainsi  que  le  conseil  royal  seraient  transférés  a  Chartres.  Et 
c'est  dans  celte  ville  que,  le  vingt  et  unième  join*  de  septembre,  ladite 
assemblée  lit  un  mandement  adressé  a  tous  les  ordres  de  l'Élat. 

«  Très  chers  frères,  disait  cette  pièce,  nous  tous  qui  sommes  ici 
réunis,  persuadés  (ju'il  est  de  notre  devoir  de  pasteurs  de  veiller  sur  les 
brebis  qui  nous  sont  coudées,  et  d'empêcher  qu'elles  ne  s'écartent  de  la 
voie  des  commandements  de  Dieu  ;  —  ayant  été,  de  plus,  informé  que 
Grégoire  XIV  teuant  actuellement  le  siège  de  Rome,  mal  renseigné,  sans 


174  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

doule,  sur  l'élat  du  royaume,  \'iont  d'envoyer  certaines  bulles  moni- 
toires  par  lesquelles  il  excommunie  les  évêques,  les  princes,  la  noblesse 
et  généralement  tous  ceux  qui  n'ont  pas  voulu  se  ranger  du  parti  des  re- 
belles à  notre  roi  légitime  ;  après  mûre  délibération,  nous  fondant  sur 
l'autorité  des  conciles  généraux  et  sur  les  privdèges  et  libertés  de  l'église 
gallicane,  considérant  enlin  quels  maux  entraînerait  l'exécution  de  ces 
bulles  :  Nous  déclarons  ces  excommunications  nulles  dans  la  forme  et 
dans  le  fond,  injustes  et  inspirées  au  Saint-Père  par  les  ennemis  de  la 
France.  Et  cela  sans  prétendre  préjudicier  en  rien  au  respect  qui  est 
dû  par  tous  les  fidèles  au  chet  de  l'Église.  Nous  vous  recommandons 
en  conséquence  qu'aucun  de  vous  ne  se  laisse  détourner  de  l'obéissance 
que  vous  êtes  tenus  de  rendre  'a  votre  roi  et  a  vos  pasteurs,  mais  que 
chacun  se  tienne  en  garde  contre  ces  bulles  attentatoires  a  tous  les  droits 
de  la  nation.  Au  reste,  nous  prenons  sur  nous  et  nous  nous  chargeons 
d'envoyer  une  députation  a  Rome,  et  nous  espérons  bien  que  Sa  Sain- 
teté, mieux  informée,  n'hésitera  pas  a  répondre  ce  que  répondit  autrefois, 
dans  un  cas  a  peu  près  pareil,  le  pape  Alexandre  a  l'archevêque  de  Ua- 
venne  :  «  Puisque  vous  n'avez  pas  fait  ce  qu'on  vous  a  méchamment  ac- 
te cusé  de  vouloir  faire,  j'attendrai  avec  longanimité  le  résultat  de  vos 
«  soins  pour  le  bien  du  troupeau  qui  vous  est  conlié.  » 

C'était  le  cardinal  de  Bourbon  qui,  par  ses  intrigues,  était  parvenu  'a 
faire  adopter  le  projet  de  cette  ambassade  du  clergé  français  au  pape.  Il 
espéi^ait  que  les  catholiques  ligueurs  s'empresseraient  de  faire  cause  com- 
mune avec  les  catholiques  du  tiers-parti,  et  que  tous  ensemble  trouve- 
raient bien  le  moyen  de  faire  surgir  de  nouvelles  dilïicultés  en  prévenant 
l'esprit  de  Sa  Sainteté.  Il  comptait  aussi  que  l'ambassadeur  serait  un 
homme  a  sa  dévotion,  mais  tous  ses  efforts  furent  inutiles.  D'abord  l'am- 
bassadeur ne  fut  pas  choisi  parmi  les  ecclésiastiques,  parce  qu'il  n'était 
pas  sûr  qu'en  envoyant  quelqu'un  de  cet  ordre  au  Pape,  les  libertés  gal- 
licanes fussent  librement  défendues.  On  jeta  les  yeux  sur  ce  même  Luxem- 
bourg, qui  avait  déjà  soutenu  dignement  l'honneur  du  nom  français  dans 
deux  ambassades  a  la  cour  pontilicale,  et  qui  venait  tout  récemment  en- 
core de  rédiger  avec  tant  de  force  la  lettre  des  princes  et  de  la  noblesse 
au  pape.  Ensuite,  le  parlement  de  Tours  vint  s'opposer  au  départ  de 
tout  envoyé  (juclconque,  attendu  que  ce  serait  une  violation  des  arrêts 
rendus  en  dernier  lieu,  par  lesquels  Grégoire  était  déclaré  ennemi  du 
rovauine.  Puis  enlin,  Luxembourg  lui-même  refusa  de  se  charger  de  cette 
mission,  de  sorte  (pie  les  choses  en  restèrent  la  jusqu'à  l'année  sui- 
vante. Pour  le  cardinal  de  Bourbon,  outré  de  n'avoir  pas  mieux  réussi, 
il  se  retira  'a  son  château  de  Gailhon,  sous  prétexte  d'y  aller  faire  ses 
dévotions  durant  les  fêtes  de  Noël  qui  approcnaient.  {Journal  de  Henri  IV, 
t.  I,  p.  155.) 

Le  roi,  en  ce  temps-là,  laissant  les  prélats  en  liberté  de  discuter 
leurs  points  de*  théologie  et  de  droit  canon,  s'en  était  allé  en  Picardie,  à 
cause  de  la  grande  affection  qu'il  portait,  comme  on  sait,  à  la  lille  de 
monsieur  d'Estrée,  la  belle  Gabrielle.  Ce  fut  pendant  qu'il  passait  belle- 


DU  PROTESTANTISxME  EN  FRANCE.  175 

ment  le  temps  auprès  d'elle  qu'il  apprit  {juc  la  garnison  de  Noyon  n'était 
pas  très  nombreuse  et  manquait  surtout  d'Iionmies  de  pied.  (Jabrielle  lui 
demanda  cette  ville  pour  son  père,  et  Sa  Majesté,  pressée  d'ailleurs  par 
les  réclamations  de  fous  les  royalistes  des  environs,  qui  se  plaignaient  des 
déprédations  incessantes  commises  par  les  Ligueurs  de  Noyon,  se  résolut 
de  taire  ce  siège.  {Écon.  de  Sidbj,  '2''  partie,  cliap.  n,  1591.) 

Cette  ville,  arrosée  par  plusieurs  petits  ruisseaux,  est  protégée  au 
nord  par  des  coteaux  couverts  de  vignes,  ce  qui  ne  permet  pas  d'en  fer- 
mer bien  exactement  tous  les  passages  a  moins  d'avoir  à  sa  disposition 
une  armée  nombreuse.  Rieux,  l'un  de  ces  hardis  chefs  d'aventuriers  qui 
avaient  trouvé  leur  avantage  a  servir  le  parti  de  la  Ligue,  parvint  facile- 
ment, a  l'aide  de  la  connaissance  qu'il  avait  du  pays,  a  se  glisser  dans  la 
ville  avec  cincpiante  cavaliers  (|ui  portaient  chacun  un  arquebusier  en 
croupe.  D'autres  capitaines  de  bandes,  excités  parle  succès  du  premier, 
voulurent  aussi  tenter  la  même  entreprise,  mais  ils  n'eurent  |)as  le  même 
bonheur,  et  les  troupes  qu'ils  amenaient  furent  taillées  en  pièces  par 
l'armée  royale.  Alors  Jean  de  Saulx,  vicomte  de  Tavannes,  (|u'il  ne  faut 
pas  confondre  avec  le  Tavannes  qui  se  battait  si  bravement  |)our  le  roi, 
dans  la  Bourgogne  et  dans  la  Champagne,  crut  qu'il  y  allait  de  son  hon- 
neur de  jeter  du  secours  dans  Noyon.  Il  partit  de  Koye  a  la  faveur  de  la 
nuit,  conduisant  quatre  cents  chevaux  et  cinq  cents  arquebusiers  et  il 
s'avançait  en  grand  silence  a  travers  la  forêt  (jui  se  trouve  entre  ces  deux 
villes.  Voici  qu'un  peu  avant  la  pointe  du  jour,  il  rencontra  assez  près  de 
Noyon  une  garde  avancée  des  royalistes,  composée  d'environ  qtiaranle 
cavaliers.  Ceux-ci  donnèrent  aussitôt  l'alarme  et  les  troupes  du  vicomte, 
en  voyant  accourir  contre  eux  un  assez  grand  nombre  de  soldats  du  roi, 
se  débandèrent,  saisies  d'une  terreur  panique,  sans  presque  opposer  de 
résistance.  Leur  chef  lui-même,  qui  s'était  arrêté  pour  les  rallier,  fut 
blessé  et  fait  j)risonnier,  et  les  paysans  assommèrent  dans  la  campagne 
la  plus  grande  partie  de  ces  fuyards  qui  jetaient  leurs  armes  sur  les  che- 
mins pour  être  plus  dispos  dans  leur  fuite.  {Mém.  de  la  Ligue^  t.  IV, 
p.  tJl7  et  suiv.). 

Pour  lors,  d'Aumale,  qui  prenait  le  litre  de  gouverneur  de  la  Picar- 
die pour  la  Sainte-Union,  partit  aussi  de  son  côté  d'Amiens,  et  s'approcha 
jusqu'à  llam.  Son  projet  était  de  surprendre  dabord  j)en(lant  la  nuit  et 
d'enlever  quehju'un  des  quartiers  du  roi  ;  puis,  en  cas  de  succès,  de  pous- 
ser sa  pointe  aussi  loin  que  la  fortune  le  lui  permettrait.  Il  attafjua,  en 
effet,  a  Timproviste,  le  poste  (jui  avait  été  assigné  aux  chevaux  légers  et 
cette  surprise  les  mit  d'abord  en  désordre;  mais  d'autres  trou|)es  étant 
accourues  des  postes  voisins  pour  les  secourir,  et  le  nom  de  IJiron  qui 
s'était  mis  a  la  tête  de  ces  braves  ayant  retenti  au  milieu  de  la  mêlée  en 
manière  de  cri  de  guerre,  d'Aumale  et  les  siens  n'eurent  rien  de  plus 
pressé  que  de  s'enfuir,  car  personne  ne  se  sentait  le  courage  d'avoir 
affaire  'a  un  capitaine  si  renommé  par  sa  bravoure  et  ses  succès.  Biron 
les  jioursuivit  jusijue  sous  les  murs  de  llam,  et  leur  tua  beaucoup  de 
monde. 


J76  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Mayenne  revenait  en  ce  moment  de  son  inutile  expédition  contre  la 
ville  de  Mantes;  il  arriva  a  Ham,  et  il  écrivit  au  prince  d'Ascoli,  qui  était 
précisément  en  route  avec  un  secours  de  quatre  mille  hommes  envoyés 
par  le  prince  de  Parme,  de  hâter  sa  marche,  afin  de  lui  aider  a  faire  lever 
le  siège  de  Noyon.  Lui-même  s'avança  jusqu'à  La  Fère,  dont  Colas,  de- 
puis la  tentative  des  royalistes,  avait  été  nommé  gouverneur  a  la  place  de 
celui  qu'il  avait  assassiné,  et  ce  fut  là  où  les  deux  troupes  firent  leur  jonc- 
tion. 

Le  siège  de  Noyon  se  continuait  pendant  ce  lemps-la.  Déjà  l'ah- 
baye  de  Saint-Barlhélemy,  qui  était  un  des  principaux  points  fortifiés 
dans  le  faubourg,  avait  été  emportée  d'assaut  et  ce  premier  succès  de 
l'armée  royale  avait  jeté  la  consternation  parmi  les  assiégés.  Pourtant 
Mayenne,  depuis  qu'il  avait  été  rejoint  par  les  Espagnols,  avait  une  ar- 
mée supérieure  en  nombre  de  près  du  double  a  celle  du  roi;  mais  en 
présence  de  Sa  Majesté,  il  semblait  frappé  de  stupeur  et  n'osait  rien 
tenter. 

Le  roi,  malgré  l'infériorité  numérique  de  ses  troupes,  surpris  de  ne 
pas  voir  l'ennemi  s'approcher,  chargea  le  maréchal  de  Biron  d'aller  le 
reconnaître,  résolu  'a  lui  livrer  bataille,  car  il  sentait  l'importance  de 
n'être  pas  inquiété  sur  ses  derrières  pendant  l'assaut  définitif  qu'il  se  pro- 
posait de  livrer  a  la  ville  assiégée.  Biron  parcourut  toute  la  campagne 
jusqu'à  Ham  sans  rien  rencontrer,  et  sur  le  soir  il  revint  rendre  compte 
'a  Sa  Majesté  qui  se  décida  a  donner  l'assaut  le  lendemain,  septième  jour 
d'août.  Dès  le  matin,  les  canons  commencèrent  a  foudroyer  les  murs. 
Tout  un  grand  pan  de  ces  vieilles  murailles  s'écroula,  et  les  troupes  se 
mirent  en  mouvement  pour  franchir  la  brèche,  sous  la  conduite  du  jeune 
Biron  qui  les  encourageait  de  la  voix  et  par  son  exemple.  Le  gouverneur 
de  la  place,  les  voyant  s'avancer  ainsi  avec  résolution,  et  n'ayant  aucune 
nouvelle  de  Mayenne,  fit  battre  la  chamade,  et  il  fut  convenu  qu'en  cas 
que  le  duc  ne  vînt  pas  a  son  secours,  le  lendemain,  il  se  rendrait  au  roi 
sur  l'heure  de  midi  ;  qu'il  remettrait  l'artillerie,  les  vivres  et  les  muni- 
tions de  guerre;  que  lui  et  la  noblesse  pourraient  sortir  avec  armes  et 
bagages,  mais  que  le  reste  de  la  garnison  n'emporterait  que  ses  armes 
seulement. 

Or,  Mayenne  n'avait  pu  se  décider  encore  'a  prendre  aucun  parti.  Il 
se  vengeait,  dit  la  relation  que  je  copie,  «  en  prenant  toutes  les  vaches 
du  pays,  ce  qui  n'était  récompense  digne  de  toutes  les  peines  qu'il  s'é- 
tait données.  Il  avait  pourtant  fait  ses  pâques  (communié)  le  jeudi,  jour 
de  Notre-Dame,  dans  l'intention,  comme  il  le  disait,  de  se  tenir  prêt  au 
combat,  »  mais  les  officiers  généraux  qui  commandaient  sous  lui  crai- 
gnaient la  fortune  du  roi  ;  et  les  Espagnols  qui  composaient  sa  principale 
force  refusaient  hautement  de  commettre  tout  le  succès  de  la  guerre  au 
hasard  d'une  seule  bataille,  et  cela  pour  le  salut  d'une  misérable  petite 
ville. 

Le  gouverneur  exécuta  donc  les  conditions  de  sa  capitulation  au  jour 
et 'a  l'heure  marqués,  et  le  roi  put  donner  le  gouvernement  de  la  place  a 


DU  PUOTES'J'ANTIS.MK  EN  FRANCE.,  j77 

incssire  Antoine  (J'Eslrce,  pure  de  la  belle  Gahrielle,  a  la(|uelle  il  en  avait 
fait  la  promesse. 

.Mais  pendant  que  Sa  Majesté  obtenait  i)ai  la  terreur  de  ses  armes  un 
tel  succès  en  présence  de  toute  l'armée  delà  Ligue,  qui  n'avait  osé  faire 
aucun  mouvement,  le  jeune  duc  de  Guise  venait  de  se  j)rocurer  la  liberté 
par  son  adresse  et  sa  résolution.  On  sait  (pi'il  (-tait  retenu  j)risonnier  de- 
puis la  mort  luneste  de  son  prre.  Après  avoir  été  successivement  trans- 
féré de  prison  en  prison,  il  était  maintenant  dans  le  château  de  Tours, 
sous  la  garde  du  sieur  de  Uouvray,  que  le  roi  regardait  comme  un 
de  ses  lidèles.  Or,  la  reine  Louise,  retirée  a  Cbenonceaux,  y  tenait 
une  espèce  de  cour.  Il  était  naturel  que  cette  princesse  portât  quelque 
intérêt  à  un  prince  de  son  sang.  Une  de  ses  dames  d'honneur  parvint 
donc  a  obtenir  de  Rouvray,  qui,  dit-on,  lui  accorda  celte  laveur  en  pave- 
ment d'une  autre  faveur  de  toute  autre  nature,  qu'elle  pourrait  commu- 
niquer avec  le  prisonnier.  Elle  sut  lui  ménager  quelques  intelligences  avec 
La  Châtre,  gouverneur  du  Berry,  et  l'on  prit  jour  pour  sa  délivrance  :  ce 
jour  lut  hxé  au  quinzième  d'août,  fête  de  la  Vierge,  et  le  njatin,  aliii 
d'ijler  tout  soupçon  a  ceux  qui  le  gardaient,  le  prince  reçut  dévotement 
le  corps  de  notre  Seigneur.  Il  se  retira  ensuite  dans  la  tour  qui  lui  ser- 
vait de  prison,  et  qui  donnait  sur  la  rivière,  par  hasard  très  basse  en  ce 
momcnt-lâ.  Mais  pendant  (pie  ses  gardes  qui  se  tenaient  dans  la  première 
pièce  de  son  appartement  le  croyaient  tout  occupé  de  ses  dévotions,  il 
barricada  la  porte  dans  le  [)lus  grand  silence.  (Lkcrand,  Décad.  15,  p.  258.) 

Un  joueur  de  luth  nommé  \'erdier,  qu'on  lui  avait  permis  de  recevoir, 
parce  que  le  père  de  cet  homme  avait  été  une  des  victimes  de  la  Saint- 
Barlhélemy,  avait  trouvé  le  moyen  d'apporter  une  corde  dans  le  ventre 
de  sa  viole;  un  morceau  de  bois  fut  attaché  en  travers  au  bout  de  celte 
corde,  le  duc  se  mit  a  cheval  sur  cette  pièce  de  Lois,  puis  le  joueur  de 
luth  le  descendit  tout  doucement  par  celle  des  fenêtres  qui  donnait  sur 
la  rivière.  Quand  il  vit  son  maître  arrivé  a  terre,  il  se  laissa  glisser  à  son 
tour  par  cette  même  corde  et  vint  le  rejoindre.  (Cayet,  Chron.  nov. 
liv.  5,  1591.) 

On  fut  ([uelque  temps  sans  s'apercevoir  de  cette  évasion,  et  quand 
elle  fut  découverte,  il  y  eut  grande  consternation  parmi  les  gardiens; 
mais  les  fugitifs  avaient  eu  le  temps  de  gagner  du  terrain  et  l'on  ne  sa- 
vait de  quel  côté  ils  s'étaient  dirigés.  On  envoya  donc  a  leur  poursuite 
sur  toutes  les  routes  ;  pendant  ce  lemps-lâ  ils  étaient  déjà  arrivés  en  sû- 
reté en  un  lieu  où  La  Châtre  attendait  le  prince,  avec  une  troupe  armée 
et  des  chevaux  prêts,  et  le  même  jour  ils  [)urent  entrer  dans  la  place  de 
Celles,  en  Berry,  Là,  ils  n'avaient  plus  rien  a  craindre. 

Le  roi  apprit  d'abord  avec  chagrin  la  nouvelle  de  cette  évasion.  Il 
avait  compté  (pi'un  prisonnier  de  cette  importance  était  un  gage  précieux 
entre  ses  mains,  qu'il  pouvait  tout  a  la  Ibis  lui  servir  d'otage,  pour  ré- 
pondre de  la  vie  de  ceux  de  son  parti,  (|ui  tomberaient  ou  étaient  déjà 
tombés  entre  les  mains  de  l'ennemi,  et  de  plus  lui  aider  à  obtenir  des 
conditions  de  paix  plus  favorables.  Pourtant,  il  y  avait  aussi  pour  lui 
IV,  42 


178  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

dans  celte  môme  évasion  un  motif  de  se  réjouir  :  c'était  un  nouveau  chel 
qui  allait  s'offrir  à  ceux  de  la  Ligue,  déjà  fort  peu  d'accord  entre  eux  et 
de  violentes  rivalités  ne  pouvaient  manquer  d'éclater  entre  l'oncle  et  le 
neveu  ;  aussi  Sa  Majesté,  qui  prévit  presque  aussitôt  ce  résultat,  finit-elle 
par  dire  :  <f  Ce  n'est  pas  a  nous  a  nous  plaindre  de  l'évasion  de  monsieur 
de  Guise  ;  il  sera  la  ruine  de  la  Ligue.  » 

Paris,  qui  n'en  jugeait  pas  de  même,  n'en  lit  pas  moins  chanter  un 
Te  Deum  a  Notre-Dame,  en  réjouissance  de  cet  événement  et  l'exemple 
de  la  capitale  fut  suivi  dans  toutes  les  autres  villes  du  parti.  C'était  déjà 
la  confirmation  des  prévisions  du  roi,  et  une  sorte  d'affront  pour  le  duc 
de  Mayenne,  qui  pouvait  dès  lors  s'apercevoir  qu'un  autre  que  lui  occu- 
pait le  premier  rang  dans  le  dévouement  et  les  affections  des  Ligueurs. 
[Journ.  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  J56.) 

Pendant  ce  temps-là,  la  guerre  civile  continuait,  aussi  désastreuse 
que  jamais,  dans  les  diverses  provinces  de  la  France.  La  Châtre  se  hat- 
tait  dans  le  Berry,  contre  le  seigneur  d'Arquien,  qui  s'y  était  posé  en  dé- 
fenseur du  parti  du  roi.  Dans  le  Limousin,  les  royalistes  étaient  battus 
par  Pompadour  et  par  Montpesat,  devant  la  ville  de  Saint- Yrieix.  Les  ba- 
rons et  les  autres  nobles  de  la  province  avaient  assemblé  une  armée  pour 
forcer  les  Ligueurs  a  lever  le  siège  de  celle  ville  ;  mais  tous  ces  gentils- 
hommes n'étaient  pas  d'accord  entre  eux.  Les  jeunes  seigneurs  surtout, 
fiers  de  leur  noblesse,  ne  voulaient  pas  obéir  aux  vieux  officiers  qui  avaient 
blanchi  sous  les  armes.  Leurs  troupes  s'étaient  pourtant  rangées  en  ba- 
taille a  portée  du  canon  de  l'ennemi  ;  alors,  Pompadour  et  Montpesat, 
ayant  partagé  les  leurs  en  deux  corps,  les  enveloppèrent  complètement 
et  les  acculèrent  contre  un  marais  impraticable,  où  les  paysans  et  les  gou- 
jats de  l'armée  ligueuse  n'eurent  plus  qu'à  massacrer  et  à  dépouiller  ces 
malheureux  soldats  embourbés.  La  ville  pourtant  ne  fut  pas  prise.  Cham- 
baret,  qui  en  était  gouverneur,  soutint  avec  vigueur  trois  assauts,  et  les 
assaillants,  fatigués  d'une  pareille  résistance  qui  leur  avait  déjà  coûté 
beaucoup  de  monde,  se  décidèrent  à  lever  le  siège. 

En  ce  même  temps-là,  les  Ligueurs  assiégeaient  également  la  ville 
de  Bellac,  dans  La  Marche,  et  Pompadour  avait  saisi  le  prétexte  de  les 
aller  aider  pour  faire  lever,  comme  on  vient  de  le  voir,  le  siège  de  Saint- 
Yrieix.  Le  brave  Chambaret,  voyant  sa  ville  délivrée,  n'hésita  pas  à  mar- 
cher aussi  de  son  côté  au  secours  des  royalistes  de  Bellac,  qui  lui  avaient 
envoyé  une  députation  pour  implorer  son  assistance.  Or,  voici  ce  qui 
s'était  passé  en  ce  pays-là,  et  à  quel  point  les  choses  en  étaient  :  Le  roi 
venait  de  gratifier  le  seigneur  d'Abin  du  gouvernement  de  La  Marche. 
Villequier,  vicomte  de  la  Guerche,  avait  eu  ce  gouvernement  sous  le 
règne  précédent,  et  voyant  que  l'occasion  était  favorable  pour  en  repren- 
dre possession  par  la  force  des  armes,  il  trouva  que  son  honneur  y  était 
intéressé.  Ainsi  donc,  avant  l'arrivée  d'Abin,  qui  était  alors  occupé 
auprès  du  prince  de  Conti  à  faire  des  levées  dans  l'Anjou,  il  partit  d 
Poitou,  avec  une  petite  armée  et  trois  pièces  de  canon.  Il  s'empara  tou 
d'abord  sans  résistance  de  Montmorillon,  de  l'abbaye  de  Saint-Savin,  de 


II 

■I 

it  ! 


1 


DU  PROTESTANTISME  EX  FRANCE.  179 

Bëlàbrc,  de  Le  Blanc  en  BeiTy,et  de  plusieurs  autres  places  ;  puis  il  envoya 
sommer  ceux  de  Hellac  de  se  mettre  sous  sa  protection,  s'ils  ne  voulaient 
pas  se  voir  coniplèlemcnl  ruinés. 

Il  y  avait  alors  dans  celle  ville,  comme  dans  toutes  les  autres  villes 
de  la  France,  deux  partis  opposés,  les  Ligueurs  et  les  Royalistes.  Ceux 
qui  tenaient  pour  la  Ligue  étaient  les  plus  nombreux  ;  mais  juscpi'à  ce 
momenl  ils  n'avaient  pas  osé  se  déclarer;  l'approche  du  vicomte  de  La 
Guerche  ranima  leur  courage,  et  ils  tentèrent  de  s'emparer  du  faubourg 
du  Portail,  »pii  est  plus  élendu  ([ue  la  ville  même.  La  possession  de  ce 
faubourg  est  en  elfol  d'une  grande  importance,  et  rend  celui  qui  en  est 
mailre  mailre  également  du  reste  de  la  ville;  car  c'est  la  (jue  se  trouve 
la  principale  forteresse.  Le  dessein  des  Ligueurs  était  tout  simplement 
de  livrer  ce  poste  a  l'ennemi.  Les  royalistes  parvinrent  toutefois  à  les 
eni|)êcber  d'exécuter  cette  résolution  ;  mais  eux-mêmes  étaient  partagés 
d'opinion  ;  le  plus  petit  nombre  persistait  a  se  défendre,  tandis  que  les 
autres  opinaient  pour  qu'on  demandât  à  capituler,  alléguant  l'impossi- 
bilité de  soutenir  un  siège  dans  une  position  aussi  peu  favorable. 

Un  jeune  homme  de  la  ville,  nommé  Jean  de  La  Sale,  employa  d'abord 
les  prières  et  les  raisons  pour  détourner  ses  concitoyens  d'une  pareille 
décision.  A  la  On,  voyant  que  ces  moyens  ne  réussissaient  pas,  il  mit 
l'épée  a  la  main,  nienaçant  de  luer  les  lâches  (|ui  ne  voudraient  pas 
attendre  les  secours,  dont  on  était  sûr  que  l'arrivée  ne  pouvait  tarder 
longtemps  encore.  Sa  fermeté  et  son  énergie  imposèrent  aux  plus  timides; 
on  se  mit  a  creuser  des  rctranchemenls  et  a  forlilier  les  remparts. 

Les  Ligueifrs  avaient,  pendant  ce  temps-là,  dressé  leur  batterie  et 
leur  canon  venait  d'ouvrir  une  large  brèche  par  laquelle  ils  cherchèrent 
'a  pénétrer.  L'assaut  dura  depuis  quatre  hein-es  du  soir  jusqu'à  sept,  et 
ils  y  perdirent  soixante  des  leurs  ;  mais  La  Sale,  avec  une  petite  troupe 
de  braves,  lit  de  tels  prodiges  de  valeur  qu'il  parvint  a  repousser 
l'ennemi. 

Le  lendemain  l'assaut  recommença  en  quatre  endroits  diftcrents;  car 
le  canon  avait  ouverl  pendant  la  nuit  une  nouvelle  brèche  dans  ces 
vieux  remparts,  et  l'on  s'était  procuré  des  échelles  pour  tenter  l'esca- 
lade sur  les  deux  endroits  à  la  fois.  La  tentative  ne  fut  pas  pourtanl  plus 
heureuse  cpie  la  première  Ibis,  et  les  braves  défenseurs  de  la  place  for- 
cèrent encore  les  assaillants  a  se  retirer,  après  deux  heures  dun  combat 
meurtrier.  (I)i: Tiioi ,  «6i  siip.) 

La  Guerche  lit  ensuite  canonner  le  Portail  et  ses  tours,  et  il  poussa 
contre  cette  forteresse  une  machine  laite  en  forme  de  pont,  bâiie  sur  le 
modèle  de  celle  (ju'avail  inventée  Châtillon,  au  dernier  siège  deGharlres. 
A  l'aide  de  celte  machine,  qui  couvrait  les  travailleurs,  il  attacha  les 
mineurs  au  pied  même  du  rem|)art.  Les  assiégés  lin-nt  aussit(3l  des 
contre-mines,  et  ayant  taillé  en  pièces  ou  mis  en  déroute  les  mineurs 
euncniis,  ils  viment  brûler  la  niachiiie  elle  m.'ine. 

Il  laliiit  en  revenir  au  canon,  (|ui,  en  (piaire  joins,  ne  (il  (|u'un 
amas  de  débris  des   tours    du  Portail.   Il  ne  restait  donc    plus   d'autre 


180  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

ressource  aux  assiégés  que  de  capituler;  car  Pompadour  était  déjà  arrivé 
au  camp  avec  ses  troupes  ;  mais  Chanibaret,  qui  venait  de  le  contraindre 
à  lever  déjà  le  siège  de  Saint-Yriex,  s'était  aussi  mis  en  route  de  son  côté^ 
et,  passant  la  petite  rivière  du  Vincou,  il  entra  dans  Bellac,  avec  quelques 
braves  gentilshommes  (jui  avaient  voulu  l'accompagner  et  soixante  cuiras- 
siers et  quelques  arquebusiers  qu'ils  avaient  pris  en  croupe.  Sa  pré- 
sence rassura  les  habitants;  les  négociations  déjà  commencées  furent 
interrompues,  et  La  Guerche,  outré  de  dépit,  lU  recommencer  les  travaux 
du  siège  avec  une  nouvelle  ardeur. 

Chanibaret  ne  resta  pas  non  plus  dans  l'inaction.  La  nuit  comme  le 
jour,  il  était  partout  où  sa  présence  pouvait  être  nécessaire  ;  il  ht  creu- 
ser dans  la  ville  un  conduit  souterrain,  par  où  l'on  pouvait  faire  des 
sorties  et  chasser  les  travailleurs  ennemis.  Les  choses  en  étaient  la, 
quand  La  Guerche  eut  nouvelle  que  le  prince  de  Conli  allait  arriver  en 
personne,  avec  son  armée,  au  secours  de  la  place.  Aussitôt  il  leva  le 
siège,  et  partit  avec  tant  de  diligence  qu'il  était  déjà  rentré  dans  Poitiers, 
avant  que  La  Trémouilie,  détaché  par  le  prince  'a  sa  poursuite,  eût  eu  le 
temps  de  l'atteindre. 

Conti  reprit  d'assaut  Montmorillon,  où  La  Guerche  avait  laissé  une 
garnison  de  trois  cents  soldats,  qui  furent  tous  passés  au  fil  de  l'épée. 
Belâbre,  Le  Blanc  et  Saint-Savin  se  rendirent,  ainsi  que  toutes  les 
autres  places  qui  tenaient  pour  la  Ligue,  ou  qui  venaient  d'être  conquises 
par  La  Guerche  en  ces  contrées.  Le  prince  alla  ensuite  assiéger  Mirebeau, 
dans  le  gouvernement  de  Saumur. 

Sur  ces  entrefaites,  le  dit  sieur  vicomte  de  La  GneVchc  reçut  un 
secours  que  lui  envoya  Monsieur  de  Mercœur  pour  tâcher  d'arrêter  les 
progrès  du  dit  seigneur  prince,  et  pavmi  ce  secours  était  bon  nombre 
d'Espagnols.  Tout  aussitôt  le  vicomte,  ayant  eu  nouvelle  que  le  gouver- 
neur de  Loches  venait  de  lui  prendre  son  château  de  la  Guerche,  au 
pays  de  Touraine,  et  qu'il  enlevait  tout  ce  qui  était  dedans,  il  se  sentit 
pressé  du  vouloir  d'aller  sauver  cette  sienne  propriété  ;  et  il  s'achemina 
a  cet  eflet  en  toute  diligence  de  ce  côté-l'a,  pour  voir  ce  qu'il  pourrait  y 
faire.  Mais  ceux  des  gentilshommes  de  la  contrée  qui  faisaient  service 
au  roi  se  portèrent  au-devant  de  lui,  au  nombre  de  plus  de  cinq  cents 
chevaux,  tous  bien  en  point,  et  lui  livrèrent  un  furieux  combat  qui  fut 
longtemps  bien  soutenu  de  part  et  d'autre.  A  la  fin  pourtant,  le  vicomte, 
vovant  plus  de  trois  cents  des  siens  étendus  sans  vie  sur  le  carreau,  et 
le  reste  branler,  prit  lui-même  la  fuite  pour  mettre  sa  propre  vie  a  cou- 
vert, et  pour  tâcher  d'arriver  l'un  des  premiers  au  bac  de  la  rivière  de 
Creuse,  afin  de  mettre  cette  rivière  entre  lui  et  ses  ennemis.  Mais  la  foule 
des  fuvards  était  déj'a  Ta,  'a  se  disputer  'a  qui  entrerait  dans  le  bac;  car 
Pennemi  commençait  a  les  pousser  vivement  par  derrière.  Tous  ceux 
qui  le  purent  se  jetèrent  pêle  mêle  avec  le  dit  seigneur  vicomte  dans 
l'embarcation,  sans  qu'il  fut  possible  de  les  en  empêcher,  d'où  il  arriva 
que  le  bac,  étant  trop  chargé,  coula  a  fond  avec  tous  ceux  qu'il  portait. 
Quanta  ceux  qui  n'y  avaient  pu  trouver  place,  ils  furent  tous  taillés  en 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  184 

pièces  par  les  royaux,  et  voila  comment  le  çfouvernciir  du  liant  Poitou 
et  (le  la  Marche  pour  la  Sainle-linion  perdit  a  la  fois  tontes  ses  troupes 
et  la  vie.  (Cavi:t,  Chron.  novenn.^  liv.  3,  J-")!)].) 

Cependant  le  prince  de  Conti,  après  avoir  pris  Mirebeau,  par  com- 
position, s'en  revint  dans  le  IJerry,  et  mit  le  siège  devant  Celles.  La 
Cliàlre  avait  donné  le  gouvernement  de  celte  place  a  un  nommé  Dubois, 
qui  fatiguait  tout  le  voisinage  par  ses  courses  et  ses  pillcries,  et  qui 
s'était  même  avancé  plus  d'une  fois  jusqu'aux  portes  de  Tours.  Les 
Ligueurs  d'Orléans  avaient  bon  vouloir  de  venir  au  secours  de  cette 
place;  mais, quoique  cette  ville  fùtj-egardée  a  juste  titre  comme  un  des 
principaux  foyers  de  la  Sainte-Ligue,  il  s'en  fallait  (juc  tout  le  monde  s'y 
lût  d'accord.  Il  y  avait  la  bon  nombre  de  royalistes,  (jui,  a  la  vérité,  ne  se 
montraient  pas  à  découvert,  mais  qui  n'en  étaient  pas  moios  dévoués  à 
leur  parti,  et,  comme  la  plupart  de  cosgens-Pa  étaient  riches,  ils  avaient 
une  grande  influence;  il  y  avait  ensuite  les  bons  et  sincères  Ligueurs, 
sans  arrière-pensée  et  n'ayant  foi  (pi'en  Monsieur  de  Mayenne;  puis,  il  s'y 
trouvait  ce  qu'on  peut  apjjcler  les  Ligueurs  espagnolisés,  qui  correspon- 
daient avec  les  Seize  de  Paris,  et  qui  avaient  pour  eux  le  maire,  les 
échevins  et  tous  les  moines.  Ils  avaient,  de  plus,  gagné  toute  la  popu- 
lace il  l'aide  de  leur  dévole  confrérie  du  Saint-Cordon,  dans  laquelle 
toutes  sortes  de  bonnes  gens  s'étaient  empressés  de  venir  se  faire  enre- 
gistrer. Or,  on  taisait  jurer  a  tous  les  confrères  «  de  ne  pas  épargner 
même  leur  père  et  leurs  i)ropres  enfants,  si  le  bien  commun  en  deman- 
dait le  sacrifice,  et  d'obéir  aveuglément  'a  ceux  qui  seraient  députés  par 
les  chefs  |)our  donner  des  ordres.  »  On  voit  que  la  main  des  habiles 
disciples  de  saint  Ignace  avait  touché  la.  (Mkzi-r.vy,  t.  111,  p.  81)!2.) 

Quoi  qu'il  en  soit,  tandis  que  ces  divers  partis  travaillaient  à  se 
mettre  d'accord,  pendant  le  temps  (pi'il  fallut  pour  faire  venir  le  duc  de 
Nemours  dont  on  avait  décidé  qu'on  demanderait  le  secours,  et  qui  assié- 
geait alors  la  ville  de  Saint-Pourçain,  a  cinq  lieues  de  Moulins  en  Bour- 
bonnais, le  prince  de  Conti  s'empara  de  Celles,  (pfil  ordonna  de 
démanteler,  pour  qu'a  l'avenir  ceux  <jui  en  deviendraient  maîtres  ne 
pussent  continuer  leurs  déprédations  sur  le  plat  pays;  mais  comme  il  ne 
resta  i)as  pour  veiller  lui-même  a  l'exécution  de  cet  ordre,  les  bourgeois 
s'arrangèrent  si  bien,  qu'il  ne  fut  cette  fois  exécuté  qu'en  partie. 

En  cette  même  année  làOl,  on  continuait  aussi  de  se  battre  en 
Hretagne;  mais  la  guerre  civile,  en  cette  province,  avait  un  caractère 
tout  particulier  ;  car  la  Hrelagne  n'était  pas  seulement  parlag(?e  en  deux 
partis  comme  le  reste  de  la  France,  on  en  com[)lait  trois  :  les  royalistes 
d'abord,  puis  les  Ligueurs,  et  enfin  ceux  que  le  duc  de  Mercœur  avait  gagnés 
pour  se  lairc  Ta  une  souveraineté  particulière  et  indépendante.  Il  est 
vrai  que  ce  dernier  parti  et  son  chef  arboraient  encore  l'étcMidard  de  la 
Ligue;  mais  quelques  villes,  comme  Uouen  et  plusieurs  autres,  s'en 
méfiaient  déj'a  et  refusaient  de  se  remettre  entre  les  mains  du  duc. 

Le  pi'ince  de  Domhes,  noinm',',  comme  on  sait,  gouverneur  de  la 
Bretagne   pour  le   roi,  voyant  son    armée  augmentée  d'un   secours  de 


182  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

soldats  que  lui  envoyait  TAngleterre  et  qui  venait  de  descendre  au  port 
de  Faimpol,  vint  assiéger  la  ville  de  Guingamp,  laquelle  faisait  partie  du 
propre  patrimoine  de  Madame  la  duchesse  de  Mercœur.  Le  duc,  qui  avait 
prévu  ce  siège,  avait  pris  soin  d'envoyer  dans  la  place  une  belle  com- 
pagnie de  gens  de  pied,  sous  la  conduite  d'un  nommé  Lacointerie,  fils 
d'un  pâtissier  d'xVngers.  Le  duc  avait  grande  confiance  en  ce  garçon, 
parce  qu'il  avait  été  a  son  service,  et  il  l'avait  même  précédemment 
nommé  gouverneur  de  Vannes.  Mais  la  noblesse  du  pays,  ayant  trouvé 
que  c'était  un  trop  gros  morceau  pour  un  vilain  de  cette  trempe,  et  que 
quelqu'un  de  ses  membres  s'accommoderait  parfaitement  d'une  pareille 
pièce,  Mercœur  avait  rappelé  Lacointerie  pour  donner  ce  gouvernement 
au  sieur  d'Aradon,  dont  le  frère  était  déjà  évêque  de  Vannes.  Lacointerie 
fut  contraint  de  dissimuler  le  ressentiment  de  ce  qu'il  regardait  comme 
une  injustice  ;  mais  il  était  bien  résolu  de  s'en  venger  a  la  première 
occasion;  aussi  fut-il  joyeux  quand  on  l'envoya  a  Guingamp,  non  qu'il  eût 
dessein  de  rendre  service  à  son  maître  et  protecteur,  comme  son  devoir 
l'y  obligeait;  mais  parce  qu'il  y  pourrait  faire  éclore  les  mauvaises 
intentions  qu'il  avait  déj'a  préméditées  dans  son  âme.  (Moreau,  ch.  xvi.) 
Il  arriva  donc  a  Guingamp  avec  sa  compagnie,  et  il  y  fut  en  effet 
bloqué  quelques  jours  après.  Il  y  avait,  en  dedans,  assez  de  monde  pour 
défendre  la  place;  mais  Lacointerie  dit  qu'il  fallait  capituler,  et  lui-même 
alla  trouver  le  prince  de  Dombes,  au(juel  il  avait  fait  part  d'avance  et 
secrètement  de  ses  intentions,  et  l'on  traita  des  articles  de  la  capitula- 
tion. Ces  articles  furent  discutés  publiquement;  mais,  dans  une  confé- 
rence qui  eut  lieu  en  particulier,  il  fut  convenu  que  Lacointerie  aurait 
dix  mille  écus  pour  sa  peine,  et  on  lui  en  compta  d'abord  deux  mille. 
«  Le  reste,  quoique  promis  sur  la  foi  du  prince  de  Dombes,  qui  en  fit  son 
billet,  ne  fut  ni  ne  sera  jamais  payé.  » 

Les  clioses  ainsi  convenues,  Lacointerie  rentra  dans  la  ville,  oîi  ayant 
fait  un-long  étalage  des  forces  de  l'ennemi,  il  n'eut  pas  grand'peine  a 
persuader  aux  bourgeois  et  a  la  garnison  qu'il  valait  mieux  plier  que 
rompre,  et  rendre  tout  bonnement  la  ville  que  de  risquer  de  la  perdre, 
avec  un  si  grand  nombre  de  braves  gens  qui  étaient  dedans.  La  porte  fut 
donc  ouverte  aux  assiégeants  et  la  garnison  eut  permission  d'en  sortir 
vie  et  bagues  sauves. 

Le  duc  de  Mercœur  entra  dans  une  grande  colère,  car  il  se  tenait 
tout  prêt  a  contraindre  l'ennemi  'a  lever  le  siège.  Il  accusa  Lacointerie 
de  trahison  devant  le  parlement  de  Nantes;  et,  pour  réparation,  le  cou- 
pable fut  condamné  a  être  tenaillé  et  pendu.  Il  est  vrai  qu'on  ne  le  tenait 
pas  pour  exécuter  la  sentence;  Lacointerie  avait  jugé  plus  sûr,  après  son 
beau  fait  d'armes,  de  se  retirer  dans  le  camp  du  prince  de  Dombes,  où, 
sans  avoir  aucun  commandement,  il  servit  en  qualité  de  simple  chevau- 
léger. 

L'armée  que  le  duc  de  Mercœur  amenait  au  secours  de  Guingamp 
était  beaucoup  plus  nombreuse  que  celle  des  royalistes.  Le  prince  de 
Dombes,  avant  de  risquer  une  bataille,  envoya  'a  la  découverte  le  sieur 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  183 

(le  Montmartin,  pour  connaître  an  juste  le  nombre  et  les  dispositions  de 
Tennemi.  Il  apprit  bientôt  que  Merconir  continuait  sa  marche  et  venait 
d'arriver  dans  un  lieu  appelé  La  Croix-de-Malbara.  Il  n'y  avait  plus  entre 
les  deux  armées  qu'une  vaste  plaine  couverte  de  bruyères.  Celle  des 
Ligueurs  s'était  postée  derrière  un  bois  taillis  entre  les  villes  de 
Guingamp  et  de  Quintin.  Les  royaux  s'étaient  retranchés  dans  le  bas  de 
la  plaine,  où  ils  étaient  couverts  par  un  fossé  très-profond  ;  mais,  dans 
un  conseil  de  guerre,  il  fut  décidé,  contre  l'avis  des  plus  sages,  qu'on 
franchirait  ce  fossé  et  qu'on  irait  attaquer  l'ennemi.  (De  Thou,  t.  IX, 
liv.  10l\  p.  590  et  suiv.) 

Le  combat  commença  sur  les  huit  heures  du  matin,  et  le  prince  de 
Dombes  eut  d'abord  lieu  de  regretter  d'avoir  permis  de  franchir  le  fossé 
qui  |irotégeait  les  siens.  Celles  de  ses  troupes  qui  s'étaient  avancées  les 
premières  lurent  mises  en  désordre,  avec  grande  perle  de  gentilshommes 
et  de  braves  ofdciers.  Pour  lors,  Montmartin, 'a  la  tête  d'un  détachement 
de  Français,  d'Allemands  et  d'Anglais,  et,  s'élançant  sur  l'ennemi, 
vint  rétablir  le  combat  qui  se  prolongea  pendant  tout  le  reste  de  la 
journée,  sans  que  la  victoire  parût  se  déclarer,  malgré  le  désavantage 
de  la  position  des  royaux;  car  le  feu  des  Ligueurs,  partant  de  haut  en 
bas,  faisait  un  eflet  bien  plus  meurtrier  que  celui  de  leurs  adversaires 
qui  ne  pouvaient  tirer  sur  eux  que  de  bas  en  haut. 

Le  lendemain,  on  se  contenta  de  se  canonner  réciproquement,  et 
chacun  attendait  que  l'ennemi  commençât  la  charge  ;  mais  les  deux 
généraux  prirent  le  parti  de  se  retirer  sans  rien  faire.  Le  duc  de  Mercœur 
s'en  revint  a  Courlays,  et  le  prince  de  Dombes  s'en  alla  à  Chatelau- 
dren,  où  il  fut  rejoint  par  le  brave  La  Noue,  (jue  le  roi  envoyait  a  son 
aide,  avec  la  compagnie  de  cavalerie  du  comte  de  Montgommery. 

La  Noue  fut  d'avis  de  marcher  de  nouveau  à  l'ennemi,  et  lui-même 
régla  l'ordre  de  bataille.  On  s'avança  donc  incontinent,  et  en  ffrand 
silence,  jusqu'aux  avant-postes  du  camp  ennemi,  qui  furent  brusquement 
attaqués  a  la  |)remière  pointe  du  jour,  et  qui  furent  mis  en  déroute 
après  un  combat  meurtrier.  Mercœur  rangeait  pendant  ce  temps-la  son 
armée  en  bataille,  et  quand  les  deux  |)artis  se  trouvèrent  en  présence, 
ils  restèrent  la  sous  les  armes  plus  de  deux  heures  entières,  chacun 
attendant  que  son  adversaire  donnât  le  signal  de  l'attaque;  mais  ni 
Mercœur,  ni  le  prince  de  Dombes  n'ayant  voulu  commencer,  ce  dernier 
ramena  sur  le  soir  ses  troupes  a  Quintin,  et  Mercœur  rentra  dans  son 
camp  pour  surveiller  les  mouvements  de  son  ennemi. 

Or,  le  sieur  de  la  Hunauldaye,  et  le  manpiis  d'Asserac,  qui  voulaient 
mettre  a  couvert  les  châteaux  qu'ils  possédaient  dans  le  voisinage  de 
Lamballe,  décidèrent  le  prince  de  Dombes  à  faire  le  siège  de  cette  ville. 
Il  est  vrai  que  l'armée  manquait  presque  entièrement  de  munitions  de 
guerre,  et  qu'on  n'avait  pour  tonte  artillerie  cpie  deux  canons  en  assez 
mauvais  état;  mais  qu'importe?  les  dits  seigneurs  tenaient  à  la  conser- 
vation de  leurs  châteaux,  beaucoup  plus  qu'a  l'intérêt  public.  La  plupart 
des  capitaines,  qui  servaient  sous  le  prince,  tentèrent  inutilement  de  le 


^84  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

(Jélournor  d'une  aussi  hasnrileuse  entreprise,  qiril  fallait  exécuter  avec  des 
moyens  aussi  insulïisants  et  sons  les  yeux,  ponr  ainsi  dire,  d'un  ennemi 
de  beaucoup  supérieur  en  forces.  La  Noue  lui-même,  malgré  sa  bra- 
voure qui  allait  jusqu'à  la  témérité,  n'était  pas  d'avis  de  risquer  une 
tentative  semblable;  mais  quand  il  vit  le  prince  décidé,  lui  qui  n'avait 
jamais  contredit  personne,  il  se  rendit  d'autant  plus  facilement  a  l'avis 
du  général,  qu'il  ne  connaissait  pas  l'assiette  de  Lamballe. 

A  la  vue  de  la  place,  il  avoua  pourtant  qu'on  ne  pouvait  espérer  de 
réussir  qu'a  l'aide  d'un  miracle,  ou  par  une  làclicté  extrême  de  ceux 
qu'on  allait  assiéger.  On  n'en  dressa  pas  moins  en  batterie  les  deux  mau- 
vais canons  qu'on  avait,  et  l'on  parvint  à  taire  dans  le  rempart  une  toute 
petite  brèche,  que  les  assiégés  eurent  bientôt  tortillée  avec  des  fascines 
et  du  gazon.  Le  brave  Montmarlin,  qu'on  envoya  pour  la  reconnaître,  en 
revint  dangereusement  blessé,  et  rapporta  qu'il  n'y  avait  pas  de  sûreté 
'a  tenter  l'assaut. 

Aussitôt  La  Noue,  ayant  quitté  son  casque  pour  être  moins  embar- 
rassé, s'en  alla  monter  sur  une  échelle  plantée  derrière  des  ruines, 
dans  le  dessein  de  s'assurer  par  lui-même  de  la  situation  des  choses. 
Pendant  (|u'il  examinait  la  brèche  avec  une  grande  attention,  une  balle 
de  mous(juet  l'atteignit  a  la  tête.  En  tombant,  il  demeura  suspendu  par 
un  pied  qui  s'embarrassa  dans  les  échelons  ;  on  accourut  a  son  aide  et  on 
l'emporta  dans  sa  tente,  où  il  fut  plus  de  deux  heures  entières  sans 
reprendre  connaissance.  De  là,  on  le  porta  a  Moncontour,  où  il  mourut 
quinze  jours  après,  pendant  que  les  médecins  discutaient  s'il  fallait  ou 
non  lui  faire  subir  l'opération  du  trépan.  A  sa  dernière  heure,  le  héros 
se  fit  lire  le  passage  de  Job  sur  la  résurrection  des  corps.  «  C'est  la 
dit-il  'a  Monlmartin,  qui  était  auprès  de  son  lit  de  souffrance,  la  croyance 
dans  laquelle  j'ai  vécu  et  dans  laquelle  je  meurs.  J'emporte  l'espoir  de 
ressusciter  un  jour.  » 

Le  prince  de  Bombes,  consterne  de  la  mort  de  ce  brave  guerrier, 
leva  le  siège  de  Lamballe  et  se  retira  à  Saint-Brieuc.  Ce  lut  la 
qu'il  découvrit  une  conspiration  qui  se  tramait  contre  sa  propre  vie.  On 
trouva,  sur  un  cordelier  qui,  sous  prétexte  de  quêter  pour  les 
besoins  de  son  couvent,  était  toujours  en  course,  une  lettre  d'un  partisan 
de  Mercœur,  laquelle  contenait  tout  le  plan  du  complot.  Dans  celte 
lettre,  adressée  au  sieur  de  Rascol,  qui  était  auprès  de  Monsieur  de 
Dombes,  il  était  question  de  la  manière  dont  on  s'y  prendrait  pour 
assassiner  le  dit  prince.  Rascol  fut  aussitôt  arrêté,  et,  coupable  ou  non, 
il  eut  la  tête  tranchée,  et  le  moine  fut  pendu.  (Moreau,  ch.  xxiv.) 

Celte  justice  expéditive  n'arrêta  pas  les  ennemis  du  prince.  Cette 
même  année  fut  aussi  découveit  un  autre  complot  tendant  à  re- 
mettre entre  les  mains  de  Mercœur  la  bonne  ville  de  Rennes. 
Le  baron  de  Crapado,  vieillard  de  plus  de  quatre-vingts  ans,  était  le 
chef  de  celte  menée.  Tout  était  préparé  pour  livrer  d'abord  la  porte 
de  Toussaint  aux  troupes  (pie  le  duc  avait  secrètement  postées 
dans  les  environs,   et    le    coup   devait  éclater   dans    les    vingt-quatre 


I 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  185 

lieures,  quand  les  conjurés  furent  Iraliis  par  un  des  leurs.  Crapado  fut 
arrêté,  et  ayant  en  cilét  été  trouvé  cotipahle,  il  fut  condamné  a  être 
traîné  sur  une  claie  h  la  queue  d'un  cheval,  depuis  la  prison  jus(|u'au 
champ  Jac(|uet,  la,  pour  y  avoir  la  tête  tranchée,  ce  qui  fut  exécuté.  «  Ce 
vieillard,  que  son  âge  rendait  vénérahle,  était  pourtant  des  meilleures 
lamilles  de  France,  et  même  touchait  de  parenté  au  prince  de  Domhes, 
ce  (jui  n'empêcha  pas  celui-ci  de  vouloir  assister  au  supplice;  aussi 
Crapado  lui  dit  :  «  Vous  me  traitez  comme  un  faquin,  quoique  je  sois 
«  votre  parent,  et  la  honte  en  retomhe  sur  vous.  Au  reste,  je  ne  me 
«  plains  pas  tant  de  mourir  (pie  d'être  ainsi  traîné  en  chemise  et  pieds 
«  nus  comme  un  sim|)le  manant.  C'est  une  ignominie  que  vous  deviez 
«  épargner  a  mon  vieil  âge.  »  Le  prince  ne  s'émut  nullement  de  cette 
remontrance;  mais  toute  la  nohiesse  du  pays  se  sentit  indignée. 

Lavardin  venait  alors  d'arriver,  avec  cent  chevaux  et  huit  cents 
arquehusiers,  et  le  duc  de  Mercœur,  pour  donner  du  repos  'a  ses 
troupes,  s'était  de  son  côté  retranché  entre  Pontivy  et  Josselin. 
Le  prince,  dans  la  volonté  de  mettre  'a  prolit  le  nouveau  secours  cpii  lui 
arrivait,  eut  l'idée  d'aller  de  nouveau  ofl'rir  la  hataille  au  duc;  il  n'y  eut 
encore  l'a  (ju'un  simple  cond)at  d'avant-postes,  où  les  royaux  n'eurent 
pas  l'avantage;  le  sieur  La  Tremblaye,  (|ui  conduisait  une  reconnaissance, 
s'étant  trop  avancé  pendant  l'obscurité  d'une  nuit  sans  lune,  fut  pris  i)ar 
l'ennemi.  (Dk  Twoi, nbi  sup.) 

Au  lever  du  soleil,  les  deux  armées  se  trouvèrent  en  présence  près  de 
Jugon,  et  restèrent  encore  sous  les  armes  vis-'a-vis  l'une  de  l'autre, 
sans  oser  en  venir  aux  mains.  Alors  Norris,  général  des  troupes  auxiliaires 
de  l'Angleterre,  demanda  qu'on  revint  a  Saint-Brieuc,  attendu  que  les 
maladies  causées  par  l'intempérance  de  ses  soldats  en  avaient  déjà  em- 
porté un  grand  nombre,  et  qu'il  devenait  nécessaire  de  leur  donner  un 
|)eu  de  repos  pour  rétablir  leur  santé  et  la  discipline. 

Quand  les  troupes  se  furent  reposées,  on  résolut  de  s'emparer  de 
Saint-Méen  sur  la  route  de  Rennes;  car  on  avait  nouvelle  que  le  duc  de 
Mercœur  voulait  lui-même  venir  dans  cette  ville,  et  la  soumettre  'a  sa 
dévotion.  Lavardin  partit  donc  en  avant  a  la  tête  des  soldats  qu'il  avait 
amenés,  et  ayant  trouvé  la  place  vide,  il  se  préparait  a  s'y  établir  paisi- 
blement; mais  le  duc  de  Mercœur  arriva  pres(jue  aussitôt  et  rangea  ses 
troupes  en  bataille  au-dessous  de  Saint-Méen,  derrière  un  petit  bois  (jui 
se  trouvait  entre  lui  et  la  ville. 

Le  prince  de  Dombes,  averti  de  son  arrivée,  doubla  le  pas  avec  le 
reste  de  son  armée,  et  alla  faire  halte  auprès  d'un  moulin  a  vent  qui  se 
trouve  sur  une  hauteur  voisine  ;  la,  on  tint  un  conseil  de  guerre  pour 
régler  le  plan  de  l'attaque;  mais,  comme  on  vint  dire  au  prince  que 
l'allVit  d'un  de  ses  canons  s'était  rompu  dans  les  mauvais  chemins  du 
pays,  il  jugea  a  propos  de  ne  rien  entreprendre  de  toute  la  journée 
jusipi'îi  ce  que  l'alfùt  eût  été  réparé.  Ce  fut,  dit-on,  ce  qui  sauva  l'armée 
du  duc  de  Mercœur,  qui  n'eût  pas  manqué  d'être  défaite,  si  elle  eût  été 
attaquée  en  ce  moment;  car   la  position  (lu'elle   avait  prise  entre  une 


18B  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

ville  déjà  au  poiivoii'  de  rennemi  et  une  colline  par  laquelle  les  royaux 
allaient  tomber  sur  elle  ne  lui  laissait  aucune  chance  de  salut.  Aussi 
Mercœur  se  liâta-t-il  de  décamper  a  l'entrée  de  la  nuit,  et  d'aller  se 
placera  Saint-Jean,  dans  une  position  beaucoup  moins  périlleuse. 

Un  grand  nombre  de  gentilshommes  de  la  province  vinrent  en  ce 
moment-la  se  joindre  a  l'armée  royaliste,  et  il  fui  encore  décidé  qu'on 
attaquerait  cette  fois  résolument  l'ennemi.  Montmartin  se  mit  a  la  tête 
de  l'avant-garde  et  enfonça  bravement  les  premiers  postes  du  duc  de 
Mercœur;  mais  celte  fois  encore,  «  a  cause  des  petits  ruisseaux  dont  les 
chemins  sont  coupés  en  ce  pays-la,  »  on  n'osa  pas  en  venir  a  une  action 
sérieuse  et  générale  ;  on  se  décida  a  retourner  vers  le  Maine. 

Sur  la  roule,  on  prit  la  petite  ville  de  Châtillon-en-Vendelais,  dont  la 
garnison  composée  de  deux  cents  soldats,  appartenant  au  duc  de 
Mercœur,  fut  tout  entière  passée  au  lil  de  l'épée  ;  puis,  le  feu  ayant  pris 
par  hasard  aux  poudres,  la  malheureuse  petite  ville  fui  presque  complète- 
ment brûlée. 

Mercœur,  en  apprenant  cette  nouvelle  a  Nantes,  où  il  était  déjà  revenu, 
envoya  par  représailles  assiéger  le  château  de  Coetnisan,  dont  le 
seigneur  lui  était  contraire.  Ce  gentilhomme,  ayant  été  obligé  de  se 
rendre  après  une  défense  désespérée,  fut,  malgré  la  capitulation  qui  lui 
permettait  de  sortir  avec  armes  el  bagages,  renfermé  dans  une  étroite 
prison  dont  il  ne  put  se  tirer  que  longtemps  après,  en  payant  une  rançon 
de  trente  mille  écus  d'or. 

Après  cette  expédition,  le  duc  vint  camper  devant  le  château  de 
Blain.  Celte  place,  très-forte  par  son  assiette  et  par  les  constructions 
défensives  dont  elle  était  soigneusement  environnée,  faisait  partie  du 
patrimoine  de  la  maison  de  Rohan,  qui  y  tenait  ses  archives  et  tout  ce 
qu'elle  avait  de  plus  précieux.  Dès  l'an  1585,  les  Ligueurs  avaient 
trouvé  le  moyen  de  s'en  emparer  par  composition;  mais,  quoiqu'ils  s'y 
fussent  conduits  avec  modération  et  douceur,  les  habitants  n'en  étaient 
pas  moins  au  fond  de  l'âme  restés  fidèles  'a  leurs  anciens  seigneurs.  Le 
sieur  du  Goust,  lieutenant  des  sires  de  Rohan,  grand  huguenot  de  pro- 
fession, du  reste  homme  cruel  et  insolent,  avait  trouvé  moyen  de 
reprendre  ce  château.  Avec  huit  compagnons  seulement,  il  s'était  em- 
busqué un  malin  dans  le  voisinage,  épiant  l'instant  où  l'on  baisserait  le 
pont-levis.  Vers  l'heure  de  midi,  plusieurs  charrettes  arrivèrent,  el  le 
pont  fut  baissé  pour  les  introduire.  Alors  du  Goust  et  les  siens  se  préci- 
pitèrent dans  le  corps  de  garde,  et  ceux  des  Ligueurs  qui  s'y  trouvaient, 
se  voyant  surpris,  s'enfuirent  en  toute  hâte  avec  le  gouverneur  lui-même. 
Les  habitants  se  joignirent  incontinent  aux  assaillants,  et  du  Goust  se 
trouva  maître  de  la  place.  (Moreau,  ch.  xv.) 

Mais  tout  a  coup  on  vil  arriver  le  sieur  de  Guébriant,  qui  tenait  pour 
la  Ligue,  et  qui  se  présenta  a  son  tour,  'a  la  tête  de  plusieurs  compa- 
gnies, pour  recouvrer  le  dit  château,  de  la  prise  duquel  étaient  venus 
l'instruire  ceux  qui  s'étaient  si  vite  enfuis  au  moment  de  ratla(|ue. 

Une  jeune  et  jolie  fille  de  dix-huit  ans,  Mademoiselle  de  La  Salmonaye, 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  187 

dont  le  frère  était  lieutenant  de  du  Goust,  s'avança  alors  toute  seule  et 
toute  en  pleurs  sur  la  contrescarpe  jiis(|u'aii  |>ied  des  murailles,  et 
demanda  a  parler  à  son  hvre.  Elle  lui  dit  «pj'il  était  cause  d(î  la  ruine 
de  leur  père  commun  et  de  toute  lalamille;  que  les  Ligueurs  les  avaient 
tous  emprisonnés,  et  (prelle-méme,  après  s'être  échappée  d'un  cachot, 
où  on  l'avait  renfermée  à  Nantes,  venait  sans  autre  espoir  que  de  mourir 
avec  lui,  s'il  le  fallait.  Le  lieu'.enant  lui  lit  descendre  une  corde  à  l'aide 
de  laquelle  on  la  hissa  par-<lessus  le  rempart;  mais  du  Goust  eut  quel- 
que soupçon.  Il  fit  arrêter  le  frère  et  la  sœur,  et  celle-ci  finit  par  avouer 
que,  moyennant  une  dot  de  dix  mille  livres  que  lui  avait  promise  la 
duchesse  de  Mercœur,  elle  avait  promis  d'engager  son  frère  à  livrer  le 
château.  Comme  cette  demoiselle  était  huguenote,  du  Goust  n'eut  pas 
grand'peine  à  la  convaincre  (ju'un  i)areil  marché  compromettait  tout  'a  la 
fois  son  âme  et  son  honneur.  Puis,  il  la  décida  a  son  tour  à  se  laisser 
redescendre,  et  à  aller  dire  aux  assiégeants,  que  s'ils  voulaient  la  suivre, 
elle  avait  tout  arrangé  pour  (|u"ils  lussent  introduits  dans  la  place  par  le 
même  moyen  (|ui  lui  avait  aidé  à  y  entrer  et  a  en  sortir. 

La  proposition  lut  acceptée.  La  corde  fut  redescendue  dans  la  nuit 
suivante,  a  un  signal  (|ue  lit  la  jeune  (ille  ;  elle-même  monta  la  première, 
et  soixante-sept  des  plus  braves  de  l'armée  catholique  la  suivirent  suc- 
cessivement. Mais  a  mesure  qu'ils  arrivaient  dans  le  château,  on  les  fai- 
sait entrer  silencieusement  dans  une  chamhre  |)réparée  a  cet  effet,  sous 
prétexte  de  les  cacher  aux  yeux  de  la  garnison,  et  la,  on  les  mettait  aux 
fers. 

Guéhriant,  'a  la  fin,  eut  méfiance  de  quelque  trahison,  car  il  n'avait 
aucune  nouvelle  de  ceux  des  siens  qui  s'étaient  fait  monter  par  cette 
corde,  laquelle  redescendait  toujours.  Il  chargea  spécialement  le  dernier 
homme  (pi'il  laissa  partir  de  lui  faire  un  signal  pour  l'instruire  de  ce  qui 
se  passait  la-haut.  Le  signal  ne  fut  pas  fait,  et  Guéhriant  ne  voulut  plus 
laisser  monter  personne.  Alors  du  Goust,  voyant  que  la  corde  ne  rame- 
nait plus  riejî,  s'adressa  au  dernier  arrivé,  et,  lui  mettant  le  poignard 
sur  la  gorge,  il  tenta  de  le  forcer  à  venir  sur  le  rempart,  engager 
Monsieiu'  de  Guéhriant  a  monter  lui-même.  «  Vous  pouvez  me  tuer, 
répondit  le  soldat;  mais  je  ne  commettrai  pas  une  pareille  trahison. 
J'aime  mieux  la  mort.  »  Du  Goust  trouva  ce  trait  de  courage  trop  beau 
pour  vouloir  en  faire  périr  l'auteur,  et  ainsi  (Miéhriant  échappa  au  piège 
qui  lui  avait  été  tendu.  Il  se  retira  le  lendemain  matin,  laissant  soixante- 
sept  prisonniers,  dont  les  armes  servirent  aux  assiégés  qui  en  avaient 
fort  peu.  De  j)Ius,  ces  mêmes  prisonniers  fiuTiit  un  moyen  de  se  faire 
fournir  des  vivres  par  les  garnisons  ennemies  dont  on  était  environné. 

Depuis  ce  temps,  du  Goust  était  toujours  resté  maître  de  la  place, 
qui  était  bonne  et  forte,  comme  j'ai  dit.  et  de  la,  il  faisait  jour  et  nuit 
des  courses  dans  le  pays,  jus([u'aux  portes  de  Nantes,  ramenant  chaciue 
fois  un  grand  nombre  de  prisonniers,  dont  il  traitait  la  plupart  bien  rude- 
ment, de  sorte  que  plusieurs  mouraient  a  la  peine,  et  des  autres  il 
extorquait  sans  ménagement  de   grosses   rançons.  Mercœur  était   donc 


188  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

venn,  bien  décidé  a  cxlerminer  celle  bande  de  pillards  qui  se  montait 
déjà  à  près  de  quatre  cents.  Quoique  la  saison  lût  l'àcbeuse  pour  un 
siège,  car  on  était  déjà  au  mois  de  novembre,  il  entoura  le  château  ; 
après  quoi,  il  fit  dresser  une  batterie  de  douze  doubles  pièces,  qui 
tirèrent  sans  relâche  contre  la  grosse  tour  de  l'entrée.  Celte  tour  passait 
pour  très-lbrte.  Aussi,  a  chaque  volée,  les  assiégés  criaient  en  raillant  : 
ff  Prenez  garde!  vous  allez  la  blesser;  »  et,  avec  des  linges  attachés  a 
de  longues  perches,  ils  frottaient  l'endroit  où  le  boulet  venait  de  frapper. 
Mais  bientôt,  ils  furent  obligés  de  trouver  cette  furieuse  canonnade  moins 
plaisante.  Au  bout  de  deux  jours,  la  tour,  qui  avait  été  battue  par  le 
canon  sans  discontinuer,  s'ébranla  et  finit  par  s'écrouler  avec  un  fracas 
épouvantable.  Ses  débris  comblèrent  le  fossé,  laissant  une  large  ouver- 
ture par  laquelle  on  pouvait  monter  à  l'assaut. 

On  députa  donc  de  la  place  un  des  capitaines  pour  traiter  de  la 
capitulation,  lequel  ayant  un  grand  panache  blanc  au  chapeau  el  un 
javelot  à  la  main,  s'avança  superbement  vers  Son  Altesse.  Mercœur,  le 
voyant  venir  avec  cet  air  bravache  :  «  Faites  savoir,  dit-il,  'a  ce  maître 
sot  qu'il  ait  h  se  retirer  au  plus  tôt,  s'il  ne  veut  pas  que  je  prenne  la 
peine  de  le  faire  pendre.  »  Le  capitaine  ne  se  fit  pas  répéter  deux  fois 
cet  avertissement  et  rentra  bien  vite  dans  le  château. 

Comme  ensuite  on  n'y  apercevait  plus  aucun  mouvement,  un  soldat 
espagnol  de  l'armée  du  duc,  montant  sur  les  décombres  de  la  brèche, 
eut  ridée  d'aller  explorer  ce  qui  se  passait  dans  l'intérieur.  Il  ne  vit  per- 
sonne dans  tous  les  environs,  el  il  appela  ses  compagnons,  qui,  passant 
par  le  même  chemin,  entrèrent  dans  le  château  sans  rencontrer  la 
moindre  résistance.  La  garnison  s'était  toute  retirée  dans  le  donjon,  qui 
fut  incontinent  investi.  Du  Goust  demanda  de  nouveau  'a  capituler.  Or,  le 
donjon  était  fort  et  pouvait  tenir  longtemps.  Mercœur  crut  devoir  en 
celte  considération  se  relâcher  un  peu  de  sa  sévérité,  el  la  capitulation 
fut  accordée.  Les  simples  soldats  purent  sortir  avec  leurs  arquebuses  ; 
mais  les  capitaines  el  le  chef  furent  prisonniers  de  guerre.  On  les  con- 
duisit au  château  de  Nantes,  d'où  ils  ne  se  tirèrent,  quelques  années  plus 
tard,  qu'en  payant  rançon. 

Ce  siège  ne  dura  que  sept  jours  et  le  butin  fut  immense,  car  les 
seigneurs  deRohan  avaient  magnifiquement  meublé  celle  résidence.  Les 
Espagnols,  y  étant  entrés  les  premiers,  eurent  la  meilleure  et  la  plus 
grosse  part;  puis,  le  château  fut  eijtièrement  brûlé. 

Dans  le  même  temps,  le  sieur  de  Saint-Laurent  avec  quelques  com- 
pagnies espagnoles,  dont  le  duc  de  Mercœur  l'avait  pourvu,  était  venu 
mettre  le  siège  devant  la  ville  de  Malestroiî,  (jui  n'avait  pour  toute 
défense  que  la  fidélité  et  la  bravoure  de  ses  habitants;  ils  soutinrent  deux 
assauts  pendant  lesquels  plus  de  deux  cents  bourgeois  se  firent  tuer, 
sans  qu'une  perle  aussi  considérable  pùl  abattre  en  rien  leur  résolution. 
C'était  a  qui  prendrait  la  part  la  plus  active  'a  la  défense.  Un  prêtre, 
nommé  dom  Gilles,  leur  donnait  l'exemple.  11  haïssait  profondément  les 
Espagnols  ;  aussi  se  trouvait-il  toujours  le  premier  sur  la  brèche,  roulant 


DU  PIIOTESTANTISME  EN  FRANGE.  189 

de  grosses  pierres  et  lançant  des  fenx  d'arlilice  sur  l'ennemi.  Saint- 
Laurent,  après  avoir  perdu  beaucoup  de  monde,  sans  avoir  pu  avancer 
d'un  pas,  lui  obligé  de  se  retirer  bonlcusement,  et,  pour  laver  rallront 
d'une  pareille  retraite  devant  une  ville  qui  n'avait  pas  même  de  garnison, 
il  s'en  alla  assiéger  la  tour  de  Scssons,  i)etit  fort  sur  les  côtes  de  la 
basse  Bretagne,  dans  le  voisinage  de  Saint-Hrieuc. 

Aussitôt  le  seigneur  de  liieux,  tout  nouvellement  nommé  gouverneur 
de  Brest,  convocjua  la  noblesse  du  pays,  (pii  s'empressa  d'arriver,  et  il 
vint  présenter  la  bataille  'a  Saint-Laurent,  avant  (|ue  celui-ci  eût  eu  le 
temps  de  prendre  la  place  qu'il  assiégeait.  On  combattit  avec  opiniâ- 
treté de  part  et  daulre  ;  mais  les  royaux  Unirent  par  avoir  l'avantage. 
Saint-Laurent  lui-même  lut  lait  prisonnier  par  le  bourreau  des  compa- 
gnies allemandes  de  la  garnison  de  Hrest,  lequel  saisit  la  bride  de  son 
cbeval  et  l'arrêta  dans  sa  luite.  11  lut  conduit  'a  Guingamp;  toute  son 
infanterie  fut  massacrée,  a  l'exception  de  quelques-uns,  qui  s'étaient 
réfugiés  dans  une  église  voisine,  et  la  plupart  des  nobles  qui  étaient 
avec  lui  furent  pris.  La  déroute  était  complète  et  sans  ressource. 

Un  autre  chef  ligueur  avait  un  plus  heureux  succès  en  Anjou;  mais, 
malheureusement,  après  ne  l'avoir  dû  qu'îi  la  trahison,  il  en  usait  avec 
toute  la  férocité  d'un  baron  du  moyen  âge.  Pierre  Le  Cornu-Duplessis, 
gouverneur  de  Craon,  avait  depuis  longtemps  pour  ennemi  particulier  le 
seigneur  de  Cri(iueb(i'ul',  qui  tenait  en  ce  temps-la,  pour  le  roi,  la 
petite  place  de  Montjean,  di'pendante  de  la  comté  de  Laval.  Duplessis 
gagna,  a  prix  d'argent,  un  juif  nommé  Mo'ise,  dans  lequel  Criquebœuf 
avait  mis  sa  confiance,  et  ce  perfide  domestique  introduisit  dans  le 
château  l'ennemi  mortel  de  son  maître.  Le  malheureux  gouverneur  s'at- 
tendait d'autant  moins  'a  celte  surprise  que,  quelques  jours  auparavant, 
Duplessis  avait  conclu  avec  lui  une  trêve,  et  lui  avait  solennellement 
promis  par  écrit  signé  de  sa  main  (pi'il  n'entreprendrait  rien  contre  lui, 
pendant  tout  le  temps  que  devait  durer  cette  trêve.  Le  chef  ligueur,  au 
mépris  d'une  promesse  aussi  sacrée,  lit  Criqueb(euf  son  prisonnier,  le 
plongea  dans  un  affreux  cachot,  et  après  l'avoir  contraint  par  la  torture 
'a  lui  faire  payer  six  mille  écus  de  rançon,  il  le  fit  impitoyablement  massa- 
crer, «  tenant  a  prouver  à  tous  qu'il  ne  s'était  saisi  du  château  de 
Montjean,  et  qu'il  n'avait  violé  toutes  les  règles  consacrées  par  le  droit 
des  gens  que  pour  se  venger  d'un  ennemi  détesté.  »  (De  Thoc,  t.  XI, 
liv.  102,  p.  iOi.) 

En  Auvergne,  la  Ligue  avait,  comme  on  la  vu,  reçu  un  coup  \\  peu 
près  décisif  par  la  mort  du  comte  de  Uandan,  tué  au  siège  dlssoire. 
Vainement  elle  avait  tenté  de  se  réveiller  quand  le  duc  de  Nemours  était 
venu  prendre  possession  du  gouvernement  de  Lyon.  On  avait  inuti- 
lement cherché  a  appeler  ce  prince  dans  ce  pays-lâ  pour  rendre  quehpie 
force  au  parti;  on  alla  même,  pour  le  décider,  jusqu'à  le  flatter  que 
Clermont  n'attendait  que  sa  présence  pour  se  remettre  entre  ses  mains. 
Le  voisinage  de  Lesdiguières,  (|ui  du  Dauphiné,  où  il  était  déjà  maître, 
pouvait  faire  et  faisait  a  chaque  instant  des  courses  dans  le  Lyomiais,  lui 


iro  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

l)arul  assez  redoulabic  pour  qu'il  n'osât  s'éloigner  et  livrer  aux  entre- 
prises de  cet  ennemi  audacieux  un  pays  où  il  espérait  bien  se  faire  une 
petite  souveraineté.  L'Auvergne  resta  donc  à  peu  près  tranquille. 
(Mézerav,  t.  III,  p.  895  et  suiv.) 

Pour  la  Bourgogne,  le  maréchal  d'Âumonl  venait  d'y  être  envoyé 
par  le  roi  ;  car,  de  ce  côté-l'a,  les  choses  n'étaient  pas  tout  a  fait  dans 
un  état  aussi  satisfaisant.  Le  sieur  de  Guyonville,  étant  entré  dans  cette 
province  avec  un  corps  de  troupes  qu'il  amenait  en  Champagne,  com- 
mençait a  y  donner  beaucoup  'a  faire  a  ïavannes,  chargé,  presque  seul 
et  sans  autres  ressources  que  les  siennes  jusqu'à  ce  moment,  de  la 
défense  du  parti  du  roi  dans  ces  contrées-la.  Guyonville,  en  passant  par 
Dijon,  où  les  Ligueurs  avaient  toute  puissance,  y  avait  pris  deux  coule- 
vrines  avec  lesquelles  il  vint  assiéger  le  château  de  Mirebeau.  Il  y  entra 
en  vainqueur  au  bout  de  deux  jours,  ))arce  que  le  vieux  comte  de  Brion, 
qui  en  était  seigneur,  et  que  son  grand  âge  rendait  peu  propre  a  la 
guerre,  au  lieu  de  penser  a  se  défendre  dans  cette  place,  aima  mieux 
essayer  d'en  sortir  secrètement.  Cette  tentative  pourtant  réussit  fort  mal 
a  ce  vieil  homme  ;  outre  (ju'elle  entraîna  la  reddition  de  Mirebeau,  il 
tomba  lui-même  entre  les  mains  de  l'ennemi,  qui  lui  ht  subir  toutes 
sortes  d'avanies,  et  qui  le  mit  îi  une  grosse  rançon.  {Mém.  de  Tavannes, 
1591.) 

Son  fils,  le  marquis  de  Mirebeau,  ne  fut  pas  plus  heureux.  II  avait 
pris  parti  parmi  les  seigneurs  royalistes  de  la  contrée;  mais,  comme  il 
n'y  avait  pas  de  chef  que  ces  messieurs  voulussent  reconnaître,  chacun 
se  conduisait  a  sa  guise,  et  ne  prenait  ordre  ni  avis  de  qui  que  ce  fût. 
Le  marquis  donc  s'était  mis  en  campagne  avec  une  compagnie  de  gens 
d'armes  qu'il  avait  levée  'a  ses  frais,  et  faisait  une  course  dans  le  pays, 
pour  rendre  service  au  roi  et  pour  son  compte  particulier.  Il  donna  im- 
prudemment dans  un  détachement  des  troupes  de  Guyonville,  et  il  fut 
fait  prisonnier.  On  le  conduisit  en  Lorraine,  où  on  lui  laissa  tout  le 
temps  de  regretter  dans  une  dure  prison  d'avoir  trop  obéi  a  son  esprit 
d'indépendance. 

Ce  fut  en  ce  moment  que  d'Aumont  arriva.  Le  duc  de  Nevers  avait 
joint  ses  troupes  a  celles  (|u'il  ameuait,  et  Tavaunes  s'empressa  de 
l'aller  trouver  avec  toutes  les  forces  des  royalistes  dans  la  province.  On 
s'attendait  (ju'il  frap[)erait  un  grand  coup,  et  lui-même  se  vantail  déjà 
de  réduire  bientôt  toute  la  Bourgogne  sous  la  domination  du  roi.  Pour- 
tant ses  prouesses  se  bornèrent  â  la  prise  de  la  petite  ville  de  Château- 
Chinon,  (|u'il  alla  assiéger  dans  le  Morvan.  «  Ce  fut  la  toute  la  conquête 
que  le  dit  maréchal  lit  au  dit  pays,  avec  le  petit  château  de  La  Motte, 
qu'il  s'obstina  â  faire  battre  de  quatre  pièces  d'artillerie,  (|uoique  le  sei- 
gueur  du  lieu  le  lui  voulût  rendre  sans  tout  cet  embarras;  mais  lui  vou- 
lait y  entrer  par  une  brèche,  et  l'avoir  â  discrétion,  ce  qui  lui  fut  aisé; 
car  ceux  du  dedaus  ne  taisaient  aucune  déléuse,  et  nonobstant  cela,  il 
lit  pendre  une  partie  des  soldats  (jui  composaient  la  garnison.  »  [Mém. 
de  Tavannes,  ibid.) 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  191 

Apivs  cet  exploit,  il  sacliemiiia  pins  avant  dans  la  dnclic  de 
Honri;oi,Mic,  dirigeant  sa  ronlc  snccessivenient  vers  les  villes  de  Savigny, 
de  Seninr  et  de  Saulieu,  qni  étaient  déjà  depnis  longtemps  dans  le  parti 
de  Sa  Majesté.  Il  mit  alors  en  délibération  de  quel  côté  il  tournerait  ses 
armes.  L'avis  du  sieur  de  Tavannes  et  des  principaux  royalistes 
de  la  province  lut  qu'il  fallait  marcher  contre  Autun,  ville  imj)ortante 
(|iioi(|ue  peu  forte,  et  (lu'on  devait,  si  on  voulait  réussir,  ratla(juer 
subitement  d'un  certain  côté  où  la  muraille  u'élait  point  terrassée,  ce 
qui  pouvait  au  reste  être  fait  aisément,  sans  s'exposer  au  feu  du 
cliàleau  ;  (|uant  au  château  lui-même,  on  était  sûr  (juil  ne  pourrait  man- 
(juer  de  se  rendre  aussitôt  (|ue  la  ville  serait  prise. 

Mais  le  maréchal  ne  voulut  pas  adopter  ce  plan  d'attaque.  Il  y  avait 
un  homme  de  rohe  longue  (ju'il  avait  amené  avec  lui  et  (jui  avait 
toute  sa  conliance,  parce  qu'il  était  grand  latiniste.  Cet  homme  se  nom- 
mait Lubert,  et,  par  malheur,  tout  ce  qu'il  disait,  (juoiqu'il  fût  complè- 
tement ignorant  au  fait  des  arnies,  l'emportait  dans  l'esprit  du  seigneur 
maréchal  surtout  ce  (|ue  rex|)érience  pouvait  suggérer  a  ses  plus  braves 
cl  plus  vieux  capitaines;  aussi  Guitry,  ((ui_,  de  retour  d'une  glorieuse 
campagne  en  Savoie,  était  venu  rejoindre  l'armée  royaliste  devant 
Autun,  disait-il  assez  plaisanmirînt  :  «  Monsieur  d'Aumont  aime  a  se  faire 
conseiller  en  latin,  je  lui  prédis  qu'il  se  fera  battre  en  français.  » 

Lubert  fut  d'abord  davis  (ju'il  n'était  pas  nécessaire  que  le  maréchal 
restât  j»résent  au  siège,  et  (ju'il  ferait  mieux  d'aller  a  Moulinot,  pour 
essayer  d'attirer  'a  (juel([ues  conférences  le  sieur  de  Senessey,  lieutenant 
en  ce  pays  pour  le  duc  de  Mayenne,  ou  (jnelque  autre  des  principaux 
chefs  de  la  Ligue.  Pendant  ce  temps-la,  on  devait  creuser  une  mine 
sous  certain  terrain  de  la  ville,  nommé  la  Jambc-de-Iiois.  Les  sieurs  de 
Tavannes  et  de  Cypierre,  laissés  tous  les  deux  avec  une  égale  autorité 
de  conduire  le  siège,  devaient  la  faire  jouer  d'abord  et  donner  ensuite 
l'assaut. 

Mais  ces  deux  capitaines  ne  purent  s'accorder  entre  eux  pour  l'exé- 
cution de  ce  plan  qui  n'était  pas  le  leur.  On  fit  jouer  la  mine  beaucoup 
trop  tôt,  et  sans  attendre  (|ue  la  terre,  qui  est  légère  et  sablonneuse  en 
ce  pays-la,  se  fût  allaissée,  on  planta  d'abord  les  échelles,  et  les  soldats, 
en  s'avançant  pour  monter  a  l'assaut,  se  trouvèrent  ensevelis  dans  les 
sables juscpi'a  la  ceinture.  (Di-:  Tiiof,  ubisup.,  p.  i^O.) 

Malgré  ces  difficultés,  qui  donnaient  un  grand  désavantage  a  l'at- 
taque, ceux  de  la  ville,  qui  s'étaient  avancés  pour  défendre  la  brèche, 
commençaient  'a  fuir  dans  les  rues,  sous  le  feu  d'une  batterie 
(pie  les  royalistes  avaient  dressée  sur  un  [loint  culminant  du  mont 
Joux;un  régiment  d'infanterie  était  déjà  parvenu  a  se  loger  sur  les 
décombres,  et  la  ville  aurait  probablement  été  emportée  sans  le  désordre 
ijue  causèrent  certains  gentilshommes,  les(|uels  avaient  voulu  servir 
dans  l'armée  en  qualité  de  volontaires.  Ce  jour-là,  ils  prétendirent  mar- 
cher au  premier  rang,  malgré  tout  ce  que  put  faire  Tavannes  pour  les  en 
dissuailer.  Il  avait  raison,  car  ils  tournèrent  subitement  le  dos  aux  dé- 


•J!)2  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

charges  de  rcnnenii,  et  jetèrent,  en  se  sauvant,  une  telle  conlusion 
parmi  les  gens  de  pied,  qu'il  fallut  se  retirer.  Mais  on  eut  du  moins  cet 
avantage  (pie  Tennemi  avait  perdu  plus  de  deux  cents  hommes,  tandis 
que,  du  côté  des  royaux,  on  n'en  comptait  que  trente  tués  ou  blessés. 
Il  est  vrai  que  les  assiégés  se  vengèrent  bien  le  lendemain,  et  tuèrent  a 
leur  tour  beaucoup  de  monde  dans  une  sortie  qu'ils  firent.  {Mém.  de 
Tavannes,  uhi  sup.) 

Pendant  ce  temps,  le  maréchal  voyait  aussi  échouer  une  entreprise 
qu'il  venait  de  tenter  sur  la  ville  de  Chalon-sur-Saône.  De  [/Artusie,  qui 
commandait  dans  cette  place,  l'une  des  mieux  fortifiées  de  tout  ce  pays- 
la,  entretenait  des  relations  avec  les  royaux  et  paraissait  des  mieux  dis- 
posés'a  se  rattacher  au  parti  du  roi.  Déjà  précédemment,  il  avait  lait 
quelques  ouvertures  'a  ce  sujet  au  sieur  de  Tavannes,  auquel  il  avait 
fait  dire  qu'il  livrerait  sa  citadelle,  si  on  voulait  lui  envoyer  pour  l'ap- 
puyer quelques  soldats  déguisés  en  paysans,  qu'il  se  chargeait  d'intro- 
duire secrètement  par  une  poterne.  «  Aller  la  déguisé  en  paysan,  dit 
le  président  Frémiot,  pour  mon  compte,  je  ne  voudrais  pas  même  m'y 
fourrer  en  habit  d'évêque.  »  (De  Thou,  îibi  sup.  —  Mézeray,  t.  111, 
p.  894.) 

D'Aumont  fut  plus  crédule.  L'Artusie  ne  lui  demandait  que  trente- 
deux  mille  écus  d'or,  pour  payer,  disait-il,  ce  qui  était  dû  a  ses  soldats. 
Les  plus  riches  des  bourgeois,  'a  (jui  la  Ligue  était  odieuse,  et  qui  dési- 
raient rentrer  sous  la  domination  du  roi,  consentirent  volontiers  'a  payer 
la  somme;  ils  fournirent  même  vingt  mille  écus  comptant  avec  promesse 
d'acquitter  le  reste  dans  l'année,  et  le  maréchal  convint  d'envoyer  un 
détachement  que  L'Artusie  devait  introduire  dans  la  ville,  afin  d'obliger 
les  autres  habitants  et  la  garnison  a  se  soumettre  'a  ces  conventions. 
Mais  c'était  Mayenne  qui  avait  permis  'a  L'Artusie  de  se  servir  de  ce  strata- 
gème, afin  de  tirer  cette  somme  considérable  des  ennemis  de  son  parti, 
et  pour  découvrir  en  même  temps  ceux  qui  dans  la  ville  étaient  mal 
intentionnés. 

D'Aumont  fit  donc  partir  cent  arquebusiers  et  cin([uante  cuirassiers 
pour  aller  trouver  le  gouverneur  de  Chalon,  ainsi  qu'on  en  était  con- 
venu. Mais,  dans  le  temps  que  ces  soldats  s'approchaient  de  la  ville  a  la 
faveur  d'une  nuit  ténébreuse,  L'Artusie  fit  sans  bruit  arrêter  ceux  des 
bourgeois  qui  s'étaient  compromis  ;  il  plaça  de  l'artillerie  sur  le  rempart 
qui  commandait  le  fossé  par  où  les  royalistes  devaient  s'introduire,  et, 
quand  l'officier  qui  les  commandait  eut  pénétré  dans  une  casemate  où  il 
était  convenu  qu'il  trouverait  le  gouverneur,  celui-ci  s'y  trouva  en  effet 
pour  l'arrêter  avec  tous  ceux  des  siens  qui  l'avaient  suivi.  Les  autres, 
qui  attendaient  dehors,  essuyèrent  une  décharge  meurtrière  qui  les  mit 
en  désordre,  et  ceux  qui  le  purent  n'eurent  rien  de  plus  pressé  que  de 
se  sauver. 

Le  maréchal  d'Aumont,  au  désespoir  d'avoir  donné  dans  ce  piège, 
revint  au  camp  devant  Autun,  bien  résolu  a  venger  par  quelque  coup 
déclat  la  perte  (juc  sa  crédulité  venait  de  lui  attirer.  Il  s'obstina,  toute 


i 


DU  PllUTESTANTISME  EN  FRANCE.  iOli 

lois,  a  ne  vouloir  point  employer  contre  la  ville  les  cin(j  pièces  el  les 
deux  couleuvrines  qui  coini)osaient  son  artillerie,  (|uoii|ue  ce  fût  l'avis  de 
ses  plus  expérimentés  capitaines;  mais,  toujours  guidé  par  les  conseils 
de  Lubert,  il  tourna  tous  ses  efforts  contre  le  château.  Il  dressa  sa 
batterie  en  un  lieu  si  bas  que  la  plupart  des  coups  ne  donnaient  que  dans 
la  contrescarpe.  La  brèclie  lut  a  peine  ouverte,  que,  sans  s'assurer  si 
elle  était  ou  non  praticable,  il  donna  l'ordre  de  monter  à  l'assaut.  Les 
royalistes,  divisés  en  qiiatorze  bataillons,  s'avancèrent  au  son  de  la  trom- 
pette. Les  assiégés  soutinrent  bravement  l'attaque  et  se  mirent  même  'a 
brocarder  le  maréchal  de  s'être  si  bonnement  laissé  tromper  par  L'Artusie. 
En  résultat,  l'armée  royale,  ()ui  avait  le  désavantage  de  combattre  contre 
un  ennemi  placé  au-dessus  d'elle,  lut  repoussée,  et  d'Aumont  leva  le 
siège  deux  jours  après,  sur  le  bruit  de  la  marche  du  duc  de  Nemours, 
(|ui  s'avançait  de  ce  côté  avec  un  corps  de  troupes  fourni  parle  duc  de 
Lorraine.  {Mém.  de  Tavannes,  uhi  sup.) 

Le  maréchal  s'achemina  vers  Semur,  où  il  prit  ses  quartiers  avec  le 
reste  de  son  armée.  L'a  encore,  il  voulut  tenter  une  surprise  sur  la  ville 
d'Avallon.  Un  pétard  (it  sauter  la  porte;  le  sieur  de  La  Ferté,  qui  con- 
duisait l'attaque,  entra  et  s'avança  d'environ  vingt  pas  dans  la  ville; 
mais  il  y  fut  tué,  ce  qui  lit  retourner  tout  aussitôt  ceux  qui  le  suivaient. 
Alors,  irrité  par  tant  de  mauvais  succès,  d'Aumont  ne  trouva  d'autre 
moyen  de  s'en  venger  que  d'ôter  le  gouvernement  de  Saint-Jean-de- 
Losne  'a  Tavannes,  parce  qu'il  savait  que  ce  chef  des  royalistes  de  la 
contrée  blâmait  assez  lil)rement  l'imprudence  de  sa  conduite.  Puis  il  se 
remit  en  marche  pour  Langres,  où  il  avait  résolu  d'attendre  six  cents 
hommes  de  cavalerie  que  Schomberg  devait  lui  amener  de  l'Alle- 
magne (1). 

Pour  éviter  les  villes  qu'occupait  le  parti  de  la  Ligue,  le  maréchal  prit 
sa  route  par  le  duché  du  Nivernais  et  passa  |)ar  Clamecy,  où  était  pour 
lors  Monsieur  le  duc  de  Nevers.  Ayant  pris  les  devants,  il  dînait 
tranquillement  chez  le  gouverneur,  quand  on  vint  lui  dire  que  sou 
arrière-garde  en  était  aux  mains  avec  Pleuvant,  auprès  du  village 
d'Armes.  Le  maréchal  y  courut  aussitôt,  et  la  mêlée  fut  très-vive.  Il 
parait  que  la  perte  de  Pleuvant  fut  considérable,  puisipie,  ayant  envoyé 
le  lendemain  un  trompette  pour  qu'on  lui  permit  d'enterrer  ses  morts, 
on  en  chargea  douze  charrettes.  {Mém.  pour  servir  à  Vhist.  du  Nivernais, 
p.  215.) 

En  ce  temps-l'a,  la  guerre  se  faisait  avec  plus  d'éclat  et  de  bonheur 
pour  les  armes  du  roi,  dans  les  provinces  du  midi.  Lesdiguières,  après 
s'être  rendu  maître,  comme  on  l'a  vu,  de  la  ville  de  Grenoble,  alla  mettre 
le  siège  devant  Les  Échelles,  fort  situé  sur  les  terres  de  Savoie,  dans  un 
lieu  étroit  et  très-élevé.  La  place  fut  presque  aussitôt  emportée  d'assaut, 

(1)  J'ai  tiré  le  récit  de  cette  campagne  du  maréchal  d'Aumont  presque  entièrement 
des  Mémoires  de  Tavanne,  et  il  est  juste  de  remarquer  que  l'écrivain  l'ait  voir  un 
peu  trop  sa  jalousie  et  s,on  mécontenfoment. 

IV.  13 


194  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

et  la  garnison,  qui  s'était  retirée  dans  le  donjon,  capitula  deux  jours 
après.  Lesdiguières  lui  accorda  les .  mêmes  conditions  qu'il  avait 
accordées  h  ceux  de  Grenoble  ;  c'est-a-dire  permission  a  ceux  qui  vou- 
draient se  retirer  de  sortir  avec  armes  et  bagages,  et  liberté  pour  ceux 
qui  resteraient  de  professer  ouvertement  le  culte  catholique,  apostolique 
et  romain.  (Di:  Tiiou,  t.  XI,  liv.  102,  p.  407  et  suiv.) 

Il  s'en  alla  de  la  au  Pas-de-la-Grotte,  situé  encore  plus  haut  dans  la 
montagne,  au-dessus  d'un  bourg  de  ce  nom,  et  d'où  les  ennemis,  qui  s'y 
étaient  fortifiés,  harcelaient  continuellement  les  royalistes.  Il  y  avait  a 
traverser  une  petite  rivière  qu'on  appelle  La  Guye.  Briquemart  la  passa 
en  présence  de  l'ennemi,  qu'il  alla  courageusement  attaquer  sur  l'autre 
rive,  et  auquel  il  tua  douze  hommes  et  fit  quelques  prisonniers  ;  mais 
les  forces  qu'on  avait  à  combattre  se  trouvèrent  plus  considérables  qu'on 
ne  s'y  attendait.  Une  armée  nombreuse,  composée  des  Ligueurs  du  Dau- 
phiné  et  de  plusieurs  régiments  de  Savoie,  se  trouvait  là  rangée  en 
bataille.  Lesdiguières  rangea  aussi  les  siens.  Pourtant  on  se  borna  a 
escarmoucher  de  part  et  d'autre,  sans  oser  en  venir  à  un  engagement 
général. 

Lesdiguières  avait  reçu  dans  ce  moment  même  des  lettres  très- 
pressantes  de  La  Valette,  qui  l'appelait  à  son  secours  en  Provence,  où  la 
guerre  était  alors  dans  toute  son  activité.  Tandis  que  le  duc  de  Savoie 
était  allé  en  Espagne,  pour  conférer  avec  Philippe  des  moyens  de  s'établir 
en  cette  province,  Marliningue,  qu'il  y  avait  laissé  avec  mille  chevaux  et 
deux  mille  hommes  de  pied,  était  venu  bloquer  la  ville  de  Berre,  située 
'a  la  pointe  du  golfe  qui  porte  ce  nom.  La  Valette  tenait  à  délivrer  cette 
place  d'une  grande  importance  dans  la  contrée,  à  cause  du  revenu  des 
salines  dont  elle  disposait;  mais  il  ne  se  sentait  pas  assez  fort  h  lui  seul 
pour  tenter  une  pareille  entreprise,  et  voil'a  pourquoi  il  en  avait  écrit  a 
Lesdiguières.  Celui-ci,  laissant  là  l'attaque  de  La  Grotte,  se  mit  inconti- 
nent en  route  avec  toutes  ses  troupes,  et  vint  joindre  son  allié  auprès 
de  Riez.  (Mézeray,  t.  III,  p.  894  et  suiv.) 

Là,  ils  eurent  avis  que  Marliningue,  prévenu  de  leur  dessein,  s'était 
de  son  côté  acheminé  au-devant  d'eux,  et  qu'il  les  attendait  en  bataille 
dans  une  grande  vallée,  sur  les  bords  de  la  rivière  de  Verdon,  se  pro- 
mettant bien  de  les  mettre  en  déroute  tous  les  deux,  et  de  reprendre 
ensuite  tranquillement  le  siège  de  Berre. 

Les  deux  généraux  résolurent  de  risquer  le  combat,  quoique  leurs 
forces  réunies  fussent  inférieures  à  celles  de  l'ennemi,  et  l'on  se  mit  en 
route.  Martiningue  avait  rangé  les  siens  sur  une  hauteur  qui  do- 
minait la  plaine  où  l'armée  royaliste  venait  d'entrer.  Lesdiguières  détacha 
un  corps  d'infanterie  qui,  prenant  l'ennemi  en  flanc,  l'attira  hors  de  ce 
poste  avantageux.  Aussitôt  les  royaux  prirent  possession  de  ce  même 
poste,  pendant  que  leur  cavalerie,  faisant  un  long  détour,  venait  placer 
l'armée  de  Marliningue  entre  deux  feux.  Cette  manoeuvre  eut  un  plein 
succès  ;  la  cavalerie  ennemie,  se  voyant  attaquée  inopinément  du  côté  où 
elle  s'y  attendait  le  moins,  prit  la  fuite  en  désordre,  et  l'infanterie  elle- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  195 

même,  ne  pouvant  résister  à  rimpétuosilé  française,  fut  enfoncée  après 
qiieirpies  heures  de  combat.  Ce  fut  une  déroule  complète.  Tous  ces  sol- 
dats savoyards  ou  espagnols  jetaient  leurs  armes  pour  se  sauver  plus 
vite. 

Martiningue  était  parvenu  a  rallier  les  moins  timides,  et  il  était  venu 
se  retrancher  avec  eux  dans  le  bourg  de  Hians;  mais  là,  tourmentés  par 
la  faim,  par  la  soif,  et  par  la  puanteur  des  cadavres  dont  ils  étaient 
entourés,  ils  furent  obligés  de  se  rendre  a  discrétion.  Martiningue  lui- 
même,  errant  parmi  les  champs,  après  avoir  eu  le  bonheur  de  s'échapper, 
eut  bien  de  la  peine  h  ramasser  quinze  cents  hommes  des  débris  de  son 
armée,  avec  lescpiels  il  se  retira  tout  honteux  à  Aix.  Le  duc  de  Savoie 
perdait  par  cette  défaite  cinq  cents  hommes  de  cavalerie  tués  ou  faits 
prisonniers,  et  près  de  quinze  cents  arquebusiers. 

Les  vainqueurs  se  dirigèrent  ensuite  vers  Gian,  à  une  demi-lieiie  de 
Salon.  La  place  tut  emportée  après  qu'on  eut  planté  les  échelles  et  fait 
jouer  le  pétard.  Tout  ce  qui  se  présenta  pour  prendre  part  à  la  défense 
fut  passé  au  til  de  l'épée,  et  on  lit  pendre  les  autres;  après  quoi,  il  de- 
vint facile  de  venir  raser  tous  les  forts  (jue  l'ennemi  avait  élevés  autour 
de  Berre,  et  de  jeter  dans  cette  place  du  secours  et  des  rafraîchissements 
de  toute  espèce.  Mais  Lesdiguières  fut  obligé  de  quitter  La  Valette,  pour 
retourner  à  Grenoble  afin  d'assister  à  l'ouverture  des  Etats  de  la  pro- 
vince. Son  absence  rendit  le  courage  'a  Martiniugues,  qui,  ayant  été 
rejoint  par  les  troupes  du  comte  de  Garces,  vint  de  nouveau  rebloquer 
Berre  plus  étroitement  qu'auparavant. 

Le  duc  de  Savoie  revenait  alors  d'Espagne,  «  oîi  il  avait  été  traité 
comme  le  gendre  de  la  maison.  »  Il  ramenait  avec  lui  quinze  galères 
chargées  de  toutes  sortes  de  munitions  et  de  mille  soldats -espagnols,  et 
il  était  débanjué  au  port  de  Marseille.il  trouva  les  inclinations  des  habi- 
tants bien  changées  de  ce  qu'elles  avaient  été  l'année  précédente.  Louis 
de  Casaux,  fds  d'un  simple  marchand,  mais  que  ses  richesses  et  les 
menées  de  la  comtesse  de  Sault  avaient  pousse  à  la  tête  du  gouverne- 
ment de  la  cité,  ayant  trouvé  goût  a  la  domination,  voulait  se  créer  une 
sorte  de  souveraineté  et  faisait  la  loi  même  aux  consuls.  Il  marchait  tou- 
jours accompagné  d'un  grand  nombre  d'hommes  audacieux  et  dévoués  à 
ses  intérêts,  (pii  épouvantaient  les  gens  en  massacrant  sans  scrupule  qui- 
conque faisait  mine  de  contrecarrer  leur  maître. 

«  Ne  voyez-vous  pas,  disait  celui-ci  aux  habitants,  que  le  duc  de 
Savoie  a  le  projet  de  vous  réduire  en  servitude,  par  le  moyen  de  deux 
citadelles  qu'il  a  le  dessein  de  faire  bàlh'  dans  votre  ville?  Pour  moi,  je 
suis  résolu  de  conserver  cette  place  importante  a  un  roi  très-chrétien, 
qui  sera  incessamment  élu  par  tous  les  bons  Français,  comme  j'en  ai 
reçu  l'avis  de  Monsieur  de  Mayenne.  » 

Le  duc  de  Savoie,  en  arrivant,  trouva  donc  tous  les  esprits  ou  inti- 
midés ou  prévenus  contre  lui.  Il  chercha  d'abord  a  ramener  Casaux  lui- 
même,  en  lui  faisant  plus  d'offres  et  de  caresses  (pi'il  n'en  eût  jamais  fait 
au  meilleur  de  ses  amis.  Ensuite,  poi"'  ôler  tout  ombrage  aux   Marseil- 


d96  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

lais,  il  renvoya  même  ses  galères  a  Gênes;  mais  tonl  cela  n'eut  pour  lui 
aucun  résultat  fiîvorable. 

Il  partit  donc  pour  Âix,  où  il  avait  jadis  été  si  bien  reçu.  Cette  fois, 
il  trouva  au  contraire  cette  ville  plongée  dans  la  consternation  par  suite 
de  la  défaite  de  Martiningue.  Les  hôpitaux  étaient  pleins  de  blessés  et  de 
malades;  mais  deux  incidents,  qui  venaient  de  surgir,  par  bonheur  pour 
lui,  lui  aidèrent  a  contenir  encore  pendant  quelque  temps  le  populaire 
dans  ses  intérêts.  D'abord,  on  avait  surpris  quelques  agents  secrets, 
députés  par  Henri  IV,  au  Grand  Turc,  et  on  avait  saisi  sur  eux  des  lettres 
qui  proposaient  a  ce  vieil  ennemi  de  la  chrétienté  une  alliance  offensive 
et  défensive,  et  qui  l'engageaient  à  envahir  l'Espagne.  On  peut  juger  de 
l'effet  qu'eut  une  pareille  découverte  sur  l'esprit  si  religieux  des  Proven- 
çaux. Ensuite,  il  venait  d'arriver  un  nouvel  archevêque,  en  remplace- 
ment du  dernier,  qui  était  mort  tout  récemment  'a  Rome,  et  ce  nouvel 
élu  du  Pape  n'était  rien  moins  que  le  fameux  Génébrard,  célèbre  dans 
l'univers  entier  par  sa  science  dans  les  lettres  hébraïques,  dont  il  était 
professeur  'a  l'université  de  Paris,  mais  plus  célèbre  encore  parmi  les 
Ligueurs  pour  son  zèle  immodéré  et  sa  véhémence  à  maintenir  leur 
parti.  Sous  la  houlette  d'un  pareil  pasteur,  le  peuple  d'Aix  se  trouva  plus 
disposé  que  jamais  'a  se  jeter  de  tout  autre  côté  que  de  celui  du  roi, 
contre  lequel  sa  haine  s'accrut  merveilleusement. 

De  plus,  on  avait  eu  grand  soin  de  faire  courir  le  bruit  que  les 
galères  espagnoles,  en  ramenant  le  duc  de  Savoie  en  France,  avaient  en 
même  temps  apporté  une  prodigieuse  quantité  de  ces  belles  pistoles 
d'Espagne,  et,  en  effet,  le  prince  se  mit  a  en  répandre,  avec  une  prodi- 
galité affectée,  quelques  poignées,  qui,  comme  de  juste,  lui  valurent 
l'accueil  le  'plus  favorable  ;  mais,  ne  pouvant  continuer  ce  jeu- 
la  assez  longtemps  pour  contenter  l'avidité  insatiable  de  ceux  qui  en 
prolitaient,  ou  qui  espéraient  en  profiter,  il  fut  bientôt  obligé  de  renoncer 
h  ce  moyen  coûteux,  et  il  résolut  de  gagner  la  popularité  par  quelque 
action  d'éclat. 

On  a  vu  que  Martiningue  était  venu  de  nouveau,  avec  l'assistance  du 
comte  de  Garces,  assiéger  la  ville  de  Herre.  Le  duc  de  Savoie  tourna  ses 
vues  de  ce  côté  ;  et  il  trouva  aisément  le  moyen  de  gagner  la  plus  grande 
partie  des  bourgeois,  lesquels,  ennuyés  de  la  longueur  d'un  siège  qui 
ne  finissait  pas,  aidèrent  de  Garces  a  introduire,  pendant  la  nuit,  dans 
leur  ville,  cent  vingt  cavaliers  ennemis  et  trois  cents  hommes  de  pied. 
Ces  soldats,  dont  le  nombre  se  trouva  aussitôt  plus  que  doublé  par  tous 
ceux  des  habitants  qui  se  joignirent  a  eux,  s'en  allèrent  faisant  grand 
tumulte  et  criant  :  «  Vive  Son  Altesse  !  vive  le  duc  de  Savoie  !  ville 
gagnée  !  » 

La  garnison  était  peu  nombreuse,  malgré  les  secours  que  Lesdiguières 
et  La  Valette  y  avaient  ajoutés.  C'était  un  nommé  Mesplez  qui  la  com- 
mandait. Ce  brave  homme,  qui  était  accouru  au  premier  bruit,  ne  put 
réunir  que  dix  a  douze  soldats,  car  tous  les  autres,  ou  avaient  pris  part 
au  complot,  ou  étaient  d'avis  qu'il  n'y  avait  autre  chose  a  faire  que  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  197 

céder  et  de  chercher  a  se  sauver  comme  on  pourrait.  Mesplez  ne  fut  pas 
de  celte  opinion.  Une  portuisane  a  la  main,  il  se  jette  tont  à  travers  de 
la  multilnde  avec  la  petite  troupe  qui  lui  était  restée  lidèle.  L'obscurité 
de  la  nuit  empêchant  de  reconnaître  le  petit  nombre  de  ces  braves,  «  et 
comme  ils  lVa|>paient  dur  et  sans  ménagement,  on  put  croire  aisément 
qu'il  y  avait  autant  de  compagnies  (|u'il  y  avait  dlionimes  en  réalité,  et 
que  la  garnison  tout  entière  secondait  son  commandant.  » 

Or,  voici  que  le  capitaine  qui  commandait  les  assaillants  fut  tué  raide 
par  un  coup  de  mous(|uet.  La  confusion  se  mit  aussitôt  parmi  les  conjurés. 
Mesplez,  qui  s'en  aperçoit,  les  presse,  les  pousse  sans  relâche,  et,  re- 
doublant d'eflbrts,  parvient  enfin  à  les  chasser  hors  de  la  ville.  Puis,  le 
jour  venu,  il  ordonne  et  fait  exécuter  le  désarmement  de  tous  les  habi- 
tants, qui  n'avaient  point  encore  eu  le  temps  de  se  reconnaître.  Il  vou- 
lait bien  aussi  punir  les  traîtres  pour  en  faire  un  exemple.  Mais,  comme 
presque  toute  la  [)opulation  était  coupable,  il  jugea  qu'il  était  plus  sûr 
pour  lui  de  |)ardonner  a  tous,  que  d'employer  une  rigueur  excessive. 

La  Valette,  de  son  côté,  tenait,  pour  les  raisons  qu'on  a  vues,  à 
empêcher  la  prise  de  cette  ville  ;  mais,  depuis  l'éloignement  de 
Lesdiguières,  n'ayant  pas  de  forces  suflisantes,  il  avait  demandé  assistance 
au  maréchal  de  Montmorency.  Celui-ci,  qui,  en  ce  moment,  avait  d'autres 
idées  en  tête,  ne  se  souciait  pas  de  venir  de  ce  côté-la;  d'autant  que  le 
duc  de  Savoie  y  avait  rassemblé  toutes  ses  forces.  Le  siège,  malgré  le 
manque  de  réussite  de  cette  surprise,  si  soigneusement  préparée,  conti- 
nua donc  sans  obstacles,  et  la  disette  devint  bientôt  si  grande  dans  Berre, 
«  qu'on  n'y  avait  plus  que  de  la  graine  de  lin  pour  faire  le  pain,  et  pour 
viande  que  la  chair  des  chiens  et  des  chevaux.  »  Les  maladies  et  la  famine 
avaient  réduit  la  garnison  à  cent  soldats  au  plus,  et  l'artillerie  de  l'en- 
nemi, tirant  sans  relâche,  n'avait  fait  des  remparts  qu'un  amas  confus 
de  décombres. 

Mesplez  n'en  soutint  pas  moins  deux  assauts  généraux,  qui  lui  furent 
donnés  le  même  jour;  mais  il  s'aperçut  enfin  que  ses  hommes  étaient  si 
exténués  qu'ils  ne  pouvaient  presque  plus  porter  leurs  armes.  H  savait 
d'ailleurs  sullisamment  et  par  expérience  qu'il  avait  peu  de  fonds  a  faire 
sur  la  lidélité  des  habitants.  Il  ne  votdut  donc  j)as  attendre  un  troisième 
assaut,  et  capitula  le  vingtième  jour  d'août. 

Le  duc  de  Savoie,  le  voyant  sortir  avec  aussi  peu  de  monde,  eut  de 
l'étonnement  et  du  dépit  tout  ensemble  qu'il  eût  osé  lui  résister  aussi 
longtemps.  Alors  ses  capitaines,  ayant  remar(|ué  ce  mécontentement,  lui 
dirent  que  l'opiniâtreté  du  gouverneur  a  se  défendre  dans  une  aussi 
mauvaise  place  contre  une  puissante  armée  méritait  la  mort,  suivant 
les  lois  de  la  guerre  ;  mais  le  duc  ne  fut  pas  de  cet  avis.  Il  se  sentit  au 
contraire  le  désir  d'attacher  un  homme  aussi  brave  'a  son  service,  et  il 
alla  jusqu'à  lui  offrir  la  lieutenance  générale  de  ses  trou|)es,  pour  le 
décider  a  se  mettre  avec  lui.  Mesplez,  plus  admirable  encore  par  sa 
probité  que  par  sa  bravoure,  refusa  cette  proposition,  et  le  duc  le  ren- 
voya en  lui  faisant  cadeau  d'un  superbe  coursier  de  Naples  et  de  quatre 


198  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

mille  éciis  d'or,  qu'il  consentit  à  recevoir,  non  pas  comme  un  présent, 
mais  comme  la  rançon  de  sept  ou  huit  gentilshommes  savoyards  faits 
par  lui  prisonniers  pendant  la  durée  du  siège.  Il  se  retira  près  de 
Lesdiguières,  qui  était  alors  retenu  dans  son  lit  a  Grenoble  par  un 
catarrhe. 

Ce  général  venait  d'apprendre  qu'une  nouvelle  armée  de  Savoyards, 
commandée  par  don  Amédée,  bâtard  de  Savoie,  était  entrée  en  France. 
Cette  armée,  à  laquelle  étaient  venues  se  joindre  les  troupes  du  Pape, 
avait  pris  sa  route  par  Montmeilan  et  se  proposait,  après  avoir  ravagé 
tout  le  Gresivaudan,  de  reprendre  Grenoble  en  passant,  et  d'aller  ensuite 
rejoindre  le  duc  de  Savoie,  pour  lui  aider  a  acliever  la  conquête  de  toute 
cette  partie  de  la  France.  Elle  se  composait  de  plus  de  dix  mille  hommes 
de  pied,  sans  compter  une  belle  et  brillante  cavalerie;  et  déj'a  elle  assié- 
geait la  ville  de  Morestel,  qui  venait  d'être  nouvellement  fortiliée,  pour 
couvrir  Grenoble  du  côté  de  la  Savoie.  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  IV,  p.  627 
et  suiv.) 

Lesdiguières,  qui  n'avait  plus  le  temps  d'être  malade,  se  mit  immé- 
diatement en  campagne,  alîn  de  repousser  un  ennemi  aussi  redoutable. 
De  son  côté,  Amédée  ne  jugea  pas  à  propos  de  l'attendre  devant  la  place 
assiégée;  il  leva  le  siège  et  s'avança  jusqu'à  Pontcharra,  où  il  se  campa 
dans  une  position  avantageuse,  au  pied  du  château  Bayard.  Son  infan- 
terie occupait  un  coteau  couvert  de  vignes,  ayant  à  main  droite  la  rivière 
d'Isère,  et  au-devant  une  espèce  de  vallon  ou  précipice,  qui  empêchait 
qu'on  pût  venir  l'attaquer  de  ce  côté  en  ordre  de  bataille.  La  cavalerie 
défendait  les  défilés. 

Lesdiguières,  après  avoir  reconnu  cette  position,  traça  sur  le  papier 
son  plan  d'attaque,  qu'il  ht  voir  a  ses  capitaines,  en  leur  promettant 
une  victoire  certaine.  Ce  plan  fut  généralement  approuvé,  et  Lesdiguières 
vint  pendant  la  nuit  se  poster  au  pied  du  coteau,  sur  le  bord  de  la 
rivière,  derrière  de  grands  ari)res  qui  dérobaient  à  l'ennemi  la  connais- 
sance du  petit  nombre  de  ses  troupes,  lesquelles  n'atteignaient  pas  en 
tout  le  nombre  de  quatre  mille  combattants.  Pour  mieux  tromper  sur  ce 
point  important,  il  avait  rangé  en  file  tous  les  goujats  de  l'armée,  qui  se 
montraient  l'épée  nue  à  la  main,  en  se  donnant  des  airs  de  soldats. 
(Cayet,  liv.  5,  ad  ann.  1591.) 

Cependant  Mesplez  et  Prabaud,a  la  tête  de  l'infanterie,  commencèrent 
bravement  la  charge  en  moulant  la  pente  du  coteau  ;  la  cavalerie  avait 
ordre  de  les  soutenir,  et  l'ennemi,  qui  ne  se  doutait  pas  que  c'était  la  a 
peu  près  tous  les  combattants  auxquels  il  allait  avoir  affaire,  se  décon- 
certa dans  la  crainte  d'être  bientôt  attaqué  avec  la  même  impétuosité  par 
de  nouveaux  corps,  qu'il  s'imaginait  voir  derrière  celui-ci.  Le  duc,  dans 
cette  conviction  et  pour  éviter  le  carnage  des  siens,  ne  fit  qu'un  seul 
bataillon  de  toutes  ses  troupes  :  il  voulait  au  moins  opérer  sa  retraite  en 
bon  ordre.  Mais  la  terreur  devint  telle  parmi  ces  pauvres  gens  qu'ils  se 
débandèrent  et  prirent  la  fuite  dans  le  plus  grand  désarroi.  Les  uns  se 
sauvèrent  jusqu'à  Montmeilan,  les  autres  cherchèrent  a   se  cacher  dans 


DU  PROTESTA NTISMI-:  KN  FRANCK.  -]!in 

les  l»ois  d'Aignebelles,  où  ils  erivronl  peiulanl  doux  jours  Siins  nsor  on 
sortir.  Don  Ainédéc  lui-inômc  se  relira  prosipie  seul  vers  Miolan,  et  le 
nombre  des  morls  fui  malheureusemenl  pins  grand  qu'il  n'aurait  dû 
l'être,  eu  égard  au  petit  nombre  des  vainqueurs.  Le  bâtard  de  Savoie  eut, 
en  cette  occasion  deux  mille  cin(|  cents  bommos  de  tués,  presque  tous 
les  colonels  et  les  capitaines  de  son  armée  turent  laits  prisonniers,  et  on 
lui  prit  trois  cents  chevaux,  une  cornette  et  dit-huit  drapeaux. 

Le  lendemain,  deux  mille  hommes  des  troupes  du  Pape,  qui  avaient 
été  des  premiers  a  fuir  du  champ  de  bataille,  et  qui  s'étaient  sauvés  au 
château  d'Avalon,  avec  le  comte  de  Belgiojoso,  leur  chef,  se  hâtèrent  de 
se  rendre  a  discrétion,  et  la  encore  on  ne  put  arrêter  la  furie  des  sol- 
dats, qui  «  en  massacrèrent  plus  de  cinq  cents  dans  le  premier  feu.  «Les 
autres  furent  renvoyés  avec  un  bâton  'a  la  main  et  conduits  en  lieu  de 
sûreté,  après  avoir  prêté  sermonl  de  retourner  en  Italie,  et  de  ne  jamais 
porteries  armes  contrôle  roi. 

Le  butin  fut  si  considérable,  que,  sans  l'estimer  au-dessus  de  sa 
valeur,  on  le  fU  monter  a  deux  cent  mille  écus  d'or.  Il  y  avait  des  chaînes 
et  des  colliers  d'or,  do  l'or  et  de  l'argent  ujonnayés,  de  la  vaisselle  d'ar- 
gent, de  riches  tapis,  des  harnais  magniliques,  des  armes  curieusement 
travaillées,  et  une  grande  (]uantité  de  munitions  de  toutes  sortes.  «  Cette 
-  journée  cou|)a  le  norl  aux  prélonlions  du  duc  de  Savoie  sur  le  Dauphiné  ; 
si  bien  qu'il  ne  put  jamais  plus  rien  avancer  dans  cette  province,  et  que, 
d'agresseur  qu'il  était,  il  fut  contraint  de  se  réduire  'a  la  Jéfonsive.  » 

Après  une  victoire  aussi  décisive,  qui  ne  lui  avait,  dit-on,  coûté 
(|ue  trois  morts  et  deux  blessés,  Lesdiguières,  voyant  le  Dauphiné  Iran- 
quille,  pourquel(|ue  temps  au  moins,  se  rapprocha  de  Digne,  alin  d'être 
a  portée  de  seconder  La  Valette,  qui  faisait  alors  le  siège  de  cette  place. 
Digne  se  rendit  après  avoir  essuyé  seulement  cinquante  volées  de  canon, 
et  paya  cinq  mille  écus  d'or  a  Lesdiguières,  pour  les  frais  de  la  guerre, 
a  condition  que  la  ville  serait  garantie  du  pillage.  (De  Thoc,  iibi  sup., 
j).  AÏ7)  et  suiv.) 

On  apprit  ensuite  (jue  le  duc  do  Savoie  était  rentré  en  campagne 
avec  de  nouvelles  troupes,  et  (ju'il  assiégeait  Le  Puech-Sainte-Réparade. 
Lesdiguières  et  La  Valette  parlirenl  aussitôt  |)our  venir  secourir  cette 
place;  mais,  comme  ils  se  préparaient  à  traverser  la  Durance,  ils  aper- 
çurent l'ennemi  sur  la  rive  opposée.  A  la  faveur  de  la  nuit,  qui  survint 
bientôt,  Lesdiguières  alla  passer  la  rivière  vis-'a-vis  ^\q  la  Tour  d'Aiguos, 
et  La  Valette,  un  peu  au-dessous,  vis-â-vis  de  Pertuis,  tous  deux' bien 
résolus  de  donner  bataille  le  lendemain.  Mais  le  duc,  craignant  d'avoir 
du  désavantage,  avait  décampé  cette  même  nuit  et  levé  le  siège, 
après  y  avoir  inutilement  tiré  deux  mille  coups  de  canon.  Il  s'était  sauvé 
a  Aix,  où  la  comtesse  de  Sault  lui  avait  ménagé  de  nouveaux  embarras, 
et  rom|)ait  ouvertement  avec  lui.  (Mi-zkuav,  t.  111,  p.  001  et  suiv.) 

11  lui  avait  refusé  la  ville  de  Borre,  qu'elle  croyait  devoir  lui  être 
donnée  en  récompense  de  tout  ce  quelle  avait  fait  pour  lui,  et  elle  avait 
juré  de  se  venger  de  ce  refus.  En  consé(]nenc'o,  elle  venait,  par  son  cr(''- 


200  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

dit,  tle  faire  élire  dans  la  ville  des  consuls  tout  a  fait  opposés  aux  intérêts 
du  Savoyard  ;  et  ces  consuls  avaient  commencé  par  mettre  en  prison 
les  plus  signalés  d'entre  les  partisans  de  ce  prince.  Le  duc,  en  arrivant, 
fit  d'abord  casser  les  consuls.  «  Mais  la  noblesse  et  les  procureurs  (gens 
de  Palais)  se  montrèrent  encore  plus  aigris  par  ce  procédé,  »  et  n'en 
conspirèrent  qu'avec  plus  d'animosité,  pour  détruire  la  puissance  d'un 
prince  qui  leur  était  devenu  odieux.  Le  duc,  de  son  côté,  instruit  de  ces 
menées  et  sacbant  bien  que  la  comtesse  en  était  l'âme,  la  fit  arrêter, 
elle  et  son  fils,  Cbarles  de  Créqui;  il  leur  donna  des  gardes  a  tous  les 
deux,  pour  veiller  sur  leurs  actions. 

Aussitôt  qu'on  eut  à  Marseille,  nouvelle  de  cette  détention,  Casaux 
et  ses  amis,  suivis  d'une  grande  troupe  de  populaire,  s'en  allèrent,  criant 
par  les  rues  que  le  Savoyard  voulait  se  faire  le  tyran  de  la  province.  Une 
assemblée  générale  du  peuple  se  tint  a  l'Hôtel-de-Ville.  Il  y  fut  résolu 
qu'on  manderait  aux  villes  voisines  de  pourvoir  'a  leur  sûreté  ;  que  pour 
Marseille,  elle  ne  recevrait  dans  ses  murs  personne  qui  pjt  donner  ombrage 
à  la  liberté,  ou  empêcher  la  ville  de  se  conserver  au  roi  très-chrétien,  qui 
serait  incessamment  élu  par  la  France. 

Pendant  ce  temps,  la  comtesse,  dont  l'arrestation  avait  été  le  signal 
de  tout  ce  bruit,  avait  trouvé  le  moyen  de  s'échapper  avec  son  fils  des 
mains  de  ceux  qu'on  leur  avait  donnés  pour  les  garder.  La  comtesse, 
pendant  que  sa  femme  de  chambre  tenait  sa  place  dans  son  lit,  s'était 
déguisée  en  suisse,  avec  une  fausse  barbe,  et  son  fils  s'était  travesti  en 
paysan.  Un  soldat,  a  qui  ils  avaient  promis  deux  mille  écus  d'or,  leur 
avait  fourni  ces  déguisements  ;  puis  il  était  parvenu  'a  conduire  les  fugi- 
tifs jusqu'à  Marseille. 

Le  duc  de  Savoie  fut  outré  de  cette  évasion.  11  obligea  le  parlement 
a  donner  contre  la  mère  et  le  fils  un  décret  d'ajournement  personnel,  et, 
sur  le  refus  que  firent  les  Marseillais  de  les  lui  livrer,  il  envoya  des 
troupes  qui  surprirent  pendant  la  nuit  le  monastère  de'  Saint-Victor  et 
parvinrent  à  s'y  loger. 

Casaux  fait  aussitôt  prendre  les  armes  'a  toute  la  ville,  dresse 
contre  le  monastère  une  batterie  de  six  pièces  de  canon  a  l'aide  de 
laquelle  il  a  bientôt  obligé  les  Savoyards  'a  abandonner  ce  poste,  «  et 
ainsi  le  duc  perdit  pour  toujours  l'espérance  d'avoir  Marseille,  contre 
laquelle  il  n'osa  plus  rien  tenter  depuis.  » 

De  son  côté,  La  Valette  s'emparait  de  la  ville  deVinon,  sur  le  Verdon; 
il  y  mit  en  garnison  le  brave  Mesplez  avec  quatre  cents  hommes  de  pied 
et  vingt-cinq  chevaux.  Ceux  d'Aix,  qui  souffraient  beaucoup  d'un  pareil 
voisinage,  prièrent  le  duc  de  les  en  délivrer.  Il  se  mit  en  campagne 
avec  mille  chevaux,  deux  mille  hommes  de  pied  et  deux  coulevrines, 
pour  venir  assiéger  Vinon.  La  place  était  toute  ouverte  et  démantelée,  et 
Mesplez,  pendant  le  peu  de  temps  qu'on  l'y  avait  laissé  tranquille,  n'avait 
pu  y  établir  que  quelques  retranchements  en  terre  et  en  pierres  sèches. 
Il  n'en  soutint  pas  moins  pendant  trois  jours,  sans  perdre  un  seul 
pouce  de  terrain,  l'attaque  de  l'armée  du  duc,  si  supérieure  en  nombre. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  201 

La  Valette  avait  mandé  a  LesiligimTcs,  qui  était  alors  retourné  en 
Daupliiné,  devenir  l'aider  îi  secourir  la  place  assiégée  ;  mais,  voyant  que 
celui-ci  ne  pouvait  plus  arriver  a  temj»s,  il  se  décida  a  tenter  Tallaire 
avec  ses  troupes  seules,  résolu  de  se  perdre,  ou  de  sauver  le  vaillant 
Mesplez.  A  la  nouvelle  de  son  approche,  le  duc  laissa  une  partie  de  son 
infanterie  a  la  garde  de  ses  retranchements  devant  Vinon,  et  se  mit  en 
route  avec  toute  sa  cavalerie  et  mille  arquebusiers,  pour  venir  au-devant 
de  son  ennemi. 

Il  s'en  fallait  que  La  Valette  eût  pu  réunir  un  pareil  nombre  de  com- 
battants; il  n'avait  en  tout  avec  lui  que  cinq  cents  chevaux  et  six  cents 
fantassins,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  commencer  le  premier  la  charge, 
avec  une  telle  impétuosité  que  les  troupes  du  Savoyard,  après  avoir 
résisté  assez  résolument  d'abord,  (inirent  par  s'ouvrir  et  se  débander. 
Une  partie  des  gens  de  pied  se  sauva  du  côté  du  camp  devant  Vinon;  la 
cavalerie  s'en  fut  jusqu'à  Saint-Paul.  Plus  de  deiix  cents  hommes  res- 
tèrent morts  sur  le  champ  de  bataille,  et  le  duc  lui-même  mit  tant  de 
précipitation  dans  sa  retraite,  qu'il  abandonna  juscju'a  ses  canons  et  ses 
bagages,  dont  les  vainqueurs  s'emparèrent. 

Mesplez,  en  même  temps, 'a  la  têle  de  sa  petite  garnison,  faisant  une 
sortie  sur  ces  troupes  battues  et  découragées,  leur  tuait  aussi  deux  cents 
hommes,  leur  prenait  également  tous  leurs  bagages,  et  les  forçait  a  se 
disperser  dans  les  campagnes. 

Cet  échec  ruina  complètement  les  affaires  du  duc  en  Provence, 
comme  l'échec  que  son  frère  bâtard  avait  reçu  naguère  à  Château-Hayard 
les  avait  ruinées  en  Dauphiné.  Il  tomba  dans  une  telfe  déconsidération 
qu'il  fut  bientôt  forcé  de  quitter  tout  a  fait  le  sol  français,  y  laissant  les 
cadavres  de  la  plus  grande  partie  de  ses  soldats  et  de  ses  plus  braves 
capitaines,  qu'il  avait  malheureusement  sacrihés  a  d'injustes  et  vaines 
prétentions. 


202  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 


CHAPITRE  IX 


1591  ET  1592.  —  ARGUMENT  :  les  débris  de  l'armée  du  pape  se  rendent  a  verdun. 

MORT  DE  GRÉGOIRE  XIV.   —  ÉLECTION  D'INNOCENT  IX. 

IL   ENVOIE   EN    FRANCE   COMME   LÉGAT   LE   CARDINAL   DE   PLAISANCE. 

CE   LÉGAT    FAIT    RENOUVELER    LE    SERMENT    A    LA    LIGUE. 

l'archevêque    de    PARIS    PRÉFÈRE    l'eXIL.     —     DIATRIBE    DE    BOUCHER. 

LE  LÉGAT  EXCITE  LES  SEIZE  CONTRE  LE  PARLEMENT  DE  PARIS. 

ILS   PENDENT    BRISSON,    LARCHER   ET    TARDIF.    —    MAYENNE    ACCOURT    A   PARIS. 

IL  FAIT  PENDRE  QUATRE  DES  COUPABLES  ET  PUBLIE  L'aBOLITION  GÉNÉRALE  POUR  LE  PASSÉ. 

LE  ROI  MARIE  LE  VICOMTE  DE  TURENNE  QU'iL  FAIT  MARÉCHAL 

AVEC   l'héritière   DE   BOUILLON. 

LES   TROUPES   ALLEMANDES   ENVOYÉES    AU    SECOURS   DE   HENRI   IV. 

IL  PREND  AUBENTON  ET  VERDUN.   —  VILLEROI  NÉGOCIE  ENCORE.   —  SIÈGE  DE  ROUEN. 

ARRIVÉE    DU    DUC   DE   PARME  EN    FRANCE.    —   IL   SE   FAIT   LIVRER   LA   FÈRE. 

IL    OBLIGE   LE   ROI    A   LEVER   LE   SIÈGE.  —  IL   EST  BLESSÉ  A  CAUDEBEC. 

LE   ROI   EST   REJOINT   PAR   DE   NOUVELLES  TROUPES   ET   REVIENT   CONTRE   l'eNNEMI. 

IL   ACCULE   A    SON   TOUR   L'aRMÉE   DU   DUC   DANS   UNE   POSITION   INSOUTENABLE. 

LE   DUC   s'en   tire   HABILEMENT.    —    IL   FAIT   SA   RETRAITE  ET   RETOURNE  EN    FLANDRE. 


Après  la  déroute  de  Château-Bayard,  ce  qui  restait  des  troupes  du 
pape  s'était  retiré  vers  Chambéry,  où,  après  avoir  été  rejoint  par  de 
nouvelles  recrues  venues  de  la  Suisse,  il  l'ut  résolu  qu'on  se  dirigerait 
par  la  Franche-Comté  et  par  la  Lorraine,  et  qu'avant  de  rien  entre- 
prendre, on  attendrait  d'abord  le  duc  de  Parnae.  On  arriva  à  Verdun,  où 
l'on  lit  la  revue  de  l'armée.  La  cavalerie  était  encore  dans  un  état  assez 
satisfaisant;  mais  l'infanterie  était  fort  délabrée,  par  suite  des  fatigues 
et  des  difficultés  d'une  marche  aussi  longue.  On  se  décida  a  lui  laisser 
le  temps  de  se  remettre,  et  on  lui  assigna  des  quartiers  dans  les  bourgs, 
aux  environs  de  la  ville.  Ce  fut  la  que  cette  armée  italienne  apprit  la 
mort  du  Souverain-Pontife  Grégoire  XIV.  (Cayet,  liv.  5,  ann.  1591.) 

Ce  pape,  depuis  son  avènement,  était  sujet  a  de  violentes  tranchées, 
causées,  dit-on,  par  la  maladie  de  la  pierre  qu'il  avait  gagnée  en  s'obs- 
tinant  a  ne  boire  que  de  l'eau.  Les  vives  douleurs  qu'il  ressentait  presque 
continuellement,  et  qui  lui  déchiraient  les  entrailles  l'avaient  depuis 
quelque  temps  déjà  engagé  a  se  décharger  du  poids  des  affaires  sur  le 
cardinal  Sfondrate,  son  neveu.  Vers  la  tin  de  septembre,  son  mal  aug- 
menta si  considérablement  qu'on  le  crut  mort,  et  que  le  camerlingue  fut 
même  appelé,  pour  casser,  suivant  la  coutume,  l'anneau  du  pécheur  en 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  203 

présence  du  cadavre.  Mais  Sa  Sainteté,  qui  n'était  qu'évanouie,  revint  ii 
la  vie;  pourtant  elle  ne  lit  plus  que  languir.  (Ciacon.,  Vit.  Pont.,  l.  IV, 
p.  224  et  suiv.) 

Le  quatrième  jour  d'octobre,  sentant  qu'il  approchait  de  sa  lin, 
Grégoire  assembla  tous  les  cardinaux,  et  leur  dit,  les  larmes  aux  yeux, 
qu'ils  avaient  bien  voulu  le  placer  contre  son  gré  sur  la  chaire  de  saint 
Pierre;  que  ses  infirmités  l'avaient  empêché  de  l'aire  tout  le  bien  qu'il 
aurait  voulu  ;  qu'il  les  priait  d'excuser  ses  négligences.  «  Je  vous  recom- 
mande, ajouta-t-il,  TÉglise  et  mes  chers  neveux.  L'un  d'eux,  le  cardinal 
Slondrate,  me  semble  l'homme  capable  de  remplir  la  place  que  la  mort 
va  bientôt  me  l'aire  quitter;  et  je  vous  saurais  gré,  si,  de  mon  vivant, 
vous  vouliez  bien  consentir  à  procéder  a  l'élection  de  mon  suc- 
cesseur.  » 

Les  cardinaux  louèrent  beaucoup  son  attention  et  son  zèle,  et  l'exhor- 
tèrent'a  ne  penser  (ju'à  se  rétablir;  mais  il  mourut  le  quinzième  jour  du 
même  mois,  âgé  de  cinquante-sept  ans,  après  un  peu  plus  de  six  mois 
de  pontificat.  Il  fut  porté  la  même  nuit  dans  la  basilique  de  Saint-Pierre, 
et  enterré  dix  jours  après  dans  la  chapelle  de  Saint-Grégoire. 

Pendant  un  règne  aussi  court,  il  avait  trouvé  le  moyen  de  dissiper 
le  trésor  de  cinq  millions  d'écus  d'or  (jue  Sixte  V  avait  amassé  avec  tant 
d'épargnes,  pendant  un  pontilicat  de  plus  de  cinq  ans.  Mais  il  eut  la  gloire 
d'être  un  des  protecteurs  de  l'ordre  de  Jésus,  dont  il  approuva  dé  nou- 
veau l'institut  par  sa  bulle  du  vingt-huitième  jour  de  juin,  et  dont  il  aug- 
menta les  privilèges  par  une  autre  bulle  donnée  dans  le  mois  suivant; 
aussi  a-t-il  laissé  une  mémoire  en  bonne  odeur,  avec  une  grande  réputa- 
tion de  vertu  et  de  chasteté.  On  ne  croit  pas  même  qu'il  ait  jamais  eu 
commerce  avec  aucune  femme. 

Le  vingt-septième  jour  d'octobre,  quinze  jours  après  le  décès  du 
Saint-Père,  le  doyen  du  Sacré-Collège,  ayant  célébré  la  messe  à  Saint- 
Pierre,  en  présence  de  tous  les  cardinaux  alors  a  Rome,  qui  y  commu- 
nièrent, ceux-ci  entrèrent  en  procession  dans  le  conclave,  et,  dès  le  len- 
demain, on  commença  le  scrutin  pour  la  nomination  d'un  nouveau  pape. 
Les  voix  se  partagèrent  d'abord  entre  sept  concurrents,  de  telle  sorte 
pourtant  que  le  cardinal  Facchinetti  en  eut  le  plus  grand  nombre.  Le 
roi  d'Espagne  ne  s'intéressait  que  médiocrement  a  l'élection  de  ce  cardi- 
nal; mais,  quand  il  se  fut  bien  assuré  que  le  parti  (jui  le  portait  était  le 
plus  l'on,  il  lut  décidé  (juc  la  brigue  espagnole  se  tournerait  de  ce  côté 
pour  lui  donner  la  majorité  ;  car  on  craignait,  dans  les  conseils  de 
Philippe,  que,  si  le  conclave  se  prolongeait  trop,  la  nouvelle  du  décès  de 
Grégoire  XIV,  en  parvenant  en  France,  ne  lïit  cause  de  la  dispersion  de 
l'armée  que  ce  pape  y  avait  envoyée  au  secours  de  la  Ligue.  Cela  aurait 
pu  entraîner  la  ruine  comjilète  des  desseins  qu'on  avait  formés  sur  ce 
royaume,  et  qu'on  es|)érait  encore  pouvoir  mener  'a  bien. 

Le  vingt-neuvième  jour  d'octobre  donc,  de  grand  matin,  tous  ceux 
qui  éprouvaient  cette  crainte  s'en  allèrent  trouver  Facchinetti  dans  sa 
chambre,  et,  le  prenant  sous   les  bras,   ils  le  menèrent  h  la  chapelle 


204  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Pauline,  où  ils  l'élurent  à  bulletins  ouverts  en  venant  le  saluer  l'un  après 
l'autre.  Il  s'assit  dans  la  chaire  pontilicale,  et  reçut  l'adoration  de  tout  le 
Sacré-Collège.  On  le  plaça  ensuite  sur  l'autel,  revêtu  de  la  chape  ponli- 
ficale,  et  portant  la  mître  en  tète;  et  a  l'entrée  de  la  nuit,  on  le  condui- 
sit en  chaise  dans  la  basilique  de  Saint-Pierre.  La  foule  du  peuple  était 
si  grande  que  le  nouvel  élu  ne  put  la  traverser  qu'avec  peine. 

Après  qu'on  eut  fait  la  prière  devant  le  Saint-Sacrement,  on  plaça  de 
nouveau  l'élu  sur  l'autel  des  saints  Apôtres,  où  il  reçut  de  nouveau 
l'adoration  de  tous  les  membres  du  conclave,  et  d'où  il  donna  la  béné- 
diction pontificale  au  peuple.  11  prit  le  nom  d'Innocent  IX.  Il  était  âgé  de 
soixante-treize  ans. 

On  dit  qu'il  avait  de  grandes  et  louables  intentions,  tant  pour  le  bien 
de  l'Eglise  en  général  que  pour  la  prospérité  de  l'Italie.  Il  avait  surtout 
a  cœur  d'exterminer  l'hérésie,  et  pour  cela,  il  avait  résolu  de  donner 
par  mois  jusqu'à  cinquante  mille  écus  d'oi'  pour  subvenir  aux  frais  de  la 
guerre  qu'on  taisait  aux  huguenots  en  France;  mais  une  fièvre  l'emporta 
de  ce  monde  au  bout  de  deux  mois  seulement  de  pontificat.  Il  n'eut  que 
le  temps  de  créer  cardinal  Antoine  Facchinetti,  petit-fils  de  sa  sœur,  'a 
peine  âgé  alors  de  dix-huit  ans,  et  d'envoyer  en  France,  en  qualité  de 
légat,  Sega,  évêque  de  Plaisance,  qu'il  fit  aussi  cardinal. 

Ce  fut  ce  nouveau  légat,  ennemi  juré  de  la  France,  qui,  pour  tour- 
menter les  gens  de  bien  qui  voulaient  la  paix,  proposa  à  la  faction  des 
Seize  d'exiger  le  renouvellement  du  serment  de  l'Union,  et  de  commencer 
par  obliger  le  cardinal  de  Gondi,  archevêque  de  Paris,  a  le  prêter  le 
premier.  L'archevêque,  ne  voulant  pas  souscrire  aux  articles  d'un  serment 
qui  excluait  de  la  couronne  tous  les  princes  de  la  maison  royale,  aima 
mieux  sortir  de  la  ville,  où  d'ailleurs  les  Seize  avaient  déjà  trouvé  le 
moyen  de  le  rendre  odieux,  parce  qu'avec  quelques  curés,  il  travaillait 
par-dessous  main  a  disposer  les  peuples  en  faveur  du  roi.  (De  Thou, 
t.  XI,  p.  458  et  suiv.  — Mézeray,  t.  111,  p.  9i7.) 

Ce  légat,  au  reste,  comme  on  peut  le  voir  par  une  de  ses  lettres  au 
duc  de  Parme,  laquelle  tomba  entre  les  mains  du  roi,  qui  eut  grand 
soin  de  la  communiquer  'a  Mayenne,  n'était  rien  moins  que  favorable  a 
ce  dernier,  qu'il  voulait  dépouiller  de  toute  autorité  dans  Paris,  ainsi  que 
le  comte  de  Belin,  gouverneur  de  cette  capitale.  Il  appelait  par  dérision 
l'un  le  colosse  aux  pieds  d'argile,  et  l'autre  le  renard;  puis,  il  envoyait 
un  plan  tout  tracé  pour  faire  casser  tous  les  anciens  magistrats,  et  pour 
leur  en  substituer  de  nouveaux  a  sa  dévotion,  qui  pussent  livrer  la 
France  au  roi  d'Espagne;  et,  pour  accomplir  ces  desseins,  il  ne  deman- 
dait que  de  l'argent,  afin  de  s'assurer  par  ce  moyen  le  concours  des 
Seize,  ces  scélérats  qui  donnaient  le  nom  de  zèle  a  la  fureur,  et  qui  ne 
craignaient  rien  tant  que  le  retour  de  la  paix.  (De  Thou,  ubi  sup.) 

En  attendant,  il  fit  courir  après  l'archevêque  de  Paris,  pour  l'engager 
'a  prêter  le  serment.  Ce  prélat,  dont  on  avait  indignement  saisi  le  tem- 
porel, sous  prétexte  de  son  absence,  et  que  les  Seize  voulaient  même 
déposséder  de  son  titre  d'archevêque,  pour  faire  élire 'a  sa  place  Guillaume 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  205 

(le  Rose,  comme  (''l;int  nn  homme  (iiii  leur  était  pins  sym[)atlii(|iie, 
répondit  (iiic  si  Ion  voulait  (|ii"il  revint  a  la  tête  de  son  lroiij)eau,  il  fallait 
avant  tout  lui  donner  l'assurance  (ju'il  pourrait  le  l'aire  sans  danger  pour 
sa  vie.  Ensuite,  il  écrivit  au  prévôt  des  marchands  et  aux  échevins  une 
lettre  datée  du  château  de  Noisy  où  il  s'était  retiré.  Il  refusait  nettement 
de  prêter  un  serment  qui  ne  lui  semblait  pas  français;  puis  il  blâmait 
vigoureusement  ce  qu'il  appelait  la  témérité  ou  l'imprudence  du  légat, 
(|ui,  sans  aucun  ordre  de  Sa  Sainteté,  s'ingérait  de  prescrire  une  sem- 
hlahle  formule  de  serment.  {Remarques  sur  la  Satire  Ménippée,  p.  l^T.) 

Le  docteur  Boucher,  curé  de  Sainl-Benoit-de-Paris,  se  chargea  de 
répondre  â  celte  lettre  du  pasteur,  et  prouva  que  le  Pape,  n'ayant  jamais, 
dans  aucun  des  brefs  qu'il  avait  envoyés  en  France,  désapprouvé  le 
serment  dont  il  était  question,  au  contraire,  ayant  même  donné  des 
louanges  au  zèle  de  la  Sainte-Union,  ces  louanges  et  ce  silence  devaient 
être  regardés  comme  une  preuve  tacite  de  son  assentiment  ;  par 
conséquent,  l'archevêque  devait  s'empresser  de  prêter  le  dit  serment, 
s'il  tenait  a  se  purger  des  soupçons  d'hérésie  que  sa  conduite  avait  juste- 
ment fait  naître  sur  son  compte.  S'il  tardait  trop,  le  docteiu'  Boucher  le 
menaçait  qu'il  serait  jugé  et  traité  comme  contumace. 

11  fut  ensuite  résolu  d'attaquer  le  parlement  même.  Le  légat,  qui 
savait  bien  que  ce  sénat  ne  pouvait  demeurer  longtemps  encore  séparé 
de  la  puissance  royale,  dont  il  tenait  son  autorité,  avait  habilement 
excité  contre  lui  la  haine  des  Seize,  cpii  jurèrent  de  le  détruire,  en  com- 
mençant par  le  premier  président,  afin  d'effrayer  les  autres.  C'était 
Barnabe  Brisson  qui  occupait  cette  haute  dignité.  L'ambition  et  un  fatal 
aveuglement  l'avaient  poussé  'a  prendre  cette  place  sous  la  domination 
de  la  Ligue,  et  'a  rester  dans  la  capitale,  qu'il  se  flattait  de  maintenir 
dans  l'ordre  par  sa  prudence  et  son  autorité.  Mais  il  ne  tarda  pas  'a 
s'apercevoir  qu'il  était  beaucoup  jjIus  facile  de  percer  l'obscurité  des 
procès,  même  les  plus  embrouillés,  que  de  tenir  le  timon  des  affaires.  Il 
lui  fallut  bien  reconnaître,  (|ue,  malgré  toute  la  sagesse  et  la  pénétration 
dont  l'avait  doué  le  ciel,  il  avait  commis  des  fautes  irréparables;  aussi 
Tentendit-on  plusieurs  fois  dire  a  ses  amis  :  «  Hélas!  je  vois  bien  que 
j'ai  trop  présumé  de  moi,  et  cjne  les  Seize  me  réservent  pour  la  bouche- 
rie. »  (MiizKUAV,  ubi  sup.) 

Ces  funestes  pressentiments  ne  se  trouvèrent  malheureusement  que 
trop  vrais.  Les  plus  zélés  de  la  faction  des  Seize  tinrent  plusieurs  assem- 
blées secrètes,  dans  lescpielles  ils  concertèrent  leurs  mesures.  Puis, 
â  une  assemblée  générale  qui  eut  lieu  dans  la  maison  de  Boursier, 
lun  d'entre  eux,  il  fut  résolu  que,  pour  le  bien  de  la  cause,  il  serait  tire 
au  sort  une  commission  de  dix  hommes  dévoués,  |)Our  expédier  avec 
pleins  pouvoirs  Ce  qu'on  convint  d'appeler  les  affaires  secrètes.  Aux  dix 
que  le  sort  désigna,  on  adjoignit  d'un  commun  accord  le  curé  Hamilton 
et  Martin,  docteur  en  Sorbonne. 

Or,  pour  donner  'a  ces  douze  hommes,  (pii  allaient  s'atta(]uer  au  par- 
lement, c'est-'a-dire  'a   la  magistrature   la  plus  respectée  de   France,  la 


206  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

possibilité  de  se  faire  appuyer  par  les  masses  populaires,  il  fallait  au 
moins  l'apparence  d'un  prétexte.  Ce  ne  fut  pas  difficile  'a  trouver.  Un 
certain  Brigard  avait,  lors  de  la  journée  des  Barricades,  été  commis  par 
le  feu  duc  de  Guise,  pour  exercer  l'oflîce  de  procureur  du  roi  à  l'Hôtel- 
de-Ville  de  Paris,  et  confirmé  dans  cette  charge  par  le  vingt-cinquième 
article,  des  articles  secrets  de  l'édit  d'Union  fait  en  1585.  Cet  homme 
avait  un  sien  oncle,  qui  était  du  parti  royal  et  qui  demeurait  a  Saint- 
Denis.  Un  matin,  il  lui  envoya  une  lettre  en  mots  obscurs  et  ambigus, 
telle  que  les  amis  qui  n'étaient  pas  du  même  parti  s'en  écrivaient  en  ce 
temps-Fa.  Le  laquais,  qui  était  chargé  de  la  porter,  imagina  pour  accom- 
plir son  message  plus  sûrement  de  se  munir  d'une  bouteille  vide  avec 
laquelle  il  se  présenta  a  la  porte  Saint-Denis.  Ceux  de  la  faction  des 
Seize  qui  étaient  en  garde 'a  cette  porte  lui  demandèrent  où  il  allait.  «Je 
vais,  dit-il  en  montrant  sa  bouteille,  chercher  dans  le  faubourg  du  vin 
pour  mon  maître.  »  Cette  réponse  ne  parut  pas  satisfaisante.  On  le  fouilla, 
et,  n'ayant  rien  trouvé  sur  lui,  on  eut  l'idée  de  casser  sa  bouteille.  On  y 
trouva,  au  milieu  du  bouchon  qui  était  fait  d'étoupes,  la  lettre  du  dit 
Brigard,  et  tout  aussitôt  on  s'en  fut  le  prendre  chez  lui  et  on  le  con- 
duisit à  la  Conciergerie.  On  demanda  au  parlement  de  le  condamner  'a 
mort  comme  traître  à  la  patrie;  mais  la  cour,  jugeant  qu'il  n'y  avait  pas 
l'a  cas  mortel,  renvoya  Brigard  absous,  et  le  fit  sortir  de  prison.  (Cayet, 
liv.  5,  ubi  sup.) 

Les  factieux  se  montrèrent  indignés  d'un  pareil  arrêt.  «  Messieurs, 
dit  le  fougueux  Pelletier,  curé  de  Saint-Jacques,  c'est  assez  et  même 
beaucoup  trop  temporiser  avec  ceux  qui  nous  trahissent.  Nous  ne  devons 
jamais  espérer  d'avoir  justice  ni  raison  de  cette  méchante  cour  du  parle- 
ment, tout  entière  vendue  au  Béarnais.  Il  faut  jouer  des  couteaux.  Que 
s'il  y  a  des  traîtres  ou  des  lâches  parmi  nous,  comme  on  vient  de  me 
le  dire,  il  faut  les  chasser  et  en  jeter  quelques-uns  'a  la  rivière  ;  car, 
grâces  a  Dieu,  nous  avons  de  bons  bras  et  de  honnes  mains  pour  venger 
l'injure  qu'on  nous  a  faite  en  ce  procès  de  Brigard.  » 

Incontinent  on  décréta  qu'on  se  lierait  par  un  nouveau  serment  signé 
séance  tenante  par  tous  les  assistants  ;  on  nomma  une  commission  pour 
en  rédiger  les  termes.  «  Messieurs,  dit  alors  Bussy,  qui  se  trouvait  l'a 
avec  sa  compagnie  d'hommes  d'armes,  on  perdrait  beaucoup  trop  de 
temps  a  coucher  par  écrit  tous  les  mots  du  nouveau  serment  que  nous 
allons  prêter,  et  cela  pourrait  ennuyer  l'honorable  assemblée.  Je 
demande,  ajouta-t-il  en  tirant  une  grande  feuille  de  papier  blanc,  que 
chacun  signe  ici  de  confiance,  après  moi  et  après  plusieurs  autres  gens 
de  bien,  qui  vont  donner  l'exemple.  Nous  laisserons  au-dessus  des  signa- 
tures l'espace  nécessaire  pour  y  inscrire  la  formule  du  serment  que  votre 
commission  pourra  ensuite  rédiger  à  tête  reposée.  »» Aussitôt,  on  fît 
mettre  deux  sentinelles  armées  a  la  porte  de  la  salle,  pour  empêcher 
qu'aucun  ne  sortît  qu'il  n'eût  signé.  On  apporta  un  missel  pour  faire 
jurer  sur  icelui,  et  de  Launay,  faisant  mettre  la  main  sur  l'Evangile, 
disait  :  «  Vous  jurez  et  promettez  à  Dieu  créateur  de  garder  et  observer 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  207 

inviolahlement  les  articles  (juc  vous  allez  présentement  signer,  pour  la 
conservation  de  la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine.  »  Tous 
signèrent  en  voyant  que  d'autres  avaient  signé  avant  eux,  et  Bussy  serra 
le  papier  dans  sou  sein. 

Muni  de  toutes  ces  signatures,  dont  il  espérait  se  faire  une  sauve- 
garde, il  délibéra  en  conseil  secret  avec  ses  amis  si  on  irait  tuer  dans  sa 
maison  le  président  Ijrisson,  et  si  l'on  ferait  aussi  tuer  par  la  même 
occasion  cinq  ou  six  des  principaux  conseillers  (jui  s'étaient  fait  des 
ennemis  parmi  les  membres  de  ce  conciliabule.  Il  ne  s'agissait,  pour 
mettre  ce  plan  à  exécution,  si  l'on  jugeait  a  propos  de  s'y  tenir,  que  de 
donner  un  peu  d'argent  a  quelques  soldats  déterminés  à  tout  faire,  pourvu 
qu'on  les  payât.  Cet  avis  prévalut  d'abord.  On  s'adressa  donc  à  un 
nommé  Lévè(pie,  qui  avait  la  réputation  d'être  ivrogne  et  débauché. 
Celui-ci  répondit  tout  aussitôt  (pie,  ne  demandant  (ju'a  gagner  sa  vie 
honorablement,  il  se  chargeait  de  l'entreprise,  pourvu  qu'on  le  payât  bien; 
mais,  dès  qu'il  eut  touché  quelques  avances,  la  première  chose  que  lit 
cet  homme  fut  de  faire  avertir  Brisson  de  ce  qui  se  tramait  contre  lui  et 
de  se  sauver  'a  Saint-Denis,  où  il  embrassa  le  parti  du  roi;  mais  Brisson 
ne  tint  aucun  compte  de  cet  avis. 

Pour  lors,  Bussy  et  Crucé,  qu'on  lui  avait  adjoint,  se  résolurent  'a 
faire  l'aflaire  par  eux-mêmes.  Le  vendredi,  quinzième  jour  du  mois,  ils 
réunirent,  dès  avant  le  jour,  un  grand  nombre  de  gens  du  menu  peuple, 
et  leur  lirent  prendre  les  armes.  Ensuite,  ils  se  rendirent  au  bout  du 
pont  Saint-Michel,  oii,  sitôt  qu'ils  virent  venir  le  président  qui  s'en  allait 
au  Palais,  ils  lui  mirent  la  main  sur  le  collet,  puis  le  conduisirent  au 
Petit-Chàtclet,  dont  le  geôlier  leur  était  acquis. 

Un  nommé  Cochery  faisait  Fa  le  juge.  «  N'avez-vous  pas  écrit  depuis 
peu  de  temps  au  roi  de  Navarre?  demanda-t-il  au  malheureux  prisonnier. 
—  Non,  répondit  celui-ci.  — Ne  lui  avez-vous  pas  envoyé  votre  vaisselle 
d'argent? —  Non,  répondit-il  encore;  seulement  je  dois  dire  ([uo,  dans 
ces  temps  de  malheur  et  de  désordre,  on  me  l'a  volée.  —  Pour(|uoi,  con- 
tinua l'interrogateur,  n'avez-vous  pas  fait  pendre  Brigard?  —  Je  n'étais 
pas  son  seul  juge,  dit  Brisson  ;  et  la  cour  a  trouvé  à  propos  de  le  ren- 
voyer absous  par  arrêt.  » 

On  le  força  alors  à  se  mettre  a  genoux,  et  Cromé,  en  qualité  de  gref- 
fier, lui  lut  une  espèce  de  sentence  qui  le  condamnait  a  mort,  comme 
coupable  de  lèse-majesté  divine  et  humaine.  Puis  Ameline,  qui  avait, 
comme  plusieurs  des  autres  complices,  mis  par-dessus  ses  habits  un 
rochet  de  toile  noire,  sur  lequel  il  y  avait  une  grande  croix  rouge,  le 
frappa  sur  l'épaule  en  lui  disant  :  «  Président,  lève-toi;  le  Seigneur  Dieu 
te  somme  aujourd'hui  de  lui  rendre  ton  âme  ;  mais,  par  une  grande 
faveur  qui  t'est  faite,  tu  ne  mourras  pas  en  public  comme  le  mériterait 
un  traître  tel  que  toi.  n 

Au  même  instant,  on  amenait  aussi  Monsieur  Larcher,  l'un  des  con- 
seillers de  la  cour,  qu'une  autre  bande  venait  d'arrêter  comme  il  se 
présentait  pour  entrer  au  Palais.  Le  parti  en  voulait  depuis  longtemps  à 


208  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

ce  magistrat,  pour  la  conduite  qu'il  avait  tenue  en  la  journée  dite  de  la 
Paix  ou  du  Pain,  où  lui  et  son  (ils  avaient  prêté  la  main  aux  insurgés 
royalistes.  (Legrain,  Décacl.,  liv.  V,  p.  490.) 

Enlin,  le  curé  de  Saint-Cosme,  suivi  de  quelques  prêtres  et  autres 
gens  de  la  faction,  alla  quérir  le  conseiller  Tardif  au  Grand- 
Châtelet,  parce  qu'on  avait  trouvé  entre  ses  mains  une  satire  manuscrite 
intitulée  le  Chapelet  de  la  Ligue,  qu'on  le  soupçonnait  d'avoir  composée. 
On  le  prit  sur  son  tribunal  même  et  on  l'amena  également  prisonnier. 
(PASQt'iER,  lettre  17.) 

Crucé  envoya  vite  chercher  maître  Jean  Roseau,  exécuteur  ordinaire 
des  hautes  œuvres  de  la  justice,  auquel  il  donna  l'ordre  de  faire  mourir 
ces  trois  magistrats.  «  Monsieur,  répondit  le  bourreau,  cela  ne  peut  se 
faire  ainsi;  ce  n'est  pas  la  forme  de  justice  de  faire  des  exécutions  dans 
une  prison.  —  Il  faut  pourtant  que  cela  soit,  reprit  Crucé.  Regarde 
seulement  si  cette  place  est  commode  pour  y  pendre  trois  hommes.  » 
(Cavet,  ubi  sup.) 

Le  bourreau  ayant  répliqué  que  ce  n'était  pas  la  place  qui  manquait, 
mais  qu'il  fallait  préalablement,  pour  régulariser  l'affaire,  qu'on  lui  mon- 
trât un  jugement  ou  ordonnance  de  justice,  il  lui  fut  enjoint  de  mettre 
fin  a  toutes  ces  difficultés,  s'il  ne  voulait  pas  être  pendu  lui-même. 
«  Alors,  dit-il,  il  faut  que  j'aille  chercher  des  cordes;  car  je  n'en  ai  point 
ici.  —  Tu  ne  sortiras  de  céans,  dit  Crucé,  qu'après  ta  besogne  faite.  » 
Et  il  donna  de  l'argent  'a  un  guichetier  pour  aller  acheter  des  cordes, 
qui  furent  attachées  a  une  solive. 

Cela  fait,  on  alla  dire  au  sieur  président  qu'il  fallait  qu'il  descendit. 
c(  Hélas!  s'écria-t-il,  où  voulez-vous  me  mener?  Laissez-moi  dans  cette 
chambre  ;  je  vous  donne  ma  foi  que  je  ne  chercherai  pas  a  m'enfuir,  ne 
me  sentant  coupable  de  rien.  D'ailleurs,  donnez-moi  des  gardes,  si  vous 
l'aimez  mieux;  je  les  paierai  à  mes  frais.  »  On  l'entraîna.  Quand  il  fut 
dans  la  salle  où  on  voulait  le  faire  mourir,  le  bourreau  le  prit  et  le  lia, 
puis  lui  présenta  'a  baiser  une  croix  de  bois,  que  l'on  a  accoutumé  de 
bailler  aux  patients  que  l'on  mène  au  gibet.  Brisson  la  repoussa.  «  Je  ne 
veux  pas  de  celle-ci,  dit-il,  qui  estpourles  malfaiteurs.  Ouvre-moi  mes 
boutons;  j'ai  une  croix  pendue  à  mon  cou,  laquelle  est  contre  ma  chair 
et  est  d'un  morceau  de  la  vraie  croix;  c'est  celle-là  que  je  veux 
baiser.  » 

Jean  Roseau  lui  détacha  quatre  boutons,  trouva  la  croix  et  la  lui  fit 
baiser  plusieurs  fois.  Ensuite,  l'illustre  patient,  se  rappelant  qu'il  faisait 
alors  travailler  à  l'impression  d'un  ouvrage  qu'il  avait  composé  :  «  Du 
moins,  dit-il,  je  vous  prie  de  ne  pas  détruire  ce  livre  que  j'ai  commencé 
d'imprimer,  et  qui  est  une  tant  belle  œuvre.  »  Au  même  instant,  le  bour- 
reau l'enleva  'a  1  aide  de  deux  personnes  qui  se  trouvaient  l'a,  dans  la 
compagnie,  et  il  fut  pendu. 

On  alla  ensuite  appeler  messire  Larcher,  qu'on  trouva  tranquillement 
occupé  à  manger  un  déjeuner  qu'il  s'était  fait  servir  par  le  geôlier,  et  qui 
ne  pensait  courir  d'autre  risque  que  celui  d'une  détention  de  quelques 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  209 

jours;  mais,  quand  on  Teut  poussé  dans  la  Jalale chambre,  cl  (ju'il  eut  vu 
pendant  le  cadavre  de  Monsieur  le  premier  président:  «  Dépêchez-vous, 
bourreaux,  dit-il;  je  n'ai  point  regret  de  mourir,  puisipie  je  vois  le  plus 
grand  homme  du  monde  mort  innocent.  »  On  le  pendit  tout  a  côté; 
puis  on  lut  prendre  Monsieur  Tardif,  (|ui  lut  pareillement  pendu  et 
étranglé. 

Quand  le  bruit  de  cette  triple  exécution  se  répandit  dans  la  capitale, 
la  consternation  lut  générale,  même  parmi  ceux  qui  tenaient  pour  le 
parti  de  la  Ligue.  Les  plus  |)révoyants  redoutaient  les  représailles  qu'un 
pareil  attentat  ne  pouvait  man(pirr  d'attirer,  et  beaucoup  d'autres  crai- 
gnaient avec  raison  que  les  factieux  ne  voulussent  continuer  le  cours 
de  ces  déplorables  assassinats  ;  car  on  venait  de  voir  conduire  prisonniers 
au  Chàtelet  le  fils  du  sieur  Larcher  et  plusieurs  autres  membres  du 
parlement.  Quelques-uns  des  principaux  de  la  noblesse  et  de  la  bour- 
geoisie écrivirent  donc  îi  Monsieur  de  Mayenne,  qui  était  alors  'a  Laon,  et 
le  supplièrent  de  venir  lui-même  en  diligence  mettre  ordre  à  cette 
sédition. 

Pendant  ce  temps-la,  Crucé  faisait  dépouiller  les  cadavres  de  ses 
victimes,  et  vendait  leurs  nippes  à  des  fripiers.  Ensuite  il  lit  entrer,  en 
présence  de  ces  trois  corps  nus,  les  prisonniers  qu'on  venait  de  lui 
amener,  et  il  disait  a  chacun  d'eux  :  «  Regarde  ;  on  va  te  traiter  comme 
ceux  qui  sont  la.  Pense  à  toi,  car  lu  es  mort,  et  vois  combien  tu  veux 
nous  donner  pour  te  racheter.  »  Tous  oflrirent  leur  bourse  et  les  bijoux 
qu'ils  avaient  sur  eux;  et  Crucé  les  laissa  aller,  remettant  au  lendemain 
pour  faire,  disait-il,  de  meilleures  affaires. 

Sur  le  soir  de  cette  fatale  journée,  le  conseil  secret  des  Seize  prit  la 
résolution  de  faire  attacher  ces  trois  corps  morts  au  gibet  de  la  place  de 
Grève.  Charles  du  Sur,  dit  Jambe-de-Bois,  épicier  de  profession,  fit  des 
écriteaux  en  grosses  leltres,  indiquant  les  noms  de  ce  (|u'avaient  été  ces 
cadavres,  et,  dès  le  lendemain  bien  avant  le  jour,  le  bourreau  vint  char- 
ger sur  trois  crocheleurs  ces  tristes  restes,  nus  en  chemise,  ayant 
chacun  leur  écriteau  pendu  au  cou;  puis,  le  convoi,  merveilleusement 
piteux  et  épouvantable,  se  mit  en  route  le  long  des  quais.  D'abord  mar- 
chaient une  centaine  de  brigands,  les  uns  avec  des  hallebardes,  les 
autres  avec  des  arquebuses,  et  quelques-uns  n'ayant  que  leurs  épées, 
mais  tous  avec  de  longs  manteaux  dont  ils  se  cachaient  le  visage.  Plu- 
sieurs avaient  'a  la  main  des  lanternes  pour  éclairer  la  marche.  Derrière 
cette  troupe  et  sans  aucune  lumière  suivaient  les  trois  crocheteurs  char- 
gés des  cadavres  que  le  bourreau  et  ses  valets  accompagnaient,  et,  h 
quinze  pas  derrière,  venait  une  autre  troupe  en  même  attirail  que  la 
première,  avec  force  lanternes.  En  cette  façon  furent  conduits  en  Grève  les 
trois  pauvres  corps,  pour  y  être  attachés  îi  une  potence. 

Les  Seize  avaient  pensé  que  ce  spectacle  ferait  émouvoir  le  peuple 
en  leur  faveur.  Bussy  même  se  présenta  sur  les  degrés  de  la  croix  de 
Grève,  exhortant  les  assistants  a  seconder  les  bonnes  et  hardies  résolutions 
de  ceux  qui,  en  assurant  la  religion,  travaillaient  aussi  à  rétablir  la  liberté. 

IV.  lA 


210  IIISTUIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Mais  le  peuple  se  tint  coi.  De  ceux  qui  élaient  venus  pour  y  voir,  quel- 
ques-uns haussèrent  tristement  les  épaules  sans  dire  mot;  d'autres  blâ- 
maient cette  action,  mais  sans  qu'il  y  eût  aucun  remuement  populaire, 
car  on  savait  déjà  que  Monsieur  de  Mayenne  allait  bientôt  arriver. 
(Mézeray,  ubi  sup.^  p.  920.) 

Sur  le  soir  donc,  l'exécuteur  vint  dépendre  les  corps,  qu'il  vendit 
aux  veuves  et  aux  enfants  des  dits  morts,  pour  les  faire  mettre  en  sépul- 
ture chrétienne.  Quant  aux  Espagnols,  il  est  probable  que  s'ils  eussent 
pu  se  décider  à  approuver  hautement  ce  fait,  et  a  soutenir  les  Seize,  ils 
se  seraient  ce  jour-l'a  rendus  maîtres  de  la  capitale  ;  mais  la  chose  leur 
parut  trop  atroce  à  eux-mêmes,  et  leur  ambassadeur,  don  Iberra,  écrivit 
à  son  maître  :  «  Grâces  a  Dieu  !  Sire,  un  pareil  attentat  provient 
de  tout  autre  part  que  des  ministres  de  Votre  Majesté.  »  {Mém.  de  la 
Ligue,  t.  V.) 

Or,  le  duc  de  Mayenne,  a  la  réception  des  lettres  qui  lui  avaient  été 
adressées  a  Laon,  partit  sans  retard  et  s'en  vint  à  grandes  traites  à  Paris, 
amenant  avec  lui  le  sieur  de  Vitry  et  sa  compagnie,  et  quelques  compa- 
gnies de  troupes  étrangères.  Il  lit  son  entrée  par  la  porte  Saint-Antoine. 
(Cayet,  ubi  sup.) 

Quand  les  Seize  surent  qu'il  approchait,  ils  s'assemblèrent,  et  il  fut 
mis  en  délibération  s'il  n'était  pas  convenable  d'empêcher  le  dit  duc 
d'entrer,  et  de  s'assurer  préalablement  de  la  personne  de  Madame  la 
duchesse  de  Nemours,  sa  mère,  pour  servir  d'otage  au  besoin.  Il  fut 
même  proposé  de  se  défaire  de  lui  par  le  poignard,  et  l'un  d'eux  réclama 
hautement  l'honneur  de  lui  porter  le  premier  coup.  Mais  l'un  et 
l'autre  de  ces  deux  partis  extrêmes  parurent  un  peu  trop  chanceux.  La 
Sorbonne  fut  consultée  et  répondit  :  «  Ce  n'est  pas  à  la  sainte  Faculté 
qu'il  appartient  de  justifier  de  semblables  entreprises;  c'est  au  courage 
et  'a  la  conduite  :  si  vous  êtes  gens  de  cœur,  vous  serez  gens  de  bien  ; 
la  résolution  que  vous  prendrez  fera  votre  crime  ou  votre  innocence.  » 
Les  Seize,  a  qui  le  cœur  commençait^a  défaillir,  ne  montrèrent  qu'hési- 
tation. {Journal  de  Henri  IV,  p.  179.) 

Le  docteur  Boucher  qui  revenait  lui-même  de  Soissons,  et,  par  consé- 
quent, n'avait  point  eu  part  directement  'a  ce  qui  venait  de  se  pas- 
ser relativement  au  meurtre  des  trois  magistrats,  fut  chargé  d'aller  en 
députation  au-devant  du  duc,  pour  lui  faire  compliment  et  remontrance 
touchant  ce  lait  ;  mais  aussitôt  qu'il  voulut  ouvrir  la  bouche  à  ce  sujet, 
Monseigneur  de  Mayenne  lui  dit  :  «  Monsieur  notre  maître,  ce  sera  pour 
une  autre  fois,  »  et  ainsi  passa  vite  et  entra  dans  Paris.  Les  moins 
aveugles  de  la  faction  connurent  bien  alors  qu'il  était  fâché  contre  eux; 
les  uns  songèrent  a  se  mettre  en  sûreté  par  la  fuite,  les  autres  a  se 
défendre  en  ameutant  la  canaille  et  leurs  partisans. 

Le  duc  avait  bien,  au  reste,  quelque  autre  raison  de  n'être  pas  con- 
tent d'un  parti  qui  n'avait  jamais  cessé  d'agir  sourdement  contre  lui.  De 
plus,  l'on  venait  tout  récemment  de  saisir  sur  le  Révérend  Père  Mathieu, 
de  l'ordre  des  Jésuites,  une  lettre  par  laquelle  les  chefs  de  la  factioft 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  211 

mandaient  an  roi  d'Espagne  «  que  c'était  lui  qu'ils  désiraient  pour  roi, 
et  (|u'au  cas  oîi  il  ne  voudrait  pas  de  la  couronne  pour  lui-même,  ils  le 
suppliaient  d'établir  en  cette  qualité  le  jeune  duc  de  Guise,  en  le  mariant 
avec  Madame  l'inl'ante  sa  fille,  alin  que  les  deux  monarchies  pussent,  à 
l'avenir,  fraterniser  en  une  alliance  perpétuelle,  à  l'avancement  de  la 
gloire  de  Notre-Seigneur-Jésus-Christ.  »  (De  Tiiol,  liv.  102,  p.  444.  — 
Journal  de  Henri  /V,  1. 1,  p.  150.) 

On  pense  bien  que  ce  n'était  pas  là  ce  que  désirait  le  duc  de 
Mayenne  ;  aussi  était-il  bien  disposé  a  châtier  sévèrement  cette  faction 
des  Seize.  Mais  il  s'était  résolu  a  user  d'une  grande  prudence,  car  il  ne 
savait  pas  si  la  populace  de  la  grande  ville  n'aurait  pas  l'idée  de  soutenir 
des  gens  qui  l'avaient  si  longtemps  fait  mouvoir  à  leur  gré;  il  ignorait 
également  si  la  garnison  espagnole,  (ju'on  avait  eu  l'imprudence  d'ad- 
mettre dans  Paris,  ne  se  déclarerait  pas  ouvertement  en  leur  faveur. 

Ceux  qui  avaient  appelé  Monsieur  le  duc  pour  rétablir  l'ordre  lui 
disaient  :  «  Il  n'y  a  pas  a  hésiter,  vous  n'aurez  jamais  la  paix  dans  cette 
capitale  si  vous  ne  vous  décidez  pas  a  y  exterminer  trois  sortes  de  gens  : 
d'abord  tous  les  prédicateurs  des  Seize,  (|ui  ne  sont  que  boute-feux, 
prêchant  à  la  foule  ignorante  la  guerre  civile  et  la  révolte;  ensuite  les 
chefs  des  Seize  eux-mêmes,  (pii  sont  tous  voleurs  et  sanguinaires,  et 
qui  ne  conspirent  qu'a  la  ruine  des  honnêtes  gens,  et  enfin  la  garnison 
espagnole,  qui  sert  de  point  d'appui  ii  tous  ces  fauteurs  de  troubles,  et 
qui,  comme  ennemie  naturelle  et  de  toute  ancienneté  de  la  nation,  n'a 
d'autre  but  que  de  ruiner  et  de  piller  la  France,  pour  la  plus  grande 
gloire  de  l'Espagne.  La  chose  au  surplus,  ajoutait-on,  vous  serait  très- 
facile,  si  vous  vouliez  seulement  y  interposer  votre  autorité.  Vous  pouvez 
compter  que  vous  serez  approuvé  et  assisté  par  toutes  les  cours  souve- 
raines du  royaume  et  par  tous  les  véritables  Français.  » 

Malheureusement  pour  lui,  Mayenne  savait  déjà  à  quoi  s'en  tenir  sur 
la  valeur  réelle  de  ces  autorités  plus  ou  moins  populaires,  qui  surgissent 
dans  les  temps  de  troubles.  Elles  dépendent  d'un  caprice  indé- 
linissable,  et  on  court  toujours  le  risque  de  travailler  contre  soi  et  pour 
autrui,  et  de  se  laisser  tromper  par  des  conseils  intéressés  et  perlides. 
De  plus,  il  avait  à  craindre  d'encourir  l'indignation  du  Pape,  s'il  faisait 
mettre  la  main  sur  cette  foule  de  moines  et  d'ecclésiastiques  de  tout 
rang,  qui  se  trouvaient  compromis  dans  cette  liste  d'extermination. 
L'Eglise  n'était  pas  un  pouvoir  qu'il  put  se  permettre  de  braver. 
Il  se  résolut  donc  à  faire  châtier  seulement  parmi  les  laïcs  les  principaux 
coupables  du  meurtre  des  trois  magistrats. 

Il  aurait  bien  voulu  commencer  par  IJussy-Leclerc;  mais  celui-ci  se 
tenait  renfermé  dans  la  Bastille,  dont  il  était  gouverneur,  comme  on 
sait.  Mayenne,  obligé  de  dissimider,  convoqua  une  assemblée  à  l'Hôtel- 
de-Ville,  où  se  trouvèrent  tous  les  chefs  des  Seize.  Il  demanda  du  ton  le 
plus  modéré  s'il  n'y  avait  pas  (juclque  réparation  à  faire,  dans  l'intérêt 
du  bon  ordre,  pour  la  mort  illégale  du  président  Brisson  et  de  ses  deux 
malheureux   collègues.   Il  dit  qu'il    ne   pouvait  que  blâmer  cet  atten- 


212  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

lat,  et  qu'il  priait  qu'on  ne  recommençât  pas  a  l'avenir.  Sur  quoi,  les 
Seize,  encouragés  par  cette  modération,  répondirent  plus  ou  moins  auda- 
cieusement,  suivant  la  part  que  chacun  d'eux  y  avait  prise.  Quelques- 
uns  de  ceux  a  qui  un  pareil  crime  faisait  horreur  demandèrent  au  con- 
traire qu'il  ne  fût  pas  impuni.  Mais  le  duc  s'abstint  de  rien  prononcer.  11 
fit  même  si  bonne  ligure,  en  cette  assemblée,  que  les  plus  cou- 
pables perdirent  toute  crainte,  et  envoyèrent  dire  'a  la  multitude,  qu'ils 
avaient  eu  la  précaution  de  faire  tenir  sous  les  armes,  qu'elle  n'avait 
qu'a  se  retirer  tranquillement.  Plusieurs  d'entre  eux  s'en  allèrent  même 
souper  avec  Mayenne,  qui  ne  leur  tint  à  table  que  devis  et  paroles 
joyeuses,  tellement  qu'ils  se  retirèrent  chacun  chez  soi,  fort  contents  du 
dit  seigneur  duc. 

Celui-ci  appela  dans  la  nuit  le  seigneur  de  \'itry,  et  lui  ordonna 
d'aller  arrêter  tout  bellement  neuf  des  plus  mutins  de  ces  factieux,  et  de 
les  lui  amener  au  Louvre,  où  il  avait  résolu  de  les  faire  pendre.  En 
même  temps,  il  envoya  quérir  l'exécuteur  Jean  Roseau,  qu'on  lit  entrer 
secrètement  dans  le  château  ;  puis  Vitry  s'en  alla  prendre  dans  leurs 
lits,  où  ils  dormaient  bien  tranquilles,  Anroux,  Emonot  et  Âmeline, 
lesquels,  'a  peine  entrés  dans  le  Louvre,  y  sont  incontinent  pendus. 

On  fut  ensuite  chercher  Louchard,  qui  demeurait  un  peu  plus  loin, 
auquel  on  dit  que  Monsieur  de  Mayenne  demandait  à  lui  parler  pour 
affaires  importantes.  Il  s'habilla  en  toute  hâte  pour  se  rendre  a  cette 
invitation.  Puis  en  embrassant  sa  femme,  qui  lui  tendait  un  mouchoir,' 
il  sentit  un  triste  pressentiment.  «  Ma  chère,  lui  dit-il,  je  doute  de  te 
revoir  jamais,  »  et  suivit  ceux  qui  étaient  venus  le  chercher. 

En  entrant  dans  la  salle  basse  du  Louvre,  son  premier  regard  ren- 
contra les  trois  cadavres  de  ses  collègues,  qui  pendaient  chacun  au  bout 
d'une  corde  attachée  â  une  solive,  et  il  sua  'a  grosses  gouttes.  Puis  sentant 
que  le  bourreau  lui  passait  autour  du  cou  le  fatal  lacet,  comme  c'était 
un  homme  vigoureux,  il  le  repoussa  et  le  culbuta  lui  et  ses  aides.  «  Vous 
avez  tort  de  résister,  lui  dit  Vitry  ;  il  faut  que  vous  y  passiez.  —  Mon- 
sieur, répondit  Louchard,  je  ne  puis  croire  que  ce  soit  la  la  volonté  du 
duc  de  Mayenne.  H  m'a  fait  mander  ici  pour  parler  d'aflaires  avec  moi,  et 
non  pour  me  faire  pendre;  obligez-moi  d'aller  lui  demander  si  cela  n'est 
pas  vrai.  —  Je  le  veux  bien,  pour  vous  faire  plaisir,  eut  la  bonté  de 
dire  Monsieur  de  Vitry  ;  mais  si  Monsieur  le  duc  veut  que  vous  soyez 
pendu,  il  faudra  bien  que  vous  obéissiez.  » 

Monsieur  de  Vitry  sortit,  et  revint  un  demi-quart  d'heure  après,  disant 
aux  bourreaux  :  «  Pendez!  »  Louchard,  tout  abattu,  n'opposa  plus  de 
résistance.  Il  fut  pendu  auprès  des  trois  autres. 

Pendant  ce  temps-la,  ou  cherchait  de  Launay,  Cromé  et  Cochery; 
mais  ceux-ci,  qui  avaient  été  avertis  à  temps  du  sort  qui  les  menaçait, 
avaient  déjà  quitté  leurs  maisons,  et  se  tenaient  déguisés  parmi  la  gar- 
nison espagnole,  d'où  ils  passèrent  peu  de  temps  après  en  Flandre.  Crucé 
fut  moins  heureux  ;  il  se  laissa  prendre,  ainsi  que  quelques  autres  des 
chefs  du  parti.  Pourtant  Mayenne  pensa  qu'il  y  avait  probablement  assez 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  213 

dépendus  comme  cela,  et  il  se  contenta  de  les  faire  mettre  en  prison. 
Quelques  jours  aprrs  même,  îi  la  sollicitation  de  la  duchesse  de  Mont- 
pensier,  il  voulut  bien  l'aire  grâce  a  Crucé,  quoiqu'il  fût  un  de  ceux  qu'il 
avait  résolu  de  l'aire  mourir,  et  il  rendit  la  liberté  aux  autres  pour  de 
l'argent. 

Pour  lors ,  le  curé  Boucher ,  sachant  bien  qu'il  n'avait  rien  à 
craindre,  en  sa  qualité  de  membre  du  clergé,  poussa  l'audace  jusqu'à 
venir  trouver  le  duc,  «  afin,  disait-il,  de  lui  l'aire  entendre  les  justes 
représentations  des  bons  et  (idèles  catholiques  sur  cette  cruelle  bou- 
cherie »  de  ceux  qu'il  appelait  les  martyrs  de  Jésus-Christ.  Mayenne  lui 
répondit  avec  douceur  qu'il  s'était  cru  obligé  de  l'aire  justice  d'un  crime 
aussi  énorme  que  celui  qui  venaii  d'être  commis  sur  trois  des  membres 
les  plus  respectables  du  parlement;  mais  qu'a  présent  qu'il  avait  satisfait 
à  la  justice,  par  la  punition  d'un  j)etit  nombre  de  factieux,  il  était  résolu 
délaisser  les  autres  tranquilles,  et  il  le  congédia  sans  montrer  le  moindre 
ressentiment  contre  une  démarche  aussi  audacieuse.  (Mézeuav,  t.  III, 
p.  925.) 

Quant  à  Bussy-Leclerc,  qui  «  avait  tant  lait  le  fendant  dans  la 
Bastille,  »  et  qui  devait,  disait-il,  s'y  faire  ensevelir  sous  les  ruines  plu- 
tôt (jue  de  se  rendre,  à  peine  eut-il  reçu  du  duc  de  Mayenne  la  sommation 
de  remettre  la  place,  qu'il  se  hâta  de  demander  seidement  la  vie  sauve 
et  la  permission  de  sortir  avec  ses  meubles  et  biens,  ce  qui  lui  fut 
accordé.  Mais,  dès  qu'il  eut  opéré  son  déménagement  dans  une  maison 
voisine,  on  vint  en  défoncer  les  portes;  on  pilla  «  tout  ce  qu'il  avait 
volé  et  rançonné  depuis  la  journée  des  Barricades  jusiju'au  commence- 
cément  du  présent  mois,  »  c'est-a-dire  une  valeur  de  plus  de  six  cent 
mille  francs,  dont  Monsieur  de  Mayenne  eut  sa  bonne  part.  Quant  'a  lui, 
il  n'eut  que  le  temps  de  se  sauver,  tout  nu  en  chemise,  par-dessus  les 
tuiles,  et  il  se  retira  à  Bruxelles,  où,  depuis,  il  a  vécu  fort  misérable- 
ment, gagnant  sa  vie  à  l'aide  de  son  ancien  métier  de  prévôt  dans 
une  salle  d'escrime.  (Cayet,  vbi  sup.  —  Journal  de  Henri  7 F, 
t.  I,  p.  185.) 

Mayenne  lit  publier  ensuite  une  proclamation  d'abolition  générale 
pour  tout  le  passé.  «  Nous,  disait  cette  proclamation,  lieutenant  général 
de  l'État  et  couronne  de  France,  à  tous  présents  et  a  venir,  salut  !  Consi- 
dérant que,  dans  l'emprisonnement  odieux  et  l'assassinat  abominable 
commis  en  cette  ville  de  Paris  sur  les  personnes  des  sieurs  Brisson, 
Tardif  et  Larcher,  deux  sortes  de  gens  se  sont  trouvés  coupables  :  les 
uns  par  mauvaise  volonté,  les  autres  s'étant  laissé  seulement  entraîner  par 
ardeur  de  zèle,  et  croyant  bien  faire  ;  nous  avons  avisé  de  restreindre  la 
peine  au  châtiment  de  quelques-uns  des  jjIus  répréhensibles,  lesquels 
ont  déjà  payé  leur  crime  de  la  vie.  Quant  aux  autres,  nous  leur  accor- 
dons pardon,  éteignant  et  abolissant  par  les  présentes  le  cas  susdit.  En 
conséquence,  voulons  et  ordoimons  ipie  tous  en  général  et  chacun  en 
particulier  en  soient  et  demeurent  (juitles  et  déchargés,  sans  qu'a  l'ave- 
nir ils  puissent  être  in(juiétés   ni  recherchés  pour   ce   lait,  sur    lequel 


214  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

nous  imposons  silence  au  sieur  procureur  général  et  a  tous  autres  ; 
et  parce  que  le  mal  est  provenu  de  certaines  réunions  et  assemblées  qui 
se  sont  ci-devant  faites  dans  cette  ville,  afin  que  tels  excès  ne  se  renou- 
vellent pas,  faisons  défense  expresse  à  toute  personne,  de  quelque  qua- 
lité et  condition  qu'elle  soit,  même  a  ceux  qui  se  sont  ci-devant  nommés 
le  Conseil  de  la  Ligue  ou  des  Seize,  de  tenir  aucune  assemblée  pour 
délibérer  ou  traiter  d'affaires  quelconques,  sous  peine  de  la  vie  et  du  rase- 
ment  des  maisons  où  de  pareilles  assemblées  auraient  eu  lieu.  »  Cette 
pièce  fut  enregistrée  au  parlement  le  dixième  jour  de  décembre,  et 
publiée  à  son  de  trompe,  par  tous  les  carrefours  de  la  capitale.  {Mém.  de 
la  Ligue,  t.  V,  p.  72.) 

Ce  fut  ainsi  que  le  duc  de  Mayenne  profita  de  l'attentat  commis  sur 
Brisson  et  ses  collègues,  pour  anéantir  la  dangereuse  faction  des  Seize.  11 
est  permis  de  croire  que  c'était  moins  ce  crime  qu'il  avait  'a  cœur  de 
punir  que  la  mauvaise  volonté  pour  lui  des  auteurs  de  la  lettre  saisie 
sur  le  jésuite  Mathieu,  et  dont  j'ai  donné  plus  haut  le  contenu.  Aussi 
fit-il  jurer  à  tous  les  chefs  de  l'Union  les  cinq  nouvelles  conditions  sui- 
vantes :  1°  De  ne  l'abandonner  jamais  ni  de  se  bander  contre  lui,  pour 
quelque  occasion  que  ce  fût;  2"  de  ne  favoriser  la  nomination  d'un  roi 
que  de  son  consentement;  o°  de  consentir  'a  tous  les  accords  qu'il  ferait 
avec  le  roi  et  les  autres;  4"  de  ne  favoriser  les  Espagnols  ni  conférer 
avec  eux  qu'avec  sa  permission  et  selon  ses  instructions;  5"  enfin  de 
résister  par  paroles,  conseils  et  effets,  'a  tous  ceux  qui,  sous  prétexte  de 
favoriser  le  peuple,  empêcheraient  ses  desseins.  {Dialogue  du  manant 
et  du  maheutre.) 

Ensuite,  comme  le  parlement  de  Paris  se  trouvait  sans  président 
par  la  mort  de  Brisson,  les  cinq  autres  présidents  étant  du  parti  royal  et 
s'étant  retirés  a  Tours  et  'a  Châlons,  le  duc  promut  quatre  conseillers  'a 
cette  dignité,  savoir  :  Chartier,  Neuilly,  de  Hacqueville  et  Le  Maître. 
Mais  le  premier,  parce  qu'il  était  vieux  et  cassé,  se  démit  de  lui-même  de 
ses  fonctions.  (De  Thou,  ubi  sup.,  p.  449  et  suiv.) 

Pendant  que  ces  choses  se  passaient  a  Paris,  le  roi,  après  la  prise 
de  Noyon,  s'était  avancé  avec  quelques  troupes  jusque  sur  la  frontière, 
pour  y  recevoir  l'armée  auxiliaire  que  lui  amenaient  d'Allemagne 
Monsieur  le  vicomte  de  Turenne  et  le  prince  d'Anhalt.  Sur  sa  route, 
il  se  rapprocha  de  Sedan,  pour  y  ménager  le  mariage  du  vicomte  avec 
Charlotte  de  La  Mark.  J'ai  dit  plus  haut  comment  cette  princesse,  laissée 
héritière  des  riches  domaines  de  la  maison  de  Bouillon,  par  suite  de  la 
mort  de  son  frère,  décédé  'a  Genève,  deux  ans  auparavant,  avait  attiré 
une  guerre  cruelle  dans  ses  États,  de  la  part  de  divers  rivaux,  qui  se 
disputaient  sa  main  pour  avoir  ses  grands  biens.  Les  deux  principaux  de 
ces  compétiteurs  étaient,  comme  on  l'a  vu,  le  prince  de  Vaudemont,  fils 
du  duc  de  Lorraine,  et  le  duc  de  Rhetetois,  fils  du  duc  de  Nevers.  Or, 
il  n'entrait  nullement  dans  les  projets  de  Sa  Majesté  de  donner  cette 
riche  héritière  a  l'un  ou  a  l'autre  de  ces  deux  seigneurs.  Le  duc  de 
Lorraine  était  ouvertement  son  ennemi  juré,  et  le  duc  de  Nevers,  quoi(|ue" 


DU  PROTESTANTISME  EN  ECANGE.  215 

maintenant  de  son  parti,  «  lui  était  suspect  a  cause  de  ses  scrupules 
continuels  au  sujet  de  la  religion.   »  (Dk  Tiior,  uhi  sup.) 

Pour  leur  ôter  toute  espérance,  il  avait  donc  jeté  les  yeux  sur 
le  vicomte  de  Turenne,  le(iuel  étant  protestant,  de  plus,  homme 
de  valeur  et  d'esprit,  lui  semblait  pouvoir  être  opposé  également  a  un 
ennemi  déclaré  et  à  un  ami  suspect.  En  outre,  les  peines  que  ce 
seigneur  venait  de  se  donner  en  Allemagne,  pour  lui  procurer  des  secours, 
et  riieureux  succès  qu'avaient  eues  ses  négociations,  méritaient  bien 
une  pareille  récompense.  Le  roi  lui  donna  donc  le  bâton  de  maréchal  de 
France,  alîn  qu'il  n'eût  pas  une  qualité  trop  inférieure  a  la  principauté 
(pi'il  allait  tenir  de  sa  jeune  épouse. 

La  veille  même  de  ses  noces,  le  nouveau  maréchal,  (jui  portera 
désormais  le  titre  de  maréchal  de  Bouillon,  pour  donner  a  son  royal 
souverain  des  arrhes  des  services  qu'il  se  proposait  de  lui  rendre,  s'en 
alla  de  nuit  surprendre  par  escalade  la  ville  de  Slenay,  où  le  duc  de 
Lorraine  tenait  une  forte  garnison. 

D(''s  que  le  roi  eut  terminé  ce  mariage,  et  après  avoir  reçu  et  passé 
en  revue  les  troupes  qui  venaient  de  lui  être  amenées  d'Allemagne, 
fortes  de  seize  mille  combattants,  tant  reltres  que  lansquenets,  avec 
quatre  grosses  pièces  de  canon  et  plusieurs  autres  petites  pièces,  il 
prit  sa  route  avec  toutes  ces  troupes,  pensant  veïur  coucher  a  Aubenton; 
mais  les  habitants  lui  fermèrent  les  portes,  ce  qui  fut  cause  que  la  ville 
fut  pillée.  Après  quoi,  on  vint  investir  Verdun,  d'où  les  troupes  du  Pape, 
'a  l'approche  de  l'armée  royale,  s'étaient  hâtées  de  s'enfuir.  Le  roi  y 
entra  presque  au  même  instant  par  composition,  et,  après  avoir  expulsé 
ceux  de  l'Union,  il  mit  pour  commander  la  ville  en  son  nom  le  sieur  de 
Monceaux.  (Cayet,  Chron.  novenn.,ubi  sup.) 

Sa  Majesté  revint  de  l'a  'a  Noyon,  tandis  que  l'armée,  partagée  en 
dilTérents  corps,  le  suivait  'a  petites  journées  ;  mais  il  survint  pendant 
cette  marche  un  de  ces  événements  qui  peuvent  donner  l'idée  de  ce 
qu'étaient  ces  troupes  étrangères,  dont  les  deux  partis  s'empressaient  de 
provoquer  l'introduction  en  France,  pour  s'appuyer  de  leur  secours.  Les 
lansquenets,  se  voyant  en  plus  grand  nombre  que  les  Français,  se 
fâchèrent  de  ce  qu'on  voulait  leur  faire  observer  les  lois  et  règlements 
militaires,  et  les  empêcher  de  vivre  a  discrétion  dans  les  pays  qu'on  leur 
faisait  traverser.  Ils  eurent  l'idée  de  secouer  toute  espèce  de  joug  et  de 
faire  la  guerre,  ou  plutôt  le  brigandage  pour  leur  comi)te.  Au  lieu  d'aller 
au  quartier  qui  leur  était  assigné,  ils  rebroussèrent  chemin.  Pour  lors. 
Monsieur  le  baron  de  Biron,  que  le  roi  avait  chargé  de  la  conduite  de  ces 
troupes,  averti  de  ce  mouvement,  fit  prendre  les  armes  à  tous  ceux  de 
ses  soldats  qui  n'avaient  pas  été  entraînés  dans  cette  désertion  à  main 
armée,  et  envoya  demander  du  secours  aux  autres  corps,  pour  forcer  ses 
lansquenets  'a  rentrer  dans  le  <levoir,  ou  pour  les  exterminer  s'ils  persis- 
taient dans  leur  rébellion. 

On  courut  donc  après  les  dits  lansquenets,  qu'on  atteignit  à  une  lieue 
deUocroi,  ville  du  parti  de  ITnion.  Quand  ils  s'aperçurent  qu'ils  étaient 


216  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

poursuivis,  ils  s'arrêtèrent  ;  se  rangèrent  en  bataille,  et  on  allait  en 
venir  aux  mains,  lorsque  les  chefs  et  capitaines  qu'ils  s'étaient  choisis, 
après  avoir  chassé  ceux  qu'on  leur  avait  donnés,  commencèrent  'a  avoir 
peur  pour  leur  cou,  et  firent  si  bien  par  leurs  exhortations,  qu'ils  enga- 
gèrent leurs  compagnons  à  retourner  sous  la  puissance  royale  ;  et  l'on  fut 
contraint  de  leur  en  savoir  gré. 

Alors,  voyant  ses  forces  augmentées  par  l'adjonction  de  cette  armée 
auxiliaire,  et  par  un  nouveau  secours  de  trois  mille  Anglais,  que  lui  ame- 
nait le  comte  d'Essex,  de  la  part  de  la  reine  Elisabeth  {laquelle  appréhen- 
dait surtout  que  l'Espagnol,  son  ennemi  juré,  ne  s'établît  sur  les  côtes 
de  France),  le  roi  résolut  d'avoir  en  sa  puissance  quelque  riche  province, 
d'où  il  pût  tirer  des  secours  d'argent,  pour  l'aider  à  subjuguer  les  autres 
provinces.  Depuis  longtemps,  il  avait  dessein  d'assiéger  Rouen,  dont  la 
prise  entrahîerait  la  possession  complète  et  tranquille  de  toute  cette 
belle  et  populeuse  contrée.  Les  royaux,  sous  la  conduite  du  duc  de 
Montpensier,  s'étaient  rendus  maîtres  d'Avranches,  après  un  long 
siège,  et,  'a  l'exception  du  Havre-de-Grâce  et  de  Honfleur,  à  l'em- 
bouchure de  la  Seine,  que  les  Ligueurs  venaient  de  reprendre,  toutes 
les  autres  villes  importantes  étaient  déjà  soumises  au  roi  ;  aussi  s'em- 
pressèrent-elles toutes  d'offrir  de  l'argent  et  des  munitions  de  bouche 
pour  aider  a  Sa  Majesté  a  faire  la  conquête  de  leur  capitale. 

En  attendant,  Sa  Majesté,  «  pour  des  causes  secrètes,  »  c'est-à-dire 
pour  aller  voir  la  belle  Gabrielle,  restait  toujours  a  Compiègne.  Elle  avait 
eu  soin  de  faire  défense  expresse  de  laisser  passer  sur  la  Seine  aucun 
convoi  se  dirigeant  ou  vers  Paris,  ou  vers  Rouen  ;  mais  nonobstant  cette 
défense,  les  gouverneurs  des  villes  situées  sur  le  fleuve,  s'accordant 
ensemble  pour  partager  le  profit,  donnaient  journellement  des  passe- 
ports 'a  ceux  qui  voulaient  bien  payer,  pour  conduire  des  vivres  et  des 
marchandises  dans  l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  villes,  en  dépit  des  ordres 
du  roi.  Or,  «  un  jour,  disent  les  Mémoires  de  Sully,  vous  fûtes  averti, 
Monseigneur,  par  un  nommé  de  Fourges,  qu'un  grand  bateau,  tout  chargé 
de  provisions  de  bouche,  venait  de  remonter  vers  Paris,  muni  d'un  de 
CCS  passeports,  signé  de  votre  frère  lui-même.  Vous  allâtes  aussitôt 
attendre  son  retour  sur  la  rivière,  et  l'amenâtes  à  Mantes;  mais  vous 
demeurâtes  bien  en  colère,  quand  dans  ce  bateau  vous  ne  trouvâtes 
que  deux  petits  ballots,  qui  ne  contenaient  que  quelques  bimbeloteries, 
et  qu'on  vous  eut  dit  que  le  prix  de  la  cargaison  avait  été  réglé  en 
lettres  de  change.  Pendant  que  le  dit  sieur  de  Fourges  vous  rendait  ce 
compte,  ses  chausses  se  défoncèrent  pour  avoir  été  trop  chargées,  et  il 
en  sortit  une  traînée  d'écus  au  soleil  qui  s'épandirent  sur  le  plancher. 
Alors,  vous  lui  dites  :  «  Courage!  Monsieur,  il  y  a  plaisir  et  profit  à  vous 
tenir  debout  plutôt  qu'assis.  »  Vous  le  fîtes  fouiller,  et  vous  trouvâtes, 
cousus  en  ses  habits,  sept  mille  bons  écus  d'or  environ,  qui  vous  vinrent 
fort  'a  point,  pour  attendre  patiemment  la  vente  de  vos  blés  et  foins  de 
Rosny.  »  (Sllly,  Écon.  royales^  Hv.  2,  ch.  m.) 

Mayenne,  dans  le  même  temps,  faisait  renouer  de  nouvelles  négo- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  217 

ciations  avec  Sa  Majesté,  toujours  par  l'entremise  de  \'illeroi;  mais, 
celte  fois,  le  lieutenant  général  de  la  Ligne  comnienrait  a  y  aller  de 
meilleure  loi.  En  eflet,  il  ne  pouvait  en  aucune  façon  compter  désormais 
sur  le  parti  qui  l'avait  élu,  depuis  qu'il  avait  fait  pendre  quatre  des 
principaux  d'entre  les  Seize,  et  il  ne  pouvait  ignorer  qu'il  avait  été  dit 
jusque  dans  son  antichambre  :  «  Nous  qui  l'avons  fait  ce  qu'il  est,  nous 
aurons  bien  le  pouvoir  de  le  défaire.  »  De  plus,  par  les  lettres  intercep- 
tées et  que  le  roi  avait  grand  soin  de  lui  faire  tenir,  il  ne  devait  lui 
rester  aucun  doute  que  les  Espagnols  et  ceux  de  leur  parti  en  France 
étaient  loin  d'être  bien  intentionnés  en  sa  faveur.  Il  se  doutait  môme 
qu'une  récente  indisposition  qu'il  venait  d'éprouver,  «  et  qui  lui  avait 
fait  enllcr  le  ventre,  »  provenait  d'un  boucon  qui  lui  avait  été  donné  par 
un  seigneur  d'Espagne;  et  l'on  prétend  que,  parmi  les  lettres  intercep- 
tées que  le  roi  lui  envoyait,  il  y  en  avait  une  de  ce  seigneur  adressée  'a 
Sa  Majesté  catholique,  dans  laquelle  était  cette  phrase  :  «  Soyez  tran- 
quille, Sire,  je  lui  en  ai  donné  autant  qu'il  en  faudrait  pour  faiue  crever 
un  cheval.  »  On  ajoute  aussi  que  le  duc  s'était  vengé  en  invitant  ce 
seigneur,  dont  on  ne  dit  pas  le  nom,  'a  dîner  et  en  lui  faisant  boire  à  son 
tour  de  l'hippocras  empoisonné,  après  quoi,  il  lui  aurait  dit  a  l'oreille  : 
«  Soyez  tranquille,  vous  en  avez  bu  plus  qu'il  n'en  faudrait  pour  faire 
crever  deux  chevaux.  »  {Mém.  de  Yilleroi^  ad  ann.  1591  et  1592.  — 
Mézkuav,  t.  III,  p.  930.) 

Quoi  qu'il  en  soit,  Mayenne,  pour  toutes  ces  raisons,  dégoûté  de  la 
Ligue  et  de  la  protection  espagnole,  faisait  offrir  'a  Henri  IV,  par  le  dit 
sieur  de  Villeroi,  de  le  reconnaître  et  de  le  faire  reconnaître  par  tous 
ceux  du  parti  sur  lesquels  il  avait  influence,  a  condition  seulement  qu'il 
voulût  se  convertir.  Mais  le  roi,  dont  l'armée  se  composait  encore  aux 
trois  quarts  aux  moins  de  prolestants,  et  qui  ne  pouvait  guère  compter 
sur  les  catholiques,  pour  la  plupart  engagés  dans  le  tiers  parti,  ne  crut 
point  opportun  pour  le  moment  de  faire  une  pareille  démarche.  (Villeroi, 
iihi  sup.,  1591.) 

Ce  fut  en  de  telles  circonstances  que  le  siège  de  Rouen  commença. 
Les  Rouennais  qui,  de  leur  côté,  se  doutaient  bien  qu'on  ne  tarderait 
pas  'a  venir  lesat(a(juer,  ne  restaient  pas  dans  l'inaction.  Ils  avaient  pour 
gouverneur  Henri  d'Aiguillon,  fils  du  duc  de  Mayenne;  mais,  comme  la 
grande  jeunesse  de  ce  prince  le  mettait  hors  d'état  de  remplir  un  poste 
aussi  important,  dans  des  circonstances  aussi  difficiles,  ce  fut  Monsieur 
Villars,  commandant  flu  Havre,  (|ui  reçut  du  dit  duc  de  .Mayenne 
charge  de  venir  diriger  les  opérations  de  la  défense.  Il  entra  dans  la  ville 
a  la  tête  de  douze  cents  hommes  de  pied  et  de  six  cents  chevaux, 
(jui  se  joignirent  'a  la  garnison,  déjà  très -nombreuse  et  composée 
de  plusieurs  bataillons  suisses,  sans  compter  les  habitants  qui  avaient 
pris  les  armes  avec  enthousiasme.  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  V,  p.  100 
et  suiv.) 

Lé  jeune  gouverneur  répéta  tout  couramment,  devant  une  assemblée 
des  notables  de  la  ville,  un  discours  qu'on  lui  avait  fait  apprendre  et  qui 


218  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

produisit  le  meilleur  effet  du  monde.  «  Messieurs,  dit-il,  je  compte  bien 
que  vous  ne  le  céderez  pas  en  courage  aux  braves  Parisiens,  qui  ont  su 
forcer  le  Béarnais  à  se  retirer  honteusement.  D'ailleurs,  je  puis  prédire 
d'avance  un  heureux  succès  aux  efforts  que  vous  allez  faire.  Les  troupes 
de  l'ennemi,  déjà  épuisées  par  des  marches  incessantes  et  qui  vont  bien- 
tôt avoir  à  éprouver  les  rigueurs  d'un  hiver  qui  s'approche,  ne  peuvent 
tenir  longtemps  devant  vos  murs.  Votre  salut  et  celui  de  l'État  de 
f>ance  dépend  donc  d'une  résislaftce  de  quelques  jours,  et  il  s'en  faut 
que  les  ressources  nous  manquent.  Plus^  heureux  que  les  braves 
Parisiens,  pour  lesquels  les  passages,  a  l'arrivée  des  vivres  et  des 
secours,  étaient  fermés  de  tous  côtés,  nous  avons,  nous,  liberté  tout 
entière  du  côté  de  la  mer  :  Le  Havre  et  Honfleur  sont  là  pour  nous 
garantir  de  la  disette.  Du  courage  donc,  et  montrons-nous  dignes  de  la 
sainte  cause  que  nous  avons  juré  de  défendre.  » 

Après  ce  discours,  l'enfant,  n'étant  plus  nécessaire  la,  s'en  retourna 
vers  son  père  et  laissa  a  Villars  le  commandement  absolu.  On  prétend 
que  celui-ci  avait  exigé  qu'il  en  fût  ainsi,  ne  voulant  pas  être  l'ouvrier 
dans  une  affaire  dont  un  autre  tirerait  la  gloire  et  le  profit,  et  qu'il  avait 
même  menacé  de  traiter  pour  son  compte  avec  le  roi,  si  Monsieur 
de  Mayenne  se  refusait  à  lui  accorder  satisfaction  sur  ce  point.  (Davila, 
t.  111,  p.  285.) 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  fit  habilement  tous  ses  préparatifs  de  défense. 
Il  expulsa  d'abord  de  la  ville  ceux  qui  s'étaient  signalés  comme  favorables 
au  parti  royal  ;  il  fît  venir  des  provisions  de  toutes  parts;  il  fît  entrer 
cinquante  pièces  d'artillerie  tant  de  fonte  que  de  fer,  avec  une  prodi- 
gieuse quantité  de  poudre,  de  balles  et  de  boulets.  «  En  outre,  le  dit 
gouverneur  aposta  force  moines,  prêtres  et  prêcheurs,  pour  mieux  enve- 
nimer la  populace.  »  (Cavet,  Chron.  novenn.,  ubi  snp.  —  Matthieu,  Hist. 
des  dern.  troubles,  liv.  5,  fol.  50.) 

Le  jour  de  Saint-Martin,  sur  les  huit  heures  du  matin,  l'armée  royale, 
commandée  parle  maréchal  de  Biron,  parut  sur  le  mont  de  la  Justice, 
en  face  la  porte  Beauvoisine.  Les  Anglais,  pour  gagner  une  certaine 
prime  en  ari.,ent  que  leur  reine  avait  promise  pour  le  premier  coup  de 
canon  qui  serait  tiré  sur  la  ville,  s'empressèrent  de  pointer  une  petite 
pièce  de  campagne  dont  ils  firent  partir  trois  coups.  Villars  fit  aussitôt 
une  sortie,  et  on  escarmoucha  de  part  et  d'autre  jusque  sur  les  onze 
heures.  Le  premier  qui  fut  tué  du  côté  des  royalistes  fut  le  propre  neveu 
du  comte  d'Essex,  et  les  Anglais,  furieux,  embaumèrent  son  corps,  jurant 
qu'ils  ne  lui  donneraient  sépulture  que  dans  la  ville,  après  y  être  entrés 
par  la  brèche. 

Au  reste  l'avantage,  dans  cette  première  affaire,  demeura  aux  assié- 
gés. Biron  fut  obligé  de  se  retirer  plus  loin  et  d'aller  prendre  son  quar- 
tier 'a  Dernétal.  Plusieurs  ont  voulu  croire  que  le  maréchal  ne  se  portait 
'a  ce  siège  que  de  mauvaise  grâce,  mal  content,  disait-on,  de  ce  q^i'ayant 
demandé  le  gouvernement  de  Rouen  au  roi,  après  que  la  place  serait 
conquise,  Sa  Majesté  avait  répondu  qu'elle  avait  déjà  engagé  sa  parole  à 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  219 

Monsieur  de   Monlpensier  pour  le  donner  a  un  autre.  (Écon.  de  Sully, 
iihi  Slip.) 

Ne  voulant  donc  plus  rien  entreprendre  pour  le  moment  a  force 
ouverte  contre  la  ville,  il  envoya  ses  gens  s'emparer  des  villes  de 
Gournay  et  de  Caudebec,  lesquelles  lui  lurent  rendues  si  facilement  que 
les  Ligueurs  ne  manquèrent  pas  d'accuser  de  trahison  et  de  lâcheté  les 
gouverneurs  de  ces  deux  places. 

Ensuite,  pour  ôter  aux  assiégés  la  commodité  des  moulins,  il  fit 
couper  la  rivière  de  Rohec,  qui  allait  faire  tourner  dans  la  ville  onze  de 
ces  moulins,  ce  qui  indubitablement  aurait  rendu  la  famine  imminente. 
Mais  Villars  fit  faire  un  grand  nombre  de  moulins  îi  bras  par  tous  les 
quartiers;  puis,  rassuré  sur  ce  point  important,  il  ne  s'occupa  plus  qu'a 
contrarier  toutes  les  opérations  du  siège  par  d'incessantes  sorties,  dont 
il  revenait  toujours  avec  de  bon  butin. 

Il  arriva  que  le  comte  d'Essex,  général  des  troupes  auxiliaires  de  la 
reine  Elisabeth,  et  pour  lors,  disait-on,   «  le  mieux  aimé  de  sa  royale 
maîtresse,  »   se  souvint  qu'il  avait  connu  en  Angleterre    le   chevalier 
Picard,   l'un  des  principaux  capitaines  de  Villars.    Il    lui  vint   l'idée   de 
lui   écrire    pour  lui    faire  savoir,  que,  hormis  la  mauvaise  cause  que 
le  dit  chevalier   avait  eu  le  malheur  d'embrasser,  il  l'estimait   beau- 
foup  et  se  ferait  un  plaisir  de  le  nommer  son  ami;   mais  (ju'en  cette 
présente  guerre,   et  vu  les   mauvaises  opinions  qu'il    soutenait,  il   re- 
grettait que   son  rang  de  commandant  d'armée  ne   lui  permît  pas  de 
l'appeler  en  duel  la  dague  au  poing.  Le   chevalier  Ht  réponse  (ju'il  était 
toujours   prêt,  pour  faire   passer  cette  envie  'a  Monsieur  le   comte.  A 
quoi  d'Essex  répliqua  :    «   Quoique  j'aie  commandement  d'une  armée 
en  laquelle  se   trouvent  beaucoup  de  gens  qui  égalent  et  mémo   sur- 
passent en  qualité   le    chevalier   Picard,    et  que   j'aie  l'honneur  d'être 
lieutenant  de  Sa  Majesté  la  reine  d'Angleterre,  si  toutelois  votre  com- 
mandant. Monsieur  de  Villars,  veut  combattre  contre  moi,  'a  cheval  ou 
à  pied,   armé  ou  en   pourpoint,  je  maintiendrai  que   la   cause   du  roi 
i'  Henri   IV  est   plus  juste  que  celle  de  la  Ligue;   que  je   suis   meilleur 
!  homme  d'armes  que  mon  dit   sieur  de  Villars,  et  que  ma  maîtresse  est 
plus   belle  cpie  la  sienne;  que  s'il  aime  mieux  que  nous  prenions  cha- 
cun des  seconds,  j'en  mènerai  avec  moi  vingt,  le  moindre  desquels  sera 
une  partie  digne  d'un   colonel,   ou  même  soixante  dont  le   pire  sera 
capitaine.   »    A  ce  cartel,  Villars    lit  celte  réponse  :   «    Vous  savez  qu'il 
n'est  pas  en  ma  puissance  d'accepter  pour  le  moment  votre  défi,  et  que 
la  charge  où  je  suis  employé  m'ôte  le  droit  de  disposer  de  moi.  Mais, 
dès  (jue   Monsieur   de   Mayenne  sera   ici  pour  reprendre  le  commande- 
ment, je  m'engage  a  vous  combattre  seul  a  seul,  h  cheval,  avec  armes 
i|  accoutumées  entre  gentilshommes.  En  attendant,  je  vous  dis  qu'en  pré- 
;■  tendant    être  meilleur  homme  d'armes   que  moi,  vous  en   avez  menti; 
'j  qu'en   disant  que  la   querelle  (pie  je   soutiens   pour  ma  religion  n'est 
[I  pas  incomparablement  meilleure  que  la  cause  de  ceux  qui  cherchent  à 
la  détruire,  vous  en  avez  encore  menti  ;  quant  a  la  comparaison  de  la 


220  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

beauté  de  ma  maîtresse  à  la  beauté  de  la  vôtre,  ce  n'est  pas  chose  qui 
me  travaille  fort  pour  le  présent.  » 

Les  choses  en  restèrent  là,  au  grand  désappointement  des  connais- 
seurs en  fait  de  point  d'honneur,  et  aucun  des  deux  champions  ne  se 
mit  en  devoir  de  donner  suite  a  cette  afl'aire. 

Cependant  le  roi  arriva  en  personne  devant  Rouen,  avec  le  reste  de 
son  armée;  «  et  voulant  réparer  les  défauts  et  mauvaises  volontés  de 
plusieurs,  qui  ne  lui  étaient  que  trop  manifestes,  il  voulut  avoir  comme 
les  autres  sa  nuit  de  garde  aux  traachées,  dans  lesquelles  il  entrait  de 
quatre  nuits  l'une,  malgré  le  grand  froid  qu'il  faisait  en  cette  saison, 
commandant  sans  cesse  et  en  personne  les  attaques  ;  aussi  Villars  lui- 
même  ne  put  s'empêcher  de  dire  :  «  Pardieu!  ce  prince-là,  par  sa 
valeur,  mérite  mille  couronnes,  et  je  suis  marri  que  par  une  meilleure 
croyance  que  celle  dans  laquelle  il  s'obstine,  il  ne  me  fournisse  pas 
l'occasion  de  travailler  avec  lui,  à  lui  conquérir  toutes  celles  qu'il  vou- 
drait. »  A  quoi  Sa  Majesté  répondit  à  Sully,  qui  lui  faisait  part  de  ce  mot, 
en  lui  reprochant  de  trop  s'exposer  :  «  Mon  ami,  c'est  pour  ma  gloire  et 
ma  couronne  que  je  combats,  et  dans  un  si  important  siège,  que  je 
voudrais  bien  n'être  pas  obligé  de  lever  comme  celui  de  Paris,  ma  vie  et 
tout  autre  chose  ne  doivent  m'être  rien  au  prix.  »  {Econ.  roy.  de  Sully, 
ubi  sup.) 

En  arrivant,  le  roi  avait  écrit  au  maire  et  aux  échevins  de  la  ville 
assiégée  une  lettre  dans  laquelle  il  leur  témoignait  d'abord  toute  son 
affection  paternelle  pour  ceux  de  Rouen,  qu'il  regardait  spécialement 
comme  ses  enfants.  Il  les  exhortait  à  compter  sur  sa  clémence  comme 
sur  celle  d'un  père,  et  à  ne  plus  se  laisser  séduire  par  les  calomnies  et 
les  intrigues  des  Espagnols,  qui  n'avaient  autre  but  que  de  ruiner  la 
France,  mais  que  si,  malgré  ces  sages  avis  qu'il  voulait  bien  leur  donner, 
ils  persistaient  dans  leur  révolte,  il  serait  obligé  d'employer  contre  eux 
les  forces  et  le  pouvoir  qu'il  tenait  de  Dieu,  et  d'abandonner  leur  villei 
au  pillage.  »  (De  Thou,  ubi  sup.,  p.  456.) 

Cette  lettre  avait  été  lue  a  l'Hôtel-de-Ville,  en  présence  du  gouver- 
neur, des  membres  du  parlement  et  de  ceux  des  bourgeois  qui  formaienti 
le  conseil  municipal.  Il  fut  décidé  qu'on  répondrait  :  «  Qu'avec  l'assis- 
tance de  Dieu  tout-puissant,  les  habitants  de  Rouen  espéraient  bieni 
pouvoir  se  défendre  contre  les  hérétiques  ;  qu'ils  n'avaient  nul  besoin 
d'un  père,  tel  que  le  roi  de  Navarre  ;  et  que  quant  aux  Espagnols,  qu'il! 
leur  défendait  d'écouter  comme  étrangers,  il  avait  plus  que  personne] 
mauvaise  grâce  à  parler  sur  cette  matière,  lui  qui  n'avait  point  hésité  àj 
remplir  le  royaume  d'Allemands  et  d'Anglais,  tous  hérétiques  et  ennemis 
jurés  de  la  nation;  enfin,  qu'ils  se  flattaient  de  montrer  au  moins  autant 
de  courage  pour  la  défense  de  la  foi  catholique,  que  les  huguenots  en 
faisaient  paraître  pour  soutenir  leur  détestable  erreur.  » 

A  la  réception  d'une  pareille  réponse.  Sa  Majesté  fut  très-choquée,  et 
tout  aussitôt  elle  donna  l'ordre  de  s'emparer  de  l'église  de  Saint-André, 
qui  avoisine  la  porte  Cauchoise;  mais  ses  troupes,  après  avoir  exécuté  cet. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  221 

ordre,  ne  purent  se  maintenir  dans  ce  poste  sous  le  l'en  dn  canon 
(pi'on  tirait  sans  cesse  contre  elles  de  la  ville.  Toutefois  la  place  lut,  ce 
jour-la,  complètement  investie.  «  Tous  les  passages  en  lurent  lermés,  a 
l'exception  de  celui  de  la  mer,  par  où  il  arrivait  continuellement  des 
barques  armées  de  Ilonlleur  et  du  llàvre-de-(irâce,  sous  la  protection 
des  galères  du  roi  catlioli<jue  et  a  la  liarhe  de  Tennemi.  » 

On  lit  dans  la  ville  l'état  des  provisions  (pii  s'y  trouvaient.  11  y  avait 
quatre  mille  muids  de  blé,  sans  y  comprendre  le  seigle,  l'avoine,  l'orge, 
et  (juanlité  de  légumes  secs,  qui  montaient  a  |)lus  de  quinze  cents 
muids.  lue  commission,  (pii  lut  nommée  pour  la  distribution  de  ces  pro- 
visions, arrangea  si  bien  les  clioses,  que  pendant  toute  la  durée  du  siège 
la  livre  de  pain  put  être  l'ournie  au  menu  peu[)le  au  [»rix  moili(|ue  de  un 
sol  et  buit  deniers.  On  distribua  ensuite  i)ar  compagnies  ceux  des  babi- 
tants  (|ui  étaient  capables  de  porter  les  armes;  les  autres  furent  destinés 
il  travailler  aux  fortilications,  et  cela  réglé,  «  considérant  (jue  la  lorce 
bumaine  n'est  rien  sans  la  grâce  divine,  »  on  lit,  le  bnitième  jour  de 
décembre,  une  belle  procession  générale  avec  un  grand  concours  de 
tous  les  moines,  de  toutes  les  confréries,  de  tous  les  ordres  de  la  ville 
et  du  populaire,  pour  implorer  la  jtrotection  céleste.  Le  cardinal  de 
Vendôme,  Cbarles  de  Bourbon,  (jui  était  évéque  de  Baycux,  cbanta  la 
.messe  dans  l'église  de  Saint-Ouen,  et  Jean  Dadrœus,  docteur  en  tbéo- 
logie,  précba  le  sermon  en  prenant  son  texte  de  ce  verset  de  la  seconde 
épitre  aux  Corintbiens  :  «  Ne  vous  attelez  jamais  a  un  même  joug  avec 
les  infidèles.  »  Après  ce  sermon,  qui  fut  trouvé  superbe  cl  frénétique- 
ment applaudi,  on  ordonna  un  jeûne  général  de  trois  journées  par 
semaine,  pendant  toute  la  durée  du  siège,  pour  apaiser,  disait-on,  l'ire 
de  Dieu,  mais  plutôt,  'a  ce  que  d'autres  ont  prétendu,  pour  ménager 
d'autant  les  vivres  et  les  faire  durer  plus  longtemps. 

Le  roi,  durant  ce  terups,  venait  de  faire  dresser  une  batterie  contre 
la  porte  Saint-Hilaire,  qui  était  murée  et  terrassée  en  dedans;  mais  pen- 
dant qu'on  tirait  sans  grand  succès  contre  cette  porte,  les  assiégés  lirent 
une  vigoureuse  sortie  par  la  porte  Caucboise,  et  l'on  se  battit  opiniâtre- 
ment de  part  et  d'autre  durant  presque  toute  la  journée;  les  royaux  per- 
dirent cent  bommes  au  moins,  et  les  assiégés,  n'en  ayant  pas  i)erdu  plus 
de  cinquante,  purent  rentrer  en  triom[)be  dans  leur  ville,  après  avoir 
Il    détruit  la  batterie.  (Caykt.) 

'1  Le  duc  de  Parme  se  préparait  alors  'a  quitter  les  Pays-Bas,  pour 
>i  revenir  en  France  avec  une  puissante  armée.  Il  se  rendit  en  dix  jours  à 
ij  Landrecies,  d'où  il  envoya  don  Diègue  dlbarra  a  Mayenne,  pour  convenir 
ki  de  l'endroit  où  se  ferait  la  jonction  de  leurs  troupes,  et  lui  demander 
I!  une  place  forte  en  France,  où  l'artillerie  du  roi  des  Espagnes  pût  être  en 
Il  sûreté  :  il  désignait  spécialement  La  Fère.  Mayenne,  malgré  sa  répu- 
jj,  gnance  a  accédera  une  pareille  demande,  voyant  que  le  duc  de  Parme  y 
tenait,  et  qu'il  refusait  absolument  son  concours  s'il  n'obtenait  satisfac- 
tion sur  ce  point,  donna  enlin  son  consentement  pour  l'occupation  de 
La  Fère,  mais  en  stipulant  que  la  garnison  espagnole  ne  serait  que  de 


222  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

quatre  cents  hommes,  et  qu'elle  serait  tenue  de  sortir  tout  aussitôt  que 
les  canons  de  Sa  Majesté  catholique  seraient  retirés  de  la  place.  Cette 
dernière  condition  déplut  beaucoup  au  prince.  Il  lui  semblait  déplacé  que 
le  duc  de  Mayenne,  tout  en  ne  cessant  de  demander  des  troupes  et  de 
l'argent  a  l'Espagne,  opposât  des  difticultés  quand  il  s'agissait  de  faire 
quelque  chose  pour  les  Espagnols,  et  il  eut  soin  d'en  écrire  dans  ce  sens 
au  roi  Philippe.  (De  Thou,  ubi  siip.) 

Néanmoins,  pour  ne  pas  laisser  perdre  l'occasion  de  dédommager 
enfin  son  maître,  des  frais  immenses  que  lui  avait  coûtés  cette  guerre  de 
France,  il  se  rendit  de  sa  personne  'a  La  Fère,  oii  l'on  tint  plusieurs 
conférences  pour  lâcher  de  se  mettre  d'accord  sur  les  diverses  prétentions 
que  chacun  avait  au  fond  du  cœur.  Ibarra  s'était  chargé  d'exposer  celles 
de  l'Espagne  ;  Mayenne  avait  remis  la  défense  de  ses  intérêts  entre  les 
mains  du  président  Jeannin,  et  Claude  de  La  Châtre  soutenait  celles  du 
jeune  duc  de  Guise.  Les  Espagnols  demandaient  qu'on  assemblât  au  plus 
tôt  les  États-Généraux,  pour  leur  faire  proclamer  par  un  décret  solennel 
l'Infante  sérénissime  en  qualité  de  reine  de  France,  comme  ayant,  par 
sa  naissance,  les  droits  les  plus  proches  a  la  couronne,  et  cela  a  l'exclu- 
sion des  autres  princes  du  sang,  quels  que  fussent  leurs  droits  ;  elle 
ferait  ensuite  choix  d'un  époux  avec  l'agrément  du  roi  son  père,  et  par 
le  conseil  des  princes  et  seigneurs  français.  Jeannin  et  La  Châtre  s'en- 
tendaient, comme  on  peut  le  croire,  pour  repousser  une  pareille 
demande;  mais  il  fallait  mener  les  choses  de  biais.  Ils  répondirent  qu'il 
ne  serait  pas  très-prudent  de  trop  précipiter  cette  assemblée  des  Etats, 
dont  la  décision  pourrait  fort  bien  n'être  pas  telle  qu'on  la  désirait,  tant 
qu'on  n'aurait  pas  fait  abolir  la  vieille  loi  salique  ;  que  c'était  évidemment 
par  l'abolition  de  cette  loi  qu'il  fallait  commencer,  et  que,  pour  cela,  il 
était  indispensable  de  gagner  d'abord  l'assentiment  des  princes  et  des 
seigneurs,  des  chefs  de  l'armée,  des  commandants  des  provinces  et  des 
gouverneurs  des  places  fortes.  Or,  pour  avoir  tous  ces  gens-fa,  il  fallait 
leur  promettre  qu'ils  ne  seraient  point  troublés  dans  leurs  [)laces  et 
dignités  ;  leur  donner  de  plus  l'assurance  qu'aucune  charge  ne  serait 
occupée  en  France  que  par  des  Français;  que  les  privilèges  et  droits  de  la 
nation  seraient  religieusement  respectés,  et  que  le  royaume  ne  serait 
jamais  démembré.  Ensuite,  comme  le  résultat  qu'on  voulait  obtenir  exi- 
geait qu'on  renonçât  a  toute  espèce  d'arrangement  avec  le  Béarnais  et  les 
siens,  il  devenait  d'abord  et  avant  tout  indispensable  d'écraser  et  d'ex- 
terminer entièrement  ce  parti  ;  qu'a  cet  effet  il  fallait  qu'on  eût  un  fonds 
d'au  moins  dix  millions  déçus  d'or.  Le  roi  d'Espagne  devait  donc  s'en- 
gager à  fournir  ces  secours  d'argent,  dès  qu'on  aurait  proclamé  reine 
Madame  l'Infante.  Mais  le  plus  pressé,  ajoutaient-ils,  et  ce  a  quoi  il  faut 
pourvoir  sans  retard,  c'est  de  secourir  Rouen,  de  peur  que  cette  ville, 
venant  'a  se  rendre,  ne  jette  les  autres  villes  dans  la  consternation  et  ne 
les  engage  'a  se  soumettre  'a  l'ennemi. 

Il  n'y  avait  guère  moyen  de  contester  l'urgence  de  cette  dernière 
proposition  ;  il  fut  donc  décidé  qu'on  marcherait  de  suite  au  secours  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  223 

la  ville  assiégée.  Et  quant  aux  diflicuilés  qui  venaient  de  s'élever  au  sujet 
des  autres  articles,  il  lallait  bien  reconnaître  aussi  qu'elles  n'étaient  pas 
sans  fondement.  C'est  pouniuoi  Ibcrra  écrivait  a  son  maître  :  «  Ces  Fran- 
çais, quand  il  s'agit  d'élire  madame  rinlantc,  rendent  toujours  l'aflaire 
dillicile  et  le  remède  est  de  l'argent.  Il  faudra  bien,  je  pense,  que  \'otre 
Majesté  se  décide  'a  leur  en  donner.  »  (Cavki,  liv.  4,  ad  ann.  1592.) 

En  attendant,  l'armée,  combinée  des  secours  de  l'Espagne,  des  troupes 
qu'avait  envoyées  le  Pape  et  de  toutes  les  forces  disponibles  de  la  Ligue, 
se  mit  en  route;  mais  de  tous  ces  éléments,  il  ne  se  formait  qu'un  fort 
mauvais  ensemble.  Cbacun  des  clicfs  avait  ses  idées,  ses  prétentions  par- 
ticulières, et  celte  diversité  d'intérêts  avait  fait  naître  parmi  eux  la  ja- 
lousie d'abord,  j)uis  la  baine. 

Cependant  le  siège  n'avançait  ipie  fort  peu,  soit  que  les  cliefs  roya- 
listes, pour  les  raisons  qu'on  a  exposées  précédemment,  affectassent  d'a- 
gir avec  lenteur,  soit  qu'ils  eussent  trop  de  confiance  dans  les  intelli- 
gences qu'ils  pouvaient  avoir  dans  la  place.  On  découvrit,  en  eflVt,  une 
conspiration  très  sérieuse  qui  se  tramait  en  leur  faveur.  Vn  nommé  Mau- 
clerc,  avocat  au  parlement,  vint  dénoncer  le  sergent  Lafontaine,  de  la 
compagnie  du  capitaine  Saint-Saturnin,  comme  ayant  traité  avec  l'en- 
nemi pour  lui  livrer  la  porte  Caucboise.  On  arrêta  ledit  sergent,  lequel 
ayant  été  mis  'a  la  question  pour  tirer  de  lui  l'aveu  de  son  crime  et  le 
nom  de  ses  complices,  accusa  le  procureur  Cbampbuon,  Ilaillier,  buis- 
sier  a  la  cbambre  des  comptes,  et  le  capitaine  Saint-Arnaud.  Ce  dernier 
eut  le  bon  esprit  de  se  sauver  au  camp  des  assiégeants.  Pour  les  deux 
autres,  ils  furent  pendus  dans  la  place  du  vieux  Marcbé.  {Mém.  de  la 
Ligue,  ubi  sup.) 

Le  parlement,  en  cette  occasion,  donna  un  arrêt  sévère  et  surtout 
très-injurieux  contre  les  partisans  de  Henri  de  Bourbon.  Sur  la  re(iuêle 
du  procureur  du  roi,  toutes  les  cbambres  assemblées,  est-il  dit  dans  cet 
arrêt,  vu  que  quelques-uns  mal  intentionnés  séduisent  le  peuple,  pour, 
sous  ombre  de  paix,  mettre  notre  ville  sous  la  domination  des  béré- 
liques,  ce  qui  serait  le  plus  grand  des  malbeurs  :  la  cour  fait  très  ex- 
presses inhibitions  et  défenses  a  toute  personne  de  quelque  état,  condi- 
tion ou  dignité  qu'elle  soit,  de  favoriser  en  aucune  sorte  le  parti  de  Henri 
de  Hourbon,  prétendu  roi  de  Navarre,  'a  peine  d'être  pendu  et  étranglé. 
Monition  générale  sera  octroyée  audit  procureur  du  roi,  pour  informer 
contre  tous  ceux  qui  seraient  suspectés  d'être  les  partisans  dudit  Henri. 
Et  attendu  que  telles  trahisons  sont  la  ruine  des  villes  où  elles  se  com- 
mettent, il  est  ordonné  que  par  les  places  publiques  et  les  principaux 
carrefours,  des  potences  seront  plantées  d'avance  pour  y  attacher,  sans 
délai,  les  délinquants.  En  outre,  et  pour  plus  de  sûreté,  le  serment  de 
l'Union,  tel  qu'il  a  été  fait  et  prêté  le  vingt-deuxième  jour  de  janvier 
1589,  sera  renouvelé  de  mois  en  mois,  en  l'assemblée  générale  qui  se 
tiendra  a  cet  effet  en  l'abbaye  de  Saint-Ouen,  et  il  est  enjoint  aux  habi- 
tants de  l'observer  inviolablement  suivant  sa  l'orme  et  teneur.  Deux  mille 
écus  de  récompense  seront  payés  à  celui  qui  dénoncera  une  infraction  a 


224  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

la  présente  ordonnance,  outre  le  pardon  qui  lui  serait  accordé  de  droit 
au  cas  où  il  aurait  été  complice  de  cette  infraction.  {Mém.  de  la  Ligue, 
t.  V,  p.  98.) 

Ce  fut  Martial  de  Luynes,  conseiller  de  la  cour,  qui  eut  charge  de 
veiller  à  l'exécution  de  cet  arrêt,  qu'il  lit  publier  à  son  de  trompe,  et  il 
eut  grand  soin  de  faire  dresser  les  potences  d'avance,  comme  il  était  en- 
joint par  ledit  arrêt. 

Après  la  découverte  de  la  conspiration  qui  avait  provoqué  cette  sévé- 
rité, la  guerre  devint  plus  animée  des  deux  côtés.  Presque  chaque  jour, 
il  y  avait,  ou  des  attaques  de  la  part  des  assiégeants,  ou  des  sorties  de 
la  part  des  assiégés,  et,  a  chaque  fois,  il  restait  beaucoup  de  morts  sur 
le  carreau.  Enfin,  la  tranchée  ayant  été  poussée  jusqu'au  pied  du  fort 
Sainte-Catherine,  que  fiiron  s'obstinait  à  attaquer  malgré  l'avis  de  Sully 
et  des  autres  capitaines,  les  royalistes,  après  avoir  tiré  pendant  deux 
jours  de  suite  plus  de  six  cents  coups  de  canon,  parvinrent  a  s'établir  sur 
le  fossé,  du  côté  du  bois  de  Turinge,  malgré  l'huile  bouillante,  la  poix 
enflammée  et  les  feux  d'artifice  qu'on  faisait  pleuvoir  sur  eux  du  haut  du 
rempart. 

Le  lendemain,  septième  jour  de  février,  les  assiégés  firent  a  leur  tour 
par  la  porte  Bcauvoisine  une  furieuse  sortie.  Le  curé  de  Goville,  qui,  au 
mépris  des  règles  de  son  état,  combattait  avec  eux  et  qui  s'était  déjà 
rendu  fameux  en  plusieurs  occasions  semblables,  par  son  adresse  et  sa 
force  a  manier  les  armes  d'un  soldat,  fut  tué  un  des  premiers,  «  au  grand 
regret  d'une  populace  insensée,  »  ce  ([ui  fut  cause  que  les  assaillants  ren- 
trèrent dans  la  ville  sans  pousser  plus  loin  leur  entreprise.  (De  Tiiou, 
liv.  102,  p.  466.) 

On  apprit  alors  que  le  prince  de  Parme  arhvait  au  secours  de  la 
place.  Ce  fut  Ibarra  lui-même  qui,  étant  passé  par  le  Havre,  en  apporta 
la  nouvelle  a  Rouen.  Le  roi,  qui,  de  son  côté,  fut  également  instruit  de 
l'approche  de  l'ennemi,  se  résolut  d'aller  a  sa  rencontre  «  pour  recon- 
naître sa  contenance  et  forme  de  marcher  et  pour  essayer  d'entamer  quel- 
qu'un de  ses  escadrons,  s'il  y  en  avait  qui  s'émancipassent  jusqu'à  quitter 
le  gros  de  l'armée.  »  Il  laissa  le  maréchal  de  Biron  pour  maintenir  le 
siège,  et  lui-même,  s'étant  mis  a  la  tête  de  la  plus  grande  partie  de 
sa  cavalerie,  avec  toute  sa  noblesse  et  ses  meilleurs  officiers,  il  marcha 
vers  Aumale,  ville  située  sur  la  rivière  d'Epte,  qui,  de  ce  côté-Pa,  sert 
de  frontière  à  la  Normandie.  (Sully,  Économ.  royales.) 

Un  peu  en  avant  de  cette  ville,  il  rencontra  l'armée  ennemie  forte 
de  douze  mille  chefaux  et  de  vingt-quatre  mille  hommes  de  pied,  et  qui 
s'avançait  lentement,  partagée  en  difTérents  corps  ;  tout  aussitôt,  ne 
comptant  avoir  'a  engager  qu'un  combat  de  cavalerie  contre  un  corps 
d'avant-garde,  il  envoya  l'ordre  au  baron  de  Biron  de  charger  sans  retard, 
et  lui-même  s'avança  en  toute  hâte  pour  assister  à  cette  charge.  Mais  les 
arquebusiers  dont  le  prince  de  Parme  avait  eu  la  précaution  de  couvrir 
ses  flancs  firent  un  feu  si  furieux  et  si  bien  soutenu  que  force  fut  aux 
royalistes  de  se  retirer  tout  en  désordre.  Le  roi  lui-même,  confondu  dans 


DU  I'ROTESTAMISxML:  Ei\  l'IlANCK.  'i'iô 

la  l'oiilc  (les  fuyards,  reçut  dans  les  reins  une  halle  (|ui  ne  lit  a  la  vérité 
(|iielni  ellleiirer  la  peau,  p,Tàcc  a  la  solidité  de  sa  cuirasse,  et,  «  on  eut  le 
bonheur  de  ne  perdre  la  que  cinipiante  ou  soixante  hommes,  entre  les- 
(juels,  par  un  plus  grand  bonheur  encore,  le  hasard  voulut  qu'il  n'y  en 
eut  que  fort  peu  de  (piali(é.  »  (Sillv,  Kcoii.  roy.,  \W.H.) 

Il  lallut  s'aller  rallier  de  l'autre  côté  d'Aunialc,  au  delà  de  la  rivière, 
car  l'ennemi  entrait  j)ar  une  porte  dans  cctle  ville,  pendant  que  l'armée 
royale  sortait  par  Taulre,  de  sorte  qu'il  y  eut  dans  chacpie  rue  un  com- 
bat sanglant.  Ce  lut  le  duc  de  Nevers,  (|ui,  chargé  de  couvrir  cette  re- 
traite, eut  le  bonheur  d'arrêter  les  Espagnols  assez  longtemps  pour  donner 
au  roi  le  temps  de  se  mettre  en  sûreté. 

Sur  ces  entrefaites,  la  nuit  arriva,  et  le  duc  de  Parme,  voyant  ses  sol- 
dats acharnés  au  pillage  de  la  ville,  «  non  seulement  pillée,  mais 
saccagée,  »  ne  crut  pas  devoir  aller  plus  avant,  dans  un  pays  montueux 
et  tout  couvert  de  bois  qu'il  ne  connaissait  nullement,  et  (jui  de  plus  était 
pour  lors  presque  enseveli  sous  la  neige  qui  n'avait  pas  cessé  de  tomber 
depuis  plusieurs  jours. 

«  Le  roi  fut  un  peu  troublé  de  son  mauvais  succès.  »  Il  craignait  que 
le  bruit  public  venant,  comme  c'est  l'ordinaire,  a  grossir  l'échec  (ju'il 
avait  reçu,  ne  portât  le  déconragenjent  parmi  les  siens  Pour  arrêter  au 
moins  l'ennemi  et  l'empêcher  d'arriver  à  Rouen,  avant  que  la  légère  bles- 
sure (pi'il  avait  lui-même  reçue  lui  |)ermît  de  monter  a  cheval,  il 
augmenta  la  garnison  de  Xeufchàtel  de  trois  cents  cuirassiers,  et  chargea 
Givry  de  défendre  le  plus  longtemps  possible  cette  place  par  laquelle  le 
duc  de  Parme  devait  nécessairement  passer.  Puis  (piand  il  vit  (juil  avait 
a  peu  près  j)Ourvu  a  tout,  il  envoya  demander  au  duc  de  Parme  ce  qu'il 
pensait  de  la  retraite  qu'il  venait  de  faire?  «  Elle  est  admirable,  en  elfet, 
répondit  celui-ci:  mais  moi,  je  ne  voudrais  jamais  me  mettre  dans  un  lieu 
dont  il  me  laudrait  me  retirer  ainsi.  »  Le  maréchal  de  liiron  était  du 
même  avis,  car  il  dit  au  roi,  avec  sa  brusquerie  ordinaire  :  «  Il  est  mal 
séant  il  un  grand  prince  comme  vous  de  laire  ainsi  le  métier  de  simple 
carabin;  »  et  tous  ses  bons  serviteurs,  qui  étaient  là  présents,  le  sup- 
plièrent de  ne  plus  hasarder  ainsi  sa  personne.  A  quoi  le  roi  répliqua  : 
«  Il  n'est  pas  étonnant  que  .Monsieur  le  duc  de  Parme,  qui  fait  la  guerre 
pour  le  compte  d'autrui  et  avec  les  soldats  d'autrui,  ne  se  croie  pas  obligé 
de  s'exposer  pour  mettre  lin  à  l'efl'usion  d'un  sang  qui  ne  lui  coûte  rien, 
mais  le  sang  (pii  coule  pour  ma  cause  est  celui  de  mes  sujets,  et  je  dois 
avoir  hâte  d'en  ariêter  l'elVusion,  même  aux  dépens  du  mien.  »  {Mcm. 
(le  de  Thon,  ad.  ann.  ir)l)'2.) 

Le  duc  venait  pendant  ce  temps-l'a  de  faire  pointer  toute  son  artil- 
lerie contre  les  murs  de  Xeufchàtel,  et  il  y  eut  bientôt  ouvert  une  grande 
brèche.  Mors  (iivry,  se  voyant  dans  l'impossibilité  de  tenir  plus  lon^^- 
lemps  contre  toute  une  armée,  capitula  a  des  conditions  fort  honorables 
(pie  le  prince  n'hésita  pas  a  lui  accorder,  «  ert  considération  d'une  cour- 
toisie (pie  ledit  (iivry  lui  avait  faite,  en  lui  renvoyant  trois  mulets  chargés 
de  drogues  dont  il  usait  dans  sa  maladie.  »  (Mi;/.i-.hav,  t.  Ifl,  p.  O.lli.j 


220  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Après  quoi,  Farniée  ennemie  reprit  la  route  de  Rouen  a  petites  jour- 
nées, ayant  bien  soin  de  se  fortifier  tous  les  soirs  dans  de  bons  campe- 
ments, de  peur  d'être  surprise  et  insultée  par  les  royalistes,  qui  ne  ces- 
saient de  courir  la  campagne  en  détachements  plus  ou  moins  nombreux. 
Malgré  toutes  ces  précautions  du  duc  de  Parme,  le  roi,  qui  commençait 
a  mieux  aller  de  sa  blessure,  «  et  qui,  comme  il  l'avait  (ait  dire  audit 
duc,  se  retrouvait  gaillard  et  bien  disposé  à  le  recevoir,  »  tomba  un  jour 
sur  les  quartiers  des  ducs  de  Mayenne  et  d'Aumale,  et  y  fit  un  piteux 
ravage.  Il  marcha  ensuite  vers  le  quartier  du  comte  de  (^haligny,  où  il 
tailla  en  pièces  un  grand  nombre  de  Ligueurs.  (Lkgrain,  décad.,  liv.  5, 
p.  245.)  \ 

Le  comte  de  Chaligny  lui-même,  qui  était  prince  de  la  maison  de 
Lorraine  et  qui  commandait  en  chef  les  troupes  que  ce  duché  avait  four- 
nies, fut  fait  prisonnier  par  Chicot,  bouflbn  du  feu  roi  Henri  liï.  Le 
comte  lui  donna  un  coup  de  sa  grande  épée  sur  la  tête;  Chicot,  en  re- 
tour, lui  perça  la  cuisse  de  la  sienne,  de  quoi  le  noble  sire  fut  renversé 
par  terre.  «  Rendez-vous,  Monseigneur,  dit  le  fou,  dont  la  tête  ruisselait 
de  sang  par  suite  de  la  blessure  qu'il  avait  reçue  de  prime  abord;  vous 
voira  pris  par  un  fou  dont  probablement  vous  n'aviez  pas  trouvé  la  cer- 
velle encore  assez  éventée,  puisque  votre  bonne  épée  vient  de  lui  donner 
de  l'air.  »  Le  comte  se  rendit,  tout  désespéré  (ju'on  put  dire  qu'un  prince 
de  la  maison  de  Lorraine  était  prisonnier  d'un  ton.  Le  roi  survint  alors 
a  qui  Chicot  dit:  «  Sire, je  vous  donne  libéralement  ce  noble  prisonnier 
qui  est  le  mien,  pour  en  faire  a  votre  volonté.  »  Le  roi  consola  de  son 
mieux  le  comte  de  Chaligny  sur  le  malheur  qui  venait  de  lui  arriver.  Pour 
le  pauvre  bouffon,  il  se  retira  en  plaisantant,  et  mourut  quelques  jours 
après  de  la  blessure  qu'il  avait  reçue.  {Mém.  sur  Vhist.  du  temps,  t.  Il, 
p.  75.) 

Par  toutes  ces  escarmouches  dans  lesquelles  ses  troupes  avaient 
presque  toujours  le  dessous,  le  duc  de  Parme  pouvait  bien  juger  de  la 
difficulté  qu'il  aurait  a  jeter  du  secours  dans  Rouen  ;  car  ni  la  saison  ni 
le  pays  ne  lui  étaient  favorables.  Déjà  les  troupes  lorraines  commençaient 
a  se  débander,  depuis  la  prise  du  comte  de  Chaligny  ;  on  ne  pouvait  trop 
compter  sur  les  troupes  italiennes,  parce  que  leur  commandant  alfectait 
de  vouloir  précéder  le  duc  de  Parme,  comme  il  en  avait,  disait-il,  reçu 
l'injonction  formelle  de  Sa  Sainteté,  et  ne  consentait  que  très  difficde- 
ment  a  se  soumettre  aux  ordres  de  ce  général  expérimenté,  de  peur  de 
faire  tort  a  sa  qualité.  De  plus,  les  ducs  de  xMayenne  et  de  Guise,  qui 
commandaient  les  troupes  françaises  mises  par  la  Ligue  h  la  disposition 
de  l'Espagnol,  n'étaient  nullement  d'accord,  comme  on  sait,  sur  la  part 
que  chacun  se  promettait  dans  cette  lutte,  et  les  partisans  de  l'un  et  de 
l'autre  de  ces  deux  chefs  étaient  chaque  jour  sur  le  point  de  se  couper 
la  gorge  entre  eux.  (Mézerav,  t.  III,  p.  057  et  suiv.). 

Ainsi  donc,  comme  lé  prince  était  fort  en  peine  des  moyens  et  de 
l'endroit  par  où  il  pourrait  jeter  des  secours  dans  la  place  assiégée,  ceux 
de  Rouen  lui  en  fournirent  eux-mêmes  une  belle  ouveilurc  par  une  ac- 


DU  PROTESTANTISME  EN  ITlANCi:.  2ti7 

lion  aussi  belle  et  aussi  mémorable  qu'il  s'en  lise  dans  les  histoires.  \  il- 
l;us  était  parlai teinent  bien  informé  de  tout  ce  qui  se  passait  au  camp 
(lu  roi  par  les  amis  qu'il  avait  même  dans  les  rangs  de  ceux  qui  se  don- 
naient pour  les  plus  dévoués  royalistes.  Il  connaissait  a  point  nommé 
l'ordre  de  toute  l'armée,  le  nom  de  tous  les  olliciers,  l'heure  oii  ils  en- 
traient en  garde,  combien  il  y  avait  de  régiments  à  chaque  porte,  de 
combien  d'hommes  chacun  était  composé,  «  et  enfin  tout  le  fort  et  le 
faible.  »  H  savait  donc  que  le  roi  avait  emmené  toute  sa  cavalerie  avec 
lui;  que  l'infanterie  restée  pour  continuer  le  siège  était  toute  pleine  de 
nialades  et  de  blessés,  et  que  par  suite  chacjue  régiment  qui  entrait  en 
garde  ne  se  composait  (|ue  d'un  petit  nombre  d'iiommes  valides,  leurs 
camarades  étant  sur  la  litière,  malades  ou  expirants. 

Villars,  muni  de  ces  renseignements,  décida  qu'il  fallait  faire  une 
grande  sortie.  Douze  cents  hommes  de  la  garnison  se  glissèrent  d'abord 
pendant  la  nuit  dans  les  fossés  a  dix  pas  au  plus  des  logements  des  as- 
saillants. Les  douze  capitaines  de  la  milice  bourgeoise,  chacun  'a  la  tète 
de  vingt-cinq  de  leurs  meilleurs  soldats,  eurent  ordre  de  se  tenir  tout 
prêts  a  la  porte  Saint-Hilaire,  et  tel  était  l'enthousiasme  de  cette  milice 
que  sur  cet  ordre  on  en  vit  accourir  plus  de  deux  mille  du  premier 
abord  ;  de  sorte  qu'il  fallut  faire  défense  d'en  laisser  venir  davantage. 
«  Villars  se  trouva  joyeux  de  cet  empressement,  d'autant  plus  (jue  dans 
son  sommeil  de  cette  nuit-la,  il  avait  vu  en  songe  un  sacre  blanc  écarter 
'a  grands  coups  de  bec  une  bande  d'autres  oiseaux  qui  voulaient  fondre 
sur  lui.  »  Ce  songe  lui  semblait  de  bon  augure.  (Mkzeuav,  ubi  sup.) 

C'était  le  vingt-sixième  jour  de  février:  trois  forts  détachements  sor- 
tirent de  la  ville  de  grand  matin  et  en  même  temps,  l'un  par  la  porte 
Cauchoise,  l'autre  par  la  poterne  du  fort  du  côté  du  bois  de  Turinge,  et 
l'autre  par  le  liane  du  vieux  lort.  Villars,  accompagné  d'une  troupe  d'é- 
lite de  cent  gentilshommes,  sortit  par  la  porte  Beauvoisine.  Tout  cela  se 
lit  dans  le  plus  grand  silence,  et  sans  qu'aucun  des  postes  royalistes  parût 
seulement  s'en  apercevoir,  «  'a  cause  que  le  maréchal  de  Biron,  étant  fort 
dépité,  afl'ectait  une  extrême  négligence,  et  que  de  peur  de  le  dépiter  da- 
vantage et  de  le  pousser  dans  la  brigue  des  plus  méchants  catholi(jues, 
personne  n'osait  rien  lui  dire.  »  (Sully,  Écon.  roy.,  ch.   v.) 

Sur  les  sept  heures  du  matin,  quand  tous  les  corps  qui  composaient 
cette  sortie  eurent  eu  le  temps  de  se  bien  disposer,  un  coup  de  canon 
parti  de  la  ville  donna  le  signal,  et  tout  aussitôt  l'attaque  commença 
contre  le  camp  royaliste.  Les  assiégés  chargent  tous  ceux  qu'ils  rencon- 
trent, les  chassent,  les  taillent  en  pièces.  Rien  ne  leur  résiste  ;  tout  est 
assommé  ou  prend  la  fuite  vers  Dernélal;  les  batteries  sont  enclouées 
par  ceux  qui  s'étaient  glissés  dans  le  fossé,  ou  emmenées  dans  la  ville  ; 
le  feu  est  mis  aux  provisions  de  poudre  ;  les  lentes  et  huttes  sont  brû- 
lées, les  tranchées  comblées,  le  bagage  pillé,  et  tous  les  travaux,  qu'il 
avait  fallu  plus  de  deux  mois  aux  assiégeants  pour  exécuter,  sont  complè- 
tement ruinés. 

Le  maréchal  de  Biron,  (jui  était  alors  dans  son  quartier  a  Dernétal, 


228  HISTOIRE  DE  LÉTABLlSiSEMENT 

ayant  eu  nouvelle  de  ce  dégât,  monte  a  cheval  avec  la  noblesse,  donne 
ordre  aux  Suisses  et  aux  lansquenets  de  le  suivre,  et  court  en  toute  hâte 
sur  le  lieu  du  désastre;  mais  Villars  avait  eu  le  temps  de  faire  rentrer 
tous  les  siens  dans  la  ville,  emmenant  plus  de  cent  prisonniers  et  lais- 
sant derrière  lui  plus  de  cinq  cents  cadavres  des  assiégeants  morts  sur 
place,  parmi  lesquels  était  le  jeune  de  Pile,  tué  par  monsieur  le  curé  de 
Saint-Patry,  qni,  dit-on,  se  servait  encore  mieux  de  Tépée  que  du  bré- 
viaire. Biron  lui-même  fut  blessé  d'une  mousquelade  dans  la  cuisse. 

Sur  Taprès-midi,  il  y  eut  une  trêve  de  deux  heures  pour  reconnaître 
les  morts  de  part  et  d'autre.  Les  catholiques  de  l'armée  royale  altirmaient 
tout  haut  que  cela  n'était  rien,  et  que  dans  peu  de  jours  on  réparerait 
bien  cette  i)elite  traverse;  «  mais  ils  disaient  cela  avec  un  visage  triste, 
une  contenance  piteuse,  haussant  les  épaules,  levant  les  yeux  vers  le  ciel 
et  croisant  les  l)ras  sur  la  poitrine,  chuchottanl  tout  bas  qu'on  pouvait 
compter  sur  toutes  sortes  de  mauvais  succès  tant  (|ue  le  roi  s'obstinerait 
il  rester  huguenot.   »  (Sully,  nbi  sup.) 

Pour  Villars,  il  prodta  de  ce  temps  de  trêve  pour  envoyer  vers 
Mayenne  lui  donner  avis  de  son  beau  succès.  Il  lui  faisait  dire  qu'il  comp- 
tait bien  défendre  la  place  tout  seul,  et  qu'il  ne  demandait  pas  d'autre  se- 
cours que  de  l'argent  i)0ur  payer  sa  garnison.  Le  porteur  de  ce  message 
arriva  justement  comme  on  délibérait  dans  un  conseil  de  guerre  si  l'on 
ferait  marcher  toutes  les  troupes  pendant  cette  nuit  même,  [>our  venir  le 
lendemain  de  grand  matin  attaquer  l'armée  royale  dans  ses  quartiers,  et 
la  forcer  a  lever  le  siège.  (Ml/lhw,  ubi  sup.) 

Le  duc  de  Parme,  en  apprenant  les  heureux  résultats  de  la  sortie  qui 
venait  d'être  faite  par  les  assiégés,  que  le  maréchal  était  retenu  au  lit  par 
sa  blessure,  que  le  roi  élait  encore  absent  avec  la  meilleure  partie  de  sa 
noblesse  et  presque  toute  sa  cavalerie,  et  que  la  terreur  était  dans  le  camp 
des  assiégeants,  voulait  profiler  de  suite  de  toutes  ces  bonnes  chances 
pour  achever  complètement  la  défaite  des  royalistes.  Mais  Mayenne  craignait 
({u'iin  succès  trop  décisif,  en  ruinant  les  affaires  du  roi,  ne  ruinât  aussi 
les  siennes.  Il  lit  entendre  qu'il  n'était  pas  moins  dangereux  d'importuner 
la  fortune  sans  nécessité,  que  blâmable  de  la  repousser  quand  elle  se  pré- 
seiilait.  «  Maintenant,  dit-il,  qu'avons-nous  besoin  de  rien  hasarder,  puis- 
(jue  la  chose  pour  laquelle  nous  voudrions  courir  ces  risques,  la  déli- 
vrance de  Rouen,  va  se  faire  d'elle-même.  Il  me  semble  que  ce  que  nous 
avons  de  mieux  a  faire,  c'est  de  jeter  quelques  troupes  et  de  l'argent 
dans  la  ville,  puis  de  nous  retirer  dans  un  bon  pays,  pour  y  laisser  ra- 
fraîchir nos  troupes,  et  attendre  que  le  roi  de  Navarre  achève  de  se  rui- 
ner. » 

Le  duc  de  Parme  se  vit  obligé  de  se  rendre  malgré  lui  à  cet  avis.  Il  lit 
choix  de  huit  cents  hommes  des  meilleurs  de  ses  troupes,  qui  entrèrent 
dans  Uouen  sans  aucun  empêchement,  par  la  négligence  de  ceux  des 
royalistes  qui  étaient  de  garde  ce  jour-lâ.  Le  maréchal  de  Ijiron  en  voulut 
rejeter  la  faute  sur  (-rillon,  et  Grillon,  étant  venu  auprès  du  roi  pour  s'ex- 
j)li(iucr  la-dcssus,  passa  des  excuses  aux  récriminations,  et  do  la  aux  eni- 


DU  PROTESTANTISME  EX  FRANCE.  2-29 

porlemcnts  et  aux  hiasplièmes,  car  si  Grillon  était  un  brave  soldat,  il  était 
1111  fort  mauvais  courtisan.  Le  roi,  qui  avait  ses  raisons  de  ménager  le 
maréchal,  essaya  d'abord  de  calmer  toute  cette  fureur,  mais  Grillon  n'en 
devint  que  plus  violent.  On  s'aperçut  (pje  Sa  .Majcsl<''  blêmissait  a  son  tour 
de  colère,  et  l'on  eut  peur  qu'elle  ne  saisit  la  première  épée  venue  pour 
en  percer  un  sujet  (|ui  lui  parlait  avec  autant  d'audace  ;  on  entraîna  Gril- 
lon, ((  .Messieurs,  dit  le  roi,  en  re|)reuant  presque  aussitôt  son  sang-froid, 
je  dois  avouer  que  la  nature  m'a  créé  colère  ;  mais  je  m'applique  "a  me 
tenir  en  garde  contre  une  passion  qu'il  est  dangereux  d'écouter,  et  je  suis 
bien  aise  d'avoir  eu  d'aussi  braves  témoins  que  vous  de  la  manière  dont 
je  m'en  suis  tiré  aujourd'hui.  »  [Méin.  de  de  Thon,  ad  ann.  151)2.) 

Après  avoir  ravitaillé  Kouen,  comme  il  vient  d'être  dit,  le  prince  de 
Parme  s'en  alla  passer  la  Somme  a  Pontdormi,  et  Mayenne  parvint  encore 
à  lui  faire  tenter  contre  son  gré  une  entreprise  sur  la  ville  de  Sainl-Es- 
prit-de-Hue.  G'esl  une  petite  place  avec  un  chàteau-lbrt,  située  au  milieu 
d'un  marais  'a  une  lieue  de  la  mer;  mais  celte  entreprise  échoua,  j)arce 
qu'il  lut  impossible  de  faire  sortir  l'eau  des  fossés,  d'où  il  arriva  que  le 
|)rince  fut  encore  plus  fâché  contre  Mayenne,  et  qu'il  lui  reprocha  tout 
haut  d'avoir  voulu  lui  faire  essuyer  un  affront  devant  celte  bicoque.  (Mi.- 

/ERW,    Ubl  Slip.) 

