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DC~ïTi".A4 1886 V.4
Aguesse, Laurent, 1794-1862,
Histoire de 1' établissement
du protestantisme en Franc^
HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
DU
PROTESTANTISME EN FRANGE
TOME QUATRIÈME
ORLÉANS, IMPRIMERIE DE G. JACOB, CLOÎTRE SAINT-ÉTIENNE, 4.
^X Or mic[^
HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT (* oct 241910
A
DU
PROTESTANTISME
EN FRANCE
CONTENANT
L'HISTOIRE POLlTIOllE ET IIELIGIEUSE DE LA NATION
DEPUIS
FRANÇOIS I«> JUSQU'A L'ÉDIT DE NANTES
L. AGUESSE
TOME QUATRIÈME
-1589-1599
PARIS
LIBRAIRIE FISGHBAGHER
SOCIETE ANONYME
33, RUE DR SEINE, 33
18^0
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septième: partie
CHAPITRE PREMIER
1589. — ARGUMENT : diverses opinions dans l'armée touchant
LA reconnaissance DE HENRI IV.
LE ROI LUI-MÊME INCERTAIN PENSE A SE RETIRER A TOURS.
GUITRY LE FAIT CHANGER d'aVIS. — SANCY LUI GAGNE LES SUISSES.
LES ROYALISTES DE L'aRMÉE FINISSENT PAR LUI PRÊTER SERMENT
APRÈS qu'il A PRIS CERTAINS ENGAGEMENTS DONT ON DRESSE UN ACTE,
D'ÉPERNON se RETIRE. — ALLOCUTION DU ROI A CETTE OCCASION.
IL PROMET UNE ASSEMBLÉE DES ÉTATS- GÉNÉRAUX A TOURS.
IL MET EN DÉLIBÉRATION SI L'ON DOIT CONTINUER LE SIÈGE DE PARIS.
il essaie de traiter avec mayenne qui refuse.
henri en conduisant le corps du feu roi a compiègne
s'empare de différentes places.
IL sépare l'armée en trois corps, et lui-même a la tête de l'un passe
en NORMANDIE. — ON LUI REMET DIEPPE ET LA VILLE DE CAEN.
IL FEINT d'assiéger ROUEN POUR ATTIRER MAYENNE.
CE QUI S'ÉTAIT PASSÉ A PARIS, APRÈS LA MORT DU FEU ROI, — A BORDEAUX,
A TOULOUSE, — A TOURS, — EN LANGUEDOC, — EN BOURGOGNE.
MAYENNE AVEC UNE NOMBREUSE ARMÉE POURSUIT LE ROI EN NORMANDIE.
CELUI-CI VIENT CAMPER A ARQUES. — BATAILLE d'aRQUES.
Henri IV était roi, sinon de fait, du moins de droit; mais ce droit
n'était pas universellement reconnu. La grande majorité du parti catho-
lique ne pouvait s'accoutumer a croire que Dieu, qui, par sa grâce, dis-
pose des couronnes, eût pu disposer de la couronne de France en faveur
d'un hérétique notoirement excommunié par le pape. Cette croyance,
tout a fait dans les mœurs et les opinions du temps, fut cause que les
véritables croyants refusèrent longtemps encore d'accepter le nouveau
monarque, et que les ambitieux purent continuer, comme par le passé,
a se faire un marchepied de la religion pour mener au but leurs projets
intéressés.
La mort de Henri IH, n'apportait donc qu'un seul changement dans la
IV. 1
-2 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
situation des affaires du royaume : c'est qu'au lieu d'avoir a lutter contre
un prince dont les droits étaient généralement reconnus, mais qui s'était
tellement avili qu'il avait presque déjà perdu la partie ; la Ligue avait
maintenant affaire à un prétendant aussi actif qu'habile, et qui pouvait,
par ses victoires autant que par les ressources de sa politique, forcer tôt
ou tard les plus récalcitrants a reconnaître la légitimité de ses pré-
tentions.
C'est l'histoire de cette lutte curieuse que j'ai a retracer dans
cette dernière partie de mes récits : et cette histoire est encore celle du
fanatisme religieux qui, bon gré mal gré, finit toujours par n'être que
l'instrument bientôt dédaigné, de ceux qui n'ont en vue que des intérêts
mondains.
Les protestants n'étaient déjà plus que les auxiliaires de ceux qui
s'appelaient alors les royalistes, et on a vu que leur secours avait suffi
pour changer la face des affaires en réduisant la Ligue presque aux
abois. Après avoir mis la royauté à deux pas de sa ruine, c'était leur
parti qui en était devenu le sauveur, bien involontairement sans doute ;
aussi ne fut-il payé que d'ingratitude; mais, du moment que les protes-
tants se furent mis a combattre pour un intérêt politique, et qu'ils eurent
fait alliance avec les royalistes, la guerre cessa d'être religieuse, et tout
l'intérêt religieux s'efface peu 'a peu dans ces longues querelles qu'il me
reste encore a décrire. Tout ce qu'y gagna le protestantisme, ce fut un
édit de tolérance (édit de Nantes), qui même bientôt devait lui être retiré.
Du temps de Constantin aussi, le christianisme, longtemps persécuté,
monta sur le trône des Césars, après s'être mis au service d'un intérêt
politique ; mais, à cette époque, Dieu avait conduit les événements de
telle sorte, que Constantin n'avait plus d'intérêt a redevenir païen, au lieu
que, maintenant, l'intérêt de Henri IV était de redevenir catholique.
(Dr Thou, t. XI, liv. 97, p. 4 et sup.)
En attendant, la mort de Henri III venait de remettre bien des choses
en question parmi ceux qui composaient l'armée royale. On avait
pu accepter les huguenots comme des alHés utiles, mais prendre leur
chef pour maitre, c'était en quelque sorte se faire huguenot soi-
même.
Pourtant ceux des seigneurs qui jugeaient le plus sainement de la
position, convenaient qu'il n'y avait aucun autre moyen de conserver
l'Étal de France, tel qu'il avait existé depuis des siècles, que de garder
l'ordre de succession établi par les anciennes lois. En refusant la cou-
ronne a celui qui y avait, par le sang, les droits les plus rapprochés,
c'était, disaient-ils, laisser la disposition du pouvoir souverain à autant
de petits tyrans qu'il y a de provinces en France. Quant 'a la religion,
suivant eux, elle ne saurait être un obstacle 'a la réunion des sujets a
leur prince légitime, puisque celui-ci n'avait nullement l'intention de
forcer les consciences ; qu'au reste, ceux qui se servaient de ce prétexte
de religion, pour tromper les simples et les faire servir a leurs ambitieux
projets, ne manqueraient pas de continuer les mêmes menées dans tous
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 3
les cas, et qu on en avait déjà une bien triste preuve par la guerre qu'ils
avaient faite au feu roi, quoiijue éminemment bon catholique, et par le
dernier attentat qu'ils venaient de faire conimeltre sur sa personne sacrée.
« C'est, ajoutaient-ils, îi son successeur a punir ce crime infâme qui est
la honte de la nation, et, pour le mettre en état de le faire prompte-
mcnt, nous ne pouvons trop nous hâter de reconnaître ses droits légitimes.
D'autres, dont le mot d'hérésie et surtout d'excommunication réag-
gravée effrayait la conscience, soutenaient qu'avant tout le devoir d'un
chrétien, était d'obéir aux commandements de Dieu et a ceux de sa
Sainte Église ; que nulle considération mondaine de politique ou d'inté-
rêts ne devait prévaloir contre une obligation aussi sacrée; qu'il fallait
avant tout chercher le royaume de Dieu, et s'en rapporter pour le reste
à sa providence.
Un troisième parti (et celui-ci, comme c'est l'ordinaire, n'était pas
le moins nombreux) ne consultait que ses intérêts personnels. Ceux de
ce parti trouvaient qu'en effet il était bon que la noblesse restât réunie
et continuât de se tenir en corps armé pour mieux défendre ses préro-
gatives. L'armée ne devait donc pas se séparer: mais quant au prince
qu'cMe consentirait à reconnaître, et 'a mettre 'a sa tête, c'était, au dire
de ces honnêtes gens, le cas de lui imposer des conditions avantageuses,
'a tous en commun et 'a chacun en particulier.
Pendant ce temps-Fa, le nouveau roi, qui ne savait pas encore si son
autorité serait reconnue par les royalistes, et qui avait même plus d'une
raison d'en douter, tenait 'a Meudon, un conseil avec ses plus fidèles
amis, et on y délibérait sur le parti qu'il convenait de prendre dans une
circonstance aussi importante pour l'avenir de la monarchie. Presque
tous étaient d'avis, que ce prince devait d'abord et surtout penser a sa
sûreté personnelle ; qu'en conséquence, il serait prudent de réunir les
troupes protestantes et le petit nombre de royalistes sur lesquels on pou-
vait compter, et de marcher sans retard, a la tête de toutes ces forces,
pour surprendre la ville de Tours, où le feu roi, avait mis comme en
dépôt tout ce qui a coutume d'annoncer la présence et la majesté de nos
souverains. Une fois en possession de cette ville, elle servirait de
rempart a toute la Guyenne, sur laquelle on pouvait déjà compter, et il
serait ensuite aisé de porter la guerre dans les provinces situées sur les
deux rives de la Loire et de revenir attaquer la capitale.
Henri IV semblait d'abord assez disposé a adopter ce parti ; mais le
seigneur de Guitry le lit revenir a un autre avis. « Sire, lui dit-il, si vous
vous relirez, vos ennemis ne manqueront pas d'attribuer cette retraite à
la peur et de la faire passer pour une fuite. Or, vous le savez, le succès
d'une guerre, dépend prescjue toujours de la réputation qu'on se fait en
la commençant, et, dans les circonstances où vous vous trouvez, il faut
bien se résoudre a ris(juer (|uel(|ue chose, quand il s'agit pour vous de
vous concilier l'estime des peuples, si nécessaire 'a raiïermissement d'un
nouveau règne. D'ailleurs le danger est loin d'être aussi grand qu'on
semble le croire. En vous conliant 'a l'armée qui vient de perdre le
4 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
souverain que vous remplacez, je suis persuadé que la plus grande par-
tie de ces braves se fera un point d'iionneur de vous faire triompher de
vos ennemis. Si, au contraire, on vous voyait vous défier de vous-même
et vous retirer timidement vers la Loire, en abandonnant les conquêtes
déjà faites, toute cette armée, qui peut vous être si utile, ne manquerait
pas de se débander. » (De Tnou, iibisup., p. 4.)
Cet avis l'emporta, et il fut résolu qu'on commencerait par négocier
avec les Suisses qu'avait amenés Sancy. On craignait, en effet, qu'ils ne
regardassent leur engagement comme résilié par la mort du feu roi.
Mais Sancy était lui-même fort bien disposé, et sans avoir été pré-
venu du service qu'on attendait de lui, il avait, aussitôt qu'il fut instruit
de la mort du roi Henri III, assemblé tous les officiers de ses troupes
pour les décider a servir le nouveau roi, leur représentant que leur
propre pays tirerait de leur dévouement en cette circonstance, une grande
gloire et beaucoup d'avantages, puisqu'il s'assurerait par la à tout ja-
mais, la reconnaissance et l'appui de la France.
Comme l'adroit négociateur avait pris d'avance l'utile précaution de
se procurer la coopération des principaux officiers, qu'il avait su gagner,
il fut décidé que les troupes suisses resteraient encore deux mois au
service du nouveau monarque, en attendant les ordres des cantons, et
que, pendant ce temps, elles n'exigeraient pas le paiement immédiat de
leur solde. (Davila, t. III.)
Henri IV, instruit de cette résolution, vint lui-même remercier ces
braves gens avec un air riant ; il donna sa main a baiser à tous les offi-
ciers, et il ne songea plus à retourner vers la Loire. Il alla, tout joyeux,
prendre ses logements au bas du bourg de Saint-Cloud, où bientôt la
foule des seigneurs et des gentilshommes du camp accourut pour le
saluer. H les reçut dans un appartement qu'il avait fait tendre en violet
avec les mêmes tapisseries qui garnissaient la chambre de Henri III, et
où il se montra lui-même en grand deuil, à cause de la mort du
feu roi.
On murmurait bien encore un peu, parmi les catholiques de l'armée,
touchant l'hérésie et l'excommunication du nouveau souverain. Les plus
entêtés demandaient qu'avant de reconnaître les droits d'un prince en-
taché d'une pareille souillure, on en référât aux Etats-Généraux; mais
on finit par convenir qu'en attendant, il fallait, pour ne pas mettre le
salut commun en péril, reconnaître le roi de Navarre, comme généralis-
sime de l'armée, et lui prêter obéissance en celte qualité. (Mézeray,
t. m, p. 692.)
Ceux qui voulaient le reconnaître immédiatement pour roi, eurent
l'air de ne pas prendre garde 'a celte restriction de leurs adversaires, et,
le quatrième jour d'août, Henri de Bourbon fut proclamé par l'armée,
comme héritier légitime de la couronne. Il reçut les serments de tous,
après s'être engagé lui-même sur sa foi et parole de roi, 'a conserver
dans le royaume la religion catholique, apostolique et romaine. Il renou-
vela aussi la promesse qu'il avait déjà faite plusieurs fois de se sou-
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 5
mettre lui-même, pour sa croyance, a la décision d'un concile qu'il ferait
assembler dans le terme de six mois, s'il était possible. Il s'engageait,
de plus, a ne conlier qu'a des catlioIi<iues le commandement des places
dont on se rendrait maître, pendant le cours de cette guerre, comme
aussi a ne nommer que des catboliques aux charges et places, dans les
villes autres cpie celles qui étaient déjà entre les mains des prolestants,
et enfin il promettait de tirer une vengeance rigoureuse et exemplaire du
meurtre de son prédécesseur.
On dressa un acte de ces conventions qui fut signé par le prince et
les ofliciers de la couronne présents au camp. Quelques-uns, cepen-
dant, refusèrent de souscrire cet acte, « non, disaient-ils, (pi'ils le désap-
prouvassent, mais seulement pour ne pas préjudicier aux droits acquis
à leur rang. » De ce nombre fut le duc d'Epernon. Depuis que le roi de
Navarre avait fait sa paix avec Henri III, cet ancien favori le regardait de
mauvais œil, dans la crainte qu'il ne s'insinuât dans les bonnes grâces
du souverain. « S'il prétend en agir avec moi comme il a fait avec les
Guises, avait dit le nouveau roi, dans un moment d'impatience, je lui
promets qu'il y trouvera encore plus mal son compte. » D'Epernon di-
sait, de son côté, que le roi de Navarre ne pouvait se déshabituer de
faire la guerre, comme un chef de vagabonds et de proscrits ; il se vantait
qu'à la prise J'Étampes, il avait lui-même tué de sa propre main un des
gardes du prince, (|ui, pour voler le saint ciboire d'une église, avait osé
profaner le Très-Saint-Sacrement. (Davila, t. III, p. 470.)
On conçoit que ces propos, malignement répétés et envenimés, ne
pouvaient rendre amis ceux qui les avaient tenus. D'Epernon prétjiwla
qu'en sa qualité de duc et pair, il était au-dessus des maréchaux de
liiron et d'Aumont. Ceux-ci soutinrent qu'à l'armée, leur charge ne
devait point reconnaître de supérieur après le roi et les princes de son
sang. Cette opinion ayant prévalu dans le conseil, le duc, mécontent,
partit, suivi des troupes qu'il avait amenées et de beaucoup d'autres
d'entre les catholiques, qui ne demandaient qu'une occasion de s'éloigner
d'un service dans lequel leur conscience religieuse se trouvait compro-
mise. D'Epernon, après avoir traversé la Touraine, se rendit dans son
gouvernement d'Angoulême.
Le roi fut très-sensible à cette retraite, qui pouvait être d'un fâcheux
exemple, mais il dissimula son ressentiment, et, pour empêcher que
l'idée d'une pareille défection ne se propageât parmi ses troupes, il
assembla les autres seigneurs royalistes et leur dit : « Vous savez tous.
Messieurs, quelles recommandations m'a faites sur son lit de mort, le
roi, mon illustre et glorieux prédécesseur: c'est principalement de main-
tenir mes sujets catholiques et prolestants dans une liberté égale, jusqu'à
ce qu'un concile ait décidé ce grand différend. Maintenant, j'apprends
que certaines gens, dans mon armée, se font scrupule de rester à mon
service, à moins que je n'embrasse immédiatement la religion catho-
lique. Je suis bien aise de leur déclarer ici, d'abord: (jue, ni pour le
innie de France, ni pour celui même de lunivers, je ne voudrais (juiller
6 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
une foi dans laquelle j'ai été élevé, s'il ne m'est pas clairement prouvé
que celte foi est erronée ; je ne suis pas homme a vendre ma religion
pour aucun prix. Que ceux qui voudraient me voir m'avilir moi-même
par un aussi ignoble trafic se retirent de moi, je leur en accorde bien
volontiers l'autorisation. Je compte plus sur cent bons Français que sur
deux cents qui auraient des sentiments si indignes. Dieu saura toujours
protéger les gens de bien, et, après m'avoir conduit, depuis mon enfance,
comme par la main, a travers tant de dangers qui menaçaient ma vie, je
ne crois pas qu'il veuille m'abandonner maintenant. Je ne doute nulle-
ment que, puisqu'il a daigné me placer sur le trône, malgré tant d'ob-
stacles, il ne m'y conserve, non pour mes mérites, mais pour le salut de
tant d'âmes qui implorent son secours contre la plus cruelle tyrannie,
et pour se servir de mon bras comme d'un instrument de son pouvoir
tout-puissant. Du reste, considérez, je vous prie, s'il ne doit pas être
bien dur et bien fâcheux pour moi, qui suis votre maître, de voir que,
tandis que je vous laisse a tous la liberté de conscience, des gens de
peu d'importance veuillent m'astreindre a adopter sans examen leurs opi-
nions, qui, après tout, peuvent bien n'être pas les meilleures. Moi, je
ne veux m'en rapporter qu'a la décision des seuls juges compétents en
cette matière, c'est-a-dire aux décrets d'un concile que j'ai promis et
que je promets encore de faire convoquer, d {Mém. de la Ligue, t. IV,
p. 954.)
Cette allocution, prononcée avec ce ton de h-anchise que Henri IV
savait si bien prendre, eut tout l'effet que ce prince en attendait. Elle ne
contenait rien qui pût décourager les protestants, et tout catholique rai-
sonnable devait s'en montrer satisfait. Il n'y eut donc qu'un très-petit
nombre de gentilshommes qui osèrent abandonner l'armée, et l'acte
contenant les assurances que le nouveau roi avait données, ainsi que le
serment qui, en conséquence, lui avait été prêté par les princes, ducs et
seigneurs, fut envoyé au parlement, séant à Tours, lequel en fit l'enre-
gistrement le quatorzième jour d'août.
Au reste, parce que plusieurs s'étaient plaints que les ministres de
la nouvelle religion prenaient trop hardiment le dessus dans ses conseils,
le roi, qui ne les aimait guère déjà, et qui comprenait tout le tort qu'ils
pouvaient lui faire avec leurs prétentions exagérées ; mais qui n'osait
pas encore lutter ouvertement contre eux, imagina un biais pour se
défaire de leur importunité, ce fut d'assigner a Tours, une assemblée
des États-Généraux, où se trouveraient les députés des deux religions, et
de jurer qu'en cette assemblée il voulait .recevoir éclaircissement sur les
controverses de religion, promettant qu'il s'en remettrait a ce que les
lumières du Saint-Esprit et les avis des plus doctes hommes de son
royaume lui feraient voir. C'était ce qu'il disait tout haut, et cela, au fait,
ne l'engageait a rien ni envers les catholiques, ni envers les protestants ;
mais, en particulier, il expliquait différemment ces paroles, suivant ceux
à qui il avait affaire, et sachant que ce qu'il disait sur un pareil sujet
était soigneusement observé par les deux partis, il mesurait tous ses
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 7
propos avec la plus grande circonspection, pour gagner les uns et ne pas
perdre les autres. Il se montrait, en outre, doux et affable a tout le
monde, et son plus grand soin était de ne pas mécontenter les religion-
naires, qui commençaient déjà a murmurer de sa tiédeur et a se plaindre
des rudesses de François d'O, surintendant des finances, lequel n'avait
jamais d'argent pour eux, quoiqu'il y en eût toujours un peu pour payer
les catholiques. (Mkzeray, t. III, p. 702.)
« Mes amis, leur disait tout doucement ce bon prince, patientons
encore un peu. Un jour viendra où vous partagerez ma bonne fortune. »
Et cela était dit avec tant de bonhomie et de si bonne grâce, qu'il n'y
avait pas moyen de refuser son dévouement 'a un prince aussi avenant.
Or, cette conduite habile du nouveau monarque put durer avec succès
pendant plus de quatre ans. C'était un grand et prudent prince que le
roi Henri IV.
Restait pourtant 'a délibérer, si, avec les forces qu'on tenait encore
réunies, mais qui très-probablement devaient se disperser sous peu, on
devait s'attacher au siège de Paris et presser vigoureusement cette capi-
tale, comme c'était l'intention du feu roi. On trouva (ce qui était vrai)
que la mort de ce prince avait bien changé les choses, en refroidissant
d'abord le courage des royalistes, dont la fidélité pour le nouveau Roi
n'était pas trop affermie, attendu sa qualité d'hérétique excommunié ;
qu'ensuite cette mort avait relevé l'ardeur des Parisiens, h qui leurs pré-
dicateurs la représentaient comme un coup du ciel; et enfin, qu'elle
avait rompu toutes les intelligences qu'on avait dans la ville assiégée.
Ceux des capitaines et des bourgeois qui avaient promis de se déclarer
en faveur du feu roi avaient changé d'avis, et maintenant ils ne se sen-
taient plus dans la même disposition pour obliger un prince hugiienol.
{Journal de Henri IV, p. 5.)
Henri, qui appréciait toutes ces difficultés, crut qu'il n'y aurait pas
d'inconvénient de traiter avec Mayenne avant d'en venir 'a la voie des
armes, à laquelle on aurait toujours le temps de recourir. Par un nommé
Bigot, domestique de Villeroy, et qui venait assez souvent au camp, il
fit prévenir ce seigneur qu'il voulait lui parler bouche à bouche, et qu'il
lui offrait un sauf-conduit, pour se trouver en tel lieu que le dit seigneur
choisirait lui-même. {Mém. de Villeroy, ad ann. 1589.)
Villeroy répondit qu'il ne pouvait accepter ce rendez-vous sans la
permission du duc de Mayenne, qui ne voulait pas la donner, attendu que
chacun entrerait en ombrage de cette entrevue, qui ne pouvait nianciuer
d'être sue de tout le monde, et qui, partant, serait préjudiciable a ses
intérêts ; mais (pie, si le roi voulait envoyer un gentilhomme 'a Paris, on
accorderait très-probablement un pourparler. Marsillou y fut dépêché, et
il dit a Villeroy : « Monseigneur le duc de Mayenne ne doit pas voir un
ennemi dans mon maître. Ce n'est pas lui (pii a commis les actes dont
le noble duc a juré de poursuivre la vengeance. Il n'a ni conseillé ni
approuvé le meurtre des illustres princes; mais, au contraire, il a tou-
jours chéri avec une considération particulière Monseigneur de Mayenne,
8 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
et il le prie de se souvenir de Tétroite amitié qui a toujours existé entre
eux. Il 1 exhorte donc, comme son bon parent et son ami, et, en consi-
dération des services qu'il est appelé à rendre à rEtat,à ne pas se perdre
de gaieté de cœur, et a rechercher plutôt son avancement dans les faveurs
d'un maître bien disposé que dans les troubles et misères publiques, où
il ne doit trouver a la fin que honte et abaissement. Sa Majesté lui offre
le premier rang d'honneur auprès de sa personne, la meilleure part dans
ses conseils et le choix dans les plus grandes charges comme dans les
meilleurs gouvernements de la France, »
Villeroy transmit ces propositions au duc. « La diversité de religion,
répondit celui-ci, ne permet pas de traiter avec l'hérétique Henri de
Navarre, et je ne puis accueillir aucune proposition de sa part avant qu'il
ne se soit réconcilié avec la Sainte Eglise, notre mère a tous. »
Quand cette réponse fut rapportée au roi, il ne lui restait plus qu'à
lever le camp, car, bien loin de songer a prendre Paris par force, le
voisinage de cette ville lui devenait désormais fort dangereux. Les in-
trigues des Ligueurs lui débauchaient 'a chaque moment quelques-uns de
ses gens. De plus, il avait nouvelle que de toutes parts, il venait des
secours au duc. Il fut donc résolu, dans le conseil, qu'il fallait abandonner
le siège de la capitale. (Mézeray, t. 111, p. 699.)
Henri IV, pour se concilier les partisans du feu roi, exposa alors que
les fureurs de la Ligue ne s'étaient déj'a que trop manifestées contre ce
regrettable prince, pour qu'on n'eût pas à craindre qu'en laissant ses
dépouilles mortelles dans le voisinage de Paris, elles ne fussent bientôt
profanées indignement par une populace fanatisée. Il proposa de porter
le corps à Compiègne, où il fut mis, comme on l'a vu, en dépôt, en
attendant des jours plus tranquilles. Il engagea toute l'armée à ne pas
se séparer avant d'avoir accompagné cesîprécieux restes à l'asile pro-
visoire mais sûr qu'il indiquait, et l'on se mit en marche avec deuil et
recueillement. (Mézeray, t. III, p. 701.
Mais, sur la route, le roi se rendit maître de Creil, de Meulan, de
Gisors, de Clermont-en-Beauvoisis, et généralement de tous les postes
qui pouvaient interrompre les communications de Paris avec les Ligueurs
de la Picardie. Puis, voyant que ceux de la capitale, tout occupés à se
réjouir de la mort de Henri III, ne songeaient pas à l'attaquer, il divisa
ses forces en trois corps, dont l'un fut mis sous les ordres du duc de
Longueville, pour rester en Picardie, et y maintenir dans leurs bonnes
dispositions ceux de la noblesse de cette province, qui avaient déj'a
adhéré au nouveau roi. Le second corps, ayant à sa tête le maréchal
d'Aumont, eut ordre d'aller en Champagne et d'y tenir dans le respect
les villes dévouées à la Ligue, et Henri, s'étant réservé le commande-
ment du troisième corps, qui était le plus nombreux, prit la route de
Normandie. Son but était de s'assurer une retraite par mer en cas d'ac-
cident, et en même temps d'ouvrir une communication facile aux secours
qu'il attendait d'Angleterre. Il comptait qu'en effet ils ne devaient pas
tarder beaucoup d'arriver, puisqu'ils étaient demandés et promis depuis
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 9
plus de deux mois, du vivant même du feu roi Henri III. {Hisl. des dern.
troubles, Henri iV, fol. 0, mss.)
Henri écrivit aussi au\ cantons suisses protestants et aux princes
luthériens de rAllemagne. Sous prétexte de leur donner avis de son
avènement à la couronne, il profitait de l'occasion pour leur demander
leur appui contre ses ennemis, et, pour ne pas leur laisser de mauvaises
pensées sur son compte, il leur expliquait lui-même les promesses qu'il
avait été obligé de l'aire aux seigneurs catholiques. Elles lui avalent,
disait-il, été arrachées |)ar la nécessité des circonstances, mais il pro-
testait que rien n'était capable d'ébranler sa foi religieuse ni de le sépa-
rer d'avec Christ. (Mkzkhav, t. III, p. 105.)
Il continuait cependant sa route eu Normandie, et il arriva devant
Ponl-de-l'Arche, dont le capitaine Rolet était commandant ; celui-ci lui
apporta toute assurance de (idélité de la part des habitants de la dite
ville. {M cm. de la Ligue, t. IV, p. 48 et su iv.)
De Ta, en suivant les bords de la Seine, le roi vint camper avec toutes
ses troupes au bourg de Darnetal, situé presque sous les murs de Rouen.
Puis, prenant avec lui un camp volant de quatre cents chevaux, il alla
faire une course jusqu'aux portes de Dieppe. Cette ville, qui a un bon
port sur la Manche, et où, par conséquent, peuvent aborder facilement
tous les arrivages d'Angleterre et de la Hollande, lui semblait a juste
titre une possession de très-haute importance. Aymar de Chastes en était
gouverneur.
A la nouvelle de l'approche du roi, Aymar lui envoya dire qu'il tenait
la ville 'a sa disposition, et cela, sans demander aucune sûreté ni dédom-
magement. Comme c'était la une manière d'agir tout a fait contraire a
celle que pratiquaient, en ce temps-la, les gouverneurs des places fortes,
lesquels ne cédaient rien pour rien, Henri, montra quchpie méfiance
avant d'accepter cette proposition qui pouvait bien cacher un piège.
Aymar, voyant cette hésitation, sortit lui-même de la ville 'a la tête de
tous ses soldats. « Sire, dit-il, me voici a vos ordres avec tous ceux (pie
je commande; il n'y a plus maintenant un seul homme de guerre, ni
dans la place ni dans le château. Toutes les portes sont toutes grandes
ouvertes; vous pouvez y envoyer qui bon vous semblera pour en prendre
possession. »
« Mon ami, dit le roi en l'embrassant, c'est vrai que j'avais de la
méliance et j'aime mieux m'en excuser que de le nier. Dans les tristes
circonstances où je me trouve, je n'ai véritablement pas été sans soup-
çons en vous voyant mettre tant d'empressement et de générosité 'a vous
soumettre, sans exiger les conditions que d'autres, à votre place, auraient
voulu m'imposer. Mais maintenant, il y aurait de ma part de l'ingrati-
tude Il ne pas me conlier entièrement a votre loyauté. Allez donc avec
vos braves soldais reprendre la garde de votre ville; je ne pourrais lui
donner un plus digne gouverneur, ni une plus fidèle garnison, et j'exige
que ce soit vous qui me présentiez vous-même à mes bons habitants de
Dieppe.
10 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Henri marcha aussitôt côte à côte avec le gouverneur, et fut reçu
par les Dieppois avec de grandes acclamations. Ce jour-là, a ce qu'il a
dit depuis lui-même, fut le premier, où il goûta le plaisir d'être roi
de France. (Mézerav, t. III, p. 705.)
Le gouverneur de Caen, autre place très-forte alors, suivit presque
aussitôt l'exemple du brave Aymar, dont au reste il était parent. « Or,
on peut dire de ces deux braves, qu'ils ne sont point de ceux, qui sont
justes et innocents parce qu'ils n'ont pas eu l'occasion de faillir; car ils
l'avaient belle, pour imposer de dures conditions 'a leur prince, et ils pré-
férèrent ne lui montrer que leur fidélité et leur dévouement, j) La pos-
session des deux places importantes qu'ils avaient remises au roi le rendit
maître, tant que la guerre dura, de toute la basse Normandie, ce qui lui
fut d'une grande utilité parla suite. {Mém. de la Ligue, t. IV, p. 55.)
Pour le moment, dans toute la chaleur de leur enthousiasme, les
Dieppois proposèrent au monarque d'aller faire le siège de Rouen, et lui
offrirent pour cela leur bourse et leurs personnes. Henri comprit que, mal-
gré cette bonne volonté, dont il ne devait pas abuser, s'il voulait la rendre
stable, il y aurait de l'imprudence de sa part a tenter une entreprise
aussi importante. Il accueillit néanmoins avec reconnaissance les offres
de sa bonne ville de Dieppe, et il promit qu'il en conférerait avec les
officiers généraux de son armée, [qu'il avait laissés au camp. Bientôt
après il retourna rejoindre le reste de ses troupes a Darnetal.
L'a, il parla au duc de Montpensier et a Biron, de la proposition des
Dieppois. On fut d'avis qu'il ne fallait pas la dédaigner, attendu que,
dans les circonstances présentes, il était bon que le roi donnât une grande
réputation a ses armes, en paraissant ne pas hésiter a accepter de grands
projets, mais qu'il n'en fallait pas moins agir avec toute la précaution
possible et ne pas risquer un échec qui perdrait tout.
On convint donc de faire tous les mêmes préparatifs qui auraient été
nécessaires, si le roi eût eu sérieusement l'intention d'assiéger Rouen,
mais de ne pas trop s'engager et de se tenir prêt à se retirer vers Dieppe,
au cas que la place fût secourue, et on comptait qu'elle le serait. C'était
même pour obtenir ce résultat qu'on faisait cette démonstration. On vou-
lait attirer de ce côté les forces que la Ligue avait a Paris, et empêcher
ces mêmes forces de reprendre les places que le roi avait déjà conquises
aux alentours de la capitale. On commença donc par brûler et ruiner
tous les moulins qui étaient aux environs de Rouen, ce qui causa un grand
dommage à la ville. Le duc d'Aumale et le comte de Brissac, qui étaient
dans Rouen, à la tête d'une cavalerie nombreuse, mais sans infanterie,
écrivirent au duc de Mayenne de tout quitter pour venir à leur secours,
s'il voulait conserver une place aussi importante, et celui-ci, avec quinze
mille hommes de pied et quatre mille chevaux se mit incontinent en
route, publiant qu'il s'en allait prendre le Béarnais et le ramener prison-
nier à Paris. {Journal de Henri IV, i. I, p. 6.)
Or, voici ce qui s'était passé dans cette capitale. Aussitôt qu'on y fut
instruit de la mort du feu roi et de la manière dont l'assassin avait été
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 11
massacré au moment même, Mayenne avait fait relâcher tous ceux qu'on
avait arrêtés la veille, « ce qui prouverait, juscpf à un certain point, (pie
ces arrestations n'avaient été faites que |)0ur avoir des otages peur la
vie de Jacques Clément. Celui-ci n'étant plus, on n'avait plus besoin
d'otages. » (De Thol', ibid.^ p. 10.)
Mayenne délibéra ensuite quel titre il se donnerait pour faire valoir la
bonne fortune qu'il voyait maintenant entre ses mains. Les plus hardis
de ses partisans, et principalement la duchesse de Montpensier, lui con-
seillaient de |)rendre sans hésitation la qualité de roi. " Car, disaient-
ils, c'est le seul titre qui puisse vous donner assez d'empire sur les
peuples, qui sont tout accoutumés depuis longtemps à respecter la
royauté, et qui, pour le moment, comprendraient dillicilement tout autre
pouvoir. Or, il vous est facile de trouver de fort bonnes raisons pour
appuyer vos droits h prendre ce titre. Dabord, selon toutes les lois di-
vines et humaines, c'cst-a-dire ecclésiastiques et politiques, ceux qui sont
par-del'a le septième degré de parenté ne sont plus estimés parents et
ne peuvent venir de si loin h une succession; partant, tous les princes
de la maison de Bourbon n'ont rien a prétendre a la couronne, vu (ju'ils
n'ont de parenté avec le feu roi qu'à plus du onzième degré. En outre,
l'hérésie dont cette maison s'est entachée, la rend déchue dans tous les
cas, puisque la qualité de roi très-chrétion, est inséparable de celle de
roi de France. Une fois ceci établi et la couronne déclarée vacante, il
vous est aisé de faire voir que vous avez le droit de vous en saisir pour
le bien de tous, comme étant celui qui a hasardé avec le plus de zèle et
d'ardeur sa personne et ses biens, pour la défense de la Sainte Église.
Pépin et Gapet lui-même n'ont jamais eu d'autre titre. Vous, vous pou-
vez encore alléguer, au besoin, votre descendance de l'illustre Charle-
magne, telle qu'un chroniqueur bien intentionné l'a fabriquée naguère ;
mais surtout, n'oubliez pas qu'il n'y a point de droits, si contestables
qu'ils soient, qu'on ne puisse faire prévaloir, quand on est habile et
qu'on a la force en main. » Mayenne goûtait assez toutes ces raisons;
mais une chose le troublait, car, comme on sait, son caractère n'était
rien moins qu'audacieux et ferme ; il se demandait si tous les princes et
seigneurs qui n'avaient pas hésité 'a le reconnaître comme un chef choisi
parmi leurs égaux, et comme n'ayant, au résumé, d'autre droit de préé-
minence sur eux que leur volonté, consentiraient de bonne grâce à lui
accorder les droits plus décisifs de la royauté et 'a le reconnaître pour
leur souverain seigneur et maître. « Hélas ! disait-il h la duchesse de
Montpensier, qui l'excitait avec toute l'ardeur de ses rancunes, ne dois-
je pas craindre (jue les peuples ne soient comme vous autres, belles
dames, qui souvent consentez à recevoir pour galant un homme, dont
vous ne voudriez pas faire votre mari. » (Mézerav, t. 111, p. 695
et suiv.)
Avant donc d'aller plus loin, il lit sonder indirectement les inten-
tions du parlement, du conseil des Quarante, des capitaines des quartiers,
des principaux bourgeois de Paris, et même du peuple en général. Il
12 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
trouva justement, ce qu'il avait appréhendé, que personne n'adhérerait
volontiers a se donner Mayenne pour roi. Bien plus, Mendoce, ambas-
sadeur d'Espagne, qui fut aussi consulté, déclara brusquement que cela
n'était point conforme aux intentions du roi son maître. « La mort de
Henri III, dit a ce sujet Villeroy, avait aiguisé l'appétit du monarque
espagnol. » {Mém. de Villeroij, ad ann. 1589.)
Mayenne^ plus irrésolu que jamais, n'osa pas aller plus avant. Que
devait-il donc faire? Le président Jeannin lui dit : «Mon avis est que vous
fassiez savoir à tous les catholiques de l'armée royale, par une belle
déclaration, que tous vos ressentiments demeurant éteints par la mort
de Henri 111, et que, n'ayant plus à poursuivre la vengeance de l'assas-
sinat de vos illustres frères, il ne vous reste plus maintenant d'intérêt a
défendre que celui de la religion ; que ce devoir étant d'obligation divine
et regardant tous les bons chrétiens, vous conjurez les dits catho-
liques de se joindre a vous pour exhorter le roi de Navarre à rentrer
dans le giron de l'Église ; que, s'il le fait, vous êtes tout prêt a le recon-
naître pour roi; mais que, s'il refuse, vous demandez que, d'un com-
mun accord, on désigne un autre prince pour occuper le trône. »
En suivant cet avis, Mayenne eût probablement mis fin 'a la guerre;
car il n'est pas douteux que le roi, n'ayant plus besoin des protestants,
n'eût pas hésité 'aies abandonner; mais ce fut précisément la crainte
d'une pareille solution qui l'engagea a rejeter le conseil de Jeannin.
Tous les avantages que le roi aurait pu lui accorder eussent toujours
été moindres que ses prétentions, et, dans les différentes chances qui
devaient naître de la lutte, si elle se continuait, il comptait bien qu'il
s'en présenterait de favorables aux ambitieux desseins de la famille des
Guises, desseins auxquels il n'avait pas renoncé, quoiqu'au fond il ne
fut nullement l'homme capable de mener 'a bonne fin une semblablee
entreprise.
H imagina, comme moyen terme, de nommer roi le vieux cardinal
de Bourbon. H savait que ce prince était aimé des Parisiens, et il espé-
rait que, faible d'esprit, caduc, languissant comme il l'était, et, de plus,
prisonnier, ce fantôme de roi laisserait le pouvoir assez longtemps entre
ses mains pour lui donner le loisir de s'assujettir tout doucement les
esprits dans les provinces, et d'accoutumer les seigneurs de son parti a
ne plus s'effaroucher en lui voyant garder une autorité qu'il aurait déj'a
exercée sous le nom d'un autre. En conséquence, le vieux cardinal, par
l'avis du conseil des Quarante et des plus notables bourgeois, fut pro-
clamé roi sous le nom de Charles X. Déjà, au reste, sous le règne de
Henri III, les plus fanatiques des Ligueurs lui avaient donné ce nom
après l'excommunication du monarque, qui avait ordonné la mort d'un
prince de la Sainte Église. {Mém. de Villeroy, ad ann. 1589.)
L'édil de déclaration de l'avènement de Charles X, fut signé par
Mayenne, qui continua à prendre, même pour cette signature, le titre de
lieutenant-général de l'État et couronne de France. Plusieurs s'en éton-
nèrent et firent l'observation que la qualité de régent, usitée pendant
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 43
l'absence ou la prison des rois, eût été tout à la fois et plus convenable
a la circonstance et pbis majestueuse. {Mém. de la Ligue, l. IV, p. '29.)
Mayenne écrivit ensuite a toutes les villes et a tous les gouverneurs
du parti. En leur parlant de la mort l'unesle du l'eu roi, il leur disait que
ce qui venait d'arriver la ne devait pas être regardé comme un eflet
d'aucun conseil humain, mais comme un coup de la providence admi-
rable du Tout-Puissant, qui avait voulu venger les hommes dévoués 'a
la vraie foi de l'oppression dont leurs ennemis étaient parvenus à leur
imposer le joug. « Profitons d'un aussi grand bienfait, ajoutait-il, et ne
laissons pas échapper une aussi belle occasion de procurer la gloire de
Dieu et le salut des hommes. Dieu lui-même s'est chargé de la punition
des ennemis secrets de sa religion, et, maintenant, ce n'est plus qu'aux
hérétiques avoués que nous avons afïaire. Pour seconder nos ellbrts contre
eux, nous pouvons déjà compter sur les secours du puissant roi des
Espagnes, qui n'a, jusqu'à présent, hésité de se déclarer en notre faveur
que par suite de certains'égards pour la personne du roi Henri 111; mais,
'a présent que nous n'avons plus à combattre que contre un prétendant
dont les droits, s'il en a, sont annulés par l'hérésie. Sa Majesté espagnole
ne peut plus être arrêtée par aucune considération. (Mézerav, t. 111,
p. 695. — De Tiiou, uhi sup., p. 20.)
Ceux qui colportaient cette proclamation jusqu'au milieu des armées
royales s'appliquaient à gagner les ofdciers et les soldats en prodiguant
l'argent et les promesses, et chaque jour ils en débauchaient un bon
nombre. La religion servait ensuite d'honnête prétexte aux transfuges, et,
dit Mézeray, « j'ai su (]ue dans ces commencements, oîi la chance était
encore bien douteuse, et où le parti de la Ligue était même le plus fort,
du moins en apparence ; il se serait trouvé bien peu de gens qui
n'eussent été à vendre, si on eût eu de quoi les acheter. » Mais telle
avait été la dilapidation du trésor'public de la Ligue, qu'il restait h peine
au lieutenant-général de l'Etat et couronne de France, (puisque c'est le
nom qu'il se donnait) de quoi entretenir encore pendant (juinze jours ses
gens de guerre. (Mézeray, t. III, p. 098.)
Il s'adressa au roi d'Espagne par une lettre fort pressante : « Très-
glorieux défenseur et vengeur de la [religion, lui disait-il, c'est mainte-
nant à vous d'employer généreusement cette puissance redoutable dont
Dieu, a récompensé vos vertus, 'a délivrer un des plus florissants royaumes
de la chrétienté de la tyrannie des hérétiques. Nous n'avons d'autre
recours qu'en vous, et tous les vrais catholiques de France attendent
humblement cette grâce de votre zèle pour la foi. » (De Tiiol-, nbi sup.)
En même temps, et en attendant qu'on pût assembler les Etats-
Généraux, qu'il promettait de convoquer pour la fin de novembre, il faisait,
tant en son nom de lieutenant-général de France, qu'en celui de la Ligue
fiu Sainte-Union catholi(iue, enregistrer i)ar le i)arlement de Paris, un
édit dans lequel il exhortait tous les princes, seigneurs et vilains, a se
réunir 'a lui. « Puisque la Providence a daigné enfin nous délivrer d'un
protecteur de Ihérésie, était-il dit dans cet édit, il ne nous reste plus
14 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
qu'à rendre h l'héritier légitime du trône, Monseigneur le cardinal de
Bourbon, maintenant Sa Majesté Charles X, l'obéissance qui lui est légi-
timement due. 11 faut que chacun prenne rengagement de n'aider le soi-
disant prétendant hérétique ni de ses forces ni de ses conseils. »
Nul doute que toutes ces proclamalionset démarches n'eussent pu avoir
un succès favorable, car elles étaient parfaitement dans les idées du
temps, mais il eût fallu pour les soutenir efficacement faire montre d'une
grande activité et de beaucoup d'audace. Outre que ces deux qualités
n'étaient pas dans le génie de Mayenne, il était alors tristement souf-
Irant d'une de ces maladies dont le patient ne peut avouer la cause.
« Un jour, quatre ou cinq des principaux de son parti faisaient débauche
dans l'hôtel Carnavalet avec des filles de joie ; un d'entre eux, qui le vit
passer, courut après lui et l'engagea à venir se divertir avec la com-
pagnie. Il n'y demeura pas une demi-heure; mais, dans ce peu de temps,
les faveurs d'une de ces dames lui causèrent une disgrâce qui ne se put
guérir par les remèdes ordinaires, et qui le mit en si piteux état qu'il fut
contraint d'avoir recours a une cure plus fâcheuse, gardant la chambre
et n'ayant plus le cœur de s'occuper d'autre soin que de celui de sa
santé. Ses affaires, par conséquent, n'avançaient point, et quand il fut
guéri, il lui resta pour longtemps une débilité chagrine et une certaine
pesanteur qui, jointes 'a sa lenteur naturelle, attachèrent, pour ainsi dire,
un billot aux pieds de sa fortune, lorsqu'elle allait s'élever le plus haut. »
(MÉZERAV, t. 111, p. 698.).
Henri IV, cependant, commençait alors 'a craindre que le cardinal de
Bourbon, surtout s'il retombait entre les mains des Ligueurs, ne devînt
un prétexte sérieux de lui disputer le trône. Le noble prélat était toujours
prisonnier au château de Chinon, gardé par le sieur de Chavigny, homme
d'une fidélité a l'épreuve, sans doute, mais qui, étant bien vieux alors et
devenu presque aveugle, se laissait gouverner par sa femme. Or, les
Ligueurs en étaient déj'a 'a faire des propositions 'a cette dernière, pour
qu'elle leur rendit leur roi. Henri jugea donc prudent, de retirer un pri-
sonnier aussi important des mains d'un pareil gardien, et il chargea
Duplessis-Mornay de le faire transférer en Poitou. (De Tnou, ubi siip. —
Palma Cayet, Chron. novenn., ad ann. 1589. — Vie de Duplessis-
Mornay, liv. 1, p. 158 et suiv.)
Pendant ce temps-la, la nouvelle de la mort du roi, en se répandant
dans les provinces, y causait divers événements plus ou moins favo-
rables au parti royaliste, suivant que ces provinces se trouvaient plus ou
moins bien disposées. Presque partout le clergé était dévoué à la Ligue;
la noblesse tenait au principe royaliste, fondement de ses privilèges; le
peuple, en général, penchait plus pour Mayenne et les Ligueurs, qui se
proclamaient les défenseurs de la foi catholique, et quant â la magistra-
ture, il n'y avait encore pas un seul des huit parlement^, composant l'ordre
judiciaire du royaume, qui se fût haulement déclaré pour le roi. Ceux des
membres de ces compagnies qui avaient embrassé la cause du trône
avaient été obligés de se séparer de leurs corps, et d'aller tenir leurs
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 15
séances dans quelques petites villes, d'où ils combattaient en faveur de
leur opinion a coups déplumes et d'arrêts, avec grande animosilé.
Matignon, h Taide du Chàteau-Tromi)Ctte dont il avait su s'emparer,
comme on Ta vu, était parvenu à maintenir la ville de Bordeaux, dans le
devoir; mais il commençait à s'apercevoir (|ue les magistrats, et surtout
le parlement de cette place importante, n'étaient rien moins que favora-
blement portés pour le service du roi Henri IV. 11 ne se fiait pas trop
sur la force du cliàteau (|ui, en ell'et, n'aurait pas été une place de grande
défense, si la ville tout entière eût pris parti contre lui. Il aima mieux
prendre une voie détournée, comme c'était assez son babitude. Il alla au
palais, et, sans dire un mot du nouveau roi, il parvint 'a faire rendre a
la cour un arrêt qui portait que le parlement, instruit de la déplorable
fin du feu roi, exhortait tous les évêques et curés du ressort du dit
parlement a faire des prières pour le repos de l'âme de l'illustre défunt,
enjoignant en môme temps aux magistrats de veiller à ce qu'il ne se fit
aucun changement dans la religion ni dans le gouvernement, et h main-
tenir strictement les édits publiés aux Etals de iJlois, jusqu'à ce que Dieu,
dans sa miséricorde, en eût autrement ordonné, louchant l'administra-
tion et la tranquillité de la France. Quoique cet arrêt ne contint rien en
faveur des prétentions de Henri IV, Matignon, qui lui était dévoué, n'en
tira pas moins un excellent parti pour contenir toute la Guyenne dans le
devoir. {Mém. de la Ligue, t. IV, p. 45.)
Le parlement de Toulouse rendit pareillement un édit, mais bien
différent de celui-là. Il y était dit que la cour, instruite de la terrible
mort de Henri III, ordonnait à tous, princes, prélats, seigneurs et autres,
de réunir leurs conseils, crédit et force pour le maintien de la loi catho-
lique et de la Sainte Union, qui s'était formée en France dans le même but.
Le même arrêt portait qu'ahn de témoigner au ciel la reconnaissance
qui lui était due, pour avoir délivré la France d'un tyran protecteur de
l'hérésie, on ferait tous les ans, a la date du premier jour d'août, une
procession publique. En outre, il était défendu, sous les plus graves
peines, de reconnaître Henri de Bourbon, soi-disant roi de Navarre, et
de l'assister en rien dans ses prétentions, comme étant notoirement
excommunié, convaincu de plusieurs crimes, et par cela seul incapable
de succéder 'a la couronne. Dans cette même ville de Toulouse, on
célébra un service solennel pour frère Jacques Clément, meurtrier de
Henri IH, et l'efligie du roi défunt fut traînée par la populace dans la
boue des rues. {Mém. de l:i Ligue, ibid., p. 47. — Mém. de Philippi,
adann. ir)80.)
En ce même temps, la ville de Tours, où le feu roi avait réuni,
comme dans une nouvelle capitale, toutes les grandes administrations
du royaume, fut l'objet d'un complot qui ne tendait a rien moins qu'à
livrer aux Ligueurs et le parlement royaliste tout entier, et les grands
officiers de la couronne (|ui y exerçaient leur charge. H y avait dans cette
ville un parti dévoué a la Ligue, qui avait déjà su gagner secrètement à
lui un grand nombre des habilants. A la tête de ce parti se trouvait un
16 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
nommé Lelièvre, receveur a Ingrande, mais qui demeurait habituelle-
ment a Tours. Cet homme, et quelques-uns de ses complices, allèrent
trouver le sieur de Lessart, ancien gouverneur de Saumur, qui comman-
dait alors dans la ville une compagnie de gens de pied. Espérant s'en
faire aisément un ami et un appui, ils commencèrent par le plaindre de
ce que, par une injustice criante, on lui avait ôté son gouvernement
pour en gratifier un hérétique, Lessart feignit d'entrer dans cette idée ;
alors on ne craignit plus de s'ouvrir a un homme qui paraissait si bien
disposé, et on lui dit qu'il ne tenait qu'a lui d'avoir un autre gouverne-
ment bien meilleur que celui de Saumur, et qu'il pouvait se rendre
maître de celui de Tours, chose en quoi on s'offrait volontiers à aider un
aussi bon catholique. «Eh! comment faudrait-il s'y prendre? » demanda-
t-il, avec l'air de la plus grande bonhomie. Ils lui découvrirent alors
leur complot déjà formé, et tous les moyens qu'ils avaient préparés pour
le mener 'a bonne fin. On devait commencer par surprendre et mettre à
mort tous ceux du conseil royal, tous les membres du parlement et de
la cour des comptes, et abandonner le pillage de leurs maisons à la popu-
lace, qui ne demanderait pas mieux que de seconder les conjurés quand
elle verrait un pareil profit a faire. Lessart répondit qu'il était tout disposé
'a prêter sa coopération a une œuvre aussi profitable à la religion ; mais
qu'il voulait auparavant voir clair en cette entreprise, et qu'il ne s'y asso-
cierait que quand il saurait sur combien de gens et sur quels person-
nages influents on pouvait comj)ter. On lui promit de lui fournir un
mémoire détaillé à ce sujet, et signé des principaux d'entre les conjurés.
Aussitôt qu'il fut demeuré seul, le capitaine alla trouver le cardinal de
Vendôme et lui révéla tout ce qu'il venait d'apprendre, et celui-ci lui
donna des archers et des hommes fidèles pour qu'il les fît cacher dans sa
maison, afin de surprendre les conjurés quand ils reviendraient. Ils
revinrent, en effet, comme ils l'avaient promis, apportant leur mémoire.
Alors les archers, sortant de leur cachette, se jetèrent sur eux, s'empa-
rèrent de leur mémoire et les arrêtèrent. Aussitôt les portes de la ville
furent fermées, et l'on mit en prison tous ceux qui étaient compromis
en grand nombre, dans le dit mémoire. Lelièvre et deux de ses princi-
paux complices furent pendus dès le lendemain, mais cette exécution un
peu sommaire, ne se fit pas sans un grand tumulte dans la bonne ville de
Tours. Un homme du peuple tira un coup de pistolet sur la garde et fut
tué sur-le-champ, ainsi qu'un tailleur, qui était sorti de sa boutique, bran-
dissant une épée et criant : <c Vivent les Guises! à sac les royaux et les
hérétiques ! » Le calme s'élant alors rétabli dans la foule effrayée, force
resta à la loi, et la ville de Tours fut dès lors tout assurée au roi. On
pendit encore, deux jours après, sans la moindre opposition, deux autres
des plus coupables, puis on fît grâce au reste. (Cayet, Chron. novenn.,
ad ann. 1589.)
En Bretagne, le duc de Mercœur, qui voulait prendre, pour sa pari,
cette riche province (dont on a déj'a vu qu'il se portait comme légitime
seigneur, en vertu des droits prétendus de sa femme), s'était rendu maître
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 17
absolu de la plus grande partie des villes et des places de quelque impor-
tance, et il n'était pas Hicile de l'en déloger.
La Normandie était partagée a peu près entre les deux partis; la
Picardie ainsi que la Champagne appartenaient presque entièrement
a la Ligue. (Mkzeray, t. 111, p. 723.)
En Bourgogne, Ta vannes, qui, sans aucun secours de la cour, et avec
ses seules ressources et celles de ses amis, guerroyait depuis longtemps
déjîi contre les nombreux partisans de la Ligne en cette province, venait
d'apprendre tout a la lois et l'avènement de Henri IV et la mort du feu
roi, « tué, dit-il lui-même, d'un coup de couteau poussé de la main
d'un Jacobin, par l'artidce des chefs rebelles et des princes ligueurs. »
Le duc de Mayenne et le président Jeannin, son conseiller, avaient envoyé
le sieur de Toire avec des lettres pour engager ce brave capitaine à
prendre le parti du dit duc, qu'ils disaient être le parti de l'union de
l'ordre et de la foi catholique; mais tant s'en faut qu'il y voulut entendre,
qu'au contraire, il s'en alla faire incontinent prêter à son armée le ser-
ment de lidélité au roi Henri IV, et lit jurer a tous de s'employer jusqu'à
la dernière goutte de leur sang, 'a venger la mort de leur délunt souve-
rain traitreusem.ent assassiné. {Mém. de Tavannes,\i\. 4, ad ann. 1589.)
Le parlement, qui était dans la ville de Flavigny, fit le même ser-
ment a l'instance du président Frémiot, royaliste dévoué, et le sieur de
Tavannes continua avec un redoublement d'activité ses exploits contre
les Ligueurs de Bourgogne.
Dans le Berry, les royalistes ne possédaient que la ville d'Issoudun,
qu'ils étaient parvenus à remettre sous l'obéissance du roi, avec l'aide
de quelques habitants, qui en avaient favorisé la surprise; mais tout le
reste de la province, dominé par La Châtre, ne respirait que pour la Ligue.
L'Auvergne était à peu près partagée; le comte de Randan occupait
toute la Limagne au nom de la Sainte Union catholique. Levy, comte de
La Voûte, conservait le Limousin dans l'obéissance du roi, malgré tout
ce qu'avait [»u faire l'évêque de Limoges, qui avait été forcé de prendre
la fuite.
Pour le Dauphiné,Lesdiguières était la avec ses huguenots, et aussitôt
qu'on eut appris l'attentat de Jacques Clément, tous les royalistes, saisis
d'horreur, n'hésitèrent plus à se joindre à lui, de sorte qu'il se vit en
état de venir bloquer Genève.
Ainsi on se battait |)ar toute la France, et ce malheureux pays, au
lieu d'être fertilisé par les sueurs des travailleurs, se voyait partout
arrosé du sang de ses enfants. Et cela parce qu'un novateur, peut-être
plus orgueilleux encore que croyant, avait voulu, à tort ou à raison,
faire quelques changements a une vieille religion, parce que les idées de
ce novateur avaient pénétré dans un grand nombre d'esprits plus ou
moins justes, et surtout parce que des ambitions mondaines étaient
venues se mêler dans le débat, et avaient su tirer parti de ces dissen-
timents religieux pour les faire servir à des projets qui n'avaient rien
moins que la religion pour objet.
IV. 2
18 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Henri s'était cependant empressé d'écrire au maréchal de Montmo-
rency, son ancien allié. 11 lui mandait son avènement à la couronne, par
suite du crime qui venait d'être commis, par les suggestions de la Ligue,
sur la personne de Sa Majesté très-sacrée, et il le prévenait, en même
temps, de l'assemblée des Etats-Généraux qu'il avait, disait-il, l'intention
de convoquer a Tours pour le mois de mars prochain. A cette nouvelle,
que Montmorency s'empressa de communiquer à Monsieur de Joyeuse,
frère de l'amiral, qui lui faisait alors la guerre, celui-ci qui n'aimait
pas beaucoup Monsieur de Mayenne, quoiqu'il eût accepté de servir la
Ligue, du vivant du feu roi, s'empressa de conclure une trêve de quatre
mois, mais qui se prolongea pendant toute l'année suivante, les deux
partis se contentant de s'observer mutuellement et de se tenir sur leurs
gardes. [Mém. de Philippi, ad ann. 1589.)
Pendant ce temps-la, Mayenne, qui était venu au secours de Rouen,
était arrivé 'a Vernon. L'a, il apprit bientôt par ses coureurs que le pré-
tendu siège de la capitale de la Normandie, n'avait rien de bien sérieux,
et que l'armée royaliste n'avait pas même assez de monde pour oser en-
trer dans la ville, quand on lui en ouvrirait les portes. Mais il résolut de
frapper un grand coup et d'écraser complètement cette faible troupe
avec son chef. Avec sa circonspection ordinaire, qui n'était pas toujours
de la prudence, il jugea que, pour être plus certain du succès, il devait
encore augmenter son armée, déjà bien supérieure en nombre, et, au
lieu de profiter de ce premier avantage que la fortune lui offrait, il quitta
secrètement son camp pour passer en Flandre, afin de s'assurer des
secours du prince de Parme. (De Tiiou, uhi sup.)
11 eut une entrevue 'a Bins avec le vice-roi espagnol, et celui-ci lui
promit de lui envoyer immédiatement des troupes.
Le duc revint de suite avec cette promesse se remettre 'a la tête de
son armée; mais il trouva que le roi venait de décamper deDarnetal, et
s'était rapidement porté dans le comté d'Eu, qui appartenait à Catherine
de Clèves, veuve du feu duc de Guise.
A l'approche de l'armée royale, qu'on ne croyait pas aussi peu nom-
breuse, la ville et le château d'Eu se rendirent sans attendre même
que la tranchée fût ouverte. Le gouverneur, qui se voyait à la tête de
quatre cents hommes de garnison et dans une ville bien fortifiée, avait
bien eu d'abord l'intention de soutenir un siège, ce qui aurait fortement
embarrassé le roi; il avait même commencé a mettre le feu dans un des
. faubourgs, de peur que les royaux ne s'y logeassent; mais, ayant su
que le roi était lui-même présent, et voyant le canon approcher, il fut
frappe d'une terreur panique et demanda à capituler. 11 lui fut permis
de sortir lui et sa garnison, avec armes et bagages, et Henri donna le
commandement de la place au brave Châtillon, le plus honnête homme
de l'armée, de sorte qu'il n'y arriva aucun trouble ni violence. Pour lui,
avec le reste de ses troupes, sans vouloir même entrer dans la ville, où
il aurait craint de se voir bientôt renfermer, il alla camper au Tréport.
Mayenne, après avoir passé la Seine, s'était enfin mis à sa poursuite ;
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 19
mais il s'élail arrêté encore pour reprendre Gournay,et pour donner aux
secours qu'il attendait le temps d'arriver. Il fut, en effet, rejoint par
trois cornettes de reitres que lui amenait Hassompierre, et parles milices
du Cambrésis, sous la conduite de Jean de Montluc, seigneur de Balagny
(lils de révoque de Valence). Bientôt après, Henri de Lorraine, seigneur
(le Pont-a-Mousson, arriva également suivi de mille chevaux et de deux
mille hommes de pied, et enfin il reçut du prince de Parme un premier
secours de cavalerie et d'infanterie. Son armée se trouvait alors forte de
plus de trente mille hommes tant 'a pied qu'à cheval. Celle du roi n'en
comptait pas trois mille au plus en ce moment-là.
Henri ne s'était pas attendu à se voir sur les hras des forces aussi
supérieures. Incontinent il manda au duc de Longueville et au maré-
chal d'Aumont de venir sans relard à son secours, et, pour les attendre,
il alla camper près d'Arqués à une lieue et demie de Dieppe.
Sur ce point du littoral, la terre ouvre un sein recourbé de quatre ou
cinq lieues de long, comme pour recevoir plus doucement les Ilots de la
mer. Deux collines assez rapprochées, qui du rivage, s'avancent dans le
pays en s'opposant l'une à l'autre, forment entre elles une vallée au
milieu de laquelle passe la petite rivière de Béthune, et, comme le rellux
remonte à près de deux lieues dans cette rivière, ses bords ne sont que
des marécages inabordables. La ville de Dieppe est bâtie à gauche sur
l'embouchure de cette rivière qui forme son port. Non loin de là, sur
l'autre rive, est un gros faubourg nommé le Pollet, qui communique à la
ville par un pont sur la Béthune, et, à une lieue de là environ, entre les
deux coteaux qui, en cet endroit, sont fort rapprochés, se montre,
sur la rive gauche de la rivière, le château d'Arqués, bâti sur une émi-
nence assez rude ; au pied est le bourg du même nom, et, à main
droite, presque vis-à-vis, mais sur l'autre côté de l'eau, est le village
de Martin-Eglise; puis, entre les deux, mais sur la rive à gauche, on
aperçoit une maladreric ou hôpital autrefois destiné aux lépreux.
Henri avait précédemment remarqué cette position, comme un point
où il lui serait aisé de se fortifier et de se défendre, en cas que les
chances de la guerre le réduisissent à cette extrémité. Il jugea que ce
cas-là était vcnu_, maintenant qu'il se voyait acculé contre l'Océan par
des forces aussi supérieures. Sans le secours d'aucun ingénieur et aidé
seulement de Biron, qui s'en fit bien valoir par la suite, il traça le plan
des fortifications et des retranchements, qu'il fallait ajouter à la force
naturelle du lieu. Il mit le premier la main à la bêche, et les troupes,
encouragées par son exemple, se portèrent à l'ouvrage avec tant d'ar-
deur, qu'en trois jours le camp fut environné tout entier d'un retranche-
ment de huit pieds de hauteur, protégé par un fossé profond. Les
Suisses furent chargés de la garde de ces ouvrages. (iMézerav, t. III,
p. 700.)
La cavalerie, (jui n'était pas nombreuse, mais presque toute com-
posée de gentilshommes, prit ses quartiers dans un renfoncement de la
colline, où, en cas d'attaque qu'on attendait sur la rive gauche, elle
20 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
devait se trouver a Tabri du premier feu de l'ennemi, et en état de se
porter où on aurait besoin de son service ; puis, dans le château
d'Arqués, qui commandait au loin la plaine et les marais, le roi fit placer
de Tartillerie, dont le feu devait rendre les abords du camp extrême-
ment difficiles. Après ces précautions prises, il attendit tranquillement
que Mayenne vînt l'attaquer.
Ce n'était pas l'avis de tout le monde, ni surtout celui de ses meil-
leurs amis. On le voyait, en effet, tenu comme en échec dans un petit
coin de la Normandie, d'où il ne pouvait plus s'échapper, a moins que de
sauter dans la mer. Le parlement royaliste de Tours lui-même, instruit
de cette situation désespérée, se proposait de rendre un édit par lequel
il offrirait, pour sauver l'État, de reconnaître deux rois de France,
l'oncle et le neveu. Les capitaines de l'armée et les vieux chefs hugue-
nots, quoique endurcis par tant de combats et éprouvés par tant de
fatigues, concluaient, dans un conseil de guerre tenu a cet effet, à ce
que leur prince bien-aimé laissât ses troupes se défendre comme elles
le pourraient dans le poste fortifié où il venait de les établir, et 'a ce
que lui-môme s'embarquât au plus tôt pour prendre la route de l'Angle-
terre ou de La Rochelle; mais Henri avait confiance dans sa fortune et
dans son courage; il voulut rester a la tête des siens pour faire face à
l'ennemi.
Mayenne, en effet, après avoir repris la ville d'Eu, vint passer la
Béthune un peu au-dessus d'Arqués, et prit position sur la colline à l'op-
posite de celle où était bâti le château dont il se trouvait alors séparé par
la rivière. On ne l'attendait pas de ce côté-lâ ; mais les soldats et les
habitants se hâtèrent de fermer les avenues du bourg de Martin-Église, qui
se trouve sur cette rive; ils creusèrent une tranchée et élevèrent une
palissade de pieux et de tonneaux. Châtillon et quelques troupes d'infan-
terie \inrent prendre la garde de ce poste, qui couvrait seul le faubourg
beaucoup plus important du PoUet. Au reste, les habitants de Dieppe, de
tout sexe et de tout âge, accoururent eux-mêmes avec empressement,
aussitôt qu'ils surent que leur faubourg était menacé, et y établirent en
toute diligence des tranchées et des barricades pour arrêter l'ennemi.
Mayenne voyait tranquillement tous ces préparatifs de défense. Il
passa trois jours dans l'inaction, comptant sans doute qu'avec la supé-
riorité de ses forces, il écraserait facilement un ennemi qui ne pouvait
pas lui échapper, et que, très-probablement, Henri ne manquerait pas
de chercher son salut dans une évasion par mer, abandonnant sa petite
armée qui, alors, serait bien forcée de se rendre ou de se disperser.
Enfin, le seizième jour de septembre, voyant que rien de ce qu'il
avait espéré ne se réalisait, il parut en bataille. H fit marcher une partie
de ses troupes vers le Pollet, qu'il espérait emporter de prime abord, et
dirigea le reste vers Martin-Église.
Le roi accourut lui-même a la défense de ce faubourg, dont dépen-
dait la conservation si importante en ce moment de la ville de Dieppe.
« Mon compère, dit-il a un colonel de Suisses, qui se trouvait en avant
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 21
de ce poste, je viens ici pour mourir ou acquérir de l'honneur avec
vous. Je veux qu'on me donne une de vos piques, car je prétends bien
combattre au premier rang de vos braves. » (.Mattimeu, t. II, p. 14.)
En parlant ainsi, Henri se mit en effet a la tête de ses soldats ; mais
il ne voulut pas les enfermer dans le faubourg; il les posta devant, de
telle sorte que les hommes couvraient les retranchements et non pas les
retranchements les hommes. (Manuscr., t. 111, p. 700 et 710.)
La présence du monarque, qui payait lui-même de sa personne, donna
un tel courage 'a celte petite troupe qu'elle resta inébranlable et repoussa
victorieuscmont les forces des Ligueurs, quoique celles-ci fussent incom-
parablement plus nombreuses.
Ceux qui s'étaient portés sur Martin-Eglise furent encore plus maltrai-
tés. C'était Biron qui était accouru prendre le commandement sur ce
point de ratla(jue ; il avait avec lui le grand-prieur de France et Mont-
morency-Méru, dit maintenant Damvillc. Pendant que Chàtillon gardait
les retranchements, ceux-ci firent sur l'ennemi, qui s'était avancé jus-
qu'à la maladrerie, une si furieuse charge qu'ils le culbutèrent complète-
ment et lui tuèrent plus de cent hommes.
Le comte de Belin, sous-gouverneur de Paris, pour le duc de
Mayenne, fut fait prisonnier en cette occasion. Le roi, auquel on le con-
duisit, alla gracieusement 'a sa rencontre et l'embrassa en souriant.
Celui-ci, qui cherchait partout des yeux une armée et qui ne voyait que
quehjucs i)elotons d'hommes fort peu nombreux, parut surpris (|u'avec
aussi peu de gens Henri se fût décidé 'a attendre l'armée de la Ligue.
« Oh! c'est que vous ne voyez pas tout mon monde, lui dit le roi avec
gaieté, car vous ne comptez pas Dieu et le bon droit, qui sont de mon
côté. » {Économies de Sully, ch. xxvni.)
Ce premier échec fut d'un mauvais augure pour les Ligueurs; la
mésintelligence se mit parmi les chefs, et les troupes commencèrent 'a
murmurer. Les Allemands et les Suisses refusèrent de combattre, s'ils
ne touchaient auparavant la paye qu'on leur avait promise pour les
amener la. D'un autre côté, parmi tous les princes et seigneurs qui
composaient cette armée, si formidable en apparence, il n'y en avait
peut-être pas deux qui vissent les choses de la même manière et qui ne
pensassent 'a se défaire l'un de l'autre, pour arriver chacun 'a la réalisa-
tion de ses projets })articuliers; car, comme ils avaient cru la prise du
roi, ou au moins sa fuite, bien certaine, ils considéraient déjà le royaume
comme leur conquête, « et ils se regardaient entre eux du même œil
dont se regardent les voleurs, quand ils ont une riche proie 'a ])artager. »
Ils auraient dû voir pourtant, par ce qui venait de se passer, quoique
l'affaire ne fût rien moins que décisive, que celte proie n'était pas encore
tout 'a fait livrée en curée 'a leur avidité. Toutefois, le duc de Mayenne,
occupé 'a raccommoder toutes ces brouilleries, ne put rien tenter durant
quelques jours.
Mais le dix-neuvième jour de ce même mois de septembre, il résolut
de faire un puissant eflbrt pour gagner les relranchemenls du camp
22 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
royal. Un peu après minuit et a la faveur des ténèbres, il fit passer la
rivière à ses troupes et, a la pointe du jour, il vint attaquer la maladrerie.
Il croyait bien emporter ce poste avant que ceux qui le gardaient se
fussent reconnus et qu'ils eussent eu le temps de prévenir le roi; mais
il avait affaire a un ennemi vigilant, et deux heures auparavant, Henri
était déjà en personne sur le point menacé, avec Biron, huit cents
suisses et deux cents lansquenets. Les chevau-légers, commandés par le
grand-prieur, et trois compagnies d'ordonnance, étaient postés au haut
de la tranchée pour accourir au besoin.
Cependant, les troupes allemandes qui étaient au service de la Ligue
et qui marchaient en première ligne, imaginèrent un stratagème pour
pénétrer dans les premiers retranchements sans coup férir et sans s'ex-
poser au feu meurtrier qui allait en partir. Elles élevèrent leurs cha-
peaux sur la pointe de leurs piques, et, étendant les mains, elles firent
signe qu'elles ne venaient point a dessein de combattre, mais de passer
dans le parti royaliste. On crut d'autant plus facilement a cette iéinte,
que le bruit de leur mécontentement contre le duc de Mayenne, s'était
déj'a répandu et qu'on savait qu'ils avaient menacé de l'abandonner.
(Davila, t. II, p. 508.)
Ceux de leurs compatriotes qui servaient dans l'armée du roi les
aidèrent, en les tirant par la main, a monter sur le retranchement ;
mais a peine y furent-ils entrés, que, baissant leurs pertuisanes et tour-
nant la pointe de leurs piques, ils chargèrent brusquement Suisses et
Français qui se trouvaient là, tout ébahis d'une pareille attaque a laquelle
ils étaient bien loin de s'attendre ; aussi tournèrent-ils le dos sans ré-
sistance.
L'ennemi, encouragé par ce premier succès, courut au second
retranchement. L'attaque commença chaudement et fut soutenue de
même. En ce même moment, la cavalerie de la Ligue, qui attendait
l'instant de charger, fut chargée elle-même par le grand-prieur avec une
telle impétuosité qu'elle fut mise en déroute malgré la grande supério-
rité du nombre; les compagnies d'ordonnance donnèrent de pareille
force, et se firent jour jusqu'à la cornette blanche de la Ligue. (Mézeray,
ubi sup.)
Alors, d'Aumale, qui se tenait en réserve, les arrêta court devant le
village de Martin-Eglise, dont les Ligueurs s'étaient emparés, et les esca-
drons royalistes furent repoussés et rompus par cette troupe qui n'avait
encore pris nulle part à l'action, et qui combattait toute fraîche et
reposée contre des gens déjà fatigués. Mayenne fit aussitôt avancer un
autre corps de cinq cents chevaux pour les envelopper, mais Damville
fit sortir des retranchements un régiment d'infanterie, qui fit sur la
troupe ennemie un feu si bien nourri qu'il donna le loisir à la cavalerie
royaliste de venir se rallier derrière ses rangs.
Le roi lui-même courait partout, ramenait les fuyards et les formait
en rangs; en ce moment, Châtillon arrivait d'Arqués avec deux régi-
ments qui accouraient au pas de course. « Courage! sire, criait le brave
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 23
commandant, nous voici pour vaincre ou mourir avec vous. » Les Suisses
et les Allemands, a la vue de ce renfort qui leur venait si à propos,
tirent une nouvelle ciiarge avec tant d'ardeur (ju'ils dégagèrent le ter-
rain en culbutant et taillant en pièces tout ce qui se trouvait devant
eux. Le duc de Montpcnsier et La Noue arrivaient au même instant avec
les corps qu'ils commandaient, et les Ligueurs, voyant toutes ces troupes
marcher sur eux avec bonne résolution, se mirent à faire retraite sous
les yeux du duc de Mayenne, qui ne jugea pas 'a propos de continuer la
bataille, car le soleil se couchait alors, tout son monde était barrasse de
fatigue, par un combat (jui avait duré toute une journée entière, et il
craignait de voir une partie de ses bataillons poussés dans les marais,
qu'il ne connaissait pas aussi bien (jue ses adversaires. Le roi, qui ve-
nait de faire venir du canon d'Anjues, termina la journée en accom-
pagnant de plusieurs décharges meurtrières la retraite de l'ennemi, qui
avait assez l'air- d'une fuite.
Ce fut après ce combat que Ilen.ri I\' écrivit a Grillon ces mots sou-
vent cités : « Pends-toi, brave Grillon, nous avons combattu a Arques et
tu n'y étais pas. Adieu, mon brave; je vous aime 'a tort et a travers. »
Les Ligueurs, pour se concilier la Hueur du peuple, (irent, de leur
côté, composer une relation de cette journée tout a fait îi leur avantage.
Jls publièrent que, dans une charge, il était resté sur la place plus de
cin(i cents hommes des troupes du roi; que les Suisses et les Allemands
de son armée, consternés d'une si grande défaite, avaient livré leurs
étendards et déserté en masse, et que le maréchal de Biron lui-même,
après avoir été forcé de se rendre prisonnier, n'était parvenu a recouvrer
sa liberté qu'en faussant la parole qu'il avait donnée. Pour mieux faire
croire à ce prétendu succès, Mayenne lit porter à Paris avec beaucoup
d'ostentation un étendard des chevau-légers, et trois drapeaux que ses
Allemands avaient enlevés en surprenant, comme on l'a vu, les premiers
retranchements des royalistes. (Davila, t. II, p. 512.)
Des deux côtés, au surplus, le récit de cette alfaire est fort em-
brouillé; j'ai tâché d'en présenter les circonstances qui m'ont paru le
mieux api)uyées; mais, ce qu'il y a de certain, c'est que le roi resta
maître du champ de bataille, et que Mayenne ne parut plus })our le lui
disputer. « Je commence 'a craindre, disait en plaisantant Henri IV, que
mon beau cousin ne soit pas tout 'a (ait aussi bon général que je me
plaisais 'a le croire. S'il n'en sait pas plus long, je le battrai 'a chaque
fois en j)ieine campagne; mais peut-être qu'il me ménage et qu'il cache
son jeu pour mieux prendre sa revanche dans une autre occasion. »
Quoi (ju'il en soit, il se passa deux jours sans que Mayenne osât
tenter la moindre entreprise, malgré l'immense supériorité de ses forces.
Enfm, le vingt-neuvième jour du mois, (jui était un dimanche, il dé-
campa a petit bruit, et, faisant le tour des coteaux, au bout de trois
journées de marche, on le vit tout 'a coup reparaître sur la rive opposée,
entre le village d'Arcpies et la ville de Dieppe, qu'il se proposait d'atta-
quer de ce côté, après avoir échoué de l'autre.
24 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Le roi, a cette nouvelle, laissa sous la conduite de Méru-Damville
environ la moitié d'un régiment et quelques compagnies suisses pour
garder les fortifications de son camp ; et lui-même, avec tout le reste de
sa petite armée, il se porta vers Dieppe, qu'il importait de ne pas laisser
tomber au pouvoir de l'ennemi. Il logea une partie de ses gens dans les
villages les plus rapprochés, et, avec les autres, il vint prendre position
dans les faubourgs.
Mayenne crut alors pouvoir faire une nouvelle tentative sur Arques.
Mais il fut encore repoussé par ceux qui étaient restés a la garde des
retranchements, et Damville lui tua plus de cent hommes.
Le roi, en môme temps, fit une sortie avec un gros corps de cava-
lerie. Le duc de Mayenne, en voyant ce corps s'avancer aussi audacieu-
sement, et sachant qu'il était commandé par le roi en personne, crut
qu'il lui serait facile de le couper. Il lança ses escadrons pour l'envi-
ronner et l'attaquer; mais a leur approche, les rangs des royalistes
s'ouvrirent, et l'on vit, au milieu, paraître deux grosses couleuvrines
qui, tirant et marchant en même temps avec une justesse et une promp-
titude admirables, tuèrent beaucoup de monde aux ennemis. Aussi
tournèrent-ils le dos et s'enfuirent-ils, tout étonnés de voir deux
machines aussi pesantes escarmoucher avec de la cavalerie. « Cette façon
singulière et inusitée de faire ainsi manœuvrer la grosse artillerie était
de rinvention d'un nommé Charles Brisa, bombardier, natif de Nor-
mandie, et qui avait longtemps servi parmi les corsaires dans les mers
des Indes occidentales. (Davila, ubi sup.)
Malgré tous ces heureux succès, les troupes du roi n'en étaient pas
moins épuisées de fatigue, parce qu'a cause de leur petit nombre, il
fallait qu'elles fussent continuellement sous les armes. De plus, on com-
mençait déjà a souffrir de la disette de vivres ; car la mer, qui avait
abondamment amené des provisions jusqu'alors, était devenue imprati-
cable par la saison pluvieuse où l'on venait d'entrer. Le roi, il est vrai,
attendait chaque jour des secours de l'Angleterre, mais, dans une
pareille saison, il était douteux qu'ils pussent aborder. Heureusement, il
avait écrit, comme on l'a vu, au duc de Longueville et au maréchal
d'Aumont de tout quitter pour venir a son aide, et l'on eut enfin nou-
velle qu'ils approchaient tous les deux avec leurs troupes réunies.
Mayenne, craignant alors de se voir renfermé entre deux armées, se
décida à décamper et a prendre la route de Picardie; ce qu'il exécuta,
en effet, le cinquième jour d'octobre, sans lever même les sentinelles
qu'il avait mises du côté des royaux. On croit que ce qui le décida a
courir bien vile dans cette province était la crainte qu'il avait que les
Picards, « gens sincères et francs, mais fort simples, » ne se laissassent
surprendre aux artifices de l'Espagne, qui ne demandait pas mieux que
de les voir se jeter sous la protection du roi leur maître. » Mayenne ne
voulait pas laisser démembrer le royaume qu'il convoitait pour lui.
(Cayet, 1589. — Péréfixi:, II^^ partie, 1589.)
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 25
CHAPITRE II
1589. — ARGUMENT : appréciation de l'avènement de henri iv
CHEZ les princes DE LA LIGUE PROTESTANTE, — EN ANGLETERRE, — EN SUISSE,
DANS LES ÉTATS d'iTALIE, — A LA COUR DE ROME, — EN ESPAGNE,
EN SAVOIE, — EN LORRAINE.
LE PARLEMENT DE PARIS ET LE PARLEMENT DE TOURS.
FAUSSES NOUVELLES DANS LA CAPITALE. — ARRÊT DU PARLEMENT DE ROUEN.
LES ANGLAIS AU SECOURS DU ROI. — IL MARCHE SUR PARIS.
IL FAIT DES PROPOSITIONS A MAYENNE. — IL ATTAQUE PARIS.
MAYENNE Y REVIENT AVEC SON ARMÉE. — RETRAITE DE L'aRMÉE ROYALE.
•SUPPLICE DE BLANCHET ET DU PRIEUR BOURGOING.
LA LIGUE REFUSE UNE PENSION A SON ROI CHARLES X.
PROPOSITIONS DU ROI D'ESPAGNE AUX LIGUEURS. — LE LÉGAT GAÉTAN.
SON ARRIVÉE A PARIS. — LE ROI PREND ÉTAMPES DONT IL DÉTRUIT LE CHATEAU.
IL PASSE LA LOIRE. — IL ASSIÈGE ET PREND VENDÔME.
SUPPLICE DU GOUVERNEUR. — LE ROI A TOURS. — PRISE DU MANS.
LE DUC DE NEVERS. — IL PRÊTE DE l'aRGENT A HENRI IV.
HENRI IV A LAVAL, — A MAYENNE, — A ALENÇON.
SIÈGE ET PRISE DE FALAISE.
LE ROI EST MAÎTRE DU LITTORAL DE LA NORMANDIE ET PREND RONFLEUR.
Pendant que les deux armées, éloignées Tune de l'autre, semblent
avoir fait trêve pour quelques jours, voyons comment l'avènement du roi
Henri IV était apprécié dans les divers pays voisins. (Mézerav, t. 111,
p. 715.)
Les puissances protestantes furent d'abord dans rencbantement(ju'un
prince de leur religion lut arrivé a la couronne de France ; mais elles ne
lardèrent pas 'a avoir 'a craindre, ou qu'il ne succombât sous la force et
la multitude des catlioliques de son nouveau royaume, ou ipi'il ne lut
contraint d'adopter la religion de cette imposante majorité. Dans l'un et
l'autre cas, c'était toujours un écbec grave dont les suites devaient être
funestes 'a leur parti. Les princes allemands de la confédération lutbé-
rienne devaient donc se hâter de venir au secours de Henri de Bourbon;
mais leurs troupes ne marchaient alors qu'à force d'argent, et le nou-
veau roi n'en avait point h leur donner.
La reine Elisabeth d'Angleterre, qui avait conçu pour lui beaucoup
d'estime, quand il n'était encore que roi de Navarre, se montra moins
bassement intéressée; elle lui cnvova sans marchander des secours
26 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
qui lui furent en effet d'une grande utilité pendant tout le cours de cette
guerre.
Pour les cantons suisses, ils comprirent que l'intérêt de leur répu-
blique était de maintenir sur le trône de France, un prince qui ne
devrait pas sa couronne à l'appui de la maison d'Autriche, leur ennemie
naturelle, et ils envoyèrent immédiatement aux compagnies de leur
nation qui étaient déjà au service de Henri, l'ordre de continuer de le
servir avec fidélité, promettant de plus, de faire de nouvelles levées, s'il
en était besoin.
Tous les petits princes de l'Italie eussent probablement, et pour le
même motif, suivi cet exemple; car ils avaient le même intérêt; mais
l'appréhension de la puissance espagnole, qui leur tenait le pied sur la gorge,
retenait ces esprits faibles et timides. Pourtant, les ducs de Florence et
de Mantoue, un peu plus hardis que les autres, employèrent sous main
tout leur crédit pour servir Henri a la cour de Rome, et surtout pour
empêcher l'alliance de l'Espagnol avec certains chefs influents des
Suisses. A cet effet, ils firent passer secrètement d'assez fortes sommes
d'argent dans les cantons, pour désintéresser ceux qui pourraient se
plaindre que la France leur retenait le salaire de leurs services. Le duc
Florentin ht même plus encore. Il offrit trois cent mille écus comptant
au roi, ne lui demandant en retour que de vouloir bien s'entremettre
pour que le prince de Bombes épousât la princesse Marie, sa nièce bien-
aimée. Mais tous les autres souverains de ce pays si divisé n'osèrent
faire aucune démarche pour manifester leurs sympathies.
La seigneurie de Venise, où, a cette époque, la nationalité italienne
semblait s'être retranchée comme dans son dernier fort, se trouvait assez
puissante pour ne pas obéir a de pusillanimes considérations ; aussi
n'hésita-t-elle pas a se déclarer ouvertement pour le nouveau roi fran-
çais. Quand on avait appris, dans celte république, la nouvelle de l'as-
sassinat de Henri III, ce fut d'abord une affliction générale, a laquelle se
joignit bientôt l'inquiétude des suites que pouvait avoir cet attentat. La
populace fut saisie d'une telle horreur contre le meurtrier Jacques
Clément, que, faisant retomber sa fureur sur l'ordre monastique dont il
avait fait partie, elle voulut aller mettre le feu au couvent que les Jacobins
avaient dans la ville, et on eut beaucoup de peine a l'en empêcher;
mais quand on apprit que Henri de Bourbon, avait été reconnu pour roi
par la plus grande partie de la noblesse et par l'armée du feu roi, que
l'ambassadeur de France vint demander, pour son nouveau maître,
l'amitié et l'appui des Vénitiens, en qualité d'anciens et fidèles alliés du
royaume très-chrétien ; le Sénat s'assembla sans retard et décida tout
d'une voix, en présence du nonce du pape et de l'ambassadeur d'Espagne,
que la république reconnaissait les droits du roi de Navarre à la cou-
ronne de France, et qu'elle renouvelait avec lui toutes les anciennes
alliances. (Mézeray, t. IH, uhi sup.)
Le Saint-Père se plaignit fort amèrement d'une pareille résolution.
Il alla même jusqu'à faire menacer le Sénat des censures de Rome,
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 27
pour s'être allié a un hérétique excommunié. « Le bien de notre Etat,
iut-il répondu à celte menace, demande qu'il y ait un roi en France,
et c'est Henri de liourl)on que le. droit de succession appelle a ce trône.
C'est la une affaire purement politique et nullement religieuse. Si le
Pape en juge autrement, cela le regarde; mais quant a l'excommunica-
tion dont il nous menace, nous savons comment nous devons la rece-
voir si elle est prononcée mal a propos. » (Mkzkuav, t. III, p. 717.)
Le Pape était, au reste, lui-même dans une grande indécision, et ne
savait trop quel parti i)rendre relativement aux alVaires de France. Ce
qu'il désirait surtout, c'était l'agrandissement de son autorité et la con-
servation de l'Église romaine. Mais le choix des moyens lui j)araissait
difficile. Il voyait dans la chute de la Ligue l'ahaissement de sa propre
puissance et un grand péril pour la religion catholique ; aussi avait-il
appris avec une grande joie le meurtre de Henri III, au moment où ce
prince était sur le point de recon(piérir Paris et de porter le dernier
coup aux Ligueurs. En plein consistoire, il avait loué l'action du moine
régicide. « Le Seigneur a fait lui-même ce coup, avait-il dit, en se ser-
vant des paroles du Psalmiste, et c'est une merveille à nos yeux. » Mais
quand il sut que la noblesse et le roi défunt avaient reconnu le roi de
Navarre, il retomba dans ses perplexités. Pourtant, il lit réflexion que si les
succès du nouveau monanjue semblaient devoir être favorables à l'hérésie,
il était bien plus certain encore que la Ligue, en ruinant la monarchie
française, allait livrer l'Europe entière 'a la tyrannie de la maison d'Au-
triche, dont cette monarchie qu'on voulait détruire était le seul contre-
poids. Cette considération ne pouvait manquer d'avoir une grande
influence sur un esprit aussi juste que Tétait celui de Sixte V, et voilà
pourquoi le Saint-Père hésitait 'a ouvrir a la Ligue ses trésors et îi lui
envoyer des secours. {Ibicl.)
Il avait peut-être encore une autre raison. « II me semble, disait-il
en plaisantant, que je pourrais déjà prédire, sans crainte d'être pris en
défaut, que ce diable de Béarnais aura le dessus dans cette lutte, car il
n'est pas, a ce qu'on dit, plus longtemps au lit que le duc de Mayenne
a table, et il use plus de bottes que celui-ci de souliers. » (Pi:iu:fixi;,
IP partie, ad ann. 1589.)
Mais (|uand le commandeur de Diou, envoyé par Mayenne, et qui
arriva à Rome vers la fin de septembre, eut trouvé le moyen de faire
croire a Sa Sainteté, que tous les caHioliques de la France avaient
reconnu pour roi le cardinal de Bourbon; que Mayenne avait derrière lui
la grande majorité de la nation, et qu'en ce même moment il tenait le
Béarnais acculé sur un petit coin des côtes de la Normandie, d'où il était
impossible qu'il échapjjùt. Sixte crut pouvoir sûrement embrasser un |)arti
qui se présentait avec d'aussi belles chances, et se déclara publique-
ment pour le roi, que les catholiques français s'étaient soi-disant donnés.
Le monarque espagnol, de son côté, avait aussi ses projets particu-
liers : il ne voulait |)as de roi en France ; car une division perpétuelle
entre les Français lui semblait devoir beaucoup mieux faire son allaire.
28 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
En effet, il ne pouvait espérer d'emporter toute entière et de prime
abord une aussi grande pièce que l'était la couronne du royaume très-
chrétien ; et son intérêt était d'abord que cette pièce se déchirât en
plusieurs morceaux, comptant bien s'emparer de tous ces morceaux les
uns après les autres, et réduire enfin la nation tout entière sous sa
domination, quand elle en serait venue aux derniers abois. (Mézeray,
ibid.^ p. 718.)
Mayenne n'était donc pas son homme, et il appréciait à sa juste
valeur le prétendu roi Charles X. Il ne doutait pas qu'en cas de réussite,
le premier, après avoir très-facilement écarté le dernier, ne le payerait,
lui, que d'un honnête remercîment ; aussi il n'avait garde de fournir à
ce chef de la Ligue toute l'assistance qui eût été nécessaire pour termi-
ner promptement cette grande affaire; il lui donnait seulement de petits
secours et de grandes promesses, afin de le tenir en haleine, et pour
que la guerre continuât.
Le duc de Savoie, autre voisin de la France et allié de Philippe, en-
trait ouvertement dans tous les projets du souverain des Espagnes, son
beau-père; mais il avait aussi ses pians particuliers. Il ne se proposait
rien moins que de se composer, a la faveur de ce boulevari général, un
petit royaume, des terres qui faisaient autrefois le royaume d'Arles, et
dans ce dessein, il entretenait avec beaucoup de soin et 'a grands frais
des intelligences dans tous ces pays-la.
En apprenant la mort de Henri III, il avait envoyé une députation
au parlement de Grenoble, qu'il croyait avoir fort bien disposé en sa
faveur. « Messieurs, disaient ses députés, nous venons vous faire part
du regret qu'a notre excellent maître, de la mort du feu roi son frère et
ami ; ce qui l'aftlige plus encore, c'est le déplorable état où cette mort
jette la France, et toutes les horreurs des guerres civiles dont voilà votre
pays devenu inévitablement le théâtre pour longtemps. Notre duc, qui
voudrait vous éviter ces malheurs, et qui, d'ailleurs, a des droits incon-
testables a la souveraineté de vos cçntrées, lesquelles, comme vous le
savez, ont appartenu à ses ancêtres, notre duc vous propose de vous
confier 'a lui et de le reconnaître pour roi. Vous savez que ce grand prince
est assez puissant pour vous défendre ; qu'il aura d'ailleurs à sa dispo-
sition toutes les forces du roi d'Espagne, son beau-père, et nul de vous
ne peut ignorer quelles sont ses vertus royales, sa valeur héroïque et sa
bonté héréditaire envers ses sujets. Aussi, en considérant tout le bien
qui résulterait pour vous en particulier, et pour la France en général, de
votre assentiment 'a un aussi digne souverain, nous sommes persuadés
que tous ceux d'entre vous qui aiment la justice autant que le bonheur de
leur patrie ne voudront point reconnaître d'autre roi que lui. » (Mézeray,
uhi sup.)
Le Parlement répondit que, « attendu que la proposition concernait
les intérêts de tout le royaume, il ne pouvait aucunement délibérer sur
un pareil sujet, et qu'il fallait proposer la chose aux Étals-Généraux. »
Ce n'était pas là ce que le Savoyard espérait.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 29
Il y avait encore un antre prélendanl ii la couronne, c'était le duc de
Lorraine; mais celui-ci allait plus rondement au but : il ne se contentait
pas de prendre d'abord une ou deux provinces; c'était la France toute
entière, qu'il voulait de prime abord posséder en (pialité de roi légitime
et par la grâce de Dieu. On a vu que, de son vivant, Catherine de
Médicis avait conçu ce plan en laveur du fils de sa fille bien-aimée, la
duchesse de Lorraine, et qu'elle avait fait tout son possible pour le faire
accepter par ses nombreuses créatures. Mais Catherine n'était plus la,
et les créatures ont bientôt oublié les protecteurs qui ne sont plus.
Le duc, trop haut placé sans doute pour se rendre compte de cette
triste vérité, crut qu'il aurait toujours nn parti puissant en France, et,
dans cette étrange idée, aussitôt après la mort de Henri III, il fit passer
son fils en Champagne, pour donner un noyau à ce parti, et il le fît
accomj)agner d'une petite armée. Le prince était jeune et intéressant;
on dit (ju'il fit beaucoup de conquêtes i)armi les dames de la province;
mais dans une assemblée qui se tint ii Chaumont-en-Bassigny, où on
proposa de reconnaître l'illustre seigneur mar(|uis Du Pont, comme roi
de France, en vertu des droits de sa mère, fille et héritière, 'a délaut de
lignée masculine, du roi Henri H, pas un des assistants ne voulut
donner sa voix au jeune prétendant. Tous répondirent qu'ils assisteraient
volontiers le duc de Lorraine, a tirer vengeance de ceux (jui avaient fait
tuer le feu roi, son beau-frère et l'oncle de son fils, mais que la pro-
position qui leur était faite était contraire de tout point aux lois fonda-
mentales de l'Etat de France. Le jeune prince fut donc contraint de
s'en retourner en Lorraine, ne remportant pour fruit de son voyage
qu'une triste maladie, fruit de ses exploits galants.
Pendant ce temps-la, les meneurs du parti de la Ligue a Paris,
étaient parvenus 'a monter si bien les têtes, que le peuple voulait courir
au logis des politiques pour les massacrer sans rémission. Or, on appe-
lait politiques tous ceux qu'on soupçonnait a tort ou à raison de n'être
pas hostiles au parti du roi. H pouvait se trouver parmi ces suspects- la
bien des gens qui, sans être royalistes de cœur, n'étaient que raison-
nables, et qui, tenant surtout 'a la gloire et îi la prospérité de leur pays,
n'approuvaient pas les déportements des zélés. 11 est probable que ces
gens-lli n'étaient ni les moins compromis, ni les moins odieux.
Le grand mobile dont les meneurs s'étaient principalement servis
pour exciter la populace, était les quatre ou cincj exécutions faites à
Tours par l'ordre du i)arlement royaliste sur des gens à qui on n'avait
a reprocher d'autre crime que d'avoir voulu mettre leur ville sous la
protection de la Sainte Fnion catholique. On eut beaucoup de peine 'a
empêcher cette populace de traduire en actes sanglants les atroces
représailles qui lui avaient été suggérées. H fallut que le parlement de
Paris, sur la requête du procureur général, donnât un arrêt assez ridi-
cule, par lequel il cassait tous les jugements rendus a Tours contre les
catholiques de la Sainte-Union. H pouvait bien déclarer les jugements
cassés ; mais ressusciter les suppliciés ? Cela n'était plus en son pouvoir.
30 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Ceux-ci n'avaient plus îx compter qu avec la divine miséricorde. (Mézeray,
p. lU.)
Le même arrêt ordonnait aux condamnés d'en appeler et de prendre
leurs juges à partie, pour que les dits juges eussent à venir répondre
devant Monsieur le procureur général. Puis le conseil des Quarante
joignit a tout cela une ordonnance portant qu'il serait envoyé un trom-
pette à Tours, pour signifier au soi-disant parlement, séant dans cette
ville, et au conseil du roi de Navarre, que, s'ils ne cessaient de persé-
cuter les bons catholiques, ils seraient traités comme déserteurs de la
cause de Dieu et comme ennemis de l'Etat, et qu'on userait de la peine
du talion sur leurs femmes et leurs enfants.
Le parlement royaliste reçut ce message et répondit que c'était 'a
tort et pour abuser les peuples qu'on l'accusait d'hérésie ou de persé-
cuter les catholiques ; que tous les membres de la compagnie étaient,
au contraire, prêts 'a donner leurs biens et leur vie pour la conservation
de l'intégrité de la foi ; que tous les criminels qu'ils avaient fait punir
n'avaient pas été suppliciés comme catholiques, mais bien au contraire
comme impies, scélérats, factieux et pires que tous les hérétiques du
monde.
A ces raisons, et pour payer leurs adversaires en même monnaie,
ils ajoutèrent un arrêt portant défense aux membres de leur corps, qui
étaient demeurés dans la ville rebelle, de prendre le titre de parlement,
ou toute autre désignation indiquant une juridiction légitime. 11 était
défendu a toute personne habitant le royaume de France de déférer à
leurs jugements, et de payer aucuns deniers royaux sur leurs ordres, sous
peine de nullité. Et pour les membres du dit parlement réfractaire, s'ils
n'obéissaient eux-mêmes et sans retard à cet arrêt, il était ordonné de
leur courir sus au son du tocsin. De plus, leurs biens étaient déclarés
confisqués, les deux tiers au profit du roi, et l'autre tiers pour ceux qui
prendraient les délinquants morts ou vifs.
Cet arrêt eut plus d'effet que celui du parlement de la Ligue. Ceux
des parlementaires parisiens qui avaient l'esprit juste et qui ne s'étaiçnt
pas laissés entrahier trop loin par l'ivresse des circonstances, com-
prirent que, dans un État monarchique, le droit de rendre la justice
devait émaner du roi légitimement appelé au trône, par les anciennes
constitutions du royaume. Plusieurs conseillers désertèrent donc succes-
sivement la capitale pour se rendre à Tours.
Enfin, le premier président Achille De Harlay, ayant obtenu, moyen-
nant dix mille écus de rançon, de sortir de la Bastille, où Bussy le
tenait renfermé, n'eut rien de plus pressé que de venir aussi à Tours
se mettre 'a la tête du parlement royaliste. L'exemple d'un homme aussi
universellement estimé augmenta tout à la fois et le courage de ceux
qui étaient restés fidèles 'a la royauté et le nombre des transfuges du
parlement ligueur.
Dans la capitale, cependant, on avait soin de repaitre le peuple de
fausses nouvelles, afin de le tenir en haleine. Aux quatre drapeaux que
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 31
Mayenne avait envoyés, la duchesse de Montpensier en joignit une dou-
zaine de sa façon, qui f'urenl portés dans les rues avec grande pompe.
[Mém. de la Ligue, t. IV, p. 95 et suiv.)
On falsiliait ou on exagérait les messages qu'on recevait des provinces.
Ainsi on répandait (jue le capitaine Saint-Paul, qui, de simple paysan était
devenu maréchal pour la Ligue et puis roi »le Mézières, faisait mainte-
nant des prodiges en Champagne; qu'en Provence, les Ligueurs venaient
de défaire et tailler en pièces vingt-cinq compagnies envoyées par le
maréchal de Montmorency ; que, partout, TUnioii catholique était triom-
phante; que révê(|ue de Comminges venait d'expulser les hérétiques et
les politi(|ues de Toulouse, et mille autres hruits semblables. « Parmi
tous ces mensonges il y avait bien (juelque grain de vérité, et comme en
arithméli(|ue, en ajoutant un zéro, de dix on fait cent, et cent mille,
le duc de Mayenne et ses amis faisaient crier a chaque instant, parmi les
carrefours, la relation déjà embellie du plus petit succès, et ces nouvelles,
en passant de bouche en bouche se dénaturant de plus en plus, repais-
saient ce pauvre peuple des plus folles espérances. »
On eut grand soin aussi de distribuer avec profusion, un arrêt du
parlement de Houen, en date du vingt-troisième jour de septembre, qui
déclarait criminels de lèse-majesté divine et humaine, ennemis de Dieu
et de rÉlal, tous ceux qui adhéraient au Béarnais hérétique; eux et leur
postérité étaient déchus de tous privilèges de noblesse, leurs charges et
dignités devenaient vacantes et impélrables, et leurs biens étaient acijuis
et confisqués au profit du roi Charles X. De plus, tout gentilhomme
français, faisant profession des armes, était sommé de venir, sans retard
et sous peine d'infamie, combattre pour le maintien de l'honneur de
Dieu et de la foi catholique. {Journal de Henri /F, t. I, p. 10.)
Enfin, des colporteurs, secrètement soldés 'a cet eflet, criaient dans
toute la ville avec une voix retentissante un plan de la ville de Dieppe,
accompagné d'une relation dgns laquelle on annonçait que Mayenne
tenait cette place étroitement bloquée par terre, tandis que le duc
d'Auinalc, après avoir battu la Hotte anglaise, coupait toutes les com-
munications par mer. Monsieur de Nemours avait battu le duc de Longue-
ville et le maréchal d'Aumont, et le Béarnais, renfermé dans Dieppe, ne
pouvait plus échapper, 'a moins que d'avoir des ailes.
A cha(jue instant, on parlait de courriers qui venaient donner d'heure
en heure des nouvelles des progrès du siège. Le Béarnais avait déj'a
demandé a se rendre, i)0urvu qu'il eût la vie sauve; puis, pour terminer,
le bruit courut (ju'il était prisonnier du duc de Mayenne, qui se préparait
'a le ramener 'a Paris, pour y faire une entrée triomphante 'a la manière
des anciens vainqueurs romains. Ce faux bruit prit une telle consistance
que les dames ligueuses se hâtèrent de louer des fenêtres et de faire
dresser des estrades tapissées dans la rue Saint-Denis, pour voir passer
l'illustre captif et son vainqueur.
Henri W leur préparait alors un tout autre spectacle, et la visite (ju'il
avait résolu de leur faire n'était pas en qualité de prisonnier. H venait de
32 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
recevoir de la reine Elisabeth, un secours de quatre mille Anglais et deux
cent vingt mille (rancs d'argent, avec quantité de munitions de guerre.
Ce secours venait a point : peu s'en iallut pourtant qu'il ne causât la
ruine complète du roi. Les catholiques de son armée murmurèrent d'abord
de voir arriver ces soldats hérétiques. Ils soupçonnèrent que Henri, vou-
lant persister dans sa fausse religion, cherchait à s'entourer d'hommes
de cette croyance, auxquels il allait désormais donner sa coniiance 'a leur
détriment. Le duc de Montpensier lui-même, qui avait plus de dévotion
que de lumières, s'était laissé gagner par ces idées, et on le disait a la
tète du parti des mécontents. Bientôt les soldats, se croyant forts de
l'appui d'un homme aussi puissant et aussi respecté, se mutinèrent ou-
vertement, et, un jour que le roi était au prêche, en compagnie des
chefs anglais, quelques-uns des plus turbulents catholiques s'ameutèrent
à l'entrée du logis, pour insulter ceux des religionnaires qui venaient y
faire leurs dévotions à leur manière. Il y eut des coups donnés et reçus
de part et d'autre, et l'affaire menaçait de ne pas en rester la.
Le roi dissimula prudemment son ressentiment d'une pareille injure;
mais, pour couper court a cette dangereuse querelle, il résolut de don-
ner le plus promptement possible assez d'occupation sérieuse a son
armée pour qu'elle n'eût plus le temps de songer a disputer sur la reli-
gion. Il venait précisément de recevoir un message secret du président
Blancménil, l'un des membres du parlement qui avaient cru devoir rester
dans Paris, pour y servir secrètement les intérêts de la royauté. Celui-
ci lui faisait savoir que, si l'armée royale parvenait seulement à se loger
dans les faubourgs de la capitale, lui et ses amis étaient en mesure de
se saisir d'une des portes; qu'ils l'ouvriraient h Sa Majesté, h laquelle
il serait ensuite facile de s'emparer du reste de la ville, attendu que la
plus grande partie de la garnison avait suivi Mayenne, et que le gouver-
neur de Rône venait de partir avec le reste pour surprendre Elampes.
{Cayet, Chruii. novenn., ad ann. 1589.)
Il se mit donc incontinent en marche pour retourner vers la capi-
tale. Il comptait alors sous ses drapeaux vingt mille hommes d'infan-
terie, trois mille de cavalerie, et il avait quatorze pièces de canon.
C'était peu pour entreprendre un siège aussi important; aussi n'avait-il
l'intention que de tenter une surprise, qui, au bout du compte, pouvait
lui réussir, grâce aux intelligences qu'il avait dans la place. Il passa la
Seine 'a Meulan et vint camper 'a Gentilly, s'emparant de tous les villages
qui étaient de ce côté du lleuve jusqu'aux portes de Paris. (Davila, t. II,
liv. 10, p. 516.)
Henri pourtant était trop expérimenté capitaine, pour n'avoir pas
deviné que l'occupation de Paris, quand même elle aurait lieu, ne serait
pas sans danger pour une armée aussi faible que la sienne. En pleine
campagne, il se savait assez de ressources et de talents militaires pour
vaincre ou du moins tenir en respect un ennemi supérieur en nombre, et
il venait de le prouver. Mais, dans une ville aussi populeuse et dont la
grande majorité des habitants était aussi mal disposée à son égard, cora-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 33
ment, avec aussi peu de monde, garder tous les postes? comment
maintenir les communications entre eux? La prise de Paris pouvait deve-
nir le tombeau de toutes ses espérances.
Il avait donc, même avant de s'éloigner de Dieppe, envoyé Belin,fait
prisonnier a Arques, au duc de Mayenne, pour lui demander la paix, « de
laquelle il avait, disait-il, telle envie que, sans avoir égard a sa dignité
royale, il voulait bien la rechercher, maintenant qu'on ne pouvait dire
que ce lût par nécessité, mais uniquement par la compassion qu'il avait
des malheurs publics. » Cette proposition avait été de nouveau débattue
dans le conseil du duc. Quelques-uns voulaient que Monsieur de Mayenne
l'acceptât. Cela, 'a ce qu'ils prétendaient, ne pouvait manquer de lui faire
grand honneur, parce qu'on le regarderait partout comme le bienveillant
pacificateur des troubles qui désolaient la France, et il aurait de plus
grands profits, étant le maître en quelque sorte de dicter ses condi-
tions. » Mais l'autre partie des conseillers, en majorité, répondit : « Notre
guerre concerne plus encore les affaires de la religion que le droit de
succession a la couronne, et on ne peut ni en conscience ni en bonne
justice écouter les propositions d'un prétendant hérétique, sans avoir
pris l'avis du Pape ei le consentement des prélats, ainsi que celui des
villes et communautés, et même dos princes étrangers qui ont embrassé
notre cause. » Cet avis prévalut. (Matthieu, Règne de Henri IV, liv. 1,
p. 17. — Mém. de Villeroy, ad ann. 1589.)
Tout en faisant cette démarche pacifique, Henri, comme on l'a vu,
ne s'était pas moins avancé sur Paris, et il se disposait déjà 'a l'attaquer.
Les Parisiens, lors du premier siège, du temps de Henri 111, avaient cons-
truit 'a grands frais un retranchement devant les faubourgs, de ce côté
du fleuve. Ils l'avaient flanqué de redoutes et muni de quelque artillerie ;
mais leurs ingénieurs, dans le but d'enceindre quelques petites émi-
nences, avaient donné 'a ce retranchement une longueur immense, de
sorte qu'il aurait fallu plus de vingt mille hommes pour le garder. Le
roi, ayant reconnu ces grands travaux dont il n'eut pas de peine à décou-
vrir le défaut, donna ses ordres pour les attaquer le lendemain.
11 partagea son infanterie en trois corps. Biron, son fils et Guitry,
avec les Anglais, étaient chargés de l'attaque des faubourgs Saint-Marcel
et Saint-Victor; le maréchal d'Aumont, avec Damville, devait se porter
contre le faubourg Saint-Jacques, et La Noue et Coligny, soutenus par
Sully, avaient l'ordre de forcer en même temps le faubourg Saint-Germain.
Chaque corps avait sa réserve destinée a l'appuyer et a se porter où l'on
aurait besoin de secours. La cavalerie, partagée en autant de gros, sui-
vait les assaillants pour les rallier en cas d'échec.
L'aflaire s'engagea bien avant la pointe du jour, le premier novembre,
fête de tous les saints, et pendant qu'un épais brouillard couvrait la
ville et l'armée. Ce brouillard était favorable aux assiégeants, en les em-
pêchant d'être vus des assiégés, qui ne pouvaient plus savoir quel point
de leur immense retranchement allait être attaqué, et où il fallait porter
leurs forces; aussi, de prime abord, ce retranchement fut forcé de tous
IV. 3
34 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
les côtés; mais la résistance devint plus vive a la tête des faubourgs. Ils
lurent pourtant tous gagnés en moins d'une heure, à l'exception de
l'abbaye de Saint-Gcrmain-des-Prés, où cent cinquante mousquetaires qui
s'y étaient renfermés tinrent généreusement jusqu'au soir. (Cayet,
Chron. novenn., ibid.)
L'aspect de ceux des leurs qui avaient été tués en grand nombre et
dont les cadavres restaient étendus a l'entrée des rues effraya tellement
les Parisiens, que si le canon eut pu arriver de suite pour forcer les
portes Saint-Jacques et Saint-Micbel, le roi, dès le matin même, eût été
maître de tout le quartier de l'Université. Mais les habitants eurent le
temps de barricader ces portes avec des poutres et du fumier.
. Pendant ce temps-la, La Noue, qui venait de descendre par la rue de
Tournoi! jusqu'au bord de la Seine, tenta de franchir le fleuve avec sa
cavalerie^ un peu au-dessous de la tour de Nesle. Mais de Rosne, que les
Parisiens avaient fait avertir la veille, et qui était accouru d'Étampes en
toute hâte, lit faire sur les assaillants une si furieuse décharge de mous-
queterie, qu'ils furent obligés de s'arrêter tout court. Plusieurs des sol-
dats royalistes furent tués ; d'autres se noyèrent misérablement, car, en
cet endroit-la, il se trouva que la rivière était rapide et plus profonde
qu'ils ne l'avaient pensé. La Noue lui-même fut blessé assez grièvement.
On -le rapporta dans le faubourg dont Châtillon et Sully venaient de
s'emparer tout 'a fait, et il s'y passait, comme dans toutes les places
prises d'assaut, de ces choses que l'histoire ne peut raconter qu'en les
déplorant.
Deux troupes de bourgeois avaient été cernées dans une rue, près de
l'enclos d^ la foire Saint-Germain. « En un instant, il fut tué quatre cents
de ces malheureux en un monceau. « Je suis las de frapper, dit alors
« Sully, et je ne saurais plus tuer des gens qui ne se délendent point. »
Alors on commença 'a piller. — a Vous ne fites, Monseigneur, ajoute le
rédacteur des Économies royales de ce fidèle ami de Henri IV, vous ne
fites qu'entrer dans six ou sept maisons, et y eûtes par hasard quelque
deux 'a trois mille écus qui vous furent baillés pour votre part, » Très-
probablement le prudent Sully avait su parfaitement choisir les maisons
qu'il avait visitées. (Sully, Econom. roy., ch. xxix.)
Châtillon fit alors appliquer le pétard à la porte de Nesle, mais il n'y
fit point d'effet, parce que les bourgeois, étant accourus, l'avaient
appuyée par derrière, comme ils avaient fait aux portes Saint-Michel et
Saint-Jacques.
Il était au plus huit heures du matin, quand le roi entra l'un des
premiers dans le dit faubourg Saint-Jacques, que ceux qui étaient sortis
de la ville pour le défendre avaient abandonné en toute hâte. Sa présence
fut un bonheur pour les habitants. Il les vit à leurs portes et a leurs
fenêtres, qui criaient : « Vive le roi! » Aussi son premier soin fut de
défendre qu'on leur fit aucune violence. II envoya réprimander Châtil-
lon, qui, pour venger la mort de l'amiral, son père, voulait tout laire
égorger sans merci, et non content d'avoir empêché le pillage et surtout
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 35
la violation des églises, il ordonna que le service divin ne fût pas inter-
roni|)u, de sorte que les catholiques de son armée y assistèrent paisi-
blement avec les bourgeois et purent solonniser la bonne léte de la
Toussaint. (Mattii., Hist. des dern. troîibles,\i\. 5, fol. 12.)
Pour lui, il monta au clocher de Saint-Germain, considérant attenti-
vement ce qui se Caisail dans la ville, où, suivant la promesse de
Blancménil, il attendait quehjue mouvement en sa faveur. (Pkréfixk,
II" part., ad ann. 15(S9.)
Cependant le duc de Mayenne, qui n'avait pu croire que le roi oserait
marcher sur Paris, venait de prendre La Fère, et s'occupait tranquille-
ment a s'assurer des esprits en Picardie. Il avait fait une entrée quasi
royale a Amiens, et les habitants avaient même voulu lui porterie poêle;
mais il eut la modestie de ne pas accepter un pareil honneur, qui ne
se rend qu'au souverain. La nouvelle que le Béarnais assiégeait Paris
vint le surprendre au milieu de son triomphe. Sans perdre de temps, il
lit partir le duc de Nemours avec, quelque cavalerie, et celui-ci (\t une
telle diligence qu'il arriva 'a Paris le soir même. {Mém. de la Ligne,
t. IV, p^ 08.)
Le lendemain, Mayenne y entrait aussi lui-même avec toute son
armée, au grand désappointement des politiques, mais à la grande joie
des Ligueurs, qui avaient dressé dans les rues des tables chargées de
viandes et de vin, pour faire rafraîchir les soldais. (Mkzkuav, p. 77)6.)
Le roi n'avait pas compté que le duc put passer l'Oise aussi facile-
ment ; car il avait chargé Thoré de garder le passage 'a Sainte Maxence,
et de rompre le pont qui existait en cet endroit. Mais celui-ci se trouva
par hasard malade ce jour-fa; son lieutenant, qu'il chargea de le rempla-
cer, s'était fort mal acquitté de cette importante commission ; le pont
n'avait été ni rompu ni gardé, et l'armée ligueuse put passer sans ren-
contrer d'obstacles.
Jugeant donc que ses partisans dans la capitale n'oseraient plus, et
même ne pouvaient plus tenir les promesses (ju'ils lui avaient faites, il
regarda comme une dangereuse témérité de persister a attaquer une ville
aussi populeuse, où il ne pouvait plus compter sur personne pour le
seconder, et surtout quand il la voyait, en outre, défandue par une
armée bien plus nombreuse que la sienne. D'ailleurs, il avait déjà obtenu
une partie de ce qu'il désirait le plus, c'était de forcer Mayenne a s'éloi-
gner de la Picardie, où il aurait pu rallier un grand nombre de partisans
et se fortilier par la suite. Le troisième jour de novembre, il décampa
donc sans qu'on osât ratta(picr, (pioicjue, |)our prouver aux Ligueurs et
aux Parisiens (|ue cette retraite n'était |)as une fuite, il resta plusieurs
heures dans la plaine en ordre de bataille, pour les engager à faire une
sortie s'ils l'osaient. (Cavi:t, ubi sup.)
Il se retira d'abord a Linas, emmenant les douze i)ièces de canon
(pi'il avait prises 'a l'attaque du relranchemenî, et plus de douze cents
prisonniers (pi'il avait laits (M! l'orçant les faubourgs. ])o ce nombre était
un riche marchand nommé Cliarpenlier,mLMnl)re du conseil des Quarante,
36 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
et Bourgoing, prieur des Jacobins, qui fut pris le corselet sur le dos et
les armes a la main, en se battant comme un soldat.
Quand le roi fut éloigné, les habitants de Paris, qui avaient eu un
assez grand nombre de tués et de blessés, et un plus grand nombre
encore de prisonniers, se mirent a déplorer leurs pertes. On n'entendait
partout que les cris des femmes et des enfants qui avaient a regretter un
père ou un mari. Pour donner quelque peu de satisfaction a cette mul-
titude éplorée, le conseil de l'Union fit paraître un édit par lequel il était
ordonné qu'on nommerait des commissaires pour dresser un mémoire
exact de tous ceux qui [avaient perdu la vie ou la liberté en cette occa-
sion. Les dits commissaires étaient chargés, en outre, de faire la re-
chercbe exacte de tous les biens des hérétiques et de leurs fauteurs, pour
les vendre a l'encan et dédommager ceux qui avaient souffert. Mais ce
dédommagement se réduisit à bien peu de chose, car il n'y avait rien
qui fût de bonne prise dont les Seize n'eussent eu grand soin de s'em-
parer depuis longtemps. (De Thou, t. XI, liv. 97, p. 35.)
Pour lors, les chefs ligueurs, ayant été instruits que le président Blanc-
ménil avait montré un visage plus riant que de coutume, au moment où
le Béarnais était maître des faubourgs, soupçonnèrent qu'il avait quelque
intrigue avec les royalistes. Ils le mirent en prison au Louvre et lui firent
faire son procès. La vie de ce magistrat courait les plus grands risques,
s'il n'eût trouvé le moyen de s'évader de leurs mains ; mais pour se
consoler, ils firent pendre deux pauvres diables qui avaient été surpris
semant dans le Palais des écrits destinés à émouvoir le peuple en faveur
du roi. Un nommé Blanchet, l'un des plus riches bourgeois de la cité,
avait été aussi arrêté pour la même cause ; seulement on ne pendit pas
celui-là d'abord. On jugea plus à propos de le garder pour l'échanger
contre Charpentier, que le Béarnais avait emmené. (Journal de
/7mn/V, fol. 12.)
Or, Charpentier n'avait pas attendu cet échange pour traiter de sa
liberté ; il venait de convenir d'une rançon et le prix en était déjà payé.
Par malheur pour lui, au lieu de s'en aller bien vite, il s'amusa a faire
ses adieux 'a Richelieu, grand-prévôt de l'hôtel, qui était son ami, et qui
lui faisait même quelquefois l'honneur de lui emprunter de l'argent. Pen-
dant qu'il s'arrêtait aussi malencontreusement, il vint nouvelle au camp
que les chefs de la Ligue, pour apaiser la populace, prête à s'insurger
parce que, disait-elle, on ne faisait pas justice des riches, avaient fait
pendre Blanchet. Le maréchal de Biron vint aussitôt trouver le roi et lui
dit que si le supplice de ce brave homme n'était pas vengé, tous les
bons serviteurs de Sa Majesté, et lui le premier, étaient décidés à s'éloi-
gner ; qu'on tenait la Charpentier, et qu'il fallait que Charpentier payât
pour Blanchet. Henri se vit forcé de consentir à cette rigueur, et Biron
envoya sans retard 'a Richelieu l'ordre de faire pendre incontinent le
malheureux Charpentier. Ce dernier allait monter à cheval; mais le pré-
vôt de l'hôtel lui fit observer que, tout son ami qu'il était, il ne pouvait
se dispenser de faire exécuter un commandement aussi précis, et le
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 37
pauvre homme fut pendu, a la porte même de son ami le grand-prévôt.
Or, ceci se passait à Vendôme, où l'armée royaliste était allée en quit-
tant Linas, et où nous la retrouverons dans un moment.
Pour le prieur Bourgoing, il fut conduit a Tours, où le parlement
travailla a son procès, sur la requête de la reine Louise et du procureur
général. Celte princesse avait écrit au roi pour lui demander justice de la
mort de son mari, et le roi avait accédé à cette demande. Or, comme il
était notoire que Bourgoing avait été le supérieur de Jacques Clément,
que, dans ses sermons, il avait souvent comparé l'acte de l'assassin au
dévouement de Judith, l'accusation le chargea d'en avoir été le complice
et de l'avoir conseillé. Quelques témoins allkmèrent, de plus, qu'il en
était convenu publiquement, et qu'il s'en était vanté. Il fut, en consé-
quence, condamné comme régicide 'a être tiré à quatre chevaux, pour les
quartiers être ensuite brûlés et les cendres jetées au vent.
Le prieur se prépara a la mort avec une fermeté merveilleuse. Ce fut
lui-même qui disposa soigneusement son caleçon pour que, pendant
l'exécution, on ne vit rien de son corps qui pût choquer la pudeur. Il
adressa ensuite au ciel une ardente prière, prolestant qu'il était innocent
du crime qu'on lui imputait. « Je pardonne a mes juges, dit-il, ils n'ont
pu que me condamner, puisqu'il y a des témoins qui ont déposé contre
moi, et que je n'ai aucun moyen de les confondre; mais ce sont de faux
témoins, et je les attends devant le tribunal du Juge suprême, j» Ensuite
il se livra aux bourreaux, et, au milieu des atroces déchirements d'un
pareil supplice, on ne l'entendit pas pousser un seul cri qui témoignât du
désespoir ou de l'impatience.
Cette résignation inspira de la compassion 'a la plus grande partie
des spectateurs. On l'avait connu pour avoir été un assez bon religieux,
et l'on ne pouvait s'empêcher de plaindre en lui cette folie de l'esprit
humain qui, s'aveuglant lui-même, est capable de tout entreprendre et
de tout souffrir.
Déj'a près de quatre mois s'étaient écoulés depuis la mort du roi. On
a vu comment Mayenne, n'osant pas se proclamer de suite son succes-
seur, avait donné ce titre au vieux cardinal de Bourbon. Mais personne ne
semblait plus s'occuper de ce pauvre prince qui restait oublié dans sa
prison. Quelques amis qu'il avait encore se reprochèrent à la lin cet
oubli, et parlèrent alors de lui assigner une pension sur l'Etat. Hotman,
l'un de ces amis, présenta îi cet effet au conseil de l'Union une requête
exposant que le dit cardinal de Bourbon, leur roi légitime, suppliait ses
sujets de lui accorder au moins le revenu indispensablement nécessaire
à son entretien, attendu que ses bénéfices ecclésiastiques, dont il aurait
pu vivre, étaient maintenant entre les mains des ennemis de Dieu et de
la nation. (De Thou, t. II, liv. 97, p. 52 et suiv.)
Hennequin, évêque de Rennes, présidait alors le conseil. Il commença
par réprimander l'auteur de la requête, parce qu'elle était, disait-il,
conçue en termes malséants, un roi ne devant pas adresser de suppli-
cations'a ses sujets. « Vous avez raison. Monseigneur, reprit Hotman;
:î8 histoire de l'établissement
mais passez sur le vice de la forme. La demande du roi n'en est pas
moins pressante et légitime, et peu importe de quelle manière elle soit
faite, pourvu que vous y fassiez droit. »
On se mit en effet a délibérer et on affecta de délibérer longtemps,
après quoi le conseil fit cette réponse : « Que la nécessité de subvenir
aux frais de la guerre absorbant tous les fonds, l'État se voyait dans
l'impossibilité de faire une pension au roi ; que la Sainte-Union allait
s'occuper de reprendre et de lui remettre les bénéfices dont le parti du
Béarnais l'avait dépouillé ; qu'il y pouvait compter, et que ces revenus
considérables seraient plus que suffisants pour son entretien et celui de
sa maison jusqu'à la fin de cette guerre. »
Cette réponse véritablement dérisoire mécontenta tous ceux qui
n'étaient pas aveuglément dévoués au duc de Mayenne, et plusieurs s'en
allaient disant ouvertement : « On le voit bien aujourd'hui, ce ne fut
jamais a la défense de notre religion, mais bien au trône que cet étranger
a toujours aspiré; son prétendu dévouement a la foi catholique n'a
jamais été qu'un prétexte dont il cache ses vues ambitieuses, puisqu'il
abandonne a la misère un prince qu'il a lui-même proclamé légitime et
qui est éminemment bon catholique. »
Le duc fut instruit de ces murmures ; il crut que pour les apaiser il
suffirait de faire rendre par le parlement un arrêt par lequel il était or-
donné 'a tous les sujets du royaume d'être fidèles a Sa Majesté Charles X,
et de lui dévouer leur vie et leurs biens, pour le tirer de sa prison et le
remettre en liberté. Le même arrêt ordonnait, de plus, qu'en attendant,
on eût a reconnaître le lieutenant-général du royaume, au nom duquel
devaient jusque-la être faits tous les actes publics, comme aussi la mon-
naie être frappée en son dit nom et porter son image.
Huit jours après, le parlement rendit un autre arrêt par lequel les
Étals-Généraux étaient convoqués 'a Melun pour le mois de février sui-
vant, afin de délibérer avec le concours de tous les ordres de l'État sur
ies moyens de délivrer la personne de Sa Majesté et de maintenir la sainte
religion contre les hérétiques et leurs suppôts.
Mayenne alors pouvait s'apercevoir plus que jamais que la position
qu'il avait osé prendre devenait de plus en plus embarrassante, et qu'elle
exigeait de lui des efforts incessants qui coûtaient beaucoup trop 'a sa
paresse. Monsieur de Tassis, membre du conseil du roi d'Espagne aux
Pays-Bas, venait de se rendre à Paris avec une mission toute particu-
lière de son royal maître. « Philippe, qui, disait-il, avait déjà bien assez
de tous les immenses royaumes que le ciel lui avait donnés à gouverner,
consentait, pour le bien de la foi, à augmenter cette charge pénible. »
Il demandait qu'on le déclarât protecteur du parti catholique en France,
« avec des autorités, puissances royales, et autres souverainetés qu'il
détaillait et voulait qu'on lui accordât en retour de sa protection et des
services qu'il rendrait à la nation. 11 voulait, par exemple, avoir le
droit de pourvoir aux principales dignités tant civiles qu'ecclésias-
iiijues. » En effet, c'eût été dès lors être véritablement roi de France.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 30
On tint a cfi sujet un conseil, où \'ilIero\ représenta qu'en accédant a do
pareilles exigences, c'était inainpier non seulement a la fidélité qu'on
venait de jurer a Sa Majesté Charles X, mais aussi violer toutes les lois
et constitutions du royaume. Mayenne, pour gagner au moins du temps,
demanda à son tour qu'avant de rien décider, on attendit l'arrivée du
légat, que le Pape envoyait pour régler toutes ces choses dans l'intérêt
commun de tous ceux qui faisaient profession de la foi catholique. {Mém.
de ViUeroy, ad ann. 1589.)
Les Espagnols dissimulèrent le mécontentement que leur faisait éprou-
ver ce délai. « Hé bien! dit alors l'un des négociateurs, puisque les
Français ne veulent pas de mon maître comme protecteur, il faudra qu'il
continue de se battre pour eux en qualité de simple auxiliaire. » {Chron.
novenn. de Cayet, liv. 2, ad ann. 1589.)
Or ce légat, que le Pape venait en effet de faire partir, était le cardi-
nal Gaétan. Sa Sainteté aurait pu faire un meilleur clioix, non pas que le
cardinal manquât de génie et d'expérience pour les grandes affaires ; il
était même regardé comme un três-habile diplomate dans une cour où
de tout temps les finesses de la diplomatie ont été portées jus(]u'au
suprême degré de perfection; mais, par tousses antécédents, par toutes
ses liaisons de lamille, il se trouvait lié au parti espagnol. Son frère
servait le roi d'Espagne dans les Pays-Bas, et lui-même, ainsi (pic tous
les siens, recevait des pensions de ce monarque. Au surplus, il est pro^
bable que le Pape lui-même croyait utile à ses intérêts d'avoir en France
un légat (jui fût agréable a Philippe. (Mézeuav, t. III, p. 741 et suiv.)
Quoi qu'il en soit, pour donner plus d'éclat a cette légation. Sixte
adjoignit a Gaétan un grand nombre de personnes considérables, ou par
leur doctrine, s'il fallait combattre les hérétiques avec les armes de la
dialectique, ou par leur qualité, s'il fallait entrer en quehjue traité
d'apparat. Ainsi le légat amenait en France, à sa suite, les deux célèbres
jésuites Dellarmin et Tyrceus, et dix évêqucs, au nombre desquels on
comptait le fameux Panigarole, qui s'était fait une grande réputation
(rélo(|uence par ses prédications.
Gaétan arriva a Lyon le neuvième jour de novembre. Il s'imaginait,
grâce aux renseignements que la Ligue avait fait donner au Saint-Père,
qu'il allait disposer de toute la France a sa volonté; que les huguenots
n'avaient plus d'autre ressource que de demander humblement pardon,
et que tous les catholiques, parfaitement d'accord entre eux, étaient
disposés à accepter avec soumission les décisions qu'il prononcerait au
nom du Souverain-Pontife ; de sorte qu'il n'aurait que des absolutions à
donner aux premiers, et des remerciements à faire aux autres.
Mais les choses n'étaient pas tout a fait <lans cet état. Le cardinal
Morosini, son prédécesseur, (pi'il avait rencontré 'a Boulogne, avait déjà
tenté de lui montrer quelle était la vraie position des affaires de France;
que le parti du roi de Navarre n'était pas autant a mépriser qu'on le lui
avait fait croire, et que la Liguo n'était au fond qu'un grand corps sans
tète, 'a cause de la jalousie et de la multitude de ses chefs. En consé-
40 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
quence, il lui conseillait de ne pas trop s'engager avec cette dernière,
et de ne pas oublier que le Béarnais iinirait, suivant toute probabilité,
par se rendre maître de fait d'une couronne, qui lui appartenait déj'a de
droit; qu'ainsi, l'intérêt bien entendu de l'Eglise était plutôt de ramener
ce prince à la foi catholique, par de bons offices, que de l'en écarter
davantage en favorisant ses ennemis.
Gaétan ne goûta pas ces sages avis. En ce moment même le duc de
Savoie le comblait d'honneurs et de soumissions, lui faisant préparer
dans toutes les villes la même réception qu'il aurait faite au Saint-Père,
et ne lui demandant, comme à un arbitre souverain, que d'avoir égard
à ses légitimes prétentions sur la couronne de France.
Dès son arrivée a Lyon, le légat envoya prévenir de sa mission le
duc de Mayenne et l'ambassadeur d'Espagne, sans en donner aucune
connaissance au roi ni aux seigneurs catholiques qui se trouvaient dans
l'armée royaliste. Par cette première démarche, il s'ôtait déjà la faculté
de se poser en arbitre entre les deux partis, puisqu'il ne s'avouait en
qualité de légat que près d'un seul. 11 fit ensuite publier le bref du Pape.
Dans ce bref, daté de Rome, le septième jour de novembre. Sa Sainteté,
après avoir fait l'éloge de la France et de son antique fidélité envers le
Saint-Siège, rappelait en détail toutes les grâces dont ses saints prédé-
cesseurs avaient en retour comblé nos rois. Déplorant ensuite le triste
état 011 se trouvait réduit ce florissant royaume, « pour y apporter un
remède convenable, disait-elle, je vous envoie mon légat, le cardinal
Gaétan, afin que, aidé de la grâce de Dieu, « il arrache, détruise,
« dissipe, bâtisse et plante, selon qu'il le jugera nécessaire, pour la
« gloire de notre divin maître et pour le salut des âmes. Je l'ai chargé
« de prendre les moyens les plus propres pour protéger notre sainte foi,
« et pour ramener les hérétiques au giron de l'Église, afin que toute la
« nation, réunie un jour sous un roi débonnaire et véritablement chré-
« tien, puisse trouver le bonheur dans sa soumission 'a ce prince. » Sixte
finissait en recommandant que son légat fût reçu partout avec le respect
et les honneurs qui lui étaient dus, et il exhortait 'a se soumettre aux con-
seils de l'envoyé .du Saint-Siège, afin de mériter par Ta les grâces du
Seigneur, source unique des véritables biens en cette vie comme en
l'autre. {Journal de Henri IV.)
Les partisans du malheureux cardinal de Bourbon, voyant que, dans
cette proclamation pontificale, on ne prononçait même pas son nom,
commencèrent à ne plus douter. que leur prince n'était au fond qu'un
prétexte; qu'on les avait pris pour dupes, et que le but de tous ceux qui
se mêlaient en ce moment des affaires de la France n'était autre que
de faire les leurs propres, en excluant d'abord du trône tous les princes
du sang qui avaient le droit d'y monter, pour s'y placer eux-mêmes, ou
pour y mettre un étranger, auquel ils le vendraient le plus chèrement
possible ; aussi la plupart d'entre eux se détachèrent en cette occasion du
parti de la Ligue.
Quant au roi Henri IV, aussitôt qu'il eut eu connaissance de l'arrivée
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 41
en France d'un nonce du Pape, il publia à son tour un mandement
qui enjoignait a toutes les villes et a tous les gouverneurs de son obéis-
sance de le recevoir avec honneur et de le faire accompagner en toute
sûreté jusqu'à sa cour, où il aurait toujours pleine liberté d'aller et
venir comme bon lui semblerait; mais que s'il faisait sa retraite dans
quelques-unes des villes tenues par la Ligue, il le déclarait dès lors
son ennemi, partisan de la rébellion, émissaire de l'étranger et devant
être considéré comme tel par tous ses lidèles sujets. (Mézerav, ibid.,
p. 750 et suiv.)
Le légat Gaétan ne tint aucun compte ni de ces offres ni de ces
menaces. Comme Mayenne, 'a qui il avait demandé une escorte, ne pou-
vait lui en envoyer une assez forle pour le mettre a l'abri des partis roya-
listes qui parcouraient les pays par lesquels il avait 'a passer en prenant
la route directe, il se joignit a un corps de reîtres que le duc de Lorraine
lui envoya, et prenant avec eux son chemin par Dijon, il put arriver
dans la capitale sans mauvaise rencontre. (Legrain, Décad., liv. 5,
p. 449.)
Avant d'entrer dans la ville, « on lui fit faire une station au faubourg
Saint-Jacques, où, par honneur, les Suisses vinrent lui faire une salve de
huit ou dix mille coups tant de mousquets que d'arquebuse, pendant que
le canon de la place et des remparts faisait de son côté une décharge
générale. Le légat, tout effrayé d'un pareil bruit, tremblait de peur que
quelque maladroit ou quelque politique, s'étant glissé dans les rangs,
n'eût chargé son arme 'a balle. 11 faisait perpétuellement signe de la main
que l'on cessât, mais ces bonnes gens, pensant que ce fussent bénédic-
tions qu'il leur donnait, ne s'en évertuaient que mieux à recharger et a
tirer toujours, de sorte qu'ils le tinrent une bonne heure en cette
alarme. » (Legrain, ibid.)
11 trouva la capitale divisée en quatre différentes factions, qui s'unis-
sant ou se choquant selon la diversité de leurs intérêts, donnaient lieu
tour 'a tour aux combinaisons les plus imprévues, et tiraillaient en tous
sens l'administration de cette malheureuse ville. D'un côté, le parti roya-
liste, qui se composait de la"majorité du parlement, de presque tous les
officiers de justice et des plus riches bourgeois, exerçait sur les masses
populaires l'influence de la richesse et de la considération personnelles;
d'un autre côté, les principaux chefs de la Ligue et les serviteurs dévoués
de la maison de Guise, appuyés sur l'autorité du duc de Mayenne, lieu-
tenant-général du royaume, secondaient de tous leurs cfïbrts les préten-
tions de cette maison au trône de France. Un troisième parti, gagné par
l'or de l'Espagne, se montrait tout dévoué au roi catholique, et de ce
parti étaient plusieurs des Seize et du conseil des Quarante, ainsi que la
plus grande partie des moines et l'ordre tout entier des Jésuites. Quant
au quatrième parti, « c'était le moins nombreux, mais peut-être le plus
redoutable de tous, s'il se fût trouvé alors une tête assez forte pour le
diriger. Il se composait de certaines gens qui, détestant également l'admi-
nistration de tous les puissants de la terre, rêvaient déjà une république
42 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
démocratique et se proposaient de profiter de la circonstance pour en
jeter les fondements. » (Mézeray, uhi sup.)
Ce fut, comme il avait été facile de le prévoir, au parti espagnol que
s'attacha le cardinal légat, après toutefois qu'il eut eu de prime abord
reconnu la prétendue royauté de Charles X.
Cependant, le roi Henri IV avait eu nouvelle que le jeune Casteinau,
comte de Clermont-Lodève, après avoir assez étourdiment embrassé le
parti de la Ligue, venait de se renfermer dans Étampes, avec cinquante
gentilshommes. Sa Majesté s'était aussitôt mise en route, et le cinquième
jour de novembre, sur le soir, elle était arrivée devant cette ville. Castei-
nau, disait-on, comptait sur lesecours immédiat du duc de Mayenne,
qui lui avait promis de venir en personne pour le soutenir; et le roi se
flattait d'avoir la une occasion de se mesurer de nouveau en bataille
rangée avec ce chef de la Ligue. Mais Mayenne ne vint pas. La ville fut
prise presque aussitôt qu'attaquée, et la garnison, avec toute la noblesse
et le comte lui-même, se retira dans le château, où ils n'eurent plus
d'autre ressource que de capituler.
Le roi ordonna de retenir seulement les principaux officiers pour les
échanger contre ceux des royalistes qui avaient été pris par les Ligueurs.
Quant au comte de Clermont, il lui permit de se retirer librement, sur la
parole qu'il lui donna de ne plus porter les armes contre lui. Puis, sur
la demande même des principaux habitants, il fit démolir le château
d'Étampes, pour éviter de nouveaux désastres 'a cette malheureuse ville,
déjà pillée plusieurs fois, en moins de deux ans. Ce château, en effet,
qui était fort et bien placé, rendait la pauvre petite ville un objet de con-
voitise pour tous les partis. Après donc lui avoir ôté ce qui seul lui avait
attiré tant de malheurs, il n'hésita pas a la laisser sous la garde de ses
seuls habitants. {Mém. de la Ligue, t. IV, p. 74.)
Il partagea ensuite ses troupes. Il en donna une partie a Longue-
ville et à La Noue, avec ordre de passer eji Picardie, pour contenir cette
province dans le devoir, et ramener ceux que le duc de Mayenne avait
pu égarer pendant sa dernière excursion dans ces contrées. Givry fut
renvoyé dans la Brie, et lui-même, se dirigeant vers la Loire, passa par
Blois et se rendit a Châteaudun. Ce fut fa qu'il reçut la députation des
Cantons Suisses, qui venaient l'assurer que leur république avait résolu
de le soutenir avec le même zèle qu'elle avait toujours témoigné au roi
son prédécesseur.
Le roi partit de Châteaudun le quatorzième jour de novembre, et s'en
alla coucher a Meslay. Il avait résolu de reprendre la ville de Vendôme et
de punir la trahison dont le gouverneur de cette ville, Jacques de Maillé
Bennehart, s'était, comme on l'a vu, rendu coupable.
Cette place, dont la situation sur les bords du Loir est très-forte
et très-avantageuse, avait en outre un bon château du côté où elle est
abordable ; elle était défendue par un large fossé et par d'épaisses mu-
railles, et le château était bâti sur un rocher presque inaccessible qui
domine la ville. Ce fut précisément ce château que le roi résolut d'atta-
Dû PROTESTANTISME EN FRANCE. 43
qiier, parce qu'une Ibis maître de ce poste il n'aurait plus de résistance
à craindre.
Le gouverneur demanda d'abord à traiter, et il eut plusieurs conlé-
renccs à ce sujet avec Richelieu, grand prévôt de l'armée, (|ui était son
ami ; « mais Dieu, disent les historiens du temps, voulant le punir de
son infâme trahison, ne permit pas que ces conlérences eussent aucun
succès. » Dans son aveuglement, Hennehart, qui se sentait appuyé par
une bonne garnison et défendu par de bons remparts, croyait (pie l'armée
royale, plutôt que d'entreprendre un siège hasardeux, consentirait h
s'éloigner sans l'obliger a rendre la place, ou la lui achèterait 'a un prix
avantageux. Mais le roi n'avait ni temps 'a perdre ni argent a prodiguer.
Il donna le signal de raltacjue. Le canon royaliste commença a battre
deux des tours du château pour y ouvrir une brèche et frayer la route à
un assaut; mais l'impatience des troupes ne laissa pas le temps a l'artil-
lerie de produire tout son effet; les boulets avaient 'a peine fait dans
l'une des tours un trou de quelques pieds, que les soldats s'élancèrent
l'épée a la main, montèrent juscjue sur le haut de la tour et s'emparèrent
du retranchement intérieur, que les assiégés se hâtèrent d'abandonner
pour se retirer en contusion dans la ville par la porte du château. Les
assiégeants les poursuivirent et entrèrent ])êle-mêle avec eux ; de sorte
qu'en moins de trois heures, et sans avoir, pour ainsi dire^ rencontré de
résistance, le roi se trouva maître partout.
Aussitôt il chargea Châtillon et Riron de veiller 'a ce que le pillage se
fit (lune manière h peu près régulière et sans cruautés superilues ; il leur
recommanda surtout d'en préserver les églises. Le gouverneur, qui
s'était retiré dans une maison, fut fait prisonnier, ainsi qu'un cordelier
qui avait jadis trcmjjé dans le complot de Tours, et (jui, depuis (ju'il
s'était réfugié a Vendôme, après le mauvais succès de ce complot, n'avait
cessé d'exhorter les habitants à la révolte. A la sollicitation des bour-
geois eux-mêmes, qui l'accusaient de tous leurs malheurs, le cordelier
fut d'abord livré îi rexéculcur pour être pendu; et il marcha au supplice
avec une tranquillité admirable. Pour le gouverneur, en sa qualité de
gentilhomme, on lui accorda la distinction d'avoir la tête tranchée; mais
il montra en présence de la mort autant de tâiblesse que le moine avait
déployé de courage ; il se jeta aux pieds de Riron pour en obtenir sa
grâce ; et celui-ci lui tourna le dos en lui disant qu'il était indigne de
vivre, puisqu'il n'avait eu ni assez de courage pour se défendre, ni assez
(le prudence pour capituler. (Dk Tiiou, uhi sup.^ p. GO.)
La prise de Vendôme entraîna la reddition de plusieurs places des
environs, et entre autres des villes de Lavardin, Monloire et Chàteau-
(hi-Loir, qui n'osèrent pas s'exposer aux hasards d'un assaut cl qui ou-
vrirent leurs portes a la première sommation.
Le roi, se voyant alors un peu de loisir, (juitta son armée et se ren-
dit en poste a Tours, où, n'étant arrivé que la nuit, il lit son entrée aux
llambeaux. Toutes les fenêtres étaient illuminées et le peuple accourut
de toutes parts sur son passage, en poussant des cris de joie. Le len-
44 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
demain, il donna audience aux députés du parlement, et ce fut le pre-
mier président de Harlay qui porta la parole au nom de toute sa com-
pagnie. L'ambassadeur de Venise lut ensuite reçu par Sa Majesté, et lui
présenta les lettres de la république par lesquelles elle renouvelait avec
le nouveau prince tous les anciens traités qui la liaient à la France.
Henri, dont la merveilleuse activité faisait tout le succès, ne s'arrêta
pas longtemps a Tours. Quelques jours après, il marchait contre Le Mans,
en se faisant précéder de Philippe d'Angennes, qui avait été jadis traî-
treusement chassé de cette ville, et qui venait de sortir de la prison où
les Ligueurs l'avaient enfermé à Paris avec le premier président de Harlay.
L'ancien gouverneur du Mans tenait à se venger des affronts qu'il avait
reçus. Dès en arrivant et de prime abord, il attaqua avec une telle furie
qu'il emporta les faubourgs, qui sont fort grands, et que les Ligueurs
avaient fortifiés à grands frais ; mais, avant de se retirer dans la ville, le
gouverneur Bois-Dauphin donna l'ordre de mettre le feu, qui consuma
tout ce vaste amas de maisons, à l'exception de l'hôpital et de l'abbaye
de la Couture qu'on parvint a préserver. {Mém. de la Ligue, t. IV,
p. 81 et suiv.)
Sur ces entrefaites, le roi arriva avec le reste de son armée. D'après
ce que venait de faire l'ennemi. Sa Majesté s'attendait a avoir a pour-
suivre un siège long et meurtrier; mais, contre toutes ses prévisions,
Le Mans demanda a capituler au bout de cinq jours.
Le comte de Brissac, a la tête de deux régiments d'infanterie, accou-
rait en ce moment pour soutenir la place assiégée, et il était déjà à La
Ferté-Bernard. Mais, a la nouvelle de la capitulation, il retourna sur ses
pas, et, étant tombé sur un quartier des reîtres royalistes, qui se trou-
vait sur son passage, il les mit en désordre, pilla cinquante charriots,
emmena trois cents de leurs chevaux, et seulement dix soldats, qui
s'étaient laissé prendre, les autres s'étant sauvés, en abandonnant armes
et bagages ; après quoi il se retira sans plus rien oser tenter. (Mézeray,
ubi sup., p. 740.)
Conformément a l'usage qu'il avait adopté, le roi donna l'ordre à
Biron d'entrer dans la ville pour la préserver du pillage, et deux soldats,
qui avaient été surpris volant un calice, furent immédiatement pendus
pour servir d'exemple aux autres. C'étaient pourtant, disait-on, deux des
plus braves de l'armée royale. D'Angennes fut remis en possession de
son gouvernement, et l'évêque du Mans, son frère, fut rétabli dans son
évêché.
Cependant le moment où Sa Majesté s'était engagée a convoquer les
États-Généraux approchait. Elle représenta que les Ligueurs, en l'obli-
geant par leur opiniâtreté a consacrer tout son temps à leur faire la
guerre, ne lui laissaient pas le loisir de s'éloigner de son armée, et de
venir vaquer aux affaires importantes dont on devait s'occuper dans cette
grande assemblée. En conséquence, il en ajourna la réunion jusqu'au
quinzième jour de mars suivant, « auquel temps, disait-il, il espérait
bien se voir en liberté d'apprécier les sages avis qu'il attendait des
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 45
députés des trois ordres, et de profiter des lumières qu'ils lui apporte-
raient. » Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en ce moment son autorité
n'était pas encore assez affermie dans le parti catholique pour qu'il crût
pouvoir risquer de mécontenter les protestants.
De plus, l'argent lui manquait pour entretenir ses troupes; il est
vrai que chaque ville qu'il prenait ou qui se rendait était frappée d'une
contribution. Mais les deniers qu'il se procurait ainsi suffisaient a peine
pour donner des 'a-compte aux troupes étrangères sur leur solde; (|uant
aux soldats français, ils ne recevaient que le pain, et ils n'avaient guère
pu être retenus sous les drapeaux que par l'espoir du butin. Il est vrai
que c'était en ce tenq)s-la a peu près le seul motif qui décidait ceux qui
n'avaient rien de mieux à faire à prendre le parti des armes.
Pour les seigneurs qui avaient embrassé son parti, « dès qu'ils
avaient dépensé ce qu'ils avaient apporté de chez eux, et ce qu'ils avaient
pu picorer dans leurs quartiers, il les renvoyait d'ordinaire dans leurs
manoirs, pour qu'ils pussent s'y refaire et s'y procurer de quoi fournir
aux frais d'une nouvelle campagne, les invitant par son exemple à retran-
cher la dépense superflue des habits et des équipages, et les traitant,
outre cela, avec tant de civilité et d'accortise qu'ils emportaient toujours
le désir de venir le rejoindre le plus tôt possible. » (Pi:ri:fixe, 11" partie,
ad ann. 1589.)
Mais cet étal de choses ne pouvait toujours durer; les troupes
étrangères surtout réclamaient le complément de ce qui leur était dû, et
les soldats français, dont on réprimait autant que possible le goût pour
le pillage, demandaient en retour une solde plus régulière. Henri se rap-
pela alors que le duc de Nevers avait en dépôt chez un banquier de
Francfort une somme de trente-trois mille écus d'or, qui lui revenait
'pour restant de sa légitime comme fils puîné du feu duc de Mantoue,
père du duc actuellement régnant. C'était une somme énorme pour le
temps et les circonstances, et aucun seigneur du royaume ne pouvait se
vanter d'en avoir une pareille a sa disposition. Le duc était donc un
homme qu'il fallait absolument gagner; car, retenu par certains prin-
cipes religieux, il était un de ceux qui n'avaient pas encore embrassé le
parti du roi. Henri kii envoya de Thou, pour tâcher d'abord de l'attirer
par la promesse qu'il aurait le commandement de l'armée qu'on se pro-
posait de faire marcher contre le duc de Savoie, ancien rival de sa maison,
et ensuite et surtout pour le décider a prêter son argent au roi. (De
Thou, itbi siip.)
De Thou, après avoir traversé heureusement la Touraine et le Berry,
où les Ligueurs faisaient des courses continuelles, arriva à Nevers pour
s'acquitter de sa commission, qu'une circonstance toute particulière
venait de rendre plus difficile encore. Le duc n'avait, il est vrai, adopté
aucun parti ; mais voila que se sentant fier de son indépendance et de
toute l'influence que ne pouvait manquer de lui donner sa haute for-
tune, il eut ridée qu'au milieu de tous ces intérêts qui se débattaient
autour de lui, il lui serait aussi facile que glorieux de jouer le rôle d'ar-
46 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
l)ître. Il avait donc écrit au légat, alors encore a Rome, de prendre sa
route par son duché, lui offrant sa bonne et jolie ville de Nevers pour
résidence. Il ajoutait que lui-même, n'ayant encore embrassé aucune
opinion, et ne souhaitant que le bien de la religion et la prospérité de
l'État, était mieux que qui que ce soit en position de mettre Son Excel-
lence au fait des véritables intérêts du royaume de France.
Cette lettre venait de partir quand de Thou arriva à Nevers, et le
duc, qui venait d'affirmer qu'il n'avait embrassé aucun parti, se fit un
point d'honneur de continuer à paraître neutre. Il ne voulut pas même
décacheter la missive royale que ce magistrat lui apportait.
Mais quand il eut appris que le légat avait rejeté ses offres; que ceux
qui entouraient ce haut dignitaire ecclésiastique, semblant l'avoir deviné,
avaient fait entendre à Son Eminence que le duc de Nevers n'obéissait
qu'à une ambition personnelle, et ne cherchait qu'à se rendre l'arbitre
des affaires de l'Etat, à l'abri de l'autorité pontificale dont il voulait se
servir comme d'un instrument; quand, enfin, il sut que le légat venait
d'arriver à Paris, en passant par Dijon, il comprit que le rôle auquel il
aspirait lui avait échappé, et il se montra beaucoup plus traitable avec
l'envoyé du roi. Après s'être fait donner toutes les sûretés convenables,
il consentit au prêt de la somme dont Sa Majesté avait besoin, et il ac-
cepta, sans se faire trop prier, la proposition qui lui était faite de com-
mander les forces françaises contre la Savoie. L'évêque de Nevers, Armand
Sorbin, en prit occasion de le censurer en sa propre présence, dans
un sermon où le duc assistait. Il lui reprocha d'écouler trop facilement
« les courtiers de l'hérésie » .Mais l'audacieux prélat fut obligé de se
rétracter lui-même publiquement quelques jours après ; car Monseigneur
le duc était et savait être tout-puissant dans ses domaines. (Gillet,
Aim. de Nevers de 1810.)
Le roi était alors à Laval, l'une des principales et des plus puissantes
villes du Maine. Il y avait été reçu comme un triomphateur. « Tous les
ecclésiastiques, tant chanoines que religieux, avec leurs ornements et
comme ils ont accoutumé d'aller aux processions, étaient venus au-
devant de lui, bien loin sur la route. L'un d'eux, dans un beau discours,
protesta de la fidélité et obéissance inaltérables de tous les habitants de
la dite ville; après quoi, ils accompagnèrent Sa Majesté en chantant tou-
jours vive le roi! en très-bonne musique; cependant que le reste du
populaire, à la tête duquel étaient ceux de la justice et de l'administra-
tion municipale, poussait d'incessantes clameurs de joie. » {Mém. de la
Ligue, ubi siip., p. 85.)
Ce fut dans cette ville que son cousin, Henri de Bourbon, prince de
Dombes et gouverneur de la Bretagne, vint le saluer à la tête d'un corps
brillant, tout entier composé de la noblesse de sa province. Le roi,
après lui avoir fait un accueil distingué, le renvoya dans son gouver-
nement, où, comme on le verra bientôt, la Ligue avait jeté de profondes
racines. Ce fut là aussi qu'il vit arriver le brave Tavannes, lequel, s'étant
mis en route avec quelques cavaliers seulement, venait du fond de la
DU PUOTESTANTISME EN FRANGE. 47
Bourgogne lui onVir son dévouement et celui des braves qui, sons ses
ordres, conihaltaient depuis si longtemps contre les nombreux et puis-
sants partisans que les princes lorrains s'étaient laits dans cette province.
{Mém.. de Tavannes, ad ann. J51)0.)
Sa Majesté, après être restée «juebjues jours a Laval, se rendit a
Mayenne, dont la ville et le château lui lurent livrés sans aucune diffi-
culté. Puis, tandis que le maréchal d'Aumont allait en Champagne, pour
y recevoir les secours qu'on attendait des princes allemands, l'armée
royaliste se dirigea vers Alençon. Le gouverneur de celle place avait
bien résolu de la défendre, mais les habitants, (jui n'étaient pas de cet
avis, traitèrent sans lui de la capitulation, après l'avoir forcé de chercher
un asile dans le château, où lui-même, dans la crainte de pire, et ne
voyant aucun espoir de secours, capitula quelques jours après. {Mém.
de la Ligue, ubi sup.)
Dès son entrée dans la ville qui s'était rendue de si bonne grâce,
« le roi y donna un si bon ordre qu'il n'y eut apparence qu'elle eût été
assiégée, et les boutiques lurent ouvertes ce même jour, comme si l'on
eût été en pleine j)aix. » {Hist. des deni. troubles, 1. 5, fol. Li.)
D'Alen^on, l'armée marcha vers Falaise, en prenant sur sa roule la
ville d'Argentan, où Brissac avait fait entrer trois de ses compagnies;
mais les habitants s'étaient de leur côté emparés de la citadelle et la
livrèrent au roi, à qui il devint, par ce moyen, facile de réduire la gar-
nison ennemie. {Mém. de la Ligue, ubi sup.)
Falaise, (ju'on alla assiéger ensuite, était une place d'une tout autre
importance par sa force et sa population. Elle est bâtie sur le penchant
d'un coteau, dont le pied est enviroimé d'un étang qui ne tarit jamais,
et son château, après celui de Caen, était réputé le plus fort de la pro-
vince. C'était Brissac qui gouvernait dans la ville, au nom de la Ligue,
et c'était, la qu'il avait mis en dépôt la i)lus grande partie des objets pré-
cieux (juil avait pu sauver du pillage d'Angers; aussi était-il résolu de
faire une vigoureuse résistance. Il comptait dailleurs sur un régiment
que devait lui amener le chevalier Picard, un de ces aventuriers qui
s'étaient mis en grand nombre au service de la Ligue; et, une fois
rejoint par cette troupe, il se llattait d'être assez fort, non seulement
pour résister au roi, mais encore pour reprendre les villes (jue l'armée
royale venait d'enlever a son parti.
Il venait de faire décider par les bourgeois eux-mêmes, dévoués
depuis longtemps au parti ligueur, que pour faciliter la défçnse de la
place, on brûlerait le faubourg de Guibray,où se tient chatpie année une
ibire célèbre, et ses gens étaient déjà sortis pour mettre ce plan a exé-
cution, quand Biron, a la tête de Pavant-garde royaliste, arriva à l'instant
même. Les soldats de Brissac furent vigoureusement repoussés et ne
purent mettre le feu (]u"a deux ou trois des maisons les plus ra|)prochées
de la ville.
Le roi, (jui suivait de près, jugea a propos de commencer le siège
par l'attaque du château. C'était la même tacti(jue (jui lui avait si bien
48 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
réussi a Vendôme. Or, ce château élail commandé par un rocher tout
hérissé de pointes et qui en est séparé par une espèce de précipice.
Ce fut sur ce rocher que Sa Majesté lit dresser en hatterie deux grosses
couleuvrines, et, par un feu continu, ces deux pièces commencèrent a
incommoder grandement les assiégés qu'elles prenaient a découvert. Un
peu au-dessous, les royalistes dressèrent deux autres batteries qui fou-
droyaient en plein les murs du château de ce côté-la. Brissac fut alors
sommé de se rendre ; mais il répondit qu'en sûreté de conscience il ne
le pouvait pas, attendu qu'il avait juré sur le Saint-Sacrement de ne
jamais consentir a aucune capitulation. « Qu'on revienne dans six mois,
ajouta-t-il, et je pourrai alors donner une plus ample réponse. — Nous
verrons, répondit le roi, piqué de cette forfanterie, si ces six mois-la
dureront plus de six jours. J'espère bien, moi, qu'il ne me faudra pas
plus de temps pour dégager Monsieur de Brissac de son serment. Seule-
ment il payera les frais. » {Mém. de la Ligue, uhi sup.)
En effet, les batteries qu'il avait fait dresser dans des positions admi-
rablement choisies abattirent tout le haut de l'une des tours qui cou-
vraient le mur du château, et l'autre tour fut percée, par le pied, d'un
trou assez grand pour y faire passer un homme. Le roi, sans attendre
que celte brèche fût élargie, ordonna 'a quelques braves de se glisser
par cet étroit passage. Les premiers s'avancèrent résolument et sans
avoir été aperçus au milieu de la fumée ; un grand nombre d'autres les
suivirent, et, en se tirant et se soutenant les uns les autres par la main
et avec le manche de leurs hallebardes, ils s'introduisirent dans la tour.
La trouvant sans défense, car on ne s'attendait pas a une entreprise
aussi brusque et aussi téméraire, ils gagnèrent l'étage d'en haut, où ils
ne rencontrèrent également personne. De la, ils pénétrèrent silencieuse-
ment dans le château, en suivant les passages les moins en vue et en
évitant avec soin les endroits où se tenaient les postes ennemis. Ils par-
vinrent ainsi, sans avoir été découverts, jusqu'à la porte qui, de cette
citadelle, donne dans la ville; ils l'enfoncèrent après avoir surpris le
poste, et, se répandant ensuite dans les rues, ils s'en rendirent maîtres
en peu de temps a la faveur de la surprise que causa leur apparition si
peu attendue.
Le grave Mézeray nous a conservé l'histoire touchante de deux amants,
habitants de cette malheureuse ville, et qui périrent victimes d'une
querelle dans laquelle se débattaient des intérêts dont ils avaient peu à
s'occuper. Un riche marchand de Falaise, nommé La Chesnaie, devait se
marier avec une jeune fille de son voisinage. Au bruit qui se fit, quand
les soldats du roi, après avoir forcé la porte du château, pénétrèrent dans
la ville, La Chesnaie accourut en armes, l'un des premiers, pour les
repousser, et il fut tué d'un coup de mousquet. Sa fiancée se jeta sur
le cadavre qu'elle embrassa avec désespoir ; puis, se saisissant de l'épée
de son amant, et sans vouloir accepter aucun quartier, elle se rua au
plus épais du bataillon royaliste, frappant sans ménagement tout ce qui
se présentait devant elle, jusqu"a ce que, se sentant blessée à mort de
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 49
plusieurs coups, elle revint auprès du corps de son amant mêler son
sang avec le sien et rendre le dernier soupir sur sa bouche. (Mézeray,
l. lil, p. 750.)
i^cndant ce temps-là, les batteries du roi continuaient de tirer sans
relâche contre la garnison du château qui, distraite par ce feu continuel,
ne s'était encore aperçue de rien ; mais le bruit qui s'élevait dans la
ville, qu'on commençait a piller, Ht enfin connaître à Brissac ce qui
venait de se passer et tout le danger de sa position. Il perdit alors toute
son assurance et demanda humblement 'a capituler. « Il est trop tard,
répondit le roi : vous n'avez plus d'autre ca|)itulation 'a attendre que de
vous rendre 'a discrétion. »
« Pourtant il obtint de la clémence de Sa Majesté, que lui et (juinze
de ses principaux ol'liciers auraient la vie sauve et resteraient seulement
prisonniers. A cette condition, Brissac abandonna tous les autres a la
discrétion du vainqueur. Heureusement Henri n'était pas sanguinaire, il
n'en lit mourir que très-peu, et encore la plupart de ceux qui furent
suppliciés l'avaienl-ils mérité par d'autres crimes. » {Mém. de la Ligue,
ubi Slip.)
Après cet exploit, l'armée se porta vers Lisieux, qui se rendit à l'ap-
proche du canon. Pont-Audemer, Pont-l'Évêijue et Bayeux suivirent cet
exemple. Il ne restait plus aux royalistes, pour être maîtres de toute cette
partie du littoral qui est en deçà de la Seine, que de se mettre en pos-
session de Honlleur. Celte ville est dans une position qui en rendait la
prise dilïicile, et le roi se vit obligé d'en faire le siège dans les règles.
On commença donc 'a ouvrir la tranchée qu'on parvint à pousser jusque
sur le bord du fossé; mais on n'en était pas beaucoup plus avancé, parce
(iu"a chaque instant de nouveaux secours arrivaient aux assiégés par
mer, du Havre et du pays de Caux, qui est de l'autre côté du fleuve.
On imagina alors de faire couler 'a fond un grand vaisseau à l'entrée
du port, qu'il barra tout entier; et par ce moyen, on interrompit toutes
les communications de la ville avec les dehors. Aussi, se voyant réduits
à leurs seules forces contre une armée accoutumée à vaincre, les habi-
tants demandèrent bientôt a traiter, et on convint d'une trêve pour discuter
les conditions de la capitulation.
Il arriva que pendant celte trêve, un'certain capitaine, nommé Belle-
fontaine, (jui ressemblait beaucoup au roi et qui alléctait de s'habiller
comme lui, alla avec quelques amis se promener sans méllance à la
portée du feu de la place. Un coup d'arquebuse, parti des murailles,
rétendit roide mort, et l'on entendit de grands cris de joie dans toute la
ville, où l'on ne doutait i)as que le roi venait d'être tué. Le conseil
de Sa Majesté voulait que, pour punir un semblable attentat commis
en pleine trêve, on rompit toute négociation et qu'on livrât Hontleur
au pillage; mais Henri, (pii tenait 'a se voir promptement maître de cette
ville et qui ne voulait pas perdre un temps précieux, accorda la capi-
tulation.
lY.
5P HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
CHAPITRE III
1590. — ARGUMENT : intrigues de Philippe. — l'archevêque de lyon.
MAYENNE EN CAMPAGNE. — IL REPREND VINCENNES ET PONTOISE.
IL ASSIÈGE MEULAN. — L'aPPROCHE DU ROI FAIT LEVER LE SIÈGE.
LE ROI PREND PACY. — IL iMARCHE VERS DREUX.
LES ALLEMANDS ENVOYÉS AU SECOURS DU ROI, MIS EN DÉROUTE PAR LE DUC
DE LORRAINE. — LE LÉGAT AU PARLEMENT DE PARIS.
ARRÊT DU PARLEMENT DE TOULOUSE CONTRE LE LÉGAT. — DÉCRET DE LA SORBONNE.
LETTRES DU LÉGAT CONTRE HENRI IV. — PROCESSION ET SERMENT.
DÉCLARATION DU ROI D'ESPAGNE. — SIÈGE DE LUEUX.
ARRIVÉE DES TROUPES FLAMANDES AU SECOURS DE MAYENNE.
LE MARÉCHAL DE SCHOMBERG. — LA VEUVE LECLERC. — BATAILLE d'iVRY.
LETTRES DE MAYENNE AU ROI D'ESPAGNE ET AU PAPE. — POLITIQUE DE SIXTE V.
Mayenne n'avait pas peu a faire a se démêler des menées de la poli-
tique espagnole ; car Philippe avait trop d'opiniâtreté pour abandonner un
projet qu'il avait une ibis jugé utile à ses vues ambitieuses. C'étaient,
chaque jour, dans les conseils de la Ligue, des discussions ora-
geuses où les principaux d'entre les Seize, vendus a ce monarque, récla-
maient en faveur de ce soi-disant allié de la France, et reprochaient
aigrement au duc de s'opposer par une folle ambition a ce que tout le
parti catholique demandait pour le bien de la foi. L'ambassadeur Mendoce
voyait cela avec grande joie et s'appliquait encore plus a flatter ces gens-
La. Il commença même à chercher a leur faire comprendre que Mayenne
n'avait, après tout, d'autre autorité que celle qu'ils voulaient bien lui
reconnaître, et que rien ne les empêchait de faire leurs affaires sans lui.
(Matthieu, Règne de Henri iF, liv. 1, p. 19. — Mém. de Villeroy, ad
ann. 1590.)
Mais tout à coup, il vint au lieutenant général de France, presque
malgré lui, un secours inespéré contre ces brouillons. L'archevêque de
Lyon, qui avait longtemps partagé la prison du cardinal de Bourbon,
obtint en ce temps-Ia de traiter de sa rançon, et comme on lui dit que
le duc de Mayenne la trouvait excessive, il lui écrivit qu'il croyait valoir
beaucoup plus pour son service que la somme qu'on lui demandait, et
en effet, il ne fut pas plus tôl arrivé à Paris que, par son énergie, il
fortifia et autorisa grandement ceux qui contredisaient encore aux
Espagnols, jusque-la qu'un jour, lUissy-Leclerc ayant parlé avec beau-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 51
cou|) (l'audace el (rimpuilencc des prélentions du roi Philippe, rarche-
vèque peu endurant lui sauta au collel. (Mattiiiku, iibi sup.)
Le duc de Mayenne, dont la mollesse habituelle avait besoin dun
pareil appui, le nomma son garde des sceaux.
Mais il avait bien d'autres iufjuiétudes encore : il se voyait avec une
armée mutine et exigeante, et il manquait d'argent pour la payer. Le
peuple murmurait assez haut d'avoir a nourrir tous ces gens d'armes,
qui lui consumaient ses vivres, au lieu de lui en ap[)orter ; et Ton com-
mençait à s'en prendre 'a l'indolence du lieutenant général, qui, après
avoir laissé piller les faubourgs de Paris sans avoir osé prendre aucunes
représailles, n'osait pas même encore sortir en campagne, (juoique l'en-
nemi lût maintenant a plus de soixante lieues de la. N'était-ce pas le
moment de déboucher au moins les passages et de rétablir les commu-
nications qu'il avait laissé intercepter?» (Mkzerav, t. III, p. 749 et suiv.)
Mayenne sentait qu'il n'avait rien a répondre à ces raisons, et le
légat du Pape, lui ayant promis cinquante mille écus au premier siège
qu'il ferait, il sortit enfin de Paris le vingt-deuxième jour de novembre.
Le fort (le \'iacennes, qu'il tenait assiégé depuis longtemps, se rendit 'a
composition. iJeaumont-sur-Oise, Creil, Dammarlin et Nanteuil, ne ten-
tèrent pas même de résister, n'en ayant aucun moyen, et dès les pre-
miers jours de l'année 1590, il vint mettre le siège devant Pontoise. Cette
place, qui était assez forte, se rendit avec une telle facilité, qu'on soup-
çonna l'ollicier qui y commandait de s'être entendu avec l'ennemi et
d'avoir vendu la ville.
Le duc marcha de là contre Meulan, résolu de s'en emparer à tout
prix. C'est une petite ville située sur la rive droite de la Seine, et qui
ne manque pas d'une certaine importance a cause de sa position. Mais il
y avait l'a un gouverneur, homme de bien et d'action. C'était IJaringueville,
a qui le roi en avait confié la garde après l'avoir tout dernièrement re-
conquise. Cet oflicier, brave et dévoué, résolut de se défendre jusqu'à la
dernière extrémité, quoique le poste ne fût guère tenable. La ville, en
ellet, est commandée par une montagne où il y avait autrefois un châ-
teau, mais qui était déjà démoli depuis longtemps. Un pont de commu-
nication la joint à une île de six arpents détendue, oij se voyait un fort
llanqué de (jualre tours; de là, on passe la Seine sur un autre pont dont
la tête, sur le rivage opposé, était détendue par une grosse tour nommée
la Sangle.
Le premier Soin du commandant royaliste, avait été de faire soutenir
par des terrassements les murs en assez mauvais état de la pauvre petite
ville. Il lit élever quelques cavaliers dans les endroits où il jugea en
avoir besoin, et tira à la tête du petit pont deux retranchements qu'on
fortifia avec de la terre. Le maréchal d'Aumont lui avait laissé cinq com-
pagnies de sou régiment; il en détacha une pour aller se saisir du pont
de Poissy, afin de fermer ce passage à l'ennemi.
Sully, que le roi avait laissé dans ces contrées pour surveiller les
Ligueurs, se tenait alors dans la petite ville de Pacy, qu'il s'était chargé
52 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
(le défendre, et qui, située a quelques lieues a Touest de Rosny, touchait
par conséquent a ses propres domaines. Il songea d'abord a faire passer a
Meulan une bonne provision de poudre, et pour cela « il se servit d'une
jolie invention. » Ce furent des hommes qui, malgré la riguenr de la
saison se mirent a la nage pour !a porter dans la ville assiégée. Ensuite
il écrivit au roi de venir en toute hâte pour empêcher la prise de celte
place. Il lui représentait que sa possession était de la dernière impor-
tance pour terminer promptement celle guerre, parce que de Ta on pou-
vait aisément intercepter la plus grande partie des convois dirigés vers
la capitale, et forcer par ce moyen les Parisiens à demander la paix.
[Économies royales, ch. xxix. — Matthieu, t. II, p. 22. — Davila, t. III,
liv. 11, p. 25.)
Cette lettre trouva Henri de Bourbon occupé du siège de Honfleur, et
ce prince répondit incontinent : « Monsieur de Rosny, par votre impor-
tunité je m'achemine au secours de Meulan ; mais s'il m'en arrive incon-
vénient, je vous le reprocherai à jamais. » [Economies royales, iihi sup.,
chap. XXIX.)
Il partit en effet avec quelque cavalerie, laissant toute son infanterie
vers Honfleur, et il arriva jusqu'à Ivry ; mais la, il apprit que les ennemis,
avertis de son approche, venaient de faire partir un gros de troupes pour
l'enlever, et il lut obligé de se retirer à Verneuil. Il se mit en une mer-
veilleuse colère contre Sully, qui lui valait cet affront, a ce qu'il préten-
dait. « Je vois bien, lui dit-il, que c'est pour sauver votre maison que
vous ne vous êtes point soucié de hasarder ma vie. — Sire, répondit
Sully, je ne vous avais point écrit de venir sans votre armée, et si vous
l'aviez touie amenée, comme je m'y attendais, le siège serait déj'a levé. »
Le roi envoya l'ordre a toutes ses troupes de le rejoindre sans
délai.
Mayenne cependant avait fait dresser ses batteries contre Meulan ; mais
le brave commandant fit une sortie avec tant de succès, qu'il se vit pen-
dant quelque temps maître du canon de ses ennemis, et qu'il aurait même
pu l'emmener si les portes de sa ville n'eussent pas été murées.
Aussi, dès le lendemain, les Ligueurs changèrent leur plan d'attaque et
allèrent placer leurs pièces sur la hauteur qui avait servi d'emplace-
ment au vieux château. Ils commencèrent de là à foudroyer le mur, qui
était très-faible en cet endroit, et bientôt il y eut une brèche d'une qua-
rantaine de pas.
Barangueville s'attendait à un assaut, car la brèche était plus que
praticable, et il n'y avait guère d'apparence qu'il pût tenir longtemps
contre toute une armée; il résolut donc d'abandonner la ville et de se
contenter d'en retirer ses gens sans perte. Pour cela il imagina de faire
venir quelques troupes de celles qui étaient dans l'île et de les faire
passer sur le pont à la vue des assiégeants, qui se préparaient déjà à
l'attaque. Ceux-ci crurent que c'était un secours qui arrivait de l'autre
rive aux assiégés et s'arrêtèrent tout court. Pendant ce temps, le gou-
verneur eut le temps de faire rentrer tout son monde dans l'île, et les
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 53
ennemis, tout étonnés, (Vanchircnt la hrèclie, sans rencontrer de résis-
tance. Ils se répandirent aussitôt dans les ép;lises, oii les liahitanls
s'étaient réfugiés avec leurs femmes cl leurs enfants, et se livrèrent sur
ces malheureux sans défense à toutes les horreurs du pillage.
Ils s'avancèrent ensuite pour s'emparer du petit pont, et commen-
cèrent a se harricader avec des tonneaux pleins de terre, pour pouvoir
faire leur approche a couvert; mais Barangueville fit une sortie et ren-
versa avec des crocs dont il avait armé ses gens la plus grande partie de
ce retranchement.
Ensuite, comme les assiégés étaient décidés 'a tenir ferme jusqu'au
bout, on songea qu'il devenait im|)ortant de ménager les provisions dont
on pouvait disposer; une commission de bourgeois fut nommée pour dis-
tribuer a chacun la ration de pain et do vin qui lui était assignée. Le
froid, pour comble d'embarras, venait de faire prendre la rivière au-
dessus et au-dessous du pont, et se chargeait ainsi d'ouvrir un chemin à
l'ennemi ; mais le commandant ordonna de rompre la glace a coups de
hache.
Quelque pressés que fussent les assiégés, jusque-la tout leur avait
réussi. Un nouveau succès vint encore augmenter leur courage. Deux
braves, malgré l'intensité du froid, profilèrent d'une nuit fort noire pour
descendre dans la rivière ; ils allèrent à la nage couper les amarres des
bateaux que le duc de Nemours venait d'amener avec grand'peine pour
faire passer les troupes de la Ligue; ils trouèrent ensuite ces bateaux
avec des tarrières dont ils s'étaient munis, et les firent couler 'a fond.
Mayenne alors, s'ennuyant de se voir si longtemps arrêté devant ce
pont infranchissable, envoya le colonel Jauge, avec mille fantassins,
passer la Seine 'a Mantes, avec ordre de se rendre de là au village de
Mureaux et de se saisir de la tour de la Sangle. Le colonel parvint en
effet 'a exécuter cet ordre avant que ceux de l'Ile se fussent aperçus de
rien. Mais IJarangueville survint tout a coup a la tête de quatre-vingts
arquebusiers et de trente cuirassiers, et, avant que l'ennemi eût eu le
temps de s'établir, il fit une charge si heureuse que, sans avoir perdu
un seul homme, il culbuta les Ligueurs, renversa les retranchements
qu'ils commenc^aient 'a élever, et les força d'aller se renfermer bien loin
dans l'église du village.
En ce moment, un intrépide soldat de l'armée de Henri traversait
aussi la Seine à la nage, pour apporter au gouverneur des lettres du
roi, par lesquelles Sa Majesté lui donnait avis de sa prochaine arrivée.
Mayenne venait de son côté d'envoyer un nouveau détachement pour
soutenir le colonel Jauge. C'était le sieur de Rosne qui commandait cette
nouvelle troupe, et, aussitôt son arrivée, l'attaque recommença du côté
de la tour de la Sangle. Les Ligueurs tirèrent plus de cinq cents coups
de canon, qui ouvrirent une large brèche par où ils tentèrent immédia-
tement de monter ii l'assaut. Mais Barangueville, qui avait fait élever à
la hâte un retranchement par derrière, les reçut avec un feu si bien
nourri, que la plupart des assaillants restèrent sur la place. De Uosne
54 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
fui obligé de demander une trêve pour retirer ses morts et ses blessés,
dont les corps remplissaient toute retendue de la brèche.
Sur ces entrefaites, il eut nouvelle de l'approche du roi, qui allait
bientôt le placer entre deux feux. Ne jugeant pas prudent de rester
exposé à un pareil danger, il fit, dès la nuit suivante, retirer son artil-
lerie, et lui-même, avec son corps d'armée, alla repasser la rivière a
Triel sur des bateaux qu'on avait eu soin de lui tenir prêts d'avance.
Ce fut le treizième jour de janvier que l'armée royaliste parut 'a la
vue de Meulan. Henri trouva cette rive de la Seine toute vide de ses
ennemis, qui n'avaient osé l'attendre. Il fit son entrée par la porte de
la Sangle, et, après avoir donné de grands éloges à la valeur des assié-
gés, il voulut monter au clocher de Saint-Nicaise, pour observer de lîi la
position de l'armée ennemie, qui était de l'autre côté de la rivière. Au
iiiême instant un boulet de canon lui passa entre les jambes; car les
assiégeants venaient de pointer précisément une batterie contre ce
clocher, et les degrés en furent ruinés par une suite de volées avant que
le roi eût eu le temps d'en descendre, de sorte que lui-même et ceux
qui l'accompagnaient furent obligés de se laisser glisser par une corde.
(Matthieu, iihi sup., p. 24.)
11 laissa dans la ville trois cents Suisses et deux cents arquebusiers
français, et il s'en revint 'a son camp dans l'espoir de pouvoir bientôt se
mesurer en rase campagne avec son rival. En effet, on aurait pu croire
que le duc était décidé, cette fois, 'a attendre la présence de Sa Majesté.
Il avait fait transporter toute son artillerie sur le coteau et a l'église qui
se trouve au pied; il s'était fortifié par de bons retranchements, et il
continuait de faire tirer sur le petit pont et sur File, comme s'il se fût
fait une gloire d'emporter ce poste sous les yeux mêmes du roi. 11 eut
bientôt démoli la tour qui protégeait la tête du pont et dont les murs
étaient vieux et chancelants, et il donna l'ordre de marcher a l'assaut;
mais il trouva, par derrière, Barangueville 'a la tête de ses braves, qui
s'étaient rangés près des arches du pont et lui firent face avec leur
intrépidité accoutumée. Le roi accourut pendant ce temps-la, et, ayant
fait mettre son canon en batterie près la porte de la Sangle, il força
bientôt l'ennemi a faire retraite. (Davila, iibi sup., p. 22.)
Une nouvelle qui venait d'arriver au camp de la Ligue força enfin
Mayenne 'a sortir de ses retranchements. On vint lui dire que ceux qui
tenaient dans Rouen pour le parti du roi venaient de se saisir du vieux
château, et cortime il appréhendait les suites que [)0uvait avoir un pareil
coup de main, il se mit en marche avec son armée vers ce côté-la. Le
roi, qui avait reçu le même avis, prit incontinent la même direction en
suivant l'autre rive du fleuve pour soutenir les siens, et principalement
attiré par l'espoir d'avoir affaire aux Ligueurs en champ découvert. Mais
tous les deux apprirent en route qu'il était inutile d'aller plus loin; que le
vieux château était repris par les bourgeois, et (jue les conjurés
royalistes (|ui venaient de faire ce coup avaient été pendus. Mayenne
revint a son camp de Meulan, dont il augmenta les fortifications de telle
DU PROTESTAiNTISME EN FRANGE. 55
sorte qiril n'y avait <rapparencc de l'y altarpier avec succès, ni de l'en
lairo sortir autrement (juc de son bon u^r 6. [Cwp.j^Chron. novciin.,\\\.'2,
ad ann. l')90. — Mkzkuay, t. III, p. 750 et suiv.)
Ce que voyant Sa Majesté, elle vint assaillir Poissy, qui est 'a trois
lieues sur la rivière. D'abord Henri emporta la ville par escalade, malgré
deux régiments d'infanterie que le duc y avait mis ; puis, poursuivant
ces soldats (pii, après la i)remière furie des assaillants, s'étaient retirés
dans un petit fort, sur le milieu du pont, il en fit battre tout aussitôt les
murailles avec cinq grosses pièces de canon, tellement que le duc, averti
par le bruit de cette artillerie, fut contraint d'y venir avec toutes ses
forces. 11 lit dresser une contre-batterie à l'extrémité du pont qui était
de son côté; ce qui n'empècba pas les royalistes de donner l'assaut au
fort et de le prendre sous les yeux mêmes de celui qui était venu pour le
secourir. Mayenne, tout effrayé de cette impétuosité, ne trouva rien de
mieux a faire que de rompre deux arches du pont, pour en interdire le
passage à l'ennemi, et de retourner de nouveau dans son camp fortifié.
Pour le roi, désespérant de l'attirer hors de cette position, il prit son
chemin vers Dreux, dont il avait résolu de s'emparer, afin de boucher
aux Ligueurs l'entrée de la Normandie, et pour interrompre aussi les
communications de la capitale avec la Beauce et avec Chartres.
Mais il reçut en ce lemps-Pa d'assez tristes nouvelles de l'Allemagne,
où il avait envoyé Sancy pour obtenir des secours des princes protes-
tants et pour faire quelques nouvelles levées de reîtres et de lansque-
nets. Ce ne fut (pi'après de grandes difficultés que cet envoyé du roi
put parvenir a obtenir quehjuc succès dans sa double négociation, car il
n'apportait pas d'argent. Enfin l'électeur de Hesse lui procura un peu
d'argent; le i)rince Casimir permit qu'on levât quehjues régiments, et
ces troupes, qui n'arrivaient que lentement au lieu du rendez-vous, parce
qu'on ne pouvait au plus leur donner que de rares h-compte sur leur
engagement, se réunirent enfin tant bien que mal à Strasbourg. (Di-Tiior,
t. X, p. t)t2.)
Le duc de Lorraine, ayant eu avis du désordre qui régnait parmi ces
nouvelles levées, résolut de les tailler en pièces avant (|u'elles fussent
tout a fait réunies. Avec deux mille chevaux et quatre mille hommes
d'infanterie, tous en bon ordre, il passa la rivière d'Ille et vint attaquer
brusquement cette troupe désordonnée dans l'espèce de camp (ju'elle
avait établi alîotzen. Il n'y eut pas même de combat : trois conij)agnies
se rendirent 'a l'instant, et le reste chercha son salut dans la fuite.
Sancy eut pourtant le bonheur de rallier quelques-uns de ces fuyards.
Il leur persuada de laisser la tout l'attirail de leurs charriots et de leurs
bagages, (jui ne servaient cpi'a embarrasser leur marche, et de se retirer
du côté de liâle, d'où il leur serait facile ensuite de prendre la route de
Langres, en traversant le comté de Montbéliard et la l'ranche-Comté,
et la il leur assurait qu'ils trouveraient le maréchal d'Aumont, lequel
avait ordre du roi de les attendre avec un détachement de l'armée
française.
56 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Ce plan fut suivi avec plus de persévérance qu'on n'était en droit de
l'attendre de troupes battues et découragées. Elles traversèrent brave-
ment a la nage, et en se tenant 'a la queue des chevaux, les rivières et
les ruisseaux, dont le débordement en cette saison avait inondé les cam-
pagnes, et elles arrivèrent enfin en France où elles joignirent en effet le
maréchal d'Aumont.
Pour le duc de Lorraine, il fit aussi entrer ses lansquenets en Cham-
pagne, sous la conduite du capitaine Saint-Paul, lequel passa de la en
Bourgogne, et ce fut cette bande qui, comme on l'a vu, servit de cor-
tège au légat du Saint-Père jusqu'à Paris. Elle ne s'en montra pas pour
cela moins impie, pillant partout les églises et les monastères, mangeant
de la chair les jours d'abstinence, et plaisantant grossièrement sur de
pareils forfaits. « Nous pouvons bien, disaient-ils, nous en donner de
toutes les façons, en toute sûreté de conscience, puisque nous menons
avec nous le très-vénérable légat, qui porte les absolutions en poche. »
Le cardinal, en effet, leur donnait tous les jours l'absolution et leur
ouvrait le chemin du ciel. (De Thou, iihi sup., p. 98 et suiv.)
Ce légat, qui se montrait de si facile composition avec les gens de
guerre dont, au reste il avait besoin, traitait d'une manière toute diffé-
rente les membres du parlement de Paris et les autres dignitaires de
l'Etat. J'ai dit précédemment que, tout en reconnaissant pour la forme
la prétendue royauté du cardinal de Bourbon, il n'en était pas moins
Espagnol dans le cœur. Peut-être était-il encore plus sacerdotal. Après
avoir fait enregistrer ses lettres par les chambres assemblées, sans qu'il
y lut fait aucune observation, quoique plusieurs articles enfreignissent
les vieux droits du royaume, il vint lui-même, suivi d'un brillant cortège,
prendre séance dans l'assemblée. Il eut l'insolence de vouloir se placer
sous le dais qui est réservé, en cet auguste lieu, pour le roi de P'rance ;
mais le président Barnabe Brisson, qui faisait alors les fonctions de pre-
mier président, le retint par le bras et le fit asseoir sur un banc immé-
diatement après lui. (Mézerây, t. III, p. 754.)
Quant au parlement royaliste qui siégeait 'a Tours, sur le réquisi-
toire de son procureur général, il donna un arrêt contre le nommé
Gaétan, soi-disant légat du Saint-Père. « Car, disait cet arrêt, ce n'est
pas comme envoyé du Père des fidèles et pour raffermir la religion que
cet homme est venu en France ; mais comme émissaire de l'Espagne et
pour fomenter nos troubles dans l'intérêt du prince étranger auquel il
s'est vendu. Il est entré dans le royaume sans en avoir préalablement
demandé l'autorisation au roi, suivant l'usage ordinaire; il n'a choisi
pour son séjour que les villes dévouées 'a la Ligue, et sa conduite est en
tout celle d'un ennemi déclaré. En conséquence, défense est faite au
peuple et 'a la noblesse, ainsi qu'au clergé, d'avoir aucun commerce
avec lui, jusqu'à ce que, suivant les lois de l'État, et conformément aux
droits de l'Eglise gallicane, le dit Gaétan ait obtenu l'agrément de Sa
Majesté; la dite défense sous peine contre les contrevenants d'être traités
comme criminels de lèse-majesté; il est ordonné qu'il sera procédé immé-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 57
(lialement contre eux par tous moyens ordinaires et extraordinaires,
même par monitoires; et injonction csl faite aux archevêques et évoques
du royaume d'avoir soin de faire publier les dits monitoires dans leurs
diocèses. » {Mcm. de la Ligue, t. IV, p. 201 et suiv.)
Le parlement de Paris cassa cet arrêt comme ayant été rendu par
des juges incompétents, et défendit d'y obéir. {IbicL, p. 264.)
En même temps, la Sorbonne tint une assf'mblée extraordinaire de
ses docteurs, et, après une messe du Saint-Esprit, la sacrée Faculté
décréta, que tous vrais et sincères catholiques devaient tenir pour abo-
minables les propositions suivantes, à savoir : « Que Henri de Bourbon
pouvait être reconnu comme roi de France; que son parti pouvait être
embrassé sans intéresser la conscience ni la foi ; qu'on pouvait lui payer
impôts ou tributs; qu'un hérétique relaps et excommunié peut avoir des
droits a la couronne du royaume très-clu'étien ; que le Pape n'a pas le
pouvoir d'excommunier les rois; et qu'enfin il est licite aux catholiques
de traiter, à quelque condition que ce soit, avec le Béarnais et ses hé-
rétiques. 11 est en outre défendu de tenir aucun discours irrespectueux 'a
l'égard du Saint-Siège et de Monseigneur le légat, de désapprouver les
secours étrangers que veulent bien nous envoyer les princes catho-
liques pour la conservation de la foi, et de chercher 'a rendre odieuse aux
peuples la Sainte-Union. Ceux qui ne se conformeraient pas a cette doc-
trine sont déclarés ennemis de l'Eglise, parjures a Dieu, et retranchés
du corps des (idèles comme membres pourris et gangrenés. » Tous les
curés (le Paris, et l'évêque 'a leur tête, signèrent de leur propre main ce
décret et jurèrent sur les saints Evangiles de s'y conformer. (Ibicl.)
Au reste, la Sorbonne se fit, un peu plus tard, un point d'honneur
de déclarer que cette résolution, ainsi que tous les autres décrets sédi-
tieux, rendus sous la fin du règne de Henri 111 et au commencement de
celui de Henri IV, n'étaient point son ouvrage; et en elVct on ne trouve
aucune trace de ces actes dans les registres de cette illustre société.
(D'Argentué, Colled. jud. de noies man., t. 11, p. 485 et suiv.)
Monseigneur le légat, dont la main ne paraissait que trop dans les dé-
cisions qu'on vient de lire, imagina a son tour un nouveau moyen d'ef-
frayer les consciences. Il publia une lettre a tous les évêques et arche-
vêques de France, dans lacjuelle il disait « qu'ayant été informé qu'un
grand nombre d'entre eux avaient été invités 'a se rendre a Tours, pour
délibérer sur les moyens de ramener à la foi rhérélique relaps Henri de
Bourbon, il voulait bien les prévenir qu'une pareille démarche, s'ils la
faisaient, serait la ruine complète de la discipline ecclésiasti(]ue; que
ceux qui la leur proposaient, sous prétexte de rétablir la religion,
n'avaient aucun droit de rien prescrire en pareil cas, quelle que pût être
d'ailleurs leur autorité en matière ordinaire ; qu'il y avait en France un
légat du Père de tous les fidèles, envoyé spécialement pour cet objet et 'a
qui seid il appartenait d'assembler les pasteurs de l'Église de F'rance, au
cas où il le jugerait nécessaire a la glorification de la foi; qu'au reste
l'affaire pour laquelle on les voulait convoquer n'avait nul besoin d'eux
58 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
pour être terminée régulièrement; que si Henri de Bourbon demandait
luimblement et dans la sincérité de son cœur a se l'aire instruire dans la
vraie religion, il y avait assez de prédicateurs et de docteurs catholiques
pour lui donner cette instruction, sans qu'il fût nécessaire de déranger
tant de prélats pour un seul homme; que si, au contraire, lui et ses
fauteurs n'avaient, comme la chose était probable, d'autre but que de
remettre de nouveau en discussion les dogmes impies de Calvin, en
acceptant de pareilles conférences, ce serait vouloir révoquer en doute
les saints décrets du concile de Trente, qui avait déjà légitimement pro-
noncé son jugement sur ces dogmes au nom de l'Eglise universelle;
qu'ainsi donc lui, légat du Souverain-Pontife, il défendait à tous les
prélats du royaume, en vertu iie l'autorité dont Sa Sainteté l'avait revêtu,
de se trouver 'a l'assemblée de Tours, déclarant excommuniés tous ceux
qui enfreindraient cette défense. .^>
Pour sanctionner par une cérémonie religieuse cette décision qu'il
venait de prendre assez arbitrairement, et (jui n'était au fond qu'un
moyen de servir le parti auquel il s'était attaché, le cardinal légat voulut
qu'on fit une procession solennelle aux Grands-Augustins. La procession
eut lieu avec toute la dévotion et toute la pompe requises en cas pareil.
Ce fut l'abbé de Sainte-Geneviève qui chanta la messe, 'a laquelle Son
Éminence assista royalement sous un dais. 11 y eut un beau sermon du
frère Bernard, ligueur effréné, plus connu sous le nom du petit Père
Feuillant; puis, le prévôt des marchands, La Chapelle-Marteau, autre
Ligueur dévoué a l'Espagne, les échevins et les capitaines des quartiers,
jurèrent de rechef entre les mains du dit légat de persévérer dans
l'Union jusqu'au dernier soupir, et de ne jamais faire de trêve avec le
Béarnais. (Mézeray, t. lll, p. 755. — Bibl. nation.. Manuscrit, n" 8951.)
Le parlement fut obligé ensuite de prêter le même serment; on
l'exigea de tous les habitants, et les politiques eux-mêmes se virent con--
traints de jurer comme les autres, a l'exception d'un très-petit nombre
qui, persuadés qu'on ne devait pas promettre ce qu'on ne voulait pas
tenir, aimèrent mieux abandonner la ville et leurs biens que d'engager
leur foi contre leur conscience. On trouva qu'ils montraient en cela
beaucoup de générosité, mais qu'ils étaient un peu trop scrupuleux, et
ils n'eurent point d'imitateurs.
Le roi d'Espagne faisait en même temps partir de Madrid une décla-
ration par laquelle, après s'être félicité lui-même du zèle qu'il avait
toujours montré pour la foi catholique et de l'efficacité des secours
qu'il avait généreusement fournis 'a la France, pour y exlir[)er les dam-
nables racines de l'hérésie, il ajoutait : « J'ai su châtier les hérétiques
dans mes domaines des Pays-Bas, et j'ai délivré ces provinces du
poison de l'erreur. Malgré tout ce qu'ont pu (aire ces mêmes hérétiques,
tant ceux de la France que ceux de l'Angleterre, pour m'enlever la cou-
ronne du Portugal, qui m'était légitimement dévolue par la mort de don
Sébastien, cette couronne est maintenant sur ma tête; car j'ai pour moi
la toute-puissante protection du Seigneur. Aussi, 'a l'heure (ju'il est, lort
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 59
(1(1 secours (le ce prolecleur divin, et voyant la clirétient(!' en danger de
devenir la proie des infidrles par rartidce de ces ni(*mes li(îr(jli(jiies, (|ni
sèment la discorde de tontes parts, je ne puis m'enipêclier de m'inté-
resser en faveur de cette malheureuse France, depuis si longtemps
d(.'sol(îe par la guerre civile. J'exhorte donc tous les princes callioli(|ues
a concourir avec moi pour l'anéantissement des impies et pour la déli-
vrance du roi Charles X, détenu injustement en j)rison par un concur-
rent mal fondé, hérélicjuc et excommunié; alin (juaprès avoir purgé ce
florissant royaume de cette peste (jui le menace d'une ruine complète,
nous puissions tous tourner nos armes du ciAé de la Terre sainte et
contre le Turc, (jui est l'opprobre du christianisme. Pour accomplir un
aussi louable dessein, je déclare que je suis prêt 'a sacrifier non seule-
ment toutes les forces et les richesses de mes royaumes, mais jus(ju'a
ma vie même, n'étant pas possible de verser son sang pour une plus juste
cause. » Ce manifeste était daté du huitième jour de mars. {Mém. de la
Ligue, t. IV, p. l()(î.)
On répandit simultanément a Paris une autre lettre de ce prince a
Tarchevêque de Tolède, grand inquisiteur, par laquelle ce prélat était
chargé de dresser un état de tous les bénéficiers de l'Espagne, qui
pourraient contribuer 'a l'entretien des troupes que Sa Majesté se dispo-
sait a envoyer en France, pour le soutien de la foi catholique, et les
Ligueurs, se laissant bonnement prendre a cet a|)pàt, en auguraienfqiie
les doid)lons espagnols allaient immédiatement affluer en France. (Cwet,
Chron. novenn., liv. Il, ad ann. 1590.)
Mais, pendant qu'on l'attaquait ainsi avec un si grand luxe de bulles,
de décrets, d'arrèls et de proclamations, le Béarnais poussait vigoureu-
sement le siège de Dreux. Le sieur de Falandre y commandait au nom de
la Ligue, et avait avec lui une garnison nombreuse. Le roi avait été re-
joint par le maréchal d'Aumont et par le grand-prieur, qui lui avaient
amené une partie des troupes royalistes de la Champagne et de la lîrie.
11 commen(;a par attatiuer les faubourgs, qui furent emportés, après un
combat assez meurtrier, et les assiégés furent obligés de se renfermer
dans leurs murailles. Les royalistes dressèrent leurs batteries, qui eurent
bientôt ouvert une brèche, et toute l'armée se disposa joyeusement 'à
l'assaut.
L'action commença par quelques volées de canon destinées 'a écarter
les assiégés de la brèche. On marcha ensuite résolument et l'épée au
poing; mais ceux du dedans, qui n'avaient pas moins de résolution, se
tenaient prêts et reçurent si chaudement les troupes du roi, qu'elles
furent ol)ligées de se retirer, après avoir perdu beaucoup de monde.
La nuit qui suivit fut tout entière employée par les Ligueurs a réparer
leur brèche et a se fortifier en dedans par un bon retranchement;
car ils attendaient un nouvel assaut pour le lendemain. (Davu^a, t. 111,
Mais il arriva qu'on manquait île poudre et de balles dans le camp
du roi, et il fallait attendre quelipies jours, jus(|u'a ce (jue Givry, (ju'on
60 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
avait fait partir pour en aller chercher a Meulan, pût être de retour avec
son convoi. (De Thou, ubi sup.)
Pendant que Sa Majesté se voyait ainsi arrêtée devant une place
qu'elle avait espéré pouvoir emporter beaucoup plus facilement, elle
apprit que l'ennemi s'approchait avec des forces supérieures; elle fit
aussitôt retirer son artillerie et leva le camp après trois jours de siège.
Mayenne, en effet, avait profité de l'éloignement des troupes royales
pour courir encore 'a Bruxelles auprès du duc de Parme, et pour hâter les
secours que le roi Philippe avait promis. Le duc de Parme, en effet, d'a-
près les ordres de son maître, avait immédiatement fait partir une armée
de Flamands sons les ordres du jeune comte d'Egmont. Ces troupes
venaient de rejoindre celles de Mayenne, et toutes ensemble, formant
un corps de plus de quatre mille chevaux et de dix mille hommes de
pied, s'étaient mises en marche pour venir au secours de Dreux. L'armée
du roi ne comptait guère alors qu'un peu plus de la moitié de ce nombre
de combattants. {Mém. de la Ligne, t. 111, p. 255 et suiv.)
Les troupes de Mayenne et de ses alliés avaient donc passé la Seine
au pont de Mantes, et déj'a leur avant-garde, commandée par de Rosne,
était devant Pacy, où, comme on sait, Sully avait promis de tenir ferme.
Or, il se trouvait que le commandant ligueur était proche parent du dit
Sully. Avant que de le faire sommer il lui écrivit en ces termes :
« Monsieur mon cousin, vous n'êtes pas fin de vous être fourré dans une
bicoque, à la descente d'une armée telle que la nôtre. Pourtant, désirant
de vous gratifier, je vous prie de regarder de quelle sorte vous voulez
sortir de Ta, car je m'y accommoderai pour votre honneur. » {Economies
royales, ch. xxix.)
Sully recevait en même temps une lettre du roi qui lui mandait de
faire comme il pourrait, « étant, disait la lettre, tout 'a la fois soldat et
capitaine, ou devant l'être. »
Il répondit a son cousin : « Voil'a le roi qui est prêt a donner la
bataille; dites a Monsieur de Mayenne qu'il pense d'abord a la gagner, et
puis je verrai si je dois me rendre. » Et il passa la nuit h fortifier du
mieux qu'il put la petite ville qu'il s'était chargé de défendre. Mais
l'ennemi n'avait pas de temps à perdre devant une place si médiocre. Il
était en forces et jugeait plus nécessaire de tomber promptement sur
le roi, avant que ce prince ne fût rejoint par les secours qui lui arrivaient
de toutes parts. On laissa donc Sully tranquille, et l'on se disposait 'a
traverser la rivière d'Eure, quand on apprit, par les éclaireurs qu'on avait
envoyés devant, que le Béarnais avait levé le siège de Dreux et qu'il
s'était retiré au bourg de Nonancourt, se tenant retranché derrière la
petite rivière d'Âvre. (Matthieu, t. II, liv. 1, p. 25.)
On s'attendait, dans le camp ennemi, qu'il se bornerait 'a défendre
cette position, et l'on craignait même qu'il ne tentât de se retirer sur
Verneuil. On redoubla donc de diligence afin d'arriver à temps pour
lui couper cette retraite; mais Henri de Bourbon avait bien un autre
projet. « Qu'ils soient les bienvenus! dit-il en apprenant l'approche des
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 61
Ligueurs. Je les attendais. » Et il passa la nuit a dresser son plan de
bataille, avec les maréchaux d'Âumont et de Biron et ses autres vieux
capitaines.
Cela fait, Sa Majesté avait, a haute voix, adressé au ciel une prière
(jui ravit tellement les assistants, que chacun se sentit le besoin de prier
Dieu aussi, et Ton vit aussitôt toutes les églises de Nonancourt remplies
de princes, seigneurs, noblesse et soldats, qui accouraient pour ouïr
messe, communier et faire tous les oflices de vrais et bons catholiques.
Ceux de la religion tirent aussi, de leur part, leurs prières et dévotions.
{Hist. des derniers troubl.^ liv. 5, fol. 15.)
Le roi partit d'assez bonne heure avec toute son armée, et il vint se
ranger devant le petit village de Saint-André. Mayenne avait de son côté
traversé l'Eure sur le pont d'Ivry et s'était établi dans le bourg de ce
nom. Toute son inquiétude était s'il pourrait fiiire assez de diligence
pour empêcher le roi de lui échapper.
Mais il fut bien surpris, quand ses coureurs vinrent lui apporter la
nouvelle, qu'ils avaient aperçu l'armée royaliste déjà en bataille au bout
de la plaine. Mayenne se hâta de ranger aussi les siens, et ces deux
armées restèrent en présence depuis midi jusqu'au soir qu'elles se reti-
rèrent chacune de leur côté, sans "avoir rien tenté que quelques légères
escarmouches.
En ce moment arrivaient au camp royal les troupes d'Évreux, de
Dieppe et de Pont-de-l'Arche, commandées par le brave de Chastes.
Sully arriva aussi quelques heures après. Sa Majesté lui avait écrit en ces
termes : « Mon ami, je pense donner bataille demain; vous seriez lâché
toute votre vie si vous ne vous y trouviez pas. Partez donc bien vite, et
amenez-moi le plus de monde que vous pourrez. » Et Sully était accouru
avec tout ce qu'il avait de soldats sous ses ordres. {Economies royales^
ch. xxix.)
Mais au moment de livrer une bataille d'où dépendait le sort de sa
royauté, Henri se trouva dans un cruel embarras. Le colonel Schomberg,
qui commandait les Suisses dont les cinq bataillons faisaient sa princi-
pale force, poussé par les criailleries de ses soldats, vint demander l'ar-
gent qui leur était dû. « Sire, dit-il, ces gens menacent de ne pas com-
battre et même de passer a l'ennemi s'ils ne sont payés de suite. —
Colonel, répondit le roi d'un ton sévère, est-ce le fait d'un homme
d'honneur de venir demander de l'argent quand il faut prendre les armes
pour combattre? » Schomberg, qui n'avait fait cette démarche qu'a contre-
cœur, se retira tout confus.
Le danger de voir déserter cette troupe dans un moment aussi critique
n'en était pas moins pressant. Henri savait (jue c'était assez l'usage chez
ces soldats mercenaires d'en agir ainsi, et il n'avait pas d'argent pour les
contenter. Il était donc dans la plus grande perplexité, lorsque Sully lui
dit (ju'il connaissait dans le voisinage une brave femme, veuve d'un
tanneur, prête a sacrilier toute sa fortune à la cause royale. « Allons-y! »
s'écria le roi; et Sully le conduisit 'a la maison de la veuve Leclerc.
02 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Celle-ci n'avait jamais vu le monarque, et par conséquent ne pouvait
le reconnaître. « Comment se porte notre bon roi? dit-elle a Sully. —
Hélas! répondit Sully, ce bon roi est bien malbeureux. Obligé de livrer
bataille demain, il sera infailliblement vaincu parce qu'il n'a pas d'argent
et que les Suisses déclarent qu'ils tourneront leurs armes contre lui, s'il
ne leur paye ce qu'il leur doit. — Et combien leur doit-il donc? — Une
somme très-considérable : deux cent mille francs. — Ah! que je suis
heureuse ! »
Elle ouvre précipitamment une armoire, et, jetant des sacs d'or et
d'argent a terre : « Voila les deux cent mille francs, dit-elle. C'est le
meilleur emploi que je puisse faire de cette fortune que m'a laissée mon
mari. Portez-les à notre bon roi, et dites-lui que la pauvre veuve a
encore eu un moment de bonheur dans sa vie. » Henri, tout attendri par
ce dévouement, se fit reconnaître, il embrassa la veuve du tanneur avec
reconnaissance, emporta l'argent et se hâta d'aller payer les Suisses.
Plus tard, quand il eut reconquis son trône, il donna à la veuve Leclerc
une charge de conseiller au parlement pour son fils, avec des lettres de
noblesse qui rappellent en détail l'historique de ce fait.
Après avoir satisfait a l'exigence des Suisses, le roi ht établir la garde
du camp et donna l'ordre a tous les autres d'aller se reposer. Pour lui,
il resta longtemps encore a cheval, et tint un nouveau conseil de guerre
avec ses plus expérimentés capitaines, qui, tous, approuvèrent ses plans
et trouvèrent qu'il n'y avait rien a y changer, lï passa ensuite une
partie de la nuit 'a reconnaître le camp ennemi, malgré le froid qui
était très-intense ce jour-la; puis, quelques heures avant le lever du
soleil, il alla se jeter tout habillé sur une paillasse pour prendre un
peu de repos. (Cayet, C/iro?i. noven., liv. 2, ad ann. 1590.)
On tenait aussi un conseil de guerre dans le camp du duc de
Mayenne, et on délibérait, sur sa demande, s'il était prudent de risquer
la bataille. Ce fut l'avis général de toute l'assemblée. Mayenne seul, qui
n'avait pas encore oublié ce qui s'était passé a Arques, et qui avait déj'a
fait l'épreuve dé toutes les ressources que savait trouver le roi sur un
champ de bataille, paraissait hésiter encore et n'augurait pas bien du
combat qu'on allait livrer. « Eh bien ! dit le comte d'Egmont, si les
Français craignent tant d'en venir aux mains, qu'on me laisse seulement
faire avec mes braves, et je me charge de mettre votre Béarnais a la
raison. » Quelque injurieuse que fût pour la nation cette rodomontade
espagnole, Mayenne crut prudent de la laisser passer sans répliquer, et
il acquiesça a l'avis d'en venir à une action générale. (Mézeray,
t. m, p. 764.)
C'était un mercredi, quatorzième jour de mars, et toute la nuit avait
été rude. Le roi, 'a qui son inquiétude ne permit pas de dormir long-
temps, s'était déjà levé avant le jour. Les premiers objets qui frappèrent
ses yeux furent de grands feux dans le camp ennemi, quoique un
profond silence y régnât; il crut que c'était la une ruse de guerre, et
que l'ennemi avait repassé LEure. C'était aussi ce que semblait conhrmer
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 63
le rapport de ses coureurs, qui vinreiil lui dire qu'au moment où ces
feux avaient été allumés, ils avaient, en ellet, vu sur le matin beaucoup
de mouvement dans le camp. Mais bientôt après on l'ut assuré du con-
traire, et on apprit que larmée ligueuse se rangeait en bataille. Le roi
rangea aussi la sienne dans le même ordre (jue la veille et se disposa a
marchera l'ennemi. (Ibid.)
En parcourant les rangs pour encourager ses soldats a bien l'aire, Sa
Majesté se rappela qu'elle avait une réparation îi donner. (Pkukfixe, liv. 2,
ad ann. 1590.)
Au moment où les troupes allaient défiler en bataille, le roi aperçut,
le colonel Schomberg, qu'il avait traité la veille d'une manière si brusque
Il vint a lui : « Mon ami, dit-il, nous voici dans l'occasion, et il se
peut faire que j'y demeure. Or, il n'est pas juste que j'emporte l'hon-
neur d'un brave gentilhomme comme vous. Je déclare donc, en pré-
sence de tous, que je vous reconnais pour homme de bien el incapable
de faire une lâcheté. — Sire, répondit le colonel, vous me rendez
l'honneur, mais vous m'ôtez la vie; car j'en serais indigne si je ne la
sacriliais pas aujourd'hui pour votre service. » Et en eliet le colonel
Schomberg se (il tuer en faisant des prodiges de valeur a la léle de son
régiment.
Cependant chaque corps avait pris la position que le roi lui avait
assignée. On reçut alors la nouvelle que les troupes de Picardie ame-
nées par les sieurs de Humières et de Mouy n'étaient plus qu'a une
petite distance. Sa Majesté, pour ne pas changer son ordre de bataille,
ne voulut pas les attendre, et leur envoya l'ordre de se ranger avec le
corps de réserve, que commandait le maréchal de Biron. Et il lit conti-
nuer la marche vers Ivry. [Mém, de la Ligue, t. IV, p. 244.)
Quand on fut 'a une demi-lieue de l'ennemi, le roi lit tourner vers la
gauche. Mayenne, voyant ce mouvement, crut que l'intention du i)rince
était de se saisir d'un village voisin, afin de s'y appuyer et d'avoir
l'avantage du terrain. Il (ît avancer tout a la fois ses deux ailes pour
empêcher le roi de s'emparer de ce village, et pour le prendre en
liane et rompre son ordre de hataille. (De Thou, ubi sup., p. 122.)
Or, le mouvement du roi n'avait d'autre but, comme il l'a dit depuis,
que de se mettre le vent et le soleil à dos, alin que la fumée de la
mousqueterie n'incommodât point ses soldats.
« Messieurs, dit-il aux siens, en leur montrant l'ennemi, voila devant
vous ceux qui, depuis trente ans, travaillent a la ruine de notre beau
pays de France. La religion leur a servi de prétexte ; mais c'est bien a la
couronne qu'ils aspirent réellement. Ce sont eux (jui ont lâchement fait
assassiner le roi mon prédécesseur. Il est inutile de vous en dire davan-
tage. Seulement, si vous perdez vos rangs dans la chaleur du combat,
pensez aussitôt à vous rallier ; c'est lîi le gain de la bataille.
Vous le ferez près de ces trois poiriers que vous voyez là dans ce c'namp
a main droite. C'est la place (jue j'ai jugée la plus convenable. Si vous
perdez enseignes, cornettes ou guidons, ne perdez point de vue moi:
64 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
panache blanc ; vous le trouverez toujours au chemin de l'honneur et de
la victoif-e. » (Mézeray, ibid., p. 769. — De Thou, ibid.. p. 123.)
Mayenne exhortait aussi les siens et les faisait souvenir que c'était la
cause de Dieu qu'ils défendaient ; qu'ils allaient combattre non pas tant
pour la conservation d'une vie mortelle, quoique de ce côté-l'a même
ils avaient tout 'a craindre des hérétiques, altérés de sang, mais pour
s'assurer la béatitude dans l'éternité. « C'est sous les auspices de notre
divin Seigneur lui-même, ajoutait-il, et de son vicaire sur la terre, que
nous avons entrepris cette juste guerre. Vous devez donc vous porter
contre un ennemi impie avec tout le zèle et la confiance qu'inspire un
droit sacré. Je n'ai pas besoin de vous rappeler que la cause que nous
défendons, outre la protection du Saint-Siège, a pour elle encore l'appui
du glorieux roi des Espagnes, le plus puissant des monarques de la chré-
tienté, et que ses troupes sont l'a pour combattre avec nous. Voil'a, mes
frères, dit-il en leur montrant un gros crucifix, qu'il faisait porter par un
moine 'a la tête de ses troupes, voila le signe sous lequel vous allez
combattre, et l'image de celui qui tient toute prête votre récompense
entre ses mains. » (Mézeray, t. III, p. 707 et suiv.)
Des deux côtés on pria D-eu, pour lui demander chacun le succès dans
la bataille qui allait se livrer. Ce fut un cordelier qui pria en tête de
l'armée du duc. Le ministre Louis d'Amour pria dans les rangs protes-
tants qui accompagnaient le roi. « Seigneur, dit Henri, 'a haute voix,
quand le ministre eut fini son invocation, tu sais que je n'ai point d'autre
ambition que l'honneur de ton saint nom ; accorde-moi donc la grâce de
réduire aujourd'hui ces rebelles que tu m'as donnés pour sujets; mais
si je ne dois être qu'un de ces mauvais rois que tu envoies aux peuples
dans ta colère, ordonne plutôt que je perde la vie dans cette bataille,
et puisse mon sang être le dernier qui soit répandu dans cette
querelle. »
Ayant ainsi parlé, il envoya l'ordre 'a La Guiche de commencer l'affaire
par une décharge générale de l'artillerie, et les pièces royalistes furent
si vivement servies qu'il partit neuf volées de suite, avant qu'on eût pu
mettre seulement le feu au canon du duc de Mayenne. Ce feu meurtrier fit
un si terrible ravage parmi les reîtres, qui se trouvaient au premier
rang de l'armée de la Ligue, qu'au lieu d'aller en avant, ils se culbu-
tèrent sur le centre et y causèrent un grand désordre. Mayenne qui
voyait l'armée ennemie prête à lui tomber sur les bras, fut obligé d'or-
donner qu'on repoussât ces malheureux en leur mettant la lance dans
les reins pour qu'ils n'achevassent pas de rompre ses bataillons.
En même temps le maréchal d'Aumont chargeait le principal corps
de la cavalerie ennemie et le forçait de se retirer en désordre dans un
petit bois qui est sur la droite du côté du sud. Le duc de Montpensier,
qui eut, dans cette occasion, son cheval tué sous lui, commandait de
son côté une charge non moins brillante contre les troupes de l'aile
opposée, où était le duc de Nemours, et où le combat se soutint plus
longtemps avec une égale animosité.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. C5
Alors les deux centres s'ébranlèrent, et (juatre cents ar(|uebusiers a
cheval, armés de casques et de cuirasses, sortirent du gros du duc de
Mayenne, et vinrent l'aire une décharge meurtrière a vingt-cinq pas du
corps oi!i était le roi. Ils y mirent d'abord beaucoup de désordre. Celui
(pii portait la cornette blanche ou étendard royal reçut dans le front
une dangereuse blessure, et le sang qui en sortait en abondance l'empê-
chant de voir, il fut emporté par son cheval (pi'il ne pouvait plus diriger.
Plusieurs, en voyant l'étendard s'éloigner, s'imaginèrent que le roi se
retirait de la mêlée, et suivirent étourdiment cet étendard partout où il
plut au cheval de le promener. Ce qui contribua a augmenter encore le
désordre l'ut qu'un jeune seigneur, pour se rendre plus remanjuable ce
jour-Ia, avait eu l'idée de s'habiller 'a peu près comme le roi, et de s'or-
ner aussi d'une aigrette blanche ;et, en voyant l'étendard royal s'éloigner,
il avait été des premiers à le suivre. Cela l'ut cause (jue quelques per-
sonnes qui, peut-être, se seraient battus bravement, prenant a ses habits
ce jeune l'anlaron |)0ur le roi qui s'en allait, se retirèrent du combat;
mais les plus sages se rappelèrent ce que Sa Majesté avait dit, en commen-
çant la bataille, qu'on verrait toujours son panache blanc dans le che-
min de l'honneur et de la victoire, et le voyant, en efi'et, toujours aux
premiers rangs, se rallièrent bravement autour de lui.
L'un des premiers il donna, Tépée a la main, sur le corps (|ue com-
mandait le duc de Mayenne en personne, et celui-ci reçut le choc avec
vigueur. Les lanciers llamands, et le comte d'Egmont a leur tête, l'or-
maient une ligne impénétrable devant le corps de bataille des Ligueurs,
et la victoire l'ut longtemps disputée; car, des «deux côtés, tous les
hommes de cœur. Français, Espagnols et Allemands, accouraient a
chaque instant se joindre aux combattants, et chacun sans vouloir
reculer se tenait courageusement a la place qu'il occupait. A la fin pour-
tant, cette redoutable ligne de lanciers l'ut rompue, le comte d'Egmont
tomba mortellement blessé, et le découragement se mit parmi ses
soldats. « Bientôt on ne vit plus que le dos de ceux qui étaient venus
si lièrement présenter leur visage et leurs bras armés, et qui n'eurent
plus de recours que dans leurs talons. Ce l'ut parmi les Ligueurs une
déroute générale. Mayenne se vit presque seul au milieu de la foule des
ennemis; il ne restait plus autour de lui que les ducs de Nemours et
d'Aumale, et une trentaine de chevaliers, dont la plupart étaient plus ou
moins dangereusement blessés. La bataille était décidément perdue pour
lui; il n'y avait plus a disputer. Il conseilla aux braves qui l'entouraient
encore de chercher leur salut comme ils pourraient, et de se réserver
pour une meilleure occasion, et lui-même se retira a toute bride vers
Ivry. » (C.wp.T, Chron. noven., liv. 2.)
Le cliam[) de bataille demeurait aux royalistes; mais le roi avait
disparu au moment même où les lanciers llamands avaient été rompus.
On l'avait vu se jeter le premier dans leurs rangs, et il avait tué de sa
propre main Lécuyer du comte d'Egmont. « 11 faut bien jouer du pistolet
et payer ici de sa personne, avait-il dit 'a ceux (pii le suivaient; mes
IV. 5
Ot> HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
amis, iaisons quartier aux Français, mais point de pitié pour
les étrangers; ils n'avaient pas besoin de venir ici. » Depuis lors, il
n'avait plus reparu; de sorte qu'on craignait qu'il ne tut tué ou
prisonnier, quand on le vit revenir, son épée toute rouge de sang,
son panache tout froissé et son armure toute martelée des coups qu'il
avait reçus dans la mêlée. (Cayet, ubi sup. — Matthieu, t. II, p. 26
et suiv.)