Gependant,  le  roi  était  revenu  en  toute  hâte  au  siège  de  Rouen,  et  ne 
paraissant  pas  s'être  aperçu  de  tous  les  dissentiments  (pii  régnaient  dans 
son  armée,  «  il  ne  témoignait  (|u'allégresse  et  réjouissance,  criant  : 
Bataille  !  bataille  !  »  et  embrassant  tantôt  l'un,  tantôt  l'autre.  Gelui 
(|u'il  se  croyait  le  plus  obligé  de  ménager  était  le  vieux  liiron.  Aussi, 
dans  une  occasion  où  (|uel(|u'un  des  jeunes  oflîciers  émettait  un  peu 
vivement  un  avis  contraire  'a  ce  (|ue  voulait  le  maréchal  :  «  Les  oisons, 
dit  le  roi.  veulent  mener  paître  les  oies.  Jeune  homme,  quand  vous  aurez- 
la  barbe  blanche,  peut-être  en  saurez-vous  quelque  chose  ;  mais  main- 
tenant il  n'appartient  qu'a  mon  père  <|ue  voici  d'en  parler  aussi  liardi- 
iiient.  Vous  et  nous  tous  tant  (|ue  nous  sommes,  nous  devons  longtemps 
encore  aller  a  l'école.  »  (Sullv,  itbi  supra. —  .Mattii.,  t.  Il,  p.  16.) 

Le  roi,  toutefois,  s'appii(|ua  «  jour  et  nuit  »  a  réparer  les  perles  que 
son  armée  avait  éprouvées  dans  la  dernière  sortie.  11  reçut  en  ce  temps- 
là  un  secours  de  la  Hollande,  qui  lui  envoyait  dix  grands  vaisseaux  com- 
mandés par  le  comte  Philippe  de  Nassau.  Ges  bâtiments  lui  fournirent 
(|uantité  de  canons  et  de  munitions  pour  rétablir  des  batteries,  et  mirent 
a  terre,  du  côté  de  la  mer,  deux  mille  hommes  bien  armés  qui  com- 
mencèrent il  batlre  furieusement  cette  partie  de  la  ville,  lis  y  auraient 
fait  un  grand  dégât  si  le  maréchal  de  liiron  ne  leur  eût  envoyé  faire 
défense  de  continuer,  sous  prétexte  d'éviter  la  ruine  complète  et  inutile 
de  tout  un  (piartier  d'une  ville  française.  (Mkzf.rav,  nb.  sup.) 

«  L'amiral  Philippe  de  Nassau,  en  effet,  disent  les  historiens  hol- 
landais, s'éiait  posté  et  retranché  'a  la  façon  des  Pays-Bas,  et  il  eût  volon- 
tiers fait  telle  guerre  qui  ordinairement  se  lait  aux  sièges  des  villes 
dans  lesdits  pays,  sans  y  épargner  le  canon  ;  mais  voyant  que  cela  ('tait 


230  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

pris  en  mauvaise  part  par  M.  le  maréchal,  il  ne  sut  se  tenir  qu'il  n'en 
(lit  quelques  mots  de  travers.  »  (Cayet,  liv.  4,  iib.  sup.) 

Sa  Majesté  fit  aussi  descendre  du  Pont  de  l'Arche  trois  grands 
bateaux  couverts  et  remparés  de  gazon,  et  bâtit  deux  forts  sur  les  deux 
bords  du  (leuve  au-dessus  de  la  ville,  de  sorte  que,  par  ce  moyen,  la 
navigation  l'ut  tout  à  fait  formée  en  amont,  en  même  ten^ps  que  les 
vaisseaux  hollandais  la  terminaient  en  aval  et  contraignaient  les  barques 
des  Rouennais  a  se  réfugier  à  l'abri  de  leurs  murailles,  sans  plus  oser 
s'aventurer  sur  la  rivière. 

La  saison  a  la  fin  rendit  les  fatigues  du  siège  intolérables  pour  les 
assiégeants;  de  plus  le  roi  manquait  absolument  d'argent;  mais  en  même 
temps  les  gelées  et  les  pluies  firent  crouler  un  grand  pan  de  vieilles 
murailles  entre  la  porte  Cauchoise  et  la  tour  Saint-Dominique  ;  une 
autre  portion  tomba  aussi  tout  auprès  de  la  porte  Saint-Hilaire,  d'où  il. 
arriva  que  plusieurs  des  assiégés  se  tirent  tuer  par  le  canon  en  venant 
'a  découvert  réparer  ces  brèches. 

Cela  pourtant  ne  les  empêchait  pas  de  faire  chaque  jour  de  nou- 
velles sorties,  dans  l'une  desquelles  (îivry,  colonel  général  de  la  cavalerie 
royaliste,  fut  si  grièvement  blessé  a  l'épaule,  qu'ortie  crut  mort.  Le  roi, 
qui  faisait  grand  cas  de  cet  officier,  témoigna  un  vif  regret  de  le  voir  en 
cet  état.  «  Où  trouverai-je,  dit-il,  quelqu'un  pour  le  remplacer?  »  La 
Chapelle-Ursin  s'imagina  (jue  par  ces  paroles  Sa  Majesté  avait  voulu  faire 
entendre  qu'elle  le  jugeait  indigne  de  cette  charge,  et  le  ressentiment 
qu'il  en  eut  fut  si  violent,  qu'il  alla  se  jeter  immédiatement  dans  le  parti 
de  la  Ligue.  Pour  Givry,  contre  toute  attente,  il  guérit  de  sa  blessure. 

Le  roi,  qui  voulait  'a  tout  prix  se  rendre  maître  de  Rouen,  cherchait 
'a  y  entretenir  des  intelligences.  Mais  Villars  avait  trouvé  un  moyen 
d'éventer  toutes  ces  conspirations.  Il  avait  su  se  procurer  parmi  les 
bourgeois  des  espions  pareils  à  l'avocat  Mauclerc,  qui  avait  déjà  vendu 
le  premier  complot;  et  ces  honnêtes  gens,  feignant  d'être  mécontents  du 
gouverneur,  se  mêlaient  parmi  ceux  qu'on  soupçonnait,  déclamant  les 
premiers  avec  grande  liberté  contre  les  malheurs  d'une  pareille  guerre 
et  contre  ceux  qui  y  avaient  engagé  la  bonne  ville  de  Rouen.  Par  ce 
moyen  ils  amenaient  les  dupes  'a  leur  ouvrir  'a  leur  tour  leurs  sentiments 
et  à  les  initier  \\  leur  projet  ;  et  alors  ils  n'avaient  rien  de  plus  pressé 
que  d'aller  les  révéler  à  mon  dit  sieur  de  Villars,  (Cayet,  ibid.  ) 

Avec  cela,  comme  il  savait  que  les  chefs  de  l'armée  du  roi  et  les 
principaux  de  son  conseil  étaient  tous  fort  âpres  à  la  curée  et  prêtaient 
facilement  l'oreille  'a  tout  marché  avantageux  pour  eux,  il  ne  s'épargnait 
pas  pour  leur  présenter  cet  appât,  «  si  bien  qu'il  y  en  attrapât  plusieurs.  » 
Il  affectait  au  reste  une  si  grande  sécurité,  qu'il  imagina  un  beau  jour 
de  taire  dresser  des  lices  hors  de  la  porte  Saint-Hilaire,  où  il  alla  s'amu- 
ser 'a  courir  la  bague  à  la  vue  des  assiégeants,  les  invitant  'a  venir 
prendre  part  'a  la  partie.  (Mézeray,  uh.  sup.) 

Mais  cependant  il  perdait  chaque  jour  dans  les  escarmouches  les 
plus  braves  de  ses  gens  ;  les  maladies   en  consumaient  un  plus  grand 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  231 

nombre  encore;  d'autres  désertaient,  et  depuis  la  fermeture  complrle 
(les  deux  côtés  de  la  rivière,  ses  munitions  de  bouche  et  de  guerre 
diminuaient  d'une  manière  sensible;  il  avait  a  craindre  une  disette com- 
[  plète  dans  un  temps  peu  éloigné.  Aussi  ceux-mèmes  (|ui,  après  la  grande 
sortie  du  vingt-sixième  jour  de  lévrier,  avaient  l'ait  des  leux  de  joie,  des 
processions  solennelles  «  et  envoyé  à  Notre-Dame  de  Lorotte  une  lampe 
de  deux  cents  marcs  d'argent,  pour  célébrer  la  l'été  de  leur  délivrance 
présumée,  »  voyant  qu'ils  n'étaient  rien  moins  que  délivrés,  deman- 
daient assez  hautement  qu'on  parlât  d'accommodement.  (Mém.  de  Che- 
remy,  ad  ann.  1592.) 

Dans  un  tel  état  de  choses,  \'illars  envoya  vers  le  prince  de  Parme 
pour  solliciter  le  secours  dont  il  avait  dit  d'abord  qu'il  pouvait  fort  bien 
se  passer,  avouant  que  si  ce  duc  n'y  venait  lui-même,  il  serait  forcé  de 
capituler,  vers  le  vingt-deuxième  jour  du  mois,  tout  au  plus  tard. 

Or  le  roi,  qui,  de  son  côté,  ne  savait  pas  les  assiégés  en  aussi  mau- 
vaise position,  et  qui  s'attendait  (|ue  le  siège  devait  durer  longtemps 
encore,  avait  donné  à  prescpie  toute  sa  noblesse  congé  de  se  retirer 
dans  ses  loyers,  pour  s'y  reposer  des  fatigues  de  cette  campagne,  en  se 
réservant  de  la  rappeler  sous  les  drapeaux,  (juand  le  besoin  s'en  ferait 
sentir;  et  lui-même  s'en  était  allé  a  Dieppe,  pour  y  faire  visite  au  com- 
mandeur de  Chate  qui  était  malade  à  l'extrémité. 

l'arme,  averti  de  toutes  ces  circonstances,  repassa  proniptement  la 
Somme  entre  le  Crotoy  et  Saint-Valéry,  lit  plus  de  trente  lieues  en 
(|uatre  jours,  quoiqu'il  eût  (|uatro  rivières  'a  traverser,  et  le  vingtième 
jour  d'avril,  il  parut  subitement  en  bataille  dans  la  plaine  qui  s'étend 
devant  Dernétal.  Le  légat  du  pape,  qui  était  accouru  de  Reims  pour  assis- 
ter a  cette  expédition,  s'en  allait  par  toute  l'armée  exhortant  chacun  à 
bien  faire,  et  donnant  sa  bénédiction  'a  chaipie  corps  l'un    après  l'autre. 

A  la  première  nouvelle  (ju'elle  avait  eue  de  la  marche  de  l'ennemi, 
Sa  Majesté  était  partie  de  Dieppe,  envoyant  partout  des  ordres  pour  ras- 
sembler tout  ce  qu'on  pourrait  de  la  noblesse  royaliste  ;  elle  était  bien 
résolue  d'accepter  la  bataille  ;  mais  dès  (pi'elle  eut  pu  reconnaître  l'im- 
mense supériorité  du  nombre  des  ennemis,  elle  sentit  la  triste  nécessité 
de  lever  le  siège,  si  elle  ne  voulait  pas  pécher  contre  toutes  les  règles 
de  la  prudence,  et  s'exposer  'a  une  défaite  inévitable.  Elle  lit  donc  en 
toute  hâte  remonter  ses  barques  de  guerre,  envoya  tous  les  hagages  de 
l'armée  au  Pont  de  l'Arche  et  se  retira  avec  ses  troupes  sur  une  colline 
au  village  de  Bans,  où  l'armée  royale  se  tint  en  bataille  plus  de  douze 
heures  durant,  car  le  roi  voulait  surtout  éviter  les  dangers  d'une  retraite 
|)récipitée  en  présence  d'un  ennemi  si  supérieur  en  nombre. 

Le  siège  de  Rouen  n'en  était  pas  moins  levé.  Les  plus  hardis  du 
côté  des  Ligueurs  voulaient  (ju'on  allât  au  roi  tout  de  ce  pas,  et  il  est 
probable  que  si  l'on  eût  pris  ce  parti,  toute  l'armée  royaliste  aurait  été 
('crasée  ;  mais  les  jalousies  des  chefs,  qui  ne  pouvaient  se  mettre  d'accord, 
empêchèrent  qu'on  ne  prit  aucune  résolution  dans  le  camp  ennemi  pen- 
dant toute  celte  journée.  Les  ducs  de  Mayenne  et  de  Parme  et  le  légat 


232  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

du  pape  entrèrent  en  triomphe  dans  la  ville  délivrée.  On  chanta  le  Te 
Deum  en  actions  de  grâces;  alors  la  nuit  survint  et  donna  au  roi  la  faci- 
lité de  se  retirer  de  ce  mauvais  pas. 

Le  lendemain,  de  grand  matin,  on  remit  en  délibération,  dans  le  con- 
seil de  guerre,  s'il  fallait  poursuivre  les  troupes  du  béarnais.  Ceux  qui 
étaient  de  cet  avis  prétendaient  qu'il  était  indubitable  qu'on  prendrait  ou 
détruirait  pour  le  moins  toute  son  arrière-garde  ;  mais  Mayenne  et  tous 
les  Français  s'opposèrent  encore  a  ce  qu'on  exécutât  ce  plan,  disant 
«  que  ledit  roi  de  Navarre,  étant  maître  de  tous  les  ponts  et  de  toutes 
les  places  fortes  sur  la  rivière,  et  ayant  par  conséquent  la  liberté  de  pas- 
ser tantôt  sur  une  rive,  tantôt  sur  l'autre,  ne  manquerait  pas  de  se  lais- 
ser poursuivre  longtemps,  sans  qu'on  put  le  forcer  a  accepter  le  combat 
que  lorsqu'il  jugerait  l'occasion  favorable  ;  qu'en  attendant,  les  troupes 
qu'il  avait  disséminées  dans  la  contrée  auraient  tout  le  temps  de  venir 
le  rejoindre,  et  qu'alors  les  rôles  pourraient  bien  changer  ;  qu'au  lieu 
d'être  poursuivi,  il  se  rendrait  poursuivant  a  son  tour,  les  chassant  eux- 
mêmes  dans  quehjuc  délilé,  ou  par  le  moyen  de  places  fortes  qu'il  tenait, 
leur  ôterait  bientôt  les  vivres.  11  était  donc  plus  sage  et  moins  péril- 
leux de  s'en  tenir  a  déboucher  complètement  la  rivière,  et  a  remettre  des 
provisions  dans  Rouen,  qui  n'en  avait  plus  que  pour  quatre  jours. 

Le  duc  de  Parme  fut  encore  obligé  de  se  conformer  a  cet  avis,  tout 
en  se  plaignant  qu'on  lui  arrachait  des  mains  une  victoire  certaine. 
Laissant  le  roi  en  liberté  de  se  retirer  où  il  le  jugerait  a  propos,  il  s'en 
alla,  lui,  assiéger  Caiidebec  où  étaient  les  magasins  de  vivres  de  l'armée 
royaliste.  Mais  comme  il  s'était  avancé  pour  reconnaître  la  place  et  qu'il 
expliquait  a  son  (ils  et  a  Lamote,  (|ui  l'accompagnaient,  de  quelle  ma- 
nière il  fallait' placer  les  batteries,  une  balle  de  mousquet  vint  le  blesser 
au  bras  un  peu  au-dessus  du  poignet.  Quoique  la  douleur  dût  être  très 
poignante  a  cause  du  grand  nombre  de  nerfs  qui  se  trouvent  en  cette 
partie,  il  n'en  continua  pas  moins  son  discours,  jusqu  a  ce  que  ceux  qui 
étaient  la  auprès  de  lui,  ayant  reconnu  au  sang  (|ui  lui  coulait  le  long 
de  la  main  qu'il  était  blessé,  l'obligèrent  'a  se  retirer. 

Le  lendemain,  il  n'en  présida  pas  moins  'a  la  construction  des  batte- 
ries qui,  dès  qu'elles  purent  jouer,  obligèrent  bientôt  les  vaisseaux  hol- 
landais, qui  étaient  sur  le  lleuve  à  lever  l'ancre  et  à  descendre  a  Quille- 
bo'uf,  laissant  derrière  eux  leur  bâtiment  amiral,  qui  s'étant  ensablé  a 
cause  de  sa  pesanteur,  demeura  h  la  discrétion  des  assaillants. 

Caudebec  ne  pouvait  tenir,  destituée  du  secours  de  ces  vaisseaux, 
dont  l'artillerie  était  sa  plus  forte  protection,  en  empêchant  les  assiégeants 
d'établir  leurs  logements  autour  de  ses  remparts  :  Caudebec  demanda 
donc  a  capituler.  Les  Espagnols  avaient  juré  (le  passer  toute  la  garnison 
au  lil  de  Tépée,  pour  venger  la  blessure  de  lein*  général  ;  mais  le  duc 
de  Parme  calma  cette  fureur.  «  Ne  savez-vous  pas,  leur  dit-il,  qu'on 
ne  peut  être  bon  soldat  sans  se  défendre,  ni  se  défendre  sans  tuer  ou 
blesser  quelqu'un  de  ses  adversaires  ?  Tant  pis  pour  celui  sur  qui  tombe 
cette  chance  :  il  ne  doit  s'en  prendre  qu'aux   hasards   de  la  guerre,  qui 


DU  PROTESTANTISME  EN  FR.\NGE.  2:i:i 

épargnent  aussi  peu  les  princes  et  les  grands  que  les  derniers  faction- 
naires ;  »  et  il  accorda  a  Caudcbec  une  capitulation  honorable. 

De  son  côté,  le  roi  Henri  IV,  avait  su  niellre  a  jjrodt  le  répit  qu'on 
lui  avait  laissé;  il  sétait  retiré  a  Pont-de-l'Arche,  où  trois  mille  chevaux 
et  six  mille  hommes  de  pied  étaient  venus  le  joindre,  a  son  premier 
mandement,  et  déjh  il  se  pn'parait  a  retourner  contre  rennemi,  qu'il  se 
|)roposait  de  bloquer  dans  le  pays  de  Caux,  où  étant  une  fois  enfermé 
d'un  côté  par  les  villes  maritimes,  toutes  du  parti  royaliste,  et  de  l'autre 
l)ar  la  Hotte  hollandaise,  il  serait  bientôt  alTamé  sans  avoir  aucun  moyen 
d'opérer  sa  retraite.  Le  duc  de  Parme,  qui  prévoyait  en  eflet  ce  résultat, 
voulait  que  l'armée  se  retirât  de  l'autre  côté  de  la  rivière,  ou  du  moins 
qu'on  allât  fortllier  Lillebonne,  qui  était  un  poste  fort  avantageux,  et 
où  l'on  pouvait  par  terre,  et  sans  avoir  besoin  du  fleuve,  tirer  des 
vivres  du  llàvre-de-gràce.  Mais  le  duc  de  Mayenne,  toujours  d'un  avis 
contraire,  fit  valoir  que  si  l'on  s'éloignait  trop  de  Rouen,  le  roi  ne  man- 
(pierait  pas  de  se  mettre  entre  leur  armée  et  la  ville,  et  cpi'ainsi  il  aurait 
bientôt  réduit  cette  place  en  un  état  pire  encore  (jue  celui  dont  on  venait 
de  la  délivrer  si  glorieusement.  En  conséquence,  il  opina  pour  (|u"on 
continuât  a  couvrir  Caudebec  et  qu'on  se  logeât  a  Yvetot.  Ce  fut  encore 
lit  l'avis  (jui  lut  adopté  ;  aussi  ne  larda-t-on  pas  a  se  ressentir  de  tous 
les  inconvénients  que  le  duc  de  Parme  aurait  voulu  éviter. 

Le  roi,  s'étant  approché  jusqu'à  une  demi-lieue,  avait  fait  saisir  toutes 
les  avenues  et  les  vivres  devinrent  rares.  Ce  n'était  qu'a  la  pointe  de 
l'épée  et  en  risquant  chaque  jour  de  sanglantes  escarmouches  que 
l'ennemi  parvenait  a  introduire  dans  le  camp  (pielques  convois  toujours 
insuffisants. 

Lue  de  ces  escarmouches  faillit  devenir  un  combat  général.  Les 
Espagnols  s'étaient  avancés  jus(|u'a  un  petit  bois,  si  près  de  l'armée  du 
roi  (|u'ils  pouvaient  en  y  plaçant  de  l'artillerie  incommoder  gravement 
le  quartier  de  Sa  Majesté  elle-même.  H  fallut  quatre  attaques  vigoureuses 
|>our  les  déloger  de  la.  A  la  lin  on  parvint  a  les  rejeter  sur  le  gros  de 
leur  armée  où  ils  portèrent  le  désordre  et  la  terreur.  Les  ducs  de  Mayenne 
et  de  (iuise  furent  obligés  de  monter  a  cheval  pour  venir  rallier  les  fuyards; 
ils  firent  deux  ou  trois  charges  fort  bravement  et  poussèrent  si  avant 
dans  la  mêlée  qu'ils  eurent  besoin  de  toute  leur  vaillance  et  de  beau- 
coup de  bonheur  pour  se  retirer  sains  et  saufs  du  danger.  Le  duc  de 
Parme  lui-même,  qui  était  au  lit  par  suite  de  sa  blessure  et  qui  souf- 
frait d'une  fièvre  véhémente,  se  lit  porter  en  chaise  pour  encourager  ses 
gens  par  sa  présence. 

H  est  certain  que  ce  jour-la  toute  son  armée  aurait  été  défaite  si 
celle  du  roi  avait  eu  l'ordre  de  donner  toute  a  la  fois  ;  mais  cet  ordre  n'ar- 
riva pas  et  l'ennemi  en  fut  (juitte  pour  la  |)eur. 

Sa  position,  au  reste,  devenait  chaque  jour  de  plus  en  plus  insoute- 
nable. H  n'y  avait  plus  moyen  d'avoir  dans  le  camp  d'autres  provisions 
que  celles  (|ue  les  soldats  et  vivandiers  de  l'armée  royale,  alléchés  par 
le  gain,  y  venaient  vendre  a  la  dérobée;  l'eau  même  était  devenue  rare. 


234  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

car  le  pays  n'a  que  fort  peu  de  fontaines,  et  Teau  de  la  rivière,  qui  est 
salée  par  le  reflux  de  la  mer,  n'est  pas  bonne  a  boire.  11  y  avait  un 
grand  nombre  de  malades  et  celui  des  blessés  était  plus  grand  encore. 

Le  duc  de  Parme  était  en  danger  de  mort,  le  duc  de  Mayenne  venait 
d'éprouver  une  nouvelle  atteinte  de  la  maladie  qu'il  avait  si  déplorable- 
ment  gagnée  a  l'hôtel  Carnavalet,  et  il  était  obligé  de  garder  le  lit. 
La  plupart  des  officiers  de  quelque  mérite  étaient  ou  blessés  ou  souf- 
frants, et  pour  comble  de  désastre,  le  trésor  de  l'armée,  ainsi  que  la  plus 
grande  partie  de  ses  bagages,  venaient  de  tomber  au  pouvoir  des  roya- 
listes. Aussi  commençait-on  a  dire  partout  (jue  ces  troupes,  qui  étaient 
venues  avec  tant  de  fracas  en  France,  pourraient  bien  n'en  sortir  r|u'en 
prenant  un  passe-port  du  roi. 

«  Si  nous  chargions  avec  quelques  centaines  de  chevaux,  dit  le 
jeune  Biron  a  son  père,  je  me  ferais  fort  de  vous  amener  Monsieur  le 
duc  de  Mayenne,  qui  est  la  placé  dans  le  plus  bel  endroit  pour  se  faire 
prendre.  —  Quoi  donc,  répondit  le  maréchal  en  jurant  et  tout  en 
colère,  est-ce  que  tu  veux  nous  renvoyer  planter  des  choux  à  Biron?  » 
Cette  réponse  parut  singulière  au  fils,  qui  ne  songeait  alors  qu'à  la 
gloire  qu'il  eût  pu  acquérir,  en  faisant  un  aussi  beau  coup,  et  qui  ne 
put  s'empêcher  de  dire  :  «  Ma  foi  !  si  j'étais  le  roi,  je  ferais  couper  la 
tête  au  maréchal.  » 

Le  duc  de  Parme  ne  trouva  pas  d'autre  issue  pour  se  tirer  du  péril 
où  on  l'avait  forcé  de  se  mettre  que  de  tâcher  de  passer  la  rivière  et 
de  se  retirer  vers  Paris  en  toute  diligence.  Le  duc  de  Mayenne,  persis- 
tant dans  sa  contradiction,  voulait  qu'on  s'ouvrît  un  passage  'a  travers 
l'armée  du  roi  ;  mais,  cette  fois,  il  ne  fut  pas  écouté.  On  fit  donc  prépa- 
rer 'a  Rouen  des  bateaux  qu'on  couvrit  de  poutres  et  de  planches,  et  le 
vingtième  jour  de  mai,  on  forma  un  pont  sur  le  fleuve  dans  le  voisinage 
du  camp.  Douze  cents  mousquetaires,  commandés  par  le  prince  Ranuce, 
furent  placés  dans  un  fort  qu'on  construisit  a  la  hâte,  et  reçurent  l'ordre 
de  protéger  la  retraite,  et  au  besoin  d'arrêter  l'ennemi  ;  puis  la  cavalerie 
passa  la  première  pendant  la  nuit,  sur  le  pont  mobile  qu'on  venait 
d'achever  ;  elle  fut  suivie  du  bagage  et  de  l'artillerie,  et  enfin  l'infanterie 
espagnole  et  italienne  commença  'a  défiler  a  son  tour. 

Au  lever  du  jour,  le  roi  reconnut  que  le  camp  était  vide.  Il  demeura 
d'abord  tout  étonné  ;  puis  il  commanda  à  cinq  cents  chevaux  et  à  mille 
hommes  de  pied  de  prendre  du  canon  et  d'aller  rompre  les  pontons. 
Mais  le  duc  de  Parme,  s'apercevant  de  ce  mouvement,  fit  retourner 
mille  des  siens  au  secours  de  Ranuce,  et,  pendant  qu'on  escarmouchait 
de  part  et  d'autre,  le  passage  eut  le  temps  de  s'eftectuer.  Cette  arrière- 
garde  se  rapprocha  ensuite  du  fort  qu'on  avait  construit  et  put  encore 
passer  en  partie  sur  le  pont,  après  quoi  on  le  rompit  ;  puis  Ranuce  et 
ceux  qui  avaient  été  chargés  de  soutenir  la  retraite  jusqu'à  la  fin  se 
jetèrent  dans  des  bateaux  tout  préparés  qui  les  transportèrent  sur  l'autre 
rive. 

Cette  retraite  parut  si  belle  à  Henri  IV   qu'il   dit   tout   haut:  «   Je 


I 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  235 

l'eslime  plus  glorieuse  que  le  gain  de  deux  batailles  ;  car  le  chel-d'œuvre 
d'un  grand  capitaine  n'est  pas  tant  de  combattre  et  de  vaincre,  que 
de  conduire  son  aflaire  à  bien  en  trouvant  le  moyen  de  ne  pas  basarder 
de  combat.  »  (Pkrkfixk,  liv.  2,  ad  ann.  1592.) 

Le  duc  ne  voulut  pas  s'arrêter  'a  Rouen  ;  il  ne  voulut  pas  même  y 
laisser  aucune  troupe,  alin,  dit-on,  d'obliger  cette  ville  a  implorer  elle- 
même  une  garnison  du  roi  d'Espagne,  comme  l'avait  l'ait  Paris,  où  il 
avait  suivi  la  même  tacti(|ue  ;  puis,  prenant  sa  route  par  les  plaines  de 
Neubourg,  il  marcba  vers  la  capitale  avec  tant  de  diligence,  qu'il  ne  mit 
que  quatre  journées  pour  arriver  a  Cbarenton  ;  la,  il  repassa  la  Seine, 
«  avouant  (ju'il  n'avait  su  dormir  de  bon  somme  jusqu'à  ce  qu'il  se  fût 
vu  dans  k  lirie.  »  (Legrain,  Décad.,  liv.  5.  p.  256.) 

Le  roi,  en  eiïet,  le  faisait  poursuivre  par  deux  mille  cbevaux,  et  espé- 
rait bien  l'atteindre  au  pont  de  l'Eure  ;  mais  il  ne  put  attraper  que  cinq 
h  six  cents  fantassins  que  la  lassitude  et  la  langueur  avaient  contraints  de 
demeurer  derrière. 

Sa  Majesté  conduisit  alors  son  armée  du  côté  où  le  prince  de  Parme 
était  présumé  devoir  passer  pour  s'en  retourner  aux  Pays-Bas.  C'était 
le  conseil  de  Biron,  qui  répugnait  a  reprendre  le  siège  de  Rouen.  Mais 
le  roi  suivait  en  cela  son  goût  particulier,  étant  attiré  vers  ces  quartiers- 
lîi  par  son  amour  pour  la  belle  Gabrielle  d'Eslrée,  qui  y  demeurait.  Le 
duc  de  Mayenne,  que  sa  triste  maladie  rendait  incapable  de  soutenir  les 
fatigues  de  la  retraite,  était  resté  a  Rouen,  où  il  eut,  dit-on,  le  bonbeur 
de  rencontrer  un  médecin  qui  le  guérit  complètement  cette  fois.  Quant 
au  duc  de  Parme,  il  ne  voulut  pas  entrer  dans  Paris,  de  peur  cpie  ce 
(|ui  lui  restait  de  son  armée  n'acbevât  de  se  perdre  dans  la  débaucbe 
des  femmes  ;  se  contentant  d'y  placer  quinze  cents  Wallons  pour  renfor- 
cer la  garnison  Espagnole,  il  s'en  alla  droit  'a  Cbâteau-Tliierry,  d'où  il 
envoya  prendre  la  ville  d'Epernay  qui  est  a  une  journée  plus  loin  sur  la 
Marne.  Et  enlin  il  reprit  la  route  des  Pays-Bas,  a  tout  glorieux  d'avoir 
fait  lever  pour  la  seconde  fois  le  siège  d'une  place  forte  'a  un  aussi  grand 
capitaine  que  Sa  Majesté.  »  (Sully,  Écon.  roi/.  —  Journal  de  Henri.  IV, 
t.  I,  p.  225. 


t236  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 


CHAPITRE   X 


1592.  —  ARGUMENT  :  élection  de  clément  viii. 

SON  BREF  est  EHAPPÉ  D'APPEL  PAR  LE  PARLEMENT  DE  CHÂLONS  QUI  AJOURNE  LE  LÉflAT. 

LE     PARLEMENT   DE   PARLS     FAIl     BRÛLER     CET   ARRÊT   PAR    LE    BOURREAU. 

VILLEROI    CONTINUE   DE   NÉGOCIER    EN    FAVEUR   DES    PRINCES    LORRAINS. 

MAYENNE   OFFRE   AU    DUC    DE    NEMOURS   DE    LE    FAIRE   ROI 

ET   DE  LUI    FAIRE   ÉPOUSER   L'iNFANTE.   —  CONDITIONS    DE   LA   REINE   D'ANGLETERRE. 

VILLARS   A    QUILLEB(EUF.   —   PREND    PONTE-AUDEMER. 

BIRON   TUÉ   A   LA    PRISE   D'ÉPERNAY.    —    PRISE    DE   PROVINS. 

LE   ROI   FAIT  DEMANDER    SON   ABSOLUTION   AU    PAPE   QUI    LA   REFUSE. 

LES   PARTIS   A   PARIS.   —  ÉLECTION    d'UNE   NOUVELLE    MUNICIPALITÉ   A   ORLÉANS. 

DÉFAITE   DES   ROYALISTES   A   CRAON.  —   DÉFAITE   DES    LIGUEURS   A   BREST. 

OUINTIN    PRIS   ET   REPRIS.    —    PRISE    DE    CIIATEAUNEUF.    —    PRISE    RE   LA    GUERCHE. 

PRISE   DE   SAULX-LE-DUC.  —  LES   DEUX   TAV.ANNES  OPPOSÉS  EN  P.OURGOGNE. 

LE   DUC   DE   BOUILLON    BAT   LES   LIGUEURS   A   BEAUMONT.    —   IL   PREND    SEDAN. 

CONSPIRATION   EN    GUYENNE.    —    SAPION    DE  JOYEUSE    EN    LANGUEDOC. 

LA   VALETTE   TUÉ   AU    SIÈGE   DE   ROGHEBRUNE. 

D'ÉPERNON     LUI     SUCCÈDE    DANS    LE    GOUVERNEMENT     DE     LA     PROVENCE. 

JOYEUSE   BATTU    AU   SIÈGE    DE   VILLEMUR.    —   IL   SE   NOIE. 

LE   CARDINAL    DE    JOYEUSE   ET     LE    CAPUCIN     FRÈRE   ANGE   CHOISIS     PAR    LES    LIGUEURS 

DE   TOULOUSE   POUR    LE   REMPLACER.    —    MAUGIRON    LIVRE   VIENNE. 

LE    DUC    DE   NEMOURS   PREND    LES   ÉCHELLES. 

LE   DUC   DE   SAVOIE    PREND    EN   PERSONNE    ANTIBES. 

LESDIGUIÈRES    RENTRE    EN    SAVOIE.    —    IL   PREND    LE   VIGAN    EN    CAIIORS, 

IL   BAT   LE   DUC   DE   SAVOIE. 

LE    DUC   D'ÉPERNON     REPREND    GRASSE    ET    ANTIBES.    —    IL    ÉCHOUE   A    ARLES. 

CASEAUX,    LOUIS    Ii'aIX    ET    LA    COMTESSE   DESAULT   A    MARSEILLE. 


Le  pape  Grégoire  XIV  était  mort,  comme  il  a  été  dit,  le  15  octo- 
l)re  15*.)!.  Le  dixième  jour  du  mois  de  janvier  de  cette  année  ir)02, 
les  cardinaux  étaient  entrés  en  conclave  pour  pourvoir  a  son  remplace- 
ment sur  la  chaire  pontilicale.  Il  y  ayait  la  un  certain  cardinal  de  Saint- 
Séverin  qui  s'était  l'ait  un  parti  considérable  :  on  dit  qu'il  avait  employé 
jusqu'à  la  simonie  pour  se  (aire  porter  a  ce  rang  suprême  et  sacré,  pro- 
mettant des  places  aux  uns,  et  jusqu'à  de  l'argent  aux  autres.  La  faction 
espagnole  le  soutenait  avec  la  plus  grande  ardeur  ;  car  il  n'avait  reculé 
devant  aucune  des  conditions  qu'elle  lui  avait  proposées,  et  dès  le  second 
jour  de  conclave,  il  l'ut  résolu  par  ceux  de  celle  faction  (pi'on  l'élirait 
selon  le  mode  dit  d'adoration. 


DU  PKOTESTANTIS.MI':  ES  FUANCE. 


'IXi 


Ils  allèrent  donc  le  |)ren(]re  dans  sa  r,lianii)re  au  nombre  de  Irentc- 
Irois,  et  l'ayant  salué  Pape,  ils  le  conduisirent  dans  la  chapelle  Pauline. 
.Mais  le  cardinal  Ascagnc  Colonne,  (jiii  n'était  |)as  de  cette  l'action,  s'était 
glissé  avec  les  autres  dans  la  chapelle.  Il  lit  à  haute  voix  une  protesta- 
tion motivée,  par  hupielle  il  rejetait  Saint-Séverin,  comme  simonia(|uc 
et  indigne,  menaçant  d'opposer  la  force  à  la  violence,  «  et  de  l'aire,  si 
on  l'y  obligeait,  couler  le  sang  depuis  les  degrés  du  conclave  jusqu'à 
la  basilique  de  Saint-Pierre.  »  (Ciacon,  t.  IV,  j).  2r)0,  et  seq.  —  Spom»., 
ad  hune  ann.,  n"  I .) 

Comme  il  se  trouvait  la  présents  trente-ciiuj  membres  du  Sacré-Col- 
lége,  le  parti  de  Sainl-Severin  jugea  que,  s'il  n'y  avait  plus  moyen  de 
l'aire  l'élection  par  adoration,  après  la  protestation  plus  que  véhémente 
du  cardinal  Ascagne,  on  était  encore  en  nombre  sullisant  pour  y  pi'océder 
par  voie  de  scrutin  ;  et  il  se  hàla  de  l'aire  dire  par  le  doyen  d'âge  la  messe 
du  Saint-Esprit,  laquelle  doit  toujours  précéder  une  semblable  opération. 
Les  cardinaux  du  parti  opposé  lirenl  dire  aussi  la  messe  du  Saint-Esprit 
dans  la  chapelle  Sixline  où  ils  s'étaient  réunis,  de  sorte  qu'il  v  eut  ce 
jour-la  deux  messes  du  Saint-Esprit  dans  le  conclave,  et  lorsqu'il  fut 
(|uestiou  de  voler,  il  ne  se  trouva  plus  que  trente  voix  en  faveur  de 
Saint-Séverin.  Ce  n'(''tait  pas  sullisant  :  on  attendit  jus(]u'à  sept  heures 
du  soir  pour  recueillir  de  nouveaux  voles  ;  mais  il  ne  se  présenta  per- 
sonne, et  chacun  fut  obligé  'a  la  lin  d'aller  se  reposer  dans  sa  cellule. 
Saint-Séverin,  <iui  était  arrivé  se  croyant  bien  Pape  et  qui  déjà  avait 
distribué  des  grâces  et  des  emplois  a  ses  partisans,  s'en  retourna  se 
renfermer  tout  triste  et  tout  seul  comme  les  autres. 

On  batailla  ensuite  pendant  (juinze  jours  pour  ou  contre  son  élection, 
<|uand  tout  a  coup  Peretti  proposa  d'élire  le  cardinal  Aldobrandini. 
(Mêlait  un  homme  généralement  estimé,  et  comme  on  était  las  des  lon- 
gueurs de  tous  ces  débats,  les  voix  se  réunirent  en  sa  laveur.  On  le 
conduisit  'a  la  chapelle  Pauline  revêtu  des  habits  pontilicaux,  et  dès 
(pi'il  eut  été  adoré  selon  la  coutume,  on  lui  demanda  son  consentement. 
Mais  avant  de  s'asseoir  sur  la  chaire  (pion  lui  avait  préj)arée,  il  se  pros- 
terna en  terre,  et  pria  hautement  Dieu  de  lui  ôter  la  vie  sur-le-champ, 
si  son  élection  ne  devait  pas  être  avantageuse  à  l'Église.  Dieu  ne  lui 
ayant  rien  ôlé,  il  se  releva  et  déclara  (ju'il  prenait  le  nom  de  Clé- 
ment VIII.  11  donna  le  baiser  ;i  tous  les  cardinaux,  et  on  le  mena  ensuite 
au  \atican,  avec  les  cérémonies  ordinaires.  Il  était  âgé  de  cimpiante- 
six  ans. 

Clément  \'11I  n'avait  (jue  de  bonnes  intentions,  sans  aucun  doute, 
mais  on  trouva  le  moyen  de  |)révenir  son  esprit  au  sujet  de  la  France  : 
on  lui  représenta  les  choses  de  telle  manière,  qu'il  croyait  la  religion 
calholi(jue  a  jamais  perdue  en  ce  royaume,  si  Henri  de  llourbon  y  était 
\  reconnu  comme  souverain.  On  en  vint  juscpi'ii  lui  |»ersuader  que  quand 
bien  même  ce  prince  consentirait  a  se  convertir,  il  ne  fallait  pas  se  fier 
îi  cette  conversion  (pii  ne  serait  jamais  franche  et  de  bon  aloi.  Clément 
prit  donc  la  résolution  de  détacher  les  calholi(jues  français   du  parti  du 


238  HlSTOllIE  DE  LJ^rrABLISSEMENT 

roi  et  de  les  excommunier  tous  avec  le  roi  lui-même,  s'ils  persislaienl  a 
vouloir  lui  obéir.  (Spond.,  uh.  sup.,  n"  4.) 

Dans  celte  vue,  il  adressa  au  cardinal  de  Plaisance,  qu'il  continua 
dans  ses  fonctions  de  légat,  un  bref  en  forme  de  bulle,  dans  lequel,  après 
avoir  brièvement  rappelé  la  splendeur  du  royaume  de  France  avant  l'in- 
vasion de  rhérésie,  il  dit  «  qu'il  fallait  s'appli((uer  a  y  élire  un  roi  véri- 
tablement dévoué  'a  la  religion  catholique,  et  à  qui  on  ferait  faire  serment 
de  la  défendre  ;  qu'un  prince  qui  fomentait  l'hérésie  et  ne  travaillait  qu'a 
exciter  le  trouble  parmi  ses  sujets  n'était  pas  digne  du  trône.  A  l'exemple 
de  quelques-uns  de  mes  saints  prédécesseurs,  ajoutait-il,  je  voudrais 
pouvoir  aller  moi-même  en  France  y  porter  la  concorde  et  la  bénédic- 
tion du  ciel;  mais  d'autres^graves  occupations  s'opposent  îi  ce  (|ue  je 
fasse  ce  voyage.  C'est  sur  vous,  qui  êtes  mon  légat  et  dont  je  reconnais 
la  prudence  et  la  sagessse,  <[ue  je  me  repose  du  soin  de  cette  grande 
atlaire.  »  Puis  Sa  Sainteté  terminait  cette  bulle  en  exhortant  les  princes, 
les  prélats,  les  seigneurs  et  autres  personnes  attachées  au  roi  de 
Navarre,  'a  ne  plus  favoriser  les  sectaires,  'a  se  séparer  franchement  de 
ceux  avec  les(|uels  il  ne  pouvait  y  avoir  de  véritable  union  et  'a  concourir 
avec  les  autres  catholiques  a  l'élection  d'un  roi  légitime  et  fidèle  a  la  re- 
ligion. 

Ce  bref  du  pape,  quoique  donné  dans  les  premiers  jours  de  son 
règne,  fut  assez  longtemps  sans  pouvoir  être  enregistré  a  Paris,  parce 
que  les  provisions  qui  continuaient  le  cardinal  de  Plaisance  dans  sa  léga- 
tion n'étant  pas  encore  olliciellement  parvenues,  le  Parlement  crut 
devoir  refuser  sa  vérification  jusqu'à  ce  que  les  choses  pussent  se  faire 
selon  les  règles.  Enfin  ])onrtant  ces  pouvoirs  arrivèrent  et  ledit  cardinal 
de  Plaisance,  ayant  été  reconnu  légat,  le  bref  fut  enregistré  le  mardi, 
le  vingt-septième  jour  d'octobre. 

Dès  que  le  Parlement  royaliste  séant 'a  Chàlons  eut  été  informé  de  cet 
enregistrement,  le  Procureur  général  interjeta  appel,  et  la  Cour  donna 
un  décret  d'ajournement  contre  la  personne  du  légat.  «  Attendu,  portait 
ce  décret,  que  des  rebelles  et  séditieux,  dans  le  but  d'arracher  la  cou- 
ronne au  légitime  successeur,  non  contents  d'avoir  rempli  le  royaume 
de  meurtres  et  de  brigandages,  et  d'y  avoir  introduit  l'Espagnol,  l'ennemi 
le  plus  pernicieux  de  la  France,  viennent  encore  proposer  l'élection  d'un 
roi,  comme  si  le  roi  légitime  n'existait  plus,  et  font  à  cet  effet  publier 
certain  écrit  en  forme  de  bulle  portant  pouvoir  au  cardinal  de  Plaisance 
de  provoquer  et  d'aider  cette  prétendue  élection  ;  v  attendu  que  pareille 
énormité  est  de  tout  point  attentatoire  aux  saints  conciles,  aux  libertés 
de  l'Église  Gallicane  et  'a  la  loi  fondamentale  du  royaume  touchant  la 
succession  légitime  de  nos  rois  ;  par  ces  causes,  le  parlement,  toutes 
les  chambres  assemblées,  reçoit  le  procureur  général  appelant  comme 
d'abus  contre  ledit  bref  et  contre  ce  qui  y  est  contenu  ;  ordonne  que  le 
cardinal  de  Plaisance  sera  assigné  a  comparoir  personnellement  en  la- 
dite cour,  et,  en  attendant,  fait  injonction  'a  tous  prélats,  évêques  ou 
autres  de  ne  point  se  laisser  gagner  aux  poisons  et  ensorcellements  de 


DU  niOTESTANTlSME  EN  FRANCE.  2.'W 

icis  rebelles,  mais  de  demeurer  dans  le  devoir  de  lidèles  sujets  et  de  bons 
Français.  Défense  très  expresse  est  signifiée  de  retenir  ladite  bnlle  chez 
soi,  ou  de  la  transporter  dans  aucun  lien  dn  royaume.  De  plus  la  ville 
où  se  tiendrait  une  assemblée  pour  procéder  ii  l'élection  d'un  prétendu 
roi  sera  rasée  et  détruite  de  Ibnd  en  comble,  sans  pouvoir  jamais  être 
réédiliée,  alin  de  servir  de  perpéiuelle  mémoire  a  la  postérité  de  la  pu- 
nition que  mérite  la  trahison.  »  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  V,  p.  170.) 

D'autre  part,  le  président  Neuilly  vint  au  parlement  de  Paris,  faire 
lecture  d'un  arrêt  contradictoire  a  celui  qui  venait  d'être  rendu  i)ar  le 
parlement  de  Châlons.  L'avocat  Dorléans,  l'un  des  pensionnaires  des 
Espagnols,  prononça  a  ce  sujet,  en  présence  du  duc  de  Mayenne  qui  avait 
voulu  assister  a  la  séance,  un  long  discours  tout  rempli  d'injures  et  d'in- 
vectives contre  le  roi  et  contre  ses  partisans  ;  puis  l'arrêt  de  Châlons 
lut  lacéré  publiquement  par  le  bourreau,  au  pied  du  grand  escalier  du 
palais.  (I)k  Tiior,  nb.  sup.) 

Le  duc,  toutefois,  se  sentait  de  plus  en  plus  mécontent  de  l'Espagne 
et  des  Ligueurs,  surtout  depuis  (jue  ces  derniers  avaient  reçu,  sans  dai- 
gner l'en  prévenir,  les  quinze  cents  Wallons  dont  il  avait  plu  au  prince 
de  Parme  d'augmenter  la  garnison  espagnole.  Il  laisait  donc  suivre  avec 
j)lus  de  persévérance  que  jamais  les  négociations  d'arrangement  précé- 
demment entamées  avec  le  roi.  {Journal  de  Henri  /F,  t.  I"'',  p.  22^.) 

Villeroi,  catholique  très-zélé,  comme  on  sait;  Duplessis-Mornay, 
calviniste  non  moins  ferme  dans  sa  foi,  mais  très  attaché  a  Henri  1\  ; 
Jeannin,  tout  dévoué  au  duc  de  Mayenne  et  peu  ami  des  Espagnols,  et 
en  lin  Fleury,  »  assez  indiflérent  au  tond  pour  toutes  les  religions,  » 
avaient  déjà  eu  plusieurs  conférences  de  bouche  et  par  écrit  a  ce  sujet. 
Villeroi  dressa  même  plusieurs  articles  qu'il  voulait  faire  accepter  comme 
préliminaires,  et  dont  voici  les  principaux  :  «  Que  le  roi,  dans  un  délai 
l)rélixé,  déclarera  (pi'il  veut  se  convertir  et  rentrer  dans  l'Église  ;  que 
l'exercice  de  la  religion  catholique  sera  rétabli  partout  où  il  a  été  aboli, 
et  qu'on  maintiendra  les  ecclésiasli(iues  dans  la  possession  de  leurs  biens 
et  privilèges;  que  les  calvinistes  ne  seront  que  tolérés  dans  le  royaunu', 
et  seulement  sur  le  même  pied  où  ils  y  étaient  en  l'année  1585,  sans 
(pi'il  puisse  leur  être  accordé  rien  de  plus  ;  (pie  l'honneur  et  la  mémoire 
de  feu  Monsieur  de  Guise  seront  réhabilités,  sans  néanmoins  oifenser  la 
mémoire  du  feu  roi  ;  que  ceux  de  la  religion  ne  pourront  être  pourvus 
des  gouvernements,  capitaineries,  charges  municipales  et  autres  oflices 
du  royaume  ;  que  les  Etats-Généraux  seront  convo(|ués  pour  coniirmer 
lesdits  articles,  et  qu'on  les  convoquera  dans  la  suite  tous  les  six  ans, 
tant  pour  régler  les  affaires  publiques  que  pour  remédier  aux  abus  dans 
ladministralion  des  linances.  »  [Mém.  de  Villeroi,  ad  ann.  1592.) 

Il  y  avait  déjà  la  de  quoi  mécontenter  la  majeure  partie  des  |)lus 
lidèles  serviteurs  de  Sa  Majesté,  mais  les  catholi(jues  du  parti  de  Henri  1\', 
il  la  tête  desquels  étaient  Monsieur  de  Longueville  et  Monsieur  le  maré- 
chal d'Atîmont,  lirent  dire  (|ue  si  le  duc  de  Mayenne  ollVait  de  reconnaiire 
le  roi  a  condition  qu'il  se  fit  catholique  dans  un  temps  donné,  ils  s'obli- 


240  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

geaient,  eux,  au  cas  que  Sa  Majesté  ne  remplit  pas  cette  condition,  a 
((uitter  son  service  et  à  se  joindre  a  mondit  sieur  de  Mayenne,  pour  avi- 
ser ensemble  a  la  conservation  de  la  religion  et  de  l'État. 

Pour  lors  parurent  quelques  jours  après  de  nouveaux  articles  toujours 
rédigés  par  Villeroi  :  c'était  sur  les  moyens  de  contenter  et  de  dédom- 
mager le  duc  de  Mayenne,  ainsi  (|ue  tous  les  princes  et  grands,  de  sa 
famille  et  de  son  parti.  On  attribua  la  publicité  de  ces  articles,  qui 
devaient  rester  secrets,  a  une  indiscrétion  de  Duplessis-Mornay,  peu 
fâché  sans  doute  qu'on  sût  comment  les  choses  s'arrangeraient.  Quoi 
(ju'il  en  soit,  Mayenne  demandait  qu'on  réunît  le  gouvernement  de 
Bourgogne  'a  celui  du  Lyonnais  et  qu'on  lui  en  donnât  le  commande- 
ment. Il  est  possible  que  cela  devait  bien  un  i)eu  mécontenter  Mon- 
sieur le  duc  de  Nemours,  qui,  possesseur  actuel  du  dernier  de  ces  gou- 
vernements, travaillait  a  s'y  faire  une  domination  absolue,  mais  Sa  Majesté 
aurait  a  le  consoler  en  lui  donnant  quelque  autre  des  plus  belles  pro- 
vinces, avec  une  charge  d'importance  dans  le  royaume,  en  payant  de 
plus  ses  dettes,  et  en  lui  assurant  la  survivance  de  tous  ses  emplois  pour  sa 
postérité.  Monsieur  de  Guise,  devait  conserver  la  charge  de  grand-maitre 
qu'avait  eue  son  père,  comme  aussi  le  gouvernement  de  Champagne. 
Messieurs  ses  frères  auraient  tous  les  autres  bénétices  que  ledit  feu  duc 
possédait  de  son  vivant,  et  on  leur  donnerait  les  moyens  de  s'entretenir 
et  de  payer  leurs  dettes.  Monsieur  de  Mercrour  garderait  le  gouverne- 
ment de  la  Bretagne,  Monsieur  d' Au  maie  celui  de  Picardie,  Monsieur 
d'Elbœuf  celui  du  Bourbonnais  et  Monsieur  de  la  Châtre  celui  du  Berry^ 
Aussitôt  que  ces  articles  furent  connus,  tous  ceux  a  qui  il  restait  quelque 
zèle  pour  le  bien  et  la  gloire  du  royaume,  ceux-mèmes  qui  venaient  de 
mçnacer  de  quitter  le  roi  s'il  ne  se  faisait  catholique,  s'écrièrent  qu'on 
allait  donc  diviser  et  séparer  la  France  entre  une  multitude  de  petits  sou- 
verains et  l'on  prévit  dès  lors  que  cette  fois  encore  les  conférences  pour 
la  paix  n'aboutiraient  a  rien.  {Journal  de  Henri  lY ,  t.  T',  p.  251  et  seq.) 

En  outre  Mayenne,  qui  ne  pouvait  renoncer  à  la  politique  cauteleuse 
dont  il  s'était  toujours  servi  plus  ou  moins  heureusement  jusqu'alors, 
ménageait  dans  le  même  temps  une  double  intrigue  :  d'une  part  avec  le 
duc  de  Nemours, 'a  qui  il  promettait  de  le  faire  roi  en  lui  faisant  épouser 
l'Infante,  s'il  voulait  consentira  lui  laisser  la  charge  de  lieutenant  géné- 
ral de  l'Etat  de  France;  d'autre  part  avec  le  cardinal  de  Bourbon,  chef 
du  tiers  parti.  Il  olïVait  a  ce  prince  de  lui  mettre  la  couronne  sur  la  tête, 
lui  promettant  le  concours  de  tous  les  catholiques  du  royaume  et  espé- 
rant qu'il  retiendrait  sous  le  règne  du  neveu,  l'autorité  dont  il  avait  joui 
sous  celui  de  l'oncle.  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  V,  p.  184.  —  Mkzehav, 
t.  III,  p.  950.) 

C'était  la  chose  que  le  roi  redoutait  le  plus  de  toutes  celles  qui  le 
pouvaient  traverser  et  celle  qui  lui  faisait  le  plus  souhaiter  un  accom- 
modement ;  car  il  s'en  fallait  encore  ([u'il  fût  dans  une  position  à  pou- 
voir compter  sur  son  droit  de  légitimité.  L'hostilité  du  Pape  lui  donnait 
'a  craindre  que  les  souverains  de  l'Italie,  pour  avoir  la  paix  avec  la  cour 


j 


DU  I'II()TE8TANT1SM1l  KN  FRANCE.  2il 

de  Komc  et  par  amour  poui'  la  religion,  ne  s'empressasseiil  de  recon- 
iiailre  un  roi  catlioliiiiic,  si  on  en  élisait  un  (|iii  tVil  de  la  race  Irançaise. 
Il  savait  (juil  ne  l'allait  pas  trop  compter  sur  les  secours  mercenaires  des 
princes  protestants  de  rAllemagne,  tant  à  cause  des  rivalités  qui  régnaient 
entre  eux,  <jue  parce  (|ue  les  troupes  qu'ds  lui  envoyaient,  en  les  faisant 
assez  chèrement  payer,  étaient,  comme  il  avait  pu  s'en  apercevoir 
tout  récemment,  plus  propres  à  exercer  le  brigandage  qu'à  laire  la  guerre. 
Pour  l'Anglelerre,  c'était  a  des  conditions  si  dures  (|ue  la  reine  Élisahetli 
lui  avait  vendu  les  derniers  secours  (pi'elle  venait  de  lui  l'aire  parvenir, 
(|u'il  ne  se  sentait  pas  le  courage  de  recourir  de  nouveau  à  elle.  Celte 
princesse,  cpii  semblait  n'avoir  d'autre  but  que  d'entretenir  en  France 
une  guerre  interminable,  et  de  s'y  ménager  une  porte  toujours  ouverte, 
avait  exigé  (|u'ii  ne  ferait  aucune  paix  avec  les  Ligueurs,  avant  qu'ils  lui 
aidassent  eux-mêmes  a  chasser  les  Espagnols  du  royaume,  ni  avec  les 
Espagnols  sans  le  consentement  de  Sa  .Majesté  Anglicane  ;  qu'en  outre 
il  donnerait  a  l'Anglelerre  une  place  forte  en  Bretagne,  où  il  y  eût  havre 
pour  recevoir  en  toute  sûreté  les  vaisseaux  anglais,  et  (|u"il  lui  rendrait 
dans  un  an  tout  l'argent  qu'elle  aurait  dépensé,  sans  quoi  elle  garderait 
comme  gage  la  susdite  place. 

H  y  avait  encore  un  autre  inconvénient  beaucoup  plus  pressant.  Les 
linances  étaient  dans  le  plus  déplorable  état:  les  gouverneurs  des  pro- 
vinces et  des  places  fortes  ne  s'occupaient  guère  qu'à  profiter  de  leur 
autorité  pour  s'enrichir  et  semblaient  tous  d'accord  entre  eux  pour  pro- 
longer une  guerre  qui  leur  offrait  de  si  belles  chances  ;  mais  aucun  ne 
songeait  à  fournir  au  trésor  royal  la  moindre  ressource  ;  aussi  Sa  Ma- 
jesté se  trouvait  décidée  pour  son  compte  à  accepter  les  propositions  de 
Mayenne,  quelque  onéreuses  qu'elles  fussent  ;  mais  son  conseil  n'était 
pas  de  cet  avis. 

Pendant  (|u'on  perdait  ainsi  le  temps  en  négociations  sans  résultat, 
^■illars,  tout  fier  du  succès  qu'il  avait  obtenu  par  sa  défense  de  Rouen, 
mettait  le  siège  devant  Ouillebœuf.  C'était  une  place  (|u'on  commençait 
à  considérer  comme  de  grande  importance,  car  sa  situation  sur  le  bord 
(le  la  Seine  et  le  caractère  de  ses  habitants,  tous  intrépides  marins,  la 
rendaient  maîtresse  des  communications  entre  le  Havre  et  la  capitale  de 
la  Normandie.  Sa  Majesté  avait  donc  tout  récemment  ordonné  qu'on  la 
fortifiât,  et  Hellegarde  en  avait  demandé  le  commandement.  .Mais  Dufàv, 
chancelier  du  royatmie  de  Navarre,  s'était  donné  lui-même  la  commission 
de  présider  aux  constructions.  Il  fit  faire  par  les  ingénieurs  un  plan 
gigantes(pie,  dans  h^piel  il  enfermait  un  terrain  immense,  et  déjà  il 
avait  fait  creuser  les  fossés  bien  avant  dans  la  plaine.  (^)uand  il  crut 
(pie  les  travaux  (ju'on  avait  déjà  exécutés  mettaient  à  peu  près  la  place  en 
état  de  défense,  il  dit  à  Hellegarde,  (pii  lui  présentait  la  nomination  <lu 
roi  qu'il  venait  d'obtenir  :  «  C'est  moi  qui  ai  construit,  et  ce  que  j'ai  cons- 
truit, je  le  garde  pour  moi.  »  11  avait  eu  soin  probablement  de  mettre 
de  son  côté  les  officiers  et  les  éipiipages  des  vaisseaux  hollandais  qui 
étaient  encore  a  l'ancre  sur  la  rivière,  et  il  s'était  également  assuré  de 
IV.  10 


242  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

la   proleclion  de  la  reine  anglaise  qui  lui  avait   promis  un  secours  de 

troupes. 

Bellegarde,  <|ui  se  croyait  fort  de  son  droit,  assemble  aussitôt  ses  amis, 
et  réclame  l'assistance  du  duc  de  Montpensier,  gouverneur  de  la  province. 
Celui-ci  lui  donne  quelques  bataillons  pour  chasser  l'usurpateur  ;  mais  il 
ne  réussit  pas  et  se  fait  battre.  Cette  nouvelle  étant  parvenue  a  la  cour, 
les  catholiques  s'en  émurent  ;  ils  disaient  que  Dufay,  étant  protestant  et 
chancelier  de  Navarre,  avait  très-certainement  un  aveu  du  roi  son 
maître,  sans  quoi  il  n'aurait  pas  osé  se  permettre  une  telle  rébellion  ;  que 
c'était  par  de  semblables  moyens  (jue  le  prince  qu'ils  avaient  eu  le  tort 
de  se  donner  rivait  les  chaînes  dont  il  se  proposait  de  les  charger  tous 
pour  les  sacrifier  à  l'hérésie. 

Sa  Majesté  entra  dans  une  furieuse  colère  quand  on  lui  fit  part  de 
l'insubordination  de  Dufay  et  des  commentaires  dont  on  accompagnait 
cet  acte.  Elle  jura  qu'elle  arracherait  Dufay  de  son  fort,  mort  ou  vif,  et 
elle  voulait  y  aller  elle-même  sans  retard  avec  toute  son  armée  ;  mais 
ses  conseillers  les  plus  prudents  lui  hrent  comprendre  que,  le  coupable 
ayant  eu  la  précaution  de  s'appuyer  de  l'assentiment  des  Anglais  et  des 
Hollandais,  il  y  aurait  quelque  risque  a  rompre  avec  ces  alliés  dont  les 
secours  lui  étaient  encore  nécessaires  ;  qu'il  valait  donc  mieux  essayer 
d'abord  les  voies  de  la  négociation,  et  l'on  envoya  Duplessis-Mornay 
traiter  cette  alfaire  sur  les  lieux.  La  négociation  ne  fut  pas  bien  longue  ; 
il  trouva  Dufay  malade  et  presque  à  l'article  de  la  mort,  et  pendant  que 
celui-ci  rendait  le  dernier  soupir,  Mornay,  après  lui  avoir  promis  le  sté- 
rile honneur  d'être  enterré  sous  un  des  bastions  qu'il  avait  fait  con- 
struire, s'empara  de  la  place  et  y  établit  Bellegarde  comme  comman- 
dant. 

Ce  fut  quelques  jours  après  que  Villars  vint,  comme  j'ai  dit  plus  haut, 
assiéger  Quillebœuf  avec  une  armée  de  plus  de  quatre  mille  hommes. 
Bellegarde,  secondé  par  le  comte  de  Torigny,  lils  aîné  du  maréchal  de 
Matignon,  et  par  le  brave  Grillon,  fit  nue  si  belle  résistante  qu'après 
quinze  jours  de  siège,  pendant  lesquels  trois  mille  cinq  cents  coups  de 
canon  avaient  été  tirés  et  deux  assauts  livrés,  l'ennemi  se  vit  contraint 
de  décamper,  sur  la  nouvelle  qu'il  eut  de  l'approche  de  Fervaques,  déjà 
en  route  pour  secourir  les  assiégés. 

Villars  fut  plus  heureux  a  Pont-Audemer,  que  le  gouverneur  lui  vendit 
'a  beaux  deniers  comptants. 

En  ce  temps-l'a  le  roi  était  toujours  auprès  de  Madame  Gabrielle. 
Monsieur  le  duc  de  Nevers,  en  sa  qualité  de  gouverneur  de  la  Champagne, 
vint  lui  faire  entendre  qu'il  était  de  la  dernière  importance  de  reprendre 
la  ville  d'Épernay.  Sa  Majesté,  qui  était  bien  aise  d'avoir  encore  un  peu 
de  temps  pour  se  délasser  de  ses  dernières  fatigues  et  de  toutes  les 
intrigues  qui  se  remuaient  autour  d'elle,  y  envoya  le  maréchal  de  Biron. 
Celui-ci,  s'étant  imprudemment  approché  pour  reconnaître  la  place,  eut 
la  tête  emportée  d'un  boulet  de  canon.  <■<  Il  avait  passé  presque  toute  sa 
vie  a  faire  la  guerre;  il  avait  commandé  dans  sept  batailles  rangées  et 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCK.  243 

il  nionliait  un  pareil  nombre  de  blessures  qu'il  avait  reeues,  loules  par 
(levant;  car  c'était  un  des  plus  braves  guerriers  de  l'époiiue.  Mais  il  était 
impérieux,  envieux,  emporté  et  jaloux  des  succès  des  autres,  qu'il  s'el- 
lorrait  toujours  de  rabaisser.  On  dit  qu'il  avait  écrit  jour  par  jour  les 
mémoires  de  sa  vie.  »  Par  l'indillérence  de  son  lils,  ou  par  prudence; 
peut-être,  ces  mémoires  ont  été  perdus.  (Di;  Tiiou,  liv.  105,  p.  490 
et  suiv.) 

Le  roi  se  montra  très-touclié  de  la  mort  d'un  aussi  grand  capitaine, 
et  il  vint  lui-même  sans  difîérer  poursuivre  le  siège  d'Épernay.  Il  y  avait 
dans  cette  ville  douze  cents  hommes  de  garnison  des  meilleures  troupes 
de  l'armée  du  duc  de  Parme.  Un  régiment  de  Wallons,  (jui  en  faisait 
partie,  était  sorti  de  la  ville  pour  laire  une  expédition  dans  la  campagne; 
le  roi,  accompagné  de  quelques-uns  de  ses  gentilshommes,  rencontra  ce 
régiment  comme  il  revenait  pour  rentrer  dans  la  place,  et  il  résolut  de 
l'attaquer  malgré  l'inégalité  du  nombre.  Ayant  donc  exhorté  les  siens  à 
bien  faire,  il  laissa  d'abord  passer  les  trois  premiers  rangs  sans  se  mon- 
trer; alors,  mettant  l'épée  'a  la  main,  il  poussa  le  premier  son  cheval 
dans  le  tlanc  des  bataillons,  renversant  tout  ce  qui  se  présentait  a  lui. 
Ceux  qui  se  trouvaient  là  a  sa  suite  se  lirent  un  devoir  de  montrer  le 
même  courage,  de  sorte  que  le  régiment  se  rompit  et  prit  la  fuite  en 
désordre;  mais  les  fuyards  rencontrèrent  les  autres  corps  de  l'armée 
royale  et  furent  taillés  en  pièces,  'a  la  vue  des  assiégés  qui  étaient  accou- 
rus sur  leurs  remparts.  Cela  ne  se  lit  pas  pourtant  sans  que  les  royaux 
n'eussent  à  regretter  la  perte  de  plusieurs  braves  oflîciers,  et  d'un  assez- 
grand  nombre  de  cavaliers  qui  furent  tués  à  coups  de  piques  en  cette 
occasion. 

On  ferma  le  même  jour  tous  les  passages  afin  d'empêcher  le  capi- 
taine Saint-Paul,  qui  se  disposait  a  secourir  la  ville,  de  pouvoir  en  appro- 
cher. On  avait  déjà  desséché  le  fossé  et  dressé  une  batterie  de  quatre 
pièces,  et  le  baron  de  liiron,  pressé  de  venger  la  mort  de  son  père, 
venait  de  s'emparer  du  bastion  qui  défendait  la  ])lace  de  ce  côté-là; mais 
il  avait  été  lui-même  blessé  dangereusement  d'un  coup  d'arquebuse  à 
l'épaule,  pendant  qu'il  travaillait  à  s'y  retrancher. 

On  se  disposait  à  donner  un  assaut  général,  (piand  les  assiégés,  (|ui 
jusqu'alors  avaient  montré  beaucoup  de  résolution,  commencèrent  à 
perdre  courage  et  demandèrent  à  capituler;  il  leur  fut  accordé  qu'ils 
sortiraient  sur  le  soir  même  de  la  ville,  avec  armes,  bagages  et  chevaux, 
mais  mèches  éteintes  et  sans  leurs  drapeaux  ni  leurs  tambours,  n'em- 
portant rien  de  ce  qui  pourrait  appartenir  aux  habitants;  ils  étaient  tenus 
de  laisser  au  roi  toute  leur  artillerie  et  toutes  leurs  munitions  de  guerre, 
et  ils  devaient  être  escortés  jusqu'à  Reims. 

Le  duc  de  Guise  venait  alors  d'arriver  dans  celte  dernière  ville  à  la 
tête  de  toute  la  cavalerie  lorraine,  et  il  était  parti  en  bonne  résolution  de 
tenter  un  coup  pour  secourir  Épernay;  mais  il  apprit  là,  par  tpute  la 
garnison  qu'on  lui  ramenait,  qu'il  était  arrivé  trop  lard.  Le  roi,  après 
avoir  pourvu  à  la  conservation  de  la  place  qu'il  venait  de  reprendre,  s'en 


244  HISTOIRE  DE  L'É^i'ABLlSSEMENT 

alla  mettre  le  siège  devant  Provins,  capitale  de  la  Brie.  C'est  une  grande 
ville  presque  déserte  et  de  peu  de  défense,  a  cause  de  sa  situation  sur  un 
terrain  inégal.  Aussi  n'eut-on  besoin  que  de  présenter  l'apparence  d'un 
siège  pour  obliger  à  en  ouvrir  les  portes. 

Ensuite,  l'armée  royale  se  rapprocba  de  Paris.  Le  duc  de  Nevers 
ouvrit  l'avis  de  bâtir  un  fort  a  Gournay,  petite  ville  située  tout  près  de 
l'abbaye  de  Chelles,  afin  d'intercepter  les  convois  qui  descendaient  par 
la  Marne;  et  aussit(3t,  pour  construire  ce  fort,  on  s'en  alla  démolir  de 
fond  en  comble  un  prieuré  de  l'ordre  de  Saint-Benoît  qui  était  dans  le 
voisinage,  et  dont  on  employaics  matériaux 'a  élever  les  remparts  du  nou- 
veau bâtiment,  ce  qui  fit  bien  crier  les  catholiques  et  surtout  les 
Ligueurs.  Mais  le  fort  ne  s'en  éleva  pas  moins,  et  les  Parisiens,  qui  rece- 
vaient auparavant  d'énormes  quantités  de  provisions  leur  venant  de 
Meaux  et  de  Château-Thierry,  virent  cette  ressource  leur  échapper. 
Aussi  poussèrent-ils  de  longues  plaintes,  et  la  crainte  de  mourir  de  faim 
se  répandit  par  tout  Paris.  (Le(;rai.n,  Décades,  liv.  5,  p.  249.  —  Journal 
de  HenriIV,i.  I,  p.  248.) 

Les  royalistes,  poiu-  se  moquer  des  Ligueurs,  appelèrent  leur  fort 
Pille-Badaud.  Mayenne,  qui  venait  de  rentrer  dans  la  capitale,  fut  supplié 
d'aller  délivrer  la  bonne  ville  des  incommodités  de  ce  fort  de  Pille-Badaud  ; 
mais  Odet  de  La  Noue,  fils  du  brave  La  Noue  Bras-de-Fer,  'a  qui  le  roi 
en  avait  donné  le  commandement,  lit  une  si  belle  contenance,  que 
Mayenne,  craignant  de  s'attirer  sur  les  bras  toute  l'armée  royaliste, 
laquelle  n'était  pas  bien  éloignée,  jugea  prudent  de  se  retirer,  n'ayant 
tenté  qu'un  petit  nombre  d'escarmouches,  et  perdu  seulement  quelques 
soldats  qui  furent  tués. 

Cependant  les  prélats  qui  s'étaient  rangés  du  côté  de  Henri  IV  sen- 
taient qu'il  était  temps  enfin,  pour  éviter  la  continuation  des  troubles, 
que  Sa  Majesté  donnât  satisfaction  a  l'Église.  Nicolas  Fumée,  évéque  de 
Beauvais,  homme  de  probité  et  de  grand  sens,  ne  cessait  d'insister 
auprès  du  dit  prince  pour  (pi'il  rentrât  dans  le  giron  de  la  communion 
romaine,  et  pour  obtenir  de  lui  l'envoi  d'un  ambassadeur  auprès  du 
Saint-Père,  «  qu'il  serait  très-probablement,  disait-il,  aisé  de  guérir  de 
ses  préventions  en  laveur  de  la  Ligue.  »  (De  Tiiou,  ubi  sup.) 

Le  roi  ne  sentait  que  trop  la  nécessité  et  l'importance  de  cette 
démarche;  il  voulut  pourtant  en  conférer  avec  le  président  De  Harlay 
et  quelques-uns  des  principaux  membres  de  ce  même  parlement  de  Tours, 
qui  avait  rendu  un  arrêt  contre  la  fameuse  bulle  du  pape  Grégoire  XIV, 
et  qui,  par  ce  même  arrêt,  avait  décidé  que,  le  Pape  ne  pouvant  plus 
être  regardé  que  comme  ennemi  du  royaume,  ce  serait  trahir  l'Etat  que 
de  lui  envoyer  un  ambassadeur.  Le  président  et  les  conseillers  s'oppo- 
sèrent ouvertement,  comme  de  juste,  a  ce  qu'on  violât  l'arrêt  rendu 
par  leur  cour.  (Suprù.) 

On  a  vu  qu'il  avait  déjà  été  question  d'établir  en  France  un 
patriarche,  et  l'archevêque  de  Bourges,  dit-on,  remit  alors  celte  question 
sur  le  tapis,  comptant  toujours  que  cette   dignité  lui  reviendrait  en  sa 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  245 

qualité  de  primat  dos  Gaules.  Celle  fois  il  lit  \aloir,  non  sans  raison, 
(|iie  tout  ce  qu'on  avait  déjà  tenté  en  France  pour  régler  la  collation 
régulière  des  bénélices,  eu  se  passant  de  la  cour  de  Kome,  n'avait 
amené  aucun  résultat  satisfaisant,  et  qu'il  était  temps  d'essaver  de  ce 
dernier  remède. 

L'évé({ue  de  lieauvais,  qui  conseillait  de  s'arranger  avec  le  Pape,  avait 
donc  bien  des  obstacles  a  vaincre.  Il  représenta  a  Sa  Majesté  que  les 
arrêts  mêmes  des  cours  souveraines,  (|uand  ils  étaient  contraires  a  la 
discipline  généralement  reçue  dans  l'Église,  et  aux  saints  canons,  ne 
pouvaient  être  qu'une  source  de  troubles,  et  il  supplia  le  roi,  au  nom 
de  la  paix  et  du  bien  de  l'Etat,  de  révoquer,  comme  il  en  avait  le  droit, 
l'arrêt  de  son  parlement  de  Tours.  Henri  balança  sur  la  réponse  qu'il 
devait  faire  à  une  pareille  demande.  (De  Thou,  p.  407.) 

Il  rejeta  cependant  l'idée  d'établir  un  patriarcbe,  dont  l'autorité  em- 
brasserait le  royaume  entier;  car  il  lui  parut  plus  conforme  'a  la  pru- 
dence de  contenir  le  clergé  dans  les  bornes  d'un  rang  seulement  respec- 
table et  respecté,  que  de  créer  a  la  tête  de  cet  ordre  une  sorte  de 
souveraineté,  dont  le  premier  inconvénient  serait  de  menacer  la  France 
d'un,  schisme  avec  Rome,  et  qui,  de  plus,  pourrait  bien  n'être  pas 
approuvée  de  tous  les  catholiques  de  la  nation,  et  par  suite  les  partager 
eux-mêmes  en  deux  camps.  Pour  éviter  ce  double  inconvénient,  il  com- 
mença par  donner  un  édit,  ipii  remettait  aux  archevêques  métropolitains 
le  droit  de  conlirmer  la  nomination  a  tous  les  bénéfices  et  charges  ecclé- 
siastiques, avec  pouvoir  d'accorder  les  mêmes  dispenses  qu'accorde  le 
Saint-Siège,  chacun  dans  l'étendue  de  sa  métropole;  que  s'il  arrivait  que 
le  métropolitain  eût  abandonné  le  parti  du  roi,  ou  refusât  de  se  sou- 
mettre a  redit,  le  métropolitain  le  plus  prochain  prendrait  sa  place. 

Ensuite,  il  permit  à  Monsieur  de  Gondi,  qui  était  sur  le  point  de 
partir  pour  Home,  dans  le  dessein  d'y  porter  lui-même  sa  justilication, 
d'emmener  avec  lui  le  marquis  de  Pisani,  (|;ii  avait  déjà  été  ambassadeur 
a  la  cour  ponlilicale,  et  il  donna  a  ce  dernier  des  instructions  pour  Sa 
Sainteté,  le  chargeant  de  la  supplier  au  nom  des  princes,  évêques  et 
seigneurs  du  parti  du  roi,  de  vouloir  bien  recevoir  Sa  Majesté  en  grâce. 
Le  Sénat  de  Venise  promit  de  faire  appuyer  cette  sollicitation  par  ses 
ambassadeurs. 

Le  cardinal  et  Pisani  partirent  au  mois  d'octobre.  Dès  qu'ils  lurent 
arrivés  aux  Alpes  des  Grisons,  le  marquis  s'arrêta  auprès  du  lac  de 
Garde,  et  le  cardinal  continua  sa  route  vers  Home,  il  espérait  détruire 
les  mauvaises  im|)ressions  que  les  Espagnols  avaient  données  au  Sainl- 
Père;  mais  il  n'était  déjà  plus  temps.  Clément  V'ili  envoya  au-devant  de 
lui  un  dominicain  pojn*  lui  défendre  de  mettre  le  pied  sur  les  terres  de 
l'Etat  ecclésiasti(|ue,  et  lui  reprocha  de  ne  s'être  comporté  dans  les 
troubles  de  France  ni  en  bon  cardinal,  ni  même  en  bon  chrétien,  en 
se  déclarant  pour  le  Béarnais,  hérétique,  relaps  et  doublement  excom- 
munié. «  \'ous  n'avez  j)as  craint,  lui  faisait  dire  le  Pape,  d'avoir  des 
confcM-cnces  avec  ce  réprouvé,  contre   la   défense  expresse  des  apê)tres 


246  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

saint  Jeali  et  saint  Paul.  Vous  avez  osé  assurer  que  je  le  recevrais  en 
srâce.  et  l'admettrais  à  la  succession  a  la  couronne  du  royaume  très- 
chrétien,  en  lui  donnant  l'absolution,  aussitôt  quil  aurait  une  fois  seu- 
lement assisté  à  la  messe  ;  et  vous  n'avez  tenu  aucun  compte  des  ordres 
de  mon  légat,  le  cardinal  de  Plaisance,  qui  vous  ordonnait  en  mon  nom 
d'abandonner  le  parti  d'un  rebelle  a  la  Sainte-Église.  » 

Le  cardinal  répondit  que  toutes  ces  inculpations  étaient  fausses  et 
sans  fondement;  que  s'il  avait  eu  une  entrevue  avec  le  roi  de  Navarre, 
la  nécessité  l'y  avait  contraint,  ne  lui  appartenant  pas  de  refuser  une 
conférence  avec  un  prince  qui  était  d'ailleurs  en  état  de  l'y  contraindre, 
maître,  comme  ill'était,  de  presque  tout  le  royaume;  que  pour  tout  le 
reste,  il  lui  était  bien  pénible  de  se  voir  condamné  sans  être  entendu, 
quand  il  venait,  au  contraire,  se  présenter  en  toute  docilité  au  jugement 
de  Sa  Sainteté,  pour  se  purger  des  crimes  qu'on  lui  reprochait,  ou,  s'il 
était  reconnu  coupable,  pour  subir  la  peine  qu'il  aurait  méritée;  qu'il 
voyait  bien  qu'il  devait  y  avoir  l'a  quelque  intrigue  de  la  part  de  ceux  qui 
étaient  intéressés  a  empêcher  le  Souverain-Pontife  de  connaître  le  véri- 
table état  et  les  besoins  de  la  France.  «  Saint-Père,  disait-il,  vous  ignorez 
peut-être  qu'il  y  a  maintenant  dans  le  royaume  plus  de  quarante  évêcbés 
vacants,  dont  les  revenus  sont  en  proie  'a  des  soldats,  et  même  'a  des 
femmes,  ce  qui  cause  la  perte  des  âmes  qui  n'ont  plus  de  nourriture 
spirituelle;  et  ce  sont  ceux-mêmes  dont  vous  avez  accueilli  les  calom- 
nies, parce  qu'ils  cachent  leur  ambition  sous  l'apparence  du  zèle  et  du 
dévouement  pour  le  Saint-Siège,  qui  sont  la  cause  de  tous  ces  maux. 
Quant  a  moi,  je  n'ai  ni  la  témérité,  ni  l'impudence  de  me  flatter  qu'un 
faible  cardinal  puisse  arrêter  l'État  sur  le  penchant  de  sa  ruine.  Pour 
accomplir  ce  grand  acte  de  salut,  il  faut  toute  la  force  du  bras  de  Dieu 
et  toute  l'autorité  sacrée  de  son  vicaire  sur  la  terre,  et  voilà  pourquoi  je 
n'ai  pas  hésité  'a  me  mettre  en  chemin  pour  venir  implorer  la  justice  et 
la  protection  de  Votre  Sainteté.  » 

Le  dominicain  retourna  porter  cette  réponse  aussi  respectueuse 
qu'habile  au  Pape,  et  la  colère  du  Souverain-Pontife  fut  apaisée  ;  il  per- 
mit au  cardinal  de  Gondi  de  venir  à  Rome,  à  condition  qu'il  ne  cher- 
cherait a  tavoriser  ni  les  hérétiques  ni  leurs  fauteurs;  c'était  déjà  quelque 
chose  de  gagné.  Gondi  gagna  encore  davantage,  en  causant  familière- 
ment avec  Clément  VIII,  dont  il  avait  fini  par  obtenir  la  confiance.  «  Mais, 
Père  saint,  lui  dit-il  un  jour,  puisque  le  roi  m'a  chargé  de  vous  dire  qu'il 
est  dans  l'intention  bien  sincère  de  se  convertir,  quelle  difficulté  y  trou- 
vez-vous? N'avez-vous  pas  la  puissance  de  le  recevoir?  —  Qui  en  doute? 
répondit  le  Pape.  Mais  il  est  requis  que  je  laisse  frapper  a  ma  porte  plus 
d'une  fois,  afin  de  mieux  connaître  si  l'intention  est  telle  qu'elle 
doit  être.  —  Ah!  s'écria  le  cardinal,  qu'il  vous  plaise  bien  plutôt  d'ou- 
vrir promptement  et  toutes  grandes  les  portes  de  l'Église,  pour  y  rece- 
voir son  fils  premier-né.  —  Je  le  ferai,  reprit  le  Pape,  quand  il  en  sera 
temps,  j  (Caykt,  iihi  siip.) 

En  attendant,  la  misère  à  Paris  était  'a  son  comble.  Les  denrées  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE..  247 

première  nécessité  étaient  hors  de  prix,  et  depuis  l'époque  du  siège,  qui 
avait  épuisé  tontes  les  ressources,  le  peuple  n'avait  plus  £i;uère  que  des 
dettes,  lesquelles  allaient  chaque  jour  en  s'augmentant.  Le  parlement, 
voulant  soulager  en  quelque  manière  tout  cet  amas  de  souffrances, 
décréta  que  le  prix  des  loyers  des  maisons  serait  réduit  des  deux  tiers 
pour  les  haux  qui  remontaient  a  lijSO,  et  d'un  tiers  seulement  pour  les 
baux  faits  après  la  levée  du  siège.  (De  ïhou,  iibi  siip.) 

Alors  la  foule  s'assembla,  encouragée  par  cette  première  concession, 
et  vint  en  tumulte  se  plaindre  de  la  rigueur  des  contraintes  que  les 
créanciers  exerçaient  contre  leurs  débiteurs.  Mais  le  parlement  répondit 
par  un  autre  arrêt  faisant  défense  aux  Parisiens  de  s'assembler  ainsi, 
parce  qu'ils  ressemblaient  plutôt  a  une  bande  de  séditieux  (|u'a  d'hon- 
nêtes suppliants;  il  refusa  d'abroger  le  droit  qu'a  celui  a  qui  il  est  dû  de 
saisir  le  bien  de  celui  qui  lui  doit;  seulement  il  prescrivit  que  les 
meubles  saisis  ne  pourraient  être  ni  vendus  ni  enlevés,  jusqu"a  une  cer- 
taine époque,  qui  lut  lixée  à  trois  mois  pour  les  habitants  des  faubourgs 
Saint-Lazare,  Saint-.Martin  et  Saint-Denis,  dont  les  maisons  avaient  été 
détruites  et  les  jardins  ravagés  par  les  assiégeants. 

Cette  loi  n'empêcha  pas  les  Parisiens  de  s'inquiéter.  Si  l'on  cessa 
pour  un  temps  de  se  rassembler  dans  la  rue,  on  se  réunissait  dans 
diverses  maisons.  Les  politi(|ues,  comme  on  nommait  les  amis  du  roi, 
tenaient  leurs  conciliabules  chez  le  sieur  d'Aubray,  prévôt  des  mar- 
chands. Treize  des  colonels  de  Paris,  avec  un  grand  nombre  de  capi- 
taines et  de  bourgeois,  s'étaient  déjà  déclarés  pour  ce  parti.  Quelques 
jours  après,  on  s'assembla  de  nouveau  dans  la  maison  de  l'abbé  de 
Sainte-Geneviève,  et  dès  lors  on  se  crut  assez  fort  pour  demander  à 
haute  voix  qu'on  fît  enfin  la  paix  avec  le  roi,  puisqu'il  était  le  vrai  héritier 
de  la  couronne  de  France,  et  (]ue  les  princes  de  la  maison  de  Bourbon 
ne  laisseraient  jamais  Paris  en  paix,  si  la  maison  de  Lorraine  ou  quelque 
autre  étranger  se  mettait  sur  le  trône.  Un  assez  grand  nombre  de  ceux- 
l'a  mêmes  qui  avaient  embrassé  la  Ligue  parut  ne  pas  trop  s'opposer  à 
celle  proposition.  L'avocat  Dorléans,  jusque-la  si  zélé,  n'hésita  pas  à 
répondre  au  duc  de  Mayenne,  qui  s'était  rendu  en  personne  a  la  grande 
audience,  tenue  a  ce  sujet  dans  le  parlement  :  «  Monseigneur,  la  ville  de 
Paris  est  pauvre  et  désolé^;  il  est  temps  de  chercher  dans  la  paix  un 
remède  aux  maux  de  cette  malheureuse  cité.  »  Et,  parlant  du  roi,  il 
allégua  audacieusement  Texemple  de  l'empereur  Valentinien,  qui  avait 
été  aussi  chassé  de  l'empire  pour  cause  de  religion,  mais  (pii,  s'étant 
converti,  avait  été  rappelé,  et  l'usurpateur  massacré.  {Journal  de 
Henri  JV,  t.  I,  p.  258.  —  Ihid.,  p.  24."».  —  Remar^ques  sur  la  Satire 
Ménippée,  p.  24 i  et  suiv.) 

Dorléans  pourtant  ne  persista  pas  dans  de  pareils  sentiments, 
comme  on  le  verra  bientôt.  La  Sorbonne,  au  contraire,  qui  tenait  a 
honneur  de  se  montrer  inébranlable,  lit  |>araîlre  en  latin  une  décision 
par  la<|uelle  elle  affirmait  que  c'était  une  impiété  et  une  folie  de  désirer 
que  le  roi  de  Navarre  se  convertit,  et  elle  s'appuyait  sur  douze  raisons 


248  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

dont  les  principales  sont  :  «  Que  cela  serait  contraire  au  serment  fait  a 
la  Sainte-Ijiion;  que  cela  répugne  a  la  conscience  des  vrais  chrétiens; 
que  pour  former  légitimement  un  pareil  souhait,  il  faudrait  être  bien  sûr 
du  consentement  général  et  surtout  de  Taiitorisation  du  Pape,  ce  qui  est 
bien  loin  d'être  le  cas;  ergo,  etc.  » 

De  son  côté,  le  parti  des  zélés,  presque  en  entier  composé  de  l'an- 
cienne faction  des  Seize,  présenta  au  duc  une  adresse  très-hardie. 
«  Depuis  la  mort  de  certains  bons  catholiques,  lui  disaient-ils,  en  fai- 
sant allusion  a  ceux  des  leurs  qu'il  avait  fait  pendre,  et  depuis  la  pros- 
cription d'un  bien  plus  grand  nombre  d'autres,  l'audace  des  ennemis  de 
la  religion  et  des  partisans  du  liéarnais  s'est  tant  augmentée,  que  les 
voila  maintenant  traitant  publiquement  du  rétablissement  de  l'hérésie,  et 
c'est  au  tour  des  fidèles,  dépouillés  de  toute  autorité,  d'en  venir  aux. 
prières  et  requêtes  pour  qu'on  sauve  la  religion.  Les  suppliants  donc, 
pour  la  décharge  de  leur  conscience  envers  Dieu  et  envers  les  hommes, 
viennent  vous  conjurer  d'avoir  a  remédier  promptement  a  ce  mal  ;  et 
pour  cela,  attendu  la  nécessité  des  affaires,  il  faut  se  hâter  de  rappeler 
les  bannis;  purger  le  parlement  de  tous  ces  méchants  partisans  du  roi 
de  Navarre,  et  punir  sans  pitié  ceux  qui  parleraient  de  rendre  la  ville  a 
l'hérétique.  »  (Cavet,  ubi  swp.) 

A  quoi  Mayenne  répondit  :  «  Que  le  roi  d'Espagne  me  fournisse  donc 
d'abord  les  fonds,  et  les  autres  moyens  nécessaires  pour  cela.  »  Et  le 
vendredi,  sixième  jour  de  novembre,  ayant  assemblé  'a  l'Hôtel-de-Ville 
les  capitaines,  les  colonels  et  les  notables  bourgeois,  il  leur  fît  un  dis- 
cours «  arrosé  d'huile  et  de  vinaigre  »,  dans  lequel,  après  s'être  plaint 
amèrement  de  toutes  ces  assemblées  illégales  qu'on  faisait  de  part  et 
d'autre  dans  Paris,  il  donna  de  grandes  louanges  a  la  constance  et  au 
courage  que  les  Parisiens  avaient  déployés  pendant  les  temps  bien  plus 
malheureux  encore  qui  venaient  de  s'écouler,  les  exhortant  à  persévérer 
dans  cet  héroïque  dévouement.  11  promit  que  les  États-Généraux,  {|u'on 
allait  assembler,  appliqueraient  le  remède  a  tous  les  maux  présents,  et 
(|ue  ceux  qui  auraient  fait  paraître  leur  dévouement  pour  la  sainte  cause 
seraient  dignement  et  glorieusement  récompensés.  {Journal  de  Henri  IV, 
p.  264.) 

Pendant  que  la  lutte  s'engageait  aussi  ouvertement  'a  Paris  entre  les 
politiques  et  les  Ligueurs,  elle  n'était  pas  moins  animée  a  Orléans  entre 
les  premiers,  qu'on  appelait  dans  cette  ville  les  Francs-Bourgeois,  et  les 
confrères  du  Sacré-Cordon.  Il  s'agissait,  dans  celle  ville,  d'élire  un  nou- 
veau maire  et  des  échevins.  Ceux  qui  occupaient  ces  places  étaient  tous 
membres  de  la  sainte  confrérie,  et  ils  briguaient  de  tous  leurs  moyens, 
|)Our  être  continués  dans  leurs  emplois,  lanl  pour  l'autorité  et  le  profit 
qu'ils  y  gagnaient,  que  pour  empêcher  les  Francs-Bourgeois  de  parvenir 
;i  leur  tour.  Comnène,  qui  gouvernait  alors  Orléans  pour  la  Ligue,  avait 
pris  le  parti  de  retarder  l'élection  jusqu'à  l'arrivée  de  Monsieur  de  La 
Châtre,  qui  devait  lui  apporter  lui-même  l'intention  du  conseil  de  Monsieur 
de  Mayenne,  et  durant  ce  temps,  (piand  il  voyait  les  politiques  oppressés 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  2i9 

par  ceux  du  Cordon,  il  les  favorisait,  pour  ne  pas  leur  donner  occasion 
(renlreprendrc  quelque  chose  par  déses|)oir  ;  puis,  quand  il  advenait  que 
les  politiques  voulaient  abuser  de  sa  faveur  pour  entreprendre  contre 
ceux  du  Cordon,  il  faisait  tourner  la  chance  du  côté  de  ceux-ci;  de  façon 
(|ue  les  confrères  l'accusaient  d'être  un  politique,  et  les  politiqnes  d'être 
un  confrère  du  Cordon.  (Cavkt,  ubi  sup.,  liv.  i.) 

Enlln  Monsieur  de  La  Châtre  arriva.  Il  établit  un  maire  et  des  éche- 
vins  a  sa  dévotion.  Pourtant  ce  ne  fut  pas  parmi  les  confrères  du  Cordon 
(lu'il  choisit  ses  élus;  Monsieur  de  Mayenne  se  niéliait  maintenant  des 
Jésuites,  qu'il  savait  dévoués  à  l'Espagne.  La  Châtre  s'en  retourna  ensuite 
en  Berry,  marier  son  (ils  avec  la  lille  du  feu  comte  de  Montafier  et  de 
Madame  la  princesse  de  Conti,  veuve  en  premières  noces  de  mon  dit 
sieur  comte. 

Pour  lors,  d'Entragues,  qui  cherchait  a  rentrer  dans  Orléans,  dont  il 
était  gouverneur  pour  le  roi,  se  mit  a  pralicpier  sourdement  les  Francs- 
Mourgeois,  et  il  se  croyait  déjà  si  sûr  de  la  réussite,  qu'il  écrivit  'a  Sa 
Majesté  que  si  elle  voulait  se  rapprocher  de  celte  ville,  il  ne  tiendrait 
qu'à  elle  de  s'y  faire  recevoir  avec  acclamations.  Le  roi,  qui  se  trouvait 
en  ce  moment  a  Etam|)es,  voulut  préalablement  voir  par  lui-même  ce 
qu'il  en  était,  et  il  vint  a  cheval,  pendant  la  nuit,  faire  sa  reconnais- 
sance; mais  ayant  bien  consid<''ré  les  corps  de  garde,  par  les  feux  qu'ils 
faisaient,  les  rondes  et  les  sentinelles,  par  le  bruit  de  leurs  armes,  il  dit 
'a  d'Entragues  :  «  Mon  ami,  cette  poire  n'est  pas  encore  mûre;  voila  des 
gens,  croyez-moi,  qui  n'ont  nulle  envie  de  se  laisser  surprendre.  »  Et 
il  s'en  retourna. 

On  continuait  cependant  "a  se  battre  avec  dilTérents  succès,  de  part  et 
d'autre,  sur  presque  tous  les  points  de  la  P'rance.  Le  prince  de  Conti  était 
venu  assiéger  la  ville  de  Craon,  où  commandait  le  sieur  Duplessis  de 
Cosme,  pour  l'Union,  et  qui  était  comme  le  quartier-général  de  tous  les 
Ligueurs  du  Maine  et  de  l'Anjou.  Le  roi  manda  incontinent  à  Monsieur  le 
prince  de  Bombes  de  se  rendre  a  ce  siège  avec  toute  l'armée  qu'il  avait 
en  Hretagne,  et  bientôt  la  ville  fut  extrêmement  pressée.  Le  duc  de 
Mercœur  tenait  alors  à  Vannes  les  États  de  la  Bretagne,  oii  il  se  lit  assigner 
six  mille  livres  par  mois,  et  obtint  (pie  la  province  ferait  un  fonds  de 
presque  deux  millions  de  livres  pour  le  |)aiement  des  garnisons  des 
places  tenues  parla  Ligue.  Quand  il  apprit  le  danger  que  courait  la  ville 
de  Craon,  il  résolut  de  marcher  sans  délai  au  secours  de  cette  place,  qui 
lui  était  de  grande  importance  et  lui  servait  de  frontière  de  ce  côté-là. 
Ayant  donc  réuni  toutes  ses  compagnies,  il  s'achemina  en  personne  vers 
Craon,  (pie  l'ennemi  tenait  si  étroitement  bloquée  qu'il  n'en  pouvait 
entrer  ni  sortir  âme  (lui  vive,  si  bien  que  ceux  du  dedans,  ne  comptant 
plus  sur  aucun  secours,  se  disposaient  d(''jâ  a  se  rendre.  (Cavkt, 
liv.  i,  ad  ann.  ir)l)'2.  —  Moukai,  chap.  xvi.) 

Mercœur,  en  débouchant  dans  la  plaine,  lit  tirer  trois  coups  de 
canon  pour  avertir  les  assiégés  qu'il  venait  à  leur  aide ,  ce  qui  les  remit 
en  bon  courage;    les  princes   se  disposèreni,  de   leur  côté,  'a  recevoir 


250  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

l'ennemi  qui  venait  les  attaquer,  et  se  dépêchèrent  d'envoyer  Tordre 
d'occuper  les  points  qu'ils  jugeaient  les  plus  avantageux  pour  com- 
battre. Le  lendemain,  les  deux  armées  se  trouvèrent  en  bataille  vis-a-vis 
l'une  de  l'autre,  et  les  avant-coureurs  de  chaque  parti  commencèrent  à 
escarmoucher.  Le  capitaine  Keredern,  de  Vannes,  homme  expérimenté 
en  la  guerre,  s'était  approché  avec  sa  compagnie  pour  prendre  part  à  une 
de  ces  escarmouches.  Tout  à  coup,  il  jugea  a  quelque  remuement  inso- 
lite qu'il  aperçut  dans  le  camp  adverse  qu'il  devait  y  avoir  du  désordre 
parmi  les  royaux  ;  il  envoya  bien  vile  un  de  ses  cavaliers  au  duc  de 
Mercœur,  pour  lui  faire  savoir  que  s'il  voulait  s'avancer  avec  toute 
l'armée,  il  aurait  bon  marché  des  ennemis. 

Or,  voici  ce  qui  se  passait  du  côté  des  princes.  Sur  le  point  d'en 
venir  aux  mains,  les  dits  sieurs  princes  reconnurent  qu'ils  avaient  été 
ou  trahis  ou  très-mal  servis  par  ceux  qui  avaient  les  charges  en  leur 
armée.  Premièrement,  leurs  soldats  manquaient  de  balles,  et  furent  con- 
traints de  ne  tirer  qu'a  poudre  pour  faire  du  bruit  seulement,  ou  de 
chercher  des  cailloux  pour  les  mettre  dans  leurs  arquebuses;  seconde- 
ment, en  faisant  choix  du  champ  de  bataille,  on  s'était  placé  trop  près 
de  la  ville,  de  sorte  qu'on  avait  le  canon  des  assiégés  à  dos;  de  plus,  le 
terrain  était  tel  que  la  cavalerie,  qui  faisait  la  principale  force  de  l'armée, 
ne  pouvait  se  déployer  ni  rendre  aucun  service,  à  cause  des  fossés  et  des 
haies  dont  il  était  tout  entrecoupé;  troisièmement,  on  s'aperçut  trop 
tard  qu'on  aurait  pu  aisément  empêcher  l'ennemi  de  traverser  la  petite 
rivière  d'Oudon,  soit  en  coupant  le  pont,  soit  en  attaquant  les  batail- 
lons qui  ne  pouvaient  passer  qu'un  a  un.  (Cavet,  ubi  sup.) 

^  Les  princes  s'aperçurent  trop  tard  de  ces  fautes,  auxquelles  ils  en 
ajoutèrent  une  quatrième  :  ils  assemblèrent  leurs  seigneurs  et  capi- 
taines sur  le  champ  de  bataille,  et  se  mirent,  en  présence  de  leurs 
soldats,  a  tenir  conseil  sur  ce  qu'il  y  avait  'a  faire.  L'avis  général  fut  qu'il 
fallait  faire  retraite.  «  Mon  cousin,  dit  le  prince  de  Dombes,  les  larmes 
aux  yeux,  vous  voyez  bien  que  nous  sommes  trahis;  »  et  il  commença 
le  premier  a  prendre  avec  tous  ceux  qu'il  commandait  sa  roule  par  un 
chemin  creux.  C'était  ce  mouvement  que  le  capitaine  Keredern  avait 
aperçu  et  qu'il  venait  de  signaler  au  duc  de  Mercœur. 

Celui-ci  s'avança  aussitôt  avec  tous  ses  gens,  et  donna  si  furieuse- 
ment sur  les  royalistes  déjà  découragés,  qu'ils  furent  presque  aussitôt 
mis  en  déroute,  sans  même  songer  a  opposer  la  moindre  résistance.  Il 
n'y  avait  plus  qu'a  tuer  ces  fuyards.  Le  duc  fit  alors  crier  a  son  de 
trompe  qu'on  épargnât  les  Français,  mais  qu'on  fit  main-basse  sur  les 
Anglais,  ce  qui  fut  ponctuellement  exécuté,  surtout  pour  la  dernière 
partie  de  l'ordre.  L'a  périt  un  bon  nombre  de  capitaines  et  de  bons  gen- 
tilshommes, un  plus  grand  nombre  encore  tomba  au  pouvoir  de  l'ennemi. 
(MoREAu,  chap.  XVI.) 

Les  débris  de  l'armée  des  princes  se  retirèrent  partie  a  Château- 
lîontier,  partie 'a  Rennes  ;  il  y  en  eut  qui  se  sauvèrent  même  beaucoup 
plus  loin.  Le  prince  de  Conli  s'en  alla  jusqu'à  Angers,  n'osant  sarrêler 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  251 

une  seule  nuit  a  Château-Gontier,  tant  il  avait  crainte  de  s'y  voir  assiégé. 
Aussi  était-il  vivement  poursuivi,  et  si  son  canon,  qui  le  suivait,  n'était 
demeuré  embourbé  dans  un  chemin  étroit,  qu'il  boucha  par  un  grand 
bonheur  pour  lui,  ledit  prince  eut  bien  sûr  été  pris;  mais  ceux  qui  le 
poursuivaient  lurent  arrêtés  par  cet  encombrement  d'artillerie,  ce  qui 
prouve  que  quehjuel'ois  malheur  est  bon  'a  quehjue  chose.  (Cayet,  ubi 
sup.) 

Pour  le  prince  de  Dombes,  il  eut  aussi  grande  peine  îi  arriver  tout 
tremblant  et  bien  harrassé  à  Hennés,  où  il  s'attendait  'a  être  bientôt 
assiégé  par  le  vainqueur,  auquel  cas  il  eût  été  mal  dans  ses  affaires;  car 
la  ville,  dans  son  premier  effroi,  se  lût  rendue  sans  dilTicullé,  d'autant 
que  la  plupart  du  menu  peuple  et  quelques-uns  des  plus  relevés  bour- 
geois affectionnaient  le  parti  de  la  Ligue  et  du  duc  de  Mercœur. 

r)uant  aux  Anglais,  qui  étaient  restés  les  derniers  sur  le  champ  de 
bataille  et  qui  étaient  environ  cinq  mille,  le  petit  nombre  de  ceux  qui 
échappèrent  au  massacre  ne  dut  son  salut  qu'aux  blés,  qui  étaient  déj'a 
murs,  et  dans  lesquels  ces  malheureux  se  cachèrent  jusqu'à  la  nuit,  et  de 
eeux-la  encore  en  lut-il  tué  une  honne  partie  par  les  paysans  qui  les 
haïssaient. 

Le  duc  de  Mercœur,  poursuivant  sa  victoire,  alla  assiéger  Château- 
Gontier,  où  on  lui  avait  donné  a  entendre  que  les  princes  de  Conti  et  de 
Dombes  s'étaient  réfugiés  avec  leurs  principaux  capitaines,  et  cela  donna 
à  ceux  de  Rennes  le  loisir  de  reprendre  courage,  et  d'envoyer  vers  le  roi 
pour  lui  demander  du  secours.  Ils  eurent  réponse  que  dans  peu  ils  rece- 
vraient un  renfort  considérable,  avec  exhortation  de  persévérer  dans  leur 
lidélité  passée.  Pour  la  ville  de  Chàteau-dîonlier,  elle  n'osa  pas  s'opiniâtrer 
îi  soutenir  un  siège  sans  espérance,  et  elle  se  rendit  par  bonne  composi- 
tion a  Monsieur  le  duc  de  Mercœur. 

René  de  Rieux  de  Sourdeac,  simple  gentilhomme  de  la  Basse-Bre- 
tagne, répara  en  quelque  façon  l'honneur  des  armes  du  roi,  si  malheu- 
reusement compromis  par  l'échec  que  venaient  de  subir  à  Craon  deux 
princes  du  sang.  La  noblesse  ligueuse,  ayant  ramassé  six  mille  hommes 
des  communes  du  pays,  était  venue  mettre  le  siège  devant  Brest,  dont 
le  dit  Sourdeac  était  commandant.  Il  y  avait  déjà  près  de  cinq  mois  que 
ce  siège  durait,  et  partout  les  assiégeants  s'étaient  vus  repoussés  avec 
perles.  Ils  méditaient  déjà  de  se  retirer,  quand  Sourdeac,  voulant  leur 
donner  une  leçon  dont  ils  se  souvinssent,  commanda  aux  habitants  de 
la  ville  de  danser  et  de  se  réjouir  au  son  des  hautbois  et  des  cornemuses, 
[,  et  de  prolonger  ce  divertissement  bien  avant  dans  la  nuit.  Le  bruit  sym- 
pathique de  ces  instruments  nationaux  donna  aux  troupes  des  com- 
munes l'idée  de  rivaliser  de  gaitc  avec  les  assiégés,  et,  bien  persuadés 
que  ceux  qui  s'amusaient  ainsi  ne  songeaient  guère  à  livrer  bataille,  elles 
se  mirent  de  leur  côté  à  faire  bonne  chère  et  à  s'enivrer;  mais  sur  le 
point  du  jour,  pendant  qu'elles  étaient  toutes  ensevelies  dans  le  vin  et 
dans  le  sommeil,  Sourdeac  fait  sortir  les  siens  par  trois  endroits  diffé- 
rents, force  les  lignes  des  ennemis,  en  tue  trois  à  quatre  cents,  sans  trou- 


252  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

ver  de  résistance,  et  revient  triomphant  dans  ses  murailles.  (Mkzeuav, 
l.  III,  p.  960.) 

p]nsuile,  ayant  appris  que  les  vivres  devenaient  rares  dans  le  camp,  et 
que  les  nobles,  pour  retenir  leurs  soldats  sous  les  armes,  leur  disaient 
(|ue  la  disette  était  plus  grande  encore  dans  la  ville,  il  fit  publier  à  son 
détrompe  que  le  boisseau  de  blé,  qui  coûtait  trois  écus  dehors,  serait 
vendu  pour  un  écu  dans  Brest.  Les  communes,  a  qui  il  eut  grand  soin 
de  faire  connaître  cette  publication,  par  les  divers  émissaires  qu'il  entre- 
tenait dans  leurs  quartiers,  s'écrièrent  que  leurs  chefs  les  trompaient  en 
leur  représentant  la  place  comme  affamée.  Elles  se  mutinèrent;  et  cette 
troupe  de  paysans  armés  disait  qu'il  fallait  égorger  tous  ces  gentils- 
hommes pour  les  punir  de  les  avoir  engagés  dans  cette  guerre  malen- 
contreuse, épouser  ensuite  leurs  femmes,  s'emparer  de  leurs  châteaux, 
afin  que  le  peuple  fût  maître  a  son  tour. 

Sourdeac  alors,  voyant  (jue  tout  était  en  combustion  dans  le  camp, 
fit  une  nouvelle  sortie.  H  y  eut  un  carnage  affreux  de  ces  misérables. 
Ceux  qui  échappèrent  s'estimèrent  heureux  d'obtenir  qu'on  leur  fît 
grâce,  moyennant  qu'ils  payeraient  huit  mille  écus  par  an,  pendant  huit 
années. 

Pendant  ce  temps-là,  Mercœur,  après  la  victoire  de  Craon  et  la  prise 
de  Château-Gontier,  s'en  était  retourné  dans  le  i)ays  de  Carhaix,  où  les 
royaux  avaient  pris  le  château  de  Hoslrenen  et  celui  de  Corlay,  d'où  ils 
incommodaient  et  ruinaient  tout  le  pays  d'alentour;  car  tous  les  habi- 
tants de  ces  cantons-lâ  tenaient  pour  la  Ligue  et  s'étaient  toujours  mon- 
trés bons  catholiques.  Le  duc,  «  voulant  ôter  a  ces  braves  gens  une 
pareille  épine  du  pied,  »  vint  donc  de  ce  côté-la  avec  une  partie  de  son 
armée,  presque  toute  composée  d'Espagnols.  H  fit  d'abord  assiéger  le 
château  deRostrenen,  (|ui  se  rendit  a  don  Juan  d'Aquila,  et,  parce  que 
le  dit  château  était  plus  préjudiciable  qu'utile  au  pays,  on  y  mit  le  feu  et 
on  le  ruina  de  telle  sorte  (lu'il  ne  pût  plus  a  l'avenir  servir  de  logement 
à  aucune  troupe  de  gens  de  guerre.  (Moreal,  ch.  \vn.) 

On  alla  ensuite  assiéger  Corlay,  dont  la  garnison  était  encore 
plus  méchante  que  celle  de  Rostrenen,  n'étant  composée  que  de  bandits 
et  de  pillards,  lesquels,  ne  tenant  a  aucune  religion,  ne  se  disaient  du 
parti  du  roi  que  pour  avoir  un  prétexte  de  dévaster  le  pays.  On  détruisit 
de  fond  en  comble  ce  nid  de  serpents. 

Le  duc  délibéra  alors  de  réduire  'a  son  obéissance  la  ville  de  Quinlin, 
appartenant  en  ce  temps-là  au  seigneur  comte  de  Laval,  et  voyant  que 
sa  présence  y  était  requise,  parce  (jne  le  seigneur  de  Liscoet,  qui  y  com- 
mandait, était  brave  et  vaillant  chevalier,  il  se  dirigea  vers  ces  parages. 
La  ])lace  n'était  pourtant  pas  bien  forte,  n'étant  fermée  que  de  barrières 
et  de  vieilles  douves  en  guise  de  murailles;  mais  le  château  était  en 
meilleur  état.  Liscoet  s'y  retira,  après  avoir  disputé  la  ville  aux  assié- 
geants pendant  quelques  jours;  puis,  voyant  arriver  l'artillerie,  contre 
laquelle  il  sentait  bien  qu'il  ne  pouvait  tenir,  il  fut  bien  obligé  de  capi- 
tuler, à  condition  qu'il  aurait  vie  et  bagues  sauves.  Le  duc,  pour  garder 


DU  l'UUTESTAN'JlSMK  KN  l-|lAN(.:i;.  20:3 

ce  poste,  laissa  un  ca|)ilaine  avec  sa  compagnie,  el  s'en  revint  tran(|uilie- 
nient  a  Nantes. 

Uiiintin,  pourtant,  ne  resta  pas  longtemps  au  pouvoir  des  l.igueurs. 
Les  habitants,  qui  craignaient  d'être  blâmés  par  leur  seigneur  pour  être 
d'un  parti  contraire  au  sien,  «  et  voulant  faire  les  bons  valets,  »  |)rati- 
(|uèrent  une  intelligence  avec  un  gentilliomn)e  du  voisinage  nommé  La 
Grillardière.  A  l'heure  que  celui-ci  leur  indicpia  comme  celle  où  il  serait 
prêt  a  jouer  son  jeu,  ils  se  mirent,  eux,  'a  jouer  aux  cartes  avec  la  garde, 
et  a  la  l'aire  boire,  pendant  que  La  Grillardière,  qui  se  tenait  caché  dans 
un  bois  proche  de  la  ville,  avec  soixante  hommes  d'armes,  s'approchait 
sans  bruit,  et  s'eniparait  de  la  porte  par  surprise.  Ceux  de  la  garnison 
(|ui  voulurent  faire  résistance  lurent  tués,  les  autres  lurent  laits  prison- 
niers et  mis  a  rançon. 

Pour  lors,  Liscoet,  qui,  depuis  qu'il  avait  été  obligé  de  rendre  Quin- 
tin,  s'ennuyait  dans  sa  gentilhommerie,  près  de  Guingamp,  imagina  de 
rassembler  quehpies  amis  et  de  venir  s'établir  avec  eux  sur  les  ruines 
encore  fumantes  de  Corlay,  qu'il  fortifia  de  nouveau  et  si  bien  qu'il  en 
lit  une  place  propre  a  ses  desseins,  «  lesquels  étaient  de  Taire  un  peu  la 
guerre  dans  les  pays  Las,  où  l'oie  était  encore  grasse,  parce  qu'on  n'y 
avait  jusqu'à  |)résent  que  peu  bataillé.  «  En  peu  de  temps,  il  se  trouva  "a 
la  tête  d'environ  (juatre  cents  hommes  déterminés,  avec  lesquels  il  partit 
sur  l'aube  du  jour  un  beau  matin,  el  arriva  à  Chàteauneul",  où  on  ne 
l'attendait  giu're.  (.Moiu;m:,  ch.  xix.) 

Il  se  commit  la  toutes  sortes  d'insolences  et  de  cruautés.  Plusieurs 
des  habitants  vinrent  tués;  ceux  qui  pouvaient  payer  rançon  lurent  laits 
prisonniers,  et  l'on  mit  Je  feu  aux  plus  belles  maisons  de  la  ville,  ce  qui 
causa  une  grande  ruine.  Les  ecclésiastiques  surtout  y  furent  fort  maltrai- 
tés, parce  <jue  le  seigneur  de  Liscoet,  ainsi  (|ue  tous  ses  gens,  étaient 
huguenots,  el  comme  tels,  ennemis  naturels  des  prêtres.  Pendant  (|u'ils 
pillaient  la  chapelle  de  Notre-Dame-des-Portes,  qui  se  trouve  dans 
l'enceinte  du  château,  l'un  de  ces  héréti(|ues  força  le  tabernacle,  où  il 
trouva  le  saint  ciboire  dans  lequel  il  y  avait  une  hostie  consacrée.  Il  jeta 
l'hoslie  par  terre  el  la  foula  aux  pieds,  comme  un  abominable  qu'il  était. 
In  pauvre  prêtre,  qu'on  venait  de  prendre  la  et  (ju'on  gardait  prisonnier, 
touché  du  zèle  de  Dieu,  se  prosterne  avec  grande  humilité,  et,  pronon- 
çant l'oraison  :  Corpus  Domini,  etc.,  il  lève  l'hostie,  l'adore  et  Pavale. 
De  (|uoi  le  huguenot  sacrilège,  én)u  de  rage,  tire  son  épée.  «  Eh  (pioi  ! 
misérable,  dil-il,  tu  oses  encore  idolâtrer  en  ma  présence!  »  En  vocilé- 
rant  ces  mots,  il  le  perce  de  part  eu  part  et  le  tue  sur-le-champ.  «  Ainsi 
mourut  ce  bon  prêtre,  duquel  le  nom  n'a  point  été  conservé,  malheureu- 
sement pour  riionneur  dû  a  notre  rédemption.  » 

Sur  ces  entrefaites,  le  roi,  qui  était  alors  a  la  poursuite  du  duc  de 
Parme,  ayant  appris  la  défaite  des  princes  devant  Craon,  envova  promp- 
lement  Monlmartin  a  Vitré,  pour  rassurer  celte  ville  sur  laipielle  il  sup- 
posait (|ue  le  duc  de  Mercœnr  avait  depuis  longtemps  des  desseins,  |)arce 
(|ii'élanl  sur  la  frontière  de  Bretagne,  elle  était  avantageusement  située 


'ir,4  IIISTOIHE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

|)Our  les  affaires  de  la  guerre  qui  se  faisait  en  ce  niomeiil.  Le  prince  de 
bombes,  après  la  mort  de  son  père,  le  duc  de  Monlpensier,  qui  venait 
de  s'éteindre  dépuisement  a  Lisieux,  lui  succédait  dans  le  gouvernement 
de  Normandie.  Il  fut  remplacé  en  Bretagne  par  le  maréchal  d'Aumont, 
auquel  Sa  Majesté  donna  pour  lieutenant  Monsieur  de  Saint-Luc,  oflicier 
d'une  grande  expérience  et  de  beaucoup  d'esprit,  et  Mercœur,  voyant 
qu'il  n'y  avait  rien  a  gagner  du  côté  de  Vitré,  se  rabattit  sur  Maleslroit, 
qui  se  rendit  à  la  première  sommation.  (Cavet,  ubi  sup.) 

Le  prince  de  Dombes,  qui  s'appellera  désormais  le  duc  de  Montpen- 
sier,  et  qui  s'était  mis  en  route  pour  venir  au  secours  de  Malestroit, 
trouvant  la  ville  prise,  se  retourna  du  côté  de  Dinan,  où  trois  cents 
Lorrains,  nouvellenjent  arrivés  au  secours  de  Mercœur,  avaient  pris  leurs 
quartiers  dans  les  faubourgs.  Il  s'en  approcha  dans  le  plus  grand  silence, 
'a  la  faveur  d'une  nuit  obscure;  et,  dès  le  point  du  jour,  il  les  attaqua 
Ijrusquement,  en  tua  une  partie  et  força  les  autres  a  se  retirer  dans  une 
église,  où  ils  furent  bientôt  obligés  de  capituler. 

En  même  temps,  le  maréchal  d'Aumont,  qui  se  rendait  dans  son  nou- 
veau gouvernement,  était  déjà  arrivé  à  Tours,  où  il  rassembla  une  armée 
avec  laquelle  il  alla  camper  devant  Mayenne,  espérant  attirer  de  ce  côté- 
La  Bois-Dauphin,  qui  se  tenait  alors  a  Laval,  et  avoir  l'occasion  de  livrer 
une  bataille  'a  ce  chef  dangereux,  s'il  venait  au  secours  de  la  ville  assié- 
gée ;  mais  Bois-Dauphin  ne  bougea  pas,  et  Mayenne  livra  ses  portes  au 
bout  de  quinze  jours  de  tranchée  ouverte. 

Alors  ceux  d'Angers  députèrent  au  maréchal  pour  l'engager  a  venir 
les  délivrer  de  la  garnison  ligueuse  de  Rochefort,  qui,  sous  la  conduite 
d'un  nommé  de  Saint-OIl'ange,  traversait  souvent  le  ileuve  sur  une  galère 
armée,  ruinait  tout  leur  pays  et  mettait  a  contribution  jusqu'à  leurs  fau- 
bourgs. Pour  mieux  décider  d'Aumont,  ils  lui  représentèrent  qu'il  ne 
serait  pas  dillicile  de  forcer  cette  caverne  de  voleurs,  et  ils  lui  promirent 
qu'ils  lui  fourniraient  tout  l'argent  nécessaire  pour  payer  ses  soldats.  Il 
se  résolut  donc  a  venir  faire  ce  siège.  Le  prince  de  Conti  vint  le  rejoindre 
avec  ce  qui  lui  restait  de  son  armée  depuis  la  déroute  de  Craon,  et  l'on 
fit  conduire  devant  la  place  toute  l'artillerie,  qui  se  composait  de  dix 
grosses  pièces  et  de  deux  coulevrines. 

lîochefort  est  située  au  haut  d'un  rocher  d'ardoise,  à  une  courte  dis- 
tance de  la  Loire,  entre  la  petite  rivière  de  Laïon  et  un  gros  ruisseau  qui 
sort  de  l'étang  de  Brissac.  De  cette  situation,  cette  place  commande  la 
petite  ville  de  Saint-Symphorien,  'a  laquelle  elle  est  jointe  par  un  pont, 
et  'a  l'opposite  s'élève  un  autre  rocher,  encore  plus  escarpé,  qu'on 
appelle  La  Gueusie,  et  sur  lequel  il  y  avait  eu  autrefois  un  château  qui 
avait  été  ruiné  dans  les  guerres  contre  les  Anglais.  Ce  fut  sur  cet 
emplacement  que  le  maréchal  dressa  ses  batteries  ;  mais  elles  ne  tirent 
que  peu  d'effet,  'a  cause  de  l'éloignement.  On  obtint  pourtant  plus  de 
succès  contre  la  tour  sur  laquelle  on  pouvait  tirer  de  nouveau,  et  la 
tranchée  ayant  été  achevée,  on  attacha  le  mineur  au  pied  des  murailles. 

On  fut  néanmoins  plus  de  deux  mois  sans  avancer  beaucoup.  Enlin, 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  'ia". 

la  longueur  du  siège  ayant  réduit  les  assiégés  a  une  extrême  disette,  ils 
dépèclirrent  vers  le  duc  de  Mercœur  pour  leur  demander  secours,  le 
faisant  prévenir  que  sans  cela  ils  seraient  oljligés  de  capituler.  Leurs 
députés  passèrent  et  repassèrent  librement,  au  milieu  des  quartiers  du 
maréchal  dWumont,  a  la  laveur  des  intelligences  (pfils  avaient  dans  le 
camp  royaliste,  et  quand  ils  lurent  de  retour  dans  la  ville,  ils  ra|)j)or- 
tèrent  (jue  Mercœur  faisait  ses  préparatifs  pour  venir  délivrer  Rochefort; 
mais  dWumonl,  qui  voyait  l'hiver  s'approcher  et  les  eaux  grossir,  ne 
voulut  pas  attendre  l'arrivée  du  duc,  et  leva  le  siège,  après  y  avoir  tiré 
inutilement  plus  de  deux  mille  coups  de  canon. 

Alors  les  Anglais  qui  servaient  dans  l'armée  royale  lirent  demander 
au  nouveau  duc  de  Montpensier  la  permission  de  se  retirera  Domlronl, 
alln  que  le  changement  d'air  pût  arrêter  le  cours  des  maladies  qui 
régnaient  parmi  eux.  Le  duc  leur  représenta  vainement  qu'ils  seraient 
obligés  de  passer  par  un  pays  ennemi,  où  ils  seraient  exposés  a  èlre 
assommés  par  les  paysans,  tous  fort  attachés  au  ])arti  de  la  Ligue,  ils 
ne  s'en  mirent  pas  moinsen  route  au  nombre  de  sept  cents;  mais,  s'étanl 
arrêtés  'a  Ambrières,  bourgade  'a  trois  lieues  de  Mayenne,  où  ils  séjour- 
nèrent une  quinzaine  de  jours,  parce  que  le  pays  était  bon  et  plantu- 
reux, Bois-Dauphin,  avec  les  garnisons  de  Laval,  de  Craon  et  de  Fou- 
gères, vint  les  y  attaquer.  Il  les  enveloppa  et  les  tailla  en  pièces  après 
nn  combat  opiniâtre.  IMus  de  la  moitié  de  cette  bande  ou  fut  faite  pri- 
sonnière ou  resta  sur  le  champ  de  bataille;  les  autres  se  dispersèrent  et 
se  sauvèrent  comme  chacun  put. 

On  se  battait  aussi  dans  le  Poitou  et  sur  les  contins  de  la  Touraine 
avec  non  moins  d'acharnement  et  de  férocité.  Le  vieux  Villequier,  dont 
les  grands  biens  héréditaires  s'étaient  encore  accrus  par  les  libéralités 
de  nos  rois,  possédait,  a  cinq  lieues  de  Loches,  la  ville  de  La  Guerche, 
située  sur  la  Creuse,  et  il  y  faisait  sa  résidence  à  l'abri  d'une  double 
sauvegarde,  qu'il  avait  obtenue  du  roi  et  du  duc  de  Mayenne.  Le  gouver- 
neur que  le  duc  d'Epernon  avait  mis  dans  Loches  était  un  tJascon  nommé 
Sallerm,  homme  entreprenant  et  avide  de  butin.  Il  lui  vint  l'idée  de 
s'emparer  de  La  Guerche,  au  mépris  du  sauf-conduit  du  roi  ;  car  il  savait 
(|n'il  trouverait  l'a  d'immenses  richesses;  mais  il  lui  fallait  lui  prétexte  : 
il  accusa  Villequier  d'avoir  un  (ils  engagé  dans  le  parti  de  la  Ligue,  et 
d'avoir  laissé  a  ce  hls  le  libre  passage  du  pont  de  La  Guerche,  pour  aller 
faire  des  courses  dans  la  Touraine.  (Di:  Tiioi ,  liv.   105,  p.  515.) 

Tout  aussitôt  il  se  mit  en  marche,  et  vint  escalader  les  murs  de  la 
ville,  qui,  prise  a  l'improviste,  n'eut  pas  même  la  pensée  d'opposer  la 
moindre  résistance.  Villecpiier  n'eut  que  le  temps  de  se  retirer  dans  la 
citadelle,  d'où  il  trouva  le  moyen  de  faire  savoir  a  son  (ils  le  danger 
qu'il  courait. 

Celui-ci  accourut  aussitôt  au  secoin-s  de  son  père,  'a  la  tête  de  deux 
cents  cuirassiers,  d'un  pareil  nombre  d'anjuebnsiers  a  cheval,  et  de 
quatre  cents  hommes  d'infanterie  française  et  espagnole  avec  une  pièce 
de  campagne.  Sallerm,  de  son  c(3té,  appela  a  son   aide  la  garnison  de 


'2:,c  lu^sToiiu-:  de  j;étarlihsement 

Chàlillon-sur-Indi'c  et  le  capitaine  d'Âbin  qui,  avec  sa  bande  d'aventu- 
riers, se  trouvait  dans  le  voisinage,  et  il  fit  savoir  a  ceux  du  château,  oîi 
la  plupart  des  nobles  des  environs  (Haient  venus  se  réfugier,  qu'il  allait 
brûler  toutes  leurs  maisons  aux  alentours  de  la  ville,  si  la  place  ne  lui 
était  pas  rendue  immédiatement.  A  cette  menace,  ils  demandèrent  a  se 
retirer,  malgré  les  edorts  que  lit  pour  les  retenir  le  vieux  Villequier,  qui 
les  suppliait  les  larmes  aux  yeux  de  ne  pas  l'abandonner  a  la  merci  d'un 
(iascon  allamé. 

Ouaud  ils  lurent  partis,  Sallerm  laissa  un  nombre  sul'lisant  de  soldats 
pour  maintenir  ceux  qui  restaient  dans  le  château,  et  s'en  alla  avec  le 
reste  de  ses  troupes  au-devant  du  jeune  Villequier,  qu'il  rencontra  au- 
dessous  de  Château-d'IsIe,  où  il  s'était  campé  sous  la  protection  du  l'eu 
de  l'artillerie  de  cette  place.  La  bataille  commença  à  l'instant  même.  Les 
trou|)es  espagnoles,  qui  formaient  le  premier  rang  des  Ligueurs,  furent 
presque  aussit(jt  culbutées,  et  les  autres,  saisies  d'une  terreur  panique, 
prirent  la  fuite  dans  le  plus  grand  désordre. 

Ces  fuyards,  voyant  que  le  passage  leur  était  fermé  du  côté  de  Chau- 
vigny,  où  se  tenait  la  compagnie  de  d'Abin,  se  jetèrent  dans  la  Vienne 
et  cherchèrent  'a  se  sauver,  partie  a  la  nage,  partie  sur  les  bar(|ues  (ju'ils 
purent  se  procurer.  Le  jeune  Villequier  se  jeta  l'un  des  premiers  dans 
une  de  ces  embarcations,  qui  se  trouva  bientôt,  comme  toutes  les  autres, 
surchargée  de  la  foule  pressée,  et  se  précipitant  dans  le  plus  grand 
désordre  pour  se  soustraire  au  feu  terrible  que  faisait  l'ennemi.  Celle 
barque,  comme  presque  toutes,  s'enfonça.  La  rivière  parut  aussitôt  cou- 
verte de  gens  qui  se  noyaient.  C'était  un  spectacle  elfrayant  devoir  sur- 
nager des  bras,  des  têtes  et  des  jambes,  au  milieu  des  chapeaux,  des 
armes  et  des  manteaux  qui  lloltaient  sur  l'eau;  les  cris  Je  ces  malheu- 
reux, se  mêlant  aux  détonations  des  armes  'a  feu,  augmentaient  l'horreur 
du  spectacle.  Il  y  eut  plus  de  quatre  cents  soldats  qui  périrent  ainsi 
submergés,  sans  compter  ceux  qui  se  laissèrent  tuer  sur  le  rivage,  et  on 
ne  fit  que  cinquante  prisonniers.  La  nuit  qui  survint  permit  au  petit 
nombre  qui  survécut  a  ce  désastre  de  s'échapper  du  mieux  que  chacun 
put.  Le  vainqueur  vint  ensuite  investir  Chàteau-d'Isle,  où  le  jeune 
Villequier  avait  laissé  ses  bagages  et  son  canon,  et  la  place,  tout 
elTrayée,  se  rendit  "a  la  première  sommation. 

Sallerm,  après  cette  victoire,  revint  à  La  Guerche,  où  le  vieux 
seigneur  de  Villequier,  qui  avait  à  pleurer  son  malheur  et  la  mort  de 
son  fils,  fut  lait  prisonnier.  Tons  ses  riches  meubles  devinrent  la  proie 
de  l'avide  Gascon,  auquel  le  roi  fit,  en  outre, présent  de  tous  les  emplois 
militaires  et  olfices  vénaux  de  la  noblesse  poitevine  qui  avait  péri  dans 
cette  affaire. 

En  Bourgogne,  depuis  le  départ  du  maréchal  d'Aumont,qui  n'y  avait 
apporté  que  troubles  et  désastres  parmi  les  royalistes,  ceux-ci  avaient 
encore  beaucoup  de  peine  à  se  remettre.  Pourtant  un  certain  seigneur  du 
parti,  nommé  Vilry,  trouva,  «  par  grande  subtilité  d'esprit,  »  le  moyen 
de  faire  réussir  un  dessein  difficile  et  périlleux.  Il  est  vrai  que  ce  lut  un 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  257 

autre  que  lui  qui  profita  du  succès.  Il  gagna  un  soldat  qui  faisait  partie 
de  la  garnison  de  Saulx-le-Duc,  bonne  place  a  quatre  lieues  de  Dijon  et 
tenue  par  les  Ligueurs.  Ce  soldat  lui  promit  de  descendre  la  nuit  une 
ficelle  du  haut  du  rempart,  pendant  qu'il  serait  en  faction,  pour  qu'on  y 
attachai  une  échelle  de  corde  cpi'il  remonterait  lui-même,  et  qu'il  fixerait 
solidement.  Mon  dit  sieur  de  Vilry  et  ses  gens  devaient  monter  par  là 
et  s'introduire  secrètement  dans  la  place.  Cela  fut  exécuté  comme  il  était 
convenu.  Les  royalistes  se  glissèrent  sans  avoir  été  aperçus,  et  le  com- 
mandant ligueur  fut  massacré  ainsi  (|ue  ceux  de  ses  soldats  qui  tentèrent 
de  se  mettre  en  défense.  Vitry  était  donc  maître.  {Mém.  de  Tavannes, 
ad  ann.  1507).) 

iMais,  pour  mettre  'a  lin  cette  entreprise,  il  s'était  l'ait  aider  d'un 
capitaine  nommé  de  La  Marche,  qui  lui  avait  fourni  les  hommes  de  sa 
compagnie.  «  Ne  serait  il  pas  prudent,  dit  le  capitaine,  d'aller  recon- 
naître ce  qui  se  passe  dehors,  et  de  savoir  si  personne  ne  songe  à  venir 
nous  disputer  notre  concpiète?  »  Vitry  y  alla.  A  peine  fut-il  sorti  de  la 
place,  (jue  la  porte  lui  fut  fermée  par  le  dit  capitaine,  lequel  se  constitua 
tout  aussitôt  gouverneur  pour  le  roi  de  Saulx-le-Duc. 

Vitry  résolut  de  se  venger  de  cette  trahison.  La  femme  du  capitaine 
La  Marche  était  pour  lors  au  château  de  Grancey,  avec  le  reste  des  sol- 
dats de  son  mari,  que  Tavannes  avait  nommé  commandant  de  ce  poste. 
Vitry  crut  pouvoir  surprendre  ce  château,  par  le  même  moyen  qui  lui 
avait  déjà  réussi  pour  Saulx-le-Duc;  mais,  comme  il  se  trouvait  à  un 
rendez-vous  de  nuit,  sur  la  contrescarpe,  avec  un  soldat  de  la  garnison 
qu'il  avait  déjà  gagné,  il  fut  entouré  par  des  gens  qu'on  avait  cachés 
derrière  des  buissons  dans  le  voisinage,  et  qui  l'attaquèrent  'a  grands 
coups  d'arquebusades,  dont  il  fs-it  tué.  «  Certes,  la  perte  de  ce  gentil- 
homme était 'a  regretter  pour  le  roi,  tant  a  cause  de  sa  valeur  que  pour 
l'alfoction  qu'il  avait  au  service  de  Sa  Majesté.   » 

Jean  de  Saulx,  vicomte  de  Ligny,  et  qui -portait  aussi  le  nom  de 
Tavannes,  vint  'a  cette  époque  prendre  le  commandement  des  troupes  de 
la  Ligue,  en  Bourgogne.  Après  avoir  été  fait  prisonnier  au  siège  de 
Xoyon,  comme  on  l'a  vu  plus  haut,  il  avait  été  échangé  contre  la  mère, 
la  femme  et  les  sœurs  du  duc  de  Longueville,  et  cet  échange,  dit-il  lui- 
même  avec  assez  de  vanité,  coûta  cher  au  roi.  En  elfet,  si  on  veut  l'en 
croire,  ce  lut  'a  l'aide  de  ses  bons  conseils  cpie  le  prince  de  Parme  était 
parvenu  a  faire  lever  le  siège  de  Rouen.  {Mém.  du  maréchal  de  Tavannes, 
p.  IGO.) 

«  Quand  j'arrivai  en  Bourgogne,  dit-il,  où  le  duc  de  .Mayenne  avait 
mis  tous  les  commandants  des  places  sous  ma  direction,  je  trouvai  les 
gouverneurs  de  Dijon,  de  Beaune  et  de  Chalon  assez  d'accord  ensemble; 
mais  il  y  avait  une  faction  de  gentilshommes  établie  dans  les  cam- 
pagnes; et  les  sinq)les  capitaines  qui  s'étaient  installés  dans  les  châteaux 
•voulaient  trancher  du  gouverneur.  A  la  moindre  observation,  ils  me  me- 
naçaient de  porter  plainte  au  duc  de  Mayennee,  se  vantant  d'avoir  déj'a 
fait  prendre  et  punir  deux  des  gouverneurs  de  la  province,  (jui  m'avaient 
IV.  17 


258  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

précédé.  Aussi  n'est-il  pas  étonnant  que  l'ambition  de  tous  ces  gens-la, 
leur  avarice,  leurs  artifices,  leurs  calomnies  et  leurs  divisions,  aient  fini 
par  ruiner  les  affaires  de  la  cause  en  ce  pays-la.  »  (Ibid.,  p.  182.) 

Le  vicomte,  ayant  joint  ses  forces  à  celles  du  marquis  de  Tréfort, 
qui  lui  amenait  quatre  cents  chevaux  de  la  Savoie,  vint  assiéger  la  ville 
de  Verdun,  où  le  sieur  de  Bissy  commandait  pour  le  roi.  Tavannes  réso- 
lut de  faire  lever  le  siège  de  cette  place,  et  fit  passer  la  rivière  de  Saône 
a  ses  troupes,  partie  a  gué,  partie  à  la  nage;  et  ayant  fait  plus  de  douze 
lieues  en  un  seul  jour,  il  parvint  à  entrer  dans  Verdun  sans  avoir  été 
arrêté  par  les  assiégeants.  Bissy,  qui  parlait  déjà  de  capituler,  reprit 
courage  a  l'arrivée  de  ce  secours.  Il  rompit  toutes  les  négociations 
qui  étaient  déjà  en  termes  d'être  signées,  et  les  Ligueurs  redoublèrent 
d'efforts  pour  ressaisir  la  conquête  qu'ils  voyaient  sur  le  point  de  leur 
échapper.  [Mém.  de  Tavannes,  ad  ann.  1593.) 

Ils  imaginèrent  de  construire  un  grand  bateau  couvert  par  le  devant, 
de  manière  à  mettre  à  l'abri  des  mouscfuetades  ceux  qui  le  montaient. 
Ils  y  firent  entrer  quatre-vingts  hommes  armés  de  cuirasses  et  d'arque- 
buses, et  ils  le  dirigèrent  vers  la  ville;  mais  les  soldats  de  Tavannes,  la 
pique  à  la  main,  s'opposèrent  si  résolument  au  débarquement  de  cette 
troupe,  que  ceux  qui  étaient  sur  le  devant  du  bateau  se  rejetèrent  brus- 
quement en  arrière  dans  le  plus  grand  désordre,  d'oii  il  arriva  que  l'em- 
barcation chavira  et  que  tous  furent  noyés,  à  l'exception  de  quelques- 
uns,  auxquels,  par  pitié,  les  royalistes  tendirent  leurs  piques  pour  les 
repêcher,  et  qui  furent  faits  prisonniers. 

Le  vicomte,  découragé  par  cet  échec,  leva  le  siège,  et  se  retira  en 
bel  ordre  du  côté  de  Chalon.  «  Pour  le  sieur  de  Tavannes,  ayant  acquis 
là  une  grande  réputation,  il  s'en  revint  incontinent  vers  la  ville  de 
Flavigny.  » 

Vers  cette  même  époque,  le  maréchal  de  Bouillon  s'était  retiré  à 
Sedan,  avec  la  permission  du  roi.  Il  apprit  là  que  le  seigneur  d'Amblise, 
grand  maréchal  du  duc  de  Lorraine,  avait  assemblé  les  garnisons  de 
Villefranche,  de  Verdun  et  de  Dun,  et  qu'après  avoir  brûlé  le  bourg  de 
La  Mark,  il  était  venu  mettre  le  siège  devant  Beaumont,  dans  la  forêt 
d'Argonne.  Aussitôt,  réunissant  à  son  tour  les  garnisons  des  villes 
royalistes  de  ces  contrées,  il  se  mit  en  chemin  pour  venir  au  secours 
des  assiégés,  en  bonne  résolution  de  livrer  une  bataille.  {Mém.  de  la 
Ligue,  t.  V,  p.  155.) 

D'Amblise,  averti  de  l'approche  de  l'ennemi,  envoya  au-devant  de  lui 
trois  bataillons,  qui  le  rencontrèrent  sur  une  hauteur  dont  il  voulait  se 
saisir.  Le  combat  s'échauffa  en  cet  endroit;  les  Ligueurs  furent  enfin 
repoussés  et  se  retirèrent  en  désordre.  Par  malheur,  le  maréchal,  qui 
prit  des  premiers  part  à  l'action,  y  reçut  deux  blessures,  l'une  au-dessous 
de  l'œil  droit,  et  l'autre  dans  le  bas-ventre,  ce  qui  l'empêcha  de  pour- 
suivre les  fuyards  ;  mais  il  donna  l'ordre  à  Rumenil,  son  lieutenant,  d'aller 
les  attaquer,  sans  leur  laisser  le  temps  de  se  reconnaître,  jusque  sous 
les  murs  de  la  place  assiégée;  et  ceux  de  Beaumont, ayant  fait  en  même 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  259 

leinps  une  sortie,  les  Ligueurs,  enveloppés  de  toutes  parts,  furent  enfin 
mis  dans  une  déroute  complète.  Ils  perdirent  plus  de  cinq  cents 
hommes;  on  leur  prit  leur  canon  et  tous  leurs  drapeaux;  d'Amblise 
lui-même  l'ut  tué,  et  on  désarma  trois  cents  Allemands,  qui  se  rendirent 
avec  leur  commandant. 

Quand  le  maréchal  fut  remis  de  sa  double  blessure,  il  arriva  qu'un 
nonimé  Uicher,  homme  de  grande  industrie,  lui  communicpia  un  plan 
de  Dun-sur-Meuse,  par  lequel  plan  il  fut  convaincu  qu'il  lui  serait  facile 
de  s'approcher  de  la  haute  ville  et  de  la  surprendre.  Cette  partie  de  la 
place,  qui  commande  à  l'autre  partie,  était  à  la  vérité  défendue, du  côté 
de  la  campagne,  par  une  triple  porte  et  une  herse  placée  entre  la  seconde 
et  la  troisième  lermelure.  Les  deux  premières  pouvaient  aisément  céder 
au  pétard,  puis,  en  tenant  suspendue  avec  un  appui  la  herse, avant  qu'on 
eût  eu  le  temps  de  la  baisser,  il  ne  restait  plus  ([ue  la  troisième  porte  'a 
faire  sauter.  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  V,  p.  179.) 

Douillon  se  mit  incontinent  en  route,  le  sixième  jour  de  décembre,  et 
il  arriva  au  milieu  de  la  nuit  au  pied  du  rempart  de  la  haute  ville.  Sans 
perdre  de  temps,  il  lit  mettre  pied  à  terre  a  sa  cavalerie,  et  ceux  qui 
portaient  les  pétards,  et  qui  devaient  arrêter  la  herse,  s'avancèrent  les 
premiers.  La  sentinelle  qui  veillait  sur  les  murailles,  avertie  par  quelque 
bruit,  leur  cria  :  «  Qui  vive!  — C'est  Monseigneur  de  Bouillon  qui  vient 
(liner  dans  votre  ville,  »  répondit  Richer,  qui  conduisait  l'entreprise  et 
qui  avait  déjà  eu  le  temps  de  laire  attacher  le  pétard  à  la  première  porte. 
On  le  ht  jouer  aussitôt,  et  cette  porte  sauta.  La  seconde  fut  également 
renversée;  mais  la  garnison,  ayant  lâché  la  herse,  qu'on  n'avait  pas  eu 
encore  le  temps  de  soutenir,  Richer,  qui  se  trouvait  dessous,  fut  écrasé 
avec  (|uelques  soldats.  On  fut  obligé  de  la  briser  a  l'aide  d'un  troisième 
pétard.  11  ne  restait  plus  que  la  troisième  porte,  qui  fut  enq^orlée  à  son 
tour;  puis,  une  soixantaine  des  plus  braves  s'étant  tout  d'abord  jetés  par 
l'ouverture,  ils  furent  bientôt  suivis  d'un  grand  nombre  d'autres,  malgré 
le  danger. 

On  courut  aussitôt  fermer  [le  guichet  qui  servait  de  communication 
entre  la  haute  ville  et  la  basse,  pour  empêcher  que  la  garnison  de  cette 
dernière  n'accourût  au  secours  de  ceux  (ju'on  venait  de  surprendre; 
ensuite  on  se  battit  longtemps  dans  les  ténèbres,  avec  dilférenls  succès, 
depuis  trois  heures  du  matin  jusqu'à  sept  heures,  et  la  garnison  avait 
soin  de  faire  courir  (|ucl(iues-uns  des  siens  sur  les  remparts  en  criant  : 
Victoire  !  alin  d'épouvanter  ceux  des  royalistes  qui  étaient  encore  dehors, 
et  de  les  détourner  d'entrer.  Mais  ceux-ci  n'en  continuaient  pas  moins 
(l'entrera  la  (ile.  Le  maréchal  lui-même  tournait  'a  cheval  autour  de  la 
place,  pour  voir  s'il  ne  recevrait  aucun  signal  de  ceux  de  ses  soldats  qui 
étaient  déj'a  dedans. 

A  la  hn  pourtant  ceux  de  la  ville,  épuisés  de  fatigue,  et  voyant  'a 
cha(|ue  instant  arriver  de  nouveaux  adversaires,  se  retirèrent  dans  la 
tour,  où,  se  trouvant  sans  espoir  d'être  secourus,  ils  se  rendirent  vers 
l'heure  de  midi.  Ceux  de  la  ville  basse,  tout  effrayés  de  voir  l'ennemi 


260  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

établi  au-dessus  d'eux,  se  sauvèrent  a  la  hâte,  après  avoir  mis  le  feu  dans 
tous  les  quartiers.  Le  maréchal  fit  aussitôt  éteindre  l'incendie  et  revint 
en  triomphe  a  Sedan. 

En  cette  année-la,  la  guerre  ne  se  fit  pas  avec  beaucoup  d'activité 
dans  la  Guyenne.  On  y  découvrit  cependant,  au  mois  d'août,  une  conspi- 
ration machinée  par  le  gouverneur  de  Fontarabie,  pour  faire  tomber 
Bayonne  au  pouvoir  de  l'Espagne.  Ce  gouverneur  avait,  au  moyen  de 
grandes  sommes  qu'il  lui  avait  promises,  gagné  un  médecin  de  la  dite 
ville  de  Bayonne  nommé  Blancpignon,  et  il  s'était  servi,  pour  cette  négo- 
ciation, d'un  certain  Espagnol,  qui  demeurait  depuis  longtemps  en 
France.  Malheureusement  pour  l'un  et  pour  l'autre  de  ces  deux  complo- 
teurs, le  médecin  et  l'Espagnol,  leurs  menées  furent  découvertes  par 
une  lettre,  interceptée,  que  Blancpignon  avait  eu  l'imprudence 
d'écrire  au  gouverneur  de  Fontarabie.  Il  lui  disait,  en  se  servant  des 
termes  de  son  métier,  que,  «  pour  la  maladie  dont  il  était  question,  il 
était  nécessaire  de  faire  promptement  une  abondante  saignée.  »  Le  por- 
teur de  cette  lettre,  ayant  été  interrogé,  avoua  tout  ce  qu'il  savait  de  la 
conspiration.  Blancpignon  et  l'Espagnol,  qu'on  arrêta  de  suite  et 
qu'on  appliqua 'a  la  question,  confessèrent  tout  le  reste.  Puis,  Monsieur 
de  La  Hillière,  gouverneur  de  la  ville  de  Bayonne,  ayant  appris  par  leurs 
révélations  qu'une  flotte  espagnole  était  dans  le  voisinage  pour  prêter  la 
main  au  complot,  résolut  de  l'attirer  elle-même  dans  le  piège  où  on 
avait  voulu  le  faire  tomber.  Il  proposa  donc  'a  l'Espagnol,  en  lui  pro- 
mettant sa  grâce,  de  copier  une  lettre  qu'il  avait  habilement  composée, 
pour  que  la  flotte,  ne  se  défiant  de  rien,  vînt  se  faire  prendre  dans  une 
embuscade  qu'il  tenait  toute  prête;  mais  le  malheureux  Espagnol,  sans 
se  laisser  ébranler'par  la  crainte  du  supplice,  fit  paraître  autant  de  fer- 
meté pour  ne  pas  trahir  ses  compatriotes  que  le  médecin,  son  complice, 
avait  montré  de  lâcheté  et  d'astuce  'a  vendre  les  siens  :  il  fut  exécuté  en 
place  publique.  Pour  Blancpignon,  il  trouva,  dit-on,  le  moyen  d'avoir  sa 
grâce  et  se  retira  'a  Troyes  en  Champagne,  lieu  de  sa  naissance,  où  il 
vécut  tranquillement  jusqu'à  l'âge  de  plus  de  quatre-vingts  ans.  (DeThou, 
ubi  Slip.) 

C'est  'a  peu  près  la  tout  ce  qui  arriva  d'important  en  Guyenne  pen- 
dant le  cours  de  cette  année.  Mais  dans  le  Languedoc,  Scipion  de 
Joyeuse  agissait  avec  plus  d'activité  en  faveur  de  la  Ligue.  Ce  jeune 
seigneur,  plein  de  bravoure,  consultait  toutefois  encore  plus  ses  propres 
intérêts  que  ceux  de  son  parti  et  de  Mayenne.  Il  venait  de  recevoir  du 
roi  d'Espagne  quelques  troupes  allemandes,  'a  l'aide  desquelles  il  espérait 
bien  se  rendre  indépendant  dans  la  province.  Déjà  il  avait  pris  plusieurs 
villes  sur  ceux  du  parti  du  roi,  et  tout  récemment  il  venait  de  s'emparer 
de  la  ville  basse  de  Carcassonne,  dont  depuis  longtemps  déjà  il  possédait 
l'autre  quartier.  {Mém.  de  la  Ligue,  p.  157  et  suiv.) 

De  Ta,  tournant  vers  le  Quercy,  il  se  mit  à  ravager  toute  la  campagne, 
jusque  dans  le  voisinage  de  Montauban,  «  n'oubliant  rien  de  ce  qui  peut 
être  dit  cruel  et|  épouvantable,  ni  le  viol  des  femmes,  ni  l'incendie  des 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  261 

villages  et  métairies,  ni  le  meurtre  des  pauvres  paysans,  ni  les  blas- 
phèmes (lu  saint  nom  de  Dieu,  qui  étaient  comptés  entre  les  menus 
passe-temps  de  ce  jeune  seigneur.  » 

Il  vint  enfin  mettre  le  siège  devant  Villemur,  sur  le  Tarn,  où  com- 
mandait Reniers  avec  une  garnison  de  trois  cents  hommes  seulement. 
Ce  gouverneur,  (pii  était  malade,  se  retira  tout  aussitôt  à  Montauban,  en 
intention,  disait-il,  d'assembler  des  secours.  (Ubisup.) 

Or,  en  ce  moment  même,  La  Valette  assiégeait  aussi  la  forteresse  de 
Roquebrune,  dont  les  Savoyards  étaient  encore  en  possession,  et  qui  est 
située  tout  près  de  Fréjus,  en  Provence.  L'artillerie  ayant  ouvert  la  brèche, 
il  lit  donner  un  assaut  qui  l'ut  repoussé  avec  grande  perte  de  ses  soldats; 
ensuite  de  quoi  on  alla  dresser  les  batteries  contre  une  autre  partie  des 
murailles  qu'on  supposait  plus  abordable.  Mais,  La  Valette,  s'étant 
avancé  trop  inconsidérément  pour  présider  lui-même  a  cette  opération, 
fut  atteint  d'un  coup  d'anjuebuse,  dont  il  mourut  deux  heures  après. 
(De  Thoi',  ibid.,  p.  540  et  555.) 

Le  duc  d'Epcrnon,  son  frère  et  son  héritier,  apprit  avec  douleur  cette 
triste  nouvelle.  «  Il  prit  occasion  de  cet  accident  pour  demander  au  roi 
le  gouvernement  de  la  Provence  que  possédait  le  défunt,  »  et,  pour 
mieux  appuyer  ses  prétentions,  il  eut  grand  soin  que  le  roi  n'ignorât 
pas  (|uc  les  Gascons  avaient  dit  :  «  C'est  le  duc  d'Epernon  que  nous  vou- 
lons pour  gouverneur  ;  et  si  on  nous  en  donne  un  autre,  nous  prendrons 
tel  parti  que  le  droit  de  la  guerre  et  la  fortune  des  armes  nous  fera 
trouver  bon.  »  Sa  Majesté,  sur  une  demande  ainsi  formulée,  ne  crut  pas 
devoir  refuser,  bien  (|u'ellc  n'eût  pas  oublié  que  le  duc  l'avait  abandonnée 
après  la  mort  de  Henri  111,  et  qu'elle  se  méfiât  de  cet  esprit  fier  et  am- 
bitieux. (Mkzeray,  t.  III,  p.  976.) 

En  attendant,  d'Epernon  se  mit  en  route  avec  une  armée,  afin  d'aller 
prendre  possession  d'avance  d'un  gouvernement  qu'il  savait  bien  ne  pou- 
voir lui  échapper.  Seulement,  il  se  détourna  un  peu  pour  aller  secourir 
Villemur,  qu'assiégeait  alors,  comme  on  vient  de  le  dire,  le  duc  de 
Joyeuse.  D'Epernon  tenait  'a  donner  au  moins  au  roi  cette  preuve  de 
bonne  volonté  pour  ses  intérêts. 

A  la  nouvelle  de  l'approche  d'un  ennemi  de  beaucoup  supérieur  en 
forces.  Joyeuse  leva  le  siège;  mais,  ayant  appris  que  les  ar<|uebusiers 
du  duc  d'Epernon  marchaient  avec  assez  peu  d'ordre,  il  fondit  sur  eux 
au  moment  oîi  ils  s'y  attendaient  le  moins,  en  tua  quatre  cents  et  leur 
enleva  deux  couleuvrines.  D'Epernon  avait  pris  les  devants,  tout  satisfait 
d'avoir  fait  lever  le  siège  de  N'illemur,  et  surtout  très-pressé  d'entrer 
immédiatement  en  Provence.  Joyeuse  se  revit  donc  en  liberté  de  venir 
reprendre  le  siège,  et  Villemur  se  trouva  plus  serrée  (ju'auparavant. 

Thémines,  que  d'Epernon  avait  laissé  derrière  lui  en  Languedoc 
avec  (juelques  troupes,  résolut  de  jeter  du  secours  dans  la  place  assiégée, 
'a  quehpie  prix  que  ce  fût.  Le  dix-neuvième  jour  de  septembre,  à  neuf 
heures  du  soir,  il  partit  avec  cent  vingt  cuirassiers  et  deux  cents  arque- 
busiers choisis;  étant  arrivé  près  des  remparts  sans  avoir  été  aperçu,  il 


262  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

fit  mettre  pied  a  terre  à  ses  gens,  renvoya  les  chevaux,  et  entra  dans  le 
pins  grand  silence  par  une  poterne  que  lui  ouvrirent  ceux  de  la  ville. 

Ce  secours  arrivait  à  temps  ;  car  le  lendemain  même,  Joyeuse,  ayant 
jugé  la  brèche  praticable,  ordonna  l'assaut  ;  mais  il  se  vit  repoussé  avec 
pertes,  et  depuis  lors,  les  assiégeants  découragés  n'agirent  plus  qu'avec 
lenteur  et  irrésolution,  malgré  tous  les  efl'orts  de  leur  général  et  de  ses 
principaux  officiers  pour  leur  remettre  le  cœur,  et  tâcher  de  s'emparer  de 
la  place  avant  l'arrivée  d'un  nouveau  secours  qui  devait  bientôt  venir  aux 
assiégés. 

En  effet,  le  duc  de  Montmorency,  gouverneur  du  Languedoc,  avait  eu 
enfin  l'idée  que  ce  serait  chose  indigne  d'abandonner  tous  les  braves 
gens  qui  étaient  allés  s'enfermer  dans  Villemur,  et  il  envoyait  a  leur 
aide  Antoine  de  Lèques,  fort  bon  capitaine,  lequel,  s'étanl  joint  a  Rasti- 
gnac,  gouverneur  d'Auvergne,  prit  sa  roule  par  Bellegarde.  Le  duc  de 
Joyeuse  avait  nouvelle  de  leur  prochaine  arrivée;  il  voulut  leur  épargner 
une  partie  du  chemin,  et  après  avoir  laissé  un  nombre  suffisant  de  sol- 
dats pour  garder  ses  tranchées,  il  vint  au-devant  d'eux. 

Il  y  eut  la  un  combat  sanglant,  où  les  pertes  et  les  avantages  furent 
si  bien  partagés,  que  chacun  des  deux  partis  put  s'attribuer  la  victoire. 
Les  royalistes  restèrent  campés  sur  le  champ  de  bataille,  et  Joyeuse 
revint  au  siège,  où  il  fit  allumer  des  feux  de  joie  pour  célébrer  ce  qu'il 
ap'pelait  son  triomphe.  Thémines  alors,  prévoyant  un  nouvel  assaut,  en- 
couragea tout  son  monde  a  bien  faire,  et  a  se  défendre  jusqu'à,  la  dernière 
extrémité. 

Or,  l'armée  royale  venait  de  s'augmenter  de  quelques  secours 
amenés  par  les  seigneurs  des  environs.  On  tint  un  conseil,  dans  lequel 
il  fut  décidé  qu'on  marcherait  de  rechef  contre  Joyeuse,  et  comme  on 
avait  appris  que  celui-ci,  ne  se  doutant  de  rien  et  se  croyant  'a  l'abri  de 
tout  danger  pour  le  moment,  avait  dispersé  sa  cavalerie  dans  les  bourgs 
aux  environs,  on  se  présenta  subitement  devant  son  camp  en  ordre  de 
bataille,  le  lundi  vingtième  jour  d'octobre.  C'était  le  malin,  le  soleil  se 
levait  dans  un  ciel  brumeux  et  traçait  dans  les  nues  un  bel  arc-en-ciel 
précisément  au-dessus  de  l'armée  royaliste,  qui  semblait  déjà  toute  cou- 
ronnée de  gloire;  les  assiégeants,  pris  au  dépourvu,  tirèrent  un  mauvais 
présage  à  l'aspect  de  ce  météore  qui  brillait  an-dessus  de  leurs  ennemis. 

Leur  première  tranchée  fut  à  l'instant  même  vigoureusement  atta- 
quée, et  ceux  qui  la  gardaient  bientôt  balayés,  sans  avoir  eu  le 
temps  d'opposer  beaucoup  de  résistance.  Joyeuse  alors  s'efforça  de  rallier 
ses  soldats  derrière  la  tranchée.  On  le  voyait  lui-même,  courant  de  rang 
en  rang,  exhorter  les  siens  de  la  voix  et  par  son  exemple,  pendant  que 
l'armée  royaliste  s'avançait  avec  résolution,  et  faisait  un  feu  meurtrier 
sur  les  retranchements,  d'où  les  troupes  de  la  Ligue  répondaient  par  un 
feu  plus  meurtrier  encore.  Mais  tout  à  coup  Thémines  fil  une  sortie  à  la 
tête  de  sa  garnison.  Les  ennemis,  attaqués  par  devant  et  par  derrière, 
perdirent  contenance;  les  uns  se  précipitèrent  dans  le  Tarn,  le  reste  fut 
taillé  en  pièces. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  263 

Le  (lue  de  Joyeuse,  onlraîiié  lui  même  dans  la  déroule  générale,  cher- 
chait a  gagner  Condoniincs,  accompagné  de  qneh|ucs-nns  de  ses  gentils- 
hommes qui  s'étaient  ralliés  autour  de  lui.  Il  trouva  qu'on  avait  déjà 
rompu  le  pont  de  hateaux  qu'il  avait  fait  jeler  sur  le  Tarn,  et  que  la 
rivière  était  toute  couverte  des  malheureux  qui  se  noyaient,  a  Adieu, 
mes  heaux  canons!  dit-il  en  jetant  un  dernier  regard  sur  son  artillerie, 
qui  était  arrêtée  sur  la  rive  et  qui  allait  bientôt  tomber  au  pouvoir  du 
vain((ueur.  Ah  !  je  renie  Dieu  !  Je  vois  bien  que  je  cours  aujourd'hui  ma 
dernière  fortune.  «  El,  malgré  les  elforls  de  ceux  qui  cherchaient  'a  le 
retenir,  il  poussa  son  cheval  dans  le  courant.  Le  pauvre  animal  manijua 
de  forces  et  se  noya  avec  son  maître. 

Les  Ligueurs  avaient  perdu,  dans  cette  défaite,  plus  de  deux  mille 
hommes,  vingt-deux  drapeaux,  et  presque  toute  l'artillerie  qu'ils  avaient 
amenée  pour  faire  ce  siège. 

Toulouse,  'a  la  nouvelle  d'un  pareil  désastre,  fut  plongée  dans  la 
consternation.  Le  cardinal  de  Joyeuse,  qui  se  trouvait  alors  dans  cette 
ville,  en  fut  déclaré  gouverneur  par  arrêt  du  parlement;  mais  comme  il 
s'excusait  de  se  mettre  à  la  tête  des  troupes,  parce  que  sa  qualité  de 
prêtre  le  lui  défendait,  et  que,  de  plus,  on  le  savait  tout  'a  fait  étranger 
au  métier  des  armes,  on  alla  chercher  dans  le  couvent  des  Capucins  le 
comte  Du  Bouchage,  qui,  comme  on  sait,  avait  pris  l'habit  de  cet  ordre 
sous  le  nom  de  Frère  Ange  de  Joyeuse,  et  comme  celui-ci  témoignait  à 
son  tour  quelque  répugnance  à  rompre  les  va»ux  qu'il  avait  faits,  on  lit, 
sur  sa  demande,  une  assemblée  de  théologiens,  de  curés  et  d'évêques, 
qui  décidèrent  non  seulement  que  le  comte  pouvait  en  toute  sûreté  de 
conscience  quitter  le  cloître  pour  commander  l'armée,  mais  qu'il  y  était 
même  obligé  sous  peine  de  péché  mortel,  attendu  qu'il  s'agissait  de 
prendre  la  défense  de  la  religion  dans  un  temps  où  elle  en  avait  un  si 
grand  besoin.  Le  comte  capucin  quitta  donc  son  froc;  il  se  montra  en 
habit  militaire  a  la  foule,  qui  le  reçut  avec  de  grandes  acclamations,  et  le 
parlement  l'associa  'a  son  frère  dans  le  gouvernement  de  la  province.  Le 
cardinal  devait  être  chargé  des  affaires  administratives,  et  le  capucin 
défroqué  du  commandement  des  armées. 

Sur  ces  entrefaites,  Lesdiguières,  après  avoir  terminé  la  session  des 
Etats  du  Dauphiné,  se  disposait  a  passer  en  Piémont,  pour  y  continuer 
la  guerre  contre  le  duc  de  Savoie;  mais  quand  il  eut  appris  la  mort  de 
La  Valette,  il  se  porta  avec  ses  troupes  dans  la  Provence,  ahu  de  garan- 
tir cette  province  de  tout  danger,  en  attendant  que  le  roi  y  eût  nommé 
un  autre  gouverneur.  S'étant  donc  d'abord  rendu  à  Embrun,  il  alla  de 
l'a  assiéger  Benne,  dont  le  gouverneur  lui  ouvrit  les  portes,  moyennant 
une  somme  de  cinq  mille  écus  d'or.  Un  grand  nombre  d'autres  comman- 
dants de  place  imitèrent  cet  exemple;  puis  il  vint  attaquer  les  retranche- 
ments et  les  forts  que  les  Savoyards  avaient  élevés  sur  la  rive  opposée  du 
Var,  du  côté  de  Nice.  11  battit  leurs  troujjes,  prit  leurs  forts,  leurs  bagages 
et  leurs  chevaux,  et  les  poursuivi»  jusqu'aux  portes  de  Nice.  (De  Thou, 
uhi  Slip.) 


264  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Deux  jours  après,  il  alla  prendre  Vence,  mais  sans  pouvoir  toute- 
fois se  rendre  maître  de  la  citadelle,  qui  est  extrêmement  forte.  Il  revint 
ensuite  vers  Antibes,  où  il  laissa  une  bonne  garnison  ;  il  passa  par 
Grasse,  et  le  dix-buitième  jour  de  juin,  il  assiégeait  la  ville  de  Muy, 
qui  se  rendit  après  huit  jours  de  tranchée  ouverte.  Le  pillage  fut  épargné 
à  cette  ville  et  a  plusieurs  autres,  qui  se  rendirent  également,  moyennant 
une  contiibution  qu'on  leur  fit  payer,  et  vingt  mille  écus  d'or,  que  les 
Marseillais  donnèrent  pour  celles  qui  n'avaient  pas  le  moyen  de  se  rache- 
ter elles-mêmes. 

Mais  pendant  ce  temps-la,  Scipion  de  Maugiron,  qui  était  gouverneur 
de  Vienne,  s'était  laissé  gagner  a  force  d'argent  par  le  duc  de  Nemours, 
et  lui  livrait  la  ville,  avec  le  château  Pipet  et  les  forts  de  Sainte-Colombe 
et  de  la  Bastide.  Le  duc  prenait  aussi  a  composition  Saint-Marcellin,  et, 
de  là,  accompagné  de  don  Olivarez,  il  était  venu  assiéger  les  Echelles, 
place  que  Lesdiguières  avait  tout  récemment  fait  fortifier,  sur  les  fron- 
tières de  Savoie.  L'assaut  fut  donné  le  quatrième  jour  d'août.  Les  assié- 
geants, étant  parvenus  a  franchir  la  brèche,  s'emparèrent  de  la  grande 
rue,  et  la  garnison,  qui  avait  été  repoussée  dans  une  église,  fut  forcée 
au  bout  de  quelques  heures.  Tout  fut  passé  au  fil  de  l'épée;  le  soldat 
n'épargna  pas  même  les  femmes  et  les  petits  enfants. 

Les  royalistes  eurent  aussi  presque  en  même  temps  le  malheur  de 
perdre  Antibes.  Le  duc  de  Savoie,  a  la  tête  d'une  nouvelle  armée,  passa 
le  Var,  et  vint  en  personne  assiéger  cette  ville.  Le  comte  de  Bar  en  était 
gouverneur.  Dans  la  crainte  que  le  duc  de  Savoie,  qui  était  son  ennemi 
particulier,  ne  lui  fit  un  mauvais  parti,  il  se  retira  sous  prétexte  d'aller 
chercher  du  secours,  et  laissa  le  commandement  a  son  frère.  Cette 
place  est  située  sur  le  bord  de  la  mer  et  partagée  comme  en  deux  villes; 
elle  est,  au  reste,  protégée  par  une  bonne  citadelle,  et  Ton  s'attendait  'a 
la  voir  bientôt  secourue  par  Lesdiguières  et  par  d'Epernon. 

Le  duc  commença  son  attaque  avec  une  puissante  artillerie  qu'on 
avait  fait  venir  par  mer,  et,  ayant  fait  une  grande  brèche,  'a  la  porte 
Saint-Sébastien,  il  s'empara  d'abord  de  tout  le  quartier  qu'on  appelle  la 
Ville-Neuve,  où  l'on  passa  par  les  armes,  sans  faire  de  distinction,  bour- 
geois et  soldats.  C'est  a  i)cine  si  Ton  fit  grâce  aux  femmes  et  aux  enfants 
qui  avaient  cherché  un  refuge  dans  l'église.  Ceux  des  habitants  qui 
purent  échapper  'a  ce  carnage  se  sauvèrent  dans  l'autre  quartier  qui 
avoisine  la  mer,  et  qui  est  séparé  du  premier  par  une  muraille  contre 
laquelle  le  duc  recommença  a  faire  jouer  son  artillerie.  La  largeur  de  la 
brèche  ouverte  par  les  boulets  ne  put  ébranler  le  courage  des  assiégés, 
qui  lui  tuèrent  beaucoup  de  monde  dans  les  sorties  qu'ils  ne  cessaient 
de  faire,  et  lui-même,  pendant  qu'il  allait  de  poste  en  poste  pour 
enhardir  les  siens,  faillit  être  emporté  par  un  boulet  de  canon. 

Mais  a  la  fin,  ceux  de  la  ville,  désespérant  d'être  secourus,  et  ayant  vu 
tailler  en  pièces  une  troupe  de  trois  cents  hommes,  que  Lesdiguières  leur 
envoyait,  sans  qu'aucun  pût  entrer  dans  la  place,  demandèrent  à  ca- 
pituler; ce  qui  leur  tut  accordé,  'a  condition  qu'ils    laisseraient  leurs 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  265 

armes  et  leurs  drapeaux,  et  qu'ils  n'auraient  que  vie  et  bagues  sauves. 
Il  ne  restait  plus  que  la  citadelle,  où  était  le  frère  du  comte  de  Dar, 
qui  tînt  encore  ;  mais  celui-ci  ayant,  comme  on  le  croit,  reçu  sous 
main  une  grosse  somme  d'argent,  consentit  enfin  a  sortir  de  ce  fort, 
le  septième  jour  d'août. 

Le  butin  (jue  fit  rennemi  lut  estiuié,  dit-on,  a  trois  cent  mille  écus 
d'or;  mais,  ce  qui  est  beaucoup  plus  certain,  c'est  que  les  habitants, 
qu'on  avait  d'abord  chassés  de  leurs  maisons,  payèrent  trente  mille  écus 
d'or  pour  y  rentrer. 

Lesdiguières,  pour  réparer  cette  perte,  dont  il  ressentit  une  grande 
mortification,  fit  sa  jonction  avec  la  troupe  d'Ornano,  et  tous  les  deux 
allèrent  attaijuer  Le  Molard,  dans  le  voisinage  de  Saiut-Marcelliu,  qui 
venait  d'être  pris  par  le  duc  de  Nemours.  La  garnison  de  cette  place 
l'abandonna,  saus  oser  attendre  l'arrivée  des  troupes  royalistes,  qui 
vinrent  de  la  assiéger  Saint-Marcellin  même.  Cette  dernière  ville  se  rendit 
également  ;  puis  on  s'avança  jusque  sous  les  murs  de  Vienne,  mais  sans 
oser  alla<juer  ni  la  place  ni  les  forts  si  lâchement  livrés  a  l'ennemi  par 
Maugiron. 

Le  duc  de  Savoie,  sachant  l'ennemi  si  près,  rentra  en  Savoie,  après 
avoir  laissé  toutes  ses  compagnies  espagnoles  pour  défendre  Antibes. 
Lesdiguières  le  poursuivit,  et  fit  d'abord  une  tentative  inutile  sin*  Pigne- 
rol;  il  fut  plus  heureux  'a  La  Pérouse,  dont  il  se  rendit  maître  par  une 
surprise  de  nuit.  Ayant  alors  appris  que  l'ennemi  assemblait  ses  troupes 
au  Vigon,  il  résolut  d'aller  l'y  attaquer,  et  le  troisième  jour  d'octobre,  il 
fit  investir  Le  \'igon  par  sa  cavalerie.  Ensuite  l'infanterie  alla  enlever  les 
barricades  (jui  avaient  été  élevées  autour  de  la  place,  et  força  les 
Savoyards  'a  se  retirer  derrière  les  murailles,  où  les  royalistes  vinrent 
immédiatement  les  attaquer.  Le  combat  dura  plus  de  deux  heures 
avec  une  grande  opiniâtreté;  mais  enfin  l'ennemi  fut  défait  avec  perte 
de  plus  de  douze  cents  hommes.  Maître  alors  de  toute  cette  partie  du 
pays  (|u'on  appelle  les  Vallées,  Lesdiguières  lit  prêter  sermeut  aux  ha- 
bitants d'être  fidèles  au  roi,  ce  qifils  firent  avec  beaucoup  de  joie  en 
apparence. 

H  se  hâtait,  pendant  ce  lemps-la,  de  fortifier  la  petite  place  de 
Briipiières,  qui  n'est  éloignée  de  Turin  que  de  seize  milles  d'Italie,  et 
qui  commande  l'entrée  du  val  Hobio.  Pour  gagner  l'affection  des  habi- 
tants, Lesdiguières  se  conduisit  avec  une  extrême  prudence.  Il  laissa 
|)artout  le  libre  exercice  de  la  religion  catholique,  mais  eu  même  teuips 
il  permit  à  ceux  des  \'allces,  presijue  tous  prolestants  ou  vaudois,  d'avoir 
pour  les  prêcher  un  mitnslre  ou  barbe  de  leur  croyance,  «  laveur  dont 
ils  élaieut  privés  depuis  longtemps.  »  Du  reste,  il  maintint  la  discipline 
la  plus  exacte  parmi  ses  troupes,  défendant  expressément  les  jurements 
et  blasphèmes,  et  le  pillage  des  paysans. 

Le  duc  de  Savoie,  (|ui  craignait  (jue  cet  habile  général  ne  s'emparât 
de  Saluées  et  de  tout  le  marquisat,  fit  alors  des  propositions  de  paix, 
oiTraut  de  rendre  toutes  les  places  qu'il  tenait  encore  dans  la  Provence, 


266  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

savoir  :  Berre,  Salons,  Grasse  et  Antibcs  ;  mais  Lesdiguières  s'aperçut 
que  cette  promesse  ne  tendait  qu'a  gagner  du  temps,  et  il  refusa  de 
s'arrêter  dans  ses  conquêtes.  Il  lit  venir  son  artillerie,  qu'on  traîna  à 
travers  les  Alpes,  par  les  passages  de  La  Pérouse  et  des  Portes,  et  qu'il 
fallu!  pendant  une  bonnne  partie  du  chemin  porter  a  force  de  bras,  les 
habitants  des  Vallées  se  relayant  pour  aider  a  ce  transport. 

De  son  côté,  d'Épernon  n'avait  besoin  que  de  se  présenter  pour 
reprendre  Grasse  et  Antibes,  tandis  (\ue  Lesdiguières,  ayant  réuni  toutes 
ses  forces  et  tout  le  matériel  nécessaire,  marchait  contre  Cavours,  espé- 
rant bien  attirer  le  duc  lui-même  a  une  bataille  générale.  Cavours  est 
située  sur  la  petite  rivière  de  Celles,  presque  a  l'embouchure  du  Cluson, 
et  cette  place  assez  importante  donne  son  nom  a  la  vallée  (pi'elle  com- 
mande. Ses  remparts  sont  de  briques,  et  sa  position  sur  un  terrain 
escarpé,  au  piec'  des  hautes  montagnes  qui  la  dominent,  lui  donnent 
l'air  d  une  guérite.  Sa  citadelle  est  bâtie  sur  le  sommet  d'un  roc  inac- 
cessible de  tous  les  côtés,  et  vis-a-vis  s'élève  un  autre  rocher  également 
inabordable,  sur  lequel  on  a  construit,  en  forme  de  demi-lune,  une  tour 
qu'on  appelle  communément  la  tour  de  Bremafan. 

C'est  contre  cette  tour  que  Lesdiguières  dirigea  sa  première  attaque. 
Pour  établir  sur  cette  pente  escarpée  une  esplanade  où  il  pût  dresser  ses 
batteries,  il  fit  transporter  de  main  en  main  des  sacs  de  terre  dont 
chaque  soldat  avait  eu  ordre  de  se  munir,  et  l'on  parvint,  après  des 
peines  infinies,  a  composer  avec  ces  matériaux  une  espèce  de  plate-forme 
sur  laquelle  les  canons  purent  enfin  trouver  place. 

Mais,  pendant  qu'on  était  occupé  de  ces  préparatifs,  on  eut  avis 
que  le  duc  de  Savoie  s'approchait  pour  délivrer  la  place.  Aussitôt  on  tint 
un  conseil  de  guerre  dans  lequel  les  avis  furent  partagés.  Les  uns  vou- 
laient qu'on  continuât  le  siège;  d'autres  soutenaient  qu'il  serait  plus 
prudent  de  l'abandonner,  pour  ne  pas  se  laisser  enfermer  enlre  une  place 
aussi  forte  et  toute  l'armée  savoyarde.  Lesdiguières  mit  les  deux  opinions 
d'accord  en  se  prononçant  pour  la  continuation  du  siège  et  pour  mar- 
cher en  même  temps  au-devant  du  duc.  «  Quelques-uns  d'entre  nous 
suffiront,  dit-il,  pour  tenir  ici  les  assiégés  en  respect,  grâce  aux  tra- 
vaux que  nous  avons  déjà  faits  et  qu'il  ne  faut  pas  perdre.  Avec  nos 
autres  soldats,  nous  serons  encore  assez  forts  pour  vaincre  un  ennemi 
que  nous  avons  déjà  tant  de  fois  battu.  »  Ce  fut  à  ce  parti  qu'on  s'ar- 
rêta; et,  comme  la  batterie  était  enfin  établie,  on  commença  un  tel 
feu  contre  la  vieille  tour  de  Bremafan,  depuis  les  dix  heures  du  matin 
jusqu'à  cinq  heures  du  soir,  que  ses  antiques  murailles  furent  presque 
démolies  tout  entières,  et  qu'elle  fut  emportée  d'assaut  'a  la  vue  de  la 
citadelle. 

Le  lendemain,  les  sentinelles,  qui  veillaient  au  haut  du  rocher  pour 
avertir  de  rapproche  de  l'ennemi,  annoncèrent  qu'on  avait  entendu  pen- 
dant la  nuit,  dans  la  campagne,  un  grand  bruit  de  mousqueterie.  On  sut 
bientôt  que  c'était  le  duc  de  Savoie,  qui,  ayant  fait  mettre  a  ses  soldats 
des  chemises  par-dessus  leurs  armes,  était  venu  attaquer  les  nouvelles 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  267 

forlilîcations  de  Hriquiôres.  Après  avoir  renversé  les  palissades,  sans  que 
les  Français  eussent  eu  le  temps  de  se  reconnaître,  le  Savoyard  s'était 
déjà  emparé  de  deux  bastions;  mais  la  garnison  que  Lesdiguières  avait 
laissée  dans  cette  place,  sétant  enlin  réveillée  au  bruit,  avait  marché 
avec  résolution  contre  l'ennemi,  et,  après  un  long  combat  'a  coups 
d'épées,  de  pierres  et  d'arquebuses,  elle  était  parvenue  'a  le  repousser, 
le  forçant  même  à  abandonner  ses  échelles  et  ses  morts  dans  le  fossé. 

Aussitôt  Lesdiguières  fit  prendre  les  armes,  et  courut  sur  le  chemin 
de  Bri(|nières,  à  la  poursuite  du  duc,  qu'il  atteignit  sur  les  huit  heures 
du  malin  vers  Gar/igliano,  où  ce  prince,  après  avoir  échoué  dans  son 
entreprise  nocturne,  venait  de  s'arrêter  pour  donner  du  repos  a  ses 
troupes.  Cette  petite  bourgade,  bâtie  sur  un  territoire  très-fertile,  est 
toute  environnée  de  jardins  et  d'un  grand  nombre  d'arbres  qui  soutien- 
nent des  vignes,  ce  qui  en  rendait  l'accès  assez  difficile  aux  Français, 
dont  la  principale  force  consistait  en  cavalerie.  On  combattit  longtemps 
sur  les  bords  d'un  petit  ruisseau  qui  séparait  les  deux  armées;  puis,  les 
piquiers  du  duc  de  Savoie,  ayant  été  'a  la  fin  repoussés,  se  mirent  'a 
semer  sur  le  chemin  les  fers  de  leurs  piques,  pour  arrêter  le  passage  des 
chevaux;  mais  Lesdiguières  fit  mettre  pied  'a  terre  'a  ses  ar(|uebusiers  (|ui 
s'avancèrent  en  bon  ordre  ;  en  même  temps,  il  envoya  occuper  les  jar- 
dins 'a  droite  et  a  gauche,  et  enfin  les  Savoyards  furent  obligés  d'éva- 
cuer la  bourgade,  après  y  avoir  perdu  une  centaine  d'hommes.  Le  com- 
mandant général  de  leur  cavalerie  y  fut  fait  prisonnier. 

Le  vainqueur  revint  aussitôt  sous  les  murs  de  Cavours  ;  et  les  as- 
siégés, ayant  appris  la  défaite  de.  leur  duc,  demandèrent  'a  capituler; 
mais  celui-ci  trouva  le  moyen  de  leur  faire  savoir  (jue  tout  n'était  |)oint 
encore  perdu,  et  qu'il  espérait  bien  venir  incessamment  'a  leur  secours  ; 
sur  cet  avertissement,  ils  rompirent  les  négociations  qui  venaient 
de  commencer.  Alors  Lesdiguières  fit  continuer  les  travaux  du  siège 
avec  une  nouvelle  activité  et  dirigea  le  (eu  de  ses  batteries  sur  la  ville 
elle-même. 

Il  en  fit  monter  une  sur  un  rocher  voisin  à  l'aide  de  grues  placées  de 
distance  en  distance  dans  les  dillérentes  élévations  du  roc  où  l'on  pouvait 
prendre  pied,  et,  au  grand  étonnement  des  habitants,  qui  ne  pouvaient 
croire  a  la  réussite  d'une  pareille  entreprise,  ils  se  virent  foudroyés  d'en 
liant,  par  les  boulets  qui  pleuvaient  dans  leurs  rues  et  jusque  dans  l'inté- 
rieur de  leur  citadelle. 

En  ce  moment  arrivait  le  secours  que  le  duc  de  Savoie  leur  avait  pro- 
mis. Il  était  composé  de  cent  rin(pianle  hommes  chargés  chacun  d'un  sac 
de  farine  de  (piinze  livres;  car  le  pain  commençait  'a  manquer  dans  la 
place.  Cette  petite  troupe  était  déjà  parvenue  à  se  glisser  silencieusement 
a  travers  les  rocliers,  et  elle  n'était  plus  guère  éloignée  des  murailles, 
(piand  elle  lut  aperçue  des  Français  qui  l'enveloppèrent  et  la  taillèrent  en 
pièces.  Il  en  resta  soixante-cinq  morts  ou  blessés  sur  la  place  ;  on  en  prit 
vingt-deux,  et  les  autres,  après  avoir  jeté  leurs  sacs  de  farine  pour  mieux 
courir,  parvinrent  dans  la  ville. 


268  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Les  assiégés  perdirent  alors  toute  espérance  et  reprirent  leurs  propo- 
sitions de  capitulation.  Lesdiguières  les  laissa  libres  de  rédiger  eux-mêmes 
le  traité,  qu'il  signa  sans  discussion,  et  le  cinquième  jour  de  décembre, 
il  entra  dans  Cavours.  La  garnison  ennemie,  composée  de  quatre  cents 
hommes,  sortit  avec  armes  et  bagages,  et  fut  escortée  jusqu'au  Vigon 
pour  la  préserver  de  toute  insulte. 

Lesdiguières,  ayant  ensuite  pourvu  a  la  conservation  du  pays  qu'il 
venait  de  conquérir,  en  plaçant  de  bonnes  garnisons  dans  les  places,  et 
en  distribuant  cinquante  compagnies  d'infanterie  sur  les  frontières  du 
Piémont,  repassa  avec  sa  cavalerie  dans  le  Dauphiné  pour  se  préparer  a 
une  nouvelle  expédition  qu'il  méditait  pour  le  printemps  prochain. 
(Mézeray,  t.  111,  p.  982  et  suiv.) 

Le  duc  d'Épernon  avait  pendant  ce  temps-la  reçu  les  provisions  de 
la  cour  pour  le  gouvernement  dejla  Provence,  dont  il  avait  d'avance  pris 
possession  au  milieu  de  l'allégresse  presque  générale.  Pourtant  les  trois 
grandes  villes  de  cette  province  s'obstinaient  a  rester  ligueuses.  A  Âix,  un 
teinturier  nommé  Quarrelasse,  et  un  huissier  nommé  Tempe,  s'étaient 
établis  comme  des  espèces  de  tribuns,  et  excitaient  incessamment  le 
peuple.  A  Arles,  les  Ligueurs  étaient  également  tout-puissants.  Le  duc 
d'Épernon  tenta  vainement  de  surprendre  cette  ville  au  moyen  d'un 
moine  Augustin,  qui  fut  gagné  par  les  ruses  d'une  lille  de  joie  qu'on  lui 
députa.  Le  complot  fut  découvert;  le.  pauvre  moine  fut  décollé,  tandis 
qu'on  fouettait  au  pied  de  l'échafaud  celle  qui  l'avait  entraîné  dans  ce 
malheur.  A  Marseille,  Caseaux  continuait  a  usurper  la  tyrannie,  et,  «  afin 
de  se  fortifier  d'un  compagnon  de  son"  humeur,  il  venait  de  faire  nommer 
a  la  charge  de  sous-viguier  un  certain  Louis  d'Aix,  homme  de  peu,  mais 
audacieux  et  scélérat.  »  Le  comte  de  Garces,  qui  se  croyait  plus  de 
titres  à  manier  le  pouvoir,  fit  dessein  de  se  rendre  maître  de  la  ville.  Il 
vint,  la  nuit,  se  mettre  en  embuscade  avec  environ  cinq  mille  soldats 
a  cinq  cents  pas  des  murailles. 

Vers  les  cinq  heures  du  matin,  et  bien  avant  le  jour,  il  détache  cinq 
cents  des  siens  pour  attaquer  la  porte  d'Aix,  comptant  que  les  amis 
qu'il  avait  dans  Marseille,  et  qu'il  avait  fait  prévenir,  ne  manqueraient 
pas  d'exciter  le  peuple  en  sa  faveur.  Alors  il  se  tenait  tout  prêt  avec  le 
reste  de  ses  gens  'a  prêter  main-forte.  Mais  comme  on  distribuait  la 
poudre  'a  ceux  qui  étaient  désignés  pour  entamer  l'entreprise,  un  soldat 
imprudent  laissa  tomber  une  bluette  de  sa  mèche  dans  la  caque  défoncée 
pour  la  distribution.  Le  feu  s'élance  aussitôt  en  gros  tourbillons,  étouffe 
neuf  ou  dix  de  ceux  qui  étaient  les  plus  près,  en  grille  cinquante  a 
soixante  plus  ou  moins  dangereusement,  et  le  comte,  voyant  son  plan 
découvert  par  les  cris  que  poussaient  ces  malheureux,  se  retira  au 
plus  vite. 

Caseaux  et  son  complice  le  sous-viguier  se  trouvèrent  'a  Marseille 
plus  puissants  que  jamais.  La  comtesse  de  Sault  y  étant  arrivée  du 
Languedoc  avec  cent  hommes  d'armes,  dans  la  galère  du  duc  de  Mont- 
morency avec  lequel  elle  venait  d'avoir  des  conférences  à  Arles,  Caseaux 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  269 

soupçonna  qu'elle  avait  Tintention  de  livrer  la  ville  au  maréclial,  et, 
oubliant  tout  ce  (ju'il  devait  a  celle  dame,  (jui  l'avait  lait  ce  qu'il  était,  il 
résolut  de  la  faire  assassiner  par  la  troupe  de  brigands  qu'il  avait  a  ses 
ordres.  Par  boiilieur  pour  elle,  la  comtesse  fut  avertie  a  temps  et  se 
sauva  de  nuit  avec  le  viguicrlicsaudin,  dont  la  cbarge  fut  aussitôt  donnée 
au  sous-viguier  d'Aix, 


270  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 


CHAPITRE  XI 


1592-1593.  —  ARGUMENT  :  on  désire  la  paix  a  paris. 

MORT   DU   DUC    DE   PARME. 

MAYENNE    ROMPT    LES    NÉGOCIATIONS    ENTAMÉES     AVEC    VILLEROI. 

IL   CRÉE   QUATRE   MARÉCHAUX  DE   FRANCE   ET   CONVOQUE   LES   ÉTATS   GÉNÉRAUX. 

SA   DÉCLARATION   A   CE   SUJET.    —   EXHORTATION   DU   LÉGAT. 

RÉPONSE  DE   HENRI   IV.   —   DÉCLARATION   DES   CATHOLIQUES   DU   PARTI    ROYALISTE. 

MAYENNE   OUVRE   LES   ÉTATS.    —   LA   SATIRE   MÉNIPPÉE. 

LE   ROI   VA  AU-DEVANT   DE   SA   SŒUR.    —   ENTRÉE  DE   LA   PRINCESSE   A   RORDEAUX. 

ILS   SE   RENCONTRENT   A   SAUMUR. 

CONSEILS   DE   DUPLESSIS  AU    ROI   TOUCHANT   L'aRJURATION.  —   LE   ROI   A   TOURS. 

RÉPONSE   DES   CATHOLIQUES   DU   TIERS   PARTI   A   LA    DÉCLARATION 

DES   CATHOLIQUES   ROYALISTES.    —     RÉPLIQUE   DE   CEUX-CI. 

MAYENNE    VA   AU-DEVANT    DES   ESPAGNOLS. 

LES   ESPAGNOLS   REPRENNENT    NOYON   ET   RETOURNENT   EN   FLANDRE. 

HARANGUE    DE   l'AMDASSADEUR    d'ESPAGNE   AUX     ÉTATS    EN   PRÉSENTANT    LES    LETTRES 

DE   SON   MAÎTRE.    —   HARANGUE   DU    CARDINAL   DE   PELLEVÉ. 

RÉPONSE   DES   ÉTATS   AUX   CATHOLIQUES   ROYAUX. 

CONSPIRATIONS   DANS  LE   CAMP   DU   ROI.    —    COLLOQUE   DE   SAINT-JEAN-d'aNGELY. 

CONSEIL   DE   SULLY   AU   SUJET   DE   LA   CONVERSION   DE   HENRI   IV. 

LE   ROI   SE   DÉCLARE   PRESQUE   CONVAINCU   DES   DOGMES   CATHOLIQUES. 


Cependant  ceux  qui,  dans  Paris,  favorisaient  le  parti  royal,  voyant 
que  le  populaire  inconstant  commençait  a  se  montrer  impatient  de  tous 
les  maux  qu'il  avait  déjà  endurés,  sentaient  de  leur  côté  augmenter  leur 
assurance,  et  reprenaient  cœur  à  mesure  que  ceux  de  la  Ligue  perdaient 
tout  a  la  fois  et  du  terrain  et  leur  courage.  «  Les  brefs  du  Pape  étaient 
reçus  avec  dédain;  on  ne  parlait  plus  en  crainte  par  les  rues;  on  enten- 
dait dire  sans  indignation  que  les  huguenots  croissaient  et  se  fortifiaient 
a  vue  d'œil.  Dans  le  parlement  de  la  Ligue  même,  on  proposait  de 
demander  la  paix  ;  a  LHôtel-de-Ville,  on  en  était  venu  jusqu'à  émettre 
l'idée  d'envoyer  traiter  avec  le  roi,  et  ce  mot  de  roi,  que  plusieurs 
affectaient  de  prononcer  à  tous  coups,  sans  l'accompagner  d'aucune 
restriction,  faisait  grand  mal  au  cœur  des  vieux  Ligueurs,  qui  n'osaient 
presque  plus  s'en  plaindre.  Le  curé  de  Saint-Eustache  alla  encore  plus 
loin.  En  prêchant  sur  la  nécessité  de  faire  au  plus  tôt  la  paix,  il  appela 
sans  nulle  difficulté  Henri  roi  de  France,  et  cela  en  présence  de  plus  de 
seize  mille  de  ses  paroissiens  portant  armes,  et  qui  turent  merveilleuse- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  271 

monl  émus  do  son  sermon,  si  bien  (\ue  dans  Paris  on  ne  Taisait  j)lus 
nulle  difliculté  de  se  demander  toutliaut  :  «  Es-lu  toujours  de  la  Ligue?., 
es-tu  royal?..  »  (Cayet,  Chron.  nov.^  liv.  4,  ad  ann.  1592.  —  D'Aubigné, 
Hist.  univ.,  t.  111,  liv.  5,  p.  274.) 

Aussi  les  principaux  chefs  de  ce  premier  parti,  qui  commençaient  a 
éprouver  quelques  craintes  pour  la  sûreté  de  leurs  personnes,  faisaient 
secrètement  des  démarches  auprès  des  chefs  des  politiques,  pour  tâcher 
de  se  rapprocher  d'eux. 

Monsieur  Rose,  évêque  de  Senlis,  s'était  adressé  directement  au 
colonel  d'Auhray.  «  Ne  serait-il  pas  temps,  Monsieur,  avait-il  dit,  que 
tous  les  bons  catholiques,  sans  distinction  de  politiques  ou  de  Ligueurs, 
s'unissent  ensemble  pour  repousser  l'hérésie?  —  Ah  !  Monseigneur,  ré- 
pondit d'Aubray,  quand  tous  vos  Seize  auront  été  convenablement  punis 
de  leurs  crimes,  il  sera  temps  alors  d'aviser  a  ce  que  nous  aurons  a 
faire;  »  et  il  ne  voulut  pas  donner  d'autre  réponse.  (Cayet,  iibi  siip.) 

Les  docteurs  Boucher  et  Génébrard  parlèrent  aussi  dans  le  même 
sens  a  quelques  autres  colonels  de  la  ville  qu'ils  connaissaient,  et  lés 
choses  furent  a  la  lin  poussées  d'une  manière  si  pressante,  que  les  poli- 
tiques, pour  ne  pas  donner  lieu  de  les  accuser  de  ne  vouloir  entendre  à 
aucune  réconciliation,  trouvèrent  bon  qu'il  y  eût  une  conférence  à  ce 
sujet  dans  la  maison  d'un  sieur  L'Huillier,  homme  du  reste  tout  dévoué 
aux  intérêts  de  Sa  Majesté.  «  Messieurs,  leur  dit  L'Huillier,  on  nous  a  fait 
savoir  que  vous  nous  recherchiez,  pour  vous  réconcilier  et  vous  joindre 
avec  nous,  dans  le  but  de  mettre  un  terme  aux  malheurs  de  ces  temps. 
C'est  chose  qui  pourra  se  faire,  moyennant  que  chacun  de  vous  s'humilie, 
obéisse  et  reconnaisse  ceux  qui  doivent  être  honorés  par  honneur.  » 
A  quoi  Acarie  ré[)ondit  an  nom  du  parti  de  la  Ligue  :  «  Ce  que  nous 
demandons  surtout,  c'est  que  ceux  qui  se  disent  catholiques  le  fassent 
paraître  par  bonnes  actions,  en  éteignant  toutes  ces  déplorables  divisions 
qui  séparent  des  gens  ayant  un  même  Dieu  et  une  même  foi,  et  qui 
mettent  en  péril  notre  sainte  religion.   » 

Dans  cette  première  réunion,  on  se  borna  a  nommer  de  part  et 
d'autre  des  délégués,  et  l'on  eut  soin  de  choisir  en  grande  partie  des 
ecclésiastiques  pour  approfondir  et  traiter  théologi(, élément  la  question, 
ce  (pii  n'était  pas  peut-être  le  meilleur  moyen  d'aboutir  à  un  résultat- 
Ces  délégués  se  trouvèrent  le  mercredi  suivant  chez  le  sieur  de 
Belin,  gouverneur  de  Paris,  où  il  ne  fut  tenu  que  propos  sans  solution 
possible.  Il  y  eut  ensuite  une  nouvelle  assemblée  en  présence  du  gou- 
verneur et  du  prévôt  des  marchands.  La,  un  des  colonels  de  la  ville 
étant  venu  se  plaindre  de  ce  que  certains  prédicateurs  ligueurs  avaient 
déjà  prêché  au  peujde  que  les  politiques  avaient  été  les  premiers  à  recher- 
cher ceux  de  l'Union,  il  fut  fait  d'abord  grand  bruit  a  ce  sujet;  mais  ce 
fut  bien  autre  chose  encore  (piand,  les  têtes  s'étant  montées  dans  cette 
disi'ussion,  quelqu'un  des  plus  zélés  Liguein'S  vint  soutenir,  que,  pour 
couper  court  a  toute  discussion,  le  meilleur  moyen  était  de  jurer  de  bonne 
foi  de  ne  jamais  reconnaître  le  roi  de  Navarre,  quelque  catholique  qu'i! 


272  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

se  fit  et  enlendît-il  toutes  les  messes  du  monde.  «  Messieurs,  répliqua 
d'Aubray  indigné,  ce  n'est  pas  nous  qui  sommes  allés  vous  chercher. 
Nous  avons  toujours  été  et  nous  serons  toujours  Français;  quant  a  vous 
autres,  qui  vous  êtes  joints  avec  le  Pape  et  avec  l'Espagnol,  si  aujour- 
d'hui vous  tenez  à  revenir  a  nous,  vous  n'avez  autre  chose  a  faire  qu'a 
le  vouloir  et  à  le  dire,  et  nous  vous  recevrons  en  oubliant  votre  passé,  a 
condition  que  vous  ne  retomberez  plus  en  pareille  faute.  »  Cette  réponse 
eut  l'elTet  qu'on  en  devait  attendre.  Les  délégués  des  deux  côtés  se 
séparèrent  en  meilleure  disposition  que  jamais  de  tenir  ferme,  chacun 
pour  son  parti. 

Sur  ces  entrefaites,  le  duc  de  Parme,  qui,  depuis  sa  dernière  cam- 
pagne en  France,  n'avait  pu  se  remettre  de  la  blessure  qu'il  y  avait 
reçue,  ne  pouvait  plus  douter  que  sa  mort  ne  fût  inévitable  et  prochaine. 
Malgré  celte  conviction,  il  était  parti  de  Bruxelles,  et  était  venu 'a  Arras 
pour  recommencer  une  troisième  campagne  dans  le  royaume  très-chré- 
tien. Voulant  faire  croire  qu'il  n'était  pas  aussi  malade  qu'on  l'estimait, 
il  montait  tous  les  jours  'a  cheval,  et  se  promenait  sur-les  fossés  de  la 
ville;  mais,  le  deuxième  jour  de  décembre,  il  se  trouva  si  faible,  en 
revenant  de  cette  promenade,  que  son  secrétaire  de  confiance  ne  put 
s'empêcher  de  répandre  des  larmes,  en  le  voyant  descendre  de  cheval  en 
un  tel  état.  «  Mon  ami,  lui  dit  le  duc,  je  sens  bien  qu'il  n'y  a  plus  de 
remède,  et  qu'il  faut  que  je  finisse.  —  Oh  !  Monseigneur,  reprit  le  secré- 
taire, ne  dites  pas  cela,  au  nom  de  Dieu!  Il  me  semble,  au  contraire, 
que  Votre  Altesse  a  meilleur  visage.  —  Non  !  non  !  répliqua  tranquille- 
ment le  prince.  Je  touche  a  mon  dernier  moment,  et  je  sens  que  je  n'ai 
plus  de  temps  a  perdre  si  je  veux  donner  quelque  ordre  aux  plus  pres- 
sées des  importantes  affaires  dont  je  suis  chargé.   » 

Il  passa  le  reste  de  la  journée  a  dicter,  et  le  soir,  il  se  coucha  sur 
son  lit,  où  il  parut  s'endormir.  Mais  sur  le  minuit  on  s'aperçut  qu'il  était 
tombé  en  agonie;  on  se  hâta  de  lui  administrer  le  sacrement  de 
l'Extrêmc-Onction,  car  déjà  il  ne  parlait  plus  ;  il  ouvrait  seulement  les 
yeux  de  temps  à  autre,  regardant  ceux  qui  l'entouraient,  et,  vers  la 
pointe  du  jour,  il  passa  de  cette  vie  en  l'autre.  Ses  entrailles  furent 
déposées  dans  l'abbaye  de  Saint-Wast,  toutes  les  cloches  de  la  ville 
sonnantes,  et  en  présence  de  tous  les  grands  seigneurs  italiens,  espa- 
gnols et  flamands;  son  corps  embaumé, et  revêtu  d'un  froc  de  capucin, 
ainsi  qu'il  l'avait  prescrit  lui-même  par  son  testament,  fut  porté 'a  Rome, 
lieu  de  sa  naissance.  Le  peuple  romain  lui  fit  dresser  une  statue  dans 
le  Capitole,  pour  rendre  hommage  a  sa  qualité  héréditaire  de  gonfalon- 
nier  de  la  sainte  Eglise.  (Legrâin,  Décad.,  1.  5,  p.  251.) 

Le  roi  Henri  IV  était  alors  vers  Corbie,  oîi  il  avait  mandé  a  toutes 
les  garnisons  de  la  Picardie  de  venir  le  trouver  pour  s'opposer  a  l'inva- 
sion des  Espagnols.  En  apprenant  le  décès  du  duc  de  Parme,  il  revint  a 
Senlis,et  de  Ta  a  Saint-Denis,  se  proposant  d'aller  au-devant  de  sa  sœur, 
dont  les  amours  avec  le  comte  de  Soissons  l'inquiétaient  bien  un  peu,  et 
qui  était  partie  du  Béarn  pour  venir  voir,  'a  ce  qu'elle  lui  mandait,  son 


DU  l'IlOTESTANTlSME  EN  FRANCE.  '273 

hien-aiinc  Irère.  Le  roi  voulait  aussi  profiter  de  celte  occasion  pour  visi- 
ter la  Tourainc  et  l'Anjou,  où  sa  présence  ne  pouvait  que  raffermir  la 
bonne  volonté,  qu'on  avait  déjà  pour  lui  dans  ces  deux  provinces.  • 

Quant  a  l'armée  espaijinole  des  Pays-Iîas,  il  n'y  avait  plus  rien  a  en 
appréhender  pour  le  moment;  la  morl.de  son  général  fut  le  signal  de  sa 
dispersion.  Les  soldats  se  mutinèrent  et  se  mirent  à  ravager  le  pays  pour 
leur  compte. 

Le  comte  de  Fuentes  s'ollVit  aux  Flamands  pour  prendre  provisoire- 
ment le  gouvernement  de  la  vice-royauté,  et  pour  rappeler  à  l'ordre  ces 
troupes  qui  ne  reconnaissaient  plus  aucune  autorité;  mais  les  seigneurs 
flamands  alléguèrent  que  le  roi  d'Espagne  leur  avait  promis  qu'advenant 
la  mort  du  duc  de  Parme,  ils  ne  seraient  gouvernés  que  par  un  homme 
de  leur  nation.  Seulement,  en  attendant  que  Sa  Majesté  catholi(juc  put 
faire  connaître  ses  dernières  intentions,  on  convint  que  le  comte 
Mansfeld,  dont  le  feu  duc  avait  lait  son  lieutenant,  continuerait  à  diriger 
les  affaires  de  l'administralion,  pendant  que  le  comte  Charles,  fils  de 
Mansfeld,  irait  prendre  le  commandement  des  troupes.  Fuentes  fut  mis 
avec  d'Ibarra  à  la  tête  des  finances.  (Cavet,  uhi  sup.) 

De  son  côté,  Mayenne  se  crut,  par  la  mort  du  duc,  débarrassé  d'un 
rival,  qui  jusque-là,  l'avait  éclipsé.  Il  en  vint  jusqu'à  s'imaginer  que  le 
roi  d'Espagne,  après  avoir  perdu  ce  capitaine  qui  avait  sa  confiance, 
n'hésiterait  plus  à  la  lui  donner  tout  entière,  et  à  s'en  rapporter  à  lui 
seul  pour  la  conduite  des  affaires  de  France.  Il  se  voyait  déjà  comman- 
dant général  et  absolu  des  armées  espagnoles  dans  le  royaume,  et,  dans 
cet  espoir,  il  rompit  brus(iuement  les  négociations  qu'il  avait  secrètement 
entamées  avec  Henri  IV,  par  le  ministère  de  Villeroi.  Il  ne  songea  plus 
qu'à  hâter  la  tenue  des  Étals  pour  l'élection  d'un  roi,  donnant  tous  ses 
soins  à  faire  nommer  des  députés  à  sa  dévotion,  et  se  promettant  bien 
de  tirer  pour  ses  intérêts  le  meilleur  parti  possible  de  l'influence  qu'il 
espérait  pouvoir  exercer  sur  celte  élection.  {Mém,  d'État  de  Villeroi, 
ad  ann.  1592.) 

Pour  mieux  assurer  celte  influence,  il  imagina,  malgré  les  opposi- 
tions du  parlement,  auquel  il  parla,  cette  fois,  aigrement  et  en  maître,  de 
créer  quatre  maréchaux  de  France  du  parti  de  la  Ligue,  afin  d'en  avoir 
sous  sa  main  le  nombre  accoutumé  en  ce  royaume,  ne  comptant  pour 
rien  ceux  qui  existaient  déjà,  et  qui  n'étaient  pas  de  sa  création.  On  a 
déjà  vu  qu'il  avait  donné  cette  haute  dignité  à  .Monsieur  de  La  Châtre, 
gouverneur  du  Berri  ;  il  lui  adjoignit  pour  collègues  les  sieurs  de  Rosne, 
de  Rois-Dauphm  et  de  Saint-Paul,  et  il  nomma  grand-amiral  de  France  le 
sieur  de  \  illars,  gouverneur  de  Rouen.  «  0  Monseigneur,  lui  dit  à  ce 
sujet  Cbanvalon,  vous  venez  de  faire  là  des  bâtards  qui  trouveront  plus 
tard  le  moven  de  se  faire  légitimer  à  vos  dépens.  »  {Journal  de  Henri  lY, 
t.  I,  p.  271.  —  Mi:zi:n.\v,  t.'lll,  p.  090.) 

Toutefois,  le  roi  d'Espagne  «  ne  songeait  plus  tant  maintenant  à 
concpiêter  la  couronne  de  France  par  la  force  des  armes  (jue  par  intel- 
ligences, divisions  et  adresses.  »  Don  Diego  d'Ibarra,  son  homme   de 


074  IllSTUllŒ  DE  L'ÉTABLI^ïSEMENT 

coniiance,  conlinnait  ses  pratiques  ténébreuses,  excitait  le  duc  de 
Guise  a  faire  bande  et  amis  à  part  avec  son  oncle,  et  a  se  faire  chef  de 
l'Union  ;  et  il  lui  montrait  toutes  sortes  de  belles  espérances  s'il  suivait 
ce  conseil;  même,  dit-on,  il  passa  si  avant  que  de  lui  conseiller  d'entre- 
prendre sur  la  vie  du  duc  de  Mayenne,  dont  i'e.'jistence  ne  pouvait  plus 
désormais  être  que  ruineuse  pour  ce  jeune  prince.  (Cayet,  ubi  sup.) 

Mayenne,  averti  de  ce  mauvais  vouloir  de  l'Espagnol,  se  trouva  de 
nouveau  fort  embarrassé.  Son  autorité  de  chef  et  lieutenant-général  du 
royaume  était  menacée,  et  il  ne  pouvait  plus  douter  qu'elle  ne  lui  échap- 
pât, de  quelque  côté  que  les  choses  tournassent.  Si  Henri  était  reconnu 
dans  son  titre  de  roi  de  France,  le  caractère  de  ce  prince  ne  permettait 
pas  de  penser  qu'il  souffrît  auprès  de  son  trône  un  rival  de  sa  puissance; 
et  par  les  dernières  menées  de  Philippe,  il  voyait  qu'il  lui  fallait  renon- 
cer aux  espérances  qu'il  avait  fondées  sur  ce  monarque,  quand  sa  fille 
serait  déclarée  reine.  Mais  il  n'y  avait  plus  moyen  de  reculer.  Une  bulle 
du  Pape  invitait,  d'accord  avec  l'Espagne,  la  France  a  se  réunir  en  assem- 
blée d'États-Généraux  pour  nommer  l'Infante  reine,  désignant  comme 
futur  époux  de  cette  princesse  l'archiduc  Ernest  d'Autriche.  Tout  le  parti 
de  l'Union  attendait  avec  impatience  le  décret  de  convocation.  Il  y  eût  eu 
dan«^er  a  vouloir  le  dilférer  plus  longtemps.  Mayenne  publia  donc  la  dé- 
claration suivante  : 

«  Charles  de  Lorraine,  duc  de  Mayenne,  a  tous  présents  et  a  venir 
salut.  L'observation  perpétuelle  et  inviolable  de  la  religion  et  piété  en  ce 
royaume  a  été  ce  qui  Ta  fait  fleurir  par-dessus  tous  les  autres  de  la  chré- 
tienté, et  a  fait  décorer  les  rois  de  France  du  titre  de  très-chrétiens; 
mais,  dans  ces  derniers  jours,  l'hérésie  y  a  fait  de  si  prodigieux  progrès, 
que  les  catholiques  eux-mêmes,  par  suite  des  artifices  dont  les  héré- 
tiques ont  usé,  se  trouvent  aujourd'hui  armés  les  uns  contre  les  autres, 
au  lieu  de  rester  unis  ensemble  pour  la  défense  de  leur  foi.  On  en  est 
venu  jusqu'à  nous  accuser  nous-même  d'avoir  suscité  cette  guerre,  non 
par  principe  de  religion,  mais  pour  usurper  et  dissiper  cet  Etat.  Dieu 
nous  est  témoin,  au  contraire,  que  nous  n'avons  pris  les  armes  que  mus 
par  une  trop  juste  douleur,  ou  plutôt  par  une  triste  nécessité,  et  par  suite 
du  plus  déloyal  et  pernicieux  conseil  qui  fut  jamais  donné  à  un  roi.  Après 
la  mort  de  ce  roi,  advenue  par  un  coup  du  ciel  et  parla  main  d\m  seul 
homme,  sans  l'aide  ni  secours  d'aucun  de  ceux  qui  n'avaient  que  trop 
de  motifs  pour  la  désirer,  nous  avons  toujours  prouvé  que  notre  seul 
but  était  de  sauver  l'État  et  de  suivre  les  lois  du  royaume.  Nous  avons 
reconnu  pour  roi  Monseigneur  le  cardinal  de  Bourbon,  premier  prince  du 
sang,  et  désigné  par  lettres-patentes  du  feu  roi  lui-même,  comme  son 
plus  prochain  successeur,  et  notre  plus  cher  désir  était  de  rendre  'a  ce 
prince  toute  obéissance  et  fidélité,  s'il  eût  plù  a  Dieu  de  le  délivrer  de 
la  captivité  dans  laquelle  il  a  fini  ses  jours;  que  si  le  roi  de  Navarre  eût 
consenti,  comme  nous,  a  reconnaître  les  droits  légitimes  du  dit  seigneur, 
son  oncle,  et  a  attendre  que,  par  suite  de  son  décès  naturel,  il  lui  eût 
transmis  ces  mêmes  droits,  profitant  de  ce  loisir  pour  se  faire  instruire 


DU  PROTESTANTISME  EN  EllANCE.  275 

et  réconcilier  avec  l'Eglise,  il  eût  trouvé  tous  les  catholiques  et  moi- 
même  disposés  à  le  reconnaître  a  son  tour,  et  a  lui  rendre  la  même 
fidélité  et  obéissance;  mais  il  a  mieux  aimé  persévérer  dans  son  erreur, 
et  nous  tous,  qui  voulons  demeurer  sous  l'obéissance  de  l'Eglise  catho- 
lique, apostolique  et  romaine,  laquelle  a  excommunié  ce  prince  rebelle 
et  l'a  déclaré  déchu  de  ses  droits  au  trône  de  France,  nous  ne  pouvons 
reconnaître  comme  héritier  de  Clovis  celui  (|ui  est  en  état  de  révolte 
ouverte  contre  l'Eglise  ;  car  c'est  une  des  lois  londamentales  de  ce 
royaume,  que  le  premier  serment  de  nos  rois,  le  serment  sur  lequel  est 
fondé  celui  d'obéissance  et  de  hdélité  des  sujets,  doit  être  de  délendrc  la 
foi  et  d'extirper  les  hérésies.  Le  feu  roi  lui-même  l'entendait  bien  ainsi 
quand,  dans  les  Etats  de  Blois,  il  approuva  cette  décision  des  dits  États: 
que  deux  députés  de  chacun  des  trois  ordres  seraient  envoyés  au  roi  de 
Navarre  et  au  prince  de  Coudé,  pour  leur  remontrer  le  péril  où  ils  se 
mettaient  en  sortant  de  l'Église,  et  les  exhorter  a  y  rentrer,  s'ils  ne  vou- 
laient pas  perdre,  comme  incapables,  tous  leurs  droits  a  la  couronne. 
On  aurait  donc  tort  de  blâmer  les  catholiques  unis  quand,  suivant  les 
ordonnances  de  l'Église,  et  se  conformant  à  toutes  les  anciennes  lois  du 
royaume,  ils  requièrent  que  le  prince  qui  se  prétend  droit  'a  ce  trône 
très-chrétien  et  acquis  a  Jésus-Christ  depuis  tant  de  siècles  soit  de  la 
religion  catholique,  apostolique  et  romaine.  Quant  aux  catholiques  qui  se 
sont  rangés  d'une  opinion  contraire,  ils  ont  pu  croire,  en  prenant  un 
tel  parti,  qu'ils  avaient  a  venger  la  mort  du  feu  roi,  dont  nous  ne  sommes 
aucunement  coupables,  malgré  toutes  les  calomnies  débitées  contre  nous. 
Ils  ont  pu  aussi  se  laisser  abuser  par  les  promesses  du  roi  de  Navarre, 
(jui  avait  juré  de  se  faire  catholique  dans  six  mois,  et,  une  fois  entrés 
dans  cette  fausse  route,  les  offenses  que  la  guerre  civile  produit,  les 
succès  que  le  roi  de  Navarre  a  obtenus  par  les  armes,  rendent  jusqu'à 
un  certain  point  excusable  leur  persévérance,  qui  n'en  est  pas  moins 
déplorable.  Et  pourtant  comment  ne  s'aperçoivent-ils  pas  q^ue  c'est  avec 
le  sang  et  les  armes  des  catholiques  qu'ils  établissent  et  cimentent  l'hé- 
résie? Aujourd'hui  surtout  (jue  je  les  ai  tant  de  fois  priés  d'entrer  en  con- 
férence avec  nous,  que  j'ai  souvent  fait  déclarer  au  roi  de  Navarre  lui- 
même  que  s'il  délaissait  son  erreur  et  se  réconciliait  à  notre  Saint-Père 
et  au  Saint-Siège,  nous  étions  prêts  'a  lui  porter  notre  obéissance,  tout 
motif  d'excuse  n'a-t-il  pas  disparu?  Attendu  donc,  (]ue,  de  toutes  ces 
démarches  faites  par  nous  uniquement  dans  l'intérêt  du  bien  public  et 
pour  le  repos  du  royaume,  il  n'est  provenu  aucun  résultat;  que  Henri  de 
Navarre,  tout  lier  de  quebjues  succès  dus  aux  chances  ordinaires  de  la 
guerre,  a  répondu  (ju'il  ne  voulait  pas  être  contraint  par  ses  sujets, 
appelant  ainsi  contrainte  la  prière  qu'on  lui  faisait  de  revenir  à  l'Église, 
et  déclarant  que  c'était  un  crime  de  lui  parler  de  conversion  avant  de 
l'avoir  reconmi  et  de  lui  avoir  prêté  serment  de  hdélité  ;  attendu  qu'il  a. 
de  plus,  annoncé  qu'il  ne  voulait  plus  s'en  rapporter  qu'aux  décisions  d'un 
concile  libre  et  général,  comme  s'il  fallait  de  nouveaux  conciles  pour  des 
erreurs  tant  de  fois  condamnées;  attendu  que  nous  devons  être  beau- 


276  HISTOIRE  DE  L^ÉTABLISSEMENT 

coup  plus  sensibles  aux  choses  qui  touchent  le  service  de  Dieu  qu'a  nos 
propres  intérêts  et  vies,  qui,  au  surplus,  ne  peuvent  jamais  être  bien 
assurés,  si  nous  donnons  à  un  prince  hérétique  un  pouvoir  absolu  dont  il 
pourra  user  et  abuser  ii  son  gré;  pour  toutes  ces  causes,  il  est  juste  et 
raisonnable  que  nous  prenions  enfin  un  parti  décisif,  si  nous  ne  voulons 
pas  être  complices  de  la  ruine  de  notre  religion.  Ce  n'est  pas  la,  qu'on 
le  remarque  bien,  une  rébellion  contre  les  anciennes  lois  du  royaume, 
touchant  la  succession  des  rois.  Ces  lois  n'ont  jamais  dit  qu'il  fallait  se 
soumettre 'a  un  souverain  hérétique;  elles  nous  autorisent  au  contraire 
'a  repousser  et  'a  combattre  le  prince  qui  veut  violenter  nos  consciences. 
Que  le  roi  de  Navarre  se  souvienne  qu'il  les  a  comprises  ainsi  lui-même, 
quand  il  s'est  armé  contre  nos  souverains,  pour  introduire  une  nouvelle 
doctrine  dans  le  royaume,  tandis  que  nous,  nous  défendons  notre  an- 
cienne croyance,  celle  qui  s'est  établie  avec  la  monarchie  elle-même  et 
sous  la  protection  de  laquelle  la  patrie  a  toujours  prospéré.  —  Mais,  dira- 
t-on,  qu'importe  de  quelle  religion  soit  le  souverain,  pourvu  qu'il  laisse 
chacun  libre  dans  sa  croyance?  — Nous  autres  catholiques,  qui  tenons  'a  la 
conservation  de  notre  foi,  nous  trouvons  que  cela  est  de  la  dernière  impor- 
tance. Ne  sait-on  pas  que  les  peuples  se  façonnent  'a  l'exemple  des  rois? 
Si  nous  donnons  la  main  à  ce  qu'un  hérétique  soit  déclaré  notre  roi 
absolu,  combien  de  moyens  ne  lui  aurons-nous  pas  fournis  pour  cor- 
rompre les  fidèles  et  les  détourner  du  véritable  culte  de  Dieu.  El  déj'a 
ceux  qui,  sans  avoir  renoncé  a  ce  culte,  suivent  le  parti  du  roi  de 
Navarre,  n'ont  qu'a  regarder  autour  d'eux;  ils  verront  nos  meilleures 
villes  et  les  forteresses  qu'ils  ont  malheureusement  aidé  'a  conquérir, 
remises  entre  les  mains  de  gouverneurs  huguenots,  ou  de  gens  reconnus 
de  tout  temps  pour  être  favorables  a  cette  secte;  ils  verront  les  prin- 
cipales charges  de  la  couronne  devenues  la  propriété  de  l'hérésie;  ils 
verront  de  prétendus  parlements,  qui  se  disent  catholiques,  fouler  aux 
pieds  et  condamner  les  bulles  et  décisions  des  Souverains-Pontifes;  et 
c'est  nous,  qui  nous  sommes  ligués  pour  la  défense  de  la  religion  si 
outrageusement  attaquée,  qu'on  accuse  de  ne  tendre  qu'à  la  ruine  et 
dissipation  de  l'État.  On  nous  reproche  nos  liaisons  avec  le  roi  catho- 
lique, et  on  nous  tiendrait  pour  meilleurs  Français  si  nous  renoncions  a 
cette  alliance.  C'est  qu'on  aimerait  mieux  nous  voir  désarmés,  parce 
que  nous  serions  plus  faciles  a  vaincre  ;  mais  loin  de  nous  sentir  disj)o- 
sés  'a  donner  cette  satisfaction  à  l'ennemi,  nous  proclamons  avec  recon- 
naissance les  secours  que  nous  avons  reçus  de  ce  grand  roi,  allié  naturel 
et  confédéré  de  cette  couronne,  et  nous  attestons  que,  pour  nous  les 
accorder,  il  n'a  jamais  rien  requis  de  nous,  comme  de  notre  côté  nous 
n'avons  fait,  ni  avec  lui  ni  avec  personne,  aucun  traité  qui  puisse  tendre 
à  la  diminution  de  la  grandeur  et  majesté  de  l'Etat  de  France,  pour  la 
conservation  duquel,  dans  son  intégrité,  nous  sommes  prêts  à  nous 
précipiter  dans  toutes  sortes  de  périls,  afin  de  n'en  pas  rendre  maître 
un  hérétique  excommunié.  Si  les  catholiques  qui  favorisent  aujourd'hui 
ce  prince  aveuglé  voulaient  être  aussi  bons  Français  que  nous  et  s'unir, 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  277 

non  point  h  nous,  mais  îi  la  cause  sacrre  de  la  religion,  la  France  serait 
bientôt  rendue  à  la  paix.  Nous  les  supplions  donc,  au  nom  de  Dieu  et 
de  rÉglise,  de  se  séparer  des  hérétiques,  et  de  considérer  que  si  nous 
continuons  ainsi  a  demeurer  contraires  les  mis  aux  autres,  nous  ne 
pouvons  prendre  aucune  mesure  qui  ne  soit  périlleuse,  tandis  que  notre 
réconciliation  rendrait  tout  facile.  Et  afin  que  Jes  princes  du  sang  et 
autres,  ainsi  que  les  officiers  de  la  couronne,  ne  soient  point  empêchés 
d'entendre  a  une  si  bonne  œuvre,  par  la  crainte  de  ne  se  point  voir  hono- 
rés de  nous,  selon  le  mérite,  le  nom  ou  la  dignité  qui  leur  appar- 
tiennent, nous  jurons  qu'ils  trouveront,  en  venant  se  joindre  à  nous, 
tous  les  respects  qui  leur  sont  dus  ;  nous  leur  donnons  avis  que,  pour 
chercher  en  commun,  sans  passion  et  sans  aucun  égard  a  l'intérêt  de 
qui  que  ce  soit,  le  remè<le  qu'il  est  urgent  d'appliquer  aux  maux  de  la 
France  et  de  la  religion,  nous  avons  prié  les  princes  pairs  de  France, 
prélats,  seigneurs  et  députés  des'parlements,  villes  et  communautés,  de 
se  vouloir  trouver  en  la  ville  de  Paris,  le  dix-septième  jour  du  mois  pro- 
chain, pour  nous  aider  de  leurs  conseils  et  bons  avis  ;  auquel  cas,  s'il 
plaît  à  ceux  du  parti  du  roi  de  ?Navarre  d'envoyer  quelques-uns  des 
leurs,  pour  faire  ouverture  qui  puisse  conduire  au  bien  que  nous  cher- 
chons, nous  leur  promettons  toute  sûreté,  et  qu'ils  seront  ouïs  avec 
attention  et  désir  de  leur  donner  contentement.  Que  s'ils  rejettent 
l'instante  prière  que  nous  leur  faisons  de  venir  prendre  part  'a  cette 
réconciliation,  et  que  nous  soyons  contraints,  pour  être  abandonnés  d'eux, 
de  recourir  à  des  remèdes  extraordinaires,  contre  notre  désir  et  inten- 
tion, nous  protestons,  devant  Dieu  et  devant  les  hommes,  que  le  blâme 
leur  en  devra  être  imputé  et  non  a  nous,  qui  faisons  tout  notre  possible 
pour,  avec  leur  bienveillance  et  amitié,  même  avec  leurs  conseils  et 
volonté,  défendre  et  conserver  la  cause  de  la  foi  qui  leur  est  commune 
avec  nous.  Si  prions  Messieurs  les  gens  tenant  les  cours  de  parlements 
en  ce  royaume  de  faire  publier  et  enregistrer  ces  présentes,  afin  (ju'elles 
soient  notoires  a  tous.  —  Signé  :  Charles  de  Lorraine.  Et  ce  recjuérant 
le  procureur  général  du  roi,  ces  susdites  lettres  scellées  du  grand  sceau 
delà  lieutenancc,  représentant  nUitrône  vide,  et  enregistrées  es  registres 
de  la  cour,  ont  été  publiées  'a  son  de  trompe  par  tous  les  carrefours  de 
Paris,  le  cinquième  jour  de  janvier  de  l'an  159.1.  —  Signé  :  Du  Tillet.  » 
De  son  côté,  le  cardinal  de  Plaisance,  légat  de  Sa  Sainteté,  publia 
aussi  une  exhortation  aux  catholiques,  de  quelque  prééminence,  état  et 
condition  qu'ils  pussent  être,  etc.,  suivant,  d'après  lui,  le  parti 
de  l'hérétique.  «  Je  voudrais,  disait-il,  donner  ma  vie  pour  prouver  ma 
reconnaissance  envers  le  Saint-Père,  qui  m'a  confié  la  glorieuse  mission 
de  défendre  la  foi  dans  ce  royaume  très-chrétien,  en  m'envoyant  ici  non 
comme  un  héraut  ou  roi  d'armes,  mais  comme  un  ange  de  paix;  non 
l)as  pour  ébranler,  mais  pour  fortifier  cette  monarchie,  comme  il  appert 
par  le  bref  de  Sa  Sainteté  et  autres  bulles  que  les  hérétiques  ont  eu  le 
mal  vouloir  de  traiter  si  contumélieusement  'a  Tours,  à  Chàlons,  dans  le 
conciliabule  de  Chartres  et  d'autres  lieux.  Or,  il  est  impossible,  ajoute 


278  HISÏOIIIE  DE  L'ETxVBLISSEMENT 

le  léi^al,  (|iic  ia  France  jouisse  d'anciine  paix  et  prospérité,  si  elle  doit 
gémir  sous  le  joug  lyrannique  d'un  hérétique,  et  de  cela  je  ne  veux 
autre  juge  et  témoin  que  votre  propre  conscience.  Nous  sommes,  a  ia 
vérité,  très-aises  de  voir  que  le  crime  de  reconnaître  pour  roi  de  ce 
royaume  très-chrétien  un  excommunié  relaps  et  obstiné  vous  semble  trop 
atroce  pour  que  vous  (^iez  vous  en  confesser  ouvertement  coupables,  et 
que  vous  avancez,  pour  excuse,  qu'il  a  pris  l'engagement  de  se  convertir, 
affirmant  que  vous  ne  voulez  vous  ranger  que  sous  la  puissance  d'un  roi 
véritablement  catholique.  C'est  prudence  d'avoir  une  telle  pensée,  et  c'est 
magnanimité  d'en  poursuivre  refîet;mais,  pour  atteindre  ce  but,  y  a-t-il 
moyen  plus  efficace  et  plus  légitime  que  la  tenue  des  Etats-Généraux,  où 
vous  êtes  invités  de  la  part  de  Monsieur  de  Mayenne,  qui,  selon  le  devoir 
de  sa  charge  et  autorité,  cherche  avec  une  piété  digne  de  toutes  louanges 
a  sauver  la  religion  en  France?  Nous  aussi,  nous  tenant  dans  les  bornes 
qu'il  a  plu  à  Sa  Sainteté  de  prescrire,  nous  ne  voulons  aider  ni  favoriser 
les  prétentions  de  qui  que  ce  soit,  si  elles  ne  sont  pas  conformes  aux 
communs  vœux  des  vrais  catholiques  et  bons  Français,  et  en  particulier 
aux  saintes  et  pieuses  intentions  de  notre  Saint-Père.  Ainsi  nous  décla- 
rons par  ces  présentes  n'avoir  d'autre  but  ni  objet  que  la  gloire  de  Dieu, 
l'entière  extirpation  de  l'hérésie  et  la  splendeur  de  ce  royaume,  par 
l'établissement  d'un  roi  véritablement  catholique,  tel  que  Dieu  fera  la 
grâce  aux  Etats-Généraux  de  le  pouvoir  nommer.  C'est  donc  a  cette 
assemblée  que  je  viens  pareillement  vous  convier  de  la  part  du  Père  de 
tous  les  fidèles,  afin  que,  vous  séparant  de  toute  sujétion  a  l'hérétique, 
et  pleins  d'un  saint  zèle  envers  Dieu  et  votre  patrie,  vous  puissiez  con- 
tribuer a  éteindre  le  général  embrasement  qui  a  presque  réduit  cette 
dernière  en  cendres.  Nous  vous  affirmons  que  vous  trouverez,  de  la  part 
des  catholiques  qui  sont  ici,  et  qui  ont  toujours  persévéré  dans  l'obéis- 
sance au  Saint-Siège  apostolique,  des  frères  très-disposés  à  vous  rece- 
voir et  embrasser,  et  qui  voudraient,  même  au  prix  de  leur  sang,  acheter 
une  réconciliation  sincère  avec  vous.  Demandez  toutes  les  sûretés  qui 
vous  paraîtront  nécessaires,  Monsieur  de  Mayenne  est  prêt  'a  vous  les 
donner,  et  nous-même  nous  nous  rendons  garant  qu'il  n'y  sera  contre- 
venu en  aucune  manière,  nous  engageant  à  vous  prendre  sous  notre  pro- 
tection spéciale,  c'est-a-dire  sous  la  protection  du  Saint-Siège  et  du  Pape 
lui-même.  Nous  terminons  en  demandant  a  Dieu  que,  par  ses  saintes 
lumières,  il  veuille  bien  éclairer  vos  cœurs  et  vos  esprits,  afin  qu'étant 
réunis  de  fait  et  de  volonté  en  l'unité  de  la  sainte  Église  catholique,  hors 
de  laquelle  il  n'y  a  pas  de  salut,  vous  sauviez  la  France  et  vous-mêmes. 
Dieu  vous  en  tasse  la  grâce.  » 

Ces  deux  pièces,  quoique  assez  semblables  en  apparence  pour  le 
fond  des  idées,  avaient  pourtant,  sur  ce  point-lâ  même,  une  différence 
notable 'a  laquelle  les  Espagnols  ne  se  trompèrent  ])as;  car  ils  se  mon- 
trèrent très-satisfaits  de  l'exhortation  du  légat,  tandis  (jue  la  déclaration 
de  Mayenne  fut  bien  loin  d'obtenir  d'eux  la  même  approbation.  Il  parait  | 
(jue  du  côté  des  royalistes  on  fit  au^si  la  même  observation,  car  le  roi 


DU  PROTESTA NTISMK  KN   1  RANCK.  tiT!) 

lui-même  ne  piil  s'empôcher  de  dire  :  «  Ce  Mayenne  a  pourtant  encore 
(liielqiie  chose  de  français  an  fond  dn  cœur!  »  Quoiqu'il  en  soit,  il  était 
évident  que  la  chose  devenait  sérieuse,  «  et  pouvait  amener  la  ruine  de 
la  France,  et  peut-être  l'entière  expulsion  de  notre  Henri;  car  il  y  avait 
])ien  de  l'apparence  que  si  la  Ligue  parvenait  a  s'entendre,  tous  les 
potentats  de  l'Europe  catholique  ne  ^manqueraient  pas  de  reconnaître  le 
roi  que  les  États  éliraient,  que  le  clergé  en  ferait  autant,  et  que  la 
noblesse  et  le  peuple,  qui  ne  suivaient  Henri  IV  que  parce  qu'il  avait  le 
titre  de  roi,  ne  se  feraient  nulle  conscience  de  le  quitter  pour  un  autre 
auquel  les  dits  États  auraient  donné  ce  titre.  »  —  «  Heureusement,  dit 
Legrain,  la  Ligue  avait  cela  de  bon  pour  le  salut  de  la  France  que 
tout  le  monde  voulait  bien  y  commander,  mais  que  personne  ne  voulait 
y  reconnaître  un  maître.  »  (Pkrkfixi:,  IV  partie,  ad  ann.  1505.  — 
Décacl.) 

11  fut  donc  possible  de  parer  ce  coup.  Sa  Majesté  s'étant  rendue 
incontinent  à  Chartres,  il  fut  décidé,  dans  un  grand  conseil  tenu  a  cet 
effet,  (ju'il  sérail  fait  deux  réponses  au  double  envoi  de  la  Ligue  :  l'une 
au  nom  de  Henri  IV,  enregistrée  et  publiée  parle  parlement;  l'autre,  au 
nom  des  princes,  prélats  et  grands  officiers  de  la  couronne,  qui  serait 
adressée  a  tous  ceux  du  parti  de  l'Union  h  Paris.  La  première  était  ainsi 
conçue  : 

«  Henri,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  de  France  et  de  Navarre,  à  tous 
ceux  qui  ces  présentes  verront,  salut  :  Puisqu'il  a  plu  a  Dieu  de  nous 
iaire  naître  de  la  plus  ancienne  race  des  rois  très-chrétiens,  et  de  nous 
donner  par  la  des  droits  incontestables  à  la  couronne  du  plus  beau  et 
du  plus  florissant  royaume  du  monde,  il  est  certain  que,  dans  sa  sage 
providence,  il  n'a  pas  dû  nous  donner  ni  moins  de  piété,  ni  moins  de 
courage,  qu'aux  rois  nos  prédécesseurs,  pour  nous  rendre  propre  à  occu- 
per le  rang  auquel  il  veut  bien  nous  appeler  ;  et  il  serait  a  désirer  que 
tous  nos  sujets  eussent  pareillement  hérité  de  la  vertu  et  de  la  fidélité 
de  leurs  ancêtres.  Mais  nous  sommes  dans  un  siècle  où  beaucoup  ont 
dégénéré,  ayant  converti  cet  antique  amour  qu'ils  portaient  a  leurs  rois 
en  conspiration  et  leur  (idélité  en  rébellion,  de  sorte  que,  depuis  notre 
avènement  a  ce  trône,  nous  n'avons  pu  éviter  d'être  continuellement  en 
guerre  contre  ceux-là  mêmes  que  nous  aurions  désiré  traiter  comme  nos 
enfants.  Il  est,  au  reste,  bien  évident  que  ce  n'est  pas  uniquement  contre 
nous  (jue  ces  rebelles  ont  pris  les  armes,  mais  contre  l'autorité  royale 
elle-même,  puisque  cette  malheureuse  guerre  a  été  commencée  sous  le 
règne  du  feu  roi,  notre  honoré  maître  et  seigneur,  auquel  on  ne  pou- 
vait certainement  pas  reprocher  de  n'être  pas  très-catholique.  C'est  alors 
en  elfet  que,  sous  le  nom  de  Sainte-Ligue,  ces  ennemis  de  la  France 
ont  recommencé  a  s'élever  en  armes  a  la  ruine  et  dissipation  de  cet 
État,  et  ils  ont  beau  vouloir  pallier  leurs  mauvaises  intentions,  il  reste 
démontré  que  la  cause  de  leur  soulèvement  consiste  en  trois  points  : 
d'abord  la  naturelle  malice  de  leurs  chefs,  de  tout  temps  mal  affection- 
nés envers  la  France,  dont  ils  ambitionnent  depuis  longtemps  la  couronne  ; 


280  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

ensuite,  rintervention  de  nos  plus  anciens  ennemis,  les  Espagnols,  qui 
voudraient  bien  profiter  de  nos  troubles  pour  s'accroître  à  nos  dépens  ; 
et  enfin  l'envie  et  la  cupidité  de  ceux  qui  n'ont  rien,  et  qui  ne  demandent 
pas  mieux  que  de  partager  avec  ceux  qui  possèdent.  Mais  Dieu  a  dit  que 
le  pécheur  découvrirait  lui-même  et  malgré  lui  son  péché.  Cette  divine 
sentence  s'exécute  maintenant  au  fait  du  duc  de  Mayenne,  par  l'écrit 
qu'il  a  nouvellement  mis  en  public.  Non  content  d'avoir  rendu  les 
Français  misérables,  il  veut  encore  leur  crever  les  yeux,  et  les  rendre 
stupides  en  leur  étant  la  connaissance  de  la  cause  de  leurs  malheurs. 
Dieu  ne  l'a  pas  voulu  permettre,  et  le  duc  de  Mayenne  vient  de  lever  lui- 
même  le  voile  dont  jusqu'à  présent  il  avait  pu  s'envelopper,  tout  en 
voulant  faire  croire  'a  son  zèle  du  bien  public  et  à  son  désintéressement. 
Cette  déclaration  même,  signée  du  grand  sceau,  enregistrée  au  parle- 
ment et  publiée  avec  toutes  les  formes  usitées  pour  les  souverains 
reconnus,  donne  par  cela  seul  la  clef  de  ses  audacieuses  prétentions. 
Il  convoque  les  princes  et  officiers  de  la  couronne  pour  délibérer  en  sa 
présence  sur  le  bien  de  l'Etat,  convocation  jusqu'ici  inouïe  sous  autre 
nom  que  celui  du  roi  et  quia  toujours  été  réputée  crime  de  lèse-majesté. 
Lui  appartient-il  d'appeler  'a  lui  les  princes  du  sang,  de  leur  promettre 
sûreté  et  de  les  traiter  comme  ses  inférieurs,  lui  qui  n'est  qu'un  prince 
étranger  a  peine  naturalisé  dans  le  royaume?  N'afîecte-t-il  pas  la  les 
airs  d'un  souverain?  Mais  Dieu  châtiera  cette  outrecuidance.  Si  cette 
déclaration  est  coupable  et  vicieuse  pour  la  forme,  elle  ne  l'est  pas  moins 
pour  le  fond,  étant  pleine  de  fausses  suppositions.  La  vraie  et  fondamen- 
tale loi  du  royaume  pour  ce  qui  concerne  la  succession  à  la  couronne 
est  la  loi  salique,  'a  laquelle,  après  Dieu,  est  due  la  conservation  et  pros- 
périté de  la  France.  Or,  c'est  cette  loi,  révérée  comme  une  ordonnance 
divine,  qui  nous  appelle  au  trône.  Il  n'est  pas  permis  aux  hommes  d'y 
toucher,  il  ne  leur  est  demeuré  que  la  seule  facilité  et  gloire  d'y  bien 
obéir,  et  les  rois  eux-mêmes  n'ont  rien  'a  y  changer,  car  c'est  'a  cette  loi 
et  non  aux  rois  à  régler  ici  le  droit.  Mon  titre  est  donc  légitime  et  de 
droit  divin.  Si,  comme  Monsieur  de  Mayenne  l'a  voulu  faire  croire,  feu 
mon  oncle,  le  cardinal  de  Bourbon,  avait  des  droits  préférables  aux 
miens,  pourquoi  Monsieur  de  Mayenne,  qui  veut  bien  nous  l'apprendre 
aujourd'hui,  s'est-il  alors  donné  un  démenti  'a  lui-même,  en  s'intitulant 
lieutenant-général  de  l'État  de  France,  au  lieu  de  lieutenant  du  roi  de 
France?  Dira-t-on  que  ce  prince  n'était  pas  encore  roi,  pas  plus  que  je 
ne  le  suis  moi-même,  parce  qu'il  manque  ici  la  cérémonie  du  sacre? Mais 
ce  n'est  pas  cette  cérémonie  qui  fait  les  rois,  c'est  le  droit;  et  je  ne 
serais  pas  le  premier  prince  qui  ait  régné  sans  avoir  été  couronné.  On 
m'accuse  de  n'être  pas  de  la  croyance  catholique.  N'ai-je  pas  déj'a  dé- 
claré être  prêt  à  recevoir  toute  bonne  instruction,  et  nul  ne  doit  trou- 
ver étrange,  qu'ayant  été  nourri  dans  la  foi  que  je  professe  aujourd'hui, 
je  ne  veuille  pas  y  renoncer  avant  qu'on  ne  m'ait  fait  connaître  que  J 
l'autre  est  meilleure  et  plus  certaine.  La  religion  me  semble  chose  assez  i 
précieuse  pour  qu'on  ne  doive  pas  en  changer  sur  une  simple  semonce.  ^ 


é 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  281 

On  a  donc  tort  de  nous  blâmer  d'avoir  demandé,  pour  terminer  nos 
doutes  a  ce  sujet,  la  convocation  d'un  concile  qui  ne  pourra,  dit-on, 
décider  autre  chose  que  ce  qui  a  déjà  été  décidé  par  les  conciles  précé- 
dents; mais  alors,  pour  cette  même  raison,  il  faudrait  donc  condamner 
tous  les  conciles  qui  se  sont  tenus  depuis  le  premier,  puisqu'il  n'y  avait 
plus  rien  h  faire.  Au  reste,  je  serais  très-content  si  Ton  pouvait  m'indi- 
qucr  un  autre  moyen  plus  prompt  et  pins  facile  pour  parvenir  a  l'instruc- 
tion que  je  regarde  comme  indispensable;  ce  moyen,  nous  l'embrasse- 
rions de  tout  notre  cœur.  C'est  ce  que  nous  avons  déclaré  et  fait  déclarer 
a  plusieurs  reprises  au  Souverain-Pontife  lui-même;  mais  il  n'a  pas 
voulu  y  entendre  parce  (ju'il  était  dominé  par  Tinlluence  de  l'Espagne 
et  par  les  malintentionnés  de  ce  royaume,  lesquels,  craignant  plus  que 
tout  notre  réconciliation  avec  le  Saint-Père,  n'ont  pas  failli  'a  contre- 
carrer toutes  les  démarches  que  j'ai  tentées  auprès  de  la  cour  de  Rome; 
et  néanmoins  ces  gens,  tenant  pour  désespérée  mon  adhésion  a  une 
chose  que  je  n'ai  pas  même  pu  obtenir  qui  me  fût  proposée,  veulent 
trouver  la  un  motif  pour  me  contester  mes  droits  légitimes.  Espèrent-ils 
donc  faire  croire  aux  catholiques  bons  Français  que  le  parti  oîi  se  sont 
ralliés  tous  les  princes  du  sang,  tous  les  autres  princes,  à  l'exception  de 
ceux  de  la  maison  de  Lorraine,  qui  ne  sont  que  princes  étrangers,  tous 
les  grands  officiers  de  la  couronne,  les  principaux  prélats,  les  officiers 
des  parlements,  toute  la  noblesse  et  la  plus  saine  et  la  meilleure  partie 
du  peuple,  n'est  pas  le  parti  de  la  France?  Au  lieu  d'afficher  de  pareilles 
l)rétentions,  ne  devraient-ils  pas  au  contraire  faire  deuil  et  pénitence  en 
implorant  pardon  pour  le  crime  de  parricide,  commis  sur  la  personne  du 
feu  roi,  crime  dont  ils  veulent  aujourd'hui  repousser  la  responsabilité, 
quand,  ainsi  que  chacun  sait,  ils  l'ont  naguère  célébré  |)ar  des  réjouis- 
sances publiques,  en  rendant  grâces  a  Dieu,  et  en  béatifiant  la  mémoire 
du  régicide?  Pour  nous,  qui  avons  toujours  franchement  détesté  cet  hor- 
rible attentat,  nous  n'oublions  pas  que  nous  avons  fait  une  promesse  et 
pris  des  engagements.  Cette  promesse,  il  est  inutile  de  la  répéter;  quant 
aux  engagements  que  nos  ennemis  nous  accusent  aujourd'hui  de  ne  pas 
vouloir  tenir,  en  présence  du  Dieu  vivant,  et  du  plus  intérieur  de  notre 
cœur,  nous  les  prenons  encore.  Nous  jurons  d'exécuter  fidèlement  l'en- 
gagement que  nous  avons  pris  'a  notre  avènement  au  trône,  tel  qu'il  est 
enregistré  en  nos  cours  du  parlement  (1).  Et  pour  ce  qui  concerne  la 
déclaration  du  dit  duc  de  Mayenne  ci-dessus  mentionnée,  afin  que  nul 
n'en  ignore  et  ne  puisse  être  surpris,  avons  dit  et  disons  par  ces  pré- 
sentes, que  la  prétendue  assemblée  des  États-Généraux  convoquée  dans 
la  ville  de  Paris  par  le  duc  de  Mayenne  est  contraire  à  la  loi  et  attenta- 


(t)  On  voit  que  le  roi  craignait  encore  trop  la  Ligue  et  avait  peur  en  même  temps 
de  se  faire  des  ennemis  des  protestants,  puisqu'il  n'ose  pas  dire  que  sa  promesse  était 
de  punir  les  assassins  de  Henri  111,  et  ses  engagements  de  se  faire  catiiolique.  Au 
reste,  il  n'a  pas  tenu  la  première,  et  n'a  rempli  les  seconds  que  comme  contraint  et 
forcé.  Toute  cette  pièce  témoigne  du  même  embarras. 


282  HISTOIRE  DE  L'ÉTvVIJLISSEMENT 

toire  au  repos  du  royaume.  Tout  ce  qui  y  sera  dit  ou  fait  est  déclaré 
abusif  et  de  nul  efïel  ;  défendons  a  toute  personne,  de  quelque  rang  et 
condition  qu'elle  soit,  d'y  aller  ou  envoyer,  d'y  avoir  intelligence  aucune, 
de  donner  passage,  confort  ou  aide  à  ceux  qui  iront  a  la  dite  assemblée 
ou* en  reviendront,  et  cela  sous  peine  du  crime  de  lèse-majesté  au  pre- 
mier chef;  enjoignons  à  nos  procureurs  généraux  de  poursuivre  les  con- 
trevenants. Pourtant,  ne  voulant  point  nous  départir  de  notre  naturelle 
clémence,  avons  dit  et  disons  que  tous,  tant  villes  que  communautés  ou 
particuliers,  qui  se  seraient  acheminés  vers  cette  dite  assemblée,  pour 
avoir  été  surpris  en  leur  esprit  par  cette  coupable  convocation,  ne  la 
sachant  être  si  illégitime  et  prohibée,  seront  bénignement  reçus  de 
nous,  et  obtiendront  remise  de  leur  faute  en  se  retirant  et  venant  à  nous 
avec  les  soumissions  requises,  dans  la  quinzaine  après  la  publication  de 
cette  nôtre  ordonnance,  donnée  a  Chartres,  le  vingt-neuvième  jour  de 
janvier  1593,  et  scellée  sur  double  queue  en  parchemin  de  cire 
jaune.  » 

La  déclaration  des  princes,  prélats,  officiers  de  la  couronne  et  sei- 
gneurs catholiques,  était  en  ces  termes  : 

<c  Ayant  vu  une  déclaration  publiée  sous  le  nom  de  Monsieur  de 
Mayenne,  les  soussignés  déclarent  de  leur  côté  qu'ils  sont  d'accord  avec 
le  dit  sieur  duc  sur  la  nécessité  urgente  de  mettre  lin  à  une  guerre  qui 
ruine  ce  royaume,  et  qui,  par  l'a  même,  emporte  la  ruine  de  la  religion  ; 
c'est  pourquoi  tous  bons  Français  et  catholiques  sont  tenus  d'empêcher 
de  tout  leur  pouvoir  le  premier  malheur,  dont  le  second  serait  la  suite 
inévitable.  Or,  le  seul  moyen  de  s'opposer  efficacement  a  l'un  et  a 
l'autre  est  une  bonne  et  franche  réunion  entre  tous  ceux  qui  professent 
ia  véritable  foi.  Sur  ce  fondement  solide,  chaque  chose  reprendra  sa  place, 
chaque  institution  retrouvera  sa  force;  la  refigion,  la  justice,  le  com- 
merce, les  arts  et  métiers  nourriciers,  les  universités  et  les  sciences 
feront  de  nouveau  fieurir  ce  royaume  comme  par  le  passé.  Dieu  sera 
servi,  la  terre  cultivée,  et  le  peuple  jouira  d'un  repos  assuré;  on  ne 
l'entendra  plus  lever  la  voix  que  pour  bénir  ceux  qui  lui  auront  pro- 
curé un  pareil  bonheur.  A  celte  cause,  et  sur  la  démonstration  que  le 
sieur  de  Mayenne  fait  par  son  écrit  que  l'assemblée  convoquée  à  Paris 
n'a  pas  d'autre  but  que  d'assurer  un  tel  bien  ;  considérant  que  le  lieu 
indiqué  n'est  accessible  et  sûr  que  pour  ceux  du  parti  opposé  au  nôtre; 
qu'il  n'en  peut  sortir  aucune  résolution  libre,  valable  et  utile;  qu'au  con- 
traire, le  résultat  d'une  pareille  réunion  ne  ferait  qu'enflamber  la  guerre 
et  anéantir  toute  espérance  de  réconciliation,  les  dits  princes,  prélats, 
officiers  et  seigneurs  qui  sont  en  ce  moment  auprès  du  roi  signifient  au 
dit  sieur  de  Mayenne  et  aux  autres  personnes  assemblées  en  la  dite  ville 
de  Paris,  que  s'il  est  question  véritablement,  comme  ils  le  disent,  de 
mettre  fin  aux  malheurs  de  la  patrie,  et  d'entrer  en  conférence  et  com- 
munication, touchant  les  moyens  d'arriver  a  ce  but,  ils  aient 'a  dépêcher 
de  leur  côté  quelques  bons  et  dignes  personnages  choisis  parmi  eux, 
pour  s'assembler  en  tel  lieu  qu'il  leur  plaira  entre  Paris   et  Saint-Denis. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  283 

Les  soussignés  y  enverront  pareillement,  au  jour  qui  sera  pour  cela  con- 
venu, afin  de  recevoir  et  apporter  toutes  les  bonnes  ouvertures  qui  pour- 
ront être  laites  pour  un  si  bon  elfet,  promettant  d'y  mettre  de  leur  part 
toute  la  bonne  volonté  requise  en  un  cas  aussi  important;  que  si  leur 
proposition  est  refusée,  ils  protestent  devant  Dieu  et  devant  les  hommes 
que  la  responsabilité  des  maux  (|ui  doivent  s'en  suivre  doit  tomber 
uniquement  sur  ceux  qui,  pour  une  ambition  personnelle,  veulent  livrer 
la  France  en  proie  et  butin  a  l'avidité  de  l'Espagnol.  —  Fait  et  signé  en 
conseil  du  roi  et  avec  la  permission  de  Sa  Majesté,  le  dix-septième  jour 
de  janvier.  » 

Cette  proposition  fut  portée  à  Paris  par  un  trompette,  et  remise  au 
sieur  de  Belin,  gouverneur  de  la  capitale,  qui  vint  la  rendre  entre  les 
mains  du  duc  de  Mayenne,  avec  lequel  se  trouvaient  le  légat,  don 
Diego  d'Ibarra,  le  cardinal  de  Pellevé,  Villeroi,  Jeannin  et  quebjues  autres 
des  principaux  membres  du  conserl.  Soudain,  après  la  lecture  qui  en 
fut  faite  par  le  président  Jeannin,  Monseigneur  le  légat  se  leva  tout  en 
colère.  «  Cette  proposition,  s'écria-t-il,  sort  de  mains  hérétiques;  elle 
est  pleine  d'hérésies  abominables  et  ce  serait  se  déclarer  hérétique  que 
d'y  avoir  égard.  Nous  devons  la  rejeter  avec  indignation  et  faire  pendre 
le  trompette,  qui  a  eu  l'audace  d'apporter  une  pareille  pièce.  »  Cette 
décision  fut  approuvée  du  cardinal  de  Pellevé  et  grandement  louée 
par  d'Ibarra.  (ViLLERoi,  Mém.  cVEtat.  —  Matthieu,  Règne  de  Henri  IV, 
t.  I,  p.  129.) 

Toutefois,  il  fut  remontré  que  la  dite  lettre  ne  s'adressait  pas  seule- 
mont  'a  Monsieur  de  Mayenne,  mais  à  tous  ceux  de  l'assemblée  des 
États  ;  que,  partant,  il  devenait  indispensable  de  la  leur  communiquer, 
d'autant  que  le  trompette  avait  dit  hautement  a  la  porte  de  la  ville  qu'il 
venait  chargé  d'un  message  pour  Messieurs  des  États,  de  sorte  que 
chacun  était  déjà  averti  de  ce  message,  et  qu'on  s'exposerait  au  risque 
imminent  de  mécontenter  Messieurs  les  députés,  si  on  supprimait  sans  la 
leur  laisser  voir  une  pièce  qui  leur  était  adressée.  Il  fut  donc  décidé 
dans  le  conseil  que  l'écrit  serait  porté  a  l'assemblée,  ce  à  quoi  Monsieur 
de  Mayenne  donna  volontiers  la  main;  car  il  est  à  croire  (]uc,  s'il  eût 
manifesté  la  moindre  opposition,  la  chose  se  fût  passée  bien  autrement, 
tant  cette  proposition  des  royalistes  faisait  peur  aux  étrangers  et  à  leurs 
adhérents.  (Ibid.) 

Ces  discussions  avaient  duré  deux  grandes  journées,  et  ce  ne  fut  que 
le  troisième  jour  que  la  i)ièce  fut  portée  aux  États.  Ils  avaient  été  ouverts 
le  vingt-et-unième  jour  de  janvier,  dans  l'Église  de  Notre-Dame-de-Paris. 
Tous  les  députés  qui  se  trouvaient  alors  arrivés  assistèrent  a  une  belle 
procession  qui  fut  laite  'a  cette  occasion.  Ils  reçurent  la  sainte  commu- 
nion des  mains  de  Monseigneur  le  légat,  et  ils  entendirent  le  sermon 
de  Cénébrard,  qui  démontra  fort  savamment  comme  quoi  la  loi  salique, 
étant  une  loi  positive,  était  par  cela  même  sujette  à  mutation  au  gré 
du  législateur,  lequel  n'était  autre  que  la  nation  assemblée  en  corps. 
Il  termina   en  annonçant  que  l'on  allait  faire   les  prières  de  quarante 


284  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

heures  (1)  dans  toutes  les  églises  de  la  capitale,  a  l'occasion  de  la  te- 
nue des  Étals,  et  que  le  Pape  accordait  diverses  indulgences  a  ceux  qui 
assisteraient  à  ces  prières.  (Mézeray,  t.  111,  p.  lOOG  et  suiv.  —  Journal 
de  Henri  IV,  t.  I,  p.  279.) 

La  seconde  séance  eut  lieu  le  vingt-sixième  jour  de  janvier;  elle  avait 
d'abord  été  indiquée  pour  le  vingt-cinq,  mais  le  duc  de  Mayenne,  se 
trouvant  indisposé  ce  jour-la,  fut  obligé  de  la  remettre  au  lendemain, 
au  grand  déplaisir  du  cardinal  de  Pellevé,  qui  avait  préparé  son  discours 
d'ouverture  pour  être  prononcé  le  jour  de  la  Conversion  de  saint  Paul, 
a  laquelle  il  faisait  de  brillantes  allusions,  et  qui  fut  obligé  de  passer 
la  nuit  a  modifier  tout  cela,  afin  de  l'accommoder  tant  bien  que  mal  à 
la  fête  de  saint  Pol} carpe. 

On  s'assembla  dans  la  grande  salle  du  Louvre.  Le  duc  de  Mayenne 
était  assis  au  milieu,  sous  un  dais  de  drap  d'or.  A  ses  côtés,  dans  des 
chaises  de  velours  cramoisi,  siégeaient  le  cardinal  de  Pellevé,  les  ducs 
de  Guise,  d'Aumale  et  d'Elbeuf,  les  ambassadeurs  des  ducs  de  Lorraine 
et  de  Mercœur,  puis  les  quatre  maréchaux  et  le  grand  amiral  de  la 
Ligue.  Les  députés  des  trois  ordres  occupaient  chacun  leur  rang,  sui- 
vant l'usage  accoutumé  dans  les  autres  convocations  des  assemblées 
générales  de  la  nation.  L'ordre  du  clergé  était  assez  fourni  de  bon 
nombre  de  prélats  de  manjue  ;  celui  de  la  noblesse  n'offrait  que  bien  peu 
de  gentilshommes  d'un  rang  un  peu  considérable;  pour  le  Tiers-Etat, il  y 
avait  la  toutes  sortes  de  gens  ramassés,  et  la  plupart  a  la  solde  de  l'Es- 
pagnol ou  du  duc  lui-même. 

Et  parmi  ces  trois  ordres,  le  duc  ne  pouvait  véritablement  compter 
que  sur  la  noblesse.  Il  redoutait  le  clergé  et  le  Tiers-État,  qui  montraient 
plus  de  penchant  pour  le  roi  d'Espagne  que  pour  lui  ;  aussi  avait-il  pro- 
jeté d'introduire  dans  l'assemblée  deux  autres  ordres  nouveaux  :  l'un, 
judiciaire,  composé  des  membres  du  parlement  et  des  officiers  de  la 
justice;  l'autre,  formé  uniquement  des  grands  officiers  de  la  couronne 
et  des  gouverneurs  des  provinces,  et,  comme  l'usage  consacré  est  de 
voter  par  ordre  et  non  par  tête,  il  comptait  par  ce  moyen  se  procurer 
trois  voix  contre  deux;  mais  ce  plan  échoua.  Il  aurait  fallu  une  tout 
autre  autorité  que  la  sienne  pour  introduire  une  pareille  innovation  ;  les 
trois  ordres  la  rejetèrent  comme  injurieuse  pour  eux,  et  comme  préjudi- 
ciable 'a  la  postérité,  'a  laquelle  ils  ne  voulaient  pas  laisser  un  antécé- 
dent fâcheux.  (Matthieu,  Hist.  de  Henri  Il\  liv.  1,  p.  141.) 

Lorsque  tous  les  députés  eurent  pris  leurs  places,  et  que  le  héraut 
eut  fait  faire  silence,  le  duc  de  Mayenne  prononça  une  belle  harangue 
que  lui  avait  composée  l'archevêque  de  Lyon,  dans  laquelle,  après  avoir 
bien  fait  valoir  son  zèle  pour  la  religion  et  les  grands  travaux  qu'il  avait 

(1)  Dévotion  usitée  dans  l'église  catholique  dans  les  temps  de  calamités  publiques, 
et  pour  demander  à  Dieu  quelques  grâces  particulières.  Elle  consiste  à  exposer  le 
Saint  Sacrement  trois  jours  de  suite,  pendant  quarante  heures,  avec  sermons,  sa- 
ints, etc. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  285 

soiifTerts  pendant  ces  guerres,  il  expliqua  comme  quoi  il  était  indispen- 
sable (rélire  un  roi  catholi(|ue.  En  manjuant  les  qualités  que  ce  mo- 
nanjuc  devait  avoir,  il  n'oublia  pas  de  montrer  que  lui-même  les  possé- 
dait toutes,  et  il  termina  en  conjurant  les  députés  de  ne  point  se  laisser, 
dans  une  circonstance  aussi  importante,  préoccuper  par  aucune  aficction 
ni  intérêt  particulier,  mais  de  ne  penser  qu'a  ce  (jiie  demandaient  la 
nécessité  présente  et  le  salut  du  royaume. 

Quand  il  eut  Uni,  le  cardinal  de  Pellevé  prit  la  parole  pour  le  clergé; 
il  loua  comme  de  juste  le  zèle,  le  courage  et  le  désintéressement  du  duc 
de  Mayenne,  et  conclut  par  une  exhortation  à  élire  un  roi  entièrement 
acquis  au  Saint-Siège,  mortel  ennemi  de  l'hérésie,  grand  en  zèle  et  en 
piété,  mais  non  moins  grand  en  force  et  en  puissance.  Tout  ce  discours, 
plein  de  haine  et  de  liel  contre  la  maison  de  France,  fut  trouvé  fort 
long.  Le  prélat  manqua  complètement  TelTet  de  ses  allusions  au  bienheu- 
reux saint  Polycarpe,  et  y  entremêla  la  conversion  de  saint  Paul  assez 
maladroitement.  On  jugea  que  la  conclusion  se  ressentait  un  peu  trop  de 
rinduence  espagnole,  et  il  parut  ridicule  que  l'orateur  se  lut  permis  de 
longues  et  inutiles  digressions,  dans  lesquelles  il  ne  tarissait  pas  sur  les 
louanges  de  sa  Himille  et  sur  ses  propres  louanges.  L'assemblée  pourtant 
donna  des  marques  d'attention,  lorsqu'en  parlant  toujours  de  lui-même 
et  de  sa  mauvaise  santé,  il  s'écria,  en  tournant  les  yeux  du  côté  du  duc 
de  Mayenne,  que  les  grands  et  les  princes  eux-mêmes  étaient  sujets  aux 
maladies  comme  le  commun  des  mortels.  Le  duc,  qui  sortait  de  la  fâcheuse 
maladie  dont  il  venait  de  se  faire  guérir,  ne  prouvait  que  trop  par  sa 
mine  souffrante  et  amaigrie  combien  cette  vérité  était  incontestable. 

Le  baron  de  Seneçay,  pour  la  noblesse,  harangua  ensuite.  Son  dis- 
cours fut  simple,  dit-on;  on  le  trouva  beau  et  court.  Celui  du  conseiller 
Du  Laurens  fut  trouvé  éloquent,  mais  un  peu  long.  Si  on  examine  de 
sang-froid  toutes  ces  harangues,  l'espèce  de  fanatisme  sauvage  et, de  bi- 
goterie niaise  qui  en  fait  la  base  répugne  et  n'inspire  que  du  dégoût. 

Aussi  l'on  vit  paraître  en  ce  temps-la,  en  réponse  a  toutes  ces  graves 
et  cérémonieuses  exhibitions  de  la  Ligue,  une  satire  royaliste  qui  sut, 
(juelque  menaçantes  et  dangereuses  qu'elles  fussent  au  fond,  les  rendre 
parfaitement  ridicules,  et  par  conséquent  leur  ôler  toute  possibilité  de 
contribuer  au  mal.  On  voit  que  je  veux  parler  de  la  Satire  Ménippce, 
l'ouvrage  le  plus  mordant,  et  tout  à  la  fois  le  plus  gai  et  le  plus  lin,  qui 
existe  dans  la  langue  française,  et  qui,  comme  la  dit  le  président  llénault, 
ne  fut  guère  moins  utile  à  Henri  IV  que  la  l)ataille  d'ivry.  L'auteur,  ou 
plutôt  les  auteurs  de  ce  spirituel  écrit  représentent  le  légat  du  Pape, 
chargé  de  distribuer  ou  de  promettre  l'argent  de  l'Espagne,  comme  un 
charlatan  vendant  sur  la  place  publique,  aux  badauds  qui  l'entourent, 
une  certaine  drogue  appelée  cathoUcon  composé  ou  higuiero  di  inferno 
(liguier  d'enfer).  Cette  drogue  a  des  propriétés  merveilleuses;  ce  que 
toutes  les  forces  de  l'Espagne  et  de  l'Empire,  conduites  par  le  puissant 
Charlos-Quint,  n'ont  pu  faire  contre  la  France,  un  simple  lieutenant, 
accompagné  seulement  de  quehiues  milliers  d'hommes,  pourra  le  faire  en 


286  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

se  jouant.  Il  n'a  qu'a  frotter  sa  bannière  d'un  peu  de  higuiero ;  tout  aussi- 
tôt, on  ira  avec  joie  au-devant  de  lui.  Bien  qu'il  tue,  viole,  brûle  et  sac- 
sage  tout,  on  dira  qu'il  lait  cela  pour  la  paix  et  le  bien  de  l'Église.  — 
«  Quelqu'un  veut-il  être  cardinal,  qu'il  mette  un  peu  de  cette  précieuse 
drogue  sur  les  cornes  de  son  bonnet  ;  'a  l'instant  il  deviendra  rouge,  et  le 
porteur  sera  lait  cardinal,  fût-il  le  plus  ambitieux  et  le  plus  incestueux 
prélat  du  monde.  »  Quand  on  sait  ce  que  l'histoire  reproche  à  l'arche- 
vêque de  Lyon,  on  comprend  combien  ce  trait  était  déchirant  pour  lui. 
Tous  les  autres  chefs  de  la  Ligue  ne  sont  pas  plus  épargnés,  et  chaque 
plaisanterie  est  un  coup  de  poignard  bien  ajusté  et  durement  aiguisé. 
(Satire  Ménippée,  passim.) 