Après avoir traversé la ligne ennemie, il était allé jusqu'aux trois
arbres qu'il avait indiqués pour point de ralliement; et Ta, il n'avait
trouvé qu'une vingtaine de cavaliers qu'il avait ralliés et qu'il se dispo-
sait a ramener contre l'ennemi. Mais tout a coup il aperçut un escadron
entier de Wallons, portant la croix rouge sur leurs casques, et qui s'en
venaient droit 'a lui. Ce péril lui sembla le plus grand de tous ceux qu'il
eût jamais courus. Par bonheur, le grand-prieur et d'AumOnt, comman-
dant la cavalerie, venaient de ce côté-la, de sorte que les Wallons, au
lieu de penser 'a l'attaquer, ne songèrent qu'à se rendre. Sa Majesté
rapportait leurs enseignes. « Sire, lui dit Biron, qui resté a la tète de la
réserve, n'avait point eu l'occasion de prendre part au combat, cela
n'est pas juste. Vous avez fait aujourd'hui ce que de^ait faire Biron, et
Biron a été obligé de faire ce que devait faire le roi. » Henri, répondit en
souriant : « Louons Dieu tous les deux, Monsieur le maréchal ; car c'est
de lui seul que vient la victoire. » (Péréfixe, ubi sup. — Cayet,
ubi sup.)
Il ne restait plus sur toute la plaine d'Ivry qu'un corps d'infanterie
suisse, à qui dans ce tumulte si rapide et si accidenté, Mayenne n'avait
pas songé a envoyer l'ordre de prendre part a l'action. Ces dignes enfants
de l'Helvétie étaient restés la, sans rompre leurs rangs et sans faire
aucun mouvement, attendant avec un sang-froid merveilleux que le
général a qui ils avaient vendu leurs services leur fit savoir ce qu'ils
devaient faire; et ils avaient été les tranquilles spectateurs de cette
défaite. On délibéra sur le parti à prendre vis-à-vis de cette espèce de
muraille humaine. Quelques-uns étaient d'avis de l'attaquer avec toute
l'infanterie française; mais le maréchal de Biron, conseilla de faire plutôt
avancer le canon, de le mettre en batterie, et de procéder en tout
comme s'il s'agissait d'emporter un bastion, afin de ne pas risquer inu-
tilement la vie des soldats du roi.
Cet avis fut trouvé bon et l'on se mit en devoir de l'exécuter; mais
les Suisses, qu'on envoya préalablement sommer de se rendre, voyant
qu'ils n'avaient aucun espoir de secours de la part d'une armée en
pleine déroute, remirent tout d'abord leurs enseignes, pour marquer de
leur soumission, et le roi eut la bonté de les leur faire rendre. Il leur
permit de se retirer dans leur pays, et il les fit accompagner par des
commissaires, avec des lettres très-civiles pour leurs supérieurs : conte-
nant qu'il avait fait grâce à ces hommes, en considération de la vieille
alliance qui était entre la France et les Cantons ; mais qu'il priait Leurs
Seigneuries de donner ordre qu'il n'en tombât pas d'autre en pareille
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 67
faille; « autrement qu'il serait contraint de changer sa clémence en
justice. » (Mém. de la Ligue, t. IV, p. 250.)
Un autre que le roi avait eu aussi de singulière? aventures. C'était
Monsieur de Sully. Dans la mêlée qui avait eu lieu pour rompre la ligne
des lanciers flamands, il avait eu successivement deux chevaux tués sous
lui, et lui-même avait reçu cincj blessures graves, de sorte que s'étant
évanoui, il y eut un moment où on le crut mort. [Économies royales,
ubi sup.)
Quand il revint a lui, il se trouva seul au milieu des cadavres; la
bataille, qui n'était plus qu'une déroute pour les Ligueurs, allait s'éloi-
gnanl de l'a du côté d'Ivry. Alors il aperçut un page menant en main un
petit courtaut, qu'il avait gagné dans le combat. Il lui bailla cinquante
écus et prit le cheval, sur le(juel il se hissa malgré ses blessures, et il
cherchait 'a rejoindre quelque corps.de l'armée royale, quand soudain il
vit venir 'a lui cirHj chevaliers portant des cottes d'armes parsemées de
croix de Lorraine. « Qui vive? crièrent-ils. — Messieurs, je suis Sully.
— Nous vous connaissons bien tous, répondirent-ils; voulez-vous nous
garantir la vie sauve? — Vous parlez. Messieurs, comme gens qui
auraient perdu la bataille. — Est-ce la tout ce que vous en savez? reprit
un des chevaliers. Eh bien ! oui, nous l'avons perdue, et parmi nous, en
voil'a trois qui ne peuvent aller plus loin, car leurs chevaux sont comme
morts. » Et, en effet, il y en avait deux qui n'allaient qu'a trois jambes,
et, au troisième, les boyaux lui sortaient du ventre.
Or, de ces cinq chevaliers, les deux dont les coursiers étaient
encore en état de les porter étaient le duc de Nemours et Monsieur
d'Aumale; et l'un des trois autres portait la grande cornette du duc de
Mayenne, avec les croix de Lorraine brodées en noir sur l'étoffe blanche.
« Adieu, Monsieur, dirent les deux premiers en voyant revenir de ce
côté-la un gros des troupes du roi; nous vous recommandons nos amis,
ils sont vos prisonniers. » El ils s'élancèrent a toutes brides pour gagner
la route de Chartres, laissant leurs compagnons avec la grande cornette
de leur armée, entre les mains de Sully, (pii resta bien étonné.
Mais tandis que ces cliOvSes se passaient, le duc de Mayenne, avec
quelques débris de son armée qu'il avait retrouvés à Ivry, s'occupait à
passer l'Eure le plus promptement possible, pour mettre cette rivière
entre lui et l'ennemi victorieux. Quand le maréchal d'Aumont arriva
avec sa cavalerie, le duc et une partie de ses troupes étaient déjà sur
l'autre rive, et ceux qui étaient déjà passés coupèrent le pont, abandon-
nant ainsi leurs malheureux compagnons au sort qui attend les vaincus
après une défaite. Les uns cherchèrent a se barricader dans le bourg,
dont les rues étaient fort étroites. Ils les barricadèrent avec les corps
de leurs propres chevaux, (juils tuèrent eux-mêmes; mais ils périrent
presque tous et le carnage fut horrible. D'autres tentèrent de franchir
la rivière; comme elle était remplie (Ltme vase profonde en cet endroit,
la plupart se noyèrent dans ces boues, de sorte qu'il y eut encore la plus
de morts que sur le champ de bataille même.
68 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Pour Mayenne, les royalistes ne pouvaient plus le poursuivre qu'en
allant passer l'Eure au gué d'Anet. H eut donc tout le temps de se
jeter dans Mantes, où pourtant il eut bien de la peine d'obtenir d'être
reçu par les habitants, que la nouvelle du succès de celte journée,
apportée par les fuyards, avait comme de juste détachés de son parti. 11
fut obligé de leur assurer que, du moins, le Béarnais avait été îné dans ie
combat; que les pertes n'étaient pas a beaucoup près aussi considé-
rables qu'on pouvait le croire dans un premier moment ; que son frère,
le duc de Nemours, emmenait en ce moment presque toute son infaiî-
lerie et une partie de sa cavalerie du côté de Chartres, et que lui-même
ne retournait en toute hâte à Paris que pour y préparer les moyens de
prendre prompîement une sanglante revanche contre des rebelles qui
n'avaient plus de chef.
Par malheur, le roi, qui le suivait de près, venait d'arriver pour
coucher a Rosny, qui n'est qu'a une lieue de la; aussi le lendemain, do
très-grand matin, Mayenne n'eut rien de plus pressé que de sortir de
Mantes, et la ville, de son côté, se hâta de faire sa soumission a Sa
Majesté.
Mayenne, toujours fuyant, se rendit a Pontoise, où ne se trouvant pas
encore en sûreté, il ne fit qu'un court séjour, et arriva 'a Saint-Denis. Le
légat et l'ambassadeur d'Espagne vinrent l'y trouver pour le consoler, et
lui promirent de nouveaux et de plus amples secours de la part de leurs
souverains. 11 reçut aussi quelques visites de l'archevêque de Lyon et de
Madame la douairière de Montpensier; [mais il n'osait toujours pas se
montrer aux Parisiens, dont il appréhendait les reproches et les brocards,
après avoir éprouvé un échec aussi décisif.
il écrivit au roi d'Espagne, d'après le conseil de l'ambassadeur Men-
doce. « Sire, dit-il dans cette lettre, il m'a bien fallu risquer la bataille
que je viens de perdre si malheureusement et contre toutes prévisions
humaines possibles. D'abord, c'était l'uniijue moyen (\\i forcer ie Béarnais
a lever le siège de Dreux, ville dont la possession est pour nous de la
dernière importance, étant une des principales portes ouvertes a l'appro-
visionnement de Paris. Ensuite, mon armée était bien plus nombreuse
que celle de l'ennemi, et je ne pouvais m'attendre que le jour même de
Faction il serait rejoint par plus de troupes que je ne l'avais espéré. De
plus, mes Suisses et mes reitres commençaient a se mutiner et mena-
çaient de se retirer, si on ne leur payait sur-le-champ ce qui leur était
dû. Or, Votre Majesté sait mieux que personne que je n'avais pas d'argent
pour satisfaire 'a cette exigence. H ne me restait donc d'autre parti 'a
prendre que d'en venir promptement aux mains; du reste, mes mesures
étaient si bien prises que je devais gagner, et en effet, dès le premier
choc, l'armée ennemie a été mise en déroute; mais les reîtres, qui ont
mal fait leur devoir, ont reculé a leur tour devant quelques volées de
canon, et ils sont venus se renverser sur mon corps de bataille, au
moment où, par une seconde charge, je me disposais à fixer décidé-
ment la fortune de la journée. Il est arrivé de la qu'au milieu de ce
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 69
désorilro le Béarnais a cm lont le Icmps de rallier ses troupes et de
venir nous attaquer avec succès. Cet échec, au reste, est loin d'avoir
déco!ira,;;é notre parti. Aucune des viiles de l'Union ne s'est encore
démentie, et Paris donne l'exemple d'une fidélité à toute épreuve. Mais
ce (|ui nous manque, c'est l'anjient dont nous avons le plus pressant
besoin, et si Votre Majesté cat])oli(]ue veut bien nous envoyer an plus
tôt quelque somme assez importante, je me lais fort de reprendre en
peu (le temps tout ce que le parti peut avoir perdu. Dans tous les cas,
je suis toujours prêt a répandre mon saniç jus(|ii'a la dernière goutte,
pour la cause de Dieu, <ju! n'abandonne jamais ses serviteurs. » (De
Tnov, ubi snp., p. 'ioO.)
Le même jour, le duc écrivait aussi au Pape. Il iui e:q»!iquait que
l'échec qu'il venait d'éprouver provenait tout entier de la faute des
trou[)e3 étrangères qui servaient dans son armée, et desquelles, faute
d'argent, il n'avait pu se faire oi)éir. « Votre Sainteté, ajoutait-il assez
librement, n'a voulu jus(|u'a présent me fournir aucun secours d'hommes
ni d'écus, et cette indifférence, qu'elle a trouvé bon de montrer pour
une cause aussi juste que celle a laquelle je me suis dévoué, va donner
tout le tem[)s au roi de Navarre, chef des hérétiques de la France, de
s'afTermir sur le trône, en se servant des catholiques eux-mêmes, pour
ruiner la religion en ce malheureux pays. » (De Tuor, ubi sup.,
1>. i'^1-) . ^ \ .
a Quoique le feu roi fût légitime, disait-il encore, et qu'il lit, du
moins en apparence, profession de la foi catholique, vous n'avez pas
hésité, Très-Saint-Père, 'a approuver qu'on prit les armes contre lui ; je
ne comprends donc pas pourquoi vous balancez tant à seconder de tous
vos efforts une guerre contre un prétendant notoirement hérétique, et
que vous venez vous-même d'excommunier. J'ai lieu d'être étonné que
vous n'ayez pas encore fourni les secours que vous aviez promis. A quoi
donc destinez-vous tant de richesses que vous avez accumulées avec un
si grand soin, si vous ne daignez pas les eiiiployor a la conservation
d'un royaume à (]ui le Saint-Siège a été de tout t-mips si redevable, et
du salut duquel dépend le repos de tout le reste de la chrétienté?
« N'espérez pas, au reste, que le roi de Navarre se convertisse jamais,
et qu'il ramène par son exemple les autres héréliciues de son parti. Au
contraire; si la victoire continue a le favoriser, il ne s'en montrera (juc
plus opinifitre et plus réfracîaire aux ordres du Saint-Siège. Pour moi,
je suis loin d'accuser \'otre Sainteté. Je repousserais avec horreur une
pareille idée, si elle me venait jamais; le chef auguste des fidèles, tout
entier occupé de ses hautes fondions de représentant de Dieu sur la
terre, ne peut sans doute s'être laissé influencer par de minces consi-
dérations politiques qui ne prouveraient que l'intention mondaine d'accu-
muler de vains trésors, sans en dépenser que le moins possible. Le
Souverain-Pontife ne saurait se ravaler jusqu'à jouer le rôle d'un avare,
et a rester tranquille spectateur de la calamité publique, pourvu qu'il
n'en coûte rien 'a ses coffres. Seulement je pense prendre le ciel et la
70 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
IciTC a témoin que c'est sans l'avoir rnérili; en aucune façon que je me
suis vu abandonné du vicaire de Jésus-Ciirist, tout en soutenant la cause
de Dieu lui-même. •»
Cette lettre était, comme on voit, assez peu respectueuse, et le duc
de Mayenne n'eût jamais osé écrire de ce style au Pape, s'il n'y avait été
en quelque sorte contraint par la cour d'Espagne. Ce qui tendrait a le
prouver, c'est que le comte d'Olivarès, ambassadeur de Philippe a
Rome, voulait en même temps forcer Sa Sainteté de secourir ouverte-
ment les Ligueurs, et menaçait de protester publiquement au nom de
son maître contre Sixte V, s'il continuait, par ses inconcevables délais,
'a contribuer a la ruine d'une cause aussi sacrée.
Sixte avait d'autres vues. L'argent qu'il avait effectivement amassé
avec beaucoup de soin, il ne voulait pas le risquer sur des chances
aussi incertaines que celles qu'il voyait maintenant au parti de la Ligue,
qui, comme le disait plaisamment l'ambassadeur de Venise, n'avait plus
guère d'autre ressource que de se marier publiquement au roi d'Espagne.
Sa Sainteté, d'ailleurs, destinait depuis longtemps cet argent a réunir le
royaume de Naples au Saint-Siège, au moment où Philippe viendrait 'a
mourir, et il n'entrait nullement dans sa politique de contribuer, en
attendant, a l'agrandissement de ce monarque ambitieux, ce qui ne
manquerait pas d'arriver si la Ligue avait le dessus en France. Philippe,
pour se faire payer l'appui qu'il aurait donné aux Ligueurs, demanderait
indubitablement de partager le royaume avec eux. Enfin, Sa Sainlelo
savait bien que le Déarnais avait trop de raisons, toutes décisives et
péremptoires, pour qu'il pût refuser de se convertira la vraie foi, aussi-
tôt qu'il lui serait loisible de le faire sans inconvénient. Aux menaces
du comte Olivarès, elle répondit par une plainte au roi d'Espagne contre
son ambassadeur, qui disait-elle, lui avait manqué de respect, et elle
demanda que Sa Majesté voulût bien en envoyer immédiatement un
autre, et le fier monarque des Espagnes se vit obligé de complaire en
cela au prêtre couronné.
DU PROTESTANTJtsMt: EN FRANCE. 71
CHAPITRE IV
1590. — ARGUMENT : les nouvelles de la. bataille a paris.
ENTREVUE RU LÉGAT ET DE DIRON. — VILLEROY AU CAMP ROYALISTE.
LE ROI PREND CORBEIL, — LAC.NY, — MELUN, — MORET, — GRÉQUY, — PROVINS,
MONTEREAU, — NOGENT, — MÉRY.
IL EST CONTRAINT DE LEVER LE SIÈGE DE SENS.
LE VÉNITIEN MONCENIGO ENVOYÉ DU LÉGAT. — SIÈGE ET BLOCUS DE PARIS.
GIVRY A CIIARENTON. — D'aUMONT A SAINT-CLOUD.
OCCUPATION DE LA RIVE GAUCHE. — MORT DU PRÉTENDU ROI CHARLES X.
MAYENNE AVEC UN SECOURS DE FLAMANDS RENTRE EN PICARDIE.
IL EST REPOUSSÉ PAR LE ROI. — ARRÊTS DES PARLEMENTS DE ROUEN ET DE PARIS.
PROCESSION DE LA LIGUE. — EXPLOITS DU LIGUEUR LA BOURDAISON.
CONTINUATION DU SIÈGE. — PRISE DE SAINT-DENIS. — RAPPEL DE CIIEVERNY.
COMPLOT DÉJOUÉ A SENLIS. — ATTAQUE ET PRISE DES FAUBOURGS DE LA CAPITALE.
FAMINE. — PROVISIONS TROUVÉES DANS LES COUVENTS.
LETTRE DE LA DUCHESSE DE MAYENNE A SON MARI.
l'arrivée du DUC DE PARME FAIT LEVER LE SIÈGE.
Un genlilhomme, nommé Monsieur Du Tremblay, témoin de cette
sanglante bataille, et qui avait su mieux ménager son cbeval (jue
les autres, fut le premier qui en appoila la nouvelle a Paris. Il y
avait tout a craindre que cette nouvelle ne causât un trouble dange-
reux dans la capitale, qui se trouvait alors presque sans délensc. Les
brècbes des murailles n'avaient pas même été réparées, et il n'y avait
ni munitions, ni artillerie, a ce point qu'on ne pouvait disposer que d'une
seule pièce montée et en état de servir. Le pain surtout, le vin et
le bois, ainsi que les autres cboses nécessaires à la vie, étaient
en si petite quantité, qu'à la connaissance de tout le monde, il n'y
en avait pas pour plus de quinze jours, tant les Ligueurs, dans leur
enthousiasme, avaient peu compté sur un succès possible de l'armée
du roi. {Journal de Henri IV, t. I, p. 85. — Méni. de la Ligne, t. IV,
p. 277.)
Les chefs de l'Union, pour parer au découragement qui allait suivre
une aussi grande conliance, si la nouvelle du désastre d'Ivry était publiée
trop brusquement, firent aussitôt semer dans la grande ville quelques
rumeurs confuses. On disait que le béarnais venait de perdre cinq cents
hommes de ses meilleures troupes dans un assaut qu'il avait inutile-
ment livré 'a la ville de Dreux; puis, qu'il avait élé tué dans un combat ;
72 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
quelques heures après, on annonçail qiîe ce combat avait été très-
sanglant, et que Mayenne y avait perdi] une partie de son infanterie; et
enfin, on laissa transpirer la vérité tout entière. « En celte première
pointe de douleur que les lidèles catholiques éprouvaient de celte perle
immense et des suites qu'elle pouvait entrahier, leur unique consolation
fut de recourir aux conseils et aux exhortations de Monseigneur le légat;
car il y en avait déjà (juelques-uns qui tenaient le salut de la ville pour
désespéré, eu égard a l'excessive étendue de murailles qu'on aurait 'a
défendre, et aux intelligences que l'ennemi pouvait avoir dans la place
avec le parti des politiques. » (Mézeray, t. III, p. 776.)
« Parmi toutes ces confusions et difiîcultés, Monseigneur le légat ne
faillit 'a faire paraître sa prudence et sa constance accoutumées, encou-
rageant tout le monde et dissuadant les plus timides d'avoir recours a un
traité de paix, comme ils en manifestaient déjà l'intenlion. Il remontra
que les troupes de Monsieur de Mayenne ne pouvaient manquer de se
réunir de nouveau pour venir défendre la capitale, et que Sa Majesté
calholique allait faire arriver de Flandre l'armée qui se trouvait la toute
prèle sous les ordres du duc de Parme.
c( Il fut ensuite mis en délibération si le légat continuerait 'a demeu-
rer de sa personne dans la ville de Paris, ou s'il ne vaudrait pas mieux,
pour le bien de la cause et le but de sa légation, qu'il en sortit avant le
siège. Tous furent d'avis qu'il demeurât pour raffermir, par sa présence,
le courage et la résolution des habitants. Monseigneur le légat promit
donc de rester, et on prononça de nouveau entre ses mains le serment
de tenir bon jusqu'à la dernière extrémilé.
« Au reste, on avait déjà fait élat que les troupes dont on pouvait
disposer montaient 'a trente mille Parisiens bien armés, déjà engagés et
commandés par des chefs sur lesquels on pouvait compter. Il y avait de
plus quatre mille hommes de pied, tant Suisses que lansquenets, soldés
en partie par le roi d'Espagne, et, en abandonnant les faubourgs, dont
les habitants viendraient augmenter encore les forces de la ville, on
comptait pouvoir avec succès repousser les attaques de l'ennemi, dont
on disait que l'armée ne dépassait pas dix mille hommes de pied et trois
mille chevaux. » (Man. de la Bibl. roy., n" 8951.)
Cette résolution prise, les prédicateurs soldés par l'Espagne se ré-
pandirent dans toutes les églises; et Ta, parlant de pénitence et de mor-
tification (car c'était en carême), ils insinuèrent tout doucement que
« Dieu, pour éprouver ses élus, les visitait quelquefois sévèrement; qu'il
fallait se soumettre avec humilité et persévérance 'a ces épreuves, qui
étaient tout aussitôt suivies de récompenses et de consolations ineffables.
La Sainte-Union ajoutaient-ils, vient d'éprouver une grande perte àivry;
mais cette perte est loin d'être irréparable, et Dieu saura bien proléger
ceux qui le servent lidèiement. Il tient déjà tout prêts dans ses mains
puissantes les moyens qui doivent nous aider a remédier a ce désastre
avec avantage : le vice-roi des Pays-lias amène en ce moment même 'a
notre secours des forces irrésistibles. » (Mézeray, ubi siijp.)
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 73
En même temps, on se dépèeliail de faire entrer dans la ville tontes
les provisions qu'il était possible de recevoir; « mais il y avait si peu
d'ordre parmi cette populace (analisée, qu'à l'exception des couvents, de
Messieurs les ecclésiasliipies et de quelques riches bourgeois (jui pen-
sèrent a l'avenir, ces provisions, d'ailleurs insuriisanles pour une popu-
lation aussi nombreuse menacée d'un siège, furent promptement gaspil-
lées. » {Mém. de la Ligue, ubi sup., \). 278.)
Cependant l'armée royale venait d'entrer a Mantes, qui, comme on
l'a vu, s'était empressée d'ouvrir ses portes, après le départ de Mayenne.
Le roi voulut y rester quebpies jours, alin de donner à ses soldats le
temps de se remettre de leurs fatigues ; et pour lors, le cardinal Gaétan
envoya demander une entrevue au maréchal de Biron. Ce prélat savait
bien, malgré l'assurance qu'il avait donnée aux Liguei^rs, que les secours
que Mayenne attendait des Pays-Bas et de Rome ne pouvaient être sur
pied avant quelques mois, ainsi que les autres troupes qu'on se propo-
sait de faire venir des provinces ligueuses de la France ; et il jugeait
cette démarche utile pour arrêter au moins les progrès de l'armée roya-
liste, à l'aide de quelques propositions de paix qu'il jetterait en avant,
propositions auxquelles Son Eminence était bien certaine que Henri ne
se montrerait pas indifférent.
En effet, le roi envoya tout aussitôt un sauf-conduit au légat, pour
lui et les personnes de sa suite. Biron, accompagné des principaux sei-
gneurs de la cour, se rendit au château de Noisy pour y recevoir le
représentant du Pape, et là, on se fit d'abord beaucoup de politesses
et de compliments ; mais lorsqu'il fut question d'entrer en négocia-
tions, le légat, suivant la méthode italienne, chercha tout doucement à
dé1)aucher ces fidèles serviteurs du roi. Par malheur pour lui, il les
trouva si résolus à défendre la cause qu'ils avaient embrassée, qu'il ne
remporta que honte et confusion. (De ïuou, t. X, îiv. 08, p. 140
et suiv.)
Il y eut même une scène assez burlesque : le légat, ayant pris en par-
ticulier Givry, qui avait commandé l'artillerie à la bataille d'Ivry, l'accabla
de llatleries et de promesses. Voyant (pie cela n'aboutissait à rien, il
finit par dire à ce seigneur, qu'en qualité de bon catholique, il devait
du moins profiter de l'occasion pour demander au Pape et à celui qui
le représentait l'absolution de tout le passé. « Vous avez raison, saint
homme, dit Givry en se jetant à genoux; absolvez-moi de tous les maux
que je reconnais avoir déjà laits à ces bons Parisiens. » Le légat leva ses
doigts bénissants. « Par la même occasion, ajoute Givry, absolvez-moi
aussi de tous ceux que je me propose de leur faire. » El il se leva avec
un grand éclat de rire.
En même temps, Villeroy vint à la cour. Lui aussi avait mission
d'amuser Sa Majesté par des propositions d'arrangement (|ue lui-même
ne devait pas croire sérieuses, malgré toute la peine qu'il se donne
dans ses mémoires pour justifier sa bonne foi. « Avec l'agrément du
roi, il rendit une visite danjilié à Duplessis-Mornay, qui jouissait alors
74 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
d'une grande considération auprès de Henri. La, il lit tomber la
conversation sur le besoin qu'avait le royaume d'une bonne paix, faisant
entendre que Mayenne n'était pas éloigné d'y prêter la main; mais
comme il disait n'avoir jusqu'à présent aucun pouvoir spécial du duc,
pour négocier une affaire aussi importante, Duplessis l'engagea 'a en
aller chercher. » {Mém. de Yilleroy^ ad ann. 1590.)
Villeroy fut en effet trouver Mayenne a Soissons, où ce prince se
tenait pour l'instant, « étant très-mal de sa santé, et encore plus affligé
de l'esprit, à cause du mauvais état de ses affaires. » II lui fit part de
ce commencement de négociations qu'il avait cru, 'a ce qu'il dit lui-
même, devoir entamer. Mais Mayenne craignait d'offenser les Espagnols,
et il refusa d'abord d'entendre cette communication. Le lendemain pour-
tant il fit revenir Villeroy, et l'autorisa à aller dire au roi de Navarre
que, s'il voulait donner contentement aux catholiques en se faisant de
leur religion, il était tout disposé a traiter avec lui d'une bonne paix,
et qu'il offrait même, pour son compte, de se retirer dans sa maison et
d'y vivre en simple particulier.
Mais le roi ne crut pas devoir attendre le résultat des démarches de
Vilieroy, dont les bonnes intentions ne lui semblaient pas clairement
prouvées, attendu même que le fds de cet homme d'Etat était gouver-
neur pour la Ligue de la ville de Pontoise, qu'il refusait obstinément de
rendre. Le vingt-huitième jour de mars. Sa Majesté quitta donc Mantes,
dont elle laissa le commandement a Rosny, frère de Sully, et qui était
calholique.
Sully avait demandé vainement pour lui-même cette charge, comme
une récompense due 'a ses services et 'a ses blessures; mais Henri,
dans la crainte d'offenser les catholiques, n'avait pas voulu la lui ac-
corder; et l'orgueilleux gentilhomme, trouvant ce refus injuste, s'était
laissé emporter jusqu"a reprocher 'a son maître de se montrer ingrat
après tant de services qu'il lui avait rendus et toutes les blessures qu'il
avait reçues pour sa cause. Henri avait supporté patiemment ces
reproches et cette mauvaise humeur sans rien changer pourtant a sa
décision. [Économies royales^ t. II, ch. i.)
Il laissa Sully entre les mains des chirurgiens et se mit en route
avec sou armée. Comme il se voyait déj'a maître de tous les ponts qui
sont sur la Seine entre Paris et Rouen, il avait résolu de s'emparer
aussi de ceux qui sont en amont de la rivière, pour réduire la capitale
par la disette, en empêchant les convois d'y arriver. Prenant donc son
chemin par Montlhéry, il alla mettre le siège devant Corbeil, qui se
rendit le premier jour d'avril. Le lendemain, Lagny, qui a un pont sur la
Marne, suivit cet exemple. De Ta, Sa Majesté alla assiéger Melun. (Cayet,
Cliron. novenn., ad ann. 1590.)
Cette ville, quoique assez peu considérable, a sur les rives de
la Seine une position à peu près pareille a celle de Paris; c'est-a-
dire qu'elle est partagée en trois parties, dont l'une dans une île où
se voyait un château d'une structure antique. Cette iic est reliée par
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 75
(Jeux ponts a rime cl a l'aulro rive, sur chacune desquelles ia ville a
étendu son prolongement. Mais le côté qui tient a la IJrie est de beau-
coup le plus considérable. Ce fut de ce côté-là que le roi dirii ea ses
attaques. On éleva sur une côte voisine deux batteries de sept pièces
de canon et de deux couieuvrines,(iui commencèrent a tirer sur ia place
de deux endroits diflérents.
Le commandant ligueur de Melun avait une garnison composée d'une
soixantaine de chevaux et de quatre cents hommes d'infanterie ; mais il
y avait, en outre, cinquante bourgeois armés el bien résolus de seconder
la défense de tous leurs efforts.
L'artillerie du roi avait déjà tiré plus de deux cents coups et n'avait
pu faire encore qu'une très-petite ouverture dans la muraille, quand ses
troupes, impatientes d'en venir aux mains, s'élancèrent sans vouloir
attendre que la brèche eût été rendue ])lus praticable. Il y avait un fossé
de vingt pieds de jtrofondeur a franchir ; les soldats en vinrent a bout.
Les plus dispos et les premiers arrivés tendirent aux autres des cordes,
dont ils s'étaient munis a cet effet, et les tirèrent, pour ainsi dire, l'un
après l'autre.
Une attaque aussi brusque et exécutée avec un tel mépris pour h;
danger déconcerta les assiégés, qui après avoir mis eux-mêmes le l'eu
avec de la poix a une tour, qui était de ce côté-la pour protéger le pont,
se retirèrent dans l'Ile. Ils espéraient que la fumée et la puanteur suffo-
cante de cet incendie arrêteraient du moins l'impétuosité des royalistes.
Mais, quand ils virent ceux-ci s'avancer avec la même ardeur 'a travers les
tourbillons de la llamme pour forcer le passage du pont, ils demandèrent
il capituler. Seulement, les habitants, pour sauver leur réputation de
bravoure, posèrent pour premier article (ju'il leur serait accordé deux
jours, et que si, ce temps écoulé, le duc de Mayenne ne venait pas 'a
leur secours, ils rendraient la place.
Le roi, aussi bien qu'eux-mêmes, savait que le duc de Mayenne n'au-
rait garde de venir; pourtant il daigna accepter cette condition pour
mettre leur conscience de braves en repos, et Melun se rendit suivant
la capitulation, le onzième jour d'avril, après cinq jours de siège. La
partie seule de la ville qui touche a la Brie avait été pillée quand les
assiégeants s'en emparèrent; tout le reste fut scrupuleusement respecté
après la capitulation.
Moret et Crécy envoyèrent à l'instant même leur soumission, ainsi
que Provins, ville très-riche, mais sans défenses. Montereau ouvrit égale-
ment ses portes au roi à la première sommation, et Sa Majesté y mit
une forte garnison; car cette place lui était d'une grande im])orlance,
parce que c'est en cet endroit que la Seine reçoit l'Yonne, un des prin-
cipaux canaux de l'alimentation de Paris.
Ce fut l'a que Villeroy vint pour reprendre la négociation (juil avait
entamée a Mantes. « Je suppliai, dit-il. Sa Majesté de prendre en bonne
part ce que je venais lui dire, comme son humble et dévoué serviteur :
(ju'il ne dépend;!it plus que d'elle de devenir le monarque le plus glo-
76 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
riciix (\{\ monde enlier; qu'elle n'avait besoin pour cela que de se faire
catholique, et qu'a cette condition le duc de Mayenne était tout prêt a
le reconnaître et a se retirer dans sa maison, pour y vivre en simple
particulier. » — « Je vous sais gré de vos bonnes intentions, répliqua
le roi, quoique la conduite de Monsieur voire iils, qui s'obstine a me
retenir ma ville de Pontoise, ne soit pas tout a l'ait d'accord avec les
sentiments que vous me manifestez, et quoiqu'on ait cherché a me faire
croire que le but de vos démarches n'était autre que de préserver vos
propriétés des ravages de mes troupes. Au reste, vous pouvez dire au
duc que je réfléchirai a ce qu'il vous a chargé de venir me dire, et que
je ferai, au sujet de la religion, tout ce que ma prudence et ma con-
science me permettront de faire. Il me trouvera toujours disposé a traiter
quand il s'agira d'une paix sincère et sérieuse; mais, en attendant, je
ne dois pas discontinuer la guerre que j'ai entreprise pour Iç soutien de
mes droits, ni donner par la au dit seigneur duc de Mayenne le moyen
de relever ses affaires et de mieux dresser sa faction. » [Mém. de
Villeroy, ad ann. 1590. — Maïïhiei-, Ilist. de Henri IV, t. I, p. 54.)
Et en effet le roi envoya sommer immédiatement ceux de Nogent de
se rendre, et ceux-ci, ne se sentant pas assez forts pour résister, s'en
remirent 'a la clémence de Sa Majesté, qui en usa gracieusement avec
eux; mais la petite ville de Méry, s'étant laissé prendre par escalade, fut
livrée au pillage, cl les soldats, « qui ne resj)iraient que sang et que
butin, s'y livrèrent a toutes sortes d'excès. » Le roi laissa faire, parce
qu'il fallait bien donner de temps en temps quelque licence au soldat,
aux dépens des particuliers, plutôt que de lui fournir un motif de
passer à l'ennemi, en voulant l'astreindre à une discipline trop sévère.
(De Tiiou, ïibi sup., p. 147.)
On était alors aux fêtes de Pâques, et pendant que tout le monde
était occupé de ses dévotions, Henri fit sommer la ville de Sens. Cette
place était une de celles qui, de tout temps, avaient tenu le plus chau-
dement pour la Ligue. Les habitants répondirent à la sommation royale
qu'ils feraient consiaître leur décision après les fêtes, et on ne put tirer
d'eux d'autre réponse, parce que, disaient-ils, ils aimaient mieux tout
risquer que de jiaraître sacrifier le service de la religion 'a un intérêt
particulier. Henri, (jui songeait déjà a retourner vers Paris, ne jugeait
pas a propos de s'arrêtera prendre une place dont la possession, pour le
moment, n'était d'aucune importance pour lui. H était déjà maître de
tous les débouchés qui pouvaient apporter des vivres dans la capitale, et
il était sûr maintenant de la réduire promptement par la famine. 11 se
disposait donc 'a laisser, pour cette fois, les habitants de Sens
lran(îuilles.
Mais le gouverneur Chanvallon, dévoué au parti ligueur, crut que le
plus grand service qu'il pouvait rendre a ce parti était d'arrêter le roi,
afin de laisser aux Parisiens plus de temps pour se munir et se fortifier.
Il fit donc savoir secrètement a Sa Majesté que si elle voulait envoyer
pour entamer les négociations le maréchal d'Aumonl,dont tout le monde,
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 77
niL'inc pnrnii les ennemis, respectait la droiture, il y avait tout lieu d'es-
pérer (]ue Sens se soumettrait. {C\vi:r, ubi sup.)
D'Aumonl partit. A peine l'ut-il entré dans la ville que le peuple eut
l'air de se soulever, et le gouverneur, qui avait préparé cette scène, alla
chercher avec sa garnison un asile dans rarchevêché contre celte émeute
factice. DWumont, dupe de toute celte comédie, écrivit au roi pour lui
faire part de la situation où il voyait les choses. Il l'engageai! a faire
approcher son armée sans perdre de temps, parce cpie, disait-il, les
mutins ne manqueraient pas de rentrer dans le devoir, quand ils se ver-
raient en même temps attaqués a l'intérieur par les soldats de Chanvallon,
et à l'extérieur par les troupes royales.
Henri vint donc camper sous les murailles de la ville, et après avoir
hattu la place avec son artillerie pendant quelques heures seulement,
com|)tanl sur une diversion au dedans, il fit donner l'assaut. La brèche,
(]ui était a peine ouverte, fut vivement défendue, et le roi y perdit plu-
sieurs (le ses plus hraves soldats. Pour lors, voyant que personne n'avait
remué dans l'intérieur, il comprit qu'on lui avait tendu un piège dans le
but de lui faire perdre un tem|)s précieux. Il leva le siège sans retard,
et dit en })artant : « J'ai tout récemment levé aussi le siège de Dreux, et
c'était pour aller gagner la bataille d'Ivry ; aujourd'hui, je décampe de
devant Sens, mais c'est pour aller prendre Paris. »
Tout se préparait avec activité dans le camp royaliste pour com-
mencer ce siège important dont dépendait la lîn de la lutte. Dans la
ville, on prenait également les mesures les plus actives pour opposer la
plus vigoureuse résistance. Le duc de Nemours distribuait les comman-
dements et les consignes, et assignait a chacun le poste qu'il devait
garder; Monseigneur de Lyon, le prévôt des marchands et les autres
magistrats, veillaient en personne au maintien de l'ordre et a la police, et
Monseigneur le légat, prévoyant que Paris une fois investi serait bientôt
forcé par la disette a cesser toute résistance, imagina d'entamer encore
une nouvelle négociation pour gagner (pielques jours de plus, et donner
le temps de faire entrer une plus forte quantité de vivres dans la ville. Il
députa Moncenigo, évéque de Cencda et noble Vénitien, à Brie-Comte-
Robert, où était alors le roi, et ce prélat, qui ne devait pas s'adresser
directement a Sa Majesté, attendu quelle était excommuniée par le
Saint-Père, eut plusieurs entrevues avec Biron; mais, comme toutes ses
propositions ne tendaient (pi'a obtenir une trêve de (piehpies mois,
Biron, par l'ordre du roi, lui dit (pi'il n'y avait d'autre traité a faire que
celui qui établirait une paix générale et immédiate; que le roi était tout
prêt 'a consentir 'a un pareil traité a quel(|ue condition (pie ce fût, pourvu
que sa gloire et ses droits fussent sauvegardés; mais que si l'on ne pre-
nait incessamment une bonne résolution la-dessus, on devait s'attendre
a une guerre 'a toute outrance.
L'évéquc, qui avait res[)rit juste, voyant que la cour de Flenri se
composait surtout d'un grand nombre de seigneurs catholiques, lesquels
assistaient respectueusement à sa messe, se trouva convaincu que les
78 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
affaires étaient dans une situation tonte différente de ce qu'on en publiait
dans Paris. Il souhaitait de parler au roi iui-méme. Mais le légat ne lui
en avait pas donné la permission. Il partit donc sans avoir osé se
donner cette satisfaction ; mais Henri, instruit de son désir, se trouva
sur son passage en revenant de la chasse. Moncenigo mit pied a terre
et le salua avec respect. « Remontez, Monseigneur, lui dit le prince avec
bonté, » et poussant son cheval a côté de celui du prélat, il eut avec
lui une longue conversation. Affectant de ne voir en lui qu'un membre
de la république de Venise, qui, tout récemment, lui avait donné des
preuves d'affection, il se plaignit de la conduite du légat. « Il s'est,
dit-il, bien volontairement posé comme mon ennemi déclaré, quand
sa mission était d'apporter la paix entre moi et mes sujets rebelles.
Il est entré dans mon royaume, non seulement sans m'en donner
avis, conformément aux usages établis, mais, qui pis est, en se faisant
accompagner par les troupes d'un prince étranger. Il a mieux aimé
s'unir aux rebelles que d'agir de concert avec les cardinaux de Vendôme
et de Lenoncourt, qui sont comme lui membres du Sacré-Collège, mais
qui entendent mieux que lui les devoirs d'un prélat véritablement chré-
tien. De plus, il a mis une sorte d'affectation a favoriser le parti espagnol,
dans tout ce que ce parti entreprend pour la ruine de la France. Dites-
lui, Monseigneur, que je sais que dans ce moment, s'il parle de trêve,
c'est uniquement pour donner le temps aux secours de Flandre d'arriver;
mais Dieu aidant, j'espère bien montrer aux séditieux que je ne suis pas
tout 'a fait indigne de succéder a tant de rois illustres, t|ui m'ont
transmis leurs droits. »
Après ces paroles, il congédia l'évêque, qui s'en retourna a Paris,
enchanté des amitiés et des caresses que Sa Majesté lui avait faites.
Enfin le roi se rendit a Chelles le neuvième jour de mai, et dès le
lendemain, il fit attaquer le faubourg Saint-Martin. « Les politiques de
Paris (dit le manuscrit ligueur déjà cité), toujours prêts a machiner
quelques secrètes méchancetés, avaient fait savoir a l'ennemi de se pré-
senter 'a ce faubourg, lui promettant en ce cas de remuer de telle sorte
en dedans que l'entrée lui en serait facile; mais leur mauvaise intention
fut déjouée, et l'attaque recommença vainement pendant trois jours de
suite. Le duc de Nemours, qui arrivait de Chartres, où il' s'était retiré
après la bataille d'Ivry, venait d'être nommé commandant général. Sa
prudence, secondée de la brillante valeur du chevalier d'Aumale et du
dévouement de tous les bons et vrais catholiques de la ville, qui s'empres-
sèrent de dresser des barricades pour défendre les endroits menacés et
de garnir de gens sûrs les postes suspects, empêchèrent qu'aucun des
mal intentionnés ne remuât a l'intérieur et repoussèrent victorieusement
les attaques de l'extérieur. L'ennemi, frustré des promesses qu'on lui
avait faites, fut obligé de battre en retraite, après avoir perdu un grand
nombre des siens. Le capitaine La Noue, entre autres, y fut blessé d'un
coup d'arquebuse dans la cuisse. » {Mém. de la Ligue^ t. IV, p. 282. —
Man. cité sup.)
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 79
Cependant le roi s'emparait de Cliarenton, dont il lit pendre le com-
mandant, pour avoir l'ait une résistance désespérée contre une armée
royale dans une place aussi faible (jue celle-là. Ce lut a Givry qu'il confia
ensuite la garde de ce poste, qu'il jugeait fort important, parce que c'est
la que la Marne se jette dans la Seine; aussi y plaça-t-il une garnison
nombreuse, composée en quelque sorte de l'élite de son armée et bien
munie (rartillerio. .Mais Givry, qui se pi(]uait de galanterie, laissa, dit-on,
pour faire plaisir aux ducbesses de Nemours, de Guise et de Monlpensier,
et autres belles dames qui se trouvaient dans la ville, passer tous les
jours des vivres et des rafraicbissements; ce qui fut cause que le siège
se prolongea. Ce n'était pas là pourtant ce que le dit seigneur avait
promis de faire, quand il demandait si plaisamment l'absolution du légat
Il .Mantes. .V son exemple, les autres jeunes ofliciers de l'armée royale se
montrèrent aussi beaucoup trop compatissants pour les dames.
Néanmoins, le blocus se continuait et se complétait chaque jour.
D'.Vumont, un peu plus rigide observateur de la discipline que Givry,
s'était cbargé de la garde du pont de Saint-Cloud ; les moulins a vent qui
entourent Paris avaient tous été incendiés; le château de Beaumont,
risle-Adam et Sainte-Honorine, au continent de l'Oise, étaient occupés
par des garnisons royalistes, et le roi avait envoyé des détachements sur
toutes les routes de la Normandie, pour arrêter les convois qui pou-
vaient venir de ce côté-là. Quant a ceux qui auraient tenté d'arriver de
l'autre rive de la Seine, toutes les villes de ce côté avaient été soumises,
et leurs garnisons mettaient bon ordre ace (|ue rien ne passât. De plus.
Sa Majesté avait fait jeter un pont de bateaux sur la rivière et avait fait
passer sur cette rive ses compagnies de chevau-légers. Ces troupes
s'étaient logées dans toutes les maisons oùelles avaient pu se retrancher,
et elles battaient l'estrade jour et nuit. « Ainsi Paris se trouva complète-
ment assiégé et privé presque entièrement de toutes sortes de commu-
nications et de vivres. Pour comble d'embarras, la ville s'était remplie
d'une foule de pauvres paysans d'alentour, que l'ennemi y avait indus-
trieusement repoussés pour aider à y consommer les provisions. Ce qui
fut cause que ceux qui avaient des grains vinrent à les resserrer ; et dès
lors commença à se faire sentir la difficulté de fournir du pain à cette
grande et presque incroyable multitude, difficulté qui s'accrut rapidement
cha()ue jour. » (Caykt, Chron. iiovenn., ad ann. 1590. — .Mézeray,
p. 780.)
Ceux du parti des politiques qui se trouvaient dans la ville travail-
laient de tout leur possible à ajouter encore aux inconvénients et dan-
gers do la situation, soit en fomentant secrètement des séditions parmi
la populace, tout en ayant l'air de montrer leur zèle pour la défense, soit
en donnant avis à l'ennemi de tout ce qui se passait à l'intérieur et de
la marche des convois (pion atltMidait pour ravitailler la place.
« Malgré ces difficultés, la garnison et tous les bous catholifjues n'ei»
continuaient pas moins de donner de grandes et signalées preuves de
leur valeur, par les continuelles escarmouches et braves sorties qu'ils fai-
80 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
salent sur ronnemi, et aussi en appliquant leurs soins et vigilance a
réprimer les pratiques de ceux qui machinaient en dedans. 11 fallut
même plus d'une fois que Monseigneur le légat et Monseigneur de Lyon,
avec leur dextérité et prudencjs accoutumées, s'interposassent pour
réprimer l'ardeur de ces trop zélés défenseurs de la religion, sans quoi
il s'en serait ensuivi beaucoup de meurtres et autres grands inconvé-
nients. » (Manuscrit cité suprà.)
Ce fut en ce lemps-l'a que le cardinal de Bourbon, âgé de plus de
soixante-dix ans, mourut de la pierre dans sa prison de Fonlenay-en-
Poitou. Prince du sang, il avait été pourvu successivement des évèchés
de Nevers et de Saintes, et de l'archevêché de Reims. 11 administra
révêché de Beauvais, (juand le cardinal de Châtillon se déclara protes-
tant. Il fut légat d'Avignon, pair de France, commandeur des ordres du
roi, ai)bé de Saint-Denis, de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Ouen.
Le pape Paul 111 le nomma cardinal en loiH. La Ligue l'appela roi de
France, et, pendant qu'elle faisait battre la monnaie en son nom, elle le
laissa manquer du nécessaire dans sa prison. (Daniel, Hist. de Fr.^
ch. Vil, p. bi et 05.)
Cette mort du roi qu'ils s'étaient donné ne fit pas perdre cœur aux
rebelles, comme on aurait dû s'y attendre. Ils n'avaient jamais compté
sur lui; jamais ils n'avaient voulu autre chose que se servir de son nom
pour entretenir les troubles du royaume. Pourtant, ils ne laissèrent pas
que de se trouver embarrassés : il leur fallait au moins un nom sous
l'autorité duquel pussent se rendre les édils, les arrêts, déclarations et
ordonnances; et les Espagnols recommencèrent leurs intrigues par le
moyen du légat et du clergé pour obtenir que ce nom fût celui de leur
maître. (Mézer.w, ubi sitp.)
Pour Mayenne, il voyait augmenter encore les difficultés de sa posi-
tion ; il lui fallait tout 'a la fois et ne pas offenser Philippe, des secours
duquel il ne pouvait se passer, et empêcher que la couronne qu'il am-
bitionnait pour lui-même ne fût prise par ce prince. 11 avait déj'a,
comme on l'a vu, convoqué les Etats-Généraux du royaume 'a Melun. Il
résolut, pour gagner du temps, de remettre la question du choix d'un
maître a leur jugement, et 1! leur adressa une nouvelle convocation a
Paris, portant « (pi'i! serait par eux procédé 'a l'élection d'un roi catho-
lique. En attendant, il garda toujours son titre de lieutenant-général du
royaume. »
Il était alors en Flandres, où il était allé demander de nouveaux
secours au duc de Parme, a qui Philippe avait recommandé de soutenir
les Parisiens et de faire lever le siège de leur ville. Mayenne, malgré cet
ordre du maiire, n'en fut pas moins obligé « a se soumettre 'a des trai-
tements non seulement Indignes de sa qualité, mais insultants pour la
majesté du royaume. 11 fallut que celui qui se disait lieutenant-général
de l'État et couronne de France s'abaissât devant le lieutenant du roi
d'Espagne dans une simple province ; tant est vrai ce mot d'un ancien :
« Celui qui entre libre dans le palais des princes en sort presque tou-
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 81
jours esclave, et les vaincus qui vont requérir, les mains vides, les
secours des monar(|ues étrangers, sont surtout exposés à ces afl'ronts-
là. » (Deuxième Discours sur l'étal de la France.)
Le duc de Parme promit pourtant à la lin que, sous peu, il viendrait
lui-même en France a la léle d'une puissante armée. En attendant, il
.donna à Mayenne un régiment espagnol, un régiment italien et trois
cents hommes de gendarmerie llamande. Ces soldats étrangers, avant
d'avoir vu l'ennemi, parlaient déjà comme s'ils en eussent triomphé.
« Nous ne demandons <prune seule chose, disaient-ils, c'est qu'il y ait
seulement de l'eau dans l'endroit où on nous conduira, et nous nous
chargeons du reste. Toutefois nous sonmies curieux de savoir si le Béar-
nais, dès qu'il nous aura vus, osera hien nous attendre. » (Mém. de
Yilleroy, ad ann. 1590.)
- Mayenne, à la tète de ces fanfarons, rentra en Picardie ; mais il y
pensa être surpris par le roi, qui ayant fait dix-huit lieues en un jour,
accompagné d'un corps de cavalerie, était venu se poster à Crécy pour
disputer le passage à l'ennemi. Le duc, averti à temps, se retira à Laon
et se retrancha dans les fauhourgs de cette ville, où le roi le fit attaquer
par le haron de Hiron qu'il avait amené avec lui. Mais voyant, après
deux tentatives inutiles, qu'il n'était pas possihle de faire sortir en rase
campagne ces braves, qui s'étaient si hautement vantés quand l'ennemi
était loin, il ne voulut pas perdre le temps a les forcer dans un poste
où ils pouvaient se défendre longtemps, et il revint vers Paris, où il
venait d'apprendre que le capitaine Saint-Paul, avec huit cents chevaux,
se proposait de faire entrer un grand convoi par le chemin de Meaux.
ce Le duc de Nemours en était réduit depuis longtemps a emplover
toutes sortes de moyens pour maintenir les Parisiens dans la résolution
de se défendre jusqu"a la dernière extrémité. Il avait grand soin de
répandre parmi le populaire les communications de Monseigneur de
Mayenne, et chacune de ces nouvelles, fabriquée pour gagner du temps,
annonçait, ou que tous les obstacles étaient levés et que de puissants
secours allaient venir faire lever le siège ; ou (ju'on avait eu l'avantage
dans quelque entreprise tentée contre l'armée ennemie; ou que d'abon-
dants convois de vivres se réunissaient de toutes parts. Mais Monsieur de
Nemours se gardait bien de dire a personne la vérité, qu'il ne connais-
sait que trop lui-même : c'est qu'il n'était pas bien sur que le secours
promis par le duc de Parme pût s'approcher à temps. Cependant,
comme il prévoyait que le roi répugnerait toujours h en venir aux der-
nières extrémités contre la capitale de son royaume, il avait compris que
pour lui, le principal danger viendrait de ceux du dedans, (jui, quand
les privations d'un long siège commenceraient a se faire sentir, ne
manqueraient pas de se décourager d'abord, et peut-être même de se
révolter. Il chargea les prédicateurs, dont l'éloquence était toute-puis-
sante en ce temps-la sur les masses, de préparer le peuple à la patience,
et de l'exhorter 'a tout endurer pour la défense de la religion. (Cavkt,
uhi sup.)
IV. 6
82 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Déjà le parlement de Rouen avait, dès le mois d'avril précédent,
donné un arrêt par lequel il était enjoint a tous, gentilshommes ou
autres portant les armes, de se joindre au duc de Mayenne, ou du moins
de se retirer en leurs maisons dans le terme de huit jours, en taisant la
promesse de ne plus servir le Béarnais. Le parlement de Paris voulut
encore enchérir sur cette décision, et il prononça la peine de mort et
de confiscation des biens cohtre quiconque, de sa personne, de ses con-
seils ou de son argent, aiderait le dit prétendu roi de Navarre. {Mém.
de la Ligue, t. IV, p. 54.)
Mais on craignit que tous ces sermons el tous ces arrêts ne fissent
pas encore assez d'effet sur la populace, et la Ligue imagina de faire
une belle procession, d'un goût tout a fait nouveau. A la tête marchait
Guillaume de Rose, évêque de Senlis, et le prieur des Chartreux, tous
deux tenant un crucilix d'une main et une hallebarde de l'autre. Dans
cet attirail, moitié guerrier moitié religieux, « ils aimaient 'a s'entendre
appeler les braves Macchabées. » Venaient ensuite les Pères capucins,
feuillants, minimes, carmes, cordeliers et jacobins, tous ayant leur froc
retroussé, le capuchon abattu, le casque en tête et la cuirasse sur le
dos, comme soldats de l'Église militante. Les anciens marchaient les
premiers, grinçant les dents, se donnant une mine fière et tâchant de
contrei'aire de leur mieux une attitude guerrière. Les jeunes moines,
dans le même équipage, les suivaient armés d'arquebuses qu'ils avaient
parfois la maladresse de laisser partir dans la tête de ceux qui étaient
accourus pour voir un aussi étrange spectacle. On dit même (pi'un des
officiers de la maison de Monseigneur le légat eut le malheur d'être tué
raide, et qu'il y en eut deux autres blessés dangereusement par ces ar-
quebusiers de nouvelle espèce. Pour apaiser le tumulte que de pareils
accidents avaient excité parmi le peuple, on fit savoir 'a tous que l'âme
du meurtri s'était envolée tout droit au ciel, pour prendre place parmi les
confesseurs, et qu'il fallait le croire parce que Monsieur le légat, qui
savait bien ce qu'il en était, l'assurait ainsi. (De Thou, ubi siip., p. 280.
— Leguai>', Décades de Henri le Grand, liv. 5.)
Au reste, c'était plaisir de voir un petit feuillant jouer d'un espadon
aussi long que lui, et toujours en mouvement, tantôt a la tête tantôt 'a
la queue de celte milice sacrée. Il y mettait tant d'action que, quoi-
qu'il fût boiteux, on ne s'apercevait presque pas de celte infirmité assez
peu convenable dans un sergent de bataille. Les moines mêlaient à tout
cela le chant des psaumes, et surtout ils répétaient presque continuel-
lement d'un ton lugubre ces paroles du livre de Job : « La vie de l'homme
est un combat perpétuel. » (Job, chap. vu, vers. 1.) Mais à ce texte
sacré ils ajoutaient cette espèce de commentaire, qu'en braves soldats
de l'Église militante ils trouveraient un jour leur récompense dans
l'Église triomphante qui est au ciel.
La populace ne manqua pas de trouver tout cela beau et édifiant, et
le but que se proposaient les auteurs de cette indécente mascarade fut
pleinement atteint; elle contribua à monter les esprits a ce poiht que, si
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 83
quelqu'un était assez hardi pour parler d'accommodement avec l'héré-
tique, « il était incontinent lié et jeté a l'eau, ce qu'ils ont fait 'a plus
de vingt. » {Mém. de la Ligue, t. IV, p. 280.)
Pour les gens sensés, ils ne pouvaient voir sans indignation qu'on
cherchât par d'aussi déplorables moyens a se jouer d'un peuple que l'on
trompait, a l'exposer a tous les maux faciles a |)révoir dont ce siège fut
accompagné.
Le duc de Nemours, tout en approuvant et même en provoquant ces
moyens d'agir sur les esprits par la superstition et le fanatisme, ne né-
gligeait pas toutefois les moyens humains. Il lit venir le seigneur de
Vitry qui, après la mort de Henri III, s'était, ainsi (pi'on l'a vu, retiré du
parti royaliste. Ce seigneur, a qui Ton promit des appointements consi-
dérables, amena sa compagnie, composée de cent cinciuante gens
d'armes 'a cheval, tous bien et dûment équipés. On rappela aussi dans
la ville (piinze cents lansquenets commandés par le comte de Colalto,
et qu'on avait précédemment cantonnés dans les places voisines. (De
Tiioi;, ubi sup.)
Enlln, le jour de l'Ascension, on lit une nouvelle procession, un
peu moins ridicule que la première. Toutes les reliques et toutes
les châsses de Paris y furent portées avec grande pompe. L'a, on
ne vit plus de moines armés d'une façon grotesque, mais tous les
seigneurs du parti, a la tête desquels étaient !e duc de Nemours lui-
même et le chevalier d'Aumale, tous les chefs et officiers des troupes,
chacun armé de pied en cap et dans le costume de son grade, défi-
lèrent en bon ordre aux yeux du peuple. Ils se rendirent 'a la cathédrale,
où, sur les saints Évangiles, ils jurèrent tous 'a haute voix de mourii
pour le salut de la religion, et de défendre Paris jusqu'à la dernière
extrémité contre les entreprises du Béarnais. Mais dtvja 'a cette époque il
y avait bien des gens qui savaient qu'un serment n'engage qu'autant
qu'on veut le tenir, et qu'il y a toujours mille moyens de se dégager de
ses liens.
Par les ordres du commandant général, on faisait pendant ce temps-
la tous les préparatifs d'une résistance désespérée. Trois cents ouvriers
étaient occupés sans relâche a fabriquer de la poudre; les brèches des
murailles étaient soigneusement réparées, les faubourgs étaient protégés
par de grands retranchements; plusieurs édifices, qui auraient pu gêner
la défense, étaient abattus; les remparts se garnissaient d'artillerie, et
pour empêcher les surprises, on tendait deux fortes chaînes, lune en
amont, l'autre en aval de la rivière. (Mézeray, t. III, p. 787.)
Le roi n'avait pas assez de troupes pour empêcher tous ces travaux,
et les Parisiens s'y portaient avec tant dardeur que chaque famille four-
nissait journellement un homme pour y prêter la main. Ils donnèrent
même juscpi'a leur batterie de cuisine pour fondre les canons dont on
avait besoin.
On fit ensuite le dénombrement de toutes les bouches qui se trou-
vaient dans Paris. Il fut trouvé qu'il y en avait deux cent mille, et que
84 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
le blé qu'on avait suffirait a peine pour les nourrir pendant un mois; on
avait de plus quinze cent muids d'avoine, dont, disaient les recenseurs,
on pourrait encore tirer parti en cas de nécessité. Mais, comme on venait
de recevoir une nouvelle lettre de Mayenne, et que celui-ci annonçait
qu'il allait venir incessamment avec un grand renfort d'Espagnols et de
Flamands, le duc de Parme en téte^ on comptait bien être muni de vivres
sul'iisants jusqu'à son arrivée. (De Thoiu, ubi sup.)
Pourtant, afin que les provisions qu'on avait ne fussent pas gas-
pillées, on décida qu'il serait choisi, dans chacjue quartier de la ville, un
boulanger a qui on délivrerait, par semaine, la quantité nécessaire de
blé a raison de quatre écus le setier, mais 'a condition qu'il vendrait le
pain a six blancs la livre; de plus, comme l'argent manquait a la plus
grande partie des consommateurs, qui, pendant un siège, n'avaient plus
le moyen d'en gagner par leur travail. Monseigneur de Gondi, arche-
vêque de Paris, ordonna que toutes les paroisses et églises de la ville
donneraient tous les ornements et vases d'or et d'argent pour être fon-
dus, afin que la monnaie qui en proviendrait fût distribuée aux plus
•nécessiteux, promettant que le prix des dits vases et ornements serait
payé aussitôt après la levée du siège. {Journal de Henri IV, t. I,
p. 47.)
Le légat fit aussi quelques aumônes de l'argent qu'il avait tiré du
Pape, et l'ambassadeur d'Espagne s'engagea a payer par jour pour cent
vingt écus d'or de pain, lequel serait livré gratuitement aux pauvres.
Il advint en ce même temps que le seigneur de La Bourdaizière,
zélé Ligueur, sortit d'Orléans 'a la tête d'un corps de troupes, et accom-
pagné de quelques pièces de canon ; il se vantait de rétablir les commu-
nications entre sa ville et la capitale assiégée. Mais il ne prit pas le che-
min le plus direct; il commença par descendre la Loire et vint investir
le château de Mesmes, qui appartenait a l'évêque diocésain, et dans
lequel il savait qu'il y avait de grandes richesses. Comme cette place
n'avait qu'une garnison très-faible, elle se rendit sans difficulté après les
premières volées de canon, et La Bourdaizière y fit un plantureux butin.
(De Thou, ubi sup. — Matthieu, Vie de Henri /F, liv. 1, p. 114.)
Il s'en alla ensuite a Chàteaudun, ancienne capitale du comté de
Dunois. Le fameux bâtard, si connu sous ce nom, y avait fait élever, du
temps de Charles VI, un château et une chapelle où il a sa sépulture,
ainsi que les comtes ses descendants. Néanmoins, cette ville, quoique
importante, n'avait ni fortihcations ni garnison ; aussi se pressa-t-elle de
capituler 'a la première sommation.
Le roi, en ayant eu avis, comprit que la possession de cette place
pouvait donner aux ennemis la facilité d'intercepter 'a leur tour les con-
vois de vivres qu'il tirait de la Beauce, et il donna l'ordre au maréchal
d'Âumoiit et au prince de Conti de partir incontinent pour la reprendre.
Chàteaudun se rendit aux troupes royalistes avec autant de facilité qu'elle
s'était rendue aux Ligueurs; mais ceux-ci y avaient déjà mis le feu, et
tous les faubourgs, qui valaient mieux que la ville, furent réduits en
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 85
cendres. Tous les biens des habitants y furent perdus. « L'eml)rasenient
fut si "rand que les vins bouillaient dans les caves de la chaleur du feu,
et (jue tous les blés lurent brûlés dans les greniers : c était une grande
désolation. » On estima la perte a cent mille écus d'or, et dWumont, en
représailles, fit pendre une partie de la garnison. (Cavet, Chron.
noven7i., 1590.)
Le siège de Paris continuait pendant ce temps-la. Sa Majesté (jui,
depuis son retour de Picardie, avait pris son quartier général a Auber-
villiers, écrivit aux Parisiens, le (juinzième jour de juin, pour les exhor-
ter a penser sérieusement a leurs véritables intérêts. « Ne prêtez pas
plus longtemps, disait-il, l'oreille a des conseils perfides et dangereux;
ceux (jui vous les donnent n'ont d'autre but que de profiter de votre
témérité et de vos malheurs, et ils ne cherchent que leur intérêt per-
sonnel qu'ils espèrent trouver dans vos désastres mêmes. Moi, qui suis
votre roi légitime et votre père, je vous offre pardon et oubli du passé,
et tout peut encore se réparer; mais n'attendez pas plus longtemps pour
avoir recours h ma clémence : une trop longue obstination m'obligcniit 'a
ne plus écouter que la justice. »
Ces lettres ne produisirent aucun elTet sur les chefs de la Ligue, qui
se gardèrent, au reste, de les rendre publiques. Au contraire, pour faire
parade de leur fermeté, ils firent donner, le même jour, par le parle-
ment, un nouvel arrêt « qui défendait, sous peine de la vie, 'a (pii que ce
fût, de proposer d'entrer en aucun accommodement avec Henri de Bour-
bon, » et qui obligeait d'obéir sans réplique a Monseigneur le duc do
Nemours, gouverneur de la ville, et commandant général des troupes de
la Sainte-Union dans celte capitale. {Mém. de la Ligue, p. 21b.)
Tout le reste du mois se passa en diverses escarmouches et sorties
des assiégés, qui n'ayant pas encore eu le temps de souffrir beaucoup de
la faim, déployaient en effet un grand courage. Dans une de ces sorties,
le chevalier d'Aumale força les royalistes à abandonner l'abbaye de Saint-
Antoine, où ils s'étaient établis, « action brave et généreuse, mais qui
fut tachée par l'indécente conduite de ses soldats. Sans respect pour la
religion dont ils se disaient les soutiens, ces malheureux entrèrent dans
la dite abbaye, (pii était une abbaye de femmes, pillèrent les vases sacrés
ainsi que les ornements de l'église, et commirent de plus damnables
excès encore sur les épouses de Jésus-Christ. » {Journal de Henri IV,
l. I, p. 47.)
Le roi, pour réprimer ces entreprises, dont le succès ne mancpiait
jamais d'ajouter encore ii l'outrecuidance d'une populace égarée, fit dres-
ser une batterie sur la butte de Monlfaucon; quebpies jours après, il en
établit une seconde sur les hauteurs de Montmartre, et l'on commença à
foudroyer la ville et les faubourgs (|ui élaient de ce coté, mais sans pro-
duire beaucouj) d'ellet. Pour lors, \itry sortit a la tête de son régiment,
ce qui donna lieu 'a une rencontre très-chaude entre lui et Givry, comman-
dant de Cliarenton. Ces deux capitaines étaient panMits fort proches et de
plus très-grands amis. En se revoyant, ils commencèrent par s'embras-
86 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
scr; juiis, mettant l'épée à la main, ils donnèrent le signal cju combat
qui devint très-sanglant. Les royalistes finirent par avoir le dessous, et
plusieurs de ceux qui accompagnaient Givry turent ou tués ou dange-
reusement blessés. (Cayet, ubi siip.)
Pendant cette escarmouche, Saint-Paul, avec son convoi, après s'être
quelque temps arrêté a Meaux, était parti de cette dernière ville, et
côtoyant la Marne, il cherchait un moyen de pénétrer dans la ville
assiégée. Il eut le bonheur de rencontrer, près de la forêt de Livry, un
grand bateau qui portait aussi des vivres au camp du roi. Il s'en empara,
fit monter tout son monde dessus avec ce qu'il apportait lui-même, et,
tenant le milieu de la rivière, il parvint a passer heureusement, malgré
les troupes du roi. On ajoute qu'une somme de dix mille écus payée a
Givry ne contribua pas peu a faciliter le passage de ce convoi, qui aurait
dû naturellement être intercepté au pont de Charenton. (MézerAv,
t. m, p. 786.)
Quoi qu'il en soit, l'entrée d'un pareil secours dans la capitale fut
un véritable triomphe pour celui qui l'amenait, car ces provisions ne
pouvaient arriver plus a propos aux Parisiens. Ils commençaient déjà 'a
s'apercevoir que les vivres allaient bientôt leur manquer, et que le
siège, malgré les promesses de Mayenne, pouvait durer longtemps
encore.
Pour faire diversion a cette joie, le Béarnais, dit une relation com-
posée dans la ville même et pendant le siège, fit tirer de sa batterie de
Montmartre soixante coups de canon « lesquels, par la grâce de Dieu,
ne firent aucun mal, sinon qu'un boulet vint rompre les jambes 'a un
avocat, l'un des plus entêtés politi(iues (jui fussent dans la ville. » Le
dix-huitième jour de juin, on tirade nouveau plus de cent quarante coups
qui firent encore moins de mal, « n'ayant abattu qu'un pot a moineaux. »
Aussi tout ce bruit étonna si peu les Parisiens que les boutiques ne
furent pas même fermées, et que la justice ainsi que les études eurent
leur cours comme a l'ordinaire. {Mém. de la Ligne, t. IV, p. 174
et suiv.)
Au mois de juillet, les assiégés firent une nouvelle sortie dans la-
quelle fut lait prisonnier D'Andelot, frère de Cbàtillon. Nemours et le
légat entourèrent ce jeune homme, d'un caractère vain et peu ferme, de
tant de caresses et de prévenances, que malgré les reproches de son
frère, arrivé tout récemment à l'armée royale avec une partie des forces
du Languedoc, il embrassa ouvertement le parti de la Ligue, signa
l'Union et se mit iiu service du duc de Nemours. On vit l'un des fils de
Coligny consacrer son épée a la défense de ceux qui avaient assassiné
son père. (De Thou, ubi sup.)
Or, toutes les avenues de Paris et tous les passages des rivières
étaient tellement bouchés qu'il n'entrait plus aucune provision dans
cette ville, déjà réduite au pain d'avoine et a la chair de cheval. Les
malheureux affamés pouvaient encore aller fourrager hors des mu-
railles, et recueillir dans les cbamps avoisinants quelques herbages,
DU PllOTESTANTISME EN FRANCE. 87
pois, frves et autres fruits de la saison ; et même, comme il arriva celle
année que, par une faveur toute spéciale du ciel, la moisson vint en
maturité bien plus tôt (jue de coutume, on avait pu, sous l'escorte des
soldats qui combattaient valeureusement pour repousser les j)artis enne-
mis, et sous la protection de lartillerie des remparts, recueillir et rap-
porter dans la ville une partie des blés, orges et seigles qui avaient
poussé aux environs. Cette récolle était, il est vrai, chèrement achetée
au prix du sang des moissonneurs et de leurs délensein-s, mais elle
n'en était pas moins une précieuse ressource, tant à cause du grain que
de la paille. Cependant on pouvait déjii prévoir que ces rafraîchisse-
ments allaient bientôt l'aire défaut, et il n'y avait |)lus 'a compter sur les
ressources des places voisines.
De toutes celles qui entouraient la capitale, il ne restait plus 'a
prendre par l'ennemi que Saint-Denis, Dammartin et le fort de Vin-
cennes. Le roi fit ttltaquer à la fois c^s trois endroits. Lamarck, comte
de Maulevrier, fut chargé d'assiéger Dammartin, qui ne tarda pas 'a se
rendre. Ce fut Sa Majesté elle-même qui voulut commander en personne
l'attaque de Saint-Denis.
Les fortidcations de cette ville ne permettaient pas d"espérer de
l'emporter par un coup de main, sans s'exposer a perdre beaucoup de
monde. Le roi, (jui était ménager du sang de ses soldais, la blo(|ua de si
près qu'elle fut bientôt en proie a la plus extrême disette. Les Parisiens,
en ayant eu connaissance, résolurent de la secourir. Quelques cavaliers
sortirent de Paris, pendant (pie le chevalier d'Aumale délournait l'allen-
tion des assiégeants en venant faire une attaque sur un autre point. Ces
cavaliers, ayant mis pied a terre, se glissèrent silencieusement dans les
blés, (pii étaient déjà fort "hauts en celte saison; ils parvinrent pour la
plupart a tromper la vigilance des sentinelles, et ils entrèrent dans
Saint-Denis avec (|uel(|ues pains qu'ils apportaient; mais, à la vue de
ces pains faits avec de la farine d'avoine, dont on n'avait pas même
séparé le son et les balles, ceux de Saint-Denis purent juger que la
disette n'était pas moins grande dans Ifi capitale que chez eux. Le cin-
quième jour de juillet, ils convinrent de se rendre au roi dans trois
jours, s'il ne leur arrivait d'ici la, ni vivres ni troupes. (Cavet, Chron.
novenn., ad ann. J^OO.)
Le roi accepta le traité, mais il eut soin de faire faire une garde fort
exacte, et lui-même passait les nuils a cheval. Le (jualrième joui' donc,
nul secours n'ayapt pu aborder, la ville S0 rendit dès le malin, confor-
mément aux conventions. Les six cents soldats qui composaient la garni-
son eurent la liberté de se retirer avec armes et bagages, et Henri les
lit reconduire en lieu de sûreté. « H prit ses quartiers dans la ville con-
(piise;mais le jour même, il se lit un grand orage. Lu prodigieux éclat
de tonnerre tomba sur la niaison Qij il s'élail logé et tua, en sa chambre,
(Ml de ses plus chers favoris avec trois autres personnes, le laissant lui-
même étonné et \]ovs de sens pendant un assez long espace de temps.
Les partisans de la Ligue ne mantiuèrent pas de crjer que c'était l'a un
88 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
sinistre présage, et plusieurs des royalistes en portèrent le même juge-
ment. » (Manuscrit cité suprà.)
Quant au fort de Vincennes, le succès ne fut pas heureux. D'Aumale
y avait placé un parti de ses meilleurs soldats. Les royalistes tirent plu-
sieurs tentatives pour les surprendre ; mais celui qui avait le comman-
dement de cette forteresse sut rendre leurs efforts inutiles, et Vincennes
resta au pouvoir de la Ligue jusqu'à la reddition de Paris.
Sur ces entrefaites, le roi rappela le chancelier Cheverny, en l'invi-
tant par lettres extrêmement gracieuses à venir reprendre sa place à la
cour. Henri sentait le besoin de réorganiser l'administration, et de con-
fier la garde des sceaux à quelqu'un qui eût au moins la connaissance
des lois et des usages du royaume. Depuis qu'il était roi, cette ciiarge
avait été confiée 'a des mains inhabiles et inexpérimentées; de sorte que,
suivant l'influence de tel ou tel personnage, tantôt du marquis d'O,
tantôt du maréchal de Biron, il se commettait de nombreux abus dans
l'apposition du scel royal a des lettres et à des ordres fort souvent con-
tradictoires. {Méni. de Cheverny, ad ann. 1590.)
Personne n'était plus en état de remédier 'a ces désordres que le
chancelier, homme versé dans la jurisprudence et qui avait déjà fait ses
preuves sous le règne précédent. Comme on le pense bien, Cheverny,
qui avait eu tout le temps de s'ennuyer de son éloignement des affaires,
ne se fit pas beaucoup prier pour se rendre îi l'invitation de Sa Majesté;
la conscience d'un homme d'État est toujours disposée 'a lui faire croire
que son inaction est une perte pour le pays, et qu'il se doit au bonheur
de ses concitoyens. Cheverny arriva donc a Aubervilliers la veille de la
capitulation de Saint-Denis, et Henri, qui avait heureusement un talent
particulier pour gagner les hommes qu'il savait lui devoir être utiles, le
reçut avec tant de caresses qu'il s'en fit un serviteur dévoué.
En effet, Cheverny trouva le moyen de rendre en peu de temps a la
cour du nouveau monarque quelque apparence de dignité royale. H par-
vint a rappeler autour du prince la plupart des grands officiers de la
couronne. Il fit même revenir la musique de la chapelle du roi, dont
Monsieur l'archevêque de Bourges avait la charge, et l'on recommença
à dire tous les jours la messe de Sa Majesté, comme sous les règnes
précédents; ce qui fut du meilleur effet auprès des seigneurs catholiques;
aussi tje toutes parts arrivait-il de nouveaux renforts a l'armée ; car ce
premier pas fait vers une conversion depuis si longtemps promise ré-
chauffa le zèle de ceux que n'arrêtait plus qu'un scrupule de conscience,
et puis, il faut bien le dire aussi, le succès de la bataille d'ivry ne devait
pas peu contribuer à lever ce scrupule : rien ne consacre mieux un
droit qu'une grande victoire.
Le duc de Nevers, le vicomte de Turenne, deux des plus puissants
seigneurs de la France, et qui étaient comme des rois dans leurs do-
maines, n'hé-itèrent plus a embrasser ouvertement la cause royale,
tous deux, peut-être, parce qu'ils voyaient celle de la Ligue trop faible
pour se relever jamais, etqu'il était temps, par_ conséquent de s'atta-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 89
cher a celui qui allait indubilahlemenl devenir leur souverain. (Le duc
de Nevers cependant avait déjà, comme on Ta vu (cliap. ii), prêté son
argent au roi.) Une i'oulc d'autres seigneurs de moindre importance
accouraient aussi avec empressement, attirés par l'espérance d'un riche
butin, car ils s'imaginaient (|ue Paris serait livré 'a la discrétion du
soldat et qu'on y trouverait des montagnes d'or. (Mi^zkrav, t. III,
p. 812.)
Conti, après la prise de Châteaudun, avait déjà depuis (jnelque temps
rejoint le roi avec toutes les troupes royalistes de la Touraine, du Maine
et de l'Anjou, et l'on a vu aussi que Chàtillon lui avait amené une partie
de celles du Languedoc. Son armée était presfpic doublée.
Il recevait alors l'heureuse nouvelle qu'une tentative faite par les
Ligueurs pour reprendre SenHs venait d'être déjouée, à la grande honte
de ces derniers. C'était un nommé Dezonville qui avait monté ce
complot. Ce genlilliomme, ayant été lait prisonnier quel(|ue temps aupa-
ravant par les troupes du roi, avait été envoyé 'a Senlis pour y être
gardé. Il proposa a quelques ccclésiasti(iues de livrer cette place h la
Ligue; mais les habitants étaient sur leurs gardes, et ceux des bourgeois
de Paris, qui, pour ne pas mentir a leur conscience, s'y étaient réfugiés
lors du fameux serment exigé par le conseil des Seize et par le légat,
veillaient aussi de leur côté. Ils n'étaient pas, en efTet, les moins inté-
ressés à observer les démarches du clergé qu'on savait bien n'être que
trop porté pour le parti des ennemis du roi. Pourtant, toute leur vigi-
lance fut sur le point d'être mise en défaut.
Un ouvrier brasseur, qui travaillait cbcz les Révérends Pères corde-
liers, découvrit le premier cette mystérieuse conjuration. \^n jour, plu-
sieurs de ces religieux buvaient dans l'atelier où il était occupé, et, se
trouvant échaulFés par la boisson, ils se prirent a dire que dans peu
ils auraient repris leur première autorité; qu'afors ils sauraient bien se
venger des hérétiques, et punir comme ils le méritaient tous ces poli-
tiques qui étaient venus pervertir les habitants de leur ville, lis ajou-
tèrent qu'aussitôt que le complot aurait réussi, on n'épargnerait aucun
de ces maudits réfugiés parisiens, et qu'on traiterait de même ceux des
bourgeois (jui avaient engagé les autres à abandonner la Sainte-Union,
(ju'on n'en laisserait pas un seul en vie.
Le brasseur frémit d'horreur en entendant i)arler ces bons Pères
d'une pareille boucherie; mais il se maîtrisa et chercba a savoir (juel
jour devait se lai-e cette sanglante exécution. Il apprit (pfelle était lixée
a la nuit du troisième au quatrième jour de juin, et aussitôt il alla pré-
venir Monsieur de Montmorenry-Thoré de faire laire bonne garde cette
nuit-Ta. Comme il relusait d'indiijuer le nom des complices, pour ne pas
compromettre des gens qui lui faisaient gagner sa vie, on ne tint nul
compte de cet avis; lu moins est-il certain qu'on ne prit aucune pré-
caution extraordinaire.
C'était un sieur Savigny de Rosne qui avait promis de fournir les
forces nécessaires a l'exécution de l'entreprise; et voici comment la
90 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
chose fut conduite : d'abord douze soldats s'introduisirent séparénnent
dans la ville, déguisés en paysans et portant des hottes, comme s'ils
venaient vendre des légumes au marché. Ils se réunirent ensuite chez
un chanoine, dont la maison était voisine du rempart. La, les ecclésias-
tiques et les moines qui faisaient partie du complot avaient déjà apporté
secrètement une assez grande quantité d'armes qu'ils cachaient aisé-
ment sous leurs robes et sous leurs frocs.
De ce côté-la, précisément, le rempart était fort étroit, fort bas, et
d'une vieille construction déjà presque ruinée par le temps ; le fossé était
peu profond et en pente. De Rosne s'avança pendant la nuit, qui était
sans lune et fort sombre, amenant avec lui huit cents hommes. H les fit
descendre dans le fossé; ensuite il fit dresser les échelles, et l'on com-
mença a monter sur le rempart avec le moins de bruit possible. Les sol-
dats qui s'étaient introduits la journée d'avant dans la ville attendaient
leurs camarades en faisant le guet.
En ce moment, Boutteville, lieutenant de Thoré, faisait sa ronde de
nuit. Il vit un homme qu'il prit pour une sentinelle. 11 lui demanda si
tout était tranquille. « Oui, Monsieur, » répondit celui-ci. « Parlez donc
plus bas, dit une voix qui partait du fond du fossé; vous allez nous
faire découvrir. — Soyez sans inquiétude, dit Boutteville, avec une admi-
rable présence d'esprit, tout va bien. » Il entrevit alors qu'un croc de
fer venait d'accrocher un des créneaux, il y courut et fit un si grand
effort qu'il abattit le créneau, renversant en même temps dans le fossé
les échelles et ceux qui étaient dessus. Pendant ce temps-la, les soldats
déguisés qui faisaient le guet, croyant que Boutteville était suivi d'une
troupe nombreuse, n'osèrent faire aucun mouvement, et leur inaction
sauva la ville.
Le bruit des échelles brisées et des soldats renversés donna l'alarme
dans tous les postes de la garnison qui se mit partout sous les armes ;
le tocsin sonna, et les habitants, se levant en toute bâte, accoururent
avec des flambeaux. De Rosne put alors se convaincre que son entre-
prise avait échoué. Il se retira, et, quand le jour fut venu, on ne trouva
dans le fossé qu'un soldat qui avait la jambe cassée et que ses cama-
rades avaient abandonné. Ce fut sur sa déposition qu'on arrêta les douze
autres soldats qui s'étaient cachés chez le chanoine. On arrêta aussi
vingt-sept moines et ecclésiastiques qui furent incontinent pendus avec
les douze soldats. L'un de ces malheureux confessa que, pour les en-
gager dans cette conspiration, on leur avait promis la jouissance des
plus belles femmes et filles de la ville ; et qu'on avait même déjà fait le
partage, afin qu'après le succès chacun sût où il devait s'adresser, et
qu'il n'y eût point çle dispute à ce sujet. (De Thou, t. X, liv. 99, p. 173.)
Pendant ce temps-Fa, on avait déjà mangé dans Paris les chevaux et
les ânes. On devait bientôt manger les chiens et les chats, et jusqu'aux
rats mêmes, jusqu'aux choses qui répugnent le plus aux goûts naturels
de l'homme ; mais on était parvenu 'a persuader 'a tous ces malheureux
affamés qu'ils devaient, pour la plus grande gloire de Dieu, tenir jus-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. «!1
qu'il la dernière extrémité, et que Mayenne, avec son avniée libératrice,
ne pouvait tarder de venir à leur secours. Quand la politique peut
s'appuyer tant bien (|ue mal sur la religion, il lui est facile de faire des
fanatiques jusqu'au martyre.
Henri n'ignorait pas la disette qui régnait dans la ville assiégée.
A chaque instant des malheureux, mourant de faim, venaient se rendre
au camp, im|)lorant ou une mort plus prompte ou des aliments. Aussi
s'étonnait-il que les Parisiens persistassent encore 'a ne pas se rendre.
Il résolut de les serrer de plus près en s'emparant de tous les faubourgs.
Le jeune Hiron eut ordre d'attaquer le faubourg Saint-Martin ; Fervacques
fut chargé de prendre; le faubourg Saint-Denis ; Saint-Luc marcha contre
le faubourg Montmartre, et le maréchal de Biron se réserva le faubourg
Saint-llonoré.
En même temps, le maréchal d'Anmont et Beaumanoir de Laverdin
passaient la Seine pour occuper le faubourg Saint-Germain, pendant que
Châtillon, avec les troupes qu'il avait amenées du Languedoc, devait se
porter du côté des faubourgs Saint-Michel, Saint-Jacques^ Saint-Marceau
et Saint-Victor.
Ce fut au milieu de la nuit du vingt-cinquième jour de juillet que
toutes ces dilférentes atlacpies commencèrent en même temps, sous les
yeux mêmes de Sa Majesté, qui s'était postée sur les hauteurs de Mont-
martre pour être témoin de ce spectacle. Bientôt, au milieu des
ténèbres, on entendit gronder les décharges de l'artillerie etdelamous-
queterie. En un instant, la vaste plaine parut être toute en feu; puis,
on ne vit plus (ju'un nuage d'une fumée rougeâtre que déchiraient con-
tinuellemenl, comme autant d'éclairs, les feux des bataillons et des
batteries. Les faubourgs furent partout emportés avec une rapidité mer-
veilleuse, quoi(|ue les assiégés, du haut des remparts de la ville, fissent
sans relâche pleuvoir les balles et les boulets. Avant l'aurore tout était
hiii, et les royalistes avaient eu partout V^Minla^^e. {Économies royales
de Sully, ubi sup.)
Biron, dès le grand matin, fit pointer deux pièces de canon contre
la porte Saint-llonoré, dont il ruina toutes les défenses; mais on n'osa
pas encore en venir a un assaut. Dans le faubourg Saint-(îermain, l'ab-
baye, où se trouvaient cincpiante soldats résolus, fut défendue pendant
deux jours, et ce ne fut (ju'au roi lui-même que le commandant de ces
braves consentit a rendre son épée.
C'en était fait de Paris, et il n'y avait plus a douter que celte capi-
tale \w fût elle-même obligée sous peu d'implorer la misériconle du
vaincjucur. La famine y faisait un tel ravage que la plupart des habi-
tants, bien loin d'être en état de repousser l'ennenii, n'avaient môme
|)lus la force de porter leurs armes. Il y avait déjà bien des jours (jue le
peuple ne savait plus dans cette ville ce (pie c'était que la viande et le
pain ; la plupart ne vivaient plus que des herbes et des racines qu'ils
allaient arracher d'entre les pierres du rempart. L'ambassadeur d'Es-
pagne, pour faire illusion aux besoins de tant d'estomacs affamés, avait
92 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
philanthropiqiiement imaginé de leur faire manger ces herbes, bouillies
avec un peu de son d'avoine qui restait encore dans les magasins ; et
comme le bois manquait ainsi que tout le reste, on brûlait les meubles,
les portes et les fenêtres des maisons, et jusqu'aux solives des toits,
pour faire cuire ce dégoûtant brouet. A chaque carrefour, on avait établi
de grandes chaudières dans lesquelles se préparait cette cuisine de nou-
velle espèce ; mais de pareils aliments, au lieu de soutenir la vie, cau-
saient de déplorables accidents. La pbipart des misérables qui s'en re-
paissaient devenaient enflés et hydropiques ; à tout moment, on en
voyait tomber en faiblesse au milieu des rues, et, chaque matin, on en
ramassait par centaines a la porte des églises: chaque jour, ils mouraient
par milliers. Il est vrai qu'on continuait de leur faire de belles proces-
sions, que le Saint-Sacrement était nuit et jour exposé a leur adoration
dans les églises, et que leurs prédicateurs, plus éloquents que jamais,
se relayaient pour leur faire continuellement de beaux sermons. Ils leur
prouvaient clairement qu'ils étaient heureux de mourir pour une cause
aussi belle ; que le ciel était ouvert pour les récompenser de leur sainte
constance, et ils avaient soin d'ajouter que le duc de Mayenne était sur
le point d'arriver pour les faire triompher de leurs ennemis. On dit que,
grâce a ces exhortations, plus de douze mille personnes moururent ainsi
avec résignation dans Paris, au milieu des tourments horribles de la
faim, mais la tête pleine des espérances dont on les repaissait. (Mézerav,
t. m, p. 819.)
On se décida pour lors a députer au camp royal, pour demander qu'il
fût permis aux malades et aux pauvres de sortir de la ville; Monsieur le
légat accorda même dispense pour ce laire aux personnes riches et
valides qui lui en payeraient l'autorisation. Mais la demande fut refusée
par ceux du conseil du roi ; et ces malheureux, qui s'étaient déjà assem-
blés en grand nombre près la porte Saint-Victor pour quitter une ville
où la famine devait indubitablement les tuer sous peu, poussèrent des
cris lamentables en apprenant qu'il fallait rentrer. (Péréfixe, Vie de
Henri le Grand, liv. 2, adann. 1590.)
Plusieurs néanmoins se hasardèrent, au risque de toute perte de
fortune et même de la perte de la vie, a quitter une ville où ils voyaient
la mort inévitable. Ceux qui prenaient ce parti et qui n'avaient pas le
moyen de se racheter tombaient presque infailliblement sous le fer de
l'ennemi ; ceux qui étaient riches, outre l'argent qu'ils étaient d'abord
obligés de payer pour obtenir la dispense de sortir, devaient encore
traiter avec l'ennemi et se racheter, pour ainsi dire, comme s'ils eussent
été prisonniers de guerre. Encore ne se pouvaient-ils garantir, même
avec leurs doubles passeports, de plusieurs torts et outrages qu'ils re-
cevaient de la soldatesque, laquelle, n'étant ni soudoyée ni entretenue,
vivait de pillage, sans ordre ni discipline. Aussi la populace, exaspérée
par la faim, et ne voyant aucun moyen d'y échapper, commençait par-
tout a murmurer. (Manuscrit cité siiprà.)
Le légat, pour tenter de faire prendre leur mal en patience 'a tous
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 93
ces malheureux, leur fit jeter par ses gens un assez grand nombre de
demi-sous, mais celte populace, qui nV'lait plus sensible (ju'aux déchi-
rements de la laim, ne tint aucun compte de celte libéralité de grand
seigneur. « Hélas! criaient-ils, faites-nous jeter plutôt du pain, car nous
allons mourir. »
Il fallait bien pourvoir tant bien que mal a cette affreuse misère. On
fit alors le dénombrement de ceux qui n'avaient plus aucun moyen
d'existence : il s'en trouva prcs de douze mille. On décida qu'il serait
fait une visite dans les maisons des religieux et des ecclésiastiques
quon savait avoir des provisions cachées. Alors le recteur des Jésuites
voulut faire exempter sa maison de cette mesure, qu'il appelait vexa-
loire et injurieuse pour des personnes consacrées à Dieu. « Monsieur le
recteur, lui dit le prévôt des marchands, vous ne parlez ni en citoyen
ni en chrétien. Nous autres, qui ne sommes point des religieux de pro-
fession, il y a déjà longtemps que nous avons donné tout ce que nous
avions pour subvenir 'a la nécessité publique. Votre vie est-elle donc
d'un plus grand prix que la nôtre? » 11 fallut se soumettre. {Mem. de h
Ligue, t. IV, p. 507.)
On alla donc visiter leur maison, où Ion trouva quantité de blé et
de biscuit. Il y en avait de quoi les nourrir pendant plus d'un an; on y
trouva aussi de grandes provisions de chair salée qu'ils avaient fait
sécher pour la mieux garder. On visita ensuite tous les autres couvents :
partout on découvrit que les bons Pères ne s'en étaient pas unique-
ment rapportés 'a la Providence du soin de pourvoir à leurs besoins;
et, jusque chez les Capucins, 'a qui leur règle prescrit de ne rien ré-
server pour le lendemain, il y avait des amas de vivres dont on fut
étonné.
Le conseil de la ville prononça alors que tous ces pauvres, dont on
ne savait plus que (aire, seraient nourris par les maisons religieuses
pendant quinze jours et qu'il leur serait donné à chacun un repas de
pain et de viande pris sur les provisions dont on avait constaté
l'existence.
Pour accomplir cette œuvre de charité avec le moins de dépense
possible, les moines firent prendre tous les chiens et les chats qui
purent encore être rencontrés, et ce fut de cette viande qu'ils nour-
rirent les pauvres qu'on leur avait imposés, en y ajoutant quelques
bribes de pain fait avec du son d'avoine; puis, les quinze jours expirés,
ils dirent (pi'ils n'avaient plus rien et se prétendirent quilles de celte
charge.
Ils trouvèrent même un moyen d'en faire un notable profit. Comme la
famine augmentait toujours, ils mirent en vente les peaux des chiens et
des chats qu'ils avaient lait manger, et il s'en vendit, dil-on, pour plus
de trente mille écus. « J'ai vu, dit le ligueur Cornelio, dévorer de ces
peaux toutes crues, ainsi que des tripes qu'on avait jetées dans les
égouls, et une foule d'autres ordures semblables, horribles et putré-
fiées. » {Mém. delà Ligue, t. IV, p. 297.)
94 HISTOIRE DE L^ÉTABLISSEMENT
Le pain pourtant vint aussi a manquer chez le légat lui-même et chez
les plus grands seigneurs de la Ligue. Une des femmes de service de
Madame de Montpensier mourut de faim. Sur la table même des maîtres,
il ne paraissait plus que du pain d'avoine, et encore en très-petite quan-
tité. Les troupes étrangères, qui formaient la principale force de la gar-
nison, et qu'on s'était, dans les commencements, appliqué a ne pas
laisser manquer de nourriture, ne recevaient plus de ration depuis long-
temps. On vit ces soldats se mettre au guet pour essayer d'attraper
encore quelque misérable chien ou chat tout galeux qui aurait échappé a
la voracité générale ; et, quand ils avaient eu le bonheur de faire une
chasse fructueuse, ils dévoraient l'animal, peau, chair et entrailles, sans
même prendre le temps de le faire cuire. On dit que l'un d'eux, qui
n'avait pas ses armes, lutta longtemps conti-e un fort mâtin qu'il avait
rencontré. A la fin, ce fut l'homme qui succomba; le mâtin le terrassa
et l'étrangla, et cet animal, aussi affamé que son antagoniste, aurait fini
par dévorer le cadavre s'il n'eût été mis en fuite par les cris de ceux
qui arrivaient trop lard au secours de leur camarade.
Enfin, pour comble d'horreur, on mangea de la chair humaine, et
l'on vit jusqu'à des mères se nourrir du cadavre de leurs enfants.
L'ambassadeur d'Espagne, qui avait le génie de l'invention, ne i)ou-
vanî plus fournir à la distribution de ses potages, parce que l'herbe, les
racines et le son d'avoine avaient fini par manquer tout 'a fait, proposa
alors de moudre les ossements des morts qui gisaient desséchés dans
les charniers et dans les églises. Il assura qu'une garnison turque, assié-
gée par les Perses, avait en recours a ce genre d'aliment et qu'elle s'en
était très-bien trouvée. Madame de Montpensier loua très-fort cette
invention. On fît, en effet, avec cette horrible farine du pain qu'on
nomma le pain de la Montpensier; mais tous ceux qui eurent le cou-
rage d'en manger moururent empoisonnés. {Satire Ménippée, note de
Dupuy-).
Le cinquième jour d'août, on trouva pourtant, malgré la sévérité du
blocus, le moyen de faire parvenir une lettre au duc de Mayenne. Sa
femme, qui était dans la place assiégée avec ses enfants, lui écrivit
d'avoir au moins compassion de ceux qui étaient nés de son sang,
puisque les souffrances de tout un peuple n'étaient pas capables de l'at-
tendrir. « Moi, lui disait-elle, j'ai fait le sacrifice de ma vie; mais ces
pauvres innocents dont je suis la mère, me faudra-t-il les voir passer
sous le sabre d'un ennemi cruel et implacable, auquel nous allons être
forcés de nous rendre à discrétion si vous ne vous hâtez pas d'arriver?»
(De Thou, ubi siip.)
Tant de calamités épouvantables étaient trop au-dessus de la patience
humaine, pour que la résignation ne manquât pas au moins 'a quelques-
uns. Malgré les exhortations de leurs prédicateurs, un certain nombre de
ces malheureux habitants finit par trouver la situation intolérable. Un
nommé Renard, procureur au Châtelet, les encouragea 'a faire du moins
une tentative pour obtenir la fin d'un pareil état de choses. Il se mit à
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 95
leur tête, et ils s'en allèrent an Palais demandant a jgrands cris la paix
ou du pain. Le chevalier crAumale et les Seize se jetèrent, Tépée a la
main sur celte foule de désespérés qui fut bientôt dissipée. Le procu-
reur Renard fut arrêté; lui et son (ils furent pendus a la même potence
pour servir d'exemple aux autres, et, par une harbare dérision, on appela
cette journée la Journée de la Paix ou du Pain.
Mais pour empêcher de pareilles scènes de se renouveler, et afin
d'amuser le peu|)le par quelipies lueurs d'espérance, le légal et l'ambas-
sadeur de Philippe proposèrent de négocier une trêve entre le duc de
Mayenne et le roi* de Navarre. Il fut arrêté que le cardinal de Gondi,
l'archevêipie de Lyon et (pielques autres ecclésiastiques, se rendraient
d'abord au camp ennemi, et iraient ensuite trouver le duc pour ména-
ger cette espèce d'arrangement.
Ces députés toutefois, avant de s'éloigner, voulurent melire leur
conscience de bons catholiques en repos et être bien assurés (|u'ils
n'encouraient aucune censure en communiquant avec Un prince excom-
munié. Monsieur le légat, ayant alors pris l'avis du recteUr des Jésuites
et du Père Panigarole, cordelier, prononça que ce cas particulier n'était
pas compris dans l'excommunication fulminée par le Saint-Père contre
le Béarnais et ses adhérents, et que les dits députés pouvaient partir
en toute sûreté de conscience. {Journal de Henri IV, t. I, p. 70.)
Le roi s'étanl prêté volontiers a la démarche qu'on venait tenter
auprès de lui, l'entrevue eut lieu en ellel dans l'abbaye Saint-Antoine.
Le cardinal de Gondi prit le i)remier la parole et dit que, pour mettre un
ternie aux malheurs de la France, lui et ses collègues étaient députés par
la ville et le parlement de Paris, avec mission de faciliter de tous leurs
moyens un accommodement entre le lieutenant général de l'État et cou-
ronne de France et Sa Majesté le roi de Navarre. {Mém. de la Ligue,
t. IV, p. 517.)
I*endant qu'il délayait cette simple proposition dans un grand
nombre de phrases, les princes et les seigneurs de la cour l'entouraient
en foule, et cette foule s'augmentait a chaque instant. Le pauvre
cardinal se trouva tout troublé de se voir au milieu de tous ces guer-
riers. « Ne vous tourmentez pas de cet empressement, lui dit le roi en
riant; ces Messieurs ont l'habitude d'entourer ainsi l'ennemi un jour
de bataille; mais prenez un peu de patience, je vais communi-
quer voire demande a mon conseil, et je vous ferai part de la réponse
que nous jugerons convenable de faire à votre proposition. »
Dans le conseil on trouva d'abord que les pouvoirs de ces envoyés
n'étaient pas en forme, et le roi comprit que ceux de la Ligue ne cher-
chaient (ju'a gagner du temps. Ils alfeclaient en oulre de ne pas lui
donner le titre le roi de France. « Messieurs, dit Henri "a la dépulation,il
n'y a certainement personne qui soit plus sensible que moi aux malheurs
de mon royaume; car [)endant (|ue les autres ne soullrent (jue de leurs
maux particuliers, un bon roi porte toutes les misères de son peuple. Je
ne denianile donc pas mieux (|ue de mettre le plus promplement pos-
96 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
sible fin à ces désastreuses querelles que le poison de la Ligue enve-
nime en France ; mais je ne comprends pas que les Parisiens, mes sujets,
veuillent se rendre arbitres entre moi et le duc de Mayenne, qui bien
qu'aidé des forces de TEspagne n'en est pas moins, lui aussi, mon sujet
révolté.
« Je dois vous dire encore que vous qui avez l'bonneur d'être
Français, vous devriez mourir de honte, quand, pour ne pas déplaire a
Monsieur l'ambassadeur d'Espagne, vous consentez a laisser expirer
misérablement dans votre ville tant de milliers de pauvres gens. Si vous
persistez encore dans cet entêtement inconcevable, il en mourra encore
peut-êlre dix a douze mille, et soyez sûrs que leur mort retombera sur
vous. Dieu vous punira un jour sévèrement d'avoir fait si peu de cas de
la vie de vos concitoyens. Je veux bien, au reste, vous accorder huit
jours pour consulter le duc de Mayenne, a cette condition qu'au cas où
il ne parvienne pas d'ici la à me faire lever le siège de votre ville, les
portes m'en seront ouvertes. »
Le cardinal de Gondi demanda alors que le roi d'Espagne fût égale-
ment consulté, « parce que, dit-il, si nous faisons cette paix sans son
assentiment, il ne manquera pas de venir nous assiéger 'a son tour. —
Par Dieu! s'écria le roi, en se laissant emporter 'a sa vivacité, c'est ce
que je demande. Il n'a qu'a venir, et il sera bien frotté, je vous en
réponds. » Puis, Sa Majesté ajouta d'un air honteux, en se tournant vers
ses nobles : « Je vous demande pardon. Messieurs; je viens contre ma
coutume de jurer par le nom du Bon Dieu! — Et vous avez bien fait, Sire,
répliquèrent ceux-ci. La chose vaut bien un bon jurement : nous vous
promettons a notre tour que vous n'aurez pas juré en vain. » (Mézeray,
t. III, p. 826 et suiv.)
Les députés retournèrent à Paris pour communiquer la réponse du
roi à ceux qui les avaient envoyés; mais le conseil de la Ligue ne vou-
lait pas la paix, et sans faire part au peuple des conditions qu'avait of-
fertes le roi, ils firent répandre par toute la ville qu'on ne devait
attendre du Béarnais ni trêve ni pitié. Les princes du sang et toute la
fleur de la noblesse qui suivaient le parti de Henri de Bourbon se trou-
vaient alors dans la plaine, pour profiter de la trêve a laquelle donnaient
lieu les conférences ; pareillement, du côté de la ville, une infinité de
peuple était accourue, qui sur les remparts, qui au milieu de la cam-
pagne. Tout ce monde allait se promenant sans distinction d'amis ni
d'ennemis, les gentilshommes saluant les dames, s'embrassant les uns
les autres et devisant entre eux en toute familiarité. Mais aussitôt que
les députés furent rentrés, Bussy, par l'ordre du conseil, pour empêcher
que la vérité ne se découvrît, fit tirer tout aussitôt les canons de la
Bastille et balaya la plaine de plusieurs volées pour éloigner ceux du
camp ennemi et les empêcher de donner quelques communications.
(Manuscrit cité suprà.)
La Noue voulait qu'on attaquât enfin la ville de vive force sans se
laisser amuser par tous ces pourparlers, et c'était un sage conseil. Mais
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. S7
le roi avait, pour ne pas le suivre, deux raisons dont la première, qu'il
mettait en avant, ne servait probablement que de passeport a l'autre
(ju'il se gardait bien d'avouer. Il disait donc dans les conseils qu'il lallait
épargner le sang de ses sujets, et sauver a sa capitale les horreurs qui
se commettent dans uue ville prise d'assaut. Mais ce qui le retenait
encore plus, c'est que, suivant sa coutume, il avait trouvé a se délasser
des latigues de la guerre dans les plaisirs <le l'amour. Il rendait sou-
vent visite à une jeune et belle veuve de la maison de Ponts, et de plus,
il avait découvert dans l'abbaye des religieuses de Montmartre comme
une espèce de sérail, où il passait agréablement le temps (jue les tra-
vaux du siège lui laissaient libre. Il avait aussi trouvé la facilité de se
livrer aux mêmes plaisirs avec les jeunes sœurs du couvent dePoissy;
et, 'a son exemple, la plupart des olïiciers de l'armée avaient rencontré
des maîtresses complaisantes dans l'une et l'autre de ces deux saintes
maisons. « Est-ce que Votre Majesté aurait déjà changé de religion, lui
dit un jourBiron, que nous la voyons maintenant si bien letée par les
abbesses et les nonnes? »
Ce goût pour la volupté était très-probablement, et peut-être à son
insu, l'unique cause qui le rendait moins empressé a en finir avec les
Parisiens. Il lui en aurait coûté de s'ôter l'occasion de passe-temps aussi
agréables. Partant, il voulut tenter encore une dernière négociation avec
le duc de Nemours lui-même, et il lui ht proposer de lui donner en
mariage sa sœur, la princesse Catherine, s'il voulait lui faciliter l'entrée
de Paris. Mais ce jeune prince répondit : « J'ai pris les armes pour la
défense de la loi catholique, et je ne veux ni ne dois accepter aucune
proposition de votre part, tant (jue vous resterez l'ennemi déclaré de
celte foi. »
Cependant le duc de Mayenne était déjà à Meaux, oii un grand
nombre des partisans de la Ligue étaient venus grossir son armée. Le
duc de Parme, ainsi qu'il en avait fait la promesse, vint se réunir à lui
avec une autre armée de treize mille hommes de pied, et de trois mille
chevaux. Il amenait, en outre, une troupe nombreuse et brillante de
jeunes gentilshommes des plus riches et des plus nobles familles de
l'Espagne et des Pays-Bas. Son entrée à Meaux fut une fête, et il fut revu
dans la cathédrale où l'on chanta le Te Deiim.
Aussitôt, prenant le commandement général, il n'eut plus l'air de
considérer Mayenne que comme un simple lieutenant. II se réserva de
donner seul le mot de guet aux troupes françaises comme aux troupes
espagnoles. Ce n'était pas un allié, mais c'était un maître (pie l'imprudent
chef de la Ligue avait appelé à son secours. (Mattiiiel, Règne de
Henri IV, liv. I, p. 50.)
Il fit jeter deux ponts de bateaux sur la Marne, et ayant fait passer
celte rivière à ses troupes, il se mit en marche vers Paris. Le duc
d'Aumale commandait son avant-garde. Lui-même, ayant en quehjue
sorte Mayenne sous ses ordres, marchait à la tête du corps de bataille,
et le comte de Chaligni conduisait l'arrière-garde.
IV, 7
08 • HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Henri avait longtemps hésité a croire que le duc de Parme viendrait
en personne en France. 11 savait que la présence de ce prince était né-
cessaire dans les Pays-Bas, pour comprimer les tentatives des ennemis
du joug espagnol; et il le croyait trop habile politique pour faire une
pareille démarche, au risque de voir son absence donner le signal d'une
révolte générale, dans les pays qui avaient été confiés h sa garde; quand
il apprit plus tard que les troupes de Sa Majesté catholique venaient
rejoindre Mayenne, il se persuadait encore que ce n'était qu'un simple
détachement plus ou moins nombreux sous les ordres d'un des lieutenants
du vice-roi.
Mais quand il sut que l'ennemi avait déjà franchi la Marne, et que
c'était bien le duc de Parme lui-même qui s'avançait contre lui a la tête
d'un corps formidable, il assembla un grand conseil de guerre. On déli-
béra si l'on devait s'en tenir a un plan qu'on avait arrêté d'abord,
(|uand on croyait n'avoir affaire qu'au duc de Mayenne et tout au plus
a quelques troupes espagnoles envoyées a son aide. Ce plan consistait 'a
laisser une partie de l'armée continuer le blocus de Paris, et a marcher
avec le reste au-devant de l'ennemi pour lui livrer une bataille qu'on
espérait bien gagner s'il l'acceptait: mais maintenant, les choses étaient
bien changées ; on avait nouvelle que les forces qui s'approchaient
étaient de beaucoup plus considérables que toutes celles dont on pou-
vait disposer, et l'on trouva que ce serait beaucoup trop risquer que
d'aller offrir le combat en divisant ses forces.
Sa Majesté rappela donc toutes celles de ses troupes qui occupaient
les faubourgs. Elle lit construire a la hâte deux espèces de torts, l'un a
Conflans et l'autre a l'endroit où la Seine sort de Paris ; elle y mit
quelques soldats pour avoir l'air de continuer encore le blocus de Paris,
et, avec toute son armée, elle alla prendre position a Chelles le tren-
tième jour d'août.
Le siège de Paris était levé, et, pour la seconde fois, l'armée royale
se retirait de devant cette capitale.
DU PROTESTANTISxME EN P^RANGE. 99
CHAPITRE Y
1590. — ARGUMENT : la guerre civile dans le maine et en Bretagne.
LANSAC. — LE PRINCE DE CONTI. — MERCŒUR. — LE PRINCE DE DOMUES.
LES PAYSANS FONT LA GUERRE AUX NOBLES.
EN AUVERGNE. — LE COMTE DE LA ROCHEFOUCAULD. — RANDON.
LE MAIRE TISSANDIER. — LE GRAND SÉNÉCHAL d'.\UVERGNE.
LE MARQUIS DE CUARANNE.
EN LANGUEDOC, EN DAUPHINÉ, EN PROVENCE ET QANS LE LYONNAIS.
LESDIGUIÈRES ET LA VALETTE. — LE PARLEMENT D'aIX. — LA COMTESSE DE SAULT.
LE COMTE DE CARAS. — MARTININGUE, SENAS ET LES SAVOYARDS.
GADAGNE. — ORNANO. — SAINT-SORLIN. — SENNECI.
EN BOURGOGNE. — TAVANNES. — DESPEVILLE.
Pendant que ces choses se passaient a Tarniée du roi, d'autres sièges
et d'autres combats avaient également lieu dans pres(|ue toutes les pro-
vinces de la France. Partout régnait la guerre civile, la plus sanguinaire
et la plus implacable de toutes les guerres.
Le même jour que le roi remportait la célèbre victoire d'Ivry, Lansac,
malgré la parole qu'il avait donnée tout récemment, essayait de nouveau
de se saisir de la ville du Mans i)ar surprise. Déjà, l'année précédente,
il avait tenté la même entreprise (jui lui avait d'abord réussi ; mais il
s'était lui-même laissé assiéger dans le château de Toussei, dont il
n'avait pu se tirer qu'en prêtant serment de fidélité au roi, serment qu'il
ne garda pas longtemps, comme on va voir. (Mézerav, t. III, p. 799. —
Cayet, Chron. novenn., ad ann. 1589.)
Dès (jue Sa Majesté se fut éloignée, il commenta par s'aboucher avec
tous ceux qui dans la contrée avaient la réputation d'être dévoués à la
Ligue. Sur ce que le sire de Rambouillet, (jui commandait au Mans, en
l'absence de son frère, parti pour l'armée du roi, lui en faisait quelques
reproches: « Soyez tranijuille, lui dit-il, je n'en suis pour cela pas moins
un excellent et très-dévoué royaliste. Je fais comme nos apothicaires
(|ui composent la thériaque avec des vipères. » Et en parlant ainsi, il
prenait ses mesures pour faire réussir le coup qu'il méditait. (Cayet,
uhi sup., ad ann. 1590.)
En ce temps-la, on réparait au Mans l'église de Saint-Julien. Lansac,
s'étant assuré la coopération d'un grand nombre de gens de son opinion,
100 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
en fit déguiser fjoelqiies-uns en ouvriers plombiers. Ceux-ci, prenant sur
leurs épaules d'énormes gouttières de plomb, devaient avoir Tair de les
porter à la ville pour la réparation de l'église. Arrivés sous l'ouverture
de la porte, ils devaient les laisser tomber pour empêcher qu'on la fer-
mât, et lui-même avec les autres conjurés, accourant alors, comptait bien
s'emparer aisément du passage. Par malheur pour la réussite de ce plan,
il ignorait qu'avant d'ouvrir la porte de la ville, on avait adopté depuis
quelque temps la précaution de faire sortir, par une espèce de guichet,
un soldat, qui allait à la découverte dans la campagne et s'assurait que
rien ne bougeait dans les environs.
Ce soldat aperçut le corps que Lansac tenait tout prêt pour faire
son coup, et il revint bien vite donner l'alarme. Il n'y avait plus rien a
tenter de ce côté-là. Lansac se retira au bourg de Mamers, où on ne le
laissa pas longtemps tranquille. Le gouverneur d'Alençon, ayant assemblé
la noblesse du pays, vint l'y attaquer et tailla toute sa troupe en pièces ;
lui-même n'eut d'autre ressource que dans ses éperons, et se sauva jus-
qu'en Bretagne.
Cet échec ne découragea pas les autres gentilshommes ligueurs de
ces contrées. S'étant réunis au nombre de plus de trois cents chevaux
et de huit cents hommes de pied, ils s'étaient portés du côté de Sablé,
dont ils comptaient bien se rendre maîtres sans difficulté; et, en effet,
dès la première attaque, ils s'emparèrent de la ville, qui est située sur la
Sarthe et qui n'a pas grande défense; et ils assiégeaient déj'a le château.
Or, la femme de mon dit sire de Rambouillet, qui s'était en ce
moment-iâ trouvée dans la ville de Sablé, était au nombre des prison-
niers. Ce seigneur assembla de son côté ses amis et se mit incontinent
en marche pour aller délivrer sa dame. Tout en arrivant, il livra aux
vainqueurs de Sablé un combat qui fut bravement soutenu de part et
d'autre, car il dura plus de neuf heures sans que la victoire se pro-
nonçât pour aucun des deux partis, et les royalistes ne purent même
parvenir â jeter aucun secours dans le château ; aussi étaient-ils tout
déconcertés.
Toutefois, ayant, peu de jours après, reçu du canon qui leur fut
envoyé par le gouverneur d'Angers, ils recommencèrent l'attaque avec
plus d'avantage, et après avoir emporté tous les forts que les Ligueurs
avaient élevés â l'entour de la ville pour se défendre, ils entrèrent pêle-
mêle avec eux, par la brèche que leur artillerie avait ouverte dans le
rempart.
L'ennemi fut tellement épouvanté de l'impétuosité de cette attaque,
que chacun ne songea plus qu'à chercher son salut dans la fuite, sans
même penser à rompre, après l'avoir blanchi, le pont qui traverse la
Sarthe, de sorte que presque toute l'infanterie des Ligueurs y fut dé-
truite, et qu'on compta plus de sept cents des leurs demeurés morts parmi
les champs.
La Chesnaye et quelques-uns des principaux chefs de cette expédi-
tion malheureuse, étant restés quelque peu par derrière pour essayer de
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. lOi
protéii^er la retraite des leurs, ne durent leur salut qu'a la dame de
Rambouillet, qui cul la g('nérosité de les cacher dans la maison même
(ju'ils lui avaient donnée pour prison.
Les royaux pensaient bien par cet exploit avoir complètement réduit
la Ligue au silence dans tout le pays du Maine et dans les environs.
Mais ils se trompaient. A peine chacun fut-il rentré chez soi, qu'on eut
nouvelle que Lansac revenait de Bretagne, avec deux mille cinq cents
hommes de pied et deux cents chevaux que le duc de Mercœur lui avait
donnés. Néanmoins, il ne fut pas plus heureux dans cette expédition (jue
dans la précédcMite. Il s'empara d'abord de la ville de Mayenne, en l'ab-
sence du gouverneur Messire d'E^-tclIe, qui était parti avec la plus grande
partie delà garnison pour aller trouver le roi devant Paris; il ne lui res-
tait plus à prendre (pie le château, quand d'Estelle, instruit de cette
surprise, rebroussa cliemin et parvint d'abord a l'aire entrer soixante
soldats choisis dans le château assiégé. Ensuite, ayant été rejoint par
quinze cents hommes d'armes envoyés à son secours par le prince de
Conti, lieutenant général de Sa Majesté dans toutes les provinces qui
avoisinent la Loire, il n'hésita plus a attaquer les Ligueurs jusque dans
la ville dont ils s'étaient emparés.
Tombant brusquement sur eux, il les eut bientôt mis en désordre;
car la plus grande partie des habitants était en sa faveur. Lansac parvint
pourtant a rallier ses gens devant les halles, où ils tinrent ferme assez
longtemps encore; mais, a la fin, se voyant foudroyés par le feu qui par-
tait contre eux de toutes les rues et de toutes les maisons, ils commen-
cèrent leur retraite, lentement d'abord et en bon ordre, jusqu'à ce qu'ils
fussent arrivés en pleine campagne. La, les royalistes les chargèrent
tout 'a la fois et en queue et en lianes, et en firent un horrible carnage.
Trois cents hommes, qui restèrent au plus après cette sanglante déroute,
furent obligés d'abandonner leurs armes pour prendre la fuite. Lansac
se sauva pour la seconde fois en Bretagne, ne remportant que le blâme
d'avoir montré tout aussi peu de prudence que de respect pour sa
parole. (Mézehav, t. III, p. 801.)
Il ne restait plus a la Ligue, dans tout le pays du Maine, que la ville
deLa Ferté-Bernard. Celle place est, en elfet, dans une position qui en
rend les abords assez difficiles; elle est située sur la petite rivière de
l'iluisne, au milieu de prairies marécageuses, où l'on ne saurait mettre le
pied sans enfoncer : de sorte qu'il n'y a que deux endroits par où l'on
puisse y arriver; l'un par le laubourg de la porte Saint-Barthélémy,
l'autre par celui de la porte Saint-Julien.
Le Prince de Conti vint lui-même en laire le siège, le trentième
jour d'avril; il se logea au premier de ces deux laubourgs, où Comnène,
l'un des descendants des empereurs grecs, et qui était gouverneur
de la place pour la Ligue, venait de faire mettre le feu. Le prince
arriva assez "a temps pour arrêter les progrès de l'incendie ; mais il ne
put sauver également le faubourg de Saint-Julien, qui fut tout entier
dévoré par les llammes.
102 HISTOIRE DE L^ÉÏABLISSEMENT
Comnèno se défendit d'abord assez vigoureusement, car le prince
n'avait pu amener pour battre les murailles que trois petites pièces de
campagne ; mais quand la grosse artillerie fut arrivée d'Angers et com-
mença a tirer plus sérieusement, les bourgeois, dans la crainte du
pillage, demandèrent à capituler, et le gouverneur, qui s'était retiré dans
le château, fit a son tour sa composition. Ce fut de la que, sur les ordres
du roi, le prince alla joindre le maréchal d'Aumont, et reprendre, ainsi
qu'on l'a vu, la ville de Châteaudun.
En Bretagne, le prince de Dombes, après avoir pris congé de Sa
Majesté a Laval, comme je l'ai dit précédemment, était revenu a
Rennes, où ayant rassemblé une petite armée, il se disposa a entrer en
campagne.
Or, voici ce qui avait eu lieu dans cette province (1). « La nouvelle
de la mort de Henri 111 avait été sue 'a Nantes dès le jour de la Saint-
Laurent, dixième d'août. Le duc de Mercœur, a qui les Ligueurs de
Paris s'étaient empressés de faire part de cet événement, envoya le séné-
chal de P'ougères pour l'annoncer a ceux de Rennes et pour représenter
aux bourgeois de la dite ville qu'il était temps pour eux de se joindre a
la Sainte-Union, comme l'avaient déjà fait toutes les autres villes et
communautés du plat pays. » (Moreau, Hist. de la Ligue en Bretagne.)
Le parlement de Rennes, ne voulant pas ajouter foi a la nouvelle, fit
mettre cet envoyé en prison. On lui fil son procès comme perturbateur
du repos public, et il fut condamné a être pendu, ce qui fut exécuté.
« Le duc de Mercœur se trouva très-scandalisé de ce qu'on avait
traité avec aussi peu de cérémonie un homme cpii avait l'honneur d'être
envoyé par lui, et pour venger cette mort sur personne de pareille
étoffe, il fit pendre 'a son tour le sénéchal de Laval, qu'il tenait prison-
nier 'a Nantes. »
Ensuite, et ce qui était d'une plus grande importance pour lui, il
parvint a s'emparer adroitement de la ville de Saint-Malo. Cette place,
que son port -et son commerce rendent fort importante, était presque
entièrement peuplée de partisans de la Ligue, qui n'étaient retenus dans
le devoir que par l'autorité de leur gouverneur, Messire Honoré Dubreuil,
lequel avait été jadis le favori du roi Charles IX. Mercœur désespérait
d'attirer cet homme a son parti; car Dubreuil passait généralement pour
posséder des richesses immenses, et on voyait peu de gens riches, ou
même ayant quelque chose a perdre, embrasser sincèrement le parti de
la Ligue.
Or, la ville avait un château assez fort, où Dubreuil, se méfiant de ses
administrés, avait établi sa demeure, et où il avait mis tous ses objets
les plus précieux. Cette dernière, circonstance ne servit pas peu au duc
(1) J'ai sous les yeux l'ouvrage du chanoine Moreau, grand ligueur et témoin
oculaire des laits qu'il raconte d'une manière aussi pittoi-esque qu'intéressante.
Comme cet ouvrage ne paraît point avoir été connu de nos historiens, je crois qu'on
me pei^mettra d'en donner d'assez longs extraits.
DU i'IlOTEyTANTlSML EN l-'UAiNGE. 1U3
(le Mercœur pour mouler et encourager la conspiration qni devait lui
livrer la ville. Aux moins (K'Iicats, il lit tout doucement comprendre (pi'il
y avait la un coup l)ien |)rolital)le a l'aire; a (|ucl(|ues autres, il persuada
que ce gouverneur, déjà si riche, pour augmenter encore ses trésors,
avait l'intention de piller leur ville, et qu'il n'attendait pour cela qu'un
moment favorable. 11 fut donc décidé parmi les initiés qu'd fallait se
défaire d'un pareil honime, et remettre la ville entre les mains d'un
prince éminemment catholique, si on ne voulait pas la voir devenir bien-
tôt le repaire de l'hérésie.
Par suite de cette décision, les conjurés ayant remarqué un endroit
faible et mal gardé dans les remparts du château, jugèrent qu'il ne
serait pas trop diflicile d'y entrer par la. Ils gagnèrent un valet de
chambre, qui leur promit de leur faire savoir par un signal l'heure à
laquelle la garde se retirait; et en elFet ils s'introduisirent, h la faveur de
la nuit, dans la place par ce point imprudemment négligé. Ils égor-
gèrent les premiers (|ui se présentèrent pour leur résister, et Dubreuil,
réveillé par le bruit, s'étant présenté à une fenêtre pour demander
(juelle en était la cause, reçut un coup d'arquebuse qui l'étendit raide
mort.
Après cela, les conjurés se payèrent de leur peine en pillant l'ar-
gent et les effets précieux du gouverneur, dont ils cédèrent une petite
partie aux échevins de la ville, afin de les mettre dans leurs intérél»;
aussi les habitants de Saint-Malo arborèrent incontinent l'étendard de
la Sainte-Union. Il est vrai que leur commerce n'y gagna pas, et qu'il
fallut inlerrom|)re leurs communications avec les ports du littoral et ceux
de l'Angleterre; mais au lieu d'avoir un roi liéréti(jue, ils passaient
sous la domination d'un prince, étranger il est vrai, mais fort hou calho-
lique. Le <luc de Mercœur, comme on le pense bien, s'empressad'ajiprou-
ver tout ce qu'ils avaient fait.
Après ce premier succès, qui ne lui avait pas coûté beaucoup, il ne
lui restait plus, pour être maître absolu sur toute celte vaste étendue
de côtes (|ui bordent la mer britannique, qu'a occuper Brest et Quimper.
C'était le sire Uené de Uieux, sieur de Sourdéac, qui commandait pour
le roi dans la première de ces deux villes, et ce seigneur n'étail pas
homme facile a soumettre, ou "a se laisser gagner. Se voyant aidé des
commodités de la mer, et à la tête d'une bonne et fidèle garnison, non
seulement il ne craignait aucun ennemi, mais il molestait beaucoup
l'évêché de Léon, dont il tirait grosses conlribulions de deniers. Le duc,
après quel(]ues tentatives inutiles où échouèrent toutes les ruses de sa
politique, fut obligé de le laisser tranquillement continuer ses exactions
sur les pauvres catholicpies de la contrée.
Il fut plus heureux a Quimper, où il y avait un grand nombre de
Ligueurs, et entre autres tous les eeelésiasliques, à la réserve du seigneur
évêque, « i\m sentait un peu son polili(|ue. » Quant a Messieurs de la
justice et du siège i)r(''sidial, on n'en comptait (|iie trois, dit le cha-
noine Moreau, qui fussent du bon parti : tous les antres paraissaient se
104 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
soucier fort peu du péril de la religion. Le sénéchnl Laurent de La Motte
se montrait surtout fort entêté. « Quand même le roi, disait-il, serait un
diable incarné, et qu'il aurait les cornes aussi longues que mon bras, je
n'en resterais pas moins son serviteur plutôt que de devenir celui d'un
prince étranger, » Aussi faisait-il tout son possible pour faire consentir
les habitants a recevoir une garnison royaliste.
Ayant reçu pour cet objet quelques lettres du roi de Navarre, ou plu-
tôt du parlement de Rennes, il les publia fièrement en grande assemblée
du peuple, enjoignant a un chacun d'avoir 'a s'y soumettre. Ceci causa
un tel trouble en l'esprit des habitants, assistés des religieux cordcliers,
qu'ils prirent des arquebuses et vinrent assiéger les portes de la salle
oîi se tenait l'assemblée. Ce fut alors au sénéchal 'a se sauver bien vite,
avec ceux qui avaient eu le malheur de se laisser entraîner dans son
parti. Pour lui, il prit la route de Rennes au grand galop de son cheval;
quelques autres se retirèrent à Brest, auprès du seigneur de Sourdéac,
et les moins compromis ne se firent pas prier pour prêter serment de
fidélité a la Sainte-Union. La ville de Quimper, se rangeant tout aussitôt
sous l'autorité du duc de Mercœur, reconnut pour son gouverneur le
sire de Quellenec, lequel se comporta fort bien en cette cbarge, quoi-
qu'il fût naturellement d'une humeur revêche.
Ainsi donc toute la Basse-Bretagne, ou bien peu s'en faut, obéissait
au gouvernement de Monseigneur le duc, quand un jeune homme a tête
éventée, nommé Trogoff, s'étant laissé monter l'esprit par une lettre du
sire de Beaumanoir, s'avisa de rassembler quelques huguenots et mau-
vais chrétiens des environs, et d'aller se jeter avec eux dans le château
du Pont. Il se nomma lui-même capitaine de la place, et tout son
monde s'empressa de lui obéir, comme à celui qui avait mandat du sire
de Beaumanoir, seigneur du Pont.
Une fois maître de ce poste, qui n'était pas sans importance, Trogoff
se prit 'a faire des courses contre ceux de Quimper, et il y faisait très-
bien ses affaires, parce que le pays est riche et que les habitants n'ont
pas l'humeur belliqueuse.
Le gouverneur de Concarneau, instruit de ces déportements, ras-
sembla toute la noblesse des environs, et avec quelques pièces de
canon et les hommes de sa garnison, il alla assiéger Trogoff dans le
château du Pont, On allait la comme 'a la noce, tant on était sûr de la
réussite et d'un beau butin. Pourtant la place était protégée par de solides
et épaisses murailles que les petites pièces des assiégeants ne purent
entamer, et on commençait, après tant d'empressement, 'a trouver bon
de se retirer chacun chez soi.
Mais il arriva que Trogoff, regardant un jour par une petite lucarne,
pour voir ce qui se passait dans le camp ennemi, un soldat qui l'aper-
çut lui tira dans la tête une arquebusade « dont il mourut subite-
ment, j) et ceux du dedans, voyant leur capitaine mort, demandèrent k
capituler.
Leur proposition fut admise, a condition que tous ceux d'entre eux
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 105
qui étaient huguenots avoués demeureraient prisonniers de guerre, jus-
qu'à ce qu'ils eussent payé pour eux tous et solidairement cinq mille
écus d'or de rançon, plus tous les frais de l'expédition. On lit, en outre,
un très-bon butin dans le château, où il y avait force vaisselle d'argent,
force joyaux et autres meubles de prix appartenant au sire de Beau-
manoir. Le gouverneur de Concarneau emporta jusqu"a l'horloge qu'il
lit placer dans sa ville, et c'est depuis ce temps-Fa cpi'ou dit, en matière
de proverbe, que l'horloge du château du Font, toute petite (ju'elle est,
s'entend jusqu'à Concarneau.
Cette mémo ville de Concarneau avait été précédemment, pendant
quelques jours, au pouvoir des huguenots'; mais Dieu n'avait pas permis
qu'ils la gardassent longtemps. Or, voici comment la chose s'était
passée.
Il est bon de savoir d'abord que la dite ville est toute environnée par
la mer ou par des marécages inabordables, excepté du côté de sa prin-
cipale porte qui est vers l'occident. Ce n'était au commencement qu'un
pauvre village, uniquement habité par (juelques familles de pécheurs et
de matelots; mais le bon roi Louis XII, ayant remarqué la belle assiette
de cette place, avait ordonné qu'elle lut fortifiée, et y avait établi une
garnison à morte-paye (I). Il en résulta que Concarneau devint bientôt
une retraite de voleurs et de gens méritant la corde; car si quelqu'un
avait assassiné son voisin, ou fait quelque vol, ou ravi fille ou femme, il
trouvait asile à Concarneau, pour peu qu'il eût de quoi en payer les
fraisa Monsieur le commandant à morte-paye.
Les huguenots avaient donc jadis surpris cette ville (en 1570). Un
des leurs, pendant que les autres se tenaient cachés derrière de vieilles
masures, se présenta à la porte, où il ne se trouvait d'ordinaire que le
portier tout seul, et, feignant d'avoir besoin d'un asile, il demanda à
parler au capitaine commandant. Alors il tira quelques papiers de ses
poches, et il en laissa tomber un par terre; le portier se baissa pour le
ramasser, et le soldat, qui s'attendait à ce mouvement, enfon(,'a son poi-
gnard dans les reins de ce malheureux, lequel mourut sans avoir eu
le temps de pousser un seul cri. Le soldat lit signe à ceux (]ui étaient
demeurés derrière, et ceux-ci étant accourus entrèrent dans la place,
dont ils se rendirent maîtres avant qu'on se lût aperçu de rien. Ils ren-
fermèrent ensuite tous les habitants dans un grand bâtiment, et ils en-
voyèrent par mer à La Rochelle pour avenir leurs confrères en Christ du
succès qu'ils venaient d'obtenir, en les piiant très-instamment de leur
envoyer des secours, n'étant en tout (|ue trente pour garder leur
conquête.
Mais aussitôt que dans les paroisses voisines on eut eu connaissance
de ce hardi coup de main, le tocsin sonna à tous les clochers el la
(1) On appelait soldats à morte-paye ceux qui étaient entretenus tant en paix
qu'en guerre. Ils n'avaient d'autre service que celui du poste où on les avait placés :
aussi ils y devenaient assez souvent maîtres absolus.
106 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
place fut soudainement investie par plus de huit mille hommes. Trente
huguenots ne pouvaient guère espérer de résister a cette mullitude ; ils
avaient beau s'épuiser en veilles et en efforts, passer les jours et les
nuits sur les remparts, ils devaient naturellement finir par succomber
tôt ou tard, au nombre et a la fatigue. Par bonheur pour eux, les assié-
geants ignoraient leur petit nombre, et le sire de La Vigne, qui avait été
le chef de cette audacieuse entreprise, avait grand soin de faire paraître
ses gens tour a tour sur tous les points du rempart, pour faire croire
qu'on faisait bonne garde partout. Lui-même se montrait avec une con-
tenance fière et assurée, se faisant remarquer par une grosse chaine d'or
qui faisait trois tours. ^
Pendant ce temps-la, on apprenait a Quimper, qui n'est qu'a quatre
lieues de la, que Concarneau était au pouvoir des huguenots. L'alarme
fut d'abord très-grande de savoir l'ennemi aussi près, d'autant plus qu'il
n'y avait pas une seule porte en état d'être fermée, ni pas un pont-levis
en état d'être haussé ; mais quand on sut que les gens de la campagne
tenaient les hérétiques assiégés, on se rassura peu a peu; puis on se réu-
nit en grandes bandes, et l'on se mit en marche pour porter aide 'a ceux
qui avaient si heureusement déjà entouré l'ennemi.
Le siège dura néanmoins jusqu'au vingt-deuxième jour de janvier. Ce
jour-Pa, l'officier, qui avait les clés de la porte de la ville et qui les por-
tait en un trousseau 'a sa ceinture, s'était endormi de fatigue dans la
maison d'un des habitants qu'il avait pris pour son hôte, et qui, pour
cette raison, n'avait pas été renfermé avec les autres. Cet homme,
voyant le capitaine endormi profondément, les clés pendues à sa cein-
ture et son poignard nu a côté de lui, « se résolut de faire un acte de
courage pour sa foi et pour la vraie religion. » 11 prit le poignard et en
perça l'officier ; puis s'étant saisi des clés, il courut a la porte pour
l'ouvrir aux assiégeants.
Un soldat qui était en sentinelle sur le rempart, de ce côté-la, l'aper-
çut pendant qu'il cherchait dans le trousseau de clés 'a démêler celle
dont il avait besoin. Le rempart était très-haut en cet endroit, mais le
soldat n'hésita pas a sauter de la muraille où il se trouvait posté sur le
pavé, et ce fut un miracle qu'il ne se rompit pas le cou; pourtant il
arriva trop tard encore. La porte était déjà ouverte, le pont-levis tombé,
et le bourgeois appelait 'a grands cris les assiégeants qui entrèrent en
foule dans la place.
Les ennemis furent tous égorgés sans rémission. Le sieur de La
Vigne lui-même, qui s'était caché dans un grenier a foin, ne tarda pas
'a être découvert; il fut tué comme les autres, et son cadavre fut lancé
tout nu par la fenêtre ; sa belle chaine d'or devint la propriété d'un des
gentilshommes catholiques qui avaient pris part à l'action, et dans la
•iamille duquel elle a été conservée longtemps, comme un titre de gloire.
Depuis ce moment-l'a, Concarneau resta toujours entre les mains des
catholiques, et dans ces derniers temps, cette ville n'avait pas été une
des dernières 'a se soumettre 'a Monseigneur le duc deMercœur. On vient
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 407
(le voir comment son commandant avait prouvé son dévonemenl î» colle
cause, en prenant le château du Pont dont il avait emporté Thorloge.
Après cet exploit, on devait compter que rien ne s'opposerait plus a
la puissance de la Sainte-Union dans tout le territoire de Quimpcr, et
c'était bien la ce que désirait le duc de Mercœur, (jui espérait l'aire
réussir tout doucement ses plans de domination h Tombre de ce parti,
dont il se posait comme un des chefs les plus dévoués ; mais on apprit
que le seigneur de Cuingant, qui passait pour tenir le parti des politiques,
cherchait à se l'orlilier dans son château, qui n'est qu'a deux lieues de la
ville, et ([u'il y attirait et entretenait un grand nombre de gens de guerre.
On alla l'assiéger et on pilla son dit château, ainsi (jue celui de La (^ou-
draye, qui appartenait 'a une dame huguenote, et où on ne laissa ni
meubles, ni l'enètres, ni portes, ni grilles.
C'est alors (|u'on eut nouvelles de l'approche du prince de Dombes.
11 arriva au milieu d'une nuit obscure, avec son armée, à Quimperlé, pen-
dant qu'on le croyait encore bien loin de la; et ayant fait mettre pied à
terre a sa cavalerie, pour que le bruit des fers des chevaux sur le pavé
ne donnât pas l'éveil, il vint applicjuer le pétard a la poile de cette ville,
du côté de Vannes. La sentinelle, qui entendit du bruit, demanda :
« Qui va là? » On lui répondit : « Ami! » et elle ne donna pas l'alarme
croyant <jue c'était (pielqu'un du faubourg. Le pétard fit sauter la porte
et livra |)assage aux royaux (jui mirent la ville au pillage et égorgèrent
tous ceux des habitaiits, hommes, femmes et enfants, qui ne cherchèrent
pas leur saint dans la Inile.
Pour se venger de cette perte (car la ville de Quimperlé était bien
riche en ce temps-là), ceux de la Sainte-Union assiégèrent le château de
Kerouzeré, dont le seigneur s'était déclaré pour le roi, et commettait
toutes sortes de pilleries et ravages dans les environs; aussi était-il
mortellement et généralement haï partout. Les assiégeants avaient fait
venir du caiion de lîrignou; ce (jue voyant les assiégés, ils ne voulurent
s'exposer aux riscjues d'un assaut, et ils demandèrent à capituler. On leur
accorda la vie sauve, avec promesse de les conduire en lieu de sûreté, et
la noblesse (]ni se trouvait dans le camp avait bien l'intention de garder
religieusement celte capitulation ; mais il fallut (|u'elle se battit elle-
même contre la populace, qui voulait tuer tous ces misérables. Leur
commandant, (|ui s'était déguisé pour n'être pas reconnu de ces furieux,
ne put éviter de l'être par (jiiel(|nes jiaysans (ju'il avait maltraités dans
ses courses. Ils crièrent « haro ! » sur lui et il fut mis littéralement en
pièces. Chacun voulut en avoir son morceau. On plaça au bout d'une
pi(pie les parties houleuses qu'on [)romena avec de grands cris de
triomphe par tout le camp.
Les seigneurs, cpii s'étaient déclarés pour le roi dans ces contrées,
arrivèrent trop tard pour empêcher ces horreurs, et les catholiques
enreiit le temps de se retirer à Morlaix avec ceux de leurs prisonniers
qu'ils avaient pu soustraire au massacre. Ils en tirèrent |)ar la suite une
bonne et prolilahle rançon.
108 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Alors cette troupe « assez gaillarde de royaux, tous gens de main et
qui avaient envie de mordre, » se retourna vers la petite ville de
Garhaix, où elle savait qu'on célébrait les noces de la tille d'un des prin-
cipaux d'entre les bourgeois, greffier de la dite ville. C'était une occa-
sion de faire un riche butin. Comme on était loin d'attendre l'ennemi,
il n'y avait sur les remparts ni gardes ni sentinelles. Les royaux, y étant
arrivés environ deux heures avant le jour, montèrent facilement et sans
être aperçus par dessus les murailles; les premiers entrés allèrent bien
vite ouvrir la porte a la cavalerie, et les habitants, qui, après la bonne
chère des noces de la fille de leur greffier, s'étaient endormis tranquil-
lement, ne furent réveillés que par le pillage de leurs maisons.
Quelques-uns, qui tentèrent de se défendre, furent tués; les autres furent
faits prisonniers dans leurs lits, et les plus prudents, tant hommes que
femmes, se sauvèrent a demi-nus dans la campagne.
Ceux-ci donnèrent l'alarme dans la contrée. Le tocsin sonna a tous
les clochers, et les paysans coururent aux armes. Mais ce n'étaient que
grandes bandes inexpérimentées et sans aucun usage des choses de la
guerre. En arrivant à quelque distance de Carhaix, ils aperçurent une
vingtaine de cavaliers ennemis que les royaux avaient placés la, pour les
attirer dans un piège. Ces paysans, dont la plupart n'étaient armés que
de fourches, franchirent aussitôt la rivière de l'Aulne, derrière laquelle
un de leurs chefs, plus expérimenté que les autres, leur proposait de se
retrancher ; ils coururent pêle-mêle aux cavaliers qu'ils pensaient bien
faire prisonniers; mais ils n'allèrent guère loin. Il y avait La une embus-
cade de quatre ou cinq cents chevaux qui se précipita sur eux, les uns
en tête, les autres en liane, et d'autres par derrière, et qui les eut bien-
tôt mis en déroute. Un grand nombre de ces pauvres gens furent tués
sur la place, et presque tous les autres se noyèrent en voulant repasser
la rivière qu'ils avaient si imprudemment franchie.
L'ennemi, poussant sa pointe, passa à son tour sur l'autre rive, où
il n'y avait plus personne pour lui disputer le passage ; il ravagea tout le
pays h plus d'une lieue a la ronde, et il y eut partout grande tuerie de
paysans.
Les paroisses plus éloignées, qui n'avaient pas eu le temps de venir
prendre part a cette première affaire, ne perdirent pas courage en appre-
nant la défaite de leurs voisins. Dès le lendemain, qui était un di-
manche, elles se mirent en route, traversèrent ces mêmes plaines,
où gisaient encore les corps sanglants de ceux qui avaient péri la veille,
et vinrent en beaucoup plus grand nombre attaquer, 'a Quimperlé, les
royaux qui ne s'attendaient pas, après leur victoire, a se voir si promp-
tement de nouveaux ennemis sur les bras. Quand ils aperçurent cette
multitude, qui s'élançait avec furie jusque sous les remparts de la ville,
la plupart d'entre eux se sauvèrent dans la halle où ils se barricadèrent
pour donner le temps a leur cavalerie de monter à cheval. Les paysans
cependant étaient déjà maîtres de la porte ; mais la pluie, qui tombait ce
jour-la, avait mouillé leurs armes, de sorte que leurs arquebuses leur
j
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 109
rievenaicnt inutiles; aussi ne pouvaient-ils en tirer parti contre l'ennemi
qui, se trouvant a couvert et avec des armes sèches, tirait sur eux avec
avantage.
Pendant ce temps-la, la cavalerie royaliste, ayant eu le temps de se
préparer, arriva et chargea brusquement les assaillants par derrière. Que
pouvaient ces bandes inexpérimentées contre une troupe aguerrie et
bien organisée? Ils lurent obligés de prendre la luite. Il y en eut un
grand nombre qui perdirent la vie, entre autres presque tous leurs chefs
et jusqu'à leur curé, (jui avait voulu marcher a leur tête et qui se battait
en désespéré au premier rang.
Le vainqueur avait éprouvé toutefois des pertes assez considérables, et
le commandant, (jui avait eu une main coupée par le belliciueux curé,
avec lequel il s'était battu corps 'a corps, ordonna, pour se venger, qu'on
réduisît la ville en cendres, ce qui fut fait incontinent, après quoi il se
mit en route pour s'en retourner avec ses gens, lesquels étaient tous
chargés de butin.
Ceux de Chàteauneuf, ayant eu avis de la double défaite que leurs
amis venaient d'éprouver, s'en prirent a leur propre commandant qui ne
les avait pas convo(jnés assez tôt pour aller porter du secours a leurs
frères; ils l'accusèrent d'être un politique, se ruèrent sur lui, le massa-
crèrent et jetèrent son corps dans une fondrière.
En ce même temps, mon dit seigneur de Mercœur, s'étant mis en
campagne vers le pays de Saint-Hrieue, manda à l'arrière-ban de la
noblesse de Cornouailles de venir le rejoindre. Il n'y en eut qiie peu qui
obtempérèrent à cet ordre, « et encore de ceux-là la plupart n'avaient
jamais dégainé Tépée que pour la dérouiller. » Toute cette com-
pagnie de gens d'armes montait à peine au nombre de trente-cin(|. Ils
prirent des chemins détournés pour n'avoir aucune rencontre fâcheuse,
s'il était possible; mais la garnison du bourg de ïonquedec tomba sur
eux et en eut bon marché. « Ceux qui n'eurent pas le temps de tourner
les talons assez vite furent tués sur la place ; les autres retournèrent en
toute hâte dans leurs manoirs, et ainsi fut dissipé l'arrière-ban du pays
de Cornouailles, ce qui donna à plusieurs l'occasion d'une grande
risée. »
Or, les paysans se tenaient partout sous les armes, et dans ce temps
de désordres quelques mauvais péroreurs leur avaient mis dans l'esprit
que l'occasion était favorable pour secouer le joug de la noblesse et de
la bourgeoisie. Ainsi donc, comme ils le disaient eux-mêmes, ils ne vou-
laient plus reconnaître aucun seigneur, pas plus catholique que du parti
des royaux. Le sire Du Chastel, baron de kerlech, dans le pays de Léon,
s'en était allé à Rennes pour y épouser une dame fort riche, toute jeune
et bien famée, et il la ramenait chez lui, en com|)agnie de soixante ou
(juatre-vingts braves cavaliers, avec l'aide desquels il se croyait bien
assez fort pour éviter les dangers de la route, malgré la mauvaise
volonté des paysans, 'a peu près insurgés partout. 11 n'était plus qu'à
cinq lieues de Quimpcr quand il alla, avec sa suite, prendre gite à
110 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Roscanoii, dans le château d'une noble dame, veuve d'un conseiller du
présidial.
Celte dame, que les nouveaux mariés avaient fait prévenir de leur
visite, les attendait pour leur faire fête et bonne réception. Incontinent,
le bruit courut qu'il y avait grande assemblée de royaux a Roscanou ; le
tocsin se fit entendre de paroisse en paroisse, jusqu'aux portes mêmes
de Quimper, où l'on ne savait ce que cela voulait dire. Les paysans
coururent aux armes, et les premiers arrivés bloquèrent la maison de la
noble dame, pendant que ceux qui étaient dedans, ne se doutant nulle-
ment du danger, ou peut-être méprisant trop ce ramassis de paysans, ne
songeaient qu'à faire bonne chère.
Pourtant le nombre de leurs ennemis s'augmentait d'un instant 'a
l'autre. Déjà on avait fait des retranchements sur toutes les avenues de
la maison, de manière à empêcher qu'aucun n'en sortît. Les gentils-
hommes, voyant toute cette foule, sentirent trop tard qu'ils avaient eu
tort de ne pas se retirer plus tôt ; ils tentèrent une sortie pour déblayer
le passage, mais ils furent vigoureusement repoussés. Le sire Du Châtel
et ses amis résolurent alors de mourir bravement avec la jeune dame
qu'ils avaient si imprudemment engagée dans ce guet-apens ; ils
n'eurent pas longtemps à attendre.
Les paysans avaient déjà mis le feu à la maison qui, tout aussitôt,
s'alluma partout; les malheureux qui se trouvaient dedans, pour éviter
d'être rôtis tout vifs, se jetaient à mesure que le feu les pressait au milieu
de leurs ennemis, qui les recevaient a coups de fourches et de halle-
bardes. La jeune dame pourtant obtint la vie sauve, après avoir reçu dans
la gorge un coup de fourche dont elle pensa mourir. Quelques-uns des
assaillants, plus compatissants que les autres, la recueillirent et la sau-
vèrent toute sanglante; mais son mari et tous les autres qui étaient dans
la maison, gentilshommes, dames et demoiselles, furent ou tués ou
brûlés.
Le prince de Dombes venait alors de prendre la petite ville de
Hennebont, où il laissa une forte garnison avec neuf pièces de canon,
sous les ordres de Dupré, parce que ce poste lui parut important, étant
situé sur la côte entre Nantes et les Pays-Bas, et pouvant aider à inter-
rompre les communications. De là, il s'avança vers Josselin, espérant
toujours obliger le duc à venir lui livrer une bataille rangée. Enfin, après
avoir longtemps fatigué ses troupes dans cette espérance, il fut obligé de
se retirer à Malestroit, sur la rivière d'Oust, pour leur laisser prendre un
peu de repos. (Mézerav, t. III, p. 802.)
Mercœur, le voyant éloigné, vint à son tour bloquer Hennebont. Il
fit dresser deux batteries, qui après avoir tivé sans relâche pendant
vingt-quatre heures, ouvrirent une large brèche aux assaillants. Dupré,
qui savait les habitants fort affectionnés au parti du duc, et qui se voyait
sans espoir d'être secouru, demanda à capituler. On lui accorda la vie
sauve et qu'il sortirait enseignes déployées. Cette convention fut rigou-
reusement respectée par le vainqueur. (Moreau, ttbi sup.)
DU PROTESTANTISME EN FRANGE 111
De la, le duc alla assiéger le port du Hlavct, qui se trouve a Teni-
houclnire de la rivir-re de ce nom. C'était le meilleur havre et le plus
sûr de toute la province, parce que les vaisseaux y peuvent entrer par
tous les vents et par toutes les marées. La ville est située sur une langue
de terre (jui ne tient au continent que par un seul côté. L'année précé-
dente, les royaux s'en étaient emparés et s'y étaient fortifiés, en élevant
du côté de la terre ferme un rempart qu'ils avaient garni des canons
tirés des vaisseaux du port. Dans cette position, ils incommodaient gran-
dement les habitants d'Ilennebont, qui ne pouvaient plus rien tirer de
la mer tant que ce port appartiendrait a un parti contraire au leur. Ce
fut donc a leur prière que Mercœur se décida a en aller chasser les
royaux.
Ceux-ci firent d'abord bonne contenance et soutim'ent bravement un
assaut qui coûta la vie 'a un assez grand nombre des assaillants; les
femmes mêmes y firent preuve d'un courage indomptable. On les voyait
jeter du haut du rempart des pierres, de l'eau bouillante et tout ce qui
leur tombait sous la main ; mais, pendant qu'on se battait avec anime-
site de part et d'autre, voici le seigneur de Lansac qui arrive par mer
avec trois ou quatre grands vaisseaux chargés de soldats. Ne trouvant
aucune résistance de ce côté de la ville, il débarque, entre dans la
jdace, et vient attaquer par derrière ceux qui défendaient le retranche-
ment. Ce fut alors, parmi ces derniers, 'a (|ui se sauverait le plus vite,
tant la panique devint générale, et les assiégeants se ruèrent dans la
ville, égorgeant tout ce qu'ils rencontraient, sans distinction d'âge ni de
sexe. Ceux qui avaient été assez lestes pour se soustraire a cette pre-
mière furie vinrent se jeter a corps perdu dans les bateaux du port,
espérant fuir sur la mer ; c'était en efl'et la seule route qui leur restait
ouverte; mais ces bateaux se trouvèrent bientôt tellement surchargés
qu'ils enfoncèrent presque tous. Quelques-uns furent pris avant d'avoir
pu s'éloigner du rivage, et il n'y en eut qu'un très-petit nombre qui
arriva jus(ju'a Vannes.
On raconte que quarante jeunes lilles, pour se soustraire 'a la bruta-
lité du soldat, s'étaient réfugiées dans un navire; mais ce navire n'ayant
pas eu le temps de (piitter le bord, dès qu'elles virent les soldats y
entrer, elles se prirent toutes par la main et se précipitèrent ensemble
dans la mer.
Toutes les maisons furent livrées aux flammes ai)rès avoir été
pillées.
Le prince de Dombes accourut pour tirer vengeance de semblables
excès. Le duc ne voulut pas l'attendre, et passant le canal, il se retira
a Auray, où le prince l'ayant poursuivi, il quitta encore celte ville qui ne
lui semblait pas assez forte, et alla se renfermer dans Vannes. Les royaux
vinrent l'y assiéger. Ils attaquèrent de prime abord les faubourgs avec
une grande impétuosité ; mais ils rencontrèrent une résistance cpii les
força de se retirer avec pertes. Ils se rangèrent alors en bataille dans la
plaine, pensant que le duc de Mercœur, entlé du succès qu'il venait
dl2 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
d'obtenir en défendant la place et les croyant découragés, ne manque-
rait pas de venir les attaquer. Ils furent trompés dans leur attente, et,
après être restés toute la journée sous les armes par Textrème chaleur
qu'il taisait ce jour-la, ils furent obligés de se retirer, en regrettant d'être
demeurés a languir au soleil, pendant que le duc et les siens étaient a
couvert a boire leur vin frais.
Le prince de Bombes se vit presque a l'instant même abandonné de
la plus grande partie de son armée; car comme en ce temps-la il n'y
avait que très-peu de troupes réglées et point du tout de payées, chacun
faisait la guerre avec des gens ramassés par le crédit de ses amis, ou
attirés par l'espoir du butin ; et c'était beaucoup que de les faire
tenir un mois ou cinq semaines ensemble. Mais si elles se dissipaient
facilement, il en revenait facilement d'autres. Le prince de Dombes eut
donc bientôt trouvé une nouvelle armée, avec laquelle il vint assiéger la
ville de Moncontour, qui se rendit par capitulation après avoir repoussé
deux assauts. Après quoi, se trouvant encore une fois quitté par ceux qui
l'avaient aidé dans cette dernière expédition, il s'en revint presque seul
'a Rennes. (Mézeray, t. III, p. 805.)
Les partisans du roi obtenaient, pendant ce temps-la, un succès bien
plus décisif en Auvergne. Le même jour où se livrait la bataille d'Ivry
(ce jour était heureux pour les armes de Henri IV), ils battaient complète-
ment les troupes de la Ligue devant Issoire. Cette ville est située au pied
des Gévennes, dans le canton le plus délicieux de la Limagne. La Roche-
foucauld, comte de Randon, s'en était saisi l'année précédente au nom
de la Ligue; mais cette place était trop importante pour que la posses-
sion n'en fût pas vivement disputée entre les deux partis. Tissandier,
échevin de Clermont, d'accord avec les bourgeois de sa ville qui avaient
embrassé le parti du roi, forma le dessein de l'enlever. (De Thou, t. X,
liv. 98, p. 150 et suiv.)
Ils partirent donc avec des échelles, et étant arrivés au point du
jour auprès des fossés de la place, ils descendirent dedans, malgré les
cris de la sentinelle qui venait de donner l'alarme, et ils escaladèrent
incontinent les murailles. La garde qui accourait fut passée au iil de
Tépée, on était maître de la ville; mais le château restait a prendre,
et la garnison tout entière s'y était retirée. On appliqua deux fois inutile-
ment le pétard 'a la porte. Alors, voyant qu'il fallait faire un siège régu-
lier, on fit venir de nouvelles troupes de Clermont qui accoururent, ayant
'a leur tête le grand sénéchal d'Auvergne.
On était en train de se fortifier et de pousser les tranchées autour
de cette citadelle, quand l'ennemi parut avec tout ce qu'il avait pu
ramasser de forces, sous la conduite de ce même La Rochefoucauld-
Randon qui avait déjà pris la ville une première fois. La ville fut entou-
rée, et d'assiégeants, les royalistes devinrent assiégés, et de plus placés
entre deux feux. Quoiqu'ils manquassent absolument de fourrage et qu'ils
eussent fort peu de vivres, ils résolurent de ne pas se départir de leur
entreprise, comptant d'ailleurs sur le secours que leurs amis du même
1
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 113
parli ne manf|ucraient pas de leur amener. Ils conlin lièrent donc de se
l)altre chaque jour et autour du château pour repousser les sorties des
l>igueurs qui étaient dedans, et sur les remparts de la ville pour empêcher
qu'ils ne fussent forcés par l'armée de secours.
A chaque instant, ceux du dehors voyaient leur nomhre s'accroître des
nouvelles troupes que leur amenaient leurs partisans. Toutes les (orces des
Ligueurs du pays semhlaient s'être réunies là, et on ne voyait pas encore
paraître un seul bataillon royaliste.
Cette singulière situation se prolongea pendant plusieurs semaines ;
mais tout à coup le camp des Ligueurs fut attaqué au milieu de la nuit.
C'était un premier corps de royalistes qui venait d'arriver, et qui, passant
a travers renneini, parvint a rejoindre le sénéchal.
Il |)rolita de ce renfort pour serrer le château de plus près et pour faire,
le jour suivant, une sortie dans laquelle il tua beaucoup de monde à ses
adversaires. Pendant ce temps-la, le marquis de Chahannes, îi la tète
d'environ quatre cents bourgeois armés d'arquebuses, était parti de Cler-
mont. Il alla d'abord faire sa jonction avec les troupes qui venaient
d'Aurillac, et avec celles qu'amenaient les autres seigneurs du parti;
puis, il arriva tout près d'Issoire, au moment même où les Ligueurs ve-
naient de donner un assaut aux murailles et avaient été repoussés avec
perte. Le sénéchal, averti de l'arrivée de ce secours, sortit de la ville 'a la
tête d'un détachement de quatre-vingts gens d'armes, après avoir dévote-
ment adressé ses prières 'a Dieu.
Les ennemis, de leur côté, a la nouvelle de l'attaque qui se préparait,
s'étaient déj'a rangés en bataille entre la ville et une montagne qui n'en
est pas très-éloignée et qu'on aj)pelle le cros Roland. Mais l'armée royaliste,
au lieu d'arriver de face, tourna de côté et alla s'emparer du sommet de.
cette montagne, d'où elle <lominait toute la ligne de ses adversaires. Elle
commença par tirer sur eux quelques volées de canon, qui les obligèrent à
reculer leur ordre de bataille, pour se mettre 'a l'abri. Alors Chahannes
ordonna aux siens d'avancer, le canon en tête, en se faisant un rempart
mobile avec leins chariots de bagage. Le comte de La Rochefoucauld-
Randon, pour réparer la faute qu'il avait faite de ne s'être pas d'abord
emparé du sommet du cros Roland, ne vit pas plus tôt les ennemis aban-
donner ce point, qui! lit un mouvement pour aller s'y loger; mais ce mou-
vement était plus mal calculé encore; il quittait la plaine (pi'il pouvait
défendre, et il laissait l'ennemi eu toute liberté de se joindre aux troupes
de la ville ; aussi le sénéchal profita de celle facilité inespérée pour se
réimir à ceux qui venaient le secourir.
Randon descendit la montagne a son tour, résolu d'attaquer de ce
côté-là. Le combat commença à l'instant même. La première ligne des
Ligueurs, qui s'avançait avec beaucoup d'impétuosité, fut reçue avec la
même résolution par les royalistes, qu'elle ne parvint pas à ébranler.
Comme la seconde ligne ne donnait pas assez prom[)temenl, larrière-
garde s'avança, avant d'avoir pris même la précaution de reformer ses
rangs. L'action fut chaude et meurtrière ; mais le courage ne supplée pas
IV. S
114 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
toujours a Tordre et a la bonne direction. A la lïn, les ennemis du roi
furent battus et mis en déroute complète. Le comte de Randon lui-même,
avant été fait prisonnier, fut conduit a Issoire, où il mourut quelques
jours après, d'une blessure qu'il avait reçue dans le combat.
De la, les royalistes tournèrent leurs armes vers le cbâteau, dont les
défenseurs, informés de la mort de Randon, se rendirent le même jour,
livrant tout leur canon et toutes leurs munitions. Les vainqueurs firent,
le lendemain, cbanter une messe solennelle en actions de grâces; puis
ils revinrent en triomphe a Clermont, où un Te Deiim fut encore chanté
en grande cérémonie dans l'église cathédrale. Ce succès en effet
venait d'assurer, en Auvergne et dans les provinces voisines, une supé-
riorité incontestable au parti du roi.
Or, dans les provinces du Midi, c'est-a-dire en Dauphiné, en Lan-
guedoc et en Provence, la guerre civile, depuis le temps qu'elle s'était
déclarée pour la première fois, sous le prétexte de la religion, n'avait
pas cessé un seul moment de rendre irréconciliables toutes ces têtes
méridionales, qui ne voulaient plus rien admettre que le triomphe
absolu du parti que chacun avait adopté. Les seigneurs de ces contrées
n'avaient pas manqué de faire tourner ce fanatisme religieux au profit
de leurs intérêts tout a fait mondains. On pouvait compter sur l'appui et
le dévouement jusqu'au martyre de tel ou tel individu catholique ou
protestant, suivant (ju'on arborait les enseignes de la foi qu'il avait
adoptée.
En Languedoc, l'ancienne rivalité entre les Joyeuse et le maréchal
de Montmorency continuait avec plus d'animosité que jamais. Ce dernier
attendait du nouveau roi l'envoi de d'épée de connétable qu'avait
. portée son père, et, suivant lui, c'était la moindre des récompenses
légitimement due à la complaisance (ju'il avait bien voulu avoir d'em-
brasser son parti. Les Joyeuse, de leur côté, jugeaient l'occasion favo-
rable pour augmenter leur pouvoir dans la province, en se portant
comme défenseurs de la vraie foi, et ennemis déclarés de l'hérésie. Ce
n'était pas un mauvais calcul par le temps qui courait alors. Scipion de
Joyeuse se rendit maître par ce moyen de la basse ville de Carcassonne,
qui n'avait jamais voulu S3 soumettre a son père le maréchal, quoiqu'il
fût depuis longtemps maître de la haute ville, et cette conquête, il la
dut plus a l'affection qu'il avait su inspirer aux habitants par son
dévouement 'a la foi catholique, qu'a la force de ses armes. {Vie du
connétable de Lesdiguières, 1589 et 1590.)
Ensuite, ayant reçu vers la lin du mois de mai un secours de dix
mille Allemands, que lui envoyait le roi d'Espagne, toujours prêt à con-
tribuer au morcellement de la France, il prit la ville de Lautrec-en-
Albigeois et quelques autres châteaux voisins, et après avoir mis ses
Allemands en garnison dans ces différentes places, il s'en revint a
Narbonne avec le reste de son armée.
Montmorency aurait bien pu opposer une résistance efficace à ces
conquêtes de son rival ; mais il voulait forcer le nouveau monarque a ne
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 415
plus rclanler Tenvoi de cette épée de connélable ((u'il avait demandée;
et pour cela, il cherchait a se faire regarder comme nécessaire. Il n'ar-
mait donc ([ue lentement, laissant a son ennemi tout le temps de laire
des progrès (|ui pussent devenir alarmants. \ la lin pourtant, il ne crut
pas dans son intérêt d'attendre plus longtemps. Il se mit en marche
pour venir reprendre les divers châteaux où Joyeuse avait laissé ses
.\llcmands en garnison.
Ceux-ci, qui n'étaient pas en force, capitulèrent d'autant plus facile-
ment (|u'on avait si peu pris de précautions pour leur cantonnement,
(pic la famine et la peste rendaient déjà leurs postes insoutenables.
Mais le vain([ueur en laissa massacrer la plus grande partie par ses
soldats; les autres (pi'on avait épargnés allèrent se loger en pleine cam-
pagne, dans de méchantes huttes (pi'ils construisirent, et où on les
obligea à se tenir isolés, comme pestiférés; puis, une nuit, pour se
débarrasser d'un seul coup de tous ces gens-l'a, on vint mettre le feu à
ces huttes où ils furent tous brûlés.
La nouvelle de cette atroce expédition fut portée 'a Narbonne, par
deux ou trois de ces malheureux, (pii avaient pu s'échapper 'a demi-
grillés. Aussitôt la populace entra dans une telle fureur, qu'a linstant
même elle alla enfoncer les prisons de la ville, en tira dix ou douze
prisonniers de guerre qui y étaient renfermés, et se mit a les massacrer
par forme de représailles.
Mais ce fut surtout en Provence et eu Dauphiné ([ue la guerre se
lit avec plus d'acharnement encore, malgré les glaces et les rigueurs de
l'hiver, qui, cette année-la, fut plus long qu'a l'ordinaire. La Valette et
Lesdiguières avaient réuni leurs efforts pour empêcher (|ue ces provinces
ne fussent entièrement démembrées du royaume de France; de soii
côté, le duc de Savoie, 'a force d'intrigues et en prodiguant l'argent, était
parvenu 'a soidever presque tout le pays en sa faveur. Il avait déjà gagné
une bonne partie des magistrats des meilleures villes, particulièrement
d'Aix et de Marseille, et il y entretenait des gens à ses gages qui pos-
sédaient l'art d'agiter a leur gré les masses populaires, en mettant
comme toujours en avant les grands mots de liberté, d'intérêt du peuple
et de religion. {Vie de Lesdiguières, uhi sup.)
Il arriva pour lors que (pielques gentilshommes de Marseille, qui
étaient du parti du roi et qui, d'ailleurs, voyaient avec impatience leurs
ennemis de l'autre parti triompher dans la ville, voulurent tenter un
effort pour les en chasser. Ils s'en furent donc l'épée a la main par les
rues, criant : « Dehors les Savoyards, les Espagnols, et les ennemis de
la France! » Ils avaient compté que la populace se joindrait à eux 'a ce
cri; mais la populace n'écoule (|ue quand elle n'est pas payée pour
rester sourde. Les conjurés restèrent seuls, et les consuls, ayant fait
prendre les armes îi la bourgeoisie, vinrent les attaquer,
11 y en eut deux des plus hardis (|ui se firent bravement tuer sur la
place. De Pennes, (pii était a la tête de rentreprise, fui lait prisonnier,
et les autres se sauvèrent en désordre hors de la ville. Le parti vainqueur
116 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
lit tout aussitôt nommer par le président du parlement d'Aix une com-
mission de sept conseillers pour informer contre les auteurs du complot.
On condamna a mort les contumaces. De Pennes trouva le moyen
d'échapper, et trois hommes du menu peuple, qui s'étaient laissés
prendre, furent livrés au hourreau.
Mais le parlement lui-même n'était pas exempt de ces dissensions
qu'il prétendait punir dans les autres. Il y avait un assez grand nombre
de ses membres qui tenaient pour le parti du roi, et de ceux-ci les
uns, s'étant hautement séparés du corps, s'en étaient allés tenir leurs
séances a Manosque, où ils contrecarraient par des arrêts contraires les
arrêts de la cour séant a Aix. Les autres étaient a la vérité restés 'a leur
poste; mais ils n'oubliaient pas de marquer leur zèle pour Sa Majesté en
faisant systémati(piement une opposition ouverte ou cachée a toutes les
délibérations de la compagnie. Un autre parti s'était vendu au duc de
Savoie ; un autre soutenait la comtesse de Sault, « femme de grand
cœur et d'esprit fort relevé, qui jouissait d'une grande influence, » et
qui, je ne Sais trop pour quelle raison, si ce n'est pour se faire aduler
et rechercher par les autres partis, s'était appliquée a se faire un grand
nombre de créatures, lesquelles ne parlaient et n'agissaient que d'après
ses ordres; enfin, il y en avait un assez bon nombre qui étaient pour le
comte de Carces. Pour celui-ci, ce n'était pas l'autorité suprême qu'il
ambitionnait pour son compte; mais se voyant déjà lieutenant général
des armées sous l'autorité du parlement, il ne visait qu'a se maintenir
dans un poste aussi avantageux, et il s'arrangeait pour que son influence
valût la peine d'être achetée, par le roi ou par le duc de Savoie, se tenant
prêt a la vendre a celui qui lui en donnerait le meilleur prix. En atten-
dant, il faisait mine de servir le duc de Savoie, pour en tirer les secours
dont il avait besoin; mais il avait grand soin de s'opposer par-dessous
main 'a tous les projets que ce prince cherchait a faire réussir avant
d'avoir traité avec lui.
L'argent que prodiguait le Savoyard parut pourtant faire pencher la
balance en sa faveur, dans une grande assemblée de la noblesse et du
clergé qui se tint a Aix, au mois de janvier. Il fut décidé qu'on mettrait
la Provence sous sa protection, et le parlement décréta qu'il serait appelé
a la défendre avec ses armes ; que les biens des bigorrats (c'est ainsi qu'on
appelait ceux qui favorisaient le parti du roi) seraient confisqués.
Carces était en ce moment-ra occupé au siège de la petite ville de
Salon. Les assiégés, fort incommodés par l'artillerie qu'il avait amenée,
avaient déjà été contraints d'abandonner la nouvelle ville, qu'on appelle
la bourgade, et de se retirer dans la vieille, oîi ils ne voyaient plus
guère d'autre moyen de salut que de capituler, quand on apprit que
La Valette, avec ses troupes, n'était plus qu'a deux lieues de la. Bientôt
après le général royaliste jeta par la poterne du château deux cent cin-
quante de ses meilleurs arquebusiers dans la place assiégée, et Carces
ne trouva rien de mieux a taire que de décamper en toute hâte.
Mais, son armée ayant été rejointe par un assez grand nombre des
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 117
nouvelles recrues du pays, qui lui étaient envoyées par le parlement, il
se sentit assez lort pour tenter de prendre sa revanche. Tout ce qu'il put
faire pourtant, ce l'ut de surprendre et de tailler en pièces un régiment
d'infanterie protestante, que Lesdiguières envoyait des Cévennes au
secours de son nouvel allié, La Valette. Il y eut ensuite une espèce de
suspension d'armes jusqu'au mois d'avril ; mais cette trêve fut en quelque
sorte plus sanglante que la guerre elle-même. Les ressentiments et les
inimitiés particulières qui régnaient dans chaque ville se donnèrent
pleine carrière, et ce ne fut partout (jue proscriptions, meurtres, assas-
sinats et supplices.
Quand la trêve cessa, Carces, qui venait de recevoir de Savoie un
grand renfort de munitions de guerre, alla mettre le siège devant Barjols,
qui capitula après avoir vu ses murailles ruinées par deux cents volées
de canon, et qui se racheta du pillage moyennant trente mille écus d'or.
Il alla ensuite forcer la malheureuse ville de Luc, où tout fut passé au
fil de répée. Aups, Lorgnes et Draguignan, dans la crainte d'un pareil
traitement, lui apportèrent les clés.
De son côté, La Valette venait d'être rejoint par Lesdiguières, tou-
jours en mouvement et qui semblait se multiplier |)Our être partout,
presque en même temps, sur les différents points de ces régions déso-
lées. L'armée royaliste, (ortiliée de celle des huguenots, prenait Monta-
giiac, Soliers, Valensole et Pignans. Elle se proposait de continuer ses
conquêtes, quand le comte de Martiningue, amenant huit cents hommes
de pied et (juatre cents lances que le duc de Savoie envoyait au secours
de la Ligue, força les royaux h se tenir sur la défensive. Martiningue,
pour signaler son arrivée, alla mettre le siège devant la ville de Seigne.
Il eut d'abord le bonheur de défaire un secours de cent cinquante hommes,
que Lesdiguières avait tenté de faire entrer dans la place ; mais les assié-
gés, loin de perdre courage, firent une vigoureuse sortie, nettoyèrent
complètement la tranchée, et tuèrent plus de deux cents hommes k
l'ennemi. Cet exploit causa une si grande terreur parmi les assaillants,
qu'ils décampèrent subitement, dans la crainte (ju'il ne leur arrivât pis.
Les pluies et la mauvaise saison vinrent alors suspendre des deux côtés
toute opération utilitaire.
Lesdiguières ne voulut pas cependant attendre jusqu'à ce que le
temps fût redevenu tout îi fait favorable pour recommencer la guerre ; dès
le mois de janvier, on le vit reparaître devant Grenoble, qu'il entreprit
de bhxjuer, et il s'occupait a faire construire des forts, dont il avait résolu
d'entourer cette ville, pour couper toutes les communications et la sou-
mettre ])ar la lamine. Sur ces entrefaites, il apprit (|ue le duc de
Nemours faisait marcher huit cents soldats vers les frontières de Savoie,
pour y recevoir un nouveau secours d'hommes et de munitions, dont le
prince savoyard faisait l'envoi a la Ligue. Lesdiguières, abandonnant son
blocus, nsa d'une telle diligence <pi'il atteignit cette troupe au pont de
Chervis, et la défit si complètement (|ua peine quelques fuyards purent
s'échapper dans les montagnes.
118 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
De la, il tira vers Crémieu, pour se rapprocher de Lyon et pour y
appuyer uuc entreprise du parti royaliste, dont on venait de lui donner
avis, en demandant son assistance. Voici ce dont il était question :
Le seigneur Gadagne de Botéon avait promis de réduire la ville de Lyon
à Tobéissance du roi, par des moyens a lui connus, et Sa Majesté avait
promis au dit' seigneur que, s'il exécutait cette entreprise, il aurait pour
sa récompense le gouvernement de la ville.
Gadagne avait donc gagné un capitaine de quartier et un assez
grand nombre de bourgeois. Lesdiguières, qu'on avait prévenu, devait
venir le premier donner l'alarme du côté du pont du Rhône. Le gouver-
neur de Bombes, tout aussitôt se présentait à la porte Saint-André ;
une autre troupe de royaux avait également le mot pour arriver par la
porte de Vaize, et deux régiments qu'on venait de lever en Auvergne,
sous prétexte d'assiéger Le Puy, avaient ordre d'entrer par la porte
Saint-Jus. En même temps, le capitaine de quartier et les bourgeois qui
étaient dans le complot couraient se rendre maîtres de la place des
Cordeliers au beau milieu de la ville, et on espérait bien qu'au milieu de
tant d'attaques imprévues, la garnison, ne sachant de quel côté se porter,
serait facilement désarmée ; mais toute cette conspiration fut décou-
verte quelques jours avant celui marqué pour l'exécution, et sept ou huit
des conjurés de l'intérieur furent envoyés a l'échafaud. Lesdiguières,
voyant que le coup était manqué, revint sur ses pas. Pendant son
absence, les Ligueurs lui avaient enlevé le fort de Gières ; il ne leur
donna pas le temps de s'y établir, et avant que la brèche [)ar laquelle ils
étaient entrés fût réparée, il reprit la place, en y rentrant par cette
môme brèche.
Il apprit alors que Maugiron, qui tenait le parti du roi, venait d'être
réduit par les habitants de la ville de Vienne, dont il était commandant,
a se retirer dans un des châteaux de cette place, qu'on nomme le châ-
teau de Pipat, et qu'il y était assiégé. Lesdiguières se hâta de courir à
son secours; mais il trouva que l'ennemi, qui avait sept pièces de
canon, s'était trop bien fortifié dans cette ville pour qu'il osât risquer
une attaque contre les remparts. Pour tâcher de l'attirer en pleine cam-
pagne, il alla assiéger la petite place de Condrieu. Les Viennois ne bou-
gèrent pas. Condrieu se rendit le quatrième jour ; et en même temps,
ceux de Vienne démolissaient de leur côté le château Pipat, que Maugi-
ron avait consenti a leur rendre. Il est vrai qu'en faisant cette conces-
sion, il s'était arrangé, par le moyen des nombreux amis qu'il avait, de
telle sorte qu'il conservait son gouvernement et que le château démoli
fut bientôt par ses soins rebâti plus fort que jamais.
Cependant le marquis de Saint-Sorlin, gouverneur du Lyonnais pour
la Ligue, en l'absence du duc de Nemours son frère, appela a lui les
troupes ligueuses de la Bourgogne, que lui amena le seigneur de
Sennecé; et les ayant jointes a celles qu'il avait déjà assemblées, il
résolut de passer en Dauphiné. Alphonse d'Ornano, qui commandait les
catholiques royalistes dans ces contrées, vint tout d'abord pour s'op-
DU PROTESTANTISMK EN FRANGE. 11'.'
poser à l'entrée de cette armée. Par niallicur pour lui, il se présenta
une occasion où il voulut faire le soldat plutôt que le général, lin gen-
tilhomme bourguignon, nommé Labarre, sortit des rangs de Tarmée des
Ligueurs et vint demander si, parmi les royaux, il y avait quelqu'un
assez brave pour venir faire le coup de pistolet avec lui en l'honneur
des dames. Ornano, qui était tout armé, sauta en selle et courut sur cet
insolent cavalier; celui-ci lui tira son coup de pistolet dans la visière,
et quoi qu'il ne l'eût pas blessé, l'armure étant 'a l'épreuve, il l'étourdit
tellement qu'il put se saisir de la bride de son cheval, et l'emmener
prisonnier.
Ce seul coup de pistolet fut cause que les deux armées, qui étaient
en présence et prêtes a en venir aux mains, se dissipèrent comme par
enchantement. Sennecé, pour avoir tout seul le profit de la prise du
général ennemi laite par un de ses gens, s'en retourna 'a grandes jour-
nées dans la Bourgogne, où il mit son prisonnier a vingt mille écus de
rançon; Saint-Sorlin, après le départ des bandes bourguignonnes, ne
se sentant pas assez fort pour attendre Lesdiguières, qui venait au
secours de ses alliés, rebroussa vers Lyon, et les catholiques royaux,
se voyant sans chef, retournèrent chacun cbez soi.
Or, pendant que Lesdiguières faisait toutes ces marcbes et contre-
marches, le duc de Savoie avait de nouveau envoyé un de ses capitaines,
nommé Somas, avec une nouvelle armée de quatre mille hommes de
pied, qui vint mettre le siège devant Montbonnot. Lesdiguières, en
revenant pour secourir cette place, trouva l'Isère tellement débordée
parla fonte des neiges, qu'il lui fut impossible de passer; de sorte que
le gouverneur de Montbonnot, se voyant sans espoir de secours et
presque sans garnison, parce qu'il avait trouvé bon de mettre dans sa
poche l'argent qui lui avait été donné pour en entretenir une, se rendit
sans la moindre résistance. Gières, qui était dans le voisinage et qui ne
venait que d'être repris sur les Ligueurs, suivit le même exemple.
Lesdiguières se dédommagea de ces pertes en prenant la ville bien
autrement importante de- Briançon. Cette place tenait pour la Ligue, sans
avoir voulu donner encore son adhésion au parti du prince savoyard ;
mais il y avait dans les environs un capitaine aventurier, nommé
La Gazette, qui négociait pour obtenir celte adhésion, et il ne pouvait
guère manquer de réussir. Lesdiguières lit attaquer la demeure de cet
homme, pendant la nuit, par vingt-neuf soldats déterminés qui pélar-
dèrent les portes, massacrèrent ses gens, et le tuèrent lui-même 'a coups
d'arquebuse, pendant qu'il se défendait courageusement la hallebarde 'a
la main.
Briançon se rendit presque aussitôt par capitulation. Le fort d'Exilés,
qui est 'a quelque distance de la, dans la vallée d'Ouïes, ne se montra
pas d'aussi facile composition. Le général huguenot, (jui pensait, en s'en
rendant maître, couper par la le passage aux troupes du roi de Savoie,
pour lesquelles cette vallée était le chemin le plus direct afin d'entrer
en Dauphiné, avait déj'a ménagé quelques intelligences dans la place;
120 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
mais le gouverneur ligueur, a qui il avait fait proposer de la lui vendre,
se montrait beaucoup trop exigeant dans ses prétentions, et Lesdiguières
fut contraint de se retirer, d'autant plus que La Valette l'appelait en ce
moment en Provence, pour secourir la ville de Saint-Maximin, qui était
alors assiégée par Martiningue.
Quand il arriva, il trouva (lue Martiningue avait levé le siège, et,
pour n'avoir pas fait une course inutile, il attaqua le fort de Burles, qui
se rendit le huitième jour. Le duc de Savoie venait en personne
a la tête de trois autres mille hommes de pied et de quatre cents
chevaux. Lesdiguières retourna tout aussitôt sur ses pas pour le recevoir,
et le duc, n'osant l'attendre, se sauva bien vite dans la montagne de
l'Are, si épouvanté, dit-on, qu'il continua sa marche aux flambeaux, jus-
qu'à ce qu'il se vît en lieu de sûreté.
Ce qui avait engagé ce prince, si prudent de son naturel, 'a s'avancer
ainsi sur les terres de France, c'est qu'il comptait y traiter de l'acquisi-
tion du fort d'Exilés, déj'a, comme on l'a vu, marchandé par Lesdiguières.
Pour mieux décider le gouverneur, en même temps qu'il se présentait
lui-même 'a la tête d'une armée assez respectable, il avait envoyé l'ordre
'a son lieutenant Somas de se porter aussi de ce côté avec ses quatre
mille hommes de pied. Mais celui-ci eut le malheur de renco-ntrer dans
les défilés des montagnes Taclif et infatigable Lesdiguières, qui tailla en
pièces son armée et la repoussa toute désorganisée jusqu'à Suze.
Cela fait, le vain(jueur revint assiéger le fort d'Exilés, et le gouver-
neur, qui s'était montré si difficile auparavant sur les conditions qui lui
étaient tour 'a tour offertes par les deux partis, s'estima heureux, cette
fois, d'obtenir qu'il aurait vie et bagues sauves.
Voici maintenant ce qui dans le même temps se passait en Bour-
gogne. Tavannes, après être revenu de Laval, où il avait été ofl'rir ses
hommages au nouveau roi de France, assembla le conseil des royaux de
la province, a Semur. « Il s'y trouva vingt-huit personnes et plus, tant
de Messieurs du parlement que des chefs de guerre. » On mit en discus-
sion ce qu'il y avait 'a faire pour le présent, et il fut avisé qu'en la
grosse tour de Milamperle, près de la ville de Marcilly, il y avait garni-
son de rebelles, les(juels étaient la pour y garder un magasin de sel et
le faire bientôt transporter à Lyon. On décida qu'on y irait en forces
pour enlever ce sel, et que la vente d'icelui servirait d'abord 'a fournir
aux urgentes nécessités de l'armée rovaliste. (Mém. de Tavannes, ad
ann. 1590.)
Tavannes partit à la tête de l'expédition ; il eut une rude escar-
mouche 'a soulenir en passant près de Beaune ; mais il força le passage,
et arrivé a la tour, il la trouva flanquée de guérites et protégée par un
bon fossé. A la faveur de quelques chariots de foin, que les siens pous-
saient devant eux pour se mettre à couvert, il la fit d'abord attaquer par
ses arquebusiers ; mais pendant qu'il se disposait à en venir a la sape, la
garnison, ignorant s'il ne s'était pas fait suivre par de l'artillerie, offrit de
se rendre. La ville de Marcilly, qui était tout près de Là, ouvrit aussi
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 421
très-volontiers ses portes, et Tavannes, se voyant maître du sel, établit
tout aussitôt des receveurs et contrôleurs, pour en faire la vente au profit
de son armée.
Pendant qu'il s'occupait de ce soin, il eut nouvelle que trois cents
cavaliers, partis de Màcon, étaient en route |)Our l'attaquer; il envoya
incontinent prévenir ses amis de venir a son aide ; et sans les
attendre, il marcha d'abord avec sa cavalerie au-devant de l'ennemi. Il
apprit par des paysans (ju'il rencontra sur sa route (|ue ce corps s'était
arrêté a une lieue plus loin pour y |)asscr la nuit; alors continuant
d'avancer, quoicpi'il eût déjà t'ait faire plus de six lieues 'a ses gens, il
rencontra en effet ceux qu'il cherchait a L'Espinasse, où ils n'avaient
pas encore eu le temps de s'établir tout a fait et de poser des sentinelles.
Comme la nuit était devenue sombre, Tavannes lit mettre le feu à
une maison pour donner de la lumière, et commanda de charger sans
retard. Les premiers (|ui se présentèrent pour opposer de la résistance
lurent culbutés, et on leur prit un assez grand nombre de prisonniers ;
puis la cavalerie, ayant 'a peine eu le temps de monter a cheval, sans
pouvoir se ranger en bataille, au milieu d'une pareille surprise, se dis-
persa de tous les côtés. Tavannes, après cet exploit, et ayant lait près
de quatorze lieues, revint dans la même nuit 'a Marcilly, où il continua
de s'occuper de la vente du sel.
Quand le magasin fut vide, il s'achemina du côté du bailliage d'Âuxois,
où il avait donné rendez-vous aux troupes royalistes de la Champagne.
H y fut également joint par les reitres du seigneur Dampmartin, et par
deux canons et une coulcuvriiie qui arrivèrent de Langres. Il prit la ville
de Montréal, qui se rendit bien vite après quelques canonnades tirées, et
il alla attaquer la ville et le château deMontbard.
Cette place était conveiiablement fortifiée, et l'assaut qu'il y lit don-
ner ne servit qu'a faire tuer inutilement quelques-uns des plus braves
des deux partis; puis, comme Dampmartin et ses reitres reçurent en
ce tcmps-la l'ordre de rejoindre le roi, pour se trouver 'a la bataille
d'Ivry (où pourtant ils arrivèrent trop tard), Tavannes fut obligé de
lever ce siège, qui avait duré près d'un mois. C'était dans ce temps-la
même que Sennecé faisait son expédition en Daupbiné avec le frère du
duc.de Nemours, et ce fut Tavannes qui, avec quelques autres gentils-
hommes royalistes, répondit de la rançon du général Alphonse d'Ornano.
Quelque temps après, Tavannes rentra de nouveau en campagne,
par suite de la mort d'un de ses amis et compagnons d'armes, le sei-
gneur d'Espeville, gouverneur pour le roi de la ville de Saint-Jean-de-
Losne. Ce seigneur venait de se laire tuer en voulant surprendre la ville
de La Seurre. Quehpies soldats de la garnison, qu'il croyait avoir gagnés
'a prix d'argent, avaient promis de lui en ouvrir les portes ; mais comme
il arrivait par le pont avec ses gens, croyant n'avoir qu'a entrer, il fut
renversé mort d'un coup d'anpiehuse tiré du rempart.
Aussitôt Tavannes accourut pour empêcher que l'ennemi ne s'empa-
rât de Sainl-Jean-de-Losne; et il était en elfct grand temps qu'il arrivât,
122 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
car les Ligueurs étaient en route pour venir prendre cette .ville. La pré-
sence du vieux guerrier royaliste leur ôta le courage d'aller plus loin.
Pour lui, après avoir pourvu a la sûreté de la place, il alla s'emparer de
la ville de Verdun sur le Doubs, qui se rangea sous l'obéissance du roi. Il
prit ensuite plusieurs châteaux dans les environs ; et il tenta même une
entreprise sur Auxonne; mais par la bonne garde de celui qui y
commandait, cette entreprise échoua, après lui avoir coûté la vie de
quelques-uns des siens, qui furent tués en tentant de traverser les
fossés.
Alors, se rabattant du côté de Langres, il alla assiéger le fort de
Trichâteau, qui venait d'être pris par les ennemis, et où commandait le
capitaine Laverdure Tavannes envoya sommer cet ofticier par un trom-
pette, auquel Laverdure, lit pour toute réponse tirer deux arquebusades.
Le fort fut incontinent attaqué et emporté d'emblée, et le commandant
fut pendu.
Le château de Salins eut le même sort que Trichâteau, et deux gen-
tilshommes, qui s'étaient mis â la tête des défenseurs de cette place,
furent également livrés au prévôt de l'armée. Ils cherchaient a
s'échapper, déguisés en soldats ; mais Tavanne les reconnut et les fit
exécuter.
L'hiver, qui était devenu fort rude, mil fin pour cette année a toutes
ces expéditions.
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 12:5
CHAPITRE VI
¥
1590. — AROF.MENT : le roi va au-devant du duc de parme.
LES PARISIE.NS DÉLIVRÉS l'ONT UNE PROCESSION. — LES DEUX ARMÉES EN PRÉSENCE.
LE DUC SE RETRANCHE. — IL PREND LAGNY.
LE ROI REVIENT A L'ATTAQUE DE PARIS.
MÉCONTENTEMENT DES CATHOLIQUES DE SON ARMÉE. — ELLE SE DISPERSE.
LE ROI SE RETIRE A SENLIS. — IL PREND CLERMONT.
LE DUC PREND CORDEIL. — MORT DE SIXTE V. — LE LÉGAT RETOURNE A ROME.
ÉLECTION d'urbain VII. — SA MORT. — ÉLECTION DE GRÉGOIRE XIV.
LES LIGUEURS DE PARIS PROJETTENT UNE ESPÈCE DE RÉPURLIgUE.
ILS DÉPUTENT AU DUC DE MAYENNE.
LE DUC DE PARME RETOURNE EN FLANDRES. — GIVRY REPREND CORDEIL.
LE ROI A LA POURSUITE DU DUC. — LA BELLE GABRIELLE.
LE ROI BAT L'aRRIÈRE-GARDE ET l'AVANT-GARDE DU DUC.
CELUI-CI QUITTE LA FRANCE. — SES PROJETS.
IL LAISSE UNE PARTIE DE SES TROUPES A MAYENNE.
On a vu qu'a la nouvelle tle rapproche du duc de Parme, Henri
avait été contraint de quitter le siège de Paris, et de venir prendre posi-
tion a Chclles. C'était le maréchal de Biron, qui, dans le conseil tenu à
cet ciïet, avait voulu qu'on s'avançât jusque-la pour y donner bataille à
l'ennemi. Ce n'était cependant pas l'avis du roi, ni celui de La Noue, de
I)u|)lessis-MornaY et des autres capitaines expérimentés qui se trouvaient
dans l'armée. Il leur semblait a tous (|u'il y avait honte et danger a
abandonner un siège depuis si longtemps commencé, et a s'éloigner
autant de Paris. On pouvait en eiîet mettre une partie des troupes en
bataille dans la plaine de Dondy, par exemple, entre l'aris et le duc de
Parme, et pendant que cette partie de l'armée couvrirait l'autre et arrê-
terait l'ennemi, la capitale, réduite déjà à la dernière extrémité, aurait
été forcée d'ouvrir ses portes. Biron persista a l'aire adopter un plan
tout a lait contraire, par jalousie peut-être de ce qu'il ne l'avait pas
imaginé le premier. Or, son autorité étant grande parmi les gens de
guerre, il aurait été dangereux, dans la situation présente, de vouloir le
contredire; on se rendit donc a son 0[)inion, mais ce lut une faute.
(Péréiixe, Hist. de Henri le Grand, II" part., ad ann. 1590.)
Cet abandon pouvait avoir des suites presque aussi dangereuses
qu'une déroute. H était constant, en elVet, (jue l'espérance seule de
prendre Paris, et d'y l'aire un butin considérable, retenait sous les dra-
124 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
peaux la majeure partie de Tarmée royaliste, et qu'elle ne manquerait pas
de se débander sitôt qu'elle se verrait frustrée dans son attente. Mais le
maréchal de Biron, pour tâcher de parer a cet inconvénient, fit adroite-
ment courir le bruit, que le siège n'était que suspendu pour quelques
instants; qu'il s'agissait seulement d'aller livrer une petite bataille au
duc de Parme, et qu'après l'avoir vaincu ou repoussé, on reviendrait
reprendre le blocus, lequel ne pouvait manquer alors d'avoir le succès
désiré. Grâce 'a cette ruse diplomatique, l'armée tout entière se trouva
en bonne disposition de suivre le roi jusqu'à Chelles. (De Thou, t. XI,
liv. 99, p. 187 et suiv.)
C'était le jeudi, trentième jour du mois d'août. Dès la pointe du
jour, les sentinelles qui veillaient sur les remparts de Paris, ne voyant
plus de soldats autour de la ville, avertirent les habitants. On accourut
pour s'assurer du fait, auquel on n'osait qu"a peine ajouter foi. Quelques
soldats des plus hardis proposèrent de sortir pour aller voir ce qu'il en
était, et ils furent suivis dans leur excursion d'une multitude de peuple.
Le camp fut trouvé abandonné, et bientôt on vit rentrer dans la ville
des gens qui y rapportaient le bagage, les bardes et les vivres que
l'ennemi avait laissés. Plusieurs de ces assiégés si affamés poussèrent
même jusqu'aux vignes et villages les moins éloignés, d'où ils revinrent
chargés de raisin, de blé, de pain, de volaille et de provisions de toutes
sortes. Ce fut une joie impossible a décrire. {Journal de Henri IV,
t. I, p. 85. — Mém. de Villeroy, ad ann. 1590.)
On fit le jour même une belle procession, 'a laquelle le légat, le duc
de Nemours, l'archevêque de Lyon et tous les seigneurs ligueurs se
joignirent de grand cœur au pauvre peuple. Un Te Deum fut chanté dans
l'église de Notre-Dame, et Panigarolle y prononça un sermon sur la
miraculeuse délivrance que Dieu venait d'accorder enfin h son fidèle
peuple de Paris. Il s'étendit surtout sur les louanges de Monseigneur le
légat, disant que Dieu, touché des prières de ce saint prélat, son servi-
teur bien-aimé, avait daigné, 'a sa considération, abaisser un regard de
compassion sur ceux qui avaient déjà souffert tant de misères et
d'afflictions. {Mém. de la Ligue, t. V, p. 500 et suiv. — Journal de
Henri lY, ibid.)
Chelles, où il avait été décidé que l'armée royaliste viendrait attendre
l'ennemi, est célèbre par l'abbaye de filles qui porte ce nom. Ce n'est
pourtant qu'un bourg de peu d'importance, situé dans un terrain maré-
cageux au travers duquel passe un ruisseau assez fort. Les maréchaux des
logis du duc de Parme, y étaient déj'a arrivés pour y choisir et désigner
les quartiers, quand l'avant-garde du roi, conduite par Châtillon et
Lavardin, se présenta 'a son tour. Les maréchaux de logis furent bientôt
forcés de se retirer, ainsi qu'un gros corps qui les suivait et dans lequel
étaient, dit-on, le duc de Parme lui-même et Monsieur de Mayenne. (De
Thou, ubi siip.)
Le lendemain, les deux armées se rangèrent en bataille dans une
plaine qui est un peu au-dessus de Chelles, et qui se trouve terminée de
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. lt>5
pari (H (raulrc par deux collines où chacun des deux partis prit sa posi-
tion. In ruisseau séparait les deux armées; du côté où se trouvait le
duc de l'arme il y a un petit bois, au milieu du(pielesl le château de Brou,
(jui servait de (juartier général a Tennemi ; au delà, et tirant vers le
sud, un marais (|ui s'étend jusqu'aux rives de la .Marne.
A l'aspect de l'armée royale, le duc de l'arme, (|ui la contemplait du
haut de la colline dont il s'était emparé, fut bien étonné de la voir si
nombreuse et si bien en point. Il y avait la plus de seize mille hommes
de pied et au moins sept mille chevaux, et |)armi cette cavalerie, on
comptait quatre mille gentilshommes, sept princes, et un plus grand
nombre de bons et expérimentés capitaines qu'en tout le reste de la
chrétienté. Le duc alors se tourna, a ce qu'on prétend, vers Mayenne,
et lui dit d'un air mécontent : « Sont-ce ces dix mille va-nu-pieds, au
plus, dont vous nous faisiez la victoire si facile?» (C\\E\\Chron.novenn.,
\:m.)
Au reste, s'il avait eu l'envie de combattre, il la |)erdit tout 'a fait;
il commanda bien vite à ses gens de quitter la i)ique et le mousipiet, et
de prendre la pelle et la pioche pour élever des retranchements en toute
diligence.
Ce fut sur une espèce de petite plaine d'un terrain un peu |)lus
ferme, (jui, partant du château de Brou, s'allonge au milieu du marais
jusqu'au bord de la Marne, (|uc le prince établit son camp. « Dans cette
position, disait-il, je délie bien le roi de Navarre de me forcer 'a accepter
une bataille qu'il n'entre plus dans mes vues de risquer, h présent que
je connais ses forces. Il est maintenant inutile de courir une pareille
chance, et je veux même prendre une ville et déboucher le passage a sa
vue, sans qu'il puisse m'en empêcher. (PHRiirixt:, iibi sup.)
Le duc de l'arme était en etlet un des plus habiles généraux de son
temps, et on va voir qu'il avait fait un calcul assez juste.
Les deux armées restèrent donc en présence l'une de l'autre, pen-
dant huit jours de suite, sans qu'il y eût entre elles autre chose (|ue (juel-
(pies escarmouches plus ou moins sanglantes. A la lin, le roi, qui se
voyait sur le point de tout perdre par suite de cette inaction, envoya,
suivant l'usage du temps, un bchaut au duc de Mayenne, pour le sommer
au nom de riionnein- de linir dans une seule action tous les malheurs
d'une guerre déjà si longue. Mayenne, dont en effet la véritable position
n'était plus (pie celle d'un lieutenant du duc espagnol, renvoya le héraut
a ce |)rince, et celui-ci répondit : « Dites a celui qui vous a député que
je ne suis pas venu en France pour y jouer au chevalier; j'y suis par le
commandement du roi Philippe, mon maître, le plus puissant des poten-
tats de la terre; et ses ordres portent (jueje dois faire lever le siège de
F'aris. Or, il y aurait de limprudence 'a un général comme moi de
remettre de nouveau 'a la décision d'une bataille rangée une cliose dont
je suis déjà maître. Si votre prince tient tant 'a en venir aux mains avec
moi, c'est a lui 'a m'y forcer : (|u'il le lente s'il l'ose ; je l'attends. »
(De Tiiou, ubi siijj. — Cavi:t, ubi siip.)
•126 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Un matin, pourtant, on vit l'armée ennemie sortir de ses retranche-
ments et s'avancer en ordre de bataille, enseignes déployées. Henri, 'a la
vue de ce mouvement, se flatta qu'il allait enfin pouvoir se mesurer
contre l'ennemi en bataille rangée, et c'était en effet ce qui pouvait lui
arriver de plus heureux. Il fit, de son côté, ses dispositions. Mais le duc
de Parme, voyant tout le terrain masqué par l'avant-garde royaliste et le
roi qui l'attendait de pied ferme, courut à toutes brides se mettre
a la tête de la première ligne des siens et arrêta brusquement leur élan.
Il ordonna au duc de Mayenne, qui allait commencer l'attaque, de tour-
ner avec ses Français vers Lagny, et de s'emparer d'abord de celui des
faubourgs de cette ville qui est de ce côté-ci de la Marne.(DAviLA, t. III,
liv. 11, p. 98 et suiv.)
Mayenne, après avoir exécuté ces ordres sans rencontrer aucune
résistance, fit tout aussitôt passer la rivière a son artillerie et commença
à battre la ville pendant que l'armée royale, a qui l'épaisseur du brouil-
lard qu'il faisait ce jour-la empêchait de voir cette manœuvre, s'attendait
encore a bientôt commencer la bataille.
Le roi avait bien eu la précaution de jeter dans Lagny huit compa-
gnies d'infanterie; mais la place n'avait par elle-même aucun moyen de
résistance, et les boulets donnaient directement dans les murs des
maisons. Le gouverneur, voyant l'impossibilité de se défendre, demanda
a capituler. Pendant qu'il était en pourparlers, l'ennemi montait déjà 'a
l'assaut, et la place fut emportée l'épée a la main, sous les yeux mêmes
du roi, qui, instruit trop tard de ce qui se passait, s'avançait pour la
secourir.
La plupart des soldats de la garnison purent toutefois se sauver a
temps par la rivière, mais ceux qui ne furent pas assez diligents, et
presque tous les malheureux habitants, furent passés au fil de l'épée. Les
femmes et les filles furent violées avec des brutalités inconcevables,
malgré leurs cris de détresse, qu'on entendait jusque dans le camp du
roi. Pourtant, le duc de Parme, ayant fait crier qu'on épargnât les prêtres
et les églises, il n'y eut point de meilleure sauvegarde qu'une soutane
et un bréviaire ; aussi vit-on ce jour-la quelques-uns des huguenots les
plus endurcis a genoux dévotement dans les églises et priant Dieu tout
haut, a la cathelique. Il y eut même un capitaine, du nom de Mont-
gommery, qu'on trouva auprès d'un autre officier blessé, qu'il faisait
mine d'exhorter 'a la mort en tenant un crucifix a la main et vêtu d'un
surplis. (Mézeray, t. III, p. 857.)
Henri regarda la prise de Lagny comme un affront que sa gloire était
intéressée a venger sans délai. Il comprenait qu'on pouvait en conclure
que le prince de Parme était meilleur général que lui, et c'était en effet
ce (pie les catholiques de sa propre armée n'hésitaient pas à dire tout
haut ; car il est rare qu'on puisse compter sur les bras de ceux dont on
ne possède pas le cœur. Pour couper court a ces propos injurieux qui
blessaient tout 'a la fois son intérêt et son amour-propre, il jura que cette
fois il prendrait Paris, de gré ou de force, et sans aucun ménagement.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 127
C'était pour le moment beaucoup plus facile a jurer qu'à exécuter. {Mém.
de Sully, t. H, liv. 4, p. 19.)
A cet effet, il décampa pendant la nuit et réunit toutes ses troupes
dans la plaine de Bondy, au-dessous de Livry. Il en détacha ensuite la
plus içrande partie pour aller alla(|uer la capitale, (|ui ne devait pas s'at-
tendre a une pareille surprise; et avec le reste, il se tint prêt soit à s'op-
|)oser au duc de Parme, s'il voulait tenter de porter secours aux Pari-
siens, soit 'a appuyer ceux (^l'il avait chargés de l'attaciue. {Mém. de la
Ligue, t. V, p. 5()'2 et suiv.)
C'était du côté des faubourgs Saint-Germain et Saint-Jacques que
cette attaque devait avoir lieu, parce (|ue de ce côté-la la ville
était plus faible. Cette entreprise manqua, attendu, dit-on, que les
échelles qu'on avait emportées pour monter a l'escalade se trouvèrent
trop courtes. L'auteur de la relation ligueuse du siège n'hésite pas au
contraire a attribuer la conservation de la ville, en cette occasion, a la
bonne garde que faisaient les jésuites. « Par l'inspiration de Dieu, dit-il,
ces Révérends Pères lurent les premiers, qui, sous la conduite de leur
Père provincial, accoururent, la hallebarde à la main, a un bruit (|ue leur
sentinelle avait entendu dans les fossés. Pourtant, le brouillard était si
épais que, n'ayant rien vu et n'entendant plus rien, ils étaient sur le
point de se retirer, quand un soldat royaliste, qui avait déjà escaladé la
muraille, parut tout 'a côté d'eux sur le rempart. Ils le tuèrent et renver-
sèrent ensuite l'échelle sur laquelle plusieurs de ses compagnons étaient
déj'a en train de monter ; puis, ayant jeté le cri d'alarme, il accourut tant
de gens 'a leur secours, qu'il fallut bien que les royaux se retirassent
avec leur courte honte. » {Mém. de la Ligue, ubi su p.)
Cette fois, il n'y avait pas moyen de déguiser que le siège ne fût
entièrement levé ; car, dans la circonstance, on ne pouvait même plus
laisser autour de la ville aucune troupe de l'armée royale, sans l'exposer
'a être entièrement détruite, soit par les assiégés, <\u\ avaient repris cou-
rage, soit par l'armée du prince de Parme. Quand les troupes du roi
s'y seraient môme prêtées de bonne grâce, il était devenu impossible
(|u'elles restassent plus longtemps dans les environs, parce que le pays
était ruiné, et (|ue les vivres n'arrivant plus aussi facilement au camp
depuis la prise de Lagny, on commenc^ail 'a y soufTrir de la disette.
Henri, pour tâcher d'obvier au découragement qu'une pareille nou-
velle ne pouvait manquer de jeter parmi ses partisans de province,
écrivit a tous les gouverneurs qui tenaient pour lui ; il leur disait :
«L'amour que je ressens, en bon roi, pour mes sujets, vient en effet de
me faire manquer l'occasion de me rendre maître de Paris. J'ai mieux
aimé attendre encore, (pie d'exposer cette capitale au pillage et a des vio-
lences inévitables si elle eût été prise d'assaut. Au reste, ce n'est au plus
qu'un léger relard : comme j'ai pris soin de bosicher tous les passages,
le peu de vivres que i)Ourront lui fournir les environs, déjà affamés eux-
mêmes, pendant le temps que j'ai cru nécessaire d'interrompre le blocus,
ne l'empêchera pas d'être obligée de se soumettre, quand je viendrai
128 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
bientôt, comme je l'espère, me présenter de nouveau devant ses portes. »
(Matthieu, Hist. de Henri /F, p. 50 et suiv.)
Ensuite, ne pouvant mieux l'aire, il quitta tout a fait Chelles, où il
désespérait d'obliger le prince de Parme à sortir de la position que ce
dernier avait si babilement prise, et il se rendit a Gonesse, le cœur
ulcéré, regrettant vivement d'avoir tant ménagé Paris, quand il lui aurait
été si facile d'y entrer en vainqueur. On dit que, pour ajouter encore a la
vivacité de ce repentir, il avait, en rentrant dans son logement, trouvé
sur la table un certain écrit de la main du duc de Montpensier, dans
lequel écrit il lui était remontré, de la part de tous les catholiques atta-
chés a son parti, que ceux-ci n'avaient pas hésité a lui rendre, aux dépens
de leur vie même, tous les services qu'il pouvait attendre deux, et peut-
être même davantage, comptant pour la tranquillité de leur conscience
sur la promesse qu'il avait faite et tant de fois réitérée d'abjurer l'hérésie
et de se convertir à la véritable foi; que cependant il n'avait, lui, nulle-
ment gardé cette promesse; qu'en conséquence ils étaient résolus de se
retirer chacun dans sa maison. (De Tnou, ubi sup, — Mém. de Villeroy,
1590.)
Le roi, ayant lu cet écrit, regarda tristement le duc qui l'avait signé,
et qui se trouvait la. Il ne prononça pas un seul mot. Seulement les
larmes lui vinrent aux yeux, et sans faire autre réponse, il demanda
qu'on assemblât le conseil de guerre.
L'a, il fut décidé que, puisque aussi bien on ne pouvait plus espérer
de retenir sous les drapeaux la majeure partie de l'armée royaliste, il
fallait se décidera la licencier, attendu qu'un licenciement était toujours
plus honorable pour le chef qu'une désertion générale.
En conséquence, le roi, après avoir mis dans les places voisines la
plus grande partie de ses troupes étrangères et de ceux de ses soldats
qui consentaient a faire leur métier de la guerre, ne garda autour de lui
qu'un camp volant. Il renvoya le prince de Conti avec tous ceux qui
l'avaient suivi dans le Maine, l'Anjou et la Touraine ; le duc de Mont-
pensier retourna avec les siens en Normandie ; Longueville resta en
Picardie; le duc de Nevers alla en Champagne, et le maréchal d'Aumont
en Bourgogne. Chacun de ces chefs remmenait avec lui un corps com-
posé des hommes de la province dont la garde lui était assignée, mais il
n'était pas douteux que ces hommes, une fois dans leur pays, sans solde
et sans espoir de pouvoir de longtemps fournir à leurs besoins, par le
pillage de l'ennemi, ne se dispersassent bientôt. Quant à Sa Majesté,
elle se rendit 'a Senlis, pour y attendre les événements. (De Thou, ubi
Slip.)
Or, les Ligueurs étaient maîtres de Clermont, qui n'est qu'a une
dizaine de lieues de Ta ; et comme cette petite place est dans une situa-
tion assez avantageuse, avec un bon château, ils s'y sentaient si bien
établis qu'ils ne craignaient pas de faire des courses jusqu'aux portes de
Senlis même et de Compiègne. Ce fut ce qui détermina le roi à aller les
assiéger. Son artillerie, qu'il avait presque toute conservée avec lui, fît
DU PROTEïj'rANTlSxMt: EN FRANCE. WJ
(rabord une large brùclie, et les royalistes montèrent intrépidement ii
l'assaut. Alors les assiégés, qui s'étaient tout aussitôt retirés dans le
château, après avoir mis le feu à quelques maisons de la ville, deman-
dèrent a capituler, ce {|ue le roi leur accorda de grand cœur.
En même temps, Lavardin, a «pii llemi IV venait de confier la garde
de Saint-Denis, ayant eu avis (jue deux régiments ennemis s'étaient can-
tonnés dans le bourg de Suresnes, se mit en marche avec une partie
de sa garnison, et les ayant surpris, il les battit, les désarma, fit leurs
commandants prisonniers et leur enleva trois drapeaux.
De son côté, le prince de Parme n'eut pas plus tôt appris que le roi
avait licencié son armée, (ju'il cpiilta enfin ses retranchements et vint
assiéger Corbeil. Il avait eu, dit-on, auparavant la curiosité de voir ce
Paris, dont il avait tant ouï raconter de merveilles. II y alla, sans se faire
connaître, avec dix ou douze de ses cavaliers, et vint loger pendant deux
jours chez un hôtelier de la rue Cullure-Sainte-Catherine. Le misérable
état dans lequel les malheurs d'un aussi long siège avaient réduit cette
grande ville ne lui en donnèrent pas une idée bien favorable; il ne put
voir partout que ruines, souiïrances et découragement. (Mkzkuay, t. III,
p. 859.)
Quoique, depuis la levée du siège, une très-grande quantité de bateaux
chargés de toutes sortes de provisions iùt déjà arrivée, conduite par les
marchands des environs, toujours a l'affût d'une bonne occasion de tirer
le meilleur parti possible de leurs denrées, les Parisiens s'étaient telle-
ment épuisés et il leur restait si peu d'argent, que les marchands furent
trompés dans leur calcul. Il est certain que ceux de Paris, auxquels il res-
tait encore des moyens de responsabilité, tirent aux banques italiennes des
emprunts a trente pour cent d'intérêt. Aussi ce pauvre peuple n'était-il
plus capable d'aucun sentiment de réjouissance. (Pkréfixe, ubisiip.)
Le duc se bâta donc de rejoindre son armée, qui avait déjà commencé
le siège de Corbeil. Dès la première attaque, on s'était emparé du fau-
bourg qui est sur la rive droite de la Seine, et qui se trouve joint a la
ville par un beau pont de pierre. Tout auprès de ce i)ont, du côté de
l'orient, était une ancienne tour que les habitants disaient eux-mêmes
avoir été construite par les Romains; les^murs en étaient si solides que
le canon n'y faisait rien. Le prince jugea que pour en venir a bout il
fallait avoir recours a la mine. (Di: Tuor, ubi sup.)
Il y fit donc travailler pendant plusieurs jours, au bout desquels ceux
qui défendaient ce^poste, s'élant convaincus qu'il allait bientôt sauter,
curent la sagesse dé se retirer. Le prince, alors maître de toute celte
p:u'tie de la rive, fit dresser sur la hauteur une batterie de cin(j pièces
de canon et de deux couleuvrincs, dont il partit aussitôt un feu si
terrible, que personne ne pouvait paraître impunément dans les rues.
Pour remédier 'a cet inconvénient, les habitants, (pii avaient déj'a barri-
cadé l'entrée de leur pont, dressèrent partout des retranchements avec
des pieux et des tonneaux remplis de terre derrière lesquels ils se trou-
vèrent bientôt 'a couvert de l'artillerie.
IT.
•130 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
L'ennemi parut tout étonné de trouver devant cette petite vilie une
résistance si longue et si opiniâtre, ce qui donna beaucoup de conten-
tement non seulement a ceux des nobles Français qui avaient embrassé
le parti du roi, mais encore a ceux qui avaient accompagné le duc de
Mayenne. Ces derniers, humiliés dans leur amour-propre national par
l'orgueil espagnol, n'étaient pas trop fâchés de voir les affaires de Monsei-
gneur de Parme ne pas marcher tout à fait aussi vite qu'il s'en était
flatté. « Votre Altesse, lui disaient-ils en riant, peut voir que les villes
en France ne se laissent pas prendre tout 'a fait aussi laciiement qu'en
Flandre. » {Mém. de Villeroy, 1590.)
Pressé d'en finir, le duc donna l'ordre a Sinigaglia d'envoyer reconnaître
la l)rèche que ses boulets avaient dû faire un peu au-dessus du pont.
Deux habiles nageurs, un Français et un Espagnol, furent chargés de
cette mission. Tous deux passèrent la rivière a la nage ; mais l'Espagnol,
transi de froid, quoique ce fût encore !a saison des bains, alla se rendre
aussitôt aux assiégés. L'autre, (|ui montra plus de courage, fut blessé
légèrement d'un coup d'arquebuse, et il revint dire au prince qu'il serait
dangereux d'attaquer la place par ce côté-fa. Alors le duc de Parme,
changeant subitement son artillerie de place, la fit mettre en batterie
vis-â-vis une maison qui termine l'angle oii la petite rivière qui vient
d'Étampes se jette dans la Seine; en même temps, il fit construire un
pont de bateaux, garni de forts madriers pour mettre les siens a l'abri
de la mousqueterie de l'ennemi, et afin qu'ils pussent conduire avec
moins de danger leur attaque dans cette nouvelle -direction,
La Grange, gentilhomme royaliste du voisinage, avait pris le comman-
dement de la place, et c'était un nommé Piigaud, naguère simple greffier,
qui lui servait de lieutenant. Le roi, apprenant donc que ces deux braves
faisaient une aussi belle défense dans un poste qui, d'ailleurs, était si peu
tenable. résolut de les aller secourir en personne. Il partit de Chaumont,
où il s'était rendu quelques jours auparavant avec un détachement de
ses troupes ; mais il rencontra sur sa route un gros parti de reitres et de
lansquenets de l'armée ennemie. Il l'attaqua, le battit, et prit presque
tous leurs officiers. (Dr Thou, uhi sup.)
Cet exploit, néanmoins, avait eu l'inconvénient de relarder sa marche,
et, pendant ce lemps-l'a, la ville de Corbeil avait été prise. Le seizième
jour d'octobre, les Espagnols, a l'aide de leur pont de bateaux, avaient
franchi la rivière et étaient venus donner l'assaut a la nouvelle brèche.
La résistance avait été longue et opiniâtre. Le brave greffier Rigaud s'était
fait tuer en disputant courageusement, a la lète des siens, le passage a
reniicmi; mais, 'a la fin, il avait fallu céder au nombre. La brèche fut
franchie. Tout fut passé au fil de l'épée : les femmes, les filles, les vieil-
lards et les enfants ne trouvèrent aucune pitié; et la ville fut jonchée des
cadavres de ses habitants. Il n'y eut que le commandant La Grange qui,
avec un petit nombre des principaux bourgeois, ayant eu le temps de se
retirer duns une tour, put faire une sorte de capitulation ; ils eurent le
bonhciir de n'être faits que prisonniers. Le roi, qui apprit cette désas-
I
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 131
Ircuse nouvelle comme il continuait sa route, fut obligé de revenir sur
SCS pas.
Au reste, la prise de Corbeil, qui avait coûté tant d'efforts et tant de
temps au duc de Parme, car il lui avait lallu un mois tout entier pour
s'en emparer, avait été plus fatale (ju'avanlagcuse à son armée. C'était le
temps où les raisins mûrissent dans les vignes. Les Flamands se mirent
il en manger avec une telle passion, et en si grande (juanlité, qu'il s'en-
gendra parmi eux des dyssenteries et des flux de sang qui en lirent
mourir plus de trois mille pendant la durée du siège. (Mézerav, ubi
sup., p. 81-0.)
Cependant le nonce du pape, Monseigneur Gaetano, après avoir vu
le siège de Paris levé, et la ville bien pourvue de vivres par les convois
qu'on se bâtait d'y amener de tous les points dont les royalistes avaient
abandonné l'occupation, venait de se mettre en route pour retourner en
Italie. 11 passa par celte pauvre ville de Corbeil, encore fumante et toute
remplie des corps morts de ses défenseurs; il complimenta le prince de
Parme, ainsi que le duc de Mayenne, de l'beureux succès de leurs armes;
puis il continua sa route 'a grandes journées; car il était appelé a Rome,
où pourtant il arriva trop tard, parle désir de coopérer en sa qualité de
membre du Sacré-Collège a l'élection d'un nouveau pape. Sixte V venait
de mourir.
La nouvelle de cette mort était arrivée 'a Paris le vingtième jour de
septembre, et le parti espagnol, ainsi que celui de la Ligue, furent loin
de s'en montrer allligés. Ils disaient, et leurs prédicateurs s'en allaient
répétant dans les cliaires, que ce pape était mort fauteur des hérétiques,
et s'entendait avec les politiques pour perdre la foi en France ; que
c'était la ce qui lavait empêché d'assister la Sainte-Union comme
il aurait dû le faire, et comme on était en droit de l'attendre du Père de
tous les fidèles. {Remarques sur la Satire Ménippée, t. Il, p. 207.)
Quoi (ju'il en soit, depuis quelque temps déjà, et surtout depuis sa
(luerclle avec l'ambassadeur d'Espagne, Sa Sainteté se sentait indisposée
d'une violente douleur de tête ; mais elle chercha à se persuader que
c'était la suite de sa trop grande application au travail, ce qui ne l'em-
pèclia pas de vaquer avec la même activité a ses occupations ordi-
naires, car, disait Sixte V, en répétant les paroles de V'cspasien, « il
faut (|u'un prince meure debout.» {LxmE, Collect. conc.,t. XV, p. 1578
et suiv.)
Le dix-huitième jour du mois d'août, il voulut même, malgré les
conseils de ses médecins, aller 'a l'église de Sainte-Marie-des-Allemands
pour y rendre grâces a Dieu de la conversion d'un prince de l'Empire
(jui venait d'abjurer le luthéranisme, et il s'obstina à faire le voyage à
pied. Do retour au Vatican, il eut un violent accès de lièvre: il fallut le
mettre au lit.
Le lendemain, quelques instances qu'on lui fit de prendre du repos,
il se leva et travailla aux afîairos do TElal, comme c'était son habitude de
chatjue matinée. Il lit même venir le gouverneur de Rome et lui ordonna
^32 HISTOIRE DE L ÉTABLISSEMENT
(l'un ton assez aiiçre de condamner de suite aux galères tous ceux qui
étaient accusés de quelque crime, a(in, disait-il, de débarrasser la ville.
Il ajouta qu'il voulait tous les voir en route pour Civita-Vecchia avant la
fin de la semaine. (Spginde, ad ann. 1590, n" 18.)
Les jours suivants la fièvre redoubla, ce qui ne l'empêcha pas de se
lever encore, malgré les intolérables douleurs qu'il ressentait. Il se fit
présenter la liste des prisonniers de la Sainte-Inquisition, et l'examina
avec toute la sévérité d'un juge mal disposé, sans demander pourtant
aucune condamnation. Enfin, un matin, le mal avait fait de tels progrès
qu'on s'aperçut que le Saint-Père ne pouvait plus se soutenir. Il se fit
dire la messe, a laquelle il communia; puis, se sentant tout a fait dé-
faillir, il demanda qu'on lui administrât l'extrême-onction, et il expira le
soir de ce même jour, trentième du mois d'août. H était âgé de près de
soixante-dix ans, et son pontificat avait duré cinq ans quatre mois et
trois jours.
Le bruit courut qu'il avait été empoisonné, et les médecins, lui ayant
ouvert le crâne, trouvèrent, dit-on, toule la substance du cerveau gâtée
par la malignité du venin qui y était attaché. Lui-même, ajoute-t-on,
avait manifesté ses soupçons 'a cet égard dès la première attaque du
mal. « Il me semble, avait-il dit à son médecin ordinaire, que mes bons
amis les Espagnols sont las de me voir si longtemps pape. Je sens qu'ils
ont pris les moyens d'en avoir bientôt un autre. » Son corps fut porté
dans l'église de Saint-Pierre, où il fut inhumé avec les cérémonies
ordinaires.
Le Saint-Siège ne fut vacant que dix-huit jours; ce qui n'empêcha pas
que ce court espace ne fût suffisant pour donner a la populace le temps
de se venger avec scandale de la sévérité avec laquelle elle avait été
traitée par le défunt pape. Une foule de mécontents, au nombre desquels
on ne manque pas de mettre les Espagnols, courut au Capitole pour y
briser la statue que la ville de Rome, dans ses moments d'adulation,
avait érigée 'a Sixte V, pendant qu'il vivait encore. On criait que les
tributs et les nouveaux impôts que l'avarice de ce pontife, porcher
parvenu, avait fait peser sur le peuple, ne méritaient (]ue trop une pareille
avanie. Pourtant on parvint, quoique avec peine, a empêcher ces furieux
d'exécuter leur dessein. Mais le sénat crut, a cette occasion, devoir
rendre un décret par lequel il est défendu d'ériger dorénavant aucune
statue 'a un pape encore en vie.
Cinquante-quatre cardinaux, qui se trouvaient pour lors à Rome,
étaient entrés en conclave le septième jour de septembre, qui était le
neuvième après la mort du défunt pape. La messe du Saint-Esprit ayant
été célébrée, les portes furent fermées sur l'heure de minuit ; car il fallut
tout ce temps pour laisser se retirer les ambassadeurs des diverses puis-
sances, occupés 'a former des brigues, chacun pour le protégé de son
souverain. Enfin, on put mettre des gardes a l'entrée, qui ne devait plus
s'ouvrir pour personne qu'après Télection du nouveau prêtre roi. (Sponde,
ubi swj9.,adann. 1590, n" 20.)