Si,  de  la,  on  passe  'a  la  procession  des  Ligueurs,  on  ne  peut  sans 
rire  suivre  ces  divers  masques,  portant  des  noms  historiques  et  affublés 
de  costumes  moitié  guerriers,  moitié  monastiques  ;  on  se  rappelle  cette 
fameuse  parade  religieuse,  dont,  sous  le  règne  de  Henri  III,  la  ville  de 
Chartres  avait  été  le  théâtre. 

Vient  ensuite  une  description  de  douze  tapisseries  satiriques,  ornant, 
soi-disant,  la  salle  des  séances,  et  à  l'aide  de  laquelle  la  situa- 
tion que  tous  ces  troubles  religieux  ont  faite  'a  la  France,  est  aussi  co- 
miquement  que  fidèlement  représentée.  Les  noms  des  députés,  l'énoncé 
de  leurs  droits  'a  occuper  un  pareil  poste,  et  la  place  qu'on  assigne 'a  cha- 
cun d'eux,  sont  autant  de  traits  d'un  ridicule  ineffaçable  déversé 'a  pleines 
mains  et  avec  la  verve  la  plus  intarissable  sur  toute  l'assemblée.  Puis 
suivent  les  harangues,  qui  sont  autant  de  chefs-d'œuvre,  tant  elles  re- 
tracent fidèlement  les  caractères,  les  intérêts  et  les  passions  de  ceux  a  (|ui 
on  les  attribue,  a  Dieu  m'est  témoin,  dit  le  duc  de  Mayenne,  que  je  n'ai 
jamais  voulu  que  le  bien  de  la  France  et  ma  propre  conservation,  et  pour 
cela,  quel  gré  ne  devez-vous  pas  me  savoir  d'éterniser  si  soigneusement 
la  guerre  civile,  en  suivant  pour  la  destruction  de  la  maison  de 
Bourbon  le  plan  formé  de  longue  main  par  mes  ancêtres  ?  Vous  me 
rendrez  aussi  cette  justice  que  jai  toujours  su  mettre  ma  propre  per- 
sonne à  couvert,  dans  toutes  les  occasions  où  elle  aurait  pu  être  exposée, 
et  cela  avec  une  prudence  qu'on  ne  saurait  nier;  comme  aussi  je  me  suis 
appliqué  constamment  'a  vous  guérir  de  trop  d'aise,  et  à  vous  décharger 
de  la  pesanteur  de  vos  bourses.  Si  vous  me  choisissez  pour  votre  roi, 
comme  cela  est  juste,  je  vous  promets  que  je  redoublerai  encore 
d'efforts.  » 

Monsieur  le  légat  prend  ensuite  la  parole  en  italien  d'abord,  puis  en 
latin  baroque  ;  et,  en  qualité  de  ministre  d'un  Dieu  de  paix,  il  ne  prêche 
que  guerre  et  extermination.  Il  termine  en  disant  :  «  Faites  un  roi, 
n'importe  lequel.  Fût-il  le  diahle  en  personne,  nous  lui  donnerons  notre 
sainte  bénédiction,  a  condition  (ju'il  se  déclare  feudataire  du  Saint-Père. 
Pourtant,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  vous  dire  ici  que  vous 
feriez  bien  de  prendre  le  roi  d'Espagne;  non  qu'il  ait  l)esoin  de  votre 
couronne  :  il  en  a  déjà  a  revendre,  des  couronnes,  mais  il  ne  refuserait 
peut-être  pas  celle  de  France,  par  l'unique  raison  qu'elle   lui   donnerait 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  •  287 

la  prérogative  de  guérir  les  écrouclles  en  les  louchant,  et  il  ne  serait  pas 
lâché  de  rendre  ce  service  a  ses  sujets  d'Espagne,  qui,  comme  on  sait, 
sont  très-enclins  à  ce  vilain  mal.  » 

Pour  lors.  Monsieur  le  cardinal  de  l'ellevé,  se  levant  sur  ses  deux 
pieds,  comme  une  oie,  son  chapeau  rouge  ravalé  en  capuchon,  l'ait  une 
j)rofonde  révérence  à  Monsieur  le  légat,  et  une  autre  hassissime  aux 
dames,  et,  s'étant  assis,  après  avoir  toussé  trois  Ibis,  il  dit  en  latin 
encore  plus  mauvais  que  celui  du  légat  :  «  lUiisque  nous  avons  ici  à 
créer  un  roi  par  Tordre  du  Pape,  vous  pouvez  le  prendre  où  il  vous 
plaira,  pourvu  (ju'il  soit  du  sang  d'Espagne  ou  du  sang  des  Guises. 
J'étais  d'ahord  d'avis  qu'on  prît  un  de  ces  derniers,  car  cela  me  semblait 
assez  dans  mon  intérêt;  mais  le  seigneur  légat,  qui  penche  pour  l'autre 
race,  m'a  converti  en  me  faisant  voir  que  j'avais  encore  plus  a  gagner  de 
ce  côlé-la.  Au  surplus,  l'essentiel  est  que  nous  ne  faisions  jamais  ni 
trêve  ni  paix  avec  ces  damnés  palitiques  qui  se  sont  permis  de  se 
moquer  des  actions  les  plus  honorables  de  ma  vie.  »  La-dessus,  il  se  met 
a  faire  une  naïve  et  ridicule  énuméralion  de  ce  qu'il  appelle  ses  mérites, 
({ui  ne  sont  que  des  vices  et  souvent  des  crimes. 

Monsieur  de  Lyon  lui  succède  sur  ce  comique  théâtre.  «  0  miracle! 
s'écrie-t-il  d'un  ton  inspiré;  car  n'est-ce  pas  un  miracle  dû  'a  cette  sainte 
Ligue,  que  de  voir  tous  les  truands,  mauvais  garçons  et  bandits,  trans- 
mués si  subitement  en  gens  de  bien  et  véritables  calholi(jues  ;  que  de 
me  voir  moi-même,  qui  n'étais  pas  grand  mangeur  de  crucifix,  qui  sen- 
tais même  un  peu  le  fagot,  qui  ne  me  suis  jamais  fait  scrupule  de  man- 
ger chair  en  carême,  ni  de  coucher  avec  ma  sœur,  de  me  voir,  dis-je, 
devenu,  comme  vous  en  êtes  témoins,  un  des  principaux  piliers  de  la 
foi,  avec  l'espérance  d'un  beau  chapeau  rouge,  qui  m'ira  tout  aussi  bien 
qu"a  un  autre?  Ah!  je  ne  saurais  trop  vous  le  dire  :  soignez,  choyez  sur- 
tout les  benoîtes  confréries  du  Saint-Nom-de-Jésus  et  du  Saint-Cordon, 
aux(|uelles  nous  sommes  redevables  de  pareils  prodiges,  et  n'oubliez  pas 
de  charger  d'honneurs  et  de  témoignages  de  votre  conhance  ces  bons 
Pères  jésuites  qui  nous  transmettent  les  doublons  de  Sa  Majesté  catho- 
lique, pour  laquelle  je  vote  de  toute  mon  âme,  me  recommandant  à  sa 
générosité  particulière.  » 

Ce  discours  est  suivi  de  celui  d'un  autre  prélat,  le  docteur  Rose, 
évêque  de  Senlis,  (jui  se  vante  de  n'être  redevable  de  son  avancement 
et  de  sa  fortune  'a  personne  autre  qu'à  lui-même,  et  par  conséquent  d'ap- 
porter à  cette  élection  un  esprit  indépendant.  «  Ce  (|ue  je  suis,  dit-il, 
je  le  dirai  ici  'a  ma  louange,  je  ne  le  dois  (ju'au  courage  avec  le(juel  j'ai 
trahi  le  roi,  qui  m'a  fait  jadis  élever  a  ses  dépens,  et  qui,  jtar  linslruction 
qu'il  m'a  fait  donner,  m'a  ouvert  le  premier  la  carrière  des  dignités  ecclé- 
siastiques. Aussi,  puis(pril  s'agit  de  faire  aujourd'hui  un  roi,  je  ne  volerai 
pour  aucun  des  grands  de  la  terre,  et,  par  esprit  d'indépendance,  je 
donne  ma  voix  au  gros  Guillot  Fagotin,  marguillier  de  Gentilly,  et  qui 
chante  si  bien  au  lutrin.  » 

L'orateur  de  la  noblesse,  au(|uel  l'ouvrage  donne  le  nom  de  Monsieur 


288  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

de  Rleux,  qui  lut  pendu  a  Compiègne  en  1594,  vient  dire  a  son  tour  : 
«  En  vérité,  je  suis  le  premier  à  m'étonner  que  moi,  qui  n'ai  jamais  été 
même  simple  gentilhomme,  et  qui  serai  peut-être  pendu  un  jour,  j'aie 
cet  honneur  que  de  parler  ici  au  nom  de  toute  la  noblesse  de  France. 
Je  dirai  donc  :  Vive  la  guerre  !  de  quelque  part  qu'elle  vienne,  et  main- 
tenant que  par  la  guerre  me  voilà  devenu  tout  aussi  noble  qu'un  duc  et 
pair,  je  vous  promets  bien  que  je  saurai  courir  la  vache  et  le  paysan 
tout  aussi  bien  que  qui  que  ce  soit,  et,  a  ce  titre,  vous  pouvez  bien 
me  faire  roi  sans  aller  chercher  plus  loin;  j'en  vaudrai  bien  un 
autre,  » 

Enfin,  le  sieur  d'Aubray,  qu'on  suppose  parler  au  nom  du  Tiers-Etat, 
après  une  longue  énumération  de  toutes  les  folies  et  de  toutes  les  fautes 
qui  ont  été  commises,  de  tous  les  malheurs  qui  ont  pesé  sur  la  France 
depuis  la  formation  de  la  Sainte-Union,  termine  en  disant  :  «  Voulez- 
vous  savoir,  celui  que  nous  autres,  gens  du  Tiers,  reconnaissons  pour 
notre  souverain  légitime?  C'est  Henri  de  Bourbon,  ci-devant  roi  de 
Navarre,  »  déclaration  qui  rendit  bien  des  gens  camus. 

L'effet  de  cette  mordante  satire  fut  prodigieux;  car  l'arme  du  ridicule 
a  partout  et  toujours  été  toute-puissante,  mais  surtout  en  France.  Cepen- 
dant, le  lendemain  de  la  première  séance  des  Etats,  il  s'en  était  tenu 
une  seconde  où  Monsieur  le  légat  qui,  en  sa  qualité  d'étranger,  n'avait 
pas  assisté  'a  la  précédente,  voulut  être  admis.  H  insista  pour  que  les 
députés  s'obligeassent  par  serment  a  ne  faire  jamais  ni  paix  ni  traité 
avec  le  Béarnais  ;  le  duc  de  Mayenne  lui-même  n'était,  comme  on 
l'a  vu,  pas  trop  de  cet  avis  ;  ceux  qui  savaient  son  secret  prirent  aussitôt 
la  parole  contre  ce  serment.  Comme  le  légat  se  raidissait,  l'archevêque 
de  Lyon  représenta  que  ce  serait  prononcer  d'avance  que  le  roi  de 
Navarre  ne  pouvait  pas  être  absous  par  le  Pape,  ce  qui  serait  porter 
atteinte  aux  droits  de  Sa  Sainteté,  qui,  comme  représentant  Jésus-Christ 
lui-même,  avait  toute  puissance  de  lier  et  de  délier.  Le  légat,  n'ayant 
rien  'a  répondre  a  une  aussi  bonne  raison,  demeura  court,  mais  non 
satisfait,  et  le  duc  eut  la  satisfaction  de  voir  la  proposition  rejetée. 
(Mézeray,  t.  m,  p.  1000.) 

Or,  le  roi  ne  recevait  toujours  pas  de  réponse  ni  à  son  ordonnance, 
ni  'a  la  proposition  des  princes  et  seigneurs  de  son  parti  ;  voyant  donc 
qu'il  s'était  déjà  passé  huit  jours  sans  avoir  entendu  parler  de  rien,  il 
décida  de  s'en  aller  avec  son  armée,  qui  n'était  pas  bien  grande  alors, 
le  long  des  bords  de  la  Loire,  suivant  le  projet  qu'il  en  avait  formé  vers 
la  fin  de  l'année  précédente.  Tout  en  cheminant,  il  envoya  assiéger 
Meung,  qui  n'est  qu'à  cinq  lieues  d'Orléans,  et  lui-même  se  rendit  à 
Blois,  puis  de  là  à  Tours,  et  enfin  à  Saumur,  pour  voir  Madame  sa  sœur, 
qui  venait  d'arriver  dans  cette  ville.  (Caykt,  iibi  sup.) 

Cette  princesse,  qui  était  toujours  restée  en  Béarn,  dont  il  l'avait 
laissée  régente  depuis  l'annexe  1585,  avait  manifesté  le  désir  de  voir 
encore  une  fois  son  frère;  de  quoi  Sa  Majesté  était  elle-même  très-con- 
tente. Il  y  avait  bien,  comme  je  l'ai   déjà  donné  à  entendre,  un  autre 


DL'  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  289 

inolirdcterminaiil  pour  l'un  et  pour  l'autre;  mais  ce  n'est  pas  ce  dont  il 
est  ici  question.  La  princesse,  ayant  donc  mis  ordre  au\  allaires  des  pays 
qui  lui  étaient  confiés,  partit  de  Pau  et  traversa  la  Gascogne,  où,  le 
maréchal  de  Matignon  donna  ordi-e  qu'elle  fût  reçue  comme  la  propre 
personne  du  roi,  avec  entrées  qui  tussent  belles  et  magniliques,  selon  la 
nécessité  des  temps. 

A  Bazas,  le  maréchal  vint  lui-même  au-devant  d'elle  jusqu'à  mi- 
chemin  du  fort  de  Captieux,  et  lui  rendit  tous  les  honneurs  et  devoirs 
d'un  bon  et  ancien  serviteur  de  la  maison  de  Navarre,  car  il  avait  été 
nourri  enfant  d'honneur  de  la  reine  Marguerite  de  Navarre.  De  la,  Son 
Altesse  s'achemina  vers  Bordeaux  par  la  rivière,  et  toute  la  ville  sortit 
en  habits  de  lête  au-devant  d'elle.  Le  premier  capilan  lui  lit  une  belle 
harangue,  en  la  priant  de  prendre  place  dans  une  barque  de  parade  toute 
dorée,  couverte  et  tapissée  d'un  riche  velours  à  ses  couleurs  ;  d'autres 
barques  splendidement  décorées  étaient  chargées  des  seigneurs,  dames 
et  damoiselles  de  la  province.  Ce  fut  entourée  de  ce  brillant  cortège 
(juclle  vint  prendre  terre  à  La  Bastide,  au  bruit  de  toutes  sortes  d'ins- 
truments de  musique.  A  l'abord  du  quai,  on  avait  dressé  tout  exprès  un 
grand  pont  couvert  de  tapis  de  pied  pour  faciliter  son  débarquement. 
En  même  temps,  la  cour  du  parlement  vint  la  saluer,  et  Monsieur  le 
premier  président  Daffis  lui  présenta  les  félicitations  de  la  compagnie, 
louant  Dieu  d'avoir  le  bonheur  de  voir  dans  leur  ville  la  perle  des  prin- 
cesses, la  sœur  unique  de  leur  roi  bien-aimé.  Son  Altesse,  au  bruit  de 
la  décharge  de  l'artillerie  du  Château-Trompette,  du  fort  du  Ha  et  de 
tous  les  navires  qui  se  trouvaient  dans  le  |)ort,  fut  ensuite  conduite  en 
la  maison  du  trésorier  général  Pontac,  auquel  était  échu  l'honneur  de  lui 
donner  logis.  Messieurs  du  clergé  lui  tirent  là  une  autre  belle  harangue, 
à  Uuiuelle  elle  répondit  très-gracieusement,  en  les  remerciant  de  la 
bonne  atVection  qu'ils  montraient  en  faveur  du  roi.  Elle  eut  aussi  cet 
honneur  de  faire  ouvrir  les  prisons,  comme  il  se  lait  de  droit  et  de  cou- 
tume aux  entrées  solennelles  des  rois,  pour  la  compassion  et  soulage- 
ment des  misérables  ;  puis,  pendant  tout  un  mois  que  la  princesse  daigna 
séjourner  dans  la  ville,  ce  ne  furent  que  festins,  ballets  et  réjouissances 
publiques  et  particulières. 

Or,  en  de  telles  occurences,  il  est  malaisé  qu'il  n'arrive  désordre 
parmi  le  peuple.  Quelques-uns  des  habitants  allèrent  au  logis  de  Son 
Altesse,  pour  voir  ce  que  c'était  qu'un  prêche;  d'autres,  qui  savaient 
fort  bien  d'ancienne  date  à  quoi  s'en  tenir  à  ce  sujet,  y  allèrent  aussi, 
comptant  bien  que  cela  leur  servirait  d'ouverture  pour  fonder  dans  cette 
maison  une  réunion,  où,  à  l'avenir,  il  leur  serait  permis  d'exercer  leur 
culte  prohibé.  Les  catholiques  prirent  cette  affluence  pour  une  révolte 
contre  l'Église,  et  Messieurs  du  parlement  furent  requis  de  faire  publier 
'a  son  de  trompe,  par  toute  la  ville,  défense  à  tous  les  habitants  de 
n'aller  plus  au  dit  prêche.  Les  plus  entêtés  se  refusèrent  d'obtempérer  à 
celle  défense,  et  on  les  mit  en  prison,  quoique  Son  Altesse  daignât 
s'employer  pour  eux.  Les  magistrats  la  supplièrent  de  ne  pas  trouver 
IV.  19 


»c 


290  HISTOH'vE  DE  LÉTABLISSEMENT 

mauvais  leur  arrêt,  qui  était  conlormc  aux  ordres  prescrits  par  le  roi, 
et  qu'ils  auraient  rendu  sans  crainte,  quand  même  Sa  Majesté  eût  été  la, 
présente  en  personne. 

Le  maréchal  de  Matignon,  craignant  que  cet  incident  n'excitât  des 
troubles  dans  la  province,  parce  que  ceux  de  la  religion  offraient  déjà  a 
la  princesse  de  prendre  les  armes  pour  lui  assurer  le  libre  exercice  de 
son  culte,  lui  conseilla  de  continuer  son  chemin,  et  la  conduisit  lui- 
même  jusqu'aux  frontières  de  son  gouvernement;  puis  il  revint  bien  vite, 
et,  pour  inspirer  une  terreur  salutaire  aux  autres,  il  châtia  sévèrement 
quelques  anabaptistes  flamands,  qui,  étant  venus  charger  des  vins  a 
Bordeaux,  avaient  cru  le  moment  favorable  pour  distribuer  dans  la  ville 
quelques-uns  de  leurs  livres  pernicieux.  Grâce  'a  cette  rigueur  le  mal 
n'alla  pas  plus  loin. 

La  princesse  continua  sa  route  par  la  Saintonge  et  par  le  pays 
d'Angoumois,  où  elle  fut  reçue  partout  avec  les  mêmes  honneurs;  car, 
dans  tous  ces  pays,  hormis  à  Poitiers,  on  était  royaliste.  Elle  arriva  a 
Niort,  où  elle  ht  aussi  une  entrée  royale  et  délivra  les  prisonniers.  Elle 
en  partit  malgré  les  froids  extraordinaires  qui  eurent  lieu  en  cette  année- 
là  ;  et  quoiqu'il  y  eût  a  craindre  que  ceux  de  l'Union  qui  étaient  dans 
Poitiers  ne  lui  dressassent  quelque  attaque  sur  sa  route,  elle  arriva 
enhn  heureusement  â  Saumur,  où  Duplessis-Mornay,  qui  en  était  gouver- 
neur, lui  ht  une  réception  magnihque. 

Ce  fut  Ta  que  le  roi,  son  bon  frère,  vint  la  voir  le  vingt-huitième  jour 
de  février,  par  un  temps  bien  fâcheux  et  tout  plein  de  neige.  Le  duc  de 
Montpensier  se  trouva  aussi  dans  cette  ville,  et  il  y  eut  même  quelques 
paroles  mises  en  avant  au  sujet  d'un  mariage  entre  ce  prince  et  la  dite 
dame,  sœur  du  roi  ;  mais  elles  demeurèrent  sans  effet. 

Duplessis  profita  aussi  de  cette  occasion  pour  entretenir  le  roi  au 
sujet  du  changement  de  religion  qui  était  proposé  a  ce  prince,  et  auquel 
il  est  probable  que  Sa  Majesté  était  depuis  longtemps  'a  peu  près  décidée. 
Duplessis,  en  sa  qualité  de  rigide  protestant,  ne  manqua  pas  de  dissuader 
son  maître  de  faire  une  pareille  démarche,  qui  pouvait  le  brouiller  avec 
ses  plus  anciens  et  plus  fidèles  serviteurs;  il  s'avança  jusqu'à  lui  propo- 
ser un  moyen  d'éluder  la  promesse,  que,  selon  lui,  le  prince  s'était 
imprudemment  laissé  arracher.  «  Vous  pouvez,  Sire,  alléguant  votre 
désir  de  satisfaire  les  catholiques  touchant  votre  instruction,  demander 
une  conférence  de  théologiens  qui  ne  soit  pas  seulement  une  vaine 
formalité,  mais  une  discussion  sérieuse.  Vous  y  appelleriez  quelques-uns 
des  pasteurs  les  plus  instruits  des  Églises  réformées;  vous  proposeriez 
vous-mêmes  les  points  sur  lesquels  vous  voulez  être  instruit,  redressant 
les  disputants  quand  ils  s'écarteraient  de  la  question,  et  les  obligeant  de 
répondre  catégoriquement  par  les  saintes  Écritures.  Je  suis  certain  que, 
par  ce  moyen,  vous  feriez  voir  aux  catholiques  eux-mêmes  qu'il  y  a 
effectivement  à  leur  croyance  de  grandes  difficultés,  lesquelles  méritent 
bien  qu'on  s'en  occupe;  puis,  quand  ils  auraient  reconnu  que  vous  aviez 
raison  de  ne  pas  vouloir  changer  si  légèrement  de  religion,  vous  pourriez 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  '291 

peut-être,  par  des  voies  de  douceur  et  de  prudence,  les  amener  a  modilicr 
d'eux-mêmes  un  peu  leurs  opinions;  et  alors  vous  proposeriez  un  grand 
concile  national,  dans  lequel,  appuyant  de  votre  faveur  et  de  vos  encoura- 
gements ceux  à  qui  vous  auriez  déjà  fait  entrevoir  la  vérité,  vous  finiriez 
tout  doucement  par  engager  les  autres  a  accepter  au  moins  les  points  les 
plus  importants  de  la  Réforme.  »  (Mkzkhav,  t.  III,  p.  1005.) 

Le  roi  savait  mieux  que  son  conseiller  à  quoi  s'en  tenir  sur  la  possi- 
bilité d'un  pareil  plan.  Il  faisait  cependant  mine  d'écouter  sérieusement 
ces  conseils.  Pendant  tout  le  temps  qu'il  resta  a  Saumur,  il  fréquenta 
assidûment  les  prêches,  reçut  les  ministres  avec  caresses  et  bienveil- 
lance, et,  en  partant,  il  n'hésita  pas  a  les  assurer  de  sa  persévérance 
dans  la  doctrine  qu'ils  lui  avaient  enseignée.  «  Si,  leur  dit-il,  vous 
entendez  dire  que  j'ai  commis  quel(|uc  infraction  au  commandement  de 
Dieu  (jui  nous  fait  un  devoir  de  la  chasteté,  vous  pouvez  le  croire,  parce 
que  je  suis  homme  sujet  à  de  grandes  infirmités;  mais  si  l'on  vous 
rapporte  que  j'ai  abjuré  ma  religion,  ne  le  croyez  jamais;  car  j'ai  résolu 
d'y  mourir.  » 

Le  roi,  Madame  sa  sœur  et  Monsieur  de  Montpensier, allèrent  ensuite 
de  Saumur  a  Tours,  oîi  leur  présence  répandit  partout  l'allégresse.  La 
aussi,  Sa  Majesté  témoigna  beaucoup  de  chaleur  pour  les  intérêts  de  ses 
coreligionnaires  qu'elle  allait  bientôt  quitter.  Elle  voulut  faire  lever  par 
le  parlement  la  restriction  qui  les  excluait  des  charges  publi([ues.  A  cet 
effet,  elle  manda  dans  son  cabinet  le  procureur  et  les  avocats  généraux 
pour  les  engager  'a  trouver  quelques  moyens  de  lui  donner  satislaction. 
Ceux-ci  répondirent  xju'ils  ne  pouvaient  donner  valablement  leur  avis 
que  séant  sur  les  fleurs  de  lis;  a  quoi  le  procureur  général  ajouta  qu'il 
serait  temps  d'en  délibérer  quand  le  roi  aurait  lui-même  satisfait  'a  la 
promesse  qu'à  son  avènement  il  avait  faite  aux  catholiques.  (Mézkray, 
ubi  sup.,  106.) 

Henri  ne  put  s'empêcher  de  témoigner  quol(]ue  aigreur  'a  des  magis- 
trats aussi  peu  complaisants;  mais  cela  même  ne  lui  évita  pas  les  soup- 
çons de  ceux  de  la  religion,  qui,  quelque  chose  (ju'il  pût  faire  pour 
rassurer  leur  méfiance,  crurent  toujours  qu'il  y  avait  là  plus  de  mine  que 
d'effet.  La  plupart  s'éloignèrent  de  lui,  comme  il  pensait  de  son  côté  à 
s'éloigner  d'eux. 

Cependant,  à  la  prière  des  Tourangeaux,  qui  voulaient  se  délivrer 
d'un  fâcheux  voisinage,  il  envoya  Biron,  qui  venait  de  prendre  Meung  et 
qu'il  avait  nommé  grand  amiral  de  France,  assiéger  la  ville  de  Celles. 
Son  projet  était,  quand  cette  ville  se  serait  rendue,  et  (juand  la  saison 
favorable  aurait  reparu,  d'aller  remettre  le  blocus  autour  de  Paris.  En 
attendant,  il  se  proposait  de  passer  le  reste  de  l'hiver  à  Tours;  mais  deux 
nouvelles  qu'il  reçut  à  la  fois  l'obligèrent  à  hâter  son  voyage.  Il  envoya  à 
Biron  l'ordre  de  lever  le  siège  de  Celles  et  de  conduire  la  princesse  à 
Chartres,  puis  de  venir  ensuite  sans  retard  le  joindre  avec  l'armée 
devant  Paris;  et  lui-même  partit  en  avance.  Ces  deux  nouvelles  étaient 
que  ceux  du  parti  de    la   Ligue  avaient  enlin  envoyé   une   réponse  à 


292  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Chartres,  au  sujet  de  la  proposition  que  les  princes,  seigneurs  et  prélats 
du  parti  du  roi  leur  avaient  faite,  et  l'autre,  que  le  comte  de  Mansfeld,  a  la 
tête  de  Tarmce  espagnole  des  Pays-Bas,  était  entré  en  France  et  assié- 
geait en  ce  moment  la  ville  de  Noyon.  (Cayet,  ubi  sup.) 

Quant  à  la  réponse  de  ceux  de  l'Union,  s'il  leur  avait  fallu  tant  de 
temps  pour  la  faire,  c'est  que  le  légat  du  Pape  avait  donné  a  quelques 
théologiens  de  la  Sorbonne  la  proposition  des  royalistes  à  examiner,  pour 
voir  si  elle  ne  contenait  point  d'hérésies,  et  comme  on  doit  bien  s'y 
attendre,  ces  théologiens,  que  présidait  Pigenat,  frère  du  provincial  des 
Jésuites  et  Jésuite  lui-même,  la  condamnèrent  comme  absurde,  héré- 
tique et  schismalique.  Mais  l'affaire  ayant  été  mise  en  délibération,  le 
vingt-cinquième  jour  de  février,  en  pleine  assemblée  des  prétendus 
États,  elle  fut  vivement  débattue.  Les  uns,  soutenant  l'avis  du  légat  et 
des  docteurs  sorbonniques,  disaient  qu'en  matière  de  foi  et  de  religion 
toute  discussion  et  controverse  avec  l'impie  était  un  péché,  qu'il  faut 
alors  vaincre  et  non  convaincre  les  antagonistes  auxquels  on  a  affaire. 
Les  autres,  au  contraire,  prétendaient  qu'il  n'était  pas  moins  odieux 
qu'impolilique  de  refuser  la  communication  requise  par  les  royaux  ;  que 
c'était  déj'a  un  tort  de  ne  leur  avoir  pas  répondu  plus  tôt,  ce  qui  leur 
donnait  occasion  de  se  vanter  de  n'avoir  voulu  que  le  bien  du  peuple; 
que  s'ils  ne  l'avaient  pas  fait,  ce  n'était  pas  leur  faute,  et  que  le  refus 
de  leur  répondre  ne  pouvait  provenir  que  des  desseins  ambitieux  et  inté- 
rêts particuliers  de  leurs  adversaires. 

«  Songez-y,  Messieurs,  ajoutaient  les  adversaires  des  Jésuites,  le  cas 
est  grave.  L'état  des  affaires  du  pays,  la  nécessité  oîi  se  trouve  le  parti 
de  l'Union,  et  la  malheureuse  situation  dans  laquelle  gémissent  depuis 
si  longtemps  les  Parisiens,  méritent  bien  toute  votre  attention.  Cette 
capitale,  dont  toutes  les  ressources  sont  depuis  longtemps  épuisées,  ne 
peut  plus  guère  espérer  d'être  secourue  par  une  armée  étrangère.  Ce 
n'est  pas  avec  les  quelques  soldats  que  Mansfeld  vous  amène,  dit-on,  de 
Flandre,  que  nous  devons  compter  pouvoir  résister  aux  troupes  presque 
toujours  victorieuses  des  royalistes.  Tout  nous  oblige  donc  d'user  d'un 
peu  d'égards  avec  nos  adversaires.  Cette  condescendance  du  reste  ne 
nous  engage  'a  rien  ;  elle  sera  même  un  moyen  dont  on  pourra  profiter 
adroitement  pour  gagner  les  catholiques  à  notre  parti,  et  leur  faire  aban- 
donner celui  du  roi  de  Navarre.  »  Après  une  longue  discussion  il  fut 
résolu  : 

i°  Que  l'on  ne  conférerait  ni  directement  ni  indirectement  avec  le 
roi  de  Navarre,  ni  avec  aucun  autre  hérétique,  tant  au  sujet  des  droits 
que  ce  prince  s'attribuait  que  sur  la  doctrine  et  la  foi  ;  2°  qu'on  pourrait 
cependant  conférer  avec  les  catholiques  qui  suivaient  son  parti,  pour  les 
choses  qui  touchaient  à  la  conservation  de  l'État  et  de  la  religion,  et 
qu'on  s'efforcerait,  dans  cette  conférence,  de  les  convaincre  que  les 
Français  ne  pouvaient  jamais  reconnaître  un  hérétique  pour  roi;  3"  enfin 
que  la  réponse  que  l'on  ferait  serait  en  termes  les  plus  doux  et  les  plus 
gracieux  que  faire  se  pourrait,  et  qu'elle  serait  soumise,   avant  d'être  , 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  293 

envoyt'C,  à  l'approbation  de  Monseigneur  le  légat,  lequel  aurait  toute 
liberté  d'ajouter  et  retrancher,  suivant  qu'il  le  trouverait  bon  pour  l'inté- 
rêt de  la  loi. 

Voici  en  quels  termes  fut  rédigée  celte  réponse  :  «  Messieurs,  nous 
avons  depuis  (juclques  jours  déjà  la  lettre  (lui  nous  a  été  apportée  de 
votre  part  par  un  trompette,  et  nous  rendons  toute  justice  'a  votre  bon 
désir  de  conserver  la  religion  en  ce  pays,  ainsi  que  de  garder  l'obéis- 
sance due  au  Saint-Père.  Nous  serions  bientôt  d'accord  si  vous  vouliez 
seulement  reconnaître  comme  nous  cette  vérité  incontestable,  que,  si 
l'on  veut  sauver  notre  sainte  foi,  il  ne  faut  pas  confier  le  sceptre  et  la 
toute-puissance  h  nn  hérétique,  ennemi  de  celte  même  foi.  Nous  n'aurions 
pas  ditïéré  si  longtemps  'a  vous  répondre,  si  nous  n'eussions  cru  devoir 
attendre  que  notre  assemblée  fût  plus  remplie  et  accrue  de  bon  nombre 
de  personnes  d'honneur  des  trois  ordres,  (jue  nous  savions  en  chemin 
pour  venir  se  joindre  à  nous.  Maintenant  que  la  plupart  sont  déjà  arrivées, 
nous  craindrions  qu'un  plus  long  silence  de  notre  part  soit  calomnié,  et 
sans  attendre  ceux  qui  sont  en  retard,  nous  venons  vous  dire  :  Qu'en 
premier  lieu,  nous  avons  tous  promis  'a  Dieu,  après  avoir  reçu  son  pré- 
cieux corps,  et  la  bénédiction  du  Saint-Siège  par  les  mains  de  Monsieur 
le  légat,  que  de  tout  notre  pouvoir  et  par  tous  nos  moyens  nous  défen- 
drions la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine,  dans  laquelle  nous 
voulons  vivre  et  mourir;  qu'en  second  lieu,  nous  voulons  la  conserva- 
tion de  l'Etat  en  son  entier,  ce  qui  ne  peut  se  faire  qu'en  conservant 
l'unité  de  religion,  tout  autre  moyen  fondé  sur  la  prudence  humaine 
sentant  l'impiété  et  l'injustice  et  étant  contraire  'a  la  profession  que  nous 
faisons  d'être  fidèles  chrétiens  avant  tout.  Au  reste,  nous  sommes  prêts 
'a  accepter  tout  bon  conseil  qui  pourra  nous  Si'\dcv  a  atteindre  ce  double 
but  que  nous  nous  proposons  ;  c'est  pourquoi  nous  jugeons  comme  vous 
qu'une  réconciliation  est  très-nécessaire.  Ne  vous  arrêtez  point  aux 
reproches  et  blâmes  dont  les  hérétiques  veulent  nous  charger  :  vous 
pouvez  déjà  voir  si,  comme  ils  nous  en  accusent,  Tambition  est  notre 
seul  mobile,  et  si  la  religion  n'est  pour  nous,  comme  ils  le  disent,  qu'un 
prétexte.  Si  vous  consentez  a  vous  séparer  de  ces  ennemis  de  votre  foi, 
ennemis  que  vous  détestez  et  que  vous  servez  tout  'a  la  fois,  nous  lève- 
rons les  mains  au  ciel  pour  rendre  grâces  a  Dieu,  qui  nous  aura  ramené 
des  frères  que  nous  aimons  et  auxquels  nous  sommes  prêts  'a  rendre, 
de  notre  côté,  le  respect  et  le  service  que  nous  leur  devons  ii  chacun 
selon  son  rang.  On  nous  veut  faire  aussi  un  crime  d'avoir  ap[)elé  a  notre 
secours  un  prince  étranger;  n'est-il  pas  l'allié  et  le  défenseur  de  notre 
foi?  Valait-il  mieux  soulTrir  la  perte  de  la  religion  et  de  notre  honneur, 
celle-même  de  notre  vie,  (|ue  du  reste  nous  sommes  toujours  disposés  'a 
sacrifier  volontiers  pour  la  conservation  des  deux  premiers  de  ces  biens? 
Ce  sont,  vous  le  savez,  les  Saints-Pères  qui  se  sont  succédé  sur  la  chaire 
du  bienheureux  saint  Pierre  qui  ont  envoyé  le  monanjue  espagnol  à 
notre  secours,  et  qui  l'ont  eux-mêmes  intéressé  en  notre  faveur,  et  ce 
monarque,  c'est  l'allié  et  le  parent  de  nos  anciens  rois.  Il  a  bien  voulu 


204  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

nous  assister  dans  tous  nos  besoins  de  ses  forces  et  moyens,  sans  autre 
loyer  ni  récompense  que  d'avoir  travaillé  au  salut   d'une   cause  aussi 
sainte.  Croyez-vous  que  les  Anglais  qui  vous  aident  maintenant  a  établir 
l'hérésie  aient  des  intentions  aussi  pures  et  aussi  désintéressées?  Voyez 
leurs  mains  encore  fumantes,  par  l'ordre   de  leur  reine,  du  sang  des 
catholiques,  leurs  propres  compatriotes,  qui  ont  courageusement  enduré 
la  mort  parce  qu'ils  ont  voulu  rester  fidèles  a  Dieu  et  a  l'Eglise,  et  pro- 
noncez si  nous  avons  tort  de  ne  pas  vouloir  admettre   un  monarque 
hérétique,  qui  pourrait  abuser  de  la  puissance  que  nous  lui  conherions 
pour  commettre  parmi   nous  de  pareilles  abominations.    Prenez   donc 
garde  qu'en  baissant  trop  les  yeux  contre  la  terre  pour  y  voir  les  lois 
humaines,  vous  ne  perdiez  la  souvenance  des  lois  qui  viennent  du  ciel. 
Ce  n'est  ni  la  nature  ni  le  droit  des  gens  qui  nous  apprennent  'a  recon- 
naître des  rois,  c'est  la  loi  de  Dieu  et  celle  de  l'Église,  et  toutes  deux 
requièrent  non  seulement  la  proximité  du  sang,  mais  encore  et  surtout 
la  profession  de  la  foi  catholique,  dans  celui  qui  doit  succéder  au  prince 
qui  nous  commandait.  Pour  venir  donc  a  cette  sainte  et  salutaire  récon- 
ciliation que  nous  désirons  comme  vous,  nous  acceptons  la  conférence 
que  vous  nous  demandez,  pourvu  qu'elle  soit   entre  catholiques  seule- 
ment, et  nous  vous  prions  d'avoir  pour  agréable  le  lieu  de  Montmartre 
ou  de  Saint-Maur,   ou    de   Chaillot,  'a   votre  choix,  et  d'y  envoyer  vos 
députés  vers  la  lin  du  mois,  a  tel  jour  qu'aviserez,  dont  nous  avertissant 
nous  ne  faillirons  de  notre  côté  a  y  faire  trouver  les  nôtres.  Dieu  veuille 
que  nous  puissions  y  rencontrer  tous  ensemble  les  moyens  qui  doivent 
assurer  et  la  conservation  .de  notre  sainte  religion  et  le  repos  si  dési- 
rable et  si  nécessaire  de  cet  Etat.  » 

Les  princes  et  seigneurs  catholiques  du  parti  du  roi,  s'étant  assemblés 
par  sa  permission  pour  délibérer  sur  cette  réponse  de  leurs  adversaires, 
publièrent  la  réplique  suivante  : 

«  Le  temps  que  vous  avez  pris  pour  répondre  a  notre  proposition 
est  cause  que  nous  ne  sommes  plus  maintenant  en  nombre  sufhsant  pour 
délibérer  convenablement  sur  les  ouvertures  que  vous  nous  faites.  La 
plupart  de  nos  princes  et  seigneurs,  lassés  d'attendre,  et  sur  le  bruit  de 
certaines  démonstrations  de  votre  sieur  de  Mayenne,  lequel  semble  vou- 
loir entreprendre  quelque  chose  avec  l'armée  étrangère  qui  vient  d'arri- 
ver des  Pays-Bas,  sont  allés  occuper  chacun  le  poste  qu'il  est  chargé 
de  défendre.  Toutefois,  aussitôt  votre  lettre  reçue,  l'ordre  a  été  envoyé  'a 
tous  les  nôtres  de  se  rendre  a  Mantes^  où  nous  espérons  bien  que  dans 
peu  de  jours  se  trouvera  compagnie  suffisante  pour  entendre  et  vaquer 
'a  cette  affaire.  Pourtant,  afin  que  vous  ne  puissiez  attribuer  'a  une  autre 
cause  que  celle  que  nous  vous  donnons  le  délai  que  nous  demandons, 
uniquement  pour  vous  rendre  une  réponse  plus  certaine  et  appuyée  sur 
la  résolution  et  le  sentiment  d'un  plus  grand  nombre  d'entre  nous,  avec 
la  permission  de  Sa  Majesté,  nous  faisons  savoir  a  votre  assemblée  de 
Paris  que,  quelque  chose  qui  arrive,  dans  le  quinzième  jour  du  mois 
prochain  au  plustar:!,  nous  vjjs    i-.   us  parvenir  une   déclaration  pour 


DU  PUOTESTAiNTiSMI-:  KN  KllANGE.  295 

racliemincment  et  résolu  lion  de  la  conférence  proposée.  Pendant  lequel 
délai,  s'il  plaît  aux  seigneurs  qui  sont  avec  vous  d'avertir  nos  princes  et 
seigneurs  du  nombre  et  de  la  qualité  de  ceux  que  vous  avez  Tinlenlion 
de  nommer  en  (jualité  de  députés,  cela  nous  aidera  d'autant  plus  'a  avan- 
cer la  conclusion  d'une  allaire  que  nous  désirons  tous,  laquelle,  moyen- 
nant la  grâce  de  Dieu,  amènera,  comme  nous  l'espérons,  le  salut  de  la 
religion  et  de  l'État,  but  principal  de  tous  les  ellbrts  des  princes  et 
seigneurs  de  notre  parti.  Fait  en  conseil  de  Sa  Majesté,  tenu  à  Chartres, 
le  vingt-neuvième  jour  de  mars  lù93.  » 

Mayenne,  sur  ces  entrelaites,  avait  quitté  la  capitale.  Il  motivait  cette 
absence  sur  la  nécessité  d'aller  s'aboucher  'avec  les  ambassadeurs  de 
Philippe  II,  qui  avaient  pris  le  chemin  de  la  Flandre  et  qui  arrivaient 
avec  les  troupes  de  Mansfeld.  Il  voulait,  disait-il,  constater  les 
ressources  que  l'Espagne  pouvait  Iburnir  au  parti  et  recevoir  les  troupes 
qu'on  lui  amenait  de  Flandre.  La  vérité  est  qu'il  était  bien  aise  de  s'éloi- 
gner de  l'assemblée,  sachant  qu'il  en  serait  plus  facilement  maître  de 
loin  que  de  près,  parce  que  son  absence  paralysait  toutes  les  décisions. 
Si  l'on  en  croit  Davila,  son  entrevue  avec  les  ministres  espagnols  fut 
des  plus  orageuses.  Le  prince  lorrain  se  plaignit  amèrement  de  l'insuf- 
lisance  des  secours  accordés  par  le  roi  catholique  jusqu'à  ce  moment. 
Il  récapitula  d'une  manière  très-virulente  les  nombreux  griefs  que  lui- 
même  et  son  parti  pouvaient  articuler  contre  le  cabinet  de  Madrid,  et 
déclara  que  si  ce  cabinet  persistait  dans  la  même  conduite,  la  récon- 
ciliation entre  la  Ligue  et  le  roi  de  Navarre  était  imminente.  (Davila, 
t.  III,  p.  352  et  suiv.) 

Cette  brusque  sortie,  a  laquelle  on  ne  s'était  pas  attendu,  déconcerta 
les  andjassadeurs,  qui  n'opposèrent  aux  |)laintes  du  duc  que  les  magni- 
fiques promesses  faites  par  leur  maître,  si  une  fois  l'Infante  était  élue 
reine  de  France.  Mayenne  répondit  qu'avant  tout  il  fallait  s'occuper  du 
présent,  et  que  si  l'on  tenait  a  déterminer  les  députés  des  Etals  'a  mettre 
un  étranger  sur  le  trône,  il  était  indispensable  (jue  chacun  fût  bien  assuré 
et  de  la  réalité  et  de  l'importance  du  prix  dont  on  payerait  sa 
complaisance. 

Alors  les  ministres  espagnols  s'emportèrent  'a  leur  tour  contre  celui 
qui  les  ménageait  si  peu.  Ils  le  menacèrent  de  lui  ôler  le  commandement 
pour  en  revêtir  le  duc  de  Guise,  son  neveu  ;  mais  enfin  les  têtes  se  cal- 
mèrent, et  l'on  fit  une  sorte  de  compromis  que  chacun  des  deux  partis 
était  bien  résolu  de  ne  pas  tenir.  Le  duc  de  Féria,  que  le  roi  d'Espagne 
envoyait  en  qualité  de  son  ambassadeur  spécial  auprès  des  Etats-Géné- 
raux, prit  la  route  de  Paris,  cl  le  duc  de  Mayenne  alla  rejoindre  Mansfeld 
au  camp  devant  Noyon. 

Le  roi,  pour  tâcher  de  faire  lever  le  siège  de  cette  place,  était  accouru 
jusqu'à  Saint-Denis  avec  (pielque  cavalerie,  et  il  avait  mandé  h  la 
noblesse  des  provinces  voisines  de  venir  le  joindre  en  toute  diligence. 
Mais  il  reçut  bientôt  la  nouvelle  que  la  garnison  de  Noyon  s'était  rendue, 
après  avoir  soutenu  un  rude  assaul,  pendant  le(piel   les  habitants  de  la 


206  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

ville,  presque  tous  dévoués  a  la  Ligue,  avaient  été  loin  de  la  seconder. 
(Méziîray,  t.  III,  p.  iOOi.) 

Sa  Majesté  apprit  en  même  temps  que  Mansfeld,  s'en  tenant  a  ce 
premier  succès,  se  retirait  vers  la  Flandre  avec  ses  troupes  fort  mal  en 
ordre,  qui  commençaient  a  se  mutiner  pour  la  paye;  malgré  ses  pro- 
messes, le  roi  d'Espagne  avait  été,  cette  fois  encore,  plus  que  jamais 
économe  de  son  argent. 

L'armée  italienne  que  le  Pape  entretenait  en  France,  et  qui  avait 
contribué  à  la  prise  deNoyon,  s'était  aussi  complètement  débandée  après 
la  mort  de  son  commandant,  qui  avait  été  tué  devant  la  ville  par  un  de 
ses  propres  soldats,  dont  il  voulait  châtier  la  désobéissance,  et  qui  lui 
passa  son  épée  au  travers  du  corps.  Le  roi,  qui  n'avait  plus  rien  a 
craindre  de  ce  côté-lîi,  revint  a  Mantes. 

Pendant  ce  temps-l'a,  le  duc  de  Féria  entrait  dans  Paris.  Le  second 
fils  de  Monsieur  de  Mayenne  était  allé  a  sa  rencontre  avec  toute  la 
noblesse  du  parti  de  ITuion,  et  cette  réception  se  lit  avec  grand  appa- 
reil et  magnificence.  Le  second  jour  du  mois  d'avril,  l'ambassadeur  alla 
a  l'assemblée,  qui  se  tenait  dans  la  chambre  royale  du  Louvre.  Deux 
évêques,  deux  gentilshommes  et  deux  députés  du  Tiers-Etat  vinrent  le 
recevoir  au  pied  du  grand  escalier.  Le  cardinal  de  Pellevé,  qui  présidait 
en  l'absence  de  Mayenne,  accompagné  des  autres  prélats  et  des  princi- 
paux membres,  s'avança  au-devant  de  lui  jusqu'à  la  porte  de  la  salle,  et 
le  conduisit  jusque  sous  le  dais,  où  il  y  avait  trois  chaises.  Celle  du 
milieu,  plus  élevée  que  les  autres,  couverte  d'un  velours  semé  de  Heurs 
de  lis,  était  destinée  a  demeurer  vide,  pour  montrer  que  la  France  n'avait 
pas  encore  de  roi.  Le  cardinal  prit  sa  place  à  droite  ;  le  duc  s'assit  a 
gauche,  et  après  que  le  silence  eut  été  commandé,  il  prononça  en  latin 
le  discours  suivant  :  (Cavet,  iibi  sup.  —  Matthieu,  Règne  de  Henri  IV, 
liv.  1,  p.  152.) 

«  Très-illustres  et  révérends  seigneurs,  vous  savez  quels  liens 
existent  entre  le  roi  mon  maître  et  ce  royaume  de  France.  Au  moment 
où  nous  devions  tous  nous  promettre  les  plus  heureux  fruits  de  cette 
bonne  intelligence,  des  hérésies  pestilentielles  se  sont  glissées  dans 
votre  pays  et  y  ont  tellement  pris  pied,  partie  par  l'appui  et  par  les 
armes  de  certains  personnages  puissants,  partie  par  les  méchants  arti- 
fices de  beaucoup  de  gens  faux  et  rusés,  qu'on  a  juste  occasion  de 
craindre  le  naufrage  et  la  ruine  totale  de  notre  sainte  religion.  Mon  roi, 
par  sa  bonté  et  clémence,  n'a  rien  omis  pour  nous  éviter  ce  malheur,  et 
vous  savez  combien  de  fois,  depuis  le  règne  de  François  II,  il  a  géné- 
reusement puisé  dans  ses  coffres,  combien  de  fois  il  a  envoyé  ses  armées 
pour  contribuer  a  votre  secours,  bien  qu'il  n'ait  pas  toujours  eu  'a  se 
louer  de  la  manière  dont  vos  précédents  souverains,  ses  propres  beaux- 
frères,  en  ont  agi  avec  lui.  Dans  le  péril  où  il  vous  voyait,  il  a  mis  tout 
ressentiment  de  côté,  et  c'est  à  lui  que  vous  avez  du  la  délivrance  de 
cette  grande  et  noble  cité  de  Paris,  que  les  hérétiques  tenaient  assiégée. 
Autant  en  a-t-il  fait  a  Rouen,  que  ses  troupes  vous  ont  également  con- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  297 

servée.  Je  dirai  plus  :  c'est  qu'il  a  négligé  jusqu'à  ses  propres  affaires, 
a  son  grand  préjudice  et  désavantage,  pour  vous  assister  de  toute  aide 
au  milieu  de  vos  difficultés  et  différends.  Ce  qu'il  lui  en  a  coûté  pour 
cela  excède  déjà  trois  millions  d'or.  Mais  enfin,  ce  qui  est  le  principal,  il 
a  lait  tout  devoir  et  instance  pour  la  convocation  de  ces  très-célèbres 
États.  Il  a  sollicité  nos  Papes  de  vous  chérir  et  d'épouser  vos  intérêts, 
et  il  m'a  envoyé  vers  vous,  vous  apporter  ses  avis  et  conseils  pour  votre 
bien  et  avantage.  Il  estime  donc  que  votre  conservation  et  salut  consiste 
en  ce  que,  par  vous,  soit  élu  un  roi  zélé  pour  la  religion,  et  assez  puis- 
sant pour  mettre  ordre  a  vos  affaires  et  vous  défendre  contre  vos  ennemis 
du  dedans  et  du  dehors.  Il  vous  prie  de  n'apporter  aucun  relard  a  cette 
élection,  et,  pour  vous  ôler  toute  occasion  de  prolonger  l'affaire,  il  vous 
promet,  selon  son  amitié,  de  vous  continuer  son  aide  et  secours  comme 
par  le  passé,  et  même  d'augmenter  s'il  est  besoin.  C'est  îi  vous  donc  de 
vaquer  à  une  chose  aussi  importante  et  aussi  sainte  avec  un  cœur  vrai- 
ment chrétien.  Quant  'a  moi,  vous  me  trouverez  toujours  prêt  a  vous 
donner,  au  nom  de  mon  souverain,  toutes  les  preuves  d'amour  et  de 
sollicitude  qui  pourront  contribuer  'a  votre  bien-être.  En  témoignage  de 
quoi  je  vous  présente  ces  lettres,  que  mon  roi  m'a  commandé  de  vous 
remettre  de  sa  part,  lesquelles  je  vous  supplie  de  lire  maintenant,  prêt 
'a  vous  donner  toute  satisfaction  et  éclaircissement  sur  leur  contenu.  » 

Le  cardinal  de  Pellevé  prit  à  l'instant  même  ces  lettres,  et  les  tendit 
au  sieur  de  Pilles,  secrétaire  des  Etats,  qui  en  fit  tout  haut  la  lecture. 
Telle  en  était  la  teneur  : 

«  Philippe,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  des  Espagnes,  des  Deux-Siciles, 
de  Jérusalem,  etc.,  etc., 'a  tous  ceux  qui  ces  présentes  verront,  salut  : 
Illustres,  magnifiques  et  bien-aimés  seigneurs,  je  désire  tant  le  bien  de 
la  chrétienté  et  en  particulier  celui  de  ce  royaume,  que,  voyant  de  quelle 
importance  est  la  résolution  que  vous  êtes  appelés  à  prendre,  j'ai  délé- 
gué par  devers  vous  le  noble  duc  de  Féria,  pour  vous  faire  instance  de 
ma  part,  afin  que  les  États  ne  se  séparent  pas  sans  avoir  élu  un  roi  catho- 
lique; car  ce  n'est  que  par  ce  moyen  que  la  France  sera  restituée  en 
son  ancien  état  de  splendeur,  et  servira  de  nouveau  de  modèle  à  tous 
les  États  de  la  chrétienté.  En  recevant  de  vous  cette  satisfaction,  que  je 
regarderai  comme  personnelle,  quoiqu'elle  vise  purement  à  votre  bien, 
je  suis  disposé  'a  faire  de  mon  côté  en  votre  faveur  tout  ce  qu'il  me  sera 
possible  de  faire.  C'est  à  vous  maintenant  de  montrer  par  des  effets  ce 
dont  vous  êtes  capables  (juand  il  s'agit  du  service  de  Dieu  et  du  salut 
de  votre  patrie,  comme  plus  particulièrement  vous  le  dira  notre  dit  sieur 
duc  de  Féria,  auquel  nous  nous  en  remettons,  vous  priant  d'y  avoir 
confiance.  —  Donné  à  Madrid  le  deuxième  jour  de  janvier  150.".  » 

Après  la  lecture  de  ces  lettres,  le  cardinal  de  Pellevé  répondit  ainsi 
au  noble  duc  :  «  Très-excellent  et  très-magnifique  duc,  toute  cette  assem- 
blée des  trois  Etats  de  France  se  félicite  de  votre  arrivée  très-désirée  et 
rend  grâces  à  Sa  Majesté  catholique  pour  ses  lettres  pleines  de  douceur 
et  de  bienveillance,  dont,  par  votre  entremise,  nous  venons  d'être  grati- 


298  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

fiés  au  milieu  de  nos  afflictions  présentes.  Hélas!  tout  clans  ce  monde  est 
sujet  aux  vicissitudes  de  la  fortune,  et  c'est  ce  que  nous  touchons 
malhenreusement  au  doigt  dans  ce  royaume  de  France,  autrefois  si  floris- 
sant et  maintenant  si  misérable.  Autrefois,  quand  nos  rois  embrassaient 
de  cœur  et  de  corps  la  protection  de  la  religion  chrétienne,  telle  était 
leur  vertu  qu'ils  ont  soumis  à  leurs  lois  plusieurs  nations,  et  qu'ils  ont 
de  beaucoup  amplifié  «  le  pourpris  de  la  chrétienté  »,  comme  on  peut 
le  voir  dans  nos  histoires  depuis  Clovis  jusqu'à  ces  malheureux  temps.  » 
Ici  le  prélat  fait  une  longue  énumération  de  tous  les  services  que  les 
monarques  français  ont  rendus  à  l'Eglise.  Il  continue  :  «  Mais  mainte- 
nant tout  est  bien  changé  ;  l'impiété  et  la  rage  des  hérétiques  ont  tout 
troublé  et  tout  ébranlé,  et  tout  serait  perdu  si  la  miséricorde  de  Dieu 
n'eût  suscité  votre  roi  catholique,  pour  nous  secourir  en  si  grande  néces- 
sité. Vraiment  catholique  doit-il  être  appelé,  celui  qui  non  seulement 
fait  fleurir  notre  sainte  religion  dans  ses  Etals,  mais  qui  la  défend  et  pro- 
tège dans  le  monde  entier,  tant  contre  l'hérésie  que  contre  les  Turcs. 
Vraiment  catholique  est  celui  qui  fait  semer  la  parole  de  Dieu  dans  les 
régions  les  plus  éloignées  et  inconnues  même  jusqu'à  nos  jours!  Qu'on 
loue  tous  les  princes  qui  l'ont  précédé,  les  Trajan  et  les  Théodose,  tous 
les  deux  sortis  du  brave  sang  espagnol  ;  qu'on  loue  ce  valeureux  Ferdi- 
nand, pour  avoir  contraint  les  Maures  et  les  Juifs  ou  à  se  convertir  ou  à 
quitter  l'Espagne  ;  qu'on  chante  les  prouesses  de  l'empereur  Maximilien, 
père  du  bisaïeul  de  Sa  Majesté,  et  qui  a  si  merveilleusement  augmenté  et 
orné  le  christianisme;  qu'on  rende  immortel  le  nom  du  grand  Charles- 
Quint,  le  défenseur  invincible  de  l'Église  et  l'exterminateur  des  héré- 
sies, votre  gloire,  ô  Philippe!  est  de  beaucoup  plus  resplendissante 
encore,  vous  qui  avez  employé  le  pouvoir  que  Dieu  vous  a  donné,  non  à 
étendre  les  bornes  de  vos  vastes  domaines,  mais  à  amplifier  et  à  soutenir 
le  royaume  de  Jésus-Christ,  et  qui,  comme  un  autre  Jovinien  après  la 
mort  de  Julien  l'Apostat,  avez  juré  de  n'accorder  ni  paix  ni  trêve  à  ceux 
qui  ne  se  rangeraient  pas  sous  le  joug  de  la  foi,  conformément  à  cette 
belle  sentence  d'un  ancien  Père  de  l'Église  :  «  Qu'il  faut  que  la  religion 
«  soit  en  la  république,  et  la  république  en  la  religion.  »  C'est  vous 
seul  après  Dieu,  grand  et  magnanime  prince,  que  la  France  reconnaît 
pour  son  sauveur  et  son  libérateur.  Je  sais  qu'elle  doit  aussi  beaucoup 
aux  sept  ou  huit  Papes  qui  se  sont  succédé  pendant  nos  orages  dhérésie 
et  de  guerres.  Je  sais  qu'ils  nous  ont  secouru  de  plusieurs  armées  et  de 
grandes  sommes  de  deniers  avec  une  sollicitude  incroyable  et  une  pater- 
nelle bienfaisance  ;  mais,  de  même  que  le  roi  catholique  les  surpasse  en 
richesses,  de  même  il  les  a  devancés  par  la  libéralité  et  la  munificence 
qu'il  a  exercées  en  notre  endroit.  Aussi  promettons-nous  du  plus  profond 
de  notre  cœur  de  ne  jamais  oublier  tant  et  de  si  glorieux  services,  et 
nous  prions  ce  glorieux  monarque  de  nous  continuer  sa  puissante  pro- 
tection, à  l'aide  de  laquelle  nous  espérons  voir  nos  afl"aires  réussir 
heureusement  à  son  honneur  et  gloire.  C'est  par  ces  degrés  que  Sa 
Majesté  se  frayera  le  chemin  du  ciel,  où  elle  jouira  enfin  de  la  vision  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  299 

Dieu,  en  laquelle  gît  notre  béatitude,  et,  quand  le  grand  rémunérateur 
rappellera  a  lui  ce  grand  prince,  pour  le  récompenser  des  peines  et  des 
travaux  cpi'il  a  soulï'erts  |»our  la  religion,  ce  ne  seront  pas  seulement  des 
mille  milliers  d'anges  qui  viendront  au-devant  de  lui,  mais  une  inlinité 
de  peuples  divers  qu'il  a  tirés,  les  uns  des  ténèbres  de  l'infidélité,  les 
autres  de  la  méchanceté  et  de  l'opiniâtreté  de  Tliérésie.  » 

Je  ne  sais  où  la  plupart  de  nos  historiens  les  plus  judicieux  ont 
trouvé  qu'il  y  avait  dans  celte  harangue  au  moins  quehjue  chose  d'un 
cœur  français.  Si  Ton  en  excepte  la  fastidieuse  nomenclature  historique 
que  je  n'ai  pas  copiée  et  dans  laquelle  l'orateur  met  nos  rois  constam- 
ment a  genoux  devant  la  puissance  de  la  cour  romaine,  je  ne  vois  dans 
tout  cela  qu'une  llagorneric  aussi  exagérée  que  pédanlesque  oiï'erte  basse- 
ment au  monarque  espagnol  par  un  prélat  intrigant. 

C'est  ainsi  qu'avait  parlé  le  cardinal  de  Pellevé.  L'assemblée  ne  se 
montra  [)as  complètement  satisfaite  du  discours  de  l'ambassadeur  espa- 
gnol ni  de  la  réponse  du  prélat,  et  l'on  décida,  dans  une  autre  séance 
qui  eut  lieu  le  cinquième  jour  d'avril,  qu'on  enverrait  une  réponse  à  la 
réplique  des  catholiques  royaux.  Elle  était  en  ces  termes  : 

«  Messieurs,  vos  lettres  du  mois  passé  demandent  que  notre  confé- 
rence soit  remise  au  seizième  jour  du  présent  mois.  Dans  notre  désir  de 
contribuer  de  tous  nos  elTorts  a  la  pacilication  de  ce  pays,  nous  atten- 
drons voire  commodité  et  le  temps  que  vous  avez  choisi.  Nous  avons 
l'intention  de  vous  députer  de  notre  côté  douze  personnes  d'honneur  et 
de  probité.  Quant  aux  sûretés  et  passeports,  ils  seront  donnés  en  blanc 
pour  être  remplis  par  vous  du  nom  de  ceux  d'entre  vous  (ju'il  vous  con- 
viendra d'envoyer.  Nous  réclamons  de  vous  la  même  mesure  pour  les 
nôtres.  Sur  ce,  nous  prions  Dieu  qu'il  vous  conserve  et  qu'il  nous  fasse 
'a  tous  la  grâce  que  l'issue  de  cette  affaire  soit  telle  que  les  gens  de  bien 
la  désirent.  > 

Toutes  choses  ayant  été  ainsi  réglées  pour  la  conférence,  le  mer- 
credi vingt  et  unième  jour  de  ce  mois,  quelques  délégués  de  part  et 
d'aulre  allèrent  reconnaître  les  lieux  où  il  serait  le  plus  commode  de  se 
réunir.  (3n  trouva  tous  les  villages  environnants  pour  la  plupart  ruinés 
et  inhabitables,  et  on  choisit  le  bourg  de  Suresnes,  comme  celui  qui  pré- 
sentait encore  le  plus  de  ressom'ces.  Ensuite,  ceux  de  l'Union  élurent  en 
séance  leurs  délégués,  dont  les  principaux  furent  l'archevêque  de  Lyon, 
le  sieur  de  Villars,  gouverneur  de  Rouen  et  grand  amiral  de  la  Ligue, 
Delin,  gouverneur  de  Paris,  elle  président  Jeannin. 

Mais  ceux  de  l'ancienne  faction  des  Seize,  et  leurs  prédicateurs, 
soudoyés  par  l'Espagnol,  se  mirent  en  une  merveilleuse  inquiétude.  Ils 
afïichèrent,  par  les  carrefours  de  Paris,  une  protestation  contre  la  confé- 
rence qu'on  venait  d'accorder  aux  catholiques  royaux,  et  ils  disaient 
qu'il  n'y  avait  que  deux  moyens  pour  mettre  fin  aux  maux  de  la  France  : 
d'abord  apaiser  l'ire  de  Dieu,  par  la  pénitence,  et  acquérir  sa  miséri- 
corde par  la  grâce;  ensuite  élire  promptcment,  et  sans  avoir,  ni  colloque 
ni  conférence  avec  les  infidèles,  un  roi  véritablement  catholique,  assez 


300  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

puissant  pour  maintenir  l'Etat  et  la  religion.  Quant  aux  politiques,  tant 
ecclésiastiques  que  séculiers,  il  est  certain,  disaient-ils,  que  ce  n'est  pas 
la  leur  compte,  comme  chacun  sait;  aussi  n'ont-ils  pas  manqué  d'avoir 
recours  à  toutes  sortes  de  moyens  pour  détourner  les  vrais  et  affec- 
tionnés catholiques  de  la  vraie  route.  On  les  a  vus  soudoyer  d'abord 
quelques  prédicateurs,  tels  que  le  curé  de  Saint-Eustache  et  autres,  pour 
les  faire  prêcher  publiquement  contre  la  Sainte-Union,  calomnier  ensuite 
les  Seize  auprès  des  princes  et  princesses,  puis  débaucher  le  peuple  ou 
l'effrayer  en  lui  représentant  le  Béarnais  comme  invincible,  et  enfin 
répandre  partout  que  ce  soi-disant  prince,  leur  héros,  ne  manquerait  pas 
de  se  faire  catholique  ;  et,  aujourd'hui,  les  voila  qui  ouvrent  des  confé- 
rences pour  rendre  cet  hérétique  maître  de  la  France.  Aussi  Notre  Saint- 
Père  le  Pape,  démêlant  toutes  ces  perfides  intrigues,  les  a  condamnées 
d'avance  dans  ses  brefs  et  bulles.  Aussi,  Messieurs  de  la  Sorbonne  ont 
prononcé,  d'après  l'Ecriture  Sainte,  que  les  propositions  sur  les(iuelles 
on  veut  conférer  sont  toutes  hérétiques,  schismatiques  et  préjudiciables 
a  la  foi,  et  qu'on  ne  doit  en  aucune  manière  entrer  en  communication 
ni  avec  l'ennemi  excommunié,  ni  avec  ceux  qui  lui  obéissent,  le  servent 
ou  le  reconnaissent.  Ose-t-on  dire  que  le  salut  des  catholiques  dépend 
et  doit  résulter  de  l'instruction  et  conversion  d'un  hérétique  relaps  et 
endurci?  Il  est  bien  plus  séant,  h  notre  avis,  de  s'en  tenir  'a  suivre  les 
étendards  de  notre  chef  légitime,  qui  est  le  Pape,  et  a  user  du  secours, 
aide  et  conseil  de  nos  princes^  et  spécialement  du  roi  des  Espagnes,  que 
d'aller  ris(|uer  une  conférence,  où  les  ennemis  de  notre  foi  ne  manque- 
ront pas  d'emprunter  tour  a  tour  la  peau  du  lion  et  celle  du  renard  pour 
nous  tromper. 

Le  roi  était  alors  à  Mantes,  oii  il  avait  fait  venir  sa  sœur.  L'a,  il  put 
s'apercevoir  que  sa  lenteur  à  donner  satisfaction  aux  cathotiques  devenait 
de  plus  en  plus  dangereuse  pour  lui-même  et  pour  son  autorité.  «  Il 
découvrit  deux  ou  trois  desseins  formés  contre  lui,  dont  le  moins  crimi- 
nel ne  tendait  qu'a  l'abandonner,  mais  dont  les  plus  coupables  allaient 
jusqu"a  attaquer  sa  liberté  et  même  sa  vie.  »  Il  sut  que  François  d'O  et 
quelques  autres  des  principaux  de  sa  cour  avaient  comploté  de  se  saisir 
de  sa  personne,  pour  le  contraindre  ensuite  de  gré  ou  de  force  'a  accep- 
ter les  conditions  qu'ils  lui  imposeraient,  et  que  pour  cela  ils  s'étaient 
déjà  rendus  maîtres  d'une  des  portes  de  la  ville,  dont  ils  pouvaient 
disposer,  ceux  qui  la  gardaient  étant  tous  'a  leur  dévotion.  Il  fut  telle- 
ment effrayé  de  cette  découverte,  ou  plutôt  il  feignit  de  l'être  si  fort, 
qu'il  manda  autour  de  lui  les  troupes  anglaises  pour -lui  servir  de  garde. 
De  l'autre  côté,  les  huguenots,  le  soupçonnant  de  connivence  avec  ceux 
qui  pressaient  sa  conversion,  se  laissaient  enrôler  dans  les  menées  du 
maréchal  de  Bouillon  et  du  duc  de  La  Trémouille,  qui  cabalaient  dans  les 
églises,  cherchant  a  se  faire  déclarer  chefs  du  parti  huguenot.  (Mézeray, 
t.  III,  p.  1007.) 

Déjà  un  colloque  s'était  tenu  a  Saint-Jean-d'Angely,  où  l'on  avait 
proposé  d'élire  comme  protecteur  l'un  ou  l'autre  de  ces  seigneurs,  en 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  :?01 

remplacement  de  Henri  de  Navarre,  (jui,  disait-on,  depuis  (\u\\  élait 
devenu  roi  de  France,  se  montrait  déjà  tout  disposé  à  abandonner  leur 
foi,  et  semblait  même  s'appliquer  à  rendre  leur  condition  plus  incertaine 
([u'elle  ne  Tavait  été  sous  les  autres  rois,  leurs  ennemis.  N'était-il  pas 
évident,  en  eftet,  (jue  ce  roi,  quoique  de  leur  religion,  non  seulement 
n'avait  encore  rien  voulu  faire  pour  ceux  qui  avaient  tant  fait  pour  lui, 
mais  qu'il  avait  toléré  l'inexécution  des  édits  qui  leur  étaient  favorables? 
Ainsi  les  ministres  de  leur  culte,  dont  l'entretien  avait  été  mis  par  le  feu 
roi  a  la  cliarge  de  ses  finances,  n'avaient  jamais  été  plus  mal  payés; 
ainsi  ne  cherchait-on  pas  'a  ruiner  les  garnisons  des  villes  réformées  en 
diminuant  leur  solde  et  en  opposant  toutes  sortes  de  dilïîcullés  au  paie- 
ment du  peu  qu'on  leur  laissait;  ainsi  n'éloignait-on  |)as  de  la  personne 
du  roi,  des  conseils  et  des  emplois,  tous  les  réformés  ;  et  enlin  n'en 
était-on  pas  venu  jusqu'à  demander  l'interdiction  de  leur  religion?  Puis(jue 
le  roi  ne  les  protégeait  plus,  n'était-il  pas  temps  de  chercher  une  autre 
protection? 

Henri,  qui  ne  voulait  pas  laisser  aller  en  d'autres  mains  ce  droit  de 
protectorat,  écrivit  de  sa  propre  main  'a  Dupicssis  une  lettre  pour  être 
communiquée  au  colloque.  Il  s'y  plaignait  d'être  traité  injustement  par 
quelques  mutins  mal  intentionnés.  Il  protestait  de  sa  constance  dans  la 
religion,  rejetant  ceux  de  ses  actes  qui  pouvaient  donner  des  soupçons 
contraires  sur  la  nécessité  de  ne  pas  aliéner  les  catholiques,  et  il  ter- 
minait en  assurant  ses  fidèles  compagnons  de  croyance  que  leurs  intérêts 
ne  j)Ouvaient  être  plus  chers  a  personne  qu'a  lui. 

Cette  lettre  aida  aux  plus  sages  de  l'assemblée  à  réprimer  l'impétuo- 
sité des  autres  ;  ils  parvinrent  môme  à  faire  soupçonner  que  la  proposi- 
tion venait  des  catholiques,  intéressés  à  éloigner  les  protestants  du  roi 
pour  éviter  leur  concurrence  dans  les  conseils.  Mais  si  la  diflicullé  était 
éludée,  elle  n'était  pas  tranchée.  Calholi(|ues  et  protestants  restaient 
toujours  en  défiance  des  intentions  du  roi,  qui  ne  savait  plus  comment 
contenter  les  exigences  des  deux  partis. 

Quelques-uns  de  ses  amis  lui  conseillaient  de  se  défaire  sans  ména- 
gement de  dix  ou  douze  de  ceux  qui  conspiraient  le  plus  ouvertement 
contre  sa  personne;  d'autres  voulaient  qu'il  les  fit  seulement  arrêter  ;  et 
d'autres  qu'on  tentât  quelques  voies  d'accommodement  avec  les  catho- 
liques. Henri  préféra  ce  dernier  parti.  «  Dieu  avait  déjà  touché  le  cœur 
de  ce  grand  roi,  »  dit  Cayet  ;  et  pendant  qu'on  élisait,  parmi  les  princes 
et  seigneurs,  ceux  d'entre  eux  qui  devaient  assister  aux  conférences  pro- 
posées, il  s'était  déjîi  décidé  à  laire  enfin  la  démarche  qu'on  exigeait  de 
lui  et  dont  depuis  longtemps  il  avait  compris  la  nécessité.  (Cayet, 
ubi  sup.) 

«  Un  soir,  dit  Sidly,  le  roi  m'envoya  quérir  par  le  secrétaire  Feret.  Il 
était  couché,  et,  m'ayant  fait  mettre 'a  genoux  auprès  de  son  lit  :  «  Mon 
«  ami,  me  dit-il,  je  veux  vous  parler  de  choses  importantes  sur 
«  lesquelles  j'ai  résolu  d'avoir  votre  opinion.  Tout  le  monde  dit  que 
«  j'aurais  grande  facilité  a  rétablir  les  alVaires  de  cet  État,  qui  est  le 


302  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

«  mien,  si  je  changeais  de  religion.  Si  cela  doit  être  en  effet  a  l'avan- 
ce tage  des  peuples  et  établir  l'autorité  royale,  je  me  sens  incliné  a  faire 
«  ce  changement.  Je  vous  prie  donc  et  ordonne  de  bien  méditer  sur  ce 
«  sujet,  et,  dans  trois  ou  quatre  jours,  je  vous  enverrai  encore  quérir 
cf  pour  me  dire  ce  qu'il  vous  en  aura  semblé.  »  {Écon.  roy.^  ch.  vu,  ad 
ann.  1595.) 

Sully  fut  en  effet  rappelé  a  une  nouvelle  audience  secrète.  «  Sire, 
dit-il,  j'ai,  suivant  vos  ordres,  médité  sur  ce  que  vous  m'avez  dit  l'autre 
soir.  Tous  vos  alliés  sont,  pour  le  présent,  mus  chacun  par  quelque 
intérêt  particulier,  et  pour  les  contenter  tant  soit  peu,  afin  qu'ils  vous 
restent  fidèles,  vous  ruineriez  la  pauvre  France.  Les  principaux  de  ceux 
qui  vous  sont  opposés  sont,  à  l'extérieur,  le  Pape,  le  roi  d'Espagne  et 
les  ducs  de  Savoie  et  de  Lorraine,  qui  n'ont,  au  fond,  de  force  contre 
vous  que  parce  que  vous  n'êtes  pas  de  la  religion  de  la  majorité  de  vos 
sujets;  a  l'intérieur,  vous  avez  pour  ennemis  ou  pour  rivaux  le  cardinal 
de  Bourbon  et  les  princes  de  la  maison  de  Lorraine,  auxquels,  sans  cette 
même  circonstance  de  différence  de  religion,  il  ne  resterait  plus  aucun 
prétexte.  Ils  ont  dans  leur  parti  le  duc  de  Nevers,  la  plupart  des  grands 
officiers  de  la  couronne,  un  grand  nombre  des  gouverneurs  des  pro- 
vinces, plusieurs  des  chefs  militaires  et  tous  les  ecclésiastiques.  S'il  faut 
que  vous  gagniez  tous  ces  gens-là  a  prix  d'argent  et  de  concessions,  je 
ne  vois  pas  quels  trésors  pourront  y  suffire,  et  combien  de  temps  tous 
faudra-t-il  pendant  lequel  le  peuple  continuera  de  souffrir!  Sur  ([uoi,  je 
suis  obligé  de  convenir,  que,  pour  réduire  au  silence  tous  ces  exigeants, 
un  peu  de  catholicité  vous  deviendrait  fort  utile,  laquelle,  étant  bien 
prise  et  bien  reçue  à  propos,  servirait  de  ciment  et  liaison  indissoluble 
entre  vous  et  vos  sujets  catholiques,  et  vous  mettrait  en  état  de  tenir  tête 
a  vos  autres  ennemis  qui  sont  à  l'étranger.  » 

Le  roi  fut  enchanté  de  cet  avis  si  conforme  à  ses  intentions,  et,  dès 
le  lendemain,  il  dit  à  Monsieur  d'O  que  sa  conversion  était  bien  avancée  ; 
qu'il  se  sentait  déjà  tout  édifié  sur  la  présence  réelle  de  Jésus-Christ 
dans  le  sacrement  de  l'Eucharistie,  et  qu'il  n'était  plus  en  doute  que  sur 
trois  points,  savoir  :  l'invocation  des  saints,  la  confession  auriculaire  et 
l'autorité  suprême  du  Pape.  A  l'exception  du  dernier  point,  dont  il  ne 
souffrait  que  trop  pour  le  présent,  il  est  probable  qu'il  ne  tenait  guère 
aux  deux  autres. 

«  Vous  savez,  ajouta-t-il,  que  j*ai  promis,  à  mon  avènement  à  la 
couronne,  de  me  laisser  instruire  dans  la  religion  romaine  ;  je  vous  fais 
part  que  cette  instruction  m'est  venue;  mais,  comme  vous  le  savez 
aussi,  je  n'ai  rien  à  attendre  de  bon  du  côté  de  la  cour  de  Rome,  qui  a 
reçu  avec  mépris  toutes  mes  avances  et  ambassades,  et  où  mes  ennemis 
ont  pris  le  dessus.  Dieu,  qui  sonde  les  cœurs  et  qui  juge  les  bonnes 
intentions,  m'a  donc  suggéré  l'idée  d'assembler  auprès  de  moi  les  plus 
doctes  prélats  de  mon  royaume,  et  de  m'en  rapporter  à  leur  science 
pour  dissiper  ce  qu'il  peut  me  rester  encore  de  doutes.  J'espère  qu'alors 
le  Tout-Puissant  me  regardera  de  son  œil  de  miséricorde,  et  donnera  à 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  303 

mon  peuple  le  IVuil  de  la  paix  tant  désirco.  An  reste,  pour  obtenir  ce 
fruit,  je  puis  dire  que  j'ai  employé  tous  les  moyens  en  mon  pouvoir.  Nul 
ne  doute  que,  quand  même  je  me  serais  déclaré  catholique  avant  d'être 
convaincu  comme  je  le  suis  et  dès  mon  avènement  a  cette  couronne, 
celle  paix  lût  restée  alors  tout  aussi  impossible.  Ceux  de  la  religion  au- 
raient cherché  un  autre  protecteur,  et,  au  lieu  de  m'aider  lidèlement 
comme  ils  Tonl  lait,  ils  auraient  pu  nous  causer  à  tous  de  grands  em- 
barras. Quant  aux  chefs  de  la  Ligue,  ils  avaient  encore  trop  de  puissance 
en  main*  pour  me  prêter  l'obéissance  qu'ils  me  doivent,  et  la  nation 
elle-même  n'était  pas  encore  assez  lasse  des  malheurs  de  la  guerre  pour 
se  montrer  docile.  Maintenant  tout  a  bien  changé  ;  j'ai  autour  de  moi  et 
sous  ma  main  tous  ceux  de  la  religion  qui  auraient  pu  remuer,  tes  forces 
de  la  Ligue,  même  avec  l'appui  de  l'Espagne,  ne  sont  plus  capables  de 
m'opposcr  une  résistance  sérieuse;  le  peuple  a  eu  tout  le  temps  de  sen- 
tir calmer  sa  fièvre  de  discordes  civiles,  et,  dans  trois  mois  au  plus 
tard,  je  compte,  par  ma  conversion  pleine  et  entière  à  la  foi  catholique, 
apostolique  et  romaine,  ôter  à  mes  ennemis  jusqu'au  plus  mince  pré- 
texte de  renier  mes  droits.  Donnez  parole  a  Monsieur  l'archevêque  de 
Bourges  de  mon  intention,  et  priez-le  de  ma  part  de  gouverner  cette 
affaire  avec  sa  prudence  ordinaire.  » 

Monsieur  d'O  courut  plein  de  joie  transmettre  au  prélat  tout  ce  que 
le  roi  venait  de  lui  dire.  Celui-ci  reçut  cette  nouvelle  avec  un  bonheur 
indicible,  et  ce  fut  plein  de  zèle  et  de  confiance  qu'il  se  mit  en  route  pour 
la  conférence  qui  devait  avoir  lieu.  Les  principaux  des  autres  délégués 
par  les  catholiques  royalistes  étaient  Messieurs  de  Chauvigny,  de  iJellièvre, 
de  Rambouillet,  de  Thon  et  de  Schomberg. 


304  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 


CHAPITRE   XII 


1593.  —   ARGUMENT   :    conférences   be    suresnes. 

HENRI    Y   FAIT   ANNONCER    SA   RÉSOLUTION   d'aBJURER. 

inquiétudes  des  protestants.  —  déclaration  des  catholiques  royaux 
pour   les  rassurer.  —  les   livrets   des  huguenots. 

résolution  des  états  touchant  les  conférences. 

le  légat  ordonne  des   prières   et   une  procession. 

l'ambassadeur  d'espagne  et  l'évëque  de  SENLIS. 

l'acceptation   du   CONCILE   DE   TRENTE   PROPOSÉE   AUX   ÉTATS    QUI   LA   REJETTENT. 

MENDOCE   AU    NOM   DE   L'AMBASSADEUR   ESPAGNOL    LEUR   DEMANDE   D'ÉLIRE   L'INFANTE. 

RÉPONSE   ÉVASIVE    DES   ÉTATS. 

ARRÊT   DU    PARLEMENT   POUR   LE   MAINTIEN   DE   LA   LOI    SALIQUE. 

PROTESTATIONS   DES   ZÉLÉS   LIGUEURS.    —    REPRISES   DES    CONFÉRENCES. 

RÉVOLTE    DES   TROUPES   DE   MANSFELD.    —    PRISE    DE   DREUX   PAR   LE   ROI. 

PROPOSITION   DU   LÉGAT   AUX   ÉTATS.    —   ON   DISCUTE   DE   L'ÉLECTION    EN    SON    HOTEL. 

FERIA    CONSENT  A   L'ÉLECTION    DU    DUC   DE    GUISE     QUI   ÉPOUSERAIT   ALORS   L'iNFANTE. 

CETTE   PROPOSITION   n'EST   PAS    ACCUEILLIE   PAR   LES   ÉTATS. 

ON   Y  DÉCIDE    d'accepter     LA     TRÊVE     OFFERTE     PAR     LE     ROI. 


Monsieur  de  Bourges  et  Messieurs  les  députés  du  parti  du  roi  se 
rendirent  à  Suresnes,  le  vingt-huitième  jour  d'avril.  La,  Monsieur  de 
Lyon  et  les  députés  de  TUnion  pour  la  conférence  étaient  déjà  arrivés 
et  les  attendaient,  bien  munis  des  instructions  du  cardinal  de  Pellevé  et 
de  la  bénédiction  de  Monsieur  le  légat.  On  vit  les  deux  partis  se  saluer 
et  s'embrasser  avec  beaucoup  de  courtoisie,  au  grand  contentement 
de  ceux  qui  étaient  présents  et  qui  en  répandirent  des  larmes  de  joie. 
(Cayet,  liv.  4,  ad  ann.  1593.  —  De  Thou,  t.  XI,  liv.  106,  p.  719 
et  suiv.) 

Ensuite  la  séance  s'ouvrit.  Les  royaux  s'étaient  placés  du  côté  droit, 
et  les  autres  a  gauche,  chacun  suivant  son  rang.  Il  n'y  eut  aucune  con- 
testation, hormis  que  ceux  de  la  Ligue  voulaient  prendre  la  droite;  mais 
les  royaux,  l'ayant  d'abord  occupée,  remontrèrent  qu'elle  leur  appar- 
tenait d'abord  à  titre  de  premier  occupant,  ensuite  comme  aussi  bons 
catholiques  que  leurs  adversaires,  et  de  plus  étant  les  délégués  des 
princes  du  sang  et  de  tous  les  anciens  officiers  de  la  couronne. 
Les  Ligueurs  n'eurent  rien  'a  répliquer.  (Mézeuav,  t.  III,  p.  1016  et  suiv. 
—  Matthieu,  Règnede  Henri  IV,  liv.  1,  p.  137  et  suiv.) 

Puis,  s'étant  communiqué  leurs  pouvoirs,  il  fut  trouvé  que  du  côté 


I 

1 


DU  J'IlUTKSTAMlïS.ME  EN  FRANCK.  300 

(le  la  Ligue  Monsieur  do  \  ilieroi  n'y  était  pas  compris,  comme  aussi 
Monsieur  de  Vie,  gouverneur  de  Saint-Denis,  du  côté  de  ceux  du  parti 
du  roi.  On  convint  loutelbis  (jue  ces  deux  seigneurs  seraient  admis,  et 
les  députés  se  [promirent  réciproquement  une  sûreté  inviolable,  jurant 
(|u'ils  étaient  prêts  a  signer  cette  promesse  de  leur  propre  sang.  £t 
comme  ceux  de  l'Union  n'étaient  pas  pressés  d'entrer  en  matière,  parce 
qu'ils  étaient  bien  aises  d'attendre  le  reloin-  de  Monsieur  de  Mayenne, 
sans  lequel  ils  ne  voulaient  rien  conclure,  ils  s'en  revinrent  coucber  a 
Paris.  (Cavet,  ubi  sup.  —  De  ïnou,  ubi  sup.) 

Le  lendemain,  ils  trouvèrent  le  moyen  de  difl'érer  encore,  en  faisant 
remarquer  (jue  Monsieur  de  Kambouillet,  passant  pour  avoir  pris  part  au 
meurtre  de  Blois,  aurait  bien  dû  s'excuser  d'accepter  une  pareille  mis- 
sion, puisque,  de  leur  côté.  Monsieur  l'évêque  de  Senlis,  sur  le  simple 
soupçon  qu'il  était  suspect  aux  royalistes,  s'était  démis  volontairement. 
Les  royalistes  répondirent  qu'il  n'y  avait  lieu  de  s'occuper  de  pareilles 
dillicultés;  que  Monsieur  de  Rambouillet  était  seul  compétent  pour  déci- 
der comment  il  voulait  agir  en  cette  circonstance  ;  que,  (juant  a  Monsieur 
de  Senlis,  s'il  avait  jugé  'a  propos  de  se  présenter,  il  aurait  été  très-bien 
reçu  par  eux,  et  qu'ils  ne  savaient  pas  pourquoi  il  s'était  abstenu.  Ram- 
bouillet demanda  alors  'a  prendre  la  parole  pour  se  purger  de  la  calomnie 
qu'on  avait  répandue  sur  son  compte.  11  refusa  décidément  de  se 
démettre  de  son  mandai,  pour  qu'on  ne  pût  prendre,  dit-il,  son  éloigne- 
ment  pour  un  tacite  aveu  d'un  crime  (|u'il  déniait  hautement,  et  lui 
demander  plus  tard  ou  a  sa  postérité  compte  du  sang  du  duc  de  Cuise, 
dont  il  se  proclamait  parlaitement  innocent.  (Matthieu,  nbi  sup.  — 
Mézehav,  ubi  sup.) 

Deux  jours  se  passèrent  ainsi  en  inutiles  discussions  sur  ce  qui  avait 
eu  lieu  a  lilois.  A  la  séance  suivante.  Monsieur  l'archevêque  de  Lyon  se 
trouva  malade  d'un  accès  de  goutte,  et  il  fut  résolu  qu'on  attendrait 
jusqu'au  mercredi  cinipiième  jour  de  mai,  pour  entrer  définitivement  en 
matière.  Ce  join*  arrivé,  on  traita  d'abord  d'une  surséance  d'armes  |)our 
la  sûreté  de  la  dite  conférence,  et  pour  ôter  toute  occasion  d'inquiéter 
les  sieurs  députés.  Elle  fut  accordée  de  part  et  d'autre  en  ces  termes  : 
(]u'il  y  aurait  cessation  de  toute  hostilité  pendant  dix  jours,  sauf  'a  la 
prolonger  s'il  était  besoin,  et  cela  sur  un  rayon  de  quatre  lieues  à  l'en- 
tour  de  Paris,  ainsi  que  sur  un  rayon  de  (]uatre  lieues  à  l'entour  de 
Suresnes,  mais  sans  qu'il  lût  loisible  à  personne  de  l'un  ou  l'autre  parti 
d'entrer  d^ns  les  villes  où  il  y  avait  garnison  de  gens  de  guerre,  sans  un 
passeport  de  ceux  qui  avaient  autorité  d'y  commander.  Défense  a  toute 
personne  portant  armes  de  faire  aucune  course,  injure,  ni  outrage  de  fait 
ou  de  paroles  a  qui  que  ce  fût,  en  l'étendue  des  lieux  ci-dessus  désignés, 
pendant  le  dit  temps  de  dix  jours,  sous  peine  de  la  vie;  mais  que  cela 
n'empêcherait  pas  de  percevoir  les  droits  et  impôts  sur  les  vivres  et 
marchandises  selon  le  tarif  accoutumé.  (Cavet,  ubi  sup.) 

Cette  trêve,  [)ubliée  tout  aussitôt,  lit  tant  de  plaisir  aux  Parisiens, 
renfermés  et  pour  ainsi  dire  emprisonnés  dej)uis  si  longtemps  dans  leurs 

IV.  20 


;;()(;  lIlSTOJIiK  DR  L'ETABLISSEMENT 

inms,  qu'ils  en  iirent  des  danses  et  feux  de  joie  chacun  devant  sa 
porte.  Même  dans  la  paroisse  de  Saint-Eustache,  quelques  zélés,  ayant 
voulu  s'opposer  "a  ces  divertissements,  Curent  chargés  à  coups  de  pierre; 
ce  qui  pouvait  faire  aisément  comprendre  combien  une  paix  générale 
causerait  de  joie  et  de  consolation  à  tous  les  peuples  de  la  France. 
(Davila,  t.  III,  liv.  15,  p.  594  et  suiv.  —  Journal  de  Henri  lY,  t.  1, 
p.  550.) 

Quand  on  eut  enfin  réglé  ces  prélimman-es.  Monsieur  l'archevêque  de 
Bourges,  avant  d'en  venir  au  sujet  principal  de  celte  réunion,  commença 
par  louer  Dieu  de  ce  qu'au  milieu  des  troubles  et  des  ténèbres  d'un 
siècle  aussi  calamiteux,  il  avait  daigné  faire  luire  une  aussi  heureuse 
journée,  qui  semblait  enfin  promettre  'a  l'avenir  de  meilleurs  temps.  Il  le 
remercia  de  ce  qu'il  avait  fait  la  grâce  qu'on  eût  choisi,  de  part  et 
d'autre,  telles  personnes  qui  étaient  douées  de  prudence  et  d'affection  au 
bien  de  l'État,  et  qui  n'apportaient  dans  cette  affaire  que  des  intentions 
droites  et  pures.  (Cayet,  uhi  sup.) 

«  Sans  doute,  dit-il,  il  n'y  a  bon  Français  qui,  considérant  nos 
misères  présentes,  après  avoir  vu  cette  monarchie  si  florissante,  ne 
gémisse  du  plus  profond  de  son  cœur.  Je  ne  viens  pas  ici  renouveler 
vos  douleurs  en  ouvrant  de  nouveau  vos  plaies,  en  vous  mettant  sous  les 
yeux  l'exposé  de  notre  situation  désolée;  pourtant  faut-il  bien  les  toucher 
avec  le  doigt,  ces  plaies  saignantes,  pour  en  chasser  l'ordure  et  y  appor- 
ter guérison.  » 

Il  fait  ensuite  le  triste  tableau  de  l'état  actuel  de  la  nation,  de  la 
noblesse,  du  clergé  et  du  tiers-état.  Il  peint  les  malheurs  de  l'église,  le 
discrédit  où  est  tombée  la  justice,  les  souffrances  du  commerce,  et  la 
décadence  qui  menace  déjà  les  sciences  et  les  arts.  «  Quant  'a  l'agricul- 
ture, la  terre  elle-même  nous  montre  partout  ses  cheveux  hérissés  et 
demande  qu'on  la  peigne,  pour  nous  rendre  son  tribut  accoutumé  de  fruits 
et  de  richesses.  » 

«  Le  seul  moyen  de  nous  relever  de  toutes  ces  misères,  ajoute-t-il, 
c'est  une  bonne  paix  fondée  sur  la  religion  et  la  justice.  Nous  sommes 
ici  pour  chercher  ce  qu'il  faut  faire  pour  cimenter  cette  paix  si  néces- 
saire ;  je  vous  conjure  donc,  vous,  dont  nous  connaissons  la  bonne 
volonté,  que  si  vous  avez  quelques  bons  avis  et  expédients  pour  parvenir 
a  un  aussi  grand  bien,  vous  nous  en  fassiez  ouverture.  i> 

L'archevêque  de  Lyon  prit  ensuite  la  parole  au  nom  de  l'Union,  et 
dit  :  «  De  notre  part,  Messieurs,  vous  pouvez  être  sûrs  que  nous  n'ap- 
portons ici  aucune  passion,  mais  une  pure  et  sincère  volonté  de  finir  les 
maux  de  la  religion  et  de  l'État.  Nous  espérons  bien  que  Dieu,  rendant 
justice  a  nos  bonnes  intentions  réciproques,  nous  inspirera  les  moyens 
d'arriver  a  l'heureux  résultat  que  nous  poursuivons  tous,  qui  est  princi- 
palement le  maintien  de  sa  sainte  religion  catholique,  apostolique  et 
romaine,  en  laquelle  nous  avons  tous  été  baptisés  et  instruits.  Quant  à 
nous,  nous  sommes  tous  prêts  'a  sacrifier  non  seulement  nos  biens  pour 
elle,  mais  encore  nos  vies. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  307 

<f  II  n'est  pas  besoin  de  rappeler  ici  nos  malheurs  ni  nos  extrêmes 
afflictions,  que  nous  n'expérimentons  que  trop;  il  vaut  mieux  rechercher 
la  cause  de  cette  âpre  maladie,  pour  la  combaltre  et  obtenir  la  guérison. 
Cette  cause,  c'est  l'hérésie,  qui  seule  a  allumé  le  feu  de  nos  troubles,  et 
qui,  depuis  trente  ans,  ne  cesse  d'ébranler  les  antitpies  fondements  de 
ce  royaume.  C'est  à  elle  qu'il  faut  attribuer  le  saccagement  de  nos 
temples,  la  démolition  de  nos  autels,  le  dégât  de  nos  champs,  la  ruine 
et  l'incendie  de  nos  villes,  et,  ce  (pii  est  plus  malheureux  encore,  la 
perte  de  tant  d'âmes  rachetées  au  prix  du  sang  j)récieux  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Cbrisl. 

«  Quant  'a  la  paix,  c'est  sans  nul  doute  une  chose  si  sainte,  que  le 
nom  seul  en  est  doux  et  agréable;  aussi  la  demandons-nous  au  ciel  avec 
inslances;  mais  il  faut  que  ce  soit  la  paix  de  Dieu  et  de  l'Église,  celle 
que  le  Fils  de  Dieu  est  venu  ap|)orter  lui-même  sur  la  terre,  en  nous 
annonçant  (jue  la  vraie  paix  est  le  zèle  de  son  honneur.  Toute  autre 
l)aix  n'est  que  trouble  et  zizanie,  et  voila  pourquoi  il  a  dit  aussi  :  Je  suis 
venu  vous  apporter  non  la  paix  telle  que  les  hommes  l'entendent,  mais 
la  guerre;  je  suis  venu  pour  diviser  le  père  d'avec  le  lils,  l'époux  d'avec 
sa  femme;  et  n'at-il  pas  commandé  de  quitter  biens,  parents  et  amis, 
pour  la  querelle  et  délense  de  la  religion? 

«  On  aurait  donc  tort  de  blâmer  les  guerres  entreprises  pour  la 
défense  de  cette  cause  sacrée.  Elles  sont  une  triste  nécessité,  et  nous 
avons  du  moins  la  consolation  de  pouvoir  nous  rendre  ce  témoignage 
que  la  guerre  que  nous  soutenons  est  juste,  puisqu'elle  a  pour  motif  la 
conservation  de  notre  foi. 

«  Toutefois,  quoique  en  nos  cahiers  et  instructions  il  ne  soit  men- 
tion d'aucun  article  de  paix  (car  on  n'a  pu  prévoir  les  déclarations  et 
propositions  que  vous  aviez  à  nous  faire),  nous  sommes  prêts  'a  écouter, 
par  amour  pour  le  bien  de  ce  royaume,  les  ouvertures  qui  nous  viendront 
de  votre  part,  si  l'bonneur  de  Dieu,  celui  de  la  religion  et  l'obéissance 
(jue  nous  devons  à  l'Eglise  ne  s'y  opposent  pas. 

a  Je  ne  dois  pas  vous  taire  que  le  principal  fondement  qu'il  faudra 
jeter  avant  tout,  c'est  que  les  catholicjues  soient  unis  de  volonté  et  de 
conseil  pour  s'opposer  aux  armes  et  aux  progrès  de  l'hérésie,  et  pour 
rétablir  la  religion  on  ce  royaume.  Sur  ce,  je  prie  Dieu  de  disposer  vos 
cœurs  à  cet  effet,  et  de  vous  ouvrir  la  voie  pour  y. parvenir,  ce  qui  sera 
pour  vous  un  mérite  très-grand  et  vous  méritera  les  louanges  de  la 
postérité.   » 

Après  ces  harangues,  où  chacun  des  deux  prélats  avait  cherché  à 
faire  briller  toute  son  éloquence,  les  députés  royaux  se  retirèrent  dans 
une  chambre  particulière  pour  se  consulter,  et,  (juand  on  rentra  en 
séance.  Monsieur  de  Bourges  harangua  de  rechef.  «Nous  n'avons, dit-il, 
jusqu'à  présent,  parlé  de  paix  qu'on  termes  généraux  ;  maintenant  je  suis 
d'avis  d'aborder  franchement  la  question  avec  toute  simplicité  de  paroles 
et  de  volonté.  Les  philosophes  de  tous  les  âges  nous  apprennent  que  la 
paix  n'est  autre  chose  que  l'ordre  établi  dans  l'État.  L'ordre,  c'est  la 


308  HISTUIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

volonté  de  Dieu,  qui  ordonne  aux  inférieurs  d'obéir  a  leurs  supérieurs, 
et,  par  conséquent,  Tordre,  c'est  la  reconnaissance  d'un  chef  souve- 
rain ,  qui  seul  peut  conserver  l'Etat.  Ce  souverain  ne  peut  être  autre  que 
celui  qui  est  donné  de  Dieu,  par  droit  légitime  de  succession  au  trône, 
et  les  premiers  chrétiens  ont  toujours  reconnu  cette  loi,  pratiquant 
l'obéissance  et  priant  pour  leurs  princes,  même  idolâtres  et  persécu- 
teurs. Aujourd'hui,  ce  n'est  point  un  prince  idolâtre,  ni  faisant  profes- 
sion de  la  loi  impie  de  Mahomet,  que  nous  avons  reçu  de  la  main  de 
Dieu;  c'est,  grâces  au  ciel,  un  prince  chrétien  qui  croit  avec  nous  un 
même  Dieu,  et  qui  n'est  séparé  de  nous  seulement  que  par  quelques 
erreurs  dont  il  faut  tâcher  de  le  retirer,  après  l'avoir  reconnu  pour  notre 
légitime  maître,  comme  c'est  notre  devoir,  c'est-â-dire  après  lui  avoir 
rendu  ce  qui  lui  appartient.  Nous  aurons  tous  ensemble  l'honneur  de 
l'avoir  ramené  au  bon  chemin,  et  d'avoir  fait  une  œuvre  signalée  et 
remarquable. 

<c  Nous  savons  déjà,  du  reste,  que  nous  avons  toute  raison  d'espérer 
qu'il  fera  ce  que  nous  désirons  de  lui.  N'a-t-il  pas  promis,  dès  son 
avènement  a  la  couronne,  qu'il  serait  docile  'a  l'instruction?  N'a-t-il  pas 
depuis  député  a  Notre-Saint-Père  le  Pape,  pour  traiter  de  sa  soumission 
il  l'Église?  N'est-ce  pas  lui  qui  nous  a  autorisés  à  ouvrir  ces  confé- 
rences, et  dernièrement,  'a  Mantes,  ne  l'avons-nous  pas  vu  lever  son 
chapeau,  pendant  que  la  procession  passait  sous  ses  fenêtres,  et  se  tenir 
humblement  la  tête  découverte,  en  bon  catholique?  Il  ne  reste  donc  plus 
qu'a  achever  un  aussi  grand  bien,  en  nous  mettant  tous  d'accord 
ensemble  pour  consolider  la  conversion  de  ce  prince.  » 

Après  ce  discours, l'heure  du  dîner  étant  venue,  chacun  se  retira,  et, 
après  le  dîner,  les  députés  de  l'Union  délibérèrent  'a  leur  tour  en  parti- 
culier. Ils  décidèrent  que,  quant  a  la  reconnaissance  du  roi  de  Navarre, 
ils  ne  voulaient  point  en  entendre  parler,  et  qu'ils  protestaient  aimer 
mieux  mourir  que  d'obéir  a  un  prince  hérétique.  Ensuite,  les  délégués 
des  deux  partis  s'étant  assemblés  dans  la  même  salle,  Monsieur  de 
Lyon  dit  : 

«  Je  parlerai  avec  tout  respect  et  modération.  Si  quelqu'une  de  mes 
paroles  vous  semble  offensante,  je  vous  prie  de  l'excuser  en  considé- 
rant que  je  n'ai  en  vue  que  le  bien  de  la  religion.  Sans  doute,  la  paix  des 
nations  dépend  de  l'obéissance  que  l'on  doit  au  prince,  mais  cette 
obéissance  ne  saurait  être  vraie  et  de  bonne  foi,  s'il  y  a  différence  de 
religion. 

«  Pour  tirer  cet  Etat  du  péril  où  nous  le  voyons,  il  faut  première- 
ment y  établir  le  royaume  de  Dieu,  parce  que  la  religion  est  en  la  répu- 
blique, comme  l'âme  au  corps,  pour  lui  donner  vie  et  mouvement. 
Donc,  si  nous  ne  demandons  pas  mieux  que  de  reconnaître  un  roi,  nous 
voulons  que  ce  soit  un  roi  très-chrétien  et  qui  ne  mette  pas  la  religion 
en  péril,  et  c'est  notre  droit;  car,  quoiqu'on  ait  mis  tout  à  l'heure  en 
avant  l'autorité  de  l'Écriture  sainte  et  l'exemple  des  anciens  chrétiens, 
la  loi  de  Dieu  n'en  est  pas  moins  expresse  et  défend  d'établir  un  roi  qui 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  309 

no  soit  pas  du  nombre  des  frères,  Vest-à-dire  de  même  religion,  pour 
qu'il  ne  ramène  pas  le  peuple  en  Eçjyple,  ou,  si  vous  Taimez  mieux,  aux 
précipices  de  rinlidélilé  et  de  Thérésie. 

«  L'Évangile  dit  pareillement  que  celui  (jni  refusera  d'obéir  a  l'Eglise 
doit  «Hre  tenu  pour  païen  et  publicain,  et  l'apôtre  saint  Jean  défend 
même  de  le  saluer,  ce  <(ni  n'est  pourtant  cpi'un  simple  devoir  de  poli- 
tesse. Tous  les  conciles  ont  prononc»'-  de  pareils  arrêts  d'interdiction 
contre  les  béréti(jues;  ils  ont  déclaré  (ju'im  prince  chrétien  tombant 
dans  l'hérésie,  ses  sujets  sont  par  cela  même  déliés  du  serment  de  fidé- 
lité et  d'obéissance  (|u'ils  lui  avaient  prêté. 

«  Ceci  est  de  droit  divin.  Si  nous  consultons  le  droit  humain,  nos 
lois  déclarent  incapables  de  tous  biens,  honneurs  et  dignités,  les  héré- 
tiques et  leurs  fauteurs.  Comment  alors  un  hérétique  serait-il  capable  de 
la  plus  haute  dignité  du  monde? 

«  Au  reste,  la  seule  raison  et  l'expérience  montrent  le  danger  (ju'il  y 
ainait  a  adopter  une  opinion  contraire.  Le  roi  (jue  vous  vous  seriez 
donné,  tenant  sa  religion  pour  vraie,  n'emploierait-il  pas  tous  ses 
moyens  a  l'avancement  d'icelle,  et  a  l'anéantissement  du  culte  qui  lui 
serait  contraire?  Et  son  exemple  et  son  pouvoir  n'entraîneraient-ils  pas 
une  foule  d'apostasies?  L'histoire  contemporaine  de  l'Allemagne  et  de 
l'Angleterre  est  lîi,  [)Our  prouver  qu'il  en  serait  ainsi. 

«  Messieurs,  c'est  par  la  grâce  de  Dieu  que  les  rois  sont  rois,  et 
quand  ils  viennent  pour  détenir  le  royaume  de  .lésus-Christ,  la  grâce  de 
Dieu  n'est  plus  pour  eux.  On  dit  que  le  roi  de  Navarre  croit  au  même 
Dieu  que  nous,  et  qtie  sa  croyance  ne  diflrre  de  la  nôtre  qu'en  quelques 
points  seulement.  Oubli(;-t-on  (|ue  l'Eglise  catholique  est  une  et  que 
quiconque  ne  se  soumet  pas  'a  toutes  ses  lois  n'est  plus  qu'un  rebelle 
excommunié? 

«  \oire  prince  promet,  prétendez-vous,  qu'il  se  convertira  'a  notre 
foi  ;  mais  cette  promesse  est  faible  et  se  réalisera-t-elle?  S'il  a  envoyé 
une  ambassade  au  Pape,  dans  la  crainte  de  se  compromettre  vis-'a-vis 
les  huguenots,  elle  était  faite  sous  un  autre  nom  que  le  sien.  S'il  a  levé 
son  chapeau  au  passage  d'une  [)rocession,  ce  n'était  pas  pour  faire  hon- 
neur a  la  croix  de  notre  divin  Maître;  c'était,  comme  il  l'a  dit,  pour 
saluer  les  seigneurs  et  dames  qui  faisaient  partie  de  la  cérémonie. 

«  N'a-t-il  pas  promis  tout  dernièrement  a  Saumur  de  ne  jamais 
abandonner  sa  croyance?  A  Tours,  n'a-t-il  pas  sollicité  pour  qu'on 
admît  les  huguenots  aux  places  dont  les  édits  les  excluent?  El  ne  vient- 
il  pas  encore  de  défendre  aufhentirpiement  de  sintormer  de  la  religion 
de  ceux  (pii  se  présentent  pour  occuper  un  oflice?  » 

Ici  l'orateur  fut  interrompu  par  Monsieur  de  Chavigny,  (|ui  s'écria  : 
«  ("-et  édit  n'a  été  ni  vérilié  ni  publié  par  la  cour  du  parlement!  « 

Le  prélat  continua  :  «  \'<'M'ilié  ou  non,  cet  ('-dit  n'en  est  pas  moins 
l'expression  de  sa  volonté.  »  Il  déposa  ensuite  des  lettres  de  l'ambas- 
sadeur d'Angleterre,  qu'on  avait  interceptées  et  qui  disaient  que  la  pro- 
messe de  conversion   du  roi  n'était   (|u"a  dessein  d'engager  les  catho- 


MO  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

liques  qui  l'assistaient  à  faciliter  son  établissement  sur  le  trône  de 
France.  «  Considérez  donc,  Messieurs,  quelle  honte  pour  vous,  quelle 
injure  ce  serait  faire  a  Dieu  et  quel  préjudice  a  son  Église,  que  de  lais- 
ser tomber  le  sceptre  de  la  France  entre  les  mains  d'un  pareil  hérétique. 
Je  terminerai  par  ces  paroles  du  législateur  Moïse  :  «  Retirez-vous  promp- 
«  tement  des  tentes  de  l'impie,  si  vous  ne  voulez  pas  être  enveloppe 
«  dans  son  péché.  » 

Chavigny,  «  qui  avait  une  âme  toute  française  et  toute  catholique,  » 
ne  put  retenir  plus  longtemps  son  indignation.  «  C'est  pitié,  dit-il  d'une 
voix  forte,  d'entendre  parler  en  ces  termes  quelqu'un  qui  se  dit  Français. 
Ose-t-on  dire  que  nous  autres,  catholiques,  nous  n'avons,  en  combattant 
pour  notre  roi  légitime,  combattu  que  contre  la  religion,  nous  qui  l'avons 
tant  de  fois  défendue  même  an  péril  de  notre  vie?  Avec  l'aide  de  Dieu, 
nous  espérons  bien  la  défendre  encore  contre  ceux  qui  la  défigurent,  et 
nous  empêcherons  qu'elle  ne  se  perde  en  France.  Mais  aussi  nous 
combattrons  avec  le  même  zèle  contre  ceux  qui  veulent  usurper  l'Etat, 
et  que  vous  soutenez  maintenant,  an  mépris  de  tout  droit  et  de  votre 
devoir.  » 

Sur  ces  paroles,  la  séance  fut  suspendue,  et,  quand  elle  se  rouvrit, 
l'archevêque  de  Bourges  se  chargea  de  répondre  a  Monsieur  de  Lyon. 

«  J'ai  déjà  parlé,  dit-il,  de  l'obéissance  que  les  premiers  chrétiens, 
nos  pères  et  nos  modèles,  rendaient  aux  princes  mêmes  païens  et  persé- 
cuteurs de  l'Église.  J'ajouterai  que,  comme  le  dit  Tertullien,  leur  reli- 
gion leur  enseignait  'a  respecter  ceux  que  Dieu  avait  destinés  à  com- 
mander les  nations.  C'est  ce  qu'ils  répondaient  avec  douceur  et 
longanimité  a  ceux  qui  les  accusaient  de  conspiration  contre  les  empe- 
reurs, qu'ils  auraient  eu  pourtant  tant  de  raisons  de  haïr.  Le  prince, 
disaient-ils,  est  pour  nous  la  première  personne  après  Dieu,  dont  il  tient 
son  pouvoir,  et  se  révolter  contre  lui,  ce  serait  se  révolter  contre  Dieu 
lui-même;  aussi  n'ont-ils  résisté  que  par  prières,  patience,  et  jamais 
par  armes. 

«  Quant  aux  commandements  du  Nouveau-Testament  contre  les 
hérétiques,  ils  ne  peuvent  et  ne  doivent  être  obligatoires  dans  toute  leur 
rigueur  que  quand  ceux-ci  sont  en  petit  nombre  ;  mais  quand  ils  sont 
devenus  si  nombreux  que  la  séparation  ne  pourrait  s'en  faire  sans  beau- 
coup de  scandale,  et  sans  la  ruine  même  de  l'Église,  saint  Paul  lui- 
même  n'a-t-il  pas  dit  :  «  Je  vous  ai  écrit  'a  la  vérité  de  n'avoir  rien  de 
«  commun  avec  les  fornicateurs  ;  mais  ce  n'est  pas  des  choses  de  ce 
«  monde  que  j'ai  prétendu  vous  interdire  la  communication  ;  autrement 
<c  vous  seriez  obligé  de  sortir  de  ce  monde  lui-même.  »  (Corinth.,  1, 
chap.  V,  X,  9  et  10.) 

«  Pour  ce  qui  regarde  les  conciles,  nous  voyons  que  celui  de  Latran 
se  contente  d'admonester  tous  les  princes  (moneantur),  mais  qu'il  ne 
les  rejette  pas  de  leur  trône  légitimement  occupé. 

«  Et  pour  répondre  a  ce  qu'on  a  dit  du  droit  humain,  les  lois  qtie 
l'on  cite  ne  peuvent  aucunement  regarder  le  souverain,  qui  tenant  son 


DU  PFIOTKSTANTISMK  KN  FliANGK.  :!II 

sceplre  de  Dieu,  n'en  doit  compte  a  personne.  Au  surplus,  peiil-on 
appeler  vérilablement  liéréti(pie  celui  qui.  ayant  été  nourri  et  imbu  d'une 
croyance  dès  ses  premiers  ans,  se  dit  toujours  tout  prêt  îi  y  renoncer, 
si  on  lui  fournit  l'instruction  nécessaire  et  si  on  lui  montre  la  vérité? 
L'hérétique,  comme  dit  saint  Augustin,  est  celui  qui  défend  son  erreur 
avec  obstination;  l'autre  n'est  qu'égaré. 

«  Enlin,  peut-on  sérieusement  craindre  de  voir  renouveler  en  France 
ce  qui  s'est  passé  en  Angleterre?  N'avons-nous  pas  des  princes,  des  sei- 
gneurs puissants  et  indépendants,  de  saints  et  dignes  prélats,  (jui  sau- 
raient bien  empêcher  un  tel  dessein  si  on  voulait  l'entreprendre?  Mais, 
grâces  'a  Dieu,  nous  n'en  sommes  pas  là;  et  si  nous  demandons  aujour- 
d'hui votre  concours,  c'est  afin  que,  par  votre  crédit  auprès  du  Pape, 
les  démarches  que  Sa  Majesté  fait  pour  rentrer  dans  l'Église  soient  plus 
paternellement  accueillies.  » 

Le  lendemain,  .Monsieur  de  Mayenne  était  de  retour  à  Paris.  L'arche- 
vêque de  Lyon  lit  une  réponse  au  discours  du  prélat  royaliste,  et  prouva, 
par  l'exemple  d'une  multitude  de  rois  cités  dans  les  Écritures  saintes, 
(pie  les  princes  impies  perdaient  ed'ectivemenl  tout  droit  a  l'obéissance 
(le  leurs  sujets,  il  dit  aussi  que,  si  les  premiers  chrétiens  s'étaient 
montrés  soumis  aux  empereurs  païens,  ce  n'était  pas  faute  de  droit, 
mais  faute  de  force,  et  que,  quand  elle  l'avait  pu,  l'Église  n'avait  pas 
manqué  a  son  devoir  de  résistance,  suivant  ces  paroles  du  roi-prophète  : 
«■  Tu  les  gouverneras  avec  une  verge  de  fer  ;  et  maintenant,  rois,  tâchez 
de  comprendre.»  —  «  Aujourd'hui,  ce  n'est  certainement  pas  la  force  qui 
lui  mauijue  contre  ses  ennemis,  quelque  étalage  qu'ils  veuillent  faire  de 
leur  bravoure  et  de  leurs  victoires.  » 

11  termina  en  disant  :  «  Pour  ce  qui  est,  Messieurs,  de  l'invitation 
que  vous  nous  faites  de  nous  unir  'a  vous  pour  vous  aider  de  notre 
appui  auprès  du  Saint-Père,  nous  sommes  fâchés  d'être  dans  l'obliga- 
tion de  vous  refuser,  d'abord  pour  ne  pas  désobéir  au  Saint-Père  lui- 
même  et  aux  bulles  qu'il  a  publiées  tout  récemment  encore;  ensuite, 
jmur  ne  pas  contrevenir  îi  notre  propre  serment,  ayant  juré  de  ne  faire 
aucun  traité  ni  conférence  avec  l'hérétique,  et  enlin,  parce  que  ces 
démarches  seraient  inutiles,  votre  prince  s'étant  montré  jusqu'ici  trop 
endurci  pour  qu'on  puisse  attendre  de  lui  une  conversion  sincère.  » 

Monsieur  de  Bourges  répliqua  que,  quand  on  citait  l'Écriture,  il  fallait 
au  moins  la  citer  fidèlement  ;  que  l'honorable  archevê<pie  de  Lyon  s'était 
laissé  entraîner,  en  faisant  l'énumération  des  rois  rejelés  de  Dieu, 'a  dire 
(|ue  le  roi  Joram  n'avait  pas  été  enseveli  dans  le  sépulcre  de  ses  pères, 
ce  qui  était  de  tout  point  le  contraire  de  ce  qu'on  lit  dans  le  texte  sacré. 
«  Ce  n'est  pas  l'Écriture  (pie  je  citais,  s'écria  Monsieur  de  Lyon,  fâché 
(pi'on  surprit  sa  science  en  défaut;  c'est  l'historien  Josèphe,  qui  fait 
aussi  autorité  en  ces  matières.  » 

Monsieur  de  Bourges  continua  :  «  Au  reste,  chacun  allègue  divers 
exemples  et  se  sert  diversement  de  l'autorité  des  saints  Livres,  ce  qui 
prouve  que,  pour  en  avoir  le  sens,  il  faut  s'adresser  a  Dieu,  (pii  donne 


:n2  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

la  connaissance  a  ceux  qui  la  demandent  humblement.  Toutefois,  il  est 
clair  et  démontré  pour  tous  que  ceux  qui  s'attaquent  au  pouvoir  des 
rois  s'attaquent  au  pouvoir  de  Dieu  lui-même,  puisque  leur  désobéis- 
sance a  toujours  été  suivie  des  vengeances  et  punitions  célestes. 

«  Quant  a  l'autorité  et  aux  jugements  des  Papes,  c'est  un  rocher 
auquel  je  ne  veux  pas  me  heurter,  et  je  baise  en  toute  humilité  et  révé- 
rence les  pieds  de  Sa  Sainteté.  Pourtant,  j'avouerai  que  l'esprit  de  nos 
Papes  est  depuis  longtemps  tout  entier  possédé  par  les  Espagnols, 
comme  on  ne  peut  que  trop  s'en  apercevoir  par  la  conduite  qu'ils  ont 
tenue  envers  la  France.  Ce  n'est  pas  ainsi  que  les  anciens  Papes  en 
usaient  'a  l'égard  de  la  brebis  égarée  ;  ils  allaient  eux-mêmes  la  cher- 
cher, comme  fit  le  pape  Athanase,  qui  courut  au-devant  de  Justin.  Mais 
les  rigueurs  et  sévérités  implacables  dont  on  use  aujourd'hui  ne  contri- 
buent qu'a  mettre  le  feu  en  la  chrétienté  et  à  alimenter  les  maux  de 
l'Église. 

«  Au  demeurant,  le  roi  est  un  grand  prince,  jeune,  et  doué  de  toutes 
les  qualités  qui  peuvent  rendre  ce  royaume  heureux.  Il  sera  un  jour,  si 
vous  ne  vous  y  opposez  pas,  le  plus  actif  défenseur  de  l'Eglise,  tandis 
que  votre  roi  d'Espagne  est  maintenant  vieux,  et  va  bientôt  laisser  au 
milieu  de  la  tempête  ceux  qui  se  seront  embarqués  avec  lui.  Entre  ces 
deux  concurrents,  le  choix  peut-il  demeurer  en  suspens?  » 

Monsieur  de  Lyon  s'apprêtait  à  répondre  encore;  mais  les  délégués 
royalistes  l'interrompirent  en  disant  que  c'était  assez  disputé,  et  qu'il  était 
temps  de  prendre  quelques  résolutions,  et,  là-dessus,  il  y  eut  une  sorte 
de  tumulte,  oii  chacun  parlant  en  même  temps  expliqua  'a  sa  manière 
ce  qu'il  fallait  entendre  par  l'autorité  légitime  du  Pape,  les  privilèges  de 
la  couronne,  les  libertés  de  l'Église  gallicane,  et  les  lois  de  succession 
au  trône.  «  Messieurs,  cria  d'une  voix  retentissante  Monsieur  de  Schom- 
berg,  avisez  bien  avant  que  de  faire  votre  prétendue  élection  ;  car  le  roi 
ne  s'enfuira  pas  j)our  taire  place  a  celui  que  vous  aurez  élu,  et  ne  man- 
quera ni  de  courage  ni  d'amis  pour  défendre  ce  que  Dieu  et  la  nature 
lui  ont  donné.  »  Ce  fut  au  milieu  de  cette  espèce  de  mêlée  générale  que 
la  séance  fut  levée.  (Dk  Thou,  uhi  sup.) 

Le  dixième  jour  de  ce  même  mois,  les  délégués  de  l'Union  avaient 
fait  le  malin  leur  rapport  'a  Monsieur  de  Mayenne,  qui  alla  ce  jour-la 
reprendre  sa  place  à  l'assemblée  des  États;  aussi  n'arrivèrent-ils  que 
sur  les  midi.  L'archevêque  de  Bourges  dit  qu'il  était  temps  d'ouvrir  les 
cœurs  et  de  montrer  franchement  les  prétentions;  que,  du  côté  des 
royalistes,  on  s'était  assez  ouvert  pour  qu'on  n'eût  aucun  doute  sur 
leurs  intentions  ;  qu'il  fallait  que  ceux  de  l'Union  en  fissent  de  même. 
(Cayet,  ubi  sup.) 

A  quoi  Monsieur  de  Lyon  répondit  :  «  Nous  vous  avons  toujours 
parlé  clairement;  notre  seul  but,  en  cette  conférence,  est  d'obtenir  une 
réunion  entre  les  catholiques  pour  conserver  la  religion  et  sauver  l'État. 
—  Mais,  dit  l'autre,  qu'auriez- vous  'a  dire  de  la  conversion  du  roi?  Ne 
voulez-vous  pas  nous  aider  charitablement  à  le  faire  catholique? — Très- 


DU  PROTESTA NïlSMf-:  EN  FRANCE.  313 

volontiers,  répli(jiia  l'archevcque,  et  pourvu  que  Notre-Sainl-Père  le 
Pape  puisse  être  satisfait  de  lui,  nous  sommes  enfants  de  Tobéissance 
et  ne  demandons  que  la  sûreté  de  notre  religion.  —  Messieurs,  s'écria 
alors  Monsieur  de  Hourges,  de  grâce  ne  nous  laites  pas  faire  d'aussi 
longs  voyages  que  celui  de  Rome.  Vous  savez  que,  si  vous  voulez  nous 
envoyer  jus(|ue-la,  il  y  a  tant  de  montagnes  a  passer  que  nous  n'arrive- 
rons jamais.  Pour  nous,  demain  ou  après-demain,  nous  espérons  bien 
pouvoir  vous  donner  une  réponse  catégorique.  »  Ce  fut  tout  ce  qui  fut 
dit  ce  jour-la. 

Alors,  deux  des  délégués  royaux  furent  députés  'a  Mantes,  au  conseil 
du  roi,  pour  que  Sa  Majesté  les  autorisât  à  déclarer  son  intention  tou- 
chant sa  conversion. 

Or,  le  maréchal  de  Bouillon,  comme  on  l'a  vu,  aspirait  à  se  faire 
chef  des  protestants,  et  il  aurait  pu  gêner  jus(fu'a  un  certain  point  les 
résolutions  du  roi,  qui  pourtant  avait  grandement  besoin  de  ses  services. 
La  moindre  remise  pouvait  être  d'une  conséquence  extrême.  De  Thou, 
l'un  des  délégués  royalistes,  écrivit  donc  sur-le-champ  au  maréchal 
cette  lettre  qu'il  nous  a  conservée  lui-même  :  «  Vous  êtes  trop  prudent 
pour  ne  pas  voir  que,  pour  sauver  l'Etat,  il  faut  faire  la  paix  et  s'accom- 
moder avec  les  catholiques  rebelles  au  roi.  Si  Sa  Majesté  ne  les  satisfait 
promptemont  au  sujet  de  la  religion,  tout  le  succès  qu'on  attendait  de 
ces  conférences  est  manqué,  et  l'on  doit  en  attendre,  au  contraire,  un 
grand  changement  dans  les  esprits.  Or,  tout  ce  que  le  roi  fera  en  cette 
circonstance,  dans  le  but  d'apaiser  les  troubles  de  son  royaume,  ne 
peut  être  que  très-agréable  à  Dieu,  et  ne  saurait  être  attribué  qu'a  un 
véritable  amour  pour  la  patrie.  Les  protestants  eux-mêmes  doivent 
souhaiter  aujourd'hui  d'avoir  un  roi  catholi(juo,  puis(iue  c'est  le  seul 
moyen  de  nous  sauver  tous.  L'important  est  que  ce  roi  se  comporte 
avec  é(iuilé  dans  les  alVaires  de  la  religion;  ceux  (jui  croient  en  Dieu  et 
en  Jésus-Christ  son  Fils  ne  peuvent  désirer  autre  chose,  et  vous  savez 
mieux  (]ue  personne  ce  que,  sous  ce  rapport,  nous  devons  attendre  de 
notre  bien-aimé  monarque.  Nous  comptons  donc  (jue  vous  serez  un  des 
premiers  a  lui  conseiller  de  prendre  un  parti  devenu  nécessaire.  »  (De 
Thou,  ibid.,  p.  740.) 

Les  délégués  étant  de  retour  à  Suresnes,  porteurs  de  l'assentiment 
du  roi,  la  conférence  reprit  de  nouveau,  et  Monsieur  de  Bourges,  avec 
un  visage  tout  joyeux,  dit  :  «  Messieurs,  nous  vous  apportons  aujour- 
d'hui de  très-bonnes  nouvelles  de  la  part  de  Sa  Majesté.  Vous  n'avez  pas 
nié  les  droits  légitimes  (ju'elle  avait  à  ce  trône;  seulement  vous  avez 
dit  qu'il  lui  manquait  une(jualité,  que  nous  lui  désirions  comme  vous  : 
celle  d'être  bon  catholi(]ue.  Eh  bien  î  elle  nous  autorise  'a  vous  dire 
maintenant  (]n'elle  a  pris  une  détermination  décisive  :  Que,  puisque  Sa 
Sainteté,  pour  les  raisons  que  vous  savez  aussi  bien  que  nous,  n'a  pas 
voulu  entendre  l'ambassade  qui  lui  était  envoyée,  tout  en  gardant  le 
respect  et  l'honneur  qui  est  dû  au  Souverain-Pontife  partons  les  fidèles, 
la  nécessité  de  mettre  promptement  un  terme  aux  malheurs  qui  pèsent 


314  HISTOIRK  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

sur  la  France  l'a  fait  résoudre  à  prendre  la  seule  voie  qui  lui  reste 
encore  ouverte,  c'est-à-dire  à  convoquer  bon  nombre  d'évêques  et  doc- 
leurs  des  plus  pieux  et  des  plus  éclairés,  pour  se  faire  instruire  et  l'aire 
son  abjuration  entre  leurs  mains. 

«  Ainsi,  ce  que  nous  vous  avons  dit  de  nos  espérances  touchant  sa 
conversion  se  trouve  aujourd'hui  heureusement  réalisé,  et  nous  sommes 
très-aises  de  vous  pouvoir  donner  cette  nouvelle,  qui  vous  porte  l'assu- 
rance que,  dans  cette  paix  dont  nous  sommes  venus  traiter  avec  vous, 
notre  sainte  religion  n'a  plus  aucun  risque  'a  courir.  Maintenant,  c'est  à 
vous  de  voir  si  vous  aimez  mieux  rendre  l'étranger  maître  de  nos  biens 
que  de  les  posséder  nous-mêmes  tous  ensemble. 

((  En  attendant,  pour  que  Sa  Majesté  puisse  vaquer  sans  trouble  a  son 
instruction,  et  sans  en  être  empêchée  par  les  occupations  de  la  guerre, 
elle  consent  a  accorder  une  trêve  -générale  de  deux  à  trois  mois, 
quelque  préjudice  qu'une  pareille  suspension  d'armes  puisse  porter  à 
ses  aflaires.  »  (Cayet,  uhi  sup.) 

Quand  Monsieur  de  Bourges' eut  ainsi  parlé,  il  y  eut  une  grande 
surprise  parmi  ceux  de  l'Union,  qui  se  consultèrent  longtemps  entre 
eux.  Monsieur  de  Lyon  répondit  :  «  Je  ne  pense  pas  avoir  besoin  de  dire 
ici  combien  je  suis  content  de  la  nouvelle  qui  nous  est  apportée  par 
notre  très-cher  frère,  l'archevêque  de  Bourges,  touchant  la  conversion 
du  roi  de  Navarre.  J'en  loue  Dieu,  et  je  désire  de  toute  mon  âme  que 
cette  conversion  soit  vraie  et  bonne  ;  mais  à  vous-mêmes,  Messieurs,  je 
laissea  juger  quel  fond  on  doit  faire  sur  une  pareille  résolution.  Nous  ne 
savons  que  trop  par  quels  moyens  les  princes,  une  fois  reconnus,  savent 
se  démêler  des  promesses  qu'ils  ont  données.  L'histoire  ecclésiastique 
tout  entière  ne  se  compose  guère  que  de  pareilles  promesses  faites  par 
les  ennemis  de  Dieu,  qui  ne  les  ont  pas  tenues. 

«  Et  pour  qu'on  soit  bien  édifié  sur  la  sincérité  de  celles  qu'on  vient 
nous  raconter  aujourd'hui,  voici  des  lettres  patentes  expédiées  par  le  roi 
de  Navaire,  lettres  que  nous  avons  depuis  deux  jours  seulement.  Elles 
portent  assignation  de  six  vingt  mille  écus  pour  l'entretien  des  ministres 
et  écoliers  en  théologie  des  Églises  protestantes.  Comment  ceux  d'entre 
vous  qui  sont  véritablement  catholiques  peuvent-ils  voir  cela  et  y  parti- 
ciper sans  appréhension  d'en  être  grandement  coupables  devant  Dieu? 
N'y  a-t-il  pas  la  de  quoi  inlester  tout  le  royaume  du  venin  de  l'hérésie, 
en  contribuant  ainsi  a  l'entretien  de  ceux  qui  doivent  la  prêcher?  » 

Alors  ceux  de  l'Union,  parlant  tous  ensemble,  firent  grand  bruit  et 
grand  tumulte  de  cet  incident. 

«  Messieurs,  répondit  avec  calme  l'archevêque  de  Bourges,  vérita- 
blement les  huguenots  ont  dernièrement  lort  importuné  le  roi  pour 
obtenir  telles  assignations,  et  il  en  a  en  effet  été  parlé  au  conseil  ;  mais 
tout  le  monde  sait  que  cette  demande  a  été  rejetée.  Il  faut  que  les  lettres 
dont  on  parle  ici  soient  de  l'année  1591.  » 

Ceux  de  l'Union  dirent  :  «  Mais  n'y  en  a-t-il  pas  d'autres  de  cette 
année  qui  seraient  déjà  signées,  quoique  non  encore  enregistrées?  » 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  315 

A  cette  question,  les  royaux  reconnurent  qu'on  ne  cherchait  qu'un 
prétexte  pour  calomnier  la  conversion  de  Sa  Majesté,  et  l'archevêque  de 
Bourges  continua  :  «  Messieurs,  il  est  grand  temps  de  couper  le  mal 
dans  sa  racine,  sans  s'arrêter  a  d'inutiles  subterfuges.  Le  roi  s'est 
engagé  à  rentrer  en  (ils  soumis  dans  l'Eglise;  nous  vous  déposons  ici 
par  écrit  la  promesse  solennelle  (ju'il  en  a  laite.  C'est  à  vous  a  la  porter 
à  votre  assemblée  de  Paris.  »  Et  il  déposa  une  lettre  signée  de  Henri 
lui-même,  ainsi  conçue  : 

V  Monsieur  l'archevêque,  le  regret  que  j'éprouve  des  misères  de 
ce  royaume,  et  le  désir  que  j'ai  de  reconnaître  envers  mes  bons  sujets 
catholiques  l'afleclion  <ju'ils  m'ont  toujours  témoignée,  m'ont  lait 
résoudre  'a  recevoir  au  plus  tôt  instruction  sur  les  causes  dont  procède 
le  schisme  (jui  est  en  l'Église.  C'est  au  reste  ce  que  j'avais  promis  depuis 
longtemps,  et  l'on  sait  les  raisons  qui  m'ont  contraint  de  diflerer  jus- 
(ju'a  cette  heure. 

«  L'état  présent  des  affaires  ne  me  donne  pas  aujourd'hui  plus  de 
loisir.  Ce  nonobstant,  j'ai  résolu  d'appeler  près  de  moi  bon  nombre  de 
prélats  et  docteurs  catholiques,  pour  qu'en  sûreté  de  conscience  je  puisse 
me  trouver  éclairci  sur  les  difficultés  qui  nous  tiennent  séparés  en  l'exer- 
cice de  la  religion. 

«  Comme  je  vous  tiens  pour  l'un  des  prélats  les  plus  éclairés  de 
mon  royaume,  je  vous  prie  de  vous  rendre  auprès  de  moi,  le  quinzième 
jour  de  juillet,  en  celle  ville,  où  je  mande  aussi  plusieurs  autres  de  votre 
profession,  vous  assurant  que  vous  me  trouverez  docile  à  tout  ce  que 
doit  un  roi  très-chrétien,  qui  n'a  rien  plus  vivement  gravé  dans  le  cœur 
que  le  zèle  du  service  de  Dieu  et  le  maintien  de  sa  vraie  religion.  — 
Ecrit  à  Mantes,  ce  dix-huitième  jour  de  mai  1595,  et  signé,  Henri  de 
Hourbon.  » 

Cette  lettre  lue  et  déposée,  les  délégués  de  l'Union  demandèrent  du 
temps  pour  en  conférer  avec  les  Etats,  sans  l'ordre  desquels  ils  ne  pou- 
vaient donner  aucune  réponse,  et  la  conférence  se  sépara. 

Or,  ceux  de  la  religion,  voyant  que  le  roi  se  préparait  'a  quitter  leur 
croyance,  ne  cessaient  de  s'entretenir  enft'e  eux  sur  ce  changement  et 
sur  ce  qui  se  passait  aux  conférences  de  Suresnes.  Les  ministres  en 
j)arlèrentmême  dans  leurs  prêches;  si  bien  que  Sa  Majesté,  instruite  de 
ces  propos,  ajtpela  devant  elle  les  dits  ministres  et  les  principaux  sei- 
gneurs de  ce  parti,  au  nombre  desquels  était  Monsieur  le  maréchal  de 
Bouillon.  «  0  sire!  dit  le  ministre  Lafaye,  nous  sommes  dans  une 
grande  aflliction  de  vous  voir  arracher  par  vicdence  du  sein  de  nos 
Églises  ;  ne  permettez  pas  qu'un  tel  scandale  nous  advienne.  »  (Cavet, 
îibi  Slip.) 

Le  roi  lit  cette  réponse  :  «  Si  je  suivais  votre  avis,  que  je  prends 
pourtant  eu  bonne  part,  il  n'y  aurait  bientôt  plus  en  France  ni  roi  ni 
royaume.  Je  désire  donner  la  paix  à  tous  mes  sujets  et  le  repos  à  mon 
âme.  Consultez-vous  donc  et  voyez  ce  que  vous  jugez  nécessaire  'a  votre 
sûreté  ;  je  serai  toujours  prêt  a  vous  faire  donner  contentement.  » 


316  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

En  même  temps,  les  seigneurs  catholiques  du  conseil  du  roi,  pour 
calmer  les  inquiétudes  que  les  réformés  pouvaient  avoir  qu'il  ne  se 
traitât  dans  les  conlérences  quelque  chose  a  leur  préjudice,  donnèrent 
cette  déclaration  :  «  Nous,  princes,  ofiiciers  de  la  couronne  et  autres 
sieurs  du  conseil,  déclarons  que,  dans  les  conférences  qui  se  tiennent 
maintenant,  il  ne  sera  rien  accordé  au  préjudice  des  protestants,  ni  qui 
soit  contraire  aux  édits  des  défunts  [rois  en  leur  faveur,  voulant  par- 
dessus tout  entretenir  la  honne  union  et  amitié  qui  règne  entre  les  catho- 
liques du  parti  de  Sa  Majesté  et  ceux  de  la  dite  religion.  En  foi  de  quoi 
avons  signé  le  présent,  ce  seizième  jour  de  mai  1595,  » 

Cette  déclaration,  revêtue  de  la  signature  des  princes  et  des  memhres 
du  conseil,  n'empêcha  pas  les  huguenots  de  puhlier  plusieurs  livrets 
contenant,  disaient-ils,  les  raisons  d'Etat  qui  auraient  dû  empêcher  le 
prince  de  changer  de  religion.  «  Je  dois,  disait  l'auteur  de  ces  livrets, 
parler  politiquement,  puis(jue  je  m'adresse  ii  ces  politiques  a  barhe  grise 
qui  sont  autour  de  Votre  Majesté.  Ce  changement  auquel  ils  veulent  vous 
précipiter.  Sire,  sera  une  tache  'a  votre  réputation.  On  vous  accusera 
d'inconstance,  et,  qui  pis  est,  chacun  croira  qu'il  ne  logea  jamais  zèle 
quelconque  de  religion  en  votre  âme  ;  que  tout  ce  que  vous  en  avez  fait 
paraître  jusqu'à  présent  n'était  qu'hypocrisie  et  seulement  pour  établir 
vos  afîaires,  vous  masquant  de  la  religion  pour  en  venir  'a  vos  hns. 
Pourtant,  Sire,  s'il  était  vrai  que  ce  ne  fût  que  par  intérêt  que  vous 
voulez  vous  rendre  aujourd'hui  papiste,  réfléchissez  que,  sans  y  penser, 
vous  vous  laissez  couler  dans  la  ruine  non  seulement  de  vos  assurances 
présentes,  mais  aussi  de  vos  espérances  a  venir.  En  abandonnant  votre 
ancien  parti,  il  vous  abandonnera  aussi,  et,  mieux  que  personne,  vous 
connaissez  les  ressources  qu'il  sait  trouver  dans  son  énergie  et  dans  son 
zèle.  Les  villes  dont  il  est  maître,  quoique  peu  nombreuses,  vous  savez 
avec  quel  peuple  il  saurait  les  défendre.  Qu'espérez-vous,  au  contraire, 
trouver  dans  cet  état  taré  des  catholiques?  Il  n'y  a  Ta  que  division,  incer- 
titude, déchirure  et  pourriture.  Y  a-t-il  aujourd'hui  ville  catholique  qui 
soit  bien  assurée  contre  un  ennemi  quelconque?  Ceux  qui  les  com- 
mandent ont-ils  pu,  jusqu'à  présent,  s'entendre  pour  coopérer  à  un  but 
commun?  Ainsi  vous  aurez  perdu  ce  que  vous  ne  saurez  regagner 
qu'avec  de  grandes  difficultés,  un  parti  hdèle  et  tirant  sa  force  de  son 
union.  Ceux  qui  vous  conseillent  devraient  s'arrêter  tout  court  devant 
cette  considération,  s'ils  étaient  vos  véritables  amis;  mais  prenez-y 
garde  :  il  y  en  a  plus  d'un  parmi  eux,  qui,  tout  en  affectant  d'être  des 
nôtres,  ne  demanderait  pas  mieux  que  de  vous  voir  faire  ce  saut  péril- 
leux, pour  que  vous  lui  laissiez  la  carrière  franche.  Ces  gens-là  espèrent 
que  si  vous  dérobez  votre  épaule  à  soutenir  le  ciel,  ils  pourront,  comme 
un  nouvel  Hercule,  se  présenter  pour  remplir  la  place  que  vous  aurez 
quittée.  Allez,  Sire,  ce  changement  vous  coûtera  bon  ;  et  ceux  qui  vous 
l'auront  conseillé  seront  peut-être  les  premiers  à  en  répandre  de  san- 
glantes larmes,  s'il  leur  reste  quelque  conscience  et  quelque  pitié  pour 
les  malheurs  qu'ils  auront  causés.  » 


J 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  317 

Mais  si  la  nouvelle  de  la  conversion  future  du  roi  avait  jeté  (|uel(|ue 
trouble  parmi  ses  anciens  partisans,  c'était  bien  autre  chose  du  cot<'  de 
la  LiL>ue.  A  peine  Monsieur  de  Lyon  eut-il  rendu  compte  de  ce  qui  s'était 
passé  dans  la  dernière  conférence,  (pie  la  division  éclata  au  sein  de 
rassemblée  des  prétendus  États.  Les  uns  blâmaient  ceux  qui  s'étaient 
chargés  de  soutenir  les  intérêts  de  la  Sainte-Union,  dans  ces  discussions 
si  malencontreusement  acceptées;  les  autres  allaient  jusqu'à  les  accuser 
de  trahison  ;  quelques-uns  seulement  leur  rendaient  cette  justice  (ju'ils 
n'avaient  fait  que  ce  qu'ils  étaient  chargés  de  faire.  Monsieur  de  Mayenne 
j)rit  la  parole  et  dit  :  «  L'important,  c'est  de  penser  maintenant  a  laire 
(juehpie  bonne  réponse,  comme  la  nécessité  du  fait  le  requière.  Je  prie 
rassemblée  d'y  vouloir  aviser;  pour  ma  part,  je  vais  en  conférer  avec 
les  princes,  la  cour  du  parlement  et  le  conseil  d'Etat.  »  (Di:  Tiioc,  t.  Il, 
liv.  100,  p.  Ihi  et  suiv.  — Mém.  de  la  Ligue,  t.  V,  p.  56'2. —  Journal 
de  Henri  IV.) 

On  décida  qu'il  serait  répondu  que,  pour  la  conversion  du  roi  de 
Navarre,  c'était  au  Pape  seul  'a  prononcer,  lui  'a  qui  seul  appaitenait  le 
droit  de  lier  et  de  délier;  qu'on  ne  pouvait  ni  ne  devait  rien  faire  sans 
être  instruit  de  sa  volonté,  et  (pie,  quant  'a  la  trêve,  il  serait  temps  d'en 
parler  (piand  on  se  serait  d'abord  mis  d'accord  sur  cette  première  difli- 
culté.  {Mém.  de  la  Litjue,  ubi  sup.) 

Cependant,  le  cardinal  légat  faisait  renouveler  les  prières  publiques 
dans  toutes  les  églises,  pour  demander  ii  Dieu  d'inspirer  aux  Etats  le 
choix  des  moyens  convenables  a  la  cons(>rvation  du  royaume.  Le  dou- 
zième jour  de  mai,  il  y  eut  une  procession  solennelle  dans  laquelle  se 
firent  voir  trois  archevé(iues,  un  Fran(;ais,  un  Italien  et  un  Écossais,  et 
neuf  évè(jues,  les(iuels  portaient  les  châsses  des  bienheureux  martyrs  et 
apôtres  de  France,  Messieurs  saint  Denis,  saint  Éleuthère  et  saint 
Huslique.  La  châsse  de  Monseigneur  le  roi  saint  Louis  était  portée 
j)ar  treize  conseillers  de  la  cour,  et  la  vraie  croix  par  deux  religieux 
de  Saint-Denis,  (pii  avaient,  dès  le  commencement  de  la  guerre,  apporté 
avec  le  trésor  de  l'abbaye  cette  précieuse  relique  a  Paris,  alin  (|u"elle  y 
fût  plus  en  sûreté,  et  (pii  y  étaient  restés  pour  la  garder.  Ces  deux  reli- 
gieux marchaient  pieds  nus,  sous  un  riche  poêle  soutenu  parles  nobles 
de  rUnion,  (Davila,  t.  III,  liv.  IT),  p.  590  et  suiv.  —  Journal  de 
Henri  IV.) 

Ce  fut  le  docteur  Boucher  qui  prononça  le  sermon,  et  il  le  lit  avec 
sa  violence  ordinaire.  Il  avait  pris  pour  texte  ces  paroles  du  psalmiste  : 
«  Seigneur,  tirez-nous  du  bourbier  fétide,  »  et  on  l'entendit  n'qK'ler  a 
plusieurs  reprises  :  «  Seigneur,  débourbez-nous!  Débourbonnez-nous, 
Seigneur!  » 

Après  cette  procession,  si  on  eût  de  suite  procédé  à  l'élection,  et 
(jue  les  Espagnols  eussent  fait  franchement  alors  la  proposition  qu'ils 
tirent  ensuite  de  marier  leur  infante  avec  un  prince  français  ou  lorrain, 
nul  doute  qu'ils  n'eussent  réussi  a  atteindre  leur  but;  suivant  l'expres- 
sion de  Villeroi,  la  bête  était  prise  et  la  France  était  engagée  dans  une 


318  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

guerre  interminable.  Les  États,  en  eflet,  se  montraient  tout  prêts  à  don- 
ner leurs  voix  à  la  princesse,  si  elle  épousait  un  prince  français  ou 
lorrain,  tel  qu'il  plairait  à  Sa  Majesté  catholique  de  le  choisir  pour  son 
gendre,  et  déjà  le  cardinal  de  Bourbon,  chef  du  tiers-parti,  pensant  a 
taire  tomber  le  choix  sur  lui,  avait  fait,  dit-on,  ses  ofl'res  et  ses  pro- 
messes par  écrit.  (Villeroi,  Mém.  d'État,  1595.) 

De  son  côté,  le  roi  aussi,  qui  voyait  toute  l'étendue  du  danger,  pro- 
diguait plus  que  jamais  les  offres  les  plus  brillantes  a  Mayenne,  pour 
qu'il  se  réunit  a  son  parti.  L'outrecuidance  du  duc  de  Féria  trouva  le 
moyen  de  tourner  contre  l'Espagne  une  aussi  belle  chance  de  succès.  Il 
se  crui  tout  bonnement  maître  d'imposer  des  lois  a  la  France,  qu'il 
regardait  déjà  comme  une  propriété  acquise  a  son  souverain,  et  ne 
voulut  entendre  parler  ni  d'époux  français,  ni  d'époux  lorain  pour  la 
noble  fille  de  Philippe  II  ;  il  s'obstina  a  promettre  le  mariage  de  celle 
princesse  avec  l'archiduc  Ernest  d'Autriche,  <■<  brave  prince,  disail-il,  fort 
bon  catholique,  descendant  du  sang  de  France  par  le  côté  maternel,  et 
qui  devait  être  d'autant  plus  agréable  aux  F'rançais  que  leurs  premiers 
rois  étaient,  comme  cet  archiduc,  sortis  d'Allemagne.  » 

Le  légat,  qui  s'était  voué  corps  et  âme  a  toutes  les  idées  espagnoles, 
tint  chez  lui  une  assemblée  oii  assistèrent  le  duc  de  Mayenne,  les  princes 
de  sa  famille,  le  cardinal  de  Pellevé  et  l'évéque  de  Senlis,  ainsi  que 
l'ambassadeur  d'Espagne  Taxis  et  don  Diego  d'Ibarra.  Là,  prenant 
d'abord  la  parole,  l'ambassadeur  d'Espagne  s'étendit  longuement  sur  les 
louanges  de  l'infante,  dont  il  vanta  particulièrement  la  douceur  et  la 
libéralité.  Il  fit  aussi  un  éloge  pompeux  du  roi  son  maître,  qui,  sans 
aucun  espoir  d'augmenter  sa  puissance,  avait  dépensé  six  millions  d'écus 
d'or,  pour  conserver 'a  la  France  son  ancienne  religion.  {Dawla^  ubi  sup., 
p.  596  et  suiv.  —  DeThol,  ubi  sup.) 

«  Je  comptais,  dil-il,  que  les  conférences  de  Suresnes  auraient  un 
plus  heureux  succès,  et  que  les  sages  exhortations  de  l'archevêque  de 
Lyon  ramèneraient  les  catholiques  qui  se  sont  attachés  aux  sectaires; 
mais,  puis(jue  cette  espérance  n'a  pas  pu  se  réaliser,  il  ne  faut  pas  que 
l'amour  du  prochain,  quelque  louable  qu'il  soit,  nous  entraîne  a  faire  ce 
qui  serait  préjudiciable  'a  la  piélé  et  a  la  foi.  D'ailleurs,  ne  devez-vous 
pas  un  peu  craindre  d'offenser  un  prince  'a  ((ui  fa  France  a  déj'a  tant 
d'obligations,  en  traitant  avec  ses  ennemis,  et  cela  dans  le  temps  même 
où  il  vous  offre  toutes  ses  forces,  toutes  ses  richesses,  et  qu'il  vous 
sacrifie  ses  propres  intérêts?  Rompons,  Messieurs,  ces  déplorables  négo- 
ciations, et  cherchons  plutôt,  tous  d'un  commun  accord,  les  moyens  de 
repousser  les  ennemis  déclarés  de  cette  monarchie. 

«  L'opinion  du  roi  mon  maître  est  qu'il  n'y  a  pas  pour  cela  d'autre 
voie  plus  certaine  que  de  donner  tous  vos  suffrages  à  l'infante  d'Espagne, 
qui  a  pour  mère  Isabelle,  Mlle  aînée  de  Henri  111  ;  car,  suivant  toutes  les 
lois  divines  et  humaines,  c'est  'a  elle  que  cette  couronne  appartient  k 
défaut  (les  enfants  mâles  du  roi  Henri. 

«  Le  Souverain-Pontife  se  tient  tout  prêt  a  approuver  cette  élection, 


DU  PROTESTANTISME  EN  ERANGE.  319 

Cl  les  princes  lorrains,  ainsi  (|iie  les  autres  seigneurs  et  prélats  de 
France,  ne  doivent  pas  douter  qu'ils  n'y  trouvent  de  grands  avantages  en 
fortune,  puissance  et  honneurs.  Si  vous  vous  rendez,  comme  je  l'espère, 
'a  ces  sages  considérations,  je  vous  prie  de  me  le  Caire  connaître  au  plus 
tôt,  caries  troupes  du  roi  mon  maître,  (jui  sont  déjà  sur  vos  Irontières, 
se  tiennent  toutes  prêtes  à  accourir  'a  votre  secours.  Il  vous  ollre,  de 
plus,  de  payer  régulièrement  la  solde  et  l'entretien  de  treize  mille 
hommes  de  vos  troupes  françaises,  outre  six  cent  mille  ducats  qu'il 
s'engage  a  verser  par  an  pour  subvenir  aux  autres  frais  de  cette 
entreprise.  » 

En  ce  moment,  l'évêque  de  Senlis,  ce  Ligueur  si  passionné,  bondit 
sur  son  siège,  et  s'écria  :  «  Les  politiques  avaient  donc  raison  de  sou- 
tenir (jue  l'ambition  espagnole  se  cachait  sous  le  manteau  de  la  religion; 
et  moi,  trompé  (|ue  j'étais,  je  m'efforçais  avec  les  autres  prédicateurs 
dévoués  a  la  Sainte-Union  de  réfuter  cette  accusation.  Hélas  !  je  vois 
aujourd'hui  (ju'elle  n'était  pourtant  que  trop  vraie.  Espagnols  et  poli- 
tiques sont  semblables  en  tout  ;  ils  sont  tous  mus  par  le  même  motif  : 
l'intérêt  particulier  et  mondain.  Depuis  douze  cents  ans  la  loi  sali(|ueest 
en  vigueur  en  France,  comme  elle  l'était  anciennement  dans  le  royaume 
de  Juda,  où  l'on  ne  reconnaissait  pour  maîtres  que  des  mâles  du  sang 
royal.  Si  l'on  enfreint  cette  loi  sainte,  en  mettant  sur  le  trône  une 
femme,  nous  allons  voir  passer  le  sceptre  entre  les  mains  d'un  prince 
étranger  qui  ne  connaîtra  ni  nos  lois  ni  même  notre  langage,  et  cette 
monarchie,  qui  doit  sa  gloire  et  sa  puissance  'a  un  |)rincipe  inviolable  et 
inviolé  jusqu'à  nos  jours,  va  tout  'a  l'heure  dépendre  du  caprice  d'une 
jeune  fille  à  marier.  » 

Cette  virulente  diatribe,  a  laquelle  on  ne  s'attendait  guère  de  la  part 
d'un  pareil  homme,  qui  avait  parlé  hors  de  son  rang  et  sans  en  être 
re((uis,  déconcerta  merveilleusement  les  Espagnols.  Le  duc  de  Mayenne 
s'efforça  de  les  calmer  en  expli(|uant  comment  le  digne  prélat,  au  demeu- 
rant tout  dévoué  à  la  Sainte  Ligue,  avait  de  temps  a  autre  de  ces  accès 
de  fureur,  et  disait  des  choses  dont  il  était  le  premier  à  se  repentir  dans 
la  suite.  Le  duc  de  Féria  consentit  'a  paraître  satisfait  de  celle  explica- 
tion, et  il  demanda  qu'on  communiquât  aux  États  les  propositions  qu'il 
venait  de  faire.  Il  annonça  qu'il  chargerait  le  jurisconsulte  Mendoce, 
qu'on  avait  en  France  surnommé  le  lettré,  de  les  expliquer  a  Messieurs 
les  députés. 

Or,  pendant  ce  lemps-l'a,  les  États,  qui  n'avaient  rien  de  mieux  a 
faire,  s'occupaient  'a  discuter  sur  le  concile  de  Trente.  Monsieur  le  légat 
en  pressait  vivement  la  i)ublication,  et  soutenait  (|ue,  sans  la  |)ul)licalion 
pure  et  simple  des  canons  et  décrets  de  ce  concile,  on  ne  pouvait  main- 
tenir en  France  la  religion  pour  la(|uelle  on  combattait  depuis  si  long- 
temps. C'était  précisément  exiger  le  renversement  des  anciennes  lois 
civiles,  religieuses  et  canoniques  du  royaume;  aussi  plusieurs  des  députés 
manifestèrent  hautement  leur  opposition,  et  l'on  chargea  Messire  Jean 
Le  Maître,  que  le  duc  de  Mayenne  venait  de  nommer  président  au  parle- 


320  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

menl  de  Paris,  et  le  conseiller  Du  Vair,  de  faire  un  rapport  détaillé  sur  la 
matière.  (Di-:  Thou,  ihid.,  p.  711  et  suiv.) 

Ces  deux  mai^islrats  jugèrent  que,  pour  un  grand  nombre  de  raisons, 
la  publication  du  dit  concile  en  France  n'était  pas  admissible.  J'extrairai 
les  principaux  articles  de  leur  rapport,  car  ces  sortes  de  cboses,  tout 
abstraites  qu'elles  sont,  ne  sont  pas  sans  importance,  même  aujourd'hui. 
Les  rapporteurs  trouvèrent  donc  que  le  décret  de  la  quatrième  section, 
ordonnant  que  les  imprimeurs  des  livres  défendus  soient  traduits  devant 
le  tribunal  de  l'évoque,  pour  être  punis  ainsi  qu'il  appartiendra,  était 
contraire  a  un  édit  de  Henri  II  donné  en  1547,  'a  l'édit  de  Château- 
briant  de  1551  et  'a  l'ordonnance  de  Charles  IX  de  1566;  que  le  chapitre 
premier  de  la  sixième  session,  qui  permet  au  Pape  de  déposer  les  évoques 
quand  ils  n'observent  pas  la  résidence,  se  trouvait  en  opposition  directe 
avec  le  concordat  signé  avec  Léon  X;  que,  dans  la  session  septième,  le 
chapitre  qui  donne  aux  évêques  droit  d'inspection  sur  les  hôpitaux,  cha- 
pitres, confréries  laïques  et  universités,  avec  pouvoir  d'exiger  des  comptes 
et  de  casser  les  administrateurs,  attentait  aux  prérogatives  des  juges 
royaux,  qui  seuls  sont  chargés  par  nos  lois  de  veiller,  au  nom  du  roi, 
sur  tous  les  biens  de  la  nation  ;  que  la  permission  accordée,  dans  la 
session  vingt-quatrième,  aux  mêmes  évêques  de  procéder  contre  ceux 
qui  contractent  des  mariages  irréguliers,  est  destructive  de  notre  droit 
commun,  suivant  lequel  le  juge  ecclésiastique  ne  doit  connaître  que  du 
sacrement;  que  dans  la  session  vingt  et  unième,  où  il  est  dit  qu'on  don- 
nera aux  prêtres  qui  desserviront  les  églises  nouvellement  érigées  une 
portion  congrue  sur  les  biens  de  l'Eglise,  et  qu'au  besoin  on  obligera  le 
peuple  a  fournir  et  compléter  la  somme  nécessaire,  on  attaque  tout  a  la 
fois  les  droits  du  clergé,  ceux  du  roi  et  ceux  de  la  nation  ;  que,  dans  la 
session  suivante,  chapitre  dixième,  on  altaifue  également  l'autorité 
royale  et  celle  des  magistrats,  en  remettant  au  commissaire  du  Saint- 
Siège  pouvoir  d'examiner  les  notaires  tant  ecclésiastiques  que  séculiers, 
et  de  les  sasi>endre  de  leurs  fonctions  ;  que  le  chapitre  de  la  session 
vingt-(juatrièmc,  donnant  a  l'ordinaire  droit  de  poursuivre  pour  crime 
d'adultère  et  de  concubinage,  même  contre  des  laïcs,  est  fait  en  haine  et 
au  détriment  du  parlement;  que,  dans  la  session  vingt-cincjuième,  où  l'on 
permet  aux  religieux  de  posséder  des  biens  immeubles,  on  viole  tout 
simplement  les  constitutions  de  ces  ordres,  sur  la  garantie  desquelles  ils 
ont  été  reçus  en  France;  que,  dans  la  même  session,  on  donne  aux  juges 
ecclésiastiques  pouvoir  de  procéder  même  contre  les  laïcs,  (juand,  de 
quehjue  façon  que  ce  soit,  il  sera  trouvé  dans  la  cause  quelque  chose 
(jui  concerne  l'Eglise,  autorisant,  en  ce  cas,  les  dits  juges  a  faire  des  a 
saisies  et  a  prononcer  des  amendes  et  même  des  emprisonnements,  ce 
qui  détruit  tous  nos  anciens  usages  et  prérogatives  ;  que  le  chapitre  sui- 
vant, qui  ordonne  que  tous  les  anciens  canons  et  constitutions  aposto- 
liques soient  remis  en  vigueur,  ne  tend  qu'à  rétablir  une  foule  de  vieux 
abus  dont  le  temps  a  fait  justice  ;  que  le  chapitre  vingtième  de  la  session 
vingt-(|ualrième  réserve  a  la  juridiction  de  la  cour  de  Rome  une  foule  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  3-21 

causes,  et  enlève  ainsi  les  citoyens  a  leurs  juges  légitimes  et  naturels; 
et(|u'cn(in,  dans  une  foule  d'autres  dispositions,  le  concile  viole  et  foule 
aux  pieds  les  constitutions  de  la  monarchie  et  nos  libertés  gallicanes. 
Par  toutes  ces  causes,  concluons  a  ce  que  la  publication  du  dit  concile 
n'ait  pas  lieu.  (PASoinr.H,  Rechcrch.,  ch.  xxxiv.) 

Le  légat,  'a  (jui  l'on  cominuni(jua  ce  rapport,  dissimula  son  ressen- 
timent. 11  crut  devoir  attendre  une  occasion  plus  favorable  et  Ht  retirer 
sa  proposition. 

Ce  fut  à  la  suite  de  cette  discussion  (pi'on  vint  apporter  'a  l'as- 
semblée la  proposition  de  l'ambassadeur  d'Espagne.  On  commença  par 
demander  (jue  le  légat  fût  admis  a  la  séance.  Le  Tiers-État  s'y  opposa, 
disant  que  les  Etats-Généraux  de  France  ne  reconnaissent  d'autre  chef 
que  le  roi.  Le  clergé,  au  contraire,  dit  (|ue,  la  France  étant  un  royaume 
essentiellement  catholique,  la  révérence  due  au  Saint-Père  exigeait  qu'on 
appelât  son  représentant;  la  noblesse  fut  du  même  avis,  et  ainsi  ii  a  été 
conclu  ((ue  Monseigneur  le  légat  serait  admis.  {Journal  de  Henri  IV, 
t.  I,  p.  7)50.) 

L'ambassadeur  espagnol  ne  s'y  trouva  pas  en  personne  ;  seulement, 
illit  dire  aux  députés  (ju'après  y  avoir  bien  réfléchi,  il  ne  voyait  d'autre 
remède  aux  maux  de  la  France  que  d'accepter  pour  reine  la  lille  bien- 
=  aimée  du  roi  son  maître,  le  plus  puissant  monanjne  de  la  terre,  et  ([u'il 
les  priait  de  vouloir  bien  écouter  iavoral)lement  don  Mendoce,  chargé 
par  lui  de  leur  expli(|uer  clairement  les  droits  que  celte  j)rincesse  avait 
au  trône  de  France. 

Alors  le  lettré  iMendoce  lit  un  long  discours  divisé  en  sept  j)oints, 
avec  corollaires  et  conclusions.  H  prouva  que,  par  le  décès  de  tous  les 
enfants  mâles  de  Henri  II,  la  couronne,  suivant  tout  droit  humain,  divin, 
ecclésiastique  ou  autre,  appartenait  à  l'Infante  d'Espagne;  que, d'ailleurs, 
ceux  qui  la  lui  disputaient  n'étaient  que  des  hérétiques  ou  fauteurs  d'hé- 
rétiques, et  que  le  Souverain-Pontife,  juge  suprême  en  pareille  matière, 
avait  déj'a  prononcé  sans  appel.  Quel((ues-uns  des  assistants  dirent  qu'il 
n'était  pas  étonnant  qu'un  étranger,  sans  aucune  connaissance  des  lois 
du  pays,  parlât  ainsi,  et  qu'il  fallait  excnser  ce  pauvre  homme.  En  géné- 
ral, la  proposition  fut  assez  mal  reçue  de  la  plupart  des  députés,  qui  la 
trouvaient  humiliante  et  s'indignaient  (ju'on  vint  comme  leur  imposer 
d'avoir  à  se  soumettre  'a  une  domination  étrangère,  et  cela  sans  avoir  fait 
aucun  préparatif  d'armes  ni  de  fmances.  Toutefois,  comme  on  ne  voulait 
pas  aigrir  les  Espagnols,  il  fut  répondu,  après  divers  compliments,  que 
la  dite  proposition  serait  mise  en  délibération.  (De  Thou,  ubi  svp.  — 
DAvn.A,  ibicL,  p.  400.) 

Mais  le  parlement  de  Paris,  ayant  eu  avis  do  cette  atteinte  méditée 
contre  la  loi  Sali(|ue,  sentit  réveiller  toutes  ses  vieilles  susceptibilités  a 
ridée  de  voir  la  couronne  de  France  transférée  dans  une  maison  étran- 
gère. Il  lit  publier  l'arrêt  suivant  :  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  V,  p.  577.) 

«  Sur  les  remontrances  laites  par  le  procureur  du  roi,  et  toutes  les 
chambres  assemblées,  la  cour  n'ayant  jamais  eu  d'autre  intention  que  de 

!▼-  21 


322  HISTOIRE  DE  L^ÉTABLISSEMENT 

niainlenir  la  relii^ion  catholique,  apostolique  et  romaine,  sous  la  protection 
d'un  roi  cathoii(jue  français,  a  ordonné  et  ordonne  que  par  Monsieur  le 
Président  Le  Maître,  assisté  d'un  bon  nombre  de  conseillers,  remon- 
trances seront  faites  a  Monsieur  de  Mayenne,  lieutenant  général  de  cet 
État  de  France,  a  cette  lin  qu'aucun  traité  ne  se  fasse  pour  transférer  la 
couronne  en  la  main  de  princes  ou  princesses  étrangers,  contrairement 
aux  antiques  lois  de  ce  royaume;  déclare  dès  aujourd'hui  que  tout  traité 
fait  ou  à  faire  dans  le  but  de  ce  résultat,  qu'elle  a  condamné  et  condamne, 
sera  réputé  nul  et  de  nul  effet,  comme  fait  au  préjudice  de  la  loi 
Salique.  —  Donné  a  Paris  le  vingt-huitième  jour  de  juin  1595.  » 

Le  duc  de  Mayenne,  aussitôt  qu'il  eut  eu  connaissance  de  cet  arrêt, 
que  quelques-uns  ont  prétendu  a  tort  avoir  été  dicté  par  lui-même  a  la 
cour,  pour  entraver  l'élection  et  se  conserver  dans  sa  charge,  ht  dire 
au  président  Le  Maître  de  venir,  avec  deux  conseillers,  au  logis  de  l'ar- 
chevêque de  Lyon,  où  il  se  trouverait  en  personne.  La,  il  dit  que  la 
cour  lui  avait  fait  un  grand  tort  et  affront  en  donnant  un  pareil  arrêt 
sans  l'en  avertir.  Le  président  répondit  que  si  Son  Altesse  avait  voulu 
se  trouver  à  la  séance,  comme  c'était  son  droit  et  comme  elle  y  avait 
été  invitée,  elle  aurait  entendu  qu'au  lieu  de  lui  faire  affront  on  avait 
toujours  parlé  d'elle  avec  toutes  sortes  d'honneurs  et  de  respects;  que 
l'intention  de  la  cour  avait  été  de  ne  mécontenter  personne,  mais  de 
rendre  justice  a  tous.  [Journal  de  Henri  IV,  p.  509.  —  Mém.  de  ISevers, 
t.  II,  p.  055.) 

L'a-dessus,  l'archevêque  de, Lyon  tout  en  colère  s'écria  :  «  Mais  votre 
inconcevable  arrêt  va  jeter  la  division  dans  le  parti  de  l'Union,  et  donner 
tout  avantage  à  nos  adversaires.  —  J'en  suis  fâcjié,  Mons^eigneur,  répli- 
qua Le  Maître.  J'ai  bien  voulu  supporter  les  reproches  de  Monsieur  de 
Mayenne,  pour  l'honneur  et  le  respect  que  nous  lui  portons  tous  ;  mais  'a 
vous,  Monseigneur,  a  qui  nous  ne  devons  rien,  et  qui  devez  au  contraire 
respect  'a  la  cour,  je  prendrai  la  liberté  de  dire  que  vous  devez  parler 
avec  plus  de  modération  et  de  modestie  en  sa  présence.  » 

«  C'est  pourtant  a  moi,  reprit  Mayenne,  que  la  plupart  d'entre  vous 
doivent  leur  avancement  et  leurs  dignités!  —  Si  c'est  de  moi  que 
vous  voulez  parler,  répondit  le  président,  je  reconnais  qu'en  effet  c'est 
vous  qui  m'avez  nommé  président;  mais  vous  n'y  avez  pas  mis  cette 
condition  que  je  n'aurais  plus  la  liberté  de  parler  franchement.  — 
Cela  n'empêche  pas,  continua  le  duc,  que  votre  arrêt  sera  la  cause  d'une 
sédition  dangereuse;  car  déjà  le  peuple  s'assemble  par  les  rues  et  com- 
mence a  murmurer.  —  La  cour  alors,  répliqua  Le  Maître,  sait  ce  qu'ellej 
aura  a  faire  pour  châtier  les  séditieux.  —  Fort  bien,  ajouta  rarchcvêqueil 
de  Lyon,  je  vois  que  vous  avez  tellement  su  arranger  les  choses,  que,  s'il 
arrivait  qu'on  voulût  traiter  maintenant  avec  les  partisans  du  Navarrais, 
ce  serait  vous  qui  en  auriez  l'honneur  et  non  Monsieur  de  Mayenne.  — 
Monseigneur,  dit  le  magistrat,  la  cour  n'a  ni  ambition,  ni  désirs  d'hon- 
neurs; elle  ne  pense  qu"a  soutenir  les  lois  fondamentales  de  ce  royaume, 
et  chacun  de  ses  membres  est  prêt  'a  subir  mille   fois   la   mort  plutôt 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  323 

que  de  se  faire  ni  espagnol,  ni  hérétique.  »  Cette  discussion  se  termina 
par  cette  réplique  mordante. 

Cependant  la  faction  des  zélés  ne  cherchait  qu'à  empêcher  tout 
rapprochement;  elle  fit  afficher  par  les  carrefours  de  Paris  une  seconde 
protestation  contre  la  conférence.  «  Les  catholiques  et  les  politiques, 
disait  cette  alfiche,  demandent  également  la  paix,  mais  chacun  pour  une 
raison  hien  différente.  Les  catholiques  ne  la  veulent  que  pour  exterminer 
riiérésie,  et  avoir  un  roi  qui  soit  de  leur  foi;  les  politiques  la  veulent 
pour  étahlir  à  leur  aise  et  faire  reconnaître  un  roi  hérétique.  Mais  ils 
ahusent  de  ce  mot  de  paix;  car  peut-il  y  avoir  paix  avec  l'hérésie  ou  l'hy- 
pocrisie? Cessons  donc  d'entretenir  tous  ces  dangereux  rapports  avec  les 
ennemis  de  Dieu  et  de  son  Église,  et  qu'il  soit  défendu  a  toute  personne, 
de  quelque  qualité  qu'elle  soit,  de  parler  désormais  même  de  la  possihilité 
de  reconnaître  un  jour  le  Béarnais  hérétique,  excommunié  et  relaps.  Ce 
(jue  nous  avons  'a  faire,  c'est  d'élire  sans  retard  ni  interruption  un  roi 
catholique,  assez  fort  et  puissant  pour  qu'il  soit  en  état  de  rompre  les 
desseins  de  l'ennemi,  et  qui  ne  puisse  cependant,  ni  lui  ni  ses  succes- 
seurs, entreprendre  aucune  guerre  sans  l'avis  des  États  assemblés,  faire 
levées  extraordinaires,  aliénation  de  domaines  et  création  d'oflices,  sans  le 
consentement  de  la  nation.  La  nation  seule,  par  ses  représentants,  nom- 
mera les  membres  du  conseil  royal;  et  a  cet  effet,  les  États  seront  con- 
voqués au  moins  tous  les  cin(|  ans.  Avant  donc  de  vous  donner  un 
maître,  obligez-le  à  jurer,  pour  lui  et  ses  successeurs,  qu'il  observera 
toutes  ces  conditions.  Faites  cela.  Messieurs  des  États,  sans  vous  laisser 
détourner  ni  tromper,  et  en  toute  joie  et  allégresse  nous  n'aurons  plus 
qu'à  rendre  grâces  à  Dieu  et  crier  victoire,  à  la  grande  confusion  des 
huguenots  et  politiques.  »  (Cavet,  ubi  sup.  —  Miîzerav,  t.  IIl,  p.  1026.) 

Ne  s'en  tenant  pas  aux  seules  armes  de  la  polémique,  les  zélés  s'in- 
géraient, de  plus,  à  exercer  une  sorte  d'inquisition  snr  ceux  qu'ils  soup- 
çonnaient d'avoir  (|uel(ine  tendance  royaliste.  Ils  savaient  que  l'abbé  de 
Sainte-Geneviève  était  précisément  dans  ce  cas,  quoiqu'il  reçût  à  sa  table 
les  gens  les  plus  influents  des  diverses  opinions,  et  jusqu'au  docteur 
Boucher  lui-même.  Celui-ci  gagna  un  des  moines  de  l'abbaye  qui  s'en 
alla  dire  à  l'abbé  :  «  J'ai  entrepris  un  saint  pèlerinage  à  Notre-Dame-des- 
Vertus,  s'il  vous  plaît  m'en  octroyer  permission.  De  là  j'irai  jusqu'à 
Saint-Denis;  si  vous  aviez  quelques  commissions  pour  le  sieur  Séguier, 
qui  est  de  présent  en  ce  lieu,  je  m'en  chargerai  volontiers.  » 

L'abbé,  qui  ne  se  méfiait  pas  de  ce  religieux,  auquel  il  avait  môme 
plus  d'une  fois  rendu  de  bons  offices,  lui  donna  deux  billets  cachetés, 
dans  l'un  des(juels  il  y  avait  :  «  Sachez  de  Monsieur  ce  (ju'il  veut  que  je 
dise  pour  son  procès  ;  »  et  dans  l'autre  :  «  Envoyez-moi  les  passeports 
pour  les  robes  roiîges  ([ue  vous  savez.  »  Le  moine  porta  ces  deux  billets 
à  ceux  qui  Lavaient  mis  en  jeu.  Mais,  comme  ils  étaient  conçus  en  termes 
trop  obscurs,  «  si  vous  voulez,  dit-il,  j'irai  vous  en  chercher  la 
réponse.  » 

On  ne  voulut  pas  se  dessaisir  tout  a  la  fois  des  deux  originaux,  qui 


324  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

semblaient  toujours  bons  à  conserver.  On  en  garda  un,  dont  on  ne  remit 
qu'une  copie,  et  le  moine  porta  celte  copie  avec  l'autre  billet  'a  Monsieur 
Sé^uier,  duquel  il  eut  pour  réponse,  et  seulement  de  bouche  :  «  Dites  a 
votre  abbé  que  je  lui  écrirai.  » 

Boucher  ne  trouvait  pas  là  ce  qu'il  cherchait.  Il  n'en  dénonça  pas 
moins  l'abbé  à  Monseigneur  le  légat,  l'accusant  de  connivence  avec 
Tennemi.  Mayenne,  a  qui  l'affaire  fut  déférée,  envoya  quérir  l'accusé,  et, 
l'ayant  tiré  à  part,  il  lui  montra  le  billet  où  il  était  question  d'un  passe- 
port pour  les  robes  rouges,  en  lui  en  demandant  l'explication.  «  Monsei- 
gneur, répondit  l'abbé  sans  se  déconcerter,  vous  savez  qu'avec  votre 
permission  je  suis  allé  tout  dernièrement  'a  Saint-Denis  pour  ravoir  des 
blés  qui  m'appartenaient  et  qui  m'avaient  été  pris  par  les  gens  du  roi. 
Monsieur  Séguicr  et  (juelques-uns  des  conseillers  qui  sont  avec  lui, 
m'ayant  rendu  service  en  cette  occasion,  me  prièrent  de  trouver  un 
moyen  de  leur  faire  tenir  leurs  robes  rouges,  qulils  ont  oubliées  à  Paris, 
afin  de  pouvoir  assister  en  costume  a  l'abjuration  que  va  faire  le  roi  de 
Navarre,  et  c'est  au  sujet  de  cette  commission  que  j'ai  écrit  ce  billet. 
—  Est-il  bien  vrai  que  le  roi  veuille  se  rendre  catholique,  interrompit 
Mayenne.  —  Très-vrai.  —  Plût  'a  Dieu  donc  que  cela  fût  déj'a  et  que  ce 
fût  au  contentement  de  Notre-Saint-Père!...  Mais,  poursuivit  le  duc, 
voici  un  autre  écrit  émané  de  vous;  comment  l'expliquez-vous?  » 

L'abbé  s'aperçut  que  ce  second  billet  n'était  pas  de  son  écriture. 
C'était  celui  dont  on  n'avait  gardé  que  la  copie.  «  Je  n'ai  point  écrit 
cela,  répondit-il,  et  je  n'ai  point  d'explications  à  donner.  »  Grâce  à  sa 
présence  d'esprit,  et  un  peu  aussi  'a  la  faveur  de  Monsieur  de  Mayenne, 
il  en  fut  quitte  pour  être  renvoyé  sous  bonne  garde  jusqu'à  nouvel  ordre. 
Les  zélés  voulaient  qu'on  lui  fît  son  procès  ;  mais  Mayenne  répondit  : 
<c  Si  je  vous  croyais,  j'aurais  bientôt  mis  toute  la  ville  de  Paris  hors  de 
ses  murailles,  pour  peu  qu'il  fallût  en  chasser  tous  ceux  qui  ne  sont  pas 
de  votre  avis  ;  ainsi  ne  m'en  parlez  plus.  » 

Toutefois,  pour  se  remettre  bien  avec  le  légat,  à  qui  la  manière  dont 
il  avait  terminé  cette  affaire  n'était  rien  moins  qu'agréable,  il  s'en  alla 
jurer  entre  ses  mains  de  ne  reconnaître  jamais  le  roi,  quand  même  il  se 
ferait  catholique,  à  moins  qu'il  n'en  reçût  l'ordre  exprès  du  Pape  ;  plu- 
sieurs autres  princes  et  seigneurs  du  parti  de  l'Union  s'obligèrent  par 
le  même  serment.  Mais  on  se  garda  bien  d'en  parler  à  Villeroi  et  au 
président  Jeannin.  «  Si  j'ai  gardé  le  silence  avec  vous,  leur  dit  plus  tard 
le  duc,  c'est  que  je  voulais  tenir  la  parole  que  j'avais  donnée  au  légat  et 
aux  Espagnols,  et  que  je  n'ignorais  pas  que  vous  m'auriez  désapprouvé.  » 
(Matth.,  p.  155.) 

Cependant,  le  cinquième  jour  de  juin,  les  délégués  des  deux  partis 
qui  avaient  pris  part  aux  conférences  de  Suresnes  s'étaient  de  nouveau 
réunis  à  La  Roquette,  proche  la  porte  Saint-Antoine.  L'archevêque  de 
Lyon  commença  par  s'excuser  d'avoir  si  longtemps  fait  attendre  la 
réponse  aux  propositions  des  royalistes;  mais  il  avait  été  dans  l'obliga- 
tion de  prendre  l'avis  de  beaucoup  de  personnes.  Au  résumé,  ce  qu'il 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  325 

avait  charge  de  dire  était  (jiie,  quant  a  la  conversion  du  roi  de  Navarre, 
on  désirait  la  voir  vraie  et  sans  aucune  liction,  mais  qu'on  n'espérait 
guère  de  voir  ce  désir  accompli,  attendu  que  ce  prince  prêtait  toujours 
Toreillea  ses  ministres  et  soi-disant  pasteurs,  au  lieu  de  faire  de  dignes 
fruits  de  pénitence  et  d'abandonner  franchement  son  erreur.  Pour  les 
traités  de  paix,  ils  ne  pouvaient  y  prêter  l'oreille,  vu  que  ce  serait  traiter 
avec  le  dit  roi  de  Navarre,  qui  était  hors  de  l'Église,  et  qu'il  fallait  avant 
tout  avoir  la  certitude  (ju'il  était  réuni  et  réconcilié  au  Saint-Siège,  dont 
c'était  leur  devoir  d'attendre  le  jugement. 

Monsieur  de  Bourges,  après  s'être  consulté  avec  ses  collègues,  répon- 
dit :  «  Nous  comptions  avec  raison  sur  votre  zèle  pour  le  bien  de  l'Etat, 
et  nous  sommes  nous-mêmes  très-joyeux  de  la  joie  que  vous  donne  la 
conversion  de  Sa  Majesté.  C'était  en  effet  l'objet  des  vœux  de  tous  les 
bons  et  vrais  Français,  qui  voient  là  tout  a  la  fois  l'avancement  de 
l'Eglise,  l'extinction  de  l'hérésie  et  la  prospérité  de  la  patrie.  Au  reste,  il 
n'y  a  plus  maintenant  a  douter  de  ce  bonheur;  le  roi.  Messieurs,  reçoit 
'a  l'heure  qu'il  est  et  avec  la  plus  grande  docilité  les  instructions  des  pré- 
lats qu'il  a  appelés  autour  de  lui,  et  nous  devons  tous  le  louer  de  n'avoir 
pas  voulu  faire  son  abjuration  sans  pouvoir  se  dire  pleinement  convaincu. 
Il  est  également  décidé  'a  donner  'a  Sa  Sainteté  toute  satisfaction,  et  'a  lui 
prêter  l'obédience  qui  lui  est  due  par  tous  les  princes  chrétiens,  ainsi 
que  l'ont  fait  ses  prédécesseurs.  Mais  en  ce  qui  concerne  l'état  de  ce 
royaume,  si  Sa  Sainteté  elle-même  pensait  à  y  toucher,  il  vous  croit  trop 
bons  Français  pour  que  vous  puissiez  exiger  qu'il  permette  le  boulever- 
sement de  nos  lois  et  de  nos  droits  et  l'anéantissement  des  libertés  de 
l'Eglise  gallicane.  Le  roi  d'Espagne  lui-même  nç  donnerait  pas  une 
pareille  permission  dans  les  royaumes  qu'il  possède  déjà  et  auxquels  il 
ne  demanderait  pas  mieux  au  contraire  que  d'ajouter  le  nôtre.  .Mais  il 
faudra  bien  qu'il  se  contente  de  n'être  que  notre  ami  et  notre  allié,  s'il  le 
veut.  J'ajoute  pour  en  finir  que  vous  avez  tort  de  faire  encore  des  diffi- 
cultés pour  accepter  la  paix  que  nous  vous  proposons.  Le  roi  étant  résolu 
de  se  faire  catholique,  je  ne  conçois  pas  quel  scrupule  peut  vous  arrêter. 
Monsieur  le  légat,  au  reste,  n'est-il  pas  la  pour  vous  relever  de  tout 
scrupule  de  ce  genre,  si  vous  en  avez  encore,  et  n'en  a-t-il  pas  le 
pouvoir?  »  (Cavet,  ubi  sup.) 

Monsieur  de  Lyon  répliqua  :  «  Tout  ce  (ju'on  nous  a  fait  entendre 
jusqu'à  présent  touchant  la  conversion  du  prince  n'est  fondé  que  sur 
raisons  humaines  et  considérations  d'État,  qui  ne  sont  moyens  propres  à 
attirer  la  loi  et  grâce  de  Dieu.  Aussi  voyons-nous  que  les  princes  héré- 
ti(jues  a  l'étranger,  et  les  huguenots  français  eux-mêmes,  ne  témoignent 
pas  grande  appréhension  d'une  pareille  démarche.  On  craint  de  se  les 
aliéner,  dit-on,  en  montrant  j)lus  de  franchise  et  d'empressement.  Ce  n'est 
pas  ainsi  que  se  font  les  véritables  conversions.  Le  saint  évêque  Avitus, 
voyant  le  roi  Gondebaut  de  Bourgogne  demander  'a  se  faire  sacrer  en 
cachette,  pour  ménager  les  susceptibilités  de  ceux  de  ses  sujets  qui 
étaient  encore  païens,  lui  dit  :  «  Hoi,  si  tu  crois  véritablement  ce  que  tu 


326  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

dis  croire,  pourquoi  crains-tu  de  le  confesser  publiquement  ?  »  On  nous 
assure  que  le  prince  est  tout  disposé  a  rendre  au  Souverain-Pontife  la 
soumission  qui  lui  est  due.  En  ce  cas,  qu'il  s'en  remette  d'abord  'a  son 
jugement  pour  sa  conversion  ;  qu'il  s'incline  devant  lui  avec  humilité 
chrétienne  et  filiale  obéissance,  non  avec  les  conditions  et  modifications 
qu'on  propose,  lesquelles  ne  tendent  a  rien  moins  qu'a  établir  un  schisme 
dans  l'Église.  Bref,  continua  l'orateur,  nous  croyons  maintenant  que  tout 
le  fruit  qu'on  pourrait  tirer  de  ces  conférences,  si  elles  doivent  avoir  un 
fruit,  serait  que  vous  ouvriez  vous-même  les  yeux  et  vous  réunissiez  sin- 
cèrement avec  nous,  pour  la  conservation  de  notre  foi  et  l'extirpation  de 
l'hérésie.  » 

Après  ce  discours,  il  y  eut  de  nouveau  un  grand  tumulte  de  discus- 
sions sur  la  puissance  temporelle  du  Pape,  sur  les  bulles  d'excommuni- 
cation et  sur  ce  qu'on  devait  entendre  par  les  libertés  de  l'Eglise  galli- 
cane. Quand  on  se  fut  retiré  chacun  a  part  pour  se  consulter  de  rechef, 
les  délégués  ligueurs,  ne  pouvant  ignorer  le  mauvais  effet  que  ferait  sur 
le  peuple  de  Paris  le  refus  d'accepter  la  trêve  qui  était  offerte,  décidèrent 
qu'on  reprendrait  encore  une  fois  la  discussion.  Monsieur  de  Bourges  leur 
répéta  que  le  roi  se  ferait  absoudre,  (ju'il  irait  'a  la  messe,  qu'il  enverrait 
ensuite  en  son  nom  une  ambassade  au  Pape,  pour  lui  demander  sa  béné- 
diction, mais  que,  pour  parler  en  bon  Français,  ni  lui  ni  ses  collègues 
ne  se  résoudraient  jamais  à  mettre  la  couronne  de  France  comme  en  gage 
au  delà  des  monts.  «  Si,  ajouta-t-il,  au  lieu  de  toutes  ces  disputes  inu- 
tiles et  dangereuses,  vous  vous  joigniez  franchement  a  nous.  Messieurs, 
pour  supplier  Sa  Sainteté  de  consentir  au  salut  de  la  France,  toute  diffi- 
culté serait  bientôt  aplanie.  » 

«  Ce  n'est  pas  a  nous  a  faire  une  pareille  démarche,  s'écria  Monsieur 
de  Lyon,  emporté  peut-être  plus  loin  qu'il  ne  l'aurait  voulu.  C'est  a  vous 
a  vous  pourvoir  comme  vous  l'entendrez  auprès  du  Souverain-Pontife. 
Nous,  quand  il  aura  prononcé,  nous  obéirons  en  fils  soumis;  mais  nous 
savons  trop  le  respect  que  nous  devons  a  son  omnipotence,  pour  vouloir 
apporter  le  moindre  obstacle  'a  sa  volonté  dans  une  afiaire  aussi  impor- 
tante. » 

Alors,  Monsieur  de  Bourges  dit  :  «  Messieurs,  nous  nous  retirerons 
donc.  »  Et,  comme  on  se  levait  déj'a  pour  partir,  quelques-uns  avisèrent 
(ju'il  ne  fallait  pas  se  séparer  ainsi  et  abandonner  une  aussi  bonne 
œuvre,  et  Monsieur  de  Schomberg  demanda  qu'on  eût  encore  une  réu- 
nion le  vendredi  suivant. 

El  parce  que  le  terme  de  la  surséance  d'armes  était  expiré,  ceux  de 
l'Union  proposèrent  de  le  proroger;  mais  les  délégués  royalistes  décla- 
rèrent qu'ils  n'avaient  pas  pouvoir  d'y  c'onsentir;  que,  d'ailleurs,  cette 
demande  n'avait  pour  but  que  de  gagner  du  temps  pour  faire  avancer  les 
forces  étrangères,  et  faire  entrer  le  plus  de  vivres  possible  dans  Paris. 
On  linit  pourtant  par  accorder  encore  trois  jours. 

Au  moment  où  l'on  se  retirait,  un  de  ceux  de  l'Union  prit  ce  temps 
pour  remettre  entre  les  mains  de  Monsieur  de  Bo.iiges  cette  réponse  par 


à 


i.)[:  l'iioTi.sTANrisMK  i:n  lllANCi;.  :527 

(•cril  :  «  .Messieurs,  vous  nous  avez  dit  el  écrit  que  le  roi  de  Navarre 
devait  se  faire  instruire,  et  (|u'il  se  ferait  bon  et  vrai  catl)oli([ue  dans  peu 
de  jours.  Vous  avez  ajouté  <|u'il  était  déjà  catholique  au  fond  du  cœur, 
et  comme  pour  arrlies  de  sa  bonne  volonté,  vous  nous  offrez  de  signer 
une  trêve  pour  deux  ou  trois  mois.  Nous  désirons  la  conversion  de  ce 
prince,  et  prions  Dieu  (ju'elle  soit  sincère  et  telle  que  Notre-Saint-Père, 
à  (jui  seul  en  appartient  le  jugement,  puisse  en  être  satisfait.  Nous  ne 
pouvons  toutefois  vous  celer  que  nous  ne  voyons  encore  rien  en  ce 
prince  qui  doive  réaliser  cet  espoir;  car  il  aurait  déjà  dû  éloigner  de  lui 
les  faux  docteurs,  et  discontinuer. l'exercice  d'une  religion  <|u'il  recon- 
naît mauvaise.  Néanmoins,  chacun  sait  qu'il  en  est  autrement,  (|u'il 
pousse  encore  à  l'établissement  de  l'erreur  qu'il  dit  vouloir  abjurer,  et, 
s'il  en  agit  maintenant  ainsi,  (|ue  ne  devons-nous  pas  craindre  pour 
l'avenir?  Il  vaudrait  mieux  pouvoir  nous  dire  que  la  grâce  de  Dieu  l'a 
touché  subitement,  que  de  vouloir  nous  faire  croire  qu'il  a  depuis  long- 
temps ouvert  les  yeux  a  la  vérité.  Au  demeurant,  vous  savez  ce  que 
l'Eglise  exige  pour  une  véritable  conversion,  et  c'est  a  vous  a  le  conseiller, 
mais  c'est  au  Saint-Siège  à  y  4mettre  la  première  et  dernière  main,  et  'a 
lui  donner  l'absolution  sans  laquelle  il  ne  peut  être  tenu  pour  vrai  enlant 
de  l'Église.  Pour  nous,  s'il  obtient  convenablement  cette  réhabilita- 
tion spirituelle,  nous  promettons  que,  sans  aucune  passion  ni  aucune 
considération  pour  l'intérêt  de  qui  (|ue  ce  soit,  nous  nous  conforme- 
rons aux  intentions  de  Sa  Sainteté.  Mais  avant  que  cette  conversion 
soit  reçue  et  approuvée  du  Saint-Siège,  vous  voudrez  bien  prendre 
en  bonne  part  si  nous  ne  voulons  pas  traiter  avec  vous,  sans  avoir 
l'avis  et  l'approbation  du  chef  de  l'Église;  car  il  s'agit  ici,  non  seide- 
ment  du  salut  du  royaume,  mais  encore  de  la  conservation  de  la  seule 
vraie  foi,  pour  laquelle  chacun  est  obligé  de  faire  ce  que  lui  prescrit  sa 
conscience.  » 

Cette  déclaration  n'empêcha  pas  (|ue  le  vendredi  suivant  il  n'y  eût, 
comme  on  se  l'était  promis,  une  nouvelle  réunion  de  la  conférence.  Cette 
fois,  elle  se  tint  'a  La  Villette,  dans  la  maison  du  sieur  de  Thou,  rini  des 
délégués  royaux.  Il  y  avait  l'a  et  tout  autour  une  grande  afiluence  de 
gens  venus  de  Paris,  attentifs  à  savoir  si  la  trêve  proposée  aurait  lieu  ou 
non.  Plusieurs  de  ces  bourgeois,  déjà  suffisamment  las  de  l'état  d'assié- 
.gés  où  on  les  tenait  depuis  si  longtemps,  crièrent  :  «  Vive  la  paix!  vive  la 
Irève  !»  et  (|uelques-uns  mêmes  crièrent  :  «  Vive  le  roi  !»  La  faction  des  zélés 
se  trouva  encore  assez  puissante  pour  forcer  le  lieutenant  civil  à  nom- 
mer des  commissaires,  chargés  d'informer  contre  ceux  (|ui  avaient  jjoussé 
ces  cris  séditieux;  mais  les  accusés  ayant  présenté  requête  au  parlement, 
la  plupart  des  conseillers  prirent  fait  et  cause  pour  eux,  en  se  récriant 
(ju'on  voulait  donc  introduire  rin(|uisition  d'Espagne  en  France,  ce  (|ui 
serait  plus  insupportable  que  la  mort  même  à  tous  les  véritables  Français. 
Et  là-dessus,  ils  firent  rendre  un  mémorable  arrêt  qui  ordonnait  au  lieu- 
tenant civil  de  faire  apporter  les  informations  déjà  faites  au  procureur 
général,  avec  défense  de  coulinuer  ni  d'entreprendre  à   l'avenir  aucutu» 


328  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

poursuite  en  matière  criminelle  contre  les  bourgeois.  (Mézeray,  t.  III, 
p.  1031.) 

Pour  en  revenir  a  la  conférence,  Monsieur  de  Bourges  commença 
ainsi  :  «  Messieurs,  les  princes  et  seigneurs  qui  nous  ont  chargés  de  les 
représenter  ici  ont  jugé  a  propos  que  nous  ne  traitions  plus  que  par 
écrit,  s'étant  aperçus  que  nos  discussions  orales  entraînaient  perle  de 
temps  et  disputes  interminables.  Comme  nous  avons  pris  soin  de  tenir 
note  de  tous  les  points  que  nous  avons  déjà  établis  devant  vous,  en  voici 
la  copie  exacte.  » 

La-dessus  fut  lu  et  déposé  ensuite  un  écrit  dans  lequel  il  était  dit  : 
(c  Nous  sommes  tous  convenus  que  la  paix  ne  peut  exister  en  ce  royaume 
que  sous  un  roi  légitime,  régnant  en  vertu  de  nos  anciennes  consti- 
tutions; que  les  premiers  chrétiens,  qui  doivent  être  nos  modèles, 
obéissaient  aux  empereurs  même  païens,  non  pas  parce  qu'ils  ne  pou- 
vaient faire  autrement,  mais  par  suite  de  la  doctrine  qu'ils  avaient  tirée 
des  saintes  Écritures  ;  que,  pour  ce  <iui  regarde  le  roi  qu'il  a  plu  à  Dieu 
de  nous  donner,  nous  sommes  dans  une  bien  meilleure  condition  qu'eux, 
puisque  non  seulement  il  est  déjà  chrétien,  mais  qu'il  a  de  plus  donné 
sa  promesse  qu'il  se  ferait  cathobipie.  Sur  quoi  nous  vous  avons  invités 
de  vouloir  joindre  vos  vœux  aux  nôtres,  pour  que  Sa  Majesté,  suppliée 
d'un  commun  accord  par  ses  fidèles  sujets,  se  hâte  d'autant  plus  de  rem- 
plir cette  promesse,  qui  ôtera  tout  prétexte  à  la  rébellion  et  doit  donner 
le  repos  à  la  France.  C'est  la  prière  que  nous  vous  avons  faite  en  premier 
lieu,  et  que  nous  vous  renouvelons  aujourd'hui  par  écrit,  telle  qu'elle  a 
toujours  été  dans  nos  intentions  et  sans  aucune  autre  condition  que  celles 
qui  y  sont  comprises.  A  tout  cela  vous  n'avez  daigné,  de  votre  côté, 
répondre  autre  chose,  sinon  (|ue  vous  désiriez  comme  nous  la  conversion 
de  Sa  Majesté,  mais  qu'avant  de  traiter  avec' elle,  il  vous  fallait  l'avis  du 
Saint-Siège.  Nos  princes  et  seigneurs,  a  qui  nous  avons  rendu  cette 
réponse,  et  Sa  Majesté  elle-même,  nous  chargent  de  vous  faire  savoir 
que  tous  les  princes  du  sang  et  autres  princes,  bon  nombre  de  gens 
d'Eglise  et  docteurs  en  la  faculté  de  théologie,  les  officiers  de  la  cou- 
ronne et  les  membres  les  plus  notables  des  parlements,  sont  convoqués 
par  le  roi,  espérant  que  par  le  bon  conseil  qui  sortira  d'une  aussi  hono- 
rable assemblée,  il  sera  pris  une  si  sage  résolution  touchant  sa  conver- 
sion, que  Sa  Sainteté  elle-même  et  les  autres  potentats  catholiques  ne 
pourront  qu'en  être  contents  et  satisfaits,  ainsi  que  tous  ceux  qui  n'au- 
ront pas  pour  but  spécial  la  ruine  complète  de  ce  royaume.  Nous 
sommes,  de  plus,  chargés  de  vous  renouveler  la  proposition  d'une  trêve 
générale,  à  condition  que  vous  reconnaîtrez  comme  satisfaisantes  les 
explications  ci-dessus,  sans  plus  chercher  ni  opposer  de  nouvelles  difti- 
cultés;  que  si  vous  refusez,  Dieu,  qui  est  le  juge  des  uns  et  des  autres, 
fera  que  chacun  connaîtra  et  verra  clairement  d'où  provient  et  a  qui  doit 
être  imputé  le  retardement  du  soulagement  qui  adviendrait  par  le  moyen 
de  la  dite  trêve,  laquelle  doit  nous  acheminer  a  une  bonne  et  perdurable 
paix.  —  Fait  et  signé  ce  onzième  jour  de  juin  1595.  » 


,1 

i 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  329 

Les  délégués  de  rUnion,  assez  embarrassés  de  se  voir  poussés  d'une 
manière  si  vive,  délihérrrciU  d'abord  s'ils  devaient  recevoir  celle  décla- 
ration par  écrit.  Ils  convinrent  à  la  lin  qu'il  lallait  l'accepter,  'a  condi- 
tion que  l'archevêque  de  Bourges  déclarerait  qu'il  y  avait  bien  quelque 
chose  d'inexact  dans  les  termes  de  la  première  partie,  louchant  les  points 
dont  on  était  convenu  dans  les  conférences,  (pioitpi'au  fond  ils  appro- 
chassent très-fort  de  la  vérité;  'ce  que  le  prélat  conciliant  ne  refusa  pas 
de  faire.  Quant  'a  la  proposition  de  trêve,  n'était-ce  pas  un  leurre, 
puisque,  tandis  que  Monsieur  de  Mayenne  envoyait  l'ordre  au  comte 
Mansfeld  de  ne  pas  passer  plus  loin  avec  ses  troupes,  prêtes  'a  entrer  en 
France,  le  roi  de  Navarre  faisait  en  ce  moment  même  assiéger  la  ville 
de  Dreux  ? 

Monsieur  de  Bourges  répondit  que,  quant  au  siège  de  Dreux,  ils 
devaient  bien  savoir  qu'il  était  en  état  de  leur  en  donner  de  justes  et 
valables  raisons,  puisque  cette  ville  n'était  pas  comprise  dans  le  rayon  où 
la  suspension  d'armes  avait  été  convenue;  mais  que  pour  ce  qui  regar- 
dait le  comte  de  Mansfeld,  personne  n'ignorait  que  ce  n'était  pas  par  les 
ordres  de  Monsieur  de  Mayenne  qu'il  s'était  arrêté,  mais  bien  par  la 
mutinerie  de  ses  propres  soldats. 

Voici  en  elîet  ce  qui  s'était  passé  :  Après  la  prise  de  Noyon,  Mansfeld, 
ne  comptant  guère  sur  la  docilité  de  ses  troupes,  les  avait,  comme  on  l'a 
vu,  ramenées  vers  les  Pays-Bas,  où,  d'ailleurs,  le  comte  Ernest,  son  père, 
avait  besoin  de  son  secours  pour  résister  aux  progrès  toujours  croissants 
du  prince  Maurice.  Il  arriva  que,  pendant  celle  marche  rétrograde  et 
désordonnée,  parce  que  le  soldat  n'était  plus  payé,  un  capitaine  espagnol 
viola  une  jeune  lille  de  Hesdin.  Le  comte  voulut  punir  le  coupable;  mais 
'a  l'instant  tous  les  Espagnols  se  soulevèrent,  pillèrent  ses  meubles  et  sa 
vaisselle,  et  mirent  en  fuite  les  soldats  NVallons,  élurent  un  chef  et  s'em- 
parèrent de  la  ville  de  Saint-Pol.  De  l'a,  ils  se  mirent  a  ravager  toute 
cette  contrée  de  l'Artois  ([u'on  appelle  le  haut  pays. 

A  leur  exemple,  les  Wallons  se  mutinèrent  'a  leur  tour  et  s'empa- 
rèrent de  Ponl-sur-Sambre  et  rançonnèrent  aussi  toutes  les  villes  et 
campagnes  environnantes. 

De  son  côté,  le  roi,  voulant  effrayer  les  Parisiens  par  la  terreur  c'e 
ses  armes,  s'en  vint  assiéger,  avec  toutes  ses  forces,  la  ville  de  Dreux. 
Cette  ville,  qui  n'est  qu'a  seize  lieues  de  Paris,  passait  pour  extrême- 
ment forte  :  elle  était  défendue  par  une  nombreuse  garnison  et  une  popu- 
lation aguerrie;  mais  le  roi  savait  (\{ie  le  gouverneur  en  était  absent,  se 
trouvant  pour  lors  aux  Étals  de  Paris.  Dès  le  premier  jour,  les  roya- 
listes s'emparèrent  des  faubourgs,  où  ils  prirent  leurs  logements.  Le 
lendemain,  on  commença  'a  ouvrir  tout  a  la  fois  t|uatre  tranchées,  et 
Biron,  (|ui  était  chargé  de  ce  travail,  le  poussa  avec  tant  d'activité  que, 
le  treizième  jour  de  juin,  les  quatre  tranchées  débouchèrent  dans  le  fossé. 
On  dressa  aussitôt  quatre  batteries,  l'une  vis-a-vis  de  la  porte  de 
Chartres,  l'autre  contre  celle  de  Paris,  la  troisième  pour  battre  la  cour- 
tine qui  couvre  l'hôlel-de-ville,  et  la  dernière  dans  le  faubourg  Saint- 


:«0  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Jean,  contre  la  tourelle  qui  est  de  ce  côté-la.  (Davu^a,  t.  Ill,  liv.  13, 
p.  409.) 

A  peine  les  premiers  coups  de  canon  de  la  première  batterie  eurent- 
ils  fait  crouler  Fangle  du  grand  boulevard,  que  deux  mestres  de  camp 
s'étanl  approchés  pour  reconnaître  cette  brèche,  toute  l'armée  prit  cela 
pour  un  signal  et  courut  a  l'assaut.  L'ennemi,  surpris  d'une  telle  impé- 
tuosité, abandonna  le  rempart,  sur  lequel  un  régiment  français  se  logea 
et  se  fortifia  dès  le  soir  môme. 

Le  lendemain,  les  batteries  continuèrent  leur  œuvre  de  destruction, 
et  les  assiégés  prirent  le  parti  d'abandonner  la  ville  et  de  se  retirer 
dans  le  château  en  mettant  le  feu  derrière  eux,  pour  se  procurer  le  temps 
de  faire  leur  retraite.  L'incendie  fit  beaucoup  de  ravages  et  ne  fut  éteint 
qu'a  grand'peine  par  les  troupes  du  roi. 

On  commença,  après  cela,  à  attaquer  le  château.  La  plupart  des 
bourgeois  et  un  grand  nombre  de  paysans  avec  leurs  bestiaux  avaient 
été  relégués  dans  un  ravelin  détaché  du  corps  de  cette  forteresse  ;  Biron 
y  fit  attacher  le  pétard  la  même  nuit,  «  et  s'empara  de  tout  le  butin,  en 
faisant  un  grand  carnage  des  ennemis  ;  mais  les  royalistes  eux-mêmes 
perdirent  plus  de  cent  hommes.  » 

Pour  ceux  des  malheureux  bourgeois  qui  avaient  échappé  au  premier 
mabsacre,  ils  se  jetèrent  dans  les  fossés  du  château.  Ceux  qui  étaient 
dedans  ne  voulurent  pas  les  laisser  entrer,  ni  les  assiégeants  les  laisser 
sortir.  «  Ils  restèrent  la,  pauvres  gens  brûlés  par  les  ardeurs  d'un  soleil  de 
solstice,  haletant  de  soif,  sans  vivres  et  mourant  a  monceaux,  les  enfants 
entre  les  bras  des  mères,  et  les  mères  aux  pieds  de  leurs  maris.  » 
(Mézeray,  uhi  swp.,  p.  1054.) 

Le  siège  du  château  continuait,  mais  non  sans  de  grandes  difficultés, 
a  cause  de  sa  situation  et  de  sa  force,  et  on  y  perdait  beaucoup  de 
monde.  Le  duc  de  Monlpensier  y  fut  blessé  au  menton,  et  le  roi  eut  deux 
mestres  de  camp  tués  à  côté  de  lui.  Les  batteries  tiraient  alors  contre 
une  tour  antique  qu'on  appelait  la  tour  Grise;  mais  la  construction  en 
était  si  massive  et  si  solide  qu'elles  n'y  faisaient  pas  grand  effet.  Sully 
imagina  d'employer  une  autre  voie.  S'étant  avancé  jusqu'au  pied  de  cette 
tour  'a  l'aide  de  mantelets  en  doubles  planches,  revêtus  par-dessus  de 
plaques  de  fer,  il  fit  creuser  dessous  trois  fourneaux  dans  chacun  desquels 
il  enferma  un  baril  de  poudre.  {Écon.  de  Sully,  liv.  2,  chap.  x,  1595.) 

Quand  le  feu  eût  été  mis  a  cette  triple  mine,  on  ne  vit  d'abord 
([u'une  fumée,  et  on  n'entendit  qu'un  bruit  sourd,  sans  apercevoir  d'autre 
effet  pendant  près  d'un  demi  quart-d'heure,  tellement  que  dans  le  camp 
on  s'en  allait  déjà  disant  :  «  La  mine  de  Monsieur  de  Sully  a  fait  long 
feu.  »  Le  roi  lui-même  ne  put  s'empêcher  de  dire  :  «  Ce  pauvre  Sully  a 
bonne  volonté,  mais  il  est  un  peu  étourdi;  il  croit  que  tout  doit  céder  à 
ses  imaginations.  »  Tout  'a  coup,  au  grand  étonnement  de  tous,  on  vit 
sortir  de  la  tour  une  beaucoup  plus  grosse  fumée  que  la  première. 
L'épaisse  muraille  craqua  et  se  fendit  depuis  le  haut  jusqu'en  bas,  et  une 
large  partie  s'écroula,  entraînant  avec  elle  quantité  d'hommes  et  quel- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  331 

(jnes  femmes  et  enfants,  qui  furent  broyés  parmi  les  décombres;  puis 
Ton  put  voir  ceux  qui  restaient  encore  sur  ces  voûtes  croulantes  tendre 
les  mains  et  crier  miséricorde. 

Mais  ceux  des  assiégés  qui  ne  se  trouvaient  pas  dans  celte  position 
périlleuse  ne  s'étonnùrent  point  et  continuèrent  à  se  défendre  avec 
courage.  A  la  lin  pourtant,  ne  voyant  venir  aucun  secours,  malgré  la 
proximité  de  Paris,  ils  capitulèrent  le  septième  jour  de  juillet  et  ren- 
dirent la  place  au  roi,  qui  leur  accorda  vie  et  bagues  sauves,  se  con- 
tentant de  faire  pendre  en  face  de  la  brècbe  Monsieur  de  Gravelle  et  buit 
autres  des  |)rincipaux  babilarits,  qui  avaient  encouragé  les  autres  a  sou- 
tenir ce  siège.  (Mkzkrav,  ibicL,  105a.) 

La  nouvelle  de  cet  avantage  abattit  un  peu  l'audace  des  députés  aux 
États  de  Paris.  Ceux  (|ui  s'y  montraient  le  plus  dévoués  'a  la  Ligue  et 
(pii  faisaient  grand  bruit  devinrent  silencieux.  Les  ducs  de  Mayenne  et 
de  Féria  s'accusaient  réciproquement  d'être  la  cause  de  cette  perte;  le 
dernier  disait  que  l'autre  avait  laissé  prendre  cette  ville,  afin  d'intimider 
les  Etals  et  de  les  faire  consentir  à  la  trêve.  Mayenne  ripostait  que  les 
Espagnols  étaient  seuls  coupables,  car  on  savait  bien  qu'il  n'avait  pas, 
lui,  assez  de  troupes  disponibles  pour  les  opposer  avec  succès  a  celles 
du  roi  de  Navarre,  tandis  (ju'cux,  dans  le  but  de  faire  désirer  et  valoir 
leur  intervention,  n'avaient  pas  voulu  faire  avancer  un  seul  des  régiments 
qu'ils  avaient  en  Bretagne  et  sur  la  frontière,  quoiqu'il  les  en  eût  instam- 
ment pressés.  (Mkzehay,  ubi  sup.,  1056.) 

Sur  ces  entrefaites,  les  délégués  royaux,  qui  attendaient  toujours  a 
Saint-Denis  la  réponse  que  ceux  de  l'Union  devaient  faire  \\  leur  der- 
nière proposition,  ayant  eu  avis  des  menées  de  l'Espagne,  envoyèrent  cet 
écrit  :  «  Messieurs,  nous  sommes  contraints  de  vous  dire  que  les  princes 
et  seigneurs  qui  nous  ont  envoyés  s'étonnent  du  retard  que  vous  met- 
tez dans  une  alTairc  de  telle  importance.  Pendant  (jue  vous  bésitez  ainsi, 
le  sang  coule,  comme  vous  devez  le  savoir.  Ce  qui  nous  rend  encore 
plus  pressés  d'avoir  voire  réponse,  c'est  que  nous  voyons  qu'il  se  met 
cbacjue  jour  en  avant  de  nouvelles  inventions,  pour  bâter  la  ruine  défini- 
tive de  ce  malbeureux  pays.  Vous  devez  maintenant  voir  aussi  bien  que 
nous  quels  sont  les  projets  ambitieux  de  l'Espagnol.  Le  voilà  qui  demande 
ouvertement  voire  royaume.  Nous,  au  contraire,  qui  sommes  avec  vous 
en  communauté  d'intérêts,  de  patrie  et  de  religion,  nous  ne  venons 
vous  demander  que  de  reconnaître  le  prince  que  Dieu  et  la  nature  vous 
ont  donné,  Nous  ne  désirons  ni  vos  biens  ni  votre  bonté.  Notre  gloire 
est  la  nôtre  et  voire  bonbcur  est  le  nôtre  aussi  ;  et  ces  deux  cboses, 
auxquelles  nous  tenons  autant  que  vous,  ne  peuvent  exister  sous  le  joug 
étranger  auquel  veut  vous  soumettre  le  plus  ancien  et  le  plus  invétéré 
ennemi  de  la  France.  Nbésitez  donc  plus  a  conduire  ce  malbenreux 
vaisseau  de  l'Etat  au  port  de  la  paix;  car  il  est  en  ce  moment  dans  le 
|)lus  grand  danger  de  se  perdre.  Nous  pouvons  tous  le  sauver  par  une 
sincère  réconciliation  entre  nous.  Sa  Majesté,  déj'a  maîtresse  par  ses 
conquêtes  de  tant  de  villes  et  de  provinces,  appuyée  de  l'alliance  de  tant 


332  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

de  puissants  princes  étrangers,  est  maintenant  le  seul  point  de  ralliement 
auquel  tout  bon  Français  doit  se  rattacher.  Agir  autrement,  ce  serait 
bâtir  un  temple  a  la  discorde,  ce  serait  vouloir  de  gaieté  de  cœur  éter- 
niser nos  guerres  civiles  et  faire  couler  des  torrents  de  sang  français  a 
l'unique  prolit  de  nos  ennemis.  Oseriez-vous  bien  attirer  sur  notre  patrie 
de  pareilles  calamités?  La  conservation  de  la  religion  n'est  plus  'a  pré- 
sent, vous  le  savez,  qu'un  vain  et  inadmissible  prétexte,  puisque  le  roi 
va  se  déclarer  franchement  catholi((ue.  Ce  prince,  en  attendant  qu'il 
accomplisse  cette  promesse  'a  la  satisfaction  de  tous,  veut  bien  vous 
offrir  une  trêve.  Vous  savez  que  ce  n'est  ni  le  besoin  ni  la  nécessité  de 
ses  affaires,  ni  le  découragement,  ([ui  l'obligent  'a  vous  faire  une  pareille 
proposition  ;  Dreux,  fumante  encore,  est  Ta  pour  prouver  qu'il  peut  châ- 
tier les  rebelles  d'une  manière  terrible  ;  et  cependant  nous  sommes  encore 
ici,  avec  beaucoup  de  patience  et  d'incommodité,  'a  attendre  votre  réponse. 
Pourtant  vous  n'ignorez  pas  que  les  intérêts  de  la  bonne  ville  de  Paris, 
qui  n'a  déjà  que  trop  souffert  de  tous  ces  retards,  vont  de  jour  en  jour 
en  dépérissant  encore.  Si  vous  comptez  sur  les  armées  de  l'Espagnol, 
vous  savez  bien  qu'elles  ont  été  battues  toutes  les  fois  qu'elles  ont  voulu 
combattre,  et  (ju'elles  fuient  maintenant  les  combats  comme  la  peste. 
Nous  donc,  fidèles  sujets  de  Sa  Majesté  et  prêts  a  lui  sacrifier  nos  per- 
sonnes et  nos  biens,  en  reconnaissance  du  don  qu'il  nous  a  fait  de  se 
déclarer  catholique,  considérant  tous  les  malheurs  qui  découlent  de  nos 
dissensions  et  ceux  qu'elles  doivent  amener  si  elles  continuent,  c'est-a- 
dire  la  perte  de  la  religion  et  de  TElat,  nous  vous  supplions  encore  de 
couper  court  'a  tous  ces  maux  par  une  sincère  réconciliation  entre  nous. 
Nous  demandons  votre  indulgence,  si  nous  avons  parlé  sur  ce  sujet,  peut- 
être  avec  un  peu  plus  de  véhémence  que  quelques-uns  ne  l'auraient 
voulu,  et  nous  prions  Dieu  qu'il  veuille  bien  vous  éclairer.  —  Daté  de 
Saint-Denis,  le  vingt-troisième  jour  de  juin  1595.  »  (Gayet,  ubi  siip.) 

Cette  lettre  fut  adressée  'a  Monsieur  de  Lyon,  mais  on  eut  soin  d'en 
faire  un  grand  nombre  de  copies,  qui  furent  répandues  avec  profusion 
dans  la  ville. 

Or,  le  légat  et  l'ambassadeur  d'Espagne  tenaient  par-dessus  tout  \\ 
ce  que  l'assemblée  de  Paris  et  le  duc  de  Mayenne  n'acceptassent  pas  la 
trêve  que  le  roi  proposait;  car  ils  prévoyaient  qu'elle  aurait  pour  consé- 
quence la  reconnaissance  des  droits  de  Sa  Majesté,  et  ils  s'aidaient  de 
toutes  sortes  d'inventions  pour  éloigner  ce  dénouement  menaçant,  et 
pour  obtenir  que  les  États  nommassent  d'abord  un  roi,  auquel  cas  la 
dite  trêve  deviendrait  impossible,  et  la  continuation  sans  terme  de  la 
guerre  civile  serait  chose  inévitable. 

Il  n'y  avait  plus  'a  temporiser.  Monseigneur  le  légat,  qui  était  alors 
malade,  envoya  le  cardinal  dePellevé  faire  en  son  nom  à  l'assemblée  des 
Etats  la  protestation  suivante  :  «  Moi,  légat  du  Saint-Siège  en  France, je 
déclare  ne  pouvoir  approuver  une  chose  qui  répugne  aux  intentions  du 
Très-Saint-Père.  Si  donc  l'on  traite  de  paix  ou  de  trêve  avec  l'hérétique, 
je  déclare  que  je  me  retirerai  incontinent  de  ce  royaume.  J'engage,  au 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  333 

nom  (le  Sa  Sainteté,  Messieurs  des  Etats  a  élire  sans  relard  un  roi  qui 
soit  non  seulement  Irès-clirélien  et  vrai  callioli(|ue  de  nom  et  d'elï'et, 
mais  qui  ait  le  pouvoir  et  les  autres  vertus  recjuises  pour  anéantir 
riiérésie.  C'est  la  surtout  ce  qui  tient  le  plus  au  cœur  du  Souverain-Pon- 
tife, et  c'est  en  effet  l'unicjue  fondement  sur  lequel  la  paix  du  royaume 
et  le  salut  éternel  de  ses  habitants  puissent  être  établis.  » 

Malgré  cette  exhortation,  (\u\  avait  bien  un  peu  l'air  d'une  contrainte 
au  moins  morale,  l'assemblée  penchait  pour  accepter  provisoirement  la 
trêve.  On  taxait  assez  généralement  d'impudentes  les  prétentions  de 
l'ambassadeur  d'Espagne.  «  Nous  croit-il  si  sots,  ou  croit-il  son  maître 
déj'a  assez  puissant  chez  nous,  pour  qu'il  ait  le  droit  de  paraître  s'offenser 
de  ce  que  nous  hésitons  a  lui  sacrifier  les  anciennes  lois  du  royaume, 
nos  consciences  et  nos  libertés,  ainsi  que  nos  biens  et  la  tranquillité  du 
pays.  »  {Mém.  de  Villeroi,  adann.  1595.) 

Ceci  ayant  été  rapporté  'a  Monseigneur  le  légat,  il  appela  chez  lui 
Monsieur  de  Mayenne,  les  autres  princes  de  sa  maison,  assistés  de  deux 
députés  de  chacun  des  trois  ordres.  L'a  se  trouvaient  déj'a  l'ambassadeur 
d'Espagne,  le  seigneur  de  Taxis,  don  Mcndoce  et  don  Diego  d'Ibarra. 
Le  légat  proposa  tout  aussitôt  la  nomination  pure  et  simple  d'un  roi  en 
France,  et  ajouta  que  ces  Messieurs  d'Espagne  avaient  reçu  du  roi,  leur 
maître,  pouvoir  de  la  demander  et  de  l'exiger  au  besoin.  Monsieur  de 
Mayenne  répondit  tout  aussitôt  que  ce  prétendu  pouvoir  n'avait  encore 
ni  été  exhibé  ni  reconnu,  et  que,  du  reste,  nommer  un  roi  sans  en  avoir 
le  droit  bien  évident,  et  surtout  la  puissance,  ce  serait  créer  un  roi  en 
idée.  L'ambassadeur  d'Espagne  dit  alors,  avec  sa  morgue  accoutumée, 
qu'il  trouvait  étrange  qu'on  se  permît  à  chaque  instant  de  contester  les 
pouvoirs  qu'il  tenait  de  Sa  Majesté  catholique;  qu'au  reste,  il  les  ferait 
])araltrc  mardi  prochain.  (Cavkt,  ubi  siip.) 

En  effet,  le  mardi  suivant,  il  lut  une  lettre  de  Philippe  (jui  lui  don- 
nait pouvoir  de  consentir  'a  la  nomination  de  Monsieur  le  duc  de  Guise, 
a  condition  que  ce  prince  épouserait  l'Infante  d'Espagne,  héritière  en 
ligne  directe  de  la  couronne  de  France,  du  chef  de  sa  mère,  fille  aînée 
du  roi  Henri  H. 

l*our  lors,  le  duc  de  Mayenne  put  voir  sans  aucun  doute  que  c'était 
la  un  trait  espagnol,  puisqu'on  n'avait  pas  eu  le  temps  de  recevoir  une 
pareille  dépêche.  11  devina  que  l'ambassadeur,  ayant  plusieurs  blancs- 
seings  de  Sa  Majesté  catholique,  en  avait  rempli  un  'a  sa  fantaisie  pour 
cette  occasion;  mais,  dissimulant  son  mécontentement,  il  feignit  d'être 
très-heureux  de  l'honneur  qu'on  voulait  faire  a  un  prince  de  sa  famille. 
«  Pourtant,  ajouta-l-il,  il  n'en  faut  pas  moins-  songer  à  récompenser 
aussi  celui,  qui,  jusqu'à  présent,  a  porté  tout  le  faix  et  charge,  et  qui  a 
dépensé  son  bien  pour  le  parti  de  l'Union,  contractant  même  des  dettes 
qu'il  n'est  pas  en  état  d'acquitter.  »  Sur  quoi  les  Espagnols  répondirent 
qu'il  pouvait  être  tranquille,  et  que  Sa  Majesté  très-chrétienne  le  dédom- 
magerait amplement. 

Malgré  cette  promesse,  dont  il  n'appréciait  que  trop  bien  la  valeur, 


334  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Mayenne  ne  s'en  sentait  pas  moins  outrageusement  blessé.  Sa  femme 
surtout,  plus  sensible  encore  à  cette  humiliation  que  lui-même,  disait 
que  plutôt  qu'on  déférât  la  couronne  au  jeune  prince,  elle  conseillait  a 
son  mari  de  faire  la  paix  avec  le  roi,  «  n'importe  'a  quel  prix,  pourvu 
«  que  ce  ne  soit  pas  ce  petit  garçon  qui  nous  fasse  la  loi.  »  (Péréfixe, 
Vie  de  Henri  le  Grand,  partie  II,  1595.) 

Dans  une  nouvelle  réunion  qui  eut  lieu  quelques  jours  après,  tou- 
jours chez  Monseigneur  le  légat  et  entre  les  mêmes  personnages,  on 
discuta  d'abord  les  demandes  de  dédommagement  de  Monsieur  le  duc 
de  Mayenne,  qui  avait  p.'is  la  précaution  de  les  coucher  par  écrit.  Il  y 
eut  force  promesses  et  rien  de  conclu.  On  parla  ensuite  de  la  trêve  pro- 
posée par  le  roi  de  Navarre.  Les  Espagnols  persistaient  pour  qu'on  procé- 
dât avant  tout  a  la  nomination  du  roi  ;  mais  Mayenne,  soutenu  en  cette 
circonstance  par  l'archevêque  de  Lyon  lui-même,  et  par  les  autres  sei- 
gneurs français  du  parti,  s'opposa  vivement  a  cette  résolution.  L'élec- 
tion d'un  souverain  de  France  fut  donc  rejetée  pour  le  moment,  comme 
ne  pouvant  être  validée  faute  de  forces  suffisantes.  (Cayet,  ubi  siip.) 

Monsieur  de  Guise  lui-même  menaça  de  tuer  celui  qui  lui  apporta  la 
première  nouvelle  que  les  Espagnols  le  voulaient  faire  roi.  Les  anciens 
amis  de  feu  son  père  avaient  pris  soin  de  l'avertir  que  ce  n'était  là  qu'un 
piège  qui,  s'il  y  donnait,  ne  pouvait  qu'amener  sa  ruine  complète,  et  ils 
lui  avaient  tous  conseillé  de  ne  pas  séparer,  dans  la  circonstance  pré- 
sente, ses  intérêts  de  ceux  de  son  oncle. 

Pourtant,  les  prédicateurs  que  soudoyait  l'Espagne,  en  argent  ou  en 
promesses,  ne  se  faisaient  faute  de  débiter  de  fort  belles  phrases.  «  Il 
faut,  disait  l'un  d'eux,  Anastase  Chochelet,  il  faut,  s'il  est  nécessaire, 
faire  violence  a  Dieu  lui-même,  pour  aider  la  religion  catholique.  Il  faut 
nommer  un  roi  sans  retard;  la  France  et  l'Église  s'en  vont  dépérissant 
faute  de  roi;  d'autant  que  la  France  est  un  royaume,  et  qu'un  royaume 
ne  peut  subsister  sans  roi.  Une  régence  ne  suffit  pas,  comme  Monsieur 
de  Mayenne  a  intérêt  a  vous  le  faire  croire.  Nommons  donc  bien  vite  un 
bon  roi  catholique,  à  l'exclusion  de  cet  hérétiquere  laps  et  excommunié 
qui  est  appelé  le  Béarnais.  » 

Les  autres  prédicateurs  prêchaient  a  peu  près  dans  les  mêmes  termes, 
et  Monsieur  le  duc  de  Mayenne  se  vit  contraint  de  leur  faire  dire  que, 
s'ils  ne  se  comportaient  pas  plus  modestement,  il  se  verrait  obligé  de 
les  faire  châtier. 

Malgré  toutes  ces  clabauderies,  il  avait  déjà  résolu  d'accepter  la 
trêve  offerte  par  le  roi;  mais  l'important  était  d'y  faire  consentir  les 
Etats  et  Monseigneur  le  Légat.  Dans  l'assemblée,  quand  l'amliassadeur 
d'Espagne  vint  déclarer  que  le  roi  son  maître  consentait  'a  l'élection  du 
duc  de  Guise,  n;!quel  il  voulait  bien  donner  sa  noble  fille  pour  épouse, 
plusieurs  d'abord  s'en  réjouirent  et  crurent  avoir  ville  gagnée,  car  le 
jeune  duc  était  fort  aimé  du  peuple;  mais  Mayenne  sut  habilement 
ramener  la  majorité  a  un  autre  sentiment,  en  montrant  que,  sous  l'allè- 
chement  de  ce  mariage,  dont  on  ne  pouvait  raisonnablement  croire  que 


DU  PllOTESÏANTlSMK  EN  FRANGE.  .'«5 

le  roi  d'Espagne  eût  la  inoiudie  envie,  on  ne  chercliait  qu'à  faciliter 
d'abord  l'élection  de  l'Infante,  sauf  à  trouver  ensuite  les  moyens  de  se 
débarrasser  d'une  promesse  dont  rien  même  ne  garantissait  bien  exacte- 
ment qu'elle  vint  du  roi  catholique.  Alors  quel  moyen  resterait-il  pour 
obliger  l'Espagne  à  remplir  une  condition  qu'elle  ne  voudrait  plus  tenir! 
Il  n'en  connaissait  aucun.  Revenant  ensuite  à  la  proposition  de  la  trêve,  il 
dit  que,  de  jour  en  jour,  elle  était  devenue  plus  nécessaire;  que  le  peuple 
de  la  capitale  commençait  déj'a  à  s'émouvoir,  et  menaçait  d'une  sédition 
qu'il  ne  serait  pas  aisé  de  réprimer.  Il  croyait  donc  plus  sage  d'accepter 
celle  trêve  de  bonne  grâce,  que  de  se  laisser  bientôt  contraindre  à  la 
subir.  {Mém.  d'État  de   Villeroi.) 

Quand  les  trois  ordres  furent  allés  aux  voix,  le  clergé  seul  persista  'a 
dire  qu'il  ne  pouvait  consentir  à  aucun  traité  avec  l'hérétique.  La  noblesse 
disait  (ju'elle  ne  voyait  plus  moyen  de  faire  autrement,  et  le  Tiers-État 
répondit  qu'il  s'en  rapportait  a  l'opinion  de  ceux  qui  avaient  le  maniement 
des  armes.  (Matthieu,  Règne  de  Henri  IV,  p.  141.) 

Il  ne  manijuait  plus  que  l'assentiment  du  légat.  Le  duc  le  lit  sonder 
'a  cet  effet  par  Monsieur  de  Lyon,  et  le  Légat,  quoiqu'il  eût  d'abord 
menacé  de  se  retirer,  voyant  qu'il  n'y  avait  plus  à  reculer,  répondit  : 
«  Monsieur  de  Mayenne  m'a  déjà  fait  cet  honneur  que  de  me  parler  'a  ce 
sujet.  D'autre  part,  les  ministres  d'Espagne  m'ont  aussi  offert,  en  faveur 
de  cette  ville  soufl'rante,  leur  intercession  que  je  prends  non  pour  une 
importunité,  mais  dont  je  leur  sais  gré  et  obligation.  Je  me  vois  donc 
comme  forcé  de  condescendre  'a  toutes  ces  demandes,  et  comme  les  der- 
nières dépêches  que  j'ai  reçues  de  Rome  me  laissent  un  peu  plus  de 
liberté  a  cet  égard,  je  resterai  en  cette  ville,  que  je  ne  priverai  pas  de 
mon  utile  présence,  quand  même  la  trêve  serait  acceptée.  »  (Mézkray, 
t.  m,  p.  1058.) 

Il  lut  donc  décidé  qu'on  écrirait  aux  députés  royaux  'a  Saint-Denis 
(juc  la  trêve  serait  signée,  et  Bassompierre,  La  Châtre,  Rosne  et  Villeroi, 
avec  le  président  Jeannin,  furent  députés  à  cet  ellel. 


336  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 


CHAPITRE   XIII 


1593.  —  ARGUMENT  :  abjuration  du  roi. 

EXHORTATION     DU     LÉGAT     AUX    CATHOLIQUES     DE    LA    LIGUE. 

MAYENNE   DÉFEND    d'ALLER   A   SAINT-DENIS. 

LETTRE   DU    ROI   AUX   FRANÇAIS   APRÈS   SON   ABJURATION. 

.SERMONS   LIGUEURS   ET   LIBELLES.    —   TRAITÉ   DE   LA   VILLETTE. 

MAYENNE    SE    RAPPROCHE     DU     LÉGAT    ET     DE    L'ESPAGNE. 

IL   FAIT   PRÊTER   DE   NOUVEAU    SERMENT   A   l'UNION   PAR   LES   ÉTATS. 

IL   LEUR   FAIT   ACCEPTER   LE    CONCILE   DE   TRENTE. 

LE   ROI    ÉCRIT   AU   PAPE   ET   LUI    ENVOIE   UNE   AMBASSADE. 

CONSPIRATION    DE    BARRIÈRE,    SES   AVEUX   ET   SON    SUPPLICE, 


Le  roi,  comme  on  sait,  se  laissait  instruire  par  les  prélats  et  docteurs, 
et  il  faisait  chaque  jour  de  grands  progrès  dans  la  foi.  Un  des  ministres 
huguenots,  ami  de  Sully,  tomba  un  jour  d'accord,  en  présence  de  Sa 
Majesté,  qu'on  pouvait  se  sauver  dans  la  religion  catholique.  «  Le  pensez- 
vous  vraiment?  lui  dit  le  roi.  —  Sans  doute,  pourvu  qu'on  y  vive  en 
honnête  homme.  —  La  prudence  veut  donc  que  je  sois  de  cette  religion, 
puisque  vous  convenez  que  je  puis  y  faire  mon  salut,  au  lieu  qu'eux, 
bien  moins  tolérants,  prétendent  que  je  me  damne  en  suivant  la  vôtre. 
Je  dois  prendre  le  parti  où  je  cours  le  moins  de  risques.  »  (Péréfixe, 
ir  part.,  ann.  1595.) 

Il  avait  déjà  désigné  la  ville  de  Saint-Denis  pour  le  lieu  où  il  devait  se 
faire  ouvrir  les  portes  de  l'Église  catholique.  Déjà,  de  toutes  les  parties 
de  la  France,  les  princes,  les  officiers  de  la  couronne,  les  principaux  des 
cours  de  parlement,  les  seigneurs  et  une  foule  innombrable  des  gens 
du  peuple,  étaient  accourus  pour  assister  'a  un  acte  aussi  remarquable.  Il 
y  avait  aussi  bon  nombre  de  prélats  et  d'ecclésiastiques  de  toute  sorte, 
chacun  se  faisant  fête  d'avoir  servi  à  l'instruction  du  prince  et  a  sa  con- 
version, et  beaucoup  espérant  qu'un  pareil  mérite  ne  serait  pas  sans 
récompense,  même  temporelle.  (Cayet,  ad  ann.  1595.  —  Sully,  Écon., 
ch.  XI,  liv.  2.) 

De  Paris  même,  le  curé  de  Saint-Eustache  et  six  ou  sept  autres  curés 
ou  docteurs  s'étaient  mis  en  route,  malgré  les  défenses  du  légat,  qui 
les  avait  menacés  de  les  excommunier.  «  Monseigneur,  avait  répondu 
le  curé  de  Saint-Eustache,  vous  ne  nous  excommunierez  pas  parce  que 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  337 

nous  allons  a  une  cérémonie  si  désirée  de  tous  les  gens  de  bien.  N'est-il 
pas  du  devoir  de  notre  profession  d'assister  a  de  pareils  événements, 
pour  discerner,  par  les  signes  et  indices,  si  la  conversion  est  vraie  ou 
dissimulée?  Vous-même  ne  devriez-vous  pas  vous  y  trouver,  si  vous 
teniez  a  remplir  les  obligations  de  votre  olïice?»  {Journal  de  Henri IV, 
t.  I,  p.  585.) 

De  son  côté,  le  cardinal  de  Bourbon,  ce  chef  à  peu  près  avorté  du 
tiers-parti,  et  a  qui  le  duc  de  Mayenne  venait,  en  désespoir  de  cause,  de 
proFnettre  son  assistance  pour  l'élever  au  trône,  était  aussi  parti  de 
Gaillon  pour  se  rendre  à  Saint-Denis.  11  venait  voir  sil  ne  pourrait  pas 
porter  préjudice  aux  aiïaires  du  roi,  par  une  opposition  sourde,  ce  qu'il 
n'avait  pas  osé  faire  par  une  révolte  ouverte.  Aveuglé  par  sa  passion,  il 
se  rendit  à  l'assemblée  où  les  prélats  et  docteurs  traitaient  paisiblement 
des  termes  et  formalités  de  la  conversion  royale  ;  et  il  commença  par 
dire  hautement  qu'on  ne  pouvait  recevoir  le  roi  dans  l'Église,  sans 
l'autorisation  formelle  du  Pape;  l'assemblée  mit  aussitôt  la  chose 
en  délibération.  Il  fut  décidé  d'abord  que  l'excommunication  du 
roi,  n'ayant  point  été  publiée  avec  les  formes  requises,  pouvait  être 
regardée  comme  nulle  ;  et  ensuite  qu'une  excommunication,  même  régu- 
lière, lancée  pour  cause  d'hérésie,  était  de  la  compétence  des  évoques, 
conformément  a  l'un  des  décrets  du  concile  de  Latran,  décret  confirmé 
même  par  le  concile  de  Trente;  qu'il  était  donc  juste  et  utile  d'accorder 
sans  délai  l'absolution  au  roi,  après  qu'il  aurait  donné  des  marques 
publiques  de  sa  catholicité  ;  qu'ensuite  on  pourrait  députer  au  Pape,  et 
le  prier,  tant  au  nom  du  roi  qu'en  celui  de  l'Église  gallicane,  de  confirmer 
cette  absolution.  (De  Tiiou,  t.  XII,  liv.  107,  p. 25  et  suiv.) 

On  s'occupa,  après  cela,  à  dresser  la  confession  de  foi  que  Sa 
Majesté  devait  prononcer.  Celle  qu'on  fil  d'abord  était  remplie  de  toutes 
les  cérémonies  les  plus  dévotes  et  les  plus  minutieuses  ;  mais,  quand 
on  la  présenta  au  roi,  il  répondit  qu'il  voulait  que  Ton  ne  mît  que  ce 
qui  était  de  plus  essentiel  dans  la  foi,  et  absolument  nécessaire  au 
salut.  Il  fallut  donc  recommencer  l'œuvre,  et  on  fit  une  seconde  profes- 
sion pour  la  rédaction  de  laquelle  on  consulta  jusqu'à  Monsieur  de  Sully, 
qui,  quoicjue  huguenot,  n'avait  pas  peu  contribué  a  la  conversion  de 
son  maître.  On  supprima,  d'après  ses  avis,  beaucoup  de  choses  qui 
étaient  dans  la  première;  mais  ce  fui  cette  première  qui  fut  envoyée  à 
Rome,  où  l'on  savait  qu'elle  serait  beaucoup  mieux  reçue,  et  Loménie 
contrefit  le  seing  du  roi  par  sa  permission.  (Slllv,  Écon.,  ubi  sup.  — 
Mézerav,  ibid.,  p.  1059.) 

Sa  Majesté  partit  enfin  de  Mantes  le  vingt-deuxième  jour  de  juillet 
et  arriva  à  Saint-Denis.  Dès  le  lendemain,  elle  fut,  depuis  les  six  heures 
du  matin  jus(}u'à  une  heure  après-midi,  en  conférence  avec  Monsieur 
l'archevêque  de  Bourges,  grand  aumônier  de  France,  Messieurs  les 
évoques  de  Nantes  et  du  Mans,  et  Monsieur  Duperron,  tout  récemment 
nommé,  pour  ses  bons  soins  a  instruire  le  roi,  évêque  d'Évreux.  Le 
cardinal  de  Bourbon  ne  fut  point  appelé  dans  cette  assemblée;  car  on 
IV.  22 


338  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

craignait  qu'il  ne  s'appliquât  a  y  jeter  quelque  trouble.  «  S'il  ne  s'agissait 
ici  que  d'une  dispute  théologique,  disait  le  roi  en  riant,  je  ne  le  craindrais 
pas,  car  il  n'est  pas  plus  fort  que  moi  ;  mais  la  chose  est  plus  grave,  et 
le  salut  de  mon  royaume  en  dépend.  »  (De  Thou,  ibid.,  p.  50.) 

Le  roi  posa  donc  les  trois  questions  suivantes  :  S'il  était  nécessaire 
et  de  devoir  catholique  de  prier  tous  les  saints?  —  Si  la  confession  auri- 
culaire était  d'obligation  absolue?  —  Et  enfin  ce  qu'il  fallait  entendre 
par  la  suprématie  papale?  (Cayet,  uhi  sup.) 

A  la  première  question,  touchant  le  culte  des  saints,  il  lui  fut  répondu 
qu'il  suffisait,  a  la  rigueur,  que  chacun  prît  un  patron  pour  lui  rendre 
ses  hommages  particuliers,  comme  îi  son  intercesseur  auprès  de  Dieu; 
mais  que,  néanmoins,  il  était  louable  et  utile  de  ne  pas  négliger  d'invoquer 
les  autres  saints  selon  les  litanies,  pour  qu'ils  joignent  tous  ensemble 
leurs  intercessions  en  faveur  de  celui  qui,  par  ses  supplications,  a  mérité 
leurs  bonnes  grâces. 

Touchant  la  confession  auriculaire,  que  le  royal  néophyte  disait  pou- 
voir être  sujette  à  quelques  inconvénients,  il  fut  dit  qu'à  la  vérité  le  juste 
peut  bien  s'accuser  lui-même  a  Dieu,  quand  il  croit  avoir  péché,  mais 
qu'il  a  besoin  d'un  confesseur  pour  juger  de  la  gravité  de  la  faute 
avec  impartialité  et  s'enquérir  des  circonstances,  à  cause  des  cas 
réservés. 

Quant  'a  l'autorité  papale,  on  [convint  qu'elle  ne  s'étendait  que  sur 
les  choses  purement  spirituelles,  et  que,  pour  les  temporelles,  elle  n'y 
pouvait  toucher,  au  préjudice  de  la  liberté  des  rois  et  des  royaumes. 

Il  fut  ensuite  posé  quelques  autres  questions  moins  importantes,  sur 
lesquelles,  comme  sur  ces  trois  principales,  le  roi  se  déclara  pleinement 
satisfait  par  les  réponses  qu'il  obtint.  Quand  on  en  vint  à  parler  de  la 
réalité  du  sacrement  de  l'autel.  Sa  Majesté  dit  :  «  Je  n'ai  point  de  doute 
a  ce  sujet.  Je  crois,  et  j'ai  toujours  cru  a  la  présence  réelle  de  Dieu  dans 
ce  divin  sacrement.  »  Après  quoi  il  jura  de  se  conformer  en  tout  'a  la 
foi  de  l'Église  catholique,  apostolique  et  romaine. 

Le  même  soir,  il  écrivait  à  la  belle  Gabrielle  :  «  J'ai  commencé  ce 
matin 'a  parler  aux  évêques.  Ce  sera  décidément  dimanche  que  je  ferai  le 
saut  périlleux.  A  l'heure  où  je  vous  écris,  j'ai  cent  importuns  sur  les 
épaules  qui  me  feront  haïr  Saint-Denis.  Mon  cœur,  venez  demain  de 
bonne  heure,  car  il  me  semble,  depuis  ces  deux  jours,  qu'il  y  a  un  an 
que  je  ne  vous  ai  vue.  Je  baise  un  million  de  fois  les  belles  mains  de  I 
mon  ange  et  la  bouche  de  ma  chère  maîtresse.  »  {Mém.  de  L'Estoile, 
t.  Il,  p.  1.) 

Au  même  instant,  Monseigneur  le  légat  du  Pape  publiait  une  exhor- 
tation imprimée,  qu'il  adressait  a  tous  les  catholiques  de  France,  dans 
laquelle  il  déclarait  que  tout  ce  qui  serait  fait  au  sujet  de  cette  conver- 
sion serait  nul  et  de  nul  effet,  exhortant  ceux  de  l'Union  a  ne  pas  se 
laisser  décevoir  en  chose  de  si  grande  importance,  et  blâmant  les  catho- 
liques royaux  d'accumuler  ainsi  erreur  sur  erreur.  Il  défendait  aux  ecclé- 
siastiques de  se  rendre  ou  de  rester  'a  Saint-Denis,  ville  en  l'obéissance 


I 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  339 

de  rhérétique,  sous  peine  d'encourir  sentence  d'excommunication,  avec 
privation  de  leurs  dignités  et  bénélices.  (Cayet,  ubi  sup.) 

Royaux  et  Ligueurs  s'accordèrent  cette  fois  pour  trouver  que  cette 
exhortation  du  représentant  du  Saint-Père  n'avait  été  inspirée  que  par 
les  ministres  d'Espagne,  lesquels  ne  craignaient  rien  tant  que  la  conver- 
sion du  roi;  et  personne  n'en  tint  grand  compte,  non  plus  que  de  la 
défense  (jue  le  duc  de  Mayenne  donna  le  même  jour  d'aller  a  Saint- 
Denis  et  de  sortir  de  Paris.  Plus  de  la  moitié  de  la  ville  était  déjà  partie 
pour  la  cérémonie,  «  tant  ce  bon  peuple  était  affamé  de  voir  un  roi.  » 
{Journal  de  Henri  IV,  t.  I,  fol.  589.) 

Le  dimanche  vingt-cinquième  jour  de  juillet,  entre  huit  heures  et 
neuf  heures  du  matin,  le  roi,  revêtu  d'un  pourpoint  et  chausses  de  satin 
blanc,  bas  attachés  de  soie  blanche  et  souliers  blancs,  d'un  manteau  et 
chapeau  noir,  assisté  des  princes  et  officiers  de  sa  couronne,  entouré  des 
suisses  de  sa  garde,  tambour  battant  en  tête,  et  précédé  de  ses  autres 
gardes  du  corps  français  et  écossais,  avec  douze  trompettes  sonnant  des 
fanfares,  partit  de  son  logis  pour  se  rendre  'a  l'abbaye  de  Saint-Denis.  La 
basilique  avait  été  richement  décorée  de  tapisseries  relevées  de  soie  et 
de  fils  d'or.  Toutes  les  rues  ou  devait  passer  le  cortège  étaient  également 
tendues  et  jonchées  de  fleurs,  et  une  foule  innombrable  rangée  sur  le 
passage  poussait  avec  enthousiasme  les  cris  de  «  Vive  le  roi  !  »  {Journal, 
ubi  sup.) 

Les  mémoires  du  temps  portent  que,  tandis  que  le  roi  traversait 
cette  foule  empressée,  une  vieille  femme  du  peuple,  transportée  de  joie, 
se  jeta  au  cou  de  Sa  Majesté  et  l'embrassa  sur  les  deux  joues,  et  que  ce 
bon  prince  ne  se  montra  pas  choqué  de  ce  mouvement  peu  respectueux. 
«  J'en  ai  bien  ri,  écrivait-il  a  Gabrielle.  Demain  vous  dépolluerez  ma 
bouche.  »  {Mém.  de  L'Estoile,  t.  II.  —  Davila,  t.  III,  note,  p.  425.) 

Sa  Majesté,  arrivée  au  grand  portail,  s'arrêta  à  cinq  ou  six  pas  de 
distance  avant  d'entrer.  Monsieur  l'archevêque  de  Bourges  l'attendait  la 
en  une  chaire  couverte  de  damas  blanc.  La  se  trouvaient  aussi  Monsieur 
le  cardinal  de  Bourbon,  un  grand  nombre  d'évêcjues  et  de  docteurs,  et 
tous  les  religieux  de  l'abbaye  avec  la  croix  et  le  livre  sacré  des  Évan- 
giles. L'archevêque  de  Bourges  demanda  :  «  Qui  est  là?  —  Je  suis  le 
roi.  —  Que  voulez-vous?  —  Je  demande  a  être  reçu  au  giron  de  l'Eglise 
catholique,  apostolique  et  romaine.  —  Le  voulez-vous  sincèrement?  — 
Oui,  je  le  veux  et  le  désire.  »  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  V,  p.  585  et  suiv.) 

Et  Sa  Majesté,  se  mettant  à  genoux,  réitéra  la  profession  de  foi  qui 
lui  avait  été  dressée  et  qu'elle  avait  acceptée.  Elle  ajouta  :  «  Je  proteste 
et  jure,  devant  la  face  de  Dieu  tout-puissant,  de  vivre  et  mourir  en  la 
religion  catholique,  aposloli(jue  et  romaine  ;  de  la  |)rotéger  envers  tous, 
et  de  la  défendre  au  péril  de  mon  sang  et  de  ma  vie,  renonçant  de  tout 
mon  cœur  et  sincèrement  à  toutes  hérésies  contraires  h  la  foi  de  notre 
mère  la  sainte  Église.  »  Et  il  tendit  à  l'archevêque  un  papier  dans  lequel 
la  dite  profession  de  foi  était  signée  de  sa  main. 

Puis  il  baisa  l'anneau  sacré  toujours  à  genoux,  et,  ayant  reçu  l'abso- 


340  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

lution  et  bénédiction,  il  fut  relevé  et  conduit  au  choeur  par  Messieurs 
les  évêques  et  par  tout  le  clergé.  La,  devant  le  maître  autel  et  prosterné 
de  nouveau,  il  réitéra,  la  main  sur  les  saints  Evangiles,  son  serment  et 
sa  profession  de  foi,  pendant  que  les  mille  voix  du  peuple  faisaient  retentir 
le  cri  de  «  Vive  le  roi  !  * 

Le  monarque  s'approcha  d'abord  de  l'autel  qu'il  baisa,  après  avoir 
fait  le  signe  de  la  croix.  Puis  Monsieur  de  Bourges  entendit  sa  confes- 
sion auriculaire  dans  un  confessionnal  qu'on  avait  dressé  et  paré  tout 
exprès,  et  pendant  ce  temps-la  on  chantait  un  Te  Deum  en  musique,  si 
mélodieusement  que  les  larmes  en  sortaient  des  yeux  de  tous  les 
assistants. 

La  confession  terminée,  on  ramena  le  roi  s'agenouiller  sur  un  prie- 
Dieu,  couvert  de  velours  cramoisi  semé  de  fleurs  de  lis  d'or,  où,  ayant  à 
sa  droite  le  sieur  archevêque,  et  à  sa  gauche,  le  cardinal  de  Bourbon,  il 
ouït  en  grande  dévotion  la  sainte  messe,  qui  fut  célébrée  par  Monsieur 
l'évêque  de  Nantes.  11  baisa  révérencieusement  le  livre  des  Evangiles  qui 
lui  fut  apporté  par  son  cousin  le  cardinal;  il  fut  aussi  à  l'offrande  avec 
grande  modestie;  à  l'élévation  de  l'Eucharistie,  il  se  prosterna  en  se 
frappant  la  poitrine,  et  il  baisa  humblement  la  patène  qui  lui  fut  présentée 
après  la  communion  de  l'officiant. 

La  messe  finie,  largesse  fut  faite  d'une  grande  somme  d'argent  qui 
fut  jetée  dans  l'église,  avec  bruyants  applaudissements  de  la  multitude, 
et  Sa  Majesté  fut  reconduite  'a  son  logis  au  bruit  de  l'artillerie  et  au  son 
des  tambours  et  des  trompettes.  Avant  son  diner,  on  lui  dit  le  Benedicite, 
et  après  on  lui  chanta  les  Grâces  en  musique.  «  La  foule  était  si  grande 
que  les  tables  faillirent  en  être  renversées.  »  (De  Thou,  ubisup.) 

Il  fut  ensuite  au  sermon,  qui  fut  prêché  par  l'archevêque  de  Bourges, 
puis  à  vêpres,  'a  l'issue  desquelles  il  monta  a  cheval  pour  aller  à  Mont- 
martre, entendre  un  salut  qui  fut  chanté  dans  l'église  de  ce  Heu.  Cette 
journée,  si  bien  remplie  par  tous  les  exercices  religieux  d'un  bon  et  vrai 
chrétien,  se  termina  par  de  beaux  feux  de  joie  qui  furent  allumés  dans 
tous  les  villages  situés  dans  la  vallée  entre  Montmartre  et  Montmorency. 

Dès  le  jour  même.  Sa  Majesté  avait  écrit  en  ces  termes  à  tous  les 
parlements  du  royaume  :  «  Nos  amés  et  féaux,  suivant  la  promesse  que 
nous  en  fimes, 'a  notre  avènement  à  cette  couronne,  nous  avons  reçu  les 
saintes  instructions  des  prélats  et  des  plus  savants  docteurs  de  notre 
royaume,  et  Dieu  nous  a  fait  la  grâce  d'être  éclairé  par  toutes  les  preuves 
qui  nous  ont  été  fournies  et  qui  sont  toutes  tirées  des  propres  écrits  des 
Apôtres  et  des  saints  Pères,  et  maintenant  nous  reconnaissons  l'Eglise 
catholique,  apostolique  et  romaine  pour  l'unique  et  véritable  Église, 
étant  résolu  d'y  vivre  et  mourir.  Pour  en  donner  la  preuve,  nous  vous 
faisons  part  que  nous  avons  aujourd'hui  ouï  la  messe.  Vous  voyez  donc 
que  ceux-là  parlaient  méchamment,  qui  disaient  que  la  promesse  que 
nous  en  avions  faite  n'était  que  pour  entretenir  nos  sujets  dune  vaine 
espérance;  et  sur  ce,  nous  vous  prions  qu'il  soit  rendu  grâces  à  Dieu 
par  processions  et  prières  publiques,  afin  que,  par  sa  bonté,  il  lui  plaise 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  341 

nous  confirmer  dans  une  si  sainte  et  si  bonne  voie.  —  Donné  à  Saint- 
Denis  en  France,  le  dimanche  vingt-cinquième  jour  de  juillet  1593.  — 
Signé  :  Henri,  et  plus  bas  :  Potier.  »  {Mém.  de  la  Ligue,  ubi  siip.) 

Cette  lettre  répandit  l'allégresse  dans  toutes  les  villes  qui  étaient 
déjà  royalistes.  Ce  ne  furent  de  ce  côté  que  Te  Deum,  processions  géné- 
rales et  feux  de  joie;  mais  dans  les  villes  de  l'Union,  on  n'entendit  en 
revanche  que  protestations  et  calomnies.  Le  docteur  Bouclier  prêcha 
dans  l'église  de  Saint-Méderic  un  sermon  contre  cette  conversion,  dans 
lequel  il  ne  craignit  pas  d'affirmer  que  si  le  Béarnais  avait  été  à  la 
messe  le  matin,  il  avait  le  soir  même  assisté  au  prêche,  et  que  cette 
messe  qu'on  chantait  devant  lui  n'était  qu'une  farce.  (Cayet,  ubi  sup.) 

Il  parut  aussi  un  libelle  intitulé  le  Banquet  du  comte  d'Arête,  où 
l'auteur,  après  avoir  dit  que  le  roi  de  Navarre  n'avait  jamais  eu  d'autre 
religion  que  celle  de  son  intérêt,  demandait  que,  pour  le  salut  de  la 
France,  on  attachât  en  guise  de  fagots  à  l'arbre  du  feu  de  la  Saint-Jean 
tous  les  ministres  de  la  religion  réformée,  et  que  le  roi  fût  placé  dans  le 
tonneau  où  l'on  met  les  chats,  ce  qui  serait  un  sacrifice  fort  agréable 
au  ciel. 

Tout  cela  n'empêcha  pas  que  les  délégués  du  parti  du  roi,  qui  avaient 
pris  part  aux  anciennes  conférences,  et  ceux  que  venaient  de  leur  envoyer 
les  États  de  Paris,  se  rassemblèrent  de  nouveau  'a  La  Villelte,  et  signèrent 
pour  toute  la  France  une  trêve  générale.  Il  est  vrai  que  les  huguenots, 
qui,  comme  on  le  pense  bien,  ne  pouvaient  voir  avec  contentement  tout 
ce  qui  venait  de  se  passer,  avaient  aussi  tenté  de  leur  côté  d'empêcher 
cet  arrangement.  Ils  s'écriaient  qu'il  était  humiliant  de  voir  Sa  Majesté 
traitant  ainsi  avec  le  duc  de  Mayenne  comme  de  puissance  'a  puissance. 
Duplessis-Mornay,  qui  depuis  quelque  temps  déjà,  se  tenait  éloigné,  dit 
même  à  ce  sujet  qu'il  était  bien  aise  de  n'être  pas  témoin  d'un  pareil 
traité,  parce  qu'il  lui  serait  plus  aisé  d'excuser  aux  yeux  des  gens  de 
bien  son  absence  que  sa  présence.  Mais  Henri  sentait  trop  l'importance 
de  ne  pas  laisser  aux  États  de  Paris  le  moindre  prétexte  de  faire  une 
élection,  qui,  (juclque  illégale  qu'elle  eût  été,  n'en  aurait  pas  moins  éter- 
nisé la  guerre.  Du  reste,  on  trouva  un  moyen  de  sauvegarder  la  dignité 
royale  :  ni  Mayenne  ni  le  roi  ne  furent  nommés  dans  le  traité  qui  fut 
conclu  sous  le  nom  des  deux  partis.  {Vie  de  Duplessis,\ïv.  1,  p.  198.  — 
Mém.  de  Villeroi,  1593.) 

En  voici  les  principaux  articles  : 

«  Il  y  aura  cessation  d'armes  par  tout  le  royaume,  pendant  le  temps 
et  espace  de  trois  mois.  Toute  personne,  soit  ecclésiastique,  soit  noble, 
soit  du  plat  pays,  pourra  librement  recueillir  ses  fruits  et  revenus,  et 
reprendre  possession  de  ses  châteaux,  maisons  ou  habitations  quel- 
conques, pour  y  demeurer  tranquillement  et  sans  trouble. 

«  Le  transport  de  toutes  sortes  de  vivres  ou  de  marchandises  sera 
libre,  tant  par  eau  que  par  terre,  en  payant  toutefois  les  péages  et  impo- 
sitions, suivant  l'usage  anciennement  établi,  sans  aucune  augmentation 
pendant  la  durée  de  la  trêve.  Chacun  pourra  librement  voyager  par  tout 


342  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

le  royaume,  sans  être  astreint  à  prendre  de  passeports.  Néanmoins,  nul 
ne  pourra  entrer  dans  les  villes  fortifiées  et  places  fortes  du  parti 
contraire,  avec  d'autres  armes  que  Tépée  pour  les  gens  de  pied,  et  que 
répée,  le  pistolet  ou  l'arquebuse  pour  les  gens  à  cheval,  et  sans  avoir 
préalablement  obtenu  la  permission  du  commandant. 

«  Les  tailles  et  impôts  seront  levés  comme  ci-devant,  pour  le  produit 
en  être  remis  aux  officiers  de  chaque  parti  qui  ont  charge  de  le  recevoir; 
mais  rien  ne  pourra  être  demandé  aux  contribuables  par  anticipation. 

<c  Ceux  qui  se  trouvent  de  présent  prisonniers  de  guerre  seront  délivrés 
dans  la  quinzaine,  les  simples  soldats  sans  rançon,  et  les  officiers  en 
payant  seulement  un  quart  de  leur  solde.  Les  gentilshommes  et  sei- 
gneurs donneront,  au  plus,  la  moitié  de  leur  revenu  d'une  année;  s'il  y 
a  des  femmes  ou  filles,  elles  recevront  leur  liberté  sans  rien  payer. 

«  Pendant  la  trêve,  il  ne  sera  rien  entrepris  ni  attenté  sur  les  villes 
les  uns  des  autres.  Quiconque  refuserait  d'obéir  aux  présents  articles  y 
sera  contraint  par  les  chefs  de  son  parti.  Il  demeure  interdit  de  se  que- 
reller et  rechercher  par  voies  de  fait,  pour  différence  d'opinion. 

«  Les  gouverneurs  et  lieutenants  généraux  des  deux  partis  dans 
chaque  province  se  rassembleront  incontinent  après  la  publication  du 
présent  traité,  pour  aviser  d'un  commun  accord  aux  moyens  de  le  faire 
maintenir. 

«  Quant  aux  troupes  étrangères  qui  sont  aujourd'hui  en  France  au 
service  de  l'un  ou  de  l'autre  parti,  elles  seront  mises  en  garnison  en 
lieux  et  places  qui  ne  puissent  apporter  aucune  suspicion,  et  il  ne  pourra 
en  rentrer  d'autres  pendant  le  dit  temps  de  trêve.  Les  ambassadeurs  ou 
agents  étrangers  qui  ont  assisté  l'un  ou  l'autre  parti  pourront  se  retirer 
librement  et  en  toute  sûreté.  —  Fait  et  accordé  a  La  Villette,  le  dernier 
jour  de  juillet  1593.  »  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  V,  p.  397  et  suiv.) 

Il  fut,  en  outre,  convenu  que  Sa  Majesté  et  Monsieur  de  Mayenne 
enverraient  chacun  une  ambassade  au  Pape  pour  obtenir  de  lui  qu'il 
voulût  bien  agréer  la  conversion  du  roi,  et  ratifier  l'absolution  donnée 
par  les  évêques  français,  afin  qu'on  pût  arriver  à  une  paix  solide,  dont 
la  pauvre  France  avait  un  si  grand  besoin. 

La  trêve  fut  observée  incontinent  par  tous  ceux  du  parti  royal,  h 
mesure  qu'ils  en  reçurent  la  notification  ;  mais  il  n'en  fut  pas  tout  a  fait 
ainsi  du  côté  des  Ligueurs.  Le  parti  des  zélés  de  Paris  forma  d'abord 
une  violente  opposition,  et  les  prédicateurs  ne  manquèrent  pas  de  redou- 
bler d'acrimonie  et  d'éloquence,  dans  les  malédictions  qu'ils  prêchaient 
contre  celui  auquel  ils  persistaient  à  donner  le  nom  de  Béarnais. 

Le  duc  de  Mayenne  lui-même,  toujours  incertain,  commença  à  s'aper- 
cevoir que  cette  trêve  allait  en  effet  ruiner  les  affaires  de  l'Union,  et  par 
conséquent  le  priver  de  son  pouvoir.  Il  se  rapprocha  de  Monseigneur  le 
légat,  et,  quoiqu'il  eût  dit  tout  récemment  encore  a  Villeroi  qu'il  ne  pou- 
vait plus  «  compatir  »  avec  les  Espagnols,  et  principalement  avec  don 
Diego  d'Ibarra,  qui  était  insupportable,  le  légat  le  détermina  à  renouer 
avec  eux.  Il  lui  indiqua,  en  outre,  comme  moyen  de  ramener  les  affaires 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  343 

au  point  le  plus  favorable,  de  faire  d'abord  renouveler  le  serment  de 
rUnion,  et  ensuite  de  faire  publier  le  saint  concile  de  Trente,  ce  qui, 
disait-il,  lui  vaudrait  l'appui  du  Pape  et  la  reconnaissance  do  tout  l'ordre 
du  clergé.  Mayenne  accepta  celle  double  mesure,  et  le  légal  se  bàla  d'en 
écrire  en  cour  de  Rome,  se  félicitant  d'un  pareil  succès  ;  mais  ses  lettres 
furent  interceptées  par  les  partisans  du  roi.  {Mém.  d'État  de  Villeroi, 
1595.) 

«  Quand,  dit  Villeroi,  j'eus  connaissance  de  tout  cela,  par  ces  lettres 
interceptées  et  que  le  roi  me  fit  communiquer,  je  demeurai  si  étonné  et 
si  scandalisé,  qu'a  l'heure  même  je  résolus  de  me  démettre  de  toutes 
les  négociations  dont  le  duc  m'avait  chargé,  d'aller  prendre  congé  de 
lui,  et  de  lui  déclarer  que  je  ne  voulais  plus  me  mêler  de  ses  affaires.» 
Villeroi  n'en  fit  rien  pourtant,  et  il  prétend  que  ce  furent  les  diplomates 
royalistes  qui  l'engagèrent  eux-mêmes  'a  ne  pas  quitter  si  brusquement 
la  partie. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  députés  des  États  se  réunirent  en  séance  solen- 
nelle le  sixième  jour  d'août.  Monsieur  de  Mayenne  commença  par  assu- 
rer que  ses  intentions  étaient  justes  et  qu'elles  ne  tendaient  à  autre  but 
qu'a  l'avancement  de  l'honneur  de  Dieu  et  au  salut  du  royaume.  Puis  il 
ajouta  :  «  Je  trouve  bon,  dit-il,  que  plusieurs  d'entre  vous  reçoivent 
'■  congé  de  quitter  cette  assemblée,  pour  aller  informer  au  vrai  les  pro- 
vinces de  ce  qui  s'est  passé,  pourvu  toutefois  que  le  corps  des  Étals 
demeure  ici  assemblé;  et  comme  la  concorde  entre  nous  est  le  principal 
moyen  qui  puisse  nous  mener  à  voir  réussir  nos  communs  désirs,  je  juge 
très  à  propos  que  nous  cimentions  cette  concorde  par  un  nouveau  ser- 
ment. »  (Cavet,  ubi  sup.) 

Et  le  serment  fut  proposé  en  ces  termes  :  «  Nous  promettons  et 
jurons  de  demeurer  unis  ensemble  et  de  ne  jamais  consentir  h  aucune 
condition  favorable  'a  l'hérésie,  comme  aussi  d'obéir  aux  saints  décrets 
et  ordonnances  du  Souverain-Pontife,  sans  jamais  nous  en  dépjirtir  en 
rien;  et  d'autant  que  l'œuvre  que  nous  avons  entreprise  n'a  pu  encore 
être  accomplie,  les  États  continueront  d'être  assemblés  ici  ou  ailleurs, 
ainsi  qu'il  en  sera  plus  lard  avisé.  Néanmoins,  si  quelques-uns  des  députés 
demandent  leur  congé  pour  causes  légitimes  et  justes,  il  leur  sera 
accordé,  pourvu  qu'ils  promettent  par  serment  de  revenir  a  la  dite 
assemblée  vers  la  lin  du  mois  d'octobre  prochain.  » 

Les  échecs  qu'avait  déj'a  éprouvés  la  Ligue  et  les  manifestations  roya- 
listes du  peuple  de  Paris  avaient  ôté  a  l'assemblée  le  peu  d'énergie 
patriotique  (ju'clle  avait  tenté  de  manifester  dans  quelques  autres  cir- 
constances. Ce  serment  fut  prêté  avec  docilité,  sauf 'a  consulter  l'occasion 
pour  le  tenir,  comme  c'est  assez  l'usage. 

Cela  fait,  on  alla  au-devant  de  Monseigneur  le  légat,  qui  s'avançait 
pour  assister  en  personne  'a  l'acceptation  du  concile  de  Trente;  celle  fois 
il  était  sûr  de  la  réussite.  Le  duc  de  Mayenne,  sans  plus  parler  des  oppo- 
sitions du  parlement,  (|ui,  naguère  encore,  avaient  fait  échouer  la  pro- 
position, fit  lire  par  l'un  des  secrétaires  la  déclaration  qu'il  avait  faite 


344  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

d'avance  à  ce  sujet.  Elle  finissait  par  ces  mots  :  «  Avons  dit,  statué  et 
ordonné  que  le  saint  sacré  concile  universel  de  Trente  sera  reçu,  publié 
et  observé  purement  et  simplement  en  tous  lieux  de  ce  royaume,  et  pour 
ce,  exhortons  tous  évéques,  archevêques  et  prélats  a  en  maintenir  les 
décrets  et  canons;  mandons  aux  juges,  tant  séculiers  qu'ecclésiastiques, 
de  les  faire  garder  en  tout  leur  contenu.  »  Celte  déclaration  fut  adoptée 
à  l'unanimité.  On  y  ajouta  seulement  une  condition  dont  j'aurai  bientôt 
a  faire  mention. 

Aussitôt,  Monseigneur  le  légat  se  leva  et  dit  :  «  C'est  la  coutume  des 
sages  mariniers,  quand  ils  se  voient  battus  par  un  vent  tempétueux  et 
contraire,  de  caler  la  voile,  de  jeter  l'ancre  et  de  s'affermir  contre  le 
péril  présent,  tâchant  de  reprendre  un  peu  haleine,  pour  pouvoir  pour- 
suivre heureusement  leur  route  quand  la  tourmente  aura  cessé.  C'est 
ainsi  que  vous  en  usez  aujourd'hui,  et  l'on  voit  bien  que  votre  assem- 
blée est  indubitablement  assistée  en  ceci  de  la  grâce  du  Saint-Esprit 
qui  l'inspire;  car  au  milieu  de  cet  orage  suscité  par  le  vent  contraire 
de  l'hérésie,  ne  pouvant  conduire  le  vaisseau  de  l'État  jusqu'au  vrai  port, 
vous  abaissez  la  voile  pour  un  temps,  et  pour  vous  affermir  contre  la 
rage  des  vagues,  vous  adoptez  le  concile  de  Trente  comme  ancre  de 
salut;  puis  vous  vous  décidez  'a  respirer  un  peu,  jusqu'à  ce  qu'il  plaise  'a 
Dieu  de  vous  envoyer  un  temps  plus  favorable.  Que  cette  décision  que 
vous  venez  de  prendre  soit  louée  à  jamais  !  Je  vous  en  remercie  de  toute 
mon  âme  et  affection,  tant  au  nom  de  Sa  Sainteté  qu'au  mien  propre. 
Je  sais  que  Monsieur  de  Mayenne,  ici  présent,  n'abandonnera  pas  le  gou- 
vernail que  Dieu  lui  a  mis  en  main,  et  moi,  je  n'hésite  pas  à  demeurer 
dans  le  même  navire  avec  vous,  me  tenant  'a  la  hune  comme  votre  pi- 
lote pour  prévoir  et  pourvoir,  jusqu'à  ce  que  venant  enfin,  dans  cette 
nuit  orageuse,  à  découvrir  le  feu  Saint-Elme,  je  puisse  vous  crier  : 
Enfants  de  l'Eglise  à  l'ouvrage  !  déployez  les  voiles  et  reprenons  notre 
route  vers  ce  port  de  salut  que  tout  bon  catholique  doit  désirer  d'at- 
teindre. » 

Le  cardinal  de  Pellevé  répondit  au  nom  de  l'assemblée  :  «  Oui,  nous 
reconnaissons  tous  ici  la  main  de  Jésus-Christ,  dont  l'Église  célèbre 
aujourd'hui  la  glorieuse  transfiguration.  C'est  lui-même,  n'en  doutons  pas, 
qui  a  transfiguré  cette  assemblée  de  bien  en  mieux,  en  lui  inspirant 
d'accepter  à  l'unanimité  le  saint  concile  de  Trente,  qu'on  peut  bien 
appeler  l'un  des  plus  célèbres  qui  aient  été  tenus  dans  l'Église.  Déjà, 
pour  la  foi  et  doctrine,  les  Français  catholiques  n'ont  jamais  fait  diffi- 
culté de  se  soumettre  à  ses  décisions.  Quant  à  la  discipline,  ce  qui  les  a 
retenus  jusqu'à  ce  jour,  c'est  qu'ils  appréhendaient  le  changement  de 
quelques  coutumes  et  l'abolition  de  certains  prétendus  privilèges,  fondés 
plutôt  sur  des  méfiances  imaginaires  que  sur  aucune  vérité.  Aujourd'hui, 
en  enfants  dociles,  ils  se  soumettent  à  l'Église,  leur  mère,  et  c'est  pour 
cette  fois  qu'ils  méritent  véritablement  le  titre  de  très-chrétiens.  C'est 
pour  cela  que  j'ai  meilleur  espoir  que  jamais;  car  j'ai  toujours  estimé 
que  les  calamités  de  ce  royaume  ne  provenaient  que  de  ce  qu'on  s'y 


l 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  345 

était  montré  rebelle  au  Saint-Esprit  et  à  la  puissance  de  l'Église  uni- 
verselle. » 

Quand  le  prélat  eut  fini  cette  harangue,  toute  l'assemblée  s'en  alla 
a  l'église  Saint-Germain-l'Auxerrois,  où  fut  chanté  un  Te  Deum  en 
actions  de  grâces  au  ciel.  Mais,  comme  je  l'ai  dit,  dans  l'adhésion  donnée 
par  les  Etats,  on  avait  laissé  glisser  une  clause  importante.  Celte  clause 
portait  que  la  dite  adhésion  n'était  consentie  qu'avec  l'assurance  que, 
s'il  y  avait  dans  les  décrets  et  chapitres  quelque  chose  qui  portât  atteinte 
aux  immunités  et  franchises  du  royaume,  «  Sa  Sainteté  serait  requise 
d'y  pourvoir,  et  ne  pourrait  faire  aucune  difficulté.  »  Cette  restriction 
frappait  tout  simplement  la  publication  d'inutilité. 

Or  le  roi,  de  son  côté,  songeait  alors  à  remplir  la  promesse  qu'il 
avait  faite  d'envoyer  une  ambassade  au  Saint-Père.  Il  lui  écrivit  préala- 
blement cette  lettre  :  «  Très-Saint-Père,  ayant,  par  la  grâce  de  Dieu, 
reconnu  (|ue  l'Église  catholique,  apostolique  et  romaine,  était  seule  la 
vraie  Eglise,  je  me  suis  résolu  'a  y  entrer  pour  y  vivre  et  persévérer 
jusqu'à  la  mort  en  l'obéissance  et  respect  dus  à  Votre  Sainteté,  ainsi 
qu'ont  fait  les  rois  très-chrétiens  mes  prédécesseurs.  Instruit  par  les 
prélats  et  docteurs  qui  m'ont  complètement  éclairé  dans  mes  doutes,  j'ai 
entendu  la  messe,  le  dimanche  vingt-cinquième  jour  de  juillet,  et  j'ai 
joint  mes  prières  'a  celles  des'autres  bons  catholiques.  Je  m'assure  que 
V^otre  Sainteté  recevra  de  la  joie  de  cette  sainte  action,  qui  convient  au 
poste  élevé  où  il  a  plu  à  Dieu  de  m'appeler.  Je  m'empresse  donc  de 
vous  en  faire  part  par  cette  lettre,  en  attendant  que  je  vous  députe  sous 
peu  une  ambassade  de  personnages  de  bonne  et  grande  qualité,  pour 
vous  présenter  le  témoignage  de  ma  dévotion  filiale;  et  sur  ce,  Très- 
Saint-Père,  je  prie  Dieu  qu'il  veuille  longuement  maintenir  Votre  Sainteté 
en  bonne  santé  au  gouvernement  de  son  Église.  —  De  Saint-Denis,  ce 
dix-huitième  jour  d'août  1595.  Signé  :   votre  bon  et  dévot  fils  Henri.   » 

L'ambassade  mentionnée  dans  cette  lettre  fut  composée  de  Monsieur 
le  duc  de  Nevers  et  de  trois  prélats,  chargés  de  rendre  compte  au  Pape 
de  ce  qui  s'était  passé  a  la  conversion  de  Sa  Majesté.  Avant  qu'elle  se 
mît  en  route,  le  légat  envoya  dire  au  duc  de  Nevers  qu'il  désirait  lui 
parler.  Le  duc  répondit  qu'avec  la  permission  du  roi,  il  se  rendrait  à 
cette  invitation  ;  mais  il  ajouta  que  si  l'intention  du  seigneur  légat  n'était 
autre  que  de  le  divertir  d'aller  à  Rome,  Sa  Seigneurie  pouvait  s'épargner 
une  peine  inutile.  «  Sur  quoi  celui-ci  ne  parla  plus  d'entrevue  et  se 
contenta  d'écrire  au  Pape  plusieurs  calomnies  contre  le  dit  duc,  tâchant 
par  tous  les  moyens  d'entraver  son  voyage.   » 

Le  duc  de  .Mayenne  avait  également  nommé  pour  ses  députés  a 
Rome  le  cardinal  de  Joyeuse  et  le  baron  de  Senesçay,  et  dans  les  pre- 
mières instructions  qu'il  leur  avait  données,  il  leur  avait  a  la  vérité  pres- 
crit de  faciliter  l'accommodement  du  roi  avec  Sa  Sainteté;  mais  s'étant 
presque  aussitôt,  comme  on  l'a  vu,  engagé  de  nouveau  avec  l'Espagne 
et  avec  le  légat,  il  ne  fit  partir  ces  députés  que  plus  de  quatre  mois 
après,  cl  avec  des  instructions  bien  différentes.  (Mézeray,  1. 111,  p.  1042.) 


346  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

A  cette  même  époque,  on  vit  paraître  en  France  une  foule  d'écrits 
bien  savants  et  bien  remplis  de  citations  textuelles  de  l'Ecriture  sainte  et 
des  Pères,  à  l'aide  desquelles  les  ecclésiastiques  de  Tun  et  de  l'autre 
parti  s'efforçaient  de  prouver,  les  uns  la  validité,  les  autres  la  nullité  de 
l'absolution  que  le  roi  s'était  fait  donner.  Sa  Majesté,  pendant  ce  temps- 
Ta,  retourna  'a  Melun  se  délasser  auprès  de  Gabrielle  des  ennuis  de  cette 
lourde  controverse.  (Cayet,  tibi  swp.) 

Ce  fut  la  qu'un  certain  Père  Séraphin,  de  l'ordre  de  Saint-Dominique, 
le  fit  prévenir  qu'un  nommé  Pierre  Barrière  venait  de  partir  de  Lyon,  en 
volonté  de  l'assassiner,  et  voici  comment  ce  complot  avait  été  découvert 
et  comment  il  avait  été  formé.  (Legrain,  t.  V,  p.  205  et  suiv.) 

Ce  Barrière,  chargé  autrefois  par  le  duc  de  iMayenne  de  délivrer 
Marguerite,  reine  de  Navarre,  de  la  prison  où  la  faisait  retenir  son  frère 
Henri  III,  avait  eu  quelques  rapports  avec  une  jeune  fille  au  service  de 
la  princesse,  et  il  en  était  devenu  éperdùment  amoureux.  Celle-ci  l'avait 
dédaigné,  et  les  mépris  qu'elle  lui  avait  fait  essuyer  l'avaient  jeté  dans 
un  si  furieux  désespoir  qu'il  ne  demandait  plus  qu'a  mourir;  mais  il 
craignait  d'être  damné  s'il  se  procurait  volontairement  la  mort.  Quelques 
Révérends  Pères,  le  voyant  dans  cette  perplexité,  lui  dirent  qu'un  bon 
moyen  d'aller  tout  droit  dans  le  ciel,  c'était  de  se  sacrifier  pour  tuer  le 
Béarnais.  (De  Tiiou,  ubisup.,  p.  49  et  suiv.) 

Barrière,  plus  qu'à  moitié  convaincu,  voulut  cependant  prendre  plus 
amples  conseils,  et  il  se  délibéra  d'en  parler  à  quelques  autres  gens 
d'Église  réputés  doctes  et  pieux.  A  cette  espèce  de  comité  de  consulta- 
lion  se  trouvèrent  un  docteur  en  théologie,  un  prêtre  et  le  Père  Séraphin, 
de  l'ordre  des  .lacobins.  Le  consultant  leur  dit  (ju'il  se  sentait  appelé  par 
une  voix  intérieure  l\  Paris,  pour  de  là  aller  tuer  le  Béarnais  en  tout 
endroit  où  il  parviendrait  à  le  rencontrer.  Le  docteur  répondit  que  la 
religion  défendait  d'attenter  à  la  vie  de  personne  et  surtout,  à  celle  des 
rois  qui  sont  personnes  sacrées.  Le  prêtre  soutint  au  contraire  que  ce 
serait  un  acte  méritoire  que  de  tuer,  à  l'exemple  de  Judith,  le  nouvel 
Holopherne,  ennemi  de  la  sainte  Église  ;  et  le  père  Séraphin,  se  ran- 
geant de  l'avis  du  docteur,  prouva  de  son  mieux  que  Taltentat  sur  la 
vie  d'un  homme,  quel  qu'il  fût,  était  un  crime;  qu'il  n'appartenait  qu'aux 
supérieurs,  comme  les  rois  et  les  princes,  d'user  du  glaive,  et  encore 
làut-il  que  ce  soit  avec  les  formalités  prescrites  par  la  loi.  (Cayet,  ubi 

Slip.) 

Le  Père  vit  bien  que,  malgré  ces  bonnes  raisons,  Barrière  n'avait  pas 
changé  de  résolution,  et  il  en  donna  avis  au  sieur  de  Brancalon,  auquel 
il  fit  même  voir  l'assassin.  Ce  seigneur,  qui  avait  été  l'un  des  gen- 
tilshommes de  la  reine  Louise,  veuve  de  Henri  III,  partit  pour  la 
cour  afin  de  prévenir  l'attentat.  Barrière  se  mit  aussi  en  route  de 
son  côté. 

Il  s'arrêta  quelques  jours  à  Paris,  d'où  il  se  rendit  à  Saint-Denis  et, 
de  là,  il  suivit  le  roi  qui  s'en  allait  chassant  du  côté  de  Brie-Comte- 
Robert.  «  Je  n'avais,  dit  le  roi  en  racontant  lui-même  cet  événement  à 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  347 

son  historiographe  Matthieu,  que  trois  ou  quatre  seigneurs  avec  moi.  La 
nuit  était  venue,  et  tous  nos  gens  étaient  perdus  ou  écartés.  En  descen- 
dant de  mon  cheval,  je  le  donnai  a  tenir  à  un  homme  qui  m'avait  suivi, 
et  que  je  croyais  être  un  paysan.  C'était  Barrière,  qui  avait  résolu  de  me 
tuer,  et  au  fait,  je  me  souviens  qu'il  cherchait  alors  quehjue  chose  dans 
ses  chausses.  C'était^ probahlement  son  couteau.  Le  lendemain,  il  s'ap- 
procha encore  de  moi  comme  je  cueillais  des  fruits  'a  un  arbre,  et  il 
m'aida  a  les  prendre  ;  mais  je  lui  vis  faire  encore  le  même  geste.  11 
revint  avec  moi  à  Saint-Denis,  et  l'on  dit  que,  m'ayanl  vu  assister  à  la 
messe,  il  s'en  retourna  à  Paris  pour  dire  a  ses  conseils]  que,  puisque 
j'étais  catholique,  il  ne  voulait  plus  exécuter  le  coup.  Ceux-ci  lui  répon- 
dirent que  mon  fait  n'était  qu'hypocrisie  ;  que  j'allais  le  jour  a  la  messe 
et  la  nuit  au  prêche.  Il  revint  donc  plus  enragé  que  jamais,  et,  feignant 
d'être  un  vendeur  de  melons,  il  entra  dans  Melun  où  j'étais  pour  lors. 
Brancalon  le  reconnut,  en  effet,  rôdant  autour  de  mon  logis  ;  mais,  au 
moment  où  il  allait  l'arrêter,  cet  homme  avait  disparu.  Brancalon  vint 
tout  aussitôt  m'en  parler,  me  disant  que  le  galant  était  arrivé  ;  mais  je  ne 
lis  qu'en  rire.  11  n'y  a  point  de  jour,  lui  dis-je,  où  mes  oreilles  ne  soient 
rebattues  de  ces  prétendues  conspirations,  et  je  serais  trop  malheureux 
s'il  fallait  que  je  m'en  troublasse  l'esprit.  Partant,  parlez-en  au  grand 
prévôt  :  c'est  son  affaire  et  non  la  mienne.  »  (Matthieu,  Règne  de 
Henri  IV.) 

Brancalon  parla  au  grand  prévôt,  et,  le  lendemain.  Barrière  fut 
encore  reconnu  et  arrêté  a  l'une  des  portes  de  la  ville,  comme  il  y  ren- 
trait avec  ses  melons.  On  le  conduisit  à  la  prison,  et  Ta,  paraissant  très- 
inquiet,  il  dit  tout  d'abord  qu'il  ne  mangerait  point  tant  qu'il  serait 
détenu;  mais  qu'on  lui  donnât  du  poison  et  qu'il  en  prendrait.  {Cayet, 
iibisîip.) 

Interrogé  par  Monsieur  le  lieulenant  de  la  prévôté  de  l'hôtel,  il  répon- 
dit être  âgé  de  vingt-sept  ans,  nalif  d'Orléans,  batelier  de  son  métier,  et 
de  présent  soldat  congédié,  venu  à  Melun  pour  y  chercher  maître.  (Mem. 
de  la  Ligue,  t.  V,  p.  430  et  suiv.) 

Dans  un  second  interrogatoire,  il  avoua  qu'en  effet  il  avait,  'a  Lyon, 
consulté  quelques  prêtres  sur  l'intention  qui  lui  était  venue  de  tuer  le 
roi.  On  lui  demanda  par  (|uels  moyens  il  se  proposait  d'exécuter  son 
intention.  Il  répondit  qu'il  avait  eu  d'abord  l'idée  de  se  servir  d'un  cou- 
teau ou  d'un  pistolet  ;  mais  que  Dieu  lui  avait  fait  depuis  la  grâce  de  lui 
ôter  tout  mauvais  vouloir. 

On  avait  su  pourtant  qu'il  avait  eu  un  couteau  caché  entre  ses 
chausses  et  sa  chemise,  et  (lu'il  l'avait  remis  à  un  autre  prisonnier,  en  le 
priant  de  n'en  pas  parler.  Interpellé  sur  cette  circonstance,  il  la  nia 
d'abord.  Mais  le  couteau  lui  fut  présenté;  il  était  d'un  pied  de  longueur, 
fort  pointu,  tranchant  des  deux  côtés,  et  fraîchement  émoulu.  Barrière 
huit  par  le  reconnaître  pour  être  sien,  disant  qu'il  l'avait  acheté  d'un 
coutelier  de  Paris  pour  couper  son  pain. 

Le  roi,  à  qui  ces  premiers  interrogatoires  furent  communiqués,  dit  à 


348  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Sully  :  «  Mon  ami,  n'est-ce  pas  chose  étrange  que  la  malignité  du  cœur 
des  hommes?  Il  y  en  a  qui  font  profession  d'être  religieux,  auxquels  je 
ne  fis  jamais  mal,  ni  n'ai  idée  d'en  faire,  et  qui  attentent  journelle- 
ment contre  ma  vie.  On  m'avait  tant  de  fois  dit,  que,  me  faisant  catho- 
lique, toutes  ces  mauvaises  volontés  cesseraient!  Hélas!  je  me  suis  fait 
catholique;  mais  je  ne  vois  que  trop  qu'il  y  a  chez  tous  ces  gens-là  plus 
d'ambition,  d'avarice  et  de  haine,  que  de  religion,  de  justice  et  de 
charité.  »  {Éco7i.  de  Sully,  ch.  xii.) 

Il  délégua  des  présidents  des  cours  souveraines,  des  conseillers 
d'État  et  des  maîtres  des  requêtes  jusqu'au  nombre  de  dix,  pour  pro- 
céder au  jugement  sur  le  rapport  du  sieur  lieutenant  de  la  prévôté. 
Barrière  leur  fut  amené  et  ajouta  à  ses  premières  confessions  que  le 
désir  de  tuer  le  roi  l'avait  pris  'a  Lyon.  Quand  on  lui  demanda  qui  lui 
avait  donné  cette  idée,  il  dit  qu'elle  lui  était  venue  de  lui-même,  et 
comme  le  couteau  était  sur  la  table  du  conseil  pour  lui  être  présenté  de 
nouveau,  il  le  reconnut  spontanément,  et  dit  qu'on  le  lui  donnât  et  qu'on 
verrait  ce  qu'il  en  ferait. 

Il  déclara  qu'après  avoir  acheté  ce  couteau  à  Paris,  il  était  venu  k 
Saint-Denis,  où  il  avait  effectivement  vu  le  roi  écoutant  la  messe  en 
grande  dévotion,  de  quoi  il  avait  été  si  touché  qu'il  avait  voulu  renoncer 
à  son  projet;  mais  que,  raffermi  ensuite  dans  sa  première  idée,  il  s'était 
mis  'a  suivre  Sa  Majesté  tant  'a  Brie-Gomte-Robert  que  dans  les  autres 
endroits  où  elle  avait  été.  Il  ajouta  qu'il  s'était  lui-même  confessé  à 
Brie-Comte-Robert,  où  il  avait  reçu  l'absolution  et  fait  ses  pâques. 

Sur  toutes  lesquelles  charges  et  réponses,  il  fut  par  les  dits  juges 
déclaré  suffisamment  atteint  et  convaincu  du  crime  de  lèse-majesté  en 
premier  chef,  pour  expiation  duquel  il  fut  condamné  à  être  traîné  dans 
un  tombereau,  et  par  les  rues  tenaillé  de  fers  chauds;  ce  fait,  être  con- 
duit au  grand  marché  de  la  ville  de  Melun  pour.  Ta,  avoir  brûlé  le  poing 
droit  tenant  le  couteau  dont  il  avait  été  trouvé  saisi  ;  puis  être  mené  sur 
un  échafaud  pour  y  avoir  bras,  cuisses  et  jambes  rompues,  et  être  mis 
finalement  sur  une  roue,  et  y  demeurer  tant  qu'il  plairait  'a  Dieu  de  lui 
laisser  vie  ;  après  quoi  son  corps  serait  brûlé  et  les  cendres  jetées  au 
vent. 

Il  fut  ordonné,  en  outre,  qu'avant  l'exécution  le  condamné  serait 
soumis  à  la  question  ordinaire  et  extraordinaire,  pour  tirer  de  lui  le  nom 
de  ses  complices. 

Barrière,  appliqué  'a  la  torture,  la  subit  courageusement  sans  vouloir 
avouer.  Mais  un  religieux  carme,  qu'on  lui  avait  donné  pour  le  confesser, 
fut  si  adroit  qu'il  tira  de  lui  toute  la  vérité  sous  le  sceau  du  sacrement; 
puis,  lui  refusant  l'absolution  s'il  ne  faisait  le  même  aveu  'a  ses  juges, 
il  l'effraya  si  fort  sur  son  salut  éternel,  que  le  pauvre  homme  se  décida  a 
tout  dire  sans  aucune  restriction.  (Mézeray,  t.  III,  p.  1056.) 

Il  déclara  qu'un  ecclésiastique,  à  Lyon,  lui  avait  dit  que  s'il  pouvait 
parachever  son  entreprise,  ce  serait  un  grand  bien  qui  lui  vaudrait  la 
gloire  céleste  du  paradis  ;  qu'un  capucin  iui  en  avait  dit  autant;  qu'étant 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  349 

arrivé  a  Paris,  il  avait  été  faire  part  a  Messire  Aubry,  curé  de  Saint- 
André-cles-Arls,  de  son  projet  de  tuer  le  roi;  que  celui-ci,  en  présence 
de  son  vicaire,  l'avait  ij;randement  loué  d'une  pareille  résolution,  et  que, 
pour  l'encourager  encore  davantage,  il  l'avait  conduit  au  collège  des 
Révérends  Pères  Jésuites,  où  le  recteur  Varade  l'avait  exhorté  'a  ne  pas 
faiblir;  (ju'un  autre  Père  Jésuite  l'avait  ensuite  entendu  en  confession, 
et  lui  avait  donné  l'absolution,  après  laquelle  on  l'avait  fait  communier. 
H  ajouta  qu'il  avait  ordre  de  ceux  (|ui  l'avaient  excité  à  cette  méchante 
action  de  dire  que  c'était  le  comte  de  Soissons  qui  l'y  avait  poussé, 
quoi(|u'en  effet  il  n'eût  jamais  vu  ce  prince;  mais  on  savait  que  le  dit 
prince  étant  alors  mal  avec  le  roi,  la  calomnie  ne  pouvait  manquer  de 
faire  impression. 

«  A  moi-même,  lit-on  dans  Pasquier,  le  régicide,  quand  je  parlai  à 
lui  dans  sa  prison,  déclara  i\ue  les  Jésuites,  après  l'avoir  muni  d'une 
promesse  certaine  du  Paradis,  l'avaient  envoyé  comme  un  vrai  martyr 
combattant,  et  qu'il  n'avait  rien  fait  que  par  les  instructions  du  ditVarade 
et  du  Père  Jacques  Commolet,  ([u'il  avait  le  premier  vu  a  Lvon.  »  {Recherch.j 
liv.  5,  p.  287.  —  Ibid.,  p.  090.) 

Cette  confession  fut  faite  et  réitérée  jusqu'à  sa  mort,  qu'il  subit  en 
donnant  de  grandes  marques  de  repentir,  ne  demandant  que  deux 
choses,  d'abord  qu'on  l'assurât  que  le  roi  lui  pardonnait,  et  ensuite  qu'on 
voulût  bien  lui  donner  quelques  gouttes  d'eau  pour  étancher  la  soif  brû- 
lante qui  le  dévorait.  «  J'envoyai,  dit  le  roi,  un  gentilhomme  pour  assu- 
rer ce  malheureux  que  je  lui  pardonnais  de  grand  cœur,  et  je  commandai 
qu'on  ne  le  fit  pas  languir  plus  longtemps.  »  (Matthieu,  ubi  sup.) 

Près  de  rendre  le  dernier  soupir.  Barrière  ajouta  que  deux  prêtres 
étaient  sortis  de  Lyon  pour  exécuter  la  même  entreprise,  au  cas  que  lui- 
même  y  aurait  échoué. 

«  Au  reste,  tout  ceci  augmenta  merveilleusement  la  haine  qu'on 
avait  contre  les  Jésuites  (1),  qui,  non  contents  d'avoir  excité  les  premiers 
cette  funeste  guerre  par  leurs  sermons  séditieux,  venaient  encore  d'ex- 
poser aux  coups  des  assassins  la  personne  sacrée  d'un  roi,  en  insinuant 

(1)  On  accuse  ici  De  Thou,  Mézeray,  Cayet,  Sully,  Pasquier  et  presque  fous  les 
contemporains  de  calomnie  contre  un  ordre  respectable.  Il  est  certain,  dit-on,  que 
Barrière  appliqué  à  la  question  ne  nomma  ni  le  curé  Aubry,  ni  le  jésuite  Varade, 
et  que  le  roi  en  entrant  dans  Paris  a  permis  que  ces  deux  ecclésiastiques  se  reti- 
rassent librement  en  Italie  avec  le  légat.  Il  est  certain,  en  elTet,  que  dans  la  pièce 
intitulée  «  Bref  discours  du  procès  criminel  fait  à  Barrière  »  {Mémoires  de  la  Ligue, 
tome  V)  ;  il  ne  se  trouve  aucun  nom  propre  dans  les  aveux  du  coupable  ;  ils  sont 
partout  remplacés  par  des  phrases  telles  que  celles-ci  :  a  Un  ecclésiastique  désigné 
par  ses  confessions  (p.  434)  ;  un  curé  de  l'une  des  paroisses  de  Paris  nommé  au 
procès-verbal  (îfeirf.)  ;  un  jésuite  qu'il  nomma  lors  (p.  435).  «  Croit-on,  d'ailleurs,  que 
si  Barrière  n'eût  pas  donné  les  noms,  on  se  serait  tenu  pour  satisfait  de  cette 
restriction?  Si,  dans  le  Bref  discours,  qui,  du  reste,  dit  clairement  que  ces  noms 
étaient  connus  par  les  aveux  du  coupable  lui-même,  on  n'a  pas  cru  devoir  les 
répéter,  je  crois  qu'il  est  inutile  d'en  donner  ici  la  raison,  elle  est  assez  facile  à 
deviner.  Quant  à  la  permission  du  roi  qui,  au  lieu  il'envoyer  deu.x  coupables  à 
l'échafaud,  les  laisse  s'exiler,  elle  ne  prouve  à  la  rigueur  que  sa  clémence. 


350  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

par  toutes  sortes  de  moyens,  et  même  par  la  confession,  le  venin  de 
lem'  exécrable  doctrine  sur  le  régicide.  »  (De  Thou,  ubi  swp.,  p,  52.) 

Ce  qui  résulte  de  tout  cela,  c'est  que  les  Révérends  Pères  profes- 
saient alors  ce  principe  qu'il  est  bon  et  louable  d'assassiner  un  roi,  quand 
il  gêne  le  développement  de  la  puissance  spirituelle,  dont  ils  s'étaient 
constitués  les  défenseurs  privilégiés.  Aujourd'hui,  toujours  en  laveur  du 
développement  de  la  même  puissance  et  surtout  dans  le  même  intérêt, 
ils  sont  prêts  a  prêcher  la  soumission  aux  tyrans  et  même  aux  usurpa- 
teurs, à  cette  seule  condition  que  ceux-ci  voudront  bien  leur  servir 
d'outil  et  de  marchepied. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  351 


CHAPITRE    XIV 


1593.  —  ARGUMENT  :  le  duc  de  mercœur  refuse  la  trêve. 

IL   l'accepte  après   une   tentative   inutile   sur    ROUEN. 

LA  FONTENELLE  S'eMPARE  DU  GRANEC.  —  LE  COMTE  DE  LA  MAIGNANE  s'ÉTABLIT  AU  FAOU. 

LE   BARON   DE   GUINGAMP   PREND   DOUARNENEZ   ET   Y   PERD   TOUTE   SA   BANDE. 

LA   GUERRE   CONTINUE    EN    GUYENNE.    —   RÉVOLTE   DITE   DES   CROQUANTS. 

MATIGNON    FORCÉ   DE   LEVER    LE    SIÈGE    DE    BLAYE. 

LE   DUC   DE   SAVOIE   PREND    EXILES.    —    LESDIGUIÈRES   LE   BAT   A   SALBERTRAN. 

LE   DUC   ACCEPTE   LA   TRÊVE.    —    ARLES    SE   SOUMET  A   D'ÉPERNON. 

LA   NOUVELLE   DE   LA   TRÊVE    l'EMPÈCHE  DE   PRENDRE   AIX. 

SON   TRAITÉ    SECRET   AVEC   MONTMORENCY    ET   LE    COMTE   D'aUVERGNE. 

LESDIGUIÈRES    PAR   ORDRE    DU   ROI     SOULÈVE    LA    PROVENCE   CONTRE   LUI. 

D'ÉPERNON   TRIOMPHE   DE   TOUS   CES   OBSTACLES. 

NEMOURS   VEUT   SE    RENDRE    INDÉPENDANT   A   LYON.     —    LES    HABITANTS    LE   FONT 

PRISONNIER.    —    MAUVAIS    SUCCÈS   DE   L'AMBÂSSADE   DU    ROI   AU    PAPE. 

PROTESTATION    DU   DUC   DE   NEVERS.    —    MANIFESTE   DE   L'ÉVÉQUE   DU    MANS. 

DÉPUTATION    DE   MAYENNE   AU    PAPE.   —    SES    DEMANDES   A   PHILIPPE. 

SURPRISE   DE    FÉCAMP.    —   LES   LIGUEURS   ÉCHOUENT   A   CAEN. 

LETTRE  d'Elisabeth  au  roi.  —  sa  conversion. 

IL   reçoit   la   DÉPUTATION   DES   RÉFORMÉS.    —     COLLOQUE   DE   DUPERRON   ET    ROSTAIN. 
catholiques   et  HUGUENOTS   ÉGALEMENT   MÉCONTENTS. 


Dans  les  provinces,  les  divers  chefs  de  la  Ligue  ne  montraient  pas 
grand  empressement  à  accepter  la  trêve  qui  venait  d'être  signée.  Plu- 
sieurs, grâce  a  la  licence,  que  favorisent  toujours  les  temps  de  troubles, 
visaient,  comme  on  l'a  vu,  'a  se  créer  une  sorte  de  souveraineté  indé- 
pendante partout  où  chacun  d'eux  avait  pu  s'étahlir.Le  duc  de  Mercœur, 
(jui  avait  bien  compté  se  l'aire  souverain  de  la  Bretagne,  et  qui  n'avait 
pas  déjà  trop  mal  commencé,  refusa  péremptoirement  de  se  soumettre  à 
la  suspension  d'armes. 

Les  Ligueurs  venaient  pourtant  d'être  battus  à  Laval  par  Saint-Luc  et 
par  les  Anglais,  et  ceux-ci,  se  rappelant  le  massacre  de  leurs  compa- 
triotes au  siège  de  Craon,  l'année  précédente,  avaient,  par  forme  de 
représailles,  passé  au  lil  de  l'épée  plus  de  deux  cents  de  leurs  ennemis. 
Saint-Luc  était  de  la  allé  attaquer  le  château  de  La  Guerche,  que  Mer- 
cœur avait  fait  lortilier,  et  sou  attaque  avait  été  si  vivement  poussée  que 
ceux  qui  étaient  dans  la  place  ne  demandèrent  qu'à  en  sortir  «  le  bâton 
blanc  à  la  main  ».  (Mézeuay,  t.  111,  p.  1046.) 


352  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Malgré  ces  échecs,  Mercœur,  qui  ne  pouvait  se  décider  à  renoncer  à 
ses  projets,  s'était  rapproché  de  Rennes,  dans  le  dessein  de  s'emparer 
de  cette  ville  a  l'aide  des  intelligences  qu'il  s'y  était  ménagées;  mais 
ceux  des  habitants  qui  étaient  restés  fidèles  au  roi  députèrent  au  maré- 
chal d'Aumont  pour  le  prier  de  venir  sans  retard  a  leur  secours.  Saint- 
Luc  fut  aussitôt  envoyé  avec  les  chevau-légers,  et,  ayant  passé  la  Mayenne, 
il  arriva  à  Vitré  sur  le  soir  du  dix-septième  jour  de  juin  ;  il  se  remit  en 
marche  le  lendemain  de  grand  matin,  et  entra  dans  Hennés  à  la  vue  de 
l'ennemi,  sans  avoir  perdu  aucun  des  siens.  Mercœur,  voyant  que  ses 
desseins  sur  Rennes  ne  pouvaient  plus  avoir  aucun  succès,  alla  former 
le  siège  de  Moncontour.  (De  Thou,  t.  XII,  liv.  107,  p.  57  et  suiv.) 

Saint-Luc  avait  eu  le  temps  de  faire  entrer  dans  cette  place  un  de 
ses  lieutenants  avec  quatre-vingts  cuirassiers  et  cent  arquebusiers.  Cette 
petite  Jroupe  fit  une  très-belle  résistance,  quoique  le  fossé  et  les  murs 
ne  valussent  rien,  et  le  maréchal  d'Aumont  eut  le  temps  d'arriver  jusqu'à 
Montfort  avec  quatre  mille  hommes  d'infanterie  et  cinq  cents  cavaliers. 
Mercœur  reconnut  alors  qu'il  ne  lui  était  plus  possible  de  rien  entre- 
prendre, et  il  ratifia  la  trêve  le  quatorzième  jour  d'août. 

Mais  Mercœur  n'était  pas  le  seul,  dans  cette  vaste  province,  «  qui 
cherchât,  comme  on  dit,  à  pêcher  en  eau  trouble.  »  Le  capitaine  La 
Fontenelle,  qui  se  donnait  pour  royaliste,  mais  qui,  au  fond,  n'était 
guère  que  le  chef  d'une  bande  de  pillards,  eut  vent  que  les  Ligueurs  mé- 
ditaient de  s'emparer  du  manoir  du  Granec,  situé  à  quelque  distance  du 
bourg  de  Landeleau.  C'était  une  espèce  de  château  flanqué  de  quatre 
bonnes  tourelles,  avec  de  bons  fossés  et  des  levées  de  terre.  Aujourd'hui, 
on  ne  retrouve  plus  que  ces  fortifications  en  terre  ;  tous  les  ouvrages  en 
maçonnerie  ont  a  peu  près  disparu.  Or,  le  capitaine  La  Fontenelle  jugea 
que  dans  un  semblable  pays,  qui  n'avait  encore  que  peu  souffert  des 
misères  de  la  guerre,  une  pareille  retraite  serait  infiniment  précieuse 
pour  un  homme  de  sa  trempe.  Le  point  difficile  était  de  s'en  emparer 
avant  les  Ligueurs,  et  voici  le  moyen  qu'il  imagina.  Il  savait  que  le  gou- 
verneur de  Morlaix  était  grand  ami  du  sieur  de  Granec,  et  il  envoya  dix 
de  ses  soldats  au  manoir,  avec  ordre  de  faire  entendre  que  le  dit  gou- 
verneur, ayant  eu  avis  de  bonne  part  que  Le  Granec  devait  être  assiégé 
dans  deux  jours,  les  avait  fait  partir  en  avance  pour  protéger  la  maison 
de  son  ami.  (Moreau,  ch.  xx.) 

Le  seigneur  de  Granec  les  introduisit  avec  joie,  se  réputant  beaucoup 
obligé  au  sieur  gouverneur  qui  l'assistait  ainsi,  avant  même  qu'il  l'en 
eût  requis;  mais  ces  nouveaux  hôtes  une  fois  entrés,  voyant  tout  le 
monde  sans  armes  et  occupé  à  leur  préparer  des  rafraîchissements,  abais- 
sèrent leurs  arquebuses.  «  Que  personne  ne. bouge  sous  peine  de  perdre 
la  vie,  »  crièrent-ils;  et  incontinent  ils  firent  prisonniers  le  maître  de  la 
maison  et  tous  les  siens  qu'ils  logèrent  dans  une  des  tours.  La  Fonte- 
nelle, qui  arriva  peu  de  temps  après,  permit  qu'on  mit  le  sieur  de 
Granec  dehors,  sans  lui  faire  de  mal,  en  considération  de  ce  qu'ils  étaient 
du  même  parti,  mais  sans  lui  permettre  de  rien  emporter. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  353 

Alors  la  commune  des  paroisses  voisines,  sachant  bien  le  peu 
(riiommcs  (|ue  La  Fontenelle  avait  dans  le  château,  vint  l'y  assiéger 
dans  l'espoir  de  le  forcera  se  rendre,  en  lui  coupant  les  vivres;  «  mais 
une  nuit  que  cette  paysantaillc,  non  aguerrie,  dormait  en  toute  sécurité, 
sans  se  douter  de  rien,  »  \e  capitaine  fond  sur  eux,  une  demi-heure  avant 
le  jour,  force  leurs  retranchements  et  en  fait  un  massacre  épouvantable. 
Les  campagnes  autour  de  la  place  furent  jonchées  de  plus  de  huit  cents 
cadavres.  Le  vainqueur  ne  voulut  pas  même  permettre  aux  parents  des 
morts  de  venir  quérir  leurs  corps,  et  fit  garder  jour  et  nuit  ces  restes 
putréfiés  pour  empêcher  qu'on  leur  rendit  les  derniers  devoirs. 

Et  comme  on  lui  représentait  que  l'air  en  allait  être  empesté,  il 
répondit,  dit-on,  parce  mot  déjà  prêté  a  Charles  IX  :  «  Le  cadavre  d'un 
ennemi  a  toujours  une  odeur  suave  et  douce.  »  Ainsi  ces  pauvres  rus- 
tiques, massacrés,  pourrirent  en  plein  air,  mangés  des  chiens  et  des 
loups,  et  si  quelque  parent  venait  pour  enlever  un  des  corps,  il  était 
lui-même  tué  sans  pitié  par  les  soldats  qui  les  gardaient. 

Leur  capitaine,  voleur,  ayant  ainsi  pris  logement  en  si  bon  nid,  se 
mit  a  butiner  dans  tous  les  pays  d'alentour,  poussant  effrontément  ses 
courses  jusqu'à  Quimper  et  même  jusqu'à  Vannes,  et  causant  dans  les 
campagnes  telle  ruine  qu'il  est  impossible  de  l'exprimer.  Les  malheureux 
habitants  furent  obligés  d'aller  se  cacher  parmi  les  landes,  genêts  et 
broussailles,  où,  par  la  rigueur  et  nécessité  du  temps,  ils  succombaient 
pour  la  plupart  et  demeuraient  en  proie  aux  loups  qui  en  faisaient  leur 
curée,  morts  ou  respirant  encore. 

La  Fontenelle,  ayant  ainsi  ravagé  toute  la  haute  Cornouaille,  se 
sentit  un  grand  désir  de  descendre  plus  bas,  et  de  s'emparer  par  la  de 
quelque  bon  port  de  mer,  d'où  il  pût  étendre  ses  déprédations  sur 
l'Océan  comme  sur  la  terre.  Les  communes  de  cette  partie  de  laliretagne 
eurent  vent  de  ce  projet,  et  aussitôt,  s'étant  réunies,  elles  se  donnèrent 
pour  chef  un  gentilhomme  de  la  paroisse  de  Brice,  nommé  Villeneuve. 
Elles  rompirent  tous  les  ponts  sur  la  rivière  de  l'Aulne,  qui  passe  h 
Chàteaulin,  et  en  faisant  bonne  garde  jour  et  nuit,  elles  |)arvinrent  à 
empêcher  le  redoutable  La  Fontenelle  et  ses  brigands  de  pénétrer  dans 
la  basse  Cornouaille. 

Dans  cette  contrée,  privilégiée  jusqu'alors,  on  avait  seulement  ouï 
parler  de  la  guerre  et  de  la  désolation  des  autres  pays,  et  l'on  n'en  avait 
pas  encore  expérimenté  les  elîets.  Mais  enfin  ce  lut  le  comte  de  La 
Maignane  «  que  Dieu  envoya  pour  faire  part  de  cet  amer  breuvage  a 
ces  trop  heureux  habitants,  (jui,  sans  cela,  auraient  pu  avoir  la  vanité 
de  se  croire  plus  gens  de  bien  (jue  les  autres.  *  Ce  comte  tenait  le  parti 
de  l'Union  dite  Catholique,  sous  l'autorité  du  duc  de  Mercœur.  Avec 
quelques  gens  ramassés  à  Morlaix,  il  arriva  la  nuit  en  la  ville  du  Faon, 
qu'il  prit  et  pilla.  Il  cherchait  de  là  'a  entrer  dans  la  juridiction  de 
Quimper,  où  il  savait  (jue  le  pillage  devait  être  bien  meilleur;  mais  il 
trouva  Villeneuve  et  ses  paysans  qui  avaient,  comme  on  l'a  vu,  rompu 
les  ponts  sur  la  rivière  et  qui  faisaient  bonne  garde  sur  l'autre  rive.  Il 

iT.  23 


354  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

écrivit  alors  a  Monseigneur  l'évêque  de  Quimper,  Messire  Charles  de 
Liscoet,  au  sénéchal  et  au  procureur  de  la  dite  ville.  Pendant  qu'on 
portait  ses  lettres,  les  gens  de  la  commune,  se  voyant  si  supérieurs  en 
nombre,  vinrent  l'attaquer  au  Faou.  Malheureusement  ils  poussèrent 
cette  attaque  à  leur  mode,  c'est-à-dire  sans  ordre  ni  discipline  ;  aussi 
furent-ils  bellement  repoussés,  laissant  plus  de  six  cents  des  leurs  sur  le 
carreau.  (Moreau,  ch.  xxi.) 

Pendant  ce  temps,  les  lettres  que  le  comte  avait  écrites  a  Quimper 
avaient  produit  leur  effet.  On  trouva  que  le  dit  comte  avait  toujours  été 
bon  catholique  et  serviteur  de  Monsieur  de  Mercœur,  et  qu'il  n'y  avait 
pas  lieu  de  lui  refuser  l'entrée  du  pays,  pour  qu'il  pût  y  venir,  comme  il 
le  demandait,  faire  rafraîchir  ses  troupes  dévouées  a  la  sainte  cause  de 
la  religion.  En  conséquence,  on  fit  défendre  au  sieur  Villeneuve  et  à 
ses  gens  de  plus  lui  disputer  le  passage  de  la  rivière.  Quelques  membres 
du  conseil  s'étaient  permis  de  dire  que  le  comte  de  La  xMaignane  était 
connu  comme  un  bon  et  ancien  voleur,  tant  sur  terre  que  sur  mer  ;  'a 
cause  de  quoi  le  défunt  roi  Henri  III  l'avait  même  déjà  fait  mettre  pri- 
sonnier à  la  Bastille,  et  qu'il  n'y  avait  nulle  sûreté  à  se  fier  à  lui.  Leurs 
représentations  ne  furent  point  écoutées,  et  Villeneuve,  sur  l'ordre  du 
sénéchal,  laissa  le  passage  libre,  non  sans  manifester  son  étonnement 
de  recevoir  une  semblable  injonction,  de  la  part  du  conseil  d'une  ville  à 
laquelle  il  n'avait  jamais  demandé  aucun  secours  en  hommes  ni  en 
argent,  faisant  même  payer  comptant  les  vivres  et  les  munitions  qu'il 
y  envoyait  acheter. 

Il  ne  se  fut  pas  plus  tôt  retiré  que  le  comte,  ravi  d'avoir  obtenu  ce 
qu'il  demandait,  passa  la  rivière  à  Châteaulin.  Il  fait  ensuite  avancer  ses 
gens  deux  ou  trois  lieues  par  delà,  sans  léser  personne,  en  affectant 
même  de  faire  payer  généreusement  tout  ce  dont  ses  soldats  avaient 
besoin.  Satisfaits  de  ces  bons  procédés,  les  gens  des  campagnes  ne  son- 
gèrent à  rien  cacher;  mais  (|uand  une  fois  la  confiance  fut  bien  établie, 
le  comte  donna  le  signal  du  pillage.  Un  grand  nombre  de  paroisses  furent 
mises  à  sac  et  à  feu,  et  le  butin  fut  très-considérable.  On  se  repentit, 
mais  trop  tard,  de  la  légèreté  avec  laquelle  on  s'était  confié  à  ce  chef  de 
bandits.  Pour  lui,  il  se  retira  chargé  de  riches  dépouilles,  laissant  encore 
derrière  lui  quelques  traînards  qui  firent  bien  leurs  affaires  dans  ce  pays 
épouvanté. 

Un  autre  bandit,  le  seigneur  de  Guingamp,  qui  se  disait  royaliste 
parce  qu'il  était  héréti(jue,  se  sentit,  le  désir  de  rivaliser  les  exploits  du 
comte  de  La  Maignane.  Il  s'imagina  que  Douarnenez  pouvait  aisément 
être  surpris,  et,  ayant  fait  part  de  ses  projets  à  Sourdéac,  gouverneur  de 
Brest,  il  en  obtint  un  certain  nombre  de  gens  de  guerre  avec  quelques 
barques  pour  les  transporter.  (Moreau,  ch.  xxii.) 

Avec  cette  espèce  de  flotte,  il  arriva  au  port  de  Douarnenez,  deux 
heures  avant  le  jour,  et  il  y  trouva  en  effet  si  pauvre  garde,  qu'il  put 
débarquer  sans  avoir  été  découvert.  Le  malheureux  bourg  fut  aussitôt 
cerné  de  manière  à  empêcher  personne  d'en  sortir,  et  le  pillage  com- 


i 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  355 

mença;  mais  quelques-uns  des  habilanls  trouvèrent  le  moyen  d'échapper 
au  milieu  du  tumulte,  et  portèrent  l'alarme  dans  les  paroisses  environ- 
nantes. Le  tocsin  sonna  h  tous  les  clochers;  les  paysans  se  rassemblèrent, 
et  accoururent  en  armes  au  bourg,  où  les  pillards  ne  jugèrent  pas  a 
propos  de  les  attendre,  ils  se  mirent  en  toute  diligence  a  se  retirer  vers 
leurs  barques.  Malheureusement  pour  eux,  ils  avaient  abordé  en  pleine 
marée,  et,  comme  personne  n'avait  voulu  rester  a  la  garde  des  embarca- 
tions dans  la  crainte  de  n'avoir  pas  sa  part  du  pillage,  elles  étaient,  pour 
la  plupart,  restées  'a  sec  sur  le  rivage.  Quelques-unes  seulement  des 
plus  grandes  avaient  suivi  le  Ilot  et  se  trouvaient  fort  avant  en  mer.  Ceux 
qui  eurent  le  courage  de  se  jeter  a  l'eau  pour  les  rejoindre  furent  presque 
tous  noyés,  les  autres  furent  obligés  d'attendre  patiemment  sur  la  rive 
qu'on  les  massacrât,  ce  qu'on  ne  manqua  pas  de  faire.  Ce  ne  fut  qu'avec 
un  petit  nombre  d'amis  que  Guingamp  eut  le  bonheur  d'atteindre  une 
petite  barque  encore  'a  Ilot,  'a  l'aide  de  laquelle  il  revint  à  Brest. 

Cependant  d'Aumont,  après  avoir  fait  reconnaître  la  trêve  par  le  duc 
de  Mercœur,  fit  assembler  les  États  de  la  province  a  Rennes,  au  mois  de 
décembre.  11  ne  se  trouva  bien  entendu  que  des  royalistes  a  cette  assem- 
blée. Comme  il  y  avait  tout  lieu  de  craindre  que  la  guerre  ne  recom- 
mençât bientôt,  et  que  les  lettres  de  la  cour  enjoignaient  au  maréchal 
d'avoir 'a  pourvoir  a  la  sûreté  du  pays,  sans  s'attendre  'a  recevoir  des 
secours  des  provinces  voisines,  il  fut  décidé  que,  sous  le  bon  plaisir  du 
roi,  on  députerait  Montmartin,  de  la  Pilaye,  et  deux  autres  seigneurs  en 
Angleterre,  pour  solliciter  de  la  reine  un  nouvel  envoi  de  troupes.  (De 
Thol,  ubi  sup.,  liv.  107.) 

Montmartin,  qui  portait  la  parole,  s'exprima  en  ces  termes  :  «  Au 
nom  du  roi  et  de  la  province  de  Bretagne,  je  dois  d'abord  remercier 
Votre  Majesté  des  secours  que  vous  nous  avez  envoyés;  mais  le  danger 
n'est  point  encore  passé  pour  notre  malheureux  pays  ;  et  ce  danger 
intéresse  particulièrement  l'Angleterre  elle-même.  Ce  sont,  en  efiet,  les 
Espagnols,  vos  ennemis  déclarés,  qui  tentent  de  s'établir  chez  nous, 
pour  se  mettre  a  portée  de  faire  une  descente  sur  vos  côtes,  quand  l'oc- 
casion s'en  présentera;  car  ils  savent  que  cette  flotte  redoutable,  qu'ils 
avaient  naguère  armée  pour  vous  envahir,  n'a  péri  que  faute  d'un  port 
voisin  où  elle  aurait  pu  se  mettre  à  l'abri  contrôla  tempête  qui  l'a  anéan- 
tie. Il  est  donc  dans  l'intérêt  de  Votre  Majesté,  non  seulement  de  ne  pas 
rappeler  les  troupes  auxiliaires  qu'elle  a  déjà  envoy('es  en  Bretagne,  mais 
encore  de  les  augmenter  et  de  ne  pas  les  laisser  man(|uer  de  canon,  de 
poudre  et  de  boulets  alin  de  chasser  les  Ligueurs  et  les  Espagnols  de  la 
côte.  Le  roi,  au  reste,  a  autorisé  la  province  à  prendre  l'engagement  de 
rembourser  tous  les  Irais  (jue  vous  aurez  faits.  » 

La  reine  répondit  :  «  Faites  savoir  a  notre  très-cher  (rère  Henri  que 
je  le  regarde  comme  le  soutien  de  la  cause  sainte  en  France,  et  (jue  je 
ne  veux  pas  l'abandonuer  <lans  le  moment  où  je  vois  (ju'il  a  le  plus 
besoin  de  socours.  .Mes  Anglais  resteront  eu  Bretagne  et  je  prendrai  de 
justes  mesures  pour  en  auj^menter  le  nombre  s'il  le  faut,  et  pour  ne  les 


356  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

laisser  manquer  de  rien  ;  je  demande  seulement  que,  de  votre  côté,  vous 
assigniez  un  lieu  commode  a  ceux  de  mes  soldais  qui  sont  malades  ou 
blessés.  » 

Les  députés,  avec  cette  gracieuse  réponse,  revinrent  en  Bretagne,  où 
ils  trouvèrent  que  des  deux  côtés  on  se  préparait  activement  à  la  guerre 
qui  allait  recommencer. 

Les  Ligueurs  du  Poitou  se  montraient  également  peu  satisfaits  de  la 
suspension  d'armes  qui  pouvait  être,  en  effet,  le  prélude  d'une  paix 
dans  laquelle  toutes  leurs  prétentions  étaient  menacées  de  l'aire  nau- 
frage. Ils  furent  cependant  obligés  de  s'y  soumettre;  car  ils  ne  tenaient 
plus  guère  dans  la  province  que  la  ville  de  Poitiers,  où  Cossé-Brissac 
s'était  renfermé,  et  encore  cette  ville  était  en  ce  moment  même  assiégée 
par  tous  les  seigneurs  royalistes  des  environs,  de  sorte  qu'elle  eût  été 
inévitablement  obligée  de  se  rendre  si  la  trêve  ne  fût  venue  faire  lever  le 
siège.  Cette  dernière  circonstance  rendit  Cossé-Brissac  un  peu  moins 
mécontent  de  la  tournure  que  prenaient  les  événements,  et  le  roi  y 
gagna  de  son  côté  que  l'imposition  extraordinaire  de  deniers  qu'on  avait 
levée  sur  la  province  pour  les  frais  de  ce  siège,  se  trouvant  sans  emploi, 
rentra  dans  ses  coffres  et  ne  lui  fut  pas  d'un  petit  secours  pour  ses  autres 
affaires.  (Mézeray,  t.  111,  p.  1047.) 

En  Guyenne,  Montpesat,  chef  des  Ligueurs  en  cette  province,  ne 
voulut  voir  dans  cette  trêve,  qui  lui  donnait  quelque  répit,  qu'une  occa- 
sion favorable  d'avancer  les  affaires  du  parti  dans  le  Périgord.  Pensant 
que  les  royalistes  allaient  se  débander,  il  ramassa  ce  qu'il  put  de  troupes 
et  les  fit  entrer  dans  cette  contrée.  Le  vicomte  d'Aubeterre,  qui  en  élait 
gouverneur  pour  le  roi,  marcha  au-devant  de  lui  pour  lui  disputer  le 
passage  de  la  Dordogne.  Il  le  rencontra  au  bourg  du  Cournil,  où  il  y 
avait  deux  châteaux  et  il  se  résolut  de  l'y  attaquer;  mais  on  en  était  a 
peine  venu  aux  mains  que  Montpesat  se  sauva  par  derrière,  et  laissa 
ceux  qu'il  avait  amenés  se  démêler  de  cette  affaire  comme  ils  pourraient. 
Ceux-ci  soutinrent  d'abord  l'attaque  avec  courage,  et  même  leur  cavalerie, 
qui  était  commandée  par  un  gentilhomme  nommé  La  Morelle,  fit  plu- 
sieurs charges  brillantes;  mais  à  la  fin,  se  voyant  pris  en  flanc  et  par 
divers  endroits,  ils  se  retirèrent,  cavalerie  et  infanterie,  dans  les  châteaux 
du  bourg,  où  ils  furent  bientôt  obligés  de  se  rendre  à  discrétion.  D'Aube- 
terre leur  permit  de  se  retirer  sans  leur  faire  aucun  mal  ;  mais  peu  de 
jours  après,  il  fut  lui-même  tué  d'un  coup  de  mousquet  comme  il  assié- 
geait le  petit  village  de  L'isle,  dans  le  Périgord. 

On  pense  bien  que  tous  ces  mouvements  de  troupes  n'avaient  pu  se 
faire  sans  que  les  habitants  des  campagnes  n'eussent  beaucoup  à  souffrir 
de  la  licence  des  soldats  de  l'un  et  l'autre  parti,  qui  commettaient  impu- 
nément toutes  sortes  de  violations  et  de  crimes.  Le  désespoir  fit  prendre 
les  armes  aux  paysans.  Ce  ne  fut  d'abord  que  pour  se  défendre;  mais 
bientôt  le  nombre  de  ces  défenseurs  s'accrut  tellement,  qu'ils  formèrent 
des  corps  redoutables.  Ils  choisirent  parmi  eux  des  officiers  qui  établirent 
une  espèce  de  discipline,  et  leurs  bandes  inondèrent  le  Périgord,  le 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  357 

Limousin  et  le  Poitou,  où  elles  commirent  elles-mêmes  les  désordres 
pour  la  répression  desquels  elles  avaient  d'abord  pris  les  armes.  A 
l'exemple  des  Gaulhiers  de  la  Normandie,  (|ue  le  duc  de  Montpensier 
avait  été  contraint  d'exterminer  quatre  ans  auparavant,  elles  se  mirent  a 
attaquer  la  noblesse  et  la  propriété,  et  elles  commirent  partout  de  si 
grands  ravages,  qu'elles  rendirent  le  nom  de  Croquants,  qu'elles  s'étaient 
donné,  le  sujet  de  l'épouvante  générale.  (De  Thou,  ubi  sup.) 

Matignon  était  alors  occupé  au  siège  de  Blaye,  et  il  y  avait  déj'a  plu- 
sieurs mois  qu'il  était  devant  cette  place,  qu'il  n'espérait  plus  prendre 
que  par  famine.  Dlaye  venait  cependant  de  recevoir  un  secours  de  la 
flotte  espagnole,  alors  dans  les  eaux  de  la  Gascogne.  Onze  vaisseaux 
bien  armés  et  chargés  de  munitions  avaient  remonté  la  rivière;  les  vais- 
seaux anglais  qui,  au  nombre  de  six  seulement,  croisaient  sur  le  fleuve, 
n'avaient  pas  osé  risquer  de  s'opposer  au  passage  de  forces  aussi  supé- 
rieures, et  le  secours  était  entré  sans  difficulté  dans  la  place.  (Mézeray, 
ubi  sup.) 

Matignon  envoya  'a  Bordeaux  l'ordre  d'armer  quinze  navires  qui  s'y 
trouvaient  avec  deux  galiotes,  'a  quoi  la  ville  contribua  avec  chaleur, 
parce  que  ceux  de  Blaye  gênaient  singulièrement  son  commerce.  La 
flotte  bordelaise  partit  donc  avec  ordre  de  descendre  au-dessous  du  Bec- 
d'Amhez  pour  enfermer  les  Espagnols  entre  elle  et  l'armée  assiégeante. 
Ceux-ci  envoyèrent  d'abord  cinq  vaisseaux  contre  les  navires  anglais  qui 
se  tenaient  en  avant,  et  il  y  eut  un  combat  acharné  dans  lequel  deux 
bâtiments  de  chaque  côté  furent  brûlés  ou  coulés  bas,  et  si  les  Borde- 
lais avaient  donné  en  ce  moment,  il  est  probable  que  l'Espagnol  aurait 
été  complètement  hallu,  mais,  soit  que  le  vent  leur  fût  contraire,  soit 
qu'ils  fussent  mal  commandés,  ils  laissèrent  l'ennemi  passer  en  se  con- 
tentant de  lui  envoyer  de  loin  quelques  coups  de  canon.  Matignon,  qui 
perdait  beaucoup  de  monde  dans  les  fréquentes  sorties  dont  les  assié- 
gés n'étaient  point  avares,  jugea  alors  îi  propos  de  lever  un  siège  qui 
lui  avait  coûté  beaucoup  de  temps,  et  de  grandes  sommes  d'argent  à  la 
province. 

D'un  autre  côté,  depuis  la  déroute  de  Villemur,  le  parti  ligueur 
dans  le  Languedoc  n'avait  encore  pu  se  remettre  de  ses  pertes.  Le  duc 
de  Montmorency  eût  pu  lui  porter  facilement  le  dernier  coup,  «  mais  il 
avait  d'autres  desseins  pour  sa  fortune  particulière,  »  et  chacun  restait 
en  paix.  (Mézeray,  ubi  sup.) 

Il  n'en  était  pas  de  même  dans  la  Provence  et  le  Dauphiné.  Dans 
cette  dernière  province  surtout  tout  le  monde  était  en  armes.  Lesdi- 
guières  avait  passé  les  deux  premiers  mois  de  l'année  a  réprimer  les 
courses  que,  du  fort  de  Morestel,  les  Savoyards  faisaient  dans  la  vallée 
de  Grésivodan.  Le  duc  de  Savoie  lui  avait  alors  fait  faire  quelques  propo- 
sitions d'arrangement,  et,  a  cet  effet,  le  général  français  s'était  rendu  'a 
Briquières  pour  y  entendre  les  députés  du  prince  ;  mais  il  s'aperçut  bien- 
tôt que  leur  principal  but  était  de  gagner  du  temps,  pour  que  leur  maître 
pût  rassembler  ses  troupes  en  plus  grand  nombre,  et  venir  fondre  sur 


358  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

les  siennes  a  Timproviste.  Aussi  revint-il  bien  vile  en  Dauphiné  pour 
parer  ce  coup.  {Vie  de  Lesdiguières.) 

Et,  en  effet,  il  n'y  fut  pas  plus  tôt  de  retour  qu'il  apprit  que  le  duc 
s'approchait  à  la  tête  de  dix  mille  hommes  de  pied  et  de  quinze  cents 
chevaux  dont  le  roi  d'Espagne  s'était  chargé  de  payer  la  solde.  Cette 
armée  assiégeait  déjà  le  fort  d'Exilés,  car  le  duc,  dans  son  plan  de  cam- 
pagne, avait  trouvé  utile  de  s'assurer  avant  tout  des  passages  des  monts 
par  où  Lesdiguières  aurait  pu  venir  directement  l'attaquer  sur  ses  der- 
rières. Il  comptait,  du  reste,  que  le  siège  de  ce  fort  ne  l'arrêterait  pas 
longtemps,  et  déjà,  en  effet,  il  s'était  rendu  maître  dès  le  premier  abord 
de  la  petite  église  qui  domine  les  fortifications. 

Lesdiguières,  à  cette  nouvelle,  accourut  avec  quelques  troupes, 
reprit  l'église  et  y  mit  une  forte  garnison;  mais  il  fut  obligé  de  repartir 
tout  aussitôt  pour  assister,  'a  Beaucaire,  'a  une  assemblée  où  devaient  se 
trouver  tous  les  chefs  du  parti  royaliste  des  provinces  du  Midi,  et  dans 
laquelle  on  devait  convenir  des  moyens  de  repousser  l'invasion  des 
Savoyards.  H  n'était  encore  qu"a  Brianand,  quand  il  apprit  que  le  duc, 
profitant  de  son  absence,  avait  déjà  chassé  ceux  qui  devaient  garder  le 
poste  de  l'église,  qu'il  s'était  également  rendu  maître  de  tous  les  autres 
points  avantageux  des  environs  de  la  place,  et  qu'il  continuait  avec  acti- 
vité le  siège  du  fort. 

Lesdiguières  revint  aussitôt  sur  ses  pas,  après  avoir  dépêché  au  duc 
de  Montmorency  pour  lui  demander  assistance  ;  mais  le  Savoyard  ne  lui 
donna  pas  même  le  temps  d'arriver  jusque  devant  Exiles  :  il  fit  battre  si 
furieusement  la  place,  que  les  assiégés,  après  avoir  souffert  trois  assauts 
et  quatre  milles  volées  de  canon,  furent  obligés  de  se  rendre  'a  compo- 
sition, presque  'a  la  vue  même  de  Lesdiguières,  qui  n'était  pas  en  forces 
pour  les  secourir. 

Celui-ci,  ne  pouvant  mieux  faire,  se  borna  'a  fortifier  les  passages  de 
la  vallée  d'Oulx,  et  particulièrement  un  pont  sur  la  petite  rivière  de  Doire. 
Rodrigue  de  Tolède,  général  des  troupes  milanaises  et  napolitaines 
envoyées  par  l'Espagne,  eut  la  vanité  de  vouloir  attaquer  le  chef  français; 
il  s'engagea  de  telle  sorte  à  la  descente  de  la  montagne  qui  va  vers  la 
Doire,  qu'il  se  vit  bientôt  renfermé  par  trois  escadrons  de  cavalerie, 
lesquels  lui  coupèrent  les  passages  par  derrière,  tandis  que  Lesdiguières 
l'attaquait  de  front.  Dans  cette  situation  désespérée,  il  essaya  de  rétro- 
grader vers  le  petit  village  de  Salbertran  pour  s'y  retrancher.  Ses  gens, 
qui  sentaient  les  Français  presque  sur  leurs  talons,  jetèrent  leurs  armes 
pour  arriver  plus  vite. 

Les  Français  les  poursuivaient  l'épée  dans  les  reins,  les  tuaient  sans 
résistance;  et  lassés  du  massacre  de  douze  'a  quinze  cents  de  ces 
malheureux,  ils  donnèrent  quartier  à  huit  ou  neuf  cents  autres  qui  res- 
taient encore. 

Rodrigue  lui-même  fut  tué  sur  la  place.  Un  arquebusier  'a  cheval, 
qui  venait  de  le  démonter,  le  somma  de  se  rendre.  «  Es-tu  gentil- 
homme? demanda  le  noble  Espagnol.  —  Je  n'ai  pas  cet  honneur,  ré- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  359 

pondit  le  soldat.  —  En  ce  cas,  je  ne  me  rends  pas.  »  Et  l'arquebusier 
le  tua. 

Le  duc  de  Savoie  vit  ses  troupes  considérablement  diminuées  par 
cet  échec,  et,  quoiqu'il  reçût  bientôt  après  un  nouveau  renfort  de  trois 
mille  Espagnols,  il  n'osa  plus  rien  tenter  d'important.  Il  se  borna  à  bâtir 
dans  la  vallée  de  la  Pérouse  un  fort  qu'il  nomma  le  fort  Saint-Benoit,  et 
'a  assiéger  la  petite  ville  de  Cavours,  dont  il  ne  put  même  prendre  la 
citadelle;  car  Lesdiguières  avait  eu  le  temps  de  réunir  les  forces  du 
Languedoc  et  de  la  Provence  avec  lesquelles  il  se  disposait  à  venir  atta- 
quer les  Savoyards. 

Leduc  lui  envoya  dire  alors  qu'il  ne  refusait  plus  d'être  compris  dans 
la  trêve  signée  a  La  Villette,  quoiqu'il  en  eût  été  excepté  par  un  article 
exprès,  s'il  ne  déclarait  pas  donner  son  adhésion  dans  le  délai  d'un 
mois  après  la  publication.  Comme  ce  délai  n'était  pas  encore  expiré, 
Lesdiguières  se  rendit  volontiers  a  sa  demande,  et  Ta,  comme  dans  les 
autres  provinces,  la  suspension  d'armes  eut  son  effet. 

On  sait  que  le  duc  était  encore  censé  posséder  quelques-unes  des 
principales  villes  de  la  Provence,  quoiqu'en  réalité  elles  fussent  presque 
toutes  entre  les  mains  de  quelques  chefs  hardis  qui  avaient  su  s'en 
rendre  maîtres.  Au  nombre  de  ces  villes  étaient  Marseille,  Arles  et  Aix. 
Les  habitants  d'Aix,  qui  ne  recevaient  plus  de  lui  ni  secours  d'hommes 
ni  argent,  demandèrent  à  traiter  de  quelque  accommodement  avec  le 
duc  d'Epernon.  Ils  offraient  de  le  reconnaître  pour  gouverneur  de  la 
province,  en  vertu  des  lettres  de  Henri  111,  à  condition  pourtant  qu'il  ne 
demanderait  pas  a  entrer  dans  leur  ville,  dont  le  commandement  reste- 
rait entre  les  mains  du  comte  de  Carces,  lequel  s'engagerait  de  son 
côté  a  ne  plus  entretenir  d'alliance  avec  les  étrangers,  et  a  s'opposer  'a 
leur  entrée  s'ils  venaient  troubler  le  repos  public.  Il  était  demandé,  en 
outre,  qu'il  ne  fût  apporté  aucun  changement  'a  la  religion  et  que  l'exer- 
cice du  culte  catholique  fût  seul  permis.  (Mézerav,  iibi  siip.) 

A  quoi  d'Epernon  répondit  que,  pour  le  regard  de  la  religion,  il 
donnerait  carte  blanche;  qu'il  acceptait  également  toutes  les  autres  con- 
ditions, consentant  a  laisser  le  comte  de  Carces  commandant  d'Aix  sous 
son  autorité,  sans  y  entrer  lui-même,  mais  pendant  six  mois  seulement, 
lesquels  étant  expirés  il  serait  reçu  partout,  comme  c'était  son  droit. 

Cette  dernière  clause  modificative  ne  fut  pas  du  goût  du  comte;  et 
comme  chacun  s'opiniàtra  dans  ses  prétentions,  il  fallut  en  remettre  le 
jugement  à  la  force  des  armes.  Le  duc  tint  les  États  a  Briguoles,  et  ils 
lui  accordèrent,  aux  dépens  de  la  province,  huit  cents  chevaux,  quinze 
cents  hommes  de  pied  et  dix  mille  écus  par  mois.  Les  Ligueurs,  de  leur 
côté,  firent  une  assemblée  dans  le  couvent  des  Augustins,  a  Aix,  et  ils 
votèrent  également  des  fonds  pour  la  levée  et  la  solde  de  gens  destinés 
'a  défendre  leur  ville  et  leur  parti. 

D'Epernon,  pendant  ce  temps-l'a,  se  dépêchait  de  mettre  h  profit  les 
secours  que  les  États  lui  avaient  fournis.  Il  avait  d'abord  résolu  de  se 
faire   reconnaître  par  Marseille,   et  il  avait  commencé  par    se  saisir 


360  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

d'Âubagne,  d'Oriole,  de  Roquevaire  et  de  tous  les  bourgs  d'alentour, 
que  leurs  hai)itanls,  au  nombre  de  plus  de  dix  mille,  avaient  abandonnés 
pour  se  réfugier  dans  la  ville.  Ensuite,  a  la  faveur  de  la  nuit,  il  s'appro- 
cha, avec  douze  cents  cuirassiers  et  deux  mille  hommes  de  pied,  de  la 
porle  qui  conduit  à  Aix.  Il  y  attacha  d'abord  le  pétard  et  la  fit  sauter; 
mais  la  seconde  porte  se  trouva  plus  solide  ;  le  pétard  n'y  fit  qu'une 
ouverture  insuffisante  et  les  habitants  se  hâtèrent  d'accourir  au  bruit.  Le 
duc  fut  obligé  de  se  retirer  sans  oser  poursuivre  plus  avant  son 
entreprise. 

Il  se  borna  ensuite  'a  tenir  la  ville  comme  bloquée  par  les  garnisons 
qu'il  mit  tout  autour,  de  telle  sorte  que  les  provisions  n'arrivant  plus  de 
la  campagne,  le  menu  peuple  en  fut  réduit  a  ne  vivre  que  de  pain  de 
millet  et  de  vesces  ou  de  châtaignes,  dont  heureusement  il  y  avait 
grande  quantité  dans  les  magasins.  En  ce  même  temps,  le  sultan 
Amurat,  incité  par  l'ambassadeur  de  France,  Savarry,  envoyait  déclarer 
aux  Marseillais  que,  s'ils  n'obéissaient  à  leur  roi,  il  les  traiterait  comme 
ses  plus  grands  ennemis,  confisquerait  tous  leurs  vaisseaux  et  leurs 
marchandises,  et  ferait  esclaves,  dans  toute  l'étendue  de  son  empire, 
tous  ceux  d'entre  eux  qui  y  seraient  rencontrés.  Tout  ceci  pourtant  ne 
fut  point  encore  capable  de  les  détacher  du  |)arti  de  la  Ligue. 

Arles  se  montra  moins  récalcitrante.  Pour  sauver  les  récoltes,  que 
d'Épernon  menaçait  de  détruire,  sans  épargner  ni  les  maisons  ni  les 
arbres,  et  faisant  pendre  sans  pitié  tous  ceux  des  cultivateurs  ou  mois- 
sonneurs qui  tombaient  entre  ses  mains,  la  ville  fit  un  traité  avec  lui,  et 
son  autorité  y  fut  reconnue. 

Quant  'a  ceux  d'Aix,  quoiqu'il  employât  les  mêmes  moyens  expéditifs 
pour  les  soumettre,  excités  par  le  comte  de  Carces,  ils  ne  s'en  mon- 
trèrent que  plus  animés,  et  c'était  'a  chaque  instant  de  nouveaux 
combats  sous  les  murs  de  cette  place,  dont  les  habitants  se  défen- 
daient avec  l'énergie  du  désespoir.  Le  premier  jour  que  les  troupes 
du  duc  vinrent  attaquer  la  ville  était  précisément  le  jour  de  la  fête 
de  Dieu.  Les  hommes  quittèrent  la  procession  pour  faire  une  sortie 
avec  une  merveilleuse  ardeur,  pendant  que  les  femmes  continuèrent  'a 
suivre  le  Saint-Sacrement,  dans  les  rues  pavoisées  avec  toute  la  solen- 
nité accoutumée.  C'était  le  brave  Mesplez  qui  commandait  l'infanterie 
de  d'Épernon;  elle  n'en  fut  pas  moins  ce  jour-l'a  fort  malmenée  par  les 
assiégés,  qui  tuèrent  quantité  des  plus  hardis  d'entre  ces  hommes 
d'armes,  et  entre  autres  le  baron  de  Montaud,  dont  la  perte  fut  vive- 
ment regrettée. 

Le  duc,  reconnaissant  alors  que  l'impétuosité  de  ses  attaques  lui 
apportait  moins  d'honneur  que  de  dommage,  changea  de  moyen  et  se 
mit  'a  faire  bâtir  un  grand  fort  sur  le  coteau  de  Saint-Eutrope,  qui 
domine  la  ville;  il  y  plaça  une  batterie  de  sept  pièces  de  canon  qui  fou- 
droyait tous  les  quartiers,  s'imaginant  que  les  habitants,  effrayés  de  voir 
crouler  les  toits  sur  leurs  têtes,  se  décideraient  à  lui  demander  merci; 
mais,  comme  le  bruit  de  ces  canonnades  fut  plus  grand  que  l'effet,  ceux 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  361 

d'Aix  s'y  accoutumèrent  bientôt  et  ripostèrent  par  le  canon  de  leurs 
remparts,  qui,  sans  faire  autant  de  tapage,  causait  beaucoup  plus  de 
dommage  aux  assiégeants.  Le  duc  lui-même  faillit  en  être  victime;  un 
des  canonniers  de  la  ville,  averti  qu'il  avait  rendez-vous  pour  continuer 
une  partie  de  prime  dans  un  endroit  nommé  La  Pinchinate,  y  pointa  si 
justement  deux  pièces,  que  les  boulets  emportèrent  les  deux  gentils- 
hommes entre  lesquels  Monsieur  d'Épernon  était  assis.  Les  éclats  de  la 
table  et  des  sièges  le  blessèrent  lui-même  à  la  cuisse,  par  suite  de  quoi 
il  fut  renversé  et  demeura  longtemps  pâmé,  de  sorte  que  la  nouvelle  de 
sa  mort  fut  publiée  dans  Aix  et  portée  dans  toute  la  province. 

Sur  ces  entrefaites  arriva  le  courrier  du  duc  de  Mayenne,  porteur  de 
la  trêve  signée  a  La  Villette  pour  toute  la  France.  D'Epernon  en  fut 
fâché,  car  il  jugeait  bien  qu'une  pareille  mesure  ruinait  ses  desseins,  et, 
pendant  qu'on  l'aisait  dans  la  ville  des  feux  de  joie,  il  ne  songea  qu'a 
trouver  des  moyens  d'opposer  quelque  difficulté.  Mais,  quand  il  eut  reçu 
le  courrier  du  roi  qui  lui  apportait  l'ordre  précis  de  suspendre  les  hos- 
tilités, il  fallut  bien  qu'il  se  soumît,  quoiqu'â  contre-cœur,  et,  après 
avoir  placé  une  forte  garnison  dans  le  fort  qu'il  avait  fait  construire  'a 
Saint-Eutropc,  il  se  retira  avec  le  reste  de  ses  troupes. 

Le  danger  qu'il  craignait  pour  lui  ne  tarda  pas,  en  effet,  a  se  mani- 
fester. Le  roi,  qui  avait  plus  d'une  raison  de  se  méfier  de  ce  seigneur, 
faisait  épier  sa  conduite  et  n'attendait  qu'une  occasion  favorable  pour 
réprimer  son  ambition.  Il  sut  que,  dans  une  réunion  qui  avait  eu  lieu  a 
Beaucaire,  et  où  Lesdiguières  n'avait  pu  assister,  il  avait  été  signé  une 
alliance  offensive  et  défensive  envers  et  contre  tous,  entre  le  maréchal 
de  Montmorency,  le  comte  d'Auvergne  et  le  duc  d'Épernon.  Il  devenait 
donc  urgent  de  rompre  cette  nouvelle  ligue.  En  conséquence.  Sa  Majesté 
envoya  l'ordre  à  Lesdiguières  de  chercher  quelque  moyen,  pour  expulser 
le  duc  de  la  Provence,  mais  sans  que  le  nom  du  roi  fût  compromis  en 
rien;  car  il  était  a  craindre  qu'un  homme  aussi  dangereux  n'en  vînt  a 
une  révolte  ouverte,  auquel  cas,  à  l'aide  de  ses  amis  et  en  se  joignant 
au  parti  opposé,  il  aurait  trouvé  plus  d'un  moyen  de  se  rendre 
redoutable. 

Lesdiguières  tint  donc  aussi  secrète  que  possible  la  mission  qu'il 
avait  reçue;  il  n'osa  pas  même  en  parler  'a  Mesplez,  sachant  que  celui-ci, 
tout  bon  royaliste  qu'il  était,  était  incapable  des  ménagements  et  des 
ruses  qu'exigeait  une  pareille  affaire.  Il  mit  seulement  dans  la  confidence 
cinq  ou  six  des  principaux  seigneurs  du  pays,  sur  lesquels  il  croyait 
pouvoir  compter,  parce  qu'il  les  savait  peu  satisfaits  du  duc.  Il  leur  lit 
lire  les  lettres  du  roi.  Ces  gentilshommes  balancèrent  d'abord  a  s'engager 
dans  celte  espèce  de  conspiration,  dans  la  crainte  que,  si  le  couj) 
venait  'a  manquer,  ils  ne  fussent  désavoués  et  abandonnés  aux  rigueurs 
de  d'Epernon  qu'on  savait  être  implacable  en  pareil  cas. 

Pourtant,  quand  on  leur  eut  bien  promis  que  le  roi  les  soutiendrait, 
ils  se  résolurent  'a  la  fin  de  tout  risquer  pour  donner  à  Sa  Majesté  une 
preuve  de  leur  obéissance  et  de  leur  dévouement.  Le  duc  était  alors  allé 


362  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

a  Pézenas,  pour  se  trouver  a  une  nouvelle  entrevue  avec  Montmorency. 
Pendant  son  absence,  les  conjurés, qui  commandaient  chacun  une  place 
dans  la  province,  se  déclarèrent  le  même  jour,  dix-neuvième  d'octobre, 
mirent  dehors  les  Gascons  qu'avait  amenés  le  duc,  et  firent  jeter  en  pri- 
son tous  ses  partisans. 

En  même  temps,  ceux  d'Aix,  qu'on  avait  prévenus,  rompaient  la 
trêve,  et  le  gouverneur  de  Toulon,  ayant  trouvé  un  moyen  d'attirer  préa- 
lablement chez  lui  la  plus  grande  partie  des  officiers  de  la  citadelle,  la 
fil  attaquer  par  deux  cents  forçats  auxquels  il  avait,  pour  cet  effet,  accordé 
la  liberté.  Tout  ce  qui  s'y  trouva  vivant  fut  passé  au  fil  de  l'épée.  Le 
commandant  lui-même  fut  assommé  d'un  coup  de  levier  par  un  maçon 
auquel  il  offrait  dix  mille  écus  pour  en  obtenir  la  vie,  mais  qui  aima 
mieux  se  venger  d'une  injure  qu'il  avait  reçue  précédemment  de  cet 
officier.  Le  gouverneur  de  Toulon  fut  presque  au  même  instant  mortel- 
lement blessé  d'une  mousquetade  qui  lui  fut  tirée  du  fort,  et  son  beau- 
père,  le  sieur  de  Soliers,  qui  prit  le  commandement,  profita  de  la  cir- 
constance pour  faire  raser  la  citadelle. 

Au  bruit  de  ce  soulèvement,  Tarascon  et  un  grand  nombre  d  autres 
places  se  déclarèrent  contre  d'Épernon.  «  Bref,  toute  la  Provence  était 
en  branle  de  s'armer  contre  lui;  »  de  sorte  que,  si  ceux  qui  conduisaient 
ce  mouvement,  au  lieu  de  laisser  leurs  gens  s'amuser  au  pillage  des 
Gascons  et  des  Épernonistes,  eussent  eu  soin  de  s'assurer  des  passages 
de  la  Durance  et  du  Rhône,  leur  cause  était  complètement  gagnée.  Mais 
on  disait  que  d'Épernon  avait  un  talisman  qui  le  protégeait  contre  tous 
les  dangers,  dont  pouvaient  l'entourer  ses  ennemis.  Faute  par  ceux-ci  de 
ne  lui  avoir  pas  fermé  la  route,  il  rentra  dans  le  pays  vers  la  fin  de 
décembre.  Sa  présence  rassura  ses  amis,  releva  le  courage  de  ses  gens 
de  guerre,  et,  en  peu  de  temps,  il  redevint  lui-même  assez  puissant  pour 
faire  payer  cher  'a  ses  ennemis,  qui  avaient  vainement  compté  sur  l'appui 
du  roi,  la  peine  de  leur  imprudence. 

Le  duc  de  Nemours  ne  fut  pas  si  heureux.  Depuis  l'espèce  de  popu- 
larité dont  l'avait  revêtu  parmi  les  Ligueurs  la  défense  de  Paris,  il  se 
croyait  digne  au  moins  d'une  couronne,  et  il  cherchait,  comme  il  a  été 
dit,  'a  s'établir  indépendant  dans  le  Lyonnais,  le  Beaujolais  et  le  Forez. 
Après  la  publication  de  la  trêve,  Mayenne,  voyant  que  ce  prince,  son 
frère  utérin,  faisait  plusieurs  démarches  qui  le  rendaient  justement  sus- 
pect aux  Ligueurs,  que  déj'a  précédemment  il  n'avait  voulu  ni  assister  en 
personne,  ni  envoyer  de  députés  aux  Etats  de  Paris,  quoiqu'il  y  eût  été 
invité,  commença  a  devenir  inquiet  lui-même  sur  la  ville  deLyon.  {Mém. 
de  la  Ligue,  t.  V,  p.  438  et  suiv.) 

Nemours,  en  effet,  mécontent  que  dans  les  dits  États  on  n'eût  pas 
même  fait  mention  de  lui,  quand  il  y  avait  été  question  de  l'élection 
d'un  roi,  s'était  plus  fortement  que  jamais  attaché  à  l'idée  de  se  faire 
une  souveraineté  dans  les  provinces  dont  il  était  gouverneur,  et  pour 
cela  il  venait  d'abolir  l'autorité  des  magistrats  légitimes,  et  de  les  rem- 
placer par  un  conseil  composé  de  gens  qui  lui  étaient  dévoués,  mais 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  363 

pour  la  plupart  étrangers  a  la  ville.  N'osant  pas  encore  rebâtir  la  cita- 
delle de  Lyon,  détruite  depuis  plusieurs  années,  il  avait  fait  fortifier 
tous  les  postes  avantageux  des  alentours,  et  il  y  maintenait  des  garni- 
sons d'infanterie  et  de  cavalerie,  auxquelles  il  permettait  de  pourvoir  a 
leur  subsistance  par  des  extorsions  sur  le  peuple,  leur  accordant  la 
funeste  licence  de  piller  et  de  ruiner  le  pays.  On  disait  de  plus  qu'il 
n'attendait  que  le  moment  pour  faire  bâtir,  non  pas  un  seul  fort,  mais 
deux  dans  la  ville  même,  et  qu'il  en  avait  montré  les  plans  tout  dressés 
à  ses  amis.  (DeThou,  t.  XII,  I.  107,  p.  55  et  suiv.  —  Davila,  t.  III, 
I.  14,  p.  443  et  suiv.) 

Après  cela,  il  s'était  mis 'a  suivre  les  maximes  politiques  de  Macliiavel, 
s'efforçant  de  paraître  religieux  sans  l'être,  faisant  de  grandes  promesses, 
mais  se  réservant  de  les  tenir  ou  de  les  violer,  selon  que  l'exigerait  son 
intérêt.  (De  Tuou,  ubi  sup.) 

On  remarqua  aussi  que  dans  les  actes  publics  il  ne  daignait  plus 
même  prendre  le  titre  de  gouverneur  du  Lyonnais,  et  qu'il  signait  tout 
simplement  «  le  prince  duc  de  Nemours,  »  comme  s'il  eût  été  déj'a  souve- 
rain de  son  cbef.  11  poussa,  dit-on,  l'impudence  jusqu'à  faire  battre  de 
la  fausse  monnaie,  et  a  permettre  que  le  cours  en  fût  public.  (De  Thou, 
uhi  Slip.) 

Mayenne,  'a  qui  on  ne  laissait  rien  ignorer  de  tout  ce  que  se  permet- 
tait ce  prince,  crut  qu'il  était  temps  de  l'arrêter  dans  ses  projets  ambi- 
tieux. Il  pria  donc  l'arcbevêque  de  Lyon  d'aller  en  cette  ville,  sous  pré- 
texte de  se  rendre  de  l'a  a  Rome,  a  l'occasion  de  la  trêve  qui  venait 
d'être  conclue  et  qu'il  fallait  faire  connaître  au  Pape.  Mais  la  mission 
réelle  du  prélat  était  de  faire  écbouer  les  entreprises  du  duc  de  Nemours, 
en  faisant  comprendre  aux  habitants  qu'elles  tendaient  a  opprimer  la 
liberté  publique. 

L'archevêque  s'acquitta  habilement  de  celte  commission.  Il  chercha 
l'occasion  de  paraître  plutôt  l'attaqué  (jue  l'agresseur,  et  il  n'eut  pas 
longtemps  a  l'attendre.  Le  duc  avait  donné  le  gouvernement  de  Vienne, 
dont  la  trahison  deMaugiron  l'avait  rendu  maître, 'a  un  nommé  Dezimieu, 
qui  lui  était  tout  dévoué.  Il  lui  écrivit  de  venir  le  joindre  avec  l'élite  de 
sa  garnison,  le  dix-huitième  jour  de  septembre,  pour  l'aider  à  s'emparer 
définitivement  de  Lyon.  L'archevêque  fut  averti  de  ce  projet,  et  il  en 
prévint  les  habitants,  (jui  placèrent  une  forte  garde  a  la  porte  du  Rhône, 
par  laquelle  on  savait  que  devait  entrer  Dezimieu,  puis  on  attendit  en 
silence. 

Celui-ci  se  présenta  en  effet;  mais,  après  un  léger  combat,  il  fut  fait 
prisonnier.  Alors  toute  la  population  courut  aux  armes;  on  dressa  des 
barricades,  et  Nemours,  étant  sorti  à  cheval  pour  venir  au  secours  des 
siens,  se  vit  lui-même  arrêté  par  les  habitants,  au  bas  du  pont,  et  ra- 
mené 'a  sa  maison,  où  on  lui  donna  des  gardes.  Le  lendemain,  qui  était 
un  dimanche,  il  voulût  aller  entendre  la  messe  'a  la  cathédrale,  en  se 
faisant  accompagner  de  son  cortège  ordinaire;  mais,  au  moment  où  il 
sortait,  le  peuple,  ameuté  de  nouveau,  non  seulement  lui  ôta  sa  suite  et 


364  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

le  désarma,  mais  le  resserra  plus  étroitement.  On  arrêta  en  même  temps 
dans  la  ville  tous  ceux  qu'on  soupçonnait  de  lui  être  attachés  et  de  favo- 
riser ses  desseins. 

L'archevêque,  devenu  ainsi  maître  de  la  position,  alla  au  château  de 
Pierre-Encise  délivrer  Coligny  d'Andelot,  que  le  duc  de  Nemours,  sur 
de  simples  soupçons,  y  avait  fait  enfermer  quelque  temps  auparavant, 
et  il  y  lit  amener  et  renfermer  le  duc  lui-même. 

Quand  Anne  d'Est,  mère  de  ce  prince  et  du  duc  de  Mayenne,  apprit 
ce  qui  s'étaiippassé  h  Lyon,  et  que  c'était  par  ordre  de  Mayenne  que  tout 
cela  avait  eu  lieu,  elle  alla  incontinent  lui  reprocher  sa  dureté  et  l'acca- 
bler d'injures,  le  menaçant  de  sa  malédiction  maternelle.  Celui-ci  cher- 
cha 'a  se  disculper  en  rejetant  la  faute  sur  une  populace  on  fureur,  et 
promit  à  sa  mère  de  faire  délivrer  le  jeune  prince.  On  commença  donc  a 
traiter  de  sa  liberté  avec  les  habitants  de  Lyon;  et  l'archevêque,  qu'ils 
avaient  fait  gouverneur  de  leur  ville,  proposa  ces  conditions  :  que  le  duc 
abandonnerait  tous  les  postes  qu'il  avait  fait  fortifier  autour  de  la  ville; 
qu'il  remettrait  également  toutes  les  places  qu'il  tenait  en  Auvergne  et 
ailleurs,  et  qu'en  échange  de  son  gouvernement  du  Lyonnais,  Mayenne  lui 
donnerait  celui  de  la  Guyenne. 

Nemours  accepta  ce  traité  ;  mais  il  ne  tut  point  exécuté.  Les  événe- 
ments marchèrent  si  rapidement  qu'avant  qu'il  eût  été  délivré  de  prison, 
Lyon  avait  abandonné  le  parti  de  la  Ligue,  et  le  duc  resta  prisonnier  'a  la 
disposition  du  roi,  pour  en  ordonner  a  sa  volonté.  (De  Tiiou,  ubi  sup.) 

Pendant  ce  temps-la,  le  duc  de  Nevers,  accompagné  de  Claude 
d'Angennes,  évêque  du  Mans,  de  l'abbé  Séguier,  doyen  de  l'église  de 
Paris,  et  du  Père  Gobelin,  membre  du  chapitre  royal  de  Saint-Denis, 
poursuivait  sa  roule  vers  Rome.  Les  autres  prélats  qui  devaient  faire 
partie  de  l'ambassade  avaient  trouvé  des  raisons  pour  s'en  dispenser.  Le 
duc,  après  avoir  traversé  la  Franche-Comté  et  la  Suisse,  était  déj'a  sur  les 
frontières  de  l'Italie  ;  mais  le  légat  avait  envoyé  en  avance  son  camérier 
Montorio,  pour  prévenir  l'esprit  de  Sa  Sainteté  contre  l'ambassadeur 
français.  {Journal  de  Henri  IV,  t.  1,  p.  417.) 

Le  duc,  arrivé  'a  Poschiano,  dans  le  pays  des  Grisons,  y  trouva  le 
jésuite  Possevin,  homme  d'une  grande  habileté  et  qui  en  avait  déjà 
donné  des  preuves  dans  plusieurs  légations.  Il  était  porteur  d'un  bref 
du  Pape  adressé  au  duc  de  Nevers,  annonçant  à  celui-ci  qu'il  devait 
avoir  toute  confiance  en  ce  que  lui  dirait  le  Révérend  Père;  et  le  Révé- 
rend Père  était  chargé,  de  la  part  de  Sa  Sainteté,  de  témoigner  la  joie 
qu'elle  ressentait  de  la  réunion  du  roi  de  Navarre  'a  l'Église  catholique  ; 
qu'elle  souhaitait  de  grand  cœur  que  cette  conversion  fût  sincère;  mais 
qu'elle  ne  pouvait  cependant  recevoir  comme  ambassadeur  de  France 
celui  d'un  prince  qu'elle  ne  reconnaissait  point  encore  ;  qu'a  tout  autre 
litre  et  comme  simple  particulier  elle  verrait  Monsieur  le  duc  avec  plaisir. 
(De  Tiiou,  t.  XII,  p.  108  et  suiv.) 

Le  duc  fut  mortifié  ;  mais,  comptant  sur  les  droits  que  lui  donnaient 
sa  noble  origine,  ses  titres  et  ses  mérites,  il  n'en  mit  que  plus  d'empres- 


J 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  365 

sèment  a  continuer  son  voyaii;o.  Le  Pape,  espérait-il,  ne  pouvait  man- 
quer (le  changer  de  résolution  quand  il  s'en  verrait  sollicité  par  un 
homme  de  son  importance,  il  ne  s'arrêta  pas  même  pour  saluer  le  sénat 
de  Venise,  ni  le  duc  Urhin,ni  le  grand-duc,  ni  le  duc  de  Ferrare,  tous 
alliés  lidèles  du  roi  son  maître;  et,  le  vingt  et  unième  jour  de  novembre, 
il  entra  dans  Rome,  non  par  la  porte  del  Popolo,  par  laquelle  les  ambas- 
sadeurs font  ordinairement  leur  entrée,  mais  par  la  porte  Angélique. 
Ce  n'était  même  (ju'a  grand'peine  qu'il  avait  obtenu  la  permission  de 
séjourner  dix  jours  dans  la  capitale  du  monde  chrétien;  mais  il  espérait 
bien  laire  prolonger  ce  délai.  {Mém.  de  Nevers,  t.  I.  —  Discours  de  son 
ambassade  à  Rodic.) 

11  lut  admis  le  même  jour  'a  baiser  les  pieds  de  Sa  Sainteté,  et  il 
demanda  avec  inslance,  d'abord  (ju'il  lui  fût  permis  de  parler  aux  cardi- 
naux, auxquels  il  avait  des  lettres  a  rendre  de  la  part  du  roi,  ensuite 
qu'on  voulût  bien  lui  accorder  la  liberté  de  défendre  les  intérêts  de  son 
pays  et  ceux  de  Sa  iMajesté  très-chrétienne,  en  présence  des  ambassa- 
deurs de  l'Espagne  et  des  députés  de  la  Ligue,  pour  les  convaincre  que, 
jusqu'alors,  ils  en  avaient  impudemment  imposé  a  Sa  Sainteté,  au  sujet 
des  troubles  de  la  France. 

Clément  répondit  qu'il  jugeait  convenable  de  consulter  le  Sacré- 
Collège  sur  cette  matière;  après  cela,  dit-il,  «  nous  verrons.  » 

Deux  jours  après,  le  duc  se  présenta  a  une  nouvelle  audience  où  il 
renouvela  ses  demandes.  «  Je  n'ai  pas,  dit-il,  assez  de  présomption 
pour  croire  que  mon  éloquence  seule  pourra  remettre  Sa  Sainteté  dans 
les  intérêts  du  roi  mon  maître;  mais  les  faits  parleront,  et  je  compte 
sur  l'esprit  juste  du  Saint-Père.  On  a  osé  dire  partout  que  les  affaires  de 
Sa  Majesté  étaient  en  mauvais  état;  on  a  même  poussé  limpudence  jus- 
qu'à vouloir  faire  croire  (ju'il  était  facile  de  la  dépouiller  de  son 
royaume  :  c'est  une  imposture  qui  tombe  d'elle-même.  Déjà  plus  des 
deux  tiers  de  la  France  sont  soumis  de  cœur  et  d'effet  a  leur  roi  légi- 
time. 11  a  pour  lui  les  princes  du  sang,  la  noblesse,  les  prélats  les  plus 
distingués  de  l'Eglise  gallicane,  les  parlements  et  la  plupart  des  villes  de 
quelque  importance,  <|ui,  toutes,  sont  prêtes  a  se  sacrifier  pour  la 
défense  de  la  loi  catlioli(jue  et  de  leur  souverain.  Ceux  qui  lui  résistent 
encore  sont  les  princes  <le  la  maison  de  Lorraine  et  quelques  turbulents 
qui  étaient  'a  la  tête  de  la  Ligue.  Paris,  oîi  la  rébellion  se  maintient 
encore,  contre  le  gré  de  la  plus  saine  partie  des  habitants,  est  déjà 
bloquée  de  tous  les  côtés  ;  les  troupes  de  Sa  Majesté  occupent  les  pas- 
sages de  la  Loire,  depuis  l'Orléanais  jusqu'à  Nantes,  et  ont  déjà  réduit 
aux  abois  la  ville  d'Orléans,  cet  autre  chef-lieu  des  ennemis  du  repos  de 
la  France;  et,  là-dessus,  je  demande  à  nos  adversaires  eux-mêmes  si  ce 
que  j'avance  ici  n'est  pas  l'exacte  vérité.  Ce  qui  est  également  vrai,  c'est 
(pie  la  Ligue  est  aux  abois,  et  qu'elle  serait  complètement  dissipée,  dans 
l'espace  d'un  mois  au  plus,  si  le  Pape  et  l'Espagne  lui  retiraient  leurs 
secours.  Voici  des  lettres  de  Mayenne  lui-même  qui  le  prouvent  (et  en 
même  temps  il  remit  au  Pape  une  correspondance  du  lieutenant  général 


366  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

de  l'État  de  France  qu'on  avait  interceptée).  Vous  le  voyez,  Saint-Père, 
s'il  offre  de  livrer,  et  s'il  a  déjà  livré  en  effet  plusieurs  de  nos  ports  et 
de  nos  villes  aux  Espagnols,  c'est,  comme  il  le  dit  lui-même,  pour  obte- 
nir des  secours  sans  lesquels  il  n'espère  plus  pouvoir  tenir  tête  au  roi. 
A  quel  dessein,  lui,  revêtu  de  la  première  dignité  du  royaume,  se  serait- 
il  soumis  a  être  le  plat  courtisan  des  généraux  de  Philippe,  jusqu'à  at- 
tendre leur  bon  vouloir  dans  leurs  antichambres,  quand  ces  Messieurs  lui 
faisaient  dire  qu'ils  n'avaient  pas  le  temps  de  le  recevoir?  Les  moins 
éclairés  comprendront  qu'il  fallait,  pour  le  réduire  'a  un  pareil  abaisse- 
ment, qu'il  sentît  l'extrême  besoin  d'un  secours  sans  lequel  il  jugeait 
lui-même  sa  cause  perdue  ;  et,  en  agissant  ainsi,  savez-vous  ce  qu'il 
risquait  dans  son  aveugle  ambition?  La  profanation  des  églises  et  des 
monastères,  la  destruction  complète  du  catholicisme  en  France,  et  la 
ruine  du  pays  qui  a  si  généreusement  accueilli  sa  famille.  Car  les  lois  de 
l'État  s'opposent  a  l'élection  de  tout  prince  étranger,  au  préjudice  de 
ceux  du  sang  royal,  et_,tout  ce  qu'il  y  a  de  vrais  Français  se  serait  sacrifié 
plutôt  que  de  laisser  enfreindre  cette  règle  fondamentale.  Que  serait 
devenue  la  religion  au  milieu  de  celte  lutte  acharnée,  où  catholiques  et 
protestants  viendraient  combattre  sous  le  même  étendard?  Je  n'ai  pas 
besoin  de  vous  parler  de  ce  prétendu  titre  de  lieutenant  général  que  ce 
duc  de  Mayenne  se  donne,  et  sous  le  prétexte  duquel  il  usurpe  toutes 
les  prérogatives  d'un  régent.  Un  lieutenant  général  n'est,  en  France,  que 
le  lieutenant  du  roi,  nommé  par  le  roi,  et  ne  doit  agir  que  sous  les  ordres 
du  roi.  Un  régent  ne  peut  exister  qu'en  cas  de  captivité  ou  de  minorité 
de  nos  souverains,  et  il  doit  être  du  sang  royal.  Mayenne  n'est  donc  ni 
régent  ni  lieutenant,  quoiqu'il  se  soit  fait  déférer  ce  dernier  litre  par 
quelques  particuliers  égarés,  par  quelques  marchands,  banquiers,  procu- 
reurs, par  quelques  curés  et  docteurs  fanatiques,  tous  également  inexpé- 
rimentés dans  les  affaires  et  dans  les  lois  du  royaume.  Le  parlement, 
dit-on,  a  approuvé  cette  élection.  Mais  quel  parlement?  Le  véritable  parle- 
ment n'était  plus  a  Paris;  il  n'y  restait  que  des  esclaves.  Les  autres 
membres  de  ce  corps  respectable  étaient  venus  se  joindre  au  roi  ou 
gémissaient  dans  les  prisons  oi!i  les  avait  enfermés  le  furieux  Leclerc. 
Quant  'a  la  noblesse,  il  fallait  qu'il  y  en  eût  grande  disette  dans  son 
parti,  puisque  Mayenne  était  obligé  d'en  distribuer  les  titres  et  les  fonc- 
tions a  des  scélérats  qu'il  accablait  aveuglément  de  ses  bienfaits.  Ne 
l'a-t-on  pas  vu  donner  le  duché  de  Rhetelois  'a  un  Saint-Paul,  simple  et 
grossier  soldat,  dont  le  père  possédait  'a  peine  une  chaumière  et  dont  les 
deux  sœurs  avaient  épousé  Tune  un  pauvre  manœuvre,  et  l'autre  un 
tisserand?  Mais  qu'y  a-t-il  là  d'étonnant?  Il  a  bien  osé  s'arroger  un  droit 
plus  sacré  encore  et  qui  n'appartient  qu'à  nos  rois,  d'après  le  concor- 
dat. Il  a  nommé  aux  bénéfices  ecclésiastiques  des  sujets  à  sa  guise  pour 
lesquels  il  a  demandé  les  bulles  du  Pape.  Ce  qui  étonne,  c'est  que  le 
cardinal  de  Plaisance,  à  qui  sa  haute  prudence  et  son  long  séjour  dans 
notre  pays  ont  pu  donner  une  parfaite  connaissance  de  l'état  du  royaume, 
ait  fait  entendre  à  Sa  Sainteté  que  la  religion  ne  pouvait  être  sauvée  en 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  367 

France,  si  l'on  ne  procédait  a  Télection  (run  nouveau  roi.  Dans  son  désir 
de  procurer  la  couronne  de  saint  Louis  a  linlante  d'Espagne,  au  détri- 
ment des  enfants  légitimes  du  saint  monarque,  il  a  conseillé  au  Saint- 
Père  d'excommunier  les  princes,  les  prélats  et  les  catholiques  du  parti 
du  roi,  et  de  les  déclarer  fauteurs  de  l'hérésie,  tandis  que  tout  leur 
crime  est  d'être  bons  Français,  et  de  ne  pas  vouloir  le  démembrement 
de  leur  patrie.  Au  reste,  sur  ce  chapitre  même  (l'élection  d'un  roi),  le 
légat  et  Mayenne  et  les  principaux  chefs  ligueurs  sont  déj'a  divisés  d'opi- 
nion. C'est  la  ce  (|ui  prouve  plus  (jue  tout  le  reste  la  faiblesse  de  la 
Ligue;  car,  comment  ces  sortes  d'unions  peuvent-elles  subsister  sans 
unité  de  vues  et  de  principes?  Au  contraire,  chez  les  catholiques  atta- 
chés au  roi,  vous  ne  verrez  pas,  Très-Saint-Père,  de  pareilles  divisions, 
et  c'est  ce  qui  fait  leur  force.  » 

Le  Pape,  après  ce  discours,  n'en  persista  pas  moins  a  répondre 
qu'il  ne  pouvait  en  conscience  donner  l'absolution  au  roi,  parce  qu'il 
était  obligé  de  continuer  sa  protection  a  ceux  de  la  Ligue,  qui  avaient 
toujours  pris  la  défense  de  la  religion. 

«  Ce  n'est  pas  la  défense  de  la  religion,  répliqua  le  duc,  qui  leur  a 
mis  les  armes  a  la  main,  mais  bien  leur  amhilion  personnelle.  Voyez 
comme  chacun  d'eux  s'est  empressé  de  faire  sa  part,  sans  s'inquiéter  des 
malheurs  de  l'Église  et  des  misères  de  ce  pauvre  peu[)le.  Le  duc  de 
Savoie  prétend  avoir  des  droits  sur  la  Provence  et  le  Dauphiné  ;  le  duc 
de  Mercœur  revendique  la  Bretagne  ;  Nemours  voulait  être  roi  de  Lyon  ; 
le  duc  de  Guise  dispute  le  trône  de  France  a  son  oncle  le  duc  de 
Mayenne,  et,  par  derrière,  l'Espagnol  qui  les  entretient  dans  leurs 
diverses  prétentions  n'attend  que  l'instant  du  démembrement  de  ce 
noble  et  puissant  État,  pour  s'en  emparer  plus  aisément  sur  cette  foule 
de  petits  roitelets.  11  n'y  a  que  les  catholiques  royalistes  qui  s'opposent 
'a  ces  pernicieuses  entreprises  ;  et  devaient-ils  s'attendre  a  l'ignominieux 
traitement  qu'on  fait  'a  lîeur  prince  légitime,  quand  il  vient  humblement 
se  jeter  aux  pieds  du  bienheureux  apôtre  saint  Pierre?  Vous  nous  repro- 
chez de  ne  nous  être  pas  unis  a  la  Ligue  après  la  mort  du  feu  roi,  pour 
travailler  de  concert  a  mettre  un  prince  orthodoxe  sur  le  trône  :  c'est 
nous  reprocher  de  n'avoir  pas  voulu  faire  cause  commune  avec  ceux  qui 
venaient  de  faire  assassiner  leur  souverain  et  de  placer  le  meurtrier  sur 
les  saints  autels.  Au  reste,  si  je  rappelle  toutes  ces  choses,  ce  n'est  que 
pour  faire  voir  'a  Votre  Sainteté  la  difîérence  qu'il  y  a  entre  les  catho- 
liques royalistes  et  les  catholiques  ligueurs,  et  combien  faussement  ces 
derniers  se  vantent  d'être  les  uniques  soutiens  de  la  foi.  Non,  ce  n'est 
pas  la  religion  (ju'ils  défendent,  mais  c'est  de  la  religion  qu'ils  veulent  se 
faire  une  arme  pour  la  défense  de  leur  avide  ambition.  Et  c'est  nous,  qui 
n'avons  d'autre  but  que  de  maintenir  l'intégrité  de  la  foi  et  les  droits  du 
royaume  très-chrétien,  qu'on  veut  faire  condamner  comme  hérétiques  et 
schismatiques.  Jusqu'ici,  Saint-Père,  nous  n'avons  opposé  que  la  patience 
à  la  honte  et  îi  l'ignominie  dont  on  continue  de  nous  abreuver.  Il  est  à 
craindre  pourtant,  et  je  dois  le  dire,  que  cette  patience  n'écbappe  à  la 


368  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

plupart  d'entre  nous,  et  que,  poussés  à  bout,  nous  n'ayons  recours  à 
des  moyens  extrêmes,  dont  jusqu'à  présent  nous  avons  évité  de  faire 
usage  pour  ne  point  rompre  l'unité  de  l'Église.  » 

Le  duc  demanda  ensuite  la  prolongation  du  terme  de  dix  jours  qu'on 
lui  avait  assigné  pour  son  séjour  à  Rome.  Le  Pape  répondit  :  <r  Nous 
verrons  ;  j'ai  besoin  d'en  délibérer,  et  je  vous  ferai  savoir  mes  inten- 
tions, t  Le  duc  alors  lui  présenta  les  lettres  du  roi,  et  lui  demanda 
humblement  d'être  reçu  comme  ambassadeur  de  Sa  Majesté  très-chré- 
tienne. «  Vous  tenez,  dit-il.  Père  très-saint,  la  place  de  Jésus-Christ,  qui 
est  venu  sur  la  terre  pour  ceux  qui  étaient  malades,  comme  pour  ceux 
qui  étaient  en  bonne  santé.  Vous  siégez  sur  la  chaire  de  saint  Pierre, 
qui  a  renié  trois  fois  son  divin  Maître,  ce  qui  doit  apprendre  à  ses  suc- 
cesseurs à  compatira  la  faiblesse  de  ceux  qui  se  sont  écartés  de  la  foi, 
mais  qui  y  reviennent  avec  le  même  repentir  que  ce  saint  apôtre.  Ne 
refusez  donc  pas  votre  bénédiction  a  un  roi  suppliant  qui  vient  rendre 
au  Saint-Siège  l'obédience  que  lui  doivent  tous  les  princes  fidèles.  /> 

Le  Pape  n'envoya  sa  réponse  que  quatre  jours  après  par  le  maître  de 
sa  chapelle.  Elle  contenait  que  le  délai  de  dix  jours  ne  pouvait  être 
étendu  ;  que  Monsieur  le  duc  était  dispensé  de  saluer  les  cardinaux  et 
de  prendre  congé  de  Sa  Sainteté,  qui  ne  lui  avait  donné  audience  que 
comme  a  un  particulier  et  non  comme  'a  l'ambassadeur  de  la  France. 

Le  même  soir,  le  jésuite  Tolet,  qui  avait  tout  récemment  été  créé 
cardinal,  vint  le  trouver,  et  lui  dit,  de  la  part  du  Pape,  que  les  trois  ecclé- 
siastiques qui  l'avaient  accompagné  ne  seraient  admis  à  baiser  les  pieds 
du  Saint-Père  qu'après  avoir  comparu  devant  le  cardinal  de  Sainte- 
Séverine,  grand  inquisiteur  et  grand  p  énitencier,  {Journal  de  Henri  IV, 
t.  I,p.  448.) 

C'était  déjà  une  grande  humiliation  pour  Monseigneur  le  duc  de 
Nevers  qu'on  refusât  de  recevoir  à  Rome,  en  qualité  d'ambassadeur,  un 
homme  de  son  rang  et  de  son  importance  ;  mais  il  se  sentit  «  pénétré 
de  douleur»  en  pensant  au  danger  que  courraient  les  prélats  qui  l'accom- 
pagnaient si  on  les  obligeait  a  comparaître  devant  le  grand  inquisiteur.  Il 
demanda  avec  instance  qu'il  lui  fût  permis  de  les  présenter  lui-même  à 
Sa  Sainteté,  pour  qu'ils  lui  exposassent  eux-mêmes  plutôt  qu'à  l'inquisi- 
teur général  les  motifs  qui  les  avaient  dirigés  dans  leur  conduite,  pro- 
mettant qu'ils  en  demanderaient  pardon  en  toute  humilité,  ai  le  Saint- 
Père  trouvait  qu'elle  eût  quelque  chose  de  répréhensible.  (De  Thou,  ubi 
sup.,  p.  85.) 

Cette  supplication  fut  inutile.  Le  cardinal  jésuite  revint  pour  inviter 
le  duc  à  envoyer  ces  prélats  devant  le  tribunal  sacré  de  l'Inquisition, 
lui  faisant  entendre  qu'il  n'y  avait  au  fond  rien  à  craindre  pour  leur 
vie.  Mais  le  duc  répondit  avec  fermeté  qu'il  perdrait  plutôt  la  sienne 
que  d'exposer  à  la  moindre  injure  ou  humiliation  les  honorables  et 
saints  personnages  que  le  roi  son  maître  avait  confiés  à  sa  garde,  et 
qui  n'étaient  venus  que  pour  témoigner  de  leur  soumission  au  Saint- 
Siège. 


DU  PROTESTANTISME  EN  ERANCE.  369 

Le  terme  des  dix  jours  était  dépassé;  le  duc  de  Nevers  lit  demander 
une  nouvelle  audience  au  l'ape  pour  lui  parler  de  ralîaire  des  prélats. 
Clément  lui  lit  répondre  (|u'il  était  résolu  de  ne  pas  les  recevoir  avant 
qu'ils  n'eussent  rendu  raison  de  leur  conduite  au  L!;rand  in(juisiteur  de  la 
foi.  Le  duc  alors  alla  se  jeter  aux  pieds  de  Sa  Sainteté,  voulant,  «  sui- 
vant ses  instructions,  »  lui  demander  dans  cette  posture  humiliée  l'abso- 
lution du  roi.  «  Très-Saint-Père,  dit-il,  je  vous  conjiu'e  par  le  saint  nom 
de  Jésus,  et  par  son  sang  adorahle  ré|)an(lu  sur  l'arhre  de  la  croix,  pour 
la  rédemption  de  tout  le  genre  humain,  et  enlin  par  le  nom  de  Clément 
que  vous  avez  pris,  comme  étant  de  bon  augure,  en  montant  sur  ce  trône 
pontilical,  d'accorder  l'absolution  à  un  roi  suppliant  et  repentant  (jui 
vous  la  demande  par  ma  bouche.  )>  {Mcm.  de  ISevers,  iihi  snp.) 

Le  Pape  lui  ordonna  d'abord  de  se  relever;  puis  il  répondit  :  «  Très- 
cher  (ils,  je  ne  croirai  la  conversion  de  votre  roi  sincère  que  quand 
Dieu  m'aura  envoyé  un  ange  pour  me  le  dire  a  l'oreille.  Quant  aux  ca- 
tholiques (|ui  ont  suivi  son  parti,  je  ne  les  tiens  pas  tout  à  fait  pour 
désobéissants  et  pour  mauvais  serviteurs  de  l'Eglise;  mais  ils  ne  sont 
qu'enfants  bâtards  et  lils  de  la  servante.  Ceux  (|ui  ont  suivi  le  parti 
de  la  Ligue  sont  les  vrais  lils  légitimes.  »  (Vm>li:iioi,  Mcm.  tlÉlat,  ad 
ann.  1Ô95.) 

Après  cette  audience,  dont  le  duc  de  Nevers  se  retira  très-mortidé, 
le  cardinal  Tolet  vint  de  nouveau  le  trouver  et  lui  annonç-a  que  le  Pape 
voulait  bien  condescendre  'a  ce  que  les  ecclésiastiques  français  ne  com- 
parussent (|ue  devant  une  commission  <le  cardinaux  qu'il  nomma,  et 
dont  cluKiue  membre  appartenait  a  la  faction  espagnole;  «  mais,  ajouta- 
t-il,  le  Pape  exige  absolument  cette  soumission  de  leur  part.  »  Le  duc, 
qui  persistait  a  se  regarder  comme  ambassadeur,  se  refusa  avec  encore 
plus  de  fermeté  a  cette  prétendue  concession,  (|ui  portait  atteinte  a  l'invio- 
labilité et  a  la  dignité  de  ses  fonctions  diplomatiques. 

Mais  il  a|)prit  que  le  Pape,  en  plein  consistoire,  tenu  le  vingtième 
jour  de  décembre,  avait  dit  et  protesté  qu'il  soutfrirait  plutôt  le  martvre 
que  d'admettre  «  le  Navarre  »  (c'est  ainsi  qu'il  appelait  le  roi)  dans 
l'Eglise,  et  que  Montorio,  envoyé  du  cardinal  légat,  avait  donné  le  con- 
seil d'amuser  Monsieur  de  Nevers,  et  de  l'arrêter  le  [)lus  longtemps 
possible  a  Rome  par  de  vaines  négociations,  alin  quil  ne  pût  aller 
apprendre  à  son  maître  dans  quelles  dispositions  était  la  cour  romaine, 
et  aussi  pour  (jue  ce  prince  ne  put  se  servir  de  lui  dans  la  guerre  (|ui 
allait  recommencer.  Cette  révélation  lui  lit  perdre  tonte  es|)érance  de 
mener  'a  bonne  lin  la  négociation  qui  était  le  but  de  son  ambassade. 
{Journal  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  iG'2.  — Mém.  de  ISevers,  ihid.) 

Il  obtint  une  autre  audience  le  neuvième  jour  de  janvier.  Il  demanda 
celte  fois  qu'on  fit  réponse  par  écrit  aux  demandes  et  raisons  (|u'il  avait 
présentées  dans  les  audiences  précédentes.  Le  Pape  refusa  de  répondre 
de  celte  manière.  «  On  |)(»urrait,  dit-il,  brûler  honteuseuïent  ce  (jue 
j'aurais  écrit,  comme  on  a  brûlé  a  Tours  et  a  Chàlons  les  brefs  et  les 
bulles  de  mes  saints  prédécesseurs.  Du  reste,  jamais  ni  l'Espagne,  ni  les 
IV.  !24 


370  HISTOIRE  DE  L'ÉTAP.LISSEMENÏ 

autres  princes  cluéliens  n'ont  demandé  que  je  traitasse  avec  eux  autre- 
ment nue  de  vive  voix.  »  —  «  Mais  pourtant,  répliqua  Nevers,  (juand 
mon  maître  m'a  envoyé  ici,  pour  rendre  l'obédience  au  Saint-Siège  et 
pour  obtenir  son  absolution,  n'est-il  pas  de  mon  devoir  que  je  lui  porte 
une  réponse  par  écrit,  afin  qu'il  sache  pour  quel  motif  j'ai  essuyé  un 
refus;  que  ce  n'est  pas  par  ma  faute,  et  en  même  temps  alin  (ju'il 
apprenne  ce  qu'on  exige  ici  de  lui,  pour  prouver  son  retour  sincère  'a  la 
foi  catholique.  »  (Cavet,  Chron.  novenn.,  liv.  IV,  1595.  —  Mém.  de 
Nevers,  ibid.) 

«  Il  peut  cl  doit,  répondit  le  Pape,  consulter  sur  ce  dernier  point  les 
théologiens  qu'il  a  auprès  de  lui;  pour  moi  je  ne  suis  pas  obligé  de 
m'expliquer  davantage.  »  —  «  Enfin,  dit  le  duc,  'a  bout  de  patience. 
Votre  Sainteté  voudra-t-elle  au  moins  me  dire  si  elle  approuve  que  le 
roi  assiste  tous  les  jours 'a  la  messe;  s'il  est  permis  de  dire  la  messe  en 
sa  présence,  et  si  les  lidèles  peuvent  assister  a  celte  messe  en  sûreté 
de  conscience?  Il  (aut  bien  encore  que  je  sache  comment  vous  voulez 
(ni'on  s'y  prenne,  pour  la  nomination  des  évèques  qui  manquent  dans  la 
plupart  des  villes  maintenant  soumises  au  roi,  ce  qui  porte  un  grand 
préjudice  au  salut  des  lidèles.  Si,  sur  ce  dernier  point.  Votre  Sainteté  ne 
daigne  pas  s'expliquer,  on  sera  donc  obligé  d'en  revenir  'a  la  Pragma- 
tique-Sanction, auquel  cas  remarquez  qu'il  est  a  craindre  qu'on  n'éta- 
blisse dans  l'Église  Gallicane  une  discipline  indépendante  du  Saint- 
Siège.  » 

Le  Pape  répondit  d'abord,  toujours  avec  la  même  froideur,  (ju'il 
n'accorderait  jamais  de  bulles  a  des  évoques  nommés  par  un  prince 
qu'il  ne  reconnaissait  pas  pour  roi;  mais,  réfléchissant  probablement 
(Mie  le  retour  'a  la  Pragmatique-Sanction  dont  on  le  menaçait  diminue- 
rait considérablement  les  revenus  de  la  cour  de  Kome,  il  demanda  du 
temps  pour  délibérer  sur  la  question. 

Cinq  jours  après,  le  cardinal  Tolet  vint  de  nouveau  trouver  le  duc  de 
Nevers,  et  lui  dit  que  le  Pape  ne  ferait  décidément  pas  de  réponse  par 
écrit.  Il  lui  réitéra  que  Sa  Sainteté  ne  lui  avait  donné  audience  que  comme 
•à  un  particulier,  et  non  comme  a  un  ambassadeur,  sans  parler  de  la  nomi- 
nation des  évèques,  sans  doute  parce  qu'on  était  bien  aise  d'attendre 
les  événements,  avant  de  trancher  définitivement  une  (piestion  aussi 
importante  pour  le  fisc  du  trésor  de  l'Église. 

«  La  réponse  que  vous  m'apportez,  dit  le  duc,  est  si  fâcheuse  et  si 
indigne  que  j'aimerais  mieux  être  cousu  dans  un  sac  et  jeté  dans  le 
Tibre,  que  de  la  porter  a  la  cour  de  France  ;  et  plût  a  Dieu  que  je  me 
lusse  cassé  une  jambe  la  veille  de  ce  malheureux  voyage!  Songez-y 
bien  :  c'est  un  schisme  aussi  déplorable  que  celui  d'Allemagne  et 
d'Angleterre  que  va  sans  doute  susciter  en  France  l'obstination  injuste 
du  Saint-Père.  Est-il  possible  qu'il  veuille  fermer  le  bercail  a  ceux  qui 
ne  demandent  qua  se  ranger  sous  la  houlette  du  pasteur  commun?  » 

«  Seigneur,  répondit  le  jésuite,  Jésus-Christ  n'est  pas  obligé  de 
remettre  lui-même  dans  le  bon  chemin  ceux  qui  s'en  sont  écartés.  11  leur 


I)L'  rKUTESTANTlSME  EN  EKANCE.  371 

a  coinniaiidé  de  s'adresser  a  ses  disciples  pour  lui  être  présentés.  Nous 
trouvons  dans  rÉcrilure  (|ue  c'est  ainsi  (jiie  saint  André  en  ai^issait  avec 
les  Gentils.  »  —  a  Dites  saint  Philippe,  répondit  le  noble  duc,  et  cet 
exemple  ne  prouve  rien;  car  il  y  en  a  cent  autres  qui  l'ont  voir  ([u'on 
pouvait  s'adresser  directement  au  Sauveur  des  nations.  »  —  «  Saint 
Philippe  soit,  re|)rit  le  cardinal,  peu  importe;  mais,  ajoiita-t-il  en  sou- 
riant, je  ne  suis  pas  autorisé  a  vous  en  dire  davantage.  »  —  «  Vous 
pouvez  rire,  dit  le  duc,  se  méprenant  probablement  sur  la  cause  de  ce 
sourire;  mais  le  tenips  viendra  où  nous  verserons  tous  des  larmes  en 
abondance,  et  oîi  les  cris  de  désespoir  de  rÉ^lisc  de  France,  réduite  aux 
abois,  retentiront  jusqu'à  vos  oreilles.  »  (Dk  Tiioi;,  ubi  sup.) 

lient  enliii  sa  dernière  audience  du  I*ape,  et  il  se  plaii^nil  amère- 
ment de  tous  les  déboires  qu'on  s'était  plu  a  prodiguer  a  un  honime  de 
sa  sorte,  qui  avait,  de  plus,  l'honneur  de  représenter  l'un  des  plus  j)uis- 
sants  princes  de  rEuroj)e.  «  Votre  Sainteté,  dit-il,  au  lieu  de  consulter 
les  cardinaux,  (jui  sont  les  conseillers  ordinaires  et  naturels  des  Papes, 
surtout  en  pareille  matière,  n'a  voulu  écouter  que  les  ambassadeurs  et 
les  agents  de  l'Espagne.  Dieu  veuille  qu'elle  n'ait  pas  a  déplorer  plus 
tard  une  pareille  prévention,!  Il  ne  me  reste  plus  qu'a  vous  supplier  de 
ne  pas  croire  toutes  les  calomnies  accumulées  contre  ma  personne  par 
le  cardinal  de  Plaisance.  Il  est  la  principale  cause  de  tous  les  malheurs 
(|iie  je  prévois,  et  il  s'est  comporté,  en  France,  plutôt  en  chef  de  parti 
(ju'en  véritable  légat  de  l'Eglise.  » 

«  J'ai  de  la  peine  ii  croire,  dit  dédaigneusement  Clément,  que  Mon- 
sieur le  légat  soit  aussi  coupable  (jue  vous  voulez  me  le  faire  entendre.  » 

Le  duc  eut  ensuite  recours  aux  prières  les  plus  touciiantes,  pour  obte- 
nir (|ue  le  i^ipe  ne  fermât  pas  l'oreille  a  la  voix  d'un  roi  suppliant,  dont 
les  intf'réts  étaient  liés  a  ceux  <le  tout  un  grand  royaume;  il  lit  observer 
(|u'il  importait  au  monde  chrétien,  et  surtout  au  Saint-Siège,  de  ne  pas 
voir  démembrer  le  royaume  de  France;  mais  Clément  ne  sortit  pas  de 
sa  froide  réserve,  et  ce  fut  ainsi  que  l'ambassadeur  de  Henri  IV  se  vit 
obligé  de  j)rendrc  congé. 

Mais,  tout  indigné  de  cette  politique  glacée,  impitoyable  et  cauteleuse, 
il  dressa  de  sa  main  et  sans  faire  mention  du  roi  une  protestation  (ju'il 
envoya 'a  Clément  VIII.  «  Votre  conduite  inconcevable,  lui  disait-il,  va 
aigrir  tous  les  esprits  (jui  ne  demandent  plus  qu'a  voir  Unir  ces  malheu- 
reuses guerres.  Si  la  discipline  de  l'Eglise  est  renversée,  si  les  biens  du 
clergé  sont  livrés  au  pillage  et  à  l'usurpation,  si  les  temples  sont  détruits, 
les  monastères  abandonnés,  le  culte  aboli  et  la  religion  calholiijue 
abhorrée  en  France,  ne  vous  en  prenez  (ju'îi  vous  seul.  Votre  Sainteté 
apprendra  bientôt  que  les  princes  et  seigneurs  français,  croyant  s'être 
suflisanimeut  rangés  a  lein'  devoir,  auront  eu  recours  a  des  remèdes 
extrêmes;  i]\\e  nos  évèques  aiu'oiit  établi,  au  détriment  du  Saint-Siège, 
une  niMivelle  (lisciplin(^  dans  lE^'ise  (iallicane,  et  c'est  alors  (|iie  vous 
regrcllerez  anièrcmiMil,  mais  inutilement,  de  vous  être  laissi'  égarer  par 
de  méilianis  conseillers  et   d'avoir  l'ait   uii    si  piMiiicieux  abus  de  votre 


372  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

puissance  temporelle.  Aussi,  en  pensant  a  tant  de  malheurs,  je  vous 
supplie  de  nouveau  d'écouter  la  prière  de  tout  un  royaume  et  de  son 
roi,  et  s'il  est  vrai  que  vous  doutiez  encore  de  la  conversion  sincère  de 
ce  prince,  imposez-moi  par  écrit  toutes  les  conditions  que  vous  exigez, 
pour  (|u"il  ne  vous  reste  plus  le  moindre  doute  :  il  acceptera,  j'en  prends 
l'engagement,  tout  ce  qui  sera  juste  et  convenable;  mais  si  vous  persis- 
tez a  vous  refuser  a  celte  juste  demande,  je  proteste  ici  au  nom  de 
tous  les  catholiques  royalistes,  eu  présence  de  Dieu  qui  m'entend,  des 
bienheureux  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul,  aux  pieds  desquels  je  me 
suis  prosterné,  que  ni  nous  ni  notre  souverain,  qui  sommes  tous  prêts  à 
l'aire  tout  ce  qu'il  plaira  a  Votre  Sainteté  de  nous  prescrire  de  juste  et 
de  raisonnable,  ne  serons  responsables,  devant  le  ciel  ni  devant  les 
hommes,  des  maux  inlinis  qui  vont  arriver.   » 

Toutes  ces  lugubres  prévisions  de  l'ambassadeur  de  France  pouvaient, 
en  eft'et,  se  réaliser.  Elles  étaient  dans  la  nature  des  choses  ;  mais  la 
cour  de  Rome  connaissait  mieux  que  lui  jusqu'à  quel  point  elle  pouvait 
compter  sur  l'esprit  religieux  de  l'époque.  Un  peu  plus  ou  un  peu  moins 
de  sang  répandu,  c'est  d'une  importance  médiocre;  on  sait  (|ue  l'Église 
de  Jésus-Christ  est  l'ondée  sur  une  pierre,  que  ni  l'enfer  ni  les  siècles  ne 
peuvent  détruire. 

Après  avoir  écrit  sa  protestation,  le  duc  fit  ses  préparatifs  de  départ. 
Tout  a  coup  il  apprit  que  le  Pape  avait  donné  ordre  aux  huissiers  de  la 
cour  pontificale  de  citer  au  Iribiinal  de  l'Inquisition  les  trois  ecclésias- 
tiques qui  l'avaient  accompagné;  (pie  déjà  leurs  bagages  et  mulets  étaient 
saisis,  et  que,  sous  peine  d'excommunication  majeure,  ils  étaient  sommés 
de  comparaître  devant  le  redoutable  tribunal.  Il  se  mit  en  route  incon- 
tinent pour  quiller  celte  ville  où  il  avait  été  si  mal  reçu,  et,  faisant  mar- 
cher les  trois  prélats  à  ses  côtés,  il  se  dirigea  fièrement  vers  la  porte 
del  Popolo,  menaçant  de  tuer  de  sa  propre  main  (piiconque  se  présente- 
rait pour  porter  la  main  sur  eux.  Il  sortit  de  la  ville  avec  eux,  sans  que 
personne  osât  s'opposer  'a  son  passage;  les  politiques  de  la  cour  de 
Home  étaient  déj'a  assez  contents  de  le  voir  s'éloigner.  {Journal  de 
Henri  IV,  p.  449.) 

Il  prit  la  route  de  Venise,  oîi  il  fut  accueilli  avec  de  grands  honneurs; 
mais  le  pauvre  Père  Gobelin,  son  compagnon  d'ambassade,  n'eut  pas  la 
satisfaction  de  participer  à  cette  espèce  de  triomphe.  Il  avait  eu  si 
grandpeur  de  tomber  entre  les  mains  du  grand  inquisiteur,  qu'il  en 
avait  pris  la  fièvre,  dont  il  mourut  quelques  jours  après.  [Journal  de 
Henri  IV,  iibi  sup.) 

Ce  fut  dans  cette  ville  de  Venise  que  l'évéque  du  Mans,  l'un  des 
|)rélats  qui  avaient  fait  partie  de  l'ambassade,  publia  un  manifeste  pour 
rendre  compte,  disait-il,  a  toute  la  chrétienté,  des  motifs  qui  avaient 
dirigé  la  conduite  des  évoques  français,  lorsqu'il  s'était  agi  de  la  récon- 
ciliation du  roi  a  l'Église  catholique,  apostolique  et  romaine.  Il  faisait 
voir  (ju'ils  n'avaient  rien  fait  <|iie  de  conforme  a  ce  qui  se  pralicpie  d'or- 
dinaire, et  (pi'ils  n'avaient  en  rien  blessé   l'autorité   du  Pape.  «  On  peut 


DU  PROTESTANTISME  EX  FflANCE.  373 

toujours,  (lisail-il,  domicr  Tabsolulion  a  tous  ceux  (|ui  oui  (Hé  séparés 
(le  rÉi^lise,  (|uau(l  inchne  le  cas  serait  réservé  au  Saiut-Sièi;e,  lors(|u1l  y 
a  raison  valable  (l'exempler  le  réconcilié  d'aller  a  Home,  en  lui  faisant 
toutefois  prendre  l'engagement  d'y  aller  plus  tard,  s'il  le  peut,  ou  d'y 
envoyer  en  son  nom.  Or  la  meilleure  raison  valable  est  certainement  le 
danger  de  mort  [articulum  morlis),  et  c'est  précisément  dans  ce  cas  (jue 
se  trouvait  alors  notre  Henri  de  Bourbon,  étant  sans  cesse  exposé  aux 
périls  des  si(''ges  et  des  batailles,  et  aux  làcbes  attentats  des  assassins  et 
empoisonneurs  de  la  Ligue.  On  doit  aussi  regarder  comme  empécbe- 
meut  légitime  la  haine  que  lui  portaient  ceux  qui  s'opposaient  à  son 
absolution,  et  (jui  n'auraient  pas  manqué  de  rendre  son  pèlerinage  très- 
dangereux  pour  lui.  Enfin  les  souverains  ont  aussi  un  troisième  empê- 
chement qui  leur  est  particulier,  c'est  l'obligation  de  rester  dans  leurs 
Etats  pour  les  gouverner.  Au  reste,  l'engagement  d'envoyer  'a  Rome  a  été 
lidèlement  et  solennellement  accompli,  et  les  arlidces  des  Espagnols  ont 
seuls  mis  obstacle  a  ce  (]ue  Sa  Sainteté  reçût  favorablement  une  ambas- 
sade qui  venait  humblement,  de  la  part  du  roi,  demander  au  Pape  ce 
qu'il  exigeait  de  plus  que  ce  qui  avait  été  fait,  pour  l'entière  réintégra- 
lion  de  notre  Henri  au  nombre  des  fidèles.  Pourtant  j'oserai  dire,  ajou- 
tait l'évéque,  que  la  vraie  doctrine  ne  se  montre  pas  même  si  exigeante. 
Tous  nos  meilleurs  casuisles  sont  d'accord  qu'il  est,  en  matière  d'excom- 
munication, des  cas  où  il  faut  avoir  égard  au  salut  du  plus  grand  nombre, 
el  qu'il  faut  alors  absoudre  le  pécheur,  même  malgré  lui,  quand  son 
excommunication  porte  préjudice  à  plusieurs,  qui  sont  obligés  d'avoir 
avec  lui  des  rapports  indispensables.  »  (Di:Timu,  ibid.,  p.  454.  — Davila, 
t.  III,  p.  454  el  suiv.) 

Tandis  que  le  bon  évêque  discutait  ainsi  d'une  manière,  qui,  si  elle 
n'est  pas  toujours  logique,  me  semble  dit  moins  fort  charitable,  le  car- 
dinal de  Joyeuse,  Beaufremont,  baron  de  Senescey,  et  Nicolas  de  Pyles, 
abbé  d'Orbays,  arrivaient  à  Rome  en  qualité  de  députés  de  la  Ligue,  et 
y  obtenaient  sans  difficulté  une  audience  du  Pape.  Le  cardinal  de 
Joyeuse  commença  par  démontrer  que  le  duc  de  Mayenne,  malgré  tout 
ce  qu'en  avaient  pu  dire  ses  ennemis,  n'avait  jamais  agi  que  pour  la 
défense  du  royaume  et  pour  celle  de  la  religion,  contre  les  hérétiques  et 
leurs  fauteurs,  et  qu'il  avait  toujours  docilement  soumis  toutes  ses 
actions  au  légal  de  Sa  Sainteté;  que,  s'il  avait  permis  d'ouvrir  avec  les 
partisans  du  roi  de  Navarre  les  conférences  (jui  avaient  amené  de  si 
malencontreux  résultats,  c'était  parce  qu'il  n'aurait  pu  faire  autrement 
sans  encourir  la  haine  des  peuples,  (|ui  n'auraient  pas  manqué  de  le 
taxer  de  s'opposer,  pour  des  motifs  d'intérêt  personnel,  à  tout  moyen  de 
pacifier  la  France;  (pie  malheureusement  c'était  dans  ces  conférences 
qu'on  avait  d'abord  annoncé  la  feinte  conversion  du  roi  de  Navarre,  et 
qu'alors  les  Espagnols  avaient  voulu  presser  l'élection  d'un  roi  ;  qu'on 
avait  alors  parlé  de  mettre  la  couronne  sur  la  tête  de  rinfanle  d'Espagne, 
en  annonçant  qu'on  lui  donnerait  l'archiduc  Ernest  pour  mari  ;  (preusuile 
il  avait  été  question  de  la  marier  avec  le  duc  de  Guise;  (|ue  toutes  ces 


374  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

variations  avaient  mécontenté  les  Etats  assemblés  a  Paris;  que,  cepen- 
dant,  le  duc  de  Mayenne  avait  accepté  la  proposition  en  faveur  de  son 
neveu,' pour  ne  pas  choquer  la  volonté  du  monarque  espagnol,  auquel  la 
France  avait  déjà  tant  d'obligations,  mais  qu'il  avait  cru  devoir  avertir  le 
duc  de  Guise  de  ne  point  se  laisser  aveugler  par  l'éclat  d'une  couronne, 
et  qu'il  y  avait  la  plus  d'un  danger  caché.  Pouvait-on,  en  effet,  espérer 
que  le  monarque  voulût  procurer  un  tel  honneur  aux  princes  de  la  famille 
(le  Lorraine,  que  de  prendre  parmi  eux  l'époux  de  sa  lille  bien-aimée? 
Aussi  cette  proposition  ayant  été  mûrement  examinée  dans  les  Etals,  il 
avait  été  décidé  de  n'en  point  tenter  l'exécution,  'a  moins  d'avoir  en 
France  deux  bonnes  armées  dont  la  solde  fût  assin^ée  pour  plusieurs 
années,  parce  qu'il  ne  fallait  pas  mettre  un  jeune  roi  sans  appui  aux 
prises  avec  un  ennemi  redoutable  par  ses  forces  et  ses  victoires.  Voyant 
donc  que  les  secours  qu'on  attendait  n'arrivaient  pas,  et  que  d'ailleurs  le 
bruit  de  la  conversion  du  Navarrais  ébranlait  les  peuples  déjà  fatigués 
d'une  aussi  longue  guerre,  il  avait  bien  fallu  faire  avec  l'ennemi  une 
trêve  de  quelques  mois,  pour  se  donner  le  temps  d'envoyer  des  ambas- 
sadeurs à  Sa  Sainteté  et  au  roi  d'Espagne,  et  solliciter  d'eux  des  secours 
indispensables,  qui  ne  se  sont  déj'a  que  trop  longtemps  fait  attendre, 
après  avoir  été  promis  par  le  monarque  espagnol  avec  tant  d'ostenta- 
tion. (Cavet,  uhi  sup.  —  Davila,  liv.  14,  ubi  sup.) 

Le  Pape,  en  apprenant  ainsi  de  la  bouche  même  de  l'ambassadeur 
de  la  Ligue  l'état  a  peu  près  désespéré  des  affaires  de  ceparti,en  ressiïu- 
tit  une  vive  contrariété  qu'il  n'osa  pas  exprimer  ouvertement.  Il  témoigna 
d'abord  qu'il  était  content  du  zèle  et  de  la  prudence  du  duc  de  Mayenne. 
«  Je  suis  trop  loin  de  la  France,  ajouta-t-il,  pour  pouvoir  porter  un 
jugement  certain  sur  la  situation  des  choses  dans  ce  malheureux 
royaume.  C'est  donc  au  duc  de  Mayenne,  qui  s'est  jusqu'à  présent  con- 
duit avec  tant  d'habileté,  qu'il  appartient  de  trouver  et  d'appliquer  le 
remède  propre  à  guérir  les  maux  de  son  pays.  » 

Le  cardinal  de  Joyeuse  continua  en  ces  termes  :  «  J'ai  déjà  dit  'a 
Votre  Sainteté  que  le  duc  de  Mayenne  avait  reçu  avec  beaucoup  de  plai- 
sir la  proposition  de  l'élection  du  duc  de  Guise,  son  bien-aimé  neveu.  11 
n'est  plus  question  maintenant  que  d'avoir  votre  agrément,  Très-Saint- 
Père,  et  aussi  de  s'assurer  des  véritables  intentions  de  l'Espagne  au 
sujet  du  mariage  de  notre  jeune  prince  avec  l'Infante.  Cela  étant  réglé, 
vous  daigneriez  publier  vous-même  un  manifeste  dans  lequel  vous  décla- 
reriez que  c'est  vous  qui  avez  décidé  ce  mariage.  Il  faudrait  aussi  faire 
préparer  promptement  les  forces  nécessaires  pour  appuyer  cette  entre- 
prise, car  le  Navarrais  ne  s'endort  pas  et  devient  chaque  jour  [dus 
menaçant.  Il  serait  bon  de  fixer  de  suite  le  nombre  des  troupes  que 
l'Espagnol  doit  fom^nir  de  son  côté,  et  qu'il  a  promis  de  fournir.  Enlin,  il 
faudrait  engager  l'Allemagne  et  la  Suisse  'a  contribuer  'a  cette  guerre,  ou 
du  moins  a  ne  pas  aider  notre  ennemi.  >> 

Ce  n'était  pas  tout  'a  fait  là  ce   que  le  légat  avait  f;dt  entendre  au 
Pape.   Sa   Sainteté,  assez  embarrassée,   répondit   qu'avant   de    prendre 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  .'575 

anrim  parti,  il  (Hait  nécessaire  qu'elle  eût  l'avis  du  roi  (l'Espagno.  Puis 
elle  daigna  raconter  au  cardinal  ce  qui  s'était  passé  au  sujet  de  l'am- 
bassade du  duc  de  Nevers.  «  Je  ne  découvre  malheureusement,  dit-elle, 
aucune  manjuc  de  conversion  dans  le  roi  de  Navarre,  et  je  suis  bien 
décidé  à  ne  pas  lui  donner  Tabsolulion  ;  car,  au  mépris  de  l'excom- 
munication qui  pèse  encore  sur  lui,  il  persiste  'a  usurper  la  l'rance,  sur 
laquelle  il  a  perdu  tous  ses  droits;  il  reste  l'allié  des  protestants  de 
l'Âltemagne  et  de  l'Angleterre,  et  on  ne  discontinue  pas  de  faire  le 
prêche  jusque  dans  sa  demeure.  Toutes  les  marques  de  catholicité  qu'il 
a  données  jusqu'à  présent,  c'est  de  faire  le  signe  de  la  croix.  * 

L'audience  se  termina  par  ces  paroles  du  Saint-Père.  Les  députés 
attendirent  pendant  plusieurs  jours  quelque  résultat  plus  substantiel  de 
leurs  demandes.  A  la  lin,  Beaulremont  écrivit  à  Mayenne  qu'il  n'y  avait 
ancim  fond  à  faire  sur  les  secours  du  Pape;  qu'il  était  probable  (]ue  le 
roi  d'Espagne  ne  se  montrerait  pas  plus  empressé,  et  qu'il  eût  donc  'a 
prendre  ses  mesures  en  conséquence. 

Beaulremont  avait  deviné  juste  :  Monpesat,  que  le  duc  avait  envoyé 
'a  Madrid,  lâcha  d'abord  d'excuser  aux  yeux  du  puissant  monarque  les  . 
revers  multipliés  que  le  parti  avait  eus  jusqu'à  présent  dans  les  armes, 
et  les  délais  (|u'on  avait  apportés  'a  l'élection  de  l'Infante.  H  dit  que  la 
proposition  de  marier  cette  princesse  au  duc  de  (îuise  avait  eu  l'assen- 
timent général,  mais  qu'on  n'osait  encore  se  llatter  que  cette  union 
eût  véritablement  lieu,  parce  qu'on  savait  que  Sa  Majesté  catholique 
avait  dit  cju'elle  ne  donnerait  jamais  l'Infante  qn  à  un  prince  de  la  mai- 
son d'Autriche  ;  que  c'était  ce  qui  engageait  les  Etats,  avant  de  rien 
terminer,  'a  s'informer  plus  amplement  de  ses  royales  intentions;  qu'en 
attendant,  ils  avaient  jugé  indispensable  de  faire  une  trêve  avec  les  parti- 
sans du  roi  de  Navarre,  pour  se  réserver  le  temps  de  recevoir  les  secours 
(]ue  l'Espagne  et  le  Pape  avaient  promis  d'envoyer  ;  (ju'au  reste,  Mayenne 
n'enviait  point  a  son  neveu  l'honneur  singulier  que  le  monarque  ilaignait 
lui  faire,  mais  que,  jusqu'à  ce  (|u'il  eût  appris  du  roi  lui-même  quelle 
('lait  sa  volonté,  il  n'avait  pas  cru  devoir,  sur  la  simple  |)romesse  d'un 
mariage,  (jui  peut-être  n'aïu'ait  pas  lieu,  se  dessaisir  de  l'autorité  dans 
des  circonstances  aussi  difliciles.  II  jugeait  imprudent  de  la  laisser  aux 
mains  d'un  jeune  prince  encore  inexpérimenté,  (pioique  doué,  en  elfet, 
de  toutes  les  qualités  et  vertus  qui  font  les  grands  rois.  C'est  pourquoi 
Sa  Majesté  catholique  était  donc  suppliée  de  dire  franchement  si  elle 
approuvait  le  mariage  du  duc  de  Guise  avec  l'Iid'ante;  combien,  en  ce 
cas,  elle  donnerait  de  troupes  et  d'argent,  et  pendant  combien  de  temps, 
afin  d'alfermir  le  nouveau  roi  sur  son  tr(')ne. 

Philippe  ajourna  sa  réponse;  «  car,  dit-il,  je  ne  puis  rien  ré- 
soudre sans  consulter  le  Pape  et  l'archiduc  Ernest.  »  Mais,  pendant 
toutes  ces  discussions  politiques  et  diplomatiques,  le  temps  marchait 
toujours. 

Le  roi  était  alors  en  Normandie.  Bois-Rosé,  l'un  des  capitaines 
ronennais,  dont  le  courage  avait  le  plus  contribué  'a   la  belle  défense  de 


376  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Rouen,  se  trouvant  blessé  de  l'arrogance  de  Villars  et  de  quelques 
paroles  oiïensanles  qu'il  en  avait  reçues,  avait  résolu  de  séparer  sa 
cause  de  ce  ciiel"  ligueur  ;  et,  dès  l'année  précédente,  il  s'était  emparé 
pour  son  compte  du  fort  de  Fécamp,  sur  les  côtes  du  pays  de  Caux.  Les 
royalistes  y  avaient  une  forte  et  nombreuse  garnison,  que  Biron  y  avait 
placée,  comme  dans  un  des  points  les  plus  importants  de  ces  rivages. 
[Écon.  roy.  de  Sully,  ch.  xiv.) 

Ce  Ibrt  est  bâti  sur  un  rocher  qui,  du  côté  de  la  mer,  s'élève  'a  près 
de  trois  cents  toises  de  hauteur  et  dont  le  pied  est  ordinairement  baigné 
par  les  fiols,  excepté  à  l'époque  des  plus  basses  marées,  où  le  reflux 
laisse  quatre  ou  cinq  fois  par  an  quelques  toises  de  terrain  a  peu  près 
a  sec  au  bas  de  ce  rocher.  Dois- Rosé  choisit  un  de  ces  moments-là 
pour  exécuter  son  entreprise.  Il  fit  d'abord  préparer  'a  Rouen  un  gros 
cfd)Ie  de  longueur  suffisante,  et  garni  de  nœuds  de  distance  en  distance 
pour  qu'on  pût  s'y  tenir,  tant  avec  les  mains  qu'a  l'aide  de  crochets  et 
d'étriers  en  corde.  Il  choisit  cinquante  soldats  des  plus  déterminés,  la 
plupart  matelots,  habitués  'a  grimper  aux  hunes,  et,  les  ayant  fait  em- 
barquer sur  deux  chaloupes,  il  vint  par  une  nuit  obscure  prendre  terre 
au  pied  du  roc,  au  moment  où  la  basse  marée  laissait  la  possit>ilité  de 
le  faire. 

Or,  il  y  avait  dans  la  garnison  deux  soldats  qu'il  avait  gagnés 
d'avance;  pendant  que  l'un  d'eux  faisait  le  guet,  l'autre  descendit  une 
cordelette  à  laquelle  le  câble  fut  attaché  par  un  bout,  puis  remonté  jus- 
qu'au rempart,  où  il  fut  solidement  fixé  par  le  moyen  d'une  forte  agrafe 
en  fer.  La  troupe  de  Bois-Rosé  se  mit  aussitôt  'a  monter  par  cette  péril- 
leuse échelle  à  la  suite  les  uns  des  autres;  mais,  pendant  ce  temps-la, 
la  marée  était  déjà  revenue,  couvrant  de  plusieurs  toises  d'eau  le  terrain 
qu'ils  venaient  de  quitter,  entraînant  leurs  chaloupes  en  pleine  mer,  et 
secouant  avec  violence  la  corde  à  laquelle  ils  étaient  tous  suspendus. 
Tout  d'un  coup,  le  sergent  de  la  compagnie,  qui  montait  le  premier,  se 
trouva  pris  de  vertige,  soit  'a  cause  de  la  hauteur  où  l'on  était  déjà  par- 
venu, soit  pour  le  grondement  et  furieux  tintamarre  des  flots,  qui  se 
brisaient  au-dessous  de  cette  espèce  de  chapelet  d'hommes  balancés 
contre  la  roche  grise.  !l  annonça  qu'il  ne  se  sentait  plus  la  force 
d'avancer. 

Bois-Rosé,  qui  montait  le  dernier,  voyant  que  tout  son  monde  s'arrê- 
tait consterné,  résolut  d'aller  voir  lui-même  ce  qui  se  passait  au  haut  de 
la  file;  il  se  hissa  par-dessus  les  corps  et  les  têtes  de  tous  ses  compa- 
gnons suspendus  en  l'air,  et  parvint  jusqu'au  sergent;  puis,  le  poignard 
a  la  main,  il  le  força  de  continuer  a  monter. 

Quelques  moments  avant  le  jour,  les  cinquante  hommes  étaient  sur 
le  rempart,  sans  avoir  fait  aucun  bruit  qui  pût  donner  l'alarme.  Les  deux 
soldats  de  la  garnison,  qui  étaient  du  complot,  et  qui  connaissaient  tous 
les  êtres  et  avenues  du  fort,  les  aidèrent  'a  surprendre  et  à  tuer  ou  dé- 
sarmer les  divers  postes,  qui,  se  reposant  sur  la  force  naturelle  du  lieu, 
ne  faisaient  d'ailleurs  la  garde  qu'avec  une  extrême  négligence.  La  garni- 


DU  PROTESTANTISxME  EN  FRANCE.  377 

son,  (|ui  se  composait  de  quatre  cents  homnnes,  fut  faite  prisonnière,  et 
Jjois-Hoso  se  vit  maitre  de  la  place.  {Mi:zi:»\v,  t.  111,  p.  069.) 

\'illars  accourut  aussitôt  pour  en  prendre  possession,  mais  Bois-Rosé 
refusa  de  le  recevoir.  Ni  prières  ni  menaces  ne  purent  obtenir  de  lui 
(pi'il  ouvrît  les  portes  au  gouverneur  de  Rouen  ;  et  celui-ci  fit  alors 
hàlir  deux  autres  forts  du  côté  de  la  terre  pour  tenir  blocpié  ce  capi- 
taine qu'il  traitait  de  rebelle,  et  pour  l'obliger  a  se  rendre  par  famine. 

Les  clioscs  en  étaient  la  depuis  un  an  (juand  le  roi  arriva  en  Nor- 
mandie. Rois-Rosé,  (juchiues  jours  avant  la  signature  de  la  trêve,  s'était 
adressé  a  Sa  Majesté,  et  lui  avait  offert  de  lui  remettre  son  fort,  aimant 
mieux  traiter  avec  elle  qu'avec  Mllars.  Le  roi  lit  aussitôt  marciier  des 
troupes  pour  contraindre  ce  dernier  a  lever  le  blocus  de  Fécamp.  Le 
duc  de  Mayenne,  de  son  côté,  envoya  Relin  à  Dieppe  pour  représenter 
qu'jme  pareille  entreprise  était  une  violation  manifeste  de  la  trêve.  Le  roi 
répondit  :  «  Rois-Rosé  m'a  cédé  Fécamp  avant  la  trêve,  et,  en  forçant 
Monsieur  de  Villars  a  cesser  d'incommoder  une  place  qui  m'appartient, 
je  ne  lais  rien  contre  la  trêve.  »  Il  fallut  bien  se  contenter  de  cette 
raison,  et  ainsi  Rois-Rosé  fut  le  premier  d'entre  les  Ligueurs  comman- 
dants de  places  qui  fit  sa  soumission  au  roi.  (Journal  de  Henri  IV,  t.  I, 
p.  427.) 

Tandis  que  Henri  IV  était  encore  à  Dieppe,  un  soir,  bien  tard,  dit 
Cayet,  comme  je  sortais  de  la  cbambre  de  Sa  Majesté,  une  dame  me 
pria  d'aller  dire  au  roi  qu'elle  était  la.  Je  lui  demandai  qui  elle  était,  et 
j'appris  d'elle  qu'elle  était  Madame  de  Balagny-Montluc,  de  la  noble 
famille  des  Russy  d'Amboise;  je  fus  émerveillé  de  la  voir  en  ce  lieu,  îi 
pareille  heure  et  sans  suite;  mais  je  compris  |)res(pie  aussitôt  que,  quoi- 
qu'elle eût  un  grand  nombre  d'amis  en  cour,  elle  avait  voulu  ne  se  faire 
connaître  'a  aucun  d'eux,  désirant  faire  secrètement  elle-même  les 
accords  de  Monsieur  son  mari,  le  prince  de  Cambrai,  avec  Sa  Majesté. 
Le  roi,  à  qui  j'allai  dire  que  cette  dame  voulait  lui  parler  en  particulier, 
m'ordonna  de  la  lui  amener,  et  depuis  j'ai  appris  qu'elle  avait  obtenu  de 
ce  bon  prince  (|ue  le  seigneur  de  Montluc  de  Ralagny  serait  fait  maré- 
chal de  France,  qu'il  garderait  lui  et  les  siens.  Cambrai  et  le  Cambrésis, 
dont  il  avait  eu  la  chance  de  se  rendre  maître  pendant  les  troubles,  a 
l'unique  condition  de  reconnaître  tenir  cette  principauté  du  roi,  'a  titre 
de  baise-mains  seulement.  (Cayet,  ubisup.) 

Vers  cette  même  époque,  et  toujours  dans  cette  même  province  de 
Normandie,  eut  lieu,  sur  la  ville  de  Caen,  une  tentative  des  Ligueurs,  qui, 
si  elle  eût  réussi,  eût  plus  que  contre-balancé  les  succès  du  roi.  On  sait 
que  cette  ville  est  partagée  comme  en  deux  parties  par  un  bras  de  la 
rivière  d'Orne,  sur  lecpiel  il  y  a  un  pont  qui  fait  communiquer  le  quartier 
appelé  l'île  Saint-Jean  avec  celui  où  se  trouve  la  citadelle.  A  ce  pont,  il 
y  a  une  porte  qui  se  ferme  du  côté  du  quartier  de  l'île,  et  au-dessus  de 
la  porte  est  l'hôtel-de-ville,  bâti  sur  une  grande  arcade.  Pendant  que 
Monsieur  le  gouverneur  était  allé  'a  Dieppe  faire  sa  cour  au  roi,  un  cer- 
tain La  Motte-Corbinière,  qui  s'était  ménagé    des   intelligences  dans  la 


378  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

place,  s'en  approcha  secrètement  avec  soixante-dix  a  quatre-vingts  cava- 
liers. Ayant  été  introduit  dans  Tîle,  il  se  mit  à  taire  grand  bruit,  pour 
faire  croire  que  sa  troupe  était  au  moins  dix  fois  plus  nombreuse,  et  déjà 
ceux  des  habitants  qui  favorisaient  son  dessein  accouraient  de  toutes 
parts  se  joindre  a  lui.  Rien  ne  paraissait  plus  devoir  lui  résister,  et  Caen 
était  perdu  pour  le  roi,  sans  le  courage  et  la  présence  d'esprit  du  sei- 
gneur de  Bougy,  gentilhomme  des  environs,  qui  se  rencontra  la  par 
hasard.  (.Mkzerav,  t.  III,  p.  10(31.) 

11  sort  de  son  auberge,  rassemble  en  courant  quelques  amis,  et  pré- 
voyant bien  que  le  projet  des  ennemis  était  de  fermer  le  plus  tôt  pos- 
sible la  porte  du  pont,  pour  se  mettre  a  couvert  de  la  garnison  du 
château,  il  y  envoya  un  de  ses  gens  clouer  promptement  une  latte  de 
bois  entre  les  feuillures. 

Quand  il  arriva  lui-même,  suivi  seulement  de  quinze  ou  vingt  hommes, 
il  trouva  le  sieur  de  La  Motte  avec  ses  gens,  s'cfforçant  de  fermer  cette 
porte  qu'ils  ne  pouvaient  plus  faire  joindre;  leur  empressement  les  avait 
empêchés  de  découvrir  la  cause  de  cette  difficulté.  Bougy  alors  les 
charge  'a  l'improviste,  les  met  en  désordre,  et  l'un  de  ceux  qui  l'accom- 
pagnaient, nommé  Renouf,  s'élançant  en  avant,  décharge  son  pistolet 
dans  la  tête  de  La  Motte-Corbinière,  qui  tombe  mort  et  laisse  sans  chef 
et  sans  direction  ceux  de  son  parti.  Les  conjurés  alors  ne  songent  plus 
qu'a  se  dissiper  et  à  se  mettre  'a  couvert  par  une  fuite  rapide,  et  ainsi, 
grâce  au  sang-froid  d'un  seul  homme,  la  ville  de  Caen  évita  de  tomber 
entre  les  mains  des  Ligueurs. 

Le  roi  apprit  cette  nouvelle  à  Calais  où  il  s'était  rendu  par  mer; 
mais,  en  même  temps,  il  en  recevait  de  l'Angleterre  une  autre  qui  ne 
lui  était  pas  aussi  agréable.  La  reine  Elisabeth,  qui  avait  été  longtemps 
sans  vouloir  croire 'a  sa  conversion,  finit  enfin  par  lui  adresser  une  lettre 
écrite  dans  toute  ramertume  de  son  cœur.  «  iMon  Dieu  !  lui  disait-elle, 
quelle  cuisante  douleur,  quelle  tristesse  n'ai-je  pas  ressentie  au  récit  qui 
vient  de  m'être  fait  !  Où  est  la  foi  des  hommes  et  (piel  siècle  est  celui- 
ci?  Est-il  possible  qu'un  avantage  mondain  vous  ait  obligea  vous  dépar- 
tir de  la  crainte  de  Dieu,  et  pouvez-vous  attendre  une  bonne  issue  d'une 
telle  action?  Ne  pensez-vous  pas  que  Celui  qui  seul,  jusqu'ici,  vous  a 
conservé  par  sa  puissance,  va  vous  abandonner  maintenant  que  vous  le 
reniez?  J'espère  pourtant  encore  qu'un  meilleur  esprit  vous  inspirera 
une  meilleure  pensée,  et  je  ne  laisserai  pas  de  vous  recommander  a  la 
sainte  protection  de  Dieu,  en  le  priant  de  faire  en  sorte  que  les  mains 
d'Esaù  ne  corrompent  pas  les  bénédictions  de  Jacob.  Pour  ce  qui 
regarde  l'amitié  que  vous  m'offrez  comme  'a  votre  bonne  sœur,  je  sais 
que  je  l'ai  méritée  et  même  à  un  grand  prix,  et  je  ne  m'en  repentirais 
pas,  si  vous  n'aviez  pas  changé  de  Père.  Mais,  dorénavant,  je  ne  puis 
plus  être  votre  sœur  de  Père  ;  car  j'aimerai  toujours  mieux  celui  que 
nous  adorions  l'un  et  l'autre,  que  celui  que  vous  venez  d'adopter.  Ainsi 
donc  je  ne  puis  que  prier  le  ciel  qu'il  vous  ramène  en  un  meilleur 
chemin.    »    Cette   lettre  était  signée  :   «    Votre    bonne   sœur,  si  vous 


DU  PROÏESTANTISMi:  KN   ITvANCE.  379 

pensiez  toujours  do  la  même  manière  qu'auparavant;  sinon  et  si  vous 
nV'les  plus  (pi'un  apostat,  je  n'ai  (pie  l'aire  ilc  voire  parenté.  »  (Fi.i-i  i\v, 
t.  XXXVI,  p.  407,  —  Cavkt,  ubi  sijp.) 

Mais  ce  qui  lui  l'ut  plus  sensible  encore,  ce  fut  d'être  obligé  de  sou(- 
Irir  les  approches  et  la  vue  des  députés  des  Eî^lises  réformées  ;  car,  d'une 
pari,  il  avait  a  craindre  de  fournir  de  nouveaux  prétextes  a  la  Ligue,  et 
de  donner  occasion  au  Pape,  dont  on  ne  connaissait  pas  encore  la 
détermination,  de  lui  refuser  l'absolution,  et  d'autre  part,  il  était  dil'li- 
cile  de  ne  point  admettre  au  moins  en  sa  présence  ceux  qui  s'étaient 
jusipi'aiors  sacriliés  pour  lui  avec  tant  de  courage  et  de  dévouement.  Il 
revint  donc  a  Mantes,  pour  recevoir  cette  députation,  (luoique,  d'après 
l'opinion  de  son  conseil,  il  eût  été  plus  prudent  de  ditlérer  l'audience 
jus(in'a  ce  qu'on  eût  eu  des  renseignements  certains  sur  la  manière  dont 
les  choses  s'étaient  passées  a  Home. 

Le  roi  reçut  des  mains  de  ces  députés  un  gros  cahier  de  suppliijues 
et  de  doléances.  Il  se  tira  d'all'aire  le  mieux  (ju'il  put  en  promettant  que 
toutes  ces  demandes  seraient  examinées  avec  soin,  et  qu'il  y  serait  lait 
droit  ;  en  attendant,  il  leur  donna  l'assurance  que  des  lettres  de  jussion 
seraient  d'abord  adressées  'a  toutes  les  cours  souveraines  du  royaume, 
pour  qu'elles  eussent  à  enregistrer  l'édit  de  Poitiers,  donné  sous 
Henri  III,  avec  les  articles  dont  on  était  convenu  dans  les  conlérences  de 
Nérac,  et  que  le  tout  eût  force  de  loi.  Il  fut  en  outre  régh'  que  l'exer- 
cice de  la  religion  réformée  continuerait  a  avoir  lieu  librement  dans 
toutes  les  villes  et  places  dont  les  protestants  s'étaient  rendus  maîtres 
depuis  le  commencement  de  ces  guerres.  (Folciier,  Hisl.  du  calvin., 
liv.  7,  p.  2H.) 

Le  roi  croyait  bien  les  avoir  'a  peu  près  satisfaits  par  ces  deux  pre- 
mières concessions.  Il  ajouta  :  «Ma  conversion  n'a  apport»'  aucun  chan- 
gement 'a  mon  aflection  envers  vous,  comme  étant  votre  roi.  Je  suis 
bien  aise  aussi  que  vous  soyez  venus  me  trouver,  pour  que  nous  puis- 
sions causer  en  famille  et  comme  de  bons  et  anciens  amis.  Ceux  de  mes 
sujets  (pii  ont  donné  dans  la  rébellion  font  maintenant  contenance  de 
vouloir  entendre  a  quelque  espèce  de  paix,'  et  je  sens  le  besoin  de  vous 
renouveler  l'assurance  que,  dans  tous  les  cas,  rien  ne  se  fera  au  préju- 
dice de  vos  églises.  Croyez  bien,  mes  bons  et  lidèles  amis,  que  je  n'ai 
rien  plus  à  cœur  que  de  voir  une  bonne  union  entre  tous  mes  sujets, 
tant  réformés  que  catholiques,  et  j'aime  à  croire  que  ce  n'est  pas  de 
[votre  part  (jue  viendra  la  moindre  opposition  à  ce  désir  de  mon  cœur.  Je 
sais  (piil  va  quelques  brouillons,  de  ceux  qui  ne  sont  jamais  contents 
de  rien;  mais  je  me  sens  assez  fort  pour  les  châtier  au  besoin.  Je  reçois 
donc  vos  cahiers,  et  je  vous  ordonne  de  jtléputer  quatre  d'entre  vous 
pour  en  traiter  avec  ,ceux  (|ue  j'en  chargerai  de  mon  côté.  »  (Cavet, 
\ubi  Slip.) 

Or,  parmi  les  députés  huguenots,  il  y  avait  un  certain  ministre  de 
La  Rochelle  nommé  Roslan,  et  ce  ministre  s'était  vanté  de  réduire  au 
silence  tous  les  théologiens  catholiques,  ce  qui  prouverait  qu'il  n'était 


380  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

pas  fort  théologien  lui-même  et  qu'il  ne  connaissait  guère  cette  sorte 
de  gens.  Il  était  du  moins  de  bonne  foi  dans  son  outrecuidance,  car  il 
avait  fait  charroyer,  depuis  La  Rochelle  jusqu'à  Mantes,  tout  un  tombe- 
reau de  livres  tous  annotés  par  lui.  Duperron  accepta  le  défi.  Il  y  eut 
donc  une  belle  et  savante  dispute,  dans  laquelle  on  éplucha  soigneuse- 
ment et  brin  a  brin  tous  les  substantifs,  les  verbes  et  jusqu'aux  parti- 
cules des  textes  sacrés;  on  allégua  des  passages  des  historiens,  des 
poètes  et  des  philosophes,  tant  en  grec  qu'en  latin,  puis  chacun  des 
disputants  se  retira  de  la  lutte,  plus  convaincu  que  jamais  de  la  bonté 
de  l'opinion  qu'il  s'était  engagé  'a  défendre. 

Ainsi  finit  cette  conférence.  Les  députés  protestants  se  retirèrent 
chacun  chez  eux,  fort  peu  satisfaits  des  promesses  que  leur  avait  faites 
le  roi,  et  les  catholiques,  de  leur  côté,  se  montrèrent  fort  offensés  de  ce 
qu'a  la  face  de  la  cour  d'un  roi  qui  venait  de  se  convertir,  les  hérétiques 
eussent  obtenu  la  liberté  de  soutenir  leurs  damnables  opinions. 


J 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  381 


CHAPITRE   XV 


1594.  —  ARGUMENT  :  la  trêve  expire. 

LES    HOSTILITÉS     RECOMMENCENT     AUTOUR     DE     PARIS. 

DÉCLARATION     DU    ROI     DATÉE    DE     MONTMARTRE. 

LES   CHEFS   LIGUEURS    SE    METTENT    A   L'ENCAN.    —    MEAU.X   SE    REND   AU    ROI. 

ARRÊT  DU  PARLEMENT  DE  PARIS  ORDONNANT  L'EXPULSION  DE  LA  GARNISON  ESPAGNOLE. 

LE   PEUPLE  DEMANDE  LA    PAIX.  —  BRISSAC    REMPLACE   BELIN  COMME  GOUVERNEUR. 

SOUMISSION    d'aIX,    —   DE   LYON,    —    D'ORLÉANS,    —   DE   BOURGES. 

LE   ROI    EST   SACRÉ   A   CHARTRES.    —    MAYENNE    QUITTE    PARIS. 

LE   ROI   REVIKNT   A   SAINT-DENIS.    —    BRISSAC    LUI   LIVRE   LA    CAPITALE. 

DÉCLARATION    ROYALE  TOUCHANT   LA   RÉDUCTION    DE   PARIS. 

ARRÊT   DU    PARLEMENT.    —    DÉCRET   DE   LA    SORBONNE. 

EXHORTATION   DE   L'aRCHEVÉQUE   DE   BOURGES    AU    CLERGÉ. 

LES     CAPUCINS     ET     LES     JÉSUITES     RESTENT     SEULS     OBSTINÉS. 


La  trêve  était  expirée  depuis  (|uel(jiies  mois,  et  le  roi,  sur  les  prières 
(le  Jeaunin  et  de  Villeroi,  avait  déjà  accordé  une  première  prolongation; 
«  mais,  dit  Villeroi,  voyant  bien  <jue  ce  serait  la  dernière,  et  (|u"il  l'allait 
se  résoudre  a  recommencer  la  guerre  contre  Sa  Majesté,  ou  s'accommoder 
avec  elle,  je  pris  déiinitivemenl  congé  de  Monsieur  le  duc  de  Mayenne, 
le  vingt-troisième  jour  de  décembre,  et  me  retirai  a  Pontoise  avec  les 
miens,  pour  les  disposer  à  reconnaître  avec  moi  l'autorité  de  notre 
monarque  légitime,  puisque  Dieu  lui  avait  l'ait  la  grâce  de  le  rappeler  au 
giron  de  la  sainte  Eglise.  »  Le  prudent  diplomale  obtint,  par  cette  dé- 
marcbe  laite  a  propos,  d'être  maintenu  dans  la  cbarge  de  secrétaire 
dÉtat,  ((u'il  avait  déjà  exercée  sous  Henri  III,  et  il  lui  lut  accordé,  en 
outre,  de  grands  avantages  pour  le  reste  de  sa  famille.  (Villeroi,  ad 
ann.  1595.) 

Le  duc  de  Mayenne  alors  députa  Monsieur  de  Belin  vers  le  roi,  pour 
obtenir  une  seconde  prolongation,  faisant  entendre  (ju'il  ne  la  deman- 
dait (jue  pour  disposer  ceux  de  son  parti  à  une  |)aix  délinilive,  et  pour 
induire  le  Saint-Père  et  le  roi  d'Espagne  a  y  consentir.  .Mais  en  même 
temps,  voila  ((u'on  découvrit,  par  une  correspondance  (|u'on  intercepta, 
(pie  ce  n'était  pas  tout  a  fait  dans  ce  sens  (jue  .Montpesat  négociait  pour 
le  dit  duc  auprès  de  Pbilippe;  on  sut  aussi  de  quelle  manière  et  dans 
(piel  sons  s'étaient  expliijués  ses  envoyés  à  Rome;  on  apprit,  en  outre, 


:)S2  llISTUll'tE  DE  LÉTABLISSEME.NT 

qu'en  ce  moment  même,  Tambassadeur  espagnol,  le  leurrant  de  l'espoir 
de  faire  élire  roi  Monsieur  son  lils  aine,  avait  obtenu  de  lui  de  l'aire 
entrer  dans  la  ville  plusieurs  compagnies  espagnoles  et  une  assez  grande 
quantité  de  doublons,  pour  contenter  les  pensionnaires  de  Sa  Majesté 
catbolique,  et  pour  conserver  Paris  h  l'Espagne.  Le  roi  répondit  donc 
nettement  que  si,  d'ici  a  l'expiration  du  mois,  les  Ligueurs  n'avaient  pas 
accepté  de  bonne  grâce  la  paix  qu'il  voulait  bien  encore  leur  oiïrir,  il  était 
bien  résolu  a  la  leur  imposer  par  la  l'orce  de  ses  armes.  (Mézeuav,  t.  III, 
p.  1061  et  suiv.  —  Journal  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  i55.) 

Et  de  lait,  dès  le  commencement  de  l'année,  les  garnisons  des 
places  royales  voisines  de  Paris,  reprenant  leurs  courses  ordinaires, 
recommencèrent  'a  visiter  les  environs  de  cette  grande  ville,  pour  y  l'aire 
des  prisonniers  dont  ils  pussent  tirer  bonne  rançon.  Ceux  de  Saint- 
Denis,  entre  autres,  sacbant  qu'il  y  avait  quelques  compagnies  de  gens 
de  pied  de  l'Union,  logées  de  présent  'a  Cbarenton,  allèrent  les  y  atta- 
quer. Quelques-uns  se  sauvèrent  'a  Paris,  où  ils  répandirent  la  conster- 
nation ;  il  y  en  eut  beaucoup  de  noyés;  les  autres  furent  pris,  et 
Cbarenton  l'ut  occupé  pnr  les  royaux.  (Cayet,  liv.  VI,  ad  ann.  15l)i.) 

Le  roi,  cependant,  avait  l'ait  à  Mantes,  dès  l'année  précédente,  une 
déclaration  dans  laquelle  il  affirmait  que  sa  conversion  était  sincère  et 
véritable,  exposant  toutes  les  raisons  qui  l'avaient  déterminé  et  con- 
vaincu. Il  dénonçait  en  même  temps  la  résolution  (ju'avaient  prise  ses 
ennemis  de  faire  entrer  de  nouvelles  troupes  étrangères  en  France,  alin 
d'appuyer  les  prétendus  États  assemblés  a  Paris,  et  de  les  porter  «  'a  en- 
treprendre par  force  ce  qu'ils  n'eussent  pas  même  osé  penser  par 
raison.  »  Sa  Majesté  déclarait  qu'elle  ne  pouvait  donc  plus  entendre  a 
aucune  proposition  de  trêve  ;  que  c'était  contre  son  gré  qu'elle  se  voyait 
obligée  de  reprendre  les  armes;  mais  (]ue  la  conservation  du  royaume 
lui  en  faisait  une  loi,  aussi  bien  (|ue  la  conservation  de  sa  propre  per- 
sonne, sur  laquelle  on  avait  déjà  attenté,  a  Melun,  pendant  la  dite  trêve; 
qu'on  n'ignorait  pas  qu'il  avait  été  fait  tout  récemment  encore  un  ser- 
ment public  et  solennel  dans  les  soi-disant  États,  de  ne  jamais  entrer 
dans  aucun  traité  ni  accord  avec  lui  ;  que,  néanmoins,  il  olfrait  toute 
oubliance  du  passé  et  bonne  réception,  avec  entier  rétablissement  en 
leurs  cbarges  et  bénéfices,  a  tous  ceux  de  la  Ligue  qui  voudraient  rentrer 
dans  leur  devoir  et  sous  son  obéissance  d'ici  'a  un  mois,  lequel  délai 
passé  il  se  regarderait  comme  dégagé  de  la  présente  promesse,  {Mém.  de 
Chèverny,  1594.)    • 

Or,  après  cette  déclaration,  et  depuis  que  la  vie  et  les  actions  du 
roi  eurent  fait  voir  à  tous  que  sa  conversion  était  sans  feinte,  la  Ligue, 
n'ayant  plus  de  valable  prélexle,  fut  sapée,  pour  ainsi  dire,  par  les  fon- 
dements. Bientôt  il  ne  lui  resta  plus  qu'un  petit  nombre  de  places  aux 
extrémités  du  royaume,  la  plupart  des  chefs  refusant  de  courir  jusqu'au 
bout  la  fortune  du  duc  de  Mayenne.  Ce  prince,  lui-même  fort  irrésolu, 
ne  savait  ce  ([u'il  devait  faire,  tant  a  cause  de  sa  lenteur  naturelle  (|ue 
pour  le  regret  cju'il  avnit   de  renoncer  a   l'autorité    souveraine  dé|)i)séc 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  383 

(le|)uis  tant  iranuées  entre  ses  mains  ;  peut-être  aussi  craignait-il  de  ne 
pas  trouver  sûreté  au|)rrs  du  roi.  (Pi-:in;i-i\i;,  loOi-.) 

Celle  dernière  crainte  n'élait  l'ondée  en  rien,  et  il  n'avait  en  réalité 
aucun  sujet  de  douter  (jue  le  roi  ne  tint  lidèlenient  toute  parole  qu'il 
donnerait.  Il  n'en  fit  pas  moins  au  légat,  le  serment  de  ne  reconnaître 
Henri  de  Bourbon  pour  roi  de  France  (jue  (juand  le  Pape  lui  aurait 
donné  l'absolution.  Celait  du  moins  un  prétexte  pour  retenir  le  pou- 
voir, et,  vu  les  idées  de  répo(iue,  il  était  bien  sûr  <]u'on  ne  serait  pas 
lenlé  de  lui  en  Caire  un  crime.  (Miizi-nw,  iibi  supra,  p.  106G  et 
suiv.) 

Lorsqu'il  eut  annoncé  celte  détermination  aux  autres  chefs  du 
parti,  en  leur  demandant  de  faire  le  même  serment,  ceux  d'entre  eux 
(jui  s'étaient  déjii  fait  les  meilleures  parts,  et  qui  ne  demandaient  plus 
(ju'a  les  conserver,  furent  les  premiers  a  prendre  les  devants  |)Our  trai- 
ter avec  Sa  Majesté;  et  le  roi,  qui  trouvait  son  compte  'a  les  détacher 
successivement  ainsi  d'un  parti  qui  aurait  pu  longtemps  encore  rester 
redoutable,  consentit  a  ouvrir  connue  une  espèce  de  marché,  où  la  con- 
science et  la  valeur  de  tous  ces  grands  seigneurs  se  mettaient  a  l'encan. 
Sa  Maj(\slé  ne  se  montra  pas  diflicile  sur  la  (jualilé  de  la  marchandise, 
et  fut  très-généreuse  pour  le  prix  dont  elle  voulut  bien  la  payer. 

Villeroi,  comme  il  l'a  dit  lui-même  plus  haut,  s'était  déjà  retiré  'a 
Pou  toise,  dont  il  obtint  que  le  commandement  serait  confirmé  a  son  fils, 
outre  les  autres  avantages  ci-dessus  mentionnés.  La  Châtre  marchandait 
I  également  pour  conserver  son  gouvernement  du  Herri  avec  (|uelques 
autres  petites  bonilications.  Helin,  gouverneur  de  Paris,  était 
entré  en  pourparlers;  DEstournel,  gouverneur  de  l'éronne,  de  Mont- 
didier  et  de  Hoye,  places  très-importantes  en  Picardie,  avait  déj'a  traité 
il  (les  conditions  fort  lucratives  pour  lui  ;  seulement,  pour  rendre  son 
changement  de  parti  plus  décent,  il  avait  stipulé  que  les  places  (|n'il 
b    commandait  auraient  l'air  de  garder  la  neutralité  pendant  quel(|ues  mois. 

■  Vitry,  qui  avait  été  le  premier  "a  abandonner  le  parti  royaliste,  après  la 

■  mort  de  Henri  111,   voulut    aussi   être   un   des  premiers    a  reconnaître 
I     ouvertement  le  pouvoir  sous  lequel  il  n'y  avait  plus  à  douter  ipie  tous 

■  seraient  bientôt  obligés   de   plier;  car,  le  roi  s'élaut  fait  catholi(|ue,  il 
K    était  facile  de  prévou'  que  toute  la  nation  serait  bi'nlùl  pour  IuLiDavila, 

■  t.  ni,  p.  460.) 

^L       Vitry,  d'ailleurs,  avait  encore  de  graves  raisons  de  méconlentement. 

^^11  lui  était  dû  plusieurs  «  montres  »  pour  l'entretien  de  sa  garnison  de 
Meaux,  et  il  avait  été  trouver  le  comte  de  Fuentès  pour  s'en  faire 
payer,  mais  il  n'avait  pu  obtenir  de  ce  noble  seigneur  espagnol  aucune 
réponse  raisonnable.  On  l'avait  même  fait  attendre  plusieurs  jours, 
avant  que  de  lui  accorder  une  audience.  Aussi,  en  s'en  revenant  tout 
choqué,  il  répétait  souvent  ces  mots  :  «  Point  d'argent,  })oint  de  \'itrv!  » 
(DvviLA,  I.  111,  liv.   li,  p.  457.) 

Le  deuxième  jour  des  fêles  de  Noël,  il  assembla  les  liai)ilanls  de  sa 
ville,  il    leur  exposa    comme   (juoi,    Henri    de  Bourbon  s'étant  fait    bon 


384  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

calholiciue,  il  était  résolu  à  le  reconnaître  pour  son  roi.  «  J'ai,  dit-il, 
jugé  convenable  de  vous  avertir  de  cette  résolution  de  ma  part;  je  vous 
laisse  libres  de  i)rendre  ou  de  ne  pas  prendre  le  parti  que  j'ai  adopté  ; 
mais  si  vous  m'en  croyez,  vous  imiterez  mon  exemple.  »  Cela  dit,  il 
quitte  la  ville  avec  sa  compagnie  de  cavalerie,  qui  faisait  la  principale 
force  de  la  garnison,  laissant  les  bourgeois  et  les  magistrats  assez  embar- 
rassés de  ce  qu'ils  devaient  faire.  (Cavet,  uM  sup.) 

Le  duc  de  Mayenne,  averti  des  projets  de  Vitry,  avait  déjà  fait  partir 
cinq  cents  hommes  pour  maintenir  la  ville  de  Meaux  dans  son  parti,  et 
cette  troupe  se  présentait  en  ce  moment  aux  portes,  demandant  qu'on  la 
fît  entrer  sans  retard.  Toula  coup  le  cri  de  «  V'ive  le  roi!  »  retentit  de 
toutes  parts;  on  convient  de  courir  après  le  gouverneur,  et  de  lui 
faire  savoir  qu'on  est  décidé  a  imiter  son  exemple.  On  ferme  les  portes 
aux  soldats  de  Mayenne;  et  Vitry  revient  pour  distribuer  à  tous  les  habi- 
tants l'écharpe  blanche  dont  il  s'était  déjà  revêtu  lui-même. 

Le  roi,  a  qui  ils  envoyèrent  de  suite  leur  soumission,  leur  accorda  la 
confirmation  de  tous  leurs  privilèges,  avec  exemption  de  taille  pour 
neuf  ans.  11  leur  promit  de  plus  qu'il  ne  se  ferait  point  d'exercice  de  la 
nouvelle  religion  dans  leur  ville  ni  dans  leurs  faubourgs.  Quant  a  Vitry, 
il  eut  la  charge  de  grand  bailli  et  gouverneur  de  la  ville,  avec  la  survi- 
vance pour  son  fils,  et,  outre  cela,  une  gratification  de  vingt  mille  écus; 
après  quoi  il  publia  une  sorte  de  manifeste  des  justes  raisons  qui 
l'avaient  déterminé  a  se  réduire  sous  l'obéissance  de  son  roi  ;  mais  il  se 
donna  garde  de  parler  de  la  dernière,  qui  était  peut-être  la  plus  déter- 
minante. 

Le  roi  s'en  revint  ensuite  a  Saint-Denis,  pour  voir  si  dans  I^aris  il  ne 
se  ferait  pas  quelque  mouvement  dans  le  même  sens;  car  il  savait  (|ue 
les  Ligueurs  et  les  politiques  y  étaient  plus  animés  que  jamais  les  uns 
contre  les  autres,  que  Mayenne  n'était  plus  d'accord  avec  le  parlement, 
et  que  tous  se  méfiaient  de  la  garnison  espagnole,  dans  la  crainte  qu'elle 
ne  se  rendît  maîtresse  absolue  de  la  capitale. 

L'ambassadeur  d'Espagne,  en  eflet,  avait  déjà  été  assez  puissant  pour 
obliger  Mayenne  a  signer  un  décret  d'expulsion  contre  une  soixantaine 
de  bourgeois  les  plus  compromis  par  leurs  opinions  royalistes,  et  a  ôter 
le  gouvernement  de  la  ville  au  comte  de  Belin,  qui  s'était  rendu  suspect 
par  sa  modération,  et  surtout  depuis  son  retour  de  la  mission  dont  il 
avait  été  chargé  auprès  du  roi.  C'était  a  Brissac,  qui  s'était  fait  le  chef 
des  Seize  'a  la  Journée  des  Barricades,  que  l'Espagnol  contraignait  le 
lieutenant  général  de  France  de  donner  cette  place. 

Le  parlement,  qui  n'approuvait  pas  ce  changement,  délibéra  d'abord 
qu'il  en  serait  l'ail  remontrances  de  bouche  a  Monsieur  le  lieutenant 
pour  le  prier  de  laisser  Belin  gouverneur  ;  de  faire  sortir  la  garnison  espa- 
gnole, qui  pouvait  causer  du  désordre  dans  la  ville,  et  enfin  d'aviser 
promptement  aux  moyens  de  tirer  le  peuple  d'une  si  longue  et  si  cruelle 
misère.  Le  duc  répondit  aux  députés  de  la  cour  qu'ils  étaient  venus  troj) 
tard  ;  que  le  départ  de  Belin  était  résolu.  {Journal,  t.  I,  p.  456  et  suiv.) 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  385 

Sur  celte  réponse,  la  cour  se  remit  à  délibérer  et  prononça  que,  vu 
le  mépris  (|ue  Mayenne  avait  fait  de  ses  remontrances  verbales,  il  lui  en 
serait  adressé  d'autres  par  écrit  et  enregistrées,  les(juelles  lui  seraient 
portées  par  le  procureur  général,  pour  en  avoir  réponse.  Elle  ordonna 
(pie  les  garnisons  étrangères  sortiraient  sur-le-champ  de  la  ville;  déclara 
(pi'elle  était  bien  résolue  a  s'opposer  aux  mauvais  desseins  de  l'Espa- 
gnol, et  de  tous  ceux  qui  tenteraient  de  livrer  la  France  a  l'étranger  ; 
et  (jue,  si  le  comte  de  Belin  était  renvoyé,  toutes  les  chambres  étaient 
décidées  a  le  suivre  et  a  sortir  avec  lui.  Ordre  lut  donné  au  prévôt  des 
marchands  de  l'aire  assembler  la  ville  pour  aviser,  toute  autre  alïaire 
cessant,  aux  movens  de  l'aire  exécuter  cet  arrêt.  {Mém.  de  la  Ligne, 
t.  VI,  p.  52.) 

Mayenne,  tout  elfrayé  de  ces  mesures  énergiques,  répondit  qu'il 
n'avait  jamais  pensé  a  livrer  le  pays  aux  Espagnols;  qu'il  honorait  le  par- 
lement, et  ne  désirait  rien  plus  que  de  lui  être  agréable  ;  que,  pour  le 
comte  de  Belin,  c'était  ce  seigneur  lui-même  qui  avait  demandé  à  se 
retirer.  La  cour  ne  se  tint  pas  pour  satisfaite;  elle  renvoya  une  troi- 
sième fois  pour  demander  le  rappel  du  sieur  de  Belin.  (Mézerav,  tibi 
supra.) 

En  même  temps,  quelques  bourgeois  préparent  et  font  signer  une 
requête  par  laquelle  ils  interpellent  le  prévôt  des  marchands  d'avoir  à 
se  joindre  au  parlement,  pour  délibérer  en  commun  des  moyens  de  trai- 
ter de  la  paix.  Dès  le  soir  môme,  le  nombre  des  signatures  était  si  con- 
sidérable, ({ue  Mayenne,  craignant  une  insurrection  générale,  se  crut 
obligé  de  rester  en  armes  toute  la  nuit  avec  les  gens  de  sa  maison  et  le 
duc  de  Guise,  son  neveu. 

Le  lendemain,  il  envoya  prier  le  parlement  de  cesser  toutes  ces  déli- 
bérations qui  donnaient  lieu  au  peuple  de  s'émouvoir  ainsi.  La  cour  fut 
sur  le  point  de  repousser  cette  demande;  mais  le  président  Le  Maitre  et 
ceux  des  conseillers  qui  jouissaient ^de  la  plus  grande  autorité  tirent 
comprendre  aux  autres  qu'on  risquait  alors  d'allumer  une  guerre  civile 
dans  la  capitale,  d'où  s'ensuivrait  un  carnage  épouvantable,  parce  que 
les  troupes  espagnoles  ne  manqueraient  pas,de  prendre  parti  pour  le  duc, 
et  aussi  pour  avoir  l'occasion  de  se  livrer  au  pillage;  qu'il  valait  donc 
mieux,  par  amour  pour  la  patrie  et  pour  le  service  du  roi,  attendre  une 
occasion  plus  favorable.  Mayenne,  de  son  côté,  lit  quelques  concessions  ; 
il  promit  de  se  borner  a  ne  faire  sortir  de  la  ville  que  Claude  d'Aubray  et 
deux  autres  bourgeois;  et  Brissac  fut  admis  le  vingt-cimiuième  jour  de 
janvier  a  prêter  serment  en  qualité  de  gouverneur  de  Paris. 

Quand  le  roi  vit  que  tous  ces  mouvements  ne  produisaient  pas  immé- 
diatement l'ellét  (|u'il  eu  avait  attendu,  c"est-'a-dire  la  réduction  de  la 
capitale,  il  s'en  revint  a  Senlis,  pour  ne  poini  réveiller,  par  sa  présence 
trop  rapprochée,  les  soupçons  des  Ligueurs  contre  ceux  des  habitants 
de  la  ville  qui  correspondaient  avec  lui.  11  envoya  de  là  Biron  assiéger 
la  ville  de  La  Ferté-Milon  ;  mais  ce  siège  ne  lui  réussit  pas  non  plus, 
faute  de  canon  qu'on  put  dresser  en  batterie. 

iT.  25 


38t)  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

On  reçut  alors  de  plus  heureuses  nouvelles  du  côté  de  la  Provence. 
Le  comte  de  Carces, voyant  que  d'Épernon  allait  incessamment  reprendre 
le  siège  d'Aix,  et  ne  sachant  trop  comment  défendre  cette  ville,  puisque 
le  Savoyard  ne  lui  envoyait  plus  aucun  secours,  ni  d'hommes  ni  d'argent, 
convoqua  le  conseil  général  le  cinquième  jour  de  janvier,  et  déclara  que 
son  avis,  pour  soustraire  la  ville  aux  malheurs  dont  elle  était  menacée, 
si  elle  tombait  entre  les  mains  du  duc  d'Épernon,  était  de  la  remettre  le 
plus  tôt  possible  à  un  bon  maître  et  protecteur,  c'est-a-dire  au  roi  lui- 
même.  Le  conseil  approuva  cette  résolution,  et  envoya  vers  Sa  Majesté 
pour  la  supplier  de  confirmer  la  possession  des  charges,  tant  adminis- 
tratives que  judiciaires  et  des  bénéfices  ecclésiastiques,  a  tous  ceux  qui 
en  avaient  été  pourvus  durant  les  troubles  ;  de  continuer  les  privilèges 
de  la  ville;  d'autoriser  ce  qu'elle  avait  l'ait  contre  le  duc  d'Epernon,  et 
de  nommer  un  autre  gouverneur.  Le  même  jour,  le  parlement  d'Aix 
ordonna  par  arrêt  que  la  justice  fût  rendue  au  nom  du  roi  Henri  IV,  et 
enjoignit  aux  gentilshommes  et  gens  de  guerre  de  quitter  le  duc  d'Eper- 
non, et  de  se  retirer  dans  leurs  maisons,  sous  peine  d'être  punis  comme 
perturbateurs  du  repos  public. 

L'archevêque  Génébrard  fit  de  son  côté,  dans  sa  propre  maison,  une 
contre-assemblée  de  tout  ce  qui  restait  encore  de  partisans  à  la  Ligue, 
et  les  encouragea  a  la  persévérance.  Tous  promirent  de  restef  fidèles. 
Le  lendemain,  il  monta  en  chaire  et  déploya  toute  son  éloquence  pour 
prouver  au  peuple  qu'on  ne  pouvait  sans  olïenser  le  ciel  traiter  avec  un 
excommunié,  avant  de  s'être  préalablement  assuré  de  l'approbation  du 
chef  de  l'Église  ;  mais  le  parlement  répondit  par  un  nouvel  arrêt,  qui 
déclarait  rebelle  et  convaincu  du  crime  de  lèse-majesté  quiconque 
n'obéirait  pas  au  roi  Henri  IV,  et  Génébrard,  pour  se  soustraire  aux 
peines  portées  par  cet  arrêt,  fut  lui-même  le  premier  a  se  sauver  a 
Marseille. 

La  soumission  de  la  ville  d'Aix  fut  presque  immédiatement  imitée 
par  les  villes  de  Lyon  et  d'Orléans.  Depuis  l'emprisonnement  du  duc  de 
Nemours,  quelques-uns  des  principaux  bourgeois  de  Lyon  ne  cherchaient 
que  l'occasion  de  se  soumettre  au  roi  ;  car,  au  cas  où,  comme  on  a  vu 
qu'il  en  était  question,  le  duc  de  Mayenne  se  réconcilierait  avec  son  frère 
utérin,  il  était  à  craindre  qu'ils  ne  fussent  livrés  au  ressentiment  de  ce 
dernier.  Déjà  même,  on  savait  que  le  duc  du  Milanais  levait  des  troupes 
pour  les  envoyer  contre  Lyon  ;  ils  résolurent  donc  de  prendre  les  devants. 
S'étant  assurés  de  la  coopération  de  leurs  amis,  et  de  tous  ceux  que 
dans  la  ville  ils  savaient  bien  portés  pour  Sa  Majesté,  ils  firent  prévenir 
Ornano  de  se  rapprocher  avec  ses  troupes,  et,  ce  colonel  étant  arrivé  au 
faubourg  de  La  Guillotière,  trois  échevins,  les  sieurs  Jacques  de  Liergues 
de  Sève,  suivis  d'un  bon  nombre  de  gens  armés,  vinrent  surprendre,  vers 
les  quatre  heures  du  matin,  le  corps  de  garde  qui  était  au  bas  du  pont,  et 
s'en  emparèrent  malgré  une  assez  vive  résistance. 

Au  bruit  de  la  mousqueterie,  ceux  de  la  ville  qui  étaient  du  com- 
plot se  répandent  en  tumulte  dans  les  rues,  font  dresser  des  barricades 


ï 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  387 

et  se  meltent  à  crier  :  «  Vive  la   liberté  française!  A  bas  les   tyrans 
étrangers!  » 

L'archevêque,  réveillé  par  ce  tumulte,  accourt  a  rhôtel-de-ville  et 
supplie  qu'on  ne  prenne  au  moins  aucune  résolution  avant  d'avoir  con- 
naissance de  la  réponse  du  F\ipe  a  l'ambassade  du  duc  de  Nevers.  Son 
éloquence  n'excita  cette  fois  ciue  des  cris  et  des  huées,  et  il  fui  obligé 
de  se  retirer  tout  consterné.  Pendant  ce  temps-la,  on  s'assurait  dans  la 
ville  de  ceux  des  échevins  sur  lesquels  on  ne  croyait  pas  pouvoir 
compter,  ainsi  que  des  capitaines  de  quartier;  et  la  nuit  qui  survint 
donnant  plus  d'audace  'a  la  foule,  on  n'entendit  bientôt  plus  retentir  par- 
tout que  le  cri  de  «  Vive  le  roi  !  »  Hommes,  femmes  et  enfants  prirent 
récharpe  blanche,  si  bien  que,  dès  le  malin,  il  n'y  avait  plus  dans  les 
boutiques  assez  d'étofle  de  cette  couleur  pour  tous  ceux  qui  s'empres- 
saient de  l'arborer.  Le  son  joyeux  des  cloches  répondait  aux  acclamations 
du  peuple  ;  les  églises  retentissaient  de  cantiques,  d'actions  de  grâces  ; 
les  plus  riches  bourgeois  faisaient  largesse  devant  leurs  maisons,  et 
partout  on  ne  voyait  que  feux  de  joie.  Le  peuple  (raina  par  les  rues 
l'effigie  de  la  Ligue,  sous  la  forme  d'une  vieille  sorcière  revêtue  des 
emblèmes  de  l'Espagne,  de  la  Savoie  et  du  duc  de  Nemours;  puis  ce 
mannequin  fut  brûlé  au  bruit  des  huées  de  tous  les  acteurs  de  celte 
scène  bouffonne. 

Le  colonel  Ornano  fit  ensuite  son  entrée  dans  la  ville  en  passant  par- 
dessus les  barricades,  qu'on  ne  voulut  pas  détruire  dans  la  crainte  de 
quelque  surprise.  Il  était  entouré  d'un  brillant  cortège  des  principaux 
seigneurs  du  pays  et  d'une  foule  innombrable  de  bourgeois.  Tous  ceux 
qu'on  soupçonnait  d'attachement  a  l'ancien  parti  reçurent  l'ordre  de 
quitter  la  ville,  et  l'on  décida,  en  conseil  public,  qu'à  l'avenir,  aucun 
élrangeV,  mais  surtout  les  Italiens,  (jui  avaient  perverti  le  duc  de  Nemours 
par  leurs  détestables  doctrines,  ne  pourraient  être  admis  a  aucune  charge 
publique  dans  la  cité. 

Le  roi,  pour  récompenser  les  Lyonnais  de  la  confiance  qu'ils  avaient 
eue  en  lui,  en  lui  remettant  leur  ville,  sans  avoir  stipulé  auparavant 
aucune  condition,  leur  accorda  un  édit  par  lequel  il  promettait  qu'il  ne 
serait  fait  d'autre  exercice  que  de  la  religion  calholi(iue  dans  leurs  ville 
et  faubourgs;  il  confirmait  tous  leurs  privilèges,  leur  faisait  remise  de 
toutes  sommes  qui  avaient  pu  être  prises  sur  ses  droits  |)endanl  le  temps 
des  troubles,  et  promettait  qu'il  n'aurait  jamais  dans  Lyon  d'autre 
citadelle  que  celle  qu'il  se  réjouissait  d'avoir  conquise  dans  le  cœur  des 
habitants. 

Quant  à  Orléans,  qui  fil  sa  soumission  vers  la  même  époque,  on  sait 
déjà  que  cette  ville  élail  l'epuis  longtemps  partagée  en  doux  factions, 
celle  des  politiques  et  celle  de  la  confrérie  du  Saint-Cordon.  La  Châtre 
avait,  dans  le  principe,  appuyé  la  dernière,  et  la  i)rotection  du  gouver- 
neur l'avait  rendue  si  violente,  (pi'il  avait  été,  dans  la  suite,  obligé  de  la 
contrecarrer  par  l'autre,  afin  de  maintenir  son  autorité  entre  les  deux; 
et  alors  ceux  du  Saint-Cordon  avaient,  pour  se   venger,  traité  secrè- 


388  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

tement   avec  Iberra    pour  recevoir    une  garnison   espagnole.   (Cayet, 
liv.  6.) 

La  Châtre,  qui  déjà  commençait  à  se  lasser  du  duc  de  Mayenne,  et 
qui  ne  songeait  qu'a  s'assurer  la  tranquille  possession  de  tous  les  bien- 
laits  qu'il  en  avait  reçus,  ne  demandait  pas  mieux  que  de  se  laisser 
persuader  de  traiter  définitivement  avec  le  roi.  L'évêque  de  la  ville  et  le 
sieur  de  Champgasté  lui  offrirent  leur  intervention  pour  appuyer  les 
démarches  qu'il  avait  déj'a  faites  de  ce  côté.  Le  dernier  avait  été  obligé, 
en  1589,  de  quitter  Orléans  et  sa  charge  de  procureur  du  roi,  pour 
s'être  refusé  de  prêter  serment  a  la  Ligue  ;  mais  il  avait  conservé  un 
grand  nombre  d'amis  et  d'intelligences  parmi  les  habitants,  et  il  sut  si 
bien  mener  les  choses  que  quelques-uns  des  principaux  bourgeois  d'Or- 
léans offrirent  d'eux-mêmes  au  gouverneur  de  reconnaître  le  roi,  à  con- 
dition qu'on  accorderait  a  leur  ville  a  peu  près  les  mêmes  articles 
qu'avaient  obtenus  les  villes  de  Lyon  et  de  Meaux.  La  Châtre  parut  se 
laisser  gagner  par  les  représentations  de  ces  bourgeois,  mais  il  stipula  de 
plus  pour  lui-même  qu'on  lui  conserverait  son  gouvernement  du  Berri, 
qu'on  lui  laisserait  celui  de  la  ville  et  banlieue  d'Orléans,  et  que  d'En- 
tragues  resterait  avec  le  gouvernement  de  la  province  de  l'Orléanais. 

Ce  traité  fait,  La  Châtre  ordonna  au  théologal  Barlat,  qui  avait  été 
jusqu'alors  une  des  trompettes  de  la  Ligue,  d'aller  prêcher  dans  la  cathé- 
drale de  Sainte-Croix  qu'il  fallait  porter  obéissance  aux  rois,  et  recon- 
naître celui  que  Dieu  nous  donne,  ce  que  le  digne  théologal  fit  avec  une 
grande  force  de  raisonnement;  et,  au  sortir  du  sermon,  le  gouverneur 
fit  arrêter  les  principaux  de  la  confrérie  du  Saint-Cordon,  ordonnant  aux 
autres  de  quitter  la  ville  sans  délai. 

Puis,  dans  une  assemblée  générale  du  peuple  a  l'hôtel-de-ville,  il  lut 
les  articles  du  traité  contenant  les  avantages  accordés  aux  habitants 
d'Orléans.  Ayant,  après  cela,  exposé  les  pernicieux  desseins  et  les  arti- 
fices des  Espagnols,  qui  voulaient  s'emparer  de  cette  couronne  :  «  C'est  à 
vous  de  voir,  ajouta-t-il,  si  vous  aimez  mieux  vivre  sous  la  cruelle  domi- 
nation de  ces  étrangers,  que  sous  celle  de  votre  roi  légitime.  Dites-le-moi 
franchement,  et  je  me  retirerai  si  vous  n'êtes  pas  de  mon  avis.  » 

L'évêque  et  les  principaux  de  l'assemblée,  qui  savaient  déjà  où  en 
étaient  les  choses,  le  prièrent  avec  instance  de  ne  point  les  abandonner 
dans  un  moment  aussi  critique,  et  tout  d'une  voix  le  peuple  s'écria  : 
«  Vive  le  roi!  »  Les  choses  se  passèrent  à  peu  près  de  la  même  manière, 
quelques  jours  après,  a  Bourges. 

Le  roi,  pour  rendre  encore  sa  personne  plus  sainte,  et  ôter  tout 
scrupule  aux  peuples,  dans  l'esprit  desquels  la  cérémonie  du  sacre  passe 
pour  une  partie  essentielle  de  la  royauté,  résolut  de  se  faire  sacrer.  La 
ville  de  Reims,  où  nos  rois  recevaient  d'ordinaire  cette  sainte  onction, 
était  encore  au  pouvoir  des  Ligueurs  ;  mais  déjà,  du  temps  de  Louis  le 
Gros,  il  avait  été  prouvé  que  le  lieu  ne  faisait  rien,  et  qu'on  pouvait  très- 
bien  sacrer  les  monarques  français  dans  toute  autre  église  que  dans  celle- 
là.  Cheverny  conseilla  de  choisir  l'église   de  Notre-Dame  de  Chartres, 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  389 

comme  étant  la  plus  ancienne,  la  plus  belle,  la  plus  grande  et  la  plus 
commode  pour  une  pareille  cérémonie,  entre  toutes  celles  dont  on  pou- 
vait disposer  ;  et,  attendu  que  la  sainte  Ampoule  était  dans  l'abbaye  de 
Saint-Remy,  a  Reims,  d'où  il  n'était  pas  facile  de  la  tirer,  on  trouva 
qu'il  y  en  avait  lieureusement  une  autre  dans  l'abbaye  de  Marmoutiers, 
près  Tours,  laquelle  était  bien  plus  ancienne  et  plus  anlbentique  encore 
que  celle  de  Reims,  puiscpie,  suivant  le  dire  du  Révérend  Père  Matbieu 
Giron,  cpii  composa  un  beau  livre  ii  cette  occasion,  elle  était  déjà  connue 
plus  de  cent  douze  ans  avant  Clovis.  «  Un  ange,  dit  ce  saint  reli- 
gieux, l'avait  apportée  du  ciel  exprès  pour  en  frotter  le  glorieux  saint 
Martin,  et  adoucir  les  contusions  qu'il  s'était  faites  en  tombant  du 
baut  d'un  escalier,  ainsi  qu'il  est  constaté  par  Fortunat,  évéque  de 
Poitiers,  par  Paulin,  évêque  de  Noie,  et  par  le  savant  Alcuin,  précepteur 
de  Cbarlemagne.  »  L'ange  avait  négligé  de  remporter  la  précieuse 
bouteille,  et  depuis  ce  temps-la,  elle  était  soigneusement  conservée 
dans  le  trésor  de  l'abbaye  de  Marmoutiers  dont  le  Père  Giron  était  un 
des  saints  religieux,  (il/m.  de  Cheverny,  1594.  —  De  Thou,  t.  XII, 
liv.  108,  p.  127.) 

Sa  Majesté  résolut  donc  d'envoyer  quérir  cette  Ampoule  miraculeuse 
et  de  la  faire  apporter  dignement  a  Chartres,  où  elle  fut  déposée  dans 
l'abbaye  de  Saint-Pierre.  Le  jour  pris  pour  la  cérémonie,  il  fallut  songer 
à  disposer  et  faire  construire  'a  neuf  toutes  les  choses  nécessaires  ;  car 
tout  ce  (|ui  servait  ordinairement  en  de  pareilles  occasions  était  resté  à 
Reims,  et  mémo  les  ornements  royaux  avaient  été  pillés  'a  Saint-Denis 
par  les  Parisiens,  dans  un  moment  où  on  ne  songeait  pas  qu'on  pour- 
rait en  avoir  besoin  pour  sacrer  un  roi.  Mais  le  plus  difliciie,  surtout,  était 
de  pouvoir  faire  trouver  a  Chartres  les  titulaires  des  pairies  ecclésias- 
tiques et  séculières,  et  autres  personnages  nécessaires  en  cette  occasion, 
ceux  qui  pouvaient  avoir  droit  a  ces  nobles  fonctions  étant  pour  la  plu- 
part fort  éloignés  ou  employés  dans  les  provinces  au  service  du  roi; 
heureusement  on  avait  l'exemple  qu'on  pouvait,  en  pareil  cas,  faire  jouer 
le  rôle  d'un  pair  quelconque  par  un  remplaçant.  (Cheverny,  ubi  sup.) 

Une  autre  difliculté  se  présenta  entre  Monsieur  rarchevê(jue  de 
Bourges  et  Monsieur  l'évêquc  de  Chartres;  il  s'agissait  de  savoir  lequel 
des  deux  ferait  le  sacre.  Le  premier  revendiquait  cet  honneur  a  titre  de 
primat  des  Gaules  et  de  grand  aumônier  de  France.  L'autre  soutenait 
(jue  personne,  si  ce  n'est  le  Pape,  n'avait  droit  de  faire  dans  son  église 
aucune  des  fondions  (pii  lui  étaient  dévolues  comme  évéque,  et  il  mena- 
çait d'excommunier  quiconcjue  s'ingérerait  d'empiéter  sur  sa  préroga- 
tive. Ce  (ut  lui  qui  l'emporta. 

Tout  étant  a  la  lin  réglé  et  convenu  avec  la  dignité  requise,  la  cathé- 
drale fut  richement  parée  par  les  soins  du  chancelier  Cheverny  qui 
s'était  chargé  de  tous  ces  détails.  Sur  une  estrade,  a  dix  pieds  de  l'autel, 
était  dressé  le  trône  du  roi,  surmonté  d'un  dais  en  broderie  et  couvert 
d'un  brocard  d'argent  à  lïeurons  rouges.  Le  connétable,  représenté  par 
Matignon,  qu'on  avait  mandé  à  cet  elfet,  et  les  autres  grands  oiriciers  de 


390  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

la  couronne,  également  représentés  du  mieux  qu'on  avait  pu,  avaient 
leurs  places  assignées  derrière  ce  trône.  Vis-a-vis  était  un  grand  banc 
couvert  d'un  riche  tapis,  pour  les  pairs  ecclésiastiques,  et,  derrière  ce 
banc,  il  y  avait  des  sièges  disposés  pour  les  autres  prélats,  ainsi  que  pour 
les  conseillers  d'Etat,  les  présidents  et  conseillers  du  parlement.  Les 
pairs  laïcs  et  les  ambassadeurs  étaient  'a  la  gauche  de  l'autel,  et  au 
même  rang,  les  seigneurs  députés  pour  tenir  le  sceptre,  la  couronne 
et  la  main  de  justice,  quand  le  roi  irait  'a  l'offrande  ou  dans  les  autres 
occasions  de  l'auguste  cérémonie;  puis  venaient  les  chevaliers  du 
Saint-Esprit  et  les  autres  seigneurs  de  la  cour.  {Manuscrit  de  l'église 
de  Chartres.  Cérém.  du  sacre  de  Henri  IV.) 

Le  vingt-septième  jour  de  février,  une  députation  des  principaux- 
seigneurs,  faisant  porter  devant  eux  bannières  et  pennons,  alla  chercher 
la  sainte  Ampoule,  qui  fut  apportée  de  l'abbaye  de  Saint-Pierre  par  ce 
même  Mathieu  Giron,  religieux  de  Marmoutiers,  qui  avait  fait  un  si  beau 
traité  pour  prouver  l'authenticité  de  la  miraculeuse  bouteille.  Le  révérend 
moine  la  tenait  avec  respect  dans  ses  mains;  il  était  monté  sur  une 
haquenée  blanche  couverte  d'une  housse  de  satin  blanc  a  fleurs  de  lis 
d'or,  et  il  s'avançait  modestement  sous  un  dais  de  satin  blanc  porté  par 
quatre  religieux  de  son  ordre.  A  droite  et  'a  gaucbe  marchait  une 
longue  procession  de  religieux,  de  seigneurs  et  de  magistrats,  tenant  au 
poing  des  torches  de  cire  blanche  aux  armes  du  roi  et  de  la  ville. 
L'évêque  de  Chartres,  en  habits  pontificaux  et  l'étole  au  cou,  reçut  'a  la 
porte  de  son  église  la  sainte  Ampoule,  qu'il  jura  de  rendre,  après  la  céré- 
monie faite,  aux  moines  de  Marmoutiers.  Chacun  ayant  ensuite  pris  sa 
place,  selon  son  rang,  deux  ducs  et  pairs  et  deux  pairs  ecclésiastiques, 
les  deux  derniers  portant  de  saintes  reliques  pendues  au  cou,  s'en  allèrent 
avec  croix,  eau  bénite  et  encensoirs,  chercher  le  roi,  qu'ils  trouvèrent 
couché  sur  un  lit  richement  paré. 

Sa  Majesté  était  vêtue  d'une  chemise  de  toile  de  Hollande  fendue 
devant  et  derrière,  d'une  camisole  de  satin  cramoisi  fendue  de  même,  et 
par-dessus  d'une  longue  robe  en  façon  de  manteau  de  nuit;  elle  fut 
ainsi  conduite  a  l'église.  L'a,  elle  fut  présentée  a  l'évêque  de  Chartres  par 
les  évêques  de  Nantes  et  de  Maillezais,  remplissant  le  rôle  de  pairs  ecclé- 
siastiques, et  elle  offrit  sur  l'autel  une  petite  châsse  d'argent  doré  des- 
tinée'a  mettre  des  reliques;  puis  elle  fut  conduite  a  son  trône. 

L'évêque  de  Chartres  alla  lui-même  quérir  la  sainte  Ampoule  au  lieu 
où  il  l'avait  déposée,  et  l'apporta  découverte  sur  le  grand  autel.  Le  roi, 
la  voyant  passer,  se  leva  de  son  fauteuil  par  vénération.  Il  écouta  ensuite 
la  requête  qui  lui  fut  adressée  en  latin,  pour  la  conservation  des  privi- 
lèges du  clergé,  et  il  répondit  dans  la  même  langue  qu'il  les  conserve- 
rait. Il  jura  après  cela  au  peuple,  la  main  sur  l'Evangile  et  en  langage 
français,  qu'il  garderait  fidèlement  les  lois  du  royaume,  «  après  toutefois 
que  les  évêques  officiants  eussent  demandé,  comme  c'était  de  forme,  aux 
assistants,  s'ils  acceptaient  Henri  de  Bourbon  pour  leur  roi.  »  L'acte 
du  serment  que  Sa  Majesté  avait  prêté  fut  délivré  sur  parchemin,  pour 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  391 

demeurer  au  trésor  des  fiires  de  l'évêché  et  aux  archives  de  la  ville  de 
Chartres. 

Les  ornemenis  royaux  lurent  alors  apportés.  Le  roi  fut  conduit  par 
les  prélats  au  pied  de  Taulel,  où  le  premier  gentilhomme  de  la  chamhre 
lui  ô(a  sa  rohe.  Le  chamhcllan  s'approcha  et  lui  chaussa  les  bottines;  le 
prince  de  Conti,  (|ui  représentait  le  duc  de  Bourgogne,  lui  mit  les 
éperons  et  les  lui  ôta  ;  l'évéque  de  Chartres  lui  ceignit  l'épée  royale  et 
la  tira  tout  aussikU  du  fourreau  pour  la  mettre  sur  Laulel,  où  il  la  bénit, 
après  quoi  il  la  rendit  a  Sa  Majesté,  qui  la  donna  au  grand  connétable 
pour  la  porter  nue,  suivant  l'usage,  devant  le  roi  pendant  toute  la 
cérémonie. 

Pour  lors,  révêijue  de  Chartres  tira  de  la  sainte  Ampoule  gros  comme 
un  po'S  d'huile,  (ju'il  mêla  sur  une  assiette  de  vermeil  avec  le  saint 
chrême.  Les  évêques  de  Nantes  et  de  Maillezais  ouvrirent  la  camisole  et 
la  chemise  du  roi,  qui  se  prosterna  à  terre,  pendant  (ju'on  chantait  les 
litanies  des  saints,  et  l'évéque  de  Chartres,  prenant  avec  le  pouce  droit 
une  portion  du  mélange  qu'il  avait  fait  dans  l'assiette  de  vermeil,  en 
sacra  le  roi  sur  le  sommet  de  la  tête,  sur  l'estomac,  sur  le  dos,  sur  les 
deux  épaules  et  aux  jointures  des  deux  bras,  en  faisant  le  signe  de  la 
croix.  Cela  fait,  le  grand  chambellan  revôîit  le  roi,  par-dessus  la  camisole, 
des  trois  vêtemenis  royaux,  de  la  tun((|ue  représentant  le  sous-diacre, 
de  la  dalmaiique  représentant  le  diacre  et  du  manteau  royal  représen- 
tant le  prêtre.  Les  paumes  des  mains  du  roi  furent  ensuite  ointes,  et  on 
lui  donna  les  gants,  l'anneau,  le  sceptre  et  la  main  de  justice,  après  les 
avoir  bénits.  Le  couronnement  se  lit  par  l'évéque  de  Chartres,  qui,  pre- 
nant la  couronne  sur  l'autel,  la  porta  à  deux  mains  au-dessus  de  la  tête 
de  Sa  Majesté,  mais  sans  la  laisser  loucher.  En  même  temps,  les  ducs 
et  pairs  se  levèrent  et  y  portèrent  aussi  leurs  mains  comme  pour  la  sou- 
tenir en  l'air;  puis  l'évéque,  l'ayant  bénite,  il  la  posa  alors  sur  la  tête 
du  roi. 

Toutes  ces  cérémonies  terminées,  ce'ui  qu'on  pouvait  maintenant 
appeler  l'oint  du  Seigneur  fut  conduit  par  l'évéque  de  Chartres  a  un 
autre  trône,  qui  lui  avait  été  préparé  devant  le  pupitre;  la,  se  tenant 
assis,  le  visage  tourné  contre  l'autel.  Monsieur  de  Chartres  lui  fit  une 
profonde  révérence,  et  l'alla  baiser  criant  à  trois  fois  :  «  Vive  le  roi  !  » 
et  ajoutant,  à  la  troisième  fois  :  «  Qu'il  vive  éternellement!  »  Tout  aussi- 
tôt retentit  de  tous  les  côtés  le  même  cri  de  «  Vive  le  roi!  »  au  milieu 
d'un  agréable  concert  de  toutes  sortes  d'instruments  de  musique. 

Pendant  ce  temps,  on  faisait  largesse  au  peuple  avec  des  médailles 
d'or  et  d'argent  frappées  a  l'effigie  du  monanjue.  On  chanta  le  TeDeiim. 
La  messe  fut  ensuite  célébrée  solennellement,  et,  a  l'évangile,  le  roi  se 
tint  debout,  sa  couronne  ôtée  et  mise  sur  un  carreau  devant  lui.  Il  baisa 
le  livre,  qui  lui  fut  apporté  avant  d'être  présenté  au  prélat  officiant.  Il 
alla  'a  l'offrande,  précédé  des  hérauts  d'armes,  et,  au  pied  de  l'autel,  il 
remit  son  sceptre  entre  les  mains  de  Monseigneur  d'O,  et  sa  main  de 
justice  a  Monseigneur   de   Roquelaure,  pour    présenter  lui-même  son 


392  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

offrande,  qui  consistait  en  vin  dans  un  vase  d'or  ciselé,  en  un  pain  d'ar- 
gent sur  un  riche  carreau,  en  un  pain  d'or  sur  un  carreau  pareil,  et  en 
treize  pièces  d'or  a  son  effigie,  avec  cette  devise  :  l7ivia  virtuti  nulla  est 
via  (rien  n'est  impossible  a  la  vertu). 

Le  roi  se  confessa  ensuite,  et  reçut  l'absolution  du  docteur  Benoît, 
son  confesseur  ordinaire  ;  puis,  sa  couronne  lui  ayant  été  ôtée  par  le 
prince  de  Conti,  il  vint  dire  son  Confiteor  au  bas  de  l'autel,  où  il  reçut 
la  bénédiction  de  l'officiant  et  la  communion  sous  les  deux  espèces.  Sa 
Majesté  retourna  ensuite  en  son  logis  où  il  y  eut  festin  royal  ;  et  le  lende- 
main, après  vêpres,  elle  reçut  le  collier  de  l'ordre  du  Saint-Esprit,  par  les 
mains  du  même  seigneur  évêque  qui  l'avait  sacrée,  et  elle  prononça  le 
serment  de  l'ordre  dans  les  termes  ordinaires. 

Le  roi,  après  toutes  ces  cérémonies,  revint  incontinent  a  Saint-Denis, 
où  le  rappelait  l'affaire  de  la  réduction  de  Paris,  qui  était  alors  en  meil- 
leur train  que  jamais.  Le  duc  de  Mayenne,  quelque  bonne  contenance 
qu'il  s'efforçât  de  faire,  sentait  déjà  qu'un  plus  long  séjour  dans  la 
capitale  n'était  pas  trop  sur  pour  lui,  et  méditait  de  se  retirer  pour  se 
mettre  au  moins  à  l'abri  des  premiers  coups  de  la  tempête  qu'il  n'était 
pas  difficile  de  prévoir.  <!f  Les  Parisiens,  dit-il,  dans  une  lettre  qui  fut 
interceptée,  et  qu'il  écrivait  quelques  jours  avant  les  derniers  troubles 
de  la  ville,  souffrent  leur  mal  avec  une  espèce  de  résignation,  les  uns 
dans  l'espérance  d'une  paix  prochaine,  les  autres  dans  l'attente  des 
grandes  forces  que  leur  promet  l'Espagne  ;  mais  si  ces  deux  choses 
viennent  'a  manquer,  il  n'y  a  plus  que  les  fers  et  les  chaînes  qui  pour- 
ront les  retenir  comme  forçats.  » 

Pour  motiver  son  départ,  il  eut  soin  d'annoncer  que  l'objet  de  son 
voyage  était  d'aller  joindre  le  comte  Charles  de  Mansfeld  qui  avait  réuni 
ses  forces  sur  les  frontières  de  Picardie  et  de  Thiérache,  afin  qu'au 
printemps  prochain,  ils  pussent  entrer  ensemble  en  campagne,  avec  une 
armée  en  état  d'empêcher  le  Béarnais  de  rien  entreprendre  sur  Paris. 
Puis  il  quitta  cette  capitale  malgré  tout  ce  que  put  lui  dire  la  duchesse  de 
Nemours,  sa  mère,  qui  l'exhortait  'a  faire  plutôt  sa  paix  avec  le  roi.  «  Je 
prévois,  lui  disait-elle,  que  si  vous  sortez  une  fois  de  cette  grande  ville, 
vous  la  perdrez  sans  retour,  et  vous  vous  ôterez  par  suite  les  moyens 
de  traiter 'a  des  conditions  avantageuses  pour  vous  et  les  vôtres.  Je  sais 
qu'on  trame  déjà  le  projet  de  livrer  Paris,  après  votre  départ.  —  Qui 
peut  avoir  une  semblable  intention  ?  dit  Mayenne.  —  Ceux  qui  peuvent 
l'exécuter,  répondit  la  duchesse,  ceux-l'a  même  en  qui  vous  avez  le  plus 
de  confiance.  »  Le  duc  la  supplia  de  les  nommer,  et  la  duchesse  lui  dé- 
clara alors  qu'elle  avait  tout  lieu  de  soupçonner  Brissac.  Mayenne  alla 
sur-le-champ  trouver  celui-ci  et  lui  fit  part  du  soupçon  qu'on  avait  voulu 
faire  planer  sur  sa  fidélité.  Brissac  protesta  fortement  de  son  innocence, 
et  le  duc  partit  en  lui  recommandant  de  veiller  soigneusement  a  la  con- 
servation d'une  ville  dont  il  lui  confiait  la  garde  ;  il  eut  soin  d'emmener 
avec  lui  sa  femme  et  ses  enfants,  bien  que  dans  l'assemblée  des  capi- 
taines de  quartier,  tenue  la  veille  au  soir  dans  le  couvent  des  Carmes,  il 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  393 

eût  promis  de  les  laisser  a  Paris,  comme  gage  de  son  prompt  retour. 
(De  Tnou,  t.  XII,  liv.  109,  p.  151). 

Or,  Brissac  avait  pour  beau-frère  M.  de  Saint-Luc  qui  était  pour  lors 
a  la  cour  de  Henri  IV.  Par  le  commandement  du  roi,  ce  dernier  cherclia 
une  occasion  de  parler  au  comte,  et  il  en  trouva  une  toute  naturelle, 
dans  certains  partages  qu'ils  avaient  a  régler  ensemble.  Les  deux  beaux- 
frères  convinrent  de  se  rencontrer  a  cet  efifet  dans  un  endroit  proche 
Paris,  pour  vider  leurs  différends.  Ce  fut  la  que  Saint-Luc  communiqua 
en  particulier  a  Brissac  la  véritable  cause  (|ui  lui  avait  fait  demander 
cette  entrevue  ;  il  lui  lit  part  des  ollVes  du  roi  et  il  obtint  de  lui  la  pro- 
messe qu'il  rendrait  a  Sa  Majesté  tous  les  services  dont  il  était  capable; 
puis  tous  les  deux,  feignant  de  n'avoir  pu  tomber  d'accord  sur  leurs  par- 
tages, se  retirèrent  chacun  de  son  côté,  en  apparence  assez  mécon- 
tents l'un  de  l'autre.  Mais  le  président  Le  Maître,  le  conseiller  Mole,  le 
prévôt  des  marchands,  L'iluillier  et  quelques  autres,  déjà  gagnés  au 
parti  du  roi,  reçurent  de  la  cour  l'ordre  de  s'entendre  secrètement  avec 
Brissac  sur  les  moyens  de  réduire  Paris  en  l'obéissance  de  Sa  Majesté. 
Pendant  ce  temps,  pour  qu'il  plût  'a  Dieu  d'envoyer  un  bon  secours  et 
une  favorable  assistance  aux  bons  Parisiens,  M.  le  Légat  et  le  Parlement 
de  Paris  ordonnèrent  pour  le  jeudi  de  la  mi-carême  une  belle  proces- 
sion, dans  laquelle  on  promena  la  châsse  de  M'"'  sainte  Geneviève, 
patronne  de  la  grande  ville.  Le  prédicateur  Jean  (iuarinus  j)ronon(;a  'a 
cette  occasion  un  sermon  virulent.  «  Le  temps  est  venu  où  les  fidèles 
doivent  traiter  comme  ils  le  méritent  ces  gueux  de  politiques.  Ils 
disent  aujourd'hui  (]u'ils  ont  de  leur  côté  le  nombre  et  la  force;  nous, 
nous  avons  pour  nous  la  justice  cpii  nous  fera  triompher.  Aux  armes, 
citoyens  !  et  sans  pitié  faisons  main  basse  sur  ces  scélérats  dignes  du 
dernier  supplice.  »   (Cwet,  ubi  stipra.  —  Df.  Tiior,  iibi  supra,  p.   loi.) 

En  effet,  le  bruit  courut  que  les  Ligueurs  et  la  garnison  es|)agnole 
avaient  résolu  de  courir  aux  armes  comme  les  y  invitait  le  prédicateur 
Guarinus,  de  mettre  a  mort  les  i)rincii)aux  d'entre  les  politiques  et  de 
piller  Paris.  D'autre  part,  les  Ligueurs  disaient  (jue  c'étaient  les  poli- 
tiques (pii  voulaient  les  exterminer,  et  tout  le  monde  fut  en  grande 
transe  pendant  deux  jours.  (Cavi-t,  nbi  snpra.) 

Alors  Brissac,  jugeant  le  moment  favorable,  lit  avertir  le  roi  (pi'il 
ferait  pendant  la  nuit  enlever  tout  doucement  les  terres  (pii  bouchaient 
par  derrière  la  Porte  Neuve  ;  (pi'avec  ses  amis,  il  se  saisirait  de  cette 
porte,  et  de  celles  de  Saint-llonoré,  de  Saint-Denis  et  de  Saint-Martin, 
en  y  mettant  des  corps  de  garde  à  sa  dévotion  ;  que  le  roi  n'avait  alors 
qu'à  se  présenter  d'abord  a  la  Porte  Neuve,  «pii  n'ollVirait  aucune  résis- 
tance, et  qu'ensuite  les  premiers  entrés,  courant  le  long  des  remparts, 
iraient  aider  'a  déboucher  les  autres  portes  également  terrassées  ;  qu'on 
prendrait  pour  point  de  ralliement  la  grande  rue  Saint-Denis  par 
laquelle  les  troupes  royales  descendraient  dans  Paris,  coupant  ainsi  la 
communication  de  la  garnison  espagnole,  qui  avait  ses  corps  de  garde  'a 
la  pointe  Saint-Eustache,  avec  les  Wallons,  (|ui  tenaient  le  quartier  du 


394  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Temple  ;  qu'au  même  moment,  le  capitaine  Jean  Grossier  serait  au  bou- 
levard des  Célestins  avec  nombre  de  bourgeois  et  de  bateliers,  pour 
décadenasser  les  chaînes  tendues  sur  la  Seine,  et  faciliter  l'entrée  aux 
garnisons  de  Melun  et  de  Corbeil,  qui  descendaient  de  ce  côlé-la  par 
bateau  ;  quant  aux  autres  quartiers  de  la  ville,  les  royalistes  qui  les 
habitaient  commenceraient,  a  un  signal  donné,  par  se  saisir  a  l'improviste 
des  points  les  plus  importants  et  les  mieux  fortifiés. 

Le  roi  approuva  ce  plan,  et  indiqua  le  vingt-deuxième  jour  de  mars 
avant  le  lever  du  soleil  pour  le  moment  de  l'exécution.  Il  partit  lui- 
même  la  veille  au  soir,  avec  quatre  à  cinq  mille  hommes,  tant  de  pied 
que  de  cheval,  et  se  rapprocha  de  Paris.  Ce  même  jour,  Brissac,  qui  dési- 
rait diminuer  le  plus  possible  les  forces  auxquelles  les  royalistes  allaient 
avoir  affaire,  dit  au  capitaine  Jacques  Ferrarois,  forcené  Ligueur  et  qui 
eût  pu  donner  de  l'embarras,  qu'il  avait  eu  avis  du  voyage  d'un  gros  con- 
voi d'argent  qu'on  menait  au  roi  ;  que  ce  convoi  avait  passé  vers  Palai- 
seau  et  devait  traverser  la  rivière  au  bac  de  Rueil.  «  Ce  serait  un  beau 
coup,  dil-il,  capitaine,  si  vous  alliez  leur  prendre  cette  riche  proie.  » 
Le  capitaine,  alléché  par  l'appât  d'un  semblable  butin,  monta  tout  aussi- 
tôt à  cheval  avec  tous  les  siens  et  sortit  par  la  porte  Saint-Jacques,  qui, 
par  l'ordre  du  gouverneur,  fut  aussitôt  refermée  sur  lui,  lui  laissant 
la  liberté  de  courir  toute  la  nuit  la  campagne. 

De  plus,  vers  le  soir,  on  avait  fait  entrer  bon  nombre  de  gens  de 
guerre  qui  se  disaient  soldats  de  l'Union,  et  qu'on  logea  dans  les  diffé- 
rents quartiers  chez  les  bourgeois  affidés  pour  s'en  servir  aisément.  On 
répandit  également  le  bruit  que  le  duc  de  Mayenne  venait  de  faire  son 
traité  avec  le  roi,  et  sous  ce  prétexte,  on  fit  prendre  les  armes  'a  ceux 
de  la  garde  civique,  sur  lesquels  on  pouvait  compter,  pour  empêcher, 
disait-on,  le  désordre  qu'une  pareille  nouvelle  ne  manquerait  pas  de 
causer  dans  la  capitale. 

De  leur  côté,  les  Ligueurs  ne  parurent  plus  dans  la  ville  en  habits 
bourgeois,  mais  tous  armés  de  pied  en  cap  et  la  mine  menaçante  ;  on 
les  voyait  se  promener  dans  les  rues,  tantôt  en  donnant  des  défis  aux 
politiques,  tantôt  en  leur  promettant  une  nouvelle  Saint-Barthélémy. 
{Journal  de  Henri  IV,  t.  I,  p.  480  et  seq.) 

Cependant  le  duc  de  Féria  et  don  Diego  d'Ibarra  furent  avertis  qu'il 
y  aurait  sur  l'heure  de  minuit  une  entreprise  sur  la  ville.  Quelques-uns 
(le  ceux  qui  étaient  du  complot  prévinrent  même  charitablement  ceux 
de  leurs  voisins  dont  ils  connaissaient  les  opinions  ligueuses  qu'ils 
eussent  'a  se  tenir  cois  en  leurs  maisons,  s'ils  entendaient  du  bruit  'a 
cette  heure-la.  Ces  avertissements  émurent  tellement  Féria  et  Ibarra 
qu'ils  firent  venir  le  comte  de  Brissac  et  lui  enjoignirent  de  se  tenir  sur 
ses  gardes.  (Legrain,  Décad.,  liv.  6,  p.  276  et  seq.) 

Il  répondit  qu'il  ne  pouvait  croire  'a  la  réalité  d'un  pareil  danger, 
pour  le  moment,  mais  que  toutefois,  pour  ne  rien  négliger,  il  allait  faire 
lui-même  la  ronde  sur  les  murailles.  Comme  on  avait  déjà  quelques 
soupçons  sur  son  compte,  les  ambassadeurs  voulurent  qu'il  emmenât 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  395 

avec  lui  plusieurs  officiers  espagnols,  qu'ils  lui  donnèrent  pour  l'accom- 
pagner, et  secrètement  ils  chargèrent  ceux-ci  de  le  tuer  au  premier 
bruit  suspect  qu'ils  entendraient. 

La  nuit  était  froide  et  pluvieuse,  le  comte  fit  tranquillement  sa  ronde 
avec  ces  dangereux  acolytes,  et  comme  il  avait  prévu  le  coup,  on  n'en- 
tendit pas  le  moindre  bruit.  Il  les  reconduisit  trempés  d'eau  et  glacés, 
sur  les  deuxbeures  du  matin,  a  l'bôlel  de  l'ambassade  où  il  fit  son  rap- 
port. «  C'était,  dit-il  froidement,  ainsi  que  je  l'avais  bien  prévu,  des  pro- 
pos de  femmelettes;  vos  seigneuries  peuvent  dormir  tran(|uilles.  » 

Les  Ligueurs  de  la  ville  avaient  aussi  passé  la  nuit  'a  veiller  et  à  faire 
des  rondes.  Voyant  l'heure  indiquée  comme  celle  du  danger  écoulée 
depuis  longtemps,  sans  (jue  rien  eût  bougé,  ils  sentirent  aussi  le  besoin 
de  se  retirer  pour  se  sécher  et  se  réchauffer  dans  leurs  lits.  Vers  les 
trois  heures  du  matin,  il  n'y  avait  plus  personne,  dans  les  rues  ni  dans 
les  corps  de  garde,  autres  que  ceux  qui  avaient  été  commandés  i)Our  le 
service  de  cette  nuit,  et  qui,  conime  on  sait,  étaient  tous  dans  le  com- 
plot. 

Alors  les  royalistes  se  rendirent  silencieusement,  chacun  au  poste 
(pii  lui  avait  été  indiqué  ;  Brissac  plaça  à  la  porte  de  rhôlel  du  duc  de 
Féria  un  fort  corps  de  garde,  avec  ordre  défaire  feu  sur  quiconque  ten- 
terait d'en  sortir.  Lui-même  et  le  prévôt  des  marchands  coururent  'a  la 
Porte-Neuve,  où  le  roi  devait  d'abord  entrer,  etl'échevin  Langlais  se  tint 
à  la  porte  Saint-Denis. 

Il  était  déjà  quatre  heures  du  matin,  et  personne  ne  paraissait  encore. 
Langlais,  ne  pouvant  résister  a  son  inquiétude,  lit  abaisser  la  bascule, 
sortit  dans  la  campagne  et  rentra  sans  avoir  rien  découvert.  Il  sortit  de 
rechef,  et  cette  fois  il  rencontra  Vitry  qui  avait  ordre  de  Sa  Majesté 
d'entrer  par  cette  porte,  et  il  s'empressa  de  la  lui  faire  ouvrir. 

Au  même  instant,  le  roi  était  près  des  Tuileries.  Au  moment  où  la 
cloche  des  capucins  sonnait  l'angelus  du  point  du  jour,  il  commanda  à 
M.  d'O  de  s'adresser  a  la  Porte-Neuve.  Aussitôt,  le  pont-levis  de  cette 
porte  tomba.  D'O  et  sa  compagnie,  qui  étaient  "a  pied,  ne  donnèrent  pas 
le  temps  qu'on  leur  ouvrit  la  barrière  ;  ils  sautèrent  par-dessus,  tour- 
nèrent à  gauche  vers  la  porte  Saint-llonoré,  qu'ils  ouvrirent  à  ceux  de 
leurs  compagnons  qui  devaient  entrer  par  la,  et  eurent  surtout  grand 
soin  de  retourner  contre  la  ville  les  canons  des  remparts,  de  manière  h 
pouvoir  les  tirer  le  long  des  grandes  rues  et  les  balayer  au  besoin  avec 
la  mitraille. 

Cependant  un  autre  détachement  des  troupes  royales,  à  la  tète  duquel 
était  Matignon,  s'était  acheminé  le  long  de  l'école  Saint-Germain.  Quel- 
ques lans(|uenets  qui  étaient  dans  un  corps-de-garde  voisin  voulurent 
d'abord  opposer  de  la  résistance  ;  mais  ils  furent  incontinent  taillés  en 
pièces  ou  jetés  a  l'eau  ;  ])uis,  sans  s'arrêter  plus  longtemps,  les  royaux 
coururent  se  saisir  du  palais  et  de  toutes  les  avenues  des  |)onts. 

Aussitôt  que  le  roi  parut  a  la   Porle  Neuve,  Brissac  lui  présenta  une 
belle  écbarpe  en  broderie,  et  Henri,  l'accolant  gracieusement,  l'honora  du 


396  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

litre  de  Maréchal  de  France,  lui  passant  au  cou  l'écharpe  blanche  qu'il 
portait  lui-même  ce  jour-la.  Le  prévôt  L'huillier  présenta  aussi  sur  un 
plat  d'argent  les  clefs  de  la  ville,  que  Sa  Majesté  reçut  avec  grand  conten- 
tement, et  ledit  sieur  prévôt  en  eut  peu  après  pour  récompense  la  charge 
de  président  en  la  Chambre  des  Comptes.  (Mézerav,  t.  111,  p.  1081.) 

V^itry  descendait  alors  par  la  rue  Saint-Denis,  après  avoir  culbuté 
quelques  Espagnols  qui  s'étaient  postés  non  loin  de  cette  porte  ;  il  vint 
se  joindre  a  ceux  des  troupes  royales  que  commandait  Matignon,  et  qui 
s'étaient  déjà  saisies  du  grand  Châtelet.  Le  petit  Châtelet,  de  l'autre  côté 
de  la  Seine,  était  également  pris  par  les  bourgeois  royalistes.  (Cayet, 
ubi  supra.) 

Les  Wallons  et  les  autres  troupes  espagnoles  avaient  d'abord  fait 
contenance  de  sortir  en  armes  de  leurs  quartiers,  et  de  venir  au  moins 
disputer  la  ville  a  ceux  qui  s'en  emparaient  si  rapidement.  Mais  en  enten- 
dant la  retentissante  voix  du  peuple  crier  partout  :  Vive  le  roi  !  vive  la 
paix  !  en  apprenant  presque  au  même  moment  que  Sa  Majesté  était  déjà 
maîtresse  du  Louvre,  que  le  palais  était  pris,  que  les  principaux  points  et 
lieux  de  défense  étaient  dans  tous  les  quartiers  au  pouvoir  des  royalistes, 
le  découragement  les  prit,  et  ils  restèrent  tristement  l'arme  au  bras. 

Le  roi  s'avançait  alors  par  la  rue  Saint-llonoré,  tout  étonné  de  se  voir 
enlin  dans  cette  grande  ville,  au  milieu  d'une  population  si  nombreuse  et 
qui  donnait  partout  des  marques  d'un  vif  enthousiasme.  Ayant  avisé  un 
de  ses  soldats  qui  prenait  par  force  du  pain  sur  la  boutique  d'un  boulan- 
ger, il  y  courut  lui-même,  et  voulait  tuer  ce  voleur.  Passant  de  la  devant 
les  Innocents,  'a  la  fenêtre  d'une  maison  qui  fait  le  coin,  il  aperçut  un 
homme  qui,  sans  se  découvrir,  le  regardait  lièrement,  et  qui  ne  se  retira, 
en  fermant  la  fenêtre,  que  quand  il  entendit  la  foule  murmurer  contre 
son  audacieuse  impertinence.  Sa  Majesté  n'en  lit  que  rire  et  défendit 
expressément  a  ceux  des  siens  qui  s'indignaient  d'entrer  dans  la 
maison  pour  y  fâcher  ou  molester  qui  que  ce  soit.  {Journal  de  Henri  IV, 
t.  Il,  p.  2  et  seq.) 

Se  dirigeant  ensuite  vers  le  Louvre  et  entendant  toute  cette  foule 
empressée  crier  si  allègrement  :  Vive  le  roi  !  «  Je  vois  bien,  dit-il  tout 
haut,  qu'il  a  fallu  que  ce  pauvre  peuple  ait  été  cruellement  tyranisé, 
pour  avoir  été  aussi  longtemps  empêché  de  se  donner  a  moi,  comme  il 
s'y  donne  aujourd'hui  d'aussi  bon  cœur.  »  El  comme  ses  capitaines  des 
gardes  voulaient  faire  retirer  ceux  qui  s'approchaient  trop  de  sa  personne, 
et  qui  encombraient  le  passage  :  «  Laissez-les  approcher,  s'écria-t-il 
joyeusement,  ce  sont  mes  enfants,  et  j'aime  mieux  avoir  un  peu  plus  de 
peine  'a  arriver,  et  qu'ils  me  voient  tout  'a  leur  aise.  Ne  comprenez-vous 
pas  qu'ils  sont  affamés  de  voir  un  roi  ?  » 

Dès  qu'il  eut  mis  pied  à  terre,  comme  premier  acte  de  l'autorité 
qu'il  venait  de  reconquérir  dans  sa  capitale,  il  envoya  sommer  le  duc 
(le  Féria  de  lui  renvoyer  le  capitaine  Saint-Quentin,  colonel  des  Wallons, 
qui,  disait-on,  venait  d'être  condamné  'a  être  pendu,  et  qui  ce  jour  même, 
dans  l'après-midi,  devait  subir  son  supplice,  pour  avoir  eu  des  relations 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  397 

avec  les  royalistes  et  avoir  voulu  se  rendre  du  parti  du  roi.  Le  duc  le 
rendit  incontinent  ;  et  en  retour,  Sa  Majesté  fit  dire  a  Sa  Seigneurie 
qu'on  lui  donnerait  un  sauf-conduit  ainsi  (|u'à  la  garnison  étrangère, 
pour  se  retirer  en  Flandre,  a  condition  qu'il  ne  serait  plus  l'ait  aucune 
tentative,  pour  prolonger  une  lutte  ne  pouvant  désormais  être  que  san- 
glante sans  servir  aucun  parti. 

Le  duc  de  Féria  et  don  Ibarra,  acceptèrent  cette  proposition  avec 
empressement,  et  à  l'instant  même  eux  et  la  garnison  firent  leurs  prépa- 
ratifs pour  sortir  sans  retard  d'une  ville  où  ils  comprenaient  bien  qu'il 
n'y  avait  plus  sûreté  pour  eux  a  demeurer,  attendu  la  tournure  que 
prenaient  les  choses. 

Le  roi,  voyant  alors  qu'il  n'y  avait  plus  rien  à  craindre  de  ce  côté,  se 
lit  désarmer  et  ôter  son  casque,  puis  il  commanda  a  un  de  ses  gentils- 
hommes d'aller  'a  Notre-Dame  et  d'y  annoncer  qu'il  désirait  y  ouïr  la 
messe,  et  rendre  grâces  a  Dieu  de  ce  grand  succès.  Et  tout  aussitôt,  il 
remonta  a  cheval  et  s'avança  vers  la  sainte  basilique,  accompagné  des 
seigneurs  de  sa  cour,  entouré  d'une  foule  innombrable  qui  criait  joyeu- 
sement :  «  Vive  le  roi  !  »  et  précédé  de  six  cents  hommes  armés  de 
toutes  i)ièces,  maintenant  leurs  piques  derrière  eux  en  signe  de  victoire 
volontaire.  11  descendit  de  cheval  a  la  porte  de  l'église,  où,  en  l'absence 
de  l'archevêque  exilé  par  les  Ligueurs,  il  fut  reçu  par  messire  de  Dreux, 
l'un  des  archidiacres,  assisté  de  tous  les  ecclésiastiques  (pii  se  trouvaient 
encore  a  Paris.  L'archidiacre,  tenant  un  crucifix  en  main  et  s'agenouil- 
lant,  dit  :  «  Sire,  vous  devez  en  efl'et  louer  et  remercier  Dieu  qui  vous 
a  toujours  conservé  l'honneur,  et  (jui  vous  rend  aujourd'hui  votre  héri- 
tage légitime.  Mais  vous  devez  aussi,  à  l'imitation  de  Notre  Seigneur 
Jésus-Cbrist,  dont  vous  voyez  entre  mes  mains  l'image  et  portrait,  par- 
donner a  votre  peuple  et  en  avoir  soin,  comme  il  a  lui-même  eu  soin  de 
son  troupeau,  afin  qu'étant  bon  roi  par  la  grâce  de  Dieu,  vous  i)uissiez 
avoir  un  bon  peuple.  » 

Sa  Majesté  répondit  :  «  Oui,  je  remercie  Dieu,  du  bien  qu'il  m'a  fait, 
([uoi(ju'indigne,  mais  principalement  de  ce  qu'il  a  daigné  me  convenir 
a  la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine,  la  seule  vraie  et  en 
laquelle  je  proteste,  moyennant  son  aide,  vivre  et  mourir.  Quant  aux 
soins  et  a  la  défense  que  je  dois  a  mon  peuple,  j'y  emploierai  jus(|u"a 
la  dernière  goutte  de  mon  sang  et  a  mon  dernier  souflle  de  vie  :  ce  dont 
j'appelle  Dieu  et  la  Vierge  a  témoin.  » 

Le  roi  baisa  ensuite  le  crucifix,  entra  dans  le  chœur  et  vint  s'agenouil- 
ler au  pied  du  maître  autel,  où,  s'étant  signé,  il  fit  d'abord  ses  prières  ; 
puis  lui  fut  dite  une  messe  basse,  pendant  qu'on  chantait  le  Te  Deum  en 
musique,  et  sa  piété  était  si  profonde,  «  (]uc  plusieurs  des  regardants 
ont  affirmé  qu'ils  avaient  vu  un  ange  auprès  de  lui,  sous  la  forme  d'un 
bel  enfant  qui  disparut,  sans  qu'on  ait  pu  voir  comment,  quand  la  messe 
fut  finie.  »   (Cavkt,  ubi  supra.) 

Pendant  (jue  le  roi  faisait  ainsi  ses  dévotions,  Brissac,  le  prévôt  des 
marchands  et  l'échevin  Langlais,  accompagnés  de  hérauts  d'armes  et  de 


398  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

trompettes,  s'en  allaient  par  les  divers  quartiers  de  la  grande  ville, 
annonçant  de  rue  en  rue  que  le  roi  faisait  grâce  et  pardon  a  tous,  sans 
exception,  et  ils  distribuaient  a  profusion  des  écliarpes  blanches  et 
semaient  partout  des  billets  qui  avaient  été  imprimés  dès  la  veille  a 
Saint-Denis,  et  dont  la  teneur  était  telle  :  «  De  par  le  roi  :  Sa  Majesté, 
désirant  réunir  tous  ses  sujets,  et  les  faire  vivre  en  harmonie  et  félicité, 
notamment  les  habitants  de  sa  bonne  ville  de  Paris,  veut  et  entend  que 
toute  chose  passée  depuis  le  commencement  de  ces  malheureux  troubles 
soit  oubliée  ;  défend  a  tous  ses  gens  de  justice  défaire  aucune  recherche, 
même  contre  ceux  qu'on  appelait  vulgairement  les  Seize,  promettant  sa 
dite  Majesté  de  pardonner  à  tous  et  de  conserver  a  chacun  tous  ses 
biens,  privilèges  et  états  ;  comme  aussi  elle  jure  solennellement  de  vivre 
et  mourir  dans  notre  sainte  religion  catholique,  apostolique  et 
romaine.  » 

Pendant  que  Ton  se  passait  ces  billets  de  main  en  main  et  que 
chaque  bonne  âme  bénissait  Dieu,  le  bruit  se  répandait  en  même  temps 
que  le  premier  soin  du  roi  avait  été  de  courir  a  Notre-Dame,  où  il  faisait 
actuellement  ses  dévotions  avec  une  piété  exemplaire.  Le  son  de  toutes 
les  cloches  de  la  cathédrale  que  l'on  avait  mises  en  branle,  et  l'enthou- 
siasme des  fidèles  portèrent  cette  nouvelle  dans  les  quartiers  les  plus 
reculés,  et  il  accourut  sur  la  place  du  parvis  une  foule  si  nombreuse  que 
la  place  elle-même,  et  toutes  les  rues  qui  y  aboutissent,  n'étaient  plus 
assez  grandes  pour  contenir  cette  multitude  qui  criait  :  «  Vive  le  roi,  » 
avec  un  bruit  presque  aussi  retentissant  que  le  tonnerre. 

Quelques-uns  des  plus  forcenés  Ligueurs,  comptant  encore  sur  leur 
ancienne  influence,  voulurent  alors  se  mettre  en  armes.  Hamilton,  curé 
de  Saint-Côme,  sortit  de  son  logis  comme  un  furieux,  portant  une 
longue  pertuisane  et  se  faisant  suivre  de  deux  ou  trois  de  ses  plus 
dévots  paroissiens,  qu'il  avait  longuement  prêches  et  endoctrinés  pour 
les  décider  â  s'armer  comme  lui.  Son  intention  était  d'aller  prêter  main- 
forte  au  brave  Crucé  ;  mais  il  fut  rencontré  près  l'hôtel  de  Cluny  par  le 
conseiller  Du  Vair,  lequel  lui  mit  en  main  un  de  ces  billets  imprimés, 
portant  pardon  général  même  pour  les  Seize,  et  lui  dit  que  s'il  passait 
outre,  il  allait  se  faire  mettre  en  pièces  par  la  populace.  «  Ce  que  vous 
avez  à  faire  de  mieux,  ajouta  le  bon  conseiller,  c'est,  messire,  de 
retourner  bien  vite  â  votre  église,  et  d'y  faire  chanter  un  beau  Te  Deum, 
pour  rendre  grâces  a  Dieu  de  la  réduction  de  Paris  en  l'obéissance  de 
son  roi.  »  Le  belliqueux  curé,  tout  déconcerté,  s'en  alla  poser  ses 
armes  et  on  ne  le  vit  plus  depuis.  {Journal  de  Henri  IV,  t.  1er, 
p.  486.) 

Quelques-uns,  du  côté  de  la  porte  Saint-Jacques,  s'étaient  aussi 
armés.  C'étaient  surtout  ceux  qui  avaient  fait  les  écriteaux  qu'on  avait 
attachés  au  cou  du  président  Brisson  et  de  ses  malheureux  compagnons, 
et  qui  avaient  conduit  les  cadavres  a  la  place  de  Grève,  après  que  les 
Seize  les  eurent  fait  prendre  au  Châtelet;  mais  quoiqu'il  y  eût  dans  ce 
quartier  un  grand  nombre  de  gens  qui  recevaient  au  moins  un  minot 


J 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  399 

(le  blé  par  semaine  des  Espagnols,  toutes  les  instances  de  leurs  chefs  ne 
purent  les  décider.  Le  son  des  cloches  de  Notre-Dame  et  la  nouvelle  que 
le  roi  y  entendait  la  messe,  aHirèrenl  aussi  tous  les  habitants  de  ce 
quartier  sur  la  place  du  parvis,  où  ils  ne  lurent  pas  des  derniers  à 
crier  :  «  Vive  le  roi  !  » 

Au  carrefour  Saint-Yves,  il  y  avait  un  serrurier  (jui  sortit  de  chez  lui 
avec  un  mousquet,  et  ayant  réuni  quelques-uns  de  ses  amis  et  voisins, 
il  se  préparait  a  faire  une  barricade  au  coin  du  couvent  des  Malhurins. 
Le  prieur  se  montra  revêtu  de  ses  habits  de  chœur.  «  Je  vous  délends, 
dit-il,  de  rien  remuer  ici,  parce  que  ces  maisons-la  appariiennenl  a  notre 
saint  couvent,  et  le  premier  qui  touchera  a  un  seul  pavé  peut  se  tenir 
sûr  d'être  pendu.  »  La  fermeté  de  ce  vénérable  religieux  les  fit  retirer  ; 
et  le  serrurier  criant  :  «  Nous  sommes  vendus  !  »  rompit  de  désespoir 
son  mousquet  et  le  mit,  devant  tout  le  monde,  eu  une  infinité  de 
pièces. 

A  rinstant  même,  passait  dans  celte  rue  un  héraut  d'armes,  vêtu 
d'une  casaque  de  velours  violel,  semée  de  Heurs  de  lys  d'or.  Il  se  fai- 
sait précéder  de  dix  ou  douze  irompelies  sonnant  devant  lui,  et  il  était 
suivi  d'une  grosse  troupe  d'hommes  et  de  petits  enfants,  s'évertuant  'a 
qui  mieux  mieux  a  crier  :  «  Vive  le  roi  !  »  Le  héraut  fit  halle  îi  ce  même 
carrefour  et  lut  tout  haut  l'un  de  ces  billets  qui  promettaient  pardon 
pour  tous;  puis  il  se  mit  a  en  distribuer  avec  profusion  des  e\emplaires 
a  la  foule.  Un  (piincaillier  du  voisinage  voulut  le  tuer  et  le  coucha  en 
joue,  du  haut  de  sa  fenôlre,  avec  une  longue  arquebuse,  mais  l'arme  rata 
par  trois  fois,  ce  qui  élait  une  grâce  spéciale  de  Dieu,  car  le  héraut  était 
gros  et  puissant,  et  olïVait  un  large  point  de  mire. 

Cependant  Crucé  avait  envoyé  avertir  les  factieux  de  son  quartier  de 
venir  se  joindre  a  lui.  Il  parvint  'a  en  rassembler  dix  ou  douze,  et,  laper- 
tuisane  au  poing,  il  monta  avec  eux  vers  la  porie  Saint-Jacques,  dans 
l'intention  de  se  saisir  de  cette  porle.  Mais  il  fut  rencontré  par  Brissac, 
auprès  de  la  rue  Saint-Etienne  des  Grés,  lequel  lui  remit  quelques-uns 
des  billets  imprimés  qu'il  accompagna  de  force  bonnes  paroles,  et  Crucé 
et  les  siens  se  retirèrent  chacun  chez  soi.  Ainsi  fut  pacifié  tout  le  quar- 
tier de  l'Université. 

De  son  côté,  M.  de  Saint-Luc,  après  avoir  rangé  en  bataille,  dans  tous 
les  lieux  qu'il  crut  nécessaires  d'occuper,  les  troupes  qui  étaient  entrées 
dans  la  ville,  alla  trouver  de  la  part  de  Sa  Majesté  les  cardinaux  de 
Plaisance  et  de  Pellevé,  et  les  duchesses  de  Nemours  et  de  Monlpen- 
sier.  Il  assura  a  chacun  de  ces  personnages  qu'il  ne  leur  serait  fait  ni 
disgrâce,  ni  déplaisir,  et  qu'ils  pouvaient  demeurer  sans  inquiétude  en 
leurs  hôtels,  pour  la  conservation  et  la  garde  desquels  il  leur  donna  des 
archers  de  la  garde  du  roi,  ajoutant  que  c'était  plutôt  pour  leur  tran- 
quilliser l'esprit  que  par  besoin  qu'il  prenait  cette  mesure,  puisque  Sa 
Majesté,  avant  son  entrée  dans  sa  capitale,  avait  exigé  de  chaque  capitaine 
le  serment  de  ne  faire  tort  quelconque,  sinon  â  ceux  qui  se  raidiraient 
à  quelque  opiniâtre  résistance. 


400  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Madame  de  Nemours,  bien  que  déconfortée,  rendit  humblement  grâce 
3  la  clémence  de  Sa  Majesté  et  en  dit  un  grand  merci  bien  bas.  Pour 
Madame  de  Montpensier,  elle  parut  d'abord  tellement  désespérée  et 
éperdue,  qu'elle  demanda  s'il  n'y  avait  la  personne  qui  pût  lui  rendre 
le  service  de  lui  donner  un  coup  de  poignard  dans  le  cœur,  mais  ayant 
repris  uu  peu  ses  sens,  elle  tourna  sa  colère  contre  Monsieur  de  Brissac, 
qui  n'était  pas  la  pour  l'entendre,  l'appelant  méchant  et  traître  ;  elle 
ajouta  que,  depuis  longtemps,  elle  le  connaissait  pour  lâche  et  poltron; 
mais  que  ce  n'était  que  de  ce  jour  qu'elle  apprenait  qu'il  était  un 
homme  sans  foi  et  sans  reconnaissance. 