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 133
Le lendemain, après la messe, où les cardinaux communièrent tous
en rochet et en camail, on procéda au premier tour de scrutin ; mais
aucun des candidats n'obtint le nombre de voix suffisant. Us étaient
trois a poursuivre ce poste éminent, savoir : le cardinal Castagna, que
Sixte V avait lui-même désii,Mié comme le plus digne de lui succéder; le
cardinal Colonne, que portaient tous les prélats de l'Italie, et le cardinal
Cosme,qui avait pour lui l'appui si puissant de l'Espagne.
La brigue continua dans le conclave jusqu'au jeudi treizième jour
de septembre, et chacun s'efforça de gagner le plus de voix possible a
son parti. Le lendemain, le Saint-Esprit prononça, et ce l'ut Castagna, car-
dinal de Saint-Marcel, qui fut nommé. Les cardinaux cependant, pour se
soustraire a l'usage assez désagréable pour eux, qui s'était introduit
depuis quelque temps, de laisser piller au peuple le local où s'était tenu
le conclave, et pour se donner le temps de faire emporter leurs eftets,
convinrent qu'on tiendrait l'élection secrète jusqu"a ce que chacun eût
mis 'a couvert ce qu'il tenait le plus a conserver, et on fit répandre le
bruit que le pape n'était pas encore élu. Ce ne fut que le lendemain, et
quand chacun des électeurs eut bien pris toutes ses mesures, qu'ils con-
duisirent le nouveau pontife dans la chapelle Pauline, où ils le revêtirent
solennellement des ornements pontificaux.
Castagna prit le nom d'Urbain ML On le porta, suivant l'usage, dans
l'église de Saint-Pierre, « où, avec un visage sur lequel éclatait la mo-
destie chrétienne, il bénit la foule qui se pressait sur son passage. » On
le plaça ensuite sur l'autel des Saints-Apôtres, où il reçut, toujours avec
la même modestie, les adorations ordinaires. Ce nouveau pape étail, au
reste, d'une noble famille romaine ; il avait par sa science et par son
mérite obtenu sous les pontifes précédents un grand nombre d'emplois
importants, tant dans le gouvernement que dans l'Eglise. 11 était alors
dans sa soixante-neuvième année. (Ciaccon., Yit. Pontif., t. IV, p. 202
et suiv.)
Dès les premiers jours de son pontificat, il fit de grandes largesses
aux cardinaux qui avaient contribué a sa nomination. Pour se concilier
la faveur du peuple, il fit payer toutes les dettes des monts-de-piété, et
leur fit don de tout l'argent qu'il leur avait lui-même prêté, n'étant que
cardinal. Il fit d'abondantes distributions aux pauvres, et il donna l'ordre
a l'intendant des vivres dans Rome de faire augmenter le poids du pain,
se chargeant de dédommager les boulangers de ce qu'ils y pourraient
perdre. H voulut aussi abolir le luxe parmi les gens d'église, exigeant
(jue ses officiers fussent les premiers à donner l'exemple; enfin, il donna
des ordres et lit des fonds pour continuer les bâtiments de l'église de
Saint-Pierre, ainsi que ceux des palais du Vatican et du Quirinal ; mais
ce qui fait surtout son éloge, c'est que, quand on lui j)roposa quelques-
uns de ses plus proches parents pour remplir les charges vacantes, il
répondit, a ce qu'on assure : « .\ucun d'eux, tant que je serai pape, ne
se verra jamais appelé a un emi)loi j)ul)lic, car je veux me réserver la
liberté de punir quiconque manquera a son devoir. »
134 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Ce bon Pape n'eut guère le temps d'accomplir tout le bien qu'il avait
promis de faire. Il tomba malade d'une lièvre violente, le troisième jour
de son pontificat, pendant qu'on célébrait encore les l'êtes de son exalta-
tion. « Dieu, qui voulait récompenser ses vertus dans le ciel, ne fit
pour ainsi dire que le montrer li son Eglise, et Urbain VIÏ ne fut pas
couronné. Il mourut le vingt-septième jour de septembre, après avoir
prononcé ces paroles : « Dieu ne m'a pas jugé digne de ces fonctions
« suprêmes. Sans doute îl a prévu dans sa sagesse que je pourrais
« succomber a l'enivrement d'un aussi haut rang; je le remercie de
« vouloir bien me soustraire a un pareil danger. »
Les cardinaux rentrèrent donc de nouveau en conclave le huitième
jour d'octobre. On proposait cette fois le cardinal de Mondovi ; mais ce
prétendant ne se trouva pas du goût du tout-puissant roi des.Espagnes,
quoique ce prélat fût né son sujet et qu'il fût l'ami du duc de Savoie, son
gendre. Quelques cardinaux jetèrent alors leurs vues sur Aldobrandini,
homme d'une profonde érudition et d'une intégrité de mœurs irrépro-
chable. On croyait son élection assurée, quand l'intrigue espagnole par-
vint encore 'a déjouer toutes les mesures qu'on avait prises, et a la fin,
ce fut le cardinal de Crémone, l'un de ceux que Philippe avait lui-même
fait désigner au conclave par son ambassadeur, qui réunit la majorité
des voix. (Ciaccon., iibi sup.)
Ce nouveau pape était fils de François Sfondratc, célèbre juriscon-
sulte de Milan. Il prit le nom de Grégoire XIV. Aussitôt qu'il lut élu, il
fit donner mille écus à chacun des cardinaux, pour les dédommager des
dépenses qu'ils avaient été obligés de faire pendant le conclave, dont la
durée, au milieu de toutes les intrigues qui avaient eu lieu, s'était en
effet prolongée plus longtemps que de coutume. I! fut couronné le
huitième jour de décembre, et on prétend qu'on le vit rire d'une ma-
nière peu convenable au bruit des acclamations du peuple; ce qui donna
lieu a plusieurs de l'accuser de vanité mondaine. Du reste, il n'oublia
pas sa famille; il créa tout d'abord son neveu cardinal, et il nomma son
frère général de la Sainte Église.
En France, pendant ce temps-la, ceux qui se nommaient eux-mêmes
les catholiques zélés, ou simplement les Zélés, voyant Paris délivré et le
légat parti, jugèrent le temps venu de prendre leurs mesures pour
rendre désormais impossible tout traité avec le roi. « Quoiqu'ils fissent
semblant d'être affectionnés de tout leur cœur 'a l'Espagne, ils avaient
en secret un tout autre projet : c'était de faire de la France une répu-
blique en laquelle ils se promettaient d'être comme autant de souve-
rains, après avoir anéanti toute la noblesse. » Ils dressèrent donc un
mémoire pour le présenter au duc de Mayenne, qui, a leur avis, était
tenu <le leur accorder tout ce qu'ils demandaient, a cause des grands
services qu'ils avaient rendus a sa cause. Ils lui députèrent a Choisy,
où il avait établi son quartier général, ceux des leurs qui s'étaient fait
une réputation de dévouement parmi le peuple. Ce furent le docteur
Boucher, le Petit-Feuillant, La Gresle, Crucé et Borderel. Boucher pérora
DU l'UÛTtvSTA.NÏiS.Ml': lùX l'IlAXCl-;. -j;i->
pour SCS collôgiios et présenta le mémoire. (Caykt, Chron. novcnn., ad
ann. 1D9(I.)
Cette pièce demandait an duc de ne jamais déposer les armes, ni
pour paix ni pour Irrve, jusqu'à ce (|ue l'ennemi commun, c'est-a-
dire le Béarnais, i'ùt entièrement anéanti. Pour cela le dit duc était
supplié d'implorer le plus promptement possible l'aide et le secours de
tous les potentats catholiques, et spécialement de la part du pape et du
roi d'Espagne, comme étant les plus intéressés dans cette cause sacrée.
On l'engageait ensuite 'a bien éplucher la conduite et les opinions des
personnes qui composaient actuellement son conseil, et à éloigner géné-
ralement quiconque aurait proposé de s'accorder avec le dit Béarnais,
quiconque conseillerait de ne pas écouter les plaintes des catholiques,
disant ou insinuant que c'était chose importune et sans raison, et enlin
(juicont|ue ne parlerait que de rétablir l'Etat, aux dépens de la religion ;
(lu nombre des proscrits devaient être encore tous ceux qui avaient pris
séance auparavant dans les conseils du feu roi, et qui ne s'étaient ralliés
'a la Sainte-Union que pour sauver leurs biens et leurs honneurs et dignités ;
or, était-il ajouté, la majeure partie des conseillers actuellement en fonc-
tions auprès de la personne de Monseigneur le lieutenant général de
l'Etat et Couronne de France sont précisément dans ce dernier cas, et
nous nous odVons \\ en fournir la preuve. Enfin, la plupart des cours
.' souveraines du royaume ont montré, dans ces derniers temps d'épreuves,
tant de mauvais vouloir qu'il a bien fallu emprisonner et punir plusieurs
de ceux qui les composent; maintenant, il devient urgent d'empêcher
que ces mécontents puissent, en rentrant dans leurs charges, faire
tourner l'autorité qui leur serait rendue au profit de leurs vengeances
particulières. A cet effet, Monseigneur le duc est supplié, premièrement,
de donner d'abord^ un édit d'aveu des dits emprisonnements, exécutés
pour le bien de l'État, avec défense qu'il soit fait à ce sujet aucune
recherciie contre personne; secondement d'établir une chambre de magis-
trats élus et choisis, avec pouvoir de juger souverainement tous ceux
qui contreviendraient en quoi (jue ce soit a la Sainte-Union. Plaise en
outre 'a mon dit seigneur de mander sans relard au conseil général de
l'Union, de reprendre ses séances pour la continuation de la prospérité
et de la défense de la foi; qu'il lui plaise aussi, en attendant l'assemblée
des Etats-Généraux du royaume, d'ordoîiner que l'autorité de ce con-
seil soit reconnue de tous, et que les villes et provinces lui demeurent
obéissantes, attendu que c'est le seul corps judiciaire véritablement
souverain, et qu'il n'y a que lui qui puisse empêcher la Sainte-Union
de défaillir.
Mayenne, après avoir parcouru ce mémoire, répondit qu'il y ferait
droit; mais aussitôt que les députés se furent éloignés, le conseil s'as-
sembla, et tous turent indignés de l'outrecuidance de ces bourgeois.
Quel(|ues-uns des plus emportés opinèrent pour qu'on mit tout à la fois
en pièces et le mémoire et ceux qui avaient eu l'audace de l'apporter;
mais l'archevêque de Lyon et d'autres conseillers d'un sens plus rassis
136 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
dirent qu'il fallait se contenter prudemment de ne rien répondre, et lais-
ser la chose se perdre et s'éteindre dans le mépris qu'elle méritait.
{Dialogue du manant et du maheutre.)
Les députés des Seize furent donc obligés de s'en retourner « a vide
et mocqués ». Ils voulurent, aflectant tous les airs d'une république
libre d'Allemagne ou d'Italie, aller saluer le duc de Parme, au nom de
ceux qui les envoyaient. Mayenne, a qui l'on fit comprendre combien il
pouvait devenir contraire a son intérêt que ces gens-la eussent commu-
nication avec l'Espagnol, leur fit défendre expressément une pareille
démarche; ce qui n'empêcha pas le docteur Boucher de trouver bientôt
les moyens d'entretenir une correspondance secrète avec le prince, auquel
il fit connaître toutes les idées républicaines qui germaient déj'a dans le
parti. (Cayet, uhi sup.)
Le duc, après la prise de Corbeil, se voyant, par suite du mauvais
vouloir assez mal déguisé des nobles français qui étaient avec lui, dans
l'impossibilité de rien entreprendre contre les autres places tenues par
les royalistes, se décida a retourner en Flandre; d'autant que l'hiver
approchait et qu'il avait des nouvelles assez alarmantes de quelques ten-
tatives du prince Maurice dans ces contrées. Mais, avant de quitter tout
à fait la France, oîi il était entré avec les airs d'un conquérant, il voulut
encore essayer de tirer quelque avantage pour l'Espagne d'une expé-
dition qui avait déj'a coûté tant de dépenses. Il demanda au duc de
Mayenne quelles villes on céderait a Sa Majesté catholique pour la dé-
dommager des frais qu'elle venait de faire. Alors les seigneurs du parti
lui firent entendre ouvertement et lui prouvèrent (comme c'était en effet
la vérité) que toutes les places un peu importantes qui avaient embrassé
la Sainte-Union étaient au pouvoir du peuple. C'était précisément ce
qu'il avait déjà appris par sa correspondance secrète avec le docteur
Boucher.
L'ambassadeur Mendoce même lui expliqua, dans une entrevue
qu'ils eurent ensemble, que les choses en étaient véritablement h ce
point, et que le roi Philippe n'avait rien a espérer en France, s'il ne
parvenait d'abord a gagner ou 'a écraser tous ces petits chefs populaires
du parti de la Ligue, dans toutes les principales villes du royaume.
Il fut reconnu que le duc de Mayenne n'était au fond, malgré sa pré-
tendue popularité, rien moins qu'un homme sur lequel on pût asseoir des
projets sérieux; que son incapacité, son irrésolution dans les conseils,
son engourdissement et sa lenteur dans l'exécution, ses défiances et ses
scrupules, quand il s'agissait de prendre un parti décisif, le rendaient
tout a fait incapable de se maintenir longtemps dans la place a laquelle
le hasard l'avait porté, et que par conséquent, pour l'intérêt du monarque
espagnol, il était plus prudent de s'attacher à gagner peu 'a peu le peuple
des grandes villes, en employant l'argent de Sa Majesté a y pratiquer
des créatures, a soudoyer les Seize, les prédicateurs, les confréries du
Saint-Cordon, du Nom-de-Jésus, du Saint-Esprit, du Saint-Sacrement et
autres, récemment inventées par les Pères jésuites, « lesquels savaient
j
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 137
d'ordinaire couvrir habilement du prétexte de dévotion les plus dange-
reuses cabales. » (Pi':ui;i i\k, H' partie, 1500.)
La chose semblait d'autant plus facile qu'il y avait déjà partout une
grande disposition a voir changer l'état du gouvernement, parce que,
sous les règnes derniers, le joug avait été fort lourd pour les pauvres
peuples; et les villes avaient déjà propension à se joindre ensemble, en
manière de république, ou a faire un roi dont la puissance fût si limitée
(|u'il ne pût a l'avenir les accabler, suivant son bon plaisir, d'impôts ou
(le gens de guerre, comme avaient fait les deux derniers monarques. Or,
on dit que le roi d'Espagne, qui espérait bien trouver son compte dans
l'un ou l'autre arrangement, dépensa de si grandes sommes 'a soudoyer
et a exciter ces factions, que s'il en eût seulement employé la moitié a
entretenir des armées, il eût pu conquérir tout le royaume.
On convint donc dans le conseil secret du duc de Parme que pour
le moment il n'y avait rien a faire qu'a entretenir soigneusement la
discorde en France, pour profiter de la première occasion qui s'ofl'rirait,
et que pour cela il ne fallait fournir aux Ligueurs que juste assez de se-
cours pour les mettre en état de résister aux royaux et les empêcher de
reconnaître le roi. S'ils se trouvaient réduits a en demander davantage,
on se promettait bien de ne rien leur accorder, cette fois, qu'a condition
qu'ils livreraient d'abord de bonnes places en garantie, et qu'ils recon-
naîtraient l'infante d'Espagne pour reine. Mendoce, en attendant, se
chargea d'animer de plus en plus la rébellion dans la capitale, au moyen
des Seize, qui lui étaient vendus, et de sa bande de prédicateurs, dont
il soudoyait généreusement la furibonde loquacité.
Ce plan de conduite ayant été arrêté entre eux, le duc de Parme lit
avec Mayenne les dispositions nécessaires pour mettre les partisans de
l'Union en état de résister aux royaux. La Châtre fut nommé maréchal de
France et envoyé à Orléans, avec un corps de troupes, pour défendre la
Sologne et le Berry. Belin eut le gouvernement de Paris, en la place
du duc de Nemours. Celui-ci aurait bien voulu avoir le gouvernement
de Normandie ; « mais, comme lui dit Monseigneur de Mayenne, il n'au-
rait pas été sage de disposer de la peau du loup avant d'avoir mis la
bête 'a bas; » et il fut obligé de s'en retourner dans son gouvernement
du Lyonnais, avec charge de veiller sur les provinces du Dauphiné, de
l'Auvergne et du Bourbonnais. (Cayet, ubi siop.)
On envoya aussi plusieurs troupes de gens de guerre, avec des ca-
pitaines capables dans diverses autres provinces; puis, l'armée espa-
gnole, accompagnée du duc de Mayenne et des seigneurs de son parti
(pi'elle traînait 'a sa suite, reprit la route de Flandre, en traversant la
Brie.
Or, le duc de Parme était 'a peine a Coulommiers, qu'il reçut la
nouvelle de la reprise de Corbeil. Le sieur de Civry, qui était 'a Melun,
ayant eu connaissance du départ de ce prince, s'était aussitôt mis en
route avec une partie de sa garnison, et, arrivant a l'improviste, il avait
gagné la place par escalade. Les soldats espagnols (jue le duc de Parme
138 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
avait laissés pour !a garder furent, tous passés au (il de Tépée, au grand
plaisir des royaux, et surtout de ceux de la ville, qui ne pouvaient par-
donner a Tennemi tout le mal qu'il leur avait l'ait.
En même temps, le roi, qui ne voulait pas laisser partir le dit sei-
gneur duc, sans lui l'aire un petit bout de conduite, ne fût-ce que pour
rempècher de rien entreprendre sur les places où il y avait garnison
rovaiiste, se mit de son côté en campagne. A la tête de huit cents che-
vaux et de la noblesse de Picardie, qui venait de le rejoindre, il partit
de Compiègne, laissant au maréchal de Biron le reste de son armée.
La Noue eut ordre de se jeter dans Château-Thierry, et d'empêcher a
tout prix que Tennemi ne s'en emparât. Les autres villes royalistes, qui
se trouvaient sur le passage des Espagnols, reçurent également des
renforts, et le roi se chargea de suivre le duc et de lui donner assez
d'occupation pour l'empêcher de s'arrêter a faire des sièges.
Pendant que Sa Majesté chevauchait ainsi pour la gloire et pour le
salut de sa cor.ronne, « ce fut, dit Thislorien Matthieu, la première
occasion qu'eut ce bon prince de voir la belle Gabrieile, dont quelques-
uns de ses courtisans lui avaient vanté la bonne grâce et la grande
beauté. En passant a Cœuvres, il s'arrêta a la porte du château; mais,
pour ne pas donner de soupçons au père, il se contenta de prendre de
la main de cette jeune dame du pain et du beurre, sans entrer ; puis,
remontant a cheval : « Ma belle dainoiselle, dit-il, je vais céans vers
« l'ennemi, et vous entendrez parler sous peu de ce que j'aurai fait
« pour l'amour de votre incomparable beauté. » (Mattihku, Vie de
Henri 1\\ t. Il, p. 59.)
Ce fut le vingt-troisième jour de novembre qu'il atteignit et tailla en
pièces une partie de l'arrière-garde espagnole. Après cet exploit, il se
retrancha dans le village de Longueval, où la cavalerie de Flandre, en-
voyée au secours de ceux qu'il venait de battre, vint donner des coups
de lance jusque dans les portes; mais elle fut reçue par une salve de
mousqueterie qui la contraignit bienlê)t a tourner bride.
En ce moment, le roi fut rejoint par Monsieur le duc de Nevers,
avec cinq cents chevaux, et par le sieur de Givry, qui après avoir repris
Corbeil, comme on l'a vu, lui amenait la garnison de Melun. Se trou-
vant alors a la tête de deux mille chevaux et de mille arquebusiers,
il résolut de couper et d'enlever toute l'arrière-garde du duc de
Parme ; ce qu'il aurait en elîet exécuté, si le hasard ne fût venu
déranger son plan. Deux canons du duc étant demeurés embourbés dans
un mauvais chemin, l'armée, qui ne voulait pas les abandonner, revint
toute entière sur ses pas, et Henri n'osa rien tenter en présence de forces
aussi supérieures aux siennes. (Cavet, uhi sup.)
Mais, dès le lendemain, ayant fait pendant la nuit une marche forcée
avec une partie de sa cavalerie, il tomba inopinément sur l'avant-garde,
au m.oment où elle débouchait par le chemin de Marie pour gagner le
lieu nommé « l'arbre de Guise », au passage de la rivière d'Aisne, Le
jeune Biron, qui conspira depuis contre Henri ÏV, se trouva tellement
DU rUOÏESTANTISME EN FRANCE. 139
engagé par suite de rimpétuosilé avec laquelle il chargea rcnneini, que
si le roi, avec les genlilslioiumes de sa suite, ne fût venu lui-même au
secours de cet imprudent, « il ne s'en fût jamais retiré. » Le choc tut si
soudain et si vif, que toute cette troupe espagnole, ayant été de prime
ahord mise en désordre, se sauva vers le gros de l'armée, laissant ses
morts tout armés sur la place, ainsi qu'une quantité de bagages et de
chariots. Si le roi eut eu là tout son monde avec lui, il est probable
(ju'il eût pu couper alors le passage au duc de Parme, et peut-être
anéantir son armée; du moins, s'il le laissa passer, il l'avait empêché de
rien entreprendre dans sa retraite, et la vivacité avec laquelle il lavait
poursuivi avait obligé ce prince à faire de si grandes journées qu'il
laissait derrière lui une longue lile de ceux des siens qui ne pouvaient
marcher, ainsi que la plus grande partie de ses bagages, dont les paysans
prolitèrent. {Économie.'^ royales de Sully, t. II, ch. i.)
Arrivé 'a la frontière, le duc lit le partage de son armée conformé-
ment au plan qui avait été arrêté entre lui et l'ambassadeur Mendoce.
11 ne laissa à Mayenne qu'un corps de huit mille hommes, et ayant
rangé cette troupe en bataille, il fit cette allocution légèrement em-
preinte de la braverie castillane : « Je ne viens pas ici vous rappeler la
gloire que vous avez si récemment acquise par la délivrance de Paris, et
par tous les autres exploits que vous avez accomplis en France. Je ne
veux que vous engager 'a conserver l'honneur justement dû 'a ces pre-
miers succès, en continuant de vous montrer Mdèles a Dieu, 'a la sainte
Église et au roi catholique, notre souverain. Je ne doute point que sous
peu vous ne remettiez la France en liberté, sous l'obéissance du Saint-
iègc apostolique ; mais si pourtant l'hérésie parvenait à résister à vos
limes, comptez que je ne vous laisserai pas manquer de secours. S'il
était besoin (|ue je revienne en personne vous aider a achever ce que
nous avons si glorieusement commencé ensemble, je ne ferai faute de
m'y acheminer; car je vous affirme qu'il n'y a chose au monde 'a laquelle
Sa Majesté catholique, notre bien-aimé monarque, tienne plus, qu'à voir
diu'ant sa vie exterminer l'hérésie et les hérétiques, contre lesquels,
pour le devoir de sa dignité, il est bien résolu d'employer tous ses
moyens et toute sa puissance. » (Cavet, tibi sup.)
« Quant à vous. Messieurs les catholiques français, ajouta-t-il en
s'adressant au duc de Mayenne et aux autres seigneurs du parti qui
assistaient à cette espèce de revue, je compte que vous n'oublierez pas que
les braves (jue je vous laisse pour vous aider sont un secours que vous
(levez uniquement à la générosité de mon noble maître, le puissant roi
des Espagnes, et que vous aurez pour chacun d'eux tous les égards et
tous les soins dus à une aussi haute protection, dont l'uniquecause, je
vous le répète, est l'intérêt sacré de notre Sainte Religion. »
Ensuite, prenant à part le duc de Mayenne, il lui conseilla d'entre-
t(Miir toujours le roi par (piehiue ouverture de paix oii de trêve, et de
1 amuser parce moyen, afin de l'empêcher de rien entreprendre pendant
cet hiver, « car j'ai reconnu, dit-il, que votre Béarnais use plus de
140 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
bottes que de souliers, et qu'on le ruinera plutôt par délaiemenls que
par la force. »
Le duc de Parme, après avoir ainsi réglé les choses, s'achemina
droit à Bruxelles, où il trouva que le prince Maurice, pendant son absence,
lui avait taillé une grande besogne. Mais cette partie de l'histoire n'ap-
partenant plus au plan que je me suis tracé, je crois devoir la laisser a
l'écart, sauf à en rappeler par la suite ce qui pourrait contribuer à
rendre mes récits plus faciles à comprendre.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 141
CHAPITRE VII
1590 ET 1591. — ARGUMENT : le hoi a saint-quentin.
l'niSE DE CORBIE. — LE ROI A SENLIS. — MATIGNON EN GUYENNE.
LES JÉSUITES. — LE PARLEMENT DE BORDEAUX. — TROUBLES EN CHAMPAGNE.
LES LIGUEURS PRENNENT VILLEFRANCIIE. — JOYEUSE EST REPOUSSÉ A TROYES.
SUCCÈS DE LA LIGUE EN POITOU. — LE CAPITAINE LA GUERCIIE.
MARGUERITE DE COLIGNY. — LE DUC DE SAVOIE PREND DRAGUIGNAN.
SON ENTRÉE A AIX. — MARSEILLE L'aPPELLE. — LESDIGUIÈRES PREND GRENOBLE.
MAURICE FAIT ALLIANCE AVEC LE ROI. — ÉLIZABETII LUI ENVOIE DES TROUPES.
D'aUMALE tué a l'attaque de SAINT-DENIS.
LE ROI TENTE INUTILEMENT DE SURPRENDRE PARIS.
ENVOI d'un NONCE EN FRANCE. — SIÈGE DE CHARTRES.
INTRIGUES DU CARDINAL DE VENDÔME. — LE TIERS PARTI. — CHARTRES CAPITULE.
MORT DE CHATILLON.
Le roi, de son côté, retourna vers Saint-Quentin, où il entra comme
en triomphe. Le peuple lui savait gré d'avoir chassé l'étranger du sol de
la patrie, et s'il n'avait pu le vaincre, de l'avoir du moins empêché de
s'y établir. Ce qui augmenta encore la joie publique fut l'heureuse nou-
velle de la prise de Corbie, qu'on reçut presque en même temps. Cette
ville, située sur la Somme, a quatre lieues au-dessus d'Amiens, est fa-
meuse par une ancienne abbaye, fondée, dit-on, par sainte Bathilde,
reine de France, et par son fils, le roi Mérovingien Clotairc III. C'était
alors une place importante et bien fortifiée; aussi, sorf gouverneur le
seigneur de Bellefouriére, s'étant déclaré pour la Ligue, le feu roi avait
tout tenté inutilement pour le rappeler a son parti. (Moiiéri, verbo
Corbie.)
Charles d'IIumières, lieutenant du duc de Longuevillc, se mit en
route pour attaquer celte place dans la nuit du dixième jour de dé-
cembre. Malgré toutes les précautions qu'il avait prises pour tenir sa
marche secrète, il trouva sur son passage tout le pays soulevé par le
tocsin qu'on sonnait avec fureur dans chaque village, ce qui ne l'empê-
cha pas cependant de poursuivre son entreprise, et il arriva, une heure
environ avant le jour, sous les murs de la dite ville. Tous les habitants,
avertis de son approche, se tenaient en armes sur leurs remparts, à la
lueur de grands feux qu'ils avaient allumés. Par le moyen du pétard,
d'IIumières fit sauter la grille de fer du canal qui sort au-dessous de la
-142 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
ville ; la gelée, qui avait glacé Teau de ce canal, lui fournit le moyen
d'introduire par la son infanterie, et comme les assiégés accouraient en
bon ordre, ayant leur gouverneur a leur tête, le combat fut sanglant et
dura trois beures; mais, a la fin, le gouverneur ayant été tué, la ville
fut gagnée et livrée au pillage. La garnison tout entière fut passée au
fil de répée, et la précieuse bibliothèque de l'abbaye, qui contenait un
grand nombre de livres et de manuscrits curieux, fut entièrement dévastée
et perdue. (Davila, t. III, liv. il, p. 125.)
Henri se rendit ensuite à Senlis. Ce fut la qu'il donna audience à
Daffis, premier président du parlement de Bordeaux, qui, accompagné de
deux conseillers de cette cour, venait en dépulation auprès de Sa
Majesté, pour lui apporter l'adhésion et les remontrances de sa com-
pagnie. (De Tiiou, t. XI, liv. 99, p. 224 et suiv.)
Le maréchal de Matignon était parvenu a maintenir cette capitale de
la Guyenne, ainsi que la plus grande partie de la province, sous l'obéis-
sance du roi, malgré les tentatives des Pères de la Société de Jésus. Ces
religieux, (|U! se disaient suscités de Dieu lui-même pour la défense de
l'Église et pour combattre l'hérésie nouvelle, avaient été forcés d'abord
de se réfugier ÎJ Agen et à Périgueux, villes du parti de la Ligue, par les
magistrats royalistes de Bordeaux, qui avaient trouvé que leur manière
de défendre ce qu'ils appelaient la bonne cause ne servait qu'a entre-
tenir les troubles et la discorde dans la cité; mais, loin de se croire
battus, ils continuaient, par des émissaires secrets, à gagner les âmes a
leur parti. Bien des gens étaient donc fort mal disposés contre le roi
par les soins de ces bons Pères. Pourtant personne n'osa bouger, grâce
a la terreur qu'inspirait Matignon, lequel, ainsi qu'on l'a vu plus haut,
avait eu le bon esprit de s'emparer du château Trompette.
Restait au maréchal a gagner aussi le parlement. La vieille haine de
ce corps contre les protestants retombait naturellement sur le roi, qui
suivait leurs doctrines, et le crédit que celte noblesse de robe avait
acquis sur les peuples ne permettait pas d'agir trop brusquement a son
égard. Matignon, avec ses ruses, sa prudence et son sang-froid^ était
précisément l'homme que demandaient les circonstances.
Il commença par gagner le maître des requêtes. Gomme celui-ci
était dépositaire du sceau du parlement, il le décida a faire fondre ce
sceau, lequel' était toujours celui de Henri III, et à en faire faire un
nouveau au nom de Henri IV, roi de France et de Navarre. D'abord, le
parlement ne voulut pas admettre les lettres et les actes scellés de ce
nouveau sceau; et a la requête de son procureur général, il donna
même une sentence d'ajournement personnel contre le maître des
requêtes. Alors Matignon intervint. Sous divers prétextes, il éloigna
ceux des membres de la cour qu'il savait être les plus entêtés dans leur
opposition ; il gagna habilement les autres en leur représentant qu'il
devenait en effet ridicule de mentionner le nom d'un roi qui n'était
plus, quand son successeur légitime suivant les lois du royaume était
déjà sur le trône, et il obtint un arrêt ordonnant que dans tout le
DU niOTESTANTISME EN FRANCE. 143
ressort du dit parlement les actes publics n'auraient d'autorité qu'au-
tant qu'ils seraient scellés du nouveau sceau royal.
Alin de n'avoir pas l'air pourtant de mettre tout a fait de côté les
intérêts de la foi, la cour avait arrêté que son premier président, Daflis,
partirait incessamment pour aller exhorter le roi a abjurer l'hérésie et 'a
tenir les promesses qu'il avait faites aux catholiques, et c'est cette dépu-
talion que Henri eut a recevoir 'a son arrivée a Senlis.
Sa Majesté répondit qu'elle prenait en bonne part les remontrances
de son fidèle et bien-aimé parlement de Bordeaux, et ([u'aussitot que les
perturbateurs de l'État lui laisseraient le loisir de s'occuper de cette
importante affaire, elle était bien décidée à convoquer un concile
national, et 'a se soumettre 'a la décision qui émanerait de cette
assemblée.
Dans ce même temps, le roi congédia le duc de Nevers, car il venait
d'apprendre que dans la province de Champagne, dont ce seigneur avait
le gouvernement, le duc de Lorraine et le parti des Guises faisaient
chaijue jour de nouveaux progrès. Le capitaine Saint-Paul était même
venu mettre le siège devant Villefranche, place frontière sur la Meuse et
soigneusement fortifiée. Le premier soin du duc de Nevers fut de se
porter au secours de cette ville; mais au moment on il arrivait avec ses
troupes, il apprit (jue le gouverneur, par lâcheté ou |)ar trahison, avait
déjà livré les portes a l'ennemi, saris attendre même que la brèche fût
ouverte. Le duc fut obligé de revenir sur ses pas, après avoir perdu inu-
tilement quelques-uns de ses plus braves soldats, en tentant de reprendre
la ville.
Les entreprises des royalistes ne devaient pas, cette année, être
heureuses en Champagne. Il y avait longtemps déjà qu'ils se propo-
saient do reprendre la ville de Troyes, capitale de la province, et qui,
s'étant hautement, dès le commencement, déclarée pour la Ligue, avait
reconnu pour commandant Claude de Lorraine, prince de Joinville.
Joyeuse de Torlerone, désireux de signaler par un coup d'éclat son
attachement au parti du roi, assembla aux moulins de Fourchi un grand
nombre de seigneurs et de gens de ce parti. Il en fit déguiser quelques-
uns en vendangeurs, et les envoya passer sur la contrescarpe des fossés
en chantant des vaux-de-vire, espèce de chanson devenue depuis peu
fort en vogue, parmi les buveurs de la Champagne et de la Bourgogne.
Ces hommes avaient ordre de remarquer si la garde des remparts se
faisait régulièrement. Sur le rapport (|u'ils firent (juils n'avaient pas
même vu de sentinelles, Joyeuse, profilant d'une nuit obscure, s'en vint
faire planter des échelles a l'endroit qu'on nomme les Moulins-Brûlés et
(pii était en effet le plus désert de la ville. (Mi:/i:uav, t. III, p. 8i4.)
Cent cinquante de ses soldats, armés de corselets, de haches et de
marteaux, s'introduisirent par l'a dans la place, et vinrent briser la porte
Saint-Jacques, par où les reilres royalistes ainsi (|ue la cavalerie purent
entrer de plain-pied. Tout ce mi)nde, qui pouvait bien monter a sept
ou huit cents hommes, se répandit incontinent dans la rue Saint-Pierre
i44 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
et devant révêché, où logeait Monseigneur le prince.de Joinville. Aux
cris de « Vive le roi ! » on arbora un drapeau blanc.
Joinville, surpris par celte attaque inopinée, n'eut que le temps de se
sauver dans la sacristie de l'église de Saint-Pierre, pendant qu'on criait
c( Aux armes! » par toute la ville. Soudain, les bourgeois s'attroupent,
barricadent les rues et reviennent fermer la porte Saint-Jacques, qui
avait donné entrée aux assaillante, et que ceux-ci n'avaient pas eu la
précaution de (aire garder. L'épouvante se mit aussitôt parmi les roya-
listes, qui ,se voyant coupés, cherchèrent, les uns 'a se retirer dans l'évê-
ché, et les autres a se renfermer dans l'église. Les plus courageux tentent
de s'ouvrir de force le passage par lequel ils s'étaient introduits; mais
partout ils rencontrent des hommes armés qui les repoussent.
Le doyen de Saint-Etienne, Jean Tartier, se mit lui-même 'a la tête de
ses paroissiens; et l'épée a la main, il les excitait et les encourageait
à repousser l'ennemi. Par malheur, un coup d'escopette, parti de la
main d'un royaliste, étendit ce prêtre belliqueux raide mort sur le pavé
de la rue : ce fut le signal d'un massacre épouvantable. En un moment,
plus de deux cents des soldats de Joyeuse sont tués ou mis hors de
combat par une terrible décharge qui pleut sur eux de tous les côtés.
Ceux qui eurent le bonheur d'échapper a ce premier feu se sauvèrent
jusqu'il Sainte-Maure, qui est a près de deux lieues de l'a; mais, pour
ceux qui se rendirent prisonniers, ils furent tous impitoyablement égorgés
par la populace, devenue furieuse par suite de la mort de son curé.
La Ligue venait aussi d'obtenir des succès en Poitou. La Guerche,
l'un des principaux chefs du parti dans cette province, venait de forcer
la ville et le château de Mircbcau, appartenant au duc de Montpensier.
Peu s'en fallut même que ce chef aussi rusé qu'entreprenant,
ne s'emparât du maréchal d'Aumont et de Duplessis-Mornay, que le roi
avait envoyés dans ces contrées pour y soutenir son parti. La Guerche
leur écrivit qu'il était tout décidé a faire sa soumission 'a Sa Majesté,
et que voulant signaler son zèle 'a cette occasion, il méditait de
remettre entre les mains du monarque l'importante ville de Poitiers;
« mais, ajoutait-il, je crains que mon autorité ne soit pas encore assez
bien établie auprès des royalistes qui sont dans cette ville, et qu'ils
hésitent 'a me prêter leur concours, dont je ne puis pourtant me passer.
Votre présence les déciderait sans contredit, et je puis vous intro-
duire secrètement dans nos murs. » Les deux chefs royalistes se dispo-
saient en effet a se rendre a cette invitation, quand heureusement
ils furent avertis que ce n'était qu'une perfidie pour les entraîner dans
un piège.
« Je crois pouvoir passer sous silence beaucoup d'autres sièges de
places, de rencontres et d'entreprises, » qui eurent lieu dans diverses
provinces, car tous ces faits présentent partout le même caractère et ne
serviraient guère qu'à allonger indéfiniment mes récits. Je ne saurais
pourtant omettre ici l'action héroïque de Marguerite d'Ailly, épouse de
François de Coligny, que nous avons vu se montrer l'un des chefs les
DU PR0'l'l':STAiNTlt5MI': EN FllANCE. 145
plus lidèlcs el les plus ciilreprenaïUs de rannée du roi. (Mk/liiav,
ubi sup.)
Prolilanl do rabscncc de ce seigneur, le gouverneur de Monlargis,
(|ui tenait pour la Ligue, vint assiéger .^largueritc, dans son château de
Chàtillon-sur-Loing, où elle Taisait sa résidence. Déjà le bourg qui s'étend
au |)ied du cliàleau était pris, et lennenii avait même pénétré dans les
cours extérieures. .Madame de Coligny rassembla ses domesti((ues, se mit
elle-même à leur tête et lit une sortie avec un tel courage, qu'après
avoir tué un grand nombre des assaillants, elle repoussa les autres,
tout en désordre, bien au delà du bourg, leur reprit le butin qu'ils
avaient déjà chargé sur des charrettes, et lit de plus prisonnier le gou-
verneur de Monlargis.
Cependant le roi Henri IV était revenu a Manies, où il n'était pas
moins embarrassé pour retenir dans son parti ceux des seigneurs catlio-
li(|ues qui Tavaient déjà reconnu, que |)Our ne pas cho(|uer la suscepti-
bilité des protestants, aux(]uels il devait déjà tant, et qui avaient fait sa
principale force dans des temps diflicileSo Aux premiers, il avait promis
dès Tannée précédente, ainsi qu'on l'a vu, de se laire instruire dans leur
religion. Jusque-la il avait pu dilférer l'exécution de cette promesse assez
souvent renouvelée; les grands événements qui l'avaient occupé lui
avaient fourni une excuse toute naturelle; mais maintenant, on commen-
çait a lui rappeler assez librement que le temps était venu où il ne pou-
vait plus dilférer de donner satisfaction 'a ceux qui ne s'étaient ralliés a
lui (lu'a condition qu'il abjurerait l'bérésie. Quant aux buguenots, était-
il possible que sans ingratitude il se séparât d'eux, qui, l'ayant reconnu
pour le chef et l'espoir de leur église, lui avaient, en cette qualité, consa-
cré leurs fortunes et leurs vies? (Davila, t. III, liv. XI, p. 127.)
Il fallait cependant mécontenter l'un ou l'autre parti. Le roi chercha
d'abord a apaiser celui des deux qui lui semblait le plus puissant, en lui
faisant une première concession ; et le dixième jour de novembre, il
donna une déclaration, enregistrée dix jours après au parlement séant a
Tours, par laquelle il révoquait les chambres établies dans diverses pro-
vinces par le feu roi, au commencement de ces troubles, pour juger des
afl'aires des protestants. La connaissance de ces affaires était rendue aux
anciens tribunaux et aux parlements dans le ressort des(iuels les parties
habitaient. Si cette nouvelle disposition donna quebiue satisfaction aux
catholiques, les huguenots de leur côté s'en plaignirent amèrement et
commencèrent 'a s'apercevoir que le vent de la faveur d'un prince, au-
(|uel ils avaient en quelque sorte servi de marchepied, ir' soidïlait plus
de leur côté. (De Tnou, ubi sup.)
Sur ces entrefaites, le duc de Savoie, quoiqu'il comptât beaucoup
plus sur les intrigues et sur les intelligences secrètes (juil avait avec
les Ligueurs que sur ses forces, venait de mettre sur pied une nouvelle
armée, pour laquelle le roi d'Espagne, son beau-|)ère, lui avait tout a la
lois fourni des fonds et des soldats. Il était parti de Nice, et, prenant la
route de Provence, le long des côtes, il arriva a Anlibes, d'où il alla, au
IV. 10
146 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
commencement d'octobre, se rendre maître deFréjus, siège d'un évêché
fort ancien. Ensuite, il prit Draguignan et quelques autres petites places
des environs.
Pour lors, la ville d'Aix, qui était devenne pour ainsi dire le quartier
général de tous les factieux de la Provence, envoya en députation a ce
prince, Eléazar Rastel, évéque de Riez, pour le prier de venir prendre
leur ville sous sa protection, afin de la mettre a couvert de l'invasion et
de la tyrannie des hérétiques. « Daignez, lui dit le bon évéque avec
onction, venir consoler nos peuples par votre présence, et répandre sur
notre cité les rayons de votre gloire. » (Mézerav, t. III, p. 84i.)
Le duc, qui ne demandait pas mieux que d'accueillir une semblable
proposition, loua très-fort la sagesse et le zèle des bons catholiques
d'Aix, et il assura leur vénérable député qu'il était bien résolu de
répondre a la confiance qu'on avait en lui, aux dépens même de ses
propres Etats et de sa vie. Il ajouta qu'il allait immédiatement
prendre les mesures nécessaires pour se rendre aux vœux qu'on lui
manifestait si honorablement; puis il renvoya l'évéque comblé de ca-
resses et de présents.
La ville d'Aix se prépara donc a recevoir avec toutes sortes d'hon-
neurs le prince étranger qui voulait bien lui faire la grâce de s'y établir
en maître; mais ceux de ses habitants qui. conservaient encore quelques
sentiments patriotiques au fond du cœur étaient indignés de voir qu'à la
honte de la nation, une ville française voulût se livrer si lâchement et si
imprudemment â l'ennemi de la France. De son côté, le duc, qui ne
savait trop jusqu'à quel point il pouvait compter sur les propositions si
inespérées qu'on lui avait envoyé faire, ne s'approchait que lentement,
étant bien aise de voir comment les affaires tourneraient, avant de
hasarder sa personne dans une ville où il était bien possible qu'il trou-
vât encore beaucoup d'ennemis.
En effet, le comte de Carces, qui était revenu à Aix après sa retraite
de devant Salon, tout attaché qu'il fût à la Ligue, tenait encore plus à
ses intérêts particuliers; et il était évident qu'il allait déchoir du rang
dont les circonstances l'avaient mis en possession, si le prince savoyard
entrait une fois à Aix, en qualité de protecteur des catholiques. Aussi
mettait-il tout en usage pour empêcher que cette entrée n'eût lieu. A la
fin pourtant, voyant ses efforts devenus inutiles, il prit le parti de
se retirer lui-même, et le duc, bien sûr alors que son parti était le plus
fort, n'hésita plus à faire son entrée, laquelle eut lieu le quatorzième
jour de novembre.
Il fut reçu par tous les ordres de la ville qui lui présentèrent même
le dais, comme à un souverain reconnu ; mais il eut la modestie de le
refuser, en disant aux habitants qu'il fallait réserver cet honneur pour le
roi que le ciel leur destinait. Il sentait qu'il avait à ménager la suscep-
tibilité du roi d'Espagne, qui avait, lui aussi, ses vues particulières sur la
couronne de France. Cela pourtant n'empêcha pas qu'il ne trouvât par-
tout sur son passage des arcs-de-triomphe ornés de ses armes et de ses
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 147
devises, « et que cin(| cents petits enfants des principales (amilles de la
ville, tons vêtus de tadelas jaune et portant des handeroles, ne mar-
chassent devant lui, en criant : « \ive Son Altesse! vive la messe! »
(Ml'ZKHAY, llbi Slip.)
Le lendemain, le duc se rendit au palais, où tons les membres du
l)arlenient, après être venus lui baiser la main chacun selon son rang et
sa dignité, le proclamèrent prolecteur et gouverneur général de la pro-
vince, ce (]ui ne plut pas beaucoup a Mayenne, quand il apprit cette nou-
velle ; car il voyait Ta surgir, dans les provinces du Midi, un nouveau
compétiteur a son titre de lieutenant général des États de France, et il ne
se sentait guère de force a lutter contre ce nouveau venu, qui avait pour
lui Tappui de l'Espagne.
Presque au môme instant le duc de Savoie recevait une députation
des Ligueurs de Marseille, qui le priaient de vouloir bien aussi se rendre
dans leur ville et la prendre également sous sa protection ; mais comme
il savait (jue tous les Marseillais ne partageaient pas cet avis, en homme
prudent, il répondit que la nécessité des affaires dont il venait de se
charger a .\ix ne lui permettait pas pour le moment de se rendre à leurs
désirs.
Lesdiguières revenait alors de son expédition de Provence. Son pre-
mier soin avait été de reprendre le siège de Grenoble, et il avait assis son
camp au bourg de Saint-Laurent. D'Albigny, gouverneur pour la Ligue
de la place assiégée, avait mis tout en œuvre pour détourner les habi-
tants d'une capitulation qui devenait de jour en jour plus nécessaire ;
car, par le moyen des forts dont les huguenots l'avaient entourée, Gre-
noble était déjà réduite aux dernières extrémités de la disette. Malgré ce
gouverneur obstiné, on convint avec Lesdiguières que la religion catho-
lique, apostolique et romaine continuerait d'être exercée librement, tant
dans la ville que dans les faubourgs ; que les ecclésiastiques conserve-
raient tous leurs droits et prérogatives; que le culte protestant ne pour-
rait tenir ses prêches que dans le faubourg de Trécloître, et (|ue tous les
habitants prêteraient serment de fidélité a Henri IV, roi de France et de
Navarre. (Df. Thou, ubi siip.)
Ceux pourtant a qui la conscience ne permettrait pas de prêter un
pareil serment se réservaient la liberté de se retirer où bon leur sem-
blerait, et on leur garantissait la jouissance de leurs biens, a condition
seulement qu'ils n'entreprendraient rien contre le roi et contre l'Etat.
Le gouverneur de la ville était a la nomination de Sa Majesté, la(pielle
pourtant était priée de vouloir bien maintenir dans cet emploi le dit
sieur d'Albigny, au cas où celui-ci, dans un délai de trois mois, consen-
tirait 'a prêter son serment de fidélité. Fin outre, j)ersonne ne serait ni
inquiété ni recherché, au sujet des contributions et deniers qu'on avait
levés pendant la guerre, non plus (ju'au sujet des traités faits avec
l'étranger; Lesdiguières s'engageait 'a obtenir du roi l'oubli et le pardon
absolu du passé. Ces conventions furent conclues le vingt-deuxième jour
de décembre.
148 IIISTOlllE DE L'ÉTABLISSEMENT
Or, en ce lem(3s-là, le prince Maurice de Nassau, que lesEtats-Géné-
raux des provinces de Flandre insurgées contre l'Espagne avaient nommé
leur généralissime, décida celte république naissante a se déclarer en
faveur du nouveau roi de France. Il fit comprendre aux seigneurs du
conseil qu'il était de leur intérêt de soutenir Henri IV contre le mo-
narque espagnol, leur ennemi commun, et il fut décidé qu'on enverrait
au roi français des provisions de guerre, une somme de cent mille livres,
avec une ambassade honorable, chargée de faire avec lui une alliance
offensive et défensive. (De ïiioi;, t. XI, liv. 100, p. 2i0 et suiv.)
De son côté, la reine Elisabeth d'Angleterre, égalemetit intéressée a
ne pas laisser faire a l'Espagnol des progrès trop considérables, envoya
fort 'a propos en France un nouveau secours de quatre mille Anglais, et
de deux cent mille livres, ce qui devait mettre le roi a peu près en état
de reprendre la campagne avec quelque avantage.
Ce furent pourtant les Parisiens qui recommencèrent les premiers
les hostilités, par une tentative qu'ils firent sur Saint-Denis celui des
postes tenus par les royalistes dans les environs de la capitale, qui nui-
sait le plus a l'arrivée des approvisionnements. Claude de Lorraine,
qu'on appelait le chevalier d'Aumale, parce qu'il était chevalier de Malte,
partit dans la nuit du deux janvier, veille de la fête de sainte Geneviève, a
la tête de huit cents hommes d'infanterie, et de deux cents chevaux,
pour reconquérir cette place.
Les Parisiens se flattaient que cette bonne sainte ferait réussir
cette entreprise, parce qu'elle était la patronne de leur ville ; aussi
Mesdames les princesses de la Ligue et plusieurs âmes dévotes, aux-
quelles les prédicateurs avaient recommandé d'intercéder auprès de la
bienheureuse, pour la réussite d'une grande affaire qu'ils ne désignaient
pas, passèrent pieusement toute la nuit en prières devant le tombeau de
la sainte. {Journal de Henri IV, t. I, p. 101 et suiv.)
Le froid, celte nuit-la, se faisait vivement sentir. Déjà, depuis quel-
ques jours, la gelée avait durci et rendu partout praticables les marais
et les terrains fangeux qui entourent la ville de Saint-Denis. Les soldats
royalistes en étaient réduits a se chauffer avec les matériaux qu'ils arra-
chaient des maisons désertes, et même des fortifications que Biron avait
autrefois élevées 'a la hâte. (De Tnou, iibi siip., liv. 101, p. 557.)
C'était le seigneur de Vie qui, depuis huit jours seulement, venait
de succéder a Lavardin dans le commandement de celte garnison. Or,
voyant la ville en si mauvaais état, il se trouvait fort embarrassé.
La fortune, en effet, parut d'abord se déclarer pour le parti des
Ligueurs. Leurs soldats passèrent sur les glaces des fossés, et sans trou-
ver de résistance, entrèrent par les brèches que leurs adversaires avaient
eux-mêmes faites aux retranchements. Ils arrivèrent sans avoir rencontré
personne 'a la porte dite de Paris, qu'ils ouvrirent après avoir brisé la
herse 'a coups de haches, et la cavalerie, pénétrant par ce passage, com-
mença 'a se répandre dans les rues qu'elle parcourait au grand trot, aux
cris de « Vive la Ligue ! Vive d'Aumale ! » et ce jeune prince, qui se
J
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 149
croyait déjà maître de la place, s'en venait lui-même à pied, la tête
liante, répée a la main, criant : « Tue! tue! » (Cayet, Chron. novenn.,
ad ann. 1591.)
De Vie, qui avait pris ses logements dans l'abbaye, en sortit
au bruit, car l'homine de guet, qui se tenait suivant l'usage au
liaut (lu cloclier, s'était mis a sonner le tocsin de toutes ses forces.
De Vie donc, voyant la ville occupée par rennemi, s'élança sur le pre-
mier cheval qui lui fut donné par un palelVenier, bien résolu d'aller
se faire tuer, pour ne pas survivre à la perle d'une place de si grande
importance, et dont le roi lui avait conlié la garde.
Sept gentilshommes de ses amis le suivirent, prêts 'a partager son
sort. Sur sa roule, il rencontra un Irompelle, qui réveillé en sursaut et
sorti de son logis, se tenait la tout déconcerté, son instrument à la
main. « Sonne la charge! » lui dit de Vie.
En entendant ce son, les Ligueurs crurent qu'ils allaient être attaqués
par un corps nombreux de cavalerie; car la nuit élait obscure et sans
lune, et il leur était impossible de reconnaître le petit nombre de ceux
(pii venaient contre eux dans une rue étroite et tortueuse. Ils se sen-
tirent ell'rayés. En ce moment, de Vie, accompagné de ses sept gentils-
hommes et du trompetle qui continuait de souiller de toutes ses l'orces
dans son cornet de cuivre, se jetèrent l'épée a la main au milieu des
ennemis, et ceux-ci, dont le désordre allait croissant, se replièrent dans
la grande rue jusque sous l'enseigne d'une hôtellerie, qui, par un hasard
bizarre, portait l'épée fleurdelisée. D'Aumale s'efforça la de rallier ses
gens a la lueur d'une torche qu'on avait allumée ; mais un des braves
compagnons du seigneur de Vie, sans avoir pris le temps de reconnaître
quel élait cet officier qui tentait d'arrêter les fuyards, poussa son
cheval contre lui, et l'étendit raide mort d'un grand coup d'épée dans le
visage.
Quelques-uns, parmi les Ligueurs, ont voulu faire entendre que le
jeune prince n'était pas mort de la main d'un royaliste, et ont insinué
{[ue .Mayenne, jaloux de sa réputation dans le parti, où on ne l'appelait
que le Lion de la Ligue, avait lui-même dirigé et payé le coup qui ter-
mina ses jours, pour se défaire d'un rival qui pouvait devenir dangereux.
Mais Mayenne, je pense, n'avait ni la férocité ni la fcrmelé de caractère
qu'il aurait fallu pour commettre une pareille action.
Quoi (pi'il en soit, ceux (pii élaient restés jusque-l'a auprès du malheu-
reux chevalier prirent la fuite dans toutes les directions, et la nouvelle
de sa mort étant répandue par eux parmi les autres soldats (pii occu-
paient déj'a les diverses rues, ce fut une panicjue gt-nérale; chacun ne
pensa plus (pi'a chercher son salut par le plus court chemin qu'il put
trouver. Officiers et soldats se précipitaient les uns sur les autres, au
milieu de l'obscurité, sans pouvoir se reconnaître. Les royalistes en
tuèrent |)lus de deux cents (pii s'étaient égarés dans les sinuosités de la
ville; les autres coururent tout tremblants se renfermer dans Paris.
Les Parisiens se prirent de ce désastre a sainte Geneviève « qu'ils
150 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
accusèrent de les avoir abandonnés, » et depuis ce temps, ceux du
moins qui tenaient à la Ligue n'eurent plus la même dévotion envers
cette sainte patronne. (De Tiioii, ibid., p. 559.)
Quant au chevalier d'Aumale, son corps, resté dans la ville, fut
retrouvé tout nu, ayant le visage tout sanglant et défiguré d'une
grande balafre. On ne put même le reconnaître cju"a certains signes
« qu'une femme d'amour », nommée La Raverie, lui avait gravés sur le
bras. Il fut mis dans un cercueil de bois, parce qu'on n'en avait pas de
plomb, et déposé dans une chapelle de l'abbaye. On ajoute que les rats
vinrent se glisser dans sa bière et rongèrent le bout du nez du cadavre (1) .
(Mkzeray, t. III, p. 952. — Caveï, ubi sup.)
Or, il s'était trouvé a Saint-Denis, le soir même de l'attaque de cette
place par les Ligueurs, un gentilhomme toscan fort aimé du roi. Il s'était
logé dans l'hôtellerie la plus voisine de la porte de Paris, qui fut, comme
on l'a vu, un des premiers points dont l'ennemi s'empara. Dès que ce
gentilhomme vit l'ennemi dans la ville, il crut devoir courir avertir Sa
Majesté, qui était alors à Senlis, afin qu'elle se mît en mesure de re-
prendre la place, pendant que les vainqueurs seraient encore occupés,
comme il le pensait, au pillage. Henri, 'a celte nouvelle, se disposait en
effet a partir avec un corps de troupes, quand un courrier du seigneur
de Vie arriva avec une lettre par laquelle ce seigneur annonçait que
Saint-Denis était heureusement resté en son pouvoir, et que le chevalier
d'Aumale, chef de cette entreprise, y avait perdu la vie.
Le roi fut très-content de recevoir ces nouvelles, et il ordonna d'en
remercier Dieu ; ce pourquoi Messieurs les huguenots chantèrent un
psaume dans son oratoire particulier, où il s'était rendu lui-même, et les
catholiques chantèrent également un Te Deum dans la cathédrale. Pour
récompenser le brave de Vie, Sa Majesté lui donna l'abbaye du Bu, dans
le diocèse de Lisieux, dont le chevalier d'Aumale, en sa qualité de
membre de l'ordre de Malte, avait eu la jouissance.
Henri voulut ensuite rendre aux Ligueurs stratagème pour strata-
gème. Il eut l'idée d'essayer contre Paris même une tentative semblable
à celle dans laquelle les Ligueurs venaient d'échouer contre Saint-Denis.
II fit courir le bruit qu'il allait mettre ses troupes en quartier d'hiver;
mais il envoya sous main aux chefs des ordres particuliers, pour qu'ils
eussent 'a lui ramener le plus tôt possible toutes celles qui étaient déjà
éloignées. Ce projet ne put cependant être conduit si secrètement (]ue
les Ligueurs n'en eussent quelques nouvelles. Ils surent que le duc de
Nevers, alors occupé par le siège de Provins, venait de lever brusquement
(1) Les Royalistes s'évertuèrent à faire des opitaplies satyriques sur ce "jiauvre
prince. Voici la meilleure à mon go\\t :
Celui qui gît ici fut un hardi preneur,
Qui fit sur saint Denis une fine entreprise,
Mais saint Denis plus fin que cet entrepreneur,
Le prit et le tua dedans sa ville prise.
(Remarques sur la Satire Mé nippée.)
DU PROTESTANTISME EX Fil ANGE. ir,l
ce siège, et ramenait ses troupes a Lagiiy, sons prétexte de les remetlro
aux mains du roi qui les lui avait conliées, et de s'en retourner ensuite
dans ses terres, « attendu, alloctait-il de publier tout haut, (ju'cn sa
(pialité de catholique lidrlc et sincère, il ne lui était plus permis de taire
service à un roi de contraire religion, le(|uel, après avoir demandé seu-
lement six mois pour se l'aire instruire dans la véritable foi, en avait
déjà passé dix-sept sans donner le moindre signe de conversion. y>{Mém.
(le la Ligue, t. IV, p. 540 et suiv.)
En même temps, on eut avis que le duc d'Epernon, qui semblait a
peu près réconcilié avec le roi, et (pii, du reste, n'avait jamais cessé
d'être hostile aux Ligueurs, s'était avancé jusqu'à Beaumont, avec un
corps assez nombreux, et que, de plus, le seigneur de Givry, ayant
lait passer la Marne a ses soldats, se rapprochait aussi de Saint-Denis.
Ces mouvements de troupes, (juoique dissimulés sous divers pré-
textes, donnèrent l'alarme à Bclin, gouverneur de Paris, qui, soupçon-
nant une atlacpie prochaine, prit de son côté ses mesures pour la
repousser. 11 distribua des soldats dans les seize quartiers de la capitale
et (it doubler la garde à tous les postes.
On touchait au dimanche vingtième jour de janvier, jour auquel on
(levait l'aire des processions dans la ville, pour rendre grâces 'a Dieu de
l'heureux avènement de Grégoire XIV au souverain-pontificat. Tout h
coup, et bien avant le jour, l'alarme se répandit successivement dans
toutes les rues. Ln gentilhomme, qui avait été le soir à la découverte,
revint annoncer qu'une grosse troupe d'ennemis se montrait dans les
campagnes voisines. Toutes les cloches furent aussitôt mises en branle,
et tout le monde courut aux armes. Ceux-mèines qui étaient suspects de
royalisme furent obligés de faire comme les autres; car on menaça d'ar-
racher les récalcitrants de leur demeure et de les conduire en prison.
Cependant, vers les trois heures du matin, des ofiiciers de l'armée
royale, déguisés en paysans et poussant devant eux des ânes chargés de
farine, se présentèrent a la porte Saint-llonoré, que, pour plus de sûreté,
on venait de boucher avec de la terre et du fumier. Ils demandèrent
(pi'on les fit entrer. « Nous vous amenons des vivres, dirent-ils, et nous
avons marché toute la nuit pour éviter les partis royalistes qui rôdent
dans la campagne. » L'ollicier commandant 'a ce poste répondit qu'il
ne pouvait ouvrir, et il engagea les jjrétcndus paysans a se rendre sur le
bord de la rivière, où un bateau viendrait les prendre eux et leur
convoi.
D'autres soldats, également déguisés, arrivaient après ces premiers,
avec des charrettes dont ils se proposaient d'embarrasser le passage et
d'empêcher la porte de se refermer dès qu'elle serait ouverte, et derrière
ceux-ci étaient Lavardin avec ses cuirassiers, le jeiuie lliron, conduisant
huit cents hommes dintanterie, divry avec sa compagnie de gendarmes,
et enfin les Suisses, munis d'artillerie et portant des échelles, ainsi que
tous les autres instruments nécessaires pour briser ou franchir les obs-
tacles (jui pourraient arrêter.
152 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Le roi lui-même était a l'entrée du faubourg avec Longueville, La
Noue, d'Épernon et les autres chefs, tous a pied. Il n'y avait que Mon-
sieur de Nevers qui fût a cheval, a cause de la faiblesse de sa jambe
depuis la blessure qu'il avait reçue. Du reste, toutes ces troupes
gardaient un ordre admirable; on n'entendait pas le moindre bruit;
on ne voyait nulle part ni lumière ni feu, de sorte qu'il était impos-
sible aux Parisiens de deviner qu'il y avait la une armée toute prête
à s'emparer de leur ville. {Mémoires de la Ligue.)
Le roi maintint tout son monde sous les armes et avec le même
silence, pendant sept ou huit heures ; mais quant on vint lui dire que la
porte Saint-Honoré ne s'ouvrait pas, et qu'il se faisait un grand mouve-
ment dans la ville, dont il pouvait entendre lui-même le son des cloches
tintant le tocsin, il vit bien que, malgré toutes les précautions qu'il avait
prises, tout était découvert. Il assembla incontinent un conseil de guerre,
et il y fut décidé qu'il serait imprudent de poursuivre cette entreprise;
ainsi les troupes reçurent l'ordre de se retirer sans rien tenter.
Les Parisiens, délivrés du péril qu'ils venaient de courir, rendirent
grâces "a Dieu, et il y eut grand concours dans toutes les églises. De plus,
il fut décidé que l'anniversaire de ce jour-la, qu'ils appelèrent « la Jour-
née des farines », serait a l'avenir célébré par des réjouissances publiques,
comme on célébrait déjà le jour de la fuite du feu roi, et celui de la
levée du siège de Paris. Ilélas! toutes ces fêtes, destinées a rappeler le
triomphe d'un parti sur un autre, et qu'on décrète a perpétuité, durent 'a
peine quelques années. Celles dont je parle ici furent bientôt abolies,
et même déclarées infâmes. C'est assez l'ordinaire.
Les partisans du monarque espagnol surent du reste, habilement
mettre a profit cette occasion pour faire consentir les Parisiens, 'a accepter
la garnison que le roi Philippe voulait bien leur offrir et qu'ils avaient
refusée jusqu'alors. Mayenne lui-même, consulté a ce sujet, quoiqu'il
prévît bien que l'intention des Espagnols, en se fortifiant dans la capi-
tale, était de se débarrasser de son pouvoir, trouva que ce qu'il avait le
plus 'a craindre pour le moment était l'activité et les entreprises du
Béarnais; mais, conformément 'a son irrésolution habituelle, il remit les
choses a la décision du parlement, qui s'assembla en effet 'a cette occa-
sion, et le résultat de la délibération fut « que les Espagnols seraient
bien reçus dans la capitale de la France; qu'on y admettrait quatre mille
hommes de garnison ; et que Meaux, comme place importante et menacée,
accepterait également une garnison étrangère ; comme si les troupes
de Philippe eussent été désormais les seules ressources qu'on pût
opposer 'a la fortune et aux armes victorieuses de Henri. » (Legrain,
Décades, liv. 5, p. 252.)
Au reste, on s'était arrangé afin de dorer le mieux possible
ce qu'il y avait d'humiliant pour la nation dans ces mesures. Le
pape Grégoire XIV venait d'expéjier en France un nouveau nonce
apostolique. Monseigneur Févêque de Plaisance, et il l'avait muni d'un
bref magnifique. Dans ce bref, Sa Sainteté, qui avait l'âme toute espa-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 153
gnole, déclarait que son désir le plus cher, en (jualité de chef suprême de
l'Église Universelle, était de rétablir la paix dans le royaume très-chré-
tien, en y extirpant la funeste hérésie <l où étaient nés tant de troubles
et de désaccords. « Pour cela, disait-il, je ne vois d'autre moyen que
d'élire un roi calholi(pie et sans aucune tache de soupçon d'hérésie.
Mais d'abord, pour que cette élection puisse se faire sous l'inspiration
seule de la volonté de Dieu, il convient de mettre a couvert des insultes
de l'ennemi de la foi et de ses fauteurs la capitale de la France qui
juscpi'a ce jour s'est maintenue heureusement comme le boulevard de
la foi catholicpie. Je sais a quelles extrémités cette ville s'est vue réduite
par son dévouement a la sainte cause, et combien elle s'est épuisée par
les dépenses qu'elle a été obligée de laire dans la dernière guerre; aussi
ai-je formé la résolution d'envoyer a son secours des troupes dont la
paye se prendra sur le trésor apostolique, et je fournirai par mois, |)Our
contribuer au triomphe de la foi, quinze mille écus d'or, pendant tout le
temps que cela sera nécessaire. Je suis bien aise de prouver aux bons et
fidèles Parisiens (pie, n'ayant jamais eu d'autre but que la défense de
notre sainte religion, je ne me contente pas de leur donner des louanges
stériles, mais que je suis aussi bien décidé a les aider activement de tous
les njoyens que le ciel a mis en mon pouvoir. » (De Tiiou, ubi sup.)
L'évéque de Plaisance, qui n'avait encore eu le temps, ni peut-être
la volonté, d'entrer de sa personne a Paris, adressa le bref de Sa Sainteté
au conseil de la Sainte-Union, et il l'accompagna d'une lettre de sa
main en date du vingtième jour de février. 11 faisait valoir en termes
pompeux les dispositions bienveillantes du Saint-Père pour la France.
« La lettre de ce bref, disait-il, doit confirmer les gens de bien dans
leur résolution de ne jamais transiger avec l'hérétique, réchaufler les
tièdes et confondre les obstinés. Qui pourrait en effet hésiter encore, en
voyant avec quel empressement le représentant de Dieu sur la terre,
mil par une inspiration toute céleste, a préparé de sa propre main le
remède qu'elle vient appliquer aux maux de la capitale? Comme un pru-
dent médecin, (\m s'attache d'abord 'a fortifier les parties nobles et vi-
tales du corps de son malade, pour atta(iucr ensuite la maladie avec
moins de ris(|ues et plus de certitude de succès : ainsi c'est sur Paris,
qui est comme le cœur du royaume et la source de la vie de la France,
que le Souverain-Pontife porte d'abord son attention principale. Quand
Paris n'aura |)lus rien 'a craindre des entreprises de gens malheureuse-
ment égarés dans une voie funeste, Nolre-Saint-Père sait et es|)ère
qu'on y pourra choisir un roi propre 'a défendre la religion, et capable
de rétablir et maintenir la paix dans ce royaume si longtemps affligé. »
(De Tiior, itbi sup.)
Cette lettre et le bref du Pape furent distribués avec profusion aux
Parisiens. En demanda-t-on (comme c'était de droit en France) l'enre-
gistrement au parlement ? C'est ce que jusqu'à présent aucun document
historique n'a pu me mettre en état de savoir. Je crois, pour mon
compte, qu'on supprima cette fois cette formalité; car tout ligueur
154 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
qu'était le parlement séant a Paris, je ne pense pas qu'il eut volontiers
donné son assentiment a de pareils principes. Quoi (ju'il en soit, on
comprend quel dut être Teffet d'une publication semblable sur l'esprit
d'une populace déjà fanatisée.
Au reste, Grégoire XIV n'avait pas l'intention de s'en tenir 'a de vaines
promesses. En ce moment même, il assemblait 'a grands frais une armée
pour l'envoyer en France. Il avait équipé mille chevau-légers, qui for-
maient dix compagnies; en outre, il avait fait lever six mille hommes de
pied en Suisse. Il avait cent gendarmes et quatre-vingts arquebusiers a
cheval. Toutes ces troupes furent mises sous les ordres de son neveu.
Hercule de Sfondrate, 'a qui il avait donné en grande cérémonie le bâton
de commandant général des forces de l'Eglise. H lui remit aussi, de sa
propre main, deux étendards bénits, un pour la cavalerie et un pour,
l'inlanterie; puis l'armée, ayant été passée en revue, partit sous la con-
duite de Visconti, lieutenant du nouveau commandant. (Cavet, ubi sup.)
« Elle était déjà arrivée dans le Milanais, faisant de grands
ravages dans les campagnes; ce qui sembla d'autant plus insup-
portable aux pauvres gens, dont on pillait les maisons et dont on violait
les lilles et les femmes, qu'un pays catholi(pie et allié ne devait
s'attendre à rien de pareil de la part de soldats du Saint-Père. » (DeThou,
ubi sup.)
Sur ces entrefaites, le roi, qui ne perdait pas de vue son projet de
réduire Paris par la famine, résolut de s'emparer de la ville de Chartres,
parce que c'était de l'a que partaient les principaux convois de vivres
qui arrivaient de la Beauce et du pays Charlrain a la capitale. A cet
eflet, il partit de Senlis avec son armée, et pour ne pas laisser deviner
son dessein, il s'en allait faisant mine de se diriger tantôt vers Troyes,
tantôt vers la ville de Sens ; puis, tout a coup, il revint brusquement
vers Tours, laissant les Ligueurs dans l'incerlitude du point qu'il, se
proposait d'attaquer, et les obligeant par cette ruse a disséminer leurs
troupes pour garnir les villes qu'ils supposaient devoir l'être objet d'un
coup de main. (De Tiiou, t. XII, liv. 101, p. 540. — Cavet, liv. 5, ad
ann. 1591.)
En même temps, il avait écrit au maréchal de Biron, qui était alors 'a
Dieppe avec un corps de troupes, de feindre de venir le rejoindre et de se
porter inopinément devant les murs de Chartres, avant que les Ligueurs
eussent eu le temps de jeter du secours dans cette place. Le maréchal
se présenta en elfet devant Chartres le neuvième jour de février.
Monsieur de La Châtre, averti trop tard de l'approche des troupes
royales, était accouru du Berry jusqu'à Orléans, d'où il ht partir en toute
hâte le capitaine Lacroix avec un corps de cavalerie, pour tâcher de porter
du secours aux assiégés. Mais le capitaine et sa troupe tombèrent au
beau milieu de l'armée de Biron, qui lui tua presque tout son monde, de
sorte qu'il eut lui-même beaucoup de peine à pénétrer dans la ville avec
seulement cinq de ses cuirassiers, de cinq cents qu'il avait amenés avec
lui. Ce jour-là, pourtant, on avait fait 'a Paris une belle procession pour
i
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 155
demander à Dieu la conservation de la bonne ville de Chartres. {Journal
de Henri IV, t. I, p. 100.)
Deux jours après, le roi arriva lui-même au siège avec le duc de
Nevers, le maréchal d'Aumont, Chàlilion et ses autres ciiels de guerre.
On devait croire que ceux de Cliarlres aliaieul s'empresser de ca-
pituler : il ncn fut pas ainsi. Il y a dans l'église cathédrale de Chartres
une très-ancienne statue qu'on prétend remonter aux temps des druides,
et qui, selon la même tradition, fut trouvée avec cette inscription la-
tine : Yirgini paritimc, « a la vierge qui doit enlanter. » Or, les pré-
dicateurs, payés par la Ligue, avaient imaginé d'attribuer de grandes
vertus à cette vénérable relique, datant d'une époque aussi reculée et
aussi mystérieuse. A leur dire, jamais les hérétiques ne pourraient
lorcer une ville protégée par une image de la Vierge aussi merveil-
leuse, et ils citaient a l'appui de cette assertion le peu de succès
qu'avait eu le prince de Condé vingt ans auparavant, allirmant qu'on
n'en devait pas chercher ailleurs la cause, (pioiqu'il ne paraisse pas
qu'on eût alors songé le moindrement aux vertus de cette statue.
(De Tuor, iibi sup.)
Peu s'en fallut, en effet, que le succès ne répondit aux espérances
que l'on fondait sur le pouvoir de cette image. Le roi n'avait amené avec
lui ni artillerie, ni boulets, ni autres machines de guerre. La poudre
même était rare : il avait compté emporter la ville par surprise et d'un
coup de main. La première atta(|ue eut lieu a la porte des Espars, qui
est un des plus forts endroits de la ville, « et là, Sa Majesté perdit
sans elTets au ravelin de la dite porte, force gens de (jualité et force capi-
taines, car la garnison se composait de près de trois mille étrangers,
outre les habitants, tous bien résolus a se défendre. » {Mém. deCheverny,
ad ann. ir)91,)
Sa Majesté, voyant alors épuisées le peu de munitions qu'elle avait
apportées, et que les habitants de Chartres montraient tant de résolution,
délibéra s'il n'était pas a i>ropos de lever le siège. Cet avis était sur le
point d'être adopté; mais Cheverny, chancelier de France, et qui était
en outre gouverneur de Chartres, tenait a reprendre possession de ce
gouvernement, dont il n'avait rien tiré depuis sa disgrâce sous Henri IIL
Il promit de faire tous les frais du siège, (jui, 'a ce qu'il prétendait, ne
devait être ni long ni difficile; « car, disait-il, la domination des Ligueurs
avait fait beaucoup de mécontents dans la ville; on pouvait en outre
compter sur Nicolas de Thon, évêque de ce diocèse; et indubitablement
le prélat et la plupart des notables, qui pensaient comme lui, ne man-
queraient pas d'user de leur inlluence pour décider la ville 'a se rendre,
(piand elle se verrait sérieusement attaijuée. » Le chancelier ajouta que si
Ton j)renail le parti contraire, cela encouragerait dans leur résistance
non seulement ceux de la Ligue, mais produirait un elfet plus dangereux
encore sur beaucoup de ceux qui se disaient du parti royaliste. (DeTiiol;,
ubi sup.)
Cette dernière assertion n'était pas sans fondement. J'ai dit plus haut
156 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
que les royalistes catholiques commençaient a se trouver scandalisés de
ce que Henri IV ne montrait pas plus d'empressement a remplir la pro-
messe d'abjuration qu'il leur avait faite. Charles, l'un des fils du prince
de Condé, tué a Jarnac, était seul alors survivant 'a tous ses h'ères.Ensa
qualité de quatrième rejeton d'une tige princière, on l'avait fait entrer
dans les ordres sacrés, quoique élevé parmi les protestants, et a l'âge
de vingt et un ans, le pape Grégoire Xlll l'avait fait cardinal en 1585. 11
était jeune, ambitieux et avide de toute sorte d'éclat. Après la mort de
son oncle, le vieux cardinal de Bourbon, il imagina qu'il avait comme
lui des droits à se faire reconnaître comme héritier de la couronne de
France. Il chercha donc a se faire proclamer roi 'a la place de celui que
sa persistance dans l'hérésie frappait d'une incapacité dirimante aux
yeux de tout hon catholique. (Mouéri, verho Charles.)
Dans ce dessein, il s'appliqua à se faire bien venir de ce parti, qui
venait de se former secrètement en association ou Ligue nouvelle a la-
quelle on donnait déjà le nom de Tiers-Parti, et que le roi, par dérision,
nommait lui-même le parti des tiercelets. Le cardinal, voyant ses projets
appuyés par celte faction, ht d'abord publier un écrit anonyme en forme
de requête au roi, dans lequel, sous l'apparence de ne chercher qu'a
ramener Sa Majesté dans le giron de la sainte Eglise, il s'adressait indi-
rectement a tous ceux qui n'avaient consenti 'a reconnaître Henri comme
héritier légitime de la couronne, qu'a condition qu'il ferait abjuration. Il
leur donnait 'a entendre que leur conscience de bons catholiques allait
être intéressée 'a ne plus faire cause commune avec un roi qui ne se
décidait pas à rompre ouvertement avec l'erreur. « Ce n'est pas a Genève,
disait-il, qu'on a canonisé saint Louis, notre ancêtre, dont nous tenons
nos droits au sceptre de France; c'est 'a Rome, siège de la vraie et
unique religion de Notre-Seigneur-Jésus-Christ, et l'héritier de saint
Louis ne doit pas adopter la foi de Genève. Si donc Sa Majesté ne peut
se décider a rompre ouvertement avec l'erreur, il n'y a plus a balancer.
La conscience de tous ceux qui veulent servir Dieu, en esprit et en
vérité, leur fait un devoir d'abandonner la cause d'un prince qui s'en-
durcit dans l'erreur, et de prendre toutes les mesures que les circons-
tances, ainsi que la sauvegarde de la foi, ne permettent plus guère de
différer. » (Mézehav, uhi sup.)
Il est vrai que tout cela était enveloppé avec art dans des termes
suppliants, et que l'écrit, tout perhde qu'il était au fond, pouvait 'a la
rigueur ne paraître être dicté que par un zèle affectionné pour Sa Majesté.
Mais les parlements royalistes n'en furent pas dupes. Tous en défendirent
l'impression et le colportage sous peine de la potence. Au reste, c'étaient
le savant Touchard, précepteur du cardinal lui-même, et le docteur Du
Perron, tous les deux pensionnés du prince, qui en étaient les auteurs,
et tous les deux étaient hommes de grand talent.
Le cardinal de Bourbon (1) (il avait pris ce titre après la mort de
(1) Jusque-là il s'était appelé le cardinal de Vendôme.
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 157
son oncle) ne s'en tint pas a cet écrit. 11 lit partir secrèlemciil un
homme de conliance pour aller assurer le Saint-Père de sa soumission
au Saint-Siège. « Si je reste dans le camp du roi de Navarre, écrivait-il.
Voire Sainteté ne doit pas croire que ce soit [)ar aucun attachement pour
riiérésie. Je l'ai toujours eue en horreur, et je la déteste aujourd'hui plus
(jue jamais; mais j'ai cru qu'après la mort du l'eu roi je devais suivre
celui qui est en ellet le chef de notre maison, et (jui nous avait donné sa
parole d'ahjurer ses erreurs. AujoinMlliui, il i)araît (|ue le succès lui a
l'ail oublier cette promesse sacrée, et qu'il a Tinlcntion de rester attaché
a sa secte. Or, je crains avec raison qu'en continuant de paraître rester
dans son parti, je ne contribue a entretenir le mal cl a mettre en dan-
ger notre sainte religion ; ainsi donc, pour que Voire Sainteté ne donne
pas 'a mes actions d'autres motifs que ceux qui ont toujours servi de
règle 'a ma conduite, j'ai voulu, Saint-Père, vous informer de mes senti-
ments. Après cela, en ma qualité de premier prince du sang, après celui
qui se rend indigne de la couronne par son obstination dans l'erreur, et
(|ui n'a que trop longtemps abusé de la patience des vrais lidèles, je
viens vous supplier de garder l'ordre de succession tel (|ue nos vieilles
lois françaises l'ont établi, et d'interposer votre autorité divine, pour
qu'au défaut de rhéréti(iue (pii refuse de donner satisfaction 'a l'Eglise,
le scei)tre de France ne passe pas en des mains étrangères, et qu'il soit
remis a celui qui y a droit comme le plus proche héritier, après l'exclu,
du glorieux saint Louis, mon ancêtre. Veuillez, 'a cet effet, donner vos
ordres aux partisans de la Sainte Ligue. Quant au prince de Conli, mon
neveu, quoique descendant de mon frère aîné, sa parenté avec la souche
de notre maison est de deux degrés plus éloignée que la mienne, et,
d'ailleurs, ce prince ne doit faire ici aucun obstacle, puisqu'il est muet,
et qu'ayant été taillé de la pierre dans son enfance, il est reconnu inca-
pable d'avoir jamais d'héritiers. Si Votre Sainteté veut bien avoir égard à
ces raisons, je vous donne ma parole que tous les vrais catholiques, qui
suivent aujourd'hui le parti du roi de Navarre, abandonneront aussitôt
son camp, et que toutes les villes du royaume se soulèveront contre lui
en ma laveur. » (De Thou, ubi sup.)
Celui qui portait cette missive lut rencontré sur la route par un autre
envoyé (|ue Mayenne députait aussi de son côté. Ce dernier homme, fin
et insinuant, vint a bout de tirer de l'autre le secret de sa mission; il se
procura même une copie de la lettre du cardinal; puis il alla prévenir
l'esprit de Grégoire XIV contre cette nouvelle intrigue, dans laquelle on
voulait faire entrer Sa Sainteté. Aussi le pontife, ayant lu ce que lui
écrivait Monsieur le cardinal de Bourbon, répondit froidement qu'il
voyait avec plaisir la soumission de ce prince envers le Saint-Siège ;
niais (ju'avant de se prononcer sur les propositions que contenait son
écrit, il voulait d'abord mettre la religion hors de tout danger en France;
qu'après cela, il verrait 'a faire ce qui serait le plus convenable et le plus
conforme 'a l'équité. L'envoyé ne put obtenir d'autre réponse. Mais il se
garda bien de la rendre textuellement au cardinal, dont il tenait à flatter
158 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
l'ambition ; il y ajouta beaucoup de choses qui n'avaient pas été dites
par le Saint-Père et qu'il jugeait devoir être plus agréables a son noble
patron. Mayenne, au contraire, recevait au même instant une copie fidèle
et de la lettre de ce nouveau prétendant et de la sèche réplique qu'y
avait faite le Pape. Le roi en eut pareillement connaissance; mais il sen-
tait qu'il avait des ménagements a garder.
Pour ceux du tiers-parti, encouragés par les bonnes paroles qu'on
leur apportait, soi-disant de la part du Saint-Père, ils se montraient de
jour en jour plus indociles et plus entreprenants. Souvré, gouverneur de
Tours, venait de recevoir des offres séduisantes de la part du duc de
Mayenne, pour livrer cette place importante à la Ligue. On ne lui pro-
mettait pas moins que cent mille écus d'or comptant, avec un comman-
dement de mille hommes d'infanterie et de deux cents chevaux; mais
Souvré avait répondu qu'il aimerait mieux mourir que de trahir ses ser-
ments faits au roi. Alors ceux du tiers-parti, qui commençaient
a regarder la Ligue comme faisant, ainsi qu'on le leur avait fait croire,
cause commune avec eux, cherchèrent a ébranler la fidélité de cet hon-
nête gouverneur. Ils lui insinuèrent que le roi, n'ayant de contiance
que dans les huguenots, avait résolu de lui ôter son gouvernement;
par conséquent, il ne devait plus se croire obligé à un prince ne le
payant que d'ingratitude ; et la prudence lui faisait une loi d'accepter
l'appui de ceux qui ne demandaient pas mieux que de le maintenir dans
son poste. Souvré pourtant résistait encore a toutes ces raisons si ca-
pables de le corrompre. Et d'aussi perlides insinuations parlaient du
camp même du roi; et le roi était instruit de toutes ces intrigues ; mais
il se sentait dans l'impossibilité de les réprimer par la force. {De Tiiou,
ubi sup., p. 551.)
Une autre contrariété aussi poignante, quoique moins grave, venait
de surgir encore. On sait que ce prince avait été l'amant de la belle
Corisande d'Andouin. Ses goûts volages l'avaient plus d'une fois rendu
infidèle a cette dame, et il avait fini par la négliger tout a fait. Cori-
sande, abandonnée, chercha a se venger d'un ingrat, et en sa qualité
de femme adroite et outragée, elle sut précisément trouver l'endroit sen-
sible où elle devait porter ses coups. Dans un temps où Henri avait le
plus grand besoin de se faire des amis, il avait promis au comte de
Soissons la main de sa sœur Catherine de Navarre ; puis, les événe-
ments et la conduite du prince lui ayant fait changer d'idée, il avait
retiré cette promesse. Corisande imagina de reprendre secrètement et
pour le compte de sa vengeance ces projets de mariage. Elle écrivit au
comte et a la princesse, « et fit si bien par ses lettres insinuantes qu'elle
ralluma leur amour qui était presque éteint. » Les choses en vinrent
au point que l'on regardait partout ce mariage comme ne pouvant plus
manquer de se faire, sans consulter le roi et même malgré lui. (DeTiiou,
ubi sup.)
Henri, dans tout cela, vit surtout le mépris qu'on témoignait pour
lui, et jugeant qu'on ne se permettait de pareilles choses que parce
I
DU PllOTESÏANTISME EN FRANCE. 150
qu'on regardait ses aflaires comme désespérées, il comprit la nécessité
où il était de rétablir par un coup d'éclat la réputation de ses armes.
Le cliaiicclier Cheverny n'eut donc pas grand'peine a lui persuader de
continuer le siège de Chartres. Aussitôt (jue son artillerie lut arrivée, il
lit dresser une puissante batterie devant la porte de Dreux, et dès (|ue
la brèche se trouva ouverte, il ordonna de monter 'a l'assaut. Les troupes
royales, malgré des ellbrts prodigieux, ne purent encore celte lois péné-
trer dans la ville. Deux régiments, qui avaient été commandés pour
Irancbir la brèche, lurent obligés de reculer sous le leu meurtrier de
rennemi. Alors les olllciers et les volontaires y coururent tète baissée;
ils parvinrent a s'y loger et a s'y retrancher; mais la garnison vint bien-
tôt les atlaijuer de nouveau. (.Mézeuay, t. III, p. SG,).)
Il y eut un combat acharné et sanglant. Du côté des assiégés, il y fut
tué cent hommes; mais, du côté du roi, soixante capitaines et gentils-
hommes perdirent la vie dans cette occasion, sans compter le double au
moins qui y lurent blessés plus ou moins dangereusement. Henri, touché
de la perte de tant de braves gens, voulait faire sonner la retraite, et
dit tout en colère a Cheverny, qui le pressait pour qu'on continuât l'at-
taque : « Hé bien! allez-y donc vous-même, Monsieur: pour moi, je ne
suis pas accoutumé à l'aire si bon marché de ma noblesse. » •
Le combat continuait néanmoins avec plus d'animosité que jamais et
la victoire était encore incertaine, lorsque le sieur du Pescheray, qui
commandait dans la ville au nom de la Ligue, et en qui les habitants
avaient mis leur espérance, tomba mortellement blessé. Cette mort
déconcerta les assiégés, qui perdirent enhn toute résolution en voyant
se dresser contre leurs murailles une énorme machine de l'invention de
Chàtillon, avec un pont de bois couvert d'épais madriers, a l'abri des-
quels les arquebusiers du roi foudroyaient ceux qui combattaient sur les
remparts.
Ou entra donc en pourparlers, le jour du dimanche de la Passion, et
il lut convenu (|uesi le duc de Mayenne, qu'on disait être alors à Soissons,
ne venait pas d'ici 'a huit jours au secours de la ville, elle serait rendue
au roi. Or, le duc, suivant son habitude, n'osa rien tenter d'important,
et s'étant mis en route, il s'arrêta a faire le siège de Château-Thierry, où
il se promettait un succès plus facile. Chartres capitula donc le dix-neu-
vième jour d'avril. La garnison étrangère obtint de sortir enseignes dé-
ployées; un grand Jiombre de dames de la ville, qui ne voulaient avoir
aucun commerce avec les hérétiques, sortirent avec ces soldats, et
Biron, 'a la tête de douze cents hommes d'infanterie et de deux cents
chevaux, prit j)Osscssion de la place.
Le roi conlirma les franchises et les privilèges de sa bonne ville de
Chartres qu'il venait de reconquérir; il promit d'y conserver l'exercice de
la religion catholique; il défendit même d'y professer publiquement le
culte réformé, et il put y laire sa joyeuse entrée ledit jour dix-neuvième
du mois d'avril.
Mais ce siège avait coûté cher 'a Henri IV. On peut évaluer la perte
1G0 HISTOIRE DE L-ÉTABLISSEMENT
des simples soldats par le nombre des ofliciers qui y périrent. Or, les
assiégés, avant de se rendre, lui avaient lue douze maistres de camp et
soixante capitaines, plus de cent autres avaient été blessés. Aussi, lorsque
le magistrat qui le baranguait, en lui présentant les clés a la porte de la
ville, s'en vint a lui dire que les babitants offraient de tout cœur leurs
respectueux bommages, a celui qui était leur maître par le droit divin et
par le droit bumain... « Mon brave bomme, interrompit brusquement le
roi, en poussant son cbeval, ajoutez aussi : et par le droit canon. »
(Matthifa-, Règne de Henri IV, liv. l''"', p. Gi.)
Châlillon, qui avait tant contribué au succès du siège parla macbinc
qu'il avait inventée, fut lui-même du nombre des blessés. Une balle
l'avait atteint a la tête. Il se relira en sa maison, qui est sur la rivière du
Loing, et il y mourut dans les bras de sa jeune femme, a l'âge de trente
ans seulement, « ce qui fut cause qu'il ne put être converti a la vraie
foi, comme on avait tout csjjoir de l'y amener bientôt, ainsi qu'on y
avait amené son frère d'Aiidelot, lequel avait abjuré l'année précédente. »
(Gâvet, Cliron. novcnn.,[\û ann, 1591, liv. 3.)
Le roi, cependant, après avoir tiré des ba!)ilanls de Cbartres une assez
forte somme, et les avoir obligés a lui fournir une grande quantité de blé
pour son armée, rétablit le cbancclier Cbeverny dans son gouvernement
de cette place, après quoi il partit, et n'ayant pris que le temps de
recevoir en passant la soumission d'Anneau et de Dourdan,il se disposait
a marcbcr incontinent au secours de Cliâteau-Tbierry, que Mayenne assié-
geait encore.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. J61
CHAPITRE VIII
1591. — ARGUMENT : chateau-tiiierry livué a mavk.nne.
NOUVELLES NÉGOCIATIONS DE VILLEnOY.
CONSEIL TENU PAU LE DUC DE LORRAINE, LES CUISES ET DE DUC DE SAVOIE.
ON Y DÉCIDE d'envoyer UN AMBASSADEUR AU ROI D'ESPAGNE.
JEANNIN CHARGÉ DE CETTE MISSION. — LETTRE DU PARTI ROYALISTE AU PAPE.
LETTRE DU PAPE A LA LIGUE. — LE ROI SURPREND LOUVIERS.
LE PARLEMENT DE CIIÂLONS CONDAMNE LA BULLE DU PAPE.
LE PARLEMENT DE TOURS DÉCLARE LE PAPE FAUTEUR DE RÉDELLION
ET ENNEMI DU ROYAUME.
LE PARLEMENT DE PARIS CONDAMNE ET CASSE CES DEUX ARRÊTS.
I,E ROI RÉVOQUE l'ÉDIT DE JUILLET. — ASSEMBLÉE DES PRÉLATS ROYALISTES.
INTRIGUES DU CARDINAL DE BOURBON. — MAYENNE TENTE DE SURPRENDRE MANTES.
MANDEMENT DES PRÉLATS ASSEMBLÉS. — LE ROI PREND NOYON.
LE JEUNE GUISE ÉCHAPPE DE PRISON.
CONTINUATION DE LA GUERRE CIVILE DANS LES PROVINCES : — DANS LE BERRY,
DANS LE LIMOUSIN, — DANS LA MARCHE, — EN TOURAINE,
EN BRETAGNE OU LA NOUE EST TUÉ. — DANS L'ANJOU. — EN AUVERGNE,
EN liUURGOGNE. — DANS LES PROVINCES DU MIDI. — EXPLOITS DE LESDIGUIÈRES.
La prise de Chartres coupait les communications de Paris avec la
plus grande partie des pays qui contribuaient le plus abondamment a son
approvisionnement, et la lamine, dans cette grande cité, paraissait de-
voir être la conscMiuence inévitable de cette nouvelle conquête du roi sur
les Ligueurs; mais Mayenne, en prenant de son côté Château-Thierry,
venait d'ouvrir une autre route a l'arrivage des provisions nécessaires
aux Parisiens. Le vicomte de Comblesy, qui commandait dans cette place
au nom du roi, Pavait traîtreusement livrée par des considérations d'in-
térêt personnel. Lui et son père, Claude Pinart, secrétaire d'Etat du leu
roi Henri 111, possédaient de grands biens dans les environs; ils crai-
gnaient de les voir ravagés par l'ennemi, s'ils se décidaient à soutenir un
siège, et ils lirent avec Mayenne un traité secret, par le(|uel il était con-
venu que celui-ci ouvrirairune brèche, pour mettre seulement l'honneur
du gouverneur à couvert, et que la ville lui serait rendue aussitôt après,
'a condition <jue les biens des deux Pinart, père et (ils, seraient respectés
et ne souIVriraient aucun dommage. (l)i: Tnoi , t. M, liv. 101, p. 555. ")
Mayenne lit donc jouer son artillerie, et la garnison, (|ui ne soup-
çonnait rien du traité lait avec son commandant, se disposait h une
IV. 11
162 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
vigoureuse défense ; mais Comblesy la fit tout d'abord rentrer dans la
citadelle, abandonnant la ville à l'ennemi. Les Espagnols y commirent
toutes sortes d'excès, tant pour assouvir leur avidité, que par suite de la
haine qu'ils ont naturellement pour les Français. Le canon fut ensuite
pointé contre la citadelle. Alors, le gouverneur s'adressa 'a ses soldats.
« Je ne vois pas, dit-il, pourquoi nous exposerions notre vie, pour défendre
un poste qu'il faudra toujours finir par rendre a des forces aussi supé-
rieures. Monseigneur de Mayenne nous offre des conditions avanta-
geuses et honorables. Mon avis est de les accepter. »
L'autorité du chef entrahia tous les autres, et Pinart et son fils con-
servèrent leurs biens; Mayenne leur accorda de plus une pension équi-
valente au revenu du gouvernement que le fils consentait d'abandon-
ner. Mais le parlement de Châlons, trouvant qu'il y avait eu lâcheté dans
cette affaire, cita par devant lui les deux Pinart. Ceux-ci n'ayant pas
voulu comparaître, il les condamna a mort par contumace et déclara tous
leurs biens confisqués. Le roi voulut bien, dans la suite, révoquer cette
condamnation, et le père et le fils en furent quittes pour trente mille
écus d'or qu'ils lui payèrent comptant.
Mayenne donna le commandement de la ville qu'il venait de conqué-
rir par un pareil moyen à l'abbé de Lenoncourt, frère du cardinal de ce
nom, et y plaça une forte garnison; puis, selon sa tactique habituelle, il
renoua les négociations pour la paix. C'était toujours ainsi qu'il se pro-
curait un peu de répit, quand les armes du roi l'emportaient trop sur sa
fortune. Villeroy était l'agent accoutumé de tous ces pourparlers sans
effet, et voici comment il rend compte lui-même de sa mission. (Mézeray,
t. m, p. 809.)
« J'avais été, dit-il, autorisé par Monsieur de Mayenne a faire courir
le bruit que je me relirais dans ma maison, pour ne plus me mêler de
rien; mais j'étais chargé de voir le roi et d'avoir de sa part de bonnes
conditions de paix, ce que je désirais par-dessus tout pour le bien du
pays. Il fallait d'abord obtenir une suspension d'armes, afin qu'on eût le
loisir de traiter ces importantes affaires, et j'eus, a cet effet, plusieurs
entrevues avec le sieur Duplessis-Mornay. Mais celui-ci ne s'y portait
que mollement, prévoyant bien que tout cela devait amener promptement
le changement de religion de Sa Majesté, qui, a son avis, n'y semblait
déjà que trop disposée. Je devais aussi obtenir liberté et sûreté de com-
merce pour Paris, pendant cette trêve, ainsi que la délivrance des prison-
niers de guerre, notamment celle des ducs de Guise et d'Elbeuf. De plus,
comme le duc Mayenne ne devait traiter sans l'avis et consentement de
ceux de son parti, lesquels il ne pouvait assembler durant la guerre à
cause du danger des chemins, je devais préalablement demander des
passeports, pour les faire venir sûrement. Les passeports me furent ac-
cordés sans trop de difficultés; mais ceux auxquels le duc donna charge
de dresser la lettre qui devait accompagner les dits passeports que je lui
avais envoyés y mirent que c'était pour une réunion des Etals-Généraux
du royaume, dont pourtant je déclare que je n'avais eu aucune charge de
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 1G3
parler, et de plus, il y avait dans la lettre tout ce qu'il fallait pour
donner occasion de croire que le dit duc voulait assembler ceux de son
parti a celle lin d'élire un roi. En outre, il arriva en même temps cpie le
sieur d'Ornano, colonel des Corses, ayant eu l'occasion de voir le duc
de Mayenne, s'en revint dire au roi lui-même : « Sire, je sais de bonne
« part que Monsieur de Mayenne est si bien lié et engagé avec les Espa-
« gnols, qu'il ne peut plus traiter avec Voire Majesté, et qu'il dépend en
« tout maintenant de leur vouloir. » J'eus donc beau faire ; ceux qui
trouvaient leurs prolils et commodités ordinaires dans la guerre par-
vinrent a persuader a Sa Majesté (pi'elle pouvait mieux venir à bout de
ses ennemis par les armes que par un accord, et partant la dissua-
dèrent d'entendre a toute réconciliation. » {Mém. de Villcroy, ad
aini. LM)1.)
l'endanl ce temps-la, le duc Cbarles de Lorraine, les princes de sa
maison et l'envoyé de Savoie, s'assemblèrent a Reims, pour prendre des
mesures sur l'état présent des alTaircs. Le cardinal dePellevé, qui s'était
vanté à Rome de sacrer bientôt lui-même le roi que la Ligue nommerait,
se trouvait aussi h cette réunion, dans laquelle il fut question de cboisir
celui (pion porterait a cette liante dignité. Mais on était loin d'être
d'accord. Le duc de Lorraine, comme cbef de la famille, prétendait que
la couronne revenait de droit au lils <ju'il avait eu de son mariage avec
la sdMir de Henri IIL Les Guises, au contraire, comptant sur la popularité
que leur nom avait ac(piise en Fiance, depuis bientôt cent ans qu'ils s'y
étaient établis, ne voulaient pas céder une pareille fortune. Seulement ils
ne pouvaient s'entendre sur celui d'entre eux qui en profilerait. Mayenne,
qui se trouvait déjà a la tête de la Ligu(% demandait (|ue le clioix tombât
sur lui; mais il avait beaucoup perdu de sa répulalion depuis la bataille
d'ivry, et cela rendait l'audace aux autres. Ceux (jui n'avaient pas de
prétentions pour eux-mêmes i>ortaienl le jeune duc de Cuise, (pioiqu'il
lïil encore prisonnier. Le duc de Mercœur voulait se rendre maître de la
Bretagne; le duc de Nemours songeait à se faire une principauté dans
ses gouvernements. De son côté, le duc de Savoie tenait pins (pie jamais
a avoir au moins les provinces méridionales de la France. Mais à tous
les cboses ne paraissaient pas assez avancées encore pour (pion pût
agir sans |)récaution. On n'ignorait pas (|ue le roi d'Espagne avait aussi
des prélenlions sur cette riclie proie; or, comme Sa Majesté ealliolique
était le plus fort appui de la Sainte-Union, et (pie tout dépendait à peu
près des secours qu'elle fournissait au parti, on sentait qu'il y avait des
précautions a garder avec un pareil conipélileui;. (Dk Tiiue, nOi ,sup. —
Davila, t. III,' p. KiS.)
On décida donc (pion lui enverrait un ambassadeur, pour lui repré-
senter (pie la cause de la religion s'en allait eiilièrement ruinée par les
succès des liéréliiiues, s'il n'accordait immédiatement de plus puissants
secours; (|ue les forces de l'ennemi s'augmeiilaienl joiiinellemenl ; ipie la
reine d Angleterre et les princes protestants de l'Allemagne avaient |)ris
ouvertement parti pour le Béarnais, et que la noblesse fran(^'aise, vovant
164 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
combien Sa Majesté catholique mettait de tiédeur a envoyer des troupes
toujours insuflisanles, n'osait plus se détacher d'un prince, dont au bout
du compte le peu de forces qu'on avait pu lui opposer jusqu'à ce jour
faisait tout le succès; qu'il était donc nécessaire, si l'on voulait obtenir
des États-Généraux une bonne et catholique élection, de mettre, avant
de les assembler, les affaires de la Ligue en meilleur état, et qu'il était
de l'honneur et de la majesté du puissant roi des Espagnes de conduire
à bonne (in, par un coup décisif, une entreprise si glorieusement com-
mencée par lui, pour le salut de la Sainte-Église, notre mère commune.
(Mézerav, t. III, p. 871.)
Ce fut Jeannin, président au parlement de Dijon, et ami intime du
duc de Mayenne, qui fut chargé de cette ambassade. Le duc l'avait prié
secrètement, en outre, de sonder Philippe et de tâcher de savoir s'il
consentirait 'a appuyer son élection, a certaines conditions; et il s'enga-
geait a accepter toutes celles qui sembleraient le plus avantageuses au
monarque espagnol.
Jeannin, tout ami qu'il était du duc de Mayenne, tenait aussi 'a se
ménager des ressources dans le parti du roi; il lit demander sous main à
Henri s'il aurait pour agréable qu'au cas où le monarque d'Espagne pour-
rait être amené a traiter de la paix, il abordât aussi, lui Jeannin, la
question des droits de Sa Majesté sur le royaume de Navarre. Henri répon-
dit qu'il le trouvait bon, et lui en saurait gré. En conséquence, le prési-
dent Jeannin vint s'embarquer a Marseille, chargé tout 'a la fois de sou-
tenir les intérêts du roi, ceux de la Ligue, et ceux du duc de Mayenne,
son ami. (De Tiiou, ubi sup. — Mézerav, ibid.)
Philippe, qui faisait cas de la capacité de ce diplomate, lui accorda
deux audiences. Dans la première, Jeannin parla en faveur de la Ligue,
dont il exposa habilement les besoins et les dangers, suppliant le
monarque de rendre « sa protection aussi puissante que le protecteur. »
« Le temps est venu, dit-il, où Votre Majesté ne doit plus se contenter de
tendre a la bonne cause le bout du doigt seulement, mais où il faut l'ap-
puyer avec le bras et avec l'épaule. »
Dans la seconde audience, il justifia la conduite de Mayenne, que
l'ambassadeur d'Espagne accusait d'être d'intelligence avec le Béarnais.
« Si le noble duc, son ami, n'avait pas préféré l'intérêt de la religion 'a
son intérêt propre, il ne tiendrait encore (ju'â lui de partager la couronne
de France avec le roi de Navarre ; la proposition lui en a été faite de bon
lieu. Mais il professe tant d'attachement pour Sa Majesté catholique, qu'il
ne veut entendre a aucun traité sans son consentement, et qu'il aime
mieux ne devoir qu'a elle seule une royauté dont son mérite le rend si
digne sous tous les rapports. Au surplus de tous ceux qui prétendent à
ce rang suprême en France, « n'est-il pas le seul capable de tenir parole t
« a Sa Majesté catholique, et disposé a exécuter fidèlement tout ce qu'il
« promettrait? »
Il est probable que si Jeannin eût eu une troisième audience du roi,
il aurait parlé avec autant d'éloqnence en faveur des droits de Henri IV
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 165
sur la Navarre ; mais cette occasion de déployer son talent diplomatique
ne lui fut pas fournie. Philippe, qui dans ses plans de monarchie uni-
verselle s'était facilement laissé persuader par ses llatteurs que la France
tout entière n'aspirait qu'a le reconnaître pour maître, qu'il n'avait plus
qu'a mettre la main dessus, ne donna aucune réponse ; et sans vou-
loir en entendre davantage, il se contenta d'envoyer gracieusement le
diplomate discuter de ces matières avec don Juan Ydiaque, qui avait,
au conseil royal, le département des affaires de France. Ydiaque s'ex-
pli(jua sans trop de détours. Il dit que son royal maître avait déjà employé
plus de six millions d'or, et avait encore la volonté d'en employer six
ibis autant pour le bien de la France, mais qu'il n'était pas juste qu'il
semât toujours sur l'arène, sans récolter proiit pour toute sa dépense,
tandis que d'autres en auraient tous les fruits. « On ne peut nier, ajouta
le ministre espagnol, que la couronne de France appartient, suivant
tout droit légitime, a notre infante Isabelle, comme étant la princesse
du sang royal la plus proche parente des derniers rois. Son i)ère, notre
roi et seigneur, (|ui veut la marier a l'archiduc Ernest, a l'intention de
lui donner en dot les Pays-Bas. Si donc la France reconnaissait les
droits légitimes de cette princesse, la nation trouverait la des avantages
(|u'elle ne saurait rencontrer ailleurs; ses limites seraient étendues de
|)lus d'un tiers, son domaine accru des plus riches provinces de l'Eu-
rope, et la paix pour toujours affermie. » (Matthiei, Règne de Henri IV,
V' part., p. 69.)
Jeannin n'osa rien opposer a ce plan, qui n'avait guère que l'incon-
vénient d'être en opposition directe avec l'antique loi salique, fonde-
ment de la monarchie française. L'habile homme craignait (jue le roi
d'Espagne n'abandonnât le duc de Mayenne, et n'élevât quelque autre
chef de la Ligue îi la place de celui-ci. Il jura donc sans hésiter que le
duc et son parti employeraient tout leur pouvoii' pour le service de Sa
Majesté catholique, « et il se conduisit avec tant d'habileté, (|iril obtint
que le roi d'Espagne continuerait d'entretenir une armée en France, pour
en chasser le roi de Navarre, et donnerait a Mayenne dix mille écus d'or
par mois, 'a la charge que les États-Généraux seraient assemblés et ap-
prouveraient certaines conditions qu'il se réservait de leur laire présenter
par ses ambassadeurs.
Jeannin rapporta cette réponse à Mayenne; mais comme il fut obligé
de traverser la Flandre, a son retour, il y fut témoin de la position où le
duc de Parme s'y trouvait alors, et il put juger (ju'il était beaucoiq) plus
facile aux Espagnols de promettre des secours que d'en donner.
Pendant ce temps-la, le bruit s'était répandu dans toute la France que
l'armée du Pape allait bientôt arriver au secours de la Ligue. Le roi,
(jui n'avait pas encore pu réunir toutes les troupes que les alliés lui
avaient promises, et qui craignait surtout le tort que l'intervention
directe de Sa Sainteté pouvait lui faire dans l'esprit des catholicpies, fit
écrire ii Grégoire Xl\', pour lâcher d'obtenir de lui des mesures plus
modérées et surtout le retard de l'envoi d'une armée. La lettre était faite
166 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
au nom de tons les princes el seigneurs catholiques, qui se trouvaient
au camp royaliste, et elle était écrite par Monsieur de Luxembourg.
Après avoir rappelé les négociations qui avaient déjà été entamées de
la part du roi avec Sixte V, et la bonne volonté que ce saint Pape
n'hésitait pas déjà à manifester, « Très-Saint-Père, disail-on, nous crai-
gnons que les ennemis de notre prince ne viennent a bout de vous
inspirer sur les affaires de France des sentiments opposés à ceux que le
bien même de la religion demande que vous ayez. C'est pourquoi nous
vous supplions de n'écouter pas si facilement ceux qui ont intérêt a la
ruine de ce royaume. Votre Sainteté, au reste, pourrait ne pas trouver
toute facilité dans la démarche qu'on veut la pousser a îaire ; nous
sommes depuis longtemps accoutumés au bruit des armes en France, et
vous devez avoir appris que la guerre ne nous effraye point. Si la noblesse
française se voit abandonnée par le Saint-Siège, elle ne prendra conseil
que de son courage, et vous devriez frémir, comme je le fais moi-même
à l'aspect de tous ces troubles, qui seront la suite inévitable de la mauvaise
décision qu'on veut vous forcer a prendre. Car enfin, qu'arrivera-t-il en
France, si tous ceux qui sont dévoués à leur patrie, et bien décidés 'a
avoir recours aux dernières extrémités plutôt que de se soumettre a une
domination étrangère, se déterminent a accepter les secours des princes
protestants de l'Allemagne et de la reine d'Angleterre? Je vous laisse a
décider quels préjudices en souffrira la fol catholi(|iie, et quelle réproba-
tion mériteront, au jugement de Dieu, ceux qui auront exposé son
Église 'a un danger aussi manifeste. En vérité, nous ne saurions croire
que vous, père commun de tous les fidèles, puissiez avoir formé la fatale
résolution d'envoyer, comme on en fait courir le bruit, un secours
d'hommes et d'argent aux Parisiens, pour leur aider à donner l'exemple
de la révolte contre une autorité légitime, et du désordre le plus désas-
treux. Votre prudence et votre amour bien connu pour la justice nous
rassurent contre tous ces bruits sans doute mensongers. Nous nous rap-
pelons que vous-même, lorsque, l'année dernière, vous vous rendiez au
conclave, après la mort de Sixte V, vous avez dit très-judicieusement ces
propres paroles : « Pour conserver la paix et l'ordre en Europe, il faut
ce que le roi d'Espagne conserve ses États, et que le roi de France possède
« tout ce qui appartient a la France, afin que ces deux puissants rois
« soient vis-'a-vis l'un de l'autre une barrière a leur ambition réciproque. »
C'est moi-même, Saint-Père, qui ai entendu ces propres paroles sortir
de votre bouche. Il nous semble donc impossible que les suggestions
intéressées de l'Espagne vous aient pu faire dévier a ce point de la ligne
que vous aviez vous-même si prudemment tracée. » (De Thou, ubi sup.,
p. 550. — Cavet, Chron. novenn., liv. 5.)
Celte lettre arriva trop tard, peut-être; Sa Sainteté Grégoire XIV
avait déj'u pris la peine d'écrire (en français même) au conseil des Seize
de Paris, et après leur avoir donné le salut et la bénédiction aposto-
lique, elle les félicitait d'avoir si glorieusement « souffert et porté
mes-ayses » pour la sainte foi, pendant ce long et fâcheux siège dont
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 1G7
Dieu venait de les délivrer. Le Saint-Père terminait en les exhortant, au
nom de Dien, a persévérer « dans ce beau commencement », et a ne pas
l'aillir, avant (|ue d être arrivés au but de la course. Puis, il leur promet-
tait secours d'hommes et d'argent, « voire même, disait-il, plus que nos
moyens et nos olïVes ne .permettent. »
Ce (ut Marcilio Landriano (jui, en qualité de nonce du pape, apporta
cette lettre ponliticale en France, annonçant partout, pour encourager les
fidèles, l'arrivée prochaine des secours (lu'elle promettait; il avait,
de plus, des ordres terribles pour obliger le clergé royaliste a se ranger
du côté de la Ligue, sous peine d'excommunication. Il était aussi chargé
d'exhorter la noblesse a prendre le même parti : sinon Sa Sainteté
tournerait sa bonté paternelle en sévérité de juge. Au reste, Henri de
Navarre était de nouveau déclaré excommunié, relaps, et, comme tel,
déchu de tous ses royaumes et seigneuries. Mais ces bulles et les troupes
(|ui devaient les soutenir ne firent pas plus d'edet les unes que les
autres ; les Espagnols seuls eurent 'a s'applaudir de ce que le Pape avait
inutilement dissipé pour cette entreprise les trésors que son prédécesseur
avait amassés pour leur reprendre le royaume de Naples, « et le coup
fut si mou, pour TelTroyable bruit qu'on avait fait par toute la chrétienté,
(ju'on comiTiença dès lors 'a reconnaître que la puissance de Rome
n'était plus aussi formidable (|ue par le passé, et que de quelque arme,
spirituelle ou temporelle, qu'elle voulût frapper, elle n'était pas fort à
craindre, si elle ne se tenait dans les règles de la justice et des saints
canons. » (Mk/iîrav, t. III, p. (S7;j. — Journal de Henri IV, t. I, p. 117.
— Mkzeuav, nbi snp.)
Ainsi, malgré les menaces et les foudres de la cour de Rome, le roi
continuait a rallier a son parti presque toute la noblesse de France, et à
s'emparer de gré ou de force des places qui avaient quchpie importance.
Le gouverneur de La Fère-sur-Oise avait été gagné au parti royaliste et
avait promis de rendre sa ville au roi. Sa Majesté s'était même avancée
jusqu'à Compiègne pour favoriser ce dessein ; mais le duc de Mayenne,
en ayant eu avis, dépêcha incontinent à La Fère un nommé Colas, homme
de sang, qui avait jadis quitté la robe pour prendre l'épée, mais adroit et
dévoué. Aussi le duc avait-il coutume de s'en servir dans les occasions
importantes, et, pour le récompenser de ces sortes de services, il l'avait
lait sortir de la dernière classe du populaire, pour le créer sénéchal de
Montélimart. Colas étant donc entré dans La Fère, et interprétant, a ce
(pi'ou dit, les ordres ({uon lui avait donnés plus criminellement que son
maître ne l'entendait, assassina, en plein jour, le malheureux comman-
dant au moment oùil sortait de l'église ; ce qui fit dire partout que les
armes de Monsieur de Mayenne n'étaient mortelles <|u"a ses partisans. On
dit que ce bon duc lui-même fut outré en apprenant la nouvelle d'un
pareil attentat, et qu'on le vit répandre des larmes ; mais Colas n'en fut
pas moins nommé par lui gouverneiu" de la Fère a la place de sa vic-
time. Pour Sa Majesté, elle fut bien fâchée (ju'uu si tragi(|ue accident lui
eût fait manquer une bonne occasion de recouvrer une place aussi im-
168 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
portante. (Davila, t. III, p. 170. — Mém. de Yilleroij, ad ann. 1591. —
Mézeray, |). 077.)
Elle revint donc sur ses pas et poussa jusqu'à Vernon. Celui que la
Ligue avait chargé de la défense de Chàteau-Gaillard-sur-Seine livra
d'abord sa place sans l'aire aucune difficulté. Alors le roi, ayant appris
que ceux de Louviers gardaient leur ville avec beaucoup de négligence;
que le commandant, avide de pillage, sortait continuellement avec la
plus grande partie de la garnison pour aller rançonner le plat pays, et ne
laissait que peu de monde à la garde des murailles, se résolut de tenter
un coup de main sur cette place. Comme il méditait déjà le siège de Rouen,
il jugeait avec raison que la possession de Louviers lui serait d'un grand
avantage pour celte dernière expédition.
Un certain prêtre, aux gages du gouverneur, faisait simultanément
avec la sentinelle du jour le service du guet, établi a la tour de Téglise,
du haut de laquelle on découvrait tout ce qui se passait dans la cam-
pagne. C'était le prêtre qui veillait pendant que la sentinelle allait prendre
ses repas, avec charge d'avertir par le son du tocsin, au cas où, du poste
élevé qu'il occupait, il apercevrait quelque troupe ennemie dans la cam-
pagne. Ce prêtre fut gagné, moyennant dix mille écus qu'on lui promit
pour récompense, et il fut convenu que lorsque le gouverneur serait
sorti pour aller faire ses courses ordinaires, le dit prêtre, qui était dépo-
sitaire des clés de la tour, s'y enfermerait après avoir éloigné la senti-
nelle, et donnerait aux troupes du roi le temps de s'emparer de la porte
avant de sonner l'alarme. (Cavet, Chron. novenn., p. 105.)
A l'heure convenue, le sieur du Raulet, qui avait monté ce complot,
vint d'abord avec un détachement de soldats déguisés en paysans, qui,
arrivés à la porte de la ville, se jetèrent sur ceux qui la gardaient et les
égorgèrent en criant « Vive le roi! » Le jeune Biron, qui suivait avec un
corps de cavalerie et d'infanterie, se préparait a entrer 'a son tour; ce
qu'il eût certainement pu faire sans rencontrer le moindre obstacle, si le
prêtre, qui, du haut de sa tour, avait vu ce (jui s'était passé, ne s'était
pas avisé, a part lui, qu'il avait suffisamment gagné son argent et rempli
loyalement toutes les conditions qui lui étaient imposées, en laissant
approcher les royalistes sans donner le signal. Le brave homme, dans
l'incertitude de l'événement qui allait suivre et pour se ménager une
porte de salut, quel que fût le résultat de l'entreprise, se mit alors 'a
sonner le tocsin de toutes ses forces.
A ce bruit, les habitants coururent aux armes; le gouverneur, qui
n'était pas encore bien loin, se hâta de rentrer par une autre porte, et
il y eut dans les rues un combat sanglant; ceux de Louviers y perdirent
plus de cent hommes, après quoi Biron et les siens demeurèrent enlin
maîtres de la ville. Alors, si l'on s'en rapporte aux écrits ligueurs du
temps, furent commises d'horribles impiétés et cruautés abominables.
Le très saint Sacrement de l'autel y fut foulé aux pieds, l'extrême onction
et les lavoirs baptismaux furent scandaleusement profanés par les Anglais :
et cela en la présence de ceux-mêmes qui veulent être estimés bons ca-
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 469
tlioliqiies, et deux saints religieux de Soissons de Tordre de Prémontré
furent vilainement pendus par ces hommes féroces. {Mém. de la Ligue,
t. V, p. 103.)
Au nombre des prisonniers se trouva Claude de Saintes, évèque d'E-
vreux, Tun des plus fanatiques partisans de la Ligue; on se saisit de ses
papiers parmi lesquels il y avait un écrit de sa main, faisant Tapologie
du meurtre de Henri III, et où il était dit (|u'il était permis et même mé-
ritoire de tuer aussi le Héarnais. On jugea d'après cela (pie ledit évêque
ne devait |)as être traité comme un simple prisonnier de guerre, mais on
l'envoya sous bonne garde a Caen, pour son procès lui être fait comme
criminel de lèze-majesté. Il ne s'en fallut de rien (ju'il ne fût condamné à
mort, car en France on n'a point d'égard aux privilèges du clergé quand
il s'agit d'un crime d'État. Toutefois, le cardinal de Bourbon et les pré-
lats royalistes intercédèrent en sa laveur, et on ne prononça contre lui
que la peine d'une réclusion perpétuelle dans laquelle il mourut peu de
temps après, soit d'ennui ou de vieillesse, soit de quelque autre manière.
(Mkzkuay, t. m, p. 878.)
La ville de Louviers fut livrée au pillage, car les habitants avaient la
réputation d'être des Ligueurs endurcis. Le principal butin était en toiles,
draps et cuirs, dont, disent les rédacteurs des Économies royales de Sidly,
toujours en s'adressant, comme de coutume, a leur noble maître, « vous
eûtes, Seigneur, quelques milliers d'écus pour votre part, parce que ceux
que vous aviez menés avec vous a cette affaire, étant de Louviers même,
en savaient tous les êtres et connaissaient parfaitement les bons en-
droits. » Pour le roi, aprèstivoir nommé Raulet gouverneur de la place,
il s'en revint a Mantes avec son armée. (Écon. roy., 2'' part., cbap. II.)
Il y avait mandé le cardinal de Hourbon sous prétexte de rassembler
en un seul corps le conseil d'État, dont une partie était toujours restée
a Tours depuis la mort du feu roi, tandis que le chancelier et quelques
autres membres suivaient Henri dans toutes ses campagnes; mais son vé-
ritable dessein était de déconcerter les projets du tiers parti, en gardant
désormais sous sa main celui qui s'en était fait le chef. Le cardinal, qui
se doutait de cette intention, ne se décida à obéir (pi'après avoir reçu
plusiem's ordres de Sa Majesté, laipielle, pour lui ôtertout soupijon, sortit
de la ville et alla au-devant de lui. Dès qu'elle l'aperçut, elle descendit
de cheval et lui lit de grandes caresses, ainsi qu'à tous ceux qui l'ac-
compagnaient, du nombre desfjuels étaient Touchard et Duperron. Le
roi sut si bien faire par sa courtoisie, qu'il gagna Duperron et celui-ci lui
révéla tous les secrets de son maître et delà conjuration; mais sur l'avis
du chancelier Cheverny et du brave La Noue, qui lui représentèrent (pfen
sévissant contre le cardinal, il se mettrait 'a dos tous les autres princes
du sang, et que ce serait comme s'il se coupait un bras a lui-même pour
se mettre volontairement hors d'état de résister à ses adversaires, il
trouva bon de dissimuler encore. (Di- Tiioc, ubi sup. — Davila, t. III,
liv. 12, p. 161.)
Il assembla ensuite dans cette même ville de Mantes les princes, les
470 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
seigneurs et les évêques de son parli pour les consulter touchant ce qu'il
fallait taire, en réponse à la nouvelle agression de la cour de Rome. De
plus, il voulait aussi trouver le moyen de ne pas trop mécontenter les
protestants, qui lui étaient encore utiles et dont il professait encore la re-
ligion. Il s'agissait d'imaginer un biais pour les préparer tout doucement
et sans les etfarouclier a son abjuration, qu'il voyait bien ne pouvoir re-
tarder encore longtemps. (De Thou, ubi sup.)
Le parlement de Chàlons, pendant qu'on discutait lentement et gra-
vement ces questions a la cour du monarque, rompit soudainement la
glace. Mayenne, en lisant les bulles que le nouveau nonce apportait,
avait prudemment jugé qu'elles étaient plus propres a alarmer l'esprit
susceptible des Français qu'à les rappeler à son parli, et il voulait qu'on
en différât la publication, disant « qu'il était bon avant que de déployer
ces bulles de voir l'effet que produirait l'armée du Pape et de la laisser
d'abord arriver. » Mais Landriano, nourri dans les opinions de la cour de
Rome, et rempli de la prétention que la puissance du Saint-Père devait
être en tout et partout absolue, ne savait que se mettre en colère quand
on se permettait de lui faire entrevoir quelques difficultés. Il exigea que
ses bulles reçussent toute la publicité possible, qu'elles fussent immé-
diatement imprimées et envoyées sans aucun délai par toutes les villes
de la France, pour que chacun eût a s'y soumettre. Le parlement de Châ-
lons n'eut donc pas plus tôt eu connaissance de cette publication, qu'il
rendit en date du dixième jour de juin un arrêt conforme au réquisitoire
par lequel son procureur général se portait appelant comme d'abus contre
les excommunications lancées parle Pape eP les monitoires apportés par
ledit légat. Injonction fut faite de procéder contre Landriano, qui s'était
ingéré d'entrer dans le royaume sans la permission de Sa Majesté, et il
fut ajourné personnellement; puis, faute d'avoir comparu, on le décréta
de prise de corps. Ses bulles lurent déclarées nulles, scandaleuses,
pleines d'impostures, tendantes h la révolte, contraires aux saints décrets,
attentatoires aux privilèges de l'église gallicane, et comme telles elles
furent condamnées 'a être brûlées par la main du bourreau. De plus, une
récompense de dix mille livres fut promise 'a quiconque livrerait ledit
Landriano se prétendant nonce du Pape, et défense fut faite 'a tous sous
peine de mort de lui donner asile et protection. Tous archevêques,
évêques ou autres qui feraient ou autoriseraient la publication desdites
bulles seraient traités comme criminels de lèze-majesté, après avoir
été préalablement privés de tous leurs bénéfices. Le parlement, par
le môme arrêt, donna acte au procureur général d'un appel qu'il forma
au futur concile contre l'élection du soi-disant pape Grégoire XIV. (De
Thou, iibi sîip.)
Le roi fut enchanté de cet arrêt et il s'empressa de l'appuyer de toute
son autorité. En conséquence, le quatrième jour de juillet, il donna un
édit sous le titre de déclaration, par lequel, confirmant d'abord les pro-
messes qu'il avait faites 'a son avènement 'a la couronne, il demandait,
pour se faire instruire des articles de la foi catholique, la convocation
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 171
(l'un concile général qui déciderait régulièrement et en dernier ressort
des points controversés. Il s'engageait jusque-la 'a ne rien innover en ma-
tière religieuse. « Cet engagement que je renouvelle aujourd'hui, ajou-
tait-il, aurait dû contenter tous ceux qui allectent tant de zèle pour la re-
ligion, et qui, a leur dire, n'ont pris les armes (pie pour la défendre, s'ils
n'avaient pas eu un tout autre motif, celui de (lémembrer le royaume et
de le partager entre eux. C'est ce que le pape Sixte V avait fort bien dé-
mêlé; aussi était-il décidé a lever l'excommimication qu'il avait lancée
sur nous, à la sollicitation de nos ennemis. Mais sa mort a malheureu-
sement fait place sur la chaire de Saint-Pierre a un pontife qui n'aime
que l'imposture. On a fait croire aisément a ce nouveau Saint-Père que
je rejetais obstinément toute instruction, et voila qu'il a de son autorité
privée envoyé un nonce dans nos États pour y semer la rébellion contre
nous. Considérant donc que celle démarche de la cour romaine porte at-
teinte 'a notre autorité, aux privilèges du royaume et aux libertés de l'é-
glise gallicane, 'a la conservation desquelles nous avons mission de veiller;
nous avons jugé 'a propos de renvoyer l'aflair.e 'a nos parlements comme
étant de leur compétence spéciale, et pour (pi'ils statuent et ordonnent
sur la matière avec une autorité pleine et entière, conformément aux lois
de l'État. Nous exhortons en outre nos archevê(jues, év(*ques et tous au-
tres prélats 'a s'assembler au plus t(H pour prendre des mesures cou-
formes 'a la justice suivant les saints décrets et constitutions canoui(iues,
. et nous protestons de regarder comme déserteurs de l'église gallicane
' ceux (pii manqueront a leur devoir dans cette circonstance, les déclarant
dès a présent déchus du droit de jouir et d'user de ces libertés et privi-
lèges. » (De Tiiol', p. 005 et suiv.;.
Le roi, s'adressant après cela au conseil oii se trouvait le cardinal de
Bourbon, remontra la nécessité de faire un édit en faveur des protes-
tants, pour tenir lieu des précédents édits, que les ennemis de la paix
pul)li(|ue avaient forcé le roi Henri 111 a révo(pier. « Si cette révocation
devait (Continuer d'avoir son effet, voyez, dit-il. Messieurs, où nous en
serions tous. Moi-même, 'a qui vous manpiez tant d'attachement, je se-
rais déchu de tous mes droits au trêine. Vous, vous mériteriez d'être
punis comme traîtres, |)uisque vous avez accepté le secours des réformés
qui vous ont aidé a vaincre les rebelles et que vous avez arrêté par voire
courage et votre dévouement les progrès de ceux qui se fondaient sur
ces mêmes édits de révocation (pi'ils avaient provoqu(''s. Il est donc né-
cessaire dans l'intérêt et pour l'honneur de tous les gens de bien d'a-
broger cette révocation par un édit nouveau. Mais nous avons encore
pour cela une autre raison. La reine d'Angleterre et les princes de l'em-
pire qui vont arriver avec une armée auxiliaire ne mamiueront pas de
taire des demandes exorbitantes en faveur de leurs coreligionnaires, et que
pourrons-nous refuser a des alliés aussi utiles? Tandis que si nous al-
lons au-devant de ces demandes, en faisant d'avance strictement ce (|ui
est juste, ils n'auront aucun prétexte pour porter plus loin leur exi-
gence. »
172 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
L'assemblée n'eut rien a répondre ; il n'y eut que le cardinal de Bour-
bon, qui, après avoir bégayé quelques mots qu'on ne put entendre, fit
mine de se retirer avec indignation. Le roi, voyant qu'aucun des autres
prélats ne bougeait, lui ordonna d'un ton sévère de rester a sa place, et
un édit qui révoquait celui de Juillet lut dressé séance tenante, avec
cette clause pourtant, qu'il n'aurait lorce de loi que jusqu'au moment où,
la paix étant établie, les différends de religion pourraient se terminer du
consentement de tous les ordres du royaume. (Davm.a, l. III, p. 165 et
suiv.)
L'indignation que les Français naturellement libres avaient conçue
contre les rigueurs du Monitoire contint si bien les esprits que personne
ne remua. Au contraire, la plus grande partie de ceux-mêmes qui étaient
déj'a entrés dans les cabales du cardinal de Bourbon ne songèrent plus
qu'a soutenir le roi dont ils voyaient les armes victorieuses prospérer de
jour en jour. (Davila, t. III, p. 105 et suiv.)
Ce fut l'bistorien De Thou que le roi chargea de porter la déclaration
et l'édit dont il vient d'être question au parlement de Tours pourFy faire
enregistrer. On lui donna en même temps la commission d'emprunter
de l'argent, où il pourrait, pour solder les troupes auxiliaires qu'on atten-
dait. A cet effet, il parcourut les diverses villes de l'Anjou et de la Tou-
raine ; il alla jusqu'au Mans et jusqu'à Limoges, et il parvint a réunir
une somme de trente mille écus d'or qu'il rapporta au camp royal. (De
ïnou, ubi Slip.)
De son côté, le parlement de Tours, en recevant les deux édits qui
venaient d'être rendus, ne put entendre sans indignation la lecture des
dernières bulles du Pape. Sur le réquisitoire de messire Seguier, avocat
du roi, il donna un arrêt tout a fait conforme a celui qu'avait rendu le
parlement de Cbâions, déclarant en outre que Grégoire soi-disant Pape
n'était qu'un ennemi de la tran(|uillité publique et de l'union de l'Eglise
catholique, apostolique et romaine, fauteur des rebelles et complice de
l'ambition outre-cuidante de l'Espagnol, ainsi que du détestable parricide
commis traîtreusement sur la personne du feu roi Henri III. Défense fut
faite a tout bénéficiaire d'envoyer des fonds a Rome, et de s'adresser à
cette cour pour la provision des bénéfices. Il lut ordonné que cet arrêt
serait affiché et publié dans toutes les églises par les soins des archevê-
ques et évêques. (Mézerav, t. III, p. 880.)
En apprenant cette démarche des parlements royalistes de Tours et
de Châlons, le parlement de Paris, toutes les chambres assemblées, in-
terposa son autorité. L'arrêt de Châlons fut d'abord déclaré nul, scanda-
leux et tendant au schisme. Il fut ordonné qu'il serait lacéré a l'audience
et brûlé par le bourreau, avec défense a tous d'y obéir.
Quelques jours après, l'arrêt de Tours fut traité de la même manière
et avec plus d'animosilé encore. Il fut llétri des termes d'exécrable, fait
par des gens sans pouvoir, apostats, et livrés corps et âme aux héré-
tiques et aux schismatiques. Ordre fut donné a tous d'avoir â porter a Gré-
goire XIV l'honneur et le respect qui étaient dus au souverain pontife,
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 473
représentant de notre seigneur Jésus-Christ, d'obéir à ses bulles comme
provenant du chef légitime de l'Église ; puis la cour prescrivit (|n'on fe-
rait des processions et des prières pul)li(|ues, alin d'apaiser la colère de
Dieu, justement excitée par d'aussi horribles profanations.
Cet arrêt fulminant n'emj)êcha pas cependant les prélats du parti
royaliste, sans en excepter ceux d'entre eux qui trempaient dans le tiers
parti, de s'assembler 'a Mantes comme le roi les y avait invités. Il s'a-
gissait de convenir des mesures 'a |)rendre pour se mettre, eux et leur
clergé, a couvert des bulles de Rome. Le cardinal de Bourbon montra en
cette occasion toute sa mauvaise volonté, en s'opposant de tout son pou-
voir aux décisions de cette assemblée, et en entravant a cbaijue instant
les délibérations. La plus grande difliculté était d'établir un ordre pour
les provisions des bénéfices, puisque l'arrêt du parlement défendait de
s'adresser désormais a Rome. On proposa plusieurs expédients que le
cardinal trouva toujours moyen d'écarter. On parla enlin de laire un pa-
triarche en France, et peut-être que ledit cardinal y aurait consenti s'il
eût eu toutes les conditions requises pour occuper ce rang suprême;
mois comme il n'était pas même prêtre et qu'ainsi il eût été contraint de
céder cet honneur à un autre, il rejeta cette proposition et maltraita
même de paroles l'archevêque de Bourges, qui dans l'espoir que cette
dignité lui reviendrait a cause du titre de primat déjà attaché a son siège,
briguait de toutes ses forces en faveur de la création d'un patriarchat en
France. (Mkzerav, «6i siip., p. 883.)
Il arriva alors une chose dont on soupçonna ce même cardinal de
Bourbon d'être complice. Le duc de Mayenne se présenta de nuit et ino-
pinément aux portes de Manies; déjà il avait fait en grand silence dres-
ser l'échelle pour s'emparer de la ville par escalade, mais il se trouva
l)ar hasard <|uc précisément aux deux endroits où les Ligueurs tentèrent
cette escalade, les sentinelles étaient demeurées éveillées. Au signal d'a-
larme qu'elles se hâtèrent de donner, Béthune, frère de Sully, qui était
gouverneur de la j)lace, et Duplessis-Mornay, qui s'y trouvait en ce mo-
ment-la, accoururent sur le rempart. Leur piésence découragea ceux du
dedans qui devaient seconder les assaillants; personne n'osa rien tenter
dans la ville, et Mayenne, voyant son projet échoué, se retira après avoir
fait plus de bruit que de mal. (Davila, t. 111, p. 171.)
Le roi, cependant, qui venait de s'apercevoir par cette dernière ten-
tative des Ligueurs (ju'ils avaient des intelligences parmi les bourgeois,
et que Mantes n'était pas une place trop sûre, ordonna cpie l'assemblée
des prélats ainsi que le conseil royal seraient transférés a Chartres. Et
c'est dans celte ville que, le vingt et unième join* de septembre, ladite
assemblée lit un mandement adressé a tous les ordres de l'Élat.
« Très chers frères, disait cette pièce, nous tous qui sommes ici
réunis, persuadés (ju'il est de notre devoir de pasteurs de veiller sur les
brebis qui nous sont coudées, et d'empêcher qu'elles ne s'écartent de la
voie des commandements de Dieu ; — ayant été, de plus, informé que
Grégoire XIV teuant actuellement le siège de Rome, mal renseigné, sans
174 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
doule, sur l'élat du royaume, \'iont d'envoyer certaines bulles moni-
toires par lesquelles il excommunie les évêques, les princes, la noblesse
et généralement tous ceux qui n'ont pas voulu se ranger du parti des re-
belles à notre roi légitime ; après mûre délibération, nous fondant sur
l'autorité des conciles généraux et sur les privdèges et libertés de l'église
gallicane, considérant enlin quels maux entraînerait l'exécution de ces
bulles : Nous déclarons ces excommunications nulles dans la forme et
dans le fond, injustes et inspirées au Saint-Père par les ennemis de la
France. Et cela sans prétendre préjudicier en rien au respect qui est
dû par tous les fidèles au chet de l'Église. Nous vous recommandons
en conséquence qu'aucun de vous ne se laisse détourner de l'obéissance
que vous êtes tenus de rendre 'a votre roi et a vos pasteurs, mais que
chacun se tienne en garde contre ces bulles attentatoires a tous les droits
de la nation. Au reste, nous prenons sur nous et nous nous chargeons
d'envoyer une députation a Rome, et nous espérons bien que Sa Sain-
teté, mieux informée, n'hésitera pas a répondre ce que répondit autrefois,
dans un cas a peu près pareil, le pape Alexandre a l'archevêque de Ua-
venne : « Puisque vous n'avez pas fait ce qu'on vous a méchamment ac-
te cusé de vouloir faire, j'attendrai avec longanimité le résultat de vos
« soins pour le bien du troupeau qui vous est conlié. »
C'était le cardinal de Bourbon qui, par ses intrigues, était parvenu 'a
faire adopter le projet de cette ambassade du clergé français au pape. Il
espéi^ait que les catholiques ligueurs s'empresseraient de faire cause com-
mune avec les catholiques du tiers-parti, et que tous ensemble trouve-
raient bien le moyen de faire surgir de nouvelles dilïicultés en prévenant
l'esprit de Sa Sainteté. Il comptait aussi que l'ambassadeur serait un
homme a sa dévotion, mais tous ses efforts furent inutiles. D'abord l'am-
bassadeur ne fut pas choisi parmi les ecclésiastiques, parce qu'il n'était
pas sûr qu'en envoyant quelqu'un de cet ordre au Pape, les libertés gal-
licanes fussent librement défendues. On jeta les yeux sur ce même Luxem-
bourg, qui avait déjà soutenu dignement l'honneur du nom français dans
deux ambassades a la cour pontilicale, et qui venait tout récemment en-
core de rédiger avec tant de force la lettre des princes et de la noblesse
au pape. Ensuite, le parlement de Tours vint s'opposer au départ de
tout envoyé (juclconque, attendu que ce serait une violation des arrêts
rendus en dernier lieu, par lesquels Grégoire était déclaré ennemi du
rovauine. Puis enlin, Luxembourg lui-même refusa de se charger de cette
mission, de sorte (pie les choses en restèrent la jusqu'à l'année sui-
vante. Pour le cardinal de Bourbon, outré de n'avoir pas mieux réussi,
il se retira 'a son château de Gailhon, sous prétexte d'y aller faire ses
dévotions durant les fêtes de Noël qui approcnaient. {Journal de Henri IV,
t. I, p. 155.)
Le roi, en ce temps-là, laissant les prélats en liberté de discuter
leurs points de* théologie et de droit canon, s'en était allé en Picardie, à
cause de la grande affection qu'il portait, comme on sait, à la lille de
monsieur d'Estrée, la belle Gabrielle. Ce fut pendant qu'il passait belle-
DU PROTESTANTISxME EN FRANCE. 175
ment le temps auprès d'elle qu'il apprit {juc la garnison de Noyon n'était
pas très nombreuse et manquait surtout d'Iionmies de pied. (Jabrielle lui
demanda cette ville pour son père, et Sa Majesté, pressée d'ailleurs par
les réclamations de fous les royalistes des environs, qui se plaignaient des
déprédations incessantes commises par les Ligueurs de Noyon, se résolut
de taire ce siège. {Écon. de Sidbj, '2'' partie, cliap. n, 1591.)
Cette ville, arrosée par plusieurs petits ruisseaux, est protégée au
nord par des coteaux couverts de vignes, ce qui ne permet pas d'en fer-
mer bien exactement tous les passages a moins d'avoir à sa disposition
une armée nombreuse. Rieux, l'un de ces hardis chefs d'aventuriers qui
avaient trouvé leur avantage a servir le parti de la Ligue, parvint facile-
ment, a l'aide de la connaissance qu'il avait du pays, a se glisser dans la
ville avec cincpiante cavaliers (|ui portaient chacun un arquebusier en
croupe. D'autres capitaines de bandes, excités parle succès du premier,
voulurent aussi tenter la même entreprise, mais ils n'eurent |)as le même
bonheur, et les troupes qu'ils amenaient furent taillées en pièces par
l'armée royale. Alors Jean de Saulx, vicomte de Tavannes, (|u'il ne faut
pas confondre avec le Tavannes qui se battait si bravement |)our le roi,
dans la Bourgogne et dans la Champagne, crut qu'il y allait de son hon-
neur de jeter du secours dans Noyon. Il partit de Koye a la faveur de la
nuit, conduisant quatre cents chevaux et cinq cents arquebusiers et il
s'avançait en grand silence a travers la forêt (jui se trouve entre ces deux
villes. Voici qu'un peu avant la pointe du jour, il rencontra assez près de
Noyon une garde avancée des royalistes, composée d'environ qtiaranle
cavaliers. Ceux-ci donnèrent aussitôt l'alarme et les troupes du vicomte,
en voyant accourir contre eux un assez grand nombre de soldats du roi,
se débandèrent, saisies d'une terreur panique, sans presque opposer de
résistance. Leur chef lui-même, qui s'était arrêté pour les rallier, fut
blessé et fait j)risonnier, et les paysans assommèrent dans la campagne
la plus grande partie de ces fuyards qui jetaient leurs armes sur les che-
mins pour être plus dispos dans leur fuite. {Mém. de la Ligue^ t. IV,
p. tJl7 et suiv.).
Pour lors, d'Aumale, qui prenait le litre de gouverneur de la Picar-
die pour la Sainte-Union, partit aussi de son côté d'Amiens, et s'approcha
jusqu'à llam. Son projet était de surprendre dabord j)en(lant la nuit et
d'enlever quehju'un des quartiers du roi ; puis, en cas de succès, de pous-
ser sa pointe aussi loin que la fortune le lui permettrait. Il attafjua, en
effet, a Timproviste, le poste (jui avait été assigné aux chevaux légers et
cette surprise les mit d'abord en désordre; mais d'autres trou|)es étant
accourues des postes voisins pour les secourir, et le nom de IJiron qui
s'était mis a la tête de ces braves ayant retenti au milieu de la mêlée en
manière de cri de guerre, d'Aumale et les siens n'eurent rien de plus
pressé que de s'enfuir, car personne ne se sentait le courage d'avoir
affaire 'a un capitaine si renommé par sa bravoure et ses succès. Biron
les jioursuivit jusijue sous les murs de llam, et leur tua beaucoup de
monde.
J76 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Mayenne revenait en ce moment de son inutile expédition contre la
ville de Mantes; il arriva a Ham, et il écrivit au prince d'Ascoli, qui était
précisément en route avec un secours de quatre mille hommes envoyés
par le prince de Parme, de hâter sa marche, afin de lui aider a faire lever
le siège de Noyon. Lui-même s'avança jusqu'à La Fère, dont Colas, de-
puis la tentative des royalistes, avait été nommé gouverneur a la place de
celui qu'il avait assassiné, et ce fut là où les deux troupes firent leur jonc-
tion.
Le siège de Noyon se continuait pendant ce lemps-la. Déjà l'ah-
baye de Saint-Barlhélemy, qui était un des principaux points fortifiés
dans le faubourg, avait été emportée d'assaut et ce premier succès de
l'armée royale avait jeté la consternation parmi les assiégés. Pourtant
Mayenne, depuis qu'il avait été rejoint par les Espagnols, avait une ar-
mée supérieure en nombre de près du double a celle du roi; mais en
présence de Sa Majesté, il semblait frappé de stupeur et n'osait rien
tenter.
Le roi, malgré l'infériorité numérique de ses troupes, surpris de ne
pas voir l'ennemi s'approcher, chargea le maréchal de Biron d'aller le
reconnaître, résolu 'a lui livrer bataille, car il sentait l'importance de
n'être pas inquiété sur ses derrières pendant l'assaut définitif qu'il se pro-
posait de livrer a la ville assiégée. Biron parcourut toute la campagne
jusqu'à Ham sans rien rencontrer, et sur le soir il revint rendre compte
'a Sa Majesté qui se décida a donner l'assaut le lendemain, septième jour
d'août. Dès le matin, les canons commencèrent a foudroyer les murs.
Tout un grand pan de ces vieilles murailles s'écroula, et les troupes se
mirent en mouvement pour franchir la brèche, sous la conduite du jeune
Biron qui les encourageait de la voix et par son exemple. Le gouverneur
de la place, les voyant s'avancer ainsi avec résolution, et n'ayant aucune
nouvelle de Mayenne, fit battre la chamade, et il fut convenu qu'en cas
que le duc ne vînt pas a son secours, le lendemain, il se rendrait au roi
sur l'heure de midi ; qu'il remettrait l'artillerie, les vivres et les muni-
tions de guerre; que lui et la noblesse pourraient sortir avec armes et
bagages, mais que le reste de la garnison n'emporterait que ses armes
seulement.
Or, Mayenne n'avait pu se décider encore 'a prendre aucun parti. Il
se vengeait, dit la relation que je copie, « en prenant toutes les vaches
du pays, ce qui n'était récompense digne de toutes les peines qu'il s'é-
tait données. Il avait pourtant fait ses pâques (communié) le jeudi, jour
de Notre-Dame, dans l'intention, comme il le disait, de se tenir prêt au
combat, » mais les officiers généraux qui commandaient sous lui crai-
gnaient la fortune du roi ; et les Espagnols qui composaient sa principale
force refusaient hautement de commettre tout le succès de la guerre au
hasard d'une seule bataille, et cela pour le salut d'une misérable petite
ville.
Le gouverneur exécuta donc les conditions de sa capitulation au jour
et 'a l'heure marqués, et le roi put donner le gouvernement de la place a
DU PUOTES'J'ANTIS.MK EN FRANCE., j77
incssire Antoine (J'Eslrce, pure de la belle Gahrielle, a la(|uelle il en avait
fait la promesse.
.Mais pendant que Sa Majesté obtenait i)ai la terreur de ses armes un
tel succès en présence de toute l'armée delà Ligue, qui n'avait osé faire
aucun mouvement, le jeune duc de Guise venait de se j)rocurer la liberté
par son adresse et sa résolution. On sait (pi'il (-tait retenu j)risonnier de-
puis la mort luneste de son prre. Après avoir été successivement trans-
féré de prison en prison, il était maintenant dans le château de Tours,
sous la garde du sieur de Uouvray, que le roi regardait comme un
de ses lidèles. Or, la reine Louise, retirée a Cbenonceaux, y tenait
une espèce de cour. Il était naturel que cette princesse portât quelque
intérêt à un prince de son sang. Une de ses dames d'honneur parvint
donc a obtenir de Rouvray, qui, dit-on, lui accorda celte laveur en pave-
ment d'une autre faveur de toute autre nature, qu'elle pourrait commu-
niquer avec le prisonnier. Elle sut lui ménager quelques intelligences avec
La Châtre, gouverneur du Berry, et l'on prit jour pour sa délivrance : ce
jour lut hxé au quinzième d'août, fête de la Vierge, et le njatin, aliii
d'ijler tout soupçon a ceux qui le gardaient, le prince reçut dévotement
le corps de notre Seigneur. Il se retira ensuite dans la tour qui lui ser-
vait de prison, et qui donnait sur la rivière, par hasard très basse en ce
momcnt-lâ. Mais pendant (pie ses gardes qui se tenaient dans la première
pièce de son appartement le croyaient tout occupé de ses dévotions, il
barricada la porte dans le [)lus grand silence. (Lkcrand, Décad. 15, p. 258.)
Un joueur de luth nommé \'erdier, qu'on lui avait permis de recevoir,
parce que le père de cet homme avait été une des victimes de la Saint-
Barlhélemy, avait trouvé le moyen d'apporter une corde dans le ventre
de sa viole; un morceau de bois fut attaché en travers au bout de celte
corde, le duc se mit a cheval sur cette pièce de Lois, puis le joueur de
luth le descendit tout doucement par celle des fenêtres qui donnait sur
la rivière. Quand il vit son maître arrivé a terre, il se laissa glisser à son
tour par cette même corde et vint le rejoindre. (Cayet, Chron. nov.
liv. 5, 1591.)
On fut ([uelque temps sans s'apercevoir de cette évasion, et quand
elle fut découverte, il y eut grande consternation parmi les gardiens;
mais les fugitifs avaient eu le temps de gagner du terrain et l'on ne sa-
vait de quel côté ils s'étaient dirigés. On envoya donc a leur poursuite
sur toutes les routes ; pendant ce lemps-lâ ils étaient déjà arrivés en sû-
reté en un lieu où La Châtre attendait le prince, avec une troupe armée
et des chevaux prêts, et le même jour ils [)urent entrer dans la place de
Celles, en Berry, Là, ils n'avaient plus rien a craindre.
Le roi apprit d'abord avec chagrin la nouvelle de cette évasion. Il
avait compté (pi'un prisonnier de cette importance était un gage précieux
entre ses mains, qu'il pouvait tout a la Ibis lui servir d'otage, pour ré-
pondre de la vie de ceux de son parti, (|ui tomberaient ou étaient déjà
tombés entre les mains de l'ennemi, et de plus lui aider à obtenir des
conditions de paix plus favorables. Pourtant, il y avait aussi pour lui
IV, 42
178 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
dans celte môme évasion un motif de se réjouir : c'était un nouveau chel
qui allait s'offrir à ceux de la Ligue, déjà fort peu d'accord entre eux et
de violentes rivalités ne pouvaient manquer d'éclater entre l'oncle et le
neveu ; aussi Sa Majesté, qui prévit presque aussitôt ce résultat, finit-elle
par dire : <f Ce n'est pas a nous a nous plaindre de l'évasion de monsieur
de Guise ; il sera la ruine de la Ligue. »
Paris, qui n'en jugeait pas de même, n'en lit pas moins chanter un
Te Deum a Notre-Dame, en réjouissance de cet événement et l'exemple
de la capitale fut suivi dans toutes les autres villes du parti. C'était déjà
la confirmation des prévisions du roi, et une sorte d'affront pour le duc
de Mayenne, qui pouvait dès lors s'apercevoir qu'un autre que lui occu-
pait le premier rang dans le dévouement et les affections des Ligueurs.
[Journ. de Henri IV, t. I, p. J56.)
Pendant ce temps-là, la guerre civile continuait, aussi désastreuse
que jamais, dans les diverses provinces de la France. La Châtre se hat-
tait dans le Berry, contre le seigneur d'Arquien, qui s'y était posé en dé-
fenseur du parti du roi. Dans le Limousin, les royalistes étaient battus
par Pompadour et par Montpesat, devant la ville de Saint- Yrieix. Les ba-
rons et les autres nobles de la province avaient assemblé une armée pour
forcer les Ligueurs a lever le siège de celle ville ; mais tous ces gentils-
hommes n'étaient pas d'accord entre eux. Les jeunes seigneurs surtout,
fiers de leur noblesse, ne voulaient pas obéir aux vieux officiers qui avaient
blanchi sous les armes. Leurs troupes s'étaient pourtant rangées en ba-
taille a portée du canon de l'ennemi ; alors, Pompadour et Montpesat,
ayant partagé les leurs en deux corps, les enveloppèrent complètement
et les acculèrent contre un marais impraticable, où les paysans et les gou-
jats de l'armée ligueuse n'eurent plus qu'à massacrer et à dépouiller ces
malheureux soldats embourbés. La ville pourtant ne fut pas prise. Cham-
baret, qui en était gouverneur, soutint avec vigueur trois assauts, et les
assaillants, fatigués d'une pareille résistance qui leur avait déjà coûté
beaucoup de monde, se décidèrent à lever le siège.
En ce même temps-là, les Ligueurs assiégeaient également la ville
de Bellac, dans La Marche, et Pompadour avait saisi le prétexte de les
aller aider pour faire lever, comme on vient de le voir, le siège de Saint-
Yrieix. Le brave Chambaret, voyant sa ville délivrée, n'hésita pas à mar-
cher aussi de son côté au secours des royalistes de Bellac, qui lui avaient
envoyé une députation pour implorer son assistance. Or, voici ce qui
s'était passé en ce pays-là, et à quel point les choses en étaient : Le roi
venait de gratifier le seigneur d'Abin du gouvernement de La Marche.
Villequier, vicomte de la Guerche, avait eu ce gouvernement sous le
règne précédent, et voyant que l'occasion était favorable pour en repren-
dre possession par la force des armes, il trouva que son honneur y était
intéressé. Ainsi donc, avant l'arrivée d'Abin, qui était alors occupé
auprès du prince de Conti à faire des levées dans l'Anjou, il partit d
Poitou, avec une petite armée et trois pièces de canon. Il s'empara tou
d'abord sans résistance de Montmorillon, de l'abbaye de Saint-Savin, de
II
■I
it !
1
DU PROTESTANTISME EX FRANCE. 179
Bëlàbrc, de Le Blanc en BeiTy,et de plusieurs autres places ; puis il envoya
sommer ceux de Hellac de se mettre sous sa protection, s'ils ne voulaient
pas se voir coniplèlemcnl ruinés.
Il y avait alors dans celle ville, comme dans toutes les autres villes
de la France, deux partis opposés, les Ligueurs et les Royalistes. Ceux
qui tenaient pour la Ligue étaient les plus nombreux ; mais juscpi'à ce
momenl ils n'avaient pas osé se déclarer; l'approche du vicomte de La
Guerche ranima leur courage, et ils tentèrent de s'emparer du faubourg
du Portail, »pii est plus élendu ([ue la ville même. La possession de ce
faubourg est en elfol d'une grande importance, et rend celui qui en est
mailre mailre également du reste de la ville; car c'est la (jue se trouve
la principale forteresse. Le dessein des Ligueurs était tout simplement
de livrer ce poste a l'ennemi. Les royalistes parvinrent toutefois à les
eni|)êcber d'exécuter cette résolution ; mais eux-mêmes étaient partagés
d'opinion ; le plus petit nombre persistait a se défendre, tandis que les
autres opinaient pour qu'on demandât à capituler, alléguant l'impossi-
bilité de soutenir un siège dans une position aussi peu favorable.
Un jeune homme de la ville, nommé Jean de La Sale, employa d'abord
les prières et les raisons pour détourner ses concitoyens d'une pareille
décision. A la On, voyant que ces moyens ne réussissaient pas, il mit
l'épée a la main, nienaçant de luer les lâches (|ui ne voudraient pas
attendre les secours, dont on était sûr que l'arrivée ne pouvait tarder
longtemps encore. Sa fermeté et son énergie imposèrent aux plus timides;
on se mit a creuser des rctranchemenls et a forlilier les remparts.
Les Ligueifrs avaient, pendant ce temps-là, dressé leur batterie et
leur canon venait d'ouvrir une large brèche par laquelle ils cherchèrent
'a pénétrer. L'assaut dura depuis quatre hein-es du soir jusqu'à sept, et
ils y perdirent soixante des leurs ; mais La Sale, avec une petite troupe
de braves, lit de tels prodiges de valeur qu'il parvint a repousser
l'ennemi.
Le lendemain l'assaut recommença en quatre endroits diftcrents; car
le canon avait ouverl pendant la nuit une nouvelle brèche dans ces
vieux remparts, et l'on s'était procuré des échelles pour tenter l'esca-
lade sur les deux endroits à la fois. La tentative ne fut pas pourtanl plus
heureuse cpie la première Ibis, et les braves défenseurs de la place for-
cèrent encore les assaillants a se retirer, après deux heures dun combat
meurtrier. (I)i: Tiioi , «6i siip.)
La Guerche lit ensuite canonner le Portail et ses tours, et il poussa
contre cette forteresse une machine laite en forme de pont, bâiie sur le
modèle de celle (ju'avail inventée Châtillon, au dernier siège deGharlres.
A l'aide de celte machine, qui couvrait les travailleurs, il attacha les
mineurs au pied même du rem|)art. Les assiégés lin-nt aussit(3l des
contre-mines, et ayant taillé en pièces ou mis en déroute les mineurs
euncniis, ils viment brûler la niachiiie elle m.'ine.
Il laliiit en revenir au canon, (|ui, en (piaire joins, ne (il (|u'un
amas de débris des tours du Portail. Il ne restait donc plus d'autre
180 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
ressource aux assiégés que de capituler; car Pompadour était déjà arrivé
au camp avec ses troupes ; mais Chanibaret, qui venait de le contraindre
à lever déjà le siège de Saint-Yriex, s'était aussi mis en route de son côté^
et, passant la petite rivière du Vincou, il entra dans Bellac, avec quelques
braves gentilshommes (jui avaient voulu l'accompagner et soixante cuiras-
siers et quelques arquebusiers qu'ils avaient pris en croupe. Sa pré-
sence rassura les habitants; les négociations déjà commencées furent
interrompues, et La Guerche, outré de dépit, lU recommencer les travaux
du siège avec une nouvelle ardeur.
Chanibaret ne resta pas non plus dans l'inaction. La nuit comme le
jour, il était partout où sa présence pouvait être nécessaire ; il ht creu-
ser dans la ville un conduit souterrain, par où l'on pouvait faire des
sorties et chasser les travailleurs ennemis. Les choses en étaient la,
quand La Guerche eut nouvelle que le prince de Conli allait arriver en
personne, avec son armée, au secours de la place. Aussitôt il leva le
siège, et partit avec tant de diligence qu'il était déjà rentré dans Poitiers,
avant que La Trémouilie, détaché par le prince 'a sa poursuite, eût eu le
temps de l'atteindre.
Conti reprit d'assaut Montmorillon, où La Guerche avait laissé une
garnison de trois cents soldats, qui furent tous passés au fil de l'épée.
Belâbre, Le Blanc et Saint-Savin se rendirent, ainsi que toutes les
autres places qui tenaient pour la Ligue, ou qui venaient d'être conquises
par La Guerche en ces contrées. Le prince alla ensuite assiéger Mirebeau,
dans le gouvernement de Saumur.
Sur ces entrefaites, le dit sieur vicomte de La GneVchc reçut un
secours que lui envoya Monsieur de Mercœur pour tâcher d'arrêter les
progrès du dit seigneur prince, et pavmi ce secours était bon nombre
d'Espagnols. Tout aussitôt le vicomte, ayant eu nouvelle que le gouver-
neur de Loches venait de lui prendre son château de la Guerche, au
pays de Touraine, et qu'il enlevait tout ce qui était dedans, il se sentit
pressé du vouloir d'aller sauver cette sienne propriété ; et il s'achemina
a cet eflet en toute diligence de ce côté-l'a, pour voir ce qu'il pourrait y
faire. Mais ceux des gentilshommes de la contrée qui faisaient service
au roi se portèrent au-devant de lui, au nombre de plus de cinq cents
chevaux, tous bien en point, et lui livrèrent un furieux combat qui fut
longtemps bien soutenu de part et d'autre. A la fin pourtant, le vicomte,
vovant plus de trois cents des siens étendus sans vie sur le carreau, et
le reste branler, prit lui-même la fuite pour mettre sa propre vie a cou-
vert, et pour tâcher d'arriver l'un des premiers au bac de la rivière de
Creuse, afin de mettre cette rivière entre lui et ses ennemis. Mais la foule
des fuvards était déj'a Ta, 'a se disputer 'a qui entrerait dans le bac; car
Pennemi commençait a les pousser vivement par derrière. Tous ceux
qui le purent se jetèrent pêle mêle avec le dit seigneur vicomte dans
l'embarcation, sans qu'il fut possible de les en empêcher, d'où il arriva
que le bac, étant trop chargé, coula a fond avec tous ceux qu'il portait.
Quanta ceux qui n'y avaient pu trouver place, ils furent tous taillés en
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 184
pièces par les royaux, et voila comment le çfouvernciir du liant Poitou
et (le la Marche pour la Sainle-linion perdit a la fois tontes ses troupes
et la vie. (Cavi:t, Chron. novenn.^ liv. 3, J-")!)].)
Cependant le prince de Conti, après avoir pris Mirebeau, par com-
position, s'en revint dans le IJerry, et mit le siège devant Celles. La
Cliàlre avait donné le gouvernement de celte place a un nommé Dubois,
qui fatiguait tout le voisinage par ses courses et ses pillcries, et qui
s'était même avancé plus d'une fois jusqu'aux portes de Tours. Les
Ligueurs d'Orléans avaient bon vouloir de venir au secours de cette
place; mais, quoique cette ville fùtj-egardée a juste titre comme un des
principaux foyers de la Sainte-Ligue, il s'en fallait (juc tout le monde s'y
lût d'accord. Il y avait la bon nombre de royalistes, (jui, a la vérité, ne se
montraient pas à découvert, mais qui n'en étaient pas moios dévoués à
leur parti, et, comme la plupart de cosgens-Pa étaient riches, ils avaient
une grande influence; il y avait ensuite les bons et sincères Ligueurs,
sans arrière-pensée et n'ayant foi (pi'en Monsieur de Mayenne; puis, il s'y
trouvait ce qu'on peut apjjcler les Ligueurs espagnolisés, qui correspon-
daient avec les Seize de Paris, et qui avaient pour eux le maire, les
échevins et tous les moines. Ils avaient, de plus, gagné toute la popu-
lace il l'aide de leur dévole confrérie du Saint-Cordon, dans laquelle
toutes sortes de bonnes gens s'étaient empressés de venir se faire enre-
gistrer. Or, on taisait jurer a tous les confrères « de ne pas épargner
même leur père et leurs i)ropres enfants, si le bien commun en deman-
dait le sacrifice, et d'obéir aveuglément 'a ceux qui seraient députés par
les chefs |)our donner des ordres. » On voit que la main des habiles
disciples de saint Ignace avait touché la. (Mkzi-r.vy, t. 111, p. 81)!2.)
Quoi qu'il en soit, tandis que ces divers partis travaillaient à se
mettre d'accord, pendant le temps (pi'il fallut pour faire venir le duc de
Nemours dont on avait décidé qu'on demanderait le secours, et qui assié-
geait alors la ville de Saint-Pourçain, a cinq lieues de Moulins en Bour-
bonnais, le prince de Conti s'empara de Celles, (pfil ordonna de
démanteler, pour qu'a l'avenir ceux <jui en deviendraient maîtres ne
pussent continuer leurs déprédations sur le plat pays; mais comme il ne
resta i)as pour veiller lui-même a l'exécution de cet ordre, les bourgeois
s'arrangèrent si bien, qu'il ne fut cette fois exécuté qu'en partie.
En cette même année làOl, on continuait aussi de se battre en
Hretagne; mais la guerre civile, en cette province, avait un caractère
tout particulier ; car la Hrelagne n'était pas seulement parlag(?e en deux
partis comme le reste de la France, on en com[)lait trois : les royalistes
d'abord, puis les Ligueurs, et enfin ceux que le duc de Mercœur avait gagnés
pour se lairc Ta une souveraineté particulière et indépendante. Il est
vrai que ce dernier parti et son chef arboraient encore l'étcMidard de la
Ligue; mais quelques villes, comme Uouen et plusieurs autres, s'en
méfiaient déj'a et refusaient de se remettre entre les mains du duc.
Le pi'ince de Domhes, noinm',', comme on sait, gouverneur de la
Bretagne pour le roi, voyant son armée augmentée d'un secours de
182 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
soldats que lui envoyait TAngleterre et qui venait de descendre au port
de Faimpol, vint assiéger la ville de Guingamp, laquelle faisait partie du
propre patrimoine de Madame la duchesse de Mercœur. Le duc, qui avait
prévu ce siège, avait pris soin d'envoyer dans la place une belle com-
pagnie de gens de pied, sous la conduite d'un nommé Lacointerie, fils
d'un pâtissier d'xVngers. Le duc avait grande confiance en ce garçon,
parce qu'il avait été a son service, et il l'avait même précédemment
nommé gouverneur de Vannes. Mais la noblesse du pays, ayant trouvé
que c'était un trop gros morceau pour un vilain de cette trempe, et que
quelqu'un de ses membres s'accommoderait parfaitement d'une pareille
pièce, Mercœur avait rappelé Lacointerie pour donner ce gouvernement
au sieur d'Aradon, dont le frère était déjà évêque de Vannes. Lacointerie
fut contraint de dissimuler le ressentiment de ce qu'il regardait comme
une injustice ; mais il était bien résolu de s'en venger a la première
occasion; aussi fut-il joyeux quand on l'envoya a Guingamp, non qu'il eût
dessein de rendre service à son maître et protecteur, comme son devoir
l'y obligeait; mais parce qu'il y pourrait faire éclore les mauvaises
intentions qu'il avait déj'a préméditées dans son âme. (Moreau, ch. xvi.)
Il arriva donc a Guingamp avec sa compagnie, et il y fut en effet
bloqué quelques jours après. Il y avait, en dedans, assez de monde pour
défendre la place; mais Lacointerie dit qu'il fallait capituler, et lui-même
alla trouver le prince de Dombes, au(juel il avait fait part d'avance et
secrètement de ses intentions, et l'on traita des articles de la capitula-
tion. Ces articles furent discutés publiquement; mais, dans une confé-
rence qui eut lieu en particulier, il fut convenu que Lacointerie aurait
dix mille écus pour sa peine, et on lui en compta d'abord deux mille.
« Le reste, quoique promis sur la foi du prince de Dombes, qui en fit son
billet, ne fut ni ne sera jamais payé. »
Les clioses ainsi convenues, Lacointerie rentra dans la ville, oîi ayant
fait un-long étalage des forces de l'ennemi, il n'eut pas grand'peine a
persuader aux bourgeois et a la garnison qu'il valait mieux plier que
rompre, et rendre tout bonnement la ville que de risquer de la perdre,
avec un si grand nombre de braves gens qui étaient dedans. La porte fut
donc ouverte aux assiégeants et la garnison eut permission d'en sortir
vie et bagues sauves.
Le duc de Mercœur entra dans une grande colère, car il se tenait
tout prêt a contraindre l'ennemi 'a lever le siège. Il accusa Lacointerie
de trahison devant le parlement de Nantes; et, pour réparation, le cou-
pable fut condamné a être tenaillé et pendu. Il est vrai qu'on ne le tenait
pas pour exécuter la sentence; Lacointerie avait jugé plus sûr, après son
beau fait d'armes, de se retirer dans le camp du prince de Dombes, où,
sans avoir aucun commandement, il servit en qualité de simple chevau-
léger.
L'armée que le duc de Mercœur amenait au secours de Guingamp
était beaucoup plus nombreuse que celle des royalistes. Le prince de
Dombes, avant de risquer une bataille, envoya 'a la découverte le sieur
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 183
(le Montmartin, pour connaître an juste le nombre et les dispositions de
Tennemi. Il apprit bientôt que Merconir continuait sa marche et venait
d'arriver dans un lieu appelé La Croix-de-Malbara. Il n'y avait plus entre
les deux armées qu'une vaste plaine couverte de bruyères. Celle des
Ligueurs s'était postée derrière un bois taillis entre les villes de
Guingamp et de Quintin. Les royaux s'étaient retranchés dans le bas de
la plaine, où ils étaient couverts par un fossé très-profond ; mais, dans
un conseil de guerre, il fut décidé, contre l'avis des plus sages, qu'on
franchirait ce fossé et qu'on irait attaquer l'ennemi. (De Thou, t. IX,
liv. 10l\ p. 590 et suiv.)
Le combat commença sur les huit heures du matin, et le prince de
Dombes eut d'abord lieu de regretter d'avoir permis de franchir le fossé
qui |irotégeait les siens. Celles de ses troupes qui s'étaient avancées les
premières lurent mises en désordre, avec grande perle de gentilshommes
et de braves ofdciers. Pour lors, Montmartin, 'a la tête d'un détachement
de Français, d'Allemands et d'Anglais, et, s'élançant sur l'ennemi,
vint rétablir le combat qui se prolongea pendant tout le reste de la
journée, sans que la victoire parût se déclarer, malgré le désavantage
de la position des royaux; car le feu des Ligueurs, partant de haut en
bas, faisait un eflet bien plus meurtrier que celui de leurs adversaires
qui ne pouvaient tirer sur eux que de bas en haut.
Le lendemain, on se contenta de se canonner réciproquement, et
chacun attendait que l'ennemi commençât la charge ; mais les deux
généraux prirent le parti de se retirer sans rien faire. Le duc de Mercœur
s'en revint a Courlays, et le prince de Dombes s'en alla à Chatelau-
dren, où il fut rejoint par le brave La Noue, (jue le roi envoyait a son
aide, avec la compagnie de cavalerie du comte de Montgommery.
La Noue fut d'avis de marcher de nouveau à l'ennemi, et lui-même
régla l'ordre de bataille. On s'avança donc incontinent, et en ffrand
silence, jusqu'aux avant-postes du camp ennemi, qui furent brusquement
attaqués a la |)remière pointe du jour, et qui furent mis en déroute
après un combat meurtrier. Mercœur rangeait pendant ce temps-la son
armée en bataille, et quand les deux |)artis se trouvèrent en présence,
ils restèrent la sous les armes plus de deux heures entières, chacun
attendant que son adversaire donnât le signal de l'attaque; mais ni
Mercœur, ni le prince de Dombes n'ayant voulu commencer, ce dernier
ramena sur le soir ses troupes a Quintin, et Mercœur rentra dans son
camp pour surveiller les mouvements de son ennemi.
Or, le sieur de la Hunauldaye, et le manpiis d'Asserac, qui voulaient
mettre a couvert les châteaux qu'ils possédaient dans le voisinage de
Lamballe, décidèrent le prince de Dombes à faire le siège de cette ville.
Il est vrai que l'armée manquait presque entièrement de munitions de
guerre, et qu'on n'avait pour tonte artillerie cpie deux canons en assez
mauvais état; mais qu'importe? les dits seigneurs tenaient à la conser-
vation de leurs châteaux, beaucoup plus qu'a l'intérêt public. La plupart
des capitaines, qui servaient sous le prince, tentèrent inutilement de le
^84 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
(Jélournor d'une aussi hasnrileuse entreprise, qiril fallait exécuter avec des
moyens aussi insulïisants et sons les yeux, ponr ainsi dire, d'un ennemi
de beaucoup supérieur en forces. La Noue lui-même, malgré sa bra-
voure qui allait jusqu'à la témérité, n'était pas d'avis de risquer une
tentative semblable; mais quand il vit le prince décidé, lui qui n'avait
jamais contredit personne, il se rendit d'autant plus facilement a l'avis
du général, qu'il ne connaissait pas l'assiette de Lamballe.
A la vue de la place, il avoua pourtant qu'on ne pouvait espérer de
réussir qu'a l'aide d'un miracle, ou par une làclicté extrême de ceux
qu'on allait assiéger. On n'en dressa pas moins en batterie les deux mau-
vais canons qu'on avait, et l'on parvint à taire dans le rempart une toute
petite brèche, que les assiégés eurent bientôt tortillée avec des fascines
et du gazon. Le brave Montmarlin, qu'on envoya pour la reconnaître, en
revint dangereusement blessé, et rapporta qu'il n'y avait pas de sûreté
'a tenter l'assaut.
Aussitôt La Noue, ayant quitté son casque pour être moins embar-
rassé, s'en alla monter sur une échelle plantée derrière des ruines,
dans le dessein de s'assurer par lui-même de la situation des choses.
Pendant (|u'il examinait la brèche avec une grande attention, une balle
de mous(juet l'atteignit a la tête. En tombant, il demeura suspendu par
un pied qui s'embarrassa dans les échelons ; on accourut a son aide et on
l'emporta dans sa tente, où il fut plus de deux heures entières sans
reprendre connaissance. De là, on le porta a Moncontour, où il mourut
quinze jours après, pendant que les médecins discutaient s'il fallait ou
non lui faire subir l'opération du trépan. A sa dernière heure, le héros
se fit lire le passage de Job sur la résurrection des corps. « C'est la
dit-il 'a Monlmartin, qui était auprès de son lit de souffrance, la croyance
dans laquelle j'ai vécu et dans laquelle je meurs. J'emporte l'espoir de
ressusciter un jour. »
Le prince de Bombes, consterne de la mort de ce brave guerrier,
leva le siège de Lamballe et se retira à Saint-Brieuc. Ce lut la
qu'il découvrit une conspiration qui se tramait contre sa propre vie. On
trouva, sur un cordelier qui, sous prétexte de quêter pour les
besoins de son couvent, était toujours en course, une lettre d'un partisan
de Mercœur, laquelle contenait tout le plan du complot. Dans celte
lettre, adressée au sieur de Rascol, qui était auprès de Monsieur de
Dombes, il était question de la manière dont on s'y prendrait pour
assassiner le dit prince. Rascol fut aussitôt arrêté, et, coupable ou non,
il eut la tête tranchée, et le moine fut pendu. (Moreau, ch. xxiv.)
Celte justice expéditive n'arrêta pas les ennemis du prince. Cette
même année fut aussi découveit un autre complot tendant à re-
mettre entre les mains de Mercœur la bonne ville de Rennes.
Le baron de Crapado, vieillard de plus de quatre-vingts ans, était le
chef de celte menée. Tout était préparé pour livrer d'abord la porte
de Toussaint aux troupes (pie le duc avait secrètement postées
dans les environs, et le coup devait éclater dans les vingt-quatre
I
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 185
lieures, quand les conjurés furent Iraliis par un des leurs. Crapado fut
arrêté, et ayant en cilét été trouvé cotipahle, il fut condamné a être
traîné sur une claie h la queue d'un cheval, depuis la prison jus(|u'au
champ Jac(|uet, la, pour y avoir la tête tranchée, ce qui fut exécuté. « Ce
vieillard, que son âge rendait vénérahle, était pourtant des meilleures
lamilles de France, et même touchait de parenté au prince de Domhes,
ce (jui n'empêcha pas celui-ci de vouloir assister au supplice; aussi
Crapado lui dit : « Vous me traitez comme un faquin, quoique je sois
« votre parent, et la honte en retomhe sur vous. Au reste, je ne me
« plains pas tant de mourir (pie d'être ainsi traîné en chemise et pieds
« nus comme un sim|)le manant. C'est une ignominie que vous deviez
« épargner a mon vieil âge. » Le prince ne s'émut nullement de cette
remontrance; mais toute la nohiesse du pays se sentit indignée.
Lavardin venait alors d'arriver, avec cent chevaux et huit cents
arquehusiers, et le duc de Mercœur, pour donner du repos 'a ses
troupes, s'était de son côté retranché entre Pontivy et Josselin.
Le prince, dans la volonté de mettre 'a prolit le nouveau secours cpii lui
arrivait, eut l'idée d'aller de nouveau ofl'rir la hataille au duc; il n'y eut
encore l'a (ju'un simple cond)at d'avant-postes, où les royaux n'eurent
pas l'avantage; le sieur La Tremblaye, (|ui conduisait une reconnaissance,
s'étant trop avancé pendant l'obscurité d'une nuit sans lune, fut pris i)ar
l'ennemi. (Dk Twoi, nbi sup.)
Au lever du soleil, les deux armées se trouvèrent en présence près de
Jugon, et restèrent encore sous les armes vis-'a-vis l'une de l'autre,
sans oser en venir aux mains. Alors Norris, général des troupes auxiliaires
de l'Angleterre, demanda qu'on revint a Saint-Brieuc, attendu que les
maladies causées par l'intempérance de ses soldats en avaient déjà em-
porté un grand nombre, et qu'il devenait nécessaire de leur donner un
|)eu de repos pour rétablir leur santé et la discipline.
Quand les troupes se furent reposées, on résolut de s'emparer de
Saint-Méen sur la route de Rennes; car on avait nouvelle que le duc de
Mercœur voulait lui-même venir dans cette ville, et la soumettre 'a sa
dévotion. Lavardin partit donc en avant a la tête des soldats qu'il avait
amenés, et ayant trouvé la place vide, il se préparait a s'y établir paisi-
blement; mais le duc de Mercœur arriva pres(jue aussitôt et rangea ses
troupes en bataille au-dessous de Saint-Méen, derrière un petit bois (jui
se trouvait entre lui et la ville.
Le prince de Dombes, averti de son arrivée, doubla le pas avec le
reste de son armée, et alla faire halte auprès d'un moulin a vent qui se
trouve sur une hauteur voisine ; la, on tint un conseil de guerre pour
régler le plan de l'attaque; mais, comme on vint dire au prince que
l'allVit d'un de ses canons s'était rompu dans les mauvais chemins du
pays, il jugea a propos de ne rien entreprendre de toute la journée
jusipi'îi ce que l'alfùt eût été réparé. Ce fut, dit-on, ce qui sauva l'armée
du duc de Mercœur, qui n'eût pas manqué d'être défaite, si elle eût été
attaquée en ce moment; car la position (lu'elle avait prise entre une
18B HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
ville déjà au poiivoii' de rennemi et une colline par laquelle les royaux
allaient tomber sur elle ne lui laissait aucune chance de salut. Aussi
Mercœur se liâta-t-il de décamper a l'entrée de la nuit, et d'aller se
placera Saint-Jean, dans une position beaucoup moins périlleuse.
Un grand nombre de gentilshommes de la province vinrent en ce
moment-la se joindre a l'armée royaliste, et il fui encore décidé qu'on
attaquerait cette fois résolument l'ennemi. Montmartin se mit a la tête
de l'avant-garde et enfonça bravement les premiers postes du duc de
Mercœur; mais celte fois encore, « a cause des petits ruisseaux dont les
chemins sont coupés en ce pays-la, » on n'osa pas en venir a une action
sérieuse et générale ; on se décida a retourner vers le Maine.
Sur la roule, on prit la petite ville de Châtillon-en-Vendelais, dont la
garnison composée de deux cents soldats, appartenant au duc de
Mercœur, fut tout entière passée au lil de l'épée ; puis, le feu ayant pris
par hasard aux poudres, la malheureuse petite ville fui presque complète-
ment brûlée.
Mercœur, en apprenant cette nouvelle a Nantes, où il était déjà revenu,
envoya par représailles assiéger le château de Coetnisan, dont le
seigneur lui était contraire. Ce gentilhomme, ayant été obligé de se
rendre après une défense désespérée, fut, malgré la capitulation qui lui
permettait de sortir avec armes el bagages, renfermé dans une étroite
prison dont il ne put se tirer que longtemps après, en payant une rançon
de trente mille écus d'or.
Après cette expédition, le duc vint camper devant le château de
Blain. Celte place, très-forte par son assiette et par les constructions
défensives dont elle était soigneusement environnée, faisait partie du
patrimoine de la maison de Rohan, qui y tenait ses archives et tout ce
qu'elle avait de plus précieux. Dès l'an 1585, les Ligueurs avaient
trouvé le moyen de s'en emparer par composition; mais, quoiqu'ils s'y
fussent conduits avec modération et douceur, les habitants n'en étaient
pas moins au fond de l'âme restés fidèles 'a leurs anciens seigneurs. Le
sieur du Goust, lieutenant des sires de Rohan, grand huguenot de pro-
fession, du reste homme cruel et insolent, avait trouvé moyen de
reprendre ce château. Avec huit compagnons seulement, il s'était em-
busqué un malin dans le voisinage, épiant l'instant où l'on baisserait le
pont-levis. Vers l'heure de midi, plusieurs charrettes arrivèrent, el le
pont fut baissé pour les introduire. Alors du Goust et les siens se préci-
pitèrent dans le corps de garde, et ceux des Ligueurs qui s'y trouvaient,
se voyant surpris, s'enfuirent en toute hâte avec le gouverneur lui-même.
Les habitants se joignirent incontinent aux assaillants, et du Goust se
trouva maître de la place. (Moreau, ch. xv.)
Mais tout a coup on vil arriver le sieur de Guébriant, qui tenait pour
la Ligue, et qui se présenta a son tour, 'a la tête de plusieurs compa-
gnies, pour recouvrer le dit château, de la prise duquel étaient venus
l'instruire ceux qui s'étaient si vite enfuis au moment de ratla(|ue.
Une jeune et jolie fille de dix-huit ans, Mademoiselle de La Salmonaye,
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 187
dont le frère était lieutenant de du Goust, s'avança alors toute seule et
toute en pleurs sur la contrescarpe jiis(|u'aii |>ied des murailles, et
demanda a parler à son hvre. Elle lui dit «pj'il était cause d(î la ruine
de leur père commun et de toute lalamille; que les Ligueurs les avaient
tous emprisonnés, et (prelle-méme, après s'être échappée d'un cachot,
où on l'avait renfermée à Nantes, venait sans autre espoir que de mourir
avec lui, s'il le fallait. Le lieu'.enant lui lit descendre une corde à l'aide
de laquelle on la hissa par-<lessus le rempart; mais du Goust eut quel-
que soupçon. Il fit arrêter le frère et la sœur, et celle-ci finit par avouer
que, moyennant une dot de dix mille livres que lui avait promise la
duchesse de Mercœur, elle avait promis d'engager son frère à livrer le
château. Comme cette demoiselle était huguenote, du Goust n'eut pas
grand'peine à la convaincre (ju'un i)areil marché compromettait tout 'a la
fois son âme et son honneur. Puis, il la décida a son tour à se laisser
redescendre, et à aller dire aux assiégeants, que s'ils voulaient la suivre,
elle avait tout arrangé pour (|u"ils lussent introduits dans la place par le
même moyen (|ui lui avait aidé à y entrer et a en sortir.
La proposition lut acceptée. La corde fut redescendue dans la nuit
suivante, a un signal (|ue lit la jeune (ille ; elle-même monta la première,
et soixante-sept des plus braves de l'armée catholique la suivirent suc-
cessivement. Mais a mesure qu'ils arrivaient dans le château, on les fai-
sait entrer silencieusement dans une chamhre |)réparée a cet effet, sous
prétexte de les cacher aux yeux de la garnison, et la, on les mettait aux
fers.
Guéhriant, 'a la fin, eut méfiance de quelque trahison, car il n'avait
aucune nouvelle de ceux des siens qui s'étaient fait monter par cette
corde, laquelle redescendait toujours. Il chargea spécialement le dernier
homme (pi'il laissa partir de lui faire un signal pour l'instruire de ce qui
se passait la-haut. Le signal ne fut pas fait, et Guéhriant ne voulut plus
laisser monter personne. Alors du Goust, voyant que la corde ne rame-
nait plus riejî, s'adressa au dernier arrivé, et, lui mettant le poignard
sur la gorge, il tenta de le forcer à venir sur le rempart, engager
Monsieiu' de Guéhriant a monter lui-même. « Vous pouvez me tuer,
répondit le soldat; mais je ne commettrai pas une pareille trahison.
J'aime mieux la mort. » Du Goust trouva ce trait de courage trop beau
pour vouloir en faire périr l'auteur, et ainsi (Miéhriant échappa au piège
qui lui avait été tendu. Il se retira le lendemain matin, laissant soixante-
sept prisonniers, dont les armes servirent aux assiégés qui en avaient
fort peu. De j)Ius, ces mêmes prisonniers fiuTiit un moyen de se faire
fournir des vivres par les garnisons ennemies dont on était environné.
Depuis ce temps, du Goust était toujours resté maître de la place,
qui était bonne et forte, comme j'ai dit. et de la, il faisait jour et nuit
des courses dans le pays, jus([u'aux portes de Nantes, ramenant chaciue
fois un grand nombre de prisonniers, dont il traitait la plupart bien rude-
ment, de sorte que plusieurs mouraient a la peine, et des autres il
extorquait sans ménagement de grosses rançons. Mercœur était donc
188 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
venn, bien décidé a cxlerminer celle bande de pillards qui se montait
déjà à près de quatre cents. Quoique la saison lût l'àcbeuse pour un
siège, car on était déjà au mois de novembre, il entoura le château ;
après quoi, il fit dresser une batterie de douze doubles pièces, qui
tirèrent sans relâche contre la grosse tour de l'entrée. Celte tour passait
pour très-lbrte. Aussi, a chaque volée, les assiégés criaient en raillant :
ff Prenez garde! vous allez la blesser; » et, avec des linges attachés a
de longues perches, ils frottaient l'endroit où le boulet venait de frapper.
Mais bientôt, ils furent obligés de trouver cette furieuse canonnade moins
plaisante. Au bout de deux jours, la tour, qui avait été battue par le
canon sans discontinuer, s'ébranla et finit par s'écrouler avec un fracas
épouvantable. Ses débris comblèrent le fossé, laissant une large ouver-
ture par laquelle on pouvait monter à l'assaut.
On députa donc de la place un des capitaines pour traiter de la
capitulation, lequel ayant un grand panache blanc au chapeau el un
javelot à la main, s'avança superbement vers Son Altesse. Mercœur, le
voyant venir avec cet air bravache : « Faites savoir, dit-il, 'a ce maître
sot qu'il ait h se retirer au plus tôt, s'il ne veut pas que je prenne la
peine de le faire pendre. » Le capitaine ne se fit pas répéter deux fois
cet avertissement et rentra bien vite dans le château.
Comme ensuite on n'y apercevait plus aucun mouvement, un soldat
espagnol de l'armée du duc, montant sur les décombres de la brèche,
eut ridée d'aller explorer ce qui se passait dans l'intérieur. Il ne vit per-
sonne dans tous les environs, el il appela ses compagnons, qui, passant
par le même chemin, entrèrent dans le château sans rencontrer la
moindre résistance. La garnison s'était toute retirée dans le donjon, qui
fut incontinent investi. Du Goust demanda de nouveau 'a capituler. Or, le
donjon était fort et pouvait tenir longtemps. Mercœur crut devoir en
celte considération se relâcher un peu de sa sévérité, el la capitulation
fut accordée. Les simples soldats purent sortir avec leurs arquebuses ;
mais les capitaines el le chef furent prisonniers de guerre. On les con-
duisit au château de Nantes, d'où ils ne se tirèrent, quelques années plus
tard, qu'en payant rançon.
Ce siège ne dura que sept jours et le butin fut immense, car les
seigneurs deRohan avaient magnifiquement meublé celle résidence. Les
Espagnols, y étant entrés les premiers, eurent la meilleure et la plus
grosse part; puis, le château fut eijtièrement brûlé.
Dans le même temps, le sieur de Saint-Laurent avec quelques com-
pagnies espagnoles, dont le duc de Mercœur l'avait pourvu, était venu
mettre le siège devant la ville de Malestroiî, (jui n'avait pour toute
défense que la fidélité et la bravoure de ses habitants; ils soutinrent deux
assauts pendant lesquels plus de deux cents bourgeois se firent tuer,
sans qu'une perle aussi considérable pùl abattre en rien leur résolution.
C'était a qui prendrait la part la plus active 'a la défense. Un prêtre,
nommé dom Gilles, leur donnait l'exemple. 11 haïssait profondément les
Espagnols ; aussi se trouvait-il toujours le premier sur la brèche, roulant
DU PIIOTESTANTISME EN FRANGE. 189
de grosses pierres et lançant des fenx d'arlilice sur l'ennemi. Saint-
Laurent, après avoir perdu beaucoup de monde, sans avoir pu avancer
d'un pas, lui obligé de se retirer bonlcusement, et, pour laver rallront
d'une pareille retraite devant une ville qui n'avait pas même de garnison,
il s'en alla assiéger la tour de Scssons, i)etit fort sur les côtes de la
basse Bretagne, dans le voisinage de Saint-Hrieuc.
Aussitôt le seigneur de liieux, tout nouvellement nommé gouverneur
de Brest, convocjua la noblesse du pays, (pii s'empressa d'arriver, et il
vint présenter la bataille 'a Saint-Laurent, avant (|ue celui-ci eût eu le
temps de prendre la place qu'il assiégeait. On combattit avec opiniâ-
treté de part et daulre ; mais les royaux Unirent par avoir l'avantage.
Saint-Laurent lui-même lut lait prisonnier par le bourreau des compa-
gnies allemandes de la garnison de Hrest, lequel saisit la bride de son
cbeval et l'arrêta dans sa luite. 11 lut conduit 'a Guingamp; toute son
infanterie fut massacrée, a l'exception de quelques-uns, qui s'étaient
réfugiés dans une église voisine, et la plupart des nobles qui étaient
avec lui furent pris. La déroute était complète et sans ressource.
Un autre chef ligueur avait un plus heureux succès en Anjou; mais,
malheureusement, après ne l'avoir dû qu'îi la trahison, il en usait avec
toute la férocité d'un baron du moyen âge. Pierre Le Cornu-Duplessis,
gouverneur de Craon, avait depuis longtemps pour ennemi particulier le
seigneur de Cri(iueb(i'ul', qui tenait en ce temps-la, pour le roi, la
petite place de Montjean, di'pendante de la comté de Laval. Duplessis
gagna, a prix d'argent, un juif nommé Mo'ise, dans lequel Criquebœuf
avait mis sa confiance, et ce perfide domestique introduisit dans le
château l'ennemi mortel de son maître. Le malheureux gouverneur s'at-
tendait d'autant moins 'a celte surprise que, quelques jours auparavant,
Duplessis avait conclu avec lui une trêve, et lui avait solennellement
promis par écrit signé de sa main (pi'il n'entreprendrait rien contre lui,
pendant tout le temps que devait durer cette trêve. Le chef ligueur, au
mépris d'une promesse aussi sacrée, lit Criqueb(euf son prisonnier, le
plongea dans un affreux cachot, et après l'avoir contraint par la torture
'a lui faire payer six mille écus de rançon, il le fit impitoyablement massa-
crer, « tenant a prouver à tous qu'il ne s'était saisi du château de
Montjean, et qu'il n'avait violé toutes les règles consacrées par le droit
des gens que pour se venger d'un ennemi détesté. » (De Thoc, t. XI,
liv. 102, p. iOi.)
En Auvergne, la Ligue avait, comme on la vu, reçu un coup \\ peu
près décisif par la mort du comte de Uandan, tué au siège dlssoire.
Vainement elle avait tenté de se réveiller quand le duc de Nemours était
venu prendre possession du gouvernement de Lyon. On avait inuti-
lement cherché a appeler ce prince dans ce pays-lâ pour rendre quehpie
force au parti; on alla même, pour le décider, jusqu'à le flatter que
Clermont n'attendait que sa présence pour se remettre entre ses mains.
Le voisinage de Lesdiguières, (|ui du Dauphiné, où il était déjà maître,
pouvait faire et faisait a chaque instant des courses dans le Lyomiais, lui
iro HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
l)arul assez redoulabic pour qu'il n'osât s'éloigner et livrer aux entre-
prises de cet ennemi audacieux un pays où il espérait bien se faire une
petite souveraineté. L'Auvergne resta donc à peu près tranquille.
(Mézerav, t. III, p. 895 et suiv.)
Pour la Bourgogne, le maréchal d'Âumonl venait d'y être envoyé
par le roi ; car, de ce côté-l'a, les choses n'étaient pas tout a fait dans
un état aussi satisfaisant. Le sieur de Guyonville, étant entré dans cette
province avec un corps de troupes qu'il amenait en Champagne, com-
mençait a y donner beaucoup 'a faire a ïavannes, chargé, presque seul
et sans autres ressources que les siennes jusqu'à ce moment, de la
défense du parti du roi dans ces contrées-la. Guyonville, en passant par
Dijon, où les Ligueurs avaient toute puissance, y avait pris deux coule-
vrines avec lesquelles il vint assiéger le château de Mirebeau. Il y entra
en vainqueur au bout de deux jours, ))arce que le vieux comte de Brion,
qui en était seigneur, et que son grand âge rendait peu propre a la
guerre, au lieu de penser a se défendre dans cette place, aima mieux
essayer d'en sortir secrètement. Cette tentative pourtant réussit fort mal
a ce vieil homme ; outre (ju'elle entraîna la reddition de Mirebeau, il
tomba lui-même entre les mains de l'ennemi, qui lui ht subir toutes
sortes d'avanies, et qui le mit îi une grosse rançon. {Mém. de Tavannes,
1591.)
Son fils, le marquis de Mirebeau, ne fut pas plus heureux. II avait
pris parti parmi les seigneurs royalistes de la contrée; mais, comme il
n'y avait pas de chef que ces messieurs voulussent reconnaître, chacun
se conduisait a sa guise, et ne prenait ordre ni avis de qui que ce fût.
Le marquis donc s'était mis en campagne avec une compagnie de gens
d'armes qu'il avait levée 'a ses frais, et faisait une course dans le pays,
pour rendre service au roi et pour son compte particulier. Il donna im-
prudemment dans un détachement des troupes de Guyonville, et il fut
fait prisonnier. On le conduisit en Lorraine, où on lui laissa tout le
temps de regretter dans une dure prison d'avoir trop obéi a son esprit
d'indépendance.
Ce fut en ce moment que d'Aumont arriva. Le duc de Nevers avait
joint ses troupes a celles (|u'il ameuait, et Tavaunes s'empressa de
l'aller trouver avec toutes les forces des royalistes dans la province. On
s'attendait (ju'il frap[)erait un grand coup, et lui-même se vantail déjà
de réduire bientôt toute la Bourgogne sous la domination du roi. Pour-
tant ses prouesses se bornèrent â la prise de la petite ville de Château-
Chinon, (|u'il alla assiéger dans le Morvan. « Ce fut la toute la conquête
que le dit maréchal lit au dit pays, avec le petit château de La Motte,
qu'il s'obstina â faire battre de quatre pièces d'artillerie, (|uoique le sei-
gueur du lieu le lui voulût rendre sans tout cet embarras; mais lui vou-
lait y entrer par une brèche, et l'avoir â discrétion, ce qui lui fut aisé;
car ceux du dedaus ne taisaient aucune déléuse, et nonobstant cela, il
lit pendre une partie des soldats (jui composaient la garnison. » [Mém.
de Tavannes, ibid.)
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 191
Apivs cet exploit, il sacliemiiia pins avant dans la dnclic de
Honri;oi,Mic, dirigeant sa ronlc snccessivenient vers les villes de Savigny,
de Seninr et de Saulieu, qni étaient déjà depnis longtemps dans le parti
de Sa Majesté. Il mit alors en délibération de quel côté il tournerait ses
armes. L'avis du sieur de Tavannes et des principaux royalistes
de la province lut qu'il fallait marcher contre Autun, ville imj)ortante
(|iioi(|ue peu forte, et (lu'on devait, si on voulait réussir, ratla(juer
subitement d'un certain côté où la muraille u'élait point terrassée, ce
qui pouvait au reste être fait aisément, sans s'exposer au feu du
cliàleau ; (|uant au château lui-même, on était sûr (juil ne pourrait man-
(juer de se rendre aussitôt (|ue la ville serait prise.
Mais le maréchal ne voulut pas adopter ce plan d'attaque. Il y avait
un homme de rohe longue (ju'il avait amené avec lui et (jui avait
toute sa conliance, parce qu'il était grand latiniste. Cet homme se nom-
mait Lubert, et, par malheur, tout ce qu'il disait, (juoiqu'il fût complè-
tement ignorant au fait des arnies, l'emportait dans l'esprit du seigneur
maréchal surtout ce (|ue rex|)érience pouvait suggérer a ses plus braves
cl plus vieux capitaines; aussi Guitry, ((ui_, de retour d'une glorieuse
campagne en Savoie, était venu rejoindre l'armée royaliste devant
Autun, disait-il assez plaisanmirînt : « Monsieur d'Aumont aime a se faire
conseiller en latin, je lui prédis qu'il se fera battre en français. »
Lubert fut d'abord davis (ju'il n'était pas nécessaire que le maréchal
restât j»résent au siège, et (ju'il ferait mieux d'aller a Moulinot, pour
essayer d'attirer 'a (juel([ues conférences le sieur de Senessey, lieutenant
en ce pays pour le duc de Mayenne, ou (jnelque autre des principaux
chefs de la Ligue. Pendant ce temps-la, on devait creuser une mine
sous certain terrain de la ville, nommé la Jambc-de-Iiois. Les sieurs de
Tavannes et de Cypierre, laissés tous les deux avec une égale autorité
de conduire le siège, devaient la faire jouer d'abord et donner ensuite
l'assaut.
Mais ces deux capitaines ne purent s'accorder entre eux pour l'exé-
cution de ce plan qui n'était pas le leur. On fit jouer la mine beaucoup
trop tôt, et sans attendre (|ue la terre, qui est légère et sablonneuse en
ce pays-la, se fût allaissée, on planta d'abord les échelles, et les soldats,
en s'avançant pour monter a l'assaut, se trouvèrent ensevelis dans les
sables juscpi'a la ceinture. (Di-: Tiiof, ubisup., p. i^O.)
Malgré ces difficultés, qui donnaient un grand désavantage a l'at-
taque, ceux de la ville, qui s'étaient avancés pour défendre la brèche,
commençaient 'a fuir dans les rues, sous le feu d'une batterie
(pie les royalistes avaient dressée sur un [loint culminant du mont
Joux;un régiment d'infanterie était déjà parvenu a se loger sur les
décombres, et la ville aurait probablement été emportée sans le désordre
ijue causèrent certains gentilshommes, les(|uels avaient voulu servir
dans l'armée en qualité de volontaires. Ce jour-là, ils prétendirent mar-
cher au premier rang, malgré tout ce que put faire Tavannes pour les en
dissuailer. Il avait raison, car ils tournèrent subitement le dos aux dé-
•J!)2 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
charges de rcnnenii, et jetèrent, en se sauvant, une telle conlusion
parmi les gens de pied, qu'il fallut se retirer. Mais on eut du moins cet
avantage (pie Tennemi avait perdu plus de deux cents hommes, tandis
que, du côté des royaux, on n'en comptait que trente tués ou blessés.
Il est vrai que les assiégés se vengèrent bien le lendemain, et tuèrent a
leur tour beaucoup de monde dans une sortie qu'ils firent. {Mém. de
Tavannes, uhi sup.)
Pendant ce temps, le maréchal voyait aussi échouer une entreprise
qu'il venait de tenter sur la ville de Chalon-sur-Saône. De [/Artusie, qui
commandait dans cette place, l'une des mieux fortifiées de tout ce pays-
la, entretenait des relations avec les royaux et paraissait des mieux dis-
posés'a se rattacher au parti du roi. Déjà précédemment, il avait lait
quelques ouvertures 'a ce sujet au sieur de Tavannes, auquel il avait
fait dire qu'il livrerait sa citadelle, si on voulait lui envoyer pour l'ap-
puyer quelques soldats déguisés en paysans, qu'il se chargeait d'intro-
duire secrètement par une poterne. « Aller la déguisé en paysan, dit
le président Frémiot, pour mon compte, je ne voudrais pas même m'y
fourrer en habit d'évêque. » (De Thou, îibi sup. — Mézeray, t. 111,
p. 894.)
D'Aumont fut plus crédule. L'Artusie ne lui demandait que trente-
deux mille écus d'or, pour payer, disait-il, ce qui était dû a ses soldats.
Les plus riches des bourgeois, 'a (jui la Ligue était odieuse, et qui dési-
raient rentrer sous la domination du roi, consentirent volontiers 'a payer
la somme; ils fournirent même vingt mille écus comptant avec promesse
d'acquitter le reste dans l'année, et le maréchal convint d'envoyer un
détachement que L'Artusie devait introduire dans la ville, afin d'obliger
les autres habitants et la garnison a se soumettre 'a ces conventions.
Mais c'était Mayenne qui avait permis 'a L'Artusie de se servir de ce strata-
gème, afin de tirer cette somme considérable des ennemis de son parti,
et pour découvrir en même temps ceux qui dans la ville étaient mal
intentionnés.
D'Aumont fit donc partir cent arquebusiers et cin([uante cuirassiers
pour aller trouver le gouverneur de Chalon, ainsi qu'on en était con-
venu. Mais, dans le temps que ces soldats s'approchaient de la ville a la
faveur d'une nuit ténébreuse, L'Artusie fit sans bruit arrêter ceux des
bourgeois qui s'étaient compromis ; il plaça de l'artillerie sur le rempart
qui commandait le fossé par où les royalistes devaient s'introduire, et,
quand l'officier qui les commandait eut pénétré dans une casemate où il
était convenu qu'il trouverait le gouverneur, celui-ci s'y trouva en effet
pour l'arrêter avec tous ceux des siens qui l'avaient suivi. Les autres,
qui attendaient dehors, essuyèrent une décharge meurtrière qui les mit
en désordre, et ceux qui le purent n'eurent rien de plus pressé que de
se sauver.
Le maréchal d'Aumont, au désespoir d'avoir donné dans ce piège,
revint au camp devant Autun, bien résolu a venger par quelque coup
déclat la perte (juc sa crédulité venait de lui attirer. Il s'obstina, toute
i
DU PllUTESTANTISME EN FRANCE. iOli
lois, a ne vouloir point employer contre la ville les cin(j pièces el les
deux couleuvrines qui coini)osaient son artillerie, (|uoii|ue ce fût l'avis de
ses plus expérimentés capitaines; mais, toujours guidé par les conseils
de Lubert, il tourna tous ses efforts contre le château. Il dressa sa
batterie en un lieu si bas que la plupart des coups ne donnaient que dans
la contrescarpe. La brèclie lut a peine ouverte, que, sans s'assurer si
elle était ou non praticable, il donna l'ordre de monter à l'assaut. Les
royalistes, divisés en qiiatorze bataillons, s'avancèrent au son de la trom-
pette. Les assiégés soutinrent bravement l'attaque et se mirent même 'a
brocarder le maréchal de s'être si bonnement laissé tromper par L'Artusie.
En résultat, l'armée royale, ()ui avait le désavantage de combattre contre
un ennemi placé au-dessus d'elle, lut repoussée, et d'Aumont leva le
siège deux jours après, sur le bruit de la marche du duc de Nemours,
(|ui s'avançait de ce côté avec un corps de troupes fourni parle duc de
Lorraine. {Mém. de Tavannes, uhi sup.)
Le maréchal s'achemina vers Semur, où il prit ses quartiers avec le
reste de son armée. L'a encore, il voulut tenter une surprise sur la ville
d'Avallon. Un pétard (it sauter la porte; le sieur de La Ferté, qui con-
duisait l'attaque, entra et s'avança d'environ vingt pas dans la ville;
mais il y fut tué, ce qui lit retourner tout aussitôt ceux qui le suivaient.
Alors, irrité par tant de mauvais succès, d'Aumont ne trouva d'autre
moyen de s'en venger que d'ôter le gouvernement de Saint-Jean-de-
Losne 'a Tavannes, parce qu'il savait que ce chef des royalistes de la
contrée blâmait assez lil)rement l'imprudence de sa conduite. Puis il se
remit en marche pour Langres, où il avait résolu d'attendre six cents
hommes de cavalerie que Schomberg devait lui amener de l'Alle-
magne (1).
Pour éviter les villes qu'occupait le parti de la Ligue, le maréchal prit
sa route par le duché du Nivernais et passa |)ar Clamecy, où était pour
lors Monsieur le duc de Nevers. Ayant pris les devants, il dînait
tranquillement chez le gouverneur, quand on vint lui dire que sou
arrière-garde en était aux mains avec Pleuvant, auprès du village
d'Armes. Le maréchal y courut aussitôt, et la mêlée fut très-vive. Il
parait que la perte de Pleuvant fut considérable, puisipie, ayant envoyé
le lendemain un trompette pour qu'on lui permit d'enterrer ses morts,
on en chargea douze charrettes. {Mém. pour servir à Vhist. du Nivernais,
p. 215.)
En ce temps-l'a, la guerre se faisait avec plus d'éclat et de bonheur
pour les armes du roi, dans les provinces du midi. Lesdiguières, après
s'être rendu maître, comme on l'a vu, de la ville de Grenoble, alla mettre
le siège devant Les Échelles, fort situé sur les terres de Savoie, dans un
lieu étroit et très-élevé. La place fut presque aussitôt emportée d'assaut,
(1) J'ai tiré le récit de cette campagne du maréchal d'Aumont presque entièrement
des Mémoires de Tavanne, et il est juste de remarquer que l'écrivain l'ait voir un
peu trop sa jalousie et s,on mécontenfoment.
IV. 13
194 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
et la garnison, qui s'était retirée dans le donjon, capitula deux jours
après. Lesdiguières lui accorda les . mêmes conditions qu'il avait
accordées h ceux de Grenoble ; c'est-a-dire permission a ceux qui vou-
draient se retirer de sortir avec armes et bagages, et liberté pour ceux
qui resteraient de professer ouvertement le culte catholique, apostolique
et romain. (Di: Tiiou, t. XI, liv. 102, p. 407 et suiv.)
Il s'en alla de la au Pas-de-la-Grotte, situé encore plus haut dans la
montagne, au-dessus d'un bourg de ce nom, et d'où les ennemis, qui s'y
étaient fortifiés, harcelaient continuellement les royalistes. Il y avait a
traverser une petite rivière qu'on appelle La Guye. Briquemart la passa
en présence de l'ennemi, qu'il alla courageusement attaquer sur l'autre
rive, et auquel il tua douze hommes et fit quelques prisonniers ; mais
les forces qu'on avait à combattre se trouvèrent plus considérables qu'on
ne s'y attendait. Une armée nombreuse, composée des Ligueurs du Dau-
phiné et de plusieurs régiments de Savoie, se trouvait là rangée en
bataille. Lesdiguières rangea aussi les siens. Pourtant on se borna a
escarmoucher de part et d'autre, sans oser en venir à un engagement
général.
Lesdiguières avait reçu dans ce moment même des lettres très-
pressantes de La Valette, qui l'appelait à son secours en Provence, où la
guerre était alors dans toute son activité. Tandis que le duc de Savoie
était allé en Espagne, pour conférer avec Philippe des moyens de s'établir
en cette province, Marliningue, qu'il y avait laissé avec mille chevaux et
deux mille hommes de pied, était venu bloquer la ville de Berre, située
'a la pointe du golfe qui porte ce nom. La Valette tenait à délivrer cette
place d'une grande importance dans la contrée, à cause du revenu des
salines dont elle disposait; mais il ne se sentait pas assez fort h lui seul
pour tenter une pareille entreprise, et voil'a pourquoi il en avait écrit a
Lesdiguières. Celui-ci, laissant là l'attaque de La Grotte, se mit inconti-
nent en route avec toutes ses troupes, et vint joindre son allié auprès
de Riez. (Mézeray, t. III, p. 894 et suiv.)
Là, ils eurent avis que Marliningue, prévenu de leur dessein, s'était
de son côté acheminé au-devant d'eux, et qu'il les attendait en bataille
dans une grande vallée, sur les bords de la rivière de Verdon, se pro-
mettant bien de les mettre en déroute tous les deux, et de reprendre
ensuite tranquillement le siège de Berre.
Les deux généraux résolurent de risquer le combat, quoique leurs
forces réunies fussent inférieures à celles de l'ennemi, et l'on se mit en
route. Martiningue avait rangé les siens sur une hauteur qui do-
minait la plaine où l'armée royaliste venait d'entrer. Lesdiguières détacha
un corps d'infanterie qui, prenant l'ennemi en flanc, l'attira hors de ce
poste avantageux. Aussitôt les royaux prirent possession de ce même
poste, pendant que leur cavalerie, faisant un long détour, venait placer
l'armée de Marliningue entre deux feux. Cette manoeuvre eut un plein
succès ; la cavalerie ennemie, se voyant attaquée inopinément du côté où
elle s'y attendait le moins, prit la fuite en désordre, et l'infanterie elle-
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 195
même, ne pouvant résister à rimpétuosilé française, fut enfoncée après
qiieirpies heures de combat. Ce fut une déroule complète. Tous ces sol-
dats savoyards ou espagnols jetaient leurs armes pour se sauver plus
vite.
Martiningue était parvenu a rallier les moins timides, et il était venu
se retrancher avec eux dans le bourg de Hians; mais là, tourmentés par
la faim, par la soif, et par la puanteur des cadavres dont ils étaient
entourés, ils furent obligés de se rendre a discrétion. Martiningue lui-
même, errant parmi les champs, après avoir eu le bonheur de s'échapper,
eut bien de la peine h ramasser quinze cents hommes des débris de son
armée, avec lescpiels il se retira tout honteux à Aix. Le duc de Savoie
perdait par cette défaite cinq cents hommes de cavalerie tués ou faits
prisonniers, et près de quinze cents arquebusiers.
Les vainqueurs se dirigèrent ensuite vers Gian, à une demi-lieiie de
Salon. La place tut emportée après qu'on eut planté les échelles et fait
jouer le pétard. Tout ce qui se présenta pour prendre part à la défense
fut passé au til de l'épée, et on lit pendre les autres; après quoi, il de-
vint facile de venir raser tous les forts (jue l'ennemi avait élevés autour
de Berre, et de jeter dans cette place du secours et des rafraîchissements
de toute espèce. Mais Lesdiguières fut obligé de quitter La Valette, pour
retourner à Grenoble afin d'assister à l'ouverture des Etats de la pro-
vince. Son absence rendit le courage 'a Martiniugues, qui, ayant été
rejoint par les troupes du comte de Garces, vint de nouveau rebloquer
Berre plus étroitement qu'auparavant.
Le duc de Savoie revenait alors d'Espagne, « oîi il avait été traité
comme le gendre de la maison. » Il ramenait avec lui quinze galères
chargées de toutes sortes de munitions et de mille soldats -espagnols, et
il était débanjué au port de Marseille.il trouva les inclinations des habi-
tants bien changées de ce qu'elles avaient été l'année précédente. Louis
de Casaux, fds d'un simple marchand, mais que ses richesses et les
menées de la comtesse de Sault avaient pousse à la tête du gouverne-
ment de la cité, ayant trouvé goût a la domination, voulait se créer une
sorte de souveraineté et faisait la loi même aux consuls. Il marchait tou-
jours accompagné d'un grand nombre d'hommes audacieux et dévoués à
ses intérêts, (pii épouvantaient les gens en massacrant sans scrupule qui-
conque faisait mine de contrecarrer leur maître.
« Ne voyez-vous pas, disait celui-ci aux habitants, que le duc de
Savoie a le projet de vous réduire en servitude, par le moyen de deux
citadelles qu'il a le dessein de faire bàlh' dans votre ville? Pour moi, je
suis résolu de conserver cette place importante a un roi très-chrétien,
qui sera incessamment élu par tous les bons Français, comme j'en ai
reçu l'avis de Monsieur de Mayenne. »
Le duc de Savoie, en arrivant, trouva donc tous les esprits ou inti-
midés ou prévenus contre lui. Il chercha d'abord a ramener Casaux lui-
même, en lui faisant plus d'offres et de caresses (pi'il n'en eût jamais fait
au meilleur de ses amis. Ensuite, poi"' ôler tout ombrage aux Marseil-
d96 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
lais, il renvoya même ses galères a Gênes; mais tonl cela n'eut pour lui
aucun résultat fiîvorable.
Il partit donc pour Âix, où il avait jadis été si bien reçu. Cette fois,
il trouva au contraire cette ville plongée dans la consternation par suite
de la défaite de Martiningue. Les hôpitaux étaient pleins de blessés et de
malades; mais deux incidents, qui venaient de surgir, par bonheur pour
lui, lui aidèrent a contenir encore pendant quelque temps le populaire
dans ses intérêts. D'abord, on avait surpris quelques agents secrets,
députés par Henri IV, au Grand Turc, et on avait saisi sur eux des lettres
qui proposaient a ce vieil ennemi de la chrétienté une alliance offensive
et défensive, et qui l'engageaient à envahir l'Espagne. On peut juger de
l'effet qu'eut une pareille découverte sur l'esprit si religieux des Proven-
çaux. Ensuite, il venait d'arriver un nouvel archevêque, en remplace-
ment du dernier, qui était mort tout récemment 'a Rome, et ce nouvel
élu du Pape n'était rien moins que le fameux Génébrard, célèbre dans
l'univers entier par sa science dans les lettres hébraïques, dont il était
professeur 'a l'université de Paris, mais plus célèbre encore parmi les
Ligueurs pour son zèle immodéré et sa véhémence à maintenir leur
parti. Sous la houlette d'un pareil pasteur, le peuple d'Aix se trouva plus
disposé que jamais 'a se jeter de tout autre côté que de celui du roi,
contre lequel sa haine s'accrut merveilleusement.
De plus, on avait eu grand soin de faire courir le bruit que les
galères espagnoles, en ramenant le duc de Savoie en France, avaient en
même temps apporté une prodigieuse quantité de ces belles pistoles
d'Espagne, et, en effet, le prince se mit a en répandre, avec une prodi-
galité affectée, quelques poignées, qui, comme de juste, lui valurent
l'accueil le 'plus favorable ; mais, ne pouvant continuer ce jeu-
la assez longtemps pour contenter l'avidité insatiable de ceux qui en
prolitaient, ou qui espéraient en profiter, il fut bientôt obligé de renoncer
h ce moyen coûteux, et il résolut de gagner la popularité par quelque
action d'éclat.
On a vu que Martiningue était venu de nouveau, avec l'assistance du
comte de Garces, assiéger la ville de Herre. Le duc de Savoie tourna ses
vues de ce côté ; et il trouva aisément le moyen de gagner la plus grande
partie des bourgeois, lesquels, ennuyés de la longueur d'un siège qui
ne finissait pas, aidèrent de Garces a introduire, pendant la nuit, dans
leur ville, cent vingt cavaliers ennemis et trois cents hommes de pied.
Ces soldats, dont le nombre se trouva aussitôt plus que doublé par tous
ceux des habitants qui se joignirent a eux, s'en allèrent faisant grand
tumulte et criant : « Vive Son Altesse ! vive le duc de Savoie ! ville
gagnée ! »
La garnison était peu nombreuse, malgré les secours que Lesdiguières
et La Valette y avaient ajoutés. C'était un nommé Mesplez qui la com-
mandait. Ce brave homme, qui était accouru au premier bruit, ne put
réunir que dix a douze soldats, car tous les autres, ou avaient pris part
au complot, ou étaient d'avis qu'il n'y avait autre chose a faire que de
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 197
céder et de chercher a se sauver comme on pourrait. Mesplez ne fut pas
de celte opinion. Une portuisane a la main, il se jette tont à travers de
la multilnde avec la petite troupe qui lui était restée lidèle. L'obscurité
de la nuit empêchant de reconnaître le petit nombre de ces braves, « et
comme ils lVa|>paient dur et sans ménagement, on put croire aisément
qu'il y avait autant de compagnies (|u'il y avait dlionimes en réalité, et
que la garnison tout entière secondait son commandant. »
Or, voici que le capitaine qui commandait les assaillants fut tué raide
par un coup de mous(|uet. La confusion se mit aussitôt parmi les conjurés.
Mesplez, qui s'en aperçoit, les presse, les pousse sans relâche, et, re-
doublant d'eflbrts, parvient enfin à les chasser hors de la ville. Puis, le
jour venu, il ordonne et fait exécuter le désarmement de tous les habi-
tants, qui n'avaient point encore eu le temps de se reconnaître. Il vou-
lait bien aussi punir les traîtres pour en faire un exemple. Mais, comme
presque toute la [)opulation était coupable, il jugea qu'il était plus sûr
pour lui de |)ardonner a tous, que d'employer une rigueur excessive.
La Valette, de son côté, tenait, pour les raisons qu'on a vues, à
empêcher la prise de cette ville ; mais, depuis l'éloignement de
Lesdiguières, n'ayant pas de forces suflisantes, il avait demandé assistance
au maréchal de Montmorency. Celui-ci, qui, en ce moment, avait d'autres
idées en tête, ne se souciait pas de venir de ce côté-la; d'autant que le
duc de Savoie y avait rassemblé toutes ses forces. Le siège, malgré le
manque de réussite de cette surprise, si soigneusement préparée, conti-
nua donc sans obstacles, et la disette devint bientôt si grande dans Berre,
« qu'on n'y avait plus que de la graine de lin pour faire le pain, et pour
viande que la chair des chiens et des chevaux. » Les maladies et la famine
avaient réduit la garnison à cent soldats au plus, et l'artillerie de l'en-
nemi, tirant sans relâche, n'avait fait des remparts qu'un amas confus
de décombres.
Mesplez n'en soutint pas moins deux assauts généraux, qui lui furent
donnés le même jour; mais il s'aperçut enfin que ses hommes étaient si
exténués qu'ils ne pouvaient presque plus porter leurs armes. H savait
d'ailleurs sullisamment et par expérience qu'il avait peu de fonds a faire
sur la lidélité des habitants. Il ne votdut donc j)as attendre un troisième
assaut, et capitula le vingtième jour d'août.
Le duc de Savoie, le voyant sortir avec aussi peu de monde, eut de
l'étonnement et du dépit tout ensemble qu'il eût osé lui résister aussi
longtemps. Alors ses capitaines, ayant remar(|ué ce mécontentement, lui
dirent que l'opiniâtreté du gouverneur a se défendre dans une aussi
mauvaise place contre une puissante armée méritait la mort, suivant
les lois de la guerre ; mais le duc ne fut pas de cet avis. Il se sentit au
contraire le désir d'attacher un homme aussi brave 'a son service, et il
alla jusqu'à lui offrir la lieutenance générale de ses trou|)es, pour le
décider a se mettre avec lui. Mesplez, plus admirable encore par sa
probité que par sa bravoure, refusa cette proposition, et le duc le ren-
voya en lui faisant cadeau d'un superbe coursier de Naples et de quatre
198 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
mille éciis d'or, qu'il consentit à recevoir, non pas comme un présent,
mais comme la rançon de sept ou huit gentilshommes savoyards faits
par lui prisonniers pendant la durée du siège. Il se retira près de
Lesdiguières, qui était alors retenu dans son lit a Grenoble par un
catarrhe.
Ce général venait d'apprendre qu'une nouvelle armée de Savoyards,
commandée par don Amédée, bâtard de Savoie, était entrée en France.
Cette armée, à laquelle étaient venues se joindre les troupes du Pape,
avait pris sa route par Montmeilan et se proposait, après avoir ravagé
tout le Gresivaudan, de reprendre Grenoble en passant, et d'aller ensuite
rejoindre le duc de Savoie, pour lui aider a acliever la conquête de toute
cette partie de la France. Elle se composait de plus de dix mille hommes
de pied, sans compter une belle et brillante cavalerie; et déj'a elle assié-
geait la ville de Morestel, qui venait d'être nouvellement fortiliée, pour
couvrir Grenoble du côté de la Savoie. {Mém. de la Ligue, t. IV, p. 627
et suiv.)
Lesdiguières, qui n'avait plus le temps d'être malade, se mit immé-
diatement en campagne, alîn de repousser un ennemi aussi redoutable.
De son côté, Amédée ne jugea pas à propos de l'attendre devant la place
assiégée; il leva le siège et s'avança jusqu'à Pontcharra, où il se campa
dans une position avantageuse, au pied du château Bayard. Son infan-
terie occupait un coteau couvert de vignes, ayant à main droite la rivière
d'Isère, et au-devant une espèce de vallon ou précipice, qui empêchait
qu'on pût venir l'attaquer de ce côté en ordre de bataille. La cavalerie
défendait les défilés.
Lesdiguières, après avoir reconnu cette position, traça sur le papier
son plan d'attaque, qu'il ht voir a ses capitaines, en leur promettant
une victoire certaine. Ce plan fut généralement approuvé, et Lesdiguières
vint pendant la nuit se poster au pied du coteau, sur le bord de la
rivière, derrière de grands ari)res qui dérobaient à l'ennemi la connais-
sance du petit nombre de ses troupes, lesquelles n'atteignaient pas en
tout le nombre de quatre mille combattants. Pour mieux tromper sur ce
point important, il avait rangé en file tous les goujats de l'armée, qui se
montraient l'épée nue à la main, en se donnant des airs de soldats.
(Cayet, liv. 5, ad ann. 1591.)