Pour  le  cardinal  de  Pellevé,  il  était  pour  lors  au  lit,  malade  depuis 
déjà  quelques  jours  ;  cette  nouvelle,  que  vint  lui  apporter  Saint-Luc,  que 
le  roi  était  dans  Paris,  fit  tourner  le  pauvre  homme  a  la  mort.  Le  trans- 
port le  prit  pour  ne  plus  le  quitter  qu'avec  la  vie,  et  on  l'entendit  crier  a 
plusieurs  reprises  :  «  Qu'on  le  prenne  !  qu'on  le  prenne  !  »  puis  il 
mourut  dès  le  lendemain.  Le  légat  était  également  malade  ;  il  venait 
d'adresser  a  tous  les  catholiques  de  France  une  lettre  dans  laquelle  il 
les  assurait  que  Sa  Sainteté  était  bien  décidée  a  ne  pas  approuver  l'ab- 
solution donnée  au  Béarnais.  La  nouvelle  que  le  roi  était  déjà  dans  Paris 
augmenta  son  mal  ;  mais  il  se  sentit  pourtant  encore  assez  de  forces 
pour  demander  un  sauf-conduit,  afin  de  se  retirer  non  seulement  de 
Paris,  mais  de  tout  le  royaume  qui  venait  de  se  donner  à  un  roi  excom- 
munié. Il  refusa  fièrement  de  voir  Sa  Majesté,  et  il  partit  en  eflet,  accom- 
pagné du  docteur  Aubry,  curé  de  Saint-André-des-Arts,  du  père  Varade, 
Jésuite,  tous  deux  compromis  dans  le  procès  de  Barrière  et  de  l'évêque 
de  Senlis.  Le  roi  voulut  bien  lui  permettre  d'emmener  avec  lui  ces 
trois  personnages,  et  Monseigneur  le  Légat  prit  tristement  et  tout  souf- 
frant la  route  d'Italie  ;  son  mal  s'étant  encore  accru  par  le  chagrin 
et  par  la  fatigue,  il  mourut  en  chemin.  (Legraiis,  Décad.,  liv.  G, 
p.  271.) 

Le  roi  était  pendant  ce  temps-là  rentré  au  Louvre,  et  moins  de  deux 
heures  après,  toute  la  ville  avait  repris  son  train  ordinaire.  Les  bou- 
tiques étaient  ouvertes,  et  les  habitants  se  mêlaient  sans  crainte  avec  les 
gens  de  guerre  qui  venaient  de  s'emparer  de  leur  cité.  La  confiance 
était  telle  que  des  sergents  osèrent  bien  saisir  les  bagages  du  sieur  de 
Lanoue,  l'un  des  principaux  chefs  de  l'armée  royaliste,  au  moment  oii 
il  les  faisait  entrer  dans  Paris.  La  cause  de  cette  saisie  était,  dit-on, 
quelques  dettes  que  son  père  avait  jadis  contractées  pour  le  service 
du  roi.  «  Lanoue,  lui  dit  Henri,  quand  il  vint  se  plaindre  à  lui  de  cette 
insolence,  il  faut  payer  ses  dettes;  je  paie  bien  les  miennes.  »  Mais 
après  lui  avoir  parlé  ainsi  en  public,  il  le  tira  à  part  et  lui  donna  ses 
pierreries,  pour  les  engager  et  retirer  ses  bagages.  (Péuéfixe.) 

Après  dîner,  Sa  Majesté  monta  à  cheval  et  vint  à  la  porte  Saint- 
Denis,  pour  voir  sortir  la  garnison  espagnole  qui  allait  abandonner  la 
ville.  Elle  salua  courtoisement  tous  les  chefs  à  mesure  qu'ils  défilaient 
devant  elle;   et  quand  passèrent  le  duc  de  Féria,   Ibarra  et  Taxis: 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  401 

«  Messieurs,  leur  dit-elle,  présentez,  je  vous  prie,  mes  civilités  à  votre 
maître  ;  mais  n'y  revenez  plus.  »  Et  comme  la  pluie  tombait  alors  par 
torrents,  on  disait  parmi  les  courtisans  (jue  c'était  bien  fait  et  que  le 
ciel  voulait  laver  ces  Marannes  de  toutes  leurs  noirceurs.  Ils  étaient  au 
nombre  de  trois  mille  ;  le  sieur  de  Saint-Luc  et  le  baron  de  Salignac  les 
allèrent  conduire  jus(|u'au  Bourget,  et  de  là,  ils  furent  escortés  par  un 
fort  détachement  de  troupes  royalistes  jusqu'à  la  frontière  des  Pays- 
Bas,  qu'on  ne  leur  laissa  franchir  qu'après  avoir  exigé  d'eux  le  serment 
de  ne  porter  jamais  les  armes  en  France  contre  Sa  Majesté  ;  mais 
Saint-Quentin,  colonel  des  Wallons,  qui  avait  à  craindre  d'être  pendu, 
comme  il  y  avait  été  déjà  condamné,  aima  mieux  s'en  revenir  à  Paris 
avec  une  grande  partie  de  son  régiment,  dont  fut  faite  une  compagnie 
au  service  du  roi.  (Cavet,  uhi  siip.) 

Le  docteur  Boucher  et  les  prédicateurs  du  parti  de  la  Ligue,  n'osant 
trop  se  fier  à  la  clémence  d'un  maître  qu'ils  avaient  si  souvent  et  si 
cruellement  offensé,  étaient  sortis  avec  les  troupes  espagnoles,  sans 
qu'on  cherchât  a  y  mettre  d'em|)échement,  et  avaient  pris  avec  elles  la 
route  de  Flandre.  Après  le  départ  de  tous  ces  gens-là,  qui  avaient  si 
longtemps  troublé  la  paix  du  royaume,  on  ht  sur  le  soir  une  infinité  de 
feux,  autour  desquels  les  uns  chantaient  le  Te  Deiim,  les  autres  criaient  : 
«  Vive  le  roi  !  »  Cependant,  Sa  Majesté,  enivrée  d'aise,  s'était  mise 
'a  table  pour  le  dîner.  Alors  parurent  certaines  personnes  à  la  mine  grave 
et  à  l'air  effaré,  qui  venaient,  disaient-elles,  lui  apporter  des  avis  impor- 
tants et  qui  voulurent  lui  glisser  quelques  mots  à  l'oreille.  «  Ma  foi, 
messieurs,  s'écria  Henri,  je  vous  conlesse  que  dans  le  contentement  que 
j'éprouve  aujourd'hui,  je  ne  sais  ni  ce  que  vous  me  dites,  ni  ce  que  je 
dois  vous  répondre.  »  Et  il  se  mit  'a  manger  de  grand  appétit.  (D'Aubigné, 
Histoire  univ . ,  t.  III,  p.  50 i.) 

Puis  Messieurs  de  la  ville  vinrent  après  son  dîner  lui  présenter  l'hip- 
pocras,  les  dragées  et  les  llambeaux,  le  priant  d'excuser  la  pauvreté  de 
sa  bonne  ville  de  Paris,  qui  n'était  pas  en  état  de  lui  faire  de  plus 
riches  présents  pour  sa  joyeuse  entrée.  «  Vous  m'avez  fait  présent  de 
vos  cœurs,  répondit-il,  et  je  les  estime  plus  que  toutes  les  richesses  du 
monde.  »  {Journal  de  Henri  IV,  ubi  sup.) 

Après  cela,  il  alla  faire  une  visite  à  Madame  de  Nemours,  chez 
laquelle  il  trouva  Madame  de  Montpensier.  Il  leur  demanda,  en  riant,  si 
elles  n'étaient  pas  bien  étonnées  de  le  voir  à  Paris.  «  Sire,  répondit 
Madame  de  Mont|)ensier,  ([ue  pouvons-nous  dire  autre  chose,  sinon  que 
vous  êtes  un  grand  roi,  aussi  clément  que  généreux?  »  A  quoi  le  roi 
répondit  gracieusement  :  «  Je  sais,  ma  noble  cousine,  à  quoi  m'en  tenir 
sur  cette  louange  que  vous  voulez  bien  m'accorder  ;  mais  je  sais  aussi 
que  vous  êtes  en  grande  colère  contre  ce  pauvre  Brissac  qui  m'a  rendu 
ma  bonne  ville.  Il  faut,  un  jour  que  vous  serez  de  loisir  et  n'aurez 
rien  de  mieux  a  faire,  que  je  m'applique  'a  faire  votre  paix  avec  lui. 
—  Sire,  réplicpia  la  duchesse,  cette  paix  est  toute  faite.  Brissac  a  fait 
merveilles,  il  a  plus  fait  en  quelques  heures  que  sa  femme  en  quinze 

IV.  26 


402  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

ans  ;  elle  n'a  jamais  pu  l'aire  chanter  qu'un  seul  coucou,  au  lieu  que  lui 
a  fait  chanter  .plus  de  cinquante  mille  perroquets  a  Paris,  et  leur  a 
appris  à  crier  :  Vive  le  roi  !  Ce  que  je  regrette  seulement,  c'est  que  mon 
frère,  Monsieur  de  Mayenne,  n'ait  pas  été  là,  pour  vous  abaisser  lui-même 
le  pont,  quand  vous  êtes  entré  dans  votre  heureuse  capitale.  —  Ventre 
saint  gris  !  s'écria  alors  le  roi,  je  crois,  madame,  qu'il  m'aurait  alors  fait 
attendre  bien  longtemps  à  la  porte  ;  mais  laissons  cela,  et  faisons,  si 
vous  le  voulez  bien,  une  partie  au  jeu  de  cartes.  »  Le  roi  joua  et  per- 
dit galamment.  {L'Estoile,   ad  ann.  1594.) 

Dès  le  lendemain  de  ce  jour  mémorable,  Monsieur  d'O,  gouverneur 
de  l'Ile-de-France  sous  le  feu  roi,  fut  remis  par  Sa  Majesté  en  posses- 
sion de  son  gouvernement  de  Paris,  dont  il  avait  été  dépossédé  par  la 
Journée  des  Barricades,  et  en  cette  qualité,  il  fut  chargé  d'aller  recevoir 
le  serment  de  tous  les  officiers  de  la  ville.  (Cayet,  ubi  siip.) 

Messire  Jean  Séguier,  lieutenant  civil,  qui  pendant  tout  le  temps  de 
la  guerre  avait  exercé  sa  charge  'a  Mantes,  et  en  dernier  lieu  a  Saint- 
Denis,  ayant  fait  venir  chez  lui  tous  les  libraires  et  imprimeurs,  leur 
ordonna  d'avoir  à  supprimer  les  livres  injurieux,  publiés  tant  contre 
le  feu  roi  que  contre  le  roi  actuel,  leur  défendant  de  vendre  a  l'avenir  de 
pareils  écrits,  sous  peine  de  la  vie  et  de  la  confiscation  des  biens 
contre  ceux  d'entre  eux  chez  lesquels  il  en  serait  trouvé,  et  contre  les 
auteurs  qui  en  composeraient  a  l'avenir.  (De  Tiiol,  ubi  sup.,  p.  142.) 

En  même  temps,  monsieur  le  Chancelier,  qui  arrivait  de  Senlis  où  le 
roi  avait  dépêché  un  courrier  pour  lui  commander  de  venir  le  trouver 
en  toute  diligence,  s'en  alla  accompagné  des  officiers  de  la  couronne  et 
de  plusieurs  pairs  de  France  au  palais  de  justice.  «  Et  d'autant  que  ceux 
de  la  cour  du  Parlement  étaient  demeurés  interdits  et  suspendus  de 
tout  pouvoir  légal,  tant  par  le  feu  roi  Henri  III  que  par  le  roi  régnant, 
et  qu'il  était  besoin  qu'on  vît  la  justice  reprendre  son  train  et  cours 
ordinaire  sans  aucun  relard,  pour  ne  laisser  les  choses  en  confusion;  le- 
dit sieur  chancelier  fit  d'abord  lire  l'édit  et  déclaration  du  roi  sur  la 
réduction  de  Paris  ;  puis  il  produisit  les  lettres  de  rétablissement  de  la 
cour  du  Parlement,  après  la  lecture  desquelles  tous  les  membres  de  la 
cour  prêtèrent  le  serment  de  fidélité  entre  ses  mains.  »  {Mém.  de  Che- 
verny,  1594.) 

Pareille  cérémonie  eut  lieu  ce  même  jour,  dans  toutes  les  autres 
compagnies  souveraines,  savoir  :  la  Chambre  des  Comptes,  la  Cour  des 
aides  et  la  Chambre  des  Monnaies  ;  et  pareillement  au  Châtelet  de 
Paris,  Monsieur  Séguier  fit  faire  lecture  de  la  même  déclaration,  et  reçut 
le  serment  des  conseillers  de  cette  cour. 

Tous  ceux  pourtant  des  membres  de  ces  compagnies  qui  avaient  i 
contribué  par  leur  défection  a  brouiller  les  affaires  dans  les  temps  mal-; 
heureux  qui  venaient  de  s'écouler  ne  furent  pas  reçus  du  roi  avec  la^ 
même  bienveillance.  Le  président  de  Nulli  étant  venu  pour  lui  faire  laj 
révérence  :  «  Allez  lui  demander,  dit-il  'a  Sancy,  en  quelle  qualité  il  se 
présente  ici.   ■ —  En  qualité  de  très  humble  sujet  et  serviteur   de   Sa 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  403 

Majesté,  répondit  Nulli.  »  Le  roi,  qui  rentendit,  lui  renvoya  dire 
«  (|iril  ne  tenait  point  pour  ses  sujets,  ni  pour  ses  serviteurs,  ceux  (jui 
s'étaient  rendus  au  service  de  l'Espagne  et  qu'il  lui  conseillait  de  s'en 
aller  avec  ceux  qui  l'avaient  acheté  et  payé.  » 

Au  président  llac(jueville  il  se  contenta  de  dire  :  «  Je  suis  bien  aise 
de  vous  voir,  monsieur;  je  sais  tous  les  bons  oUices  qu'il  a  été  dans 
votre  intention  de  me  rendre,  et  je  vous  en  remercie.  Toutefois,  je  sais 
aussi  (jue,  quand  il  était  question  de  ([uelque  affaire  qui  importait  à  mon 
service,  vous  aviez  toujours  le  malheur  d'être  malade  ;  mon  avis  est 
donc  que  vous  alliez  tout  de  ce  pas  soigner  votre  précieuse  santé.  » 

Pour  le  secrétaire  Nicolas,  de  la  Chambre  des  Comptes,  il  lui 
demanda  en  riant  a  quel  parti  il  s'était  attaché  pendant  les  troubles. 
«  Ma  foi  !  sire,  répondit  Nicolas,  j'ai  sottement  quitté  le  soleil,  pour 
suivre  la  lune,  ce  qui  ne  prouve  |)as  beaucoup  en  faveur  de  mon  juge- 
ment. —  Et  ({ue  penses-tu  maintenant,  en  me  voyant  ici  ?  —  Je  pense 
qu'on  a  rendu  à  César  ce  qui  appartient  à  César.  —  Ventre  saint  gris! 
répondit  Henri,  en  éclatant  de  rire,  ce  n'est  pas  cela  du  tout.  On  ne  m'a 
pas  fait  l'honneur  de  me  traiter  comme  César,  on  ne  m'a  rien  rendu  du 
tout;  on  me  l'a  bien  vendu  et  encore  assez  cher.  »  {Journal  de  Henri  IV, 
t.  II,  p.  7  et  sniv.) 

Le  sieur  Dubourg,  (jui  était  [)our  lors  gouverneur  de  la  Bastille,  vou- 
lait sans  doute  être  aussi  du  nombre  de  ces  vendeurs.  Aussitôt  qu'il  avait 
eu  avis  de  l'entrée  du  roi  a  Paris,  il  avait  fait  sortir  un  certain  nombre 
de  ses  soldats,  qui  s'en  allèrent  piller  les  maisons  voisines  et  les  moulins 
'a  vent  qui  sont  hors  des  remparts;  ils  prirent  toutes  les  farines  et  autres 
provisions  (jui  y  étaient,  avec  quantité  de  vin  (ju'ils  trouvèrent  sur  le  port 
et  (|u'ils  ramenèrent  dans  la  forteresse  ;  après  quoi  leur  gouverneur  jura 
de  ne  (juitter  la  place  (ju'a  de  bonnes  conditions,  et  de  fait,  il  commença 
il  envoyer  le  long  de  la  rue  Saint-Antoine  quelques  décharges  de  son  canon, 
dont  les  boidets  atteignirent  plusieurs  personnes  et  effrayèrent  toutes  les 
autres,  en  attendant  (ju'on  lui  fit  qnel(|ues  j)ropositions  convenables  ; 
mais  quand  il  vit  qu'au  lieu  de  cela  le  roi  laisait  ses  préparatifs  pour 
l'attacjuer  furieusement,  il  se  hâta  de  demander  lui-même  à  traiter,  et  il 
obtint  |)our  toute  condition  qu'il  sortirait,  lui  a  cheval  et  ses  soldats  avec 
leurs  armes,  et  qu'ils  seraient  conduits  en  sûreté,  jusqu'à  la  première 
ville  tenant  le  parti  de  la  Ligue.  Il  partit  furieux,  portant  l'écharpe  noire, 
et  disant  que  Rrissac,  qui  avait  été  plus  heureux  que  lui,  n'était  (ju'un 
traître  ;  qu'il  l'appellerait  en  combat  singulier  et  qu'il  lui  mangerait  le 
cœur.  (Caykt,  ubi  sup.) 

Le  même  jour  et  h  de  pareilles  conditions  fut  également  rendu  le 
château  de  Vincennes,  par  le  capitaine  Heaulieu. 

Cependant  la  déclaration  royale  touchant  la  réduction  de  Paris,  qui 
avait  (léj'a  été  lue  dans  toutes  les  cours  souveraines,  venait  d'être  rendue 
publique.  Elle  contenait,  outre  les  dispositions  déjà  publiées  dans  les 
billets  imprimés  à  Saint-Denis,  «  que  dans  la  ville  de  Paris,  ses  faubourgs 
et  'a  dix  lieues  'a  la  ronde,  il  ne  serait  lait  d'exercice   autre  que  de  la 


404  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

religion  catholique  ;  que  la  ville  était  réintégrée  dans  tous  les  anciens 
privilèges,  franchises  et  immunités  qu'elle  tenait  de  la  libéralité  des  rois 
précédents  ;  que  les  arrêts  de  justice  donnés  entre  personnes  qui  avaient 
volontairement  contesté  devant  les  tribunaux  de  la  Ligue  auraient  leur 
plein  effet.  »  Quant  aux  exécutions  a  mort,  qui  avaient  eu  lieu  a  l'occa- 
sion et  pour  des  cas  dépendant  des  troubles,  elles  ne  préjudicieraient  en 
rien  a  la  mémoire  des  défunts,  ni  à  l'honneur  des  familles,  et  la  peine 
de  la  conliscatiou  des  biens  des  condamnés  était  annulée.  Tous  les  habi- 
tants, en  prêtant  le  serment  ordonné,  rentraient  de  plein  droit  dans  leurs 
biens,  bénéfices  et  honneurs,  nonobstant  les  dons  qui  pourraient  en 
avoir  été  faits.  Les  provisions  d'oflices  faites  par  le  duc  de  Mayenne 
étaient  déclarées  nulles,  a  l'exception  de  celles  de  ces  provisions  qui 
auraient  été  obtenues  par  mort  ou  résignation  de  ceux  du  même  parti, 
pour  lesquelles,  toutefois,  il  faudrait  obtenir  du  roi  de  nouvelles  lettres, 
qui  seraient  expédiées  gratuitement.  Les  absents  jouiraient  des  mêmes 
bénéfices,  pourvu  qu'ils  revinssent  dans  un  mois,  faisant  les  soumissions 
requises.  Les  comptes  et  arrérages  de  rente  et  tout  compte  rendu  par 
les  coupables,  devant  les  affaires  de  finance,  qui  étaient  restés  a  Paris, 
ne  seraient  point  sujets  a  revision,  excepté  en  ce  qui  pourrait  être  regardé 
comme  violence  et  dol. 

Le  lendemain  de  la  publication  de  cet  édit,  et  pour  en  rendre  grâce 
à  Dieu,  fut  faite  une  procession  générale,  dite  vulgairement  procession 
du  roi,  'a  laquelle  Sa  Majesté  assista  accompagnée  des  grands  officiers 
de  sa  couronne  et  des  principaux  seigneurs  de  la  cour.  On  y  promena 
par  les  rues  la  vraie  croix,  la  couronne  d'épines,  le  chef  du  roi  saint 
Louis,  avec  une  infinité  d'autres  précieuses  reliques  qu'on  y  apporta  de 
toutes  les  églises  et  moutiers,  de  Paris  et  des  environs. 

Ensuite  le  Parlement  de  Paris  fit  publier  un  arrêt  en  ces  termes  : 
«  La  cour,  ayant  le  douzième  jour  de  janvier  dernier  interpellé  le  duc 
de  Mayenne  de  reconnaître  le  roi,  et,  par  Ih,  de  procurer  la  paix  'a  ce 
royaume,  sans  que  le  dit  duc  ait  voulu  y  entendre,  empêché  qu'il  était 
par  les  artifices  des  Espagnols  et  de  leurs  adhérents  ;  depuis.  Dieu 
ayant,  par  sa  bonté  infinie,  délivré  cette  ville  des  mains  des  étrangers  : 
à  ces  causes,  après  avoir  solennellement  rendu  grâce  'a  Dieu  de  cet 
heureux  succès,  et  voulant  employer  aussitôt  l'autorité  souveraine  déposée 
entre  ses  mains  pour  la  conservation  du  royaume  et  de  la  religion,  et 
pour  empêcher  que,  sous  le  faux  prétexte  de  défendre  cette  dernière, 
les  étrangers  ne  s'emparent  de  l'État,  avons  déclaré  et  déclarons  tous 
arrêts,  décrets,  ordonnances  et  serments  donnés  depuis  le  vingt-neu- 
vième jour  de  décembre  1588,  au  préjudice  de  l'autorité  de  nos  rois 
et  des  lois  du  royaume,  nuls,  comme  extorqués  par  force  et  violence. 
Voulons  qu'ils  demeurent  supprimés  et  abolis,  et  spécialement  tout  ce 
qui  a  été  fait  contre  l'honneur  du  feu  roi  Henri  111,  tant  en  son  vivant 
qu'après  son  décès.  Faisons  défense  'a  toute  personne  de  parler  de  sa 
mémoire  autrement  qu'avec  tout  honneur  et  respect,  et  ordonnons  qu'il 
soit  informé  du  détestable  parricide  commis  en  sa  personne.  La  cour 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  405 

révoque  le  pouvoir  ci-devant  donné  au  duc  de  Mayenne,  sous  la  qualité 
de  lieutenant-général  de  l'État  et  couronne  de  France  ;  fait  défense  a 
toute  personne,  de  qiiel(]ue  état  et  condition  qu'elle  soit,  de  le  recon- 
naître dorénavant  en  cette  qualité,  lui  prêter  obéissance,  confort  ou 
aide,  a  peine  d'encourir  la  punition  du  crime  de  lèze-niajeslé  au  premier 
chef.  Enjoint  sous  la  même  peine  au  duc  de  Mayenne  et  aux  autres 
princes  de  la  maison  de  Lorraine  de  reconnaître  Henri,  quatrième  du 
nom,  pour  roi  de  France  et  de  Navarre  et  pour  leur  souverain  ;  leur 
ordonne,  ainsi  (ju'a  tous  autres,  prélats,  seigneurs,  gentils  hommes  ou 
gens  du  tiers,  de  «juitter  le  prétendu  parti  de  la  Ligue,  sous  peine  de 
dégradation,  de  confiscation  de  corps  et  de  biens,  rasement  et  démoli- 
lion  des  villes,  châteaux  et  maisons  de  tous  ceux  (jui  contreviendraient. 
Déclare  nulle,  comme  faite  par  personnes  privées  et  factieuses,  l'assem- 
blée des  prétendus  États-Généraux  tenue  dernièrement  dans  cette  bonne 
ville  de  Paris,  casse  tout  ce  (jui  a  été  fait  et  arrêté  dans  cette  assemblée, 
et  lui  défend  de  plus  se  réunir  a  Paris,  ou  ailleurs,  sous  peine  d'être, 
ceux  qui  assisteraient  a  une  pareille  réunion,  traités  et  punis  comme 
conspirateiH's  et  perturbateurs  du  repos  public.  Enjoint  à  ceux  de  ces 
prétendus  députés  qui  sont  encore  de  présent  à  Paris  de  se  retirer 
chacun  chez  soi,  pour  y  vivre  en  l'obéissance  du  roi,  et  y  faire  le  ser- 
ment de  fidélité  par  devant  les  juges  du  lieu.  Ordonne  enlin  que  toutes 
processions,  fêles  et  solennités  insliluées  pendant  les  troubles  et  a  l'oc- 
casion d'iceux  cesseront,  et  qu'en  leur  place  sera  désormais  solennisé 
le  vingt-deuxième  jour  de  mars,  qui  a  mis  si  heureusement  lin  aux  maux 
de  la  France.  Voulons  que  ce  jour-la,  il  soit  fait  procession  générale,  où 
la  cour  assistera  en  robes  rouges,  pour  rendre  grâces  a  Dieu  de  l'heu- 
reuse réduction  de  la  ville  en  l'obéissance  de  son  roi.  »  (il/m.  de  la 
Ligue  y  ubi  supra.) 

Après  la  publication  de  cet  arrêt,  comme  le  roi  élail  dans  la  chapelle 
de  Bourbon,  a  dire  ses  menus  suffrages,  le  recteur,  les  docteurs  et 
suppôts  de  ri'niversité  virn-ent  en  corps  se  prosterner  'a  ses  pieds,  le 
suppliant  humblement  d'étendre  sur  eux  sa  bénignité.  Or,  quelques 
ecclésiastiques  et  théologiens  se  sentaient  encore  du  scrupule  en  l'esprit, 
trouvant  (jue  ce  n'était  pas  assez  que  le  roi  se  fût  fait  catholique,  mais 
(pi'il  fallait  encore  qu'il  fût  admis  comme  tel  par  le  Pape,  et  reconnu  par 
lui  pour  le  fds  aîné  de  l'Eglise.  (Cayet,  ubi  supra.) 

Ces  gens  si  scrupuleux  tout  a  coup  apprirent  la  manière  dont  le 
duc  de  Nevers,  (jui  rentrait  de  sou  ambassade,  avait  été  accueilli  a 
liome  ;  alors  ceux  qui  n'étaient  pas  opiniâtres  au  dernier  point  furent 
d'abord  convaincus  (|ue,  si  le  Paj)e  n'avait  pas  accordé  l'absolution,  il 
n'en  fallait  pas  donner  la  faute  au  roi,  mais  aux  méchants  conseils  que 
Sa  Sainteté  avait  écoutés.  Outre  cela,  la  manière  pieuse  et  édiliante 
dont  Sa  Majesté  se  conduisit  pendant  la  semaine  sainte,  et  la  dévotion 
avec  laipielle  elle  lit  publiipiement  ses  pâcjues,  rassura  les  plus  suscep- 
tibles. Enlîu,  les  plus  dévots  ayant  vu  le  roi  toucher  comme  ses  prédé- 
cesseurs les  gens  malades  d'écrouelles,  qui  étaient  celle  fois  au  nombre 


40Q  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

de  plus  (Je  six  ou  sept  cents  et  dont  plusieurs,  k  ce  qu'on  dit,  reçurent 
guérison,  il  ne  leur  resta  plus  aucun  doute,  et  tous  à  l'unanimité,  dans 
une  assemblée  qui  eut  lieu  le  vingt-deuxième  jour  du  mois  d'avril,  au 
collège  de  Navarre,  «  jurèrent  et  signèrent  lîdélité  au  successeur  légi- 
time de  saint  Louis  ;  »  promettant  de  n'avoir  jamais  aucune  communi- 
cation avec  ceux  qui  s'étaient  élevés  en  armes  contre  Sa  Majesté  ;  renon- 
çant a  toutes  ligues,  serments  et  associations  qu'ils  pouvaient  avoir  faits 
auparavant,  et  engageant  tous  vrais  Français  à  faire  comme  eux.  (Méze- 
RAv,  t.  m,  p.  1,084.) 

Le  roi,  cependant,  avait  mandé  aux  membres  du  Parlement  qui 
s'étaient  retirés  a  Tours  et  à  Châlons  «  de  venir  à  Paris  reprendre  leur 
ancien  trône  et  exercer  la  justice  sur  leur  ancien  tribunal.  »  A  la  récep- 
tion de  cette  missive  royale,  on  fit  de  beaux  feux  de  joie  dans  ces  deux 
villes  et  tous  les  ofiiciers  du  Parlement  qui  s'y  trouvaient  se 
mirent  incontinent  en  route  pour  Paris,  où  ils  arrivèrent  vers  la  semaine 
de  Pâques.  Monsieur  d'O,  plusieurs  seigneurs  et  grand  nombre  de  bour- 
geois montèrent  a  cheval,  et  vinrent  aude-vant  d'eux  jusqu'à  Bourg-la- 
Reine  ;  puis  le  cortège  entra  par  la  porte  Saint-Jacques,  en  traversant 
une  foule  enthousiaste  qui  poussait  des  cris  de  joie.  On  prétendait  que 
ces  messieurs  arrivaient  chargés  d'or  et  d'argent,  et  le  bon  peuple  es- 
pérait bien  que  toutes  ces  richesses  contribueraient  'a  rappeler  l'aisance 
dans  la  ville,  et  à  faire,  comme  on  dit,  refleurir  le  commerce  ;  la  vérité 
est  qu'ils  étaient  montés  sur  de  si  méchants  roussins,  si  maigres  et  si 
efflanqués,  que  les  pauvres  bêtes  avaient  assez  de  peine  a  porter  leurs 
maîtres,  sans  avoir  encore  la  charge  de  transporter  toutes  ces  richesses 
imaginaires.  (C.vyet,  ubi  supra.  —  Journal  de  Henri  IV,  t.  II,  1594.) 

Chaque  jour  on  voyait  aussi  accourir  de  nouveaux  seigneurs  pour  se 
ranger  autour  d'un  trône  qui  ne  paraissait  plus  courir  aucun  risque. 
Charles  de  Bourbon,  comte  de  Soissons,  arriva  avec  une  grande  suite,  et 
après  lui  une  intinité  d'autres  nobles,  dont  les  uns  avaient  toujours  été 
fidèles  et  dont  les  autres  venaient  de  rentrer  en  grâces,  s'empressant 
tous  'a  grossir  la  cour  pour  se  disputer  les  laveurs  du  prince.  Or,  si  l'on  en 
croit  l'historien  d'Aubigné,  ce  n'étaient  pas  ceux  de  la  dernière  catégorie 
qui  avaient  les  chances  les  moins  brillantes.  (De  Thou,  t.  II,  liv.  109, 
p.  149.) 

Cependant  il  arrivait  continuellement  'a  Sa  Majesté  des  plaintes  au 
sujet  de  plusieurs  prêtres  ou  moines,  qui  refusaient  encore  de  prononcer 
le  nom  du  roi  dans  les  prières  publiques  et  qui  même  ne  voulaient  pas 
donner  au  tribunal  de  la  pénitence  l'absolution  'a  ceux  qui  suivaient 
son  parti.  L'archevêque  de  Bourges  assembla,  pour  délibérer  sur  ce 
sujet,  tous  les  curés  de  la  ville  et  leurs  vicaires,  et  leur  fit  voir  par  l'au- 
torité de  lÉ'criture  que  ceux  qui  se  conduisaient  ainsi  commettaient  un 
grand  péché  ;  car  le  roi  était  maintenant  réconcilié  tout  a  fait  avec 
l'Eglise,  et  s'il  n'avait  pas  encore  l'absolution  du  Pape,  ce  n'était  pas  à 
lui  qu'il  fallait  s'en  prendre,  puisqu'il  avait  olïert  et  offrait  encore  de 
faire  toutes  démarches  et  réparations  convenables.  Il  exhorta  donc  la 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  407 

pieuse  et  sainte  assemblée  à  prier  Dieu  de  bon  cœur  pour  Sa  Majesté, 
alin  (jue  la  France  pût  jouir  de  ce  précieux  repos,  ()ue  saint  Paul  nous 
permet  d'espérer  sur  la  terre. 

En  même  temps,  Jacques  d'Amboise  faisait  rendre  par  l'Université, 
en  sa  qualité  de  recteur,  un  décret  signé  de  cinquante  théologiens,  tou- 
chant l'obéissance  due  au  roi,  décret  dans  lequel  il  était  dit  que  les 
signataires  avaient  attentivement  examiné  ces  paroles  de  l'apôtre  :  «  Crai- 
gnez Dieu,  honorez  le  roi,  soyez  soumis  aux  créatures  humaines  par 
rapport  'a  Dieu,  soit  au  roi,  comme  maître  souverain,  soit  aux  ofiiciers 
(pi'il  a  revêtus  de  sa  puissance,  pour  la  punition  et  la  récompense  des 
bons;  »  que  de  ces  paroles  saintes  ils  avaient  conclu,  a  l'unanimité 
absolue  ;  que  Henri,  si  miraculeusement  converii,  étant  roi  légitime,  sei- 
gneur et  héritier  du  royaume  de  France  et  de  Navarre,  avait  droit,  par 
la  volonté  du  Tout-Puissant,  à  l'obéissance  de  ses  sujets,  bien  que  les 
ennemis  de  l'État  eussent  pu  jusqu'il  présent  empêcher  par  leurs 
intrigues  que  le  Saint-Père  ne  le  reconnût  comme  fils  aîné  de  l'Église  ; 
qu'ainsi,  considérant  ce  que  dit  Saint  Paul,  «  que  toute  puissance  vient 
de  Dieu,  et  que  ceux  qui  résistent  'a  la  puissance  résistent  à  Dieu  et  se 
perdent,  »  il  fallait  se  soumettre  de  bouche  et  de  cœur,  promettre  et 
garder  une  lidélité  éternelle  a  Henri  IV,  roi  très-chrétien,  et  qu'en  con- 
-  séquence  l'Université  déclarait  tous  ceux  qui  penseraient  autrement 
retranchés  dès  lors  de  son  sein,  et  indignes  de  participer  a  ses  droits 
et  privilèges.  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  VI,  p.  88.) 

Il  ne  resta  plus  à  Paris,  de  tous  les  ordres  religieux,  que  les  capucins 
et  les  pères  du  collège  des  Jésuites,  qui,  se  croyant  dispensés  de  l'obli- 
gation de  se  soumettre  au  roi  par  celle  d'obéir  au  Pape,  prétendirent 
qu'il  lallait  attendre  que  le  Souverain-Pontife  eût  parlé  ;  et  celte  conduite 
des  Jésuites  donna  lieu  a  l'Université  de  renouveler  contre  cette  société 
le  fameux  procès  d'admission  suspendu  depuis  si  longtemps.  Quant 
aux  autres  Ligueurs,  quelques-uns  des  plus  mutins  reçurent  des  lettres 
qu'on  appelait  billets  d'expulsion  et  (|ui  leur  enjoignaient,  de  la  part  du 
roi,  d'avoir  a  se  retirer  de  la  capitale.  Le  reste  fut  laissé  en  paix  ;  quelques- 
uns  mêmes  eurent  part  aux  faveurs  royales,  et  du  nombre  de  ces  der- 
niers fui  le  fougueux  Lincestre,  que  Monsieur  d'O  lit  coucher  sur  l'état 
de  prédicateur  du  roi,  a  deux  conls  écus  de  gage  par  an.  «  Mais  surtout, 
dit  Henri  en  signant  cette  nomination,  veillez  à  ce  qu'il  n'ait  point  de 
couteau  quand  il  viendra  me  prêcher  ».  {Journal  de  Henri  /V,  t.  111, 
p.  74.) 

C'est  ainsi  que  Sa  Majesté  vit  sa  capitale  réduite  tout  entière  en  son 
obéissance,  sans  eflusion  de  sang,  à  l'exception  de  celui  qui  avait  coulé 
dès  le  commencement  de  l'action,  (piand  les  lansquenets  se  tirent  tuer 
ou  jeter  a  l'eau,  au  quai  de  l'École.  11  avait  péri  aussi  deux  a  trois 
bourgeois  pour  la  vie  desquels  le  roi  a  dit  mainte  fois  depuis  qu'il  aurait 
volontiers  donné  cinquante  mille  écus,  alin  do  pouvoir  se  vanter  que  sa 
rentrée  dans  Paris  n'avait  pas  coûté  une  seule  goutte  de  sang  à  la 
France.  (Cavet,  ubi  supra.) 


408  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 


CHAPITRE    XVI 


1594.  —  ARGUMENT  :  sully  visite  a  anet  la  duchesse  d'aumale. 
IL  reçoit  la  soumission  de  verneuil  au  perche. 

IL   traite   avec   VILLIERS   et    achète   la    reddition    de   ROUEN. 

LE    RESTE    DE   LA    PROVINCE   RECONNAIT   LE   ROI.    —    SOUMISSION   d'aBDEVILLE   ET 

DE   MONTREUIL.  —  TROYES   CHASSE   SON   GOUVERNEUR   ET   PROCLAME   LE   ROI. 

SENS,    AGEN,    VILLENEUVE   ET   MARMANDE   LE   RECONNAISSENT,    —   AINSI    QUE   POITIERS. 

MANSFELD    PREND   LA   GAPELLE.    —   LE   ROI   ASSIÈGE   LAON. 

RÉVÉLATIONS    DU     CARDINAL     DE    BOURBON    MOURANT     A     SULLY. 

REPRISE   AU     PARLEMENT    DU     PROCÈS   DE    L' UNIVERSITÉ    ET    DES    CURÉS 

CONTRE   LES   JÉSUITES.    —   DÉBATS   DE   CETTE   AFFAIRE. 

ARRÊT  QUI  NE  TERMINE  RIEN.    —   OPINION   DE  DE  THOU.    —  DIATRIBE  DE  PASSERAT. 


Après  la  réduction  de  Paris,  la  plupart  des  gouverneurs  des  villes 
qui  tenaient  encore  pour  la  Ligue  comprirent  que  leur  parti  s'en  allait 
sans  ressource,  et  qu'ils  n'avaient  plus  que  le  temps  de  conclure  chacun 
leur  petit  arrangement  au  mieux  de  leurs  intérêts.  (Sully,  Economies 
royales,  chap.  xv,  et  suiv.) 

Déjà,  vers  la  fin  de  l'année  précédente,  Sully  avait  été  chargé  par  le 
roi  de  négocier  avec  Villars,  pour  la  réduction  de  la  ville  de  Rouen  et 
des  autres  places  que  tenait  ce  chef  ligueur,  et  Sully  s'était  mis  en  route 
pour  accomplir  cette  mission.  Il  passa  par  Ânet,  où  demeurait  Madame 
la  duchesse  d'Aumale,  dont  le  mari,  qui  était  accusé  d'avoir  été  l'un  des 
principaux  instigateurs  du  meurtre  de  Henri  III,  et  d'avoir  attiré  pendant 
la  trêve  les  Espagnols  en  Picardie,  avait  tout  à  craindre  maintenant,  au 
sujet  de  cette  accusation.  En  effet,  le  Parlement  ne  tarda  pas  à  lui  faire 
son  procès,  et  comme  il  était  en  fuite,  il  fut  condamné  par  défaut  a  être 
écartelé,  ce  qui  fut  exécuté  en  effigie  par  le  bourreau  de  Paris. 

«  Cette  princesse,  Monseigneur,  disent  ceux  que  Sully  avait  chargés 
d'écrire  ses  mémoires,  ne  manqua  pas  de  vous  rendre  tous  les  honneurs, 
et  faire  toutes  les  caresses  accoutumées  envers  ceux  dont  on  pense 
avoir  affaire,  et  qui  sont  en  réputation  d'être  en  crédit  et  autorité.  Elle 
vous  promena  par  ses  beaux  jardins,  salles,  cabinets  et  galeries,  et  fina- 
lement vous  fit  instance  de  vouloir  souper  avec  elle  et  coucher  dans  son 
château  ;  mais  le  souper  qu'on  vous  fît  attendre  si  longtemps,  que  vous 
croyiez  qu'il  ne  viendrait  jamais,  fut  si  maigre,  les  viandes  si  dures  et  si 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  409 

mal  apprêtées,  et  le  vin  si  mauvais,  (ju'il  ne  vous  fut  pas  dillicile  de  re- 
connaître à  vos  dépens  a  quelles  dures  nécessités  en  était  réduite  celte 
pauvre  dame.  Bien  plus,  la  chambre  qu'on  vous  donna  pour  y  passer  la 
nuit,  quoique  bien  dorée  et  bien  marbrée  et  la  plus  honorable  du  logis, 
avait  quasi  toutes  ses  verreries  rompues,  et  pour  la  réchaufîer,  on  ne  put 
vous  procurer  que  quelques  fagots  de  bois  de  houx  et  de  genévrier  si 
verts  que,  pour  les  allumer,  vous  brûlâtes  toute  la  paille  de  votre  lit. 
Aussi,  vous  empressâtcs-vous  de  partir  de  très  grand  matin,  alin  d'aller 
dîner  à  Condé,  oîi  vous  fûtes  un  peu  mieux  reçu  par  les  gens  de  mon- 
sieur l'Évêque  d'Évreux,  et  après  un  bon  repas,  vous  vous  mîtes  au  lit 
pour  vous  récompenser  de  la  mauvaise  nuilée  cjue  vous  aviez  passée  au 
château  d'Anet.  » 

Ce  fut  Ta  que  Médavil,  gouverneur  de  Verneuil  au  Perche,  vint  trou- 
ver Sully  et  traita  avec  lui,  pour  la  reddition  de  sa  place,  à  condition  cpie 
son  gouvernement  lui  serait  conlirmé  et  qu'il  ne  serait  pas  obligé  de  se 
déclarer  jusqu"a  la  fin  du  mois  de  mars  ;  «  car,  disait-il,  il  avait  engagé 
sa  parole  a  Monsieur  de  Villars,  jusqu'à  ce  jour-la  seulement,  et  il  tenait 
'a  ne  pas  la  violer.  »  (Mézkrav,  t.  III,  p.  l085  et  suiv.) 

Ces  choses  ainsi  résolues  Sully  s'en  alla  coucher  'a  Louviers,  d'où  il 
envoya  prévenir  Monsieur  de  Villars,  qu'il  avait  charge  du  roi  de  lui  par- 
ler, et  dès  le  jour  suivant,  il  se  présenta  aux  portes  de  Rouen.  Il  y 
trouva  le  capitaine  des  gardes  de  Monsieur  de  N'illars,  avec  bonne  troupe 
de  ses  compagnons,  (jui  se  tenaient  Ta  pour  lui  faciliter  l'entrée  et  empê- 
cher qu'on  ne  lui  demandât  ni  fit  rien  (|ui  dût  lui  causer  déplaisir  ; 
mais  il  n'en  était  nul  besoin  :  tout  le  peuple  était  joyeux,  tous  couraient 
par  les  rues  sur  son  passage  et  lui  donnaient  louanges  et  bénédictions. 
{Économies  royales,  ubi  supra.) 

A  l'hôtel  où  il  descendit,  comme  son  maître  d'hôtel  se  mettait  en 
peine  d'ordonner  le  repas  :  «  Monsieur  le  maître,  répondit  l'hôtesse, 
n'ayez  nuls  soucis,  tout  est  prêt  et  la  dépense  payée  pour  ce  jour  et  les 
suivants.  »  Sully  eut,  de  plus,  après  son  souper,  de  la  musique  de  voix 
et  d'instruments,  avec  des  danseurs,  des  sauteurs  et  des  joueurs  de 
tours  de  passe-passe,  et  tous  ces  gens-l'a,  quelcpie  argent  qu'il  leur  fît 
olfrir,  répondirent  qu'ils  étaient  payés  d'avance.  Villars  faisait  grande- 
ment les  choses,  comptant  bien  probablement  ([ue  ce  ne  serait  pas  en 
pure  perte. 

Le  soir  même,  un  de  ses  conlidcnts  s'en  vint  secrètement  trouver  le 
noble  plénipotentiaire.  «  Je  suis  bien  marry,  lui  dit-il,  monseigneur, 
que  vous  ayez  tant  dilTéré  de  venir  ici.  Il  est  survenu  certains  événe- 
ments qui  rendront  votre  négociation  plus  dillicile  (|u'elle  ne  l'aurait  été 
il  y  a  quelques  jours.  Monsieur  de  Villars  vient  de  recevoir  des  messages 
du  roi  d'Espagne  et  du  duc  de  Mayenne,  et  tous  les  deux  s'accordent 
pour  lui  faire  les  i)Ius  brillantes  propositions,  s'il  veut  seulement  con- 
server la  ville  de  Rouen  sous  la  bannière  rouge.  Joint  a  cela  que  plu- 
sieurs de  nos  principaux  oKiciers,  qui  commençaient  d'ailleurs  d'être 
assez  bien  disposés  en  faveur  du  roi,  ont  reçu  des  lettres  de  ceux  de 


410  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

leurs  amis  catholiques  qui  sont  actuellement  à  la  cour,  dans  lesquelles 
il  leur  est  recommandé  de  prévenir  M.  de  Villars  de  ne  point  trop  se 
fier  a  un  huguenot  (c'est  ainsi  qu'ils  vous  appellent,  monseigneur) 
pour  faire  son  traité,  dont,  disent-ils,  les  conditions  seraient  bien  plus 
avantageuses  pour  lui  s'il  avait  affaire  à  un  bon  et  loyal  catholique.  Je 
vous  conseille  donc,  comme  votre  ami,  d'agir  avec  grande  précaution, 
de  laisser  jeter  à  M.  de  Villars  toutes  ses  fougues,  sans  repousser  aucune 
de  ses  demandes,  afin  de  lui  ôter  le  soupçon  que  vous  avez  d'avance 
un  parti-pris  de  le  contrecarrer  en  tout.  Vous  pourrez  après  contester 
tout  doucement  quelques-unes  de  ses  prétentions,  en  lui  laissant  croire 
que  ces  difficultés  que  vous  trouvez  a  satisfaire  les  autres  vous  sont 
venues  après  coup  et  par  réflexion.  Alors  je  ne  doute  pas  que,  peu  a  peu, 
il  ne  vous  soit  possible  de  le  ranger  a  des  conditions  raisonnables.  » 

Sully  soupçonna  d'abord  qu'il  pouvait  bien  y  avoir  de  l'arlince  en  ce 
langage  ;  mais  il  n'en  résolut  pas  moins  de  suivre  les  conseils  qu'on 
venait  de  lui  donner.  Pourtant,  en  habile  diplomate,  il  essaya  de  réchauf- 
fer de  son  mieux  et  en  secret  le  bon  vouloir  que  le  peuple  de  Rouen 
montrait  déjà  pour  la  paix;  et  pendant  qu'il  passait  les  jours  «  à  disposer 
les  esprits  de  ceux  qui  avaient  la  suprême  autorité,  il  employait  les 
nuits  a  recevoir  et  gagner  ceux  qui  avaient  pouvoir  sur  la  populace,  les- 
quels venaient  le  voir  clandestinement  et  reportaient  ses  paroles  et  ses 
promesses  aux  gens  de  métiers  et  aux  soldats.  » 

Or,  les  demandes  que  faisait  M.  de  Villars  ne  pouvaient  guère  lui 
être  accordées  sans  injustice,  et  sans  offenser  les  plus  grands  de  la 
cour.  11  est  vrai  qu'il  avait  été  le  premier  à  faire  demander  avec  poli- 
tesse a  l'envoyé  royal  de  vouloir  bien  se  trouver  au  logis  de  madame  de 
Simiers,  «  afin  qu'il  eût  le  bien  de  l'y  embrasser  ;  »  mais  après  cette 
embrassade,  et  quand  il  fut  question  de  parler  sérieusement  d'affaires, 
il  exigea  d'abord  qu'on  lui  donnât  pour  ses  amis  plusieurs  abbayes,  dont 
le  roi  avait  déjà  disposé  en  faveur  de  ses  plus  fidèles  serviteurs  ;  que  le 
fort  de  Fécamp,  surpris  avec  tant  de  courage  par  Ijois-Rosé,  qui  s'était 
mis  sous  la  protection  de  Sa  Majesté,  lui  fût  incontinent  rendu  ;  qu'on 
le  confirmât  dans  la  charge  de  grand-amiral  de  France,  qu'il  tenait  de  la 
Ligue  et  que  le  roi  avait  donnée  a  Biron  ;  que  son  gouvernement  des 
villes  et  bailliages  de  Rouen  et  de  Caux  fût  déclaré  indépendant  du  duc 
de  Montpensier,  gouverneur  royal  de  toute  la  ])rovince  de  Normandie  ; 
et,  en  outre,  il  demandait  qu'on  lui  entretint  quinze  cents  hommes  de 
pied  et  trois  cents  chevaux,  qu'on  lui  donnât  (juinze  cent  mille  francs 
pour  payer  ses  dettes,  et  soixante  mille  livres  de  pension  annuelle. 

Ces  demandes  étaient  exorbitantes  ;  mais  le  roi,  consulté  par  Sully, 
répondit  :  «  Mon  ami,  je  vous  prie  d'achever  de  conclure  avec  M.  de 
Villars;  dépêchez,  le  plus  tôt  que  vous  pourrez,  car  le  retard  ne  peut  ser- 
vir qu'a  donner  moyen  aux  ennemis  de  ce  royaume  de  faire  nouvelles 
pratiques  pour  troubler  la  paix  dont  nous  avons  si  grand  besoin.  Vous 
êtes  une  bête,  mon  ami,  d'apporter  tant  de  difficultés  dans  une  affaire 
dont  la  conclusion  m'est  si  nécessaire.  » 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  411 

Muni  (le  ce  consenlement  du  roi,  Sully  prit  une  écljarpc  blanche 
dans  sa  poche,  croyant  bien  n'avoir  plus  rien  a  faire  que  la  pendre  au 
cou  de  M.  de  Villars  ;  mais  il  lui  bien  étonné,  (juand  il  vit  celui-ci  venir 
a  lui  d'un  air  furibond  et  lui  dire  en  jurant  :  «  Morbleu,  monsieur,  où 
allez-vous  ainsi  la  mine  si  réveillée  et  si  réjouie?  Vous  n'en  êtes,  par  la 
sangbieu,  pas  encore  où  vous  pensez,  et  si  je  vous  traitais  comme  vous 
le  méritez,  il  n'y  aurait  déjà  pas  tant  a  rire  pour  vous.  Du  reste,  si 
votre  roi  de  Navarre  n'a  pas  d'antre  serviteur  que  M.  de  Villars,  croyez, 
par  la  corbieu,  qu'il  sera  mal  servi.  » 

La  cause  de  cette  grande  colère  et  de  tous  ces  jurements  était  que 
M.  de  Villars  venait  d'être  instruit  d'une  trahison  qui  se  tramait  contre 
lui.  Le  sieur  du  Rollet,  commandant  de  Lonviers,  son  ennemi  particu- 
lier, ne  craignait  rien  tant  que  de  le  voir  rentrer  en  grâce  avec  Sa 
Majesté,  et  il  s'était  vanté  d'avoir  un  moyen  infaillible  pour  se  saisir  de 
Rouen  et  de  la  personne  du  gouverneur,  si  l'on  voulait  lui  assurer  cette 
place,  ce  qui  lui  fut  promis.  Alors  il  envoya  à  Kouen  le  capitaine  Dupré, 
qui  s'y  introduisit  comme  faisant  parti  de  la  suite  de  Sully,  et  qui  renoua 
certaines  intelligences  déjli  commencées  depuis  longtemps  avec  tous  les 
mécontents.  11  fut  convenu  entre  ces  comploteurs  qu'on  se  saisirait 
d'abord  du  vieux  palais  et  (|u'on  prendrait  en  même  temps,  mort  ou  vif, 
M.  de  Villars  ;  mais  un  des  conjurés  n'avait  rien  eu  de  plus  pressé  que 
d'aller  révéler  toute  l'affaire 'a  ce  dernier,  lequel,  étant  vif  et  emporté, 
se  livra  a  une  violente  colère  contre  Sully,  soupçonné  d'être  l'âme  de 
ce  complot.  Sully  parvint  a  prouver  qu'il  ne  connaissait  pas  même  Dupré, 
(jui  s'était  mêlé  'a  sa  suite  a  son  insu,  et  qui  fut  aussitôt  pendu  a  une 
fenêtre  de  l'appartement,  et  Villars  s'écria  en  jurant  :  «  Allons,  morbleu, 
je  donne  la  Ligue  à  tous  les  diables.  »  Ensuite,  ayant  pris  lécharpe 
blanche,  il  lit  crier  :  «  Vive  le  roi  !»  a  la  foule  qui  n'attendait  que  son 
signal. 

Toutes  les  autres  villes  de  la  province  qui  tenaient  encore  pour  la 
Ligue  imitèrent  cet  exemple,  et  ceux  des  membres  du  Parlement  retirés 
'a  Caen  étant  venus  se  joindre  à  leurs  collègues  de  Rouen,  l'édit  de 
réduction  de  toutes  les  villes  fut  vérifié  et  enregistré  par  toute  la  cour 
réunie,  le  vingt-sixième  jour  du  mois  d'avril. 

Pour  dédommager  Biron  de  la  charge  de  grand  amiral  qu'on  lui  fai- 
sait [)erdre,  on  lui  donna  celle  de  maréchal  de  France,  avec  cent  qua- 
rante mille  écus  argent  comptant.  Monsieur  de  Montpensier,  a  qui  on 
était  ainsi  les  principales  villes  de  son  gouvernement,  reçut  en  échange 
le  Perche  et  le  Maine.  Sully,  outre  un  beau  présent  de  vaisselle  d'argent 
que  lui  fil  la  ville  de  Rouen,  eut  trois  mille  écus  en  or  et  force  beaux 
compliments  de  Sa  Majeslé,  dont,  dit-il,  il  se  trouva  encore  plus  content 
que  de  l'argent  ;  et  tout  le  monde  parut  à  peu  près  satisfait. 

H  n'y  avait  que  le  i)auvre  Rois-Rosé,  qui,  après  avoir  con- 
quis avec  tant  de  périls  la  forteresse  de  Fécamp,  venait  d'en  être 
expulsé  au  profit  de  M.  de  Villars,  sans  aucun  dédonmiagement.  R  s'était 
mis  en  route  pour  la  cour,  afin  d'avoir  aussi  quelque  chose.  Sur  le  soir. 


412  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

il  descendit  dans  une  auberge  où  on  lui  dit  qu'un  grand  seigneur  venait 
aussi  de  s'arrêter.  Bois-Rosé  s'empressa  de  rendre  sa  visite  à  ce  grand 
personnage,  dont  il  ne  savait  pas  le  nom,  et  chercha  a  l'intéresser  en  sa 
faveur.  «  C'est  ce  gueux  de  Sully,  dit-il,  qui  est  cause  de  tout  mon  mal, 
et  qui  m'a  sacrifié.  —  Sully,  répondit  le  noble  voyageur,  n'est  pas  si 
diable  que  vous  le  pensez  ;  vous  allez  voir  qu'il  sera  votre  protecteur 
auprès  du  roi.  »  Or,  c'était  Sully  lui-même  qui  parlait  ainsi  :  il  obtint 
en  effet  pour  Bois-Rosé  d'amples  dédommagements  de  la  place  qu'on  lui 
avait  fait  perdre. 

Dans  le  même  temps,  la  ville  d'Abbeville,  située  à  l'embouchure  de 
la  Somme  et  qui  tient  pour  ainsi  dire  la  ville  d'Amiens,  dans  sa  dépen- 
dance, ht  également  sa  soumission.  Ce  fut  le  maire,  qui,  ayant  rassem- 
blé les  bourgeois,  les  engagea  d'envoyer  une  députation  au  roi,  pour  le 
supplier  de  leur  pardonner,  et  obtenir  de  lui  la  confirmation  de  tous 
leurs  anciens  privilèges,  ce  qui  leur  fut  accordé,  sans  difficulté  et  même 
avec  de  grands  éloges  pour  leur  bonne  résolution.  Le  gouverneur  de 
Montreuil  obtint  les  mêmes  conditions.  (De  Tiiou,  t.  XII,  liv.  109,  p.  152 
et  suiv.) 

A  Troyes,  en  Champagne,  dont  Joinville,  frère  du  duc  de  Guise,  était 
gouverneur,  il  y  eut  une  émeute  ;  et  comme  il  n'y  avait  pas  de  garnison, 
les  bourgeois  n'eurent  pas  de  peine  'a  en  chasser  le  prince,  après  quoi 
ils  se  déclarèrent  pour  le  roi. 

La  ville  de  Sens  était  aussi  entrée  en  pourpaiier  :  elle  offrait  de  se 
rendre,  'a  condition  qu'on  lui  laisserait  son  gouverneur,  le  sieur  de  Belan, 
gentilhomme  de  la  province,  et  qui  s'était  fait  une  grande  réputation  de 
bravoure. 

Celle  de  Riom,  en  Auvergne,  se  soumit  également,  déclarant  par  un 
manifeste  que,  si  elle  avait  suivi  le  parti  de  la  Ligue,  c'était  uniquement 
pour  l'intérêt  de  la  religion,  mais  que,  ce  motif  ne  subsistant  plus 
depuis  que  Sa  Majesté  s'était  faite  catholique,  elle  la  reconnaissait 
d'autant  plus  volontiers  que  les  Auvergnats  avaient  toujours  eu  beau- 
coup 'a  se  louer  de  la  domination  des  princes  de  la  maison  de  Bour- 
bon. 

Le  mois  suivant  les  villes  d'Agen,  de  Villeneuve,  de  Marmande  et 
toutes  celles  de  la  Guyenne,  qui,  depuis  la  défaite  de  ces  bandes  de 
paysans  qu'on  appelait  les  Croquants,  étaient  occupées  par  les  seigneurs 
du  pays,  députèrent  au  roi  et  obtinrent  les  mêmes  conditions  qui 
avaient  été  accordées  a  toutes  les  autres  villes,  a  mesure  qu'elles  ren- 
traient dans  le  devoir.  (Dk  Thou,  ubi  supra.) 

Ce  fut  aussi  dans  le  même  mois  que  Poitiers  fit  sa  soumission.  Les 
deux  frères  Scévole  et  Louis  de  Sainte-Marthe  furent  députés  par  les  ha- 
bitants pour  venir,  au  nom  de  tous,  prêter  serment  de  fidélité  au  roi  : 
celui-ci,  ravi  qu'une  ville  de  cette  importance  rentrât  d'elle-même  en  son 
obéissance,  donna  un  édit  exprès,  par  lequel,  outre  un  pardon  général 
accordé  aux  bourgeois,  il  rétablissait  l'exercice  de  la  religion  catholique 
à  Niort,  'a  Fontenay,  a  La  Rochelle  et   dans  tous  les  autres  lieux  de  ce 


J 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  413 

diocèse,  OÙ  il  avait  été  iiitcrrompu.  Il  abolissait  la  mémoire  de  rinsur- 
rcction  pendant  laquelle  avait  été  détruit  le  château  de  la  ville,  promet- 
tant de  n'y  rétablir  aucune  forteresse,  et  le  duc  d'Elbœuf,  fort  aimé  des 
iiabitants,  fut  nommé  gouverneur  du  Poitou. 

Mais,  au  milieu  de  tous  ces  succès,  le  roi  apprit  tout  a  coup  que  le 
comte  de  Mansfeld  venait  de  mettre  le  siège  devant  La  Capelle  en  Thié- 
rarche,  avec  une  armée  de  huit  mille  iiommes  de  pied  et  de  mille  che- 
vaux, et  que  le  maréchal  de  Biron  n'avait  pu  amasser  ses  troupes  assez 
à  temps  pourTen  empêcher.  Aussitôt  il  partit  de  Paris  en  toute  diligence; 
mais  il  ne  put  arriver  assez  a  temps  pour  empêcher  (jue  la  place  ne  fût 
rendue  après  un  sanglant  assaut.  Alors,  pour  réparer  ce  qu'il  regardait 
comme  une  espèce  d'alTront,  au  milieu 'de  toutes  les  prospérités  dont  le 
ciel  venait  de  le  combler,  il  s'en  alla  attaquer  Laon,  dont  il  jugeait  que 
la  prise  arrêterait  toutes  les  mauvaises  suites  de  celle  de  La  Capelle.  Il 
entreprit  ce  siège  contre  l'avis  de  tous  *ses  cajjitaines  ;  car  il  manquait 
des  munitions  et  surtout  de  l'artillerie  indispensables  |)0ur  une  pareille 
opération  ;  mais,  pour  mieux  dissimuler  cette  pénurie  aux  yeux  de  l'en- 
nemi, pendant  que  Biron,  avec  une  partie  des  troupes,  investissait  la 
place,  il  s'en  alla  avec  le  reste  camper  a  une  lieue  de  Mansleld,  comme 
s'il  eût  eu  dessein  de  lui  oflrir  la  bataille.  (Mi:zi:rav,  t.  111,  p.  1080,  et 
suiv.) 

Mayenne  demanda  alors  avec  instance  au  général  espagnol  mille 
hommes  et  deux  cents  chevaux,  pour  se  jeter  dans  Laon,  promettant 
qu'avec  ce  secours  il  empêcherait  la  place  d'être  prise  ;  mais  Mansleld 
ne  jugea  pas  prudent  de  diminuer  son  armée  d'un  aussi  grand  nombre 
de  condjattants,  dans  un  moment  où  il  se  croyait  menacé  d'être  attacpié 
par  un  général  aussi  redoutable  que  l'était  le  roi.  Il  consentit  seulement 
a  l'aire  passer  dans  Laon  deux  cents  Napolitains,  (jue  Mayenne  y  condui- 
sit lui-même  et  (ju'il  parvint  a  y  faire  entrer  avant  <|ue  la  place  fût  com- 
plètement investie.  Puis  il  en  sortit  tout  aussitôt,  laissant  pour  la  com- 
mander son  second  lils,  le  comte  de  Sommerive,  auquel  il  avait  donné 
pour  seconds  et  pour  conseillers  Jcannin  et  ce  même  Dubourg  qui  venait 
d'être  forcé  de  rendre  la  Bastille. 

Laon  s'élève  au  milieu  d'une  vaste  campagne  parsemée  de  quelques 
éminences,  qu'on  pourrait  plutôt  appeler  des  bosses  de  terrain  que  des 
collines  ou  des  montagtjes.  Elle  est  bâtie  sur  la  plus  haute  de  toutes  ces 
élévations,  au  milieu  de  vignes  qui  font  la  richesse  du  pays,  et  de 
quelque  côté  qu'on  veuille  y  arriver,  on  ne  peut  le  faire  qu'en  montant. 
Elle  n'avait,  'a  la  vérité,  qu'un  assez  mauvais  rempart  (jui  n'aurait  pu 
résister  a  l'artillerie  ;  mais  le  roi,  comme  on  sait,  man(|uait  de  canons, 
de  boulets,  de  poudre  et  de  tous  les  outils  nécessaires  a  un  siège  de 
cette  importance.  11  n'en  persista  pas  moins  a  faire  ouvrir  la  tranchée, 
comptant  sur  son  courage  et  son  bonheur  ordinaires. 

Cependant,  le  cardinal  de  Bourbon  avait  eu  tant  de  chagrin  de  voir 
le  roi  rentré  dans  la  paisible  possession  de  sa  capitale,  (ju'il  en  était 
tombé  malade.  On  disait  que   son  mal  était  une   phtisie   pulmonaire. 


414  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Sully  était  en  ce  temps-la  revenu  joindre  le  roi  a  son  camp  devant 
Laon  :  ce  (ut  la  que  le  cardinal  lui  écrivit  une  lettre  par  laquelle  il  le 
priait  de  lui  conserver  les  bonnes  grâces  de  Sa  Majesté.  «  J'ai,  ajoutait- 
il,  des  choses  de  grande  importance  à  vous  révéler,  mais  que  je  ne  puis 
confier  au  papier  ;  obtenez  donc  du  roi  qu'il  vous  permette  de  venir  me 
voir.  «  (Économies  de  Sully,  chap.  xxi  etxxn.) 

Henri,  à  qui  Sully  montra  celle  lettre,  lui  donna  ordre  d'aller  savoir 
du  cardinal  ce  qu'il  voulait.  Il  alla  donc  trouver  ce  prince  à  Paris,  où  il 
était  revenu,  et  où  son  mal  semblait  s'être  encore  augmenté.  Les  choses 
qui  le  tourmentaient  surtout,  c'était  d'abord  que  l'Université  de  Paris  et 
les  curés  venaient  d'entreprendre  leur  fameux  procès  contre  les  jésuites, 
sans  même  l'avoir  consulté  dans  une  affaire  aussi  grave,  et  ensuite  que 
le  roi  lui  refusait  l'autorisation  de  disposer  de  ses  bénéfices.  Il  semblait 
être  dans  une  espèce  de  délire  quand  Sully  entra.  «  Ah  !  dit-il  en  lui 
jetant  les  bras  au  cou,  vous  me  voyez  bien  souffrant.  Cette  maladie  qui 
me  mine  provient  pourtant  de  la  méchanceté  de  M'"''  des  Rozières,  parce 
que  j'ai  renvoyé  de  mon  service  l'abbé  de  Bellozane,  son  amant.  Elle  m'a 
ensorcelé,  la  scélérate,  de  sorte  qu'il  faut  qu'elle  ou  moi  nous  mourions 
bientôt.  Mais  heureusement  on  vient  de  m'apprendre  qu'elle  est  déj'a  'a 
l'extrémité,  et  si  elle  peut  mourir  la  première,  j'ai  tout  espoir  d'en 
réchapper  par  la  protection  de  Dieu. 

«  Mais  laissons  ce  triste  sujet,  ajouta-t-il  en  paraissant  revenir  à  des 
idées  moins  étranges,  et  parlons  de  ce  qui  m'a  fait  désirer  votre  visite. 
D'abord,  ce  que  je  souhaite  de  toute  mon  âme,  c'est  d'être  en  la  bienveil- 
lance et  confiance  du  roi,  mon  cousin.  Ayant  déj'a  cet  honneur  que  d'être 
un  prince  de  son  sang,  je  désire  comme  tel,  et  comme  admirateur  de 
ses  vertus,  qu'il  se  procure  le  plus  tôt  possible  sa  réconciliation  entière 
avec  le  Saint-Siège,  et  qu'il  obtienne  la  bénédiction  apostolique.  Je  sais 
de  bonne  part  que  le  Saint-Père  est  loin  de  vouloir  l'accroissement  de  la 
domination  espagnole,  et  si  Sa  Majesté  peut  se  le  rendre  favorable,  ce 
sera  un  moyen  d'obtenir  la  dissolution  de  son  mariage  avec  Marguerite  de 
Valois,  chose  que  souhaitent  tous  les  bons  Français. 

«  La  seconde  affaire  qui  m'inquiète,  te  sont  ces  brigues  et  procès 
qui  s'intentent  pour  expulser  de  France  la  société  des  jésuites,  qui, 
comme  vous  le  savez  bien,  a  acquis  une  si  grande  influence  sur  tous  les 
catholiques,  tant  au  dedans  qu'au  dehors  du  royaume.  Leur  amitié  pour- 
rait donc  grandement  contribuer  a  la  tranquillité  de  l'Etat,  comme  aussi 
leur  malveillance  peut  y  jeter  de  grands  troubles.  L'Université  et  mes- 
sieurs les  curés  de  Paris,  qui  sont  à  la  tête  de  ces  brigues,  ne  sont  au 
fond  mus  par  d'autres  motifs  que  par  la  crainte  de  voir  diminuer  les  pro- 
fits qu'ils  tirent  de  l'instruction  de  la  jeunesse  et  de  l'administration  des 
sacrements  ;  mais  vous-même,  tout  huguenot  que  vous  êtes,  je  vous  fais 
juge  :  est-ce  la  une  raison  bien  suffisante  pour  courir  le  risque  d'indis- 
poser encore  la  cour  de  Rome,  de  faire  soupçonner  que  la  conversion 
du  roi  n'est  que  fiction  et  dissimulation,  et  de  perpétuer  ainsi  tous  les 
malheurs  du  pays  ? 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  4i5 

«  J'ai  aussi  besoin  de  vous  faire  savoir,  tout  en  vous  priant  de  ne 
pas  (lire  (|ue  vous  tenez  cela  de  moi,  que  M.  le  duc  de  Longueville,  le 
duc  de  Nevers  et  le  maréchal  de  Biron,  se  sont  unis  pour  soutenir  les 
révérends  pères.  Le  dernier  surtout,  sachant  que  Sa  iMajesté  s'est  déjà 
engagée  pour  donner  a  un  autre  que  lui  le  gouvernement  de  Laon,  qu'on 
assiège  maintenant,  saisira  toutes  les  occasions  qui  se  présenteront  de 
témoigner  son  mécontentement. 

<  Enlin,  la  dernière  alîaire  pour  laquelle  j'ai  a  vous  faire  instance, 
c'est  touchant  la  permission  que  je  désire  obtenir  du  roi  pour  disposer 
librement  de  tous  mes  bénélices  ;  car  je  souhaite  décharger  ma  con- 
science et  celle  démon  oncle,  le  feu  cardinal,  en  graliliant  de  quelques- 
uns  de  ces  bénélices  certain  nombre  de  familles  dont  nous  les  tenons. 
C'est  un  vœu  que  nous  avons  fait  tous  les  deu\  mon  oncle,  et  dont  le 
non  accouiplissement  ne  me  laissera  pas  dormir  trancpiille.  » 

Sully  promit  de  transmettre  fidèlement  au  roi  toute  cette  conversation 
et  d'appuyer  de  son  mieux  les  demandes  du  prélat,  et  celui-ci  continua  : 
«  J'ai  encore  une  autre  allaire  à  vous  conlier  et  qui  me  tient  personnelle- 
ment a  cœur:  c'est  le  traitement  indigne  qu'on  veut  faire  au  bon  arche- 
vêque de  Glascow,  votre  parent,  puisqu'il  s'appelle  comme  vous  Béthunc. 
Savez-vous  que,  sans  avoir  égard  'a  son  vieil  âge  et  a  sa  résolution  de  ne 
se  mêler  jamais  d'alîaires  pubHques,  M.  d'O  veut  le  contraindre  a  sortir 
de  la  France,  qu'il  a  toujoins  habitée  et  (ju'il  regarde  comme  sa  pairie, 
depuis  la  mort  de  la  reine  Marie  Stuart,  sa  bonne  maîtresse?  J'ai  eu 
beau  solliciter  en  sa  faveur,  il  me  semble  que  mon  intercession  lui  a 
porte  guignon.  Partant,  il  n'y  a  plus  que  vous  qui  puissiez  i^rendre  au- 
près du  roi  la  défense  de  ce  pauvre  prélat.  » 

Sully  promit  encore  de  reporter  cette  dernière  demande  au  roi.  Après 
(juoi,  il  laissa  le  moribond,  qui  venait  de  parler  beaucoup,  entre  les 
mains  de  ses  médecins  et  reprit  la  route  du  camp  de  Laon  ;  mais,  avant 
de  (juitter  la  capitale,  il  chargea  quelques-uns  de  ses  allidés  d'y  demeu- 
rer aux  aguets,  car  ce  que  le  cardinal  lui  avait  dit  des  intentions  mal- 
veillantes de  Biron  et  des  ducs  de  Longueville  et  de  Nevers,  lui  causait 
(juelque  in(|uiétude. 

Il  trouva  a  son  arrivée  que  le  roi,  malgré  toutes  les  dillicultés  qu'il 
avait  eu  a  vaincre,  tenait  la  place  complètement  investie.  Mansfeld 
s'était  inutilement  avancé  pour  la  secourir  ;  Henri  sut  raflermir  par  son 
exemple  le  courage  de  ses  soldats,  qui  commençaient  à  craindre  de  se 
voir  renfermés  entre  la  ville  et  une  armée  ennemie  ;  il  surveilla  lui- 
même  tous  les  travaux  d'attaque  et  de  défense  et  parvint  à  harceler  de 
telle  sorte  le  comte  espagnol,  qu'aucun  convoi  ne  pouvant  lui  parvenir 
sans  être  enlevé  par  les  royalistes,  il  se  vit  bientôt  réduit  a  la  plus 
extrême  disette.  Déjà  deux  fois  le  duc  de  Mayenne  avait  inutilement  tenté 
de  jeter  des  secours  dans  Laon  :  a  la  première  fois,  il  avait  été  rencon- 
tré par  M.  de  Givry,  qui  battait  l'estrade,  et  il  avait  été  contraint  de 
retourner  bien  vite  a  La  Fère.  La  seconde  fois,  il  était  parvenu  jusqu'à 
la  vue  des  remparts  ;  c'était  le  comte  de  Soissons  qui  était  ce  jour-la  de 


416  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

garde,  car  tous  les  princes  du  sang  et  le  roi  lui-même  avaient  chacun 
leur  tour  pour  veiller  au  salut  du  camp.  Le  comte  donc,  ayant  eu  avis 
de  l'apparition  de  l'ennemi,  Taltaqua  brusquement,  tua  un  bon  nombre 
de  ses  soldais,  en  fit  plusieurs  autres  prisonniers  et  culbuta  le  reste 
dans  la  forêt,  où  la  nuit  qui  survint  favorisa  leur  fuite.  {Économies  de 
Sully,  ubi  sup.,  chap.  xxiii.) 

Il  était  près  de  midi,  quand  Sully  alla  rendre  visite  a  Sa  Majesté  ;  il  la 
trouva  couchée  sur  une  méchante  paillasse  et  deux  matelas  fort  minces, 
parce  qu'elle  s'était  usé  et  écorché  les  pieds,  qu'elle  avait  tout  pleins 
d'ampoules,  ayant  tout  le  jour  précédent  et  toute  la  nuit  dernière  par- 
couru tous  les  penchants  et  déclins  de  la  montagne,  pour  visiter  les 
postes  et  les  tranchées.  «  Soyez  le  bien  venu,  mon  ami,  dit  Henri,  vous 
ne  vous  attendiez  pas  a  me  trouver  dans  un  lit  a  taire  l'accouchée  ;  mais 
j'ai  tant  tracassé  cette  nuit,  par  des  chemins  pierreux  et  détestables  que 
je  veux  vous  montrer  mes  pauvres  pieds,  pour  vous  convaincre  que  je 
ne  fais  pas  le  douillet.  »  Il  les  lui  fit  voir  en  effet  tout  meurtris  et  tout 
crevassés.  «  Au  surplus,  ajoutait-il,  je  n'ai  pas  perdu  mon  temps  ;  vous 
verrez  toute  la  besogne  que  j'ai  fait  faire,  et  je  me  flatte  qu'elle  plaira  'a 
un  connaisseur  comme  vous.  » 

S'étant  ensuite  informé  de  ce  qu'avait  dit  son  cousin  le  cardinal  de 
Bourbon,  il  dicta  immédiatement  trois  lettres  :  l'une  pour  monsieur  d'O, 
dans  laquelle  il  disait  «  qu'étant,  comme  chacun  savait,  plus  enclin  'a 
la  douceur  qu'a  la  violence,  il  ne  pouvait  permettre  qu'on  inquiétât  la 
vieillesse  du  bon  évêque  de  Glascow  ;  qu'on  ne  pouvait  faire  un  crime 
à  ce  brave  homme  de  s'être  montré  un  peu  l'ami  de  l'Espagne  ;  qu'il 
fallait  plutôt  l'en  louer,  puisque  l'Espagne  seule  avait  fait  quelques  efforts 
pour  sauver  la  vie  et  la  liberté  de  la  malheureuse  reine  Marie  Stuart, 
dont  le  digne  évêque  avait  été  le  fidèle  serviteur  ;  que  son  intention 
royale  était  donc  que  le  dit  prélat  fût  traité  honorablement,  en  cette 
qualité,  enjoignant  a  mon  dit  monsieur  d'O,  d'y  tenir  la  main.  » 

L'autre  lettre  s'adressait  au  chancelier  de  Cheverny.  «  Ayant  appris, 
disait  le  roi,  les  différends  entre  l'Université  et  les  curés  de  Paris  d'une 
part,  et  les  révérends  pères  jésuites  d'autre  part,  je  veux  bien  vous 
faire  savoir  que  mon  intention  ayant  toujours  été  de  laisser  libre  cours 
a  la  justice,  je  ne  prétends  nullement  empêcher  la  contestation  pré- 
sente ;  mais  mon  désir  est  qu'elle  ait  lieu  sans  injure,  aigreur  ni  diffa- 
mations. Faites-donc  que  les  plaidoyers  aient  lieu  a  huis  clos,  et  tâchez 
que  les  juges  ne  prononcent  rien  dans  cette  affaire  sans  m'en  avoir 
auparavant  informé.  » 

Par  une  troisième  lettre  qu'il  envoyait  au  cardinal  de  Bourbon,  il 
approuvait  toute  disposition  que  le  dit  cardinal  ferait  de  ses  bénéfices  ; 
il  lui  donnait  l'assurance  de  sa  considération  et  de  son  attachement,  et 
lui  faisait  part  de  ce  qu'il  venait  d'écrire  en  faveur  de  l'archevêque  de 
Glascow,  comme  aussi  du  parti  qu'à  sa  recommandation  il  avait  cru 
devoir  prendre  relativement  à  l'affaire  des  Jésuites. 

Voici  où  en  était  ce  célèbre  procès.  On  sait  qu'il  y  avait  déjà  trente 


I 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  417 

ans  qu'il  avait  commencé  et  qu'il  était  resté  sans  être  jugé.  Du  reste, 
(juoique  ces  pères  lussent  chargés  de  la  haine  publique,  il  ne  manquait 
pas  non  plus  dans  le  royaume  de  personnes  disposées  a  prendre  leur 
parti,  les  unes  par  suite  du  mauvais  levain  de  la  Ligue  qui  fermentait 
encore  dans  certains  cœurs,  les  autres  parce  que  par  la  elles  croyaient 
se  mettre  bien  avec  la  cour  de  Rome,  qu'il  était  si  utile  en  ce  temps-la 
de  ménager.  (Di-:  Tnou,  liv,  110,  p.  241  et  suiv.) 

Le  dix-huitième  jour  d'avril,  LUniversité  s'étant  assemblée  en  corps 
à  l'église  des  Mathurins,  un  certain  Bourceret,  maître  ès-arts,  requit 
qu'on  reprit  la  suite  de  ce  procès  et  que  les  jésuites  tussent  chassés  de 
l'Université.  Le  recteur,  Jac(jues  d'Amboise,  prit  les  avis  de  l'assemblée, 
et  il  l'ut  résolu,  a  l'unanimité,  qu'on  ferait  assigner  les  jésuites  dans  la 
forme,  et  que  chaque  faculté  nommerait  des  délégués  pour  préparer  et 
rédiger  toutes  les  pièces  du  procès.  Tout  aussitôt,  une  requête  fut  dressée 
par  cette  commission  pour  être  présentée  au  Parlement.  Il  y  était  dit  : 
qu'il  y  avait  déjà  longtemps  que  l'Université  avait  porté  plainte  à  la  cour, 
contre  une  nouvelle  secte  qui  avait  pris  le  nom  orgueilleux  de  Société 
de  Jésus,  et  qui  s'était  formée  et  forliliée  en  Espagne;  que  ces  étrangers, 
par  leur  esprit  séditieux,  avaient  excité  dans  Paris  et  dans  tous  les 
endroits  du  royaume  où  ils  avaient  été  reçus  les  troubles  les  plus 
funestes  ;  que  déjà  la  faculté  de  théologie,  prévoyant  tous  ces  maux, 
avait  rendu  jadis  contre  eux  un  décret  où  elle  déclarait  que  cette  nou- 
velle secte  n'était  propre  qu'a  ruiner  la  discipline  de  l'Église  et  de  l'État 
et  en  particulier  celle  de  l'Université  française  ;  que,  malgré  celle 
réprobation,  les  jésuites  avaient  demandé  au  Parlement  d'être  agrégés 
de  gré  ou  de  force  a  ladite  Université,  mais  que  la  cour  avait  sursis  à 
rendre  son  arrêt,  'a  condition  qu'il  ne  serait  rien  innové  dans  l'état 
actuel  des  choses  au  préjudice  des  o|)posants  ;  que  non  seulement  les 
jésuites  n'avaient  pas  obéi  a  cette  injonction,  mais  qu'ils  s'étaient  par- 
tout, autant  qu'il  était  en  eux,  emparés  de  l'éducation  de  la  jeunesse  ; 
qu'ils  s'étaient  ouvertement  et  secrètement  mêlés  du  gouvernement  de 
l'État,  servant  de  trompettes  de  guerre  et  d'espions  aux  Espagnols  ; 
qu'en  conséquence  l'Université  demandait  que,  tous  ces  faits  étant  de 
notoriété  publique,  la  cour  interposât  son  autorité  pour  bannir  cette  dan- 
gereuse secte,  non  seulement  de  Paris,  mais  de  toute  la  France. 

Sur  cette  requête,  le  Parlement  rendit  un  décret  d'ajournement 
contre  les  Jésuites  ;  mais  comme  ils  se  gardèrent  bien  de  comparaître, 
il  y  eut  des  délais  qui  leur  donnèrent  le  temps  d'entamer  par  le  manège 
et  l'intrigue  cette  unanimité  avec  laquelle  l'Université  avait  porté  son 
accusation.  Quelques  docteurs  gagnés  déclarèrent  qu'à  la  vérité  ils 
étaient  bien  d'avis  qu'on  obligeât  la  nouvelle  société  a  se  conformer  aux 
lois  universitaires  ;  mais  qu'ils  n'opinaient  pas  pour  qu'on  les  chassât 
du  royaume.  Ce  fut  alors  que  le  cardinal  de  Bourbon,  gagné  par  le  père 
Commolet,  lit  solliciter  en  leur  faveiu'  auprès  du  roi,  comme  on  vient  de 
le  voir.  Longueville  les  appuya  de  toute  son  iniluence  auprès  des  juges; 
et  le  duc  de  Nevers,  qm  avait  déjà  fondé  un  collège  de  Jésuites  dans  la 
IV.  37 


418  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

capitale  de  son  duché,  présenta  même  requête  en  cour,  pour  être  reçu 
comme  partie  intervenante  dans  le  procès  contre  TUniversité. Toutefois  cette 
requête  ne  tut  point  admise,  attendu  que,  l'instance  se  poursuivant  au  nom 
du  procureur  général,  ce  n'était  plus  la  affaire  de  simples  particuliers. 

Cependant,  malgré  tous  les  obstacles  que  les  pères  avaient  su  habi- 
lement créer,  le  Parlement  prononça,  le  septième  jour  de  juillet,  un 
arrêt  portant  que,  faute  par  eux  de  comparaître  au  jour  qu'on  leur  indi- 
quait, ils  seraient  condamnés  par  défaut.  Il  fallut  obéir  cette  lois,  et  ils 
chargèrent  l'avocat  Claude  Duret  de  défendre  leur  cause.  L'audience 
eut  lieu  a  huis  clos,  comme  le  roi  l'avait  demandé.  Antoine  Arnauld,  l'un 
des  ancêtres  du  célèbre  Arnauld  le  Janséniste,  porta  la  parole  pour  l'Uni- 
versité. C'était  un  orateur  véhément  et  qui  n'avait  pas  la  réputation  de 
ménager  ses  paroles   ni  ses  expressions. 

«  Les  amis  des  jésuites,  dit-il,  ont  obtenu  que  ces  débats  aient  lieu 
a  huis  clos,  par  crainte  du  scandale  qui  peut  en  résulter.  Si  je  com- 
prends bien,  c'est  parce  qu'ils  sont  tout  prêts  a  déchirer  la  réputation 
de  certaines  personnes,  qui  sont  aujourd'hui  fidèles  serviteurs,  du  roi. 
Moi,  je  commencerai  par  faire  une  déclaration  toute  contraire.  Ce  que 
l'ai  a  dire  ne  saurait  ni  blesser  ni  scandaliser  personne  autre  que  les 
coupables  non  repentants.  Ceux  qui  sont  au  service  de  l'Espagne  peuvent 
ne  se  montrer  pas  les  amis  de  quiconque  d'entre  eux  a'  reconnu  le 
prince  légitime,  tandis  que  moi,  qui  viens  ici  parler  pour  l'Université,  la 
fille  aînée  de  nos  rois,  j'ai  la  conviction  que  je  ne  saurais  faire  un  ser- 
vice plus  agréable  a  Sa  Majesté,  qu'en  observant  religieusement  l'amnistie 
par  elle  accordée,  et  en  me  conformant  a  cette  loi  d'oubli  du  passé,  vis- 
à-vis  ceux  qui  sont  rentrés  dans  le  devoir.  Mais  quant  à  ceux  qui,  non 
contents  des  maux  qu'ils  ont  déjà  causés,  méditent  encore  de  nouveaux 
forfaits,  quant  à  ceux  qui  se  sont  établis  parmi  nous,  pour  allumer  et 
attiser  le  feu,  j'avoue  que  je  sens  contre  de  pareils  machinateurs  mon 
âme  pleine  de  tiel  et  d'indignation.  Or,  qui  peut  encore  révoquer  en 
doute  que  les  jésuites  ne  soient  précisément  ces  dangereux  machinateurs- 
là?  Je  ne  connais  que  deux  sortes  de  personnes  capables  d'une  telle 
obstination  :  les  peureux  qui  les  croient  encore  trop  puissants  pour 
n'avoir  pas  à  craindre  de  leur  déplaire  ;  ensuite  ceux  qui  se  sont  affiliés 
secrètement  à  leur  congrégation  et  qui  ont  fait  secrètement  le  plus  dan- 
gereux de  leurs  vœux,  celui  d'une  obéissance  passive  et  aveugle.  Tous 
les  autres  citoyens  français  demandent  hautement  qu'on  expulse  du 
royaume  ces  tueurs  de  rois,  ces  confesseurs  et  exhortateurs  de  régi- 
cides, ces  ennemis  acharnés  de  la  couronne  de  France,  ceux  qui,  aidés 
de  l'or  de  l'Espagne,  ont  été  des  flambeaux  de  sédition  et  qui  sont  encore 
des  vents  turbulents,  n'ayant  autre  mission  (larmi  nous  que  de  souffler 
les  tempêtes  sur  notre  pays.  Espions  de  Castille,  vous  qui  avez  aigri  la 
pâte  de  la  France  avec  le  levain  espagol,  ne  pensez  pas  cette  fois  pou- 
voir ctoulïer  ce  cri  de  l'indignation  française  si  unanime  à  demander 
votre  châtiment,  aussi  facilement  que  vous  l'avez  étouffé  en  l'année 
soixante-quatre.  Alors  on  ne  pouvait  encore  que  deviner  le  mal  que  vous 


I 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  449 

deviez  faire,  et  pour  un  homme  qui  appréhende  l'avenir,  il  s'en  trouve 
cent  (|ui  aiment  mieux  n'y  pas  penser;  mais,  aujourd'hui,  on  peut  vous 
juger  d'après  les  œuvres  (pie  vous  avez  accomplies.  Qu'avez-vous  fait  de 
la  chaire  de  vérité?  Vous  l'avez  remplie  de  sang  et  de  blasphèmes  ;  vous 
y  avez  prêché  que  Dieu  était  le  massacreur  des  rois  ;  vous  avez  attribué 
au  ciel  le  coup  d'un  couteau  (pie  l'enler  forgea.  0  mon  roi  Henri  III,  toi 
qui  du  haut  du  ciel  as  maintenant  la  satisfaction  de  contempler  ton 
légitime  successeur,  assis  sur  le  tr(ine  d'où  ces  lâches  assassins  t'ont 
précipité,  je  vois  encore  ta  chemise  sanglante,  je  vois  les  mains  qui 
t'ont  frappé.  Ce  sont  les  mêmes,  qui  ont  empoisonné  ton  frère  unique 
et  (pii  ont  causé  et  veulent  causer  encore  toutes  les  calamités  de  ce 
l)euple  éploré.  »  {Mémoires  de  la  Ligne,  tome  VI,  i)ages  155  et 
suivantes.) 

Après  cet  cxorde,  l'avocat  entre  en  matière,  mais  on  s'aperçoit 
qu'il  ne  connaissait  que  très  imparfaitement  les  constitutions  jésuitiques 
qu'on  ne  connaît  pas  encore  complètement  aujourd'hui,  et  qu'il  se 
trompe  surtout  sur  le  but  de  cette  mystérieuse  société.  «  Charles- 
Quint,  dit-il,  et  après  lui  Philippe  son  (ils,  tout  gorgés  de  l'or  des  Indes, 
avaient  rêvé  la  monarchie  universelle.  N'ignorant  point  quel  parti  ils 
pouvaient  tirer  pour  leurs  desseins,  non  pas  de  la  religion,  mais  du  fa- 
natisme, ils  gagnèrent  d'abord,  en  prodiguant  leurs  richesses  inépuisables, 
la  plus  grande  partie  de  la  cour  de  Kome  ;  mais  il  leur  fallait  des 
hommes  actifs  et  dispos,  pour  aller  semer  en  tous  lieux  les  doctrines  qui 
leur  étaient  favorables  :  ils  ont  trouvé  les  jésuites.  Cette  race  dange- 
reuse, au  contraire  des  autres  bêtes  venimeuses  dont  la  nature,  pour  la 
conservation  du  monde,  a  singulièrement  borné  la  fécondité,  s'était  déjà 
répandue  comme  un  fléau  sur  toute  la  terre.  Déjà  elle  avait  établi  ses 
funestes  colonies  dans  deux  cent  vingt-huit  provinces  différentes  et  pos- 
sédait plus  de  deux  cent  millions  d'or  de  revenu  annuel.  Les  seigneu- 
ries, les  dignités  ecclésiastiques  les  plus  relevées  sont  livrées*  en  pâture 
à  ses  adeptes  :  ils  ont  le  pied  dans  le  sacré-collège  ;  bientôt  on  les 
verra  accaparer  jusqu'à  la  papauté  elle-même  et  en  état  de  soudoyer  des 
armées  pour  leur  compte,  comme  déjà  ils  contribuent  à  en  entretenir  pour 
le  compte  des  souverains,  quand  ceux-ci  veulent  bien  combattre  dans 
leur  intérêt. 

«  Leur  principal  vœu  est  l'obéissance  à  leur  général  qui  a  toujours 
été  Espagnol  jus(ju'à  ce  jour,  et  les  termes  de  ce  vteu  sont  étranges  et 
horribles:  ils  jurent  de  voir  en  lui,  le  Christ  lui-même  comme  présent,  de 
sorte  (pie  s'il  leur  commande  de  tuer,  ils  tueront  j)Our  obéir  à  la  voix  de 
Jésus-Christ.  Du  reste,  leur  institution  a  pour  principal  but  l'avancement 
des  allàires  de  l'Espagne,  leur  véritable  patrie.  Aussi,  plusieurs  personnes 
dignes  de  foi  assurent-elles  les  avoir  entendus  prier  en  VvdwcG  pro  i-ege  nostro 
Pliilippo.  Tout  au  contraire,  il  est  notoire  qu'ils  refusent  encore  aujour- 
d'hui de  prier  pour  notre  souverain  légitime,  ce  qui  découvre  clairement 
leur  conjuralion,  et  monln^  que  leurs  v(eux  n'ont  d'antre  objet  que  la  sub- 
version de  cet  état  au  profit  de  l'Espagne. 


420  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

«  Jusqu'à  eux  nos  ecclésiastiques  français  s'étaient  toujours  montrés 
fidèles  au  prince  que  Dieu  lui-même  leur  avait  donné,  et  quand  les 
papes  s'engageaient  contre  ce  prince  dans  quelque  injuste  guerre,  ils 
résistaient  vertueusement  a  de  pareilles  entreprises.  Mais  les  jésuites 
sont  parvenus  à  faire  sucer  un  lait  empoisonné  à  notre  clergé  jusqu'alors 
si  dévoué  ;  ils  ont  su  rendre  un  grand  nombre  de  bonnes  âmes  jésuites, 
et  plusieurs,  dans  ces  derniers  temps,  ont  adopté  cette  doctrine  jésui- 
tique, que  quiconque  était  élu  Pape,  fùt-il  pensionnaire  avoué  de  l'Es- 
pagnol et  ennemi  de  la  France,  pouvait  livrer  tout  le  royaume  en  proie  a 
celui  dont  il  recevait  sa  paie  ;  qu'il  pouvait  délier  les  sujets  du  serment 
de  fidélité  légitimement  dû  au  prince,  et  c'est  cette  doctrine  qui  a 
causé  les  meurtres  et  désordres  que  nous  avons  vus.  Mais  que  leur 
importe,  à  ces  âmes  dévotes,  pourvu  qu'elles  en  viennent  a  leur  but  ?  La 
maxime  des  pontifes  romains,  auxquelles  leur  secte  s'est  attachée  par  un 
lien  particulier,  n'esl-elle  pas  que  le  pouvoir  des  deux  glaives,  le  spiri- 
tuel et  le  temporel,  appartient  sur  tous  les  royaumes  de  ce  monde  au 
successeur  de  saint  Pierre? 

«  Au  reste,  ceux  qui  sont  venus  nous  inculquer  de  pareilles  idées,  au 
mépris  des  anciennes  coutumes  du  royaume  et  des  libertés  de  l'Eglise 
gallicane,  libertés  qu'ils  traitent  d'abus  et  de  corruption,  se  sont  bien 
gardés  d'entrer  en  France,  tout  d'un  coup  et  franchement  comme  gens 
qui  viennent  par  charité  apporter  de  nouvelles  lumières  aux  peuples  ; 
ils  s'y  sont  glissés  obscurément  comme  conspirateurs,  dissimulant  leurs 
projets.  Les  cardinaux  de  Lorraine  et  de  Tournon,  leurs  dignes  Mécènes, 
les  ont  d'abord  cachés  sous  le  manteau  de  leur  protection  ;  mais  à 
peine  ces  dangereux  procédés  ont-ils  eu  un  pied  parmi  nous,  que  par 
leurs  intrigues  secrètes  et  leurs  sermons  séditieux  ils  ont  armé  les  Français 
les  uns  contre  les  autres. ^>  C'est  dans  leur  maison  de  Paris  qu'est  née 
cette  Ligue  qui  a  été  si  funeste.  C'est  chez  eux  que  les  ambassadeurs  de 
l'Espagne  tenaient  leurs  assemblées  ;  c'est  la  que  la  noblesse  française, 
après  avoir  confessé  des  péchés  a  ces  loups  déguisés  en  pasteurs,  était 
forcée,  pour  obtenir  l'absolution,  de  s'enrôler  dans  la  Ligue  ;  c'est  de 
la  que  sont  parties  toutes  ces  machinations  qui  ont  troublé  nos  provinces 
et  semé  partout  la  révolte  a  main  armée.  Ce  sont  eux  encore  qui  ont 
fait  entrer  dans  Paris,  une  garnison  espagnole.  C'est  par  leur  conseil  que 
les  Seize  ont  offert  la  couronne  de  France  au  roi  d'Espagne,  que  ces 
mêmes  Seize  ont  porté  leurs -mains  parricides  sur  les  plus  nobles  têtes 
du  Parlement. 

«  Et,  en  effet,  le  mot  d'ordre  de  ces  faux  prêtres  n'était-il  pas  celui- 
ci  :  c(  Un  seul  Dieu,  un  seul  Pape  et  un  seul  roi  pour  toute  la  chrétienté?  » 
Or,  ce  roi,  c'est  pour  eux  le  monarque  espagnol,  à  qui  ils  destinent  la 
monarchie  universelle.  Et  malheur  à  tout  prince  qui  ose  soutenir  les 
droits  que  Dieu  lui  a  donnés  :  le  poignard  jésuitique  est  levé  contre  son 
sein. 

«  Tout  récemment  encore,  dans  leur  collège  de  Lyon  et  dans  leur 
collège  de  Paris,  n'ont-ils  pas  machiné  la  mort  de  notre  roi  bien-aimé  ? 


J 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  421 

C'est  un  fait  avéré  par  la  déposition  de  Barrière  Iiii-ménic  ;  il  a  avoué 
(ju'ils  l'avaient  confessé  et  lui  avaient  donné  jusqu'à  deux  fois  le  saint 
viatique,  pour  le  disposer  à  commettre  le  parricide,  qu'il  a  seul  payé  du 
plus  afi'reux  supplice. 

«  Les  voilà  donc  se  posant  comme  les  assassins  du  vieux  de  la 
Montagne,  et  comme  ces  assassins,  ils  donnent  le  titre  de  martyrs  de  la 
religion  a  ceux  (jui  se  dévouent  à  la  mort  pour  immoler  un  prince.  C'est 
ce  qu'on  peut  aisément  prouver  par  un  grand  nombre  d'exemples,  tant 
en  France  qu'à  l'étranger.  Une  de  leurs  constitutions  porte  :  «  qu'ils 
doivent  être  le  fléau  des  tyrans,  »  et  nous  savons  qu'ils  tiennent  pour 
tyrans  tous  les  princes  que  le  Pape  hait  ou  redoute.  Que  ne  devons-nous 
pas  craindre  de  la  part  de  tels  instituteurs  de  notre  jeunesse,  de  tels 
directeurs  de  conscience  ?  Faut-il  attendre  qu'ils  fassent  encore  sortir  de 
leur  boutique  de  Satan  cpielque  monstre  qui,  plein  de  leur  esprit  furieux, 
vienne  par  un  parricide  exécrable  mettre  à  néant  toutes  nos  espérances 
de  paix  et  de  bonheur  ? 

«  Le  soin  qu'ils  prennent  d'élever  nos  enfants  n'est  qu'une  nouvelle 
perfidie  ;  ils  sont  bien  aises  de  pouvoir  corrompre  de  bonne  heure  ces 
jeunes  âmes  et  de  les  infecter  de  leurs  poisons,  sous  prétexte  de  les 
abreuver  du  lait  de  la  science,  afin  (jue,  devenus  des  hommes  faits,  ils 
apportent  au  gouvernement  de  l'Église  et  de  l'Etat  ces  passions  d'amour 
ou  de  haine,  qu'ils  auront  puisées  dans  leur  école. 

«  Mais  ce  n'est  pas  encore  assez  de  s'emparer  de  l'esprit  de  nos 
héritiers  ;  ils  veulent  encore  avoir  en  propre  nos  héritages.  Faut-il  citer 
ici  tous  les  testaments  qu'ils  ont  déjà  su  extorquer  d'un  grand  nombre  de 
personnes  riches  et  titrées?  Et  qui  sait  s'ils  n'en  viendront  pas  bientôt 
encore  à  prendre  jusqu'aux  titres  attachés  à  ces  biens  qu'ils  ont  usurpés, 
aliii  de  ne  rien  laisser  aux  familles  qu'ils  ont  déjà  ruinées? 

«  Que  la  justice  se  hâte  donc  d'arrêter  ce  torrent  d'iniquités,  avant 
(pie  le  mal  ne  soit  devenu  irrémédiable.  On  nous  oppose  un  arrêt  de 
surséance  donné  il  y  a  trente  ans.  Mais  l'affaire  d'aujourd'hui  est  toute 
différente.  C'étaient  alors  les  jésuites  (pii  demandaient  à  entrer  dans 
l'Université,  et  aujourd'hui  c'est  l'Université  (jui  demande  à  être  débar- 
rassée des  jésuites  qui,  malgré  elle,  malgré  cet  arrêt  lui-même,  se  sont 
à  la  faveur  de  nos  troubles  ingérés  dans  des  attributions  qui  leur  étaient 
interdites.  Si  la  cour  rendait  maintenant  un  autre  arrêt  de  surséance,  ce 
serait  proprement  surseoir  les  précautions  qu'il  est  si  urgent  de 
prendre  pour  mettre  en  sûreté  la  vie  du  roi.  Ne  l'oubliez  pas,  messieurs, 
cette  vie  précieuse  est  en  danger,  tant  que  les  jésuites  resteront  en 
France. 

«  En  ce  temps-là,  d'ailleurs,  on  n'avait  pu,  comme  je  l'ai  dit,  les 
juger  que  par  [)révisiou  ;  ils  n'avaient  pas  encore  prêché  (]ue  la  couronne 
de  France  peut  être  transportée  sur  la  tête  d'un  étranger  et  même  d'un 
ennemi  de  la  nation  ;  (pie  Dieu  lui-même  avait  déclaré  la  maison  de 
Bourbon  indigne  du  trône.  Ils  n'avaient  point  encore  imaginé  ce  livre 
qu'ils  appellent  Livre  de  vie,  dans  lequel  ils  inscrivent  tous  les  secrets 


422  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

des  familles,  dont  la  confession  les  rend  dépositaires  ;  en  un  mot,  leur 
faction  n'avait  pas  encore  poussé  toutes  les  racines  puissantes  et  pullu- 
lantes, qui  s'étendent  aujourd'hui  si  profondément  dans  le  sol,  et  nos 
ambassadeurs,  chez  les  puissances  voisines,  ne  trouvaient  pas  comme 
aujourd'hui  sur  leur  chemin  toujours  quelque  jésuite  de  robe  courte  ou 
longue  pour  s'opposer  aux  volontés  de  notre  gouvernement  et  à  la  gloire 
du  royaume. 

<(  J'ajoute  que  ces  pères  sont,  par  leur  fait  même,  déchus  du  droit 
concédé  par  l'arrêt  qu'ils  viennent  invoquer  ;  car  ils  ont  été  les  premiers 
a  refuser  de  s'y  soumettre  ;  ils  ont  jiersisté  a  prendre  le  titre  de  compa- 
gnons de  Jésus,  qui  leur  était  interdit  [par  le  dit  arrêt.  Outre  leur  col- 
lège, qui  était  le  seul  établissement  qu'on  leur  permît  dans  Paris,  ils 
ont  bâti  publiquement  une  maison  professe  dans  la  rue  Saint-Antoine, 
sans  compter  bon  nombre  d'autres  établissements  dont  ils  sont  l'âme  et 
les  fondateurs.  Il  leur  était  interdit  de  solliciter  de  nouvelles  bulles  du 
Pape  ;  ils  devaient  renoncer  à  tous  les  privilèges  et  immunités  qui 
dérogent  au  droit  commun;  et  malgré  la  teneur  de  ce  règlement,  ils  ont 
obtenu,  en  1584,  une  bulle  qui  les  exempte  de  la  juridiction  des 
évêques,  et  ils  ont  mendié  une  multitude  d'autres  bulles  par  lesquelles  il 
est  défendu,  sous  peine  d'excommunication,  de  disputer  sur  les  constitu- 
tions et  privilèges  de  leur  société,  et  même  de  les  révoquer  en  doute, 
sous  prétexte  d'en  examiner  la  vérité. 

«  Que  pouvons-nous  donc  faire  de  mieux  et  de  plus  juste  aujourd'hui 
que  de  bajinir  sur-le-champ  du  royaume  ces  hommes  si  pénétrants  a 
imaginer  des  intrigues,  si  hardis  à  les  conduire,  si  vifs  à  les  perfection- 
ner, si  vigilants  dans  la  machination  d'un  forfait  et  si  pleins  de  res- 
sources dans  leurs  disgrâces  ? 

«  Si  le  maréchal  de  Matignon  a  pu  naguères  conserver  Bordeaux  a 
la  France,  c'est  parce  qu'il  a  chassé  de  cette  ville  ces  dangereux  antago- 
nistes, qui  l'auraient  bientôt  forcé  à  en  sortir  lui-môme  s'il  les  y  eût  lais- 
sés. Imitons  son  exemple,  si  nous  aimons  véritablement  la  patrie.  Les 
partisans  de  l'Espagne,  il  est  vrai,  nous  traiteront  d'hérétiques  ;  mais 
dernièrement  encore  ne  traitait-on  pas  d'hérétiques  tous  ceux  qui  vou- 
laient conserver  la  loi  salique  qui  est  la  sauve-garde  de  cet  état  ? 

«  Ondira  peut-être  aussi  que  si  les  jésuites  sont  coupables,  il  faut  leur 
faire  un  procès  dans  les  règles.  Mais  sommes-nous  dans  le  cas  d'avoir 
recours  à  des  remèdes  lents  et  à  des  médecins  timides,  quand  le  danger 
de  mort  est  là  présent,  instantané  ?  Barrière,  suborné  par  les  jésuites 
pour  assassiner  le  roi,  aurait  exécuté  ce  détestable  dessein,  s'il  n'eût 
été  miraculeusement  découvert  ;  qui  osera  dire  qu'après  un  pareil 
exemple  il  est  permis  de  différer  ? 

«  Si,  au  reste,  nous  demandions  la  mort  de  tous  ceux  qui  l'ont 
partie  de  cette  secte  impie,  sans  aucun  doute  il  faudrait  rélléchir  avant 
d'accorder  une  pareille  mesure  ;  car  la  vie  des  hommes  est  chose  sacrée, 
et  on  ne  saurait  prendre  trop  de  précautions  avant  de  la  sacrifier  au 
bien  général  ;  mais  ici,  il  n'est  question  que  d'un  simple  bannissement  : 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  423 

or,  leur  révérend  père  Bernard,  leur  père  Commolet  et  tous  leurs  autres 
docteurs,  ont  si  bien  travaillé  l'esprit  de  lein'S  adeptes  que  quiconcpio  a 
sucé  le  lait  de  cette  abominable  société  n'a  plus  ni  amour  ni  intérêt 
pour  sa  patrie,  ou,  pour  mieux  dire,  n'a  plus  de  patrie.  Ce  n'est  donc 
pas  à  eux  a  se  plaindre,  si  la  patrie  a  son  tour  les  rejette  comme 
membres  non  pas  seulement  inutiles,  mais  dangereux  et  gangrenés. 

«  Les  maux  qu'ils  ont  déjà  faits  et  ceux  qu'ils  ont  voulu  faire  au 
pays  sont  décrits  dans  toutes  nos  bistoires  ;  leurs  droits  à  babiter  parmi 
nous  ne  sont  j)as  seulement  douteux,  mais  rejetés  par  tous  ceux  qui  ont 
mission  de  veiller  en  France  h  la  conservation  de  la  paix  et  de  l'ordre 
public  ;  le  Parlement  a  toujours  refusé  d'enregistrer  les  lettres-patentes 
que  le  cardinal  de  Lorraine  avait  obtenues  pour  leur  installation  dans  le 
royaume  très  chrétien.  La  Sorbonne,  qui  n'était  point  alors  infectée  des 
maximes  de  l'Espagne,  lit  un  décret  unanime  par  lequel  elle  déclara 
que  cette  société  était  dangereuse  dans  la  foi  ;  (ju'clle  troublait  la  paix 
du  pays,  (pi'elle  renversait  la  discipline  ecclésiastique,  en  nn  mot 
qu'elle  tendait  a  détruire  et  non  a  édifier.  Les  mêmes  répugnances  se 
sont  élevées  contre  elle,  dans  tous  les  autres  royaumes  où  elle  a  cbercbé 
a  pénétrer,  et  cependant  elle  est  venue  a  bout  de  se  faire  recevoir  ou  de 
s'imposer  partout.  Savez-vous  pourquoi  ? 

«  C'est  en  vertu  de  ce  quatrième  vœu  particulier  à  celte  secte,  |)ar 
lequel  ses  adeptes  s'obligent  de  faire  en  tout  et  partout  triompher  la 
volonté  du  Pape.  Voila  pourquoi  Rome  les  a  apppuyés  de  sa  puissante 
influence,  voila  pourquoi  ils  ont  trouvé  partout,  dans  la  foule  des  catho- 
liques peu  éclairés,  des  amis  et  des  serviteurs  ;  mais  voila  aussi  pour- 
(juoi  ils  doivent  être  suspects  en  France. 

<c  Pour  vous,  messieurs  les  juges,  demeurerez-vous  froids  à  répri- 
mer les  attentats  de  ceux  qui  se  pourvoient  a  Rome  et  en  Espagne,  contre 
les  jugements  que  vous  prononcez  ici,  assis  sur  les  fleurs  de  lys  ;  lais- 
serez-vous  sans  répression  ceux  qui  corrompent  l'esprit  de  notre  jeu- 
nesse, dont  ils  se  sont  faits  les  insliluteurs,  malgré  toutes  nos  lois  pro- 
tectrices, ceux  qui  n'ont  d'autre  désir  au  monde  (|ue  de  faire  massacrer 
nos  rois?  Demeurerez-vous  froids  et  impassibles,  quand  vous  avez  encore 
sous  les  yeux  les  plaies  toutes  saignantes  des  maux  qu'ils  ont  déjà  faits? 
Ou  cette  audience  délivrera  notre  patrie  de  ces  nouveaux  monstres  engen- 
drés pour  la  démembrer,  ou  bien,  et  je  le  dis  tout  haut  pour  que  chacun 
m'entende,  leurs  ruses  et  leurs  artifices,  dont  ils  vantent  déjà  d'avance 
le  succès,  auront  en  effet  fait  taire  votre  justice  ;  et,  <lans  ce  cas,  ma 
voix  pénétrera  dans  tous  les  quatre  coins  du  royaume  ;  elle  parviendra 
retentissante  jusipi'ii  la  postérité,  (|ui  jugera  alors  sans  crainte  et  sans 
passion  si  c'est  moi  (|ui  me  suis  trompé  en  vous  prédisant  aujourd'hui 
toutes  les  calamités  (jue  cette  secte  ambitieuse  et  adroite  va  accumuler 
sur  la  France. 

«  Songez-y  :  le  mal  (pi'elle  se  dispose  a  faire  sera  encore  plus  grand 
que  celui  (ju'elle  a  déjà  fait,  et  je  ne  sais  si  nos  forces  alors  seront  en 
état  de  résister,  ni  s'il  y  aura  beaucouj)  de  gens  qui  consentent  a  ris- 


424  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

quer  dans  une  lutte  devenue  inégale  leur  vie,  leur  honneur  et  leurs 
biens. 

c(  Je  conclus  à  ce  qu'il  plaise  à  la  cour,  en  entérinant  la  requête  de 
rUniversité,  d'ordonner  que  tous  les  jésuites  de  France  sortent  du 
royaume  quinze  jours  après  la  signification  de  l'arrêt  qui  interviendra,  et 
à  faute  de  ce  faire,  que  quiconque  d'entre  eux  qui  sera  trouvé  dans  le 
royaume,  soit  condamné  comme  coupable  de  lèse-majesté  au  premier 
chef.  » 

Ainsi  parla  Arnauld  avec  une  animosité  qui  eut  un  effet  tout  contraire  'a 
ce  qu'il  en  attendait.  On  a  vu  que  les  jésuites  n'avaient  pas  perdu  leur 
temps,  pendant  les  délais  qu'ils  avaient  su  se  ménager.  Dans  le  Parle- 
ment même,  ils  avaient  su  ramener  bien  des  esprits,  et  la  lettre  du  roi, 
obtenue  par  les  instances  du  cardinal  de  Bourbon,  lettre  parlaquelle  Sa 
Majesté  «  se  montrait  comme  père  commun  et  conservateur  d'un  cha- 
cun, sans  se  rendre  partiale  entre  ses  sujets  »,  avait  achevé  de  calmer 
les  plus  animés.  (On  verra  bientôt  comme  Sa  Majesté  fut  récompensée 
de  sa  générosité.)  Quoi  qu'il  en  soit,  l'avocat  Arnauld  fut,  'a  plusieurs 
reprises,  interrompu  pendant  le  cours  de  sa  plaidoirie,  par  monsieur  le 
premier  président  lui-même,  et  put  dès  lors  juger  que  le  vent  du 
bureau  ne  soufflait  pas  pour  lui.  {Mém.  de  Cheverny,  1594.) 

Louis  Dollet  prit  ensuite  la  parole  au  nom  des  curés,  et  parla 
presque  avec  autant  de  vivacité  qu'Arnauld  avait  fait  pour  lUniver- 
sité. 

<f  Messieurs,  dit-il,  en  flétrissant  par  l'arrêt  que  nous  demandons 
les  doctrines  de  cette  secte  pernicieuse,  vous  dissiperez  les  té)ièbres  et 
les  impostures  qu'elle  s'est  appliquée  à  accumuler.  Le  peuple,  a  qui  elle 
a  prêché  la  révolte  contre  son  prince,  au  profit  d'un  pouvoir  étranger, 
aura  les  yeux  dessillés  et  reconnaîtra  cette  doctrine  comme  mauvaise, 
puisque  vous  en  aurez  condamné  les  auteurs,  vous,  qu'il  respecte  comme 
les  dispensateurs  de  la  justice. 

«  Tout  ainsi  que  les  jésuites  ont  rompu  l'ordre  de  l'Université, 
depuis  qu'ils  s'y  sont  introduits,  de  même  ils  ont  perverti  la  hiérarchie 
ecclésiastique,  en  se  portant  comme  curés  universels  et  en  soustrayant 
les  lidèles  'a  la  houlette  spirituelle  de  leurs  pasteurs  légitimes.  Les  voil'a 
maintenant,  partout  en  possession  des  chaires  et  des  confessionnaux,  et 
si  vous  les  laissez  plus  longtemps  prendre  racine,  il  faut  s'attendre  que 
tout  le  peuple  deviendra  bientôt  jésuite,  c'est-a-dire  cessera  d'être 
Français,  méprisera  les  mœurs  françaises  et  supportera  plus  volontiers 
la  tyrannie  de  l'étranger  que  le  gouvernement  de  son  pays. 

«  Dès  leur  apparition  en  cette  ville,  la  faculté  de  théologie  les  a 
condamnés,  à  l'unanimité,  tout  d'un  esprit  et  d'une  voix  ;  maintenant, 
ils  viennent  vous  dire  que  la  faculté  s'est  rétractée  dans  ces  derniers 
temps.  Jugez,  messieurs,  si  ces  hommes  ont  l'esprit  de  division,  puis- 
qu'ils ont  pu  par  leurs  intrigues  faire  vaciller  une  aussi  célèbre  compa- 
gnie. Ah  !  si  ces  graves  théologiens,  qui  ont  autrefois  anathématisé 
avec  science  et  conscience  les  jésuites,  pouvaient  aujourd'hui  sortir  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  425 

leur  tombeau,  comme  ils  rougiraient  de  leurs  successeurs  qui  ont  pris 
pour  règle  de  leur  conduite  un  tout  autre  motif  que  celui  qui  les  diri- 
geait eux-mêmes  et  qui  n'était  autre  que  le  bien  public  ! 

«  Au  reste,  ceux  pour  les<juels  je  parle  devant  vous,  n'ont  pas  de 
part  à  ce  désbonneur.  Ils  ont  conservé  lidèlement  les  nobles  et  saintes 
traditions  de  leurs  prédécesseurs,  et  c'est  aussi  au  nom  de  l'intérêt  de 
tous  (ju'ils  m'ont  cliargé  de  soutenir  cette  cause. 

«  Mais,  suivant  les  jésuites,  et  ils  me  l'ont  fait  dire,  je  ne  puis  être 
recevable  en  mes  conclusions,  parce  que  je  n'ai  pas  reçu  un  mandat 
général  de  tous  les  curés  de  Paris.  Non  !  je  n'ai  point  reçu  en  effet  de 
mandat  des  Bouclier,  des  Hamilton  et  d'autres  semblables  séditieux,  pas 
plus  (jue  de  certains  jeunes  tbéologiens,  sortis  des  écoles  de  la  secte 
jésuitique  ;  mais  la  cour  jugera  si  le  caractère  de  science,  de  probité  et 
de  patriotisme  de  mes  mandants  peut  être  mis  en  balance,  avec  le  défaut 
d'assentiment  de  ceux  que  les  jésuites  ont  imbus  de  leurs  pernicieuses 
doctrines  et  ([u'ils  ont  intéressés  a  les  appuyer. 

«  Je  suis  donc  cbargé  de  soutenir  devant  vous  que  cette  association 
ne  peut  et  ne  doit  pas  faire  partie  de  la  biérarcbie  ecclésiastique  ni 
comme  prêtres  séculiers,  ni  comme  réguliers,  et  que  leur  ordre  est 
illicite,  parce  qu'il  n'a  jamais  été  reçu  en  France  par  l'autorité  compé- 
tente. Ils  sont  entrés  dans  l'Église  gallicane  comme  véritables  larrons, 
ils  sont  arrivés  les  derniers  de  tous  les  ordres  religieux,  et,  pour  capter 
la  laveur  des  peuples,  ils  ont  voulu  surpasser  ceux  qui  les  ont  précédés 
en  nouveauté  de  doctrines  et  en  excès  de  cérémonies. 

«  Mais  sans  vouloir  entrer  ici  dans  la  discussion  de  ces  doctrines  et 
cérémonies  nouvelles,  je  leur  dirai  :  «  Mes  pères,  nous  ne  saurions 
«  vous  voir  de  bon  œil,  parce  que  depuis  tout  le  temps  que  vous  êtes 
«  parmi  nous,  vous  ne  vous  êtes  pas  encore  apprivoisés  :  vous  vous 
«  tenez  couverts,  vous  cacbez  votre  vie  'a  tout  le  monde  ;  on  ne  sait 
«  quelle  espèce  de  monstre  vous  nourrissez  ainsi  en  secret.  Si  vous  êtes 
«  prêtres  séculiers,  pourquoi  vous  retirez-vous  en  des  couvents  et 
«  pourquoi  vous  soustrayez-vous  a  l'obédience  de  l'ordinaire?  Si  vous 
«  êtes  religieux,  pourquoi  avez-vous  boute  de  le  confesser?  Pourquoi 
«  vous  voit-on  sans  cesse  occupés  d'intérêts  et  d'affaires  temporelles? 

«  Hélas  !  sous  vos  baires,  vous  cacbez  la  pourpre  ;  sous  vos  cendres 
«  brûle  le  feu  d'une  ambition  effrénée.  Votre  prétendu  vœu  de  pauvreté 
«  ne  sert  qu'a  déguiser  votre  soif  des  richesses,  car  vos  vœux,  mes 
«  pères,  ne  sont  que  chimères,  et,  pour  me  servir  d'une  de  vos  expres- 
«  sions  favorites,  ne  sont  que  secondes  intentions. 

«  Voyons,  maintenant,  (jucl  parti  vous  avez  su  tirer  des  Papes  dont 
«  vous  vous  êtes  fait  les  fanali(|ues  auxiliaires,  car,  au  fond,  vous  ne 
«  faites  rien  pour  rien.  Paul  IV  vous  a  mis  non  seulement  au-dessus  des 
«  curés,  mais  des  évêques  et  des  archevêques,  en  vous  donnant  le  pou- 
ce voir  d'absoudre  même  des  cas  réservés  au  Saint-Siège  et  de  changer 
a  les  vœux  des  fidèles.  Jules  ill  vous  a  autorisé  a  disposer  des  jeûnes  et 
«  de  l'abstinence.  Paul  III  a  permis  à  votre  général  de  relever  des  irré- 


426  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

«  gularités  et  d'absoudre  les  hérétiques,  pouvoir  que  la  cour  de  Rome 
c(  refuse  encore  aujourd'hui  a  l'Église  gallicane  tout  entière.  Par  une 
«  bulle  de  Grégoire  XI!I,  il  vous  est  devenu  licite  de  changer  d'habit  et 
«  de  vous  déguiser  de  toutes  les  laçons,  quand  cela  peut  être  utile  k 
«  vos  intérêts,  bien  que  la  chose  soit  de  tout  point  contraire  aux  saints 
«  canons.  Mais  ce  qui  surtout  compromet  les  droits  légitimes  de  ceux 
«  qui  m'ont  confié  leur  défense,  c'est  la  bulle  de  Paul  111  qui  permet  au 
«  peuple  de  sortir  de  sa  paroisse  et  de  laisser  ses  pasteurs,  pour  aller 
«  recevoir  les  sacrements  des  mains  des  jésuites,  contradictoirement  a 
«  l'ordre  élabli  par  tous  les  saints  conciles.  Vous  êtes,  mes  pères, 
«  maîtres  des  cérémonies,  vous  êtes  curés,  vous  êtes  pasteurs  univer- 
«  sels,  en  un  mot  vous  êtes  les  superintendants  de  l'Église  de  Jésus- 
«  Christ. 

«  Les  lois  pourtant  de  cette  Église,  ne  sauraient  compatir  avec  ces 
«  grands  privilèges,  et  les  lois  de  l'État  encore  moins.  Ces  dernières 
«  nous  font  un  devoir  de  reconnaître  un  chef  temporel  et  de  lui  obéir. 
«  Vous,  votre  soleil  est  ailleurs  ;  vous  ne  pouvez  donc  vivre  sous  le  même 
«  horizon  que  nous.  C'est  vainement  que  pour  vous  maintenir  sur  ce  sol 
«  qui  vous  repousse,  vous  vous  donnez  comme  les  sauveurs  de  la  foi 
«  catholique,  que  vous  représentez  voire  ordre  sous  l'emblème  du  géant 
a  Atlas,  soutenant  seul  le  ciel  sur  ses  épaules.  Eh  quoi  !  appelez-vous 
«  soutenir  la  religion  de  Jésus-Christ,  fausser  tous  les  principes  de  cha- 
«  rite  que  nous  a  prêches  ce  divin  maître,  proclamer  la  révolte  contre 
«  le  pouvoir  légitime,  et  contracter  des  alliances  avec  les  ennemis  du 
«  pays  ?  En  ce  cas  je  ne  vous  envierai  pas  celte  gloire  ;  j'avoue  que 
«  vous  l'avez  méritée,  et  je  ne  doute  pas  que  tant  qu'il  restera  un 
«  jésuite  en  France,  il  n'y  manquera  pas  d'ouvriers  pour  une  pareille 
<(  œuvre.   » 

«  En  eflet,  messieurs,  ce  n'est  pas  au  peuple  qu'il  faut  imputer 
tout  le  mal  qu'il  a  fait  dans  ces  derniers  temps  ;  il  n'était  que  l'instru- 
ment de  ces  habiles  ingénieurs,  la  girouette  que  fait  tourner  le  vent,  les 
flots  qu'il  soulève  a  son  gré.  Que  le  vent  cesse  de  souffler  sur  la  mer, 
vous  la  verrez  bientôt  tranquille.  Pourtant  ne  vous  endormez  pas  dans 
une  imprudente  confiance.  Le  vent  jésuitique  se  gardera  bien  de  se 
déchaîner  ouvertement  aujourd'hui  :  il  va  se  tenir  coi  et  silencieux  ;  il 
ne  fera  de  mal  qu'en  cachette  et  avec  mesure,  puis,  peu  'a  peu,  comme 
un  zéphyr  timide,  il  reviendra  caresser  les  vagues,  les  agiter  douce- 
ment depuis  la  surface  jusqu'au  fond,  par  un  mouvement  lent  et  cadencé 
jusqu'à  ce  qu'il  trouve  l'occasion  d'exciter  de  nouvelles  tempêtes,  et  ces 
tempêtes-lh,  seront  d'autant  plus  dangereuses  qu'elles  auront  été  préparées 
depuis  longtemps. 

«  Messieurs,  ne  l'oubliez  pas,  les  jésuites  ont  dérobé  la  clé  des 
consciences  du  peuple,  ils  peuvent  maintenant  en  disposer  à  leur 
volonté  et  lui  faire  croire  tout  ce  que  bon  leur  semble  ;  car  ils  ont  en 
main  la  plus  forte  de  toutes  les  armes,  le  confessionnal,  où  chacun  vient 
leur  découvrir  ses  plus  secrètes  pensées,  et  chercher  des  conseils  et  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  427 

la  consolation.  Alors  l'àmc  qui  entre  en  elle-nîême,  qui  examine  ses 
(ailles,  qui  médite  sur  son  infirmité  et  qui,  contrite  et  abattue,  se  con- 
damne déjà  elle-même,  est  comme  le  malade  qui,  sentant  son  danger, 
n'osera  jamais  dépasser  les  ordres  de  son  médecin  et  prendra  aveuglé- 
ment tous  les  remèdes  qu'il  en  reçoit  ;  et(juel  terrible  usage  un  médecin 
empoisonneur  peut  faire  d'un  pareil  |)Ouvoir  ! 

«  Quel  usage  aussi  font  les  jésuites  des  confidences  qu'ils  reçoivent 
dans  le  sacré  tribunal  ?  Par  des  épîlres  qu'ils  appellent  anniversaires, 
«  ils  se  révèlent  de  province  en  province,  tous  les  pécbés  qui  leur  ont 
été  confessés.  »  11  est  vrai  qu'ils  ne  nomment  pas  les  pécheurs  par  leur 
nom  ;  mais  la  plupart  du  temps  ils  accompagnent  ces  révélations  de 
circonstances  si  particulières,  (ju'il  est  aisé  de  reconnaître  les  personnes. 
Aussi  n'y  a-t-il  bonne  maison  en  France  ou  ailleurs,  dont  ils  ne  con- 
naissent a  fond  les  plus  intimes  secrets,  et  où  ils  n'aient  un  espion  'a 
eux,  soit  domestique  ou  même  membre  de  la  famille,  toujours  prêt  à 
api)uyer  de  tous  ses  moyens  les  projets  de  la  secte.  Tout  récemment 
encore,  n'a-t-on  pas  vu  les  jésuites  de  Fribourg,  voulant  rompre  l'union 
des  , cantons  catholiques  et  des  cantons  protestants,  persuader  aux 
femmes  dans  le  confessionnal  de  refuser  le  devoir  conjugal  'a  leurs 
maris,  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  promis  de  renoncer  à  cette  Ligue,  unique 
palladium  de  la  républi(|ue  helvétique,  contre  les  entreprises  de  la  maison 
d'Autriche  ? 

«  Que  si  l'Église  a  toujours  eu  la  prudente  sagesse  de  repousser  de 
sou  giron,  non  seulement  ceux  qui  corrompaient  le  dogme,  mais  ceux 
aussi  (pii  violaient  sa  discipline,  quelles  peines  méritent  les  jésuites, 
eux,  qui,  non  contents  du  nom  de  chrétiens  adopté  par  tous  les  fidèles, 
ont  usurpé  celui  de  Jésus,  duquel  les  pères  ont  écrit  que  nul  ne  s'est  osé 
surnommer,  comme  étant  le  nom  le  plus  ineffable  du  Seigneur,  eux,  (jui 
séduisant  le  peuple  des  paroisses,  l'arrachent  au  |)asleur  légitime  pour 
le  faire  communier  a  part,  comme  si  leur  collège  était  une  paroisse 
générale,  eux  ipii  font  révolter  les  sujets  contre  leur  souverain,  et  (|ue 
nous  trouvons  mêlés  'a  toutes  les  conjurations  (jui  ont  eu  lieu  depuis 
trente  ou  quarante  ans,  dans  tous  les  lieux  et  dans  tous  les  pays  du 
monde,  (jui  se  sont  efforcés  de  faire  de  la  maison  du  Seigneur  une 
caverne  de  voleurs  et  de  tueurs  de  rois  ? 

«  Messieurs  les  juges,  c'est  à  vous  à  prononcer  dans  le  for  intérieur 
de  votre  conscience.  Pour  nous,  (|ui  n'oublions  j)as  comme  eux  que 
l'Eglise  a  horreur  du  sang,  nous  lu^  demandons  pas,  que  le  leur  soit 
ré|)andu  ;  mais  nous  vous  démontrons  les  riscjues  qu'ils  fout  courir  a  la 
iraïKjnillité  publicpie,  eu  enseignant  a  leurs  écoliers  qu'il  est  i)ermis  de 
tuer  les  maîtres  temporels  des  États  ;  et,  vous  le  savez,  notre  roi  bien- 
aimé,  a  vu  lui-même  tout  dernièrement  ses  jours  menacés,  j)ar  un  de  ces 
malheureux  sorti  d'un  jle  leurs  confessionnaux,  où,  connue  il  Ta  déclaré, 
il  avait  été  égaré  par  leurs  suggestions. 

«  Vous  n'aurez,  messieurs,  en  aucun  temps,  une  plus  pressante 
nécessité  de  délibérer  sur  ce  point.  Si  vous  ne  chassez  pas  sérieusement 


428  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

les  jésuites  aujourd'hui,  vous  les  établissez  pour  jamais  en  France. 
Aujourd'hui,  la  nation  en  masse  applaudira  à  leur  expulsion  ;  car  elle 
sent  encore  la  douleur  cuisante  des  plaies  qu'ils  lui  ont  faites  ;  mais, 
vous  le  savez,  si  le  premier  mouvement  du  peuple  français  est  toujours 
plein  de  vigueur  et  de  courage  contre  les  méchants,  le  mouvement  se 
ralentit  bientôt,  et  les  jésuites  le  savent  aussi  bien  que  vous  ;  aussi 
vous  avez  vu  qu'ils  ne  cherchent  qu'à  tirer  le  temps  en  longueur, 
parce  que,  gagner  du  temps  en  France,  c'est  tout  gagner,  et  ils  sont 
bien  assurés  de  vaincre  s'ils  parviennent  seulement  a  faire  suspendre  le 
coup  qui  les  menace  aujourd'hui,  peut-être  même  ont-ils  déjà  vaincu,  car 
les  révérends  pères  ne  s'endorment  jamais  et  savent  le  prix  du 
temps. 

«  Je  me  réunis  donc,  au  nom  de  mes  mandants,  aux  conclusions 
qui  vous  ont  été  présentées  par  l'Université,  touchant  l'expulsion  du 
royaume  de  tous  les  jésuites.  Je  demande  subsidiairement,  que  défenses 
leur  soient  faites  d'administrer  les  sacrements  et  d'entreprendre  en  quoi 
que  ce  soit  sur  la  charge  et  pouvoir  des  demandeurs.  »  {Mém.  de  la 
Ligue,  t.    VI,  p.  187   et  suiv.) 

Après  ce  discours,  Duret,  qui  plaidait  pour  les  jésuites,  comprit 
toute  la  difficulté  de  sa  tâche.  11  avait  'a  craindre  de  se  charger  de  la 
haine  publique  et  peut-être  aussi  de  déplaire  au  roi,  qui  malgré  les 
beaux  semblants  que  la  politique  l'obligeait  de  faire,  n'avait  pas  assez  a 
se  louer  des  maximes  ni  de  la  conduite  des  révérends  pères,  pour  être 
leur  ami  de  bonne  foi.  Il  jugea  donc  prudent  de  ne  point  entrer  en  dis- 
cussion sur  ces  maximes  ni  sur  cette  conduite.  «  Si,  dit-t-il,  c'est  une 
accusation  formelle  de  corruption  et  de  révolte  que  vous  voulez  porter 
contre  mes  clients,  faites-le  franchement  et  dans  la  forme  prescrite  par 
la  .loi,  et  non  pas  en  accumulant  sur  toute  une  société,  des  inculpations 
vagues  et  qui,  ne  s'adressant  à  personne  en  particulier,  ne  sauraient  être 
repoussées  par  personne.  Nommez  hautement  ceux  que  vous  regardez 
comme  coupables,  et  ils  viendront  ici  se  justifier.  Ce  sera  alors  un 
un  nouveau  procès. 

«  Que,  s'il  n'est  question  que  de  l'ancienne  querelle  qu'on  leur  a 
faite  pour  les  expulser  de  l'Université,  je  n'ai  qu'un  mot  à  répondre  :  ils 
y  sont  et  y  sont  restés,  en  vertu  de  l'arrêt  de  suspension  donné  il  y  a 
trente  ans,  au  sujet  d'une  poursuite  toute  semblable  ;  ils  sont  donc  en 
possession  ;  c'est  a  vous  de  poursuivre  maintenant  le  procès  pour  les 
déposséder,  mais  en  reprenant  la  question  dans  les  mêmes  termes  et  au 
même  point  où  elle  était  quand  elle  a  été  suspendue,  et  sans  y  introduire 
de  nouveaux  incidents  qui  n'appartiennent  plus  à  cette  procédure.  » 
(De   Tiiou,  liv.  110,  p.  269.) 

Ce  plaidoyer  de  Duret  parut  beaucoup  trop  maigre  aux  jésuites  :  l'un 
d'eux,  le  père  Barni,  fut  chargé  de  faire  une  apologie  plus  détaillée,  qu'il 
signa  modestement  du  nom  de  préfet  des  confrères  de  Clermont,  n'osant 
pas  cette  fois  risquer  le  nom  de  jésuite. 

Après  avoir  répété  les  arguments  de  Duret,  touchant  leur  qualité  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  429 

possesseurs  du  titre  de  membres  de  TUniversité,  (lu'on  voulait  leur  enle- 
ver, et  prouvé  que,  depuis  Tarrêt  de  suspension  donné  par  le  parlement 
trente  ans  auparavant,  le  procureur  général  était  seul  partie  capable  de 
les  poursuivre  ;  il  ajoutait  :  que  «  le  corps  de  l'Université,  au  nom 
(lu(|uel  l'avocat  Arnauld  avait  parlé,  désavouait  aujourd'hui  la  requête  ; 
pareillement,  ((ue  la  requête  que  Dolet avait  présentée  et  soutenue,  n'était 
signée  que  d'un  petit  nombre  de  curés,  qui  n'avaient  pas  même  été  auto- 
risés a  cet  effet  par  leur  évêque,  ainsi  qu'il  est  de  règle  canonique; 

«  Que  l'institut  de  la  société  avait  été  approuvé  par  six  papes, 
par  l'assemblée  de  Poissy ,  par  lettres-patentes  des  rois  Henri  II, 
François  II,  Charles  IX  et  Henri  III  ;  qu'en  1505,  le  recteur  de  l'Uni- 
versité, Julien  de  Saint-Germain,  leur  avait  expédié  des  lettres  en 
forme  de  leur  admission  comme  membres  de  l'Université  de  France,  et 
que  la  Sorbonne,  ces  jours  derniers  encore,  avait  décidé  qu'il  ne  fallait 
pas  les  chasser,  mais  seulement  les  obliger  à  se  soumettre  aux  règle- 
ments qui  sont  en  usage  dans  les  autres  collèges  de  Paris,  ce  qu'ils  ne 
demandaient  pas  mieux  que  de  faire  ; 

«  Qu'en  effet,  si  on  les  chasssait,  ce  serait  au  détriment  d'un  grand 
nombre  de  princes,  prélats,  seigneurs  et  villes  qui,  ayant  fondé  h  grands 
frais  des  collèges  tenus  par  les  membres  de  leur  société,  verraient  ces 
maisons  devenir  désertes  ;  que  les  peuples  y  perdraient  aussi  beaucoup 
pour  l'instruction,  parce  que  les  autres  établissements  de  l'Université 
faisaient  payer  leurs  leçons  assez  cher,  tandis  que  leur  ordre  donnait  les 
siennes  gratuitement  et  par  charité  chrétienne  ;  qu'il  arriverait  par 
conséquent  qu'un  grand  nombre  d'enfants  qui  n'avaient  pas  le  moyen 
de  payer  seraient  privés  de  toute  éducation  ;  enfin,  que  la  religion  elle- 
même  y  perdrait  encore  plus,  puisqu'ils  étaient  ses  défenseurs  les  plus 
zélés  contre  l'hérésie  des  huguenots. 

«  Est-il  juste,  après  tout,  que  tout  un  corps  soit  puni  pour  la  faute 
d'un  ou  deux  de  ses  membres?  C'est  uniquement  celui  qui  a  péché  qui 
doit  porter  la  peine  de  son  péché.  Eh  bien  !  coupez  les  mauvaises 
branches  et  laissez  subsister  le  tronc  (jui  peut  vous  donner  des 
branches  utiles  et  fructifiantes.  (On  voit  que  l'apologiste. prohte  habile- 
ment de  l'ignorance  où  l'on  pouvait  être  encore,  que  l'ordre  des  jésuites 
n'a  (pi'une  volonté  et  une  action,  que  ses  règles  ne  permettent  aux 
membres  aucun  usage  de  leur  liberté  individuelle  et  qu'il  a  les  moyens 
de  faire  exécuter  ses  règles.) 

«  On  nous  accuse,  continue  le  Père  Barni,  d'être  les  serviteurs  du 
Saint-Père.  Mais  toute  l'Église  catholique  ne  reconnait-elle  pas  la  pri- 
mauté de  Pierre,  sur  lequel  Jésus-Christ  a  bâti  son  Eglise,  et  peut-on 
nous  en  vouloir,  de  ce  que  nous  soutenons  cette  primauté  légitime  contre 
les  hérétiques  qui  l'atlaciuent?  (Rien  sur  la  distinction  du  pouvoir  spiri- 
tuel et  temporel,  que  le  jésuite  se  garde  bien  d'aborder. ) 

«  On  nous  accuse  d'être  Espagnols  au  fond  du  cœur,  parce  que 
notre  ordre  a  un  Espagnol  pour  fondateur  ;  mais  les  ordres  de  Citeaux 
et  des  Chartreux,  qui  sont  nés  en  France,  n'ont  pas  pour  cela  été  regar- 


450  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

dés   comme  Français   exclusivement,  et  TEspagne    ni  les   autres  pays 
catholiques  n'ont  pas  voulu  les  bannir  sous  ce  prétexte. 

«  On  nous  reproche  ce  qu'ont  l'ait,  dit-on,  quelques-uns  des  nôtres 
pendant  ces  malheureux  temps  de  troubles  et  de  guerres  civiles.  D'abord 
la  plus  grande  partie  de  ces  accusations  ont  été  inventées  a  plaisir  et 
sont  dénuées  de  preuves.  Presque  partout  on  a  confondu  les  noms  par 
suite  d'une  malheureuse  ressemblance,  et  on  nous  a  imputé  des  choses 
dont  nous  n'étions  nullement  coupables.  C'est  ainsi  qu'on  a  confondu 
un  Claude  Mathieu,  religieux  espagnol,  que  nous  ne  connaissons  pas, 
avec  l'un  de  nos  pères,  Claude  Mathieu,  qui  est  mort  chrétiennement  à 
Ancône,  il  y  a  environ  quatre  ans,  et  qui  ne  s'est  jamais  mêlé  de 
toutes  les  intrigues  qu'on  lui  prête.  Il  est  vrai  que  notre  père  Pigenat  a 
fait  partie  du  conseil  des  Seize  ;  mais  tout  le  monde  sait  que  c'est 
M.  le  duc  de  Mayenne  qui  l'avait  fourré  dans  cette  assemblée,  pour 
modérer  par  sa  sagesse  tous  ces  esprits  turbulents  et  séditieux  ;  tout  le 
monde  connaît  les  efforts  qu'il  a  faits  dans  ce  louable  but,  efforts  qui 
l'ont  tellement  épuisé  qu'il  est  venu  mourir  de  chagrin  a  Bourges,  deux 
ans  avant  l'assassinat  du  président  Brisson,  qu'on  ne  saurait  par  consé- 
quent lui  imputer. 

«  Il  est  également  de  la  dernière  fausseté  que  les  assemblées  de  la 
Ligue  se  soient  tenues  dans  notre  maison  de  Paris.  Ce  qui  est  vrai, 
seulement,  c'est  que  l'ambassadeur  d'Espagne  y  venait  souvent 
entendre  la  sainte  messe  avec  ses  amis,  mais,  a  la  fin,  nos  pères, 
s'apercevantque  cela  pouvait  lesc  ompromettre,  l'ont  prié  d'aller  faire  ses 
dévotions  aux  Célestins. 

«  Nos  pères,  au  reste,  ont  été  des  premiers  a  se  ranger  a  l'opinion 
de  la  Sorbonne  et  à  dire  qu'on  pouvait,  sans  blesser  la  conscience,  se 
soumettre  au  roi,  et  c'est  de  leur  consentement  qu'ont  été  entamées  ces 
fameuses  conférences  dont  le  résultat  a  été  la  conversion  de  ce  prince. 

«  Pour  achever  de  nous  rendre  odieux,  on  fait  croire  aux  simples 
que  nous  prononçons  un  vœu  solennel  d'exterminer  les  tyrans.  Qu'on 
nous  montre  donc  d'abord  en  quels  termes  est  conçu  ce  vœu.  Il  est 
bien  vrai  qu'on  trouve  quelque  chose  qui  semble  avoir  rapport  à  cette 
inculpation,  et  qui,  probablement  y  aura  donné  lieu  dans  un  bullaire 
imprimé  a  Lyon  en  1588.  Mais  d'abord,  ce  n'est  point  un  vœu,  et 
ensuite  ce  qu'on  lit  à  ce  sujet  dans  ce  bullaire,  y  a  été  inséré  par  un  cer- 
tain Mathieu,  qui  était  jurisconsulte  et  ne  fut  jamais  jésuite.  C'est  encore 
une  erreur  de  noms  causée  par  l'homonymie.  » 

Bref,  l'apologie  du  père  Barni  était  plus  longue  et  plus  détaillée  que 
celle  de  Duret  ;  mais  j'avoue  que  je  ne  la  trouve  pas  aussi  concluante  ; 
L'avocat,  en  sa  qualité  de  légiste,  n'avait  insisté  que  sur  le  droit  et  la 
forme,  et  il  faut  convenir  qu'il  avait  très  brièvement  su  mettre  l'un  et 
l'autre  de  son  côté.  Il  est  vrai  qu'outre  la  lettre  du  roi,  et  tous  les 
autres  ressorts  qu'avaient  habilement  fait  jouer  les  jésuites,  il  avait  été 
puissamment  secondé  par  diverses  autres  circonstances.  «  D'abord  on 
ne  voulait  pas  donner  ce  contentement  aux  huguenots  et  aux  mauvais 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  434 

chrétiens  de  ruiner  les  jésuites  »  qui  se  proclamaient  les  plus  zélés 
(lélcnseurs  du  culte  catholique  ;  ensuite,  on  sentait  le  besoin  de  ne  point 
irriter  le  Pape  (pii  les  soutenait  ;  puis  on  pouvait  regarder  jusqu'à  un 
certain  point  comme  une  querelle  de  concurrence  intéressée,  le  procès 
intenté  par  l'Université  et  les  curés  de  Paris,  contre  des  gens  qui  leur 
disputaient  leurs  prolits  ;  enlin,  les  accusateurs  s'étaient  trompés  en 
accusant  ces  pères  d'être  une  secte  espagnole.  Ils  étaient  jésuites  et 
rien  autre  chose  (1).  S'ils  avaient  favorisé  le  parti  espagnol,  c'est  qu'ils 
y  trouvaient  mieux  leur  compte  et  ils  n'avaient  lait  en  cela  que  ce 
(|u'avaient  l'ait  la  plupart  des  autres  ordres  religieux,  qu'on  ne  songeait 
point  h  atta(|uer.  {Mém.  de  Cheverny,  ad.  ann.  1594.) 

Aussi,  sur  le  réquisitoire  du  procureur  général  Séguier,  la  cour 
ordonna  (jue  les  requêtes  de  l'Université  et  des  curés  fussent  jointes  au 
l)rocès  appointé  depuis  trente  ans  pour  être  fait  droit  ])ostérieurement 
sur  le  tout,  par  un  seul  et  même  arrêt.  C'était  tout  ce  que  les  jésuites 
demandaient  pour  le  moment. 

«  Pourtant,  certains  membres  du  parlement,  indignés  de  voir  le 
mauvais  droit  prévaloir,  prononcèrent  en  cette  occasion  des  paroles  fort 
piquantes.  De  Thon,  entre  autres,  s'écria  :  «  Vous  prenez  l'a.  Messieurs, 
une  décision  déplorable.  Ne  voyez-vous  pas  (jue  laisser  un  tel  procès 
indécis,  c'est  précisément  laisser  la  vie  de  notre  roi  exposée  au  poignard? 
Dieu  veuille  qu'on  ne  vous  l'apprenne  pas  plus  tard  !  Mon  avis,  au  reste, 
est  que  ces  gens-la  soient  chassés  sans  pitié  du  royaume.  »  (De  Thou, 
ubi  sup.) 

Tandis  que  cette  scène  se  jouait  au  parlement,  Passerat,  professeur 
d'éloquence  au  collège  de  Cambray,  disait  dans  sa  chaire  que  «  l'Univer- 
sité française,  qui  venait  de  se  prostituer  parla  trahison  d'une  partie  de 
SCS  membres,  aurait  besoin  d'une  purification  et  d'une  consécration 
nouvelles  pour  servir  les  muses.  —  Le  temple  et  les  cérémonies  de  ces 
divinités,  ajoutait-il,  ne  doivent  point  être  souillés  par  ces  oiseaux 
immondes,  ou,  pour  |)arler  sans  métaphore,  par  ces  animaux  a  deux 
pieds  et  sans  plumes,  vêtus  d'une  robe  noire,  qui  empuantissent  tout  ce 
qu'ils  touchent. 

«  Si  le  parlement  ne  se  décide  pas  a  bannir  ces  harj)ies  dégoûtantes, 
c'est  en  vain  que  nous  sacrifierons  aux  dieux  du  rivage  ;  notre  vaisseau 
ira  encore  se  briser  contre  les  mêmes  écueils,  où  la  tempête  l'avait  jeté 
depuis  peu. 

(1)  Quelques  amis  m'ont  demandé  si  j'étais  bien  fidèle  ici  à  mon  épigraphe:  Nec 
amore,  nec  odio.  J'avoue  que  je  n'éprouve  pas  de  grandes  sympathies  pour  cette 
fameuse  société  et  je  crois  que  c'est  en  vertu  de  la  seconde  partie  de  mon  épigraphe  : 
Humanitalis  causa.  Au  reste,  j'atteste  qiie  je  n'ai  contre  ces  pères,  ni  esprit  de 
laine,  ni  esprit  de  vengeance  personnelle.  Je  désire  seulement  qu'ils  ne  fassent  pas 

mon  pays  tout  le  mal  qu'ils  peuvent  lui  faire.  Je  proteste  aussi,  qu'ici  comme 

ailleurs,  je  n'ai  rien  inventé,  je  mets  aussi  fidèlement  qu'il  m'est  possible  toutes  les 

"pièces  que  je  connais  sous  les  yeux  de  mes  lecteurs  :  c'est  à  eux  de  juger.  Quant  à 

moi,  je  ne  nie  pas  que  mon  opinion  n'est  pas  favorable;  mais  je  laisse  chacun  libre 

d'avoir  la  sienne. 


432  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

«  Dans  le  champ  qu'on  veut  cultiver  avec  succès  il  faut  arracher  jus- 
qu'à la  dernière  racine  des  mauvaises  herbes.  Des  brigands  aussi  cruels 
que  les  Scythes,  se  sont,  sous  l'amorce  d'une  instruction  gratuite,  implan- 
tés, malgré  les  dieux,  sur  les  terres  fertiles  de  l'Université.  Ils  espèrent 
par  la  s'emparer  des  biens  des  riches,  faire  tomber  dans  leurs  filets  les 
personnes  qui  vivent  dans  le  célibal,  se  composer  un  cortège  de  nos 
enfants,  de  femmelettes  superstitieuses  et  de  jeunes  gens  sans  expérience, 
cortège  qui  doit  les  conduire  au  pouvoir  énorme  qu'ils  ambitionnent. 

«  Déjà  ils  ont  fait  entrer  dans  Paris  leur  cheval  de  Troie,  sous  pré- 
texte des  besoins  de  la  religion,  prétexte  dont  ils  ont  toujours  su  habile- 
ment couvrir  leurs  fourbes  et  leur  avarice  insatiable  ;  des  flancs  de  ce 
cheval,  quand  ils  se  sont  ouverts,  combien  de  misères  et  d'horreurs 
n'avons-nous  pas  vu  sortir,  pour  se  répandre  sur  la  France  ?  Peut-être 
aurions-nous  pu  nous  garantir  de  tous  ces  maux,  si  nous  avions  voulu 
croire  les  personnes  sages,  qui  comme  la  prophétesse  Cassandre,  nous 
les  prédisaient  à  haute  voix  ;  mais  nous  avions  parmi  nous  aussi  des 
traîtres  et  des  Sinons,  pour  endormir  notre  prudence  et  nous  boucher 
les  oreilles. 

a  On  nous  a  dit  que  ces  gens-là,  venaient  instruire  gratuitement  notre 
jeunesse  ;  qu'on  change  quelques  lettres  et  qu'on  dise  plutôt  qu'ils 
viennent  détruire  gratuitement  toute  instruction  libérale  et  nationale, 
pour  ne  plus  laisser  dans  le  beau  royaume  de  France  que  des  fanatiques 
et  des  superstitieux. 

(c  Et  même  ce  mot,  gratuitement,  dont  ils  dorent  leur  venin,  n'est-il 
encore  ici  qu'une  antiphrase.  J'en  atteste  les  riches  et  puissantes 
familles  dont  ces  sangsues  ont  absorbé  toute  la  substance  pour  fournir, 
disent-ils,  aux  frais  de  cette  prétendue  instruction  gratuite.  Au  lieu 
d'une  petite  rétribution  qu'ils  auraient  reçue  par  mois  de  chacun  de 
leurs  élèves,  ils  se  sont  fait  léguer  des  sommes  immenses,  et  leurs 
pièges  de  toutes  sortes  sont  continuellement  tendus  pour  en  attraper  de 
plus  importants  encore. 

«  11  faut  que  les  pères  qui  leur  confient  leurs  enfants  soient  bien 
simples.  J'aimerais  autant  confier  mes  brebis  au  loup,  mes  pigeons  à 
l'épervier  et  mes  poulets  au  Milan.  Qu'est-ce  donc,  après  tout,  que  ces 
nouveaux  maîtres  descendus  du  ciel  par  une  corde  d'or,  enseignent  de 
si  merveilleux  ?  Le  voici  :  ils  apprennent  à  ceux  qui  les  écoutent  qu'il 
n'y  a  de  bien  et  de  beau  que  les  manières  de  l'Espagne  ;  que  les  lois 
et  coutumes  de  notre  pays  ne  méritent  que  mépris  et  que  haîne,  qu'il 
iaut  être  poltron,  hypocrite,  et  qu'on  peut  sans  pécher  sacrifier  à  la 
déesse  Laverne.  Voilà  la  doctrine  qu'ils  nous  ont  apportée,  et  ils  veulent 
être  les  seuls  à  la  professer.  Je  ne  leur  envierai  pas  ce  privilège. 

«  A  voir  leurs  mines  douces  et  graves,  vous  les  prendriez  pour 
gens  de  bien.  Ils  se  sont  rais  à  émender,  comme  ils  le  disent,  nos  bons 
auteurs  pour  ne  point  salir  l'imagination  de  la  jeunesse,  en  lui  laissant 
sous  les  yeux  des  peintures  trop  vives  et  trop  libres  ;  ainsi,  ils  sont  par- 
venus à  faire  un  mouton  d'un  bélier,  et  un  bœuf  grossier  d'un  bouillant 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE. 


433 


et  généreux  taureau.  Le  beau  mérite  !  ils  auraient  mieux  fait  d'émender 
leur  morale  (|iii  oll're  toujours  un  moyen  de  légitimer  toutes  les  fai- 
blesses, tous  les  vices  et  même  tous  les  crimes. 

«  Ab  !  qu'ils  se  hàlent  de  retourner  au  bon  pays  d'où  ils  nous  sont 
venus,  qu'ils  aillent  la  faire  tant  (ju'ils  le  voudront  des  bypocriles  et  des 
bigots  ;  la  France  n'aime  ni  les  marchands  d'eunuques,  ni  leur  mar- 
chandise, et  la  longue  et  dangereuse  maladie  que  l'Université  a  con- 
tractée depuis  que  celte  vermine  s'est  introduite  dans  ses  entrailles  ne 
pourra  être  guérie  que  quand  elle  aura  vomi  jus(ju'au  dernier  de  ces 
vers  malfaisants.  »  t 

C'est  ainsi  que  le  professeur  Passerai  s'exprimait  contre  les  jésuites 
avec  toute  l'assurance  d'un  véritable  déclamateur  ;  mais  dans  ces  phrases 
ampoulées  on  peut  trouver  de  salutaires  enseignements,  même  pour  le 
temps  présent,  si  l'on  veut  bien  les  y  chercher. 


IV. 


28 


434  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 


CHAPITRE  XVII 


1594.  —  ARGUMENT  :  continuation  du  siège  de  laon. 

RETRAITE  DES   ESPAGNOLS.    —    MORT   DE   GIVRY.    —    CAPITULATION   DE   LAON. 

soumission  de   CHATEAU-THIERRY. 

AMIENS    CHASSE    LE    DUC    D'aUMALE    ET    OUVRE    SES    PORTES    AUX    ROYALISTES. 

LE    ROI   A    CAMBRAI.    —    PUIS   A  AMIENS.     —     BEAUVAIS   LUI  ADRESSE   SA    SOUMISSION. 

SAINT-MALO    ET   NOYON    SUIVENT   CET   EXEMPLE. 

MAYENNE   S'ABOUCHE   A   BRUXELLES   AVEC   L'ARCHIDUC. 

IL   n'en   REÇOIT   QUE   DES   PROMESSES. 

LE   DUC   DE   GUISE   APRÈS   AVOIR   TUÉ   SAINT-POL   S'aCCOMMODE   AVEC   LE   ROI. 

MORT   DU    CARDINAL   DE   BOURBON.    —    MORT   DU    COMTE   D'O. 

LE   MARÉCHAL   d'AUMONT   ENTRE   DANS   LAVAL. 

QUIMPER    RÉSISTE    A    UNE    SURPRISE    ROYALISTE. 

D'AUMONT  PREND   LE   CHATEAU   DE   MORLAIX    SOUS   LES   YEUX   DE   MERCŒUR. 

IL   FORCE   QUIMPER   A   SE   RENDRE.    —    IL   PREND    d'aSSAUT   LE   CROZON. 

DE    CARCES    EN    LUTTE    CONTRE    D'ÉPERNON.    —    LESDIGUIÈRES    INTERVIENT. 

INTRIGUES   DE   LAFIN.   —  d'ÉPERNON    FORCÉ   DE   SE   TOURNER   DU    COTÉ   DE   LA   LIGUE. 

LE  duc:   de   SAVOIE    S'EMPARE   de   BRIQUERAS.   —    IL   DEMANDE   LA   PAIX   AU    ROI 

QUI   LA   LUI   ACCORDE   A   DES   CONDITIONS   AVANTAGEUSES   POUR   LUI. 


Le  roi  continuait  alors  avec  son  infatigable  activité  le  siège  de  Laon. 
Mansfeld  et  Mayenne,  qui  se  tenaient  dans  le  voisinage,  étaient  parvenus 
a  réunira  grands  frais  un  gros  convoi  de  munitions  de  toutes  sortes, 
qu'ils  dirigèrent  avec  une  forte  escorte  d'infanterie  et  de  cavalerie 
vers  la  place  assiégée.  Sa  Majesté,  qui  en  fut  informée,  donna  ordre  au 
maréchal  de  Biron  de  mettre  quelques  troupes  en  embuscade  dans  la 
forêt  par  où  devait  arriver  le  convoi,  et  de  faire  en  sorte  de  l'enlever. 
Biron  fit  aussitôt  partir  en  avant  Givry,  colonel  général  de  la  cavalerie,  et 
quelques  autres  capitaines,  avec  leurs  compagnies  toutes  en  bon  point, 
et  lui-même  se  rendit  à  Crépy,  bien  accompagné,  pour  soutenir  au 
besoin  ce  premier  détachement.  (De  Thou,  t.  XII,  liv.  5,  p.  885  et 
suiv.) 

Givry  et  ses  compagnons  se  tinrent  cachés  dans  la  forêt,  pendant 
toute  la  nuit  et  la  plus  grande  partie  du  jour  suivant,  et  comme  ils 
n'avaient  point  apporté  de  provisions  suffisantes  pour  un  aussi  long 
séjour,  ils  songeaient  déjà  à  se  retirer,  croyant  leur  expédition  man- 
quée,  quand  l'homme  qu'ils  avaient  mis  en  vedette  au  haut  d'un  arbre 
fit  entendre  le  signal    de   l'approche  des  ennemis.  Givry  les  laissa  pas- 


J 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  "        435 

ser  sans  bouger  ;  puis  (jiiand  il  vit  le  convoi  l)ien  engagé  au  milieu  de 
l'embuscade,  il  donna  l'ordre  de  ralla(|uer  de  toutes  parts. 

Mais  les  royalistes  lurent  vigoureusement  reçus  par  les  piquiers 
espagnols,  mêlés  d'aniuebusiers.  Déjà  plusieurs  des  chefs  étaient  blessés; 
les  soldats  semblaient  hésiter  en  voyant  leurs  rangs  décimés  par  les 
balles  ennemies,  et  leurs  adversaires  s'avançaient  toujours  couverts  de 
leurs  chariots  qui  leur  servaient  comme  d'un  retranchement  mobile,  à 
l'abri  duiiucl  ils  Taisaient  sans  relâche  un  feu  meurtrier.  Soudain,  Biron 
arriva  avec  les  siens  et  se  mit  'a  crier  d'une  voix  retentissante  : 
«  L'épée  'a  la  main.  Messieurs  !  et  chargeons  ces  Marannes  d'un  peu 
plus  près  !  »  Cet  ordre  fut  vivement  exécuté  :  en  un  instant  la  terre  se 
trouva  jonchée  de  cadavres  ennemis,  et,  après  un  combat  opiniâtre  oii 
l'on  prenait  les  chariots  les  uns  après  les  autres,  les  Espagnols,  dans  un 
complet  désordre,  se  sauvèrent  a  toutes  jambes,  les  uns  du  côté  de  La 
Fère,  les  autres  dans  les  divers  sentiers  du  bois.  Givry,  à  la  tête  de  sa  ca- 
valerie, poursuivit  les  luyards  et  en  tua  un  grand  nombre,  pendant  (jue  les 
paysans  assommaient  dans  les  champs  tous  ceux  qui  s'étaient  écartés. 

On  brûla  environ  quatre  cents  chariots  ;  on  prit  quinze  cents  chevaux 
(lui  servaient  a  les  traîner,  et  cette  défaite  coûta  à  Mansfeld  douze 
ctiits  hommes  au  moins  de  ses  meilleures  troupes,  restés  morts  sur  le 
champ  de  bataille. 

Uiron,  après  (jue  chacun  des  siens,  qui  étaient  h  jeun  depuis  la 
veille,  eut  pris  sa  réfection  de  pain,  vin  et  viandes  cuites,  dont  il  se 
trouvait  (pianlité  en  ce  convoi,  revint  au  camp,  où  le  roi,  en  réjouis- 
sance d'un  si  beau  fait  d'armes,  lit  faire  une  décharge  générale  de  toute 
siiii  artillerie.  Mansleld,  de  son  côté,  lit  faire  une  décharge  pareille,  afin 
de  cacher  à  ses  troupes  l'échec  qu'il  venait  d'essuyer,-  et  aussi  pour 
encourager  la  garnison  de  Laon  â  se  défendre.  [Écou.  royales  de  SiUly, 
t.  II,  chap,  xxni.) 

Lui  et  Mayenne  tinrent  conseil,  avec  les  principaux  chefs,  pour  déli- 
!(  rer  sur  le  parti  qu'il  convenait  de  prendre  dans  la  circonstance.  L'avis 
lierai  fut  de  battre  en  retraite  ;  mais  on  ne  fut  pas  de  même  accord 
Mir  la  manière  d'opérer  cette  retraite  ;  les  uns  ne  voulaient  pas  (ju'elle 
se  fit  de  nuit,  parce  (jue  cela  aurait  tout  l'air  d'une  véritable  fuite,  les 
autres  trouvaient  qu'il  serait  trop  dangereux  de  la  tenter  de  jour  en  pré- 
sence d'une  armée  ennemie  et  d'un  général  aussi  entreprenant  que 
l'était  le  roi.  On  convint  pourtant  sur  ce  premier  point  que  le  parti  le 
plus  sûr  serait  regardé  comme  le  plus  honorable. 

On  discuta  ensuite  la  route  qu'on  devait  prendre  pour  retourner  à 
La  Fère.  Il  y  en  avait  deux  :  l'une,  par  la  forêt,  qui  était  la  plus  courte 
mais  la  plus  pénible,  à  cause  du  mauvais  état  des  chemins  ;  l'autre  par 
les  plaines  découvertes.  Celle-ci,  quoique  plus  longue,  eût  été  bien 
plus  commode  ;  mais  aussi  elle  donnait  au  roi  de  grandes  facilités  pour 
venir  attaquer  l'armée.  Après  avoir  longlemj)s  pesé  les  avantages  et  les 
désavantages  de  ces  deux  routes,  on  s'en  tint  â  la  première,  et  voici 
l'ordre  qu'on  adopta  pour  opérer  la  retraite. 


436  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

On  fit  partir,  dès  le  soir  même,  un  détachement  d'arquebusiers, 
avec  tous  les  bagages,  l'artillerie  de  campagne  et  la  moitié  des  gros 
canons.  Ce  premier  détachement  eut  ordre  de  se  saisir  du  bois  avant 
que  l'ennemi  ne  se  fût  aperçu  de  rien.  Le  corps  de  bataille  commandé 
par  Mansfcld,  et  l'arrière-garde  sous  la  conduite  de  Mayenne,  se  mirent 
ensuite  en  marche,  dès  le  grand  matin,  avec  le  reste  de  Tartillerie.  Tout 
cela  fila  avec  le  moins  de  bruit  possible. 

Après  leur  départ,  les  coureurs  que  le  roi  avait  envoyés  a  la  décou- 
verte, sous  la  conduite  de  Givry,  s'approchèrent  du  camp  que  les 
Espagnols  n'avaient  pas  même  pris  le  temps  d'abattre,  et  n'entendant 
aucun  bruit,  ils  se  hasardèrent  a  y  entrer.  Tout  était  désert;  mais 
comme  on  craignait  quelque  embuscade,  Givry  se  borna  a  suivre  de 
loin  et  avec  précaution  les  traces  de  l'ennemi. 

Or,  le  roi,  qui  ne  s'attendait  pas  a  un  départ  si  prompt,  était  allé, 
ce  jour-l'a,  avec  une  trentaine  de  chevaux  seulement  et  quelques-uns  de 
ses  courtisans,  dîner  a  Saint-Lambert,  dans  la  Ibrét,  où  il  y  avait  une 
métairie  dépendante  du  Comté  de  Marie,  domaine  de  Navarre.  Dans  sa 
jeunesse  il  était  venu  souvent  en  ce  lieu-la  manger  des  fruits  et  du  lai- 
tage, et  il  se  délectait  grandement  de  revoir  ces  champs  et  ces  jardins 
où  il  avait  été  pendant  son  enfance.  Comme  il  avait  veillé  toute  la  nuit 
précédente,  sitôt  qu'il  eut  dîné,  il  se  jeta  sur  le  lit  du  fermier  pour  se 
reposer,  et  Sully  et  quelques-uns  des  seigneurs  qui  se  trouvaient  la,  le 
voyant  endormi,  allèrent  se  promener  dans  la  forêt,  car  c'était  l'instant 
des  plus  âpres  chaleurs.  {Écon.  royales  de  Sully,  ubi  sup.) 

To'Jt  a  coup,  ils  entendirent  un  grand  bruit  de  piétinements 
d'hommes  et  de  chevaux,  des  voix  qui  s'appelaient  et  se  répondaient,  et 
ils  distinguèrent  même  quelques  sons  de  tambours  et  de  trompettes  a 
travers  les  branchages  ;  ils  apcrçm-ent  bientôt  quantité  de  valetaille  et 
de  goujats  qui  marchaient  en  désordre.  Derrière  venaient  des  compa- 
gnies d'homnes  d'armes  s'avaiîçant  plus  silencieusement  et  tâchant  de 
garder  leurs  rangs  aussi  bien  que  possible,  dans  ces  chemins  étroits  et . 
effondrés,  puis  des  caissons  et  de  l'artillerie.  C'était  l'armée  espagnole 
qui  opérait  sa  retraite  ;  Sully  crut  qu'elle  méditait  une  surprise  contre 
le  camp  du  roi. 

Tout  aussitôt  il  courut  pour  en  avertir  ce  prince,  qu'il  trouva  déjà 
éveillé  et  abattant  des  prunes  pour  son  dessert.  «  Pardieu,  sire,  lui  dit- 
il,  nous  venons  de  voir  passer  des  gens  qui  semblent  vouloir  vous  pré- 
parer une  tout  autre  collection  de  prîmes,  bien  différentes  de  celles-ci 
et  un  peu  plus  dures  'a  digérer.  —  Qu'y  a-t-il?  répondit  le  roi.  —  Il  y  a 
que  tout  le  camp  des  ennemis,  avec  l'artillerie  au  milieu,  vient  de  pas- 
ser tout  près  d'ici.  »  A  quoi  le  roi  ne  répondit  qu'en  criant  :  «  Nos  che- 
vaux !  nos  chevaux  !  vite  nos  chevaux  !  »  et  le  premier  il  sauta  en  selle 
et  prit  au  galop  le  chemin  de  son  quartier. 

Tout  en  courant  il  envoyait  quelques-uns  des  siens  prévenir  les 
différents  postes  qui  se  trouvaient  sur  sa  route,  leur  assignant  son  loge- 
ment pour  lieu  de  rendez-vous,  car  il  ne  savait  pas  encore  si  son  camp 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  437 

n'allait  pas  c(rc  attaqué.  Ce  ne  lut  que  plus  tard  qu'il  apprit  que  l'ennemi 
était  en  pleine  retraite,  et  il  se  mit  à  sa  poursuite,  avec  douze  cents 
chevaux  et  (jualre  mille  hommes  de  pied. 

Mais  il  ne  parvint  à  atteindre  l'armée  espagnole  que  lorsqu'elle  eut 
traversé  la  forêt,  et  les  hataillons  ennemis  avaient  déjîi  eu  tout  le  temps 
de  reformer  leurs  rangs,  rompus  dans  les  délilés  et  de  se  ranger  en  ordre 
dans  une  position  avantageuse. 

Aussitôt  commença  une  bruyante  escarmouche  de  part  et  d'autre.  Il 
y  fut  tiré,  dit-on,  plus  de  cinquante  mille  coups  de  fusil,  mais  avec  si 
peu  d'eiïet  qu'il  n'y  eut  pas  vingt  hommes  de  tués,  et  qu'on  comptait  'a 
peine  le  double  de  blessés.  La  nuit  vint  pendant  tout  ce  vacarme,  et 
Mansfeld  en  profita  pour  arriver  sans  encombre  'a  La  Fère,  d'où,  quelques 
jours  après,  il  alla  passer  la  Somme  'a  Saint-Quentin  et  se  retira  dans 
l'Artois,  pendant  que  Sa  Majesté  revenait  devant  Laon.  {Écon.  royales  de 
Sully j,  ubi  sup.) 

Les  assiégés  n'avaient  pas  perdu  courage  et  faisaient  chaque  jour  des 
sorties,  dans  Tune  desquelles  ils  s'avancèrent  jusqu'au  quartier  de  Biron 
et  comblèrent  de  ce  côté  la  plus  grande  partie  de  la  tranchée.  Le  maré- 
chal était  pour  lors  absent,  occupé  a  causer  avec  le  roi.  Au  bruit  qu'il 
entendit,  il  sortit  tout  furieux,  et  ayant  rencontré  sur  son  chemin  la  sen- 
tinelle la  plus  avancée  qui  se  rapprochait  toute  honteuse,  il  lui  coupa 
lui-même  la  tête  avec  son  sabre,  pour  la  punir  de  n'avoir  pas  donné  le 
signal,  lorsque  l'ennemi  était  sorti  de  la  place.  Ensuite,  ayant  rallié  ses 
gens,  il  repoussa  les  assaillants,  et  lit  réparer  les  ouvrages  qu'ils  avaient 
renversés. 

Cha(jue  jour  cependant  voyait  arriver  de  nouvelles  troupes  au  camp 
du  roi.  Le  duc  de  Bouillon,  qui  venait  de  perdre  sa  femme  et  qui  avait 
besoin  de  l'aide  de  Sa  Majesté  pom*  se  maintenir  dans  son  duché,  envoya, 
quoique  un  peu  tard,  deux  cents  cuirassiers  a  cheval  et  trois  compagnies 
de  dragons.  Balagny,  dont  la  femme  avail,  comme  on  l'a  vu,  ménagé 
avec  le  roi  la  réconciliation  de  son  mari,  vint  aussi  de  Cambrai  avec 
(juatre  cents  chevaux  et  six  cents  hommes  de  pied.  Le  duc  de  NeVers, 
s'était  déj'a  rendu  au  camp  depuis  longtemps,  et  en  dernier  lieu  parurent 
les  milices  de  la  Brie,  conduites  par  le  sieur  de  Bied. 

Givry,  (pii  était  gouverneur  de  celte  province,  laissa  'a  son  lieutenant 
le  commandement  de  la  cavalerie  française  dont  il  était  colonel  général, 
pour  se  mettre  a  la  tête  de  ces  nouvelles  troupes,  (ju'il  voulut  conduire 
lui-même,  pour  leur  faire  passer  leur  première  nuit  dans  la  tranchée. 
Le  lendemain,  au  point  du  jour,  on  le  vil  la  tête  nue  s'avancer  entre  les 
corps-de-garde  des  deux  partis,  et  s'arrêter  comme  pour  écouter  les  pro- 
pos grossiers  et  les  injures  qu'échangeaient  entre  eux  les  soldats  de 
l'un  et  l'autre  camp.  Soudain,  il  reçut  dans  la  tête  un  coup  d'anjuebuse 
(]ui  retendit  raide  mort  ;  «  et  ce  fut  un  grand  dommage,  car  c'était  un 
brave  seigneur,  qui,  en  ces  derniers  temps  de  trouble,  avait  accompli 
plusieurs  beaux  exploits  militaires.  »  (Cavet,  1594.) 

Le  neuvième  jour  de  juillet,   le   feu   continuel   des  batteries   était 


438  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

enfin  parvenu  à  ouvrir  une  large  brèche  ;  mais  on  fut  bien  étonné 
d'apercevoir  derrière  le  mur  écroulé  un  autre  rempart.  Le  roi  ordonna 
l'assaut,  qui  fut  vaillamment  repoussé  par  la  garnison  a  coups  de  pierre 
et  de  feux  d'artifice,  qui  semblaient  pleuvoir  de  toutes  parts  sur  les 
assaillants.  Biron  fit  jouer  une  mine  qui  renversa  une  tour,  mais,  la 
aussi,  on  trouva  par  derrière  un  second  mur  en  bon  état  de  défense. 
Balagny,  qui  attaqua  de  ce  côté-là  avec  les  troupes  qu'il  avait  amenées 
de  Cambrai,  fut  également  forcé  à  la  retraite.  (De  Tiiou,  uhi  sup.) 

On  recommença  donc  a  miner  de  nouveau,  mais  presque  partout  les 
eaux  des  sources,  dont  ce  terrain  est  rempli,  s'infiltraient  dans  les  mines 
et  les  rendaient  inutiles  ;  on  fit  venir  des  canons  de  toutes  parts  et  on 
se  mit  'a  battre  la  place  à  grand  renfort  d'artillerie.  Enfin,  le  vingtième 
jour  de  juillet,  on  s'apprêtait  'a  donner  un  nouvel  assaut,  quand  on  vit 
un  parlementaire  sortir  de  la  place  :  c'était  le  vieux  Lignerac  dont  le  fils 
servait  dans  l'armée  du  roi.  Il  fut  convenu,  que  si,  dans  douze  jours, 
Mayenne,  qui  était  'a  La  Fère,  ne  venait  point  au  secours  des  assiégés, 
ceux-ci  se  rendraient  'a  condition  que  le  comte  de  Sommerive  et  les 
autres  officiers  ligueurs  qui  se  trouvaient  dans  Laon  pourraient  sortir 
avec  leurs  armes  et  leurs  effets. 

Cette  convention  arrêtée,  le  roi  ordonna  au  duc  de  Montpensier  et 
'a  Villars  d'aller  se  poster  du  côté  de  La  Fère^  avec  un  fort  détachement 
des  troupes  nouvellement  arrivées  au  camp,  afin  d'empêcher  les  tenta- 
tives que  le  duc  de  Mayenne  pourrait  faire  de  ce  côté  ;  mais  on  ne  vit 
paraître  ni  le  duc,  ni  personne  de  sa  part,  et  le  délai  élant  expiré,  Laon 
se  rendit  'a  sa  Majesté.  Biron  fut  chargé  d'escorter  la  garnison  jusqu"a 
Soissons,  comme  on  en  était  convenu  ;  et  Claude  de  Marivaux  fut, 
conformément  'a  une  ancienne  promesse  du  roi,  et  au  grand  déplaisir  du 
maréchal,  investi  du  gouvernement  de  la  place  conquise.  «  Je  crain- 
drais, avait  dit  le  roi  à  Sully,  qu'en  lui  baillant  un  pareil  lieu,  il  ne  se 
rendu  tout  'a  fait  insupportable  par  ses  dépits  et  ses  vanteries,  car  je  le 
sais  capable,  en  se  voyant  si  proche  des  Pays-Bas,  de  tout  mépriser  et 
de  tout  imaginer.  »  [Écon.  royales  de  Sully,  t.  II,  chap.  xxiv.) 

Saint-Chamant,  qui  tenait  Château-Thierry  pour  la  Ligue,  n'avait 
pas  attendu  la  prise  de  Laon  pour  faire  son  accommodement,  et  le  roi 
s'était  empressé  de  lui  accorder  un  édit  d'abolition  de  tout  le  passé,  édit 
qui,  en  môme  temps,  le  maintenait  dans  son  gouvernement,  remettait 
au  clergé  tout  ce  qu'il  pouvait  rester  dû  sur  les  décimes,  et  au  peuple 
toutes  les  tailles  des  années  précédentes,  et  enfin  confirmait  tous  les 
anciens  droits  et  privilèges  de  la  ville  comme  siège  de  juridiction  royale. 
(De  Thou,  uhi  sup.) 

Sur  ces  entreliiites,  on  eut  avis  qu'il  y  avait  quelque  émotion  'a 
Amiens,  et  que  si  lé  roi  voulait  bien  faire  seulement  paraître  quebjues- 
unes  de  ses  troupes  dans  les  environs,  les  principaux  d'entre  les  habi- 
tants étaient  tout  disposés  a  chasser  le  duc  d'Aumale  et  tous  ceux  de 
son  parti.  Le  roi  fil  partir  incontinent  Charles  d'IIumières  et  La  Bois- 
sière  avec  deux  cents  chevaux.  Ils   furent  reçus  dans  le   faubourg,  et 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  439 

l'enlreprise  allait  en  eiïct  réussir,  (iiiand  le  duc  de  Mayenne  accourut 
avec  trente  hommes  seulement  et  rassura  par  sa  présence  ceux  de  son 
parti. 

Les  troupes  royales  furent  contraintes  de  se  retirer,  et  tous  les  bour- 
ij;eois  vinrent  prêter  entre  les  mains  du  duc  un  nouveau  serment  de 
(idélilé  a  la  sainte  union  ;  mais  celui-ci,  comptant  avoir  suffisamment 
pourvu  à  la  sûreté  de  la  ville  par  cette  cérémonie,  eut  l'imprudence  de 
se  retirer,  et  il  ne  lut  pas  plus  tôt  sorti  que  les  bourgeois  prirent  les 
armes,  chassèrent  le  duc  d'Aumale,  et  ouvrirent  leurs  portes  toutes 
ptrandes  aux  troupes  du  roi,  sans  même  faire  aucune  stipulation  pour 
leur  sûreté. 

Le  roi  leur  sut  gré  de  cette  confiance  ;  aussi  trouve-t-on  en  leur 
faveur  un  édit  par  lequel,  outre  la  clause  ordinaire  de  maintenir  en 
cette  ville  la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine,  et  de  n'y  en 
pas  souffrir  d'autre,  il  leur  accorde  amnistie  générale  pour  le  passé, 
confirme  chacun  dans  ses  bénéfices,  charges  et  emplois,  'a  la  seule 
condition  que  ceux  qui  les  tiennent  du  duc  de  Mayenne  en  prendront 
de  nouvelles  provisions  signées  de  Sa  Majesté  ;  conserve  aux  maires  et 
aux  échevins  le  gouvernement  civil  et  militaire  de  la  ville,  y  rétablit  la 
juridiction  ordinaire  et  le  bureau  des  finances  qui  avaient  été  transpor- 
tés ailleurs,  depuis  le  commencement  des  troubles,  et  interdit  toute 
poursuite  et  recherche  pour  les  deniers  royaux  qui  avaient  pu  être 
enlevés  et  employés  aux  frais  de  la  guerre. 

Après  la  prise  de  Laon,  Sa  Majesté  crut  utile,  de  faire  un  voyage  à 
Cambrai,  pour  y  ratifier  publiciuement  le  traité  qu'elle  avait  conclu  avec 
llalagny  et  pour  y  affermir  les  habitants  dans  la  fidélité  (ju'ils  lui  avaient 
lait  promettre  par  leur  nouveau  prince  ;  car,  dans  celte  vaste  curée  où 
chacun  se  faisait  sa  part,  Halagny  s'était  tout  bonnement  fait  prince  de 
Cambrai,  dont.  Monsieur,  frère  de  Henri  III,  Lavait  créé  gouverneur  en 
1582.  Après  la  mort  de  Monsieur,  il  avait  d'abord  été  assez  heureux 
pour  conserver  cette  place  à  la  France  ;  quand  la  Ligue  avait  com- 
mencé, il  s'était  hâté  d'en  arborer  les  couleurs  ;  ensuite,  profitant  du 
trouble  général,  il  s'était  fait  reconnaître  par  le  cbapitre  et  les  bour- 
geois souverain  seigneur  cl  administrateur  temporel  de  la  ville  et 
duché  de  Cambrai,  et  maintenant  il  vendait  au  roi  de  France  le  droit 
de  le  protéger  dans  sa  nouvelle  souveraineté  usurpée. 

II  fut  donc  réglé  que,  tant  que  durerait  cette  guerre,  ceux  de 
Cambrai  recevraient  soixante-dix  mille  écus  par  an,  pour  entretenir  la 
garnison  de  leur  ville  et  de  leur  citadelle  ;  qu'ils  jouiraient  en  France, 
de  tous  les  droits  dont  les  naturels  du  royaume  sont  en  possession  ;  que 
le  roi  ne  pourrait  (aire  aucun  traité  avec  l'Fspagne  sans  les  y  com- 
prendre ;  qu'ils  pourraient  tirer  de  France,  tous  les  ans,  mille  muids 
(le  froment  et  quatre  mille  pièces  de  vin,  sans  payer  aucun  droit 
ancien  ni  nouveau  ;  que  leurs  produits  et  marcbandises  entreraient 
également  en  franchise.  Quant  a  Halagny,  il  aurait  vingt  mille  livres  de 
rente  assignées  sur  le  domaine  royal  ;  on  lui  rendait   tous  les  biens  que 


440  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT  ^H^^H 

lui  et  sa  femme  avaient  eus  en  France,  et  de  plus  le  roi  le  faisait  maré- 
chal de  France. 

Moyennant  ces  conditions,  Balagny  et  les  Etats  du  Cambrésis  pro- 
mettaient au  roi  et  a  ses  successeurs  de  les  reconnaître  a  tout  jamais 
pour  leurs  protecteurs,  de  leur  prêter  serment  en  cette  qualité,  «  et  de 
s'unir  a  la  couronne  de  France  par  des  liens  si  étroits  qu'ils  n'en 
pussent  jamais  être  séparés.  » 

Puis  on  fit  des  fêtes,  des  bals  et  des  tournois  ;  mais  le  marquis  de 
Pizani,  qui  avait  accompagné  le  roi,  «  et  qui  joignait  a  une  bravoure 
héroïque  une  prudence  consommée,  »  voyant  la  morgue  et  l'orgueil  du 
prince  nouvellement  parvenu,  ne  put  s'empêcher  de  dire  que  c'était 
une  chose  indigne  du  nom  français  et  de  la  gloire  de  nos  rois,  d'établir 
des  tyrans  sur  la  tête  des  peuples,  quand  la  France  s'était  toujours  fait 
une  maxime  capitale  de  briser  au  contraire  les  chaînes  des  malheu- 
reux. Malgré  sa  prudence,  Pizani  ne  voyait  pas  que  Cambrai  devait  servir 
de  rempart  a  la  France,  du  côté  du  Nord,  et  qu'il  importait  'a  Henri 
d'avoir  cette  ville  a  tout  prix.  (De  Tnou,  ubisup.) 

De  Cambrai,  le  roi  se  rendit  'a  Amiens,  qui  venait,  comme  on  l'a  vu, 
de  faire  sa  soumission,  et  ce  fut  la  qu'il  reçut  les  députés  de  Beauvais, 
chargés  par  leurs  concitoyens  de  négocier  aussi  leur  accommodement. 
Les  bourgeois  de  cette  ville  avaient  d'abord^commencé  par  chasser  deux 
fameux  prédicateurs  ligueurs,  nommés  les  Lucains,  qui,  dans  leurs 
sermons,  vociféraient  contre  le  roi.  Cela  avait  été  la  cause  d'une  émeute, 
dans  laquelle  Lemaire,  grand  partisan  de  l'Espagne,  avait  été  également 
chassé,  parce  qu'on  avait  découvert  qu'il  avait  demandé  des  troupes 
espagnoles  pour  leur  livrer  la  forteresse.  Le  gouverneur  Sessevel,  qui 
s'était  mis  a  la  tête  du  mouvement,  ne  voulut  rien  faire  demander  au- 
roi  pour  lui-même,  de  peur,  disait-il,  qu'on  ne  le  confondît  avec  ceux 
dont  la  foi  était  vénale  ;  mais  le  roi  le  confirma  dans  sa  charge,  et  les 
habitants  reçurent,  comme  ceux  de  toutes  les  autres  villes  qui  ren- 
traient dans  le  devoir,  un  édit  d'abolition  pour  le  passé,  ainsi  que 
la  confirmation  de  tous  leurs  privilèges.  (Mézeray,  t.  111,  p.  1000.) 

Le  mois  suivant,  Saint-Malo  se  soumit  et  reçut  également  amnistie 
entière,  et  notamment  pour  le  meurtre  du  gouverneur  de  Deuil,  que  les 
habitants  avaient  tué,  quand  ils  s'étaient  rendus  maîtres  de  la  ville. 
(De  Tnou,  ubi  siip.) 

Ceux  de  Noyon  ne  demandaient  pas  mieux  non  plus  que  d'imiter 
l'exemple  de  toutes  ces  villes,  mais  ils  étaient  retenus  par  une  forte 
garnison  et  par  leur  gouverneur  Descluseaux,  qui,  jusque-la,  avait 
fermé  Foreille  a  toutes  les  propositions  qui  lui  étaient  faites  de  la  part 
du  roi  et  avait  repoussé  avec  succès  toutes  les  entreprises  tentées  pour 
le  surprendre.  Voyant  enfin  la  décadence  complète  de  son  parti  et  qu'il 
devenait  dangereux  de  résister  plus  longtemps,  il  consentit  'a  se  rendre. 
Ainsi  toute  la  Picardie  se  trouva  au  pouvoir  de  Sa  Majesté,  a  l'exception 
des  villes  de  Soissons,  de  La  Fère  et  de  Ham.  (Cayet,  liv.  6,  ad  ann. 
1594.) 


à 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  444 

Cependant  le  duc  de  Mayenne  était  retourné  a  Bruxelles,  pour 
s'ahoncher  avec  rarcliidiic  et  prendre,  de  concert  avec  lui  et  les 
ministres  de  TEspagne,  des  mesures  sur  les  moyens  de  continuer  la 
guerre.  11  proposa,  comme  dernière  planche  de  salut  pour  ce  qui  res- 
tait encore  de  la  Ligue,  que  le  roi  IMiilippe  fût  déclaré  protecteur  de  la 
religion  catholique  en  France,  sous  l'autorité  du  Saint-Père  ;  mais  il 
demandait  en  même  temps  que  ce  prince  se  hâtât  d'envoyer  au  parti 
tous  les  secours  (ju'il  avait  promis,  et  plus  encore.  De  son  côté,  il 
ollrait  de  livrer  aux  Espagnols,  pour  leur  tenir  lieu  d'indemnité,  en 
raison  des  frais  qu'ils  allaient  faire,  certaines  villes  dont  on  convien- 
drait, a  condition  pourtant  (ju'il  conserverait  le  litre  de  lieutenant- 
général  du  royaume  jns(ju"a  l'élection  d'un  roi  ;  (pfen  cas  où  cette 
élection  ne  pourrait  se  faire.  Sa  Majesté  catholique  lui  assignerait 
a  lui  et  'a  ses  enfants  quelques  terres  hors  du  royaume,  juscpi'â  concur- 
rence d'un  revenu  de  cent  mille  écus,  avec  des  titres  honorables;  que, 
de  plus,  on  acquitterait  toutes  les  dettes  qu'il  avait  été  obligé  de  con- 
tracter pour  le  soutien  de  cette  cause  sainte  et  même  pour  d'autres 
motifs.  Il  ajouta  que,  si  l'on  refusait  d'accepter  ces  propositions,  qui  ne 
tendaient  a  autre  but  qu'au  bien  de  la  religion,  il  protestait  qu'on 
n'aurait  plus  rien  a  lui  imputer  des  événements  (jui  allaient  s'en  suivre 
et  qu'il  se  regarderait  lui-même  comme  libre  de  prendre  son  parti, 
puisque  ceux  qui  étaient  le  plus  intéressés  dans  cette  aflaire  marque- 
raient si  peu  de  zèle. 

L'archiduc  répondit  qu'on  pouvait  compter  (jue  Sa  Majesté  catho- 
lique fournirait  tous  les  secours  et  tout  l'argent  (ju'elle  avait  promis  ; 
qu'elle  trouvait  bon  que  le  duc  de  Mayenne  gardât  ses  titres  et  dignités 
en  France,  mais  qu'elle  exigeait  avant  tout  qu'on  lui  remit  comme  gage 
de  sûreté  la  ville  de  Soissons,  et  que  Monsieur  le  duc  acceptât  un  conseil 
composé  de  gens  h  la  nomination  de  l'Espagne  et  dont  le  zèle  pour  la 
sainte  Ligue  ne  fût  pas  douteux  ;  (ju'au  reste,  si  le  roi  catholi(pie  (ce  qui 
était  hors  de  toute  possibilité)  entrait  jamais  en  traité  avec  le  Héarnais, 
mon  dit  seigneur  duc  pouvait  être  assuré  (|u'on  aurait  toute  l'attention 
}>ossible  'a  sa  dignité,  'a  sa  sûreté  et  'a  ses  avantages. 

Cette  réponse  ne  parut  pas  assez  satisfaisante  'a  Mayenne,  (pii  refusa 
de  livrer  Soissons,  et  l'aflaire  en  resta  la.  En  attendant,  Féria  écrivit  a 
sa  cour  qu'on  ne  pouvait  plus  compter  sur  le  duc  de  Mayenne,  qui  pré- 
sentait des  conditions  inacce|)tal)les  ;  qu'on  savait,  a  n'en  j)Ouvoir  dou- 
ter, qu'il  avait  déjà  entamé  son  traité  avec  le  Héarnais,  [)ar  l'entremise 
du  président  Jeannin,  mais  que  pourtant  il  fallait  encore  le  ménager, 
parce  que,  s'il  abandonnait  la  Ligue,  son  exemple  en  entraînerait  beau- 
coup d'autres  ;  (|ue,  (juant  au  duc  de  Cuise,  il  |)araissait  également  fort 
ébranlé  et  que  décidément  c'était  un  homme  perdu  i)Our  le  parti. 

Leduc  de  Cuise  faisait  en  elTet  son  accommodement  avec  le  roi,  et 
c'était  encore  Sully  (]\n  conduisait  celte  nc'gocialion,  la(|uelle  s'était 
ouverte  sous  les  auspices  les  plus  favorables.  Le  roi  était  alors  de  retour 
'a  Paris,  où  l'on  avait  lait  au  vain(iueur  de  Laon,  une  entrée  triomphale. 


442  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Mais  Sa  Majesté  se  trouvait  assez  embarrassée  d'avoir  a  arrêter  les  ven- 
geances particulières  de  ceux  qui,  se  disant  royalistes,  voulaient  lui 
faire  épouser  tous  leurs  ressentiments  et  demandaient  qu'on  pendît 
tous  les  Ligueurs,  comme,  en  effet,  plusieurs  le  furent  en  ce  temps-la,  ou, 
du  moins,  qu'on  leur  envoyât  des  billets  d'exil,  dont  la  cour  ne  se  mon- 
trait jamais  avare  a  l'égard  de  ceux  qui  n'avaient  aucune  protection. 
Aussi  les  réclamations  pleuvaient  de  tous  les  côtés.  «  Ventre  saint-gris  ! 
disait  Henri  a  ceux  qui  lui  remontraient  cbaritablement  que  sa  trop 
grande  clémence  offensait  ses  bons  sujets  et  serviteurs,  est-ce  que  les 
Ligueurs  ne  sont  pas  aussi  bien  mes  sujets  que  les  autres  ?  Si  vous 
disiez  tous  les  jours  votre  patenôtre  avec  dévotion,  vous  comprendriez 
que  le  pardon  est  un  des  devoirs  du  chrétien.  Quand  nous  demandons 
à  Dieu  de  nous  remettre  nos  offenses,  ne  lui  promettons-nous  pas  aussi 
de  pardonner  aux  autres?  »  {Econ.  royales  de  Sully,  ubi  sup., 
chap.  xxvii.  —  Journal  de  Henri  IV,  t.  II,  p.  67.) 

Comme  il  était  dans  ces  dispositions  religieuses  et  qu'il  s'en  entre- 
tenait avec  Sully,  la  duchesse  de  Guise  vint  le  trouver.  «  Si  Votre 
Majesté  n'y  veut  elle-même  mettre  ordre,  dit-elle,  mon  pauvre  fils 
n'obtiendra  jamais  ce  qu'il  désire  le  plus  :  le  bonheur  de  se  réconcilier 
avec  son  roi.  Ceux  qui  se  mêlent  maintenant  de  cette  affaire  nous  font 
des  monstres  de  tout,  et  ne  parlent  que  de  sévérités  et  de  vengeauces. 
—  Hé  bien,  ma  cousine,  dit  le  roi  en  lui  prenant  et  baisant  la  main 
comme  par  force,  choisissez  vous-même  entre  mes  amis  celui  qui  vous 
inspire  le  plus  de  confiance,  je  lui  donnerai  mes  pleins  pouvoirs.  — 
Sire,  reprit  incontinent  la  duchesse,  donnez-nous  Sully.  —  Quoi  !  ce 
méchant  huguenol-la  ?  Je  vous  l'accorde  volontiers,  quoique  je  sache 
bien  qu'il  est  votre  parent  et  qu'il  vous  aime  beaucoup.  »  Et  Sully  entra, 
de  suite  en  pourparler  avec  le  duc.  {Sully,  ubi  sup.) 

Or,  il  s'en  fallait  que  celui-ci  fût  aussi  puissant  dans  Reims  qu'il 
aurait  bien  voulu  le  faire  croire  pour  obtenir  de  meilleures  conditions. 
Le  capitaine  Saint-Pol  prétendait  que  rien  ne  s'y  ferait  sans  qu'on 
ne  consultât  d'abord  ses  intérêts  à  lui,  et,  suivant  toutes  les  apparences, 
il  avait  les  moyens  de  maintenir  cette  prétention.  Après  avoir  été 
simple  page  chez  le  seigneur  de  Beauvais-Nangy,  il  s'était  élevé  par  son 
audace  au  premier  rang  dans  la  Ligue,  et  il  était,  comme  on  sait,  un 
des  quatre  maréchaux  de  France  que  Mayenne  avait  nommés.  H  s'était 
fait  en  outre  donner  le  titre  de  lieutenant-général  de  Champagne,  pour 
la  Sainte-Union,  et,  de  plus,  il  avait  pris  de  lui-même,  sous  prétexte 
d'une  donation  qu'il  prétendait  tenir  du  Pape,  la  qualité  de  duc  de 
Rethelois.  Comme  cette  seigneurie  appartenait  au  duc  de  Nevers,  Sainl- 
Pol  eut  l'insolence  de  lui  écrire  qu'ils  avaient  l'un  et  l'autre  un  fds  et 
une  fdle,  et  que,  pour  mettre  leurs  prétentions  réciproques  d'accord,  il 
n'y  avait  qu'a  faire  un  double  mariage.  A  quoi  le  duc  avait  répondu 
qu'il  ferait  pendre  un  beau  jour  au  premier  arbre  venu,  et  avec  une 
couronne  ducale  en  tête,  l'impudent  auteur  d'une  pareille  lettre.  Mais 
Saint-Pol   s'était   moqué   de   cette  menace,  et    n'en   allait  pas   moins 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  443 

imperturbablement  son  train,  amassant  quantité  d'argent  par  toutes 
sortes  d'extorsions  et  entretenant  autour  de  lui  une  nombreuse  troupe  de 
satellites,  prête  ii  exécuter  toutes  ses  volontés.  (Mkzehav,  t.  lil,  p.  1092. 
—  Mém.  de  Nevers,  t.  II,  p.  254.) 

Quand,  après  son  évasion  du  cbâteau  de  Tours,  le  jeune  duc  de 
Guise  fut  nommé  gouverneur  de  Ciianipagnc,  il  trouva  dans  Saint-Pol 
un  rival  peu  disposé  a  lui  céder,  et  devant  lecjuel  il  lut  presque  toujours 
obligé  de  lléchir.  Celui-ci,  qui  ne  voulait  pas  lui  permettre  de  se  rendre 
le  plus  fort  dans  aucune  des  places  de  la  province,  et  encore  moins 
dans  la  plus  importante  de  toutes,  avait  lait  bâtir  a  Reims  une  citadelle 
près  la  porte  de  Mars,  où  il  logea  deux  cents  de  ses  estaliers,  ce  qui 
sembla  fort  gênant  au  duc,  lorsqu'il  se  fut  résolu  'a  traiter  avec  le  roi. 
Sous  prétexte  que  ce  poste  indisposait  les  babilanls,  il  pria  'a  plusieurs 
l'ois  Saint-Pol  de  le  l'aire  raser.  Saint-Po^i  ne  répondit  qu'en  laisanl  venir 
Imit  cents  hommes  de  plus  et  en  ordonnant  de  bâtir  un  second  fort  pour 
les  loger.  (Mkzkrav,  nbi  sup.) 

Un  jour  donc  qu'ils  allaient  ensemble  par  la  ville,  Guise  lui  renou- 
vela sa  prière  de  donner  satisfaction  au  peuple  et  "de  renvoyer  tous  ces 
étrangers  ;  mais  le  soi-disant  duc  de  Rethelois  lit  entendre  des  paroles 
injurieuses  en  mettant  la  main  sur  la  garde  de  son  épée;  aussitôt,  sans 
lui  laisser  le  temps  de  la  tirer,  Monsieur  de  Guise  lui  plongea  la  sienne 
dans  le  cœur.  La  populace,  dont  ce  bardi  aventurier  avait  été  jadis 
ridolc,  se  rua  sur  le  cadavre  qu'elle  dépouilla  tout  nu,  pour  lui  eidever 
ses  habits  et  ses  joyaux,  le  laissant  ainsi  étendu  dans  les  fanges  du 
luis^^eau  jus(|n'a  midi.  En  même  temps  ses  lieutenants,  qu'il  avait  mis 
dans  Vilry,  dans  Mézières  et  dans  dill'érentes  autres  villes,  s'accommo- 
dèrent de  ses  dépouilles,  et  traitèrent  chacun  en  particulier  avec  le  roi. 
(Journal  de  Henri  IV,  t.  II,  p.  00.) 

Mais  il  arriva  que  ceux  de  Reims  avaient  aussi  lait  le  projet  de 
traiter  pour  leur  compte,  espérant  par  la  trouver  le  roi  plus  disposé  'a 
liMU"  accorder  de  bonnes  conditions  que  s'ils  laissaient  leurs  intérêts 
entre  les  mains  des  i)rinces  lorrains,  auquel  cas  tous  les  avantages 
seraient  pour  ces  seigneurs.  Ils  nommèrent  donc  une  députation  pour 
aller  trouver  le  roi  de  leur  part.  De  (pioi  Monsieur  de  Guise  ayant  eu 
vent  et  craignant  que,  s'il  temporisait  davantage,  non  seulement  ceux  de 
Reims  ne  lui  écha|)passent,  mais  (|u'il  ne  leur  échappât  pas  lui-même, 
il  se  montra  fort  em[)ressé  a  accepter  toutes  les  propositions  que  Sully 
lui  lit  de  la  part  de  Sa  Majesté.  Il  consentit  à  se  départir  de  la  charge 
de  grand-maitre  de  la  maison  du  roi,  qui  était  déjii  doiniée  au  comte  de 
Soissons,  et  du  gouvernement  de  Champagn(;  (|ue  possédait  déjà  aussi 
M.  le  duc  de  Nevers,  ainsi  que  de  tous  les  bénéfices  du  feu  cardinal, 
son  oncle,  et  de  l'archevêché  de  Reims,  dont  d'autres  serviltMU's  du  roi 
s'étaient  également  tait  pourvoir,  et  on  lui  promit,  en  dédommagement, 
le  gouvernement  de  Provence,  dont  Henri  IV  n'était  pas  fâché  de  voir 
(h'pouiller  le  duc  d'Épernon,  qui  voulait  s'y  maintenir  contre  sa  volonté. 
Le  traité  fut  signé  a  ces  conditions. 


444  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Dès  le  lendemain,  il  arriva  une  chose  qui  fait  bien  voir  la  gentillesse 
de  l'esprit,  ainsi  que  la  loyauté  du  roi.  Les  habitants  de  Reims  s'étaient 
mis  pn  révolte  ouverte  contre  Monsieur  de  Guise,  jusqu'à  ce  point  qu'ils 
avaient  refusé  de  laisser  entrer  dans  leur  ville  les  troupes  qu'il  y  avait 
mandées  ;  leurs  députés  en  même  temps  arrivaient  a  Paris  et  promet- 
taient 'a  Sully  que  Sa  Majesté  n'avait  nul  besoin  de  se  mettre  en  frais 
pour  accorder  des  conditions  au  duc,  attendu  qu'ils  se  chargeaient  de  le 
lui  remettre  prisonnier.  De  plus,  ils  offraient  de  payer  au  dit  Monsieur 
de  Sully,  pour  ses  épices,  une  somme  de  dix  mille  écus,  s'il  voulait  bien 
s'intéresser  pour  eux.  Celui-ci  alla  conter  la  chose  'a  son  maître,  qui  lit 
trois  ou  quatre  tours  dans  son  cabinet,  sans  rien  répondre  ;  puis,  s'étant 
mis  à  sourire,  il  dit  :  «  C'est,  après  tout,  une  grande  vérité  qu'il  n'y  a 
rien  de  si  volage  que  le  peuple.  Oîi  en  étes-vous,  monsieur,  de  votre 
traité  avec  le  duc  de  Guise?  »  Sully  répondit  «  qu'il  était  signé  et  arrêté 
depuis  la  veille.  —  En  ce  cas,  monsieur,  vous  avez  engagé  ma  parole,  je 
dois  la  tenir  ;  mais  je  dois  aussi  récompenser  ceux  de  Reims  de  leur 
bonne  volonté.  Veillez  donc  à  ce  qu'ils  obtiennent  toutes  les  grâces  et 
faveurs  que  je  .pourrai  leur  accorder  honnêtement.  »  (Sully,  ubi 
supra.) 

Le  duc  de  Guise  vint  donc  trouver  le  roi,  qui  le  reçut  avec  les 
mêmes  caresses,  fiiçons  riantes  et  familiarités  que  s'il  eût  toujours  été 
de  ses  plus  fidèles  serviteurs.  «  Reau  neveu,  lui  dit-il  en  l'embrassant 
pour  la  troisième  fois,  votre  père  et  moi,  nous  avons  été  jadis  grands 
amis  et  quoicpie  nous  nous  soyons  trouvés  plusieurs  fois  rivaux  en  amour 
et  en  quelques  autres  choses  encore,  nous  n'avons  jamais  cessé  de  faire 
grand  cas  de  la  personne  l'un  de  l'autre.  »  A  quoi  Monsieur  de  Guise 
répondit  que  «  le  bon  souvenir  de  Sa  Majesté  faisait  honneur  a  la  mémoire 
de  son  père  et  qu'il  lui  en  demeurerait  éternellement  reconnaissant,  »  Sa 
mère  ajouta  :  «  Oui,  sire,  et  je  le  tuerais  moi-même,  de  ma  propre 
main,  s'il  manquait  jamais  'a  la  fidélité  qu'il  vous  doit.  » 

Quelques  jours  auparavant  était  mort,  à  l'âge  de  trente-deux  ans, 
le  cardinal  de  Bourbon,  chef  aussi,  comme  on  sait,  d'un  autre  parti 
opposé  au  roi.  Il  était  fils  de  Louis  de  Bourbon,  prince  de  Condé,  et  le 
vieux  cardinal  de  Bourbon,  son  oncle,  qui  voulait  le  faire  succéder  à  ses 
nombreux  bénéfices,  l'avait  nourri  dans  la  religion  catholique.  Le  Pape 
l'avait  promu  au  cardinalat  en  1585  ;  mais  comme  il  s'était  flatté  de 
parvenir  'a  la  couronne,  il  ne  voulut  jamais  entrer  dans  les  ordres 
sacrés.  Quoique  bon  chrétien,  du  reste,  il  menait  une  vie  très  dissipée 
et  plus  que  mondaine.  Aussi,  malgré  les  grands  bénéfices  qu'il  possédait, 
mourut-il  pauvre.  On  ne  trouva  chez  lui  qu'un  vieux  couteau  dans  la 
cuisine,  encore  était-il  attaché  a  une  chaîne,  sans  quoi  il  ne  serait  pas 
resté  la:  la  valetaille  avait  pillé  tout  le  reste.  (Mézeuay,  t.  III,  p.  109G. 
—  Journal  de  Henri  IV,  i.  Il,  p.  89.) 

A  peu  })rès  vers  le  même  temps,  mourut  aussi  François  d'O,  gouver- 
neur de  Paris  et  surintendant  des  finances.  On  dit  qu'a  ses  derniers 
moments,  il  ne  témoigna  aucun  regret  de  sa  vie  passée,  se  félicitant  au  ,| 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  445 

contraire  d'avoir  goûté  de  tous  les  plaisirs  qu'un  homme  peut  essayer. 
Aussi  la  lîn  de  ses  jours  fut-elle  di|];ne  d'une  pareille  existence.  Il  suc- 
comba aux  suites  d'une  maladie  honteuse.  Quoicju'il  eût  dérobé  bien  des 
millions  au  trésor  public,  il  était  tellement  noyé  de  dettes  que  ses 
domestiques,  alin  de  ne  pas  perdre  tout  a  lait  leurs  gages,  n'attendirent 
pas  même  (ju'il  eût  cessé  de  respirer  pour  enlever  jusqu'à  la  tenture 
de  la  chambre  où  il  était  couché.  (D'Albigm:,  t.  111,  liv.  5,  p.  o9i,  et 
suiv.) 

Le  roi  voulait  donner  sa  [)laco  de  surintendant  "a  .Monsieur  de  Sacy  ; 
mais  la  belle  Gabrielle  n'aimait  pas  ce  seigneur,  parce  (pi'il  s'était 
permis  quelques  médisances  a  son  désavantage  et  qu'il  avait  cherché  'a 
éclairer  le  royal  amant  sur  quelques  intrigues  de  la  favorite  ;  elle  fut 
assez  influente  pour  faire  que  l'administration  des  finances  fût  confiée 
îi  un  conseil  composé  de  sept  membres,  dont  le  duc  de  Nevers  était  le 
chef.  Puis  comme  on  s'aperçut  bientôt  que  le  trésor  ne  s'en  trouvait 
pas  mieux,  pour  être  administré  par  tant  de  personnes  à  la  fois,  le  roi 
finit  par  nommer  Sully  'a  la  surintendance. 

Pendant  que  la  plus  grande  partie  des  provinces  du  centre  s'em- 
pressaient de  rentrer  dans  le  devoir,  celles  du  sud  et  la  Bretagne  elle- 
même  suivaient  le  même  mouvement.  Dans  celle  <lernière,  où  le  duc  de 
Mayenne  était  naguère  encore  si  puissant,  le  i)arti  de  la  Ligue  avait 
déj'a  commencé  'a  décliner  rapidement  depuis  que  la  nouvelle  de  la 
conversion  du  roi  s'était  répandue.  Vainement  les  prédicateurs  criaient 
encore  que  cette  conversion  élait  feinte,  les  peuples  n'ajoutaient  plus 
foi  'a  leurs  déclamations,  et  les  meilleures  villes  échappaient  les  unes 
après  les  autres.  (Mkzeuav,  t.  Ill,  p.  109G,  et  suiv.) 

Le  maréchal  d'Aumont  venait  d'entrer,  sans  coup  férir,  dans  Laval, 
dont  les  habitants  lui  avaient  eux-mêmes  ouvert  leurs  portes,  et  de  là, 
il  se  disposait  à  pénétrer  plus  avant  dans  la  province,  où  l'allendaient 
des  succès  encore  bien  plus  importants. 

Cependant,  les  troupes  espagnoles,  qui,  dès  l'année  précédente, 
étaient  venues  au  secours  des  Ligueurs  bretons,  étaient  allées  bâtir  un 
fort  sur  une  langue  de  terre  qui  se  prolonge  au  sud  de  la  baie  de  Brest 
et  qu'on  appelle  le  Crozon.  Ils  y  mirent  (juatre  cents  hommes  de  leurs 
meilleures  troupes,  sous  la  conduite  du  brave  capitaine  Praxède,  qui  se 
vantait  de  ne  jamais  entrer  dans  une  place  ([ue  pour  la  défendre  ou 
mourir.  Leur  inlention  était  aussi  de  bâtir  un  autre  fort  de  l'autre  côté 
de  la  baie,  en  Léon,  alin  d'intercepter  ainsi  la  navigation  de  Brest  ;  mais 
les  événements  qui  survinrent  ne  leur  en  donnèrent  pas  le  temps. 
(MoREAu,  chap.  xxiii.) 

Déjà  le  parti  royaliste  commençait  à  lever  audacieusement  la  tête 
dans  Qnimper,  où  le  seigneur  de  Quérec,  (jui  en  était  gouverneur,  était 

t  jusqu'alors  parvenu  à  maintenir  la  concorde,  «  (pioi(ju'il  y  eût  là  beau- 
coup de  gens  suspects  d'hérésie  et  autres  libertins,  tous  lesquels  se 
disaient  serviteurs  du  roi.  »  Mercœur,  s'imaginant  que  Quérec  élait  trop 
tolérant  pour  de  pareilles  gens  qui  lui  étaient  contraires,  envoya  le  sieur 


446  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

de  Goulaine  pour  le  remplacer  dans  son  commandement,  mais  les 
habitants  refusèrent  de  reconnaître  ce  nouveau  gouverneur.  (Moueau, 
chap.  XXIV.) 

Lézonnet,  qui  commandait  la  forteresse  de  Concarneau,  après  avoir 
bien  fait  ses  affaires  au  service  de  Mercœur,  venait,  en  ce  temps-la,  de 
changer  de  parti  et  de  se  déclarer  royaliste.  Il  avait  sous  ses  ordres 
.une  belle  garnison,  qui  lui  aidait  à  tenir  tout  le  pays  en  sujétion,  et  par 
ses  amis  il  avait  plus  d'influence  dans  Quiraper  que  le  gouverneur  lui- 
même  ;  aussi  espérait-il  y  entrer,  et  s'en  emparer  sans  répandre  une 
seule  goutte  de  sang.  Une  trentaine  des  principaux  de  la  vi!ie  s'étaient 
en  effet  engagés  a  le  seconder,  et  il  ne  restait  plus  qu'a  prendre  le  jour 
et  l'heure  pour  l'exécution  de  cette  entreprise. 

Le  sénéchal  Le  Baud,  qui  était  un  des  conjurés,  ayant  assemblé  les 
juges  présidiaux  dans  la  Chambre  du  conseil,  leur  fit  un  long  discours 
dans  lequel  il  montra  que  Quimper  ne  devait  pas  attendre  plus  longtemps 
pour  imiter  l'exemple  des  autres  villes  de  la  province  qui  s'étaient  déjà 
rendues  ;  que  le  duc  de  Mercœur  n'avait  plus  aucun  moyen  de  résister  à 
la  puissance  du  roi  ;  qu'il  fallait  bien  en  revenir  'a'ce  principe  sacré  de 
reconnaître  un  souverain  légitime,  attendu  qu'on  n'avait  que  trop  la 
preuve  que  les  guerres  civiles  étaient  ruineuses,  et  qu'il  n'y  avait  que  de 
l'ambition  parmi  les  chefs  qui  se  mettaient  à  la  tête  des  partis.  Il  ajouta 
que  la  ville  pourrait  gagner  une  augmentation  de  ses  privilèges  par  une 
prompte  obéissance,  et  que  le  roi  avait  promis  de  conserver  chacun 
dans  ses  places,  titres  et  dignités. 

Alors  se  présenta  un  envoyé  de  Lézonnet  qui  fit  sommation  de  se 
rendre,  menaçant  qu'en  cas  de  refus  le  capitaine  viendrait  lui-même 
avec  toutes  ses  forces,  et  traiterait  Quimper  en  ville  rebelle.  Mais  la 
majorité  de  ces  têtes  bretonnes  ne  se  laissa  ni  gagner  ni  intimider. 

Pendant  ce  lemps-la,  la  populace  était  sollicitée  et  remuée  avec  plus 
de  succès.  Un  nommé  Yves  Allanou,  homme  libertin  et  factieux,  sortit 
du  conseil  et  parut  sur  la  place,  une  heure  avant  le  soleil  couché.  Aussi- 
tôt un  grand  nombre  de  malfaiteurs  et  de  gens  sans  aveu  se  rangèrent 
autour  de  lui,  et  il  s'en  alla  avec  cette  bande  rôder  autour  de  la  tour  de 
Bihan,  où  jusqu'alors  il  n'y  avait  eu  aucune  garnison.  Le  gouverneur  y 
envoya  bien  vite  quatre  ou  cinq  de  ses  gens,  ce  qui  empêcha  que  la 
tour  ne  fût  prise  dès  le  même  soir,  car,  sitôt  que  ces  quelques  soldats 
furent  dedans,  ils  entendirent  qu'on  tracassait  a  la  porte.  «  Qui  va  Ta  ?  » 
crièrent-ils,  en  tirant  quelques  coups  de  fusil  en  l'air.  Ce  bruit  seul  dis- 
persa les  assaillants  qui  se  crurent  perdus  :  la  plupart  sortirent  même 
de  la  ville  et  se  retirèrent  a  Pont-l'Abbé,  qui  était  resté  en  ruines  depuis 
l'année  1590  ;  ils  se  mirent  dedans  et  réparèrent  les  fortifications  en 
toute  diligence. 

Lézonnet  arrivait  alors  avec  mille  hommes  d'armes.  On  ne  se 
doutait  pas  de  son  approche  ;  car  le  reste  de  la  nuit  avait  été  tranquille, 
et  les  cinq  hommes  de  garde  a  la  porte  de  la  rue  Neuve  étaient  allés 
partager  un  déjeuner  que  le  sieur  de  Kerambiguette  payait  ce  jour-là  aux 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  447 

principaux  de  la  ville.  Comme  ils  étaient  a  faire  bonne  chère,  un  paysan 
qui  avait  vu  Tenncmi  en  venant  apporter  ses  denrées  au  marché  accou- 
rut leur  dire  que  Lézonnet  n'était  plus  qu'a  une  petite  distance.  Le 
gouverneur,  qui  assistait  au  déjeuner,  envoya  aussitôt  tous  les  convives, 
partie  à  la  porte,  partie  sur  les  remparts  ;  chacun  prit  son  poste  a  la 
hâte  et  la  porte  fut  lermce  a  temps. 

Mais  une  partie  des  gens  de  Lézonnet,  qui  venaient  par  la  montagne, 
trouva  le  moyen  de  se  laisser  glisser  dans  la  ville.  Il  fallut  se  battre 
corps  a  corps,  et  l'on  vit  un  bourgeois  nommé  Jean  Richard  soutenir 
seul  au  milieu  de  la  rue,  contre  toute  une  bande  des  assaillants,  un 
combat  (jui  les  maintint  à  distance,  juscpi'îi  ce  qu'il  se  retirât  lui-même 
sans  blessures  derrière  une  forte  barricade,  ({u'on  venait  de  construire, 
et  d'où  partait  un  feu  meurtrier.  Ceux  de  l'ennemi  qui  avaient  pénétré 
dans  la  ville  se  re])lièrent  dans  les  faubourgs,  dont  leurs  com|)agnons 
s'étaient  déjà  rendus  maîtres,  et  tous  se  mirent  'a  tirer  par  les  fenêtres 
des  chambres  hautes.  Toute  la  journée  on  tira  ainsi  les  uns  sur  les 
autres,  dont  plusieurs  des  deux  côtés  furent  meurtris.  Enlin  la  nuit 
survint,  et  les  bourgeois  eu  prohtèrent  pour  envoyer  demander  du 
secours  au  gouverneur  de  Hennebond,  qui  se  mit  tout  aussitôt  en  roule 
avec  le  plus  d'hommes  d'armes  qu'il  put  ramasser. 

Et  cependant  les  conspirateurs  de  l'intérieur,  tout  étonnés  d'une  si 
courageuse  résistance,  ne  savaient  plus  'a  quel  saint  se  vouer.  Allanou 
lui-même  et  le  sénéchal  Lebaud  vinrent  se  battre  comme  les  autres 
dans  les  rangs  des  défenseurs  de  la  place  ;  mais  comme  ils  s'en  van- 
tèrent par  la  suite,  ils  avaient  soin  de  ne  mettre  que  de  la  j)oudre  sans 
balle  dans  leurs  mousquets. 

Le  lendemain  matin  la  fusillade  recommença  et  dura  jus(]u'à  six 
heures  du  soir.  Tout  à  coup  on  aperçut  du  haut  de  la,toin'  de  Hiban  un 
corps  de  cavalerie  qui  s'avançait  par  des  chemins  détournés.  L'alarme 
est  aussitôt  donnée  parmi  les  bourgeois,  chacun  court  à  la  défense  des 
remparts  ;  car  on  croyait  que  c'était  un  secours  qui  arrivait  a  l'ennemi 
de  la  part  du  maréchal  d'Aumont,  qu'on  supposait  déjà  dans  le  voisinage, 
et  on  s'apprêtait 'a  faire  des  décharges  sur  ces  nouvelles  troupes,  quand 
on  reconnut  enfin  que  c'était  la  garnison  de  Hennebond  qui  avait  fait  ce 
jour-iâ  seize  lieues  sans  repaitre. 

Pendant  qu'on  leur  ouvrait  la  porte  Saint-Antoine,  Lézonnet,  qui 
était  'a  la  porte  Neuve,  accourut  bien  vite  pour  les  charger  avant  (ju'ils 
fussent  entrés  ;  mais  la  mousquelerie  des  remparts,  secondant  celle  des 
nouveaux  venus,  l'empêcha  de  trop  s'approcher.  Lui-même,  au  moment 
où  il  gourmandait  les  siens  pour  les  contraindre  a  charger  de  plus 
près,  fut  atteint  d'un  coup  de  l'eu  dans  la  gorge.  Il  fut  obligé  de  se  faire 
emporter  et  d'envoyer  'a  ses  gens  l'ordre  de  battre  en  retraite.  «  Ceux 
de  Quimpor,  dit-il,  m'ont  égratigué  pour  cette  fois  ;  mais  'a  mon  tour 
je  les  écorcherai.  » 

Le  maréchal  d'Aumont  était  alors  a  Morlaix,  occupé  à  assiéger  le 
château  qui  est  dans  cette  ville.  C'étaient  les   habitants"  qui   l'avaient 


448  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

appelé  eux-mêmes  et  lui  avaient  déjà  rendu  leur  ville,  parce  qu'un  des 
envoyés  du  duc  de  Mercœur  avait  maltraité  grossièrement  plusieurs  des 
principaux  bourgeois,  ce  qui  avait  irrité  tous  les  autres.  Le  sieur  de 
Rosampoul,  gouverneur  de  la  place,  n'avait  eu  que  le  temps  de  se  reti- 
rer a  la  hâte  dans  le  château  avec  toute  la  garnison  ;  mais  il  n'avait  pas 
pu  y  faire  entrer  la  moindre  provision  ;  les  royalistes  étaient  sur  ses  pas, 
et  pour  les  arrêter  il  fut  obligé  de  disposer  en  barricades  quelques  ton- 
neaux de  vin  et  de  (arine,  qu'il  amenait  avec  lui  et  qui  furent  défoncés 
et  perdus  par  les  balles  de  reonemi.  Aussi  fut-il  généralement  blâmé  de 
ce  qu'ayant  reçu  deux  mille  écus  du  duc  de  Mercœur  pour  tenir  la  place 
approvisionnée,  il  avait  mieux  aimé  mettre  cet  argent  dans  ses  coffres 
que  d'en  faire  l'usage  auquel  il  était  destiné.  Il  avait  cependant  avec  lui 
plus  de  quatre  cent  braves  soldats,  et  il  n'est  pas  douteux  qu'avec  cette 
force  il  eût  pu  arrêter  longtemps  le  maréchal,  si  les  vivres  et  les  muni- 
tions n'eussent  pas  manqué  ;  mais  bientôt  les  assiégés  furent  obligés  de 
manger  jusqu"a  leurs  chevaux.  La  dame  de  Rosampoul  était  dans  le  fort 
avec  son  mari,  et  elle  était  prête  d'accoucher.  Au  moment  où  la  garni- 
son souffrait  le  plus  la  disette,  d'Aumont  eut  pitié  de  cette  jeune  dame 
et  lui  envoya  trois  'a  quatre  moutons,  de  la  volaille  et  quelques  perdrix  ; 
mais  elle  renvoya  fièrement  ces 'présents,  disant  qu'elle  ne  voulait 
d'autre  viande  que  celle  que  mangeaient  son  mari  et  ses  braves  soldats. 
(MoREAu,  chap.  XXV.) 

Cependant  le  duc  de  Mercœur  s'acheminait  avec  toutes  ses  forces, 
composées  en  grande  partie  d'Espagnols,  pour  sauver  ces  braves  gens. 
A  son  approche,  les  capitaines  du  maréchal  lui  conseillaient  de  lever  le 
siège  et  de  se  retirer  vers  Guingamp  pendant  qu'il  en  avait  encore  le 
loisir.  Mais  il  n'en  voulut  rien  faire,  et  s'apprêta  'a  recevoir  bravement 
l'ennemi,  dont  les  troupes  étaient  beaucoup  plus  nombreuses  que  les 
siennes.  «  Enfants,  dit  Mercœur  quand  il  se  vit  a  portée  de  l'armée 
royaliste,  prenons  la  pique  à  la  main  et  donnons  tête  baissée  sur  l'ennemi. 
—  Monseigneur,  répondit  l'ofticier  qui  commandait  les  Espagnols,  ma 
troupe  ne  donne  pas  tête  baissée,  mais  avec  précaution.  »  (Moreau, 
chap.  xxvn  et  xxvni.) 

Le  fait  est  que  d'Aumont  avait  trouvé  les  moyens  de  faire  entendre 
par  un  transfuge  'a  cet  olticier  qu'il  ne  devait  pas  trop  se  fier  aux  Bre- 
tons et  que  M.  de  Mercœur,  pour  obtenir  de  bonnes  conditions  du  roi, 
avait  promis  qu'il  ferait  en  sorte  que  la  Bretagne  fût  le  tombeau  de  tous 
les  Espagnols  qui  s'y  trouvaient.  Cette  ruse  fut  cause  que  le  duc,  ne 
pouvant  décider  ses  alliés  a  attaquer,  fut  obligé  de  se  retirer,  et  Rosam- 
poul, perdant  tout  espoir  d'être  secouru,  capitula  'a  condition  que  lui  et 
ses  officiers  demeureraient  prisonniers  de  guerre  pour  être  mis  à  rançon; 
que  la  garnison  sortirait  avec  l'épée  seule  et  sans  aucun  bagage,  et  que 
tous,  jusqu'aux  dames  et,  demoiselles  seraient  fouillés  à  la  sortie. 
Aussi  le  butin  qui  resta  dans  le  château  fut-il  considérable. 

Le  duc  de  Mercœur,  après  son  inutile  tentative  pour  secourir  Morlaix, 
s'était  dirigé  tout  triste  et  découragé  vers  Quimper.  Il  y  fut  reçu  avec 


DU  PROTESTANTISME  EN  FUANGE.  449 

(Je  grands  honneurs.  Les  liabilants  se  lirent  fêle  de  la  manière  dont  ils 
avaient  repoussé  le  sieur  de  Lézonnet,  et  racontèrent  an  duc  comme 
(luoi  ce  capitaine  avait  pensé  demeurer  sur  la  j)lace,  d'un  beau  coup 
d'arquebuse  dont  il  n'était  pas  encore  guéri.  «  C'eût  été  dommage,  dit 
Mercœur,  qu'un  aussi  méchant  homme  fût  mort  d'une  aussi  belle  mort. 
Sa  destinée  l'appelle  sur  un  échafaud,  pour  y  mourir  de  la  main  du 
bourreau.  »  Puis,  comme  il  semblait  tout  triste  :  «  Qu'avez-vous,  Mon- 
seigneur, lui  dit  le  sieur  de  Talhouet,  l'un  de  ses  capitaines,  que  nous 
vous  voyons  ce  soir  plus  rêveur  (pie  de  coutume?  —  Ah  !  répondit-il, 
(jue  pensez-vous  de  cet  Espagnol  qui  n'a  pas  voulu  donner  et  qui  nous  a 
lait  perdre  une  si  belle  occasion  ?  »  Lors  Talhouet  répli(|ua  :  «  Monsei- 
gneur, que  n'acceptez-vous  les  ofl'res  (jue  le  roi  vous  l'ait,  pour  vous 
séparer  de  ces  étrangers  ?  »  A  quoi  Son  Altesse  ne  lit  aucune  réponse. 
(MoHEAu,  chap.  XXIX.) 

Or,  les  offres  que  le  roi  faisait  étaient  entre  autres  que  le  duc  serait 
continué  dans  son  gouvernement  de  Bretagne  ;  que  tous  les  biens  qu'on 
lui  avait  confisqués  en  France  lui  seraient  rendus,  et  (jue  tout  le  passé 
serait  complètement  oublié.  Ces  offres  étaient  belles  et  avantageuses,  et 
s'il  les  eût  dès  lors  acceptées,  tout  ce  pauvre  pays  aurait  évité  le  déluge 
de  misères  qui  suivit  ;  mais  Mercœur  avait  rêvé  une  souveraineté  indé- 
pendante. 

Sur  ces  entrefaites,  Lézonnet,  tout  souftVant  (ju'il  était  de  sa  blessure, 
n'oubliait  rien  pour  tenir  a  ceux  de  Quimper  la  parole  qu'il  leur  avait 
donnée  de  les  écorcher,  et  en  conséquence  il  s'efforçait  à  décider  le 
maréchal  d'Aumont  'a  marcher  contre  cette  ville.  D'autre  part,  il  conti- 
nuait d'entretenir  des  intelligences  avec  les  conspirateurs  de  Linlérieur. 
Allanou  donc,  aussitôt  après  le  départ  du  duc,  se  remit  à  réunir  ses 
complices,  tantôt  dans  sa  maison  au  Marché  du  pain,  tantôt  chez  un 
cabaretier  huguenot,  près  de  la  porte  Neuve.  Et  en  ellet,  le  maréchal 
d'Aumont  était  déj'a  du  côté  de  Châteaulin.  (Moreau,  chap.  xxx.) 

Mais,  rencontrant  sur  son  passage  le  fort  (|ue  les  Espagnols  venaient 
de  bâtir  aCrozon,  il  résolut  de  le  bloquer  d'abord,  afin  de  ne  pas  laisser 
derrière  lui  des  ennemis  en  liberté  de  troubler  ses  opérations,  et  il 
chargea  de  ce  blocus  le  sieur  de  Liscoet,  auquel  il  laissa  un  fort  déta- 
chement de  ses  troupes;  puis,  lui-même,  avec  le  reste,  ])ouisuivit  son 
chemin  vers  Quimper,  où  il  arriva  dans  la  unit  du  samedi  au  dimanche, 
le  neuvième  jour  d'octobre. 

L'armée  royale  s'approcha  du  rempart  dans  le  plus  grand  silence, 
espérant  que  les  intelligences  qu'elle  avait  au  dedans  lui  faciliteraient 
l'entrée  ;  mais  les  défenseurs  de  la  ville  étaient  déjà  prévenus  et  se 
tenaient  prêts  'a  re{)Ousser  l'escalade.  Les  paysans,  qui,  malgré  l'obscu- 
rité d'une  nuit  épaisse,  épiaient  tous  les  mouvements  de  l'ennemi,  en 
venaient  'a  chaque  minute  apporter  des  nouvelles.  La  grosse  cloche  fut 
'a  l'instant  mise  en  branle,  et  le  tocsin  sonna,  appelant  tout  le  monde 
du  côté  (|ui  se  trouvait  le  plus  menacé. 

C'était  encore  le  côté  de  la  porte  Neuve  ;  et  le  faubourg  (jui 
IV  29 


450  •  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

i'avoisine  fut  de  prime  abord  occupé  par  l'ennemi.  Le  faubourg  de  la 
Terre-au-Duc  et  celui  des  Regaires  tombèrent  également  en  son  pouvoir, 
et  au  lever  du  soleil  la   ville   fut   sommée    de    se    rendre. 

La  populace,  alors  soulevée  par  les  conjurés,  se  forma  en  assemblée 
tumultueuse  a  laquelle  vinrent  présider  le  sénéchal  Le  Baud,  Allanou  et 
leurs  principaux  complices.  Ils  tirent  choisir  une  commission  dont  ils 
se  nommèrent  eux-mêmes  membres,  pour  aller  trouver  le  maréchal  et 
lui  proposer  de  lui  rendre  la  ville.  Toutefois,  quelques  bons  catholiques 
qui  se  trouvaient  dans  cette  asemblée  parvinrent  à  faire  entrer  dans  la 
commission  quelques  personnes  qu'ils  savaient  dévouées  a  M.  le  duc  de 
Mercœur. 

Pendant  ce  teraps-la,  le  maréchal  avait  fait  dresser  ses  batteries  et 
tirait  sans  discontinuer  contre  la  ville  qui  répondait  de  son  côté  par  un 
feu  des  mieux  nourris.  «  Vous  m'aviez  annoncé,  dit  le  maréchal  'a 
Lézonnet,  que  je  ne  trouverais  dans  cette  place  que  des  habitants  inex- 
périmentés au  métier  des  armes.  Vrai  Dieu  !  vous  êtes  un  affronteur. 
Ce  sont  pardieu  bien  la  gens  de  guerre,  habiles  tireurs  et  non  simples 
bourgeois.  »  Et  de  fait,  outre  deux  cents  hommes  de  garnison  que  Mer- 
cœur  avait  laissés  dans  la  ville,  il  y  avait  au  moins  douze  a  quinze  cents 
habitants  bien  exercés  au  maniement  du  mousquet,  qui  faisaient  mer- 
veilles, et  tuaient  beaucoup  de  monde  a  l'ennemi. 

Pas  un  ne  parlait  de  se  rendre,  excepté  les  chefs  du  complot  et  leurs 
adhérents,  qui  continuaient  de  dire  'a  la  menue  populace  que  c'était  folie 
de  résister  a  une  armée  royale  dans  une  bicocjue  comme  Quimper, 
dépourvue  de  tout  moyen  de  défense  ;  que  c'était  vouloir  attirer  une 
destruction  complète  sur  cette  pauvre  ville,  et  que  le  plus  prudent  était 
de  tâcher  d'obtenir  une  capitulation  favorable,  ce  que  le  maréchal  se 
montrait  encore  tout  disposé  'a  accorder. 

De  leur  côté,  les  notables  se  réunirent  en  assemblée  dans  l'église  de 
Saint-Corentin,  pour  délibérer  en  présence  du  crucifix  sur  le  parti  qu'il 
convenait  d'embrasser  dans  une  circonstance  aussi  critique.  Et  d'abord 
messieurs  du  clergé,  qui  parlèrent  les  premiers,  furent  d'avis  qu'on  tînt 
bon  jusqu'à  ce  qu'on  eût  des  nouvelles  de  M.  de  Mercœur.  Messieurs  du 
barreau,  au  contraire,  comme  gens  qui  ne  se  souciaient  pas  tant  de  la 
reli-'ion  que  de  leur  profit  particulier,  voulaient  qu'on  rendît  la  ville  ; 
les  jeunes  gens  appuyaient  l'opinion  des  ecclésiastiques,  et  ils  s'offraient 
'a  défendre  les  murailles  et  même  'a  faire  une  sortie,  pour  repousser 
l'ennemi.  On  se  sépara  sans  avoir  rien  conclu. 

Pendant  ce  temps-là,  ceux  que  le  peuple  avait  députés  au  maréchal 
obtenaient  de  lui  une  audience.  Il  les  reçut  d'abord  de  bon  œil  ;  car,  'a 
l'exception  de  deux  ou  trois  seulement,  ils  avaient  eu  soin  de  se  mettre 
au  cou  l'écharpe  blanche  en  signe  de  royalisme.  Mais  quand  il  eut  aperçu 
dans  la  foule  ceux  qui  avaient  conservé  les  couleurs  de  la  Ligue,  il  entra 
en  une  violente  colère  contre  eux.  «  Vrai  Dieu  !  s'écria-t-il,  mes  maîtres, 
vous  ne  remporterez  pas  chez  vous  ces  belles  enseignes  que  vous  nous 
avez  apportées    ici  ;  car  je  vais  vous   faire  pendre  tous.  »   Il  s'apaisa 


DU  PllOTESTANTlSME  EN  FRANCE.  451 

cependant  et  ne  lit  pendre  personne,  qnand  tous  lui  curent  protesté 
qu'ils  étaient  ses  serviteurs,  et  qu'ils  lui  faciliteraient  les  moyens  de 
prendre  la  ville.  Puis  il  leur  donna  congé  de  s'en  retourner. 

Quand  ces  députés  rentrèrent  dans  Quiinper,  ils  rapportèrent  de  la 
part  de  Monsieur  le  maréchal  de  grandes  promesses  qu'il  Taisait  aux 
habitants  de  les  conserver  chacun  en  leur  état,  avec  augmentation  de 
privilèges  et  d'immunités  |)our  la  ville,  dont  il  jurait  de  n'emporter  ni 
biens  ni  deniers.  Alors  tous  les  factieux  s'écrièrent  qu'il  fallait  accep- 
ter et  se  rendre.  Les  autres,  et  ils  avaient  raison,  regardaient  encore  ces 
promesses  et  serments  comme  de  belles  paroles,  destinées  a  les  attirer 
dans  le  panneau  ;  et  le  capitaine  des  hommes  d'armes  laissés  par  le  duc 
de  Mercœur  se  mit  a  exhorter  tout  le  monde  à  persévérer,  jurant  (ju'il  se 
sentait  assez  fort,  avec  ses  deux  cents  soldats,  pour  déléndre  la  brèche, 
et  ne  demandant  aux  habitants  (|ue  de  veiller  à  repousser  l'escalade  ; 
car,  disait-il,  son  maître  ne  pouvait  manquer  d'accourir  bientôt  a  leur 
secours. 

Ce  qu'entendant  ceux  qui  avaient  vendu  la  ville,  et  craignant  (|u'au 
cas  où  le  duc  arriverait  assez  tôt  pour  les  empêcher  de  la  livrer,  il  ne 
leur  fit  payer  cher  ce  genre  de  commerce,  ils  s'en  allèrent  tenii-  à  part 
une  assemblée  secrète,  dans  une  grande  salle,  au-dessus  de  l'église  de 
Guéodet.  Le  gouverneur  Quérec  était  avec  eux,  et  la,  il  fut  décidé  (ju'on 
enverrait  un  homme  de  confiance  porter  au  maréchal  les  articles  d'une 
capitulation. 

Sur  ces  entrefaites,  les  Anglais,  qui  se  trouvaient  en  grand  nombre 
dans  l'armée  royale,  avaient  olfert  d'emporter  la  ville  par  un  coup  de 
main,  si  l'on  voulait  seulement  leur  abandonner  le  pillage.  «  Le  roi, 
répondit  d'Aumont,  n'a  que  laire  de;  villes  désertes  et  pillées.  Son  inten- 
tion est  de  conserver  ses  sujets  et  non  de  les  détruire.  Et  lui-même  il  lit 
prévenir  les  habitants  de  faire  surtout  bonne  garde  du  côté  du  (piartier 
des  Anglais,  sur  lesquels,  disait-il,  je  n'ai  pas  autant  de  commandement 
(pie  sur  les  Français.  Puis  il  accepta  les  articles  (ju'on  lui  présentait, 
sous  la  réserve  du  bon  plaisir  du  roi. 

En  ce  moment,  Talhouet,  envoyé  par  le  duc  de  Mercœur,  arrivait  au 
camp  porteur  d'une  surséance  d'armes  signée  du  roi  et  du  duc,  mais 
d'Aumont  ne  voulut  pas  même  lui  permettre  de  paraître  aux  yeux  de 
ceux  de  la  ville,  prétendant  (ju'il  était  trop  tard,  et  que  Quim|)er  lui 
était  déjà  acquise.  Talhouet,  alors,  trouva  bon  de  se  ranger  aussi  du 
parti  le  plus  fort,  et  il  lit  son  traité  particulier,  pour  se  conserver  le 
gouvernement  de  Redon,  dont  il  s'était  mis  en  possession  dès  le  com- 
mencement de  cette  guerre.  (Mk/.erav,  t.  III,  p.  I(I!)<S.) 

Le  maréchal,  ayant  pris  le  serment  de  tous  ceux  de  la  ville  et  fait 
payer,  malgré  sa  promesse,  une  contribution  de  onze  mille  écus,  dont  à 
la  vérité  les  royalistes  ne  furent  pas  plus  exem|)tés  que  les  autres,  s'en 
alla  en  personne  au  siège  du  fort  de  Cro/.on,  (jiie,  comme  je  lai  dit, 
il  avait  eu  la  précaution  de  faire  blo<|uer,  eu  venant  à  Quimper.  Aussitôt 
il  entoura  la  place  dune  bonne  et  foric    tranchée  du    côté  de  la  terre  ; 


452  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

et  du  cô'té  de  la  mer  il  avait  fait  venir  plusieurs  grands  vaisseaux  de 
ffuerre,  français,  anglais  et  flamands,  qui  bouchaient  tous  les  passages, 
mais  qui  ne  pouvaient  assez  s'approcher  de  la  place  pour  l'incommoder 
de  leurs  canons.  Car  il  y  a  la  uu  furieux  courant  qu'on  nomme  le  ras  de 
mer  (rabies  maris),  a  cause  de  sa  rapidité,  et  qui  entraînerait  les 
navires  contre  des  rochers  inaccessibles.  (Moreai-,  chap.  xxxi.) 

Le  capitaine  Praxède,  a  qui  la  défense  du  fort  avait,  comme  on  sait, 
été  confiée,  fit  des  merveilles  de  courage,  tant  par  de  fréquentes  sorties 
jour  et  nuit  qu'autrement.  Les  assiégeants  eurent  en  outre  de  grandes 
incommodités  a  surmonter,  car  la  pluie  ne  cessa  presque  pas  de 
tomber  pendant  les  six  semaines  que  dura  ce  siège  ;  et  il  n'y  avait 
pas  moyen  de  se  mettre  a  couvert,  parce  que,  sur  toute  cette  plage, 
incessamment  battue  des  vents  humides  de  l'ouest,  on  ne  trouve  ni 
haie,  ni  buisson,  ni  aucune  maison.  11  fallait  loger  dans  les  tranchées 
où  l'on  avait,  par  ce  temps  d'hiver,  l'eau  et  la  fange  jusqu'aux  genoux  ; 
ce  qui  fut  cause  que  beaucoup  moururent  de  ce  malaise  qui  leur  donnait 
des  maladies  contagieuses,  lesquelles  les  étouftaient  en  trois  jours, 

La  flotte  n'était  pas  moins  exposée,  car  le  vent  la  poussait  continuel- 
lement et  avec  violence  vers  cette  terre,  défendue  par  d'âpres  rochers, 
si  bien  qu'elle  fut  'a  la  fin  obligée  d'aller  chercher  un  abri  a  Brest,  et 
ne  fut  pas  de  grande  utilité  a  ce  siège. 

L'artillerie  du  camp  royal  ne  laissa  pas  pour  cela  de  tirer  continuel- 
lement ;  mais  comme  les  fortifications  n'étaient  que  de  terre  et  suffisam- 
ment épaisses,  les  boulets  ne  faisaient  pas  grand  eflet,  et  chaque  nuit, 
les  dégâts  qu'ils  avaient  causés  pendant  le  jour  étaient  facilement  répa- 
rés. A  chaque  instant  aussi,  les  assiégés  venaient  attaquer  les  soldats 
du  maréchal  dans  les  tranchées  et  renverser  leurs  travaux. 

Ce  fut  dans  une  de  ces  sorties  que  fut  tué  M.  de  Liscoet,  qui  avait 
commencé  le  premier  le  blocus  de  la  place.  On  dit  que  son  cheval  tout 
sellé  et  bridé,  voyant  son  maître  mort,  se  jeta  dans  la  rade  de  Brest,  la 
traversa  a  la  nage,  et  arriva  tout  fumant  dans  la  cour  du  château  de 
Kergoat,  où  il  tomba  expirant  aux  pieds  de  la  dame  de  Liscoet,  qui 
attendait  la  son  mari. 

Malgré  tous  ces  obstacles,  on  était  pourtant  parvenu,  'a  grand  renfort 
de  boulets,  a  faire  une  brèche  que  le  maréchal  se  hâta  de  juger  suffisante  ; 
car  il  venait  d'être  averti  que  don  Juan  d'Aquila,  chef  général  des 
Espagnols  en  cette  province,  était  déjà  en  route  avec  toutes  ses  forces 
pour  venir  au  secours  de  ses  compatriotes.  Il  donna  donc  des  ordres 
pour  un  assaut  général  et  décisif.  Les  assiégés  de  leur  côté  se  prépa- 
rèrent a  vaincre  ou  a  mourir  ;  car  eux  aussi  ils  savaient  que,  s'ils  parve- 
naient 'a  résister  à  cet  assaut,  ils  étaient  délivrés  par  le  puissant  secours 
qui  leur  arrivait. 

Par  malheur  pour  eux,  le  brave  capitaine  Praxède,  après  avoir 
repoussé  victorieusement  trois  attaques  consécutives,  fut  au  commen- 
cement de  la  quatrième  emporté  par  un  boulet  de  canon,  comme  il  se 
présentait  l'un  des  premiers  sur  la  brèche,  la  pique  'a  la  main.  Sa  mort 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  453 

déconcerta  un  peu  les  siens  ;  mais  les  royalistes  eux-mêmes  paraissaient 
également  découragés  après  ce  long  combat  sans  succès,  qui  avait  déjà 
duré  depuis  le  matin  jusqu'à  la  nuit. 

Le  maréchal  avait  gardé  en  réserve  quelques-unes  de  ses  plus  braves 
compagnies,  qui  trépignaient  de  l'inactivité  où  il  les  retenait.  Romegou, 
gentilhomme  gascon,  était  a  la  tête  d'une  de  ces  compagnies,  et  se 
montrait  plus  mécontent  que  personne  de  ce  qu'on  ne  lui  donnait  pas 
congé  de  comballre.  Soudainement  lui  arrive  l'ordre  de  marcher  'a  la 
brèche,  «  Mes  amis,  dit-il  'a  ses  soldats,  j'ai  juré  que  j'entrerais  dans  ce 
fort  mort  ou  vif.  Si  par  aventure  je  suis  tué  avant  d'y  être  arrivé,  tout 
ce  que  je  vous  demande,  c'est  que  vous  preniez  mon  cadavre  et  que  vous 
le  jetiez  dedans.  Et  maintenant,  en  avant  !  »  Cela  dit,  il  |)art  de  bon 
pied,  avec  les  siens;  malgré  les  balles  et  la  mitraille,  il  monte  jusqu'au 
haut  de  la  brèche  qu'il  IVanchit  le  premier,  sans  s'arrêter,  mais  un  coup 
de  mouscjuet  le  renverse  mort  à  l'instant  même.  Ses  braves  soldats 
s'étaient  jetés  lurieusement  a  sa  suite.  Les  Espagnols  ne  peuvent  résis- 
ter à  cette  imp(Huosité,  et  la  place  est  emportée  d'assaut,  au  moment 
où  le  secours  n'en  était  plus  qu'a  quelques  lieues. 

Tous  ceux  qui  s'y  trouvèrent  lurent  impitoyablement  massacrés, 
vieillards,  femmes  et  enAints,  et  il  y  en  avait  un  grand  nombre  ; 
quelques  soldats  seulement  purent  se  cacher  sous  les  rochers,  où  ils 
furent  trouvés  le  soir  même  ;  mais  la  première  furie  du  soldat  était 
passée.  On  se  contenta  de  les  faire  prisonniers,  et  ils  furent  humaine- 
ment traités,  excepté  ceux  qui  tombèrent  entre  les  mains  des  Anglais, 
lesquels,  gardant  encore  rancune  de  la  déroute  de  Craon,  ne  faisaient  ni 
grâce  ni  merci. 

Le  maréchal  fit  raser  et  aplanir  la  forteresse  et  ramena  a  Quimper 
son  armée,  où  se  trouvait  un  grand  nombre  de  blessés  et  un  plus  grand 
nombre  de  malades,  qui  répandirent  bientôt  la  contagion  dans  la  ville  ; 
mais  cela  n'empêcha  pas  que  les  habitants  n'en  prissent  le  plus  grand 
soin,  nonobstant  leur  haine  invétérée  contre  les  hérétiques  et  les 
Anglais.  H  est  vrai  que  M.  d'Aumont  fit  aussitôt  bâtir  une  citadelle,  qui 
se  trouva  en  peu  de  temps  en  état  de  maintenir  la  ville  dans  le  devoir. 
«  Mais,  dit  le  ligueur  Moreau,  dont  j'ai  extrait  ces  récits,  tous  ceux  des 
habitants  (|ui  avaient  mis  la  main  'a  cette  œuvre  destructive  des  libertés 
publiques  eu  furent  châtiés  de  Dieu,  car  presque  tous  moururent  dans 
l'an  et  jour,  parce  qu'il  avait  fallu  pour  bâtir  ce  château  détruire  un 
ancien  couvent.  »  (Morkau,  chap.  xxxu.) 

Quant  aux  affaires  de  la  Provence,  le  comte  de  Carse,  devenu 
maintenant  aussi  chaud  royaliste  (ju'il  avait  été  ardent  ligueur,  y  conti- 
nuait sa  lutte  contre  d'Epernon.  Et  il  avait  envoyé  tout  récemment  au 
roi  une  députation  au  nom  de  la  noblesse  du  pays  et  du  clergé  pour 
supplier  Sa  Majesté  de  les  délivrer  de  la  tyrannie  de  leur  gouverneur. 
(Di:  Tiiou,  t.  Ml,  liv.  5,  p.  517  et  suiv.) 

Henri  IV  ne  lut  pas  fâché  qu'on  songeât  a  susciter  des  embarras  au 
duc  qu'il  n'aimait  guère;  mais  il  ne  jugea  pas  encore  à  propos  de  se 


454  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

prononcer  ouvertement  contre  ce  seigneur,  clans  un  temps  où  presque 
tous  les  gouverneurs  des  provinces  et  des  villes  de  France  prcHaient 
également  la  liberté  d'abuser  de  leur  pouvoir.  Il  renvoya  l'affaire  à 
Montmorency,  que,  par  lettres-patentes  et  non  encore  enregistrées, 
il  avait  tout  récemment  nommé  connétable  de  France  ;  et  il  le  chargea  de 
terminer  tous  ces  différends  à  l'amiable,  autant  que  faire  se  pourrait. 
D'Épernon,  au  reste,  était  par  sa  femme  très  proche  parent  du  conné- 
table, ainsi  que  du  duc  de  Bouillon  et  de  MM.  de.  Ventadour  et  de  la 
Trémouille,  qui  étaient  les  plus  grands  seigneurs  du  royaume,  et  ce 
n'était  pas  la  une  des  moindres  raisons  qui  obligeaient  Sa  Majesté  a  user 
de  ménagements.  Elle  craignait  de  s'aliéner  ces  seigneurs,  en  faisant 
justice  ;  mais,  sous  main,  elle  avait  envoyé  ordre  a  Lesdiguières  et  au 
colonel  d'Ornano  de  soutenir  de  toutes  leurs  forces  la  cause  des  Proven- 
çaux, s'il  arrivait  qu'ils  fussent  pressés  jusqu'à  un  certain  point  par  le 
duc  ;  et  ces  deux  généraux,  ayant  réuni  leurs  troupes,  s'étaient  avancés 
jusqu'à  Serres,  pour  y  attendre  le  moment  d'intervenir. 

Les  choses  en  étaient  la,  lorsqu'un  certain  Lafin,  homme  fourbe  et 
rusé,  et  qui  n'était  qu'un  agent  déguisé  des  Espagnols,  trouva  le  moyen  de 
s'entremettre  dans  cette  affaire.  Il  s'était  fail  donner  des  ordres  de  la 
cour  qui  le  chargeaient  d'aller  annoncer  quil  fallait  suspendre  toute 
hostilité,  pour  laissera  M.  d'Épernon  le  temps  d'aller  lui-même,  comme 
il  l'avait  demandé,  instruire  Sa  Majesté  du  sujet  de  cette  querelle. 

Lafin  alla  d'abord  communiquer  ces  ordres  à  Lesdiguières  et  a  D'Or- 
nano, qui  se  tinrent  en  conséquence  cois  et  en  repos,  sans  oser  avancer 
d'un  pas;  puis  il  s'en  fut  les  porter  au  connétable  auprès  duquel  il  s'ar- 
rêta le  plus  longtemps  possible.  Pendant  tous  ces  délais,  d'Épernon,  qui 
avait  été  prévenu  secrètement,  mais  qui  n'avait  reçu  aucune  commu- 
nication officielle  de  la  volonté  du  roi,  se  mit  en  campagne  avec  ses 
troupes  et  son  canon,  et  se  saisit  subitement  de  toutes  les  places  et 
forts  de  la  province.  Ne  pouvant  entrer  dans  Aix,  il  augmenta  et  perfec- 
tionna les  ouvrages  du  fort,  qu'il  avait  fait  bâtir  l'année  précédente  h 
Saint-Eutrope,  de  telle  sorte  que  cette  ville  se  vit  complètement  tenue  en 
bride  par  son  plus  irréconciliable  ennemi,  ce  qui  réduisit  les  habitants  a 
un  tel  désespoir,  qu'ils  en  étaient  à  regretter  de  s'être  soumis  au  roi, 
puisqu'il  les  protégeait  si  mal. 

Lesdiguières,  a  qui  le  comte  de  Carse  fit  part  de  ce  qui  se  passait, 
se  mit  incontinent  en  route,  et  arriva  à  Ribiers  sur  la  frontière  de  Pro- 
vence. Il  y  trouva  Lafin,  qui  lui  dit  de  ne  pas  avancer  plus  loin,  que 
M.  d'Epernon  allait  donner  satisfaction  aux  Provençaux,  et  que  la  volonté 
du  roi  était  surtout  que  cette  affaire  se  terminât  a  l'amiable  et  non  par 
les  armes.  Lesdiguières  consentit  'a  attendre  jusqu'à  ce  qu'il  eût  reçu 
de  nouvelles  communications  du  connétable  de  Montmorency  ;  mais 
c'était  encore  une  perfidie  de  Lafin.  On  sut  bientôt  que  le  duc 
d'Epernon  continuait  à  traiter  la  Provence  en  pays  conrpiis  et  que  dans 
une  assemblée  tenue  a  Riez,  il  avait  fait  un  grand  nombre  de  règlements 
qui  jie  s'accordaient  guère  avec  les  sentiments  de  paix  qu'on  lui  prêtait. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  455 

Lesdiguières  décampa  donc  sur-le-champ  et  marcha  en  avant  jus- 
qu'à Pertiiis.  Lafin  vint  encore  le  supplier  de  ne  j)as  passer  la  Durance, 
jurant  que  le  duc  était  dans  les  meilleures  dispositions  de  se  soumettre, 
et  qu'il  fallait  se  garder  de  le  forcer  à  prendre  un  parti  violent.  Sur 
cette  parole,  les  troupes  du  roi  perdirent  encore  huit  jours,  que  d'Eper- 
non  employa  'a  encourager  ses  partisans  et  à  Tortiller  les  postes  les  plus 
exposés.  Huit  autres  jours  lurent  encore  perdus,  parce  que  Lesdiguières 
tomha  dangereusement  malade  ;  mais  dès  qu'il  se  trouva  en  état  de  se 
faire  porter  en  litière,  il  passa  enfin  la  Durance  avec  toute  son 
armée. 

Le  duc,  qui  n'avait  osé  s'opposer  au  passage,  se  tenait  cependant  le 
long  du  rivage,  et  il  avait  étahli  de  forts  détachements  de  ses  troupes  à 
Lamhesc,  à  Mallemort  et  a  Senez.  Les  deux  armées  se  trouvèrent  donc 
en  présence,  et  il  y  eut  ce  même  jour,  malgré  les  chefs,  un  combat  fort 
sanglant.  Le  sieur  de  Castellanne  y  eut  son  cheval  tué  sous  lui,  et  fut 
fait  prisonnier.  On  le  conduisit  au  duc  d'Epernon,  qui  le  fit  inhumaine- 
ment massacrer  sous  ses  yeux,  parce  que  c'était  lui  le  premier  (jui  avait 
conseillé  au  comte  de  Carse  de  se  soumettre  au  roi.  Lesdiguières, 
néanmoins,  resta  maître  du  champ  de  bataille  et  put  faire  sa  jonction 
avec  les  troupes  que  lui  amenaient  le  comte  de  Carse  et  les  autres 
nobles  de  la  province.  Il  ne  comptait  pourtant  en  tout  dans  son  armée 
que  mille  chevaux  et  un  peu  plus  de  trois  mille  hommes  de  pied.  Le 
duc  avait  des  troupes  bien  plus  nombreuses  ;  mais  ce  qui  ralentissait 
beaucoup  son  impétuosité  ordinaire,  c'est  qu'il  avait  à  craindre  que  le 
connétable,  quoique  son  parent  et  son  allié  secret,  ne  se  vît  bientôt 
dans  l'obligation  de  joindre  ses  forces  'a  celles  de  son  adversaire.  Et,  en 
effet,  le  connétable  le  sommait  sérieusement  d'obéir  aux  derniers  ordres 
(le  Sa  Majesté,  et  de  se  mettre  en  mesure  de  se  justifier  par-devant  elle. 
Il  crut  donc  prudent  de  paraître  céder  aux  circonstances  :  il  consentit 
a  une  suspensiqn  d'armes  et  'a  rendre  le  fort  de  Saint-Eutrope,  'a  condi- 
tion que  ce  fort  serait  mis  provisoirement  ^us  la  garde  de  Lafin  ; 
celui-ci  y  entra  le  douzième  jour  de  mai,  avec  quatre  cents  hommes 
des  troupes  du  Languedoc  fournies  par  le  connétable. 

Lesdiguières,  de  son  côté,  fit  retirer  son  armée,  et  prit  la  route 
d'Aix,  accompagné  du  comte  de  Carse,  il  y  fut  reçu  en  triomphe  et  fit 
son  entrée  escorté  de  deux  mille  hommes  de  la  milice  bourgeoise,  qui 
étaient  venus  au-devant  de  lui,  et  le  jour  même  il  écrivit  au  roi  pour 
lui  rendre  compte  de  son  expédition. 

Mais  il  se  fit  l'idée  que  les  habitants  d'Aix  devaient  lui  avoir  l'obli- 
gation tout  entière,  et  pour  cela  il  prit  la  résolution  de  les  délivrer 
encore  de  la  contrainte  où  devait  les  maintenir  le  fort  de  Saint-Eutrope. 
Sans  attendre  donc  d'autres  ordres  du  roi,  et  ayant  api)ris  que  Lafin 
venait  de  partir  pour  Marseille,  où  l'appelaient  quelques  autres  intrigues, 
il  feignit  un  jour  d'aller  à  la  chasse  avec  le  comte  de  Carse,  et  ayant  eu 
soin  de  se  faire  accompagner  d'un  bon  nombre  de  soldats.  Il  se  fil  ad- 
mettre avec  eux  dans  le  fort,  sous  prétexte  de  s'y  reposer,  et  comme  il 


456  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

avait  gagné  d'avance  la  plupart  des  officiers  de  la  garnison,  il  n'eut  pas 
de  peine  a  se  rendre  maître  de  la  place.  Il  ne  prit  que  le  temps  d'en 
admirer  en  connaisseur  les  perfections,  et  d'en  observer  les  défauts,  et 
tout  aussitôt  il  la  remit  au  consul  d'Aix  et  aux  habitants,  qui  la  démo- 
lirent et  la  rasèrent  de  fond  en  comble  avec  une  ardeur  incroyable. 
(Mézeray,  t.  m,  p.  1104.) 

Les  autres  villes  de  la  Provence  se  mirent  alors  a  chasser  les  garni- 
sons gasconnes  que  d'Epernon  leur  avait  imposées,  et  celui-ci,  voyant 
que  tout  le  pays  allait  lui  échapper,  se  retourna  du  côté  de  ceux  qui 
étaient  encore  dans  le  parti  de  la  Ligue.  Il  les  exhorta  par  dessous 
main  a  tenir  ferme,  leur  promettant  de  se  joindre  a  eux,  pourvu  qu'ils 
ne  se  laissassent  pas  leurrer  par  les  vaines  promesses  des  royalistes. 
On  prétend  même  qu'il  avait  envoyé  des  agents  a  la  cour  d'Espagne, 
pour  y  offrir  ses  services  et  y  négocier  en  son  nom,  avec  le  vieil  ennemi 
de  la  France  ;  mais  en  même  temps  il  écrivait  au  roi  une  belle  lettre 
pour  se  justifier  de  tous  les  griefs  qu'on  avait,  disait-il,  la  malice  de  lui 
imputer,  et  pour  protester  de  son  inaltérable  fidélité.  On  peut  croire  que 
cette  lettre  n'eut  pas  grand  succès  ;  car  c'est  a  peu  près  dans  ce  temps- 
la  même  que  Henri  faisait  promettre  le  gouvernement  de  la  Provence 
au  duc  de  Guise.  (De  Thou,  ubi  siip.) 

Lesdiguières  s'en  était  alors  allé  à  Grenoble.  Ce  fut  la  qu'il  apprit 
l'évasion  du  duc  de  Nemours,  qui  venait  de  s'échapper  du  château  de 
Pierre-Encise,  oîi  il  était  prisonnier  depuis  plus  d'un  an.  Comme  ce 
prince  s'ennuyait  fort  de  sa  captivité,  qu'il  ne  prévoyait  pas  devoir  finir 
de  si  tôt,  il  commença  parfaire  secrètement  provision  de  cordes.  Ensuite, 
son  cuisinier,  qui  lui  était  dévoué,  perça,  sans  qu'on  s'en  aperçût,  le 
mur  de  la  cuisine  et  y  fit  une  ouverture  assez  grande  pour  y  laisser 
passer  un  homme,  ayant  soin  de  la  tenir  cachée  derrière  de  vieux  plâ- 
tras. Le  duc  alors  feignit  une  indisposition  qui  l'obligeait  a  prendre  une 
médecine,  et  il  se  mit  au  lit  ;  mais  sur  le  soir  il  fit  coucher  son  valet  de 
chambre  a  sa  place.  Celhi-ci  s'était  depuis  longtemps  laissé  croître  la 
barbe  et  les  cheveux,  comme  s'il  avait  fait  vœu  de  ne  se  les  faire  couper 
qu'après  que  son  maître  serait  libre.  Le  duc  se  procura  une  perruque  et 
une  fausse  barbe  toute  semblable,  et  ayant  pris  les  habits  de  ce  garçon, 
il  se  rendit,  tenant  en  main  un  bassin  de  chambre,  comme  pour  l'aller 
vider,  dans  la  pièce  qu'on  avait  percée.  Là,  'a  l'aide  des  cordes  dont  il 
s'était  muni,  il  se  fit  descendre  dans  les  fossés  du  château,  où  il  fut 
reçu  par  ce  d'Aubigny  que  nous  avons  vu  gouverneur  de  Grenoble  pour 
la  Ligue,  et  par  quelques  autres  serviteurs  dévoués  qui  le  conduisirent 
à  Vienne,  en  Dauphiné.  Le  lendemain,  quand  la  nouvelle  de  cette  éva- 
sion fut  répandue  dans  la  ville  de  Lyon,  il  s'y  fit  un  grand  tumulte  qui 
alla  presque  jusqu'à  la  sédition  ;  car  on  accusait  le  gouverneur  lui-même, 
M.  Pomponne  de  Bellièvre,  'a  qui  le  roi  venait  de  confier  cette  charge, 
d'avoir  favorisé  le  complot.  (D'Aubigné,  t.  III,  liv.  4,  p.  482.) 

Nemours  ne  fut  pas  plus  tôt  en  sûreté,  qu'il  appela  auprès  de  lui  tous 
les  fauteurs  et  partisans  de  la  Ligue,  qui  se  trouvaient  encore  en  grand 


.    DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  457 

nombre  dans  ces  contrées  ;  Lesdiguières,  pour  couper  s'il  était  possible 
le  mal  dans  sa  racine,  se  disposait  à  marclier  contre  Vienne  ;  mais  il  en 
lut  empêché  par  une  nouvelle  plus  alarmante  encore. 

On  vint  lui  dire  que  le  prince  de  Savoie  avait  rompu  la  trêve  et  qu'a 
la  tête  d'une  puissante  armée,  (pie  l'Espagne  lui  avait  subitement  pro- 
curée, il  était  venu  attaquer  liriqueras.  Le  général  français  avait  fait 
soigneusement  fortilier  ce  poste  l'année  [)récédente,  et  l'avait  muni 
d'une  bonne  garnison,  parce  qu'il  le  regardait  tout  'a  la  fois  comme  la 
clef  et  la  barrière  entre  la  France  et  le  Piémont. 