Cependant Mesplez et Prabaud,a la tête de l'infanterie, commencèrent
bravement la charge en moulant la pente du coteau ; la cavalerie avait
ordre de les soutenir, et l'ennemi, qui ne se doutait pas que c'était la a
peu près tous les combattants auxquels il allait avoir affaire, se décon-
certa dans la crainte d'être bientôt attaqué avec la même impétuosité par
de nouveaux corps, qu'il s'imaginait voir derrière celui-ci. Le duc, dans
cette conviction et pour éviter le carnage des siens, ne fit qu'un seul
bataillon de toutes ses troupes : il voulait au moins opérer sa retraite en
bon ordre. Mais la terreur devint telle parmi ces pauvres gens qu'ils se
débandèrent et prirent la fuite dans le plus grand désarroi. Les uns se
sauvèrent jusqu'à Montmeilan, les autres cherchèrent a se cacher dans
DU PROTESTA NTISMI-: KN FRANCK. -]!in
les l»ois d'Aignebelles, où ils erivronl peiulanl doux jours Siins nsor on
sortir. Don Ainédéc lui-inômc se relira prosipie seul vers Miolan, et le
nombre des morls fui malheureusemenl pins grand qu'il n'aurait dû
l'être, eu égard au petit nombre des vainqueurs. Le bâtard de Savoie eut,
en cette occasion deux mille cin(| cents bommos de tués, presque tous
les colonels et les capitaines de son armée turent laits prisonniers, et on
lui prit trois cents chevaux, une cornette et dit-huit drapeaux.
Le lendemain, deux mille hommes des troupes du Pape, qui avaient
été des premiers a fuir du champ de bataille, et qui s'étaient sauvés au
château d'Avalon, avec le comte de Belgiojoso, leur chef, se hâtèrent de
se rendre a discrétion, et la encore on ne put arrêter la furie des sol-
dats, qui « en massacrèrent plus de cinq cents dans le premier feu. «Les
autres furent renvoyés avec un bâton 'a la main et conduits en lieu de
sûreté, après avoir prêté sermonl de retourner en Italie, et de ne jamais
porteries armes contrôle roi.
Le butin fut si considérable, que, sans l'estimer au-dessus de sa
valeur, on le fU monter a deux cent mille écus d'or. Il y avait des chaînes
et des colliers d'or, do l'or et de l'argent ujonnayés, de la vaisselle d'ar-
gent, de riches tapis, des harnais magniliques, des armes curieusement
travaillées, et une grande (]uantité de munitions de toutes sortes. « Cette
- journée cou|)a le norl aux prélonlions du duc de Savoie sur le Dauphiné ;
si bien qu'il ne put jamais plus rien avancer dans cette province, et que,
d'agresseur qu'il était, il fut contraint de se réduire 'a la Jéfonsive. »
Après une victoire aussi décisive, qui ne lui avait, dit-on, coûté
(|ue trois morts et deux blessés, Lesdiguières, voyant le Dauphiné Iran-
quille, pourquel(|ue temps au moins, se rapprocha de Digne, alin d'être
a portée de seconder La Valette, qui faisait alors le siège de cette place.
Digne se rendit après avoir essuyé seulement cinquante volées de canon,
et paya cinq mille écus d'or a Lesdiguières, pour les frais de la guerre,
a condition que la ville serait garantie du pillage. (De Thoc, iibi sup.,
j). AÏ7) et suiv.)
On apprit ensuite (jue le duc do Savoie était rentré en campagne
avec de nouvelles troupes, et (ju'il assiégeait Le Puech-Sainte-Réparade.
Lesdiguières et La Valette parlirenl aussitôt |)our venir secourir cette
place; mais, comme ils se préparaient à traverser la Durance, ils aper-
çurent l'ennemi sur la rive opposée. A la faveur de la nuit, qui survint
bientôt, Lesdiguières alla passer la rivière vis-'a-vis ^\q la Tour d'Aiguos,
et La Valette, un peu au-dessous, vis-â-vis de Pertuis, tous deux' bien
résolus de donner bataille le lendemain. Mais le duc, craignant d'avoir
du désavantage, avait décampé cette même nuit et levé le siège,
après y avoir inutilement tiré deux mille coups de canon. Il s'était sauvé
a Aix, où la comtesse de Sault lui avait ménagé de nouveaux embarras,
et rom|)ait ouvertement avec lui. (Mi-zkuav, t. 111, p. 001 et suiv.)
11 lui avait refusé la ville de Borre, qu'elle croyait devoir lui être
donnée en récompense de tout ce quelle avait fait pour lui, et elle avait
juré de se venger de ce refus. En consé(]nenc'o, elle venait, par son cr(''-
200 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
dit, tle faire élire dans la ville des consuls tout a fait opposés aux intérêts
du Savoyard ; et ces consuls avaient commencé par mettre en prison
les plus signalés d'entre les partisans de ce prince. Le duc, en arrivant,
fit d'abord casser les consuls. « Mais la noblesse et les procureurs (gens
de Palais) se montrèrent encore plus aigris par ce procédé, » et n'en
conspirèrent qu'avec plus d'animosité, pour détruire la puissance d'un
prince qui leur était devenu odieux. Le duc, de son côté, instruit de ces
menées et sacbant bien que la comtesse en était l'âme, la fit arrêter,
elle et son fils, Cbarles de Créqui; il leur donna des gardes a tous les
deux, pour veiller sur leurs actions.
Aussitôt qu'on eut à Marseille, nouvelle de cette détention, Casaux
et ses amis, suivis d'une grande troupe de populaire, s'en allèrent, criant
par les rues que le Savoyard voulait se faire le tyran de la province. Une
assemblée générale du peuple se tint a l'Hôtel-de-Ville. Il y fut résolu
qu'on manderait aux villes voisines de pourvoir 'a leur sûreté ; que pour
Marseille, elle ne recevrait dans ses murs personne qui pjt donner ombrage
à la liberté, ou empêcher la ville de se conserver au roi très-chrétien, qui
serait incessamment élu par la France.
Pendant ce temps, la comtesse, dont l'arrestation avait été le signal
de tout ce bruit, avait trouvé le moyen de s'échapper avec son fils des
mains de ceux qu'on leur avait donnés pour les garder. La comtesse,
pendant que sa femme de chambre tenait sa place dans son lit, s'était
déguisée en suisse, avec une fausse barbe, et son fils s'était travesti en
paysan. Un soldat, a qui ils avaient promis deux mille écus d'or, leur
avait fourni ces déguisements ; puis il était parvenu 'a conduire les fugi-
tifs jusqu'à Marseille.
Le duc de Savoie fut outré de cette évasion. 11 obligea le parlement
a donner contre la mère et le fils un décret d'ajournement personnel, et,
sur le refus que firent les Marseillais de les lui livrer, il envoya des
troupes qui surprirent pendant la nuit le monastère de' Saint-Victor et
parvinrent à s'y loger.
Casaux fait aussitôt prendre les armes 'a toute la ville, dresse
contre le monastère une batterie de six pièces de canon a l'aide de
laquelle il a bientôt obligé les Savoyards 'a abandonner ce poste, « et
ainsi le duc perdit pour toujours l'espérance d'avoir Marseille, contre
laquelle il n'osa plus rien tenter depuis. »
De son côté, La Valette s'emparait de la ville deVinon, sur le Verdon;
il y mit en garnison le brave Mesplez avec quatre cents hommes de pied
et vingt-cinq chevaux. Ceux d'Aix, qui souffraient beaucoup d'un pareil
voisinage, prièrent le duc de les en délivrer. Il se mit en campagne
avec mille chevaux, deux mille hommes de pied et deux coulevrines,
pour venir assiéger Vinon. La place était toute ouverte et démantelée, et
Mesplez, pendant le peu de temps qu'on l'y avait laissé tranquille, n'avait
pu y établir que quelques retranchements en terre et en pierres sèches.
Il n'en soutint pas moins pendant trois jours, sans perdre un seul
pouce de terrain, l'attaque de l'armée du duc, si supérieure en nombre.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 201
La Valette avait mandé a LesiligimTcs, qui était alors retourné en
Daupliiné, devenir l'aider îi secourir la place assiégée ; mais, voyant que
celui-ci ne pouvait plus arriver a temj»s, il se décida a tenter Tallaire
avec ses troupes seules, résolu de se perdre, ou de sauver le vaillant
Mesplez. A la nouvelle de son approche, le duc laissa une partie de son
infanterie a la garde de ses retranchements devant Vinon, et se mit en
route avec toute sa cavalerie et mille arquebusiers, pour venir au-devant
de son ennemi.
Il s'en fallait que La Valette eût pu réunir un pareil nombre de com-
battants; il n'avait en tout avec lui que cinq cents chevaux et six cents
fantassins, ce qui ne l'empêcha pas de commencer le premier la charge,
avec une telle impétuosité que les troupes du Savoyard, après avoir
résisté assez résolument d'abord, (inirent par s'ouvrir et se débander.
Une partie des gens de pied se sauva du côté du camp devant Vinon; la
cavalerie s'en fut jusqu'à Saint-Paul. Plus de deiix cents hommes res-
tèrent morts sur le champ de bataille, et le duc lui-même mit tant de
précipitation dans sa retraite, qu'il abandonna juscju'a ses canons et ses
bagages, dont les vainqueurs s'emparèrent.
Mesplez, en même temps, 'a la têle de sa petite garnison, faisant une
sortie sur ces troupes battues et découragées, leur tuait aussi deux cents
hommes, leur prenait également tous leurs bagages, et les forçait a se
disperser dans les campagnes.
Cet échec ruina complètement les affaires du duc en Provence,
comme l'échec que son frère bâtard avait reçu naguère à Château-Hayard
les avait ruinées en Dauphiné. Il tomba dans une telfe déconsidération
qu'il fut bientôt forcé de quitter tout a fait le sol français, y laissant les
cadavres de la plus grande partie de ses soldats et de ses plus braves
capitaines, qu'il avait malheureusement sacrihés a d'injustes et vaines
prétentions.
202 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
CHAPITRE IX
1591 ET 1592. — ARGUMENT : les débris de l'armée du pape se rendent a verdun.
MORT DE GRÉGOIRE XIV. — ÉLECTION D'INNOCENT IX.
IL ENVOIE EN FRANCE COMME LÉGAT LE CARDINAL DE PLAISANCE.
CE LÉGAT FAIT RENOUVELER LE SERMENT A LA LIGUE.
l'archevêque de PARIS PRÉFÈRE l'eXIL. — DIATRIBE DE BOUCHER.
LE LÉGAT EXCITE LES SEIZE CONTRE LE PARLEMENT DE PARIS.
ILS PENDENT BRISSON, LARCHER ET TARDIF. — MAYENNE ACCOURT A PARIS.
IL FAIT PENDRE QUATRE DES COUPABLES ET PUBLIE L'aBOLITION GÉNÉRALE POUR LE PASSÉ.
LE ROI MARIE LE VICOMTE DE TURENNE QU'iL FAIT MARÉCHAL
AVEC l'héritière DE BOUILLON.
LES TROUPES ALLEMANDES ENVOYÉES AU SECOURS DE HENRI IV.
IL PREND AUBENTON ET VERDUN. — VILLEROI NÉGOCIE ENCORE. — SIÈGE DE ROUEN.
ARRIVÉE DU DUC DE PARME EN FRANCE. — IL SE FAIT LIVRER LA FÈRE.
IL OBLIGE LE ROI A LEVER LE SIÈGE. — IL EST BLESSÉ A CAUDEBEC.
LE ROI EST REJOINT PAR DE NOUVELLES TROUPES ET REVIENT CONTRE l'eNNEMI.
IL ACCULE A SON TOUR L'aRMÉE DU DUC DANS UNE POSITION INSOUTENABLE.
LE DUC s'en tire HABILEMENT. — IL FAIT SA RETRAITE ET RETOURNE EN FLANDRE.
Après la déroute de Château-Bayard, ce qui restait des troupes du
pape s'était retiré vers Chambéry, où, après avoir été rejoint par de
nouvelles recrues venues de la Suisse, il l'ut résolu qu'on se dirigerait
par la Franche-Comté et par la Lorraine, et qu'avant de rien entre-
prendre, on attendrait d'abord le duc de Parnae. On arriva à Verdun, où
l'on lit la revue de l'armée. La cavalerie était encore dans un état assez
satisfaisant; mais l'infanterie était fort délabrée, par suite des fatigues
et des difficultés d'une marche aussi longue. On se décida a lui laisser
le temps de se remettre, et on lui assigna des quartiers dans les bourgs,
aux environs de la ville. Ce fut la que cette armée italienne apprit la
mort du Souverain-Pontife Grégoire XIV. (Cayet, liv. 5, ann. 1591.)
Ce pape, depuis son avènement, était sujet a de violentes tranchées,
causées, dit-on, par la maladie de la pierre qu'il avait gagnée en s'obs-
tinant a ne boire que de l'eau. Les vives douleurs qu'il ressentait presque
continuellement, et qui lui déchiraient les entrailles l'avaient depuis
quelque temps déjà engagé a se décharger du poids des affaires sur le
cardinal Sfondrate, son neveu. Vers la tin de septembre, son mal aug-
menta si considérablement qu'on le crut mort, et que le camerlingue fut
même appelé, pour casser, suivant la coutume, l'anneau du pécheur en
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 203
présence du cadavre. Mais Sa Sainteté, qui n'était qu'évanouie, revint ii
la vie; pourtant elle ne lit plus que languir. (Ciacon., Vit. Pont., l. IV,
p. 224 et suiv.)
Le quatrième jour d'octobre, sentant qu'il approchait de sa lin,
Grégoire assembla tous les cardinaux, et leur dit, les larmes aux yeux,
qu'ils avaient bien voulu le placer contre son gré sur la chaire de saint
Pierre; que ses infirmités l'avaient empêché de l'aire tout le bien qu'il
aurait voulu ; qu'il les priait d'excuser ses négligences. « Je vous recom-
mande, ajouta-t-il, TÉglise et mes chers neveux. L'un d'eux, le cardinal
Slondrate, me semble l'homme capable de remplir la place que la mort
va bientôt me l'aire quitter; et je vous saurais gré, si, de mon vivant,
vous vouliez bien consentir à procéder a l'élection de mon suc-
cesseur. »
Les cardinaux louèrent beaucoup son attention et son zèle, et l'exhor-
tèrent'a ne penser (ju'à se rétablir; mais il mourut le quinzième jour du
même mois, âgé de cinquante-sept ans, après un peu plus de six mois
de pontificat. Il fut porté la même nuit dans la basilique de Saint-Pierre,
et enterré dix jours après dans la chapelle de Saint-Grégoire.
Pendant un règne aussi court, il avait trouvé le moyen de dissiper
le trésor de cinq millions d'écus d'or (jue Sixte V avait amassé avec tant
d'épargnes, pendant un pontilicat de plus de cinq ans. Mais il eut la gloire
d'être un des protecteurs de l'ordre de Jésus, dont il approuva dé nou-
veau l'institut par sa bulle du vingt-huitième jour de juin, et dont il aug-
menta les privilèges par une autre bulle donnée dans le mois suivant;
aussi a-t-il laissé une mémoire en bonne odeur, avec une grande réputa-
tion de vertu et de chasteté. On ne croit pas même qu'il ait jamais eu
commerce avec aucune femme.
Le vingt-septième jour d'octobre, quinze jours après le décès du
Saint-Père, le doyen du Sacré-Collège, ayant célébré la messe à Saint-
Pierre, en présence de tous les cardinaux alors a Rome, qui y commu-
nièrent, ceux-ci entrèrent en procession dans le conclave, et, dès le len-
demain, on commença le scrutin pour la nomination d'un nouveau pape.
Les voix se partagèrent d'abord entre sept concurrents, de telle sorte
pourtant que le cardinal Facchinetti en eut le plus grand nombre. Le
roi d'Espagne ne s'intéressait que médiocrement a l'élection de ce cardi-
nal; mais, quand il se fut bien assuré que le parti (jui le portait était le
plus l'on, il lut décidé (juc la brigue espagnole se tournerait de ce côté
pour lui donner la majorité ; car on craignait, dans les conseils de
Philippe, que, si le conclave se prolongeait trop, la nouvelle du décès de
Grégoire XIV, en parvenant en France, ne lïit cause de la dispersion de
l'armée que ce pape y avait envoyée au secours de la Ligue. Cela aurait
pu entraîner la ruine comjilète des desseins qu'on avait formés sur ce
royaume, et qu'on es|)érait encore pouvoir mener 'a bien.
Le vingt-neuvième jour d'octobre donc, de grand matin, tous ceux
qui éprouvaient cette crainte s'en allèrent trouver Facchinetti dans sa
chambre, et, le prenant sous les bras, ils le menèrent h la chapelle
204 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Pauline, où ils l'élurent à bulletins ouverts en venant le saluer l'un après
l'autre. Il s'assit dans la chaire pontilicale, et reçut l'adoration de tout le
Sacré-Collège. On le plaça ensuite sur l'autel, revêtu de la chape ponli-
ficale, et portant la mître en tète; et a l'entrée de la nuit, on le condui-
sit en chaise dans la basilique de Saint-Pierre. La foule du peuple était
si grande que le nouvel élu ne put la traverser qu'avec peine.
Après qu'on eut fait la prière devant le Saint-Sacrement, on plaça de
nouveau l'élu sur l'autel des saints Apôtres, où il reçut de nouveau
l'adoration de tous les membres du conclave, et d'où il donna la béné-
diction pontificale au peuple. 11 prit le nom d'Innocent IX. Il était âgé de
soixante-treize ans.
On dit qu'il avait de grandes et louables intentions, tant pour le bien
de l'Eglise en général que pour la prospérité de l'Italie. Il avait surtout
a cœur d'exterminer l'hérésie, et pour cela, il avait résolu de donner
par mois jusqu'à cinquante mille écus d'oi' pour subvenir aux frais de la
guerre qu'on taisait aux huguenots en France; mais une fièvre l'emporta
de ce monde au bout de deux mois seulement de pontificat. Il n'eut que
le temps de créer cardinal Antoine Facchinetti, petit-fils de sa sœur, 'a
peine âgé alors de dix-huit ans, et d'envoyer en France, en qualité de
légat, Sega, évêque de Plaisance, qu'il fit aussi cardinal.
Ce fut ce nouveau légat, ennemi juré de la France, qui, pour tour-
menter les gens de bien qui voulaient la paix, proposa à la faction des
Seize d'exiger le renouvellement du serment de l'Union, et de commencer
par obliger le cardinal de Gondi, archevêque de Paris, a le prêter le
premier. L'archevêque, ne voulant pas souscrire aux articles d'un serment
qui excluait de la couronne tous les princes de la maison royale, aima
mieux sortir de la ville, où d'ailleurs les Seize avaient déjà trouvé le
moyen de le rendre odieux, parce qu'avec quelques curés, il travaillait
par-dessous main a disposer les peuples en faveur du roi. (De Thou,
t. XI, p. 458 et suiv. — Mézeray, t. 111, p. 9i7.)
Ce légat, au reste, comme on peut le voir par une de ses lettres au
duc de Parme, laquelle tomba entre les mains du roi, qui eut grand
soin de la communiquer 'a Mayenne, n'était rien moins que favorable a
ce dernier, qu'il voulait dépouiller de toute autorité dans Paris, ainsi que
le comte de Belin, gouverneur de cette capitale. Il appelait par dérision
l'un le colosse aux pieds d'argile, et l'autre le renard; puis, il envoyait
un plan tout tracé pour faire casser tous les anciens magistrats, et pour
leur en substituer de nouveaux a sa dévotion, qui pussent livrer la
France au roi d'Espagne; et, pour accomplir ces desseins, il ne deman-
dait que de l'argent, afin de s'assurer par ce moyen le concours des
Seize, ces scélérats qui donnaient le nom de zèle a la fureur, et qui ne
craignaient rien tant que le retour de la paix. (De Thou, ubi sup.)
En attendant, il fit courir après l'archevêque de Paris, pour l'engager
'a prêter le serment. Ce prélat, dont on avait indignement saisi le tem-
porel, sous prétexte de son absence, et que les Seize voulaient même
déposséder de son titre d'archevêque, pour faire élire 'a sa place Guillaume
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 205
(le Rose, comme (''l;int nn homme (iiii leur était pins sym[)atlii(|iie,
répondit (iiic si Ion voulait (|ii"il revint a la tête de son lroiij)eau, il fallait
avant tout lui donner l'assurance (ju'il pourrait le l'aire sans danger pour
sa vie. Ensuite, il écrivit au prévôt des marchands et aux échevins une
lettre datée du château de Noisy où il s'était retiré. Il refusait nettement
de prêter un serment qui ne lui semblait pas français; puis il blâmait
vigoureusement ce qu'il appelait la témérité ou l'imprudence du légat,
(|ui, sans aucun ordre de Sa Sainteté, s'ingérait de prescrire une sem-
hlahle formule de serment. {Remarques sur la Satire Ménippée, p. l^T.)
Le docteur Boucher, curé de Sainl-Benoit-de-Paris, se chargea de
répondre â celte lettre du pasteur, et prouva que le Pape, n'ayant jamais,
dans aucun des brefs qu'il avait envoyés en France, désapprouvé le
serment dont il était question, au contraire, ayant même donné des
louanges au zèle de la Sainte-Union, ces louanges et ce silence devaient
être regardés comme une preuve tacite de son assentiment ; par
conséquent, l'archevêque devait s'empresser de prêter le dit serment,
s'il tenait a se purger des soupçons d'hérésie que sa conduite avait juste-
ment fait naître sur son compte. S'il tardait trop, le docteiu' Boucher le
menaçait qu'il serait jugé et traité comme contumace.
11 fut ensuite résolu d'attaquer le parlement même. Le légat, qui
savait bien que ce sénat ne pouvait demeurer longtemps encore séparé
de la puissance royale, dont il tenait son autorité, avait habilement
excité contre lui la haine des Seize, cpii jurèrent de le détruire, en com-
mençant par le premier président, afin d'effrayer les autres. C'était
Barnabe Brisson qui occupait cette haute dignité. L'ambition et un fatal
aveuglement l'avaient poussé 'a prendre cette place sous la domination
de la Ligue, et 'a rester dans la capitale, qu'il se flattait de maintenir
dans l'ordre par sa prudence et son autorité. Mais il ne tarda pas 'a
s'apercevoir qu'il était beaucoup jjIus facile de percer l'obscurité des
procès, même les plus embrouillés, que de tenir le timon des affaires. Il
lui fallut bien reconnaître, (|ue, malgré toute la sagesse et la pénétration
dont l'avait doué le ciel, il avait commis des fautes irréparables; aussi
Tentendit-on plusieurs fois dire a ses amis : « Hélas! je vois bien que
j'ai trop présumé de moi, et cjne les Seize me réservent pour la bouche-
rie. » (MiizKUAV, ubi sup.)
Ces funestes pressentiments ne se trouvèrent malheureusement que
trop vrais. Les plus zélés de la faction des Seize tinrent plusieurs assem-
blées secrètes, dans lescpielles ils concertèrent leurs mesures. Puis,
â une assemblée générale qui eut lieu dans la maison de Boursier,
lun d'entre eux, il fut résolu que, pour le bien de la cause, il serait tire
au sort une commission de dix hommes dévoués, |)Our expédier avec
pleins pouvoirs Ce qu'on convint d'appeler les affaires secrètes. Aux dix
que le sort désigna, on adjoignit d'un commun accord le curé Hamilton
et Martin, docteur en Sorbonne.
Or, pour donner 'a ces douze hommes, (pii allaient s'atta(]uer au par-
lement, c'est-'a-dire 'a la magistrature la plus respectée de France, la
206 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
possibilité de se faire appuyer par les masses populaires, il fallait au
moins l'apparence d'un prétexte. Ce ne fut pas difficile 'a trouver. Un
certain Brigard avait, lors de la journée des Barricades, été commis par
le feu duc de Guise, pour exercer l'oflîce de procureur du roi à l'Hôtel-
de-Ville de Paris, et confirmé dans cette charge par le vingt-cinquième
article, des articles secrets de l'édit d'Union fait en 1585. Cet homme
avait un sien oncle, qui était du parti royal et qui demeurait a Saint-
Denis. Un matin, il lui envoya une lettre en mots obscurs et ambigus,
telle que les amis qui n'étaient pas du même parti s'en écrivaient en ce
temps-Fa. Le laquais, qui était chargé de la porter, imagina pour accom-
plir son message plus sûrement de se munir d'une bouteille vide avec
laquelle il se présenta a la porte Saint-Denis. Ceux de la faction des
Seize qui étaient en garde 'a cette porte lui demandèrent où il allait. «Je
vais, dit-il en montrant sa bouteille, chercher dans le faubourg du vin
pour mon maître. » Cette réponse ne parut pas satisfaisante. On le fouilla,
et, n'ayant rien trouvé sur lui, on eut l'idée de casser sa bouteille. On y
trouva, au milieu du bouchon qui était fait d'étoupes, la lettre du dit
Brigard, et tout aussitôt on s'en fut le prendre chez lui et on le con-
duisit à la Conciergerie. On demanda au parlement de le condamner 'a
mort comme traître à la patrie; mais la cour, jugeant qu'il n'y avait pas
l'a cas mortel, renvoya Brigard absous, et le fit sortir de prison. (Cayet,
liv. 5, ubi sup.)
Les factieux se montrèrent indignés d'un pareil arrêt. « Messieurs,
dit le fougueux Pelletier, curé de Saint-Jacques, c'est assez et même
beaucoup trop temporiser avec ceux qui nous trahissent. Nous ne devons
jamais espérer d'avoir justice ni raison de cette méchante cour du parle-
ment, tout entière vendue au Béarnais. Il faut jouer des couteaux. Que
s'il y a des traîtres ou des lâches parmi nous, comme on vient de me
le dire, il faut les chasser et en jeter quelques-uns 'a la rivière ; car,
grâces a Dieu, nous avons de bons bras et de honnes mains pour venger
l'injure qu'on nous a faite en ce procès de Brigard. »
Incontinent on décréta qu'on se lierait par un nouveau serment signé
séance tenante par tous les assistants ; on nomma une commission pour
en rédiger les termes. « Messieurs, dit alors Bussy, qui se trouvait l'a
avec sa compagnie d'hommes d'armes, on perdrait beaucoup trop de
temps a coucher par écrit tous les mots du nouveau serment que nous
allons prêter, et cela pourrait ennuyer l'honorable assemblée. Je
demande, ajouta-t-il en tirant une grande feuille de papier blanc, que
chacun signe ici de confiance, après moi et après plusieurs autres gens
de bien, qui vont donner l'exemple. Nous laisserons au-dessus des signa-
tures l'espace nécessaire pour y inscrire la formule du serment que votre
commission pourra ensuite rédiger à tête reposée. »» Aussitôt, on fît
mettre deux sentinelles armées a la porte de la salle, pour empêcher
qu'aucun ne sortît qu'il n'eût signé. On apporta un missel pour faire
jurer sur icelui, et de Launay, faisant mettre la main sur l'Evangile,
disait : « Vous jurez et promettez à Dieu créateur de garder et observer
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 207
inviolahlement les articles (juc vous allez présentement signer, pour la
conservation de la religion catholique, apostolique et romaine. » Tous
signèrent en voyant que d'autres avaient signé avant eux, et Bussy serra
le papier dans sou sein.
Muni de toutes ces signatures, dont il espérait se faire une sauve-
garde, il délibéra en conseil secret avec ses amis si on irait tuer dans sa
maison le président Ijrisson, et si l'on ferait aussi tuer par la même
occasion cinq ou six des principaux conseillers (jui s'étaient fait des
ennemis parmi les membres de ce conciliabule. Il ne s'agissait, pour
mettre ce plan à exécution, si l'on jugeait a propos de s'y tenir, que de
donner un peu d'argent a quelques soldats déterminés à tout faire, pourvu
qu'on les payât. Cet avis prévalut d'abord. On s'adressa donc à un
nommé Lévè(pie, qui avait la réputation d'être ivrogne et débauché.
Celui-ci répondit tout aussitôt (pie, ne demandant (ju'a gagner sa vie
honorablement, il se chargeait de l'entreprise, pourvu qu'on le payât bien;
mais, dès qu'il eut touché quelques avances, la première chose que lit
cet homme fut de faire avertir Brisson de ce qui se tramait contre lui et
de se sauver 'a Saint-Denis, où il embrassa le parti du roi; mais Brisson
ne tint aucun compte de cet avis.
Pour lors, Bussy et Crucé, qu'on lui avait adjoint, se résolurent 'a
faire l'aflaire par eux-mêmes. Le vendredi, quinzième jour du mois, ils
réunirent, dès avant le jour, un grand nombre de gens du menu peuple,
et leur lirent prendre les armes. Ensuite, ils se rendirent au bout du
pont Saint-Michel, oii, sitôt qu'ils virent venir le président qui s'en allait
au Palais, ils lui mirent la main sur le collet, puis le conduisirent au
Petit-Chàtclet, dont le geôlier leur était acquis.
Un nommé Cochery faisait Fa le juge. « N'avez-vous pas écrit depuis
peu de temps au roi de Navarre? demanda-t-il au malheureux prisonnier.
— Non, répondit celui-ci. — Ne lui avez-vous pas envoyé votre vaisselle
d'argent? — Non, répondit-il encore; seulement je dois dire ([uo, dans
ces temps de malheur et de désordre, on me l'a volée. — Pour(|uoi, con-
tinua l'interrogateur, n'avez-vous pas fait pendre Brigard? — Je n'étais
pas son seul juge, dit Brisson ; et la cour a trouvé à propos de le ren-
voyer absous par arrêt. »
On le força alors à se mettre a genoux, et Cromé, en qualité de gref-
fier, lui lut une espèce de sentence qui le condamnait a mort, comme
coupable de lèse-majesté divine et humaine. Puis Ameline, qui avait,
comme plusieurs des autres complices, mis par-dessus ses habits un
rochet de toile noire, sur lequel il y avait une grande croix rouge, le
frappa sur l'épaule en lui disant : « Président, lève-toi; le Seigneur Dieu
te somme aujourd'hui de lui rendre ton âme ; mais, par une grande
faveur qui t'est faite, tu ne mourras pas en public comme le mériterait
un traître tel que toi. n
Au même instant, on amenait aussi Monsieur Larcher, l'un des con-
seillers de la cour, qu'une autre bande venait d'arrêter comme il se
présentait pour entrer au Palais. Le parti en voulait depuis longtemps à
208 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
ce magistrat, pour la conduite qu'il avait tenue en la journée dite de la
Paix ou du Pain, où lui et son (ils avaient prêté la main aux insurgés
royalistes. (Legrain, Décacl., liv. V, p. 490.)
Enlin, le curé de Saint-Cosme, suivi de quelques prêtres et autres
gens de la faction, alla quérir le conseiller Tardif au Grand-
Châtelet, parce qu'on avait trouvé entre ses mains une satire manuscrite
intitulée le Chapelet de la Ligue, qu'on le soupçonnait d'avoir composée.
On le prit sur son tribunal même et on l'amena également prisonnier.
(PASQt'iER, lettre 17.)
Crucé envoya vite chercher maître Jean Roseau, exécuteur ordinaire
des hautes œuvres de la justice, auquel il donna l'ordre de faire mourir
ces trois magistrats. « Monsieur, répondit le bourreau, cela ne peut se
faire ainsi; ce n'est pas la forme de justice de faire des exécutions dans
une prison. — Il faut pourtant que cela soit, reprit Crucé. Regarde
seulement si cette place est commode pour y pendre trois hommes. »
(Cavet, ubi sup.)
Le bourreau ayant répliqué que ce n'était pas la place qui manquait,
mais qu'il fallait préalablement, pour régulariser l'affaire, qu'on lui mon-
trât un jugement ou ordonnance de justice, il lui fut enjoint de mettre
fin a toutes ces difficultés, s'il ne voulait pas être pendu lui-même.
« Alors, dit-il, il faut que j'aille chercher des cordes; car je n'en ai point
ici. — Tu ne sortiras de céans, dit Crucé, qu'après ta besogne faite. »
Et il donna de l'argent 'a un guichetier pour aller acheter des cordes,
qui furent attachées a une solive.
Cela fait, on alla dire au sieur président qu'il fallait qu'il descendit.
c( Hélas! s'écria-t-il, où voulez-vous me mener? Laissez-moi dans cette
chambre ; je vous donne ma foi que je ne chercherai pas a m'enfuir, ne
me sentant coupable de rien. D'ailleurs, donnez-moi des gardes, si vous
l'aimez mieux; je les paierai à mes frais. » On l'entraîna. Quand il fut
dans la salle où on voulait le faire mourir, le bourreau le prit et le lia,
puis lui présenta 'a baiser une croix de bois, que l'on a accoutumé de
bailler aux patients que l'on mène au gibet. Brisson la repoussa. « Je ne
veux pas de celle-ci, dit-il, qui estpourles malfaiteurs. Ouvre-moi mes
boutons; j'ai une croix pendue à mon cou, laquelle est contre ma chair
et est d'un morceau de la vraie croix; c'est celle-là que je veux
baiser. »
Jean Roseau lui détacha quatre boutons, trouva la croix et la lui fit
baiser plusieurs fois. Ensuite, l'illustre patient, se rappelant qu'il faisait
alors travailler à l'impression d'un ouvrage qu'il avait composé : « Du
moins, dit-il, je vous prie de ne pas détruire ce livre que j'ai commencé
d'imprimer, et qui est une tant belle œuvre. » Au même instant, le bour-
reau l'enleva 'a 1 aide de deux personnes qui se trouvaient l'a, dans la
compagnie, et il fut pendu.
On alla ensuite appeler messire Larcher, qu'on trouva tranquillement
occupé à manger un déjeuner qu'il s'était fait servir par le geôlier, et qui
ne pensait courir d'autre risque que celui d'une détention de quelques
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 209
jours; mais, quand on Teut poussé dans la Jalale chambre, cl (ju'il eut vu
pendant le cadavre de Monsieur le premier président: « Dépêchez-vous,
bourreaux, dit-il; je n'ai point regret de mourir, puisipie je vois le plus
grand homme du monde mort innocent. » On le pendit tout a côté;
puis on lut prendre Monsieur Tardif, (|ui lut pareillement pendu et
étranglé.
Quand le bruit de cette triple exécution se répandit dans la capitale,
la consternation lut générale, même parmi ceux qui tenaient pour le
parti de la Ligue. Les plus |)révoyants redoutaient les représailles qu'un
pareil attentat ne pouvait man(pirr d'attirer, et beaucoup d'autres crai-
gnaient avec raison que les factieux ne voulussent continuer le cours
de ces déplorables assassinats ; car on venait de voir conduire prisonniers
au Chàtelet le fils du sieur Larcher et plusieurs autres membres du
parlement. Quelques-uns des principaux de la noblesse et de la bour-
geoisie écrivirent donc îi Monsieur de Mayenne, qui était alors 'a Laon, et
le supplièrent de venir lui-même en diligence mettre ordre à cette
sédition.
Pendant ce temps-la, Crucé faisait dépouiller les cadavres de ses
victimes, et vendait leurs nippes à des fripiers. Ensuite il lit entrer, en
présence de ces trois corps nus, les prisonniers qu'on venait de lui
amener, et il disait a chacun d'eux : « Regarde ; on va te traiter comme
ceux qui sont la. Pense à toi, car lu es mort, et vois combien tu veux
nous donner pour te racheter. » Tous oflrirent leur bourse et les bijoux
qu'ils avaient sur eux; et Crucé les laissa aller, remettant au lendemain
pour faire, disait-il, de meilleures affaires.
Sur le soir de cette fatale journée, le conseil secret des Seize prit la
résolution de faire attacher ces trois corps morts au gibet de la place de
Grève. Charles du Sur, dit Jambe-de-Bois, épicier de profession, fit des
écriteaux en grosses leltres, indiquant les noms de ce (|u'avaient été ces
cadavres, et, dès le lendemain bien avant le jour, le bourreau vint char-
ger sur trois crocheleurs ces tristes restes, nus en chemise, ayant
chacun leur écriteau pendu au cou; puis, le convoi, merveilleusement
piteux et épouvantable, se mit en route le long des quais. D'abord mar-
chaient une centaine de brigands, les uns avec des hallebardes, les
autres avec des arquebuses, et quelques-uns n'ayant que leurs épées,
mais tous avec de longs manteaux dont ils se cachaient le visage. Plu-
sieurs avaient 'a la main des lanternes pour éclairer la marche. Derrière
cette troupe et sans aucune lumière suivaient les trois crocheteurs char-
gés des cadavres que le bourreau et ses valets accompagnaient, et, h
quinze pas derrière, venait une autre troupe en même attirail que la
première, avec force lanternes. En cette façon furent conduits en Grève les
trois pauvres corps, pour y être attachés îi une potence.
Les Seize avaient pensé que ce spectacle ferait émouvoir le peuple
en leur faveur. Bussy même se présenta sur les degrés de la croix de
Grève, exhortant les assistants a seconder les bonnes et hardies résolutions
de ceux qui, en assurant la religion, travaillaient aussi à rétablir la liberté.
IV. lA
210 IIISTUIRE DE L'ETABLISSEMENT
Mais le peuple se tint coi. De ceux qui élaient venus pour y voir, quel-
ques-uns haussèrent tristement les épaules sans dire mot; d'autres blâ-
maient cette action, mais sans qu'il y eût aucun remuement populaire,
car on savait déjà que Monsieur de Mayenne allait bientôt arriver.
(Mézeray, ubi sup.^ p. 920.)
Sur le soir donc, l'exécuteur vint dépendre les corps, qu'il vendit
aux veuves et aux enfants des dits morts, pour les faire mettre en sépul-
ture chrétienne. Quant aux Espagnols, il est probable que s'ils eussent
pu se décider à approuver hautement ce fait, et a soutenir les Seize, ils
se seraient ce jour-l'a rendus maîtres de la capitale ; mais la chose leur
parut trop atroce à eux-mêmes, et leur ambassadeur, don Iberra, écrivit
à son maître : « Grâces a Dieu ! Sire, un pareil attentat provient
de tout autre part que des ministres de Votre Majesté. » {Mém. de la
Ligue, t. V.)
Or, le duc de Mayenne, a la réception des lettres qui lui avaient été
adressées a Laon, partit sans retard et s'en vint à grandes traites à Paris,
amenant avec lui le sieur de Vitry et sa compagnie, et quelques compa-
gnies de troupes étrangères. Il lit son entrée par la porte Saint-Antoine.
(Cayet, ubi sup.)
Quand les Seize surent qu'il approchait, ils s'assemblèrent, et il fut
mis en délibération s'il n'était pas convenable d'empêcher le dit duc
d'entrer, et de s'assurer préalablement de la personne de Madame la
duchesse de Nemours, sa mère, pour servir d'otage au besoin. Il fut
même proposé de se défaire de lui par le poignard, et l'un d'eux réclama
hautement l'honneur de lui porter le premier coup. Mais l'un et
l'autre de ces deux partis extrêmes parurent un peu trop chanceux. La
Sorbonne fut consultée et répondit : « Ce n'est pas à la sainte Faculté
qu'il appartient de justifier de semblables entreprises; c'est au courage
et 'a la conduite : si vous êtes gens de cœur, vous serez gens de bien ;
la résolution que vous prendrez fera votre crime ou votre innocence. »
Les Seize, a qui le cœur commençait^a défaillir, ne montrèrent qu'hési-
tation. {Journal de Henri IV, p. 179.)
Le docteur Boucher qui revenait lui-même de Soissons, et, par consé-
quent, n'avait point eu part directement 'a ce qui venait de se pas-
ser relativement au meurtre des trois magistrats, fut chargé d'aller en
députation au-devant du duc, pour lui faire compliment et remontrance
touchant ce lait ; mais aussitôt qu'il voulut ouvrir la bouche à ce sujet,
Monseigneur de Mayenne lui dit : « Monsieur notre maître, ce sera pour
une autre fois, » et ainsi passa vite et entra dans Paris. Les moins
aveugles de la faction connurent bien alors qu'il était fâché contre eux;
les uns songèrent a se mettre en sûreté par la fuite, les autres a se
défendre en ameutant la canaille et leurs partisans.
Le duc avait bien, au reste, quelque autre raison de n'être pas con-
tent d'un parti qui n'avait jamais cessé d'agir sourdement contre lui. De
plus, l'on venait tout récemment de saisir sur le Révérend Père Mathieu,
de l'ordre des Jésuites, une lettre par laquelle les chefs de la factioft
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 211
mandaient an roi d'Espagne « que c'était lui qu'ils désiraient pour roi,
et (|u'au cas oîi il ne voudrait pas de la couronne pour lui-même, ils le
suppliaient d'établir en cette qualité le jeune duc de Guise, en le mariant
avec Madame l'inl'ante sa fille, alin que les deux monarchies pussent, à
l'avenir, fraterniser en une alliance perpétuelle, à l'avancement de la
gloire de Notre-Seigneur-Jésus-Christ. » (De Tiiol, liv. 102, p. 444. —
Journal de Henri /V, 1. 1, p. 150.)
On pense bien que ce n'était pas là ce que désirait le duc de
Mayenne ; aussi était-il bien disposé a châtier sévèrement cette faction
des Seize. Mais il s'était résolu a user d'une grande prudence, car il ne
savait pas si la populace de la grande ville n'aurait pas l'idée de soutenir
des gens qui l'avaient si longtemps fait mouvoir à leur gré; il ignorait
également si la garnison espagnole, (ju'on avait eu l'imprudence d'ad-
mettre dans Paris, ne se déclarerait pas ouvertement en leur faveur.
Ceux qui avaient appelé Monsieur le duc pour rétablir l'ordre lui
disaient : « Il n'y a pas a hésiter, vous n'aurez jamais la paix dans cette
capitale si vous ne vous décidez pas a y exterminer trois sortes de gens :
d'abord tous les prédicateurs des Seize, (|ui ne sont que boute-feux,
prêchant à la foule ignorante la guerre civile et la révolte; ensuite les
chefs des Seize eux-mêmes, (pii sont tous voleurs et sanguinaires, et
qui ne conspirent qu'a la ruine des honnêtes gens, et enfin la garnison
espagnole, qui sert de point d'appui ii tous ces fauteurs de troubles, et
qui, comme ennemie naturelle et de toute ancienneté de la nation, n'a
d'autre but que de ruiner et de piller la France, pour la plus grande
gloire de l'Espagne. La chose au surplus, ajoutait-on, vous serait très-
facile, si vous vouliez seulement y interposer votre autorité. Vous pouvez
compter que vous serez approuvé et assisté par toutes les cours souve-
raines du royaume et par tous les véritables Français. »
Malheureusement pour lui, Mayenne savait déjà à quoi s'en tenir sur
la valeur réelle de ces autorités plus ou moins populaires, qui surgissent
dans les temps de troubles. Elles dépendent d'un caprice indé-
linissable, et on court toujours le risque de travailler contre soi et pour
autrui, et de se laisser tromper par des conseils intéressés et perlides.
De plus, il avait à craindre d'encourir l'indignation du Pape, s'il faisait
mettre la main sur cette foule de moines et d'ecclésiastiques de tout
rang, qui se trouvaient compromis dans cette liste d'extermination.
L'Eglise n'était pas un pouvoir qu'il put se permettre de braver.
Il se résolut donc à faire châtier seulement parmi les laïcs les principaux
coupables du meurtre des trois magistrats.
Il aurait bien voulu commencer par IJussy-Leclerc; mais celui-ci se
tenait renfermé dans la Bastille, dont il était gouverneur, comme on
sait. Mayenne, obligé de dissimider, convoqua une assemblée à l'Hôtel-
de-Ville, où se trouvèrent tous les chefs des Seize. Il demanda du ton le
plus modéré s'il n'y avait pas (juclque réparation à faire, dans l'intérêt
du bon ordre, pour la mort illégale du président Brisson et de ses deux
malheureux collègues. Il dit qu'il ne pouvait que blâmer cet atten-
212 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
lat, et qu'il priait qu'on ne recommençât pas a l'avenir. Sur quoi, les
Seize, encouragés par cette modération, répondirent plus ou moins auda-
cieusement, suivant la part que chacun d'eux y avait prise. Quelques-
uns de ceux a qui un pareil crime faisait horreur demandèrent au con-
traire qu'il ne fût pas impuni. Mais le duc s'abstint de rien prononcer. 11
fit même si bonne ligure, en cette assemblée, que les plus cou-
pables perdirent toute crainte, et envoyèrent dire 'a la multitude, qu'ils
avaient eu la précaution de faire tenir sous les armes, qu'elle n'avait
qu'a se retirer tranquillement. Plusieurs d'entre eux s'en allèrent même
souper avec Mayenne, qui ne leur tint à table que devis et paroles
joyeuses, tellement qu'ils se retirèrent chacun chez soi, fort contents du
dit seigneur duc.
Celui-ci appela dans la nuit le seigneur de \'itry, et lui ordonna
d'aller arrêter tout bellement neuf des plus mutins de ces factieux, et de
les lui amener au Louvre, où il avait résolu de les faire pendre. En
même temps, il envoya quérir l'exécuteur Jean Roseau, qu'on lit entrer
secrètement dans le château ; puis Vitry s'en alla prendre dans leurs
lits, où ils dormaient bien tranquilles, Anroux, Emonot et Âmeline,
lesquels, 'a peine entrés dans le Louvre, y sont incontinent pendus.
On fut ensuite chercher Louchard, qui demeurait un peu plus loin,
auquel on dit que Monsieur de Mayenne demandait à lui parler pour
affaires importantes. Il s'habilla en toute hâte pour se rendre a cette
invitation. Puis en embrassant sa femme, qui lui tendait un mouchoir,'
il sentit un triste pressentiment. « Ma chère, lui dit-il, je doute de te
revoir jamais, » et suivit ceux qui étaient venus le chercher.
En entrant dans la salle basse du Louvre, son premier regard ren-
contra les trois cadavres de ses collègues, qui pendaient chacun au bout
d'une corde attachée â une solive, et il sua 'a grosses gouttes. Puis sentant
que le bourreau lui passait autour du cou le fatal lacet, comme c'était
un homme vigoureux, il le repoussa et le culbuta lui et ses aides. « Vous
avez tort de résister, lui dit Vitry ; il faut que vous y passiez. — Mon-
sieur, répondit Louchard, je ne puis croire que ce soit la la volonté du
duc de Mayenne. H m'a fait mander ici pour parler d'aflaires avec moi, et
non pour me faire pendre; obligez-moi d'aller lui demander si cela n'est
pas vrai. — Je le veux bien, pour vous faire plaisir, eut la bonté de
dire Monsieur de Vitry ; mais si Monsieur le duc veut que vous soyez
pendu, il faudra bien que vous obéissiez. »
Monsieur de Vitry sortit, et revint un demi-quart d'heure après, disant
aux bourreaux : « Pendez! » Louchard, tout abattu, n'opposa plus de
résistance. Il fut pendu auprès des trois autres.
Pendant ce temps-la, ou cherchait de Launay, Cromé et Cochery;
mais ceux-ci, qui avaient été avertis à temps du sort qui les menaçait,
avaient déjà quitté leurs maisons, et se tenaient déguisés parmi la gar-
nison espagnole, d'où ils passèrent peu de temps après en Flandre. Crucé
fut moins heureux ; il se laissa prendre, ainsi que quelques autres des
chefs du parti. Pourtant Mayenne pensa qu'il y avait probablement assez
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 213
dépendus comme cela, et il se contenta de les faire mettre en prison.
Quelques jours aprrs même, îi la sollicitation de la duchesse de Mont-
pensier, il voulut bien l'aire grâce a Crucé, quoiqu'il fût un de ceux qu'il
avait résolu de l'aire mourir, et il rendit la liberté aux autres pour de
l'argent.
Pour lors , le curé Boucher , sachant bien qu'il n'avait rien à
craindre, en sa qualité de membre du clergé, poussa l'audace jusqu'à
venir trouver le duc, « afin, disait-il, de lui l'aire entendre les justes
représentations des bons et (idèles catholiques sur cette cruelle bou-
cherie » de ceux qu'il appelait les martyrs de Jésus-Christ. Mayenne lui
répondit avec douceur qu'il s'était cru obligé de l'aire justice d'un crime
aussi énorme que celui qui venaii d'être commis sur trois des membres
les plus respectables du parlement; mais qu'a présent qu'il avait satisfait
à la justice, par la punition d'un j)etit nombre de factieux, il était résolu
délaisser les autres tranquilles, et il le congédia sans montrer le moindre
ressentiment contre une démarche aussi audacieuse. (Mézeuav, t. III,
p. 925.)
Quant à Bussy-Leclerc, qui « avait tant lait le fendant dans la
Bastille, » et qui devait, disait-il, s'y faire ensevelir sous les ruines plu-
tôt (jue de se rendre, à peine eut-il reçu du duc de Mayenne la sommation
de remettre la place, qu'il se hâta de demander seidement la vie sauve
et la permission de sortir avec ses meubles et biens, ce qui lui fut
accordé. Mais, dès qu'il eut opéré son déménagement dans une maison
voisine, on vint en défoncer les portes; on pilla « tout ce qu'il avait
volé et rançonné depuis la journée des Barricades jusiju'au commence-
cément du présent mois, » c'est-a-dire une valeur de plus de six cent
mille francs, dont Monsieur de Mayenne eut sa bonne part. Quant 'a lui,
il n'eut que le temps de se sauver, tout nu en chemise, par-dessus les
tuiles, et il se retira à Bruxelles, où, depuis, il a vécu fort misérable-
ment, gagnant sa vie à l'aide de son ancien métier de prévôt dans
une salle d'escrime. (Cayet, vbi sup. — Journal de Henri 7 F,
t. I, p. 185.)
Mayenne lit publier ensuite une proclamation d'abolition générale
pour tout le passé. « Nous, disait cette proclamation, lieutenant général
de l'État et couronne de France, à tous présents et a venir, salut ! Consi-
dérant que, dans l'emprisonnement odieux et l'assassinat abominable
commis en cette ville de Paris sur les personnes des sieurs Brisson,
Tardif et Larcher, deux sortes de gens se sont trouvés coupables : les
uns par mauvaise volonté, les autres s'étant laissé seulement entraîner par
ardeur de zèle, et croyant bien faire ; nous avons avisé de restreindre la
peine au châtiment de quelques-uns des jjIus répréhensibles, lesquels
ont déjà payé leur crime de la vie. Quant aux autres, nous leur accor-
dons pardon, éteignant et abolissant par les présentes le cas susdit. En
conséquence, voulons et ordoimons ipie tous en général et chacun en
particulier en soient et demeurent (juitles et déchargés, sans qu'a l'ave-
nir ils puissent être in(juiétés ni recherchés pour ce lait, sur lequel
214 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
nous imposons silence au sieur procureur général et a tous autres ;
et parce que le mal est provenu de certaines réunions et assemblées qui
se sont ci-devant faites dans cette ville, afin que tels excès ne se renou-
vellent pas, faisons défense expresse à toute personne, de quelque qua-
lité et condition qu'elle soit, même a ceux qui se sont ci-devant nommés
le Conseil de la Ligue ou des Seize, de tenir aucune assemblée pour
délibérer ou traiter d'affaires quelconques, sous peine de la vie et du rase-
ment des maisons où de pareilles assemblées auraient eu lieu. » Cette
pièce fut enregistrée au parlement le dixième jour de décembre, et
publiée à son de trompe, par tous les carrefours de la capitale. {Mém. de
la Ligue, t. V, p. 72.)
Ce fut ainsi que le duc de Mayenne profita de l'attentat commis sur
Brisson et ses collègues, pour anéantir la dangereuse faction des Seize. 11
est permis de croire que c'était moins ce crime qu'il avait 'a cœur de
punir que la mauvaise volonté pour lui des auteurs de la lettre saisie
sur le jésuite Mathieu, et dont j'ai donné plus haut le contenu. Aussi
fit-il jurer à tous les chefs de l'Union les cinq nouvelles conditions sui-
vantes : 1° De ne l'abandonner jamais ni de se bander contre lui, pour
quelque occasion que ce fût; 2" de ne favoriser la nomination d'un roi
que de son consentement; o° de consentir 'a tous les accords qu'il ferait
avec le roi et les autres; 4" de ne favoriser les Espagnols ni conférer
avec eux qu'avec sa permission et selon ses instructions; 5" enfin de
résister par paroles, conseils et effets, 'a tous ceux qui, sous prétexte de
favoriser le peuple, empêcheraient ses desseins. {Dialogue du manant
et du maheutre.)
Ensuite, comme le parlement de Paris se trouvait sans président
par la mort de Brisson, les cinq autres présidents étant du parti royal et
s'étant retirés a Tours et 'a Châlons, le duc promut quatre conseillers 'a
cette dignité, savoir : Chartier, Neuilly, de Hacqueville et Le Maître.
Mais le premier, parce qu'il était vieux et cassé, se démit de lui-même de
ses fonctions. (De Thou, ubi sup., p. 449 et suiv.)
Pendant que ces choses se passaient a Paris, le roi, après la prise
de Noyon, s'était avancé avec quelques troupes jusque sur la frontière,
pour y recevoir l'armée auxiliaire que lui amenaient d'Allemagne
Monsieur le vicomte de Turenne et le prince d'Anhalt. Sur sa route,
il se rapprocha de Sedan, pour y ménager le mariage du vicomte avec
Charlotte de La Mark. J'ai dit plus haut comment cette princesse, laissée
héritière des riches domaines de la maison de Bouillon, par suite de la
mort de son frère, décédé 'a Genève, deux ans auparavant, avait attiré
une guerre cruelle dans ses États, de la part de divers rivaux, qui se
disputaient sa main pour avoir ses grands biens. Les deux principaux de
ces compétiteurs étaient, comme on l'a vu, le prince de Vaudemont, fils
du duc de Lorraine, et le duc de Rhetetois, fils du duc de Nevers. Or,
il n'entrait nullement dans les projets de Sa Majesté de donner cette
riche héritière a l'un ou a l'autre de ces deux seigneurs. Le duc de
Lorraine était ouvertement son ennemi juré, et le duc de Nevers, quoi(|ue"
DU PROTESTANTISME EN ECANGE. 215
maintenant de son parti, « lui était suspect a cause de ses scrupules
continuels au sujet de la religion. » (Dk Tiior, uhi sup.)
Pour leur ôter toute espérance, il avait donc jeté les yeux sur
le vicomte de Turenne, le(iuel étant protestant, de plus, homme
de valeur et d'esprit, lui semblait pouvoir être opposé également a un
ennemi déclaré et à un ami suspect. En outre, les peines que ce
seigneur venait de se donner en Allemagne, pour lui procurer des secours,
et riieureux succès qu'avaient eues ses négociations, méritaient bien
une pareille récompense. Le roi lui donna donc le bâton de maréchal de
France, alîn qu'il n'eût pas une qualité trop inférieure a la principauté
(pi'il allait tenir de sa jeune épouse.
La veille même de ses noces, le nouveau maréchal, (jui portera
désormais le titre de maréchal de Bouillon, pour donner a son royal
souverain des arrhes des services qu'il se proposait de lui rendre, s'en
alla de nuit surprendre par escalade la ville de Slenay, où le duc de
Lorraine tenait une forte garnison.
D(''s que le roi eut terminé ce mariage, et après avoir reçu et passé
en revue les troupes qui venaient de lui être amenées d'Allemagne,
fortes de seize mille combattants, tant reltres que lansquenets, avec
quatre grosses pièces de canon et plusieurs autres petites pièces, il
prit sa route avec toutes ces troupes, pensant veïur coucher a Aubenton;
mais les habitants lui fermèrent les portes, ce qui fut cause que la ville
fut pillée. Après quoi, on vint investir Verdun, d'où les troupes du Pape,
'a l'approche de l'armée royale, s'étaient hâtées de s'enfuir. Le roi y
entra presque au même instant par composition, et, après avoir expulsé
ceux de l'Union, il mit pour commander la ville en son nom le sieur de
Monceaux. (Cayet, Chron. novenn.,ubi sup.)
Sa Majesté revint de l'a 'a Noyon, tandis que l'armée, partagée en
dilTérents corps, le suivait 'a petites journées ; mais il survint pendant
cette marche un de ces événements qui peuvent donner l'idée de ce
qu'étaient ces troupes étrangères, dont les deux partis s'empressaient de
provoquer l'introduction en France, pour s'appuyer de leur secours. Les
lansquenets, se voyant en plus grand nombre que les Français, se
fâchèrent de ce qu'on voulait leur faire observer les lois et règlements
militaires, et les empêcher de vivre a discrétion dans les pays qu'on leur
faisait traverser. Ils eurent l'idée de secouer toute espèce de joug et de
faire la guerre, ou plutôt le brigandage pour leur comi)te. Au lieu d'aller
au quartier qui leur était assigné, ils rebroussèrent chemin. Pour lors.
Monsieur le baron de Biron, que le roi avait chargé de la conduite de ces
troupes, averti de ce mouvement, fit prendre les armes à tous ceux de
ses soldats qui n'avaient pas été entraînés dans cette désertion à main
armée, et envoya demander du secours aux autres corps, pour forcer ses
lansquenets 'a rentrer dans le <levoir, ou pour les exterminer s'ils persis-
taient dans leur rébellion.
On courut donc après les dits lansquenets, qu'on atteignit à une lieue
deUocroi, ville du parti de ITnion. Quand ils s'aperçurent qu'ils étaient
216 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
poursuivis, ils s'arrêtèrent ; se rangèrent en bataille, et on allait en
venir aux mains, lorsque les chefs et capitaines qu'ils s'étaient choisis,
après avoir chassé ceux qu'on leur avait donnés, commencèrent 'a avoir
peur pour leur cou, et firent si bien par leurs exhortations, qu'ils enga-
gèrent leurs compagnons à retourner sous la puissance royale ; et l'on fut
contraint de leur en savoir gré.
Alors, voyant ses forces augmentées par l'adjonction de cette armée
auxiliaire, et par un nouveau secours de trois mille Anglais, que lui ame-
nait le comte d'Essex, de la part de la reine Elisabeth {laquelle appréhen-
dait surtout que l'Espagnol, son ennemi juré, ne s'établît sur les côtes
de France), le roi résolut d'avoir en sa puissance quelque riche province,
d'où il pût tirer des secours d'argent, pour l'aider à subjuguer les autres
provinces. Depuis longtemps, il avait dessein d'assiéger Rouen, dont la
prise entrahîerait la possession complète et tranquille de toute cette
belle et populeuse contrée. Les royaux, sous la conduite du duc de
Montpensier, s'étaient rendus maîtres d'Avranches, après un long
siège, et, 'a l'exception du Havre-de-Grâce et de Honfleur, à l'em-
bouchure de la Seine, que les Ligueurs venaient de reprendre, toutes
les autres villes importantes étaient déjà soumises au roi ; aussi s'em-
pressèrent-elles toutes d'offrir de l'argent et des munitions de bouche
pour aider a Sa Majesté a faire la conquête de leur capitale.
En attendant, Sa Majesté, « pour des causes secrètes, » c'est-à-dire
pour aller voir la belle Gabrielle, restait toujours a Compiègne. Elle avait
eu soin de faire défense expresse de laisser passer sur la Seine aucun
convoi se dirigeant ou vers Paris, ou vers Rouen ; mais nonobstant cette
défense, les gouverneurs des villes situées sur le fleuve, s'accordant
ensemble pour partager le profit, donnaient journellement des passe-
ports 'a ceux qui voulaient bien payer, pour conduire des vivres et des
marchandises dans l'une ou l'autre de ces deux villes, en dépit des ordres
du roi. Or, « un jour, disent les Mémoires de Sully, vous fûtes averti,
Monseigneur, par un nommé de Fourges, qu'un grand bateau, tout chargé
de provisions de bouche, venait de remonter vers Paris, muni d'un de
CCS passeports, signé de votre frère lui-même. Vous allâtes aussitôt
attendre son retour sur la rivière, et l'amenâtes à Mantes; mais vous
demeurâtes bien en colère, quand dans ce bateau vous ne trouvâtes
que deux petits ballots, qui ne contenaient que quelques bimbeloteries,
et qu'on vous eut dit que le prix de la cargaison avait été réglé en
lettres de change. Pendant que le dit sieur de Fourges vous rendait ce
compte, ses chausses se défoncèrent pour avoir été trop chargées, et il
en sortit une traînée d'écus au soleil qui s'épandirent sur le plancher.
Alors, vous lui dites : « Courage! Monsieur, il y a plaisir et profit à vous
tenir debout plutôt qu'assis. » Vous le fîtes fouiller, et vous trouvâtes,
cousus en ses habits, sept mille bons écus d'or environ, qui vous vinrent
fort 'a point, pour attendre patiemment la vente de vos blés et foins de
Rosny. » (Sllly, Écon. royales^ Hv. 2, ch. m.)
Mayenne, dans le même temps, faisait renouer de nouvelles négo-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 217
ciations avec Sa Majesté, toujours par l'entremise de \'illeroi; mais,
celte fois, le lieutenant général de la Ligne comnienrait a y aller de
meilleure loi. En eflet, il ne pouvait en aucune façon compter désormais
sur le parti qui l'avait élu, depuis qu'il avait fait pendre quatre des
principaux d'entre les Seize, et il ne pouvait ignorer qu'il avait été dit
jusque dans son antichambre : « Nous qui l'avons fait ce qu'il est, nous
aurons bien le pouvoir de le défaire. » De plus, par les lettres intercep-
tées et que le roi avait grand soin de lui faire tenir, il ne devait lui
rester aucun doute que les Espagnols et ceux de leur parti en France
étaient loin d'être bien intentionnés en sa faveur. Il se doutait môme
qu'une récente indisposition qu'il venait d'éprouver, « et qui lui avait
fait enllcr le ventre, » provenait d'un boucon qui lui avait été donné par
un seigneur d'Espagne; et l'on prétend que, parmi les lettres intercep-
tées que le roi lui envoyait, il y en avait une de ce seigneur adressée 'a
Sa Majesté catholique, dans laquelle était cette phrase : « Soyez tran-
quille, Sire, je lui en ai donné autant qu'il en faudrait pour faiue crever
un cheval. » On ajoute aussi que le duc s'était vengé en invitant ce
seigneur, dont on ne dit pas le nom, 'a dîner et en lui faisant boire à son
tour de l'hippocras empoisonné, après quoi, il lui aurait dit a l'oreille :
« Soyez tranquille, vous en avez bu plus qu'il n'en faudrait pour faire
crever deux chevaux. » {Mém. de Yilleroi^ ad ann. 1591 et 1592. —
Mézkuav, t. III, p. 930.)
Quoi qu'il en soit, Mayenne, pour toutes ces raisons, dégoûté de la
Ligue et de la protection espagnole, faisait offrir 'a Henri IV, par le dit
sieur de Villeroi, de le reconnaître et de le faire reconnaître par tous
ceux du parti sur lesquels il avait influence, a condition seulement qu'il
voulût se convertir. Mais le roi, dont l'armée se composait encore aux
trois quarts aux moins de prolestants, et qui ne pouvait guère compter
sur les catholiques, pour la plupart engagés dans le tiers parti, ne crut
point opportun pour le moment de faire une pareille démarche. (Villeroi,
iihi sup., 1591.)
Ce fut en de telles circonstances que le siège de Rouen commença.
Les Rouennais qui, de leur côté, se doutaient bien qu'on ne tarderait
pas 'a venir lesat(a(juer, ne restaient pas dans l'inaction. Ils avaient pour
gouverneur Henri d'Aiguillon, fils du duc de Mayenne; mais, comme la
grande jeunesse de ce prince le mettait hors d'état de remplir un poste
aussi important, dans des circonstances aussi difficiles, ce fut Monsieur
Villars, commandant flu Havre, (|ui reçut du dit duc de .Mayenne
charge de venir diriger les opérations de la défense. Il entra dans la ville
a la tête de douze cents hommes de pied et de six cents chevaux,
(jui se joignirent 'a la garnison, déjà très -nombreuse et composée
de plusieurs bataillons suisses, sans compter les habitants qui avaient
pris les armes avec enthousiasme. {Mém. de la Ligue, t. V, p. 100
et suiv.)
Lé jeune gouverneur répéta tout couramment, devant une assemblée
des notables de la ville, un discours qu'on lui avait fait apprendre et qui
218 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
produisit le meilleur effet du monde. « Messieurs, dit-il, je compte bien
que vous ne le céderez pas en courage aux braves Parisiens, qui ont su
forcer le Béarnais à se retirer honteusement. D'ailleurs, je puis prédire
d'avance un heureux succès aux efforts que vous allez faire. Les troupes
de l'ennemi, déjà épuisées par des marches incessantes et qui vont bien-
tôt avoir à éprouver les rigueurs d'un hiver qui s'approche, ne peuvent
tenir longtemps devant vos murs. Votre salut et celui de l'État de
f>ance dépend donc d'une résislaftce de quelques jours, et il s'en faut
que les ressources nous manquent. Plus^ heureux que les braves
Parisiens, pour lesquels les passages, a l'arrivée des vivres et des
secours, étaient fermés de tous côtés, nous avons, nous, liberté tout
entière du côté de la mer : Le Havre et Honfleur sont là pour nous
garantir de la disette. Du courage donc, et montrons-nous dignes de la
sainte cause que nous avons juré de défendre. »
Après ce discours, l'enfant, n'étant plus nécessaire la, s'en retourna
vers son père et laissa a Villars le commandement absolu. On prétend
que celui-ci avait exigé qu'il en fût ainsi, ne voulant pas être l'ouvrier
dans une affaire dont un autre tirerait la gloire et le profit, et qu'il avait
même menacé de traiter pour son compte avec le roi, si Monsieur
de Mayenne se refusait à lui accorder satisfaction sur ce point. (Davila,
t. 111, p. 285.)
Quoi qu'il en soit, il fit habilement tous ses préparatifs de défense.
Il expulsa d'abord de la ville ceux qui s'étaient signalés comme favorables
au parti royal ; il fît venir des provisions de toutes parts; il fît entrer
cinquante pièces d'artillerie tant de fonte que de fer, avec une prodi-
gieuse quantité de poudre, de balles et de boulets. « En outre, le dit
gouverneur aposta force moines, prêtres et prêcheurs, pour mieux enve-
nimer la populace. » (Cavet, Chron. novenn., ubi snp. — Matthieu, Hist.
des dern. troubles, liv. 5, fol. 50.)
Le jour de Saint-Martin, sur les huit heures du matin, l'armée royale,
commandée parle maréchal de Biron, parut sur le mont de la Justice,
en face la porte Beauvoisine. Les Anglais, pour gagner une certaine
prime en ari.,ent que leur reine avait promise pour le premier coup de
canon qui serait tiré sur la ville, s'empressèrent de pointer une petite
pièce de campagne dont ils firent partir trois coups. Villars fit aussitôt
une sortie, et on escarmoucha de part et d'autre jusque sur les onze
heures. Le premier qui fut tué du côté des royalistes fut le propre neveu
du comte d'Essex, et les Anglais, furieux, embaumèrent son corps, jurant
qu'ils ne lui donneraient sépulture que dans la ville, après y être entrés
par la brèche.
Au reste l'avantage, dans cette première affaire, demeura aux assié-
gés. Biron fut obligé de se retirer plus loin et d'aller prendre son quar-
tier 'a Dernétal. Plusieurs ont voulu croire que le maréchal ne se portait
'a ce siège que de mauvaise grâce, mal content, disait-on, de ce q^i'ayant
demandé le gouvernement de Rouen au roi, après que la place serait
conquise, Sa Majesté avait répondu qu'elle avait déjà engagé sa parole à
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 219
Monsieur de Monlpensier pour le donner a un autre. (Écon. de Sully,
iihi Slip.)
Ne voulant donc plus rien entreprendre pour le moment a force
ouverte contre la ville, il envoya ses gens s'emparer des villes de
Gournay et de Caudebec, lesquelles lui lurent rendues si facilement que
les Ligueurs ne manquèrent pas d'accuser de trahison et de lâcheté les
gouverneurs de ces deux places.
Ensuite, pour ôter aux assiégés la commodité des moulins, il fit
couper la rivière de Rohec, qui allait faire tourner dans la ville onze de
ces moulins, ce qui indubitablement aurait rendu la famine imminente.
Mais Villars fit faire un grand nombre de moulins îi bras par tous les
quartiers; puis, rassuré sur ce point important, il ne s'occupa plus qu'a
contrarier toutes les opérations du siège par d'incessantes sorties, dont
il revenait toujours avec de bon butin.
Il arriva que le comte d'Essex, général des troupes auxiliaires de la
reine Elisabeth, et pour lors, disait-on, « le mieux aimé de sa royale
maîtresse, » se souvint qu'il avait connu en Angleterre le chevalier
Picard, l'un des principaux capitaines de Villars. Il lui vint l'idée de
lui écrire pour lui faire savoir, que, hormis la mauvaise cause que
le dit chevalier avait eu le malheur d'embrasser, il l'estimait beau-
foup et se ferait un plaisir de le nommer son ami; mais (ju'en cette
présente guerre, et vu les mauvaises opinions qu'il soutenait, il re-
grettait que son rang de commandant d'armée ne lui permît pas de
l'appeler en duel la dague au poing. Le chevalier Ht réponse (ju'il était
toujours prêt, pour faire passer cette envie 'a Monsieur le comte. A
quoi d'Essex répliqua : « Quoique j'aie commandement d'une armée
en laquelle se trouvent beaucoup de gens qui égalent et mémo sur-
passent en qualité le chevalier Picard, et que j'aie l'honneur d'être
lieutenant de Sa Majesté la reine d'Angleterre, si toutelois votre com-
mandant. Monsieur de Villars, veut combattre contre moi, 'a cheval ou
à pied, armé ou en pourpoint, je maintiendrai que la cause du roi
i' Henri IV est plus juste que celle de la Ligue; que je suis meilleur
! homme d'armes que mon dit sieur de Villars, et que ma maîtresse est
plus belle cpie la sienne; que s'il aime mieux que nous prenions cha-
cun des seconds, j'en mènerai avec moi vingt, le moindre desquels sera
une partie digne d'un colonel, ou même soixante dont le pire sera
capitaine. » A ce cartel, Villars lit celte réponse : « Vous savez qu'il
n'est pas en ma puissance d'accepter pour le moment votre défi, et que
la charge où je suis employé m'ôte le droit de disposer de moi. Mais,
dès (jue Monsieur de Mayenne sera ici pour reprendre le commande-
ment, je m'engage a vous combattre seul a seul, h cheval, avec armes
i| accoutumées entre gentilshommes. En attendant, je vous dis qu'en pré-
;■ tendant être meilleur homme d'armes que moi, vous en avez menti;
'j qu'en disant que la querelle (pie je soutiens pour ma religion n'est
[I pas incomparablement meilleure que la cause de ceux qui cherchent à
la détruire, vous en avez encore menti ; quant a la comparaison de la
220 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
beauté de ma maîtresse à la beauté de la vôtre, ce n'est pas chose qui
me travaille fort pour le présent. »
Les choses en restèrent là, au grand désappointement des connais-
seurs en fait de point d'honneur, et aucun des deux champions ne se
mit en devoir de donner suite a cette afl'aire.
Cependant le roi arriva en personne devant Rouen, avec le reste de
son armée; « et voulant réparer les défauts et mauvaises volontés de
plusieurs, qui ne lui étaient que trop manifestes, il voulut avoir comme
les autres sa nuit de garde aux traachées, dans lesquelles il entrait de
quatre nuits l'une, malgré le grand froid qu'il faisait en cette saison,
commandant sans cesse et en personne les attaques ; aussi Villars lui-
même ne put s'empêcher de dire : « Pardieu! ce prince-là, par sa
valeur, mérite mille couronnes, et je suis marri que par une meilleure
croyance que celle dans laquelle il s'obstine, il ne me fournisse pas
l'occasion de travailler avec lui, à lui conquérir toutes celles qu'il vou-
drait. » A quoi Sa Majesté répondit à Sully, qui lui faisait part de ce mot,
en lui reprochant de trop s'exposer : « Mon ami, c'est pour ma gloire et
ma couronne que je combats, et dans un si important siège, que je
voudrais bien n'être pas obligé de lever comme celui de Paris, ma vie et
tout autre chose ne doivent m'être rien au prix. » {Econ. roy. de Sully,
ubi sup.)
En arrivant, le roi avait écrit au maire et aux échevins de la ville
assiégée une lettre dans laquelle il leur témoignait d'abord toute son
affection paternelle pour ceux de Rouen, qu'il regardait spécialement
comme ses enfants. Il les exhortait à compter sur sa clémence comme
sur celle d'un père, et à ne plus se laisser séduire par les calomnies et
les intrigues des Espagnols, qui n'avaient autre but que de ruiner la
France, mais que si, malgré ces sages avis qu'il voulait bien leur donner,
ils persistaient dans leur révolte, il serait obligé d'employer contre eux
les forces et le pouvoir qu'il tenait de Dieu, et d'abandonner leur villei
au pillage. » (De Thou, ubi sup., p. 456.)
Cette lettre avait été lue a l'Hôtel-de-Ville, en présence du gouver-
neur, des membres du parlement et de ceux des bourgeois qui formaienti
le conseil municipal. Il fut décidé qu'on répondrait : « Qu'avec l'assis-
tance de Dieu tout-puissant, les habitants de Rouen espéraient bieni
pouvoir se défendre contre les hérétiques ; qu'ils n'avaient nul besoin
d'un père, tel que le roi de Navarre ; et que quant aux Espagnols, qu'il!
leur défendait d'écouter comme étrangers, il avait plus que personne]
mauvaise grâce à parler sur cette matière, lui qui n'avait point hésité àj
remplir le royaume d'Allemands et d'Anglais, tous hérétiques et ennemis
jurés de la nation; enfin, qu'ils se flattaient de montrer au moins autant
de courage pour la défense de la foi catholique, que les huguenots en
faisaient paraître pour soutenir leur détestable erreur. »
A la réception d'une pareille réponse. Sa Majesté fut très-choquée, et
tout aussitôt elle donna l'ordre de s'emparer de l'église de Saint-André,
qui avoisine la porte Cauchoise; mais ses troupes, après avoir exécuté cet.
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 221
ordre, ne purent se maintenir dans ce poste sous le l'en dn canon
(pi'on tirait sans cesse contre elles de la ville. Toutefois la place lut, ce
jour-la, complètement investie. « Tous les passages en lurent lermés, a
l'exception de celui de la mer, par où il arrivait continuellement des
barques armées de Ilonlleur et du llàvre-de-(irâce, sous la protection
des galères du roi catlioli<jue et a la liarhe de Tennemi. »
On lit dans la ville l'état des provisions (pii s'y trouvaient. 11 y avait
quatre mille muids de blé, sans y comprendre le seigle, l'avoine, l'orge,
et (juanlité de légumes secs, qui montaient a |)lus de quinze cents
muids. lue commission, (pii lut nommée pour la distribution de ces pro-
visions, arrangea si bien les clioses, que pendant toute la durée du siège
la livre de pain put être l'ournie au menu peu[)le au [»rix moili(|ue de un
sol et buit deniers. On distribua ensuite i)ar compagnies ceux des babi-
tants (|ui étaient capables de porter les armes; les autres furent destinés
il travailler aux fortilications, et cela réglé, « considérant (jue la lorce
bumaine n'est rien sans la grâce divine, » on lit, le bnitième jour de
décembre, une belle procession générale avec un grand concours de
tous les moines, de toutes les confréries, de tous les ordres de la ville
et du populaire, pour implorer la jtrotection céleste. Le cardinal de
Vendôme, Cbarles de Bourbon, (jui était évéque de Baycux, cbanta la
.messe dans l'église de Saint-Ouen, et Jean Dadrœus, docteur en tbéo-
logie, précba le sermon en prenant son texte de ce verset de la seconde
épitre aux Corintbiens : « Ne vous attelez jamais a un même joug avec
les infidèles. » Après ce sermon, qui fut trouvé superbe cl frénétique-
ment applaudi, on ordonna un jeûne général de trois journées par
semaine, pendant toute la durée du siège, pour apaiser, disait-on, l'ire
de Dieu, mais plutôt, 'a ce que d'autres ont prétendu, pour ménager
d'autant les vivres et les faire durer plus longtemps.
Le roi, durant ce terups, venait de faire dresser une batterie contre
la porte Saint-Hilaire, qui était murée et terrassée en dedans; mais pen-
dant qu'on tirait sans grand succès contre cette porte, les assiégés lirent
une vigoureuse sortie par la porte Caucboise, et l'on se battit opiniâtre-
ment de part et d'autre durant presque toute la journée; les royaux per-
dirent cent bommes au moins, et les assiégés, n'en ayant pas i)erdu plus
de cinquante, purent rentrer en triom[)be dans leur ville, après avoir
Il détruit la batterie. (Caykt.)
'1 Le duc de Parme se préparait alors 'a quitter les Pays-Bas, pour
>i revenir en France avec une puissante armée. Il se rendit en dix jours à
ij Landrecies, d'où il envoya don Diègue dlbarra a Mayenne, pour convenir
ki de l'endroit où se ferait la jonction de leurs troupes, et lui demander
I! une place forte en France, où l'artillerie du roi des Espagnes pût être en
Il sûreté : il désignait spécialement La Fère. Mayenne, malgré sa répu-
jj, gnance a accédera une pareille demande, voyant que le duc de Parme y
tenait, et qu'il refusait absolument son concours s'il n'obtenait satisfac-
tion sur ce point, donna enlin son consentement pour l'occupation de
La Fère, mais en stipulant que la garnison espagnole ne serait que de
222 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
quatre cents hommes, et qu'elle serait tenue de sortir tout aussitôt que
les canons de Sa Majesté catholique seraient retirés de la place. Cette
dernière condition déplut beaucoup au prince. Il lui semblait déplacé que
le duc de Mayenne, tout en ne cessant de demander des troupes et de
l'argent a l'Espagne, opposât des difticultés quand il s'agissait de faire
quelque chose pour les Espagnols, et il eut soin d'en écrire dans ce sens
au roi Philippe. (De Thou, ubi siip.)
Néanmoins, pour ne pas laisser perdre l'occasion de dédommager
enfin son maître, des frais immenses que lui avait coûtés cette guerre de
France, il se rendit de sa personne 'a La Fère, oii l'on tint plusieurs
conférences pour lâcher de se mettre d'accord sur les diverses prétentions
que chacun avait au fond du cœur. Ibarra s'était chargé d'exposer celles
de l'Espagne ; Mayenne avait remis la défense de ses intérêts entre les
mains du président Jeannin, et Claude de La Châtre soutenait celles du
jeune duc de Guise. Les Espagnols demandaient qu'on assemblât au plus
tôt les États-Généraux, pour leur faire proclamer par un décret solennel
l'Infante sérénissime en qualité de reine de France, comme ayant, par
sa naissance, les droits les plus proches a la couronne, et cela a l'exclu-
sion des autres princes du sang, quels que fussent leurs droits ; elle
ferait ensuite choix d'un époux avec l'agrément du roi son père, et par
le conseil des princes et seigneurs français. Jeannin et La Châtre s'en-
tendaient, comme on peut le croire, pour repousser une pareille
demande; mais il fallait mener les choses de biais. Ils répondirent qu'il
ne serait pas très-prudent de trop précipiter cette assemblée des Etats,
dont la décision pourrait fort bien n'être pas telle qu'on la désirait, tant
qu'on n'aurait pas fait abolir la vieille loi salique ; que c'était évidemment
par l'abolition de cette loi qu'il fallait commencer, et que, pour cela, il
était indispensable de gagner d'abord l'assentiment des princes et des
seigneurs, des chefs de l'armée, des commandants des provinces et des
gouverneurs des places fortes. Or, pour avoir tous ces gens-fa, il fallait
leur promettre qu'ils ne seraient point troublés dans leurs [)laces et
dignités ; leur donner de plus l'assurance qu'aucune charge ne serait
occupée en France que par des Français; que les privilèges et droits de la
nation seraient religieusement respectés, et que le royaume ne serait
jamais démembré. Ensuite, comme le résultat qu'on voulait obtenir exi-
geait qu'on renonçât a toute espèce d'arrangement avec le Béarnais et les
siens, il devenait d'abord et avant tout indispensable d'écraser et d'ex-
terminer entièrement ce parti ; qu'a cet effet il fallait qu'on eût un fonds
d'au moins dix millions déçus d'or. Le roi d'Espagne devait donc s'en-
gager à fournir ces secours d'argent, dès qu'on aurait proclamé reine
Madame l'Infante. Mais le plus pressé, ajoutaient-ils, et ce a quoi il faut
pourvoir sans retard, c'est de secourir Rouen, de peur que cette ville,
venant 'a se rendre, ne jette les autres villes dans la consternation et ne
les engage 'a se soumettre 'a l'ennemi.
Il n'y avait guère moyen de contester l'urgence de cette dernière
proposition ; il fut donc décidé qu'on marcherait de suite au secours de
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 223
la ville assiégée. Et quant aux diflicuilés qui venaient de s'élever au sujet
des autres articles, il lallait bien reconnaître aussi qu'elles n'étaient pas
sans fondement. C'est pouniuoi Ibcrra écrivait a son maître : « Ces Fran-
çais, quand il s'agit d'élire madame rinlantc, rendent toujours l'aflaire
dillicile et le remède est de l'argent. Il faudra bien, je pense, que \'otre
Majesté se décide 'a leur en donner. » (Cavki, liv. 4, ad ann. 1592.)
En attendant, l'armée, combinée des secours de l'Espagne, des troupes
qu'avait envoyées le Pape et de toutes les forces disponibles de la Ligue,
se mit en route; mais de tous ces éléments, il ne se formait qu'un fort
mauvais ensemble. Cbacun des clicfs avait ses idées, ses prétentions par-
ticulières, et celte diversité d'intérêts avait fait naître parmi eux la ja-
lousie d'abord, j)uis la baine.
Cependant le siège n'avançait ipie fort peu, soit que les cliefs roya-
listes, pour les raisons qu'on a exposées précédemment, affectassent d'a-
gir avec lenteur, soit qu'ils eussent trop de confiance dans les intelli-
gences qu'ils pouvaient avoir dans la place. On découvrit, en eflVt, une
conspiration très sérieuse qui se tramait en leur faveur. Vn nommé Mau-
clerc, avocat au parlement, vint dénoncer le sergent Lafontaine, de la
compagnie du capitaine Saint-Saturnin, comme ayant traité avec l'en-
nemi pour lui livrer la porte Caucboise. On arrêta ledit sergent, lequel
ayant été mis 'a la question pour tirer de lui l'aveu de son crime et le
nom de ses complices, accusa le procureur Cbampbuon, Ilaillier, buis-
sier a la cbambre des comptes, et le capitaine Saint-Arnaud. Ce dernier
eut le bon esprit de se sauver au camp des assiégeants. Pour les deux
autres, ils furent pendus dans la place du vieux Marcbé. {Mém. de la
Ligue, ubi sup.)
Le parlement, en cette occasion, donna un arrêt sévère et surtout
très-injurieux contre les partisans de Henri de Bourbon. Sur la re(iuêle
du procureur du roi, toutes les cbambres assemblées, est-il dit dans cet
arrêt, vu que quelques-uns mal intentionnés séduisent le peuple, pour,
sous ombre de paix, mettre notre ville sous la domination des béré-
liques, ce qui serait le plus grand des malbeurs : la cour fait très ex-
presses inhibitions et défenses a toute personne de quelque état, condi-
tion ou dignité qu'elle soit, de favoriser en aucune sorte le parti de Henri
de Hourbon, prétendu roi de Navarre, 'a peine d'être pendu et étranglé.
Monition générale sera octroyée audit procureur du roi, pour informer
contre tous ceux qui seraient suspectés d'être les partisans dudit Henri.
Et attendu que telles trahisons sont la ruine des villes où elles se com-
mettent, il est ordonné que par les places publiques et les principaux
carrefours, des potences seront plantées d'avance pour y attacher, sans
délai, les délinquants. En outre, et pour plus de sûreté, le serment de
l'Union, tel qu'il a été fait et prêté le vingt-deuxième jour de janvier
1589, sera renouvelé de mois en mois, en l'assemblée générale qui se
tiendra a cet effet en l'abbaye de Saint-Ouen, et il est enjoint aux habi-
tants de l'observer inviolablement suivant sa l'orme et teneur. Deux mille
écus de récompense seront payés à celui qui dénoncera une infraction a
224 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
la présente ordonnance, outre le pardon qui lui serait accordé de droit
au cas où il aurait été complice de cette infraction. {Mém. de la Ligue,
t. V, p. 98.)
Ce fut Martial de Luynes, conseiller de la cour, qui eut charge de
veiller à l'exécution de cet arrêt, qu'il lit publier à son de trompe, et il
eut grand soin de faire dresser les potences d'avance, comme il était en-
joint par ledit arrêt.
Après la découverte de la conspiration qui avait provoqué cette sévé-
rité, la guerre devint plus animée des deux côtés. Presque chaque jour,
il y avait, ou des attaques de la part des assiégeants, ou des sorties de
la part des assiégés, et, a chaque fois, il restait beaucoup de morts sur
le carreau. Enfin, la tranchée ayant été poussée jusqu'au pied du fort
Sainte-Catherine, que fiiron s'obstinait à attaquer malgré l'avis de Sully
et des autres capitaines, les royalistes, après avoir tiré pendant deux
jours de suite plus de six cents coups de canon, parvinrent a s'établir sur
le fossé, du côté du bois de Turinge, malgré l'huile bouillante, la poix
enflammée et les feux d'artifice qu'on faisait pleuvoir sur eux du haut du
rempart.
Le lendemain, septième jour de février, les assiégés firent a leur tour
par la porte Bcauvoisine une furieuse sortie. Le curé de Goville, qui, au
mépris des règles de son état, combattait avec eux et qui s'était déjà
rendu fameux en plusieurs occasions semblables, par son adresse et sa
force a manier les armes d'un soldat, fut tué un des premiers, « au grand
regret d'une populace insensée, » ce ([ui fut cause que les assaillants ren-
trèrent dans la ville sans pousser plus loin leur entreprise. (De Tiiou,
liv. 102, p. 466.)
On apprit alors que le prince de Parme arhvait au secours de la
place. Ce fut Ibarra lui-même qui, étant passé par le Havre, en apporta
la nouvelle a Rouen. Le roi, qui, de son côté, fut également instruit de
l'approche de l'ennemi, se résolut d'aller a sa rencontre « pour recon-
naître sa contenance et forme de marcher et pour essayer d'entamer quel-
qu'un de ses escadrons, s'il y en avait qui s'émancipassent jusqu'à quitter
le gros de l'armée. » Il laissa le maréchal de Biron pour maintenir le
siège, et lui-même, s'étant mis a la tête de la plus grande partie de
sa cavalerie, avec toute sa noblesse et ses meilleurs officiers, il marcha
vers Aumale, ville située sur la rivière d'Epte, qui, de ce côté-Pa, sert
de frontière à la Normandie. (Sully, Économ. royales.)
Un peu en avant de cette ville, il rencontra l'armée ennemie forte
de douze mille chefaux et de vingt-quatre mille hommes de pied, et qui
s'avançait lentement, partagée en difTérents corps ; tout aussitôt, ne
comptant avoir 'a engager qu'un combat de cavalerie contre un corps
d'avant-garde, il envoya l'ordre au baron de Biron de charger sans retard,
et lui-même s'avança en toute hâte pour assister à cette charge. Mais les
arquebusiers dont le prince de Parme avait eu la précaution de couvrir
ses flancs firent un feu si furieux et si bien soutenu que force fut aux
royalistes de se retirer tout en désordre. Le roi lui-même, confondu dans
DU I'ROTESTAMISxML: Ei\ l'IlANCK. 'i'iô
la l'oiilc (les fuyards, reçut dans les reins une halle (|ui ne lit a la vérité
(|iielni ellleiirer la peau, p,Tàcc a la solidité de sa cuirasse, et, « on eut le
bonheur de ne perdre la que cinipiante ou soixante hommes, entre les-
(juels, par un plus grand bonheur encore, le hasard voulut qu'il n'y en
eut que fort peu de (piali(é. » (Sillv, Kcoii. roy., \W.H.)
Il lallut s'aller rallier de l'autre côté d'Aunialc, au delà de la rivière,
car l'ennemi entrait j)ar une porte dans cctle ville, pendant que l'armée
royale sortait par Taulre, de sorte qu'il y eut dans chacpie rue un com-
bat sanglant. Ce lut le duc de Nevers, (|ui, chargé de couvrir cette re-
traite, eut le bonheur d'arrêter les Espagnols assez longtemps pour donner
au roi le temps de se mettre en sûreté.
Sur ces entrefaites, la nuit arriva, et le duc de Parme, voyant ses sol-
dats acharnés au pillage de la ville, « non seulement pillée, mais
saccagée, » ne crut pas devoir aller plus avant, dans un pays montueux
et tout couvert de bois qu'il ne connaissait nullement, et (jui de plus était
pour lors presque enseveli sous la neige qui n'avait pas cessé de tomber
depuis plusieurs jours.
« Le roi fut un peu troublé de son mauvais succès. » Il craignait que
le bruit public venant, comme c'est l'ordinaire, a grossir l'échec (ju'il
avait reçu, ne portât le déconragenjent parmi les siens Pour arrêter au
moins l'ennemi et l'empêcher d'arriver à Rouen, avant que la légère bles-
sure (pi'il avait lui-même reçue lui |)ermît de monter a cheval, il
augmenta la garnison de Xeufchàtel de trois cents cuirassiers, et chargea
Givry de défendre le plus longtemps possible cette place par laquelle le
duc de Parme devait nécessairement passer. Puis (piand il vit (juil avait
a peu près j)Ourvu a tout, il envoya demander au duc de Parme ce qu'il
pensait de la retraite qu'il venait de faire? « Elle est admirable, en elfet,
répondit celui-ci: mais moi, je ne voudrais jamais me mettre dans un lieu
dont il me laudrait me retirer ainsi. » Le maréchal de liiron était du
même avis, car il dit au roi, avec sa brusquerie ordinaire : « Il est mal
séant il un grand prince comme vous de laire ainsi le métier de simple
carabin; » et tous ses bons serviteurs, qui étaient là présents, le sup-
plièrent de ne plus hasarder ainsi sa personne. A quoi le roi répliqua :
« Il n'est pas étonnant que .Monsieur le duc de Parme, qui fait la guerre
pour le compte d'autrui et avec les soldats d'autrui, ne se croie pas obligé
de s'exposer pour mettre lin à l'efl'usion d'un sang qui ne lui coûte rien,
mais le sang (pii coule pour ma cause est celui de mes sujets, et je dois
avoir hâte d'en ariêter l'elVusion, même aux dépens du mien. » {Mcm.
(le de Thon, ad. ann. ir)l)'2.)
Le duc venait pendant ce temps-l'a de faire pointer toute son artil-
lerie contre les murs de Xeufchàtel, et il y eut bientôt ouvert une grande
brèche. Mors (iivry, se voyant dans l'impossibilité de tenir plus lon^^-
lemps contre toute une armée, capitula a des conditions fort honorables
(pie le prince n'hésita pas a lui accorder, « ert considération d'une cour-
toisie (pie ledit (iivry lui avait faite, en lui renvoyant trois mulets chargés
de drogues dont il usait dans sa maladie. » (Mi;/.i-.hav, t. Ifl, p. O.lli.j
220 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Après quoi, Farniée ennemie reprit la route de Rouen a petites jour-
nées, ayant bien soin de se fortifier tous les soirs dans de bons campe-
ments, de peur d'être surprise et insultée par les royalistes, qui ne ces-
saient de courir la campagne en détachements plus ou moins nombreux.
Malgré toutes ces précautions du duc de Parme, le roi, qui commençait
a mieux aller de sa blessure, « et qui, comme il l'avait (ait dire audit
duc, se retrouvait gaillard et bien disposé à le recevoir, » tomba un jour
sur les quartiers des ducs de Mayenne et d'Aumale, et y fit un piteux
ravage. Il marcha ensuite vers le quartier du comte de (^haligny, où il
tailla en pièces un grand nombre de Ligueurs. (Lkgrain, décad., liv. 5,
p. 245.) \
Le comte de Chaligny lui-même, qui était prince de la maison de
Lorraine et qui commandait en chef les troupes que ce duché avait four-
nies, fut fait prisonnier par Chicot, bouflbn du feu roi Henri liï. Le
comte lui donna un coup de sa grande épée sur la tête; Chicot, en re-
tour, lui perça la cuisse de la sienne, de quoi le noble sire fut renversé
par terre. « Rendez-vous, Monseigneur, dit le fou, dont la tête ruisselait
de sang par suite de la blessure qu'il avait reçue de prime abord; vous
voira pris par un fou dont probablement vous n'aviez pas trouvé la cer-
velle encore assez éventée, puisque votre bonne épée vient de lui donner
de l'air. » Le comte se rendit, tout désespéré (ju'on put dire qu'un prince
de la maison de Lorraine était prisonnier d'un ton. Le roi survint alors
a qui Chicot dit: « Sire, je vous donne libéralement ce noble prisonnier
qui est le mien, pour en faire a votre volonté. » Le roi consola de son
mieux le comte de Chaligny sur le malheur qui venait de lui arriver. Pour
le pauvre bouffon, il se retira en plaisantant, et mourut quelques jours
après de la blessure qu'il avait reçue. {Mém. sur Vhist. du temps, t. Il,
p. 75.)
Par toutes ces escarmouches dans lesquelles ses troupes avaient
presque toujours le dessous, le duc de Parme pouvait bien juger de la
difficulté qu'il aurait a jeter du secours dans Rouen ; car ni la saison ni
le pays ne lui étaient favorables. Déjà les troupes lorraines commençaient
a se débander, depuis la prise du comte de Chaligny ; on ne pouvait trop
compter sur les troupes italiennes, parce que leur commandant alfectait
de vouloir précéder le duc de Parme, comme il en avait, disait-il, reçu
l'injonction formelle de Sa Sainteté, et ne consentait que très difficde-
ment a se soumettre aux ordres de ce général expérimenté, de peur de
faire tort a sa qualité. De plus, les ducs de xMayenne et de Guise, qui
commandaient les troupes françaises mises par la Ligue h la disposition
de l'Espagnol, n'étaient nullement d'accord, comme on sait, sur la part
que chacun se promettait dans cette lutte, et les partisans de l'un et de
l'autre de ces deux chefs étaient chaque jour sur le point de se couper
la gorge entre eux. (Mézerav, t. III, p. 057 et suiv.).
Ainsi donc, comme lé prince était fort en peine des moyens et de
l'endroit par où il pourrait jeter des secours dans la place assiégée, ceux
de Rouen lui en fournirent eux-mêmes une belle ouveilurc par une ac-
DU PROTESTANTISME EN ITlANCi:. 2ti7
lion aussi belle et aussi mémorable qu'il s'en lise dans les histoires. \ il-
l;us était parlai teinent bien informé de tout ce qui se passait au camp
(lu roi par les amis qu'il avait même dans les rangs de ceux qui se don-
naient pour les plus dévoués royalistes. Il connaissait a point nommé
l'ordre de toute l'armée, le nom de tous les olliciers, l'heure oii ils en-
traient en garde, combien il y avait de régiments à chaque porte, de
combien d'hommes chacun était composé, « et enfin tout le fort et le
faible. » H savait donc que le roi avait emmené toute sa cavalerie avec
lui; que l'infanterie restée pour continuer le siège était toute pleine de
nialades et de blessés, et que par suite chacjue régiment qui entrait en
garde ne se composait (|ue d'un petit nombre d'iiommes valides, leurs
camarades étant sur la litière, malades ou expirants.
Villars, muni de ces renseignements, décida qu'il fallait faire une
grande sortie. Douze cents hommes de la garnison se glissèrent d'abord
pendant la nuit dans les fossés a dix pas au plus des logements des as-
saillants. Les douze capitaines de la milice bourgeoise, chacun 'a la tète
de vingt-cinq de leurs meilleurs soldats, eurent ordre de se tenir tout
prêts a la porte Saint-Hilaire, et tel était l'enthousiasme de cette milice
que sur cet ordre on en vit accourir plus de deux mille du premier
abord ; de sorte qu'il fallut faire défense d'en laisser venir davantage.
« Villars se trouva joyeux de cet empressement, d'autant plus (jue dans
son sommeil de cette nuit-la, il avait vu en songe un sacre blanc écarter
'a grands coups de bec une bande d'autres oiseaux qui voulaient fondre
sur lui. » Ce songe lui semblait de bon augure. (Mkzeuav, ubi sup.)
C'était le vingt-sixième jour de février: trois forts détachements sor-
tirent de la ville de grand matin et en même temps, l'un par la porte
Cauchoise, l'autre par la poterne du fort du côté du bois de Turinge, et
l'autre par le liane du vieux lort. Villars, accompagné d'une troupe d'é-
lite de cent gentilshommes, sortit par la porte Beauvoisine. Tout cela se
lit dans le plus grand silence, et sans qu'aucun des postes royalistes parût
seulement s'en apercevoir, « 'a cause que le maréchal de Biron, étant fort
dépité, afl'ectait une extrême négligence, et que de peur de le dépiter da-
vantage et de le pousser dans la brigue des plus méchants catholi(jues,
personne n'osait rien lui dire. » (Sully, Écon. roy., ch. v.)
Sur les sept heures du matin, quand tous les corps qui composaient
cette sortie eurent eu le temps de se bien disposer, un coup de canon
parti de la ville donna le signal, et tout aussitôt l'attaque commença
contre le camp royaliste. Les assiégés chargent tous ceux qu'ils rencon-
trent, les chassent, les taillent en pièces. Rien ne leur résiste ; tout est
assommé ou prend la fuite vers Dernélal; les batteries sont enclouées
par ceux qui s'étaient glissés dans le fossé, ou emmenées dans la ville ;
le feu est mis aux provisions de poudre ; les lentes et huttes sont brû-
lées, les tranchées comblées, le bagage pillé, et tous les travaux, qu'il
avait fallu plus de deux mois aux assiégeants pour exécuter, sont complè-
tement ruinés.
Le maréchal de Biron, (jui était alors dans son quartier a Dernétal,
228 HISTOIRE DE LÉTABLlSiSEMENT
ayant eu nouvelle de ce dégât, monte a cheval avec la noblesse, donne
ordre aux Suisses et aux lansquenets de le suivre, et court en toute hâte
sur le lieu du désastre; mais Villars avait eu le temps de faire rentrer
tous les siens dans la ville, emmenant plus de cent prisonniers et lais-
sant derrière lui plus de cinq cents cadavres des assiégeants morts sur
place, parmi lesquels était le jeune de Pile, tué par monsieur le curé de
Saint-Patry, qni, dit-on, se servait encore mieux de Tépée que du bré-
viaire. Biron lui-même fut blessé d'une mousquelade dans la cuisse.
Sur Taprès-midi, il y eut une trêve de deux heures pour reconnaître
les morts de part et d'autre. Les catholiques de l'armée royale altirmaient
tout haut que cela n'était rien, et que dans peu de jours on réparerait
bien cette i)elite traverse; « mais ils disaient cela avec un visage triste,
une contenance piteuse, haussant les épaules, levant les yeux vers le ciel
et croisant les l)ras sur la poitrine, chuchottanl tout bas qu'on pouvait
compter sur toutes sortes de mauvais succès tant (|ue le roi s'obstinerait
il rester huguenot. » (Sully, nbi sup.)
Pour Villars, il prodta de ce temps de trêve pour envoyer vers
Mayenne lui donner avis de son beau succès. Il lui faisait dire qu'il comp-
tait bien défendre la place tout seul, et qu'il ne demandait pas d'autre se-
cours que de l'argent i)0ur payer sa garnison. Le porteur de ce message
arriva justement comme on délibérait dans un conseil de guerre si l'on
ferait marcher toutes les troupes pendant cette nuit même, [>our venir le
lendemain de grand matin attaquer l'armée royale dans ses quartiers, et
la forcer a lever le siège. (Ml/lhw, ubi sup.)
Le duc de Parme, en apprenant les heureux résultats de la sortie qui
venait d'être faite par les assiégés, que le maréchal était retenu au lit par
sa blessure, que le roi élait encore absent avec la meilleure partie de sa
noblesse et presque toute sa cavalerie, et que la terreur était dans le camp
des assiégeants, voulait profiler de suite de toutes ces bonnes chances
pour achever complètement la défaite des royalistes. Mais Mayenne craignait
({u'iin succès trop décisif, en ruinant les affaires du roi, ne ruinât aussi
les siennes. Il lit entendre qu'il n'était pas moins dangereux d'importuner
la fortune sans nécessité, que blâmable de la repousser quand elle se pré-
seiilait. « Maintenant, dit-il, qu'avons-nous besoin de rien hasarder, puis-
(jue la chose pour laquelle nous voudrions courir ces risques, la déli-
vrance de Rouen, va se faire d'elle-même. Il me semble que ce que nous
avons de mieux a faire, c'est de jeter quelques troupes et de l'argent
dans la ville, puis de nous retirer dans un bon pays, pour y laisser ra-
fraîchir nos troupes, et attendre que le roi de Navarre achève de se rui-
ner. »
Le duc de Parme se vit obligé de se rendre malgré lui à cet avis. Il lit
choix de huit cents hommes des meilleurs de ses troupes, qui entrèrent
dans Uouen sans aucun empêchement, par la négligence de ceux des
royalistes qui étaient de garde ce jour-lâ. Le maréchal de Ijiron en voulut
rejeter la faute sur (-rillon, et Grillon, étant venu auprès du roi pour s'ex-
j)li(iucr la-dcssus, passa des excuses aux récriminations, et do la aux eni-
DU PROTESTANTISME EX FRANCE. 2-29
porlemcnts et aux hiasplièmes, car si Grillon était un brave soldat, il était
1111 fort mauvais courtisan. Le roi, qui avait ses raisons de ménager le
maréchal, essaya d'abord de calmer toute cette fureur, mais Grillon n'en
devint que plus violent. On s'aperçut (pje Sa .Majcsl<'' blêmissait a son tour
de colère, et l'on eut peur qu'elle ne saisit la première épée venue pour
en percer un sujet (|ui lui parlait avec autant d'audace ; on entraîna Gril-
lon, (( .Messieurs, dit le roi, en re|)reuant presque aussitôt son sang-froid,
je dois avouer que la nature m'a créé colère ; mais je m'applique "a me
tenir en garde contre une passion qu'il est dangereux d'écouter, et je suis
bien aise d'avoir eu d'aussi braves témoins que vous de la manière dont
je m'en suis tiré aujourd'hui. » [Méin. de de Thon, ad ann. 151)2.)
Après avoir ravitaillé Kouen, comme il vient d'être dit, le prince de
Parme s'en alla passer la Somme a Pontdormi, et Mayenne parvint encore
à lui faire tenter contre son gré une entreprise sur la ville de Sainl-Es-
prit-de-Hue. G'esl une petite place avec un chàteau-lbrt, située au milieu
d'un marais 'a une lieue de la mer; mais celte entreprise échoua, j)arce
qu'il lut impossible de faire sortir l'eau des fossés, d'où il arriva que le
|)rince fut encore plus fâché contre Mayenne, et qu'il lui reprocha tout
haut d'avoir voulu lui faire essuyer un affront devant celte bicoque. (Mi.-
/ERW, Ubl Slip.)
Gependant, le roi était revenu en toute hâte au siège de Rouen, et ne
paraissant pas s'être aperçu de tous les dissentiments (pii régnaient dans
son armée, « il ne témoignait (|u'allégresse et réjouissance, criant :
Bataille ! bataille ! » et embrassant tantôt l'un, tantôt l'autre. Gelui
(|u'il se croyait le plus obligé de ménager était le vieux liiron. Aussi,
dans une occasion où (|uel(|u'un des jeunes oflîciers émettait un peu
vivement un avis contraire 'a ce (|ue voulait le maréchal : « Les oisons,
dit le roi. veulent mener paître les oies. Jeune homme, quand vous aurez-
la barbe blanche, peut-être en saurez-vous quelque chose ; mais main-
tenant il n'appartient qu'a mon père <|ue voici d'en parler aussi liardi-
iiient. Vous et nous tous tant (|ue nous sommes, nous devons longtemps
encore aller a l'école. » (Sullv, itbi supra. — .Mattii., t. Il, p. 16.)
Le roi, toutefois, s'appii(|ua « jour et nuit » a réparer les perles que
son armée avait éprouvées dans la dernière sortie. 11 reçut en ce temps-
là un secours de la Hollande, qui lui envoyait dix grands vaisseaux com-
mandés par le comte Philippe de Nassau. Ges bâtiments lui fournirent
(|uantité de canons et de munitions pour rétablir des batteries, et mirent
a terre, du côté de la mer, deux mille hommes bien armés qui com-
mencèrent il batlre furieusement cette partie de la ville, lis y auraient
fait un grand dégât si le maréchal de liiron ne leur eût envoyé faire
défense de continuer, sous prétexte d'éviter la ruine complète et inutile
de tout un (piartier d'une ville française. (Mkzf.rav, nb. sup.)
« L'amiral Philippe de Nassau, en effet, disent les historiens hol-
landais, s'éiait posté et retranché 'a la façon des Pays-Bas, et il eût volon-
tiers fait telle guerre qui ordinairement se lait aux sièges des villes
dans lesdits pays, sans y épargner le canon ; mais voyant que cela ('tait
230 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
pris en mauvaise part par M. le maréchal, il ne sut se tenir qu'il n'en
(lit quelques mots de travers. » (Cayet, liv. 4, iib. sup.)
Sa Majesté fit aussi descendre du Pont de l'Arche trois grands
bateaux couverts et remparés de gazon, et bâtit deux forts sur les deux
bords du (leuve au-dessus de la ville, de sorte que, par ce moyen, la
navigation l'ut tout à fait formée en amont, en même ten^ps que les
vaisseaux hollandais la terminaient en aval et contraignaient les barques
des Rouennais a se réfugier à l'abri de leurs murailles, sans plus oser
s'aventurer sur la rivière.
La saison a la fin rendit les fatigues du siège intolérables pour les
assiégeants; de plus le roi manquait absolument d'argent; mais en même
temps les gelées et les pluies firent crouler un grand pan de vieilles
murailles entre la porte Cauchoise et la tour Saint-Dominique ; une
autre portion tomba aussi tout auprès de la porte Saint-Hilaire, d'où il.
arriva que plusieurs des assiégés se tirent tuer par le canon en venant
'a découvert réparer ces brèches.
Cela pourtant ne les empêchait pas de faire chaque jour de nou-
velles sorties, dans l'une desquelles (îivry, colonel général de la cavalerie
royaliste, fut si grièvement blessé a l'épaule, qu'ortie crut mort. Le roi,
qui faisait grand cas de cet officier, témoigna un vif regret de le voir en
cet état. « Où trouverai-je, dit-il, quelqu'un pour le remplacer? » La
Chapelle-Ursin s'imagina (jue par ces paroles Sa Majesté avait voulu faire
entendre qu'elle le jugeait indigne de cette charge, et le ressentiment
qu'il en eut fut si violent, qu'il alla se jeter immédiatement dans le parti
de la Ligue. Pour Givry, contre toute attente, il guérit de sa blessure.
Le roi, qui voulait 'a tout prix se rendre maître de Rouen, cherchait
'a y entretenir des intelligences. Mais Villars avait trouvé un moyen
d'éventer toutes ces conspirations. Il avait su se procurer parmi les
bourgeois des espions pareils à l'avocat Mauclerc, qui avait déjà vendu
le premier complot; et ces honnêtes gens, feignant d'être mécontents du
gouverneur, se mêlaient parmi ceux qu'on soupçonnait, déclamant les
premiers avec grande liberté contre les malheurs d'une pareille guerre
et contre ceux qui y avaient engagé la bonne ville de Rouen. Par ce
moyen ils amenaient les dupes 'a leur ouvrir 'a leur tour leurs sentiments
et à les initier \\ leur projet ; et alors ils n'avaient rien de plus pressé
que d'aller les révéler à mon dit sieur de Villars, (Cayet, ibid. )
Avec cela, comme il savait que les chefs de l'armée du roi et les
principaux de son conseil étaient tous fort âpres à la curée et prêtaient
facilement l'oreille 'a tout marché avantageux pour eux, il ne s'épargnait
pas pour leur présenter cet appât, « si bien qu'il y en attrapât plusieurs. »
Il affectait au reste une si grande sécurité, qu'il imagina un beau jour
de taire dresser des lices hors de la porte Saint-Hilaire, où il alla s'amu-
ser 'a courir la bague à la vue des assiégeants, les invitant 'a venir
prendre part 'a la partie. (Mézeray, uh. sup.)
Mais cependant il perdait chaque jour dans les escarmouches les
plus braves de ses gens ; les maladies en consumaient un plus grand
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 231
nombre encore; d'autres désertaient, et depuis la fermeture complrle
(les deux côtés de la rivière, ses munitions de bouche et de guerre
diminuaient d'une manière sensible; il avait a craindre une disette com-
[ plète dans un temps peu éloigné. Aussi ceux-mèmes (|ui, après la grande
sortie du vingt-sixième jour de lévrier, avaient l'ait des leux de joie, des
processions solennelles « et envoyé à Notre-Dame de Lorotte une lampe
de deux cents marcs d'argent, pour célébrer la l'été de leur délivrance
présumée, » voyant qu'ils n'étaient rien moins que délivrés, deman-
daient assez hautement qu'on parlât d'accommodement. (Mém. de Che-
remy, ad ann. 1592.)
Dans un tel état de choses, \'illars envoya vers le prince de Parme
pour solliciter le secours dont il avait dit d'abord qu'il pouvait fort bien
se passer, avouant que si ce duc n'y venait lui-même, il serait forcé de
capituler, vers le vingt-deuxième jour du mois, tout au plus tard.
Or le roi, qui, de son côté, ne savait pas les assiégés en aussi mau-
vaise position, et qui s'attendait (|ue le siège devait durer longtemps
encore, avait donné à prescpie toute sa noblesse congé de se retirer
dans ses loyers, pour s'y reposer des fatigues de cette campagne, en se
réservant de la rappeler sous les drapeaux, (juand le besoin s'en ferait
sentir; et lui-même s'en était allé a Dieppe, pour y faire visite au com-
mandeur de Chate qui était malade à l'extrémité.
l'arme, averti de toutes ces circonstances, repassa proniptement la
Somme entre le Crotoy et Saint-Valéry, lit plus de trente lieues en
(|uatre jours, quoiqu'il eût (|uatro rivières 'a traverser, et le vingtième
jour d'avril, il parut subitement en bataille dans la plaine qui s'étend
devant Dernétal. Le légat du pape, qui était accouru de Reims pour assis-
ter a cette expédition, s'en allait par toute l'armée exhortant chacun à
bien faire, et donnant sa bénédiction 'a chaipie corps l'un après l'autre.
A la première nouvelle (ju'elle avait eue de la marche de l'ennemi,
Sa Majesté était partie de Dieppe, envoyant partout des ordres pour ras-
sembler tout ce qu'on pourrait de la noblesse royaliste ; elle était bien
résolue d'accepter la bataille ; mais dès (pi'elle eut pu reconnaître l'im-
mense supériorité du nombre des ennemis, elle sentit la triste nécessité
de lever le siège, si elle ne voulait pas pécher contre toutes les règles
de la prudence, et s'exposer 'a une défaite inévitable. Elle lit donc en
toute hâte remonter ses barques de guerre, envoya tous les hagages de
l'armée au Pont de l'Arche et se retira avec ses troupes sur une colline
au village de Bans, où l'armée royale se tint en bataille plus de douze
heures durant, car le roi voulait surtout éviter les dangers d'une retraite
|)récipitée en présence d'un ennemi si supérieur en nombre.
Le siège de Rouen n'en était pas moins levé. Les plus hardis du
côté des Ligueurs voulaient (ju'on allât au roi tout de ce pas, et il est
probable que si l'on eût pris ce parti, toute l'armée royaliste aurait été
('crasée ; mais les jalousies des chefs, qui ne pouvaient se mettre d'accord,
empêchèrent qu'on ne prit aucune résolution dans le camp ennemi pen-
dant toute celte journée. Les ducs de Mayenne et de Parme et le légat
232 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
du pape entrèrent en triomphe dans la ville délivrée. On chanta le Te
Deum en actions de grâces; alors la nuit survint et donna au roi la faci-
lité de se retirer de ce mauvais pas.
Le lendemain, de grand matin, on remit en délibération, dans le con-
seil de guerre, s'il fallait poursuivre les troupes du béarnais. Ceux qui
étaient de cet avis prétendaient qu'il était indubitable qu'on prendrait ou
détruirait pour le moins toute son arrière-garde ; mais Mayenne et tous
les Français s'opposèrent encore a ce qu'on exécutât ce plan, disant
« que ledit roi de Navarre, étant maître de tous les ponts et de toutes
les places fortes sur la rivière, et ayant par conséquent la liberté de pas-
ser tantôt sur une rive, tantôt sur l'autre, ne manquerait pas de se lais-
ser poursuivre longtemps, sans qu'on put le forcer a accepter le combat
que lorsqu'il jugerait l'occasion favorable ; qu'en attendant, les troupes
qu'il avait disséminées dans la contrée auraient tout le temps de venir
le rejoindre, et qu'alors les rôles pourraient bien changer ; qu'au lieu
d'être poursuivi, il se rendrait poursuivant a son tour, les chassant eux-
mêmes dans quehjuc délilé, ou par le moyen de places fortes qu'il tenait,
leur ôterait bientôt les vivres. 11 était donc plus sage et moins péril-
leux de s'en tenir a déboucher complètement la rivière, et a remettre des
provisions dans Rouen, qui n'en avait plus que pour quatre jours.
Le duc de Parme fut encore obligé de se conformer a cet avis, tout
en se plaignant qu'on lui arrachait des mains une victoire certaine.
Laissant le roi en liberté de se retirer où il le jugerait a propos, il s'en
alla, lui, assiéger Caiidebec où étaient les magasins de vivres de l'armée
royaliste. Mais comme il s'était avancé pour reconnaître la place et qu'il
expliquait a son (ils et a Lamote, (|ui l'accompagnaient, de quelle ma-
nière il fallait' placer les batteries, une balle de mousquet vint le blesser
au bras un peu au-dessus du poignet. Quoique la douleur dût être très
poignante a cause du grand nombre de nerfs qui se trouvent en cette
partie, il n'en continua pas moins son discours, jusqu a ce que ceux qui
étaient la auprès de lui, ayant reconnu au sang (|ui lui coulait le long
de la main qu'il était blessé, l'obligèrent 'a se retirer.
Le lendemain, il n'en présida pas moins 'a la construction des batte-
ries qui, dès qu'elles purent jouer, obligèrent bientôt les vaisseaux hol-
landais, qui étaient sur le lleuve à lever l'ancre et à descendre a Quille-
bo'uf, laissant derrière eux leur bâtiment amiral, qui s'étant ensablé a
cause de sa pesanteur, demeura h la discrétion des assaillants.
Caudebec ne pouvait tenir, destituée du secours de ces vaisseaux,
dont l'artillerie était sa plus forte protection, en empêchant les assiégeants
d'établir leurs logements autour de ses remparts : Caudebec demanda
donc a capituler. Les Espagnols avaient juré (le passer toute la garnison
au lil de Tépée, pour venger la blessure de lein* général ; mais le duc
de Parme calma cette fureur. « Ne savez-vous pas, leur dit-il, qu'on
ne peut être bon soldat sans se défendre, ni se défendre sans tuer ou
blesser quelqu'un de ses adversaires ? Tant pis pour celui sur qui tombe
cette chance : il ne doit s'en prendre qu'aux hasards de la guerre, qui
DU PROTESTANTISME EN FR.\NGE. 2:i:i
épargnent aussi peu les princes et les grands que les derniers faction-
naires ; » et il accorda a Caudcbec une capitulation honorable.
De son côté, le roi Henri IV, avait su niellre a jjrodt le répit qu'on
lui avait laissé; il sétait retiré a Pont-de-l'Arche, où trois mille chevaux
et six mille hommes de pied étaient venus le joindre, a son premier
mandement, et déjh il se pn'parait a retourner contre rennemi, qu'il se
|)roposait de bloquer dans le pays de Caux, où étant une fois enfermé
d'un côté par les villes maritimes, toutes du parti royaliste, et de l'autre
l)ar la Hotte hollandaise, il serait bientôt alTamé sans avoir aucun moyen
d'opérer sa retraite. Le duc de Parme, qui prévoyait en eflet ce résultat,
voulait que l'armée se retirât de l'autre côté de la rivière, ou du moins
qu'on allât fortllier Lillebonne, qui était un poste fort avantageux, et
où l'on pouvait par terre, et sans avoir besoin du fleuve, tirer des
vivres du llàvre-de-gràce. Mais le duc de Mayenne, toujours d'un avis
contraire, fit valoir que si l'on s'éloignait trop de Rouen, le roi ne man-
(pierait pas de se mettre entre leur armée et la ville, et cpi'ainsi il aurait
bientôt réduit cette place en un état pire encore (jue celui dont on venait
de la délivrer si glorieusement. En conséquence, il opina pour (|u"on
continuât a couvrir Caudebec et qu'on se logeât a Yvetot. Ce fut encore
lit l'avis (jui lut adopté ; aussi ne larda-t-on pas a se ressentir de tous
les inconvénients que le duc de Parme aurait voulu éviter.
Le roi, s'étant approché jusqu'à une demi-lieue, avait fait saisir toutes
les avenues et les vivres devinrent rares. Ce n'était qu'a la pointe de
l'épée et en risquant chaque jour de sanglantes escarmouches que
l'ennemi parvenait a introduire dans le camp (pielques convois toujours
insuffisants.
Lue de ces escarmouches faillit devenir un combat général. Les
Espagnols s'étaient avancés jus(|u'a un petit bois, si près de l'armée du
roi (|u'ils pouvaient en y plaçant de l'artillerie incommoder gravement
le quartier de Sa Majesté elle-même. H fallut quatre attaques vigoureuses
|>our les déloger de la. A la lin on parvint a les rejeter sur le gros de
leur armée où ils portèrent le désordre et la terreur. Les ducs de Mayenne
et de (iuise furent obligés de monter a cheval pour venir rallier les fuyards;
ils firent deux ou trois charges fort bravement et poussèrent si avant
dans la mêlée qu'ils eurent besoin de toute leur vaillance et de beau-
coup de bonheur pour se retirer sains et saufs du danger. Le duc de
Parme lui-même, qui était au lit par suite de sa blessure et qui souf-
frait d'une fièvre véhémente, se lit porter en chaise pour encourager ses
gens par sa présence.
H est certain que ce jour-la toute son armée aurait été défaite si
celle du roi avait eu l'ordre de donner toute a la fois ; mais cet ordre n'ar-
riva pas et l'ennemi en fut (juitte pour la |)eur.
Sa position, au reste, devenait chaque jour de plus en plus insoute-
nable. H n'y avait plus moyen d'avoir dans le camp d'autres provisions
que celles (|ue les soldats et vivandiers de l'armée royale, alléchés par
le gain, y venaient vendre a la dérobée; l'eau même était devenue rare.
234 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
car le pays n'a que fort peu de fontaines, et Teau de la rivière, qui est
salée par le reflux de la mer, n'est pas bonne a boire. 11 y avait un
grand nombre de malades et celui des blessés était plus grand encore.
Le duc de Parme était en danger de mort, le duc de Mayenne venait
d'éprouver une nouvelle atteinte de la maladie qu'il avait si déplorable-
ment gagnée a l'hôtel Carnavalet, et il était obligé de garder le lit.
La plupart des officiers de quelque mérite étaient ou blessés ou souf-
frants, et pour comble de désastre, le trésor de l'armée, ainsi que la plus
grande partie de ses bagages, venaient de tomber au pouvoir des roya-
listes. Aussi commençait-on a dire partout (jue ces troupes, qui étaient
venues avec tant de fracas en France, pourraient bien n'en sortir r|u'en
prenant un passe-port du roi.
« Si nous chargions avec quelques centaines de chevaux, dit le
jeune Biron a son père, je me ferais fort de vous amener Monsieur le
duc de Mayenne, qui est la placé dans le plus bel endroit pour se faire
prendre. — Quoi donc, répondit le maréchal en jurant et tout en
colère, est-ce que tu veux nous renvoyer planter des choux à Biron? »
Cette réponse parut singulière au fils, qui ne songeait alors qu'à la
gloire qu'il eût pu acquérir, en faisant un aussi beau coup, et qui ne
put s'empêcher de dire : « Ma foi ! si j'étais le roi, je ferais couper la
tête au maréchal. »
Le duc de Parme ne trouva pas d'autre issue pour se tirer du péril
où on l'avait forcé de se mettre que de tâcher de passer la rivière et
de se retirer vers Paris en toute diligence. Le duc de Mayenne, persis-
tant dans sa contradiction, voulait qu'on s'ouvrît un passage 'a travers
l'armée du roi ; mais, cette fois, il ne fut pas écouté. On fit donc prépa-
rer 'a Rouen des bateaux qu'on couvrit de poutres et de planches, et le
vingtième jour de mai, on forma un pont sur le fleuve dans le voisinage
du camp. Douze cents mousquetaires, commandés par le prince Ranuce,
furent placés dans un fort qu'on construisit a la hâte, et reçurent l'ordre
de protéger la retraite, et au besoin d'arrêter l'ennemi ; puis la cavalerie
passa la première pendant la nuit, sur le pont mobile qu'on venait
d'achever ; elle fut suivie du bagage et de l'artillerie, et enfin l'infanterie
espagnole et italienne commença 'a défiler a son tour.
Au lever du jour, le roi reconnut que le camp était vide. Il demeura
d'abord tout étonné ; puis il commanda à cinq cents chevaux et à mille
hommes de pied de prendre du canon et d'aller rompre les pontons.
Mais le duc de Parme, s'apercevant de ce mouvement, fit retourner
mille des siens au secours de Ranuce, et, pendant qu'on escarmouchait
de part et d'autre, le passage eut le temps de s'eftectuer. Cette arrière-
garde se rapprocha ensuite du fort qu'on avait construit et put encore
passer en partie sur le pont, après quoi on le rompit ; puis Ranuce et
ceux qui avaient été chargés de soutenir la retraite jusqu'à la fin se
jetèrent dans des bateaux tout préparés qui les transportèrent sur l'autre
rive.
Cette retraite parut si belle à Henri IV qu'il dit tout haut: « Je
I
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 235
l'eslime plus glorieuse que le gain de deux batailles ; car le chel-d'œuvre
d'un grand capitaine n'est pas tant de combattre et de vaincre, que
de conduire son aflaire à bien en trouvant le moyen de ne pas basarder
de combat. » (Pkrkfixk, liv. 2, ad ann. 1592.)
Le duc ne voulut pas s'arrêter 'a Rouen ; il ne voulut pas même y
laisser aucune troupe, alin, dit-on, d'obliger cette ville a implorer elle-
même une garnison du roi d'Espagne, comme l'avait l'ait Paris, où il
avait suivi la même tacti(|ue ; puis, prenant sa route par les plaines de
Neubourg, il marcba vers la capitale avec tant de diligence, qu'il ne mit
que quatre journées pour arriver a Cbarenton ; la, il repassa la Seine,
« avouant (ju'il n'avait su dormir de bon somme jusqu'à ce qu'il se fût
vu dans k lirie. » (Legrain, Décad., liv. 5. p. 256.)
Le roi, en eiïet, le faisait poursuivre par deux mille cbevaux, et espé-
rait bien l'atteindre au pont de l'Eure ; mais il ne put attraper que cinq
h six cents fantassins que la lassitude et la langueur avaient contraints de
demeurer derrière.
Sa Majesté conduisit alors son armée du côté où le prince de Parme
était présumé devoir passer pour s'en retourner aux Pays-Bas. C'était
le conseil de Biron, qui répugnait a reprendre le siège de Rouen. Mais
le roi suivait en cela son goût particulier, étant attiré vers ces quartiers-
lîi par son amour pour la belle Gabrielle d'Eslrée, qui y demeurait. Le
duc de Mayenne, que sa triste maladie rendait incapable de soutenir les
fatigues de la retraite, était resté a Rouen, où il eut, dit-on, le bonbeur
de rencontrer un médecin qui le guérit complètement cette fois. Quant
au duc de Parme, il ne voulut pas entrer dans Paris, de peur cpie ce
(|ui lui restait de son armée n'acbevât de se perdre dans la débaucbe
des femmes ; se contentant d'y placer quinze cents Wallons pour renfor-
cer la garnison Espagnole, il s'en alla droit 'a Cbâteau-Tliierry, d'où il
envoya prendre la ville d'Epernay qui est a une journée plus loin sur la
Marne. Et enlin il reprit la route des Pays-Bas, a tout glorieux d'avoir
fait lever pour la seconde fois le siège d'une place forte 'a un aussi grand
capitaine que Sa Majesté. » (Sully, Écon. roi/. — Journal de Henri. IV,
t. I, p. 225.
t236 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
CHAPITRE X
1592. — ARGUMENT : élection de clément viii.
SON BREF est EHAPPÉ D'APPEL PAR LE PARLEMENT DE CHÂLONS QUI AJOURNE LE LÉflAT.
LE PARLEMENT DE PARLS FAIl BRÛLER CET ARRÊT PAR LE BOURREAU.
VILLEROI CONTINUE DE NÉGOCIER EN FAVEUR DES PRINCES LORRAINS.
MAYENNE OFFRE AU DUC DE NEMOURS DE LE FAIRE ROI
ET DE LUI FAIRE ÉPOUSER L'iNFANTE. — CONDITIONS DE LA REINE D'ANGLETERRE.
VILLARS A QUILLEB(EUF. — PREND PONTE-AUDEMER.
BIRON TUÉ A LA PRISE D'ÉPERNAY. — PRISE DE PROVINS.
LE ROI FAIT DEMANDER SON ABSOLUTION AU PAPE QUI LA REFUSE.
LES PARTIS A PARIS. — ÉLECTION d'UNE NOUVELLE MUNICIPALITÉ A ORLÉANS.
DÉFAITE DES ROYALISTES A CRAON. — DÉFAITE DES LIGUEURS A BREST.
OUINTIN PRIS ET REPRIS. — PRISE DE CIIATEAUNEUF. — PRISE RE LA GUERCHE.
PRISE DE SAULX-LE-DUC. — LES DEUX TAV.ANNES OPPOSÉS EN P.OURGOGNE.
LE DUC DE BOUILLON BAT LES LIGUEURS A BEAUMONT. — IL PREND SEDAN.
CONSPIRATION EN GUYENNE. — SAPION DE JOYEUSE EN LANGUEDOC.
LA VALETTE TUÉ AU SIÈGE DE ROGHEBRUNE.
D'ÉPERNON LUI SUCCÈDE DANS LE GOUVERNEMENT DE LA PROVENCE.
JOYEUSE BATTU AU SIÈGE DE VILLEMUR. — IL SE NOIE.
LE CARDINAL DE JOYEUSE ET LE CAPUCIN FRÈRE ANGE CHOISIS PAR LES LIGUEURS
DE TOULOUSE POUR LE REMPLACER. — MAUGIRON LIVRE VIENNE.
LE DUC DE NEMOURS PREND LES ÉCHELLES.
LE DUC DE SAVOIE PREND EN PERSONNE ANTIBES.
LESDIGUIÈRES RENTRE EN SAVOIE. — IL PREND LE VIGAN EN CAIIORS,
IL BAT LE DUC DE SAVOIE.
LE DUC D'ÉPERNON REPREND GRASSE ET ANTIBES. — IL ÉCHOUE A ARLES.
CASEAUX, LOUIS Ii'aIX ET LA COMTESSE DESAULT A MARSEILLE.
Le pape Grégoire XIV était mort, comme il a été dit, le 15 octo-
l)re 15*.)!. Le dixième jour du mois de janvier de cette année ir)02,
les cardinaux étaient entrés en conclave pour pourvoir a son remplace-
ment sur la chaire pontilicale. Il y ayait la un certain cardinal de Saint-
Séverin qui s'était l'ait un parti considérable : on dit qu'il avait employé
jusqu'à la simonie pour se (aire porter a ce rang suprême et sacré, pro-
mettant des places aux uns, et jusqu'à de l'argent aux autres. La faction
espagnole le soutenait avec la plus grande ardeur ; car il n'avait reculé
devant aucune des conditions qu'elle lui avait proposées, et dès le second
jour de conclave, il l'ut résolu par ceux de celle faction (pi'on l'élirait
selon le mode dit d'adoration.
DU PKOTESTANTIS.MI': ES FUANCE.
'IXi
Ils allèrent donc le |)ren(]re dans sa r,lianii)re au nombre de Irentc-
Irois, et l'ayant salué Pape, ils le conduisirent dans la chapelle Pauline.
.Mais le cardinal Ascagnc Colonne, (jiii n'était |)as de cette l'action, s'était
glissé avec les autres dans la chapelle. Il lit à haute voix une protesta-
tion motivée, par hupielle il rejetait Saint-Séverin, comme simonia(|uc
et indigne, menaçant d'opposer la force à la violence, « et de l'aire, si
on l'y obligeait, couler le sang depuis les degrés du conclave jusqu'à
la basilique de Saint-Pierre. » (Ciacon, t. IV, j). 2r)0, et seq. — Spom».,
ad hune ann., n" I .)
Comme il se trouvait la présents trente-ciiuj membres du Sacré-Col-
lége, le parti de Sainl-Severin jugea que, s'il n'y avait plus moyen de
l'aire l'élection par adoration, après la protestation plus que véhémente
du cardinal Ascagne, on était encore en nombre sullisant pour y pi'océder
par voie de scrutin ; et il se hàla de l'aire dire par le doyen d'âge la messe
du Saint-Esprit, laquelle doit toujours précéder une semblable opération.
Les cardinaux du parti opposé lirenl dire aussi la messe du Saint-Esprit
dans la chapelle Sixline où ils s'étaient réunis, de sorte qu'il v eut ce
jour-la deux messes du Saint-Esprit dans le conclave, et lorsqu'il fut
(|uestiou de voler, il ne se trouva plus que trente voix en faveur de
Saint-Séverin. Ce n'(''tait pas sullisant : on attendit jus(]u'à sept heures
du soir pour recueillir de nouveaux voles ; mais il ne se présenta per-
sonne, et chacun fut obligé 'a la lin d'aller se reposer dans sa cellule.
Saint-Séverin, <iui était arrivé se croyant bien Pape et qui déjà avait
distribué des grâces et des emplois a ses partisans, s'en retourna se
renfermer tout triste et tout seul comme les autres.
On batailla ensuite pendant (juinze jours pour ou contre son élection,
<|uand tout a coup Peretti proposa d'élire le cardinal Aldobrandini.
(Mêlait un homme généralement estimé, et comme on était las des lon-
gueurs de tous ces débats, les voix se réunirent en sa laveur. On le
conduisit 'a la chapelle Pauline revêtu des habits pontilicaux, et dès
(pi'il eut été adoré selon la coutume, on lui demanda son consentement.
Mais avant de s'asseoir sur la chaire (pion lui avait préj)arée, il se pros-
terna en terre, et pria hautement Dieu de lui ôter la vie sur-le-champ,
si son élection ne devait pas être avantageuse à l'Église. Dieu ne lui
ayant rien ôlé, il se releva et déclara (ju'il prenait le nom de Clé-
ment VIII. 11 donna le baiser ;i tous les cardinaux, et on le mena ensuite
au \atican, avec les cérémonies ordinaires. Il était âgé de cimpiante-
six ans.
Clément \'11I n'avait (jue de bonnes intentions, sans aucun doute,
mais on trouva le moyen de |)révenir son esprit au sujet de la France :
on lui représenta les choses de telle manière, qu'il croyait la religion
calholi(jue a jamais perdue en ce royaume, si Henri de llourbon y était
\ reconnu comme souverain. On en vint juscpi'ii lui |»ersuader que quand
bien même ce prince consentirait a se convertir, il ne fallait pas se fier
îi cette conversion (pii ne serait jamais franche et de bon aloi. Clément
prit donc la résolution de détacher les calholi(jues français du parti du
238 HlSTOllIE DE LJ^rrABLISSEMENT
roi et de les excommunier tous avec le roi lui-même, s'ils persislaienl a
vouloir lui obéir. (Spond., uh. sup., n" 4.)
Dans celte vue, il adressa au cardinal de Plaisance, qu'il continua
dans ses fonctions de légat, un bref en forme de bulle, dans lequel, après
avoir brièvement rappelé la splendeur du royaume de France avant l'in-
vasion de rhérésie, il dit « qu'il fallait s'appli((uer a y élire un roi véri-
tablement dévoué 'a la religion catholique, et à qui on ferait faire serment
de la défendre ; qu'un prince qui fomentait l'hérésie et ne travaillait qu'a
exciter le trouble parmi ses sujets n'était pas digne du trône. A l'exemple
de quelques-uns de mes saints prédécesseurs, ajoutait-il, je voudrais
pouvoir aller moi-même en France y porter la concorde et la bénédic-
tion du ciel; mais d'autres^graves occupations s'opposent îi ce (|ue je
fasse ce voyage. C'est sur vous, qui êtes mon légat et dont je reconnais
la prudence et la sagessse, <[ue je me repose du soin de cette grande
atlaire. » Puis Sa Sainteté terminait cette bulle en exhortant les princes,
les prélats, les seigneurs et autres personnes attachées au roi de
Navarre, 'a ne plus favoriser les sectaires, 'a se séparer franchement de
ceux avec les(|uels il ne pouvait y avoir de véritable union et 'a concourir
avec les autres catholiques a l'élection d'un roi légitime et fidèle a la re-
ligion.
Ce bref du pape, quoique donné dans les premiers jours de son
règne, fut assez longtemps sans pouvoir être enregistré a Paris, parce
que les provisions qui continuaient le cardinal de Plaisance dans sa léga-
tion n'étant pas encore olliciellement parvenues, le Parlement crut
devoir refuser sa vérification jusqu'à ce que les choses pussent se faire
selon les règles. Enfin ])onrtant ces pouvoirs arrivèrent et ledit cardinal
de Plaisance, ayant été reconnu légat, le bref fut enregistré le mardi,
le vingt-septième jour d'octobre.
Dès que le Parlement royaliste séant 'a Chàlons eut été informé de cet
enregistrement, le Procureur général interjeta appel, et la Cour donna
un décret d'ajournement contre la personne du légat. « Attendu, portait
ce décret, que des rebelles et séditieux, dans le but d'arracher la cou-
ronne au légitime successeur, non contents d'avoir rempli le royaume
de meurtres et de brigandages, et d'y avoir introduit l'Espagnol, l'ennemi
le plus pernicieux de la France, viennent encore proposer l'élection d'un
roi, comme si le roi légitime n'existait plus, et font à cet effet publier
certain écrit en forme de bulle portant pouvoir au cardinal de Plaisance
de provoquer et d'aider cette prétendue élection ; v attendu que pareille
énormité est de tout point attentatoire aux saints conciles, aux libertés
de l'Église Gallicane et 'a la loi fondamentale du royaume touchant la
succession légitime de nos rois ; par ces causes, le parlement, toutes
les chambres assemblées, reçoit le procureur général appelant comme
d'abus contre ledit bref et contre ce qui y est contenu ; ordonne que le
cardinal de Plaisance sera assigné a comparoir personnellement en la-
dite cour, et, en attendant, fait injonction 'a tous prélats, évêques ou
autres de ne point se laisser gagner aux poisons et ensorcellements de
DU niOTESTANTlSME EN FRANCE. 2.'W
icis rebelles, mais de demeurer dans le devoir de lidèles sujets et de bons
Français. Défense très expresse est signifiée de retenir ladite bnlle chez
soi, ou de la transporter dans aucun lien dn royaume. De plus la ville
où se tiendrait une assemblée pour procéder ii l'élection d'un prétendu
roi sera rasée et détruite de Ibnd en comble, sans pouvoir jamais être
réédiliée, alin de servir de perpéiuelle mémoire a la postérité de la pu-
nition que mérite la trahison. » {Mém. de la Ligue, t. V, p. 170.)
D'autre part, le président Neuilly vint au parlement de Paris, faire
lecture d'un arrêt contradictoire a celui qui venait d'être rendu i)ar le
parlement de Châlons. L'avocat Dorléans, l'un des pensionnaires des
Espagnols, prononça a ce sujet, en présence du duc de Mayenne qui avait
voulu assister a la séance, un long discours tout rempli d'injures et d'in-
vectives contre le roi et contre ses partisans ; puis l'arrêt de Châlons
lut lacéré publiquement par le bourreau, au pied du grand escalier du
palais. (I)k Tiior, nb. sup.)
Le duc, toutefois, se sentait de plus en plus mécontent de l'Espagne
et des Ligueurs, surtout depuis (jue ces derniers avaient reçu, sans dai-
gner l'en prévenir, les quinze cents Wallons dont il avait plu au prince
de Parme d'augmenter la garnison espagnole. Il laisait donc suivre avec
j)lus de persévérance que jamais les négociations d'arrangement précé-
demment entamées avec le roi. {Journal de Henri /F, t. I"'', p. 22^.)
Villeroi, catholique très-zélé, comme on sait; Duplessis-Mornay,
calviniste non moins ferme dans sa foi, mais très attaché a Henri 1\ ;
Jeannin, tout dévoué au duc de Mayenne et peu ami des Espagnols, et
en lin Fleury, » assez indiflérent au tond pour toutes les religions, »
avaient déjà eu plusieurs conférences de bouche et par écrit a ce sujet.
Villeroi dressa même plusieurs articles qu'il voulait faire accepter comme
préliminaires, et dont voici les principaux : « Que le roi, dans un délai
l)rélixé, déclarera (pi'il veut se convertir et rentrer dans l'Église ; que
l'exercice de la religion catholique sera rétabli partout où il a été aboli,
et qu'on maintiendra les ecclésiasli(iues dans la possession de leurs biens
et privilèges; que les calvinistes ne seront que tolérés dans le royaunu',
et seulement sur le même pied où ils y étaient en l'année 1585, sans
(pi'il puisse leur être accordé rien de plus ; (pie l'honneur et la mémoire
de feu Monsieur de Guise seront réhabilités, sans néanmoins oifenser la
mémoire du feu roi ; que ceux de la religion ne pourront être pourvus
des gouvernements, capitaineries, charges municipales et autres oflices
du royaume ; que les Etats-Généraux seront convo(|ués pour coniirmer
lesdits articles, et qu'on les convoquera dans la suite tous les six ans,
tant pour régler les affaires publiques que pour remédier aux abus dans
ladministralion des linances. » [Mém. de Villeroi, ad ann. 1592.)
Il y avait déjà la de quoi mécontenter la majeure partie des |)lus
lidèles serviteurs de Sa Majesté, mais les catholi(jues du parti de Henri 1\',
il la tête desquels étaient Monsieur de Longueville et Monsieur le maré-
chal d'Atîmont, lirent dire (|ue si le duc de Mayenne ollVait de reconnaiire
le roi a condition qu'il se fit catholique dans un temps donné, ils s'obli-
240 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
geaient, eux, au cas que Sa Majesté ne remplit pas cette condition, a
((uitter son service et à se joindre a mondit sieur de Mayenne, pour avi-
ser ensemble a la conservation de la religion et de l'État.
Pour lors parurent quelques jours après de nouveaux articles toujours
rédigés par Villeroi : c'était sur les moyens de contenter et de dédom-
mager le duc de Mayenne, ainsi (|ue tous les princes et grands, de sa
famille et de son parti. On attribua la publicité de ces articles, qui
devaient rester secrets, a une indiscrétion de Duplessis-Mornay, peu
fâché sans doute qu'on sût comment les choses s'arrangeraient. Quoi
(ju'il en soit, Mayenne demandait qu'on réunît le gouvernement de
Bourgogne 'a celui du Lyonnais et qu'on lui en donnât le commande-
ment. Il est possible que cela devait bien un i)eu mécontenter Mon-
sieur le duc de Nemours, qui, possesseur actuel du dernier de ces gou-
vernements, travaillait a s'y faire une domination absolue, mais Sa Majesté
aurait a le consoler en lui donnant quelque autre des plus belles pro-
vinces, avec une charge d'importance dans le royaume, en payant de
plus ses dettes, et en lui assurant la survivance de tous ses emplois pour sa
postérité. Monsieur de Guise, devait conserver la charge de grand-maitre
qu'avait eue son père, comme aussi le gouvernement de Champagne.
Messieurs ses frères auraient tous les autres bénétices que ledit feu duc
possédait de son vivant, et on leur donnerait les moyens de s'entretenir
et de payer leurs dettes. Monsieur de Mercrour garderait le gouverne-
ment de la Bretagne, Monsieur d' Au maie celui de Picardie, Monsieur
d'Elbœuf celui du Bourbonnais et Monsieur de la Châtre celui du Berry^
Aussitôt que ces articles furent connus, tous ceux a qui il restait quelque
zèle pour le bien et la gloire du royaume, ceux-mèmes qui venaient de
mçnacer de quitter le roi s'il ne se faisait catholique, s'écrièrent qu'on
allait donc diviser et séparer la France entre une multitude de petits sou-
verains et l'on prévit dès lors que cette fois encore les conférences pour
la paix n'aboutiraient a rien. {Journal de Henri lY , t. T', p. 251 et seq.)
En outre Mayenne, qui ne pouvait renoncer à la politique cauteleuse
dont il s'était toujours servi plus ou moins heureusement jusqu'alors,
ménageait dans le même temps une double intrigue : d'une part avec le
duc de Nemours, 'a qui il promettait de le faire roi en lui faisant épouser
l'Infante, s'il voulait consentira lui laisser la charge de lieutenant géné-
ral de l'Etat de France; d'autre part avec le cardinal de Bourbon, chef
du tiers parti. Il olïVait a ce prince de lui mettre la couronne sur la tête,
lui promettant le concours de tous les catholiques du royaume et espé-
rant qu'il retiendrait sous le règne du neveu, l'autorité dont il avait joui
sous celui de l'oncle. {Mém. de la Ligue, t. V, p. 184. — Mkzehav,
t. III, p. 950.)
C'était la chose que le roi redoutait le plus de toutes celles qui le
pouvaient traverser et celle qui lui faisait le plus souhaiter un accom-
modement ; car il s'en fallait encore ([u'il fût dans une position à pou-
voir compter sur son droit de légitimité. L'hostilité du Pape lui donnait
'a craindre que les souverains de l'Italie, pour avoir la paix avec la cour
j
DU I'II()TE8TANT1SM1l KN FRANCE. 2il
de Komc et par amour poui' la religion, ne s'empressasseiil de recon-
iiailre un roi catlioliiiiic, si on en élisait un (|iii tVil de la race Irançaise.
Il savait (juil ne l'allait pas trop compter sur les secours mercenaires des
princes protestants de rAllemagne, tant à cause des rivalités qui régnaient
entre eux, <jue parce (|ue les troupes qu'ds lui envoyaient, en les faisant
assez chèrement payer, étaient, comme il avait pu s'en apercevoir
tout récemment, plus propres à exercer le brigandage qu'à laire la guerre.
Pour l'Anglelerre, c'était a des conditions si dures (|ue la reine Élisahetli
lui avait vendu les derniers secours (pi'elle venait de lui l'aire parvenir,
(|u'il ne se sentait pas le courage de recourir de nouveau à elle. Celte
princesse, cpii semblait n'avoir d'autre but que d'entretenir en France
une guerre interminable, et de s'y ménager une porte toujours ouverte,
avait exigé (|u'ii ne ferait aucune paix avec les Ligueurs, avant qu'ils lui
aidassent eux-mêmes a chasser les Espagnols du royaume, ni avec les
Espagnols sans le consentement de Sa .Majesté Anglicane ; qu'en outre
il donnerait a l'Anglelerre une place forte en Bretagne, où il y eût havre
pour recevoir en toute sûreté les vaisseaux anglais, et (|u"il lui rendrait
dans un an tout l'argent qu'elle aurait dépensé, sans quoi elle garderait
comme gage la susdite place.
H y avait encore un autre inconvénient beaucoup plus pressant. Les
linances étaient dans le plus déplorable état: les gouverneurs des pro-
vinces et des places fortes ne s'occupaient guère qu'à profiter de leur
autorité pour s'enrichir et semblaient tous d'accord entre eux pour pro-
longer une guerre qui leur offrait de si belles chances ; mais aucun ne
songeait à fournir au trésor royal la moindre ressource ; aussi Sa Ma-
jesté se trouvait décidée pour son compte à accepter les propositions de
Mayenne, quelque onéreuses qu'elles fussent ; mais son conseil n'était
pas de cet avis.
Pendant (|u'on perdait ainsi le temps en négociations sans résultat,
^■illars, tout fier du succès qu'il avait obtenu par sa défense de Rouen,
mettait le siège devant Ouillebœuf. C'était une place (|u'on commençait
à considérer comme de grande importance, car sa situation sur le bord
(le la Seine et le caractère de ses habitants, tous intrépides marins, la
rendaient maîtresse des communications entre le Havre et la capitale de
la Normandie. Sa Majesté avait donc tout récemment ordonné qu'on la
fortifiât, et Hellegarde en avait demandé le commandement. .Mais Dufàv,
chancelier du royatmie de Navarre, s'était donné lui-même la commission
de présider aux constructions. Il fit faire par les ingénieurs un plan
gigantes(pie, dans h^piel il enfermait un terrain immense, et déjà il
avait fait creuser les fossés bien avant dans la plaine. (^)uand il crut
(pie les travaux (ju'on avait déjà exécutés mettaient à peu près la place en
état de défense, il dit à Hellegarde, (pii lui présentait la nomination <lu
roi qu'il venait d'obtenir : « C'est moi qui ai construit, et ce que j'ai cons-
truit, je le garde pour moi. » 11 avait eu soin probablement de mettre
de son côté les officiers et les éipiipages des vaisseaux hollandais qui
étaient encore a l'ancre sur la rivière, et il s'était également assuré de
IV. 10
242 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
la proleclion de la reine anglaise qui lui avait promis un secours de
troupes.
Bellegarde, <|ui se croyait fort de son droit, assemble aussitôt ses amis,
et réclame l'assistance du duc de Montpensier, gouverneur de la province.
Celui-ci lui donne quelques bataillons pour chasser l'usurpateur ; mais il
ne réussit pas et se fait battre. Cette nouvelle étant parvenue a la cour,
les catholiques s'en émurent ; ils disaient que Dufay, étant protestant et
chancelier de Navarre, avait très-certainement un aveu du roi son
maître, sans quoi il n'aurait pas osé se permettre une telle rébellion ; que
c'était par de semblables moyens (jue le prince qu'ils avaient eu le tort
de se donner rivait les chaînes dont il se proposait de les charger tous
pour les sacrifier à l'hérésie.
Sa Majesté entra dans une furieuse colère quand on lui fit part de
l'insubordination de Dufay et des commentaires dont on accompagnait
cet acte. Elle jura qu'elle arracherait Dufay de son fort, mort ou vif, et
elle voulait y aller elle-même sans retard avec toute son armée ; mais
ses conseillers les plus prudents lui hrent comprendre que, le coupable
ayant eu la précaution de s'appuyer de l'assentiment des Anglais et des
Hollandais, il y aurait quelque risque a rompre avec ces alliés dont les
secours lui étaient encore nécessaires ; qu'il valait donc mieux essayer
d'abord les voies de la négociation, et l'on envoya Duplessis-Mornay
traiter cette alfaire sur les lieux. La négociation ne fut pas bien longue ;
il trouva Dufay malade et presque à l'article de la mort, et pendant que
celui-ci rendait le dernier soupir, Mornay, après lui avoir promis le sté-
rile honneur d'être enterré sous un des bastions qu'il avait fait con-
struire, s'empara de la place et y établit Bellegarde comme comman-
dant.
Ce fut quelques jours après que Villars vint, comme j'ai dit plus haut,
assiéger Quillebœuf avec une armée de plus de quatre mille hommes.
Bellegarde, secondé par le comte de Torigny, lils aîné du maréchal de
Matignon, et par le brave Grillon, fit nue si belle résistante qu'après
quinze jours de siège, pendant lesquels trois mille cinq cents coups de
canon avaient été tirés et deux assauts livrés, l'ennemi se vit contraint
de décamper, sur la nouvelle qu'il eut de l'approche de Fervaques, déjà
en route pour secourir les assiégés.
Villars fut plus heureux a Pont-Audemer, que le gouverneur lui vendit
'a beaux deniers comptants.
En ce temps-l'a le roi était toujours auprès de Madame Gabrielle.
Monsieur le duc de Nevers, en sa qualité de gouverneur de la Champagne,
vint lui faire entendre qu'il était de la dernière importance de reprendre
la ville d'Épernay. Sa Majesté, qui était bien aise d'avoir encore un peu
de temps pour se délasser de ses dernières fatigues et de toutes les
intrigues qui se remuaient autour d'elle, y envoya le maréchal de Biron.
Celui-ci, s'étant imprudemment approché pour reconnaître la place, eut
la tête emportée d'un boulet de canon. <■< Il avait passé presque toute sa
vie a faire la guerre; il avait commandé dans sept batailles rangées et
DU PROTESTANTISME EN FRANCK. 243
il nionliait un pareil nombre de blessures qu'il avait reeues, loules par
(levant; car c'était un des plus braves guerriers de l'époiiue. Mais il était
impérieux, envieux, emporté et jaloux des succès des autres, qu'il s'el-
lorrait toujours de rabaisser. On dit qu'il avait écrit jour par jour les
mémoires de sa vie. » Par l'indillérence de son lils, ou par prudence;
peut-être, ces mémoires ont été perdus. (Di; Tiiou, liv. 105, p. 490
et suiv.)
Le roi se montra très-touclié de la mort d'un aussi grand capitaine,
et il vint lui-même sans difîérer poursuivre le siège d'Épernay. Il y avait
dans cette ville douze cents hommes de garnison des meilleures troupes
de l'armée du duc de Parme. Un régiment de Wallons, (jui en faisait
partie, était sorti de la ville pour laire une expédition dans la campagne;
le roi, accompagné de quelques-uns de ses gentilshommes, rencontra ce
régiment comme il revenait pour rentrer dans la place, et il résolut de
l'attaquer malgré l'inégalité du nombre. Ayant donc exhorté les siens à
bien faire, il laissa d'abord passer les trois premiers rangs sans se mon-
trer; alors, mettant l'épée 'a la main, il poussa le premier son cheval
dans le tlanc des bataillons, renversant tout ce qui se présentait a lui.
Ceux qui se trouvaient là a sa suite se lirent un devoir de montrer le
même courage, de sorte que le régiment se rompit et prit la fuite en
désordre; mais les fuyards rencontrèrent les autres corps de l'armée
royale et furent taillés en pièces, 'a la vue des assiégés qui étaient accou-
rus sur leurs remparts. Cela ne se lit pas pourtant sans que les royaux
n'eussent à regretter la perte de plusieurs braves oflîciers, et d'un assez-
grand nombre de cavaliers qui furent tués à coups de piques en cette
occasion.
On ferma le même jour tous les passages afin d'empêcher le capi-
taine Saint-Paul, qui se disposait a secourir la ville, de pouvoir en appro-
cher. On avait déjà desséché le fossé et dressé une batterie de quatre
pièces, et le baron de liiron, pressé de venger la mort de son père,
venait de s'emparer du bastion qui défendait la ])lace de ce côté-là; mais
il avait été lui-même blessé dangereusement d'un coup d'arquebuse à
l'épaule, pendant qu'il travaillait à s'y retrancher.
On se disposait à donner un assaut général, (piand les assiégés, (|ui
jusqu'alors avaient montré beaucoup de résolution, commencèrent à
perdre courage et demandèrent à capituler; il leur fut accordé qu'ils
sortiraient sur le soir même de la ville, avec armes, bagages et chevaux,
mais mèches éteintes et sans leurs drapeaux ni leurs tambours, n'em-
portant rien de ce qui pourrait appartenir aux habitants; ils étaient tenus
de laisser au roi toute leur artillerie et toutes leurs munitions de guerre,
et ils devaient être escortés jusqu'à Reims.
Le duc de Guise venait alors d'arriver dans celte dernière ville à la
tête de toute la cavalerie lorraine, et il était parti en bonne résolution de
tenter un coup pour secourir Épernay; mais il apprit là, par tpute la
garnison qu'on lui ramenait, qu'il était arrivé trop lard. Le roi, après
avoir pourvu à la conservation de la place qu'il venait de reprendre, s'en
244 HISTOIRE DE L'É^i'ABLlSSEMENT
alla mettre le siège devant Provins, capitale de la Brie. C'est une grande
ville presque déserte et de peu de défense, a cause de sa situation sur un
terrain inégal. Aussi n'eut-on besoin que de présenter l'apparence d'un
siège pour obliger à en ouvrir les portes.
Ensuite, l'armée royale se rapprocba de Paris. Le duc de Nevers
ouvrit l'avis de bâtir un fort a Gournay, petite ville située tout près de
l'abbaye de Chelles, afin d'intercepter les convois qui descendaient par
la Marne; et aussit(3t, pour construire ce fort, on s'en alla démolir de
fond en comble un prieuré de l'ordre de Saint-Benoît qui était dans le
voisinage, et dont on employaics matériaux 'a élever les remparts du nou-
veau bâtiment, ce qui fit bien crier les catholiques et surtout les
Ligueurs. Mais le fort ne s'en éleva pas moins, et les Parisiens, qui rece-
vaient auparavant d'énormes quantités de provisions leur venant de
Meaux et de Château-Thierry, virent cette ressource leur échapper.
Aussi poussèrent-ils de longues plaintes, et la crainte de mourir de faim
se répandit par tout Paris. (Le(;rai.n, Décades, liv. 5, p. 249. — Journal
de HenriIV,i. I, p. 248.)
Les royalistes, poiu- se moquer des Ligueurs, appelèrent leur fort
Pille-Badaud. Mayenne, qui venait de rentrer dans la capitale, fut supplié
d'aller délivrer la bonne ville des incommodités de ce fort de Pille-Badaud ;
mais Odet de La Noue, fils du brave La Noue Bras-de-Fer, 'a qui le roi
en avait donné le commandement, lit une si belle contenance, que
Mayenne, craignant de s'attirer sur les bras toute l'armée royaliste,
laquelle n'était pas bien éloignée, jugea prudent de se retirer, n'ayant
tenté qu'un petit nombre d'escarmouches, et perdu seulement quelques
soldats qui furent tués.
Cependant les prélats qui s'étaient rangés du côté de Henri IV sen-
taient qu'il était temps enfin, pour éviter la continuation des troubles,
que Sa Majesté donnât satisfaction a l'Église. Nicolas Fumée, évéque de
Beauvais, homme de probité et de grand sens, ne cessait d'insister
auprès du dit prince pour (pi'il rentrât dans le giron de la communion
romaine, et pour obtenir de lui l'envoi d'un ambassadeur auprès du
Saint-Père, « qu'il serait très-probablement, disait-il, aisé de guérir de
ses préventions en laveur de la Ligue. » (De Tiiou, ubi sup.)
Le roi ne sentait que trop la nécessité et l'importance de cette
démarche; il voulut pourtant en conférer avec le président De Harlay
et quelques-uns des principaux membres de ce même parlement de Tours,
qui avait rendu un arrêt contre la fameuse bulle du pape Grégoire XIV,
et qui, par ce même arrêt, avait décidé que, le Pape ne pouvant plus
être regardé que comme ennemi du royaume, ce serait trahir l'Etat que
de lui envoyer un ambassadeur. Le président et les conseillers s'oppo-
sèrent ouvertement, comme de juste, a ce qu'on violât l'arrêt rendu
par leur cour. (Suprù.)
On a vu qu'il avait déjà été question d'établir en France un
patriarche, et l'archevêque de Bourges, dit-on, remit alors celte question
sur le tapis, comptant toujours que cette dignité lui reviendrait en sa
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 245
qualité de primat dos Gaules. Celle fois il lit \aloir, non sans raison,
(|iie tout ce qu'on avait déjà tenté en France pour régler la collation
régulière des bénélices, eu se passant de la cour de Kome, n'avait
amené aucun résultat satisfaisant, et qu'il était temps d'essaver de ce
dernier remède.
L'évé({ue de lieauvais, qui conseillait de s'arranger avec le Pape, avait
donc bien des obstacles a vaincre. Il représenta a Sa Majesté que les
arrêts mêmes des cours souveraines, (|uand ils étaient contraires a la
discipline généralement reçue dans l'Église, et aux saints canons, ne
pouvaient être qu'une source de troubles, et il supplia le roi, au nom
de la paix et du bien de l'Etat, de révoquer, comme il en avait le droit,
l'arrêt de son parlement de Tours. Henri balança sur la réponse qu'il
devait faire à une pareille demande. (De Thou, p. 407.)
Il rejeta cependant l'idée d'établir un patriarcbe, dont l'autorité em-
brasserait le royaume entier; car il lui parut plus conforme 'a la pru-
dence de contenir le clergé dans les bornes d'un rang seulement respec-
table et respecté, que de créer a la tête de cet ordre une sorte de
souveraineté, dont le premier inconvénient serait de menacer la France
d'un, schisme avec Rome, et qui, de plus, pourrait bien n'être pas
approuvée de tous les catholiques de la nation, et par suite les partager
eux-mêmes en deux camps. Pour éviter ce double inconvénient, il com-
mença par donner un édit, ipii remettait aux archevêques métropolitains
le droit de conlirmer la nomination a tous les bénéfices et charges ecclé-
siastiques, avec pouvoir d'accorder les mêmes dispenses qu'accorde le
Saint-Siège, chacun dans l'étendue de sa métropole; que s'il arrivait que
le métropolitain eût abandonné le parti du roi, ou refusât de se sou-
mettre a redit, le métropolitain le plus prochain prendrait sa place.
Ensuite, il permit à Monsieur de Gondi, qui était sur le point de
partir pour Home, dans le dessein d'y porter lui-même sa justilication,
d'emmener avec lui le marquis de Pisani, (|;ii avait déjà été ambassadeur
a la cour ponlilicale, et il donna a ce dernier des instructions pour Sa
Sainteté, le chargeant de la supplier au nom des princes, évêques et
seigneurs du parti du roi, de vouloir bien recevoir Sa Majesté en grâce.
Le Sénat de Venise promit de faire appuyer cette sollicitation par ses
ambassadeurs.
Le cardinal et Pisani partirent au mois d'octobre. Dès qu'ils lurent
arrivés aux Alpes des Grisons, le marquis s'arrêta auprès du lac de
Garde, et le cardinal continua sa route vers Home, il espérait détruire
les mauvaises im|)ressions que les Espagnols avaient données au Sainl-
Père; mais il n'était déjà plus temps. Clément V'ili envoya au-devant de
lui un dominicain pojn* lui défendre de mettre le pied sur les terres de
l'Etat ecclésiasti(|ue, et lui reprocha de ne s'être comporté dans les
troubles de France ni en bon cardinal, ni même en bon chrétien, en
se déclarant pour le Béarnais, hérétique, relaps et doublement excom-
munié. « \'ous n'avez j)as craint, lui faisait dire le Pape, d'avoir des
confcM-cnces avec ce réprouvé, contre la défense expresse des apê)tres
246 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
saint Jeali et saint Paul. Vous avez osé assurer que je le recevrais en
srâce. et l'admettrais à la succession a la couronne du royaume très-
chrétien, en lui donnant l'absolution, aussitôt quil aurait une fois seu-
lement assisté à la messe ; et vous n'avez tenu aucun compte des ordres
de mon légat, le cardinal de Plaisance, qui vous ordonnait en mon nom
d'abandonner le parti d'un rebelle a la Sainte-Église. »
Le cardinal répondit que toutes ces inculpations étaient fausses et
sans fondement; que s'il avait eu une entrevue avec le roi de Navarre,
la nécessité l'y avait contraint, ne lui appartenant pas de refuser une
conférence avec un prince qui était d'ailleurs en état de l'y contraindre,
maître, comme ill'était, de presque tout le royaume; que pour tout le
reste, il lui était bien pénible de se voir condamné sans être entendu,
quand il venait, au contraire, se présenter en toute docilité au jugement
de Sa Sainteté, pour se purger des crimes qu'on lui reprochait, ou, s'il
était reconnu coupable, pour subir la peine qu'il aurait méritée; qu'il
voyait bien qu'il devait y avoir l'a quelque intrigue de la part de ceux qui
étaient intéressés a empêcher le Souverain-Pontife de connaître le véri-
table état et les besoins de la France. « Saint-Père, disait-il, vous ignorez
peut-être qu'il y a maintenant dans le royaume plus de quarante évêcbés
vacants, dont les revenus sont en proie 'a des soldats, et même 'a des
femmes, ce qui cause la perte des âmes qui n'ont plus de nourriture
spirituelle; et ce sont ceux-mêmes dont vous avez accueilli les calom-
nies, parce qu'ils cachent leur ambition sous l'apparence du zèle et du
dévouement pour le Saint-Siège, qui sont la cause de tous ces maux.
Quant a moi, je n'ai ni la témérité, ni l'impudence de me flatter qu'un
faible cardinal puisse arrêter l'État sur le penchant de sa ruine. Pour
accomplir ce grand acte de salut, il faut toute la force du bras de Dieu
et toute l'autorité sacrée de son vicaire sur la terre, et voilà pourquoi je
n'ai pas hésité 'a me mettre en chemin pour venir implorer la justice et
la protection de Votre Sainteté. »
Le dominicain retourna porter cette réponse aussi respectueuse
qu'habile au Pape, et la colère du Souverain-Pontife fut apaisée ; il per-
mit au cardinal de Gondi de venir à Rome, à condition qu'il ne cher-
cherait a tavoriser ni les hérétiques ni leurs fauteurs; c'était déjà quelque
chose de gagné. Gondi gagna encore davantage, en causant familière-
ment avec Clément VIII, dont il avait fini par obtenir la confiance. « Mais,
Père saint, lui dit-il un jour, puisque le roi m'a chargé de vous dire qu'il
est dans l'intention bien sincère de se convertir, quelle difficulté y trou-
vez-vous? N'avez-vous pas la puissance de le recevoir? — Qui en doute?
répondit le Pape. Mais il est requis que je laisse frapper a ma porte plus
d'une fois, afin de mieux connaître si l'intention est telle qu'elle
doit être. — Ah! s'écria le cardinal, qu'il vous plaise bien plutôt d'ou-
vrir promptement et toutes grandes les portes de l'Église, pour y rece-
voir son fils premier-né. — Je le ferai, reprit le Pape, quand il en sera
temps, j (Caykt, iihi siip.)
En attendant, la misère à Paris était 'a son comble. Les denrées de
DU PROTESTANTISME EN FRANCE.. 247
première nécessité étaient hors de prix, et depuis l'époque du siège, qui
avait épuisé tontes les ressources, le peuple n'avait plus £i;uère que des
dettes, lesquelles allaient chaque jour en s'augmentant. Le parlement,
voulant soulager en quelque manière tout cet amas de souffrances,
décréta que le prix des loyers des maisons serait réduit des deux tiers
pour les haux qui remontaient a lijSO, et d'un tiers seulement pour les
baux faits après la levée du siège. (De ïhou, iibi siip.)
Alors la foule s'assembla, encouragée par cette première concession,
et vint en tumulte se plaindre de la rigueur des contraintes que les
créanciers exerçaient contre leurs débiteurs. Mais le parlement répondit
par un autre arrêt faisant défense aux Parisiens de s'assembler ainsi,
parce qu'ils ressemblaient plutôt a une bande de séditieux (|u'a d'hon-
nêtes suppliants; il refusa d'abroger le droit qu'a celui a qui il est dû de
saisir le bien de celui qui lui doit; seulement il prescrivit que les
meubles saisis ne pourraient être ni vendus ni enlevés, jusqu"a une cer-
taine époque, qui lut lixée à trois mois pour les habitants des faubourgs
Saint-Lazare, Saint-.Martin et Saint-Denis, dont les maisons avaient été
détruites et les jardins ravagés par les assiégeants.
Cette loi n'empêcha pas les Parisiens de s'inquiéter. Si l'on cessa
pour un temps de se rassembler dans la rue, on se réunissait dans
diverses maisons. Les politi(|ues, comme on nommait les amis du roi,
tenaient leurs conciliabules chez le sieur d'Aubray, prévôt des mar-
chands. Treize des colonels de Paris, avec un grand nombre de capi-
taines et de bourgeois, s'étaient déjà déclarés pour ce parti. Quelques
jours après, on s'assembla de nouveau dans la maison de l'abbé de
Sainte-Geneviève, et dès lors on se crut assez fort pour demander à
haute voix qu'on fît enfin la paix avec le roi, puisqu'il était le vrai héritier
de la couronne de France, et (]ue les princes de la maison de Bourbon
ne laisseraient jamais Paris en paix, si la maison de Lorraine ou quelque
autre étranger se mettait sur le trône. Un assez grand nombre de ceux-
l'a mêmes qui avaient embrassé la Ligue parut ne pas trop s'opposer à
celle proposition. L'avocat Dorléans, jusque-la si zélé, n'hésita pas à
répondre au duc de Mayenne, qui s'était rendu en personne a la grande
audience, tenue a ce sujet dans le parlement : « Monseigneur, la ville de
Paris est pauvre et désolé^; il est temps de chercher dans la paix un
remède aux maux de cette malheureuse cité. » Et, parlant du roi, il
allégua audacieusement Texemple de l'empereur Valentinien, qui avait
été aussi chassé de l'empire pour cause de religion, mais (pii, s'étant
converti, avait été rappelé, et l'usurpateur massacré. {Journal de
Henri JV, t. I, p. 258. — Ihid., p. 24."». — Remar^ques sur la Satire
Ménippée, p. 24 i et suiv.)
Dorléans pourtant ne persista pas dans de pareils sentiments,
comme on le verra bientôt. La Sorbonne, au contraire, qui tenait a
honneur de se montrer inébranlable, lit |>araîlre en latin une décision
par la<|uelle elle affirmait que c'était une impiété et une folie de désirer
que le roi de Navarre se convertit, et elle s'appuyait sur douze raisons
248 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
dont les principales sont : « Que cela serait contraire au serment fait a
la Sainte-Ijiion; que cela répugne a la conscience des vrais chrétiens;
que pour former légitimement un pareil souhait, il faudrait être bien sûr
du consentement général et surtout de Taiitorisation du Pape, ce qui est
bien loin d'être le cas; ergo, etc. »
De son côté, le parti des zélés, presque en entier composé de l'an-
cienne faction des Seize, présenta au duc une adresse très-hardie.
« Depuis la mort de certains bons catholiques, lui disaient-ils, en fai-
sant allusion a ceux des leurs qu'il avait fait pendre, et depuis la pros-
cription d'un bien plus grand nombre d'autres, l'audace des ennemis de
la religion et des partisans du liéarnais s'est tant augmentée, que les
voila maintenant traitant publiquement du rétablissement de l'hérésie, et
c'est au tour des fidèles, dépouillés de toute autorité, d'en venir aux.
prières et requêtes pour qu'on sauve la religion. Les suppliants donc,
pour la décharge de leur conscience envers Dieu et envers les hommes,
viennent vous conjurer d'avoir a remédier promptement a ce mal ; et
pour cela, attendu la nécessité des affaires, il faut se hâter de rappeler
les bannis; purger le parlement de tous ces méchants partisans du roi
de Navarre, et punir sans pitié ceux qui parleraient de rendre la ville a
l'hérétique. » (Cavet, ubi swp.)
A quoi Mayenne répondit : « Que le roi d'Espagne me fournisse donc
d'abord les fonds, et les autres moyens nécessaires pour cela. » Et le
vendredi, sixième jour de novembre, ayant assemblé 'a l'Hôtel-de-Ville
les capitaines, les colonels et les notables bourgeois, il leur fît un dis-
cours « arrosé d'huile et de vinaigre », dans lequel, après s'être plaint
amèrement de toutes ces assemblées illégales qu'on faisait de part et
d'autre dans Paris, il donna de grandes louanges a la constance et au
courage que les Parisiens avaient déployés pendant les temps bien plus
malheureux encore qui venaient de s'écouler, les exhortant à persévérer
dans cet héroïque dévouement. 11 promit que les États-Généraux, {|u'on
allait assembler, appliqueraient le remède a tous les maux présents, et
(|ue ceux qui auraient fait paraître leur dévouement pour la sainte cause
seraient dignement et glorieusement récompensés. {Journal de Henri IV,
p. 264.)
Pendant que la lutte s'engageait aussi ouvertement 'a Paris entre les
politiques et les Ligueurs, elle n'était pas moins animée a Orléans entre
les premiers, qu'on appelait dans cette ville les Francs-Bourgeois, et les
confrères du Sacré-Cordon. Il s'agissait, dans celle ville, d'élire un nou-
veau maire et des échevins. Ceux qui occupaient ces places étaient tous
membres de la sainte confrérie, et ils briguaient de tous leurs moyens,
|)Our être continués dans leurs emplois, lanl pour l'autorité et le profit
qu'ils y gagnaient, que pour empêcher les Francs-Bourgeois de parvenir
;i leur tour. Comnène, qui gouvernait alors Orléans pour la Ligue, avait
pris le parti de retarder l'élection jusqu'à l'arrivée de Monsieur de La
Châtre, qui devait lui apporter lui-même l'intention du conseil de Monsieur
de Mayenne, et durant ce temps, (piand il voyait les politiques oppressés
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 2i9
par ceux du Cordon, il les favorisait, pour ne pas leur donner occasion
(renlreprendrc quelque chose par déses|)oir ; puis, quand il advenait que
les politiques voulaient abuser de sa faveur pour entreprendre contre
ceux du Cordon, il faisait tourner la chance du côté de ceux-ci; de façon
(|ue les confrères l'accusaient d'être un politique, et les politiqnes d'être
un confrère du Cordon. (Cavkt, ubi sup., liv. i.)
Enlln Monsieur de La Châtre arriva. Il établit un maire et des éche-
vins a sa dévotion. Pourtant ce ne fut pas parmi les confrères du Cordon
(lu'il choisit ses élus; Monsieur de Mayenne se niéliait maintenant des
Jésuites, qu'il savait dévoués à l'Espagne. La Châtre s'en retourna ensuite
en Berry, marier son (ils avec la lille du feu comte de Montafier et de
Madame la princesse de Conti, veuve en premières noces de mon dit
sieur comte.
Pour lors, d'Entragues, qui cherchait a rentrer dans Orléans, dont il
était gouverneur pour le roi, se mit a pralicpier sourdement les Francs-
Mourgeois, et il se croyait déjà si sûr de la réussite, qu'il écrivit 'a Sa
Majesté que si elle voulait se rapprocher de celte ville, il ne tiendrait
qu'à elle de s'y faire recevoir avec acclamations. Le roi, qui se trouvait
en ce moment a Etam|)es, voulut préalablement voir par lui-même ce
qu'il en était, et il vint a cheval, pendant la nuit, faire sa reconnais-
sance; mais ayant bien consid<''ré les corps de garde, par les feux qu'ils
faisaient, les rondes et les sentinelles, par le bruit de leurs armes, il dit
'a d'Entragues : « Mon ami, cette poire n'est pas encore mûre; voila des
gens, croyez-moi, qui n'ont nulle envie de se laisser surprendre. » Et
il s'en retourna.
On continuait cependant "a se battre avec dilTérents succès, de part et
d'autre, sur presque tous les points de la P'rance. Le prince de Conti était
venu assiéger la ville de Craon, où commandait le sieur Duplessis de
Cosme, pour l'Union, et qui était comme le quartier-général de tous les
Ligueurs du Maine et de l'Anjou. Le roi manda incontinent à Monsieur le
prince de Bombes de se rendre a ce siège avec toute l'armée qu'il avait
en Hretagne, et bientôt la ville fut extrêmement pressée. Le duc de
Mercœur tenait alors à Vannes les États de la Bretagne, oii il se lit assigner
six mille livres par mois, et obtint (pie la province ferait un fonds de
presque deux millions de livres pour le |)aiement des garnisons des
places tenues parla Ligue. Quand il apprit le danger que courait la ville
de Craon, il résolut de marcher sans délai au secours de cette place, qui
lui était de grande importance et lui servait de frontière de ce côté-là.
Ayant donc réuni toutes ses compagnies, il s'achemina en personne vers
Craon, (pie l'ennemi tenait si étroitement bloquée qu'il n'en pouvait
entrer ni sortir âme (lui vive, si bien que ceux du dedans, ne comptant
plus sur aucun secours, se disposaient d(''jâ a se rendre. (Cavkt,
liv. i, ad ann. ir)l)'2. — Moukai, chap. xvi.)
Mercœur, en débouchant dans la plaine, lit tirer trois coups de
canon pour avertir les assiégés qu'il venait à leur aide , ce qui les remit
en bon courage; les princes se disposèreni, de leur côté, 'a recevoir
250 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
l'ennemi qui venait les attaquer, et se dépêchèrent d'envoyer Tordre
d'occuper les points qu'ils jugeaient les plus avantageux pour com-
battre. Le lendemain, les deux armées se trouvèrent en bataille vis-a-vis
l'une de l'autre, et les avant-coureurs de chaque parti commencèrent à
escarmoucher. Le capitaine Keredern, de Vannes, homme expérimenté
en la guerre, s'était approché avec sa compagnie pour prendre part à une
de ces escarmouches. Tout à coup, il jugea a quelque remuement inso-
lite qu'il aperçut dans le camp adverse qu'il devait y avoir du désordre
parmi les royaux ; il envoya bien vile un de ses cavaliers au duc de
Mercœur, pour lui faire savoir que s'il voulait s'avancer avec toute
l'armée, il aurait bon marché des ennemis.
Or, voici ce qui se passait du côté des princes. Sur le point d'en
venir aux mains, les dits sieurs princes reconnurent qu'ils avaient été
ou trahis ou très-mal servis par ceux qui avaient les charges en leur
armée. Premièrement, leurs soldats manquaient de balles, et furent con-
traints de ne tirer qu'a poudre pour faire du bruit seulement, ou de
chercher des cailloux pour les mettre dans leurs arquebuses; seconde-
ment, en faisant choix du champ de bataille, on s'était placé trop près
de la ville, de sorte qu'on avait le canon des assiégés à dos; de plus, le
terrain était tel que la cavalerie, qui faisait la principale force de l'armée,
ne pouvait se déployer ni rendre aucun service, à cause des fossés et des
haies dont il était tout entrecoupé; troisièmement, on s'aperçut trop
tard qu'on aurait pu aisément empêcher l'ennemi de traverser la petite
rivière d'Oudon, soit en coupant le pont, soit en attaquant les batail-
lons qui ne pouvaient passer qu'un a un. (Cavet, ubi sup.)
^ Les princes s'aperçurent trop tard de ces fautes, auxquelles ils en
ajoutèrent une quatrième : ils assemblèrent leurs seigneurs et capi-
taines sur le champ de bataille, et se mirent, en présence de leurs
soldats, a tenir conseil sur ce qu'il y avait 'a faire. L'avis général fut qu'il
fallait faire retraite. « Mon cousin, dit le prince de Dombes, les larmes
aux yeux, vous voyez bien que nous sommes trahis; » et il commença
le premier a prendre avec tous ceux qu'il commandait sa roule par un
chemin creux. C'était ce mouvement que le capitaine Keredern avait
aperçu et qu'il venait de signaler au duc de Mercœur.
Celui-ci s'avança aussitôt avec tous ses gens, et donna si furieuse-
ment sur les royalistes déjà découragés, qu'ils furent presque aussitôt
mis en déroute, sans même songer a opposer la moindre résistance. Il
n'y avait plus qu'a tuer ces fuyards. Le duc fit alors crier a son de
trompe qu'on épargnât les Français, mais qu'on fit main-basse sur les
Anglais, ce qui fut ponctuellement exécuté, surtout pour la dernière
partie de l'ordre. L'a périt un bon nombre de capitaines et de bons gen-
tilshommes, un plus grand nombre encore tomba au pouvoir de l'ennemi.
(MoREAu, chap. XVI.)
Les débris de l'armée des princes se retirèrent partie a Château-
lîontier, partie 'a Rennes ; il y en eut qui se sauvèrent même beaucoup
plus loin. Le prince de Conli s'en alla jusqu'à Angers, n'osant sarrêler
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 251
une seule nuit a Château-Gontier, tant il avait crainte de s'y voir assiégé.
Aussi était-il vivement poursuivi, et si son canon, qui le suivait, n'était
demeuré embourbé dans un chemin étroit, qu'il boucha par un grand
bonheur pour lui, ledit prince eut bien sûr été pris; mais ceux qui le
poursuivaient lurent arrêtés par cet encombrement d'artillerie, ce qui
prouve que quehjuel'ois malheur est bon 'a quehjue chose. (Cayet, ubi
sup.)
Pour le prince de Dombes, il eut aussi grande peine îi arriver tout
tremblant et bien harrassé à Hennés, où il s'attendait 'a être bientôt
assiégé par le vainqueur, auquel cas il eût été mal dans ses affaires; car
la ville, dans son premier effroi, se lût rendue sans dilTicullé, d'autant
que la plupart du menu peuple et quelques-uns des plus relevés bour-
geois affectionnaient le parti de la Ligue et du duc de Mercœur.
r)uant aux Anglais, qui étaient restés les derniers sur le champ de
bataille et qui étaient environ cinq mille, le petit nombre de ceux qui
échappèrent au massacre ne dut son salut qu'aux blés, qui étaient déj'a
murs, et dans lesquels ces malheureux se cachèrent jusqu'à la nuit, et de
eeux-la encore en lut-il tué une honne partie par les paysans qui les
haïssaient.
Le duc de Mercœur, poursuivant sa victoire, alla assiéger Château-
Gontier, où on lui avait donné a entendre que les princes de Conti et de
Dombes s'étaient réfugiés avec leurs principaux capitaines, et cela donna
à ceux de Rennes le loisir de reprendre courage, et d'envoyer vers le roi
pour lui demander du secours. Ils eurent réponse que dans peu ils rece-
vraient un renfort considérable, avec exhortation de persévérer dans leur
lidélité passée. Pour la ville de Chàteau-dîonlier, elle n'osa pas s'opiniâtrer
îi soutenir un siège sans espérance, et elle se rendit par bonne composi-
tion a Monsieur le duc de Mercœur.
René de Rieux de Sourdeac, simple gentilhomme de la Basse-Bre-
tagne, répara en quelque façon l'honneur des armes du roi, si malheu-
reusement compromis par l'échec que venaient de subir à Craon deux
princes du sang. La noblesse ligueuse, ayant ramassé six mille hommes
des communes du pays, était venue mettre le siège devant Brest, dont
le dit Sourdeac était commandant. Il y avait déjà près de cinq mois que
ce siège durait, et partout les assiégeants s'étaient vus repoussés avec
perles. Ils méditaient déjà de se retirer, quand Sourdeac, voulant leur
donner une leçon dont ils se souvinssent, commanda aux habitants de
la ville de danser et de se réjouir au son des hautbois et des cornemuses,
[, et de prolonger ce divertissement bien avant dans la nuit. Le bruit sym-
pathique de ces instruments nationaux donna aux troupes des com-
munes l'idée de rivaliser de gaitc avec les assiégés, et, bien persuadés
que ceux qui s'amusaient ainsi ne songeaient guère à livrer bataille, elles
se mirent de leur côté à faire bonne chère et à s'enivrer; mais sur le
point du jour, pendant qu'elles étaient toutes ensevelies dans le vin et
dans le sommeil, Sourdeac fait sortir les siens par trois endroits diffé-
rents, force les lignes des ennemis, en tue trois à quatre cents, sans trou-
252 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
ver de résistance, et revient triomphant dans ses murailles. (Mkzeuav,
l. III, p. 960.)
p]nsuile, ayant appris que les vivres devenaient rares dans le camp, et
que les nobles, pour retenir leurs soldats sous les armes, leur disaient
(|ue la disette était plus grande encore dans la ville, il fit publier à son
détrompe que le boisseau de blé, qui coûtait trois écus dehors, serait
vendu pour un écu dans Brest. Les communes, a qui il eut grand soin
de faire connaître cette publication, par les divers émissaires qu'il entre-
tenait dans leurs quartiers, s'écrièrent que leurs chefs les trompaient en
leur représentant la place comme affamée. Elles se mutinèrent; et cette
troupe de paysans armés disait qu'il fallait égorger tous ces gentils-
hommes pour les punir de les avoir engagés dans cette guerre malen-
contreuse, épouser ensuite leurs femmes, s'emparer de leurs châteaux,
afin que le peuple fût maître a son tour.
Sourdeac alors, voyant (jue tout était en combustion dans le camp,
fit une nouvelle sortie. H y eut un carnage affreux de ces misérables.
Ceux qui échappèrent s'estimèrent heureux d'obtenir qu'on leur fît
grâce, moyennant qu'ils payeraient huit mille écus par an, pendant huit
années.
Pendant ce temps-là, Mercœur, après la victoire de Craon et la prise
de Château-Gontier, s'en était retourné dans le i)ays de Carhaix, où les
royaux avaient pris le château de Hoslrenen et celui de Corlay, d'où ils
incommodaient et ruinaient tout le pays d'alentour; car tous les habi-
tants de ces cantons-lâ tenaient pour la Ligue et s'étaient toujours mon-
trés bons catholiques. Le duc, « voulant ôter a ces braves gens une
pareille épine du pied, » vint donc de ce côté-la avec une partie de son
armée, presque toute composée d'Espagnols. H fit d'abord assiéger le
château deRostrenen, (|ui se rendit a don Juan d'Aquila, et, parce que
le dit château était plus préjudiciable qu'utile au pays, on y mit le feu et
on le ruina de telle sorte (lu'il ne pût plus a l'avenir servir de logement
à aucune troupe de gens de guerre. (Moreal, ch. \vn.)
On alla ensuite assiéger Corlay, dont la garnison était encore
plus méchante que celle de Rostrenen, n'étant composée que de bandits
et de pillards, lesquels, ne tenant a aucune religion, ne se disaient du
parti du roi que pour avoir un prétexte de dévaster le pays. On détruisit
de fond en comble ce nid de serpents.
Le duc délibéra alors de réduire 'a son obéissance la ville de Quinlin,
appartenant en ce temps-là au seigneur comte de Laval, et voyant que
sa présence y était requise, parce (jne le seigneur de Liscoet, qui y com-
mandait, était brave et vaillant chevalier, il se dirigea vers ces parages.
La ])lace n'était pourtant pas bien forte, n'étant fermée que de barrières
et de vieilles douves en guise de murailles; mais le château était en
meilleur état. Liscoet s'y retira, après avoir disputé la ville aux assié-
geants pendant quelques jours; puis, voyant arriver l'artillerie, contre
laquelle il sentait bien qu'il ne pouvait tenir, il fut bien obligé de capi-
tuler, à condition qu'il aurait vie et bagues sauves. Le duc, pour garder
DU l'UUTESTAN'JlSMK KN l-|lAN(.:i;. 20:3
ce poste, laissa un ca|)ilaine avec sa compagnie, el s'en revint tran(|uilie-
nient a Nantes.
Uiiintin, pourtant, ne resta pas longtemps au pouvoir des l.igueurs.
Les habitants, qui craignaient d'être blâmés par leur seigneur pour être
d'un parti contraire au sien, « et voulant faire les bons valets, » |)rati-
(|uèrent une intelligence avec un gentilliomn)e du voisinage nommé La
Grillardière. A l'heure que celui-ci leur indicpia comme celle où il serait
prêt a jouer son jeu, ils se mirent, eux, 'a jouer aux cartes avec la garde,
et a la l'aire boire, pendant que La Grillardière, qui se tenait caché dans
un bois proche de la ville, avec soixante hommes d'armes, s'approchait
sans bruit, et s'eniparait de la porte par surprise. Ceux de la garnison
(|ui voulurent faire résistance lurent tués, les autres lurent laits prison-
niers et mis a rançon.
Pour lors, Liscoet, qui, depuis qu'il avait été obligé de rendre Quin-
tin, s'ennuyait dans sa gentilhommerie, près de Guingamp, imagina de
rassembler quehpies amis et de venir s'établir avec eux sur les ruines
encore fumantes de Corlay, qu'il fortifia de nouveau et si bien qu'il en
lit une place propre a ses desseins, « lesquels étaient de Taire un peu la
guerre dans les pays Las, où l'oie était encore grasse, parce qu'on n'y
avait jusqu'à |)résent que peu bataillé. « En peu de temps, il se trouva "a
la tête d'environ (juatre cents hommes déterminés, avec lesquels il partit
sur l'aube du jour un beau matin, el arriva à Chàteauneul", où on ne
l'attendait giu're. (.Moiu;m:, ch. xix.)
Il se commit la toutes sortes d'insolences et de cruautés. Plusieurs
des habitants vinrent tués; ceux qui pouvaient payer rançon lurent laits
prisonniers, et l'on mit Je feu aux plus belles maisons de la ville, ce qui
causa une grande ruine. Les ecclésiastiques surtout y furent fort maltrai-
tés, parce <jue le seigneur de Liscoet, ainsi (|ue tous ses gens, étaient
huguenots, el comme tels, ennemis naturels des prêtres. Pendant (|u'ils
pillaient la chapelle de Notre-Dame-des-Portes, qui se trouve dans
l'enceinte du château, l'un de ces héréti(|ues força le tabernacle, où il
trouva le saint ciboire dans lequel il y avait une hostie consacrée. Il jeta
l'hoslie par terre el la foula aux pieds, comme un abominable qu'il était.
In pauvre prêtre, qu'on venait de prendre la et (ju'on gardait prisonnier,
touché du zèle de Dieu, se prosterne avec grande humilité, et, pronon-
çant l'oraison : Corpus Domini, etc., il lève l'hostie, l'adore et Pavale.
De (|uoi le huguenot sacrilège, én)u de rage, tire son épée. « Eh (pioi !
misérable, dil-il, tu oses encore idolâtrer en ma présence! » En vocilé-
rant ces mots, il le perce de part eu part et le tue sur-le-champ. « Ainsi
mourut ce bon prêtre, duquel le nom n'a point été conservé, malheureu-
sement pour riionneur dû a notre rédemption. »
Sur ces entrefaites, le roi, qui était alors a la poursuite du duc de
Parme, ayant appris la défaite des princes devant Craon, envova promp-
lement Monlmartin a Vitré, pour rassurer celte ville sur laipielle il sup-
posait (|ue le duc de Mercœnr avait depuis longtemps des desseins, |)arce
(|ii'élanl sur la frontière de Bretagne, elle était avantageusement située
'ir,4 IIISTOIHE DE L'ÉTABLISSEMENT
|)Our les affaires de la guerre qui se faisait en ce niomeiil. Le prince de
bombes, après la mort de son père, le duc de Monlpensier, qui venait
de s'éteindre dépuisement a Lisieux, lui succédait dans le gouvernement
de Normandie. Il fut remplacé en Bretagne par le maréchal d'Aumont,
auquel Sa Majesté donna pour lieutenant Monsieur de Saint-Luc, oflicier
d'une grande expérience et de beaucoup d'esprit, et Mercœur, voyant
qu'il n'y avait rien a gagner du côté de Vitré, se rabattit sur Maleslroit,
qui se rendit à la première sommation. (Cavet, ubi sup.)
Le prince de Dombes, qui s'appellera désormais le duc de Montpen-
sier, et qui s'était mis en route pour venir au secours de Malestroit,
trouvant la ville prise, se retourna du côté de Dinan, où trois cents
Lorrains, nouvellenjent arrivés au secours de Mercœur, avaient pris leurs
quartiers dans les faubourgs. Il s'en approcha dans le plus grand silence,
'a la faveur d'une nuit obscure; et, dès le point du jour, il les attaqua
Ijrusquement, en tua une partie et força les autres a se retirer dans une
église, où ils furent bientôt obligés de capituler.
En même temps, le maréchal d'Aumont, qui se rendait dans son nou-
veau gouvernement, était déjà arrivé à Tours, où il rassembla une armée
avec laquelle il alla camper devant Mayenne, espérant attirer de ce côté-
La Bois-Dauphin, qui se tenait alors a Laval, et avoir l'occasion de livrer
une bataille 'a ce chef dangereux, s'il venait au secours de la ville assié-
gée ; mais Bois-Dauphin ne bougea pas, et Mayenne livra ses portes au
bout de quinze jours de tranchée ouverte.
Alors ceux d'Angers députèrent au maréchal pour l'engager a venir
les délivrer de la garnison ligueuse de Rochefort, qui, sous la conduite
d'un nommé de Saint-OIl'ange, traversait souvent le ileuve sur une galère
armée, ruinait tout leur pays et mettait a contribution jusqu'à leurs fau-
bourgs. Pour mieux décider d'Aumont, ils lui représentèrent qu'il ne
serait pas dillicile de forcer cette caverne de voleurs, et ils lui promirent
qu'ils lui fourniraient tout l'argent nécessaire pour payer ses soldats. Il
se résolut donc a venir faire ce siège. Le prince de Conti vint le rejoindre
avec ce qui lui restait de son armée depuis la déroute de Craon, et l'on
fit conduire devant la place toute l'artillerie, qui se composait de dix
grosses pièces et de deux coulevrines.
lîochefort est située au haut d'un rocher d'ardoise, à une courte dis-
tance de la Loire, entre la petite rivière de Laïon et un gros ruisseau qui
sort de l'étang de Brissac. De cette situation, cette place commande la
petite ville de Saint-Symphorien, 'a laquelle elle est jointe par un pont,
et 'a l'opposite s'élève un autre rocher, encore plus escarpé, qu'on
appelle La Gueusie, et sur lequel il y avait eu autrefois un château qui
avait été ruiné dans les guerres contre les Anglais. Ce fut sur cet
emplacement que le maréchal dressa ses batteries ; mais elles ne tirent
que peu d'effet, 'a cause de l'éloignement. On obtint pourtant plus de
succès contre la tour sur laquelle on pouvait tirer de nouveau, et la
tranchée ayant été achevée, on attacha le mineur au pied des murailles.
On fut néanmoins plus de deux mois sans avancer beaucoup. Enlin,
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 'ia".
la longueur du siège ayant réduit les assiégés a une extrême disette, ils
dépèclirrent vers le duc de Mercœur pour leur demander secours, le
faisant prévenir que sans cela ils seraient oljligés de capituler. Leurs
députés passèrent et repassèrent librement, au milieu des quartiers du
maréchal dWumont, a la laveur des intelligences (pfils avaient dans le
camp royaliste, et quand ils lurent de retour dans la ville, ils ra|)j)or-
tèrent (jue Mercœur faisait ses préparatifs pour venir délivrer Rochefort;
mais dWumonl, qui voyait l'hiver s'approcher et les eaux grossir, ne
voulut pas attendre l'arrivée du duc, et leva le siège, après y avoir tiré
inutilement plus de deux mille coups de canon.
Alors les Anglais qui servaient dans l'armée royale lirent demander
au nouveau duc de Montpensier la permission de se retirera Domlronl,
alln que le changement d'air pût arrêter le cours des maladies qui
régnaient parmi eux. Le duc leur représenta vainement qu'ils seraient
obligés de passer par un pays ennemi, où ils seraient exposés a èlre
assommés par les paysans, tous fort attachés au ])arti de la Ligue, ils
ne s'en mirent pas moinsen route au nombre de sept cents; mais, s'étanl
arrêtés 'a Ambrières, bourgade 'a trois lieues de Mayenne, où ils séjour-
nèrent une quinzaine de jours, parce que le pays était bon et plantu-
reux, Bois-Dauphin, avec les garnisons de Laval, de Craon et de Fou-
gères, vint les y attaquer. Il les enveloppa et les tailla en pièces après
nn combat opiniâtre. IMus de la moitié de cette bande ou fut faite pri-
sonnière ou resta sur le champ de bataille; les autres se dispersèrent et
se sauvèrent comme chacun put.
On se battait aussi dans le Poitou et sur les contins de la Touraine
avec non moins d'acharnement et de férocité. Le vieux Villequier, dont
les grands biens héréditaires s'étaient encore accrus par les libéralités
de nos rois, possédait, a cinq lieues de Loches, la ville de La Guerche,
située sur la Creuse, et il y faisait sa résidence à l'abri d'une double
sauvegarde, qu'il avait obtenue du roi et du duc de Mayenne. Le gouver-
neur que le duc d'Epernon avait mis dans Loches était un tJascon nommé
Sallerm, homme entreprenant et avide de butin. Il lui vint l'idée de
s'emparer de La Guerche, au mépris du sauf-conduit du roi ; car il savait
(|n'il trouverait l'a d'immenses richesses; mais il lui fallait lui prétexte :
il accusa Villequier d'avoir un (ils engagé dans le parti de la Ligue, et
d'avoir laissé a ce hls le libre passage du pont de La Guerche, pour aller
faire des courses dans la Touraine. (Di: Tiioi , liv. 105, p. 515.)
Tout aussitôt il se mit en marche, et vint escalader les murs de la
ville, qui, prise a l'improviste, n'eut pas même la pensée d'opposer la
moindre résistance. Villecpiier n'eut que le temps de se retirer dans la
citadelle, d'où il trouva le moyen de faire savoir a son (ils le danger
qu'il courait.
Celui-ci accourut aussitôt au secoin-s de son père, 'a la tête de deux
cents cuirassiers, d'un pareil nombre d'anjuebnsiers a cheval, et de
quatre cents hommes d'infanterie française et espagnole avec une pièce
de campagne. Sallerm, de son c(3té, appela a son aide la garnison de
'2:,c lu^sToiiu-: de j;étarlihsement
Chàlillon-sur-Indi'c et le capitaine d'Âbin qui, avec sa bande d'aventu-
riers, se trouvait dans le voisinage, et il fit savoir a ceux du château, oîi
la plupart des nobles des environs (Haient venus se réfugier, qu'il allait
brûler toutes leurs maisons aux alentours de la ville, si la place ne lui
était pas rendue immédiatement. A cette menace, ils demandèrent a se
retirer, malgré les edorts que lit pour les retenir le vieux Villequier, qui
les suppliait les larmes aux yeux de ne pas l'abandonner a la merci d'un
(iascon allamé.
Ouaud ils lurent partis, Sallerm laissa un nombre sul'lisant de soldats
pour maintenir ceux qui restaient dans le château, et s'en alla avec le
reste de ses troupes au-devant du jeune Villequier, qu'il rencontra au-
dessous de Château-d'IsIe, où il s'était campé sous la protection du l'eu
de l'artillerie de cette place. La bataille commença à l'instant même. Les
trou|)es espagnoles, qui formaient le premier rang des Ligueurs, furent
presque aussit(jt culbutées, et les autres, saisies d'une terreur panique,
prirent la fuite dans le plus grand désordre.
Ces fuyards, voyant que le passage leur était fermé du côté de Chau-
vigny, où se tenait la compagnie de d'Abin, se jetèrent dans la Vienne
et cherchèrent 'a se sauver, partie a la nage, partie sur les bar(|ues (ju'ils
purent se procurer. Le jeune Villequier se jeta l'un des premiers dans
une de ces embarcations, qui se trouva bientôt, comme toutes les autres,
surchargée de la foule pressée, et se précipitant dans le plus grand
désordre pour se soustraire au feu terrible que faisait l'ennemi. Celle
barque, comme presque toutes, s'enfonça. La rivière parut aussitôt cou-
verte de gens qui se noyaient. C'était un spectacle elfrayant devoir sur-
nager des bras, des têtes et des jambes, au milieu des chapeaux, des
armes et des manteaux qui lloltaient sur l'eau; les cris Je ces malheu-
reux, se mêlant aux détonations des armes 'a feu, augmentaient l'horreur
du spectacle. Il y eut plus de quatre cents soldats qui périrent ainsi
submergés, sans compter ceux qui se laissèrent tuer sur le rivage, et on
ne fit que cinquante prisonniers. La nuit qui survint permit au petit
nombre qui survécut a ce désastre de s'échapper du mieux que chacun
put. Le vainqueur vint ensuite investir Chàteau-d'Isle, où le jeune
Villequier avait laissé ses bagages et son canon, et la place, tout
elTrayée, se rendit "a la première sommation.
Sallerm, après cette victoire, revint à La Guerche, où le vieux
seigneur de Villequier, qui avait à pleurer son malheur et la mort de
son fils, fut lait prisonnier. Tons ses riches meubles devinrent la proie
de l'avide Gascon, auquel le roi fit, en outre, présent de tous les emplois
militaires et olfices vénaux de la noblesse poitevine qui avait péri dans
cette affaire.
En Bourgogne, depuis le départ du maréchal d'Aumont,qui n'y avait
apporté que troubles et désastres parmi les royalistes, ceux-ci avaient
encore beaucoup de peine à se remettre. Pourtant un certain seigneur du
parti, nommé Vilry, trouva, « par grande subtilité d'esprit, » le moyen
de faire réussir un dessein difficile et périlleux. Il est vrai que ce lut un
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 257
autre que lui qui profita du succès. Il gagna un soldat qui faisait partie
de la garnison de Saulx-le-Duc, bonne place a quatre lieues de Dijon et
tenue par les Ligueurs. Ce soldat lui promit de descendre la nuit une
ficelle du haut du rempart, pendant qu'il serait en faction, pour qu'on y
attachai une échelle de corde cpi'il remonterait lui-même, et qu'il fixerait
solidement. Mon dit sieur de Vilry et ses gens devaient monter par là
et s'introduire secrètement dans la place. Cela fut exécuté comme il était
convenu. Les royalistes se glissèrent sans avoir été aperçus, et le com-
mandant ligueur fut massacré ainsi (|ue ceux de ses soldats qui tentèrent
de se mettre en défense. Vitry était donc maître. {Mém. de Tavannes,
ad ann. 1507).)
iMais, pour mettre 'a lin cette entreprise, il s'était l'ait aider d'un
capitaine nommé de La Marche, qui lui avait fourni les hommes de sa
compagnie. « Ne serait il pas prudent, dit le capitaine, d'aller recon-
naître ce qui se passe dehors, et de savoir si personne ne songe à venir
nous disputer notre concpiète? » Vitry y alla. A peine fut-il sorti de la
place, (jue la porte lui fut fermée par le dit capitaine, lequel se constitua
tout aussitôt gouverneur pour le roi de Saulx-le-Duc.
Vitry résolut de se venger de cette trahison. La femme du capitaine
La Marche était pour lors au château de Grancey, avec le reste des sol-
dats de son mari, que Tavannes avait nommé commandant de ce poste.
Vitry crut pouvoir surprendre ce château, par le même moyen qui lui
avait déjà réussi pour Saulx-le-Duc; mais, comme il se trouvait à un
rendez-vous de nuit, sur la contrescarpe, avec un soldat de la garnison
qu'il avait déjà gagné, il fut entouré par des gens qu'on avait cachés
derrière des buissons dans le voisinage, et qui l'attaquèrent 'a grands
coups d'arquebusades, dont il fs-it tué. « Certes, la perte de ce gentil-
homme était 'a regretter pour le roi, tant a cause de sa valeur que pour
l'alfoction qu'il avait au service de Sa Majesté. »
Jean de Saulx, vicomte de Ligny, et qui -portait aussi le nom de
Tavannes, vint 'a cette époque prendre le commandement des troupes de
la Ligue, en Bourgogne. Après avoir été fait prisonnier au siège de
Xoyon, comme on l'a vu plus haut, il avait été échangé contre la mère,
la femme et les sœurs du duc de Longueville, et cet échange, dit-il lui-
même avec assez de vanité, coûta cher au roi. En elfet, si on veut l'en
croire, ce lut 'a l'aide de ses bons conseils cpie le prince de Parme était
parvenu a faire lever le siège de Rouen. {Mém. du maréchal de Tavannes,
p. IGO.)
« Quand j'arrivai en Bourgogne, dit-il, où le duc de .Mayenne avait
mis tous les commandants des places sous ma direction, je trouvai les
gouverneurs de Dijon, de Beaune et de Chalon assez d'accord ensemble;
mais il y avait une faction de gentilshommes établie dans les cam-
pagnes; et les sinq)les capitaines qui s'étaient installés dans les châteaux
•voulaient trancher du gouverneur. A la moindre observation, ils me me-
naçaient de porter plainte au duc de Mayennee, se vantant d'avoir déj'a
fait prendre et punir deux des gouverneurs de la province, (jui m'avaient
IV. 17
258 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
précédé. Aussi n'est-il pas étonnant que l'ambition de tous ces gens-la,
leur avarice, leurs artifices, leurs calomnies et leurs divisions, aient fini
par ruiner les affaires de la cause en ce pays-la. » (Ibid., p. 182.)
Le vicomte, ayant joint ses forces à celles du marquis de Tréfort,
qui lui amenait quatre cents chevaux de la Savoie, vint assiéger la ville
de Verdun, où le sieur de Bissy commandait pour le roi. Tavannes réso-
lut de faire lever le siège de cette place, et fit passer la rivière de Saône
a ses troupes, partie a gué, partie à la nage; et ayant fait plus de douze
lieues en un seul jour, il parvint à entrer dans Verdun sans avoir été
arrêté par les assiégeants. Bissy, qui parlait déjà de capituler, reprit
courage a l'arrivée de ce secours. Il rompit toutes les négociations
qui étaient déjà en termes d'être signées, et les Ligueurs redoublèrent
d'efforts pour ressaisir la conquête qu'ils voyaient sur le point de leur
échapper. [Mém. de Tavannes, ad ann. 1593.)
Ils imaginèrent de construire un grand bateau couvert par le devant,
de manière à mettre à l'abri des mouscfuetades ceux qui le montaient.
Ils y firent entrer quatre-vingts hommes armés de cuirasses et d'arque-
buses, et ils le dirigèrent vers la ville; mais les soldats de Tavannes, la
pique à la main, s'opposèrent si résolument au débarquement de cette
troupe, que ceux qui étaient sur le devant du bateau se rejetèrent brus-
quement en arrière dans le plus grand désordre, d'oii il arriva que l'em-
barcation chavira et que tous furent noyés, à l'exception de quelques-
uns, auxquels, par pitié, les royalistes tendirent leurs piques pour les
repêcher, et qui furent faits prisonniers.
Le vicomte, découragé par cet échec, leva le siège, et se retira en
bel ordre du côté de Chalon. « Pour le sieur de Tavannes, ayant acquis
là une grande réputation, il s'en revint incontinent vers la ville de
Flavigny. »
Vers cette même époque, le maréchal de Bouillon s'était retiré à
Sedan, avec la permission du roi. Il apprit là que le seigneur d'Amblise,
grand maréchal du duc de Lorraine, avait assemblé les garnisons de
Villefranche, de Verdun et de Dun, et qu'après avoir brûlé le bourg de
La Mark, il était venu mettre le siège devant Beaumont, dans la forêt
d'Argonne. Aussitôt, réunissant à son tour les garnisons des villes
royalistes de ces contrées, il se mit en chemin pour venir au secours
des assiégés, en bonne résolution de livrer une bataille. {Mém. de la
Ligue, t. V, p. 155.)
D'Amblise, averti de l'approche de l'ennemi, envoya au-devant de lui
trois bataillons, qui le rencontrèrent sur une hauteur dont il voulait se
saisir. Le combat s'échauffa en cet endroit; les Ligueurs furent enfin
repoussés et se retirèrent en désordre. Par malheur, le maréchal, qui
prit des premiers part à l'action, y reçut deux blessures, l'une au-dessous
de l'œil droit, et l'autre dans le bas-ventre, ce qui l'empêcha de pour-
suivre les fuyards ; mais il donna l'ordre à Rumenil, son lieutenant, d'aller
les attaquer, sans leur laisser le temps de se reconnaître, jusque sous
les murs de la place assiégée; et ceux de Beaumont, ayant fait en même
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 259
leinps une sortie, les Ligueurs, enveloppés de toutes parts, furent enfin
mis dans une déroute complète. Ils perdirent plus de cinq cents
hommes; on leur prit leur canon et tous leurs drapeaux; d'Amblise
lui-même l'ut tué, et on désarma trois cents Allemands, qui se rendirent
avec leur commandant.
Quand le maréchal fut remis de sa double blessure, il arriva qu'un
nonimé Uicher, homme de grande industrie, lui communicpia un plan
de Dun-sur-Meuse, par lequel plan il fut convaincu qu'il lui serait facile
de s'approcher de la haute ville et de la surprendre. Cette partie de la
place, qui commande à l'autre partie, était à la vérité défendue, du côté
de la campagne, par une triple porte et une herse placée entre la seconde
et la troisième lermelure. Les deux premières pouvaient aisément céder
au pétard, puis, en tenant suspendue avec un appui la herse, avant qu'on
eût eu le temps de la baisser, il ne restait plus ([ue la troisième porte 'a
faire sauter. {Mém. de la Ligue, t. V, p. 179.)
Douillon se mit incontinent en route, le sixième jour de décembre, et
il arriva au milieu de la nuit au pied du rempart de la haute ville. Sans
perdre de temps, il lit mettre pied à terre a sa cavalerie, et ceux qui
portaient les pétards, et qui devaient arrêter la herse, s'avancèrent les
premiers. La sentinelle qui veillait sur les murailles, avertie par quelque
bruit, leur cria : « Qui vive! — C'est Monseigneur de Bouillon qui vient
(liner dans votre ville, » répondit Richer, qui conduisait l'entreprise et
qui avait déjà eu le temps de laire attacher le pétard à la première porte.
On le ht jouer aussitôt, et cette porte sauta. La seconde fut également
renversée; mais la garnison, ayant lâché la herse, qu'on n'avait pas eu
encore le temps de soutenir, Richer, qui se trouvait dessous, fut écrasé
avec (|uelques soldats. On fut obligé de la briser a l'aide d'un troisième
pétard. 11 ne restait plus que la troisième porte, qui fut enq^orlée à son
tour; puis, une soixantaine des plus braves s'étant tout d'abord jetés par
l'ouverture, ils furent bientôt suivis d'un grand nombre d'autres, malgré
le danger.
On courut aussitôt fermer [le guichet qui servait de communication
entre la haute ville et la basse, pour empêcher que la garnison de cette
dernière n'accourût au secours de ceux (ju'on venait de surprendre;
ensuite on se battit longtemps dans les ténèbres, avec dilférenls succès,
depuis trois heures du matin jusqu'à sept heures, et la garnison avait
soin de faire courir (|ucl(iues-uns des siens sur les remparts en criant :
Victoire ! alin d'épouvanter ceux des royalistes qui étaient encore dehors,
et de les détourner d'entrer. Mais ceux-ci n'en continuaient pas moins
(l'entrera la (ile. Le maréchal lui-même tournait 'a cheval autour de la
place, pour voir s'il ne recevrait aucun signal de ceux de ses soldats qui
étaient déj'a dedans.
A la hn pourtant ceux de la ville, épuisés de fatigue, et voyant 'a
cha(|ue instant arriver de nouveaux adversaires, se retirèrent dans la
tour, où, se trouvant sans espoir d'être secourus, ils se rendirent vers
l'heure de midi. Ceux de la ville basse, tout effrayés de voir l'ennemi
260 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
établi au-dessus d'eux, se sauvèrent a la hâte, après avoir mis le feu dans
tous les quartiers. Le maréchal fit aussitôt éteindre l'incendie et revint
en triomphe a Sedan.
En cette année-la, la guerre ne se fit pas avec beaucoup d'activité
dans la Guyenne. On y découvrit cependant, au mois d'août, une conspi-
ration machinée par le gouverneur de Fontarabie, pour faire tomber
Bayonne au pouvoir de l'Espagne. Ce gouverneur avait, au moyen de
grandes sommes qu'il lui avait promises, gagné un médecin de la dite
ville de Bayonne nommé Blancpignon, et il s'était servi, pour cette négo-
ciation, d'un certain Espagnol, qui demeurait depuis longtemps en
France. Malheureusement pour l'un et pour l'autre de ces deux complo-
teurs, le médecin et l'Espagnol, leurs menées furent découvertes par
une lettre, interceptée, que Blancpignon avait eu l'imprudence
d'écrire au gouverneur de Fontarabie. Il lui disait, en se servant des
termes de son métier, que, « pour la maladie dont il était question, il
était nécessaire de faire promptement une abondante saignée. » Le por-
teur de cette lettre, ayant été interrogé, avoua tout ce qu'il savait de la
conspiration. Blancpignon et l'Espagnol, qu'on arrêta de suite et
qu'on appliqua 'a la question, confessèrent tout le reste. Puis, Monsieur
de La Hillière, gouverneur de la ville de Bayonne, ayant appris par leurs
révélations qu'une flotte espagnole était dans le voisinage pour prêter la
main au complot, résolut de l'attirer elle-même dans le piège où on
avait voulu le faire tomber. Il proposa donc 'a l'Espagnol, en lui pro-
mettant sa grâce, de copier une lettre qu'il avait habilement composée,
pour que la flotte, ne se défiant de rien, vînt se faire prendre dans une
embuscade qu'il tenait toute prête; mais le malheureux Espagnol, sans
se laisser ébranler'par la crainte du supplice, fit paraître autant de fer-
meté pour ne pas trahir ses compatriotes que le médecin, son complice,
avait montré de lâcheté et d'astuce 'a vendre les siens : il fut exécuté en
place publique. Pour Blancpignon, il trouva, dit-on, le moyen d'avoir sa
grâce et se retira 'a Troyes en Champagne, lieu de sa naissance, où il
vécut tranquillement jusqu'à l'âge de plus de quatre-vingts ans. (DeThou,
ubi Slip.)
C'est 'a peu près la tout ce qui arriva d'important en Guyenne pen-
dant le cours de cette année. Mais dans le Languedoc, Scipion de
Joyeuse agissait avec plus d'activité en faveur de la Ligue. Ce jeune
seigneur, plein de bravoure, consultait toutefois encore plus ses propres
intérêts que ceux de son parti et de Mayenne. Il venait de recevoir du
roi d'Espagne quelques troupes allemandes, 'a l'aide desquelles il espérait
bien se rendre indépendant dans la province. Déjà il avait pris plusieurs
villes sur ceux du parti du roi, et tout récemment il venait de s'emparer
de la ville basse de Carcassonne, dont depuis longtemps déjà il possédait
l'autre quartier. {Mém. de la Ligue, p. 157 et suiv.)
De Ta, tournant vers le Quercy, il se mit à ravager toute la campagne,
jusque dans le voisinage de Montauban, « n'oubliant rien de ce qui peut
être dit cruel et| épouvantable, ni le viol des femmes, ni l'incendie des
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 261
villages et métairies, ni le meurtre des pauvres paysans, ni les blas-
phèmes (lu saint nom de Dieu, qui étaient comptés entre les menus
passe-temps de ce jeune seigneur. »
Il vint enfin mettre le siège devant Villemur, sur le Tarn, où com-
mandait Reniers avec une garnison de trois cents hommes seulement.
Ce gouverneur, (pii était malade, se retira tout aussitôt à Montauban, en
intention, disait-il, d'assembler des secours. (Ubisup.)
Or, en ce moment même, La Valette assiégeait aussi la forteresse de
Roquebrune, dont les Savoyards étaient encore en possession, et qui est
située tout près de Fréjus, en Provence. L'artillerie ayant ouvert la brèche,
il lit donner un assaut qui l'ut repoussé avec grande perte de ses soldats;
ensuite de quoi on alla dresser les batteries contre une autre partie des
murailles qu'on supposait plus abordable. Mais, La Valette, s'étant
avancé trop inconsidérément pour présider lui-même a cette opération,
fut atteint d'un coup d'anjuebuse, dont il mourut deux heures après.
(De Thoi', ibid., p. 540 et 555.)
Le duc d'Epcrnon, son frère et son héritier, apprit avec douleur cette
triste nouvelle. « Il prit occasion de cet accident pour demander au roi
le gouvernement de la Provence que possédait le défunt, » et, pour
mieux appuyer ses prétentions, il eut grand soin que le roi n'ignorât
pas (|uc les Gascons avaient dit : « C'est le duc d'Epernon que nous vou-
lons pour gouverneur ; et si on nous en donne un autre, nous prendrons
tel parti que le droit de la guerre et la fortune des armes nous fera
trouver bon. » Sa Majesté, sur une demande ainsi formulée, ne crut pas
devoir refuser, bien (|u'ellc n'eût pas oublié que le duc l'avait abandonnée
après la mort de Henri 111, et qu'elle se méfiât de cet esprit fier et am-
bitieux. (Mkzeray, t. III, p. 976.)
En attendant, d'Epernon se mit en route avec une armée, afin d'aller
prendre possession d'avance d'un gouvernement qu'il savait bien ne pou-
voir lui échapper. Seulement, il se détourna un peu pour aller secourir
Villemur, qu'assiégeait alors, comme on vient de le dire, le duc de
Joyeuse. D'Epernon tenait 'a donner au moins au roi cette preuve de
bonne volonté pour ses intérêts.
A la nouvelle de l'approche d'un ennemi de beaucoup supérieur en
forces. Joyeuse leva le siège; mais, ayant appris que les ar<|uebusiers
du duc d'Epernon marchaient avec assez peu d'ordre, il fondit sur eux
au moment oîi ils s'y attendaient le moins, en tua quatre cents et leur
enleva deux couleuvrines. D'Epernon avait pris les devants, tout satisfait
d'avoir fait lever le siège de N'illemur, et surtout très-pressé d'entrer
immédiatement en Provence. Joyeuse se revit donc en liberté de venir
reprendre le siège, et Villemur se trouva plus serrée (ju'auparavant.
Thémines, que d'Epernon avait laissé derrière lui en Languedoc
avec (juelques troupes, résolut de jeter du secours dans la place assiégée,
'a quehpie prix que ce fût. Le dix-neuvième jour de septembre, à neuf
heures du soir, il partit avec cent vingt cuirassiers et deux cents arque-
busiers choisis; étant arrivé près des remparts sans avoir été aperçu, il
262 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
fit mettre pied a terre à ses gens, renvoya les chevaux, et entra dans le
pins grand silence par une poterne que lui ouvrirent ceux de la ville.
Ce secours arrivait à temps ; car le lendemain même, Joyeuse, ayant
jugé la brèche praticable, ordonna l'assaut ; mais il se vit repoussé avec
pertes, et depuis lors, les assiégeants découragés n'agirent plus qu'avec
lenteur et irrésolution, malgré tous les efl'orts de leur général et de ses
principaux officiers pour leur remettre le cœur, et tâcher de s'emparer de
la place avant l'arrivée d'un nouveau secours qui devait bientôt venir aux
assiégés.
En effet, le duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, avait eu
enfin l'idée que ce serait chose indigne d'abandonner tous les braves
gens qui étaient allés s'enfermer dans Villemur, et il envoyait a leur
aide Antoine de Lèques, fort bon capitaine, lequel, s'étanl joint a Rasti-
gnac, gouverneur d'Auvergne, prit sa roule par Bellegarde. Le duc de
Joyeuse avait nouvelle de leur prochaine arrivée; il voulut leur épargner
une partie du chemin, et après avoir laissé un nombre suffisant de sol-
dats pour garder ses tranchées, il vint au-devant d'eux.
Il y eut la un combat sanglant, où les pertes et les avantages furent
si bien partagés, que chacun des deux partis put s'attribuer la victoire.
Les royalistes restèrent campés sur le champ de bataille, et Joyeuse
revint au siège, où il fit allumer des feux de joie pour célébrer ce qu'il
ap'pelait son triomphe. Thémines alors, prévoyant un nouvel assaut, en-
couragea tout son monde a bien faire, et a se défendre jusqu'à, la dernière
extrémité.
Or, l'armée royale venait de s'augmenter de quelques secours
amenés par les seigneurs des environs. On tint un conseil, dans lequel
il fut décidé qu'on marcherait de rechef contre Joyeuse, et comme on
avait appris que celui-ci, ne se doutant de rien et se croyant 'a l'abri de
tout danger pour le moment, avait dispersé sa cavalerie dans les bourgs
aux environs, on se présenta subitement devant son camp en ordre de
bataille, le lundi vingtième jour d'octobre. C'était le malin, le soleil se
levait dans un ciel brumeux et traçait dans les nues un bel arc-en-ciel
précisément au-dessus de l'armée royaliste, qui semblait déjà toute cou-
ronnée de gloire; les assiégeants, pris au dépourvu, tirèrent un mauvais
présage à l'aspect de ce météore qui brillait an-dessus de leurs ennemis.
Leur première tranchée fut à l'instant même vigoureusement atta-
quée, et ceux qui la gardaient bientôt balayés, sans avoir eu le
temps d'opposer beaucoup de résistance. Joyeuse alors s'efforça de rallier
ses soldats derrière la tranchée. On le voyait lui-même, courant de rang
en rang, exhorter les siens de la voix et par son exemple, pendant que
l'armée royaliste s'avançait avec résolution, et faisait un feu meurtrier
sur les retranchements, d'où les troupes de la Ligue répondaient par un
feu plus meurtrier encore. Mais tout à coup Thémines fil une sortie à la
tête de sa garnison. Les ennemis, attaqués par devant et par derrière,
perdirent contenance; les uns se précipitèrent dans le Tarn, le reste fut
taillé en pièces.