Mais,  malgré  tous  les  soins  (ju'il  avait  pris,  la  ville  avait  été  tout  d'abord 
emportée  d'assaut,  après  une  noble  résistance  qui  avait  coûté  la  vie  'a 
ses  plus  braves  défenseurs  ;  et  ceux  qui  avaient  survécu,  forcés  de  se 
retirer  dans  la  citadelle,  y  étaient  vivement  pressés.  Lesdiguières,  sen- 
tant l'importance  de  conserver  une  pareille  place  a  la  France,  lit  deman- 
der des  secours  d'hommes  et  de  munitions  à  toutes  les  provinces 
voisines  ;  mais  par  la  jalousie  du  connétable  de  Montmorency,  qui  ne 
pouvait  lui  pardonner  la  surprise  du  fort  de  Saint-Eutrope,  il  ne  put 
réunir  que  des  troupes  insuflisantes.  Toutefois,  comptant  sur  son  bon- 
heur accoutumé,  il  se  mit  en  route  et  vint  se  loger  a  liobiane,  (jui  n'est 
qu"a  une  petite  lieue  de  la  place  assiégée.  L'a,  ayant  considéré  le  camp 
ennemi,  il  le  trouva  si  bien  fortilié  et  si  bien  gardé,  qu'il  ne  jugea  pas 
possible  de  le  forcer  avec  le  peu  de  monde  qu'il  avait.  Pour  faire  du 
moius  diversion,  il  se  jeta  dans  le  Piémont,  et  alla  prendre  et  ravager 
successivement  Hagnols,  Burges  et  Cavours.  (Mi:zeray,  t.  111,  p.    1104.) 

Cependant,  les  assiégés  étaient  serrés  de  fort  près.  Malgré  plusieurs 
tentatives  faites  par  Lesdiguières,  ils  n'avaient  pu  recevoir  ni  aucun 
secours,  ni  aucun  rafraîchissement,  et  c'est  a  peine  si,  de  cette  nom- 
breuse garnison,  il  restait  deux  cents  hommes  en  état  de  porter  les 
armes  ;  tous  les  autres  étaient  on  morts  ou  blessés.  Les  remparts  du 
château  étaient  partout  ruinés  par  le  canon  ;  des  mines,  auxquelles  la 
pluie  seule,  qui  ne  cessait  de  tomber,  empêchait  de  mettre  le  feu, 
devaient  bientôt  renverser  le  peu  de  fortifications  (jui  restaient  encore  : 
il  lallut  bien  demander  a  capituler. 

On  convint  donc  (pie  les  Français  pourraient  sortir  de  la  place 
tambour  battant  et  mèche  allumée,  et  le  duc  de  Savoie  y  entra  en  vain- 
queur le  vingt-troisième  jour  d'octobre. 

Malgré  ce  succès,  le  duc  n'osa  pas  s'avancer  davantage,  en  présence 
d'un  général  aussi  redouté  et  aussi  entreprenant  que  Lesdiguières.  Il 
aima  mieux  s'assurer,  par  une  paix  définitive,  ce  (piil  avait  dé'jîi  gagné 
depuis  le  commencement  de  nos  troubles,  (jue  de  risquer  de  tout  perdre 
en  continuant  une  guerre,  dont  il  pouvait  déjà  prévoir  que  toutes  les 
chances  allaient  se  tourner  contre  lui.  Il  chargea  donc  lîassompière  de 
reprendre  les  négociations  qu'il  avait  d(''j'a  commencées  avec  le  roi,  et 
Sa  Majesté,  qui  se  trouvait  alors  en  Champagne,  où  elle  était  venue  pour 
visiter  cette  frontière,  se  montra  comme  toujours  fort  généreuse  sur  les 
conditions. 


458  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT       . 

Le  duc  obtint  qu'il  lui  serait  fait  droit  a  lui  et  à  ses  enfants,  touchant 
la  succession  de  Catherine  de  Médicis,  leur  grand'mère,  qu'on  aurait 
égard  aux  prétentions  qu'il  avait,  tant  de  son  chef  que  du  leur,  sur  les 
duchés  de  Bretagne  et  d'Anjou,  et  sur  les  comtés  de  Provence,  de  Blois 
et  de  Coucy.  On  lui  laissa  Marsal  en  propre  et  on  lui  donna  les  villes  de 
Dun  et  de  Stenay,  en  échange  de  Jametz  qu'il  devait  rendre  a  la  France. 
Et  de  plus  le  roi  lui  promit  le  gouvernement  de  Toul  et  de  Verdun  pour 
l'un  de  ses  fils.  Bassompière,  pour  récompense  de  ses  bons  services, 
eut  la  terre  de  Vaucouleurs  en  Champagne  avec  tous  ses  droits  honori- 
fiques et  productifs,  excepté  celui  de  souveraineté  et  le  droit  de  couper 
les  bois  de  haute  futaie. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  459 


CHAPITRE   XVIII 


1594  ET  1595.  —  ARGUMENT  :  le  roi,  voulant  faire  la  guerre 
A  l'espagne,  Écrit  aux  état.s  de  l'artois  et  du  hainaut. 

attentat   de   JEAN    CHATEL.    —   SON    SUPPLICE. 

LE    PARLEMENT   CONDAMNE   LES   JÉSUITES   GOMME   COMPLICES.    —    DÉCLARATION 

DES     AUTIIES     ORDRES    RELIGIEUX    TOUCHANT   L'OBLIGATION    DE    PRIER    POUR   LE     ROI. 

APOLOGIE     DES    JÉSUITES.    —    APOLOGIE   DE    CHATEL     PAR   LE   DOCTEUR    BOUCHER. 

PROCESSION   A   l'occasion    DE   l'aTTENTAT   ET   A   LAQUELLE   ASSISTE   LE   ROI. 

IL   TIENT   l'assemblée   ANNUELLE   DE   L'ORDRE   DU    SAINT-ESPRIT. 

ÉDIT   EN   FAVEUR   DES   PROTESTANTS.    —    DÉCLARATION    DE   GUERRE   A   L'ESPAGNE. 

LES   HOSTILITÉS   COMMENCENT.    —    LE   MARÉCHAL   DE   BOUILLON   DANS   LES   PAYS-BAS. 

D'aSSONVILLE   ET   lîEAUVAU    DANS    LA   FRANCHE-COMTÉ.    —     TAVANNES   EN    BOURGOGNE. 

MAYENNE   VIENT   DANS    CETTE   PROVINCE    DONT   IL    ÉTAIT   GOUVERNEUR. 

LE   ROI   Y   ENVOIE   BIRON,   —   QUI    PREND    BEAUNE,    —    MONTEREAU,    —   DIJON. 

LE   CONNÉRABLE   DE   CASTILLE    ENTRE   EN   BOURGOGNE. 

LE   ROI    Y   VIENT   DE   SON    COTÉ.    —   COMBAT   DE   FONTAINE-FRANÇAISE. 

LE   CONNÉTABr,E   SE   RETIRE   A    GRAY. 

LES     FRANÇAIS     L'y    SUIVENT    ET   DÉFONT   UNE    PARTIE   DE     SES     TROUPES. 

LES   SUISSES   OBTIENNENT   DU   ROI    QU'iL   ÉVACUE   LA   FRANCHE-COMTÉ. 

IL   LAISSE   MAYENNE    SE   RETIRER   A   CHALONS.    —    IL   PASSE   DANS   LE    LYONNAIS. 

VIENNE   EST   LIVRÉE   AU   CONNÉTABLE   DE   MONTMORENCY. 

MORT   DU   PRINCE   DE   NEMOURS. 


Henri  voyait  enfin  la  guerre  civile  à  peu  près  assoupie,  grâce  aux 
généreuses  concessions  qu'il  avait  été  dans  l'obligation  de  taire  aux 
villes  et  aux  chefs  de  la  Ligue,  qui  s'étaient  vendus  plutôt  que  soumis. 
Sou  autorité  était  reconnue  presque  dans  toutes  les  provinces  du 
royaume,  malgré  les  machinations  de  la  cour  d'Espagne.  Il  se  jugea  dès 
lors  assez  fort  pour  attaquer  a  son  tour  cette  puissance  formidable,  qui 
pendant  si  longtemps  avait  accumulé  tant  de  misères  sur  la  France. 

Toutefois,  il  crut  juste  de  faire  d'abord  part  de  son  intention  aux 
Etats  de  l'Artois  et  du  Hainaut,  et  il  leur  écrivit  a  peu  près  en  ces  termes  : 
«  Comme  c'est  le  devoir  d'un  prince  chrélien  d'éviter  autant  que 
possible  l'efl'usion  du  sang  humain,  et  que  mon  dessein  est  de  suivre  en 
cela  les  traces  de  mes  ancêtres,  je  n'aurais  pas  mieux  demandé  que  de 
voir  adoucir  cette  haine  implacable  dont  Philippe,  votre  prince,  n'a 
cessé  de  me  donner  de  si  funestes  manpies.  Grâce  à  Dieu,  je  n'ai  man- 
qué pourtant  ni  de  cœur  ni  de  forces  pour  repousser  victorieusement 
toutes  les  injures  qu'il  m'a  faites.  Aujourd'hui   que  ce  prince  persévère 


460  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

encore  dans  ses  mauvais  desseins  et  ne  cherche  par  toutes  sortes  d'in- 
trigues qu'a  entretenir  dans  leur  condamnable  révolte  ceux  de  mes 
sujets  qui  n'ont  pas  encore  mis  bas  les  armes,  qu'il  ose  même  s'empa- 
rer par  la  force  de  plusieurs  places  qui  appartiennent  a  la  France,  j'ai 
jugé  qu'il  était  temps  que  j'agisse  et  que  j'opposasse  ouvertement  la  jus- 
tice de  mes  armes  a  l'injustice  des  pratiques  sourdes  qu'on  employait 
contre  moi.  Cependant,  comme  je  ne  puis  ni  ne  veux  oublier  l'amitié 
que  les  rois  mes  prédécesseurs  ont  toujours  eue  pour  votre  pays,  ni 
rompre  le  premier  la  bonne  intelligence  dans  laquelle  vos  peuples  ont 
toujours  vécu  avec  le  mien,  j'ai  bien  voulu  vous  faire  savoir  que  c'est  'a 
mon  grand  regret  que  je  vous  vois  exposés  a  supporter  les  premiers  tous 
les  malheurs  de  la  terrible  guerre  qui  va  commencer.  Si  donc  vous 
voulez  éloigner  de  vous  cette  ruine  imminente,  je  ne  vois  qu'un  seul 
moyen,  c'est  que  vous  obteniez  du  roi  d'Espagne  qu'il  congédie  l'armée 
qu'il  entretient  sur  vos  frontières  ;  qu'il  s'engage  a  ne  plus  faire  aucunes 
hostilités  contre  moi  ni  contre  mes  sujets,  et  'a  ne  donner  'a  l'avenir 
aucune  protection  aux  sujets  rebelles  de  mon  royaume.  A  ces  conditions 
garanties  par  vous,  je  ne  lui  déclarerai  point  la  guerre,  et  j'attends 
votre  réponse  jusqu'au  premier  février  de  l'année  prochaine.  »  (De  Thou, 
t.  XII,  livr  5,  p.  527,  et  suiv.) 

Ces  lettres  furent  portées  à  Arras  par  un  trompette  et  remises  entre 
les  mains  de  l'arcbiduc,  qui  n'y  fit  aucune  réponse  et  qui  se  prépara  'a 
soutenir  la  guerre  qu'on  lui  annonçait.  De  son  côté,  le  maréchal  de 
Bouillon,  avec  cinq  régiments  d'infanterie  française  que  le  roi  mit  sous 
ses  ordres,  cinq  compagnies  de  Suisses,  six  cornettes  de  chevau-légers 
et  deux  compagnies  de  gendarmes,  ayant  de  plus  reçu  de  Philippe  de 
Nassau  trois  mille  hommes  de  troupes  flamandes,  suivant  qu'on  en 
était  convenu  avec  la  nouvelle  république,  se  tenait  prêt  a  entrer  dans 
le  Luxembourg,  aussitôt  que  la  saison,  fort  rigoureuse  cette  année-l'a, 
lui  permettrait  d'agir. 

Pendant  ce  temps-l'a,  le  roi,  qui  était  revenu  a  Paris,  se  délassait  de 
ses  fatigues  auprès  de  la  belle  Gabrielle,  qu'il  avait  faite  depuis  quelque 
temps  déjà  dame  de  Liancourt,  en  lui  faisant  épouser  le  seigneur  de  ce 
nom,  «homme  de  grande  condition  ;  mais,  sous  le  rapport  de  sa  per- 
sonne et  de  son  esprit,  il  les  avait  aussi  mal  faits  l'un  que  l'autre.  » 
Aussi,  ce  mari  complaisant  n'avait  fait  aucune  difficulté  de  laisser  sa 
femme  auprès  de  Sa  Majesté,  pensant  bien  qu'il  en  tirerait  au  moins 
quelque  avantage  h  la  cour. 

Sa  Majesté,  pourtant,  si  l'on  en  croit  les  écrivains  satyriques  de  ce 
temps-la,  n'était  ni  le  premier  ni  le  seul  amant  favorisé  par  cette  belle 
dame.  «  Le  duc  de  Bellegarde  et  le  duc  de  Longueville  avaient  déjà 
perdu  auprès  d'elle  leur  liberté,  car  cette  belle  n'en  laissait  point  à 
ceux  qui  la  regardaient  ;  »  mais  l'amour  d'un  roi  pouvait  bien  l'empor- 
ter sur  celui  de  deux  ducs  ;  et  comme,  suivant  l'expression  de  Sully, 
«  ce  grand  prince  avait  les  passions  chaudes,  »  il  ne  se  montrait  pas 
trop  exigeant  sur  ce  qui  s'était  passé  et  pouvait  se  passer  encore  entre 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  461 

sa  maîtresse  chérie  et  cette  foule  d'adorateurs  qu'attiraient  autour  d'elle 
les  charmes  d'une  aussi  belle  personne.  {Mém.  de  VEstoilc,  t.  1,  p.  '282, 
Amours  du  grand  Alcandre. 

11  revenait  de  Saint  CJermain,  plus  empressé  que  jamais  de  lui  ofl'rir 
ses  hommages,  quand  il  faillit  être  victime  d'un  assassinat  qui  aurait 
singulièrement  changé  la  face  dos  affaires  en  Europe,  et  cpii  eût  délivré 
l'Espagne  de  toute  crainte  de  guerre.  C'était  le  vingt-septième  jour  de 
décembre.  Un  certain  Jean  Chatel,  lils  d'un  riche  drapier  de  F^aris, 
avait  terminé  ses  études  chez  les  jésuites,  où  il  venait  tout  récemment 
de  soutenir  une  thèse  pul)li(|ue  pour  être  reçu  maitre-ès-arts.  Ce  jeune 
homme,  'a  peine  âgé  de  dix-neuf  ans,  était  adonné  a  des  vices  mons- 
trueux et  contre  nature,  mais  il  n'en  était  pas  moins  bien  reçu  chez  les 
révérends  Pères  :  ils  l'avaient  même  admis  dans  certains  exercices  spi- 
rituels, auxquels  n'assistaient  que  ceux  de  leurs  pénitents  les  plus  privi- 
légiés. (Dk  Thou,  ubi  Slip.) 

Chatel,  sous  Fimpression  toute  vive  de  ces  pratiques  mystérieuses, 
sentit  de  cuisants  remords  de  sa  vie  passée,  et  sa  conscience  bourrelée 
lui  ht  même  désespérer  de  son  salut  en  l'autre  vie  ;  car  il  ne  se  trouvait 
pas  assez  de  courage  pour  résister  au  penchant  qui  l'entraînait  vers  ses 
abominables  voluptés.  Fatigué  d'une  vie  continuellement  partagée  entre 
le  crime  et  le  remords,  il  résolut  de  mourir,  et  comme  il  avait  souvent 
entendu  répéter  chez  les  jésuites  que  non  seulement  ce  ne  serait  point 
un  crime  d'assassiner  le  roi,  mais  que  ce  serait  même  un  acte  méri- 
toire et  un  grand  service  rendu  à  la  religion,  il  lui  vint 'a  l'idée  de  rendre 
ce  service,  en  sacrifiant  une  existence  (jui  lui  était  devenue  a  charge, 
persuadé  que  le  ciel  lui  saurait  gré  d'un  pareil  dévouement,  et  diminue- 
rait d'au  moins  de  moitié  la  rigueur  des  peines  qui  l'attendaient  dans 
l'autre  monde. 

Il  sortit  donc  de  Paris  et  s'en  alla  au-devant  du  roi,  qui  revenait  entou- 
ré d'une  nombreuse  suite  de  courtisans  ;  comme  il  ne  put  approcher 
assez  pour  faire  le  coup  qu'il  méditait,  son  imagination  étrangement 
malade  lui  suggéra,  à  ce  qu'il  a  confessé  depuis,  une  de  ces  idées  qui 
ne  peuvent  partir  que  d'une  lête  rendue  folle  par  une  dépravation  habi- 
tuelle. «  En  voyant,  dit-il,  quelques  chevaux  dont  les  maîtres  étaient 
descendus  pour  faire  politesse  au  roi  sur  son  passage,  il  me  vint  à 
l'esprit,  tant  je  désirais  la  mort,  de  commettre  publiquement  sur  l'un  de 
ces  animaux  le  crime  de  bestialité,  afin  (jue  la  populace,  excitée  par  un 
pareil  attentat,  se  jetât  sur  moi  et  me  mil  en  pièces  sur-le-champ.  Mais 
la  même  crainte  des  châtiments  de  l'autre  monde,  (\m  m'avait  empêché 
de  m'ôter  moi-même  la  vie,  me  retint  encore  dans  l'exécution  de  ce  pro- 
jet. Je  revins  tout  naturellement  à  celui  de  tuer  le  roi,  qui  devait  du 
moins  servir  dans  la  balance  éternelle  de  contrepoids  à  toutes  les  ini- 
quités dont  je  me  suis  souillé. 

«  Quand  le  roi  entra  chez  la  belle  Gabrielle,  qui  demeurait  à  l'hôtel 
de  Schombcrg  derrière  le  Louvre,  Chatel,  qui  était  j)roprement  vêtu, 
put  se  glisser  facilement   dans  la  foule  des  courtisans   qui  accompa- 


462  HISTOIRE  DE  L  ÉTABLISSEMENT 

gnaient  le  prince,  et,  avant  que  personne  pût  s'en  apercevoir,  il  lui  porta 
subitement  un  coup  de  couteau.  Le  roi,  par  bonheur,  s'était  baissé  en 
ce  moment-la  pour  embrasser  le  seigneur  de  Montigny,  qui  lui  présen- 
tait ses  hommages  un  genou  en  terre,  et  ce  fut  ce  qui  lui  sauva  la  vie  ; 
car  le  coup,  au  lieu  de  percer  la  poitrine  de  Sa  Majesté,  ne  l'atteignit 
que  dans  la  mâchoire  supérieure,  oîi  il  fut  arrêté  par  une  dent  qui  en 
fut  cassée. 

«  Je  suis  blessé,  s'écria  le  roi  dont  le  sang  coulait  abondamment,  et 
c'est  cette  folle  de  Mathurine  qui  m'a  fait  mal.  »  Or,  Mathurine  était 
une  femme  du  peuple  qui  jouait  auprès  de  Sa  Majesté  le  rôle  de  bouffon, 
et  a  laquelle  le  roi  permettait  toutes  sortes  de  plaisanteries  ;  mais 
Mathurine,  en  disant  que  ce  n'était  pas  elle,  courut  bien  vite  fermer  la 
porte  de  la  salle,  afin  que  personne  ne  pût  en  sortir.  {Journal  de  Henri  IV, 
t.  II,  p.  140.) 

Pour  lors,  le  comte  de  Soissons,  voyant  un  homme  qui  pâlissait  et 
qu'il  ne  connaissait  pas,  le  saisit  par  le  collet  et  dit  'a  haute  voix  :  «  Sire, 
si  ce  n'est  pas  Ta  l'assassin,  je  consens  qu'on  dise  que  c'est  moi.  » 
Chatel  avait  déjà  eu  le  temps  de  jeter  son  couteau,  qu'on  ramassa  par 
terre,  'a  côté  de  lui,  et  il  niait  de  toutes  ses  forces  que  ce  fût  lui  qui 
eût  fait  le  coup,  disant  qu'il  n'était  qu'un  pauvre  écolier  venu  la  par 
pure  curiosité.  La  foule  exaspérée  voulait  le  mettre  en  pièces  ;  mais  le 
roi  commanda  qu'on  le  laissât  aller,  disant  dans  son  premier  mouve- 
ment qu'il  lui  pardonnait  :  puis,  ayant  entendu  que  cet  écolier  était 
disciple  des  jésuites,  il  ajouta,  en  plaisantant  et  en  montrant  sa  bles- 
sure :  «  Ce  n'était  donc  i)as  assez  que  par  la  bouche  de  tant  de  gens  de 
bien  cette  société  fût  accusée  de  ne  m'aimer  guère  ;  il  a  fallu  encore 
qu'ils  fussent  convaincus  par  ma  propre  bouche.  »  Et  Sa  Majesté  ne 
s'opposa  plus  a  ce  que  le  grand-prévôt  de  l'hôtel  fit  conduire  le  cou- 
pable en  prison.  (De  Thou,  ubi  sup.  —  Davila,  t.  III,  liv.  14,  p.  555. 
—  Écon.  royales  de  Sully.) 

On  a  prétendu  qu'alors,  Chatel  ayant  demandé  un  confesseur,  le 
lieutenant  des  gardes  de  la  maréchaussée  se  déguisa  en  prêtre  pour 
entendre  sa  confession,  mais  que  ce  soldat,  fort  peu  au  courant  du 
rituel,  s'était  trahi  lui-même  par  son  ignorance  et  n'avait  pu  rien 
apprendre.  Quoi  qu'il  en  soit  de  ce  déguisement,  qui  ne  serait  qu'une 
détestable  profanation,  Chatel,  dans  son  premier  interrogatoire,  fit  l'aveu 
complet  de  son  crime  ;  jl  ajouta  «  qu'on  pouvait  se  tranquilliser  sur  les 
suites  de  la  blessure  du  roi,  que  le  couteau  avec  lequel  il  l'avait  faite 
n'était  nullement  empoisonné  ;  qu'au  reste  il  y  avait  longtemps  déjà 
qu'il  pensait  en  soi-même  a  faire  ce  coup,  et  qu'il  le  ferait  encore  s'il  le 
pouvait,  croyant  que  cela  serait  utile  a  la  religion.  »  A  lui  demandé  où 
il  avait  fait  ses  études,  répondit  que  c'était  chez  les  jésuites,  où  il  avait 
été  trois  ans  et  en  dernier  lieu  sous  le  père  Jean  Guéret,  régent  de  phi- 
losophie; que  même,  peu  de  jours  auparavant,  son  père  l'avait  mené  au 
dit  révérend  père  Guéret,  pour  qu'il  en  reçût  des  consolations  spirituelles, 
parce  qu'ayant  eu  le  malheur  de  tomber  dans  des  crimes   infâmes,   il 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  463 

s'était  senti  la  conscience  bourrelée  jusqu'au  point  de  désespérer  de 
son  salut  éternel  ;  que  c'était  alors  qu'étant  persuadé  qu'il  lui  fallait, 
pour  expier  ces  péchés,  faire  quelque  acte  signalé,  il  s'était  définitive- 
ment arrêté  à  la  pensée  de  tuer  le  roi.  —  Interrogé  si,  se  mettant  en 
ce  désespoir,  il  pensait  être  damné,  ou  sauver  son  âme  par  ce  méchant 
acte,  il  dit  «  qu'il  croyait  que  cet  acte,  étant  fait  par  lui,  servirait  à  la 
diminution  de  ses  peines  dans  l'autre  monde,  étant  certain  qu'il  serait 
plus  puni  s'il  mourait  sans  avoir  tenté  de  rendre  ce  service  a  la  religion, 
et  (juil  le  serait  moins,  s'il  avait  fait  effort  pour  accomplir  cette  œuvre 
méritoire.  —  Enquis  oîi  il  avait  étudié  en  philosophie,  dit  de  nouveau 
que  c'était  au  collège  des  jésuites.  — Enquis  s'il  n'avait  pas  été  dans 
la  chambre  des  méditations,  où  les  jésuites  introduisaient  les  plus  grands 
pécheurs,  qui  voyaient  la  les  portraits  de  plusieurs  diables  de  diverses 
ligures  épouvantables,  répondit  qu'il  avait  été  souvent  en  cette  chambre. 
—  Il  lui  fut  alors  demandé  par  qui  il  avait  été  conseillé  d'attenter  sur  la 
vie  du  monarque.  Sans  vouloir  nommer  personne,  il  se  borna  à  répondre 
que  c'était  une  maxime  tenue  pour  véritable  par  un  grand  nombre  de 
saints  et  doctes  personnages,  qu'il  était  loisible  de  tuer  les  tyrans.  —  A 
la  question  (ju'on  lui  fit,  s'il  n'avait  pas  entendu  répéter  souvent  cette 
maxime  chez  les.  jésuites,  répliqua  que,  comme  tous  les  bons  cotholiques, 
les  jésuites  tenaient  pour  licite  de  tuer  un  tyran  qui  était  hors  de  l'Église, 
et  qu'il  ne  fallait  ni  lui  obéir,  ni  le  tenir  pour  roi,  jusqu'à  ce  qu'il  (ùt 
approuvé  par  le  Pape.  (Journal  de  Henri  IV,  t.  II,  p.  140.  —  Cayet, 
Chron.  nov.,  liv.  6,  ad  ann.  1594.) 

Lorsqu'on  eut  tiré  de  lui  ces  aveux,  on  envoya  arrêter  le  père,  la 
mère  et  les  sœurs  du  coupable,  et  dans  la  perquisition  qu'on  fit  dans 
leur  maison,  on  trouva  une  note  écrite  de  la  main  du  dit  Jean  Chatel, 
qui  détaillait  tous  les  péchés  qu'il  avait  commis,  soigneusement  classés 
suivant  l'ordre  des  préceptes  du  décalogue.  On  lisait  dans  cette  note 
une  suite  d'impuretés  abominables  et  jusqu'à  un  projet  d'inceste,  qu'il 
voulait  commettre  avec  sa  propre  sœur.  Au  reste,  il  avait,  disait-il  dans 
le  même  écrit,  un  moyen  tout  prêt  et  bien  assuré  de  désarmer  les  ven- 
geances du  ciel.  C'était  de  tuer  le  roi,  qui  n'était  pas  approuvé  par  le 
Pape.  Quand  on  l'interrogea  sur  cette  note  et  sur  ceux  (|ui  lui  avaient 
indiqué  le  moyen  d'expiation  par  lequel  elle  se  terminait,  il  répondit  que 
c'était  sa  confession  générale  qu'il  avait  ainsi  rédigée,  pour  aider  sa 
mémoire,  mais  il  ne  voulut  nommer  personne.  (Dk  Tiiou,  ubi  stipra.) 

Pourtant  les  vrais  serviteurs  du  roi  s'écriaient  que  le  Parlement 
avait  eu  grand  tort  de  laisser  dans  le  royaume  des  jésuites  dont  les  en- 
seignements pouvaient  produire  de  pareils  monstres  ;  que  dans  le  procès 
(}ue  l'Université  et  les  curés  de  Paris  venaient  d'intenter  à  cette  société 
et  qui  avait  été  jugé  avec  tant  de  faveur  pour  elle,  tout  ce  qui  venait 
d'arriver  avait  été  prédit  d'avance,  et  qu'il  était  déplorable  que,  par  une 
politique  mal  entendue,  on  eût  prononcé  un  arrêt  de  sursis,  dans  une 
cause  où  la  tranquillité  du  royaume  et  la  vie  du  roi  lui-même  étaient  en 
danger.  Aussi  la  populace  se  rendit  en   tumulte   au  collège  de  la  rue 


464  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Saint-Jacques,  et  Ton  aurait  fait  main  basse  sur  tous  ces  pères,  si  le  roi 
et  le  Parlement  ne  se  fussent  empressés  (l'envoyer  main  torte.  On  mit 
des  gardes  a  toutes  les  portes,  et  Louis  Mazurier,  conseiller  au  Parle- 
ment, dressa  un  inventaire  exact  de  toutes  les  lettres  et  papiers  qu'on 
trouva  dans  la  maison.  (De  Thou,  ubi  sup.) 

C'étaient  pour  la  plupart  des  anagrammes  satyriques  contre  le  roi, 
des  sujets  de  composition  dictés  par  les  professeurs  a  leurs  élèves,  dont 
l'argument  était  de  souifru'  la  mort  constamment,  et  d'assaillir  les  tyrans 
et  d'autres  pauvretés  semblables,  qu'on  n'avait  pas  eu  le  temps  de 
soustraire  aux  premières  recherches.  (Cayet,  uhi  sup.  —  Mém.  de  la 
Ligue,  t.  VI,  p.  245.) 

Pendant  ce  tomps-l'a,  les  présidents  des  nouvelles  chambres  du  Par- 
lement, s'élant  réunis  chez  le  premier  président  Achille  de  Harlay,  qui 
avait  pour  lors  la  goutte,  faisaient  subir  un  nouvel  interrogatoire  à  l'as- 
sassin. 11  répéta  tous  les  aveux  qu'il  avait  déjà  faits  quand  le  prévôt 
l'avait  interrogé,  et,  sans  témoigner  aucun  repentir  de  son  action,  qu'il 
persistait  a  regarder  comme  méritoire,  il  ajouta  fièrement  que,  s'il  ne 
1  avait  pas  faite,  il  la  ferait  encore. 

Les  avis  ne  pouvaient  être  partagés  sur  la  peine  que  méritait  le  cou- 
pable ;  mais  il  se  trouva  des  gens  qui  voulaient  qu'on  jugeât  en  même 
temps  l'affaire  des  jésuites,  parce  que,  disaient-ils,  il  y  avait  tout  lieu 
de  croire  que  la  surséance  que  ces  pères  avaient  malheureusement 
obtenue  a  force  d'intrigues  avait  encouragé  les  mauvaises  passions  et 
donné  occasion  a  ce  parricide  exécrable.  Tel  fut  l'avis  d'Etienne  de 
Fleury,  doyen  des  conseillers  et  l'homme  du  monde  le  plus  éloigné  de 
tout  parti  turbulent.  (De  Thou,  ubi  sup.) 

«  Je  ne  vois  plus,  dit-il,  aucune  raison  popr  différer  plus  long- 
temps. Quelles  autres  preuves  nous  faut-il  encore  des  dangers  dont  ce 
nouvel  ordre  menace  la  nation?  Leurs  accusateurs,  vous  le  voyez  aujour- 
d'hui, n'avaient  pas  tort,  quand  ils  vous  disaient  que  le  salut  du  roi  et 
celui  du  royaume  étaient  liés  avec  celui  de  l'Université.  A  quoi,  en  effet, 
a  servi  le  sursis  qu'ils  ont  obtenu  par  tant  de  démarches  et  de  protec- 
tions, sinon  a  leur  laisser  les  moyens  d'exécuter  un  crime  qu'ils  rêvaient 
depuis  longtemps  ?  Ah  !  que  les  princes  sont  malheureux  î  on  ne  veut 
croire  leur  vie  en  péril  que  lorsqu'on  les  voit  assassinés.  Rendons  grâce 
'a  Dieu,  messieurs,  et  non  a  notre  prudence,  de  ce  que  tout  en  ne  lais- 
sant plus  aucun  doute  sur  les  mauvais  desseins  de  ces  hommes,  il  a 
bien  voulu  lui-même  empêcher  qu'ils  ne  fissent  tout  le  mal  qu'ils  voulaient 
faire.  » 

Augustin  de  Thou  opina  ensuite  en  ces  termes  :  «  Messieurs,  quand, 
dernièrement,  j'ai  donné  mon  avis  dans  l'affaire  des  jésuites  et  de 
l'Université,  j'étais  loin,  je  l'avoue,  de  penser  que  je  vivrais  assez 
longtemps  pour  voir  mes  prévisions  confirmées  par  l'événement,  et 
moi  aussi,  je  rends  grâce  à  Dieu  de  ce  qu'il  a  daigné,  dans  sa  miséri- 
corde, conduire  les  choses  de  manière  a  ce  que,  tout  en  écartant  de 
nous  le  danger  sur   lequel  une  malheureuse  politique  vous  avait  fait 


j 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  465 

fermer  les  yeux,  il  Tait  rendu  aujourd'hui  manifeste,  même  aux  plus 
incrédules.  » 

Chatel  fut  donc  déclaré  atteint  et  convaincu  du  crime  de  lèse- 
majesté  divine  au  premier  chef,  en  réparation  duquel  il  fut  condamné  à 
faire  amende  honorable  devant  le  portail  de  l'Eglise  de  Notre-Dame,  nu 
en  chemise,  tenant  au  poing  une  torche  allumée  du  poids  de  deux  livres, 
et  là,  déclarer  tout  haut  qu'il  avait  méchamment  porté  un  coup  de  cou- 
teau au  roi  :  qu'imbu  d'une  doctrine  fausse  et  abominable,  il  avait  sou- 
tenu qu'il  était  permis  de  tuer  les  rois,  quand  ils  n'étaient  pas  dans  le 
sein  de  l'Église,  et  quand  le  Pape  ne  leur  avait  pas  accordé  l'absolution  ; 
de  tous  tels  crimes  il  se  repentait  et  demandait  pardon  à  Dieu,  au  roi 
et 'a  la  justice. 

L'arrêt  portait  qu'il  serait  ensuite  mené  en  Grève  sur  un  tombereau; 
que  Ta,  il  serait  tenaillé  aux  bras  et  aux  cuisses  avec  des  tenailles 
ardentes,  et  qu'après  qu'on  lui  aurait  coupé  la  main  qui  tiendrait  le  cou- 
teau dont  il  s'était  servi,  il  serait  tiré  à  quatre  chevaux,  les  quartiers  de 
son  corps  brûlés  et  les  cendres  jetées  aux  vents.  Ses  biens  étaient  con- 
fisqués, et,  en  outre,  il  devait  être,  avant  son  supplice,  appliqué  à  la 
question  ordinaire  et  extraordinaire,  pour  tirer  de  lui  le  nom  de  ses 
complices. 

A  l'égard  des  sentiments  qu'il  avait  soutenus,  la  cour  les  déclara 
téméraires,  séditieux,  contraires 'a  la  parole  de  Dieu,  ainsi  qu'aux  saints 
canons  et  sentant  l'hérésie  :  faisant  défense  expresse  de  les  enseigner 
en  public  et  en  particulier,  à  peine  contre  les  contrevenants  d'être  traités 
comme  criminels  de  lèse-majesté  divine  et  humaine. 

La  cour  ordonna  en  outre  que  les  prêtres  du  collège  de  Clermonl, 
leurs  disciples  et  en  général  tous  les  membres  de  la  société  dite  de 
Jésus,  sortiraient  de  Paris  et  de  toutes  les  villes  oii  ils  avaient  des 
collèges,  trois  jours  après  que  cet  arrêt  leur  aurait  été  signifié,  et  du 
royaume  dans  la  quinzaine,  comme  corrupteurs  de  la  jeunesse,  pertur- 
bateurs du  repos  public  et  ennemis  du  roi  et  de  l'État.  —  Cet  arrêt  fut 
rendu  le  vingt-neuvième  jour  de  décembre. 

Quand  on  l'exécuta  sur  le  principal  coupable,  il  souffrit  d'abord 
toutes  les  douleurs  de  la  torture  sans  nommer  personne  et  avec  une 
constance  inébranlable.  Lorsqu'on  le  conduisit  nu  en  chemise  devant  le 
portail  de  Notre-Dame,  quoiqu'il  fit  ce  jour-là  un  froid  si  rigoureux  que 
plusieurs  personnes  en  moururent,  dit-on,  subitement,  on  le  vit  se  tenir 
debout,  sans  frissonner  ni  manjuer  aucune  crainte.  Il  prononça  avec 
un  ton  d'indifférence  et  de  sarcasme  les  paroles  de  l'amende  honorable, 
et,  enfin,  quand  il  fut  livré  aux  bourreaux  sur  la  place  de  Grève,  pour 
y  subir  l'affreux  supplice  auquel  il  était  condamné,  il  se  laissa  tenailler 
et  déchirer  les  membres  sans  donner  la  moindre  marque  de  douleur 
et  sans  pousser  un  seul  cri.  (Davila,  liv.  14.  —  Dupleix,  Hisl.  de 
Henri  IV,  ad  ann.  1594.) 

Or,  dans  les  papiers  qu'on  avait  saisis  au  collège  de  Clermont,  les 
plus  compromettants,  et  qui  en  effet  étaient  fort  injurieux  à  la  mémoire 
IV.  30 


466  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

du  feu  roi  et  au  roi  régnant,  s'étaient  trouvés  chez  l'un  de  ces  pères, 
nommé  Jcaii  Guignard,  natif  de  Chartres.  Il  en  fut  extrait  entre  autres 
les  propositions  suivantes  :  «  Qu'on  avait  fait  une  grande  faute  a  la 
Saint-Barthélémy,  pendant  qu'on  était  en  train  de  saigner,  de  n'avoir  pas 
ouvert  la  veine  basilique  (royale)  ;  que  si  on  l'avait  lait,  on  ne  serait  pas 
tombé  de  fièvre  en  chaud  mal,  comme  il  était  arrivé.  —  Doit-on  donner 
le  nom  de  roi  de  France,  à  un  Sardanapale,  'a  un  Néron,  a  un  renard 
béarnais  ?  —  L'acte  héroïque  accompli  par  le  saint  frère  Jacques 
Clément  a  été  une  véritable  inspiration  du  Saint-Esprit,  et  c'est  avec 
raison  qu'il  a  été  loué  comme  tel  par  le  prieur  des  jacobins  Bourgoing, 
saint  confesseur  et  martyr  à  son  tour  ;  car  il  ne  faut  pas  croire  ce  que 
les  impies  rapportent  de  ce  vénérable  prieur,  qu'a  sa  mort  il  avait 
improuvé  cet  acte  comme  détestable.  —  Quant  au  Béarnais,  celui-là  se 
devrait  trouver  encore  heureux,  si,  malgré  sa  prétendue  conversion,  on 
se  contentait  de  le  raser  et  de  le  renfermer  dans  un  couvent  pour  y  faire 
pénitence  ;  que  si  on  ne  pouvait  lui  ôter  la  couronne  sans  guerre,  il 
fallait  lui  faire  la  guerre  a  toute  outrance  ;  mais  qu'il  serait  plutôt  a 
désirer  que  quelque  main  dévouée  et  courageuse  débarrassât  l'Église 
de  cette  peste  à  quelque  prix  que  ce  fût.  »  (De  Thou,  ubi  supra.  —  Cayet, 
liv.  6.) 

De  tous  ces  écrits,  la  plus  grande  partie  datait  des  temps  antérieurs 
a  la  capitulation  de  Paris  ;  celui  pourtant  dont  la  dernière  proposition 
est  extraite  pourrait  bien  être  postérieur.  Au  reste  ils  prouvent  au  moins, 
ainsi  que  les  matières  de  compositions  dont  j'ai  parlé  plus  haut,  que 
l'esprit  général  de  la  société  n'était  pas  favorable  au  gouvernement  de 
cette  époque,  et  la  raison  est  que  ce  gouvernement  n'était  pas  approuvé 
par  le  Pape,  a  l'ombre  duquel  les  jésuites  veulent  dominer  sur  tous  les 
peuples.  Or,  est-il  prudent  de  laisser  l'éducation  nationale  entre  les 
mains  de  pareils  professeurs? 

Il  y  a  pourtant  loin  de  là  à  les  accuser  d'avoir  été  tous  en  corps  les 
complices  de  Jean  Chatel.  Les  complices  directs  :  non.  Mais  que  leur 
influence,  leurs  suggestions,  leur  adresse  à  s'emparer  des  esprits  par  tous 
les  moyens  et  surtout  par  leur  manière  d'expliquer  la  morale  religieuse, 
aient  puissamment  contribué  à  déranger  ce  cerveau  déjà  abruti  par  la 
débauche,  c'est  ce  qu'il  semble  impossible  de  ne  pas  admettre.  Comment 
expliquer  autrement  l'acte  de  ce  libertin  effréné  et  dévot,  qui  crut  rache- 
ter ses  péchés  par  un  assassinat,  et  qui  brave  ensuite  les  plus  affreux 
supplices  en  véritable  martyr  ? 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  parlement  de  Paris  voulut  trouver  au  moins  un 
complice  actif  parmi  les  jésuites  :  ce  fut  donc  le  pauvre  père  Guignard, 
convaincu  d'après  son  aveu  d'avoir  écrit  et  composé  les  libelles  ren- 
contrés chez  lui,  qui  servit  de  bouc  émissaire,  quoique  très  probable- 
ment ce  malheureux  prêtre  ne  fut  pas  plus  coupable  que  ses  autres 
confrères,  et  qu'il  n'eût  fait  que  répéter  ce  qu'il  entendait  dire  chaque 
jour.  Il  fut  condamné  à  se  rétracter  et  à  être  ensuite  pendu  en  place  de 
Grève,  où  il  montra  la  même  fermeté  que  Chatel,  refusant  de  demander 


1 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  467 

pardon  au  roi  et  à  la  justice,  et  n'ayant  recours  qu'a  Dieu.  (Jouvenay, 
Histoire  sec.  des  jésuites,  t.  II.  part.  5.)  ' 

Trois  jours  après,  on  jugea  le  père  Guéret,  régent  de  philosophie, 
qu'on  comprit  dans  le  même  procès  avec  le  père,  la  mère  et  les  deux 
sœurs  de  Jean  Chatel.  Guéret,  après  avoir  été  appliqué  à  la  question  qui 
ne  lui  arracha  aucun  aveu,  lut  condamné  a  un  hannissement  perpétuel. 
Le  père  de  Chatel  lut  banni  seulement  pour  neuf  ans.  On  lui  fit  payer 
une  amende  de  deux  mille  écus,  la  maison  qu'il  habitait  proche  du  palais, 
et  où  était  né  son  fils,  fut  rasée,  et  il  fui  ordonné  que  sur  l'emplacement 
on  bâtirait  aux  frais  des  jésuites  un  monument  destiné  à  perpétuer  la 
mémoire  de  la  punition  d'un  crime  aussi  détestable.  Quant  a  la  mère  et 
aux  sœurs  du  régicide,  on  ne  trouva  pas  de  preuves  contre  elles  et  on 
les  relâcha,  ainsi  que  quelques  autres  personnes  qui  avaient  été  arrêtées 
en  même  temps.  (D'Aucentué,  Collect.,  t,  II,  p.  526.) 

Il  y  avait  aussi  un  jésuite  écossais,  nommé  Alexandre  Hay,  qui  se 
trouva  convaincu  d'avoir  tenu  habituellement  des  propos  fort  compro- 
mettants. Entre  autres  il  avait  dit  un  jour  qu'il  fallait  dissimuler  avec  le 
roi,  et  attendre  l'occasion  de  s'en  défaire  ;  que  si  le  roi  venait  à  passer 
devant  la  porte  de  leur  maison,  il  se  jetterait  volontiers  par  la  fenêtre 
pour  lui  romj)re  le  cou.  Le  jésuite  écossais  fut  plus  heureux  que  le  fran- 
çais Guignard  :  le  Parlement  se  contenta  de  le  renvoyer  hors  de 
France.  {Mêm.  de  la  Ligne,  t.  VI,  p.  263.) 

Ensuite,  oomme  la  plupart  des  ordres  religieux  avaient  depuis  le 
commencement  de  la  Ligue  adopté  les  opinions  de  la  société  jésuitique, 
en  la  voyant  si  bien  prônée  et  si  puissamment  patronnée  par  les  bulles 
du  souverain  pontife,  et  que,  dans  plusieurs  couvents,  on  refusait  de 
prier  pour  le  roi,  parce  qu'il  ne  s'était  pas  encore  réconcilié  avec  le 
Pape,  Monseigneur  de  Gondi,  évêque  de  Paris,  assembla  dans  la  grande 
salle  de  l'évêché  tous  les  curés  et  docteurs  de  la  capitale,  et  leur 
demanda  de  formuler  leur  opinion  louchant  les  prières  publiques  à  faire 
pour  la  conversion  du  roi,  touchant  les  attentats  commis  contre  sa  per- 
sonne, sous  prétexte  qu'il  n'était  pas  encore  réconcilié  avec  le  Pape,  et 
enfin  touchant  le  parricide  dont  était  mort  victime  le  roi  Henri  III. 
(D'Argentré,  In  collect.  jud.  de  nov.  err.) 

Après  une  messe  du  Saint-Esprit,  l'assemblée,  étant  entrée  en  déli- 
bération, répondit  a  l'unanimité  :  «  que  tous  les  Français  étaient  tenus 
de  prier  en  public  et  en  particulier  pour  leur  glorieux  souverain  Henri  IV, 
et  ne  devaient  se  faire  aucun  scrupule  de  lui  obéir  fidèlement;  que 
cependant  il  devenait  urgent  que  Sa  Majesté,  pour  rassurer  toutes  les 
consciences  et  éviter  un  schisme  dans  l'Église,  tût  priée  de  ne  mettre 
aucun  retard  'a  sa  parfaite  réconciliation  avec  le  Saint-Siège;  qu'il 
n'était  permis  îi  personne  d'attenter  a  la  vie  d'un  roi,  même  sous  pré- 
texte que  la  foi  et  la  religion  sont  en  péril,  et  que  bien  loin  d'approuver 
le  régicide  dont  le  roi  Henri  IH  avait  été  victime,  il  fallait  le  détester  de  tout 
cœur.  »  Cette  réponse,  signée  de  tous  ceux  cpii  étaient  préseuls  a  la 
délibération,  porte  la  date  du  dix-huitième  jour  de  février. 


468  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

De  leur  côté,  les  jésuites,  forcés  de  céder  a  cette  bourrasque  qui 
semblait  devoir  les  expulser  à  jamais  du  territoire  français,  publiaient  en 
français  une  apologie  de  leur  ordre,  adressée  à  tous  les  vrais  catholiques  ; 
elle  fut  imprimée  en  Flandre,  tant  a  Douay  qu'en  d'autres  villes.  (Cayet, 
liv.  6,  1594.) 

«  Ami  lecteur,  disait  cette  pièce,  quoique  Tarrét  qui  condamne  les 
jésuites,  soit  dans  sa  forme  et  teneur,  si  manifestement  pernicieux 
qu'il  ne  semble  guère  nécessaire  de  t'en  avertir,  toutes  fois  est-il  utile  de 
te  remontrer  les  points  qui  suivent  : 

«  D'abord  le  dit  arrêt  est  bien  et  proprement  dicté  au  goût  des 
hérétiques  de  notre  pays,  qui  en  associant  les  jésuites  à  Jean  Chatel, 
savent  bien  que  c'est  un  bon  moyen  de  rendre  leur  compagnie  suspecte 
et  odieuse  aux  yeux  d'un  peuple  abusé. 

«  On  a  donc  dit  que  cet  homme  a  fait  ses  études  dans  un  des 
collèf^es  de  la  société  ;  mais  les  jésuites  doivent-ils  être  calomniés 
parce  que  quelqu'un,  qui  aura  été  autrefois  leur  écolier,  est  tombé  dans 
quelque  crime  ou  infamie?  Nous  le  demandons  à  l'Université  française 
elle-même,  sur  les  bancs  de  laquelle  Calvin  et  Bèze  ont  jadis  étudié? 

«  L'on  a  mis  en  cause  le  père  Guéret,  l'un  des  régents  du  collège 
de  Clermont,  parce  qu'il  a  été  précepteur  de  Chatel.  Quels  aveux  a-t- 
on pu  tirer  de  ce  père  ?  Le  procès  n'en  dit  rien  ;  et  certes,  s'il  eût 
fourni  même  l'apparence  d'une  preuve  contre  les  dits  jésuites,  leurs 
ennemis  n'auraient  pas  manqué  de  la  faire  valoir. 

«  Quant  'a  la  sentence  que  la  cour  a  jugé  à  propos  de  prononcer  au 
sujet  de  cet  attentat,  comme  on  l'appelle,  il  y  a  deux  parties: 
l'une  ne  concerne  que  Chatel;  l'autre  tombe  directement  sur  les 
jésuites.  Dans  la  preniière  partie,  Chatel  est  condamné  à  faire  amende 
honorable  et  a  dire  que,  par  fausses  et  damnables  instructions,  il  a  cru 
qu'il  était  permis  de  tuer  les  rois  qui  n'ont  pas  l'approbation  du  Pape. 
Remarque,  ami  lecteur,  que  c'est  la  sentence  qui  le  condamne  a  dire 
cela,  ce  qui  ne  veut  pas  dire  qu'il  l'ait  confessé  de  lui-même  et  de  son 
propre  mouvement,  ni  encore  moins  que  ce  soient  les  pères  de  la 
société  de  Jésus  qui  lui  aient  suggéré  ces  opinions,  que  la  dite  sentence 
appelle  fausses  et  damnables.  Les  'pères  ne  sont  pas  même  nommés 

ici. 

«  En  outre,  est-il  croyable  que  Jean  Chatel,  reçu  maître  ès-arts,  ait 
été  si  dépourvu  de  sens  que  de  se  laisser  persuader  par  quelqu'un,  tant 
docte  fût-il,  que  le  régicide  soit  chose  permise  !  Ce  qui  est  à  croire, 
c'est  que  la  malice  des  ennemis  des  jésuites  aura  ici  altéré  étrangement 
les  paroles  de  l'accusé  ;  car  il  n'a  jamais  pu  dire  avoir  entendu  chez  ces 
pères  autre  chose  que  ce  que  tous  les  docteurs  appprouvés  enseignent  : 
A  savoir  :  qu'il  est  licite  de  tuer  les  usurpateurs  et  les  tyrans,  quand  il 
n'y  a  pas  moyen  de  secouer  leur  joug  et  leur  usurpation.  Mais  ces 
mêmes  pères  ont  toujours  regardé  comme  un  attentat  digne  des  plus 
terribles  châtiments  celui  qui  serait  dirigé  contre  un  monarque  régnant 
en  vertu  des  droits  d'une  véritable  légitimité. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  469 

«  Quant  a  ce  qu'aurait  encore  dit  Chatel,  que,  suivant  les  jésuites,  le 
roi  Henri  IV  n'est  pas  dans  l'Église,  en  quoi  peut-on  trouver  blâmable 
une  semblable  proposition  ?  Le  pape  Sixte  V  ne  l'a-t-il  pas  déclaré  relaps 
et  incapable  de  toute  succession  au  royaume  ?  Grégoire  XIV  n'a-t-il  pas 
condrmé  cette  sentence,  par  ses  lettres  monitoires  au  clergé  et  a  la 
noblesse  de  France,  et  notre  Saint-Père  actuel.  Clément  XIV,  n'a-t-il  pas 
proclamé  la  même  chose  dans  ses  bulles  ? 

«  Français,  c'est  à  vous  maintenant  d'ouvrir  les  yeux  :  rappelez- 
vous  que  vos  ancê'.res  n'ont  pas  hésité  à  obéir  au  pape  Zacharie,  quand 
il  leur  donna  pour  roi  Pépin,  père  du  magnanime  Charlemagne  ;  et  ils 
en  ont  été  récompensés  par  la  gloire  des  successeurs  de  cette  noble 
souche.  Rappelez-vous  aussi  que  ce  n'est  pas  la  première  fois  que  la 
compagnie  de  Jésus  a  eu  'a  souffrir  de  semblables  persécutions.  En 
Espagne,  leurs  ennemis  les  ont  jetés  hors  de  la  ville  de  Saragosse.  Aux 
Pays-Bas,  par  les  menées  du  prince  d'Orange,  ils  ont  été  expulsés 
d'Anvers,  de  Bruges,  de  Tournay  et  de  Douay  ;  mais  chacune  de  ces 
villes,  se  ressentant  bientôt  après  de  leur  absence,  les  a  fait  rentrer 
avec  beaucoup  de  congratulation,  honneur  et  faveur;  aussi  les  jésuites 
n'onl-ils  jamais  rien  perdu  dans  toutes  ces  tourmentes  passées  ;  mais, 
au  contraire,  on  les  a  toujours  vus  croître  et  s'augmenter  'a  l'occasion 
même  de  leurs  bannissements.  Eh  !  pourquoi,  après  tout,  une  cour  pure- 
ment séculière,  usurpant  des  droits  qui  n'a|)partiennent  qu'a  la  sainte 
Eglise,  s'ingère-t-elle  de  taxer  d'hérétiques  des  propositions  qui  ne  sont 
pas  de  sa  compétence  et  qui  ont  la  sanction  de  tant  de  Papes  et  de  tant 
de  saints  docteurs  ? 

«  Maintenant,  venons  a  la  condamnation  aussi  prononcée  contre 
l'ordre  lui-même.  De  quel  droit  encore  ce  tribunal,  purement  laïque, 
vient-il  condamner  des  personnes  ecclésiastiques  et  spécialement  des 
religieux,  qui  ne  relèvent  (jue  de  la  juridiction  du  Pape?  Ce  tribunal  n'a- 
t-il  pas,  suivant  les  canons,  encouru  par  cela  seul  l'excommunication  de 
l'Eglise?  Mais  sur  (pielles  preuves,  après  tout,  s'est-il  fondé  pour  pro- 
noncer cette  sentence  inique  ?  Le  père  Cuéret,  malgré  les  tortures  de 
de  la  question,  a  constamment  nié  tout  ce  dont  on  l'accusait,  et,  de 
plus,  puisque  Jean  Chatel  devait  aussi,  comme  le  porte  l'arrêt,  être 
appliqué  a  la  question  ordinaire  et  extraordinaire,  pour  tirer  de  lui  le 
nom  de  ses  complices,  pourquoi  ne  nous  fait-on  pas  connaître  ceux 
qu'il  a  nommés  ?  C'est  bien  la  la  plus  grande  preuve  qu'il  n'a  nommé 
personne,  parce  qu'en  effet  personne  n'était  coupable. 

«  La  sentence  porte  en  outre  que  les  jésuites  sont  corrupteurs  de  la 
jeunesse,  perturbateurs  du  repos  public,  ennemis  du  roi  et  de  l'Etat. 
Tout  cela  est  très-grave  ;  mais  où  sont  les  preuves  de  tous  ces  crimes? 
On  n'en  cite  aucune.  La  société,  au  contraire,  peut  apporter  des  attes- 
tations de  presque  tous  les  souverains  du  monde,  prouvant  que  partout 
où  elle  s'était  établie,  chacun  a  été  édifié  et  satisfait  de  ses  services. 

«  Tu  remarqueras  après  tout,  ami  lecteur,  que  toutes  les  injures 
qu'on  prodigue  aujourd'hui  'a  ce  saint  ordre  ne  sont  que  comme  les 


470  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

livrées  de  noire  divin  rédempteur  Jésus,  dont,  comme  dit  le  saint  concile 
de  Trente,  c'est  a  juste  titre  que  les  jésuites  ont  pris  leur  nom.  Si  on 
les  appelle  corrupteurs  de  la  jeunesse,  ce  divin  maître  n'a-t-il  pas  été, 
appelé  trompeur  et  séducteur  du  peuple  ?  Si  on  les  accuse  d'être  per- 
turbateurs du  repos  public,  lui,  n'a-t-il  pas  été  traité  de  séditieux  ?  Si 
on  les  a  déclarés  ennemis  du  roi  et  de  l'État,  n'a-t-il  pas  été  regardé 
comme  ennemi  de  César,  parce  qu'il  disait  que  son  royaume  n'est 
pas  dans  ce  monde?  Donc,  comme  dit  saint  Mathieu,  chap.  x,  s'ils 
ont  appelé  le  maître  Beizébuth,  quel  nom  donneront-ils  a  ses  servi- 
teurs ? 

«  Finalement,  ami  lecteur,  il  doit  te  rester  bien  démontré  que  ceux 
qui  ont  rendu  cet  arrêt7,sont  des  hérétiques  calvinistes.  C'est  ainsi  que, 
dans  les  temps  passés,  les  hérétiques  ariens  ont  condamné  saint  Atha- 
nase,  évêque  d'Alexandrie,  et  saint  Hilaire,  évéque  de  Poitiers,  disant 
que  ces  deux  grands  prélats  étaient  des  séditieux.  »  [Mém.  de  la  Ligne, 
t.  VI,  p.  25  et  suiv.) 

Il  est  probable  que  si  les  jésuites  avaient  à  se  défendre  aujourd'hui 
dans  un  cas  pareil,  ils  s'y  prendraient  autrement  ;  car  il  y  a  bien 
quelques  petits  aveux  un  peu  compromettants  dans  cette  pièce,  que  j'ai 
cru  devoir  analyser  avec  une  certaine  extension,  pour  mettre  à  même  de 
juger  si  elle  est  ou  non  de  la  fabrique  des  révérends  pères.  Depuis 
ils  ont  trouvé  de  bien  meilleures  raisons  pour  repousser  l'accusa- 
tion que  l'histoire  porte  ici  contre  eux.  Us  ont  d'abord  traité  de  calom- 
niateurs ceux  qui  leur  attribuent  cette  apologie  ;  et  en  effet  elle  n'est 
signée  par  aucun  des  leurs.  Mais  il  est  évident  qu'elle  a  été 
écrite  par  une  plume  amie  ;  que  l'auteur,  s'il  n'est  pas  jésuite,  est  au 
moins  de  leur  parti,  et  que  ses  arguments  n'ont  pu  être  puisés  ailleurs 
que  dans  ce  qu'il  connaissait  de  leur  doctrine,  dont  il  divulgue,  en  les 
dissimulant,  les  dangereuses  tendances.  Ensuite,  ils  se  sont  efforcés  de 
prouver  que  tous  les  historiens  qui  parlent  du  crime  de  Jean  Chatel  et 
de  la  part  qu'ils  y  ont  eue  sont  leurs  ennemis  acharnés.  Ils  ont  porté  la 
même  accusation  contre  le  Parlement,  qui  pourtant,  quelques  mois 
auparavant,  s'était  montré  assez  partial  en  leur  faveur.  Quant  au  père 
Guignard,  si  malheureusement  pendu,  affectant  d'ignorer  que  ce  père 
s'était  lui-même  déclaré  l'auteur  des  libelles  trouvés  chez  lui,  et  que, 
dans  le  décret  d'amnistie,  il  y  avait  un  article  spécial,  ordonnant,  sous 
peine  de  lèse-majesté,  aux  auteurs  et  aux  imprimeurs  d'anéantir  de 
pareils  écrits,  ils  ont  demandé  s'il  était  juste  qu'on  pendît  un  biblio- 
thécaire (tel  est  le  nom  qu'ils  lui  donnent),  pour  avoir  conservé  des 
pièces  curieuses  et  qui  peuvent  servir  'a  l'histoire. 

Cette  manière  de  se  défendre  est  certainement  plus  habile  ;  aussi  je 
m'attends  bien  qu'on  l'oppose  encore  à  ce  que  j'écris  ici,  sans  haine,  je 
le  proteste,  et  avec  un  profond  amour  pour  la  vérité.  Le  lecteur  jugera  : 
j'ai  fidèlement  mis  les  pièces  sous  ses  yeux. 

A  peu  près  vers  le  même  temps,  parut  une  autre  apologie  ;  mais 
celle-ci  n'était  pas  l'œuvre  d'un  des  leurs  :  l'auteur  n'était  qu'un  de  leurs 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  471 

amis  et  de  leurs  compagnons  d'armes  dans  la  guerre  entreprise  par 
eux  contre  la  dynastie  française.  C'était  le  docteur  Bouclier,  alors 
réfugié  sur  les  terres  d'Espagne.  Ce  Ligueur  furibond  n'hésita  pas  à  faire 
tout  simplement  l'éloge  de  Jean  Cliatel,  et  dans  un  long  discours  tout 
rempli  de  citations  de  l'Écriture  sainte,  il  prouva  que  l'acte  commis  par 
cet  assassin  était  juste,  utile,  héroïque  et  comparable  aux  actions  les 
plus  nobles  et  les  plus  recommandables  qui  se  soient  lues  jusqu'à  pré- 
sent dans  l'histoire  tant  sacrée  que  profane. 

«  D'abord,  dit-il,  qui  pourrait  en  nier  la  justice?  Car,  remarquez 
bien  que  ce  n'est  pas  un  roi  (|ue  notre  Chatel  a  voulu  tuer,  mais  un  soi- 
disant  roi,  n'ayant  aucun  droit  'a  la  couronne  dont  le  Pape  l'a  exclu,  a 
cause  de  son  hérésie  et  de  son  impiété.  Et  qu'on  ne  dise  pas  que  ce 
tyran  est  maintenant  converti,  la  bête  se  reconnaît  encore  aux  griffes  et 
aux  dents,  avec  lesquelles  elle  déchire  les  pauvres  agneaux  de  Jésus- 
Christ.  Or  il  est  dit  dans  TEcriture  que  l'hérétique  est  voué  à  la  mort 
et  de  cela  les  pages  sacrées  fournissent  elles-mêmes  mille  exemples.  Si 
donc  les  magistrats  sont  trop  faibles  ou  trop  coupables  pour  faire  exécu- 
ter la  loi,  c'est  au  premier  qui  s'en  sentira  le  courage  'a  s'en  rendre 
l'exécuteur. 

«  Quant  'a  l'utilité  de  cet  acte,  ah  !  que  s'il  eût  eu  le  succès  que 
méritait  par  son  dévouement  celui  qui  l'a  entrepris,  la  France  et  la  reli- 
gion y  auraient  gagné!  la  France  surtout;  car  par  Fa  aurait  été  ôté  l'ana- 
thème  (|ui  pèse  depuis  si  longtemps  sur  ce  malheureux  royaume. 

«  Enfm  quel  héroïsme  plus  grand  que  celui  d'un  pauvre  enfant,  sor- 
tant 'a  peine  des  bancs  de  l'école,  qui  s'en  va  seul  entreprendre  de 
metlre  'a  mort  le  tyran  superbe,  au  milieu  de  la  foule  de  ses  satellites  et 
jusque  dans  la  chambre  de  son  impudique  Vénus,  qui  brave  et  la 
menace  de  ses  juges  iniques  et  les  tourments  de  la  torture,  auxquels  il 
ne  répond  que  par  une  généreuse  confession,  et  ({ui,  en  véritable 
martyr,  expire  sans  pousser  un  seul  cri,  au  milieu  des  plus  atroces 
supplices,  pratiquant  ainsi  ce  que  l'Écriture  appelle  l'héroïsme  de  la 
charité,  (jui  est  de  donner  son  âme  pour  ses  frèresj?  »  (Mém.  de  Condé, 
t.  VI,  suppl.) 

La  plupart  des  autres  Parlements  du  royaume,  entrant  dans  le  senti- 
ment de  celui  de  Paris,  bannirent  aussi  les  jésuites  par  un  pareil  arrêt  ; 
mais  le  Parlement  de  Bordeaux  et  celui  de  Toulouse  refusèrent  de  se 
prononcer,  de  sorte  que  la  société  resta  tranquillement  en  Guyenne  et 
en  Languedoc,  ainsi  qu'a  Clermont  et  en  beaucoup  d'autres  lieux,  où  le 
peuple  s'obstina  'a  la  conserver  et  où  elle  se  maintint  pendant  tout  le 
temps  que  dura  cette  proscription,  dont  elle  trouva  bientôt  le  moyen 
(l'obtenir  la  révocation.  {Mém.  de  Chevemy,  1595.) 

Le  roi,  toutefois,  paraissait  triste  et  rêveur.  Madame  de  Balagny, 
(jui  était  pour  lors  a  la  cour,  le  voyant  en  cet  état,  s'ingéra  de  lui  dire  : 
«  A  voir  la  mine  de  Votre  Majesté,  on  dirait  qu'elle  n'est  pas  bien 
cnnlento.  »  A  (juoi  le  roi  répondit  avec  impatience  :  <c  Ventre  saint-gris  ! 
comment  pourrai-je  l'être,  content,  en  voyant  un  peuple  si  ingrat  envers 


472  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

moi,  qu'encore  bien  que  j'aie  fait  et  fasse  tout  ce  que  je  puis  pour  lui,  il 
ne  cesse  de  me  dresser  tous  les  jours  de  nouveaux  attentats  ;  car  depuis 
que  je  suis  ici,  je  n'entends  parler  d'autre  chose.  »  {Journal  de  Henri  IV, 
t.  II,  p.  150  et  suiv.) 

Et  en  effet,  chacun  profitait  de  ce  malheureux  événement  pour  faire 
montre  de  son  zèle,  ou  pour  exercer  quelque  vengeance  particulière.  A 
tout  moment  on  arrêtait  et  emprisonnait  les  gens,  sous  prétexte  qu'ils 
complotaient  le  régicide,  par  suite  de  quoi  il  y  en  eut  beaucoup,  tant 
prêtres  que  séculiers,  qui  furent  misérablement  pendus  ;  et  malheur  a 
ceux  de  la  Ligue  !  On  avait  déjà  pendu  quelque  temps  auparavant,  par 
arrêt  du  Parlement,  leur  bourreau,  Jean  Rozeau,  pour  avoir  exécuté 
le  président  Brisson  :  celte  fois  on  poursuivit  sans  pitié  ceux  qu'on 
accusait  d'avoir  coopéré  a  cette  méchante  action,  mais  ce  ne  furent  pas 
les  plus  coupables  qui  subirent  le  supplice  en  cette  occasion. 

Cela  n'empêche  pas  que  le  jeudi,  cinquième  jour  de  janvier,  on  fît  a 
Paris  une  procession  générale  pour  rendre  grâces  'a  Dieu  de  la  conserva- 
tion du  monarque.  Les  rues  étaient  tendues  partout  où  devait  passer  le 
cortège  ;  mais  on  avait  eu  grand  soin  d'enjoindre  aux  propriétaires  des 
maisons  qui  donnaient  sur  ces  rues  de  bien  s'informer  de  ceux  qu'ils 
laisseraient  regarder  par  leurs  fenêtres,  parce  qu'il  leur  en  faudrait 
répondre,  vie  pour  vie.  Le  roi,  tout  habillé  de  noir  et  portant  un  petit 
emplâtre  sur  sa  blessure,  assistait  'a  cette  cérémonie  avec  un  visage  tout 
mélancolique,  et  pourtant  le  peuple,  avec  une  merveilleuse  allégresse, 
criait  si  haut  :  «  Vive  le  roi  !  »  que  jamais  peut-être  ne  vit-on  un  tel 
applaudissement  de  peuple  à  roi.  «  Sire,  dit  un  des  courtisans,  enten- 
dez-vous comme  votre  peuple  se  réjouit  de  vous  voir?  »  Le  roi,  secouant 
tristement  la  tête,  répondit  :  «  Si  mon  plus  grand  ennemi  passait  mainte- 
nant ici  'a  ma  place,  tout  ce  bon  populaire  lui  rendrait  les  mêmes  hom- 
mages ;  et  peut-être  même  crierait-il  encore  plus  haut.  » 

Quelques  Jours  après,  il  solennisa,  dans  l'église  des  Augustins,  la 
cérémonie  annuelle  de  la  réception  des  membres  de  l'ordre  du  Saint- 
Esprit.  Par  suite  des  troubles,  cette  cérémonie  n'avait  pas  eu  lieu  pen- 
dant plusieurs  années  ;  Sa  Majesté  donna  'a  l'offrande  quarante-deux  écus 
d'or,  pour  autant  d'années  qu'elle  avait  déjà  vécu.  Elle  envoya  de  plus, 
aux  dits  Augustins,  six  moutons,  un  demi-bœuf  et  un  muid  de  vin, 
leur  enjoignant  de  boire  à  sa  santé  et  de  s'engarder  que  dans  leur 
couvent  il  n'y  eût  point  de  Ligueurs,  ce  qu'ils  promirent  de  bon  cœur, 
car  sans  compter  les  vivres  et  autres  menues  pratiques,  la  dite  céré- 
monie leur  avait  valu  deux  mille  francs  d'argent  sec  ;  aussi  trouvaient- 
ils  les  dévotions  du  roi  bien  meilleures  que  les  paradis  de  la  Ligue  et  les 
pardons  de  feu  Monsieur  le  Légat,  où  il  n'y  avait  guère  que  de  l'eau  à 
boire.  (L'Estoile,  Journal  de  Henri  IV.) 

Cependant,  le  roi,  qui  sentait  plus  que  jamais  la  nécessité  de  ne  pas 
s'aliéner  tout  a  fait  les  protestants,  trouva  bon  de  pubUer  un  édit  en  leur 
faveur.  Il  avait  appris,  en  effet,  que  ceux  de  cette  religion,  après  avoir 
fait  tant  de  sacrifices  pour  le  soutenir  contre  ses  ennemis,  dans  l'espoir 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  473 

(le  donnera  la  France  un  roi  qui  fût  de  leur  communion,  forcés  mainte- 
nant par  sa  conversion  au  catholicisme  de  renoncer  a  celte  espérance, 
l'accusaient  tout  haut  d'ingratitude,  et  tenaient  même  de  fréquentes 
assemblées,  tantôt  'a  La  Rochelle,  et  tant(3t  'a  Saumur  et  'a  Montauban  ; 
que  dans  ces  réunions,  on  agitait  la  question  de  donner  aux  églises 
réformées  un  nouveau  protecteur,  et  qu'on  pensait  déj'a  'a  reconnaître  en 
cette  (jualité,  malgré  son  extrême  jeunesse,  le  petit  prince  de  Condé, 
que  sa  mère  élevait  soigneusement  'a  Saint-Jean-d'Angély  dans  la  foi 
protestante.  (Davila,  t.  111,  p.  558.) 

Ce  fut  donc,  pour  ôler  tout  prétexte  à  ces  menées,  qui  pouvaient 
devenir  dangereuses,  que  le  roi  donna  son  édit  du  trente  et  unième 
jour  de  janvier,  par  lequel  il  renouvelait  toutes  les  concessions  faites  par 
l'édit  de  Nérac,  en  1577,  permettant  aux  huguenots  de  pouvoir  posséder 
même  les  premières  charges  du  royaume,  s'ils  s'en  montraient 
capables. 

Le  Parlement  fut  assemblé  pour  l'enregistrement  de  cet  édit  ;  mais 
les  avis  furent  partagés.  Beaucoup  prétendaient  que  c'était  s'expo- 
ser à  voir  interpréter  fort  mal  'a  Rome,  une  pareille  mesure,  qui  ne  pou- 
vait manquer  de  mettre  obstacle  à  la  négociation  entamée,  pour  obtenir 
l'absolution  définitive  du  roi  ;  mais  Sa  Majesté  fit  savoir  confidentielle- 
ment, qu'elle  se  réservait  le  droit  d'interpréter  elle-même,  les  clauses  de 
cet  édit  et  qu'elle  voulait  qu'il  n'y  fût  fait  aucun  changement,  parce  que 
c'était  le  seul  moyen  d'avoir  en  sa  puissance  le  jeune  prince  de  Condé, 
dont  il  était  important  qu'elle  s'assurât  pour  satisfaire  le  Pape.  (De  Tiiou, 
t.  XII,  liv.  112,  p.  547.) 

Alors  Fleury,  doyen  des  conseillers,  ouvrit  l'avis  d'enregistrer  l'édit 
purement  et  simplement  ;  car,  dit-il,  il  ne  nous  appartient  pas  de  borner 
et  resserrer  l'autorité  du  roi,  qui  est  le  maître  de  dispenser  à  son  gré 
les  emplois  et  les  dignités  de  son  royaume.  Plusieurs  partagèrent  cette 
opinion.  «  Mais,  reprirent  d'autres,  si  nous  enregistrons  cet  édit,  ne 
fournirons-nous  pas  'a  ceux  qui  sont  déjà  assez  mal  intentionnés  contre 
Sa  Majesté,  l'occasion  de  l'accuser  de  manquer  à  la  parole  qu'elle  a 
donnée,  au  commencement  de  son  règne,  et  par  laquelle,  elle  s'est 
engagée  à  ne  rien  changer,  en  fait  de  religion  aux  ordonnances  de  ses 
prédécesseurs?  La  contestation  fut  vive  de  part  et  d'autre  ;  enfin,  la  majo- 
rité se  trouva  de  l'avis  du  doyen,  et  l'édit  fut  enregistré,  nonobstant 
l'opposition  de  Monsieur  le  Procureur  du  roi,  qui  étant  de  l'opinion 
contraire,  ne  voulut  pas  qu'on  mit  dans  la  formule  de  l'enregistrement. 
«  Oui,  et  ce  requérant  le  procureur  du  roi.  »  (Cavet,  Chron.  nov.y 
1595.) 

Cependant  l'époque  fixée  par  le  roi,  dans  sa  lettre  aux  Etats  de  la 
Flandre,  était  passée,  sans  qu'on  lui  eût  fait  aucune  réponse.  11  déclara 
donc  authentiquement  la  guerre  'a  l'Espagne,  par  une  dénonciation  datée 
du  dix-septième  jour  de  janvier.  «  Personne,  disait-il,  n'ignore  que  le 
roi  Philippe,  n'ayant  pu  se  rendre  maître  de  la  France,  à  force  ouverte, 
a  eu  enfin  recours  à  la  ruse  et  à  la  fourbe  ;  que  c'est  lui  qui  a  allumé 


474  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

et  entretenu  dans  notre  royaume,  sous  un  faux  prétexte  de  religion,  ces 
malheureuses  guerres  civiles,  dont  un  des  résultats  a  déjà  été  l'assassi- 
nat d'un  de  nos  rois.  Après  cet  attentat  qui  devait  être  la  ruine  du 
pays,  si  le  Dieu  des  armées  n'eût  soutenu  le  successeur  légitime  de  ce 
malheureux  prince,  le  roi  Philippe  a  continué  ses  dangereuses  et  déloyales 
menées,  persécutant  les  sujets  de  Sa  Majesté,  et  les  peuples  du  Cam- 
brésis,  qui  se  sont  mis  sous  la  protection  de  la  France,  s'emparant  des 
villes  et  des  forteresses,  en  un  mot  exerçant  toutes  les  déprédations  et 
violences  qu'on  peut  attendre  de  l'ennemi  le  plus  acharné.  Non  content 
de  tous  ces  excès,  il  a  suborné  des  scélérats  pour  assassiner  le  roi  lui- 
même.  —  A  ces  causes,  Sa  Majesté,  pour  ne  pas  manquer  'a  ce  que  son 
peuple  a  droit  d'attendre  d'elle,  déclare  la  guerre  aux  Espagnols  et  h 
leurs  alliés,  par  terre  et  par  mer,  défend  a  tous  ses  sujets  d'avoir  aucun 
commerce  avec  eux,  leur  enjoint,  au  contraire,  de  les  combattre  a  l'ave- 
nir partout  oîi  ils  les  rencontreront,  et  de  les  traiter  comme  eux-mêmes 
ont  voulu  traiter  la  France.  »  {Mémoires  de  la  Licjiie,  t.  VI,  p.  279.) 

Le  conseil  d'Espagne  ne  répondit  a  cette  déclaration  que  deux  mois 
plus  tard.  Sa  réponse  commençait  par  une  longue  énumération  des  ser- 
vices que  le  roi  Philippe  avait  rendus  aux  rois  de  France,  ses  beaux- 
frères,  et  des  secours  qu'il  leur  avait  si  généreusement  prodigués,  pen- 
dant ces  malheureuses  guerres  civiles  suscitées  par  l'hérésie.  Sa  Majesté 
catholique,  au  reste,  était  toujours  dans  les  mêmes  sentiments  et  conti- 
nuerait a  défendre  la  religion  contre  les  hérétiques,  mais  sans  vouloir 
pour  cela,  déroger  aux  anciens  traités  faits  avec  les  rois  très- 
chrétiens  :  qu'en  conséquence  elle  ordonnait  a  tous  ses  sujets,  de  n'ou- 
trager en  rien  les  catholiques  français  ;  mais  de  courir  sus  aux  huguenots 
et  'a  ceux  qui  s'étaient  déclarés  partisans  de  Henri  de  Béarn.  A  ce  mani- 
feste était  jointe  une  ordonnance  royale,  prescrivant  aux  gouverneurs  des 
places  fortes,  de  ne  pas  se  borner  à  se  tenir  sur  leurs  gardes,  mais  de 
faire  des  courses  sur  les  terres  de  France,  et  d'y  mettre  tout  à  feu  et  'a 
sang.  (De  Tnou,  t.  XII,  liv.  5,  p.  5i5.) 

Aussitôt  la  guerre  s'alluma  dans  le  Luxembourg,  Philippe  de  Nassau, 
qui  s'était  mis  en  marche  avec  quatre  cornettes  de  cavalerie,  que  la  nou- 
velle république  de  Hollande,  envoyait  au  secours  du  roi,  fut  enveloppé 
par  rinfanleiie  du  comte  de  Mansfeld,  et  éprouva  une  défaite  sanglante. 
Tout  le  pays  était  alors  inondé,  par  les  débordements  du  Rhin  et  de  la 
Moselle,  de  sorte  qu'il  fut  impossible  au  maréchal  de  Bouillon,  quoique 
tout  près  de  la,  de  venir  à  son  secours  ;  mais  celui-ci,  après  avoir  heu- 
reusement recueilli  les  troupes  qui  venaient  d'essuyer  cet  échec,  et  fait 
sa  jonction  avec  Nassau,  résolut  de  prendre  sa  revanche. 

Comme  donc,  il  était  près  d'un  lieu  nommé  Virton,  a  sept  lieues 
environ  de  la  ville  de  Luxembourg,  il  apprit  que  l'ennemi  avait  logé  là, 
onze  cornettes  de  cavalerie.  Sur  cet  avis,  il  se  mit  en  roule  en  toute 
diligence  et  marche  droit 'a  Virton.  Les  ennemis  furent  surpris  justement 
comme  ils  changeaient  de  quartier,  trouvant  celui-ci  trop  exposé.  La 
charge  qu'ordonna  le  maréchal,  tomba  sur  eux  tellement  à  l'improviste, 


J 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  475 

qu'avant  (lu'ils  eussent  eu  le  temps  de  se  reconnaître,  ils  élaient  en 
pleine  déroute.  Deux  cent  cinquante  des  leurs  lurent  tués  sur  la  place  ; 
le  reste,  abandonnant  armes  et  chevaux,  n'eut  que  le  temps  de  se  sau- 
ver dans  la  forêt  voisine.  {Mémoires  de  la  Ligne,  t.  VI,  p.  "285  et  suiv.) 

En  même  temps,  les  seigneurs  d'Assonville  et  de  Beauvau,  tous  les 
deux,  vaillants  capitaines  et  qui  avaient  jusqu'alors  porté  les  armes  pour 
la  Ligue,  voyant  que  le  duc  de  Lorraine,  au  service  du(juel  ils  étaient 
pour  lors,  ménageait  son  traité  de  paix  avec  le  roi,  arborèrent  aussi 
î'écharpe  blanche,  et,  étant  venus  trouver  Sa  Majesté,  ils  s'engagèrent 
à  se  battre  pour  elle.  Puis,  entrant  avec  leurs  troupes  dans  la  Franche- 
Comté,  qui  s'était  mise  sous  la  protection  de  l'Espagne,  ils  se  mirent 
'a  ravager  ce  pays,  qui  prétendait  être  neutre  et  s'emparèrent  de  Vesoul 
et  de  plusieurs  autres  places.  Les  Comtois,  réduits  au  désespoir,  implo- 
rèrent le  secours  des  Suisses  leurs  voisins  ;  mais  les  Cantons  répondirent  : 
«  Nous  sommes  surpris  qu'aujourd'hui  les  Comtois  nous  demandent  de 
les  défendre,  eux  qui,  il  y  a  sept  ans,  quand  un  corps  de  Suisses,  après 
la  défaite  des  alliés  en  France,  reprenait  le  chemin  de  son  pays,  ont 
souffert,  qu'il  fût  taillé  en  pièces,  dans  le  cœur  même  de  la  Franche- 
Comté,  sans  daigner  même  intervenir  ni  réclamer,  comme  ils  l'auraient 
pu  si  facilement,  l'inviolabilité  de  leur  territoire.  » 

D'un  autre  côté  advint  du  côté  de  Soissons,  qui  tenait  encore  pour 
la  Ligue,  ce  que  représente  le  suivant  récit  :  «  Poncenac,  qui  comman- 
dait dans  cette  place,  avait  appris  que  quelques  compagnies,  sous  la 
conduite  du  capitaine  de  Moussy,  s'étaient  avancées  jus(iu'aux  portes  de 
sa  ville,  comme  pour  le  narguer.  Il  lit  choix  a  son  tour  de  deux  cents 
de  ses  meilleurs  cuirassiers  et  de  deux  bandes  d'argoulets  qu'il  mit 
sous  la  conduite  du  baron  de  Conac,  son  lieutenant,  avec  ordre  de 
battre  le  pays  et  de  ne  faire  aucun  quartier,  'a  tous  ceux  des  royaux 
qui  tomberaient  entre  ses  mains.  {Mémoires  de  la  Ligue,  t.  VI, 
p.  281.) 

Conac  partit  donc  sur  le  soir,  et  ayant  cheminé  toute  la  nuit,  il  vint 
dresser  son  embuscade  'a  une  demi-lieue  de  Crépy  en  Valois,  logeant 
ses  arquebusiers  dans  le  petit  bois  du  Tillet. 

Ce  jour-la,  le  seigneur  d'Edouville,  partit  de  Crépy  avec  trente  che- 
vaux seulement,  pour  se  rendre  'a  sa  compagnie,  qui  était  alors  à  Velly 
en  Laonnais.  Comme  il  approchait  de  l'embuscade,  il  fut  subitement 
chargé  par  les  postes  les  plus  avancés,  auxquels  se  joignirent  bientôt 
un  si  grand  nombre  de  gens,  qu'il  fut  contraint  de  se  replier  jusque 
dans  le  faubourg  de  Crépy,  et  de  s'appuyer,  avec  son  escorte,  contre  les 
murs  du  parc  d'Aragon.  Au  bruit  de  la  mousqueterie,  le  tocsin  du  guet 
se  mit  aussitôt  'a  sonner  a  la  tour  de  Saint-Thomas,  et  d'Edouville, 
tenant  toujours  bon,  donna  le  temps  'a  Moussy  de  rassembler  ses  gens 
et  de  monter  'a  cheval.  Les  Ligueurs,  en  voyant  arriver  ce  renfort, 
commencèrent  'a  faire  retraite  vers  le  bois  du  Tillet.  Moussy  et  d'Edou- 
ville se  mirent  aussitôt  a  leur  poursuite,  et  quoicpie  l'ennemi  fût  beau- 
coup plus  fort  en  nombre,  ils  l'atteignirent   dans  la  plaine  de   Villers- 


476  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Coterets,  près  d'un  ruisseau  qui  descend  de  la  montagne  de  Vouciennes. 
La,  le  combat  commença  avec  acharnement,  «  et  Dieu,  (dit  le  témoin 
oculaire  dont  je  copie  la  relation,)  se  déclarant  pour  la  bonne  cause, 
rendit  les  nôtres  victorieux.  Il  demeura  des  ennemis  cinquante  morts  sur 
la  place  ;  plus  de  soixante  furent  mortellement  blessés  ;  on  tit  un  grand 
nombre  de  prisonniers  et  le  butin  se  monta  à  quatre-vingts  chevaux  de 
bataille,  sans  compter  les  armes  et  autres  bagages  délaissés  par  les 
fuyards.  On  dit  qu'une  vingtaine  seulement  des  ennemis,  purent  rentrer 
dans  Soissons,  y  rapportant  la  consternation,  d'autant  que  les  meilleurs 
capitaines  de  la  garnison,  avaient  péri  dans  cette  affaire  ou  y  étaient 
restés  prisonniers.  Au  nombre  de  ces  derniers  se  trouvait  le  sieur  de 
Conac  lui-même,  commandant  de  l'expédition.  On  n'ent  à  regretter,  que 
quelques  soldats  et  deux  braves  gentilshommes,  morts  glorieusement 
sur  le  champ  de  bataille.  Cette  bonne  journée,  où  ont  été  défaits  et 
taillés  en  pièces  les  plus  mauvais  et  désespérés  des  ennemis,  lesquels 
ne  faisaient  que  voler  et  piller  un  chacun,  sans  distinction  de  per- 
sonnes, fussent-elles  d'église,  de  noblesse  ou  autres,  contribuera  mer- 
veilleusement à  rétablir  en  ces  pays  la  légitime  domination  de  notre 
bien-aimé  maître  et  souverain.  » 

La  Bourgogne  venait  pendant  ce  temps-fa,  de  reprendre  les  armes. 
A  peine  la  trêve  accordée  par  Sa  Majesté  aux  Ligueurs,  eut-elle  fini  son 
temps,  que  les  hostilités  y  avaient  recommencé.  Les  Ligueurs  avaient 
assemblé  leurs  troupes  'a  Beaune,  qui  était  l'une  des  plus  fortes  places 
du  pays,  quoique  les  habitants  commençassent  à  n'être  pas  des  plus 
attachés  à  la  Ligue.  Le  sieur  de  Bissy,  gouverneur  de  Verdun,  s'en  alla 
reconnaître  ce  qui  se  passait  de  ce  côté-la,  et  quoi  qu'il  s'aperçût  bien- 
tôt qu'il  n'avait  pas  amené  assez  de  monde,  ayant  rencontré  un  fort  parti 
de  l'ennemi  dans  la  campagne,  «  toutes  fois,  dit-il,  je  ne  veux  pas  me 
retirer  sans  avoir  échangé  quelques  pistolades  avec  ces  gens-là.  »  Cette 
braverie  lui  coûta  cher  ;  il  fut  blessé,  fait  prisonnier  et  emmené  au 
château  de  Beaune,  et  il  y  mourut  de  sa  blessure  ou  par  les  soins  de 
ceux  qui  la  pansaient.  Verdun,  privé  de  son  commandant,  allait  tomber 
au  pouvoir  de  l'ennemi  ;  «  mais  j'y  courus,  dit  Tavannes,  avec  ma  com- 
pagnie de  gendarmerie,  et  les  Ligueurs  n'osèrent  rien  entreprendre.  » 
Tavannes  s'achemina  ensuite  vers  Mâcon,  et  il  y  fut  reçu  comme  un 
libérateur  par  les  habitants,  qui  jurèrent  tous  fidélité 'a  Sa  Majesté.  Leur 
gouverneur  lui-même,  montra  autant  d'empressement  que  les  autres  pour 
conserver  sa  place.  Pour  ceux  de  la  ville  de  Tournus,  qui  se  trouve  a 
une  huitaine  de  lieues  au  nord,  comme  ils  se  montraient  opiniâtres  dans 
leur  rébellion,  le  général  royaliste  demanda  à  Ornano,  qui  était  alors  à 
Lyon,  devenir  lui  aider  à  mettre  ces  obstinés  â  la  raison.  On  commença 
le  siège  avec  beaucoup  de  résolution  ;  mais  la  place  était  avantageuse- 
ment située  et  soigneusement  fortifiée,  et  l'on  manquait  absolument 
d'artillerie.  Il  fallut  donc  se  retirer,  toute  la  valeur  des  assiégeants 
n'ayant  pu  parvenir  qu'a  pénétrer  dans  deux  des  faubourgs,  où  ils  ne 
purent  se  maintenir. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  477 

En  ce  même  temps  la  ville  de  Beaunc,  déjà  lasse  de  la  Ligue,  faisait 
faire  secrètement  des  propositions  d'arrangement  a  Monsieur  deTavannes. 
C'était  une  des  places  de  sûreté,  que  le  feu  roi  avait  été  obligé  de  céder 
à  la  Ligue.  Elle  est  commandée  par  un  château  fort,  composé  de  cinq 
gros  bastions,  et  qui  a  entrée  dans  la  ville  et  issue  dehors.  Mayenne 
avait  donné  le  commandement  de  cette  place  importante  au  sieur  de 
Montmoyen,  l'un  de  ses  maîtres  d'hôtel.  Ce  gouverneur  traita  les  habi- 
tants avec  une  grande  cruauté.  Sous  prétexte  qu'ils  n'étaient  pas  bien 
affectionnés  'a  la  sainte  cause,  il  en  mit  plusieurs  en  prison  et  leur  lit 
payer  de  grosses  rançons.  Us  avaient  eu  en  elfet  la  simplicité  de  s'adres- 
ser directement  à  lui,  pour  rendre  la  ville  et  le  château  au  roi,  et  afin  de 
le  gagner,  ils  lui  avaient  |)ayé  d'avance  une  somme  considérable.  Lui. 
de  son  côté,  s'était  engagé  sur  le  corps  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
a  faire  ce  qu'ils  attendaient  de  lui  ;  mais  il  avait  eu  la  précaution  de 
donner  mot  au  prêtre,  de  ne  pas  consacrer  l'hostie,  «  cousant  ainsi,  sans 
vergogne,  sa  perlidie  avec  le  très-saint  sacrement  de  l'autel.  »  Quand  il 
les  eut  ainsi  trompés,  et  qu'en  outre  de  la  somme  (ju'il  avait  déjà  reçue, 
il  leur  eut  fait  chèrement  acheter  leur  liberté,  il  prévint  le  duc  de 
Mayenne  de  leurs  projets.  {Mém.  de  la  Ligue,  t.  VL) 

A  cette  nouvelle,  le  duc,  (jue  les  agents  espagnols  accusaient  de  tous 
les  côtés,  et  que  Philippe  commençait  à  abandonner  a  ses  propres  res- 
sources, sentant  que  son  gouvernement  de  Bourgogne,  était  maintenant 
ce  qui  lui  restait  de  plus  entier,  était  bien  vite  parti  dès  le  mois  de 
novembre  159 i,  avec  quelque  cavalerie,  pour  venir  donner  ordre  a  ses 
affaires  dans  cette  province.  (Mézerav,  t.  III,  p.  1,107.) 

A  son  arrivée,  il  apprit  qu'outre  Mâcon,  les  villes  d'Auxerre  et  d'Aval- 
lon,  deux  des  plus  importantes  du  pays,  avaient  déjà  reconnu  le  roi,  et 
que  Dijon  se  disposait  h  suivre,  comme  Beaune,  l'exemple  de  ces  places. 
Ce  fut  donc  a  Dijon  qu'il  se  rendit  d'abord.  Il  y  trouva  en  effet  les  esprits 
si  mal  disposés  en  sa  faveur,  que  voulant  faire  un  grand  exemple,  il  com- 
mença par  faire  couper  la  tête  au  maire  Jacques  de  Verne  et  au  capitaine 
Gau,  tous  les  deux  chefs  du  parti  qui  voulait  rendre  la  ville  au  roi. 

De  là,  il  s'en  alla  a  Heaune,  où,  pour  mettre  la  ville  en  état  de  défense, 
il  commença  par  faire  raser  tous  les  faubourgs.  Ce  fut  pour  les  habi- 
tants une  perte  de  plus  de  cinquante  mille  écus,  car  il  fallut  démolir 
plus  de  deux  mille  maisons.  Il  y  plaça  ensuite  une  forte  garnison  soys^a 
conduite  du  capitaine  Guillcrmino,  Milanais,  homme  méchant  et  scélé- 
rat, qui  avait  déj'a  fait  tuer  dans  la  ville  de  Seure  un  grand  nombre  de 
personnes.  Il  lui  donna  pour  adjoint  l'ingénieur  Carie,  autre  aventurier 
de  mérite  'a  peu  près  pareil.  {Mém.  de  la  Ligue,  ubi  sup.) 

Dès  qu'il  fut  parti,  les  habitants  n'en  reprirent  pas  moins  leurs  négo- 
ciations secrètes  avec  Tavannes,  quand,  soudain,  on  eut  avis  que  le  roi 
envoyait  le  maréchal  de  Miron,  pour  faire  la  guerre  en  Bourgogne. 
Tavannes  alla  au-devant  de  lui,  avec  ses  troupes,  jus(iu'au  près  d'Auxerre. 
Le  premier  exploit  du  maréchal  en  cette  province  fut  la  prise  de  Nuits, 
qui  se  rendit  après  deux  jours  seulement  de  résistance. 


478  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Ceux  de  Beaune  convinrent  alors  de  s'insurger  et  de  se  rendre  aussi 
aux  royaux.  Le  duc,  qui  se  tenait  à  Châlons,  eut  par  malheur  pour  eux, 
vent  de  ce  projet  ;  il  revint  tout  aussitôt  dans  leur  ville,  et  quatorze  des 
principaux  bourgeois,  le  procureur  et  l'avocat  du  roi,  furent  par  ses 
ordres,  mis  dans  les  fers,  pour  répondre  de  la  conduite  de  leurs  conci- 
toyens, ce  qui  excita  un  mécontentement  général,  parmi  tout  le  reste  des 
habitants,  ils  eurent  toutefois  la  prudence  de  le  dissimuler  et  d'attendre 
que  Mayenne  s'en  fût  retourné  a  Châlons.  Mais  'a  peine  fut-il  parti,  que 
l'insurrection  éclata.  Le  maire  et  les  échevins  étaient  a  la  tète  :  la  cloche 
de  l'horloge  donna  le  signal. 

Tout  aussitôt  le  maire,  portant  l'écharpe  blanche  et  l'épée  au  poing, 
parut  dans  la  rue  criant  :  «  Vive  le  roi  !»  A  ce  cri,  tous,  même  les 
iemmes  et  les  enfants,  sortirent  de  leurs  maisons,  portant  chacun  les 
armes,  qu'ils  avaient  pu  avoir  ou  saisir.  Pour  lors,  celui  qui  commandait 
le  premier  corps  de  garde  bourgeoise,  à  la  seule  porte  qu'on  laissait 
ouvrir,  fit  fermer  la  barrière,  qui  était  entre  son  poste  et  celui  des  sol- 
dats de  la  garnison,  tellement  qu'il  les  enferma  entre  la  ville  et  la  porte 
extérieure,  et,  montant  sur  les  tours,  il  fit  tirer  sur  eux  plusieurs  coups 
d'arquebuse.  Cette  troupe,  ainsi  surprise,  fut  contrainte  de  se  rendre  ; 
ceux  qui  voulurent  se  sauver  dans  la  campagne,  furent  accueillis  par  une 
foule  de  paysans  qui  les  massacrèrent  tous. 

Le  capitaine  Guillermino  dînait  en  ce  moment,  avec  le  président 
Latrecey,  frère  du  gouverneur  Montmoyen,  et  avec  l'ingénieur  Carie, 
sans  aucun  soupçon  de  ce  qui  se  passait.  Tout  a  coup,  Alexan,  l'un  des 
échevins,  défonce  la  porte  de  la  salle,  et,  tout  en  entrant,  il  décharge 
son  pistolet  dans  le  visage  du  capitaine,  duquel  coup  il  le  renversa  ; 
mais  Carie,  ayant  eu  le  temps  de  se  saisir  de  son  épée,  en  porta  un  coup 
'a  Alexan,  au  défaut  de  la  cuirasse;  celui-ci,  pourtant,  malgré  sa  bles- 
sure, secondé  d'un  grand  nombre  d'habitants,  qui  vinrent  bien  armés, 
fit  prisonniers  Guillermino,  Carie  et  le  président,  et  les  fit  conduire  'a 
la  maison  de  ville,  où  Guillermino  mourut  le  lendemain,  du  coup  qu'il 
avait  reçu  dans  la  tête. 

La  garnison,  n'ayant  plus  de  chefs,  se  dispersa  par  petites  troupes, 
et  ces  soldats  débandés  furent  poursuivis  dans  toutes  les  rues,  par  les 
habitants,  qui  les  massacraient  à  mesure  qu'ils  les  rencontraient.  Ceux 
dont  le  quartier  était  le  plus  rapproché  du  château,  parvinrent  à  se 
retrancher  dans  les  rues  des  Tonneliers  et  des  Boissons.  xVlors  Mont- 
moyen  leur  envoya  l'ordre,  de  mettre  le  feu  'a  plusieurs  maisons,  pen- 
sant par  la  effrayer  les  habitants  ;  mais  cet  expédient  ne  servit  a  rien  ; 
on  continua  a  se  battre  dans  ces  deux  rues,  a  la  lueur  de  l'incendie  et 
avec  un  acharnement  inexprimable.  A  la  fin,  toutes  ces  malheureuses 
troupes  furent  taillées  en  pièces  ou  contraintes  de  se  rendre,  a  l'excep- 
tion d'un  petit  nombre,  qui  eut  le  bonheur,  de  se  sauver  dans  la  cita- 
delle. 

Biron,  qu'on  avait  envoyé  prévenir  de  ce  qui  se  passait  dans  Beaune, 
approchait  avec  son  armée.  Les  bourgeois  brisèrent  les  serrures  des 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  479 

portes  (le  leur  ville  pour  le  faire  entrer  ;  car  les  clés  étaient  gardées 
dans  le  château.  Aussitôt  il  attaqua  cette  forteresse  et  Montmoyen,  se 
voyant  sans  espoir  de  secours,  consentit  enlin  a  la  rendre,  a  condition 
qu'on  le  laisserait  sortir  avec  armes  et  bagages,  mais  sans  tambour, 
enseignes  ployées,  et  mèches  éteintes. 

Le  maréchal  marcha  ensuite  contre  Aulun.  Il  savait  que  les  habi- 
tants y  étaient  au  moins  aussi  dégoûtés  de  la  Ligue,  que  ceux  de  Beaune. 
Le  maire  y  était  également  à  la  tête  du  parti,  qui  voulait  ranger  la  ville 
sous  l'autorité  du  roi,  et  comme  il  était  maître  d'une  dos  portes,  il  indi- 
qua a  lîiron  le  jour  où  il  se  tiendrait  prêt  a  l'introduire.  C'était  le  quin- 
zième jour  de  mai  :  le  maréchal  s'approcha  au  milieu  de  la  nuit,  et  dans 
la  crainte  de  quelque  surprise,'Jl  s'arrêta  'a  l'entrée  des  faubourgs.  Deux 
bourgeois  vinrent  le  trouver  l'a,  pour  lui  dire  que  le  maire  l'attendait  à  la 
porte  qui  donne  sur  la  rivière  d'Aroux  ;  mais  lui,  ne  se  sentant  pas  encore 
rassuré,  détacha  deux  capitaines  avec  huit  braves  arcpiebusiers,  pour  se 
poster  au-dessus  de  la  porte.  Il  les  fit  suivre  par  vingt-cin(|  cuirassiers 
et  ciiujuante  cavaliers,  (jui  eurent  ordre  de  se  rendre  maîtres  du  rem- 
part, des  deux  côtés  de  la  dite  porte,  et  ensuite  il  s'avança  lui-même  avec 
sa  compagnie  de  chevaux  et  celle  de  ses  gardes  ;  il  trouva  sous  la  porte 
le  maire,  qui  lui  présenta  les  clés.  En  pénétrant  plus  avant,  il  rencontra 
la  garde,  qui  avait  coutume  de  faire  la  ronde,  vers  le  milieu  de  la  nuit. 
Il  l'entoure,  et  sans  avoir  eu  besoin  de  tirer  un  seul  coup  de  mousquet 
qui  aurait  pu  donner  l'alarme,  il  la  fait  prisonnière.  Mais  il  courut  en 
cette  occasion  le  danger  d'être  tué  :  un  soldat  ennemi  s'apprêtait  à  lui 
envoyer  une  balle  avec  son  pistolet,  Diron  se  jeta  sur  lui,  le  terrassa 
dans  une  lutte  corps  a  corps  et  parvint  a  le  désarmer,  sans  s'être  servi 
d'armes  a  feu.  {Relat.  de  la  prise  d'Autim,  Paris,  1595,  in-8.) 

Pendant  ce  temps-la,  on  s'avançait  en  silence  vers  le  château.  Une 
ouverture  qui  se  trouvait  dans  la  muraille  en  facilita  l'entrée;  on  s'intro- 
duisit également  dans  le  palais  épiscopal  dont  une  porte  avait  été  laissée 
ouverte,  et  un  fort  détachement  descendu  dans  la  basse  ville  y  entourait 
tous  les  corps-de-garde.  On  n'avait  point  encore  crié  aux  armes,  te 
Autun  était  presque  entièrement  au  pouvoir  des  royalistes.  Biron  avec 
sa  garde  marcha  alors  vers  la  grande  place  qui  est  au-dessous  de  la 
cathédrale.  Il  y  avait  Ta  un  corps  de  garde  de  soixante  soldats  qu'il  atta- 
qua et  tailla  en  pièces.  Le  bruit  de  cette  attaque  avertit  les  autres 
postes  ligueurs,  qui  tous  presque  aussitôt  se  trouvèrent  l'ennemi  sur  les 
bras.  On  combattit  environ  l'espace  d'une  heure  :  le  colonel  de  Lure 
(Gascon),  qui  refusait  de  se  rendre,  fut  tué  dans  sa  maison  avec  un  grand 
nombre  de  ses  gens  ;  après  quoi,  la  ville  étant  conijuise,  Biron  n'eut 
plus  qu'a  y  proclamer  l'autorité  du  roi  Henri  IV. 

Sur  ces  entrefaites  Dijon,  a  l'exemple  de  Beaune,  avait  aussi  pris  les 
armes  pour  venger  la  mort  de  son  maire.  Au  premier  bruit  de  ce  mouve- 
ment, le  vicomte  de  Tavannes,  l'un  des  jjrincipaux  chefs  ligueurs  du 
Pays,  et  qui  venait  d'épouser  la  belle-lille  de  Mayenne,  était  accouru 
avec  ses  troupes,  qui  pénétrant  incontinent  dans  la  ville,  refoulèrent  les 


480  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

bourgeois  dans  un  seul  quartier,  où  on  était  sur  le  point  de  les  forcer. 
Ceux-ci  n'avaient  pas  d'abord  voulu  s'adresser  au  maréchal,  et  n'auraient 
pas  mieux  demandé,  que  de  pouvoir  se  passer  de  son  assistance,  parce 
qu'ils  ne  craignaient  pas  moins  les  pilleries  et  extorsions  de  ses  gens 
de  guerre,  que  celles  des  troupes  ligueuses.  Ils  furent  pourtant  contraints 
d'implorer  son  aide,  et  ils  lui  envoyèrent  une  députation.  Biron  accou- 
rut. En  peu  de  temps  il  eut  repris  tous  les  quartiers  occupés  par  les 
troupes  du  vicomte,  lesquelles  il  repoussa,  partie  dans  le  château  et 
partie  dans  le  fort  de  Talan,  qui  est  a  demi-lieue  de  la  ville  et  où 
Tavannes  se  retira  lui-même.  (Mézeray,  p.  1119.) 

Biron  assiégea  ces  deux  places  tout  à  la  fois  ;  mais  alors  il  eut  nou- 
velle que  le  connétable  de  Castille,  gouverneur  du  Milanais,  avait  eu 
ordre  de  Philippe,  d'entrer  immédiatement  en  France,  o  quand  même  ce 
serait  a  la  perte  et  préjudice  des  provinces  de  Flandre  et  d'Italie,  et  d'y 
faire  tels  attaquements,  qu'ils  convertissent  en  déplaisir  l'audace  et  la 
présomption  du  Béarnais  et  de  ceux  des  Français,  qui  le  reconnaissaient 
pour  le  roi.  »  {Écon.  royales  de  Sully,  chap.  xxx.) 

En  conséquence  de  cet  ordre,  ce  connétable  venait  d'arriver  en 
Franche-Comté,  où  il  avait  déjà  repris  Vesoul  sur  les  royalistes,  et 
maintenant  il  descendait  en  Bourgogne,  'a  la  tête  de  quinze  mille  fantas- 
sins et  de  plus  de  trois  mille  chevaux.  Biron  ne  se  crut  pas  assez  fort 
pour  résister  seul,  'a  cette  nouvelle  armée.  Il  écrivit  donc  à  Sa  Majesté, 
la  priant  de  s'acheminer  en  personne,  en  cette  province  et  d'y  venir  pa- 
rachever ce  qu'il  avait  si  heureusement  commencé.  Or  madame  Gabrielle 
d'Estrées,  était  précisément  de  cet  avis,  afin  que  le  roi,  ayant  conquis  la 
Franche-Comté,  en  donnât  la  propriété  utile  à  un  fils,  qu'elle  avait  eu 
l'année  précédente,  et  la  souveraineté  honorifique  à  la  Suisse,  pour 
engager  les  Cantons  à  ne  pas  s'opposer  a  un  pareil  arrangement.  C'était 
au  reste  le  vieux  chancelier  Cheverny  qui  avait  dressé  ce  projet  :  cet 
homme  grave,  mais  encore  plus  fin  courtisan,  s'était  avisé,  à  l'exemple 
de  son  royal  maître,  de  faire  aussi  le  galant,  et  il  avait  pris  pour  maî- 
tresse madame  de  Sourdis,  qui,  l'ayant,  ainsi  que  le  disait  le  roi,  en 
plaisantant,  «  bien  bridé  et  bien  sellé,  lui  faisait  faire  tout  ce  qu'elle 
voulait.  »  Comme  madame  de  Sourdis  était  tante  de  Gabrielle,  dont  elle 
partageait  en  quelque  sorte  l'influence,  elle  avait  exigé  cette  démarche 
de  son  vieil  adorateur,  et  le  roi  parut  d'abord  s'y  prêter  assez  volontiers. 
{Amours  du  grand  Alcandre,  p.  26.) 

Henri  se  mit  donc  en  campagne,  après  avoir  nommé  une  sorte  de 
conseil  de  régence,  'a  la  tête  duquel  il  mit  le  prince  de  Conti,  pour 
tenir  le  gros  des  aff'aires  en  ordre  dans  le  royaume,  et  surtout  celles  des 
finances.  Il  comptait  se  faire  bientôt  une  armée  des  diverses  troupes 
qu'avaient  ses  généraux  dans  ces  provinces.  L'a,  il  se  croyait  du  reste 
suffisamment  gardé  sur  les  frontières  de  Picardie  et  de  Champagne  par 
l'armée  du  maréchal  de  Bouillon  et  par  les  Hollandais.  Ainsi  il  crut  pou- 
voir, sans  rien  risquer  s'éloigner  de  ses  frontières  du  nord,  d'autant 
plus  qu'il  venait  encore  d'y  envoyer  le  duc  de  Nevers  et  l'amiral  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  481 

Villars,  nommant  le  i)rcmier  commandant  général  de  toutes  les  troupes 
(|u"on  pourrait  réunir  en  ces  quartiers,  ce  qui  mécontenta  d'abord  tous 
les  autres  généraux.  (Mkzeuav,  ubi  sup.) 

Arrivé  en  Bourgogne,  il  apprit  que  le  connétable  de  Castille  avait 
fait  faire  un  pont  de  bateaux  à  Gray,  sur  la  rivière  de  Saône,  et  avait 
déjîi  traversé  cette  rivière.  Il  se  mit  tout  aussitôt  en  devoir  d'aller  au- 
devant  de  l'ennemi,  avec  un  camp  volant  de  (juinze  cents  bommes  seule- 
ment, alin  de  relarder  sa  marcbe  et  d'avoir  le  temps  de  faire  un  retran- 
chement entre  la  ville  de  Dijon  et  le  château  où  l'ennemi  tenait  toujours. 
Son  plan  était  alors,  de  laisser  les  bourgeois  seuls  continuer  le  siège  de 
cette  forteresse,  et  d'aller  lui-même,  avec  toutes  les  troupes  qu'il  pour- 
rait ramasser,  livrer  bataille  aux  Espagnols,  à  quelques  lieues  de  là, 
dans  un  endroit  qu'il  avait  déjà  choisi  d'avance. 

En  attendant,  il  s'était  avancé  avec  son  détachement  jusqu'à  une 
lieue  environ  de  Fontaine  française.  On  vint  lui  dire  que  l'ennemi  s'était 
posté  au  village  de  Saint-Seine,  avec  toute  son  armée.  Mayenne,  qui 
avait  été  au-devant  du  connétable  espagnol,  le  |)rcssait  de  marcher  en 
toute  diligence  vers  Dijon,  pour  secourir  le  vicomte  de  Ta  vannes  et  le 
château  ;  mais  Mayenne  n'était  plus,  comme  on  sait,  en  faveur  à  la  cour 
d'Espagne,  et  l'on  ne  voulait  rien  faire  dans  son  intérêt.  Aussi  on  le 
laissa  dire,  et  le  connétable  se  tint  dans  son  camp.  (Caykt,  Cfuwi  nov 
1595.) 

Tout  à  coup  on  vint  lui  annoncer  qu'on  avait  vu  paraître  de  la  cava- 
lerie royaliste.  Mayenne  offrit  de  la  faire  attaquer  par  son  lieutenant 
Villars-Houdan,  avec  ses  propres  gens,  si  on  voulait  seulement  les  faire 
soutenir,  par  quelques  troupes  espagnoles.  Le  connétable  crut  devoir  lui 
complaire  en  cette  occasion,  et  lui  accorda  cinq  compagnies  de  ciievau- 
légers  avec  autant  d'arquebusiers  à  cheval.  \  illars  partit  avec  ces  troupes. 

Il  y  avait  entre  les  deux  armées,  une  colline  assez  élevée  qui  les 
empêchait  de  se  voir  :  Villars  monta  sur  celte  éminence  avec  mille  che- 
vaux, et,  de  là,  il  aperçut  la  troupe  du  roi  déjà  rangée  en  bataille.  Alors 
il  envoya  dire  aux  Espagnols  qui  l'accompagnaient  de  se  préparer  au 
combat.  Ceux-ci  répondirent  qu'ils  avaient  des  ordres  contraires  ;  qu'ils 
n'étaient  envoyés  que  pour  escarmouchcr  contre  les  détachements  enne- 
mis, s'il  s'en  présentait,  mais  qu'ils  n'avaient  pas  mission  d'en^afrer 
une  bataille  contre  toute  une  armée.  Vainement  le  lieutenant  de  Mavenne 
leur  représenta  qu'il  s'agissait  de  leur  honneur,  que  celte  prétendue 
armée  ne  leur  était  pas  même  égale  en  nombre,  que  le  combat  était  indis- 
pensable et  qu'il  ne  leur  était  plus  même  possible  de  se  retirer,  en  pré- 
sence de  l'ennemi.  Personne  ne  bougea. 

Villars,  désespéré,  s'adressa  alors  au  capitaine  Samson,  qui  comman- 
dait une  compagnie  de  ces  Es[)agnols  etqui  était  un  de  ses  amis  intimes. 
«  Je  vais  atla(iuer  seul,  lui  dit-il;  abandonnerez-vous  votre  ami  dans  un 
pareil  danger?  —  Ma  foi  non  !  »  dit  le  capitaine,  (jui  se  mit  en  devoir  de 
le  suivre  ;  et  aussitôt  l'attaque  commença  sur  la  gauche  de  l'armée  rovale 
qui  était  commandée  par  Biron. 


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ï^-  31 


482  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Aux  premiers  bruits  de  la  mêlée,  les  autres  chefs  espagnols  accou- 
rurent, ne  pouvant  plus  se  dispenser  de  prendre  part  à  l'action.  Un 
bataillon  royaliste  que  commandait  d'Assonville  fut  vigoureusement 
enfoncé  :  Biron  lui-même  fut  blessé  a  la  tête,  et  les  royaux  commençaient 
à  plier  ;  mais  en  même  temps  le  brave  Villars,  ayant  reçu  un  coup  de 
mousquet  dans  le  bras,  fut  obligé  de  se  faire  reporter  au  camp  de 
Saint-Seine,  el  les  siens  perdirent  presque  aussitôt  l'avantage  qu'ils 
avaient  conquis. 

L'aile  droite  où  était  le  roi  fut  attaquée,  avec  non  moins  de 
vigueur  par  le  capitaine  Samson.  Le  combat  y  fut  même  plus  acharné 
que  partout  ailleurs.  Le  roi  fut  obligé  de  payer  de  sa  personne.  La  Tré- 
mouille  et  d'Elbœuf,  s'étaient  mis  bravement  au-devant  de  lui,  pour  le 
couvrir  de  leurs  corps,  et  «  pour  abattre,  dit  d'Aubigné,  la  rosée  devant 
Sa  Majesté  ;  »  ses  plus  fidèles  serviteurs  lui  avaient  même  amené  un 
cheval  de  course  et  le  conjuraient  de  mettre  sa  vie  en  sûreté.  «  Je 
n'ai  pas  besoin  de  conseils,  mais  d'assistance,  répondit-il.  11  y  a  d'ail- 
leurs plus  de  péril  a  la  fuite  qu'a  la  chasse  »  et  il  continua  de  combattre. 
Aussi,  disait-il  plus  tard  :  «  dans  les  autres  occasions  où  je  me  suis  trouvé, 
je  n'ai  combattu  que  pour  la  victoire  ;  mais  cette  fois  j'ai  combattu  pour 
ma  vie.  »  (Matthieu,  1. 11,  liv,  4,  p.  187.  —  Péréfixe.) 

a  Nos  jeunes  seigneurs,  écrivit-il  a  sa  sœur  après  la  victoire,  firent 
merveilles  pour  la  plupart  ;  quelques-uns  se  conduisirent  un  peu  molle- 
ment et  d'autres  tout  a  fait  mal  ;  mais  je  ne  veux  nommer  personne. 
Ceux  qui  ont  eu  peur  à  une  première  affaire  pourront  'a  l'avenir  montrer 
plus  de  courage.  »  Après  un  long  combat  où  Samson  perdit  plus  de 
trente  de  ses  gens,  il  fut  tué  lui-même,  et  sa  compagnie,  le  voyant 
mort,  prit  incontinent  la  fuite.  Le  roi  poursuivit  les  fuyards  jusqu'à  un 
bois  qui  n'était  pas  éloigné,  et  dans  lequel  il  n'osa  pas  s'aventurer,  car  il 
savait  qu'une  grande  partie  de  l'infanterie  du  connétable  venait  de  s'y 
loger.  {Mém.  de  la  Ligne,  t.  Vl.) 

Au  même  instant,  un  grand  nombre  de  seigneurs,  à  la  tête  des 
troupes  qu'ils  avaient  réunies  chacun  dans  son  canton,  arrivaient  au  camp 
de  Sa  Majesté.  Le  roi  leur  ordonna  de  s'emparer  du  champ  de  bataille 
et  de  la  colline,  et  s'en  retourna  'a  Lux-sur-Tille,  pour  y  préparer  de 
nouveaux  obstacles  'a  l'invasion  de  l'ennemi.  (Cayet,  ubi  sup.) 

Mais  quand  le  connétable  de  Castille  sut  que  Henri  IV  était  en  per- 
sonne dans  la  province,  et  qu'il  avait  même  pris  part  au  combat  qui 
venait  d'être  livré,  rien  ne  put  le  décider  à  marcher  en  avant  pour  porter 
secours  'a  la  garnison  du  château  de  Dijon.  Dès  le  lendemain  matin,  au 
contraire,  il  donna  l'ordre  de  plier  bagage  et  il  se  retira  à  Gray.  La,  telle 
était  son  inquiétude,  qu'il  empêcha  les  troupes  françaises  amenées  par 
Mayenne,  d'entrer  dans  la  ville,  les  regardant  comme  suspectes,  en  sorte 
que  plusieurs,  qui  avaient  pris  part  a  la  dernière  affaire  et  qui  se  trou- 
vaient dangereusement  blessés,  furent  privés  de  tout  secours,  insultés  et 
pillés  par  les  paysans,  et  finalement  obligés  d'avoir  recours  à  l'armée 
royale  elle-même,  qui  les  accueillit   beaucoujj»  plus  charitablement  que 


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DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  483 

n'avaient  fait  leurs  alliés.  Le  roi  envoya  même  un  de  ses  chirurgiens 
pour  panser  la  blessure  de  MUars,  en  lui  faisant  faire  compliment  de 
son  courage.  (Mézeray,  ubi  siip.) 

Le  duc  de  Mayenne  perdit  alors,  tout  espoir  de  conserver  Dijon.  Dans 
toute  la  Bourgogne,  il  ne  lui  restait  plus  que  Châlons,  et  s'il  s'enfermait 
dans  celle  ville,  il  courait  risque  de  s'y  voir  bientôt  assiégé.  Dans  son 
embarras,  il  s'était  déj'a  décidé  à  se  retirer  dans  le  Piémont.  Mais 
Henri  IV  eut  pitié  de  lui,  et  lui  fit  dire  de  ne  plus  se  laisser  abuser  par 
les  fausses  promesses  des  Espagnols  ;  qu'en  attendant  qu'il  fit  sa  paix 
définitive  et  qu'on  convînt  des  conditions.  Sa  Majesté  consentait  qu'il 
se  retirât  'a  Châlons,  promettant  qu'elle  ne  l'attaquerait  pas  sur  la  route, 
et  qu'elle  n'assiégerait  pas  la  ville  tant  qu'il  y  serait.  Le  duc  accepta 
avec  empressement  celte  proposition,  et  réunissant  le  peu  de  troupes 
qui  lui  restait  encore,  il  se  sépara  de  l'armée  espagnole  et  se  rendit  à 
Châlons,  d'où  tout  aussitôt  il  commença  'a  traiter  sérieusement  avec  le 
roi. 

La  citadelle  de  Dijon,  de  son  côté,  qui  ne  pouvait  plus  être  secourue, 
capitula  de  l'aveu  de  Mayenne  lui-même,  et  le  roi,  maître  de  cette  capi- 
tale de  la  Bourgogne,  y  rappela  le  Parlement  de  la  province,  qui  avait 
été  obligé  de  se  transférer  à  Flavigny  et  ensuite  à  Sémur. 

Les  jésuites  furent  immédiatement  chassés,  conformément  à  l'arrêt 
qui  les  exilait  de  tout  le  royaume. 

a  II  est  a  noter  en  cet  endroit,  ajoute  gravement  Thistorien  Matthieu, 
qu'on  voyait  là,  s'accomplir  une  vieille  prophétie  de  sainte  Brigide,  por- 
tant que  les  guerres  de  France,  pour  la  rébellion  des  faux  Français,  fini- 
ront par  un  choc  ou  bataille  qui  se  donnera  à  La  Fontaine,  après  quoi  le 
victorieux  entrera  dans  Dijon,  et  en  expulsera  ses  ennemis.  »  {Hist.  des 
derniers  troubles.) 

Le  roi,  voyant  donc  que  la  province  de  Bourgogne,  lui  était  entière- 
ment soumise;  car  il  avait  de  bonnes  paroles  du  duc  de  Mayenne,  réso- 
lut de  marcher  vers  la  Franche-Comté,  pour  voir  s'il  y  avait  moyen 
d'accomplir  ce  qu'il  avait  promis  'a  sa  maîtresse,  la  belle  Gabrielle.  Il 
s'approcha  donc  de  Gray,  où  se  tenait  toujours  retranché  le  connétable 
de  Castillc,  et  lui  livra  plusieurs  attaques  pour  tâcher  de  l'attirer  à  une 
bataille.  Le  douzième  jour  de  juillet,  il  s'en  fallut  peu  qu'il  ne  parvînt  'a  ses 
fins.  La  cavalerie  ennemie  était  logée  dans  un  village  peu  distant  de  la 
Saône,  et  les  chaleurs  de  la  saison  avaient  rendu  la  rivière  guéable  en 
cet  endroit.  Les  Espagnols  n'avaient  mis  qu'une  centaine  d'hommes 
pour  garder  ce  gué  :  soudain  une  troupe  de  cuirassiers  royaux, 
avec  cinq  cents  arquebusiers,  parurent  sur  l'autre  rive  et  firent  mine 
de  passer.  Les  Espagnols  firent  feu  sur  cette  troupe  et  s'opposèrent 
quelque  temps  au  passage  ;  mais  leurs  munitions  étaient  épuisées,  ils 
furent  obligés  de  se  replier.  Les  Français  gagnèrent  hardiment  l'autre 
bord,  où  ils  furent  suivis  par  le  maréchal  de  Biron,  à  la  tête  de  cinq 
cents  autres  chevaux.  Alors  la  cavalerie  ennemie,  qui  venait  d'être  avertie 
de  ce  qui  se  passait,  s'avança  en  toute  diligence  sous  la  conduite  de 


484  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Gonzague,  pour  repousser  celte  troupe  et  la  rejeter  de  l'autre  côté  de  la 
rivière,  car  elle  ne  la  croyait  pas  si  nombreuse  ;  a  Taspect  de  tout  ce 
monde  qui  avait  déjà  passé  et  qui  s'avançait  en  bon  ordre,  elle  perdit 
courage  et  prit  la  fuite  au  premier  feu.  Un  seul  escadron,  commandé 
par  Louis  Malze,  s'arrêta  bravement  pour  faire  face  a  l'ennemi.  Mais  les 
Français,  qui  recevaient  à  chaque  instant  de  nouveaux  renforts,  eurent 
bientôt  culbuté  celle  petite  troupe  de  braves,  et  ce  ne  fut  plus  du  côté 
des  Espagnols  qu'un  pêle-mêle  épouvantable.  Les  fuyards  rompaient  les 
rangs  de  ceux  qui  venaient  du  camp  pour  les  soutenir,  et  les  entraînaient 
dans  leur  fuite  ;  mais  comme  il  y  avait  un  large  fossé  plein  d'eau  et  de 
boue  qui  séparait  la  plaine  du  camp,  il  en  résulta  un  désordre  encore 
plus  grand.  La  foule  se  précipita  dans  ce  bourbier,  où  il  se  fit  un  mé- 
lange d'hommes  et  de  chevaux  s'étouffanl  les  uns  les  autres,  s'écrasanl 
et  s'enfonçant  réciproquement,  et  ceux  qui  voulurent  éviter  ce  danger 
furent  obligés  de  se  rendre  aux  Français.  Ceux-ci,  qui  voyaient  l'infan- 
terie du  connétable,  se  mellre  en  bataille  de  l'autre  côté  de  ce  même 
fossé,  s'arrêtèrent  enfin  et  attendirent  (jue  le  roi  avec  le  reste  de  ses 
troupes,  eût  aussi  traversé  la  rivière.  (De  Thou,  t.  XII,  liv.  112,  p.  569. 
—  Davila,  t.  III,  liv.  14,  p.  560.) 

Le  connétable  n'osa  pas  risquer  une  bataille  qui  aurait  été  décisive. 
Il  profita  de  la  nuit  pour  faire  retirer  ses  troupes,  les  cantonner  dans  les 
places  fortes  des  environs,  et  abandonner  tout  le  plat  pays  aux  Français. 
Nul  doute  que  si  le  roi  eût  alors  poursuivi  son  premier  succès,  il  n'eût 
conquis  la  Comté.  Toutes  les  villes  et  même  Besançon  étaient  déjà  plus 
qu'à  demi  subjuguées  par  la  terreur  ;  mais  les  Suisses  s'étaient  ravisés  ; 
oubliant  l'ancien  grief  qu'ils  avaient  d'abord  si  amèrement  reproché  a 
leurs  voisins,  ils  envoyèrent  une  députation  supplier  le  roi,  de  retirer 
son  armée  et  de  laisser  ce  pays  dans  la  neutralité  dont  il  avait  toujours 
joui.  Comme  Sa  Majesté  savait  très  bien,  qu'elle  ne  pourrait  longtemps 
garder  sa  conquête  sans  l'assentiment  des  treize  cantons,  et  que  d'un 
autre  côté,  la  peste  venait  de  se  déclarer  dans  son  armée,  il  lui  fallut 
bien  consentir  à  s'arrêter,  moyennant  toutefois,  une  assez  forte  somme 
d'argent  pour  payer  les  frais  de  la  guerre,  et  dont  Bezançon  s'empressa 
d'oflrir  une  bonne  partie.  (Mézerav,  t.  III,  p.  1.125.) 

Le  roi  s'en  alla  ensuite  vers  Lyon.  Voici  ce  qui  s'était  passé  dans 
cette  province  :  le  duc  de  Nemours,  après  s'être  échappé  du  château 
de  Pierre-Encise,  n'avait  pas  perdu  son  temps.  En  moins  de  deux  mois, 
il  était  parvenu,  a  l'aide  de  ses  amis,  'a  assembler  une  armée  de  toutes 
sortes  de  nations.  Le  duc  de  Savoie  lui  avait  envoyé  trois  mille  Suisses, 
et  il  espérait  bien,  a  l'aide  de  ces  troupes,  rentrer  dans  Lyon  en  triom- 
phateur. Mais  le  connétable  de  Montmorency,  qui  voulait  mériter  par 
quelque  action  d'éclat,  Tépée  fleurdelisée,  dont  le  roi  venait  de  le  gra- 
tifier, partit  de  son  gouvernement  de  Languedoc,  avec  mille  chevaux  et 
quatre  mille  arquebusiers,  et  vint  se  loger  si  proche  de  Vienne,  où  était 
le  duc,  qu'il  le  bloqua  en  quelque  sorte,  lui  et  ses  troupes,  dans  cette 
ville,  si  bien  que  tous  commencèrent  à  pâtir,  tant  de  vivres  que  des 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  485 

autres  commodités  qui  leur  défailla-ient.  Les  Suisses  furent  les  premiers 
a  déserter,  sous  la  conduite  de  leur  colonel  lui-même.  Leur  dessein  était 
d'aller  hiverner  a  Montluel,  à  trois  lieues  de  Lyon  ;  mais  le  connétable 
les  avait  prévenus  et  s'était  déjà,  emparé  de  celte  petite  ville.  Il  leur 
fallut  pousser  plus  loin  et  aller  rejoindre  les  troupes  castillanes,  qui  s'ap- 
prêtaient dès  lors  a  entrer  on  France  du  côté  de  la  Savoie.  Pendant  cette 
marche,  les  rigueurs  de  la  saison,  ainsi  que  les  fatigues  du  voyage, 
caust^rent  la  mort  de  ce  détachement  presque  tout  entier.  Montmorency, 
sur  ces  entrefaites,  avait  découvert,  (ju'il  y  avait  quelque  mésintelligence 
entre  les  soldats  du  duc  de  Nemours  et  les  bourgeois  de  la  ville,  et  que 
Disimieu,  qui  commandait  dans  le  château  Pipet,  avait,  en  sa  qualité  de 
gentilhomme  dauphinois,  embrassé  chaudement  le  parti  de  ces  derniers. 
Le  maréchal  prolita  habilement  de  cette  circonstance  pour  faire  entendre 
a  Disimieu  que  son  devoir  et  son  intérêt,  étaient  de  servir  le  roi  légi- 
time, que  presque  toute  la  France  avait  reconnu,  plutôt  qu'un  prince 
étranger  ;  que  par  là  il  éviterait  à  la  ville  de  Vienne,  non  seulement  les 
exactions  d'une  garnison  sans  règle  et  sans  frein,  telle  que  celle  qui 
l'occupait,  mais  aussi  les  misères,  suites  inévitables  d'un  long  siège,  et 
les  désordres  qui  sont  le  partage  d'une  ville  prise  d'assaut.  Par  aventure 
le  duc  de  Nemours,  s'était  alors  rendu  de  sa  personne  près  du  conné- 
table de  Castille,  qu'il  espérait  décider  à  venir  avec  son  armée  aux  envi- 
rons de  Lyon,  chose  à  laquelle  il  ne  réussit  pas,  puisque  le  connétable 
préféra  aller  tout  droit  en  Franche-Comté.  Disimieu  donc,  voyant  l'occa- 
sion favorable,  était  convenu  de  livrer  Vienne,  Les  choses  ainsi  réglées. 
Montmorency  lit  avancer  huit  cents  arquebusiers  et  trois  cents  chevaux, 
a  la  tête  desquels  il  se  mit  en  personne.  Le  colonel  Ornano,  avec  cinq 
cents  arquebusiers  et  trois  cents  maîtres  se  joignit  a  l'expédition,  et  le 
vingt  quatrième  jour  d'avril,  ces  troupes  parurent  à  la  vue  de  Vienne, 
sur  l'heure  de  midi.  (Cavet,  liv.  7,  ann.  1595.) 

Disimieu  avait  eu  la  précaution  d'envoyer  dire,  dès  le  grand  matin, 
aux  commandants  de  la  garnison  qu'il  avait  à  leur  parler,  et  ceux-ci 
s'étant  rendus  a  cette  invitation,  il  les  amusa  par  des  propos,  pour  leur 
empêcher  de  connaître  les  mouvements  des  royalistes  ;  puis  il  leur 
déclara  sa  résolution  de  remettre  au  roi  la  ville  de  Vienne  et  le  château 
Pipet.  Ils  hrent  d'abord  contenance  de  ne  vouloir  y  acquiescer  ;  mais 
quand  il  leur  eut  montré  un  sauf-conduit  qu'il  avait  obtenu  pour  eux, 
ils  ne  demandèrent  que  le  temps  de  s'apprêter  pour  se  retirer.  On 
leur  donna  une  escorte  pour  les  conduire  jusqu'à  Saint-Genix,  en 
Savoie. 

Le  connétable  entra  dans  Vienne,  parla  porte  d'Avignon  et  s'en  alla 
droit  à  la  grande  église  rendre  grâces  à  Dieu.  Il  lui  restait  pourtant 
encore  'a  occuper  le  château  de  la  Bastie,  où  commandait  un  capitaine 
savoisien  ;  mais  celui-ci  n'eut  pas  plus  tôt  vu  le  canon  tourné  contre  lui 
qu'il  se  rendit. 

Le  duc  de  Nemours,  en  apprenant  celle  trahison  qui  lui  navra  le 
cœur,    tomba  malade   de  chagrin.  Quelques-u)is  disent  que  Disimieu, 


L 


486  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

redoutant  sa  vengeance,  lui  avait  fait  donner  «  le  boucon  »,  et  sur  ce 
soupçon  d'Albigny,  un  des  plus  grands  amis  du  duc,  vint  d'Annecy 
à  Paris  pour  se  battre  en  duel  contre  l'empoisonneur.  La  maladie  du 
malheureux  prince  était  en  effet  bien  étrange.  Comme  Charles  IX, 
il  jetait  le  sang  par  tous  les  conduits  de  la  nature  et  ses  entrailles 
étaient  dévorées  par  un  feu  cuisant  ;  en  peu  de  temps,  il  fut 
réduit  en  un  tel  état,  qu'on  ne  pouvait  le  voir  sans  être  ému  de  pitié.  Il 
avait  les  yeux  hâves  et  enfoncés,  les  regards  lents  et  piteux,  le  teint 
jaune  et  plombé,  la  peau  sèche  et  collée  sur  les  os  ;  il  était  sans  mouve- 
ment et  presque  sans  respiration.  Enlin  après  avoir  langui  ainsi  quatre 
mois,  il  rendit  le  dernier  soupir  avec  la  dernière  goutte  de  son  sang.  11 
mourut  à  Annecy  en  Savoie.  (Mézerav,  t.  III,  p.  1117.) 


DU  l'HOTi:STANTISME  EN  FRANCK.  487 


k 


CHAPITRE   XIX 


1595.  —  ARGUMENT  :  état  des  affaires  du  roi  dans  le  nord. 

LES    ESPAGNOLS    ENTRENT   EN    CHAMPAGNE. 

HOUILLON   QUOIQUE  BATTU    EMPÊCHE  DE    PRENDRE    LA   FERTÉ-SUR-CHIERS. 

MORT   DE   L'ARCHIDUC   ERNEST. 

LE    COMTE  DE   FUENTES   LUI    SUCCÈDE   ET   ENTRE   EN   PICARDIE. 

IL    PREND    LE   CATELET.    —    BOUILLON   LUI   REPREND    HAM. 

FUENTES   ASSIÈGE    DOULLENS,    BAT   BOUILLON    QUI   VENAIT   SECOURIR   CETTE   PLACE 

ET   LA   PREND.     —   IL   ASSIÈGE   CAMBRAI.    —    LE    DUC   DE   NEVERS   Y   ENVOIE    SON    FILS. 

LES   HABITANTS   MÉCONTENTS    DE    BALIGNY   OUVRENT   LEURS   PORTES. 

LE   ROI    PART   DE    LYON    ET   VIENT   EN    PICARDIE.    —   IL   ASSIÈGE   LA   FÈRE. 

MORT   DU    DUC    DE   NEVERS.    —    MORT   DU    MARÉCHAL    D'AUMONT. 

EXPLOITS   ET    SUPPLICE     DU    BARON     DE    LA    FONTENELLE.    —    LE   COMTE   DE   MAGNANCE. 

PRISE   DE   COMPER    PAR    LES   FRÈRES   D'aNDIGNY. 

LA   COUR   DE   ROME   CONSENT   A   L'aBSOLUTION    DU    PAPE. 

CÉRÉMONIES  DE  CETTE  ABSOLUTION. 


Il  s'en  fallait  que  les  affaires  prissent  une  tournure  aussi  avantageuse 
sur  la  frontière  du  Nord  :  le  premier  soin  des  généraux  auxcjuels  le  roi 
en  avait  coniié  la  défense  avait  été  de  se  disputer  entre  eux  la  suprématie 
et  de  chercher  a  se  nuire  mutuellement.  De  plus,  l'argent  avait  manqué 
pour  la  solde  des  troupes,  malgré  les  précautions  que  le  roi  avait  prises 
et  qu'il  croyait  suffisantes.  Le  maréchal  de  Bouillon  avait  fait  vainement 
un  voyage  à  Paris  pour  en  demander  lui-même  a  Sa  Majesté  ;  il  n'avait 
pu  obtenir  qu'une  somme  si  minime,  que  les  Hollandais  et  Philippe  de 
Nassau  lui-même  prirent  le  parti  d'abandonner  l'armée.  (De  Thou, 
liv.  112,  t.  XII,  p.  549  et  suiv.) 

Quelques  jours  auparavant,  le  roi  avait  déjà  perdu  un  des  plus 
braves  capitaines  de  celte  armée,  destinée  à  de  si  grands  revers.  Le  duc 
de  Longueville,  qui  avait  donné  tant  de  preuves  de  son  dévouement  à 
Sa  Majesté  dans  les  moments  les  plus  difficiles  du  commencement  de  son 
règne,  était  allé  visiter  les  places  de  son  gouvernement  de  Picardie. 
Comme  il  entrait  a  Doullens,  les  soldats  de  la  garnison  firent  une 
décharge  de  leurs  armes  pour  saluer  son  arrivée  ;  mais  nn  des  mous- 
quels  avait  été  chargé  à  balle  et  l'atteignit  justement  dans  la  tête. 
(Mézeray,  t.  III,  p.  1.150.) 

Quelques-uns  attribuèrcnl  ce  malheureux  coup  à  une  vengeance  de 


488  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Gabrielle,  dont  le  duc  avait,  dit-on,  été  l'amant  favorisé,  et  a  laquelle  il 
n'avait  pas  voulu  rendre  les  lettres  d'amour,  qu'elle  liii  avait  écrites. 
{Amours  du  grand  Alcandre.) 

Ceci  se  passait  vers  les  premiers  mois  de  l'année,  et  déjà  les  enne- 
mis étaient  entrés  en  Champagne,  au  nombre  de  quatre  mille  hommes 
de  pied  et  de  trois  mille  chevaux,  avec  six  pièces  d'artillerie  sous  la 
conduite  du  capitaine  Verdugo,  qui  s'était  fait  un  grand  renom  dans  les 
■guerres  de  Flandre.  Cette  armée  s'approcha  d'abord  de  Chauvency,  qui 
se  rendit  après  avoir  essuyé  quelques  coups  de  canon.  Après  ce  premier 
succès,  Verdugo  vint  camper  devant  la  Ferté-sur-Chiers.  Au  moyen 
d'une  écluse,  une  partie  de  la  rivière  coule  dans  cette  ville,  oii 
elle  fait  mouvoir  plusieurs  moulins  et  forme  une  petite  ile.  Verdugo 
éleva  un  camp  retranché  au-dessus  de  cette  écluse,  sur  le  penchant 
d'une  colline  assez  haute  et  il  y  lit  mettre  quatre  canons  en  batterie. 
Bouillon,  qui  était  alors  à  Stenay,  a  deux  lieues  environ  de  la  place 
assiégée,  partit  sans  retard  avec  ses  troupes,  et  vint  se  poster  sur  une 
autre  colline  escarpée  de  tous  les  côtés,  a  cinq  cents  pas  au  plus  de 
celle  qu'occupait  l'ennemi.  11  avait  amené  avec  lui  deux  gros  canons  et 
une  couleuvrine.  (Cayet,  Chron.  nov.,  liv.  6,  ad.  ann.  1595.) 

Les  ennemis  avaient  déj'a  poussé  leur  tranchée  jusqu'aux  fossés  de 
la  place,  et  leur  batterie,  qui  n'avait  cessé  de  tirer,  avait  déjà  renversé 
la  moitié  de  la  porte  et  tous  les  créneaux  des  bastions  qui  protégeaient 
la  ville  de  ce  côté  :  la  brèche  était  énorme.  Le  premier  soin  de  Bouillon 
fut  de  faire  entrer  dans  la  ville,  par  l'autre  côté  de  la  rivière,  cinq  cents 
arquebusiers  choisis,  avec  trente  cuirassiers  de  sa  compagnie.  Ceux-ci, 
se  joignant  à  la  garnison  et  aux  habitants,  se  hâtèrent  de  fortifier  la 
brèche  avec  une  grande  quantité  de  décombres  et  de  fumier. 

Le  maréchal,  pour  leur  en  donner  le  temps,  faisait  continuellement 
tirer  son  canon  contre  le  camp  retranché  des  Espagnols.  La  rivière  cou- 
lait entre  les  deux  armées,  et  quoiqu'elle  fût  peu  profonde,  il  était  assez 
difficile  de  la  traverser  en  présence  d'un  ennemi,  parce  que  les  bords 
en  sont  escarpés  des  deux  côtés.  Vers  les  midi,  Verdugo  attaqua  la 
porte  de  la  ville  ;  mais  il  fut  vigoureusement  repoussé.  Il  se  décida 
alors  à  pousser  sa  tranchée  encore  plus  près  de  la  muraille,  et  ce  travail 
dura  cinq  jours  entiers,  pendant  lesquels  il  y  eut  un  grand  nombre  de 
petits  combats  sur  les  bords  de  la  rivière,  et  les  nôtres  'a  la  fin  res- 
tèrent maîtres  du  passage. 

Mais  les  vivres  manquaient  au  camp  du  maréchal,  qui,  faute  d'argent, 
ne  pouvait  en  faire  venir  de  Sedan,  et  la  saison  était  trop  peu  avancée 
pour  que  le  pays  pût  nourrir  ses  troupes.  Il  se  voyait  donc  dans  la  triste 
nécessité  de  se  retirer  ;  car  ses  soldats,  qui  ne  recevaient  plus  ni  paie 
ni  rations,  commençaient  h  se  mutiner.  Il  résolut  donc  de  brusquer  son 
attaque  contre  les  lignes  ennemies. 

Il  lit  passer  ses  troupes  sur  un  pont  qu'il  avait  fait  construire  pen- 
dant la  nuit  :  au  point  du  jour,  les  retranchements  espagnols  furent 
attaqués  ;  la  cavalerie  chargea  avec  une  telle  impétuosité,  qu'elle  pénétra 


i 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE..  489 

jusqu'au  milieu  du  camp  ;  mais  la,  ayant  été  entourée  par  l'ennemi  qui 
était  (le  beaucoup  supérieur  eu  nombre,  elle  l'ut  presque  toute  écrasée. 
L'infanterie,  qui,  pendant  ce  tenips-la,  combattait  avec  succès  au  pied  du 
retranchement  et  qui  avait  déjà  commencé  à  en  déloger  ceux  qu'elle 
avait  en  tête,  perdit  tout  aussitôt  courage,  en  voyant  revenir  les  fuyards, 
de  sorte,  qu'elle  commença  a  reculer  et  fit  enlin  sa  retraite. 

L'ennemi,  pourtant,  avait  eu  une  si  grande  peur,  en  se  voyant  attaquer 
si  vivement,  et  il  s'en  était  fallu  de  si  peu  que  celte  allaque  n'amenât 
sa  ruine  complète,  (ju'aprés  avoir  demandé  une  suspension  d'armes 
pour  enterrer  ses  morts,  lesquels  étaient  au  nombre  de  plus  de  quatre 
cents,  tandis  que  nous  n'en  comptions  que  cinquante  au  plus,  il  en  pro- 
fila pour  lever  le  siège  et  se  retirer  a  Montmédy.  Houillou,  de  son  côté, 
venait  de  recevoir  l'ordre  d'aller,  avec  tout  ce  qu'il  pourrait  réunir  de 
troupes,  soutenir  le  duc  de  Nevers,  qui  était  déjà  sur  les  frontières  de  la 
Flandre.  Il  s'en  alla  en  conséijuence  passer  la  Meuse,  et  l'ennemi  pro- 
lita  de  son  départ  pour  prendre  la  petite  place  d'Vvoi. 

Cependant,  l'archiduc  Ernest,  ([ue  le  roi  Philippe  avait  fait  vice-roi 
des  Pays-Bas,  venait  de  mourir  a  Bruxelles,  a  la  suite  d'une  lièvre  vio- 
lente accompagnée  de  convulsions.  C'était,  comme  on  sait,  a  ce  prince, 
que  Sa  Majesté  catholique  avait  d'abord  destiné  la  main  de  l'infante 
Isabelle,  afin  de  le  placer  sur  le  trône  de  France.  Aussitôt  qu'il  fut  mort, 
le  comte  de  Fuentes  prit  le  commandement  général,  et  vint  se  mettre  'a 
la  tête  des  troupes,  à  la  place  de  Mansfeld,  qui  lut  envoyé  à  l'armée  de 
Hongrie. 

Fuentes  lit  tout  d'abord  ses  préparatils  pour  reprendre  Caml)rai  :  il 
savait  que  les  habitants  et  surtout  l'archevêque  étaient  très  mal  disposés 
envers  Balagny,  qui  avait  fait  peser  trop  lourdement  sur  les  uns  le  joug 
de  sa  tyrannie  et  (|ui  avait  audacieusement  dépouillé  l'autre  de  tousses 
revenus.  Le  général  espagnol  comptait  donc  bien  que  la  ville  lui  serait 
livrée,  s'il  pouvait  seulement  se  mettre  en  état  d'en  faire  le  siège.  A  cet 
efïet,  il  résolut  de  commencer  par  s'emparer  des  diverses  places  de  la 
frontière  française,  alin  de  couper  le  passage  aux  secours  qui  pouvaient 
arriver  de  ce  côté-là. 

Il  était  déjà  maître  de  La  Capelle  et  de  La  Fère  que  le  gouverneur 
Colas  venait  de  remettre  entre  les  mains  des  Espagnols.  Il  alla  mettre  le 
siège  devant  Le  Catelet,  (|ui  n'avait  qu'une  garnison  de  quatre  cents 
hommes  et  un  vieux  commandant  tout  souffrant  et  tout  couvert  d'an- 
ciennes blessures.  En  même  temps,  il  parvint  à  introduire  une  garnison 
espagnole  dans  la  ville  de  Ham,  et  voici  comment  il  s'y  était  pris.  Gomnie- 
ron,  qui  commandait  dans  cette  place,  tenait  encore  pour  la  Ligue. 
On  lui  proposa  de  lui  faire  de  grands  avantages  en  argent  s'il  voulait  y 
recevoir  les  Espagnols.  Gommeron,  qui  était  extrêmement  avare,  goûta 
cette  proposition  et  il  alla  lui-même  à  Bruxelles  avec  ses  deux  frères 
pour  traiter  directement  de  cette  affaire,  ne  laissant  dans  la  place  que 
sa  mère  avec  d'Orvillers,  gentilhomme  de  la  province  et  dont  il  avait 
épousé  la  sœur.  Dès  que  Fuentes  eut  attiré  l'avide  gouverneur  en   sa 

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490  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

puissance,  il  le  lit  arrêter,  lui  et  ses  deux  frères  ;  puis  il  lit  dire  a  là 
mère  que  si  elle  refusait  d'admettre  dans  Ham,  les  troupes  du  roi 
catholique,  il  lui  enverrait  au  bout  de  trois  lances  les  têtes  de  ses  trois 
enfants. 

Comme  on  le  savait  homme  a  exécuter  cette  menace,  la  garnison  fut 
admise,  et  d'Orvillers  obtint  seulement  de  se  retirer  dans  le  château  ; 
mais  il  avait  juré  tout  bas,  de  se  venger  de  cette  perfidie  espagnole.  Il 
s'adressa  secrètement  au  comte  de  Saint-Pol,  gouverneur  de  la  Picardie 
pour  le  roi,  et  qui  avait  pour  lieutenant  le  brave  d'Humières.  Saint-Pol 
lit  part  de  ces  ouvertures  au  duc  de  Bouillon,  qui  vint  lui-même  jusqu'à 
Saint-Quentin,  pour  tenir  conseil  sur  une  affaire  d'une  si  haute  impor- 
tance, et  il  hit  décidé  qu'il  fallait  tout  risquer,  plutôt  que  de  laisser 
échapper  l'occasion  de  reprendre  la  seule  place  par  laquelle,  on  pouvait 
encore  faire  parvenir  des  secours  'a  Cambrai. 

Bouillon  amena  donc  ses  troupes  en  Picardie.  On  convint  que  d'Or- 
villers en  ferait  entrer  pendant  la  nuit  une  partie  dans  le  château,  que 
ce  premier  détachement  descendrait  ensuite  dans  la  ville  et  enverrait 
ouvrir  la  porte  au  comte  de  Saint-Pol,  alin  de  placer  l'ennemi  entre 
deux  feux.  Le  plan  ne  put  être  si  secrètement  dressé  que  les  Espagnols, 
qui  se  méfiaient  déjà  de  d'Orvilliers,  n'en  eussent  quelque  connais- 
sance, et  ils  résolurent  de  se  bien  défendre  en  attendant  l'arrivée  du 
comte  de  Fuentes,  qu'ils  envoyèrent  prévenir.  Ils  commencèrent  donc 
par  faire  sans  retard  quatre  barricades  qui  bouchèrent  toutes  les  avenues 
de  la  citadelle  'a  la  ville  ;  ils  placèrent  des  soldats  dans  les  greniers  de 
toutes  les  maisons  avoisinantes,  et  ils  mirent  un  fort  corps  de  garde 
dans  le  clocher  de  l'église  Saint-Martin,  d'où  l'on  découvrait  au  loin 
toute  la  ville  et  la  campagne. 

D'Humières,  vers  le  milieu  de  la  nuit,  entra,  comme  on  en  était 
convenu,  dans  le  château,  'a  la  tête  de  quatre  cent  cinquante  hommes, 
et  Bouillon  s'apprêtait  'a  le  suivre  avec  ses  gardes  et  sa  compagnie,  quand, 
ayant  été  découvert  près  de  l'hôpital  par  des  vedettes  avancées,  on  cria 
«  aux  armes  !  »  et  l'ennemi  tira  sur  nos  troupes.  D'Orvilliers  fit  alors 
tirer  sur  la  ville  le  canon  de  la  citadelle,  sous  la  protection  duquel,  les 
royaux  parvinrent  'a  faire  leur  entrée  et  à  s'établir  dans  le  château. 

Mais  on  n'était  guère  plus  avancé  ;  car  il  ne  fallait  pas  penser  à 
franchir  les  barricades,  sous  le  feu  culminant  de  ceux  qu'on  avait  placés 
dans  les  maisons,  d'où  ils  pouvaient  tirer  à  couvert.  On  fit  un  trou  dans 
la  muraille  d'une  ancienne  galerie  du  fort,  et  on  sortit  par  cette  nouvelle 
issue,  contre  laquelle  l'ennemi  n'avait  pu  se  précautionner.  Sans  qu'il  se 
fût  aperçu  de  rien,  les  troupes  se  partagèrent  en  trois  corps,  et,  passant 
en  grand  silence  par  les  petites  rues,  elles  revinrent  attaquer  les  Espa- 
gnols en  flanc. 

Après  un  combat  aussi  opiniâtre  que  meurtrier,  et  au  moment  où  on 
était  sur  le  point  de  s'emparer  de  la  porte  de  Noyon,  le  feu  prit  aux 
maisons  voisines,  qui  n'étaient  presque  toutes  que  de  bois  et  d'argile,  et 
le  vent  poussait  les  tourbillons  de  flamme  et  de  fumée  dans  les  yeux  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  49i 

nos  soldats,  ce  qui  les  contraignit  a  reculer.  D'Humières,  en  voulant  les 
rallier  et  les  ramener  a  la  charge,  fut  atteint  à  la  tête  d'un  coup  de 
mousquet,  parti  du  haut  du  clocher  de  Saint-Martin,  et  qui  le  renversa 
mort  ;  mais,  en  ce  moment,  le  duc  de  Bouillon  avait  de  son  côté  fait 
mettre  le  feu  aux  barricades  des  Espagnols  :  Tincendie  se  communiqua 
jusqu'à  la  porte  de  Chauny.  Là  le  vent  le  poussa  aussi  dans  les  yeux  des 
ennemis,  qui  furent  obligés  d'abandonner  ce  point. 

Saint-Pol,  put  donc  entrer  dans  la  ville,  avec  le  reste  de  l'armée.  Les 
Espagnols,  entourés  de  toutes  parts,  s'étaient  ralliés  au  faubourg  Saint- 
Sulpice,  où  ils  se  défendirent  encore  quelques  heures.  Alahn,  pourtant, 
ils  demandèrent  merci  ;  mais  les  soldats,  irrités  de  la  mort  du  brave 
d'Humières,  les  massacrèrent  tous  sans  pitié,  et  la  ville  fut  livrée  au  pil- 
lage. Quand  le  roi  fut  instruit  de  ce  sanglant  succès,  il  dit  :  «  J'ai 
perdu  Monsieur  d'Humières  !  Ham  me  coûte  alors  trop  cher  ;  je  donne- 
rais cette  ville  et  dix  autres  pareilles,  pour  un  homme  de  ce  mérite.  » 

Le  comte  de  Fuentes,  apprit  de  son  côté  cette  nouvelle,  au  moment 
même  où  Le  Catelet  venait  de  se  rendre,  le  vieux  et  impotent  gouver- 
neur ayant  perdu  courage,  en  voyant  sauter  le  magasin  à  poudre,  qui 
contenait  presque  toutes  les  munitions  nécessaires  à  la  défense  de  la 
place.  Tout  aussitôt  le  vaincjueur  partit  avec  ses  troupes  et  se  dirigea  vers 
Ham.  Comme  il  avait  encore  Gommeron  en  son  pouvoir,  il  fît  dire  à  la 
mère  et  au  beau-frère  de  ce  malheureux  gouverneur,  que  s'ils  ne  lui  ren- 
daient le  château  où  ils  étaient  encore,  il  allait  exécuter  sous  leurs  yeux 
la  menace  qu'il  leur  avait  précédemment  envoyé  signifier.  La  mère  se  jeta 
vainement  aux  genoux  de  d'Orvilliers,  pour  obtenir  de  lui,  (ju'il  sauvât 
son  (ils  en  rendant  le  fort  ;  celui-ci,  qui  craignait  que  Fuentes  ne  voulût 
aussi  se  venger  de  lui,  aima  mieux  remettre  son  commandement  à  Ses- 
seval,  l'un  des  principaux  officiers  de  la  nouvelle  garnison  royaliste  de 
la  ville,  et  Sesseval,  pour  toute  réponse,  fit  aussitôt  tirer  le  canon  de  la 
citadelle  sur  les  Espagnols.  Fuentes,  furieux,  fit  couper  la  tête  a  Gomme- 
ron à  la  vue  de  la  garnison  et  se  replia  du  côté  de  Péronne. 

Son  intention  était  de  s'emparer  de  Doullens,  et  Bouillon,  qui  en 
avait  eu  soupçon,  venait  d'envoyer  dans  cette  ville  quatre  cents  cavaliers 
et  huit  cents  arquebusiers,  presque  tous  enfants  des  familles  nobles  du 
pays.  C'était  le  sieur  d'Araucourt  qui  commandait  la  place.  Les  Espa- 
gnols en  commencèrent  le  siège  le  quinzième  jour  de  juillet  ;  et  il  avait 
été  décidé  qu'on  attaquerait  d'abord  la  citadelle,  parce  qu'une  fois 
maître  de  ce  point,  on  l'était  inévitablement  de  la  ville.  On  dressa  donc 
(le  ce  côté  des  retranchements,  qu'on  garnit  de  plusieurs  petits  forts,  et 
on  creusa  des  tranchées,  qu'on  conduisit  jusqu'aux  ouvrages  avancés: 
tout  cela  fut  terminé  en  deux  jours  et  deux  nuits.  On  fit  venir  ensuite 
d'Arras  sept  couleuvrines  et  on  tira  des  garnisons  voisines  tout  ce  qu'on 
put  y  prendre  de  soldats,  dont  on  composa  un  corps  assez  nombreux 
pour  pouvoir  l'opposer  à  Bouillon,  au  cas  où,  comme  on  n'en  pouvait 
douter,  ce  maréchal  entreprendrait  de  troubler  les  opérations  du 
siège. 


492  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Bouillon,  en  effet,  était  déjà  en  route  avec  Saint-Pol,  l'amiral  Villars, 
Belin  et  Sesseval,  pour  venir  secourir  Doullens.  Les  Espagnols,  en  ayant 
été  avertis,  jugèrent  que  le  meilleur  parti  a  prendre,  était  d'aller  tous  en 
force,  contre  cette  petite  armée  et  de  l'anéantir  dans  une  seule  bataille. 
Ils  ne  laissèrent  donc  devant  la  ville,  que  ce  qu'il  fallait  de  troupes 
pour  défendre  les  lignes,  et  ils  se  mirent  en  route  en  ordre  de  bataille. 

Bientôt  ils  aperçurent  les  nôtres  qui  n'étaient  qu'au  nombre  de  sept 
cents  cavaliers  et  de  six  cents  arquebusiers  ;  car  Bouillon  ni  les  autres 
chefs,  n'avaient  pas  voulu  attendre  l'armée  que  leur  amenait  le  duc  de 
Nevers,  pour  ne  pas  partager  avec  lui,  la  gloire  du  succès  qu'ils  espéraient 
remporter.  Quand  les  deux  armées  furent  en  présence,  les  Français 
furent  bien  surpris  de  se  savoir  vis-a-vis  un  si  grand  nombre  de  com- 
battants. Bouillon,  néanmoins,  fondit  avec  impétuosité  sur  l'avant-garde 
de  l'ennemi,  et  la  mit  en  déroute  ;  mais  il  rencontra  par  derrière  un 
corps  choisi  d'Italiens,  qu'on  avait  armés  d'espontons  ou  demi-piques, 
qui  arrêtèrent  son  élan.  Alors  des  arquebusiers  espagnols,  étant  venus 
se  joindre  a  ce  premier  corps,  firent  un  feu  meurtrier,  pendant  que  le 
duc  d'Aumale,  qui  s'était  tout  'a  fait  rendu  Espagnol,  depuis  sa  con- 
damnation par  le  parlement  de  Paris,  attaquait  en  tlanc  ses  anciens 
compatriotes. 

Bouillon,  qui,  dans  cette  mêlée,  était  parvenu  à  maintenir  ses  rangs, 
fit  deux  charges  successives  et  enleva  même  un  drapeau  a  l'ennemi  ; 
mais  l'artillerie  ayant  commencé  'a  tirer  sur  les  siens,  il  fut  à  la  fin, 
obligé  de  se  replier,  pour  rejoindre  le  corps  commandé  par  Saint- 
Pol. 

Au  moment  où  il  opérait  ce  mouvement  de  retraite,' il  rencontra  Villars, 
qui  avec  deux  cents  braves  cavaliers  qu'il  avait  amenés  de  Normandie, 
accourait  'a  la  rescousse,  et  se  disposait  à  charger  la  cavalerie  flamande, 
déjà  en  mouvement  pour  poursuivre  Bouillon.  «  Compagnons,  avait  dit 
l'amiral  aux  siens,  voila  précisément  l'occasion  que  nous  désirions  depuis 
longtemps,  pour  montrer  notre  atïection  et  loyauté  envers  le  roi.  En 
avant  donc  et  que  chacun  fasse  comme  moi  !  » 

Bouillon,  le  voyant  en  si  bonne  disposition  :  «  Monsieur,  lui  dit-il, 
ce  qu'il  faut  surtout  empêcher,  c'est  que  l'ennemi  n'arrive  à  notre 
arrière-garde,  car,  étant  peu  nombreuse,  tout  serait  alors  perdu.  Char- 
geons donc  avec  résolution  chacun  de  notre  côté.  »  Villars,  se  croyant 
secondé  par  l'escadron  de  Bouillon,  s'avança  résolument  et  au  grand 
trot.  Il  fut  bientôt  avec  ses  gens  au  milieu  des  ennemis  ;  mais  Bouillon 
ne  l'avait  pas  suivi.  Il  fut  entouré,  et  ayant  été  fait  prisonnier,  il  fut  inhu- 
mainement massacré  par  ordre  du  cardinal  d'Autriche,  parce  qu'après 
avoir  reçu  de  l'argent  des  Espagnols,  il  avait  abandonné  leur  parti. 
Belin,  qui  accourait  avec  un  corps  de  troupes  fraiches,  pour  soutenir 
Villars  son  ami,  fut  également  obligé  de  céder  au  nombre;  mais  il  en 
fut  quitte  pour  être  fait  prisonnier,  et  on  lui  laissa  la  vie.  Sesseval,  qui 
fut  aussi  pris,  fut  tué  comme  ayant  pris  part  au  massacre  de  Ham.  La 
plus  grande  partie  des  bagages  et  des  munitions  tombèrent  au  pouvoir 


k 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  493 

de  l'ennemi,  et  les  Espagnols  firent  un  carnage  épouvantable  de  leurs 
malheureux  prisonniers.  fDAiniGNÉ,  t.  IV,  cliap.  x,  p.  i97.) 

Saint-Pol  et  Bouillon,  qui  s'étaient  rejoints,  parvinrent  cependant  a 
opérer  leur  retraite  en  assez  bon  nombre.  Sur  ces  entrefaites,  le  duc  de 
Nevers,  qui,  de  son  côté,  ainsi  qu'il  lavait  promis,  s'avançait  a  grandes 
journées  au  secours  de  Doullens,  et  qui  avait  écrit  qu'on  l'attendit 
avant  de  rien  tenter,  arriva  au  camp  des  royaux.  Le  jour  même,  il  afïecta 
d'aller  se  montrer  aux  ennemis  a  la  tête  de  ses  troupes,  pour  leur 
prouver  le  peu  de  cas  qu'on  faisait  de  leur  victoire  ;  mais,  malgré  cette 
vaine  bravade,  quand  le  maréchal  lui  remit  le  commandement,  suivant 
l'ordre  du  roi  :  «  Messire,  lui  dil-il,  il  est  un  peu  tard  pour  avoir  recours 
à  moi,  après  avoir  rais  vous-même,  les  choses  dans  un  aussi  mauvais 
état.  »  On  accusait  en  effet  Houillon,  d'avoir,  en  sa  (jualité  de  protestant, 
volontairement  et  sans  autre  motif  sacrifié  Villars,  qui  ne  commandait 
que  des  catholiques,  et  on  prétendait  que  s'il  fût  revenu  à  la  charge, 
comme  il  l'avait  promis,  il  aurait  pu  peut-être  arracher  la  victoire  aux 
Espagnols,  ou  du  moins  sauver  la  vie  a  l'armée.  (Buantômi;,  t.  III, 
p.  268.) 

Fuentes  était  revenu  presser  le  siège  de  Doullens.  La  brèche  lut 
bientôt  assez  grande  pour  permettre  de  donner  l'assaut.  La  citadelle  fut 
d'abord  emportée,  et  comme  on  n'avait  pas  eu  la  précaution  de  se 
retrancher  de  ce  côté-la,  dans  la  ville,  l'ennemi  n'eut  plus  qu'à  descendre 
do  ce  lieu  élevé  et  à  s'emparer  d'une  place  dont  la  garnison  ne  songea 
pas  même  à  faire  résistance.  Les  Espagnols,  au  cri  de  «  vengeance  à 
nos  frères  massacrés  à  Ilam  !  »  passèrent  sans  distinction,  tous  les 
Français  au  fil  de  l'épée.  D'Araucourt  et  un  petit  nombre  de  gentils- 
hommes, qui  s'étaient  réfugiés  dans  une  église,  eurent  seuls,  le  bonheur 
d'échapper  à  la  mort  et  furent  faits  prisonniers  ;  puis  Hernand  Carrero, 
qui  avait  la  réputation  d'être  un  vaillant  capitaine,  fut  investi  du  com- 
mandement de  la  place  conquise.  (Caykt,  ubi  sup.) 

Fuentes  crut  alors,  que  le  moment  «était  venu  d'exécuter  ses  projets 
sur  Cambrai,  et  il  se  présenta  devant  cette  place  le  treizième  jour  d'août. 
La  brèche  fut  immédiatement  ouverte  entre  la  porte  de  Selles  et  la 
porte  de  Malles  ;  car  les  soldats  espagnols,  encouragés  par  l'espoir  du 
pillage  d'une  ville  aussi  riche  que  Cambrai,  se  portaient  à  ce  siège  avec 
une  ardeur  inconcevable.  D'un  autre  côté  les  bourgeois,  trop  mécon- 
tents de  Balagny,  relusaient  de  marcher  a  la  défense  des  remparts,  et 
celui-ci,  qui  n'avait  qu'une  garnison  insuffisante,  ne  comptait  plus  que 
sur  les  secours  de  l'armée  française,  qu'il  avait  envoyé  prévenir  de  son 
danger. 

Les  chefs  de  cette  armée,  après  le  désastre  de  Doullens,  s'étaient 
assemblés  a  Péquigny,  pour  se  concerter  sur  les  mesures  'a  prendre  dans 
la  situation  présente.  Ils  ignoraient  encore  les  projets  de  l'ennemi  sur 
Cambrai.  On  commença  par  de  longues  contestations,  chacun  rejetant 
sur  les  autres,  la  perte  qu'on  venait  d'essuyer  et  voulant  faire  prévaloir 
ses  plans  pour  l'avenir.  Enfin  on  tomba  d'accord  que  le  comte  de  Saint- 


494  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Pol  et  le  maréchal  de  Bouillon,  s'en  iraient  avec  une  partie  des  troupes 
dans  le  Boulonnais,  pour  couvrir  la  frontière  de  ce  côté-la,  et  que  le  duc 
de  Nevers,  remonterait  les  deux  rives  de  la  Somme,  alin  d'approvisionner 
et  de  rassurer  les  différentes  places,  qui  nous  restaient  encore  dans  ces 
parages. 

Il  alla  donc  en  premier  lieu  à  Amiens,  qu'il  trouva  dans  la  plus 
grande  consternation,  et  il  s'occupa  d'abord  a  rendre  le  courage  aux 
habitants.  De  la  il  se  rendit  a  Corbie,  petite  ville  de  peu  de  défense,  et 
sans  considérer  son  rang,  il  voulut  se  charger  lui-même,  a  cause  de 
l'importance  de  sa  situation,  de  la  mettre  en  état  de  soutenir  un  siège. 
Après  cela  il  partit  pour  Saint-Quentin,  après  avoir  visité  Péronne,  qui 
était  sur  sa  route.  (De  Thou,  iihisup.) 

Ce  fut  a  Saint-Quentin  qu'il  apprit  que  l'ennemi  assiégeait  Cambrai. 
Il  assembla  les  officiers  qu'il  avait  avec  lui,  et  blâma  d'abord  amèrement 
la  négligence  et  la  témérité  de  ceux  qui  avaient  eu  avant  lui  le  com- 
mandement sur  ces  frontières.  *  Ils  m'ont  laissé,  dit-il,  une  tâche  diffi- 
cile à  remplir.  Mais  comme,  en  l'absence  du  roi,  c'est  sur  moi,  que  tout 
le  monde  a  les  yeux  et  appuie  l'espoir  de  voir  réparer  tant  d'imprudences, 
je  ne  manquerai  pas  à  mon  devoir.  »  En  même  temps  il  donna  l'ordre 
au  comte  de  Rhetelois,  son  fils  unique,  de  prendre  lui-même,  le  com- 
mandement du  secours  qu'il  destinait  a  Cambrai  ;  et  de  suite  il  fit  partir 
en  avant  quatre  cents  cavaliers  et  quatre  escadrons  de  chevaux-légers, 
qui  se  mirent  incontinent  en  route,  par  une  pluie  battante.  Leur  guide, 
soit  par  ignorance  ou  par  trahison,  leur  fit  prendre  un  mauvais  chemin 
qui  les  obligeait  a  traverser  un  ruisseau  assez  profond,  ce  qui  leur  fit 
perdre  beaucoup  de  temps  et  donna  a  l'ennemi  averti  par  ses  coureurs, 
tout  loisir  de  fermer  les  passages  à  cette  avant-garde. 

Mais,  à  la  pointe  du  jour,  le  comte  de  Rhetelois  parut  dans  la 
plaine,  amenant  le  reste  des  troupes  destinées  à  cette  expédition  :  la 
cavalerie  ennemie  l'attendait  en  bataille.  Le  comte,  laissant  derrière  lui 
ses  bagages  qui  furent  en  partie  pillés,  se  jeta  résolument  sur  l'une  des 
ailes  de  cette  troupe,  qu'il  enfonça,  et,  sans  s'arrêter,  il  entra  dans  Cam- 
brai, où  il  fut  reçu  avec  de  grandes  démonstrations  de  joie. 

Cette  résolution  du  duc  de  Nevers,  d'envoyer  son  propre  fils  se  ren- 
fermer dans  la  place  assiégée,  ne  laissa  pas  que  d'inquiéter  Fuentes, 
qui  comprit  bien  qu'un  père  ne  laisserait  pas  longtemps  une  tête  aussi 
chère  en  danger.  Pour  couper  le  chemin  aux  nouveaux  secours,  qui  pou- 
vaient arriver  de  Péronne  et  de  Saint-Quentin,  il  fit  occuper  et  garder 
soigneusement  tous  les  passages  qui  conduisaient  de  ces  deux  villes  à 
Cambrai.  Ayant  pris  de  ce  côté-là,  toutes  les  précautions  que  sa  pru- 
dence lui  fit  croire  nécessaires,  il  fit  pousser  la  tranchée  avec  encore 
plus  d'activité,  à  l'aide  de  quatre  mille  pionniers  qui  travaillaient  jour 
et  nuit.  Il  fit  venir  soixante-deux  pièces  d'artillerie,  tant  grosses  que 
petites,  avec  plusieurs  couleuvrines  et  des  munitions  de  guerre  en 
abondance,  et  s'étant  muni  de  gabions,  il  fit  descendre  pendant  une  nuit 
obscure  plusieurs  régiments  dans  le  fossé  qui  était  très  profond  ;   mais 


i 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  495 

malgré  la  protection  de  ses  batteries,  (jiii  ne  cessaient  de  tirer,  ils 
ne  purent  s'y  maintenir  sous  le  feu  des  remparts  ,  car  la  garnison  avait 
repris  courage  à  l'arrivée  du  comte  de  Rhetelois  ;  les  bourgeois  eux- 
mêmes  n'osaient  plus  donner  le  moindre  signe  de  mécontentement,  et 
de  plus  le  brave  Dominique  de  Vie,  après  avoir  évité  les  gardes  avancées 
des  Espagnols,  était  parvenu  à  se  jeter  aussi  dans  la  place  avec  un 
nouveau  secours. 

Fuentes  délibérait  donc  déjà,  s'il  ne  lèverait  pas  ce  siège,  qui  allait  si 
mal  pour  lui,  d'autant  qu'on  avait  nouvelles  certaines,  qu'après  avoir 
assemblé  un  gros  corps  d'armée  a  Péronne,  le  duc  de  Nevers  se  dispo- 
sait'a  le  conduire  au  secours  de  Cambrai;  quand  les  bourgeois  lui  firent 
secrètement  offrir  de  lui  livrer  une  poterne  près  la  porte  de  Selles. 
Cette  proposition  fut  acceptée  avec  empressement,  et  les  assiégeants, 
s'étant  glissés  par  cette  entrée,  parvinrent  a  se  rendre  maîtres  de  la 
porte  et  de  ses  bastions,  d'où  ils  braquèrent  contre  la  ville  deux  fortes 
batteries,  l'une  donc  était  composée  de  vingt-deux  grosses  pièces  de 
canon. 

Balagny,  croyant  tout  perdu,  eut  alors  l'idée  d'avoir  recours  a  la  belle 
Gabrielle  pour  obtenir  des  secours  plus  puissants  et  plus  prompts  de  la 
part  de  Sa  Majesté.  Il  lit  dire  à  la  maîtresse  royale,  que  si  elle  voulait  lui 
procurer  les  moyens  de  conserver  sa  principauté  de  Cambrai,  il  s'olïrait 
à  la  tenir  k  foi  et  hommage  d'elle  et  de  ses  descendants.  Ce  fut  précisé- 
ment cette  démarche  qui  hâta  sa  perte. 

Ceux  des  habitants  de  Cambrai,  qui  n'avaient  pas  tout  a  fait  épousé 
les  haines  de  leur  archevêque,  avaient  aussi  député  au  roi,  de  leur  côté, 
pour  lui  représenter  qu'ils  s'étaient  en  effet  mis  sous  sa  protection  ; 
mais  qu'au  lieu  de  cette  protection  sur  laquelle  ils  avaient  compté,  on 
leur  avait  donné  un  tyran,  dont  le  joug  leur  devenait  de  plus  en  plus 
insupportable.  Ils  demandaient  donc  qu'après  la  levée  du  siège,  on  les 
délivrât  de  Balagny,  qu'ils  ne  voulaient  ni  pour  maître,  ni  pour  gouver- 
neur. 

Le  roi,  déjà  gagné  par  sa  maîtresse,  répondit  qu'il  ne  pouvait  se 
rendre  à  un  pareil  désir,  parce  qu'il  avait  des  engagements  pris  avec 
celui,  qu'ils  s'étaient  eux-mêmes  et  sans  sa  participation  donné  pour 
souverain  ;  que  cependant  il  ferait  en  sorte,  que  par  la  suite  ils  n'eus- 
sent plus  à  se  plaindre  de  lui  ;  qu'au  reste  son  projet  était  d'aller  bien- 
tôt lui-même  à  Cambrai,  pour  prendre  'a  ce  sujet  toutes  les  mesures 
convenables. 

Cette  réponse,  quand  elle  fut  rapportée  aux  habitants,  ainsi  que  la 
démarche  faite  auprès  de  Gabrielle,  par  leur  prince,  mécontenta  ceux- 
mêmes  qui  tenaient  encore  pour  les  Français.  Fuentes,  qu'on  eut  soin 
d'instruire  de  ce  mécontentement,  lit  tous  ses  préparatifs,  pour  donner 
l'assaut  a  la  forte  barricade,  élevée  devant  la  porte  dont  il  était  déjà 
maître,  et  le  comte  de  Rhetelois,  se  tint  prêt  à  recevoir  vigoureusement 
cette  attaque.  Mais  de  part  et  d'autre,  on  se  vit  bientôt  dispensé  de 
combattre.  Les  soldats  de  la  garnison,  qui  étaient  à  la  solde  de  la  ville  et 


496  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

que  Balagnv  ne  payait  plus  qu'en  monnaie  obsidionale,  a  laquelle  11 
donnait  un  prix  exagéré  et  qu'il  avait  trouvé  utile  de  faire  battre,  quoiqu'il 
eût  de  l'or  plein  ses  coffres,  commencèrent  a  se  soulever  et  refusèrent 
formellement  d'obéir  aux  ordres  qu'on  venait  de  leur  envoyer.  Leur 
exemple  entraîna  la  révolte  de  tous  les  habitants,  partisans  de  l'arche- 
vêque et  autres.  On  s'empara  de  la  grande  rue,  dans  laquelle  on  se  bar- 
ricada avec  des  chariots  et  d'autres  matériaux,  puis  on  courut  a  la  porte 
du  Saint-Sépulcre,  dont  on  se  rendit  maître  ;  on  envoya  le  maire  et  l'un 
des  curés  de  la  ville,  régler  tant  bien  que  mal,  une  sorte  de  capitulation 
avec  Fuentes,  et,  pendant  ce  temps-la,  Balagny,  songeant  plutôt  'a  sau- 
ver sa  vie  que  sa  dignité,  s'était  hâté  d'aller  se  renfermer  dans  le  châ- 
teau où  les  Français,  ne  voyant  plus  que  des  ennemis  autour  d'eux,  ne 
tardèrent  pas  'a  aller  le  rejoindre. 

Sa  femme,  plus  brave  que  lui,  se  rendit  dans  la  grande  rue,  et  s'adres- 
sant  a  la  foule  :  «  Que  faites-vous,  dit-elle,  mes  enfants  ?  Est-ce  la  crainte 
d'un  assaut  qui  vous  épouvante  ainsi  ?  Mais  grâce  à  Dieu,  votre  ville  est 
assez  torte  pour  se  défendre  longtemps  encore  ;  les  braves  Français  sont 
toujours  Ta,  prêts  à  mourir  pour  vous,  et  l'armée  du  duc  de  Nevers  va 
arriver  d'un  instant  'a  l'autre  :  quelques  heures  de  courage  et  l'ennemi 
sera  contraint  de  s'éloigner  honteusement.  Est-ce  l'argent  qui  vous  est 
dû,  qui  cause  votre  mécontentement?  Je  m'engage  personnellement  à 
vous  faire  tout  payer  généreusement,  »  et  en  même  temps,  elle  jetait  a 
la  foule,  des  poignées  d'or,  dont  elle  s'était  munie.  Puis,  se  saisissant 
d'une  pique,  qu'elle  prit  à  un  soldat  :  «  Suivez-moi,  ajouta-t-elle,  je  vais 
vous  donner  l'exemple  !  » 

Il  était  trop  tard.  La  capitulation  était  déj'a  signée,  et  Cambrai  s'était 
rendu  aux  Espagnols,  a  condition  que  les  habitants  auraient  une  amnistie 
générale  pour  le  passé,  qu'ils  seraient  exemptés  du  pillage  et  que 
l'archevêque,  ancien  suzerain  du  pays,  reprendrait  cette  souveraineté 
sous  la  protection  de  Sa  Majesté  catholique. 

Dès  que  ce  traité  fut  connu,  la  foule  courut  ouvrir  toutes  les  portes 
'a  l'armée  espagnole.  La  citadelle  seule,  était  encore  au  pouvoir  des 
Français,  qui  y  faisaient  bonne  contenance  ;  mais  ils  manquaient  de 
vivres  et  de  munitions  ;  l'avarice  de  Balagny,  l'avait  empêché  d'appro- 
visionner celte  place.  Us  furent  sommés  de  se  rendre  ;  ils  demandèrent 
trois  jours  pour  pouvoir  avertir  le  duc  de  Nevers,  qui  commandait  pour 
le  roi  sur  cette  frontière.  Ce  délai  leur  fut  d'abord  refusé  avec  hauteur  ; 
mais  quand  Fuentes,  les  vit  se  préparer  bravement  a  mourir  les  armes  'a 
la  main,  plutôt  que  de  rien  faire  contre  l'honneur  du  nom  français,  il 
consentit  a  leur  demande,  par  égard,  dit-il,  pour  la  jeunesse  de  monsieur 
le  comte  de  Rhételois,  dont  il  estimait  beaucoup  le  père. 

Enfin,  cette  garnison  ayant  reçu  ordre  du  roi  lui-même,  de  capituler, 
obtint,  qu'elle  sortirait  avec  ses  armes,  bagages  et  munitions,  la 
cavalerie  et  l'infanterie  en  ordre  de  bataille  et  portant  ses  enseignes 
déployées  ;  que  les  malades,  les  blessés  restés  dans  la  ville  et  les  pri- 
sonniers seraient  rendus  sans  rançon  ;  qu'il  serait  libre  a  tous  ceux  des 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  497 

bourgeois  qui  voudraient  les  suivre  de  se  joindre  a  eux  avec  leurs  che- 
vaux, chariots,  charrettes  et  bagages,  et  que  les  habitants  tiendraient  le 
gouverneur,  qui  allait  aussi  partir,  (juilte  de  tontes  les  dettes  qu'il  avait 
pu  contracter  dans  le  pays,  sans  pouvoir  retenir  ni  lui,  ni  aucun  des 
siens,  ni  aucun  des  meubles  en  dédommagement. 

Ces  conditions  ayant  été  réglées,  on  se  disposa  au  départ  ;  mais 
madame  Balagny,  après  avoir  accablé  son  mari  de  reproches  de  ce  qu'il 
était  assez  lâche  pour  survivre  a  sa  fortune,  jura  qu'elle  ne  sortirait  pas 
vivante  d'une  ville  où  elle  avait  été  souveraine,  et  refusant  toute  nour- 
riture, elle  se  laissa  mourir  de  rage  et  de  douleur. 

Pour  son  mari,  il  suivit  tran((uillemcnt  les  Français,  emmenant  avec 
lui  une  jeune  l'emme  du  pays,  dont  il  avait  lait  sa  maîtresse,  et  comme 
un  officier  espagnol  paraissait  s'indigner  d'une  telle  impudence  :  «  Ne 
savez-vous  pas,  lui  dit  l'ex-souverain  de  Cambrai,  que  l'amour  console 
des  revers  de  la  fortune  ?  —  Alors,  vous  faites  sagement,  répondit 
l'officier,  d'autant  qu'a  présent  vous  aurez  tout  le  temps  de  vous  con- 
soler avec  l'amour  ;  car  je  pense  bien  que  vous  n'aurez  plus  beaucoup 
d'affaires  sérieuses  pour  vous  troubler  dans  un  si  noble  passe-g 
temps.  »   (Matthieu,  t.  II,  liv.  2,  p.  219.) 

Ce  fut  ainsi  (|ue  la  France  perdit  Cambrai,  qu'elle  ne  put  recon(jué- 
rir  que  bien  des  années  après. 

Le  roi  était  alors  a  Lyon,  et  les  Lyonnais  lui  avaient  fait  une  entrée 
magnifique.  On  l'avait  fait  passer  sous  des  arcs-de-triomphe  improvisés 
en  son  honneur;  et  il  avait  essuyé  un  déluge  complet  de  harangues 
adulatrices,  (ju'il  écouta  d'autant  plus  bénévolement  qu'il  venait  de  rece- 
voir d'excellentes  nouvelles  touchant  sa  future  et  complète  réconciliation 
avec  Rome.  D'autre  part,  il  voyait  ceux  des  chefs  qui  restaient  encorea 
la  Ligue  presque  tous  réduits 'a  traiter  de  leur  soumission.  (Cavet,  liv.  7.) 

Ce  fut  en  effet  en  ce  temps-la  qu'il  reçut  'a  foi  et  hommage  le  sieur 
de  Bois-Dauphin,  lequel  tenait  encore  les  villes  de  Sablé  et  de  Châleau- 
Gonlhier,  ainsi  que  plusieurs  autres  châteaux  sur  les  frontières  de  la 
Bretagne.  Outre  une  amnistie  pour  le  passé  et  la  rcslituiion  de  tous  ses 
biens,  charges  et  bénéfices,  Henri  accorda  'a  ce  seigneur  le  bâton  de 
maréchal  de  F'rance.  Il  offrit  également  une  trêve  au  duc  de  Mercœur, 
afin  de  laisser  le  temps  de  régler  les  conditions  d'un  arrangement  défi- 
nitif, pour  lequel  la  veuve  de  Henri  IH,  sœur  de  ce  duc,  et  plusieurs 
autres  personnes  de  considération,  s'employaient  activement,  et  si 
Mercœur  hésitait  encore,  ce  n'était  pas  par  attachement  pDur  les  Espa- 
gnols, contre  lesquels  il  avait  plus  d'un  sujet  de  mécontentement,  mais 
c'est  qu'il  lui  répugnait  de  renoncer  'a  son  projet  de  se  rendre  souverain 
de  la  Bretagne  ;  Saint-Sorlin,  (|ui  venait  de  succéder  aux  biens  et  à  la 
qualité  du  duc  de  Nemours,  son  frère,  avait  tout  aussitôt  fait  sa  soumis- 
sion ;  et  Mayenne,  comme  on  l'a  vu,  n'était  plus  à  craindre.  Aussi  Sa 
Majesté  croyait-elle  n'avoir  enfin  plus  rien  'a  laire  qu'a  se  délasser  dans 
les  plaisirs  de  tant  de  combats  et  de  travaux  passés.  (Mézehav,  t.  111, 
p.  1126  et  suiv.) 

IV.  32 


498  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

La  belle  Gabrielle  s'était  donc  empressée  de  venir  rejoindre  la  cour 
a  Lyon,  et  tel  était  l'ascendant  de  cette  femme  sur  l'esprit  du  roi,  que  si 
l'on  voulait  avoir  les  bonnes  grâces  de  l'amant,  il  fallait  d'abord  acheter 
celles  de  la  maîtresse.  On  a  vu  quelles  propositions  lui  avait  su  faire 
Balag-ny,  et  que  ces  propositions  furent  en  partie  la  cause  de  la  perte 
de  Cambrai.  Mayenne,  a  son  tour,  députa  le  courtisan  Jeannin  'a  la 
royale  courtisane,  pour  la  prier  de  vouloir  bien  s'entremettre  en  sa 
faveur  auprès  du  roi.  Il  lui  représentait  qu'elle  se  ferait  par  la  un  grand 
mérite  aux  yeux  de  Sa  Sainteté,  en  se  déclarant  ainsi  la  protectrice  de 
ceux  qu'il  appelait  les  princes  du  parti  catholique.  De  plus,  il  s'enga- 
geait, tant  en  son  nom  qu'en  celui  de  tous  ses  amis,  a  défendre  envers 
et  contre  tous  les  enfants  qu'elle  avait  eus  du  roi,  et  'a  les  placer  sur  le 
trône,  malgré  les  princes  de  la  maison  royale.  On  verra  plus  tard  ce 
que  lui  valurent  ces  flagorneries.  (De  Tiiou,  ubi  siip.) 

Pour  le  moment,  le  plus  pressé  était  d'aller  bien  vite  rassurer  nos 
frontières  du  nord,  dont  le  roi,  au  milieu  de  toutes  les  jubilations  de  ses 
autres  succès,  venait  d'apprendre  les  inquiétants  désastres.  Il  partit  donc 
pour  Amiens,  et  comme  il  avait  dessein  de  réparer  par  quelque  coup 
d'éclat  le  tort  que  tant  de  pertes  faisaient  à  sa  réputation,  il  entreprit  le 
siège  de  La  Fère.  Le  prince  d'Orange  lui  avait  envoyé  douze  belles  com- 
pagnies de  cavalerie  avec  deux  mille  hommes  de  pied,  et  la  reine  d'An- 
gleterre, en  vertu  de  sa  vieille  haine  contre  Philippe,  avait  consenti  aussi 
'a  grossir  le  camp  royal  de  quatre  mille  de  ses  Anglais.  Le  siège  fut  mis 
devant  la  place  au  commencement  de  novembre.  (De  Tiiou,  ubi  supra.) 

Le  duc  de  Nevers,  dont  la  santé  était  assez  mauvaise  depuis  quelque 
temps,  par  suite  des  fatigues  et  des  inquiétudes  que  lui  avait  causées 
cette  malheureuse  guerre,  mourut  en  ce  temps-là.  Son  mal  avait  été 
gravement  augmenté  par  un  reproche  sanglant  que  lui  ht  le  roi.  Comme 
on  tenait  un  conseil  de  guerre,  pour  savoir  s'il  n'était  pas  à  propos  d'aller 
de  suite  reprendre  Cambrai  avant  de  laisser  à  l'ennemi  le  temps  de 
s'y  reconnaître  et  de  s'y  fortifier,  le  duc  voulut  représenter  qu'une 
pareille  tentative  serait  non  seulement  inutile,  mais  dangereuse.  «  Cela 
peut  être  votre  avis,  monsieur,  reprit  Henri,  car  vous  n'avez  osé  appro- 
cher de  ce  prétendu  danger  que  de  sept  lieues  tout  au  plus.  »  Cette 
mordante  apostrophe  fut  comme  un  coup  de  poignard  dans  le  cœur  du 
pauvre  duc.  Il  se  mit  au  lit,  et  n'en  sortit  plus  que  pour  être  porté  dans 
la  tombe.  Il  n'était  âgé  que  de  cinquante-six  ans.  (Mézeray,  ubi  supra.) 

Cette  même  année  (1595)  vit  aussi  finir  la  carrière  du  maréchal 
d'Aumont.  Une  espèce  de  peste  sévissait  alors  dans  Quimper.  Elle  se 
déclarait  par  un  grand  mal  de  tête  et  de  cœur,  et,  ordinairement,  en 
trois  jours  elle  emportait  le  malade.  Le  nombre  de  ceux  qui  moururent, 
tant  bourgeois  que  soldats,  fut  si  considérable  qu'il  n'y  avait  plus  de 
place  dans  les  cimetières  pour  les  enterrer.  «  Aussi,  disaient  les 
Ligueurs,  était-ce  Ta  une  juste  i)unition  de  Dieu,  irrité  de  ce  que  la  ville 
s'était  soumise  à  un  roi  excommunié  de  la  propre  bouche  de  notre 
Saint-Père  le  Pape.  »  (Moueau,  chap.  xxxiv  à  lx.) 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  499 

Le  Maréchal,  (|ui  avait  la  son  armée,  ne  voulut  pas  la  laisser  se  con- 
sumer tout  entirrc  par  la  maladie.  Il  résolut  de  se  remettre  en 
campagne,  d'autant  qu'il  venait  d'apprendre  (ju'on  ce  même  temps  Mer- 
cœur,  rejoint  par  une  grande  troupe  d'Espagnols,  menaçait  déjà  Mont- 
contour  et  Lamballe.  Il  s'achemina  donc  du  côté  de  Carhaix,  et  sur  sa 
route  il  assiégea  Corlay,  où  s'était  retirée  une  bande  de  pilleurs  sous  la 
conduite  de  ce  même  baron  de  La  Fontenelle,  qui  avait  déjà  commandé 
au  (iranec.  Cet  homme,  se  voyant  investi  |)ar  une  armée  aussi  nom- 
breuse, se  rendit  de  bonne  grâce,  et  on  lui  permit  de  se  retirer  avec 
tous  ses  bandits  au  manoir  de  Crémenet,  où  il  contiima  ses  pilleries  et 
ravages  accoutumés. 

De  la,  le  maréchal,  continuant  sa  route  a  travers  pays,  en  se.  dirigeant 
vers  Rennes,  vint  mettre  le  siège  devant  le  château  de  Comper.  C'était 
la  duchesse  de  Laval  (|ui  l'attirait  de  ce  côté  ;  car,  cpioiqu'il  eût  soixante 
ans  passés,  il  avait  formé  le  projet  d'épouser  celte  belle  et  riche  veuve. 
L'entreprise  contre  le  château  de  Comper,  en  ertet,  ne  pouvait  avoir  été 
inspirée  que  par  un  pareil  motif;  car  la  place  était  forte,  située  sur  des 
l'ochers  où  il  est  impossible  de  praticpier  ni  sape,  ni  tranchée,  et  le  duc 
de  Mercœur,  outre  la  garnison  ordinaire,  y  avait  envoyé  quatre  cents 
hommes  d'élite  et  cinquante  de  ses  cuirassiers.  Mais  M'""  de  Laval  sou- 
haitait avec  ardeur  qu'on  lui  rendit  ce  château,  qui  avait  fait  partie  de  ses 
domaines,  et  son  vieil  amant  n'avait  rien  a  lui  refuser. 

Pendant  qu'il  était  occupé  îi  faire  prendre  position  a  ses  troupes,  un 
coup  d'arquebuse  tiré  du  château  l'atteignit  et  lui  cassa  les  deux  os 
entre  le  coude  et  le  poignet.  «  Pour  cette  fois,  j'en  liens,  »  s'écria  le 
maréchal.  C'est  tout  ce  qu'il  put  dire  :  on  l'emmena  à  Rennes,  où  était 
la  duchesse,  et  où  il  mourut  de  cette  blessure,  bien  que  le  coup  ne  fût 
pas  mortel,  s'il  eût  voulu  se  gouverner  lui-même,  un  peu  mieux  qu'il  ne 
lit  :  aussi  placarda-t-on,  à  sa  porte  même,  plusieurs  brocards  que  leur 
cynisme  m'empêche  de  transcrire  ici. 

Mais  revenons  au  baron  de  La  Fontenelle.  Ce  hardi  «  et  folâtre  gentil- 
homme »,  comme  l'appelle  Moreau,  ne  se  trouvait  pas  à  l'aise  dans  le 
manoir  de  Crémenet,  et  il  songeait  a  se  rendre  maître  d'un  poste  plus 
important.  Ce  fut  sur  Douarncnez  qu'il  plaça  ses  vues  :  il  y  avait  là,  pour 
commandant,  au  nom  du  roi,  un  sieur  Cuingat,  grand  homme  de  bien 
au  demeurant,  mais  fort  peu  versé  dans  le  métier  des  armes.  Ce  bon 
homme,  (jui  lâisait  son  compte  qu'on  l'avertirait  en  cas  de  danger,  se 
tenait  pour  être  plus  tranquille  dans  l'ile  Tristan,  espèce  de  récif  situé  à 
une  très  petite  distance  à  l'ouest  de  la  ville. 

Ce  fut  précisément,  ce  récif  que  La  Fontenelle  atta(iua  de  prime 
abord,  et  au  milieu  de  la  nuit.  Le  commandant,  qui  dormait  tran(juille- 
ment,  fut  fait  prisonnier  dans  son  lit,  et  presque  aussitôt  la  ville  hit 
prise.  La  Fontenelle  y  trouva  un  grand  butin,  d'autant  (ju'il  y  avait  grand 
nombre  de  riches  marchands,  et  (jue  ceux  du  plat  pays,  noblesse  ou 
autres,  y  avaient  mis  en  dépôt,  comme  en  lieu  sûr,  tout  ce  qu'ils 
avaient  de  meilleur. 


500  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Ayant  ensuite  reconnu  l'île  Tristan  pour  une  bonne  place  de  retraite, 
il  s'y  établit  avec  les  siens,  à  la  barbe  des  garnisons  de  Quimper,  de 
Concarneau,  de  Pont-l'Abbé  et  de  Brest,  sans  qu'aucune  d'elles  se 
remuât  pour  l'en  empêcher. 

Les  communes  seules,  voyant  de  quelle  importance  il  était  pour 
elles  de  ne  pas  laisser  ce  chef  de  voleurs  dans  un  poste  d'où  il  pouvait 
impunément  ravager  toute  la  contrée  à  la  ronde,  se  mirent  en  armes 
pour  venir  l'en  débusquer  ;  mais  La  Fontenelle  vint  'a  leur  rencontre, 
et  leur  ayant  tendu  un  piège  sur  le  chemin,  en  faisant  cacher  ses  sol- 
dats derrière  les  haies,  il  tomba  a  l'improviste  sur  ces  malheureux  paysans 
et  avec  si  grande  furie,  qu'il  en  tua  phjs  de  quinze  cents. 

Enorgueilli  de  celte  victoire,  il  se  mit  alors  à  trancher  du  seigneur, 
imposant  tailles  et  corvées,  sur  toutes  les  paroisses  à  sept  lieues  'a  la 
ronde  et  jusqu'aux  portes  de  Quimper. 

Ensuite,  ayant  vu  que  ceux  de  Penmarch  cherchaient  'a  se  fortifier 
contre  lui,  il  s'en  alla  lui-même  au  milieu  d'eux,  leur  disant  qu'il  était 
leur  grand  ami,  et  il  se  mit  'a  boire  et  'a  jouer  aux  quilles  avec  eux  ;  mais 
pendant  ce  temps-La  ceux  des  siens  dont  il  s'était  fait  accompagner 
avaient  soin  de  prendre  une  connaissance  exacte  des  endroits  forts  et 
faibles  de  la  ville,  après  quoi  La  Fontenelle,  ayant  fait  les  plus  belles  pro- 
testations, s'en  retourna  'a  Douarnenez. 

Au  bout  d'un  mois  il  revint  ;  mais  cette  fois,  ce  ne  fut  pas  pour 
jouer  aux  quilles  ;  il  amenait  toute  son  armée  de  coupe-jarrots.  «  Mes 
bons  amis,  dit-il  aux  habitants,  quand  il  fut  assez  prêt  de  leurs  fortifi- 
cations pour  se  faire  entendre,  vous  savez  que  je  suis  tout  vôtre,  et 
votre  protecteur  ;je  ne  viens  point  pour  vous  affronter;  mais  j'ai  besoin 
pour  votre  défense  et  pour  la  mienne  de  prendre  une  connaissance 
exacte  de  celle  côte.  Laissez-moi  donc  entrer  sans  crainte.  »  Tout  le 
monde  s'était  porté  de  ce  côté  de  la  muraille,  pour  entendre  ce  que  ce 
harangueur  avait  'a  dire  ;  c'était  sur  quoi  le  folâtre  baron  avait  compté,  et 
pendant  (ju'il  amusait  ces  imprudents  de  belles  protestations,  une  partie 
de  ses  gens,  pénétrant  par  un  point  dont  la  commodité  avait  été  reconnue 
d'avance  et  où  il  n'était  plus  resté  personne,  se  trouvait  déjà  derrière 
les  écouteurs.  Ces  brigands  en  tuèrent  tant  qu'il  leur  phit,  et  firent  le 
reste  prisonniers.  Le  butin  fut  considérable,  et  entre  autres  choses  les 
vainqueurs  eurent  grand  soin  de  s'emparer  d'une  grande  quantité  de 
navires,  barques  et  bâtiments  de  toute  grandeur,  qui  se  trouvaient  dans  la 
baie  et  sur  lesquels  ils  chargèrent  tout  ce  qu'ils  avaient  pillé,  pour  le 
transporter  'a  Douarnenez. 

Le  principal  massacre  eut  lieu  dans  l'église  ;  mais  il  est  'a  remarquer 
que  ce  fût  un  châtiment  de  Dieu,  a  cause  des  irrévérences  que  les  habi- 
tants avaient  commises  dans  ce  saint  lieu  ;  car  lorsqu'ils  avaient  fortifié 
leur  ville,  ils  avaient  transformé  le  temple  du  Seigneur  en  citadelle,  et 
la  plupart  d'entre  eux  avaient  transporté  leur  lit  dans  la  nef,  où  ils  cou- 
chaient pèle  mêle,  hommes,  femmes  et  enfants.  Or,  il  s'était  commis  là, 
jusqu'au  pied  du  grand   autel,  bien  des  irrévérences,  voila    pourquoi  la 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  501 

juslicc  divine  voulut  qu'ils  lavassent  et  nettoyassent  de  leur  sang  la  pro- 
i'analion  par  eux  commise.  Après  ce  désastre,  il  ne  resta  plus  de  Pen- 
march  que  des  ruines  et  des  pierres  éjiarses,  seule  preuve  aujourd'hui 
de  son  étendue  et  de  sou  importance  passée. 

Cet  exploit,  digne  d'un  véritable  clielde  brigands,  jeta  la  consternation 
dans  toute  la  contrée.  Ceux  de  Cap-Sizun  et  de  Pont-Croix,  craignant  un 
pareil  traitement,  avisèrent  aussi  (|u'il  n'y  avait  pas  de  plus  bel  expédient 
que  de  se  fortifier  également  dans  leur  église  de  Notre-Dame  de  Koscudon, 
se  promettant  bien  de  se  défendre  un  peu  mieux  (pie  leurs  voisins  n'avaient 
fait.  La  Fonlenelle,  bien  averti  de  tout,  s'achemina  de  ce  côté  avec  sa 
bande.  Le  tocsin  sonna  incontinent  à  toutes  les  paroisses  du  voisinage, 
et  les  paysans  accoururent  en  foule  en  la  ville  de  Pont-Croix,  qu'ils 
barricadèrent  de  leur  mieux,  car  il  n'y  avait  pas  de  remparts.  L'ennemi 
eut  bientôt  franchi  leurs  tranchées  et  barricades.  La  foule  alors  se  dis- 
perse en  désordre  et  regagne  les  champs.  Le  commandant  de  la  place, 
accompagné  seulement  de  quehiues  gentilshommes  et  d'un  petit  nombre 
de  bourgeois,  a  a  peine  le  temps  de  se  retirer  dans  l'église,  (ju'on  avait 
fortifiée. 

La  Fontenelle  les  fit  investir,  et  comme  les  armes  et  les  munitions 
manquaient  aux  assiégés,  ils  furent  presque  aussitôt  forcés  et  faits  pri- 
sonniers pour  être  mis  a  rançon.  Les  plus  résolus  parvinrent  pourtant  'a 
se  réfugier  dans  la  tour,  où  ils  se  disposèrent  a  se  défendre  jusqu'à  la 
mort. 

Le  baron  les  y  attaqua  le  soir  même,  mais  vainement,  car  cette 
tour,  étant  de  belles  pierres  de  taille,  n'a  qu'une  seule  entrée  fort  étroite, 
(pie  deux  a  trois  hommes  peuvent  aisément  défendre  a  l'abri,  et  avec 
leurs  épées  seulement.  Fontenelle  alors  fit  faire  un  amas  de  genêt  vert 
et  y  lit  mettre  le  feu,  espérant  étouffer  les  assiégés  par  la  fumée;  mais 
cela  ne  lui  réussit  pas  encore,  car  les  fenêtres  de  la  tour  leur  fournis- 
saient assez  d'air. 

Considérant  donc  qu'il  n'y  avait  moyen  de  prendre  cette  tour  que 
par  le  canon  et  la  famine,  ce  qui  aurait  été  beaucoup  trop  long  pour  sa 
propre  sûreté,  il  proposa  de  parlementer  :  on  convint  que  les  assiégés 
sortiraient  vie  et  bagues  sauves,  et  il  confirma  cette  capitulation  par  un 
serment  solennel.  Les  malheureux,  comptant  sur  ce  serment,  abandon- 
nèrent leur  asile  et  vinrent  saluer  leur  vainqueur.  Le  commandant,  qui 
avait  sa  lemme  avec  lui,  marchait  le  premier.  Quand  le  chef  des  bri- 
gands vil  (ju'ils  étaient  tous  dehors,  et  que  les  siens  étaient  maîtres  de 
la  tour,  il  ordonna  qu'on  pendit  tous  ces  pauvres  gens,  et,  par  uu  rali- 
nement  de  cruauté,  il  voulut  que  d'abord  la  femme  du  commandant  fût 
violée  par  ses  soldats,  en  pleine  rue  et  a  la  Aice  de  son  mari, 

La  Fontenelle,  chargé  de  butin  et  emmenant  ses  captifs,  revint  à 
son  fort  de  Douarnenez  ;  et  là,  pour  se  distraire,  en  attendant  de  nou- 
velles occasions  d'augmenter  ses  richesses,  il  soumit  ses  prisonniers  'a 
des  traitements  si  barbares,  qu'ils  curent  a  regretter  de  n'être  pas  morts 
les  armes  a  la  main  ;  il  les  renfermait  dans  des  cachots  infectes  et  sans 


502  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

lumière,  ou  la  vermine  et  la  pourriture  les  rongeaient  jusqu'aux  os. 
Tantôt  il  les  forçait  tle  s'asseoir  sur  un  trépied  brûlant  et  s'amusait  de 
leurs  contorsions  ;  d'autres  fois  il  les  faisait  plonger  en  plein  hiver  dans 
des  cuves  d'eau  gelée  :  aussi  la  plupart  périrent-ils  dans  ces  tortures, 
et  ceux  qui  furent  assez  riches  pour  se  racheter  a  prix  d'or  ne  gagnè- 
rent-ils que  d'aller  mourir  chez  eux,  par  suite  des  traitements  atroces 
qu'ils  avaient  endurés. 

Lui,  cependant,  se  voyant  bien  logé,  dans  une  bonne  forteresse  qu'il 
réputait  imprenable,  se  déclara  tout  a  fait  indépendant,  et  quoique  dans 
le  commencement  il  eût  cherché  'a  couvrir  ses  entreprises,  du  prétexte 
qu'il  était  catholique  et  du  parti  du  duc  de  Mercœur,  il  commença  dès 
lors  'a  faire  fort  peu  de  cas  des  ordres  de  ce  seigneur. 

L'idée  lui  vint  de  prendre  femme.  A  cet  effet,  il  partit  un  jour  bien 
accompagné  et  s'en  alla  à  Mezarnou,  où  il  enleva  de  force  la  tille  de  la 
dame  du  lieu.  C'était  un  enfant  de  neuf  ans  au  plus  ;  mais  elle  était 
héritière  unique  d'une  grande  fortune,  et  il  l'emmena  dans  son  fort  où 
il  l'épousa. 

11  voulut  aussi  étendre  ses  brigandages  jusque  sur  la  mer  ;  comme 
il  avait  plusieurs  vaisseaux,  il  les  équipa  en  course,  et  cela  lui  valut 
aussi  de  riches  dépouilles,  car  ses  pirates  eurent  la  chance  de  rencon- 
trer plusieurs  bâtiments  de  commerce  appartenant  aux  Anglais,  et  ils 
s'en  emparèrent  après  avoir  tué  ou  jeté  a  l'eau  tous  ceux  qui  les  mon- 
taient. 

Ce  fut  alors  qu'il  lui  prit  la  fantaisie  d'aller  à  Nantes  se  faire  voir 
dans  tout  son  nouvel  éclat  au  duc  de  Mercœur  lui-même  ;  mais  comme  il 
ne  put  y  aller  par  terre,  parce  que  tout  le  pays  était  déjà  réduit  sous 
l'obéissance  du  roi,  il  s'embarqua  sur  ses  vaisseaux,  et,  pour  mieux 
paraître,  il  s'était  fait  faire  des  habits  somptueux.  Il  portait  un  manteau 
tout  fourré  d'hermines,  garni  d'une  infinité  de  perles  et  de  pierreries, 
tel,  en  un  mot,  (pi'un  monarque  n'en  aurait  pas  dédaigné  un  pareil,  le 
propre  jour  de  son  sacre  ;  ce  que  voyant,  le  seigneur  duc  ne  put 
s'empêcher  de  dire  en  raillant  :  «  Baron,  combien  de  pauvres  gens  ont 
dû  payer  de  leur  sang  et  de  leur  fortune  ce  beau  manteau  ?  » 

Quand  il  fut  de  retour  'a  Douarnenez,  il  eut  encore  le  bonheur  de 
forcer  a  se  retirer  avec  pertes  le  gouverneur  de  Brest,  qui,  sur  les 
plaintes  de  toute  la  contrée,  étaitjvenu  avec  sa  garnison  et  un  grand 
nombre  de  noblesse  pour  nettoyer  cette  caverne  de  brigands.  Puis 
devenu  toujours  plus  superbe  après  cette  victoire,  il  éleva  ses  vues  jus- 
qu'à s'emparer  de  Quimper,  et  pour  cela  il  commença  par  se  procurer 
'a  prix  d'argent  des  intelligences  parmi  les  soldats  qu'on  y  avait  laissés 
en  garnison.  Ce  ne  fut  pas  bien  difficile,  car  c'étaient  tous  gens  de 
sac  et  de  corde,  ramassis  de  tous  les  pays  du  monde.  Entre  ces  hon- 
nêtes gens  et  la  Fontenelle,  il  fut  convenu  qu'on  tuerait  tous  les  hommes 
de  la  ville,  et  qu'ensuite  chacun  se  choisirait  une  épouse  parmi  les 
femmes  et  les  filles,  suivant  son  bon  plaisir. 

Or,  monsieur    de  Saint-Luc,  qui  avait  été   lieutenant  du  maréchal 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  503 

d'Aumont,  avait  pris  après  la  mort  de  ce  grand  capitaine  le  commande- 
ment de  l'armée  royale,  et  par  hasard  il  arriva  en  ce  lemps-la  a  Quim- 
per,  pour  voir  comment  on  s'y  gouvernait.  11  ne  fut  pas  longtemps  sans 
avoir  quelque  soupçon  de  la  machination  (jui  se  tramait.  Il  fit  venir  a 
part  le  capitaine  Clou,  qui  lui  était  signalé  comme  un  des  fauteurs  de  ce 
com[)lot  ;  car  on  savait  qu'il  avait  eu  plusieurs  conférences  secrètes  et 
de  nuit  avec  le  baron.  Le  capitaine  répondit  qu'il  n'avait  jamais  eu 
d'autre  projet  que  de  se  saisir  de  ce  chef  de  brigands  pour  le  livrer 
pieds  et  poings  liés  'a  la  justice.  Il  supplia  qu'on  le  laissât  faire  et  que 
])lus  tard  on  reconnaîtrait  la  droiture  de  ses  intentions.  Sa  requête  lui 
fut  octroyée  et  il  s'en  alla  au  manoir  de  Kerguelen  'a  cinq  lieues  de 
Quimper  et  'a  une  lieue  de  Douarnenez,  bien  disposé  a  satisfaire  à  ce 
qu'il  avait  promis  a  son  supérieur. 

Continuant  donc  de  feindre  qu'il  était  un  des  plus  chauds  acteurs  de 
la  trahison  méditée,  il  écrivit  a  La  Fontenelle  qu'il  revenait  de  la  ville,  où 
il  avait  trouvé  tous  les  amis  fort  bien  disposés;  qu'il  ne  restait  plus 
qu'à  conférer  sur  quelques  petits  articles  de  détail,  et,  pour  cela,  il  lui 
assigna  un  rendez-vous,  le  priant  de  s'y  rendre  avec  peu  de  suite,  pour 
ne  pas  éveiller  les  soupçons,  et  promettant  de  s'y  trouver  lui-même  avec 
un  seul  laquais. 

La  Fontenelle  donna  dans  le  piège  :  Clou  avait  eu  la  précaution  de 
faire  cacher  d'avance,  dans  le  lieu  désigné  pour  l'entrevue,  une  trentaine 
d'arquebusiers,  et,  sitôt  que  le  baron,  accompagné  de  son  lieutenant, 
autrefois  cordonnier  de  son  état,  eut  mis  pied  a  terre,  les  soldats,  sortant 
de  leur  embuscade,  se  jetèrent  sur  lui  et  le  firent  i)risonnier  ;  le  lieute- 
nant eut  seul  le  bonheur  d'échapper. 

Ceux  de  Quimper  et  de  toutes  les  autres  villes  de  la  contrée,  bien 
réjouis  d'une  pareille  capture,  supplièrent  M.  de  Saint-Luc  de  livrer  ce 
chef  de  bandits  a  la  justice,  pour  que  son  procès  lui  fût  fait  et  parfait, 
attendu  qu'il  avait  commis  assez  de  crimes  pour  mériter  de  passer  par 
les  mains  du  bourreau  ;  mais  Saint-Luc,  alléché  par  l'appât  du  gain,  aima 
mieux  le  considérer  comme  prisonnier  de  guerre,  et  exigea  de  lui  pour 
sa  rançon  quatorze  raille  écus  d'or,  que  La  Fontenelle  s'empressa  de 
payer,  puis  il  revint  'a  Douarnenez,  plus  insolent  et  plus  féroce  que 
jamais. 

Four  ne  pas  interrompre  l'histoire  de  ce  noble  brigand,  je  laisserai 
ici  de  côté  l'ordre  chronologique,  et  j'ajouterai  de  suite  ce  que  les  chro- 
niques du  temps  nous  ont  rapporté  de  ses  faits  et  gestes  et  de  sa  fm 
malheureuse. 

La  Fontenelle  tenait  toujours  a  son  projet  sur  Quimper,  et  surtout 
'a  se  venger  du  capitaine  Clou.  Dès  que  Saint-Luc  se  fut  éloigné,  il 
renoua  ses  intelligences  avec  ceux  de  la  garnison  qu'il  avait  déjà  gagnés, 
et  qu'on  n'avait  pas  même  pris  la  précaution  d'éloigner.  Mais  il  avait  lui- 
même  dans  sa  bande  un  certain  capitaine  Pareille,  lequel  avait  épousé 
la  nièce  d'un  chanoine  de  la  cathédrale.  Ce  Marcille  donnait  a  son  oncle 
des  renseignements  très  précis  sur  tout  ce  (ju'il  pouvait  découvrir  de 


504  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

préjudicialile  a  la  ville,  et  par  ce  moyen,  il  fil  manquer  plusieurs  surprises 
que  Fontenelle  avait  habilement  préparées. 

Celui-ci,  ne  se  doutant  pas  que  tous  ses  projets  étaient  communiqués 
a  l'ennemi,  prit  enfin  la  résolution  d'obtenir  par  force  ouverte  ce  qu'il 
n'avait  pu  gagner  par  adresse  ;  et,  ayant  réuni  toutes  ses  troupes,  qui  pou- 
vaient bien  se  monter  à  mille  ou  douze  cents  hommes,  il  marcha  contre 
Quimper,  en  plein  jour,  enseignes  déployées  et  tambour  battant;  il 
comptait  sur  l'appui  de  presque  toute  la  garnison,  qu'il  avait  achetée 
d'avance,  officiers  et  soldats  :  Marcille  fit  parvenir  l'avis  de  cette  nou- 
velle tentative. 

La  bourgeoisie  fut  en  grand  émoi,  car  elle  était  prévenue  qu'elle 
avait  a  se  garder  tout  a  la  fois  contre  l'ennemi  du  dehors  et  contre 
celui  du  dedans.  On  passa  toute  la  journée  et  toute  la  nuit  en  armes, 
car  on  se  méfiait  même  du  gouverneur,  le  sieur  du  Pou,  qui,  n'étant  rien 
moins  qu'homme  de  guerre,  n'avait  aucun  crédit,  ni  sur  l'esprit  du  sol- 
dat, ni  sur  celui  des  habitants. 

Enfin,  le  matin,  sur  les  dix  heures,  on  aperçut  l'armée  des  brigands, 
qui  n'était  plus  qu'a  trois  quarts  de  lieues  de  la  ville  ;  ils  se  faisaient 
précéder  et  suivre  d'un  grand  nombre  de  chariots  vides,  pour  remporter 
leur  butin,  tant  ils  comptaient  sur  le  pillage  de  Quimper. 

Chacun  se  mit  en  mouvement  a  cet  aspect  ;  les  uns  coururent  aux 
remparts,  les  autres  aux  portes  ;  mais  chacun  en  même  temps  ne  lais- 
sait pas  que  de  regarder  derrière  soi,  se  méfiant  des  traîtres  dont  on 
savait  que  la  ville  était  pleine. 

Par  bonheur,  ce  jour-la  même,  le  seigneur  de  Kérollain,  vaillant 
gentilhomme  du  voisinage,  était  arrivé  'a  Quimper  où  l'appelaient  quel- 
ques affaires.  Il  ne  faisait  que  de  descendre  'a  son  auberge  du  Lion- 
d'Or,  près  la  porte  Médard,  quand  le  premier  cri  d'alarme  retentit  dans 
la  ville.  Soudain,  courant  bien  vite  avec  ses  domestiques  se  joindre  a 
quelques  cavaliers  qui  se  réunissaient  près  de  la,  il  se  mit  à  leur  tête 
pour  charger  l'ennemi,  qui  pénétrait  déj'a  dans  le  faubourg.  Une  cin- 
quantaine de  jeunes  gens  de  la  ville,  qui  étaient  'a  pied,  suivirent  bra- 
vement cette  «cavalerie,  et,  se  glissant  entre  les  gens  de  cheval,  ils 
firent  avec  leurs  mousquets  une  si  furieuse  décharge,  que  l'ennemi,  se 
croyant  atta(}ué  par  une  troupe  beaucoup  plus  nombreuse,  commença  a 
perdre  contenance  et  ne  tarda  pas  'a  fuir. 

Un  autre  bonheur  survint  pour  ceux  de  la  ville.  Le  capitaine 
Magence,  avec  environ  deux  cents  hommes  de  pied,  était  parti  le  matin 
de  Scaer  pour  aller  a  Plougastel,  ne  se  doutant  pas  que  La  Fontenelle 
fût  en  campagne.  Etant  arrivé  au  faubourg  de  la  rue  Neuve,  où  son 
intention  était  de  faire  reposer  sa  troupe,  il  entendit  le  bruit  qui  se  fai- 
sait du  côté  où  l'attaque  avait  lieu,  et  tout  aussitôt,  sans  laisser  aux  siens 
le  temps  de  souffler,  il  leur  fit  traverser  le  pont  de  Locmaria,  et  tomba 
inopinément  sur  le  gros  de  l'ennemi  qui  était  à  Saint-Sébastien,  atten- 
dant que  les  intelligences  qu'il  avait  dans  la  place  lui  donnassent  signe 
de  vie.  Cette  charge,  sur  laquelle  personne  ne  comptait,  compléta  la  vie- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  505 

toire  ;  les  handils  se  sauvèrent  en  toute  hâte,  laissant  sur  la  place 
quarante  morts  et  plus  du  double  de  blessés.  Encore  en  emmena-t-il 
presque  autant  sur  les  chariots  qui  devaient  transporter  le  butin. 

Pour  lors  (1597),  le  pays  ne  pouvant  plus  supporter  les  barbaries 
de  celte  bande  de  malfaiteurs,  (pie  leur  dernier  échec  avait  rendus  comme 
enragés,  le  seigneur  de  Sourdéac,  gouverneur  de  Brest,  et  les  autres 
gentilshommes  et  commandants  de  la  contrée,  résolurent  pour  la 
seconde  t'ois  de  les  aller  attaquer  dans  leur  fort.  On  appela  toutes  les 
garnisons  voisines,  aux(pielles  se  joignit  un  régiment  de  Suisses  ;  mais 
la  place  était  si  lorte,  si  bien  approvisionnée  et  si  bien  défendue,  qu'au 
bout  d'un  mois  de  siège  on  n'était  pas  plus  avancé  cpie  le  premier  jour. 

Le  capitaine  Magence  fut  tué  en  voidant  repousser  une  sortie  de  ces 
enragés,  et  en  reconnaissance  du  service  qu'il  avait  rendu  tout  derniè- 
rement a  Quimper,  les  habitants  de  cette  ville  demandèrent  son  corps 
pour  l'ensevelir  honorablement  dans  leur  cathédrale.  On  le  plaça  dans 
une  ancienne  tombe  vide,  qui  était  dans  la  chapelle  de  la  Trinité 
(aujourd'hui  chapelle  de  la  Victoire),  et  qui  portail  sur  son  couvercle  le 
nom  d'un  évéque  avec  la  date  de  l'année  1200,  de  sorte  (jue  si  jamais 
celle  tombe  est  ouverte,  nos  neveux  n'y  trouveront  que  les  os  d'un 
capitaine  gascon,  au  lieu  des  reliques  d'un  saint  prélat,  ce  qui  n'est 
pas  tout  11  fait  la  même  chose. 

Hrel,  il  parut  encore  impossible  celte  fois  de  forcer  les  brigands  dans 
le  re|)aire  où  ils  s'étaient  si  hien  fortifiés  :  Sourdéac  fut  le  premier  qui 
se  retira,  sous  prétexte  d'aller  chercher  de  nouvelles  forces;  les  autres 
le  suivirent  bientôt,  et  La  Fonlenelle  se  maintint  dans  son  île  et  dans 
Douarnenez  jusqu'à  la  paix.  Comme  le  duc  de  Mercœur  n'avait  pas 
voulu  le  comprendre  dans  le  traité  qu'il  ht  avec  le  roi,  il  en  fit  un  par- 
ticulier et  en  son  nom,  par  leciuel,  outre  une  amnistie  pour  tout  ce 
qu'il  avait  fait  en  portant  les  armes  contre  Sa  Majesté,  il  obtint  que  le 
gouvernement  de  Douarnenez  lui  serait  continué,  et  en  outre  qu'il  aurait 
le  brevet  de  capitaine  de  cinquante  hommes  d'armes.  Par  malheur  pour 
lui,  il  n'avait  pas  songé  'a  demander  aussi  amnistie  pour  les  crimes  qu'il 
avait  commis  envers  les  particuliers.  Les  parents  et  amis  de  ses  nom- 
breuses viclimes  présentèrent  recpiéte  au  Parlement.  11  fut  convaincu 
d'avoir  fair  violer  la  femme  du  commandant  de  Pont-(h'oix,  en  face  du 
gibet  de  son  mari,  et  d'avoir  enlevé  une  noble  héritière  encore  mineure, 
pour  la  forcer  à  devenir  sa  femme,  en  réparation  desquels  faits  il  fut 
condamné  par  arrêt  du  grand  conseil  'a  être  rompu  vif,  après  avoir  été 
appliqué  'a  la  question  ordinaire  et  extraordinaire.  Cet  arrêt  fut  exécuté 
en  place  de  Grève  en  1602.  Le  baron  de  La  Fonlenelle  fut  laissé 
six  (|uarls  d'heure  sur  la  roue,  avant  de  recevoir  le  coup  de  grâce. 
Son  nom  véritable  était  Cuv  Eder  de  Beaumanoir  de  Lavardin.  {Journal 
de  Henri  lY,  t.  III,  an.  1002.) 

Au  reste,  le  baron  de  La  Fonlenelle  n'élail  pas  le  seul  noble  brigand 
qui  ravageait  en  ce  temps-lâ  la  malheureuse  Bretagne.  Le  comte  Anne 
de  Magnane  de  la  maison  de  Sanzay  s'était  mis  aussi  a  la  tête  d'environ 


506  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

cinq  cents  hommes  de  la  lie  du  peuple,  et  il  faisait  également  la  guerre 
pour  son  profil,  se  présentant  dans  les  villes  où  il  n'y  avait  point  de  gar- 
nison royale,  et  y  levant  des  contributions  a  discrétion.  A  la  (in  il  trouva 
que  la  petite  ville  de  Quinlin  lui  présentait  toutes  les  commodités  dont 
il  avait  besoin  pour  ses  opérations  ;  il  s'en  empara  et  s'y  établit  avec  sa 
bande.  Mais  le  commandant  de  Guingamp,  qui  n'est  située  qu'a  quatre 
lieues  de  la,  ne  jugea  pas  'a  propos  de  l'y  laisser  tranquille.  Il  vint  l'atta- 
quer et  le  força  à  se  rendre  prisonnier.  M.  le  comte  de  Magnane  eut  du 
moins  le  bonheur  de  n'être  pas  mis  en  jugement;  il  n'avait,  lui,  jamais 
violenté  que  des  bourgeois  et  des  manants.  (De  Thou,  t.  XII,  liv.  113, 
p.  449.) 

Sur  ces  entrefaites,  la  forteresse  de  Comper,  devant  laquelle  le 
maréchal  d'Aumont  avait  si  malencontreusement  trouvé  la  mort,  fut 
enfin  prise  par  les  royalistes,  et  l'on  dut  cet  exploit  aux  deux  frères 
d'Andigny,  tous  Jes  deux  hommes  de  lettres,  ce  qui  était  assez  rare 
parmi  la  noblesse  française  de  ce  temps-la,  et  ce  qui,  dans  tous  les  cas, 
ne  leur  avait  pas  valu  jusqu'à  ce  jour  une  grande  réputation  de  bravoure; 
voila  comment  ils  s'y  prirent.  Ils  s'en  allèrent  avec  quelques  soldats 
se  cacher  dans  la  maison  d'un  de  leurs  parents,  qui  demeurait  dans  le 
voisinage  de  Comper.  Comme  ils  avaient  remarqué  que  tous  les  matins 
on  laissait  entrer  dans  la  place  les  gens  de  la  campagne  qui  apportaient 
leurs  denrées  au  marché,  ils  firent  déguiser  en  paysans  vingt  de  leurs 
plus  braves  compagnons,  qui  portaient  des  pistolets  et  de  courtes  épées 
cachées  sous  leurs  habits  ;  ceux-ci,  se  mêlant  aux  autres  vilains  qu'ils 
rencontrèrent  sur  la  route,  avaient  charge  de  profiter  du  moment  où  le 
passage  leur  serait  ouvert  pour  égorger  le  poste  et  s'emparer  de  la 
porte.  Les  deux  frères,  avec  le  reste  de  leurs  soldats,  les  suivirent  à 
courte  distance,  se  tenant  prêts  'a  leur  prêter  main  forte.  Ce  stratagème 
eut  un  plein  succès  :  la  porte  fut  prise,  et  la  garnison,  épouvantée  de  voir 
l'ennemi  dans  la  place,  ne  prit  pas  même  le  temps  -de  s'informer  du 
nombre  des  assaillants.  Chacun  n'eut  rien  de  plus  pressé  que  de  se 
sauver,  qui  d'un  côté,  qui  de  l'autre. 

Les  nouvelles  de  cette  prise,  ainsi  que  de  la  prise  de  Guimer,  de  la 
Roche  Montbouchet  et  du  château  de  Saint-Mars,  situé  tout  près  de 
Nantes,  furent  apportées  au  roi  pendant  qu'il  était  a  son  camp  de  Tra- 
verey,  devant  La  Fère,  dont,  comme  oh  l'a  vu,  il  avait  déjà  commencé  le 
siège. 

Ce  fut  là  aussi  qu'il  lui  fut  annoncé  que  définitivement  la  cour  de 
Rome  avait  consenti  à  son  absolution.  Tout  joyeux  d'un  pareil  résultat, 
qui  ne  devait  plus  laisser  aucun  prétexte  aux  fauteurs  de  guerre  civile,  il 
fit  écrire  à  tous  les  gouverneurs  de  ses  provinces  qu'ils  eussent  à  en  faire 
publiques  réjouissances,  et  lui-même  écrivit  de  sa  propre  main  au  prince 
de  Conti,  qui  commandait  pour  lors  dans  Paris  :  «  J'avais  toujours  bien 
pensé,  lui  disait  il,  que  la  sincérité  de  ma  conversion  finirait  par  éclairer 
le  Saint-Père,  en  dépit  de  tous  les  artifices  des  ennemis  de  la  France. 
Plein  de  reconnaissance  envers  le  Tout-Puissant,  à  cause  de  cette  grâce 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRiVNCE.  507 

qu'il  m'a  faite,  et  qui  est  si  nécessaire  pour  rassurer  la  conscience  de  mes 
sujets,  j'écris  par  ce  même  courrier  a  mou  cousin  l'archevêque  de 
Paris,  a  cette  (in  qu'il  en  lasse  remercier  Dieu,  en  l'église  de  Notre- 
Dame,  a  (juoi  je  vous  prie  aussi  de  tenir  la  main  de  votre  part  ;  et,  pour 
ne  rien  omettre  de  ce  ((ui  peut  rendre  cette  action  plus  célèbre,  don- 
nez ordre  de  l'aire  tirer  l'artillerie  et  d'allumer  les  feux  de  joie,  en  ma 
bonne  ville  de  Paris,  le  jour  que  mon  dit  cousin  archevêque  aura  fixé 
pour  les  processions  et  autres  louanges  îi  Dieu  ;  car  une  si  grande  laveur 
du  ciel  ne  saurait  être  trop  joyeusement  célébrée,  et  j'espère  que  mes 
sujets  en  recevront  toute  utilité.  (Cavkt,  uhi  sup.) 

C'étaient  M.  du  Perron  et  M.  d'Ossat  qui  avaient  été  chargés  d'aller 
négocier  les  moyens  d'obtenir  de  Sa  Sainteté  cette  absolution  que  le 
roi  désirait  tant.  Us  étaient  entrés  dans  Rome,  sans  aucune  pompe  et 
comme  personnes  privées,  et  ayant  obtenu  de  Clément  VIII  une  audience 
pour  lui  baiser  les  pieds,  ils  lurent  une  heure  entière  a  lui  parler  en 
particulier.  Ou  dit  qu'ils  employèrent  ce  temps  a  lui  présenter  une 
requête  en  l'orme  au  nom  de  Sa  Majesté.  {Lettres  d'Ossat,  t.  I,  p.  527  et 
suiv.  —  De  Tiior,  iibi  sup.) 

Dès  qu'ils  se  furent  retirés,  Clément  vint  déclarer  en  plein  consis- 
toire (jue  les  dits  sieurs  d'Ossat  et  du  Perron  étaient  venus  vers  le  Sainl- 
Siège,  avec  les  lettres  de  créance  de  leur  roi,  pour  traiter  des  affaires  de 
France  ;  (|u'on  pouvait  donc  les  regarder  comme  des  ambassadeurs 
avoués,  et  (jue  désormais  il  voulait  ([ue  ces  alï'aires  fussent  discutées 
non  plus  par  l'avis  de  (juclques  particidiers,  mais  en  présence  de  tout  le 
sacré  collège  des  cardinaux.  (C.vvi:r,  ubi  sup.) 

Les  ambassadeurs  commencèrent  donc  a  visiter  messieurs  les  cardi- 
naux et  bientôt  plusieurs  de  ces  princes  de  l'Eglise,  se  déclarèrent  ouver- 
tement en  leur  faveur.  Ceux  du  parti  espagnol  redoublèrent  en  même 
temps  d'animosité  ;  mais  la  politique  de  la  cour  de  Rome  avait  bien 
changé  de  face:  depuis  la  dernière  ambassade  du  duc  de  Nevers,  le  pape 
voyait  maintenant  la  Ligue  aux  abois,  l'Espagnol  sans  appui  en  France, 
et  il  commençait  'a  craindre  que,  le  roi  ayant  abjuré  l'hérésie,  sans 
l'intervention  du  Saint-Siège  et  sous  la  seule  autorisation  des  prélats  de 
l'église  gallicane,  on  en  vint  jusipi'a  vouloir,  comme  on  l'en  menaçait 
déjà,  établir  en  France  une  nouvelle  discipline  ecclésiastique,  qui  dimi- 
nuerait d'autant  les  revenus  de  Sa  Sainteté.  Il  n'était  donc  plus  saison 
de  persévérer  dans  une  sévérité  (jui  |)ouvait  avoir  des  suites  aussi 
graves.  (Di:  Tuon,  t.  XII,  liv.  M."),  p.  4.()(S  et  suiv.) 

Ainsi  donc,  après  avoir  imploré  les  lumières  du  ciel  par  une  proces- 
sion publique,  (|u'il  fit  avec  toute  sa  maison,  depuis  son  palais  du  mont 
Quirinal  jus(|u'à  Sainte-Marie-Majeure,  et  dans  la(|uelle  il  marcha  lui- 
même  pieds  nus,  les  yeux  baissés  et  versant  des  larmes,  il  ordonna  que 
le  consistoire  s'assemblât  extraordinairement  au  palais  de  Monte-Calvo. 
Là,  il  dit  à  messieurs  les  cardinaux  (pi'il  avait  examiné  séparément  et 
avec  le  plus  grand  soin  les  opinions  de  chacun  d'eux  sur  la  question 
présente.  J'en  trouve,  ajouta-t-il,  plus  des  deux  tiers  qui  concluent  pour 


508  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

]'al)Solution  du  prince,  et  en  effet  j'ai  reconnu  moi-même  clairement  que 
là  est  le  véritable  bien  du  Saint-Siège.  Un  des  cardinaux  du  parti  espa- 
gnol se  leva  et  voulut  répondre  à  cette  proposition,  bien  que  sortie  d'une 
bouche  infaillible  ;  mais  Clément  disant,  qu'on  avait  déjà  assez  disputé,  lit 
sonner  la  clochette  pour  signal  de  la  levée  dli  consistoire,  et  l'assemblée 
fut  obligée  de  se  séparer.  (Cayet,  ubi  sup.) 

Il  fut  ensuite  question  de  régler  les  conditions  de  cette  absolution  : 
celles  que  voulait  imposer  la  cour  de  Rome  étaient  étranges.  D'abord  il 
fallait  que  le  roi  abjurât  de  nouveau,  son  abjuration  entre  les  mains  des 
prélats  français  n'étant  pas  valable.  Il  fallait  qu'il  reçût  en  personne 
l'absolution  d'un  légat  de  Sa  Sainteté,  qui  le  relèverait  des  censures  par 
lui  encourues  et  le  rétablirait  dans  ses  droits  au  trône  de  France,  qu'il 
avait  perdus  par  son  hérésie;  il  devait  de  plus  reconnaître  authentique- 
ment  qu'au  cas  où  il  retournerait  a  ses  erreurs,  ce  serait  avec  justice 
qu'il  perdrait  pour  toujours  les  droits  qu'on  ne  lui  avait  rendus  qu'en 
raison  de  sa  conversion.  C'était,  comme  on  voit,  mettre  tout  simple- 
ment la  couronne  de  France  aux  pieds  du  Pape,  et  l'en  déclarer  dispen- 
sateur absolu.  (De  Tiiou,  ubi  sup.) 

Ensuite,  on  exigeait  qu'aucun  hérétique  ne  fût  admis  aux  charges  et 
dignités  du  royaume,  et  qu'il  ne  fût  souffert  en  France  d'autre  exercice 
de  religion  que  de  la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine. 

Le  roi  devait  faire  immédiatement  une  trêve  avec  l'Espagne,  promet- 
tant de  l'observer  religieusement,  jusqu'à  ce  que  le  Pape  trouvât  le  moyen 
de  transformer,  comme  il  s'en  chargeait,  cette  trêve  en  une  paix 
définitive. 

L'ordre  des  jésuites  devait  être  rétabli  de  suite  en  France,  avec  abo- 
lition de  toutes  les  procédures  faites  contre  eux,  et  notamment  de  celles 
qui  les  déclarait  complices  de  Jean  Chalel. 

Enfin,  le  saint  concile  de  Trente  devait  être  reçu  et  reconnu  dans 
tout  le  royaume,  comme  règle  infaillible  de  la  foi  et  de  la  discipline  de 
l'Église.  Il  y  avait  encore  une  foule  d'autres  articles  concernant  les  béné- 
fices, les  moines,  les  restitutions  'a  faire  au  clergé,  etc.,  etc.,  mais 
qu'il  est  inutile  de  transcrire  ici.  La  cour  de  Rome  n'avait  rien  oublié  de 
ce  qui  pouvait  ajouter  a  son  importance  et  a  ses  profits. 

A  toutes  ces  demandes,  les  députés  du  roi  répondirent  avec  fermeté 
qu'il  était  impossible  de  souscrire  a  la  première,  qui  renverserait  la  loi 
fondamentale  de  la  monarchie;  que  les  rois  de  France  ne  reconnaissaient 
point  de  supérieur  au  temporel  et  que,  leurs  droits  étant  imprescriptibles, 
il  n'appartenait  'a  personne  de  les  en  déclarer  déchus,  qu'eux-mêmes 
n'avaient  pas  la  liberté  d'y  renoncer.  [Lettres  d'Ossat,  t.  I,  p.  470  et 
suiv.) 

A  la  seconde  demande,  concernant  l'exclusion  de  tout  hérétique  des 
charges  publiques  et  la  proscription  de  tout  autre  culte  que  du  culte 
catholique,  il  fut  opposé  qu'il  y  avait  'a  ce  sujet  des  édits  par  lesquels 
le  roi  avait  engagé  son  honneur  et  sa  conscience,  et  sur  lesquels  désor- 
mais reposait  toute  la  tranquillité   du  royaume;  que  ces  édits  s'oppo- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  509 

saient  a  ce  qu'on  donnât  pleine  satisfaction  a  Sa  Sainteté  sur  un  pareil 
article,  mais  que  le  roi  ferait  tout  son  possible  pour  arranger  les 
choses,  et  pour  que  les  bons  catholiques  n'eussent  pas  à  se  plaindre. 

Concernant  la  trêve  proposée  avec  l'Espagne  et  le  rôle  d'arbitre 
suprême  que  le  Pape  s'arrogeait,  on  ne  fit  aucune  objection. 

Quant  au  rétablissement  des  jésuites  dans  le  royaume  et  'a  la  des- 
truction des  arrêts  qui  les  condamnaient,  on  montra  (juc  c'était  chose 
impossible  pour  l'instant,  et  on  supplia  Sa  Sainteté  d'attendre  des  cir- 
constances plus  favorables. 

Enlin,  pour  ce  qui  concernait  la  réception  du  concile  de  Trente,  il 
fut  convenu  (ju'il  serait  reçu  et  observé  en  France  a  l'exception  de  ceux 
de  ses  canons  et  décrets  qui  pourraient  être  trouvés  contraires  aux  lois  de 
l'État. 

Le  Pape  avait  trop  d'intérêt  à  terminer  promptement  cette  affaire 
pour  prolonger  une  discussion  qui  pouvait  devenir  dangereuse,  et  le 
premier  jour  de  septembre,  on  procéda  a  l'absolution  du  roi, 'a  laquelle 
les  Italiens  donnèrent  le  nom  de  rebénédiction,  attendu  qu'ils  s'obsti- 
naient toujours  à  voir  dans  Sa  Majesté  un  hérétique  relaps.  (Cavet,  ubi 
suiwa.) 

La  cérémonie  se  fit  avec  grande  pompe  dans  l'église  de  Saint-Pierre 
de  Rome.  Le  Pape,  après  avoir  dit  la  messe  dans  sa  chapelle  particulière, 
se  mit  en  route,  porté  sur  sa  chaire,  revêtu  des  habits  pontificaux  et  la 
thiare  en  tête.  Ses  camériers,  magnifiquement  habillés  de  manteaux 
rouges,  allaient  devant  les  porteurs,  et  les  cardinaux  en  chapes  violettes 
l'accompagnèrent  a  pied,  marchant  à  droite  et  a  gauche.  La  procession 
se  rendit  a  la  basilique,  qu'on  avait  richement  parée  'a  cette  occasion. 
On  déposa  Sa  Sainteté,  sur  une  belle  estrade  élevée  de  trois  brasses  au 
moins  et  couverte  de  drap  vert;  au  bout  se  dressait  le  trône  pontifical 
tout  brillant  de  drap  d'or. 

Clément  s'assit,  et  autour  de  lui  s'assirent,  chacim  en  leur  rang, 
messieurs  les  cardinaux,  après  lui  avoir  rendu  les  hommages  de  l'ado- 
ration (1).  Les  officiers  de  la  très-sainte  inquisition,  les  douze  péniten- 
ciers avec  leurs  cottes  et  portant  la  baguette  en  main,  puis  la  foule  des 
autres  prélats,  prirent  place  a  droite  et  a  gauche. 

Alors  le  maître  des  cérémonies  appela  a  haute  voix  les  sieurs  du 
Perron  et  d'Ossat,  représentants  de  Henri  de  Bourbon.  Ceux-ci  mon- 
tèrent sur  l'estrade,  et  firent  chacun  trois  profondes  révérences  :  le 
maître  des  cérémonies  continua  en  s'adressant  a  Clément  :  «  Votre 
Sainteté  aura-t-elle  pour  agréable  que  ces  représentants  du  roi  de 
France  lui  baisent  le  pied  ?  »  A  quoi  le  Pape  lit  un  signe  de  consente- 
ment et  tendit  sa  mule. 

Cette  première  cérémonie  parachevée,  le  procureur  de  l'inquisition 
vint  apporter  et  lire  tout  haut  la   profession  de   foi  de  Henri  IV,  qu'on 

(1)  On  sait  que  c'est  ainsi  qu'on  nomme  dans  le  cérémonial  de  la  cour  de  Rome 
une  certaine  manière  de  saluer  le  pape. 


510  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

avait  dressée  en  latin,  et  dans  laquelle  il  s'accusait  d'avoir  cru  a  tort 
aux  hérésies  de  Calvin,  promettant  qu'il  y  renonçait  dès  ce  moment 
et  à  jamais,  pour  se  ranger  au  giron  de  la  sainte  Église.  Les  deux  ambas- 
sadeurs se  mirent  à  genoux  pendant  cette  lecture,  et  (juand  elle  lut 
finie,  du  Perron  demanda  humblement  au  Pape  pardon  et  absolution 
pour  son  maître.  Sur  quoi  le  procureur  du  saint  olhce  lit  lecture  d'un 
déci'et  de  Sa  Sainteté,  dans  lequel  il  était  dit  que  l'absolution  déjà  don- 
née au  coupable  repentant,  par  les  prélats  de  France,  était  en  effet 
nulle  et  de  nul  effet,  comme  provenant  de  gens  qui  n'avaient  pas  pou- 
voir sullisant  ;  que  toutefois  Sa  Sainteté,  reconnaissant  que  Sa  Majesté 
avait  agi  de  bonne  foi,  voulait  que  les  actes  catholiques  qui  avaient  été 
faits  par  le  dit  seigneur  roi,  en  vertu  de  cette  prétendue  absolution, 
fussent  réputés  bons  et  valables,  et  pour  l'avenir,  elle  le  déclarait  légiti- 
mement et  complètement  absous  de  son  hérésie,  ii  condition  qu'il 
accomplirait  les  pénitences  qui  lui  seraient  imposées. 

Aussitôt  les  chantres  entonnèrent  le  Miserere  :  le  maître  de  céré- 
monies remit  une  baguette  au  Pape,  après  lui  avoir  enveloppé  la  main 
d'un  crêpe  blanc,  et  Clément,  a  chaque  verset  du  psaume,  frappait  avec 
cette  baguette,  tantôt  sur  les  épaules  du  sieur  du  Perron,  tantôt  sur 
celles  de  d'Ossat.  Le  psaume  fini,  le  Pape  dit  les  oraisons  et  déclara  de 
sa  propre  bouche  qu'à  cette  heure,  il  reconnaissait  Henri  de  Bourbon 
comme  membre  de  Jésus-Christ,  et  comme  roi  très  chrétien  ;  puis  les 
trompettes  et  les  tambours  se  mirent  à  sonner,  et  tout  le  canon  du  châ- 
teau Saint-Ange  fut  tiré  en  signe  de  réjouissance.  Les  ambassadeurs 
baisèrent  encore  une  fois  les  pieds  de  Sa  Sainteté  avec  amour  et  recon- 
naissance ;  et  les  protonotaires  dressèrent  un  acte  de  tout  ce  que  dessus, 
dont  copie  en  bonne  forme  fut  délivrée  au  sieur  du  Perron,  pour  être 
remise  au  monarque  français. 

Cette  cérémonie,  qu'on  avait  voulu  rendre  imposante,  ne  parut  pas 
tout  à  fait  telle,  à  beaucoup  de  gens  en  France.  On  lit  courir  à  ce  sujet 
un  grand  nombre  d'épigrammes  mordantes,  et  quelques  plaisants  dirent 
que  le  Pape  avait  eu  grand  tort  de  ne  frapper  qu'avec  une  petite  baguette. 
Il  aurait  dû  s'armer  d'un  bon  fouet  de  poste,  pour  étriller  jusqu'au  sang 
les  plats  coquins  qui  n'avaient  pas  rougi  d'humilier  à  ce  point  la  majesté 
du  plus  grand  roi  du  monde  devant  un  prêtre  étranger.  Ceux  qui  par- 
laient ainsi  ne  savaient  pas  sans  doute  aussi  bien  que  le  roi  lui-même 
de  quelle  importance  il  lui  était  d'acheter  à  tout  prix  sa  réconciliation 
avec  le  Saint-Siège.  {Journal  de  Henri  IV.) 

D'un  autre  côté,  ceux  qui,  gardant  encore  le  venin  de  l'ancienne 
Ligue  se  prétendaient  les  seuls  catholiques  purs,  trouvaient  que  le  Pape 
lui-même  avait  été  bien  hardi  d'absoudre  un  hérétique  relaps.  Un  moine 
du  couvent  de  Sainte-Croix  la  Bretonnerie  prêcha  même  publiquement 
dans  ce  sens,  dans  l'église  de  Saint-Merri  :  il  commença  par  appeler  la 
reine  d'Angleterre  une  véritable  Jézahel,  et  il  ajouta  que  ceux  qui  avaient 
amitié  et  confédération  avec  elle,  queNjucs  beaux  semblants  qu'ils  s'effor- 
çassent de  faire,  et   même   malgré   la  prétendue  absolution  du   Saint- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  511 

Prro,  irélaicnt  que  des  liéréli(jiies  eiKhircis  et  dignes  d'aller  a  tous  les 
diables.  Le  Parlement  lit  poursuivre  ce  prédicateur  ellronlé,  et  sur  la 
requête  du  procureur  du  roi,  il  fut  condamné  à  faire  amende  honorable 
à  genoux  et  tête  nue  dans  la  chambre  de  la  Tournelle,  après  quoi  on  lui 
ht  défense  de  monter  en  chaire,  jusqu'il  ce  (ju'autrement  il  en  fût  or- 
donné par  la  cour,  et  surtout  injonction  très  expresse  lui  fut  faite  de  ne 
plus  mal  parler  a  l'avenir  des  alliés  du  roi,  sous  peine  de  la  vie.  (Mézerav, 
t.  in,  p.  1154.) 


Kt 


512  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 


CHAPITRE   XX 


1596.  —  ARGUMENT  :  continuation  du  siège  de  la  fère. 

LE  CARDINAL  ALBERT  VICE-ROI  DES  PAYS-BAS  —  MAYENNE  SE  RÉCONCILIE  AVEC  LE  ROI. 

RÉCONCILIATION    DU   NOUVEAU   DUC   DE   NEMOURS. 

L'EX-CAPUCIN   JOYEUSE   REND   TOULOUSE    ET   EST   FAIT   MARÉCHAL   DE   FRANCE. 

D'ÉPERNON   DISPUTE   LA  PROVENCE    AU   DUC   DE   GUISE. 

ARRÊT   DU   PARLEMENT   D'AIX.    —    INTRIGUES   DU   DUC   DE   GUISE   CONTRE   LESDIGUIÈRES 

CHARGÉ   PAR   LE   ROI   DE   LE   SOUTENIR. 

LESDIGUIÈRES   SE   DÉDOMMAGE   EN   PRENANT   ET   PILLANT   AURIOL. 

CASAULT    FAIT   ENTRER   L'ESPAGNOL    DANS    LE   PORT   DE   MARSEILLE. 

LE    CAPITAINE     LIBERTA     PROMET     A   GUISE    DE    LUI    LIVRER    CETTE    VILLE. 

IL    TUE    CASAULT.    —    LE   VIGUIER   LOUIS    d'AIX    SE   SAUVE   ET   LES   MARSEILLAIS 

crient:   vive   le   roi.    —   la   flotte    espagnole    SE   RETIRE. 

GUISE     BAT    D'ÉPERNON.    —     CELUI-CI     TRAITE     DE     SA   SOUMISSION    AVEC    LE   ROI. 

ENTREVUE  DU    ROI  ET   DU    DUC   DE  MAYENNE.  —   l'aRCHIDUG  ASSIÈGE  ET  PREND  CALAIS. 

BELIN   LUI    LIVRE   TRAITREUSEMENT    LA   PLACE   D'ARDRES. 

LA   FÈRE   SE   REND   AU   ROI.    —    L'ARCHIDUC    SE   RETIRE   A    SAINT-OMER. 

LIGUE   CONTRE  L'ESPAGNOL  ENTRE   l'aNGLETERRE   ET   LA   FRANCE. 

LES   ÉTATS  DE  HOLLANDE   S'ADJOIGNENT  A   CETTE  LIGUE. 


Le  siège  de  La  Fère,  commencé  sur  la  fin  de  Tannée  précédente,  se 
continuait  assez  lentement  ;  car  la  plus  grande  partie  des  choses  néces- 
saires a  une  opération  de  cette  importance  manquaient  au  camp  royal, 
et  il  n'y  avait  plus  assez  d'argent  dans  le  trésor  pour  se  les  procurer. 
Le  roi  commençait  donc  à  s'apercevoir,  à  son  grand  regret,  que  cette 
place  le  retiendrait  encore  longtemps.  Pourtant,  la  ville  était  exactement 
bloquée  ;  mais,  outre  qu'elle  ne  manquait  ni  de  munitions,  ni  de  provi- 
sions, elle  avait  l'espoir  d'être  bientôt  secourue  par  le  cardinal  Albert 
d'Autriche,  frère  de  l'archiduc  Ernest,  et  que  Philippe  venait  de  nommer 
vice-roi  des  Flandres,  en  remplacement  de  ce  dernier.  En  effet,  on 
venait  d'apprendre  qu'Albert  avait  déjà  fait  son  entrée  à  Bruxelles,  et 
qu'il  se  préparait  à  se  mettre  incessamment  en  campagne  avec  une  nom- 
breuse armée.  (De  Tiiou,  liv.  115.) 

Henri  IV,  sous  prétexte  d'une  partie  de  chasse,  s'était  pendant  ce 
temps-Pa  rendu  a  Follembray,  château  bâti  par  François  I",  dans  la 
forêt  de  Coucy.  Ce  fut  la  que  fut  définitivement  réglé  l'accommodement 
du  duc  de  Mayenne,  négocié  depuis  si  longtemps  par  le  président  Jeannin, 
et  pour  la  conclusion  duquel  la  belle  Gabrielle  d'Estrée  avait  bien  aussi 


i 


I 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  513 

quelque  raison  de  presser  son  royal  amant,  dont  elle  commençait  dès 
lors  a  se  ilatter  de  pouvoir  faire  un  époux.  (Pi:i\t:FixE,  S*"  partie.) 

A  Toccasion  de  ce  traité,  il  se  présentait  pourtant  une  assez  grave 
diflicullé.  Henri  IV,  a  son  avènement  au  trône,  avait  juré  de  ne  point 
accorder  d'amnistie  à  ceux  qui  avaient  pris  part  à  l'assassinat  de 
Henri  III  ;  et  dans  tous  les  traités  qui  avaient  été  faits  précédemment, 
il  avait  été  soigneusement  stipidé  que  la  reine  Louise,  veuve  du  défunt 
monarque,  avait  toujours  le  droit  de  poursuivre  devant  les  tribunaux 
ceux  qui  seraient  soupçonnés  d'avoir  coopéré  au  meurtre  de  son  mari. 
Mayenne  avait  de  bonnes  raisons  pour  ne  pas  vouloir  d'une  pareille  res- 
triction ;  et  il  exigeait  qu'avant  toutes  clioses,  le  roi  le  reconnût  innocent 
et  absous  de  tonte  inculpation  à  cet  égard.  On  trouva  moyen  de  tourner 
cette  difficulté  :  Sa  Majesté  se  fit  apporter  les  pièces  de  l'instruction,  qui 
avait  été  faite  par  le  Parlement,  au  sujet  de  ce  régicide,  et  après  les 
avoir  examinées,  ou  avoir  feint  de  les  examiner,  elle  déclara  que 
Mayenne  lui  paraissait,  ainsi  que  les  autres  princes  et  princesses  de  sa 
famille,  n'avoir  participé  en  aucune  laçon  a  ce  crime  abominable;  (ju'en 
conséquence,  il  leur  avait  permis  de  s'en  justifier  par  serment  en  sa 
présence  :  défendant  au  procureur  général  et  a  toute  cour  de  justice  de 
faire  informations  ou  procéder  à  l'avenir  pour  ce  sujet  contre  aucun  des 
dits  princes  et  princesses.  (De  Thou,  iibi'Sup.) 

Toutes  les  autres  conditions  lurent  faciles  à  régler;  car,  d'une  part, 
le  duc  de  Mayenne  n'avait  plus  guère  d'autre  moyen  de  se  tirer  d'affaire, 
'a  moins  (pie  de  se  livrer  pieds  et  poings  liés  'a  l'Espagnol,  qui  lui  aurait 
fait  chèrement  acheter  une  protection  déshonorante  ;  et  d'autre  part, 
Henri  regardait  la  réconciliation  de  ce  prince,  chef  de  la  Ligue,  comme 
fort  importante  pour  la  tranquillité  coniplète  de  son  royaume.  Il  est  vrai 
qu'il  eût  pu  l'obtenir  a  meilleur  marché  ;  mais  était-il  en  son  pou- 
voir de  refuser  quelque  chose  aux  sollicitations  de  la  charmante 
Gabrielle  ? 

L'édit  de  cette  réconciliation  fut  donc  dressé  au  mois  de  janvier. 
Il  accordait  à  Mayenne  amnistie  complète  de  tout  le  passé,  «  attendu, 
était-il  dit,  que  ceux  qui  manquent  a  ''obéissance  due  a  leur  souverain 
peuvent  être  regardés  comme  excusables,  (piand  ils  n'ont  agi  que  par 
zèle  pour  la  religion,  qui  remue  si  puissamment  les  cœurs  des  hommes.  » 
On  lui  donnait  trois  places  de  sûreté  pour  six  ans,  savoir  :  Chàlonssur- 
Saône,  Seurre  en  Bourgogne  et  Soissons.  Lui  et  ce»ix  de  son  parti  étaient 
rétablis  dans  tous  les  biens,  charges  et  bénéfices  dont  ils  avaient  pu  être 
dépouillés  par  jugement  ou  autrement,  'a  cause  de  leur  révolte.  Seule- 
ment, on  leur  imposait  la  condition  de  prêter  serment  de  fidélité  au  roi, 
et  de  renoncer  pour  toujours  à  toute  Ligue  contractée  soit  au  dedans, 
soit  au  dehors  du  royaume.  Les  emplois  donnés  par  le  duc,  en  sa  qua- 
lité de  lieutenant-général  de  l'État  de  France,  étaient  conservés  à  ceux 
qu'il  en  avait  revêtus,  les(|uels  n'étaient  tenus  que  d'en  prendre  de  nou- 
velles lettres  du  roi  ou  de  son  chancelier.  Enfin,  pour  mettre  le  comble 
à  tant  de  grâces,  le  roi  se  chargeait  de  payer  toutes  les  dettes  du  dit 
IV.  33 


514  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

seigneur  duc  et  celles  de  ses  amis,  comme  contractées  pour  le  service 
de  rÉlat.  Mayenne  obtint  en  outre  pour  son  fils  aîné  le  gouvernement 
de  rile-de  France,  a  Texception  de  la  ville  de  Paris,  dont  on  fit  un  gou- 
vernement a  part 

Quand  cet  édit  fut  porté  au  Parlement  pour  être  enregistré,  tout  le 
monde  se  montra  indigné  de  ce  qu'on  abandonnait  aussi  facilement  la 
vengeance  du  parricide  commis  sur  le  feu  roi.  Personne,  cependant, 
n'osait  élever  la  voix  :  il  n'y  eut  que  la  duchesse  d'Angoulème,  sœur 
naturelle  de  Henri  III,  qui  vint  hautement  interjeter  opposition  en  son 
propre  nom  et  en  celui  de  la  reine  Louise,  par  laquelle  elle  s'était  fait 
signer  un  pouvoir.  La  cour  prononça  donc  qu'il  serait  donné  acte  de 
cette  opposition  à  la  requérante  pour  servir  en  temps  et  lieu,  et  que, 
néanmoins,  on  procéderait  toujours  a  l'enregistrement  de  l'édit,  confor- 
mément a  l'ordre  exprès  du  roi  manifesté  déjà  par  deux  lettres  de  jus- 
sion.  Il  fut  en  outre  stipulé  que  monsieur  le  duc  de  Mayenne,  avant  de 
pouvoir  prendre  sa  place  comme  pair  dans  aucune  assemblée  du  Parle- 
ment, serait  tenu  de  déclarer  que  les  auteurs  et  fauteurs  de  l'attentat 
commis  sur  la  personne  du  feu  roi  étaient  des  infâmes  et  des  scélérats 
exécrables.  On  l'obligeait  aussi  à  donner  parole  que  si,  dans  les  places 
de  sûreté  que  Sa  Majesté  lui  accordait,  il  se  trouvait  ou  se  réfugiait 
quelque  complice  de  ce  régicide,  il  le  ferait  lui-même  arrêter  et  le 
livrerait  à  la  justice  de  la  cour. 

Quand  on  apprit  ces  conditions,  Gabrielle  et  les  autres  amis  que  le 
duc  s'était  faits  décidèrent  le  roi  à  envoyer  une  nouvelle  lettre  de 
jussion,  par  laquelle  Sa  Majesté  déclarait  que  son  intention  irrévocable 
était  qu'aucune  restriction  ne  fût  mise  a  la  grâce  par  elle  accordée  à 
Monsieur  le  duc.  Le  Parlement  décida  alors  qu'il  enregistrerait  l'édit 
purement  et  simplement,  en  mentionnant  que  c'était  «  vu  la  nécessité 
de  l'État  et  l'ordre  de  Sa  Majesté  ».  Henri  IV  ordonna  encore  que  cette 
mention  fût  supprimée,  attendu  qu'elle  semblait  faire  entendre  que  la 
délibération  n'aurait  pas  été  tout  'a  fait  libre.  Il  fallut  se  soumettre  'a  cet 
ordre  du  maître,  et  Mayenne  fut  réhabilité  complètement  et  sans  res- 
triction, au  grand  mécontentement  de  plusieurs. 

Ce  fut  aussi  a  Follembray  que  le  roi  donna  l'édit  de  réconciliation  en 
faveur  du  nouveau  duc  de  Nemours,  avec  amnistie  également  complète 
pour  tout  le  passé  ;  et  le  Parlement  enregistra  sans  opposition,  quoiqu'il 
y  eût  bien  pourtant  quelques  réclamations  a  faire  contre  ce  prince,  qui, 
lorsqu'il  n'était  encore  que  marquis  de  Saint-Sorlin,  avait  fait  fondre  à 
son  profit  c(  les  ornements  royaux  et  jusqu'à  la  couronne  qu'il  avait  été 
prendre  'a  Saint-Denis  ». 

Henri  donna  encore  un  troisième  édit,  toujours  daté  de  Follembray  ; 
et  celui-ci  concernait  la  ville  de  Toulouse  et  le  duc  de  Joyeuse. 

Or,  dès  l'année  précédente,  le  Parlement  de  Toulouse,  à  la  nouvelle 
de  l'abjuration  du  roi,  s'était  partagé  en  deux  factions  :  une  partie  des 
membres  de  cette  cour  voulait  reconnaître  Henri  IV  pour  souverain  ; 
mais  Joyeuse  s'était  opposé  'a  cette  résolution,  sous  prétexte  que  le  Pape 


I 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  515 

ne  s'était  pas  encore  prononcé  sur  la  validité  de  la  conversion  du  prince. 
Ceux  des  présidents  et  conseillers  qui  étaient  bien  disposés  pour  Sa 
Majesté  sortirent  de  la  ville  et  se  retirèrent  a  Castel-Sarrazin,  où  ils  se 
mirent  sous  la  protection  du  maréchal  de  Matignon,  gouverneur  de  la 
Guyenne,  et  sous  celle  du  duc  de  Ventadour,  lieutenant  du  roi  en  Lan- 
guedoc, y  commandant  pendant  l'absence  du  connétable  de  Montmo- 
rency. Il  lut  décidé  alors  (pi'on  irait  mettre  le  siège  devant  Toulouse. 
Comme  les  deux  généraux  royalistes  n'avaient  pas  à  leur  disposition  des 
troupes  suflisantes,  on  tenta  auparavant  plusieurs  démarches  pour  en- 
gager Joyeuse  'a  se  soumettre  de  bonne  grâce  à  Sa  Majesté.  (Mézerav, 
t.  m,  p.  1126.) 

r*endanl  ces  pourparlers,  qui  n'avaient  encore  amené  aucun  résultat, 
les  villes  de  Rhodez  et  de  Cordes  ouvrirent  leurs  portes  au  maréchal, 
et  la  fraction  du  Parlement  qui  se  trouvait  a  Castel-Sarrazin  rendit 
contre  Joyeuse  et  contre  les  Ligueurs  un  arrêt  qui  enjoignait  à  tous  les 
bons  Français  de  les  traiter  comme  rebelles.  Alors,  Joyeuse,  irrité  de 
cet  arrêt  qu'il  appelait  une  insolence,  sortit  de  Toulouse,  à  la  tête  de 
presque  toute  la  noblesse  de  la  Comté,  (ju'il  croyait  de  son  parti.  Il  mar- 
cha contre  Castel-Sarrazin,  qu'il  ht  aussitôt  canonner  par  son  artillerie, 
dans  le  dessein  d'intimider  ces  gens  de  robe,  qui  avaient  osé  procéder 
contre  lui. 

Bientôt  pourtant  il  lut  obligé  de  cesser  cette  attaque  'a  main  armée  ; 
car  il  apprit  (jue  Narbonue  et  Carcassonne  venaient  de  se  soulever  contre 
lui  et  de  reconnaître  le  roi.  Il  revint  donc  'a  Toulouse,  où  il  commença 
à  comprendre  que  le  vœu  général  de  toutes  les  populations  de  ces  con- 
trées tendait  enhn  vers  la  paix,  et  que  par  conséquent  ce  (ju'il  avait  de 
mieux  a  faire  était  de  traiter  sans  retard  avec  le  roi,  en  tâchant,  comme 
tant  d'autres,  d'obtenir  les  conditions  les  plus  avantageuses  possibles. 
Son  frère,  le  cardinal  de  Joyeuse,  qui  avait  déjà  eu  le  bon  esprit  de  se 
montrer  favorable  à  Henri  IV ,  quand  il  s'était  agi  de  la  réconciliation  de 
ce  prince  avec  la  cour  de  Rome,  se  chargea  de  ménager  cet  arrangement 
avec  Sa  Majesté,  et  sa  peine  ne  fut  pas  perdue.  Le  monarque  accorda 
au  noble  capucin  redevenu  général  le  bâton  de  maréchal  de  Franco,  en 
échange  de  sa  soumission.  L'édit  donné  en  sa  laveur  portait  que  le  zèle 
seul  pour  la  conservation  de  la  religion  avait  poussé  un  homme  aussi 
pieux,  a  faire  tout  ce  qu'il  avait  fait,  pendant  le  cours  de  ces  guerres  ; 
et,  en  conséquence,  on  lui  laissait  son  commandement  de  Toulouse.  Par 
le  même  édit,  le  culte  catholique  était  rétabli  dans  tous  les  lieux  de 
cette  Comté  où  il  avait  été  supprimé,  avec  défense  aux  huguenots  de 
tenir  leurs  assemblées  dans  aucun  autre  lieu  plus  rapproché  de  la  ville 
que  Villemur,  Carmain  et  l'Ile-Jourdain.  Ceux  des  membres  du  Parle- 
ment qui  avaient  abandonné  Toulouse  reçurent  l'ordre  de  venir  s'y 
réinstaller;  les  autres  tribunaux  inlérieurs  et  le  bureau  des  trésoriers 
de  France,  qui  pendant  les  troubles  avaient  été  s'établir  ailleurs,  furent 
également  rappelés,  et,  en  outre,  le  roi  ordonna  de  raser  tous  les  forts 
qui  avaient  été  bâtis  par  les  dilférents  partis  pour  gêner  la  liberté  des 


516  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

citoyens.  Cet  édit  fut  lu  et  publié  a  Toulouse,  le  quatorzième  jour  de 
mars  1596. 