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 263
Le (lue de Joyeuse, onlraîiié lui même dans la déroule générale, cher-
chait a gagner Condoniincs, accompagné de qneh|ucs-nns de ses gentils-
hommes qui s'étaient ralliés autour de lui. Il trouva qu'on avait déjà
rompu le pont de hateaux qu'il avait fait jeler sur le Tarn, et que la
rivière était toute couverte des malheureux qui se noyaient, a Adieu,
mes heaux canons! dit-il en jetant un dernier regard sur son artillerie,
qui était arrêtée sur la rive et qui allait bientôt tomber au pouvoir du
vain((ueur. Ah ! je renie Dieu ! Je vois bien que je cours aujourd'hui ma
dernière fortune. « El, malgré les elforls de ceux qui cherchaient 'a le
retenir, il poussa son cheval dans le courant. Le pauvre animal manijua
de forces et se noya avec son maître.
Les Ligueurs avaient perdu, dans cette défaite, plus de deux mille
hommes, vingt-deux drapeaux, et presque toute l'artillerie qu'ils avaient
amenée pour faire ce siège.
Toulouse, 'a la nouvelle d'un pareil désastre, fut plongée dans la
consternation. Le cardinal de Joyeuse, qui se trouvait alors dans cette
ville, en fut déclaré gouverneur par arrêt du parlement; mais comme il
s'excusait de se mettre à la tête des troupes, parce que sa qualité de
prêtre le lui défendait, et que, de plus, on le savait tout 'a fait étranger
au métier des armes, on alla chercher dans le couvent des Capucins le
comte Du Bouchage, qui, comme on sait, avait pris l'habit de cet ordre
sous le nom de Frère Ange de Joyeuse, et comme celui-ci témoignait à
son tour quelque répugnance à rompre les va»ux qu'il avait faits, on lit,
sur sa demande, une assemblée de théologiens, de curés et d'évêques,
qui décidèrent non seulement que le comte pouvait en toute sûreté de
conscience quitter le cloître pour commander l'armée, mais qu'il y était
même obligé sous peine de péché mortel, attendu qu'il s'agissait de
prendre la défense de la religion dans un temps où elle en avait un si
grand besoin. Le comte capucin quitta donc son froc; il se montra en
habit militaire a la foule, qui le reçut avec de grandes acclamations, et le
parlement l'associa 'a son frère dans le gouvernement de la province. Le
cardinal devait être chargé des affaires administratives, et le capucin
défroqué du commandement des armées.
Sur ces entrefaites, Lesdiguières, après avoir terminé la session des
Etats du Dauphiné, se disposait a passer en Piémont, pour y continuer
la guerre contre le duc de Savoie; mais quand il eut appris la mort de
La Valette, il se porta avec ses troupes dans la Provence, ahu de garan-
tir cette province de tout danger, en attendant que le roi y eût nommé
un autre gouverneur. S'étant donc d'abord rendu à Embrun, il alla de
l'a assiéger Benne, dont le gouverneur lui ouvrit les portes, moyennant
une somme de cinq mille écus d'or. Un grand nombre d'autres comman-
dants de place imitèrent cet exemple; puis il vint attaquer les retranche-
ments et les forts que les Savoyards avaient élevés sur la rive opposée du
Var, du côté de Nice. 11 battit leurs troujjes, prit leurs forts, leurs bagages
et leurs chevaux, et les poursuivi» jusqu'aux portes de Nice. (De Thou,
uhi Slip.)
264 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Deux jours après, il alla prendre Vence, mais sans pouvoir toute-
fois se rendre maître de la citadelle, qui est extrêmement forte. Il revint
ensuite vers Antibes, où il laissa une bonne garnison ; il passa par
Grasse, et le dix-buitième jour de juin, il assiégeait la ville de Muy,
qui se rendit après huit jours de tranchée ouverte. Le pillage fut épargné
à cette ville et a plusieurs autres, qui se rendirent également, moyennant
une contiibution qu'on leur fit payer, et vingt mille écus d'or, que les
Marseillais donnèrent pour celles qui n'avaient pas le moyen de se rache-
ter elles-mêmes.
Mais pendant ce temps-la, Scipion de Maugiron, qui était gouverneur
de Vienne, s'était laissé gagner a force d'argent par le duc de Nemours,
et lui livrait la ville, avec le château Pipet et les forts de Sainte-Colombe
et de la Bastide. Le duc prenait aussi a composition Saint-Marcellin, et,
de là, accompagné de don Olivarez, il était venu assiéger les Echelles,
place que Lesdiguières avait tout récemment fait fortifier, sur les fron-
tières de Savoie. L'assaut fut donné le quatrième jour d'août. Les assié-
geants, étant parvenus a franchir la brèche, s'emparèrent de la grande
rue, et la garnison, qui avait été repoussée dans une église, fut forcée
au bout de quelques heures. Tout fut passé au fil de l'épée; le soldat
n'épargna pas même les femmes et les petits enfants.
Les royalistes eurent aussi presque en même temps le malheur de
perdre Antibes. Le duc de Savoie, a la tête d'une nouvelle armée, passa
le Var, et vint en personne assiéger cette ville. Le comte de Bar en était
gouverneur. Dans la crainte que le duc de Savoie, qui était son ennemi
particulier, ne lui fit un mauvais parti, il se retira sous prétexte d'aller
chercher du secours, et laissa le commandement a son frère. Cette
place est située sur le bord de la mer et partagée comme en deux villes;
elle est, au reste, protégée par une bonne citadelle, et Ton s'attendait 'a
la voir bientôt secourue par Lesdiguières et par d'Epernon.
Le duc commença son attaque avec une puissante artillerie qu'on
avait fait venir par mer, et, ayant fait une grande brèche, 'a la porte
Saint-Sébastien, il s'empara d'abord de tout le quartier qu'on appelle la
Ville-Neuve, où l'on passa par les armes, sans faire de distinction, bour-
geois et soldats. C'est a i)cine si Ton fit grâce aux femmes et aux enfants
qui avaient cherché un refuge dans l'église. Ceux des habitants qui
purent échapper 'a ce carnage se sauvèrent dans l'autre quartier qui
avoisine la mer, et qui est séparé du premier par une muraille contre
laquelle le duc recommença a faire jouer son artillerie. La largeur de la
brèche ouverte par les boulets ne put ébranler le courage des assiégés,
qui lui tuèrent beaucoup de monde dans les sorties qu'ils ne cessaient
de faire, et lui-même, pendant qu'il allait de poste en poste pour
enhardir les siens, faillit être emporté par un boulet de canon.
Mais a la fin, ceux de la ville, désespérant d'être secourus, et ayant vu
tailler en pièces une troupe de trois cents hommes, que Lesdiguières leur
envoyait, sans qu'aucun pût entrer dans la place, demandèrent à ca-
pituler; ce qui leur tut accordé, 'a condition qu'ils laisseraient leurs
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 265
armes et leurs drapeaux, et qu'ils n'auraient que vie et bagues sauves.
Il ne restait plus que la citadelle, où était le frère du comte de Dar,
qui tînt encore ; mais celui-ci ayant, comme on le croit, reçu sous
main une grosse somme d'argent, consentit enfin a sortir de ce fort,
le septième jour d'août.
Le butin (jue fit rennemi lut estiuié, dit-on, a trois cent mille écus
d'or; mais, ce qui est beaucoup plus certain, c'est que les habitants,
qu'on avait d'abord chassés de leurs maisons, payèrent trente mille écus
d'or pour y rentrer.
Lesdiguières, pour réparer cette perte, dont il ressentit une grande
mortification, fit sa jonction avec la troupe d'Ornano, et tous les deux
allèrent attaijuer Le Molard, dans le voisinage de Saiut-Marcelliu, qui
venait d'être pris par le duc de Nemours. La garnison de cette place
l'abandonna, saus oser attendre l'arrivée des troupes royalistes, qui
vinrent de la assiéger Saint-Marcellin même. Cette dernière ville se rendit
également ; puis on s'avança jusque sous les murs de Vienne, mais sans
oser alla<juer ni la place ni les forts si lâchement livrés a l'ennemi par
Maugiron.
Le duc de Savoie, sachant l'ennemi si près, rentra en Savoie, après
avoir laissé toutes ses compagnies espagnoles pour défendre Antibes.
Lesdiguières le poursuivit, et fit d'abord une tentative inutile sin* Pigne-
rol; il fut plus heureux 'a La Pérouse, dont il se rendit maître par une
surprise de nuit. Ayant alors appris que l'ennemi assemblait ses troupes
au Vigon, il résolut d'aller l'y attaquer, et le troisième jour d'octobre, il
fit investir Le \'igon par sa cavalerie. Ensuite l'infanterie alla enlever les
barricades (jui avaient été élevées autour de la place, et força les
Savoyards 'a se retirer derrière les murailles, où les royalistes vinrent
immédiatement les attaquer. Le combat dura plus de deux heures
avec une grande opiniâtreté; mais enfin l'ennemi fut défait avec perte
de plus de douze cents hommes. Maître alors de toute cette partie du
pays (|u'on appelle les Vallées, Lesdiguières lit prêter sermeut aux ha-
bitants d'être fidèles au roi, ce qifils firent avec beaucoup de joie en
apparence.
H se hâtait, pendant ce lemps-la, de fortifier la petite place de
Briipiières, qui n'est éloignée de Turin que de seize milles d'Italie, et
qui commande l'entrée du val Hobio. Pour gagner l'affection des habi-
tants, Lesdiguières se conduisit avec une extrême prudence. Il laissa
|)artout le libre exercice de la religion catholique, mais eu même teuips
il permit à ceux des \'allces, presijue tous prolestants ou vaudois, d'avoir
pour les prêcher un mitnslre ou barbe de leur croyance, « laveur dont
ils élaieut privés depuis longtemps. » Du reste, il maintint la discipline
la plus exacte parmi ses troupes, défendant expressément les jurements
et blasphèmes, et le pillage des paysans.
Le duc de Savoie, (|ui craignait (jue cet habile général ne s'emparât
de Saluées et de tout le marquisat, fit alors des propositions de paix,
oiTraut de rendre toutes les places qu'il tenait encore dans la Provence,
266 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
savoir : Berre, Salons, Grasse et Antibcs ; mais Lesdiguières s'aperçut
que cette promesse ne tendait qu'a gagner du temps, et il refusa de
s'arrêter dans ses conquêtes. Il lit venir son artillerie, qu'on traîna à
travers les Alpes, par les passages de La Pérouse et des Portes, et qu'il
fallu! pendant une bonnne partie du chemin porter a force de bras, les
habitants des Vallées se relayant pour aider a ce transport.
De son côté, d'Épernon n'avait besoin que de se présenter pour
reprendre Grasse et Antibes, tandis (\ue Lesdiguières, ayant réuni toutes
ses forces et tout le matériel nécessaire, marchait contre Cavours, espé-
rant bien attirer le duc lui-même a une bataille générale. Cavours est
située sur la petite rivière de Celles, presque a l'embouchure du Cluson,
et cette place assez importante donne son nom a la vallée (pi'elle com-
mande. Ses remparts sont de briques, et sa position sur un terrain
escarpé, au piec' des hautes montagnes qui la dominent, lui donnent
l'air d une guérite. Sa citadelle est bâtie sur le sommet d'un roc inac-
cessible de tous les côtés, et vis-a-vis s'élève un autre rocher également
inabordable, sur lequel on a construit, en forme de demi-lune, une tour
qu'on appelle communément la tour de Bremafan.
C'est contre cette tour que Lesdiguières dirigea sa première attaque.
Pour établir sur cette pente escarpée une esplanade où il pût dresser ses
batteries, il fit transporter de main en main des sacs de terre dont
chaque soldat avait eu ordre de se munir, et l'on parvint, après des
peines infinies, a composer avec ces matériaux une espèce de plate-forme
sur laquelle les canons purent enfin trouver place.
Mais, pendant qu'on était occupé de ces préparatifs, on eut avis
que le duc de Savoie s'approchait pour délivrer la place. Aussitôt on tint
un conseil de guerre dans lequel les avis furent partagés. Les uns vou-
laient qu'on continuât le siège; d'autres soutenaient qu'il serait plus
prudent de l'abandonner, pour ne pas se laisser enfermer enlre une place
aussi forte et toute l'armée savoyarde. Lesdiguières mit les deux opinions
d'accord en se prononçant pour la continuation du siège et pour mar-
cher en même temps au-devant du duc. « Quelques-uns d'entre nous
suffiront, dit-il, pour tenir ici les assiégés en respect, grâce aux tra-
vaux que nous avons déjà faits et qu'il ne faut pas perdre. Avec nos
autres soldats, nous serons encore assez forts pour vaincre un ennemi
que nous avons déjà tant de fois battu. » Ce fut à ce parti qu'on s'ar-
rêta; et, comme la batterie était enfin établie, on commença un tel
feu contre la vieille tour de Bremafan, depuis les dix heures du matin
jusqu'à cinq heures du soir, que ses antiques murailles furent presque
démolies tout entières, et qu'elle fut emportée d'assaut 'a la vue de la
citadelle.
Le lendemain, les sentinelles, qui veillaient au haut du rocher pour
avertir de rapproche de l'ennemi, annoncèrent qu'on avait entendu pen-
dant la nuit, dans la campagne, un grand bruit de mousqueterie. On sut
bientôt que c'était le duc de Savoie, qui, ayant fait mettre a ses soldats
des chemises par-dessus leurs armes, était venu attaquer les nouvelles
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 267
forlilîcations de Hriquiôres. Après avoir renversé les palissades, sans que
les Français eussent eu le temps de se reconnaître, le Savoyard s'était
déjà emparé de deux bastions; mais la garnison que Lesdiguières avait
laissée dans cette place, sétant enlin réveillée au bruit, avait marché
avec résolution contre l'ennemi, et, après un long combat 'a coups
d'épées, de pierres et d'arquebuses, elle était parvenue 'a le repousser,
le forçant même à abandonner ses échelles et ses morts dans le fossé.
Aussitôt Lesdiguières fit prendre les armes, et courut sur le chemin
de Bri(|nières, à la poursuite du duc, qu'il atteignit sur les huit heures
du malin vers Gar/igliano, où ce prince, après avoir échoué dans son
entreprise nocturne, venait de s'arrêter pour donner du repos a ses
troupes. Cette petite bourgade, bâtie sur un territoire très-fertile, est
toute environnée de jardins et d'un grand nombre d'arbres qui soutien-
nent des vignes, ce qui en rendait l'accès assez difficile aux Français,
dont la principale force consistait en cavalerie. On combattit longtemps
sur les bords d'un petit ruisseau qui séparait les deux armées; puis, les
piquiers du duc de Savoie, ayant été 'a la fin repoussés, se mirent 'a
semer sur le chemin les fers de leurs piques, pour arrêter le passage des
chevaux; mais Lesdiguières fit mettre pied 'a terre 'a ses ar(|uebusiers (|ui
s'avancèrent en bon ordre ; en même temps, il envoya occuper les jar-
dins 'a droite et a gauche, et enfin les Savoyards furent obligés d'éva-
cuer la bourgade, après y avoir perdu une centaine d'hommes. Le com-
mandant général de leur cavalerie y fut fait prisonnier.
Le vainqueur revint aussitôt sous les murs de Cavours ; et les as-
siégés, ayant appris la défaite de. leur duc, demandèrent 'a capituler;
mais celui-ci trouva le moyen de leur faire savoir (jue tout n'était |)oint
encore perdu, et qu'il espérait bien venir incessamment 'a leur secours ;
sur cet avertissement, ils rompirent les négociations qui venaient
de commencer. Alors Lesdiguières fit continuer les travaux du siège
avec une nouvelle activité et dirigea le (eu de ses batteries sur la ville
elle-même.
Il en fit monter une sur un rocher voisin à l'aide de grues placées de
distance en distance dans les dillérentes élévations du roc où l'on pouvait
prendre pied, et, au grand étonnement des habitants, qui ne pouvaient
croire a la réussite d'une pareille entreprise, ils se virent foudroyés d'en
liant, par les boulets qui pleuvaient dans leurs rues et jusque dans l'inté-
rieur de leur citadelle.
En ce moment arrivait le secours que le duc de Savoie leur avait pro-
mis. Il était composé de cent rin(pianle hommes chargés chacun d'un sac
de farine de (piinze livres; car le pain commençait 'a manquer dans la
place. Cette petite troupe était déjà parvenue à se glisser silencieusement
a travers les rocliers, et elle n'était plus guère éloignée des murailles,
(piand elle lut aperçue des Français qui l'enveloppèrent et la taillèrent en
pièces. Il en resta soixante-cinq morts ou blessés sur la place ; on en prit
vingt-deux, et les autres, après avoir jeté leurs sacs de farine pour mieux
courir, parvinrent dans la ville.
268 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Les assiégés perdirent alors toute espérance et reprirent leurs propo-
sitions de capitulation. Lesdiguières les laissa libres de rédiger eux-mêmes
le traité, qu'il signa sans discussion, et le cinquième jour de décembre,
il entra dans Cavours. La garnison ennemie, composée de quatre cents
hommes, sortit avec armes et bagages, et fut escortée jusqu'au Vigon
pour la préserver de toute insulte.
Lesdiguières, ayant ensuite pourvu a la conservation du pays qu'il
venait de conquérir, en plaçant de bonnes garnisons dans les places, et
en distribuant cinquante compagnies d'infanterie sur les frontières du
Piémont, repassa avec sa cavalerie dans le Dauphiné pour se préparer a
une nouvelle expédition qu'il méditait pour le printemps prochain.
(Mézeray, t. 111, p. 982 et suiv.)
Le duc d'Épernon avait pendant ce temps-la reçu les provisions de
la cour pour le gouvernement dejla Provence, dont il avait d'avance pris
possession au milieu de l'allégresse presque générale. Pourtant les trois
grandes villes de cette province s'obstinaient a rester ligueuses. A Âix, un
teinturier nommé Quarrelasse, et un huissier nommé Tempe, s'étaient
établis comme des espèces de tribuns, et excitaient incessamment le
peuple. A Arles, les Ligueurs étaient également tout-puissants. Le duc
d'Épernon tenta vainement de surprendre cette ville au moyen d'un
moine Augustin, qui fut gagné par les ruses d'une lille de joie qu'on lui
députa. Le complot fut découvert; le. pauvre moine fut décollé, tandis
qu'on fouettait au pied de l'échafaud celle qui l'avait entraîné dans ce
malheur. A Marseille, Caseaux continuait a usurper la tyrannie, et, « afin
de se fortifier d'un compagnon de son" humeur, il venait de faire nommer
a la charge de sous-viguier un certain Louis d'Aix, homme de peu, mais
audacieux et scélérat. » Le comte de Garces, qui se croyait plus de
titres à manier le pouvoir, fit dessein de se rendre maître de la ville. Il
vint, la nuit, se mettre en embuscade avec environ cinq mille soldats
a cinq cents pas des murailles.
Vers les cinq heures du matin, et bien avant le jour, il détache cinq
cents des siens pour attaquer la porte d'Aix, comptant que les amis
qu'il avait dans Marseille, et qu'il avait fait prévenir, ne manqueraient
pas d'exciter le peuple en sa faveur. Alors il se tenait tout prêt avec le
reste de ses gens 'a prêter main-forte. Mais comme on distribuait la
poudre 'a ceux qui étaient désignés pour entamer l'entreprise, un soldat
imprudent laissa tomber une bluette de sa mèche dans la caque défoncée
pour la distribution. Le feu s'élance aussitôt en gros tourbillons, étouffe
neuf ou dix de ceux qui étaient les plus près, en grille cinquante a
soixante plus ou moins dangereusement, et le comte, voyant son plan
découvert par les cris que poussaient ces malheureux, se retira au
plus vite.
Caseaux et son complice le sous-viguier se trouvèrent 'a Marseille
plus puissants que jamais. La comtesse de Sault y étant arrivée du
Languedoc avec cent hommes d'armes, dans la galère du duc de Mont-
morency avec lequel elle venait d'avoir des conférences à Arles, Caseaux
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 269
soupçonna qu'elle avait Tintention de livrer la ville au maréclial, et,
oubliant tout ce (ju'il devait a celle dame, (jui l'avait lait ce qu'il était, il
résolut de la faire assassiner par la troupe de brigands qu'il avait a ses
ordres. Par boiilieur pour elle, la comtesse fut avertie a temps et se
sauva de nuit avec le viguicrlicsaudin, dont la cbarge fut aussitôt donnée
au sous-viguier d'Aix,
270 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
CHAPITRE XI
1592-1593. — ARGUMENT : on désire la paix a paris.
MORT DU DUC DE PARME.
MAYENNE ROMPT LES NÉGOCIATIONS ENTAMÉES AVEC VILLEROI.
IL CRÉE QUATRE MARÉCHAUX DE FRANCE ET CONVOQUE LES ÉTATS GÉNÉRAUX.
SA DÉCLARATION A CE SUJET. — EXHORTATION DU LÉGAT.
RÉPONSE DE HENRI IV. — DÉCLARATION DES CATHOLIQUES DU PARTI ROYALISTE.
MAYENNE OUVRE LES ÉTATS. — LA SATIRE MÉNIPPÉE.
LE ROI VA AU-DEVANT DE SA SŒUR. — ENTRÉE DE LA PRINCESSE A RORDEAUX.
ILS SE RENCONTRENT A SAUMUR.
CONSEILS DE DUPLESSIS AU ROI TOUCHANT L'aRJURATION. — LE ROI A TOURS.
RÉPONSE DES CATHOLIQUES DU TIERS PARTI A LA DÉCLARATION
DES CATHOLIQUES ROYALISTES. — RÉPLIQUE DE CEUX-CI.
MAYENNE VA AU-DEVANT DES ESPAGNOLS.
LES ESPAGNOLS REPRENNENT NOYON ET RETOURNENT EN FLANDRE.
HARANGUE DE l'AMDASSADEUR d'ESPAGNE AUX ÉTATS EN PRÉSENTANT LES LETTRES
DE SON MAÎTRE. — HARANGUE DU CARDINAL DE PELLEVÉ.
RÉPONSE DES ÉTATS AUX CATHOLIQUES ROYAUX.
CONSPIRATIONS DANS LE CAMP DU ROI. — COLLOQUE DE SAINT-JEAN-d'aNGELY.
CONSEIL DE SULLY AU SUJET DE LA CONVERSION DE HENRI IV.
LE ROI SE DÉCLARE PRESQUE CONVAINCU DES DOGMES CATHOLIQUES.
Cependant ceux qui, dans Paris, favorisaient le parti royal, voyant
que le populaire inconstant commençait a se montrer impatient de tous
les maux qu'il avait déjà endurés, sentaient de leur côté augmenter leur
assurance, et reprenaient cœur à mesure que ceux de la Ligue perdaient
tout a la fois et du terrain et leur courage. « Les brefs du Pape étaient
reçus avec dédain; on ne parlait plus en crainte par les rues; on enten-
dait dire sans indignation que les huguenots croissaient et se fortifiaient
a vue d'œil. Dans le parlement de la Ligue même, on proposait de
demander la paix ; a LHôtel-de-Ville, on en était venu jusqu'à émettre
l'idée d'envoyer traiter avec le roi, et ce mot de roi, que plusieurs
affectaient de prononcer à tous coups, sans l'accompagner d'aucune
restriction, faisait grand mal au cœur des vieux Ligueurs, qui n'osaient
presque plus s'en plaindre. Le curé de Saint-Eustache alla encore plus
loin. En prêchant sur la nécessité de faire au plus tôt la paix, il appela
sans nulle difficulté Henri roi de France, et cela en présence de plus de
seize mille de ses paroissiens portant armes, et qui turent merveilleuse-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 271
monl émus do son sermon, si bien (\ue dans Paris on ne Taisait j)lus
nulle difliculté de se demander toutliaut : « Es-lu toujours de la Ligue?.,
es-tu royal?.. » (Cayet, Chron. nov.^ liv. 4, ad ann. 1592. — D'Aubigné,
Hist. univ., t. 111, liv. 5, p. 274.)
Aussi les principaux chefs de ce premier parti, qui commençaient a
éprouver quelques craintes pour la sûreté de leurs personnes, faisaient
secrètement des démarches auprès des chefs des politiques, pour tâcher
de se rapprocher d'eux.
Monsieur Rose, évêque de Senlis, s'était adressé directement au
colonel d'Auhray. « Ne serait-il pas temps, Monsieur, avait-il dit, que
tous les bons catholiques, sans distinction de politiques ou de Ligueurs,
s'unissent ensemble pour repousser l'hérésie? — Ah ! Monseigneur, ré-
pondit d'Aubray, quand tous vos Seize auront été convenablement punis
de leurs crimes, il sera temps alors d'aviser a ce que nous aurons a
faire; » et il ne voulut pas donner d'autre réponse. (Cayet, iibi siip.)
Les docteurs Boucher et Génébrard parlèrent aussi dans le même
sens a quelques autres colonels de la ville qu'ils connaissaient, et lés
choses furent a la lin poussées d'une manière si pressante, que les poli-
tiques, pour ne pas donner lieu de les accuser de ne vouloir entendre à
aucune réconciliation, trouvèrent bon qu'il y eût une conférence à ce
sujet dans la maison d'un sieur L'Huillier, homme du reste tout dévoué
aux intérêts de Sa Majesté. « Messieurs, leur dit L'Huillier, on nous a fait
savoir que vous nous recherchiez, pour vous réconcilier et vous joindre
avec nous, dans le but de mettre un terme aux malheurs de ces temps.
C'est chose qui pourra se faire, moyennant que chacun de vous s'humilie,
obéisse et reconnaisse ceux qui doivent être honorés par honneur. »
A quoi Acarie ré[)ondit an nom du parti de la Ligue : « Ce que nous
demandons surtout, c'est que ceux qui se disent catholiques le fassent
paraître par bonnes actions, en éteignant toutes ces déplorables divisions
qui séparent des gens ayant un même Dieu et une même foi, et qui
mettent en péril notre sainte religion. »
Dans cette première réunion, on se borna a nommer de part et
d'autre des délégués, et l'on eut soin de choisir en grande partie des
ecclésiastiques pour approfondir et traiter théologi(, élément la question,
ce (pii n'était pas peut-être le meilleur moyen d'aboutir à un résultat-
Ces délégués se trouvèrent le mercredi suivant chez le sieur de
Belin, gouverneur de Paris, où il ne fut tenu que propos sans solution
possible. Il y eut ensuite une nouvelle assemblée en présence du gou-
verneur et du prévôt des marchands. La, un des colonels de la ville
étant venu se plaindre de ce que certains prédicateurs ligueurs avaient
déjà prêché au peujde que les politiques avaient été les premiers à recher-
cher ceux de l'Union, il fut fait d'abord grand bruit a ce sujet; mais ce
fut bien autre chose encore (piand, les têtes s'étant montées dans cette
disi'ussion, quelqu'un des plus zélés Liguein'S vint soutenir, que, pour
couper court a toute discussion, le meilleur moyen était de jurer de bonne
foi de ne jamais reconnaître le roi de Navarre, quelque catholique qu'i!
272 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
se fit et enlendît-il toutes les messes du monde. « Messieurs, répliqua
d'Aubray indigné, ce n'est pas nous qui sommes allés vous chercher.
Nous avons toujours été et nous serons toujours Français; quant a vous
autres, qui vous êtes joints avec le Pape et avec l'Espagnol, si aujour-
d'hui vous tenez à revenir a nous, vous n'avez autre chose a faire qu'a
le vouloir et à le dire, et nous vous recevrons en oubliant votre passé, a
condition que vous ne retomberez plus en pareille faute. » Cette réponse
eut l'elTet qu'on en devait attendre. Les délégués des deux côtés se
séparèrent en meilleure disposition que jamais de tenir ferme, chacun
pour son parti.
Sur ces entrefaites, le duc de Parme, qui, depuis sa dernière cam-
pagne en France, n'avait pu se remettre de la blessure qu'il y avait
reçue, ne pouvait plus douter que sa mort ne fût inévitable et prochaine.
Malgré celte conviction, il était parti de Bruxelles, et était venu 'a Arras
pour recommencer une troisième campagne dans le royaume très-chré-
tien. Voulant faire croire qu'il n'était pas aussi malade qu'on l'estimait,
il montait tous les jours 'a cheval, et se promenait sur-les fossés de la
ville; mais, le deuxième jour de décembre, il se trouva si faible, en
revenant de cette promenade, que son secrétaire de confiance ne put
s'empêcher de répandre des larmes, en le voyant descendre de cheval en
un tel état. « Mon ami, lui dit le duc, je sens bien qu'il n'y a plus de
remède, et qu'il faut que je finisse. — Oh ! Monseigneur, reprit le secré-
taire, ne dites pas cela, au nom de Dieu! Il me semble, au contraire,
que Votre Altesse a meilleur visage. — Non ! non ! répliqua tranquille-
ment le prince. Je touche a mon dernier moment, et je sens que je n'ai
plus de temps a perdre si je veux donner quelque ordre aux plus pres-
sées des importantes affaires dont je suis chargé. »
Il passa le reste de la journée a dicter, et le soir, il se coucha sur
son lit, où il parut s'endormir. Mais sur le minuit on s'aperçut qu'il était
tombé en agonie; on se hâta de lui administrer le sacrement de
l'Extrêmc-Onction, car déjà il ne parlait plus ; il ouvrait seulement les
yeux de temps à autre, regardant ceux qui l'entouraient, et, vers la
pointe du jour, il passa de cette vie en l'autre. Ses entrailles furent
déposées dans l'abbaye de Saint-Wast, toutes les cloches de la ville
sonnantes, et en présence de tous les grands seigneurs italiens, espa-
gnols et flamands; son corps embaumé, et revêtu d'un froc de capucin,
ainsi qu'il l'avait prescrit lui-même par son testament, fut porté 'a Rome,
lieu de sa naissance. Le peuple romain lui fit dresser une statue dans
le Capitole, pour rendre hommage a sa qualité héréditaire de gonfalon-
nier de la sainte Eglise. (Legrâin, Décad., 1. 5, p. 251.)
Le roi Henri IV était alors vers Corbie, oîi il avait mandé a toutes
les garnisons de la Picardie de venir le trouver pour s'opposer a l'inva-
sion des Espagnols. En apprenant le décès du duc de Parme, il revint a
Senlis,et de Ta a Saint-Denis, se proposant d'aller au-devant de sa sœur,
dont les amours avec le comte de Soissons l'inquiétaient bien un peu, et
qui était partie du Béarn pour venir voir, 'a ce qu'elle lui mandait, son
DU l'IlOTESTANTlSME EN FRANCE. '273
hien-aiinc Irère. Le roi voulait aussi profiter de celte occasion pour visi-
ter la Tourainc et l'Anjou, où sa présence ne pouvait que raffermir la
bonne volonté, qu'on avait déjà pour lui dans ces deux provinces. •
Quant a l'armée espaijinole des Pays-Iîas, il n'y avait plus rien a en
appréhender pour le moment; la morl.de son général fut le signal de sa
dispersion. Les soldats se mutinèrent et se mirent à ravager le pays pour
leur compte.
Le comte de Fuentes s'ollVit aux Flamands pour prendre provisoire-
ment le gouvernement de la vice-royauté, et pour rappeler à l'ordre ces
troupes qui ne reconnaissaient plus aucune autorité; mais les seigneurs
flamands alléguèrent que le roi d'Espagne leur avait promis qu'advenant
la mort du duc de Parme, ils ne seraient gouvernés que par un homme
de leur nation. Seulement, en attendant que Sa Majesté catholi(juc put
faire connaître ses dernières intentions, on convint que le comte
Mansfeld, dont le feu duc avait lait son lieutenant, continuerait à diriger
les affaires de l'administralion, pendant que le comte Charles, fils de
Mansfeld, irait prendre le commandement des troupes. Fuentes fut mis
avec d'Ibarra à la tête des finances. (Cavet, uhi sup.)
De son côté, Mayenne se crut, par la mort du duc, débarrassé d'un
rival, qui jusque-là, l'avait éclipsé. Il en vint jusqu'à s'imaginer que le
roi d'Espagne, après avoir perdu ce capitaine qui avait sa confiance,
n'hésiterait plus à la lui donner tout entière, et à s'en rapporter à lui
seul pour la conduite des affaires de France. Il se voyait déjà comman-
dant général et absolu des armées espagnoles dans le royaume, et, dans
cet espoir, il rompit brus(iuement les négociations qu'il avait secrètement
entamées avec Henri IV, par le ministère de Villeroi. Il ne songea plus
qu'à hâter la tenue des Étals pour l'élection d'un roi, donnant tous ses
soins à faire nommer des députés à sa dévotion, et se promettant bien
de tirer pour ses intérêts le meilleur parti possible de l'influence qu'il
espérait pouvoir exercer sur celte élection. {Mém, d'État de Villeroi,
ad ann. 1592.)
Pour mieux assurer celte influence, il imagina, malgré les opposi-
tions du parlement, auquel il parla, cette fois, aigrement et en maître, de
créer quatre maréchaux de France du parti de la Ligue, afin d'en avoir
sous sa main le nombre accoutumé en ce royaume, ne comptant pour
rien ceux qui existaient déjà, et qui n'étaient pas de sa création. On a
déjà vu qu'il avait donné cette haute dignité à .Monsieur de La Châtre,
gouverneur du Berri ; il lui adjoignit pour collègues les sieurs de Rosne,
de Rois-Dauphm et de Saint-Paul, et il nomma grand-amiral de France le
sieur de \ illars, gouverneur de Rouen. « 0 Monseigneur, lui dit à ce
sujet Cbanvalon, vous venez de faire là des bâtards qui trouveront plus
tard le moven de se faire légitimer à vos dépens. » {Journal de Henri lY,
t. I, p. 271. — Mi:zi:n.\v, t.'lll, p. 090.)
Toutefois, le roi d'Espagne « ne songeait plus tant maintenant à
concpiêter la couronne de France par la force des armes (jue par intel-
ligences, divisions et adresses. » Don Diego d'Ibarra, son homme de
074 IllSTUllŒ DE L'ÉTABLI^ïSEMENT
coniiance, conlinnait ses pratiques ténébreuses, excitait le duc de
Guise a faire bande et amis à part avec son oncle, et a se faire chef de
l'Union ; et il lui montrait toutes sortes de belles espérances s'il suivait
ce conseil; même, dit-on, il passa si avant que de lui conseiller d'entre-
prendre sur la vie du duc de Mayenne, dont i'e.'jistence ne pouvait plus
désormais être que ruineuse pour ce jeune prince. (Cayet, ubi sup.)
Mayenne, averti de ce mauvais vouloir de l'Espagnol, se trouva de
nouveau fort embarrassé. Son autorité de chef et lieutenant-général du
royaume était menacée, et il ne pouvait plus douter qu'elle ne lui échap-
pât, de quelque côté que les choses tournassent. Si Henri était reconnu
dans son titre de roi de France, le caractère de ce prince ne permettait
pas de penser qu'il souffrît auprès de son trône un rival de sa puissance;
et par les dernières menées de Philippe, il voyait qu'il lui fallait renon-
cer aux espérances qu'il avait fondées sur ce monarque, quand sa fille
serait déclarée reine. Mais il n'y avait plus moyen de reculer. Une bulle
du Pape invitait, d'accord avec l'Espagne, la France a se réunir en assem-
blée d'États-Généraux pour nommer l'Infante reine, désignant comme
futur époux de cette princesse l'archiduc Ernest d'Autriche. Tout le parti
de l'Union attendait avec impatience le décret de convocation. Il y eût eu
dan«^er a vouloir le dilférer plus longtemps. Mayenne publia donc la dé-
claration suivante :
« Charles de Lorraine, duc de Mayenne, a tous présents et a venir
salut. L'observation perpétuelle et inviolable de la religion et piété en ce
royaume a été ce qui Ta fait fleurir par-dessus tous les autres de la chré-
tienté, et a fait décorer les rois de France du titre de très-chrétiens;
mais, dans ces derniers jours, l'hérésie y a fait de si prodigieux progrès,
que les catholiques eux-mêmes, par suite des artifices dont les héré-
tiques ont usé, se trouvent aujourd'hui armés les uns contre les autres,
au lieu de rester unis ensemble pour la défense de leur foi. On en est
venu jusqu'à nous accuser nous-même d'avoir suscité cette guerre, non
par principe de religion, mais pour usurper et dissiper cet Etat. Dieu
nous est témoin, au contraire, que nous n'avons pris les armes que mus
par une trop juste douleur, ou plutôt par une triste nécessité, et par suite
du plus déloyal et pernicieux conseil qui fut jamais donné à un roi. Après
la mort de ce roi, advenue par un coup du ciel et parla main d\m seul
homme, sans l'aide ni secours d'aucun de ceux qui n'avaient que trop
de motifs pour la désirer, nous avons toujours prouvé que notre seul
but était de sauver l'État et de suivre les lois du royaume. Nous avons
reconnu pour roi Monseigneur le cardinal de Bourbon, premier prince du
sang, et désigné par lettres-patentes du feu roi lui-même, comme son
plus prochain successeur, et notre plus cher désir était de rendre 'a ce
prince toute obéissance et fidélité, s'il eût plù a Dieu de le délivrer de
la captivité dans laquelle il a fini ses jours; que si le roi de Navarre eût
consenti, comme nous, a reconnaître les droits légitimes du dit seigneur,
son oncle, et a attendre que, par suite de son décès naturel, il lui eût
transmis ces mêmes droits, profitant de ce loisir pour se faire instruire
DU PROTESTANTISME EN EllANCE. 275
et réconcilier avec l'Eglise, il eût trouvé tous les catholiques et moi-
même disposés à le reconnaître a son tour, et a lui rendre la même
fidélité et obéissance; mais il a mieux aimé persévérer dans son erreur,
et nous tous, qui voulons demeurer sous l'obéissance de l'Eglise catho-
lique, apostolique et romaine, laquelle a excommunié ce prince rebelle
et l'a déclaré déchu de ses droits au trône de France, nous ne pouvons
reconnaître comme héritier de Clovis celui (|ui est en état de révolte
ouverte contre l'Eglise ; car c'est une des lois londamentales de ce
royaume, que le premier serment de nos rois, le serment sur lequel est
fondé celui d'obéissance et de hdélité des sujets, doit être de délendrc la
foi et d'extirper les hérésies. Le feu roi lui-même l'entendait bien ainsi
quand, dans les Etats de Blois, il approuva cette décision des dits États:
que deux députés de chacun des trois ordres seraient envoyés au roi de
Navarre et au prince de Coudé, pour leur remontrer le péril où ils se
mettaient en sortant de l'Église, et les exhorter a y rentrer, s'ils ne vou-
laient pas perdre, comme incapables, tous leurs droits a la couronne.
On aurait donc tort de blâmer les catholiques unis quand, suivant les
ordonnances de l'Église, et se conformant à toutes les anciennes lois du
royaume, ils requièrent que le prince qui se prétend droit 'a ce trône
très-chrétien et acquis a Jésus-Christ depuis tant de siècles soit de la
religion catholique, apostolique et romaine. Quant aux catholiques qui se
sont rangés d'une opinion contraire, ils ont pu croire, en prenant un
tel parti, qu'ils avaient a venger la mort du feu roi, dont nous ne sommes
aucunement coupables, malgré toutes les calomnies débitées contre nous.
Ils ont pu aussi se laisser abuser par les promesses du roi de Navarre,
(jui avait juré de se faire catholique dans six mois, et, une fois entrés
dans cette fausse route, les offenses que la guerre civile produit, les
succès que le roi de Navarre a obtenus par les armes, rendent jusqu'à
un certain point excusable leur persévérance, qui n'en est pas moins
déplorable. Et pourtant comment ne s'aperçoivent-ils pas q^ue c'est avec
le sang et les armes des catholiques qu'ils établissent et cimentent l'hé-
résie? Aujourd'hui surtout (jue je les ai tant de fois priés d'entrer en con-
férence avec nous, que j'ai souvent fait déclarer au roi de Navarre lui-
même que s'il délaissait son erreur et se réconciliait à notre Saint-Père
et au Saint-Siège, nous étions prêts 'a lui porter notre obéissance, tout
motif d'excuse n'a-t-il pas disparu? Attendu donc, (]ue, de toutes ces
démarches faites par nous uniquement dans l'intérêt du bien public et
pour le repos du royaume, il n'est provenu aucun résultat; que Henri de
Navarre, tout lier de quebjues succès dus aux chances ordinaires de la
guerre, a répondu (ju'il ne voulait pas être contraint par ses sujets,
appelant ainsi contrainte la prière qu'on lui faisait de revenir à l'Église,
et déclarant que c'était un crime de lui parler de conversion avant de
l'avoir reconmi et de lui avoir prêté serment de hdélité ; attendu qu'il a.
de plus, annoncé qu'il ne voulait plus s'en rapporter qu'aux décisions d'un
concile libre et général, comme s'il fallait de nouveaux conciles pour des
erreurs tant de fois condamnées; attendu que nous devons être beau-
276 HISTOIRE DE L^ÉTABLISSEMENT
coup plus sensibles aux choses qui touchent le service de Dieu qu'a nos
propres intérêts et vies, qui, au surplus, ne peuvent jamais être bien
assurés, si nous donnons à un prince hérétique un pouvoir absolu dont il
pourra user et abuser ii son gré; pour toutes ces causes, il est juste et
raisonnable que nous prenions enfin un parti décisif, si nous ne voulons
pas être complices de la ruine de notre religion. Ce n'est pas la, qu'on
le remarque bien, une rébellion contre les anciennes lois du royaume,
touchant la succession des rois. Ces lois n'ont jamais dit qu'il fallait se
soumettre 'a un souverain hérétique; elles nous autorisent au contraire
'a repousser et 'a combattre le prince qui veut violenter nos consciences.
Que le roi de Navarre se souvienne qu'il les a comprises ainsi lui-même,
quand il s'est armé contre nos souverains, pour introduire une nouvelle
doctrine dans le royaume, tandis que nous, nous défendons notre an-
cienne croyance, celle qui s'est établie avec la monarchie elle-même et
sous la protection de laquelle la patrie a toujours prospéré. — Mais, dira-
t-on, qu'importe de quelle religion soit le souverain, pourvu qu'il laisse
chacun libre dans sa croyance? — Nous autres catholiques, qui tenons 'a la
conservation de notre foi, nous trouvons que cela est de la dernière impor-
tance. Ne sait-on pas que les peuples se façonnent 'a l'exemple des rois?
Si nous donnons la main à ce qu'un hérétique soit déclaré notre roi
absolu, combien de moyens ne lui aurons-nous pas fournis pour cor-
rompre les fidèles et les détourner du véritable culte de Dieu. El déj'a
ceux qui, sans avoir renoncé a ce culte, suivent le parti du roi de
Navarre, n'ont qu'a regarder autour d'eux; ils verront nos meilleures
villes et les forteresses qu'ils ont malheureusement aidé 'a conquérir,
remises entre les mains de gouverneurs huguenots, ou de gens reconnus
de tout temps pour être favorables a cette secte; ils verront les prin-
cipales charges de la couronne devenues la propriété de l'hérésie; ils
verront de prétendus parlements, qui se disent catholiques, fouler aux
pieds et condamner les bulles et décisions des Souverains-Pontifes; et
c'est nous, qui nous sommes ligués pour la défense de la religion si
outrageusement attaquée, qu'on accuse de ne tendre qu'à la ruine et
dissipation de l'État. On nous reproche nos liaisons avec le roi catho-
lique, et on nous tiendrait pour meilleurs Français si nous renoncions a
cette alliance. C'est qu'on aimerait mieux nous voir désarmés, parce
que nous serions plus faciles a vaincre ; mais loin de nous sentir disj)o-
sés 'a donner cette satisfaction à l'ennemi, nous proclamons avec recon-
naissance les secours que nous avons reçus de ce grand roi, allié naturel
et confédéré de cette couronne, et nous attestons que, pour nous les
accorder, il n'a jamais rien requis de nous, comme de notre côté nous
n'avons fait, ni avec lui ni avec personne, aucun traité qui puisse tendre
à la diminution de la grandeur et majesté de l'Etat de France, pour la
conservation duquel, dans son intégrité, nous sommes prêts à nous
précipiter dans toutes sortes de périls, afin de n'en pas rendre maître
un hérétique excommunié. Si les catholiques qui favorisent aujourd'hui
ce prince aveuglé voulaient être aussi bons Français que nous et s'unir,
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 277
non point h nous, mais îi la cause sacrre de la religion, la France serait
bientôt rendue à la paix. Nous les supplions donc, au nom de Dieu et
de rÉglise, de se séparer des hérétiques, et de considérer que si nous
continuons ainsi a demeurer contraires les mis aux autres, nous ne
pouvons prendre aucune mesure qui ne soit périlleuse, tandis que notre
réconciliation rendrait tout facile. Et afin que Jes princes du sang et
autres, ainsi que les officiers de la couronne, ne soient point empêchés
d'entendre a une si bonne œuvre, par la crainte de ne se point voir hono-
rés de nous, selon le mérite, le nom ou la dignité qui leur appar-
tiennent, nous jurons qu'ils trouveront, en venant se joindre à nous,
tous les respects qui leur sont dus ; nous leur donnons avis que, pour
chercher en commun, sans passion et sans aucun égard a l'intérêt de
qui que ce soit, le remè<le qu'il est urgent d'appliquer aux maux de la
France et de la religion, nous avons prié les princes pairs de France,
prélats, seigneurs et députés des'parlements, villes et communautés, de
se vouloir trouver en la ville de Paris, le dix-septième jour du mois pro-
chain, pour nous aider de leurs conseils et bons avis ; auquel cas, s'il
plaît à ceux du parti du roi de ?Navarre d'envoyer quelques-uns des
leurs, pour faire ouverture qui puisse conduire au bien que nous cher-
chons, nous leur promettons toute sûreté, et qu'ils seront ouïs avec
attention et désir de leur donner contentement. Que s'ils rejettent
l'instante prière que nous leur faisons de venir prendre part 'a cette
réconciliation, et que nous soyons contraints, pour être abandonnés d'eux,
de recourir à des remèdes extraordinaires, contre notre désir et inten-
tion, nous protestons, devant Dieu et devant les hommes, que le blâme
leur en devra être imputé et non a nous, qui faisons tout notre possible
pour, avec leur bienveillance et amitié, même avec leurs conseils et
volonté, défendre et conserver la cause de la foi qui leur est commune
avec nous. Si prions Messieurs les gens tenant les cours de parlements
en ce royaume de faire publier et enregistrer ces présentes, afin (ju'elles
soient notoires a tous. — Signé : Charles de Lorraine. Et ce recjuérant
le procureur général du roi, ces susdites lettres scellées du grand sceau
delà lieutenancc, représentant nUitrône vide, et enregistrées es registres
de la cour, ont été publiées 'a son de trompe par tous les carrefours de
Paris, le cinquième jour de janvier de l'an 159.1. — Signé : Du Tillet. »
De son côté, le cardinal de Plaisance, légat de Sa Sainteté, publia
aussi une exhortation aux catholiques, de quelque prééminence, état et
condition qu'ils pussent être, etc., suivant, d'après lui, le parti
de l'hérétique. « Je voudrais, disait-il, donner ma vie pour prouver ma
reconnaissance envers le Saint-Père, qui m'a confié la glorieuse mission
de défendre la foi dans ce royaume très-chrétien, en m'envoyant ici non
comme un héraut ou roi d'armes, mais comme un ange de paix; non
l)as pour ébranler, mais pour fortifier cette monarchie, comme il appert
par le bref de Sa Sainteté et autres bulles que les hérétiques ont eu le
mal vouloir de traiter si contumélieusement 'a Tours, à Chàlons, dans le
conciliabule de Chartres et d'autres lieux. Or, il est impossible, ajoute
278 HISÏOIIIE DE L'ETxVBLISSEMENT
le léi^al, (|iic ia France jouisse d'anciine paix et prospérité, si elle doit
gémir sous le joug lyrannique d'un hérétique, et de cela je ne veux
autre juge et témoin que votre propre conscience. Nous sommes, a ia
vérité, très-aises de voir que le crime de reconnaître pour roi de ce
royaume très-chrétien un excommunié relaps et obstiné vous semble trop
atroce pour que vous (^iez vous en confesser ouvertement coupables, et
que vous avancez, pour excuse, qu'il a pris l'engagement de se convertir,
affirmant que vous ne voulez vous ranger que sous la puissance d'un roi
véritablement catholique. C'est prudence d'avoir une telle pensée, et c'est
magnanimité d'en poursuivre refîet;mais, pour atteindre ce but, y a-t-il
moyen plus efficace et plus légitime que la tenue des Etats-Généraux, où
vous êtes invités de la part de Monsieur de Mayenne, qui, selon le devoir
de sa charge et autorité, cherche avec une piété digne de toutes louanges
a sauver la religion en France? Nous aussi, nous tenant dans les bornes
qu'il a plu à Sa Sainteté de prescrire, nous ne voulons aider ni favoriser
les prétentions de qui que ce soit, si elles ne sont pas conformes aux
communs vœux des vrais catholiques et bons Français, et en particulier
aux saintes et pieuses intentions de notre Saint-Père. Ainsi nous décla-
rons par ces présentes n'avoir d'autre but ni objet que la gloire de Dieu,
l'entière extirpation de l'hérésie et la splendeur de ce royaume, par
l'établissement d'un roi véritablement catholique, tel que Dieu fera la
grâce aux Etats-Généraux de le pouvoir nommer. C'est donc a cette
assemblée que je viens pareillement vous convier de la part du Père de
tous les fidèles, afin que, vous séparant de toute sujétion a l'hérétique,
et pleins d'un saint zèle envers Dieu et votre patrie, vous puissiez con-
tribuer a éteindre le général embrasement qui a presque réduit cette
dernière en cendres. Nous vous affirmons que vous trouverez, de la part
des catholiques qui sont ici, et qui ont toujours persévéré dans l'obéis-
sance au Saint-Siège apostolique, des frères très-disposés à vous rece-
voir et embrasser, et qui voudraient, même au prix de leur sang, acheter
une réconciliation sincère avec vous. Demandez toutes les sûretés qui
vous paraîtront nécessaires, Monsieur de Mayenne est prêt 'a vous les
donner, et nous-même nous nous rendons garant qu'il n'y sera contre-
venu en aucune manière, nous engageant à vous prendre sous notre pro-
tection spéciale, c'est-a-dire sous la protection du Saint-Siège et du Pape
lui-même. Nous terminons en demandant a Dieu que, par ses saintes
lumières, il veuille bien éclairer vos cœurs et vos esprits, afin qu'étant
réunis de fait et de volonté en l'unité de la sainte Église catholique, hors
de laquelle il n'y a pas de salut, vous sauviez la France et vous-mêmes.
Dieu vous en tasse la grâce. »
Ces deux pièces, quoique assez semblables en apparence pour le
fond des idées, avaient pourtant, sur ce point-lâ même, une différence
notable 'a laquelle les Espagnols ne se trompèrent ])as; car ils se mon-
trèrent très-satisfaits de l'exhortation du légat, tandis (jue la déclaration
de Mayenne fut bien loin d'obtenir d'eux la même approbation. Il parait |
(jue du côté des royalistes on fit au^si la même observation, car le roi
DU PROTESTA NTISMK KN 1 RANCK. tiT!)
lui-même ne piil s'empôcher de dire : « Ce Mayenne a pourtant encore
(liielqiie chose de français an fond dn cœur! » Quoiqu'il en soit, il était
évident que la chose devenait sérieuse, « et pouvait amener la ruine de
la France, et peut-être l'entière expulsion de notre Henri; car il y avait
])ien de l'apparence que si la Ligue parvenait a s'entendre, tous les
potentats de l'Europe catholique ne ^manqueraient pas de reconnaître le
roi que les États éliraient, que le clergé en ferait autant, et que la
noblesse et le peuple, qui ne suivaient Henri IV que parce qu'il avait le
titre de roi, ne se feraient nulle conscience de le quitter pour un autre
auquel les dits États auraient donné ce titre. » — « Heureusement, dit
Legrain, la Ligue avait cela de bon pour le salut de la France que
tout le monde voulait bien y commander, mais que personne ne voulait
y reconnaître un maître. » (Pkrkfixi:, IV partie, ad ann. 1505. —
Décacl.)
11 fut donc possible de parer ce coup. Sa Majesté s'étant rendue
incontinent à Chartres, il fut décidé, dans un grand conseil tenu a cet
effet, (ju'il sérail fait deux réponses au double envoi de la Ligue : l'une
au nom de Henri IV, enregistrée et publiée parle parlement; l'autre, au
nom des princes, prélats et grands officiers de la couronne, qui serait
adressée a tous ceux du parti de l'Union h Paris. La première était ainsi
conçue :
« Henri, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous
ceux qui ces présentes verront, salut : Puisqu'il a plu a Dieu de nous
iaire naître de la plus ancienne race des rois très-chrétiens, et de nous
donner par la des droits incontestables à la couronne du plus beau et
du plus florissant royaume du monde, il est certain que, dans sa sage
providence, il n'a pas dû nous donner ni moins de piété, ni moins de
courage, qu'aux rois nos prédécesseurs, pour nous rendre propre à occu-
per le rang auquel il veut bien nous appeler ; et il serait a désirer que
tous nos sujets eussent pareillement hérité de la vertu et de la fidélité
de leurs ancêtres. Mais nous sommes dans un siècle où beaucoup ont
dégénéré, ayant converti cet antique amour qu'ils portaient a leurs rois
en conspiration et leur (idélité en rébellion, de sorte que, depuis notre
avènement a ce trône, nous n'avons pu éviter d'être continuellement en
guerre contre ceux-là mêmes que nous aurions désiré traiter comme nos
enfants. Il est, au reste, bien évident que ce n'est pas uniquement contre
nous (jue ces rebelles ont pris les armes, mais contre l'autorité royale
elle-même, puisque cette malheureuse guerre a été commencée sous le
règne du feu roi, notre honoré maître et seigneur, auquel on ne pou-
vait certainement pas reprocher de n'être pas très-catholique. C'est alors
en elfet que, sous le nom de Sainte-Ligue, ces ennemis de la France
ont recommencé a s'élever en armes a la ruine et dissipation de cet
État, et ils ont beau vouloir pallier leurs mauvaises intentions, il reste
démontré que la cause de leur soulèvement consiste en trois points :
d'abord la naturelle malice de leurs chefs, de tout temps mal affection-
nés envers la France, dont ils ambitionnent depuis longtemps la couronne ;
280 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
ensuite, rintervention de nos plus anciens ennemis, les Espagnols, qui
voudraient bien profiter de nos troubles pour s'accroître à nos dépens ;
et enfin l'envie et la cupidité de ceux qui n'ont rien, et qui ne demandent
pas mieux que de partager avec ceux qui possèdent. Mais Dieu a dit que
le pécheur découvrirait lui-même et malgré lui son péché. Cette divine
sentence s'exécute maintenant au fait du duc de Mayenne, par l'écrit
qu'il a nouvellement mis en public. Non content d'avoir rendu les
Français misérables, il veut encore leur crever les yeux, et les rendre
stupides en leur étant la connaissance de la cause de leurs malheurs.
Dieu ne l'a pas voulu permettre, et le duc de Mayenne vient de lever lui-
même le voile dont jusqu'à présent il avait pu s'envelopper, tout en
voulant faire croire 'a son zèle du bien public et à son désintéressement.
Cette déclaration même, signée du grand sceau, enregistrée au parle-
ment et publiée avec toutes les formes usitées pour les souverains
reconnus, donne par cela seul la clef de ses audacieuses prétentions.
Il convoque les princes et officiers de la couronne pour délibérer en sa
présence sur le bien de l'Etat, convocation jusqu'ici inouïe sous autre
nom que celui du roi et quia toujours été réputée crime de lèse-majesté.
Lui appartient-il d'appeler 'a lui les princes du sang, de leur promettre
sûreté et de les traiter comme ses inférieurs, lui qui n'est qu'un prince
étranger a peine naturalisé dans le royaume? N'afîecte-t-il pas la les
airs d'un souverain? Mais Dieu châtiera cette outrecuidance. Si cette
déclaration est coupable et vicieuse pour la forme, elle ne l'est pas moins
pour le fond, étant pleine de fausses suppositions. La vraie et fondamen-
tale loi du royaume pour ce qui concerne la succession à la couronne
est la loi salique, 'a laquelle, après Dieu, est due la conservation et pros-
périté de la France. Or, c'est cette loi, révérée comme une ordonnance
divine, qui nous appelle au trône. Il n'est pas permis aux hommes d'y
toucher, il ne leur est demeuré que la seule facilité et gloire d'y bien
obéir, et les rois eux-mêmes n'ont rien 'a y changer, car c'est 'a cette loi
et non aux rois à régler ici le droit. Mon titre est donc légitime et de
droit divin. Si, comme Monsieur de Mayenne l'a voulu faire croire, feu
mon oncle, le cardinal de Bourbon, avait des droits préférables aux
miens, pourquoi Monsieur de Mayenne, qui veut bien nous l'apprendre
aujourd'hui, s'est-il alors donné un démenti 'a lui-même, en s'intitulant
lieutenant-général de l'État de France, au lieu de lieutenant du roi de
France? Dira-t-on que ce prince n'était pas encore roi, pas plus que je
ne le suis moi-même, parce qu'il manque ici la cérémonie du sacre? Mais
ce n'est pas cette cérémonie qui fait les rois, c'est le droit; et je ne
serais pas le premier prince qui ait régné sans avoir été couronné. On
m'accuse de n'être pas de la croyance catholique. N'ai-je pas déj'a dé-
claré être prêt à recevoir toute bonne instruction, et nul ne doit trou-
ver étrange, qu'ayant été nourri dans la foi que je professe aujourd'hui,
je ne veuille pas y renoncer avant qu'on ne m'ait fait connaître que J
l'autre est meilleure et plus certaine. La religion me semble chose assez i
précieuse pour qu'on ne doive pas en changer sur une simple semonce. ^
é
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 281
On a donc tort de nous blâmer d'avoir demandé, pour terminer nos
doutes a ce sujet, la convocation d'un concile qui ne pourra, dit-on,
décider autre chose que ce qui a déjà été décidé par les conciles précé-
dents; mais alors, pour cette même raison, il faudrait donc condamner
tous les conciles qui se sont tenus depuis le premier, puisqu'il n'y avait
plus rien h faire. Au reste, je serais très-content si Ton pouvait m'indi-
qucr un autre moyen plus prompt et pins facile pour parvenir a l'instruc-
tion que je regarde comme indispensable; ce moyen, nous l'embrasse-
rions de tout notre cœur. C'est ce que nous avons déclaré et fait déclarer
a plusieurs reprises au Souverain-Pontife lui-même; mais il n'a pas
voulu y entendre parce (ju'il était dominé par Tinlluence de l'Espagne
et par les malintentionnés de ce royaume, lesquels, craignant plus que
tout notre réconciliation avec le Saint-Père, n'ont pas failli 'a contre-
carrer toutes les démarches que j'ai tentées auprès de la cour de Rome;
et néanmoins ces gens, tenant pour désespérée mon adhésion a une
chose que je n'ai pas même pu obtenir qui me fût proposée, veulent
trouver la un motif pour me contester mes droits légitimes. Espèrent-ils
donc faire croire aux catholiques bons Français que le parti oîi se sont
ralliés tous les princes du sang, tous les autres princes, à l'exception de
ceux de la maison de Lorraine, qui ne sont que princes étrangers, tous
les grands officiers de la couronne, les principaux prélats, les officiers
des parlements, toute la noblesse et la plus saine et la meilleure partie
du peuple, n'est pas le parti de la France? Au lieu d'afficher de pareilles
l)rétentions, ne devraient-ils pas au contraire faire deuil et pénitence en
implorant pardon pour le crime de parricide, commis sur la personne du
feu roi, crime dont ils veulent aujourd'hui repousser la responsabilité,
quand, ainsi que chacun sait, ils l'ont naguère célébré |)ar des réjouis-
sances publiques, en rendant grâces a Dieu, et en béatifiant la mémoire
du régicide? Pour nous, qui avons toujours franchement détesté cet hor-
rible attentat, nous n'oublions pas que nous avons fait une promesse et
pris des engagements. Cette promesse, il est inutile de la répéter; quant
aux engagements que nos ennemis nous accusent aujourd'hui de ne pas
vouloir tenir, en présence du Dieu vivant, et du plus intérieur de notre
cœur, nous les prenons encore. Nous jurons d'exécuter fidèlement l'en-
gagement que nous avons pris 'a notre avènement au trône, tel qu'il est
enregistré en nos cours du parlement (1). Et pour ce qui concerne la
déclaration du dit duc de Mayenne ci-dessus mentionnée, afin que nul
n'en ignore et ne puisse être surpris, avons dit et disons par ces pré-
sentes, que la prétendue assemblée des États-Généraux convoquée dans
la ville de Paris par le duc de Mayenne est contraire à la loi et attenta-
(t) On voit que le roi craignait encore trop la Ligue et avait peur en même temps
de se faire des ennemis des protestants, puisqu'il n'ose pas dire que sa promesse était
de punir les assassins de Henri 111, et ses engagements de se faire catiiolique. Au
reste, il n'a pas tenu la première, et n'a rempli les seconds que comme contraint et
forcé. Toute cette pièce témoigne du même embarras.
282 HISTOIRE DE L'ÉTvVIJLISSEMENT
toire au repos du royaume. Tout ce qui y sera dit ou fait est déclaré
abusif et de nul efïel ; défendons a toute personne, de quelque rang et
condition qu'elle soit, d'y aller ou envoyer, d'y avoir intelligence aucune,
de donner passage, confort ou aide à ceux qui iront a la dite assemblée
ou* en reviendront, et cela sous peine du crime de lèse-majesté au pre-
mier chef; enjoignons à nos procureurs généraux de poursuivre les con-
trevenants. Pourtant, ne voulant point nous départir de notre naturelle
clémence, avons dit et disons que tous, tant villes que communautés ou
particuliers, qui se seraient acheminés vers cette dite assemblée, pour
avoir été surpris en leur esprit par cette coupable convocation, ne la
sachant être si illégitime et prohibée, seront bénignement reçus de
nous, et obtiendront remise de leur faute en se retirant et venant à nous
avec les soumissions requises, dans la quinzaine après la publication de
cette nôtre ordonnance, donnée a Chartres, le vingt-neuvième jour de
janvier 1593, et scellée sur double queue en parchemin de cire
jaune. »
La déclaration des princes, prélats, officiers de la couronne et sei-
gneurs catholiques, était en ces termes :
<c Ayant vu une déclaration publiée sous le nom de Monsieur de
Mayenne, les soussignés déclarent de leur côté qu'ils sont d'accord avec
le dit sieur duc sur la nécessité urgente de mettre lin à une guerre qui
ruine ce royaume, et qui, par l'a même, emporte la ruine de la religion ;
c'est pourquoi tous bons Français et catholiques sont tenus d'empêcher
de tout leur pouvoir le premier malheur, dont le second serait la suite
inévitable. Or, le seul moyen de s'opposer efficacement a l'un et a
l'autre est une bonne et franche réunion entre tous ceux qui professent
ia véritable foi. Sur ce fondement solide, chaque chose reprendra sa place,
chaque institution retrouvera sa force; la refigion, la justice, le com-
merce, les arts et métiers nourriciers, les universités et les sciences
feront de nouveau fieurir ce royaume comme par le passé. Dieu sera
servi, la terre cultivée, et le peuple jouira d'un repos assuré; on ne
l'entendra plus lever la voix que pour bénir ceux qui lui auront pro-
curé un pareil bonheur. A celte cause, et sur la démonstration que le
sieur de Mayenne fait par son écrit que l'assemblée convoquée à Paris
n'a pas d'autre but que d'assurer un tel bien ; considérant que le lieu
indiqué n'est accessible et sûr que pour ceux du parti opposé au nôtre;
qu'il n'en peut sortir aucune résolution libre, valable et utile; qu'au con-
traire, le résultat d'une pareille réunion ne ferait qu'enflamber la guerre
et anéantir toute espérance de réconciliation, les dits princes, prélats,
officiers et seigneurs qui sont en ce moment auprès du roi signifient au
dit sieur de Mayenne et aux autres personnes assemblées en la dite ville
de Paris, que s'il est question véritablement, comme ils le disent, de
mettre fin aux malheurs de la patrie, et d'entrer en conférence et com-
munication, touchant les moyens d'arriver a ce but, ils aient 'a dépêcher
de leur côté quelques bons et dignes personnages choisis parmi eux,
pour s'assembler en tel lieu qu'il leur plaira entre Paris et Saint-Denis.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 283
Les soussignés y enverront pareillement, au jour qui sera pour cela con-
venu, afin de recevoir et apporter toutes les bonnes ouvertures qui pour-
ront être laites pour un si bon elfet, promettant d'y mettre de leur part
toute la bonne volonté requise en un cas aussi important; que si leur
proposition est refusée, ils protestent devant Dieu et devant les hommes
que la responsabilité des maux (|ui doivent s'en suivre doit tomber
uniquement sur ceux qui, pour une ambition personnelle, veulent livrer
la France en proie et butin a l'avidité de l'Espagnol. — Fait et signé en
conseil du roi et avec la permission de Sa Majesté, le dix-septième jour
de janvier. »
Cette proposition fut portée à Paris par un trompette, et remise au
sieur de Belin, gouverneur de la capitale, qui vint la rendre entre les
mains du duc de Mayenne, avec lequel se trouvaient le légat, don
Diego d'Ibarra, le cardinal de Pellevé, Villeroi, Jeannin et quebjues autres
des principaux membres du conserl. Soudain, après la lecture qui en
fut faite par le président Jeannin, Monseigneur le légat se leva tout en
colère. « Cette proposition, s'écria-t-il, sort de mains hérétiques; elle
est pleine d'hérésies abominables et ce serait se déclarer hérétique que
d'y avoir égard. Nous devons la rejeter avec indignation et faire pendre
le trompette, qui a eu l'audace d'apporter une pareille pièce. » Cette
décision fut approuvée du cardinal de Pellevé et grandement louée
par d'Ibarra. (ViLLERoi, Mém. cVEtat. — Matthieu, Règne de Henri IV,
t. I, p. 129.)
Toutefois, il fut remontré que la dite lettre ne s'adressait pas seule-
mont 'a Monsieur de Mayenne, mais à tous ceux de l'assemblée des
États ; que, partant, il devenait indispensable de la leur communiquer,
d'autant que le trompette avait dit hautement a la porte de la ville qu'il
venait chargé d'un message pour Messieurs des États, de sorte que
chacun était déjà averti de ce message, et qu'on s'exposerait au risque
imminent de mécontenter Messieurs les députés, si on supprimait sans la
leur laisser voir une pièce qui leur était adressée. Il fut donc décidé
dans le conseil que l'écrit serait porté a l'assemblée, ce à quoi Monsieur
de Mayenne donna volontiers la main; car il est à croire (]uc, s'il eût
manifesté la moindre opposition, la chose se fût passée bien autrement,
tant cette proposition des royalistes faisait peur aux étrangers et à leurs
adhérents. (Ibid.)
Ces discussions avaient duré deux grandes journées, et ce ne fut que
le troisième jour que la i)ièce fut portée aux États. Ils avaient été ouverts
le vingt-et-unième jour de janvier, dans l'Église de Notre-Dame-de-Paris.
Tous les députés qui se trouvaient alors arrivés assistèrent a une belle
procession qui fut laite 'a cette occasion. Ils reçurent la sainte commu-
nion des mains de Monseigneur le légat, et ils entendirent le sermon
de Cénébrard, qui démontra fort savamment comme quoi la loi salique,
étant une loi positive, était par cela même sujette à mutation au gré
du législateur, lequel n'était autre que la nation assemblée en corps.
Il termina en annonçant que l'on allait faire les prières de quarante
284 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
heures (1) dans toutes les églises de la capitale, a l'occasion de la te-
nue des Étals, et que le Pape accordait diverses indulgences a ceux qui
assisteraient à ces prières. (Mézeray, t. 111, p. lOOG et suiv. — Journal
de Henri IV, t. I, p. 279.)
La seconde séance eut lieu le vingt-sixième jour de janvier; elle avait
d'abord été indiquée pour le vingt-cinq, mais le duc de Mayenne, se
trouvant indisposé ce jour-la, fut obligé de la remettre au lendemain,
au grand déplaisir du cardinal de Pellevé, qui avait préparé son discours
d'ouverture pour être prononcé le jour de la Conversion de saint Paul,
a laquelle il faisait de brillantes allusions, et qui fut obligé de passer
la nuit a modifier tout cela, afin de l'accommoder tant bien que mal à
la fête de saint Pol} carpe.
On s'assembla dans la grande salle du Louvre. Le duc de Mayenne
était assis au milieu, sous un dais de drap d'or. A ses côtés, dans des
chaises de velours cramoisi, siégeaient le cardinal de Pellevé, les ducs
de Guise, d'Aumale et d'Elbeuf, les ambassadeurs des ducs de Lorraine
et de Mercœur, puis les quatre maréchaux et le grand amiral de la
Ligue. Les députés des trois ordres occupaient chacun leur rang, sui-
vant l'usage accoutumé dans les autres convocations des assemblées
générales de la nation. L'ordre du clergé était assez fourni de bon
nombre de prélats de manjue ; celui de la noblesse n'offrait que bien peu
de gentilshommes d'un rang un peu considérable; pour le Tiers-Etat, il y
avait la toutes sortes de gens ramassés, et la plupart a la solde de l'Es-
pagnol ou du duc lui-même.
Et parmi ces trois ordres, le duc ne pouvait véritablement compter
que sur la noblesse. Il redoutait le clergé et le Tiers-État, qui montraient
plus de penchant pour le roi d'Espagne que pour lui ; aussi avait-il pro-
jeté d'introduire dans l'assemblée deux autres ordres nouveaux : l'un,
judiciaire, composé des membres du parlement et des officiers de la
justice; l'autre, formé uniquement des grands officiers de la couronne
et des gouverneurs des provinces, et, comme l'usage consacré est de
voter par ordre et non par tête, il comptait par ce moyen se procurer
trois voix contre deux; mais ce plan échoua. Il aurait fallu une tout
autre autorité que la sienne pour introduire une pareille innovation ; les
trois ordres la rejetèrent comme injurieuse pour eux, et comme préjudi-
ciable 'a la postérité, 'a laquelle ils ne voulaient pas laisser un antécé-
dent fâcheux. (Matthieu, Hist. de Henri Il\ liv. 1, p. 141.)
Lorsque tous les députés eurent pris leurs places, et que le héraut
eut fait faire silence, le duc de Mayenne prononça une belle harangue
que lui avait composée l'archevêque de Lyon, dans laquelle, après avoir
bien fait valoir son zèle pour la religion et les grands travaux qu'il avait
(1) Dévotion usitée dans l'église catholique dans les temps de calamités publiques,
et pour demander à Dieu quelques grâces particulières. Elle consiste à exposer le
Saint Sacrement trois jours de suite, pendant quarante heures, avec sermons, sa-
ints, etc.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 285
soiifTerts pendant ces guerres, il expliqua comme quoi il était indispen-
sable (rélire un roi catholi(|ue. En manjuant les qualités que ce mo-
nanjuc devait avoir, il n'oublia pas de montrer que lui-même les possé-
dait toutes, et il termina en conjurant les députés de ne point se laisser,
dans une circonstance aussi importante, préoccuper par aucune aficction
ni intérêt particulier, mais de ne penser qu'a ce (jiie demandaient la
nécessité présente et le salut du royaume.
Quand il eut Uni, le cardinal de Pellevé prit la parole pour le clergé;
il loua comme de juste le zèle, le courage et le désintéressement du duc
de Mayenne, et conclut par une exhortation à élire un roi entièrement
acquis au Saint-Siège, mortel ennemi de l'hérésie, grand en zèle et en
piété, mais non moins grand en force et en puissance. Tout ce discours,
plein de haine et de liel contre la maison de France, fut trouvé fort
long. Le prélat manqua complètement TelTet de ses allusions au bienheu-
reux saint Polycarpe, et y entremêla la conversion de saint Paul assez
maladroitement. On jugea que la conclusion se ressentait un peu trop de
rinduence espagnole, et il parut ridicule que l'orateur se lut permis de
longues et inutiles digressions, dans lesquelles il ne tarissait pas sur les
louanges de sa Himille et sur ses propres louanges. L'assemblée pourtant
donna des marques d'attention, lorsqu'en parlant toujours de lui-même
et de sa mauvaise santé, il s'écria, en tournant les yeux du côté du duc
de Mayenne, que les grands et les princes eux-mêmes étaient sujets aux
maladies comme le commun des mortels. Le duc, qui sortait de la fâcheuse
maladie dont il venait de se faire guérir, ne prouvait que trop par sa
mine souffrante et amaigrie combien cette vérité était incontestable.
Le baron de Seneçay, pour la noblesse, harangua ensuite. Son dis-
cours fut simple, dit-on; on le trouva beau et court. Celui du conseiller
Du Laurens fut trouvé éloquent, mais un peu long. Si on examine de
sang-froid toutes ces harangues, l'espèce de fanatisme sauvage et, de bi-
goterie niaise qui en fait la base répugne et n'inspire que du dégoût.
Aussi l'on vit paraître en ce temps-la, en réponse a toutes ces graves
et cérémonieuses exhibitions de la Ligue, une satire royaliste qui sut,
(juelque menaçantes et dangereuses qu'elles fussent au fond, les rendre
parfaitement ridicules, et par conséquent leur ôler toute possibilité de
contribuer au mal. On voit que je veux parler de la Satire Ménippce,
l'ouvrage le plus mordant, et tout à la fois le plus gai et le plus lin, qui
existe dans la langue française, et qui, comme la dit le président llénault,
ne fut guère moins utile à Henri IV que la l)ataille d'ivry. L'auteur, ou
plutôt les auteurs de ce spirituel écrit représentent le légat du Pape,
chargé de distribuer ou de promettre l'argent de l'Espagne, comme un
charlatan vendant sur la place publique, aux badauds qui l'entourent,
une certaine drogue appelée cathoUcon composé ou higuiero di inferno
(liguier d'enfer). Cette drogue a des propriétés merveilleuses; ce que
toutes les forces de l'Espagne et de l'Empire, conduites par le puissant
Charlos-Quint, n'ont pu faire contre la France, un simple lieutenant,
accompagné seulement de quehiues milliers d'hommes, pourra le faire en
286 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
se jouant. Il n'a qu'a frotter sa bannière d'un peu de higuiero ; tout aussi-
tôt, on ira avec joie au-devant de lui. Bien qu'il tue, viole, brûle et sac-
sage tout, on dira qu'il lait cela pour la paix et le bien de l'Église. —
« Quelqu'un veut-il être cardinal, qu'il mette un peu de cette précieuse
drogue sur les cornes de son bonnet ; 'a l'instant il deviendra rouge, et le
porteur sera lait cardinal, fût-il le plus ambitieux et le plus incestueux
prélat du monde. » Quand on sait ce que l'histoire reproche à l'arche-
vêque de Lyon, on comprend combien ce trait était déchirant pour lui.
Tous les autres chefs de la Ligue ne sont pas plus épargnés, et chaque
plaisanterie est un coup de poignard bien ajusté et durement aiguisé.
(Satire Ménippée, passim.)
Si, de la, on passe 'a la procession des Ligueurs, on ne peut sans
rire suivre ces divers masques, portant des noms historiques et affublés
de costumes moitié guerriers, moitié monastiques ; on se rappelle cette
fameuse parade religieuse, dont, sous le règne de Henri III, la ville de
Chartres avait été le théâtre.
Vient ensuite une description de douze tapisseries satiriques, ornant,
soi-disant, la salle des séances, et à l'aide de laquelle la situa-
tion que tous ces troubles religieux ont faite 'a la France, est aussi co-
miquement que fidèlement représentée. Les noms des députés, l'énoncé
de leurs droits 'a occuper un pareil poste, et la place qu'on assigne 'a cha-
cun d'eux, sont autant de traits d'un ridicule ineffaçable déversé 'a pleines
mains et avec la verve la plus intarissable sur toute l'assemblée. Puis
suivent les harangues, qui sont autant de chefs-d'œuvre, tant elles re-
tracent fidèlement les caractères, les intérêts et les passions de ceux a (|ui
on les attribue, a Dieu m'est témoin, dit le duc de Mayenne, que je n'ai
jamais voulu que le bien de la France et ma propre conservation, et pour
cela, quel gré ne devez-vous pas me savoir d'éterniser si soigneusement
la guerre civile, en suivant pour la destruction de la maison de
Bourbon le plan formé de longue main par mes ancêtres ? Vous me
rendrez aussi cette justice que jai toujours su mettre ma propre per-
sonne à couvert, dans toutes les occasions où elle aurait pu être exposée,
et cela avec une prudence qu'on ne saurait nier; comme aussi je me suis
appliqué constamment 'a vous guérir de trop d'aise, et à vous décharger
de la pesanteur de vos bourses. Si vous me choisissez pour votre roi,
comme cela est juste, je vous promets que je redoublerai encore
d'efforts. »
Monsieur le légat prend ensuite la parole en italien d'abord, puis en
latin baroque ; et, en qualité de ministre d'un Dieu de paix, il ne prêche
que guerre et extermination. Il termine en disant : « Faites un roi,
n'importe lequel. Fût-il le diahle en personne, nous lui donnerons notre
sainte bénédiction, a condition (ju'il se déclare feudataire du Saint-Père.
Pourtant, nous ne pouvons nous empêcher de vous dire ici que vous
feriez bien de prendre le roi d'Espagne; non qu'il ait l)esoin de votre
couronne : il en a déjà a revendre, des couronnes, mais il ne refuserait
peut-être pas celle de France, par l'unique raison qu'elle lui donnerait
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. • 287
la prérogative de guérir les écrouclles en les louchant, et il ne serait pas
lâché de rendre ce service a ses sujets d'Espagne, qui, comme on sait,
sont très-enclins à ce vilain mal. »
Pour lors. Monsieur le cardinal de l'ellevé, se levant sur ses deux
pieds, comme une oie, son chapeau rouge ravalé en capuchon, l'ait une
j)rofonde révérence à Monsieur le légat, et une autre hassissime aux
dames, et, s'étant assis, après avoir toussé trois Ibis, il dit en latin
encore plus mauvais que celui du légat : « lUiisque nous avons ici à
créer un roi par Tordre du Pape, vous pouvez le prendre où il vous
plaira, pourvu (ju'il soit du sang d'Espagne ou du sang des Guises.
J'étais d'ahord d'avis qu'on prît un de ces derniers, car cela me semblait
assez dans mon intérêt; mais le seigneur légat, qui penche pour l'autre
race, m'a converti en me faisant voir que j'avais encore plus a gagner de
ce côlé-la. Au surplus, l'essentiel est que nous ne faisions jamais ni
trêve ni paix avec ces damnés palitiques qui se sont permis de se
moquer des actions les plus honorables de ma vie. » La-dessus, il se met
a faire une naïve et ridicule énuméralion de ce qu'il appelle ses mérites,
({ui ne sont que des vices et souvent des crimes.
Monsieur de Lyon lui succède sur ce comique théâtre. « 0 miracle!
s'écrie-t-il d'un ton inspiré; car n'est-ce pas un miracle dû 'a cette sainte
Ligue, que de voir tous les truands, mauvais garçons et bandits, trans-
mués si subitement en gens de bien et véritables calholi(jues ; que de
me voir moi-même, qui n'étais pas grand mangeur de crucifix, qui sen-
tais même un peu le fagot, qui ne me suis jamais fait scrupule de man-
ger chair en carême, ni de coucher avec ma sœur, de me voir, dis-je,
devenu, comme vous en êtes témoins, un des principaux piliers de la
foi, avec l'espérance d'un beau chapeau rouge, qui m'ira tout aussi bien
qu"a un autre? Ah! je ne saurais trop vous le dire : soignez, choyez sur-
tout les benoîtes confréries du Saint-Nom-de-Jésus et du Saint-Cordon,
aux(|uelles nous sommes redevables de pareils prodiges, et n'oubliez pas
de charger d'honneurs et de témoignages de votre conhance ces bons
Pères jésuites qui nous transmettent les doublons de Sa Majesté catho-
lique, pour laquelle je vote de toute mon âme, me recommandant à sa
générosité particulière. »
Ce discours est suivi de celui d'un autre prélat, le docteur Rose,
évêque de Senlis, (jui se vante de n'être redevable de son avancement
et de sa fortune 'a personne autre qu'à lui-même, et par conséquent d'ap-
porter à cette élection un esprit indépendant. « Ce (|ue je suis, dit-il,
je le dirai ici 'a ma louange, je ne le dois (ju'au courage avec le(juel j'ai
trahi le roi, qui m'a fait jadis élever a ses dépens, et qui, jtar linslruction
qu'il m'a fait donner, m'a ouvert le premier la carrière des dignités ecclé-
siastiques. Aussi, puis(pril s'agit de faire aujourd'hui un roi, je ne volerai
pour aucun des grands de la terre, et, par esprit d'indépendance, je
donne ma voix au gros Guillot Fagotin, marguillier de Gentilly, et qui
chante si bien au lutrin. »
L'orateur de la noblesse, au(|uel l'ouvrage donne le nom de Monsieur
288 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
de Rleux, qui lut pendu a Compiègne en 1594, vient dire a son tour :
« En vérité, je suis le premier à m'étonner que moi, qui n'ai jamais été
même simple gentilhomme, et qui serai peut-être pendu un jour, j'aie
cet honneur que de parler ici au nom de toute la noblesse de France.
Je dirai donc : Vive la guerre ! de quelque part qu'elle vienne, et main-
tenant que par la guerre me voilà devenu tout aussi noble qu'un duc et
pair, je vous promets bien que je saurai courir la vache et le paysan
tout aussi bien que qui que ce soit, et, a ce titre, vous pouvez bien
me faire roi sans aller chercher plus loin; j'en vaudrai bien un
autre, »
Enfin, le sieur d'Aubray, qu'on suppose parler au nom du Tiers-Etat,
après une longue énumération de toutes les folies et de toutes les fautes
qui ont été commises, de tous les malheurs qui ont pesé sur la France
depuis la formation de la Sainte-Union, termine en disant : « Voulez-
vous savoir, celui que nous autres, gens du Tiers, reconnaissons pour
notre souverain légitime? C'est Henri de Bourbon, ci-devant roi de
Navarre, » déclaration qui rendit bien des gens camus.
L'effet de cette mordante satire fut prodigieux; car l'arme du ridicule
a partout et toujours été toute-puissante, mais surtout en France. Cepen-
dant, le lendemain de la première séance des Etats, il s'en était tenu
une seconde où Monsieur le légat qui, en sa qualité d'étranger, n'avait
pas assisté 'a la précédente, voulut être admis. H insista pour que les
députés s'obligeassent par serment a ne faire jamais ni paix ni traité
avec le Béarnais ; le duc de Mayenne lui-même n'était, comme on
l'a vu, pas trop de cet avis ; ceux qui savaient son secret prirent aussitôt
la parole contre ce serment. Comme le légat se raidissait, l'archevêque
de Lyon représenta que ce serait prononcer d'avance que le roi de
Navarre ne pouvait pas être absous par le Pape, ce qui serait porter
atteinte aux droits de Sa Sainteté, qui, comme représentant Jésus-Christ
lui-même, avait toute puissance de lier et de délier. Le légat, n'ayant
rien 'a répondre a une aussi bonne raison, demeura court, mais non
satisfait, et le duc eut la satisfaction de voir la proposition rejetée.
(Mézeray, t. m, p. 1000.)
Or, le roi ne recevait toujours pas de réponse ni à son ordonnance,
ni 'a la proposition des princes et seigneurs de son parti ; voyant donc
qu'il s'était déjà passé huit jours sans avoir entendu parler de rien, il
décida de s'en aller avec son armée, qui n'était pas bien grande alors,
le long des bords de la Loire, suivant le projet qu'il en avait formé vers
la fin de l'année précédente. Tout en cheminant, il envoya assiéger
Meung, qui n'est qu'à cinq lieues d'Orléans, et lui-même se rendit à
Blois, puis de là à Tours, et enfin à Saumur, pour voir Madame sa sœur,
qui venait d'arriver dans cette ville. (Caykt, iibi sup.)
Cette princesse, qui était toujours restée en Béarn, dont il l'avait
laissée régente depuis l'annexe 1585, avait manifesté le désir de voir
encore une fois son frère; de quoi Sa Majesté était elle-même très-con-
tente. Il y avait bien, comme je l'ai déjà donné à entendre, un autre
DL' PROTESTANTISME EN FRANCE. 289
inolirdcterminaiil pour l'un et pour l'autre; mais ce n'est pas ce dont il
est ici question. La princesse, ayant donc mis ordre au\ allaires des pays
qui lui étaient confiés, partit de Pau et traversa la Gascogne, où, le
maréchal de Matignon donna ordi-e qu'elle fût reçue comme la propre
personne du roi, avec entrées qui tussent belles et magniliques, selon la
nécessité des temps.
A Bazas, le maréchal vint lui-même au-devant d'elle jusqu'à mi-
chemin du fort de Captieux, et lui rendit tous les honneurs et devoirs
d'un bon et ancien serviteur de la maison de Navarre, car il avait été
nourri enfant d'honneur de la reine Marguerite de Navarre. De la, Son
Altesse s'achemina vers Bordeaux par la rivière, et toute la ville sortit
en habits de lête au-devant d'elle. Le premier capilan lui lit une belle
harangue, en la priant de prendre place dans une barque de parade toute
dorée, couverte et tapissée d'un riche velours à ses couleurs ; d'autres
barques splendidement décorées étaient chargées des seigneurs, dames
et damoiselles de la province. Ce fut entourée de ce brillant cortège
(juclle vint prendre terre à La Bastide, au bruit de toutes sortes d'ins-
truments de musique. A l'abord du quai, on avait dressé tout exprès un
grand pont couvert de tapis de pied pour faciliter son débarquement.
En même temps, la cour du parlement vint la saluer, et Monsieur le
premier président Daffis lui présenta les félicitations de la compagnie,
louant Dieu d'avoir le bonheur de voir dans leur ville la perle des prin-
cesses, la sœur unique de leur roi bien-aimé. Son Altesse, au bruit de
la décharge de l'artillerie du Château-Trompette, du fort du Ha et de
tous les navires qui se trouvaient dans le |)ort, fut ensuite conduite en
la maison du trésorier général Pontac, auquel était échu l'honneur de lui
donner logis. Messieurs du clergé lui tirent là une autre belle harangue,
à Uuiuelle elle répondit très-gracieusement, en les remerciant de la
bonne atVection qu'ils montraient en faveur du roi. Elle eut aussi cet
honneur de faire ouvrir les prisons, comme il se lait de droit et de cou-
tume aux entrées solennelles des rois, pour la compassion et soulage-
ment des misérables ; puis, pendant tout un mois que la princesse daigna
séjourner dans la ville, ce ne furent que festins, ballets et réjouissances
publiques et particulières.
Or, en de telles occurences, il est malaisé qu'il n'arrive désordre
parmi le peuple. Quelques-uns des habitants allèrent au logis de Son
Altesse, pour voir ce que c'était qu'un prêche; d'autres, qui savaient
fort bien d'ancienne date à quoi s'en tenir à ce sujet, y allèrent aussi,
comptant bien que cela leur servirait d'ouverture pour fonder dans cette
maison une réunion, où, à l'avenir, il leur serait permis d'exercer leur
culte prohibé. Les catholiques prirent cette affluence pour une révolte
contre l'Église, et Messieurs du parlement furent requis de faire publier
'a son de trompe, par toute la ville, défense à tous les habitants de
n'aller plus au dit prêche. Les plus entêtés se refusèrent d'obtempérer à
celle défense, et on les mit en prison, quoique Son Altesse daignât
s'employer pour eux. Les magistrats la supplièrent de ne pas trouver
IV. 19
»c
290 HISTOH'vE DE LÉTABLISSEMENT
mauvais leur arrêt, qui était conlormc aux ordres prescrits par le roi,
et qu'ils auraient rendu sans crainte, quand même Sa Majesté eût été la,
présente en personne.
Le maréchal de Matignon, craignant que cet incident n'excitât des
troubles dans la province, parce que ceux de la religion offraient déjà a
la princesse de prendre les armes pour lui assurer le libre exercice de
son culte, lui conseilla de continuer son chemin, et la conduisit lui-
même jusqu'aux frontières de son gouvernement; puis il revint bien vite,
et, pour inspirer une terreur salutaire aux autres, il châtia sévèrement
quelques anabaptistes flamands, qui, étant venus charger des vins a
Bordeaux, avaient cru le moment favorable pour distribuer dans la ville
quelques-uns de leurs livres pernicieux. Grâce 'a cette rigueur le mal
n'alla pas plus loin.
La princesse continua sa route par la Saintonge et par le pays
d'Angoumois, où elle fut reçue partout avec les mêmes honneurs; car,
dans tous ces pays, hormis à Poitiers, on était royaliste. Elle arriva a
Niort, où elle ht aussi une entrée royale et délivra les prisonniers. Elle
en partit malgré les froids extraordinaires qui eurent lieu en cette année-
là ; et quoiqu'il y eût a craindre que ceux de l'Union qui étaient dans
Poitiers ne lui dressassent quelque attaque sur sa route, elle arriva
enhn heureusement â Saumur, où Duplessis-Mornay, qui en était gouver-
neur, lui ht une réception magnihque.
Ce fut Ta que le roi, son bon frère, vint la voir le vingt-huitième jour
de février, par un temps bien fâcheux et tout plein de neige. Le duc de
Montpensier se trouva aussi dans cette ville, et il y eut même quelques
paroles mises en avant au sujet d'un mariage entre ce prince et la dite
dame, sœur du roi ; mais elles demeurèrent sans effet.
Duplessis profita aussi de cette occasion pour entretenir le roi au
sujet du changement de religion qui était proposé a ce prince, et auquel
il est probable que Sa Majesté était depuis longtemps 'a peu près décidée.
Duplessis, en sa qualité de rigide protestant, ne manqua pas de dissuader
son maître de faire une pareille démarche, qui pouvait le brouiller avec
ses plus anciens et plus fidèles serviteurs; il s'avança jusqu'à lui propo-
ser un moyen d'éluder la promesse, que, selon lui, le prince s'était
imprudemment laissé arracher. « Vous pouvez, Sire, alléguant votre
désir de satisfaire les catholiques touchant votre instruction, demander
une conférence de théologiens qui ne soit pas seulement une vaine
formalité, mais une discussion sérieuse. Vous y appelleriez quelques-uns
des pasteurs les plus instruits des Églises réformées; vous proposeriez
vous-mêmes les points sur lesquels vous voulez être instruit, redressant
les disputants quand ils s'écarteraient de la question, et les obligeant de
répondre catégoriquement par les saintes Écritures. Je suis certain que,
par ce moyen, vous feriez voir aux catholiques eux-mêmes qu'il y a
effectivement à leur croyance de grandes difficultés, lesquelles méritent
bien qu'on s'en occupe; puis, quand ils auraient reconnu que vous aviez
raison de ne pas vouloir changer si légèrement de religion, vous pourriez
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. '291
peut-être, par des voies de douceur et de prudence, les amener a modilicr
d'eux-mêmes un peu leurs opinions; et alors vous proposeriez un grand
concile national, dans lequel, appuyant de votre faveur et de vos encoura-
gements ceux à qui vous auriez déjà fait entrevoir la vérité, vous finiriez
tout doucement par engager les autres a accepter au moins les points les
plus importants de la Réforme. » (Mkzkhav, t. III, p. 1005.)
Le roi savait mieux que son conseiller à quoi s'en tenir sur la possi-
bilité d'un pareil plan. Il faisait cependant mine d'écouter sérieusement
ces conseils. Pendant tout le temps qu'il resta a Saumur, il fréquenta
assidûment les prêches, reçut les ministres avec caresses et bienveil-
lance, et, en partant, il n'hésita pas a les assurer de sa persévérance
dans la doctrine qu'ils lui avaient enseignée. « Si, leur dit-il, vous
entendez dire que j'ai commis quel(|uc infraction au commandement de
Dieu (jui nous fait un devoir de la chasteté, vous pouvez le croire, parce
que je suis homme sujet à de grandes infirmités; mais si l'on vous
rapporte que j'ai abjuré ma religion, ne le croyez jamais; car j'ai résolu
d'y mourir. »
Le roi, Madame sa sœur et Monsieur de Montpensier, allèrent ensuite
de Saumur a Tours, oîi leur présence répandit partout l'allégresse. La
aussi, Sa Majesté témoigna beaucoup de chaleur pour les intérêts de ses
coreligionnaires qu'elle allait bientôt quitter. Elle voulut faire lever par
le parlement la restriction qui les excluait des charges publi([ues. A cet
effet, elle manda dans son cabinet le procureur et les avocats généraux
pour les engager 'a trouver quelques moyens de lui donner satislaction.
Ceux-ci répondirent xju'ils ne pouvaient donner valablement leur avis
que séant sur les fleurs de lis; a quoi le procureur général ajouta qu'il
serait temps d'en délibérer quand le roi aurait lui-même satisfait 'a la
promesse qu'à son avènement il avait faite aux catholiques. (Mézkray,
ubi sup., 106.)
Henri ne put s'empêcher de témoigner quol(]ue aigreur 'a des magis-
trats aussi peu complaisants; mais cela même ne lui évita pas les soup-
çons de ceux de la religion, qui, quelque chose (ju'il pût faire pour
rassurer leur méfiance, crurent toujours qu'il y avait là plus de mine que
d'effet. La plupart s'éloignèrent de lui, comme il pensait de son côté à
s'éloigner d'eux.
Cependant, à la prière des Tourangeaux, qui voulaient se délivrer
d'un fâcheux voisinage, il envoya Biron, qui venait de prendre Meung et
qu'il avait nommé grand amiral de France, assiéger la ville de Celles.
Son projet était, quand cette ville se serait rendue, et (juand la saison
favorable aurait reparu, d'aller remettre le blocus autour de Paris. En
attendant, il se proposait de passer le reste de l'hiver à Tours; mais deux
nouvelles qu'il reçut à la fois l'obligèrent à hâter son voyage. Il envoya à
Biron l'ordre de lever le siège de Celles et de conduire la princesse à
Chartres, puis de venir ensuite sans retard le joindre avec l'armée
devant Paris; et lui-même partit en avance. Ces deux nouvelles étaient
que ceux du parti de la Ligue avaient enlin envoyé une réponse à
292 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Chartres, au sujet de la proposition que les princes, seigneurs et prélats
du parti du roi leur avaient faite, et l'autre, que le comte de Mansfeld, a la
tête de Tarmce espagnole des Pays-Bas, était entré en France et assié-
geait en ce moment la ville de Noyon. (Cayet, ubi sup.)
Quant à la réponse de ceux de l'Union, s'il leur avait fallu tant de
temps pour la faire, c'est que le légat du Pape avait donné a quelques
théologiens de la Sorbonne la proposition des royalistes à examiner, pour
voir si elle ne contenait point d'hérésies, et comme on doit bien s'y
attendre, ces théologiens, que présidait Pigenat, frère du provincial des
Jésuites et Jésuite lui-même, la condamnèrent comme absurde, héré-
tique et schismalique. Mais l'affaire ayant été mise en délibération, le
vingt-cinquième jour de février, en pleine assemblée des prétendus
États, elle fut vivement débattue. Les uns, soutenant l'avis du légat et
des docteurs sorbonniques, disaient qu'en matière de foi et de religion
toute discussion et controverse avec l'impie était un péché, qu'il faut
alors vaincre et non convaincre les antagonistes auxquels on a affaire.
Les autres, au contraire, prétendaient qu'il n'était pas moins odieux
qu'impolilique de refuser la communication requise par les royaux ; que
c'était déj'a un tort de ne leur avoir pas répondu plus tôt, ce qui leur
donnait occasion de se vanter de n'avoir voulu que le bien du peuple;
que s'ils ne l'avaient pas fait, ce n'était pas leur faute, et que le refus
de leur répondre ne pouvait provenir que des desseins ambitieux et inté-
rêts particuliers de leurs adversaires.
« Songez-y, Messieurs, ajoutaient les adversaires des Jésuites, le cas
est grave. L'état des affaires du pays, la nécessité oîi se trouve le parti
de l'Union, et la malheureuse situation dans laquelle gémissent depuis
si longtemps les Parisiens, méritent bien toute votre attention. Cette
capitale, dont toutes les ressources sont depuis longtemps épuisées, ne
peut plus guère espérer d'être secourue par une armée étrangère. Ce
n'est pas avec les quelques soldats que Mansfeld vous amène, dit-on, de
Flandre, que nous devons compter pouvoir résister aux troupes presque
toujours victorieuses des royalistes. Tout nous oblige donc d'user d'un
peu d'égards avec nos adversaires. Cette condescendance du reste ne
nous engage 'a rien ; elle sera même un moyen dont on pourra profiter
adroitement pour gagner les catholiques à notre parti, et leur faire aban-
donner celui du roi de Navarre. » Après une longue discussion il fut
résolu :
i° Que l'on ne conférerait ni directement ni indirectement avec le
roi de Navarre, ni avec aucun autre hérétique, tant au sujet des droits
que ce prince s'attribuait que sur la doctrine et la foi ; 2° qu'on pourrait
cependant conférer avec les catholiques qui suivaient son parti, pour les
choses qui touchaient à la conservation de l'État et de la religion, et
qu'on s'efforcerait, dans cette conférence, de les convaincre que les
Français ne pouvaient jamais reconnaître un hérétique pour roi; 3" enfin
que la réponse que l'on ferait serait en termes les plus doux et les plus
gracieux que faire se pourrait, et qu'elle serait soumise, avant d'être ,
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 293
envoyt'C, à l'approbation de Monseigneur le légat, lequel aurait toute
liberté d'ajouter et retrancher, suivant qu'il le trouverait bon pour l'inté-
rêt de la loi.
Voici en quels termes fut rédigée celte réponse : « Messieurs, nous
avons depuis (juclques jours déjà la lettre (lui nous a été apportée de
votre part par un trompette, et nous rendons toute justice 'a votre bon
désir de conserver la religion en ce pays, ainsi que de garder l'obéis-
sance due au Saint-Père. Nous serions bientôt d'accord si vous vouliez
seulement reconnaître comme nous cette vérité incontestable, que, si
l'on veut sauver notre sainte foi, il ne faut pas confier le sceptre et la
toute-puissance h nn hérétique, ennemi de celte même foi. Nous n'aurions
pas ditïéré si longtemps 'a vous répondre, si nous n'eussions cru devoir
attendre que notre assemblée fût plus remplie et accrue de bon nombre
de personnes d'honneur des trois ordres, (jue nous savions en chemin
pour venir se joindre à nous. Maintenant que la plupart sont déjà arrivées,
nous craindrions qu'un plus long silence de notre part soit calomnié, et
sans attendre ceux qui sont en retard, nous venons vous dire : Qu'en
premier lieu, nous avons tous promis 'a Dieu, après avoir reçu son pré-
cieux corps, et la bénédiction du Saint-Siège par les mains de Monsieur
le légat, que de tout notre pouvoir et par tous nos moyens nous défen-
drions la religion catholique, apostolique et romaine, dans laquelle nous
voulons vivre et mourir; qu'en second lieu, nous voulons la conserva-
tion de l'Etat en son entier, ce qui ne peut se faire qu'en conservant
l'unité de religion, tout autre moyen fondé sur la prudence humaine
sentant l'impiété et l'injustice et étant contraire 'a la profession que nous
faisons d'être fidèles chrétiens avant tout. Au reste, nous sommes prêts
'a accepter tout bon conseil qui pourra nous Si'\dcv a atteindre ce double
but que nous nous proposons ; c'est pourquoi nous jugeons comme vous
qu'une réconciliation est très-nécessaire. Ne vous arrêtez point aux
reproches et blâmes dont les hérétiques veulent nous charger : vous
pouvez déjà voir si, comme ils nous en accusent, Tambition est notre
seul mobile, et si la religion n'est pour nous, comme ils le disent, qu'un
prétexte. Si vous consentez a vous séparer de ces ennemis de votre foi,
ennemis que vous détestez et que vous servez tout 'a la fois, nous lève-
rons les mains au ciel pour rendre grâces a Dieu, qui nous aura ramené
des frères que nous aimons et auxquels nous sommes prêts 'a rendre,
de notre côté, le respect et le service que nous leur devons ii chacun
selon son rang. On nous veut faire aussi un crime d'avoir ap[)elé a notre
secours un prince étranger; n'est-il pas l'allié et le défenseur de notre
foi? Valait-il mieux soulTrir la perte de la religion et de notre honneur,
celle-même de notre vie, (|ue du reste nous sommes toujours disposés 'a
sacrifier volontiers pour la conservation des deux premiers de ces biens?
Ce sont, vous le savez, les Saints-Pères qui se sont succédé sur la chaire
du bienheureux saint Pierre qui ont envoyé le monanjue espagnol à
notre secours, et qui l'ont eux-mêmes intéressé en notre faveur, et ce
monarque, c'est l'allié et le parent de nos anciens rois. Il a bien voulu
204 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
nous assister dans tous nos besoins de ses forces et moyens, sans autre
loyer ni récompense que d'avoir travaillé au salut d'une cause aussi
sainte. Croyez-vous que les Anglais qui vous aident maintenant a établir
l'hérésie aient des intentions aussi pures et aussi désintéressées? Voyez
leurs mains encore fumantes, par l'ordre de leur reine, du sang des
catholiques, leurs propres compatriotes, qui ont courageusement enduré
la mort parce qu'ils ont voulu rester fidèles a Dieu et a l'Eglise, et pro-
noncez si nous avons tort de ne pas vouloir admettre un monarque
hérétique, qui pourrait abuser de la puissance que nous lui conherions
pour commettre parmi nous de pareilles abominations. Prenez donc
garde qu'en baissant trop les yeux contre la terre pour y voir les lois
humaines, vous ne perdiez la souvenance des lois qui viennent du ciel.
Ce n'est ni la nature ni le droit des gens qui nous apprennent 'a recon-
naître des rois, c'est la loi de Dieu et celle de l'Église, et toutes deux
requièrent non seulement la proximité du sang, mais encore et surtout
la profession de la foi catholique, dans celui qui doit succéder au prince
qui nous commandait. Pour venir donc a cette sainte et salutaire récon-
ciliation que nous désirons comme vous, nous acceptons la conférence
que vous nous demandez, pourvu qu'elle soit entre catholiques seule-
ment, et nous vous prions d'avoir pour agréable le lieu de Montmartre
ou de Saint-Maur, ou de Chaillot, 'a votre choix, et d'y envoyer vos
députés vers la lin du mois, a tel jour qu'aviserez, dont nous avertissant
nous ne faillirons de notre côté a y faire trouver les nôtres. Dieu veuille
que nous puissions y rencontrer tous ensemble les moyens qui doivent
assurer et la conservation .de notre sainte religion et le repos si dési-
rable et si nécessaire de cet Etat. »
Les princes et seigneurs catholiques du parti du roi, s'étant assemblés
par sa permission pour délibérer sur cette réponse de leurs adversaires,
publièrent la réplique suivante :
« Le temps que vous avez pris pour répondre a notre proposition
est cause que nous ne sommes plus maintenant en nombre sufhsant pour
délibérer convenablement sur les ouvertures que vous nous faites. La
plupart de nos princes et seigneurs, lassés d'attendre, et sur le bruit de
certaines démonstrations de votre sieur de Mayenne, lequel semble vou-
loir entreprendre quelque chose avec l'armée étrangère qui vient d'arri-
ver des Pays-Bas, sont allés occuper chacun le poste qu'il est chargé
de défendre. Toutefois, aussitôt votre lettre reçue, l'ordre a été envoyé 'a
tous les nôtres de se rendre a Mantes^ où nous espérons bien que dans
peu de jours se trouvera compagnie suffisante pour entendre et vaquer
'a cette affaire. Pourtant, afin que vous ne puissiez attribuer 'a une autre
cause que celle que nous vous donnons le délai que nous demandons,
uniquement pour vous rendre une réponse plus certaine et appuyée sur
la résolution et le sentiment d'un plus grand nombre d'entre nous, avec
la permission de Sa Majesté, nous faisons savoir a votre assemblée de
Paris que, quelque chose qui arrive, dans le quinzième jour du mois
prochain au plustar:!, nous vjjs i-. us parvenir une déclaration pour
DU PUOTESTAiNTiSMI-: KN KllANGE. 295
racliemincment et résolu lion de la conférence proposée. Pendant lequel
délai, s'il plaît aux seigneurs qui sont avec vous d'avertir nos princes et
seigneurs du nombre et de la qualité de ceux que vous avez Tinlenlion
de nommer en (jualité de députés, cela nous aidera d'autant plus 'a avan-
cer la conclusion d'une allaire que nous désirons tous, laquelle, moyen-
nant la grâce de Dieu, amènera, comme nous l'espérons, le salut de la
religion et de l'État, but principal de tous les ellbrts des princes et
seigneurs de notre parti. Fait en conseil de Sa Majesté, tenu à Chartres,
le vingt-neuvième jour de mars lù93. »
Mayenne, sur ces entrelaites, avait quitté la capitale. Il motivait cette
absence sur la nécessité d'aller s'aboucher 'avec les ambassadeurs de
Philippe II, qui avaient pris le chemin de la Flandre et qui arrivaient
avec les troupes de Mansfeld. Il voulait, disait-il, constater les
ressources que l'Espagne pouvait Iburnir au parti et recevoir les troupes
qu'on lui amenait de Flandre. La vérité est qu'il était bien aise de s'éloi-
gner de l'assemblée, sachant qu'il en serait plus facilement maître de
loin que de près, parce que son absence paralysait toutes les décisions.
Si l'on en croit Davila, son entrevue avec les ministres espagnols fut
des plus orageuses. Le prince lorrain se plaignit amèrement de l'insuf-
lisance des secours accordés par le roi catholique jusqu'à ce moment.
Il récapitula d'une manière très-virulente les nombreux griefs que lui-
même et son parti pouvaient articuler contre le cabinet de Madrid, et
déclara que si ce cabinet persistait dans la même conduite, la récon-
ciliation entre la Ligue et le roi de Navarre était imminente. (Davila,
t. III, p. 352 et suiv.)
Cette brusque sortie, a laquelle on ne s'était pas attendu, déconcerta
les andjassadeurs, qui n'opposèrent aux |)laintes du duc que les magni-
fiques promesses faites par leur maître, si une fois l'Infante était élue
reine de France. Mayenne répondit qu'avant tout il fallait s'occuper du
présent, et que si l'on tenait a déterminer les députés des Etals 'a mettre
un étranger sur le trône, il était indispensable (jue chacun fût bien assuré
et de la réalité et de l'importance du prix dont on payerait sa
complaisance.
Alors les ministres espagnols s'emportèrent 'a leur tour contre celui
qui les ménageait si peu. Ils le menacèrent de lui ôler le commandement
pour en revêtir le duc de Guise, son neveu ; mais enfin les têtes se cal-
mèrent, et l'on fit une sorte de compromis que chacun des deux partis
était bien résolu de ne pas tenir. Le duc de Féria, que le roi d'Espagne
envoyait en qualité de son ambassadeur spécial auprès des Etats-Géné-
raux, prit la route de Paris, cl le duc de Mayenne alla rejoindre Mansfeld
au camp devant Noyon.
Le roi, pour tâcher de faire lever le siège de cette place, était accouru
jusqu'à Saint-Denis avec (pielque cavalerie, et il avait mandé h la
noblesse des provinces voisines de venir le joindre en toute diligence.
Mais il reçut bientôt la nouvelle que la garnison de Noyon s'était rendue,
après avoir soutenu un rude assaul, pendant le(piel les habitants de la
206 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
ville, presque tous dévoués a la Ligue, avaient été loin de la seconder.
(Méziîray, t. III, p. iOOi.)
Sa Majesté apprit en même temps que Mansfeld, s'en tenant a ce
premier succès, se retirait vers la Flandre avec ses troupes fort mal en
ordre, qui commençaient a se mutiner pour la paye; malgré ses pro-
messes, le roi d'Espagne avait été, cette fois encore, plus que jamais
économe de son argent.
L'armée italienne que le Pape entretenait en France, et qui avait
contribué à la prise deNoyon, s'était aussi complètement débandée après
la mort de son commandant, qui avait été tué devant la ville par un de
ses propres soldats, dont il voulait châtier la désobéissance, et qui lui
passa son épée au travers du corps. Le roi, qui n'avait plus rien a
craindre de ce côté-lîi, revint a Mantes.
Pendant ce temps-l'a, le duc de Féria entrait dans Paris. Le second
fils de Monsieur de Mayenne était allé a sa rencontre avec toute la
noblesse du parti de ITuion, et cette réception se lit avec grand appa-
reil et magnificence. Le second jour du mois d'avril, l'ambassadeur alla
a l'assemblée, qui se tenait dans la chambre royale du Louvre. Deux
évêques, deux gentilshommes et deux députés du Tiers-Etat vinrent le
recevoir au pied du grand escalier. Le cardinal de Pellevé, qui présidait
en l'absence de Mayenne, accompagné des autres prélats et des princi-
paux membres, s'avança au-devant de lui jusqu'à la porte de la salle, et
le conduisit jusque sous le dais, où il y avait trois chaises. Celle du
milieu, plus élevée que les autres, couverte d'un velours semé de Heurs
de lis, était destinée a demeurer vide, pour montrer que la France n'avait
pas encore de roi. Le cardinal prit sa place à droite ; le duc s'assit a
gauche, et après que le silence eut été commandé, il prononça en latin
le discours suivant : (Cavet, iibi sup. — Matthieu, Règne de Henri IV,
liv. 1, p. 152.)
« Très-illustres et révérends seigneurs, vous savez quels liens
existent entre le roi mon maître et ce royaume de France. Au moment
où nous devions tous nous promettre les plus heureux fruits de cette
bonne intelligence, des hérésies pestilentielles se sont glissées dans
votre pays et y ont tellement pris pied, partie par l'appui et par les
armes de certains personnages puissants, partie par les méchants arti-
fices de beaucoup de gens faux et rusés, qu'on a juste occasion de
craindre le naufrage et la ruine totale de notre sainte religion. Mon roi,
par sa bonté et clémence, n'a rien omis pour nous éviter ce malheur, et
vous savez combien de fois, depuis le règne de François II, il a géné-
reusement puisé dans ses coffres, combien de fois il a envoyé ses armées
pour contribuer a votre secours, bien qu'il n'ait pas toujours eu 'a se
louer de la manière dont vos précédents souverains, ses propres beaux-
frères, en ont agi avec lui. Dans le péril où il vous voyait, il a mis tout
ressentiment de côté, et c'est à lui que vous avez du la délivrance de
cette grande et noble cité de Paris, que les hérétiques tenaient assiégée.
Autant en a-t-il fait a Rouen, que ses troupes vous ont également con-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 297
servée. Je dirai plus : c'est qu'il a négligé jusqu'à ses propres affaires,
a son grand préjudice et désavantage, pour vous assister de toute aide
au milieu de vos difficultés et différends. Ce qu'il lui en a coûté pour
cela excède déjà trois millions d'or. Mais enfin, ce qui est le principal, il
a lait tout devoir et instance pour la convocation de ces très-célèbres
États. Il a sollicité nos Papes de vous chérir et d'épouser vos intérêts,
et il m'a envoyé vers vous, vous apporter ses avis et conseils pour votre
bien et avantage. Il estime donc que votre conservation et salut consiste
en ce que, par vous, soit élu un roi zélé pour la religion, et assez puis-
sant pour mettre ordre a vos affaires et vous défendre contre vos ennemis
du dedans et du dehors. Il vous prie de n'apporter aucun relard a cette
élection, et, pour vous ôler toute occasion de prolonger l'affaire, il vous
promet, selon son amitié, de vous continuer son aide et secours comme
par le passé, et même d'augmenter s'il est besoin. C'est îi vous donc de
vaquer à une chose aussi importante et aussi sainte avec un cœur vrai-
ment chrétien. Quant 'a moi, vous me trouverez toujours prêt a vous
donner, au nom de mon souverain, toutes les preuves d'amour et de
sollicitude qui pourront contribuer 'a votre bien-être. En témoignage de
quoi je vous présente ces lettres, que mon roi m'a commandé de vous
remettre de sa part, lesquelles je vous supplie de lire maintenant, prêt
'a vous donner toute satisfaction et éclaircissement sur leur contenu. »
Le cardinal de Pellevé prit à l'instant même ces lettres, et les tendit
au sieur de Pilles, secrétaire des Etats, qui en fit tout haut la lecture.
Telle en était la teneur :
« Philippe, par la grâce de Dieu, roi des Espagnes, des Deux-Siciles,
de Jérusalem, etc., etc., 'a tous ceux qui ces présentes verront, salut :
Illustres, magnifiques et bien-aimés seigneurs, je désire tant le bien de
la chrétienté et en particulier celui de ce royaume, que, voyant de quelle
importance est la résolution que vous êtes appelés à prendre, j'ai délé-
gué par devers vous le noble duc de Féria, pour vous faire instance de
ma part, afin que les États ne se séparent pas sans avoir élu un roi catho-
lique; car ce n'est que par ce moyen que la France sera restituée en
son ancien état de splendeur, et servira de nouveau de modèle à tous
les États de la chrétienté. En recevant de vous cette satisfaction, que je
regarderai comme personnelle, quoiqu'elle vise purement à votre bien,
je suis disposé 'a faire de mon côté en votre faveur tout ce qu'il me sera
possible de faire. C'est à vous maintenant de montrer par des effets ce
dont vous êtes capables (juand il s'agit du service de Dieu et du salut
de votre patrie, comme plus particulièrement vous le dira notre dit sieur
duc de Féria, auquel nous nous en remettons, vous priant d'y avoir
confiance. — Donné à Madrid le deuxième jour de janvier 150.". »
Après la lecture de ces lettres, le cardinal de Pellevé répondit ainsi
au noble duc : « Très-excellent et très-magnifique duc, toute cette assem-
blée des trois Etats de France se félicite de votre arrivée très-désirée et
rend grâces à Sa Majesté catholique pour ses lettres pleines de douceur
et de bienveillance, dont, par votre entremise, nous venons d'être grati-
298 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
fiés au milieu de nos afflictions présentes. Hélas! tout clans ce monde est
sujet aux vicissitudes de la fortune, et c'est ce que nous touchons
malhenreusement au doigt dans ce royaume de France, autrefois si floris-
sant et maintenant si misérable. Autrefois, quand nos rois embrassaient
de cœur et de corps la protection de la religion chrétienne, telle était
leur vertu qu'ils ont soumis à leurs lois plusieurs nations, et qu'ils ont
de beaucoup amplifié « le pourpris de la chrétienté », comme on peut
le voir dans nos histoires depuis Clovis jusqu'à ces malheureux temps. »
Ici le prélat fait une longue énumération de tous les services que les
monarques français ont rendus à l'Eglise. Il continue : « Mais mainte-
nant tout est bien changé ; l'impiété et la rage des hérétiques ont tout
troublé et tout ébranlé, et tout serait perdu si la miséricorde de Dieu
n'eût suscité votre roi catholique, pour nous secourir en si grande néces-
sité. Vraiment catholique doit-il être appelé, celui qui non seulement
fait fleurir notre sainte religion dans ses Etals, mais qui la défend et pro-
tège dans le monde entier, tant contre l'hérésie que contre les Turcs.
Vraiment catholique est celui qui fait semer la parole de Dieu dans les
régions les plus éloignées et inconnues même jusqu'à nos jours! Qu'on
loue tous les princes qui l'ont précédé, les Trajan et les Théodose, tous
les deux sortis du brave sang espagnol ; qu'on loue ce valeureux Ferdi-
nand, pour avoir contraint les Maures et les Juifs ou à se convertir ou à
quitter l'Espagne ; qu'on chante les prouesses de l'empereur Maximilien,
père du bisaïeul de Sa Majesté, et qui a si merveilleusement augmenté et
orné le christianisme; qu'on rende immortel le nom du grand Charles-
Quint, le défenseur invincible de l'Église et l'exterminateur des héré-
sies, votre gloire, ô Philippe! est de beaucoup plus resplendissante
encore, vous qui avez employé le pouvoir que Dieu vous a donné, non à
étendre les bornes de vos vastes domaines, mais à amplifier et à soutenir
le royaume de Jésus-Christ, et qui, comme un autre Jovinien après la
mort de Julien l'Apostat, avez juré de n'accorder ni paix ni trêve à ceux
qui ne se rangeraient pas sous le joug de la foi, conformément à cette
belle sentence d'un ancien Père de l'Église : « Qu'il faut que la religion
« soit en la république, et la république en la religion. » C'est vous
seul après Dieu, grand et magnanime prince, que la France reconnaît
pour son sauveur et son libérateur. Je sais qu'elle doit aussi beaucoup
aux sept ou huit Papes qui se sont succédé pendant nos orages dhérésie
et de guerres. Je sais qu'ils nous ont secouru de plusieurs armées et de
grandes sommes de deniers avec une sollicitude incroyable et une pater-
nelle bienfaisance ; mais, de même que le roi catholique les surpasse en
richesses, de même il les a devancés par la libéralité et la munificence
qu'il a exercées en notre endroit. Aussi promettons-nous du plus profond
de notre cœur de ne jamais oublier tant et de si glorieux services, et
nous prions ce glorieux monarque de nous continuer sa puissante pro-
tection, à l'aide de laquelle nous espérons voir nos afl"aires réussir
heureusement à son honneur et gloire. C'est par ces degrés que Sa
Majesté se frayera le chemin du ciel, où elle jouira enfin de la vision de
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 299
Dieu, en laquelle gît notre béatitude, et, quand le grand rémunérateur
rappellera a lui ce grand prince, pour le récompenser des peines et des
travaux cpi'il a soulï'erts |»our la religion, ce ne seront pas seulement des
mille milliers d'anges qui viendront au-devant de lui, mais une inlinité
de peuples divers qu'il a tirés, les uns des ténèbres de l'infidélité, les
autres de la méchanceté et de l'opiniâtreté de Tliérésie. »
Je ne sais où la plupart de nos historiens les plus judicieux ont
trouvé qu'il y avait dans celte harangue au moins quehjue chose d'un
cœur français. Si Ton en excepte la fastidieuse nomenclature historique
que je n'ai pas copiée et dans laquelle l'orateur met nos rois constam-
ment a genoux devant la puissance de la cour romaine, je ne vois dans
tout cela qu'une llagorneric aussi exagérée que pédanlesque oiï'erte basse-
ment au monarque espagnol par un prélat intrigant.
C'est ainsi qu'avait parlé le cardinal de Pellevé. L'assemblée ne se
montra [)as complètement satisfaite du discours de l'ambassadeur espa-
gnol ni de la réponse du prélat, et l'on décida, dans une autre séance
qui eut lieu le cinquième jour d'avril, qu'on enverrait une réponse à la
réplique des catholiques royaux. Elle était en ces termes :
« Messieurs, vos lettres du mois passé demandent que notre confé-
rence soit remise au seizième jour du présent mois. Dans notre désir de
contribuer de tous nos elTorts a la pacilication de ce pays, nous atten-
drons voire commodité et le temps que vous avez choisi. Nous avons
l'intention de vous députer de notre côté douze personnes d'honneur et
de probité. Quant aux sûretés et passeports, ils seront donnés en blanc
pour être remplis par vous du nom de ceux d'entre vous (ju'il vous con-
viendra d'envoyer. Nous réclamons de vous la même mesure pour les
nôtres. Sur ce, nous prions Dieu qu'il vous conserve et qu'il nous fasse
'a tous la grâce que l'issue de cette affaire soit telle que les gens de bien
la désirent. >
Toutes choses ayant été ainsi réglées pour la conférence, le mer-
credi vingt et unième jour de ce mois, quelques délégués de part et
d'aulre allèrent reconnaître les lieux où il serait le plus commode de se
réunir. (3n trouva tous les villages environnants pour la plupart ruinés
et inhabitables, et on choisit le bourg de Suresnes, comme celui qui pré-
sentait encore le plus de ressom'ces. Ensuite, ceux de l'Union élurent en
séance leurs délégués, dont les principaux furent l'archevêque de Lyon,
le sieur de Villars, gouverneur de Rouen et grand amiral de la Ligue,
Delin, gouverneur de Paris, elle président Jeannin.
Mais ceux de l'ancienne faction des Seize, et leurs prédicateurs,
soudoyés par l'Espagnol, se mirent en une merveilleuse inquiétude. Ils
afïichèrent, par les carrefours de Paris, une protestation contre la confé-
rence qu'on venait d'accorder aux catholiques royaux, et ils disaient
qu'il n'y avait que deux moyens pour mettre fin aux maux de la France :
d'abord apaiser l'ire de Dieu, par la pénitence, et acquérir sa miséri-
corde par la grâce; ensuite élire promptcment, et sans avoir, ni colloque
ni conférence avec les infidèles, un roi véritablement catholique, assez
300 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
puissant pour maintenir l'Etat et la religion. Quant aux politiques, tant
ecclésiastiques que séculiers, il est certain, disaient-ils, que ce n'est pas
la leur compte, comme chacun sait; aussi n'ont-ils pas manqué d'avoir
recours à toutes sortes de moyens pour détourner les vrais et affec-
tionnés catholiques de la vraie route. On les a vus soudoyer d'abord
quelques prédicateurs, tels que le curé de Saint-Eustache et autres, pour
les faire prêcher publiquement contre la Sainte-Union, calomnier ensuite
les Seize auprès des princes et princesses, puis débaucher le peuple ou
l'effrayer en lui représentant le Béarnais comme invincible, et enfin
répandre partout que ce soi-disant prince, leur héros, ne manquerait pas
de se faire catholique ; et, aujourd'hui, les voila qui ouvrent des confé-
rences pour rendre cet hérétique maître de la France. Aussi Notre Saint-
Père le Pape, démêlant toutes ces perfides intrigues, les a condamnées
d'avance dans ses brefs et bulles. Aussi, Messieurs de la Sorbonne ont
prononcé, d'après l'Ecriture Sainte, que les propositions sur les(iuelles
on veut conférer sont toutes hérétiques, schismatiques et préjudiciables
a la foi, et qu'on ne doit en aucune manière entrer en communication
ni avec l'ennemi excommunié, ni avec ceux qui lui obéissent, le servent
ou le reconnaissent. Ose-t-on dire que le salut des catholiques dépend
et doit résulter de l'instruction et conversion d'un hérétique relaps et
endurci? Il est bien plus séant, h notre avis, de s'en tenir 'a suivre les
étendards de notre chef légitime, qui est le Pape, et a user du secours,
aide et conseil de nos princes^ et spécialement du roi des Espagnes, que
d'aller ris(|uer une conférence, où les ennemis de notre foi ne manque-
ront pas d'emprunter tour a tour la peau du lion et celle du renard pour
nous tromper.
Le roi était alors à Mantes, oii il avait fait venir sa sœur. L'a, il put
s'apercevoir que sa lenteur à donner satisfaction aux cathotiques devenait
de plus en plus dangereuse pour lui-même et pour son autorité. « Il
découvrit deux ou trois desseins formés contre lui, dont le moins crimi-
nel ne tendait qu'a l'abandonner, mais dont les plus coupables allaient
jusqu"a attaquer sa liberté et même sa vie. » Il sut que François d'O et
quelques autres des principaux de sa cour avaient comploté de se saisir
de sa personne, pour le contraindre ensuite de gré ou de force 'a accep-
ter les conditions qu'ils lui imposeraient, et que pour cela ils s'étaient
déjà rendus maîtres d'une des portes de la ville, dont ils pouvaient
disposer, ceux qui la gardaient étant tous 'a leur dévotion. Il fut telle-
ment effrayé de cette découverte, ou plutôt il feignit de l'être si fort,
qu'il manda autour de lui les troupes anglaises pour -lui servir de garde.
De l'autre côté, les huguenots, le soupçonnant de connivence avec ceux
qui pressaient sa conversion, se laissaient enrôler dans les menées du
maréchal de Bouillon et du duc de La Trémouille, qui cabalaient dans les
églises, cherchant a se faire déclarer chefs du parti huguenot. (Mézeray,
t. III, p. 1007.)
Déjà un colloque s'était tenu a Saint-Jean-d'Angely, où l'on avait
proposé d'élire comme protecteur l'un ou l'autre de ces seigneurs, en
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. :?01
remplacement de Henri de Navarre, (jui, disait-on, depuis (\u\\ élait
devenu roi de France, se montrait déjà tout disposé à abandonner leur
foi, et semblait même s'appliquer à rendre leur condition plus incertaine
([u'elle ne Tavait été sous les autres rois, leurs ennemis. N'était-il pas
évident, en eftet, (jue ce roi, quoique de leur religion, non seulement
n'avait encore rien voulu faire pour ceux qui avaient tant fait pour lui,
mais qu'il avait toléré l'inexécution des édits qui leur étaient favorables?
Ainsi les ministres de leur culte, dont l'entretien avait été mis par le feu
roi a la cliarge de ses finances, n'avaient jamais été plus mal payés;
ainsi ne cherchait-on pas 'a ruiner les garnisons des villes réformées en
diminuant leur solde et en opposant toutes sortes de dilïîcullés au paie-
ment du peu qu'on leur laissait; ainsi n'éloignait-on |)as de la personne
du roi, des conseils et des emplois, tous les réformés ; et enlin n'en
était-on pas venu jusqu'à demander l'interdiction de leur religion? Puis(jue
le roi ne les protégeait plus, n'était-il pas temps de chercher une autre
protection?
Henri, qui ne voulait pas laisser aller en d'autres mains ce droit de
protectorat, écrivit de sa propre main 'a Dupicssis une lettre pour être
communiquée au colloque. Il s'y plaignait d'être traité injustement par
quelques mutins mal intentionnés. Il protestait de sa constance dans la
religion, rejetant ceux de ses actes qui pouvaient donner des soupçons
contraires sur la nécessité de ne pas aliéner les catholiques, et il ter-
minait en assurant ses fidèles compagnons de croyance que leurs intérêts
ne j)Ouvaient être plus chers a personne qu'a lui.
Cette lettre aida aux plus sages de l'assemblée à réprimer l'impétuo-
sité des autres ; ils parvinrent môme à faire soupçonner que la proposi-
tion venait des catholiques, intéressés à éloigner les protestants du roi
pour éviter leur concurrence dans les conseils. Mais si la diflicullé était
éludée, elle n'était pas tranchée. Calholi(|ues et protestants restaient
toujours en défiance des intentions du roi, qui ne savait plus comment
contenter les exigences des deux partis.
Quelques-uns de ses amis lui conseillaient de se défaire sans ména-
gement de dix ou douze de ceux qui conspiraient le plus ouvertement
contre sa personne; d'autres voulaient qu'il les fit seulement arrêter ; et
d'autres qu'on tentât quelques voies d'accommodement avec les catho-
liques. Henri préféra ce dernier parti. « Dieu avait déjà touché le cœur
de ce grand roi, » dit Cayet ; et pendant qu'on élisait, parmi les princes
et seigneurs, ceux d'entre eux qui devaient assister aux conférences pro-
posées, il s'était déjîi décidé à laire enfin la démarche qu'on exigeait de
lui et dont depuis longtemps il avait compris la nécessité. (Cayet,
ubi sup.)
« Un soir, dit Sidly, le roi m'envoya quérir par le secrétaire Feret. Il
était couché, et, m'ayant fait mettre 'a genoux auprès de son lit : « Mon
« ami, me dit-il, je veux vous parler de choses importantes sur
« lesquelles j'ai résolu d'avoir votre opinion. Tout le monde dit que
« j'aurais grande facilité a rétablir les alVaires de cet État, qui est le
302 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
« mien, si je changeais de religion. Si cela doit être en effet a l'avan-
ce tage des peuples et établir l'autorité royale, je me sens incliné a faire
« ce changement. Je vous prie donc et ordonne de bien méditer sur ce
« sujet, et, dans trois ou quatre jours, je vous enverrai encore quérir
cf pour me dire ce qu'il vous en aura semblé. » {Écon. roy.^ ch. vu, ad
ann. 1595.)
Sully fut en effet rappelé a une nouvelle audience secrète. « Sire,
dit-il, j'ai, suivant vos ordres, médité sur ce que vous m'avez dit l'autre
soir. Tous vos alliés sont, pour le présent, mus chacun par quelque
intérêt particulier, et pour les contenter tant soit peu, afin qu'ils vous
restent fidèles, vous ruineriez la pauvre France. Les principaux de ceux
qui vous sont opposés sont, à l'extérieur, le Pape, le roi d'Espagne et
les ducs de Savoie et de Lorraine, qui n'ont, au fond, de force contre
vous que parce que vous n'êtes pas de la religion de la majorité de vos
sujets; a l'intérieur, vous avez pour ennemis ou pour rivaux le cardinal
de Bourbon et les princes de la maison de Lorraine, auxquels, sans cette
même circonstance de différence de religion, il ne resterait plus aucun
prétexte. Ils ont dans leur parti le duc de Nevers, la plupart des grands
officiers de la couronne, un grand nombre des gouverneurs des pro-
vinces, plusieurs des chefs militaires et tous les ecclésiastiques. S'il faut
que vous gagniez tous ces gens-là a prix d'argent et de concessions, je
ne vois pas quels trésors pourront y suffire, et combien de temps tous
faudra-t-il pendant lequel le peuple continuera de souffrir! Sur ([uoi, je
suis obligé de convenir, que, pour réduire au silence tous ces exigeants,
un peu de catholicité vous deviendrait fort utile, laquelle, étant bien
prise et bien reçue à propos, servirait de ciment et liaison indissoluble
entre vous et vos sujets catholiques, et vous mettrait en état de tenir tête
a vos autres ennemis qui sont à l'étranger. »
Le roi fut enchanté de cet avis si conforme à ses intentions, et, dès
le lendemain, il dit à Monsieur d'O que sa conversion était bien avancée ;
qu'il se sentait déjà tout édifié sur la présence réelle de Jésus-Christ
dans le sacrement de l'Eucharistie, et qu'il n'était plus en doute que sur
trois points, savoir : l'invocation des saints, la confession auriculaire et
l'autorité suprême du Pape. A l'exception du dernier point, dont il ne
souffrait que trop pour le présent, il est probable qu'il ne tenait guère
aux deux autres.
« Vous savez, ajouta-t-il, que j*ai promis, à mon avènement à la
couronne, de me laisser instruire dans la religion romaine ; je vous fais
part que cette instruction m'est venue; mais, comme vous le savez
aussi, je n'ai rien à attendre de bon du côté de la cour de Rome, qui a
reçu avec mépris toutes mes avances et ambassades, et où mes ennemis
ont pris le dessus. Dieu, qui sonde les cœurs et qui juge les bonnes
intentions, m'a donc suggéré l'idée d'assembler auprès de moi les plus
doctes prélats de mon royaume, et de m'en rapporter à leur science
pour dissiper ce qu'il peut me rester encore de doutes. J'espère qu'alors
le Tout-Puissant me regardera de son œil de miséricorde, et donnera à
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 303
mon peuple le IVuil de la paix tant désirco. An reste, pour obtenir ce
fruit, je puis dire que j'ai employé tous les moyens en mon pouvoir. Nul
ne doute que, quand même je me serais déclaré catholique avant d'être
convaincu comme je le suis et dès mon avènement a cette couronne,
celle paix lût restée alors tout aussi impossible. Ceux de la religion au-
raient cherché un autre protecteur, et, au lieu de m'aider lidèlement
comme ils Tonl lait, ils auraient pu nous causer à tous de grands em-
barras. Quant aux chefs de la Ligue, ils avaient encore trop de puissance
en main* pour me prêter l'obéissance qu'ils me doivent, et la nation
elle-même n'était pas encore assez lasse des malheurs de la guerre pour
se montrer docile. Maintenant tout a bien changé ; j'ai autour de moi et
sous ma main tous ceux de la religion qui auraient pu remuer, tes forces
de la Ligue, même avec l'appui de l'Espagne, ne sont plus capables de
m'opposcr une résistance sérieuse; le peuple a eu tout le temps de sen-
tir calmer sa fièvre de discordes civiles, et, dans trois mois au plus
tard, je compte, par ma conversion pleine et entière à la foi catholique,
apostolique et romaine, ôter à mes ennemis jusqu'au plus mince pré-
texte de renier mes droits. Donnez parole a Monsieur l'archevêque de
Bourges de mon intention, et priez-le de ma part de gouverner cette
affaire avec sa prudence ordinaire. »
Monsieur d'O courut plein de joie transmettre au prélat tout ce que
le roi venait de lui dire. Celui-ci reçut cette nouvelle avec un bonheur
indicible, et ce fut plein de zèle et de confiance qu'il se mit en route pour
la conférence qui devait avoir lieu. Les principaux des autres délégués
par les catholiques royalistes étaient Messieurs de Chauvigny, de iJellièvre,
de Rambouillet, de Thon et de Schomberg.
304 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
CHAPITRE XII
1593. — ARGUMENT : conférences be suresnes.
HENRI Y FAIT ANNONCER SA RÉSOLUTION d'aBJURER.
inquiétudes des protestants. — déclaration des catholiques royaux
pour les rassurer. — les livrets des huguenots.
résolution des états touchant les conférences.
le légat ordonne des prières et une procession.
l'ambassadeur d'espagne et l'évëque de SENLIS.
l'acceptation du CONCILE DE TRENTE PROPOSÉE AUX ÉTATS QUI LA REJETTENT.
MENDOCE AU NOM DE L'AMBASSADEUR ESPAGNOL LEUR DEMANDE D'ÉLIRE L'INFANTE.
RÉPONSE ÉVASIVE DES ÉTATS.
ARRÊT DU PARLEMENT POUR LE MAINTIEN DE LA LOI SALIQUE.
PROTESTATIONS DES ZÉLÉS LIGUEURS. — REPRISES DES CONFÉRENCES.
RÉVOLTE DES TROUPES DE MANSFELD. — PRISE DE DREUX PAR LE ROI.
PROPOSITION DU LÉGAT AUX ÉTATS. — ON DISCUTE DE L'ÉLECTION EN SON HOTEL.
FERIA CONSENT A L'ÉLECTION DU DUC DE GUISE QUI ÉPOUSERAIT ALORS L'iNFANTE.
CETTE PROPOSITION n'EST PAS ACCUEILLIE PAR LES ÉTATS.
ON Y DÉCIDE d'accepter LA TRÊVE OFFERTE PAR LE ROI.
Monsieur de Bourges et Messieurs les députés du parti du roi se
rendirent à Suresnes, le vingt-huitième jour d'avril. La, Monsieur de
Lyon et les députés de TUnion pour la conférence étaient déjà arrivés
et les attendaient, bien munis des instructions du cardinal de Pellevé et
de la bénédiction de Monsieur le légat. On vit les deux partis se saluer
et s'embrasser avec beaucoup de courtoisie, au grand contentement
de ceux qui étaient présents et qui en répandirent des larmes de joie.
(Cayet, liv. 4, ad ann. 1593. — De Thou, t. XI, liv. 106, p. 719
et suiv.)
Ensuite la séance s'ouvrit. Les royaux s'étaient placés du côté droit,
et les autres a gauche, chacun suivant son rang. Il n'y eut aucune con-
testation, hormis que ceux de la Ligue voulaient prendre la droite; mais
les royaux, l'ayant d'abord occupée, remontrèrent qu'elle leur appar-
tenait d'abord à titre de premier occupant, ensuite comme aussi bons
catholiques que leurs adversaires, et de plus étant les délégués des
princes du sang et de tous les anciens officiers de la couronne.
Les Ligueurs n'eurent rien 'a répliquer. (Mézeuav, t. III, p. 1016 et suiv.
— Matthieu, Règnede Henri IV, liv. 1, p. 137 et suiv.)
Puis, s'étant communiqué leurs pouvoirs, il fut trouvé que du côté
I
1
DU J'IlUTKSTAMlïS.ME EN FRANCK. 300
(le la Ligue Monsieur do \ ilieroi n'y était pas compris, comme aussi
Monsieur de Vie, gouverneur de Saint-Denis, du côté de ceux du parti
du roi. On convint loutelbis (jue ces deux seigneurs seraient admis, et
les députés se [promirent réciproquement une sûreté inviolable, jurant
(|u'ils étaient prêts a signer cette promesse de leur propre sang. £t
comme ceux de l'Union n'étaient pas pressés d'entrer en matière, parce
qu'ils étaient bien aises d'attendre le reloin- de Monsieur de Mayenne,
sans lequel ils ne voulaient rien conclure, ils s'en revinrent coucber a
Paris. (Cavet, ubi sup. — De ïnou, ubi sup.)
Le lendemain, ils trouvèrent le moyen de difl'érer encore, en faisant
remarquer (jue Monsieur de Kambouillet, passant pour avoir pris part au
meurtre de Blois, aurait bien dû s'excuser d'accepter une pareille mis-
sion, puisque, de leur côté. Monsieur l'évêque de Senlis, sur le simple
soupçon qu'il était suspect aux royalistes, s'était démis volontairement.
Les royalistes répondirent qu'il n'y avait lieu de s'occuper de pareilles
dillicultés; que Monsieur de Rambouillet était seul compétent pour déci-
der comment il voulait agir en cette circonstance ; que, (juant a Monsieur
de Senlis, s'il avait jugé 'a propos de se présenter, il aurait été très-bien
reçu par eux, et qu'ils ne savaient pas pourquoi il s'était abstenu. Ram-
bouillet demanda alors 'a prendre la parole pour se purger de la calomnie
qu'on avait répandue sur son compte. 11 refusa décidément de se
démettre de son mandai, pour qu'on ne pût prendre, dit-il, son éloigne-
ment pour un tacite aveu d'un crime (|u'il déniait hautement, et lui
demander plus tard ou a sa postérité compte du sang du duc de Cuise,
dont il se proclamait parlaitement innocent. (Matthieu, nbi sup. —
Mézehav, ubi sup.)
Deux jours se passèrent ainsi en inutiles discussions sur ce qui avait
eu lieu a lilois. A la séance suivante. Monsieur l'archevêque de Lyon se
trouva malade d'un accès de goutte, et il fut résolu qu'on attendrait
jusqu'au mercredi cinipiième jour de mai, pour entrer définitivement en
matière. Ce join* arrivé, on traita d'abord d'une surséance d'armes |)our
la sûreté de la dite conférence, et pour ôter toute occasion d'inquiéter
les sieurs députés. Elle fut accordée de part et d'autre en ces termes :
(]u'il y aurait cessation de toute hostilité pendant dix jours, sauf 'a la
prolonger s'il était besoin, et cela sur un rayon de quatre lieues à l'en-
tour de Paris, ainsi que sur un rayon de (]uatre lieues à l'entour de
Suresnes, mais sans qu'il lût loisible à personne de l'un ou l'autre parti
d'entrer d^ns les villes où il y avait garnison de gens de guerre, sans un
passeport de ceux qui avaient autorité d'y commander. Défense a toute
personne portant armes de faire aucune course, injure, ni outrage de fait
ou de paroles a qui que ce fût, en l'étendue des lieux ci-dessus désignés,
pendant le dit temps de dix jours, sous peine de la vie; mais que cela
n'empêcherait pas de percevoir les droits et impôts sur les vivres et
marchandises selon le tarif accoutumé. (Cavet, ubi sup.)
Cette trêve, [)ubliée tout aussitôt, lit tant de plaisir aux Parisiens,
renfermés et pour ainsi dire emprisonnés dej)uis si longtemps dans leurs
IV. 20
;;()(; lIlSTOJIiK DR L'ETABLISSEMENT
inms, qu'ils en iirent des danses et feux de joie chacun devant sa
porte. Même dans la paroisse de Saint-Eustache, quelques zélés, ayant
voulu s'opposer "a ces divertissements, Curent chargés à coups de pierre;
ce qui pouvait faire aisément comprendre combien une paix générale
causerait de joie et de consolation à tous les peuples de la France.
(Davila, t. III, liv. 15, p. 594 et suiv. — Journal de Henri lY, t. 1,
p. 550.)
Quand on eut enfin réglé ces prélimman-es. Monsieur l'archevêque de
Bourges, avant d'en venir au sujet principal de celte réunion, commença
par louer Dieu de ce qu'au milieu des troubles et des ténèbres d'un
siècle aussi calamiteux, il avait daigné faire luire une aussi heureuse
journée, qui semblait enfin promettre 'a l'avenir de meilleurs temps. Il le
remercia de ce qu'il avait fait la grâce qu'on eût choisi, de part et
d'autre, telles personnes qui étaient douées de prudence et d'affection au
bien de l'État, et qui n'apportaient dans cette affaire que des intentions
droites et pures. (Cayet, uhi sup.)
« Sans doute, dit-il, il n'y a bon Français qui, considérant nos
misères présentes, après avoir vu cette monarchie si florissante, ne
gémisse du plus profond de son cœur. Je ne viens pas ici renouveler
vos douleurs en ouvrant de nouveau vos plaies, en vous mettant sous les
yeux l'exposé de notre situation désolée; pourtant faut-il bien les toucher
avec le doigt, ces plaies saignantes, pour en chasser l'ordure et y appor-
ter guérison. »
Il fait ensuite le triste tableau de l'état actuel de la nation, de la
noblesse, du clergé et du tiers-état. Il peint les malheurs de l'église, le
discrédit où est tombée la justice, les souffrances du commerce, et la
décadence qui menace déjà les sciences et les arts. « Quant 'a l'agricul-
ture, la terre elle-même nous montre partout ses cheveux hérissés et
demande qu'on la peigne, pour nous rendre son tribut accoutumé de fruits
et de richesses. »
« Le seul moyen de nous relever de toutes ces misères, ajoute-t-il,
c'est une bonne paix fondée sur la religion et la justice. Nous sommes
ici pour chercher ce qu'il faut faire pour cimenter cette paix si néces-
saire ; je vous conjure donc, vous, dont nous connaissons la bonne
volonté, que si vous avez quelques bons avis et expédients pour parvenir
a un aussi grand bien, vous nous en fassiez ouverture. i>
L'archevêque de Lyon prit ensuite la parole au nom de l'Union, et
dit : « De notre part, Messieurs, vous pouvez être sûrs que nous n'ap-
portons ici aucune passion, mais une pure et sincère volonté de finir les
maux de la religion et de l'État. Nous espérons bien que Dieu, rendant
justice a nos bonnes intentions réciproques, nous inspirera les moyens
d'arriver a l'heureux résultat que nous poursuivons tous, qui est princi-
palement le maintien de sa sainte religion catholique, apostolique et
romaine, en laquelle nous avons tous été baptisés et instruits. Quant à
nous, nous sommes tous prêts 'a sacrifier non seulement nos biens pour
elle, mais encore nos vies.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 307
<f II n'est pas besoin de rappeler ici nos malheurs ni nos extrêmes
afflictions, que nous n'expérimentons que trop; il vaut mieux rechercher
la cause de cette âpre maladie, pour la combaltre et obtenir la guérison.
Cette cause, c'est l'hérésie, qui seule a allumé le feu de nos troubles, et
qui, depuis trente ans, ne cesse d'ébranler les antitpies fondements de
ce royaume. C'est à elle qu'il faut attribuer le saccagement de nos
temples, la démolition de nos autels, le dégât de nos champs, la ruine
et l'incendie de nos villes, et, ce (pii est plus malheureux encore, la
perte de tant d'âmes rachetées au prix du sang j)récieux de Notre-Seigneur
Jésus-Cbrisl.
« Quant 'a la paix, c'est sans nul doute une chose si sainte, que le
nom seul en est doux et agréable; aussi la demandons-nous au ciel avec
inslances; mais il faut que ce soit la paix de Dieu et de l'Église, celle
que le Fils de Dieu est venu ap|)orter lui-même sur la terre, en nous
annonçant (jue la vraie paix est le zèle de son honneur. Toute autre
l)aix n'est que trouble et zizanie, et voila pourquoi il a dit aussi : Je suis
venu vous apporter non la paix telle que les hommes l'entendent, mais
la guerre; je suis venu pour diviser le père d'avec le lils, l'époux d'avec
sa femme; et n'at-il pas commandé de quitter biens, parents et amis,
pour la querelle et délense de la religion?
« On aurait donc tort de blâmer les guerres entreprises pour la
défense de cette cause sacrée. Elles sont une triste nécessité, et nous
avons du moins la consolation de pouvoir nous rendre ce témoignage
que la guerre que nous soutenons est juste, puisqu'elle a pour motif la
conservation de notre foi.
« Toutefois, quoique en nos cahiers et instructions il ne soit men-
tion d'aucun article de paix (car on n'a pu prévoir les déclarations et
propositions que vous aviez à nous faire), nous sommes prêts 'a écouter,
par amour pour le bien de ce royaume, les ouvertures qui nous viendront
de votre part, si l'bonneur de Dieu, celui de la religion et l'obéissance
(jue nous devons à l'Eglise ne s'y opposent pas.
a Je ne dois pas vous taire que le principal fondement qu'il faudra
jeter avant tout, c'est que les catholicjues soient unis de volonté et de
conseil pour s'opposer aux armes et aux progrès de l'hérésie, et pour
rétablir la religion on ce royaume. Sur ce, je prie Dieu de disposer vos
cœurs à cet effet, et de vous ouvrir la voie pour y. parvenir, ce qui sera
pour vous un mérite très-grand et vous méritera les louanges de la
postérité. »
Après ces harangues, où chacun des deux prélats avait cherché à
faire briller toute son éloquence, les députés royaux se retirèrent dans
une chambre particulière pour se consulter, et, (juand on rentra en
séance. Monsieur de Bourges harangua de rechef. «Nous n'avons, dit-il,
jusqu'à présent, parlé de paix qu'on termes généraux ; maintenant je suis
d'avis d'aborder franchement la question avec toute simplicité de paroles
et de volonté. Les philosophes de tous les âges nous apprennent que la
paix n'est autre chose que l'ordre établi dans l'État. L'ordre, c'est la
308 HISTUIRE DE L'ETABLISSEMENT
volonté de Dieu, qui ordonne aux inférieurs d'obéir a leurs supérieurs,
et, par conséquent, Tordre, c'est la reconnaissance d'un chef souve-
rain , qui seul peut conserver l'Etat. Ce souverain ne peut être autre que
celui qui est donné de Dieu, par droit légitime de succession au trône,
et les premiers chrétiens ont toujours reconnu cette loi, pratiquant
l'obéissance et priant pour leurs princes, même idolâtres et persécu-
teurs. Aujourd'hui, ce n'est point un prince idolâtre, ni faisant profes-
sion de la loi impie de Mahomet, que nous avons reçu de la main de
Dieu; c'est, grâces au ciel, un prince chrétien qui croit avec nous un
même Dieu, et qui n'est séparé de nous seulement que par quelques
erreurs dont il faut tâcher de le retirer, après l'avoir reconnu pour notre
légitime maître, comme c'est notre devoir, c'est-â-dire après lui avoir
rendu ce qui lui appartient. Nous aurons tous ensemble l'honneur de
l'avoir ramené au bon chemin, et d'avoir fait une œuvre signalée et
remarquable.
<c Nous savons déjà, du reste, que nous avons toute raison d'espérer
qu'il fera ce que nous désirons de lui. N'a-t-il pas promis, dès son
avènement a la couronne, qu'il serait docile 'a l'instruction? N'a-t-il pas
depuis député a Notre-Saint-Père le Pape, pour traiter de sa soumission
il l'Église? N'est-ce pas lui qui nous a autorisés à ouvrir ces confé-
rences, et dernièrement, 'a Mantes, ne l'avons-nous pas vu lever son
chapeau, pendant que la procession passait sous ses fenêtres, et se tenir
humblement la tête découverte, en bon catholique? Il ne reste donc plus
qu'a achever un aussi grand bien, en nous mettant tous d'accord
ensemble pour consolider la conversion de ce prince. »
Après ce discours, l'heure du dîner étant venue, chacun se retira, et,
après le dîner, les députés de l'Union délibérèrent 'a leur tour en parti-
culier. Ils décidèrent que, quant a la reconnaissance du roi de Navarre,
ils ne voulaient point en entendre parler, et qu'ils protestaient aimer
mieux mourir que d'obéir a un prince hérétique. Ensuite, les délégués
des deux partis s'étant assemblés dans la même salle, Monsieur de
Lyon dit :
« Je parlerai avec tout respect et modération. Si quelqu'une de mes
paroles vous semble offensante, je vous prie de l'excuser en considé-
rant que je n'ai en vue que le bien de la religion. Sans doute, la paix des
nations dépend de l'obéissance que l'on doit au prince, mais cette
obéissance ne saurait être vraie et de bonne foi, s'il y a différence de
religion.
« Pour tirer cet Etat du péril où nous le voyons, il faut première-
ment y établir le royaume de Dieu, parce que la religion est en la répu-
blique, comme l'âme au corps, pour lui donner vie et mouvement.
Donc, si nous ne demandons pas mieux que de reconnaître un roi, nous
voulons que ce soit un roi très-chrétien et qui ne mette pas la religion
en péril, et c'est notre droit; car, quoiqu'on ait mis tout à l'heure en
avant l'autorité de l'Écriture sainte et l'exemple des anciens chrétiens,
la loi de Dieu n'en est pas moins expresse et défend d'établir un roi qui
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 309
no soit pas du nombre des frères, Vest-à-dire de même religion, pour
qu'il ne ramène pas le peuple en Eçjyple, ou, si vous Taimez mieux, aux
précipices de rinlidélilé et de Thérésie.
« L'Évangile dit pareillement que celui (jni refusera d'obéir a l'Eglise
doit «Hre tenu pour païen et publicain, et l'apôtre saint Jean défend
même de le saluer, ce <(ni n'est pourtant cpi'un simple devoir de poli-
tesse. Tous les conciles ont prononc»'- de pareils arrêts d'interdiction
contre les béréti(jues; ils ont déclaré (ju'im prince chrétien tombant
dans l'hérésie, ses sujets sont par cela même déliés du serment de fidé-
lité et d'obéissance (|u'ils lui avaient prêté.
« Ceci est de droit divin. Si nous consultons le droit humain, nos
lois déclarent incapables de tous biens, honneurs et dignités, les héré-
tiques et leurs fauteurs. Comment alors un hérétique serait-il capable de
la plus haute dignité du monde?
« Au reste, la seule raison et l'expérience montrent le danger (ju'il y
ainait a adopter une opinion contraire. Le roi (jue vous vous seriez
donné, tenant sa religion pour vraie, n'emploierait-il pas tous ses
moyens a l'avancement d'icelle, et a l'anéantissement du culte qui lui
serait contraire? Et son exemple et son pouvoir n'entraîneraient-ils pas
une foule d'apostasies? L'histoire contemporaine de l'Allemagne et de
l'Angleterre est lîi, [)Our prouver qu'il en serait ainsi.
« Messieurs, c'est par la grâce de Dieu que les rois sont rois, et
quand ils viennent pour détenir le royaume de .lésus-Christ, la grâce de
Dieu n'est plus pour eux. On dit que le roi de Navarre croit au même
Dieu que nous, et qtie sa croyance ne diflrre de la nôtre qu'en quelques
points seulement. Oubli(;-t-on (|ue l'Eglise catholique est une et que
quiconque ne se soumet pas 'a toutes ses lois n'est plus qu'un rebelle
excommunié?
« \oire prince promet, prétendez-vous, qu'il se convertira 'a notre
foi ; mais cette promesse est faible et se réalisera-t-elle? S'il a envoyé
une ambassade au Pape, dans la crainte de se compromettre vis-'a-vis
les huguenots, elle était faite sous un autre nom que le sien. S'il a levé
son chapeau au passage d'une [)rocession, ce n'était pas pour faire hon-
neur a la croix de notre divin Maître; c'était, comme il l'a dit, pour
saluer les seigneurs et dames qui faisaient partie de la cérémonie.
« N'a-t-il pas promis tout dernièrement a Saumur de ne jamais
abandonner sa croyance? A Tours, n'a-t-il pas sollicité pour qu'on
admît les huguenots aux places dont les édits les excluent? El ne vient-
il pas encore de défendre aufhentirpiement de sintormer de la religion
de ceux (pii se présentent pour occuper un oflice? »
Ici l'orateur fut interrompu par Monsieur de Chavigny, (|ui s'écria :
« ("-et édit n'a été ni vérilié ni publié par la cour du parlement! «
Le prélat continua : « \'<'M'ilié ou non, cet ('-dit n'en est pas moins
l'expression de sa volonté. » Il déposa ensuite des lettres de l'ambas-
sadeur d'Angleterre, qu'on avait interceptées et qui disaient que la pro-
messe de conversion du roi n'était (|u"a dessein d'engager les catho-
MO HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
liques qui l'assistaient à faciliter son établissement sur le trône de
France. « Considérez donc, Messieurs, quelle honte pour vous, quelle
injure ce serait faire a Dieu et quel préjudice a son Église, que de lais-
ser tomber le sceptre de la France entre les mains d'un pareil hérétique.
Je terminerai par ces paroles du législateur Moïse : « Retirez-vous promp-
« tement des tentes de l'impie, si vous ne voulez pas être enveloppe
« dans son péché. »
Chavigny, « qui avait une âme toute française et toute catholique, »
ne put retenir plus longtemps son indignation. « C'est pitié, dit-il d'une
voix forte, d'entendre parler en ces termes quelqu'un qui se dit Français.
Ose-t-on dire que nous autres, catholiques, nous n'avons, en combattant
pour notre roi légitime, combattu que contre la religion, nous qui l'avons
tant de fois défendue même an péril de notre vie? Avec l'aide de Dieu,
nous espérons bien la défendre encore contre ceux qui la défigurent, et
nous empêcherons qu'elle ne se perde en France. Mais aussi nous
combattrons avec le même zèle contre ceux qui veulent usurper l'Etat,
et que vous soutenez maintenant, an mépris de tout droit et de votre
devoir. »
Sur ces paroles, la séance fut suspendue, et, quand elle se rouvrit,
l'archevêque de Bourges se chargea de répondre a Monsieur de Lyon.
« J'ai déjà parlé, dit-il, de l'obéissance que les premiers chrétiens,
nos pères et nos modèles, rendaient aux princes mêmes païens et persé-
cuteurs de l'Église. J'ajouterai que, comme le dit Tertullien, leur reli-
gion leur enseignait 'a respecter ceux que Dieu avait destinés à com-
mander les nations. C'est ce qu'ils répondaient avec douceur et
longanimité a ceux qui les accusaient de conspiration contre les empe-
reurs, qu'ils auraient eu pourtant tant de raisons de haïr. Le prince,
disaient-ils, est pour nous la première personne après Dieu, dont il tient
son pouvoir, et se révolter contre lui, ce serait se révolter contre Dieu
lui-même; aussi n'ont-ils résisté que par prières, patience, et jamais
par armes.
« Quant aux commandements du Nouveau-Testament contre les
hérétiques, ils ne peuvent et ne doivent être obligatoires dans toute leur
rigueur que quand ceux-ci sont en petit nombre ; mais quand ils sont
devenus si nombreux que la séparation ne pourrait s'en faire sans beau-
coup de scandale, et sans la ruine même de l'Église, saint Paul lui-
même n'a-t-il pas dit : « Je vous ai écrit 'a la vérité de n'avoir rien de
« commun avec les fornicateurs ; mais ce n'est pas des choses de ce
« monde que j'ai prétendu vous interdire la communication ; autrement
<c vous seriez obligé de sortir de ce monde lui-même. » (Corinth., 1,
chap. V, X, 9 et 10.)
« Pour ce qui regarde les conciles, nous voyons que celui de Latran
se contente d'admonester tous les princes (moneantur), mais qu'il ne
les rejette pas de leur trône légitimement occupé.
« Et pour répondre a ce qu'on a dit du droit humain, les lois qtie
l'on cite ne peuvent aucunement regarder le souverain, qui tenant son
DU PFIOTKSTANTISMK KN FliANGK. :!II
sceplre de Dieu, n'en doit compte a personne. Au surplus, peiil-on
appeler vérilablement liéréti(pie celui qui. ayant été nourri et imbu d'une
croyance dès ses premiers ans, se dit toujours tout prêt îi y renoncer,
si on lui fournit l'instruction nécessaire et si on lui montre la vérité?
L'hérétique, comme dit saint Augustin, est celui qui défend son erreur
avec obstination; l'autre n'est qu'égaré.
« Enlin, peut-on sérieusement craindre de voir renouveler en France
ce qui s'est passé en Angleterre? N'avons-nous pas des princes, des sei-
gneurs puissants et indépendants, de saints et dignes prélats, (jui sau-
raient bien empêcher un tel dessein si on voulait l'entreprendre? Mais,
grâces 'a Dieu, nous n'en sommes pas là; et si nous demandons aujour-
d'hui votre concours, c'est afin que, par votre crédit auprès du Pape,
les démarches que Sa Majesté fait pour rentrer dans l'Église soient plus
paternellement accueillies. »
Le lendemain, .Monsieur de Mayenne était de retour à Paris. L'arche-
vêque de Lyon lit une réponse au discours du prélat royaliste, et prouva,
par l'exemple d'une multitude de rois cités dans les Écritures saintes,
(pie les princes impies perdaient ed'ectivemenl tout droit a l'obéissance
(le leurs sujets, il dit aussi que, si les premiers chrétiens s'étaient
montrés soumis aux empereurs païens, ce n'était pas faute de droit,
mais faute de force, et que, quand elle l'avait pu, l'Église n'avait pas
manqué a son devoir de résistance, suivant ces paroles du roi-prophète :
«■ Tu les gouverneras avec une verge de fer ; et maintenant, rois, tâchez
de comprendre.» — « Aujourd'hui, ce n'est certainement pas la force qui
lui mauijue contre ses ennemis, quelque étalage qu'ils veuillent faire de
leur bravoure et de leurs victoires. »
11 termina en disant : « Pour ce qui est, Messieurs, de l'invitation
que vous nous faites de nous unir 'a vous pour vous aider de notre
appui auprès du Saint-Père, nous sommes fâchés d'être dans l'obliga-
tion de vous refuser, d'abord pour ne pas désobéir au Saint-Père lui-
même et aux bulles qu'il a publiées tout récemment encore; ensuite,
jmur ne pas contrevenir îi notre propre serment, ayant juré de ne faire
aucun traité ni conférence avec l'hérétique, et enlin, parce que ces
démarches seraient inutiles, votre prince s'étant montré jusqu'ici trop
endurci pour qu'on puisse attendre de lui une conversion sincère. »
Monsieur de Bourges répliqua que, quand on citait l'Écriture, il fallait
au moins la citer fidèlement ; que l'honorable archevê<pie de Lyon s'était
laissé entraîner, en faisant l'énumération des rois rejelés de Dieu, 'a dire
(|ue le roi Joram n'avait pas été enseveli dans le sépulcre de ses pères,
ce qui était de tout point le contraire de ce qu'on lit dans le texte sacré.
« Ce n'est pas l'Écriture (pie je citais, s'écria Monsieur de Lyon, fâché
(pi'on surprit sa science en défaut; c'est l'historien Josèphe, qui fait
aussi autorité en ces matières. »
Monsieur de Bourges continua : « Au reste, chacun allègue divers
exemples et se sert diversement de l'autorité des saints Livres, ce qui
prouve que, pour en avoir le sens, il faut s'adresser a Dieu, (pii donne
:n2 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
la connaissance a ceux qui la demandent humblement. Toutefois, il est
clair et démontré pour tous que ceux qui s'attaquent au pouvoir des
rois s'attaquent au pouvoir de Dieu lui-même, puisque leur désobéis-
sance a toujours été suivie des vengeances et punitions célestes.
« Quant a l'autorité et aux jugements des Papes, c'est un rocher
auquel je ne veux pas me heurter, et je baise en toute humilité et révé-
rence les pieds de Sa Sainteté. Pourtant, j'avouerai que l'esprit de nos
Papes est depuis longtemps tout entier possédé par les Espagnols,
comme on ne peut que trop s'en apercevoir par la conduite qu'ils ont
tenue envers la France. Ce n'est pas ainsi que les anciens Papes en
usaient 'a l'égard de la brebis égarée ; ils allaient eux-mêmes la cher-
cher, comme fit le pape Athanase, qui courut au-devant de Justin. Mais
les rigueurs et sévérités implacables dont on use aujourd'hui ne contri-
buent qu'a mettre le feu en la chrétienté et à alimenter les maux de
l'Église.
« Au demeurant, le roi est un grand prince, jeune, et doué de toutes
les qualités qui peuvent rendre ce royaume heureux. Il sera un jour, si
vous ne vous y opposez pas, le plus actif défenseur de l'Eglise, tandis
que votre roi d'Espagne est maintenant vieux, et va bientôt laisser au
milieu de la tempête ceux qui se seront embarqués avec lui. Entre ces
deux concurrents, le choix peut-il demeurer en suspens? »
Monsieur de Lyon s'apprêtait à répondre encore; mais les délégués
royalistes l'interrompirent en disant que c'était assez disputé, et qu'il était
temps de prendre quelques résolutions, et, là-dessus, il y eut une sorte
de tumulte, oii chacun parlant en même temps expliqua 'a sa manière
ce qu'il fallait entendre par l'autorité légitime du Pape, les privilèges de
la couronne, les libertés de l'Église gallicane, et les lois de succession
au trône. « Messieurs, cria d'une voix retentissante Monsieur de Schom-
berg, avisez bien avant que de faire votre prétendue élection ; car le roi
ne s'enfuira pas j)our taire place a celui que vous aurez élu, et ne man-
quera ni de courage ni d'amis pour défendre ce que Dieu et la nature
lui ont donné. » Ce fut au milieu de cette espèce de mêlée générale que
la séance fut levée. (Dk Thou, uhi sup.)
Le dixième jour de ce même mois, les délégués de l'Union avaient
fait le malin leur rapport 'a Monsieur de Mayenne, qui alla ce jour-la
reprendre sa place à l'assemblée des États; aussi n'arrivèrent-ils que
sur les midi. L'archevêque de Bourges dit qu'il était temps d'ouvrir les
cœurs et de montrer franchement les prétentions; que, du côté des
royalistes, on s'était assez ouvert pour qu'on n'eût aucun doute sur
leurs intentions ; qu'il fallait que ceux de l'Union en fissent de même.
(Cayet, ubi sup.)
A quoi Monsieur de Lyon répondit : « Nous vous avons toujours
parlé clairement; notre seul but, en cette conférence, est d'obtenir une
réunion entre les catholiques pour conserver la religion et sauver l'État.
— Mais, dit l'autre, qu'auriez- vous 'a dire de la conversion du roi? Ne
voulez-vous pas nous aider charitablement à le faire catholique? — Très-
DU PROTESTA NïlSMf-: EN FRANCE. 313
volontiers, répli(jiia l'archevcque, et pourvu que Notre-Sainl-Père le
Pape puisse être satisfait de lui, nous sommes enfants de Tobéissance
et ne demandons que la sûreté de notre religion. — Messieurs, s'écria
alors Monsieur de Hourges, de grâce ne nous laites pas faire d'aussi
longs voyages que celui de Rome. Vous savez que, si vous voulez nous
envoyer jus(|ue-la, il y a tant de montagnes a passer que nous n'arrive-
rons jamais. Pour nous, demain ou après-demain, nous espérons bien
pouvoir vous donner une réponse catégorique. » Ce fut tout ce qui fut
dit ce jour-la.
Alors, deux des délégués royaux furent députés 'a Mantes, au conseil
du roi, pour que Sa Majesté les autorisât à déclarer son intention tou-
chant sa conversion.
Or, le maréchal de Bouillon, comme on l'a vu, aspirait à se faire
chef des protestants, et il aurait pu gêner jus(fu'a un certain point les
résolutions du roi, qui pourtant avait grandement besoin de ses services.
La moindre remise pouvait être d'une conséquence extrême. De Thou,
l'un des délégués royalistes, écrivit donc sur-le-champ au maréchal
cette lettre qu'il nous a conservée lui-même : « Vous êtes trop prudent
pour ne pas voir que, pour sauver l'Etat, il faut faire la paix et s'accom-
moder avec les catholiques rebelles au roi. Si Sa Majesté ne les satisfait
promptemont au sujet de la religion, tout le succès qu'on attendait de
ces conférences est manqué, et l'on doit en attendre, au contraire, un
grand changement dans les esprits. Or, tout ce que le roi fera en cette
circonstance, dans le but d'apaiser les troubles de son royaume, ne
peut être que très-agréable à Dieu, et ne saurait être attribué qu'a un
véritable amour pour la patrie. Les protestants eux-mêmes doivent
souhaiter aujourd'hui d'avoir un roi catholi(juo, puis(iue c'est le seul
moyen de nous sauver tous. L'important est que ce roi se comporte
avec é(iuilé dans les alVaires de la religion; ceux (jui croient en Dieu et
en Jésus-Christ son Fils ne peuvent désirer autre chose, et vous savez
mieux (]ue personne ce que, sous ce rapport, nous devons attendre de
notre bien-aimé monarque. Nous comptons donc (jue vous serez un des
premiers a lui conseiller de prendre un parti devenu nécessaire. » (De
Thou, ibid., p. 740.)
Les délégués étant de retour à Suresnes, porteurs de l'assentiment
du roi, la conférence reprit de nouveau, et Monsieur de Bourges, avec
un visage tout joyeux, dit : « Messieurs, nous vous apportons aujour-
d'hui de très-bonnes nouvelles de la part de Sa Majesté. Vous n'avez pas
nié les droits légitimes (ju'elle avait à ce trône; seulement vous avez
dit qu'il lui manquait une(jualité, que nous lui désirions comme vous :
celle d'être bon catholi(]ue. Eh bien î elle nous autorise 'a vous dire
maintenant (]n'elle a pris une détermination décisive : Que, puisque Sa
Sainteté, pour les raisons que vous savez aussi bien que nous, n'a pas
voulu entendre l'ambassade qui lui était envoyée, tout en gardant le
respect et l'honneur qui est dû au Souverain-Pontife partons les fidèles,
la nécessité de mettre promptement un terme aux malheurs qui pèsent
314 HISTOIRK DE L'ÉTABLISSEMENT
sur la France l'a fait résoudre à prendre la seule voie qui lui reste
encore ouverte, c'est-à-dire à convoquer bon nombre d'évêques et doc-
leurs des plus pieux et des plus éclairés, pour se faire instruire et l'aire
son abjuration entre leurs mains.
« Ainsi, ce que nous vous avons dit de nos espérances touchant sa
conversion se trouve aujourd'hui heureusement réalisé, et nous sommes
très-aises de vous pouvoir donner cette nouvelle, qui vous porte l'assu-
rance que, dans cette paix dont nous sommes venus traiter avec vous,
notre sainte religion n'a plus aucun risque 'a courir. Maintenant, c'est à
vous de voir si vous aimez mieux rendre l'étranger maître de nos biens
que de les posséder nous-mêmes tous ensemble.
(( En attendant, pour que Sa Majesté puisse vaquer sans trouble a son
instruction, et sans en être empêchée par les occupations de la guerre,
elle consent a accorder une trêve -générale de deux à trois mois,
quelque préjudice qu'une pareille suspension d'armes puisse porter à
ses aflaires. » (Cayet, uhi sup.)
Quand Monsieur de Bourges' eut ainsi parlé, il y eut une grande
surprise parmi ceux de l'Union, qui se consultèrent longtemps entre
eux. Monsieur de Lyon répondit : « Je ne pense pas avoir besoin de dire
ici combien je suis content de la nouvelle qui nous est apportée par
notre très-cher frère, l'archevêque de Bourges, touchant la conversion
du roi de Navarre. J'en loue Dieu, et je désire de toute mon âme que
cette conversion soit vraie et bonne ; mais à vous-mêmes, Messieurs, je
laissea juger quel fond on doit faire sur une pareille résolution. Nous ne
savons que trop par quels moyens les princes, une fois reconnus, savent
se démêler des promesses qu'ils ont données. L'histoire ecclésiastique
tout entière ne se compose guère que de pareilles promesses faites par
les ennemis de Dieu, qui ne les ont pas tenues.
« Et pour qu'on soit bien édifié sur la sincérité de celles qu'on vient
nous raconter aujourd'hui, voici des lettres patentes expédiées par le roi
de Navaire, lettres que nous avons depuis deux jours seulement. Elles
portent assignation de six vingt mille écus pour l'entretien des ministres
et écoliers en théologie des Églises protestantes. Comment ceux d'entre
vous qui sont véritablement catholiques peuvent-ils voir cela et y parti-
ciper sans appréhension d'en être grandement coupables devant Dieu?
N'y a-t-il pas la de quoi inlester tout le royaume du venin de l'hérésie,
en contribuant ainsi a l'entretien de ceux qui doivent la prêcher? »
Alors ceux de l'Union, parlant tous ensemble, firent grand bruit et
grand tumulte de cet incident.
« Messieurs, répondit avec calme l'archevêque de Bourges, vérita-
blement les huguenots ont dernièrement lort importuné le roi pour
obtenir telles assignations, et il en a en effet été parlé au conseil ; mais
tout le monde sait que cette demande a été rejetée. Il faut que les lettres
dont on parle ici soient de l'année 1591. »
Ceux de l'Union dirent : « Mais n'y en a-t-il pas d'autres de cette
année qui seraient déjà signées, quoique non encore enregistrées? »
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 315
A cette question, les royaux reconnurent qu'on ne cherchait qu'un
prétexte pour calomnier la conversion de Sa Majesté, et l'archevêque de
Bourges continua : « Messieurs, il est grand temps de couper le mal
dans sa racine, sans s'arrêter a d'inutiles subterfuges. Le roi s'est
engagé à rentrer en (ils soumis dans l'Eglise; nous vous déposons ici
par écrit la promesse solennelle (ju'il en a laite. C'est à vous a la porter
à votre assemblée de Paris. » Et il déposa une lettre signée de Henri
lui-même, ainsi conçue :
V Monsieur l'archevêque, le regret que j'éprouve des misères de
ce royaume, et le désir que j'ai de reconnaître envers mes bons sujets
catholiques l'afleclion <ju'ils m'ont toujours témoignée, m'ont lait
résoudre 'a recevoir au plus tôt instruction sur les causes dont procède
le schisme (jui est en l'Église. C'est au reste ce que j'avais promis depuis
longtemps, et l'on sait les raisons qui m'ont contraint de diflerer jus-
(ju'a cette heure.
« L'état présent des affaires ne me donne pas aujourd'hui plus de
loisir. Ce nonobstant, j'ai résolu d'appeler près de moi bon nombre de
prélats et docteurs catholiques, pour qu'en sûreté de conscience je puisse
me trouver éclairci sur les difficultés qui nous tiennent séparés en l'exer-
cice de la religion.
« Comme je vous tiens pour l'un des prélats les plus éclairés de
mon royaume, je vous prie de vous rendre auprès de moi, le quinzième
jour de juillet, en celle ville, où je mande aussi plusieurs autres de votre
profession, vous assurant que vous me trouverez docile à tout ce que
doit un roi très-chrétien, qui n'a rien plus vivement gravé dans le cœur
que le zèle du service de Dieu et le maintien de sa vraie religion. —
Ecrit à Mantes, ce dix-huitième jour de mai 1595, et signé, Henri de
Hourbon. »
Cette lettre lue et déposée, les délégués de l'Union demandèrent du
temps pour en conférer avec les Etats, sans l'ordre desquels ils ne pou-
vaient donner aucune réponse, et la conférence se sépara.
Or, ceux de la religion, voyant que le roi se préparait 'a quitter leur
croyance, ne cessaient de s'entretenir enft'e eux sur ce changement et
sur ce qui se passait aux conférences de Suresnes. Les ministres en
j)arlèrentmême dans leurs prêches; si bien que Sa Majesté, instruite de
ces propos, ajtpela devant elle les dits ministres et les principaux sei-
gneurs de ce parti, au nombre desquels était Monsieur le maréchal de
Bouillon. « 0 sire! dit le ministre Lafaye, nous sommes dans une
grande aflliction de vous voir arracher par vicdence du sein de nos
Églises ; ne permettez pas qu'un tel scandale nous advienne. » (Cavet,
îibi Slip.)
Le roi lit cette réponse : « Si je suivais votre avis, que je prends
pourtant eu bonne part, il n'y aurait bientôt plus en France ni roi ni
royaume. Je désire donner la paix à tous mes sujets et le repos à mon
âme. Consultez-vous donc et voyez ce que vous jugez nécessaire 'a votre
sûreté ; je serai toujours prêt a vous faire donner contentement. »
316 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
En même temps, les seigneurs catholiques du conseil du roi, pour
calmer les inquiétudes que les réformés pouvaient avoir qu'il ne se
traitât dans les conlérences quelque chose a leur préjudice, donnèrent
cette déclaration : « Nous, princes, ofiiciers de la couronne et autres
sieurs du conseil, déclarons que, dans les conférences qui se tiennent
maintenant, il ne sera rien accordé au préjudice des protestants, ni qui
soit contraire aux édits des défunts [rois en leur faveur, voulant par-
dessus tout entretenir la honne union et amitié qui règne entre les catho-
liques du parti de Sa Majesté et ceux de la dite religion. En foi de quoi
avons signé le présent, ce seizième jour de mai 1595, »
Cette déclaration, revêtue de la signature des princes et des memhres
du conseil, n'empêcha pas les huguenots de puhlier plusieurs livrets
contenant, disaient-ils, les raisons d'Etat qui auraient dû empêcher le
prince de changer de religion. « Je dois, disait l'auteur de ces livrets,
parler politiquement, puis(jue je m'adresse ii ces politiques a barhe grise
qui sont autour de Votre Majesté. Ce changement auquel ils veulent vous
précipiter. Sire, sera une tache 'a votre réputation. On vous accusera
d'inconstance, et, qui pis est, chacun croira qu'il ne logea jamais zèle
quelconque de religion en votre âme ; que tout ce que vous en avez fait
paraître jusqu'à présent n'était qu'hypocrisie et seulement pour établir
vos afîaires, vous masquant de la religion pour en venir 'a vos hns.
Pourtant, Sire, s'il était vrai que ce ne fût que par intérêt que vous
voulez vous rendre aujourd'hui papiste, réfléchissez que, sans y penser,
vous vous laissez couler dans la ruine non seulement de vos assurances
présentes, mais aussi de vos espérances a venir. En abandonnant votre
ancien parti, il vous abandonnera aussi, et, mieux que personne, vous
connaissez les ressources qu'il sait trouver dans son énergie et dans son
zèle. Les villes dont il est maître, quoique peu nombreuses, vous savez
avec quel peuple il saurait les défendre. Qu'espérez-vous, au contraire,
trouver dans cet état taré des catholiques? Il n'y a Ta que division, incer-
titude, déchirure et pourriture. Y a-t-il aujourd'hui ville catholique qui
soit bien assurée contre un ennemi quelconque? Ceux qui les com-
mandent ont-ils pu, jusqu'à présent, s'entendre pour coopérer à un but
commun? Ainsi vous aurez perdu ce que vous ne saurez regagner
qu'avec de grandes difficultés, un parti hdèle et tirant sa force de son
union. Ceux qui vous conseillent devraient s'arrêter tout court devant
cette considération, s'ils étaient vos véritables amis; mais prenez-y
garde : il y en a plus d'un parmi eux, qui, tout en affectant d'être des
nôtres, ne demanderait pas mieux que de vous voir faire ce saut péril-
leux, pour que vous lui laissiez la carrière franche. Ces gens-là espèrent
que si vous dérobez votre épaule à soutenir le ciel, ils pourront, comme
un nouvel Hercule, se présenter pour remplir la place que vous aurez
quittée. Allez, Sire, ce changement vous coûtera bon ; et ceux qui vous
l'auront conseillé seront peut-être les premiers à en répandre de san-
glantes larmes, s'il leur reste quelque conscience et quelque pitié pour
les malheurs qu'ils auront causés. »
J
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 317
Mais si la nouvelle de la conversion future du roi avait jeté (|uel(|ue
trouble parmi ses anciens partisans, c'était bien autre chose du cot<' de
la LiL>ue. A peine Monsieur de Lyon eut-il rendu compte de ce qui s'était
passé dans la dernière conférence, (pie la division éclata au sein de
rassemblée des prétendus États. Les uns blâmaient ceux qui s'étaient
chargés de soutenir les intérêts de la Sainte-Union, dans ces discussions
si malencontreusement acceptées; les autres allaient jusqu'à les accuser
de trahison ; quelques-uns seulement leur rendaient cette justice (ju'ils
n'avaient fait que ce qu'ils étaient chargés de faire. Monsieur de Mayenne
j)rit la parole et dit : « L'important, c'est de penser maintenant a laire
(juehpie bonne réponse, comme la nécessité du fait le requière. Je prie
rassemblée d'y vouloir aviser; pour ma part, je vais en conférer avec
les princes, la cour du parlement et le conseil d'Etat. » (Di: Tiioc, t. Il,
liv. 100, p. Ihi et suiv. — Mém. de la Ligue, t. V, p. 56'2. — Journal
de Henri IV.)
On décida qu'il serait répondu que, pour la conversion du roi de
Navarre, c'était au Pape seul 'a prononcer, lui 'a qui seul appaitenait le
droit de lier et de délier; qu'on ne pouvait ni ne devait rien faire sans
être instruit de sa volonté, et (pie, quant 'a la trêve, il serait temps d'en
parler (piand on se serait d'abord mis d'accord sur cette première difli-
culté. {Mém. de la Litjue, ubi sup.)
Cependant, le cardinal légat faisait renouveler les prières publiques
dans toutes les églises, pour demander ii Dieu d'inspirer aux Etats le
choix des moyens convenables a la cons(>rvation du royaume. Le dou-
zième jour de mai, il y eut une procession solennelle dans laquelle se
firent voir trois archevé(iues, un Fran(;ais, un Italien et un Écossais, et
neuf évè(jues, les(iuels portaient les châsses des bienheureux martyrs et
apôtres de France, Messieurs saint Denis, saint Éleuthère et saint
Huslique. La châsse de Monseigneur le roi saint Louis était portée
j)ar treize conseillers de la cour, et la vraie croix par deux religieux
de Saint-Denis, (pii avaient, dès le commencement de la guerre, apporté
avec le trésor de l'abbaye cette précieuse relique a Paris, alin (|u"elle y
fût plus en sûreté, et (pii y étaient restés pour la garder. Ces deux reli-
gieux marchaient pieds nus, sous un riche poêle soutenu parles nobles
de rUnion, (Davila, t. III, liv. IT), p. 590 et suiv. — Journal de
Henri IV.)
Ce fut le docteur Boucher qui prononça le sermon, et il le lit avec
sa violence ordinaire. Il avait pris pour texte ces paroles du psalmiste :
« Seigneur, tirez-nous du bourbier fétide, » et on l'entendit n'qK'ler a
plusieurs reprises : « Seigneur, débourbez-nous! Débourbonnez-nous,
Seigneur! »
Après cette procession, si on eût de suite procédé à l'élection, et
(jue les Espagnols eussent fait franchement alors la proposition qu'ils
tirent ensuite de marier leur infante avec un prince français ou lorrain,
nul doute qu'ils n'eussent réussi a atteindre leur but; suivant l'expres-
sion de Villeroi, la bête était prise et la France était engagée dans une
318 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
guerre interminable. Les États, en eflet, se montraient tout prêts à don-
ner leurs voix à la princesse, si elle épousait un prince français ou
lorrain, tel qu'il plairait à Sa Majesté catholique de le choisir pour son
gendre, et déjà le cardinal de Bourbon, chef du tiers-parti, pensant a
taire tomber le choix sur lui, avait fait, dit-on, ses ofl'res et ses pro-
messes par écrit. (Villeroi, Mém. d'État, 1595.)
De son côté, le roi aussi, qui voyait toute l'étendue du danger, pro-
diguait plus que jamais les offres les plus brillantes a Mayenne, pour
qu'il se réunit a son parti. L'outrecuidance du duc de Féria trouva le
moyen de tourner contre l'Espagne une aussi belle chance de succès. Il
se crui tout bonnement maître d'imposer des lois a la France, qu'il
regardait déjà comme une propriété acquise a son souverain, et ne
voulut entendre parler ni d'époux français, ni d'époux lorain pour la
noble fille de Philippe II ; il s'obstina a promettre le mariage de celle
princesse avec l'archiduc Ernest d'Autriche, <■< brave prince, disail-il, fort
bon catholique, descendant du sang de France par le côté maternel, et
qui devait être d'autant plus agréable aux F'rançais que leurs premiers
rois étaient, comme cet archiduc, sortis d'Allemagne. »
Le légat, qui s'était voué corps et âme a toutes les idées espagnoles,
tint chez lui une assemblée oii assistèrent le duc de Mayenne, les princes
de sa famille, le cardinal de Pellevé et l'évéque de Senlis, ainsi que
l'ambassadeur d'Espagne Taxis et don Diego d'Ibarra. Là, prenant
d'abord la parole, l'ambassadeur d'Espagne s'étendit longuement sur les
louanges de l'infante, dont il vanta particulièrement la douceur et la
libéralité. Il fit aussi un éloge pompeux du roi son maître, qui, sans
aucun espoir d'augmenter sa puissance, avait dépensé six millions d'écus
d'or, pour conserver 'a la France son ancienne religion. {Dawla^ ubi sup.,
p. 596 et suiv. — DeThol, ubi sup.)
« Je comptais, dil-il, que les conférences de Suresnes auraient un
plus heureux succès, et que les sages exhortations de l'archevêque de
Lyon ramèneraient les catholiques qui se sont attachés aux sectaires;
mais, puis(jue cette espérance n'a pas pu se réaliser, il ne faut pas que
l'amour du prochain, quelque louable qu'il soit, nous entraîne a faire ce
qui serait préjudiciable 'a la piélé et a la foi. D'ailleurs, ne devez-vous
pas un peu craindre d'offenser un prince 'a ((ui fa France a déj'a tant
d'obligations, en traitant avec ses ennemis, et cela dans le temps même
où il vous offre toutes ses forces, toutes ses richesses, et qu'il vous
sacrifie ses propres intérêts? Rompons, Messieurs, ces déplorables négo-
ciations, et cherchons plutôt, tous d'un commun accord, les moyens de
repousser les ennemis déclarés de cette monarchie.
« L'opinion du roi mon maître est qu'il n'y a pas pour cela d'autre
voie plus certaine que de donner tous vos suffrages à l'infante d'Espagne,
qui a pour mère Isabelle, Mlle aînée de Henri 111 ; car, suivant toutes les
lois divines et humaines, c'est 'a elle que cette couronne appartient k
défaut (les enfants mâles du roi Henri.
« Le Souverain-Pontife se tient tout prêt a approuver cette élection,
DU PROTESTANTISME EN ERANGE. 319
Cl les princes lorrains, ainsi (|iie les autres seigneurs et prélats de
France, ne doivent pas douter qu'ils n'y trouvent de grands avantages en
fortune, puissance et honneurs. Si vous vous rendez, comme je l'espère,
'a ces sages considérations, je vous prie de me le Caire connaître au plus
tôt, caries troupes du roi mon maître, (jui sont déjà sur vos Irontières,
se tiennent toutes prêtes à accourir 'a votre secours. Il vous ollre, de
plus, de payer régulièrement la solde et l'entretien de treize mille
hommes de vos troupes françaises, outre six cent mille ducats qu'il
s'engage a verser par an pour subvenir aux autres frais de cette
entreprise. »
En ce moment, l'évêque de Senlis, ce Ligueur si passionné, bondit
sur son siège, et s'écria : « Les politiques avaient donc raison de sou-
tenir (jue l'ambition espagnole se cachait sous le manteau de la religion;
et moi, trompé (|ue j'étais, je m'efforçais avec les autres prédicateurs
dévoués a la Sainte-Union de réfuter cette accusation. Hélas ! je vois
aujourd'hui (ju'elle n'était pourtant que trop vraie. Espagnols et poli-
tiques sont semblables en tout ; ils sont tous mus par le même motif :
l'intérêt particulier et mondain. Depuis douze cents ans la loi sali(|ueest
en vigueur en France, comme elle l'était anciennement dans le royaume
de Juda, où l'on ne reconnaissait pour maîtres que des mâles du sang
royal. Si l'on enfreint cette loi sainte, en mettant sur le trône une
femme, nous allons voir passer le sceptre entre les mains d'un prince
étranger qui ne connaîtra ni nos lois ni même notre langage, et cette
monarchie, qui doit sa gloire et sa puissance 'a un |)rincipe inviolable et
inviolé jusqu'à nos jours, va tout 'a l'heure dépendre du caprice d'une
jeune fille à marier. »
Cette virulente diatribe, a laquelle on ne s'attendait guère de la part
d'un pareil homme, qui avait parlé hors de son rang et sans en être
re((uis, déconcerta merveilleusement les Espagnols. Le duc de Mayenne
s'efforça de les calmer en expli(|uant comment le digne prélat, au demeu-
rant tout dévoué à la Sainte Ligue, avait de temps a autre de ces accès
de fureur, et disait des choses dont il était le premier à se repentir dans
la suite. Le duc de Féria consentit 'a paraître satisfait de celle explica-
tion, et il demanda qu'on communiquât aux États les propositions qu'il
venait de faire. Il annonça qu'il chargerait le jurisconsulte Mendoce,
qu'on avait en France surnommé le lettré, de les expliquer a Messieurs
les députés.
Or, pendant ce lemps-l'a, les États, qui n'avaient rien de mieux a
faire, s'occupaient 'a discuter sur le concile de Trente. Monsieur le légat
en pressait vivement la i)ublication, et soutenait (|ue, sans la |)ul)licalion
pure et simple des canons et décrets de ce concile, on ne pouvait main-
tenir en France la religion pour la(|uelle on combattait depuis si long-
temps. C'était précisément exiger le renversement des anciennes lois
civiles, religieuses et canoniques du royaume; aussi plusieurs des députés
manifestèrent hautement leur opposition, et l'on chargea Messire Jean
Le Maître, que le duc de Mayenne venait de nommer président au parle-
320 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
menl de Paris, et le conseiller Du Vair, de faire un rapport détaillé sur la
matière. (Di-: Thou, ihid., p. 711 et suiv.)
Ces deux mai^islrats jugèrent que, pour un grand nombre de raisons,
la publication du dit concile en France n'était pas admissible. J'extrairai
les principaux articles de leur rapport, car ces sortes de cboses, tout
abstraites qu'elles sont, ne sont pas sans importance, même aujourd'hui.
Les rapporteurs trouvèrent donc que le décret de la quatrième section,
ordonnant que les imprimeurs des livres défendus soient traduits devant
le tribunal de l'évoque, pour être punis ainsi qu'il appartiendra, était
contraire a un édit de Henri II donné en 1547, 'a l'édit de Château-
briant de 1551 et 'a l'ordonnance de Charles IX de 1566; que le chapitre
premier de la sixième session, qui permet au Pape de déposer les évoques
quand ils n'observent pas la résidence, se trouvait en opposition directe
avec le concordat signé avec Léon X; que, dans la session septième, le
chapitre qui donne aux évêques droit d'inspection sur les hôpitaux, cha-
pitres, confréries laïques et universités, avec pouvoir d'exiger des comptes
et de casser les administrateurs, attentait aux prérogatives des juges
royaux, qui seuls sont chargés par nos lois de veiller, au nom du roi,
sur tous les biens de la nation ; que la permission accordée, dans la
session vingt-quatrième, aux mêmes évêques de procéder contre ceux
qui contractent des mariages irréguliers, est destructive de notre droit
commun, suivant lequel le juge ecclésiastique ne doit connaître que du
sacrement; que dans la session vingt et unième, où il est dit qu'on don-
nera aux prêtres qui desserviront les églises nouvellement érigées une
portion congrue sur les biens de l'Eglise, et qu'au besoin on obligera le
peuple a fournir et compléter la somme nécessaire, on attaque tout a la
fois les droits du clergé, ceux du roi et ceux de la nation ; que, dans la
session suivante, chapitre dixième, on altaifue également l'autorité
royale et celle des magistrats, en remettant au commissaire du Saint-
Siège pouvoir d'examiner les notaires tant ecclésiastiques que séculiers,
et de les sasi>endre de leurs fonctions ; que le chapitre de la session
vingt-(juatrièmc, donnant a l'ordinaire droit de poursuivre pour crime
d'adultère et de concubinage, même contre des laïcs, est fait en haine et
au détriment du parlement; que, dans la session vingt-cincjuième, où l'on
permet aux religieux de posséder des biens immeubles, on viole tout
simplement les constitutions de ces ordres, sur la garantie desquelles ils
ont été reçus en France; que, dans la même session, on donne aux juges
ecclésiastiques pouvoir de procéder même contre les laïcs, (juand, de
quehjue façon que ce soit, il sera trouvé dans la cause quelque chose
(jui concerne l'Eglise, autorisant, en ce cas, les dits juges a faire des a
saisies et a prononcer des amendes et même des emprisonnements, ce
qui détruit tous nos anciens usages et prérogatives ; que le chapitre sui-
vant, qui ordonne que tous les anciens canons et constitutions aposto-
liques soient remis en vigueur, ne tend qu'à rétablir une foule de vieux
abus dont le temps a fait justice ; que le chapitre vingtième de la session
vingt-(|ualrième réserve a la juridiction de la cour de Rome une foule de
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 3-21
causes, et enlève ainsi les citoyens a leurs juges légitimes et naturels;
et(|u'cn(in, dans une foule d'autres dispositions, le concile viole et foule
aux pieds les constitutions de la monarchie et nos libertés gallicanes.
Par toutes ces causes, concluons a ce que la publication du dit concile
n'ait pas lieu. (PASoinr.H, Rechcrch., ch. xxxiv.)
Le légat, 'a (jui l'on cominuni(jua ce rapport, dissimula son ressen-
timent. 11 crut devoir attendre une occasion plus favorable et Ht retirer
sa proposition.
Ce fut à la suite de cette discussion (pi'on vint apporter 'a l'as-
semblée la proposition de l'ambassadeur d'Espagne. On commença par
demander (jue le légat fût admis a la séance. Le Tiers-État s'y opposa,
disant que les Etats-Généraux de France ne reconnaissent d'autre chef
que le roi. Le clergé, au contraire, dit (|ue, la France étant un royaume
essentiellement catholique, la révérence due au Saint-Père exigeait qu'on
appelât son représentant; la noblesse fut du même avis, et ainsi ii a été
conclu ((ue Monseigneur le légat serait admis. {Journal de Henri IV,
t. I, p. 7)50.)
L'ambassadeur espagnol ne s'y trouva pas en personne ; seulement,
illit dire aux députés (ju'après y avoir bien réfléchi, il ne voyait d'autre
remède aux maux de la France que d'accepter pour reine la lille bien-
= aimée du roi son maître, le plus puissant monanjne de la terre, et ([u'il
les priait de vouloir bien écouter iavoral)lement don Mendoce, chargé
par lui de leur expli(|uer clairement les droits que celte j)rincesse avait
au trône de France.
Alors le lettré iMendoce lit un long discours divisé en sept j)oints,
avec corollaires et conclusions. H prouva que, par le décès de tous les
enfants mâles de Henri II, la couronne, suivant tout droit humain, divin,
ecclésiastique ou autre, appartenait à l'Infante d'Espagne; que, d'ailleurs,
ceux qui la lui disputaient n'étaient que des hérétiques ou fauteurs d'hé-
rétiques, et que le Souverain-Pontife, juge suprême en pareille matière,
avait déj'a prononcé sans appel. Quel((ues-uns des assistants dirent qu'il
n'était pas étonnant qu'un étranger, sans aucune connaissance des lois
du pays, parlât ainsi, et qu'il fallait excnser ce pauvre homme. En géné-
ral, la proposition fut assez mal reçue de la plupart des députés, qui la
trouvaient humiliante et s'indignaient (ju'on vint comme leur imposer
d'avoir à se soumettre 'a une domination étrangère, et cela sans avoir fait
aucun préparatif d'armes ni de fmances. Toutefois, comme on ne voulait
pas aigrir les Espagnols, il fut répondu, après divers compliments, que
la dite proposition serait mise en délibération. (De Thou, ubi svp. —
DAvn.A, ibicL, p. 400.)
Mais le parlement de Paris, ayant eu avis do cette atteinte méditée
contre la loi Sali(|ue, sentit réveiller toutes ses vieilles susceptibilités a
ridée de voir la couronne de France transférée dans une maison étran-
gère. Il lit publier l'arrêt suivant : {Mém. de la Ligue, t. V, p. 577.)
« Sur les remontrances laites par le procureur du roi, et toutes les
chambres assemblées, la cour n'ayant jamais eu d'autre intention que de
!▼- 21
322 HISTOIRE DE L^ÉTABLISSEMENT
niainlenir la relii^ion catholique, apostolique et romaine, sous la protection
d'un roi cathoii(jue français, a ordonné et ordonne que par Monsieur le
Président Le Maître, assisté d'un bon nombre de conseillers, remon-
trances seront faites a Monsieur de Mayenne, lieutenant général de cet
État de France, a cette lin qu'aucun traité ne se fasse pour transférer la
couronne en la main de princes ou princesses étrangers, contrairement
aux antiques lois de ce royaume; déclare dès aujourd'hui que tout traité
fait ou à faire dans le but de ce résultat, qu'elle a condamné et condamne,
sera réputé nul et de nul effet, comme fait au préjudice de la loi
Salique. — Donné a Paris le vingt-huitième jour de juin 1595. »
Le duc de Mayenne, aussitôt qu'il eut eu connaissance de cet arrêt,
que quelques-uns ont prétendu a tort avoir été dicté par lui-même a la
cour, pour entraver l'élection et se conserver dans sa charge, ht dire
au président Le Maître de venir, avec deux conseillers, au logis de l'ar-
chevêque de Lyon, où il se trouverait en personne. La, il dit que la
cour lui avait fait un grand tort et affront en donnant un pareil arrêt
sans l'en avertir. Le président répondit que si Son Altesse avait voulu
se trouver à la séance, comme c'était son droit et comme elle y avait
été invitée, elle aurait entendu qu'au lieu de lui faire affront on avait
toujours parlé d'elle avec toutes sortes d'honneurs et de respects; que
l'intention de la cour avait été de ne mécontenter personne, mais de
rendre justice a tous. [Journal de Henri IV, p. 509. — Mém. de ISevers,
t. II, p. 055.)
L'a-dessus, l'archevêque de, Lyon tout en colère s'écria : « Mais votre
inconcevable arrêt va jeter la division dans le parti de l'Union, et donner
tout avantage à nos adversaires. — J'en suis fâcjié, Mons^eigneur, répli-
qua Le Maître. J'ai bien voulu supporter les reproches de Monsieur de
Mayenne, pour l'honneur et le respect que nous lui portons tous ; mais 'a
vous, Monseigneur, a qui nous ne devons rien, et qui devez au contraire
respect 'a la cour, je prendrai la liberté de dire que vous devez parler
avec plus de modération et de modestie en sa présence. »
« C'est pourtant a moi, reprit Mayenne, que la plupart d'entre vous
doivent leur avancement et leurs dignités! — Si c'est de moi que
vous voulez parler, répondit le président, je reconnais qu'en effet c'est
vous qui m'avez nommé président; mais vous n'y avez pas mis cette
condition que je n'aurais plus la liberté de parler franchement. —
Cela n'empêche pas, continua le duc, que votre arrêt sera la cause d'une
sédition dangereuse; car déjà le peuple s'assemble par les rues et com-
mence a murmurer. — La cour alors, répliqua Le Maître, sait ce qu'ellej
aura a faire pour châtier les séditieux. — Fort bien, ajouta rarchcvêqueil
de Lyon, je vois que vous avez tellement su arranger les choses, que, s'il
arrivait qu'on voulût traiter maintenant avec les partisans du Navarrais,
ce serait vous qui en auriez l'honneur et non Monsieur de Mayenne. —
Monseigneur, dit le magistrat, la cour n'a ni ambition, ni désirs d'hon-
neurs; elle ne pense qu"a soutenir les lois fondamentales de ce royaume,
et chacun de ses membres est prêt 'a subir mille fois la mort plutôt
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 323
que de se faire ni espagnol, ni hérétique. » Cette discussion se termina
par cette réplique mordante.
Cependant la faction des zélés ne cherchait qu'à empêcher tout
rapprochement; elle fit afficher par les carrefours de Paris une seconde
protestation contre la conférence. « Les catholiques et les politiques,
disait cette alfiche, demandent également la paix, mais chacun pour une
raison hien différente. Les catholiques ne la veulent que pour exterminer
riiérésie, et avoir un roi qui soit de leur foi; les politiques la veulent
pour étahlir à leur aise et faire reconnaître un roi hérétique. Mais ils
ahusent de ce mot de paix; car peut-il y avoir paix avec l'hérésie ou l'hy-
pocrisie? Cessons donc d'entretenir tous ces dangereux rapports avec les
ennemis de Dieu et de son Église, et qu'il soit défendu a toute personne,
de quelque qualité qu'elle soit, de parler désormais même de la possihilité
de reconnaître un jour le Béarnais hérétique, excommunié et relaps. Ce
(jue nous avons 'a faire, c'est d'élire sans retard ni interruption un roi
catholique, assez fort et puissant pour qu'il soit en état de rompre les
desseins de l'ennemi, et qui ne puisse cependant, ni lui ni ses succes-
seurs, entreprendre aucune guerre sans l'avis des États assemblés, faire
levées extraordinaires, aliénation de domaines et création d'oflices, sans le
consentement de la nation. La nation seule, par ses représentants, nom-
mera les membres du conseil royal; et a cet effet, les États seront con-
voqués au moins tous les cin(| ans. Avant donc de vous donner un
maître, obligez-le à jurer, pour lui et ses successeurs, qu'il observera
toutes ces conditions. Faites cela. Messieurs des États, sans vous laisser
détourner ni tromper, et en toute joie et allégresse nous n'aurons plus
qu'à rendre grâces à Dieu et crier victoire, à la grande confusion des
huguenots et politiques. » (Cavet, ubi sup. — Miîzerav, t. IIl, p. 1026.)
Ne s'en tenant pas aux seules armes de la polémique, les zélés s'in-
géraient, de plus, à exercer une sorte d'inquisition snr ceux qu'ils soup-
çonnaient d'avoir (|uel(ine tendance royaliste. Ils savaient que l'abbé de
Sainte-Geneviève était précisément dans ce cas, quoiqu'il reçût à sa table
les gens les plus influents des diverses opinions, et jusqu'au docteur
Boucher lui-même. Celui-ci gagna un des moines de l'abbaye qui s'en
alla dire à l'abbé : « J'ai entrepris un saint pèlerinage à Notre-Dame-des-
Vertus, s'il vous plaît m'en octroyer permission. De là j'irai jusqu'à
Saint-Denis; si vous aviez quelques commissions pour le sieur Séguier,
qui est de présent en ce lieu, je m'en chargerai volontiers. »
L'abbé, qui ne se méfiait pas de ce religieux, auquel il avait môme
plus d'une fois rendu de bons offices, lui donna deux billets cachetés,
dans l'un des(juels il y avait : « Sachez de Monsieur ce (ju'il veut que je
dise pour son procès ; » et dans l'autre : « Envoyez-moi les passeports
pour les robes roiîges ([ue vous savez. » Le moine porta ces deux billets
à ceux qui Lavaient mis en jeu. Mais, comme ils étaient conçus en termes
trop obscurs, « si vous voulez, dit-il, j'irai vous en chercher la
réponse. »
On ne voulut pas se dessaisir tout a la fois des deux originaux, qui
324 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
semblaient toujours bons à conserver. On en garda un, dont on ne remit
qu'une copie, et le moine porta celte copie avec l'autre billet 'a Monsieur
Sé^uier, duquel il eut pour réponse, et seulement de bouche : « Dites a
votre abbé que je lui écrirai. »
Boucher ne trouvait pas là ce qu'il cherchait. Il n'en dénonça pas
moins l'abbé à Monseigneur le légat, l'accusant de connivence avec
Tennemi. Mayenne, a qui l'affaire fut déférée, envoya quérir l'accusé, et,
l'ayant tiré à part, il lui montra le billet où il était question d'un passe-
port pour les robes rouges, en lui en demandant l'explication. « Monsei-
gneur, répondit l'abbé sans se déconcerter, vous savez qu'avec votre
permission je suis allé tout dernièrement 'a Saint-Denis pour ravoir des
blés qui m'appartenaient et qui m'avaient été pris par les gens du roi.
Monsieur Séguicr et (juelques-uns des conseillers qui sont avec lui,
m'ayant rendu service en cette occasion, me prièrent de trouver un
moyen de leur faire tenir leurs robes rouges, qulils ont oubliées à Paris,
afin de pouvoir assister en costume a l'abjuration que va faire le roi de
Navarre, et c'est au sujet de cette commission que j'ai écrit ce billet.
— Est-il bien vrai que le roi veuille se rendre catholique, interrompit
Mayenne. — Très-vrai. — Plût 'a Dieu donc que cela fût déj'a et que ce
fût au contentement de Notre-Saint-Père!... Mais, poursuivit le duc,
voici un autre écrit émané de vous; comment l'expliquez-vous? »
L'abbé s'aperçut que ce second billet n'était pas de son écriture.
C'était celui dont on n'avait gardé que la copie. « Je n'ai point écrit
cela, répondit-il, et je n'ai point d'explications à donner. » Grâce à sa
présence d'esprit, et un peu aussi 'a la faveur de Monsieur de Mayenne,
il en fut quitte pour être renvoyé sous bonne garde jusqu'à nouvel ordre.
Les zélés voulaient qu'on lui fît son procès ; mais Mayenne répondit :
<c Si je vous croyais, j'aurais bientôt mis toute la ville de Paris hors de
ses murailles, pour peu qu'il fallût en chasser tous ceux qui ne sont pas
de votre avis ; ainsi ne m'en parlez plus. »
Toutefois, pour se remettre bien avec le légat, à qui la manière dont
il avait terminé cette affaire n'était rien moins qu'agréable, il s'en alla
jurer entre ses mains de ne reconnaître jamais le roi, quand même il se
ferait catholique, à moins qu'il n'en reçût l'ordre exprès du Pape ; plu-
sieurs autres princes et seigneurs du parti de l'Union s'obligèrent par
le même serment. Mais on se garda bien d'en parler à Villeroi et au
président Jeannin. « Si j'ai gardé le silence avec vous, leur dit plus tard
le duc, c'est que je voulais tenir la parole que j'avais donnée au légat et
aux Espagnols, et que je n'ignorais pas que vous m'auriez désapprouvé. »
(Matth., p. 155.)
Cependant, le cinquième jour de juin, les délégués des deux partis
qui avaient pris part aux conférences de Suresnes s'étaient de nouveau
réunis à La Roquette, proche la porte Saint-Antoine. L'archevêque de
Lyon commença par s'excuser d'avoir si longtemps fait attendre la
réponse aux propositions des royalistes; mais il avait été dans l'obliga-
tion de prendre l'avis de beaucoup de personnes. Au résumé, ce qu'il
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 325
avait charge de dire était (jiie, quant a la conversion du roi de Navarre,
on désirait la voir vraie et sans aucune liction, mais qu'on n'espérait
guère de voir ce désir accompli, attendu que ce prince prêtait toujours
Toreillea ses ministres et soi-disant pasteurs, au lieu de faire de dignes
fruits de pénitence et d'abandonner franchement son erreur. Pour les
traités de paix, ils ne pouvaient y prêter l'oreille, vu que ce serait traiter
avec le dit roi de Navarre, qui était hors de l'Église, et qu'il fallait avant
tout avoir la certitude (ju'il était réuni et réconcilié au Saint-Siège, dont
c'était leur devoir d'attendre le jugement.
Monsieur de Bourges, après s'être consulté avec ses collègues, répon-
dit : « Nous comptions avec raison sur votre zèle pour le bien de l'Etat,
et nous sommes nous-mêmes très-joyeux de la joie que vous donne la
conversion de Sa Majesté. C'était en effet l'objet des vœux de tous les
bons et vrais Français, qui voient là tout a la fois l'avancement de
l'Eglise, l'extinction de l'hérésie et la prospérité de la patrie. Au reste, il
n'y a plus maintenant a douter de ce bonheur; le roi. Messieurs, reçoit
'a l'heure qu'il est et avec la plus grande docilité les instructions des pré-
lats qu'il a appelés autour de lui, et nous devons tous le louer de n'avoir
pas voulu faire son abjuration sans pouvoir se dire pleinement convaincu.
Il est également décidé 'a donner 'a Sa Sainteté toute satisfaction, et 'a lui
prêter l'obédience qui lui est due par tous les princes chrétiens, ainsi
que l'ont fait ses prédécesseurs. Mais en ce qui concerne l'état de ce
royaume, si Sa Sainteté elle-même pensait à y toucher, il vous croit trop
bons Français pour que vous puissiez exiger qu'il permette le boulever-
sement de nos lois et de nos droits et l'anéantissement des libertés de
l'Eglise gallicane. Le roi d'Espagne lui-même nç donnerait pas une
pareille permission dans les royaumes qu'il possède déjà et auxquels il
ne demanderait pas mieux au contraire que d'ajouter le nôtre. .Mais il
faudra bien qu'il se contente de n'être que notre ami et notre allié, s'il le
veut. J'ajoute pour en finir que vous avez tort de faire encore des diffi-
cultés pour accepter la paix que nous vous proposons. Le roi étant résolu
de se faire catholique, je ne conçois pas quel scrupule peut vous arrêter.
Monsieur le légat, au reste, n'est-il pas la pour vous relever de tout
scrupule de ce genre, si vous en avez encore, et n'en a-t-il pas le
pouvoir? » (Cavet, ubi sup.)
Monsieur de Lyon répliqua : « Tout ce (ju'on nous a fait entendre
jusqu'à présent touchant la conversion du prince n'est fondé que sur
raisons humaines et considérations d'État, qui ne sont moyens propres à
attirer la loi et grâce de Dieu. Aussi voyons-nous que les princes héré-
ti(jues a l'étranger, et les huguenots français eux-mêmes, ne témoignent
pas grande appréhension d'une pareille démarche. On craint de se les
aliéner, dit-on, en montrant j)lus de franchise et d'empressement. Ce n'est
pas ainsi que se font les véritables conversions. Le saint évêque Avitus,
voyant le roi Gondebaut de Bourgogne demander 'a se faire sacrer en
cachette, pour ménager les susceptibilités de ceux de ses sujets qui
étaient encore païens, lui dit : « Hoi, si tu crois véritablement ce que tu
326 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
dis croire, pourquoi crains-tu de le confesser publiquement ? » On nous
assure que le prince est tout disposé a rendre au Souverain-Pontife la
soumission qui lui est due. En ce cas, qu'il s'en remette d'abord 'a son
jugement pour sa conversion ; qu'il s'incline devant lui avec humilité
chrétienne et filiale obéissance, non avec les conditions et modifications
qu'on propose, lesquelles ne tendent a rien moins qu'a établir un schisme
dans l'Église. Bref, continua l'orateur, nous croyons maintenant que tout
le fruit qu'on pourrait tirer de ces conférences, si elles doivent avoir un
fruit, serait que vous ouvriez vous-même les yeux et vous réunissiez sin-
cèrement avec nous, pour la conservation de notre foi et l'extirpation de
l'hérésie. »
Après ce discours, il y eut de nouveau un grand tumulte de discus-
sions sur la puissance temporelle du Pape, sur les bulles d'excommuni-
cation et sur ce qu'on devait entendre par les libertés de l'Eglise galli-
cane. Quand on se fut retiré chacun a part pour se consulter de rechef,
les délégués ligueurs, ne pouvant ignorer le mauvais effet que ferait sur
le peuple de Paris le refus d'accepter la trêve qui était offerte, décidèrent
qu'on reprendrait encore une fois la discussion. Monsieur de Bourges leur
répéta que le roi se ferait absoudre, (ju'il irait 'a la messe, qu'il enverrait
ensuite en son nom une ambassade au Pape, pour lui demander sa béné-
diction, mais que, pour parler en bon Français, ni lui ni ses collègues
ne se résoudraient jamais à mettre la couronne de France comme en gage
au delà des monts. « Si, ajouta-t-il, au lieu de toutes ces disputes inu-
tiles et dangereuses, vous vous joigniez franchement a nous. Messieurs,
pour supplier Sa Sainteté de consentir au salut de la France, toute diffi-
culté serait bientôt aplanie. »
« Ce n'est pas a nous a faire une pareille démarche, s'écria Monsieur
de Lyon, emporté peut-être plus loin qu'il ne l'aurait voulu. C'est a vous
a vous pourvoir comme vous l'entendrez auprès du Souverain-Pontife.
Nous, quand il aura prononcé, nous obéirons en fils soumis; mais nous
savons trop le respect que nous devons a son omnipotence, pour vouloir
apporter le moindre obstacle 'a sa volonté dans une afiaire aussi impor-
tante. »
Alors, Monsieur de Bourges dit : « Messieurs, nous nous retirerons
donc. » Et, comme on se levait déj'a pour partir, quelques-uns avisèrent
(ju'il ne fallait pas se séparer ainsi et abandonner une aussi bonne
œuvre, et Monsieur de Schomberg demanda qu'on eût encore une réu-
nion le vendredi suivant.
El parce que le terme de la surséance d'armes était expiré, ceux de
l'Union proposèrent de le proroger; mais les délégués royalistes décla-
rèrent qu'ils n'avaient pas pouvoir d'y c'onsentir; que, d'ailleurs, cette
demande n'avait pour but que de gagner du temps pour faire avancer les
forces étrangères, et faire entrer le plus de vivres possible dans Paris.
On linit pourtant par accorder encore trois jours.
Au moment où l'on se retirait, un de ceux de l'Union prit ce temps
pour remettre entre les mains de Monsieur de Bo.iiges cette réponse par
à
i.)[: l'iioTi.sTANrisMK i:n lllANCi;. :527
(•cril : « .Messieurs, vous nous avez dit el écrit que le roi de Navarre
devait se faire instruire, et (|u'il se ferait bon et vrai catl)oli([ue dans peu
de jours. Vous avez ajouté <|u'il était déjà catholique au fond du cœur,
et comme pour arrlies de sa bonne volonté, vous nous offrez de signer
une trêve pour deux ou trois mois. Nous désirons la conversion de ce
prince, et prions Dieu (ju'elle soit sincère et telle que Notre-Saint-Père,
à (jui seul en appartient le jugement, puisse en être satisfait. Nous ne
pouvons toutefois vous celer que nous ne voyons encore rien en ce
prince qui doive réaliser cet espoir; car il aurait déjà dû éloigner de lui
les faux docteurs, et discontinuer. l'exercice d'une religion <|u'il recon-
naît mauvaise. Néanmoins, chacun sait qu'il en est autrement, (|u'il
pousse encore à l'établissement de l'erreur qu'il dit vouloir abjurer, et,
s'il en agit maintenant ainsi, (|ue ne devons-nous pas craindre pour
l'avenir? Il vaudrait mieux pouvoir nous dire que la grâce de Dieu l'a
touché subitement, que de vouloir nous faire croire qu'il a depuis long-
temps ouvert les yeux a la vérité. Au demeurant, vous savez ce que
l'Eglise exige pour une véritable conversion, et c'est a vous a le conseiller,
mais c'est au Saint-Siège à y 4mettre la première et dernière main, et 'a
lui donner l'absolution sans laquelle il ne peut être tenu pour vrai enlant
de l'Église. Pour nous, s'il obtient convenablement cette réhabilita-
tion spirituelle, nous promettons que, sans aucune passion ni aucune
considération pour l'intérêt de qui (|ue ce soit, nous nous conforme-
rons aux intentions de Sa Sainteté. Mais avant que cette conversion
soit reçue et approuvée du Saint-Siège, vous voudrez bien prendre
en bonne part si nous ne voulons pas traiter avec vous, sans avoir
l'avis et l'approbation du chef de l'Église; car il s'agit ici, non seide-
ment du salut du royaume, mais encore de la conservation de la seule
vraie foi, pour laquelle chacun est obligé de faire ce que lui prescrit sa
conscience. »
Cette déclaration n'empêcha pas (|ue le vendredi suivant il n'y eût,
comme on se l'était promis, une nouvelle réunion de la conférence. Cette
fois, elle se tint 'a La Villette, dans la maison du sieur de Thou, rini des
délégués royaux. Il y avait l'a et tout autour une grande afiluence de
gens venus de Paris, attentifs à savoir si la trêve proposée aurait lieu ou
non. Plusieurs de ces bourgeois, déjà suffisamment las de l'état d'assié-
.gés où on les tenait depuis si longtemps, crièrent : « Vive la paix! vive la
Irève !» et (|uelques-uns mêmes crièrent : « Vive le roi !» La faction des zélés
se trouva encore assez puissante pour forcer le lieutenant civil à nom-
mer des commissaires, chargés d'informer contre ceux (|ui avaient jjoussé
ces cris séditieux; mais les accusés ayant présenté requête au parlement,
la plupart des conseillers prirent fait et cause pour eux, en se récriant
(ju'on voulait donc introduire rin(|uisition d'Espagne en France, ce (|ui
serait plus insupportable que la mort même à tous les véritables Français.
Et là-dessus, ils firent rendre un mémorable arrêt qui ordonnait au lieu-
tenant civil de faire apporter les informations déjà faites au procureur
général, avec défense de coulinuer ni d'entreprendre à l'avenir aucutu»
328 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
poursuite en matière criminelle contre les bourgeois. (Mézeray, t. III,
p. 1031.)
Pour en revenir a la conférence, Monsieur de Bourges commença
ainsi : « Messieurs, les princes et seigneurs qui nous ont chargés de les
représenter ici ont jugé a propos que nous ne traitions plus que par
écrit, s'étant aperçus que nos discussions orales entraînaient perle de
temps et disputes interminables. Comme nous avons pris soin de tenir
note de tous les points que nous avons déjà établis devant vous, en voici
la copie exacte. »
La-dessus fut lu et déposé ensuite un écrit dans lequel il était dit :
(c Nous sommes tous convenus que la paix ne peut exister en ce royaume
que sous un roi légitime, régnant en vertu de nos anciennes consti-
tutions; que les premiers chrétiens, qui doivent être nos modèles,
obéissaient aux empereurs même païens, non pas parce qu'ils ne pou-
vaient faire autrement, mais par suite de la doctrine qu'ils avaient tirée
des saintes Écritures ; que, pour ce <iui regarde le roi qu'il a plu à Dieu
de nous donner, nous sommes dans une bien meilleure condition qu'eux,
puisque non seulement il est déjà chrétien, mais qu'il a de plus donné
sa promesse qu'il se ferait cathobipie. Sur quoi nous vous avons invités
de vouloir joindre vos vœux aux nôtres, pour que Sa Majesté, suppliée
d'un commun accord par ses fidèles sujets, se hâte d'autant plus de rem-
plir cette promesse, qui ôtera tout prétexte à la rébellion et doit donner
le repos à la France. C'est la prière que nous vous avons faite en premier
lieu, et que nous vous renouvelons aujourd'hui par écrit, telle qu'elle a
toujours été dans nos intentions et sans aucune autre condition que celles
qui y sont comprises. A tout cela vous n'avez daigné, de votre côté,
répondre autre chose, sinon (|ue vous désiriez comme nous la conversion
de Sa Majesté, mais qu'avant de traiter avec' elle, il vous fallait l'avis du
Saint-Siège. Nos princes et seigneurs, a qui nous avons rendu cette
réponse, et Sa Majesté elle-même, nous chargent de vous faire savoir
que tous les princes du sang et autres princes, bon nombre de gens
d'Eglise et docteurs en la faculté de théologie, les officiers de la cou-
ronne et les membres les plus notables des parlements, sont convoqués
par le roi, espérant que par le bon conseil qui sortira d'une aussi hono-
rable assemblée, il sera pris une si sage résolution touchant sa conver-
sion, que Sa Sainteté elle-même et les autres potentats catholiques ne
pourront qu'en être contents et satisfaits, ainsi que tous ceux qui n'au-
ront pas pour but spécial la ruine complète de ce royaume. Nous
sommes, de plus, chargés de vous renouveler la proposition d'une trêve
générale, à condition que vous reconnaîtrez comme satisfaisantes les
explications ci-dessus, sans plus chercher ni opposer de nouvelles difti-
cultés; que si vous refusez, Dieu, qui est le juge des uns et des autres,
fera que chacun connaîtra et verra clairement d'où provient et a qui doit
être imputé le retardement du soulagement qui adviendrait par le moyen
de la dite trêve, laquelle doit nous acheminer a une bonne et perdurable
paix. — Fait et signé ce onzième jour de juin 1595. »
,1
i
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 329
Les délégués de rUnion, assez embarrassés de se voir poussés d'une
manière si vive, délihérrrciU d'abord s'ils devaient recevoir celle décla-
ration par écrit. Ils convinrent à la lin qu'il lallait l'accepter, 'a condi-
tion que l'archevêque de Bourges déclarerait qu'il y avait bien quelque
chose d'inexact dans les termes de la première partie, louchant les points
dont on était convenu dans les conférences, (pioitpi'au fond ils appro-
chassent très-fort de la vérité; 'ce que le prélat conciliant ne refusa pas
de faire. Quant 'a la proposition de trêve, n'était-ce pas un leurre,
puisque, tandis que Monsieur de Mayenne envoyait l'ordre au comte
Mansfeld de ne pas passer plus loin avec ses troupes, prêtes 'a entrer en
France, le roi de Navarre faisait en ce moment même assiéger la ville
de Dreux ?
Monsieur de Bourges répondit que, quant au siège de Dreux, ils
devaient bien savoir qu'il était en état de leur en donner de justes et
valables raisons, puisque cette ville n'était pas comprise dans le rayon où
la suspension d'armes avait été convenue; mais que pour ce qui regar-
dait le comte de Mansfeld, personne n'ignorait que ce n'était pas par les
ordres de Monsieur de Mayenne qu'il s'était arrêté, mais bien par la
mutinerie de ses propres soldats.
Voici en elîet ce qui s'était passé : Après la prise de Noyon, Mansfeld,
ne comptant guère sur la docilité de ses troupes, les avait, comme on l'a
vu, ramenées vers les Pays-Bas, où, d'ailleurs, le comte Ernest, son père,
avait besoin de son secours pour résister aux progrès toujours croissants
du prince Maurice. Il arriva que, pendant celle marche rétrograde et
désordonnée, parce que le soldat n'était plus payé, un capitaine espagnol
viola une jeune lille de Hesdin. Le comte voulut punir le coupable; mais
'a l'instant tous les Espagnols se soulevèrent, pillèrent ses meubles et sa
vaisselle, et mirent en fuite les soldats NVallons, élurent un chef et s'em-
parèrent de la ville de Saint-Pol. De l'a, ils se mirent a ravager toute
cette contrée de l'Artois ([u'on appelle le haut pays.
A leur exemple, les Wallons se mutinèrent 'a leur tour et s'empa-
rèrent de Ponl-sur-Sambre et rançonnèrent aussi toutes les villes et
campagnes environnantes.
De son côté, le roi, voulant effrayer les Parisiens par la terreur c'e
ses armes, s'en vint assiéger, avec toutes ses forces, la ville de Dreux.
Cette ville, qui n'est qu'a seize lieues de Paris, passait pour extrême-
ment forte : elle était défendue par une nombreuse garnison et une popu-
lation aguerrie; mais le roi savait (\{ie le gouverneur en était absent, se
trouvant pour lors aux Étals de Paris. Dès le premier jour, les roya-
listes s'emparèrent des faubourgs, où ils prirent leurs logements. Le
lendemain, on commença 'a ouvrir tout a la fois t|uatre tranchées, et
Biron, (|ui était chargé de ce travail, le poussa avec tant d'activité que,
le treizième jour de juin, les quatre tranchées débouchèrent dans le fossé.
On dressa aussitôt quatre batteries, l'une vis-a-vis de la porte de
Chartres, l'autre contre celle de Paris, la troisième pour battre la cour-
tine qui couvre l'hôlel-de-ville, et la dernière dans le faubourg Saint-
:«0 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Jean, contre la tourelle qui est de ce côté-la. (Davu^a, t. Ill, liv. 13,
p. 409.)
A peine les premiers coups de canon de la première batterie eurent-
ils fait crouler Fangle du grand boulevard, que deux mestres de camp
s'étanl approchés pour reconnaître cette brèche, toute l'armée prit cela
pour un signal et courut a l'assaut. L'ennemi, surpris d'une telle impé-
tuosité, abandonna le rempart, sur lequel un régiment français se logea
et se fortifia dès le soir môme.
Le lendemain, les batteries continuèrent leur œuvre de destruction,
et les assiégés prirent le parti d'abandonner la ville et de se retirer
dans le château en mettant le feu derrière eux, pour se procurer le temps
de faire leur retraite. L'incendie fit beaucoup de ravages et ne fut éteint
qu'a grand'peine par les troupes du roi.
On commença, après cela, à attaquer le château. La plupart des
bourgeois et un grand nombre de paysans avec leurs bestiaux avaient
été relégués dans un ravelin détaché du corps de cette forteresse ; Biron
y fit attacher le pétard la même nuit, « et s'empara de tout le butin, en
faisant un grand carnage des ennemis ; mais les royalistes eux-mêmes
perdirent plus de cent hommes. »
Pour ceux des malheureux bourgeois qui avaient échappé au premier
mabsacre, ils se jetèrent dans les fossés du château. Ceux qui étaient
dedans ne voulurent pas les laisser entrer, ni les assiégeants les laisser
sortir. « Ils restèrent la, pauvres gens brûlés par les ardeurs d'un soleil de
solstice, haletant de soif, sans vivres et mourant a monceaux, les enfants
entre les bras des mères, et les mères aux pieds de leurs maris. »
(Mézeray, uhi swp., p. 1054.)
Le siège du château continuait, mais non sans de grandes difficultés,
a cause de sa situation et de sa force, et on y perdait beaucoup de
monde. Le duc de Monlpensier y fut blessé au menton, et le roi eut deux
mestres de camp tués à côté de lui. Les batteries tiraient alors contre
une tour antique qu'on appelait la tour Grise; mais la construction en
était si massive et si solide qu'elles n'y faisaient pas grand effet. Sully
imagina d'employer une autre voie. S'étant avancé jusqu'au pied de cette
tour 'a l'aide de mantelets en doubles planches, revêtus par-dessus de
plaques de fer, il fit creuser dessous trois fourneaux dans chacun desquels
il enferma un baril de poudre. {Écon. de Sully, liv. 2, chap. x, 1595.)
Quand le feu eût été mis a cette triple mine, on ne vit d'abord
([u'une fumée, et on n'entendit qu'un bruit sourd, sans apercevoir d'autre
effet pendant près d'un demi quart-d'heure, tellement que dans le camp
on s'en allait déjà disant : « La mine de Monsieur de Sully a fait long
feu. » Le roi lui-même ne put s'empêcher de dire : « Ce pauvre Sully a
bonne volonté, mais il est un peu étourdi; il croit que tout doit céder à
ses imaginations. » Tout 'a coup, au grand étonnement de tous, on vit
sortir de la tour une beaucoup plus grosse fumée que la première.
L'épaisse muraille craqua et se fendit depuis le haut jusqu'en bas, et une
large partie s'écroula, entraînant avec elle quantité d'hommes et quel-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 331
(jnes femmes et enfants, qui furent broyés parmi les décombres; puis
Ton put voir ceux qui restaient encore sur ces voûtes croulantes tendre
les mains et crier miséricorde.
Mais ceux des assiégés qui ne se trouvaient pas dans celte position
périlleuse ne s'étonnùrent point et continuèrent à se défendre avec
courage. A la lin pourtant, ne voyant venir aucun secours, malgré la
proximité de Paris, ils capitulèrent le septième jour de juillet et ren-
dirent la place au roi, qui leur accorda vie et bagues sauves, se con-
tentant de faire pendre en face de la brècbe Monsieur de Gravelle et buit
autres des |)rincipaux babilarits, qui avaient encouragé les autres a sou-
tenir ce siège. (Mkzkrav, ibicL, 105a.)
La nouvelle de cet avantage abattit un peu l'audace des députés aux
États de Paris. Ceux (|ui s'y montraient le plus dévoués 'a la Ligue et
(pii faisaient grand bruit devinrent silencieux. Les ducs de Mayenne et
de Féria s'accusaient réciproquement d'être la cause de cette perte; le
dernier disait que l'autre avait laissé prendre cette ville, afin d'intimider
les Etals et de les faire consentir à la trêve. Mayenne ripostait que les
Espagnols étaient seuls coupables, car on savait bien qu'il n'avait pas,
lui, assez de troupes disponibles pour les opposer avec succès a celles
du roi de Navarre, tandis (ju'cux, dans le but de faire désirer et valoir
leur intervention, n'avaient pas voulu faire avancer un seul des régiments
qu'ils avaient en Bretagne et sur la frontière, quoiqu'il les en eût instam-
ment pressés. (Mkzehay, ubi sup., 1056.)
Sur ces entrefaites, les délégués royaux, qui attendaient toujours a
Saint-Denis la réponse que ceux de l'Union devaient faire \\ leur der-
nière proposition, ayant eu avis des menées de l'Espagne, envoyèrent cet
écrit : « Messieurs, nous sommes contraints de vous dire que les princes
et seigneurs qui nous ont envoyés s'étonnent du retard que vous met-
tez dans une alTairc de telle importance. Pendant (jue vous bésitez ainsi,
le sang coule, comme vous devez le savoir. Ce qui nous rend encore
plus pressés d'avoir voire réponse, c'est que nous voyons qu'il se met
cbacjue jour en avant de nouvelles inventions, pour bâter la ruine défini-
tive de ce malbeureux pays. Vous devez maintenant voir aussi bien que
nous quels sont les projets ambitieux de l'Espagnol. Le voilà qui demande
ouvertement voire royaume. Nous, au contraire, qui sommes avec vous
en communauté d'intérêts, de patrie et de religion, nous ne venons
vous demander que de reconnaître le prince que Dieu et la nature vous
ont donné, Nous ne désirons ni vos biens ni votre bonté. Notre gloire
est la nôtre et voire bonbcur est le nôtre aussi ; et ces deux cboses,
auxquelles nous tenons autant que vous, ne peuvent exister sous le joug
étranger auquel veut vous soumettre le plus ancien et le plus invétéré
ennemi de la France. Nbésitez donc plus a conduire ce malbenreux
vaisseau de l'Etat au port de la paix; car il est en ce moment dans le
|)lus grand danger de se perdre. Nous pouvons tous le sauver par une
sincère réconciliation entre nous. Sa Majesté, déj'a maîtresse par ses
conquêtes de tant de villes et de provinces, appuyée de l'alliance de tant
332 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
de puissants princes étrangers, est maintenant le seul point de ralliement
auquel tout bon Français doit se rattacher. Agir autrement, ce serait
bâtir un temple a la discorde, ce serait vouloir de gaieté de cœur éter-
niser nos guerres civiles et faire couler des torrents de sang français a
l'unique prolit de nos ennemis. Oseriez-vous bien attirer sur notre patrie
de pareilles calamités? La conservation de la religion n'est plus 'a pré-
sent, vous le savez, qu'un vain et inadmissible prétexte, puisque le roi
va se déclarer franchement catholi((ue. Ce prince, en attendant qu'il
accomplisse cette promesse 'a la satisfaction de tous, veut bien vous
offrir une trêve. Vous savez que ce n'est ni le besoin ni la nécessité de
ses affaires, ni le découragement, ([ui l'obligent 'a vous faire une pareille
proposition ; Dreux, fumante encore, est Ta pour prouver qu'il peut châ-
tier les rebelles d'une manière terrible ; et cependant nous sommes encore
ici, avec beaucoup de patience et d'incommodité, 'a attendre votre réponse.
Pourtant vous n'ignorez pas que les intérêts de la bonne ville de Paris,
qui n'a déjà que trop souffert de tous ces retards, vont de jour en jour
en dépérissant encore. Si vous comptez sur les armées de l'Espagnol,
vous savez bien qu'elles ont été battues toutes les fois qu'elles ont voulu
combattre, et (ju'elles fuient maintenant les combats comme la peste.
Nous donc, fidèles sujets de Sa Majesté et prêts a lui sacrifier nos per-
sonnes et nos biens, en reconnaissance du don qu'il nous a fait de se
déclarer catholique, considérant tous les malheurs qui découlent de nos
dissensions et ceux qu'elles doivent amener si elles continuent, c'est-a-
dire la perte de la religion et de TElat, nous vous supplions encore de
couper court 'a tous ces maux par une sincère réconciliation entre nous.
Nous demandons votre indulgence, si nous avons parlé sur ce sujet, peut-
être avec un peu plus de véhémence que quelques-uns ne l'auraient
voulu, et nous prions Dieu qu'il veuille bien vous éclairer. — Daté de
Saint-Denis, le vingt-troisième jour de juin 1595. » (Gayet, ubi siip.)
Cette lettre fut adressée 'a Monsieur de Lyon, mais on eut soin d'en
faire un grand nombre de copies, qui furent répandues avec profusion
dans la ville.
Or, le légat et l'ambassadeur d'Espagne tenaient par-dessus tout \\
ce que l'assemblée de Paris et le duc de Mayenne n'acceptassent pas la
trêve que le roi proposait; car ils prévoyaient qu'elle aurait pour consé-
quence la reconnaissance des droits de Sa Majesté, et ils s'aidaient de
toutes sortes d'inventions pour éloigner ce dénouement menaçant, et
pour obtenir que les États nommassent d'abord un roi, auquel cas la
dite trêve deviendrait impossible, et la continuation sans terme de la
guerre civile serait chose inévitable.
Il n'y avait plus 'a temporiser. Monseigneur le légat, qui était alors
malade, envoya le cardinal dePellevé faire en son nom à l'assemblée des
Etats la protestation suivante : « Moi, légat du Saint-Siège en France, je
déclare ne pouvoir approuver une chose qui répugne aux intentions du
Très-Saint-Père. Si donc l'on traite de paix ou de trêve avec l'hérétique,
je déclare que je me retirerai incontinent de ce royaume. J'engage, au
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 333
nom (le Sa Sainteté, Messieurs des Etats a élire sans relard un roi qui
soit non seulement Irès-clirélien et vrai callioli(|ue de nom et d'elï'et,
mais qui ait le pouvoir et les autres vertus recjuises pour anéantir
riiérésie. C'est la surtout ce qui tient le plus au cœur du Souverain-Pon-
tife, et c'est en effet l'unicjue fondement sur lequel la paix du royaume
et le salut éternel de ses habitants puissent être établis. »
Malgré cette exhortation, (\u\ avait bien un peu l'air d'une contrainte
au moins morale, l'assemblée penchait pour accepter provisoirement la
trêve. On taxait assez généralement d'impudentes les prétentions de
l'ambassadeur d'Espagne. « Nous croit-il si sots, ou croit-il son maître
déj'a assez puissant chez nous, pour qu'il ait le droit de paraître s'offenser
de ce que nous hésitons a lui sacrifier les anciennes lois du royaume,
nos consciences et nos libertés, ainsi que nos biens et la tranquillité du
pays. » {Mém. de Villeroi, adann. 1595.)
Ceci ayant été rapporté 'a Monseigneur le légat, il appela chez lui
Monsieur de Mayenne, les autres princes de sa maison, assistés de deux
députés de chacun des trois ordres. L'a se trouvaient déj'a l'ambassadeur
d'Espagne, le seigneur de Taxis, don Mcndoce et don Diego d'Ibarra.
Le légat proposa tout aussitôt la nomination pure et simple d'un roi en
France, et ajouta que ces Messieurs d'Espagne avaient reçu du roi, leur
maître, pouvoir de la demander et de l'exiger au besoin. Monsieur de
Mayenne répondit tout aussitôt que ce prétendu pouvoir n'avait encore
ni été exhibé ni reconnu, et que, du reste, nommer un roi sans en avoir
le droit bien évident, et surtout la puissance, ce serait créer un roi en
idée. L'ambassadeur d'Espagne dit alors, avec sa morgue accoutumée,
qu'il trouvait étrange qu'on se permît à chaque instant de contester les
pouvoirs qu'il tenait de Sa Majesté catholique; qu'au reste, il les ferait
])araltrc mardi prochain. (Cavkt, ubi siip.)
En effet, le mardi suivant, il lut une lettre de Philippe (jui lui don-
nait pouvoir de consentir 'a la nomination de Monsieur le duc de Guise,
a condition que ce prince épouserait l'Infante d'Espagne, héritière en
ligne directe de la couronne de France, du chef de sa mère, fille aînée
du roi Henri H.
l*our lors, le duc de Mayenne put voir sans aucun doute que c'était
la un trait espagnol, puisqu'on n'avait pas eu le temps de recevoir une
pareille dépêche. 11 devina que l'ambassadeur, ayant plusieurs blancs-
seings de Sa Majesté catholique, en avait rempli un 'a sa fantaisie pour
cette occasion; mais, dissimulant son mécontentement, il feignit d'être
très-heureux de l'honneur qu'on voulait faire a un prince de sa famille.
« Pourtant, ajouta-l-il, il n'en faut pas moins- songer à récompenser
aussi celui, qui, jusqu'à présent, a porté tout le faix et charge, et qui a
dépensé son bien pour le parti de l'Union, contractant même des dettes
qu'il n'est pas en état d'acquitter. » Sur quoi les Espagnols répondirent
qu'il pouvait être tranquille, et que Sa Majesté très-chrétienne le dédom-
magerait amplement.
Malgré cette promesse, dont il n'appréciait que trop bien la valeur,
334 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Mayenne ne s'en sentait pas moins outrageusement blessé. Sa femme
surtout, plus sensible encore à cette humiliation que lui-même, disait
que plutôt qu'on déférât la couronne au jeune prince, elle conseillait a
son mari de faire la paix avec le roi, « n'importe 'a quel prix, pourvu
« que ce ne soit pas ce petit garçon qui nous fasse la loi. » (Péréfixe,
Vie de Henri le Grand, partie II, 1595.)
Dans une nouvelle réunion qui eut lieu quelques jours après, tou-
jours chez Monseigneur le légat et entre les mêmes personnages, on
discuta d'abord les demandes de dédommagement de Monsieur le duc
de Mayenne, qui avait p.'is la précaution de les coucher par écrit. Il y
eut force promesses et rien de conclu. On parla ensuite de la trêve pro-
posée par le roi de Navarre. Les Espagnols persistaient pour qu'on procé-
dât avant tout a la nomination du roi ; mais Mayenne, soutenu en cette
circonstance par l'archevêque de Lyon lui-même, et par les autres sei-
gneurs français du parti, s'opposa vivement a cette résolution. L'élec-
tion d'un souverain de France fut donc rejetée pour le moment, comme
ne pouvant être validée faute de forces suffisantes. (Cayet, ubi siip.)
Monsieur de Guise lui-même menaça de tuer celui qui lui apporta la
première nouvelle que les Espagnols le voulaient faire roi. Les anciens
amis de feu son père avaient pris soin de l'avertir que ce n'était là qu'un
piège qui, s'il y donnait, ne pouvait qu'amener sa ruine complète, et ils
lui avaient tous conseillé de ne pas séparer, dans la circonstance pré-
sente, ses intérêts de ceux de son oncle.
Pourtant, les prédicateurs que soudoyait l'Espagne, en argent ou en
promesses, ne se faisaient faute de débiter de fort belles phrases. « Il
faut, disait l'un d'eux, Anastase Chochelet, il faut, s'il est nécessaire,
faire violence a Dieu lui-même, pour aider la religion catholique. Il faut
nommer un roi sans retard; la France et l'Église s'en vont dépérissant
faute de roi; d'autant que la France est un royaume, et qu'un royaume
ne peut subsister sans roi. Une régence ne suffit pas, comme Monsieur
de Mayenne a intérêt a vous le faire croire. Nommons donc bien vite un
bon roi catholique, à l'exclusion de cet hérétiquere laps et excommunié
qui est appelé le Béarnais. »
Les autres prédicateurs prêchaient a peu près dans les mêmes termes,
et Monsieur le duc de Mayenne se vit contraint de leur faire dire que,
s'ils ne se comportaient pas plus modestement, il se verrait obligé de
les faire châtier.
Malgré toutes ces clabauderies, il avait déjà résolu d'accepter la
trêve offerte par le roi; mais l'important était d'y faire consentir les
Etats et Monseigneur le Légat. Dans l'assemblée, quand l'amliassadeur
d'Espagne vint déclarer que le roi son maître consentait 'a l'élection du
duc de Guise, n;!quel il voulait bien donner sa noble fille pour épouse,
plusieurs d'abord s'en réjouirent et crurent avoir ville gagnée, car le
jeune duc était fort aimé du peuple; mais Mayenne sut habilement
ramener la majorité a un autre sentiment, en montrant que, sous l'allè-
chement de ce mariage, dont on ne pouvait raisonnablement croire que
DU PllOTESÏANTlSMK EN FRANGE. .'«5
le roi d'Espagne eût la inoiudie envie, on ne chercliait qu'à faciliter
d'abord l'élection de l'Infante, sauf à trouver ensuite les moyens de se
débarrasser d'une promesse dont rien même ne garantissait bien exacte-
ment qu'elle vint du roi catholique. Alors quel moyen resterait-il pour
obliger l'Espagne à remplir une condition qu'elle ne voudrait plus tenir!
Il n'en connaissait aucun. Revenant ensuite à la proposition de la trêve, il
dit que, de jour en jour, elle était devenue plus nécessaire; que le peuple
de la capitale commençait déj'a à s'émouvoir, et menaçait d'une sédition
qu'il ne serait pas aisé de réprimer. Il croyait donc plus sage d'accepter
celle trêve de bonne grâce, que de se laisser bientôt contraindre à la
subir. {Mém. d'État de Villeroi.)
Quand les trois ordres furent allés aux voix, le clergé seul persista 'a
dire qu'il ne pouvait consentir à aucun traité avec l'hérétique. La noblesse
disait (ju'elle ne voyait plus moyen de faire autrement, et le Tiers-État
répondit qu'il s'en rapportait a l'opinion de ceux qui avaient le maniement
des armes. (Matthieu, Règne de Henri IV, p. 141.)
Il ne manijuait plus que l'assentiment du légat. Le duc le lit sonder
'a cet effet par Monsieur de Lyon, et le Légat, quoiqu'il eût d'abord
menacé de se retirer, voyant qu'il n'y avait plus à reculer, répondit :
« Monsieur de Mayenne m'a déjà fait cet honneur que de me parler 'a ce
sujet. D'autre part, les ministres d'Espagne m'ont aussi offert, en faveur
de cette ville soufl'rante, leur intercession que je prends non pour une
importunité, mais dont je leur sais gré et obligation. Je me vois donc
comme forcé de condescendre 'a toutes ces demandes, et comme les der-
nières dépêches que j'ai reçues de Rome me laissent un peu plus de
liberté a cet égard, je resterai en cette ville, que je ne priverai pas de
mon utile présence, quand même la trêve serait acceptée. » (Mézkray,
t. m, p. 1058.)
Il lut donc décidé qu'on écrirait aux députés royaux 'a Saint-Denis
(juc la trêve serait signée, et Bassompierre, La Châtre, Rosne et Villeroi,
avec le président Jeannin, furent députés à cet ellel.
336 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
CHAPITRE XIII
1593. — ARGUMENT : abjuration du roi.
EXHORTATION DU LÉGAT AUX CATHOLIQUES DE LA LIGUE.
MAYENNE DÉFEND d'ALLER A SAINT-DENIS.
LETTRE DU ROI AUX FRANÇAIS APRÈS SON ABJURATION.
.SERMONS LIGUEURS ET LIBELLES. — TRAITÉ DE LA VILLETTE.
MAYENNE SE RAPPROCHE DU LÉGAT ET DE L'ESPAGNE.
IL FAIT PRÊTER DE NOUVEAU SERMENT A l'UNION PAR LES ÉTATS.
IL LEUR FAIT ACCEPTER LE CONCILE DE TRENTE.
LE ROI ÉCRIT AU PAPE ET LUI ENVOIE UNE AMBASSADE.
CONSPIRATION DE BARRIÈRE, SES AVEUX ET SON SUPPLICE,
Le roi, comme on sait, se laissait instruire par les prélats et docteurs,
et il faisait chaque jour de grands progrès dans la foi. Un des ministres
huguenots, ami de Sully, tomba un jour d'accord, en présence de Sa
Majesté, qu'on pouvait se sauver dans la religion catholique. « Le pensez-
vous vraiment? lui dit le roi. — Sans doute, pourvu qu'on y vive en
honnête homme. — La prudence veut donc que je sois de cette religion,
puisque vous convenez que je puis y faire mon salut, au lieu qu'eux,
bien moins tolérants, prétendent que je me damne en suivant la vôtre.
Je dois prendre le parti où je cours le moins de risques. » (Péréfixe,
ir part., ann. 1595.)
Il avait déjà désigné la ville de Saint-Denis pour le lieu où il devait se
faire ouvrir les portes de l'Église catholique. Déjà, de toutes les parties
de la France, les princes, les officiers de la couronne, les principaux des
cours de parlement, les seigneurs et une foule innombrable des gens
du peuple, étaient accourus pour assister 'a un acte aussi remarquable. Il
y avait aussi bon nombre de prélats et d'ecclésiastiques de toute sorte,
chacun se faisant fête d'avoir servi à l'instruction du prince et a sa con-
version, et beaucoup espérant qu'un pareil mérite ne serait pas sans
récompense, même temporelle. (Cayet, ad ann. 1595. — Sully, Écon.,
ch. XI, liv. 2.)
De Paris même, le curé de Saint-Eustache et six ou sept autres curés
ou docteurs s'étaient mis en route, malgré les défenses du légat, qui
les avait menacés de les excommunier. « Monseigneur, avait répondu
le curé de Saint-Eustache, vous ne nous excommunierez pas parce que
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 337
nous allons a une cérémonie si désirée de tous les gens de bien. N'est-il
pas du devoir de notre profession d'assister a de pareils événements,
pour discerner, par les signes et indices, si la conversion est vraie ou
dissimulée? Vous-même ne devriez-vous pas vous y trouver, si vous
teniez a remplir les obligations de votre olïice?» {Journal de Henri IV,
t. I, p. 585.)
De son côté, le cardinal de Bourbon, ce chef à peu près avorté du
tiers-parti, et a qui le duc de Mayenne venait, en désespoir de cause, de
proFnettre son assistance pour l'élever au trône, était aussi parti de
Gaillon pour se rendre à Saint-Denis. 11 venait voir sil ne pourrait pas
porter préjudice aux aiïaires du roi, par une opposition sourde, ce qu'il
n'avait pas osé faire par une révolte ouverte. Aveuglé par sa passion, il
se rendit à l'assemblée où les prélats et docteurs traitaient paisiblement
des termes et formalités de la conversion royale ; et il commença par
dire hautement qu'on ne pouvait recevoir le roi dans l'Église, sans
l'autorisation formelle du Pape; l'assemblée mit aussitôt la chose
en délibération. Il fut décidé d'abord que l'excommunication du
roi, n'ayant point été publiée avec les formes requises, pouvait être
regardée comme nulle ; et ensuite qu'une excommunication, même régu-
lière, lancée pour cause d'hérésie, était de la compétence des évoques,
conformément a l'un des décrets du concile de Latran, décret confirmé
même par le concile de Trente; qu'il était donc juste et utile d'accorder
sans délai l'absolution au roi, après qu'il aurait donné des marques
publiques de sa catholicité ; qu'ensuite on pourrait députer au Pape, et
le prier, tant au nom du roi qu'en celui de l'Église gallicane, de confirmer
cette absolution. (De Tiiou, t. XII, liv. 107, p. 25 et suiv.)
On s'occupa, après cela, à dresser la confession de foi que Sa
Majesté devait prononcer. Celle qu'on fil d'abord était remplie de toutes
les cérémonies les plus dévotes et les plus minutieuses ; mais, quand
on la présenta au roi, il répondit qu'il voulait que Ton ne mît que ce
qui était de plus essentiel dans la foi, et absolument nécessaire au
salut. Il fallut donc recommencer l'œuvre, et on fit une seconde profes-
sion pour la rédaction de laquelle on consulta jusqu'à Monsieur de Sully,
qui, quoicjue huguenot, n'avait pas peu contribué a la conversion de
son maître. On supprima, d'après ses avis, beaucoup de choses qui
étaient dans la première; mais ce fui cette première qui fut envoyée à
Rome, où l'on savait qu'elle serait beaucoup mieux reçue, et Loménie
contrefit le seing du roi par sa permission. (Slllv, Écon., ubi sup. —
Mézerav, ibid., p. 1059.)
Sa Majesté partit enfin de Mantes le vingt-deuxième jour de juillet
et arriva à Saint-Denis. Dès le lendemain, elle fut, depuis les six heures
du matin jus(}u'à une heure après-midi, en conférence avec Monsieur
l'archevêque de Bourges, grand aumônier de France, Messieurs les
évoques de Nantes et du Mans, et Monsieur Duperron, tout récemment
nommé, pour ses bons soins a instruire le roi, évêque d'Évreux. Le
cardinal de Bourbon ne fut point appelé dans cette assemblée; car on
IV. 22
338 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
craignait qu'il ne s'appliquât a y jeter quelque trouble. « S'il ne s'agissait
ici que d'une dispute théologique, disait le roi en riant, je ne le craindrais
pas, car il n'est pas plus fort que moi ; mais la chose est plus grave, et
le salut de mon royaume en dépend. » (De Thou, ibid., p. 50.)
Le roi posa donc les trois questions suivantes : S'il était nécessaire
et de devoir catholique de prier tous les saints? — Si la confession auri-
culaire était d'obligation absolue? — Et enfin ce qu'il fallait entendre
par la suprématie papale? (Cayet, uhi sup.)
A la première question, touchant le culte des saints, il lui fut répondu
qu'il suffisait, a la rigueur, que chacun prît un patron pour lui rendre
ses hommages particuliers, comme îi son intercesseur auprès de Dieu;
mais que, néanmoins, il était louable et utile de ne pas négliger d'invoquer
les autres saints selon les litanies, pour qu'ils joignent tous ensemble
leurs intercessions en faveur de celui qui, par ses supplications, a mérité
leurs bonnes grâces.
Touchant la confession auriculaire, que le royal néophyte disait pou-
voir être sujette à quelques inconvénients, il fut dit qu'à la vérité le juste
peut bien s'accuser lui-même a Dieu, quand il croit avoir péché, mais
qu'il a besoin d'un confesseur pour juger de la gravité de la faute
avec impartialité et s'enquérir des circonstances, à cause des cas
réservés.
Quant 'a l'autorité papale, on [convint qu'elle ne s'étendait que sur
les choses purement spirituelles, et que, pour les temporelles, elle n'y
pouvait toucher, au préjudice de la liberté des rois et des royaumes.
Il fut ensuite posé quelques autres questions moins importantes, sur
lesquelles, comme sur ces trois principales, le roi se déclara pleinement
satisfait par les réponses qu'il obtint. Quand on en vint à parler de la
réalité du sacrement de l'autel. Sa Majesté dit : « Je n'ai point de doute
a ce sujet. Je crois, et j'ai toujours cru a la présence réelle de Dieu dans
ce divin sacrement. » Après quoi il jura de se conformer en tout 'a la
foi de l'Église catholique, apostolique et romaine.
Le même soir, il écrivait à la belle Gabrielle : « J'ai commencé ce
matin 'a parler aux évêques. Ce sera décidément dimanche que je ferai le
saut périlleux. A l'heure où je vous écris, j'ai cent importuns sur les
épaules qui me feront haïr Saint-Denis. Mon cœur, venez demain de
bonne heure, car il me semble, depuis ces deux jours, qu'il y a un an
que je ne vous ai vue. Je baise un million de fois les belles mains de I
mon ange et la bouche de ma chère maîtresse. » {Mém. de L'Estoile,
t. Il, p. 1.)
Au même instant, Monseigneur le légat du Pape publiait une exhor-
tation imprimée, qu'il adressait a tous les catholiques de France, dans
laquelle il déclarait que tout ce qui serait fait au sujet de cette conver-
sion serait nul et de nul effet, exhortant ceux de l'Union a ne pas se
laisser décevoir en chose de si grande importance, et blâmant les catho-
liques royaux d'accumuler ainsi erreur sur erreur. Il défendait aux ecclé-
siastiques de se rendre ou de rester 'a Saint-Denis, ville en l'obéissance
I
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 339
de rhérétique, sous peine d'encourir sentence d'excommunication, avec
privation de leurs dignités et bénélices. (Cayet, ubi sup.)
Royaux et Ligueurs s'accordèrent cette fois pour trouver que cette
exhortation du représentant du Saint-Père n'avait été inspirée que par
les ministres d'Espagne, lesquels ne craignaient rien tant que la conver-
sion du roi; et personne n'en tint grand compte, non plus que de la
défense (jue le duc de Mayenne donna le même jour d'aller a Saint-
Denis et de sortir de Paris. Plus de la moitié de la ville était déjà partie
pour la cérémonie, « tant ce bon peuple était affamé de voir un roi. »
{Journal de Henri IV, t. I, fol. 589.)
Le dimanche vingt-cinquième jour de juillet, entre huit heures et
neuf heures du matin, le roi, revêtu d'un pourpoint et chausses de satin
blanc, bas attachés de soie blanche et souliers blancs, d'un manteau et
chapeau noir, assisté des princes et officiers de sa couronne, entouré des
suisses de sa garde, tambour battant en tête, et précédé de ses autres
gardes du corps français et écossais, avec douze trompettes sonnant des
fanfares, partit de son logis pour se rendre 'a l'abbaye de Saint-Denis. La
basilique avait été richement décorée de tapisseries relevées de soie et
de fils d'or. Toutes les rues ou devait passer le cortège étaient également
tendues et jonchées de fleurs, et une foule innombrable rangée sur le
passage poussait avec enthousiasme les cris de « Vive le roi ! » {Journal,
ubi sup.)
Les mémoires du temps portent que, tandis que le roi traversait
cette foule empressée, une vieille femme du peuple, transportée de joie,
se jeta au cou de Sa Majesté et l'embrassa sur les deux joues, et que ce
bon prince ne se montra pas choqué de ce mouvement peu respectueux.
« J'en ai bien ri, écrivait-il a Gabrielle. Demain vous dépolluerez ma
bouche. » {Mém. de L'Estoile, t. II. — Davila, t. III, note, p. 425.)
Sa Majesté, arrivée au grand portail, s'arrêta à cinq ou six pas de
distance avant d'entrer. Monsieur l'archevêque de Bourges l'attendait la
en une chaire couverte de damas blanc. La se trouvaient aussi Monsieur
le cardinal de Bourbon, un grand nombre d'évêcjues et de docteurs, et
tous les religieux de l'abbaye avec la croix et le livre sacré des Évan-
giles. L'archevêque de Bourges demanda : « Qui est là? — Je suis le
roi. — Que voulez-vous? — Je demande a être reçu au giron de l'Eglise
catholique, apostolique et romaine. — Le voulez-vous sincèrement? —
Oui, je le veux et le désire. » {Mém. de la Ligue, t. V, p. 585 et suiv.)
Et Sa Majesté, se mettant à genoux, réitéra la profession de foi qui
lui avait été dressée et qu'elle avait acceptée. Elle ajouta : « Je proteste
et jure, devant la face de Dieu tout-puissant, de vivre et mourir en la
religion catholique, aposloli(jue et romaine ; de la |)rotéger envers tous,
et de la défendre au péril de mon sang et de ma vie, renonçant de tout
mon cœur et sincèrement à toutes hérésies contraires h la foi de notre
mère la sainte Église. » Et il tendit à l'archevêque un papier dans lequel
la dite profession de foi était signée de sa main.
Puis il baisa l'anneau sacré toujours à genoux, et, ayant reçu l'abso-
340 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
lution et bénédiction, il fut relevé et conduit au choeur par Messieurs
les évêques et par tout le clergé. La, devant le maître autel et prosterné
de nouveau, il réitéra, la main sur les saints Evangiles, son serment et
sa profession de foi, pendant que les mille voix du peuple faisaient retentir
le cri de « Vive le roi ! *
Le monarque s'approcha d'abord de l'autel qu'il baisa, après avoir
fait le signe de la croix. Puis Monsieur de Bourges entendit sa confes-
sion auriculaire dans un confessionnal qu'on avait dressé et paré tout
exprès, et pendant ce temps-la on chantait un Te Deum en musique, si
mélodieusement que les larmes en sortaient des yeux de tous les
assistants.
La confession terminée, on ramena le roi s'agenouiller sur un prie-
Dieu, couvert de velours cramoisi semé de fleurs de lis d'or, où, ayant à
sa droite le sieur archevêque, et à sa gauche, le cardinal de Bourbon, il
ouït en grande dévotion la sainte messe, qui fut célébrée par Monsieur
l'évêque de Nantes. 11 baisa révérencieusement le livre des Evangiles qui
lui fut apporté par son cousin le cardinal; il fut aussi à l'offrande avec
grande modestie; à l'élévation de l'Eucharistie, il se prosterna en se
frappant la poitrine, et il baisa humblement la patène qui lui fut présentée
après la communion de l'officiant.
La messe finie, largesse fut faite d'une grande somme d'argent qui
fut jetée dans l'église, avec bruyants applaudissements de la multitude,
et Sa Majesté fut reconduite 'a son logis au bruit de l'artillerie et au son
des tambours et des trompettes. Avant son diner, on lui dit le Benedicite,
et après on lui chanta les Grâces en musique. « La foule était si grande
que les tables faillirent en être renversées. » (De Thou, ubisup.)
Il fut ensuite au sermon, qui fut prêché par l'archevêque de Bourges,
puis à vêpres, 'a l'issue desquelles il monta a cheval pour aller à Mont-
martre, entendre un salut qui fut chanté dans l'église de ce Heu. Cette
journée, si bien remplie par tous les exercices religieux d'un bon et vrai
chrétien, se termina par de beaux feux de joie qui furent allumés dans
tous les villages situés dans la vallée entre Montmartre et Montmorency.
Dès le jour même. Sa Majesté avait écrit en ces termes à tous les
parlements du royaume : « Nos amés et féaux, suivant la promesse que
nous en fimes, 'a notre avènement à cette couronne, nous avons reçu les
saintes instructions des prélats et des plus savants docteurs de notre
royaume, et Dieu nous a fait la grâce d'être éclairé par toutes les preuves
qui nous ont été fournies et qui sont toutes tirées des propres écrits des
Apôtres et des saints Pères, et maintenant nous reconnaissons l'Eglise
catholique, apostolique et romaine pour l'unique et véritable Église,
étant résolu d'y vivre et mourir. Pour en donner la preuve, nous vous
faisons part que nous avons aujourd'hui ouï la messe. Vous voyez donc
que ceux-là parlaient méchamment, qui disaient que la promesse que
nous en avions faite n'était que pour entretenir nos sujets dune vaine
espérance; et sur ce, nous vous prions qu'il soit rendu grâces à Dieu
par processions et prières publiques, afin que, par sa bonté, il lui plaise
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 341
nous confirmer dans une si sainte et si bonne voie. — Donné à Saint-
Denis en France, le dimanche vingt-cinquième jour de juillet 1593. —
Signé : Henri, et plus bas : Potier. » {Mém. de la Ligue, ubi siip.)
Cette lettre répandit l'allégresse dans toutes les villes qui étaient
déjà royalistes. Ce ne furent de ce côté que Te Deum, processions géné-
rales et feux de joie; mais dans les villes de l'Union, on n'entendit en
revanche que protestations et calomnies. Le docteur Bouclier prêcha
dans l'église de Saint-Méderic un sermon contre cette conversion, dans
lequel il ne craignit pas d'affirmer que si le Béarnais avait été à la
messe le matin, il avait le soir même assisté au prêche, et que cette
messe qu'on chantait devant lui n'était qu'une farce. (Cayet, ubi sup.)
Il parut aussi un libelle intitulé le Banquet du comte d'Arête, où
l'auteur, après avoir dit que le roi de Navarre n'avait jamais eu d'autre
religion que celle de son intérêt, demandait que, pour le salut de la
France, on attachât en guise de fagots à l'arbre du feu de la Saint-Jean
tous les ministres de la religion réformée, et que le roi fût placé dans le
tonneau où l'on met les chats, ce qui serait un sacrifice fort agréable
au ciel.
Tout cela n'empêcha pas que les délégués du parti du roi, qui avaient
pris part aux anciennes conférences, et ceux que venaient de leur envoyer
les États de Paris, se rassemblèrent de nouveau 'a La Villelte, et signèrent
pour toute la France une trêve générale. Il est vrai que les huguenots,
qui, comme on le pense bien, ne pouvaient voir avec contentement tout
ce qui venait de se passer, avaient aussi tenté de leur côté d'empêcher
cet arrangement. Ils s'écriaient qu'il était humiliant de voir Sa Majesté
traitant ainsi avec le duc de Mayenne comme de puissance 'a puissance.
Duplessis-Mornay, qui depuis quelque temps déjà, se tenait éloigné, dit
même à ce sujet qu'il était bien aise de n'être pas témoin d'un pareil
traité, parce qu'il lui serait plus aisé d'excuser aux yeux des gens de
bien son absence que sa présence. Mais Henri sentait trop l'importance
de ne pas laisser aux États de Paris le moindre prétexte de faire une
élection, qui, (juclque illégale qu'elle eût été, n'en aurait pas moins éter-
nisé la guerre. Du reste, on trouva un moyen de sauvegarder la dignité
royale : ni Mayenne ni le roi ne furent nommés dans le traité qui fut
conclu sous le nom des deux partis. {Vie de Duplessis,\ïv. 1, p. 198. —
Mém. de Villeroi, 1593.)
En voici les principaux articles :
« Il y aura cessation d'armes par tout le royaume, pendant le temps
et espace de trois mois. Toute personne, soit ecclésiastique, soit noble,
soit du plat pays, pourra librement recueillir ses fruits et revenus, et
reprendre possession de ses châteaux, maisons ou habitations quel-
conques, pour y demeurer tranquillement et sans trouble.
« Le transport de toutes sortes de vivres ou de marchandises sera
libre, tant par eau que par terre, en payant toutefois les péages et impo-
sitions, suivant l'usage anciennement établi, sans aucune augmentation
pendant la durée de la trêve. Chacun pourra librement voyager par tout
342 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
le royaume, sans être astreint à prendre de passeports. Néanmoins, nul
ne pourra entrer dans les villes fortifiées et places fortes du parti
contraire, avec d'autres armes que Tépée pour les gens de pied, et que
répée, le pistolet ou l'arquebuse pour les gens à cheval, et sans avoir
préalablement obtenu la permission du commandant.
« Les tailles et impôts seront levés comme ci-devant, pour le produit
en être remis aux officiers de chaque parti qui ont charge de le recevoir;
mais rien ne pourra être demandé aux contribuables par anticipation.
<c Ceux qui se trouvent de présent prisonniers de guerre seront délivrés
dans la quinzaine, les simples soldats sans rançon, et les officiers en
payant seulement un quart de leur solde. Les gentilshommes et sei-
gneurs donneront, au plus, la moitié de leur revenu d'une année; s'il y
a des femmes ou filles, elles recevront leur liberté sans rien payer.
« Pendant la trêve, il ne sera rien entrepris ni attenté sur les villes
les uns des autres. Quiconque refuserait d'obéir aux présents articles y
sera contraint par les chefs de son parti. Il demeure interdit de se que-
reller et rechercher par voies de fait, pour différence d'opinion.
« Les gouverneurs et lieutenants généraux des deux partis dans
chaque province se rassembleront incontinent après la publication du
présent traité, pour aviser d'un commun accord aux moyens de le faire
maintenir.
« Quant aux troupes étrangères qui sont aujourd'hui en France au
service de l'un ou de l'autre parti, elles seront mises en garnison en
lieux et places qui ne puissent apporter aucune suspicion, et il ne pourra
en rentrer d'autres pendant le dit temps de trêve. Les ambassadeurs ou
agents étrangers qui ont assisté l'un ou l'autre parti pourront se retirer
librement et en toute sûreté. — Fait et accordé a La Villette, le dernier
jour de juillet 1593. » {Mém. de la Ligue, t. V, p. 397 et suiv.)
Il fut, en outre, convenu que Sa Majesté et Monsieur de Mayenne
enverraient chacun une ambassade au Pape pour obtenir de lui qu'il
voulût bien agréer la conversion du roi, et ratifier l'absolution donnée
par les évêques français, afin qu'on pût arriver à une paix solide, dont
la pauvre France avait un si grand besoin.
La trêve fut observée incontinent par tous ceux du parti royal, h
mesure qu'ils en reçurent la notification ; mais il n'en fut pas tout a fait
ainsi du côté des Ligueurs. Le parti des zélés de Paris forma d'abord
une violente opposition, et les prédicateurs ne manquèrent pas de redou-
bler d'acrimonie et d'éloquence, dans les malédictions qu'ils prêchaient
contre celui auquel ils persistaient à donner le nom de Béarnais.
Le duc de Mayenne lui-même, toujours incertain, commença à s'aper-
cevoir que cette trêve allait en effet ruiner les affaires de l'Union, et par
conséquent le priver de son pouvoir. Il se rapprocha de Monseigneur le
légat, et, quoiqu'il eût dit tout récemment encore a Villeroi qu'il ne pou-
vait plus « compatir » avec les Espagnols, et principalement avec don
Diego d'Ibarra, qui était insupportable, le légat le détermina à renouer
avec eux. Il lui indiqua, en outre, comme moyen de ramener les affaires
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 343
au point le plus favorable, de faire d'abord renouveler le serment de
rUnion, et ensuite de faire publier le saint concile de Trente, ce qui,
disait-il, lui vaudrait l'appui du Pape et la reconnaissance do tout l'ordre
du clergé. Mayenne accepta celle double mesure, et le légal se bàla d'en
écrire en cour de Rome, se félicitant d'un pareil succès ; mais ses lettres
furent interceptées par les partisans du roi. {Mém. d'État de Villeroi,
1595.)
« Quand, dit Villeroi, j'eus connaissance de tout cela, par ces lettres
interceptées et que le roi me fit communiquer, je demeurai si étonné et
si scandalisé, qu'a l'heure même je résolus de me démettre de toutes
les négociations dont le duc m'avait chargé, d'aller prendre congé de
lui, et de lui déclarer que je ne voulais plus me mêler de ses affaires.»
Villeroi n'en fit rien pourtant, et il prétend que ce furent les diplomates
royalistes qui l'engagèrent eux-mêmes 'a ne pas quitter si brusquement
la partie.
Quoi qu'il en soit, les députés des États se réunirent en séance solen-
nelle le sixième jour d'août. Monsieur de Mayenne commença par assu-
rer que ses intentions étaient justes et qu'elles ne tendaient à autre but
qu'a l'avancement de l'honneur de Dieu et au salut du royaume. Puis il
ajouta : « Je trouve bon, dit-il, que plusieurs d'entre vous reçoivent
'■ congé de quitter cette assemblée, pour aller informer au vrai les pro-
vinces de ce qui s'est passé, pourvu toutefois que le corps des Étals
demeure ici assemblé; et comme la concorde entre nous est le principal
moyen qui puisse nous mener à voir réussir nos communs désirs, je juge
très à propos que nous cimentions cette concorde par un nouveau ser-
ment. » (Cavet, ubi sup.)
Et le serment fut proposé en ces termes : « Nous promettons et
jurons de demeurer unis ensemble et de ne jamais consentir h aucune
condition favorable 'a l'hérésie, comme aussi d'obéir aux saints décrets
et ordonnances du Souverain-Pontife, sans jamais nous en dépjirtir en
rien; et d'autant que l'œuvre que nous avons entreprise n'a pu encore
être accomplie, les États continueront d'être assemblés ici ou ailleurs,
ainsi qu'il en sera plus lard avisé. Néanmoins, si quelques-uns des députés
demandent leur congé pour causes légitimes et justes, il leur sera
accordé, pourvu qu'ils promettent par serment de revenir a la dite
assemblée vers la lin du mois d'octobre prochain. »
Les échecs qu'avait déj'a éprouvés la Ligue et les manifestations roya-
listes du peuple de Paris avaient ôté a l'assemblée le peu d'énergie
patriotique (ju'clle avait tenté de manifester dans quelques autres cir-
constances. Ce serment fut prêté avec docilité, sauf 'a consulter l'occasion
pour le tenir, comme c'est assez l'usage.
Cela fait, on alla au-devant de Monseigneur le légat, qui s'avançait
pour assister en personne 'a l'acceptation du concile de Trente; celle fois
il était sûr de la réussite. Le duc de Mayenne, sans plus parler des oppo-
sitions du parlement, (|ui, naguère encore, avaient fait échouer la pro-
position, fit lire par l'un des secrétaires la déclaration qu'il avait faite
344 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
d'avance à ce sujet. Elle finissait par ces mots : « Avons dit, statué et
ordonné que le saint sacré concile universel de Trente sera reçu, publié
et observé purement et simplement en tous lieux de ce royaume, et pour
ce, exhortons tous évéques, archevêques et prélats a en maintenir les
décrets et canons; mandons aux juges, tant séculiers qu'ecclésiastiques,
de les faire garder en tout leur contenu. » Celte déclaration fut adoptée
à l'unanimité. On y ajouta seulement une condition dont j'aurai bientôt
a faire mention.
Aussitôt, Monseigneur le légat se leva et dit : « C'est la coutume des
sages mariniers, quand ils se voient battus par un vent tempétueux et
contraire, de caler la voile, de jeter l'ancre et de s'affermir contre le
péril présent, tâchant de reprendre un peu haleine, pour pouvoir pour-
suivre heureusement leur route quand la tourmente aura cessé. C'est
ainsi que vous en usez aujourd'hui, et l'on voit bien que votre assem-
blée est indubitablement assistée en ceci de la grâce du Saint-Esprit
qui l'inspire; car au milieu de cet orage suscité par le vent contraire
de l'hérésie, ne pouvant conduire le vaisseau de l'État jusqu'au vrai port,
vous abaissez la voile pour un temps, et pour vous affermir contre la
rage des vagues, vous adoptez le concile de Trente comme ancre de
salut; puis vous vous décidez 'a respirer un peu, jusqu'à ce qu'il plaise 'a
Dieu de vous envoyer un temps plus favorable. Que cette décision que
vous venez de prendre soit louée à jamais ! Je vous en remercie de toute
mon âme et affection, tant au nom de Sa Sainteté qu'au mien propre.
Je sais que Monsieur de Mayenne, ici présent, n'abandonnera pas le gou-
vernail que Dieu lui a mis en main, et moi, je n'hésite pas à demeurer
dans le même navire avec vous, me tenant 'a la hune comme votre pi-
lote pour prévoir et pourvoir, jusqu'à ce que venant enfin, dans cette
nuit orageuse, à découvrir le feu Saint-Elme, je puisse vous crier :
Enfants de l'Eglise à l'ouvrage ! déployez les voiles et reprenons notre
route vers ce port de salut que tout bon catholique doit désirer d'at-
teindre. »
Le cardinal de Pellevé répondit au nom de l'assemblée : « Oui, nous
reconnaissons tous ici la main de Jésus-Christ, dont l'Église célèbre
aujourd'hui la glorieuse transfiguration. C'est lui-même, n'en doutons pas,
qui a transfiguré cette assemblée de bien en mieux, en lui inspirant
d'accepter à l'unanimité le saint concile de Trente, qu'on peut bien
appeler l'un des plus célèbres qui aient été tenus dans l'Église. Déjà,
pour la foi et doctrine, les Français catholiques n'ont jamais fait diffi-
culté de se soumettre à ses décisions. Quant à la discipline, ce qui les a
retenus jusqu'à ce jour, c'est qu'ils appréhendaient le changement de
quelques coutumes et l'abolition de certains prétendus privilèges, fondés
plutôt sur des méfiances imaginaires que sur aucune vérité. Aujourd'hui,
en enfants dociles, ils se soumettent à l'Église, leur mère, et c'est pour
cette fois qu'ils méritent véritablement le titre de très-chrétiens. C'est
pour cela que j'ai meilleur espoir que jamais; car j'ai toujours estimé
que les calamités de ce royaume ne provenaient que de ce qu'on s'y
l
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 345
était montré rebelle au Saint-Esprit et à la puissance de l'Église uni-
verselle. »
Quand le prélat eut fini cette harangue, toute l'assemblée s'en alla
a l'église Saint-Germain-l'Auxerrois, où fut chanté un Te Deum en
actions de grâces au ciel. Mais, comme je l'ai dit, dans l'adhésion donnée
par les Etats, on avait laissé glisser une clause importante. Celte clause
portait que la dite adhésion n'était consentie qu'avec l'assurance que,
s'il y avait dans les décrets et chapitres quelque chose qui portât atteinte
aux immunités et franchises du royaume, « Sa Sainteté serait requise
d'y pourvoir, et ne pourrait faire aucune difficulté. » Cette restriction
frappait tout simplement la publication d'inutilité.
Or le roi, de son côté, songeait alors à remplir la promesse qu'il
avait faite d'envoyer une ambassade au Saint-Père. Il lui écrivit préala-
blement cette lettre : « Très-Saint-Père, ayant, par la grâce de Dieu,
reconnu (|ue l'Église catholique, apostolique et romaine, était seule la
vraie Eglise, je me suis résolu 'a y entrer pour y vivre et persévérer
jusqu'à la mort en l'obéissance et respect dus à Votre Sainteté, ainsi
qu'ont fait les rois très-chrétiens mes prédécesseurs. Instruit par les
prélats et docteurs qui m'ont complètement éclairé dans mes doutes, j'ai
entendu la messe, le dimanche vingt-cinquième jour de juillet, et j'ai
joint mes prières 'a celles des'autres bons catholiques. Je m'assure que
V^otre Sainteté recevra de la joie de cette sainte action, qui convient au
poste élevé où il a plu à Dieu de m'appeler. Je m'empresse donc de
vous en faire part par cette lettre, en attendant que je vous députe sous
peu une ambassade de personnages de bonne et grande qualité, pour
vous présenter le témoignage de ma dévotion filiale; et sur ce, Très-
Saint-Père, je prie Dieu qu'il veuille longuement maintenir Votre Sainteté
en bonne santé au gouvernement de son Église. — De Saint-Denis, ce
dix-huitième jour d'août 1595. Signé : votre bon et dévot fils Henri. »
L'ambassade mentionnée dans cette lettre fut composée de Monsieur
le duc de Nevers et de trois prélats, chargés de rendre compte au Pape
de ce qui s'était passé a la conversion de Sa Majesté. Avant qu'elle se
mît en route, le légat envoya dire au duc de Nevers qu'il désirait lui
parler. Le duc répondit qu'avec la permission du roi, il se rendrait à
cette invitation ; mais il ajouta que si l'intention du seigneur légat n'était
autre que de le divertir d'aller à Rome, Sa Seigneurie pouvait s'épargner
une peine inutile. « Sur quoi celui-ci ne parla plus d'entrevue et se
contenta d'écrire au Pape plusieurs calomnies contre le dit duc, tâchant
par tous les moyens d'entraver son voyage. »
Le duc de .Mayenne avait également nommé pour ses députés a
Rome le cardinal de Joyeuse et le baron de Senesçay, et dans les pre-
mières instructions qu'il leur avait données, il leur avait a la vérité pres-
crit de faciliter l'accommodement du roi avec Sa Sainteté; mais s'étant
presque aussitôt, comme on l'a vu, engagé de nouveau avec l'Espagne
et avec le légat, il ne fit partir ces députés que plus de quatre mois
après, cl avec des instructions bien différentes. (Mézeray, 1. 111, p. 1042.)
346 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
A cette même époque, on vit paraître en France une foule d'écrits
bien savants et bien remplis de citations textuelles de l'Ecriture sainte et
des Pères, à l'aide desquelles les ecclésiastiques de Tun et de l'autre
parti s'efforçaient de prouver, les uns la validité, les autres la nullité de
l'absolution que le roi s'était fait donner. Sa Majesté, pendant ce temps-
Ta, retourna 'a Melun se délasser auprès de Gabrielle des ennuis de cette
lourde controverse. (Cayet, tibi swp.)
Ce fut la qu'un certain Père Séraphin, de l'ordre de Saint-Dominique,
le fit prévenir qu'un nommé Pierre Barrière venait de partir de Lyon, en
volonté de l'assassiner, et voici comment ce complot avait été découvert
et comment il avait été formé. (Legrain, t. V, p. 205 et suiv.)
Ce Barrière, chargé autrefois par le duc de iMayenne de délivrer
Marguerite, reine de Navarre, de la prison où la faisait retenir son frère
Henri III, avait eu quelques rapports avec une jeune fille au service de
la princesse, et il en était devenu éperdùment amoureux. Celle-ci l'avait
dédaigné, et les mépris qu'elle lui avait fait essuyer l'avaient jeté dans
un si furieux désespoir qu'il ne demandait plus qu'a mourir; mais il
craignait d'être damné s'il se procurait volontairement la mort. Quelques
Révérends Pères, le voyant dans cette perplexité, lui dirent qu'un bon
moyen d'aller tout droit dans le ciel, c'était de se sacrifier pour tuer le
Béarnais. (De Tiiou, ubisup., p. 49 et suiv.)
Barrière, plus qu'à moitié convaincu, voulut cependant prendre plus
amples conseils, et il se délibéra d'en parler à quelques autres gens
d'Église réputés doctes et pieux. A cette espèce de comité de consulta-
lion se trouvèrent un docteur en théologie, un prêtre et le Père Séraphin,
de l'ordre des .lacobins. Le consultant leur dit (ju'il se sentait appelé par
une voix intérieure l\ Paris, pour de là aller tuer le Béarnais en tout
endroit où il parviendrait à le rencontrer. Le docteur répondit que la
religion défendait d'attenter à la vie de personne et surtout, à celle des
rois qui sont personnes sacrées. Le prêtre soutint au contraire que ce
serait un acte méritoire que de tuer, à l'exemple de Judith, le nouvel
Holopherne, ennemi de la sainte Église ; et le père Séraphin, se ran-
geant de l'avis du docteur, prouva de son mieux que Taltentat sur la
vie d'un homme, quel qu'il fût, était un crime; qu'il n'appartenait qu'aux
supérieurs, comme les rois et les princes, d'user du glaive, et encore
làut-il que ce soit avec les formalités prescrites par la loi. (Cayet, ubi
Slip.)
Le Père vit bien que, malgré ces bonnes raisons, Barrière n'avait pas
changé de résolution, et il en donna avis au sieur de Brancalon, auquel
il fit même voir l'assassin. Ce seigneur, qui avait été l'un des gen-
tilshommes de la reine Louise, veuve de Henri III, partit pour la
cour afin de prévenir l'attentat. Barrière se mit aussi en route de
son côté.
Il s'arrêta quelques jours à Paris, d'où il se rendit à Saint-Denis et,
de là, il suivit le roi qui s'en allait chassant du côté de Brie-Comte-
Robert. « Je n'avais, dit le roi en racontant lui-même cet événement à
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 347
son historiographe Matthieu, que trois ou quatre seigneurs avec moi. La
nuit était venue, et tous nos gens étaient perdus ou écartés. En descen-
dant de mon cheval, je le donnai a tenir à un homme qui m'avait suivi,
et que je croyais être un paysan. C'était Barrière, qui avait résolu de me
tuer, et au fait, je me souviens qu'il cherchait alors quehjue chose dans
ses chausses. C'était^ probahlement son couteau. Le lendemain, il s'ap-
procha encore de moi comme je cueillais des fruits 'a un arbre, et il
m'aida a les prendre ; mais je lui vis faire encore le même geste. 11
revint avec moi à Saint-Denis, et l'on dit que, m'ayanl vu assister à la
messe, il s'en retourna à Paris pour dire a ses conseils] que, puisque
j'étais catholique, il ne voulait plus exécuter le coup. Ceux-ci lui répon-
dirent que mon fait n'était qu'hypocrisie ; que j'allais le jour a la messe
et la nuit au prêche. Il revint donc plus enragé que jamais, et, feignant
d'être un vendeur de melons, il entra dans Melun où j'étais pour lors.
Brancalon le reconnut, en effet, rôdant autour de mon logis ; mais, au
moment où il allait l'arrêter, cet homme avait disparu. Brancalon vint
tout aussitôt m'en parler, me disant que le galant était arrivé ; mais je ne
lis qu'en rire. 11 n'y a point de jour, lui dis-je, où mes oreilles ne soient
rebattues de ces prétendues conspirations, et je serais trop malheureux
s'il fallait que je m'en troublasse l'esprit. Partant, parlez-en au grand
prévôt : c'est son affaire et non la mienne. » (Matthieu, Règne de
Henri IV.)
Brancalon parla au grand prévôt, et, le lendemain. Barrière fut
encore reconnu et arrêté a l'une des portes de la ville, comme il y ren-
trait avec ses melons. On le conduisit à la prison, et Ta, paraissant très-
inquiet, il dit tout d'abord qu'il ne mangerait point tant qu'il serait
détenu; mais qu'on lui donnât du poison et qu'il en prendrait. {Cayet,
iibisîip.)
Interrogé par Monsieur le lieulenant de la prévôté de l'hôtel, il répon-
dit être âgé de vingt-sept ans, nalif d'Orléans, batelier de son métier, et
de présent soldat congédié, venu à Melun pour y chercher maître. (Mem.
de la Ligue, t. V, p. 430 et suiv.)
Dans un second interrogatoire, il avoua qu'en effet il avait, 'a Lyon,
consulté quelques prêtres sur l'intention qui lui était venue de tuer le
roi. On lui demanda par (|uels moyens il se proposait d'exécuter son
intention. Il répondit qu'il avait eu d'abord l'idée de se servir d'un cou-
teau ou d'un pistolet ; mais que Dieu lui avait fait depuis la grâce de lui
ôter tout mauvais vouloir.
On avait su pourtant qu'il avait eu un couteau caché entre ses
chausses et sa chemise, et (lu'il l'avait remis à un autre prisonnier, en le
priant de n'en pas parler. Interpellé sur cette circonstance, il la nia
d'abord. Mais le couteau lui fut présenté; il était d'un pied de longueur,
fort pointu, tranchant des deux côtés, et fraîchement émoulu. Barrière
huit par le reconnaître pour être sien, disant qu'il l'avait acheté d'un
coutelier de Paris pour couper son pain.
Le roi, à qui ces premiers interrogatoires furent communiqués, dit à
348 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Sully : « Mon ami, n'est-ce pas chose étrange que la malignité du cœur
des hommes? Il y en a qui font profession d'être religieux, auxquels je
ne fis jamais mal, ni n'ai idée d'en faire, et qui attentent journelle-
ment contre ma vie. On m'avait tant de fois dit, que, me faisant catho-
lique, toutes ces mauvaises volontés cesseraient! Hélas! je me suis fait
catholique; mais je ne vois que trop qu'il y a chez tous ces gens-là plus
d'ambition, d'avarice et de haine, que de religion, de justice et de
charité. » {Éco7i. de Sully, ch. xii.)
Il délégua des présidents des cours souveraines, des conseillers
d'État et des maîtres des requêtes jusqu'au nombre de dix, pour pro-
céder au jugement sur le rapport du sieur lieutenant de la prévôté.
Barrière leur fut amené et ajouta à ses premières confessions que le
désir de tuer le roi l'avait pris 'a Lyon. Quand on lui demanda qui lui
avait donné cette idée, il dit qu'elle lui était venue de lui-même, et
comme le couteau était sur la table du conseil pour lui être présenté de
nouveau, il le reconnut spontanément, et dit qu'on le lui donnât et qu'on
verrait ce qu'il en ferait.
Il déclara qu'après avoir acheté ce couteau à Paris, il était venu k
Saint-Denis, où il avait effectivement vu le roi écoutant la messe en
grande dévotion, de quoi il avait été si touché qu'il avait voulu renoncer
à son projet; mais que, raffermi ensuite dans sa première idée, il s'était
mis 'a suivre Sa Majesté tant 'a Brie-Gomte-Robert que dans les autres
endroits où elle avait été. Il ajouta qu'il s'était lui-même confessé à
Brie-Comte-Robert, où il avait reçu l'absolution et fait ses pâques.
Sur toutes lesquelles charges et réponses, il fut par les dits juges
déclaré suffisamment atteint et convaincu du crime de lèse-majesté en
premier chef, pour expiation duquel il fut condamné à être traîné dans
un tombereau, et par les rues tenaillé de fers chauds; ce fait, être con-
duit au grand marché de la ville de Melun pour. Ta, avoir brûlé le poing
droit tenant le couteau dont il avait été trouvé saisi ; puis être mené sur
un échafaud pour y avoir bras, cuisses et jambes rompues, et être mis
finalement sur une roue, et y demeurer tant qu'il plairait 'a Dieu de lui
laisser vie ; après quoi son corps serait brûlé et les cendres jetées au
vent.
Il fut ordonné, en outre, qu'avant l'exécution le condamné serait
soumis à la question ordinaire et extraordinaire, pour tirer de lui le nom
de ses complices.
Barrière, appliqué 'a la torture, la subit courageusement sans vouloir
avouer. Mais un religieux carme, qu'on lui avait donné pour le confesser,
fut si adroit qu'il tira de lui toute la vérité sous le sceau du sacrement;
puis, lui refusant l'absolution s'il ne faisait le même aveu 'a ses juges,
il l'effraya si fort sur son salut éternel, que le pauvre homme se décida a
tout dire sans aucune restriction. (Mézeray, t. III, p. 1056.)
Il déclara qu'un ecclésiastique, à Lyon, lui avait dit que s'il pouvait
parachever son entreprise, ce serait un grand bien qui lui vaudrait la
gloire céleste du paradis ; qu'un capucin iui en avait dit autant; qu'étant
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 349
arrivé a Paris, il avait été faire part a Messire Aubry, curé de Saint-
André-cles-Arls, de son projet de tuer le roi; que celui-ci, en présence
de son vicaire, l'avait ij;randement loué d'une pareille résolution, et que,
pour l'encourager encore davantage, il l'avait conduit au collège des
Révérends Pères Jésuites, où le recteur Varade l'avait exhorté 'a ne pas
faiblir; (ju'un autre Père Jésuite l'avait ensuite entendu en confession,
et lui avait donné l'absolution, après laquelle on l'avait fait communier.
H ajouta qu'il avait ordre de ceux (|ui l'avaient excité à cette méchante
action de dire que c'était le comte de Soissons qui l'y avait poussé,
quoi(|u'en effet il n'eût jamais vu ce prince; mais on savait que le dit
prince étant alors mal avec le roi, la calomnie ne pouvait manquer de
faire impression.
« A moi-même, lit-on dans Pasquier, le régicide, quand je parlai à
lui dans sa prison, déclara i\ue les Jésuites, après l'avoir muni d'une
promesse certaine du Paradis, l'avaient envoyé comme un vrai martyr
combattant, et qu'il n'avait rien fait que par les instructions du ditVarade
et du Père Jacques Commolet, ([u'il avait le premier vu a Lvon. » {Recherch.j
liv. 5, p. 287. — Ibid., p. 090.)
Cette confession fut faite et réitérée jusqu'à sa mort, qu'il subit en
donnant de grandes marques de repentir, ne demandant que deux
choses, d'abord qu'on l'assurât que le roi lui pardonnait, et ensuite qu'on
voulût bien lui donner quelques gouttes d'eau pour étancher la soif brû-
lante qui le dévorait. « J'envoyai, dit le roi, un gentilhomme pour assu-
rer ce malheureux que je lui pardonnais de grand cœur, et je commandai
qu'on ne le fit pas languir plus longtemps. » (Matthieu, ubi sup.)
Près de rendre le dernier soupir. Barrière ajouta que deux prêtres
étaient sortis de Lyon pour exécuter la même entreprise, au cas que lui-
même y aurait échoué.
« Au reste, tout ceci augmenta merveilleusement la haine qu'on
avait contre les Jésuites (1), qui, non contents d'avoir excité les premiers
cette funeste guerre par leurs sermons séditieux, venaient encore d'ex-
poser aux coups des assassins la personne sacrée d'un roi, en insinuant
(1) On accuse ici De Thou, Mézeray, Cayet, Sully, Pasquier et presque fous les
contemporains de calomnie contre un ordre respectable. Il est certain, dit-on, que
Barrière appliqué à la question ne nomma ni le curé Aubry, ni le jésuite Varade,
et que le roi en entrant dans Paris a permis que ces deux ecclésiastiques se reti-
rassent librement en Italie avec le légat. Il est certain, en elTet, que dans la pièce
intitulée « Bref discours du procès criminel fait à Barrière » {Mémoires de la Ligue,
tome V) ; il ne se trouve aucun nom propre dans les aveux du coupable ; ils sont
partout remplacés par des phrases telles que celles-ci : a Un ecclésiastique désigné
par ses confessions (p. 434) ; un curé de l'une des paroisses de Paris nommé au
procès-verbal (îfeirf.) ; un jésuite qu'il nomma lors (p. 435). « Croit-on, d'ailleurs, que
si Barrière n'eût pas donné les noms, on se serait tenu pour satisfait de cette
restriction? Si, dans le Bref discours, qui, du reste, dit clairement que ces noms
étaient connus par les aveux du coupable lui-même, on n'a pas cru devoir les
répéter, je crois qu'il est inutile d'en donner ici la raison, elle est assez facile à
deviner. Quant à la permission du roi qui, au lieu il'envoyer deu.x coupables à
l'échafaud, les laisse s'exiler, elle ne prouve à la rigueur que sa clémence.
350 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
par toutes sortes de moyens, et même par la confession, le venin de
lem' exécrable doctrine sur le régicide. » (De Thou, ubi swp., p, 52.)
Ce qui résulte de tout cela, c'est que les Révérends Pères profes-
saient alors ce principe qu'il est bon et louable d'assassiner un roi, quand
il gêne le développement de la puissance spirituelle, dont ils s'étaient
constitués les défenseurs privilégiés. Aujourd'hui, toujours en laveur du
développement de la même puissance et surtout dans le même intérêt,
ils sont prêts a prêcher la soumission aux tyrans et même aux usurpa-
teurs, à cette seule condition que ceux-ci voudront bien leur servir
d'outil et de marchepied.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 351
CHAPITRE XIV
1593. — ARGUMENT : le duc de mercœur refuse la trêve.
IL l'accepte après une tentative inutile sur ROUEN.
LA FONTENELLE S'eMPARE DU GRANEC. — LE COMTE DE LA MAIGNANE s'ÉTABLIT AU FAOU.
LE BARON DE GUINGAMP PREND DOUARNENEZ ET Y PERD TOUTE SA BANDE.
LA GUERRE CONTINUE EN GUYENNE. — RÉVOLTE DITE DES CROQUANTS.
MATIGNON FORCÉ DE LEVER LE SIÈGE DE BLAYE.
LE DUC DE SAVOIE PREND EXILES. — LESDIGUIÈRES LE BAT A SALBERTRAN.
LE DUC ACCEPTE LA TRÊVE. — ARLES SE SOUMET A D'ÉPERNON.
LA NOUVELLE DE LA TRÊVE l'EMPÈCHE DE PRENDRE AIX.
SON TRAITÉ SECRET AVEC MONTMORENCY ET LE COMTE D'aUVERGNE.
LESDIGUIÈRES PAR ORDRE DU ROI SOULÈVE LA PROVENCE CONTRE LUI.
D'ÉPERNON TRIOMPHE DE TOUS CES OBSTACLES.
NEMOURS VEUT SE RENDRE INDÉPENDANT A LYON. — LES HABITANTS LE FONT
PRISONNIER. — MAUVAIS SUCCÈS DE L'AMBÂSSADE DU ROI AU PAPE.
PROTESTATION DU DUC DE NEVERS. — MANIFESTE DE L'ÉVÉQUE DU MANS.
DÉPUTATION DE MAYENNE AU PAPE. — SES DEMANDES A PHILIPPE.
SURPRISE DE FÉCAMP. — LES LIGUEURS ÉCHOUENT A CAEN.
LETTRE d'Elisabeth au roi. — sa conversion.
IL reçoit la DÉPUTATION DES RÉFORMÉS. — COLLOQUE DE DUPERRON ET ROSTAIN.
catholiques et HUGUENOTS ÉGALEMENT MÉCONTENTS.
Dans les provinces, les divers chefs de la Ligue ne montraient pas
grand empressement à accepter la trêve qui venait d'être signée. Plu-
sieurs, grâce a la licence, que favorisent toujours les temps de troubles,
visaient, comme on l'a vu, 'a se créer une sorte de souveraineté indé-
pendante partout où chacun d'eux avait pu s'étahlir.Le duc de Mercœur,
(jui avait bien compté se l'aire souverain de la Bretagne, et qui n'avait
pas déjà trop mal commencé, refusa péremptoirement de se soumettre à
la suspension d'armes.
Les Ligueurs venaient pourtant d'être battus à Laval par Saint-Luc et
par les Anglais, et ceux-ci, se rappelant le massacre de leurs compa-
triotes au siège de Craon, l'année précédente, avaient, par forme de
représailles, passé au lil de l'épée plus de deux cents de leurs ennemis.
Saint-Luc était de la allé attaquer le château de La Guerche, que Mer-
cœur avait fait lortilier, et sou attaque avait été si vivement poussée que
ceux qui étaient dans la place ne demandèrent qu'à en sortir « le bâton
blanc à la main ». (Mézeuay, t. 111, p. 1046.)
352 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Malgré ces échecs, Mercœur, qui ne pouvait se décider à renoncer à
ses projets, s'était rapproché de Rennes, dans le dessein de s'emparer
de cette ville a l'aide des intelligences qu'il s'y était ménagées; mais
ceux des habitants qui étaient restés fidèles au roi députèrent au maré-
chal d'Aumont pour le prier de venir sans retard a leur secours. Saint-
Luc fut aussitôt envoyé avec les chevau-légers, et, ayant passé la Mayenne,
il arriva à Vitré sur le soir du dix-septième jour de juin ; il se remit en
marche le lendemain de grand matin, et entra dans Hennés à la vue de
l'ennemi, sans avoir perdu aucun des siens. Mercœur, voyant que ses
desseins sur Rennes ne pouvaient plus avoir aucun succès, alla former
le siège de Moncontour. (De Thou, t. XII, liv. 107, p. 57 et suiv.)
Saint-Luc avait eu le temps de faire entrer dans cette place un de
ses lieutenants avec quatre-vingts cuirassiers et cent arquebusiers. Cette
petite Jroupe fit une très-belle résistance, quoique le fossé et les murs
ne valussent rien, et le maréchal d'Aumont eut le temps d'arriver jusqu'à
Montfort avec quatre mille hommes d'infanterie et cinq cents cavaliers.
Mercœur reconnut alors qu'il ne lui était plus possible de rien entre-
prendre, et il ratifia la trêve le quatorzième jour d'août.
Mais Mercœur n'était pas le seul, dans cette vaste province, « qui
cherchât, comme on dit, à pêcher en eau trouble. » Le capitaine La
Fontenelle, qui se donnait pour royaliste, mais qui, au fond, n'était
guère que le chef d'une bande de pillards, eut vent que les Ligueurs mé-
ditaient de s'emparer du manoir du Granec, situé à quelque distance du
bourg de Landeleau. C'était une espèce de château flanqué de quatre
bonnes tourelles, avec de bons fossés et des levées de terre. Aujourd'hui,
on ne retrouve plus que ces fortifications en terre ; tous les ouvrages en
maçonnerie ont a peu près disparu. Or, le capitaine La Fontenelle jugea
que dans un semblable pays, qui n'avait encore que peu souffert des
misères de la guerre, une pareille retraite serait infiniment précieuse
pour un homme de sa trempe. Le point difficile était de s'en emparer
avant les Ligueurs, et voici le moyen qu'il imagina. Il savait que le gou-
verneur de Morlaix était grand ami du sieur de Granec, et il envoya dix
de ses soldats au manoir, avec ordre de faire entendre que le dit gou-
verneur, ayant eu avis de bonne part que Le Granec devait être assiégé
dans deux jours, les avait fait partir en avance pour protéger la maison
de son ami. (Moreau, ch. xx.)
Le seigneur de Granec les introduisit avec joie, se réputant beaucoup
obligé au sieur gouverneur qui l'assistait ainsi, avant même qu'il l'en
eût requis; mais ces nouveaux hôtes une fois entrés, voyant tout le
monde sans armes et occupé à leur préparer des rafraîchissements, abais-
sèrent leurs arquebuses. « Que personne ne. bouge sous peine de perdre
la vie, » crièrent-ils; et incontinent ils firent prisonniers le maître de la
maison et tous les siens qu'ils logèrent dans une des tours. La Fonte-
nelle, qui arriva peu de temps après, permit qu'on mit le sieur de
Granec dehors, sans lui faire de mal, en considération de ce qu'ils étaient
du même parti, mais sans lui permettre de rien emporter.
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 353
Alors la commune des paroisses voisines, sachant bien le peu
(riiommcs (|ue La Fontenelle avait dans le château, vint l'y assiéger
dans l'espoir de le forcera se rendre, en lui coupant les vivres; « mais
une nuit que cette paysantaillc, non aguerrie, dormait en toute sécurité,
sans se douter de rien, » \e capitaine fond sur eux, une demi-heure avant
le jour, force leurs retranchements et en fait un massacre épouvantable.
Les campagnes autour de la place furent jonchées de plus de huit cents
cadavres. Le vainqueur ne voulut pas même permettre aux parents des
morts de venir quérir leurs corps, et fit garder jour et nuit ces restes
putréfiés pour empêcher qu'on leur rendit les derniers devoirs.
Et comme on lui représentait que l'air en allait être empesté, il
répondit, dit-on, parce mot déjà prêté a Charles IX : « Le cadavre d'un
ennemi a toujours une odeur suave et douce. » Ainsi ces pauvres rus-
tiques, massacrés, pourrirent en plein air, mangés des chiens et des
loups, et si quelque parent venait pour enlever un des corps, il était
lui-même tué sans pitié par les soldats qui les gardaient.
Leur capitaine, voleur, ayant ainsi pris logement en si bon nid, se
mit a butiner dans tous les pays d'alentour, poussant effrontément ses
courses jusqu'à Quimper et même jusqu'à Vannes, et causant dans les
campagnes telle ruine qu'il est impossible de l'exprimer. Les malheureux
habitants furent obligés d'aller se cacher parmi les landes, genêts et
broussailles, où, par la rigueur et nécessité du temps, ils succombaient
pour la plupart et demeuraient en proie aux loups qui en faisaient leur
curée, morts ou respirant encore.
La Fontenelle, ayant ainsi ravagé toute la haute Cornouaille, se
sentit un grand désir de descendre plus bas, et de s'emparer par la de
quelque bon port de mer, d'où il pût étendre ses déprédations sur
l'Océan comme sur la terre. Les communes de cette partie de laliretagne
eurent vent de ce projet, et aussitôt, s'étant réunies, elles se donnèrent
pour chef un gentilhomme de la paroisse de Brice, nommé Villeneuve.
Elles rompirent tous les ponts sur la rivière de l'Aulne, qui passe h
Chàteaulin, et en faisant bonne garde jour et nuit, elles |)arvinrent à
empêcher le redoutable La Fontenelle et ses brigands de pénétrer dans
la basse Cornouaille.
Dans cette contrée, privilégiée jusqu'alors, on avait seulement ouï
parler de la guerre et de la désolation des autres pays, et l'on n'en avait
pas encore expérimenté les elîets. Mais enfin ce lut le comte de La
Maignane « que Dieu envoya pour faire part de cet amer breuvage a
ces trop heureux habitants, (jui, sans cela, auraient pu avoir la vanité
de se croire plus gens de bien (jue les autres. * Ce comte tenait le parti
de l'Union dite Catholique, sous l'autorité du duc de Mercœur. Avec
quelques gens ramassés à Morlaix, il arriva la nuit en la ville du Faon,
qu'il prit et pilla. Il cherchait de là 'a entrer dans la juridiction de
Quimper, où il savait (jue le pillage devait être bien meilleur; mais il
trouva Villeneuve et ses paysans qui avaient, comme on l'a vu, rompu
les ponts sur la rivière et qui faisaient bonne garde sur l'autre rive. Il
iT. 23
354 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
écrivit alors a Monseigneur l'évêque de Quimper, Messire Charles de
Liscoet, au sénéchal et au procureur de la dite ville. Pendant qu'on
portait ses lettres, les gens de la commune, se voyant si supérieurs en
nombre, vinrent l'attaquer au Faou. Malheureusement ils poussèrent
cette attaque à leur mode, c'est-à-dire sans ordre ni discipline ; aussi
furent-ils bellement repoussés, laissant plus de six cents des leurs sur le
carreau. (Moreau, ch. xxi.)
Pendant ce temps, les lettres que le comte avait écrites a Quimper
avaient produit leur effet. On trouva que le dit comte avait toujours été
bon catholique et serviteur de Monsieur de Mercœur, et qu'il n'y avait
pas lieu de lui refuser l'entrée du pays, pour qu'il pût y venir, comme il
le demandait, faire rafraîchir ses troupes dévouées a la sainte cause de
la religion. En conséquence, on fit défendre au sieur Villeneuve et à
ses gens de plus lui disputer le passage de la rivière. Quelques membres
du conseil s'étaient permis de dire que le comte de La xMaignane était
connu comme un bon et ancien voleur, tant sur terre que sur mer ; 'a
cause de quoi le défunt roi Henri III l'avait même déjà fait mettre pri-
sonnier à la Bastille, et qu'il n'y avait nulle sûreté à se fier à lui. Leurs
représentations ne furent point écoutées, et Villeneuve, sur l'ordre du
sénéchal, laissa le passage libre, non sans manifester son étonnement
de recevoir une semblable injonction, de la part du conseil d'une ville à
laquelle il n'avait jamais demandé aucun secours en hommes ni en
argent, faisant même payer comptant les vivres et les munitions qu'il
y envoyait acheter.
Il ne se fut pas plus tôt retiré que le comte, ravi d'avoir obtenu ce
qu'il demandait, passa la rivière à Châteaulin. Il fait ensuite avancer ses
gens deux ou trois lieues par delà, sans léser personne, en affectant
même de faire payer généreusement tout ce dont ses soldats avaient
besoin. Satisfaits de ces bons procédés, les gens des campagnes ne son-
gèrent à rien cacher; mais (|uand une fois la confiance fut bien établie,
le comte donna le signal du pillage. Un grand nombre de paroisses furent
mises à sac et à feu, et le butin fut très-considérable. On se repentit,
mais trop tard, de la légèreté avec laquelle on s'était confié à ce chef de
bandits. Pour lui, il se retira chargé de riches dépouilles, laissant encore
derrière lui quelques traînards qui firent bien leurs affaires dans ce pays
épouvanté.
Un autre bandit, le seigneur de Guingamp, qui se disait royaliste
parce qu'il était héréti(jue, se sentit, le désir de rivaliser les exploits du
comte de La Maignane. Il s'imagina que Douarnenez pouvait aisément
être surpris, et, ayant fait part de ses projets à Sourdéac, gouverneur de
Brest, il en obtint un certain nombre de gens de guerre avec quelques
barques pour les transporter. (Moreau, ch. xxii.)
Avec cette espèce de flotte, il arriva au port de Douarnenez, deux
heures avant le jour, et il y trouva en effet si pauvre garde, qu'il put
débarquer sans avoir été découvert. Le malheureux bourg fut aussitôt
cerné de manière à empêcher personne d'en sortir, et le pillage com-
i
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 355
mença; mais quelques-uns des habilanls trouvèrent le moyen d'échapper
au milieu du tumulte, et portèrent l'alarme dans les paroisses environ-
nantes. Le tocsin sonna h tous les clochers; les paysans se rassemblèrent,
et accoururent en armes au bourg, où les pillards ne jugèrent pas a
propos de les attendre, ils se mirent en toute diligence a se retirer vers
leurs barques. Malheureusement pour eux, ils avaient abordé en pleine
marée, et, comme personne n'avait voulu rester a la garde des embarca-
tions dans la crainte de n'avoir pas sa part du pillage, elles étaient, pour
la plupart, restées 'a sec sur le rivage. Quelques-unes seulement des
plus grandes avaient suivi le Ilot et se trouvaient fort avant en mer. Ceux
qui eurent le courage de se jeter a l'eau pour les rejoindre furent presque
tous noyés, les autres furent obligés d'attendre patiemment sur la rive
qu'on les massacrât, ce qu'on ne manqua pas de faire. Ce ne fut qu'avec
un petit nombre d'amis que Guingamp eut le bonheur d'atteindre une
petite barque encore 'a Ilot, 'a l'aide de laquelle il revint à Brest.
Cependant d'Aumont, après avoir fait reconnaître la trêve par le duc
de Mercœur, fit assembler les États de la province a Rennes, au mois de
décembre. 11 ne se trouva bien entendu que des royalistes a cette assem-
blée. Comme il y avait tout lieu de craindre que la guerre ne recom-
mençât bientôt, et que les lettres de la cour enjoignaient au maréchal
d'avoir 'a pourvoir a la sûreté du pays, sans s'attendre 'a recevoir des
secours des provinces voisines, il fut décidé que, sous le bon plaisir du
roi, on députerait Montmartin, de la Pilaye, et deux autres seigneurs en
Angleterre, pour solliciter de la reine un nouvel envoi de troupes. (De
Thol, ubi sup., liv. 107.)
Montmartin, qui portait la parole, s'exprima en ces termes : « Au
nom du roi et de la province de Bretagne, je dois d'abord remercier
Votre Majesté des secours que vous nous avez envoyés; mais le danger
n'est point encore passé pour notre malheureux pays ; et ce danger
intéresse particulièrement l'Angleterre elle-même. Ce sont, en efiet, les
Espagnols, vos ennemis déclarés, qui tentent de s'établir chez nous,
pour se mettre a portée de faire une descente sur vos côtes, quand l'oc-
casion s'en présentera; car ils savent que cette flotte redoutable, qu'ils
avaient naguère armée pour vous envahir, n'a péri que faute d'un port
voisin où elle aurait pu se mettre à l'abri contrôla tempête qui l'a anéan-
tie. Il est donc dans l'intérêt de Votre Majesté, non seulement de ne pas
rappeler les troupes auxiliaires qu'elle a déjà envoy('es en Bretagne, mais
encore de les augmenter et de ne pas les laisser man(|uer de canon, de
poudre et de boulets alin de chasser les Ligueurs et les Espagnols de la
côte. Le roi, au reste, a autorisé la province à prendre l'engagement de
rembourser tous les Irais (jue vous aurez faits. »
La reine répondit : « Faites savoir a notre très-cher (rère Henri que
je le regarde comme le soutien de la cause sainte en France, et (jue je
ne veux pas l'abandonuer <lans le moment où je vois (ju'il a le plus
besoin de socours. .Mes Anglais resteront eu Bretagne et je prendrai de
justes mesures pour en auj^menter le nombre s'il le faut, et pour ne les
356 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
laisser manquer de rien ; je demande seulement que, de votre côté, vous
assigniez un lieu commode a ceux de mes soldais qui sont malades ou
blessés. »
Les députés, avec cette gracieuse réponse, revinrent en Bretagne, où
ils trouvèrent que des deux côtés on se préparait activement à la guerre
qui allait recommencer.
Les Ligueurs du Poitou se montraient également peu satisfaits de la
suspension d'armes qui pouvait être, en effet, le prélude d'une paix
dans laquelle toutes leurs prétentions étaient menacées de l'aire nau-
frage. Ils furent cependant obligés de s'y soumettre; car ils ne tenaient
plus guère dans la province que la ville de Poitiers, où Cossé-Brissac
s'était renfermé, et encore cette ville était en ce moment même assiégée
par tous les seigneurs royalistes des environs, de sorte qu'elle eût été
inévitablement obligée de se rendre si la trêve ne fût venue faire lever le
siège. Cette dernière circonstance rendit Cossé-Brissac un peu moins
mécontent de la tournure que prenaient les événements, et le roi y
gagna de son côté que l'imposition extraordinaire de deniers qu'on avait
levée sur la province pour les frais de ce siège, se trouvant sans emploi,
rentra dans ses coffres et ne lui fut pas d'un petit secours pour ses autres
affaires. (Mézeray, t. 111, p. 1047.)
En Guyenne, Montpesat, chef des Ligueurs en cette province, ne
voulut voir dans cette trêve, qui lui donnait quelque répit, qu'une occa-
sion favorable d'avancer les affaires du parti dans le Périgord. Pensant
que les royalistes allaient se débander, il ramassa ce qu'il put de troupes
et les fit entrer dans cette contrée. Le vicomte d'Aubeterre, qui en élait
gouverneur pour le roi, marcha au-devant de lui pour lui disputer le
passage de la Dordogne. Il le rencontra au bourg du Cournil, où il y
avait deux châteaux et il se résolut de l'y attaquer; mais on en était a
peine venu aux mains que Montpesat se sauva par derrière, et laissa
ceux qu'il avait amenés se démêler de cette affaire comme ils pourraient.
Ceux-ci soutinrent d'abord l'attaque avec courage, et même leur cavalerie,
qui était commandée par un gentilhomme nommé La Morelle, fit plu-
sieurs charges brillantes; mais à la fin, se voyant pris en flanc et par
divers endroits, ils se retirèrent, cavalerie et infanterie, dans les châteaux
du bourg, où ils furent bientôt obligés de se rendre à discrétion. D'Aube-
terre leur permit de se retirer sans leur faire aucun mal ; mais peu de
jours après, il fut lui-même tué d'un coup de mousquet comme il assié-
geait le petit village de L'isle, dans le Périgord.
On pense bien que tous ces mouvements de troupes n'avaient pu se
faire sans que les habitants des campagnes n'eussent beaucoup à souffrir
de la licence des soldats de l'un et l'autre parti, qui commettaient impu-
nément toutes sortes de violations et de crimes. Le désespoir fit prendre
les armes aux paysans. Ce ne fut d'abord que pour se défendre; mais
bientôt le nombre de ces défenseurs s'accrut tellement, qu'ils formèrent
des corps redoutables. Ils choisirent parmi eux des officiers qui établirent
une espèce de discipline, et leurs bandes inondèrent le Périgord, le
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 357
Limousin et le Poitou, où elles commirent elles-mêmes les désordres
pour la répression desquels elles avaient d'abord pris les armes. A
l'exemple des Gaulhiers de la Normandie, (|ue le duc de Montpensier
avait été contraint d'exterminer quatre ans auparavant, elles se mirent a
attaquer la noblesse et la propriété, et elles commirent partout de si
grands ravages, qu'elles rendirent le nom de Croquants, qu'elles s'étaient
donné, le sujet de l'épouvante générale. (De Thou, ubi sup.)
Matignon était alors occupé au siège de Blaye, et il y avait déj'a plu-
sieurs mois qu'il était devant cette place, qu'il n'espérait plus prendre
que par famine. Dlaye venait cependant de recevoir un secours de la
flotte espagnole, alors dans les eaux de la Gascogne. Onze vaisseaux
bien armés et chargés de munitions avaient remonté la rivière; les vais-
seaux anglais qui, au nombre de six seulement, croisaient sur le fleuve,
n'avaient pas osé risquer de s'opposer au passage de forces aussi supé-
rieures, et le secours était entré sans difficulté dans la place. (Mézeray,
ubi sup.)
Matignon envoya 'a Bordeaux l'ordre d'armer quinze navires qui s'y
trouvaient avec deux galiotes, 'a quoi la ville contribua avec chaleur,
parce que ceux de Blaye gênaient singulièrement son commerce. La
flotte bordelaise partit donc avec ordre de descendre au-dessous du Bec-
d'Amhez pour enfermer les Espagnols entre elle et l'armée assiégeante.
Ceux-ci envoyèrent d'abord cinq vaisseaux contre les navires anglais qui
se tenaient en avant, et il y eut un combat acharné dans lequel deux
bâtiments de chaque côté furent brûlés ou coulés bas, et si les Borde-
lais avaient donné en ce moment, il est probable que l'Espagnol aurait
été complètement hallu, mais, soit que le vent leur fût contraire, soit
qu'ils fussent mal commandés, ils laissèrent l'ennemi passer en se con-
tentant de lui envoyer de loin quelques coups de canon. Matignon, qui
perdait beaucoup de monde dans les fréquentes sorties dont les assié-
gés n'étaient point avares, jugea alors îi propos de lever un siège qui
lui avait coûté beaucoup de temps, et de grandes sommes d'argent à la
province.
D'un autre côté, depuis la déroute de Villemur, le parti ligueur
dans le Languedoc n'avait encore pu se remettre de ses pertes. Le duc
de Montmorency eût pu lui porter facilement le dernier coup, « mais il
avait d'autres desseins pour sa fortune particulière, » et chacun restait
en paix. (Mézeray, ubi sup.)
Il n'en était pas de même dans la Provence et le Dauphiné. Dans
cette dernière province surtout tout le monde était en armes. Lesdi-
guières avait passé les deux premiers mois de l'année a réprimer les
courses que, du fort de Morestel, les Savoyards faisaient dans la vallée
de Grésivodan. Le duc de Savoie lui avait alors fait faire quelques propo-
sitions d'arrangement, et, a cet effet, le général français s'était rendu 'a
Briquières pour y entendre les députés du prince ; mais il s'aperçut bien-
tôt que leur principal but était de gagner du temps, pour que leur maître
pût rassembler ses troupes en plus grand nombre, et venir fondre sur
358 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
les siennes a Timproviste. Aussi revint-il bien vile en Dauphiné pour
parer ce coup. {Vie de Lesdiguières.)
Et, en effet, il n'y fut pas plus tôt de retour qu'il apprit que le duc
s'approchait à la tête de dix mille hommes de pied et de quinze cents
chevaux dont le roi d'Espagne s'était chargé de payer la solde. Cette
armée assiégeait déjà le fort d'Exilés, car le duc, dans son plan de cam-
pagne, avait trouvé utile de s'assurer avant tout des passages des monts
par où Lesdiguières aurait pu venir directement l'attaquer sur ses der-
rières. Il comptait, du reste, que le siège de ce fort ne l'arrêterait pas
longtemps, et déjà, en effet, il s'était rendu maître dès le premier abord
de la petite église qui domine les fortifications.
Lesdiguières, à cette nouvelle, accourut avec quelques troupes,
reprit l'église et y mit une forte garnison; mais il fut obligé de repartir
tout aussitôt pour assister, 'a Beaucaire, 'a une assemblée où devaient se
trouver tous les chefs du parti royaliste des provinces du Midi, et dans
laquelle on devait convenir des moyens de repousser l'invasion des
Savoyards. H n'était encore qu"a Brianand, quand il apprit que le duc,
profitant de son absence, avait déjà chassé ceux qui devaient garder le
poste de l'église, qu'il s'était également rendu maître de tous les autres
points avantageux des environs de la place, et qu'il continuait avec acti-
vité le siège du fort.
Lesdiguières revint aussitôt sur ses pas, après avoir dépêché au duc
de Montmorency pour lui demander assistance ; mais le Savoyard ne lui
donna pas même le temps d'arriver jusque devant Exiles : il fit battre si
furieusement la place, que les assiégés, après avoir souffert trois assauts
et quatre milles volées de canon, furent obligés de se rendre 'a compo-
sition, presque 'a la vue même de Lesdiguières, qui n'était pas en forces
pour les secourir.
Celui-ci, ne pouvant mieux faire, se borna 'a fortifier les passages de
la vallée d'Oulx, et particulièrement un pont sur la petite rivière de Doire.
Rodrigue de Tolède, général des troupes milanaises et napolitaines
envoyées par l'Espagne, eut la vanité de vouloir attaquer le chef français;
il s'engagea de telle sorte à la descente de la montagne qui va vers la
Doire, qu'il se vit bientôt renfermé par trois escadrons de cavalerie,
lesquels lui coupèrent les passages par derrière, tandis que Lesdiguières
l'attaquait de front. Dans cette situation désespérée, il essaya de rétro-
grader vers le petit village de Salbertran pour s'y retrancher. Ses gens,
qui sentaient les Français presque sur leurs talons, jetèrent leurs armes
pour arriver plus vite.
Les Français les poursuivaient l'épée dans les reins, les tuaient sans
résistance; et lassés du massacre de douze 'a quinze cents de ces
malheureux, ils donnèrent quartier à huit ou neuf cents autres qui res-
taient encore.
Rodrigue lui-même fut tué sur la place. Un arquebusier 'a cheval,
qui venait de le démonter, le somma de se rendre. « Es-tu gentil-
homme? demanda le noble Espagnol. — Je n'ai pas cet honneur, ré-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 359
pondit le soldat. — En ce cas, je ne me rends pas. » Et l'arquebusier
le tua.
Le duc de Savoie vit ses troupes considérablement diminuées par
cet échec, et, quoiqu'il reçût bientôt après un nouveau renfort de trois
mille Espagnols, il n'osa plus rien tenter d'important. Il se borna à bâtir
dans la vallée de la Pérouse un fort qu'il nomma le fort Saint-Benoit, et
'a assiéger la petite ville de Cavours, dont il ne put même prendre la
citadelle; car Lesdiguières avait eu le temps de réunir les forces du
Languedoc et de la Provence avec lesquelles il se disposait à venir atta-
quer les Savoyards.
Leduc lui envoya dire alors qu'il ne refusait plus d'être compris dans
la trêve signée a La Villette, quoiqu'il en eût été excepté par un article
exprès, s'il ne déclarait pas donner son adhésion dans le délai d'un
mois après la publication. Comme ce délai n'était pas encore expiré,
Lesdiguières se rendit volontiers a sa demande, et Ta, comme dans les
autres provinces, la suspension d'armes eut son effet.
On sait que le duc était encore censé posséder quelques-unes des
principales villes de la Provence, quoiqu'en réalité elles fussent presque
toutes entre les mains de quelques chefs hardis qui avaient su s'en
rendre maîtres. Au nombre de ces villes étaient Marseille, Arles et Aix.
Les habitants d'Aix, qui ne recevaient plus de lui ni secours d'hommes
ni argent, demandèrent à traiter de quelque accommodement avec le
duc d'Epernon. Ils offraient de le reconnaître pour gouverneur de la
province, en vertu des lettres de Henri 111, à condition pourtant qu'il ne
demanderait pas a entrer dans leur ville, dont le commandement reste-
rait entre les mains du comte de Carces, lequel s'engagerait de son
côté a ne plus entretenir d'alliance avec les étrangers, et a s'opposer 'a
leur entrée s'ils venaient troubler le repos public. Il était demandé, en
outre, qu'il ne fût apporté aucun changement 'a la religion et que l'exer-
cice du culte catholique fût seul permis. (Mézerav, iibi siip.)
A quoi d'Epernon répondit que, pour le regard de la religion, il
donnerait carte blanche; qu'il acceptait également toutes les autres con-
ditions, consentant a laisser le comte de Carces commandant d'Aix sous
son autorité, sans y entrer lui-même, mais pendant six mois seulement,
lesquels étant expirés il serait reçu partout, comme c'était son droit.
Cette dernière clause modificative ne fut pas du goût du comte; et
comme chacun s'opiniàtra dans ses prétentions, il fallut en remettre le
jugement à la force des armes. Le duc tint les États a Briguoles, et ils
lui accordèrent, aux dépens de la province, huit cents chevaux, quinze
cents hommes de pied et dix mille écus par mois. Les Ligueurs, de leur
côté, firent une assemblée dans le couvent des Augustins, a Aix, et ils
votèrent également des fonds pour la levée et la solde de gens destinés
'a défendre leur ville et leur parti.
D'Epernon, pendant ce temps-l'a, se dépêchait de mettre h profit les
secours que les États lui avaient fournis. Il avait d'abord résolu de se
faire reconnaître par Marseille, et il avait commencé par se saisir
360 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
d'Âubagne, d'Oriole, de Roquevaire et de tous les bourgs d'alentour,
que leurs hai)itanls, au nombre de plus de dix mille, avaient abandonnés
pour se réfugier dans la ville. Ensuite, a la faveur de la nuit, il s'appro-
cha, avec douze cents cuirassiers et deux mille hommes de pied, de la
porle qui conduit à Aix. Il y attacha d'abord le pétard et la fit sauter;
mais la seconde porte se trouva plus solide ; le pétard n'y fit qu'une
ouverture insuffisante et les habitants se hâtèrent d'accourir au bruit. Le
duc fut obligé de se retirer sans oser poursuivre plus avant son
entreprise.
Il se borna ensuite 'a tenir la ville comme bloquée par les garnisons
qu'il mit tout autour, de telle sorte que les provisions n'arrivant plus de
la campagne, le menu peuple en fut réduit a ne vivre que de pain de
millet et de vesces ou de châtaignes, dont heureusement il y avait
grande quantité dans les magasins. En ce même temps, le sultan
Amurat, incité par l'ambassadeur de France, Savarry, envoyait déclarer
aux Marseillais que, s'ils n'obéissaient à leur roi, il les traiterait comme
ses plus grands ennemis, confisquerait tous leurs vaisseaux et leurs
marchandises, et ferait esclaves, dans toute l'étendue de son empire,
tous ceux d'entre eux qui y seraient rencontrés. Tout ceci pourtant ne
fut point encore capable de les détacher du |)arti de la Ligue.
Arles se montra moins récalcitrante. Pour sauver les récoltes, que
d'Épernon menaçait de détruire, sans épargner ni les maisons ni les
arbres, et faisant pendre sans pitié tous ceux des cultivateurs ou mois-
sonneurs qui tombaient entre ses mains, la ville fit un traité avec lui, et
son autorité y fut reconnue.
Quant 'a ceux d'Aix, quoiqu'il employât les mêmes moyens expéditifs
pour les soumettre, excités par le comte de Carces, ils ne s'en mon-
trèrent que plus animés, et c'était 'a chaque instant de nouveaux
combats sous les murs de cette place, dont les habitants se défen-
daient avec l'énergie du désespoir. Le premier jour que les troupes
du duc vinrent attaquer la ville était précisément le jour de la fête
de Dieu. Les hommes quittèrent la procession pour faire une sortie
avec une merveilleuse ardeur, pendant que les femmes continuèrent 'a
suivre le Saint-Sacrement, dans les rues pavoisées avec toute la solen-
nité accoutumée. C'était le brave Mesplez qui commandait l'infanterie
de d'Épernon; elle n'en fut pas moins ce jour-l'a fort malmenée par les
assiégés, qui tuèrent quantité des plus hardis d'entre ces hommes
d'armes, et entre autres le baron de Montaud, dont la perte fut vive-
ment regrettée.
Le duc, reconnaissant alors que l'impétuosité de ses attaques lui
apportait moins d'honneur que de dommage, changea de moyen et se
mit 'a faire bâtir un grand fort sur le coteau de Saint-Eutrope, qui
domine la ville; il y plaça une batterie de sept pièces de canon qui fou-
droyait tous les quartiers, s'imaginant que les habitants, effrayés de voir
crouler les toits sur leurs têtes, se décideraient à lui demander merci;
mais, comme le bruit de ces canonnades fut plus grand que l'effet, ceux
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 361
d'Aix s'y accoutumèrent bientôt et ripostèrent par le canon de leurs
remparts, qui, sans faire autant de tapage, causait beaucoup plus de
dommage aux assiégeants. Le duc lui-même faillit en être victime; un
des canonniers de la ville, averti qu'il avait rendez-vous pour continuer
une partie de prime dans un endroit nommé La Pinchinate, y pointa si
justement deux pièces, que les boulets emportèrent les deux gentils-
hommes entre lesquels Monsieur d'Épernon était assis. Les éclats de la
table et des sièges le blessèrent lui-même à la cuisse, par suite de quoi
il fut renversé et demeura longtemps pâmé, de sorte que la nouvelle de
sa mort fut publiée dans Aix et portée dans toute la province.
Sur ces entrefaites arriva le courrier du duc de Mayenne, porteur de
la trêve signée a La Villette pour toute la France. D'Epernon en fut
fâché, car il jugeait bien qu'une pareille mesure ruinait ses desseins, et,
pendant qu'on l'aisait dans la ville des feux de joie, il ne songea qu'a
trouver des moyens d'opposer quelque difficulté. Mais, quand il eut reçu
le courrier du roi qui lui apportait l'ordre précis de suspendre les hos-
tilités, il fallut bien qu'il se soumît, quoiqu'â contre-cœur, et, après
avoir placé une forte garnison dans le fort qu'il avait fait construire 'a
Saint-Eutropc, il se retira avec le reste de ses troupes.
Le danger qu'il craignait pour lui ne tarda pas, en effet, a se mani-
fester. Le roi, qui avait plus d'une raison de se méfier de ce seigneur,
faisait épier sa conduite et n'attendait qu'une occasion favorable pour
réprimer son ambition. Il sut que, dans une réunion qui avait eu lieu a
Beaucaire, et où Lesdiguières n'avait pu assister, il avait été signé une
alliance offensive et défensive envers et contre tous, entre le maréchal
de Montmorency, le comte d'Auvergne et le duc d'Épernon. Il devenait
donc urgent de rompre cette nouvelle ligue. En conséquence. Sa Majesté
envoya l'ordre à Lesdiguières de chercher quelque moyen, pour expulser
le duc de la Provence, mais sans que le nom du roi fût compromis en
rien; car il était a craindre qu'un homme aussi dangereux n'en vînt a
une révolte ouverte, auquel cas, à l'aide de ses amis et en se joignant
au parti opposé, il aurait trouvé plus d'un moyen de se rendre
redoutable.
Lesdiguières tint donc aussi secrète que possible la mission qu'il
avait reçue; il n'osa pas même en parler 'a Mesplez, sachant que celui-ci,
tout bon royaliste qu'il était, était incapable des ménagements et des
ruses qu'exigeait une pareille affaire. Il mit seulement dans la confidence
cinq ou six des principaux seigneurs du pays, sur lesquels il croyait
pouvoir compter, parce qu'il les savait peu satisfaits du duc. Il leur lit
lire les lettres du roi. Ces gentilshommes balancèrent d'abord a s'engager
dans celte espèce de conspiration, dans la crainte que, si le couj)
venait 'a manquer, ils ne fussent désavoués et abandonnés aux rigueurs
de d'Epernon qu'on savait être implacable en pareil cas.
Pourtant, quand on leur eut bien promis que le roi les soutiendrait,
ils se résolurent 'a la fin de tout risquer pour donner à Sa Majesté une
preuve de leur obéissance et de leur dévouement. Le duc était alors allé
362 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
a Pézenas, pour se trouver a une nouvelle entrevue avec Montmorency.
Pendant son absence, les conjurés, qui commandaient chacun une place
dans la province, se déclarèrent le même jour, dix-neuvième d'octobre,
mirent dehors les Gascons qu'avait amenés le duc, et firent jeter en pri-
son tous ses partisans.
En même temps, ceux d'Aix, qu'on avait prévenus, rompaient la
trêve, et le gouverneur de Toulon, ayant trouvé un moyen d'attirer préa-
lablement chez lui la plus grande partie des officiers de la citadelle, la
fil attaquer par deux cents forçats auxquels il avait, pour cet effet, accordé
la liberté. Tout ce qui s'y trouva vivant fut passé au fil de l'épée. Le
commandant lui-même fut assommé d'un coup de levier par un maçon
auquel il offrait dix mille écus pour en obtenir la vie, mais qui aima
mieux se venger d'une injure qu'il avait reçue précédemment de cet
officier. Le gouverneur de Toulon fut presque au même instant mortel-
lement blessé d'une mousquetade qui lui fut tirée du fort, et son beau-
père, le sieur de Soliers, qui prit le commandement, profita de la cir-
constance pour faire raser la citadelle.
Au bruit de ce soulèvement, Tarascon et un grand nombre d autres
places se déclarèrent contre d'Épernon. « Bref, toute la Provence était
en branle de s'armer contre lui; » de sorte que, si ceux qui conduisaient
ce mouvement, au lieu de laisser leurs gens s'amuser au pillage des
Gascons et des Épernonistes, eussent eu soin de s'assurer des passages
de la Durance et du Rhône, leur cause était complètement gagnée. Mais
on disait que d'Épernon avait un talisman qui le protégeait contre tous
les dangers, dont pouvaient l'entourer ses ennemis. Faute par ceux-ci de
ne lui avoir pas fermé la route, il rentra dans le pays vers la fin de
décembre. Sa présence rassura ses amis, releva le courage de ses gens
de guerre, et, en peu de temps, il redevint lui-même assez puissant pour
faire payer cher 'a ses ennemis, qui avaient vainement compté sur l'appui
du roi, la peine de leur imprudence.
Le duc de Nemours ne fut pas si heureux. Depuis l'espèce de popu-
larité dont l'avait revêtu parmi les Ligueurs la défense de Paris, il se
croyait digne au moins d'une couronne, et il cherchait, comme il a été
dit, 'a s'établir indépendant dans le Lyonnais, le Beaujolais et le Forez.
Après la publication de la trêve, Mayenne, voyant que ce prince, son
frère utérin, faisait plusieurs démarches qui le rendaient justement sus-
pect aux Ligueurs, que déj'a précédemment il n'avait voulu ni assister en
personne, ni envoyer de députés aux Etats de Paris, quoiqu'il y eût été
invité, commença a devenir inquiet lui-même sur la ville deLyon. {Mém.
de la Ligue, t. V, p. 438 et suiv.)
Nemours, en effet, mécontent que dans les dits États on n'eût pas
même fait mention de lui, quand il y avait été question de l'élection
d'un roi, s'était plus fortement que jamais attaché à l'idée de se faire
une souveraineté dans les provinces dont il était gouverneur, et pour
cela il venait d'abolir l'autorité des magistrats légitimes, et de les rem-
placer par un conseil composé de gens qui lui étaient dévoués, mais
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 363
pour la plupart étrangers a la ville. N'osant pas encore rebâtir la cita-
delle de Lyon, détruite depuis plusieurs années, il avait fait fortifier
tous les postes avantageux des alentours, et il y maintenait des garni-
sons d'infanterie et de cavalerie, auxquelles il permettait de pourvoir a
leur subsistance par des extorsions sur le peuple, leur accordant la
funeste licence de piller et de ruiner le pays. On disait de plus qu'il
n'attendait que le moment pour faire bâtir, non pas un seul fort, mais
deux dans la ville même, et qu'il en avait montré les plans tout dressés
à ses amis. (DeThou, t. XII, I. 107, p. 55 et suiv. — Davila, t. III,
I. 14, p. 443 et suiv.)
Après cela, il s'était mis 'a suivre les maximes politiques de Macliiavel,
s'efforçant de paraître religieux sans l'être, faisant de grandes promesses,
mais se réservant de les tenir ou de les violer, selon que l'exigerait son
intérêt. (De Tuou, ubi sup.)
On remarqua aussi que dans les actes publics il ne daignait plus
même prendre le titre de gouverneur du Lyonnais, et qu'il signait tout
simplement « le prince duc de Nemours, » comme s'il eût été déj'a souve-
rain de son cbef. 11 poussa, dit-on, l'impudence jusqu'à faire battre de
la fausse monnaie, et a permettre que le cours en fût public. (De Thou,
uhi Slip.)
Mayenne, 'a qui on ne laissait rien ignorer de tout ce que se permet-
tait ce prince, crut qu'il était temps de l'arrêter dans ses projets ambi-
tieux. Il pria donc l'arcbevêque de Lyon d'aller en cette ville, sous pré-
texte de se rendre de l'a a Rome, a l'occasion de la trêve qui venait
d'être conclue et qu'il fallait faire connaître au Pape. Mais la mission
réelle du prélat était de faire écbouer les entreprises du duc de Nemours,
en faisant comprendre aux habitants qu'elles tendaient a opprimer la
liberté publique.
L'archevêque s'acquitta habilement de celte commission. Il chercha
l'occasion de paraître plutôt l'attaqué (jue l'agresseur, et il n'eut pas
longtemps a l'attendre. Le duc avait donné le gouvernement de Vienne,
dont la trahison deMaugiron l'avait rendu maître, 'a un nommé Dezimieu,
qui lui était tout dévoué. Il lui écrivit de venir le joindre avec l'élite de
sa garnison, le dix-huitième jour de septembre, pour l'aider à s'emparer
définitivement de Lyon. L'archevêque fut averti de ce projet, et il en
prévint les habitants, (jui placèrent une forte garde a la porte du Rhône,
par laquelle on savait que devait entrer Dezimieu, puis on attendit en
silence.
Celui-ci se présenta en effet; mais, après un léger combat, il fut fait
prisonnier. Alors toute la population courut aux armes; on dressa des
barricades, et Nemours, étant sorti à cheval pour venir au secours des
siens, se vit lui-même arrêté par les habitants, au bas du pont, et ra-
mené 'a sa maison, où on lui donna des gardes. Le lendemain, qui était
un dimanche, il voulût aller entendre la messe 'a la cathédrale, en se
faisant accompagner de son cortège ordinaire; mais, au moment où il
sortait, le peuple, ameuté de nouveau, non seulement lui ôta sa suite et
364 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
le désarma, mais le resserra plus étroitement. On arrêta en même temps
dans la ville tous ceux qu'on soupçonnait de lui être attachés et de favo-
riser ses desseins.
L'archevêque, devenu ainsi maître de la position, alla au château de
Pierre-Encise délivrer Coligny d'Andelot, que le duc de Nemours, sur
de simples soupçons, y avait fait enfermer quelque temps auparavant,
et il y lit amener et renfermer le duc lui-même.
Quand Anne d'Est, mère de ce prince et du duc de Mayenne, apprit
ce qui s'étaiippassé h Lyon, et que c'était par ordre de Mayenne que tout
cela avait eu lieu, elle alla incontinent lui reprocher sa dureté et l'acca-
bler d'injures, le menaçant de sa malédiction maternelle. Celui-ci cher-
cha 'a se disculper en rejetant la faute sur une populace on fureur, et
promit à sa mère de faire délivrer le jeune prince. On commença donc a
traiter de sa liberté avec les habitants de Lyon; et l'archevêque, qu'ils
avaient fait gouverneur de leur ville, proposa ces conditions : que le duc
abandonnerait tous les postes qu'il avait fait fortifier autour de la ville;
qu'il remettrait également toutes les places qu'il tenait en Auvergne et
ailleurs, et qu'en échange de son gouvernement du Lyonnais, Mayenne lui
donnerait celui de la Guyenne.
Nemours accepta ce traité ; mais il ne tut point exécuté. Les événe-
ments marchèrent si rapidement qu'avant qu'il eût été délivré de prison,
Lyon avait abandonné le parti de la Ligue, et le duc resta prisonnier 'a la
disposition du roi, pour en ordonner a sa volonté. (De Tiiou, ubi sup.)
Pendant ce temps-la, le duc de Nevers, accompagné de Claude
d'Angennes, évêque du Mans, de l'abbé Séguier, doyen de l'église de
Paris, et du Père Gobelin, membre du chapitre royal de Saint-Denis,
poursuivait sa roule vers Rome. Les autres prélats qui devaient faire
partie de l'ambassade avaient trouvé des raisons pour s'en dispenser. Le
duc, après avoir traversé la Franche-Comté et la Suisse, était déj'a sur les
frontières de l'Italie ; mais le légat avait envoyé en avance son camérier
Montorio, pour prévenir l'esprit de Sa Sainteté contre l'ambassadeur
français. {Journal de Henri IV, t. 1, p. 417.)
Le duc, arrivé 'a Poschiano, dans le pays des Grisons, y trouva le
jésuite Possevin, homme d'une grande habileté et qui en avait déjà
donné des preuves dans plusieurs légations. Il était porteur d'un bref
du Pape adressé au duc de Nevers, annonçant à celui-ci qu'il devait
avoir toute confiance en ce que lui dirait le Révérend Père; et le Révé-
rend Père était chargé, de la part de Sa Sainteté, de témoigner la joie
qu'elle ressentait de la réunion du roi de Navarre 'a l'Église catholique ;
qu'elle souhaitait de grand cœur que cette conversion fût sincère; mais
qu'elle ne pouvait cependant recevoir comme ambassadeur de France
celui d'un prince qu'elle ne reconnaissait point encore ; qu'a tout autre
litre et comme simple particulier elle verrait Monsieur le duc avec plaisir.
(De Tiiou, t. XII, p. 108 et suiv.)
Le duc fut mortifié ; mais, comptant sur les droits que lui donnaient
sa noble origine, ses titres et ses mérites, il n'en mit que plus d'empres-
J
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 365
sèment a continuer son voyaii;o. Le Pape, espérait-il, ne pouvait man-
quer (le changer de résolution quand il s'en verrait sollicité par un
homme de son importance, il ne s'arrêta pas même pour saluer le sénat
de Venise, ni le duc Urhin,ni le grand-duc, ni le duc de Ferrare, tous
alliés lidèles du roi son maître; et, le vingt et unième jour de novembre,
il entra dans Rome, non par la porte del Popolo, par laquelle les ambas-
sadeurs font ordinairement leur entrée, mais par la porte Angélique.
Ce n'était même (ju'a grand'peine qu'il avait obtenu la permission de
séjourner dix jours dans la capitale du monde chrétien; mais il espérait
bien laire prolonger ce délai. {Mém. de Nevers, t. I. — Discours de son
ambassade à Rodic.)
11 lut admis le même jour 'a baiser les pieds de Sa Sainteté, et il
demanda avec inslance, d'abord (ju'il lui fût permis de parler aux cardi-
naux, auxquels il avait des lettres a rendre de la part du roi, ensuite
qu'on voulût bien lui accorder la liberté de défendre les intérêts de son
pays et ceux de Sa iMajesté très-chrétienne, en présence des ambassa-
deurs de l'Espagne et des députés de la Ligue, pour les convaincre que,
jusqu'alors, ils en avaient impudemment imposé a Sa Sainteté, au sujet
des troubles de la France.
Clément répondit qu'il jugeait convenable de consulter le Sacré-
Collège sur cette matière; après cela, dit-il, « nous verrons. »
Deux jours après, le duc se présenta a une nouvelle audience où il
renouvela ses demandes. « Je n'ai pas, dit-il, assez de présomption
pour croire que mon éloquence seule pourra remettre Sa Sainteté dans
les intérêts du roi mon maître; mais les faits parleront, et je compte
sur l'esprit juste du Saint-Père. On a osé dire partout que les affaires de
Sa Majesté étaient en mauvais état; on a même poussé limpudence jus-
qu'à vouloir faire croire (ju'il était facile de la dépouiller de son
royaume : c'est une imposture qui tombe d'elle-même. Déjà plus des
deux tiers de la France sont soumis de cœur et d'effet a leur roi légi-
time. 11 a pour lui les princes du sang, la noblesse, les prélats les plus
distingués de l'Eglise gallicane, les parlements et la plupart des villes de
quelque importance, <|ui, toutes, sont prêtes a se sacrifier pour la
défense de la loi catlioli(jue et de leur souverain. Ceux qui lui résistent
encore sont les princes <le la maison de Lorraine et quelques turbulents
qui étaient 'a la tête de la Ligue. Paris, oîi la rébellion se maintient
encore, contre le gré de la plus saine partie des habitants, est déjà
bloquée de tous les côtés ; les troupes de Sa Majesté occupent les pas-
sages de la Loire, depuis l'Orléanais jusqu'à Nantes, et ont déjà réduit
aux abois la ville d'Orléans, cet autre chef-lieu des ennemis du repos de
la France; et, là-dessus, je demande à nos adversaires eux-mêmes si ce
que j'avance ici n'est pas l'exacte vérité. Ce qui est également vrai, c'est
(pie la Ligue est aux abois, et qu'elle serait complètement dissipée, dans
l'espace d'un mois au plus, si le Pape et l'Espagne lui retiraient leurs
secours. Voici des lettres de Mayenne lui-même qui le prouvent (et en
même temps il remit au Pape une correspondance du lieutenant général
366 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
de l'État de France qu'on avait interceptée). Vous le voyez, Saint-Père,
s'il offre de livrer, et s'il a déjà livré en effet plusieurs de nos ports et
de nos villes aux Espagnols, c'est, comme il le dit lui-même, pour obte-
nir des secours sans lesquels il n'espère plus pouvoir tenir tête au roi.
A quel dessein, lui, revêtu de la première dignité du royaume, se serait-
il soumis a être le plat courtisan des généraux de Philippe, jusqu'à at-
tendre leur bon vouloir dans leurs antichambres, quand ces Messieurs lui
faisaient dire qu'ils n'avaient pas le temps de le recevoir? Les moins
éclairés comprendront qu'il fallait, pour le réduire 'a un pareil abaisse-
ment, qu'il sentît l'extrême besoin d'un secours sans lequel il jugeait
lui-même sa cause perdue ; et, en agissant ainsi, savez-vous ce qu'il
risquait dans son aveugle ambition? La profanation des églises et des
monastères, la destruction complète du catholicisme en France, et la
ruine du pays qui a si généreusement accueilli sa famille. Car les lois de
l'État s'opposent a l'élection de tout prince étranger, au préjudice de
ceux du sang royal, et_,tout ce qu'il y a de vrais Français se serait sacrifié
plutôt que de laisser enfreindre cette règle fondamentale. Que serait
devenue la religion au milieu de celte lutte acharnée, où catholiques et
protestants viendraient combattre sous le même étendard? Je n'ai pas
besoin de vous parler de ce prétendu titre de lieutenant général que ce
duc de Mayenne se donne, et sous le prétexte duquel il usurpe toutes
les prérogatives d'un régent. Un lieutenant général n'est, en France, que
le lieutenant du roi, nommé par le roi, et ne doit agir que sous les ordres
du roi. Un régent ne peut exister qu'en cas de captivité ou de minorité
de nos souverains, et il doit être du sang royal. Mayenne n'est donc ni
régent ni lieutenant, quoiqu'il se soit fait déférer ce dernier litre par
quelques particuliers égarés, par quelques marchands, banquiers, procu-
reurs, par quelques curés et docteurs fanatiques, tous également inexpé-
rimentés dans les affaires et dans les lois du royaume. Le parlement,
dit-on, a approuvé cette élection. Mais quel parlement? Le véritable parle-
ment n'était plus a Paris; il n'y restait que des esclaves. Les autres
membres de ce corps respectable étaient venus se joindre au roi ou
gémissaient dans les prisons oi!i les avait enfermés le furieux Leclerc.
Quant 'a la noblesse, il fallait qu'il y en eût grande disette dans son
parti, puisque Mayenne était obligé d'en distribuer les titres et les fonc-
tions a des scélérats qu'il accablait aveuglément de ses bienfaits. Ne
l'a-t-on pas vu donner le duché de Rhetelois 'a un Saint-Paul, simple et
grossier soldat, dont le père possédait 'a peine une chaumière et dont les
deux sœurs avaient épousé Tune un pauvre manœuvre, et l'autre un
tisserand? Mais qu'y a-t-il là d'étonnant? Il a bien osé s'arroger un droit
plus sacré encore et qui n'appartient qu'à nos rois, d'après le concor-
dat. Il a nommé aux bénéfices ecclésiastiques des sujets à sa guise pour
lesquels il a demandé les bulles du Pape. Ce qui étonne, c'est que le
cardinal de Plaisance, à qui sa haute prudence et son long séjour dans
notre pays ont pu donner une parfaite connaissance de l'état du royaume,
ait fait entendre à Sa Sainteté que la religion ne pouvait être sauvée en
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 367
France, si l'on ne procédait a Télection (run nouveau roi. Dans son désir
de procurer la couronne de saint Louis a linlante d'Espagne, au détri-
ment des enfants légitimes du saint monarque, il a conseillé au Saint-
Père d'excommunier les princes, les prélats et les catholiques du parti
du roi, et de les déclarer fauteurs de l'hérésie, tandis que tout leur
crime est d'être bons Français, et de ne pas vouloir le démembrement
de leur patrie. Au reste, sur ce chapitre même (l'élection d'un roi), le
légat et Mayenne et les principaux chefs ligueurs sont déj'a divisés d'opi-
nion. C'est la ce (|ui prouve plus (jue tout le reste la faiblesse de la
Ligue; car, comment ces sortes d'unions peuvent-elles subsister sans
unité de vues et de principes? Au contraire, chez les catholiques atta-
chés au roi, vous ne verrez pas, Très-Saint-Père, de pareilles divisions,
et c'est ce qui fait leur force. »
Le Pape, après ce discours, n'en persista pas moins a répondre
qu'il ne pouvait en conscience donner l'absolution au roi, parce qu'il
était obligé de continuer sa protection a ceux de la Ligue, qui avaient
toujours pris la défense de la religion.
« Ce n'est pas la défense de la religion, répliqua le duc, qui leur a
mis les armes a la main, mais bien leur amhilion personnelle. Voyez
comme chacun d'eux s'est empressé de faire sa part, sans s'inquiéter des
malheurs de l'Église et des misères de ce pauvre peu[)le. Le duc de
Savoie prétend avoir des droits sur la Provence et le Dauphiné ; le duc
de Mercœur revendique la Bretagne ; Nemours voulait être roi de Lyon ;
le duc de Guise dispute le trône de France a son oncle le duc de
Mayenne, et, par derrière, l'Espagnol qui les entretient dans leurs
diverses prétentions n'attend que l'instant du démembrement de ce
noble et puissant État, pour s'en emparer plus aisément sur cette foule
de petits roitelets. 11 n'y a que les catholiques royalistes qui s'opposent
'a ces pernicieuses entreprises ; et devaient-ils s'attendre a l'ignominieux
traitement qu'on fait 'a lîeur prince légitime, quand il vient humblement
se jeter aux pieds du bienheureux apôtre saint Pierre? Vous nous repro-
chez de ne nous être pas unis a la Ligue après la mort du feu roi, pour
travailler de concert a mettre un prince orthodoxe sur le trône : c'est
nous reprocher de n'avoir pas voulu faire cause commune avec ceux qui
venaient de faire assassiner leur souverain et de placer le meurtrier sur
les saints autels. Au reste, si je rappelle toutes ces choses, ce n'est que
pour faire voir 'a Votre Sainteté la difîérence qu'il y a entre les catho-
liques royalistes et les catholiques ligueurs, et combien faussement ces
derniers se vantent d'être les uniques soutiens de la foi. Non, ce n'est
pas la religion (ju'ils défendent, mais c'est de la religion qu'ils veulent se
faire une arme pour la défense de leur avide ambition. Et c'est nous, qui
n'avons d'autre but que de maintenir l'intégrité de la foi et les droits du
royaume très-chrétien, qu'on veut faire condamner comme hérétiques et
schismatiques. Jusqu'ici, Saint-Père, nous n'avons opposé que la patience
à la honte et îi l'ignominie dont on continue de nous abreuver. Il est à
craindre pourtant, et je dois le dire, que cette patience n'écbappe à la
368 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
plupart d'entre nous, et que, poussés à bout, nous n'ayons recours à
des moyens extrêmes, dont jusqu'à présent nous avons évité de faire
usage pour ne point rompre l'unité de l'Église. »
Le duc demanda ensuite la prolongation du terme de dix jours qu'on
lui avait assigné pour son séjour à Rome. Le Pape répondit : <r Nous
verrons ; j'ai besoin d'en délibérer, et je vous ferai savoir mes inten-
tions, t Le duc alors lui présenta les lettres du roi, et lui demanda
humblement d'être reçu comme ambassadeur de Sa Majesté très-chré-
tienne. « Vous tenez, dit-il. Père très-saint, la place de Jésus-Christ, qui
est venu sur la terre pour ceux qui étaient malades, comme pour ceux
qui étaient en bonne santé. Vous siégez sur la chaire de saint Pierre,
qui a renié trois fois son divin Maître, ce qui doit apprendre à ses suc-
cesseurs à compatira la faiblesse de ceux qui se sont écartés de la foi,
mais qui y reviennent avec le même repentir que ce saint apôtre. Ne
refusez donc pas votre bénédiction a un roi suppliant qui vient rendre
au Saint-Siège l'obédience que lui doivent tous les princes fidèles. />
Le Pape n'envoya sa réponse que quatre jours après par le maître de
sa chapelle. Elle contenait que le délai de dix jours ne pouvait être
étendu ; que Monsieur le duc était dispensé de saluer les cardinaux et
de prendre congé de Sa Sainteté, qui ne lui avait donné audience que
comme a un particulier et non comme 'a l'ambassadeur de la France.
Le même soir, le jésuite Tolet, qui avait tout récemment été créé
cardinal, vint le trouver, et lui dit, de la part du Pape, que les trois ecclé-
siastiques qui l'avaient accompagné ne seraient admis à baiser les pieds
du Saint-Père qu'après avoir comparu devant le cardinal de Sainte-
Séverine, grand inquisiteur et grand p énitencier, {Journal de Henri IV,
t. I,p. 448.)
C'était déjà une grande humiliation pour Monseigneur le duc de
Nevers qu'on refusât de recevoir à Rome, en qualité d'ambassadeur, un
homme de son rang et de son importance ; mais il se sentit « pénétré
de douleur» en pensant au danger que courraient les prélats qui l'accom-
pagnaient si on les obligeait a comparaître devant le grand inquisiteur. Il
demanda avec instance qu'il lui fût permis de les présenter lui-même à
Sa Sainteté, pour qu'ils lui exposassent eux-mêmes plutôt qu'à l'inquisi-
teur général les motifs qui les avaient dirigés dans leur conduite, pro-
mettant qu'ils en demanderaient pardon en toute humilité, ai le Saint-
Père trouvait qu'elle eût quelque chose de répréhensible. (De Thou, ubi
sup., p. 85.)
Cette supplication fut inutile. Le cardinal jésuite revint pour inviter
le duc à envoyer ces prélats devant le tribunal sacré de l'Inquisition,
lui faisant entendre qu'il n'y avait au fond rien à craindre pour leur
vie. Mais le duc répondit avec fermeté qu'il perdrait plutôt la sienne
que d'exposer à la moindre injure ou humiliation les honorables et
saints personnages que le roi son maître avait confiés à sa garde, et
qui n'étaient venus que pour témoigner de leur soumission au Saint-
Siège.
DU PROTESTANTISME EN ERANCE. 369
Le terme des dix jours était dépassé; le duc de Nevers lit demander
une nouvelle audience au l'ape pour lui parler de ralîaire des prélats.
Clément lui lit répondre (|u'il était résolu de ne pas les recevoir avant
qu'ils n'eussent rendu raison de leur conduite au L!;rand in(juisiteur de la
foi. Le duc alors alla se jeter aux pieds de Sa Sainteté, voulant, « sui-
vant ses instructions, » lui demander dans cette posture humiliée l'abso-
lution du roi. « Très-Saint-Père, dit-il, je vous conjiu'e par le saint nom
de Jésus, et par son sang adorahle ré|)an(lu sur l'arhre de la croix, pour
la rédemption de tout le genre humain, et enlin par le nom de Clément
que vous avez pris, comme étant de bon augure, en montant sur ce trône
pontilical, d'accorder l'absolution à un roi suppliant et repentant (jui
vous la demande par ma bouche. )> {Mcm. de ISevers, iihi snp.)
Le Pape lui ordonna d'abord de se relever; puis il répondit : « Très-
cher (ils, je ne croirai la conversion de votre roi sincère que quand
Dieu m'aura envoyé un ange pour me le dire a l'oreille. Quant aux ca-
tholiques (|ui ont suivi son parti, je ne les tiens pas tout à fait pour
désobéissants et pour mauvais serviteurs de l'Eglise; mais ils ne sont
qu'enfants bâtards et lils de la servante. Ceux (|ui ont suivi le parti
de la Ligue sont les vrais lils légitimes. » (Vm>li:iioi, Mcm. tlÉlat, ad
ann. 1Ô95.)
Après cette audience, dont le duc de Nevers se retira très-mortidé,
le cardinal Tolet vint de nouveau le trouver et lui annonç-a que le Pape
voulait bien condescendre 'a ce que les ecclésiastiques français ne com-
parussent (|ue devant une commission <le cardinaux qu'il nomma, et
dont cluKiue membre appartenait a la faction espagnole; « mais, ajouta-
t-il, le Pape exige absolument cette soumission de leur part. » Le duc,
qui persistait a se regarder comme ambassadeur, se refusa avec encore
plus de fermeté a cette prétendue concession, (|ui portait atteinte a l'invio-
labilité et a la dignité de ses fonctions diplomatiques.
Mais il a|)prit que le Pape, en plein consistoire, tenu le vingtième
jour de décembre, avait dit et protesté qu'il soutfrirait plutôt le martvre
que d'admettre « le Navarre » (c'est ainsi qu'il appelait le roi) dans
l'Eglise, et que Montorio, envoyé du cardinal légat, avait donné le con-
seil d'amuser Monsieur de Nevers, et de l'arrêter le [)lus longtemps
possible a Rome par de vaines négociations, alin quil ne pût aller
apprendre à son maître dans quelles dispositions était la cour romaine,
et aussi pour (jue ce prince ne put se servir de lui dans la guerre (|ui
allait recommencer. Cette révélation lui lit perdre tonte es|)érance de
mener 'a bonne lin la négociation qui était le but de son ambassade.
{Journal de Henri IV, t. I, p. iG'2. — Mém. de ISevers, ihid.)
Il obtint une autre audience le neuvième jour de janvier. Il demanda
celte fois qu'on fit réponse par écrit aux demandes et raisons (|u'il avait
présentées dans les audiences précédentes. Le Pape refusa de répondre
de celte manière. « On |)(»urrait, dit-il, brûler honteuseuïent ce (jue
j'aurais écrit, comme on a brûlé a Tours et a Chàlons les brefs et les
bulles de mes saints prédécesseurs. Du reste, jamais ni l'Espagne, ni les
IV. !24
370 HISTOIRE DE L'ÉTAP.LISSEMENÏ
autres princes cluéliens n'ont demandé que je traitasse avec eux autre-
ment nue de vive voix. » — « Mais pourtant, répliqua Nevers, (juand
mon maître m'a envoyé ici, pour rendre l'obédience au Saint-Siège et
pour obtenir son absolution, n'est-il pas de mon devoir que je lui porte
une réponse par écrit, afin qu'il sache pour quel motif j'ai essuyé un
refus; que ce n'est pas par ma faute, et en même temps alin (ju'il
apprenne ce qu'on exige ici de lui, pour prouver son retour sincère 'a la
foi catholique. » (Cavet, Chron. novenn., liv. IV, 1595. — Mém. de
Nevers, ibid.)
« Il peut cl doit, répondit le Pape, consulter sur ce dernier point les
théologiens qu'il a auprès de lui; pour moi je ne suis pas obligé de
m'expliquer davantage. » — « Enfin, dit le duc, 'a bout de patience.
Votre Sainteté voudra-t-elle au moins me dire si elle approuve que le
roi assiste tous les jours 'a la messe; s'il est permis de dire la messe en
sa présence, et si les lidèles peuvent assister a celte messe en sûreté
de conscience? Il (aut bien encore que je sache comment vous voulez
(ni'on s'y prenne, pour la nomination des évèques qui manquent dans la
plupart des villes maintenant soumises au roi, ce qui porte un grand
préjudice au salut des lidèles. Si, sur ce dernier point. Votre Sainteté ne
daigne pas s'expliquer, on sera donc obligé d'en revenir 'a la Pragma-
tique-Sanction, auquel cas remarquez qu'il est a craindre qu'on n'éta-
blisse dans l'Église Gallicane une discipline indépendante du Saint-
Siège. »
Le Pape répondit d'abord, toujours avec la même froideur, (ju'il
n'accorderait jamais de bulles a des évoques nommés par un prince
qu'il ne reconnaissait pas pour roi; mais, réfléchissant probablement
(Mie le retour 'a la Pragmatique-Sanction dont on le menaçait diminue-
rait considérablement les revenus de la cour de Kome, il demanda du
temps pour délibérer sur la question.
Cinq jours après, le cardinal Tolet vint de nouveau trouver le duc de
Nevers, et lui dit que le Pape ne ferait décidément pas de réponse par
écrit. Il lui réitéra que Sa Sainteté ne lui avait donné audience que comme
•à un particulier, et non comme a un ambassadeur, sans parler de la nomi-
nation des évèques, sans doute parce qu'on était bien aise d'attendre
les événements, avant de trancher définitivement une (piestion aussi
importante pour le fisc du trésor de l'Église.
« La réponse que vous m'apportez, dit le duc, est si fâcheuse et si
indigne que j'aimerais mieux être cousu dans un sac et jeté dans le
Tibre, que de la porter a la cour de France ; et plût a Dieu que je me
lusse cassé une jambe la veille de ce malheureux voyage! Songez-y
bien : c'est un schisme aussi déplorable que celui d'Allemagne et
d'Angleterre que va sans doute susciter en France l'obstination injuste
du Saint-Père. Est-il possible qu'il veuille fermer le bercail a ceux qui
ne demandent qua se ranger sous la houlette du pasteur commun? »
« Seigneur, répondit le jésuite, Jésus-Christ n'est pas obligé de
remettre lui-même dans le bon chemin ceux qui s'en sont écartés. 11 leur
I)L' rKUTESTANTlSME EN EKANCE. 371
a coinniaiidé de s'adresser a ses disciples pour lui être présentés. Nous
trouvons dans rÉcrilure (|ue c'est ainsi (jiie saint André en ai^issait avec
les Gentils. » — a Dites saint Philippe, répondit le noble duc, et cet
exemple ne prouve rien; car il y en a cent autres qui l'ont voir ([u'on
pouvait s'adresser directement au Sauveur des nations. » — « Saint
Philippe soit, re|)rit le cardinal, peu importe; mais, ajoiita-t-il en sou-
riant, je ne suis pas autorisé a vous en dire davantage. » — « Vous
pouvez rire, dit le duc, se méprenant probablement sur la cause de ce
sourire; mais le tenips viendra où nous verserons tous des larmes en
abondance, et oîi les cris de désespoir de rÉ^lisc de France, réduite aux
abois, retentiront jusqu'à vos oreilles. » (Dk Tiioi;, ubi sup.)
lient enliii sa dernière audience du I*ape, et il se plaii^nil amère-
ment de tous les déboires qu'on s'était plu a prodiguer a un honime de
sa sorte, qui avait, de plus, l'honneur de représenter l'un des plus j)uis-
sants princes de rEuroj)e. « Votre Sainteté, dit-il, au lieu de consulter
les cardinaux, (jui sont les conseillers ordinaires et naturels des Papes,
surtout en pareille matière, n'a voulu écouter que les ambassadeurs et
les agents de l'Espagne. Dieu veuille qu'elle n'ait pas a déplorer plus
tard une pareille prévention,! Il ne me reste plus qu'a vous supplier de
ne pas croire toutes les calomnies accumulées contre ma personne par
le cardinal de Plaisance. Il est la principale cause de tous les malheurs
(|iie je prévois, et il s'est comporté, en France, plutôt en chef de parti
(ju'en véritable légat de l'Eglise. »
« J'ai de la peine ii croire, dit dédaigneusement Clément, que Mon-
sieur le légat soit aussi coupable (jue vous voulez me le faire entendre. »
Le duc eut ensuite recours aux prières les plus touciiantes, pour obte-
nir (|ue le i^ipe ne fermât pas l'oreille a la voix d'un roi suppliant, dont
les intf'réts étaient liés a ceux <le tout un grand royaume; il lit observer
(|u'il importait au monde chrétien, et surtout au Saint-Siège, de ne pas
voir démembrer le royaume de France; mais Clément ne sortit pas de
sa froide réserve, et ce fut ainsi que l'ambassadeur de Henri IV se vit
obligé de j)rendrc congé.
Mais, tout indigné de cette politique glacée, impitoyable et cauteleuse,
il dressa de sa main et sans faire mention du roi une protestation (ju'il
envoya 'a Clément VIII. « Votre conduite inconcevable, lui disait-il, va
aigrir tous les esprits (jui ne demandent plus qu'a voir Unir ces malheu-
reuses guerres. Si la discipline de l'Eglise est renversée, si les biens du
clergé sont livrés au pillage et à l'usurpation, si les temples sont détruits,
les monastères abandonnés, le culte aboli et la religion calholiijue
abhorrée en France, ne vous en prenez (ju'îi vous seul. Votre Sainteté
apprendra bientôt que les princes et seigneurs français, croyant s'être
suflisanimeut rangés a lein' devoir, auront eu recours a des remèdes
extrêmes; i]\\e nos évèques aiu'oiit établi, au détriment du Saint-Siège,
une niMivelle (lisciplin(^ dans lE^'ise (iallicane, et c'est alors (|iie vous
regrcllerez anièrcmiMil, mais inutilement, de vous être laissi' égarer par
de méilianis conseillers et d'avoir l'ait uii si piMiiicieux abus de votre
372 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
puissance temporelle. Aussi, en pensant a tant de malheurs, je vous
supplie de nouveau d'écouter la prière de tout un royaume et de son
roi, et s'il est vrai que vous doutiez encore de la conversion sincère de
ce prince, imposez-moi par écrit toutes les conditions que vous exigez,
pour (|u"il ne vous reste plus le moindre doute : il acceptera, j'en prends
l'engagement, tout ce qui sera juste et convenable; mais si vous persis-
tez a vous refuser a celte juste demande, je proteste ici au nom de
tous les catholiques royalistes, eu présence de Dieu qui m'entend, des
bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul, aux pieds desquels je me
suis prosterné, que ni nous ni notre souverain, qui sommes tous prêts à
l'aire tout ce qu'il plaira a Votre Sainteté de nous prescrire de juste et
de raisonnable, ne serons responsables, devant le ciel ni devant les
hommes, des maux inlinis qui vont arriver. »
Toutes ces lugubres prévisions de l'ambassadeur de France pouvaient,
en eft'et, se réaliser. Elles étaient dans la nature des choses ; mais la
cour de Rome connaissait mieux que lui jusqu'à quel point elle pouvait
compter sur l'esprit religieux de l'époque. Un peu plus ou un peu moins
de sang répandu, c'est d'une importance médiocre; on sait (|ue l'Église
de Jésus-Christ est l'ondée sur une pierre, que ni l'enfer ni les siècles ne
peuvent détruire.
Après avoir écrit sa protestation, le duc fit ses préparatifs de départ.
Tout a coup il apprit que le Pape avait donné ordre aux huissiers de la
cour pontificale de citer au Iribiinal de l'Inquisition les trois ecclésias-
tiques qui l'avaient accompagné; (pie déjà leurs bagages et mulets étaient
saisis, et que, sous peine d'excommunication majeure, ils étaient sommés
de comparaître devant le redoutable tribunal. Il se mit en route incon-
tinent pour quiller celte ville où il avait été si mal reçu, et, faisant mar-
cher les trois prélats à ses côtés, il se dirigea fièrement vers la porte
del Popolo, menaçant de tuer de sa propre main (piiconque se présente-
rait pour porter la main sur eux. Il sortit de la ville avec eux, sans que
personne osât s'opposer 'a son passage; les politiques de la cour de
Home étaient déj'a assez contents de le voir s'éloigner. {Journal de
Henri IV, p. 449.)
Il prit la route de Venise, oîi il fut accueilli avec de grands honneurs;
mais le pauvre Père Gobelin, son compagnon d'ambassade, n'eut pas la
satisfaction de participer à cette espèce de triomphe. Il avait eu si
grandpeur de tomber entre les mains du grand inquisiteur, qu'il en
avait pris la fièvre, dont il mourut quelques jours après. [Journal de
Henri IV, iibi sup.)
Ce fut dans cette ville de Venise que l'évéque du Mans, l'un des
|)rélats qui avaient fait partie de l'ambassade, publia un manifeste pour
rendre compte, disait-il, a toute la chrétienté, des motifs qui avaient
dirigé la conduite des évoques français, lorsqu'il s'était agi de la récon-
ciliation du roi a l'Église catholique, apostolique et romaine. Il faisait
voir (ju'ils n'avaient rien fait <|iie de conforme a ce qui se pralicpie d'or-
dinaire, et (pi'ils n'avaient en rien blessé l'autorité du Pape. « On peut
DU PROTESTANTISME EX FflANCE. 373
toujours, (lisail-il, domicr Tabsolulion a tous ceux (|ui oui (Hé séparés
(le rÉi^lise, (|uau(l inchne le cas serait réservé au Saiut-Sièi;e, lors(|u1l y
a raison valable (l'exempler le réconcilié d'aller a Home, en lui faisant
toutefois prendre l'engagement d'y aller plus tard, s'il le peut, ou d'y
envoyer en son nom. Or la meilleure raison valable est certainement le
danger de mort [articulum morlis), et c'est précisément dans ce cas (jue
se trouvait alors notre Henri de Bourbon, étant sans cesse exposé aux
périls des si(''ges et des batailles, et aux làcbes attentats des assassins et
empoisonneurs de la Ligue. On doit aussi regarder comme empécbe-
meut légitime la haine que lui portaient ceux qui s'opposaient à son
absolution, et (jui n'auraient pas manqué de rendre son pèlerinage très-
dangereux pour lui. Enfin les souverains ont aussi un troisième empê-
chement qui leur est particulier, c'est l'obligation de rester dans leurs
Etats pour les gouverner. Au reste, l'engagement d'envoyer 'a Rome a été
lidèlement et solennellement accompli, et les arlidces des Espagnols ont
seuls mis obstacle a ce (]ue Sa Sainteté reçût favorablement une ambas-
sade qui venait humblement, de la part du roi, demander au Pape ce
qu'il exigeait de plus que ce qui avait été fait, pour l'entière réintégra-
lion de notre Henri au nombre des fidèles. Pourtant j'oserai dire, ajou-
tait l'évéque, que la vraie doctrine ne se montre pas même si exigeante.
Tous nos meilleurs casuisles sont d'accord qu'il est, en matière d'excom-
munication, des cas où il faut avoir égard au salut du plus grand nombre,
el qu'il faut alors absoudre le pécheur, même malgré lui, quand son
excommunication porte préjudice à plusieurs, qui sont obligés d'avoir
avec lui des rapports indispensables. » (Di:Timu, ibid., p. 454. — Davila,
t. III, p. 454 el suiv.)
Tandis que le bon évêque discutait ainsi d'une manière, qui, si elle
n'est pas toujours logique, me semble dit moins fort charitable, le car-
dinal de Joyeuse, Beaufremont, baron de Senescey, et Nicolas de Pyles,
abbé d'Orbays, arrivaient à Rome en qualité de députés de la Ligue, et
y obtenaient sans difficulté une audience du Pape. Le cardinal de
Joyeuse commença par démontrer que le duc de Mayenne, malgré tout
ce qu'en avaient pu dire ses ennemis, n'avait jamais agi que pour la
défense du royaume et pour celle de la religion, contre les hérétiques et
leurs fauteurs, et qu'il avait toujours docilement soumis toutes ses
actions au légal de Sa Sainteté; que, s'il avait permis d'ouvrir avec les
partisans du roi de Navarre les conférences (jui avaient amené de si
malencontreux résultats, c'était parce qu'il n'aurait pu faire autrement
sans encourir la haine des peuples, (|ui n'auraient pas manqué de le
taxer de s'opposer, pour des motifs d'intérêt personnel, à tout moyen de
pacifier la France; (pie malheureusement c'était dans ces conférences
qu'on avait d'abord annoncé la feinte conversion du roi de Navarre, et
qu'alors les Espagnols avaient voulu presser l'élection d'un roi ; qu'on
avait alors parlé de mettre la couronne sur la tête de rinfanle d'Espagne,
en annonçant qu'on lui donnerait l'archiduc Ernest pour mari ; (preusuile
il avait été question de la marier avec le duc de Guise; (|ue toutes ces
374 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
variations avaient mécontenté les Etats assemblés a Paris; que, cepen-
dant, le duc de Mayenne avait accepté la proposition en faveur de son
neveu,' pour ne pas choquer la volonté du monarque espagnol, auquel la
France avait déjà tant d'obligations, mais qu'il avait cru devoir avertir le
duc de Guise de ne point se laisser aveugler par l'éclat d'une couronne,
et qu'il y avait la plus d'un danger caché. Pouvait-on, en effet, espérer
que le monarque voulût procurer un tel honneur aux princes de la famille
(le Lorraine, que de prendre parmi eux l'époux de sa lille bien-aimée?
Aussi cette proposition ayant été mûrement examinée dans les Etals, il
avait été décidé de n'en point tenter l'exécution, 'a moins d'avoir en
France deux bonnes armées dont la solde fût assin^ée pour plusieurs
années, parce qu'il ne fallait pas mettre un jeune roi sans appui aux
prises avec un ennemi redoutable par ses forces et ses victoires. Voyant
donc que les secours qu'on attendait n'arrivaient pas, et que d'ailleurs le
bruit de la conversion du Navarrais ébranlait les peuples déjà fatigués
d'une aussi longue guerre, il avait bien fallu faire avec l'ennemi une
trêve de quelques mois, pour se donner le temps d'envoyer des ambas-
sadeurs à Sa Sainteté et au roi d'Espagne, et solliciter d'eux des secours
indispensables, qui ne se sont déj'a que trop longtemps fait attendre,
après avoir été promis par le monarque espagnol avec tant d'ostenta-
tion. (Cavet, uhi sup. — Davila, liv. 14, ubi sup.)
Le Pape, en apprenant ainsi de la bouche même de l'ambassadeur
de la Ligue l'état a peu près désespéré des affaires de ceparti,en ressiïu-
tit une vive contrariété qu'il n'osa pas exprimer ouvertement. Il témoigna
d'abord qu'il était content du zèle et de la prudence du duc de Mayenne.
« Je suis trop loin de la France, ajouta-t-il, pour pouvoir porter un
jugement certain sur la situation des choses dans ce malheureux
royaume. C'est donc au duc de Mayenne, qui s'est jusqu'à présent con-
duit avec tant d'habileté, qu'il appartient de trouver et d'appliquer le
remède propre à guérir les maux de son pays. »
Le cardinal de Joyeuse continua en ces termes : « J'ai déjà dit 'a
Votre Sainteté que le duc de Mayenne avait reçu avec beaucoup de plai-
sir la proposition de l'élection du duc de Guise, son bien-aimé neveu. 11
n'est plus question maintenant que d'avoir votre agrément, Très-Saint-
Père, et aussi de s'assurer des véritables intentions de l'Espagne au
sujet du mariage de notre jeune prince avec l'Infante. Cela étant réglé,
vous daigneriez publier vous-même un manifeste dans lequel vous décla-
reriez que c'est vous qui avez décidé ce mariage. Il faudrait aussi faire
préparer promptement les forces nécessaires pour appuyer cette entre-
prise, car le Navarrais ne s'endort pas et devient chaque jour [dus
menaçant. Il serait bon de fixer de suite le nombre des troupes que
l'Espagnol doit fom^nir de son côté, et qu'il a promis de fournir. Enlin, il
faudrait engager l'Allemagne et la Suisse 'a contribuer 'a cette guerre, ou
du moins a ne pas aider notre ennemi. >>
Ce n'était pas tout 'a fait là ce que le légat avait f;dt entendre au
Pape. Sa Sainteté, assez embarrassée, répondit qu'avant de prendre
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. .'575
anrim parti, il (Hait nécessaire qu'elle eût l'avis du roi (l'Espagno. Puis
elle daigna raconter au cardinal ce qui s'était passé au sujet de l'am-
bassade du duc de Nevers. « Je ne découvre malheureusement, dit-elle,
aucune manjuc de conversion dans le roi de Navarre, et je suis bien
décidé à ne pas lui donner Tabsolulion ; car, au mépris de l'excom-
munication qui pèse encore sur lui, il persiste 'a usurper la l'rance, sur
laquelle il a perdu tous ses droits; il reste l'allié des protestants de
l'Âltemagne et de l'Angleterre, et on ne discontinue pas de faire le
prêche jusque dans sa demeure. Toutes les marques de catholicité qu'il
a données jusqu'à présent, c'est de faire le signe de la croix. *
L'audience se termina par ces paroles du Saint-Père. Les députés
attendirent pendant plusieurs jours quelque résultat plus substantiel de
leurs demandes. A la lin, Beaulremont écrivit à Mayenne qu'il n'y avait
ancim fond à faire sur les secours du Pape; qu'il était probable (]ue le
roi d'Espagne ne se montrerait pas plus empressé, et qu'il eût donc 'a
prendre ses mesures en conséquence.
Beaulremont avait deviné juste : Monpesat, que le duc avait envoyé
'a Madrid, lâcha d'abord d'excuser aux yeux du puissant monarque les .
revers multipliés que le parti avait eus jusqu'à présent dans les armes,
et les délais (|u'on avait apportés 'a l'élection de l'Infante. H dit que la
proposition de marier cette princesse au duc de (îuise avait eu l'assen-
timent général, mais qu'on n'osait encore se llatter que cette union
eût véritablement lieu, parce qu'on savait que Sa Majesté catholique
avait dit cju'elle ne donnerait jamais l'Infante qn à un prince de la mai-
son d'Autriche ; que c'était ce qui engageait les Etats, avant de rien
terminer, 'a s'informer plus amplement de ses royales intentions; qu'en
attendant, ils avaient jugé indispensable de faire une trêve avec les parti-
sans du roi de Navarre, pour se réserver le temps de recevoir les secours
(]ue l'Espagne et le Pape avaient promis d'envoyer ; (ju'au reste, Mayenne
n'enviait point a son neveu l'honneur singulier que le monarque ilaignait
lui faire, mais que, jusqu'à ce (|u'il eût appris du roi lui-même quelle
('lait sa volonté, il n'avait pas cru devoir, sur la simple |)romesse d'un
mariage, (jui peut-être n'aïu'ait pas lieu, se dessaisir de l'autorité dans
des circonstances aussi difliciles. II jugeait imprudent de la laisser aux
mains d'un jeune prince encore inexpérimenté, (pioique doué, en elfet,
de toutes les qualités et vertus qui font les grands rois. C'est pourquoi
Sa Majesté catholique était donc suppliée de dire franchement si elle
approuvait le mariage du duc de Guise avec l'Iid'ante; combien, en ce
cas, elle donnerait de troupes et d'argent, et pendant combien de temps,
afin d'alfermir le nouveau roi sur son tr(')ne.
Philippe ajourna sa réponse; « car, dit-il, je ne puis rien ré-
soudre sans consulter le Pape et l'archiduc Ernest. » Mais, pendant
toutes ces discussions politiques et diplomatiques, le temps marchait
toujours.
Le roi était alors en Normandie. Bois-Rosé, l'un des capitaines
ronennais, dont le courage avait le plus contribué 'a la belle défense de
376 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Rouen, se trouvant blessé de l'arrogance de Villars et de quelques
paroles oiïensanles qu'il en avait reçues, avait résolu de séparer sa
cause de ce ciiel" ligueur ; et, dès l'année précédente, il s'était emparé
pour son compte du fort de Fécamp, sur les côtes du pays de Caux. Les
royalistes y avaient une forte et nombreuse garnison, que Biron y avait
placée, comme dans un des points les plus importants de ces rivages.
[Écon. roy. de Sully, ch. xiv.)
Ce Ibrt est bâti sur un rocher qui, du côté de la mer, s'élève 'a près
de trois cents toises de hauteur et dont le pied est ordinairement baigné
par les fiols, excepté à l'époque des plus basses marées, où le reflux
laisse quatre ou cinq fois par an quelques toises de terrain a peu près
a sec au bas de ce rocher. Dois- Rosé choisit un de ces moments-là
pour exécuter son entreprise. Il fit d'abord préparer 'a Rouen un gros
cfd)Ie de longueur suffisante, et garni de nœuds de distance en distance
pour qu'on pût s'y tenir, tant avec les mains qu'a l'aide de crochets et
d'étriers en corde. Il choisit cinquante soldats des plus déterminés, la
plupart matelots, habitués 'a grimper aux hunes, et, les ayant fait em-
barquer sur deux chaloupes, il vint par une nuit obscure prendre terre
au pied du roc, au moment où la basse marée laissait la possit>ilité de
le faire.
Or, il y avait dans la garnison deux soldats qu'il avait gagnés
d'avance; pendant que l'un d'eux faisait le guet, l'autre descendit une
cordelette à laquelle le câble fut attaché par un bout, puis remonté jus-
qu'au rempart, où il fut solidement fixé par le moyen d'une forte agrafe
en fer. La troupe de Bois-Rosé se mit aussitôt 'a monter par cette péril-
leuse échelle à la suite les uns des autres; mais, pendant ce temps-la,
la marée était déjà revenue, couvrant de plusieurs toises d'eau le terrain
qu'ils venaient de quitter, entraînant leurs chaloupes en pleine mer, et
secouant avec violence la corde à laquelle ils étaient tous suspendus.
Tout d'un coup, le sergent de la compagnie, qui montait le premier, se
trouva pris de vertige, soit 'a cause de la hauteur où l'on était déjà par-
venu, soit pour le grondement et furieux tintamarre des flots, qui se
brisaient au-dessous de cette espèce de chapelet d'hommes balancés
contre la roche grise. !l annonça qu'il ne se sentait plus la force
d'avancer.
Bois-Rosé, qui montait le dernier, voyant que tout son monde s'arrê-
tait consterné, résolut d'aller voir lui-même ce qui se passait au haut de
la file; il se hissa par-dessus les corps et les têtes de tous ses compa-
gnons suspendus en l'air, et parvint jusqu'au sergent; puis, le poignard
a la main, il le força de continuer a monter.
Quelques moments avant le jour, les cinquante hommes étaient sur
le rempart, sans avoir fait aucun bruit qui pût donner l'alarme. Les deux
soldats de la garnison, qui étaient du complot, et qui connaissaient tous
les êtres et avenues du fort, les aidèrent 'a surprendre et à tuer ou dé-
sarmer les divers postes, qui, se reposant sur la force naturelle du lieu,
ne faisaient d'ailleurs la garde qu'avec une extrême négligence. La garni-
DU PROTESTANTISxME EN FRANCE. 377
son, (|ui se composait de quatre cents homnnes, fut faite prisonnière, et
Jjois-Hoso se vit maitre de la place. {Mi:zi:»\v, t. 111, p. 069.)
\'illars accourut aussitôt pour en prendre possession, mais Bois-Rosé
refusa de le recevoir. Ni prières ni menaces ne purent obtenir de lui
(pi'il ouvrît les portes au gouverneur de Rouen ; et celui-ci fit alors
hàlir deux autres forts du côté de la terre pour tenir blocpié ce capi-
taine qu'il traitait de rebelle, et pour l'obliger a se rendre par famine.
Les clioscs en étaient la depuis un an (juand le roi arriva en Nor-
mandie. Rois-Rosé, (juchiues jours avant la signature de la trêve, s'était
adressé a Sa Majesté, et lui avait offert de lui remettre son fort, aimant
mieux traiter avec elle qu'avec Mllars. Le roi lit aussitôt marciier des
troupes pour contraindre ce dernier a lever le blocus de Fécamp. Le
duc de Mayenne, de son côté, envoya Relin à Dieppe pour représenter
qu'jme pareille entreprise était une violation manifeste de la trêve. Le roi
répondit : « Rois-Rosé m'a cédé Fécamp avant la trêve, et, en forçant
Monsieur de Villars a cesser d'incommoder une place qui m'appartient,
je ne lais rien contre la trêve. » Il fallut bien se contenter de cette
raison, et ainsi Rois-Rosé fut le premier d'entre les Ligueurs comman-
dants de places qui fit sa soumission au roi. (Journal de Henri IV, t. I,
p. 427.)
Tandis que Henri IV était encore à Dieppe, un soir, bien tard, dit
Cayet, comme je sortais de la cbambre de Sa Majesté, une dame me
pria d'aller dire au roi qu'elle était la. Je lui demandai qui elle était, et
j'appris d'elle qu'elle était Madame de Balagny-Montluc, de la noble
famille des Russy d'Amboise; je fus émerveillé de la voir en ce lieu, îi
pareille heure et sans suite; mais je compris |)res(pie aussitôt que, quoi-
qu'elle eût un grand nombre d'amis en cour, elle avait voulu ne se faire
connaître 'a aucun d'eux, désirant faire secrètement elle-même les
accords de Monsieur son mari, le prince de Cambrai, avec Sa Majesté.
Le roi, à qui j'allai dire que cette dame voulait lui parler en particulier,
m'ordonna de la lui amener, et depuis j'ai appris qu'elle avait obtenu de
ce bon prince (|ue le seigneur de Montluc de Ralagny serait fait maré-
chal de France, qu'il garderait lui et les siens. Cambrai et le Cambrésis,
dont il avait eu la chance de se rendre maître pendant les troubles, a
l'unique condition de reconnaître tenir cette principauté du roi, 'a titre
de baise-mains seulement. (Cayet, ubisup.)
Vers cette même époque, et toujours dans cette même province de
Normandie, eut lieu, sur la ville de Caen, une tentative des Ligueurs, qui,
si elle eût réussi, eût plus que contre-balancé les succès du roi. On sait
que cette ville est partagée comme en deux parties par un bras de la
rivière d'Orne, sur lecpiel il y a un pont qui fait communiquer le quartier
appelé l'île Saint-Jean avec celui où se trouve la citadelle. A ce pont, il
y a une porte qui se ferme du côté du quartier de l'île, et au-dessus de
la porte est l'hôtel-de-ville, bâti sur une grande arcade. Pendant que
Monsieur le gouverneur était allé 'a Dieppe faire sa cour au roi, un cer-
tain La Motte-Corbinière, qui s'était ménagé des intelligences dans la
378 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
place, s'en approcha secrètement avec soixante-dix a quatre-vingts cava-
liers. Ayant été introduit dans Tîle, il se mit à taire grand bruit, pour
faire croire que sa troupe était au moins dix fois plus nombreuse, et déjà
ceux des habitants qui favorisaient son dessein accouraient de toutes
parts se joindre a lui. Rien ne paraissait plus devoir lui résister, et Caen
était perdu pour le roi, sans le courage et la présence d'esprit du sei-
gneur de Bougy, gentilhomme des environs, qui se rencontra la par
hasard. (.Mkzerav, t. III, p. 10(31.)
11 sort de son auberge, rassemble en courant quelques amis, et pré-
voyant bien que le projet des ennemis était de fermer le plus tôt pos-
sible la porte du pont, pour se mettre a couvert de la garnison du
château, il y envoya un de ses gens clouer promptement une latte de
bois entre les feuillures.
Quand il arriva lui-même, suivi seulement de quinze ou vingt hommes,
il trouva le sieur de La Motte avec ses gens, s'cfforçant de fermer cette
porte qu'ils ne pouvaient plus faire joindre; leur empressement les avait
empêchés de découvrir la cause de cette difficulté. Bougy alors les
charge 'a l'improviste, les met en désordre, et l'un de ceux qui l'accom-
pagnaient, nommé Renouf, s'élançant en avant, décharge son pistolet
dans la tête de La Motte-Corbinière, qui tombe mort et laisse sans chef
et sans direction ceux de son parti. Les conjurés alors ne songent plus
qu'a se dissiper et à se mettre 'a couvert par une fuite rapide, et ainsi,
grâce au sang-froid d'un seul homme, la ville de Caen évita de tomber
entre les mains des Ligueurs.
Le roi apprit cette nouvelle à Calais où il s'était rendu par mer;
mais, en même temps, il en recevait de l'Angleterre une autre qui ne
lui était pas aussi agréable. La reine Elisabeth, qui avait été longtemps
sans vouloir croire 'a sa conversion, finit enfin par lui adresser une lettre
écrite dans toute ramertume de son cœur. « iMon Dieu ! lui disait-elle,
quelle cuisante douleur, quelle tristesse n'ai-je pas ressentie au récit qui
vient de m'être fait ! Où est la foi des hommes et (piel siècle est celui-
ci? Est-il possible qu'un avantage mondain vous ait obligea vous dépar-
tir de la crainte de Dieu, et pouvez-vous attendre une bonne issue d'une
telle action? Ne pensez-vous pas que Celui qui seul, jusqu'ici, vous a
conservé par sa puissance, va vous abandonner maintenant que vous le
reniez? J'espère pourtant encore qu'un meilleur esprit vous inspirera
une meilleure pensée, et je ne laisserai pas de vous recommander a la
sainte protection de Dieu, en le priant de faire en sorte que les mains
d'Esaù ne corrompent pas les bénédictions de Jacob. Pour ce qui
regarde l'amitié que vous m'offrez comme 'a votre bonne sœur, je sais
que je l'ai méritée et même à un grand prix, et je ne m'en repentirais
pas, si vous n'aviez pas changé de Père. Mais, dorénavant, je ne puis
plus être votre sœur de Père ; car j'aimerai toujours mieux celui que
nous adorions l'un et l'autre, que celui que vous venez d'adopter. Ainsi
donc je ne puis que prier le ciel qu'il vous ramène en un meilleur
chemin. » Cette lettre était signée : « Votre bonne sœur, si vous
DU PROÏESTANTISMi: KN ITvANCE. 379
pensiez toujours do la même manière qu'auparavant; sinon et si vous
nV'les plus (pi'un apostat, je n'ai (pie l'aire ilc voire parenté. » (Fi.i-i i\v,
t. XXXVI, p. 407, — Cavkt, ubi sijp.)
Mais ce qui lui l'ut plus sensible encore, ce fut d'être obligé de sou(-
Irir les approches et la vue des députés des Eî^lises réformées ; car, d'une
pari, il avait a craindre de fournir de nouveaux prétextes a la Ligue, et
de donner occasion au Pape, dont on ne connaissait pas encore la
détermination, de lui refuser l'absolution, et d'autre part, il était dil'li-
cile de ne point admettre au moins en sa présence ceux qui s'étaient
jusipi'aiors sacriliés pour lui avec tant de courage et de dévouement. Il
revint donc a Mantes, pour recevoir cette députation, (luoique, d'après
l'opinion de son conseil, il eût été plus prudent de ditlérer l'audience
jus(in'a ce qu'on eût eu des renseignements certains sur la manière dont
les choses s'étaient passées a Home.
Le roi reçut des mains de ces députés un gros cahier de suppliijues
et de doléances. Il se tira d'all'aire le mieux (ju'il put en promettant que
toutes ces demandes seraient examinées avec soin, et qu'il y serait lait
droit ; en attendant, il leur donna l'assurance que des lettres de jussion
seraient d'abord adressées 'a toutes les cours souveraines du royaume,
pour qu'elles eussent à enregistrer l'édit de Poitiers, donné sous
Henri III, avec les articles dont on était convenu dans les conlérences de
Nérac, et que le tout eût force de loi. Il fut en outre régh' que l'exer-
cice de la religion réformée continuerait a avoir lieu librement dans
toutes les villes et places dont les protestants s'étaient rendus maîtres
depuis le commencement de ces guerres. (Folciier, Hisl. du calvin.,
liv. 7, p. 2H.)
Le roi croyait bien les avoir 'a peu près satisfaits par ces deux pre-
mières concessions. Il ajouta : «Ma conversion n'a apport»' aucun chan-
gement 'a mon aflection envers vous, comme étant votre roi. Je suis
bien aise aussi que vous soyez venus me trouver, pour que nous puis-
sions causer en famille et comme de bons et anciens amis. Ceux de mes
sujets (pii ont donné dans la rébellion font maintenant contenance de
vouloir entendre a quelque espèce de paix,' et je sens le besoin de vous
renouveler l'assurance que, dans tous les cas, rien ne se fera au préju-
dice de vos églises. Croyez bien, mes bons et lidèles amis, que je n'ai
rien plus à cœur que de voir une bonne union entre tous mes sujets,
tant réformés que catholiques, et j'aime à croire que ce n'est pas de
[votre part (jue viendra la moindre opposition à ce désir de mon cœur. Je
sais (piil va quelques brouillons, de ceux qui ne sont jamais contents
de rien; mais je me sens assez fort pour les châtier au besoin. Je reçois
donc vos cahiers, et je vous ordonne de jtléputer quatre d'entre vous
pour en traiter avec ,ceux (|ue j'en chargerai de mon côté. » (Cavet,
\ubi Slip.)
Or, parmi les députés huguenots, il y avait un certain ministre de
La Rochelle nommé Roslan, et ce ministre s'était vanté de réduire au
silence tous les théologiens catholiques, ce qui prouverait qu'il n'était
380 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
pas fort théologien lui-même et qu'il ne connaissait guère cette sorte
de gens. Il était du moins de bonne foi dans son outrecuidance, car il
avait fait charroyer, depuis La Rochelle jusqu'à Mantes, tout un tombe-
reau de livres tous annotés par lui. Duperron accepta le défi. Il y eut
donc une belle et savante dispute, dans laquelle on éplucha soigneuse-
ment et brin a brin tous les substantifs, les verbes et jusqu'aux parti-
cules des textes sacrés; on allégua des passages des historiens, des
poètes et des philosophes, tant en grec qu'en latin, puis chacun des
disputants se retira de la lutte, plus convaincu que jamais de la bonté
de l'opinion qu'il s'était engagé 'a défendre.
Ainsi finit cette conférence. Les députés protestants se retirèrent
chacun chez eux, fort peu satisfaits des promesses que leur avait faites
le roi, et les catholiques, de leur côté, se montrèrent fort offensés de ce
qu'a la face de la cour d'un roi qui venait de se convertir, les hérétiques
eussent obtenu la liberté de soutenir leurs damnables opinions.
J
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 381
CHAPITRE XV
1594. — ARGUMENT : la trêve expire.
LES HOSTILITÉS RECOMMENCENT AUTOUR DE PARIS.
DÉCLARATION DU ROI DATÉE DE MONTMARTRE.
LES CHEFS LIGUEURS SE METTENT A L'ENCAN. — MEAU.X SE REND AU ROI.
ARRÊT DU PARLEMENT DE PARIS ORDONNANT L'EXPULSION DE LA GARNISON ESPAGNOLE.
LE PEUPLE DEMANDE LA PAIX. — BRISSAC REMPLACE BELIN COMME GOUVERNEUR.
SOUMISSION d'aIX, — DE LYON, — D'ORLÉANS, — DE BOURGES.
LE ROI EST SACRÉ A CHARTRES. — MAYENNE QUITTE PARIS.
LE ROI REVIKNT A SAINT-DENIS. — BRISSAC LUI LIVRE LA CAPITALE.
DÉCLARATION ROYALE TOUCHANT LA RÉDUCTION DE PARIS.
ARRÊT DU PARLEMENT. — DÉCRET DE LA SORBONNE.
EXHORTATION DE L'aRCHEVÉQUE DE BOURGES AU CLERGÉ.
LES CAPUCINS ET LES JÉSUITES RESTENT SEULS OBSTINÉS.
La trêve était expirée depuis (|uel(jiies mois, et le roi, sur les prières
(le Jeaunin et de Villeroi, avait déjà accordé une première prolongation;
« mais, dit Villeroi, voyant bien <jue ce serait la dernière, et (|u"il l'allait
se résoudre a recommencer la guerre contre Sa Majesté, ou s'accommoder
avec elle, je pris déiinitivemenl congé de Monsieur le duc de Mayenne,
le vingt-troisième jour de décembre, et me retirai a Pontoise avec les
miens, pour les disposer à reconnaître avec moi l'autorité de notre
monarque légitime, puisque Dieu lui avait l'ait la grâce de le rappeler au
giron de la sainte Eglise. » Le prudent diplomale obtint, par cette dé-
marcbe laite a propos, d'être maintenu dans la cbarge de secrétaire
dÉtat, ((u'il avait déjà exercée sous Henri III, et il lui lut accordé, en
outre, de grands avantages pour le reste de sa famille. (Villeroi, ad
ann. 1595.)
Le duc de Mayenne alors députa Monsieur de Belin vers le roi, pour
obtenir une seconde prolongation, faisant entendre (ju'il ne la deman-
dait (jue pour disposer ceux de son parti à une |)aix délinilive, et pour
induire le Saint-Père et le roi d'Espagne a y consentir. .Mais en même
temps, voila ((u'on découvrit, par une correspondance (|u'on intercepta,
(pie ce n'était pas tout a fait dans ce sens (jue .Montpesat négociait pour
le dit duc auprès de Pbilippe; on sut aussi de quelle manière et dans
(piel sons s'étaient expliijués ses envoyés à Rome; on apprit, en outre,
:)S2 llISTUll'tE DE LÉTABLISSEME.NT
qu'en ce moment même, Tambassadeur espagnol, le leurrant de l'espoir
de faire élire roi Monsieur son lils aine, avait obtenu de lui de l'aire
entrer dans la ville plusieurs compagnies espagnoles et une assez grande
quantité de doublons, pour contenter les pensionnaires de Sa Majesté
catbolique, et pour conserver Paris h l'Espagne. Le roi répondit donc
nettement que si, d'ici a l'expiration du mois, les Ligueurs n'avaient pas
accepté de bonne grâce la paix qu'il voulait bien encore leur oiïrir, il était
bien résolu a la leur imposer par la l'orce de ses armes. (Mézeuav, t. III,
p. 1061 et suiv. — Journal de Henri IV, t. I, p. i55.)
Et de lait, dès le commencement de l'année, les garnisons des
places royales voisines de Paris, reprenant leurs courses ordinaires,
recommencèrent 'a visiter les environs de cette grande ville, pour y l'aire
des prisonniers dont ils pussent tirer bonne rançon. Ceux de Saint-
Denis, entre autres, sacbant qu'il y avait quelques compagnies de gens
de pied de l'Union, logées de présent 'a Cbarenton, allèrent les y atta-
quer. Quelques-uns se sauvèrent 'a Paris, où ils répandirent la conster-
nation ; il y en eut beaucoup de noyés; les autres furent pris, et
Cbarenton l'ut occupé pnr les royaux. (Cayet, liv. VI, ad ann. 15l)i.)
Le roi, cependant, avait l'ait à Mantes, dès l'année précédente, une
déclaration dans laquelle il affirmait que sa conversion était sincère et
véritable, exposant toutes les raisons qui l'avaient déterminé et con-
vaincu. Il dénonçait en même temps la résolution (ju'avaient prise ses
ennemis de faire entrer de nouvelles troupes étrangères en France, alin
d'appuyer les prétendus États assemblés a Paris, et de les porter « 'a en-
treprendre par force ce qu'ils n'eussent pas même osé penser par
raison. » Sa Majesté déclarait qu'elle ne pouvait donc plus entendre a
aucune proposition de trêve ; que c'était contre son gré qu'elle se voyait
obligée de reprendre les armes; mais (]ue la conservation du royaume
lui en faisait une loi, aussi bien (|ue la conservation de sa propre per-
sonne, sur laquelle on avait déjà attenté, a Melun, pendant la dite trêve;
qu'on n'ignorait pas qu'il avait été fait tout récemment encore un ser-
ment public et solennel dans les soi-disant États, de ne jamais entrer
dans aucun traité ni accord avec lui ; que, néanmoins, il olfrait toute
oubliance du passé et bonne réception, avec entier rétablissement en
leurs cbarges et bénéfices, a tous ceux de la Ligue qui voudraient rentrer
dans leur devoir et sous son obéissance d'ici 'a un mois, lequel délai
passé il se regarderait comme dégagé de la présente promesse, {Mém. de
Chèverny, 1594.) •
Or, après cette déclaration, et depuis que la vie et les actions du
roi eurent fait voir à tous que sa conversion était sans feinte, la Ligue,
n'ayant plus de valable prélexle, fut sapée, pour ainsi dire, par les fon-
dements. Bientôt il ne lui resta plus qu'un petit nombre de places aux
extrémités du royaume, la plupart des chefs refusant de courir jusqu'au
bout la fortune du duc de Mayenne. Ce prince, lui-même fort irrésolu,
ne savait ce ([u'il devait faire, tant a cause de sa lenteur naturelle (|ue
pour le regret cju'il avnit de renoncer a l'autorité souveraine dé|)i)séc
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 383
(le|)uis tant iranuées entre ses mains ; peut-être aussi craignait-il de ne
pas trouver sûreté au|)rrs du roi. (Pi-:in;i-i\i;, loOi-.)
Celle dernière crainte n'élait l'ondée en rien, et il n'avait en réalité
aucun sujet de douter (jue le roi ne tint lidèlenient toute parole qu'il
donnerait. Il n'en fit pas moins au légat, le serment de ne reconnaître
Henri de Bourbon pour roi de France (jue (juand le Pape lui aurait
donné l'absolution. Celait du moins un prétexte pour retenir le pou-
voir, et, vu les idées de répo(iue, il était bien sûr <]u'on ne serait pas
lenlé de lui en Caire un crime. (Miizi-nw, iibi supra, p. 106G et
suiv.)
Lorsqu'il eut annoncé celte détermination aux autres chefs du
parti, en leur demandant de faire le même serment, ceux d'entre eux
(jui s'étaient déjii fait les meilleures parts, et qui ne demandaient plus
(ju'a les conserver, furent les premiers a prendre les devants |)Our trai-
ter avec Sa Majesté; et le roi, qui trouvait son compte 'a les détacher
successivement ainsi d'un parti qui aurait pu longtemps encore rester
redoutable, consentit a ouvrir connue une espèce de marché, où la con-
science et la valeur de tous ces grands seigneurs se mettaient a l'encan.
Sa Maj(\slé ne se montra pas diflicile sur la (jualilé de la marchandise,
et fut très-généreuse pour le prix dont elle voulut bien la payer.
Villeroi, comme il l'a dit lui-même plus haut, s'était déjà retiré 'a
Pou toise, dont il obtint que le commandement serait confirmé a son fils,
outre les autres avantages ci-dessus mentionnés. La Châtre marchandait
I également pour conserver son gouvernement du Herri avec (|uelques
autres petites bonilications. Helin, gouverneur de Paris, était
entré en pourparlers; DEstournel, gouverneur de l'éronne, de Mont-
didier et de Hoye, places très-importantes en Picardie, avait déj'a traité
il (les conditions fort lucratives pour lui ; seulement, pour rendre son
changement de parti plus décent, il avait stipulé que les places (|n'il
b commandait auraient l'air de garder la neutralité pendant quel(|ues mois.
■ Vitry, qui avait été le premier "a abandonner le parti royaliste, après la
■ mort de Henri 111, voulut aussi être un des premiers a reconnaître
I ouvertement le pouvoir sous lequel il n'y avait plus à douter ipie tous
■ seraient bientôt obligés de plier; car, le roi s'élaut fait catholi(|ue, il
K était facile de prévou' que toute la nation serait bi'nlùl pour IuLiDavila,
■ t. ni, p. 460.)
^L Vitry, d'ailleurs, avait encore de graves raisons de méconlentement.
^^11 lui était dû plusieurs « montres » pour l'entretien de sa garnison de
Meaux, et il avait été trouver le comte de Fuentès pour s'en faire
payer, mais il n'avait pu obtenir de ce noble seigneur espagnol aucune
réponse raisonnable. On l'avait même fait attendre plusieurs jours,
avant que de lui accorder une audience. Aussi, en s'en revenant tout
choqué, il répétait souvent ces mots : « Point d'argent, })oint de \'itrv! »
(DvviLA, I. 111, liv. li, p. 457.)
Le deuxième jour des fêles de Noël, il assembla les liai)ilanls de sa
ville, il leur exposa comme (juoi, Henri de Bourbon s'étant fait bon
384 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
calholiciue, il était résolu à le reconnaître pour son roi. « J'ai, dit-il,
jugé convenable de vous avertir de cette résolution de ma part; je vous
laisse libres de i)rendre ou de ne pas prendre le parti que j'ai adopté ;
mais si vous m'en croyez, vous imiterez mon exemple. » Cela dit, il
quitte la ville avec sa compagnie de cavalerie, qui faisait la principale
force de la garnison, laissant les bourgeois et les magistrats assez embar-
rassés de ce qu'ils devaient faire. (Cavet, uM sup.)
Le duc de Mayenne, averti des projets de Vitry, avait déjà fait partir
cinq cents hommes pour maintenir la ville de Meaux dans son parti, et
cette troupe se présentait en ce moment aux portes, demandant qu'on la
fît entrer sans retard. Toula coup le cri de « V'ive le roi! » retentit de
toutes parts; on convient de courir après le gouverneur, et de lui
faire savoir qu'on est décidé a imiter son exemple. On ferme les portes
aux soldats de Mayenne; et Vitry revient pour distribuer à tous les habi-
tants l'écharpe blanche dont il s'était déjà revêtu lui-même.
Le roi, a qui ils envoyèrent de suite leur soumission, leur accorda la
confirmation de tous leurs privilèges, avec exemption de taille pour
neuf ans. 11 leur promit de plus qu'il ne se ferait point d'exercice de la
nouvelle religion dans leur ville ni dans leurs faubourgs. Quant a Vitry,
il eut la charge de grand bailli et gouverneur de la ville, avec la survi-
vance pour son fils, et, outre cela, une gratification de vingt mille écus;
après quoi il publia une sorte de manifeste des justes raisons qui
l'avaient déterminé a se réduire sous l'obéissance de son roi ; mais il se
donna garde de parler de la dernière, qui était peut-être la plus déter-
minante.
Le roi s'en revint ensuite a Saint-Denis, pour voir si dans I^aris il ne
se ferait pas quelque mouvement dans le même sens; car il savait (|ue
les Ligueurs et les politiques y étaient plus animés que jamais les uns
contre les autres, que Mayenne n'était plus d'accord avec le parlement,
et que tous se méfiaient de la garnison espagnole, dans la crainte qu'elle
ne se rendît maîtresse absolue de la capitale.
L'ambassadeur d'Espagne, en eflet, avait déjà été assez puissant pour
obliger Mayenne a signer un décret d'expulsion contre une soixantaine
de bourgeois les plus compromis par leurs opinions royalistes, et a ôter
le gouvernement de la ville au comte de Belin, qui s'était rendu suspect
par sa modération, et surtout depuis son retour de la mission dont il
avait été chargé auprès du roi. C'était a Brissac, qui s'était fait le chef
des Seize 'a la Journée des Barricades, que l'Espagnol contraignait le
lieutenant général de France de donner cette place.
Le parlement, qui n'approuvait pas ce changement, délibéra d'abord
qu'il en serait l'ail remontrances de bouche a Monsieur le lieutenant
pour le prier de laisser Belin gouverneur ; de faire sortir la garnison espa-
gnole, qui pouvait causer du désordre dans la ville, et enfin d'aviser
promptement aux moyens de tirer le peuple d'une si longue et si cruelle
misère. Le duc répondit aux députés de la cour qu'ils étaient venus troj)
tard ; que le départ de Belin était résolu. {Journal, t. I, p. 456 et suiv.)
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 385
Sur celte réponse, la cour se remit à délibérer et prononça que, vu
le mépris (|ue Mayenne avait fait de ses remontrances verbales, il lui en
serait adressé d'autres par écrit et enregistrées, les(juelles lui seraient
portées par le procureur général, pour en avoir réponse. Elle ordonna
(pie les garnisons étrangères sortiraient sur-le-champ de la ville; déclara
(pi'elle était bien résolue a s'opposer aux mauvais desseins de l'Espa-
gnol, et de tous ceux qui tenteraient de livrer la France a l'étranger ;
et (jue, si le comte de Belin était renvoyé, toutes les chambres étaient
décidées a le suivre et a sortir avec lui. Ordre lut donné au prévôt des
marchands de l'aire assembler la ville pour aviser, toute autre alïaire
cessant, aux movens de l'aire exécuter cet arrêt. {Mém. de la Ligne,
t. VI, p. 52.)
Mayenne, tout elfrayé de ces mesures énergiques, répondit qu'il
n'avait jamais pensé a livrer le pays aux Espagnols; qu'il honorait le par-
lement, et ne désirait rien plus que de lui être agréable ; que, pour le
comte de Belin, c'était ce seigneur lui-même qui avait demandé à se
retirer. La cour ne se tint pas pour satisfaite; elle renvoya une troi-
sième fois pour demander le rappel du sieur de Belin. (Mézerav, tibi
supra.)
En même temps, quelques bourgeois préparent et font signer une
requête par laquelle ils interpellent le prévôt des marchands d'avoir à
se joindre au parlement, pour délibérer en commun des moyens de trai-
ter de la paix. Dès le soir môme, le nombre des signatures était si con-
sidérable, ({ue Mayenne, craignant une insurrection générale, se crut
obligé de rester en armes toute la nuit avec les gens de sa maison et le
duc de Guise, son neveu.
Le lendemain, il envoya prier le parlement de cesser toutes ces déli-
bérations qui donnaient lieu au peuple de s'émouvoir ainsi. La cour fut
sur le point de repousser cette demande; mais le président Le Maitre et
ceux des conseillers qui jouissaient ^de la plus grande autorité tirent
comprendre aux autres qu'on risquait alors d'allumer une guerre civile
dans la capitale, d'où s'ensuivrait un carnage épouvantable, parce que
les troupes espagnoles ne manqueraient pas,de prendre parti pour le duc,
et aussi pour avoir l'occasion de se livrer au pillage; qu'il valait donc
mieux, par amour pour la patrie et pour le service du roi, attendre une
occasion plus favorable. Mayenne, de son côté, lit quelques concessions ;
il promit de se borner a ne faire sortir de la ville que Claude d'Aubray et
deux autres bourgeois; et Brissac fut admis le vingt-cimiuième jour de
janvier a prêter serment en qualité de gouverneur de Paris.
Quand le roi vit que tous ces mouvements ne produisaient pas immé-
diatement l'ellét (|u'il eu avait attendu, c"est-'a-dire la réduction de la
capitale, il s'en revint a Senlis, pour ne poini réveiller, par sa présence
trop rapprochée, les soupçons des Ligueurs contre ceux des habitants
de la ville qui correspondaient avec lui. 11 envoya de là Biron assiéger
la ville de La Ferté-Milon ; mais ce siège ne lui réussit pas non plus,
faute de canon qu'on put dresser en batterie.
iT. 25
38t) HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
On reçut alors de plus heureuses nouvelles du côté de la Provence.
Le comte de Carces, voyant que d'Épernon allait incessamment reprendre
le siège d'Aix, et ne sachant trop comment défendre cette ville, puisque
le Savoyard ne lui envoyait plus aucun secours, ni d'hommes ni d'argent,
convoqua le conseil général le cinquième jour de janvier, et déclara que
son avis, pour soustraire la ville aux malheurs dont elle était menacée,
si elle tombait entre les mains du duc d'Épernon, était de la remettre le
plus tôt possible à un bon maître et protecteur, c'est-a-dire au roi lui-
même. Le conseil approuva cette résolution, et envoya vers Sa Majesté
pour la supplier de confirmer la possession des charges, tant adminis-
tratives que judiciaires et des bénéfices ecclésiastiques, a tous ceux qui
en avaient été pourvus durant les troubles ; de continuer les privilèges
de la ville; d'autoriser ce qu'elle avait l'ait contre le duc d'Epernon, et
de nommer un autre gouverneur. Le même jour, le parlement d'Aix
ordonna par arrêt que la justice fût rendue au nom du roi Henri IV, et
enjoignit aux gentilshommes et gens de guerre de quitter le duc d'Eper-
non, et de se retirer dans leurs maisons, sous peine d'être punis comme
perturbateurs du repos public.
L'archevêque Génébrard fit de son côté, dans sa propre maison, une
contre-assemblée de tout ce qui restait encore de partisans à la Ligue,
et les encouragea a la persévérance. Tous promirent de restef fidèles.
Le lendemain, il monta en chaire et déploya toute son éloquence pour
prouver au peuple qu'on ne pouvait sans olïenser le ciel traiter avec un
excommunié, avant de s'être préalablement assuré de l'approbation du
chef de l'Église ; mais le parlement répondit par un nouvel arrêt, qui
déclarait rebelle et convaincu du crime de lèse-majesté quiconque
n'obéirait pas au roi Henri IV, et Génébrard, pour se soustraire aux
peines portées par cet arrêt, fut lui-même le premier a se sauver a
Marseille.
La soumission de la ville d'Aix fut presque immédiatement imitée
par les villes de Lyon et d'Orléans. Depuis l'emprisonnement du duc de
Nemours, quelques-uns des principaux bourgeois de Lyon ne cherchaient
que l'occasion de se soumettre au roi ; car, au cas où, comme on a vu
qu'il en était question, le duc de Mayenne se réconcilierait avec son frère
utérin, il était à craindre qu'ils ne fussent livrés au ressentiment de ce
dernier. Déjà même, on savait que le duc du Milanais levait des troupes
pour les envoyer contre Lyon ; ils résolurent donc de prendre les devants.
S'étant assurés de la coopération de leurs amis, et de tous ceux que
dans la ville ils savaient bien portés pour Sa Majesté, ils firent prévenir
Ornano de se rapprocher avec ses troupes, et, ce colonel étant arrivé au
faubourg de La Guillotière, trois échevins, les sieurs Jacques de Liergues
de Sève, suivis d'un bon nombre de gens armés, vinrent surprendre, vers
les quatre heures du matin, le corps de garde qui était au bas du pont, et
s'en emparèrent malgré une assez vive résistance.
Au bruit de la mousqueterie, ceux de la ville qui étaient du com-
plot se répandent en tumulte dans les rues, font dresser des barricades
ï
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 387
et se meltent à crier : « Vive la liberté française! A bas les tyrans
étrangers! »
L'archevêque, réveillé par ce tumulte, accourt a rhôtel-de-ville et
supplie qu'on ne prenne au moins aucune résolution avant d'avoir con-
naissance de la réponse du F\ipe a l'ambassade du duc de Nevers. Son
éloquence n'excita cette fois ciue des cris et des huées, et il fui obligé
de se retirer tout consterné. Pendant ce temps-la, on s'assurait dans la
ville de ceux des échevins sur lesquels on ne croyait pas pouvoir
compter, ainsi que des capitaines de quartier; et la nuit qui survint
donnant plus d'audace 'a la foule, on n'entendit bientôt plus retentir par-
tout que le cri de « Vive le roi ! » Hommes, femmes et enfants prirent
récharpe blanche, si bien que, dès le malin, il n'y avait plus dans les
boutiques assez d'étofle de cette couleur pour tous ceux qui s'empres-
saient de l'arborer. Le son joyeux des cloches répondait aux acclamations
du peuple ; les églises retentissaient de cantiques, d'actions de grâces ;
les plus riches bourgeois faisaient largesse devant leurs maisons, et
partout on ne voyait que feux de joie. Le peuple (raina par les rues
l'effigie de la Ligue, sous la forme d'une vieille sorcière revêtue des
emblèmes de l'Espagne, de la Savoie et du duc de Nemours; puis ce
mannequin fut brûlé au bruit des huées de tous les acteurs de celte
scène bouffonne.
Le colonel Ornano fit ensuite son entrée dans la ville en passant par-
dessus les barricades, qu'on ne voulut pas détruire dans la crainte de
quelque surprise. Il était entouré d'un brillant cortège des principaux
seigneurs du pays et d'une foule innombrable de bourgeois. Tous ceux
qu'on soupçonnait d'attachement a l'ancien parti reçurent l'ordre de
quitter la ville, et l'on décida, en conseil public, qu'à l'avenir, aucun
élrangeV, mais surtout les Italiens, (jui avaient perverti le duc de Nemours
par leurs détestables doctrines, ne pourraient être admis a aucune charge
publique dans la cité.
Le roi, pour récompenser les Lyonnais de la confiance qu'ils avaient
eue en lui, en lui remettant leur ville, sans avoir stipulé auparavant
aucune condition, leur accorda un édit par lequel il promettait qu'il ne
serait fait d'autre exercice que de la religion calholi(iue dans leurs ville
et faubourgs; il confirmait tous leurs privilèges, leur faisait remise de
toutes sommes qui avaient pu être prises sur ses droits |)endanl le temps
des troubles, et promettait qu'il n'aurait jamais dans Lyon d'autre
citadelle que celle qu'il se réjouissait d'avoir conquise dans le cœur des
habitants.
Quant à Orléans, qui fil sa soumission vers la même époque, on sait
déjà que cette ville élail l'epuis longtemps partagée en doux factions,
celle des politiques et celle de la confrérie du Saint-Cordon. La Châtre
avait, dans le principe, appuyé la dernière, et la i)rotection du gouver-
neur l'avait rendue si violente, (pi'il avait été, dans la suite, obligé de la
contrecarrer par l'autre, afin de maintenir son autorité entre les deux;
et alors ceux du Saint-Cordon avaient, pour se venger, traité secrè-
388 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
tement avec Iberra pour recevoir une garnison espagnole. (Cayet,
liv. 6.)
La Châtre, qui déjà commençait à se lasser du duc de Mayenne, et
qui ne songeait qu'a s'assurer la tranquille possession de tous les bien-
laits qu'il en avait reçus, ne demandait pas mieux que de se laisser
persuader de traiter définitivement avec le roi. L'évêque de la ville et le
sieur de Champgasté lui offrirent leur intervention pour appuyer les
démarches qu'il avait déj'a faites de ce côté. Le dernier avait été obligé,
en 1589, de quitter Orléans et sa charge de procureur du roi, pour
s'être refusé de prêter serment a la Ligue ; mais il avait conservé un
grand nombre d'amis et d'intelligences parmi les habitants, et il sut si
bien mener les choses que quelques-uns des principaux bourgeois d'Or-
léans offrirent d'eux-mêmes au gouverneur de reconnaître le roi, à con-
dition qu'on accorderait a leur ville a peu près les mêmes articles
qu'avaient obtenus les villes de Lyon et de Meaux. La Châtre parut se
laisser gagner par les représentations de ces bourgeois, mais il stipula de
plus pour lui-même qu'on lui conserverait son gouvernement du Berri,
qu'on lui laisserait celui de la ville et banlieue d'Orléans, et que d'En-
tragues resterait avec le gouvernement de la province de l'Orléanais.
Ce traité fait, La Châtre ordonna au théologal Barlat, qui avait été
jusqu'alors une des trompettes de la Ligue, d'aller prêcher dans la cathé-
drale de Sainte-Croix qu'il fallait porter obéissance aux rois, et recon-
naître celui que Dieu nous donne, ce que le digne théologal fit avec une
grande force de raisonnement; et, au sortir du sermon, le gouverneur
fit arrêter les principaux de la confrérie du Saint-Cordon, ordonnant aux
autres de quitter la ville sans délai.
Puis, dans une assemblée générale du peuple a l'hôtel-de-ville, il lut
les articles du traité contenant les avantages accordés aux habitants
d'Orléans. Ayant, après cela, exposé les pernicieux desseins et les arti-
fices des Espagnols, qui voulaient s'emparer de cette couronne : « C'est à
vous de voir, ajouta-t-il, si vous aimez mieux vivre sous la cruelle domi-
nation de ces étrangers, que sous celle de votre roi légitime. Dites-le-moi
franchement, et je me retirerai si vous n'êtes pas de mon avis. »
L'évêque et les principaux de l'assemblée, qui savaient déjà où en
étaient les choses, le prièrent avec instance de ne point les abandonner
dans un moment aussi critique, et tout d'une voix le peuple s'écria :
« Vive le roi! » Les choses se passèrent à peu près de la même manière,
quelques jours après, a Bourges.
Le roi, pour rendre encore sa personne plus sainte, et ôter tout
scrupule aux peuples, dans l'esprit desquels la cérémonie du sacre passe
pour une partie essentielle de la royauté, résolut de se faire sacrer. La
ville de Reims, où nos rois recevaient d'ordinaire cette sainte onction,
était encore au pouvoir des Ligueurs ; mais déjà, du temps de Louis le
Gros, il avait été prouvé que le lieu ne faisait rien, et qu'on pouvait très-
bien sacrer les monarques français dans toute autre église que dans celle-
là. Cheverny conseilla de choisir l'église de Notre-Dame de Chartres,
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 389
comme étant la plus ancienne, la plus belle, la plus grande et la plus
commode pour une pareille cérémonie, entre toutes celles dont on pou-
vait disposer ; et, attendu que la sainte Ampoule était dans l'abbaye de
Saint-Remy, a Reims, d'où il n'était pas facile de la tirer, on trouva
qu'il y en avait lieureusement une autre dans l'abbaye de Marmoutiers,
près Tours, laquelle était bien plus ancienne et plus anlbentique encore
que celle de Reims, puiscpie, suivant le dire du Révérend Père Matbieu
Giron, cpii composa un beau livre ii cette occasion, elle était déjà connue
plus de cent douze ans avant Clovis. « Un ange, dit ce saint reli-
gieux, l'avait apportée du ciel exprès pour en frotter le glorieux saint
Martin, et adoucir les contusions qu'il s'était faites en tombant du
baut d'un escalier, ainsi qu'il est constaté par Fortunat, évéque de
Poitiers, par Paulin, évêque de Noie, et par le savant Alcuin, précepteur
de Cbarlemagne. » L'ange avait négligé de remporter la précieuse
bouteille, et depuis ce temps-la, elle était soigneusement conservée
dans le trésor de l'abbaye de Marmoutiers dont le Père Giron était un
des saints religieux, (il/m. de Cheverny, 1594. — De Thou, t. XII,
liv. 108, p. 127.)
Sa Majesté résolut donc d'envoyer quérir cette Ampoule miraculeuse
et de la faire apporter dignement a Chartres, où elle fut déposée dans
l'abbaye de Saint-Pierre. Le jour pris pour la cérémonie, il fallut songer
à disposer et faire construire 'a neuf toutes les choses nécessaires ; car
tout ce (|ui servait ordinairement en de pareilles occasions était resté à
Reims, et mémo les ornements royaux avaient été pillés 'a Saint-Denis
par les Parisiens, dans un moment où on ne songeait pas qu'on pour-
rait en avoir besoin pour sacrer un roi. Mais le plus difliciie, surtout, était
de pouvoir faire trouver a Chartres les titulaires des pairies ecclésias-
tiques et séculières, et autres personnages nécessaires en cette occasion,
ceux qui pouvaient avoir droit a ces nobles fonctions étant pour la plu-
part fort éloignés ou employés dans les provinces au service du roi;
heureusement on avait l'exemple qu'on pouvait, en pareil cas, faire jouer
le rôle d'un pair quelconque par un remplaçant. (Cheverny, ubi sup.)
Une autre difliculté se présenta entre Monsieur rarchevê(jue de
Bourges et Monsieur l'évêquc de Chartres; il s'agissait de savoir lequel
des deux ferait le sacre. Le premier revendiquait cet honneur a titre de
primat des Gaules et de grand aumônier de France. L'autre soutenait
(jue personne, si ce n'est le Pape, n'avait droit de faire dans son église
aucune des fondions (pii lui étaient dévolues comme évéque, et il mena-
çait d'excommunier quiconcjue s'ingérerait d'empiéter sur sa préroga-
tive. Ce (ut lui qui l'emporta.
Tout étant a la lin réglé et convenu avec la dignité requise, la cathé-
drale fut richement parée par les soins du chancelier Cheverny qui
s'était chargé de tous ces détails. Sur une estrade, a dix pieds de l'autel,
était dressé le trône du roi, surmonté d'un dais en broderie et couvert
d'un brocard d'argent à lïeurons rouges. Le connétable, représenté par
Matignon, qu'on avait mandé à cet elfet, et les autres grands oiriciers de
390 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
la couronne, également représentés du mieux qu'on avait pu, avaient
leurs places assignées derrière ce trône. Vis-a-vis était un grand banc
couvert d'un riche tapis, pour les pairs ecclésiastiques, et, derrière ce
banc, il y avait des sièges disposés pour les autres prélats, ainsi que pour
les conseillers d'Etat, les présidents et conseillers du parlement. Les
pairs laïcs et les ambassadeurs étaient 'a la gauche de l'autel, et au
même rang, les seigneurs députés pour tenir le sceptre, la couronne
et la main de justice, quand le roi irait 'a l'offrande ou dans les autres
occasions de l'auguste cérémonie; puis venaient les chevaliers du
Saint-Esprit et les autres seigneurs de la cour. {Manuscrit de l'église
de Chartres. Cérém. du sacre de Henri IV.)
Le vingt-septième jour de février, une députation des principaux-
seigneurs, faisant porter devant eux bannières et pennons, alla chercher
la sainte Ampoule, qui fut apportée de l'abbaye de Saint-Pierre par ce
même Mathieu Giron, religieux de Marmoutiers, qui avait fait un si beau
traité pour prouver l'authenticité de la miraculeuse bouteille. Le révérend
moine la tenait avec respect dans ses mains; il était monté sur une
haquenée blanche couverte d'une housse de satin blanc a fleurs de lis
d'or, et il s'avançait modestement sous un dais de satin blanc porté par
quatre religieux de son ordre. A droite et 'a gaucbe marchait une
longue procession de religieux, de seigneurs et de magistrats, tenant au
poing des torches de cire blanche aux armes du roi et de la ville.
L'évêque de Chartres, en habits pontificaux et l'étole au cou, reçut 'a la
porte de son église la sainte Ampoule, qu'il jura de rendre, après la céré-
monie faite, aux moines de Marmoutiers. Chacun ayant ensuite pris sa
place, selon son rang, deux ducs et pairs et deux pairs ecclésiastiques,
les deux derniers portant de saintes reliques pendues au cou, s'en allèrent
avec croix, eau bénite et encensoirs, chercher le roi, qu'ils trouvèrent
couché sur un lit richement paré.
Sa Majesté était vêtue d'une chemise de toile de Hollande fendue
devant et derrière, d'une camisole de satin cramoisi fendue de même, et
par-dessus d'une longue robe en façon de manteau de nuit; elle fut
ainsi conduite a l'église. L'a, elle fut présentée a l'évêque de Chartres par
les évêques de Nantes et de Maillezais, remplissant le rôle de pairs ecclé-
siastiques, et elle offrit sur l'autel une petite châsse d'argent doré des-
tinée'a mettre des reliques; puis elle fut conduite a son trône.
L'évêque de Chartres alla lui-même quérir la sainte Ampoule au lieu
où il l'avait déposée, et l'apporta découverte sur le grand autel. Le roi,
la voyant passer, se leva de son fauteuil par vénération. Il écouta ensuite
la requête qui lui fut adressée en latin, pour la conservation des privi-
lèges du clergé, et il répondit dans la même langue qu'il les conserve-
rait. Il jura après cela au peuple, la main sur l'Evangile et en langage
français, qu'il garderait fidèlement les lois du royaume, « après toutefois
que les évêques officiants eussent demandé, comme c'était de forme, aux
assistants, s'ils acceptaient Henri de Bourbon pour leur roi. » L'acte
du serment que Sa Majesté avait prêté fut délivré sur parchemin, pour
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 391
demeurer au trésor des fiires de l'évêché et aux archives de la ville de
Chartres.
Les ornemenis royaux lurent alors apportés. Le roi fut conduit par
les prélats au pied de Taulel, où le premier gentilhomme de la chamhre
lui ô(a sa rohe. Le chamhcllan s'approcha et lui chaussa les bottines; le
prince de Conti, (|ui représentait le duc de Bourgogne, lui mit les
éperons et les lui ôta ; l'évéque de Chartres lui ceignit l'épée royale et
la tira tout aussikU du fourreau pour la mettre sur Laulel, où il la bénit,
après quoi il la rendit a Sa Majesté, qui la donna au grand connétable
pour la porter nue, suivant l'usage, devant le roi pendant toute la
cérémonie.
Pour lors, révêijue de Chartres tira de la sainte Ampoule gros comme
un po'S d'huile, (ju'il mêla sur une assiette de vermeil avec le saint
chrême. Les évêques de Nantes et de Maillezais ouvrirent la camisole et
la chemise du roi, qui se prosterna à terre, pendant (ju'on chantait les
litanies des saints, et l'évéque de Chartres, prenant avec le pouce droit
une portion du mélange qu'il avait fait dans l'assiette de vermeil, en
sacra le roi sur le sommet de la tête, sur l'estomac, sur le dos, sur les
deux épaules et aux jointures des deux bras, en faisant le signe de la
croix. Cela fait, le grand chambellan revôîit le roi, par-dessus la camisole,
des trois vêtemenis royaux, de la tun((|ue représentant le sous-diacre,
de la dalmaiique représentant le diacre et du manteau royal représen-
tant le prêtre. Les paumes des mains du roi furent ensuite ointes, et on
lui donna les gants, l'anneau, le sceptre et la main de justice, après les
avoir bénits. Le couronnement se lit par l'évéque de Chartres, qui, pre-
nant la couronne sur l'autel, la porta à deux mains au-dessus de la tête
de Sa Majesté, mais sans la laisser loucher. En même temps, les ducs
et pairs se levèrent et y portèrent aussi leurs mains comme pour la sou-
tenir en l'air; puis l'évéque, l'ayant bénite, il la posa alors sur la tête
du roi.
Toutes ces cérémonies terminées, ce'ui qu'on pouvait maintenant
appeler l'oint du Seigneur fut conduit par l'évéque de Chartres a un
autre trône, qui lui avait été préparé devant le pupitre; la, se tenant
assis, le visage tourné contre l'autel. Monsieur de Chartres lui fit une
profonde révérence, et l'alla baiser criant à trois fois : « Vive le roi ! »
et ajoutant, à la troisième fois : « Qu'il vive éternellement! » Tout aussi-
tôt retentit de tous les côtés le même cri de « Vive le roi! » au milieu
d'un agréable concert de toutes sortes d'instruments de musique.
Pendant ce temps, on faisait largesse au peuple avec des médailles
d'or et d'argent frappées a l'effigie du monanjue. On chanta le TeDeiim.
La messe fut ensuite célébrée solennellement, et, a l'évangile, le roi se
tint debout, sa couronne ôtée et mise sur un carreau devant lui. Il baisa
le livre, qui lui fut apporté avant d'être présenté au prélat officiant. Il
alla 'a l'offrande, précédé des hérauts d'armes, et, au pied de l'autel, il
remit son sceptre entre les mains de Monseigneur d'O, et sa main de
justice a Monseigneur de Roquelaure, pour présenter lui-même son
392 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
offrande, qui consistait en vin dans un vase d'or ciselé, en un pain d'ar-
gent sur un riche carreau, en un pain d'or sur un carreau pareil, et en
treize pièces d'or a son effigie, avec cette devise : l7ivia virtuti nulla est
via (rien n'est impossible a la vertu).
Le roi se confessa ensuite, et reçut l'absolution du docteur Benoît,
son confesseur ordinaire ; puis, sa couronne lui ayant été ôtée par le
prince de Conti, il vint dire son Confiteor au bas de l'autel, où il reçut
la bénédiction de l'officiant et la communion sous les deux espèces. Sa
Majesté retourna ensuite en son logis où il y eut festin royal ; et le lende-
main, après vêpres, elle reçut le collier de l'ordre du Saint-Esprit, par les
mains du même seigneur évêque qui l'avait sacrée, et elle prononça le
serment de l'ordre dans les termes ordinaires.
Le roi, après toutes ces cérémonies, revint incontinent a Saint-Denis,
où le rappelait l'affaire de la réduction de Paris, qui était alors en meil-
leur train que jamais. Le duc de Mayenne, quelque bonne contenance
qu'il s'efforçât de faire, sentait déjà qu'un plus long séjour dans la
capitale n'était pas trop sur pour lui, et méditait de se retirer pour se
mettre au moins à l'abri des premiers coups de la tempête qu'il n'était
pas difficile de prévoir. <!f Les Parisiens, dit-il, dans une lettre qui fut
interceptée, et qu'il écrivait quelques jours avant les derniers troubles
de la ville, souffrent leur mal avec une espèce de résignation, les uns
dans l'espérance d'une paix prochaine, les autres dans l'attente des
grandes forces que leur promet l'Espagne ; mais si ces deux choses
viennent 'a manquer, il n'y a plus que les fers et les chaînes qui pour-
ront les retenir comme forçats. »
Pour motiver son départ, il eut soin d'annoncer que l'objet de son
voyage était d'aller joindre le comte Charles de Mansfeld qui avait réuni
ses forces sur les frontières de Picardie et de Thiérache, afin qu'au
printemps prochain, ils pussent entrer ensemble en campagne, avec une
armée en état d'empêcher le Béarnais de rien entreprendre sur Paris.
Puis il quitta cette capitale malgré tout ce que put lui dire la duchesse de
Nemours, sa mère, qui l'exhortait 'a faire plutôt sa paix avec le roi. « Je
prévois, lui disait-elle, que si vous sortez une fois de cette grande ville,
vous la perdrez sans retour, et vous vous ôterez par suite les moyens
de traiter 'a des conditions avantageuses pour vous et les vôtres. Je sais
qu'on trame déjà le projet de livrer Paris, après votre départ. — Qui
peut avoir une semblable intention ? dit Mayenne. — Ceux qui peuvent
l'exécuter, répondit la duchesse, ceux-l'a même en qui vous avez le plus
de confiance. » Le duc la supplia de les nommer, et la duchesse lui dé-
clara alors qu'elle avait tout lieu de soupçonner Brissac. Mayenne alla
sur-le-champ trouver celui-ci et lui fit part du soupçon qu'on avait voulu
faire planer sur sa fidélité. Brissac protesta fortement de son innocence,
et le duc partit en lui recommandant de veiller soigneusement a la con-
servation d'une ville dont il lui confiait la garde ; il eut soin d'emmener
avec lui sa femme et ses enfants, bien que dans l'assemblée des capi-
taines de quartier, tenue la veille au soir dans le couvent des Carmes, il
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 393
eût promis de les laisser a Paris, comme gage de son prompt retour.
(De Tnou, t. XII, liv. 109, p. 151).
Or, Brissac avait pour beau-frère M. de Saint-Luc qui était pour lors
a la cour de Henri IV. Par le commandement du roi, ce dernier cherclia
une occasion de parler au comte, et il en trouva une toute naturelle,
dans certains partages qu'ils avaient a régler ensemble. Les deux beaux-
frères convinrent de se rencontrer a cet efifet dans un endroit proche
Paris, pour vider leurs différends. Ce fut la que Saint-Luc communiqua
en particulier a Brissac la véritable cause (|ui lui avait fait demander
cette entrevue ; il lui lit part des ollVes du roi et il obtint de lui la pro-
messe qu'il rendrait a Sa Majesté tous les services dont il était capable;
puis tous les deux, feignant de n'avoir pu tomber d'accord sur leurs par-
tages, se retirèrent chacun de son côté, en apparence assez mécon-
tents l'un de l'autre. Mais le président Le Maître, le conseiller Mole, le
prévôt des marchands, L'iluillier et quelques autres, déjà gagnés au
parti du roi, reçurent de la cour l'ordre de s'entendre secrètement avec
Brissac sur les moyens de réduire Paris en l'obéissance de Sa Majesté.
Pendant ce temps, pour qu'il plût 'a Dieu d'envoyer un bon secours et
une favorable assistance aux bons Parisiens, M. le Légat et le Parlement
de Paris ordonnèrent pour le jeudi de la mi-carême une belle proces-
sion, dans laquelle on promena la châsse de M'"' sainte Geneviève,
patronne de la grande ville. Le prédicateur Jean (iuarinus j)ronon(;a 'a
cette occasion un sermon virulent. « Le temps est venu où les fidèles
doivent traiter comme ils le méritent ces gueux de politiques. Ils
disent aujourd'hui (]u'ils ont de leur côté le nombre et la force; nous,
nous avons pour nous la justice cpii nous fera triompher. Aux armes,
citoyens ! et sans pitié faisons main basse sur ces scélérats dignes du
dernier supplice. » (Cwet, ubi stipra. — Df. Tiior, iibi supra, p. loi.)
En effet, le bruit courut que les Ligueurs et la garnison es|)agnole
avaient résolu de courir aux armes comme les y invitait le prédicateur
Guarinus, de mettre a mort les i)rincii)aux d'entre les politiques et de
piller Paris. D'autre part, les Ligueurs disaient (jue c'étaient les poli-
tiques (pii voulaient les exterminer, et tout le monde fut en grande
transe pendant deux jours. (Cavi-t, nbi snpra.)
Alors Brissac, jugeant le moment favorable, lit avertir le roi (pi'il
ferait pendant la nuit enlever tout doucement les terres (pii bouchaient
par derrière la Porte Neuve ; (pi'avec ses amis, il se saisirait de cette
porte, et de celles de Saint-llonoré, de Saint-Denis et de Saint-Martin,
en y mettant des corps de garde à sa dévotion ; que le roi n'avait alors
qu'à se présenter d'abord a la Porte Neuve, «pii n'ollVirait aucune résis-
tance, et qu'ensuite les premiers entrés, courant le long des remparts,
iraient aider 'a déboucher les autres portes également terrassées ; qu'on
prendrait pour point de ralliement la grande rue Saint-Denis par
laquelle les troupes royales descendraient dans Paris, coupant ainsi la
communication de la garnison espagnole, qui avait ses corps de garde 'a
la pointe Saint-Eustache, avec les Wallons, (|ui tenaient le quartier du
394 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Temple ; qu'au même moment, le capitaine Jean Grossier serait au bou-
levard des Célestins avec nombre de bourgeois et de bateliers, pour
décadenasser les chaînes tendues sur la Seine, et faciliter l'entrée aux
garnisons de Melun et de Corbeil, qui descendaient de ce côlé-la par
bateau ; quant aux autres quartiers de la ville, les royalistes qui les
habitaient commenceraient, a un signal donné, par se saisir a l'improviste
des points les plus importants et les mieux fortifiés.
Le roi approuva ce plan, et indiqua le vingt-deuxième jour de mars
avant le lever du soleil pour le moment de l'exécution. Il partit lui-
même la veille au soir, avec quatre à cinq mille hommes, tant de pied
que de cheval, et se rapprocha de Paris. Ce même jour, Brissac, qui dési-
rait diminuer le plus possible les forces auxquelles les royalistes allaient
avoir affaire, dit au capitaine Jacques Ferrarois, forcené Ligueur et qui
eût pu donner de l'embarras, qu'il avait eu avis du voyage d'un gros con-
voi d'argent qu'on menait au roi ; que ce convoi avait passé vers Palai-
seau et devait traverser la rivière au bac de Rueil. « Ce serait un beau
coup, dil-il, capitaine, si vous alliez leur prendre cette riche proie. »
Le capitaine, alléché par l'appât d'un semblable butin, monta tout aussi-
tôt à cheval avec tous les siens et sortit par la porte Saint-Jacques, qui,
par l'ordre du gouverneur, fut aussitôt refermée sur lui, lui laissant
la liberté de courir toute la nuit la campagne.
De plus, vers le soir, on avait fait entrer bon nombre de gens de
guerre qui se disaient soldats de l'Union, et qu'on logea dans les diffé-
rents quartiers chez les bourgeois affidés pour s'en servir aisément. On
répandit également le bruit que le duc de Mayenne venait de faire son
traité avec le roi, et sous ce prétexte, on fit prendre les armes 'a ceux
de la garde civique, sur lesquels on pouvait compter, pour empêcher,
disait-on, le désordre qu'une pareille nouvelle ne manquerait pas de
causer dans la capitale.
De leur côté, les Ligueurs ne parurent plus dans la ville en habits
bourgeois, mais tous armés de pied en cap et la mine menaçante ; on
les voyait se promener dans les rues, tantôt en donnant des défis aux
politiques, tantôt en leur promettant une nouvelle Saint-Barthélémy.
{Journal de Henri IV, t. I, p. 480 et seq.)
Cependant le duc de Féria et don Diego d'Ibarra furent avertis qu'il
y aurait sur l'heure de minuit une entreprise sur la ville. Quelques-uns
(le ceux qui étaient du complot prévinrent même charitablement ceux
de leurs voisins dont ils connaissaient les opinions ligueuses qu'ils
eussent 'a se tenir cois en leurs maisons, s'ils entendaient du bruit 'a
cette heure-la. Ces avertissements émurent tellement Féria et Ibarra
qu'ils firent venir le comte de Brissac et lui enjoignirent de se tenir sur
ses gardes. (Legrain, Décad., liv. 6, p. 276 et seq.)
Il répondit qu'il ne pouvait croire 'a la réalité d'un pareil danger,
pour le moment, mais que toutefois, pour ne rien négliger, il allait faire
lui-même la ronde sur les murailles. Comme on avait déjà quelques
soupçons sur son compte, les ambassadeurs voulurent qu'il emmenât
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 395
avec lui plusieurs officiers espagnols, qu'ils lui donnèrent pour l'accom-
pagner, et secrètement ils chargèrent ceux-ci de le tuer au premier
bruit suspect qu'ils entendraient.
La nuit était froide et pluvieuse, le comte fit tranquillement sa ronde
avec ces dangereux acolytes, et comme il avait prévu le coup, on n'en-
tendit pas le moindre bruit. Il les reconduisit trempés d'eau et glacés,
sur les deuxbeures du matin, a l'bôlel de l'ambassade où il fit son rap-
port. « C'était, dit-il froidement, ainsi que je l'avais bien prévu, des pro-
pos de femmelettes; vos seigneuries peuvent dormir tran(|uilles. »
Les Ligueurs de la ville avaient aussi passé la nuit 'a veiller et à faire
des rondes. Voyant l'heure indiquée comme celle du danger écoulée
depuis longtemps, sans (jue rien eût bougé, ils sentirent aussi le besoin
de se retirer pour se sécher et se réchauffer dans leurs lits. Vers les
trois heures du matin, il n'y avait plus personne, dans les rues ni dans
les corps de garde, autres que ceux qui avaient été commandés i)Our le
service de cette nuit, et qui, conime on sait, étaient tous dans le com-
plot.
Alors les royalistes se rendirent silencieusement, chacun au poste
(pii lui avait été indiqué ; Brissac plaça à la porte de rhôlel du duc de
Féria un fort corps de garde, avec ordre défaire feu sur quiconque ten-
terait d'en sortir. Lui-même et le prévôt des marchands coururent 'a la
Porte-Neuve, où le roi devait d'abord entrer, etl'échevin Langlais se tint
à la porte Saint-Denis.
Il était déjà quatre heures du matin, et personne ne paraissait encore.
Langlais, ne pouvant résister a son inquiétude, lit abaisser la bascule,
sortit dans la campagne et rentra sans avoir rien découvert. Il sortit de
rechef, et cette fois il rencontra Vitry qui avait ordre de Sa Majesté
d'entrer par cette porte, et il s'empressa de la lui faire ouvrir.
Au même instant, le roi était près des Tuileries. Au moment où la
cloche des capucins sonnait l'angelus du point du jour, il commanda à
M. d'O de s'adresser a la Porte-Neuve. Aussitôt, le pont-levis de cette
porte tomba. D'O et sa compagnie, qui étaient "a pied, ne donnèrent pas
le temps qu'on leur ouvrit la barrière ; ils sautèrent par-dessus, tour-
nèrent à gauche vers la porte Saint-llonoré, qu'ils ouvrirent à ceux de
leurs compagnons qui devaient entrer par la, et eurent surtout grand
soin de retourner contre la ville les canons des remparts, de manière h
pouvoir les tirer le long des grandes rues et les balayer au besoin avec
la mitraille.
Cependant un autre détachement des troupes royales, à la tète duquel
était Matignon, s'était acheminé le long de l'école Saint-Germain. Quel-
ques lans(|uenets qui étaient dans un corps-de-garde voisin voulurent
d'abord opposer de la résistance ; mais ils furent incontinent taillés en
pièces ou jetés a l'eau ; ])uis, sans s'arrêter plus longtemps, les royaux
coururent se saisir du palais et de toutes les avenues des |)onts.