Au  reste,  tous  ces  édits  et  traités,  que  Sa  Majesté  se  vit  forcée  de 
faire  en  faveur  des  princes,  des  grands  et  des  villes  ligueuses,  étaient  au 
résumé  ruineux  pour  l'État,  auquel  ils  coûtèrent  des  sommes  immenses, 
qu'on  porte  a  plus  de  six  millions  d'écus  ;  en  outre,  par  suite  de  cette 
reconnaissance  des  actes  faits  par  les  divers  pouvoirs  qui  s'étaient  dis- 
puté la  France,  il  se  trouvait  presque  partout  deux  et  souvent  trois 
titulaires  pour  une  même  charge  et  qui  s'en  faisaient  payer  très  exacte- 
tement  les  appointements  et  les  revenus.  Pour  faire  face  a  toutes  ces 
dépenses,  il  fallut  charger  d'impôts  un  malheureux  peuple  que  la  guerre 
avait  déjà  à  peu  près  épuisé.  Aussi  beaucoup  de  familles,  même  des  plus 
notables  de  la  bourgeoisie,  virent-elles  a  cette  époque  leur  fortune 
anéantie,  et  tombèrent  alors  dans  une  sorte  de  dégradation  qui  les  fit 
bientôt  disparaître.  Henri  IV  avait  trouvé  le  corps  social  dans  une  dis- 
solution complète,  et  il  n'avait  que  le  temps  de  s'occuper  du  mal  le  plus 
pressant,  se  réservant  de  songer  plus  tard,  s'il  en  avait  le  loisir,  a 
réparer  les  désordres  que  ses  remèdes  devaient  causer  dans  des  organes 
moins  nobles  et  moins  importants.  (DeThou,  ubi  siip.) 

Il  ne  restait  plus  guère  à  pacifier  que  la  Provence  et  la  Bretagne.  Le 
roi  venait  de  donner,  comme  on  l'a  vu,  le  gouvernement  de  la  pre- 
mière de  ces  deux  provinces  au  duc  de  Guise.  Lesdiguières  avait  en 
même  temps  reçu  l'ordre  de  Sa  Majesté  de  guider  ou  plutôt  de  surveil- 
ler le  nouveau  gouverneur  dans  la  lutte  qu'il  allait  avoir  à  soutenir 
contre  d'Épernon  et  contre  les  Ligueurs  de  ce  pays.  Or,  toute  l'expé- 
rience d'un  des  plus  renommés  capitaines  de  cette  époque  ne  semblait 
pas  de  trop  pour  une  pareille  besogne  ;  aussi.  Guise  avait-il  bien  promis 
au  roi  de  suivre  toujours  les  avis  de  Lesdiguières,  qu'il  regarderait  comme 
un  père. 

Monsieur  de  Fresne,  secrétaire  d'État,  avait  été  envoyé  d'avance 
pour  faire  savoir  au  duc  d'Épernon  les  intentions  de  Sa  Majesté.  Le  duc 
était  sommé  de  retirer  ses  gens  de  guerre  de  la  Provence  et  de  venir  à 
la  cour  rendre  compte  de  sa  conduite  ;  mais  celui-ci,  alléguant  les  grands 
frais  qu'il  avait  déjà  faits  pour  conserver,  disait-il,  ces  pays  a  la  France, 
répondit  qu'il  ne  serait  pas  juste  que  tant  de  peines  n'eussent  d'autre 
résultat  que  d'établir  Monsieur  de  Guise  dans  un  gouvernement  dont  lui- 
même  avait  été  légitimement  pourvu  par  le  feu  roi  ;  et  il  refusa  d'obéir. 
(Cayet,  liv.  8,  1596.) 

La  Parlement  d'Aix,  n'eut  pas  plus  tôt  connaissance  de  celte  rébellion, 
que  faisant  publier  les  lettres-patentes  par  lesquelles  le  roi  donnait  le 
gouvernement  de  la  Provence  au  duc  de  Guise,  il  les  accompagna  d'un 
arrêt  foudroyant  contre  d'Épernon  et  ses  adhérents,  «  enjoignant  a  tous 
les  Gascons,  sous  peine  de  lèze-majesté,  de  vuider  et  de  laisser,  dans  la 
huitaine,  toutes  les  villes  et  forteresses  qu'ils  tenaient,  et  d'avoir  à  se 
retirer  dans  leur  pays.  »  (Mézerav,  t.  III,  p.  1162.) 

Pour  lors  Lesdiguières,  après  avoir  levé  quelques  troupes  à  ses  frais, 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  517 

s'en  vint  assiéger  Sisteron.  Déjà  il  s'était  emparé  du  faubourg  de  la 
liauine,  et  il  envoyait  courriers  sur  courriers  au  duc  de  Guise  qui  venait 
de  l'aire  son  entrée  a  Aix,  et  qui  ne  se  pressait  toujours  pas  d'arriver  ; 
car,  toute  réflexion  faite,  Guise  n'était  pas  très  curieux  de  contribuer, 
comme  en  sous  ordre,  aux  exploits  d'un  homme  qu'on  lui  avait  donné 
pour  surveillant.  Quelques  flatteurs  même  lui  conseillèrent  d'écrire 
secrètement  au  gouverneur  de  la  place  assiégée  qu'au  cas  où  il  serait 
sommé  de  se  rendre,  il  répondit  (|u'il  ne  voulait  avoir  a  traiter  qu'avec  le 
duc  de  Guise,  ce  que  le  gouverneur  ne  man(iua  pas  de  faire,  et  pendant 
que  Lesdiguières,  ne  soupçonnant  rien  de  la  mauvaise  volonté  du  duc, 
s'étonnait  d'une  pareille  réponse  et  des  retards  de  ce  jeune  prince,  mis 
sous  sa  direction  par  le  roi  lui-même,  d'É|)ernon  eut  le  temps  de  faire 
entrer  dans  la  ville  un  renfort  de  deux  cents  hommes  avec  des  muni- 
tions. Guise  arriva  alors,  et  se  hâta  de  conclure  avec  le  gouverneur,  qui 
avait  si  bien  suivi  ses  instructions,  une  sorte  de  capitulation  par 
laquelle  celui-ci  devait  rester  dans  sa  ville  avec  sa  garnison.  (De  Thou, 
ubi  sup.) 

Lesdiguières,  blessé  profondément  par  un  pareil  procédé,  dissimula 
toutefois  son  mécontentement,  comptant  que  le  roi  lui  ferait  justice 
plus  tard.  Il  ignorait  que  Henri  était  devenu  lui-même  le  premier  auteur 
de  l'afl'ront  qu'on  lui  faisait  essuyer.  Sa  Majesté,  en  effet,  soit  qu'elle 
eût  été  gagnée  par  les  ennemis  de  ce  grand  capitaine,  soit  qu'elle  crai- 
gnît que  la  religion  que  celui-ci  professait  n'excitât  quelques  méconten- 
tements parmi  les  catholiques  provençaux,  soit  enfin  qu'elle  ne  voulût 
pas  <|u'il  se  rendit  trop  puissant  en  ce  pays-lâ,  où  il  était  déjà  fort 
aimé,  avait  envoyé  un  ordre  secret  pour  qu'on  l'empêchât  a  tout  prix 
de  s'emparer  de  Sisteron.  (Mkzkray,  t.  III,  p.   1163.) 

Il  s'en  alla  donc,  sans  se  douter  encore  de  rien,  assiéger  la  ville  de 
Riez  ;  mais  la  encore  Guise  vint  accorder  une  capitulation  toute  sem- 
blable a  celle  de  Sisteron  ;  et  Lesdiguières,  (pii  voulait  absolument 
prendre  quelque  chose,  pour  rentrer  dans  les  (rais  que  lui  avait  coûtés 
son  armement,  tomba  inojjinément  sur  Auriol  qu'il  prit,  avant  qu'on 
eût  eu  le  temps  de  lui  ravir  encore  cette  proie.  Il  y  lit  une  vingtaine  de 
bons  prisonniers,  et  outre  le  butin  recueilli  dans  la  place  qu'il  livra  au 
pillage,  il  emmena  avec  lui  cent  cinquante  chevaux.  (De  Tiiou,  ubi 
supra.) 

Ensuite,  voyant  enfin  clairement  qu'il  ne  pouvait  plus  rien  avancer 
dans  la  Provence,  ni  pour  les  affaires  du  roi,  ni  pour  les  siennes  propres, 
il  s'en  retourna  en  Dauphiné,  prenant  pour  prétexte  la  nécessité  d'aller 
apaiser  le  mécontentement  général  des  populations  de  la  campagne, 
excessivement  foulées  par  les  gens  de  guerre.  (Mézerav,  t.  III, 
p.  110  L) 

Après  son  départ.  Guise,  se  trouvant  seul  maître  de  toutes  les  forces 
royalistes  de  la  Provence,  s'occupa  sérieusement  à  en  chasser  d'Épcr- 
non  et  à  y  éteindre  les  restes  du  parti  de  la  Ligue.  Marseille  était 
comme  on  sait  la  capitale  de  cette  dernière  faction  dans  ces  contrées. 


518  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Le  premier  consul  Casault  et  le  viguier  Louis  d'Aix  y  dominaient  en 
maîtres  absolus,  depuis  Tannée  1589,  et  pendant  ces  six  ans  de  tyrannie, 
ils  avaient  ou  chassé  de  la  ville,  ou  renfermé  dans  les  prisons,  tous 
ceux  qui  auraient  pu  tenter  de  renverser  leur  puissance  usurpée.  En 
voyant  la  Ligue  presque  partout  abattue,  ils  avaient  songé  à  conserver  au 
moins  une  partie  de  ce  qu'ils  avaient  acquis  sous  ombre  de  servir  cette 
faction,  et  ils  n'avaient  pas  trouvé  de  meilleur  moyen  que  d'implorer  la 
protection  de  l'Espagne.  Ils  venaient  donc  de  faire  entrer  dans  le  port 
sept  galères  espagnoles  avec  douze  cents  soldats,  sous  la  conduite  du 
jeune  prince  de  Doria.  (Cavet,  liv.  8.) 

Le  duc  de  Guise,  avant  de  hasarder  l'attaque  d'une  ville  aussi  impor- 
tante et  aussi  bien  défendue,  chargea  le  comte  de  Carces  de  s'emparer 
d'abord  de  toutes  les  places  d'alentour,  et  dont  les  garnisons,  soit  éper- 
noiiistes,  soit  ligueuses,  auraient  pu  contrarier  ses  opérations.  Martigues, 
la  Tour-du-Bouc,  Grasses,  Hyères  et  Draguignan  se  rendirent,  sans  qu'on 
eût  besoin  de  tirer  un  seul  coup  de  canon  ;  mais  il  fallut  assiéger 
dans  toutes  les  règles  le  fort  de  Saint-Tropez,  où  d'Epernon  entretenait 
une  nombreuse  et  brave  garnison. 

Pendant  que  le  duc  lui-même  s'occupait  de  ce  siège,  un  avocat 
nommé  Bausset,  l'un  des  exilés  de  Marseille,  vint  le  trouver  et  lui  confia 
qu'un  certain  Libéria,  qui  avait  à  Marseille  le  commandement  de  la 
porte  royale,  était  résolu  ainsi  que  plusieurs  de  ses  amis  de  la  ville  de 
tout  tenter,  plutôt  que  de  s'assujettir  a  la  domination  espagnole  ;  qu'il 
offrait  d'admettre  par  la  porte  qu'il  commandait  tous  ceux  de  l'armée 
royale  qu'on  voudrait  y  faire  entrer,  pour  remettre  Marseille  sous  l'o- 
béissance du  roi.  Guise  entra  avec  empressement  en  correspondance 
avec  le  capitaine  Liberta  et  lui  promit  la  place  de  viguier,  avec  toutes 
sortes  de  récompenses  pour  tous  ceux  qui  s'emploieraient  'a  faire  réussir 
une  pareille  entreprise. 

Le  président  Bernard,  intendant  de  justice  en  cette  ville  au  nom  de 
l'union  et  qui  toutefois  tenait  secrètement  pour  le  parti  royaliste,  fut 
mis  dans  le  complot  ;  Guise  en  fixa  l'exécution  au  dix-septième  jour  de 
février,  et  lui-même,  ayant  subitement  rappelé  ses  troupes  occupées  à 
divers  sièges  de  moindre  importance,  les  conduisit  en  grand  secret 
jusque  sous  les  murs  de  Marseille,  où  il  arriva  dans  la  soirée  du 
seize. 

La  nuit  était  noire  et  pluvieuse  ;  le  capitaine  Liberta,  en  voyant  le 
temps  si  mauvais,  craignit  qu'il  n'eût  emêché  le  duc  de  Guise  de  se 
trouver  au  rendez-vous.  Il  fit  sortir  un  de  ses  amis  pour  aller  h  la 
découverte,  et  celui-ci  revint  bientôt  annoncer  que  l'armée  royale  était 
tout  près  du  rempart. 

Mais  un  moine  qui  revenait  d'un  couvent  voisin  et  qui  était  aussi 
rentré  par  une  autre  porte  courut  dire  au  viguier  qu'il  avait  aperçu  h 
quelques  centaines  de  pas  de  la  ville  une  troupe  de  soldats,  et  qu'il 
avait  tout  lieu  de  croire  que  c'étaient  des  ennemis  ;  sur  cet  avis,  Louis 
d'Aix,  après  avoir  envoyé  prévenir  Casault  et  sans  vouloir  l'attendre,  se 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  519 

dirigea  vers  la  porte  royale  avec  vingt  moiis([netaires  de  sa  garde,  et  se 
la  lit  ouvrir  pour  aller  voir  ce  qui  se  passait  dans  la  campagne. 

Dès  qu'il  fut  dehors,  Liberta  fit  baisser  la  herse  ;  et  le  viguier,  voyant 
d'une  part  sa  retraite  coupée,  et  d'autre  part  la  cavalerie  du  duc  de 
(Juise  qui  courait  à  toute  bride  contre  lui,  se  sauva  du  côté  du  port  où, 
franchissant  les  murailles,  qui  étaient  fort  basses  de  ce  côté-la,  il  eut  le 
bonheur  de  trouver  un  bateau  qui  le  ramena  promptement  dans  la  ville. 
(Mattiueu,  Hist.  des  dern.  troubles,  p.  02  et  suiv.) 

Ceux  des  Ligueurs  qui  étaient  sur  le  rempart  du  côté  où  les  royalistes 
arrivaient,  n'ayant  aucun  soupçon  du  complot,  firent  feu  ;  et  Guise, 
voyant  plusieurs  de  ses  gens  tomber  sous  cette  décharge,  et  que  la 
porte  de  la  herse  était  baissée,  crut  que  Liberta  l'avait  attiré  dans  un 
piège,  ce  qui  pourtant  n'était  pas  ;  car  celui-ci  marchait  alors  à  la 
rencontre  de  Casault  dont  on  venait  de  lui  annoncer  rai)proche.  L'ayant 
trouvé  qui  venait  pour  prêter  aide  'a  son  collègue,  il  lui  donna  de  son 
épée  au  travers  du  corps,  en  lui  disant  :  «  Méchant  traître,  tu  veux 
vendre  ta  ville  aux  Espagnols  ;  mais  je  t'en  empêcherai  bien.  »  Quelques 
soldats  du  capitaine  achevèrent  ce  malheureux,  pendant  que  Liberta 
défendait  à  son  tour  sa  vie  contre  quatre  des  gardes  du  consul,  qui 
s'étaient  acharnés  sur  lui  pour  venger  leur  maître.  Mais  il  fit  si  bonne 
contenance,  qu'ayant  été  rejoint  par  quelques-uns  des  siens,  il  mit  les 
assaillants  en  fuite,  sans  avoir  reçu  d'autre  blessure  qu'un  coup  de 
sabre  qui  lui  coupa  le  petit  doigt  de  la  main  droite. 

Les  autres  gardes  qui  avaient  accompagné  le  consul  étaient  dans  la 
stupeur  en  voyant  leur  chef  étendu  mort.  Liberta  leur  promit  la  vie  sauve 
et  qu'il  ne  leur  serait  fait  aucun  mal  s'ils  se  rangeaient  de  son  côté  ;  et 
comme,  au  même  moment  ils  virent  une  foule,  de  bourgeois  à  qui  on 
avait  l'ait  part  de  l'entreprise  accourir  par  toutes  les  rues,  les  uns  pour 
grossir  les  troupes  du  capitaine,  les  autres  pour  désarmer  les  divers 
corps  de  garde  et  s'emparer  des  portes,  ils  jugèrent  plus  sûr  pour  eux 
d'accepter  la  proposition  qui  leur  élait  laite. 

Cependant,  un  des  conjurés  sortit  pour  aller  annoncer  'a  Monsieur  de 
Guise  la  mort  du  consul  Casault,  et  le  duc,  rassuré  par  cette  nouvelle, 
fit  avancer  toutes  les  troupes  vers  la  porte  royale  qu'on  venait  de  lui 
ouvrir.  Mais  Louis  d'Aix  avait  eu  le  temps  d'assembler  aussi  ses  amis, 
et  déjà  il  allait,  donnant  ordre  par  les  corps  de  garde  qui  étaient  sur 
son  passage,  rassurant  chacun  du  mieux  qu'il  pouvait.  Le  fils  de  Casault 
le  suivait,  affirmant  que  son  père  n'était  pas  même  blessé,  tellement 
que  ceux  jdes  habitants  qui  l'entendaient  parler  ainsi  ne  savaient  plus 
'a  quoi  se  résoudre.  Louis  d'Aix,  profilant  de  cette  incertitude,  allait  les 
entraîner  a  sa  suite,  pour  attaquer  la  porte  par  laquelle  les  bataillons 
royalistes  avaient  déj'a  commencé  'a  entrer.  Mais  ces  troupes  le  char- 
gèrent si  vivement  qu'il  fut  contraint  de  tout  abandonner.  Alors  le 
président  Bernard  se  mit  a  l'œuvre  de  son  côté  :  il  rassembla  autour  de 
lui  tous  ceux  des  bourgeois  les  plus  notables  qu'il  put  rencontrer,  et 
s'en  alla  avec  eux  joindre  les  soldats  du  duc. 


520  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

D'Aix,  qui  s'était  retiré  dans  l'hôtel  de  ville,  où  il  résistait  encore  avec 
cinq  ou  six  cents  hommes  qui  l'avaient  suivi,  put  au  même  instant  remar- 
quer l'hésitation  des  siens  a  la  vue  des  principaux  de  leur  ville,  qui  s'avan- 
çaient pour  les  combattre  ;  il  courut  avec  le  fds  du  consul  se  jeter 
dans  une  barque,  afin  de  gagner  quelqu'un  des  forts  du  dehors,  qui 
n'étaient  point  encore  au  pouvoir  de  ses  adversaires,  promettant  de 
revenir  avec  des  secours.  Mais  aussitôt  qu'il  fut  parti,  ceux  qu'il  aban- 
donnait ainsi  se  mirent  a  crier  :  «  Vive  le  roi  !  »  Tous  les  autres  corps 
delà  ville  imitèrent  cet  exemple,  et  à  mesure  que  les  royalistes  se  pré- 
sentèrent pour  les  attaquer,  ils  criaient  :  «Vive  le  roi,»  de  sorte  qu'en 
quelques  heures  cette  grande  ville,  qui  était  déjà  presque  espagnole,  rede- 
vint toute  française. 

Il  ne  restait  plus  a  prendre  dans  l'intérieur  que  quelques  bastions  et 
la  tour  Saint-Jean,  qui  tient  l'embouchure  du  port  :  le  jeune  prince  Doria 
ne  se  donna  pas  le  temps  d'attendre  la  prise  de  celte  tour,  pour  l'aire  sa 
retraite  avec  ses  galères  et  ses  Espagnols  ;  il  y  mit  tant  de  précipitation 
que  la  plupart  oublièrent  d'emporter  leurs  armes,  et  que  lui-même 
abandonna  la  plus  grande  partie  de  ses  bagages.  Quant  à  Louis  d'Aix  et 
au  jeune  Casault,  le  premier  s'était  retranché  dans  l'abbaye  Saint-Victor, 
et  l'autre  dans  le  fort  Notre-Dame-de-la-Garde. 

Monsieur  de  Guise  fit  alors  son  entrée  dans  la  ville,  il  fut  reçu  a  la 
porte  par  le  président  Bernard  et  par  Liberta,  qui  fut  incontinent  pro- 
clamé viguier  ;  puis  on  alla  a  l'église  de  la  Majour,  où  les  chanoines 
en  signe  d'allégresse  lui  présentèrent  'a  baiser  la  vraie  croix  et  chan- 
tèrent le  Te  Deum,  pendant  que  la  foule  criait  :  «  Vive  le  roi  !  vive  le 
duc  de  Guise  !  vive  le  capitaine  Liberta  !  a  bas  les  Espagnols  !  »  et 
que  les  soldats  royalistes,  secondés  des  galériens  dont  on  venait  de 
rompre  les  fers,  s'occupaient  a  piller  les  maisons  de  Casault  et  de  Louis 
d'Aix. 

Le  lendemain,  une  parole  courut  qu'il  fallait  mettre  à  bas  la  forte- 
resse bâtie  par  les  tyrans,  «  et  il  n'y  eut  lils  de  bonne  mère  qui.  n'y  mit 
la  main,  sans  avoir  égard  a  la  solennité  du  jour,  lequel  se  trouvait  être 
un  dimanche  ;  aussi  ce  fut  un  ouvrage  bientôt  terminé.  »  (Cayet,  uhi 
supra.) 

Pendant  ce  temps-l'a,  d'Aix,  qui  était  toujours  dans  l'abbaye  Saint- 
Victor,  trouva  le  moyen  de  se  sauver  par  le  moyen  d'une  corde  qui  lui 
aida  a  descendre  dans  le  fossé.  Après  avoir  erré  toute  la  nuit  à  travers 
la  campagne,  il  alla  se  cacher  'a  la  pointe  du  jour  dans  une  masure  où 
il  demeura  près  de  vingt-quatre  heures  sans  manger  ;  jusqu'à  ce  qu'ayant 
aperçu  un  pêcheur  au  bord  de  la  mer,  il  parvînt  a  le  décider  en  lui  don- 
nant sa  chaîne  d'or  a  le  conduire  aux  galères  d'Espagne,  qui  étaient 
encore  en  vue.  (Mézeray,  t.  III,  p.  1169.) 

De  son  côté,  le  jeune  Casault,  qui  s'était  réfugié  dans  le  fort  de  Notre- 
Dame-de-la-Garde,  ne  se  voyant  plus  aucun  espoir  de  secours,  entra  en 
traité  pour  sa  capitulation  ;  il  obtint  qu'il  aurait  la  vie  sauve,  mais  sans 
rien  emporter  des  trésors  qu'avait  extorqués  son  père.  Guise  lui  fournit 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  521 

seulement  une  galère  pour  le  conduire  a  Gênes,  où  11  finit  obscurément 
ses  jours  dans  un  étal  voisin  de  Texlrême  pauvreté. 

D'Épernon  était  alors  a  Brignoles,  sa  résidence  ordinaire  :  le  duc  de 
Guise  lut  averti  (ju'll  venait  de  sortir  de  cette  place,  îi  la  tête  de  trois 
cents  maîtres  et  de  cin(i  cents  fantassins  pour  aller  jeter  du  secours  dans 
la  citadelle  de  Saint-Tropez.  Le  duc  partit  aussitôt,  sans  attendre  même 
la  complète  réduction  de  Marseille,  et  ayant  rencontré  son  rival  près  de 
Vie  d'Aubon,  il  le  cliargea  si  impétueusement  qu'il  le  Ibrça  à  se  jeter 
avec  les  siens  dans  la  rivière  d'Argens,  grossie  alors  par  les  pluies  de 
l'biver,  et  où  la  plus  grande  partie  de  ses  troupes  fut  noyée  ou  assom- 
mée. Telle  était  la  haine  que  les  paysans  de  la  contrée  avaient  conçue 
contre  les  Gascons,  par  suite  de  toutes  les  brutalités  dont  ils  avaient  été 
victimes,  qu'ils  s'étaient  assemblés  en  armes  a  tous  les  gués  et  a  tous 
les  passages  ;  et  la,  attendant  les  fuyards,  ils  leur  faisaient  voir  une 
chèvre  en  leur  disant  :  «  Comment  appelles-tu  cet  animal  ?  »  Celui  qui 
répondait  cabre,  (\m  est  le  nom  provençal,  en  était  quitte  pour  être 
dépouillé;  mais  ceux  qui  répondaient  cavré,  suivant  la  prononciation 
gasconne,  étaient  massacrés  sans  miséricorde. 

Après  cet  échec,  d'Epernon  essaya  encore  de  secourir  Saint-Tropez 
par  nier,  mais  toutes  ses  tentatives  échouèrent,  et  la  citadelle  (nt  'a  la 
lin  obligée  de  se  rendre.  C'était  avec  Brignoles  la  seule  place  de 
quelque  importance  (jui  lui  restât  encore.  Maintenant,  presque  sans 
troupes  et  surtout  sans  ressources,  il  se  voyait  en  quelque  sorte  claque- 
muré dans  cette  dernière  ville. 

Un  paysan  du  petit  bourg  du  Val,  (jui  partageait  la  haine  générale 
contre  cet  ancien  favori  de  Henri  III,  forma  la  résolution  de  le  faire 
périr  pour  venger  tous  les  maux  qu'il  avait  faits  a  la  Provence.  A  cet 
effet,  il  remplit  de  poudre  deux  sacs  comme  si  c'eût  été  des  sacs  de 
blé.  II  mit  dans  chacun  une  batterie  d'arquebuse  dont  le  ressort  tendu 
par  une  corde  dont  les  sacs  étaient  liés  a  leur  ouverture  devait  partir  et 
faire  feu  dès  (ju'on  tenterait  de  les  délier.  Il  porla  ces  sacs  chez  une 
boulangère  dont  le  magasin  était  précisément  au-dessous  de  l'apparte- 
ment qu'occupait  le  duc,  et  il  s'en  retourna  bien  vite  a  son  village.  Les 
garçons  de  la  bonlangerie  voulurent  ouvrir  les  sacs  pour  en  vérifier  le 
contenu,  et  il  se  fit  une  eft'royable  explosion.  Par  bonheur,  les  portes  et 
les  fenêtres  se  trouvèrent  ouvertes  en  ce  moment,  ce  qui  fut  cause  que 
l'effet  de  la  poudre,  ne  trouvant  pas  de  résistance,  ne  renversa  pas  tout 
'a  fait  la  maison,  comme  cela  devait  avoir  lieu  sans  celte  circonstance. 
Le  duc  d'Epernon,  qui  dinait  alors,  en  fut  quille  pour  être  blessé  au 
bras  droit  et  'a  la  cuisse,  et  pour  avoir  la  barbe  et  les  cheveux  brûlés  ; 
mais  les  boulangers  et  tous  ceux  qui  se  trouvaient  en  bas  furent  tués 
sur  le  coup,  et  pres(pie  tous  les  domestiques  qui  servaient  le  dîner 
furent  brûlés  ou  estropiés. 

Le  bruit  de  l'explosion  fit  croire  d'abord  que  l'ennemi  avait  attaché 
le  pétard  aux  portes,  et  (jue  la  ville  allait  être  envahie  :  quand  on  se 
fut  rassuré  de  ce  côté,  et  qu'on  eut  pris  des  informations  sur  la  cause 


522  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

de  ce  désastre,  on  envoya  au  village  du  Val  faire  une  perquisition  dans 
la  maison  du  paysan  qui  avait  apporté  les  sacs,  on  n'y  trouva  plus  per- 
sonne :  cet  homme  était  déjà  parti  pour  Aix,  où  il  était  venu  répandre 
la  nouvelle  que  le  duc  d'Epernon  était  mort  a  l'heure  présente. 

D'Épernon  n'était  pas  mort,  comme  on  l'a  vu  ;  mais  il  avait  eu  une 
telle  frayeur  en  reconnaissant  trop  clairement  qu'il  avait  affaire  à  une 
populace  irritée  et  féroce,  qu'il  ne  songea  plus  dès  lors  qu'a  trouver  un 
moyen  de  se  tirer  d'un  pays  où  sa  perte  était  poursuivie  avec  tant 
d'animosité.  Il  eut  donc  recours  'a  l'intercession  du  connétable  de 
Montmorency,  son  oncle  maternel  ;  et,  ayant  d'abord  obtenu  une  trêve 
qui  fut  faite  et  signée  le  quatorzième  jour  de  mars,  il  acheva  de  conclure 
son  traité  avec  le  roi,  a  condition  qu'il  serait  conlirmé  dans  toutes  ses 
charges  et  dignités  ;  qu'en  outre  de  ses  gouvernements  d'Angoumois,  de 
Saintonge  et  du  Périgord,  on  lui  donnerait  celui  du  Limousin  en  dédom- 
magement de  la  Provence,  qu'il  consentait  a  céder  a  Monsieur  de  Guise  ; 
que  son  fds  aurait  la  surveillance  de  ces  quatre  gouvernements  ;  que 
Sa  Majesté  le  gratifierait  d'une  bonne  somme  de  deniers  comptants  dont 
il  avait,  disait-il,  besoin  pour  payer  ses  dettes.  Ces  articles  ayant  été 
accordés,  il  sortit  enfin  de  la  Provence,  le  quinzième  jour  de  mai,  au 
grand  contentement  de  tout  le  pays. 

Le  roi  était  pendant  ce  temps-l'a  revenu  au  siège  de  La  Fère.  Trou- 
vant que  la  digue  qu'il  avait  fait  commencer  n'était  pas  encore  finie,  il 
laissa  le  maréchal  de  Retz  pour  faire  achever  cet  ouvrage,  dont  il  se  pro- 
mettait un  si  grand  effet,  et  il  s'en  alla  'a  Monceaux  voir  sa  maîtresse 
qui  l'y  attendait.  Gabrielle,  faisant  en  reine  les  honneurs  de  sa  maison, 
lui  présenta  elle-même  Monsieur  de  Mayenne,  qui  était  venu  pour  baiser 
les  mains  de  Sa  Majesté.  Cette  entrevue  eut  lieu  dans  les  allées  du  parc. 
Le  roi  reçut  fort  gracieusement  son  ancien  compétiteur,  et  l'ayant  pris  a 
part,  ils  se  promenèrent  longtemps  en  devisant  de  leurs  affaires.  Mon- 
sieur de  Mayenne,  qui  était  gros  et  chargé  d'embonpoint,  était  tout  essouf- 
flé, et  ne  pouvait  qu'a  grande  peine  suivre  la  marche  rapide  du  monarque. 
«  Vous  voila  rendu,  mon  cousin,  dit  le  roi  en  riant.  Eh  bien,  je  confesse 
que  j'ai  agi  malignement  ;  mais  je  vous  proteste  que  c'est  l'a  l'unique 
vengeance  que  je  veux  prendre  pour  toutes  les  courses  que  vous  m'avez 
fait  faire,  quand  vous  vous  battiez  contre  moi.  Embrassons-nous,  et  soyons 
amis.  —  Sire,  répondit  le  duc,  je  dois  confesser  que  je  n'ai  pas  été 
souvent  heureux  en  combattant  contre  votre  Majesté  ;  mais  ce  n'est 
qu'aujourd'hui  seulement  que  je  me  confesse  tout  à  fait  vaincu  par  votre 
générosité.  Je  ne  veux  plus  être  que  le  plus  fidèle  de  vos  serviteurs.  » 
Et  en  effet,  il  demeura  toujours  depuis  dans  le  devoir  d'un  loyal  sujet, 
comme  aussi  le  roi,  de  son  côté,  se  montra  très  bon  prince  et  exact 
observateur  de  sa  parole.  (Mézeray,  t.  III,  p.  1172.  —  Journal  de 
Henri  IV.  —  Mémoires  de  Villeroy,    1596.  —  Péréfixe,  liv.  2,   1596.) 

Cependant  le  cardinal  Albert,  qui  avait  pris  le  titre  d'archiduc  en 
devenant  vice-roi  des  Pays-Bas,  songeait  'a  secourir  La  Fère  ;  car,  après 
tout,  c'était  la  seule  conquête  un  peu  importante,  qui,  pour  prix  de  tant 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  523 

de  millions  sacrifiés  et  de  tant  de  sang  répandu,  restât  encore  en  France 
au  monarque  espagnol.  Le  capitaine  Baste  fut  donc  chargé  de  conduire 
un  convoi  de  vives  et  de  munitions  aux  assiégés.  Il  assembla  secrètement 
au  Catelet  deux  escadrons  de  chevau-légers,  il  leur  fit  jurer  de  sacrifier 
leur  vie,  s'il  le  fallait,  pour  exécuter  avec  lui  la  commission  dont  il  avait 
juré  lui-même  de  s'acquitter  ;  puis  il  ordonna  à  chaque  homme  de 
prendre  en  croupe  un  sac  de  froment,  de  se  pendre  au  cou  un  paquet 
de  mèche  et  de  poudre,  dont  ceux  de  La  Fère  avaient  le  plus  pressant 
besoin,  et  profitant  de  la  nuit,  il  alla  passer  avec  ses  troupes  la  Somme 
auprès  de  l'abbaye  de  Ferva(|ues,  si  bien  qu'il  se  trouva  en  vue  de  la 
place  a  la  pointe  du  jour.  A  un  signal  dont  on  était  convenu  d'avance, 
le  gouverneur  de  La  Fère  envoya  par  la  rivière  d'Oise  des  bateaux  qu'il 
tenait  tout  prêts,  et  sur  lesquels  les  cavaliers  mirent  promptement  le 
blé  et  les  munitions  dont  ils  s'étaient  chargés.  Le  camp  royal  avait  déjà 
pris  l'alarme;  Baste,  se  voyant  sur  le  point  d'être  attaqué  par  les  nôtres, 
se  rabattit  en  toute  hâte  du  côté  de  la  ville  de  Guise,  satisfait  d'être 
parvenu  à  ravitailler  la  place,  et  il  eut  le  bonheur  d'opérer  sa  retraite 
sans  perdre  beaucoup  de  monde.  Henri,  qui  revint  bien  vite  au  camp, 
ne  trouva  plus  autre  chose  à  faire  qu'à  ordonner  de  fortifier  et  de  garder 
ses  lignes  avec  plus  de  soin,  afin  de  couper  l'entrée  à  tout  nouveau 
secours  de  ce  genre.  (Dr  Thou,  t.  XII,  liv.  M6.) 

Albert,  de  son  côté,  tenait  conseil  sur  les  mesures  'a  prendre  pour 
conserver  la  place  au  roi,  son  maître  ;  l'embarras  était  d'autant  plus 
grand  qu'on  savait  que  les  vivres  et  les  munitions  (|ui  venaient  d'entrer 
dans  La  Fère  suffiraient  a  peine  aux  besoins  d'un  mois.  D'un  autre 
côté,  pour  faire  lever  le  siège  'a  force  ouverte,  il  fallait  risquer  une 
bataille,  et  l'armée  française,  étant  forte  surtout  en  cavalerie,  semblait 
beaucoup  trop  redoutable,  dans  une  plaine  de  dix  lieues,  qu'il  eût  été 
nécessaire  de  traverser  pour  venir  l'attaquer.  Ainsi  après  bien  des 
réiïexions,  on  se  décida  a  faire  une  diversion,  en  se  jetant  sur  quelque 
autre  place  forte  de  la  France,  dont  la  prise,  si  elle  ne  sauvait  pas 
La  Fère,  dédommagerait  au  moins  Philippe  de  celte  perte. 

Ce  fut  Calais  qui  obtint  cette  désastreuse  préférence  :  le  sieur  de 
Rosne,  quoique  français  et  même  parent  de  Sully,  servait  depuis  quel- 
ques années  déjà  dans  les  troupes  espagnoles,  après  avoir  été  l'un  des 
plus  fermes  suppôts  de  la  Ligue  qui  l'avait  môme  nommé  maréchal  de 
France.  Il  n'avait  voulu  faire  sa  paix  avec  le  roi  qu'à  condition  que 
celte  dignité  lui  serait  confirmée  ;  mais  comme  il  n'avait  point  de  places 
fortes  dont  il  fût  maître,  le  roi,  qui  s'était  montré  si  généreux  pour  tant 
d'autres  personnages,  ne  voulut  pas  acheter  celui-ci  à  un  pareil  prix. 
De  Uosne  donc  s'en  vint  représenter  au  cojiseil  de  l'archiduc  que  Calais 
serait  en  effet  une  conquête  aussi  facile  que  brillante.  Le  gouverneur, 
Monsieur  de  Bidossan,  (jui  avait  hérité  de  ce  commandement  par  la  mort 
de  son  oncle,  était  loin  d'avoir  l'expérience  nécessaire  et  la  confiance 
des  habitants.  De  plus,  le  roi,  comptant  sur  la  force  naturelle  de  la  ville, 
n'avait  pris  jusqu'alors  aucune  précaution  pour  la  faire  garder.  Toutes 


524  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

ces  raisons  exposées  avec  art  obtinrent  l'assentiment  général  du  con- 
seil. (Mézeray,  t.  III,  p.  1175.  —  Cayet,  liv.  8,  ubi  sup.  —  De  Thou, 
ubi  sup.) 

Henri,  qui  ne  se  doutait  pas  d'une  pareille  résolution,  venait  alors  de 
faire  achever  la  digue  qui  retenait  les  eaux  de  la  rivière  d'Oise  :  c'était  un 
travail  immense  et  qui  avait  coûté  des  peines  et  des  dépenses  inlinies  ; 
mais  quand  il  la  fit  rompre  pour  lâcher  le  torrent  contre  la  ville,  les 
mesures  avaient  été  si  mal  prises  et  le  niveau  du  terrain  si  mal  calculé 
que  l'inondation  ne  fît  que  peu  de  mal  aux  assiégés,  au  lieu  qu'elle  alla 
couvrir  tout  le  quartier  des  lansquenets  de  l'armée  du  roi,  avec  tant  de 
promptitude  que  ceux-ci,  pour  sauver  leur  vie,  furent  obligés  d'aban- 
donner la  plus  grande  partie  de  leurs  armes  et  de  leurs  bagages. 

L'archiduc,  de  son  côté,  après  avoir  réuni  sans  perdre  de  temps 
quinze  mille  hommes  de  troupes  choisies,  tant  espagnoles  qu'étrangères, 
venait  d'entrer  en  campagne.  Le  roi  s'attendait  d'avoir  bientôt  a  livrer 
une  bataille  contre  cette  armée,  qu'il  se  préparait  'a  bien  recevoir  ;  mais, 
il  ne  parut  dans  le  voisinage  que  quelques  légers  détachements,  destinés 
uniquement  a  distraire  l'attention  des  Français  ;  et  cependant  Albert 
s'en  allait  à  marches  forcées  du  côté  de  Calais,  s'emparant  sur  sa  route 
de  tous  les  postes  par  où  l'on  pouvait  jeter  du  secours  dans  cette  ville. 
De  Rosne,  a  la  tète  d'une  nombreuse  avant-garde,  avait  pris  les  devants 
et  se  trouvait  déjà  sous  les  remparts  de  la  place. 

Calais  est  défendue  du  côté  de  la  terre  par  le  pont  fortifié  du  Nieulet 
qui  traverse  la  rivière  de  l'Aa.  Du  côté  de  la  mer,  la  tour  de  Risban 
protège  le  port  et  en  interdit  l'entrée  aux  vaisseaux  ennemis  qui  tente- 
raient de  s'y  introduire.  Partout  ailleurs,  elle  est  entourée  de  marais 
presque  inabordables  ;  mais  comme  le  gouverneur  était  loin  de  s'attendre 
'a  se  voir  attaqué,  le  pont  du  Nieulet  n'était  gardé  que  par  une  quaran- 
taine de  soldats  assez  mal  équipés,  et  de  Rosne  n'eut  pas  de  peine  à 
l'emporter  d'emblée.  La  tour  do  Risban,  dont  la  garnison  n'était  pas 
beaucoup  plus  nombreuse,  fut  attaquée  presque  au  même  moment.  De 
Rosne  rencontra  la  un  peu  plus  de  résistance,  il  fallut  faire  approcher  le 
canon,  et  donner  un  assaut,  'a  la  suite  duquel  la  tour  fut  emportée  et 
ceux  qui  la  défendaient  massacrés.  Les  Espagnols  étaient  donc  déjà 
maîtres  des  deux  postes  les  plus  importants,  et  d'où  dépendait  le  salut 
de  la  ville,  quand  le  roi  apprit  que  c'était  a  Calais  qu'ils  en  voulaient.  11 
laissa  le  connétable  de  Montmorency  pour  continuer  le  siège  de  La  Fère, 
et  accourut  lui-même  avec  son  régiment  des  gardes  et  environ  cin- 
quante chevaux  ;  mais  quand  il  arriva  a  Saint-Valéry,  il  apprit  que  le 
faubourg  du  Courguet  était  déjà  au  pouvoir  de  l'ennemi.  La  tempête,  qui 
rendait  la  mer  impraticable,  et  qui  avait  déjà  repoussé  une  flotte  hollan- 
daise envoyée  au  secours  de  la  place,  l'empêcha  également  de  s'embar- 
quer et  d'aller  plus  loin.  (Cayet,  liv.  8.) 

L'archiduc,  au  contraire,  avait  promptement  suivi  de  Rosne  ;  et, 
trouvant  tous  les  passagss  libres  par  terre,  il  avait  établi  son  camp  autour 
de  la  ville.  Son  quartier  général  était  auprès  de  Saint-Pierre,  et  il  était 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  525 

protégé  sur  ses  derrières  par  les  marais  et  par  de  bonnes  tranchées 
tirées  partout  où  il  en  était  besoin.  Le  reste  de  ses  troupes,  partagé  en 
forts  détachements  qui  pouvaient  se  prêter  mutuellement  main  forte, 
occupait  toutes  les  autres  avenues  ;  et  un  fort  en  terre  (jue  les  Espagnols 
avaient  construit  sur  le  chemin  de  Boulogne  l'ermait  le  passage  a  tout 
secours  qui  aurait  pu  venir  de  ce  côté-la,  pendant  que  la  tour  de  Risban, 
dont,  comme  on  sait,  l'ennemi  était  déjà  maitre,  empêchait  que  rien  ne 
pût  être  introduit  par  le  pori. 

Les  postes  ainsi  distribués,  on  commença  avec  les  batteries  à  ouvrir 
la  brèche  dans  deux  endroits  dilTérents,  du  coté  du  nord  et  du  côté  de 
Gravelines,  et  dans  la  nuit  du  lendemain  de  Pâques,  les  assiégeants 
marchèrent  à  Tassant  par  ces  deux  brèches  ;  mais  1  attaque  faite  du  côté 
du  nord  n'était  que  pour  distraire  l'attention  des  assiégés,  le  principal 
eiïort  eut  lieu  du  côté  de  Gravelines,  où  les  Espagnols,  quoique  dans  la 
mer  jusqu'à  la  ceinture,  combattirent  avec  tant  de  bravoure  que,  malgré 
la  résistance  de  nos  troupes  et  le  feu  terrible  de  tous  les  canons  des 
remparts  et  des  vaisseaux  (jui  étaient  dans  le  port,  ils  se  rendirent 
enlin  maîtres  de  ce  poste.  (Di:  Tiiou,  ubi  sup.) 

Les  assiégés  demandèrent  alors  à  parlementer.  Ils  proposaient  une 
trêve  de  huit  jours,  pendant  laipiellc  ils  enverraient  prévenir  le  roi  de 
leur  situation,  avec  promesse  que  si,  dans  cette  intervalle,  il  ne  se  pré- 
sentait aucun  secours  capable  de  faire  lever  le  siège,  ils  se  rendraient. 
L'archiduc  rejeta  cette  proposition  avec  hauteur,  et  le  gouverneur 
Bidossan,  voyant  la  bourgeoisie  prête  à  se  mutiner  contre  lui,  fut  obligé 
d'abandonner  la  ville  et  de  se  retirer  dans  la  citadelle,  avec  la  garnison 
et  ceux  des  habitants  qui  voulurent  le  suivre. 

Le  roi,  pendant  la  tempête  qui  l'avait  empêché  de  s'embarquer, 
s'était  retiré  à  Monlreuil.  Là,  il  espérait  voir  bientôt  paraître  le  secours 
qu'il  avait  fait  demander  à  son  ancienne  alliée,  la  reine  d'Angleterre  ; 
mais  depuis  la  conversion  de  Henri  IV,  les  Anglais  avaient  repris  leur 
ancienne  jalousie  contre  la  France,  et  la  reine  Elisabeth  ne  voyait  plus 
les  choses  de  la  même  manière  qu'auparavant.  Elle  envoya  Lord  Sidney 
dire  au  roi  qu'elle  avait  en  effet  une  armée  toute  prête  et  qu'elle  offrait 
de  la  mettre  à  la  disposition  de  Sa  Majesté,  à  condition  qu'il  lui  serait 
donné  une  place  de  sûreté  convenable  pour  y  déposer  ses  bagages,  ses 
munitions  et  ses  malades.  Elle  demanda  que  ce  fût  Calais,  dont  ses  pré- 
décesseurs avaient  déjà  été  les  maîtres  et  (jui,  aussi  bien,  allait  être 
perdue  pour  la  France.  (Mézerav,  t.  III,  p.  117G.) 

A  une  demande  aussi  surprenante,  le  roi  répondit  qu'il  lui  serait 
moins  honteux  de  céder  à  la  force  de  ses  ennemis  (|ue  de  se  laisser 
dépouiller  par  ses  amis  :  dans  le  premier  cas,  ce  malheur  ne  pourrait 
être  attribué  (|u'à  sa  mauvaise  fortune  ;  au  lieu  (|ue  s'il  rendait  volontai- 
rement une  ville  aussi  in][)ortanle,  on  ne  manijuerait  pas  de  l'accuser  de 
lâcheté.  (Matthieu,  t.  II,  liv.  5,  p.  225.) 

*Après  cette  réponse,  il  trouva  le  moyen  de  faire  glisser  dans  la  cita- 
delle de  Calais  trois  cents  de  ses  plus  braves  soldats  qui  bravèrent  les 


526  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

fureurs  de  l'océan  et  les  canons  de  l'ennemi  pour  accomplir  cette 
prouesse  ;  puis,  ne  comptant  plus  sur  le  secours  de  l'Anglais,  il  résolut 
de  retourner  à  La  Fère.  Il  comptait  que  cette  dernière  ville  ne  pouvait 
manquer  de  se  rendre  incessamment,  et  qu'il  aurait  le  temps  de  revenir 
avec  son  armée  au  secours  des  Calésiens,  dont  il  espérait  que  la  résistance 
pourrait  se  prolonger  jusque-la.  Mais  l'archiduc  ne  lui  laissa  pas  le  temps 
d'exécuter  ce  plan  ;  et,  chose  étrange,  les  trois  cents  braves  qui  avaient 
surmonté  tant  de  dangers  pour  venir  occuper  un  poste  si  périlleux  ne 
se  virent  pas  plus  tôt  dans  ces  murs  à  demi  ruinés  et  entourés  de  tout  un 
monde  de  femmes  et  d'enfants  éplorés,  qu'ils  perdirent  eux-mêmes  tout 
courage.  Quoiqu'il  n'y  eût  aucun  d'eux  qui  ne  se  fût  précédemment 
signalé  par  quelque  action  glorieuse,  au  lieu  de  communiquer  leur 
énergie  a  ceux  de  la  garnison,  ils  en  adoptèrent  toutes  les  frayeurs,  et 
ils  furent  les  premiers  a  parler  de  capituler.  (Mézeray,  uhi  sup.  —  D'Au- 
BiGNÉ,  t.  III,  liv.  4,  chap.  x.  —  Sully,  Écon.  royales.) 

L'archiduc,  sans  vouloir  rien  entendre,  fit  vigoureusement  attaquer 
la  citadelle,  dont  un  des  bastions  du  côté  de  la  ville  s'écroula  tout 
entier  après  avoir  reçu  plus  de  sept  cents  coups  de  canon.  Le  gouver- 
neur lui-même  fut  mis  en  pièces  par  un  boulet,  en  combattant  vaillam- 
ment a  la  tête  de  sa  garnison  ;  la  vaste  brèche  fut  couverte  de  morts  et 
^de  blessés,  les  femmes  et  les  habitants  qui  s'étaient  réfugiés  dans  cet 
asile  remplissaient  l'air  de  leurs  cris  de  détresse,  et  les  soldats  qui 
pouvaient  encore  combattre  ne  cherchèrent  plus  leur  salut  qu'en  sau- 
tant par-dessus  les  remparts,  où  la  plupart  trouvèrent  la  mort.  L'Espa- 
gnol vainqueur  entra  dans  la  place  et  passa  au  lil  de  l'épée  tout  ce  qui 
se  présenta  devant  lui. 

En  apprenant  ce  grand  revers,  Henri  IV,  au  lieu  de  se  montrer 
consterné  comme  tous  ceux  qui  l'entouraient,  affecta  au  contraire  un 
visage  serein.  «  Or  sus,  mes  amis,  dit-il,  Calais  est  pris,  il  n'y  a  plus 
de  remède  ;  mais  ce  n'est  pas  le  cas  de  perdre  courage.  Les  ennemis 
que  nous  avons  toujous  battus  ont  leur  tour  aujourd'hui  :  demain  nous 
aurons  le  nôtre.  Ce  qui  me  console,  du  moins,  c'est  que  j'ai  fait  tout  ce 
j'ai  pu  pour  empêcher  la  prise  de  cette  place  importante  ;  et  maintenant 
j'espère,  avec  la  faveur  du  ciel,  qu'elle  ne  restera  pas  aussi  longtemps 
entre  les  mains  des  Espagnols  que  nos  ancêtres  l'ont  jadis  laissée  entre 
les  mains  des  Anglais.  »  {Écon.  roijales  de  Sully.) 

Albert  resta  dix  jours  à  Calais  pour  faire  relever  les  murailles  ;  car 
il  s'attendait  bien  que  le  roi  ne  tarderait  pas  de  tenter  la  reprise  de 
cette  place,  et  déjà  le  bruit  courait  qu'elle  ne  resterait  pas  trois  mois  au 
pouvoir  des  Espagnols.  (De  Thou,  ubi  sup.) 

Pourtant,  Henri  pensa  qu'il  ne  devait  pas  remettre  à  un  autre  temps 
la  prise  de  La  Fère,  dont  il  était  assuré  de  se  rendre  maître  sous  peu, 
et  il  ne  jugea  pas  a  propos  de  se  déranger  du  siège  de  cette  place. 

De  son  côté,  l'archiduc,  après  avoir  remis  Calais  en  état  de  défense, 
était  parti  pour  assiéger  Ardres.  Belin,  gouverneur  de  la  Picardie,  s'était 
renfermé  dans  cette  place,  et  comme  on  hésitait  si  on  tenterait  ce 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  527 

siège  :  «  Puisque  Beliii  est  la,  dit  de  Rosiie,  vous  pouvez  être  tranijuilles; 
je  connais  l'homme,  et  je  vous  garantis  (juil  vous  rendra  la  ville.  »  La 
garnison  était  cependant  forte  et  dévouée  ;  outre  Monlluc,  petit-fils  du 
célèbre  maréchal  dont  il  a  été  si  souvent  question  au  commencement  de 
ces  récits,  il  s'y  trouvait  le  seigneur  d'Annebourg,  commandant  de  la 
place,  le  seigneur  Bourbon  de  Montaigu,  et  un  grand  nombre  d'autres 
braves  capitaines. 

Belin  commença  d'abord  par  leur  jurer  qu'en  sa  qualité  de  gouver- 
neur de  la  province,  il  avait  regardé  comme  un  devoir  sacré  de  venir 
se  renfermer  dans  Ardres,  pour  défendre  jusqu'à  son  dernier  soupir  une 
ville  aussi  importante  ;  mais,  ajouta-t-il,  il  est  inutile  de  sacrifier  nos 
soldats  pour  conserver  toute  celte  multitude  d'ouvrages  avancés,  ainsi 
<|ue  ces  vieux  laubourgs  qui  sont  sans  importance,  et  beaucoup  trop 
faibles  et  tro|)  étendus.  Concentrons  toutes  nos  forces  dans  les  lieux  où 
nous  pouvons  espérer  de  tenir,  jusqu'à  ce  que  le  roi  puisse  venir  a 
notre  secours. 

Les  faubourgs  furent  donc  abandonnés  à  l'ennemi,  contre  l'avis'de 
tous  les  officiers  indignés  d'un  pareil  plan  de  défense.  Belin  fit  faire 
ensuite  une  consommation  prodigieuse  de  poudre  et  de  munitions  de 
guerre,  en  faisant  tirer  continuellement  et  sans  nécessité  toutes  les  bat- 
teries. Or,  il  arriva  que  Montluc,  sur  le  courage  et  les  talents  duquel  on 
comptait  beaucoup,  fut  tué  sur  le  rempart  d'un  coup  d'arquebuse.  Belin 
se  montra  consterné  de  cette  perte  :  il  assembla  le  conseil,  et  remontra 
qu'il  savait  de  bonne  part  (jue  le  siège  de  La  Fère  retiendrait  le  roi 
encore  longtemps  ;  qu'on  avait  déjà  fait  des  pertes  irréparables,  et  que 
de  plus  les  munitions  de  guerre  étaient  à  peu  près  épuisées  ;  qu'il  était 
donc  convenable  de  ne  pas  exposer  à  une  perle  certaine  de  bonnes 
troupes  dont  le  roi  pouvait  avoir  besoin  dans  les  conjonctures  fâcheuses 
où  l'on  se  trouvait,  et  que  son  avis  était  de  capituler  sans  attendre 
(]u'il  fût  tro|)  tard. 

«  Monsieur,  répondit  Annebourg  avec  indignation,  si  vous  nemanquez 
pas  vous-même  de  courage,  je  réponds  sur  ma  tête  que  je  défendrai 
cette  place  pendant  beaucoup  plus  de  temps  encore  (|u'il  n'en  faut  au  roi 
pour  venir  nous  secourir  :  et  quant  aux  provisions  de  poudre  et  de 
boulets,  ne  vous  en  inquiétez  pas  ;  j'en  ai  heureusement  mis  en  réserve 
tout  autant  qu'il  nous  en  faut  pour  (|ue  nos  batteries  n'en  manquent 
pas,  quand  le  siège  devrait  durer  plusieurs  mois.  »  Belin,  à  celte  der- 
nière assertion,  entra  dans  une  colère  furieuse,  jurant  qu'il  ferait  punir 
le  commandant  comme  coupable  du  crime  de  félonie,  pour  lui  avoir 
caché  à  lui,  (jui  était  gouverneur  de  la  province,  les  munitions  de  guerre 
qu'il  avait  entre  les  mains.  Le  fait  est  qu'Annebourg,  qui  était  un  Nor- 
mand 1res  habile,  après  avoir  inutilement  prié  Monsieur  le  gouverneur 
de  ménager  un  peu  plus  la  poudre,  avait  cru  prudent  d'en  détourner  et 
d'en  mettre  une  bonne  partie  en  réserve  pour  les  besoins  à  venir. 

Cette  ruse,  en  ôtant  à  Belin  une  de  ses  meilleures  excuses  pour  le 
traité  honteux  qu'il  avait  résolu  de  faire  avec  l'ennemi,  ne  l'empêcha  pas 


528  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

pourtant  de  persister  dans  son  méchant  dessein.  On  a  prétendu  que  sa 
femme  qui  était  avec  lui  dans  la  place  le  forçait  a  faire  cette  lâcheté, 
parce  que  cette  dame,  qui  était  fort  avare,  craignait  qu'au  cas  où  l'ennemi 
viendrait  a  s'emparer  d'Ardres  sans  capitulation,  tous  les  meubles  et 
joyaux  qu'elle  avait  apportés  ne  fussent  pillés.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  gou- 
verneur envoya  en  son  nom  demander  à  l'ennemi  une  suspension 
d'armes  pour  informer  le  roi  de  la  situation  de  la  place,  ce  qui  lui  fut 
refusé.  Tous  les  officiers  de  la  garnison,  instruits  de  cette  démarche, 
vinrent  alors  lui  représenter  qu'ils  étaient  en  mesure  d'empécheV  l'en- 
nemi de  s'emparer  du  poste  que  chacun  d'eux  commandait  et  qu'on 
avait  tout  le  temps  d'attendre  avant  que  d'en  venir  a  une  démarche 
aussi  humiliante.  Belin  répondit  :  «  C'est  moi  seul,  messieurs,  qui  suis 
ici  responsable  de  tant  de  braves  soldats  que  vous  voulez  exposer  par 
votre  témérité.  Je  n'ai  ni  l'obligation,  ni  la  volonté  de  prendre  votre 
avis.  »  Et  il  signa  la  capitulation. 

Elle  portait  que  la  garnison  sortirait  tambour  battant,  mèches  allumées, 
enseignes  déployées,  eHavec  armes  et  bagages;  que  ceux  des  habitants 
qui  voudraient  la  suivre  pourraient  emporter  tous  leurs  effets  ;  et  que 
ceux  qui  resteraient  dans  la  ville  ne  seraient  troublés  en  rien,  pourvu 
qu'ils  prêtassent  serment  de  fidélité  'a  Philippe. 

Conformément  'a  cette  capitulation,  on  vit  sortir  de  la  place  environ 
deux  mille  hommes  tous  en  bon  état,  la  mine  fière  et  bien  armés  :  les 
officiers  avaient  eu  soin  que  ce  jour-la  les  troupes  fussent  dans  leur  plus 
brillante  tenue,  pour  faire  honte  a  Belin  de  la  lâcheté  avec  laquelle  il 
s'était  rendu,  quand  il  avait  sous  ses  ordres  des  soldats  aussi  dispos.  Il 
est  certain  que  les  Espagnols  eux-mêmes  parurent  étonnés  du  bonheur 
de  leur  nouveau  vice-roi,  qui  avait  pu  triompher  si  facilement  et  si 
promptement  d'une  place  où  se  trouvaient  encore  de  pareils  défenseurs. 
Aussi  le  roi  l'efusa  de  recevoir  Monsieur  le  gouverneur  de  la  Picardie, 
quand  il  demanda  'a  venir  lui  rendre  compte,  et  il  lui  nomma  des  juges 
pour  examiner  sa  conduite. 

Tout  le  monde  s'attendait  'a  ce  qu'il  serait  fait  un  châtiment  exem- 
plaire d'un  homme  qui  faute  de  courage  ou  par  trahison  avait  si  ouverte- 
ment manqué  'a  l'honneur  et  a  ses  devoirs  ;  mais  Belin  avait  de  puissants 
amis  'a  la  cour,  et  grâce  a  la  belle  Gabrielle,  qui  s'intéressa  pour  lui 
auprès  de  son  royal  amant,  il  en  fut  quitte  pour  se  voir  retirer  son  gou- 
vernement de  Picardie.  (Mézeray,  uhi  sup.) 

Ce  qui  rendait  encore  la  perte  d'Ardres  plus  sensible,  c'est  que  cette 
ville  allait  être  immanquablement  délivrée,  si  elle  eût  tenu  quelques 
heures  seulement  de  plus.  La  Fère,  réduite  à  la  dernière  extrémité, 
capitulait  en  ce  même  moment  ;  et  le  roi  n'avait  plus  qu'a  conduire  son 
armée  victorieuse  contre  l'archiduc  qui  ne  l'aurait  certainement  pas 
attendue.  La  garnison  de  La  Fère  obtint  au  reste  une|capitulation  hono- 
rable et  digne  du  courage  avec  lequel  elle  avait  soutenu  un  siège  aussi 
long.  Il  lui  fut  accordé  de  sortir  avec  les  armes  chargées,  tambour  bat- 
tant, enseignes  flottantes  et  «  balle  en  bouche  »,  avec  des  munitions 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  529 

l)Oiir  tirer  dix  coups.  Outre  ses  bagages,  elle  emmenait  encore  une 
pièce  de  canon  et  dix  boulets.  Le  commandant  obtint  même  que  le 
liaitc  portât  (]u'il  renicltail,  et  non  (pi'il  rendait  la  ville  au  roi  de 
France. 

A  cette  nouvelle,  Albert,  après  avoir  laissé  dans  Ardres  une  forte  gar- 
nison, n'eut  rien  de  plus  j)ressé  que  de  se  retirer  avec  le  reste  de  ses 
troupes  à  Saint-Omer  ;  car  il  craignait  que  le  roi  ne  vînt  lui  couper  les 
passages,  et  ne  le  forçât  à  accepter  la  bataille  ;  mais  il  eut  grand  soin 
de  fiiirc  ruiner  sur  sa  route  tout  le  pays  du  Boulonnais,  brûlant  les 
fermes  et  villages,  et  emmenant  tout  le  bétail.  (Di:  Tnoi ,  liv.  100, 
p.  OiO  et  suiv.  —  Cavkt,  liv.  8,  ad  ann.  1590.) 

Et  cependant,  le  peuple  de  Londres,  inquiet  de  voir  les  Espagnols  si 
près  des  côtes  de  rÀngleterre  et  maîtres  des  cotes  de  Calais,  blâmait 
bautement  la  nonchalance  de  ses  ministres  qui  avaient  tant  tardé  à 
secourir  celte  ville,  quand  il  en  était  temps  encore,  et  lorsqu'il  le  (allait. 
(De  Thou,  iibi  sup.) 

L'occasion  sembla  donc  favorable  à  Henri  pour  renouer  complète- 
ment la  bonne  intelligence  qui  avait  toujours  existé  entre  lui  et  la  reine 
Elisabeth.  11  envoya  en  Angleterre  le  duc  de  Bouillon  et  Sancy,  et  des 
conférences  s'ouvrirent  a  ce  sujet  à  Greenwich,  où  se  rendirent  de  la 
part  de  la  reine  le  grand  trésorier  Cecil,  le  Lord  chambellan,  et  trois 
autres  diplomates  anglais.  «  Expliquez-vous,  messieurs  les  Français,  dit 
d'abord  Cecil  ;  vous  venez  demander  des  secours  à  notre  reine,  et  votre 
roi  recherche  son  alliance  :  c'est  donc  a  vous  de  nous  dire  d'abord  ce 
que  votre  pays  a  l'intention  de  faire  en  échange,  pour  l'Angleterre,  et 
quel  avantage  nous  devons  retirer  de  cette  ligue  que  vous  nous  propo- 
sez. —  L'avantage,  répondit  Bouillon,  de  battre  et  de  réduire  à  l'impuis- 
sance l'ennemi  commun  de  nos  deux  nations.  Pensez-y  bien  ;  si  vous 
abandonnez  le  roi  dans  les  circonstances  où  il  se  trouve,  avec  un 
royaume  épuisé  par  nos  longues  guerres,  et  quand  il  a  encore  a  se  mé- 
tier de  la  lidélité  d'une  partie  de  ses  sujets,  il  ne  pourra  se  dispenser 
de  faire  la  paix  avec  l'Espagne  ;  et  alors,  toutes  les  forces  de  Philippe 
viendront  fondre  sur  vous.  » 

Deux  jours  après  cette  première  conférence,  Bouillon  revint  encore 
avec  plus  de  force  sur  cette  mémo  considération.  «  Vous  ne  pouvez  pas 
douter,  dit-il,  que  c'est  spécialement  à  l'Angleterre  que  l'Espagnol  en 
veut.  Il  aurait  pu  prendre  en  France  d'autres  places  beaucoup  plus  à  sa 
bienséance  (\ue  Calais  ;  mais  c'est  Calais  qu'il  a  choisi,  parce  que  c'est 
de  la  qu'il  lui  est  le  plus  facile  de  faire  une  descente  sur  vos  côtes.  » 
Cecil  répondit  que  «  tout  ce  (|ue  la  reine,  épuisée  de  troupes  et  d'ar- 
gent pouvait  faire  dans  la  conjoncture  présente,  où  elle  avait  déjà  une 
guerre  'a  soutenir  en  Ecosse,  c'était  de  fournir  trois  mille  hommes,  qui 
seraient  levés  et  payés  d'avance  aux  frais  de  la  France.  —  Si  le  roi,  mon 
maître,  répliqua  Bouillon,  avait  de  l'argent  comptant,  il  lui  serait  aisé 
de  tirer  de  l'Allemagne  et  de  la  Suisse  des  troupes  plus  nombreuses  et 
moins  coûteuses,  et  dont  il  pourrait  disposer  a  sa  volonté,  puisqu'elles 

IV.  34 


530  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

seraient  k  ses  gages,  et  non  pas  de  simples  troupes  alliées,  toujours  en 
droit  d'agir  ou  de  n'agir  pas,  selon  leurs  intérêts  du  moment.  »  Et  aus- 
sitôt, il  se  leva  tout  ému,  disant  qu'il  ne  lui  restait  plus  qu'a  prendre 
congé  de  la  reine  et  a  repasser  en  France.  .  . 

Mais  auparavant,  il  dressa  un  mémoire  qu'il  fit  présenter  à  la  reine 
Elisabeth,  et  dans  lequel,  après  avoir  montré  l'utilité,  pour  les  deux 
nations,  d'une  ligue  entre  l'Angleterre  et  la  France,  il  se  plaignait  amè- 
rement des  commissaires  de  Sa  Majesté  anglicane.  Ils  n'ont  pas  même, 
disait-il,  daigné  traiter  la  chose  sérieusement,  aussi  ne  puis-je  croire 
que  c'est  au  nom  de  la  souveraine  de  l'Angleterre  qu'ils  ont  parlé.  Je 
supplie  donc  Votre  Majesté  de  vouloir  bien  nous  déclarer  nettement  ses 
intentions,  afin  que  nous  ne  perdions  pas  ici  inutilement  un  temps  qui 
pourrait  être  employé  au  service  de  notre  patrie.  » 

Elisabeth  ayant  lu  cet  écrit,  et  craignant  de  mécontenter  trop  direc- 
tement les  Français,  donna  l'ordre  a  Cecil  d'offrir  trois  mille  hommes 
de  pied  équipés  et  soldés,  mais  dans  six  mois  seulement,  quand  la  guerre 
d'Ecosse  serait  terminée,  et  avec  cette  condition  que  ces  troupes  ne 
pourraient  être  employées,  que  dans  la  Normandie  et  dans  les  autres 
provinces  du  nord-ouest  de  la  France.  «  Si  le  roi,  reprit  Bouillon,  offre 
à  Votre  Majesté  de  conclure  avec  elle  cette  ligue  offensive  et.  défensive, 
ce  n'est  pas  dans  l'espérance  d'un  secours  éloigné  dont  il  n'aura  plus 
besoin  alors,  mais  à  cause  du  besoin  pressant  qu'il  a  d'un  secours 
présent.  —  Mais,  répliqua  Cecil,  nous  savons  de  bonne  part  qu'il  est 
déjà  question  d'un  traité  de  paix  entre  la  France  et  l'Espagne  ;  et  dans 
une  pareille  circonstance,  il  ne  convient  pas  a  la  reine  d'Angleterre  de 
prêter  ses  troupes  au  roi  votre  maître,  qui  ne  s'en  servira  que  pour 
obtenir  des  conditions  plus  avantageuses.  »  Bouillon  affirma  par  serment 
que  la  chose  était  fausse  et  que  Henri  était  bien  décidé  a  ne  faire  la  paix 
avec  l'Espagne  qu'au  cas  où  ses  alliés  l'auraient  tout  k  fait  abandonné. 
Cela  dit,  il  demanda  de  nouveau  congé  de  retourner  en  France. 

Enfin,  après  quelques  nouvelles  contestations,  le  vingt-sixième  jour 
de  mai,  on  convint  que  sans  déroger^ux  anciens  traités,  le  roi  et  la 
reine  feraient  une  nouvelle  ligue,  pour  la  défense  réciproque  de  leurs 
États  contre  Philippe,  et,  pour  porter  la  guerre  dans  les  États  de  cet 
ennemi  commun  ;  qu'on  préviendrait  de  ce  traité  tous  ceux  qui  avaient 
intérêt  'a  se  mettre  à  couvert  de  l'ambition  espagnole,  et  qu'on  les  invi- 
terait a  se  réunir  a  la  ligue  ;  qu'on  lèverait  en  commun  et  à  frais  com- 
muns une  armée  pour  soutenir  cette  guerre,  et  que  le  roi,  ni  la  reine, 
ne  pourraient  sans  l'agrément  de  l'un  de  l'autre  faire  ni  paix,  ni  trêve 
avec  Philippe  et  ses  adhérents.  (Cayet,  liv.  8,  ad  ann.  1596.) 

H  n'y  avait  plus  qu'une  petite  difficulté,  qui  faillit  pourtant  tout 
faire  manquer.  Les  commissaires  anglais  avaient  apporté  ce  traité  signé 
d'avance  par  eux,  et  leur  signature  occupait  la  place  la  plus  honorable. 
Pour  justifier  leurs  prétentions,  ils  produisaient  d'anciens  traités  tirés 
de  leurs  archives,  où  cet  ordre  avait  été  observé.  Les  Français  montraient 
le  contraire,  par  le  dernier  traité  fait  avec  Charles  IX  ;  ils  finirent  cepen- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  531 

danl  par  ne  plus  contester  sur  cet  article,  parce  que  le  roi  n'avait  pas 
encore  envoyé  ses  ordres,  ni  signé  le  traité. 

Bouillon  passa  ensuite  en  Hollande.  Les  Provinces-Unies  s'étaient, 
comme  on  sait,  mises  depuis  longtemps  déjîi  sous  la  protection  de  l'An- 
gleterre, et  il  était  tout  naturel  qu'elles  dussent  entrer  dans  la  ligue 
laite  par  ce  royaume  avec  la  France,  d'autant  plus  (ju'après  avoir  secoué 
le  joug  de  l'Espagne,  elles  avaient  maintenant  à  défendre  leur  liberté 
reconquise  contre  IMiilippe,  qui  prétendait  les  traiter  en  rebelles.  «  Mes- 
sieurs, dit  Bouillon,  dans  l'audience  (juil  obtint  des  États-Généraux  de 
la  Hollande,  ce  traité  est  tout  à  votre  avantage.  L'intention  du  roi, 
mon  maître,  et  le  secret  intime  de  son  cœur  que  je  ne  crains  pas  de 
découvrir  devant  des  amis  pleins  de  candeur  comme  vous,  a  été  de 
consolider  de  tout  son  pouvoir  le  glorieux  résultat  que  vous  avez  déjî» 
obtenu  par  tant  d'ellorts  et  de  sacrifices.  Reconnaissant  des  services  que 
vous  lui  avez  déjà  rendus  en  plusieurs  circonstances  contre  un  ennemi 
commun,  il  m'a  chargé  de  vous  donner  sa  parole  (jue  vos  amis  et  vos 
ennemis  seront  toujours  les  siens,  et  qu'il  ne  fera  jamais  la  paix  avec 
l'Espagne  que  de  votre  avis  et  avec  votre  agrément.  H  espère  que  vous 
prendrez  le  même  engagement.  Pour  vous  donner  une  preuve  du  fonds 
qu'il  l'ait  sur  votre  amitié,  il  m'a  également  chargé  de  vous  faire  part  de 
la  situation  de  ses  affaires,  qu'il  sait  bien  ne  devoir  pas  vous  être  indif- 
férentes. Nos  guerres  civiles  sont  heureusement  terminées,  après  plus 
de  huit  années  de  souffrances  et  de  périls  ;  mais  plus  la  maladie  a  été 
grave,  plus  le  corps  du  convalescent  reste  faible  et  épuisé,  plus  il  a 
besoin  du  secours  de  ceux  qui  s'intéressent 'a  sa  conservation.  Sa  Majesté 
compte  donc  sur  vous  pour  l'aider  dans  ce  besoin  pressant,  d'autant 
plus  (jue  les  secours  qu'elle  vous  demande  auront  pour  résultat  défini- 
tif d'éloigner  de  vos  frontières  un  ennemi  acharné,  et  contribueront  par 
conséquent  'a  votre  propre  sûreté  ;  car  c'est  l'Espagne  qu'il  s'agit  de 
vaincre  et  de  faire  reculer.  »  (DeTiiol,  ubi  sup.) 

La  Ligue  fut  aussitôt  adoptée  du  consentement  unanime  de  toute 
l'assemblée.  Il  fut  décidé  qu'on  prierait  les  rois  d'Ecosse  et  de  Daue- 
marck,  les  électeurs  et  les  princes  de  l'empire,  ainsi  que  tous  les  rois, 
princes  et  ré|)ubliques,  qui  avaient  intérêt  a  s'opposer  a  l'ambition  sans 
bornes  des  Espagnols,  d'entrer  le  plus  tôt  qu'il  se  pourrait  dans  cette 
confédération.  On  décréta  en  outre  que  les  Etats-Généraux  fourniraient 
d'abord  dix  mille  hommes  de  pied  et  quinze  cents  chevaux,  un  train  d'ar- 
tillerie avec  les  munitions  de  guerre  convenables  et  trois  cent  cinquante 
mille  francs,  pour  être  employés  dans  l'intérêt  commun.  (Mézeiiav,  t.  IH, 
p.  1185  et  suiv.) 

De  son  côté,  le  roi  de  France  promettait  pour  lui  et  pour  ses  succes- 
seurs d'accorder  protection  a  tous  les  citoyens  des  Provinces-Unies,  de 
leur  permettre  de  naviguer,  commercer  et  contracter  dans  tous  les  pays 
de  France  et  de  sa  dépendance,  où  il  leur  serait  rendu  justice,  comme 
aux  nationaux  eux-mêmes,  'a  condition  que  les  sujets  de  Sa  Majesté  joui- 
raient de  droits  pareils  dans  les  pays  des  Etats. 


532  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Tels  furent  les  principaux  articles  de  ce  traité,  que  Henri  IV  s'em- 
pressa de  ratifier  aussitôt.  Rien  ne  pouvait,  en  effet,  dans  les  conjonctures 
présentes,  être  plus  avantageux  a  sa  domination  encore  mal  affermie. 
Les  huguenots,  mécontents  de  son  abjuration,  commençaient  a  devenir 
exigeants  et  a  se  montrer  partout  moins  affectionnés  ;  les  restes  de  la 
Ligue,  toujours  prêts  a  remuer,  avaient  partout  conçu  de  nouvelles  espé- 
rances, le  duc  de  Montpensier  s'était  réengagé  plus  que  jamais  avec  les 
factieux  ;  et  Henri  venait  d'apprendre  que  ce  prince,  tramant  quelque 
dessein  secret,  cherchait  par  toutes  sortes  de  moyens  'a  s'attacher  des 
créatures.  On  avait  'a  craindre  de  voir  renaître  un  nouveau  tiers  parti, 
avec  un  prince  du  sang  'a  sa  tête,  d'autant  plus  qu'en  voyant  Calais, 
Cambray  et  Ardres  au  pouvoir  de  Philippe,  on  s'imaginait  qu'il  n'y  avait 
plus  rien  d'impossible  pour  lui.  Aussi,  la  consternation  était  presque 
générale  parmi  les  serviteurs  du  roi,  qui  commençaient  à  désespérer 
du  succès  d'une  cause  qu'ils  avaient  eu  tant  de  peines  'a  faire  pré- 
valoir jusqu'alors.  (De  Thou,  ubi  sup.  —  Économies  royales  de  Sully^ 
1596.) 

Mais  quand  on  sut  que  l'Angleterre  et  la  Hollande  allaient  prendre 
ouvertement  le  parti  de  Henri  IV  et  faisaient  avec  lui  une  alliance  offen- 
sive et  défensive  contre  l'Espagne,  chacun  reprit  courage  et  attendit 
sans  crainte  les  événements. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  33 


CHAPITRE   XXI 


1596-1597.  —  ARGUMENT  :  le  roi  envoie  ciuon  ravager  l'artois. 

MANIFESTE   DU    COMTE   D'ESSEX. 

LA    FLOTTE   ANGLAISE   EST  JOINTE   PAR   CELLE   DE   HOLLANDE. 

BATAILLE   NAVALE   PRÈS    DE   CADIX.    —    CETTE   VILLE   EST   PRISE   ET   SACCAGÉE. 

ALEXANDRE   DE   MÉDICIS   LÉGAT   EN    FRANCE. 

RESTRICTION    DU   PARLEMENT   POUR   ENREGISTRER   SES   LETTRES. 

LE   ROI   CONVOQUE   UNE   ASSEMBLÉE  DE   NOT.ABLES   A   ROUEN. 

LA   DUCHESSE   DE   MONTPENSIER    MEURT   DE   LA   PESTE   A    PARIS.    —    OUVERTURE 

DE    l'assemblée   DES   NOTABLE.S.    —   DISCOURS   DU   ROI.    —   DISCOURS   DU   CHANCELIER. 

CAHIERS   DU    CLERGÉ,  —    DE   LA   NOBLESSE,   —  DES    MEMBRES   DE   LA  JUSTICE. 

OMER  TALON   PARLE   POUR   LE   PEUPLE. 

PROPOSITION    DE   L'ASSEMBLÉE   TOUCHANT   LES   FINANCES.    —    SULLY   SURINTENDANT. 

LE   ROI   A   DESSEIN   D'ÉPOUSER    GABRIELLE.    —    MOT   CRUEL   DE   SANCY. 

LE  ROI    FAIT   SOLLICITER    LES    PRINCES   ALLEMANDS   d'ENTRER    DANS    LA   LIGUE 

CONTRE    L'eSPAGNE.    —    MAUVAIS   SUCCÈS   DE   SON    AMBASSADEUR. 

LE   VICE-ROI   ALBERT   EN    HOLLANDE.    —   MORT   DE   DE   ROSNE. 

LE   PRINCE   d'orange   BAT   LES   ESPAGNOLS.    —   TELLO    SURPREND   AMIENS. 

LE   ROI   DEMANDE    INUTILEMENT   DES   RESSOURCES   AU    PARLEMENT. 

SULLY   PROPOSE    SES   MOYENS   D'aVOIR   DE    L'aRGENT.    —   LE   ROI   REVIENT  AU    CAMP. 

OPÉRATIONS   DU    SIÈGE.    —    MORT   DE   TELLO.    —    MORT   DE   SAINT-LUC. 

MONTENEGRO   PREND    LE   COMMANDEMENT   DES  ASSIÉGÉS. 

LE  VICE-ROI   VIENT  A  SON    SECOURS.  —   SON   .AVANT-GARDE   EST   MISE   EN   DÉROUTE. 

IL    n'ose    livrer  la   BATAILLE    ET    SE  RETIRE.   —   LA   GARNISON    D'aMIENS  CAPITULE. 


Le  roi,  sans  perdre  de  temps,  manda  le  maréchal  de  Biron  qui  était 
alors  dans  son  gouvernement  de  Bourgogne,  et  lui  donna  l'ordre  d'entrer 
dans  l'Artois,  aïin  que  les  sujets  du  roi  d'Espagne  se  ressentissent  à  leur 
tour  des  calamités  de  la  guerre.  Sa  Majesté  avait  à  cœur  d'exercer  des 
représailles  envers  le  vice-roi  des  Pays-Bas,  qui  avait  si  cruellement  ra- 
vagé le  Boulonnais  après  la  capitulation  d'Ardres.  (Mézerav,  t.  111,  p.  1179 
et  suiv.) 

Biron,  en  effet,  rendit  avec  usure  aux  pays  soumis  aux  Espagnols  le 
mal  que  ceux-ci  avaient  fait  aux  pays  s.oumis  a  la  France.  Peu  s'en  fallut 
même  qu'il  ne  surprit  Arras  :  le  salut  de  cette  ville,  qui  ne  s'attendait 
pas  a  une  attaque  aussi  brusque,  ne  dépendit  que  de  la  maladresse  d'un 
pétardier,  qui  ayant  mal  attaché  son  pétard  a  la  porte  dont  on  s'était 
approché  par  surprise  et  sans  être  découvert,  fut  renversé  par  l'explosion 
dans  les  fossés,  sans  que  la  porte  lût  endommagée.  Il  fallut  se  retirer. 


534  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Mais  au  parlir  de  là,  le  maréchal  alla  décharger  sa  colère  sur  le  plat 
pays.  11  prit  et  incendia  le  châleau.  dimbercourt,  pilla  la  ville  de  Saint- 
Pol  et  toute  la  comté,  et  emmena  un  grand  butin,  après  s'être  avancé 
jusqu'aux  portes  de  Douai,  «  enchérissant  autant  qu'il  pouvait  par  le  fer, 
le  feu  et  le  pillage,  sur  les  ravages  que  les  ennemis  avaient  laits  dans 
le  Boulonnais,  afin  de  leur  apprendre  à  faire  désormais  meilleure 
guerre.  » 

En  même  temps,  le  comte  d'Essex,  a  la  tête  d'une  flotte  que  dirigeait 
en  personne  le  grand  amiral  d'Angleterre  Lord  Effingham,  publiait  un 
manifeste  par  lequel  il  déclarait  que  la  reine  Elisabeth  lui  avait  donné 
l'ordre  de  faire  la  guerre  au  roi  Philippe,  et  d'attaquer  les  États  de  ce 
monarque,  parce  qu'elle  était  bien  informée  que  le  dit  prince,  persistant 
dans  ses  anciens  projets  contre  l'Angleterre,  faisait  de  grands  préparatifs 
pour  l'envahir.  «  C'est  Ta,  disait  le  général  anglais,  une  trahison  inouie 
et  détestable  ;  mais  ce  n'est  pas  tout  encore  :  nous  savons  que  Philippe  a 
suborné  des  assassins  pour  attenter  aux  jours  de  notre  bien-aiméç  sou- 
veraine ;  c'est  pourquoi  nous  avons  pour  instructions  de  ne  faire  tort  à 
aucune  nation  quelle  qu'elle  soit,  mais  de  n'épargner  en  rien  les  sujets 
du  roi  d'Espagne,  de  même  que  tous  ceux  qui  lui  fourniront  de  l'argent, 
des  soldats,  des  vaisseaux  ou  des  munitions.  Ainsi  que  ceux  qui  ne  sont 
pas  Espagnols,  et  qui  se  trouvent  dans  les  villes  et  ports  des  pays  à  la 
domination  du  roi  d'Espagne,  se  hâtent  d'en  sortir,  s'ils  ne  veulent  pas 
être  traités  par  nous  comme  ennemis  de  l'Angleterre.  »(De  Thou,  t.  XII, 
liv.  116,  p.  671.) 

Ce  manifeste  fut  publié  en  français,  en  italien,  en  allemand  et  en 
espagnol,  et  répandu  dans  tous  les  pays  de  l'Espagne  et  du  Portugal. 

Les  États  des  provinces  insurgées  de  la  Hollande  envoyèrent,  sous  la 
conduite  de  Louis  de  Nassau,  vingt-quatre  vaisseaux  de  guerre  se  joindre 
'a  la  flotte  anglaise,  et  l'on  lit  voile  directement  pour  Cadix.  On  trouva 
là  la  flotte  de  Philippe  composée  de  vingt-quatre  galères,  de  quatre 
galions,  du  grand  vaisseau-amiral  et  de  quatre  frégates.  La  bataille 
s'engagea  incontinent  :  elle  fut  sanglante,  et  les  Anglais  vainqueurs 
prirent  et  pillèrent  Cadix,  passant  au  fil  de  l'épée  tous  les  habitants, 
sans  faire  grâce  ni  au  sexe,  ni  à  l'âge,  «  pour  venger,  disent  les  histo- 
riens espagnols,  la  mort  de  plus  de  deux  mille  des  leurs,  qu'ils  avaient 
perdus  dans  ce  combat.  »  (Cayet,  liv.  8,  ad  ann.  1596.) 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  les  vainqueurs  ne  purent  donner  aucune 
suite  à  ce  premier  succès  :  il  fut  impossible  aux  Anglais  de  s'accoutu- 
mer aux  chaleurs  de  ce  climat  nouveau  pour  eux  ;  la  maladie  attaqua  à 
son  tour  leurs  troupes,  et  le  comte  d'Essex  se  hâta  de  ramener  sa  flotte 
chargée  d'un  immense  butin. 

En  ce  temps-là,  le  légat  du  pape  arrivait  en  France;  «  et  il  n'y  en 
eut  jamais  de  meilleur  ni  de  plus  paisible.  »  C'était  Alexandre  de  Médi- 
cis,  archevêque  de  Florence,  prélat  également  recommandable  par  sa 
connaissance  des  affaires  et  par  la  noblesse  de  ses  sentiments.  Sur  toute 
sa  route  jusqu'à  Paris,  il  fut  accueilli  avec  les  plus  grands  honneurs. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  535 

Lesdiguières,  quoique  prolestant,  alla  avec  une  grande  suite  le  recevoir 
a  la  frontière  et  voulut  l'escorter  jus(|u'a  Lyon.  Tous  les  autres  gouver- 
neurs des  provinces  s'empressèrent  également  de  lui  faire  cortège,  et  le 
roi  accourut  en  poste  à  Paris  pour  recevoir  cet  envoyé  du  Saint-Père. 
Henri  de  Bourbon,  premier  prince  du  sang,  vint  au-devant  de  lui  jusqu'à 
Chartres  ;  tous  les  corps  de  la  ville  se  rendirent  a  la  porte  Saint-Jacques 
pour  le  complimenter,  et  Achille  de  Harlay,  premier  président  du  Parle- 
ment, portant  la  parole  au  nom  de  sa  compagnie,  lui  adressa  une  élo- 
quente harangue  sur  son  heureuse  arrivée  .  «  Nous  espérons,  dit-il,  que 
Votre  Excellence  ne  vient  pas  comme  le  précédent  légat,  pour  apporter 
en  France  le  flambeau  de  la  guerre,  mais  au  contraire  que  c'est  la  paix 
de  Dieu  qui  nous  arrive  avec  vous.  »  (Journal  de  Henri  IV,  t.  IT, 
p.  504.) 

Le  légat  parut  un  peu  mécontent  de  cette  phrase  de  Torateur  parle- 
mentaire :  il  répondit  pourtant  qu'il  était  en  effet  l'envoyé  d'un  Pontife 
pacilique,  et  qu'en  cette  qualité,  il  avait  l'intention  de  se  conduire  de 
telle  sorte  (jue  ceux  qui  aimaient  véritablement  le  salut  de  la  France 
n'auraient  qu'a  se  réjouir  de  sa  venue. 

Après  cette  entrée  solennelle,  ses  pouvoirs  furent  portés  au  Parle- 
ment, avec  des  lettres-patentes  du  roi,  qui  enjoignaient  de  les  enregistrer 
et  de  les  faire  publier  sans  délai,  dans  les  formes  ordinaires  ;  mais,  sur 
les  conclusions  du  Procureur  général,  il  fut  dit  «  qu'attendu  que  les 
facultés  données  par  le  Pape  a  son  Légat  étaient  plus  étendues  que 
nos  lois  et  nos  libertés  ne  le  permettent  ;  qu'il  y  était  fait  mention 
de  l'acceptation  du  concile  de  Trente,  lequel  n'était  point  reçu  en 
France,  la  publication  des  dits  pouvoirs  n'aurait  lieu  qu'aux  clauses  et 
conditions  d'usage,  c'est-à-dire  sous  toute  réserve  de  l'autorité  du  roi, 
de  la  constitution  et  des  lois  du  royaume,  des  droits  de  la  juridic- 
tion nationale  et  des  libertés  et  immunités  de  l'Église  gallicane.  »  (Cayet, 
îibi  supra.) 

On  prescrivit  ensuite  (jue  lorsque  le  légat  sortirait  du  royaume,  il 
serait  tenu  de  remettre  entre  les  mains  d'un  oflicier  nommé  par  Sa 
Majesté  tous  les  actes  de  juridiction  qu'il  aurait  faits  pendant  sa  légation, 
et  que,  faute  de  ce  faire,  sa  légation  serait  déclarée  nulle.  Enfin  et  sur- 
tout, il  fut  bien  convenu  que  la  publication  permise  'a  ces  conditions  ne 
devrait  être  en  aucun  cas  regardée  comme  une  approbation  ^du  concile 
de  Trente. 

Le  légat  dut  trouver  sans  doute  ces  conditions  un  peu  blessantes  ; 
mais  ce  sage  vieillard  se  conduisit  avec  une  telle  modération  pendant 
tout  le  temps  de  sa  mission  en  France  qu'il  contribua  efficacement  à 
y  faire  renaître  la  paix  dans  les  esprits,  et  comme  certains  zélés  indis- 
crets venaient  souvent  lui  apporter  des  dénonciations  contre  les  héré- 
li(|ues,  particulièrement  contre  la  princesse  Catherine,  sœur  du  roi, 
laquelle  faisait  tenir  le  prêche  à  portes  ouvertes  dans  son  hôtel  de  Sois- 
sons;  «  Je  ne  suis  pas  venu,  disait-il,  pour  forcer  les  consciences  ;  c'est 
la  paix  qu'il  faut  d'abord  établir  en  France,  parce  que,   sans   la  paix,  il 


536  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

serait  inutile  de  penser  a  y  faire  fleurir  la  religion.»  (DeTiiou,  iibi  sxip. 
—  Mézeray,  t.  III,  p.  1181.) 

Il  poussa  la  tolérance  jusqu'à  assister  de  sa  personne  au  baptême 
d'une  lîlle  que  le  roi  venait  d'avoir  de  Gabrielle  d'Estrées,  et  que  Sa 
Majesté  voulut  faire  présenter  aux  fonts  baptismaux  avec  un  grand 
étalage  de  pompe  et  de  magnificence.  Mais  plusieurs  personnes 
sensées  blâmèrent  cette  concession  du  prélat  pour  un  enfant  bâtard,  et 
prétendirent  qu'une  pareille  cérémonie  n'eût  pas  dû  au  moins  se  faire 
en  présence  d'un  légat  du  Saint-Siège.   (De  Thou,   t.   XIII,   liv.   117, 

Ce  fut  lui  aussi  qui  reçut  l'abjuration  de  Charlotte  de  la  Trémouille, 
veuve  du  prince  de  Condé,  mort  en  1588.  Celle  princesse,  accusée, 
comme  on  l'a  vu,  d'avoir  empoisonné  son  mari,  en  avait  appelé  au  Par- 
lement de  Paris,  qui,  au  bout  de  huit  ans,  venait,  sur  la  recommanda- 
tion du  roi,  de  rendre  un  arrêt  de  non  lieu,  par  lequel  étaient  cassées  et 
annulées  toutes  les  procédures  faites  dans  cette  cause  par  les  juges 
de  Sa  in  ton  2^6. 

EnOn,  quelques  années  après,  le  légat  eut  aussi  la  gloire  de  convertir 
le  fameux  Sancy.  L'abjuration  de  cet  homme,  dont  le  nom  a  servi  de 
thème  a  une  des  plus  mordantes  satyres  du  temps  (la  Confession  de 
Sancy  par  d'Aubigné),  eut  lieu  dans  l'église  des  jésuites.  Le  légat,  pour 
pénitence,  appliqua  quelques  légers  coups  de  houssine  au  nouveau 
converti,  et  comme  celui-ci  faisait  semblant  de  pleurer  :  «  Voyez-vous, 
dit  bonnement  le  saint  homme,  avec  quelle  componction  ce  pauvre 
seigneur  déplore  son  hérésie  !  »  Le  roi,  qui  était  présent,  dit  à  ceux  qui 
l'entouraient  :  «  C'est  vrai  que  Sancy  joue  bien  son  rôle  :  il  ne  lui 
manque  plus  que  de  prendre  le  turban,  il  le  ferait  tout  d'aussi  bonne 
grâce.  »  {Journal  de  Henri  IV,  t.  II,  p.  557.) 

Mais  si,  de  ce  côté,  tout  semblait  marcher  au  gré  de  Henri  IV,  bien 
d'autres  sujets  de  peines  et  d'inquiétudes  réclamaient  toute  sa  diligence 
et  son  adresse.  D'une  part,  les  huguenots,  lassés  de  solliciter  en  vain 
un  édit  qui  les  mît  en  sûreté,  menaçaient  de  nouveau  de  se  choisir  un 
protecteur  ou  chef  suprême  autre  que  le  roi,  et  d'établir  entre  eux  une 
confédération  qui  eût  formé  comme  un  nouvel  État  dans  l'Etat.  D'autre 
part,  il  voyait  les  principaux  d'entre  les  seigneurs  qu'il  avait  faits  gouver- 
neurs des  provinces  très  disposés  a  se  rendre  indépendants  chacun  dans 
son  gouvernement,  et  a  ressusciter  l'ancienne  féodalité.  Ils  en  étaient 
même  venus  'a  faire  faire  au  roi,  par  le  duc  de  Montpensier,  la  singu- 
lière.proposition  de  lui  fournir  une  armée  qu'ils  entretiendraient  et  sol- 
deraient à  leurs  frais,  à  condition  que  leurs  gouvernements  leur 
seraient  donnés  en  propriété.  On  pense  bien  que  des  offres  aussi 
étranges  ne  furent  pas  acceptées.  (Mézeray,  ibid.,  p.  1184.) 

Sa  Majesté  préféra  s'adresser  à  la  nation  elle-même,  et  convoqua 
une  assemblée  des  plus  notables  personnages  choisis  parmi  les  grands 
du  royaume,  les  prélats,  les  nobles  et  les  officiers  de  judicature  et  de 
finance.  Le  peuple  y  devait  être  représenté  par  le  prévôt  et  les  échevins 


UU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  537 

«le  Paris  ;  et  afin,  est-il  dit,  que  les  décisions  de  cette  assemblée  pus- 
sent être  regardées  comme  émanant  de  la  France  elle-même,  le  roi 
déféra  la  nomination  des  autres  membres  qui  devaient  siéger  dans 
cette  réunion  a  l'élection  de  leurs  pairs. 

Cependant,  comme  sa  présence  était  nécessaire  en  Normandie  et 
aux  frontières  de  la  Picardie,  tant  a  cause  du  voisinage  des  ennemis 
que  pour  surveiller  certaines  menées  des  Anglais,  contre  lesquels  il 
avait  plus  d'un  sujet  de  méfiance,  malgré  les  derniers  traités,  ce  fut 
dans  la  ville  de  Rouen  qu'il  assigna  le  lieu  des  séances  de  cette  assem- 
blée des  notables. 

Une  autre  raison  qui  détermina  encore  ce  cboix,  c'est  que  la  peste 
sévissait  alors  dans  Paris  et  y  emportait  cbaquejour  un  si  grand  nombre 
de  personnes,  que  les  prêtres  ne  pouvaient  fournir  ;i  enterrer  les  morts. 
La  ducbesse  de  Montpensier,  si  tristement  célèbre  dans  l'histoire  de  ces 
temps-là,  fut  du  nombre  des  victimes  qu'emporta  le  fléau.  «  Elle  mou- 
rut d'un  grand  flux  de  sang,  qui  lui  coulait  de  tous  les  endroits  du  corps, 
ce  qui  fut  une  lin  bien  digne  de  sa  vie  ;  de  même  que  le  grand  tonnerre 
et  la  tempête  qu'il  fit  cette  nuit-la  (sixième  de  mai  1596),  convenaient 
admirablement  aux  tempétueuses  humeurs  de  son  esprit  malin  et  brouil- 
lon. »  On  dit  que  (juand  son  corps  fut  exposé  sur  le  lit  de  parade,  un 
gentilhomme  vint  baiser  cette  face  inanimée,  disant  tout  haut  «  qu'il  y 
avait  bien  longtemps  qu'il  aurait  voulu  lui  donner  ce  baiser-la  ».  (Jour- 
nal de  Henri  IV,  t.  11,  p.  '292  et  suiv.) 

Le  roi  fit  à  Rouen  une  entrée  magnifi(|ue  pour  laquelle  la  ville  avait 
dépensé,  a  ce  qu'on  prétend,  plus  de  (juatre  cent  mille  écus,  puis  l'ouver- 
ture de  l'assemblée  des  notables  eut  lieu  le  vingt-quatrième  jour  de 
novembre,  159G,  dans  la  grande  salle  de  la  maison  abbatiale  de  Saint- 
Ouen.  Le  roi  était  assis  sur  une  chaire  élevée,  sous  un  dais  en  forme  de 
trône.  A  sa  droite  se  tenaient  le  légat,  les  cardinaux  de  Gondy  et  de 
Givry,  et  quelques  évêques  ;  'a  gauche  siégeaient  les  ducs  de  Montpen- 
sier et  de  Nemours,  le  connétable,  les  ducs  d'Epernon  et  de  Rais,  et  le 
maréchal  de  Matignon  ;  derrière  étaient  les  ministres  d'Etat.  (Cayf.t, 
liv.  8.) 

Le  roi  prononça  une  courte  harangue,  «f  Si  mon  but,  dit-il,  était  de 
passer  pour  excellent  orateur,  je  pourrais  vous  apporter  ici  un  discours 
tout  fait,  où  il  y  aurait  plus  d'éloquence  que  de  bonne  volonté  ;  mais, 
j'espère  plus  haut  (jue  cela  :  la  gloire  que  j'ambitionne,  c'est  celle  de 
libérateur  et  de  restaurateur  de  cet  État.  Déjà,  par  la  faveur  du  ciel,  par 
les  conseils  de  mes  bons  serviteurs  et  par  le  courage  de  la  noblesse 
française,  de  laquelle  je  ne  distingue  pas  les  princes  (la  qualité  de 
gentilhomme  français  étant  le  plus  beau  titre  que  nous  possédions  tous), 
déjà,  dis-je,  j'ai  pu  tirer  mon  royaume  de  la  servitude  et  de  la  ruine. 
Maintenant,  je  désire  le  remettre  en  sa  première  force  et  en  son 
ancienne  splendeur.  Je  compte  sur  vous  pour  m'aider  en  cette  seconde 
entreprise,  comme  vous  m'avez  aidé  dans  la  première.  Je  ne  vous  ai  pas 
convoqués  ici,  comme  faisaient  mes  prédécesseurs,  pour  vous  obliger  à 


538  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

approuver  aveuglément  mes  volontés,  mais  pour  recevoir  vos  bons  con- 
seils et  me  mettre  pour  ainsi  dire  sous  votre  tutelle.  C'est  une  envie  qui 
ne  prend  guère  aux  rois  et  aux  barbes  grises,  comme  l'est  maintenante 
mienne  ;  mais  l'amour  que  je  porte  'a  mes  sujets  et  le  désir  qne  j'ai  de 
les  voir  heureux  sont  et  seront  toujours  le  principal  mobile  de  toutes 
mes  actions.  »  (Mézeray,  ubi  sup.  —  Péréfixe.) 

On  trouva  généralement  que  ce  discours  était  bien  digne  d'un  véritable 
roi,  «  lequel  ne  doit  pas  croire  que  sa  grandeur  et  son  autorité  consis- 
tent en  une  puissance  absolue,  mais  au  bien  de  l'Etat  et  au  salut  de  son 
peuple.  »  La  belle  Gabrielle,  que  Henri  menait  partout  avec  lui,  «  le  railla 
cependant  avec  finesse  de  ce  qu'il  avait  parlé  de  se  mettre  en  tutelle. — 
Ventre  saintgris,  répondit  le  bon  prince,  en  riant  ;  je  leur  ai  dit  cela, 
il  est  vrai  ;  mais  je  l'entends  avec  mon  épée  au  côté.  »  (Péréfixe,  ubi 
sup.  —  Mémoires  de  Villeroij,  1596.) 

Après  le  discours  de  Sa  Majesté,  le  chancelier  Chiverny  reçut  l'ordre 
de  parler  pour  expliquer  les  royales  intentions.  Il  commença  par  retracer 
assez  longuement  tous  les  malheurs  des  temps  passés,  il  exposa  ceux 
(ju'on  avait  encore  a  craindre  :  il  restait  à  soutenir  une  guerre  contre 
un  ennemi  dangereux,  joignant  à  une  haine  irréconciliable  une  ambi- 
tion effrénée  et  persévérante.  «  Or,  dit-il  en  terminant.  Sa  Majesté,  qui 
a  déjà  affronté  tant  de  dangers  pour  le  salut  de  l'État,  pense  que  ne 
s'étant  jamais  ménagée  elle-même,  il  est  bien  juste  que  ses  fidèles  sujets 
offrent  aussi  leur  vie  et  leurs  biens  pour  la  même  cause.  »  (De  Thou, 
ubi  sup.,  p.  19  et  suiv.) 

En  conséquence,  dès  le  lendemain,  on  forma  trois  classes  des  dépu- 
tés pour  délibérer  chacun  en  particulier.  La  justice  et  la  finance,  réunies 
au  grand  prévôt  de  Paris  et  aux  échevins,  tinrent  cette  fois  lieu  du 
Tiers-État.  Et  ces  trois  classes  ayant  dressé  séparément  leurs  cahiers, 
voici  ce  que  contenaient  ceux  du  clergé  : 

Que  les  évêques  et  archevêques  fussent  désormais  promus  par  voix 
d'élection,  ou  que,  du  moins,  le  roi,  avant  que  de  nommer  ces  hauts  digni- 
taires de  l'Église,  fît  prendre  des  informations  sur  leurs  vie,  mœurs  et 
doctrine  ;  qu'on  suivît  la  même  règle,  par  rapport  aux  abbayes  et  même 
aux  couvents  de  filles,  où  surtout  il  était  nécessaire  de  rétablir  l'élection, 
si  l'on  voulait  couper  racine  aux  déplorables  scandales  qui  s'étaient 
produits  dans  ces  derniers  temps  ;  que  les  métropolitains,  pour  surveiller 
et  corriger  les  abus,  tinssent  tous  les  trois  ans  au  moins  des  conciles 
provinciaux  ;  qu'on  poursuivît  sérieusement  les  simoniaques,  «  et  qu'il 
fût  défendu  aux  troupes  de  profaner  les  lieux  sacrés,  en  logeant  eux  ou 
leurs  chevaux  dans  les  églises,  les  chapelles,  ou  même  dans  les 
sacristies.   » 

La  noblesse  demanda  à  son  tour  :  que  ses  membres  fussent  admis  à 
concourir  aux  bénéfices  et  dignités  ecclésiastiques,  en  récompense  des 
grands  services  qu'elle  avait  rendus  à  l'État  ;  qu'on  n'accordât  à  l'avenir 
de  lettres  d'anoblissement  qu'à  ceux  qui  s'en  seraient  rendus  dignes 
par  de  grandes  et  éclatantes  actions,  principalement  a  la  guerre  ;  que 


DU  PJiOïlCSTANTISME  EN  FRANGE.  539 

tout  gentilhomme  fût  maintenu  dans  les  anciens  droits  et  privilèges  de 
la  noblesse,  e'est-a-dire  exempté  des  fonctions  de  garde,  sentinelle  et 
des  autres  pareilles  corvées  ;  que  le  roi  prît  en  sa  maison  en  qualité  de 
pages  le  plus  de  jeunes  gentilhommes  que  faire  se  pourrait,  et  qu'il  se 
chargeât  de  leur  faire  donner  une  éducation  convenable  a  leur  naissance  ; 
que  les  sénéchaux  et  baillis  des  provinces  fussent  exclusivement  tirés 
de  la  noblesse  ;  que  les  roturiers  et  gens  de  basse  extraction  ne  pussent 
porter  le  nom  des  châteaux  et  seigneuries  qu'ils  auraient  achetés,  et 
s'enter  par  là  sur  des  familles  nobles,  en  quittant  leur  propre  nom. 

Ceux  de  la  justice  demandèrent  que  les  charges  de  judicature  ces- 
sassent d'être  vendues  au  prolit  du  trésor,  ou  que  du  moins  on  restrei- 
gnît considérablement  le  nombre  des  magistratures  a  vendre,  parce  que 
cela  diminuait  par  un  partage  trop  divisé  le  proht  des  titulaires.  C'était 
le  prévôt  Langlais  qui  était  chargé  de  porter  la  i)arole  pour  le  peuple  ; 
mais  il  s'en  acquitta  si  mal  que  l'avocat  Omer  Talon  l'un  des  échevins 
de  Paris,  fut  obligé  de  prendre  sa  place  et  il  parla,  dit-on,  avec  tant 
d'éloquence,  que  le  roi  s'écria  en  riant  :  «  Il  est  heureux  pour  nous 
que  Monsieur  notre  prévôt  ait  eu  la  langue  au  talon.  »  Talon,  demanda 
que  le  roi  renouvelât  contre  le  luxe  la  loi  qui  défendait  de  porter  de 
l'or,  de  l'argent  et  des  pierreries  sur  les  habits  ;  qu'on  observât  avec 
plus  d'exactitude  une  ordonnance  donnée  à  Saint-Uermain  en  d587, 
touchant  ce  que  doivent  payer  les  voyageurs  pour  leur  dépense  dans  les 
hôtelleries,  et  que  les  honoraires  des  avocats  ainsi  que  le  salaire  des 
procureurs  fussent  tarifés.  {Journal  de  Henri  IV,  t.  111,  p.  524.) 

On  voit  que  l'assemblée  de  Uouen  avait  pris  au  sérieux  la  parole  du 
roi,  quand  il  avait  dit  qu'il  se  mettait  en  tutelle,  et  que  chaque  classe 
de  ceux  qui  la  composaient  ne  pensait  qu"a  diriger  cette  tutelle  dans  le 
sens  le  plus  favorable  à  ses  intérêts.  Le  roi  avait  cependant  fait  savoir 
dans  ses  lettres  de  convocation  que  pour  l'heure  il  n'était  pas  question 
de  réformer  l'Etat,  et  qu'il  fallait  seulement  aviser  'a  lui  fournir  prompte- 
ment  les  moyens  de  trouver  de  l'argent,  pour  repousser  l'ennemi  des 
frontières.  (Mézeray,  p.  1185.) 

Voici  ce  qu'on  proposa  pour  cet  objet.  Sa  Majesté  fut  suppliée  de 
vouloir  bien  pour  le  salut  du  peuple  faire  examiner  l'état  de  ses  hnances. 
En  supputant  les  revenus  du  royaume,  on  trouva  qu'ils  montaient  à 
neuf  millions  huit  cent  mille  écus  d'or,  dont  cinq  millions  passaient 
pour  Tenlretien  du  roi  et  les  dépenses  de  l'armée,  le  reste  servait  'a 
payer  les  gages  des  officiers  dans  les  autres  services,  ainsi  que  les 
renies,  pensions,  intérêts  et  autres  dettes  de  l'Etat.  On  proposa  d'abord 
(jù'aucune  pension  ne  fût  payée,  ni  aucune  somme  extraordinaire  dis- 
traite du  trésor  jusqu'à  ce  (lue  les  dettes  réelles  fussent  entièrement 
acquittées.  On  demanda  encore  que  les  étoffes  d'or  et  de  soie  de 
fabri(|ue  étrangère  ne  pussent  entrer  dans  le  royaume  qu'en  payant  de 
forts  droits,  mais  qu'en  même  temps,  on  engageât  les  ouvriers  étran- 
gers qui  s'occupent  de  ce  genre  de  fabrication  a  venir  s'établir  en  France, 
en  leur  promettant  de  les  faire  jouir  des  mêmes  .privilèges  dont  jouis- 


540 


HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 


saient  les  ouvriers  nationaux.  Et  comme  on  était  certain  que  la  plus 
grande  partie  des  sommes  destinées  à  payer  les  troupes  avaient  été 
détournées  par  les  courtisans,  on  stipula  que  des  commissaires  seraient 
nommés  pour  chercher  et  vérifier  tous  les  édits  de  paiement  enregistrés 
depuis  vingt  ans. 

Pour  veiller  a  l'exécution  de  toutes  ces  mesures  dont  la  plupart  avaient 
été  suggérées  par  Sully,  on  proposa  qu'il  fût  établi  un  nouveau  conseil  qui 
serait  nommé  conseil  de  raison,  parce  que,  disait-on,  il  serait  Ta  pour 
rendre  raison  'a  chacun.  La  nomination  des  membres  qui  devaient  le  com- 
poser devait  être  déférée  en  partie  a  l'assemblée  elle-même,  et  en  partie 
aux  cours  souveraines  ;  et  ils  devaient  avoir  la  disposition  et  ordination 
absolue  des  recettes  et  des  dépenses.  Cette  espèce  de  contrôle  ne  laissait 
pas  que  de  paraître  un  peu  gênante  au  roi  ;  mais  Sully  l'engagea  'a  laisser 
faire,  parce  que  «  cette  belle  idée,  n'étant  qu'une  pure  chimère  et  imagi- 
nation de  cerveau  mise  hors  de  leur  portée,  serait  bientôt  mise  à  néant 
par  l'impossibilité  même  qu'on  rencontrerait  dans  l'exécution.  »  {Écon. 
royales  de  Sully,  1596.)  » 

Le  roi  venait  de  le  nommer  surintendant  des  finances,  en  l'adjoignant 
'a  Sancy,  depuis  longtemps  en  possession  de  diriger  cette  branche  impor- 
tante du  service  public,  et  qui  ne  s'y  était  pas  appauvri.  Sully  donc  s'oc- 
cupa d'abord  de  deux  choses  :  premièrement,  de  se  mettre  au-dessus  de 
toutes  les  petites  machinations  de  son  collègue,  et  de  le  ruiner  dans 
l'esprit  du  roi  ;  ensuite,  de  tirer  le  meilleur  parti  possible  des  moyens 
de  faire  de  l'argent  comptant  avec  les  ressources  que  l'assemblée  des 
notables  avait  mises  à  sa  disposition.  La  suspension  des  gages  des  offi- 
ciers publics  et  des  pensions  produisit  bien  quelques  petites  sommes  ; 
le  droit  qui  h^appait  les  pays  étrangers  ne  donna  que  des  rentrées  insi- 
gnifiantes et  causa  de  grands  troubles  dans  les  provinces  d'au  delà  la 
Loire  ;  mais  ce  qui  fut  plus  productif,  ce  fut  la  mesure  qui  prescrivait  la 
poursuite  des  larcins  commis  par  les  courtisans  et  les  financiers.  Ceux- 
ci,  en  effet,  jugeant  qu'ils  s'en  tireraient  'a  meilleur  marché  par  un  com- 
promis qu'en  laissant  traiter  l'affaire  par  les  commissaires  qu'on  voulait 
leur  nommer,  s'empressèrent  de  faire  une  bourse  commune,  et  réunirent 
une  grosse  somme  qu'ils  portèrent  au  trésor.  (Legrain,  Décades,  liv.  7, 
p.  540.) 

«  Mais  il  arriva  en  cela  encore  un  grand  abus  ;  car  les  meilleures 
bourses,  qui  avaient  le  plus  de  part  'a  la  malversation,  ayant  avancé  les 
deniers  pour  la  cotisation  générale,  il  leur  fut  permis  de  répéter  cet  ar- 
gent sur  tous  ceux  qui  avaient  manié  les  finances  et  ils  s'en  prirent  aux 
grenetiers,  contrôleurs,  et  même  'a  des  veuves  et  des  enfants  mineurs; 
et  sous  le  nom  honnête  de  remboursement  du  prêt  au  roi,  ils  trouvè- 
rent le  moyen  non  seulement  de  ne  rien  perdre  du  leur,  mais  encore 
de  gagner  plus  de  vingt  mille  écus  d'or,  au  lieu  d'être  punis.  » 

Cependant  Henri  IV  était  revenu  'a  Paris,  où  les  ravages  de  la  conta- 
gion commençaient  à  diminuer,  et  comme  il  ramenait  avec  lui  la  belle 
Gabrielle,  dont  il  paraissait  plus  épris  que  jamais,  «  l'embrassant  de- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  541 

vaut  tout  le  monde  et  s'en  laissant  baiser,  »  on  ne  parlait  a  la  cour  et  à 
la  ville  que^du  mariage  prochain  de  Sa  Majesté  avec  cette  courtisane 
royale.  Et,  ^n  effet,  Henri  lui-même  dit  un  jour  a  monsieur  de  Sancy, 
qui  n'avait  point  encore  perdu  absolument  sa  conliance:  «  Je  suis  ré- 
solu de  me  donner  cette  satisfaction,  et  je  crois  avoir  bien  assez  fait 
pour  que  mon  peuple  me  la  passe.  —  Sire,  répondit  courageusement 
le  favori,  pensez-vous  que  cent  mille  gentilshommes  qui  vous  recon- 
naissent pour  chef  veuillent  vous  rester  attachés,  quand  vous  aurez 
commis  une  faute  aussi  déshonorante?  C'est  votre  bonne  réputation 
qui  vous  a  élevé  sur  le  trône  royal;  mais,  pour  en  descendre,  vous 
n'avez  qu'à  faire  une  action  aussi  indigne  de  toutes  vos  actions  précé- 
dentes. »  {Journal  de  Henri  IV,  l.  11,  j).  7}'-2h.  —  Mémoires  de  Ville- 
roy,  1590.) 

C'était  pourtant  un  bon  prince  que  celui  auquel  on  croyait  pouvoir 
parler  impunément  en  de  pareils  termes.  Il  est  vrai  d'ajouter  que  Sancy 
perdit  bientôt  après  la  faveur  du  monarque;  mais  c'est  qu'il  avait  en 
outre  choqué  plus  grossièrement  encore  la  maîtresse  royale.  «  Si  le  roi 
m'épousait,  disait-elle  un  jour,  les  enfants  que  j'ai  déjà  eus  de  lui  de- 
viendraient légitimes.  —  Non,  Madame,  répondit  Sancy;  en  France  les 
bâtards  de  nos  rois  sont  toujours  lils  de  putain.  »(  .Wem.  de  Yilleroy, 
ubi  supra.) 

Au  reste,  l'attention  publique  fut  en  ce  temps-la  même  détournée 
par  un  terrible  accident  (|ui  arriva  'a  Paris  le  vingt-deuxième  jour  de  dé- 
cembre. Le  Pont-aux-Meuniers,  (|ui  traversait  la  Seine  vis-'a-vis  l'ancien 
Fort-l'Évêque,  s'écroula  subitement  avec  les  maisons  dont  il  était  char- 
gé et  les  moulins  qui  s'appuyaient  contre  ses  piles.  C'était  vers  les  sept 
heures  du  soir,  'a  l'heure  du  souper;  aussi  plus  de  cinq  cents  personnes 
qui  avaient  Ta  leur  logement,  furent-elles  englouties  dans  le  lleuve. 
(DUBREUIL,  t.  P%  p.  184.) 

L'année  1597  allait  commencer.  Le  roi  avait  fait  partir  pour  les 
principautés  du  Nord  Guillaume  Ancel,  l'un  des  plus  habiles  diplomates 
de  l'époque,  et  qui  n'avait  pas  peu  contribué  par  ses  conseils  et  sa  pru- 
dence aux  traités  d'alliance  offensive  et  défensive  que  Bouillon  venait  de 
conclure  en  Angleterre  et  en  Hollande.  Ancel  avait  ordre  de  décider  les 
princes  allemands  'a  entrer  dans  cette  ligue  contre  l'Espagne  ;  et  la 
chose  semblait  d'autant  plus  pressante,  (ju'on  savait  déjà  que  l'empereur 
lui-même  venait  de  s'unir  plus  intimement  encore  avec  Philippe,  et 
qu'il  n'oublierait  rien  pour  entraîner  les  électeurs  dans  son  parti.  Ancel, 
s'étant  adjoint  Jacques  Bongars,  déjà  depuis  longtemps  chargé  de  la 
conduite  des  affaires  du  roi  en  Allemagne,  crut  devoir  commencer  sa 
mission  diplomatique  par  une  visite  à  l'électeur  palatin  Frédéric,  auprès 
duquel  il  trouva  Georges-Frédéric,  marquis  de  Brandebourg.  (De  Thou, 
t.  XIII,  liv.  118,  p.  70  et  suiv.) 

«  Le  roi  de  France,  dit-il,  qui  vous  regarde  comme  ses  bons  et  anciens 
amis,  m'a  chargé  de  venir  vous  faire  part  du  traité  qu'il  a  conclu  depuis 
j)eu  avec  l'Angleterre  et  les  Provinces-Unies,  ainsi  que  du  but  de  ce 


542  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

* 

traité,  qui  ne  tend  à  rien  autre  chose  qu'à  délivrer  l'Europe  de  l'ambition 
envahissante  du  roi  d'Espagne.  Vous  n'ignorez  pas  que  ce  prince  ne 
roule  dans  son  esprit  d'autre  projet  que  d'accomplir  par  la  ruse  et  par 
l'artifice  ce  que  son  père  avait  entrepris  de  fonder  par  son  courage, 
c'est-a-dire  une  monarchie  universelle,  réunissant  sous  sa  loi  suprême 
toutes  les  puissances  de  la  chrétienté.  Vous  savez  que  pour  arriver  à 
cette  fin,  Philippe  n'a  épargné  ni  l'argent,  ni  les  prières,  ni  les  me- 
naces, et  qu'il  a  fait  tout  ce  qu'il  a  pu  pour  corrompre  la  fidélité  que  les 
peuples  doivent  a  leurs  souverains  légitimes.  Le  royaume  de  France  a 
été  le  premier  objet  de  ses  perfides  tentatives  :  après  la  mort  de 
Henri  III,  mort  'a  laquelle  il  n'est  pas  tout  à  fait  étranger  (car  la  vie  des 
souverains  n'est  pour  lui  qu'une  considération  secondaire),  n'a-t-il  pas 
soudoyé  des  assassins  pour  attenter  aux  jours  de  la  reine  Elisabeth  et  à 
ceux  du  roi  Henri  IV?  El  le  prince  d'Orange  n'a-t-il  pas  été  assassiné  par 
ses  ordres  ?  Donc  il  est  devenu  urgent  d'opposer  une  digue  au  désir  si 
ardent  que  ce  monarque  ambitieux  a  toujours  montré  d'envahir  le  bien 
d'autrui.  Serait-il  prudent  de  différer  encore  quand  déj'a,  par  trahison  ou 
par  surprise,  il  est  parvenu  'a  se  rendre  maître  de  Cambrai,  de  Calais  et 
d'Ardres,  et  qu'il  réunit,  en  ce  moment  même,  de  puissantes  armées  pour 
conquérir  d'abord  le  reste  de  la  P'rance,  et  soumettre  ensuite  tous  les 
autres  peuples  de  l'Europe?  Aussi  le  roi  très  chrétien,  décidé 'a  repousser 
ce  fléau,  n'a-t-il  pas  hésité  d'avertir  tous  les  autres  princes  du  péril  qui 
les  menace.  Il  espère  qu'ils  uniront  leurs  forces  aux  siennes  contre  un 
ennemi  commun,  et  déjà  il  s'est  assuré  de  la  coopération  de  la  reine 
Elisabeth  et  de  celle  des  Provinces-Unies.  Maintenant  je  suis  chargé 
de  vous  prier  au  nom  du  roi  de  France  et  de  ses  alliés  de  ne  pas  négli- 
ger le  danger  que  vous  courez  aussi  bien  que  nous.  Quoique  les  Espa- 
gnols ne  paraissent  pas  devoir  tourner  de  suite  leurs  armes  contre  l'Alle- 
magne, croyez-vous  que  le  Rhin  sera  la  barrière  contre  laquelle  viendra 
s'arrêter  leur  insatiable  ambition  ?  Il  faudrait  être  aveugle  et  dépourvu  de 
toute  espèce  de  jugement  pour  concevoir  une  pareille  espérance.  Phi- 
lippe n'a-t-il  pas  dit  déjà,  dans  un  fameux  édit  donné  'a  Madrid,  il  y  a  sept 
ans,  qu'après  avoir  purgé  la  France  du  Protestantisme,  il  tournerait  ses 
armes  contre  tous  les  pays  qui  en  étaient  infectés  ?  Attendez- vous  donc 
que  ses  soldats  viennent  fondre  sur  vous,  lorsque  l'occasion  leur  en 
paraîtra  favorable?  Vainement  viendrez-vous  alors  implorer  le  secours  de 
la  France  à  qui  vous  auriez  refusé  le  vôtre.  Elle  aura  peut-être  déjà  suc- 
,  eombé  elle-même,  et  si  Philippe  réussit  un  jour  à  s'emparer  de  ce 
puissant  royaume,  il  faudra  nécessairement  que  tous  les  autres  subis- 
sent son  joug.  Au  reste,  ce  n'est  ni  par  un  désir  de  vaine  gloire,  ni 
pour  augmenter  sa  puissance  aux  dépens  de  ses  voisins  que  le  roi  mon] 
maître  a  conçu  l'idée  de  cette  Ligue.  Il  ne  consulte  que  l'intérêt  géné- 
ral, et  son  unique  but  est  de  se  soustraire,  ainsi  que  tous  les  autres 
princes,  au  joug  de  cette  monarchie  universelle  qu'a  rêvée  l'Espagnol. 
C'est  'a  vous  maintenant  de  délibérer  sur  les  conditions  et  les  sûretés  que 
vous  voulez  proposer  à  Sa  Majesté  ;  elle  est  bien  décidée  'a  vous  accor- 


UU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  543 

der  tout  ce  qui  sera  juste,  et  en  retour,  elle  compte  qu'avant  toutes 
choses,  vous  vous  opposerez  au  passage  des  troupes  qui  viennent  en  ce 
moment  d'Espagne  et  d'Italie,  et  qui  se  proposent  de  traverser  l'Alle- 
magne pour  attaquer  la  France. 

Les  deux  princes  témoignèrent  d'abord  qu'ils  étaient  extrêmement 
sensibles  a  l'honneur  que  leur  Taisait  le  roi  en  leur  envoyant  un  am- 
bassadeur ;  puis,  (juand  ils  eurent  pris  communication  du  traité  l'ait  avec 
l'Angleterre  et  la  Hollande,  ils  répondirent  qu'ils  approuvaient  en  tout 
les  desseins  du  roi  très  chrétien,  mais  qu'ils  regrettaient  de  n'être  pas 
libres  de  prendre  une  résolution  sur  un  sujet  aussi  grave  avant  d'avoir 
consulté  les  autres  princes  de  l'empire. 

Ancel,  ne  pouvant  obtenir  rien  de  plus,  se  réduisit  enfin  a  demander 
(ju'on  voulût  bien  au  moins  augmenter  le  nombre  des  troupes  que  Sa 
Majesté  aurait  l'autorisation  de  lever  en  Allemagne.  Il  lui  fut  encore 
répondu  que  cet  article  aussi  ne  pouvait  être  réglé  que  du  consentement 
des  autres  princes. 

Surpris  de  ne  trouver  que  des  refus,  Ancel  soupçonna  que  l'on  vou- 
lait lui  vendre  les  secours  (ju'il  était  venu  demander:  il  voulut  savoir  'a 
quel  prix  on  les  mettait  ;  et  il  apprit  bientôt  que  l'Électeur  Palatin  s'at- 
tendait à  ce  que  le  roi  s'entremit  pour  lui  faire  restituer  Strasbourg  par 
le  duc  de  Lorraine,  et  que  le  marquis  de  Brandebourg  voulait  qu'on  lui 
continuât  la  pension  payée  par  les  rois  de  France  à  ses  prédécesseurs. 
Ancel,  qui  n'avait  pas  d'ordre  à  ce  sujet  et  qui,  d'un  autre  côté,  sentait 
bien  qu'il  n'avait  pas  de  temps  'a  perdre,  alla  trouver  le  Palatin  de 
Bavière  ;  mais  celui-ci  se  contenta  de  lui  répondre  (|u'il  ne  se  sentait 
aucune  répugnance  à  souscrire  au  traité  dont  Sa  Majesté  voulait  bien  lui 
faire  la  proposition,  et  (ju'on  pouvait  compter  (ju'il  suivrait  en  tout 
l'exemple  de  l'Électeur  Palatin  chef  de  sa  maison. 

Ancel  se  mit  alors  en  route  pour  Sluttgard  alin  de  faire  la  même 
proposition  au  duc  de  Vittemberg.  Ce  duc  aussi  s'excusa  de  signer 
un  pareil  traité,  alléguant  qu'il  avait  en  ce  moment  même  d'autres 
intérêts  plus  intimes  à  régler  avec  l'empereur,  dont  il  devait  crain- 
dre de  s'attirer  le  mécontentement,  et  il  ajouta  comme  le  palatin  de 
Bavière  qu'il  se  réglerait  sur  ce  que  ferait  l'Électeur  Palatin. 

L'envoyé  français  alla  ensuite  à  Bade,  et  la,  il  ne  put  pas  même  par- 
ler au  prince  de  cet  électoral,  qui  était  alors  malade.  Ce  furent  les  mi- 
nistres qui  lui  dirent  que  Son  Altesse  remerciait  Sa  Majesté  de  l'honneur 
qu'elle  voulait  bien  lui  faire  de  le  prendre  pour  allié  ,  mais  que,  n'étant 
pas  un  prince  fort  puissant,  il  ne  lui  appartenait  pas  de  prendre  parti 
dans  une  querelle  entre  le  roi  de  France  et  le  roi  d'Espagne,  sans  savoir 
auparavant  pour  lequel  de  ces  deux  illustres  monarques  les  autres  princes 
de  l'empire  se  décideraient. 

Sans  se  décourager,  Ancel  courut  solliciter  le  Landgrave  de  Hesse, 
et  le  Landgrave  lui  répondit  :  «  L'Allemagne  a  bien  plus  à  craindre  du 
côté  de  la  Turquie  que  de  la  part  de  l'Espagne  ;  car  l'Espagne,  après 
tout,  est  un  pays  chrétien.  Quant  à  moi,  au  surplus,  je  suis  trop  vieux 


544  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

pour  prendre  seul  aujourd'hui  une  ^résolution  sans  avoir  consulté  ceux 
que  cette  affaire  intéresse  aussi  bien  que  moi.  » 

Le  malencontreux  ambassadeur  reçut  des  réponses  a  peu  près  sem- 
blables du  duc  de  Brunswick,  de  l'administrateur  de  Magdebourg,  des 
princes  d'Anhalt  et  de  l'administrateur  régent  de  Saxe.  Partout  les  par- 
tisans de  la  faction  espagnole,  pour  empêcher  les  puissances  de 
l'empire  d'accéder  au  traité,  avaient  soudoyé  un  grand  nombre  de 
prédicateurs  pour  déclamer  hautement  contre  le  roi  et  contre  la  reine 
Elisabeth,  et  pour  répandre  parmi  les  luthériens,  qui  bien  loin  de  s'ac- 
commoder avec  les  calvinistes,  les  traitaient  de  sacramentaires,  le 
bruit  que  c'était  'a  l'instigation  de  la  France  et  de  l'Angleterre  que  le 
Turc  faisait  maintenant  une  guerre  si  cruelle  en  Hongrie. 

Pendant  ce  temps-la,  l'archiduc  Albert  faisait  une  guerre  active  aux 
Provinces-Unies  de  la  Hollande.  Il  avait  assiégé  Hulst,  où  les  États 
tenaient  une  forte  garnison,  et  cette  ville  avait  été  forcée  de  capituler  ; 
mais  l'archiduc  avait  perdu  a  ce  siège  ce  fameux  de  Rosne,  cousin  de 
Sully,  dont  Henri  IV  avait  dédaigné  d'acheter  les  services  comme  ceux  de 
tant  d'autres,  et  dont  les  talents  militaires  avaient  été  depuis  si  funestes 
à  la  France.  De  Rosne  avait  été  tué  dans  la  tranchée,  et  on  lui  fit  de 
magnifiques  funérailles.  (Cayet,  liv.  9.) 

De  son  côté,  le  prince  d'Orange  avait  battu  les  Espagnols  kRavels,  et 
après  leur  avoir  tué  plus  de  deux  milles  hommes,  il  s'était  emparé  de 
Tournhout  ;  mais,  un  événement  imprévu,  et  qui  semblait  devoir  porter 
le  dernier  coup  a  la  France,  consola  bientôt  le  vice-roi  de  cette  défaite  : 
ce  fut  la  surprise  d'Amiens,  la  plus  forte  place  de  nos  frontières  de  ce 
côté-la. 

Les  habitants,  en  vertu  d'anciens  privilèges,  avaient  le  droit  de  gar- 
der eux-mêmes  leur  ville.  Vainement,  le  roi  avait  envoyé  à  leurs  éche- 
vins  une  garnison  qu'il  offrait  de  ne  loger  que  dans  les  faubourgs  ;  ils 
l'avaient  fièrement  refusée  et  avaient  répondu  qu'ils  se  croyaient  d'âge 
et  de  force  'a  pouvoir  se  défendre  eux-mêmes,  et  la  garnison  fut  éloignée. 
(Matthieu,  t.  II,  liv.  2,  p.  250  et  suiv.) 

Or,  il  y  avait  en  ce  temps-la  un  certain  Dumoulin  qui  avait  été  con- 
traint de  s'éloigner  d'Amiens  pour  se  soustraire  au  châtiment  dont  ses 
crimes  l'avaient  rendu  passible.  Cet  homme  avait  remarqué  que  la  garde 
bourgeoise  faisait  assez  régulièrement  son  service  pendant  la  nuit,  mais 
que,  pendant  le  jour,  chacun,  empressé  de  vaquer  a  ses  affaires,  aban- 
donnait son  poste,  ne  laissant  aux  corps  de  garde  que  quelques  hommes 
dont  on  récompensait  la  bonne  volonté  intéressée  par  de  l'argent  ou  par 
du  vin.  Dumoulin  alla  donc  trouver  Don  Fernand  de  Tello  y  Porto  Car- 
rero,  gouverneur  de  Doullens,  et  se  fit  fort  de  lui  faciliter  la  prise 
d'Amiens  en  plein  jour,  et  en  prenant  seulement  la  précaution  de  faire 
approcher  les  troupes  en  secret.  (De  Thou,  ubi  snp.) 

Tello  goûta  ce  projet,  et  alla  faire  lui-même  une  reconnaissance  dans 
la  ville,  où  il  entra  déguisé  en  cordelier  ;  il  trouva  qu'en  effet  les  choses 
étaient  telles  que  Dumoulin  les  lui  avait  rapportées,  il  fit  part  du  tout  au 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  545 

vice-roi  Albert,  (jui  s'empressa  de  donner  son  assentiment.  On  commanda 
pour  ce  coup  de  main  six  cents  cavaliers,  deux  mille  fantassins,  et 
(juelques  compagnies  de  piquiers  et  d'arquebusiers  qu'on  fit  précéder  pas 
un  avant-garde  de  trois  cents  Espagnols. 

Toutes  ces  troupes,  mandées  dans  diverses  garnisons  voisines,  se 
réunirent  pendant  la  nuit  a  Orvelle,  où  Tcllo  en  prit  le  commandement. 
La  première  dilTicullé  fut  de  passer  la  rivière  d'Autliie,  et  ce  passage  prit 
tant  de  temps  qu'on  commençait  à  désespérer  d'arriver  a  l'heure  conve- 
nable à  Amiens  ;  car  on  avait  encore  sept  lieues  à  faire.  On  prit  cepen- 
dant des  guides  et  on  fit  une  telle  diligence  que  sans  avoir  été  décou- 
vert on  atteignit  avant  la  pointe  du  jour  une  chapelle  qui  n'est  qu'à 
une  portée  de  mousquet  de  la  ville  ;  la,  on  se  cacha  partie  dans  les  bâti- 
ments de  la  ville,  partie  dans  ceux  d'un  couvent  voisin,  et  le  reste  dans 
une  saulaie  au  fond  d'une  vallée  assez  profonde. 

Il  était  huit  heures  du  matin,  et  comme  c'était  le  saint  temps  du 
carême,  tout  le  peuple  d'Amiens  était  aux  églises  pour  entendre  le  ser- 
mon. Quatorze  soldats  furent  déguisés  en  paysans  et  en  paysannes, 
portant  des  armes  sous  leurs  habits.  Trois  d'entre  eux  conduisaient  une 
charrette  chargée  de  gros  échalas  couverts  de  paille,  et  les  autres 
avaient  sur  l'épaule  des  besaces  remplies  de  pommes  et  de  noix,  qu'ils 
étaient  censés  porter  au  marché. 

Ce  cortège  se  dirigea  paisiblement  vers  la  porte  Montescut.  Lors(juc 
la  charrette  fut  entrée  sous  la  porte  et  qu'elle  se  trouva  immédiatement 
sous  la  herse,  un  des  soldats  délia  comme  par  accident  le  sac  de  noix 
([u'il  portait,  et  il  en  laissa  tomber  le  contenu  par  terre.  Les  soldats 
qui  étaient  de  garde  se  précipitèrent  sur  cette  proie  qui  devait  les  aider  à 
boire  leur  vin  du  matin,  et  en  même  temps,  le  chef  de  celte  audacieuse 
entreprise  tira  un  coup  de  pistolet  pour  signal.  Les  soldats  déguisés 
jetèrent  alors  leurs  besaces,  prirent  leurs  armes  et  tuèrent  ou  mirent 
en  fuite  le  peu  de  monde  qui  se  trouvait  à  ce  poste,  el  qui  ne  s'atten- 
dait pas  à  une  pareille  attaque.  (Davila,  t.  III,  liv.  15,  p.  95  et 
suiv.) 

Celui  qui  avait  la  garde  de  la  herse  eut  cependant  assez  de  sang- 
froid  pour  courir  la  faire  tomber  ;  mais  elle  rencontra  la  charrette  garnie 
de  paille  et  d'échalas,  sur  laquelle  elle  demeura  suspendue  ;  et  en  ce 
moment  arrivèrent  deux  cents  Espagnols  qui  suivaient  par  derrière,  et 
qui  entrèrent  dans  la  ville  par  cette  ouverture. 

Les  bourgeois,  ayant  entendu  le  bruit  qui  commençait  a  se  faire  de 
ce  côté,  sortirent  des  églises  et  coururent  aux  armes  ;  mais  il  était  déjà 
trop  tard  ;  ils  furent  repoussés  ou  taillés  en  pièces. 

Toutes  les  autres  troupes  ennemies,  tant  d'infanterie  (jue  de  cava- 
lerie, qui  s'étaient  tenues  cachées  dans  les  environs,  accoururent  pen- 
dant ce  temps-la,  ayant  Tello  à  leur  tête  ;  et  celui-ci  se  hâta  de  les  par- 
tager en  divers  détachements  qui  occupèrent  successivement  toutes  les 
rues,  repoussant  et  dispersant  les  habitants,  et  faisant  main  basse  sur 
ceux  qui  tentaient  d'opposer  de  la  résistance.  La  cavalerie,  prenant  par 
IV.  35 


546  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

la  granirrue,  parvint  bientôt  a  la  grande  place.  Amiens  était  prise  et 
cette  conquête  dune  ville  qui  avait  plus  de  quinze  mille  de  ses  citoyens 
sous  les  armes  avait  été  faite  par  trois  mille  hommes  au  plus.  Les  Espa- 
gnols n'avaient  eu  que  cinq  morts  et  les  bourgeois  n'avaient  pas  perdu 
plus  de  soixante  des  leurs. 

Henri  s'occupait  alors  de  fêtes  et  de  plaisirs,  et  il  venait  tout  récem- 
ment d'assister 'a  un  brillant  festin,  pour  lequel  tous  les  cuisiniers  de 
Paris  avaient  été  mis  a  l'œuvre  pendant  plus  de  huit  jours.  En  raison 
de  l'abstinence  prescrite  par  le  carême,  le  service  avait  été  fait  en 
maigre.  Il  y  avait  deux  esturgeons  qui  coûtaient  chacun  cent  écus,  et  un 
grand  nombre  d'autres  poissons  d'une  grosseur  monstrueuse.  Mais  on 
les  avait  fort  artistement  déguisés  «  en  viandes  de  chair  ».  Le  fruit  avait 
coûté  trois  cent  cinquante  écus,  et  de  plus  «  on  servit  des  poires  de  bon 
chrétien,  autant  qu'on  en  put  découvrir,  à  un  écu  la  pièce  ».  {Journal  de 
Henri  IV,  t.  ÎI,  p.  55.) 

Ballets,  mascarades,  pantalonnades,  jeux  de  cartes  et  de  dés,  sui- 
virent pendant  plusieurs  jours  ce  splendide  repas,  et  ce  fut  au  milieu 
d'une  de  ces  fêtes,  «  pendant  que  toute  la  cour  s'amusait  a  rire  et  a 
baller,  »  que  vint  retentir  la  désastreuse  nouvelle  de  la  prise  d'Amiens. 
La  consternation  fut  générale,  cette  ville  était  a  peu  près  la  seule  place 
qui  pût  servir  de  barrière  à  la  France  du  côté  du  nord.  On  voyait  déj'a 
l'ennemi  libre  d'étendre  ses  courses  jusque  sous  les  murs  de  Paris,  et 
la  capitale  du  royaume  en  devenait  pour  ainsi  dire  la  frontière. 

Le  vieux  levain  de  la  Ligue  se  remit  'a  fermenter  ;  les  prédicateurs, 
reprenant  une  partie  de  leur  ancienne  audace,  ne  parlaient  point 
d'Amiens,  'a  la  vérité  ;  mais  ils  tonnaient  avec  un  redoublement  de  zèle 
sur  les  huguenots,  dont  les  assemblées,  chez  la  sœur  même  du  roi,  oîi 
l'on  faisait  publiquement  le  prêche,  allumaient,  disaient-ils,  l'ire  céleste. 

Le  roi,  quand  celte  sinistre  nouvelle  lui  avait  été  apportée,  venait  de 
se  retirer  pour  se  mettre  au  lit.  Il  se  leva  promptement  et  il  convoqua 
dans  sa  chambre  même  un  conseil  de  ses  plus  (idèles  serviteurs.  Il  fut 
le  seul  (jui  ne  parut  pas  ému.  «  C'est  assez  faire  le  roi  de  France,  dit- 
il,  faisons  maintenant  le  roi  de  Navarre.  »  Puis,  s'adressant  à  Gabrielle 
qui  était  Ta  :  «  Ma  belle,  ajouta-t-il,  laissez-nous.  11  faut,  comme  vous 
voyez,  quitter  maintenant  nos  combats  d'amour,  pour  monter  a  cheval  et 
faire  une  autre  guerre.  —  Mon  ami,  dit-il  'a  Sully,  qui  arrivait  en  ce 
moment-la,  Amiens  est  pris.  —  Hé  bien!  sire,  répondit  l'ami  de  Henri  IV, 
il  faut  le  reprendre.  Il  y  a  encore  de  bons  Français  qui  vont  s'offrir  à 
contribuer  'a  cette  reprise  de  tout  leur  courage  et  de  tous  leurs  moyens. 
Je  vous  promets  de  n'y  pas  manquer  pour  ce  qui  me  regarde,  et  que 
vous  aurez  en  bref  soldats,  canons,  argent,  vivres  et  munitions  autant 
qu'il  vous  en  faudra.  »  {Économies  royales  de  Sully,  1597.) 

Tout  aussitôt  on  convint  des  moyens  d'accomplir  cette  entreprise,  et 
le  roi  partit  sans  retard  pour  se  rendre  a  Beauvais  et  à  Montdidier. 
Après  avoir  rassuré  par  sa  présence  ces  deux  villes,  et  les  avoir  mises 
en  étal  de  défense,  il  s'avança  jusqu'à  Corbie,  située  sur  la   Somme  au- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  547 

dessus  (l'Amiens.  Et  ayant  appelé  le  maréchal  de  Biron,  avec  les  troupes 
qu'il  commandait  alors,  et  qui  se  trouvaient  sur  les  lieux,  il  lui  donna 
l'ordre  d'investir  incontinent  la  ville  du  côté  de  la  Flandre,  d'où  pou- 
vaient surtout  venir  des  secours  à  Fernand  Tello. 

Biron  n'avait  au  plus  que  trois  mille  hommes  d'infanterie  et  six  cents 
chevaux  :  ce  hit  avec  cette  troupe  bien  insuflisante  qu'il  vint  établir  son 
camp  au  village  de  Longpré;  et  cependant  de  tous  les  pays  de  la  France 
on  faisait  marcher  des  soldats,  la  noblesse  accourait  de  tous  les  côtés. 
Tout  le  mois  d'avril  fut  employé  'a  ces  marches,  le  mois  de  mai  se  passa 
'a  faire  les  logements  et  ce  ne  fut  que  vers  le  mois  de  juin  que  les 
approches  commencèrent  sérieusement.  (De  Tnou,  ubisup.) 

Quoique  le  vice-roi  des  Pays-Bas  fût  extrêmement  satisfait  du  succès 
qu'avait  eu  l'entreprise  de  Tello,  il  était  toutefois  fort  embarrassé  lui- 
même  pour  trouver  les  moyens  d'en  tirer  tout  le  parti  qu'il  pouvait  s'en 
promettre.  Il  n'avait  point  d'argent  et  il  ne  pouvait  s'en  procurer  à 
cause  d'un  édit  ([ue  Philippe  venait  de  promulguer,  et  qui  en  supprimant, 
sous  prétexte  de  prétentions  usuraires,  le  paiement  de  toutes  les 
sommes  dues  aux  négociants  et  banquiers,  n'engageaient  pas  ceux-ci  à 
se  mettre  de  nouveau  îi  découvert  vis-h-vis  de  l'État  ;  et  pourtant,  il  était 
facile  de  comprendre  que  si  on  laissait  les  Français  reprendre  Amiens, 
^-  un  pareil  dénouement,  d'une  entreprise  si  heureusement  conduite  jus- 
qu'alors, ne  servirait  (]u'a  humilier  l'Espagne  et  à  rehausser  la  gloire  et  la 
bravoure  de  la  France. 

Il  résolut  donc  de  faire  tout  son  possible  pour  garder  cette  conquête, 
et  il  envoya  dire  a  Tello  qu'il  pouvait  compter  sur  un  prompt  et  puis- 
sant secours. 

Celui-ci  avait  commencé  par  permettre  aux  siens  le  pillage  de  la  ville, 
et  par  mettre  a  rançon  la  personne  môme  de  chaque  habitant.  Ce  der- 
nier moyen  lui  procura  des  sommes  assez  importantes  ;  ensuite  pour 
faciliter  la  défense  de  la  place,  il  lit  brûler  tous  les  faubourgs,  et  jus- 
qu'à l'abbaye  de  Saint-Jean  qui  était  d'une  structure  admirable,  mais 
(|ui  se  trouvait  hors  de  l'enceinte  et  qui  commandait  la  ville.  Il  détourna 
le  cours  de  la  Somme,  qui  se  partage  en  deux  bras  principaux,  pour  faire 
passer  la  plus  grande  partie  des  eaux  dans  le  bras  qui  protège  le  côté 
par  où  les  assiégeants  devaient  former  leur  attaque.  Par  ce  moyen,  ce 
bras  qui  n'avait  guère  que  trois  pieds  de  profondeur  fut  porté  à  plus  de 
huit  pieds  ;  enfin,  avant  que  Biron  eût  eu  le  temps  de  former  ses  lignes 
de  circonvallation,  Tello  trouva  encore  le  moyen  de  faire  entrer  un 
secours  de  six  cents  chevaux.  (Mkzkhav,  1. 111,  p.  1188.) 

Le  maréchal  avait  songé  'a  se  rendre  maître  de  Doullens,  d"où  les 
assiégés  pouvaient  tirer  des  vivres  et  des  secours  ;  mais  cette  entreprise 
manqua,  parce  (pie  les  échelles  qu'il  avait  fait  préparer  pour  tenter  l'esca- 
lade se  trouvèrent  beaucoup  trop  courtes. 

Les  choses  en  étaient  Ta,  et  la  ville  était  à  peu  près  complètement 
bloquée,  (juand  le  mardi  vingt-neuvième  jour  de  mai,  Tello  se  mil  lui- 
même  a  la   tête  d'une  grande   sortie,   et  déjà  il  avait  forcé  les  lignes 


L 


548  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

françaises,  et  s'était  emparé  du  village  de  Longpré  ;  mais  Biron,  étant 
accouru  aussitôt,  chassa  les  ennemis  a  son  tour,  sans  pouvoir  néanmoins 
les  empêcher  de  remporter  dans  la  place  un  riche  butin. 

Le  roi  était  alors  retourné  a  Paris,  malade  des  plaisirs  auxquels  il 
s'était  livré  précédemment  avec  trop  peu  de  ménagement,  mais  plus 
malade  encore  de  l'inquiétude  que  lui  causait  la  situation  de  ses  affaires. 
Toute  sa  constance  semblait  l'avoir  abandonné.  «  Ah  !  écrivait-il  a 
Schomberg,  je  suis  assailli  de  tant  de  nécessités  que  je  ne  sais  plus  à 
quel  saint  me  vouer  pour  sortir  de  ce  malheureux  passage  ;  et  si  a 
travers  tout  cela  ceux  de  la  religion  continuent  a  me  demander  des 
choses  que  je  ne  peux  leur  accorder  sans  désunir  mes  sujets,  ils  aug- 
menteront tellement  ma  peine  et  mes  douleurs,  que  je  n'aurai  plus  qu'à 
mourir  d'ennui.  »  (Mézeray,  p.  1190.) 

Le  neuvième  jour  d'avril,  il  était  allé  au  Parlement,  et  dans  un  dis- 
cours qui  se  ressentait  plus  de  la  nécessité  des  circonstances  que  de  la 
dignité  royale,  il  avait  dit  qu'il  venait  demander  l'aumône  pour  ceux  de 
ses  pauvres  soldats,  qui  combattaient  encore  sur  la  frontière.  «  Je  con- 
jure, ajouta-t-il,  les  membres  de  la  cour  d'aviser  sans  retard  aux  besoins 
pressants  de  cette  armée,  la  dernière  ressource  de  l'État,  et  qui  est  prête 
a  tomber  en  défaillance,  sinon,  je  n'aurai  plus  qu'a  chercher  moi-même 
l'occasion  de  donner  ma  vie  avec  honneur,  aimant  mieux  périr  pour  la 
France  que  de  voir  la  France  périr.  » 

Le  Parlement  avait  répondu  a  ces  doléances  royales  par  un  arrêt  qui 
notait  d'infamie  et  condamnait  a  la  dégradation  tout  gentilhomme  qui 
refuserait  de  prendre  les  armes  dans  un  besoin  aussi  pressant  ;  mais  il 
refusa  obstinément  d'enregistrer  un  édit  autorisant  la  création  de  nou- 
veaux offices  de  magistrature,  que  Sa  Majesté  proposait  de  mettre  en 
vente  pour  se  procurer  de  l'argent.  Quelques  conseillers  offrirent 
toutefois  de  se  taxer  eux-mêmes,  «  et  de  prendre  sur  leurs  épaules  une 
partie  du  fardeau  ;  »  mais  le  plus  grand  nombre  ne  fut  pas  de  ce  der- 
nier avis. 

Sully,  cependant,  que  depuis  la  disgrâce  de  Sancy  le  roi  venait  de 
mettre  définitivement  et  seul  a  la  tête  des  finances,  songeait  à  remplir 
la  promesse  qu'il  avait  faite  a  Sa  Majesté  de  ne  la  laisser  manquer  ni 
d'hommes,  ni  de  munitions,  ni  d'argent.  Il  traita  d'abord  avec  les  plus 
riches  d'entre  les  marchands,  et  en  leur  assignant  pour  gage  de  leurs 
avances  le  produit  des  gabelles,  il  obtint  une  bonne  partie  des  sommes 
dont  on  avait  un  si  pressant  besoin  ;  il  dressa  ensuite  un  plan  détaillé 
de  toutes  les  ressources  qui  pouvaient  encore  alimenter  le  trésor  royal. 
C'était  d'abord  de  demander  un  don  gratuit  au  clergé,  pour  une  ou  deux 
années,  et  qui  serait  payé  d'avance,  ensuite  d'augmenter  le  sel  de  quinze 
sols  par  minot,  de  percevoir  un  tiers  en  sus  sur  les  entrées  et  droits  de 
navigation,  et  enfin,  d'emprunter  douze  cent  mille  livres  sur  les  plus 
riches,  tant  de  la  cour  que  des  autres  villes.  Le  roi,  qui  approuva  ce  plan, 
se  chargea  de  l'exposer  lui-même  au  conseil  dit  déraison,  et  d'en  obte- 
nir l'approbation.  (Économies  royales  de  Sully,  ibid.) 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  549 

Ce  conseil,  qui  tenait  ses  séances  dans  le  palais  de  rarchevcché  de 
Paris,  sous  la  présidence  de  l'archevèiiue  lui-même,  était  composé  de 
courtisans  avides,  de  financiers  intéressés  et  de  grands  seigneurs  ambi- 
tieux ;  on  devait  s'attendre  qu'il  serait  hostile  au  projet.  Mais  le  roi  ne 
leur  laissa  pas  le  temps  de  réfléchir.  «  Messieurs,  leur  dit-il,  puisque 
vous  n'avez  pas  encore  pu  me  proposer  aucun  moyen  de  sortir  de  l'embar- 
ras où  nous  nous  trouvons,  quoique  je  ne  sois  pas  moi-même  fort  versé 
dans  les  finances,  je  vais  toujours  vous  donner  mon  avis  sauf  à  l'échan- 
ger contre  un  meilleur,  s'il  en  survenait  un,  »  et  il  lut  brusquement  le 
plan  que  lui  avait  dressé  Sully.  Puis,  comme  tout  le  monde  dans  un 
premier  moment  de  surprise  restait  dans  le  silence,  il  déclara  qu'il  pre- 
nait ce  silence  pour  un  consentement  unanime,  et  qu'il  allait  donner 
des  ordres  en  conséquence  de  ce  vani  général  du  conseil.  «  Au  reste, 
ajoute  Sully,  mon  intention  n'était  pas  de  me  servir  de  tous  ces  moyens 
a  la  fois  ;  »  et  en  efïet,  il  se  contenta  d'abord  de  l'emprunt  de  douze  cent 
mille  livres,  et  le  roi,  sûr  de  ne  plus  manquer  d'argent,  put  revenir  au 
camp. 

Mais  il  y  ramenait  avec  lui  sa  maîtresse  (pii  ne  le  (piittait  plus,  et 
Biron,  plus  guerrier  que  courtisan,  se  crut  obligé  de  lui  conseiller,  d'une 
manière  assez  libre,  d'éloigner  au  moins  ce  scandale  de  l'armée,  parce 
que  toutes  ces  femmes  ne  pouvaient  servir  qu'a  corrompre  la  discipline 
et  à  gêner  les  opérations  du  siège.  «  Voila  pourtant,  avait-il  dit  à 
quelques  amis,  en  parlant  de  Gabrielle,  le  genre  de  bonheur  que  Sa 
Majesté  traîne  partout  avec  elle.  »  (Davila,  t.  III,  liv.  15,  p.  105.) 

Henri,  pour  le  calmer,  loua  beaucoup  tous  les  travaux  que  le  maré- 
chal avait  déjà  fait  exécuter  pendant  son  absence  ;  il  régla  qu'il  aurait 
le  commandement  général  de  l'armée,  ainsi  que  la  direction  de  toutes 
les  opérations  du  siège.  Il  consentit  que  Madame  Gabrielle  allât  prendre 
son  logement  dans  le  vieux  château  de  Boves,  dont  on  ne  retrouve 
guère  aujourd'hui  que  quelques  ruines  ;  et  lui-même  prit  son  (iiiartier 
près  de  la  Madeleine,  un  des  endroits  les  plus  exposés  de  toute  la  ligne. 
Le  toit  de  cette  église  avait  été  abattu  par  l'artillerie  des  assiégés  ;  mais, 
il  y  restait  encore  un  endroit  voûté,  et  ce  fut  la  que  le  roi  fit  établir  son 
logement,  quoique  le  canon  des  remparts  vînt  tuer  chaque  jour  beau- 
coup de  monde  en  ce  même  lieu.  Un  boulet  traversa  même,  un  jour, 
l'endroit  où  Sa  Majesté  était  couchée,  et  alla  se  fixer  dans  le  tronc 
d'un  arbre  voisin,  où  on  le  montrait  encore  bien  longtemps  après  le 
siège. 

Henri  se  montra  véritablement  étonnant  pendant  tout  le  cours  de 
cette  mémorable  campagne  ;  et  l'on  est  surpris  qu'au  milieu  des  inquié- 
tudes et  des  travaux  d'un  siège  aussi  important,  il  ait  pu  trouver  encore 
le  temps  de  s'occuper  des  affaires  de  son  royaume,  rétablir  l'exactitude 
dans  les  finances,  surveiller  l'entrée  et  la  sortie  des  fonds,  régler  et 
liquider  juscpi'aux  moindres  comptes  de  détail,  et  conduire  sur  la  même 
ligne  les  affaires  de  la  guerre  et  celles  du  cabinet.  On  est  surpris  de  la 
quantité  de  lettres  que,  pendant  ce   seul  temps-la,  il  écrivit  lui-même 


550  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

OU  qu'il  dicta  et  dont  Sully  nous  a  conservé  une  partie.  Son  entretien 
personnel  était  le  seul  qu'on  pouvait  trouver  qu'il  négligeait.  Il  fallait 
pour  le  forcer  'a  y  penser  que  son  maître  d'hôtel  vînt  l'obliger  a  s'en 
occuper,  en  l'avertissant  «  que  sa  marmite  était  prête  'a  donner  du  nez 
en  terre  »  ;  il  dit  lui-même  qu'il  était  alors  presque  nu,  sans  armes  et 
sans  chevaux.  {Mém.  de  Sully ,  t.  III,  p.  130  et  suiv.) 

Cependant  l'armée  française,  grâce  aux  renforts  qui  lui  arrivaient  de 
toutes  parts,  était  déjà  forte  de  douze  mille  hommes  de  pied  et  de  trois 
mille  hommes  de  cavalerie.  L'Angleterre  avait  de  plus  envoyé  au  secours 
du  roi  quatre  mille  soldats  ;  mais  il  fallait  payer  ces  troupes  régulière- 
ment tous  les  mois,  si  on  voulait  les  empêcher  de  déserter.  Ce  fut 
Villeroi  que  le  roi  chargea  de  faire  la  solde  a  chaque  revue,  dans  la 
crainte  que  les  deniers  ne  fussent  détournés  ou  mal  employés  «  comme 
c'était  assez  l'usage  en  ce  temps-là  ».  (De  Thou,  t.  XIII,  liv.  108,  p.  111 
et  suiv.  —  Legrain,  liv.  6,  p.  529.) 

Il  régnait  alors  dans  la  ville  une  sorte  de  maladie  contagieuse  qui 
sévissait  surtout  sur  les  habitants,  mais  qui  ne  laissait  pas  que  d'em- 
porter aussi  un  bon  nombre  des  défenseurs  de  la  place,  tandis  que 
dans  le  camp  du  roi,  grâce  au  bon  air  de  la  campagne  et  à  l'abondance 
de  toutes  choses,  la  santé  était  parfaite.  Sur  ces  entrefaites,  le  capitaine 
Breuil,  s'étant  déguisé  en  moine  augustin,  parvint  'a  s'introduire  dans 
Amiens  ;  la,  aidé  par  les  pères  de  cet  ordre,  qui,  en  opposition  avec  les 
cordeliers,  favorisaient  la  faction  française,  il  parvint  à  former  avec 
quelques  bourgeois  un  complot  pour  livrer  aux  assiégeants  la  tour  de 
l'ouest,  l'une  des  principales  défenses  de  la  ville  de  ce  côté-la.  Mais  ce 
complot  ayant  été  découvert  par  la  trahison  d'un  des  religieux,  tous 
ceux  qui  y  avaient  trempé  furent  livrés  au  bourreau,  a  l'exception  des 
moines  auxquels  on  n'osa  pas  s'attaquer. 

Sept  jours  après,  Biron,  ayant  fait  pétarder  une  partie  de  la  muraille 
par  des  gens  qui  s'étaient  glissés  dans  les  fossés,  tenta  de  donner  l'as- 
saut de  ce  côté-lâ  ;  mais  il  fut  repoussé. 

L'ennemi  faisait  cependant  presque  continuellement  d'audacieuses 
sorties  :  quelquefois  il  avait  l'avantage  ;  mais  le  plus  souvent  il  était 
repoussé  avec  perte.  Dans  un  de  ces  combats,  près  d'une  chapelle 
que  le  maréchal  avait  fait  fortifier,  les  troupes  qui  s'y  trouvaient 
eussent  été  certainement  perdues,  si  un  régiment  anglais  ne  fût  pas 
promptement  accouru  a  leur  secours.  La  lutte  fut  longue  et  sanglante. 
A  la  lin,  pourtant,  les  Espagnols  furent  contraints  de  battre  en  re- 
traite ;  et  les  Français  qui  les  poursuivirent  l'épée  dans  les  reins  arbo- 
rèrent leurs  étendards  sur  la  contre-escarpe.  Des  deux  côtés,  on  avait 
perdu  plus  de  deux  cents  hommes  sans  compter  les  blessés.  (De  Thou, 
uhi  swp.) 

Pour  donner  suite  à  ce  premier  succès,  Biron  fit  dresser  ses  batte- 
ries près  de  la  chapelle  qui  venait  d'être  si  vivement  disputée,  et  com- 
mença a  foudroyer  le  rempart.  Tello  fit  une  nouvelle  sortie  dans  le  but 
de  détruire  ces  batteries  qui  commençaient  à  l'inquiéter  ;  il  y  eut  une 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  551 

balaille  acliarnée,  les  troupes  anglaises  y  firent  encore  généreusement 
leur  devoir,  et  Tello  fut  repoussé,  après  avoir  perdu  soixanle-dix  de  ses 
plus  braves  soldats.  Depuis  ce  temps,  il  n'osa  plus  s'éloigner  des  rem- 
parts ;  car  il  voyait  sa  garnison  diminuer  d'une  manière  effrayante  par 
tous  ces  combats  et  surtout  par  la  maladie. 

Et  de  plus,  cbaque  fois  qu'il  éloignait  une  partie  de  ses  troupes  pour 
aller  au  combat,  il  était  obligé  de  faire  ranger  l'autre  en  bataille  dans 
les  rues  et  sur  les  places  de  la  ville,  pour  maintenir  les  habitants 
toujours  prêts  a  se  soulever  contre  l'étranger. 

François  de  Saint-Luc,  grand-maître  de  l'artillerie  de  France,  eut 
l'idée  de  faire  dresser  des  claies  d'osier  derrière  le  fossé,  et  de  braquer, 
a  la  faveur  de  cet  abri,  six  gros  canons  dont  les  décharges  eurent  bien- 
tôt renversé  une  partie  des  fortifications.  Le  roi  fit  aussitôt  élever  une 
plate-forme,  du  haut  de  laquelle  on  pouvait  tirer  sur  l'ennemi  jusque  dans 
l'intérieur  de  la  ville,  pendant  qu'on  s'occupait  en  même  temps  a  saper 
les  murailles  de  ce  côté-lîi.  ïello,  se  voyant  dans  un  danger  aussi  pres- 
sant, assembla  un  conseil  de  guerre  et  demanda  quel  parti  il  fallait 
prendre.  Quelques-uns  de  ses  officiers  furent  d'avis  d'abandonner  cette 
partie  du  rempart,  qu'on  ne  pouvait  plus  guère  espérer  de  défendre,  et 
de  se  retrancher  de  l'autre  côté  du  bras  de  la  Somme,  qui  coule  dans 
la  ville.  L'a,  disaient-ils,  on  aura  du  moins  la  facilité  de  tenir  assez 
longtemps  pour  pouvoir  attendre  les  secours  promis  par  le  vice-roi. 

D'autres  prétendirent  qu'il  était  plus  avantageux  et  surtout  plus  ho- 
norable de  se  maintenir  encore  dans  l'endroit  où  l'on  se  trouvait,  dont, 
selon  eux,  la  défense  était  bien  loin  encore  d'être  impossible,  et  dont  l'a- 
bandon pouvait  être  fatal,  en  augmentant  l'audace  des  partis  qui  fer- 
mentaient déjà  dans  Amiens. 

Ce  fut  ce  dernier  avis  qui  prévalut,  et  l'on  se  mit  aussitôt  en  devoir 
d'élever  un  ravelin  derrière  le  rempart,  déjà  a  peu  près  ruiné  par  nos 
boulets.  On  obligea  tous  les  habitants  à  travailler  sans  relâche  à  cette 
fortification  et  a  porter  dans  des  hottes  ou  'a  rouler  dans  des  brouettes 
les  terres  nécessaires. 

Mais  tout  à  coup  survint  un  de  ces  accidents  qui  déconcertent  toute 
une  armée.  Comme  Tello  passait  sur  un  des  ponts  de  la  Somme,  le  long 
du(iuel  on  avait  tendu  des  toiles  afin  de  dérober  aux  nôtres  la  vue  des 
soldats  qui  passaient  par  la  pour  aller  à  leurs  postes  sur  les  remparts, 
un  coup  d'arquebuse  tiré  au  hasard  du  camp  français  l'atteignit  et  le 
tua  raide  sur  la  place.  La  garnison  perdait  l'bomme  dont  le  courage  et 
le  sang-froid  eussent  pu  peut-être  encore  offrir  (juelques  chances  de  plus 
à  sa  résistance.  Il  fut  inhumé  dans  l'église  catliédrale  d'Amiens,  et  l'on 
mit  sur  son  tombeau  une  épitaphe  a  sa  louange,  gravée  en  lettres  d'or 
sur  une  planche  de  bois  recouverte  de  velours  noir.  Ce  fut  le  marquis 
de  Monténégro  qui  lui  succéda  dans  le  commandement. 

Mais,  de  leur  côté,  les  Français  avaient  aussi  perdu  Saint-Luc,  qui 
fut  tué  dans  le  fossé  d'un  coup  de  feu  dans  la  tête,  pendant  (ju'il  y  faisait 
les   devoirs  de  sa  charge  de   grand-maître   de  l'artillerie.   Saint-Luc, 


552  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

ancien  favori  de  Henri  III,  laissait,  dit-on,  une  grande  fortune  a  ses  héri- 
tiers. Le  roi,  ajoute-t-on,  en  apprenant  cette  mort,  dit  :  «  Je  perds 
aujourd'hui  un  très-vaillant  et  très-fidèle  serviteur.  » 

L'intention  de  Sa  Majesté  était  de  donner  la  charge  de  grand-maître 
de  l'artillerie  de  France,  devenue  vacante  par  cette  mort,  a  Sully,  pour  le 
récompenser  des  services  qu'il  n'avait  cessé  de  lui  rendre.  Mais  dès  le 
lendemain,  comme  celui-ci  se  présentait  a  son  lever  :  «  Mon  ami,  lui  dit- 
il,  j'ai  eu  toute  cette  nuit  une  grosse  querelle  pour  vous  ;  et  il  a  bien 
fallu  me  laisser  vaincre  :  Gabrielle  m'a  tant  importuné,  que  je  lui  ai 
accordé  la  charge  de  grand-maître  de  l'artillerie  pour  son  père.  Elle  me 
menaçait  de  se  retirer  dans  quelque  couvent,  si'je  ne  lui  donnais  cette 
satisfaction,  et  je  vous  assure  que  je  n'ai  pas  eu  assez  de  force  pour 
résister  a  une  pareille  menace.  Au  surplus,  j'y  ai  mis  cette  condition  que 
la  charge  serait  a  vous,  aussitôt  la  retraite  ou  la  mort  du  vieux  d'Estrée.  » 
{Écon.  rotjales  de  Sully,  1597.) 

Cependant  l'artillerie  et  la  mine  avaient  rendu  la  brèche  assez  pra- 
ticable pour  qu'on  pût  y  donner  l'assaut.  Les  Français  d'un  côté  et  les 
Anglais  de  l'autre  s'avancèrent  avec  une  résolution  rendue  plus  vive 
encore  par  la  rivalité  des  deux  nations,  qui  brfdaient  de  s'acquérir  l'hon- 
neur de  la  journée.  Us  furent  reçus  avec  une  bravoure  égale  par  les 
assiégés.  De  part  et  d'autre,  on  perdit  beaucoup  de  monde  et  tout 
ce  que  les  assiégeants  purent  gagner,  après  des  prodiges  de  valeur, 
ce  fut  de  pouvoir  se  loger  sur  les  ruines  du  premier  rempart.  Monté- 
négro se  fortifia  et  se  retrancha  de  l'autre  côté  des  nouveaux  travaux. 
(De  Tiiou,  uhi  siip.) 

Or,  le  vice-roi  Albert  était  enfin  parvenu,  malgré  toutes  les  diffi- 
cultés de  sa  position,  a  rassembler  une  armée  de  plus  de  vingt  mille 
hommes,  composée  en  partie  de  troupes  italiennes  qui  venaient  d'arri- 
ver du  Milanais.  Il  tint  un  conseil  de  guerre  pour  décider  si  l'on  mar- 
cherait directement  sur  Amiens,  afin  d'attaquer  nos  retranchements  et 
de  délivrer  la  ville,  ou  si  l'on  ne  tenterait  pas  plutôt  de  faire  diversion, 
en  se  portant  contre  Péronne  ou  contre  Saint-Quentin.  On  s'arrêta  au 
premier  parti,  et  l'armée  du  vice-roi  se  mit  en  route  pour  cette  expé- 
dition. 

Incontinent,  une  forte  avant-garde  prit  les  devants  pour  éclairer  la 
marche  et  s'assurer  des  chemins.  Le  roi  eut  avis  dès  le  grand  matin  de 
l'approche  d'un  corps  ennemi  ;  aussitôt,  il  se  jeta  à  bas  du  lit,  et  quoi- 
qu'il eût  passé  une  partie  de  la  nuit  dans  la  tranchée,  il  voulut  aller 
reconnaître  lui-môme  ce  qui  se  passait  dans  la  campagne.  Il  partit 
d'abord  avec  peu  de  monde,  mais  il  fut  bientôt  suivi  par  le  maréchal  de 
Biron,  avec  toutes  les  troupes  que  le  prudent  général  avait  cru  pouvoir 
détacher  du  siège.  {Mémoires  de  la  Ligue,  t.  VI,  p.  510.) 

On  rencontra  le  corps  ennemi  en  deç'a  de  la  petite  rivière  qui  se 
jette  dans  la  Somme  près  de  Corbie,  et  l'on  fit  halte  pour  donner  aux 
troupes  le  temps  de  se  reposer  après  une  marche  assez  longue.  Le  roi 
écrivait  aux  gens  de  son  conseil  une  lettre  ainsi   conçue  :    «  11  paraît 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  553 

que  le  cardinal  Albert  arrive  pour  jeter  du  secours  dans  Amiens.  Je  ne 
puis  croire  encore  que  le  dit  sieur  cardinal  me  veuille  tant  de  bien  que 
de  venir  m'offrir  une  bataille.  Toutefois,  puisqu'il  s'est  tant  avancé,  il  y 
sera  peut-être  forcé  ;  et  je  vous  assure  que  je  n'en  perdrai  pas  l'occa- 
sion; ma  cause  est  si  juste  (jue  Dieu  me  donnera  bien  certainement  la 
victoire.  »  (Journal  de  Henri  IV,  t.  III,  p.  575.) 

A  la  nouvelle  de  l'approche  du  roi,  une  terreur  panique  s'empara  de 
la  troupe  ennemie  qui  s'était  ainsi  avancée,  et  elle  s'enfuit  dans  un 
désordre  honteux  jusqu"a  Bapaume.  Les  Français  la  poursuivirent  l'épée 
dans  les  reins  ;  et  dans  cette  déroute,  qui  ne  fut  même  pas  précédée 
d'un  combat,  nous  primes  trois  étendards  et  plus  de  deux  cents  chevaux 
abandonnés  ;  car  les  cavaliers  avaient  trouvé  plus  sûr  de  mettre  pied  a 
terre  pour  se  sauver  dans  les  fourrés  des  bois. 

C'étaient  Spinola  et  Contreras  qui  commandaient  le  corps  espagnol 
qui  venait  de  fuir  si  honteusement  ;  le  premier,  brave  soldat  dont  le 
courage  avait  déjîi  été  plus  d'une  fois  éprouvé  dans  ces  guerres,  était 
furieux  de  se  voir  ainsi  entraîné  dans  la  fuite  des  siens.  Il  voulait  se 
battre  en  duel  avec  Contreras,  qu'il  accusait  d'avoir  donné  l'exemple 
d'une  pareille  lâcheté.  Mais  le  vice-roi  leur  ordonna  a  l'un  et  a  l'autre 
de  s'abstenir  de  toute  voie  de  fait.  «  Attendez,  leur  dit-il;  au  jour  de  la 
bataille  que  je  dois  livrer  bientôt,  vous  aurez  la  l'occasion  de  faire  voir 
plus  glorieusement  pour  vous  lequel  des  deux  est  le  plus  courageux  et 
le  plus  fidèle  a  son  devoir.  » 

Dès  qu'Albert,  qui  continuait  cependant  sa  route,  eut  passé  la  rivière 
d'Authie,  il  fit  faire  plusieurs  décharges  de  son  canon,  pour  faire  savoir 
aux  assiégés  qu'il  venait  à  leur  secours.  Son  avant-garde  était  composée 
d'un  corps  nombreux  d'infanterie  qu'il  avait  formé  en  carré.  Deux 
autres  gros  bataillons  carrés  faisaient  le  centre,  et  devant  chacun, 
il  y  avait  une  grande  quantité  de  charrettes,  attachées  ensemble 
par  des  chahies  de  fer.  Ces  charrettes  portaient  des  barques  et  des 
pontons  pour  passer  les  rivières  et  les  ruisseaux  qui  pouvaient  se  ren- 
contrer sur  la  route,  et  leur  marche  était  protégée  par  des  arquebusiers 
à  cheval.  La  cavalerie  et  l'artillerie  venaient  ensuite,  et  un  corps  d'infan- 
terie d'élite  formait  l'arrière-garde. 

Le  vice-roi  campa  la  première  nuit  près  de  l'abbaye  de  Bertincourt. 
Le  roi,  qui,  après  son  succès  de  la  veille,  était  revenu  a  son  camp,  ne 
croyant  pas  que  l'ennemi  fût  encore  en  humeur  de  risquer  une  pareille 
démarche,  avait  négligé  de  fortifier  le  village  de  Longpré  et  ne  songeait 
alors  qu'a  s'opposer  aux  sorties  des  assiégés.  Aussi  fut-il  bien  étonné  de 
voir,  'a  la  naissance  du  jour,  l'armée  espagnole  s'avancer  contre  nos 
lignes,  dans  l'ordre  formidable  qui  vient  d'être  décrit. 

A  cet  aspect,  plusieurs  des  principaux  officiers  du  camp  vinrent  tout 
cflrayés  lui  dire  que  tout  était  perdu,  et  Henri  lui-même  douta  du  suc- 
cès de  la  journée  qui  se  préparait.  Ayant  le  chapeau  à  la  main  et  les 
yeux  levés  au  ciel,  il  s'écria  :  «  Ah  !  Seigneur  tout-puissant,  si  c'est 
aujourd'hui  que  tu  me  veux  punir,  comme  ne  le  méritent  que  trop  mes 


554  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

péchés,  j'offre  ma  tête  a  ta  justice  ;  mais  prends  pitié  de  ce  pauvre 
royaume,  et  ne  frappe  pas  le  troupeau  pour  la  faute  du  berger  !  »  (Mat- 
thieu, t.  II,  p.  254.) 

On  s'attendait  que  l'attaque  commencerait  sur  le  village  de  Longpré 
et  le  roi  s'était  hâté  d'y  envoyer  des  troupes  ;  car  de  la  prise  de  ce 
poste  semblait  dépendre  tout  le  succès  de  la  journée  ;  l'ennemi,  maître 
de  Longpré,  aurait  eu  une  communication  ouverte  avec  Amiens  ;  mais, 
le  vice-roi,  an  milieu  de  la  fumée  de  notre  artillerie  qui  ne  cessait  de 
tirer  depuis  le  matin,  eut  un  moment  d'incertitude  sur  ce  qui  se  pas- 
sait dans  le  camp  français,  et  s'arrêta  brusquement  dans  son  mouvement. 
La  nuit  survint  fort  heureusement  et  le  duc  de  Mayenne,  qui  servait 
fidèlement  Henri  IV,  comme  il  l'avait  promis,  fit  fortifier  le  village  avec 
la  plus  grande  activité,  pendant  que  les  assiégés  faisaient  des  feux  de 
tous  les  côtés  sur  leurs  remparts,  pour  servir  de  signaux  aux  secours 
qu'ils  attendaient,  et  tiraient  sans  relâche  le  canon  de  toutes  leurs  bat- 
teries. (Cayet,  liv.  9,  1597.) 

Albert,  en  effet,  avait  fait  glisser  un  corps  de  troupes  qui  devait 
s'introduire  dans  la  place  avec  des  vivres  et  des  munitions  ;  mais  ce 
corps  fut  découvert  dans  sa  marche,  battu  et  repoussé,  sans  qu'au- 
cun de  ceux  qui  le  composaient  pût  approcher  même  des  remparts 
d'Amiens. 

Quand  le  jour  reparut,  Albert  vit  Longpré  protégé  par  les  travaux 
que  Mayenne  y  avait  fait  faire  pendant  toute  la  nuit.  Il  désespéra  alors 
d'emporter  un  poste  aussi  bien  défendu,  et  il  jugea  prudent  de  se  reti- 
rer. En  apprenant  cette  retraite,  le  roi  dit,  tout  joyeux  :  «  Monsieur  le 
cardinal  archiduc  est  bravement  venu  à  nous  en  capitaine  ;  et  voila 
qu'il  s'en  retourne  en  prêtre.  Je  regrette  qu'il  refuse  d'aussi  mauvaise 
grâce  l'honneur  que  le  roi  de  France  voulait  lui  faire  d'accepter  une 
bataille  contre  lui.  » 

Puis,  laissant  dans  ses  retranchements  assez  de  monde  pour  les 
garder,  il  se  mit  à  la  poursuite  de  l'ennemi  avec  tout  le  reste  de  son 
armée,  et  il  attaqua  'a  plusieurs  reprises  l'arrière-garde  du  vice-roi. 
Mais  l'archiduc  sut  maintenir  un  si  bel  ordre  dans  sa  retraite  qu'il  tut 
impossible  de  l'entamer  ou  de  le  forcer  à  un  combat,  et  qu'après  avoir 
passé  deux  jours  a  Rubempré  pour  se  reposer,  il  arriva  tranquillement  'a 
Arras. 

Henri,  de  retour  sous  les  murs  d'Amiens,  envoya  un  trompette  aux 
assiégés  pour  leur  faire  savoir  que  «  c'était  toujours  avec  regret  qu'il 
voyait  couler  le  sang  des  chrétiens  ;  qu'il  exhortait  donc  la  garnison  à  ne 
plus  s'obstiner  a  la  défense  d'une  place  qui  ne  pouvait  plus  être  secou- 
rue, et  a  songer  plutôt  a  se  ménager  une  capitulation  honorable,  qu'il 
leur  offrait  encore.  »  Monténégro  assembla  un  conseil  de  guerre,  et 
comme  on  manquait  de  mèches  et  de  poudre,  et  que  la  contagion  fai- 
sait chaque  jour  de  nouveaux  ravages  dans  la  ville,  il  fut  décidé  qu'on 
ferait  des  propositions  aux  assiégeants.  (Mémoires  de  la  Ligue,  t.  VI, 
p.  522.) 


I 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  555 

«  Il  fut  réglé  que  les  tombeaux  et  épitnplies,  dressés  dans  les  églises 
de  la  ville  en  l'honneur  de  ïello  et  des  autres  oriiciers  tués  pendant  le 
cours  du  siège,  seraient  respectés  pourvu  qu'il  ne  se  trouvât  dans  les 
dites  inscriptions  rien  d'injurieux  à  la  nation  française  ;  que  les  Espa- 
gnols pourraient,  s'ils  le  voulaient,  exhumer  les  corps  et  les  transporter 
ailleurs  ;  que  la  garnison  sortirait  mèches  allumées  et  enseignes 
déployées,  tambours  battants,  avec  armes  et  bagages  ;  que  le  roi  fourni- 
rait des  chariots  pour  transporter  ces  bagages,  ainsi  que  les  malades  et 
les  blessés  jusqu'à  Bapaume  ou  à  Doullens  ;  que  ceux  des  bourgeois  qui 
voudraient  suivre  la  garnison  en  auraient  la  liberté  avec  le  droit  d'em- 
porter leurs  effets  ;  que  les  prisonniers  faits  pendant  le  siège  seraient 
rendus  ;  enlîn  que  les  Espagnols  auraient  six  jours  de  trêve  pour  pré- 
venir l'archiduc  Albert  et  que  si,  avant  l'expiration  de  ces  six  jours,  le 
dit  archiduc  n'avait  trouvé  moyen  de  faire  entrer  dans  la  place  un 
secours  d'au  moins  deux  mille  hommes,  les  conditions  sus-énoncées 
seraient  définitives  et  exécutées  de  bonne  foi  de  part  et  d'autre.  »  (Cavet, 
ubi  Slip.) 

A  l'expiration  du  temps  fixé  par  cet  accord,  aucun  secours  n'ayant 
paru,  la  ville  d'Amiens  fut  rendue  au  roi.  Le  comte  de  Monténégro,  îi 
cheval,  mais  un  simple  bâton  'a  la  main  et  sans  bottes,  sortit  le  premier 
par  la  porte  de  Beauvais,  dont  le  pont-Ievis  venait  d'être  baissé.  Il  ren- 
contra le  roi  à  une  lieue  de  la,  et  ayant  mis  pied  à  terre,  il  embrassa 
la  botte  du  monarque.  «  Sire,  dit-il,  je  remets  aujourd'hui  'a  Votre 
Majesté  une  ville  qui  naguères  ne  voulait  reconnaître,  pour  ainsi  dire, 
d'autres  maîtres  que  ses  propres  magistrats  ;  mais  qui  maintenant  va 
vous  appartenir  en  propre,  puisque  vous  en  avez  fait  la  conquête.  »  (De 
Thol',  iibi  Slip.) 

Henri  accueillit  gracieusement  ce  compliment  d'un  ennemi  vaincu, 
et  Monténégro  poursuivit  son  chemin  avec  deux  mille  six  cents  hommes 
d'infanterie  et  six  cents  chevaux,  reste  de  la  garnison  d'Amiens.  Der- 
rière lui  venaient  les  charrettes  qui  portaient  les  malades  et  les  bles- 
sés, et  qu'accompagnaient  un  grand  nombre  de  femmes. 

Le  comte  de  Morette,  en  passant  devant  le  roi,  se  permit,  tout 
vaincu  qu'il  était,  une  singulière  rodomontade  espagnole.  Henri,  en  lui 
montrant  l'endroit  par  où  le  vice-roi  avait  attaqué  son  camp  :  «  S'il  eût 
donné,  disait-il,  de  cet  autre  côté,  où  est  le  quartier  de  Madame  Gabrielle, 
il  aurait  indubitablement  gagné  la  bataille.  —  Sire,  répondit  fièrement 
le  comte,  notre  vice-roi  eût  mieux  aimé  perdre  cent  batailles  que  de 
venir  se  fourrer  dans  un  bordeau.  »  A  quoi  un  gentilhomme  français 
répondit  :  «  Il  a  eu  raison,  votre  beau  cardinal,  car,  aussi  bien,  n'y 
aurait-il  fait  rien  qui  vaille  ;  le  nom  seul  de  la  belle  Gabrielle  lui  aurait 
fait  peur,  comme  a  un  prêtre  et  faible  homme  qu'il  est.  »  [Journal  de 
Henri  IV,  ibid.,  p.  581.) 

Henri,  sur  les  quatre  heures  du  soir,  lit  son  entrée  dans  la  ville 
reconquise.  Il  trouva  que  dans  cette  cité  jadis  si  populeuse  il  ne  restait 
plus  guère  que  huit  cents  des  habitants  «  et  que  les  Espagnols  y  avaient 


556  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

laissé  quelque  peu  de  peste,  mais  fort  peu  de  meubles.  »  Il  se  rendit  a 
la  cathédrale,  où  le  Te  Deuni  fut  chanté;  et  après  la  cérémonie  religieuse, 
il  revint  dans  son  camp  où,  celte  nuit  même,  le  feu  fut  mis,  on  ne  sait 
trop  comment.  Le  quartier  du  roi,  les  tentes  des  princes  et  des  seigneurs 
furent  la  proie  des  flammes  ;  et  tous  les  bagages  de  l'armée,  le  trésor 
même,  furent  pillés,  ou  consumés,  ou  fondus  par  l'intensité  de  l'incendie. 
{Mém.  de  la  Ligue,  t.  VI,  p.  519.) 

Henri  donna  le  gouvernement  d'Amiens  'a  Dominique  de  Vie,  qu'il 
estimait  grandement  à  cause  de  sa  bravoure  et  de  sa  fidélité.  Cette  fois, 
les  habitants  ne  s'opposèrent  plus  'a  recevoir  une  garnison  royale  dans 
leurs  murs  ;  car  ils  avaient  sous  les  yeux  les  preuves  encore  flagrantes 
de  ce  qu'il  leur  en  avait  coûté  pour  avoir  voulu  tenir  un  peu  trop  rigou- 
reusement à  leur  sentiment  d'orgueil  municipal  :  leurs  fortifications 
étaient  toutes  ruinées,  leurs  maisons  désertes,  leurs  magasins  pillés  et 
la  peste  ravageait  leur  ville  ;  aussi  ne  sourcillèrent-ils  pas  même  quand 
ils  virent  élever  chez  eux  une  citadelle,  «  qui  encore  aujourd'hui,  dit 
Mézeray,  fait  soupirer  les  enfants  de  la  faute  de  leurs  pères.  »  (De 
Tiiou,  liv.  118,  p.  127.  —  Mézeray,  t.  III,  p.  1201.) 

Le  roi  avait  envie  d'aller  de  suite  assiéger  Doullens,  et  il  donna  des 
ordres  en  conséquence,  malgré  la  saison  avancée.  Pourtant,  comme  il 
le  disait  lui-même,  il  ne  voulait  pas  se  montrer  si  impoli  que  de  laisser 
s'éloigner  un  grand  personnage  de  la  qualité  de  Monsieur  le  cardinal 
vice-roi,  qui  lui  avait  fait  l'honneur  de  venir  le  visiter  avec  une  suite  si 
nombreuse,  sans  lui  rendre  visite  à  son  tour,  et  il  alla  faire  des 
courses  jusqu'aux  portes  d'Arras,  où  ce  prince  tombé  malade  de 
fatigue  avait  été  forcé  de  s'arrêter.  Quelques  coups  de  canon  furent 
tirés  contre  la  ville,  il  y  eut  plusieurs  escarmouches  jusque  dans  les 
faubourgs,  après  quoi  Henri,  croyant  avoir  satisfait  à  ce  qu'il  nommait 
plaisamment  un  devoir  de  politesse,  se  rabattit  du  côté  de  Doullens  dont 
le  siège  était  déj'a  commencé,  et  où  il  trouva  son  armée  campée  dans 
les  boues  d'un  terrain  détrempé  par  les  pluies  de  la  saison.  (De  Tnou, 
ubi  supra.) 

Mais  déj'a  Sa  Sainteté  Clément  Vlll  venait  de  s'entremettre  pour 
ménager  un  accommodement  entre  les  deux  couronnes  de  France  et 
d'Espagne.  Henri  et  Philippe  sentaient  également  le  besoin  de  la  paix, 
et  des  plénipotentiaires  furent  nommés  de  part  et  d'autre  pour  préparer 
et  discuter  les  conditions  du  traité.  En  attendant,  le  roi  revint  à  Paris 
«  où  les  bourgeois  de  la  bonne  ville,  par  ses  ordres  conformes  'a  leur 
aff"eclion,  honorèrent  sa  victoire  d'une  triomphante  entrée,  et  lui  témoi- 
gnèrent grande  joie  de  ce  que  ses  armes  avaient  éloigné  la  guerre  de 
leurs  portes.  »  Un  brillant  cortège  vint  au-devant  de  lui,  on  le  condui- 
sit a  Notre-Dame,  où  le  Te  De\im  fut  solennellement  chanté,  et  on  le 
ramena  au  Louvre  avec  de  continuelles  acclamations.  «  La  foule  était  si 
grande  qu'elle  semblait  vouloir  le  porter  ;  et  afin  de  prolonger  un 
aussi  beau  jour,  une  infinité  de  flambeaux  donnèrent  de  la  clarté  h  la 
nuit.  »  (Mézeray,  t.  III,  p.  1202.) 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  557 


CHAPITRE   XXII 


1597.  —  ARGUMENT  :  agitation  des  protestants  depuis  la  conversion  du  roi, 

MASSACRE   DE   LA   CHATAIGNERAIE.    —   ILS    ÉLISENT   UNE   ASSEMBLÉE. 

LE   ROI   TRAITE  AVEC   EUX.    —   NÉGOCIATIONS   AVEC   MERCŒUR. 

IL   CONTINUE   LA   GUERRE   ET   SES   INTRIGUES.  —  DEFON    LIVRE   LA   GARNACHE   AU    ROI. 

EXPLOITS   DE   LA   TRE.MI5LAYE,    LIEUTENANT   DE   BRISSAC. 

IL   EST   TUÉ    AU    PLESSY-RERTRAND.    —   COMPLOT   ESPAGNOL   CONTRE    LA    VIE    DU     ROI. 

AFFAIRE   DE   SAINT-PHAL   ET   DE   DUPLESSIS-MORNAY. 

LE    DUC   DE   SAVOIE  RECOMMENCE   LES   HOSTILITÉS.    —   NOUVEAUX   EXPLOITS 

DE   LESDIGUIÈRES   EN   SAVOIE.  —  LE   DUC   DE   SAVOIE    S'EMPARE   DU    CHATEAU   D'IF. 

IL  SE  HATE  DE   LE   RENDRE  A   LA   NOUVELLE  DE   LA   REPRISE   D'aMIENS. 

MORT  DU    MARÉCHAL  DE  MATIGNON. 


Il  devient  indispensable  ici  de  faire  rétrograder  mes  récils  pour 
mettre  sous  les  yeux  du  lecteur  la  conduite  des  protestants  français 
pendant  ces  dernières  années.  A  leurs  yeux,  le  roi,  depuis  sa  conver- 
sion, n'était  plus  le  protecteur  sur  lequel  ils  avaient  compté  ;  et,  ne 
voyant  rien  advenir  qui  les  rassurât  contre  les  craintes  que  le  passé 
leur  donnait  pour  l'avenir,  ils  reprirent  toutes  leurs  anciennes  méfiances 
contre  le  trône  dont  ils  venaient  de  se  montrer  les  plus  ardents  défen- 
seurs. 

Avant  de  clore  les  conférences  de  Mantes  (1593),  ils  avaient  renou- 
velé sous  les  yeux  mêmes  et  avec  l'approbation  du  roi  le  serment 
d'union  des  églises,  jurant  de  vivre  et  mourir  dans  la  pratique  et  dé- 
fense de  leur  profession  de  foi.  L'année  suivante,  ils  tinrent  un 
synode  à  Montauban  dans  lequel  il  fut  réglé  d'abord  que  des  prières 
seraient  faites  dans  tous  leurs  temples,  pour  obtenir  du  ciel  le  retour 
sincère  de  Sa  Majesté  'a  la  religion  qu'elle  avait  quittée.  On  décida 
ensuite  que  sous  le  nom  d'assemblée  politicjuc,  on  nommerait  des  dépu- 
tés au  nomb^B  de  trente,  pour  s'occuper  des  intérêts  du  parti  et  veiller 
à  la  tranquillité  commune.  Cette  assemblée  alla  d'abord  s'établir  à 
Saintc-Foy,  et  quoique  ses  membres  n'eussent  pas  pris  de  lettres  de  per- 
mission pour  se  réunir,  le  roi,  qui  ne  voulut  pas  se  montrer  trop  sévère, 
leur  envoya  lui-même  un  brevet  d'autorisation.  {Hist.  de  Védit  de 
Nantes,  t.  I",  liv.  5,  cbap.  xix.) 

L'un  des  premiers  actes  de  l'assemblée  politicjue  fut  de  déclarer 
que  Henri  IV  ne  pouvait  plus  retenir  la  qualité  de  protecteur  des  églises 


558  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

puisqu'il  en  avait  quitté  la  religion.  Mais,  on  ne  trouva  pas  a  propos  de 
se  remettre  a  la  discrétion  d'un  nouveau  protecteur,  et  on  créa  un  con- 
seil général,  qui  devait  avoir  toute  autorité  dans  les  affaires  religieuses 
et  par  les  ordres  duquel  toutes  les  provinces  seraient  gouvernées.  Il 
devait  être  composé  de  quatre  membres  pris  dans  le  corps  de  la  noblesse, 
de  deux  pris  dans  celui  des  pasteurs  et  de  quatre  délégués  du  Tiers- 
État.  Tous  ces  membres  devaient  se  renouveler  chaque  année. 

En  outre,  on  créa  des  conseils  provinciaux,  composés  de  cinq  a  sept 
personnes,  du  nombre  desquelles  devait  être  un  ministre  au  moins. 
Après  cela,  on  fit  un  fonds  de  quarante-cinq  mille  écus,  pour  subvenir 
aux  dépenses  générales.  C'étaient  les  conseils  particuliers  qui  devaient 
ordonner  de  l'emploi  de  cette  somme,  à  charge  par  eux  d'en  justifier  à 
l'assemblée  générale. 

A  ces  règlements  constitutifs  on  ajouta  quelques  articles  secrets 
dont  les  plus  importants  disaient  :  que  pour  l'administration  de  la  jus- 
tice, on  demanderait  des  chambres  mi-parties  dans  tous  les  Parlements, 
excepté  dans  celui  de  Grenoble,  oii,  grâce  à  Lesdiguières,  les  réformés 
avaient  déjà  tout  pouvoir  ;  qu'on  solliciterait  au  nom  des  églises 
françaises  l'appui  de  la  reine  d'Angleterre  et  des  Provinces-Unies  ;  et 
enfin  que  dans  les  villes  dont  les  réformés  avaient  la  garde,  les  catho- 
liques ne  seraient  admis  aux  charges  publiques  que  si  les  villes  catho- 
liques accordaient  chez  elles  le  même  droit  aux  protestants.  L'assemblée 
ayant  ensuite  ordonné  que  sa  prochaine  réunion  aurait  lieu  a  Saumur,  le 
premier  jour  du  mois  de  décembre  suivant,  se  sépara. 

On  trouva  a  la  cour  que  cette  nouvelle  organisation  que  venaient  de 
se  donner  les  églises  ne  tendait  a  rien  moins  qu"a  former  un  Etat  dans 
l'État  ;  et  le  roi  lui-même  parut  s'en  inquiéter;  mais  il  n'osa  pas  ordon- 
ner la  dissolution  de  l'assemblée  politique,  aimant  mieux  voir  les  protes- 
tants unis  entre  eux  par  cette  forme  d'association,  toute  menaçante  qu'elle 
paraissait  être,  que  soumis  a  un  protecteur  'a  qui  la  puissance  du  parti, 
l'appui  de  l'étranger  et  les  mécontentements  du  dedans  auraient  pu 
inspirer  des  idées  d'ambition  plus  dangereuses  encore.  Il  consentit  donc 
a  traiter  avec  cette  assemblée,  pour  convenir  avec  elle,  s'il  était  pos- 
sible, de  quelque  moyen  équitable  de  conserver  la  paix  du  royaume, 
et  il  envoya  ses  lettres -patentes  autorisant  la  réunion  des  députés  a 
Saumur. 

Les  résolutions  qui  furent  prises  dans  cette  réunion  furent  :  de 
demander  un  édit  nouveau,  consacrant  la  liberté  de  l'exercice  du  culte 
réformé,  par  tout  le  royaume  ;  qu'on  assurât  des  gages^ publics  aux 
ministres  de  ce  culte,  soit  en  laissant  les  dîmes  que  les  huguenots  ne 
paieraient  plus  aux  ecclésiastiques,  soit  en  assignant  des  fonds  sur  le 
trésor  public  ;  que  ceux  de  la  religion  fussent  reconnus  admissibles  a 
toutes  les  charges  ;  et  enlin  qu'on  leur  laissât  en  garde  les  villes  qu'ils 
avaient  entre  les  mains,  et  que  les  garnisons  en  lussent  soldées  des 
deniers  du  roi. 

Pendant  que  les  réformés  dressaient  ces  articles,  un  nouvel  attentat 


DU  rnOTESTANTISME  EN  FRANCE.  559 

vint  encore  ajouter  a  la  méliance  et  a  l'aigreur  du  parti.  Ceux  de  leur 
religion  avaient  un  lieu  d'assemblée  a  la  Châtaigneraie,  dans  la  maison 
d"un  gcnlilliomme  nommé  Vaudoré.  Ils  avaient  coutume  de  s'y  rendre 
de  tous  les  lieux  du  voisinage,  et  comme  ils  avaient  à  craindre  les  gar- 
nisons ligueuses  qui  couraient  la  campagne,  ils  avaient  juscju'alors  eu 
soin  de  se  munir  d'armes  pour  se  détendre.  La  dame  du  lieu,  qui  s'était 
déjà  signalée  par  plus  d'une  preuve  de  mauvaise  volonté  à  leur  égard, 
sous  jtrétexte  que  quelques  lapins  de  sa  garenne  avaient  été  tués  par  ces 
gens  armés  qui  passaient  sur  ses  terres,  lit  défense 'a  tous  ceux  qui  vou- 
draient venir  au  prêche  a  la  Châtaigneraie  d'y  apporter  des  armes.  Les 
pauvres  gens  se  soumirent  'a  cette  injonction  ;  mais,  un  jour  qu'ils 
étaient  occupés  de  leurs  dévotions,  la  garnison  de  Hochefort  vint  en- 
tourer la  maison  où  ils  étaient  réunis  en  prières,  et  y  ayant  pénétré, 
elle  les  massacra  tous,  sans  distinction  de  sexe  ni  d'âge.  Un  petit 
enfant  qu'on  avait  apporté  baptiser  bit  tué  comme  les  autres.  Il  y  en 
avait  un  autre  dune  dizaine  d'années  au  plus,  »|ui  se  voyant  menacé  de 
mort,  oflrit  ingénument  a  ses  bourreaux  huit  sous  qu'il  avait  dans  sa 
poche  pour  qu'on  lui  laissât  la  vie.  «  D'après  l'ordre  de  Monsieur  le  duc 
de  Mercœur,  lui  l'util  répondu,  nous  ne  pouvons,  mon  j)auvre  petit, 
recevoir  aucun  huguenot  a  rançon.  »  Et  il  l'ut  passé  au  lil  de  l'épée. 

La  dame  de  la  Châtaigneraie,  qui  avait  préparé  cette  sanglante  exécu- 
tion, «  se  prit  à  se  divertir  avec  les  bourreaux  après  le  coup  l'ait,  s'inl'or- 
mant  avec  une  froide  curiosité  du  nom  des  morts,  pour  s'assurer  si  tel 
et  tel  de  ceux  (ju'elle  haïssait  le  plus  y  étaient  compris.  —  Soyez  tran- 
quille, disait-elle,  Monsieur  le  duc  de  .Mercœur,  en  faisant  sa  paix  avec 
le  roi,  n'oubliera  pas  de  vous  faire  mettre  pour  cette  bonne  œuvre  dans 
l'amnistie  qu'il  se  propose  de  demander.  »  (Ibid.) 

Les  protestants,  a  la  nouvelle  de  ce  massacre,  ne  parlaient  que  de 
prendre  les  armes  et  d'exercer  de  sanglantes  représailles  contre  leurs 
ennemis  ;  mais  le  roi,  pour  les  apaiser,  leur  Ht  savoir  qu'il  allait  laire 
poursuivre  en  justice  les  auteurs  d'une  action  aussi  atroce.  Il  donna 
même  des  lettres-patentes  dans  lesquelles  il  déclarait  qu'un  pareil  atten- 
tat ne  pourrait  jamais  être  compris  au  nombre  de  ces  actes  militaires, 
dont  les  traités  de  paix  portent  ordinairement  l'amnistie.  En  effet, 
quelques-uns  de  ces  bourreaux  (pii  furent  pris  furent  punis  de  mort. 
«  Mais,  le  supplice  de  cinq  'a  six  co(|uins  ne  pouvait  être  regardé  comme 
une  réparation  suffisante  de  l'assassinat  de  deux  cents  personnes  inno- 
centes. » 

Ce  fut,  quelque  temps  après,  que  la  prise  de  Calais  par  les  Espagnols 
vint  jeter  tantd'inijuiéludes  dans  le  royaume.  Les  réformés  transportè- 
rent le  siège  de  leur  assemblée  politique  a  Loiidun  (1^00),  poin-  pour- 
voir aux  moyens  de  maintenir  la  sûreté  de  leurs  églises  au  milieu  de 
tous  ces  troubles.  Le  roi  leur  avait  promis  |)récédemment  et  à  plusieurs 
reprises  de  rétablir  en  leur  f'a\eur  l'édit  de  1077  avec  toutes  ses  consé- 
quences ;  mais  cette  promesse,  (|ui  avait  eu  a  peine  un  commencement 
(l'exécution,  avait  été  si  mal  tenue,  il  y  avait  eu  tant  de  longueurs  et  si 


560  •     HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

peu  d'effet  dans  les  démarches  de  la  cour,  qu'on  ne  pouvait  plus,  a 
ce  que  prétendaient  ceux  du  parti,  se  contenter  de  cet  édit,  beaucoup 
trop  en  dessous  de  leurs  prétentions,  et  qu'il  en  fallait  un  nouveau  plus 
ample,  plus  favorable  et  surtout  plus  explicite.  {Hist.  de  Védit  de  Nantes, 
t.  F%  liv.  4,  p.  164  et  suiv.) 

Une  députalion  fut  donc  envoyée  au  roi  lui-même,  et  Duplessis-Mor- 
nay  écrivit  à  ce  prince,  pour  lui  démontrer  la  nécessité  de  donner 
quelque  contentement  a  ceux  qui  avaient  jusqu'alors  soutenu  sa  cause 
avec  tant  de  dévouement.  «  Sire,  disait  le  rigide  protestant,  vous  me 
demandez  ce  que  les  réformés  disent  de  votre  changement.  Ils  avaient 
espéré  que  vous  prendriez  leurs  intérêts  sans  qu'ils  vous  importunas- 
sent. Jusqu'à  présent,  vous  ne  leur  avez  pas  même  ôté,  comme  on  dit, 
la  corde  du  cou.  Les  édits  de  la  Ligue  subsistent  encore  dans  plusieurs 
parlements.  Et  pourtant,  les  réformés  ne  prétendent  pas  comme  les 
royaux  vous  imposer  une  religion  'a  leur  guise.  Encore  moins  veulent- 
ils  comme  les  Ligueurs  faire  changer  la  loi  de  l'État,  pour  donner  la  cou- 
ronne 'a  un  prince  étranger  ;  ce  qu'ils  attendaient  de  vous,  c'est  la  paix 
pour  leur  conscience  et  la  sûreté  pour  leur  vie.  Aujourd'hui  qu'ils  vous 
voient  abandonner  leurs  croyances  sans  avoir  pourvu  au  danger  de  leur 
situation,  la  plupart  d'entre  eux  croient  qu'on  ne  doit  plus  rien  attendre 
de  bon  de  Votre  Majesté.  Les  plus  sages  pourtant  restent  persuadués 
que  vous  n'avez  pas  oublié  les  services  que  nous  vous  avons  rendus  ; 
mais  ils  craignent  que  vous  manquiez  de  résolution,  et  qu'on  vous 
entraîne  'a  jouer  le  rôle  de  capitaine  général  des  catholiques  contre  les 
huguenots.  Le  prêche  n'est-il  pas  déjii  banni  de  la  cour?  ne  vous  sol- 
licite-t-on  pas  de  nous  exclure  de  toute  charge  et  emploi  ?  Or,  que 
pouvons-nous  répondre,  nous,  vos  fidèles  serviteurs,  a  ceux  qui  deman- 
dent que  nos  églises  se  donnent  un  autre  protecteur,  puisque  vous  ces- 
sez d'être  le  leur  ?  Mieux  que  tout  autre,  cependant,  vous  savez  ce  qui 
leur  est  nécessaire.  Vous  n'avez  qu'à  vous  rappeler  les  requêtes  que 
vous  avez  présentées  pour  eux,  a  vos  prédécesseurs,  elles  n'ont  rien 
perdu  de  leur  justice,  parce  que  vous  avez  augmenté  en  puissance.  » 
Le  style  de  cette  lettre  était  dur  et  irritant  ;  Henri  n'en  nomma  pas 
moins  plus  tard  Duplessis  l'un  des  commissaires  chargés  d'examiner  les 
demandes  des  protestants  ;  et  il  se  borna  à  répondre  aux  députés  avec 
un  bon  visage  et  par  de  belles  paroles,  mais  sans  rien  accorder.  ((  Sire, 
dit  alors  Vulson,  chef  de  la  députation,  je  dois  vous  prévenir  que  l'as- 
semblée de  Loudun  est  décidée  à  ne  point  se  séparer  sans  avoir 
obtenu  de  Votre  Majesté  une  décision  définitive  et  des  assurances  telles, 
qu'elles  puissent  tranquilliser  les  églises  réformées  sur  leur  existence. 
—  Monsieur,  répondit  le  roi,  je  suis  la  seule  assurance  de  mes  sujets,  et 
je  n'ai  encore  manqué  de  foi  à  personne.  —  Mais  sire,  répliqua  le  député, 
Henri  111  lui-même  nous  a  bien  donné  des  garanties.  —  Les  temps  sont 
changés,  dit  alors  le  monarque  ;  Henri  III  vous  craignait  et  ne  vous  aimait 
pas;  moi,  je  vous  aime  et  ne  vous  crains  guère.  »  Il  accompagna  cette  ré- 
ponse d'un  ordre  à  l'assemblée  de  Loudun  de  se  séparer,  enjoignant  à  cha- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  561 

Clin  (le  ceux  qui  s'y  trouvaient  de  se  retirer  chez  soi,  et  d'assurer 
les  peuples  de  la  bonne  volonté  du  roi  pour  le  maintien  d'une  pleine 
liberté  de  conscience.  (Pkukkixi:,  Vie  de  Henri  le  Grand,  ad.  fin., 
recueil,  etc.  —  Hist.  de  l'édit  de  Nantes,  ubi  sup.) 

L'assemblée  s'ollensa  d'un  ordre  donné  d'une  manière  aussi  ferme, 
et  se  mit  à  délibérer  sur  ce  qu'elle  avait  a  faire  dans  celte  fâcheuse 
conjoncture.  Les  plus  ardents  parlaient  déjà  de  recourir  'a  la  force  et  de 
recommencer  la  guerre  civile  ;  mais  Mornay  les  ramena  bientôt  a  un 
parti  un  peu  plus  modéré,  en  leur  remontrant  l'atrocité  et  les  périls  de 
celui  qu'ils  voulaient  prendre.  «  Hé  bien  !  soit,  ajoula-t-il,  ne  nous  sépa- 
rons pas  avant  d'avoir  obtenu  un  édit  avec  des  sûretés  suflisantes,  et 
invitons  toutes  les  personnes  qualifiées  qui  ont  embrassé  notre  foi  a 
venir  nous  fortifier  de  leur  présence,  »  et  il  proposa  une  déclaration 
d'union  qu'il  signa  le  premier,  et  que  tous  signèrent  après  lui. 

Ensuite,  il  fut  décidé  qu'il  écrirait  de  rechef  au  roi,  pour  lui  repré- 
senter chaudement  les  désordres  qui  pourraient  naître  de  la  séparation 
de  l'assemblée  de  Saumur,  et  pour  lui  exposer  de  nouveau  les  justes 
motifs  de  plainte  des  huguenots,  tant  contre  les  rigueurs  des  parlements, 
qui  ne  tenaient  pas  la  balance  de  la  justice  exacte  entre  les  catholiques 
et  les  réformés,  (jue  contre  les  autres  avanies,  dont  ils  étaient  journelle- 
ment victimes.  Mornay  terminait  en  suppliant  le  roi  d'envoyer  un  com- 
missaire de  sa  part,  pour  régler  les  choses  avec  l'assemblée,  et  il  dési- 
gnait de  Thou  (l'historien),  «  parce  que,  disait-il,  il  avait  la  réputation 
d'aimer  la  paix.  » 

Le  roi  se  montra  touché  de  cette  lettre  d'un  homme  dont  il  avait 
anciennement  reçu  tant  de  services,  et  il  révo(|ua  incontinent  l'ordre  de 
dissolution  de  l'assemblée  de  Loudun,  engageant  ceux  (jui  s'y  trouvaient 
en  ce  moment  'a  attendre  au  contraire  l'arrivée  de  son  commissaire. 
L'assemblée  profila  de  cette  concession  pour  écrire  au  roi  sur  les  aflaires 
générales  et  pour  lui  envoyer  de  nouveaux  députés.  Elle  commençait  par 
le  remercier  de  l'assurance  qu'il  voulait  bien  lui  donner  de  sa  bonne 
volonté,  due,  disait-elle,  au  souvenir  de  l'afl'ection  et  des  services  que  les 
réformés  lui  avaient  de  tout  temps  rendus.  Elle  se  plaignait  ensuite  de 
ceux  qui  avaient  voulu  persuader  au  roi  que  les  réformés  étaient  traités 
conformément  aux  bonnes  intentions  qu'il  avait  pour  eux,  et  à  peu  près 
suivant  leurs  mérites,  ce  qui  empêchait  Sa  Majesté  de  penser  plus  sérieu- 
sement a  leurs  affaires  et  d'arrêter  les  injustices  qu'on  leur  faisait  tous 
les  jours. 

«  L'édit  de  1577,  disaient  les  réclamants,  est  maintenant  devenu 
insuffisant  pour  nous  proléger;  car,  en  vertu  de  certaines  restrictions 
ou  commentaires,  on  continue  à  nous  traiter  maintenant  selon  les  édits 
delà  Ligue.  N'avons-nous  donc  pas  raison,  nous  qui  avons  servi  si  fidè- 
lement depuis  les  premières  années  de  votre  règne  et  de  qui  Dieu  a 
béni  les  travaux,  contre  toute  apparence  humaine,  de  trouver  étrange  de 
nous  voir  sous  le  gouvernement  d'un  aussi  juste  prince,  dans  un  état 
pire  que  celui  où  nous  étions,  sous  la  domination  de  ses  prédécesseurs  ! 
IV.  36 


562  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

Pardon,  Sire,  si  nous  venons  vous  parler  de  nos  affaires  particulières, 
dans  un  temps  où  vous-n^ême  en  avez  de  si  grandes  ;  mais  les  réfor- 
més sont  aussi  une  partie  assez  importante  de  vos  sujets  et  des  plus 
fidèles,  nous  osons  le  dire  ;  nous  croyons  donc  que  ce  qui  les  regarde  ne 
doit  pas  être  indigne  de  votre  attention  et  de  vos  soins.  » 

Le  roi  avait  cependant  nommé  son  commissaire  pour  traiter  avec 
l'assemblée,  et,  conformément  à  la  demande  de  Mornay,  il  avait  désigné 
le  président  de  Tliou  ;  mais  celui-ci  refusa  cette  commission  dont  il 
craignait  les  conséquences.  Les  catholiques  zélés,  en  effet,  n'auraient 
pas  manqué  de  lui  en  vouloir  s'il  n'avait  pas  adopté  toutes  leurs  animo- 
sités,  et  les  huguenots  se  fussent  irrités  s'il  n'avait  pas  aveuglément  cédé 
'a  toutes  leurs  prétentions.  Vie  et  Calignon  furent  députés  à  sa  place  et 
sur  son  refus  :  le  premier  était  catholique,  et  le  second  huguenot.  On 
commença  par  trouver  mauvais  que  «  celui-ci  eût  accepté  la  commission 
de  venir  chicaner  ses  frères  en  religion  sur  leurs  demandes,  et  de  leur 
apporter,  de  la  part  du  roi,  des  réponses  qui  ne  remplissaient  pas  leurs 
espérances  ».  {Hist.  de  l'Édit  de  Nantes,  ubi  supra.) 

Il  n'était  accordé  que  l'exécution  de  l'édit  de  1577,  et  Henri,  par  la 
bouche  de  ses  commissaires,  faisait  même  quelques  reproches  assez 
sévères  à  l'assemblée  de  ce  qu'elle  témoignait  tant  de  défiance  en  ses 
promesses.  «  Cela,  lui  faisait-il  dire,  me  paraît  bien  éloigné  du  respect  et 
de  l'affection  que  vous  vous  vantez  d'avoir  toujours  eus  pour  ma  personne.  » 
Il  les  conjurait  ensuite  de  sacrifier  leurs  susceptibilités  déplacées  au  bien 
public,  et  de  ne  pas  profiter  du  mauvais  état  où  étaient  momentanément 
ses  affaires  pour  ajouter  encore  aux  embarras  présents. 

L'assemblée  répondit  qu'elle  ne  pouvait  comprendre  quelle  espèce 
de  bien  public  on  voulait  que  les  chrétiens  réformés  préférassent  'a  leur 
propre  conservation,  et  comment  ce  pouvait  être  un  bien  que  de  laisser 
tant  des  meilleurs  sujets  de  Sa  Majesté  'a  la  merci  de  leurs  ennemis, 
gens  exercés  a  la  perfidie,  aux  injustices  et  aux  massacres. 

Le  roi  lit  alors  proposer  'a  cette  espèce  de  concile  huguenot  de  se 
transférer  de  Loudun  a  Vendôme,  pour  être  plus  près  de  la  cour  ;  et  cette 
proposition  ayant  été  acceptée,  les  députés  des  églises  se  rendirent  sans 
délai  dans  cette  dernière  ville,  où  ils  attendirent  trois  mois  le  retour  des 
commissaires  royaux,  sans  vouloir  rien  changer  'a  leurs  prétentions  au 
sujet  d'un  nouvel  édit,  plus  large  et  plus  rassurant  pour  eux  que  celui  de 

1577.  .       .  .  , 

C'était  au  moment  où  le  roi  était  allé  tenir  les  Etats  a  Rouen.  Il  crut 
calmer  les  exigences  du  parti  réformé  en  faisant  passer  au  Parlement 
de  Normandie  l'édit  de  1577,  qui  n'y  avait  point  été  encore  enregistré  ; 
mais  les  huguenots  crièrent  que  cette  nouvelle  vérification  d'un  édit 
dont  ils  avaient  déclaré  qu'ils  ne  se  contentaient  plus  n'était  qu'un 
artifice  pour  leur  faire  prendre  patience  ;  et,  pourtant,  la  chose  ne 
laissa  pas  d'être  assez  mal  prise  'a  Rome.  Le  Pape  s'en  plaignit  au  car- 
dinal d'Ossat,  notre  envoyé,  qui  eut  beaucoup  de  peine  'a  calmer  la  sus- 
ceptibilité de  Sa  Sainteté.  {Lettres  du  cardinal  dOssat,  t.  I",  liv.  3.) 


DU  PIIOTESTANTISME  EN  FRANCE.  563 

Cependant,  les  commissaires  royaux  arrivèrent  cnlin  à  Vendôme 
(1597),  et  comme  ils  n'apportèrent  pas  de  nouvelles  concessions,  les 
huguenots  se  montrèrent  Ibrt  mécontents,  disant  (jue  le  roi,  dans  la 
crainte  d'ofl'eiiser  les  Ligueurs,  ses  ennemis,  aimait  mieux  laisser  ses  amis 
lidèles  dans  la  misère  et  dans  un  danger  évident  d'oppression.  Ils  me- 
naçaient même  de  chercher  du  soulagement,  en  usant  de  leurs  propres 
ressources.  Les  commissaires  se  hâtèrent  d'écrire  à  la  cour  qu'il 
était  temps  d'en  finir,  en  donnant  quelque  satisfaction  à  ces  esprits 
malades,  «  non  pas  de  rébellion,  disaient-ils,  ni  de  passion  factieuse, 
mais  de  crainte  pour  l'avenir.  »  {Histoire  de  Védit  de  Nantes,  ubi 
supra.) 

Le  roi,  mécontent  de  semblables  dispositions,  qui,  si  elles  n'étaient 
pas  encore  décidément  hostiles,  ne  pouvaient  manquer  de  le  devenir 
bientôt,  s'en  prit  ouvertement  aux  ducs  de  bouillon  et  de  la  Trémouille, 
les  deux  seigneurs  les  plus  iniluents  dans  le  parti  des  réformés,  et  leur  té- 
moigna vivement  son  mécontentement.  Bouillon,  en  effet,  était  plein  d'am- 
bition, et  l'on  savait  qu'il  aurait  voulu  se  servir  des  forces  protestantes 
pour  augmenter  encore  sa  puissance  et  ses  possessions  déjîi  considé- 
rables. Pour  La  Trémouille,  jeune,  brave,  entreprenant  et  tout-puissant 
dans  le  Poitou,  où  la  plus  grande  partie  de  la  noblesse  le  reconnaissait 
déjà  pour  chef,  la  cour  l'accusait  d'être  entêté  et  d'aimer  la  brouillerie. 
L'honneur  de  voir  le  prince  de  Condé,  son  neveu,  héritier  actuel  de  la 
couronne,  puisque  le  roi  n'avait  pas  encore  d'enfants  légitimes,  lui 
haussait,  disait-on,  le  cœur.  Aussi,  (|uand  il  lui  échappait  quelque 
parole  qui  avait  l'air  menaçant,  on  ne  manquait  jamais  de  la  prendre  en 
mauvaise  part,  parce  qu'on  le  croyait  capable  de  faire  plus  que  de  me- 
nacer. 

Les  choses  en  étaient  là  quand  on  apprit  la  surprise  d'Amiens 
par  les  Espagnols.  L'assemblée,  qui  venait  de  retourner  à  Saumur,  se 
partagea  alors  en  deux  factions.  Les  uns  proposèrent  de  profiter  de  la 
circonstance  pour  faire  une  entreprise  sur  Tours,  en  y  envoyant  quel- 
ques troupes  avouées  de  la  Trémouille  ;  les  autres  prétendirent,  au  con- 
traire, que  le  nouveau  malheur  dont  la  patrie  venait  d'être  frappée  leur 
faisait  une  obligation  de  se  relâcher  de  leurs  prétentions  légitimes  pour 
ne  plus  penser  qu'a  repousser  l'ennemi.  Ce  dernier  avis  n'était  pas 
celui  des  deux  ducs,  qui  voulaient  au  contraire  qu'on  eût  recours  aux 
armes  ;  mais  pres(|ue  toutes  les  églises  et  la  meilleure  partie  de  la 
noblesse  s'opposèrent  à  cette  tentative  désastreuse.  C'est  qu'heureuse- 
ment, on  n'avait  pu  s'entendre  au  sujet  de  l'administration  des  deniers 
qu'il  aurait  fallu  lever  pour  faire  la  guerre.  La  noblesse  voulait  en  avoir 
le  maniement  ;  et  les  consistoriaux  exigeaient  que  ces  sommes  fussent 
employées  par  des  commissaires  îi  la  nomination  des  églises  qui  les 
fourniraient.  Or,  quand  chacun  des  deux  partis  se  fut  bien  convaincu 
qu'il  ne  pourrait  forcer  l'autre  a  céder,  plutôt  (|ue  de  céder  lui-même, 
l'un  et  l'autre  ne  chercha  plus  qu'à  se  taire  honneur  auprès  du  roi  de 
son  apparence  de  dévouement. 


564  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Le  comte  de  Schombei*g  arrivait  alors  a  Saumur  avec  de  nouveaux 
commissaires  envoyés  par  le  roi.  Il  fit  savoir  son  arrivée  a  l'assemblée 
et  demanda  qu'elle  lui  députât  quelques-uns  de  ses  membres  pour  en- 
tendre les  intentions  bienveillantes  de  Sa  Majesté  ;  mais  l'assemblée 
refusa  de  traiter  avec  lui  par  députés  ;  et,  se  posant  comme  en  droit 
d'agir  de  puissance  à  puissance,  elle  l'invita  a  venir  lui-même  dans  le 
lieu  de  ses  séances  pour  y  exposer  ce  qu'il  était  chargé  de  dire  de  la 
part  du  roi.  Schomberg,  après  avoir  refusé  d'abord  de  faire  une  pareille 
démarcbe,  finit  par  envoyer  de  Vie,  lequel,  du  ton  le  plus  modéré,  exposa 
aux  réformés  que,  si  on  connaissait  l'état  des  affaires  du  roi,  on  verrait 
que  pour  le  moment  il  ne  pouvait  faire  davantage  ;  que  sa  condition 
présente  était  plus  malheureuse  qu'elle  n'avait  été,  quand  il  ne  s'ap- 
pelait encore  que  le  roi  de  Navarre,  et  qu'il  les  priait  de  se  contenter 
de  ce  qu'il  pouvait  faire  pour  eux,  s'ils  ne  voulaient  le  forcer  à  faire  à 
tout  prix  la  paix  avec  l'Espagnol. 

L'assemblée  ne  se  trouva  guère  satisfaite  d'un  pareil  discours,  qui  ne 
répondait  rien  a  ses  prétentions  ;  et,  de  son  côté,  elle  fit  une  réponse 
aussi  vague  que  celle  qu'on  lui  avait  apportée.  «  Nous  éprouvons  tous, 
dit  l'orateur  chargé  de  la  parole,  un  déplaisir  fort  grand  de  la  perte 
d'Amiens,  et  nous  promettons  d'emplover  nos  biens  et  notre  vie  pour 
le  service  de  l'État,  quand  l'État  aura  donné  satisfaction  à  nos  justes 
griefs.  Nous  regrettons  que  les  longueurs  que  l'on  apporte  'a  rassurer 
nos  consciences  au  sujet  de  notre  foi  religieuse  nous  empêchent  de 
témoigner  aussi  vivement  que  nous  le  voudrions  notre  dévouement  au 
roi  ;  mais  nous  croyons  que  la  sûreté  de  la  religion  et  de  nos  familles 
n'est  pas  moins  un  bien  public  que  la  reprise  d'Amiens.   » 

Duplessis-Mornay,  toujours  dévoué  au  roi,  cherchait  tous  les  moyens 
d'apaiser  les  esprits  aigris  de  ses  coreligionnaires,  et  d'étouff'er  la  nou- 
velle guerre  religieuse  qu'il  voyait  sur  le  point  d'éclater.  Il  écrivit  à 
Henri  «  qu'il  deviendrait  peut-être  plus  aisé  de  porter  les  choses  à  la 
paix  dans  une  assemblée  plus  nombreuse,  parce  qu'il  y  serait  possible 
de  se  procurer  un  plus  grand  nombre  de  voix,  pour  les  opposer  à  ceux 
dont  on  craignait  l'influence  et  la  mauvaise  volonté.  »  [Vie  de  Duplessis- 
Mornay.) 

Le  roi  goûta  cet  avis  et  il  ordonna  de  transférer  l'assemblée  à 
Châtellerault,  où  elle  se  rendit  le  seizième  jour  de  juin.  Elle  fut,  en 
effet,  plus  nombreuse  qu'elle  n'avait  jamais  été  :  il  s'y  trouva  un  gentil- 
homme, un  ministre  et  un  homme  de  loi,  de  chaque  province,  et,  en 
outre,  une  foule  de  seigneurs  de  tous  les  pays  de  la  France.  «  La  Tré-  | 
mouille  fut  nommé  président  et  soutint  les  intérêts  de  la  nouvelle  reli- 
gion avec  tant  de  zèle,  que  la  défiance  et  la  haine  qu'on  avait  déjà  contre 
lui  a  la  cour  s'en  accrurent  de  beaucoup.  »  {Hist.  de  l'Édit  de  Nantes,  j 
ubi  supra.) 

Le  siège  d'Amiens,  que  le  roi  allait  commencer,  fut  d'abord  le  sujet 
d'une  longue  délibération.  On  discuta  quelle  conduite  les  huguenots 
devaient  tenir  en  celte  circonstance  :  il  y  en  eut  qui  voulaient  qu'on 


DU  TROTESTANTISME  EN  FRANCE.  565 

rendit  encore  ce  dernier  service  au  roi,  pour  lui  prouver  que  nulle  injus- 
tice no  pouvait  mettre  a  bout  la  lidélité  et  le  dévouement  de  ses  plus 
anciens  et  plus  vrais  amis,  et  pour  couvrir  de  honte  ceux  qui  après 
cela  persisteraient  a  leur  faire  les  mêmes  injustices  qu'auparavant. 
C'était  l'avis  qu'avait  envoyé  Lesdiguières  ;  mais  Lesdiguières  avait 
beaucoup  baissé  dans  l'estime  du  |)arti  ;  il  passait  pour  nn  ambitieux  uni- 
quement occupé  de  lui-même  dans  le  Daupliiné,  où  il  était  tout-puis- 
sant :  ses  mœurs  étaient  mal  réglées,  et  sa  vie  peu  édiliante.  Il  était 
avare  et  débauché,  et  on  disait  qu'il  était  joint  aux  réformés  par  la  pro- 
fession extérieure  seulement,  et  parce  (jue  la  religion  avait  été  la  source 
de  sa  fortune,  plutôt  que  par  une  véritable  piété.  {Hist.  de  VÉ  dit  de  Nantes^ 
liv.  5,  p.  120.) 

D'autres  membres  de  l'assemblée  demandèrent  qu'on  laissât  un  peu 
faire  les  catholiques  tout  seuls,  pour  voir  comment  ils  se  tireraient  de 
cet  embarras  avec  leurs  seules  ressources,  et  s'ils  pourraient  se  passer 
du  secours  des  réformés.  Il  y  en  eut  même  (jui  semblèrent  craindre 
que,  se  trouvant  au  siège  avec  une  armée  toute  catholique,  on  ne  pro- 
fitât de  la  supériorité  du  nombre  et  de  leur  confiance  pour  faire  sur  eux 
une  nouvelle  Saint-Barthélémy. 

On  décida  donc,  que  les  réformés  n'enverraient  aucune  troupe,  ce 
qui,  pourtant,  n'empêcha  pas  (ju'un  grand  nombre  de  gentilshommes  et 
de  braves  soldats  de  cette  religion  ne  courût  se  ranger  sous  les  drapeaux 
du  roi.  Le  comte  de  Schomberg  persuada  même  aux  ducs  de  Bouillon  et 
de  la  Trémouille  de  lever  du  monde  parmi  leurs  coreligionnaires  ;  et 
on  leur  lit  toucher  pour  cela  de  l'argent  du  roi  ;  mais  les  troupes  du  duc 
de  Bouillon  demeurèrent  en  Auvergne,  sous  quel(|ue  prétexte  assez  insi- 
gnifiant ;  et  celles  du  duc  de  la  Trémouille  s'en  allèrent  en  Poitou,»  pour 
y  réprimer,  disait-il,  les  courses  de  quelques  Ligueurs,  »  ce  dont  le  roi 
se  montra  fort  mécontent. 

Après  la  reprise  d'Amiens,  et  aussitôt  (ju'on  eut  la  première  nouvelle 
de  la  paix  (fue  Clément  VTII  ménageait  entre  la  France  et  l'Espagne,  l'as- 
semblée protestante,  qui  ne  s'était  pas  encore  séparée  et  qui  continuait 
ses  instances  pour  obtenir  un  nouvel  écHt,  envoya  ses  plaintes  au  roi  de  ce 
qu'on  travaillait  a  un  traité  avec  Philippe  par  l'entremise  du  Pape.  «  La 
qualité  d'un  pareil  entremetteur,  disait-elle,  nous  fait  craindre  a  bon  droit 
que  ce  traité  ne  se  fasse  que  pour  nous  exterminer  tous.  »  Le  roi  répon- 
dit que  bien  qu'il  eût  de  fortes  raisons  lui-même  d'être  mécontent  de 
l'assemblée  (pii  avait  refusé  de  l'aider  dans  une  circonstance  aussi  cri- 
tique, il  promettait  que  la  paix  ne  se  concluerail  pas  au  préjudice  d'aucun 
de  ses  sujets  huguenots  ou  catholiques,  et  (ju'il  engageait  seulement  les 
protestants  'a  terminer  au  plus  tôt  avec  ses  députés  toutes  ces  longues 
discussions,  afin  cjuil  put  témoigner  librement  son  affection  et  sa  bonne 
volonté  pour  eux  comme  pour  tous. 

Le  comte  de  Schomberg  lit  donc  une  espère  d'accommodement  avec 
eux,  par  le(iuel  le  droit  d'exercice  de  leur  religion  était  ('tendu  a  tous 
les  lieux  où  il  existerait  au  mois  d'août  de  cette  présente  année  (I.j97)  ; 


566  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

on  leur  laissait  leurs  places  de  sûreté,  et  on  leur  accordait  une  somme 
pour  le  paiement  de  leurs  soldats  et  de  leurs  ministres.  Ces  concessions 
étaient  faites,  toutefois,  avec  la  réserve  du  bon  plaisir  du  roi,  et  l'as- 
semblée devait  s'adresser  directement  a  lui  pour  obtenir  son  approba- 
tion. Mais,  en  ce  moment,  le  traité  qu'on  était  en  train  de  faire  avec  le 
duc  de  Mercœur  absorbait  toute  l'attention  de  Sa  Majesté  et  de  son 
conseil  ;  et  tout  demeura  encore  en  suspens. 

Le  duc  de  Mercœur  était,  en  effet,  le  seul  des  chefs  de  la  Ligue  qui 
restât  alors  debout  ;  et  déjà  même,  il  avait  fait  témoigner  au  roi  à  plu- 
sieurs reprises  qu'il  n'était  pas  trop  éloigné  d'entendre  à  un  accommo- 
dement. Tout  récemment  encore,  il  avait  chargé  Jean  Valet,  prieur  de 
la  Trinité  en  Bretagne,  d'aller  trouver  Monsieur  de  Schomberg,  pour  lui 
faire  savoir  qu'il  accepterait  la  paix  a  des  conditions  raisonnables,  et 
qu'il  souhaitait  qu'on  lui  envoyât  des  personnes  sûres,  avec  lesquelles  il 
pourrait  discuter  ces  conditions.  Le  roi,  qui  désirait  en  finir  le  plus 
promptement  possible  avec  la  Ligue,  chargea  la  reine  douairière,  sœur 
de  Mercœur,  de  se  rendre  'a  Ancenis,  et  la  fit  accompagner  par  l'arche- 
vêque de  Reims,  le  comte  de  Fiesque,  le  gouverneur  de  l'Anjou  et 
Duplessis-Mornay.  (De  Tiiou,  t.  XIII,  liv.  107,  p.  2  et  suiv.) 

Mercœur,  pourtant,  était  loin  d'être  aussi  décidé  a  renoncer  ses  an- 
ciens projets  d'ambition  qu'il  voulait  le  faire  croire:  on  perdit  d'abord  beau- 
coup de  temps  en  discussions  inutiles.  Mercœur  prétendait  traiter  au  nom 
de  toute  la  province  de  Bretagne,  quoiqu'il  fût  à  peine  maître  de  la  moi- 
tié de  ce  pays.  Il  voulait  traiter  aussi  au  nom  de  l'Anjou,  du  Poitou  et 
de  la  Normandie,  où  il  ne  possédait  que  quelques  places,  la  plupart  as- 
sez faibles  ou  peu  importantes.  Ces  prétentions  parurent  outrecuidantes. 
Pourtant,  les  députés  du  roi,  pour  ne  pas  rompre  la  conférence  sans 
avoir  au  moins  fait  quelque  chose,  se  résolurent  à  demeurer  encore. 

Dans  la  conférence  suivante,  Mornay  demanda  au  prieur  Valet  si  ce 
n'était  pas  au  nom  du  duc  qu'il  était  venu  faire  des  propositions  secrètes 
à  Monsieur  de  Schomberg.  ce  Je  n'ai  rien  fait  que  par  son  ordre,  répon- 
dit le  prieur  ;  mais  Monseigneur  n'est  pas  tout  a  fait  libre  d'accepter 
toutes  sortes  de  conditions,  'a  cause  des  engagements  qu'il  a  pris  précé- 
demment avec  les  Espagnols.  Avant  donc  qu'il  aille  plus  avant,  il  faut 
qu'il  soit  bien  assuré  qu'il  ne  sera  jamais  dans  le  cas  de  regretter  les 
secours  de  l'Espagne.  —  De  pareils  détours,  répondit  Mornay,  ne  sau- 
raient convenir  au  roi,  et  le  duc  Vôtre  Seigneur  manque  ici  de  bonne 
foi.  »  Cette  fois,  on  allait  rompre  tout  a  fait  la  négociation,  quand  on 
vit  arriver  La  Ragotière,  porteur  de  nouvelles  instructions  de  la  part  du 
duc  de  Mercœur. 

Ce  nouvel  envoyé  demanda  qu'il  y  eût  une  trêve  de  deux  mois, 
parce  que  le  duc,  disait-il,  ne  pouvait  traiter  d'une  paix  définitive  avant 
le  retour  d'un  ambassadeur  qu'il  avait  envoyé  en  Espagne.  «  Si  ce  sont 
les  Espagnols,  dirent  les  députés  du  roi,  qui  doivent  régler  les  démar- 
ches de  Monsieur  le  duc,  et  s'il  prétend  ne  négocier  qu'avec  leur  agré- 
ment, nous  ne  pouvons  plus  désormais  traiter  avec  lui.  » 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  567 

La  Ragotière  se  borna  alors  a  demander  quarante  jours,  pour  laisser 
au  duc  le  temps  de  consulter  au  moins  Monsieur  de  Mayenne,  promet- 
tant qu'on  se  réglerait  sur  la  réponse  de  ce  dernier,  et  la  reine  douai- 
rière engagea  les  ministres  de  Henri  a  accorder  ces  quarante  jours, 
quoiqu'on  ne  pût  plus  conserver  le  moindre  doute  que  Tuniciue  but  de 
Mercœur  ne  fût  de  reculer  le  plus  possible  la  conclusion  de  la  paix,  dans 
l'espoir  qu'il  pouvait  encore  voir  surgir  quelque  événement  favorable  à 
ses  projets  d'indépendance.  On  dit  même  qu'un  de  ses  amis  lui  ayant 
demandé  s'il  songeait  réellement  à  se  faire  souverain  de  la  Bretagne  :  «  Je 
ne  sais  pas  si  c'est  un  songe,  avait-il  répondu  ;  mais  il  y  a  plus  de  dix 
ans  qu'il  dure,  »  {Mém.  de  Sully,  t.  III,  liv.  9.) 

Aussi,  quand  il  vit  que  le  Légat  du  Saint-Siège  était  arrivé  en 
France,  comme  cet  événement  contrariait  évidemment  ses  projets,  il  ne 
craignait  pas  de  dire  que  le  roi  ne  s'élait  pas  converti  sincèrement,  et  il 
alla  même  jusqu'à  accuser  bautement  le  Pape  et  le  sacré  collège  d'avoir 
manqué  de  bonne  foi  et  de  prudence.  Les  catlioliques  ne  pouvaient  en 
conscience,  disait-il,  croire  à  la  véritable  conversion  d'un  prince  béré- 
tique  et  relaps,  ni  se  soumettre  a  lui,  tant  que,  par  l'extermination  com- 
plète de  tous  les  sectaires  du  royaume,  il  n'aurait  pas  fourni  la  preuve 
de  son  retour  sans  arrière-pensée  aux  saines  doctrines  de  l'Eglise.  (De 
Tiiou,  iibi  Slip.) 

On  apprit  même  qu'il  était  question  entre  le  duc  et  l'Espagne  d'un 
nouveau  traité,  par  lequel,  moyennant  certains  dédommagements  accor- 
dés au  premier,  l'Infante  serait  reconnue  comme  béritière  souveraine  du 
ducbé  de  Bretagne,  et  la  guerre  alors  serait  continuée  dans  cette  pro- 
vince au  nom  de  cette  princesse. 

Cependant,  la  trêve  était  sur  le  point  d'expirer  ;  et,  quoiqu'elle  n'eût 
pas  été  très-lîdèlement  gardée  par  Mercœur,  qui  en  avait  profité  pour 
débaucher  Cbampigny  et  pour  l'engager  'a  lui  remettre  la  ville  de  Tif- 
fauges  dont  il  était  commandant  au  nom  du  roi,  on  réfléchit  qu'en  la 
rompant  ouvertement,  on  porterait  beaucoup  de  préjudice  aux  peuples, 
et  il  fut  décidé  qu'elle  serait  continuée. 

Sur  ces  entrefaites,  Vincent  de  Launay,  gouverneur  de  Fougères 
pour  la  Ligue,  était  mort  ;  le  marquis  de  Belle-Isie  sollicita  ce  commande- 
ment auprès  du  duc.  Belle-Isle  avait  d'abord  embrassé  le  parti  de  Mer- 
cœur, croyant  que  c'était  le  seul  moyen  de  conserver  les  grands  biens 
qu'il  avait  dans  la  province  ;  mais  quand  il  vit  que  les  aflaires  du  roi 
prenaient  une  meilleure  tournure,  il  employa  les  amis  qu'il  avait  en  cour 
pour  faire  sa  paix  ;  il  ne  demandait  rien  moins  qu'un  bâton  de  maréchal. 
«  Puisqu'il  ne  m'apporte  rien,  avait  répondu  le  roi,  je  ne  veux  rien  lui 
donner.  Il  devrait  encore  s'estimer  heureux  que  je  veuille  bien  le  rece- 
voir sans  me  faire  payer.  »  (Ml:zi:rav,  t.  III,  p.  M62.) 

Le  duc,  qui  voulait  retenir  ce  seigneur  dans  son  parti,  le  fit  donc 
gouverneur  de  Fougères.  Il  lui  promit  déplus  le  gouvornemcnt  de  Saint- 
Michel-au-Péril-de-la-Mer,  s'il  pouvait  forcer  un  certain  capitaine  Ker- 
martin,  qui  s'était  établi  dans  ce  fort,  à  le  lui  rendre.  Belle-Isle,  après 


568  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

avoir  pris  possession  de  son  nouveau  gouvernement,  se  rendit  a  Saint- 
Michel,  dont  on  lui  ouvrit  la  première  porte  sans  difficulté.  Alors,  le 
sergent  qui  était  de  garde  en  ce  lieu,  l'ayant  laissé  entrer  avec  cinq  de 
ses  gens  seulement,  voulut  refermer  la  porte  sur  les  autres.  Belle-Isle,  en 
colère,  le  tua  tout  aussitôt  d'un  coup  d'épée.  Mais  Kermartin,  qui  accou- 
rait, commanda  à  ses  soldats  de  faire  feu,  et  le  marquis  fut  tué  a  son 
tour,  ce  qui  déconcerta  si  fort  les  gens  qu'il  avait  amenés  avec  lui  que 
tous  se  sauvèrent  sans  essayer  de  venger  la  mort  de  leur  chef. 

De  Thou  arrivait  alors  à  Chenonceaux  accompagné  de  Schomberg 
pour  se  joindre  par  l'ordre  du  roi  aux  députés  chargés  de  traiter  avec  le 
duc  de  Mercœur  et  qui  avaient  transféré  leurs  conférences  dans  cette 
dernière  ville.  «  Maintenant,  dit  Schomberg  à  l'assemblée,  le  duc  n'a 
plus  aucun  prétexte  de  conscience  a  alléguer,  puisque  le  Souverain-Pon- 
tife a  donné  au  roi  le  titre  de  très-chrétien,  et  l'appelle  aujourd'hui  son 
cher  fils.  »  La  Ragotière,  sans  rien  répondre  a  cette  interpellation,  et  se 
tournant  du  côté  de  la  reine  douairière  a  qui  il  affectait  toujours  de 
s'adresser,  comme  si  elle  eût  traité  de  sa  propre  autorité,  dit  qu'il  était 
prêt  a  conclure,  mais  à  certaines  conditions,  savoir  :  que  le  roi 
approuverait  la  cause  de  la  guerre  qui  lui  avait  été  faite,  en  reconnais- 
sant qu'on  n'avait  pris  les  armes  contre  lui  que  pour  la  défense  de  la 
religion  :  ceci  fut  accordé  sans  difficulté  ;  qu'on  ferait  la  paix  avec  l'Es- 
pagne :  'a  quoi  il  fut  répondu  que  le  roi  ne  demandait  pas  mieux,  si 
Philippe  y  était  disposé  de  son  côté  ;  que  les  privilèges  et  droits  du 
Saint-Siège  seraient  religieusement  respectés  dans  toute  la  Bretagne  et 
que  les  bénéfices  ecclésiastiques  demeureraient  'a  ceux  qui  en  étaient 
pourvus  :  en  réponse  à  cet  article,  les  députés  du  roi  dirent  que  Sa  Ma- 
jesté avait  déj'a  fait,  touchant  cet  objet,  ses  conventions  avec  le  Pape,  et 
qu'il  n'était  pas  nécessaire  qu'un  autre  intervînt  ;  que  les  charges  don- 
nées par  le  duc  de  Mercœur,  ou  créées  par  lui  pendant  la  guerre,  que 
celles  aussi  qu'il  avait  conférées,  par  suite  de  l'absence  des  titulaires,  lors 
même  que  ceux-ci  ne  s'étaient  éloignés  que  pour  le  service  du  roi,  res- 
teraient 'a  ceux  qui  en  étaient  actuellement  revêtus.  Quoiqu'il  y  eût  là 
une  atteinte  notable  a  l'autorité  royale,  les  députés  crurent  pouvoir 
accorder  que  ceux  'a  qui  le  duc  avait  donné  une  charge  vacante  par  l'ab- 
sence ou  la  mort  de  quelqu'un  de  son  parti  seraient  maintenus  dans 
leur  possession,  sans  rien  payer  pour  les  nouvelles  provisions  qu'ils  rece- 
vraient du  roi,  mais  que  les  charges  vacantes  par  la  mort  des  partisans 
du  roi,  ou  par  leur  retraite  auprès  de  Sa  Majesté,  seraient  rendues  à  des 
royalistes  ou  restituées  'a  leurs  premiers  possesseurs.  (De  ïhou,  ubi  siip. 
—  Mém.  de  la  Ligue,  t.  VI,  p.  544.) 

Le  duc  demanda  encore  que  les  gouverneurs  des  villes  et  places 
dont  il  s'était  emparé  par  la  force  des  armes  dans  la  Bretagne,  dans 
l'Anjou,  dans  le  Maine,  le  Poitou  et  dans  la  Normandie,  eussent  la  jouis- 
sance durant  sept  ans  des  appointements,  des  pensions  et  des  emplois 
qu'ils  tenaient  de  lui  ;  et  que  si,  dans  l'espace  de  sept  ans,  quelqu'un 
d'eux  venait  a  mourir,  le  duc  conserverait  le  droit  de  le  remplacer  par 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  509 

lin  sujet  a  son  choix.  Cet  article  fut  celui  qui  amena  les  plus  vives 
discussions.  On  convint  d'abord  assez  aisément  que  |)Our  les  places  qui 
n'appartenaient  qu'au  roi,  le  gouvernement  en  serait  laissé  a  ceux  que  le 
duc  de  Mercœur  en  avait  pourvus  ;  et  qu'en  cas  de  décès  de  l'un  d'eux, 
le  duc  présenterait  trois  candidats  entre  lescjuels  Sa  Majesté  serait  tenue 
de  choisir  ;  mais  à  l'égard  des  villes  qui  étaient  du  domaine  de  quelque 
seigneur  particulier,  il  devint  moins  facile  de  s'entendre,  l'n  grand  nombre 
de  ces  places  étaient,  en  elVet,  la  propriété  patrimoniale  des  per- 
sonnages les  plus  puissants  et  les  plus  iniluents  du  royaume,  et  il  y 
avait  tout  'a  craindre  que  ces  seigneurs  n'excitassent  des  troubles  dan- 
gereux si  on  leur  était  leur  bien.  Mercœur,  de  son  côté,  alléguait  (jue 
plusieurs  de  ces  seigneurs  étaient  buguenols,  que  la  sûreté  de  la 
religion  catholique  dans  la  province  exigeait  qu'on  ne  leur  rendît  pas 
d'aussi  puissants  moyens  de  la  persécuter.  On  trouva  enfin  un  terme 
moyen  :  ce  fut  de  convenir  que  les  places  seraient  en  eflet  rendues  à 
leurs  seigneurs,  mais  que  ces  seigneurs  n'y  pourraient  mettre  que  des 
gouverneurs  reconnus  pour  bons  et  véritables  calholi(|ues.  Par  la,  tonte 
crainte  au  sujet  de  la  sûreté  de  la  religion  devait,  disait-on,  dispa- 
raître. 

Pour  son  compte  particulier,  Mercœur  exigeait  le  gouvernement  de 
la  Bretagne,  auquel  il  voulait  (pi'on  ajoutât  tous  les  pouvoirs  de  grand- 
amiral  de  France.  La  première  partie  de  celle  demande  lui  fut  accordée  ; 
mais,  par  rapport  'a  l'amirauté,  on  répondit  qu'on  s'en  tiendrait  'a  l'édit 
de  Henri  III  qui  avait  consacré  une  transaction  faite  a  ce  sujet  entre  le 
duc  de  Mercœur  lui-même  et  Anne  de  Joyeuse,  quand  celui-ci  fui  pourvu 
de  la  charge  d'amiral  de  France. 

Mercœur  voulait  aussi  que  Brissac,  qu'il  n'aimait  pas,  et  'a  qui  le  roi 
avait  accordé  la  lieutenance  générale  de  Bretagne,  fût  privé  de  cette  fonc- 
tion qui  serait  donnée  'a  la  personne  que  Mercœur  lui-même  désignerait 
'a  Sa  Majesté.  Cet  article  lui  fut  absolument  refusé.  Il  demandait  de  plus 
qu'on  lui  livrât  la  ville  et  le  port  de  Concarneau,  au  pays  de  Vannes  ; 
or,  comme  c'était  un  des  meilleurs  ports  de  tous  ceux  dont  la  garde 
entrait  dans  les  attributions  de  Brissac,  cela  fut  pareillement  rejeté. 

Enfin,  ayant  demandé  la  somme  de  quatre  cent  mille  écus  d'or,  pour 
le  remboursement  des  frais  de  la  guerre  et  l'acipiit  de  ses  dettes,  avec 
une  pension  annuelle  de  cinquante  mille  écus,  le  roi  consentit  a  accor- 
der deux  cent  cinquante-six  mille  écus,  montant  réduit  des  dépenses 
qu'il  réclamait  sur  son  mémoire,  et  'a  y  ajouter  une  pension  de  soixante- 
neuf  mille  livres  par  an. 

Quant  aux  droits  et  prétentions  de  la  maison  de  Penthièvre,  dont  il 
se  portait  comme  héritier,  il  demandait  en  compensation  du  sacrifice 
qu'il  offrait  d'en  faire  deux  cent  mille  écus  comptant,  ou  bien  qu'on  lui 
donnât  par  engagement  la  comté  de  Nantes,  ce  qui  aurait  mis  tout  sim- 
plement en  sa  possession  la  ville  la  plus  riche  et  l;i  |)lus  importante  de  la 
province,  et  ce  qui,  avec  son  titre  de  gouverneur  de  la  Bretagne,  l'eût 
rendu  tout  aussi  puissant  dans  cette  contrée  qu'il  l'avait  été  pendant  les 


570  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

troubles.  Les  ministres  du  roi  répliquèrent  qu'on  avait  déjà  transigé  au 
sujet  de  ces  droits  avec  le  duc  Jean  d'Étampes,  qui  en  était  alors  le 
possesseur  reconnu  ;  qu'il  y  avait  de  cela  trente-huit  ans,  et  que,  per- 
sonne n'ayant  réclamé  jusqu'alors,  contre  ce  marché  fait  de  bonne  foi 
par  l'État,  il  y  avait  maintenant  prescription  contre  toute  prétention  nou- 
velle. Le  roi,  pourtant,  voulut  bien  encore  accorder  soixante-six  mille 
écusd'or  pour  couper  court  'a  toute  difficulté,  tant  il  se  sentait  pressé  de 
terminer  ce  traité. 

Ces  conditions  ainsi  réglées,  La  Ragotière  et  les  députés  du  roi  arrê- 
tèrent de  concert  qu'après  que  le  duc  de  Mercœur  aurait  donné  sa 
parole  a  Sa  Majesté,  il  proposerait  aux  Espagnols,  au  nom  de  Henri  IV, 
une  trêve  de  quatre  mois,  pendant  laquelle,  ils  se  retireraient  dans  le 
port  de  Blavet  (aujourd'hui  Port-Louis),  discontinuant  les  fortifications 
qu'ils  avaient  commencées  et  s'abstenant  de  faire  venir  aucun  renfort  ; 
que ,  pendant  ce  temps,  le  dit  seigneur  duc  donnerait  au  roi  Philippe  avis 
de  la  trêve  conclue,  en  le  priant  de  rappeler  définitivement  ses  troupes, 
auxquelles  il  serait  payé  une  certaine  somme  par  la  province  ;  que  si 
l'Espagnol  refusait  ces  propositions,  le  duc  déclarerait  alors  ouvertement 
qu'il  était  engage  par  son  traité  'a  exposer  sa  vie  et  ses  biens  pour  chas- 
ser les  étrangers  de  la  Bretagne.  (De  Tuou,  ubi  sup.) 

La  Ragotière  emporta  ces  articles  qu'il  promit  de  rapporter  signés 
sans  aucun  délai  ;  mais  à  peine  était-il  parti  qu'on  vit  arriver  une 
lettre  de  lui,  annonçant  que  Mercœur,  avant  de  rien  ratifier,  avait  cru 
devoir  convoquer  à  Châteaubriant  une  assemblée  des  principaux  de  son 
parti.  C'était  toujours  de  la  part  de  ce  prince  le  même  système  de 
prorogation  et  d'attente.  Et  en  même  temps,  il  écrivait  au  Parlement  de 
Bretagne  que,  son  plus  vif  désir  étant  d'assurer  la  religion  et  la  tran- 
quillité dans  la  province,  même  au  détriment  de  ses  intérêts  particu- 
liers, il  venait  de  s'apercevoir  de  plusieurs  choses  qui  le  portaient  a  se 
défier  de  la  réussite  de  sa  bonne  intention.  «  Les  ministres  du  roi, 
disait-il,  ont  obstinément  refusé  de  traiter  de  l'article  de  la  religion, 
quand  j'ai  voulu  le  faire  au  nom  de  la  Bretagne.  Je  viens  donc  vous 
prier  instamment  d'unir  vos  efforts  aux  miens,  pour  mettre  notre  sainte 
foi  à  couvert  dans  cette  province  ;  car  c'est  pour  ce  seul  intérêt,  je  vous 
le  jure,  que  j'ai  pris  les  armes  et  c'est  encore  le  seul  motif  qui  m'em- 
pêche de  les  déposer  aujourd'hui.  Je  crois  bien  aussi  que  si  nous  pré- 
cipitons trop  la  conclusion  de  la  paix,  les  Espagnols  auront  le  droit  de 
n'être  pas  contents  de  nous  ;  et  vous  savez  qu'ils  sont  en  mesure  de 
nous  en  faire  repentir,  A  mon  avis  donc,  nous  ferions  bien  de  con- 
venir d'abord  avec  eux,  de  peur  qu'après  avoir  fait  la  paix  avec  Henri, 
nous  nous  trouvions  sur  les  bras  une  guerre  beaucoup  plus  fâcheuse 
encore.  » 

Mercœur,  après  avoir  écrit  cette  lettre,  dont  il  comptait  bien  que 
l'effet  serait  d'exciter  les  méfiances  du  Parlement,  renvoya  La  Ragotière 
'a  Chenonceaux,  Javec  ordre  d'insister  de  nouveau  sur  toutes  celles  de 
ses  demandes  qui  n'avaient  point  été  accordées,  principalement  sur  la 


DU  TROTESÏxVNTISME  EN  FRANGE.  571 

remise  entre  ses  mains  du  port  de  Concarneau  et  de  la  comté  de  Nantes, 
et  sur  la  lieutenance  de  Bretagne,  (|ui,  si  elle  n'était  pas  délinilivement 
ôtée  a  Brissac,  devait  au  moins  être  partagée  entre  ce  maréchal  et  une 
autre  personne  a  la  nomination  du  duc  de  Mercœur. 

Alors  Schomberg,  fatigué  de  ces  interminables  difllcultés,  que  le  duc 
se  faisait  un  jeu  d'opposer  à  un  traité  déjà  arrêté,  résolut  de  hâter  la 
décision  en  faisant  des  préparatifs  de  guerre  contre  lesquels  il  savait 
que  la  Bretagne  n'était  pas  en  mesure  de  résister.  A  cet  effet,  il  écrivit 
aux  gouverneurs  des  places  et  provinces  voisines,  pour  leur  enjoindre 
de  se  trouver  un  certain  jour  a  Angers.  Dans  cette  assemblée,  on  convint 
des  moyens  de  faire  face  aux  dépenses  de  l'expédition,  des  troupes  que 
chacun  fournirait  et  de  la  manière  dont  la  solde  en  serait  payée  ;  mais 
pendant  cette  délibération  la  ville  de  Châteaubriant  fut  prise  par  Saint- 
Gilles,  qui  en  avait  reçu  l'ordre  du  connétable  de  Montmorency  a  qui 
cette  place  appartenait,  et  la  trêve  se  trouva  ainsi  brusquement  rompue, 
sans  autre  déclaration. 

C'était  au  moment  où  le  roi  était  venu  tenir  les  Etats-Généraux  à 
Rouen.  La  surprise  d'Amiens  empêcha  pendant  quelque  temps  la  cour 
de  donner  suite  aux  hostilités  qui  venaient  de  commencer  en  Bretagne, 
et  Mercœur  profita  de  ce  temps  de  répit  qu'on  lui  laissait  pour  affermir 
sa  domination  dans  Tiffauge,  que  Champigny  lui  avait  livrée.  Il  y  établit 
une  forte  garnison  qui  mit  tout  le  pays  environnant  à  contribution.  En 
même  temps,  il  pétarda  et  prit  le  château  de  La  Grange,  en  Poitou  ;  et 
de  ce  point  encore,  ses  gens  purent  piller  et  désoler  la  campagne.  Il  se 
fit  aussi  livrer  la  ville  de  Mirebeau  par  un  nommé  Villebois,  homme 
vicieux  et  corrompu,  qui  y  commandait  pour  le  roi  et  qui  avait  tout  à 
craindre  des  comptes  qu'on  se  disposait  a  lui  faire  rendre.  Villebois,  a 
qui  le  duc  promit  de  le  garantir  du  châtiment  qu'il  méritait,  se  déclara 
aussitôt  contre  le  roi,  reçut  la  garnison  que  lui  envoya  Mercœur  et  acheva 
avec  tout  l'empressement  possible  la  dévastation  complète  de  ces  mal- 
heureuses contrées,  qui  avaient  déjà  tant  souffert  de  la  guerre  civile. 

Pour  ravoir  Mirabeau,  les  députés  du  roi,  qui  s'étaient  arrêtés  a 
Tours,  proposèrent  de  faire  rendre  Châteaubriant  au  duc  ;  mais  celui- 
ci,  qui  s'était  déj'a  préparé  les  moyens  de  reprendre  cette  dernière  ville, 
rejeta  la  proposition.  Il  essaya  même  de  s'emparer  de  Chinon  par  un 
moyen  semblable  'a  celui  qui  lui  avait  si  bien  réussi  avec  Villebois, 
en  faisant  les  promesses  les  plus  séduisantes  au  commandant  de  cette 
place,  (jui,  lui  non  plus,  ne  se  sentait  pas  pur  de  toute  exaction  :  le 
roi,  pour  se  conserver  un  poste  aussi  important,  fut  obligé  de  faire  des 
promesses  plus  séduisantes  encore. 

Châtellerault,  où,  comme  on  l'a  vu,  les  protestants  tenaient  alors  leur 
assemblée  politique,  fut  également  sur  le  point  d'être  surpris  par  les 
intrigues  de  Mercœur.  Deux  des  principaux  officiers  de  la  garnison 
étaient  déjîi  gagnés  et  devaient  livrer  les  portes  ;  mais  ils  furent  décou- 
verts, arrêtés,  convaincus,  condamnés  et  mis  a  mort. 

Toutes  ces  tentatives  n'empêchèrent  pas  le  roi  de  persévérer  dans  son 


572  HISTOIRE'  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

projet  d'en  finir,  s'il  était  possible,  avec  le  duc  de  Mercœur,  par  un  arran- 
gement amiable.  La  longanimité  de  Henri  paraissait  inépuisable,  parce 
qu'on  ne  sentait  pas  comme  lui  toute  l'importance  d'éteindre  ce  dernier 
brandon  de  nos  longues  guerres  civiles,  si  l'on  voulait  rendre  a  la  France 
son  rang  éminent  dans  l'Europe  ;  aussi  disait-on  à  la  cour  que  Sa  Ma- 
jesté ressemblait  aux  singes,  lesquels,  d'ordinaire,  ne  font  bonne  mine 
qu'a  ceux  qui  les  maltraitent  le  plus.  {Journal  de  Henri  IV,  t.  II, 
p.  559.) 

Vers  cette  même  époque,  on  intercepta  une  correspondance  qui 
prouvait  combien  le  duc  de  Mercœur  était  lié  avec  les  ennemis  de  la 
France,  Un  jeune  bomme  de  Beauvais,  nommé  Lacroix-Desloges,  qui 
s'était  dévoué  à  la  Ligue,  et  qui  avait  môme  eu  quelque  part  à  la  sur- 
prise d'Amiens,  avait,  aussitôt  que  cette  ville  fut  au  pouvoir  des  Espa- 
gnols, pris  la  poste  pour  aller  faire  part  au  duc  de  cet  beureux  succès. 
Il  lui  portait  en  même  temps  des  ordres  secrets  de  la  part  du  cardinal 
vice-roi.  Arrivé  'a  Saumur,  il  lui  fallut  demander  une  permission  de 
Duplessis-Mornay,  gouverneur  de  cette  ville,  afin  d'avoir  des  cbevaux 
pour  continuer  son  voyage.  Mornay  alla  lui-même  l'interroger  'a  son 
auberge,  lui  demandant  d'où  il  venait  et  où  il  allait,  et  le  voyant  se 
couper  dans  ses  réponses  et  pâlir,  il  le  fit  arrêter.  Ce  jeune  homme 
avait  cependant  eu  le  temps  de  cacher  ses  papiers  dans  un  tas  de 
fumier  ;  mais  il  avait  été  vu  et  les  papiers  furent  retrouvés.  (Mézerav, 
t.  III,  p.  1189.) 

Il  y  avait  dans  le  nombre  une  lettre  du  cardinal,  dans  laquelle  ce 
vice-roi  exhortait  Mercœur  à  ne  terminer  aucun  traité  avec  le  roi  sans 
l'assentiment  de  l'Espagne,  au  nom  de  laquelle  il  lui  promettait  que  la 
paix  ne  se  ferait  pas  sans  que  ses  intérêts  n'y  fussent  beaucoup  plus 
amplement  stipulés  que  ce  prince  ne  pourrait  le  faire  lui-même  en 
traitant  seul.  Cette  même  lettte  contenait  plusieurs  lignes  écrites  en 
chiffres,  et  un  grand  nombre  de  phrases  conçues  en  termes  si  obscurs, 
qu'il  était  impossible  d'en  saisir  complètement  le  sens.  On  y  faisait 
mention  d'une  armée  auxiliaire  qui  devait  incessamment  arriver  d'Espagne. 
On  y  disait  que  «  les  fleurs  noires  avaient  produit  des  fleurs  rouges,  qui 
venaient  d'éclore  en  Picardie,  et  que  bientôt  on  en  verrait  éclore  encore 
d'autres,  dans  tout  le  reste  de  la  France  et  jusque  dans  la  capitale  ». 

Lacroix  fut  donc  mis  par  les  huguenots  eux-mêmes  entre  les  mains 
du  prévôt  de  la  connétablie,  pour  être  conduit  au  roi  et  pour  qu'il 
expliquât  'a  Sa  Majesté  les  termes  incompréhensibles  de  la  correspon- 
dance dont  il  était  porteur. 

Ce  malheureux  avait  à  Paris  un  oncle  nommé  Charpentier,  avocat  au 
Parlement  :  cette  circonstance,  une  fois  connue,  fut  cause  qu'on  inter- 
cepta aussi  d'autres  lettres  que  le  duc  de  Mercœur  adressait  a  cet  avo- 
cat. Le  duc  lui  écrivait  de  sauver  Lacroix  à  tout  prix,  s'il  était  possible  ; 
«  et  pour  cela,  disait-il,  je  ne  vois  d'autre  moyen  que  de  le  faire  revendi- 
quer par  le  vice-roi  Albert  comme  son  domestique;  car  pour  moi,  je 
me  compromettrais  trop,  et  je  compromettrais  'a  la  fois  notre  parti,  si 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  573 

je  paraissais  m'intéresscr  a  un  homme  qui  venait  me  trouver  pour  me 
l'aire  part  et  me  féliciter  d'un  événement  que  tous  les  Français,  royalistes 
et  autres,  regardent  comme  funeste  a  la  France.  Au  reste,  j'éprouve  déjà 
l'heureux  contre-coup  de  cet  événement.  Les  ministres  de  Henri  me 
sollicitent  plus  vivement  ([ue  jamais  pour  obtenir  une  paix  que  je  suis 
bien  décidé  à  n'accorder  qu'il  la  dernière  extrémité.  D'ici-lîi,  j'espère 
que  la  cour  d'Espagne  aura  tout  le  ten)ps  de  mo  donner  des  nouvelles 
positives  de  cette  armée  auxiliaire  qui  m'est  promise,  et  que  le  vice-roi 
Albert  sera  entré  en  France  avec  des  troupes  et  de  l'argent.  Je  lui  pro- 
mets de  mon  côté  qu'il  n'aura  pas  besoin  de  tirer  un  seul  coup  de 
canon,  pour  se  faire  recevoir  dans  toutes  nos  villes  de  Bretagne,  et  je  ne 
doute  pas  que,  pour  peu  qu'il  veuille  profiter  des  circonstances  et  de  ses 
derniers  succès,  il  n'en  soit  de  même  pour  toutes  les  autres  provinces. 
Henri,  alors,  sera  réduit  aux  dernières  extrémités,  ainsi  qu'il  le  mérite 
bien,  étant  malgré  tous  ses  beaux  semblants  l'ennemi  acharné  de  tous 
les  bons  catholiques.  J'ai  déj'a  remis  à  ce  sujet  à  Sa  Majesté  catholirpie 
une  instruction  pour  lui  annoncer  (jue  si  elle  voulait  bien  s'en  rapporter 
'a  moi,  et  me  laisser  diriger  ma  conduite  de  manière  à  ne  pas  paraître 
forfaire  ouvertement  à  mon  honneur  et  'a  ma  conscience,  je  me  croyais 
en  état  de  faire  des  choses  merveilleuses  ;  mais,  pour  cela,  il  faut  qu'on 
me  fournisse  de  l'argent,  des  troupes,  de  l'artillerie  et  des  munitions, 
qu'on  pourra  toujours  me  faire  facilement  tenir  par  la  Flandre.  Le  vice- 
roi,  l'armée  espagnole  qu'on  m'a  promise  et  moi,  nous  pourrions  alors 
entrer  simultanémenten  campagne,  chacun  de  notre  côté,  et  nous  don- 
ner rendez-vous  sous  les  murs  mêmes  de  Paris,  où  tant  d'amis  fidèles 
nous  attendent  depuis  si  longtemps.  » 

Celte  lettre  n'avait  pas  besoin  de  commentaires  pour  être  comprise, 
maison  en  surprit  encore  une  autre  du  prieur  Valet,  qui,  après  avoir 
exposé  ce  même  plan,  avec  plus  de  détails  encore,  donnait  les  instruc- 
tions les  plus  précises  pour  conduire  a  bonne  fin  un  autre  complot,  dont 
le  résultat  ne  devait  être  rien  moins  que  la  prise  du  roi  lui-même,  qu'on 
irait  enlever  dans  son  château  de  Saint-Germain,  où  il  allait  souvent  se 
récréer  avec  la  cour  et  la  belle  Gabrielle. 