Aussitôt que le roi parut a la Porle Neuve, Brissac lui présenta une
belle écbarpe en broderie, et Henri, l'accolant gracieusement, l'honora du
396 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
litre de Maréchal de France, lui passant au cou l'écharpe blanche qu'il
portait lui-même ce jour-la. Le prévôt L'huillier présenta aussi sur un
plat d'argent les clefs de la ville, que Sa Majesté reçut avec grand conten-
tement, et ledit sieur prévôt en eut peu après pour récompense la charge
de président en la Chambre des Comptes. (Mézerav, t. 111, p. 1081.)
V^itry descendait alors par la rue Saint-Denis, après avoir culbuté
quelques Espagnols qui s'étaient postés non loin de cette porte ; il vint
se joindre a ceux des troupes royales que commandait Matignon, et qui
s'étaient déjà saisies du grand Châtelet. Le petit Châtelet, de l'autre côté
de la Seine, était également pris par les bourgeois royalistes. (Cayet,
ubi supra.)
Les Wallons et les autres troupes espagnoles avaient d'abord fait
contenance de sortir en armes de leurs quartiers, et de venir au moins
disputer la ville a ceux qui s'en emparaient si rapidement. Mais en enten-
dant la retentissante voix du peuple crier partout : Vive le roi ! vive la
paix ! en apprenant presque au même moment que Sa Majesté était déjà
maîtresse du Louvre, que le palais était pris, que les principaux points et
lieux de défense étaient dans tous les quartiers au pouvoir des royalistes,
le découragement les prit, et ils restèrent tristement l'arme au bras.
Le roi s'avançait alors par la rue Saint-llonoré, tout étonné de se voir
enlin dans cette grande ville, au milieu d'une population si nombreuse et
qui donnait partout des marques d'un vif enthousiasme. Ayant avisé un
de ses soldats qui prenait par force du pain sur la boutique d'un boulan-
ger, il y courut lui-même, et voulait tuer ce voleur. Passant de la devant
les Innocents, 'a la fenêtre d'une maison qui fait le coin, il aperçut un
homme qui, sans se découvrir, le regardait lièrement, et qui ne se retira,
en fermant la fenêtre, que quand il entendit la foule murmurer contre
son audacieuse impertinence. Sa Majesté n'en lit que rire et défendit
expressément a ceux des siens qui s'indignaient d'entrer dans la
maison pour y fâcher ou molester qui que ce soit. {Journal de Henri IV,
t. Il, p. 2 et seq.)
Se dirigeant ensuite vers le Louvre et entendant toute cette foule
empressée crier si allègrement : Vive le roi ! « Je vois bien, dit-il tout
haut, qu'il a fallu que ce pauvre peuple ait été cruellement tyranisé,
pour avoir été aussi longtemps empêché de se donner a moi, comme il
s'y donne aujourd'hui d'aussi bon cœur. » El comme ses capitaines des
gardes voulaient faire retirer ceux qui s'approchaient trop de sa personne,
et qui encombraient le passage : « Laissez-les approcher, s'écria-t-il
joyeusement, ce sont mes enfants, et j'aime mieux avoir un peu plus de
peine 'a arriver, et qu'ils me voient tout 'a leur aise. Ne comprenez-vous
pas qu'ils sont affamés de voir un roi ? »
Dès qu'il eut mis pied à terre, comme premier acte de l'autorité
qu'il venait de reconquérir dans sa capitale, il envoya sommer le duc
(le Féria de lui renvoyer le capitaine Saint-Quentin, colonel des Wallons,
qui, disait-on, venait d'être condamné 'a être pendu, et qui ce jour même,
dans l'après-midi, devait subir son supplice, pour avoir eu des relations
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 397
avec les royalistes et avoir voulu se rendre du parti du roi. Le duc le
rendit incontinent ; et en retour, Sa Majesté fit dire a Sa Seigneurie
qu'on lui donnerait un sauf-conduit ainsi (|u'à la garnison étrangère,
pour se retirer en Flandre, a condition qu'il ne serait plus l'ait aucune
tentative, pour prolonger une lutte ne pouvant désormais être que san-
glante sans servir aucun parti.
Le duc de Féria et don Ibarra, acceptèrent cette proposition avec
empressement, et à l'instant même eux et la garnison firent leurs prépa-
ratifs pour sortir sans retard d'une ville où ils comprenaient bien qu'il
n'y avait plus sûreté pour eux a demeurer, attendu la tournure que
prenaient les choses.
Le roi, voyant alors qu'il n'y avait plus rien à craindre de ce côté, se
lit désarmer et ôter son casque, puis il commanda a un de ses gentils-
hommes d'aller 'a Notre-Dame et d'y annoncer qu'il désirait y ouïr la
messe, et rendre grâces a Dieu de ce grand succès. Et tout aussitôt, il
remonta a cheval et s'avança vers la sainte basilique, accompagné des
seigneurs de sa cour, entouré d'une foule innombrable qui criait joyeu-
sement : « Vive le roi ! » et précédé de six cents hommes armés de
toutes i)ièces, maintenant leurs piques derrière eux en signe de victoire
volontaire. 11 descendit de cheval a la porte de l'église, où, en l'absence
de l'archevêque exilé par les Ligueurs, il fut reçu par messire de Dreux,
l'un des archidiacres, assisté de tous les ecclésiastiques (pii se trouvaient
encore a Paris. L'archidiacre, tenant un crucifix en main et s'agenouil-
lant, dit : « Sire, vous devez en efl'et louer et remercier Dieu qui vous
a toujours conservé l'honneur, et (jui vous rend aujourd'hui votre héri-
tage légitime. Mais vous devez aussi, à l'imitation de Notre Seigneur
Jésus-Cbrist, dont vous voyez entre mes mains l'image et portrait, par-
donner a votre peuple et en avoir soin, comme il a lui-même eu soin de
son troupeau, afin qu'étant bon roi par la grâce de Dieu, vous i)uissiez
avoir un bon peuple. »
Sa Majesté répondit : « Oui, je remercie Dieu, du bien qu'il m'a fait,
([uoi(ju'indigne, mais principalement de ce qu'il a daigné me convenir
a la religion catholique, apostolique et romaine, la seule vraie et en
laquelle je proteste, moyennant son aide, vivre et mourir. Quant aux
soins et a la défense que je dois a mon peuple, j'y emploierai jus(|u"a
la dernière goutte de mon sang et a mon dernier souflle de vie : ce dont
j'appelle Dieu et la Vierge a témoin. »
Le roi baisa ensuite le crucifix, entra dans le chœur et vint s'agenouil-
ler au pied du maître autel, où, s'étant signé, il fit d'abord ses prières ;
puis lui fut dite une messe basse, pendant qu'on chantait le Te Deum en
musique, et sa piété était si profonde, « (]uc plusieurs des regardants
ont affirmé qu'ils avaient vu un ange auprès de lui, sous la forme d'un
bel enfant qui disparut, sans qu'on ait pu voir comment, quand la messe
fut finie. » (Cavkt, ubi supra.)
Pendant (jue le roi faisait ainsi ses dévotions, Brissac, le prévôt des
marchands et l'échevin Langlais, accompagnés de hérauts d'armes et de
398 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
trompettes, s'en allaient par les divers quartiers de la grande ville,
annonçant de rue en rue que le roi faisait grâce et pardon a tous, sans
exception, et ils distribuaient a profusion des écliarpes blanches et
semaient partout des billets qui avaient été imprimés dès la veille a
Saint-Denis, et dont la teneur était telle : « De par le roi : Sa Majesté,
désirant réunir tous ses sujets, et les faire vivre en harmonie et félicité,
notamment les habitants de sa bonne ville de Paris, veut et entend que
toute chose passée depuis le commencement de ces malheureux troubles
soit oubliée ; défend a tous ses gens de justice défaire aucune recherche,
même contre ceux qu'on appelait vulgairement les Seize, promettant sa
dite Majesté de pardonner à tous et de conserver a chacun tous ses
biens, privilèges et états ; comme aussi elle jure solennellement de vivre
et mourir dans notre sainte religion catholique, apostolique et
romaine. »
Pendant que Ton se passait ces billets de main en main et que
chaque bonne âme bénissait Dieu, le bruit se répandait en même temps
que le premier soin du roi avait été de courir a Notre-Dame, où il faisait
actuellement ses dévotions avec une piété exemplaire. Le son de toutes
les cloches de la cathédrale que l'on avait mises en branle, et l'enthou-
siasme des fidèles portèrent cette nouvelle dans les quartiers les plus
reculés, et il accourut sur la place du parvis une foule si nombreuse que
la place elle-même, et toutes les rues qui y aboutissent, n'étaient plus
assez grandes pour contenir cette multitude qui criait : « Vive le roi, »
avec un bruit presque aussi retentissant que le tonnerre.
Quelques-uns des plus forcenés Ligueurs, comptant encore sur leur
ancienne influence, voulurent alors se mettre en armes. Hamilton, curé
de Saint-Côme, sortit de son logis comme un furieux, portant une
longue pertuisane et se faisant suivre de deux ou trois de ses plus
dévots paroissiens, qu'il avait longuement prêches et endoctrinés pour
les décider â s'armer comme lui. Son intention était d'aller prêter main-
forte au brave Crucé ; mais il fut rencontré près l'hôtel de Cluny par le
conseiller Du Vair, lequel lui mit en main un de ces billets imprimés,
portant pardon général même pour les Seize, et lui dit que s'il passait
outre, il allait se faire mettre en pièces par la populace. « Ce que vous
avez à faire de mieux, ajouta le bon conseiller, c'est, messire, de
retourner bien vite â votre église, et d'y faire chanter un beau Te Deum,
pour rendre grâces a Dieu de la réduction de Paris en l'obéissance de
son roi. » Le belliqueux curé, tout déconcerté, s'en alla poser ses
armes et on ne le vit plus depuis. {Journal de Henri IV, t. 1er,
p. 486.)
Quelques-uns, du côté de la porte Saint-Jacques, s'étaient aussi
armés. C'étaient surtout ceux qui avaient fait les écriteaux qu'on avait
attachés au cou du président Brisson et de ses malheureux compagnons,
et qui avaient conduit les cadavres a la place de Grève, après que les
Seize les eurent fait prendre au Châtelet; mais quoiqu'il y eût dans ce
quartier un grand nombre de gens qui recevaient au moins un minot
J
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 399
(le blé par semaine des Espagnols, toutes les instances de leurs chefs ne
purent les décider. Le son des cloches de Notre-Dame et la nouvelle que
le roi y entendait la messe, aHirèrenl aussi tous les habitants de ce
quartier sur la place du parvis, où ils ne lurent pas des derniers à
crier : « Vive le roi ! »
Au carrefour Saint-Yves, il y avait un serrurier (jui sortit de chez lui
avec un mousquet, et ayant réuni quelques-uns de ses amis et voisins,
il se préparait a faire une barricade au coin du couvent des Malhurins.
Le prieur se montra revêtu de ses habits de chœur. « Je vous délends,
dit-il, de rien remuer ici, parce que ces maisons-la appariiennenl a notre
saint couvent, et le premier qui touchera a un seul pavé peut se tenir
sûr d'être pendu. » La fermeté de ce vénérable religieux les fit retirer ;
et le serrurier criant : « Nous sommes vendus ! » rompit de désespoir
son mousquet et le mit, devant tout le monde, eu une infinité de
pièces.
A rinstant même, passait dans celte rue un héraut d'armes, vêtu
d'une casaque de velours violel, semée de Heurs de lys d'or. Il se fai-
sait précéder de dix ou douze irompelies sonnant devant lui, et il était
suivi d'une grosse troupe d'hommes et de petits enfants, s'évertuant 'a
qui mieux mieux a crier : « Vive le roi ! » Le héraut fit halle îi ce même
carrefour et lut tout haut l'un de ces billets qui promettaient pardon
pour tous; puis il se mit a en distribuer avec profusion des e\emplaires
a la foule. Un (piincaillier du voisinage voulut le tuer et le coucha en
joue, du haut de sa fenôlre, avec une longue arquebuse, mais l'arme rata
par trois fois, ce qui élait une grâce spéciale de Dieu, car le héraut était
gros et puissant, et olïVait un large point de mire.
Cependant Crucé avait envoyé avertir les factieux de son quartier de
venir se joindre a lui. Il parvint 'a en rassembler dix ou douze, et, laper-
tuisane au poing, il monta avec eux vers la porie Saint-Jacques, dans
l'intention de se saisir de cette porle. Mais il fut rencontré par Brissac,
auprès de la rue Saint-Etienne des Grés, lequel lui remit quelques-uns
des billets imprimés qu'il accompagna de force bonnes paroles, et Crucé
et les siens se retirèrent chacun chez soi. Ainsi fut pacifié tout le quar-
tier de l'Université.
De son côté, M. de Saint-Luc, après avoir rangé en bataille, dans tous
les lieux qu'il crut nécessaires d'occuper, les troupes qui étaient entrées
dans la ville, alla trouver de la part de Sa Majesté les cardinaux de
Plaisance et de Pellevé, et les duchesses de Nemours et de Monlpen-
sier. Il assura a chacun de ces personnages qu'il ne leur serait fait ni
disgrâce, ni déplaisir, et qu'ils pouvaient demeurer sans inquiétude en
leurs hôtels, pour la conservation et la garde desquels il leur donna des
archers de la garde du roi, ajoutant que c'était plutôt pour leur tran-
quilliser l'esprit que par besoin qu'il prenait cette mesure, puisque Sa
Majesté, avant son entrée dans sa capitale, avait exigé de chaque capitaine
le serment de ne faire tort quelconque, sinon â ceux qui se raidiraient
à quelque opiniâtre résistance.
400 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Madame de Nemours, bien que déconfortée, rendit humblement grâce
3 la clémence de Sa Majesté et en dit un grand merci bien bas. Pour
Madame de Montpensier, elle parut d'abord tellement désespérée et
éperdue, qu'elle demanda s'il n'y avait la personne qui pût lui rendre
le service de lui donner un coup de poignard dans le cœur, mais ayant
repris uu peu ses sens, elle tourna sa colère contre Monsieur de Brissac,
qui n'était pas la pour l'entendre, l'appelant méchant et traître ; elle
ajouta que, depuis longtemps, elle le connaissait pour lâche et poltron;
mais que ce n'était que de ce jour qu'elle apprenait qu'il était un
homme sans foi et sans reconnaissance.
Pour le cardinal de Pellevé, il était pour lors au lit, malade depuis
déjà quelques jours ; cette nouvelle, que vint lui apporter Saint-Luc, que
le roi était dans Paris, fit tourner le pauvre homme a la mort. Le trans-
port le prit pour ne plus le quitter qu'avec la vie, et on l'entendit crier a
plusieurs reprises : « Qu'on le prenne ! qu'on le prenne ! » puis il
mourut dès le lendemain. Le légat était également malade ; il venait
d'adresser a tous les catholiques de France une lettre dans laquelle il
les assurait que Sa Sainteté était bien décidée a ne pas approuver l'ab-
solution donnée au Béarnais. La nouvelle que le roi était déjà dans Paris
augmenta son mal ; mais il se sentit pourtant encore assez de forces
pour demander un sauf-conduit, afin de se retirer non seulement de
Paris, mais de tout le royaume qui venait de se donner à un roi excom-
munié. Il refusa fièrement de voir Sa Majesté, et il partit en eflet, accom-
pagné du docteur Aubry, curé de Saint-André-des-Arts, du père Varade,
Jésuite, tous deux compromis dans le procès de Barrière et de l'évêque
de Senlis. Le roi voulut bien lui permettre d'emmener avec lui ces
trois personnages, et Monseigneur le Légat prit tristement et tout souf-
frant la route d'Italie ; son mal s'étant encore accru par le chagrin
et par la fatigue, il mourut en chemin. (Legraiis, Décad., liv. G,
p. 271.)
Le roi était pendant ce temps-là rentré au Louvre, et moins de deux
heures après, toute la ville avait repris son train ordinaire. Les bou-
tiques étaient ouvertes, et les habitants se mêlaient sans crainte avec les
gens de guerre qui venaient de s'emparer de leur cité. La confiance
était telle que des sergents osèrent bien saisir les bagages du sieur de
Lanoue, l'un des principaux chefs de l'armée royaliste, au moment oii
il les faisait entrer dans Paris. La cause de cette saisie était, dit-on,
quelques dettes que son père avait jadis contractées pour le service
du roi. « Lanoue, lui dit Henri, quand il vint se plaindre à lui de cette
insolence, il faut payer ses dettes; je paie bien les miennes. » Mais
après lui avoir parlé ainsi en public, il le tira à part et lui donna ses
pierreries, pour les engager et retirer ses bagages. (Péuéfixe.)
Après dîner, Sa Majesté monta à cheval et vint à la porte Saint-
Denis, pour voir sortir la garnison espagnole qui allait abandonner la
ville. Elle salua courtoisement tous les chefs à mesure qu'ils défilaient
devant elle; et quand passèrent le duc de Féria, Ibarra et Taxis:
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 401
« Messieurs, leur dit-elle, présentez, je vous prie, mes civilités à votre
maître ; mais n'y revenez plus. » Et comme la pluie tombait alors par
torrents, on disait parmi les courtisans (jue c'était bien fait et que le
ciel voulait laver ces Marannes de toutes leurs noirceurs. Ils étaient au
nombre de trois mille ; le sieur de Saint-Luc et le baron de Salignac les
allèrent conduire jus(|u'au Bourget, et de là, ils furent escortés par un
fort détachement de troupes royalistes jusqu'à la frontière des Pays-
Bas, qu'on ne leur laissa franchir qu'après avoir exigé d'eux le serment
de ne porter jamais les armes en France contre Sa Majesté ; mais
Saint-Quentin, colonel des Wallons, qui avait à craindre d'être pendu,
comme il y avait été déjà condamné, aima mieux s'en revenir à Paris
avec une grande partie de son régiment, dont fut faite une compagnie
au service du roi. (Cavet, uhi siip.)
Le docteur Boucher et les prédicateurs du parti de la Ligue, n'osant
trop se fier à la clémence d'un maître qu'ils avaient si souvent et si
cruellement offensé, étaient sortis avec les troupes espagnoles, sans
qu'on cherchât a y mettre d'em|)échement, et avaient pris avec elles la
route de Flandre. Après le départ de tous ces gens-là, qui avaient si
longtemps troublé la paix du royaume, on ht sur le soir une infinité de
feux, autour desquels les uns chantaient le Te Deiim, les autres criaient :
« Vive le roi ! » Cependant, Sa Majesté, enivrée d'aise, s'était mise
'a table pour le dîner. Alors parurent certaines personnes à la mine grave
et à l'air effaré, qui venaient, disaient-elles, lui apporter des avis impor-
tants et qui voulurent lui glisser quelques mots à l'oreille. « Ma foi,
messieurs, s'écria Henri, je vous conlesse que dans le contentement que
j'éprouve aujourd'hui, je ne sais ni ce que vous me dites, ni ce que je
dois vous répondre. » Et il se mit 'a manger de grand appétit. (D'Aubigné,
Histoire univ . , t. III, p. 50 i.)
Puis Messieurs de la ville vinrent après son dîner lui présenter l'hip-
pocras, les dragées et les llambeaux, le priant d'excuser la pauvreté de
sa bonne ville de Paris, qui n'était pas en état de lui faire de plus
riches présents pour sa joyeuse entrée. « Vous m'avez fait présent de
vos cœurs, répondit-il, et je les estime plus que toutes les richesses du
monde. » {Journal de Henri IV, ubi sup.)
Après cela, il alla faire une visite à Madame de Nemours, chez
laquelle il trouva Madame de Montpensier. Il leur demanda, en riant, si
elles n'étaient pas bien étonnées de le voir à Paris. « Sire, répondit
Madame de Mont|)ensier, ([ue pouvons-nous dire autre chose, sinon que
vous êtes un grand roi, aussi clément que généreux? » A quoi le roi
répondit gracieusement : « Je sais, ma noble cousine, à quoi m'en tenir
sur cette louange que vous voulez bien m'accorder ; mais je sais aussi
que vous êtes en grande colère contre ce pauvre Brissac qui m'a rendu
ma bonne ville. Il faut, un jour que vous serez de loisir et n'aurez
rien de mieux a faire, que je m'applique 'a faire votre paix avec lui.
— Sire, réplicpia la duchesse, cette paix est toute faite. Brissac a fait
merveilles, il a plus fait en quelques heures que sa femme en quinze
IV. 26
402 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
ans ; elle n'a jamais pu l'aire chanter qu'un seul coucou, au lieu que lui
a fait chanter .plus de cinquante mille perroquets a Paris, et leur a
appris à crier : Vive le roi ! Ce que je regrette seulement, c'est que mon
frère, Monsieur de Mayenne, n'ait pas été là, pour vous abaisser lui-même
le pont, quand vous êtes entré dans votre heureuse capitale. — Ventre
saint gris ! s'écria alors le roi, je crois, madame, qu'il m'aurait alors fait
attendre bien longtemps à la porte ; mais laissons cela, et faisons, si
vous le voulez bien, une partie au jeu de cartes. » Le roi joua et per-
dit galamment. {L'Estoile, ad ann. 1594.)
Dès le lendemain de ce jour mémorable, Monsieur d'O, gouverneur
de l'Ile-de-France sous le feu roi, fut remis par Sa Majesté en posses-
sion de son gouvernement de Paris, dont il avait été dépossédé par la
Journée des Barricades, et en cette qualité, il fut chargé d'aller recevoir
le serment de tous les officiers de la ville. (Cayet, ubi siip.)
Messire Jean Séguier, lieutenant civil, qui pendant tout le temps de
la guerre avait exercé sa charge 'a Mantes, et en dernier lieu a Saint-
Denis, ayant fait venir chez lui tous les libraires et imprimeurs, leur
ordonna d'avoir à supprimer les livres injurieux, publiés tant contre
le feu roi que contre le roi actuel, leur défendant de vendre a l'avenir de
pareils écrits, sous peine de la vie et de la confiscation des biens
contre ceux d'entre eux chez lesquels il en serait trouvé, et contre les
auteurs qui en composeraient a l'avenir. (De Tiiol, ubi sup., p. 142.)
En même temps, monsieur le Chancelier, qui arrivait de Senlis où le
roi avait dépêché un courrier pour lui commander de venir le trouver
en toute diligence, s'en alla accompagné des officiers de la couronne et
de plusieurs pairs de France au palais de justice. « Et d'autant que ceux
de la cour du Parlement étaient demeurés interdits et suspendus de
tout pouvoir légal, tant par le feu roi Henri III que par le roi régnant,
et qu'il était besoin qu'on vît la justice reprendre son train et cours
ordinaire sans aucun relard, pour ne laisser les choses en confusion; le-
dit sieur chancelier fit d'abord lire l'édit et déclaration du roi sur la
réduction de Paris ; puis il produisit les lettres de rétablissement de la
cour du Parlement, après la lecture desquelles tous les membres de la
cour prêtèrent le serment de fidélité entre ses mains. » {Mém. de Che-
verny, 1594.)
Pareille cérémonie eut lieu ce même jour, dans toutes les autres
compagnies souveraines, savoir : la Chambre des Comptes, la Cour des
aides et la Chambre des Monnaies ; et pareillement au Châtelet de
Paris, Monsieur Séguier fit faire lecture de la même déclaration, et reçut
le serment des conseillers de cette cour.
Tous ceux pourtant des membres de ces compagnies qui avaient i
contribué par leur défection a brouiller les affaires dans les temps mal-;
heureux qui venaient de s'écouler ne furent pas reçus du roi avec la^
même bienveillance. Le président de Nulli étant venu pour lui faire laj
révérence : « Allez lui demander, dit-il 'a Sancy, en quelle qualité il se
présente ici. ■ — En qualité de très humble sujet et serviteur de Sa
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 403
Majesté, répondit Nulli. » Le roi, qui rentendit, lui renvoya dire
« (|iril ne tenait point pour ses sujets, ni pour ses serviteurs, ceux (jui
s'étaient rendus au service de l'Espagne et qu'il lui conseillait de s'en
aller avec ceux qui l'avaient acheté et payé. »
Au président llac(jueville il se contenta de dire : « Je suis bien aise
de vous voir, monsieur; je sais tous les bons oUices qu'il a été dans
votre intention de me rendre, et je vous en remercie. Toutefois, je sais
aussi (jue, quand il était question de ([uelque affaire qui importait à mon
service, vous aviez toujours le malheur d'être malade ; mon avis est
donc que vous alliez tout de ce pas soigner votre précieuse santé. »
Pour le secrétaire Nicolas, de la Chambre des Comptes, il lui
demanda en riant a quel parti il s'était attaché pendant les troubles.
« Ma foi ! sire, répondit Nicolas, j'ai sottement quitté le soleil, pour
suivre la lune, ce qui ne prouve |)as beaucoup en faveur de mon juge-
ment. — Et ({ue penses-tu maintenant, en me voyant ici ? — Je pense
qu'on a rendu à César ce qui appartient à César. — Ventre saint gris!
répondit Henri, en éclatant de rire, ce n'est pas cela du tout. On ne m'a
pas fait l'honneur de me traiter comme César, on ne m'a rien rendu du
tout; on me l'a bien vendu et encore assez cher. » {Journal de Henri IV,
t. II, p. 7 et sniv.)
Le sieur Dubourg, (jui était [)our lors gouverneur de la Bastille, vou-
lait sans doute être aussi du nombre de ces vendeurs. Aussitôt qu'il avait
eu avis de l'entrée du roi a Paris, il avait fait sortir un certain nombre
de ses soldats, qui s'en allèrent piller les maisons voisines et les moulins
'a vent qui sont hors des remparts; ils prirent toutes les farines et autres
provisions (jui y étaient, avec quantité de vin (ju'ils trouvèrent sur le port
et (|u'ils ramenèrent dans la forteresse ; après quoi leur gouverneur jura
de ne (juitter la place (ju'a de bonnes conditions, et de fait, il commença
il envoyer le long de la rue Saint-Antoine quelques décharges de son canon,
dont les boidets atteignirent plusieurs personnes et effrayèrent toutes les
autres, en attendant (ju'on lui fit qnel(|ues j)ropositions convenables ;
mais quand il vit qu'au lieu de cela le roi laisait ses préparatifs pour
l'attacjuer furieusement, il se hâta de demander lui-même à traiter, et il
obtint |)our toute condition qu'il sortirait, lui a cheval et ses soldats avec
leurs armes, et qu'ils seraient conduits en sûreté, jusqu'à la première
ville tenant le parti de la Ligue. Il partit furieux, portant l'écharpe noire,
et disant que Rrissac, qui avait été plus heureux que lui, n'était (ju'un
traître ; qu'il l'appellerait en combat singulier et qu'il lui mangerait le
cœur. (Caykt, ubi sup.)
Le même jour et h de pareilles conditions fut également rendu le
château de Vincennes, par le capitaine Heaulieu.
Cependant la déclaration royale touchant la réduction de Paris, qui
avait (léj'a été lue dans toutes les cours souveraines, venait d'être rendue
publique. Elle contenait, outre les dispositions déjà publiées dans les
billets imprimés à Saint-Denis, « que dans la ville de Paris, ses faubourgs
et 'a dix lieues 'a la ronde, il ne serait lait d'exercice autre que de la
404 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
religion catholique ; que la ville était réintégrée dans tous les anciens
privilèges, franchises et immunités qu'elle tenait de la libéralité des rois
précédents ; que les arrêts de justice donnés entre personnes qui avaient
volontairement contesté devant les tribunaux de la Ligue auraient leur
plein effet. » Quant aux exécutions a mort, qui avaient eu lieu a l'occa-
sion et pour des cas dépendant des troubles, elles ne préjudicieraient en
rien a la mémoire des défunts, ni à l'honneur des familles, et la peine
de la conliscatiou des biens des condamnés était annulée. Tous les habi-
tants, en prêtant le serment ordonné, rentraient de plein droit dans leurs
biens, bénéfices et honneurs, nonobstant les dons qui pourraient en
avoir été faits. Les provisions d'oflices faites par le duc de Mayenne
étaient déclarées nulles, a l'exception de celles de ces provisions qui
auraient été obtenues par mort ou résignation de ceux du même parti,
pour lesquelles, toutefois, il faudrait obtenir du roi de nouvelles lettres,
qui seraient expédiées gratuitement. Les absents jouiraient des mêmes
bénéfices, pourvu qu'ils revinssent dans un mois, faisant les soumissions
requises. Les comptes et arrérages de rente et tout compte rendu par
les coupables, devant les affaires de finance, qui étaient restés a Paris,
ne seraient point sujets a revision, excepté en ce qui pourrait être regardé
comme violence et dol.
Le lendemain de la publication de cet édit, et pour en rendre grâce
à Dieu, fut faite une procession générale, dite vulgairement procession
du roi, 'a laquelle Sa Majesté assista accompagnée des grands officiers
de sa couronne et des principaux seigneurs de la cour. On y promena
par les rues la vraie croix, la couronne d'épines, le chef du roi saint
Louis, avec une infinité d'autres précieuses reliques qu'on y apporta de
toutes les églises et moutiers, de Paris et des environs.
Ensuite le Parlement de Paris fit publier un arrêt en ces termes :
« La cour, ayant le douzième jour de janvier dernier interpellé le duc
de Mayenne de reconnaître le roi, et, par Ih, de procurer la paix 'a ce
royaume, sans que le dit duc ait voulu y entendre, empêché qu'il était
par les artifices des Espagnols et de leurs adhérents ; depuis. Dieu
ayant, par sa bonté infinie, délivré cette ville des mains des étrangers :
à ces causes, après avoir solennellement rendu grâce 'a Dieu de cet
heureux succès, et voulant employer aussitôt l'autorité souveraine déposée
entre ses mains pour la conservation du royaume et de la religion, et
pour empêcher que, sous le faux prétexte de défendre cette dernière,
les étrangers ne s'emparent de l'État, avons déclaré et déclarons tous
arrêts, décrets, ordonnances et serments donnés depuis le vingt-neu-
vième jour de décembre 1588, au préjudice de l'autorité de nos rois
et des lois du royaume, nuls, comme extorqués par force et violence.
Voulons qu'ils demeurent supprimés et abolis, et spécialement tout ce
qui a été fait contre l'honneur du feu roi Henri 111, tant en son vivant
qu'après son décès. Faisons défense 'a toute personne de parler de sa
mémoire autrement qu'avec tout honneur et respect, et ordonnons qu'il
soit informé du détestable parricide commis en sa personne. La cour
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 405
révoque le pouvoir ci-devant donné au duc de Mayenne, sous la qualité
de lieutenant-général de l'État et couronne de France ; fait défense a
toute personne, de qiiel(]ue état et condition qu'elle soit, de le recon-
naître dorénavant en cette qualité, lui prêter obéissance, confort ou
aide, a peine d'encourir la punition du crime de lèze-niajeslé au premier
chef. Enjoint sous la même peine au duc de Mayenne et aux autres
princes de la maison de Lorraine de reconnaître Henri, quatrième du
nom, pour roi de France et de Navarre et pour leur souverain ; leur
ordonne, ainsi (ju'a tous autres, prélats, seigneurs, gentils hommes ou
gens du tiers, de «juitter le prétendu parti de la Ligue, sous peine de
dégradation, de confiscation de corps et de biens, rasement et démoli-
lion des villes, châteaux et maisons de tous ceux (jui contreviendraient.
Déclare nulle, comme faite par personnes privées et factieuses, l'assem-
blée des prétendus États-Généraux tenue dernièrement dans cette bonne
ville de Paris, casse tout ce (jui a été fait et arrêté dans cette assemblée,
et lui défend de plus se réunir a Paris, ou ailleurs, sous peine d'être,
ceux qui assisteraient a une pareille réunion, traités et punis comme
conspirateiH's et perturbateurs du repos public. Enjoint à ceux de ces
prétendus députés qui sont encore de présent à Paris de se retirer
chacun chez soi, pour y vivre en l'obéissance du roi, et y faire le ser-
ment de fidélité par devant les juges du lieu. Ordonne enlin que toutes
processions, fêles et solennités insliluées pendant les troubles et a l'oc-
casion d'iceux cesseront, et qu'en leur place sera désormais solennisé
le vingt-deuxième jour de mars, qui a mis si heureusement lin aux maux
de la France. Voulons que ce jour-la, il soit fait procession générale, où
la cour assistera en robes rouges, pour rendre grâces a Dieu de l'heu-
reuse réduction de la ville en l'obéissance de son roi. » (il/m. de la
Ligue y ubi supra.)
Après la publication de cet arrêt, comme le roi élail dans la chapelle
de Bourbon, a dire ses menus suffrages, le recteur, les docteurs et
suppôts de ri'niversité virn-ent en corps se prosterner 'a ses pieds, le
suppliant humblement d'étendre sur eux sa bénignité. Or, quelques
ecclésiastiques et théologiens se sentaient encore du scrupule en l'esprit,
trouvant (jue ce n'était pas assez que le roi se fût fait catholique, mais
(pi'il fallait encore qu'il fût admis comme tel par le Pape, et reconnu par
lui pour le fds aîné de l'Eglise. (Cayet, ubi supra.)
Ces gens si scrupuleux tout a coup apprirent la manière dont le
duc de Nevers, (jui rentrait de sou ambassade, avait été accueilli a
liome ; alors ceux qui n'étaient pas opiniâtres au dernier point furent
d'abord convaincus (|ue, si le Paj)e n'avait pas accordé l'absolution, il
n'en fallait pas donner la faute au roi, mais aux méchants conseils que
Sa Sainteté avait écoutés. Outre cela, la manière pieuse et édiliante
dont Sa Majesté se conduisit pendant la semaine sainte, et la dévotion
avec laipielle elle lit publiipiement ses pâcjues, rassura les plus suscep-
tibles. Enlîu, les plus dévots ayant vu le roi toucher comme ses prédé-
cesseurs les gens malades d'écrouelles, qui étaient celle fois au nombre
40Q HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
de plus (Je six ou sept cents et dont plusieurs, k ce qu'on dit, reçurent
guérison, il ne leur resta plus aucun doute, et tous à l'unanimité, dans
une assemblée qui eut lieu le vingt-deuxième jour du mois d'avril, au
collège de Navarre, « jurèrent et signèrent lîdélité au successeur légi-
time de saint Louis ; » promettant de n'avoir jamais aucune communi-
cation avec ceux qui s'étaient élevés en armes contre Sa Majesté ; renon-
çant a toutes ligues, serments et associations qu'ils pouvaient avoir faits
auparavant, et engageant tous vrais Français à faire comme eux. (Méze-
RAv, t. m, p. 1,084.)
Le roi, cependant, avait mandé aux membres du Parlement qui
s'étaient retirés a Tours et à Châlons « de venir à Paris reprendre leur
ancien trône et exercer la justice sur leur ancien tribunal. » A la récep-
tion de cette missive royale, on fit de beaux feux de joie dans ces deux
villes et tous les ofiiciers du Parlement qui s'y trouvaient se
mirent incontinent en route pour Paris, où ils arrivèrent vers la semaine
de Pâques. Monsieur d'O, plusieurs seigneurs et grand nombre de bour-
geois montèrent a cheval, et vinrent aude-vant d'eux jusqu'à Bourg-la-
Reine ; puis le cortège entra par la porte Saint-Jacques, en traversant
une foule enthousiaste qui poussait des cris de joie. On prétendait que
ces messieurs arrivaient chargés d'or et d'argent, et le bon peuple es-
pérait bien que toutes ces richesses contribueraient 'a rappeler l'aisance
dans la ville, et à faire, comme on dit, refleurir le commerce ; la vérité
est qu'ils étaient montés sur de si méchants roussins, si maigres et si
efflanqués, que les pauvres bêtes avaient assez de peine a porter leurs
maîtres, sans avoir encore la charge de transporter toutes ces richesses
imaginaires. (C.vyet, ubi supra. — Journal de Henri IV, t. II, 1594.)
Chaque jour on voyait aussi accourir de nouveaux seigneurs pour se
ranger autour d'un trône qui ne paraissait plus courir aucun risque.
Charles de Bourbon, comte de Soissons, arriva avec une grande suite, et
après lui une intinité d'autres nobles, dont les uns avaient toujours été
fidèles et dont les autres venaient de rentrer en grâces, s'empressant
tous 'a grossir la cour pour se disputer les laveurs du prince. Or, si l'on en
croit l'historien d'Aubigné, ce n'étaient pas ceux de la dernière catégorie
qui avaient les chances les moins brillantes. (De Thou, t. II, liv. 109,
p. 149.)
Cependant il arrivait continuellement 'a Sa Majesté des plaintes au
sujet de plusieurs prêtres ou moines, qui refusaient encore de prononcer
le nom du roi dans les prières publiques et qui même ne voulaient pas
donner au tribunal de la pénitence l'absolution 'a ceux qui suivaient
son parti. L'archevêque de Bourges assembla, pour délibérer sur ce
sujet, tous les curés de la ville et leurs vicaires, et leur fit voir par l'au-
torité de lÉ'criture que ceux qui se conduisaient ainsi commettaient un
grand péché ; car le roi était maintenant réconcilié tout a fait avec
l'Eglise, et s'il n'avait pas encore l'absolution du Pape, ce n'était pas à
lui qu'il fallait s'en prendre, puisqu'il avait olïert et offrait encore de
faire toutes démarches et réparations convenables. Il exhorta donc la
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 407
pieuse et sainte assemblée à prier Dieu de bon cœur pour Sa Majesté,
alin (jue la France pût jouir de ce précieux repos, ()ue saint Paul nous
permet d'espérer sur la terre.
En même temps, Jacques d'Amboise faisait rendre par l'Université,
en sa qualité de recteur, un décret signé de cinquante théologiens, tou-
chant l'obéissance due au roi, décret dans lequel il était dit que les
signataires avaient attentivement examiné ces paroles de l'apôtre : « Crai-
gnez Dieu, honorez le roi, soyez soumis aux créatures humaines par
rapport 'a Dieu, soit au roi, comme maître souverain, soit aux ofiiciers
(pi'il a revêtus de sa puissance, pour la punition et la récompense des
bons; » que de ces paroles saintes ils avaient conclu, a l'unanimité
absolue ; que Henri, si miraculeusement converii, étant roi légitime, sei-
gneur et héritier du royaume de France et de Navarre, avait droit, par
la volonté du Tout-Puissant, à l'obéissance de ses sujets, bien que les
ennemis de l'État eussent pu jusqu'il présent empêcher par leurs
intrigues que le Saint-Père ne le reconnût comme fils aîné de l'Église ;
qu'ainsi, considérant ce que dit Saint Paul, « que toute puissance vient
de Dieu, et que ceux qui résistent 'a la puissance résistent à Dieu et se
perdent, » il fallait se soumettre de bouche et de cœur, promettre et
garder une lidélité éternelle a Henri IV, roi très-chrétien, et qu'en con-
- séquence l'Université déclarait tous ceux qui penseraient autrement
retranchés dès lors de son sein, et indignes de participer a ses droits
et privilèges. {Mém. de la Ligue, t. VI, p. 88.)
Il ne resta plus à Paris, de tous les ordres religieux, que les capucins
et les pères du collège des Jésuites, qui, se croyant dispensés de l'obli-
gation de se soumettre au roi par celle d'obéir au Pape, prétendirent
qu'il lallait attendre que le Souverain-Pontife eût parlé ; et celte conduite
des Jésuites donna lieu a l'Université de renouveler contre cette société
le fameux procès d'admission suspendu depuis si longtemps. Quant
aux autres Ligueurs, quelques-uns des plus mutins reçurent des lettres
qu'on appelait billets d'expulsion et (|ui leur enjoignaient, de la part du
roi, d'avoir a se retirer de la capitale. Le reste fut laissé en paix ; quelques-
uns mêmes eurent part aux faveurs royales, et du nombre de ces der-
niers fui le fougueux Lincestre, que Monsieur d'O lit coucher sur l'état
de prédicateur du roi, a deux conls écus de gage par an. « Mais surtout,
dit Henri en signant cette nomination, veillez à ce qu'il n'ait point de
couteau quand il viendra me prêcher ». {Journal de Henri /V, t. 111,
p. 74.)
C'est ainsi que Sa Majesté vit sa capitale réduite tout entière en son
obéissance, sans eflusion de sang, à l'exception de celui qui avait coulé
dès le commencement de l'action, (piand les lansquenets se tirent tuer
ou jeter a l'eau, au quai de l'École. 11 avait péri aussi deux a trois
bourgeois pour la vie desquels le roi a dit mainte fois depuis qu'il aurait
volontiers donné cinquante mille écus, alin do pouvoir se vanter que sa
rentrée dans Paris n'avait pas coûté une seule goutte de sang à la
France. (Cavet, ubi supra.)
408 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
CHAPITRE XVI
1594. — ARGUMENT : sully visite a anet la duchesse d'aumale.
IL reçoit la soumission de verneuil au perche.
IL traite avec VILLIERS et achète la reddition de ROUEN.
LE RESTE DE LA PROVINCE RECONNAIT LE ROI. — SOUMISSION d'aBDEVILLE ET
DE MONTREUIL. — TROYES CHASSE SON GOUVERNEUR ET PROCLAME LE ROI.
SENS, AGEN, VILLENEUVE ET MARMANDE LE RECONNAISSENT, — AINSI QUE POITIERS.
MANSFELD PREND LA GAPELLE. — LE ROI ASSIÈGE LAON.
RÉVÉLATIONS DU CARDINAL DE BOURBON MOURANT A SULLY.
REPRISE AU PARLEMENT DU PROCÈS DE L' UNIVERSITÉ ET DES CURÉS
CONTRE LES JÉSUITES. — DÉBATS DE CETTE AFFAIRE.
ARRÊT QUI NE TERMINE RIEN. — OPINION DE DE THOU. — DIATRIBE DE PASSERAT.
Après la réduction de Paris, la plupart des gouverneurs des villes
qui tenaient encore pour la Ligue comprirent que leur parti s'en allait
sans ressource, et qu'ils n'avaient plus que le temps de conclure chacun
leur petit arrangement au mieux de leurs intérêts. (Sully, Economies
royales, chap. xv, et suiv.)
Déjà, vers la fin de l'année précédente, Sully avait été chargé par le
roi de négocier avec Villars, pour la réduction de la ville de Rouen et
des autres places que tenait ce chef ligueur, et Sully s'était mis en route
pour accomplir cette mission. Il passa par Ânet, où demeurait Madame
la duchesse d'Aumale, dont le mari, qui était accusé d'avoir été l'un des
principaux instigateurs du meurtre de Henri III, et d'avoir attiré pendant
la trêve les Espagnols en Picardie, avait tout à craindre maintenant, au
sujet de cette accusation. En effet, le Parlement ne tarda pas à lui faire
son procès, et comme il était en fuite, il fut condamné par défaut a être
écartelé, ce qui fut exécuté en effigie par le bourreau de Paris.
« Cette princesse, Monseigneur, disent ceux que Sully avait chargés
d'écrire ses mémoires, ne manqua pas de vous rendre tous les honneurs,
et faire toutes les caresses accoutumées envers ceux dont on pense
avoir affaire, et qui sont en réputation d'être en crédit et autorité. Elle
vous promena par ses beaux jardins, salles, cabinets et galeries, et fina-
lement vous fit instance de vouloir souper avec elle et coucher dans son
château ; mais le souper qu'on vous fît attendre si longtemps, que vous
croyiez qu'il ne viendrait jamais, fut si maigre, les viandes si dures et si
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 409
mal apprêtées, et le vin si mauvais, (ju'il ne vous fut pas dillicile de re-
connaître à vos dépens a quelles dures nécessités en était réduite celte
pauvre dame. Bien plus, la chambre qu'on vous donna pour y passer la
nuit, quoique bien dorée et bien marbrée et la plus honorable du logis,
avait quasi toutes ses verreries rompues, et pour la réchaufîer, on ne put
vous procurer que quelques fagots de bois de houx et de genévrier si
verts que, pour les allumer, vous brûlâtes toute la paille de votre lit.
Aussi, vous empressâtcs-vous de partir de très grand matin, alin d'aller
dîner à Condé, oîi vous fûtes un peu mieux reçu par les gens de mon-
sieur l'Évêque d'Évreux, et après un bon repas, vous vous mîtes au lit
pour vous récompenser de la mauvaise nuilée cjue vous aviez passée au
château d'Anet. »
Ce fut Ta que Médavil, gouverneur de Verneuil au Perche, vint trou-
ver Sully et traita avec lui, pour la reddition de sa place, à condition cpie
son gouvernement lui serait conlirmé et qu'il ne serait pas obligé de se
déclarer jusqu"a la fin du mois de mars ; « car, disait-il, il avait engagé
sa parole a Monsieur de Villars, jusqu'à ce jour-la seulement, et il tenait
'a ne pas la violer. » (Mézkrav, t. III, p. l085 et suiv.)
Ces choses ainsi résolues Sully s'en alla coucher 'a Louviers, d'où il
envoya prévenir Monsieur de Villars, qu'il avait charge du roi de lui par-
ler, et dès le jour suivant, il se présenta aux portes de Rouen. Il y
trouva le capitaine des gardes de Monsieur de N'illars, avec bonne troupe
de ses compagnons, (jui se tenaient Ta pour lui faciliter l'entrée et empê-
cher qu'on ne lui demandât ni fit rien (|ui dût lui causer déplaisir ;
mais il n'en était nul besoin : tout le peuple était joyeux, tous couraient
par les rues sur son passage et lui donnaient louanges et bénédictions.
{Économies royales, ubi supra.)
A l'hôtel où il descendit, comme son maître d'hôtel se mettait en
peine d'ordonner le repas : « Monsieur le maître, répondit l'hôtesse,
n'ayez nuls soucis, tout est prêt et la dépense payée pour ce jour et les
suivants. » Sully eut, de plus, après son souper, de la musique de voix
et d'instruments, avec des danseurs, des sauteurs et des joueurs de
tours de passe-passe, et tous ces gens-l'a, quelcpie argent qu'il leur fît
olfrir, répondirent qu'ils étaient payés d'avance. Villars faisait grande-
ment les choses, comptant bien probablement ([ue ce ne serait pas en
pure perte.
Le soir même, un de ses conlidcnts s'en vint secrètement trouver le
noble plénipotentiaire. « Je suis bien marry, lui dit-il, monseigneur,
que vous ayez tant dilTéré de venir ici. Il est survenu certains événe-
ments qui rendront votre négociation plus dillicile (|u'elle ne l'aurait été
il y a quelques jours. Monsieur de Villars vient de recevoir des messages
du roi d'Espagne et du duc de Mayenne, et tous les deux s'accordent
pour lui faire les i)Ius brillantes propositions, s'il veut seulement con-
server la ville de Rouen sous la bannière rouge. Joint a cela que plu-
sieurs de nos principaux oKiciers, qui commençaient d'ailleurs d'être
assez bien disposés en faveur du roi, ont reçu des lettres de ceux de
410 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
leurs amis catholiques qui sont actuellement à la cour, dans lesquelles
il leur est recommandé de prévenir M. de Villars de ne point trop se
fier a un huguenot (c'est ainsi qu'ils vous appellent, monseigneur)
pour faire son traité, dont, disent-ils, les conditions seraient bien plus
avantageuses pour lui s'il avait affaire à un bon et loyal catholique. Je
vous conseille donc, comme votre ami, d'agir avec grande précaution,
de laisser jeter à M. de Villars toutes ses fougues, sans repousser aucune
de ses demandes, afin de lui ôter le soupçon que vous avez d'avance
un parti-pris de le contrecarrer en tout. Vous pourrez après contester
tout doucement quelques-unes de ses prétentions, en lui laissant croire
que ces difficultés que vous trouvez a satisfaire les autres vous sont
venues après coup et par réflexion. Alors je ne doute pas que, peu a peu,
il ne vous soit possible de le ranger a des conditions raisonnables. »
Sully soupçonna d'abord qu'il pouvait bien y avoir de l'arlince en ce
langage ; mais il n'en résolut pas moins de suivre les conseils qu'on
venait de lui donner. Pourtant, en habile diplomate, il essaya de réchauf-
fer de son mieux et en secret le bon vouloir que le peuple de Rouen
montrait déjà pour la paix; et pendant qu'il passait les jours « à disposer
les esprits de ceux qui avaient la suprême autorité, il employait les
nuits a recevoir et gagner ceux qui avaient pouvoir sur la populace, les-
quels venaient le voir clandestinement et reportaient ses paroles et ses
promesses aux gens de métiers et aux soldats. »
Or, les demandes que faisait M. de Villars ne pouvaient guère lui
être accordées sans injustice, et sans offenser les plus grands de la
cour. 11 est vrai qu'il avait été le premier à faire demander avec poli-
tesse a l'envoyé royal de vouloir bien se trouver au logis de madame de
Simiers, « afin qu'il eût le bien de l'y embrasser ; » mais après cette
embrassade, et quand il fut question de parler sérieusement d'affaires,
il exigea d'abord qu'on lui donnât pour ses amis plusieurs abbayes, dont
le roi avait déjà disposé en faveur de ses plus fidèles serviteurs ; que le
fort de Fécamp, surpris avec tant de courage par Ijois-Rosé, qui s'était
mis sous la protection de Sa Majesté, lui fût incontinent rendu ; qu'on
le confirmât dans la charge de grand-amiral de France, qu'il tenait de la
Ligue et que le roi avait donnée a Biron ; que son gouvernement des
villes et bailliages de Rouen et de Caux fût déclaré indépendant du duc
de Montpensier, gouverneur royal de toute la ])rovince de Normandie ;
et, en outre, il demandait qu'on lui entretint quinze cents hommes de
pied et trois cents chevaux, qu'on lui donnât (juinze cent mille francs
pour payer ses dettes, et soixante mille livres de pension annuelle.
Ces demandes étaient exorbitantes ; mais le roi, consulté par Sully,
répondit : « Mon ami, je vous prie d'achever de conclure avec M. de
Villars; dépêchez, le plus tôt que vous pourrez, car le retard ne peut ser-
vir qu'a donner moyen aux ennemis de ce royaume de faire nouvelles
pratiques pour troubler la paix dont nous avons si grand besoin. Vous
êtes une bête, mon ami, d'apporter tant de difficultés dans une affaire
dont la conclusion m'est si nécessaire. »
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 411
Muni (le ce consenlement du roi, Sully prit une écljarpc blanche
dans sa poche, croyant bien n'avoir plus rien a faire que la pendre au
cou de M. de Villars ; mais il lui bien étonné, (juand il vit celui-ci venir
a lui d'un air furibond et lui dire en jurant : « Morbleu, monsieur, où
allez-vous ainsi la mine si réveillée et si réjouie? Vous n'en êtes, par la
sangbieu, pas encore où vous pensez, et si je vous traitais comme vous
le méritez, il n'y aurait déjà pas tant a rire pour vous. Du reste, si
votre roi de Navarre n'a pas d'antre serviteur que M. de Villars, croyez,
par la corbieu, qu'il sera mal servi. »
La cause de cette grande colère et de tous ces jurements était que
M. de Villars venait d'être instruit d'une trahison qui se tramait contre
lui. Le sieur du Rollet, commandant de Lonviers, son ennemi particu-
lier, ne craignait rien tant que de le voir rentrer en grâce avec Sa
Majesté, et il s'était vanté d'avoir un moyen infaillible pour se saisir de
Rouen et de la personne du gouverneur, si l'on voulait lui assurer cette
place, ce qui lui fut promis. Alors il envoya à Kouen le capitaine Dupré,
qui s'y introduisit comme faisant parti de la suite de Sully, et qui renoua
certaines intelligences déjli commencées depuis longtemps avec tous les
mécontents. 11 fut convenu entre ces comploteurs qu'on se saisirait
d'abord du vieux palais et (|u'on prendrait en même temps, mort ou vif,
M. de Villars ; mais un des conjurés n'avait rien eu de plus pressé que
d'aller révéler toute l'affaire 'a ce dernier, lequel, étant vif et emporté,
se livra a une violente colère contre Sully, soupçonné d'être l'âme de
ce complot. Sully parvint a prouver qu'il ne connaissait pas même Dupré,
(jui s'était mêlé 'a sa suite a son insu, et qui fut aussitôt pendu a une
fenêtre de l'appartement, et Villars s'écria en jurant : « Allons, morbleu,
je donne la Ligue à tous les diables. » Ensuite, ayant pris lécharpe
blanche, il lit crier : « Vive le roi !» a la foule qui n'attendait que son
signal.
Toutes les autres villes de la province qui tenaient encore pour la
Ligue imitèrent cet exemple, et ceux des membres du Parlement retirés
'a Caen étant venus se joindre à leurs collègues de Rouen, l'édit de
réduction de toutes les villes fut vérifié et enregistré par toute la cour
réunie, le vingt-sixième jour du mois d'avril.
Pour dédommager Biron de la charge de grand amiral qu'on lui fai-
sait [)erdre, on lui donna celle de maréchal de France, avec cent qua-
rante mille écus argent comptant. Monsieur de Montpensier, a qui on
était ainsi les principales villes de son gouvernement, reçut en échange
le Perche et le Maine. Sully, outre un beau présent de vaisselle d'argent
que lui fil la ville de Rouen, eut trois mille écus en or et force beaux
compliments de Sa Majeslé, dont, dit-il, il se trouva encore plus content
que de l'argent ; et tout le monde parut à peu près satisfait.
H n'y avait que le i)auvre Rois-Rosé, qui, après avoir con-
quis avec tant de périls la forteresse de Fécamp, venait d'en être
expulsé au profit de M. de Villars, sans aucun dédonmiagement. R s'était
mis en route pour la cour, afin d'avoir aussi quelque chose. Sur le soir.
412 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
il descendit dans une auberge où on lui dit qu'un grand seigneur venait
aussi de s'arrêter. Bois-Rosé s'empressa de rendre sa visite à ce grand
personnage, dont il ne savait pas le nom, et chercha a l'intéresser en sa
faveur. « C'est ce gueux de Sully, dit-il, qui est cause de tout mon mal,
et qui m'a sacrifié. — Sully, répondit le noble voyageur, n'est pas si
diable que vous le pensez ; vous allez voir qu'il sera votre protecteur
auprès du roi. » Or, c'était Sully lui-même qui parlait ainsi : il obtint
en effet pour Bois-Rosé d'amples dédommagements de la place qu'on lui
avait fait perdre.
Dans le même temps, la ville d'Abbeville, située à l'embouchure de
la Somme et qui tient pour ainsi dire la ville d'Amiens, dans sa dépen-
dance, ht également sa soumission. Ce fut le maire, qui, ayant rassem-
blé les bourgeois, les engagea d'envoyer une députation au roi, pour le
supplier de leur pardonner, et obtenir de lui la confirmation de tous
leurs anciens privilèges, ce qui leur fut accordé, sans difficulté et même
avec de grands éloges pour leur bonne résolution. Le gouverneur de
Montreuil obtint les mêmes conditions. (De Tiiou, t. XII, liv. 109, p. 152
et suiv.)
A Troyes, en Champagne, dont Joinville, frère du duc de Guise, était
gouverneur, il y eut une émeute ; et comme il n'y avait pas de garnison,
les bourgeois n'eurent pas de peine 'a en chasser le prince, après quoi
ils se déclarèrent pour le roi.
La ville de Sens était aussi entrée en pourpaiier : elle offrait de se
rendre, 'a condition qu'on lui laisserait son gouverneur, le sieur de Belan,
gentilhomme de la province, et qui s'était fait une grande réputation de
bravoure.
Celle de Riom, en Auvergne, se soumit également, déclarant par un
manifeste que, si elle avait suivi le parti de la Ligue, c'était uniquement
pour l'intérêt de la religion, mais que, ce motif ne subsistant plus
depuis que Sa Majesté s'était faite catholique, elle la reconnaissait
d'autant plus volontiers que les Auvergnats avaient toujours eu beau-
coup 'a se louer de la domination des princes de la maison de Bour-
bon.
Le mois suivant les villes d'Agen, de Villeneuve, de Marmande et
toutes celles de la Guyenne, qui, depuis la défaite de ces bandes de
paysans qu'on appelait les Croquants, étaient occupées par les seigneurs
du pays, députèrent au roi et obtinrent les mêmes conditions qui
avaient été accordées a toutes les autres villes, a mesure qu'elles ren-
traient dans le devoir. (Dk Thou, ubi supra.)
Ce fut aussi dans le même mois que Poitiers fit sa soumission. Les
deux frères Scévole et Louis de Sainte-Marthe furent députés par les ha-
bitants pour venir, au nom de tous, prêter serment de fidélité au roi :
celui-ci, ravi qu'une ville de cette importance rentrât d'elle-même en son
obéissance, donna un édit exprès, par lequel, outre un pardon général
accordé aux bourgeois, il rétablissait l'exercice de la religion catholique
à Niort, 'a Fontenay, a La Rochelle et dans tous les autres lieux de ce
J
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 413
diocèse, OÙ il avait été iiitcrrompu. Il abolissait la mémoire de rinsur-
rcction pendant laquelle avait été détruit le château de la ville, promet-
tant de n'y rétablir aucune forteresse, et le duc d'Elbœuf, fort aimé des
iiabitants, fut nommé gouverneur du Poitou.
Mais, au milieu de tous ces succès, le roi apprit tout a coup que le
comte de Mansfeld venait de mettre le siège devant La Capelle en Thié-
rarche, avec une armée de huit mille iiommes de pied et de mille che-
vaux, et que le maréchal de Biron n'avait pu amasser ses troupes assez
à temps pourTen empêcher. Aussitôt il partit de Paris en toute diligence;
mais il ne put arriver assez a temps pour empêcher (jue la place ne fût
rendue après un sanglant assaut. Alors, pour réparer ce qu'il regardait
comme une espèce d'alTront, au milieu 'de toutes les prospérités dont le
ciel venait de le combler, il s'en alla attaquer Laon, dont il jugeait que
la prise arrêterait toutes les mauvaises suites de celle de La Capelle. Il
entreprit ce siège contre l'avis de tous *ses cajjitaines ; car il manquait
des munitions et surtout de l'artillerie indispensables |)0ur une pareille
opération ; mais, pour mieux dissimuler cette pénurie aux yeux de l'en-
nemi, pendant que Biron, avec une partie des troupes, investissait la
place, il s'en alla avec le reste camper a une lieue de Mansleld, comme
s'il eût eu dessein de lui oflrir la bataille. (Mi:zi:rav, t. 111, p. 1080, et
suiv.)
Mayenne demanda alors avec instance au général espagnol mille
hommes et deux cents chevaux, pour se jeter dans Laon, promettant
qu'avec ce secours il empêcherait la place d'être prise ; mais Mansleld
ne jugea pas prudent de diminuer son armée d'un aussi grand nombre
de condjattants, dans un moment où il se croyait menacé d'être attacpié
par un général aussi redoutable que l'était le roi. Il consentit seulement
a l'aire passer dans Laon deux cents Napolitains, (jue Mayenne y condui-
sit lui-même et (ju'il parvint a y faire entrer avant <|ue la place fût com-
plètement investie. Puis il en sortit tout aussitôt, laissant pour la com-
mander son second lils, le comte de Sommerive, auquel il avait donné
pour seconds et pour conseillers Jcannin et ce même Dubourg qui venait
d'être forcé de rendre la Bastille.
Laon s'élève au milieu d'une vaste campagne parsemée de quelques
éminences, qu'on pourrait plutôt appeler des bosses de terrain que des
collines ou des montagtjes. Elle est bâtie sur la plus haute de toutes ces
élévations, au milieu de vignes qui font la richesse du pays, et de
quelque côté qu'on veuille y arriver, on ne peut le faire qu'en montant.
Elle n'avait, 'a la vérité, qu'un assez mauvais rempart (jui n'aurait pu
résister a l'artillerie ; mais le roi, comme on sait, man(|uait de canons,
de boulets, de poudre et de tous les outils nécessaires a un siège de
cette importance. 11 n'en persista pas moins a faire ouvrir la tranchée,
comptant sur son courage et son bonheur ordinaires.
Cependant, le cardinal de Bourbon avait eu tant de chagrin de voir
le roi rentré dans la paisible possession de sa capitale, (ju'il en était
tombé malade. On disait que son mal était une phtisie pulmonaire.
414 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Sully était en ce temps-la revenu joindre le roi a son camp devant
Laon : ce (ut la que le cardinal lui écrivit une lettre par laquelle il le
priait de lui conserver les bonnes grâces de Sa Majesté. « J'ai, ajoutait-
il, des choses de grande importance à vous révéler, mais que je ne puis
confier au papier ; obtenez donc du roi qu'il vous permette de venir me
voir. « (Économies de Sully, chap. xxi etxxn.)
Henri, à qui Sully montra celle lettre, lui donna ordre d'aller savoir
du cardinal ce qu'il voulait. Il alla donc trouver ce prince à Paris, où il
était revenu, et où son mal semblait s'être encore augmenté. Les choses
qui le tourmentaient surtout, c'était d'abord que l'Université de Paris et
les curés venaient d'entreprendre leur fameux procès contre les jésuites,
sans même l'avoir consulté dans une affaire aussi grave, et ensuite que
le roi lui refusait l'autorisation de disposer de ses bénéfices. Il semblait
être dans une espèce de délire quand Sully entra. « Ah ! dit-il en lui
jetant les bras au cou, vous me voyez bien souffrant. Cette maladie qui
me mine provient pourtant de la méchanceté de M'"'' des Rozières, parce
que j'ai renvoyé de mon service l'abbé de Bellozane, son amant. Elle m'a
ensorcelé, la scélérate, de sorte qu'il faut qu'elle ou moi nous mourions
bientôt. Mais heureusement on vient de m'apprendre qu'elle est déj'a 'a
l'extrémité, et si elle peut mourir la première, j'ai tout espoir d'en
réchapper par la protection de Dieu.
« Mais laissons ce triste sujet, ajouta-t-il en paraissant revenir à des
idées moins étranges, et parlons de ce qui m'a fait désirer votre visite.
D'abord, ce que je souhaite de toute mon âme, c'est d'être en la bienveil-
lance et confiance du roi, mon cousin. Ayant déj'a cet honneur que d'être
un prince de son sang, je désire comme tel, et comme admirateur de
ses vertus, qu'il se procure le plus tôt possible sa réconciliation entière
avec le Saint-Siège, et qu'il obtienne la bénédiction apostolique. Je sais
de bonne part que le Saint-Père est loin de vouloir l'accroissement de la
domination espagnole, et si Sa Majesté peut se le rendre favorable, ce
sera un moyen d'obtenir la dissolution de son mariage avec Marguerite de
Valois, chose que souhaitent tous les bons Français.
« La seconde affaire qui m'inquiète, te sont ces brigues et procès
qui s'intentent pour expulser de France la société des jésuites, qui,
comme vous le savez bien, a acquis une si grande influence sur tous les
catholiques, tant au dedans qu'au dehors du royaume. Leur amitié pour-
rait donc grandement contribuer a la tranquillité de l'Etat, comme aussi
leur malveillance peut y jeter de grands troubles. L'Université et mes-
sieurs les curés de Paris, qui sont à la tête de ces brigues, ne sont au
fond mus par d'autres motifs que par la crainte de voir diminuer les pro-
fits qu'ils tirent de l'instruction de la jeunesse et de l'administration des
sacrements ; mais vous-même, tout huguenot que vous êtes, je vous fais
juge : est-ce la une raison bien suffisante pour courir le risque d'indis-
poser encore la cour de Rome, de faire soupçonner que la conversion
du roi n'est que fiction et dissimulation, et de perpétuer ainsi tous les
malheurs du pays ?
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 4i5
« J'ai aussi besoin de vous faire savoir, tout en vous priant de ne
pas (lire (|ue vous tenez cela de moi, que M. le duc de Longueville, le
duc de Nevers et le maréchal de Biron, se sont unis pour soutenir les
révérends pères. Le dernier surtout, sachant que Sa iMajesté s'est déjà
engagée pour donner a un autre que lui le gouvernement de Laon, qu'on
assiège maintenant, saisira toutes les occasions qui se présenteront de
témoigner son mécontentement.
< Enlin, la dernière alîaire pour laquelle j'ai a vous faire instance,
c'est touchant la permission que je désire obtenir du roi pour disposer
librement de tous mes bénélices ; car je souhaite décharger ma con-
science et celle démon oncle, le feu cardinal, en graliliant de quelques-
uns de ces bénélices certain nombre de familles dont nous les tenons.
C'est un vœu que nous avons fait tous les deu\ mon oncle, et dont le
non accouiplissement ne me laissera pas dormir trancpiille. »
Sully promit de transmettre fidèlement au roi toute cette conversation
et d'appuyer de son mieux les demandes du prélat, et celui-ci continua :
« J'ai encore une autre allaire à vous conlier et qui me tient personnelle-
ment a cœur: c'est le traitement indigne qu'on veut faire au bon arche-
vêque de Glascow, votre parent, puisqu'il s'appelle comme vous Béthunc.
Savez-vous que, sans avoir égard 'a son vieil âge et a sa résolution de ne
se mêler jamais d'alîaires pubHques, M. d'O veut le contraindre a sortir
de la France, qu'il a toujoins habitée et (ju'il regarde comme sa pairie,
depuis la mort de la reine Marie Stuart, sa bonne maîtresse? J'ai eu
beau solliciter en sa faveur, il me semble que mon intercession lui a
porte guignon. Partant, il n'y a plus que vous qui puissiez i^rendre au-
près du roi la défense de ce pauvre prélat. »
Sully promit encore de reporter cette dernière demande au roi. Après
(juoi, il laissa le moribond, qui venait de parler beaucoup, entre les
mains de ses médecins et reprit la route du camp de Laon ; mais, avant
de (juitter la capitale, il chargea quelques-uns de ses allidés d'y demeu-
rer aux aguets, car ce que le cardinal lui avait dit des intentions mal-
veillantes de Biron et des ducs de Longueville et de Nevers, lui causait
(juelque in(|uiétude.
Il trouva a son arrivée que le roi, malgré toutes les dillicultés qu'il
avait eu a vaincre, tenait la place complètement investie. Mansfeld
s'était inutilement avancé pour la secourir ; Henri sut raflermir par son
exemple le courage de ses soldats, qui commençaient à craindre de se
voir renfermés entre la ville et une armée ennemie ; il surveilla lui-
même tous les travaux d'attaque et de défense et parvint à harceler de
telle sorte le comte espagnol, qu'aucun convoi ne pouvant lui parvenir
sans être enlevé par les royalistes, il se vit bientôt réduit a la plus
extrême disette. Déjà deux fois le duc de Mayenne avait inutilement tenté
de jeter des secours dans Laon : a la première fois, il avait été rencon-
tré par M. de Givry, qui battait l'estrade, et il avait été contraint de
retourner bien vite a La Fère. La seconde fois, il était parvenu jusqu'à
la vue des remparts ; c'était le comte de Soissons qui était ce jour-la de
416 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
garde, car tous les princes du sang et le roi lui-même avaient chacun
leur tour pour veiller au salut du camp. Le comte donc, ayant eu avis
de l'apparition de l'ennemi, Taltaqua brusquement, tua un bon nombre
de ses soldais, en fit plusieurs autres prisonniers et culbuta le reste
dans la forêt, où la nuit qui survint favorisa leur fuite. {Économies de
Sully, ubi sup., chap. xxiii.)
Il était près de midi, quand Sully alla rendre visite a Sa Majesté ; il la
trouva couchée sur une méchante paillasse et deux matelas fort minces,
parce qu'elle s'était usé et écorché les pieds, qu'elle avait tout pleins
d'ampoules, ayant tout le jour précédent et toute la nuit dernière par-
couru tous les penchants et déclins de la montagne, pour visiter les
postes et les tranchées. « Soyez le bien venu, mon ami, dit Henri, vous
ne vous attendiez pas a me trouver dans un lit a taire l'accouchée ; mais
j'ai tant tracassé cette nuit, par des chemins pierreux et détestables que
je veux vous montrer mes pauvres pieds, pour vous convaincre que je
ne fais pas le douillet. » Il les lui fit voir en effet tout meurtris et tout
crevassés. « Au surplus, ajoutait-il, je n'ai pas perdu mon temps ; vous
verrez toute la besogne que j'ai fait faire, et je me flatte qu'elle plaira 'a
un connaisseur comme vous. »
S'étant ensuite informé de ce qu'avait dit son cousin le cardinal de
Bourbon, il dicta immédiatement trois lettres : l'une pour monsieur d'O,
dans laquelle il disait « qu'étant, comme chacun savait, plus enclin 'a
la douceur qu'a la violence, il ne pouvait permettre qu'on inquiétât la
vieillesse du bon évêque de Glascow ; qu'on ne pouvait faire un crime
à ce brave homme de s'être montré un peu l'ami de l'Espagne ; qu'il
fallait plutôt l'en louer, puisque l'Espagne seule avait fait quelques efforts
pour sauver la vie et la liberté de la malheureuse reine Marie Stuart,
dont le digne évêque avait été le fidèle serviteur ; que son intention
royale était donc que le dit prélat fût traité honorablement, en cette
qualité, enjoignant a mon dit monsieur d'O, d'y tenir la main. »
L'autre lettre s'adressait au chancelier de Cheverny. « Ayant appris,
disait le roi, les différends entre l'Université et les curés de Paris d'une
part, et les révérends pères jésuites d'autre part, je veux bien vous
faire savoir que mon intention ayant toujours été de laisser libre cours
a la justice, je ne prétends nullement empêcher la contestation pré-
sente ; mais mon désir est qu'elle ait lieu sans injure, aigreur ni diffa-
mations. Faites-donc que les plaidoyers aient lieu a huis clos, et tâchez
que les juges ne prononcent rien dans cette affaire sans m'en avoir
auparavant informé. »
Par une troisième lettre qu'il envoyait au cardinal de Bourbon, il
approuvait toute disposition que le dit cardinal ferait de ses bénéfices ;
il lui donnait l'assurance de sa considération et de son attachement, et
lui faisait part de ce qu'il venait d'écrire en faveur de l'archevêque de
Glascow, comme aussi du parti qu'à sa recommandation il avait cru
devoir prendre relativement à l'affaire des Jésuites.
Voici où en était ce célèbre procès. On sait qu'il y avait déjà trente
I
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 417
ans qu'il avait commencé et qu'il était resté sans être jugé. Du reste,
(juoique ces pères lussent chargés de la haine publique, il ne manquait
pas non plus dans le royaume de personnes disposées a prendre leur
parti, les unes par suite du mauvais levain de la Ligue qui fermentait
encore dans certains cœurs, les autres parce que par la elles croyaient
se mettre bien avec la cour de Rome, qu'il était si utile en ce temps-la
de ménager. (Di-: Tnou, liv, 110, p. 241 et suiv.)
Le dix-huitième jour d'avril, LUniversité s'étant assemblée en corps
à l'église des Mathurins, un certain Bourceret, maître ès-arts, requit
qu'on reprit la suite de ce procès et que les jésuites tussent chassés de
l'Université. Le recteur, Jac(jues d'Amboise, prit les avis de l'assemblée,
et il l'ut résolu, a l'unanimité, qu'on ferait assigner les jésuites dans la
forme, et que chaque faculté nommerait des délégués pour préparer et
rédiger toutes les pièces du procès. Tout aussitôt, une requête fut dressée
par cette commission pour être présentée au Parlement. Il y était dit :
qu'il y avait déjà longtemps que l'Université avait porté plainte à la cour,
contre une nouvelle secte qui avait pris le nom orgueilleux de Société
de Jésus, et qui s'était formée et forliliée en Espagne; que ces étrangers,
par leur esprit séditieux, avaient excité dans Paris et dans tous les
endroits du royaume où ils avaient été reçus les troubles les plus
funestes ; que déjà la faculté de théologie, prévoyant tous ces maux,
avait rendu jadis contre eux un décret où elle déclarait que cette nou-
velle secte n'était propre qu'a ruiner la discipline de l'Église et de l'État
et en particulier celle de l'Université française ; que, malgré celle
réprobation, les jésuites avaient demandé au Parlement d'être agrégés
de gré ou de force a ladite Université, mais que la cour avait sursis à
rendre son arrêt, 'a condition qu'il ne serait rien innové dans l'état
actuel des choses au préjudice des o|)posants ; que non seulement les
jésuites n'avaient pas obéi a cette injonction, mais qu'ils s'étaient par-
tout, autant qu'il était en eux, emparés de l'éducation de la jeunesse ;
qu'ils s'étaient ouvertement et secrètement mêlés du gouvernement de
l'État, servant de trompettes de guerre et d'espions aux Espagnols ;
qu'en conséquence l'Université demandait que, tous ces faits étant de
notoriété publique, la cour interposât son autorité pour bannir cette dan-
gereuse secte, non seulement de Paris, mais de toute la France.
Sur cette requête, le Parlement rendit un décret d'ajournement
contre les Jésuites ; mais comme ils se gardèrent bien de comparaître,
il y eut des délais qui leur donnèrent le temps d'entamer par le manège
et l'intrigue cette unanimité avec laquelle l'Université avait porté son
accusation. Quelques docteurs gagnés déclarèrent qu'à la vérité ils
étaient bien d'avis qu'on obligeât la nouvelle société a se conformer aux
lois universitaires ; mais qu'ils n'opinaient pas pour qu'on les chassât
du royaume. Ce fut alors que le cardinal de Bourbon, gagné par le père
Commolet, lit solliciter en leur faveiu' auprès du roi, comme on vient de
le voir. Longueville les appuya de toute son iniluence auprès des juges;
et le duc de Nevers, qm avait déjà fondé un collège de Jésuites dans la
IV. 37
418 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
capitale de son duché, présenta même requête en cour, pour être reçu
comme partie intervenante dans le procès contre TUniversité. Toutefois cette
requête ne tut point admise, attendu que, l'instance se poursuivant au nom
du procureur général, ce n'était plus la affaire de simples particuliers.
Cependant, malgré tous les obstacles que les pères avaient su habi-
lement créer, le Parlement prononça, le septième jour de juillet, un
arrêt portant que, faute par eux de comparaître au jour qu'on leur indi-
quait, ils seraient condamnés par défaut. Il fallut obéir cette lois, et ils
chargèrent l'avocat Claude Duret de défendre leur cause. L'audience
eut lieu a huis clos, comme le roi l'avait demandé. Antoine Arnauld, l'un
des ancêtres du célèbre Arnauld le Janséniste, porta la parole pour l'Uni-
versité. C'était un orateur véhément et qui n'avait pas la réputation de
ménager ses paroles ni ses expressions.
« Les amis des jésuites, dit-il, ont obtenu que ces débats aient lieu
a huis clos, par crainte du scandale qui peut en résulter. Si je com-
prends bien, c'est parce qu'ils sont tout prêts a déchirer la réputation
de certaines personnes, qui sont aujourd'hui fidèles serviteurs, du roi.
Moi, je commencerai par faire une déclaration toute contraire. Ce que
l'ai a dire ne saurait ni blesser ni scandaliser personne autre que les
coupables non repentants. Ceux qui sont au service de l'Espagne peuvent
ne se montrer pas les amis de quiconque d'entre eux a' reconnu le
prince légitime, tandis que moi, qui viens ici parler pour l'Université, la
fille aînée de nos rois, j'ai la conviction que je ne saurais faire un ser-
vice plus agréable a Sa Majesté, qu'en observant religieusement l'amnistie
par elle accordée, et en me conformant a cette loi d'oubli du passé, vis-
à-vis ceux qui sont rentrés dans le devoir. Mais quant à ceux qui, non
contents des maux qu'ils ont déjà causés, méditent encore de nouveaux
forfaits, quant à ceux qui se sont établis parmi nous, pour allumer et
attiser le feu, j'avoue que je sens contre de pareils machinateurs mon
âme pleine de tiel et d'indignation. Or, qui peut encore révoquer en
doute que les jésuites ne soient précisément ces dangereux machinateurs-
là? Je ne connais que deux sortes de personnes capables d'une telle
obstination : les peureux qui les croient encore trop puissants pour
n'avoir pas à craindre de leur déplaire ; ensuite ceux qui se sont affiliés
secrètement à leur congrégation et qui ont fait secrètement le plus dan-
gereux de leurs vœux, celui d'une obéissance passive et aveugle. Tous
les autres citoyens français demandent hautement qu'on expulse du
royaume ces tueurs de rois, ces confesseurs et exhortateurs de régi-
cides, ces ennemis acharnés de la couronne de France, ceux qui, aidés
de l'or de l'Espagne, ont été des flambeaux de sédition et qui sont encore
des vents turbulents, n'ayant autre mission (larmi nous que de souffler
les tempêtes sur notre pays. Espions de Castille, vous qui avez aigri la
pâte de la France avec le levain espagol, ne pensez pas cette fois pou-
voir ctoulïer ce cri de l'indignation française si unanime à demander
votre châtiment, aussi facilement que vous l'avez étouffé en l'année
soixante-quatre. Alors on ne pouvait encore que deviner le mal que vous
I
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 449
deviez faire, et pour un homme qui appréhende l'avenir, il s'en trouve
cent (|ui aiment mieux n'y pas penser; mais, aujourd'hui, on peut vous
juger d'après les œuvres (pie vous avez accomplies. Qu'avez-vous fait de
la chaire de vérité? Vous l'avez remplie de sang et de blasphèmes ; vous
y avez prêché que Dieu était le massacreur des rois ; vous avez attribué
au ciel le coup d'un couteau (pie l'enler forgea. 0 mon roi Henri III, toi
qui du haut du ciel as maintenant la satisfaction de contempler ton
légitime successeur, assis sur le tr(ine d'où ces lâches assassins t'ont
précipité, je vois encore ta chemise sanglante, je vois les mains qui
t'ont frappé. Ce sont les mêmes, qui ont empoisonné ton frère unique
et (pii ont causé et veulent causer encore toutes les calamités de ce
l)euple éploré. » {Mémoires de la Ligne, tome VI, i)ages 155 et
suivantes.)
Après cet cxorde, l'avocat entre en matière, mais on s'aperçoit
qu'il ne connaissait que très imparfaitement les constitutions jésuitiques
qu'on ne connaît pas encore complètement aujourd'hui, et qu'il se
trompe surtout sur le but de cette mystérieuse société. « Charles-
Quint, dit-il, et après lui Philippe son (ils, tout gorgés de l'or des Indes,
avaient rêvé la monarchie universelle. N'ignorant point quel parti ils
pouvaient tirer pour leurs desseins, non pas de la religion, mais du fa-
natisme, ils gagnèrent d'abord, en prodiguant leurs richesses inépuisables,
la plus grande partie de la cour de Kome ; mais il leur fallait des
hommes actifs et dispos, pour aller semer en tous lieux les doctrines qui
leur étaient favorables : ils ont trouvé les jésuites. Cette race dange-
reuse, au contraire des autres bêtes venimeuses dont la nature, pour la
conservation du monde, a singulièrement borné la fécondité, s'était déjà
répandue comme un fléau sur toute la terre. Déjà elle avait établi ses
funestes colonies dans deux cent vingt-huit provinces différentes et pos-
sédait plus de deux cent millions d'or de revenu annuel. Les seigneu-
ries, les dignités ecclésiastiques les plus relevées sont livrées* en pâture
à ses adeptes : ils ont le pied dans le sacré-collège ; bientôt on les
verra accaparer jusqu'à la papauté elle-même et en état de soudoyer des
armées pour leur compte, comme déjà ils contribuent à en entretenir pour
le compte des souverains, quand ceux-ci veulent bien combattre dans
leur intérêt.
« Leur principal vœu est l'obéissance à leur général qui a toujours
été Espagnol jus(ju'à ce jour, et les termes de ce vteu sont étranges et
horribles: ils jurent de voir en lui, le Christ lui-même comme présent, de
sorte (pie s'il leur commande de tuer, ils tueront j)Our obéir à la voix de
Jésus-Christ. Du reste, leur institution a pour principal but l'avancement
des allàires de l'Espagne, leur véritable patrie. Aussi, plusieurs personnes
dignes de foi assurent-elles les avoir entendus prier en VvdwcG pro i-ege nostro
Pliilippo. Tout au contraire, il est notoire qu'ils refusent encore aujour-
d'hui de prier pour notre souverain légitime, ce qui découvre clairement
leur conjuralion, et monln^ que leurs v(eux n'ont d'antre objet que la sub-
version de cet état au profit de l'Espagne.
420 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
« Jusqu'à eux nos ecclésiastiques français s'étaient toujours montrés
fidèles au prince que Dieu lui-même leur avait donné, et quand les
papes s'engageaient contre ce prince dans quelque injuste guerre, ils
résistaient vertueusement a de pareilles entreprises. Mais les jésuites
sont parvenus à faire sucer un lait empoisonné à notre clergé jusqu'alors
si dévoué ; ils ont su rendre un grand nombre de bonnes âmes jésuites,
et plusieurs, dans ces derniers temps, ont adopté cette doctrine jésui-
tique, que quiconque était élu Pape, fùt-il pensionnaire avoué de l'Es-
pagnol et ennemi de la France, pouvait livrer tout le royaume en proie a
celui dont il recevait sa paie ; qu'il pouvait délier les sujets du serment
de fidélité légitimement dû au prince, et c'est cette doctrine qui a
causé les meurtres et désordres que nous avons vus. Mais que leur
importe, à ces âmes dévotes, pourvu qu'elles en viennent a leur but ? La
maxime des pontifes romains, auxquelles leur secte s'est attachée par un
lien particulier, n'esl-elle pas que le pouvoir des deux glaives, le spiri-
tuel et le temporel, appartient sur tous les royaumes de ce monde au
successeur de saint Pierre?
« Au reste, ceux qui sont venus nous inculquer de pareilles idées, au
mépris des anciennes coutumes du royaume et des libertés de l'Eglise
gallicane, libertés qu'ils traitent d'abus et de corruption, se sont bien
gardés d'entrer en France, tout d'un coup et franchement comme gens
qui viennent par charité apporter de nouvelles lumières aux peuples ;
ils s'y sont glissés obscurément comme conspirateurs, dissimulant leurs
projets. Les cardinaux de Lorraine et de Tournon, leurs dignes Mécènes,
les ont d'abord cachés sous le manteau de leur protection ; mais à
peine ces dangereux procédés ont-ils eu un pied parmi nous, que par
leurs intrigues secrètes et leurs sermons séditieux ils ont armé les Français
les uns contre les autres. ^> C'est dans leur maison de Paris qu'est née
cette Ligue qui a été si funeste. C'est chez eux que les ambassadeurs de
l'Espagne tenaient leurs assemblées ; c'est la que la noblesse française,
après avoir confessé des péchés a ces loups déguisés en pasteurs, était
forcée, pour obtenir l'absolution, de s'enrôler dans la Ligue ; c'est de
la que sont parties toutes ces machinations qui ont troublé nos provinces
et semé partout la révolte a main armée. Ce sont eux encore qui ont
fait entrer dans Paris, une garnison espagnole. C'est par leur conseil que
les Seize ont offert la couronne de France au roi d'Espagne, que ces
mêmes Seize ont porté leurs -mains parricides sur les plus nobles têtes
du Parlement.
« Et, en effet, le mot d'ordre de ces faux prêtres n'était-il pas celui-
ci : c( Un seul Dieu, un seul Pape et un seul roi pour toute la chrétienté? »
Or, ce roi, c'est pour eux le monarque espagnol, à qui ils destinent la
monarchie universelle. Et malheur à tout prince qui ose soutenir les
droits que Dieu lui a donnés : le poignard jésuitique est levé contre son
sein.
« Tout récemment encore, dans leur collège de Lyon et dans leur
collège de Paris, n'ont-ils pas machiné la mort de notre roi bien-aimé ?
J
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 421
C'est un fait avéré par la déposition de Barrière Iiii-ménic ; il a avoué
(ju'ils l'avaient confessé et lui avaient donné jusqu'à deux fois le saint
viatique, pour le disposer à commettre le parricide, qu'il a seul payé du
plus afi'reux supplice.
« Les voilà donc se posant comme les assassins du vieux de la
Montagne, et comme ces assassins, ils donnent le titre de martyrs de la
religion a ceux (jui se dévouent à la mort pour immoler un prince. C'est
ce qu'on peut aisément prouver par un grand nombre d'exemples, tant
en France qu'à l'étranger. Une de leurs constitutions porte : « qu'ils
doivent être le fléau des tyrans, » et nous savons qu'ils tiennent pour
tyrans tous les princes que le Pape hait ou redoute. Que ne devons-nous
pas craindre de la part de tels instituteurs de notre jeunesse, de tels
directeurs de conscience ? Faut-il attendre qu'ils fassent encore sortir de
leur boutique de Satan cpielque monstre qui, plein de leur esprit furieux,
vienne par un parricide exécrable mettre à néant toutes nos espérances
de paix et de bonheur ?
« Le soin qu'ils prennent d'élever nos enfants n'est qu'une nouvelle
perfidie ; ils sont bien aises de pouvoir corrompre de bonne heure ces
jeunes âmes et de les infecter de leurs poisons, sous prétexte de les
abreuver du lait de la science, afin (jue, devenus des hommes faits, ils
apportent au gouvernement de l'Église et de l'Etat ces passions d'amour
ou de haine, qu'ils auront puisées dans leur école.
« Mais ce n'est pas encore assez de s'emparer de l'esprit de nos
héritiers ; ils veulent encore avoir en propre nos héritages. Faut-il citer
ici tous les testaments qu'ils ont déjà su extorquer d'un grand nombre de
personnes riches et titrées? Et qui sait s'ils n'en viendront pas bientôt
encore à prendre jusqu'aux titres attachés à ces biens qu'ils ont usurpés,
aliii de ne rien laisser aux familles qu'ils ont déjà ruinées?
« Que la justice se hâte donc d'arrêter ce torrent d'iniquités, avant
(pie le mal ne soit devenu irrémédiable. On nous oppose un arrêt de
surséance donné il y a trente ans. Mais l'affaire d'aujourd'hui est toute
différente. C'étaient alors les jésuites (pii demandaient à entrer dans
l'Université, et aujourd'hui c'est l'Université (jui demande à être débar-
rassée des jésuites qui, malgré elle, malgré cet arrêt lui-même, se sont
à la faveur de nos troubles ingérés dans des attributions qui leur étaient
interdites. Si la cour rendait maintenant un autre arrêt de surséance, ce
serait proprement surseoir les précautions qu'il est si urgent de
prendre pour mettre en sûreté la vie du roi. Ne l'oubliez pas, messieurs,
cette vie précieuse est en danger, tant que les jésuites resteront en
France.
« En ce temps-là, d'ailleurs, on n'avait pu, comme je l'ai dit, les
juger que par [)révisiou ; ils n'avaient pas encore prêché (]ue la couronne
de France peut être transportée sur la tête d'un étranger et même d'un
ennemi de la nation ; (pie Dieu lui-même avait déclaré la maison de
Bourbon indigne du trône. Ils n'avaient point encore imaginé ce livre
qu'ils appellent Livre de vie, dans lequel ils inscrivent tous les secrets
422 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
des familles, dont la confession les rend dépositaires ; en un mot, leur
faction n'avait pas encore poussé toutes les racines puissantes et pullu-
lantes, qui s'étendent aujourd'hui si profondément dans le sol, et nos
ambassadeurs, chez les puissances voisines, ne trouvaient pas comme
aujourd'hui sur leur chemin toujours quelque jésuite de robe courte ou
longue pour s'opposer aux volontés de notre gouvernement et à la gloire
du royaume.
<( J'ajoute que ces pères sont, par leur fait même, déchus du droit
concédé par l'arrêt qu'ils viennent invoquer ; car ils ont été les premiers
a refuser de s'y soumettre ; ils ont jiersisté a prendre le titre de compa-
gnons de Jésus, qui leur était interdit [par le dit arrêt. Outre leur col-
lège, qui était le seul établissement qu'on leur permît dans Paris, ils
ont bâti publiquement une maison professe dans la rue Saint-Antoine,
sans compter bon nombre d'autres établissements dont ils sont l'âme et
les fondateurs. Il leur était interdit de solliciter de nouvelles bulles du
Pape ; ils devaient renoncer à tous les privilèges et immunités qui
dérogent au droit commun; et malgré la teneur de ce règlement, ils ont
obtenu, en 1584, une bulle qui les exempte de la juridiction des
évêques, et ils ont mendié une multitude d'autres bulles par lesquelles il
est défendu, sous peine d'excommunication, de disputer sur les constitu-
tions et privilèges de leur société, et même de les révoquer en doute,
sous prétexte d'en examiner la vérité.
« Que pouvons-nous donc faire de mieux et de plus juste aujourd'hui
que de bajinir sur-le-champ du royaume ces hommes si pénétrants a
imaginer des intrigues, si hardis à les conduire, si vifs à les perfection-
ner, si vigilants dans la machination d'un forfait et si pleins de res-
sources dans leurs disgrâces ?
« Si le maréchal de Matignon a pu naguères conserver Bordeaux a
la France, c'est parce qu'il a chassé de cette ville ces dangereux antago-
nistes, qui l'auraient bientôt forcé à en sortir lui-môme s'il les y eût lais-
sés. Imitons son exemple, si nous aimons véritablement la patrie. Les
partisans de l'Espagne, il est vrai, nous traiteront d'hérétiques ; mais
dernièrement encore ne traitait-on pas d'hérétiques tous ceux qui vou-
laient conserver la loi salique qui est la sauve-garde de cet état ?
« Ondira peut-être aussi que si les jésuites sont coupables, il faut leur
faire un procès dans les règles. Mais sommes-nous dans le cas d'avoir
recours à des remèdes lents et à des médecins timides, quand le danger
de mort est là présent, instantané ? Barrière, suborné par les jésuites
pour assassiner le roi, aurait exécuté ce détestable dessein, s'il n'eût
été miraculeusement découvert ; qui osera dire qu'après un pareil
exemple il est permis de différer ?
« Si, au reste, nous demandions la mort de tous ceux qui l'ont
partie de cette secte impie, sans aucun doute il faudrait rélléchir avant
d'accorder une pareille mesure ; car la vie des hommes est chose sacrée,
et on ne saurait prendre trop de précautions avant de la sacrifier au
bien général ; mais ici, il n'est question que d'un simple bannissement :
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 423
or, leur révérend père Bernard, leur père Commolet et tous leurs autres
docteurs, ont si bien travaillé l'esprit de lein'S adeptes que quiconcpio a
sucé le lait de cette abominable société n'a plus ni amour ni intérêt
pour sa patrie, ou, pour mieux dire, n'a plus de patrie. Ce n'est donc
pas à eux a se plaindre, si la patrie a son tour les rejette comme
membres non pas seulement inutiles, mais dangereux et gangrenés.
« Les maux qu'ils ont déjà faits et ceux qu'ils ont voulu faire au
pays sont décrits dans toutes nos bistoires ; leurs droits à babiter parmi
nous ne sont j)as seulement douteux, mais rejetés par tous ceux qui ont
mission de veiller en France h la conservation de la paix et de l'ordre
public ; le Parlement a toujours refusé d'enregistrer les lettres-patentes
que le cardinal de Lorraine avait obtenues pour leur installation dans le
royaume très chrétien. La Sorbonne, qui n'était point alors infectée des
maximes de l'Espagne, lit un décret unanime par lequel elle déclara
que cette société était dangereuse dans la foi ; (ju'clle troublait la paix
du pays, (pi'elle renversait la discipline ecclésiastique, en nn mot
qu'elle tendait a détruire et non a édifier. Les mêmes répugnances se
sont élevées contre elle, dans tous les autres royaumes où elle a cbercbé
a pénétrer, et cependant elle est venue a bout de se faire recevoir ou de
s'imposer partout. Savez-vous pourquoi ?
« C'est en vertu de ce quatrième vœu particulier à celte secte, |)ar
lequel ses adeptes s'obligent de faire en tout et partout triompher la
volonté du Pape. Voila pourquoi Rome les a apppuyés de sa puissante
influence, voila pourquoi ils ont trouvé partout, dans la foule des catho-
liques peu éclairés, des amis et des serviteurs ; mais voila aussi pour-
(juoi ils doivent être suspects en France.
<c Pour vous, messieurs les juges, demeurerez-vous froids à répri-
mer les attentats de ceux qui se pourvoient a Rome et en Espagne, contre
les jugements que vous prononcez ici, assis sur les fleurs de lys ; lais-
serez-vous sans répression ceux qui corrompent l'esprit de notre jeu-
nesse, dont ils se sont faits les insliluteurs, malgré toutes nos lois pro-
tectrices, ceux qui n'ont d'autre désir au monde (|ue de faire massacrer
nos rois? Demeurerez-vous froids et impassibles, quand vous avez encore
sous les yeux les plaies toutes saignantes des maux qu'ils ont déjà faits?
Ou cette audience délivrera notre patrie de ces nouveaux monstres engen-
drés pour la démembrer, ou bien, et je le dis tout haut pour que chacun
m'entende, leurs ruses et leurs artifices, dont ils vantent déjà d'avance
le succès, auront en effet fait taire votre justice ; et, <lans ce cas, ma
voix pénétrera dans tous les quatre coins du royaume ; elle parviendra
retentissante jusipi'ii la postérité, (|ui jugera alors sans crainte et sans
passion si c'est moi (|ui me suis trompé en vous prédisant aujourd'hui
toutes les calamités (jue cette secte ambitieuse et adroite va accumuler
sur la France.
« Songez-y : le mal (pi'elle se dispose a faire sera encore plus grand
que celui (ju'elle a déjà fait, et je ne sais si nos forces alors seront en
état de résister, ni s'il y aura beaucouj) de gens qui consentent a ris-
424 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
quer dans une lutte devenue inégale leur vie, leur honneur et leurs
biens.
c( Je conclus à ce qu'il plaise à la cour, en entérinant la requête de
rUniversité, d'ordonner que tous les jésuites de France sortent du
royaume quinze jours après la signification de l'arrêt qui interviendra, et
à faute de ce faire, que quiconque d'entre eux qui sera trouvé dans le
royaume, soit condamné comme coupable de lèse-majesté au premier
chef. »
Ainsi parla Arnauld avec une animosité qui eut un effet tout contraire 'a
ce qu'il en attendait. On a vu que les jésuites n'avaient pas perdu leur
temps, pendant les délais qu'ils avaient su se ménager. Dans le Parle-
ment même, ils avaient su ramener bien des esprits, et la lettre du roi,
obtenue par les instances du cardinal de Bourbon, lettre parlaquelle Sa
Majesté « se montrait comme père commun et conservateur d'un cha-
cun, sans se rendre partiale entre ses sujets », avait achevé de calmer
les plus animés. (On verra bientôt comme Sa Majesté fut récompensée
de sa générosité.) Quoi qu'il en soit, l'avocat Arnauld fut, 'a plusieurs
reprises, interrompu pendant le cours de sa plaidoirie, par monsieur le
premier président lui-même, et put dès lors juger que le vent du
bureau ne soufflait pas pour lui. {Mém. de Cheverny, 1594.)
Louis Dollet prit ensuite la parole au nom des curés, et parla
presque avec autant de vivacité qu'Arnauld avait fait pour lUniver-
sité.
<f Messieurs, dit-il, en flétrissant par l'arrêt que nous demandons
les doctrines de cette secte pernicieuse, vous dissiperez les té)ièbres et
les impostures qu'elle s'est appliquée à accumuler. Le peuple, a qui elle
a prêché la révolte contre son prince, au profit d'un pouvoir étranger,
aura les yeux dessillés et reconnaîtra cette doctrine comme mauvaise,
puisque vous en aurez condamné les auteurs, vous, qu'il respecte comme
les dispensateurs de la justice.
« Tout ainsi que les jésuites ont rompu l'ordre de l'Université,
depuis qu'ils s'y sont introduits, de même ils ont perverti la hiérarchie
ecclésiastique, en se portant comme curés universels et en soustrayant
les lidèles 'a la houlette spirituelle de leurs pasteurs légitimes. Les voil'a
maintenant, partout en possession des chaires et des confessionnaux, et
si vous les laissez plus longtemps prendre racine, il faut s'attendre que
tout le peuple deviendra bientôt jésuite, c'est-a-dire cessera d'être
Français, méprisera les mœurs françaises et supportera plus volontiers
la tyrannie de l'étranger que le gouvernement de son pays.
« Dès leur apparition en cette ville, la faculté de théologie les a
condamnés, à l'unanimité, tout d'un esprit et d'une voix ; maintenant,
ils viennent vous dire que la faculté s'est rétractée dans ces derniers
temps. Jugez, messieurs, si ces hommes ont l'esprit de division, puis-
qu'ils ont pu par leurs intrigues faire vaciller une aussi célèbre compa-
gnie. Ah ! si ces graves théologiens, qui ont autrefois anathématisé
avec science et conscience les jésuites, pouvaient aujourd'hui sortir de
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 425
leur tombeau, comme ils rougiraient de leurs successeurs qui ont pris
pour règle de leur conduite un tout autre motif que celui qui les diri-
geait eux-mêmes et qui n'était autre que le bien public !
« Au reste, ceux pour les<juels je parle devant vous, n'ont pas de
part à ce désbonneur. Ils ont conservé lidèlement les nobles et saintes
traditions de leurs prédécesseurs, et c'est aussi au nom de l'intérêt de
tous (ju'ils m'ont cliargé de soutenir cette cause.
« Mais, suivant les jésuites, et ils me l'ont fait dire, je ne puis être
recevable en mes conclusions, parce que je n'ai pas reçu un mandat
général de tous les curés de Paris. Non ! je n'ai point reçu en effet de
mandat des Bouclier, des Hamilton et d'autres semblables séditieux, pas
plus (jue de certains jeunes tbéologiens, sortis des écoles de la secte
jésuitique ; mais la cour jugera si le caractère de science, de probité et
de patriotisme de mes mandants peut être mis en balance, avec le défaut
d'assentiment de ceux que les jésuites ont imbus de leurs pernicieuses
doctrines et ([u'ils ont intéressés a les appuyer.
« Je suis donc cbargé de soutenir devant vous que cette association
ne peut et ne doit pas faire partie de la biérarcbie ecclésiastique ni
comme prêtres séculiers, ni comme réguliers, et que leur ordre est
illicite, parce qu'il n'a jamais été reçu en France par l'autorité compé-
tente. Ils sont entrés dans l'Église gallicane comme véritables larrons,
ils sont arrivés les derniers de tous les ordres religieux, et, pour capter
la laveur des peuples, ils ont voulu surpasser ceux qui les ont précédés
en nouveauté de doctrines et en excès de cérémonies.
« Mais sans vouloir entrer ici dans la discussion de ces doctrines et
cérémonies nouvelles, je leur dirai : « Mes pères, nous ne saurions
« vous voir de bon œil, parce que depuis tout le temps que vous êtes
« parmi nous, vous ne vous êtes pas encore apprivoisés : vous vous
« tenez couverts, vous cacbez votre vie 'a tout le monde ; on ne sait
« quelle espèce de monstre vous nourrissez ainsi en secret. Si vous êtes
« prêtres séculiers, pourquoi vous retirez-vous en des couvents et
« pourquoi vous soustrayez-vous a l'obédience de l'ordinaire? Si vous
« êtes religieux, pourquoi avez-vous boute de le confesser? Pourquoi
« vous voit-on sans cesse occupés d'intérêts et d'affaires temporelles?
« Hélas ! sous vos baires, vous cacbez la pourpre ; sous vos cendres
« brûle le feu d'une ambition effrénée. Votre prétendu vœu de pauvreté
« ne sert qu'a déguiser votre soif des richesses, car vos vœux, mes
« pères, ne sont que chimères, et, pour me servir d'une de vos expres-
« sions favorites, ne sont que secondes intentions.
« Voyons, maintenant, (jucl parti vous avez su tirer des Papes dont
« vous vous êtes fait les fanali(|ues auxiliaires, car, au fond, vous ne
« faites rien pour rien. Paul IV vous a mis non seulement au-dessus des
« curés, mais des évêques et des archevêques, en vous donnant le pou-
ce voir d'absoudre même des cas réservés au Saint-Siège et de changer
a les vœux des fidèles. Jules ill vous a autorisé a disposer des jeûnes et
« de l'abstinence. Paul III a permis à votre général de relever des irré-
426 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
« gularités et d'absoudre les hérétiques, pouvoir que la cour de Rome
c( refuse encore aujourd'hui a l'Église gallicane tout entière. Par une
« bulle de Grégoire XI!I, il vous est devenu licite de changer d'habit et
« de vous déguiser de toutes les laçons, quand cela peut être utile k
« vos intérêts, bien que la chose soit de tout point contraire aux saints
« canons. Mais ce qui surtout compromet les droits légitimes de ceux
« qui m'ont confié leur défense, c'est la bulle de Paul 111 qui permet au
« peuple de sortir de sa paroisse et de laisser ses pasteurs, pour aller
« recevoir les sacrements des mains des jésuites, contradictoirement a
« l'ordre élabli par tous les saints conciles. Vous êtes, mes pères,
« maîtres des cérémonies, vous êtes curés, vous êtes pasteurs univer-
« sels, en un mot vous êtes les superintendants de l'Église de Jésus-
« Christ.
« Les lois pourtant de cette Église, ne sauraient compatir avec ces
« grands privilèges, et les lois de l'État encore moins. Ces dernières
« nous font un devoir de reconnaître un chef temporel et de lui obéir.
« Vous, votre soleil est ailleurs ; vous ne pouvez donc vivre sous le même
« horizon que nous. C'est vainement que pour vous maintenir sur ce sol
« qui vous repousse, vous vous donnez comme les sauveurs de la foi
« catholique, que vous représentez voire ordre sous l'emblème du géant
a Atlas, soutenant seul le ciel sur ses épaules. Eh quoi ! appelez-vous
« soutenir la religion de Jésus-Christ, fausser tous les principes de cha-
« rite que nous a prêches ce divin maître, proclamer la révolte contre
« le pouvoir légitime, et contracter des alliances avec les ennemis du
« pays ? En ce cas je ne vous envierai pas celte gloire ; j'avoue que
« vous l'avez méritée, et je ne doute pas que tant qu'il restera un
« jésuite en France, il n'y manquera pas d'ouvriers pour une pareille
<( œuvre. »
« En eflet, messieurs, ce n'est pas au peuple qu'il faut imputer
tout le mal qu'il a fait dans ces derniers temps ; il n'était que l'instru-
ment de ces habiles ingénieurs, la girouette que fait tourner le vent, les
flots qu'il soulève a son gré. Que le vent cesse de souffler sur la mer,
vous la verrez bientôt tranquille. Pourtant ne vous endormez pas dans
une imprudente confiance. Le vent jésuitique se gardera bien de se
déchaîner ouvertement aujourd'hui : il va se tenir coi et silencieux ; il
ne fera de mal qu'en cachette et avec mesure, puis, peu 'a peu, comme
un zéphyr timide, il reviendra caresser les vagues, les agiter douce-
ment depuis la surface jusqu'au fond, par un mouvement lent et cadencé
jusqu'à ce qu'il trouve l'occasion d'exciter de nouvelles tempêtes, et ces
tempêtes-lh, seront d'autant plus dangereuses qu'elles auront été préparées
depuis longtemps.
« Messieurs, ne l'oubliez pas, les jésuites ont dérobé la clé des
consciences du peuple, ils peuvent maintenant en disposer à leur
volonté et lui faire croire tout ce que bon leur semble ; car ils ont en
main la plus forte de toutes les armes, le confessionnal, où chacun vient
leur découvrir ses plus secrètes pensées, et chercher des conseils et de
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 427
la consolation. Alors l'àmc qui entre en elle-nîême, qui examine ses
(ailles, qui médite sur son infirmité et qui, contrite et abattue, se con-
damne déjà elle-même, est comme le malade qui, sentant son danger,
n'osera jamais dépasser les ordres de son médecin et prendra aveuglé-
ment tous les remèdes qu'il en reçoit ; et(juel terrible usage un médecin
empoisonneur peut faire d'un pareil |)Ouvoir !
« Quel usage aussi font les jésuites des confidences qu'ils reçoivent
dans le sacré tribunal ? Par des épîlres qu'ils appellent anniversaires,
« ils se révèlent de province en province, tous les pécbés qui leur ont
été confessés. » 11 est vrai qu'ils ne nomment pas les pécheurs par leur
nom ; mais la plupart du temps ils accompagnent ces révélations de
circonstances si particulières, (ju'il est aisé de reconnaître les personnes.
Aussi n'y a-t-il bonne maison en France ou ailleurs, dont ils ne con-
naissent a fond les plus intimes secrets, et où ils n'aient un espion 'a
eux, soit domestique ou même membre de la famille, toujours prêt à
api)uyer de tous ses moyens les projets de la secte. Tout récemment
encore, n'a-t-on pas vu les jésuites de Fribourg, voulant rompre l'union
des , cantons catholiques et des cantons protestants, persuader aux
femmes dans le confessionnal de refuser le devoir conjugal 'a leurs
maris, jusqu'à ce qu'ils eussent promis de renoncer à cette Ligue, unique
palladium de la républi(|ue helvétique, contre les entreprises de la maison
d'Autriche ?
« Que si l'Église a toujours eu la prudente sagesse de repousser de
sou giron, non seulement ceux qui corrompaient le dogme, mais ceux
aussi (pii violaient sa discipline, quelles peines méritent les jésuites,
eux, qui, non contents du nom de chrétiens adopté par tous les fidèles,
ont usurpé celui de Jésus, duquel les pères ont écrit que nul ne s'est osé
surnommer, comme étant le nom le plus ineffable du Seigneur, eux, (jui
séduisant le peuple des paroisses, l'arrachent au |)asleur légitime pour
le faire communier a part, comme si leur collège était une paroisse
générale, eux ipii font révolter les sujets contre leur souverain, et (|ue
nous trouvons mêlés 'a toutes les conjurations (jui ont eu lieu depuis
trente ou quarante ans, dans tous les lieux et dans tous les pays du
monde, (jui se sont efforcés de faire de la maison du Seigneur une
caverne de voleurs et de tueurs de rois ?
« Messieurs les juges, c'est à vous à prononcer dans le for intérieur
de votre conscience. Pour nous, (|ui n'oublions j)as comme eux que
l'Eglise a horreur du sang, nous lu^ demandons pas, que le leur soit
ré|)andu ; mais nous vous démontrons les riscjues qu'ils fout courir a la
iraïKjnillité publicpie, eu enseignant a leurs écoliers qu'il est i)ermis de
tuer les maîtres temporels des États ; et, vous le savez, notre roi bien-
aimé, a vu lui-même tout dernièrement ses jours menacés, j)ar un de ces
malheureux sorti d'un jle leurs confessionnaux, où, connue il Ta déclaré,
il avait été égaré par leurs suggestions.
« Vous n'aurez, messieurs, en aucun temps, une plus pressante
nécessité de délibérer sur ce point. Si vous ne chassez pas sérieusement
428 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
les jésuites aujourd'hui, vous les établissez pour jamais en France.
Aujourd'hui, la nation en masse applaudira à leur expulsion ; car elle
sent encore la douleur cuisante des plaies qu'ils lui ont faites ; mais,
vous le savez, si le premier mouvement du peuple français est toujours
plein de vigueur et de courage contre les méchants, le mouvement se
ralentit bientôt, et les jésuites le savent aussi bien que vous ; aussi
vous avez vu qu'ils ne cherchent qu'à tirer le temps en longueur,
parce que, gagner du temps en France, c'est tout gagner, et ils sont
bien assurés de vaincre s'ils parviennent seulement a faire suspendre le
coup qui les menace aujourd'hui, peut-être même ont-ils déjà vaincu, car
les révérends pères ne s'endorment jamais et savent le prix du
temps.
« Je me réunis donc, au nom de mes mandants, aux conclusions
qui vous ont été présentées par l'Université, touchant l'expulsion du
royaume de tous les jésuites. Je demande subsidiairement, que défenses
leur soient faites d'administrer les sacrements et d'entreprendre en quoi
que ce soit sur la charge et pouvoir des demandeurs. » {Mém. de la
Ligue, t. VI, p. 187 et suiv.)
Après ce discours, Duret, qui plaidait pour les jésuites, comprit
toute la difficulté de sa tâche. 11 avait 'a craindre de se charger de la
haine publique et peut-être aussi de déplaire au roi, qui malgré les
beaux semblants que la politique l'obligeait de faire, n'avait pas assez a
se louer des maximes ni de la conduite des révérends pères, pour être
leur ami de bonne foi. Il jugea donc prudent de ne point entrer en dis-
cussion sur ces maximes ni sur cette conduite. « Si, dit-t-il, c'est une
accusation formelle de corruption et de révolte que vous voulez porter
contre mes clients, faites-le franchement et dans la forme prescrite par
la .loi, et non pas en accumulant sur toute une société, des inculpations
vagues et qui, ne s'adressant à personne en particulier, ne sauraient être
repoussées par personne. Nommez hautement ceux que vous regardez
comme coupables, et ils viendront ici se justifier. Ce sera alors un
un nouveau procès.
« Que, s'il n'est question que de l'ancienne querelle qu'on leur a
faite pour les expulser de l'Université, je n'ai qu'un mot à répondre : ils
y sont et y sont restés, en vertu de l'arrêt de suspension donné il y a
trente ans, au sujet d'une poursuite toute semblable ; ils sont donc en
possession ; c'est a vous de poursuivre maintenant le procès pour les
déposséder, mais en reprenant la question dans les mêmes termes et au
même point où elle était quand elle a été suspendue, et sans y introduire
de nouveaux incidents qui n'appartiennent plus à cette procédure. »
(De Tiiou, liv. 110, p. 269.)
Ce plaidoyer de Duret parut beaucoup trop maigre aux jésuites : l'un
d'eux, le père Barni, fut chargé de faire une apologie plus détaillée, qu'il
signa modestement du nom de préfet des confrères de Clermont, n'osant
pas cette fois risquer le nom de jésuite.
Après avoir répété les arguments de Duret, touchant leur qualité de
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 429
possesseurs du titre de membres de TUniversité, (lu'on voulait leur enle-
ver, et prouvé que, depuis Tarrêt de suspension donné par le parlement
trente ans auparavant, le procureur général était seul partie capable de
les poursuivre ; il ajoutait : que « le corps de l'Université, au nom
(lu(|uel l'avocat Arnauld avait parlé, désavouait aujourd'hui la requête ;
pareillement, ((ue la requête que Dolet avait présentée et soutenue, n'était
signée que d'un petit nombre de curés, qui n'avaient pas même été auto-
risés a cet effet par leur évêque, ainsi qu'il est de règle canonique;
« Que l'institut de la société avait été approuvé par six papes,
par l'assemblée de Poissy , par lettres-patentes des rois Henri II,
François II, Charles IX et Henri III ; qu'en 1505, le recteur de l'Uni-
versité, Julien de Saint-Germain, leur avait expédié des lettres en
forme de leur admission comme membres de l'Université de France, et
que la Sorbonne, ces jours derniers encore, avait décidé qu'il ne fallait
pas les chasser, mais seulement les obliger à se soumettre aux règle-
ments qui sont en usage dans les autres collèges de Paris, ce qu'ils ne
demandaient pas mieux que de faire ;
« Qu'en effet, si on les chasssait, ce serait au détriment d'un grand
nombre de princes, prélats, seigneurs et villes qui, ayant fondé h grands
frais des collèges tenus par les membres de leur société, verraient ces
maisons devenir désertes ; que les peuples y perdraient aussi beaucoup
pour l'instruction, parce que les autres établissements de l'Université
faisaient payer leurs leçons assez cher, tandis que leur ordre donnait les
siennes gratuitement et par charité chrétienne ; qu'il arriverait par
conséquent qu'un grand nombre d'enfants qui n'avaient pas le moyen
de payer seraient privés de toute éducation ; enfin, que la religion elle-
même y perdrait encore plus, puisqu'ils étaient ses défenseurs les plus
zélés contre l'hérésie des huguenots.
« Est-il juste, après tout, que tout un corps soit puni pour la faute
d'un ou deux de ses membres? C'est uniquement celui qui a péché qui
doit porter la peine de son péché. Eh bien ! coupez les mauvaises
branches et laissez subsister le tronc (jui peut vous donner des
branches utiles et fructifiantes. (On voit que l'apologiste. prohte habile-
ment de l'ignorance où l'on pouvait être encore, que l'ordre des jésuites
n'a (pi'une volonté et une action, que ses règles ne permettent aux
membres aucun usage de leur liberté individuelle et qu'il a les moyens
de faire exécuter ses règles.)
« On nous accuse, continue le Père Barni, d'être les serviteurs du
Saint-Père. Mais toute l'Église catholique ne reconnait-elle pas la pri-
mauté de Pierre, sur lequel Jésus-Christ a bâti son Eglise, et peut-on
nous en vouloir, de ce que nous soutenons cette primauté légitime contre
les hérétiques qui l'atlaciuent? (Rien sur la distinction du pouvoir spiri-
tuel et temporel, que le jésuite se garde bien d'aborder. )
« On nous accuse d'être Espagnols au fond du cœur, parce que
notre ordre a un Espagnol pour fondateur ; mais les ordres de Citeaux
et des Chartreux, qui sont nés en France, n'ont pas pour cela été regar-
450 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
dés comme Français exclusivement, et TEspagne ni les autres pays
catholiques n'ont pas voulu les bannir sous ce prétexte.
« On nous reproche ce qu'ont l'ait, dit-on, quelques-uns des nôtres
pendant ces malheureux temps de troubles et de guerres civiles. D'abord
la plus grande partie de ces accusations ont été inventées a plaisir et
sont dénuées de preuves. Presque partout on a confondu les noms par
suite d'une malheureuse ressemblance, et on nous a imputé des choses
dont nous n'étions nullement coupables. C'est ainsi qu'on a confondu
un Claude Mathieu, religieux espagnol, que nous ne connaissons pas,
avec l'un de nos pères, Claude Mathieu, qui est mort chrétiennement à
Ancône, il y a environ quatre ans, et qui ne s'est jamais mêlé de
toutes les intrigues qu'on lui prête. Il est vrai que notre père Pigenat a
fait partie du conseil des Seize ; mais tout le monde sait que c'est
M. le duc de Mayenne qui l'avait fourré dans cette assemblée, pour
modérer par sa sagesse tous ces esprits turbulents et séditieux ; tout le
monde connaît les efforts qu'il a faits dans ce louable but, efforts qui
l'ont tellement épuisé qu'il est venu mourir de chagrin a Bourges, deux
ans avant l'assassinat du président Brisson, qu'on ne saurait par consé-
quent lui imputer.
« Il est également de la dernière fausseté que les assemblées de la
Ligue se soient tenues dans notre maison de Paris. Ce qui est vrai,
seulement, c'est que l'ambassadeur d'Espagne y venait souvent
entendre la sainte messe avec ses amis, mais, a la fin, nos pères,
s'apercevantque cela pouvait lesc ompromettre, l'ont prié d'aller faire ses
dévotions aux Célestins.
« Nos pères, au reste, ont été des premiers a se ranger a l'opinion
de la Sorbonne et à dire qu'on pouvait, sans blesser la conscience, se
soumettre au roi, et c'est de leur consentement qu'ont été entamées ces
fameuses conférences dont le résultat a été la conversion de ce prince.
« Pour achever de nous rendre odieux, on fait croire aux simples
que nous prononçons un vœu solennel d'exterminer les tyrans. Qu'on
nous montre donc d'abord en quels termes est conçu ce vœu. Il est
bien vrai qu'on trouve quelque chose qui semble avoir rapport à cette
inculpation, et qui, probablement y aura donné lieu dans un bullaire
imprimé a Lyon en 1588. Mais d'abord, ce n'est point un vœu, et
ensuite ce qu'on lit à ce sujet dans ce bullaire, y a été inséré par un cer-
tain Mathieu, qui était jurisconsulte et ne fut jamais jésuite. C'est encore
une erreur de noms causée par l'homonymie. »
Bref, l'apologie du père Barni était plus longue et plus détaillée que
celle de Duret ; mais j'avoue que je ne la trouve pas aussi concluante ;
L'avocat, en sa qualité de légiste, n'avait insisté que sur le droit et la
forme, et il faut convenir qu'il avait très brièvement su mettre l'un et
l'autre de son côté. Il est vrai qu'outre la lettre du roi, et tous les
autres ressorts qu'avaient habilement fait jouer les jésuites, il avait été
puissamment secondé par diverses autres circonstances. « D'abord on
ne voulait pas donner ce contentement aux huguenots et aux mauvais
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 434
chrétiens de ruiner les jésuites » qui se proclamaient les plus zélés
(lélcnseurs du culte catholique ; ensuite, on sentait le besoin de ne point
irriter le Pape (pii les soutenait ; puis on pouvait regarder jusqu'à un
certain point comme une querelle de concurrence intéressée, le procès
intenté par l'Université et les curés de Paris, contre des gens qui leur
disputaient leurs prolits ; enlin, les accusateurs s'étaient trompés en
accusant ces pères d'être une secte espagnole. Ils étaient jésuites et
rien autre chose (1). S'ils avaient favorisé le parti espagnol, c'est qu'ils
y trouvaient mieux leur compte et ils n'avaient lait en cela que ce
(|u'avaient l'ait la plupart des autres ordres religieux, qu'on ne songeait
point h atta(|uer. {Mém. de Cheverny, ad. ann. 1594.)
Aussi, sur le réquisitoire du procureur général Séguier, la cour
ordonna (jue les requêtes de l'Université et des curés fussent jointes au
l)rocès appointé depuis trente ans pour être fait droit ])ostérieurement
sur le tout, par un seul et même arrêt. C'était tout ce que les jésuites
demandaient pour le moment.
« Pourtant, certains membres du parlement, indignés de voir le
mauvais droit prévaloir, prononcèrent en cette occasion des paroles fort
piquantes. De Thon, entre autres, s'écria : « Vous prenez l'a. Messieurs,
une décision déplorable. Ne voyez-vous pas (jue laisser un tel procès
indécis, c'est précisément laisser la vie de notre roi exposée au poignard?
Dieu veuille qu'on ne vous l'apprenne pas plus tard ! Mon avis, au reste,
est que ces gens-la soient chassés sans pitié du royaume. » (De Thou,
ubi sup.)
Tandis que cette scène se jouait au parlement, Passerat, professeur
d'éloquence au collège de Cambray, disait dans sa chaire que « l'Univer-
sité française, qui venait de se prostituer parla trahison d'une partie de
SCS membres, aurait besoin d'une purification et d'une consécration
nouvelles pour servir les muses. — Le temple et les cérémonies de ces
divinités, ajoutait-il, ne doivent point être souillés par ces oiseaux
immondes, ou, pour |)arler sans métaphore, par ces animaux a deux
pieds et sans plumes, vêtus d'une robe noire, qui empuantissent tout ce
qu'ils touchent.
« Si le parlement ne se décide pas a bannir ces harj)ies dégoûtantes,
c'est en vain que nous sacrifierons aux dieux du rivage ; notre vaisseau
ira encore se briser contre les mêmes écueils, où la tempête l'avait jeté
depuis peu.
(1) Quelques amis m'ont demandé si j'étais bien fidèle ici à mon épigraphe: Nec
amore, nec odio. J'avoue que je n'éprouve pas de grandes sympathies pour cette
fameuse société et je crois que c'est en vertu de la seconde partie de mon épigraphe :
Humanitalis causa. Au reste, j'atteste qiie je n'ai contre ces pères, ni esprit de
laine, ni esprit de vengeance personnelle. Je désire seulement qu'ils ne fassent pas
mon pays tout le mal qu'ils peuvent lui faire. Je proteste aussi, qu'ici comme
ailleurs, je n'ai rien inventé, je mets aussi fidèlement qu'il m'est possible toutes les
"pièces que je connais sous les yeux de mes lecteurs : c'est à eux de juger. Quant à
moi, je ne nie pas que mon opinion n'est pas favorable; mais je laisse chacun libre
d'avoir la sienne.
432 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
« Dans le champ qu'on veut cultiver avec succès il faut arracher jus-
qu'à la dernière racine des mauvaises herbes. Des brigands aussi cruels
que les Scythes, se sont, sous l'amorce d'une instruction gratuite, implan-
tés, malgré les dieux, sur les terres fertiles de l'Université. Ils espèrent
par la s'emparer des biens des riches, faire tomber dans leurs filets les
personnes qui vivent dans le célibal, se composer un cortège de nos
enfants, de femmelettes superstitieuses et de jeunes gens sans expérience,
cortège qui doit les conduire au pouvoir énorme qu'ils ambitionnent.
« Déjà ils ont fait entrer dans Paris leur cheval de Troie, sous pré-
texte des besoins de la religion, prétexte dont ils ont toujours su habile-
ment couvrir leurs fourbes et leur avarice insatiable ; des flancs de ce
cheval, quand ils se sont ouverts, combien de misères et d'horreurs
n'avons-nous pas vu sortir, pour se répandre sur la France ? Peut-être
aurions-nous pu nous garantir de tous ces maux, si nous avions voulu
croire les personnes sages, qui comme la prophétesse Cassandre, nous
les prédisaient à haute voix ; mais nous avions parmi nous aussi des
traîtres et des Sinons, pour endormir notre prudence et nous boucher
les oreilles.
a On nous a dit que ces gens-là, venaient instruire gratuitement notre
jeunesse ; qu'on change quelques lettres et qu'on dise plutôt qu'ils
viennent détruire gratuitement toute instruction libérale et nationale,
pour ne plus laisser dans le beau royaume de France que des fanatiques
et des superstitieux.
(c Et même ce mot, gratuitement, dont ils dorent leur venin, n'est-il
encore ici qu'une antiphrase. J'en atteste les riches et puissantes
familles dont ces sangsues ont absorbé toute la substance pour fournir,
disent-ils, aux frais de cette prétendue instruction gratuite. Au lieu
d'une petite rétribution qu'ils auraient reçue par mois de chacun de
leurs élèves, ils se sont fait léguer des sommes immenses, et leurs
pièges de toutes sortes sont continuellement tendus pour en attraper de
plus importants encore.
« 11 faut que les pères qui leur confient leurs enfants soient bien
simples. J'aimerais autant confier mes brebis au loup, mes pigeons à
l'épervier et mes poulets au Milan. Qu'est-ce donc, après tout, que ces
nouveaux maîtres descendus du ciel par une corde d'or, enseignent de
si merveilleux ? Le voici : ils apprennent à ceux qui les écoutent qu'il
n'y a de bien et de beau que les manières de l'Espagne ; que les lois
et coutumes de notre pays ne méritent que mépris et que haîne, qu'il
iaut être poltron, hypocrite, et qu'on peut sans pécher sacrifier à la
déesse Laverne. Voilà la doctrine qu'ils nous ont apportée, et ils veulent
être les seuls à la professer. Je ne leur envierai pas ce privilège.
« A voir leurs mines douces et graves, vous les prendriez pour
gens de bien. Ils se sont rais à émender, comme ils le disent, nos bons
auteurs pour ne point salir l'imagination de la jeunesse, en lui laissant
sous les yeux des peintures trop vives et trop libres ; ainsi, ils sont par-
venus à faire un mouton d'un bélier, et un bœuf grossier d'un bouillant
DU PROTESTANTISME EN FRANCE.
433
et généreux taureau. Le beau mérite ! ils auraient mieux fait d'émender
leur morale (|iii oll're toujours un moyen de légitimer toutes les fai-
blesses, tous les vices et même tous les crimes.
« Ab ! qu'ils se hàlent de retourner au bon pays d'où ils nous sont
venus, qu'ils aillent la faire tant (ju'ils le voudront des bypocriles et des
bigots ; la France n'aime ni les marchands d'eunuques, ni leur mar-
chandise, et la longue et dangereuse maladie que l'Université a con-
tractée depuis que celte vermine s'est introduite dans ses entrailles ne
pourra être guérie que quand elle aura vomi jus(ju'au dernier de ces
vers malfaisants. » t
C'est ainsi que le professeur Passerai s'exprimait contre les jésuites
avec toute l'assurance d'un véritable déclamateur ; mais dans ces phrases
ampoulées on peut trouver de salutaires enseignements, même pour le
temps présent, si l'on veut bien les y chercher.
IV.
28
434 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
CHAPITRE XVII
1594. — ARGUMENT : continuation du siège de laon.
RETRAITE DES ESPAGNOLS. — MORT DE GIVRY. — CAPITULATION DE LAON.
soumission de CHATEAU-THIERRY.
AMIENS CHASSE LE DUC D'aUMALE ET OUVRE SES PORTES AUX ROYALISTES.
LE ROI A CAMBRAI. — PUIS A AMIENS. — BEAUVAIS LUI ADRESSE SA SOUMISSION.
SAINT-MALO ET NOYON SUIVENT CET EXEMPLE.
MAYENNE S'ABOUCHE A BRUXELLES AVEC L'ARCHIDUC.
IL n'en REÇOIT QUE DES PROMESSES.
LE DUC DE GUISE APRÈS AVOIR TUÉ SAINT-POL S'aCCOMMODE AVEC LE ROI.
MORT DU CARDINAL DE BOURBON. — MORT DU COMTE D'O.
LE MARÉCHAL d'AUMONT ENTRE DANS LAVAL.
QUIMPER RÉSISTE A UNE SURPRISE ROYALISTE.
D'AUMONT PREND LE CHATEAU DE MORLAIX SOUS LES YEUX DE MERCŒUR.
IL FORCE QUIMPER A SE RENDRE. — IL PREND d'aSSAUT LE CROZON.
DE CARCES EN LUTTE CONTRE D'ÉPERNON. — LESDIGUIÈRES INTERVIENT.
INTRIGUES DE LAFIN. — d'ÉPERNON FORCÉ DE SE TOURNER DU COTÉ DE LA LIGUE.
LE duc: de SAVOIE S'EMPARE de BRIQUERAS. — IL DEMANDE LA PAIX AU ROI
QUI LA LUI ACCORDE A DES CONDITIONS AVANTAGEUSES POUR LUI.
Le roi continuait alors avec son infatigable activité le siège de Laon.
Mansfeld et Mayenne, qui se tenaient dans le voisinage, étaient parvenus
a réunira grands frais un gros convoi de munitions de toutes sortes,
qu'ils dirigèrent avec une forte escorte d'infanterie et de cavalerie
vers la place assiégée. Sa Majesté, qui en fut informée, donna ordre au
maréchal de Biron de mettre quelques troupes en embuscade dans la
forêt par où devait arriver le convoi, et de faire en sorte de l'enlever.
Biron fit aussitôt partir en avant Givry, colonel général de la cavalerie, et
quelques autres capitaines, avec leurs compagnies toutes en bon point,
et lui-même se rendit à Crépy, bien accompagné, pour soutenir au
besoin ce premier détachement. (De Thou, t. XII, liv. 5, p. 885 et
suiv.)
Givry et ses compagnons se tinrent cachés dans la forêt, pendant
toute la nuit et la plus grande partie du jour suivant, et comme ils
n'avaient point apporté de provisions suffisantes pour un aussi long
séjour, ils songeaient déjà à se retirer, croyant leur expédition man-
quée, quand l'homme qu'ils avaient mis en vedette au haut d'un arbre
fit entendre le signal de l'approche des ennemis. Givry les laissa pas-
J
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. " 435
ser sans bouger ; puis (jiiand il vit le convoi l)ien engagé au milieu de
l'embuscade, il donna l'ordre de ralla(|uer de toutes parts.
Mais les royalistes lurent vigoureusement reçus par les piquiers
espagnols, mêlés d'aniuebusiers. Déjà plusieurs des chefs étaient blessés;
les soldats semblaient hésiter en voyant leurs rangs décimés par les
balles ennemies, et leurs adversaires s'avançaient toujours couverts de
leurs chariots qui leur servaient comme d'un retranchement mobile, à
l'abri duiiucl ils Taisaient sans relâche un feu meurtrier. Soudain, Biron
arriva avec les siens et se mit 'a crier d'une voix retentissante :
« L'épée 'a la main. Messieurs ! et chargeons ces Marannes d'un peu
plus près ! » Cet ordre fut vivement exécuté : en un instant la terre se
trouva jonchée de cadavres ennemis, et, après un combat opiniâtre oii
l'on prenait les chariots les uns après les autres, les Espagnols, dans un
complet désordre, se sauvèrent a toutes jambes, les uns du côté de La
Fère, les autres dans les divers sentiers du bois. Givry, à la tête de sa ca-
valerie, poursuivit les luyards et en tua un grand nombre, pendant (jue les
paysans assommaient dans les champs tous ceux qui s'étaient écartés.
On brûla environ quatre cents chariots ; on prit quinze cents chevaux
(lui servaient a les traîner, et cette défaite coûta à Mansfeld douze
ctiits hommes au moins de ses meilleures troupes, restés morts sur le
champ de bataille.
Uiron, après (jue chacun des siens, qui étaient h jeun depuis la
veille, eut pris sa réfection de pain, vin et viandes cuites, dont il se
trouvait (pianlité en ce convoi, revint au camp, où le roi, en réjouis-
sance d'un si beau fait d'armes, lit faire une décharge générale de toute
siiii artillerie. Mansleld, de son côté, lit faire une décharge pareille, afin
de cacher à ses troupes l'échec qu'il venait d'essuyer,- et aussi pour
encourager la garnison de Laon â se défendre. [Écou. royales de SiUly,
t. II, chap, xxni.)
Lui et Mayenne tinrent conseil, avec les principaux chefs, pour déli-
!( rer sur le parti qu'il convenait de prendre dans la circonstance. L'avis
lierai fut de battre en retraite ; mais on ne fut pas de même accord
Mir la manière d'opérer cette retraite ; les uns ne voulaient pas (ju'elle
se fit de nuit, parce (jue cela aurait tout l'air d'une véritable fuite, les
autres trouvaient qu'il serait trop dangereux de la tenter de jour en pré-
sence d'une armée ennemie et d'un général aussi entreprenant que
l'était le roi. On convint pourtant sur ce premier point que le parti le
plus sûr serait regardé comme le plus honorable.
On discuta ensuite la route qu'on devait prendre pour retourner à
La Fère. Il y en avait deux : l'une, par la forêt, qui était la plus courte
mais la plus pénible, à cause du mauvais état des chemins ; l'autre par
les plaines découvertes. Celle-ci, quoique plus longue, eût été bien
plus commode ; mais aussi elle donnait au roi de grandes facilités pour
venir attaquer l'armée. Après avoir longlemj)s pesé les avantages et les
désavantages de ces deux routes, on s'en tint â la première, et voici
l'ordre qu'on adopta pour opérer la retraite.
436 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
On fit partir, dès le soir même, un détachement d'arquebusiers,
avec tous les bagages, l'artillerie de campagne et la moitié des gros
canons. Ce premier détachement eut ordre de se saisir du bois avant
que l'ennemi ne se fût aperçu de rien. Le corps de bataille commandé
par Mansfcld, et l'arrière-garde sous la conduite de Mayenne, se mirent
ensuite en marche, dès le grand matin, avec le reste de Tartillerie. Tout
cela fila avec le moins de bruit possible.
Après leur départ, les coureurs que le roi avait envoyés a la décou-
verte, sous la conduite de Givry, s'approchèrent du camp que les
Espagnols n'avaient pas même pris le temps d'abattre, et n'entendant
aucun bruit, ils se hasardèrent a y entrer. Tout était désert; mais
comme on craignait quelque embuscade, Givry se borna a suivre de
loin et avec précaution les traces de l'ennemi.
Or, le roi, qui ne s'attendait pas a un départ si prompt, était allé,
ce jour-l'a, avec une trentaine de chevaux seulement et quelques-uns de
ses courtisans, dîner a Saint-Lambert, dans la Ibrét, où il y avait une
métairie dépendante du Comté de Marie, domaine de Navarre. Dans sa
jeunesse il était venu souvent en ce lieu-la manger des fruits et du lai-
tage, et il se délectait grandement de revoir ces champs et ces jardins
où il avait été pendant son enfance. Comme il avait veillé toute la nuit
précédente, sitôt qu'il eut dîné, il se jeta sur le lit du fermier pour se
reposer, et Sully et quelques-uns des seigneurs qui se trouvaient la, le
voyant endormi, allèrent se promener dans la forêt, car c'était l'instant
des plus âpres chaleurs. {Écon. royales de Sully, ubi sup.)
To'Jt a coup, ils entendirent un grand bruit de piétinements
d'hommes et de chevaux, des voix qui s'appelaient et se répondaient, et
ils distinguèrent même quelques sons de tambours et de trompettes a
travers les branchages ; ils apcrçm-ent bientôt quantité de valetaille et
de goujats qui marchaient en désordre. Derrière venaient des compa-
gnies d'homnes d'armes s'avaiîçant plus silencieusement et tâchant de
garder leurs rangs aussi bien que possible, dans ces chemins étroits et .
effondrés, puis des caissons et de l'artillerie. C'était l'armée espagnole
qui opérait sa retraite ; Sully crut qu'elle méditait une surprise contre
le camp du roi.
Tout aussitôt il courut pour en avertir ce prince, qu'il trouva déjà
éveillé et abattant des prunes pour son dessert. « Pardieu, sire, lui dit-
il, nous venons de voir passer des gens qui semblent vouloir vous pré-
parer une tout autre collection de prîmes, bien différentes de celles-ci
et un peu plus dures 'a digérer. — Qu'y a-t-il? répondit le roi. — Il y a
que tout le camp des ennemis, avec l'artillerie au milieu, vient de pas-
ser tout près d'ici. » A quoi le roi ne répondit qu'en criant : « Nos che-
vaux ! nos chevaux ! vite nos chevaux ! » et le premier il sauta en selle
et prit au galop le chemin de son quartier.
Tout en courant il envoyait quelques-uns des siens prévenir les
différents postes qui se trouvaient sur sa route, leur assignant son loge-
ment pour lieu de rendez-vous, car il ne savait pas encore si son camp
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 437
n'allait pas c(rc attaqué. Ce ne lut que plus tard qu'il apprit que l'ennemi
était en pleine retraite, et il se mit à sa poursuite, avec douze cents
chevaux et (jualre mille hommes de pied.
Mais il ne parvint à atteindre l'armée espagnole que lorsqu'elle eut
traversé la forêt, et les hataillons ennemis avaient déjîi eu tout le temps
de reformer leurs rangs, rompus dans les délilés et de se ranger en ordre
dans une position avantageuse.
Aussitôt commença une bruyante escarmouche de part et d'autre. Il
y fut tiré, dit-on, plus de cinquante mille coups de fusil, mais avec si
peu d'eiïet qu'il n'y eut pas vingt hommes de tués, et qu'on comptait 'a
peine le double de blessés. La nuit vint pendant tout ce vacarme, et
Mansfeld en profita pour arriver sans encombre 'a La Fère, d'où, quelques
jours après, il alla passer la Somme 'a Saint-Quentin et se retira dans
l'Artois, pendant que Sa Majesté revenait devant Laon. {Écon. royales de
Sully j, ubi sup.)
Les assiégés n'avaient pas perdu courage et faisaient chaque jour des
sorties, dans Tune desquelles ils s'avancèrent jusqu'au quartier de Biron
et comblèrent de ce côté la plus grande partie de la tranchée. Le maré-
chal était pour lors absent, occupé a causer avec le roi. Au bruit qu'il
entendit, il sortit tout furieux, et ayant rencontré sur son chemin la sen-
tinelle la plus avancée qui se rapprochait toute honteuse, il lui coupa
lui-même la tête avec son sabre, pour la punir de n'avoir pas donné le
signal, lorsque l'ennemi était sorti de la place. Ensuite, ayant rallié ses
gens, il repoussa les assaillants, et lit réparer les ouvrages qu'ils avaient
renversés.
Cha(jue jour cependant voyait arriver de nouvelles troupes au camp
du roi. Le duc de Bouillon, qui venait de perdre sa femme et qui avait
besoin de l'aide de Sa Majesté pom* se maintenir dans son duché, envoya,
quoique un peu tard, deux cents cuirassiers a cheval et trois compagnies
de dragons. Balagny, dont la femme avail, comme on l'a vu, ménagé
avec le roi la réconciliation de son mari, vint aussi de Cambrai avec
(juatre cents chevaux et six cents hommes de pied. Le duc de NeVers,
s'était déj'a rendu au camp depuis longtemps, et en dernier lieu parurent
les milices de la Brie, conduites par le sieur de Bied.
Givry, (pii était gouverneur de celte province, laissa 'a son lieutenant
le commandement de la cavalerie française dont il était colonel général,
pour se mettre a la tête de ces nouvelles troupes, (ju'il voulut conduire
lui-même, pour leur faire passer leur première nuit dans la tranchée.
Le lendemain, au point du jour, on le vil la tête nue s'avancer entre les
corps-de-garde des deux partis, et s'arrêter comme pour écouter les pro-
pos grossiers et les injures qu'échangeaient entre eux les soldats de
l'un et l'autre camp. Soudain, il reçut dans la tête un coup d'anjuebuse
(]ui retendit raide mort ; « et ce fut un grand dommage, car c'était un
brave seigneur, qui, en ces derniers temps de trouble, avait accompli
plusieurs beaux exploits militaires. » (Cavet, 1594.)
Le neuvième jour de juillet, le feu continuel des batteries était
438 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
enfin parvenu à ouvrir une large brèche ; mais on fut bien étonné
d'apercevoir derrière le mur écroulé un autre rempart. Le roi ordonna
l'assaut, qui fut vaillamment repoussé par la garnison a coups de pierre
et de feux d'artifice, qui semblaient pleuvoir de toutes parts sur les
assaillants. Biron fit jouer une mine qui renversa une tour, mais, la
aussi, on trouva par derrière un second mur en bon état de défense.
Balagny, qui attaqua de ce côté-là avec les troupes qu'il avait amenées
de Cambrai, fut également forcé à la retraite. (De Tiiou, uhi sup.)
On recommença donc a miner de nouveau, mais presque partout les
eaux des sources, dont ce terrain est rempli, s'infiltraient dans les mines
et les rendaient inutiles ; on fit venir des canons de toutes parts et on
se mit 'a battre la place à grand renfort d'artillerie. Enfin, le vingtième
jour de juillet, on s'apprêtait 'a donner un nouvel assaut, quand on vit
un parlementaire sortir de la place : c'était le vieux Lignerac dont le fils
servait dans l'armée du roi. Il fut convenu, que si, dans douze jours,
Mayenne, qui était 'a La Fère, ne venait point au secours des assiégés,
ceux-ci se rendraient 'a condition que le comte de Sommerive et les
autres officiers ligueurs qui se trouvaient dans Laon pourraient sortir
avec leurs armes et leurs effets.
Cette convention arrêtée, le roi ordonna au duc de Montpensier et
'a Villars d'aller se poster du côté de La Fère^ avec un fort détachement
des troupes nouvellement arrivées au camp, afin d'empêcher les tenta-
tives que le duc de Mayenne pourrait faire de ce côté ; mais on ne vit
paraître ni le duc, ni personne de sa part, et le délai élant expiré, Laon
se rendit 'a sa Majesté. Biron fut chargé d'escorter la garnison jusqu"a
Soissons, comme on en était convenu ; et Claude de Marivaux fut,
conformément 'a une ancienne promesse du roi, et au grand déplaisir du
maréchal, investi du gouvernement de la place conquise. « Je crain-
drais, avait dit le roi à Sully, qu'en lui baillant un pareil lieu, il ne se
rendu tout 'a fait insupportable par ses dépits et ses vanteries, car je le
sais capable, en se voyant si proche des Pays-Bas, de tout mépriser et
de tout imaginer. » [Écon. royales de Sully, t. II, chap. xxiv.)
Saint-Chamant, qui tenait Château-Thierry pour la Ligue, n'avait
pas attendu la prise de Laon pour faire son accommodement, et le roi
s'était empressé de lui accorder un édit d'abolition de tout le passé, édit
qui, en môme temps, le maintenait dans son gouvernement, remettait
au clergé tout ce qu'il pouvait rester dû sur les décimes, et au peuple
toutes les tailles des années précédentes, et enfin confirmait tous les
anciens droits et privilèges de la ville comme siège de juridiction royale.
(De Thou, uhi sup.)
Sur ces entreliiites, on eut avis qu'il y avait quelque émotion 'a
Amiens, et que si lé roi voulait bien faire seulement paraître quebjues-
unes de ses troupes dans les environs, les principaux d'entre les habi-
tants étaient tout disposés a chasser le duc d'Aumale et tous ceux de
son parti. Le roi fil partir incontinent Charles d'IIumières et La Bois-
sière avec deux cents chevaux. Ils furent reçus dans le faubourg, et
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 439
l'enlreprise allait en eiïct réussir, (iiiand le duc de Mayenne accourut
avec trente hommes seulement et rassura par sa présence ceux de son
parti.
Les troupes royales furent contraintes de se retirer, et tous les bour-
ij;eois vinrent prêter entre les mains du duc un nouveau serment de
(idélilé a la sainte union ; mais celui-ci, comptant avoir suffisamment
pourvu à la sûreté de la ville par cette cérémonie, eut l'imprudence de
se retirer, et il ne lut pas plus tôt sorti que les bourgeois prirent les
armes, chassèrent le duc d'Aumale, et ouvrirent leurs portes toutes
ptrandes aux troupes du roi, sans même faire aucune stipulation pour
leur sûreté.
Le roi leur sut gré de cette confiance ; aussi trouve-t-on en leur
faveur un édit par lequel, outre la clause ordinaire de maintenir en
cette ville la religion catholique, apostolique et romaine, et de n'y en
pas souffrir d'autre, il leur accorde amnistie générale pour le passé,
confirme chacun dans ses bénéfices, charges et emplois, 'a la seule
condition que ceux qui les tiennent du duc de Mayenne en prendront
de nouvelles provisions signées de Sa Majesté ; conserve aux maires et
aux échevins le gouvernement civil et militaire de la ville, y rétablit la
juridiction ordinaire et le bureau des finances qui avaient été transpor-
tés ailleurs, depuis le commencement des troubles, et interdit toute
poursuite et recherche pour les deniers royaux qui avaient pu être
enlevés et employés aux frais de la guerre.
Après la prise de Laon, Sa Majesté crut utile, de faire un voyage à
Cambrai, pour y ratifier publiciuement le traité qu'elle avait conclu avec
llalagny et pour y affermir les habitants dans la fidélité (ju'ils lui avaient
lait promettre par leur nouveau prince ; car, dans celte vaste curée où
chacun se faisait sa part, Halagny s'était tout bonnement fait prince de
Cambrai, dont. Monsieur, frère de Henri III, Lavait créé gouverneur en
1582. Après la mort de Monsieur, il avait d'abord été assez heureux
pour conserver cette place à la France ; quand la Ligue avait com-
mencé, il s'était hâté d'en arborer les couleurs ; ensuite, profitant du
trouble général, il s'était fait reconnaître par le cbapitre et les bour-
geois souverain seigneur cl administrateur temporel de la ville et
duché de Cambrai, et maintenant il vendait au roi de France le droit
de le protéger dans sa nouvelle souveraineté usurpée.
II fut donc réglé que, tant que durerait cette guerre, ceux de
Cambrai recevraient soixante-dix mille écus par an, pour entretenir la
garnison de leur ville et de leur citadelle ; qu'ils jouiraient en France,
de tous les droits dont les naturels du royaume sont en possession ; que
le roi ne pourrait (aire aucun traité avec l'Fspagne sans les y com-
prendre ; qu'ils pourraient tirer de France, tous les ans, mille muids
(le froment et quatre mille pièces de vin, sans payer aucun droit
ancien ni nouveau ; que leurs produits et marcbandises entreraient
également en franchise. Quant a Halagny, il aurait vingt mille livres de
rente assignées sur le domaine royal ; on lui rendait tous les biens que
440 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT ^H^^H
lui et sa femme avaient eus en France, et de plus le roi le faisait maré-
chal de France.
Moyennant ces conditions, Balagny et les Etats du Cambrésis pro-
mettaient au roi et a ses successeurs de les reconnaître a tout jamais
pour leurs protecteurs, de leur prêter serment en cette qualité, « et de
s'unir a la couronne de France par des liens si étroits qu'ils n'en
pussent jamais être séparés. »
Puis on fit des fêtes, des bals et des tournois ; mais le marquis de
Pizani, qui avait accompagné le roi, « et qui joignait a une bravoure
héroïque une prudence consommée, » voyant la morgue et l'orgueil du
prince nouvellement parvenu, ne put s'empêcher de dire que c'était
une chose indigne du nom français et de la gloire de nos rois, d'établir
des tyrans sur la tête des peuples, quand la France s'était toujours fait
une maxime capitale de briser au contraire les chaînes des malheu-
reux. Malgré sa prudence, Pizani ne voyait pas que Cambrai devait servir
de rempart a la France, du côté du Nord, et qu'il importait 'a Henri
d'avoir cette ville a tout prix. (De Tnou, ubisup.)
De Cambrai, le roi se rendit 'a Amiens, qui venait, comme on l'a vu,
de faire sa soumission, et ce fut la qu'il reçut les députés de Beauvais,
chargés par leurs concitoyens de négocier aussi leur accommodement.
Les bourgeois de cette ville avaient d'abord^commencé par chasser deux
fameux prédicateurs ligueurs, nommés les Lucains, qui, dans leurs
sermons, vociféraient contre le roi. Cela avait été la cause d'une émeute,
dans laquelle Lemaire, grand partisan de l'Espagne, avait été également
chassé, parce qu'on avait découvert qu'il avait demandé des troupes
espagnoles pour leur livrer la forteresse. Le gouverneur Sessevel, qui
s'était mis a la tête du mouvement, ne voulut rien faire demander au-
roi pour lui-même, de peur, disait-il, qu'on ne le confondît avec ceux
dont la foi était vénale ; mais le roi le confirma dans sa charge, et les
habitants reçurent, comme ceux de toutes les autres villes qui ren-
traient dans le devoir, un édit d'abolition pour le passé, ainsi que
la confirmation de tous leurs privilèges. (Mézeray, t. 111, p. 1000.)
Le mois suivant, Saint-Malo se soumit et reçut également amnistie
entière, et notamment pour le meurtre du gouverneur de Deuil, que les
habitants avaient tué, quand ils s'étaient rendus maîtres de la ville.
(De Tnou, ubi siip.)
Ceux de Noyon ne demandaient pas mieux non plus que d'imiter
l'exemple de toutes ces villes, mais ils étaient retenus par une forte
garnison et par leur gouverneur Descluseaux, qui, jusque-la, avait
fermé Foreille a toutes les propositions qui lui étaient faites de la part
du roi et avait repoussé avec succès toutes les entreprises tentées pour
le surprendre. Voyant enfin la décadence complète de son parti et qu'il
devenait dangereux de résister plus longtemps, il consentit 'a se rendre.
Ainsi toute la Picardie se trouva au pouvoir de Sa Majesté, a l'exception
des villes de Soissons, de La Fère et de Ham. (Cayet, liv. 6, ad ann.
1594.)
à
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 444
Cependant le duc de Mayenne était retourné a Bruxelles, pour
s'ahoncher avec rarcliidiic et prendre, de concert avec lui et les
ministres de TEspagne, des mesures sur les moyens de continuer la
guerre. 11 proposa, comme dernière planche de salut pour ce qui res-
tait encore de la Ligue, que le roi IMiilippe fût déclaré protecteur de la
religion catholique en France, sous l'autorité du Saint-Père ; mais il
demandait en même temps que ce prince se hâtât d'envoyer au parti
tous les secours (ju'il avait promis, et plus encore. De son côté, il
ollrait de livrer aux Espagnols, pour leur tenir lieu d'indemnité, en
raison des frais qu'ils allaient faire, certaines villes dont on convien-
drait, a condition pourtant (ju'il conserverait le litre de lieutenant-
général du royaume jns(ju"a l'élection d'un roi ; (pfen cas où cette
élection ne pourrait se faire. Sa Majesté catholique lui assignerait
a lui et 'a ses enfants quelques terres hors du royaume, juscpi'â concur-
rence d'un revenu de cent mille écus, avec des titres honorables; que,
de plus, on acquitterait toutes les dettes qu'il avait été obligé de con-
tracter pour le soutien de cette cause sainte et même pour d'autres
motifs. Il ajouta que, si l'on refusait d'accepter ces propositions, qui ne
tendaient a autre but qu'au bien de la religion, il protestait qu'on
n'aurait plus rien a lui imputer des événements (jui allaient s'en suivre
et qu'il se regarderait lui-même comme libre de prendre son parti,
puisque ceux qui étaient le plus intéressés dans cette aflaire marque-
raient si peu de zèle.
L'archiduc répondit qu'on pouvait compter (jue Sa Majesté catho-
lique fournirait tous les secours et tout l'argent (ju'elle avait promis ;
qu'elle trouvait bon que le duc de Mayenne gardât ses titres et dignités
en France, mais qu'elle exigeait avant tout qu'on lui remit comme gage
de sûreté la ville de Soissons, et que Monsieur le duc acceptât un conseil
composé de gens h la nomination de l'Espagne et dont le zèle pour la
sainte Ligue ne fût pas douteux ; (ju'au reste, si le roi catholi(pie (ce qui
était hors de toute possibilité) entrait jamais en traité avec le Héarnais,
mon dit seigneur duc pouvait être assuré (|u'on aurait toute l'attention
}>ossible 'a sa dignité, 'a sa sûreté et 'a ses avantages.
Cette réponse ne parut pas assez satisfaisante 'a Mayenne, (pii refusa
de livrer Soissons, et l'aflaire en resta la. En attendant, Féria écrivit a
sa cour qu'on ne pouvait plus compter sur le duc de Mayenne, qui pré-
sentait des conditions inacce|)tal)les ; qu'on savait, a n'en j)Ouvoir dou-
ter, qu'il avait déjà entamé son traité avec le Héarnais, [)ar l'entremise
du président Jeannin, mais que pourtant il fallait encore le ménager,
parce que, s'il abandonnait la Ligue, son exemple en entraînerait beau-
coup d'autres ; (|ue, (juant au duc de Cuise, il |)araissait également fort
ébranlé et que décidément c'était un homme perdu i)Our le parti.
Leduc de Cuise faisait en elTet son accommodement avec le roi, et
c'était encore Sully (]\n conduisait celte nc'gocialion, la(|uelle s'était
ouverte sous les auspices les plus favorables. Le roi était alors de retour
'a Paris, où l'on avait lait au vain(iueur de Laon, une entrée triomphale.
442 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Mais Sa Majesté se trouvait assez embarrassée d'avoir a arrêter les ven-
geances particulières de ceux qui, se disant royalistes, voulaient lui
faire épouser tous leurs ressentiments et demandaient qu'on pendît
tous les Ligueurs, comme, en effet, plusieurs le furent en ce temps-la, ou,
du moins, qu'on leur envoyât des billets d'exil, dont la cour ne se mon-
trait jamais avare a l'égard de ceux qui n'avaient aucune protection.
Aussi les réclamations pleuvaient de tous les côtés. « Ventre saint-gris !
disait Henri a ceux qui lui remontraient cbaritablement que sa trop
grande clémence offensait ses bons sujets et serviteurs, est-ce que les
Ligueurs ne sont pas aussi bien mes sujets que les autres ? Si vous
disiez tous les jours votre patenôtre avec dévotion, vous comprendriez
que le pardon est un des devoirs du chrétien. Quand nous demandons
à Dieu de nous remettre nos offenses, ne lui promettons-nous pas aussi
de pardonner aux autres? » {Econ. royales de Sully, ubi sup.,
chap. xxvii. — Journal de Henri IV, t. II, p. 67.)
Comme il était dans ces dispositions religieuses et qu'il s'en entre-
tenait avec Sully, la duchesse de Guise vint le trouver. « Si Votre
Majesté n'y veut elle-même mettre ordre, dit-elle, mon pauvre fils
n'obtiendra jamais ce qu'il désire le plus : le bonheur de se réconcilier
avec son roi. Ceux qui se mêlent maintenant de cette affaire nous font
des monstres de tout, et ne parlent que de sévérités et de vengeauces.
— Hé bien, ma cousine, dit le roi en lui prenant et baisant la main
comme par force, choisissez vous-même entre mes amis celui qui vous
inspire le plus de confiance, je lui donnerai mes pleins pouvoirs. —
Sire, reprit incontinent la duchesse, donnez-nous Sully. — Quoi ! ce
méchant huguenol-la ? Je vous l'accorde volontiers, quoique je sache
bien qu'il est votre parent et qu'il vous aime beaucoup. » Et Sully entra,
de suite en pourparler avec le duc. {Sully, ubi sup.)
Or, il s'en fallait que celui-ci fût aussi puissant dans Reims qu'il
aurait bien voulu le faire croire pour obtenir de meilleures conditions.
Le capitaine Saint-Pol prétendait que rien ne s'y ferait sans qu'on
ne consultât d'abord ses intérêts à lui, et, suivant toutes les apparences,
il avait les moyens de maintenir cette prétention. Après avoir été
simple page chez le seigneur de Beauvais-Nangy, il s'était élevé par son
audace au premier rang dans la Ligue, et il était, comme on sait, un
des quatre maréchaux de France que Mayenne avait nommés. H s'était
fait en outre donner le titre de lieutenant-général de Champagne, pour
la Sainte-Union, et, de plus, il avait pris de lui-même, sous prétexte
d'une donation qu'il prétendait tenir du Pape, la qualité de duc de
Rethelois. Comme cette seigneurie appartenait au duc de Nevers, Sainl-
Pol eut l'insolence de lui écrire qu'ils avaient l'un et l'autre un fds et
une fdle, et que, pour mettre leurs prétentions réciproques d'accord, il
n'y avait qu'a faire un double mariage. A quoi le duc avait répondu
qu'il ferait pendre un beau jour au premier arbre venu, et avec une
couronne ducale en tête, l'impudent auteur d'une pareille lettre. Mais
Saint-Pol s'était moqué de cette menace, et n'en allait pas moins
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 443
imperturbablement son train, amassant quantité d'argent par toutes
sortes d'extorsions et entretenant autour de lui une nombreuse troupe de
satellites, prête ii exécuter toutes ses volontés. (Mkzehav, t. lil, p. 1092.
— Mém. de Nevers, t. II, p. 254.)
Quand, après son évasion du cbâteau de Tours, le jeune duc de
Guise fut nommé gouverneur de Ciianipagnc, il trouva dans Saint-Pol
un rival peu disposé a lui céder, et devant lecjuel il lut presque toujours
obligé de lléchir. Celui-ci, qui ne voulait pas lui permettre de se rendre
le plus fort dans aucune des places de la province, et encore moins
dans la plus importante de toutes, avait lait bâtir a Reims une citadelle
près la porte de Mars, où il logea deux cents de ses estaliers, ce qui
sembla fort gênant au duc, lorsqu'il se fut résolu 'a traiter avec le roi.
Sous prétexte que ce poste indisposait les babilanls, il pria 'a plusieurs
l'ois Saint-Pol de le l'aire raser. Saint-Po^i ne répondit qu'en laisanl venir
Imit cents hommes de plus et en ordonnant de bâtir un second fort pour
les loger. (Mkzkrav, nbi sup.)
Un jour donc qu'ils allaient ensemble par la ville, Guise lui renou-
vela sa prière de donner satisfaction au peuple et "de renvoyer tous ces
étrangers ; mais le soi-disant duc de Rethelois lit entendre des paroles
injurieuses en mettant la main sur la garde de son épée; aussitôt, sans
lui laisser le temps de la tirer, Monsieur de Guise lui plongea la sienne
dans le cœur. La populace, dont ce bardi aventurier avait été jadis
ridolc, se rua sur le cadavre qu'elle dépouilla tout nu, pour lui eidever
ses habits et ses joyaux, le laissant ainsi étendu dans les fanges du
luis^^eau jus(|n'a midi. En même temps ses lieutenants, qu'il avait mis
dans Vilry, dans Mézières et dans dill'érentes autres villes, s'accommo-
dèrent de ses dépouilles, et traitèrent chacun en particulier avec le roi.
(Journal de Henri IV, t. II, p. 00.)
Mais il arriva que ceux de Reims avaient aussi lait le projet de
traiter pour leur compte, espérant par la trouver le roi plus disposé 'a
liMU" accorder de bonnes conditions que s'ils laissaient leurs intérêts
entre les mains des i)rinces lorrains, auquel cas tous les avantages
seraient pour ces seigneurs. Ils nommèrent donc une députation pour
aller trouver le roi de leur part. De (pioi Monsieur de Guise ayant eu
vent et craignant que, s'il temporisait davantage, non seulement ceux de
Reims ne lui écha|)passent, mais (|u'il ne leur échappât pas lui-même,
il se montra fort em[)ressé a accepter toutes les propositions que Sully
lui lit de la part de Sa Majesté. Il consentit à se départir de la charge
de grand-maitre de la maison du roi, qui était déjii doiniée au comte de
Soissons, et du gouvernement de Champagn(; (|ue possédait déjà aussi
M. le duc de Nevers, ainsi que de tous les bénéfices du feu cardinal,
son oncle, et de l'archevêché de Reims, dont d'autres serviltMU's du roi
s'étaient également tait pourvoir, et on lui promit, en dédommagement,
le gouvernement de Provence, dont Henri IV n'était pas fâché de voir
(h'pouiller le duc d'Épernon, qui voulait s'y maintenir contre sa volonté.
Le traité fut signé a ces conditions.
444 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Dès le lendemain, il arriva une chose qui fait bien voir la gentillesse
de l'esprit, ainsi que la loyauté du roi. Les habitants de Reims s'étaient
mis pn révolte ouverte contre Monsieur de Guise, jusqu'à ce point qu'ils
avaient refusé de laisser entrer dans leur ville les troupes qu'il y avait
mandées ; leurs députés en même temps arrivaient a Paris et promet-
taient 'a Sully que Sa Majesté n'avait nul besoin de se mettre en frais
pour accorder des conditions au duc, attendu qu'ils se chargeaient de le
lui remettre prisonnier. De plus, ils offraient de payer au dit Monsieur
de Sully, pour ses épices, une somme de dix mille écus, s'il voulait bien
s'intéresser pour eux. Celui-ci alla conter la chose 'a son maître, qui lit
trois ou quatre tours dans son cabinet, sans rien répondre ; puis, s'étant
mis à sourire, il dit : « C'est, après tout, une grande vérité qu'il n'y a
rien de si volage que le peuple. Oîi en étes-vous, monsieur, de votre
traité avec le duc de Guise? » Sully répondit « qu'il était signé et arrêté
depuis la veille. — En ce cas, monsieur, vous avez engagé ma parole, je
dois la tenir ; mais je dois aussi récompenser ceux de Reims de leur
bonne volonté. Veillez donc à ce qu'ils obtiennent toutes les grâces et
faveurs que je .pourrai leur accorder honnêtement. » (Sully, ubi
supra.)
Le duc de Guise vint donc trouver le roi, qui le reçut avec les
mêmes caresses, fiiçons riantes et familiarités que s'il eût toujours été
de ses plus fidèles serviteurs. « Reau neveu, lui dit-il en l'embrassant
pour la troisième fois, votre père et moi, nous avons été jadis grands
amis et quoicpie nous nous soyons trouvés plusieurs fois rivaux en amour
et en quelques autres choses encore, nous n'avons jamais cessé de faire
grand cas de la personne l'un de l'autre. » A quoi Monsieur de Guise
répondit que « le bon souvenir de Sa Majesté faisait honneur a la mémoire
de son père et qu'il lui en demeurerait éternellement reconnaissant, » Sa
mère ajouta : « Oui, sire, et je le tuerais moi-même, de ma propre
main, s'il manquait jamais 'a la fidélité qu'il vous doit. »
Quelques jours auparavant était mort, à l'âge de trente-deux ans,
le cardinal de Bourbon, chef aussi, comme on sait, d'un autre parti
opposé au roi. Il était fils de Louis de Bourbon, prince de Condé, et le
vieux cardinal de Bourbon, son oncle, qui voulait le faire succéder à ses
nombreux bénéfices, l'avait nourri dans la religion catholique. Le Pape
l'avait promu au cardinalat en 1585 ; mais comme il s'était flatté de
parvenir 'a la couronne, il ne voulut jamais entrer dans les ordres
sacrés. Quoique bon chrétien, du reste, il menait une vie très dissipée
et plus que mondaine. Aussi, malgré les grands bénéfices qu'il possédait,
mourut-il pauvre. On ne trouva chez lui qu'un vieux couteau dans la
cuisine, encore était-il attaché a une chaîne, sans quoi il ne serait pas
resté la: la valetaille avait pillé tout le reste. (Mézeuay, t. III, p. 109G.
— Journal de Henri IV, i. Il, p. 89.)
A peu })rès vers le même temps, mourut aussi François d'O, gouver-
neur de Paris et surintendant des finances. On dit qu'a ses derniers
moments, il ne témoigna aucun regret de sa vie passée, se félicitant au ,|
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 445
contraire d'avoir goûté de tous les plaisirs qu'un homme peut essayer.
Aussi la lîn de ses jours fut-elle di|];ne d'une pareille existence. Il suc-
comba aux suites d'une maladie honteuse. Quoicju'il eût dérobé bien des
millions au trésor public, il était tellement noyé de dettes que ses
domestiques, alin de ne pas perdre tout a lait leurs gages, n'attendirent
pas même (ju'il eût cessé de respirer pour enlever jusqu'à la tenture
de la chambre où il était couché. (D'Albigm:, t. 111, liv. 5, p. o9i, et
suiv.)
Le roi voulait donner sa [)laco de surintendant "a .Monsieur de Sacy ;
mais la belle Gabrielle n'aimait pas ce seigneur, parce (pi'il s'était
permis quelques médisances a son désavantage et qu'il avait cherché 'a
éclairer le royal amant sur quelques intrigues de la favorite ; elle fut
assez influente pour faire que l'administration des finances fût confiée
îi un conseil composé de sept membres, dont le duc de Nevers était le
chef. Puis comme on s'aperçut bientôt que le trésor ne s'en trouvait
pas mieux, pour être administré par tant de personnes à la fois, le roi
finit par nommer Sully 'a la surintendance.
Pendant que la plus grande partie des provinces du centre s'em-
pressaient de rentrer dans le devoir, celles du sud et la Bretagne elle-
même suivaient le même mouvement. Dans celle <lernière, où le duc de
Mayenne était naguère encore si puissant, le i)arti de la Ligue avait
déj'a commencé 'a décliner rapidement depuis que la nouvelle de la
conversion du roi s'était répandue. Vainement les prédicateurs criaient
encore que cette conversion élait feinte, les peuples n'ajoutaient plus
foi 'a leurs déclamations, et les meilleures villes échappaient les unes
après les autres. (Mkzeuav, t. Ill, p. 109G, et suiv.)
Le maréchal d'Aumont venait d'entrer, sans coup férir, dans Laval,
dont les habitants lui avaient eux-mêmes ouvert leurs portes, et de là,
il se disposait à pénétrer plus avant dans la province, où l'allendaient
des succès encore bien plus importants.
Cependant, les troupes espagnoles, qui, dès l'année précédente,
étaient venues au secours des Ligueurs bretons, étaient allées bâtir un
fort sur une langue de terre qui se prolonge au sud de la baie de Brest
et qu'on appelle le Crozon. Ils y mirent (juatre cents hommes de leurs
meilleures troupes, sous la conduite du brave capitaine Praxède, qui se
vantait de ne jamais entrer dans une place ([ue pour la défendre ou
mourir. Leur inlention était aussi de bâtir un autre fort de l'autre côté
de la baie, en Léon, alin d'intercepter ainsi la navigation de Brest ; mais
les événements qui survinrent ne leur en donnèrent pas le temps.
(MoREAu, chap. xxiii.)
Déjà le parti royaliste commençait à lever audacieusement la tête
dans Qnimper, où le seigneur de Quérec, (jui en était gouverneur, était
t jusqu'alors parvenu à maintenir la concorde, « (pioi(ju'il y eût là beau-
coup de gens suspects d'hérésie et autres libertins, tous lesquels se
disaient serviteurs du roi. » Mercœur, s'imaginant que Quérec élait trop
tolérant pour de pareilles gens qui lui étaient contraires, envoya le sieur
446 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
de Goulaine pour le remplacer dans son commandement, mais les
habitants refusèrent de reconnaître ce nouveau gouverneur. (Moueau,
chap. XXIV.)
Lézonnet, qui commandait la forteresse de Concarneau, après avoir
bien fait ses affaires au service de Mercœur, venait, en ce temps-la, de
changer de parti et de se déclarer royaliste. Il avait sous ses ordres
.une belle garnison, qui lui aidait à tenir tout le pays en sujétion, et par
ses amis il avait plus d'influence dans Quiraper que le gouverneur lui-
même ; aussi espérait-il y entrer, et s'en emparer sans répandre une
seule goutte de sang. Une trentaine des principaux de la vi!ie s'étaient
en effet engagés a le seconder, et il ne restait plus qu'a prendre le jour
et l'heure pour l'exécution de cette entreprise.
Le sénéchal Le Baud, qui était un des conjurés, ayant assemblé les
juges présidiaux dans la Chambre du conseil, leur fit un long discours
dans lequel il montra que Quimper ne devait pas attendre plus longtemps
pour imiter l'exemple des autres villes de la province qui s'étaient déjà
rendues ; que le duc de Mercœur n'avait plus aucun moyen de résister à
la puissance du roi ; qu'il fallait bien en revenir 'a'ce principe sacré de
reconnaître un souverain légitime, attendu qu'on n'avait que trop la
preuve que les guerres civiles étaient ruineuses, et qu'il n'y avait que de
l'ambition parmi les chefs qui se mettaient à la tête des partis. Il ajouta
que la ville pourrait gagner une augmentation de ses privilèges par une
prompte obéissance, et que le roi avait promis de conserver chacun
dans ses places, titres et dignités.
Alors se présenta un envoyé de Lézonnet qui fit sommation de se
rendre, menaçant qu'en cas de refus le capitaine viendrait lui-même
avec toutes ses forces, et traiterait Quimper en ville rebelle. Mais la
majorité de ces têtes bretonnes ne se laissa ni gagner ni intimider.
Pendant ce lemps-la, la populace était sollicitée et remuée avec plus
de succès. Un nommé Yves Allanou, homme libertin et factieux, sortit
du conseil et parut sur la place, une heure avant le soleil couché. Aussi-
tôt un grand nombre de malfaiteurs et de gens sans aveu se rangèrent
autour de lui, et il s'en alla avec cette bande rôder autour de la tour de
Bihan, où jusqu'alors il n'y avait eu aucune garnison. Le gouverneur y
envoya bien vite quatre ou cinq de ses gens, ce qui empêcha que la
tour ne fût prise dès le même soir, car, sitôt que ces quelques soldats
furent dedans, ils entendirent qu'on tracassait a la porte. « Qui va Ta ? »
crièrent-ils, en tirant quelques coups de fusil en l'air. Ce bruit seul dis-
persa les assaillants qui se crurent perdus : la plupart sortirent même
de la ville et se retirèrent a Pont-l'Abbé, qui était resté en ruines depuis
l'année 1590 ; ils se mirent dedans et réparèrent les fortifications en
toute diligence.
Lézonnet arrivait alors avec mille hommes d'armes. On ne se
doutait pas de son approche ; car le reste de la nuit avait été tranquille,
et les cinq hommes de garde a la porte de la rue Neuve étaient allés
partager un déjeuner que le sieur de Kerambiguette payait ce jour-là aux
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 447
principaux de la ville. Comme ils étaient a faire bonne chère, un paysan
qui avait vu Tenncmi en venant apporter ses denrées au marché accou-
rut leur dire que Lézonnet n'était plus qu'a une petite distance. Le
gouverneur, qui assistait au déjeuner, envoya aussitôt tous les convives,
partie à la porte, partie sur les remparts ; chacun prit son poste a la
hâte et la porte fut lermce a temps.
Mais une partie des gens de Lézonnet, qui venaient par la montagne,
trouva le moyen de se laisser glisser dans la ville. Il fallut se battre
corps a corps, et l'on vit un bourgeois nommé Jean Richard soutenir
seul au milieu de la rue, contre toute une bande des assaillants, un
combat (jui les maintint à distance, juscpi'îi ce qu'il se retirât lui-même
sans blessures derrière une forte barricade, ({u'on venait de construire,
et d'où partait un feu meurtrier. Ceux de l'ennemi qui avaient pénétré
dans la ville se re])lièrent dans les faubourgs, dont leurs com|)agnons
s'étaient déjà rendus maîtres, et tous se mirent 'a tirer par les fenêtres
des chambres hautes. Toute la journée on tira ainsi les uns sur les
autres, dont plusieurs des deux côtés furent meurtris. Enlin la nuit
survint, et les bourgeois eu prohtèrent pour envoyer demander du
secours au gouverneur de Hennebond, qui se mit tout aussitôt en roule
avec le plus d'hommes d'armes qu'il put ramasser.
Et cependant les conspirateurs de l'intérieur, tout étonnés d'une si
courageuse résistance, ne savaient plus 'a quel saint se vouer. Allanou
lui-même et le sénéchal Lebaud vinrent se battre comme les autres
dans les rangs des défenseurs de la place ; mais comme ils s'en van-
tèrent par la suite, ils avaient soin de ne mettre que de la j)oudre sans
balle dans leurs mousquets.
Le lendemain matin la fusillade recommença et dura jus(]u'à six
heures du soir. Tout à coup on aperçut du haut de la,toin' de Hiban un
corps de cavalerie qui s'avançait par des chemins détournés. L'alarme
est aussitôt donnée parmi les bourgeois, chacun court à la défense des
remparts ; car on croyait que c'était un secours qui arrivait a l'ennemi
de la part du maréchal d'Aumont, qu'on supposait déjà dans le voisinage,
et on s'apprêtait 'a faire des décharges sur ces nouvelles troupes, quand
on reconnut enfin que c'était la garnison de Hennebond qui avait fait ce
jour-iâ seize lieues sans repaitre.
Pendant qu'on leur ouvrait la porte Saint-Antoine, Lézonnet, qui
était 'a la porte Neuve, accourut bien vite pour les charger avant (ju'ils
fussent entrés ; mais la mousquelerie des remparts, secondant celle des
nouveaux venus, l'empêcha de trop s'approcher. Lui-même, au moment
où il gourmandait les siens pour les contraindre a charger de plus
près, fut atteint d'un coup de l'eu dans la gorge. Il fut obligé de se faire
emporter et d'envoyer 'a ses gens l'ordre de battre en retraite. « Ceux
de Quimpor, dit-il, m'ont égratigué pour cette fois ; mais 'a mon tour
je les écorcherai. »
Le maréchal d'Aumont était alors a Morlaix, occupé à assiéger le
château qui est dans cette ville. C'étaient les habitants" qui l'avaient
448 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
appelé eux-mêmes et lui avaient déjà rendu leur ville, parce qu'un des
envoyés du duc de Mercœur avait maltraité grossièrement plusieurs des
principaux bourgeois, ce qui avait irrité tous les autres. Le sieur de
Rosampoul, gouverneur de la place, n'avait eu que le temps de se reti-
rer a la hâte dans le château avec toute la garnison ; mais il n'avait pas
pu y faire entrer la moindre provision ; les royalistes étaient sur ses pas,
et pour les arrêter il fut obligé de disposer en barricades quelques ton-
neaux de vin et de (arine, qu'il amenait avec lui et qui furent défoncés
et perdus par les balles de reonemi. Aussi fut-il généralement blâmé de
ce qu'ayant reçu deux mille écus du duc de Mercœur pour tenir la place
approvisionnée, il avait mieux aimé mettre cet argent dans ses coffres
que d'en faire l'usage auquel il était destiné. Il avait cependant avec lui
plus de quatre cent braves soldats, et il n'est pas douteux qu'avec cette
force il eût pu arrêter longtemps le maréchal, si les vivres et les muni-
tions n'eussent pas manqué ; mais bientôt les assiégés furent obligés de
manger jusqu"a leurs chevaux. La dame de Rosampoul était dans le fort
avec son mari, et elle était prête d'accoucher. Au moment où la garni-
son souffrait le plus la disette, d'Aumont eut pitié de cette jeune dame
et lui envoya trois 'a quatre moutons, de la volaille et quelques perdrix ;
mais elle renvoya fièrement ces 'présents, disant qu'elle ne voulait
d'autre viande que celle que mangeaient son mari et ses braves soldats.
(MoREAu, chap. XXV.)
Cependant le duc de Mercœur s'acheminait avec toutes ses forces,
composées en grande partie d'Espagnols, pour sauver ces braves gens.
A son approche, les capitaines du maréchal lui conseillaient de lever le
siège et de se retirer vers Guingamp pendant qu'il en avait encore le
loisir. Mais il n'en voulut rien faire, et s'apprêta 'a recevoir bravement
l'ennemi, dont les troupes étaient beaucoup plus nombreuses que les
siennes. « Enfants, dit Mercœur quand il se vit a portée de l'armée
royaliste, prenons la pique à la main et donnons tête baissée sur l'ennemi.
— Monseigneur, répondit l'ofticier qui commandait les Espagnols, ma
troupe ne donne pas tête baissée, mais avec précaution. » (Moreau,
chap. xxvn et xxvni.)
Le fait est que d'Aumont avait trouvé les moyens de faire entendre
par un transfuge 'a cet olticier qu'il ne devait pas trop se fier aux Bre-
tons et que M. de Mercœur, pour obtenir de bonnes conditions du roi,
avait promis qu'il ferait en sorte que la Bretagne fût le tombeau de tous
les Espagnols qui s'y trouvaient. Cette ruse fut cause que le duc, ne
pouvant décider ses alliés a attaquer, fut obligé de se retirer, et Rosam-
poul, perdant tout espoir d'être secouru, capitula 'a condition que lui et
ses officiers demeureraient prisonniers de guerre pour être mis à rançon;
que la garnison sortirait avec l'épée seule et sans aucun bagage, et que
tous, jusqu'aux dames et, demoiselles seraient fouillés à la sortie.
Aussi le butin qui resta dans le château fut-il considérable.
Le duc de Mercœur, après son inutile tentative pour secourir Morlaix,
s'était dirigé tout triste et découragé vers Quimper. Il y fut reçu avec
DU PROTESTANTISME EN FUANGE. 449
(Je grands honneurs. Les liabilants se lirent fêle de la manière dont ils
avaient repoussé le sieur de Lézonnet, et racontèrent an duc comme
(luoi ce capitaine avait pensé demeurer sur la j)lace, d'un beau coup
d'arquebuse dont il n'était pas encore guéri. « C'eût été dommage, dit
Mercœur, qu'un aussi méchant homme fût mort d'une aussi belle mort.
Sa destinée l'appelle sur un échafaud, pour y mourir de la main du
bourreau. » Puis, comme il semblait tout triste : « Qu'avez-vous, Mon-
seigneur, lui dit le sieur de Talhouet, l'un de ses capitaines, que nous
vous voyons ce soir plus rêveur (pie de coutume? — Ah ! répondit-il,
(jue pensez-vous de cet Espagnol qui n'a pas voulu donner et qui nous a
lait perdre une si belle occasion ? » Lors Talhouet répli(|ua : « Monsei-
gneur, que n'acceptez-vous les ofl'res (jue le roi vous l'ait, pour vous
séparer de ces étrangers ? » A quoi Son Altesse ne lit aucune réponse.
(MoHEAu, chap. XXIX.)
Or, les offres que le roi faisait étaient entre autres que le duc serait
continué dans son gouvernement de Bretagne ; que tous les biens qu'on
lui avait confisqués en France lui seraient rendus, et (jue tout le passé
serait complètement oublié. Ces offres étaient belles et avantageuses, et
s'il les eût dès lors acceptées, tout ce pauvre pays aurait évité le déluge
de misères qui suivit ; mais Mercœur avait rêvé une souveraineté indé-
pendante.
Sur ces entrefaites, Lézonnet, tout souftVant (ju'il était de sa blessure,
n'oubliait rien pour tenir a ceux de Quimper la parole qu'il leur avait
donnée de les écorcher, et en conséquence il s'efforçait à décider le
maréchal d'Aumont 'a marcher contre cette ville. D'autre part, il conti-
nuait d'entretenir des intelligences avec les conspirateurs de Linlérieur.
Allanou donc, aussitôt après le départ du duc, se remit à réunir ses
complices, tantôt dans sa maison au Marché du pain, tantôt chez un
cabaretier huguenot, près de la porte Neuve. Et en ellet, le maréchal
d'Aumont était déj'a du côté de Châteaulin. (Moreau, chap. xxx.)
Mais, rencontrant sur son passage le fort (|ue les Espagnols venaient
de bâtir aCrozon, il résolut de le bloquer d'abord, afin de ne pas laisser
derrière lui des ennemis en liberté de troubler ses opérations, et il
chargea de ce blocus le sieur de Liscoet, auquel il laissa un fort déta-
chement de ses troupes; puis, lui-même, avec le reste, ])ouisuivit son
chemin vers Quimper, où il arriva dans la unit du samedi au dimanche,
le neuvième jour d'octobre.
L'armée royale s'approcha du rempart dans le plus grand silence,
espérant que les intelligences qu'elle avait au dedans lui faciliteraient
l'entrée ; mais les défenseurs de la ville étaient déjà prévenus et se
tenaient prêts 'a re{)Ousser l'escalade. Les paysans, qui, malgré l'obscu-
rité d'une nuit épaisse, épiaient tous les mouvements de l'ennemi, en
venaient 'a chaque minute apporter des nouvelles. La grosse cloche fut
'a l'instant mise en branle, et le tocsin sonna, appelant tout le monde
du côté (|ui se trouvait le plus menacé.
C'était encore le côté de la porte Neuve ; et le faubourg (jui
IV 29
450 • HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
i'avoisine fut de prime abord occupé par l'ennemi. Le faubourg de la
Terre-au-Duc et celui des Regaires tombèrent également en son pouvoir,
et au lever du soleil la ville fut sommée de se rendre.
La populace, alors soulevée par les conjurés, se forma en assemblée
tumultueuse a laquelle vinrent présider le sénéchal Le Baud, Allanou et
leurs principaux complices. Ils tirent choisir une commission dont ils
se nommèrent eux-mêmes membres, pour aller trouver le maréchal et
lui proposer de lui rendre la ville. Toutefois, quelques bons catholiques
qui se trouvaient dans cette asemblée parvinrent à faire entrer dans la
commission quelques personnes qu'ils savaient dévouées a M. le duc de
Mercœur.
Pendant ce teraps-la, le maréchal avait fait dresser ses batteries et
tirait sans discontinuer contre la ville qui répondait de son côté par un
feu des mieux nourris. « Vous m'aviez annoncé, dit le maréchal 'a
Lézonnet, que je ne trouverais dans cette place que des habitants inex-
périmentés au métier des armes. Vrai Dieu ! vous êtes un affronteur.
Ce sont pardieu bien la gens de guerre, habiles tireurs et non simples
bourgeois. » Et de fait, outre deux cents hommes de garnison que Mer-
cœur avait laissés dans la ville, il y avait au moins douze a quinze cents
habitants bien exercés au maniement du mousquet, qui faisaient mer-
veilles, et tuaient beaucoup de monde a l'ennemi.
Pas un ne parlait de se rendre, excepté les chefs du complot et leurs
adhérents, qui continuaient de dire 'a la menue populace que c'était folie
de résister a une armée royale dans une bicocjue comme Quimper,
dépourvue de tout moyen de défense ; que c'était vouloir attirer une
destruction complète sur cette pauvre ville, et que le plus prudent était
de tâcher d'obtenir une capitulation favorable, ce que le maréchal se
montrait encore tout disposé 'a accorder.
De leur côté, les notables se réunirent en assemblée dans l'église de
Saint-Corentin, pour délibérer en présence du crucifix sur le parti qu'il
convenait d'embrasser dans une circonstance aussi critique. Et d'abord
messieurs du clergé, qui parlèrent les premiers, furent d'avis qu'on tînt
bon jusqu'à ce qu'on eût des nouvelles de M. de Mercœur. Messieurs du
barreau, au contraire, comme gens qui ne se souciaient pas tant de la
reli-'ion que de leur profit particulier, voulaient qu'on rendît la ville ;
les jeunes gens appuyaient l'opinion des ecclésiastiques, et ils s'offraient
'a défendre les murailles et même 'a faire une sortie, pour repousser
l'ennemi. On se sépara sans avoir rien conclu.
Pendant ce temps-là, ceux que le peuple avait députés au maréchal
obtenaient de lui une audience. Il les reçut d'abord de bon œil ; car, 'a
l'exception de deux ou trois seulement, ils avaient eu soin de se mettre
au cou l'écharpe blanche en signe de royalisme. Mais quand il eut aperçu
dans la foule ceux qui avaient conservé les couleurs de la Ligue, il entra
en une violente colère contre eux. « Vrai Dieu ! s'écria-t-il, mes maîtres,
vous ne remporterez pas chez vous ces belles enseignes que vous nous
avez apportées ici ; car je vais vous faire pendre tous. » Il s'apaisa
DU PllOTESTANTlSME EN FRANCE. 451
cependant et ne lit pendre personne, qnand tous lui curent protesté
qu'ils étaient ses serviteurs, et qu'ils lui faciliteraient les moyens de
prendre la ville. Puis il leur donna congé de s'en retourner.
Quand ces députés rentrèrent dans Quiinper, ils rapportèrent de la
part de Monsieur le maréchal de grandes promesses qu'il Taisait aux
habitants de les conserver chacun en leur état, avec augmentation de
privilèges et d'immunités |)our la ville, dont il jurait de n'emporter ni
biens ni deniers. Alors tous les factieux s'écrièrent qu'il fallait accep-
ter et se rendre. Les autres, et ils avaient raison, regardaient encore ces
promesses et serments comme de belles paroles, destinées a les attirer
dans le panneau ; et le capitaine des hommes d'armes laissés par le duc
de Mercœur se mit a exhorter tout le monde à persévérer, jurant (ju'il se
sentait assez fort, avec ses deux cents soldats, pour déléndre la brèche,
et ne demandant aux habitants (|ue de veiller à repousser l'escalade ;
car, disait-il, son maître ne pouvait manquer d'accourir bientôt a leur
secours.
Ce qu'entendant ceux qui avaient vendu la ville, et craignant (|u'au
cas où le duc arriverait assez tôt pour les empêcher de la livrer, il ne
leur fit payer cher ce genre de commerce, ils s'en allèrent tenii- à part
une assemblée secrète, dans une grande salle, au-dessus de l'église de
Guéodet. Le gouverneur Quérec était avec eux, et la, il fut décidé (ju'on
enverrait un homme de confiance porter au maréchal les articles d'une
capitulation.
Sur ces entrefaites, les Anglais, qui se trouvaient en grand nombre
dans l'armée royale, avaient olfert d'emporter la ville par un coup de
main, si l'on voulait seulement leur abandonner le pillage. « Le roi,
répondit d'Aumont, n'a que laire de; villes désertes et pillées. Son inten-
tion est de conserver ses sujets et non de les détruire. Et lui-même il lit
prévenir les habitants de faire surtout bonne garde du côté du (piartier
des Anglais, sur lesquels, disait-il, je n'ai pas autant de commandement
(pie sur les Français. Puis il accepta les articles (ju'on lui présentait,
sous la réserve du bon plaisir du roi.
En ce moment, Talhouet, envoyé par le duc de Mercœur, arrivait au
camp porteur d'une surséance d'armes signée du roi et du duc, mais
d'Aumont ne voulut pas même lui permettre de paraître aux yeux de
ceux de la ville, prétendant (ju'il était trop tard, et que Quim|)er lui
était déjà acquise. Talhouet, alors, trouva bon de se ranger aussi du
parti le plus fort, et il lit son traité particulier, pour se conserver le
gouvernement de Redon, dont il s'était mis en possession dès le com-
mencement de cette guerre. (Mk/.erav, t. III, p. I(I!)<S.)
Le maréchal, ayant pris le serment de tous ceux de la ville et fait
payer, malgré sa promesse, une contribution de onze mille écus, dont à
la vérité les royalistes ne furent pas plus exem|)tés que les autres, s'en
alla en personne au siège du fort de Cro/.on, (jiie, comme je lai dit,
il avait eu la précaution de faire blo<|uer, eu venant à Quimper. Aussitôt
il entoura la place dune bonne et foric tranchée du côté de la terre ;
452 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
et du cô'té de la mer il avait fait venir plusieurs grands vaisseaux de
ffuerre, français, anglais et flamands, qui bouchaient tous les passages,
mais qui ne pouvaient assez s'approcher de la place pour l'incommoder
de leurs canons. Car il y a la uu furieux courant qu'on nomme le ras de
mer (rabies maris), a cause de sa rapidité, et qui entraînerait les
navires contre des rochers inaccessibles. (Moreai-, chap. xxxi.)
Le capitaine Praxède, a qui la défense du fort avait, comme on sait,
été confiée, fit des merveilles de courage, tant par de fréquentes sorties
jour et nuit qu'autrement. Les assiégeants eurent en outre de grandes
incommodités a surmonter, car la pluie ne cessa presque pas de
tomber pendant les six semaines que dura ce siège ; et il n'y avait
pas moyen de se mettre a couvert, parce que, sur toute cette plage,
incessamment battue des vents humides de l'ouest, on ne trouve ni
haie, ni buisson, ni aucune maison. 11 fallait loger dans les tranchées
où l'on avait, par ce temps d'hiver, l'eau et la fange jusqu'aux genoux ;
ce qui fut cause que beaucoup moururent de ce malaise qui leur donnait
des maladies contagieuses, lesquelles les étouftaient en trois jours,
La flotte n'était pas moins exposée, car le vent la poussait continuel-
lement et avec violence vers cette terre, défendue par d'âpres rochers,
si bien qu'elle fut 'a la fin obligée d'aller chercher un abri a Brest, et
ne fut pas de grande utilité a ce siège.
L'artillerie du camp royal ne laissa pas pour cela de tirer continuel-
lement ; mais comme les fortifications n'étaient que de terre et suffisam-
ment épaisses, les boulets ne faisaient pas grand eflet, et chaque nuit,
les dégâts qu'ils avaient causés pendant le jour étaient facilement répa-
rés. A chaque instant aussi, les assiégés venaient attaquer les soldats
du maréchal dans les tranchées et renverser leurs travaux.
Ce fut dans une de ces sorties que fut tué M. de Liscoet, qui avait
commencé le premier le blocus de la place. On dit que son cheval tout
sellé et bridé, voyant son maître mort, se jeta dans la rade de Brest, la
traversa a la nage, et arriva tout fumant dans la cour du château de
Kergoat, où il tomba expirant aux pieds de la dame de Liscoet, qui
attendait la son mari.
Malgré tous ces obstacles, on était pourtant parvenu, 'a grand renfort
de boulets, a faire une brèche que le maréchal se hâta de juger suffisante ;
car il venait d'être averti que don Juan d'Aquila, chef général des
Espagnols en cette province, était déjà en route avec toutes ses forces
pour venir au secours de ses compatriotes. Il donna donc des ordres
pour un assaut général et décisif. Les assiégés de leur côté se prépa-
rèrent a vaincre ou a mourir ; car eux aussi ils savaient que, s'ils parve-
naient 'a résister à cet assaut, ils étaient délivrés par le puissant secours
qui leur arrivait.
Par malheur pour eux, le brave capitaine Praxède, après avoir
repoussé victorieusement trois attaques consécutives, fut au commen-
cement de la quatrième emporté par un boulet de canon, comme il se
présentait l'un des premiers sur la brèche, la pique 'a la main. Sa mort
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 453
déconcerta un peu les siens ; mais les royalistes eux-mêmes paraissaient
également découragés après ce long combat sans succès, qui avait déjà
duré depuis le matin jusqu'à la nuit.
Le maréchal avait gardé en réserve quelques-unes de ses plus braves
compagnies, qui trépignaient de l'inactivité où il les retenait. Romegou,
gentilhomme gascon, était a la tête d'une de ces compagnies, et se
montrait plus mécontent que personne de ce qu'on ne lui donnait pas
congé de comballre. Soudainement lui arrive l'ordre de marcher 'a la
brèche, « Mes amis, dit-il 'a ses soldats, j'ai juré que j'entrerais dans ce
fort mort ou vif. Si par aventure je suis tué avant d'y être arrivé, tout
ce que je vous demande, c'est que vous preniez mon cadavre et que vous
le jetiez dedans. Et maintenant, en avant ! » Cela dit, il |)art de bon
pied, avec les siens; malgré les balles et la mitraille, il monte jusqu'au
haut de la brèche qu'il IVanchit le premier, sans s'arrêter, mais un coup
de mouscjuet le renverse mort à l'instant même. Ses braves soldats
s'étaient jetés lurieusement a sa suite. Les Espagnols ne peuvent résis-
ter à cette imp(Huosité, et la place est emportée d'assaut, au moment
où le secours n'en était plus qu'a quelques lieues.
Tous ceux qui s'y trouvèrent lurent impitoyablement massacrés,
vieillards, femmes et enAints, et il y en avait un grand nombre ;
quelques soldats seulement purent se cacher sous les rochers, où ils
furent trouvés le soir même ; mais la première furie du soldat était
passée. On se contenta de les faire prisonniers, et ils furent humaine-
ment traités, excepté ceux qui tombèrent entre les mains des Anglais,
lesquels, gardant encore rancune de la déroute de Craon, ne faisaient ni
grâce ni merci.
Le maréchal fit raser et aplanir la forteresse et ramena a Quimper
son armée, où se trouvait un grand nombre de blessés et un plus grand
nombre de malades, qui répandirent bientôt la contagion dans la ville ;
mais cela n'empêcha pas que les habitants n'en prissent le plus grand
soin, nonobstant leur haine invétérée contre les hérétiques et les
Anglais. H est vrai que M. d'Aumont fit aussitôt bâtir une citadelle, qui
se trouva en peu de temps en état de maintenir la ville dans le devoir.
« Mais, dit le ligueur Moreau, dont j'ai extrait ces récits, tous ceux des
habitants (|ui avaient mis la main 'a cette œuvre destructive des libertés
publiques eu furent châtiés de Dieu, car presque tous moururent dans
l'an et jour, parce qu'il avait fallu pour bâtir ce château détruire un
ancien couvent. » (Morkau, chap. xxxu.)
Quant aux affaires de la Provence, le comte de Carse, devenu
maintenant aussi chaud royaliste (ju'il avait été ardent ligueur, y conti-
nuait sa lutte contre d'Epernon. Et il avait envoyé tout récemment au
roi une députation au nom de la noblesse du pays et du clergé pour
supplier Sa Majesté de les délivrer de la tyrannie de leur gouverneur.
(Di: Tiiou, t. Ml, liv. 5, p. 517 et suiv.)
Henri IV ne lut pas fâché qu'on songeât a susciter des embarras au
duc qu'il n'aimait guère; mais il ne jugea pas encore à propos de se
454 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
prononcer ouvertement contre ce seigneur, clans un temps où presque
tous les gouverneurs des provinces et des villes de France prcHaient
également la liberté d'abuser de leur pouvoir. Il renvoya l'affaire à
Montmorency, que, par lettres-patentes et non encore enregistrées,
il avait tout récemment nommé connétable de France ; et il le chargea de
terminer tous ces différends à l'amiable, autant que faire se pourrait.
D'Épernon, au reste, était par sa femme très proche parent du conné-
table, ainsi que du duc de Bouillon et de MM. de. Ventadour et de la
Trémouille, qui étaient les plus grands seigneurs du royaume, et ce
n'était pas la une des moindres raisons qui obligeaient Sa Majesté a user
de ménagements. Elle craignait de s'aliéner ces seigneurs, en faisant
justice ; mais, sous main, elle avait envoyé ordre a Lesdiguières et au
colonel d'Ornano de soutenir de toutes leurs forces la cause des Proven-
çaux, s'il arrivait qu'ils fussent pressés jusqu'à un certain point par le
duc ; et ces deux généraux, ayant réuni leurs troupes, s'étaient avancés
jusqu'à Serres, pour y attendre le moment d'intervenir.
Les choses en étaient la, lorsqu'un certain Lafin, homme fourbe et
rusé, et qui n'était qu'un agent déguisé des Espagnols, trouva le moyen de
s'entremettre dans cette affaire. Il s'était fail donner des ordres de la
cour qui le chargeaient d'aller annoncer quil fallait suspendre toute
hostilité, pour laissera M. d'Épernon le temps d'aller lui-même, comme
il l'avait demandé, instruire Sa Majesté du sujet de cette querelle.
Lafin alla d'abord communiquer ces ordres à Lesdiguières et a D'Or-
nano, qui se tinrent en conséquence cois et en repos, sans oser avancer
d'un pas; puis il s'en fut les porter au connétable auprès duquel il s'ar-
rêta le plus longtemps possible. Pendant tous ces délais, d'Épernon, qui
avait été prévenu secrètement, mais qui n'avait reçu aucune commu-
nication officielle de la volonté du roi, se mit en campagne avec ses
troupes et son canon, et se saisit subitement de toutes les places et
forts de la province. Ne pouvant entrer dans Aix, il augmenta et perfec-
tionna les ouvrages du fort, qu'il avait fait bâtir l'année précédente h
Saint-Eutrope, de telle sorte que cette ville se vit complètement tenue en
bride par son plus irréconciliable ennemi, ce qui réduisit les habitants a
un tel désespoir, qu'ils en étaient à regretter de s'être soumis au roi,
puisqu'il les protégeait si mal.
Lesdiguières, a qui le comte de Carse fit part de ce qui se passait,
se mit incontinent en route, et arriva à Ribiers sur la frontière de Pro-
vence. Il y trouva Lafin, qui lui dit de ne pas avancer plus loin, que
M. d'Epernon allait donner satisfaction aux Provençaux, et que la volonté
du roi était surtout que cette affaire se terminât a l'amiable et non par
les armes. Lesdiguières consentit 'a attendre jusqu'à ce qu'il eût reçu
de nouvelles communications du connétable de Montmorency ; mais
c'était encore une perfidie de Lafin. On sut bientôt que le duc
d'Epernon continuait à traiter la Provence en pays conrpiis et que dans
une assemblée tenue a Riez, il avait fait un grand nombre de règlements
qui jie s'accordaient guère avec les sentiments de paix qu'on lui prêtait.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 455
Lesdiguières décampa donc sur-le-champ et marcha en avant jus-
qu'à Pertiiis. Lafin vint encore le supplier de ne j)as passer la Durance,
jurant que le duc était dans les meilleures dispositions de se soumettre,
et qu'il fallait se garder de le forcer à prendre un parti violent. Sur
cette parole, les troupes du roi perdirent encore huit jours, que d'Eper-
non employa 'a encourager ses partisans et à Tortiller les postes les plus
exposés. Huit autres jours lurent encore perdus, parce que Lesdiguières
tomha dangereusement malade ; mais dès qu'il se trouva en état de se
faire porter en litière, il passa enfin la Durance avec toute son
armée.
Le duc, qui n'avait osé s'opposer au passage, se tenait cependant le
long du rivage, et il avait étahli de forts détachements de ses troupes à
Lamhesc, à Mallemort et a Senez. Les deux armées se trouvèrent donc
en présence, et il y eut ce même jour, malgré les chefs, un combat fort
sanglant. Le sieur de Castellanne y eut son cheval tué sous lui, et fut
fait prisonnier. On le conduisit au duc d'Epernon, qui le fit inhumaine-
ment massacrer sous ses yeux, parce que c'était lui le premier (jui avait
conseillé au comte de Carse de se soumettre au roi. Lesdiguières,
néanmoins, resta maître du champ de bataille et put faire sa jonction
avec les troupes que lui amenaient le comte de Carse et les autres
nobles de la province. Il ne comptait pourtant en tout dans son armée
que mille chevaux et un peu plus de trois mille hommes de pied. Le
duc avait des troupes bien plus nombreuses ; mais ce qui ralentissait
beaucoup son impétuosité ordinaire, c'est qu'il avait à craindre que le
connétable, quoique son parent et son allié secret, ne se vît bientôt
dans l'obligation de joindre ses forces 'a celles de son adversaire. Et, en
effet, le connétable le sommait sérieusement d'obéir aux derniers ordres
(le Sa Majesté, et de se mettre en mesure de se justifier par-devant elle.
Il crut donc prudent de paraître céder aux circonstances : il consentit
a une suspensiqn d'armes et 'a rendre le fort de Saint-Eutrope, 'a condi-
tion que ce fort serait mis provisoirement ^us la garde de Lafin ;
celui-ci y entra le douzième jour de mai, avec quatre cents hommes
des troupes du Languedoc fournies par le connétable.
Lesdiguières, de son côté, fit retirer son armée, et prit la route
d'Aix, accompagné du comte de Carse, il y fut reçu en triomphe et fit
son entrée escorté de deux mille hommes de la milice bourgeoise, qui
étaient venus au-devant de lui, et le jour même il écrivit au roi pour
lui rendre compte de son expédition.
Mais il se fit l'idée que les habitants d'Aix devaient lui avoir l'obli-
gation tout entière, et pour cela il prit la résolution de les délivrer
encore de la contrainte où devait les maintenir le fort de Saint-Eutrope.
Sans attendre donc d'autres ordres du roi, et ayant api)ris que Lafin
venait de partir pour Marseille, où l'appelaient quelques autres intrigues,
il feignit un jour d'aller à la chasse avec le comte de Carse, et ayant eu
soin de se faire accompagner d'un bon nombre de soldats. Il se fil ad-
mettre avec eux dans le fort, sous prétexte de s'y reposer, et comme il
456 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
avait gagné d'avance la plupart des officiers de la garnison, il n'eut pas
de peine a se rendre maître de la place. Il ne prit que le temps d'en
admirer en connaisseur les perfections, et d'en observer les défauts, et
tout aussitôt il la remit au consul d'Aix et aux habitants, qui la démo-
lirent et la rasèrent de fond en comble avec une ardeur incroyable.
(Mézeray, t. m, p. 1104.)
Les autres villes de la Provence se mirent alors a chasser les garni-
sons gasconnes que d'Epernon leur avait imposées, et celui-ci, voyant
que tout le pays allait lui échapper, se retourna du côté de ceux qui
étaient encore dans le parti de la Ligue. Il les exhorta par dessous
main a tenir ferme, leur promettant de se joindre a eux, pourvu qu'ils
ne se laissassent pas leurrer par les vaines promesses des royalistes.
On prétend même qu'il avait envoyé des agents a la cour d'Espagne,
pour y offrir ses services et y négocier en son nom, avec le vieil ennemi
de la France ; mais en même temps il écrivait au roi une belle lettre
pour se justifier de tous les griefs qu'on avait, disait-il, la malice de lui
imputer, et pour protester de son inaltérable fidélité. On peut croire que
cette lettre n'eut pas grand succès ; car c'est a peu près dans ce temps-
la même que Henri faisait promettre le gouvernement de la Provence
au duc de Guise. (De Thou, ubi siip.)
Lesdiguières s'en était alors allé à Grenoble. Ce fut la qu'il apprit
l'évasion du duc de Nemours, qui venait de s'échapper du château de
Pierre-Encise, oîi il était prisonnier depuis plus d'un an. Comme ce
prince s'ennuyait fort de sa captivité, qu'il ne prévoyait pas devoir finir
de si tôt, il commença parfaire secrètement provision de cordes. Ensuite,
son cuisinier, qui lui était dévoué, perça, sans qu'on s'en aperçût, le
mur de la cuisine et y fit une ouverture assez grande pour y laisser
passer un homme, ayant soin de la tenir cachée derrière de vieux plâ-
tras. Le duc alors feignit une indisposition qui l'obligeait a prendre une
médecine, et il se mit au lit ; mais sur le soir il fit coucher son valet de
chambre a sa place. Celhi-ci s'était depuis longtemps laissé croître la
barbe et les cheveux, comme s'il avait fait vœu de ne se les faire couper
qu'après que son maître serait libre. Le duc se procura une perruque et
une fausse barbe toute semblable, et ayant pris les habits de ce garçon,
il se rendit, tenant en main un bassin de chambre, comme pour l'aller
vider, dans la pièce qu'on avait percée. Là, 'a l'aide des cordes dont il
s'était muni, il se fit descendre dans les fossés du château, où il fut
reçu par ce d'Aubigny que nous avons vu gouverneur de Grenoble pour
la Ligue, et par quelques autres serviteurs dévoués qui le conduisirent
à Vienne, en Dauphiné. Le lendemain, quand la nouvelle de cette éva-
sion fut répandue dans la ville de Lyon, il s'y fit un grand tumulte qui
alla presque jusqu'à la sédition ; car on accusait le gouverneur lui-même,
M. Pomponne de Bellièvre, 'a qui le roi venait de confier cette charge,
d'avoir favorisé le complot. (D'Aubigné, t. III, liv. 4, p. 482.)
Nemours ne fut pas plus tôt en sûreté, qu'il appela auprès de lui tous
les fauteurs et partisans de la Ligue, qui se trouvaient encore en grand
. DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 457
nombre dans ces contrées ; Lesdiguières, pour couper s'il était possible
le mal dans sa racine, se disposait à marclier contre Vienne ; mais il en
lut empêché par une nouvelle plus alarmante encore.
On vint lui dire que le prince de Savoie avait rompu la trêve et qu'a
la tête d'une puissante armée, (pie l'Espagne lui avait subitement pro-
curée, il était venu attaquer liriqueras. Le général français avait fait
soigneusement fortilier ce poste l'année [)récédente, et l'avait muni
d'une bonne garnison, parce qu'il le regardait tout 'a la fois comme la
clef et la barrière entre la France et le Piémont.
Mais, malgré tous les soins (ju'il avait pris, la ville avait été tout d'abord
emportée d'assaut, après une noble résistance qui avait coûté la vie 'a
ses plus braves défenseurs ; et ceux qui avaient survécu, forcés de se
retirer dans la citadelle, y étaient vivement pressés. Lesdiguières, sen-
tant l'importance de conserver une pareille place a la France, lit deman-
der des secours d'hommes et de munitions à toutes les provinces
voisines ; mais par la jalousie du connétable de Montmorency, qui ne
pouvait lui pardonner la surprise du fort de Saint-Eutrope, il ne put
réunir que des troupes insuflisantes. Toutefois, comptant sur son bon-
heur accoutumé, il se mit en route et vint se loger a liobiane, (jui n'est
qu"a une petite lieue de la place assiégée. L'a, ayant considéré le camp
ennemi, il le trouva si bien fortilié et si bien gardé, qu'il ne jugea pas
possible de le forcer avec le peu de monde qu'il avait. Pour faire du
moius diversion, il se jeta dans le Piémont, et alla prendre et ravager
successivement Hagnols, Burges et Cavours. (Mi:zeray, t. 111, p. 1104.)
Cependant, les assiégés étaient serrés de fort près. Malgré plusieurs
tentatives faites par Lesdiguières, ils n'avaient pu recevoir ni aucun
secours, ni aucun rafraîchissement, et c'est a peine si, de cette nom-
breuse garnison, il restait deux cents hommes en état de porter les
armes ; tous les autres étaient on morts ou blessés. Les remparts du
château étaient partout ruinés par le canon ; des mines, auxquelles la
pluie seule, qui ne cessait de tomber, empêchait de mettre le feu,
devaient bientôt renverser le peu de fortifications (jui restaient encore :
il lallut bien demander a capituler.
On convint donc (pie les Français pourraient sortir de la place
tambour battant et mèche allumée, et le duc de Savoie y entra en vain-
queur le vingt-troisième jour d'octobre.
Malgré ce succès, le duc n'osa pas s'avancer davantage, en présence
d'un général aussi redouté et aussi entreprenant que Lesdiguières. Il
aima mieux s'assurer, par une paix définitive, ce (piil avait dé'jîi gagné
depuis le commencement de nos troubles, (jue de risquer de tout perdre
en continuant une guerre, dont il pouvait déjà prévoir que toutes les
chances allaient se tourner contre lui. Il chargea donc lîassompière de
reprendre les négociations qu'il avait d(''j'a commencées avec le roi, et
Sa Majesté, qui se trouvait alors en Champagne, où elle était venue pour
visiter cette frontière, se montra comme toujours fort généreuse sur les
conditions.
458 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT .
Le duc obtint qu'il lui serait fait droit a lui et à ses enfants, touchant
la succession de Catherine de Médicis, leur grand'mère, qu'on aurait
égard aux prétentions qu'il avait, tant de son chef que du leur, sur les
duchés de Bretagne et d'Anjou, et sur les comtés de Provence, de Blois
et de Coucy. On lui laissa Marsal en propre et on lui donna les villes de
Dun et de Stenay, en échange de Jametz qu'il devait rendre a la France.
Et de plus le roi lui promit le gouvernement de Toul et de Verdun pour
l'un de ses fils. Bassompière, pour récompense de ses bons services,
eut la terre de Vaucouleurs en Champagne avec tous ses droits honori-
fiques et productifs, excepté celui de souveraineté et le droit de couper
les bois de haute futaie.
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 459
CHAPITRE XVIII
1594 ET 1595. — ARGUMENT : le roi, voulant faire la guerre
A l'espagne, Écrit aux état.s de l'artois et du hainaut.
attentat de JEAN CHATEL. — SON SUPPLICE.
LE PARLEMENT CONDAMNE LES JÉSUITES GOMME COMPLICES. — DÉCLARATION
DES AUTIIES ORDRES RELIGIEUX TOUCHANT L'OBLIGATION DE PRIER POUR LE ROI.
APOLOGIE DES JÉSUITES. — APOLOGIE DE CHATEL PAR LE DOCTEUR BOUCHER.
PROCESSION A l'occasion DE l'aTTENTAT ET A LAQUELLE ASSISTE LE ROI.
IL TIENT l'assemblée ANNUELLE DE L'ORDRE DU SAINT-ESPRIT.
ÉDIT EN FAVEUR DES PROTESTANTS. — DÉCLARATION DE GUERRE A L'ESPAGNE.
LES HOSTILITÉS COMMENCENT. — LE MARÉCHAL DE BOUILLON DANS LES PAYS-BAS.
D'aSSONVILLE ET lîEAUVAU DANS LA FRANCHE-COMTÉ. — TAVANNES EN BOURGOGNE.
MAYENNE VIENT DANS CETTE PROVINCE DONT IL ÉTAIT GOUVERNEUR.
LE ROI Y ENVOIE BIRON, — QUI PREND BEAUNE, — MONTEREAU, — DIJON.
LE CONNÉRABLE DE CASTILLE ENTRE EN BOURGOGNE.
LE ROI Y VIENT DE SON COTÉ. — COMBAT DE FONTAINE-FRANÇAISE.
LE CONNÉTABr,E SE RETIRE A GRAY.
LES FRANÇAIS L'y SUIVENT ET DÉFONT UNE PARTIE DE SES TROUPES.
LES SUISSES OBTIENNENT DU ROI QU'iL ÉVACUE LA FRANCHE-COMTÉ.
IL LAISSE MAYENNE SE RETIRER A CHALONS. — IL PASSE DANS LE LYONNAIS.
VIENNE EST LIVRÉE AU CONNÉTABLE DE MONTMORENCY.
MORT DU PRINCE DE NEMOURS.
Henri voyait enfin la guerre civile à peu près assoupie, grâce aux
généreuses concessions qu'il avait été dans l'obligation de taire aux
villes et aux chefs de la Ligue, qui s'étaient vendus plutôt que soumis.
Sou autorité était reconnue presque dans toutes les provinces du
royaume, malgré les machinations de la cour d'Espagne. Il se jugea dès
lors assez fort pour attaquer a son tour cette puissance formidable, qui
pendant si longtemps avait accumulé tant de misères sur la France.
Toutefois, il crut juste de faire d'abord part de son intention aux
Etats de l'Artois et du Hainaut, et il leur écrivit a peu près en ces termes :
« Comme c'est le devoir d'un prince chrélien d'éviter autant que
possible l'efl'usion du sang humain, et que mon dessein est de suivre en
cela les traces de mes ancêtres, je n'aurais pas mieux demandé que de
voir adoucir cette haine implacable dont Philippe, votre prince, n'a
cessé de me donner de si funestes manpies. Grâce à Dieu, je n'ai man-
qué pourtant ni de cœur ni de forces pour repousser victorieusement
toutes les injures qu'il m'a faites. Aujourd'hui que ce prince persévère
460 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
encore dans ses mauvais desseins et ne cherche par toutes sortes d'in-
trigues qu'a entretenir dans leur condamnable révolte ceux de mes
sujets qui n'ont pas encore mis bas les armes, qu'il ose même s'empa-
rer par la force de plusieurs places qui appartiennent a la France, j'ai
jugé qu'il était temps que j'agisse et que j'opposasse ouvertement la jus-
tice de mes armes a l'injustice des pratiques sourdes qu'on employait
contre moi. Cependant, comme je ne puis ni ne veux oublier l'amitié
que les rois mes prédécesseurs ont toujours eue pour votre pays, ni
rompre le premier la bonne intelligence dans laquelle vos peuples ont
toujours vécu avec le mien, j'ai bien voulu vous faire savoir que c'est 'a
mon grand regret que je vous vois exposés a supporter les premiers tous
les malheurs de la terrible guerre qui va commencer. Si donc vous
voulez éloigner de vous cette ruine imminente, je ne vois qu'un seul
moyen, c'est que vous obteniez du roi d'Espagne qu'il congédie l'armée
qu'il entretient sur vos frontières ; qu'il s'engage a ne plus faire aucunes
hostilités contre moi ni contre mes sujets, et 'a ne donner 'a l'avenir
aucune protection aux sujets rebelles de mon royaume. A ces conditions
garanties par vous, je ne lui déclarerai point la guerre, et j'attends
votre réponse jusqu'au premier février de l'année prochaine. » (De Thou,
t. XII, livr 5, p. 527, et suiv.)
Ces lettres furent portées à Arras par un trompette et remises entre
les mains de l'arcbiduc, qui n'y fit aucune réponse et qui se prépara 'a
soutenir la guerre qu'on lui annonçait. De son côté, le maréchal de
Bouillon, avec cinq régiments d'infanterie française que le roi mit sous
ses ordres, cinq compagnies de Suisses, six cornettes de chevau-légers
et deux compagnies de gendarmes, ayant de plus reçu de Philippe de
Nassau trois mille hommes de troupes flamandes, suivant qu'on en
était convenu avec la nouvelle république, se tenait prêt a entrer dans
le Luxembourg, aussitôt que la saison, fort rigoureuse cette année-l'a,
lui permettrait d'agir.
Pendant ce temps-l'a, le roi, qui était revenu a Paris, se délassait de
ses fatigues auprès de la belle Gabrielle, qu'il avait faite depuis quelque
temps déjà dame de Liancourt, en lui faisant épouser le seigneur de ce
nom, «homme de grande condition ; mais, sous le rapport de sa per-
sonne et de son esprit, il les avait aussi mal faits l'un que l'autre. »
Aussi, ce mari complaisant n'avait fait aucune difficulté de laisser sa
femme auprès de Sa Majesté, pensant bien qu'il en tirerait au moins
quelque avantage h la cour.
Sa Majesté, pourtant, si l'on en croit les écrivains satyriques de ce
temps-la, n'était ni le premier ni le seul amant favorisé par cette belle
dame. « Le duc de Bellegarde et le duc de Longueville avaient déjà
perdu auprès d'elle leur liberté, car cette belle n'en laissait point à
ceux qui la regardaient ; » mais l'amour d'un roi pouvait bien l'empor-
ter sur celui de deux ducs ; et comme, suivant l'expression de Sully,
« ce grand prince avait les passions chaudes, » il ne se montrait pas
trop exigeant sur ce qui s'était passé et pouvait se passer encore entre
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 461
sa maîtresse chérie et cette foule d'adorateurs qu'attiraient autour d'elle
les charmes d'une aussi belle personne. {Mém. de VEstoilc, t. 1, p. '282,
Amours du grand Alcandre.
11 revenait de Saint CJermain, plus empressé que jamais de lui ofl'rir
ses hommages, quand il faillit être victime d'un assassinat qui aurait
singulièrement changé la face dos affaires en Europe, et cpii eût délivré
l'Espagne de toute crainte de guerre. C'était le vingt-septième jour de
décembre. Un certain Jean Chatel, lils d'un riche drapier de F^aris,
avait terminé ses études chez les jésuites, où il venait tout récemment
de soutenir une thèse pul)li(|ue pour être reçu maitre-ès-arts. Ce jeune
homme, 'a peine âgé de dix-neuf ans, était adonné a des vices mons-
trueux et contre nature, mais il n'en était pas moins bien reçu chez les
révérends Pères : ils l'avaient même admis dans certains exercices spi-
rituels, auxquels n'assistaient que ceux de leurs pénitents les plus privi-
légiés. (Dk Thou, ubi Slip.)
Chatel, sous Fimpression toute vive de ces pratiques mystérieuses,
sentit de cuisants remords de sa vie passée, et sa conscience bourrelée
lui ht même désespérer de son salut en l'autre vie ; car il ne se trouvait
pas assez de courage pour résister au penchant qui l'entraînait vers ses
abominables voluptés. Fatigué d'une vie continuellement partagée entre
le crime et le remords, il résolut de mourir, et comme il avait souvent
entendu répéter chez les jésuites que non seulement ce ne serait point
un crime d'assassiner le roi, mais que ce serait même un acte méri-
toire et un grand service rendu à la religion, il lui vint 'a l'idée de rendre
ce service, en sacrifiant une existence (jui lui était devenue a charge,
persuadé que le ciel lui saurait gré d'un pareil dévouement, et diminue-
rait d'au moins de moitié la rigueur des peines qui l'attendaient dans
l'autre monde.
Il sortit donc de Paris et s'en alla au-devant du roi, qui revenait entou-
ré d'une nombreuse suite de courtisans ; comme il ne put approcher
assez pour faire le coup qu'il méditait, son imagination étrangement
malade lui suggéra, à ce qu'il a confessé depuis, une de ces idées qui
ne peuvent partir que d'une lête rendue folle par une dépravation habi-
tuelle. « En voyant, dit-il, quelques chevaux dont les maîtres étaient
descendus pour faire politesse au roi sur son passage, il me vint à
l'esprit, tant je désirais la mort, de commettre publiquement sur l'un de
ces animaux le crime de bestialité, afin (jue la populace, excitée par un
pareil attentat, se jetât sur moi et me mil en pièces sur-le-champ. Mais
la même crainte des châtiments de l'autre monde, (\m m'avait empêché
de m'ôter moi-même la vie, me retint encore dans l'exécution de ce pro-
jet. Je revins tout naturellement à celui de tuer le roi, qui devait du
moins servir dans la balance éternelle de contrepoids à toutes les ini-
quités dont je me suis souillé.
« Quand le roi entra chez la belle Gabrielle, qui demeurait à l'hôtel
de Schombcrg derrière le Louvre, Chatel, qui était j)roprement vêtu,
put se glisser facilement dans la foule des courtisans qui accompa-
462 HISTOIRE DE L ÉTABLISSEMENT
gnaient le prince, et, avant que personne pût s'en apercevoir, il lui porta
subitement un coup de couteau. Le roi, par bonheur, s'était baissé en
ce moment-la pour embrasser le seigneur de Montigny, qui lui présen-
tait ses hommages un genou en terre, et ce fut ce qui lui sauva la vie ;
car le coup, au lieu de percer la poitrine de Sa Majesté, ne l'atteignit
que dans la mâchoire supérieure, oîi il fut arrêté par une dent qui en
fut cassée.
« Je suis blessé, s'écria le roi dont le sang coulait abondamment, et
c'est cette folle de Mathurine qui m'a fait mal. » Or, Mathurine était
une femme du peuple qui jouait auprès de Sa Majesté le rôle de bouffon,
et a laquelle le roi permettait toutes sortes de plaisanteries ; mais
Mathurine, en disant que ce n'était pas elle, courut bien vite fermer la
porte de la salle, afin que personne ne pût en sortir. {Journal de Henri IV,
t. II, p. 140.)
Pour lors, le comte de Soissons, voyant un homme qui pâlissait et
qu'il ne connaissait pas, le saisit par le collet et dit 'a haute voix : « Sire,
si ce n'est pas Ta l'assassin, je consens qu'on dise que c'est moi. »
Chatel avait déjà eu le temps de jeter son couteau, qu'on ramassa par
terre, 'a côté de lui, et il niait de toutes ses forces que ce fût lui qui
eût fait le coup, disant qu'il n'était qu'un pauvre écolier venu la par
pure curiosité. La foule exaspérée voulait le mettre en pièces ; mais le
roi commanda qu'on le laissât aller, disant dans son premier mouve-
ment qu'il lui pardonnait : puis, ayant entendu que cet écolier était
disciple des jésuites, il ajouta, en plaisantant et en montrant sa bles-
sure : « Ce n'était donc i)as assez que par la bouche de tant de gens de
bien cette société fût accusée de ne m'aimer guère ; il a fallu encore
qu'ils fussent convaincus par ma propre bouche. » Et Sa Majesté ne
s'opposa plus a ce que le grand-prévôt de l'hôtel fit conduire le cou-
pable en prison. (De Thou, ubi sup. — Davila, t. III, liv. 14, p. 555.
— Écon. royales de Sully.)