Charpentier,  a  qui  cette  lettre  était  également  adressée,  fut  arrêté  et 
confronté  avec  Lacroix.  Après  avoir  été  convamcu  du  crime  de  haute 
trahison  et  d'avoir  servi  d'entremetteur  dans  la  coupable  correspondance 
d'Albert  avec  les  Ligueurs  de  Bretagne,  il  fut,  ainsi  (jue  son  neveu  Lacroix, 
condamné  à  être  rompu  vif  et  'a  expirer  sur  la  roue.  11  mourut  avec  une 
grande  résolution  ;  mais  Lacroix  ne  montra  pas,  dit-on,  le  même  cou- 
rage «  et  parla  beaucoup  » ,  ce  qui  fut  cause  qu'on  arrêta  dans  Paris 
(juantité  de  personnes  dont  il  avait  dit  de  se  délier.  Ce  Charpentier,  qui 
finit  d'une  manière  si  misérable,  était  le  propre  fils  de  Jacques  Charpen- 
tier, professeur  de  philosophie  en  l'Université  de  Paris,  «  grand  ligueur 
et  grand  massacreur  »  et  devenu  si  fameux  par  ses  querelles  avec  Pierre 
Ramus,  qu'il  avait  fait  tuer  sous  ses  yeux,  lors  de  la  Saint-Barthélémy. 
{Journal  de  Henri  IV,  t.  11,  p.  3i8.) 


574  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Mercœur,  pendant  ce  lemps-la,  continuait  avec  un  redoublement 
d'activité  la  guerre  qu'il  faisait  au  roi  depuis  la  rupture  de  la  trêve.  «  Il 
ne  faisait  plus  conscience  de  rechercher  et  d'attirer  dans  son  parti 
même  les  huguenots,  de  se  rendre  le  garant  avoué  de  toutes  sortes  de 
crimes,  et  d'accueillir  en  son  giron  des  gens  de  sac  et  de  corde,  comme 
si  les  plus  méchantes  voies  lui  eussent  semblé  honnêtes  pour  aller  a  la 
souveraineté.  Il  lâcha  la  bride  à  ceux  qui  commandaient  dans  ses  places, 
et  dont  la  plupart  étaient  d'insignes  voleurs.  Aussi,  par  suite  de  tant  de 
déprédations,  la  famine  devint  bientôt  si  grande  en  Bretagne  que  les 
pauvres  gens  en  furent  réduits  partout  à  brouter  l'herbe,  comme  les 
bêtes.  (Mézeray,  t.  II,  p.  1206.) 

II  était  maître  du  fort  de  La  Garnache,  peu  éloigné  de  Beauvoir,  et 
c'était  du  Puy  du  Fou  qui  commandait  pour  lui  dans  ce  fort.  Celui-ci 
cherchait  depuis  quelque  temps  à  embrasser  le  parti  royaliste,  «  parce 
que,  disait-il,  n'ayant  pris  les  armes  que  pour  la  défense  de  la  foi  catho- 
lique, il  ne  voyait  pas  pourquoi  il  ne  les  déposerait  pas  quand  cette  foi 
ne  courrait  plus  aucun  danger.  »  Du  Fou  fut  averti  que  cette  intention 
l'avait  rendu  suspect  au  duc,  et  qu'on  se  proposait  de  profiter  du  jour 
d'une  foire,  qui  devait  se  tenir  dans  La  Garnache  pour  y  exciter  une  sédi- 
tion, à  l'aide  de  laquelle  on  le  chasserait,  lui  et  sa  garnison,  qui  parta- 
geait sa  manière  de  voir.  Mauléon,  qu'on  avait  déjà  secrètement  désigné 
pour  le  remplacer,  avait  fait  entrer  dans  la  place  des  soldats  déguisés  que 
la  veuve  d'un  aubergiste  avait  cachés  dans  son  hôtellerie.  Du  Fou  s'en 
alla  avec  les  siens  attaquer  ces  intrus  et  les  tua  tous,  sans  qu'il  pût  s'en 
échapper  aucun.  Ceux  de  leurs  camarades  qui  attendaient  au  dehors 
que  leurs  complices  vinssent  leur  ouvrir  les  portes,  accoururent  au 
bruit  que  causa  ce  massacre;  mais,  du  Fou  tomba  tout  aussitôt  sur  eux, 
avec  tant  de  résolution  qu'il  les  contraignit  de  s'éloigner  avec  perte,  après 
quoi  il  n'hésita  plus  a  se  déclarer  ouvertement  pour  le  roi.  (De  Thou, 
ubi  supra.) 

De  son  côté,  le  maréchal  de  Brissac,  lieutenant  royal  en  Bretagne, 
et  auquel  dans  les  circonstances  actuelles  on  ne  pouvait  envoyer 
de  nouveaux  secours,  avait  été  forcé  de  disséminer  le  peu  de  troupes 
qu'il  avait  dans  différents  villages,  pour  réprimer  autant  que  possible  les 
pilleries  de  l'ennemi.  Cette  mesure  était  devenue  d'autant  plus  néces- 
saire que  la  dernière  récolte  avait  été  fort  mauvaise  et  ne  pouvait  déjà 
suffire  aux  besoins  d'un  pays  depuis  si  longtemps  épuisé,  surtout  si  on 
venait  la  gaspiller  encore.  La  Tremblaye,  son  lieutenant,  était  donc 
cantonné 'a  Messac,  avec  quelque  cavalerie  et  un  détachement  d'infanterie. 
Brissac  eut  avis  que  Saint-Laurens,  gouverneur  de  Dinan,  s'étant  mis  à 
la  tête  de  cent  bons  chevaux  et  de  cinquante  hommes  de  pied,  s'en 
allait  rejoindre  le  duc  de  Mercœur  et  se  trouvait  déjà  du  côté  de  Maure. 
La  Tremblaye,  reçut  aussitôt  l'ordre  de  marcher  contre  cette  troupe, 
et  en  arrivant  à  Maure,  il  trouva  que  Saint-Laurens  était  déj'a  délogé  et 
qu'il  avait  pris  le  chemin  du|bois  de  La  Roche,  dans  le  dessein  de  gagner 
la  rivière  de  la  Vilaine  qu'il  lui  follait  traverser.  La  Tremblaye,  sans  perdre 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  575 

(le  temps,  se  mit  a  sa  poursuite  ;  et  bientôt  ii  atteignit  rarrière-garde 
ennemie  commandée  par  le  sieur  de  Trémerenc,  frère  de  Saint-Laurens. 
Jl  Tattaqua,  la  mit  brusquement  en  déroute,  après  avoir  tué  du  premier 
choc  une  cinquantaine  d'hommes,  lit  Trémereuc  lui-même  prisonnier, 
et  tomba  presque  aussitôt  sur  le  corps  principal.  Saint-Laurens  venait  de 
le  faire  ranger  dans  un  champ  environné  de  fossés  ;  malgré  l'avanlage 
de  cette  position,  les  Ligueurs  rendirent  peu  de  combat  ;  cent-cinquante 
des  leurs  restèrent  sur  la  place  ;  les  autres,  pensant  se  sauver  par  la 
fuite,  tombèrent  entre  les  mains  des  paysans,  qui  les  assommèrent  pres- 
(jue  tous,  et  le  chef  lui-même  eut  beaucoup  de  peine  a  regagner  Dinan 
avec  quelques-uns  de  ses  cavaliers  les  mieux  montés.  (Cayet,  Chron. 
nov.Wy.  9,  1597.  —  Mém.  delà  Lv^iie,  t.  VI,  p.  490.) 

La,  dans  le  désir  de  prendre  sa  revanche,  il  se  mit  à  rassembler 
quelques  forces  qu'il  tira  des  garnisons  voisines,  i)uis  il  envoya  deux 
cent  cinquante  de  ses  hommes  occuper  un  village  nommé  Saint-Syriac, 
tout  proche  de  Saint-Malo.  Ces  bandits  se  barricadèrent  dans  l'église  et 
lirent  aux  environs  le  plus  de  dégât  qu'ils  purent,  abattant  les  arbres 
fruitiers  et  coupant  les  blés  qu'ils  faisaient  transporter  dans  des  cha- 
loupes 'a  Dinan. 

Ceux  de  Saint-Malo,  réduitsaux  abois,  députèrent  auprès  de  La  Tremblaye 
pour  le  prier  de  venir  les  assister  et  dénicher  ces  méchants  Ligueurs  de 
leur  village  de  Saint-Syriac. 

La  Tremblaye  décida  qu'il  irait  les  atta(|uer  par  terre  avec  trois  cents 
soldats,  pendant  que  les  Malouins  s'y  rendraient  par  mer  avec  deux 
galères  armées,  ce  qui  fut  exécuté,  et  ces  pillards  se  trouvèrent  serrés 
de  si  près  que  de  deux  cent  cinquante  qu'ils  étaient,  «  il  ne  s'en  sauva 
un  seul  qui  ne  fût  ou  tué  ou  pendu  comme  larron.  » 

De  l'a,  La  Tremblaye  alla  attaquer  le  château  du  Plessis-bertrand  qui 
était  encore  un  repaire  de  voleurs  ligueurs.  Mais,  malheureusement,  au 
moment  où  il  en  faisait  les  approches,  il  fui  tué  d'une  balle  ramée.  Ses 
officiers,  ayant  eu  avis  que  Saint-Laurens  se  disposait  a  venir  avec  toutes 
ses  forces  au  secours  de  la  place,  levèrent  le  siège  pour  n'être  pas  |)ris 
'a  leur  désavantage. 

Comme  ils  s'en  retournaient  avec  leurs  troupes  en  bon  ordre,  ils 
rencontrèrent  un  capitaine  ligueur,  qui  allait  avec  sa  compagnie  rejoindre 
l'armée  de  Saint-Laurens,  et  l'ayant  fait  prisonnier,  ils  lui  liren  tdire,  la 
dague  sur  la  gorge,  où  était  le  lieu  de  réunion  assigné  aux  troupes 
ennemies.  Ils  s'y  rendirent  les  premiers,  et  ayant  dressé  une  embus- 
cade sur  la  route  par  où  Saint-Laurens  devait  nécessairement  passer,  ils 
le  chargèrent  avant  (|u'il  ait  eu  même  le  temps  de  reconnaître  ceux  qui 
l'attaquaient.  Trois  cents  des  ennemis  furent  tués,  plusieurs  capitaines 
furent  faits  prisonniers  ;  et  pour  la  seconde  fois,  Saint-Laurens  dut  a  la 
vitesse  de  son  cheval  le  bonheur  qu'il  eut  de  pouvoir  encore  rentrer  dans 
Dinan. 

Le  reste  de  l'été  se  passa  sans  aucune  autre  entreprise  importante. 
On  faisait  alors  courir  dans  toute  la  Bretagne  le  bruit  que  le  roi  était 


576  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

attaqué  d'une  maladie  mortelle,  causée  par  le  chagrin  ;  et  les  deux  partis 
restèrent  dans  l'indécision. 

Ce  n'était  pas  la  maladie  qui  menaçait  en  ce  moment  les  jours  de 
Henri  IV,  mais  le  poignard  des  assassins.  Le  roi  catholique  des  Espa- 
gnols avait  donné  mission  'a  un  nommé  Ledesma  d'aller  en  Bretagne, 
pour  y  raffermir  le  duc  de  Mercœur  dans  son  alliance  avec  l'Espagne. 
Ledesma,  arrivé  'a  Nantes,  s'en  allait  souvent  faire  ses  dévotions  'a  la 
Chartreuse  qui  est  dans  le  faubourg  ;  Ta,  il  fit  la  connaissance  d'un  reli- 
gieux de  ce  couvent,  nommé  Pierre  Ouyn,  homme  de  fort  mauvaises 
mœurs  et  sans  jugement,  mais  qui  avait  appris  la  langue  espagnole  pen- 
dant un  voyage  que  sa  mauvaise  conduite  et  la  crainte  d'un  châtiment 
bien  mérité  l'avaient  obligé  de  faire  au  del'a  des  Pyrénées.  Ledesma 
proposa  à  ce  religieux  de  lui  trouver  quelqu'un  capable  d'un  bon  coup 
de  main  ;  c'était  de  tuer  le  roi  Henri  IV  et  de  délivrer  par  la  la  France 
d'un  tyran  et  d'un  protecteur  de  l'hérésie.  (Mézeray,  ubi  sitp.  —  Dii 
Tnou,  ubi  sup.) 

Le  moine,  ayant  goûté  ce  projet,  chargea  de  l'exécution  un  de  ses 
parents,  qui  servait  dans  l'armée  de  Sa  Majesté,  en  lui  promettant  des 
richesses  immenses  et  un  grand  établissement;  mais  celui-ci  mourut  de 
maladie,  sans  qu'on  sache  s'il  avait  consenti  à  entrer  dans  cet  abomi- 
nable complot  ;  il  est  certain,  du  moins,  qu'il  ne  fit  aucune  révélation, 
«  ce  qui  le  rendait  évidemment  coupable  du  crime  de  haute  trahison.  » 
De  Thou,  auquel  j'emprunte  cette  dernière  phrase,  ne  se  doutait  pas, 
quand  il  l'écrivait,  qu'il  prononçait  d'avance  la  condamnation  de  son 
propre  fils,  dont  la  tête  tomba  sous  le  glaive  du  bourreau  juste  quarante- 
cinq  ans  après,  pour  une  faute  pareille. 

Quoiqu'il  en  soit,  le  Chartreux  n'avait  pas  été  aussi  discret  que  son 
parent.  Il  avait  d'abord  parlé  du  complot  'a  son  confesseur  et  ensuite  à 
quelques  autres  de  ses  amis.  Il  fut  arrêté  à  Laval,  où  il  était  allé  demeu- 
rer, après  avoir  quitté  le  couvent  de  Nantes,  et  il  avoua  son  crime.  Le 
roi,  toutefois,  par  considération  pour  l'ordre  respectable  dont  le  coupable 
était  membre,  voulut  bien  lui  faire  grâce  de  la  vie,  après  lui  avoir  fait 
faire  son  procès  dans  la  forme  ordinaire,  afin  que  le  fait  demeurât  cons- 
tant et  qu'il  pût  quelque  jour  en  demander  raison  aux  Espagnols. 

Le  siège  d'Amiens  continuait  pendant  ce  temps-l'a,  et  le  Parlement 
de  Paris  rendit  un  arrêt  sur  le  réquisitoire  du  Procureur  général  contre 
ceux  qui  donneraient  retraite  aux  partisans  du  duc  de  Mercœur.  Cet 
arrêt,  qui  menaçait  les  contrevenants  des  plus  grandes  peines,  fut  publié 
partout  011  les  rebelles  étendaient  encore  leurs  courses.  Mais  pour  cou- 
per court  aux  désordres  qu'ils  commettaient,  on  crut  plus  efficace  encore 
de  signer  une  nouvelle  trêve,  jusqu'au  premier  janvier  de  l'année  sui- 
vante, avec  cette  condition  que,  môme  après  cette  époque,  ni  l'un  ni 
l'autre  des  deux  partis  ne  pourrait  commettre  aucun  acte  d'hostilité,  sans 
avoir  fait  préalablement  signifier  qu'il  regardait  la  trêve  comme  rompue. 
{Mém.  de  la  Ligue,  t.  VI.) 

Il  était  temps  pour  la  malheureuse  Bretagne  que  tous  ces  débats 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  577 

eussent  un  terme,  et  les  États  de  la  province  suppliaient  le  roi  d'y  vou- 
loir bien  faire  un  voyage,  pour  en  chasser  délinilivement  le  duc,  cause 
unique  de  toute  cette  désolation.  Pendant  que  le  maréchal  de  Brissac  dis- 
posait toutes  choses  pour  recevoir  Sa  Majesté,  qui  venait  enfin  de  recon- 
quérir Amiens,  il  arriva  un  fait  particulier  qui  causa  une  grande  rumeur 
et  qui  pensa  donner  occasion  aux  esprits  échauffés  de  rallumer  partout 
un  nouvel  incendie.  Le  jeune  Sainl-Phal,  heau-hvre  du  maréchal,  s'était 
laissé,  dit-on,  gagner  par  la  dame  de  Chavigny,  sa  tante,  qui  gardait  au 
fond  du  cœur  une  haine  irréconciliable  contre  Duplessis-Mornay.  Un  soir 
donc  que  celui-ci  se  retirait  en  son  logis,  Saint-Phal,  accompagné  de 
douze  hommes  bien  armés,  l'arrêta  dans  la  rue  et  sous  prétexte  de  cer- 
taines lettres  à  lui  adressées,  (jue  Duplessis,  en  sa  qualité  de  gouverneur 
de  Saumur,  avait  cru  devoir  décacheter,  il  lui  adressa  de  violents 
reproches  ;  puis,  tirant  un  bâton,  il  en  frappa  outrageusement  ce  vieux 
seigneur,  après  quoi  il  se  sauva  sur  un  cheval  qu'on  lui  tenait  tout  prêt 
et  courut  se  réfugier  chez  le  maréchal  son  beau-frère.  {Vie  de  Duplessis- 
Mornay,  p.  245  et  suiv.) 

Brissac  trouva  une  pareille  action  si  lâche  et  si  injurieuse  pour 
l'autorité  royale  qu'il  arrêta  lui-même  Saint-Phal,  afin,  disait-il  tout  haut, 
de  le  livrer  à  la  justice,  mais,  en  effet,  pour  empêcher  plutôt  que 
d'autres  ne  l'arrêtassent  et  ne  le  punissent  comme  il  le  méritait. 

La  nouvelle  d'un  aussi  brutal  attentat  se  répandit  aussitôt  par  toute 
la  France  :  il  se  fit  un  grand  concours  de  noblesse  et  d'autres  personnes 
de  toutes  classes  :  catholi(jues  et  huguenots  s'empressèrent  de  venir 
consoler  l'illustre  offensé,  lui  offrant  leurs  bras  pour  punir  celui  qui  lui 
avait  fait  injure.  Le  roi  lui  écrivit  même  de  sa  propre  main.  «  Mon 
ami,  lui  dit-il,  et  comme  roi  et  comme  votre  ami,  je  prends  la  plus  vive 
part  'a  votre  douleur.  Si  je  n'étais  que  votre  ami  et  si  la  dignité  royale 
ne  m'interdisait  pas  l'usage  d'un  pareil  moyen,  mon  plus  vif  désir  serait 
de  vous  faire  avoir  raison  l'épée  'a  la  main  de  celui  qui  vous  a  alïronté  ; 
et  je  vous  jure  que  mon  épée  ne  tiendrait  j)as  au  fourreau  ;  mais, 
comme  roi,  je  vous  promets  qu'il  vous  sera  fait  bonne  et  prompte  jus- 
lice.  » 

En  efïet,  il  enjoignit  au  Parlement  de  faire  sans  relard  le  procès  à 
Saint-Phal,  et  le  lieutenant-général  de  Tours  fut  chargé  d'informer  de 
l'action  comme  d'un  guet-apens.  Saint-Phal  fut  livré  par  ses  |)arents 
eux-mêmes  et  renfermé  a  la  Bastille  ;  et  la  sentence  qui  intervint  bien- 
tôt ordonna  qu'il  demanderait  pardon  au  roi,  un  genou  en  terre  ; 
qu'ensuite,  il  ferait  satisfaction  à  Mornay,  le  sui)pliant  de  lui  pardonner 
et  d'intercéder  pour  lui  auprès  de  Sa  Majesté,  pour  arrêter  le  cours  de 
la  punition  qu'il  avait  méritée,  se  soumettant  à  recevoir  de  lui  un 
coup  pareil  'a  celui  qu'il  avait  donné.  De  plus,  il  fut  obligé  de  prendre 
des  lettres  d'abolition,  et  copie  de  cet  acte  fut  délivrée  à  tous  les  am- 
bassadeurs des  princes  étrangers.  Un  pareil  châtiment  couvrit  ce  jeune 
homme  de  tant  de  honte  qu'il  ne  vécut  pas  longtemps  après. 

Cependant  Henri  avait  prévu,  tandis  qu'il  faisait  encore  le  siège 
IV.  37 


578  •  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

d'Amiens,  que  le  duc  Savoyard,  ne  manquerait  pas  de  profiter  de  la  cir- 
constance, pour  faire  une  invasion  dans  le  Dauphiné  et  dans  la  Provence. 
Il  était  même  averti  que  ce  prince  réunissait  déjà  des  troupes  a  cet 
effet  ;  en  conséquence,  il  envoya  à  Lesdiguières  Tordre  de  le  prévenir  et 
d'entrer  lui-même  le  premier  en  Savoie. 

Lesdiguières  leva  une  petite  armée  de  six  mille  hommes  d'infanterie 
et  de  cinq  cents  chevaux  ;  et  quoiqu'il  manquât  d'argent  et  qu'il  eût  à 
traverser  des  montagnes  escarpées,  couvertes  de  neige  et  sillonnées 
par  des  torrents  presque  infranchissables,  il  marcha  vers  la  ville  de 
Saint-Jean  de  Maurienne,  'a  la  vue  de  laquelle  il  arriva,  non  sans  avoir 
été  obligé  de  livrer  sur  sa  route  une  multitude  de  petits  combats,  pour 
déloger  du  sommet  de  ces  montagnes  l'ennemi  qui  s'y  était  retranché. 
(De  Thou,  liv.  119.) 

Saint-Jean  de  Maurienne  est  la  capitale  de  la  province  ;  quoique  en- 
tourée de  montagnes,  elle  est  située  au  milieu  d'une  plaine  assez  étendue 
où  aboutissent  trois  vallées.  La  première  qui  n'est  guère  qu'un  défilé 
étranglé  par  de  hauts  rochers,  conduit  au  bourg  ;  la  seconde  est  la 
vallée  du  mont  Cenis,  et  la  troisième  aboutit  'a  Conflans,  un  peu  au- 
dessus  de  Montmélian.  L'Arc  entoure  une  grande  partie  de  la  ville, 
où  l'on  ne  peut  arriver  qu'en  traversant  quatre  ponts  du  côté  de  La 
Chambre.  Lesdiguières  envoya  d'abord  un  fort  détachement  pour  s'em- 
parer de  ces  quatre  ponts.  Mais  le  principal  avait  déjà  été  rompu  par 
les  paysans  qui  s'étaient  retranchés  sur  l'autre  rive.  Il  fallut  donc  s'ar- 
rêter devant  cet  obstacle  et  pour  comble  de  contrariété,  l'armée  se 
trouva  exposée  'a  une  pluie  qui  tomba  sans  discontinuer  pendant  plu- 
sieurs jours. 

Martinengo,  qui  commandait  en  ces  lieux  pour  le  duc  de  Savoie,  pro- 
fita de  ce  délai  et  fit  apporter  par  ses  troupes  de  la  terre  et  du  gazon 
pour  fortifier  tous  les  passages,  par  lesquels  les  Français  pouvaient  se 
diriger  vers  Chambéry.  Ce  général  attendait  en  ce  temps-l'a  les  troupes 
du  Milanais,  qui  devaient  venir  se  joindre  aux  siennes,  et  qui,  ayant  déjà 
passé  le  mont  Cenis,  venaient  d'envoyer  un  puissant  secours  aux  paysans 
retranchés  de  l'autre  côté  de  la  rivière  ;  mais  ce  premier  retranchement 
fut  vivement  attaqué  par  Créquy,  lieutenant  de  Lesdiguières  ;  et  ceux 
qui  le  défendaient  furent  obligés  de  se  retirer  en  toute  hâte  du  côté 
des  montagnes. 

Lesdiguières  laissa  un  seul  régiment  pour  maintenir  Saint-Jean  de 
Maurienne,  dont  la  prise  lui  aurait  fait  perdre  trop  de  temps,  et  se  dirigea 
avec  son  armée  du  côté  de  Saint-Michel,  dans  le  dessein  de  couper  les 
troupes  milanaises.  Avant  que  d'être  arrivé  à  Saint-André,  il  eut  la  satis- 
faction d'apprendre  que  Saint-Jean  de  Maurienne  s'était  rendue  par  ca- 
pitulation, et  que,  par  conséquent,  il  avait  déjà  une  place  d'armes  dans 
le  pays. 

Après  avoir  fait  passer  à  ses  troupes  la  rivière  d'Arc,  il  se  trouva 
près  d'Auriens,  vis-à-vis  un  corps  d'Espagnols  que  Salinas  commandait, 
et  que  ce  général  avait  fait  camper  sur  un  rocher  escarpé. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FILVNCE.  579 

Malgré  la  forle  assiette  de  cette  position,  Salinas,  craigiianl  d'être 
enveloppé,  profita  de  robscurilé  de  la  nuit  qui  survint,  pour  se  retirer 
sans  bruit,  après  avoir  eu  soin  de  faire  allumer  du  leu  dans  le  camp  afin 
de  mieux  cacher  sa  retraite.  A  la  pointe  du  jour,  Lesdiguières,  qui  s'aper- 
çut de  ce  stratagème,  poursuivit  les  Espagnols  jusqu'à  Lanslebourg,  au 
pied  des  Alpes  Cottiennes  ;  mais  dans  la  rapidité  de  sa  fuite,  Salinas 
avait  déjà  traversé  le  mont  Cenis  et  se  retirait  du  côté  de  Suze,  laissant 
derrière  lui  une  grande  (juantilé  d'armes  et  de  munitions,  que  ses  soldats 
abandonnaient  pour  bâter  leur  marcbe,  et  dont  les  Français  s'emparèrent. 
(Cavet,  Cliron.  nov.,  liv.  9.) 

Pendant  le  temps  qu'on  avait  employé  à  cette  poursuite,  et  tandis 
que  les  troupes  françaises  exposées  aux  pluies  et  aux  neiges,  marchaient 
à  travers  les  montagnes  après  un  ennemi  qui  ne  voulait  pas  les  attendre, 
une  autre  division  de  l'armée  milanaise,  qui  avait  passé  par  le  petit 
Saint-Bernard,  se  dirigeait  vers  la  Franche-Comté.  A  la  nouvelle  qu'il  en 
reçut,  Lesdiguières  revint  par  Bramant  et  Saint-Michel  h  Saint-Jean-de- 
Maurienne,  et  fit  fortifier  cette  place  en  toute  hâte.  Il  fit  élever  un  fort  a 
la  tête  de  chacun  des  quatre  ponts;  puis,  il  se  dirigea  vers  La  Chambre, 
après  avoir  fait  aller  devant  lui  son  avant-garde  jusqu'au  bourg  de 
Sainte-Catherine. 

Le  duc  de  Savoie,  avec  trois  mille  Italiens  et  bon  nombre  de  cava- 
lerie, ayant  traversé  les  Alpes,  s'était  de  son  côté  rendu  a  la  Tarentaise, 
oïl  il  s'était  réuni  à  Martinengo,  qui  avait  déjà  sous  ses  ordres  un  corps 
de  six  mille  hommes  de  pied  et  de  huit  cents  chevaux.  Le  duc  n'avait 
pas  compté  trouver  si  proche  de  lui  l'armée  de  Lesdiguières  ;  car  il  le 
croyait  occupé  alors  à  poursuivre  cette  division  espagnole,  qui,  après 
avoir  passé  le  petit  Saint-Bernard,  était  déjîi  du  côté  de  Saint-Claude  en 
Franche-Comté.  Ayant  reconnu  son  erreur,  il  envoya  bien  vite  à  ces 
troupes  l'ordre  de  revenir  sur  leurs  pas,  pour  lui  prêter  main  forte.  Mais 
Lesdiguières  était  déjà  devant  Aiguebelle,  et  Créquy  s'était  même  logé 
dans  la  ville.  Cette  place  est  située  sur  un  rocher  de  difficile  accès,  à 
l'entrée  des  montagnes  qui  ferment  la  vallée  du  mont  Ccnis. 

Martinengo,  dans  le  dessein  d'arrêter  la  rapidité  des  mouvements  du 
général  français,  lui  fit  dire  qu'il  avait  des  ouvertures  de  traité  à  lui  pro- 
poser. Lesdiguières,  qui  devinait  son  motif,  se  contenta  de  lui  envoyer 
un  de  ses  officiers  pour  recevoir  ses  communications.  Pour  lui,  sans 
perdre  de  temps,  il  fit  venir  du  canon  de  Grenoble  et  prépara  tout  pour 
livrer  une  bataille. 

L'armée  du  duc  était  alors  près  de  Montmélian  ;  et  ce  prince,  après 
avoir  posté  ses  troupes  le  long  de  la  rivière,  depuis  Conllans  jusqu'à 
Miolans,  avait  fait  rompre  tous  les  ponts  et  inonder  le  pays  pour  empê- 
cher les  Français  de  venir  à  lui.  Ces  précautions  n'empêchèrent  pas  Les- 
diguières, aussitôt  qu'il  eut  été  rejoint  par  son  canon,  d'aller  assiéger 
La  Chambre.  Les  Français  s'emparèrent  d'abord  des  faubourgs,  et  ayant 
appliqué  le  pétard,  ils  entrèrent  dans  la  ville  sans  trouver  de  résistance 
de  la  pari  de  la  garnison  et  des  habitants.  Tous  s'étaient  réfugiés  dans 


580  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

la  citadelle,  dont  ils  ouvrirent  la  porte  au  vainqueur  presque  aussitôt. 
(De  Thou,  uhi  sup.) 

De  la,  Lesdiguières  alla  investir  le  fort  de  Chamousset,  situé  vers  la 
gauche,  au  sommet  d'une  montagne  assez  proche  du  grand  chemin 
qu  il  commande.  Le  duc  de  Savoie  y  avait  fait  entrer  une  forte  garnison  ; 
il  avait  aussi  fait  élever  en  avant  de  cette  place  sur  les  bords  de  Tlsère 
des  retranchements  en  forme  triangulaire  environnés  d'un  fossé  et  garnis 
d'artillerie.  Il  prétendait  à  l'aide  de  ce  poste,  très-avantageux,  en  effet, 
intercepter  les  secours  que  nos  troupes  étaient  dans  la  nécessité  de 
tirer  de  la  France.  Créquy,  avec  son  régiment,  s'avança  de  l'un  des  côtés 
du  triangle  jusqu'au  pied  du  retranchement  ;  et  son  attaque  fut  si  vive 
que  l'ennemi  fut  repoussé  jusque  sur  la  rive  opposée.  Pendant  ce 
lemps-la,  Verdun,  à  la  tête  de  trois  compagnies,  se  jetait  dans  le  fossé 
de  l'autre  côté  du  retranchement.  Malgré  la  mitraille  et  les  balles  qui 
pleuvaient  sur  lui,  montant  par  des  espèces  de  degrés  que  les  pionniers 
y  avaient  faits,  il  arriva  sur  le  talus  et  mit  en  fuite  ceux  qui  défendaient 
encore  ce  poste.  La  plupart  se  jetèrent  dans  la  rivière,  où  un  grand 
nombre  périt,  si  bien  que  cette  alfaire  coûta  aux  Savoyards  plus  de  huit 
cents  hommes  tués  ou  noyés.  Le  commandant  du  retranchement  fut  pris 
avec  la  plupart  de  ses  officiers,  et  Don  Philippe,  frère  naturel  du  duc  de 
Savoie,  qui  avait  voulu  assister  a  cette  affaire,  manqua  lui-même  de  res- 
ter au  nombre  des  prisonniers.  11  fut  obligé  de  changer  d'habits  et  d'al- 
ler se  cacher  dans  une  île  couverte  de  buissons.  La  garnison  de  Cha- 
mousset, n'espérant  plus  alors  d'être  secourue,  se  rendit  vie  et  bagues 
sauves.  (Caykt,  ubi  sup.) 

Lesdiguières  revint  après  cet  exploit  'a  Aiguebelle,  dont  la  citadelle, 
qui  avait  résisté  jusqu'alors,  se  rendit  également  à  des  conditions  hono- 
rables, après  la  mort  de  celui  qui  y  commandait  et  qui  fut  emporté  d'un 
coup  de  canon. 

De  Ta,  on  alla  assiéger  le  fort  dEugy,  qui  ne  fît  pas  une  longue 
résistance  ;  et  pendant  ce  temps-la,  le  duc  de  Savoie  ne  faisait  toujours 
aucun  mouvement.  On  s'était  attendu  qu'il  passerajt  l'Isère,  et  Lesdi- 
guières avait  même  écrit  a  Grenoble  que  son  armée  se  préparait  a  livrer 
incessamment  une  grande  bataille,  et  qu'elle  faisait  ses  dispositions 
avec  autant  de  joie  et  d'empressement  que  s'il  se  fût  agi  d'aller  à  un 
grand  festin.  Le  duc  se  contenta  de  venir  camper  à  Saint-Hélène  a  une 
lieue  de  Montmélian.  (De  Thou,  ubi  sup.) 

A  la  fin,  pourtant,  ayant  été  rejoint  par  un  nouveau  renfort  de 
Suisses  et  d'Italiens,  il  se  décida  à  fiiire  un  mouvement  offensif;  et,  au 
moment  où  on  s'y  attendait  le  moins,  on  vit  tout  'a  coup  ses  troupes  se 
ranger  en  bataille,  entre  le  bois  de  la  Coise  et  un  gros  ruisseau  très-pro- 
tbnd  qui  coule  a  l'opposite.  A  cette  vue,  la  confusion  se  mit  parmi  les 
Français,  et  si  le  Savoyard  les  eût  attaqués  sans  retard,  il  eût  très-proba- 
blement remporté  une  victoire  complète;  mais  il  laissa  passer  le  moment 
favorable  et  nos  soldats  eurent  bientôt  repris  leur  sang-froid. 

Le  combat  dura  cinq  heures  sur  le  bord  du  ruisseau  ;  sur  ce  point- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  581 

lli  seulement,  les  ennemis  perdirent  ûcnx  cents  hommes,  et  tic  notre 
côté,  nous  comptions  trente-trois  morts  cl  quatre-vingts  blessés.  Nos 
soldats  avaient  élevé  un  retranchement  de  gazon  sur  la  rive  gauche  du 
ruisseau  :  ils  y  jetèrent  a  la  hâte  deux  ponts,  sur  lesquels  ils  passèrent, 
et  coururent  a  l'ennemi.  Celui-ci,  après  avoir  soutenu  quelques  attaques, 
se  relira  dans  son  camp. 

Don  Philippe  appela  alors  en  combat  singulier  Créquy,  qui  l'avait 
déjà  forcé  'a  fuir  devant  lui.  Créquy  se  présenta  aussitôt  tout  armé  ;  mais 
le  duc  déclara  nul  ce  cartel,  parce  qu'il  avait  été  envoyé  à  son  insu, 
et  Don  Philippe  ne  parut  pas. 

Le  duc,  cependant,  fit  pointer  son  canon  contre  les  deux  ponts  (jui 
avaient  servi  aux  nôtres  a  passer  le  ruisseau,  et  les  Suisses  qui  étaient 
dans  son  armée,  au  mépris  de  leurs  capitulations  qui  leur  interdisaient  de 
porter  les  armes  contre  le  roi,  sur  les  terres  de  France,  vinrent  nous 
attaquer  avec  fureur.  On  s'attendait  'a  une  affaire  générale  pour  ce  jour- 
la  ;  mais  les  Suisses  ne  furent  pas  soutenus,  et  après  un  combat  assez 
vif  où  ils  furent  repoussés,  Lesdiguières,  qui  avait  fait  un  détour,  et  (jui 
arrivait  avec  sa  compagnie  de  cavalerie,  tomba  sur  eux  et  les  tailla  en 
pièces.  La  nuit  sépara  les  combattants  ;  l'ennemi  avait  perdu  plus  de 
quatre  cents  hommes,  sans  compter  les  blessés,  tandis  que  du  côté  des 
Français,  il  n'y  avait,  dit-on,  que  six  morts.  On  nomma  cette  affaire  le 
combat  des  Molettes,  'a  cause  de  deux  rochers  peu  distants  l'un  de 
l'autre  auprès  desquels  il  se  livra,  et  qui  portent  ce  nom. 

Trois  jours  après,  le  duc  décampa  et  prit  son  chemin  par  la  vallée 
de  Grésivaudan.  Nos  soldats  harcelèrent  son  arrière-garde,  et  étant  entrés 
après  elle  dans  Sainte-Hélène,  ils  brûlèrent  celte  ville  avec  sa  citadelle. 
Lesdiguières  dispersa  ensuite  ses  troupes  sur  le  terrain  qu'il  venait  de 
conquérir  ;  il  fit  faire  des  retranchements  sur  les  bords  de  l'Isère  pour 
mettre  tout  ce  pays  à  couvert,  et  il  revint  à  Grenoble,  que  la  peste  rava- 
geait en  ce  moment. 

Aussitôt  qu'il  se  fut  éloigné,  le  duc  de  Savoie  songea  'a  rentrer  dans 
ces  vallées  ;  il  était,  dit-on,  principalement  poussé  par  les  reproches  de 
sa  femme,  laquelle  ne  cessait  de  lui  répéter  qu'il  était  déshonorant 
pour  lui  de  laisser  des  hérétiques  lui  prendre  ses  États,  lui  qui  les  allait 
attaquer  dans  les  États  des  autres. 

Les  troupes  qu'il  envoya,  sous  la  conduite  du  colonel  Ponté,  ne  vou- 
lurent pas  d'abord  avoir  affaire  aux  soldats  de  Lesdiguières,  et  vinrent 
attaquer  les  retranchements  que  les  paysans  des  vallées  avaient  élevés 
au  col  de  Feneslrclle.  Elles  s'emparèrent  du  fort  qui  commande  ce  pas- 
sage ;  mais  le  capitaine  Balsac  accourut  avec  sept  cents  anjucbusiers  et 
recon(|uit  la  position,  après  avoir  tué  beaucou|)  de  monde  a  l'ennemi. 
Ceux  de  la  vallée  de  Progela  avaient  pendant  ce  temps-l'a  occupé  le 
défilé  par  où  l'ennemi  devait  nécessairement  passer  pour  venir  'a  eux,  et 
quand  les  Savoyards  se  présentèrent  de  ce  côté,  ils  les  écrasèrent  du 
haut  de  leurs  rochers  et  n'en  laissèrent  pas  échapper  un  seul.  Ponté,  au 
désespoir  de  se  voir  repoussé  partout,  se  crut  heureux  de  pouvoir  rega- 


582  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

gner  Pérouse,  ce  qui  n'empêcha  pas  le  duc  de  Savoie  de  faire  allumer 
des  feux  de  joie  dans  ses  Etats  pour  célébrer  l'heureux  succès  de  ses 
armes. 

Sallnas  et  ses  Milanais  s'étaient  aussi  rapprochés  du  côté  de  Lafrette. 
Lesdiguières,  averti  de  ce  mouvement,  fit  passer  l'Isère  a  Labeaume- 
D'Autun,  qui  marcha  droit  a  l'ennemi,  l'attaqua,  le  mit  en  déroute,  lui 
tua  deux  cents  hommes  et  fit  cinquante  prisonniers,  du  nombre  desquels 
était  Salinas  lui-même  ;  et  ce  fut  ainsi  que  dans  l'espace  de  quelques 
mois,  Lesdiguières  rangea  sous  la  puissance  du  roi  toute  cette  partie  de 
la  Savoie  qui  est  en  deçà  de  l'Isère. 

De  son  côté,  le  duc  de  Florence  avait  aussi  songé  à  s'approprier 
quelque  part  des  débris  de  la  France,  qu'il  croyait  déj'a  aux  abois,  et 
c'était  sur  les  îles  de  Marseille  qu'il  avait  depuis  longtemps  jeté  son 
dévolu.  Il  espérait  qu'aussitôt  qu'il  s'en  serait  rendu  maître,  il  ne  tarde- 
rait pas  'a  subjuguer  la  ville  elle-même,  ou  que,  du  moins,  l'Espagne  ne 
demanderait  pas  mieux  que  de  traiter  de  ces  îles  avec  lui,  en  lui  don- 
nant en  échange  les  places  maritimes  de  la  Toscane.  (Mézeray,  t.  III, 
p.  1211.) 

Ce  plan  semblait  d'une  réussite  facile:  en  effet,  après  la  mort  de 
Henri  III,  le  gouverneur  du  château  d'If,  Nicolas  de  Beausset,  dans  la 
crainte  que  l'Espagnol  ne  s'emparât  de  celte  place,  l'avait  mise  sous  la 
protection  du  duc  de  Florence  qu'il  jugeait  moins  dangereux,  et  celui-ci 
lui  avait  immédiatement  envoyé  des  secours  d'hommes  et  de  munitions. 
De  plus,  il  avait  fait  à  ses  frais  bâtir  dans  l'île  de  Poumègues  une  forte- 
resse où  il  avait  placé  une  garnison  des  siens,  pour  prêter,  disait-il, 
main  forte  au  besoin  contre  ceux  qui  viendraient  attaquer  le  château 
d'If. 

Les  choses  étaient  restées  dans  cet  étal  jusqu"a  la  surprise  d'Amiens 
par  les  Espagnols.  Or,  a  cette  époque,  ceux  de  la  garnison  de  Poumègues 
vinrent  dîner  avec  les  Français  qui  gardaient  le  dit  château  d'If  ;  et, 
après  avoir  joyeusement  fait  grande  chère  avec  eux,  ils  assommèrent 
traîtreusement  les  sentinelles,  enfoncèrent  la  porte  'a  coups  de  canon  et 
s'emparèrent  de  la  place  ;  mais,  pour  endormir  les  habitants  de  Marseille, 
ils  annoncèrent  d'abord  qu'ils  s'étaient  aperçus  que  Beausset  avait  l'in- 
tention de  trahir  la  France,  et  qu'après  l'avoir  mis  hors  d'état  de  le 
faire,  ils  allaient  garder  la  forteresse  au  nom  du  roi. 

Bientôt  après,  Jean  de  Médicis,  frère  naturel  du  duc  de  Florence, 
étant  arrivé  avec  cinq  galères,  ils  attaquèrent  et  prirent  les  frégates  des 
Marseillais  et  mirent  les  équipages  'a  la  chaîne.  «  Ces  îles,  dirent-ils 
alors,  appartiennent  à  notre  maître  du  chef  de  la  duchesse,  son  épouse, 
qui,  en  sa  qualité  de  princesse  lorraine,  a  des  droits  légitimes  sur  toute 
la  Provence.  »  La  guerre  avait  aussitôt  éclaté  ouvertement,  et  depuis  ce 
moment,  «  on  avait  usé  bien  de  la  poudre  à  s'entre-canonner  de  part  et 
d'autre.  » 

Mais,  quand  Amiens  eut  été  reconquis  par  le  roi,  le  duc  de  Florence 
comprit  qu'on  pourrait  bien  lui  faire  payer  chèrement   cette  velléité  de 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  583 

conquête,  et  il  jugea  prudent  de  réparer  son  manque  de  foi  par  des 
excuses  et  par  des  soumissions.  Henri  chargea  le  cardinal  d'Ossat  d'al- 
ler traiter  avec  lui  ;  et,  attendu  le  grand  besoin  qu'on  avait  de  pacifier  au 
plus  tôt  le  royaume,  il  fut  réglé  que  le  duc  rendrait  les  forteresses  d'If  et 
de  Poumègues  sans  y  rien  démolir  ;  qu'il  pourrait,  néanmoins,  emporter 
son  artillerie,  ainsi  que  les  armes  et  bagages  qui  lui  appartenaient,  et 
que  le  roi  se  reconnaîtrait  débiteur  d'une  somme  de  deux  cent  raille 
écus,  pour  les  constructions  qui  avaient  été  faites  par  les  Florentins.  Dix 
otages  nobles  devaient  être  remis  au  duc,  en  garantie  du  paiement  de 
cette  somme. 

C'est  ainsi  que  la  Provence  se  vit  enfin  entièrement  tranquille,  après 
tant  d'années  de  troubles  et  de  misères.  Les  peuples,  dit-on,  avaient  pu 
prévoir  tous  ces  maux  ;  car,  dès  les  premiers  temps  de  la  Ligue,  on 
avait  vu  s'assembler  sur  les  côtes  de  Marseille  une  quantité  prodigieuse 
de  dauphins,  «  ce  qui  était  chose  épouvantable,  parce  que  ces  poissons 
sont  le  présage  de  la  tourmente.  »  Aussi,  l'évêquc  de  Cavaillon,  qui 
pour  lors  se  trouvait  à  Marseille,  s'en  alla  sur  les  bords  de  la  mer  les 
maudire  et  les  excommunier,  leur  ordonnant  de  se  retirer  ;  mais,  les 
dauphins  ne  s'en  allèrent  pas  pour  ces  conjurations,  et  demeurèrent  Ta 
sept  ans,  au  grand  dommage  de  la  pêche,  qui  ne  valut  rien  pendant  tout 
ce  temps-l'a  sur  cette  côte.  Ni  les  jeûnes,  ni  les  prières  publiques,  ni  les 
dévotions  de  toute  sorte,  ni  même  une  bulle  du  Saint-Père,  (jui  en  der- 
nier lieu,  relevait  la  ville  de  toutes  les  censures  ecclésiastiques  qu'elle 
pouvait  avoir  encourues,  n'eurent  aucun  effet.  Quand  la  paix  fut  faite 
avec  les  Florentins,  l'évêque  de  Marseille,  avec  la  bulle  du  Pape  en  main, 
vint  alors  bénir  la  mer,  ainsi  que  les.  barques  et  les  filets  des  pêcheurs, 
et  il  commanda  aux  dauphins  de  s'éloigner;  cette  fois,  ils  obéirent  et  la 
pêche  devint  productive. 

En  ce  temps-la  mourut  Monsieur  le  maréchal  de  Matignon,  «  lequel 
étant  'a  table  et  faisant  bonne  chère,  rendit  l'esprit  sur  la  table  même  oii 
il  dînait,  sans  avoir  eu  le  temps  d'avoir  recours  'a  aucun  remède  contre 
le  mal  qui  l'étouffa,  et  sans  avoir  pu  d'aucune  façon  se  préparer  'a  ce 
moment  suprême.  Jugement  de  Dieu,  qu'il  nous  faut  adorer.  »  Depuis 
quinze  ans,  Matignon  exerçait  les  fonctions  de  gouverneur  de  la  Guyenne, 
où  il  avait,  comme  on  l'a  vu,  rendu  de  notables  services  ;  mais  le  roi 
avait  depuis  quelque  temps  donné  ce  gouvernement  au  jeune  Henri  de 
Bourbon,  prince  de  Condé,  alors  âgé  de  neuf  ans  à  peine,  et  il  s'était 
trouvé  un  certain  Louis  Dolé,  qui,  dans  un  beau  discours,  avait  félicité 
la  Provence  d'être  mise  sous  la  direction  d'un  prince  aussi  sage,  fils  de 
saint  Louis,  dont  l'heureux  naturel,  les  talents  et  la  naissance,  promet- 
taient à  cet  heureux  pays  un  avenir  tout  rempli  de  prospérité.  {Jour- 
nal de  Henri  IV,  t.  Il,  p.  ôOO.) 

Il  est  vrai  que  Matignon  devait  continuer  d'administrer  pour  l'enfant 
gouverneur,  et  Matignon  avait  fait  ses  preuves.  La  Guyenne  lui  de- 
vait d'avoir  été  pres([ue  entièrement  préscrvi'e  du  fléau  de  la  guerre 
civile  ;  aussi  Bordeaux,  par  reconnaissance,  élut  pour  maire  le  comte 


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584  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

de  Torigny,  fils  unique  de  ce  grand  homme.  Le  roi  remplaça  le  père 
dans  ses  fonctions  de  gouverneur  par  Alphonse  d'Ornano,  créé  depuis 
peu  maréchal  de  France.  (De  Thou,  t.  XIII,  liv.  119,  p.  157.) 

Cette  même  année,  on  répandit  le  bruit  de  la  mort  d'un  autre  person- 
nage non  moins  célèbre,  mais  dans  un  autre  genre.  Théodore  de  Bèze, 
Tami  et  le  premier  des  disciples  de  Calvin,  venait,  disait-on,  de  termi- 
ner sa  longue  carrière  à  Genève  ;  et  les  jésuites,  dans  le  but  de  décrier 
la  religion  qui  leur  était  antipathique,  s'efforçaient  de  faire  croire  a  l'ab- 
juration d'un  de  ses  principaux  apôtres,  et  publièrent  que  Bèze  était 
mort  dans  les  sentiments  d'un  bon  catholique,  après  avoir  condamné  et 
détesté  lui-même  les  erreurs  qu'il  avait  prêchées  aux  autres.  Mais  celui- 
ci,  qui  n'était  pas  mort  et  qui  vécut  jusqu'à  l'année  1605,  écrivit  lui-même 
pour  réfuter  une  semblable  assertion  un  petit  traité  qu'il  intitula  :  Beza 
redivivus:  «  Bèze  ressuscité.  »  {Journal  de  Henri  IV,  t.  Il,  p.  588.) 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  585 


CHAPITRE   XXIII 


4598-1599.  —  ARGUMENT  :  congrès  de  vervins. 

VOYAGE   DE   HENRI    EN   BRETAGNE.    —   PACIFICATION    DE   LA    BRETAGNE. 

SOUMISSION    DU    DUC     DE    MERCŒUR.    —    TRAITÉ     DE    VERVINS. 

PAIX  GÉNÉRALE.   —  MORT   DE   PHILIPPE   II,  ROI  D'ESPAGNE. 

PROMULGATION   DE   L'ÉDIT   DE   NANTES. 


L'année  1598  commençait  sous  les  plus  heureux  auspices  :  le  Pape, 
voulait  sérieusement  voir  la  chrétienté  pacifiée  ;  son  légat  en  France,  le 
bon  cardinal  de  Médicis,  travaillait  de  tout  son  pouvoir  a  amener  ce  résultat 
désiré  ;  et  Philippe  lui-même,  devenu  vieux  et  malade,  sentait  (|u'il 
n'avait  que  peu  de  temps  'a  retenir  dans  ses  mains  défaillantes  ce 
vaste  pouvoir  qu'il  ne  devait  plus  songer  'a  augmenter.  Ce  trône  qu'il 
allait  bientôt  quitter  pour  entrer  dans  la  tombe  allait  être  occupé  après 
lui  par  un  prince  faible,  jeune  et  inexpérimenté.  Et  pour  ce  nouveau 
monarque,  il  serait  évidemment  plus  utile  d'avoir  un  roi  tel  que  Henri  IV 
pour  allié,  que  de  l'avoir  pour  ennemi.  Philippe  donc,  lui  aussi,  désirait 
la  paix.  (De  Thou,  liv.  120,  t.  XIII,  p.  195  et  suiv.) 

Un  congrès  s'ouvrit  'a  Vervins  en  Vermandois,  dès  le  mois  de  janvier, 
pour  y  discuter  entre  toutes  les  parties  intéressées,  les  clauses  et  con- 
ditions d'une  pacification  solide  ;  mais,  une  question  d'étiquette  faillit 
d'abord  tout  compromettre.  Il  ne  s'agissait  de  rien  moins  que  du 
grave  article  de  la  préséance  :  les  rois  de  France  avaient  eu  de  tout 
temps  ce  droit  sur  les  rois  d'Espagne  ;  mais,  au  concile  de  Trente,  le 
monarque  espagnol  l'avait  fait  contester,  et  comme  son  parti  était  de 
beaucoup  le  plus  fort  dans  le  concile,  il  l'avait  d'autant  plus  facilement 
emporté  que  le  cardinal  de  Lorraine,  représentant  de  la  F'rance,  avait  fait 
bon  marché  de  cette  prérogative.  Les  députés  français  au  congrès  de 
Vervins  la  remirent  de  nouveau  sur  le  tapis. 

Le  cardinal  de  Médicis,  embarrassé  par  ces  prétentions,  tourna  la  diffi- 
culté :  il  régla  que  les  Espagnols  auraient  a  la  vérité  la  droite ,  mais 
qu'ils  siégeraient  à  un  rang  inférieur  a  celui  des  Français,  qui  prendraient 
leur  place  à  gauche  immédiatement  auprès  du  cardinal.  Ce  singulier 
expédient  donna  satisliiction  à  toutes  les  vanités,  et  chacun,  sans  discuter 
davantage,  parut  content  de  pouvoir  dire  qu'il  avait  le  siège  le  plus 


586  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

honorable.  Le  congrès  put  donc  commencer  ses  séances  ;  mais  il  se 
passa  quatre  mois  entiers  avant  que  les  plénipotentiaires  parvinssent  a 
se  mettre  d'accord  sur  aucun  point. 

Pendant  ce  temps-là,  les  États  de  Bretagne  continuaient  leurs  sup- 
plications pour  que  le  roi  vînt  lui-même  dans  leur  malheureuse  pro- 
vince, où,  disaient-ils,  sa  présence  seule  pouvait  mettre  fin  aux  troubles 
de  la  guerre  civile.  Schomberg  s'était  même  rendu  auprès  de  Sa  Ma- 
jesté pour  lui  exposer  l'état  des  affaires,  et  pour  l'engager  à  ne  pas 
différer  plus  longtemps  un  voyage  devenu  indispensable. 

Henri  résolut  d'acquiescer  a  ces  prières.  La  trêve  faite  avec  le  duc 
de  Mercœur  était  écoulée  ;  il  envoya  l'ordre  a  ses  députés  de  ne  pas  la 
renouveler  et  de  faire  les  significations  nécessaires  pour  être  en  droit  de 
recommencer  les  hostilités  ;  car,  depuis  la  reprise  d'Amiens  et  l'ouver- 
ture du  congrès  de  Vervins,  rien  ne  l'empêchait  plus,  en  effet,  d'en  finir 
définitivement  avec  ce  dernier  chef  de  la  Ligue.  De  plus,  il  venait  d'ap- 
prendre que  ceux  de  Dinan,  s'élant  soulevés,  avaient  forcé  le  gouverneur 
que  leur  avait  donné  Mercœur  à  se  retirer  dans  la  citadelle  dont  ils 
avaient  barricadé  toutes  les  issues.  Brissac  courut  donc  a  leur  secours, 
et  ayant  fait  placer  de  l'artillerie  sur  les  points  les  plus  élevés  de  la  ville, 
oîi  les  habitants  l'avaient  reçu  avec  empressement,  il  força  bientôt  le 
gouverneur  a  capituler.  Brissac  marcha  ensuite  contre  Le  Plessis-Bertrand 
qui  n'attendait  que  son  arrivée  pour  lui  ouvrir  ses  portes.  La  prise  de 
la  Tour  de  Sessons  fut  un  peu  plus  difficile,  parce  que  cette  place  était 
mieux  fortifiée,  mais  elle  finit  également  par  se  rendre.  (Cayet,  Chron. 
nov,,  liv.  9.) 

Le  roi  était  déjà  parti  de  Paris,  après  avoir  nommé  le  prince  de 
Conti  gouverneur  de  la  capitale  et  chef  du  conseil.  11  avait  aussi  donné 
au  connétable  une  armée  de  dix  mille  hommes  pour  tenir  tête  a  l'ar- 
chiduc sur  les  frontières  de  Picardie,  et  il  avait  fait  prendre  les  devants 
aux  troupes  qu'il  avait  destinées  a  l'accompagner  dans  son  voyage  de 
Bretagne.  A  sa  première  halte,  qui  fut  à  Toury  en  Beauce,  Duplessis  de 
Cosme,  qui  occupait  Craon  en  Anjou  et  le  fort  Château-de-Montjean  dans 
le  Maine,  lui  envoya  sa  soumission,  que  Sa  Majesté  accueillit  avec  bonté, 
accordant  à  ce  gentilhomme,  l'un  des  plus  redoutables  pillards  de  son 
temps,  amnistie  générale  pour  le  passé  et  des  conditions  fort  avantageuses 
en  faveur  de  sa  prompte  obéissance.  On  lui  laissa  le  gouvernement  de 
Craon,  et  il  fut  expressément  défendu  de  faire  contre  lui  aucune 
poursuite,  tant  pour  le  meurtre  du  baron  de  Crique-Bœuf  et  le  sac  du 
château  de  Montjean,  que  pour  tous  les  homicides  et  autres  crimes 
énormes  qu'il  avait  commis.  «  Tout  cela  fut  réputé  n'avoir  été  fait  par 
lui  que  par  un  motif  de  religion.  »  (Mézeray,  1. 111,  p.  1217.  — De  Thou, 
îihi  sup.) 

Le  roi  passa  par  Orléans,  Blois,  Amboise  et  Chenonceaux,  où  était 
encore  la  reine,  veuve  de  Henri  HL  II  lui  promit  qu'il  traiterait  avec 
bonté  le  duc  de  Mercœur,  son  frère.  Ce  fut  là  aussi  qu'il  reçut  la  sou- 
mission de  ceux  de  Rochefort.  Les  deux  frères  Offanges,  qui  comman- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  587 

daient  dans  cette  place,  en  avaient  fait  un  véritable  repaire  de  brigands, 
dont  les  ravages  avaient  pendant  neuf  ans  entiers  désolé  tout  le  pays, 
jusqu'aux  portes  mêmes  d'Angers  ;  tout  cela  fut  également  amnistié,  tou- 
jours comme  n'ayant  eu  pour  cause  que  le  zèle  de  la  religion.  (De 
Tnou,  ibid.) 

De  là,  le  roi  arriva  'a  Tours,  où  les  ducs  de  Bouillon  et  de  la  Tré- 
mouille  vinrent  le  trouver.  Ils  lui  apportaient  les  réclamations  de  l'as- 
semblée protestante  de  Chàtellerault,  alarmée  de  ce  que  Sa  Majesté 
n'avait  encore  fait  que  des  promesses  aux  réformés,  tandis  qu'on  était 
déj'a  sur  le  point  de  conclure  la  paix  avec  l'Espagne  et  de  forcer  le  duc 
de  Mercœur  'a  recevoir  les  conditions  qu'on  voudrait  lui  imposer.  Les 
réformés  donc  n'avaient- ils  pas  tout  'a  craindre  des  exigences  d'une 
cour  mal  intentionnée  contre  eux,  quand  le  roi,  après  avoir  triomphé  de 
tous  ses  ennemis,  n'aurait  plus  besoin  du  secours  de  ses  anciens  coreli- 
gionnaires? {Hist.  de  VÉdit  de  Nantes,  t.  I",  liv  5,  p.  255  et  suiv.) 

Déj'a,  en  effet.  Sa  Majesté,  dans  un  conseil  qui  s'était  tenu  pour  dis- 
cuter les  articles  du  nouvel  édit  réclamé  par  les  protestants,  avait  parlé 
contre  eux  d'un  ton  si  haut  et  si  menaçant  «  (ju'ils  en  avaient  été  pres- 
que réduits  au  désespoir  ».  Mais,  Sa  Majesté  n'avait  parlé  ainsi  que  pour 
faire  paraître  l'édit  moins  choquant  aux  yeux  de  Monsieur  le  légat  et  des 
catholiques,  en  l'accompagnant  de  ces  duretés  étudiées.  Au  fond,  le  roi 
ne  demandait  pas  mieux  que  de  donner  satisfaction  aux  anciens  amis 
qui  l'avaient  si  bien  servi,  au  milieu  des  hasards  de  sa  dangereuse  car- 
rière, et  l'accueil  plein  d'aménité  et  de  franchise  qu'il  ht  aux  deux  ducs 
en  était  une  preuve  convaincante. 

Il  arriva  à  Angers.  Le  duc  de  Mercœur,  ainsi  qu'on  s'y  était  bien 
attendu,  voyant  que  toutes  les  villes  sur  lesquelles  il  avait  le  plus 
compté  et  qu'il  regardait  comme  devant  servir  de  frontières  aux  places 
qu'il  tenait  encore  en  Bretagne  avaient  fait  leur  soumission,  commença 
à  craindre  d'être  bientôt  abandonné  de  tout  le  monde;  il  lit  partir 
Madame  la  duchesse  sa  femme  avec  des  députés  qui  vinrent  de  sa  part 
faire  excuse  au  roi  «  de  ce  que  le  dit  duc  était  demeuré  si  longtemps 
en  armes,  après  la  réconciliation  de  Sa  Majesté  avec  Sa  Sainteté  et 
le  Saint-Siège.  Il  n'en  avait  agi  ainsi  que  par  des  considérations  qui 
regardaient  le  bien  du  royaume,  dont  il  avait  toujours  désiré  la  conser- 
vation et  craint  le  démembrement.  »  Le  roi  répondit  (jue  son  plus  vif 
désir  à  lui  avait  toujours  été  de  mettre  lin  aux  troubles  du  pays,  plutôt 
par  une  obéissance  volontaire  de  tous  ses  sujets  que  par  la  force  des 
armes  ;  et  que,  comme  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  il  se  sentait  encore 
disposé  'a  faire  jouir  les  derniers  venus  du  même  salaire  accordé  'a  ceux 
qui  étaient  arrivés  les  premiers.  (De  Thou,  i(bi  siip.) 

Après  cette  réponse,  on  entama  sans  retard  la  discussion  des  condi- 
tions de  l'arrangement.  Mercœur  désirait  conserver  le  gouvernement  de 
la  Bretagne  ;  le  roi  voulait,  au  contraire,  se  réserver  la  libre  disposition 
de  ce  gouvernement.  Ce  fut  Madame  Gabrielle,  devenue  depuis  peu 
duchesse  de  Beaufort,  qui  trouva  le  moyen  de  terminer  cette  contesta- 


588  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

tion  a  l'amiable,  en  proposant  de  marier  Monsieur  César,  son  {ils, 
qu'elle  avait  eu  du  roi,  avec  la  fille  unique  du  duc  de  Mercœur.  En 
considération  de  ce  mariage,  Henri  donnait  en  dot  à  César  la  duché  de 
Vendôme  avec  le  titre  de  pair  de  France  et  le  gouvernement  de  la 
Bretagne.  Il  ajoutait  une  somme  de  cent-soixante  mille  écus  pour 
l'établissement  des  deux  jeunes  époux,  plus  deux  cent  mille  écus  qui 
devaient  être  employés  par  Mercœur  à  l'achat  de  quelques  terres  en 
France,  à  la  commodité  des  dits  époux  ;  et,  moyennant  ces  conditions. 
Monsieur  César,  bâtard  de  Henri  IV,  duc  de  Vendôme,  pair  de  France 
et  gouverneur  de  Bretagne,  fut  solennellement  fiancé  avec  la  princesse 
Françoise  de  Lorraine,  fille  unique  du  duc  de  Mercœur.  Le  noble  fiancé 
n'était  encore  que  dans  sa  quatrième  année.  Sa  fiancée  avait  déjà  six  ans. 
{Journal  de  Henri  IV,  t.  II,  p.  405.) 

La  cérémonie  fut  faite  dans  le  château  d'Angers  par  le  cardinal  de 
Joyeuse,  avec  autant  de  magnificence  et  de  pompe  que  si  c'eût  été  pour 
un  fils  de  France,  et  toute  la  cour  y  assista  en  habits  de  fête. 

Cette  union  avait  aplani  toutes  les  difficultés,  et  l'édit  de  la  récon- 
ciliation du  roi  avec  le  duc  de  Mercœur  fut  enregistré  à  Paris  le  vingt- 
neuvième  jour  de  mars.  Dans  le  préambule  de  cet  édit.  Sa  Majesté  com- 
mençait par  excuser  le  duc  de  Mercœur  de  n'avoir  pas  de  suite  déposé 
les  armes  après  l'absolution  donnée  au  roi  par  le  Pape  et  l'arrivée  du 
légat  apostolique  en  France.  Il  était  dit  que  ce  prince  n'avait  agi  ainsi 
que  par  de  grandes  et  justes  raisons  qui  concernaient  la  sûreté  de  la 
Bretagne.  Dans  un  temps  où  Sa  Majesté  était  retenue  sur  les  frontières 
de  la  Flandre  par  une  guerre  dont  le  succès  était  incertain,  il  avait 
craint  que  les  ennemis  ne  s'emparassent  d'une  province  où  ils  avaient 
des  intelligences  avec  les  principaux  seigneurs  du  pays,  et  il  avait  jugé 
plus  utile  de  rester  au  pouvoir,  pour  opposer  une  autorité  déjà  établie  a 
toutes  ces  menées.  Le  duc  était  en  conséquence  approuvé  et  reçu  en 
grâce,  ainsi  que  les  ecclésiastiques,  les  gentilshommes  et  les  roturiers 
qui  s'étaient  attachés  à  son  parti,  et  nommément  ceux  qui,  sous  le  nom 
de  Parlement  de  la  province,  avaient  élevé  un  autre  tribunal  a  Nantes,  en 
opposition  avec  le  Parlement  du  roi,  siégeant  à  Rennes.  «  Le  roi  confir- 
mait tous  ces  officiers  de  judicature  dans  les  charges  dont  ils  avaient 
été  pourvus  par  le  duc  de  Mercœur,  à  la  seule  condition  de  lui  prêter 
serment  de  fidélité  et  de  se  réunir  au  Parlement  de  Rennes.  »  Il  renou- 
velait l'amnistie  générale,  pardonnant  'a  tout  ce  qui  s'était  fait  contre  les 
trêves  pendant  ces  malheureuses  guerres  ;  il  remettait  les  décimes  jus- 
qu'au jour  du  présent  édit,  et  interdisait  toute  poursuite  en  justice  pour 
la  restitution  des  deniers  publics  qui  pouvaient  avoir  été  enlevés  de  part 
et  d'autre.  Tous  les  prisonniers  devaient  être  rendus  sans  rançon.  Les 
privilèges  des  villes  étaient  conservés,  et  il  était  accordé  'a  Mercœur  une 
compagnie  de  cent  hommes  d'armes  avec  dix-sept  mille  écus  de  pension. 
(DeThou,  ubi  Slip.) 

Plusieurs  s'étonnèrent  que  le  duc  de  Mercœur,  qui  avait  eu  tout  pou- 
voir dans  le  parti  de  la  Ligue,  ne  se  fût  pas  fait  acheter  beaucoup  plus  cher. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  589 

Il  est  certain  que  le  traité  (lu'il  avait  refusé  précédemment  semblait  bien 
plus  avantageux  ;  mais  il  avait  trop  relardé.  La  |)aix  allait  être  conclue 
avec  l'Espagne,  (|ui  ne  manquerait  pas  de  l'abandonner,  et  s'il  ne  voulait 
tout  perdre,  il  était  grand  temps  j)our  lui  qu'il  fit  de  bonne  grâce  ce 
qu'il  ne  pouvait  plus  éviter  désormais  de  faire  par  force.  On  voit  au  reste 
qu'il  n'avait  pas  tout  à  fait  perdu  de  vue  ses  intérêts.  Il  trouvait  par  sa 
soumission  le  moyen  de  conserver  les  immenses  richesses  (ju'il  avait 
acquises  pendant  la  guerre,  et  par  la  faveur  toute-puissante  de  la  favo- 
rite dont  il  devenait  l'allié,  en  mariant  sa  lille  au  fils  de  cette  dame,  il 
s'assurait  encore  toutes  sortes  de  lacilité  pour  les  augmenter  dans  la 
suite.  (Cheykunv,  Mém.  d'État,  [hdH.) 

La  paix  devait,  en  effet,  bientôt  sortir  du  congrès  de  Vervins,  et  les 
plénipotentiaires  réunis  dans  cette  ville  s'étaient  déj'a  mis  d'accord  sur 
presque  tous  les  points.  Le  roi,  pour  ne  point  paraître  agir  contre  le 
traité  qu'il  avait  fait  tout  récemment  avec  l'Angleterre  et  les  États- 
Généraux  des  Provinces-Unies,  envoya  vers  la  reine  Elisabeth  Hurault 
de  Maisse  pour  lui  exposer  le  motif  et  le  sujet  de  la  négociation  (jui 
allait  bientôt  aboutir.  Hurault  avait  charge  de  dire  que,  suivant  les 
conventions  du  roi  avec  ses  bons  alliés,  la  France,  alin  de  rendre  la 
Ligue  assez  puissante  pour  résister  à  l'ennemi  commun,  avait  envoyé  des 
ambassadeurs  'a  tous  les  princes  de  l'Allemagne  et  du  Nord  ,  mais, 
qu'aucun  n'avait  accordé  son  adhésion.  La  France,  depuis  si  longtemps 
épuisée,  ne  pouvait  seule  soutenir  la  guerre.  Ses  linances  étaient  a  sec,  et 
la  reine  d'Angleterre  elle-même  n'avait  pu  promettre  que  des  secours 
d'hommes  et  d'argent  beaucoup  trop  insullisanls.  H  était  donc  juste  que 
le  roi  songeât  d'abord  'a  ses  intérêts,  ([u'on  lui  laissait  le  soin  de  détendre 
seul  ;  que,  cependant,  avant  de  signer  un  traité  indispensable  a  la  tran- 
quillité de  son  royaume,  il  avait  cru  devoir  prévenir  la  reine  d'Angleterre 
et  lui  demander  si  elle  voulait  être  comprise  dans  ce  traité.  Dans  tous 
les  cas,  il  la  priait  de  lui  expliquer  clairement  ses  intentions,  pour  qu'il 
pût  sauvegarder  par  tous  les  moyens  en  son  pouvoir  les  intérêts  d'une 
princesse  a  qui  il  avait  de  grandes  obligations,  et  qu'il  aimait  comme  une 
sœur. 

Les  Anglais  ne  manquèrent  pas  de  reprocher  au  roi  son  peu  d'atta- 
chement 'a  leur  alliance  et  son  ingratitude.  Ils  prétendaient  exiger  l'en- 
tière exécution  des  promesses  (ju'il  leur  avait  faites,  quand  il  avait  con- 
clu avec  eux  la  Ligue  contre  l'Espagne.  Mais  Hurault  répondit  «t  que 
les  rois  ne  faisaient  jamais  entre  eux  de  traités  sans  cette  tacite  condi- 
tion de  n'exécuter  que  ce  qui  leur  était  utile,  et  d'éviter  ce  (|ui  pouvait 
préjudicier  'a  leurs  intérêts;  (ju'ainsi  on  ne  pouvait  pas  demander  au 
roi  son  maître  de  continuer  seul  au  milieu  de  mille  dangers  la  guerre 
contre  l'Espagne,  quand  la  paix  était  devenue  absolument  nécessaire  'a 
ses  peuples  ;  que  tout  ce  (jue  la  plus  stricte  é(juité  pouvait  exiger  de 
lui  était,  comme  il  le  faisait  en  ce  moment,  de  prévenir  ses  alliés  du 
parti  qu'il  allait  prendre,  alin  qu'ils  vissent  à  mettre  eux-mêmes  de  leur 
côté  leurs  intérêts  a  couvert.  »  (De  Tiiou,  liv.  i'2U,  p.  207.) 


590  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Elisabeth,  fort  mécontente,  répondit  qu'elle  enverrait  en  France  un 
ambassadeur  avec  les  instructions  nécessaires  pour  la  conservation  des 
intérêts  de  l'Angleterre  et  des  Provinces-Unies,  et  Cecil  fut  chargé  de 
cette  mission.  Il  alla  trouver  le  roi  'a  Angers  et  le  suivit  jusqu'à  Nantes, 
où  Sa  Majesté  ne  tarda  pas  à  se  rendre.  Les  Provinces-Unies  envoyèrent 
aussi  leurs  députés  :  il  fut  arrêté  que  le  roi  paierait  à  des  échéances 
fixes  toutes  les  sommes  dépensées  par  la  Hollande  et  l'Angleterre,  pour 
les  secours  qui  lui  avaient  été  envoyés  si  à  propos,  pendant  ces  der- 
niers troubles,  et  Sa  Majesté  promit,  de  plus,  d'appuyer  secrètement  de 
tout  son  pouvoir  les  Etats- Généraux  jusqu'à  ce  que  leur  accommode- 
ment fût  fait. 

Après  le  départ  de  ces  ambassadeurs,  Henri  s'occupa  enfin  sérieuse- 
ment à  faire  dresser  l'édit  que  lui  demandaient  si  instamment  ses  sujets 
protestants.  Depuis  longtemps  déjà,  les  églises  entretenaient  auprès  de 
lui  des  députés  chargés  de  soutenir  leur  cause,  auxquels  elles  donnaient 
tous  les  jours  de  nouvelles  instructions,  à  mesure  qu'on  faisait  naître  de 
nouvelles  difficultés  sur  leurs  prétentions  ;  et,  de  son  côté,  le  roi  avait 
nommé  des  commissaires  dans  son  conseil  pour  examiner  soigneuse- 
ment leurs  cahiers  et  en  discuter  les  articles.  {Hist.  de  l'Édit  de 
Nantes,  t.  I",  liv.  5,  p.  221  et  suiv.) 

Il  y  avait  surtout  de  grandes  difficultés  sur  le  droit  d'exercice  de  la 
religion  réformée,  dans  certains  lieux  où  les  huguenots  prétendaient 
l'établir  ou  le  conserver,  et  où  la  cour  ne  le  voulait  pas  permettre.  De 
plus,  le  roi  voulait  que  leur  assemblée  politique,  qui  se  tenait  alors  à 
Vendôme,  se  séparât  aussitôt  que  l'édit  qu'il  consentait  à  leur  accorder 
serait  enregistré  au  Parlement  de  Paris.  Eux  prétendaient  que  leur 
assemblée  devait  au  contraire  continuer  à  se  tenir  réunie,  au  moins 
jusqu'à  ce  que  cet  édit  eût  été  enregistré  par  tous  les  parlements  du 
royaume.  «  On  n'exige,  disaient-ils,  notre  séparation  que  pour  éluder 
ensuite  l'édit  avec  plus  de  liberté,  quand  il  ne  se  trouvera  plus  personne 
pour  en  presser  l'enregistrement,  et  nous  savons  trop  déjà  que  dans 
chaque  province  les  édits  ne  sont  réputés  lois  de  l'État  qu'après  que 
cette  formalité  a  été  remplie  par  le  Parlement.  » 

On  consentit  après  de  longs  débats  à  leur  donner  contentement 
sur  ce  point,  d'autant  que  la  cour  venait  d'aviser  qu'il  serait  bon  de 
différer  la  publication  de  l'édit  jusqu'après  le  départ  du  légat  de  Sa 
Sainteté,  départ  dont  l'époque  était  encore  incertaine.  On  ne  voulait 
pas  lui  causer  l'affront  de  faire  cette  publication  en  sa  présence,  et 
il  fallait  bien  donner  aux  huguenots  quelque  dédommagement  pour  ce 
retard. 

Le  roi  voulait  aussi  nommer  les  gouverneurs  des  places  de  sûreté 
qu'il  leur  laissait,  avant  que  ces  gouverneurs  eussent  pris  l'assentiment 
du  conseil  des  églises,  prétendant  qu'agir  autrement,  ce  serait  faire 
brèche  à  l'autorité  royale  ;  mais  les  réformés  voulaient  être  maîtres 
absolus  de  la  nomination,  dans  la  crainte  que  si  ces  gouvernements 
dépendaient   de  la   cour,  ceux  qui  les  obtiendraient  d'elle  ne  fussent 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  5<J1 

des  gens  a  sa  dévotion,  (jui  se  metlraienl  peu  en  peine  de  contenter  les 
églises,  puisqu'ils  pourraient  se  njaintenir  sans  elles. 

Il  fut  ensuite  question  de  diminuer  le  nombre  de  ces  places  de 
sûreté.  Il  n'en  avait,  prétendait-on,  jamais  été  accordé  plus  de  sept  ou 
huit  aux  réformés,  et  aujourd'hui  ils  en  tenaient  plus  de  deux  cents, 
tant  grandes  que  petites,  ce  qui  était  exorbitant  et  fait  pour  donner 
de  l'ombrage  aux  catholiques. 

Enfin,  les  intérêts  particuliers  entraient  aussi  dans  le  nombre  des 
causes  qui  donnaient  lieu  a  ces  interminables  discussions,  et  chaque 
église  disputait  avec  acharnement  pour  s'assurer  la  conservation  des 
privilèges  qu'elle  croyait  lui  être  acquis. 

Tous  ces  incidents  divers  retardèrent  la  conclusion  de  l'édit  jus(ju'au 
treizième  jour  du  mois  d'avril.  Il  fut  appelé  l'Édit  de  iNantes  parce  qu'il 
fut  dressé  en  cette  ville  ;  mais  il  ne  fut  enregistré  et  publié  (jue  le 
vingt-cinquième  jour  de  février  de  l'année  suivante. 

Cependant,  on  travaillait  avec  toute  l'activité  possible  au  congrès 
de  Vervins  pour  la  conclusion  du  traité  de  paix.  Les  plénipotentiaires  du 
roi  très-chrétien  étaient  messire  Pomponne  de  Bellièvre  et  Nicolas 
Brulart,  sieur  de  Sillery.  Jean  Richardot,  le  chevalier  de  Taxis  et  le 
secrétaire  dn  conseil  royal  d'Espagne,  étaient  la  pour  soutenir  les  inté- 
rêts du  roi  Philippe.  Le  légat  de  Sa  Sainteté  présidait  cette  réunion, 
assisté  de  François  de  Gonzague,  évêque  de  Mantoue  et  nonce  du  Pape, 
(Cayet,  Chron.  septen.,  liv.  ï".) 

Les  articles  du  traité  furent  enfui  arrêtés  le  deuxième  jour  de  mai. 
Ils  portaient  que  la  paix  faite  en  \hh9  a  Cateau-Cambrésis  serait  de  nou- 
veau confirmée  ;  que  toutes  querelles  et  hostilités  seraient  mises  en 
oubli  ;  que  le  trafic  serait  libre  entre  les  sujets  des  deux  rois  ;  (|ue  les 
l)laces  prises  de  part  et  d'autre,  depuis  le  dit  traité  de  Cateau-Cam- 
brésis, seraient  restituées  dans  le  délai  de  deux  mois. 

Sur  ce  que  le  roi  catholique  désirait  que  le  duc  de  Savoie  fût  com- 
pris en  ce  traité,  Sa  Majesté  très-chrétienne,  a  la  demande  du  dit  seigneur 
roi  d'Espagne,  consentait  'a  recevoir  le  dit  duc  en  bon  parent  et  allié, 
et  a  lui  accorder  les  mêmes  grâces  et  faveurs  (ju'il  avait  reçues  des 
quatre  rois  ses  prédécesseurs,  et  quant  aux  diflérends  (ju'il  avait  avec  la 
France  pour  la  possession  de  certaines  parties  du  territoire,  il  fut  con- 
venu qu'on  s'en  rapporterait  a  l'arbitrage  de  Notre  Saint  Père  le  Pape. 

On  convint  aussi  qu'en  cette  paix  et  alliance  seraient  compris,  si 
voulaient  y  être  et  du  consentement  des  dits  sieurs  rois,  tous  les  rois, 
princes  et  seigneurs  alliés  de  l'une  ou  l'autre  des  deux  puissances  con- 
tractantes dont  la  liste  fut  dressée.  Enfin,  il  fut  arrêté  par  une  clause 
générale  qu'aucun  des  deux  rois  ne  prendrait  les  armes,  ni  ne  les 
ferait  prendre  contre  aucun  des  princes  dont  le  nom  était  mentionné 
dans  le  traité  ;  mais  ni  le  nom  de  la  reine  d'Angleterre  ni  celui  des 
Provinces-Unies  ne  figuraient  dans  la  liste. 

Cette  paix,  ainsi  solennellement  jurée,  fut  célébrée  par  de  brillantes 
fêtes  et  de  grands  feux  de  joie,  tant  à  Paris  (|u'a  Bruxelles. 


592  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Pendant  qu'on  en  discutait  encore  les  conditions,  le  duc  de  Savoie 
reprenait  Aiguebelle,  dont  Lesdiguières  s'était  emparé  l'année  précédente. 
Créquy  avait  voulu  jeter  du  secours  dans  cette  place,  mais  emporté  par 
une  trop  grande  ardeur,  il  s'engaga  dans  un  défilé,  où  il  perdit  une 
partie  de  ses  soldats,  et  fut  même  fait  prisonnier.  Lesdiguières  réso- 
lut de  venger  cet  échec  et  forma  l'entreprise  d'enlever  à  son  tour  un 
fort  que  le  duc  avait  fait  bâtir  sur  les  terres  de  France,  vis-a-vis  celui 
des  Barreaux,  et  auquel  il  avait  donné  le  nom  de  Saint-Barthélemy, 
tant  parce  qu'il  avait  été  achevé  le  jour  de  la  fête  de  ce  saint  que 
parce  que  ce  nom  lui  paraissait  pour  lui  d'un  heureux  augure.  (De  Thou, 
liv.  120,  p.  2i3et  suiv.) 

Lesdiguières  fit  donc  approcher  ses  troupes  de  ce  fort  :  il  leur 
avait  distribué  des  échelles,  et  vers  les  dix  heures  du  soir,  elles  arri- 
vèrent en  grand  silence  au  pied  des  remparts.  Mais  leur  marche  avait 
été  trahie,  les  sentinelles  ennemies  avaient  remarqué  au  loin  dans  la 
campagne  des  feux  que  les  valets  de  l'armée  avaient  eu  l'imprudence 
d'allumer  pendant  l'absence  de  leurs  maîtres,  et  elles  avaient  donné 
l'alarme,  ce   qui  pensa  faire  échouer  l'entreprise.  {Vie  de  Lesdiguières.) 

Nos  soldats  commençaient  déjà  'a  poser  leurs  échelles  en  gardant  le 
plus  grand  silence  et  à  monter  à  l'escalade  ;  quelques-unes  de  ces 
échelles  se  rompirent,  et  au  bruit  qui  se  fit,  l'ennemi,  qui  se  tenait  sous 
les  armes,  accourut  en  grand  tumulte  du  côté  où  ce  bruit  s'était  fait 
entendre.  Mais  ceux  des  nôtres  qui  n'avaient  point  éprouvé  le  même 
accident  étaient  déjà  sur  la  crête  du  mur.  L'action  s'engagea,  et  elle 
fut  poussée  avec  tant  de  vigueur  de  notre  côté  que  les  Savoyards,  après 
avoir  perdu  cent  hommes,  se  jetèrent  en  désordre  du  rempart  dans  le 
fossé,  d'où  chacun  d'eux  prit  le  chemin  qui  lui  parut  le  plus  sûr  pour 
se  sauver.  Il  n'y  eut  qu'un  petit  nombre  de  prisonniers  parmi,  lesquels 
se  trouva  Bellegarde,  chargé  par  le  duc  de  Savoie  du  commandement 
de  cette  place  qu'il  avait  juré  de  conserver  jusqu'à  la  mort.  On  y  trouva 
six  grosses  pièces  de  canon,  trois  autres  pièces  de  campagne  avec  des 
balles,  des  boulets  et  des  munitions  de  toutes  sortes  et  en  quantité. 

Le  duc  tenait  'a  conserver  un  poste  aussi  avantageux  qui  lui  donnait 
pied  en  Dauphiné  ;  il  se  disposait  à  le  reconquérir  à  tout  prix  ;  mais  la 
nouvelle  de  la  conclusion  du  traité  de  Vervins,  dans  lequel  le  roi  d'Es- 
pagne l'avait  fait  comprendre,  ne  tarda  pas  'a  lui  arriver.  Il  comprit  alors 
que  ne  pouvant  plus  compter  sur  les  secours  de  l'Espagne,  il  ne  serait 
pas  seul  assez  fort  pour  lutter  par  les  armes  contre  la  France,  et  il  se 
hâta  d'accepter  les  conditions  qu'un  des  articles  du  traité  avait  stipulées 
pour  lui,  sauf  'a  tirer  plus  tard  le  meilleur  parti  possible  de  la  nouvelle 
situation  qu'on  venait  de  lui  faire. 

Cependant,  le  clergé  catholique,  voyant  qu'un  édit  était  déjà  tout 
préparé  en  faveur  des  protestants,  voulut  aussi  se  donner  de  nouvelles 
garanties  et  obtenir  quelques  concessions  ;  et,  s'étant  réuni  en  assemblée 
à  Paris,  il  fut  arrêté  qu'on  ferait  des  remontrances  à  Sa  Majesté.  Ce  fut 
l'archevêque  de  Tours  qui  fut  chargé  de  porter  la  parole  en  cette  cir- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  593 

constance.  Après  s'être  longuement  étendu  sur  la  corruption  générale 
des  mœurs  et  le  peu  de  respect  qu'on  avait  pour  la  religion,  le  prélat 
demanda  que,  pour  remédiera  tout,  le  concile  de  Trente"  fût  publié  et 
reçu  en  France,  a  Texception  seulement  de  ce  qui  concernait  les  liber- 
tés et  privilèges  de  l'Église  gallicane  et  les  droits  du  royaume.  Il 
demanda  aussi  que  le  roi  cessât  de  nommer  aux  évéchés  et  aux  autres 
bénélices  ecclésiastiques,  qu'on  abolît  les  pensions  dont  quelques-uns 
de  ces  bénéfices,  étaient  grevés  en  faveur  de  certaines  personnes 
laïques,  et  qu'on  pourvût  au  plus  tôt,  aux  dépens  du  trésor  public,  aux 
fonds  nécessaires  pour  les  réparations  et  le  rétablissement  de  celles  des 
églises  qui  tombaient  en  ruines.  (.Mkzeuav,  t.  III,  iibi  sup.) 

Le  roi  répondit  :  «  Cette  corruption  de  mœurs  dont  vous  vous  plai- 
gnez me  pénètre  moi-même  de  douleur  et  je  gémis  comme  vous  sur 
le  mépris  qu'on  fait  de  notre  sainte  religion.  Ces  maux  et  tous  ces  vices, 
vous  ne  l'ignorez  pas,  existaient  en  France  bien  avant  que  je  ne  fusse 
sur  le  trône  ;  et,  pour  mon  compte,  j'ai  toujours  tâcbé  d'y  appliquer 
tous  les  remèdes  possibles;  mais  il  faut  agir  avec  prudence  en  pareille 
matière.  J'espère  bien  que,  par  mes  soins,  l'Église  reprendra  son  ancienne 
splendeur.  Je  ferai  du  moins  tous  mes  eflorts  pour  la  rendre  aussi  llo- 
rissanle  qu'elle  l'était  du  temps  de  nos  ancêtres  :  vous,  de  votre  part, 
tâchez  aussi  que  par  vos  bons  exemples  vous  rameniez  les  peuj)les  à  la 
pureté  de  la  foi  et  à  la  pratique  de  la  vertu.  Je  promets  de  m'acquitter 
des  devoirs  d'un  bon  prince  ;  vous,  remplissez  les  obligations  de  bons 
et  fidèles  serviteurs  du  troupeau  qui  vous  est  conlié  ;  et,  cela  fait,  si  les 
rois  mes  prédécesseurs  ne  vous  ont  donné  jusqu'à  présent  que  de  belles 
paroles,  moi,  avec  ce  manteau  poudreux  que  vous  me  voyez  et  ce  cos- 
tume sans  faste  et  négligé,  je  prends  l'engagement  de  vous  donner  des 
effets.  Au  reste,  j'aurai  soin  de  faire  répondre  à  toutes  vos  demandes 
par  mon  conseil.  » 

Quoi  qu'en  eût  dit  le  bon  roi,  il  ne  donnait  guère  lui  aussi,  qu'une 
promesse  qui  ne  l'engageait  à  rien,  et  il  est  très  probable  que  le  clergé 
ne  se  trouva  pas  trop  satisfait  de  la  réponse  (|u'il  venait  de  recevoir  de 
l'homme  au  manteau  poudreux  et  au  costume  sans  faste. 

Pourtant,  les  jésuites,  qui  ne  perdent  jamais  de  vue  ce  qui  concerne 
l'intérêt  de  leur  société,  n'en  jugèrent  pas  moins  l'occasion  favorable 
pour  présenter  une  requête  au  roi,  tendant  a  obtenir  leur  réhabilitation 
et  leur  rappel  en  France.  On  sait  que,  malgré  l'arrêt  du  Parlement  de 
Paris  qui  les  expulsait  du  royaume,  ils  s'étaient  maintenus,  même  osten- 
siblement, dans  tous  les  pays  du  ressort  des  Parlements  de  Toulouse  et 
de  Bordeaux.  Dans  diverses  autres  provinces,  en  déguisant  seulement 
leur  nom,  ils  s'étaient  également  remis  à  occuper  les  collèges  ;  et  bien 
des  personnes,  comme  c'est  assez  l'ordinaire  quand  une  chose  est  dé- 
fendue par  l'autorité,  envoyaient  de  préférence  leurs  enfants  étudier 
dans  ces  collèges.  Les  révérends  pères,  toujours  en  changeant  d'habit  et 
de  nom,  s'étaient  même  glissés  jusque  dans  plusieurs  écoles  de  la  capi- 
tale. Vainement,  les  gens  du  roi  avaient  pressé  Sa  Majesté  de  donner 
IV.  38 


594  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

une  déclaration  pour  enjoindre  aux  autres  Parlements  de  France  de  faire 
publier  dans  leur  ressort  l'arrêt  du  bannissement  de  cet  ordre,  déclaré 
dangereux.  Les  amis  que  la  société  avait  su  se  faire  jusqu'auprès  du  roi 
et  de  la  belle  Gabrielle  avaient  pu  par  leurs  intrigues  rendre  cette  dé- 
marche inutile.  Les  gens  du  roi  donc,  voulant  empêcher  que  la  loi  ne 
fût  entièrement  violée,  vinrent  représenter  au  Parlement  l'injure  que  la 
résistance  apportée  par  les  jésuites  à  se  soumettre  'a  son  arrêt  faisait  a 
Lautorilé  de  la  cour.  Us  demandèrent  qu'il  fût  défendu  aux  villes,  aux 
collèges  et  aux  universités,  de  laisser  prêcher  ou  d'admettre  à  aucune 
fonction  de  l'enseignement,  soit  public,  soit  particulier,  aucun  membre 
de  cet  ordre  condamné,  quand  bien  même  il  déclarerait  lui-même 
ne  faire  plus  partie  de  la  société.  On  savait  qu'a  l'aide  de  certaines 
restrictions,  les  jésuites  croyaient  pouvoir  faire  cette  déclaration,  sans 
compromettre  leur  conscience  et  sans  cesser  d'être  jésuites.  (De  Thou, 
liv.  119,  p.  159.) 

La  cour  avait  donc  déjà  rendu  un  arrêt  conforme  à  cette  demande, 
et  comme  on  apprit  quelque  temps  après  que  la  ville  de  Lyon  avait  mis 
son  collège  sous  la  direction  d'un  nommé  Porsan  qui  avait  été  jésuite, 
le  Nivernais  Simon  Marion,  baron  de  Druy  et  avocat  du  roi  au  Parlement 
de  Paris,  vint  demander  qu'on  décrétât  d'ajournement  personnel  le 
prévôt  des  marchands,  les  échevins  de  la  ville  et  Porsan  lui-même.  Le 
prévôt  et  les  échevins  comparurent,  mais  Porsan  ne  se  présenta 
pas. 

Les  premiers  exposèrent  au  tribunal  qu'ils  n'avaient  pas  cru  contre- 
venir îi  la  sentence  du  29  décembre  1594,  parce  que  Porsan  avait  quitté 
la  société  des  jésuites  bien  avant  le  prononcé  de  celte  sentence  ; 
Marion  alors  lit  un  long  discours,  dans  lequel  il  démontra  que  celui  qui  avait 
été  jésuite  est  toujours  jésuite,  tant  à  cause  des  vœux  qu'on  lui  a  fait 
prononcer  que  par  suite  des  moyens  adroits  dont  la  société  savait  se 
servir  pour  retenir,  même  malgré  eux,  ceux  qui  s'étaient  une  fois  attachés 
a  elle.  «  Du  reste,  ajouta-t-il,  votre  ville,  en  confiant  à  Porsan  l'éduca- 
tion de  sa  jeunesse,  a  cru  sans  doute  la  remettre  en  des  mains  sûres  et 
fidèles.  Eh  bien,  les  informations  faites  'a  notre  requête  contre  ce  Por- 
san nous  ont  fait  connaître  que  vous  aviez  au  contraire  livré  vos  enfants 
en  des  mains  très  périlleuses  pour  leur  morale  et  leur  salut.  Je  ne  dois 
pas  entrer  ici  dans  d'autres  détails  ;  car,  si  tout  ce  que  nous  faisons, 
nous  magistrats,  est  vraiment  public  comme  ayant  le  bien  public  pour 
but,  la  plupart  des  moyens  dont  nous  nous  servons  ne  peuvent  être 
sus  sans  danger  que  quand  notre  but  est  atteint.  »  Il  termina  en  requé- 
rant que  Porsan  fût,  conformément  a  l'arrêt  de  1594  et  à  celui  que  la 
cour  avait  rendu  tout  dernièrement,  expulsé  de  Lyon  et  du  royaume  ; 
mais  qu'auparavant,  il  fût  pris  au  corps  et  rendu  prisonnier  à  la  con- 
ciergerie, pour  avoir  à  répondre  à  qui  de  droit  de  ses  faits  et  gestes 
particuliers,  et  pour  lui  être  son  procès  fait  et  parlait,  sur  les  charges 
en  informations  contre  lui  faites.  (De  Tuou,  ubi  supra.  —  Mém.  de  la 
Ligue,  t.  VI,  p.  559.) 


DU  PUOTESTANÏISME  EN  lUANCE.  5'Jj 

l.a  cour  rendil  anvt  conforme.  Et  par  un  second  anvl,  Il  fut 
enjoint  aux  habitants  de  Lyon  de  mettre  a  la  place  du  dit  l'orsan  un 
homme  capable  de  conduire  leur  collège  et  des  professeurs  non 
suspects. 

Les  clioses  en  étaient  restées  la  quand  les  jésuites,  se  sentant  forts 
de  la  protection  du  légat,  qu'ils  avaient  su  intéresser  en  leur  faveur, 
crurent  pouvoir,  comme  il  a  été  dit  plus  haut,  obtenir  leur  réinstallation 
complète.  Le  père  Richeome,  l'un  deux,  avait  proposé  une  requête  au 
roi,  qui  fut  imprimée  afin  qu'elle  passât  dans  les  mains  de  tout  le 
monde  ;  mais  le  Parlement,  persistant  a  déclarer  que  la  soi-disant 
compagnie  de  Jésus  professait  des  doctrines  blâmables  et  exécrables, 
rendait  en  même  temps  un  arrêt  des  plus  sévères  contre  le  seigneur  de 
Tournon,  sénéchal  d'Auvergne,  qui,  très-zélé  pour  la  conservation  du 
collège  de  ces  pères,  que  le  cardinal  son  oncle  avait  érigé  dans  sa  ville 
de  Tournon,  avait  refusé  d'obéir  a  la  sentence  de  leur  bannissement. 
La  cour  ordonnait  que  les  biens  du  dit  seigneur  seraient  saisis  et  anno- 
tés, lui-même  privé  de  sa  charge  de  sénéchal  et  déclaré  incapable  d'oc- 
cuper toute  autre  tonction  dans  l'État  ;  et  par  le  même  arrêt,  il  était  fait 
de  nouveau  défense  'a  tous  les  sujets  du  roi  d'envoyer  leurs  enfants 
étudier  chez  les  jésuites,  avec  injonction  aux  procureurs  du  roi  d'infor- 
mer contre  les  contrevenants.  On  déclarerait  inhabiles  et  indignes  d'ob- 
tenir des  degrés  dans  l'Université  tous  ceux  (pji  auraient  reyu  les  le(;on3 
des  professem's  de  cette  société.  (De  Thou,  ubi  snp.) 

Tournon  dénonça  cette  sentence  au  Parlement  de  Toulouse,  au  res- 
sort duquel  il  appartenait,  et  qui  se  hâta  de  rendre  un  arrêt  contraire, 
'a  la  sollicitation  du  syndic  des  États  du  Languedoc,  que  les  jésuites 
avaient  su  mettre  dans  leurs  intérêts.  Le  parlement  toulousain  faisait 
défense  expresse  aux  magistrats,  consuls  ou  autres  dépendants  de  sa 
juridiction,  de  troubler  en  quoi  que  ce  soit  les  pères  de  la  compagnie 
de  Jésus  dans  la  jouissance  de  leurs  biens  et  d'empêcher  la  jeunesse 
d'aller  étudier  dans  leurs  collèges,  sous  peine  de  dix  mille  écus  d'or 
d'amende. 

Henri  fut  très-mécontent  de  voir  son  autorité  compromise  par  la 
contradiction  de  ces  deux  arrêts  également  rendus  en  son  nom.  Les  plus 
sages  membres  de  son  conseil  et  le  chancelier  lui-même  étaient  d'avis 
de"  casser  l'arrêt  du  Parlement  de  Toulouse,  en  ordonnant  a  ce  Parle- 
ment ainsi  qu'a  celui  de  Bordeaux  d'enregistrer  la  sentence  prononcée 
quatre  ans  auparavant  contre  Jean  Chatel  et  ses  complices  ;  mais  les 
amis  que  les  jésuites  avaient  autour  de  Sa  Majesté  trouvèrent  moyen 
de  faire  différer  cette  mesure,  et  ces  pères  en  furent  quittes  pour  attendre 
un  moment  plus  favorable. 

Sur  ces  entrefaites,  le  légat  se  disposait  a  tjuitter  la  France,  avant 
qu'il  n'eût  demandé  son  audience  de  congé;  le  roi  alla  lui  faire  visite 
sans  cérémonie,  accompagné  seulement  de  Sillery,  créature  de  la  du- 
chesse de  Ijeaufort  ijui  eu  avait  fait  son  conlideul  le  plus  intime.  «  Je 
serais  bien  ingrat,  Monsieur  le  cardinal,  dit  le  roi,  si  je  ne  reconnais- 


596  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

sais  que  celte  paix  qui  vient  de  succéder  dans  mon  royaume  à  tant  de 
troubles  et  de  guerre  est  due,  après  Dieu,  au  Saint-Père  et  à  vos  bons 
soins  ;  mais  pour  la  rendre  durable,  vous  devez  comprendre  combien  il 
serait  important  que  je  pusse  offrir  aux  Français  un  lils  né  de  mon 
sans.  Malheureusement,  je  suis  le  mari  d'une  femme  avec  laquelle  je  ne 
dois  ni  ne  puis  avoir  de  postérité.  » 

11  parla  ensuite  de  la  dissolution  de  ce  mariage,  devenue  une  néces- 
sité pour  le  bonheur  de  la  France,  et  il  pria  le  légat  d'en  appuyer  la 
demande  auprès  du  Pape.  Puis  il  amena  insensiblement  le  nom  de  la 
duchesse  de  Beaufort,  louant  beaucoup  les  mœurs  et  la  piété  de  cette 
dame,  ainsi  que  la  grande  et  sincère  affection  qu'elle  lui  avait  vouée. 

A  ces  paroles,  le  légat  fut  tout  étonné.  Il  interrompit  Sa  Majesté 
avant  qu'elle  allât  plus  loin  dans  cette  singulière  confidence,  et  il  se  hâta 
de  répondre  :  «  Sire,  je  m'estime  heureux  d'avoir  pu  contribuer  à  l'éta- 
blissement de  cette  paix  et  d'avoir  par  l'a  satisfait  le  Pape  et  Votre 
Majesté.  J'ai  plusieurs  fois  souhaité  voir  luire  le  premier  jour  de  cette 
heureuse  tranquillité,  dùt-il  être  le  dernier  de  ma  vie.  Mais,  a  présent 
que  Dieu  a  accordé  ce  bienfait  au  monde  chrétien  et  que  j'ai  atteint  le 
but  de  ma  légation,  il  ne  me  reste  plus  autre  chose  a  faire  que  de  retour- 
ner 'a  Rome,  pour  rendre  compte  au  Saint-Père  de  la  manière  dont  j'ai 
exécuté  ses  ordres.  » 

La  conversation  se  termina  ainsi,  ot  le  roi  se  repentit  d'avoir  fait 
part  au  prélat  de  ses  intentions  de  mariage  avec  sa  belle  et  ambitieuse 
maîtresse;  car  le  cardinal  ne  manqua  pas  de  s'en  aller  avertir  les  plus 
grands  seigneurs  du  royaume  de  ce  projet,  dont  l'exécution  serait, 
disait-il,  aussi  honteuse  'a  Sa  Majesté  que  funeste  'a  la  France,  les  sup- 
pliant d'en  détourner  leur  maître  par  tous  les  moyens.  Peu  de  jours 
après,  ce  digne  prélat  quitta  la  France  pour  s'en  retourner  en  Italie. 

Vers  la  même  époque  à  peu  près,  Philippe  terminait  dafls  le  monas- 
tère de  l'Escurial,  'a  l'âge  de  soixante  etdouzeans,  sa  longue  et  orageuse 
carrière.  Il  s'était  fait  transporter  dans  ce  saint  lieu  qui  sert  de  sépulture 
aux  rois  d'Espagne,  «  parce  que,  disait-il,  il  faudrait  toujours  l'y  porter 
après  sa  mort,  et  qu'il  aimait  mieux  y  aller  vivant.  »  Depuis  longtemps,  il 
se  sentait  éteindre  dans  les  douleurs  d'une  horrible  maladie.  Son  corps 
n'était  plus  qu'un  immense  abcès,  et  il  s'engendrait  dans  ses  chairs  une 
telle  quantité  de  poux  qu'on  ne  [pouvait  suffire  a  les  ôter.  Tout  récem- 
ment, il  avait  tîancé  l'Infante  d'Espagne  à  Albert,  vice-roi  des  Flandres, 
qui  renonçait,  'a  cet  effet,  'a  sa  dignité  de  cardinal  ;  et  il  lui  avait  donné 
en  dot  la  souveraineté  de  tout  ce  qui  appartenait  aux  Espagnols  dans  ces 
contrées,  lui  transmettant  en  outre  les  droits  qu'ils  réclamaient  sur  le 
reste.  (Cayet,  Cliron.  septen.,  liv.  P'.) 

Quand  le  monarque  eut  enfin  perdu  tout  espoir  de  prolonger  une  vie 
insupportable,  il  fît  venir  son  fils  qui  allait  bientôt  être  son  successeur, 
et  il  lui  remit  entre  les  mains  un  papier  qu'il  gardait  fort  secrètement  et 
qui  contenait  ses  avis  sur  le  gouvernement,  écrits  par  lui-même.  Il  recom- 
mandait au  jeune  prince  d'être  attentif  aux  changements  qui  pourraient 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANGE.  597 

survenir  dans  les  autres  royaumes,  alin  d'en  laire  son  profil.  «  Ayez 
soin,  disait-il,  de  ne  jamais  admettre  le  peuple  dans  radminislralion  des 
affaires,  il  pourrait  devenir  exigeant  et  vous  tourmenter  par  des  préten- 
tions embarrassantes  ;  ne  vous  appuyez  (jue  sur  la  noblesse  et  les  ecclésias- 
tiques; mais  n'oubliez  pas  (ju'il  ne  faut  jamais  laisser  ces  deux  corps  en 
bonne  barmonie  entre  eux,  et  que  vous  devez  soigneusement  entretenir 
leur  rivalité,  en  faisant  pencber  la  balance  de  vos  faveurs  tantôt  d'un 
côté,  tantôt  de  l'autre.  Recbercbez  l'alliance  des  Français,  des  Anglais  et 
de  certains  princes  allemands  ;  ceux-là  seuls  peuvent  vous  être  utiles;  ni 
les  princes  d'Italie,  ni  la  Pologne,  ni  l'Ecosse,  ni  les  autres  puissances  du 
Nord  ne  sont  en  état  de  vous  procurer  le  moindre  avantage.  Restez  sur- 
tout en  bonne  correspondance  avec  les  papes  ;  mais  n'oubliez  pas  de 
pensionner  les  cardinaux  pour  avoir 'a  vous  le  plus  grand  nombre  de  voix 
possible  dans  le  conclave.  J'ai  donné,  il  est  vrai,  les  Pays-Bas  'a  votre 
sœur;  mais  dans  cette  donation,  je  vous  ai  ménagé  un  grand  nombre 
d'échappatoires  dont  vous  pourrez  plus  tard  vous  servir  i)our  les  re- 
prendre. Quant  'a  l'article  important  du  commerce  de  l'Espagne  avec  les 
Indes,  vous  n'avez  que  deux  concurrents  redoutables  :  l'Angleterre  d'a- 
bord, et  la  France  ensuite.  Ces  deux  royaumes  sont  les  seuls  puissants  en 
marine  :  je  crains  beaucoup  pour  vous  les  entreprises  du  premier  ;  car 
le  peuple  anglais  est  avide  de  richesses,  j)ersévéranl  et  âpre  au  gain. 
Pour  la  France,  je  m'en  inquiète  moins  ;  on  y  est  trop  léger  pour  lutter 
longtemps  contre  les  diflicultés.  Au  reste,  contre  l'une  et  l'autre  de  ces 
deux  puissances,  mon  avis  est  que  vous  vous  renforciez  de  ceux  des 
Pays-Unis  et  de  la  Hollande,  s'il  le  faut  absolument,  bien  que  ces  gens- 
l'a  soient  vos  ennemis  aujourd'hui,  et  en  partie  hérétiques.  Enfin  pour 
vos  finances,  ne  vous  en  rapportez  qu'à  vouà-même.  Ayez  toujours  l'œil 
sur  vos  conseillers,  même  les  plus  privés,  et  accoutumez-vous  aux  cliillVes. 
Il  ne  me  reste  plus  qu'à  vous  donner  quebjues  conseils  généraux  dont 
je  me  suis  bien  trouvé  :  donnez  toujours  de  la  besogne  à  vos  secré- 
taires, soit  d'importance  ou  non  ;  ne  rendez  aucun  deux  intlispensable 
à  la  marche  des  affaires,  et  surtout  ne  découvrez  jamais  vos  secrets  à 
un  ami,  fût-il  éprouvé  et  d'un  dévoùment  irréprocbable.  En  observant 
ces  avis  que  je  vous  laisse  écrits  de  ma  main,  jespêre,  mon  fils,  cpie 
vous  régnerez  glorieusement  et  heureusement.   » 

Cependant,  depuis  bientôt  un  an  que  la  paix  était  signée,  rien  n'était 
encore  décidé  relativement  à  la  possession  du  marquisat  de  Saluées  (jue 
se  disputaient  le  roi  de  France  et  le  duc  de  Savoie.  Les  deux  princes 
avaient  pris  le  Pape  pour  arbitre,  et  le  roi  avait  envoyé  à  Home  Sillery 
pour  y  soutenir  ses  droits  ;  c'était  le  comte  de  Touzaine  qui  y  était  pour 
le  duc.  En  vertu  de  la  règle  du  droit  commun,  par  laquelle  il  est  dit 
que  le  spolié  doit  être  réintégré  par  provision,  Sillery  voulait  (jue  son 
maître  fût  réintégré  provisoirement  dans  la  |)OSsession  du  marquisat, 
usurpé  par  le  duc  de  Savoie  à  la  faveur  des  guerres  de  la  Ligue  contre 
Henri  111.  Touzaine  prétendait  de  son  côté  que  cette  règle  ne  concer- 
nait que  les  particuliers  et  ne   pouvait   être  étendue   aux  contestations 


598  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

entre  souverains,  à  l'égard  desquels  la  possession  actuelle  était  le  meil- 
leur droit.  (De  Tiiou,  ubi  supra.) 

Quand  on  en  vint  au  principal,  Sillery  fit  valoir  que  la  princesse 
Alix,  en  1210,  avait  fait  et  reiidu  hommage  pour  le  marquisat  de 
Saluées  à  son  oncle  Hugues,  dauphin  de  Viennois,  hommage  renouvelé 
en  1354  par  le  marquis  Thomas,  entre  les  mains  de  Charles,  fds  aîné 
du  roi  Jean,  a  qui  le  Dauphiné  venait  d'être  cédé. 

A  tout  cela,  le  comte  de  Touzaine  répondait  que  l'hommage  fait  au 
dauphin  de  Viennois  était  nul,  parce  que  cette  princesse  n'était  pas  la 
véritable  propriétaire  du  marquisat,  qui  appartenait  a  son  petit-fils  Main- 
froy  encore  mineur,  et  que  la  ratification  faite  plus  tard  par  Thomas 
n'avait  pas  plus  de  validité,  attendu  que  Thomas,  s'étant  lui-même 
reconnu  précédemment  comme  tenancier  pour  son  lief  des  ducs  de 
Savoie,  n'était  plus  qu'usufruitier  et  n'avait  pas  le  droit  de  se  donner  a 
un  autre  suzerain. 

Comme  on  ne  pouvait  s'entendre  sur  toutes  ces  questions,  on  proposa 
de  mettre  provisoirement  le  marquisat  en  séquestre  entre  les  mains  du 
Pape,  et  cette  proposition  parut  d'abord  acceptable  de  part  et  d'autre. 
Le  roi  envoya  son  consentement  ;  mais  le  duc,  qui  soupçonnait  Sa  Sain- 
teté d'être  trop  favorable  a  Henri  IV,  révoqua  son  ambassadeur  sous  un 
prétexte  futile  et  en  envoya  un  autre,  pour  reprendre  la  discussion  sur 
nouveaux  frais.  Celui-ci,  ayant  obtenu  une  audience  particulière  du  Sou- 
verain-Pontife, lui  dit  assez  imprudemment  que  si  son  maitre  obtenait 
de  Sa  Sainteté  un  jugement  favorable,  son  intention  était  de  la  laisser 
libre  de  disposer  du  marquisat  en  faveur  d'un  de  ses  neveux,  qui  le  tien- 
drait comme  hef  mouvant  de  la  Savoie. 

Clément  VIII  comprit  alors  qu'on  soupçonnait  son  intégrité,  et  il 
donna  sur-le-champ  son  désistement  de  sa  qualité  d'arbitre.  Le  duc, 
honteux,  fil  faire  des  excuses  au  Pape,  et  comme  il  voyait  qu'il  s'était 
généralement  rendu  odieux  par  la  manière  dont  il  s'était  conduit  dans 
cette  affaire,  il  promit  qu'il  irait  lui-même  en  France,  pour  s'entendre 
directement  avec  le  roi  ;  mais  il  ne  se  montra  pas  plus  fidèle  a  tenir 
cette  promesse  qu'a  la  parole  donnée  pour  lui  par  son  premier  ambas- 
sadeur. Il  fallut  plus  tard  en  venir  aux  armes  pour  terminer  cette  contes- 
tation. 

Pendant  que  ces  discussions  avaient  lieu  'a  Rome,  les  protestants 
redoublaient  leurs  instances  pour  obtenir  l'enregistrement  et  la  publica- 
tion de  l'édit  qu'on  leur  avait  accordé  a  Nantes.  Le  roi  lui-même  regar- 
dait l'exécution  de  cet  édit  comme  indispensable  au  rétablissement  com- 
plet de  la  paix  et  de  l'ordre  dans  l'intérieur.  Il  convoqua  donc  au  Louvre 
une  députation  de  chaque  Chambre  et  parla  ainsi  : 

«  Je  me  souviens,  messieurs,  qu'il  y  a  vingt-six  ans,  étant  'a  la  cour 
du  roi  Charles  IX,  je  proposai  une  partie  de  dés  à  mon  parent  et  en 
ce  temps-la  mon  ami,  Henri  de  Lorraine,  duc  de  Guise.  On  essuya  la 
table,  et  dans  le  temps  que  nous  allions  commencer  à  jouer,  on  la  vit 
pleine  de  gouttes  de  sang,  qu'on  essuya  de  nouveau,  mais  qui  reparurent 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  599 

à  plusieurs  reprises.  Etonné  de  ce  prodige,  j'en  tirai  mauvais  augure, 
je  refusai  de  jouer,  et  je  dis  à  ceux  qui  étaient  auprès  de  moi,  mais 
assez  bas  pour  n'être  pas  entendu  du  duc  :  «  Je  prévois  qu'il  coulera 
un  jour  des  torrents  de  sang  entre  monsieur  de  Guise  et  moi.  »  Cette 
prévision  n  a  été  que  trop  réalisée. 

<f  Que  nos  malheurs  passés  nous  servent  donc  au  moins  d'instruc- 
tion pour  l'avenir.  N'avons-nous  pas  versé  assez  de  sang  ?  u'avons-nous 
pas  assez  soud'ert  ?  L'Étal  a  maintenant  besoin  de  la  paix,  et  comme 
Dieu  s'est  servi  de  moi  pour  vous  la  donner,  je  liens  aussi  à  vous  la 
conserver.  Je  vous  parle  ici  comme  un  père  'a  ses  enfants  et  je  vous 
exhorte  à  maintenir  l'union  entre  vos  compatriotes  et  vos  concitoyens; 
serait-il  possible  qu'après  avoir  fait  la  paix  avec  les  étrangers,  la  guerre 
se  rallumât  avec  mes  sujets? 

«  Les  séditieux  qui  viennent  encore  vous  parler  de  l'intérêt  de  la 
religion  ne  cherchent  qu'à  cacher  sous  un  nom  révéré  l'esprit  de  fac- 
tion et  de  discorde  qui  les  anime  toujours.  C'est  la  paix  et  l'union  qui 
font  seules  relleurir  la  religion  ;  et  c'est  oifcnser  cette  religion,  (pii 
commande  la  charité,  que  de  prêcher  une  nouvelle  guerre  civile.  Le 
Souverain-Pontife,  lui-même,  pense  'a  ce  sujet  comme  moi.  Au  reste, 
comme  votre  roi,  j'ai  sur  vous  le  droit  de  la  puissance  paternelle  ;  et 
c'est  à  moi  de  ramener  dans  le  chemin  ceux  qui  par  ignorance  ou 
par  mauvaise  volonté  voudraient  s'en  écarter,  et  ce  droit,  je  suis  bien 
décidé  à  en  user. 

«  La  nouvelle  loi  que  je  vous  propose  (renregistrer  ne  fait  d'ailleurs 
que  consacrer  d'anciennes  dispositions  dont  j'ai  reconnu  la  sagesse  et 
l'utilité.  Si  j'y  ai  fait  quelques  additions,  c'est  que,  les  temps  n'étant  plus 
les  mêmes,  j'ai,  après  un  mûr  examen,  trouvé  ces  additions  indispen- 
sables. Je  vous  prie  donc  et  vous  ordonne  d'enregistrer  sans  délai  cet 
édit  fait  moins  en  faveur  des  huguenots  que  pour  éviter  une  nouvelle 
guerre  civile.  Vous,  messieurs,  (pie  j'ai  toujours  trouvés  soumis  dans  les 
temps  les  plus  fâcheux,  refuseriez-vous  de  m'obéir  aujourd'hui,  quand  je 
n'ai  plus  nulle  part  d'autres  ennemis  disposés  à  combattre  mon  auto- 
rité? » 

Ce  discours  n'empêcha  pas  que,  quand  l'édit  fut  apporté  au  Parle- 
ment, plusieurs  conseillers  ne  s'opposassent  a  l'enregistrement  ;  mais 
le  conseiller  Coqueley  en  prit  la  défense  avec  une  grande  élo(|uence. 
«  Suivons,  dit-il,  messieurs,  les  vues  d'un  prince  dont  la  bonté  égale  la 
sagesse,  et  sans  nous  laisser  conduire  par  un  zèle  indiscret,  soulfrons 
que  des  compatriotes,  des  citoyens,  jouissent  des  honneurs,  des  privi- 
lèges et  des  dignités  qu'ils  ont  naturellement  droit  de  partager  avec 
nous.  N'ont-ils  pas  concouru  comme  nous  et  avec  le  même  dévouement 
à  la  défense  de  la  patrie,  quand  elle  était  en  danger,  et  peut-on  sans  in- 
justice leur  refuser  de  participer  aux  fruits  de  la  victoire? 

«  Dira-t-on  que  c'est  oiïenser  Dieu  que  de  monlrer  de  la  tolérance 
pour  des  opinions  qu'il  réprouve?  Eh  !  le  Tout  Puissant  vous  a-l-il  par 
hasard  demandé  de  prendre  sa  défense  ?  N'est-il  plus  assez  fort  pour  se 


600  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

faire  justice  à  lui-même,  s'il  le  juge  à  propos  ?  Ne  vous  a-t-il  pas  au 
contraire  recommandé  la  charité  même  envers  les  payens  et  les  infi- 
dèles ?  » 

Après  cette  allocution  de  Coqueley,  on  alla  aux  voix  sur  les  diffé- 
rentes dispositions  de  l'édit.  Plusieurs  conseillers  persistaient  encore 
avec  la  même  aigreur  dans  leur  opposition  a  l'enregistrement,  principa- 
lement pour  ce  qui  regardait  l'admission  des  huguenots  dans  les  charges 
publiques,  alléguant  qu'aucun  antécédent  n'autorisait  une  pareille  con- 
cession, opposée  de  tout  point  aux  institutions  des  anciens  empereurs 
chrétiens,  qui  avaient  au  contraire  prescrit  expressément  d'expulser  les 
hérétiques  de  la  cité.  On  leur  répondit  que  l'intérêt  de  la  tranquillité 
publique  avait  toujours  suffi  pour  qu'on  tolérât  dans  un  temps  ce  qu'on 
aurait  empêché  dans  un  autre. 

Le  parti  qui  voulait  l'enregistrement  sans  aucune  modification  l'em- 
porta 'a  la  fin  ;  et  l'édit  de  Nantes,  ainsi  que  les  articles  secrets  qui 
l'accompagnaient,  fut  soUennellement  enregistré  au  Parlement  de  Paris, 
le  vingt-cinquième  jour  de  février  de  cette  année  1599,  et  réputé  loi  de 
l'État. 


FIN 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  601 


APPENDICE 


TEXTE   DE    L'ÉDIT    DE    NANTES. 


Henri,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  de  France  et  de  Navarre,  à  tous  présents 
et  à  venir,  salut  : 

Entre  les  grâces  infinies  qu'il  a  plu  à  Dieu  nous  départir,  celle  est  bien 
des  plus  insignes  et  remarquables  de  nous  avoir  donné  la  vertu  et  la  force  de 
ne  céder  aux  effroyables  troubles,  confusions  et  désordres  qui  se  trouvèrent  à 
notre  avènement  à  ce  royaume,  qui  était  divisé  en  tant  de  parts  et  de  factions, 
que  la  plus  légitime  en  était  quasi  la  moindre;  et  de  nous  être  néanmoins 
tellement  roidi  contre  cette  tourmente  que  nous  l'ayons  enfin  surmontée,  et 
touchions  maintenant  le  port  de  salut  et  repos  de  cet  Etat.  De  quoi  à  lui  seul 
en  soit  la  gloire  tout  entière,  et  à  nous  la  grâce  et  l'obligation  qu'il  se  soit  voulu 
servir  de  notre  labeur  pour  ce  bon  œuvre,  auquel  il  a  été  visible  ù  tous  si  nous 
avons  porté  non  seulement  ce  qui  était  de  notre  devoir  et  pouvoir,  mais 
quelque  chose  de  plus,  qui  n'eût  peut-être  pas  été  en  autre  temps  bien  conve- 
nable à  la  dignité  que  nous  tenons,  que  nous  n'avons  plus  en  crainte  d'y 
exposer,  puisque  nous  y  avons  tant  de  fois  exposé  notre  propre  vie;  et  en  cette 
grande  concurrence  de  si  grandes  et  périlleuses  affaires,  ne  se  pouvant  toutes 
composer  tout  à  la  fois  et  en  même  tems,  il  nous  a  fallu  tenir  cet  ordre,  d'en- 
treprendre premièrement  ce  qui  ne  pouvait  se  terminer  que  par  la  force,  et 
plutôt  remettre  et  suspendre  pour  quelque  tems  les  autres  qui  se  devaient  et 
pouvaient  traiter  par  la  raison  et  la  justice  :  comme  les  dillerents  généraux 
d'entre  nos  bons  sujets  et  les  maux  particuliers  des  plus  saines  parties  de 
l'État,  que  nous  espérions  pouvoir  bien  plus  aisément  guérir,  après  en  avoir 
ôté  la  cause  principale  qui  était  en  la  continuation  de  la  guerre  civile.  En  quoi 
nous  étant,  par  la  grâce  de  Dieu,  bien  et  heureusement  succédé,  et  îos  armes 
et  hostilités  étant  du  tout  cessées,  en  tout  le  dedans  de  ce  royaume,  nous  espé- 
rons qu'il  succédera  aussi  bien  aux  autres  affaires  qui  restent  à  composer  et 
que  par  ce  moyen  nous  parviendrons  à  l'établissement  d'une  bonne  paix  et 
tranquille  repos  qui  a  toujours  été  le  but  de  nos  vœux  et  intentions,  et  le  prix 
que  nous  désirons  de  tant  de  peines  et  travaux,  auxquels  nous  avons  passé 
ce  cours  de  notre  âge.  Entre  lesdites  affaires  auxquelles  il  a  fallu  donner  pa- 
tience, et  l'une  des  principales,  ont  été  les  plaintes  que  nous  avons  reçues  de 
plusieurs  de  nos  provinces  et  villes  catholiques  do  ce  que  l'exercice  de  la  reli- 
gion catholique  n'était  pas  universellement  rétabli,  comme  il  est  porté  par  les 
états  ci-devant  faits  pour  la  pacilication  des  troubles  à  l'occasion  de  la  religion; 
comme  aussi  les  supplications  et  remontrances  qui  nous  ont  été  faites  par  nos 


602  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

sujets  de  la  religion  prétendue  réformée,  tant  sur  l'exécution  de  ce  qui  leur  est 
accordé  par  lesdits,  édits  que  sur  ce  qu'ils  désireraient  y  être  ajouté  pour 
l'exercice  de  ladite  religion  et  la  liberté  de  leur  conscience  et  la  sûreté  de  leurs 
personne  et  fortune,  présumant  avoir  juste  sujet  d'en  avoir  nouvelles  et  plus 
grandes  appréhensions  à  cause  de  ces  derniers  troubles  et  mouvements  dont  le 
principal  prétexte  et  fondement  a  été  sur  leur  ruine.  A  quoi,  pour  ne  nous 
charger  de  trop  d'affaires  à  la  fois,  et  aussi  que  la  fureur  des  armes  ne  com- 
patit pas  à  l'établissement  des  lois,  pour  bonnes  qu'elles  puissent  être,  nous 
avons  toujours  différé  de  temps  en  temps  de  pourvoir.  Mais  maintenant  qu'il 
plaît  à  Dieu  commencer  à  nous  faire  jouir  de  quelque  meilleur  repos,  nous 
avons  estimé  ne  le  pouvoir  mieux  employer  qu'à  ce  qui  peut  contribuer  à  la 
gloire  de  son  saint  nom  et  service,  et  à  pourvoir  qu'il  puisse  être  adoré  et  prié 
par  tous  nos  sujets;  et  s'il  ne  lui  a  plu  permettre  que  ce  soit  pour  encore  en  une 
même  forme  de  religion,  que  ce  soit  au  moins  d'une  même  intention  et  avec 
telle  règle  qu'il  n'y  ait  point  pour  cela  de  trouble  ou  de  tumulte  entre  eux,  et 
que  nous  et  ce  royaume  puissions  toujours  mériter  et  conserver  le  tjtre  glorieux 
de  très  chrétien,  qui  a  été  par  tant  de  mérites  et  dès  si  longtemps  acquis,  et 
par  même  moyen  ôter  la  cause  du  mal  et  trouble  qui  peut  advenir  sur  le  fait 
de  la  religion,  qui  est  toujours  le  plus  glissant  et  pénétrant  de  tous  les  autres. 
Pour  cette  occasion,  ayant  reconnu  cette  affaire  de  très  grande  importance  et 
digne  de  très  bonne  considération,  après  avoir  repris  les  cahiers  des  plaintes 
de  nos  sujets  catholiques  ;  ayant  aussi  permis  à  nos  dits  sujets  de  la  dite  reli- 
gion prétendue  réformée  de  s'assembler  par  députés  pour  dresser  les  leurs,  et 
mettre  ensemble  toutes  leurs  dites  remontrances,  et  sur  ce  fait  conférer  avec 
eux  par  diverses  fois,  et  revu  les  édits  précédents,  nous  avons  jugé  nécessaire 
de  donner  maintenant  sur  le  tout  à  tous  nos  dits  sujets  une  loi  générale,  claire, 
nette  et  absolue,  par  laquelle  il  soit  réglé  sur  tous  les  différends  qui  sont 
ci-devant  survenus  entre  eux,  et  y  pourront  encore  survenir  ci-après,  et  dont 
les  uns  et  les  autres  ayent  sujet  de  se  contenter  selon  que  la  qualité  du  tems 
le  peut  porter.  N'étant  pour  notre  regard  entré  en  cette  délibération  que  pour 
le  seul  zèle  que  nous  avons  au  service  de  Dieu,  et  qu'il  se  puisse  dorénavant 
faire  et  rendre  par  tous  nos  dits  sujets  et  étabhr  entre  eux  une  bonne  et  perdu- 
rable  paix.  Sur  quoi  nous  implorons  et  attendons  de  sa  divine  bonté  la  même 
protection  et  faveur  qu'il  a  toujours  départie  à  ce  royaume,  depuis  sa  naissance 
et  pendant  ce  long  âge  qu'il  a  atteint,  et  qu'elle  fasse  la  grâce  à  nos  dits  sujets 
de  bien  comprendre  qu'en  l'observation  de  cette  dite  ordonnance  consiste  (après 
ce  qui  est  de  leur  devoir  envers  Dieu  et  envers  tous)  le  principal  fondement 
de  leur  union,  concorde,  tranquillité  et  repos,  et  du  rétablissement  de  cet  Etat 
en  sa  première  splendeur,  opulence  et  force,  comme,  de  notre  part,  nous  pro- 
mettons de  la  faire  exactement  observer,  sans  soutïrir  qu'il  y.  soit  aucunement 
contrevenu.  Pour  ces  causes,  ayant  avec  l'avis  des  princes  de  notre  sang, 
autres  princes  et  officiers  de  la  couronne  et  autres  grands  et  notables  person- 
nages de  notre  conseil  d'Etat  étant  près  de  nous,  bien  dihgemment  pesé  et 
considéré  toute  cette  affaire,  avons,  par  cet  édit  perpétuel  et  irrévocable,  dit, 
déclaré  et  ordonné,  disons,  déclarons  et  ordonnons  : 

Article  premier.  —  Que  la  mémoire  de  toutes  choses  passées  de  part  et 
d'autre  depuis  le  commencement  du  mois  de  mars  4585,  jusqu'à  notre  avène- 
ment à  la  couronnne,  et  durant  les  autres  troubles  précédents,  et  à  l'occasion 
d'iceux,  demeurera  éteinte  et  assoupie,  comme  de  chose  non  avenue,  et  ne 
sera  loisible  ni  permis  à  nos  procureurs  généraux  et  autres  personnes  quel- 
conques, publiques  ou  privées,  en  quelque  temps,  ni  pour  quelque  occasion 
que  ce  soit,  en  faire  mention,  procès  ou  poursuite  en  aucune  cour  ou  juridic- 
tion que  ce  soit. 

Art.  il  —  Défendons  à  tous  nos  sujets,  de  quelque  état  et  qualité  qu'ils 
soient,  d'en  renouveler  la  mémoire,  s'attaquer,  ressentir,  injurier,  ni  provoquer 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  603 

l'un  l'autre  par  reproches  de  ce  qui  s'est  passé  ;  pour  quelque  cause  ou  pré- 
texte que  ce  soit,  en  disputer,  contester,  quereller,  ni  s'outrager  et  offenser  de 
fait  ou  de  paroles,  mais  se  contenir  et  vivre  paisiblement  ensemble  comme 
frères,  amis  et  concitoyens,  sur  peine  aux  contrevenants  d'être  punis  comme 
infracteurs  de  paix  et  perturbateurs  du  repos  public. 

Art.  III.  —  Ordonnons  que  la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine 
sera  remise  et  rétablie  en  tous  lieux  et  endroits  de  cettuy  notre  royaume  et 
pays  de  notre  obéissance  où  l'exercice  d'icelle  a  été  intermis,  pour  y  être  paisi- 
blement et  librement  exercée,  sans  aucuns  troubles  ou  empêchements,  défen- 
dant expressément  à  toute  personne  de  quelque  état,  qualité  ou  condition 
qu'elle  soit,  sur  les  jjeines  que  dessus,  de  ne  troubler,  molester,  ni  inquiéter 
les  ecclésiastiques  en  la  célébration  du  divin  service,  jouissance  et  perception 
des  dîmes,  fruits  et  revenus  de  leurs  bénéfices,  et  tous  autres  droits  et  devoirs 
qui  leur  appartiennent  :  et  que  tous  ceux  qui,  durant  les  troubles,  se  sont  em- 
parés des  églises,  maisons,  biens  et  revenus  appartenant  auxdits  ecclésias- 
tiques, et  4}ui  les  détiennent  et  occupent,  leur  en  délaissent  l'entière  posses- 
sion et  paisible  jouissance,  en  tels  droits,  libertés  et  sûretés  qu'ils  avaient  aupa- 
ravant qu'ils  en  fussent  désaisis,  défendant  aussi  expressément  à  ceux  de  ladite 
religion  prétendue  réformée  de  faire  prêches,  ni  aucun  exercice  de  ladite  reli- 
gion ès-églises,  maisons  et  habitations  desdits  ecclésiastiques. 

Art.  IV.  —  Sera  au  choix  desdits  ecclésiastiques  d'acheter  les  maisons  et 
bâtiments  construits  aux  places  profanes  sur  eux  occupées  durant  les  troubles, 
ou  contraindre  les  possesseurs  desdits  bâtiments  d^ach^^ter  le  fonds,  le  tout 
suivant  l'estimation  qui  en  sera  faite  par  experts  dont  les  parties  omviendront 
et  à  faute  d'en  convenir,  leur  en  sera  pourvu  par  les  juges  des  lieux,  sauf  aux- 
dits possesseurs  leur  recours  contre  qui  il  appartiendra.  Et  où  lesdits  ecclésias- 
tiques contraindraient  les  possesseurs  d'acheter  le  fond, s  les  deniers  de  l'esti- 
mation ne  seront  mis  en  leurs  mains  ;  ains  en  demeureront  lesdits  possesseurs 
chargés,  pour  en  faire  profit,  à  raison  du  denier  vingt,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient 
été  employés  au  profit  de  l'église,  ce  qui  se  fera  dans  un  an.  Et  où  ledit  tems 
passé,  l'acquéreur  ne  voudrait  plus  continuer  ladite  rente,  il  en  sera  déchargé 
en  consignant  les  deniers  entre  les  mains  de  personne  solvable,  avec  l'auto- 
rité de  la  justice,  et  pour  les  lieux  sacrés  en  sera  donné  avis  par  les  commis- 
saires qui  seront  ordonnés  pour  l'exécution  du  présent  édit,  pour  sur  ce  y  être 
par  nous  pourvu. 

Art.  V.  —  Ne  pourront  loutesfois  les  lieux  et  places  occupés  par  les 
fortifications  et  réparations  des  villes  et  lieux  de  notre  royaume  et  les  maté- 
riaux y  employés,  être  vendiqués  ni  répétés  par  les  ecclésiastiques,  ou  autres 
personnes  publiques  ou  privées,  que  lorsque  lesdites  fortifications  et  répara- 
tions seront  démolies  par  nos  ordonnances. 

Art.  VI.  —  Et  pour  ne  laisser  aucune  occasion  de  trouble  ni  différend 
entre  nos  sujets,  avons  permis  et  permettons  à  ceux  de  ladite  religion  pré- 
tendue réformée,  vivre  et  demeurer  par  toutes  les  villes  et  lieux  de  cettuy  notre 
royaume,  et  pays  de  notre  obéisssance,  sans  être  enquis,  vexés,  molestés,  ni 
astreints  à  fiiire  chose  pour  le  fait  de  la  religion  contre  leur  conscience,  ni  pour 
raison  d'icelle  être  recherchés  ès-maisons  et  lieux  où  ils  voudront  habiter,  en 
se  comportant,  au  reste,  selon  qu'il  est  contenu  en  noire  présent  édit. 

Art.  VIL  —  Nous  avons  aussi  permis  à  tous  seigneurs,  gentilshommes, 
et  autres  personnes,  tant  regnicoles  qu'autres,  faisant  profession  de  la  religion 
prétendue  réformée,  ayant  en  notre  royaume  ot  pays  de  notre  obéissance  tiaute 
justice,  ou  plein  fief  de  haubert,  comme  en  Normandie,  soit  en  propriété  ou 
usufruit,  en  tout,  ou  par  moitié,  ou  pour  la  troisième  partie  avoir  en  telle  de 
leurs  maisons  desdites  hautes  justices,  ou  fiefs  susdits  qu'ils  seront  tenus 
nommer  devant  à  nos  baillifs  et  sénéchaux,  chacun  en  son  détroit  pour  le 


604  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

principal  domicile,  l'exercice  de  ladite  religion,  tant  qu'ils  y  seront  résidant,  et 
en  leur  absence  leurs  femmes  ou  bien  leur  famille,  ou  partie  d'icelle.  Et  en- 
core que  le  droit  de  justice  ou  plein  fief  de  haubert  soit  controversé,  néanmoins 
l'exercice  de  ladite  religion  y  pourra  être  fait,  pourvu  que  les  dessus  dits  soient 
en  possession  actuelle  de  ladite  haute  justice,  encore  que  notre  procureur  gé- 
néral soit  partie.  Nous  leur  permettons  aussi  avoir  ledit  exercice  en  leurs  autres 
maisons  de  haute  justice  et  fiefs  susdits  de  haubert,  tant  qu'ils  y  seront  pré- 
sents et  non  autrement,  le  tout  tant  pour  eux,  leur  famille  et  autres  gens  qui 
voudront  y  aller. 

Art.  VIII.  —  Es  maisons  des  fiefs  où  ceux  de  ladite  religion  n'auront  ladite 
haute  justice  ou  fief  de  haubert,  ne  pourront  faire  ledit  exerci  :e  que  pour  leur 
famille  seulement.  N'entendrons  toutefois,  s'il  y  survenait  d'auti  es  personnes 
jusqu'au  nombre  de  trente,  outre  leur  famille,  soit  à  l'occasion  d  s  baptêmes, 
visites  d'amis  ou  autrement  qu'ils  en  puissent  être  recherchés  ;  moyennant 
aussi  que  lesdites  maisons  ne  soient  au  dedans  des  villes,  bourgs  ou  villages 
appartenant  aux  seigneurs  hauts  justiciers  catholiques,  autres  que  no*is,  esquels 
lesdits  seigneurs  catholiques  ont  leurs  maisons.  Auquel  cas  ceux  de  ladite 
religion  ne  pourront,  dans  lesdites  villes,  bourgs  ou  villages  faire  ledit  exercice, 
si  ce  n'est  par  permission  et  congé  desdits  seigneurs  hauts  justiciers,  et  non 
autrement. 

Art.  IX.  —  Nous  permettons  aussi  à  ceux  de  ladite  religion  faire  et  con- 
tinuer l'exercice  d'icelle,  en  toutes  les  villes  et  lieux  de  notre  obéissance  où  il 
était  par  eux  établi  et  fait  publiquement,  par  plusieurs  et  diverses  fois,  en 
l'année  1596  et  en  l'année  1597,  jusques  à  la  fin  du  mois  d'août,  nonobstant 
tous  arrêts  et  jugements  à  ce  contraires. 

Art.  X.  —  Pourra  semblablement  ledit  exercice  être  établi  et  rétabli  en 
toutes  les  villes  ou  places  où  il  a  été  établi  ou  dû  l'être  par  l'édit  de  pacification 
fait  en  l'année  1577,  articles  particuliers  et  conférences  de  Néracet  Fleix,  sans 
que  ledit  rétablissement  puisse  être  empêché  ès-lieux  et  places  du  domaine 
qui  ont  été  possédés  ci-devant  par  ceux  de  la  prétendue  religion  réformée, 
encore  qu'ils  aient  été  depuis  aliénés  à  personnes  catholiques.  N'entendons 
toutefois  que  ledit  exercice  puisse  être  rétabli  ès-lieux  possédés  ci-devant  par 
ceux  de  cette  religion,  en  considération  de  leurs  personnes  ou  à  cause  du  pri- 
vilège des  fiefs,  si  lesdits  fiefs  se  trouvent  maintenant  possédés  par  personnes 
de  la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine. 

Art.  XL  —  D'avantage,  en  chacun  des  anciens  bailliages,  sénéchaussées 
et  gouvernements  tenant  lieu  de  bailliage,  ressortissant  nuement  et  sans 
moyen  ès-cour  de  parlement,  nous  ordonnons  qu'ès-faubourgs  d'une  ville 
outre  celles  qui  lui  ont  été  accordées  par  ledit  édit,  articles  particuliers  et  con- 
férences, et,  où.  il  n'y  aurait  de  villes,  en  un  bourg  ou  village,  l'exercice  de 
ladite  religion  prétendue  réformée  se  pourra  faire  publiquement  pour  tous 
ceux  qui  y  voudront  aller,  encore  que  ès-dits  bailliages,  sénéchaussées  et  gou- 
vernements il  y  ait  plusieurs  lieux  où  ledit  exercice  soit  ce  présent  établi,  fors 
et  excepté  pour  ledit  lieu  de  bailliage  nouvellement  accordé  par  le  présent 
édit,  les  villes  où  il  y  a  archevêché  et  évêché,  sans  toutefois  que  ceux  de  la  re- 
ligion prétendue  réformée  soient  pour  cela  privés  de  pouvoir  demander  et 
nommer  pour  ledit  lieu  dudit  exercice,  les  bourgs  et  villages  proches  desdites 
villes.  Excepté  aussi  les  lieux  et  seigneuries  appartenant  aux  ecclésiastiques 
ès-quels  nous  n'entendons  que  le  second  lieu  de  bailliage  puisse  èire  établi,  les 
en  ayant  de  grâce  spéciale  exceptés  et  préservés.  Voulons  et  entendons,  sous  le 
nom  d'anciens  bailliages,  parler  de  ceux  qui  étaient  du  temps  du  feu  roi  Henri, 
notre  très  honoré  seigneur,  tenus  pour  bailliages,  sénéchaussées  et  gouverne- 
ments ressortissants  sans  moyen  en  nos  dites  cours. 

Art.  XII.  —  N'entendons  par  le  présent  édit  déroger  aux  édits  et  accords 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  605 

ci-devant  faits  pour  la  réduction  d'aucuns  princes,  seii^neurset  {gentilshommes 
et  villes  catholiques  en  notre  obéissance,  en  ce  qui  concerne  l'exercice  de  ladite 
religion  ;  lesquels  édits  seront  entretenus  et  observés  pour  ce  regard,  selon 
qu'il  sera  porté  par  l'instruction  des  commissaires  qui  seront  ordonnés  pour 
l'exécution  du  présent  édit. 

Art.  XIII.  —  Défendons  expressément  à  tous  ceux  de  ladite  religion 
faire  aucun  exercice  d'icelle,  tant  pour  le  ministère,  exercice  public,  discipline 
ou  instruction  d'enfants  en  celtuy  notre  royaume  et  pays  de  notre  obéissance, 
en  ce  qui  concerne  la  religion,  fors  qu'ès-lieux  permis  et  octroyés  par  le  pré- 
sent édit. 

Art.  XIV.  —  Comme  aussi  de  faire  aucun  exercice  de  ladite  religion  en 
notre  cour  et  suite,  ni  pareillement  en  nos  terres  et  pays  qui  sont  delà  les  monts, 
ni  en  notre  ville  de  Paris,  ni  à  cinq  lieues  de  ladite  ville.  Toutefois,  ceux  de 
ladite  religion  demeurant  es  dites  terres  et  pays  delà  les  monts,  et  en  notre 
dite  ville  et  cinq  lieues  autour  d'icelle,  ne  pourront  être  recherchés  dans  leurs 
maisons,  ni  astreints  à  faire  chose  pour  le  regard  de  leur  religion  contraire  à 
leur  conscience  en  se  comportant,  au  reste,  selon  qu'il  est  contenu  en  notre 
présent  édit. 

Art.  XV.  —  Ne  pourra  aussi  l'exercice  public  de  ladite  religion  être  fait 
aux  armées,  sinon  au  quartier  des  chefs  qui  en  feront  profession,  autre  tou- 
tefois que  celui  où  sera  le  logis  de  notre  personne. 

Art.  XVI.  —  Suivant  l'art.  2  de  la  conférence  de  Nérac  permettons  à 
ceux  de  la  religion  de  pouvoir  bâtir  des  lieux  pour  l'exercice  d'icelle  aux  villes 
et  places  où  il  leur  est  accordé,  et  leur  seront  rendus  ceux  qu'ils  ont  ci-devant 
bâtis,  ou  le  fonds  d'iceux  en  l'état  qu'il  est  à  présent,  même  aux  lieux  où  ledit 
exercice  ne  leur  est  permis,  sinon  qu'ils  aient  été  convertis  en  autre  nature 
d'édifice,  auquel  cas  leur  seront  baillés,  par  les  possesseurs  desdits  édifices,  des 
lieux  et  places  de  même  prix  et  valeur  qu'ils  étaient  avant  qu'ils  y  eussent  bâti, 
ou  la  juste  estimation  d'iceux,  à  dire  d'expert  sauf  auxdits,  possesseurs  et  pro- 
priétaires leur  recours  contre  qui  il  appartiendra. 

Art.  XVII.  —  Nous  défendons  à  tous  prêcheurs,  lecteurs  et  autres  qui 
parlent  en  public,  d'user  d'aucunes  paroles,  discours  et  propos  tendant  à  exciter 
le  peuple  à  sédition  ;  ains  leur  avons  enjoint  et  enjoignons  de  se  contenir  et 
comporter  modestement,  et  de  ne  rien  dire  qui  ne  soit  à  l'instruction  et  à  l'édi- 
fication des  auditeurs,  et  à  maintenir  le  repos  et  tranquillité  par  nous  établis 
dans  notre  royaume,  sur  les  peines  portées  par  les  précédents  édils.  Enjoi- 
gnons très  expressément  à  nos  procureurs  généraux  et  leurs  substituts  d'in- 
former d'office  contre  ceux  qui  y  contreviendront,  à  peine  d'en  répondre  en 
leur  propre  et  privé  nom  et  de  privation  de  leurs  offices. 

Art.  XVIII.  —  Défendons  aussi  à  tous  nos  sujets,  de  quelque  qualité  et 
condition  qu'ils  soient,  d'enlever  par  force  ou  induction,  contre  le  gré  de 
leurs  parents,  les  enfants  de  ladite  religion  pour  les  faire  baptiser  et  confirmer 
en  l'église  catholique,  comme  aussi  mesmes  défenses  sont  faites  à  ceux  de  la 
religion  prétendue  réformée,  le  tout  à  peine  d'être  punis  exemplairement. 

Art.  XIX.  —  Ceux  de  ladite  religion  ne  seront  aucunement  astreints  ni 
demeureront  obligés  pour  raison  des  abjurations,  promesses  et  serments  qu'ils 
ont  ci-devaat  faits,  ou  caution  par  eux  baillée  concernant  le  fait  de  ladite  reli- 
gion et  n'en  pourront  être  molestés  ni  travaillés,  en  quelque  sorte  que  ce 
soit. 

Art.  XX.  —  Seront  tenus  aussi  garder  et  observer  les  fêtes  inédites  en 
l'église  catholique,  et  ne  pourront  aux  jours  d'icelles  besogner,  vendre,  ni 
étaler  à  boutiques  ouvertes,  ni  pareillement  les  artisans  travailler  hors  leurs 
boutiques  et  en  chambres  et  maisons  fermées,  es  dits  jours  de  fête  et  autres 
jours  défendus,  à  aucun  métier  dont  le  bruit  puisse  être  entendu  au  dehors  des 


606  HISTOIRE  DE  L'ETABLISSEMENT 

passants  ou  des  voisins  :  dont  la  recherche  néanmoins  ne  pourra  être  faite  que 
par  les  officiers  de  justice. 

Art.  XXI.  —  Ne  pourront  les  livres  concernant  ladite  religion  être  im- 
primés et  vendus  publiquement  qu'aux  lieux  ou  villes  où  l'exercice  public  de 
ladite  religion  sera  permis  ;  et  pour  les  autres  livres  qui  seront  imprimés  es 
autres  villes,  seront  vus  et  visités  tant  par  nos  officiers  que  théologiens,  ainsi 
qu'il  est  porté  par  nos  ordonnances.  Défendons  très  expressément  l'impression, 
publication  et  vente  de  tous  livres,  libelles  et  écrits  diffamatoires  sur  les  peines 
contenues  en  nos  ordonnances. 

Art.  XXII.  —  Ordonnons  qu'il  ne  sera  fait  différence,  ni  distinction 
pour  le  regard  de  ladite  religion,  à  recevoir  les  écoliers  pour  être  instruits  ès- 
universités,  collèges  et  écoles,  et  les  malades  pauvres  aux  hôpitaux,  maladreries 
et  secours  publics. 

Art.  XXIII.  —  Ceux  de  ladite  religion  seront  tenus  de  garder  les  lois  de 
l'église  catholique  reçues  en  notre  royaume  pour  le  fait  des  mariages,  contrac- 
tés et  à  contracter,  ès-degrés  de  consanguinité  et  affinité. 

Art.  XXIV.  —  Pareillement  ceux  de  ladite  religion  payeront  les  droits 
d'entrées,  comme  il  est  accoutumé  pour  les  charges  et  offices  dont  ils  seront 
pourvus,  sans  être  contraints  à  assister  à  aucune  cérémonie  contraire  à  leur 
dite  religion  ;  et  étant  appelés  par  serment,  ne  seront  tenus  d'en  faire  d'autre 
que  de  lever  la  main,  jurer  et  promettre  à  Dieu  qu'ils  diront  vérité.  Ne  seront 
aussi  tenus  de  prendre  dispense  du  serment  en  passant  les  contrats  et  obliga- 
tions. 

Art.  XXV.  —  Voulons  et  ordonnons  que  tous  ceux  de  ladite  religion  et 
autres  qui  ont  suivi  leur  parti,  de  quelque  état,  qualité  et  condition  qu'ils 
soient,  soient  tenus  et  contraints,  par  toute  voie  due  et  raisonnable,  et  sous  les 
peines  contenues  aux  édits  sur  ce  fait,  payer  et  acquitter  les  dîmes  aux  curés 
et  à  tous  autres  à  qui  elles  appartiennent,  selon  l'usage  des  lieux. 

Art.  XXVI.  —  Les  exhérédations  ou  privations,  soit  par  disposition  entre 
vifs  ou  testamentaires  faites  seulement  en  haine  ou  pour  cause  de  religion, 
n'auront  lieu  tant  pour  le  passé  que  pour  l'avenir  entre  nos  sujets. 

Art.  XXVII.  —  Afin  de  réunir  d'autant  mieux  les  volontés  de  nos  sujets, 
et  ôter  toutes  plaintes  à  l'avenir,  déclarons  ceux  qui  font  ou  qui  feront  profes- 
sion de  ladite  religion  capables  de  tenir  et  exercer  tous  états,  dignités,  offices 
et  charges  publiques  quelconques,  royales,  seigneuriales  ou  des  villes  de  notre 
dit  royaume,  nonobstant  tout  serment  à  ce  contraire,  et  d'être  indifféremment 
admis  et  reçus  en  iceux;  et  se  contenteront  nos  cours  de  Parlement  et  autres 
juges  d'informer  et  enquérir  sur  la  vie,  mœurs  et  honnête  conversation  de  ceux 
qui  sont  ou  seront  pourvus  d'offices  tant  d'une  religion  que  d'autre,  sans 
prendre  d'eux  d'autre  serment  que  de  bien  et  fidèlement  servir  le  roi  en  l'exer- 
cice de  leurs  charges,  et  garder  les  ordonnances  comme  il  a  été  observé  de 
tout  temps.  Advenant  aussi  vacance  desdits  états,  charges  et  offices,  il  y  sera 
par  nous  et  sans  distinction  pourvu  de  personnes  capables,  comme  chose  qui 
regarde  l'union  de  nos  sujets.  Entendons  aussi  que  ceux  de  ladite  religion 
puissent  être  admis  et  reçus  dans  tous  nos  conseils,  délibérations,  assemblées 
et  fonctions  qui  dépendent  des  choses  susdites,  sans  que  pour  raison  de  ladite 
religion  ils  en  puissent  être  rejelés  ou  empêchés  d'en  jouir. 

Art.  XXVIII.  —  Ordonnons  pour  l'enterrement  des  morts  de  ceux  de 
ladite  religion,  pour  toutes  les  villes  et  lieux  de  ce  royaume,  qu'il  leur  sera 
pourvu  promptement  en  chaque  lieu,  par  nos  officiers  et  magistrats  et  par  les 
commissaires  que  nous  députerons  à  l'exécution  de  noire  présent  édit,  d'une 
place  la  plus  commode  que  faire  se  pourra,  et  les  cimetières  qu'ils  avaient  ci- 
devant,  et  dont  ils  ont  été  privés,  à  l'occasion  des  troubles,  leur  seront  rendus. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  607 

sinon  qu'ils  se  trouvassent  à  présent  occupés  par  édifices  et  bâtiments,  auquel 
cas  leur  en  sera  pourvu  d'autres  gratuitement. 

Art.  XXIX.  —  Enjoi^^nons  à  nos  officiers  de  tenir  la  main  à  ce  qu  auxdits 
enterrements  il  ne  se  commette  aucun  scandale  et  seront  tenus,  dans  quinze 
jours  après  la  réquisition  qui  en  sera  faite,  pourvoir  ceux  de  ladite  religion  de 
lieu  commode  pour  lesdiles  sépultures,  sans  user  de  longueur  et  remises,  à 
peine  de  cinq  cents  écus  en  leur  propre  et  privé  nom.  Sont  aussi  faites  dé- 
fenses, tant  auxdits  officiers  qu'à  tous  autres,  de  rien  exiger  pour  la  conduite 
desdits  corps  morts,  sur  peine  de  concussion. 

Art.  XXX.  —  Afin  que  justice  soit  rendue  et  administrée  à  nos  sujets, 
sans  aucune  suspicion,  haine  ou  faveur  comme  étant  un  des  principaux 
moyens  pour  les  maintenir  en  paix  et  concorde,  avons  ordonné  et  ordonnons 
qu'en  notre  cour  de  parlement  de  Paris  sera  établie  une  chambre  composée 
d'un  président  et  de  seize  conseillers,  laquelle  sera  appelée  et  intitulée 
chambre  de  l'Edit,  et  connaîtra  non  seulement  des  causes  et  procès  de  ladite 
religion  qui  seront  dans  l'étendue  de  ladite  cour,  mais  aussi  de  nos  parlements 
de  la  Normandie  et  de  la  Bretagne,  selon  la  juridiction  qui  lui  sera  ci-après 
attribuée  par  le  présent  édit,  et  ce  jusques  à  tant  que  chacun  desdits  parle- 
ments ait  établi  une  chambre  pour  rendre  la  justice  sur  les  lieux.  Ordonnons 
aussi  que  des  quatre  offices  de  conseillers  en  notre  dit  parlement,  restant  à  la 
dernière  érection  qui  en  a  par  nous  été  faite,  en  seront  présentement  pourvus 
et  reçus  audit  parlement  quatre  de  ceux  de  ladite  religion  prétendue  réformée, 
suffisants  et  capables,  qui  seront  distribués,  à  savoir:  le  premier  reçu  en  ladite 
chambre  de  l'Edit,  et  les  autres  Irois,  à  mesure  qu'ils  seront  reçus,  en  trois 
chambres  des  enquêtes,  et  outre  que  des  deux  premiers  offices  de  conseillers 
lais  de  ladite  cour  qui  viendront  à  vaquer  par  mort,  en  seront  aussi  pourvus 
deux  de  ladite  religion,  et  iceux  reçus  et  distribués  aux  deux  autres  chambres 
des  enquêtes. 

Art.  XXXI.  —  Outre  la  chambre  ci-devant  établie  à  Castres,  pour  le 
ressort  de  notre  parlement  de  Toulouse,  laquelle  sera  continuée  en  l'état 
qu'elle  est,  nous  avons  pour  les  mêmes  considérations  ordonné  et  ordonnons 
qu'en  chacune  de  nos  cours  de  parlement  de  Grenoble  et  de  Bordeaux,  sera 
pareillement  établie  une  chambre  composée  d'un  des  deux  présidents,  l'un 
catholique,  et  l'autre  de  ladite  religion,  et  de  douze  conseillers  dont  six  seront 
catholiques  et  les  autres  six  de  ladite  religion,  lesquels  président  et  conseillers 
catholiques  seront  par  nous  choisis  et  pris  des  corps  de  nos  dites  cours,  et 
quant  à  ceux  de  ladite  religion,  sera  faite  érection  nouvelle  d'un  président  et 
six  conseillers  par  le  parlement  de  Bordeaux,  et  d'un  président  et  trois  con- 
seillers pour  celui  de  Grenoble,  lesquels,  avec  les  trois  conseillers  de  ladite 
religion  qui  sont  à  présent  audit  parlement,  seront  employés  à  ladite  chambre 
du  Dauphiné,  et  seront  créés  lesdils  offices  aux  mêmes  gages,  honneurs, 
autorité  et  prééminence  que  les  autres  dites  cours,  et  sera  la  séance  de  la 
chambre  de  Bordeaux  à  Bordeaux  ou  à  Nérac,  et  celle  du  Dauphiné  à  Gre- 
noble. 

Art.  XXXII.  —  Ladite  chambre  du  Dauphiné  connaîtra  des  causes  de 
ceux  de  ladite  religion  prétendue  réformée  du  ressort  de  notre  parle- 
ment de  province,  sans  qu'ils  aient  besoin  de  prendre  lettres  d'évocation,  ni 
autres  provisions  qu'en  notre  chancellerie  du  Dauphiné,  comme  aussi  ceux  de 
ladite  religion  de  Normandie  et  de  Bretagne  ne  seront  tenus  de  prendre  lettres 
d'évocation  qu'en  notre  chancellerie  de  Paris. 

Art.  XXXIII.  —  Nos  sujets  de  la  religion  du  parlement  de  Bourgogne 
auront  le  choix  de  plaider  en  !a  chambré  ordonnée  au  parlement  de  Paris,  ou 
en  celle  de  Dauphiné,  et  ne  seront  aussi  tenus  de  prendre  lettres  d'évocation, 
ni  autres  provisions,  qu'es  dites  chancelleries  de  Paris  ou  Dauphiné  selon 
l'option  qu'ils  feront. 


608  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Art.  XXXIV.  —  Toutes  lesdites  chambres,  composées  comme  dit  est, 
connaîtront  et  jugeront  en  souveraineté  et  dernier  ressort  par  arrêt,  primati- 
vement  à  tous  autres,  des  procès  mus  et  à  mouvoir  es  quels  ceux  de  ladite 
religion  seront  parties  principales,  ou  garrants,  ou  défendants,  ou  démendants 
en  toutes  matières,  tant  civiles  que  criminelles,  soient  lesdits  procès  par  écrit 
ou  appellations  verbales,  et  ce,  si  bon  semble  auxdites  parties  et  l'une  d'icelle 
le  requiert  avant  contestation  en  cause,  pour  le  regard  des  procès  à  mouvoir, 
excepté  toutefois  pour  toute  matière  bénéliciale  et  les  possessoirs  des  dîmes 
non  inféodées,  les  patronats  ecclésiastiques  et  les  causes  où  il  s'agira  des  droits 
et  devoirs  au  domaine  de  l'Eglise  qui  seront  toutes  traitées  et  jugées  en  cours 
de  parlement,  sans  que  lesdites  chambres  de  l'édit  en  puissent  connaître. 
Comme  aussi  nous  voulons  que  ppur  juger  et  décider  les  procès  criminels  qui 
interviendront  entre  ecclésiastiques  et  ceux  de  ladite  religion,  si  l'ecclésiastique 
est  défendeur,  en  ce  cas  la  connaissance  et  jugement  du  procès  appartiendra  à 
nos  cours  souveraines  primativement  auxdites  chambres,  et  où  l'ecclésiastique 
sera  demandeur  la  connaissance  et  jugement  dudit  procès  appartiendra  par 
appel  et  en  dernier  ressort  auxdites  chambres  établies.  Connaîtront  aussi 
lesdites  chambres,  en  temps  de  vacation,  des  matières  attribuées  par  les  édits 
et  ordonnances  aux  chambres  établies  en  temps  de  vacation,  chacune  en  son 
ressort. 

Art.  XXXV.  —  Sera  ladite  chambre  de  Grenoble  dès  à  présent  unie  et 
incorporée  à  la  cour  dudit  parlement,  et  les  présidents  et  conseillers  de  ladite 
religion,  nommés  présidents  et  conseillers  de  ladite  cour,  et  à  ces  fins  premiè- 
rement distribués  par  les  autres  chambres,  et  tirés  d'icelles  pour  être  employés 
et  servir  en  celle  que  nous  ordonnons  de  nouveau,  à  la  charge  toutefois  qu'ils 
assisteront  et  auront  voix  et  séance  en  toutes  délibérations  qui  se  feront  les 
chambres  assemblées  et  jouiront  des  mêmes  gages,  autorité  et  prééminence 
que  les  autres  présidents  et  conseillers  de  ladite  cour. 

Art.  XXXVI.  —  Voulons  et  entendons  que  lesdites  chambres  de  Castres 
et  de  Bordeaux  soient  réunies  et  incorporées  en  iceux  parlements,  en  la  même 
forme  que  les  autres  quand  besoin  sera,  et  que  les  causes  qui  nous  ont  mû 
d'en  faire  l'établissement  cesseront  et  seront  à  ces  fins  les  présidents  et  con- 
seillers d'icelles  de  ladite  religion  nommés  et  tenus  pour  présidents  et  conseil- 
lers de  ladite  cour. 

Art.  XXXVn.  —  Seront  aussi  créés  et  érigés  de  nouveau,  en  la  chambre 
ordonnée  pour  le  parlement  de  Bordeaux,  deux  substituts  de  nos  procureurs  et 
avocats  généraux  dont  celui  du  procureur  sera  catholique  et  l'autre  de  ladite 
religion,  lesquels  seront  pourvus  desdils  offices  aux  gages  comptants. 

Art.  XXXVIII.  —  Ne  prendront  lesdits  substituts  autre  qualité  que  de 
substituts,  et  lorsque  les  chambres  ordonnées  pour  les  parlements  de  Toulouse 
et  de  Bordeaux  seront  unies  et  incorporées  auxdits  parlements,  seront  lesdits 
substituts  pourvus  d'une  charge  de  conseillers. 

Art.  XXXIX.  —  Les  expéditions  de  la  chancellerie  de  Bordeaux  se  feront 
en  présence  de  deux  conseillers  d'icelle  chambre,  dont  l'un  sera  catholique  et 
l'autre  de  ladite  religion,  en  l'absence  d'un  maître  de  requête  de  notre  hôtel; 
et  l'un  des  notaires  et  secrétaires  de  ladite  cour  du  parlement  de  Bordeaux  fera 
résidence  au  lieu  où  ladite  chambre  sera  établie,  ou  bien  l'un  des  secrétaires 
de  la  chancellerie  pour  signer  les  expéditions. 

Art.  XL.  —  Voulons  et  ordonnons  qu'en  ladite  chambre  de  Bordeaux,  il 
y  ait  deux  commis  du  greffier  dudit  parlement,  l'un  au  civil  et  l'autre  au  cri- 
minel, qui  exerceiont  leur  charge  par  nos  commissions,  et  seront  appelés 
commis  au  gref  civil  et  criminel,  et  pourtant  ne  pourront  être  destitués  ni 
révoqués  par  les  greftlers  du  parlement.  Toutefois  seront  tenus  de  rendre 
l'émolument  desdits  greffes  auxdits  greffiers,  lesquels  commis  seront  salariés 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  609 

par  lesdits  greffiers  selon  qu'il  sera  arbitré  par  ladite  chambre.  Plus,  il  y  sera 
ordonné  des  huissiers  catholiques  qui  seront  pris  en  ladite  cour,  ou  d'ailleurs 
selon  notre  bon  plaisir,  outre  lesquels  en  sera  érigé  deux  de  ladite  religion 
et  pourvus  gratuitement,  et  seront  tous  lesdits  huissiers  réglés  par  ladite 
chambre,  tant  en  l'exercice  de  leur  charge  qu'ès-éraoluments  qu'ils  devront 
prendre.  Sera  aussi  expédié  commission  d'un  payeur  de  gages  et  receveur  des 
amendes  de  ladite  chambre,  pour  en  être  pourvu  tel  qu'il  nous  plaira,  si  ladite 
chambre  est  établie  ailleurs  que  dans  ladite  ville.  Et  la  commission  ci-devant 
apportée  au  payeur  de  gages  de  la  chambre  de  Castres  sortira  son  plein  et 
entier  elFet  et  sera  jointe  à  ladite  charge  la  commission  de  la  recette  des  amendes 
de  ladite  chambre. 

Art.  XLI.  —  Sera  pourvu  de  bonnes  et  suffisantes  assignations  pour  les 
gages  officiers  des  chambres  ordonnées  par  cet  édit. 

Art.  XLIL  —  Les  présidents,  conseillers  et  autres  officiers  catholiques 
desdites  chambres  seront  continués,  le  plus  longuement  que  faire  se  pourra  et 
comme  nous  verrons  être  à  faire,  pour  notre  service  et  le  bien  de  nos  .sujets. 
Et  en  licenciant  les  uns,  sera  pourvu  d'autres  en  leur  place,  avant  leur  parte- 
ment,  sans  qu'ils  puissent,  durant  le  temps  de  leur  service,  se  départir  ni 
absenter  desdites  chambres,  sans  le  congé  d'icelles  qui  sera  jugé  sur  les  causes 
de  l'ordonnance. 

Art.  XLIII.  —  Seront  lesdites  chambres  établies  dedans  six  mois,  pen- 
dant lesquels  (si  tant  l'établissement  demeure  à  être  fait)  les  procès  mus  et  à 
mouvoir  où  ceux  de  ladite  religion  seront  parties,  des  ressorts  de  nos  parle- 
ments de  Paris,  Rouen,  Dijon  etPiennes,  seront  évoqués  en  la  chambre  pré- 
sentement établie  à  Paris,  en  vertu  de  l'éditde  1577,  ou  bien  au  grand  conseil 
au  choix  et  option  de  ladite  religion,  s'ils  le  requièrent  ;  ceux  qui  seront  du 
parlement  de  Bordeaux,  en  la  chambre  établie  à  Castres,  ou  au  dit  grand 
conseil  à  leur  choix  ;  et  ceux  qui  seront  de  Provence,  au  parlement  de 
Grenoble.  Et  si  lesdites  chambres  ne  sont  établies  dans  trois  mois,  après  la 
présentation  qui  y  aura  été  faite  de  notre  présent  édit,  celui  de  nos  parlements 
qui  en  aura  fait  refus  sera  interdit  de  juger  des  causes  de  ceux  de  ladite 
religion. 

Art.  XLIV.  —  Les  procès  non  encore  jugés  pendants  es  dites  cour  de 
parlement  et  grand  conseil,  de  la  qualité  susdite,  seront  renvoyés,  en  quelque 
état  qu'ils  soient,  es  dites  chambres  chacun  en  son  ressort,  si  l'une  des  parties 
de  ladite  religion  le  requière,  dans  quatre  mois  après  l'établissement  d'icelles 
et  quant  à  ceux  qui  seront  discontinués,  et  ne  sont  en  état  d'être  jugés  lesdits 
de  la  religion  seront  tenus  d'en  faire  déclaration,  à  la  première  déclaration  et 
intimation  qui  leur  sera  faite  de  la  poursuite,  et  ledit  temps  passé  ne  seront 
plus  reçus  à  requérir  lesdits  renvois. 

Art.  XLV.  —  Lesdites  chambres  de  Grenoble  et  de  Bordeaux,  comme 
aussi  celle  de  Castres,  garderont  les  formes  et  styles  des  parlements  au  ressort 
desquels  elles  sont  établies  et  jugeront  en  nombre  égal  d'une  et  d'autre  reli- 
gion, si  les  parties  ne  consentent  au  contraire. 

Art.  XLVL  —  Tous  les  juges  auxquels  l'adresse  sera  faite  de  l'exécution 
des  arrêts,  commissions  desdites  chambres  et  lettres  obtenues  ès-chancellt-rie 
d'icelle,  ensemble  tous  huissiers  et  sergents,  seront  tenus  de  les  mettre  à  exé- 
cution et  lesdits  huissiers  et  sergents  faire  tous  exploits,  par  tout  notre 
royaume,  sans  demander  placet,  visa  ne  pareatis,  à  peine  de  suspension  de 
leur  état,  et  des  dépens,  dommages  et  intérêts  des  parties,  dont  la  connais- 
sance appartiendra  auxdites  parties. 

Art.  XLVn.  —  Ne  seront  accordées  aucunes  évocations  des  causes  dont 
la  connaissance  est  attribuée  auxdites  chambres,  sinon  ès-cas  des  ordonnances 
dont  le  renvoi  sera  fait  à  la  plus  prochaine  chambre,  établi  suivant  notre  édit  ■ 

I  •  39 


610  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

et  les  partages  du  procès  desdites  chambres  seront  jugés  en  la  plus  prochaine, 
observant  la  proportion  et  forme  desdites  chambres,  dont  les  procès  seront 
procédés  :  excepté  pour  la  chambre  de  l'édit,  à  notre  parlement  de  Paris,  où 
les  procès  partis  seront  départis  en  la  même  chambre  par  les  juges  qui  seront 
par  nous  nommés  par  nos  lettres  particulières  pour  cet  effet,  si  mieux  les 
parties  n'aiment  attendre  le  renouvellement  de  ladite  chambre,  et  avenant 
qu'un  même  procès  soit  parti  en  toutes  chambres  mi-parties,  le  partage  sera 
renvoyé  à  ladite  chambre  de  Paris. 

Art.  XLVIII.  —  Les  récusations  qui  seront  proposées  contre  les  prési- 
dents et  conseillers  des  chambres  mi- parties  pourront  être  jugées  au  nombre 
de  six,  auquel  nombre  les  partis  seront  tenus  de  se  restreindre,  autrement 
sera  passé  outre  sans  avoir  égard  auxdites  récusations. 

Art.  XLIX.  —  L'examen  des  présidents  et  conseillers  auxdites  chambres 
mi-parties  sera  fait  par  notre  conseil  ou  par  lesdites  chambres,  chacun  en  son 
détroit,  quand  elles  seront  en  nombre  suffisant  ;  et  néanmoins  le  serment 
accoutumé  sera  par  eux  prêté  ès-cours  où  lesdites  chambres  seront  établies, 
et  à  leur  refus,  en  notre  conseil  privé,  excepté  ceux  de  la  chambre  de  Lan- 
guedoc, lesquels  prêteront  leur  serment  ès-mains  de  notre  chancelier,  ou  en 
icelle  chambre. 

Art.  L.  —  Voulons  et  ordonnons  que  la^  réception  de  nos  officiers  de 
ladite  religion  soit  jugée  par  lesdites  chambres  mi-parties  à  la  pluralité  des 
voix,  comme  est  accoutumé  aux  autres  jugements,  sans  qu'il  soit  besoin  que 
les  voix  surpassent  des  deux  tiers  suivant  l'ordonnance  à  laquelle,  pour  ce  re- 
gard, il  est  dérogé. 

Art.  LL  —  Seront  faites  auxdites  chambres  mi-parties  les  propositions, 
délibérations  et  résolutions  qui  appartiendront  au  repos  public  et  pour  l'état 
particulier  et  police  des  villes  où  icelles  chambres  seront. 

Art.  LH.  —  L'article  de  juridiction  desdites  chambres  ordonnées  par  le 
présent  édit  sera  suivi  et  observé,  selon  sa  forme  et  teneur,  même  en  ce  qui 
concerne  l'exécution  ou  infraction  de  nos  édits,  quand  ceux  de  ladite  religion 
seront  partie. 

Art.  LIIL  —  Les  officiers  subalternes,  royaux  ou  autres,  dont  la  récep- 
tion appartient  à  nos  cours  de  parlement,  s'ils  sont  de  ladite  religion,  pourront 
être  examinés  et  reçus  es  dites  chambres,  à  savoir  ceux  des  ressorts  des  par- 
lements de  Paris,  Normandie  et  Bretagne,  en  ladite  chambre  de  Paris  ;  ceux 
de  Dauphiné  et  Provence,  en  la  chambre  de  Grenoble  ;  ceux  de  Bourgogne,  en 
la  chambre  de  Paris  ou  de  Dauphiné  à  leur  choix;  ceux  du  ressort  de  Tou- 
louse, en  la  chambre  de  Castres,  et  ceux  du  parlement  de  Bordeaux,  en  la 
chambre  de  Guyenne,  sans  qu'autres  puissent  s'opposer  à  leur  réception,  et  se 
rendre  parties,  que  nos  procureurs  généraux  et  leurs  substituts,  et  les  pourvus 
auxdits  offices.  Et  néanmoins,  le  serment  accoutumé  sera  par  eux  prêté  ès- 
cours  des  parlements,  lesquels  ne  pourront  prendre  connaissance  de  leur 
réception,  et  au  refus  des  parlements,  lesdits  officiers  prêteront  serment  es 
dites  chambres,  après  lequel  ainsi  prêté,  seront  tenus  de  présenter  par  un 
huissier  ou  notaire  l'acte  de  leur  réception  aux  greffiers  desdites  cours  et  en 
laisser  copie  auxdits  greffiers,  auxquels  il  est  enjoint  d'enregistrer  lesdits  actes 
à  peine  de  tous  dépens,  dommages  et  intérêts  des  parties.  Et  où  lesdits  greffiers 
seront  refusants  de  ce  faire,  suffira  auxdits  officiers  de  rapporter  l'acte  de  ladite 
sommation,  expédiée  par  lesdits  huissiers  et  notaires,  et  icelle  faire  enregistrer 
au  greffe  de  leur  juridiction,  pour  y  avoir  recours  quand  besoin  sera,  à  peine 
de  nullité  de  leur  procédure  et  jugement  ;  et  quant  aux  officiers  dont  la  récep- 
tion n'a  accoutumé  d'être  faite  en  nos  dits  parlements,  en  cas  que  ceux  à  qui 
elle  appartient  fassent  refus  de  procéder  à  ladite  réception,  se  retireront  lesdits 
officiers  par  devers  lesdites  chambres  pour  leur  être  pourvu,  comme  il  appar- 
tiendra. 


DU  l'ROTESTANTISME  EN  FRANGE.  (jM 

Art.  LIV.  —  Les  officiers  de  ladite  relijj^ion  qui  seront  pourvus  ci-après 
pour  servir  dans  les  cours  de  nos  parlements,  grand  conseil,  chambre  des 
comptes;  cours  des  aydes,  bureaux  des  trésoriers  de  France  et  autres  officiers 
de  finances,  seront  examinés  et  reçus  ès-lieux  où  ils  ont  accoutumé  de  l'être; 
et  en  cas  de  refus  ou  déni  de  justice,  leur  sera  pourvu  en  notre  conseil 
privé. 

Art.  LV.  —  Les  réceptions  de  nos  officiers  ci-devant  faites  en  la  chambre 
établie  à  Castres  demeureront  valables,  nonobstant  tous  arrêts  et  ordonnances 
à  ce  contraires.  Seront  aussi  valables  les  réceptions  des  juges,  conseillers  élus 
et  autres  officiers  de  ladite  religion  faites  en  notre  privé  conseil  ou  par  com- 
missaires par  nous  ordonnés  pour  le  refus  de  nos  cours  de  parlement.*:  des 
aydes  et  chambres  des|  comptes,  tout  ainsi  que  si  elles  avaient  été  faites'  par 
lesdites  cours  et  par  les  autres  juges  à  qui  la  réception  appartient;  et  seront 
leurs  gages  alloués  par  les  chambres  des  comptes  sans  difficulté.  Et  si  aucuns 
ont  été  rayés,  seront  rétablis  sans  qu'il  soit  besoin  d'avoir  aucune  jussion  que 
le  présent  édit,  et  sans  que  lesdits  officiers  soient  tenus  de  faire  apparoir 
d'autre  réception  nonobstant  tous  arrêts  à  ce  contraires,  lesquels  demeureront 
nuls  et  de  nul  efîet. 

Art.  LVL  —  En  attendant  qu'il  y  ait  moyen  de  subvenir  aux  frais  de 
justice  desdites  chambres,  sur  les  deniers  des  amendes  sera  par  nous  pourvu 
d'assignations  valables  et  suffisantes  pour  fournir  auxdits  frais,  sauf  d'en  répéter 
les  deniers  sur  les  biens  des  condamnés. 

Art.  LVIL  —  Les  présidents  et  conseillers  de  ladite  religion  ci-devant 
reçus  en  notre  cour  du  parlement  de  Dauphiné  et  en  la  chambre  de  l'édit 
enregistré  en  icelle,  continueront  et  auront  leurs  séances  et  ordre  d'icelle  les 
présidents  comme  ils  en  ont  joui,  et  les  conseillers  suivant  les  provisions  qu'ils 
ont  obtenu. 

Art.  LVin.  —  Déclarons  toutes  sentences,  jugements,  arrêts,  procédures 
saisie,  vente,  décrets,  donnés  contre  ceux  de  ladite  religion,  tant  vivants  que 
morts,  depuis  le  trépas  du  feu  roi  Henri  II,  à  l'occasion  de  ladite  religion  tu- 
multes et  troubles  depuis  advenus,  ensemble  l'exécution  d'iceux  jugements  et 
décrets  dès  à  présent  cassés,  révoqués  et  annullés,  et  iceux  cassons  révo- 
quons et  annulions,  ordonnons  qu'ils  soient  rayés  et  étés  des  registres  des 
greffes  des  cours  tant  souveraines  qu'inférieures.  Gomme  nous  voulons  aussi 
être  ôtée  et  elïacée  toute  marque  et  vestige  et  monuments  desdites  exécutions 
livres  diffamatoires  et  libelles  contre  leur  personne,  n»émoire  et  postérité  et 
que  les  places  es  quelles  ont  été  faites  pour  cette  occasion  démolitions  ou  rase- 
ments  seront  rendus  en  tel  état  qu'elles  soient  aux  propriétaires  d'icelles,  pour 
en  jouir  et  disposer  à  leur  volonté,  et  généralement  avons  cassé  et  annullé  toutes 
procédures  et  informations  faites  pour  entreprises  quelconques,  prétendus 
crimes  de  lèse-majesté  et  autres.  Nonobstant  lesquels  procéduies,  arrêts  et 
jugements  contenant  réunion,  incorporation  et  confiscation,  voulons  que  ceux 
de  ladite  religion  et  autres  qui  ont  suivi  leur  parti  et  leurs  héritiers  rentrent 
en  la  possession  réelle  et  actuelle  de  tous  et  chacun  leurs  biens. 

Art.  LIX.  —  Toutes  procédun^s  faites,  jugements  et  arrêts  donnés  du- 
rant les  troubles  contre  ceux  de  ladite  religion  qui  ont  porté  les  armes,  ou  se 
sont  retirés  hors  de  notre  royaume,  ou  dedans  icelui  des  villes  et  pays  par  eux 
tenus,  en  quelque  autre  matière  que  de  la  religion  et  troubles,  ensemble  toute 
péremption  d'instance,  prescriptions  tant  légales  que  conventionnelles  ou  cou- 
tumières  et  saisies  féodales  échues  pendant  lesdits  troubles,  ou  par  empèclie- 
ment  légitime  provenant  d'eux,  et  dont  la  connaissance  demeurera  à  nos  juges 
seront  estimées  comme  non  faites  et  non  advenues.  Et  telles  les  avons  décla- 
rées et  déclarons,  et  icelles  mettons  à  néant,  sans  que  les  parties  s'en  puissent 
aucunement  aider  ;  ains  seront  remises  en  l'état  qu'elles  étaient  auparavant 


612  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

nonobstant  lesdits  arrêts  et  l'exécution  d'iceux  et  leur  sera  rendue  la  posses- 
sion dans  laquelle  ils  étaient  à  cet  égard.  Ce  que  dessus  aura  pareillement 
lieu  à  l'égard  des  autres  qui  ont  suivi  le  parti  de  ladite  religion,  ou  qui  ont  été 
absents  de  notre  royaume  pour  le  fait  des  troubles,  et  pour  les  enfants  mineurs 
de  la  qualité  susdite  qui  sont  morts  pendant  les  troubles,  remettons  les  parties 
au  même  état  qu'elles  étaient  auparavant,  sans  refondre  les  dépens,  ni  être 
tenues  de  consigner  les  amendes  :  n'entendant  toutefois  que  les  jugements 
donnés  par  les  juges  présidiaux  ou  autres  juges  inférieurs  contre  ceux  de  ladite 
religion,  ou  qui  ont  suivi  leur  parti,  demeurent  nuls,  s'ils  ont  été  donnés  par 
juges  séants  ès-villes  par  eux  tenues,  et  qui  leur  étaient  de  libre  accès. 

Art.  LX.  —  Les  arrêts  donnés  en  nos  cours  de  parlement  ès-matières 
dont  la  connaissance  appartient  aux  chambres  ordonnées  par  l'édit  de  1577  et 
articles  de  Nérac  et  Fleix,  ès-quelles  cours  les  parties  n'ont  procédé  volontai- 
rement, c'est-à-dire  ont  proposé  et  allégué  des  déclinatoires  ou  qui  ont  été 
donnés  par  défaut  et  forclusion,  tant  en  matière  civile  que  criminelle,  nonobs- 
tant lesquelles  fins,  les  parties  ont  été  obligées  de  passer  outre,  seront  pareille- 
ment nuls  et  de  nulle  valeur  et  pour  le  regard  des  arrêts  donnés  contre  ceux 
de  ladite  religion  qui  ont  procédé  volontairement,  et  sans  proposer  fins  décli- 
natoires, iceux  demeureront  et  néanmoins  sans  préjudice  de  l'exécution  d'iceux, 
se  pourront,  si  bon  leur  semble,  pourvoir  par  requête  civile  devant  les 
chambres  ordonnées  par  le  présent  édit,  sans  que  le  temps  porté  par  les  ordon- 
nances ait  couru  à  leur  préjudice  :  et  jusqu'à  ce  que  lesdites  chambres  et  chan- 
celleries d'icelles  soient  rétablies,  les  appellations  verbales  et  par  écrit  inler- 
jettées  par  ceux  de  ladite  religion  devant  les  juges,  greffiers  et  commis, 
exécuteurs  des  arrêts  et  jugements  auront  pareil  effet  que  si  elles  étaient 
relevées  par  lettres  royaux. 

Art.  LXI.  —  En  toutes  enquêtes  qui  se  feront  pour  cause  que  ce  soit, 
es  matières  civiles,  si  l'enquêteur  ou  commissaire  est  catholique,  seront  les 
parties  tenues  de  convenir  d'un  adjoint,  et  où  ils  ne  conviendraient,  en  sera 
pris  d'office  par  ledit  enquêteur  ou  commissaire  un  qui  sera  de  ladite  religion, 
et  sera  de  même  pratiqué  quand  l'enquêteur  sera  de  ladite  religion,  pour  l'ad- 
joint qui  sera  catholique. 

Art.  LXII.  —  Voulons  et  ordonnons  que  nos  juges  puissent  connaître  de 
la  validité  des  testaments  auxquels  ceux  de  ladite  religion  auront  intérêt,  s'ils 
le  requièrent  :  et  les  appellations  desdits  jugements  pourront  être  relevées  par 
ceux  de  ladite  religion,  nonobstant  coutume  à  ce  contraire,  même  celle  de  la 
Bretagne. 

Art.  LXIII.  —  Pour  obvier  à  tous  différends  qui  pourraient  survenir  entre 
nos  parlements  et  les  chambres  d'icelles  cours  ordonnées  par  notre  présent  édit, 
sera  par  nous  fait  un  bon  et  ample  règlement  entre  lesdites  cours  et  chambre, 
tel  que  ceux  de  ladite  religion  jouiront  entièrement  dudit  édit,  lequel  sera  vé- 
rifié en  nos  cours  de  parlements  et  garde  et  observé,  sans  avoir  égard  aux 
.précédents. 

Art.  LXIV.  —  Inhibons  et  défendons  à  toutes  nos  cours  souveraines  et 
autres  de  ce  royaume  de  connaître  et  juger  les  procès  civils  et  criminels  de 
ceux  de  ladite  religion  dont  par  notre  édit  est  attribuée  la  connaissance  auxdites 
chambres,  pourvu  que  le  renvoi  en  soit  demandé,  comme  est  dit  article  XL  du 
présent  édit. 

Art.  LXV.  —  Voulons  aussi,  par  manière  de  provision  et  jusqu'à  ce  qu'en 
ayons  autrement  ordonné,  qu'en  tous  procès  mus  et  à  mouvoir  où  ceux  de 
ladite  religion  seront  en  qualité  de  demandeurs  ou  défendeurs,  parties  princi- 
pales ou  garants  en  matières  civiles,  es  quelles  nos  officiers  ès-sièges  prési- 
diaux ont  pouvoir  de  juger  en  dernier  ressort,  leur  soit  permis  de  requérir 
que  deux  de  la  chambre  où  les  procès  se  devront  juger  s'abstiennent  du  juge- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  013 

ment  d'iceux,  lesquels,  sans  expression  de  cause,  seront  tenus  de  s'en  abstenir 
nonobstant  l'ordonnance  par  laquelle  les  juges  sont  tenus  de  ne  s'abstenir 
sans  cause,  leur  demeurant,  outre  ce,  les  récusations  de  droit  contre  les  autres. 
Et  en  matière  criminelle  es  quelles  lesdits  présidiaux  et  autres  juges  royaux 
subalternes  jugent  en  dernier  ressort  pourront  les  prévenus  de  ladite  reli.',Mon 
requérir  que  trois  desdils  juges  s'abstiennent  du  jugement  de  leur  procès,  sans 
expression  de  cause.  Et  les  prévôts  des  maréchaux  de  France,  vi-baillifs,  vi- 
sénéchaux,  lieutenants  de  robe  courte  et  autres  ofllciers  de  semblable  qualité 
jugeront  suivant  les  ordonnances  et  règlements  ci-devant  donnés,  pour  le 
regard  des  vagabonds  ;  et  quant  aux  domiciliés  chargés  et  prévenus  de  crimes 
prévôtaux,  s'ils  sont  de  ladite  religion,  pourront  requéiir  que  trois  des  juges 
qui  en  peuvent  connaître  s'abstiennent  du  jugement  et  seront  tenus  s'en 
abstenir,  sans  exception  de  cause,  sauf,  si  en  la  compagnie  où  le-dits  procès  se 
jugeront  se  trouvaient  jusqu'au  nombre  de  deux  en  matière  civile'et  de  trois 
en  matière  criminelle  de  ladite  religion,  auquel  cas  no  sera  permis  de  récuser 
sans  expression  de  cause,  ce  qui  sera  commun  et  réciproque  aux  catholiques, 
en  les  mêmes  formes  que  dessus  pour  le  regard  des  lécusations  de  juges  où 
ceux  de  ladite  religion  seront  en  plus  grand  nombre.  N'entendons  toutefois 
que  lesdits  sièges  qui  jugent  en  dernier  ressort  prennent  connaissance  des 
troubles  passés.  Et  quant  aux  crimes  et  excès  advenus,  par  autre  occasion  que 
du  fait  des  troubles  depuis  le  commencement  do  mais  1585  jusqu'à  la  fin  de 
l'année  1597,  en  cas  qu'ils  en  prennent  connaissance,  voulons  qu'il  y  puisse 
avoir  appel  par  devant  les  chambres  ordonnées  par  lo  présent  édit,  comme  il 
se  pratiquera  en  semblable  pour  les  catholiques  complices  et  où  ceux  de  la  reli- 
gion prétendue  réformée  seront  parties. 

Art.  LXVI.  —  Ordonnons  aussi  que  dans  toute  instruction,  autre  qu'in- 
formation des  procès  criminels  et  sénéchaussées  de  Toulouse,  Carcassonne, 
Rouergue,  Montpellier  et  Nîmes,  le  magistrat  ou  commissaire  député  pour 
ladite  instruction,  s'il  est  catholique,  sera  tenu  de  piendre  un  adjoint  qui  soit 
de  ladite  religion  dont  les  parties  conviendront  et  ils  n'en  pourraient  convenir 
qui  sera  pris  d'office  par  ledit  magistrat,  et  si  lui-même  est  de  ladite  reli- 
gion, l'adjoint  sera  catholique. 

Art.  LXVII.  —  Quand  il  sera  question  de  faire  procès  criminel  par  les 
prévôts  des  maréchaux  ou  leurs  lieutenants  à  quelqu'un  de  ladite  religion 
domicilié  qui  soit  accusé  d'un  crime  prévôtal,  lesdils  prévôts  ou  lieutenants, 
s'ils  sont  catholiques,  seront  tenus  d'appeler  à  l'instruction  desdits  procès  un 
adjoint  de  ladite  religion,  lequel  adjoint  assistera  aussi  au  jugement  de  la 
compétence  et  au  jugement  définitif  dudit  procès,  laquelle  compétence  ne 
pourra  être  jugée  qu'au  prochain  siège  présidial,  en  assemblée  avec  les  princi- 
paux officiers  dudit  siège  qui  seront  trouvés  sur  les  lieux,  à  peine  de  nullité, 
sinon  que  les  parties  requissent  que  la  compétence  lût  jugée  es  dites  chambres 
ordonnées  par  le  présent  édit,  auquel  cas  pour  le  regard  des  domiciliés  è.«- 
provinces  de  Guyenne,  Languedoc,  Provence  et  Dauphiné,  les  substituts  de 
nos  procureurs  es  dites  chambres  feront  à  la  requête  d'iceux  domiciliés  appor- 
ter en  icelles  les  charges  et  informations  faites  contre  iceux,  pour  connaître  et 
juger  si  les  causes  sont  prévôtales  ou  non  ;  pour  après,  selon  la  qualité  des 
crimes,  être  par  icelles  chambres  envoyés  à  l'ordinaire  ou  jugés  prévôtalement, 
ainsi  qu'ils  verront  être  à  faire  par  raison  en  observant  le  contenu  de  notre 
présent  édit,  et  seront  tenus  les  juges  présidiaux,  prévosts  des  maréchaux  et 
autres  qui  jugent  en  dernier  ressort  de  respectivement  satisfaire  aux  comman- 
dements qui  leur  seront  faits  par  lesdites  chainbres,  tout  ainsi  qu'ils  ont 
accoutumé  faire  auxdits  parlements  à  peine  de  privation  de  leur  état. 

Art.  LXVIII.  —  Les  criées,  affiches  et  subhatations  des  héritages  dont  on 
poursuivra  le  décret  seront  faites  ès-lieux  et  heures  accoutumées  si  faire  se 
peut,  suivant  nos  ordoimnances,  ou  bien  au  marché  public,  s'il  en  est  au  lieu 


6i4  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

où  sont  lesdits  héritages  ;  s'il  n'y  en  a  point,  soient  faites  au  plus  prochain 
marché  du  ressort  du  siège  où  l'adjudication  doit  se  faire,  et  seront  les  affiches 
mises  au  poteau  dudit  marché  et  par  ce  moyen  seront  bonnes  et  valables  lesdites 
criées  et  passé  outre  à  l'interposition  du  décret  sans  s'arrêter  aux  nullités  qui 
pourraient  être  alléguées  à  cet  égard. 

Art.  LXIX.  —  Tous  titres,  papiers,  enseignements  et  documents  qui  ont 
été  pris  seront  restitués  de  part  et  d'autre  à  ceux  à  qui  ils  appartiennent,  en- 
core que  lesdits  papiers  et  les  châteaux  es  quels  ils  étaient  gardés  ayent  été 
pris  et  saisis,  soit  par  commissions  spéciales  du  feu  roi,  du  nôtre  ou  par  les 
mandements  des  gouverneurs  et  lieutenants  généraux  de  nos  provinces,  ou 
sous  quelque  autre  prétexte  que  ce  soit. 

Art.  LXX.  —  Les  enfants  de  ceux  qui  sont  retirés  hors  de  notre  royaume, 
depuis  la  mort  du  feu  roi  Henri  II,  pour  cause  de  la  religion  et  troubles,  en- 
core que  lesdits  enfants  soient  nés  hors  du  royaume,  seront  tenus  pour  vrais 
français  et  régnicoles,  et  tels  les  avons  déclarés  et  déclarons  sans  qu'il  leur 
soit  besoin  de  prendre  lettres  de  naturalisation,  ou  autres  provisions  de  nous 
que  le  présent  édit  ;  nonobstant  toutes  ordonnances  à  ce  contraires,  à  la  charge 
que  lesdits  enfants  seront  tenus  dans  dix  ans,  après  la  publication  du  présent 
édit,  venir  demeurer  en  ce  royaume. 

Art.  LXXI.  —  Ceux  de  ladite  religion  et  autres  qui  ont  suivi  leur  parti, 
lesquels  auront  pris  à  ferme,  avant  les  troubles,  aucuns  greffes,  gabelles,  im- 
position foraine  et  autres  droits  à  nous  appartenant  dont  ils  n'ont  pu  jouir  à 
cause  d'iceux  troubles,  demeureront  déchargés  de  ce  qu'ils  n'ont  reçu  desdites 
finances,  ou  qu'ils  auront  sans  fraude  payé  ailleurs  qu'ès-recettes  de  nos 
finances,  nonobstant  toute  obligation  sur  ce  par  eux  passée. 

Art.  LXXII.  —  Toutes  places,  villes  et  provinces  de  notre  royaume  et 
autres  lieux  de  notre  obéissance  useront  et  jouiront  des  mêmes  privilèges, 
immunités,  libertés,  franchises,  foires,  marchés,  juridictions  et  sièges  de  jus- 
tice qu'elles  faisaient  au  commencement  des  troubles,  en  mars  1585,  et  précé- 
demment, nonobstant  toutes  lettres  à  ce  contraires,  et  les  translations  desdits 
sièges,  à  l'occasion  des  troubles,  lesquels  seront  rétablis  aux  lieux  où  ils 
étaient. 

Art.  LXXIII.  —  S'il  y  a  quelques  prisonniers  qui  soient  encore  tenus 
parautorité  de  justice  ou  autrement,  même  ès-galères,  à  l'occasion  des  troubles, 
seront  élargis  et  mis  en  pleine  liberté. 

Art.  LXXIV.  —  Ceux  de  ladite  religion  ne  pourront,  ci-après,  être  sur- 
chargés et  foulés  d'aucune  charge  ordinaire  ou  extraordinaire  plus  que  les 
catholiques  et  selon  la  proportion  de  leurs  biens  et  facultés  et  pourront,  le  cas 
advenant,  se  pourvoir  devant  les  juges  auxquels  la  connaissance  en  appartient, 
et  seront  tous  nos  sujets,  tant  catholiques  que  de  ladite  religion,  déchargés  de 
toutes  charges  qui  ont  été  imposées  de  part  et  d'autre  durant  les  troubles,  sur 
ceux  qui  étaient  de  contraire  parti  et  non  consentants  :  ensemble  des  dettes 
créées  et  non  payées  frais  faits  sans  le  consentement  d'iceux,  sans  toutefois 
pouvoir  répter  les  fruits  qui  ont  été  employés  au  payement  desdites  charges. 

Art.  LXXV.  —  N'entendons  que  ceux  de  ladite  religion  et  autres  qui  ont 
suivi  leur  parti,  ni  les  catholiques  qui  étaient  demeurés  ès-villes  par  eux 
occupées  et  qui  leur  ont  contribué,  soient  poursuivis  pour  le  payement  des 
tailles,  aides,  octrois  et  autres  impositions  et  subsides  échus  et  imposés  durant 
les  troubles,  devant  et  jusqu'à  notre  avènement  à  la  couronne,  soit  par  lesdits 
rois  nos  prédécesseurs,  ou  par  les  gouverneurs  et  états  des  provinces,  cours  et 
parlements  dont  nous  les  avons  déchargés  et  déchargeons  par  ces  présentes, 
défendant  à  tous  receveurs  généraux  et  intendants  de  les  rechercher  directement 
et  indirectement  en  quelque  sorte  que  ce  soit. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  G15 

Art.  LXXVI.  —  Demeureront  tous  chefs,  chevaliers,  seigneurs  et  gen- 
tilshommes, officiers,  corps  de  ville  et  communautés  et  tous  les  autres  qui  les 
ont  aidés  et  secourus,  leurs  veuves,  hoirs  et  successeurs,  quittes  et  déchargés 
de  tous  deniers  qui  ont  été  par  eux  ou  leurs  ordres  pris  et  levés  tant  des 
deniers  royaux  à  quelque  somme  qu'ils  se  puissent  monter,  que  des  villes  et 
communautés  et  particuliers,  des  rentes,  revenus,  argenterie,  ventes  de  hiens 
meubles,  ecclésiastiques  et  autres,  hois  de  haute  futaie,  soit  du  domaine  ou 
autres,  amendes,  hutin,  revenus  ou  autre  nature  de  deniers  pris,  à  l'occasion 
des  troubles,  depuis  1585  jusqu'à  notre  avènement  à  la  couronne,  sans  que 
ceux  qui  ont  été  commis  par  eux  à  la  levée  d^s  sommes  ou  qui  les  ont  livrées 
en  pussent  être  aucunement  recherchés,  et  demeureront  quittes  à  présent  et 
pour  toujours  de  l'administration  desdits  deniers,  en  rapportant  pour  décharge, 
dans  quatre  mois  après  la  publication  du  présent  édit,  acquit  dûment  expédié 
des  chefs  de  ceux  de  ladite  religion  ou  de  ceux  commis  par  eux  à  la  reddition 
des  comptes,  ou  des  communautés  des  villes  qui  ont  eu  autorité  pendant 
lesdits  troubles.  Demeureront  pareillement  quittes  et  déchargés  de  tous  actes 
d'hostilités,  levée  et  conduite  de  gens  de  guerre,  fabrication  et  évaluation  de 
monnaie,  fonte  et  prise  d'artillerie  et  munitions,  confections  de  poudre  et  sal- 
pêtre, prises,  fortifications,  démantellement  et  rasement  de  villes,  châteaux, 
bourgs  et  bourgades,  entreprises  sur  icclles,  démolitions  d'églises  et  maisons 
et  établissements  de  justice,  soit  en  nature  civile  ou  criminelle,  police  et 
règlements  faits  entre  eux,  voyages  et  intelligences,  négociations,  traités  et 
contrats  avec  princes  et  commerçants  étrangers,  introduction  desdits  étrangers 
ès-villes  et  lieux  de  notre  royaume  et  généralement  de  tout  ce  qui  a  été  fait, 
géré  et  négocié  durant  lesdits  troubles,  depuis  la  mort  du  feu  roi  Henri  II  par 
ceux  de  ladite  religion  et  autre  qui  ont  suivi  leur  parti. 

Art.  LXXVII.  —  Demeureront  aussi  déchargés  ceux  de  ladite  religion  de 
toutes  assemblées  par  eux  faites  et  tenues,  tant  à  Mantes  que  depuis  ailleurs 
jusqu'à  présent,  ensemble  des  conseils  par  eux  ordonnés  et  établis  dans  les 
provinces,  délibérations  et  ordonnances  et  règlements  faits  auxdites  assemblées 
et  conseils,  établissements  et  augmentations  de  garnison,  assemblée  de  gens 
de  guerre,  levée  et  prise  de  nos  deniers  soit  entre  les  mains  de  nos  receveurs 
généraux  et  particuliers,  collecteurs  des  paroisses  en  quelque  façon  que  ce 
soit,  arrêts  de  sel,  continuation  ou  érection  nouvelle  de  traités  et  péages  et 
recette  d'iceux,  armements  et  combats  par  mer  et  tous  accidents  advenus  pour 
faire  payer  lesdites  traites,  péages  et  autres  deniers,  fortifications  de  villes, 
châteaux  et  places,  impositions  et  corvées,  destitution  de  nos  receveurs,  fer- 
miers et  autres  officiers,  établissement  d'autres  en  leur  place,  et  de  toutes 
unions,  dépêches  et  négociations  faites  tant  dedans  que  dehors  le  royaume,  et 
généralement  de  tout  ce  qui  a  été  fait,  délibéré  et  ordonné  par  lesdites  assom- 
blées  et  conseils,  sans  que  ceux  qui  ont  donné  leur  avis,  signé,  exécuté,  f.iit 
signer  et  exécuter  lesdites  ordonnances,  en  puissent  être  recherchés,  ni  leurs 
veuves  et  héritiers,  ores  ni  avenir,  encore  que  les  particularités  n'en  soient  ici 
consignées,  et  sur  le  tout  sera  imposé  silence  perpétuel  à  nos  procureurs 
généraux  et  à  tous  ceux  qui  pourraient  y  prétendre  intérêt  en  quelque  fa<;on 
et  manière  que  ce  soit,  nonobstant  arrêts,  jugements  et  procédures  faites  au 
contraire. 

Art.  LXXVIII.  —  Approuvons  et  validons  en  outre  les  comptes  qui  ont 
été  vus  et  examinés  par  les  députés  de  l'assemblée  de  ladite  religion  ;  voulons 
qu'iceux  et  les  acquits  et  pièces  rendues  par  les  comptables  soient  portées  en 
notre  chambre  des  comptes  à  Paris  trois  mois  après  la  publication  du  présent 
édit,  et  mises  ès-mains  de  notre  procureur  général,  pour  être  délivrées  an 
garde  des  livres  et  registres  de  notre  chambre  pour  y  avoir  recours  toutes  fois 
que  besoin  sera  sans  que  lesdits  comptes  puissent  être  revus  ni  les  comptables 
tenus  à  aucune  comparution  ni  correction,  sinon  en  cas  d'omission  de  recette 


616  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

et  faux  acquit  imposant  silence  à  notre  procureur  général  pour  le  surplus  que 
l'on  voudrait  dire  être  défectueux,  défendant  aux  gens  de  nos  comptes  de  Paris 
et  des  provinces  d'en  prendre  connaissance  aucune. 

Art.  LXXIX.  —  Quant  aux  comptes  qui  n'auront  encore  été  rendus, 
voulons  iceux  être  clos  et  examinés  par  les  commissaires  à  ce  par  nous  députés, 
lesquels  sans  difficulté  alloueront  toutes  les  parties  payées  par  les  comptables, 
en  vertu  des  ordonnances  d'iceux  de  la  religion  ayant  pouvoir. 

Art.  LXXX.  —  Demeureront  tous,  collecteurs  fermiers  et  tous  autres, 
bien  et  dûment  déchargés  de  toutes  sommes  payées  auxdits  commis,  jusqu'au 
dernier  jour  de  ce  mois;  voulons  le  tout  être  alloué  et  passé  aux  comptes  de 
notre  chambre  des  comptes  purement  et  simplement  en  vertu  des  quittances 
apportées,  et  si  aucunes  étaient  ci-après  expédiées  ou  délivrées,  elles  demeu- 
reront nulles  et  ceux  qui  les  excepteront  ou  délivreront  seront  condamnés  à 
l'amende  de  faux  emploi,  et  où  il  y  aurait  quelques  comptes  déjà  rendus,  sur 
lesquels  seraient  aucunes  radiations  ou  charges,  avons  icelles  ôtées  et  levées  et 
rétablissons  lesdites  parties  entièrement,  en  vertu  des  présentes,  sans  qu'il  soit 
besoin  pour  tout  ce  que  dessus  de  lettres  particulières  ni  autre  chose  que 
l'extrait  du  présent  article. 

Art.  LXXXI.  —  Les  gouverneurs,  capitaines,  consuls  et  personnes  com- 
mises au  recouvrement  des  deniers  pour  payer  les  garnisons  des  places  tenues 
par  ceux  de  ladite  religion  auxquels  nos  receveurs  et  collecteurs  des  paroisses 
auraient  fourni  par  prêt  sur  leurs  cédules  les  deniers  nécessaires  pour  l'en- 
tretien desdites  garnisons,  jusqu'à  concurrence  de  l'état  que  nous  avons  fait 
dresser  au  commencement  de  l'an  1596,  seront  tenus  quittes  et  déchargés, 
encore  que  par  lesdites  cédules  et  obligations  n'en  soit  faite  aucunement  men- 
tion, et  pour  y  satisfaire  les  trésoriers  généraux  feront  fournir  en  chaque  géné- 
ralité par  les  receveurs  de  tailles  leurs  quittances  aux  collecteurs  et  par  les 
receveurs  généraux  leurs  quittances  aux  receveurs  particuliers,  pour  la  dé- 
charge desquels  receveurs  généraux  seront  les  sommes  dont  ils  auront  tenu 
compte  dressées  sur  les  mandements  levés  par  le  trésorier  de  l'épargne  sous 
le  nom  de  l'extraordinaire  de  nos  guerres,  pour  le  payement  desdites  garni- 
sons, et  où  lesdits  mandements  seront  inférieurs  à  ce  que  porte  notre  état  de 
l'an  1596  seront  suppléés  de  nouveaux  mandats  pour  la  décharge  de  nos 
comptables  et  restitution  desdites  promesses  et  obligations,  en  sorte  qu'il  n'en 
soit  rien  demandé  à  l'avenir  à  ceux  qui  les  auront  faites  ;  et  toutes  lettres  de 
validation  nécessaires  pour  la  décharge  des  comptables  seront  expédiées  en 
vertu  du  présent  article. 

Art.  LXXXIL  —  Aussi  ceux  de  la  religion  se  départiront  et  désisteront 
dès  à  présent  de  toutes  pratiques,  négociations  et  intelligences  tant  dedans  que 
dehors  notre  royaume,  et  leurs  assemblées  et  conseils  établis  dans  les  pro- 
vinces se  sépareront  promptement,  et  seront  toutes  ligues  et  associations  faites 
ou  à  faire  au  préjudice  de  notre  présent  édit  cassées  et  annulées;  défendons 
à  nos  sujets  de  faire  aucune  cotisations  ni  levées  de  deniers  sans  notre  permis- 
sion, fortitications,  enrôlement  d'hommes,  assemblées  et  congrégations  autres 
que  celles  qui  leur  sont  permises  par  notre  présent  édit,  et  sans  armes,  le  tout 
sous  peine  d'être  punis  comme  infracteurs  de  nos  lois  et  ordonnances. 

Art.  LXXXIIL  —  Toutes  prises  qui  ont  été  faites  par  mer,  durant  les 
troubles,  en  vertu  des  aveux  et  congés  donnés  et  celles  qui  ont  été  faites  par 
terre  sur  ceux  du  contraire  parti  et  qui  ont  été  jugées  par  les  juges  et  commis- 
saires, ou  par  les  chefs  de  ladite  religion  ou  leur  conseil,  demeureront  assou- 
pies par  le  bénéfice  du  présent  édit  sans  qu'il  en  puisse  être  fait  aucune  pour- 
suite ;  ni  les  capitaines  et  autres  qui  ont  fait  de  pareilles  prises,  leurs  cautions 
et  lesdits  juges,  leurs  veuves  et  héritiers  recherchés  ni  molestés,  nonobstant 
tous  arrêts  de  notre  conseil  privé  et  des  parlements,  et  toutes  lettres  de  marques, 
saisies  privées  et  non  jugées,  sont  et  demeureront  abolies. 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  617 

Art.  LXXXIV.  —  Ne  pourront  être  recherchés  ceux  de  ladite  religion 
des  empêchements  et  oppositions  qu'ils  ont  données  ci  devant,  même  durant 
les  troubles,  à  l'exécution  des  arrêts  pour  le  rétablissement  de  la  religion  ca- 
tholique en  divers  lieux  de  ce  royaume. 

Art.  LXXXV.  —  Quant  à  ce  qui  a  été  fait  ou  pris  durant  les  troubles  par 
voie  d'hostilité  contre  les  règlements  publics  ou  particuliers  des  chefs  et  com- 
munautés qui  avaient  commandement,  on  pourra  en  foire  la  poursuite  devant 
la  justice. 

Art.  LXXXVI.  —  Mais  attendu  que  ce  qui  a  été  fait  ainsi  de  part  et 
d'autre,  s'il  était  sujet  à  être  recherché,  il  n'y  a  homme  de  guerre  qui  ne 
pourrait  être  mis  en  peine,  dont  pourrait  advenir  renouvellement  de  troubles, 
voulons  que  seulement  les  cas  exécrables  soient  exceptés  seuls  de  l'abolition, 
comme  ravissements,  forcements  de  femmes  et  de  filles,  briîlements,  meurtres 
et  voleries  faits  par  prodition  de  guet-apens  hors  les  voies  d'hostilité,  contre 
les  lois  de  la  guerre,  et  pour  exercer  des  vengeances  particulières. 

Art.  LXXXVII,  —  Ordonnons  aussi  que  punition  sera  faite  des  crimes 
et  délits  commis  entre  personnes  de  même  parti,  si  ce  n'est  un  acte  commandé 
par  les  chefs  de  part  et  d'autre,  selon  les  nécessités  et  lois  de  la  guerre,  et 
quant  aux  levées  et  exactions  de  deniers,  ports  d'armes  et  autres  exploits,  faits 
d'autorité  privée  et  sans  aveu,  en  sera  faite  poursuite  par  voie  de  justice. 

Art.  LXXXVIII.  —  Les  villes  démantelées  pendant  les  troubles,  pour- 
ront les  fortifications  être  rétablies  aux  frais  des  habitants  avec  notre  per- 
mission. 

Art.  LXXXIX.  —  Voulons  et  nous  plaît  que  tous  les  seigneurs,  cheva- 
liers, gentilshommes  et  autres,  de  quelque  qualité  et  condition  qu'ils  soient,  de 
ladite  religion  et  ceux  qui  ont  suivi  leur  parti,  rentrent  et  soient  effectuelle- 
ment  conservés  en  la  jouissance  de  tous  leurs  biens,  noms,  raisons  et  actions, 
nonobstant  les  jugements  rendus  durant  les  troubles,  lesquels  jugements  et  tout 
ce  qui  s'en  serait  suivi  avons  annulés. 

Art.  XC.  —  Les  acquisitions  que  ceux  de  ladite  religion  et  de  leur  parti 
par  autorité  d'autres  que  des  rois  nos  prédécesseurs,  pour  les  immeubles 
appartenant  à  l'Eglise,  n'auront  lieu  ni  elfet  ;  ains  ordonnons  que  les  ecclé- 
siastiques rentrent  incontinent  et  soient  conservés  dans  la  possession  desdits 
biens,  sans  être  tenus  de  rendre  le  prix  de  la  vente,  nonobstant  lesdits  contrats, 
lesquels  avons  cassés  et  annullés,  sans  que  les  acheteurs  puissent  avoir  recours 
contre  les  chefs  par  l'autorité  desquels  lesdits  biens  auraient  été  vendus. 
Néanmoins  pour  le  remboursement  des  deniers  véritablement  et  sans  fraude 
déboursés  par  les  acheteurs,  seront  expédiées  lettres-patentes  de  permission  à 
ceux  de  ladite  religion  d'imposer  et  d'égaler  sur  eux  les  sommes  à  quoi  se 
monteront  lesdites  ventes,  .sans  qu'iceux  acquéreurs  puissent  prétendre  aucune 
action  pour  leurs  dommages  et  intérêts  à  faute  de  jouissance,  ains  se  conten- 
teront du  remboursement  des  deniers  par  eux  fournis,  précomptant  sur  iceux 
les  fruits  par  eux  perçus,  si  ladite  vente  a  été  faite  à  bas  prix. 

Art.  XCL  —  Et  afin  que  tous  nos  justiciers,  tant  officiers  qu'autres  sujets, 
n'en  ignorent,  et  pour  ôter  toute  ambiguïté  qui  pourrait  être  faite  au  moyen 
des  précédents  édits,  à  cause  de  l'adversité  d'iceux,  nous  déclarons  tous  autres 
édits  précédents,  articles  secrets,  lettres,  modifications,  arrêts,  rendus  tant 
par  nous  que  par  les  rois  nos  prédécesseurs,  en  nos  cours  de  parlement  ou 
ailleurs,  concernant  le  fait  de  ladite  religion  et  des  troubles  advenus  dans  notre 
royaume,  de  nul  effet  et  valeur;  auxquels  par  notre  présent  édit  nous  déro- 
geons pour  toujours  déclarant  que  nous  voulons  que  ce  présent  notre  édit  soit 
ferme  et  inviolable,  gardé  et  observé,  tant  par  nos  justiciers  qu'autres  sujets, 
sans  s'arrêter  ni  avoir  aucun  regard  à  tout  ce  qui  pourrait  être  contraire  ou 
dérogeant  à  icelui. 


648  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

Art.  XCII.  —  Et  pour  plus  grande  assurance  de  l'observation  que  nous 
désirons  d'icelui,  nous  voulons  et  ordonnons  que  tous  les  gouverneurs,  lieute- 
nants généraux  de  nos  provinces,  baillifs,  sénéchaux,  et  autres  juges  de  notre 
dit  royaume,  incontinent  après  la  réception  d'icelui  édit,  jurent  de  le  faire 
garder  chacun  en  son  détroit,  comme  aussi  les  maires,  échevins,  capitouls, 
consuls  et  jurais  des  villes,  annuels  et  perpétuels.  Enjoignons  auxdits  nos  offi- 
ciers le  faire  jurer  aux  principaux  desdites  villes,  tant  de  l'une  que  de  l'autre 
religion,  mettons  ceux  desdites  villes  en  notre  protection  et  sauf  garde,  et  les 
uns  à  la  garde  des  autres,  les  chargeant  respectivement  par  acte  pulDlic  de 
répondre  civilement  des  contraventions  qui  seront  faites  audit  édit  dans  leurs 
dites  villes  par  les  habitants  d'icelles  et  mettre  les  contrevenants  ès-mains  de 
justice. 

Mandons  et  ordonnons  à  nos  amés  et  féaux,  les  gens  tenant  nos  cours  de 
parlements,  chambres  des  comptes  et  cours  des  aides,  qu'après  le  présent  édit 
reçu,  ils  ayent,  sous  peine  de  nullité  de  tous  actes  qu'ils  feraient  à  ce  con- 
traire, de  faire  pareil  serment  que  dessus,  et  icelui  notre  édit  faire  publier  et 
enregistrer  dans  lesdites  cours,  en  sa  forme  et  teneur,  purement  et  simple- 
ment, sans  user  d'aucunes  modifications,  restrictions,  déclarations  ou  registres 
secrets,  ni  autre  jussion  ni  mandement  de  nous,  et  à  nos  procureurs  généraux 
en  requérir  et  poursuivre  sans  délai  la  dite  publication. 

Si  donnons  en  mandement  auxdits  gens  de  nos  dites  cours  et  chambres  et 
auxdits  nos  juges  de  faire  lire,  enregistrer  et  publier  et  enregistrer  en  leurs 
cours  et  juridictions  et  icelui  garder  et  entretenir  de  point  en  point  et  en  faire 
jouir  paisiblement  tous  ceux  qu'il  appartiendra,  cessant  et  faisant  cesser  tous 
troubles  au  contraire,  car  tel  est  notre  plaisir,  en  foi  de  quoi  nous  avons  signé 
les  présentes  de  notre  propre  main  et  avons  fait  mettre  notre  scel. 

Donné  à  Nantes,  l'an  de  grâce  mdlxxxxviii,  et  de  règne  le  neuvième. 

Sig7ié:  HENRI. 

Pour  compléter  cet  édit,  œuvre  incontestable  d'une  sage  tolérance  et  d'une 
politique  aussi  prudente  que  juste,  Henri  IV,  afin  de  régler  tout  à  fait  l'état  du 
protestantisme  en  France,  accorde  cinquante-six  autres  articles  qui,  dit-il, 
seront  entièrement  observés  et  accomplis  tout  ainsi  que  ceux  contenus  audit 
édit  et  enregistrés  es- cours  des  parlements.  Par  ces  articles,  que,  pour  cer- 
taines considérations.  Sa  Majesté  voulut  être  tenus  secrets  : 

Les  protestants  n'étaient  pas  tenus  de  contribuer  aux  réparations,  cons- 
tructions et  frais  des  églises  catholiques  ni  de  tendre  leurs  maisons  les  jours 
de  processions;  la  tenture,  si  elle  avait  lieu,  était  faite  aux  frais  de  la  ville. 

Ils  ne  devaient  plus  être  obligés  à  recevoir  les  exhortations  d'un  prêtre  à 
l'article  de  la  mort,  et  leurs  ministres  avaient  toute  liberté  de  venir  les  visiter 
et  consolider. 

L'exercice  public  de  leur  religion  était  permis  à  Pimpoul  et  au  faubourg  du 
Polet  pour  Dieppe,  à  Sancerre,  à  Montagnac,  dans  un  faubourg  de  deux  villes 
de  la  Picardie.  Dans  chaque  bailliage  et  sénéchaussée  de  la  Provence  et  du 
Viennois,  un  lieu  sera  désigné  pour  ledit  exercice,  en  outre  de  ceux  où  il  est 
déjà  établi.  Outre  les  deux  lieux  où  il  est  en  activité  dans  les  îles  d'Oléron,  il 
en  sera  accordé  deux  autres.  Il  continuera  à  Metz. 

Ceux  de  ladite  religion  seront  admissibles  aux  offices,  dignités  et  emplois 
publics. 

L'exercice  de  ladite  religion  sera  interdit  dans  tous  les  lieux  où  par  des 
traités  antérieurs  le  roi  s'est  engagé  à  ne  permettre  que  l'exercice  du  culte  ca- 


DU  PROTESTANTISME  EN  FRANCE.  619 

tholique,  dans  les  villes  et  faubourgs  de  Reims,  Rocroi,  Saint-Dizier,  Guize, 
Joinville,  Fismes,  Montcornet-ès-Ardennes.  Il  ne  sera  accordé  pour  chacun  des 
bailliages  de  Bourges  et  d'Orléans.  Aucun  exercice  ne  se  fera  à  Morlaix,  à 
Quimper  ni  dans  tout  l'évêché  de  Cornouailles,  ni  à  Beauvais,  ni  à  Alais,  ni  à 
Fiac,  ni  à  Aurillac.  Il  pourra  avoir  lieu  dans  le  ressort  du  parlement  de  Tou- 
louse excepté  à  Toulouse  même  et  dans  les  autres  sénéchaussées,  ramenées  en 
notre  obéissance  par  le  duc  de  Joyeuse.  Il  est  interdit  à  Soissons,  Ghàlons  et 
Dijon  pendant  six  ans.  Il  sera  public  à  Lyon,  à  Chauvigny  et  seulement  dans 
un  seul  lieu  de  la  sénéchaussée  de  Poitiers.  Il  ne  pourra  être  rétabli  ni  à  Agen 
ni  à  à  Périgueux,  ni  à  Amiens,  ni  à  Péronne,  ni  à  Abbeville,  ni  à  Sens,  ni  à 
Nantes.  Il  sera  accordé  un  lieu  pour  la  ville  et  vicomte  de  Paris. 

Sa  Majesté  veut  que  l'édit  soit  observé  dès  à  présent,  en  ce  qui  concerne 
l'exercice  de  ladite  religion,  dans  tous  les  autres  lieux  où  par  les  traités  faits 
avec  d'aucuns  princes,  seigneurs  et  villes,  il  n'a  pas  été  stipulé  de  prohibition. 
On  pourra  assembler  le  peuple  même  au  son  des  cloches  et  faire  tous  actes  et 
fonctions  apparentes  dudit  culte. 

Ne  pourront  être  contraints  les  ministres  à  révéler  en  justice  ce  qui  leur 
aura  été  confié  en  consistoire. 

Pourront  ceux  de  ladite  religion  tenir  écoles  publiques,  mais  seulement  dans 
les  lieux  où  l'exercice  de  leur  culte  est  permis. 

Les  mariages  ci-devant  contractés  par  prêtres  et  religieux  qui  ont  embrassé 
ladite  religion  ne  seront  l'objet  d'aucune  recherche,  leurs  enfants  seront  ha- 
biles à  succéder  pour  les  meubles,  acquêts  et  conquets  de  leurs  père  et  mère; 
mais  lesdits  religieux  et  religieuses  ni  leurs  enfants  ne  seront  admis  à  aucune 
succession  directe,  ni  collatérale,  excepté  des  biens  qui  leur  seront  légués  par 
testament  ou  autrement. 

Egalement  les  mariages  au  tiers  ou  quart  degré  de  parenté  ne  pourront 
être  contestés  ni  privés  des  droits  de  succession. 

Les  dons  et  legs  faits  pour  l'entretien  des  ministres  et  écoles  seront  va- 
lables. 

Il  sera  permis  à  ceux  de  ladite  religion  de  s'assembler  par  devant  le  juge 
royal  et  de  voter  et  lever  sur  eux  telle  somme  qui  sera  jugée  nécessaire  à  l'en- 
tretien de  leur  culte. 

Leurs  ministres  seront  exempts  des  gardes,  rondes  et  logis  des  gens  de 
guerre. 

Pour  les  enterrements  faits  de  ceux  de  ladite  religion,  dans  les  cimetières 
catholiques,  ne  sera  faite  aucune  recherche. 

Enfin  Sa  Majesté  promet  de  faire  instance  auprès  des  puissances  étrangères 
pour  qu'aucun  de  ses  sujets  de  ladite  religion  n'y  soit  inquiété  en  sa  conscience 
ni  soumis  à  l'inquisition. 

Signé  :  HENRI. 

2»  jour  de  mai  mdlxxxxviii.  (Scellées  du  grand  sceau  de  cire  jaune.) 

Par  un  autre  édit  du  30  avril.  Sa  Majesté  avait  déjà  accordé  et  promis  que 
toutes  les  places,  villes  et  châteaux,  que  les  protestants  tenaient  précédemment 
et  avec  garnison  jusqu'à  la  fin  du  mois  d'août  dernier,  demeureraient  en  leur 
garde  pendant  l'espace  de  huit  ans.  Quant  aux  autres  places  qu'ils  tiennent 
également,  mais  sans  garnison,  il  n'y  sera  rien  altéré  ni  innové  à  l'exception 
de  Vendôme,  Pontorson,  Aubenas  et  Chauvigny,  dont  le  roi  se  réserve  la  libre 


620  HISTOIRE  DE  L'ÉTABLISSEMENT 

disposition,  et  pour  l'entretien  des  garnisons  desdites  villes,  places  et  châteaux 
restés  en  leur  garde,  il  sera  accordé  une  somme  de  cent  quatre-vingt  mille 
écus  par  chacun  an,  sans  comprendre  l'entretien  des  places  du  Dauphiné,  au- 
quel sera  pourvu  d'autre  manière,  sur  l'avis  du  sieur  de  Lesdiguières. 

Après  l'expiration  desdites  huit  années,  Sa  Majesté  s'engage  à  ne  pas  rem- 
placer par  d'autres  les  gouverneurs  qui  seront  encore  en  place.  Quant  aux 
gouvernements  qui  se  trouveront  vacants,  ils  seront  donnés  indistinctement  à 
des  personnes  de  l'une  ou  de  l'autre  religion,  selon  le  mérite  et  la  capacité  de 
chacun. 

Et  par  brevet  du  même  jour,  le  roi  accordait  de  plus,  à  titre  de  gratification, 
comme  il  est  dit  dans  cette  pièce,  et  pour  subvenir  à  certaines  dépenses  que 
Sa  Majesté  ne  veut  être  spécifiées  ni  déclarées,  une  somme  de  quarante-cinq 
mille  écus  par  an,  assignée  sur  les  recettes  générales  des  villes  de  Paris,  Rouen, 
Gaen,  Orléans,  Tours,  Poitiers,  Limoges  et  Bordeaux.  ^ 

L'édit  de  Nantes  semblait  devoir  pour  toujours  mettre  fm  en  France  à  ces 
longues  guerres  civiles  dont  la  religion  avait  commencé  par  être  la  cause  et 
avait  fini  par  n'être  plus  que  le  prétexte  ;  et  pourtant  cet  édit  fit  encore  bien 
des  mécontents.  Il  assurait,  comme  on  voit,  aux  protestants,  dans  de  justes 
limites  que  les  circonstances  de  l'époque  n'auraient  pas  permis  de  franchir  sans 
danger,  la  liberté  de  conscience  et  leurs  droits  de  citoyens  dans  la  patrie  com- 
mune, mais  bon  nombre  d'entre  eux  accusaient  le  roi  d'avarice  et  d'ingratitude 
parce  qu'il  n'avait  pas  payé  leurs  services  aussi  chers  qu'il  avait  payé  la  sou- 
mission des  Ligueurs.  Henri,  en  effet,  avait  plutôt  cherché  à  établir  la  paix  et  la 
sécurité  pour  tout  le  parti  qu'il  aimait,  qu'à  faire  la  fortune  de  quelques  am- 
bitieux dont  il  n'avait  plus  besoin  d'acheter  la  conscience. 

Du  côté  des  catholiques,  au  contraire,  on  trouvait  assez  généralement  que 
le  roi  avait  beaucoup  trop  accordé  à  l'hérésie.  D'après  les  listes  dressées  dans 
chaque  province,  il  fut  constaté  que  le  nombre  des  églises  protestantes  aux- 
quelles l'édit  accordait  l'exercice  public  de  leur  culte  se  montait  déjà  pour  tout 
le  royaume  à  sept  cent  soixante  et  l'on  savait  que  bien  d'autres  lieux,  villes, 
places  et  villages  pouvaient  encore,  aux  termes  de  cet  édit,  réclamer  le  même 
privilège.  Il  y  avait  bien  là  de  quoi  inquiéter  un  peu  l'intolérance  des  parti- 
sans de  l'unité  religieuse;  aussi  les  a-t-on  vus  bientôt  s'appliquer  par  tous  les 
moyens  en  leur  pouvoir  à  rendre  nulles  les  sages  dispositions  de  cette  loi  conci- 
liatrice. Ils  parvinrent  même  à  en  imposer  la  révocation,  et  la  France  se  res- 
sentira longtemps  encore  de  la  plaie  faite  alors  à  son  industrie  et  à  sa  propriété 
par  ce  grand  assassinat  politique,  dont  la  main  des  jésuites  dirigea  le  poignard. 


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TABLE   DES   MATIÈRES 


Chapitre  premier.  —  1589.  —  Diverses  opinions  dans  l'arraëe  tou- 
chant la  reconnaissance  de  Henri  IV.  —  Le  roi  lui-même  incertain 
pense  à  se  retirer  à  Tours.  —  Guitry  le  fait  changer  d'avis.  —  Sancy  lui 
gagne  les  Suisses.  —  Los  royalistes  de  l'armée  finissent  par  lui  prêter 
serinent  après  qu'il  a  pris  certains  engagements  dont  on  dresse  un  acte. 
D'Épeinon  se  retii-e.  —  Allocution  du  roi  à  cette  occasion.—  Il  promet 
une  Assemblée  des  Étals-Généraux  à  Tours.  —  Il  met  en  délibération  si 
Ton  doit  continuer  le  siège  de  Paris.  —  Il  essaie  de  traiter  avec  Mayenne 
qui  refuse.  —  Henri  en  conduisant  le  corps  du  feu  roi  à  Gompiègne 
s'empare  de  différentes  places.  —  Il  sépare  l'armée  en  trois  corps,  et 
lui-même,  à  la  tête  de  l'un,  passe  en  Normandie.  —  On  lui  remet  Dieppe 
et  la  ville  de  Gaen.  —  Il  feint  d'assiéger  Rouen  pour  attirer  Mayenne. 

—  Ce  qui  s'était  passé  à  Paris  après  la  mort  du  feu  roi,  —  à  Bordeaux, 

—  à  Toulouse,  —  à  Tours,  —  en  Languedoc,  —  en  Bourgogne.  — 
Mayenne,  avec  une  nombreuse  armée,  poursuit  le  roi  en  Nonnandie.  — 
Celui-ci  vient  camper  à  Arques,  —  Bataille  d'Arqués 1 

Chapitre  IL  —  1589.  —  Appréciation  de  l'avènement  de  Henri  IV  chez  les 
princes  de  la  Ligue  protestante,  —  en  Angleterre,  —  en  Suisse,  —  dans 
les  Etats  d'Italie,  —  à  la  cour  de  Rome,  —  en  Espagne,  —  en  Savoie,  — 
en  Lorraine.  —  Le  parlement  de  Paris  et  le  parlement  de  Tours.  — 
Fausses  nouvelles  dans  la  Capitale.  —  Arrêt  du  parlement  de  Rouen. 

—  Les  Anglais  au  secours  du  roi.  —  Il  marche  sur  Paris.  —  Il  fait  des 
propositions  à  Mayenne.  —  Il  attaque  Paris.  —  Mayenne  y  revient  avec 
son  armée.  —  Retraite  de  l'armée  royale.  —  Supplice  de  Blanchet  et  du 
prieur  Bourgoing.  —  La  Ligue  refuse  une  pension  à  son  roi  Charles  X. 

—  Propositions  du  roi  d'Espagne  aux  Ligueurs.  -  Le  légat  Gaétan.  — • 
Son  arrivée  à  Paris.  —  Le  roi  prend  Etampes  dont  il  détruit  le  château. 

—  Il  passe  la  Loire.  —  Il  assiège  et  prend  Vendôme.  —  Supplice  du 
gouverneur.  —  Le  roi  à  Tours.  —  Prise  du  Mans.  —  Le  duc  de  Nevers. 

—  Il  prête  de  l'argent  à  Henri  IV.  —  Henri  IV  à  Laval,  —  à  Mayenne, 

—  à  Alençon.  —  Siège  et  prise  de  Falaise.  —  Le  roi  est  maître  du 
littoral  de  la  Normandie  et  prend  Ronfleur 05 

Chapitre  III.  —  1590.  —  Intrigues  de  Philippe.  —  L'archevêque  de  Lyon. 

—  Mayenne  en  campagne.  —  Il  reprend  Vincennes  et  Pontoise.  —  Il  as- 
siège Meulan.  —  L'approche  du  roi  fait  lever  le  siège.  —  Le  roi  prend 
Pacy.  —  Il  marche  vers  Dreux,  —  Les  .Vliemands  envoyés  au  secours 


622  TABLE  DES  MATIÈRES. 

du  roi  mis  en  déroute  par  le  duc  de  Lorraine.  —  Le  légat  au  parlement 
de  Paris.  —  Arrêt  du  parlement  de  Toulouse  contre  le  légat.  —  Décret 
de  la  Sorbonne.  —  Lettres  du  légat  contre  Henri  IV.  —  Procession  et  ser- 
ment. —  Déclaration  du  roi  d'Espagne.  —  Siège  de  Dreux.  —  Arrivée 
des  troupes  flamandes  au  secours  de  Mayenne.  —  Le  maréchal  de 
Schomberg.  —  La  veuve  Leclerc.  —  Bataille  d'Ivry.  —  Lettres  de 
Mayenne  au  roi  d'Espagne  et  au  Pape.  —  Politique  de  Sixte  V 50 

Chapitre  IV.  —  1590.  —  Les  aiouvelles  de  la  bataille  à  Paris.  —  Entrevue 
du  Légat  et  de  Biron.  —  Villeroy  au  camp  royaliste.  —  Le  roi  prend 
Corbeil,  —  Lagny,  —  Melun,  —  Moret,  —  Créquy,  —  Provins,  —  Mon- 
tereau,  —  Nogent,  —  Méry.  —  Il  est  contraint  de  lever  le  siège  de 
Sens.  —  Le  Vénitien  Moncenigo  envoyé  du  Légat.  —  Siège  et  blocus  de 
Paris.  —  Givry  à  Gharenton.  —  D'Aumont  à  Saint-Cloud.  —  Occupation 
de  la  rive  gauche.  —  Mort  du  prétendu  roi  Chai'les  X.  —  Mayenne  avec 
un  secours  de  Flamands  rentre  en  Picardie.  —  II  est  repoussé  par  le 
roi.  —  Arrêts  des  parlements  de  Rouen  et  de  Paris.  —  Procession  delà 
Ligue.  —  Exploits  du  ligueur  La  Bourdaison.  —  Continuation  du  siège. 

—  Prise  de  Saint-Denis.  —  Rappel  de  Cheverny.  —  Complot  déjoué  à 
Senlis.  —  Attaque  et  prise  des  faubourgs  de  la  capitale.  —  Famine.  — 
Provisions  trouvées  dans  les  Couvents.  —  Lettre  de  la  duchesse  de 
Mayenne  à  son  mari.  —  L'arrivée  du   duc  de   Parme   fait  lever   le 

siège 71 

Chapitre  V.  —  1590.  —  La  guerre  civile  dans  le  Maine  et  en  Bretagne.  — 
Lansac.  —  Le  prince  de  Conti.  —  Mercœur.  —  Le  prince  de  Bombes. 

—  Les  paysans  font  la  guerre  aux  nobles.  —  En  Auvergne.  —  Le  comte 
de  La  Rochefoucauld-Randon.  —  Le  maire  Tissandier.  —  Le  grand  sé- 
néchal d'Auvergne.  —  Le  marquis  de  Chabanne.  —  En  Languedoc,  en 
Dauphiné,  en  Provence  et  dans  le  Lyonnais.  —  Lesdiguières  et  La  Va- 
lette. —  Le  parlement  d'Aix.  —  La  comtesse  de  Sault.  —  Le  comte  de 
Carces.  —  Martiningue,  Senas  et  les  Savoyards.  —  Gadagne.  —  Ornano. 

—  Saint-Sorlin,  —  Senneci.  —  En  Bourgogne.  —  Tavannes.  —  Des- 
peville 99 

Chapitre  VI.  —  1590.  —  Le  roi  va  au-devant  du  duc  de  Parme.  —  Les  Pa- 
risiens délivrés  font  une  procession.  —  Les  deux  armées  en  présence. 

—  Le  duc  se  retranche.  —  Il  prend  Lagny.  —  Le  roi  revient  à  l'attaque 
de  Paris.  —  Mécontentement  des  catholiques  de  son  armée.  —  Elle  se 
disperse.  —  Le  roi  se  retire  à  Senlis.  —  Il  prend  Glermont.  —  Le  duc 
jjrend  Corbeil.  —  Mort  de  Sixte  V.  —  Le  Légat  retourne  à  Rome.  — 
Élection  d'Urbain  VIL  —  Sa  mort.  —  Élection  de  Grégoire  XIV.  —  Les 
Ligueurs  de  Paris  projettent  une  espèce  de  répubhque.  —  Ils  députent 
au  duc  de  Mayenne.  —  Le  duc  de  Parme  retourne  en  Flandres.—  Givry 
reprend  Corbeil.  —  Le  roi  à  la  poursuite  du  duc.  —  La  Belle  Gabrielle. 

—  Le  roi  bat  l'arrière-garde  et  l'avant-garde  du  duc.  —  Celui-ci  quitte 
la  France.  —  Ses  projets.  —  Il  laisse  une  partie  de  ses  troupes  à 
Mayenne 123 

Chapitre  Vil.  —  1590  et  1591.  —  Le  roi  à  Saint-Quentin.  —  Prise  de 
Corbie.  —  Le  roi  à  Senhs.  —  Matignon  en  Guyenne.  —  Les  Jésuites.  — 
Le  parlement  de  Bordeaux.  —  Troubles  en  Champagne.  —  Les  Ligueurs 
prennent  Villefranche.  —  Joyeuse  est  repoussé  à  Troyes.  —  Succès  de 
la  Ligue  en  Poitou.  —  Le  capitaine  La  Guerche.  —  Marguerite  de  Co- 
ligny.  —  Le  duc  de  Savoie  prend  Draguignan.  —  Son  entrée  à  Aix.  — 
Marseille  l'appelle.  —  Lesdiguières  prend  Grenoble.  —  Maurice  fait 
aUiance  avec  le  roi.  —  Elisabeth  lui  envoie  des  troupes.  —  D'Aumale 
tué   à  l'attaque  de  Saint-Denis.  —  Le  roi  tente  inutilement  de  sur- 


TABLE  DES  MATIERES.  623 

prendre  Paris.  —  Envoi  d'un  nonce  en  France.  —  Siège  de  Chartres.  — 
Intrigues  du  cardinal  de  Vendùnie.  —  Le  tiers  parti.  —  Chartres  capi- 
tule. —  Mort  de  Châtillon 141 

CiiAi'nnE  VIII.  —  1591.  —  Château-Thierry  livré  à  Mayenne.  —  Nouvelles 
négociations  de  Villeroy.  —  Conseil  tenu  par  le  duc  de  Lorraine,  les 
Guises  et  le  duc  de  Savoie.  —  On  y  décide  d'envoyer  un  ambassadeur  au 
roi  d'Espagne.  —  Jeannin  chargé  de  cette  mission.  —  Lettre  du  parti 
royaliste  au  Pape.  —  Lettre  du  Pape  à  la  Ligue.  —  Le  roi  surprend 
Louviers.  —  Le  parlement  de  Chàlons  condamne  la  bulle  du  Pape.  — 
Le  Parlement  de  Tours  déclare  le  Pape  fauteur  de  rébellion  et  ennemi 
du  royaume.  —  Le  parlement  de  Paris  condamne  et  casse  ces  deu.\  ar- 
rêts. —  Le  roi  révoque  Tédit  de  Juillet.  —  Assemblée  des  prélats  roya- 
listes. —  Intrigues  du  cardinal  de  Bourbon.  —  Mayenne  tente  de 
surprendre  Mantes.  —  Mandement  des  prélats  assemblés.  —  Le  roi 
prend  Noyon.  —  Le  jeune  Guise  échappe  de  prison.  —  Continuation  de 
la  guerre  civile  dans  les  provinces  :  —  Dans  le  Berry,  —  dans  le  Limou- 
sin, —  dans  la  Marche,  —  en  Touraine,  —  en  Bretagne,  où  La  Noue 
est  tué,  —  dans  l'Anjou,  —  en  Auvergne,  —  en  Bourgogne,  —  dans 
les  provinces  du  Midi.  —  Exploits  de  Lesdiguières 1G1 

Chapitre  IX.  —  1591  et  1592.  —  Les  débris  de  l'armée  du  Pape  se  rendent 
à  Verdun.  —  Mort  de  Grégoire  XIV.  —  Élection  d'Innocent  IX.  —  Il 
envoie  en  France  comme  légat  le  cardinal  de  Plaisance.  —  Ce  légat  fait 
renouveler  le  serment  à  la  Ligue.  —  L'archevêque  de  Paris  préfère 
l'exil.  —  Diatribe  de  Boucher.  —  Le  légat  excite  les  Seize  contre  le 
parlement  de  Paris.  —  Ils  pendent  Brisson,  Larcher  et  Tardif.  — 
Mayenne  accourt  à  Paris.  —  Il  fait  pendre  ([uatre  des  coupables  et  pu- 
blie l'abolition  générale  pour  le  passé.  —  Le  roi  marie  le  vicomte  de 
Turenne,  qu'il  fait  maréchal,  avec  l'héritière  de  Bouillon.  —  Les  troupes 
allemandes  envoyées  au  secours  de  Henri  IV.  —  Il  prend  Aubenton  et 
Verdun.  —  Villeroy  négocie  encore.  —  Siège  de  Rouen.  —  Arrivée  du 
duc  de  Parme  en  France.  —  Il  se  fait  livrer  La  Fère.  —  Il  oblige  le  roi 
à  lever  le  siège.  —  Il  est  blessé  à  Caudcbec.  —  Le;roi  est  rejoint  par 
de  nouvelles  troupes  et  revient  contre  l'ennemi.  —  Il  accule  à  son  tour 
l'armée  du  duc  dans  une  position  insoutenable.  —  Leduc  s'en  tire  habi- 
lement. —  Il  fait  sa  retraite  et  retourne  en  Flandre 202 

Chapitre  X.  —  1592.  —  Élection  de  Clément  VIII.  —  Il  confirme  le  légat. 

—  Son  bref  est  frappé  d'appel  par  le  parlement  de  Châlons  qui  ajourne 
le  légat.  —  Le  parlement  de  Paris  fait  brûler  cet  arrêt  par  le  bourreau. 

—  Villeroy  continue  de  négocier  en  faveur  des  princes  lorrains.  — 
Mayenne  offre  au  duc  de  Nemours  de  le  faire  roi  et  de  lui  faire  épouser 
l'Infante.  —  Conditions  de  la  reine  d'Angleterre.  —  Villars  à  Quille- 
bœuf.  — -  Prend  Pont-Audemer.  —  Biron  tué  à  la  prise  d'Épernay.  — 
Prise  de  Provins.  —  Le  roi  fait  demander  son  absolution  au  Pape  qui 
la  refuse.  —  Les  partis  à  Paris.  —  Élection  d'une  nouvelle  municipalité 
à  Orléans.  —  Défaite  des  royalistes  à  Craon.  —  Défaite  des  Ligueurs  ù 
Brest.  —  Quintin  pris  et  repris.  —  Prise  de  Chàteauneuf.  —  Prise  de 
La  Guerche.  —  Prise  de  Saulx-le-Duc.  —  Les  deux  Tavannes  opposés 
en  Bourgogne.  —  Le  duc  de  Bouillon  bat  les  Ligueurs  à  Beaumont.  — 
Il  prend  Sedan.  —  Conspiration  en  Guyenne.  —  Sapion  de  Joyeuse  en 
Languedoc.  —  La  Valette  tué  au  siège  de  Rochebrune.  —  D'Epernon 
lui  succède  dans  le  gouvernement  de  la  Provence.  —  Joyeuse  battu  au 
siège  de  Villemur.  —  Il  se  noie.  —  Le  cardinal  de  Joyeuse  et  le  capucin 
Frère  Ange  choisis  par  les  Ligueurs  de  Toulouse  pour  le  remplacer. — 
Maugiron  livre  Vienne.  —  Le  duc  de  Nemours  prend  les  Échelles.  —  Le 
duc  de  Savoie  prend  en  personne  Anfibes.  —  Lesdiguières   rentre  en 


624  TABLE  DES  MATIÈRES. 

Savoie.  —  Il  prend  le  Vigan  en  Gahoi's.  —  Il  bat  le  duc  de  Savoie.  — 
Le  duc  d'Épernon  reprend  Grasse  et  Antibes.  —  Il  échoue  à  Arles.  — 
Casault,  Louis  d'Aix  et  la  comtesse  Desault  à  Marseille 236 

Chapitre  XI.  —  1592-1593.  —  On  désire  la  paix  à  Paris.  —  Mort  du  duc 
de  Parme.  —  Mayenne  rompt  les  négociations  entamées  avec  Villeroy. 

—  Il  crée  quatre  maréchaux  de  France  et  convoque  les  États-Géné- 
raux. —  Sa  déclaration  à  ce  sujet.  —  Exhortation  du  légat.  —  Réponse 
de  Henri  IV.  —  Déclaration  des  catholiques  du  parti  royaliste.  — 
Mayenne  ouvre  les  États.  —  La  satire  Ménippée.  —  Le  roi  va  au-devant 
de  sa  sœur.  —  Entrée  de  la  princesse  à  Bordeaux.  —  Ils  se  rencontrent 
à  Saumur.  —  Gonseils  de  Duplessis  au  roi  touchant  l'abjuration.  —  Le 
roi  à  Tours.  —  Réponse  des  cathohques  du  tiers  parti  à  la  déclaration 
des  catholiques  royalistes,  —  Réplique  de  ceux-ci.  —  Mayenne  va  au- 
devant  des  Espagnols.  —  Les  Espagnols  reprennent  Noyon  et  retournent 
en  Flandres.  —  Harangue  de  l'ambassadeur  d'Espagne  aux  États  en 
présentant  les  lettres  de  son  maître.  —  Harangue  du  cardinal  de  Pel- 
levé.  —  Réponse  des  États  aux  catholiques  royaux.  —  Conspirations 
dans  le  camp  du  roi.  —  Colloque  de  Saint-Jean-d'Angély.  —  Conseil  de 
Sully  au  sujet  de  la  conversion  de  Henri  IV.  —  Le  roi  se  déclare  presque 
convaincu  des  dogmes  cathohques 270 

Chapitre  XII.  —  1593.  —  Conférences  de  Suresnes.—  Henri  y  fait  annoncer 
sa  résolution  d'abjurer.  —  Inquiétudes  des  protestants.  —  Déclaration 
des  catholiques  royaux  pour  les  rassurer.  —  Les  livrets  des  huguenots. 

—  Résolution  des  États  touchant  les  conférences.  —  Le  légat  ordonne 
des  prières  et  une  procession.  —  L'ambassadeur  d'Espagne  et  l'évêque 
de  Senlis.  —  L'acceptation  du  concile  de  Trente  proposée  aux  États  qui 
la  rejettent.  —  Mendoce  au  nom  de  l'ambassadeur  espagnol  leur  de- 
mande d'élire  l'Infante.  — Réponse  évasive  des  États.  —  Arrêt  du  par- 
lement pour  le  maintien  de  la  loi  salique.  —  Pi-otestations  des  zélés 
Ligueurs.  —  Reprises  des  conférences.  —  Révolte  des  troupes  de  Mans- 
feld.  —  Prise  de  Dreux  par  le  roi.  —  Proposition  du  légat  aux  États.  — 
On  discute  de  l'élection  en  son  hôtel.  —  Feria  consent  à  l'élection  du 
duc  de  Guise  qui  épouserait  alors  l'Infante.  —  Cette  proposition  n'est 
pas  accueillie  par  les  États.  —  On  y  décide   d'accepter  la  trêve  offerte 

par  le  roi 304 

Chapitre  XIII.  —  1593.  —  Abjuration  du  roi.  —  Exhortation  du  légat  aux 
cathohques  de  la  Ligue.  —  Mayenne  défend  d'aller  à  Saint-Denis.  — 
Lettre  du  roi  aux  Français  après  son  abjuration.  —  Sermons  ligueurs 
et  libelles.  —  Traité  de  La  Villette.  —  Mayenne  se  rapproche  du  légat 
et  de  l'Espagne.  —  Il  fait  prêter  de  nouveau  serment  à  l'Union  par  les 
États.  —  Il  leur  fait  accepter  le  concile  de  Trente.  —  Le  roi  écrit  au 
Pape  et  lui  envoie  une  ambassade.  —  Conspiration  de  Barrière,  ses 
aveux  et  son  supphce 336 

Chapitre  XIV.  —  1593.  —  Le  duc  de  Mercœur  refuse  la  trêve.  —  Il  l'accepte 
après  une  tentative  inutile  sur  Rouen.  —  La  Fontenelle  s'empare  du 
Granec.  —  Le  comte  de  la  Maignane  s'établit  au  Faou.  —  Le  baron  de 
Guirtgamp  prend  Douarnenez  et  y  perd  toute  sa  bande.  —  La  guerre 
continue  en  Guyenne.  —  Révolte  dite  des  Croquants.  —  Matignon  forcé 
de  lever  le  siège  de  Blaye.  —  Le  duc  de  Savoie  prend  Exiles.  —  Lesdi- 
guières  le  bat  à  Salbertran.  —  Le  duc  accepte  la  Trêve.  —  Arles  se 
soumet  à  d'Épernon.  —  La  nouvelle  de  la  trêve  l'empêche  de  prendre 
Aix.  —  Son  traité  secret  avec  Montmorency  et  le  comte  d'Auvergne.  — 
Lesdiguières,  par  ordre  du  roi,  soulève  la  Provence  contre  lui.  —  D'Éper- 
non triomphe  de  tous  ces  obstacles.  —  Nemours  veut  se  rendre  indé- 


•TABLE  DES  MATIÈFtES.  t>2ç 

pendant  ù  Lyon.  —  Les  habitants  le  font  prisonnier,  —  Mauvais  succès 
de  l'ambassade  du  roi  au  Pape.  —  Protestation  du  duc  de  Nevers.  — 
Manifeste  de  l'évèque  du  Mans.  —  Députatioii  de  Mayenne  au  Pape.  — 
Ses  demandes  à  Philippe.  —  Surprise  de  l-'écanip.  —  Les  Ligueurs 
échouent  à  Caen.  —  Lettre  dÉlisabelh  au  roi.  —  Sa  conversion.  —  11 
reçoit  la  députation  des  Réformés.  —  Colloque  de  Duperron  et  Rostain. 

—  Catholiques  et  huguenots  également  mécontents 351 

Chapitre  XV.  —  1594.  —  La  trêve  expire.  —  Les  hostilités  recommencent 
autour  de  Paris.  —  Déclaration  du  roi  datée  de  Montmartre.  —  Les 
chefs  ligueurs  se  mettent  à  l'encan.  —  Meaux  se  rend  au  roi.  —  Arrêt 
du  parlement  de  Paris  ordonnant  l'expulsion  de  la  garnison  espagnole. 

—  Le  peuple  demande  la  paix.  —  Rrissac  remplace  Relin  comme  gou- 
verneur. —  Soumission  d'Aix,  —  de  Lyon,  —  d'Orléans,  —  de  Bourges. 

—  Le  roi  est  sacré  à  Chartres.  —  Mayenne  quitte  Paris.  —  Le  roi 
revient  à  Saint-Denis.  —  Rrissac  lui  livie  la  capitale.  —  Déclaration 
royale  touchant  la  réduction  de  Paris.  —  Arrêt  du  parlement,  —  Décret 
de  la  Sorbonne.  —  Exhortation  de  l'archevêque  de  Bourges  au  clergé. 

—  Les  capucins  et  les  jésuites  restent  seuls  obstinés ;Wl 

Chapitre  XVI.  —  1594.  —  Sully  visite  à  Anet  la  duchesse  d'Aumale.  —  11 
reçoit  la  soumission  de  Verneuil  au  Perche.  —  Il  traite  avec  Villieis  et 
achète  la  reddition  de  Rouen.  —  Le  reste  de  la  province  reconnaît  le 
roi.  —  Soumission  d'Abbeville  et  de  Montreuil.  —  Troyes  chasse  son 
gouverneur  et  proclame  le  roi.  —  Sens,  Ayen,  Villeneuve  et  Marmande 
le  reconnaissent,  —  ainsi  que  Poitiers.  —  Mansfeld  prend  La  Capelle.  — 
Le  roi  assiège  Laon.  —  Révélations  du  cardinal  de  Bourbon  mourant  à 
Sully.  —  Reprise  au  parlement  du  procès  de  l'Université  et  des  curés 
contre  les  jésuites.  —  Débats  de  cette  alfaire,  —  Arrêt  qui  ne  termine 
rien.  —  Opinion  de  de  Thou.  —  Diatribe  de  Passerai 4US 

Chapitre  XVII.  —  1594.  —  Continuation  du  siège  de  Laon.  —  Retraite  des 
Espagnols.  —  Mort  de  Givry.  —  Capitulation  de  Laon.  —  Soumission 
de  Château-Thierry.  —  Amiens  chasse  le  iluc  d'Aumale  et  ouvre  ses 
portes  aux  royahstes.  —  Le  roi  à  Cambrai.  —  Puis  à  Amiens.  —  Beau- 
vais  lui  adresse  sa  soumission.  —  Saint- Malo  et  Noyon  suivent  cet 
exemple.  —  Mayenne  s'abouche  à  Bruxelles  avec  l'archiduc.  —  11  n'en 
reçoit  que  des  promesses.  —  Le  duc  de  Guise,  après  avoir  tué  Saint-Pol, 
s'accommode  avec  le  roi.  —  Mort  du  cardinal  de  Bourbon.  —  Mort  du 
comte  d'O,  — Le  maréchal  d'Aumont  entre  dans  Laval,  —  Quimper  ré- 
siste à  une  surprise  royaliste.  —  D'Aumont  prend  le  château  de  Morlaix 
sous  les  yeux  de  IMercœur.  —  11  force  Quimper  à  se  rendre.  —  11  prend 
d'assaut  Le  Crozon.  —  De  Carces  en  lutte  contre  d'Épernon.  —  Lesdi- 
guières  intervient.  —  Intrigues  de  La  Fin.  —  D'Épernon  forcé  de  se 
tourner  du  côté  de  la  Ligue.  —  Le  duc  de  Savoie  s'empare  de  Bri- 
queras. —  11  demande  la  paix  au  roi  qui  la  lui  accorde  ù  des  conditions 
avantageuses  pour  lui 43< 

Chapitre  XVIII.  —  4594  et  1595.  —  Le  roi,  voulant  faire  la  guerre  à  l'Es- 
pagne, écrit  aux  États  de  l'Artois  et  du  Ilainaut.  —  Attentat  de  Jean 
Chàtel.  —  Son  supplice.  —  Le  parlement  condamne  les  jésuites  comme 
complices.  —  Déclaration  des  autres  ordres  religieux  touchant  l'obhga- 
tion  de  prier  pour  le  roi.  —  Apologie  des  jésuites.  —  Apologie  de 
Châtel  par  le  docteur  Boucher,  —  Procession  à  l'occasion  de  l'attentat 
et  à  laquelle  assiste  le  roi.  —  11  tient  l'assemblée  annuelle  de  l'ordre  du 
Saint-Esprit.  —  Édit  en  faveur  des  protestants.  —  Déclaration  de  guerre 
à  l'Espagne.  —  Les  hostilités  commencent.  —  Le  maréchal  de  Bouillon 
dans  les  Pays-Bas.  —  D'AssonviUe  et  Beauvau  dans  la  Eranche-Comté. 

IV.  40 


626  TABLE  DES  MATIÈRES. 

—  Tavannes  en  Bourgogne.  —  Mayenne  vient  dans  cette  province  dont 
il  était  gouverneur.  —  Le  roi  y  envoie  Biron,  —  qui  prend  Beaune,  — 
Montereau,  —  Dijon.  —  Le  connétable  de  Gastille  entre  en  Bourgogne. 

—  Le  roi  y  vient  de  son  côté.  —  Combat  de  Fontaine-Française.  —  Le 
connétable  se  retire  à  Gray.  —  Les  Français  l'y  suivent  et  défont  une 
partie  de  ses  troupes.  —  Les  Suisses  obtiennent  du  j'oi  qu'il  évacue  la 
Franche-Comté.  —  Il  laisse  Mayenne  se  retirer  à  Châlons.  —  Il  passe 
clans  le  Lyonnais.  —  Vienne  est  livrée  au  connétable  de  Montmorency. 

Mort  du  prince  de  Nemours 459 

Chapitre  XIX.  —  1595.  —  État  des  affaires  du  roi  dans  le  Nord.  —  Les 
Espagnols  entrent  en  Champagne.  —  Bouillon  quoique  battu  empêche 
de  prendre  La  Ferté-sur-Chiers.  —  Mort  de  Tarchiduc  Ernest.  —  Le 
comte  de  Fuentes  lui  succède  et  entre  en  Picardie.  —  Il  prend  Le  Ca- 
telet.  —  Bouillon  lui  reprend  Ham.  —  Fuentes  assiège  DouUens,  bat 
Bouillon  qui  venait  secourir  cette  place  et  la  prend.  —  Il  assiège  Cam- 
brai. —  Le  duc  de  Nevers  y  envoie  son  fds.  —  Les  habitants,  mécon- 
tents de  Baligny,  ouvrent  leurs  portes,  —  Le  roi  part  de  Lyon  et  vient 
en  Picardie.  —  Il  assiège  La  Fère.  —  Mort  du  duc  de  Nevers.  —  Mort 
du  maréchal  d'Aumont.  —  Exploits  et  supplice  du  baron  de  La  Fonte- 
nelle.  —  Le  comte  de  Magnance.  —  Prise  de  Comper  par  les  frères 
d'Andigny.  —  La  cour  de  Rome  consent  à  l'absolution  du  Pape.  —  Cé- 
rémonies de  cette  absolution 487 

Chapitre  XX.  —  1596.  —  Continuation  du  siège  de  La  Fère.  -  Le  cardinal 
Albert,  -vice-roi  des  Pays-Bas.  —  Mayenne  se.  réconcilie  avec  le  roi.  — 
Réconciliation  du  nouveau  duc  de  Nemours.  —  L'ex-capucin  Joyeuse 
rend  Toulouse  et  est  fait  maréchal  de  France.  —  D'Épernon  dispute  la 
Provence  au  duc  de  Guise.  —  Arrêt  du  parlement  d'Aix.  —  Intrigues  du 
duc  de  Guise  contre  Lesdiguières  chargé  par  le  roi  de  le  soutenir,  — 
Lesdiguières  se  dédommage  en  prenant  et  pillant  Auriol.  —  Gasault 
fait  entrer  l'Espagnol  dans  le  port  de  Marseille.  —  Le  capitaine  Liberta 
promet  à  Guise  de  lui  livrer  cette  ville.  —  Il  tue  Casault.  —  Le  viguier 
Louis  d'Aix  se  sauve  et  les  Marseillais  crient  :  Vive  le  roi.  —  La  flotte 
espagnole  se  retire.  —  Guise  bat  d'Épernon.  —  Celui-ci  traite  de  sa 
soumission  avec  le  roi.  —  Entrevue  du  roi  et  du  duc  de  Mayenne.  — 
L'archiduc  assiège  et  prend  Calais.  —  Belin  lui  livre  traîtreusement  la 
place  d'Ardres,  —  La  Fère  se  rend  au  roi.  —  L'archiduc  se  retire  à 
Saint-Omer.  —  Ligue  contre  l'Espagnol  entre  l'Angleterre  et  la  France. 

—  Les  États  de  Hollande  s'adjoignent  à  cette  Ligue 512 

Chapitre  XXL  —  1596-1597.  —  Le  roi  envoie  Biron  ravager  l'Artois.  — 
Manifeste  du  comte  d'Essex.  —  La  flotte  anglaise  est  jointe  par  celle  de 
Hollande.  —  Bataille  navale  pi'ès  de  Cadix.  —  Cette  ville  est  prise  et 
saccagée.  —  Alexandre  de  Médicis  légat  en  France.  —  Restriction  du 
parlement  pour  enregistrer  ses  lettres.  —  Le  roi  convoque  une  assem- 
blée de  notables  à  Rouen.  —  La  duchesse  de  Montpensier  meurt  de  la 
peste  à  Paris.  —  Ouverture  de  l'assemblée  des  notables.  —  Discours  du 
roi.  —  Discours  du  chancelier.  —  Cahiers  du  clergé,  —  de  la  noblesse, 

—  des  membres  de  la  justice.  —  ûmer  Talon  parle  pour  le  peuple.  — 
Proposition  de  l'assemblée  touchant  les  finances.  —  Sully  surintendant. 

—  Le  roi  a  dessein  d'épouser  Gabrielle.  —  Mot  cruel  de  Sancy.  —  Le 
roi  fait  solliciter  les  princes  allemands  d'entrer  dans  la  ligue  contre  l'Es- 
pagne. —  Mauvais  succès  de  son  ambassadeur.  —  Le  vice-roi  Albert  en 
Hollande.  —  Mort  de  de  Rosne.  —  Le  prince  d'Orange  bat  les  Espa- 
gnols. —  Tello  surprend  Amiens.  —  Le  roi  demande  inutilement  des 
ressources  au  parlement.  —  Sully  propose  ses  moyens  d'avoir  de  l'ar- 


TABLE  DES  MATIÈRES.  627 

gent.  —  Le  roi  revient  au  camp.  —  Opérations  du  siège.  —  Mort  de 
Tello.  —  Mort  de  Saint-Luc.  —  Montenegio  prend  le  commandement 
des  assiégés.  —  Le  vice-roi  vient  à  son  secours.  —  Son  avant-garde  est 
mise  en  déroute.  —  Il  n'ose  livrer  la  bataille  et  se  retire.  —  La  garnison 
d'Amiens  capitule 533 

Chapitre  XXIJ.  —  1597.  —  Agitation  des  protestants  depuis  la  conversion  du 
roi.  —  Massacre  de  La  Châtaigneraie.  —  Ils  élisent  une  assemblée.  —  Le 
roi  traite  avec  eux.  —  Négociations  avec  Mercœur.  —  Il  continue  la 
guerre  et  ses  intrigues.  —  Defon  livre  La  Garnache  au  roi.  —  Exploits 
de  La  Tremblaye,  lieutenant  de  Brissac.  —  Il  est  tué  au  Plessy-Bertrand. 
—  Complot  espagnol  contre  la  vie  du  roi.  —  Affaire  do  Saint-Phal  et  de 
Duplessis-Mornay.  —  Le  duc  de  Savoie  îecommence  les  hostilités.  — 
Nouveaux  exploits,  de  Lesdiguiôres  en  Savoie.  —  Le  duc  de  Savoie 
s'empare  du  château  d'il".  —  H  se  hâte  de  le  lendre  à  la  nouvelle  de 
la  reprise  d'Amiens.  —  Mort  du  maréchal  de  Matignon 557 

Chapitre  XXIII.  —  1598-1599.  —  Congrès  de  "Vervins.  —  Voyage  de  Henri 
en  Bretagne.  —  Pacification  de  la  Bretagne.  —  Soumission  du  duc  de 
Mercœur.  —  Traité  de  Vervins.  —  Paix  générale.  —  Mort  de  Phi- 
lippe II,  roi  d'Espagne.  —  Promulgation  de  l'édit  de  Nantes 585 

Appendice.  —  Texte   de  l'Édit   de  Nantes.   —   Articles  additionnels.    — 

Épilogue 601 


lUP.    OKOROES    JACOB,  —  OBLtASS. 


BW5830.A28V.4 

Histoire  de  l'établissement  du 

Princeton  Theological  Seminary-Speer  Library 


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