On a prétendu qu'alors, Chatel ayant demandé un confesseur, le
lieutenant des gardes de la maréchaussée se déguisa en prêtre pour
entendre sa confession, mais que ce soldat, fort peu au courant du
rituel, s'était trahi lui-même par son ignorance et n'avait pu rien
apprendre. Quoi qu'il en soit de ce déguisement, qui ne serait qu'une
détestable profanation, Chatel, dans son premier interrogatoire, fit l'aveu
complet de son crime ; jl ajouta « qu'on pouvait se tranquilliser sur les
suites de la blessure du roi, que le couteau avec lequel il l'avait faite
n'était nullement empoisonné ; qu'au reste il y avait longtemps déjà
qu'il pensait en soi-même a faire ce coup, et qu'il le ferait encore s'il le
pouvait, croyant que cela serait utile a la religion. » A lui demandé où
il avait fait ses études, répondit que c'était chez les jésuites, où il avait
été trois ans et en dernier lieu sous le père Jean Guéret, régent de phi-
losophie; que même, peu de jours auparavant, son père l'avait mené au
dit révérend père Guéret, pour qu'il en reçût des consolations spirituelles,
parce qu'ayant eu le malheur de tomber dans des crimes infâmes, il
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 463
s'était senti la conscience bourrelée jusqu'au point de désespérer de
son salut éternel ; que c'était alors qu'étant persuadé qu'il lui fallait,
pour expier ces péchés, faire quelque acte signalé, il s'était définitive-
ment arrêté à la pensée de tuer le roi. — Interrogé si, se mettant en
ce désespoir, il pensait être damné, ou sauver son âme par ce méchant
acte, il dit « qu'il croyait que cet acte, étant fait par lui, servirait à la
diminution de ses peines dans l'autre monde, étant certain qu'il serait
plus puni s'il mourait sans avoir tenté de rendre ce service a la religion,
et (juil le serait moins, s'il avait fait effort pour accomplir cette œuvre
méritoire. — Enquis oîi il avait étudié en philosophie, dit de nouveau
que c'était au collège des jésuites. — Enquis s'il n'avait pas été dans
la chambre des méditations, où les jésuites introduisaient les plus grands
pécheurs, qui voyaient la les portraits de plusieurs diables de diverses
ligures épouvantables, répondit qu'il avait été souvent en cette chambre.
— Il lui fut alors demandé par qui il avait été conseillé d'attenter sur la
vie du monarque. Sans vouloir nommer personne, il se borna à répondre
que c'était une maxime tenue pour véritable par un grand nombre de
saints et doctes personnages, qu'il était loisible de tuer les tyrans. — A
la question (ju'on lui fit, s'il n'avait pas entendu répéter souvent cette
maxime chez les. jésuites, répliqua que, comme tous les bons cotholiques,
les jésuites tenaient pour licite de tuer un tyran qui était hors de l'Église,
et qu'il ne fallait ni lui obéir, ni le tenir pour roi, jusqu'à ce qu'il (ùt
approuvé par le Pape. (Journal de Henri IV, t. II, p. 140. — Cayet,
Chron. nov., liv. 6, ad ann. 1594.)
Lorsqu'on eut tiré de lui ces aveux, on envoya arrêter le père, la
mère et les sœurs du coupable, et dans la perquisition qu'on fit dans
leur maison, on trouva une note écrite de la main du dit Jean Chatel,
qui détaillait tous les péchés qu'il avait commis, soigneusement classés
suivant l'ordre des préceptes du décalogue. On lisait dans cette note
une suite d'impuretés abominables et jusqu'à un projet d'inceste, qu'il
voulait commettre avec sa propre sœur. Au reste, il avait, disait-il dans
le même écrit, un moyen tout prêt et bien assuré de désarmer les ven-
geances du ciel. C'était de tuer le roi, qui n'était pas approuvé par le
Pape. Quand on l'interrogea sur cette note et sur ceux (|ui lui avaient
indiqué le moyen d'expiation par lequel elle se terminait, il répondit que
c'était sa confession générale qu'il avait ainsi rédigée, pour aider sa
mémoire, mais il ne voulut nommer personne. (Dk Tiiou, ubi stipra.)
Pourtant les vrais serviteurs du roi s'écriaient que le Parlement
avait eu grand tort de laisser dans le royaume des jésuites dont les en-
seignements pouvaient produire de pareils monstres ; que dans le procès
(}ue l'Université et les curés de Paris venaient d'intenter à cette société
et qui avait été jugé avec tant de faveur pour elle, tout ce qui venait
d'arriver avait été prédit d'avance, et qu'il était déplorable que, par une
politique mal entendue, on eût prononcé un arrêt de sursis, dans une
cause où la tranquillité du royaume et la vie du roi lui-même étaient en
danger. Aussi la populace se rendit en tumulte au collège de la rue
464 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Saint-Jacques, et Ton aurait fait main basse sur tous ces pères, si le roi
et le Parlement ne se fussent empressés (l'envoyer main torte. On mit
des gardes a toutes les portes, et Louis Mazurier, conseiller au Parle-
ment, dressa un inventaire exact de toutes les lettres et papiers qu'on
trouva dans la maison. (De Thou, ubi sup.)
C'étaient pour la plupart des anagrammes satyriques contre le roi,
des sujets de composition dictés par les professeurs a leurs élèves, dont
l'argument était de souifru' la mort constamment, et d'assaillir les tyrans
et d'autres pauvretés semblables, qu'on n'avait pas eu le temps de
soustraire aux premières recherches. (Cayet, uhi sup. — Mém. de la
Ligue, t. VI, p. 245.)
Pendant ce tomps-l'a, les présidents des nouvelles chambres du Par-
lement, s'élant réunis chez le premier président Achille de Harlay, qui
avait pour lors la goutte, faisaient subir un nouvel interrogatoire à l'as-
sassin. 11 répéta tous les aveux qu'il avait déjà faits quand le prévôt
l'avait interrogé, et, sans témoigner aucun repentir de son action, qu'il
persistait a regarder comme méritoire, il ajouta fièrement que, s'il ne
1 avait pas faite, il la ferait encore.
Les avis ne pouvaient être partagés sur la peine que méritait le cou-
pable ; mais il se trouva des gens qui voulaient qu'on jugeât en même
temps l'affaire des jésuites, parce que, disaient-ils, il y avait tout lieu
de croire que la surséance que ces pères avaient malheureusement
obtenue a force d'intrigues avait encouragé les mauvaises passions et
donné occasion a ce parricide exécrable. Tel fut l'avis d'Etienne de
Fleury, doyen des conseillers et l'homme du monde le plus éloigné de
tout parti turbulent. (De Thou, ubi sup.)
« Je ne vois plus, dit-il, aucune raison popr différer plus long-
temps. Quelles autres preuves nous faut-il encore des dangers dont ce
nouvel ordre menace la nation? Leurs accusateurs, vous le voyez aujour-
d'hui, n'avaient pas tort, quand ils vous disaient que le salut du roi et
celui du royaume étaient liés avec celui de l'Université. A quoi, en effet,
a servi le sursis qu'ils ont obtenu par tant de démarches et de protec-
tions, sinon a leur laisser les moyens d'exécuter un crime qu'ils rêvaient
depuis longtemps ? Ah ! que les princes sont malheureux î on ne veut
croire leur vie en péril que lorsqu'on les voit assassinés. Rendons grâce
'a Dieu, messieurs, et non a notre prudence, de ce que tout en ne lais-
sant plus aucun doute sur les mauvais desseins de ces hommes, il a
bien voulu lui-même empêcher qu'ils ne fissent tout le mal qu'ils voulaient
faire. »
Augustin de Thou opina ensuite en ces termes : « Messieurs, quand,
dernièrement, j'ai donné mon avis dans l'affaire des jésuites et de
l'Université, j'étais loin, je l'avoue, de penser que je vivrais assez
longtemps pour voir mes prévisions confirmées par l'événement, et
moi aussi, je rends grâce à Dieu de ce qu'il a daigné, dans sa miséri-
corde, conduire les choses de manière a ce que, tout en écartant de
nous le danger sur lequel une malheureuse politique vous avait fait
j
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 465
fermer les yeux, il Tait rendu aujourd'hui manifeste, même aux plus
incrédules. »
Chatel fut donc déclaré atteint et convaincu du crime de lèse-
majesté divine au premier chef, en réparation duquel il fut condamné à
faire amende honorable devant le portail de l'Eglise de Notre-Dame, nu
en chemise, tenant au poing une torche allumée du poids de deux livres,
et là, déclarer tout haut qu'il avait méchamment porté un coup de cou-
teau au roi : qu'imbu d'une doctrine fausse et abominable, il avait sou-
tenu qu'il était permis de tuer les rois, quand ils n'étaient pas dans le
sein de l'Église, et quand le Pape ne leur avait pas accordé l'absolution ;
de tous tels crimes il se repentait et demandait pardon à Dieu, au roi
et 'a la justice.
L'arrêt portait qu'il serait ensuite mené en Grève sur un tombereau;
que Ta, il serait tenaillé aux bras et aux cuisses avec des tenailles
ardentes, et qu'après qu'on lui aurait coupé la main qui tiendrait le cou-
teau dont il s'était servi, il serait tiré à quatre chevaux, les quartiers de
son corps brûlés et les cendres jetées aux vents. Ses biens étaient con-
fisqués, et, en outre, il devait être, avant son supplice, appliqué à la
question ordinaire et extraordinaire, pour tirer de lui le nom de ses
complices.
A l'égard des sentiments qu'il avait soutenus, la cour les déclara
téméraires, séditieux, contraires 'a la parole de Dieu, ainsi qu'aux saints
canons et sentant l'hérésie : faisant défense expresse de les enseigner
en public et en particulier, à peine contre les contrevenants d'être traités
comme criminels de lèse-majesté divine et humaine.
La cour ordonna en outre que les prêtres du collège de Clermonl,
leurs disciples et en général tous les membres de la société dite de
Jésus, sortiraient de Paris et de toutes les villes oii ils avaient des
collèges, trois jours après que cet arrêt leur aurait été signifié, et du
royaume dans la quinzaine, comme corrupteurs de la jeunesse, pertur-
bateurs du repos public et ennemis du roi et de l'État. — Cet arrêt fut
rendu le vingt-neuvième jour de décembre.
Quand on l'exécuta sur le principal coupable, il souffrit d'abord
toutes les douleurs de la torture sans nommer personne et avec une
constance inébranlable. Lorsqu'on le conduisit nu en chemise devant le
portail de Notre-Dame, quoiqu'il fit ce jour-là un froid si rigoureux que
plusieurs personnes en moururent, dit-on, subitement, on le vit se tenir
debout, sans frissonner ni manjuer aucune crainte. Il prononça avec
un ton d'indifférence et de sarcasme les paroles de l'amende honorable,
et, enfin, quand il fut livré aux bourreaux sur la place de Grève, pour
y subir l'affreux supplice auquel il était condamné, il se laissa tenailler
et déchirer les membres sans donner la moindre marque de douleur
et sans pousser un seul cri. (Davila, liv. 14. — Dupleix, Hisl. de
Henri IV, ad ann. 1594.)
Or, dans les papiers qu'on avait saisis au collège de Clermont, les
plus compromettants, et qui en effet étaient fort injurieux à la mémoire
IV. 30
466 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
du feu roi et au roi régnant, s'étaient trouvés chez l'un de ces pères,
nommé Jcaii Guignard, natif de Chartres. Il en fut extrait entre autres
les propositions suivantes : « Qu'on avait fait une grande faute a la
Saint-Barthélémy, pendant qu'on était en train de saigner, de n'avoir pas
ouvert la veine basilique (royale) ; que si on l'avait lait, on ne serait pas
tombé de fièvre en chaud mal, comme il était arrivé. — Doit-on donner
le nom de roi de France, à un Sardanapale, 'a un Néron, a un renard
béarnais ? — L'acte héroïque accompli par le saint frère Jacques
Clément a été une véritable inspiration du Saint-Esprit, et c'est avec
raison qu'il a été loué comme tel par le prieur des jacobins Bourgoing,
saint confesseur et martyr à son tour ; car il ne faut pas croire ce que
les impies rapportent de ce vénérable prieur, qu'a sa mort il avait
improuvé cet acte comme détestable. — Quant au Béarnais, celui-là se
devrait trouver encore heureux, si, malgré sa prétendue conversion, on
se contentait de le raser et de le renfermer dans un couvent pour y faire
pénitence ; que si on ne pouvait lui ôter la couronne sans guerre, il
fallait lui faire la guerre a toute outrance ; mais qu'il serait plutôt a
désirer que quelque main dévouée et courageuse débarrassât l'Église
de cette peste à quelque prix que ce fût. » (De Thou, ubi supra. — Cayet,
liv. 6.)
De tous ces écrits, la plus grande partie datait des temps antérieurs
a la capitulation de Paris ; celui pourtant dont la dernière proposition
est extraite pourrait bien être postérieur. Au reste ils prouvent au moins,
ainsi que les matières de compositions dont j'ai parlé plus haut, que
l'esprit général de la société n'était pas favorable au gouvernement de
cette époque, et la raison est que ce gouvernement n'était pas approuvé
par le Pape, a l'ombre duquel les jésuites veulent dominer sur tous les
peuples. Or, est-il prudent de laisser l'éducation nationale entre les
mains de pareils professeurs?
Il y a pourtant loin de là à les accuser d'avoir été tous en corps les
complices de Jean Chatel. Les complices directs : non. Mais que leur
influence, leurs suggestions, leur adresse à s'emparer des esprits par tous
les moyens et surtout par leur manière d'expliquer la morale religieuse,
aient puissamment contribué à déranger ce cerveau déjà abruti par la
débauche, c'est ce qu'il semble impossible de ne pas admettre. Comment
expliquer autrement l'acte de ce libertin effréné et dévot, qui crut rache-
ter ses péchés par un assassinat, et qui brave ensuite les plus affreux
supplices en véritable martyr ?
Quoi qu'il en soit, le parlement de Paris voulut trouver au moins un
complice actif parmi les jésuites : ce fut donc le pauvre père Guignard,
convaincu d'après son aveu d'avoir écrit et composé les libelles ren-
contrés chez lui, qui servit de bouc émissaire, quoique très probable-
ment ce malheureux prêtre ne fut pas plus coupable que ses autres
confrères, et qu'il n'eût fait que répéter ce qu'il entendait dire chaque
jour. Il fut condamné à se rétracter et à être ensuite pendu en place de
Grève, où il montra la même fermeté que Chatel, refusant de demander
1
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 467
pardon au roi et à la justice, et n'ayant recours qu'a Dieu. (Jouvenay,
Histoire sec. des jésuites, t. II. part. 5.) '
Trois jours après, on jugea le père Guéret, régent de philosophie,
qu'on comprit dans le même procès avec le père, la mère et les deux
sœurs de Jean Chatel. Guéret, après avoir été appliqué à la question qui
ne lui arracha aucun aveu, lut condamné a un hannissement perpétuel.
Le père de Chatel lut banni seulement pour neuf ans. On lui fit payer
une amende de deux mille écus, la maison qu'il habitait proche du palais,
et où était né son fils, fut rasée, et il fui ordonné que sur l'emplacement
on bâtirait aux frais des jésuites un monument destiné à perpétuer la
mémoire de la punition d'un crime aussi détestable. Quant a la mère et
aux sœurs du régicide, on ne trouva pas de preuves contre elles et on
les relâcha, ainsi que quelques autres personnes qui avaient été arrêtées
en même temps. (D'Aucentué, Collect., t, II, p. 526.)
Il y avait aussi un jésuite écossais, nommé Alexandre Hay, qui se
trouva convaincu d'avoir tenu habituellement des propos fort compro-
mettants. Entre autres il avait dit un jour qu'il fallait dissimuler avec le
roi, et attendre l'occasion de s'en défaire ; que si le roi venait à passer
devant la porte de leur maison, il se jetterait volontiers par la fenêtre
pour lui romj)re le cou. Le jésuite écossais fut plus heureux que le fran-
çais Guignard : le Parlement se contenta de le renvoyer hors de
France. {Mêm. de la Ligne, t. VI, p. 263.)
Ensuite, oomme la plupart des ordres religieux avaient depuis le
commencement de la Ligue adopté les opinions de la société jésuitique,
en la voyant si bien prônée et si puissamment patronnée par les bulles
du souverain pontife, et que, dans plusieurs couvents, on refusait de
prier pour le roi, parce qu'il ne s'était pas encore réconcilié avec le
Pape, Monseigneur de Gondi, évêque de Paris, assembla dans la grande
salle de l'évêché tous les curés et docteurs de la capitale, et leur
demanda de formuler leur opinion louchant les prières publiques à faire
pour la conversion du roi, touchant les attentats commis contre sa per-
sonne, sous prétexte qu'il n'était pas encore réconcilié avec le Pape, et
enfin touchant le parricide dont était mort victime le roi Henri III.
(D'Argentré, In collect. jud. de nov. err.)
Après une messe du Saint-Esprit, l'assemblée, étant entrée en déli-
bération, répondit a l'unanimité : « que tous les Français étaient tenus
de prier en public et en particulier pour leur glorieux souverain Henri IV,
et ne devaient se faire aucun scrupule de lui obéir fidèlement; que
cependant il devenait urgent que Sa Majesté, pour rassurer toutes les
consciences et éviter un schisme dans l'Église, tût priée de ne mettre
aucun retard 'a sa parfaite réconciliation avec le Saint-Siège; qu'il
n'était permis îi personne d'attenter a la vie d'un roi, même sous pré-
texte que la foi et la religion sont en péril, et que bien loin d'approuver
le régicide dont le roi Henri IH avait été victime, il fallait le détester de tout
cœur. » Cette réponse, signée de tous ceux cpii étaient préseuls a la
délibération, porte la date du dix-huitième jour de février.
468 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
De leur côté, les jésuites, forcés de céder a cette bourrasque qui
semblait devoir les expulser à jamais du territoire français, publiaient en
français une apologie de leur ordre, adressée à tous les vrais catholiques ;
elle fut imprimée en Flandre, tant a Douay qu'en d'autres villes. (Cayet,
liv. 6, 1594.)
« Ami lecteur, disait cette pièce, quoique Tarrét qui condamne les
jésuites, soit dans sa forme et teneur, si manifestement pernicieux
qu'il ne semble guère nécessaire de t'en avertir, toutes fois est-il utile de
te remontrer les points qui suivent :
« D'abord le dit arrêt est bien et proprement dicté au goût des
hérétiques de notre pays, qui en associant les jésuites à Jean Chatel,
savent bien que c'est un bon moyen de rendre leur compagnie suspecte
et odieuse aux yeux d'un peuple abusé.
« On a donc dit que cet homme a fait ses études dans un des
collèf^es de la société ; mais les jésuites doivent-ils être calomniés
parce que quelqu'un, qui aura été autrefois leur écolier, est tombé dans
quelque crime ou infamie? Nous le demandons à l'Université française
elle-même, sur les bancs de laquelle Calvin et Bèze ont jadis étudié?
« L'on a mis en cause le père Guéret, l'un des régents du collège
de Clermont, parce qu'il a été précepteur de Chatel. Quels aveux a-t-
on pu tirer de ce père ? Le procès n'en dit rien ; et certes, s'il eût
fourni même l'apparence d'une preuve contre les dits jésuites, leurs
ennemis n'auraient pas manqué de la faire valoir.
« Quant 'a la sentence que la cour a jugé à propos de prononcer au
sujet de cet attentat, comme on l'appelle, il y a deux parties:
l'une ne concerne que Chatel; l'autre tombe directement sur les
jésuites. Dans la preniière partie, Chatel est condamné à faire amende
honorable et a dire que, par fausses et damnables instructions, il a cru
qu'il était permis de tuer les rois qui n'ont pas l'approbation du Pape.
Remarque, ami lecteur, que c'est la sentence qui le condamne a dire
cela, ce qui ne veut pas dire qu'il l'ait confessé de lui-même et de son
propre mouvement, ni encore moins que ce soient les pères de la
société de Jésus qui lui aient suggéré ces opinions, que la dite sentence
appelle fausses et damnables. Les 'pères ne sont pas même nommés
ici.
« En outre, est-il croyable que Jean Chatel, reçu maître ès-arts, ait
été si dépourvu de sens que de se laisser persuader par quelqu'un, tant
docte fût-il, que le régicide soit chose permise ! Ce qui est à croire,
c'est que la malice des ennemis des jésuites aura ici altéré étrangement
les paroles de l'accusé ; car il n'a jamais pu dire avoir entendu chez ces
pères autre chose que ce que tous les docteurs appprouvés enseignent :
A savoir : qu'il est licite de tuer les usurpateurs et les tyrans, quand il
n'y a pas moyen de secouer leur joug et leur usurpation. Mais ces
mêmes pères ont toujours regardé comme un attentat digne des plus
terribles châtiments celui qui serait dirigé contre un monarque régnant
en vertu des droits d'une véritable légitimité.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 469
« Quant a ce qu'aurait encore dit Chatel, que, suivant les jésuites, le
roi Henri IV n'est pas dans l'Église, en quoi peut-on trouver blâmable
une semblable proposition ? Le pape Sixte V ne l'a-t-il pas déclaré relaps
et incapable de toute succession au royaume ? Grégoire XIV n'a-t-il pas
condrmé cette sentence, par ses lettres monitoires au clergé et a la
noblesse de France, et notre Saint-Père actuel. Clément XIV, n'a-t-il pas
proclamé la même chose dans ses bulles ?
« Français, c'est à vous maintenant d'ouvrir les yeux : rappelez-
vous que vos ancê'.res n'ont pas hésité à obéir au pape Zacharie, quand
il leur donna pour roi Pépin, père du magnanime Charlemagne ; et ils
en ont été récompensés par la gloire des successeurs de cette noble
souche. Rappelez-vous aussi que ce n'est pas la première fois que la
compagnie de Jésus a eu 'a souffrir de semblables persécutions. En
Espagne, leurs ennemis les ont jetés hors de la ville de Saragosse. Aux
Pays-Bas, par les menées du prince d'Orange, ils ont été expulsés
d'Anvers, de Bruges, de Tournay et de Douay ; mais chacune de ces
villes, se ressentant bientôt après de leur absence, les a fait rentrer
avec beaucoup de congratulation, honneur et faveur; aussi les jésuites
n'onl-ils jamais rien perdu dans toutes ces tourmentes passées ; mais,
au contraire, on les a toujours vus croître et s'augmenter 'a l'occasion
même de leurs bannissements. Eh ! pourquoi, après tout, une cour pure-
ment séculière, usurpant des droits qui n'a|)partiennent qu'a la sainte
Eglise, s'ingère-t-elle de taxer d'hérétiques des propositions qui ne sont
pas de sa compétence et qui ont la sanction de tant de Papes et de tant
de saints docteurs ?
« Maintenant, venons a la condamnation aussi prononcée contre
l'ordre lui-même. De quel droit encore ce tribunal, purement laïque,
vient-il condamner des personnes ecclésiastiques et spécialement des
religieux, qui ne relèvent (jue de la juridiction du Pape? Ce tribunal n'a-
t-il pas, suivant les canons, encouru par cela seul l'excommunication de
l'Eglise? Mais sur (pielles preuves, après tout, s'est-il fondé pour pro-
noncer cette sentence inique ? Le père Cuéret, malgré les tortures de
de la question, a constamment nié tout ce dont on l'accusait, et, de
plus, puisque Jean Chatel devait aussi, comme le porte l'arrêt, être
appliqué a la question ordinaire et extraordinaire, pour tirer de lui le
nom de ses complices, pourquoi ne nous fait-on pas connaître ceux
qu'il a nommés ? C'est bien la la plus grande preuve qu'il n'a nommé
personne, parce qu'en effet personne n'était coupable.
« La sentence porte en outre que les jésuites sont corrupteurs de la
jeunesse, perturbateurs du repos public, ennemis du roi et de l'Etat.
Tout cela est très-grave ; mais où sont les preuves de tous ces crimes?
On n'en cite aucune. La société, au contraire, peut apporter des attes-
tations de presque tous les souverains du monde, prouvant que partout
où elle s'était établie, chacun a été édifié et satisfait de ses services.
« Tu remarqueras après tout, ami lecteur, que toutes les injures
qu'on prodigue aujourd'hui 'a ce saint ordre ne sont que comme les
470 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
livrées de noire divin rédempteur Jésus, dont, comme dit le saint concile
de Trente, c'est a juste titre que les jésuites ont pris leur nom. Si on
les appelle corrupteurs de la jeunesse, ce divin maître n'a-t-il pas été,
appelé trompeur et séducteur du peuple ? Si on les accuse d'être per-
turbateurs du repos public, lui, n'a-t-il pas été traité de séditieux ? Si
on les a déclarés ennemis du roi et de l'État, n'a-t-il pas été regardé
comme ennemi de César, parce qu'il disait que son royaume n'est
pas dans ce monde? Donc, comme dit saint Mathieu, chap. x, s'ils
ont appelé le maître Beizébuth, quel nom donneront-ils a ses servi-
teurs ?
« Finalement, ami lecteur, il doit te rester bien démontré que ceux
qui ont rendu cet arrêt7,sont des hérétiques calvinistes. C'est ainsi que,
dans les temps passés, les hérétiques ariens ont condamné saint Atha-
nase, évêque d'Alexandrie, et saint Hilaire, évéque de Poitiers, disant
que ces deux grands prélats étaient des séditieux. » [Mém. de la Ligne,
t. VI, p. 25 et suiv.)
Il est probable que si les jésuites avaient à se défendre aujourd'hui
dans un cas pareil, ils s'y prendraient autrement ; car il y a bien
quelques petits aveux un peu compromettants dans cette pièce, que j'ai
cru devoir analyser avec une certaine extension, pour mettre à même de
juger si elle est ou non de la fabrique des révérends pères. Depuis
ils ont trouvé de bien meilleures raisons pour repousser l'accusa-
tion que l'histoire porte ici contre eux. Us ont d'abord traité de calom-
niateurs ceux qui leur attribuent cette apologie ; et en effet elle n'est
signée par aucun des leurs. Mais il est évident qu'elle a été
écrite par une plume amie ; que l'auteur, s'il n'est pas jésuite, est au
moins de leur parti, et que ses arguments n'ont pu être puisés ailleurs
que dans ce qu'il connaissait de leur doctrine, dont il divulgue, en les
dissimulant, les dangereuses tendances. Ensuite, ils se sont efforcés de
prouver que tous les historiens qui parlent du crime de Jean Chatel et
de la part qu'ils y ont eue sont leurs ennemis acharnés. Ils ont porté la
même accusation contre le Parlement, qui pourtant, quelques mois
auparavant, s'était montré assez partial en leur faveur. Quant au père
Guignard, si malheureusement pendu, affectant d'ignorer que ce père
s'était lui-même déclaré l'auteur des libelles trouvés chez lui, et que,
dans le décret d'amnistie, il y avait un article spécial, ordonnant, sous
peine de lèse-majesté, aux auteurs et aux imprimeurs d'anéantir de
pareils écrits, ils ont demandé s'il était juste qu'on pendît un biblio-
thécaire (tel est le nom qu'ils lui donnent), pour avoir conservé des
pièces curieuses et qui peuvent servir 'a l'histoire.
Cette manière de se défendre est certainement plus habile ; aussi je
m'attends bien qu'on l'oppose encore à ce que j'écris ici, sans haine, je
le proteste, et avec un profond amour pour la vérité. Le lecteur jugera :
j'ai fidèlement mis les pièces sous ses yeux.
A peu près vers le même temps, parut une autre apologie ; mais
celle-ci n'était pas l'œuvre d'un des leurs : l'auteur n'était qu'un de leurs
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 471
amis et de leurs compagnons d'armes dans la guerre entreprise par
eux contre la dynastie française. C'était le docteur Bouclier, alors
réfugié sur les terres d'Espagne. Ce Ligueur furibond n'hésita pas à faire
tout simplement l'éloge de Jean Cliatel, et dans un long discours tout
rempli de citations de l'Écriture sainte, il prouva que l'acte commis par
cet assassin était juste, utile, héroïque et comparable aux actions les
plus nobles et les plus recommandables qui se soient lues jusqu'à pré-
sent dans l'histoire tant sacrée que profane.
« D'abord, dit-il, qui pourrait en nier la justice? Car, remarquez
bien que ce n'est pas un roi (|ue notre Chatel a voulu tuer, mais un soi-
disant roi, n'ayant aucun droit 'a la couronne dont le Pape l'a exclu, a
cause de son hérésie et de son impiété. Et qu'on ne dise pas que ce
tyran est maintenant converti, la bête se reconnaît encore aux griffes et
aux dents, avec lesquelles elle déchire les pauvres agneaux de Jésus-
Christ. Or il est dit dans TEcriture que l'hérétique est voué à la mort
et de cela les pages sacrées fournissent elles-mêmes mille exemples. Si
donc les magistrats sont trop faibles ou trop coupables pour faire exécu-
ter la loi, c'est au premier qui s'en sentira le courage 'a s'en rendre
l'exécuteur.
« Quant 'a l'utilité de cet acte, ah ! que s'il eût eu le succès que
méritait par son dévouement celui qui l'a entrepris, la France et la reli-
gion y auraient gagné! la France surtout; car par Fa aurait été ôté l'ana-
thème (|ui pèse depuis si longtemps sur ce malheureux royaume.
« Enfm quel héroïsme plus grand que celui d'un pauvre enfant, sor-
tant 'a peine des bancs de l'école, qui s'en va seul entreprendre de
metlre 'a mort le tyran superbe, au milieu de la foule de ses satellites et
jusque dans la chambre de son impudique Vénus, qui brave et la
menace de ses juges iniques et les tourments de la torture, auxquels il
ne répond que par une généreuse confession, et ({ui, en véritable
martyr, expire sans pousser un seul cri, au milieu des plus atroces
supplices, pratiquant ainsi ce que l'Écriture appelle l'héroïsme de la
charité, (jui est de donner son âme pour ses frèresj? » (Mém. de Condé,
t. VI, suppl.)
La plupart des autres Parlements du royaume, entrant dans le senti-
ment de celui de Paris, bannirent aussi les jésuites par un pareil arrêt ;
mais le Parlement de Bordeaux et celui de Toulouse refusèrent de se
prononcer, de sorte que la société resta tranquillement en Guyenne et
en Languedoc, ainsi qu'a Clermont et en beaucoup d'autres lieux, où le
peuple s'obstina 'a la conserver et où elle se maintint pendant tout le
temps que dura cette proscription, dont elle trouva bientôt le moyen
(l'obtenir la révocation. {Mém. de Chevemy, 1595.)
Le roi, toutefois, paraissait triste et rêveur. Madame de Balagny,
(jui était pour lors a la cour, le voyant en cet état, s'ingéra de lui dire :
« A voir la mine de Votre Majesté, on dirait qu'elle n'est pas bien
cnnlento. » A (juoi le roi répondit avec impatience : <c Ventre saint-gris !
comment pourrai-je l'être, content, en voyant un peuple si ingrat envers
472 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
moi, qu'encore bien que j'aie fait et fasse tout ce que je puis pour lui, il
ne cesse de me dresser tous les jours de nouveaux attentats ; car depuis
que je suis ici, je n'entends parler d'autre chose. » {Journal de Henri IV,
t. II, p. 150 et suiv.)
Et en effet, chacun profitait de ce malheureux événement pour faire
montre de son zèle, ou pour exercer quelque vengeance particulière. A
tout moment on arrêtait et emprisonnait les gens, sous prétexte qu'ils
complotaient le régicide, par suite de quoi il y en eut beaucoup, tant
prêtres que séculiers, qui furent misérablement pendus ; et malheur a
ceux de la Ligue ! On avait déjà pendu quelque temps auparavant, par
arrêt du Parlement, leur bourreau, Jean Rozeau, pour avoir exécuté
le président Brisson : celte fois on poursuivit sans pitié ceux qu'on
accusait d'avoir coopéré a cette méchante action, mais ce ne furent pas
les plus coupables qui subirent le supplice en cette occasion.
Cela n'empêche pas que le jeudi, cinquième jour de janvier, on fît a
Paris une procession générale pour rendre grâces 'a Dieu de la conserva-
tion du monarque. Les rues étaient tendues partout où devait passer le
cortège ; mais on avait eu grand soin d'enjoindre aux propriétaires des
maisons qui donnaient sur ces rues de bien s'informer de ceux qu'ils
laisseraient regarder par leurs fenêtres, parce qu'il leur en faudrait
répondre, vie pour vie. Le roi, tout habillé de noir et portant un petit
emplâtre sur sa blessure, assistait 'a cette cérémonie avec un visage tout
mélancolique, et pourtant le peuple, avec une merveilleuse allégresse,
criait si haut : « Vive le roi ! » que jamais peut-être ne vit-on un tel
applaudissement de peuple à roi. « Sire, dit un des courtisans, enten-
dez-vous comme votre peuple se réjouit de vous voir? » Le roi, secouant
tristement la tête, répondit : « Si mon plus grand ennemi passait mainte-
nant ici 'a ma place, tout ce bon populaire lui rendrait les mêmes hom-
mages ; et peut-être même crierait-il encore plus haut. »
Quelques Jours après, il solennisa, dans l'église des Augustins, la
cérémonie annuelle de la réception des membres de l'ordre du Saint-
Esprit. Par suite des troubles, cette cérémonie n'avait pas eu lieu pen-
dant plusieurs années ; Sa Majesté donna 'a l'offrande quarante-deux écus
d'or, pour autant d'années qu'elle avait déjà vécu. Elle envoya de plus,
aux dits Augustins, six moutons, un demi-bœuf et un muid de vin,
leur enjoignant de boire à sa santé et de s'engarder que dans leur
couvent il n'y eût point de Ligueurs, ce qu'ils promirent de bon cœur,
car sans compter les vivres et autres menues pratiques, la dite céré-
monie leur avait valu deux mille francs d'argent sec ; aussi trouvaient-
ils les dévotions du roi bien meilleures que les paradis de la Ligue et les
pardons de feu Monsieur le Légat, où il n'y avait guère que de l'eau à
boire. (L'Estoile, Journal de Henri IV.)
Cependant, le roi, qui sentait plus que jamais la nécessité de ne pas
s'aliéner tout a fait les protestants, trouva bon de pubUer un édit en leur
faveur. Il avait appris, en effet, que ceux de cette religion, après avoir
fait tant de sacrifices pour le soutenir contre ses ennemis, dans l'espoir
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 473
(le donnera la France un roi qui fût de leur communion, forcés mainte-
nant par sa conversion au catholicisme de renoncer a celte espérance,
l'accusaient tout haut d'ingratitude, et tenaient même de fréquentes
assemblées, tantôt 'a La Rochelle, et tant(3t 'a Saumur et 'a Montauban ;
que dans ces réunions, on agitait la question de donner aux églises
réformées un nouveau protecteur, et qu'on pensait déj'a 'a reconnaître en
cette (jualité, malgré son extrême jeunesse, le petit prince de Condé,
que sa mère élevait soigneusement 'a Saint-Jean-d'Angély dans la foi
protestante. (Davila, t. 111, p. 558.)
Ce fut donc, pour ôler tout prétexte à ces menées, qui pouvaient
devenir dangereuses, que le roi donna son édit du trente et unième
jour de janvier, par lequel il renouvelait toutes les concessions faites par
l'édit de Nérac, en 1577, permettant aux huguenots de pouvoir posséder
même les premières charges du royaume, s'ils s'en montraient
capables.
Le Parlement fut assemblé pour l'enregistrement de cet édit ; mais
les avis furent partagés. Beaucoup prétendaient que c'était s'expo-
ser à voir interpréter fort mal 'a Rome, une pareille mesure, qui ne pou-
vait manquer de mettre obstacle à la négociation entamée, pour obtenir
l'absolution définitive du roi ; mais Sa Majesté fit savoir confidentielle-
ment, qu'elle se réservait le droit d'interpréter elle-même, les clauses de
cet édit et qu'elle voulait qu'il n'y fût fait aucun changement, parce que
c'était le seul moyen d'avoir en sa puissance le jeune prince de Condé,
dont il était important qu'elle s'assurât pour satisfaire le Pape. (De Tiiou,
t. XII, liv. 112, p. 547.)
Alors Fleury, doyen des conseillers, ouvrit l'avis d'enregistrer l'édit
purement et simplement ; car, dit-il, il ne nous appartient pas de borner
et resserrer l'autorité du roi, qui est le maître de dispenser à son gré
les emplois et les dignités de son royaume. Plusieurs partagèrent cette
opinion. « Mais, reprirent d'autres, si nous enregistrons cet édit, ne
fournirons-nous pas 'a ceux qui sont déjà assez mal intentionnés contre
Sa Majesté, l'occasion de l'accuser de manquer à la parole qu'elle a
donnée, au commencement de son règne, et par laquelle, elle s'est
engagée à ne rien changer, en fait de religion aux ordonnances de ses
prédécesseurs? La contestation fut vive de part et d'autre ; enfin, la majo-
rité se trouva de l'avis du doyen, et l'édit fut enregistré, nonobstant
l'opposition de Monsieur le Procureur du roi, qui étant de l'opinion
contraire, ne voulut pas qu'on mit dans la formule de l'enregistrement.
« Oui, et ce requérant le procureur du roi. » (Cavet, Chron. nov.y
1595.)
Cependant l'époque fixée par le roi, dans sa lettre aux Etats de la
Flandre, était passée, sans qu'on lui eût fait aucune réponse. 11 déclara
donc authentiquement la guerre 'a l'Espagne, par une dénonciation datée
du dix-septième jour de janvier. « Personne, disait-il, n'ignore que le
roi Philippe, n'ayant pu se rendre maître de la France, à force ouverte,
a eu enfin recours à la ruse et à la fourbe ; que c'est lui qui a allumé
474 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
et entretenu dans notre royaume, sous un faux prétexte de religion, ces
malheureuses guerres civiles, dont un des résultats a déjà été l'assassi-
nat d'un de nos rois. Après cet attentat qui devait être la ruine du
pays, si le Dieu des armées n'eût soutenu le successeur légitime de ce
malheureux prince, le roi Philippe a continué ses dangereuses et déloyales
menées, persécutant les sujets de Sa Majesté, et les peuples du Cam-
brésis, qui se sont mis sous la protection de la France, s'emparant des
villes et des forteresses, en un mot exerçant toutes les déprédations et
violences qu'on peut attendre de l'ennemi le plus acharné. Non content
de tous ces excès, il a suborné des scélérats pour assassiner le roi lui-
même. — A ces causes, Sa Majesté, pour ne pas manquer 'a ce que son
peuple a droit d'attendre d'elle, déclare la guerre aux Espagnols et h
leurs alliés, par terre et par mer, défend a tous ses sujets d'avoir aucun
commerce avec eux, leur enjoint, au contraire, de les combattre a l'ave-
nir partout oîi ils les rencontreront, et de les traiter comme eux-mêmes
ont voulu traiter la France. » {Mémoires de la Licjiie, t. VI, p. 279.)
Le conseil d'Espagne ne répondit a cette déclaration que deux mois
plus tard. Sa réponse commençait par une longue énumération des ser-
vices que le roi Philippe avait rendus aux rois de France, ses beaux-
frères, et des secours qu'il leur avait si généreusement prodigués, pen-
dant ces malheureuses guerres civiles suscitées par l'hérésie. Sa Majesté
catholique, au reste, était toujours dans les mêmes sentiments et conti-
nuerait a défendre la religion contre les hérétiques, mais sans vouloir
pour cela, déroger aux anciens traités faits avec les rois très-
chrétiens : qu'en conséquence elle ordonnait a tous ses sujets, de n'ou-
trager en rien les catholiques français ; mais de courir sus aux huguenots
et 'a ceux qui s'étaient déclarés partisans de Henri de Béarn. A ce mani-
feste était jointe une ordonnance royale, prescrivant aux gouverneurs des
places fortes, de ne pas se borner à se tenir sur leurs gardes, mais de
faire des courses sur les terres de France, et d'y mettre tout à feu et 'a
sang. (De Tnou, t. XII, liv. 5, p. 5i5.)
Aussitôt la guerre s'alluma dans le Luxembourg, Philippe de Nassau,
qui s'était mis en marche avec quatre cornettes de cavalerie, que la nou-
velle république de Hollande, envoyait au secours du roi, fut enveloppé
par rinfanleiie du comte de Mansfeld, et éprouva une défaite sanglante.
Tout le pays était alors inondé, par les débordements du Rhin et de la
Moselle, de sorte qu'il fut impossible au maréchal de Bouillon, quoique
tout près de la, de venir à son secours ; mais celui-ci, après avoir heu-
reusement recueilli les troupes qui venaient d'essuyer cet échec, et fait
sa jonction avec Nassau, résolut de prendre sa revanche.
Comme donc, il était près d'un lieu nommé Virton, a sept lieues
environ de la ville de Luxembourg, il apprit que l'ennemi avait logé là,
onze cornettes de cavalerie. Sur cet avis, il se mit en roule en toute
diligence et marche droit 'a Virton. Les ennemis furent surpris justement
comme ils changeaient de quartier, trouvant celui-ci trop exposé. La
charge qu'ordonna le maréchal, tomba sur eux tellement à l'improviste,
J
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 475
qu'avant (lu'ils eussent eu le temps de se reconnaître, ils élaient en
pleine déroute. Deux cent cinquante des leurs lurent tués sur la place ;
le reste, abandonnant armes et chevaux, n'eut que le temps de se sau-
ver dans la forêt voisine. {Mémoires de la Ligne, t. VI, p. "285 et suiv.)
En même temps, les seigneurs d'Assonville et de Beauvau, tous les
deux, vaillants capitaines et qui avaient jusqu'alors porté les armes pour
la Ligue, voyant que le duc de Lorraine, au service du(juel ils étaient
pour lors, ménageait son traité de paix avec le roi, arborèrent aussi
î'écharpe blanche, et, étant venus trouver Sa Majesté, ils s'engagèrent
à se battre pour elle. Puis, entrant avec leurs troupes dans la Franche-
Comté, qui s'était mise sous la protection de l'Espagne, ils se mirent
'a ravager ce pays, qui prétendait être neutre et s'emparèrent de Vesoul
et de plusieurs autres places. Les Comtois, réduits au désespoir, implo-
rèrent le secours des Suisses leurs voisins ; mais les Cantons répondirent :
« Nous sommes surpris qu'aujourd'hui les Comtois nous demandent de
les défendre, eux qui, il y a sept ans, quand un corps de Suisses, après
la défaite des alliés en France, reprenait le chemin de son pays, ont
souffert, qu'il fût taillé en pièces, dans le cœur même de la Franche-
Comté, sans daigner même intervenir ni réclamer, comme ils l'auraient
pu si facilement, l'inviolabilité de leur territoire. »
D'un autre côté advint du côté de Soissons, qui tenait encore pour
la Ligue, ce que représente le suivant récit : « Poncenac, qui comman-
dait dans cette place, avait appris que quelques compagnies, sous la
conduite du capitaine de Moussy, s'étaient avancées jus(iu'aux portes de
sa ville, comme pour le narguer. Il lit choix a son tour de deux cents
de ses meilleurs cuirassiers et de deux bandes d'argoulets qu'il mit
sous la conduite du baron de Conac, son lieutenant, avec ordre de
battre le pays et de ne faire aucun quartier, 'a tous ceux des royaux
qui tomberaient entre ses mains. {Mémoires de la Ligue, t. VI,
p. 281.)
Conac partit donc sur le soir, et ayant cheminé toute la nuit, il vint
dresser son embuscade 'a une demi-lieue de Crépy en Valois, logeant
ses arquebusiers dans le petit bois du Tillet.
Ce jour-la, le seigneur d'Edouville, partit de Crépy avec trente che-
vaux seulement, pour se rendre 'a sa compagnie, qui était alors à Velly
en Laonnais. Comme il approchait de l'embuscade, il fut subitement
chargé par les postes les plus avancés, auxquels se joignirent bientôt
un si grand nombre de gens, qu'il fut contraint de se replier jusque
dans le faubourg de Crépy, et de s'appuyer, avec son escorte, contre les
murs du parc d'Aragon. Au bruit de la mousqueterie, le tocsin du guet
se mit aussitôt 'a sonner a la tour de Saint-Thomas, et d'Edouville,
tenant toujours bon, donna le temps 'a Moussy de rassembler ses gens
et de monter 'a cheval. Les Ligueurs, en voyant arriver ce renfort,
commencèrent 'a faire retraite vers le bois du Tillet. Moussy et d'Edou-
ville se mirent aussitôt a leur poursuite, et quoicpie l'ennemi fût beau-
coup plus fort en nombre, ils l'atteignirent dans la plaine de Villers-
476 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Coterets, près d'un ruisseau qui descend de la montagne de Vouciennes.
La, le combat commença avec acharnement, « et Dieu, (dit le témoin
oculaire dont je copie la relation,) se déclarant pour la bonne cause,
rendit les nôtres victorieux. Il demeura des ennemis cinquante morts sur
la place ; plus de soixante furent mortellement blessés ; on tit un grand
nombre de prisonniers et le butin se monta à quatre-vingts chevaux de
bataille, sans compter les armes et autres bagages délaissés par les
fuyards. On dit qu'une vingtaine seulement des ennemis, purent rentrer
dans Soissons, y rapportant la consternation, d'autant que les meilleurs
capitaines de la garnison, avaient péri dans cette affaire ou y étaient
restés prisonniers. Au nombre de ces derniers se trouvait le sieur de
Conac lui-même, commandant de l'expédition. On n'ent à regretter, que
quelques soldats et deux braves gentilshommes, morts glorieusement
sur le champ de bataille. Cette bonne journée, où ont été défaits et
taillés en pièces les plus mauvais et désespérés des ennemis, lesquels
ne faisaient que voler et piller un chacun, sans distinction de per-
sonnes, fussent-elles d'église, de noblesse ou autres, contribuera mer-
veilleusement à rétablir en ces pays la légitime domination de notre
bien-aimé maître et souverain. »
La Bourgogne venait pendant ce temps-fa, de reprendre les armes.
A peine la trêve accordée par Sa Majesté aux Ligueurs, eut-elle fini son
temps, que les hostilités y avaient recommencé. Les Ligueurs avaient
assemblé leurs troupes 'a Beaune, qui était l'une des plus fortes places
du pays, quoique les habitants commençassent à n'être pas des plus
attachés à la Ligue. Le sieur de Bissy, gouverneur de Verdun, s'en alla
reconnaître ce qui se passait de ce côté-la, et quoi qu'il s'aperçût bien-
tôt qu'il n'avait pas amené assez de monde, ayant rencontré un fort parti
de l'ennemi dans la campagne, « toutes fois, dit-il, je ne veux pas me
retirer sans avoir échangé quelques pistolades avec ces gens-là. » Cette
braverie lui coûta cher ; il fut blessé, fait prisonnier et emmené au
château de Beaune, et il y mourut de sa blessure ou par les soins de
ceux qui la pansaient. Verdun, privé de son commandant, allait tomber
au pouvoir de l'ennemi ; « mais j'y courus, dit Tavannes, avec ma com-
pagnie de gendarmerie, et les Ligueurs n'osèrent rien entreprendre. »
Tavannes s'achemina ensuite vers Mâcon, et il y fut reçu comme un
libérateur par les habitants, qui jurèrent tous fidélité 'a Sa Majesté. Leur
gouverneur lui-même, montra autant d'empressement que les autres pour
conserver sa place. Pour ceux de la ville de Tournus, qui se trouve a
une huitaine de lieues au nord, comme ils se montraient opiniâtres dans
leur rébellion, le général royaliste demanda à Ornano, qui était alors à
Lyon, devenir lui aider à mettre ces obstinés â la raison. On commença
le siège avec beaucoup de résolution ; mais la place était avantageuse-
ment située et soigneusement fortifiée, et l'on manquait absolument
d'artillerie. Il fallut donc se retirer, toute la valeur des assiégeants
n'ayant pu parvenir qu'a pénétrer dans deux des faubourgs, où ils ne
purent se maintenir.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 477
En ce même temps la ville de Beaunc, déjà lasse de la Ligue, faisait
faire secrètement des propositions d'arrangement a Monsieur deTavannes.
C'était une des places de sûreté, que le feu roi avait été obligé de céder
à la Ligue. Elle est commandée par un château fort, composé de cinq
gros bastions, et qui a entrée dans la ville et issue dehors. Mayenne
avait donné le commandement de cette place importante au sieur de
Montmoyen, l'un de ses maîtres d'hôtel. Ce gouverneur traita les habi-
tants avec une grande cruauté. Sous prétexte qu'ils n'étaient pas bien
affectionnés 'a la sainte cause, il en mit plusieurs en prison et leur lit
payer de grosses rançons. Us avaient eu en elfet la simplicité de s'adres-
ser directement à lui, pour rendre la ville et le château au roi, et afin de
le gagner, ils lui avaient |)ayé d'avance une somme considérable. Lui.
de son côté, s'était engagé sur le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
a faire ce qu'ils attendaient de lui ; mais il avait eu la précaution de
donner mot au prêtre, de ne pas consacrer l'hostie, « cousant ainsi, sans
vergogne, sa perlidie avec le très-saint sacrement de l'autel. » Quand il
les eut ainsi trompés, et qu'en outre de la somme (ju'il avait déjà reçue,
il leur eut fait chèrement acheter leur liberté, il prévint le duc de
Mayenne de leurs projets. {Mém. de la Ligue, t. VL)
A cette nouvelle, le duc, (jue les agents espagnols accusaient de tous
les côtés, et que Philippe commençait à abandonner a ses propres res-
sources, sentant que son gouvernement de Bourgogne, était maintenant
ce qui lui restait de plus entier, était bien vite parti dès le mois de
novembre 159 i, avec quelque cavalerie, pour venir donner ordre a ses
affaires dans cette province. (Mézerav, t. III, p. 1,107.)
A son arrivée, il apprit qu'outre Mâcon, les villes d'Auxerre et d'Aval-
lon, deux des plus importantes du pays, avaient déjà reconnu le roi, et
que Dijon se disposait h suivre, comme Beaune, l'exemple de ces places.
Ce fut donc a Dijon qu'il se rendit d'abord. Il y trouva en effet les esprits
si mal disposés en sa faveur, que voulant faire un grand exemple, il com-
mença par faire couper la tête au maire Jacques de Verne et au capitaine
Gau, tous les deux chefs du parti qui voulait rendre la ville au roi.
De là, il s'en alla a Heaune, où, pour mettre la ville en état de défense,
il commença par faire raser tous les faubourgs. Ce fut pour les habi-
tants une perte de plus de cinquante mille écus, car il fallut démolir
plus de deux mille maisons. Il y plaça ensuite une forte garnison soys^a
conduite du capitaine Guillcrmino, Milanais, homme méchant et scélé-
rat, qui avait déj'a fait tuer dans la ville de Seure un grand nombre de
personnes. Il lui donna pour adjoint l'ingénieur Carie, autre aventurier
de mérite 'a peu près pareil. {Mém. de la Ligue, ubi sup.)
Dès qu'il fut parti, les habitants n'en reprirent pas moins leurs négo-
ciations secrètes avec Tavannes, quand, soudain, on eut avis que le roi
envoyait le maréchal de Miron, pour faire la guerre en Bourgogne.
Tavannes alla au-devant de lui, avec ses troupes, jus(iu'au près d'Auxerre.
Le premier exploit du maréchal en cette province fut la prise de Nuits,
qui se rendit après deux jours seulement de résistance.
478 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Ceux de Beaune convinrent alors de s'insurger et de se rendre aussi
aux royaux. Le duc, qui se tenait à Châlons, eut par malheur pour eux,
vent de ce projet ; il revint tout aussitôt dans leur ville, et quatorze des
principaux bourgeois, le procureur et l'avocat du roi, furent par ses
ordres, mis dans les fers, pour répondre de la conduite de leurs conci-
toyens, ce qui excita un mécontentement général, parmi tout le reste des
habitants, ils eurent toutefois la prudence de le dissimuler et d'attendre
que Mayenne s'en fût retourné a Châlons. Mais 'a peine fut-il parti, que
l'insurrection éclata. Le maire et les échevins étaient a la tète : la cloche
de l'horloge donna le signal.
Tout aussitôt le maire, portant l'écharpe blanche et l'épée au poing,
parut dans la rue criant : « Vive le roi !» A ce cri, tous, même les
iemmes et les enfants, sortirent de leurs maisons, portant chacun les
armes, qu'ils avaient pu avoir ou saisir. Pour lors, celui qui commandait
le premier corps de garde bourgeoise, à la seule porte qu'on laissait
ouvrir, fit fermer la barrière, qui était entre son poste et celui des sol-
dats de la garnison, tellement qu'il les enferma entre la ville et la porte
extérieure, et, montant sur les tours, il fit tirer sur eux plusieurs coups
d'arquebuse. Cette troupe, ainsi surprise, fut contrainte de se rendre ;
ceux qui voulurent se sauver dans la campagne, furent accueillis par une
foule de paysans qui les massacrèrent tous.
Le capitaine Guillermino dînait en ce moment, avec le président
Latrecey, frère du gouverneur Montmoyen, et avec l'ingénieur Carie,
sans aucun soupçon de ce qui se passait. Tout a coup, Alexan, l'un des
échevins, défonce la porte de la salle, et, tout en entrant, il décharge
son pistolet dans le visage du capitaine, duquel coup il le renversa ;
mais Carie, ayant eu le temps de se saisir de son épée, en porta un coup
'a Alexan, au défaut de la cuirasse; celui-ci, pourtant, malgré sa bles-
sure, secondé d'un grand nombre d'habitants, qui vinrent bien armés,
fit prisonniers Guillermino, Carie et le président, et les fit conduire 'a
la maison de ville, où Guillermino mourut le lendemain, du coup qu'il
avait reçu dans la tête.
La garnison, n'ayant plus de chefs, se dispersa par petites troupes,
et ces soldats débandés furent poursuivis dans toutes les rues, par les
habitants, qui les massacraient à mesure qu'ils les rencontraient. Ceux
dont le quartier était le plus rapproché du château, parvinrent à se
retrancher dans les rues des Tonneliers et des Boissons. xVlors Mont-
moyen leur envoya l'ordre, de mettre le feu 'a plusieurs maisons, pen-
sant par la effrayer les habitants ; mais cet expédient ne servit a rien ;
on continua a se battre dans ces deux rues, a la lueur de l'incendie et
avec un acharnement inexprimable. A la fin, toutes ces malheureuses
troupes furent taillées en pièces ou contraintes de se rendre, a l'excep-
tion d'un petit nombre, qui eut le bonheur, de se sauver dans la cita-
delle.
Biron, qu'on avait envoyé prévenir de ce qui se passait dans Beaune,
approchait avec son armée. Les bourgeois brisèrent les serrures des
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 479
portes (le leur ville pour le faire entrer ; car les clés étaient gardées
dans le château. Aussitôt il attaqua cette forteresse et Montmoyen, se
voyant sans espoir de secours, consentit enlin a la rendre, a condition
qu'on le laisserait sortir avec armes et bagages, mais sans tambour,
enseignes ployées, et mèches éteintes.
Le maréchal marcha ensuite contre Aulun. Il savait que les habi-
tants y étaient au moins aussi dégoûtés de la Ligue, que ceux de Beaune.
Le maire y était également à la tête du parti, qui voulait ranger la ville
sous l'autorité du roi, et comme il était maître d'une dos portes, il indi-
qua a lîiron le jour où il se tiendrait prêt a l'introduire. C'était le quin-
zième jour de mai : le maréchal s'approcha au milieu de la nuit, et dans
la crainte de quelque surprise,'Jl s'arrêta 'a l'entrée des faubourgs. Deux
bourgeois vinrent le trouver l'a, pour lui dire que le maire l'attendait à la
porte qui donne sur la rivière d'Aroux ; mais lui, ne se sentant pas encore
rassuré, détacha deux capitaines avec huit braves arcpiebusiers, pour se
poster au-dessus de la porte. Il les fit suivre par vingt-cin(| cuirassiers
et ciiujuante cavaliers, (jui eurent ordre de se rendre maîtres du rem-
part, des deux côtés de la dite porte, et ensuite il s'avança lui-même avec
sa compagnie de chevaux et celle de ses gardes ; il trouva sous la porte
le maire, qui lui présenta les clés. En pénétrant plus avant, il rencontra
la garde, qui avait coutume de faire la ronde, vers le milieu de la nuit.
Il l'entoure, et sans avoir eu besoin de tirer un seul coup de mousquet
qui aurait pu donner l'alarme, il la fait prisonnière. Mais il courut en
cette occasion le danger d'être tué : un soldat ennemi s'apprêtait à lui
envoyer une balle avec son pistolet, Diron se jeta sur lui, le terrassa
dans une lutte corps a corps et parvint a le désarmer, sans s'être servi
d'armes a feu. {Relat. de la prise d'Autim, Paris, 1595, in-8.)
Pendant ce temps-la, on s'avançait en silence vers le château. Une
ouverture qui se trouvait dans la muraille en facilita l'entrée; on s'intro-
duisit également dans le palais épiscopal dont une porte avait été laissée
ouverte, et un fort détachement descendu dans la basse ville y entourait
tous les corps-de-garde. On n'avait point encore crié aux armes, te
Autun était presque entièrement au pouvoir des royalistes. Biron avec
sa garde marcha alors vers la grande place qui est au-dessous de la
cathédrale. Il y avait Ta un corps de garde de soixante soldats qu'il atta-
qua et tailla en pièces. Le bruit de cette attaque avertit les autres
postes ligueurs, qui tous presque aussitôt se trouvèrent l'ennemi sur les
bras. On combattit environ l'espace d'une heure : le colonel de Lure
(Gascon), qui refusait de se rendre, fut tué dans sa maison avec un grand
nombre de ses gens ; après quoi, la ville étant conijuise, Biron n'eut
plus qu'a y proclamer l'autorité du roi Henri IV.
Sur ces entrefaites Dijon, a l'exemple de Beaune, avait aussi pris les
armes pour venger la mort de son maire. Au premier bruit de ce mouve-
ment, le vicomte de Tavannes, l'un des jjrincipaux chefs ligueurs du
Pays, et qui venait d'épouser la belle-lille de Mayenne, était accouru
avec ses troupes, qui pénétrant incontinent dans la ville, refoulèrent les
480 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
bourgeois dans un seul quartier, où on était sur le point de les forcer.
Ceux-ci n'avaient pas d'abord voulu s'adresser au maréchal, et n'auraient
pas mieux demandé, que de pouvoir se passer de son assistance, parce
qu'ils ne craignaient pas moins les pilleries et extorsions de ses gens
de guerre, que celles des troupes ligueuses. Ils furent pourtant contraints
d'implorer son aide, et ils lui envoyèrent une députation. Biron accou-
rut. En peu de temps il eut repris tous les quartiers occupés par les
troupes du vicomte, lesquelles il repoussa, partie dans le château et
partie dans le fort de Talan, qui est a demi-lieue de la ville et où
Tavannes se retira lui-même. (Mézeray, p. 1119.)
Biron assiégea ces deux places tout à la fois ; mais alors il eut nou-
velle que le connétable de Castille, gouverneur du Milanais, avait eu
ordre de Philippe, d'entrer immédiatement en France, o quand même ce
serait a la perte et préjudice des provinces de Flandre et d'Italie, et d'y
faire tels attaquements, qu'ils convertissent en déplaisir l'audace et la
présomption du Béarnais et de ceux des Français, qui le reconnaissaient
pour le roi. » {Écon. royales de Sully, chap. xxx.)
En conséquence de cet ordre, ce connétable venait d'arriver en
Franche-Comté, où il avait déjà repris Vesoul sur les royalistes, et
maintenant il descendait en Bourgogne, 'a la tête de quinze mille fantas-
sins et de plus de trois mille chevaux. Biron ne se crut pas assez fort
pour résister seul, 'a cette nouvelle armée. Il écrivit donc à Sa Majesté,
la priant de s'acheminer en personne, en cette province et d'y venir pa-
rachever ce qu'il avait si heureusement commencé. Or madame Gabrielle
d'Estrées, était précisément de cet avis, afin que le roi, ayant conquis la
Franche-Comté, en donnât la propriété utile à un fils, qu'elle avait eu
l'année précédente, et la souveraineté honorifique à la Suisse, pour
engager les Cantons à ne pas s'opposer a un pareil arrangement. C'était
au reste le vieux chancelier Cheverny qui avait dressé ce projet : cet
homme grave, mais encore plus fin courtisan, s'était avisé, à l'exemple
de son royal maître, de faire aussi le galant, et il avait pris pour maî-
tresse madame de Sourdis, qui, l'ayant, ainsi que le disait le roi, en
plaisantant, « bien bridé et bien sellé, lui faisait faire tout ce qu'elle
voulait. » Comme madame de Sourdis était tante de Gabrielle, dont elle
partageait en quelque sorte l'influence, elle avait exigé cette démarche
de son vieil adorateur, et le roi parut d'abord s'y prêter assez volontiers.
{Amours du grand Alcandre, p. 26.)
Henri se mit donc en campagne, après avoir nommé une sorte de
conseil de régence, 'a la tête duquel il mit le prince de Conti, pour
tenir le gros des aff'aires en ordre dans le royaume, et surtout celles des
finances. Il comptait se faire bientôt une armée des diverses troupes
qu'avaient ses généraux dans ces provinces. L'a, il se croyait du reste
suffisamment gardé sur les frontières de Picardie et de Champagne par
l'armée du maréchal de Bouillon et par les Hollandais. Ainsi il crut pou-
voir, sans rien risquer s'éloigner de ses frontières du nord, d'autant
plus qu'il venait encore d'y envoyer le duc de Nevers et l'amiral de
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 481
Villars, nommant le i)rcmier commandant général de toutes les troupes
(|u"on pourrait réunir en ces quartiers, ce qui mécontenta d'abord tous
les autres généraux. (Mkzeuav, ubi sup.)
Arrivé en Bourgogne, il apprit que le connétable de Castille avait
fait faire un pont de bateaux à Gray, sur la rivière de Saône, et avait
déjîi traversé cette rivière. Il se mit tout aussitôt en devoir d'aller au-
devant de l'ennemi, avec un camp volant de (juinze cents bommes seule-
ment, alin de relarder sa marcbe et d'avoir le temps de faire un retran-
chement entre la ville de Dijon et le château où l'ennemi tenait toujours.
Son plan était alors, de laisser les bourgeois seuls continuer le siège de
cette forteresse, et d'aller lui-même, avec toutes les troupes qu'il pour-
rait ramasser, livrer bataille aux Espagnols, à quelques lieues de là,
dans un endroit qu'il avait déjà choisi d'avance.
En attendant, il s'était avancé avec son détachement jusqu'à une
lieue environ de Fontaine française. On vint lui dire que l'ennemi s'était
posté au village de Saint-Seine, avec toute son armée. Mayenne, qui
avait été au-devant du connétable espagnol, le |)rcssait de marcher en
toute diligence vers Dijon, pour secourir le vicomte de Ta vannes et le
château ; mais Mayenne n'était plus, comme on sait, en faveur à la cour
d'Espagne, et l'on ne voulait rien faire dans son intérêt. Aussi on le
laissa dire, et le connétable se tint dans son camp. (Caykt, Cfuwi nov
1595.)
Tout à coup on vint lui annoncer qu'on avait vu paraître de la cava-
lerie royaliste. Mayenne offrit de la faire attaquer par son lieutenant
Villars-Houdan, avec ses propres gens, si on voulait seulement les faire
soutenir, par quelques troupes espagnoles. Le connétable crut devoir lui
complaire en cette occasion, et lui accorda cinq compagnies de ciievau-
légers avec autant d'arquebusiers à cheval. \ illars partit avec ces troupes.
Il y avait entre les deux armées, une colline assez élevée qui les
empêchait de se voir : Villars monta sur celte éminence avec mille che-
vaux, et, de là, il aperçut la troupe du roi déjà rangée en bataille. Alors
il envoya dire aux Espagnols qui l'accompagnaient de se préparer au
combat. Ceux-ci répondirent qu'ils avaient des ordres contraires ; qu'ils
n'étaient envoyés que pour escarmouchcr contre les détachements enne-
mis, s'il s'en présentait, mais qu'ils n'avaient pas mission d'en^afrer
une bataille contre toute une armée. Vainement le lieutenant de Mavenne
leur représenta qu'il s'agissait de leur honneur, que celte prétendue
armée ne leur était pas même égale en nombre, que le combat était indis-
pensable et qu'il ne leur était plus même possible de se retirer, en pré-
sence de l'ennemi. Personne ne bougea.
Villars, désespéré, s'adressa alors au capitaine Samson, qui comman-
dait une compagnie de ces Es[)agnols etqui était un de ses amis intimes.
« Je vais atla(iuer seul, lui dit-il; abandonnerez-vous votre ami dans un
pareil danger? — Ma foi non ! » dit le capitaine, (jui se mit en devoir de
le suivre ; et aussitôt l'attaque commença sur la gauche de l'armée rovale
qui était commandée par Biron.
k
ï^- 31
482 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Aux premiers bruits de la mêlée, les autres chefs espagnols accou-
rurent, ne pouvant plus se dispenser de prendre part à l'action. Un
bataillon royaliste que commandait d'Assonville fut vigoureusement
enfoncé : Biron lui-même fut blessé a la tête, et les royaux commençaient
à plier ; mais en même temps le brave Villars, ayant reçu un coup de
mousquet dans le bras, fut obligé de se faire reporter au camp de
Saint-Seine, el les siens perdirent presque aussitôt l'avantage qu'ils
avaient conquis.
L'aile droite où était le roi fut attaquée, avec non moins de
vigueur par le capitaine Samson. Le combat y fut même plus acharné
que partout ailleurs. Le roi fut obligé de payer de sa personne. La Tré-
mouille et d'Elbœuf, s'étaient mis bravement au-devant de lui, pour le
couvrir de leurs corps, et « pour abattre, dit d'Aubigné, la rosée devant
Sa Majesté ; » ses plus fidèles serviteurs lui avaient même amené un
cheval de course et le conjuraient de mettre sa vie en sûreté. « Je
n'ai pas besoin de conseils, mais d'assistance, répondit-il. 11 y a d'ail-
leurs plus de péril a la fuite qu'a la chasse » et il continua de combattre.
Aussi, disait-il plus tard : « dans les autres occasions où je me suis trouvé,
je n'ai combattu que pour la victoire ; mais cette fois j'ai combattu pour
ma vie. » (Matthieu, 1. 11, liv, 4, p. 187. — Péréfixe.)
a Nos jeunes seigneurs, écrivit-il a sa sœur après la victoire, firent
merveilles pour la plupart ; quelques-uns se conduisirent un peu molle-
ment et d'autres tout a fait mal ; mais je ne veux nommer personne.
Ceux qui ont eu peur à une première affaire pourront 'a l'avenir montrer
plus de courage. » Après un long combat où Samson perdit plus de
trente de ses gens, il fut tué lui-même, et sa compagnie, le voyant
mort, prit incontinent la fuite. Le roi poursuivit les fuyards jusqu'à un
bois qui n'était pas éloigné, et dans lequel il n'osa pas s'aventurer, car il
savait qu'une grande partie de l'infanterie du connétable venait de s'y
loger. {Mém. de la Ligne, t. Vl.)
Au même instant, un grand nombre de seigneurs, à la tête des
troupes qu'ils avaient réunies chacun dans son canton, arrivaient au camp
de Sa Majesté. Le roi leur ordonna de s'emparer du champ de bataille
et de la colline, et s'en retourna 'a Lux-sur-Tille, pour y préparer de
nouveaux obstacles 'a l'invasion de l'ennemi. (Cayet, ubi sup.)
Mais quand le connétable de Castille sut que Henri IV était en per-
sonne dans la province, et qu'il avait même pris part au combat qui
venait d'être livré, rien ne put le décider à marcher en avant pour porter
secours 'a la garnison du château de Dijon. Dès le lendemain matin, au
contraire, il donna l'ordre de plier bagage et il se retira à Gray. La, telle
était son inquiétude, qu'il empêcha les troupes françaises amenées par
Mayenne, d'entrer dans la ville, les regardant comme suspectes, en sorte
que plusieurs, qui avaient pris part a la dernière affaire et qui se trou-
vaient dangereusement blessés, furent privés de tout secours, insultés et
pillés par les paysans, et finalement obligés d'avoir recours à l'armée
royale elle-même, qui les accueillit beaucoujj» plus charitablement que
i
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 483
n'avaient fait leurs alliés. Le roi envoya même un de ses chirurgiens
pour panser la blessure de MUars, en lui faisant faire compliment de
son courage. (Mézeray, ubi siip.)
Le duc de Mayenne perdit alors, tout espoir de conserver Dijon. Dans
toute la Bourgogne, il ne lui restait plus que Châlons, et s'il s'enfermait
dans celle ville, il courait risque de s'y voir bientôt assiégé. Dans son
embarras, il s'était déj'a décidé à se retirer dans le Piémont. Mais
Henri IV eut pitié de lui, et lui fit dire de ne plus se laisser abuser par
les fausses promesses des Espagnols ; qu'en attendant qu'il fit sa paix
définitive et qu'on convînt des conditions. Sa Majesté consentait qu'il
se retirât 'a Châlons, promettant qu'elle ne l'attaquerait pas sur la route,
et qu'elle n'assiégerait pas la ville tant qu'il y serait. Le duc accepta
avec empressement celte proposition, et réunissant le peu de troupes
qui lui restait encore, il se sépara de l'armée espagnole et se rendit à
Châlons, d'où tout aussitôt il commença 'a traiter sérieusement avec le
roi.
La citadelle de Dijon, de son côté, qui ne pouvait plus être secourue,
capitula de l'aveu de Mayenne lui-même, et le roi, maître de cette capi-
tale de la Bourgogne, y rappela le Parlement de la province, qui avait
été obligé de se transférer à Flavigny et ensuite à Sémur.
Les jésuites furent immédiatement chassés, conformément à l'arrêt
qui les exilait de tout le royaume.
a II est a noter en cet endroit, ajoute gravement Thistorien Matthieu,
qu'on voyait là, s'accomplir une vieille prophétie de sainte Brigide, por-
tant que les guerres de France, pour la rébellion des faux Français, fini-
ront par un choc ou bataille qui se donnera à La Fontaine, après quoi le
victorieux entrera dans Dijon, et en expulsera ses ennemis. » {Hist. des
derniers troubles.)
Le roi, voyant donc que la province de Bourgogne, lui était entière-
ment soumise; car il avait de bonnes paroles du duc de Mayenne, réso-
lut de marcher vers la Franche-Comté, pour voir s'il y avait moyen
d'accomplir ce qu'il avait promis 'a sa maîtresse, la belle Gabrielle. Il
s'approcha donc de Gray, où se tenait toujours retranché le connétable
de Castillc, et lui livra plusieurs attaques pour tâcher de l'attirer à une
bataille. Le douzième jour de juillet, il s'en fallut peu qu'il ne parvînt 'a ses
fins. La cavalerie ennemie était logée dans un village peu distant de la
Saône, et les chaleurs de la saison avaient rendu la rivière guéable en
cet endroit. Les Espagnols n'avaient mis qu'une centaine d'hommes
pour garder ce gué : soudain une troupe de cuirassiers royaux,
avec cinq cents arquebusiers, parurent sur l'autre rive et firent mine
de passer. Les Espagnols firent feu sur cette troupe et s'opposèrent
quelque temps au passage ; mais leurs munitions étaient épuisées, ils
furent obligés de se replier. Les Français gagnèrent hardiment l'autre
bord, où ils furent suivis par le maréchal de Biron, à la tête de cinq
cents autres chevaux. Alors la cavalerie ennemie, qui venait d'être avertie
de ce qui se passait, s'avança en toute diligence sous la conduite de
484 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Gonzague, pour repousser celte troupe et la rejeter de l'autre côté de la
rivière, car elle ne la croyait pas si nombreuse ; a Taspect de tout ce
monde qui avait déjà passé et qui s'avançait en bon ordre, elle perdit
courage et prit la fuite au premier feu. Un seul escadron, commandé
par Louis Malze, s'arrêta bravement pour faire face a l'ennemi. Mais les
Français, qui recevaient à chaque instant de nouveaux renforts, eurent
bientôt culbuté celle petite troupe de braves, et ce ne fut plus du côté
des Espagnols qu'un pêle-mêle épouvantable. Les fuyards rompaient les
rangs de ceux qui venaient du camp pour les soutenir, et les entraînaient
dans leur fuite ; mais comme il y avait un large fossé plein d'eau et de
boue qui séparait la plaine du camp, il en résulta un désordre encore
plus grand. La foule se précipita dans ce bourbier, où il se fit un mé-
lange d'hommes et de chevaux s'étouffanl les uns les autres, s'écrasanl
et s'enfonçant réciproquement, et ceux qui voulurent éviter ce danger
furent obligés de se rendre aux Français. Ceux-ci, qui voyaient l'infan-
terie du connétable, se mellre en bataille de l'autre côté de ce même
fossé, s'arrêtèrent enfin et attendirent (jue le roi avec le reste de ses
troupes, eût aussi traversé la rivière. (De Thou, t. XII, liv. 112, p. 569.
— Davila, t. III, liv. 14, p. 560.)
Le connétable n'osa pas risquer une bataille qui aurait été décisive.
Il profita de la nuit pour faire retirer ses troupes, les cantonner dans les
places fortes des environs, et abandonner tout le plat pays aux Français.
Nul doute que si le roi eût alors poursuivi son premier succès, il n'eût
conquis la Comté. Toutes les villes et même Besançon étaient déjà plus
qu'à demi subjuguées par la terreur ; mais les Suisses s'étaient ravisés ;
oubliant l'ancien grief qu'ils avaient d'abord si amèrement reproché a
leurs voisins, ils envoyèrent une députation supplier le roi, de retirer
son armée et de laisser ce pays dans la neutralité dont il avait toujours
joui. Comme Sa Majesté savait très bien, qu'elle ne pourrait longtemps
garder sa conquête sans l'assentiment des treize cantons, et que d'un
autre côté, la peste venait de se déclarer dans son armée, il lui fallut
bien consentir à s'arrêter, moyennant toutefois, une assez forte somme
d'argent pour payer les frais de la guerre, et dont Bezançon s'empressa
d'oflrir une bonne partie. (Mézerav, t. III, p. 1.125.)
Le roi s'en alla ensuite vers Lyon. Voici ce qui s'était passé dans
cette province : le duc de Nemours, après s'être échappé du château
de Pierre-Encise, n'avait pas perdu son temps. En moins de deux mois,
il était parvenu, a l'aide de ses amis, 'a assembler une armée de toutes
sortes de nations. Le duc de Savoie lui avait envoyé trois mille Suisses,
et il espérait bien, a l'aide de ces troupes, rentrer dans Lyon en triom-
phateur. Mais le connétable de Montmorency, qui voulait mériter par
quelque action d'éclat, Tépée fleurdelisée, dont le roi venait de le gra-
tifier, partit de son gouvernement de Languedoc, avec mille chevaux et
quatre mille arquebusiers, et vint se loger si proche de Vienne, où était
le duc, qu'il le bloqua en quelque sorte, lui et ses troupes, dans cette
ville, si bien que tous commencèrent à pâtir, tant de vivres que des
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 485
autres commodités qui leur défailla-ient. Les Suisses furent les premiers
a déserter, sous la conduite de leur colonel lui-même. Leur dessein était
d'aller hiverner a Montluel, à trois lieues de Lyon ; mais le connétable
les avait prévenus et s'était déjà, emparé de celte petite ville. Il leur
fallut pousser plus loin et aller rejoindre les troupes castillanes, qui s'ap-
prêtaient dès lors a entrer on France du côté de la Savoie. Pendant cette
marche, les rigueurs de la saison, ainsi que les fatigues du voyage,
caust^rent la mort de ce détachement presque tout entier. Montmorency,
sur ces entrefaites, avait découvert, (ju'il y avait quelque mésintelligence
entre les soldats du duc de Nemours et les bourgeois de la ville, et que
Disimieu, qui commandait dans le château Pipet, avait, en sa qualité de
gentilhomme dauphinois, embrassé chaudement le parti de ces derniers.
Le maréchal prolita habilement de cette circonstance pour faire entendre
a Disimieu que son devoir et son intérêt, étaient de servir le roi légi-
time, que presque toute la France avait reconnu, plutôt qu'un prince
étranger ; que par là il éviterait à la ville de Vienne, non seulement les
exactions d'une garnison sans règle et sans frein, telle que celle qui
l'occupait, mais aussi les misères, suites inévitables d'un long siège, et
les désordres qui sont le partage d'une ville prise d'assaut. Par aventure
le duc de Nemours, s'était alors rendu de sa personne près du conné-
table de Castille, qu'il espérait décider à venir avec son armée aux envi-
rons de Lyon, chose à laquelle il ne réussit pas, puisque le connétable
préféra aller tout droit en Franche-Comté. Disimieu donc, voyant l'occa-
sion favorable, était convenu de livrer Vienne, Les choses ainsi réglées.
Montmorency lit avancer huit cents arquebusiers et trois cents chevaux,
a la tête desquels il se mit en personne. Le colonel Ornano, avec cinq
cents arquebusiers et trois cents maîtres se joignit a l'expédition, et le
vingt quatrième jour d'avril, ces troupes parurent à la vue de Vienne,
sur l'heure de midi. (Cavet, liv. 7, ann. 1595.)
Disimieu avait eu la précaution d'envoyer dire, dès le grand matin,
aux commandants de la garnison qu'il avait à leur parler, et ceux-ci
s'étant rendus a cette invitation, il les amusa par des propos, pour leur
empêcher de connaître les mouvements des royalistes ; puis il leur
déclara sa résolution de remettre au roi la ville de Vienne et le château
Pipet. Ils hrent d'abord contenance de ne vouloir y acquiescer ; mais
quand il leur eut montré un sauf-conduit qu'il avait obtenu pour eux,
ils ne demandèrent que le temps de s'apprêter pour se retirer. On
leur donna une escorte pour les conduire jusqu'à Saint-Genix, en
Savoie.
Le connétable entra dans Vienne, parla porte d'Avignon et s'en alla
droit à la grande église rendre grâces à Dieu. Il lui restait pourtant
encore 'a occuper le château de la Bastie, où commandait un capitaine
savoisien ; mais celui-ci n'eut pas plus tôt vu le canon tourné contre lui
qu'il se rendit.
Le duc de Nemours, en apprenant celle trahison qui lui navra le
cœur, tomba malade de chagrin. Quelques-u)is disent que Disimieu,
L
486 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
redoutant sa vengeance, lui avait fait donner « le boucon », et sur ce
soupçon d'Albigny, un des plus grands amis du duc, vint d'Annecy
à Paris pour se battre en duel contre l'empoisonneur. La maladie du
malheureux prince était en effet bien étrange. Comme Charles IX,
il jetait le sang par tous les conduits de la nature et ses entrailles
étaient dévorées par un feu cuisant ; en peu de temps, il fut
réduit en un tel état, qu'on ne pouvait le voir sans être ému de pitié. Il
avait les yeux hâves et enfoncés, les regards lents et piteux, le teint
jaune et plombé, la peau sèche et collée sur les os ; il était sans mouve-
ment et presque sans respiration. Enlin après avoir langui ainsi quatre
mois, il rendit le dernier soupir avec la dernière goutte de son sang. 11
mourut à Annecy en Savoie. (Mézerav, t. III, p. 1117.)
DU l'HOTi:STANTISME EN FRANCK. 487
k
CHAPITRE XIX
1595. — ARGUMENT : état des affaires du roi dans le nord.
LES ESPAGNOLS ENTRENT EN CHAMPAGNE.
HOUILLON QUOIQUE BATTU EMPÊCHE DE PRENDRE LA FERTÉ-SUR-CHIERS.
MORT DE L'ARCHIDUC ERNEST.
LE COMTE DE FUENTES LUI SUCCÈDE ET ENTRE EN PICARDIE.
IL PREND LE CATELET. — BOUILLON LUI REPREND HAM.
FUENTES ASSIÈGE DOULLENS, BAT BOUILLON QUI VENAIT SECOURIR CETTE PLACE
ET LA PREND. — IL ASSIÈGE CAMBRAI. — LE DUC DE NEVERS Y ENVOIE SON FILS.
LES HABITANTS MÉCONTENTS DE BALIGNY OUVRENT LEURS PORTES.
LE ROI PART DE LYON ET VIENT EN PICARDIE. — IL ASSIÈGE LA FÈRE.
MORT DU DUC DE NEVERS. — MORT DU MARÉCHAL D'AUMONT.
EXPLOITS ET SUPPLICE DU BARON DE LA FONTENELLE. — LE COMTE DE MAGNANCE.
PRISE DE COMPER PAR LES FRÈRES D'aNDIGNY.
LA COUR DE ROME CONSENT A L'aBSOLUTION DU PAPE.
CÉRÉMONIES DE CETTE ABSOLUTION.
Il s'en fallait que les affaires prissent une tournure aussi avantageuse
sur la frontière du Nord : le premier soin des généraux auxcjuels le roi
en avait coniié la défense avait été de se disputer entre eux la suprématie
et de chercher a se nuire mutuellement. De plus, l'argent avait manqué
pour la solde des troupes, malgré les précautions que le roi avait prises
et qu'il croyait suffisantes. Le maréchal de Bouillon avait fait vainement
un voyage à Paris pour en demander lui-même a Sa Majesté ; il n'avait
pu obtenir qu'une somme si minime, que les Hollandais et Philippe de
Nassau lui-même prirent le parti d'abandonner l'armée. (De Thou,
liv. 112, t. XII, p. 549 et suiv.)
Quelques jours auparavant, le roi avait déjà perdu un des plus
braves capitaines de celte armée, destinée à de si grands revers. Le duc
de Longueville, qui avait donné tant de preuves de son dévouement à
Sa Majesté dans les moments les plus difficiles du commencement de son
règne, était allé visiter les places de son gouvernement de Picardie.
Comme il entrait a Doullens, les soldats de la garnison firent une
décharge de leurs armes pour saluer son arrivée ; mais nn des mous-
quels avait été chargé à balle et l'atteignit justement dans la tête.
(Mézeray, t. III, p. 1.150.)
Quelques-uns attribuèrcnl ce malheureux coup à une vengeance de
488 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Gabrielle, dont le duc avait, dit-on, été l'amant favorisé, et a laquelle il
n'avait pas voulu rendre les lettres d'amour, qu'elle liii avait écrites.
{Amours du grand Alcandre.)
Ceci se passait vers les premiers mois de l'année, et déjà les enne-
mis étaient entrés en Champagne, au nombre de quatre mille hommes
de pied et de trois mille chevaux, avec six pièces d'artillerie sous la
conduite du capitaine Verdugo, qui s'était fait un grand renom dans les
■guerres de Flandre. Cette armée s'approcha d'abord de Chauvency, qui
se rendit après avoir essuyé quelques coups de canon. Après ce premier
succès, Verdugo vint camper devant la Ferté-sur-Chiers. Au moyen
d'une écluse, une partie de la rivière coule dans cette ville, oii
elle fait mouvoir plusieurs moulins et forme une petite ile. Verdugo
éleva un camp retranché au-dessus de cette écluse, sur le penchant
d'une colline assez haute et il y lit mettre quatre canons en batterie.
Bouillon, qui était alors à Stenay, a deux lieues environ de la place
assiégée, partit sans retard avec ses troupes, et vint se poster sur une
autre colline escarpée de tous les côtés, a cinq cents pas au plus de
celle qu'occupait l'ennemi. 11 avait amené avec lui deux gros canons et
une couleuvrine. (Cayet, Chron. nov., liv. 6, ad. ann. 1595.)
Les ennemis avaient déj'a poussé leur tranchée jusqu'aux fossés de
la place, et leur batterie, qui n'avait cessé de tirer, avait déjà renversé
la moitié de la porte et tous les créneaux des bastions qui protégeaient
la ville de ce côté : la brèche était énorme. Le premier soin de Bouillon
fut de faire entrer dans la ville, par l'autre côté de la rivière, cinq cents
arquebusiers choisis, avec trente cuirassiers de sa compagnie. Ceux-ci,
se joignant à la garnison et aux habitants, se hâtèrent de fortifier la
brèche avec une grande quantité de décombres et de fumier.
Le maréchal, pour leur en donner le temps, faisait continuellement
tirer son canon contre le camp retranché des Espagnols. La rivière cou-
lait entre les deux armées, et quoiqu'elle fût peu profonde, il était assez
difficile de la traverser en présence d'un ennemi, parce que les bords
en sont escarpés des deux côtés. Vers les midi, Verdugo attaqua la
porte de la ville ; mais il fut vigoureusement repoussé. Il se décida
alors à pousser sa tranchée encore plus près de la muraille, et ce travail
dura cinq jours entiers, pendant lesquels il y eut un grand nombre de
petits combats sur les bords de la rivière, et les nôtres 'a la fin res-
tèrent maîtres du passage.
Mais les vivres manquaient au camp du maréchal, qui, faute d'argent,
ne pouvait en faire venir de Sedan, et la saison était trop peu avancée
pour que le pays pût nourrir ses troupes. Il se voyait donc dans la triste
nécessité de se retirer ; car ses soldats, qui ne recevaient plus ni paie
ni rations, commençaient h se mutiner. Il résolut donc de brusquer son
attaque contre les lignes ennemies.
Il lit passer ses troupes sur un pont qu'il avait fait construire pen-
dant la nuit : au point du jour, les retranchements espagnols furent
attaqués ; la cavalerie chargea avec une telle impétuosité, qu'elle pénétra
i
DU PROTESTANTISME EN FRANGE.. 489
jusqu'au milieu du camp ; mais la, ayant été entourée par l'ennemi qui
était (le beaucoup supérieur eu nombre, elle l'ut presque toute écrasée.
L'infanterie, qui, pendant ce tenips-la, combattait avec succès au pied du
retranchement et qui avait déjà commencé à en déloger ceux qu'elle
avait en tête, perdit tout aussitôt courage, en voyant revenir les fuyards,
de sorte, qu'elle commença a reculer et fit enlin sa retraite.
L'ennemi, pourtant, avait eu une si grande peur, en se voyant attaquer
si vivement, et il s'en était fallu de si peu que celte allaque n'amenât
sa ruine complète, (ju'aprés avoir demandé une suspension d'armes
pour enterrer ses morts, lesquels étaient au nombre de plus de quatre
cents, tandis que nous n'en comptions que cinquante au plus, il en pro-
fila pour lever le siège et se retirer a Montmédy. Houillou, de son côté,
venait de recevoir l'ordre d'aller, avec tout ce qu'il pourrait réunir de
troupes, soutenir le duc de Nevers, qui était déjà sur les frontières de la
Flandre. Il s'en alla en conséijuence passer la Meuse, et l'ennemi pro-
lita de son départ pour prendre la petite place d'Vvoi.
Cependant, l'archiduc Ernest, ([ue le roi Philippe avait fait vice-roi
des Pays-Bas, venait de mourir a Bruxelles, a la suite d'une lièvre vio-
lente accompagnée de convulsions. C'était, comme on sait, a ce prince,
que Sa Majesté catholique avait d'abord destiné la main de l'infante
Isabelle, afin de le placer sur le trône de France. Aussitôt qu'il fut mort,
le comte de Fuentes prit le commandement général, et vint se mettre 'a
la tête des troupes, à la place de Mansfeld, qui lut envoyé à l'armée de
Hongrie.
Fuentes lit tout d'abord ses préparatils pour reprendre Caml)rai : il
savait que les habitants et surtout l'archevêque étaient très mal disposés
envers Balagny, qui avait fait peser trop lourdement sur les uns le joug
de sa tyrannie et (|ui avait audacieusement dépouillé l'autre de tousses
revenus. Le général espagnol comptait donc bien que la ville lui serait
livrée, s'il pouvait seulement se mettre en état d'en faire le siège. A cet
efïet, il résolut de commencer par s'emparer des diverses places de la
frontière française, alin de couper le passage aux secours qui pouvaient
arriver de ce côté-là.
Il était déjà maître de La Capelle et de La Fère que le gouverneur
Colas venait de remettre entre les mains des Espagnols. Il alla mettre le
siège devant Le Catelet, (|ui n'avait qu'une garnison de quatre cents
hommes et un vieux commandant tout souffrant et tout couvert d'an-
ciennes blessures. En même temps, il parvint à introduire une garnison
espagnole dans la ville de Ham, et voici comment il s'y était pris. Gomnie-
ron, qui commandait dans cette place, tenait encore pour la Ligue.
On lui proposa de lui faire de grands avantages en argent s'il voulait y
recevoir les Espagnols. Gommeron, qui était extrêmement avare, goûta
cette proposition et il alla lui-même à Bruxelles avec ses deux frères
pour traiter directement de cette affaire, ne laissant dans la place que
sa mère avec d'Orvillers, gentilhomme de la province et dont il avait
épousé la sœur. Dès que Fuentes eut attiré l'avide gouverneur en sa
4
490 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
puissance, il le lit arrêter, lui et ses deux frères ; puis il lit dire a là
mère que si elle refusait d'admettre dans Ham, les troupes du roi
catholique, il lui enverrait au bout de trois lances les têtes de ses trois
enfants.
Comme on le savait homme a exécuter cette menace, la garnison fut
admise, et d'Orvillers obtint seulement de se retirer dans le château ;
mais il avait juré tout bas, de se venger de cette perfidie espagnole. Il
s'adressa secrètement au comte de Saint-Pol, gouverneur de la Picardie
pour le roi, et qui avait pour lieutenant le brave d'Humières. Saint-Pol
lit part de ces ouvertures au duc de Bouillon, qui vint lui-même jusqu'à
Saint-Quentin, pour tenir conseil sur une affaire d'une si haute impor-
tance, et il hit décidé qu'il fallait tout risquer, plutôt que de laisser
échapper l'occasion de reprendre la seule place par laquelle, on pouvait
encore faire parvenir des secours 'a Cambrai.
Bouillon amena donc ses troupes en Picardie. On convint que d'Or-
villers en ferait entrer pendant la nuit une partie dans le château, que
ce premier détachement descendrait ensuite dans la ville et enverrait
ouvrir la porte au comte de Saint-Pol, alin de placer l'ennemi entre
deux feux. Le plan ne put être si secrètement dressé que les Espagnols,
qui se méfiaient déjà de d'Orvilliers, n'en eussent quelque connais-
sance, et ils résolurent de se bien défendre en attendant l'arrivée du
comte de Fuentes, qu'ils envoyèrent prévenir. Ils commencèrent donc
par faire sans retard quatre barricades qui bouchèrent toutes les avenues
de la citadelle 'a la ville ; ils placèrent des soldats dans les greniers de
toutes les maisons avoisinantes, et ils mirent un fort corps de garde
dans le clocher de l'église Saint-Martin, d'où l'on découvrait au loin
toute la ville et la campagne.
D'Humières, vers le milieu de la nuit, entra, comme on en était
convenu, dans le château, 'a la tête de quatre cent cinquante hommes,
et Bouillon s'apprêtait 'a le suivre avec ses gardes et sa compagnie, quand,
ayant été découvert près de l'hôpital par des vedettes avancées, on cria
« aux armes ! » et l'ennemi tira sur nos troupes. D'Orvilliers fit alors
tirer sur la ville le canon de la citadelle, sous la protection duquel, les
royaux parvinrent 'a faire leur entrée et à s'établir dans le château.
Mais on n'était guère plus avancé ; car il ne fallait pas penser à
franchir les barricades, sous le feu culminant de ceux qu'on avait placés
dans les maisons, d'où ils pouvaient tirer à couvert. On fit un trou dans
la muraille d'une ancienne galerie du fort, et on sortit par cette nouvelle
issue, contre laquelle l'ennemi n'avait pu se précautionner. Sans qu'il se
fût aperçu de rien, les troupes se partagèrent en trois corps, et, passant
en grand silence par les petites rues, elles revinrent attaquer les Espa-
gnols en flanc.
Après un combat aussi opiniâtre que meurtrier, et au moment où on
était sur le point de s'emparer de la porte de Noyon, le feu prit aux
maisons voisines, qui n'étaient presque toutes que de bois et d'argile, et
le vent poussait les tourbillons de flamme et de fumée dans les yeux de
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 49i
nos soldats, ce qui les contraignit a reculer. D'Humières, en voulant les
rallier et les ramener a la charge, fut atteint à la tête d'un coup de
mousquet, parti du haut du clocher de Saint-Martin, et qui le renversa
mort ; mais, en ce moment, le duc de Bouillon avait de son côté fait
mettre le feu aux barricades des Espagnols : Tincendie se communiqua
jusqu'à la porte de Chauny. Là le vent le poussa aussi dans les yeux des
ennemis, qui furent obligés d'abandonner ce point.
Saint-Pol, put donc entrer dans la ville, avec le reste de l'armée. Les
Espagnols, entourés de toutes parts, s'étaient ralliés au faubourg Saint-
Sulpice, où ils se défendirent encore quelques heures. Alahn, pourtant,
ils demandèrent merci ; mais les soldats, irrités de la mort du brave
d'Humières, les massacrèrent tous sans pitié, et la ville fut livrée au pil-
lage. Quand le roi fut instruit de ce sanglant succès, il dit : « J'ai
perdu Monsieur d'Humières ! Ham me coûte alors trop cher ; je donne-
rais cette ville et dix autres pareilles, pour un homme de ce mérite. »
Le comte de Fuentes, apprit de son côté cette nouvelle, au moment
même où Le Catelet venait de se rendre, le vieux et impotent gouver-
neur ayant perdu courage, en voyant sauter le magasin à poudre, qui
contenait presque toutes les munitions nécessaires à la défense de la
place. Tout aussitôt le vaincjueur partit avec ses troupes et se dirigea vers
Ham. Comme il avait encore Gommeron en son pouvoir, il fît dire à la
mère et au beau-frère de ce malheureux gouverneur, que s'ils ne lui ren-
daient le château où ils étaient encore, il allait exécuter sous leurs yeux
la menace qu'il leur avait précédemment envoyé signifier. La mère se jeta
vainement aux genoux de d'Orvilliers, pour obtenir de lui, (ju'il sauvât
son (ils en rendant le fort ; celui-ci, qui craignait que Fuentes ne voulût
aussi se venger de lui, aima mieux remettre son commandement à Ses-
seval, l'un des principaux officiers de la nouvelle garnison royaliste de
la ville, et Sesseval, pour toute réponse, fit aussitôt tirer le canon de la
citadelle sur les Espagnols. Fuentes, furieux, fit couper la tête a Gomme-
ron à la vue de la garnison et se replia du côté de Péronne.
Son intention était de s'emparer de Doullens, et Bouillon, qui en
avait eu soupçon, venait d'envoyer dans cette ville quatre cents cavaliers
et huit cents arquebusiers, presque tous enfants des familles nobles du
pays. C'était le sieur d'Araucourt qui commandait la place. Les Espa-
gnols en commencèrent le siège le quinzième jour de juillet ; et il avait
été décidé qu'on attaquerait d'abord la citadelle, parce qu'une fois
maître de ce point, on l'était inévitablement de la ville. On dressa donc
(le ce côté des retranchements, qu'on garnit de plusieurs petits forts, et
on creusa des tranchées, qu'on conduisit jusqu'aux ouvrages avancés:
tout cela fut terminé en deux jours et deux nuits. On fit venir ensuite
d'Arras sept couleuvrines et on tira des garnisons voisines tout ce qu'on
put y prendre de soldats, dont on composa un corps assez nombreux
pour pouvoir l'opposer à Bouillon, au cas où, comme on n'en pouvait
douter, ce maréchal entreprendrait de troubler les opérations du
siège.
492 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Bouillon, en effet, était déjà en route avec Saint-Pol, l'amiral Villars,
Belin et Sesseval, pour venir secourir Doullens. Les Espagnols, en ayant
été avertis, jugèrent que le meilleur parti a prendre, était d'aller tous en
force, contre cette petite armée et de l'anéantir dans une seule bataille.
Ils ne laissèrent donc devant la ville, que ce qu'il fallait de troupes
pour défendre les lignes, et ils se mirent en route en ordre de bataille.
Bientôt ils aperçurent les nôtres qui n'étaient qu'au nombre de sept
cents cavaliers et de six cents arquebusiers ; car Bouillon ni les autres
chefs, n'avaient pas voulu attendre l'armée que leur amenait le duc de
Nevers, pour ne pas partager avec lui, la gloire du succès qu'ils espéraient
remporter. Quand les deux armées furent en présence, les Français
furent bien surpris de se savoir vis-a-vis un si grand nombre de com-
battants. Bouillon, néanmoins, fondit avec impétuosité sur l'avant-garde
de l'ennemi, et la mit en déroute ; mais il rencontra par derrière un
corps choisi d'Italiens, qu'on avait armés d'espontons ou demi-piques,
qui arrêtèrent son élan. Alors des arquebusiers espagnols, étant venus
se joindre a ce premier corps, firent un feu meurtrier, pendant que le
duc d'Aumale, qui s'était tout 'a fait rendu Espagnol, depuis sa con-
damnation par le parlement de Paris, attaquait en tlanc ses anciens
compatriotes.
Bouillon, qui, dans cette mêlée, était parvenu à maintenir ses rangs,
fit deux charges successives et enleva même un drapeau a l'ennemi ;
mais l'artillerie ayant commencé 'a tirer sur les siens, il fut à la fin,
obligé de se replier, pour rejoindre le corps commandé par Saint-
Pol.
Au moment où il opérait ce mouvement de retraite,' il rencontra Villars,
qui avec deux cents braves cavaliers qu'il avait amenés de Normandie,
accourait 'a la rescousse, et se disposait à charger la cavalerie flamande,
déjà en mouvement pour poursuivre Bouillon. « Compagnons, avait dit
l'amiral aux siens, voila précisément l'occasion que nous désirions depuis
longtemps, pour montrer notre atïection et loyauté envers le roi. En
avant donc et que chacun fasse comme moi ! »
Bouillon, le voyant en si bonne disposition : « Monsieur, lui dit-il,
ce qu'il faut surtout empêcher, c'est que l'ennemi n'arrive à notre
arrière-garde, car, étant peu nombreuse, tout serait alors perdu. Char-
geons donc avec résolution chacun de notre côté. » Villars, se croyant
secondé par l'escadron de Bouillon, s'avança résolument et au grand
trot. Il fut bientôt avec ses gens au milieu des ennemis ; mais Bouillon
ne l'avait pas suivi. Il fut entouré, et ayant été fait prisonnier, il fut inhu-
mainement massacré par ordre du cardinal d'Autriche, parce qu'après
avoir reçu de l'argent des Espagnols, il avait abandonné leur parti.
Belin, qui accourait avec un corps de troupes fraiches, pour soutenir
Villars son ami, fut également obligé de céder au nombre; mais il en
fut quitte pour être fait prisonnier, et on lui laissa la vie. Sesseval, qui
fut aussi pris, fut tué comme ayant pris part au massacre de Ham. La
plus grande partie des bagages et des munitions tombèrent au pouvoir
k
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 493
de l'ennemi, et les Espagnols firent un carnage épouvantable de leurs
malheureux prisonniers. fDAiniGNÉ, t. IV, cliap. x, p. i97.)
Saint-Pol et Bouillon, qui s'étaient rejoints, parvinrent cependant a
opérer leur retraite en assez bon nombre. Sur ces entrefaites, le duc de
Nevers, qui, de son côté, ainsi qu'il lavait promis, s'avançait a grandes
journées au secours de Doullens, et qui avait écrit qu'on l'attendit
avant de rien tenter, arriva au camp des royaux. Le jour même, il afïecta
d'aller se montrer aux ennemis a la tête de ses troupes, pour leur
prouver le peu de cas qu'on faisait de leur victoire ; mais, malgré cette
vaine bravade, quand le maréchal lui remit le commandement, suivant
l'ordre du roi : « Messire, lui dil-il, il est un peu tard pour avoir recours
à moi, après avoir rais vous-même, les choses dans un aussi mauvais
état. » On accusait en effet Houillon, d'avoir, en sa (jualité de protestant,
volontairement et sans autre motif sacrifié Villars, qui ne commandait
que des catholiques, et on prétendait que s'il fût revenu à la charge,
comme il l'avait promis, il aurait pu peut-être arracher la victoire aux
Espagnols, ou du moins sauver la vie a l'armée. (Buantômi;, t. III,
p. 268.)
Fuentes était revenu presser le siège de Doullens. La brèche lut
bientôt assez grande pour permettre de donner l'assaut. La citadelle fut
d'abord emportée, et comme on n'avait pas eu la précaution de se
retrancher de ce côté-la, dans la ville, l'ennemi n'eut plus qu'à descendre
do ce lieu élevé et à s'emparer d'une place dont la garnison ne songea
pas même à faire résistance. Les Espagnols, au cri de « vengeance à
nos frères massacrés à Ilam ! » passèrent sans distinction, tous les
Français au fil de l'épée. D'Araucourt et un petit nombre de gentils-
hommes, qui s'étaient réfugiés dans une église, eurent seuls, le bonheur
d'échapper à la mort et furent faits prisonniers ; puis Hernand Carrero,
qui avait la réputation d'être un vaillant capitaine, fut investi du com-
mandement de la place conquise. (Caykt, ubi sup.)
Fuentes crut alors, que le moment «était venu d'exécuter ses projets
sur Cambrai, et il se présenta devant cette place le treizième jour d'août.
La brèche fut immédiatement ouverte entre la porte de Selles et la
porte de Malles ; car les soldats espagnols, encouragés par l'espoir du
pillage d'une ville aussi riche que Cambrai, se portaient à ce siège avec
une ardeur inconcevable. D'un autre côté les bourgeois, trop mécon-
tents de Balagny, relusaient de marcher a la défense des remparts, et
celui-ci, qui n'avait qu'une garnison insuffisante, ne comptait plus que
sur les secours de l'armée française, qu'il avait envoyé prévenir de son
danger.
Les chefs de cette armée, après le désastre de Doullens, s'étaient
assemblés a Péquigny, pour se concerter sur les mesures 'a prendre dans
la situation présente. Ils ignoraient encore les projets de l'ennemi sur
Cambrai. On commença par de longues contestations, chacun rejetant
sur les autres, la perte qu'on venait d'essuyer et voulant faire prévaloir
ses plans pour l'avenir. Enfin on tomba d'accord que le comte de Saint-
494 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Pol et le maréchal de Bouillon, s'en iraient avec une partie des troupes
dans le Boulonnais, pour couvrir la frontière de ce côté-la, et que le duc
de Nevers, remonterait les deux rives de la Somme, alin d'approvisionner
et de rassurer les différentes places, qui nous restaient encore dans ces
parages.
Il alla donc en premier lieu à Amiens, qu'il trouva dans la plus
grande consternation, et il s'occupa d'abord a rendre le courage aux
habitants. De la il se rendit a Corbie, petite ville de peu de défense, et
sans considérer son rang, il voulut se charger lui-même, a cause de
l'importance de sa situation, de la mettre en état de soutenir un siège.
Après cela il partit pour Saint-Quentin, après avoir visité Péronne, qui
était sur sa route. (De Thou, iihisup.)
Ce fut a Saint-Quentin qu'il apprit que l'ennemi assiégeait Cambrai.
Il assembla les officiers qu'il avait avec lui, et blâma d'abord amèrement
la négligence et la témérité de ceux qui avaient eu avant lui le com-
mandement sur ces frontières. * Ils m'ont laissé, dit-il, une tâche diffi-
cile à remplir. Mais comme, en l'absence du roi, c'est sur moi, que tout
le monde a les yeux et appuie l'espoir de voir réparer tant d'imprudences,
je ne manquerai pas à mon devoir. » En même temps il donna l'ordre
au comte de Rhetelois, son fils unique, de prendre lui-même, le com-
mandement du secours qu'il destinait a Cambrai ; et de suite il fit partir
en avant quatre cents cavaliers et quatre escadrons de chevaux-légers,
qui se mirent incontinent en route, par une pluie battante. Leur guide,
soit par ignorance ou par trahison, leur fit prendre un mauvais chemin
qui les obligeait a traverser un ruisseau assez profond, ce qui leur fit
perdre beaucoup de temps et donna a l'ennemi averti par ses coureurs,
tout loisir de fermer les passages à cette avant-garde.
Mais, à la pointe du jour, le comte de Rhetelois parut dans la
plaine, amenant le reste des troupes destinées à cette expédition : la
cavalerie ennemie l'attendait en bataille. Le comte, laissant derrière lui
ses bagages qui furent en partie pillés, se jeta résolument sur l'une des
ailes de cette troupe, qu'il enfonça, et, sans s'arrêter, il entra dans Cam-
brai, où il fut reçu avec de grandes démonstrations de joie.
Cette résolution du duc de Nevers, d'envoyer son propre fils se ren-
fermer dans la place assiégée, ne laissa pas que d'inquiéter Fuentes,
qui comprit bien qu'un père ne laisserait pas longtemps une tête aussi
chère en danger. Pour couper le chemin aux nouveaux secours, qui pou-
vaient arriver de Péronne et de Saint-Quentin, il fit occuper et garder
soigneusement tous les passages qui conduisaient de ces deux villes à
Cambrai. Ayant pris de ce côté-là, toutes les précautions que sa pru-
dence lui fit croire nécessaires, il fit pousser la tranchée avec encore
plus d'activité, à l'aide de quatre mille pionniers qui travaillaient jour
et nuit. Il fit venir soixante-deux pièces d'artillerie, tant grosses que
petites, avec plusieurs couleuvrines et des munitions de guerre en
abondance, et s'étant muni de gabions, il fit descendre pendant une nuit
obscure plusieurs régiments dans le fossé qui était très profond ; mais
i
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 495
malgré la protection de ses batteries, (jiii ne cessaient de tirer, ils
ne purent s'y maintenir sous le feu des remparts , car la garnison avait
repris courage à l'arrivée du comte de Rhetelois ; les bourgeois eux-
mêmes n'osaient plus donner le moindre signe de mécontentement, et
de plus le brave Dominique de Vie, après avoir évité les gardes avancées
des Espagnols, était parvenu à se jeter aussi dans la place avec un
nouveau secours.
Fuentes délibérait donc déjà, s'il ne lèverait pas ce siège, qui allait si
mal pour lui, d'autant qu'on avait nouvelles certaines, qu'après avoir
assemblé un gros corps d'armée a Péronne, le duc de Nevers se dispo-
sait'a le conduire au secours de Cambrai; quand les bourgeois lui firent
secrètement offrir de lui livrer une poterne près la porte de Selles.
Cette proposition fut acceptée avec empressement, et les assiégeants,
s'étant glissés par cette entrée, parvinrent a se rendre maîtres de la
porte et de ses bastions, d'où ils braquèrent contre la ville deux fortes
batteries, l'une donc était composée de vingt-deux grosses pièces de
canon.
Balagny, croyant tout perdu, eut alors l'idée d'avoir recours a la belle
Gabrielle pour obtenir des secours plus puissants et plus prompts de la
part de Sa Majesté. Il lit dire à la maîtresse royale, que si elle voulait lui
procurer les moyens de conserver sa principauté de Cambrai, il s'olïrait
à la tenir k foi et hommage d'elle et de ses descendants. Ce fut précisé-
ment cette démarche qui hâta sa perte.
Ceux des habitants de Cambrai, qui n'avaient pas tout a fait épousé
les haines de leur archevêque, avaient aussi député au roi, de leur côté,
pour lui représenter qu'ils s'étaient en effet mis sous sa protection ;
mais qu'au lieu de cette protection sur laquelle ils avaient compté, on
leur avait donné un tyran, dont le joug leur devenait de plus en plus
insupportable. Ils demandaient donc qu'après la levée du siège, on les
délivrât de Balagny, qu'ils ne voulaient ni pour maître, ni pour gouver-
neur.
Le roi, déjà gagné par sa maîtresse, répondit qu'il ne pouvait se
rendre à un pareil désir, parce qu'il avait des engagements pris avec
celui, qu'ils s'étaient eux-mêmes et sans sa participation donné pour
souverain ; que cependant il ferait en sorte, que par la suite ils n'eus-
sent plus à se plaindre de lui ; qu'au reste son projet était d'aller bien-
tôt lui-même à Cambrai, pour prendre 'a ce sujet toutes les mesures
convenables.
Cette réponse, quand elle fut rapportée aux habitants, ainsi que la
démarche faite auprès de Gabrielle, par leur prince, mécontenta ceux-
mêmes qui tenaient encore pour les Français. Fuentes, qu'on eut soin
d'instruire de ce mécontentement, lit tous ses préparatifs, pour donner
l'assaut a la forte barricade, élevée devant la porte dont il était déjà
maître, et le comte de Rhetelois, se tint prêt à recevoir vigoureusement
cette attaque. Mais de part et d'autre, on se vit bientôt dispensé de
combattre. Les soldats de la garnison, qui étaient à la solde de la ville et
496 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
que Balagnv ne payait plus qu'en monnaie obsidionale, a laquelle 11
donnait un prix exagéré et qu'il avait trouvé utile de faire battre, quoiqu'il
eût de l'or plein ses coffres, commencèrent a se soulever et refusèrent
formellement d'obéir aux ordres qu'on venait de leur envoyer. Leur
exemple entraîna la révolte de tous les habitants, partisans de l'arche-
vêque et autres. On s'empara de la grande rue, dans laquelle on se bar-
ricada avec des chariots et d'autres matériaux, puis on courut a la porte
du Saint-Sépulcre, dont on se rendit maître ; on envoya le maire et l'un
des curés de la ville, régler tant bien que mal, une sorte de capitulation
avec Fuentes, et, pendant ce temps-la, Balagny, songeant plutôt 'a sau-
ver sa vie que sa dignité, s'était hâté d'aller se renfermer dans le châ-
teau où les Français, ne voyant plus que des ennemis autour d'eux, ne
tardèrent pas 'a aller le rejoindre.
Sa femme, plus brave que lui, se rendit dans la grande rue, et s'adres-
sant a la foule : « Que faites-vous, dit-elle, mes enfants ? Est-ce la crainte
d'un assaut qui vous épouvante ainsi ? Mais grâce à Dieu, votre ville est
assez torte pour se défendre longtemps encore ; les braves Français sont
toujours Ta, prêts à mourir pour vous, et l'armée du duc de Nevers va
arriver d'un instant 'a l'autre : quelques heures de courage et l'ennemi
sera contraint de s'éloigner honteusement. Est-ce l'argent qui vous est
dû, qui cause votre mécontentement? Je m'engage personnellement à
vous faire tout payer généreusement, » et en même temps, elle jetait a
la foule, des poignées d'or, dont elle s'était munie. Puis, se saisissant
d'une pique, qu'elle prit à un soldat : « Suivez-moi, ajouta-t-elle, je vais
vous donner l'exemple ! »
Il était trop tard. La capitulation était déj'a signée, et Cambrai s'était
rendu aux Espagnols, a condition que les habitants auraient une amnistie
générale pour le passé, qu'ils seraient exemptés du pillage et que
l'archevêque, ancien suzerain du pays, reprendrait cette souveraineté
sous la protection de Sa Majesté catholique.
Dès que ce traité fut connu, la foule courut ouvrir toutes les portes
'a l'armée espagnole. La citadelle seule, était encore au pouvoir des
Français, qui y faisaient bonne contenance ; mais ils manquaient de
vivres et de munitions ; l'avarice de Balagny, l'avait empêché d'appro-
visionner celte place. Us furent sommés de se rendre ; ils demandèrent
trois jours pour pouvoir avertir le duc de Nevers, qui commandait pour
le roi sur cette frontière. Ce délai leur fut d'abord refusé avec hauteur ;
mais quand Fuentes, les vit se préparer bravement a mourir les armes 'a
la main, plutôt que de rien faire contre l'honneur du nom français, il
consentit a leur demande, par égard, dit-il, pour la jeunesse de monsieur
le comte de Rhételois, dont il estimait beaucoup le père.
Enfin, cette garnison ayant reçu ordre du roi lui-même, de capituler,
obtint, qu'elle sortirait avec ses armes, bagages et munitions, la
cavalerie et l'infanterie en ordre de bataille et portant ses enseignes
déployées ; que les malades, les blessés restés dans la ville et les pri-
sonniers seraient rendus sans rançon ; qu'il serait libre a tous ceux des
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 497
bourgeois qui voudraient les suivre de se joindre a eux avec leurs che-
vaux, chariots, charrettes et bagages, et que les habitants tiendraient le
gouverneur, qui allait aussi partir, (juilte de tontes les dettes qu'il avait
pu contracter dans le pays, sans pouvoir retenir ni lui, ni aucun des
siens, ni aucun des meubles en dédommagement.
Ces conditions ayant été réglées, on se disposa au départ ; mais
madame Balagny, après avoir accablé son mari de reproches de ce qu'il
était assez lâche pour survivre a sa fortune, jura qu'elle ne sortirait pas
vivante d'une ville où elle avait été souveraine, et refusant toute nour-
riture, elle se laissa mourir de rage et de douleur.
Pour son mari, il suivit tran((uillemcnt les Français, emmenant avec
lui une jeune l'emme du pays, dont il avait lait sa maîtresse, et comme
un officier espagnol paraissait s'indigner d'une telle impudence : « Ne
savez-vous pas, lui dit l'ex-souverain de Cambrai, que l'amour console
des revers de la fortune ? — Alors, vous faites sagement, répondit
l'officier, d'autant qu'a présent vous aurez tout le temps de vous con-
soler avec l'amour ; car je pense bien que vous n'aurez plus beaucoup
d'affaires sérieuses pour vous troubler dans un si noble passe-g
temps. » (Matthieu, t. II, liv. 2, p. 219.)
Ce fut ainsi (|ue la France perdit Cambrai, qu'elle ne put recon(jué-
rir que bien des années après.
Le roi était alors a Lyon, et les Lyonnais lui avaient fait une entrée
magnifique. On l'avait fait passer sous des arcs-de-triomphe improvisés
en son honneur; et il avait essuyé un déluge complet de harangues
adulatrices, (ju'il écouta d'autant plus bénévolement qu'il venait de rece-
voir d'excellentes nouvelles touchant sa future et complète réconciliation
avec Rome. D'autre part, il voyait ceux des chefs qui restaient encorea
la Ligue presque tous réduits 'a traiter de leur soumission. (Cavet, liv. 7.)
Ce fut en effet en ce temps-la qu'il reçut 'a foi et hommage le sieur
de Bois-Dauphin, lequel tenait encore les villes de Sablé et de Châleau-
Gonlhier, ainsi que plusieurs autres châteaux sur les frontières de la
Bretagne. Outre une amnistie pour le passé et la rcslituiion de tous ses
biens, charges et bénéfices, Henri accorda 'a ce seigneur le bâton de
maréchal de F'rance. Il offrit également une trêve au duc de Mercœur,
afin de laisser le temps de régler les conditions d'un arrangement défi-
nitif, pour lequel la veuve de Henri IH, sœur de ce duc, et plusieurs
autres personnes de considération, s'employaient activement, et si
Mercœur hésitait encore, ce n'était pas par attachement pDur les Espa-
gnols, contre lesquels il avait plus d'un sujet de mécontentement, mais
c'est qu'il lui répugnait de renoncer 'a son projet de se rendre souverain
de la Bretagne ; Saint-Sorlin, (|ui venait de succéder aux biens et à la
qualité du duc de Nemours, son frère, avait tout aussitôt fait sa soumis-
sion ; et Mayenne, comme on l'a vu, n'était plus à craindre. Aussi Sa
Majesté croyait-elle n'avoir enfin plus rien 'a laire qu'a se délasser dans
les plaisirs de tant de combats et de travaux passés. (Mézehav, t. 111,
p. 1126 et suiv.)
IV. 32
498 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
La belle Gabrielle s'était donc empressée de venir rejoindre la cour
a Lyon, et tel était l'ascendant de cette femme sur l'esprit du roi, que si
l'on voulait avoir les bonnes grâces de l'amant, il fallait d'abord acheter
celles de la maîtresse. On a vu quelles propositions lui avait su faire
Balag-ny, et que ces propositions furent en partie la cause de la perte
de Cambrai. Mayenne, a son tour, députa le courtisan Jeannin 'a la
royale courtisane, pour la prier de vouloir bien s'entremettre en sa
faveur auprès du roi. Il lui représentait qu'elle se ferait par la un grand
mérite aux yeux de Sa Sainteté, en se déclarant ainsi la protectrice de
ceux qu'il appelait les princes du parti catholique. De plus, il s'enga-
geait, tant en son nom qu'en celui de tous ses amis, a défendre envers
et contre tous les enfants qu'elle avait eus du roi, et 'a les placer sur le
trône, malgré les princes de la maison royale. On verra plus tard ce
que lui valurent ces flagorneries. (De Tiiou, ubi siip.)
Pour le moment, le plus pressé était d'aller bien vite rassurer nos
frontières du nord, dont le roi, au milieu de toutes les jubilations de ses
autres succès, venait d'apprendre les inquiétants désastres. Il partit donc
pour Amiens, et comme il avait dessein de réparer par quelque coup
d'éclat le tort que tant de pertes faisaient à sa réputation, il entreprit le
siège de La Fère. Le prince d'Orange lui avait envoyé douze belles com-
pagnies de cavalerie avec deux mille hommes de pied, et la reine d'An-
gleterre, en vertu de sa vieille haine contre Philippe, avait consenti aussi
'a grossir le camp royal de quatre mille de ses Anglais. Le siège fut mis
devant la place au commencement de novembre. (De Tiiou, ubi supra.)
Le duc de Nevers, dont la santé était assez mauvaise depuis quelque
temps, par suite des fatigues et des inquiétudes que lui avait causées
cette malheureuse guerre, mourut en ce temps-là. Son mal avait été
gravement augmenté par un reproche sanglant que lui ht le roi. Comme
on tenait un conseil de guerre, pour savoir s'il n'était pas à propos d'aller
de suite reprendre Cambrai avant de laisser à l'ennemi le temps de
s'y reconnaître et de s'y fortifier, le duc voulut représenter qu'une
pareille tentative serait non seulement inutile, mais dangereuse. « Cela
peut être votre avis, monsieur, reprit Henri, car vous n'avez osé appro-
cher de ce prétendu danger que de sept lieues tout au plus. » Cette
mordante apostrophe fut comme un coup de poignard dans le cœur du
pauvre duc. Il se mit au lit, et n'en sortit plus que pour être porté dans
la tombe. Il n'était âgé que de cinquante-six ans. (Mézeray, ubi supra.)
Cette même année (1595) vit aussi finir la carrière du maréchal
d'Aumont. Une espèce de peste sévissait alors dans Quimper. Elle se
déclarait par un grand mal de tête et de cœur, et, ordinairement, en
trois jours elle emportait le malade. Le nombre de ceux qui moururent,
tant bourgeois que soldats, fut si considérable qu'il n'y avait plus de
place dans les cimetières pour les enterrer. « Aussi, disaient les
Ligueurs, était-ce Ta une juste i)unition de Dieu, irrité de ce que la ville
s'était soumise à un roi excommunié de la propre bouche de notre
Saint-Père le Pape. » (Moueau, chap. xxxiv à lx.)
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 499
Le Maréchal, (|ui avait la son armée, ne voulut pas la laisser se con-
sumer tout entirrc par la maladie. Il résolut de se remettre en
campagne, d'autant qu'il venait d'apprendre (ju'on ce même temps Mer-
cœur, rejoint par une grande troupe d'Espagnols, menaçait déjà Mont-
contour et Lamballe. Il s'achemina donc du côté de Carhaix, et sur sa
route il assiégea Corlay, où s'était retirée une bande de pilleurs sous la
conduite de ce même baron de La Fontenelle, qui avait déjà commandé
au (iranec. Cet homme, se voyant investi |)ar une armée aussi nom-
breuse, se rendit de bonne grâce, et on lui permit de se retirer avec
tous ses bandits au manoir de Crémenet, où il contiima ses pilleries et
ravages accoutumés.
De la, le maréchal, continuant sa route a travers pays, en se. dirigeant
vers Rennes, vint mettre le siège devant le château de Comper. C'était
la duchesse de Laval (|ui l'attirait de ce côté ; car, cpioiqu'il eût soixante
ans passés, il avait formé le projet d'épouser celte belle et riche veuve.
L'entreprise contre le château de Comper, en ertet, ne pouvait avoir été
inspirée que par un pareil motif; car la place était forte, située sur des
l'ochers où il est impossible de praticpier ni sape, ni tranchée, et le duc
de Mercœur, outre la garnison ordinaire, y avait envoyé quatre cents
hommes d'élite et cinquante de ses cuirassiers. Mais M'"" de Laval sou-
haitait avec ardeur qu'on lui rendit ce château, qui avait fait partie de ses
domaines, et son vieil amant n'avait rien a lui refuser.
Pendant qu'il était occupé îi faire prendre position a ses troupes, un
coup d'arquebuse tiré du château l'atteignit et lui cassa les deux os
entre le coude et le poignet. « Pour cette fois, j'en liens, » s'écria le
maréchal. C'est tout ce qu'il put dire : on l'emmena à Rennes, où était
la duchesse, et où il mourut de cette blessure, bien que le coup ne fût
pas mortel, s'il eût voulu se gouverner lui-même, un peu mieux qu'il ne
lit : aussi placarda-t-on, à sa porte même, plusieurs brocards que leur
cynisme m'empêche de transcrire ici.
Mais revenons au baron de La Fontenelle. Ce hardi « et folâtre gentil-
homme », comme l'appelle Moreau, ne se trouvait pas à l'aise dans le
manoir de Crémenet, et il songeait a se rendre maître d'un poste plus
important. Ce fut sur Douarncnez qu'il plaça ses vues : il y avait là, pour
commandant, au nom du roi, un sieur Cuingat, grand homme de bien
au demeurant, mais fort peu versé dans le métier des armes. Ce bon
homme, (jui lâisait son compte qu'on l'avertirait en cas de danger, se
tenait pour être plus tranquille dans l'ile Tristan, espèce de récif situé à
une très petite distance à l'ouest de la ville.
Ce fut précisément, ce récif que La Fontenelle atta(iua de prime
abord, et au milieu de la nuit. Le commandant, qui dormait tran(juille-
ment, fut fait prisonnier dans son lit, et presque aussitôt la ville hit
prise. La Fontenelle y trouva un grand butin, d'autant (ju'il y avait grand
nombre de riches marchands, et (jue ceux du plat pays, noblesse ou
autres, y avaient mis en dépôt, comme en lieu sûr, tout ce qu'ils
avaient de meilleur.
500 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Ayant ensuite reconnu l'île Tristan pour une bonne place de retraite,
il s'y établit avec les siens, à la barbe des garnisons de Quimper, de
Concarneau, de Pont-l'Abbé et de Brest, sans qu'aucune d'elles se
remuât pour l'en empêcher.
Les communes seules, voyant de quelle importance il était pour
elles de ne pas laisser ce chef de voleurs dans un poste d'où il pouvait
impunément ravager toute la contrée à la ronde, se mirent en armes
pour venir l'en débusquer ; mais La Fontenelle vint 'a leur rencontre,
et leur ayant tendu un piège sur le chemin, en faisant cacher ses sol-
dats derrière les haies, il tomba a l'improviste sur ces malheureux paysans
et avec si grande furie, qu'il en tua phjs de quinze cents.
Enorgueilli de celte victoire, il se mit alors à trancher du seigneur,
imposant tailles et corvées, sur toutes les paroisses à sept lieues 'a la
ronde et jusqu'aux portes de Quimper.
Ensuite, ayant vu que ceux de Penmarch cherchaient 'a se fortifier
contre lui, il s'en alla lui-même au milieu d'eux, leur disant qu'il était
leur grand ami, et il se mit 'a boire et 'a jouer aux quilles avec eux ; mais
pendant ce temps-La ceux des siens dont il s'était fait accompagner
avaient soin de prendre une connaissance exacte des endroits forts et
faibles de la ville, après quoi La Fontenelle, ayant fait les plus belles pro-
testations, s'en retourna 'a Douarnenez.
Au bout d'un mois il revint ; mais cette fois, ce ne fut pas pour
jouer aux quilles ; il amenait toute son armée de coupe-jarrots. « Mes
bons amis, dit-il aux habitants, quand il fut assez prêt de leurs fortifi-
cations pour se faire entendre, vous savez que je suis tout vôtre, et
votre protecteur ;je ne viens point pour vous affronter; mais j'ai besoin
pour votre défense et pour la mienne de prendre une connaissance
exacte de celle côte. Laissez-moi donc entrer sans crainte. » Tout le
monde s'était porté de ce côté de la muraille, pour entendre ce que ce
harangueur avait 'a dire ; c'était sur quoi le folâtre baron avait compté, et
pendant (ju'il amusait ces imprudents de belles protestations, une partie
de ses gens, pénétrant par un point dont la commodité avait été reconnue
d'avance et où il n'était plus resté personne, se trouvait déjà derrière
les écouteurs. Ces brigands en tuèrent tant qu'il leur phit, et firent le
reste prisonniers. Le butin fut considérable, et entre autres choses les
vainqueurs eurent grand soin de s'emparer d'une grande quantité de
navires, barques et bâtiments de toute grandeur, qui se trouvaient dans la
baie et sur lesquels ils chargèrent tout ce qu'ils avaient pillé, pour le
transporter 'a Douarnenez.
Le principal massacre eut lieu dans l'église ; mais il est 'a remarquer
que ce fût un châtiment de Dieu, a cause des irrévérences que les habi-
tants avaient commises dans ce saint lieu ; car lorsqu'ils avaient fortifié
leur ville, ils avaient transformé le temple du Seigneur en citadelle, et
la plupart d'entre eux avaient transporté leur lit dans la nef, où ils cou-
chaient pèle mêle, hommes, femmes et enfants. Or, il s'était commis là,
jusqu'au pied du grand autel, bien des irrévérences, voila pourquoi la
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 501
juslicc divine voulut qu'ils lavassent et nettoyassent de leur sang la pro-
i'analion par eux commise. Après ce désastre, il ne resta plus de Pen-
march que des ruines et des pierres éjiarses, seule preuve aujourd'hui
de son étendue et de sou importance passée.
Cet exploit, digne d'un véritable clielde brigands, jeta la consternation
dans toute la contrée. Ceux de Cap-Sizun et de Pont-Croix, craignant un
pareil traitement, avisèrent aussi (|u'il n'y avait pas de plus bel expédient
que de se fortifier également dans leur église de Notre-Dame de Koscudon,
se promettant bien de se défendre un peu mieux (pie leurs voisins n'avaient
fait. La Fonlenelle, bien averti de tout, s'achemina de ce côté avec sa
bande. Le tocsin sonna incontinent à toutes les paroisses du voisinage,
et les paysans accoururent en foule en la ville de Pont-Croix, qu'ils
barricadèrent de leur mieux, car il n'y avait pas de remparts. L'ennemi
eut bientôt franchi leurs tranchées et barricades. La foule alors se dis-
perse en désordre et regagne les champs. Le commandant de la place,
accompagné seulement de quehiues gentilshommes et d'un petit nombre
de bourgeois, a a peine le temps de se retirer dans l'église, (ju'on avait
fortifiée.
La Fontenelle les fit investir, et comme les armes et les munitions
manquaient aux assiégés, ils furent presque aussitôt forcés et faits pri-
sonniers pour être mis a rançon. Les plus résolus parvinrent pourtant 'a
se réfugier dans la tour, où ils se disposèrent a se défendre jusqu'à la
mort.
Le baron les y attaqua le soir même, mais vainement, car cette
tour, étant de belles pierres de taille, n'a qu'une seule entrée fort étroite,
(pie deux a trois hommes peuvent aisément défendre a l'abri, et avec
leurs épées seulement. Fontenelle alors fit faire un amas de genêt vert
et y lit mettre le feu, espérant étouffer les assiégés par la fumée; mais
cela ne lui réussit pas encore, car les fenêtres de la tour leur fournis-
saient assez d'air.
Considérant donc qu'il n'y avait moyen de prendre cette tour que
par le canon et la famine, ce qui aurait été beaucoup trop long pour sa
propre sûreté, il proposa de parlementer : on convint que les assiégés
sortiraient vie et bagues sauves, et il confirma cette capitulation par un
serment solennel. Les malheureux, comptant sur ce serment, abandon-
nèrent leur asile et vinrent saluer leur vainqueur. Le commandant, qui
avait sa lemme avec lui, marchait le premier. Quand le chef des bri-
gands vil (ju'ils étaient tous dehors, et que les siens étaient maîtres de
la tour, il ordonna qu'on pendit tous ces pauvres gens, et, par uu rali-
nement de cruauté, il voulut que d'abord la femme du commandant fût
violée par ses soldats, en pleine rue et a la Aice de son mari,
La Fontenelle, chargé de butin et emmenant ses captifs, revint à
son fort de Douarnenez ; et là, pour se distraire, en attendant de nou-
velles occasions d'augmenter ses richesses, il soumit ses prisonniers 'a
des traitements si barbares, qu'ils curent a regretter de n'être pas morts
les armes a la main ; il les renfermait dans des cachots infectes et sans
502 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
lumière, ou la vermine et la pourriture les rongeaient jusqu'aux os.
Tantôt il les forçait tle s'asseoir sur un trépied brûlant et s'amusait de
leurs contorsions ; d'autres fois il les faisait plonger en plein hiver dans
des cuves d'eau gelée : aussi la plupart périrent-ils dans ces tortures,
et ceux qui furent assez riches pour se racheter a prix d'or ne gagnè-
rent-ils que d'aller mourir chez eux, par suite des traitements atroces
qu'ils avaient endurés.
Lui, cependant, se voyant bien logé, dans une bonne forteresse qu'il
réputait imprenable, se déclara tout a fait indépendant, et quoique dans
le commencement il eût cherché 'a couvrir ses entreprises, du prétexte
qu'il était catholique et du parti du duc de Mercœur, il commença dès
lors 'a faire fort peu de cas des ordres de ce seigneur.
L'idée lui vint de prendre femme. A cet effet, il partit un jour bien
accompagné et s'en alla à Mezarnou, où il enleva de force la tille de la
dame du lieu. C'était un enfant de neuf ans au plus ; mais elle était
héritière unique d'une grande fortune, et il l'emmena dans son fort où
il l'épousa.
11 voulut aussi étendre ses brigandages jusque sur la mer ; comme
il avait plusieurs vaisseaux, il les équipa en course, et cela lui valut
aussi de riches dépouilles, car ses pirates eurent la chance de rencon-
trer plusieurs bâtiments de commerce appartenant aux Anglais, et ils
s'en emparèrent après avoir tué ou jeté a l'eau tous ceux qui les mon-
taient.
Ce fut alors qu'il lui prit la fantaisie d'aller à Nantes se faire voir
dans tout son nouvel éclat au duc de Mercœur lui-même ; mais comme il
ne put y aller par terre, parce que tout le pays était déjà réduit sous
l'obéissance du roi, il s'embarqua sur ses vaisseaux, et, pour mieux
paraître, il s'était fait faire des habits somptueux. Il portait un manteau
tout fourré d'hermines, garni d'une infinité de perles et de pierreries,
tel, en un mot, (pi'un monarque n'en aurait pas dédaigné un pareil, le
propre jour de son sacre ; ce que voyant, le seigneur duc ne put
s'empêcher de dire en raillant : « Baron, combien de pauvres gens ont
dû payer de leur sang et de leur fortune ce beau manteau ? »
Quand il fut de retour 'a Douarnenez, il eut encore le bonheur de
forcer a se retirer avec pertes le gouverneur de Brest, qui, sur les
plaintes de toute la contrée, étaitjvenu avec sa garnison et un grand
nombre de noblesse pour nettoyer cette caverne de brigands. Puis
devenu toujours plus superbe après cette victoire, il éleva ses vues jus-
qu'à s'emparer de Quimper, et pour cela il commença par se procurer
'a prix d'argent des intelligences parmi les soldats qu'on y avait laissés
en garnison. Ce ne fut pas bien difficile, car c'étaient tous gens de
sac et de corde, ramassis de tous les pays du monde. Entre ces hon-
nêtes gens et la Fontenelle, il fut convenu qu'on tuerait tous les hommes
de la ville, et qu'ensuite chacun se choisirait une épouse parmi les
femmes et les filles, suivant son bon plaisir.
Or, monsieur de Saint-Luc, qui avait été lieutenant du maréchal
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 503
d'Aumont, avait pris après la mort de ce grand capitaine le commande-
ment de l'armée royale, et par hasard il arriva en ce lemps-la a Quim-
per, pour voir comment on s'y gouvernait. 11 ne fut pas longtemps sans
avoir quelque soupçon de la machination (jui se tramait. Il fit venir a
part le capitaine Clou, qui lui était signalé comme un des fauteurs de ce
com[)lot ; car on savait qu'il avait eu plusieurs conférences secrètes et
de nuit avec le baron. Le capitaine répondit qu'il n'avait jamais eu
d'autre projet que de se saisir de ce chef de brigands pour le livrer
pieds et poings liés 'a la justice. Il supplia qu'on le laissât faire et que
])lus tard on reconnaîtrait la droiture de ses intentions. Sa requête lui
fut octroyée et il s'en alla au manoir de Kerguelen 'a cinq lieues de
Quimper et 'a une lieue de Douarnenez, bien disposé a satisfaire à ce
qu'il avait promis a son supérieur.
Continuant donc de feindre qu'il était un des plus chauds acteurs de
la trahison méditée, il écrivit a La Fontenelle qu'il revenait de la ville, où
il avait trouvé tous les amis fort bien disposés; qu'il ne restait plus
qu'à conférer sur quelques petits articles de détail, et, pour cela, il lui
assigna un rendez-vous, le priant de s'y rendre avec peu de suite, pour
ne pas éveiller les soupçons, et promettant de s'y trouver lui-même avec
un seul laquais.
La Fontenelle donna dans le piège : Clou avait eu la précaution de
faire cacher d'avance, dans le lieu désigné pour l'entrevue, une trentaine
d'arquebusiers, et, sitôt que le baron, accompagné de son lieutenant,
autrefois cordonnier de son état, eut mis pied a terre, les soldats, sortant
de leur embuscade, se jetèrent sur lui et le firent i)risonnier ; le lieute-
nant eut seul le bonheur d'échapper.
Ceux de Quimper et de toutes les autres villes de la contrée, bien
réjouis d'une pareille capture, supplièrent M. de Saint-Luc de livrer ce
chef de bandits a la justice, pour que son procès lui fût fait et parfait,
attendu qu'il avait commis assez de crimes pour mériter de passer par
les mains du bourreau ; mais Saint-Luc, alléché par l'appât du gain, aima
mieux le considérer comme prisonnier de guerre, et exigea de lui pour
sa rançon quatorze raille écus d'or, que La Fontenelle s'empressa de
payer, puis il revint 'a Douarnenez, plus insolent et plus féroce que
jamais.
Four ne pas interrompre l'histoire de ce noble brigand, je laisserai
ici de côté l'ordre chronologique, et j'ajouterai de suite ce que les chro-
niques du temps nous ont rapporté de ses faits et gestes et de sa fm
malheureuse.
La Fontenelle tenait toujours a son projet sur Quimper, et surtout
'a se venger du capitaine Clou. Dès que Saint-Luc se fut éloigné, il
renoua ses intelligences avec ceux de la garnison qu'il avait déjà gagnés,
et qu'on n'avait pas même pris la précaution d'éloigner. Mais il avait lui-
même dans sa bande un certain capitaine Pareille, lequel avait épousé
la nièce d'un chanoine de la cathédrale. Ce Marcille donnait a son oncle
des renseignements très précis sur tout ce (ju'il pouvait découvrir de
504 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
préjudicialile a la ville, et par ce moyen, il fil manquer plusieurs surprises
que Fontenelle avait habilement préparées.
Celui-ci, ne se doutant pas que tous ses projets étaient communiqués
a l'ennemi, prit enfin la résolution d'obtenir par force ouverte ce qu'il
n'avait pu gagner par adresse ; et, ayant réuni toutes ses troupes, qui pou-
vaient bien se monter à mille ou douze cents hommes, il marcha contre
Quimper, en plein jour, enseignes déployées et tambour battant; il
comptait sur l'appui de presque toute la garnison, qu'il avait achetée
d'avance, officiers et soldats : Marcille fit parvenir l'avis de cette nou-
velle tentative.
La bourgeoisie fut en grand émoi, car elle était prévenue qu'elle
avait a se garder tout a la fois contre l'ennemi du dehors et contre
celui du dedans. On passa toute la journée et toute la nuit en armes,
car on se méfiait même du gouverneur, le sieur du Pou, qui, n'étant rien
moins qu'homme de guerre, n'avait aucun crédit, ni sur l'esprit du sol-
dat, ni sur celui des habitants.
Enfin, le matin, sur les dix heures, on aperçut l'armée des brigands,
qui n'était plus qu'a trois quarts de lieues de la ville ; ils se faisaient
précéder et suivre d'un grand nombre de chariots vides, pour remporter
leur butin, tant ils comptaient sur le pillage de Quimper.
Chacun se mit en mouvement a cet aspect ; les uns coururent aux
remparts, les autres aux portes ; mais chacun en même temps ne lais-
sait pas que de regarder derrière soi, se méfiant des traîtres dont on
savait que la ville était pleine.
Par bonheur, ce jour-la même, le seigneur de Kérollain, vaillant
gentilhomme du voisinage, était arrivé 'a Quimper où l'appelaient quel-
ques affaires. Il ne faisait que de descendre 'a son auberge du Lion-
d'Or, près la porte Médard, quand le premier cri d'alarme retentit dans
la ville. Soudain, courant bien vite avec ses domestiques se joindre a
quelques cavaliers qui se réunissaient près de la, il se mit à leur tête
pour charger l'ennemi, qui pénétrait déj'a dans le faubourg. Une cin-
quantaine de jeunes gens de la ville, qui étaient 'a pied, suivirent bra-
vement cette «cavalerie, et, se glissant entre les gens de cheval, ils
firent avec leurs mousquets une si furieuse décharge, que l'ennemi, se
croyant atta(}ué par une troupe beaucoup plus nombreuse, commença a
perdre contenance et ne tarda pas 'a fuir.
Un autre bonheur survint pour ceux de la ville. Le capitaine
Magence, avec environ deux cents hommes de pied, était parti le matin
de Scaer pour aller a Plougastel, ne se doutant pas que La Fontenelle
fût en campagne. Etant arrivé au faubourg de la rue Neuve, où son
intention était de faire reposer sa troupe, il entendit le bruit qui se fai-
sait du côté où l'attaque avait lieu, et tout aussitôt, sans laisser aux siens
le temps de souffler, il leur fit traverser le pont de Locmaria, et tomba
inopinément sur le gros de l'ennemi qui était à Saint-Sébastien, atten-
dant que les intelligences qu'il avait dans la place lui donnassent signe
de vie. Cette charge, sur laquelle personne ne comptait, compléta la vie-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 505
toire ; les handils se sauvèrent en toute hâte, laissant sur la place
quarante morts et plus du double de blessés. Encore en emmena-t-il
presque autant sur les chariots qui devaient transporter le butin.
Pour lors (1597), le pays ne pouvant plus supporter les barbaries
de celte bande de malfaiteurs, (pie leur dernier échec avait rendus comme
enragés, le seigneur de Sourdéac, gouverneur de Brest, et les autres
gentilshommes et commandants de la contrée, résolurent pour la
seconde t'ois de les aller attaquer dans leur fort. On appela toutes les
garnisons voisines, aux(pielles se joignit un régiment de Suisses ; mais
la place était si lorte, si bien approvisionnée et si bien défendue, qu'au
bout d'un mois de siège on n'était pas plus avancé cpie le premier jour.
Le capitaine Magence fut tué en voidant repousser une sortie de ces
enragés, et en reconnaissance du service qu'il avait rendu tout derniè-
rement a Quimper, les habitants de cette ville demandèrent son corps
pour l'ensevelir honorablement dans leur cathédrale. On le plaça dans
une ancienne tombe vide, qui était dans la chapelle de la Trinité
(aujourd'hui chapelle de la Victoire), et qui portail sur son couvercle le
nom d'un évéque avec la date de l'année 1200, de sorte (jue si jamais
celle tombe est ouverte, nos neveux n'y trouveront que les os d'un
capitaine gascon, au lieu des reliques d'un saint prélat, ce qui n'est
pas tout 11 fait la même chose.
Hrel, il parut encore impossible celte fois de forcer les brigands dans
le re|)aire où ils s'étaient si hien fortifiés : Sourdéac fut le premier qui
se retira, sous prétexte d'aller chercher de nouvelles forces; les autres
le suivirent bientôt, et La Fonlenelle se maintint dans son île et dans
Douarnenez jusqu'à la paix. Comme le duc de Mercœur n'avait pas
voulu le comprendre dans le traité qu'il ht avec le roi, il en fit un par-
ticulier et en son nom, par leciuel, outre une amnistie pour tout ce
qu'il avait fait en portant les armes contre Sa Majesté, il obtint que le
gouvernement de Douarnenez lui serait continué, et en outre qu'il aurait
le brevet de capitaine de cinquante hommes d'armes. Par malheur pour
lui, il n'avait pas songé 'a demander aussi amnistie pour les crimes qu'il
avait commis envers les particuliers. Les parents et amis de ses nom-
breuses viclimes présentèrent recpiéte au Parlement. 11 fut convaincu
d'avoir fair violer la femme du commandant de Pont-(h'oix, en face du
gibet de son mari, et d'avoir enlevé une noble héritière encore mineure,
pour la forcer à devenir sa femme, en réparation desquels faits il fut
condamné par arrêt du grand conseil 'a être rompu vif, après avoir été
appliqué 'a la question ordinaire et extraordinaire. Cet arrêt fut exécuté
en place de Grève en 1602. Le baron de La Fonlenelle fut laissé
six (|uarls d'heure sur la roue, avant de recevoir le coup de grâce.
Son nom véritable était Cuv Eder de Beaumanoir de Lavardin. {Journal
de Henri lY, t. III, an. 1002.)
Au reste, le baron de La Fonlenelle n'élail pas le seul noble brigand
qui ravageait en ce temps-lâ la malheureuse Bretagne. Le comte Anne
de Magnane de la maison de Sanzay s'était mis aussi a la tête d'environ
506 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
cinq cents hommes de la lie du peuple, et il faisait également la guerre
pour son profil, se présentant dans les villes où il n'y avait point de gar-
nison royale, et y levant des contributions a discrétion. A la (in il trouva
que la petite ville de Quinlin lui présentait toutes les commodités dont
il avait besoin pour ses opérations ; il s'en empara et s'y établit avec sa
bande. Mais le commandant de Guingamp, qui n'est située qu'a quatre
lieues de la, ne jugea pas 'a propos de l'y laisser tranquille. Il vint l'atta-
quer et le força à se rendre prisonnier. M. le comte de Magnane eut du
moins le bonheur de n'être pas mis en jugement; il n'avait, lui, jamais
violenté que des bourgeois et des manants. (De Thou, t. XII, liv. 113,
p. 449.)
Sur ces entrefaites, la forteresse de Comper, devant laquelle le
maréchal d'Aumont avait si malencontreusement trouvé la mort, fut
enfin prise par les royalistes, et l'on dut cet exploit aux deux frères
d'Andigny, tous Jes deux hommes de lettres, ce qui était assez rare
parmi la noblesse française de ce temps-la, et ce qui, dans tous les cas,
ne leur avait pas valu jusqu'à ce jour une grande réputation de bravoure;
voila comment ils s'y prirent. Ils s'en allèrent avec quelques soldats
se cacher dans la maison d'un de leurs parents, qui demeurait dans le
voisinage de Comper. Comme ils avaient remarqué que tous les matins
on laissait entrer dans la place les gens de la campagne qui apportaient
leurs denrées au marché, ils firent déguiser en paysans vingt de leurs
plus braves compagnons, qui portaient des pistolets et de courtes épées
cachées sous leurs habits ; ceux-ci, se mêlant aux autres vilains qu'ils
rencontrèrent sur la route, avaient charge de profiter du moment où le
passage leur serait ouvert pour égorger le poste et s'emparer de la
porte. Les deux frères, avec le reste de leurs soldats, les suivirent à
courte distance, se tenant prêts 'a leur prêter main forte. Ce stratagème
eut un plein succès : la porte fut prise, et la garnison, épouvantée de voir
l'ennemi dans la place, ne prit pas même le temps -de s'informer du
nombre des assaillants. Chacun n'eut rien de plus pressé que de se
sauver, qui d'un côté, qui de l'autre.
Les nouvelles de cette prise, ainsi que de la prise de Guimer, de la
Roche Montbouchet et du château de Saint-Mars, situé tout près de
Nantes, furent apportées au roi pendant qu'il était a son camp de Tra-
verey, devant La Fère, dont, comme oh l'a vu, il avait déjà commencé le
siège.
Ce fut là aussi qu'il lui fut annoncé que définitivement la cour de
Rome avait consenti à son absolution. Tout joyeux d'un pareil résultat,
qui ne devait plus laisser aucun prétexte aux fauteurs de guerre civile, il
fit écrire à tous les gouverneurs de ses provinces qu'ils eussent à en faire
publiques réjouissances, et lui-même écrivit de sa propre main au prince
de Conti, qui commandait pour lors dans Paris : « J'avais toujours bien
pensé, lui disait il, que la sincérité de ma conversion finirait par éclairer
le Saint-Père, en dépit de tous les artifices des ennemis de la France.
Plein de reconnaissance envers le Tout-Puissant, à cause de cette grâce
DU PROTESTANTISME EN FRiVNCE. 507
qu'il m'a faite, et qui est si nécessaire pour rassurer la conscience de mes
sujets, j'écris par ce même courrier a mou cousin l'archevêque de
Paris, a cette (in qu'il en lasse remercier Dieu, en l'église de Notre-
Dame, a (juoi je vous prie aussi de tenir la main de votre part ; et, pour
ne rien omettre de ce ((ui peut rendre cette action plus célèbre, don-
nez ordre de l'aire tirer l'artillerie et d'allumer les feux de joie, en ma
bonne ville de Paris, le jour que mon dit cousin archevêque aura fixé
pour les processions et autres louanges îi Dieu ; car une si grande laveur
du ciel ne saurait être trop joyeusement célébrée, et j'espère que mes
sujets en recevront toute utilité. (Cavkt, uhi sup.)
C'étaient M. du Perron et M. d'Ossat qui avaient été chargés d'aller
négocier les moyens d'obtenir de Sa Sainteté cette absolution que le
roi désirait tant. Us étaient entrés dans Rome, sans aucune pompe et
comme personnes privées, et ayant obtenu de Clément VIII une audience
pour lui baiser les pieds, ils lurent une heure entière a lui parler en
particulier. Ou dit qu'ils employèrent ce temps a lui présenter une
requête en l'orme au nom de Sa Majesté. {Lettres d'Ossat, t. I, p. 527 et
suiv. — De Tiior, iibi sup.)
Dès qu'ils se furent retirés, Clément vint déclarer en plein consis-
toire (jue les dits sieurs d'Ossat et du Perron étaient venus vers le Sainl-
Siège, avec les lettres de créance de leur roi, pour traiter des affaires de
France ; (|u'on pouvait donc les regarder comme des ambassadeurs
avoués, et (jue désormais il voulait ([ue ces alï'aires fussent discutées
non plus par l'avis de (juclques particidiers, mais en présence de tout le
sacré collège des cardinaux. (C.vvi:r, ubi sup.)
Les ambassadeurs commencèrent donc a visiter messieurs les cardi-
naux et bientôt plusieurs de ces princes de l'Eglise, se déclarèrent ouver-
tement en leur faveur. Ceux du parti espagnol redoublèrent en même
temps d'animosité ; mais la politique de la cour de Rome avait bien
changé de face: depuis la dernière ambassade du duc de Nevers, le pape
voyait maintenant la Ligue aux abois, l'Espagnol sans appui en France,
et il commençait 'a craindre que, le roi ayant abjuré l'hérésie, sans
l'intervention du Saint-Siège et sous la seule autorisation des prélats de
l'église gallicane, on en vint jusipi'a vouloir, comme on l'en menaçait
déjà, établir en France une nouvelle discipline ecclésiastique, qui dimi-
nuerait d'autant les revenus de Sa Sainteté. Il n'était donc plus saison
de persévérer dans une sévérité (jui |)ouvait avoir des suites aussi
graves. (Di: Tuon, t. XII, liv. M."), p. 4.()(S et suiv.)
Ainsi donc, après avoir imploré les lumières du ciel par une proces-
sion publique, (|u'il fit avec toute sa maison, depuis son palais du mont
Quirinal jus(|u'à Sainte-Marie-Majeure, et dans la(|uelle il marcha lui-
même pieds nus, les yeux baissés et versant des larmes, il ordonna que
le consistoire s'assemblât extraordinairement au palais de Monte-Calvo.
Là, il dit à messieurs les cardinaux (pi'il avait examiné séparément et
avec le plus grand soin les opinions de chacun d'eux sur la question
présente. J'en trouve, ajouta-t-il, plus des deux tiers qui concluent pour
508 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
]'al)Solution du prince, et en effet j'ai reconnu moi-même clairement que
là est le véritable bien du Saint-Siège. Un des cardinaux du parti espa-
gnol se leva et voulut répondre à cette proposition, bien que sortie d'une
bouche infaillible ; mais Clément disant, qu'on avait déjà assez disputé, lit
sonner la clochette pour signal de la levée dli consistoire, et l'assemblée
fut obligée de se séparer. (Cayet, ubi sup.)
Il fut ensuite question de régler les conditions de cette absolution :
celles que voulait imposer la cour de Rome étaient étranges. D'abord il
fallait que le roi abjurât de nouveau, son abjuration entre les mains des
prélats français n'étant pas valable. Il fallait qu'il reçût en personne
l'absolution d'un légat de Sa Sainteté, qui le relèverait des censures par
lui encourues et le rétablirait dans ses droits au trône de France, qu'il
avait perdus par son hérésie; il devait de plus reconnaître authentique-
ment qu'au cas où il retournerait a ses erreurs, ce serait avec justice
qu'il perdrait pour toujours les droits qu'on ne lui avait rendus qu'en
raison de sa conversion. C'était, comme on voit, mettre tout simple-
ment la couronne de France aux pieds du Pape, et l'en déclarer dispen-
sateur absolu. (De Tiiou, ubi sup.)
Ensuite, on exigeait qu'aucun hérétique ne fût admis aux charges et
dignités du royaume, et qu'il ne fût souffert en France d'autre exercice
de religion que de la religion catholique, apostolique et romaine.
Le roi devait faire immédiatement une trêve avec l'Espagne, promet-
tant de l'observer religieusement, jusqu'à ce que le Pape trouvât le moyen
de transformer, comme il s'en chargeait, cette trêve en une paix
définitive.
L'ordre des jésuites devait être rétabli de suite en France, avec abo-
lition de toutes les procédures faites contre eux, et notamment de celles
qui les déclarait complices de Jean Chalel.
Enfin, le saint concile de Trente devait être reçu et reconnu dans
tout le royaume, comme règle infaillible de la foi et de la discipline de
l'Église. Il y avait encore une foule d'autres articles concernant les béné-
fices, les moines, les restitutions 'a faire au clergé, etc., etc., mais
qu'il est inutile de transcrire ici. La cour de Rome n'avait rien oublié de
ce qui pouvait ajouter a son importance et a ses profits.
A toutes ces demandes, les députés du roi répondirent avec fermeté
qu'il était impossible de souscrire a la première, qui renverserait la loi
fondamentale de la monarchie; que les rois de France ne reconnaissaient
point de supérieur au temporel et que, leurs droits étant imprescriptibles,
il n'appartenait 'a personne de les en déclarer déchus, qu'eux-mêmes
n'avaient pas la liberté d'y renoncer. [Lettres d'Ossat, t. I, p. 470 et
suiv.)
A la seconde demande, concernant l'exclusion de tout hérétique des
charges publiques et la proscription de tout autre culte que du culte
catholique, il fut opposé qu'il y avait 'a ce sujet des édits par lesquels
le roi avait engagé son honneur et sa conscience, et sur lesquels désor-
mais reposait toute la tranquillité du royaume; que ces édits s'oppo-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 509
saient a ce qu'on donnât pleine satisfaction a Sa Sainteté sur un pareil
article, mais que le roi ferait tout son possible pour arranger les
choses, et pour que les bons catholiques n'eussent pas à se plaindre.
Concernant la trêve proposée avec l'Espagne et le rôle d'arbitre
suprême que le Pape s'arrogeait, on ne fit aucune objection.
Quant au rétablissement des jésuites dans le royaume et 'a la des-
truction des arrêts qui les condamnaient, on montra (juc c'était chose
impossible pour l'instant, et on supplia Sa Sainteté d'attendre des cir-
constances plus favorables.
Enlin, pour ce qui concernait la réception du concile de Trente, il
fut convenu (ju'il serait reçu et observé en France a l'exception de ceux
de ses canons et décrets qui pourraient être trouvés contraires aux lois de
l'État.
Le Pape avait trop d'intérêt à terminer promptement cette affaire
pour prolonger une discussion qui pouvait devenir dangereuse, et le
premier jour de septembre, on procéda a l'absolution du roi, 'a laquelle
les Italiens donnèrent le nom de rebénédiction, attendu qu'ils s'obsti-
naient toujours à voir dans Sa Majesté un hérétique relaps. (Cavet, ubi
suiwa.)
La cérémonie se fit avec grande pompe dans l'église de Saint-Pierre
de Rome. Le Pape, après avoir dit la messe dans sa chapelle particulière,
se mit en route, porté sur sa chaire, revêtu des habits pontificaux et la
thiare en tête. Ses camériers, magnifiquement habillés de manteaux
rouges, allaient devant les porteurs, et les cardinaux en chapes violettes
l'accompagnèrent a pied, marchant à droite et a gauche. La procession
se rendit a la basilique, qu'on avait richement parée 'a cette occasion.
On déposa Sa Sainteté, sur une belle estrade élevée de trois brasses au
moins et couverte de drap vert; au bout se dressait le trône pontifical
tout brillant de drap d'or.
Clément s'assit, et autour de lui s'assirent, chacim en leur rang,
messieurs les cardinaux, après lui avoir rendu les hommages de l'ado-
ration (1). Les officiers de la très-sainte inquisition, les douze péniten-
ciers avec leurs cottes et portant la baguette en main, puis la foule des
autres prélats, prirent place a droite et a gauche.
Alors le maître des cérémonies appela a haute voix les sieurs du
Perron et d'Ossat, représentants de Henri de Bourbon. Ceux-ci mon-
tèrent sur l'estrade, et firent chacun trois profondes révérences : le
maître des cérémonies continua en s'adressant a Clément : « Votre
Sainteté aura-t-elle pour agréable que ces représentants du roi de
France lui baisent le pied ? » A quoi le Pape lit un signe de consente-
ment et tendit sa mule.
Cette première cérémonie parachevée, le procureur de l'inquisition
vint apporter et lire tout haut la profession de foi de Henri IV, qu'on
(1) On sait que c'est ainsi qu'on nomme dans le cérémonial de la cour de Rome
une certaine manière de saluer le pape.
510 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
avait dressée en latin, et dans laquelle il s'accusait d'avoir cru a tort
aux hérésies de Calvin, promettant qu'il y renonçait dès ce moment
et à jamais, pour se ranger au giron de la sainte Église. Les deux ambas-
sadeurs se mirent à genoux pendant cette lecture, et (juand elle lut
finie, du Perron demanda humblement au Pape pardon et absolution
pour son maître. Sur quoi le procureur du saint olhce lit lecture d'un
déci'et de Sa Sainteté, dans lequel il était dit que l'absolution déjà don-
née au coupable repentant, par les prélats de France, était en effet
nulle et de nul effet, comme provenant de gens qui n'avaient pas pou-
voir sullisant ; que toutefois Sa Sainteté, reconnaissant que Sa Majesté
avait agi de bonne foi, voulait que les actes catholiques qui avaient été
faits par le dit seigneur roi, en vertu de cette prétendue absolution,
fussent réputés bons et valables, et pour l'avenir, elle le déclarait légiti-
mement et complètement absous de son hérésie, ii condition qu'il
accomplirait les pénitences qui lui seraient imposées.
Aussitôt les chantres entonnèrent le Miserere : le maître de céré-
monies remit une baguette au Pape, après lui avoir enveloppé la main
d'un crêpe blanc, et Clément, a chaque verset du psaume, frappait avec
cette baguette, tantôt sur les épaules du sieur du Perron, tantôt sur
celles de d'Ossat. Le psaume fini, le Pape dit les oraisons et déclara de
sa propre bouche qu'à cette heure, il reconnaissait Henri de Bourbon
comme membre de Jésus-Christ, et comme roi très chrétien ; puis les
trompettes et les tambours se mirent à sonner, et tout le canon du châ-
teau Saint-Ange fut tiré en signe de réjouissance. Les ambassadeurs
baisèrent encore une fois les pieds de Sa Sainteté avec amour et recon-
naissance ; et les protonotaires dressèrent un acte de tout ce que dessus,
dont copie en bonne forme fut délivrée au sieur du Perron, pour être
remise au monarque français.
Cette cérémonie, qu'on avait voulu rendre imposante, ne parut pas
tout à fait telle, à beaucoup de gens en France. On lit courir à ce sujet
un grand nombre d'épigrammes mordantes, et quelques plaisants dirent
que le Pape avait eu grand tort de ne frapper qu'avec une petite baguette.
Il aurait dû s'armer d'un bon fouet de poste, pour étriller jusqu'au sang
les plats coquins qui n'avaient pas rougi d'humilier à ce point la majesté
du plus grand roi du monde devant un prêtre étranger. Ceux qui par-
laient ainsi ne savaient pas sans doute aussi bien que le roi lui-même
de quelle importance il lui était d'acheter à tout prix sa réconciliation
avec le Saint-Siège. {Journal de Henri IV.)
D'un autre côté, ceux qui, gardant encore le venin de l'ancienne
Ligue se prétendaient les seuls catholiques purs, trouvaient que le Pape
lui-même avait été bien hardi d'absoudre un hérétique relaps. Un moine
du couvent de Sainte-Croix la Bretonnerie prêcha même publiquement
dans ce sens, dans l'église de Saint-Merri : il commença par appeler la
reine d'Angleterre une véritable Jézahel, et il ajouta que ceux qui avaient
amitié et confédération avec elle, queNjucs beaux semblants qu'ils s'effor-
çassent de faire, et même malgré la prétendue absolution du Saint-
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 511
Prro, irélaicnt que des liéréli(jiies eiKhircis et dignes d'aller a tous les
diables. Le Parlement lit poursuivre ce prédicateur ellronlé, et sur la
requête du procureur du roi, il fut condamné à faire amende honorable
à genoux et tête nue dans la chambre de la Tournelle, après quoi on lui
ht défense de monter en chaire, jusqu'il ce (ju'autrement il en fût or-
donné par la cour, et surtout injonction très expresse lui fut faite de ne
plus mal parler a l'avenir des alliés du roi, sous peine de la vie. (Mézerav,
t. in, p. 1154.)
Kt
512 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
CHAPITRE XX
1596. — ARGUMENT : continuation du siège de la fère.
LE CARDINAL ALBERT VICE-ROI DES PAYS-BAS — MAYENNE SE RÉCONCILIE AVEC LE ROI.
RÉCONCILIATION DU NOUVEAU DUC DE NEMOURS.
L'EX-CAPUCIN JOYEUSE REND TOULOUSE ET EST FAIT MARÉCHAL DE FRANCE.
D'ÉPERNON DISPUTE LA PROVENCE AU DUC DE GUISE.
ARRÊT DU PARLEMENT D'AIX. — INTRIGUES DU DUC DE GUISE CONTRE LESDIGUIÈRES
CHARGÉ PAR LE ROI DE LE SOUTENIR.
LESDIGUIÈRES SE DÉDOMMAGE EN PRENANT ET PILLANT AURIOL.
CASAULT FAIT ENTRER L'ESPAGNOL DANS LE PORT DE MARSEILLE.
LE CAPITAINE LIBERTA PROMET A GUISE DE LUI LIVRER CETTE VILLE.
IL TUE CASAULT. — LE VIGUIER LOUIS d'AIX SE SAUVE ET LES MARSEILLAIS
crient: vive le roi. — la flotte espagnole SE RETIRE.
GUISE BAT D'ÉPERNON. — CELUI-CI TRAITE DE SA SOUMISSION AVEC LE ROI.
ENTREVUE DU ROI ET DU DUC DE MAYENNE. — l'aRCHIDUG ASSIÈGE ET PREND CALAIS.
BELIN LUI LIVRE TRAITREUSEMENT LA PLACE D'ARDRES.
LA FÈRE SE REND AU ROI. — L'ARCHIDUC SE RETIRE A SAINT-OMER.
LIGUE CONTRE L'ESPAGNOL ENTRE l'aNGLETERRE ET LA FRANCE.
LES ÉTATS DE HOLLANDE S'ADJOIGNENT A CETTE LIGUE.
Le siège de La Fère, commencé sur la fin de Tannée précédente, se
continuait assez lentement ; car la plus grande partie des choses néces-
saires a une opération de cette importance manquaient au camp royal,
et il n'y avait plus assez d'argent dans le trésor pour se les procurer.
Le roi commençait donc à s'apercevoir, à son grand regret, que cette
place le retiendrait encore longtemps. Pourtant, la ville était exactement
bloquée ; mais, outre qu'elle ne manquait ni de munitions, ni de provi-
sions, elle avait l'espoir d'être bientôt secourue par le cardinal Albert
d'Autriche, frère de l'archiduc Ernest, et que Philippe venait de nommer
vice-roi des Flandres, en remplacement de ce dernier. En effet, on
venait d'apprendre qu'Albert avait déjà fait son entrée à Bruxelles, et
qu'il se préparait à se mettre incessamment en campagne avec une nom-
breuse armée. (De Tiiou, liv. 115.)
Henri IV, sous prétexte d'une partie de chasse, s'était pendant ce
temps-Pa rendu a Follembray, château bâti par François I", dans la
forêt de Coucy. Ce fut la que fut définitivement réglé l'accommodement
du duc de Mayenne, négocié depuis si longtemps par le président Jeannin,
et pour la conclusion duquel la belle Gabrielle d'Estrée avait bien aussi
i
I
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 513
quelque raison de presser son royal amant, dont elle commençait dès
lors a se ilatter de pouvoir faire un époux. (Pi:i\t:FixE, S*" partie.)
A Toccasion de ce traité, il se présentait pourtant une assez grave
diflicullé. Henri IV, a son avènement au trône, avait juré de ne point
accorder d'amnistie à ceux qui avaient pris part à l'assassinat de
Henri III ; et dans tous les traités qui avaient été faits précédemment,
il avait été soigneusement stipidé que la reine Louise, veuve du défunt
monarque, avait toujours le droit de poursuivre devant les tribunaux
ceux qui seraient soupçonnés d'avoir coopéré au meurtre de son mari.
Mayenne avait de bonnes raisons pour ne pas vouloir d'une pareille res-
triction ; et il exigeait qu'avant toutes clioses, le roi le reconnût innocent
et absous de tonte inculpation à cet égard. On trouva moyen de tourner
cette difficulté : Sa Majesté se fit apporter les pièces de l'instruction, qui
avait été faite par le Parlement, au sujet de ce régicide, et après les
avoir examinées, ou avoir feint de les examiner, elle déclara que
Mayenne lui paraissait, ainsi que les autres princes et princesses de sa
famille, n'avoir participé en aucune laçon a ce crime abominable; (ju'en
conséquence, il leur avait permis de s'en justifier par serment en sa
présence : défendant au procureur général et a toute cour de justice de
faire informations ou procéder à l'avenir pour ce sujet contre aucun des
dits princes et princesses. (De Thou, iibi'Sup.)
Toutes les autres conditions lurent faciles à régler; car, d'une part,
le duc de Mayenne n'avait plus guère d'autre moyen de se tirer d'affaire,
'a moins (pie de se livrer pieds et poings liés 'a l'Espagnol, qui lui aurait
fait chèrement acheter une protection déshonorante ; et d'autre part,
Henri regardait la réconciliation de ce prince, chef de la Ligue, comme
fort importante pour la tranquillité coniplète de son royaume. Il est vrai
qu'il eût pu l'obtenir a meilleur marché ; mais était-il en son pou-
voir de refuser quelque chose aux sollicitations de la charmante
Gabrielle ?
L'édit de cette réconciliation fut donc dressé au mois de janvier.
Il accordait à Mayenne amnistie complète de tout le passé, « attendu,
était-il dit, que ceux qui manquent a ''obéissance due a leur souverain
peuvent être regardés comme excusables, (piand ils n'ont agi que par
zèle pour la religion, qui remue si puissamment les cœurs des hommes. »
On lui donnait trois places de sûreté pour six ans, savoir : Chàlonssur-
Saône, Seurre en Bourgogne et Soissons. Lui et ce»ix de son parti étaient
rétablis dans tous les biens, charges et bénéfices dont ils avaient pu être
dépouillés par jugement ou autrement, 'a cause de leur révolte. Seule-
ment, on leur imposait la condition de prêter serment de fidélité au roi,
et de renoncer pour toujours à toute Ligue contractée soit au dedans,
soit au dehors du royaume. Les emplois donnés par le duc, en sa qua-
lité de lieutenant-général de l'État de France, étaient conservés à ceux
qu'il en avait revêtus, les(|uels n'étaient tenus que d'en prendre de nou-
velles lettres du roi ou de son chancelier. Enfin, pour mettre le comble
à tant de grâces, le roi se chargeait de payer toutes les dettes du dit
IV. 33
514 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
seigneur duc et celles de ses amis, comme contractées pour le service
de rÉlat. Mayenne obtint en outre pour son fils aîné le gouvernement
de rile-de France, a Texception de la ville de Paris, dont on fit un gou-
vernement a part
Quand cet édit fut porté au Parlement pour être enregistré, tout le
monde se montra indigné de ce qu'on abandonnait aussi facilement la
vengeance du parricide commis sur le feu roi. Personne, cependant,
n'osait élever la voix : il n'y eut que la duchesse d'Angoulème, sœur
naturelle de Henri III, qui vint hautement interjeter opposition en son
propre nom et en celui de la reine Louise, par laquelle elle s'était fait
signer un pouvoir. La cour prononça donc qu'il serait donné acte de
cette opposition à la requérante pour servir en temps et lieu, et que,
néanmoins, on procéderait toujours a l'enregistrement de l'édit, confor-
mément a l'ordre exprès du roi manifesté déjà par deux lettres de jus-
sion. Il fut en outre stipulé que monsieur le duc de Mayenne, avant de
pouvoir prendre sa place comme pair dans aucune assemblée du Parle-
ment, serait tenu de déclarer que les auteurs et fauteurs de l'attentat
commis sur la personne du feu roi étaient des infâmes et des scélérats
exécrables. On l'obligeait aussi à donner parole que si, dans les places
de sûreté que Sa Majesté lui accordait, il se trouvait ou se réfugiait
quelque complice de ce régicide, il le ferait lui-même arrêter et le
livrerait à la justice de la cour.
Quand on apprit ces conditions, Gabrielle et les autres amis que le
duc s'était faits décidèrent le roi à envoyer une nouvelle lettre de
jussion, par laquelle Sa Majesté déclarait que son intention irrévocable
était qu'aucune restriction ne fût mise a la grâce par elle accordée à
Monsieur le duc. Le Parlement décida alors qu'il enregistrerait l'édit
purement et simplement, en mentionnant que c'était « vu la nécessité
de l'État et l'ordre de Sa Majesté ». Henri IV ordonna encore que cette
mention fût supprimée, attendu qu'elle semblait faire entendre que la
délibération n'aurait pas été tout 'a fait libre. Il fallut se soumettre 'a cet
ordre du maître, et Mayenne fut réhabilité complètement et sans res-
triction, au grand mécontentement de plusieurs.
Ce fut aussi a Follembray que le roi donna l'édit de réconciliation en
faveur du nouveau duc de Nemours, avec amnistie également complète
pour tout le passé ; et le Parlement enregistra sans opposition, quoiqu'il
y eût bien pourtant quelques réclamations a faire contre ce prince, qui,
lorsqu'il n'était encore que marquis de Saint-Sorlin, avait fait fondre à
son profit c( les ornements royaux et jusqu'à la couronne qu'il avait été
prendre 'a Saint-Denis ».
Henri donna encore un troisième édit, toujours daté de Follembray ;
et celui-ci concernait la ville de Toulouse et le duc de Joyeuse.
Or, dès l'année précédente, le Parlement de Toulouse, à la nouvelle
de l'abjuration du roi, s'était partagé en deux factions : une partie des
membres de cette cour voulait reconnaître Henri IV pour souverain ;
mais Joyeuse s'était opposé 'a cette résolution, sous prétexte que le Pape
I
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 515
ne s'était pas encore prononcé sur la validité de la conversion du prince.
Ceux des présidents et conseillers qui étaient bien disposés pour Sa
Majesté sortirent de la ville et se retirèrent a Castel-Sarrazin, où ils se
mirent sous la protection du maréchal de Matignon, gouverneur de la
Guyenne, et sous celle du duc de Ventadour, lieutenant du roi en Lan-
guedoc, y commandant pendant l'absence du connétable de Montmo-
rency. Il lut décidé alors (pi'on irait mettre le siège devant Toulouse.
Comme les deux généraux royalistes n'avaient pas à leur disposition des
troupes suflisantes, on tenta auparavant plusieurs démarches pour en-
gager Joyeuse 'a se soumettre de bonne grâce à Sa Majesté. (Mézerav,
t. m, p. 1126.)
r*endanl ces pourparlers, qui n'avaient encore amené aucun résultat,
les villes de Rhodez et de Cordes ouvrirent leurs portes au maréchal,
et la fraction du Parlement qui se trouvait a Castel-Sarrazin rendit
contre Joyeuse et contre les Ligueurs un arrêt qui enjoignait à tous les
bons Français de les traiter comme rebelles. Alors, Joyeuse, irrité de
cet arrêt qu'il appelait une insolence, sortit de Toulouse, à la tête de
presque toute la noblesse de la Comté, (ju'il croyait de son parti. Il mar-
cha contre Castel-Sarrazin, qu'il ht aussitôt canonner par son artillerie,
dans le dessein d'intimider ces gens de robe, qui avaient osé procéder
contre lui.
Bientôt pourtant il lut obligé de cesser cette attaque 'a main armée ;
car il apprit (jue Narbonue et Carcassonne venaient de se soulever contre
lui et de reconnaître le roi. Il revint donc 'a Toulouse, où il commença
à comprendre que le vœu général de toutes les populations de ces con-
trées tendait enhn vers la paix, et que par conséquent ce (ju'il avait de
mieux a faire était de traiter sans retard avec le roi, en tâchant, comme
tant d'autres, d'obtenir les conditions les plus avantageuses possibles.
Son frère, le cardinal de Joyeuse, qui avait déjà eu le bon esprit de se
montrer favorable à Henri IV , quand il s'était agi de la réconciliation de
ce prince avec la cour de Rome, se chargea de ménager cet arrangement
avec Sa Majesté, et sa peine ne fut pas perdue. Le monarque accorda
au noble capucin redevenu général le bâton de maréchal de Franco, en
échange de sa soumission. L'édit donné en sa laveur portait que le zèle
seul pour la conservation de la religion avait poussé un homme aussi
pieux, a faire tout ce qu'il avait fait, pendant le cours de ces guerres ;
et, en conséquence, on lui laissait son commandement de Toulouse. Par
le même édit, le culte catholique était rétabli dans tous les lieux de
cette Comté où il avait été supprimé, avec défense aux huguenots de
tenir leurs assemblées dans aucun autre lieu plus rapproché de la ville
que Villemur, Carmain et l'Ile-Jourdain. Ceux des membres du Parle-
ment qui avaient abandonné Toulouse reçurent l'ordre de venir s'y
réinstaller; les autres tribunaux inlérieurs et le bureau des trésoriers
de France, qui pendant les troubles avaient été s'établir ailleurs, furent
également rappelés, et, en outre, le roi ordonna de raser tous les forts
qui avaient été bâtis par les dilférents partis pour gêner la liberté des
516 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
citoyens. Cet édit fut lu et publié a Toulouse, le quatorzième jour de
mars 1596.
Au reste, tous ces édits et traités, que Sa Majesté se vit forcée de
faire en faveur des princes, des grands et des villes ligueuses, étaient au
résumé ruineux pour l'État, auquel ils coûtèrent des sommes immenses,
qu'on porte a plus de six millions d'écus ; en outre, par suite de cette
reconnaissance des actes faits par les divers pouvoirs qui s'étaient dis-
puté la France, il se trouvait presque partout deux et souvent trois
titulaires pour une même charge et qui s'en faisaient payer très exacte-
tement les appointements et les revenus. Pour faire face a toutes ces
dépenses, il fallut charger d'impôts un malheureux peuple que la guerre
avait déjà à peu près épuisé. Aussi beaucoup de familles, même des plus
notables de la bourgeoisie, virent-elles a cette époque leur fortune
anéantie, et tombèrent alors dans une sorte de dégradation qui les fit
bientôt disparaître. Henri IV avait trouvé le corps social dans une dis-
solution complète, et il n'avait que le temps de s'occuper du mal le plus
pressant, se réservant de songer plus tard, s'il en avait le loisir, a
réparer les désordres que ses remèdes devaient causer dans des organes
moins nobles et moins importants. (DeThou, ubi siip.)
Il ne restait plus guère à pacifier que la Provence et la Bretagne. Le
roi venait de donner, comme on l'a vu, le gouvernement de la pre-
mière de ces deux provinces au duc de Guise. Lesdiguières avait en
même temps reçu l'ordre de Sa Majesté de guider ou plutôt de surveil-
ler le nouveau gouverneur dans la lutte qu'il allait avoir à soutenir
contre d'Épernon et contre les Ligueurs de ce pays. Or, toute l'expé-
rience d'un des plus renommés capitaines de cette époque ne semblait
pas de trop pour une pareille besogne ; aussi. Guise avait-il bien promis
au roi de suivre toujours les avis de Lesdiguières, qu'il regarderait comme
un père.
Monsieur de Fresne, secrétaire d'État, avait été envoyé d'avance
pour faire savoir au duc d'Épernon les intentions de Sa Majesté. Le duc
était sommé de retirer ses gens de guerre de la Provence et de venir à
la cour rendre compte de sa conduite ; mais celui-ci, alléguant les grands
frais qu'il avait déjà faits pour conserver, disait-il, ces pays a la France,
répondit qu'il ne serait pas juste que tant de peines n'eussent d'autre
résultat que d'établir Monsieur de Guise dans un gouvernement dont lui-
même avait été légitimement pourvu par le feu roi ; et il refusa d'obéir.
(Cayet, liv. 8, 1596.)
La Parlement d'Aix, n'eut pas plus tôt connaissance de celte rébellion,
que faisant publier les lettres-patentes par lesquelles le roi donnait le
gouvernement de la Provence au duc de Guise, il les accompagna d'un
arrêt foudroyant contre d'Épernon et ses adhérents, « enjoignant a tous
les Gascons, sous peine de lèze-majesté, de vuider et de laisser, dans la
huitaine, toutes les villes et forteresses qu'ils tenaient, et d'avoir à se
retirer dans leur pays. » (Mézerav, t. III, p. 1162.)
Pour lors Lesdiguières, après avoir levé quelques troupes à ses frais,
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 517
s'en vint assiéger Sisteron. Déjà il s'était emparé du faubourg de la
liauine, et il envoyait courriers sur courriers au duc de Guise qui venait
de l'aire son entrée a Aix, et qui ne se pressait toujours pas d'arriver ;
car, toute réflexion faite, Guise n'était pas très curieux de contribuer,
comme en sous ordre, aux exploits d'un homme qu'on lui avait donné
pour surveillant. Quelques flatteurs même lui conseillèrent d'écrire
secrètement au gouverneur de la place assiégée qu'au cas où il serait
sommé de se rendre, il répondit (|u'il ne voulait avoir a traiter qu'avec le
duc de Guise, ce que le gouverneur ne man(iua pas de faire, et pendant
que Lesdiguières, ne soupçonnant rien de la mauvaise volonté du duc,
s'étonnait d'une pareille réponse et des retards de ce jeune prince, mis
sous sa direction par le roi lui-même, d'É|)ernon eut le temps de faire
entrer dans la ville un renfort de deux cents hommes avec des muni-
tions. Guise arriva alors, et se hâta de conclure avec le gouverneur, qui
avait si bien suivi ses instructions, une sorte de capitulation par
laquelle celui-ci devait rester dans sa ville avec sa garnison. (De Thou,
ubi sup.)
Lesdiguières, blessé profondément par un pareil procédé, dissimula
toutefois son mécontentement, comptant que le roi lui ferait justice
plus tard. Il ignorait que Henri était devenu lui-même le premier auteur
de l'afl'ront qu'on lui faisait essuyer. Sa Majesté, en effet, soit qu'elle
eût été gagnée par les ennemis de ce grand capitaine, soit qu'elle crai-
gnît que la religion que celui-ci professait n'excitât quelques méconten-
tements parmi les catholiques provençaux, soit enfin qu'elle ne voulût
pas <|u'il se rendit trop puissant en ce pays-lâ, où il était déjà fort
aimé, avait envoyé un ordre secret pour qu'on l'empêchât a tout prix
de s'emparer de Sisteron. (Mkzkray, t. III, p. 1163.)
Il s'en alla donc, sans se douter encore de rien, assiéger la ville de
Riez ; mais la encore Guise vint accorder une capitulation toute sem-
blable a celle de Sisteron ; et Lesdiguières, (pii voulait absolument
prendre quelque chose, pour rentrer dans les (rais que lui avait coûtés
son armement, tomba inojjinément sur Auriol qu'il prit, avant qu'on
eût eu le temps de lui ravir encore cette proie. Il y lit une vingtaine de
bons prisonniers, et outre le butin recueilli dans la place qu'il livra au
pillage, il emmena avec lui cent cinquante chevaux. (De Tiiou, ubi
supra.)
Ensuite, voyant enfin clairement qu'il ne pouvait plus rien avancer
dans la Provence, ni pour les affaires du roi, ni pour les siennes propres,
il s'en retourna en Dauphiné, prenant pour prétexte la nécessité d'aller
apaiser le mécontentement général des populations de la campagne,
excessivement foulées par les gens de guerre. (Mézerav, t. III,
p. 110 L)
Après son départ. Guise, se trouvant seul maître de toutes les forces
royalistes de la Provence, s'occupa sérieusement à en chasser d'Épcr-
non et à y éteindre les restes du parti de la Ligue. Marseille était
comme on sait la capitale de cette dernière faction dans ces contrées.
518 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Le premier consul Casault et le viguier Louis d'Aix y dominaient en
maîtres absolus, depuis Tannée 1589, et pendant ces six ans de tyrannie,
ils avaient ou chassé de la ville, ou renfermé dans les prisons, tous
ceux qui auraient pu tenter de renverser leur puissance usurpée. En
voyant la Ligue presque partout abattue, ils avaient songé à conserver au
moins une partie de ce qu'ils avaient acquis sous ombre de servir cette
faction, et ils n'avaient pas trouvé de meilleur moyen que d'implorer la
protection de l'Espagne. Ils venaient donc de faire entrer dans le port
sept galères espagnoles avec douze cents soldats, sous la conduite du
jeune prince de Doria. (Cavet, liv. 8.)
Le duc de Guise, avant de hasarder l'attaque d'une ville aussi impor-
tante et aussi bien défendue, chargea le comte de Carces de s'emparer
d'abord de toutes les places d'alentour, et dont les garnisons, soit éper-
noiiistes, soit ligueuses, auraient pu contrarier ses opérations. Martigues,
la Tour-du-Bouc, Grasses, Hyères et Draguignan se rendirent, sans qu'on
eût besoin de tirer un seul coup de canon ; mais il fallut assiéger
dans toutes les règles le fort de Saint-Tropez, où d'Epernon entretenait
une nombreuse et brave garnison.
Pendant que le duc lui-même s'occupait de ce siège, un avocat
nommé Bausset, l'un des exilés de Marseille, vint le trouver et lui confia
qu'un certain Libéria, qui avait à Marseille le commandement de la
porte royale, était résolu ainsi que plusieurs de ses amis de la ville de
tout tenter, plutôt que de s'assujettir a la domination espagnole ; qu'il
offrait d'admettre par la porte qu'il commandait tous ceux de l'armée
royale qu'on voudrait y faire entrer, pour remettre Marseille sous l'o-
béissance du roi. Guise entra avec empressement en correspondance
avec le capitaine Liberta et lui promit la place de viguier, avec toutes
sortes de récompenses pour tous ceux qui s'emploieraient 'a faire réussir
une pareille entreprise.
Le président Bernard, intendant de justice en cette ville au nom de
l'union et qui toutefois tenait secrètement pour le parti royaliste, fut
mis dans le complot ; Guise en fixa l'exécution au dix-septième jour de
février, et lui-même, ayant subitement rappelé ses troupes occupées à
divers sièges de moindre importance, les conduisit en grand secret
jusque sous les murs de Marseille, où il arriva dans la soirée du
seize.
La nuit était noire et pluvieuse ; le capitaine Liberta, en voyant le
temps si mauvais, craignit qu'il n'eût emêché le duc de Guise de se
trouver au rendez-vous. Il fit sortir un de ses amis pour aller h la
découverte, et celui-ci revint bientôt annoncer que l'armée royale était
tout près du rempart.
Mais un moine qui revenait d'un couvent voisin et qui était aussi
rentré par une autre porte courut dire au viguier qu'il avait aperçu h
quelques centaines de pas de la ville une troupe de soldats, et qu'il
avait tout lieu de croire que c'étaient des ennemis ; sur cet avis, Louis
d'Aix, après avoir envoyé prévenir Casault et sans vouloir l'attendre, se
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 519
dirigea vers la porte royale avec vingt moiis([netaires de sa garde, et se
la lit ouvrir pour aller voir ce qui se passait dans la campagne.
Dès qu'il fut dehors, Liberta fit baisser la herse ; et le viguier, voyant
d'une part sa retraite coupée, et d'autre part la cavalerie du duc de
(Juise qui courait à toute bride contre lui, se sauva du côté du port où,
franchissant les murailles, qui étaient fort basses de ce côté-la, il eut le
bonheur de trouver un bateau qui le ramena promptement dans la ville.
(Mattiueu, Hist. des dern. troubles, p. 02 et suiv.)
Ceux des Ligueurs qui étaient sur le rempart du côté où les royalistes
arrivaient, n'ayant aucun soupçon du complot, firent feu ; et Guise,
voyant plusieurs de ses gens tomber sous cette décharge, et que la
porte de la herse était baissée, crut que Liberta l'avait attiré dans un
piège, ce qui pourtant n'était pas ; car celui-ci marchait alors à la
rencontre de Casault dont on venait de lui annoncer rai)proche. L'ayant
trouvé qui venait pour prêter aide 'a son collègue, il lui donna de son
épée au travers du corps, en lui disant : « Méchant traître, tu veux
vendre ta ville aux Espagnols ; mais je t'en empêcherai bien. » Quelques
soldats du capitaine achevèrent ce malheureux, pendant que Liberta
défendait à son tour sa vie contre quatre des gardes du consul, qui
s'étaient acharnés sur lui pour venger leur maître. Mais il fit si bonne
contenance, qu'ayant été rejoint par quelques-uns des siens, il mit les
assaillants en fuite, sans avoir reçu d'autre blessure qu'un coup de
sabre qui lui coupa le petit doigt de la main droite.
Les autres gardes qui avaient accompagné le consul étaient dans la
stupeur en voyant leur chef étendu mort. Liberta leur promit la vie sauve
et qu'il ne leur serait fait aucun mal s'ils se rangeaient de son côté ; et
comme, au même moment ils virent une foule, de bourgeois à qui on
avait l'ait part de l'entreprise accourir par toutes les rues, les uns pour
grossir les troupes du capitaine, les autres pour désarmer les divers
corps de garde et s'emparer des portes, ils jugèrent plus sûr pour eux
d'accepter la proposition qui leur élait laite.
Cependant, un des conjurés sortit pour aller annoncer 'a Monsieur de
Guise la mort du consul Casault, et le duc, rassuré par cette nouvelle,
fit avancer toutes les troupes vers la porte royale qu'on venait de lui
ouvrir. Mais Louis d'Aix avait eu le temps d'assembler aussi ses amis,
et déjà il allait, donnant ordre par les corps de garde qui étaient sur
son passage, rassurant chacun du mieux qu'il pouvait. Le fils de Casault
le suivait, affirmant que son père n'était pas même blessé, tellement
que ceux jdes habitants qui l'entendaient parler ainsi ne savaient plus
'a quoi se résoudre. Louis d'Aix, profilant de cette incertitude, allait les
entraîner a sa suite, pour attaquer la porte par laquelle les bataillons
royalistes avaient déj'a commencé 'a entrer. Mais ces troupes le char-
gèrent si vivement qu'il fut contraint de tout abandonner. Alors le
président Bernard se mit a l'œuvre de son côté : il rassembla autour de
lui tous ceux des bourgeois les plus notables qu'il put rencontrer, et
s'en alla avec eux joindre les soldats du duc.
520 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
D'Aix, qui s'était retiré dans l'hôtel de ville, où il résistait encore avec
cinq ou six cents hommes qui l'avaient suivi, put au même instant remar-
quer l'hésitation des siens a la vue des principaux de leur ville, qui s'avan-
çaient pour les combattre ; il courut avec le fds du consul se jeter
dans une barque, afin de gagner quelqu'un des forts du dehors, qui
n'étaient point encore au pouvoir de ses adversaires, promettant de
revenir avec des secours. Mais aussitôt qu'il fut parti, ceux qu'il aban-
donnait ainsi se mirent a crier : « Vive le roi ! » Tous les autres corps
delà ville imitèrent cet exemple, et à mesure que les royalistes se pré-
sentèrent pour les attaquer, ils criaient : «Vive le roi,» de sorte qu'en
quelques heures cette grande ville, qui était déjà presque espagnole, rede-
vint toute française.
Il ne restait plus a prendre dans l'intérieur que quelques bastions et
la tour Saint-Jean, qui tient l'embouchure du port : le jeune prince Doria
ne se donna pas le temps d'attendre la prise de celte tour, pour l'aire sa
retraite avec ses galères et ses Espagnols ; il y mit tant de précipitation
que la plupart oublièrent d'emporter leurs armes, et que lui-même
abandonna la plus grande partie de ses bagages. Quant à Louis d'Aix et
au jeune Casault, le premier s'était retranché dans l'abbaye Saint-Victor,
et l'autre dans le fort Notre-Dame-de-la-Garde.
Monsieur de Guise fit alors son entrée dans la ville, il fut reçu a la
porte par le président Bernard et par Liberta, qui fut incontinent pro-
clamé viguier ; puis on alla a l'église de la Majour, où les chanoines
en signe d'allégresse lui présentèrent 'a baiser la vraie croix et chan-
tèrent le Te Deum, pendant que la foule criait : « Vive le roi ! vive le
duc de Guise ! vive le capitaine Liberta ! a bas les Espagnols ! » et
que les soldats royalistes, secondés des galériens dont on venait de
rompre les fers, s'occupaient a piller les maisons de Casault et de Louis
d'Aix.
Le lendemain, une parole courut qu'il fallait mettre à bas la forte-
resse bâtie par les tyrans, « et il n'y eut lils de bonne mère qui. n'y mit
la main, sans avoir égard a la solennité du jour, lequel se trouvait être
un dimanche ; aussi ce fut un ouvrage bientôt terminé. » (Cayet, uhi
supra.)
Pendant ce temps-l'a, d'Aix, qui était toujours dans l'abbaye Saint-
Victor, trouva le moyen de se sauver par le moyen d'une corde qui lui
aida a descendre dans le fossé. Après avoir erré toute la nuit à travers
la campagne, il alla se cacher 'a la pointe du jour dans une masure où
il demeura près de vingt-quatre heures sans manger ; jusqu'à ce qu'ayant
aperçu un pêcheur au bord de la mer, il parvînt a le décider en lui don-
nant sa chaîne d'or a le conduire aux galères d'Espagne, qui étaient
encore en vue. (Mézeray, t. III, p. 1169.)
De son côté, le jeune Casault, qui s'était réfugié dans le fort de Notre-
Dame-de-la-Garde, ne se voyant plus aucun espoir de secours, entra en
traité pour sa capitulation ; il obtint qu'il aurait la vie sauve, mais sans
rien emporter des trésors qu'avait extorqués son père. Guise lui fournit
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 521
seulement une galère pour le conduire a Gênes, où 11 finit obscurément
ses jours dans un étal voisin de Texlrême pauvreté.
D'Épernon était alors a Brignoles, sa résidence ordinaire : le duc de
Guise lut averti (ju'll venait de sortir de cette place, îi la tête de trois
cents maîtres et de cin(i cents fantassins pour aller jeter du secours dans
la citadelle de Saint-Tropez. Le duc partit aussitôt, sans attendre même
la complète réduction de Marseille, et ayant rencontré son rival près de
Vie d'Aubon, il le cliargea si impétueusement qu'il le Ibrça à se jeter
avec les siens dans la rivière d'Argens, grossie alors par les pluies de
l'biver, et où la plus grande partie de ses troupes fut noyée ou assom-
mée. Telle était la haine que les paysans de la contrée avaient conçue
contre les Gascons, par suite de toutes les brutalités dont ils avaient été
victimes, qu'ils s'étaient assemblés en armes a tous les gués et a tous
les passages ; et la, attendant les fuyards, ils leur faisaient voir une
chèvre en leur disant : « Comment appelles-tu cet animal ? » Celui qui
répondait cabre, (\m est le nom provençal, en était quitte pour être
dépouillé; mais ceux qui répondaient cavré, suivant la prononciation
gasconne, étaient massacrés sans miséricorde.
Après cet échec, d'Epernon essaya encore de secourir Saint-Tropez
par nier, mais toutes ses tentatives échouèrent, et la citadelle (nt 'a la
lin obligée de se rendre. C'était avec Brignoles la seule place de
quelque importance (jui lui restât encore. Maintenant, presque sans
troupes et surtout sans ressources, il se voyait en quelque sorte claque-
muré dans cette dernière ville.
Un paysan du petit bourg du Val, (jui partageait la haine générale
contre cet ancien favori de Henri III, forma la résolution de le faire
périr pour venger tous les maux qu'il avait faits a la Provence. A cet
effet, il remplit de poudre deux sacs comme si c'eût été des sacs de
blé. II mit dans chacun une batterie d'arquebuse dont le ressort tendu
par une corde dont les sacs étaient liés a leur ouverture devait partir et
faire feu dès (ju'on tenterait de les délier. Il porla ces sacs chez une
boulangère dont le magasin était précisément au-dessous de l'apparte-
ment qu'occupait le duc, et il s'en retourna bien vite a son village. Les
garçons de la bonlangerie voulurent ouvrir les sacs pour en vérifier le
contenu, et il se fit une eft'royable explosion. Par bonheur, les portes et
les fenêtres se trouvèrent ouvertes en ce moment, ce qui fut cause que
l'effet de la poudre, ne trouvant pas de résistance, ne renversa pas tout
'a fait la maison, comme cela devait avoir lieu sans celte circonstance.
Le duc d'Epernon, qui dinait alors, en fut quille pour être blessé au
bras droit et 'a la cuisse, et pour avoir la barbe et les cheveux brûlés ;
mais les boulangers et tous ceux qui se trouvaient en bas furent tués
sur le coup, et pres(pie tous les domestiques qui servaient le dîner
furent brûlés ou estropiés.
Le bruit de l'explosion fit croire d'abord que l'ennemi avait attaché
le pétard aux portes, et (jue la ville allait être envahie : quand on se
fut rassuré de ce côté, et qu'on eut pris des informations sur la cause
522 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
de ce désastre, on envoya au village du Val faire une perquisition dans
la maison du paysan qui avait apporté les sacs, on n'y trouva plus per-
sonne : cet homme était déjà parti pour Aix, où il était venu répandre
la nouvelle que le duc d'Epernon était mort a l'heure présente.
D'Épernon n'était pas mort, comme on l'a vu ; mais il avait eu une
telle frayeur en reconnaissant trop clairement qu'il avait affaire à une
populace irritée et féroce, qu'il ne songea plus dès lors qu'a trouver un
moyen de se tirer d'un pays où sa perte était poursuivie avec tant
d'animosité. Il eut donc recours 'a l'intercession du connétable de
Montmorency, son oncle maternel ; et, ayant d'abord obtenu une trêve
qui fut faite et signée le quatorzième jour de mars, il acheva de conclure
son traité avec le roi, a condition qu'il serait conlirmé dans toutes ses
charges et dignités ; qu'en outre de ses gouvernements d'Angoumois, de
Saintonge et du Périgord, on lui donnerait celui du Limousin en dédom-
magement de la Provence, qu'il consentait a céder a Monsieur de Guise ;
que son fds aurait la surveillance de ces quatre gouvernements ; que
Sa Majesté le gratifierait d'une bonne somme de deniers comptants dont
il avait, disait-il, besoin pour payer ses dettes. Ces articles ayant été
accordés, il sortit enfin de la Provence, le quinzième jour de mai, au
grand contentement de tout le pays.
Le roi était pendant ce temps-l'a revenu au siège de La Fère. Trou-
vant que la digue qu'il avait fait commencer n'était pas encore finie, il
laissa le maréchal de Retz pour faire achever cet ouvrage, dont il se pro-
mettait un si grand effet, et il s'en alla 'a Monceaux voir sa maîtresse
qui l'y attendait. Gabrielle, faisant en reine les honneurs de sa maison,
lui présenta elle-même Monsieur de Mayenne, qui était venu pour baiser
les mains de Sa Majesté. Cette entrevue eut lieu dans les allées du parc.
Le roi reçut fort gracieusement son ancien compétiteur, et l'ayant pris a
part, ils se promenèrent longtemps en devisant de leurs affaires. Mon-
sieur de Mayenne, qui était gros et chargé d'embonpoint, était tout essouf-
flé, et ne pouvait qu'a grande peine suivre la marche rapide du monarque.
« Vous voila rendu, mon cousin, dit le roi en riant. Eh bien, je confesse
que j'ai agi malignement ; mais je vous proteste que c'est l'a l'unique
vengeance que je veux prendre pour toutes les courses que vous m'avez
fait faire, quand vous vous battiez contre moi. Embrassons-nous, et soyons
amis. — Sire, répondit le duc, je dois confesser que je n'ai pas été
souvent heureux en combattant contre votre Majesté ; mais ce n'est
qu'aujourd'hui seulement que je me confesse tout à fait vaincu par votre
générosité. Je ne veux plus être que le plus fidèle de vos serviteurs. »
Et en effet, il demeura toujours depuis dans le devoir d'un loyal sujet,
comme aussi le roi, de son côté, se montra très bon prince et exact
observateur de sa parole. (Mézeray, t. III, p. 1172. — Journal de
Henri IV. — Mémoires de Villeroy, 1596. — Péréfixe, liv. 2, 1596.)
Cependant le cardinal Albert, qui avait pris le titre d'archiduc en
devenant vice-roi des Pays-Bas, songeait 'a secourir La Fère ; car, après
tout, c'était la seule conquête un peu importante, qui, pour prix de tant
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 523
de millions sacrifiés et de tant de sang répandu, restât encore en France
au monarque espagnol. Le capitaine Baste fut donc chargé de conduire
un convoi de vives et de munitions aux assiégés. Il assembla secrètement
au Catelet deux escadrons de chevau-légers, il leur fit jurer de sacrifier
leur vie, s'il le fallait, pour exécuter avec lui la commission dont il avait
juré lui-même de s'acquitter ; puis il ordonna à chaque homme de
prendre en croupe un sac de froment, de se pendre au cou un paquet
de mèche et de poudre, dont ceux de La Fère avaient le plus pressant
besoin, et profitant de la nuit, il alla passer avec ses troupes la Somme
auprès de l'abbaye de Ferva(|ues, si bien qu'il se trouva en vue de la
place a la pointe du jour. A un signal dont on était convenu d'avance,
le gouverneur de La Fère envoya par la rivière d'Oise des bateaux qu'il
tenait tout prêts, et sur lesquels les cavaliers mirent promptement le
blé et les munitions dont ils s'étaient chargés. Le camp royal avait déjà
pris l'alarme; Baste, se voyant sur le point d'être attaqué par les nôtres,
se rabattit en toute hâte du côté de la ville de Guise, satisfait d'être
parvenu à ravitailler la place, et il eut le bonheur d'opérer sa retraite
sans perdre beaucoup de monde. Henri, qui revint bien vite au camp,
ne trouva plus autre chose à faire qu'à ordonner de fortifier et de garder
ses lignes avec plus de soin, afin de couper l'entrée à tout nouveau
secours de ce genre. (Dr Thou, t. XII, liv. M6.)
Albert, de son côté, tenait conseil sur les mesures 'a prendre pour
conserver la place au roi, son maître ; l'embarras était d'autant plus
grand qu'on savait que les vivres et les munitions (|ui venaient d'entrer
dans La Fère suffiraient a peine aux besoins d'un mois. D'un autre
côté, pour faire lever le siège 'a force ouverte, il fallait risquer une
bataille, et l'armée française, étant forte surtout en cavalerie, semblait
beaucoup trop redoutable, dans une plaine de dix lieues, qu'il eût été
nécessaire de traverser pour venir l'attaquer. Ainsi après bien des
réiïexions, on se décida a faire une diversion, en se jetant sur quelque
autre place forte de la France, dont la prise, si elle ne sauvait pas
La Fère, dédommagerait au moins Philippe de celte perte.
Ce fut Calais qui obtint cette désastreuse préférence : le sieur de
Rosne, quoique français et même parent de Sully, servait depuis quel-
ques années déjà dans les troupes espagnoles, après avoir été l'un des
plus fermes suppôts de la Ligue qui l'avait môme nommé maréchal de
France. Il n'avait voulu faire sa paix avec le roi qu'à condition que
celte dignité lui serait confirmée ; mais comme il n'avait point de places
fortes dont il fût maître, le roi, qui s'était montré si généreux pour tant
d'autres personnages, ne voulut pas acheter celui-ci à un pareil prix.
De Uosne donc s'en vint représenter au cojiseil de l'archiduc que Calais
serait en effet une conquête aussi facile que brillante. Le gouverneur,
Monsieur de Bidossan, (jui avait hérité de ce commandement par la mort
de son oncle, était loin d'avoir l'expérience nécessaire et la confiance
des habitants. De plus, le roi, comptant sur la force naturelle de la ville,
n'avait pris jusqu'alors aucune précaution pour la faire garder. Toutes
524 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
ces raisons exposées avec art obtinrent l'assentiment général du con-
seil. (Mézeray, t. III, p. 1175. — Cayet, liv. 8, ubi sup. — De Thou,
ubi sup.)
Henri, qui ne se doutait pas d'une pareille résolution, venait alors de
faire achever la digue qui retenait les eaux de la rivière d'Oise : c'était un
travail immense et qui avait coûté des peines et des dépenses inlinies ;
mais quand il la fit rompre pour lâcher le torrent contre la ville, les
mesures avaient été si mal prises et le niveau du terrain si mal calculé
que l'inondation ne fît que peu de mal aux assiégés, au lieu qu'elle alla
couvrir tout le quartier des lansquenets de l'armée du roi, avec tant de
promptitude que ceux-ci, pour sauver leur vie, furent obligés d'aban-
donner la plus grande partie de leurs armes et de leurs bagages.
L'archiduc, de son côté, après avoir réuni sans perdre de temps
quinze mille hommes de troupes choisies, tant espagnoles qu'étrangères,
venait d'entrer en campagne. Le roi s'attendait d'avoir bientôt a livrer
une bataille contre cette armée, qu'il se préparait 'a bien recevoir ; mais,
il ne parut dans le voisinage que quelques légers détachements, destinés
uniquement a distraire l'attention des Français ; et cependant Albert
s'en allait à marches forcées du côté de Calais, s'emparant sur sa route
de tous les postes par où l'on pouvait jeter du secours dans cette ville.
De Rosne, a la tète d'une nombreuse avant-garde, avait pris les devants
et se trouvait déjà sous les remparts de la place.
Calais est défendue du côté de la terre par le pont fortifié du Nieulet
qui traverse la rivière de l'Aa. Du côté de la mer, la tour de Risban
protège le port et en interdit l'entrée aux vaisseaux ennemis qui tente-
raient de s'y introduire. Partout ailleurs, elle est entourée de marais
presque inabordables ; mais comme le gouverneur était loin de s'attendre
'a se voir attaqué, le pont du Nieulet n'était gardé que par une quaran-
taine de soldats assez mal équipés, et de Rosne n'eut pas de peine à
l'emporter d'emblée. La tour do Risban, dont la garnison n'était pas
beaucoup plus nombreuse, fut attaquée presque au même moment. De
Rosne rencontra la un peu plus de résistance, il fallut faire approcher le
canon, et donner un assaut, 'a la suite duquel la tour fut emportée et
ceux qui la défendaient massacrés. Les Espagnols étaient donc déjà
maîtres des deux postes les plus importants, et d'où dépendait le salut
de la ville, quand le roi apprit que c'était a Calais qu'ils en voulaient. 11
laissa le connétable de Montmorency pour continuer le siège de La Fère,
et accourut lui-même avec son régiment des gardes et environ cin-
quante chevaux ; mais quand il arriva a Saint-Valéry, il apprit que le
faubourg du Courguet était déjà au pouvoir de l'ennemi. La tempête, qui
rendait la mer impraticable, et qui avait déjà repoussé une flotte hollan-
daise envoyée au secours de la place, l'empêcha également de s'embar-
quer et d'aller plus loin. (Cayet, liv. 8.)
L'archiduc, au contraire, avait promptement suivi de Rosne ; et,
trouvant tous les passagss libres par terre, il avait établi son camp autour
de la ville. Son quartier général était auprès de Saint-Pierre, et il était
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 525
protégé sur ses derrières par les marais et par de bonnes tranchées
tirées partout où il en était besoin. Le reste de ses troupes, partagé en
forts détachements qui pouvaient se prêter mutuellement main forte,
occupait toutes les autres avenues ; et un fort en terre (jue les Espagnols
avaient construit sur le chemin de Boulogne l'ermait le passage a tout
secours qui aurait pu venir de ce côté-la, pendant que la tour de Risban,
dont, comme on sait, l'ennemi était déjà maitre, empêchait que rien ne
pût être introduit par le pori.
Les postes ainsi distribués, on commença avec les batteries à ouvrir
la brèche dans deux endroits dilTérents, du coté du nord et du côté de
Gravelines, et dans la nuit du lendemain de Pâques, les assiégeants
marchèrent à Tassant par ces deux brèches ; mais 1 attaque faite du côté
du nord n'était que pour distraire l'attention des assiégés, le principal
eiïort eut lieu du côté de Gravelines, où les Espagnols, quoique dans la
mer jusqu'à la ceinture, combattirent avec tant de bravoure que, malgré
la résistance de nos troupes et le feu terrible de tous les canons des
remparts et des vaisseaux (jui étaient dans le port, ils se rendirent
enlin maîtres de ce poste. (Di: Tiiou, ubi sup.)
Les assiégés demandèrent alors à parlementer. Ils proposaient une
trêve de huit jours, pendant laipiellc ils enverraient prévenir le roi de
leur situation, avec promesse que si, dans cette intervalle, il ne se pré-
sentait aucun secours capable de faire lever le siège, ils se rendraient.
L'archiduc rejeta cette proposition avec hauteur, et le gouverneur
Bidossan, voyant la bourgeoisie prête à se mutiner contre lui, fut obligé
d'abandonner la ville et de se retirer dans la citadelle, avec la garnison
et ceux des habitants qui voulurent le suivre.
Le roi, pendant la tempête qui l'avait empêché de s'embarquer,
s'était retiré à Monlreuil. Là, il espérait voir bientôt paraître le secours
qu'il avait fait demander à son ancienne alliée, la reine d'Angleterre ;
mais depuis la conversion de Henri IV, les Anglais avaient repris leur
ancienne jalousie contre la France, et la reine Elisabeth ne voyait plus
les choses de la même manière qu'auparavant. Elle envoya Lord Sidney
dire au roi qu'elle avait en effet une armée toute prête et qu'elle offrait
de la mettre à la disposition de Sa Majesté, à condition qu'il lui serait
donné une place de sûreté convenable pour y déposer ses bagages, ses
munitions et ses malades. Elle demanda que ce fût Calais, dont ses pré-
décesseurs avaient déjà été les maîtres et (jui, aussi bien, allait être
perdue pour la France. (Mézerav, t. III, p. 117G.)
A une demande aussi surprenante, le roi répondit qu'il lui serait
moins honteux de céder à la force de ses ennemis (|ue de se laisser
dépouiller par ses amis : dans le premier cas, ce malheur ne pourrait
être attribué (|u'à sa mauvaise fortune ; au lieu (|ue s'il rendait volontai-
rement une ville aussi in][)ortanle, on ne manijuerait pas de l'accuser de
lâcheté. (Matthieu, t. II, liv. 5, p. 225.)
*Après cette réponse, il trouva le moyen de faire glisser dans la cita-
delle de Calais trois cents de ses plus braves soldats qui bravèrent les
526 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
fureurs de l'océan et les canons de l'ennemi pour accomplir cette
prouesse ; puis, ne comptant plus sur le secours de l'Anglais, il résolut
de retourner à La Fère. Il comptait que cette dernière ville ne pouvait
manquer de se rendre incessamment, et qu'il aurait le temps de revenir
avec son armée au secours des Calésiens, dont il espérait que la résistance
pourrait se prolonger jusque-la. Mais l'archiduc ne lui laissa pas le temps
d'exécuter ce plan ; et, chose étrange, les trois cents braves qui avaient
surmonté tant de dangers pour venir occuper un poste si périlleux ne
se virent pas plus tôt dans ces murs à demi ruinés et entourés de tout un
monde de femmes et d'enfants éplorés, qu'ils perdirent eux-mêmes tout
courage. Quoiqu'il n'y eût aucun d'eux qui ne se fût précédemment
signalé par quelque action glorieuse, au lieu de communiquer leur
énergie a ceux de la garnison, ils en adoptèrent toutes les frayeurs, et
ils furent les premiers a parler de capituler. (Mézeray, uhi sup. — D'Au-
BiGNÉ, t. III, liv. 4, chap. x. — Sully, Écon. royales.)
L'archiduc, sans vouloir rien entendre, fit vigoureusement attaquer
la citadelle, dont un des bastions du côté de la ville s'écroula tout
entier après avoir reçu plus de sept cents coups de canon. Le gouver-
neur lui-même fut mis en pièces par un boulet, en combattant vaillam-
ment a la tête de sa garnison ; la vaste brèche fut couverte de morts et
^de blessés, les femmes et les habitants qui s'étaient réfugiés dans cet
asile remplissaient l'air de leurs cris de détresse, et les soldats qui
pouvaient encore combattre ne cherchèrent plus leur salut qu'en sau-
tant par-dessus les remparts, où la plupart trouvèrent la mort. L'Espa-
gnol vainqueur entra dans la place et passa au lil de l'épée tout ce qui
se présenta devant lui.
En apprenant ce grand revers, Henri IV, au lieu de se montrer
consterné comme tous ceux qui l'entouraient, affecta au contraire un
visage serein. « Or sus, mes amis, dit-il, Calais est pris, il n'y a plus
de remède ; mais ce n'est pas le cas de perdre courage. Les ennemis
que nous avons toujous battus ont leur tour aujourd'hui : demain nous
aurons le nôtre. Ce qui me console, du moins, c'est que j'ai fait tout ce
j'ai pu pour empêcher la prise de cette place importante ; et maintenant
j'espère, avec la faveur du ciel, qu'elle ne restera pas aussi longtemps
entre les mains des Espagnols que nos ancêtres l'ont jadis laissée entre
les mains des Anglais. » {Écon. roijales de Sully.)
Albert resta dix jours à Calais pour faire relever les murailles ; car
il s'attendait bien que le roi ne tarderait pas de tenter la reprise de
cette place, et déjà le bruit courait qu'elle ne resterait pas trois mois au
pouvoir des Espagnols. (De Thou, ubi sup.)
Pourtant, Henri pensa qu'il ne devait pas remettre à un autre temps
la prise de La Fère, dont il était assuré de se rendre maître sous peu,
et il ne jugea pas a propos de se déranger du siège de cette place.
De son côté, l'archiduc, après avoir remis Calais en état de défense,
était parti pour assiéger Ardres. Belin, gouverneur de la Picardie, s'était
renfermé dans cette place, et comme on hésitait si on tenterait ce
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 527
siège : « Puisque Beliii est la, dit de Rosiie, vous pouvez être tranijuilles;
je connais l'homme, et je vous garantis (juil vous rendra la ville. » La
garnison était cependant forte et dévouée ; outre Monlluc, petit-fils du
célèbre maréchal dont il a été si souvent question au commencement de
ces récits, il s'y trouvait le seigneur d'Annebourg, commandant de la
place, le seigneur Bourbon de Montaigu, et un grand nombre d'autres
braves capitaines.
Belin commença d'abord par leur jurer qu'en sa qualité de gouver-
neur de la province, il avait regardé comme un devoir sacré de venir
se renfermer dans Ardres, pour défendre jusqu'à son dernier soupir une
ville aussi importante ; mais, ajouta-t-il, il est inutile de sacrifier nos
soldats pour conserver toute celte multitude d'ouvrages avancés, ainsi
<|ue ces vieux laubourgs qui sont sans importance, et beaucoup trop
faibles et tro|) étendus. Concentrons toutes nos forces dans les lieux où
nous pouvons espérer de tenir, jusqu'à ce que le roi puisse venir a
notre secours.
Les faubourgs furent donc abandonnés à l'ennemi, contre l'avis'de
tous les officiers indignés d'un pareil plan de défense. Belin fit faire
ensuite une consommation prodigieuse de poudre et de munitions de
guerre, en faisant tirer continuellement et sans nécessité toutes les bat-
teries. Or, il arriva que Montluc, sur le courage et les talents duquel on
comptait beaucoup, fut tué sur le rempart d'un coup d'arquebuse. Belin
se montra consterné de cette perte : il assembla le conseil, et remontra
qu'il savait de bonne part (jue le siège de La Fère retiendrait le roi
encore longtemps ; qu'on avait déjà fait des pertes irréparables, et que
de plus les munitions de guerre étaient à peu près épuisées ; qu'il était
donc convenable de ne pas exposer à une perle certaine de bonnes
troupes dont le roi pouvait avoir besoin dans les conjonctures fâcheuses
où l'on se trouvait, et que son avis était de capituler sans attendre
(]u'il fût tro|) tard.
« Monsieur, répondit Annebourg avec indignation, si vous nemanquez
pas vous-même de courage, je réponds sur ma tête que je défendrai
cette place pendant beaucoup plus de temps encore (|u'il n'en faut au roi
pour venir nous secourir : et quant aux provisions de poudre et de
boulets, ne vous en inquiétez pas ; j'en ai heureusement mis en réserve
tout autant qu'il nous en faut pour (|ue nos batteries n'en manquent
pas, quand le siège devrait durer plusieurs mois. » Belin, à celte der-
nière assertion, entra dans une colère furieuse, jurant qu'il ferait punir
le commandant comme coupable du crime de félonie, pour lui avoir
caché à lui, (jui était gouverneur de la province, les munitions de guerre
qu'il avait entre les mains. Le fait est qu'Annebourg, qui était un Nor-
mand 1res habile, après avoir inutilement prié Monsieur le gouverneur
de ménager un peu plus la poudre, avait cru prudent d'en détourner et
d'en mettre une bonne partie en réserve pour les besoins à venir.
Cette ruse, en ôtant à Belin une de ses meilleures excuses pour le
traité honteux qu'il avait résolu de faire avec l'ennemi, ne l'empêcha pas
528 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
pourtant de persister dans son méchant dessein. On a prétendu que sa
femme qui était avec lui dans la place le forçait a faire cette lâcheté,
parce que cette dame, qui était fort avare, craignait qu'au cas où l'ennemi
viendrait a s'emparer d'Ardres sans capitulation, tous les meubles et
joyaux qu'elle avait apportés ne fussent pillés. Quoi qu'il en soit, le gou-
verneur envoya en son nom demander à l'ennemi une suspension
d'armes pour informer le roi de la situation de la place, ce qui lui fut
refusé. Tous les officiers de la garnison, instruits de cette démarche,
vinrent alors lui représenter qu'ils étaient en mesure d'empécheV l'en-
nemi de s'emparer du poste que chacun d'eux commandait et qu'on
avait tout le temps d'attendre avant que d'en venir a une démarche
aussi humiliante. Belin répondit : « C'est moi seul, messieurs, qui suis
ici responsable de tant de braves soldats que vous voulez exposer par
votre témérité. Je n'ai ni l'obligation, ni la volonté de prendre votre
avis. » Et il signa la capitulation.
Elle portait que la garnison sortirait tambour battant, mèches allumées,
enseignes déployées, eHavec armes et bagages; que ceux des habitants
qui voudraient la suivre pourraient emporter tous leurs effets ; et que
ceux qui resteraient dans la ville ne seraient troublés en rien, pourvu
qu'ils prêtassent serment de fidélité 'a Philippe.
Conformément 'a cette capitulation, on vit sortir de la place environ
deux mille hommes tous en bon état, la mine fière et bien armés : les
officiers avaient eu soin que ce jour-la les troupes fussent dans leur plus
brillante tenue, pour faire honte a Belin de la lâcheté avec laquelle il
s'était rendu, quand il avait sous ses ordres des soldats aussi dispos. Il
est certain que les Espagnols eux-mêmes parurent étonnés du bonheur
de leur nouveau vice-roi, qui avait pu triompher si facilement et si
promptement d'une place où se trouvaient encore de pareils défenseurs.
Aussi le roi l'efusa de recevoir Monsieur le gouverneur de la Picardie,
quand il demanda 'a venir lui rendre compte, et il lui nomma des juges
pour examiner sa conduite.
Tout le monde s'attendait 'a ce qu'il serait fait un châtiment exem-
plaire d'un homme qui faute de courage ou par trahison avait si ouverte-
ment manqué 'a l'honneur et a ses devoirs ; mais Belin avait de puissants
amis 'a la cour, et grâce a la belle Gabrielle, qui s'intéressa pour lui
auprès de son royal amant, il en fut quitte pour se voir retirer son gou-
vernement de Picardie. (Mézeray, uhi sup.)
Ce qui rendait encore la perte d'Ardres plus sensible, c'est que cette
ville allait être immanquablement délivrée, si elle eût tenu quelques
heures seulement de plus. La Fère, réduite à la dernière extrémité,
capitulait en ce même moment ; et le roi n'avait plus qu'a conduire son
armée victorieuse contre l'archiduc qui ne l'aurait certainement pas
attendue. La garnison de La Fère obtint au reste une|capitulation hono-
rable et digne du courage avec lequel elle avait soutenu un siège aussi
long. Il lui fut accordé de sortir avec les armes chargées, tambour bat-
tant, enseignes flottantes et « balle en bouche », avec des munitions
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 529
l)Oiir tirer dix coups. Outre ses bagages, elle emmenait encore une
pièce de canon et dix boulets. Le commandant obtint même que le
liaitc portât (]u'il renicltail, et non (pi'il rendait la ville au roi de
France.
A cette nouvelle, Albert, après avoir laissé dans Ardres une forte gar-
nison, n'eut rien de plus j)ressé que de se retirer avec le reste de ses
troupes à Saint-Omer ; car il craignait que le roi ne vînt lui couper les
passages, et ne le forçât à accepter la bataille ; mais il eut grand soin
de fiiirc ruiner sur sa route tout le pays du Boulonnais, brûlant les
fermes et villages, et emmenant tout le bétail. (Di: Tnoi , liv. 100,
p. OiO et suiv. — Cavkt, liv. 8, ad ann. 1590.)
Et cependant, le peuple de Londres, inquiet de voir les Espagnols si
près des côtes de rÀngleterre et maîtres des cotes de Calais, blâmait
bautement la nonchalance de ses ministres qui avaient tant tardé à
secourir celte ville, quand il en était temps encore, et lorsqu'il le (allait.
(De Thou, iibi sup.)
L'occasion sembla donc favorable à Henri pour renouer complète-
ment la bonne intelligence qui avait toujours existé entre lui et la reine
Elisabeth. 11 envoya en Angleterre le duc de Bouillon et Sancy, et des
conférences s'ouvrirent a ce sujet à Greenwich, où se rendirent de la
part de la reine le grand trésorier Cecil, le Lord chambellan, et trois
autres diplomates anglais. « Expliquez-vous, messieurs les Français, dit
d'abord Cecil ; vous venez demander des secours à notre reine, et votre
roi recherche son alliance : c'est donc a vous de nous dire d'abord ce
que votre pays a l'intention de faire en échange, pour l'Angleterre, et
quel avantage nous devons retirer de cette ligue que vous nous propo-
sez. — L'avantage, répondit Bouillon, de battre et de réduire à l'impuis-
sance l'ennemi commun de nos deux nations. Pensez-y bien ; si vous
abandonnez le roi dans les circonstances où il se trouve, avec un
royaume épuisé par nos longues guerres, et quand il a encore a se mé-
tier de la lidélité d'une partie de ses sujets, il ne pourra se dispenser
de faire la paix avec l'Espagne ; et alors, toutes les forces de Philippe
viendront fondre sur vous. »
Deux jours après cette première conférence, Bouillon revint encore
avec plus de force sur cette mémo considération. « Vous ne pouvez pas
douter, dit-il, que c'est spécialement à l'Angleterre que l'Espagnol en
veut. Il aurait pu prendre en France d'autres places beaucoup plus à sa
bienséance (\ue Calais ; mais c'est Calais qu'il a choisi, parce que c'est
de la qu'il lui est le plus facile de faire une descente sur vos côtes. »
Cecil répondit que « tout ce (|ue la reine, épuisée de troupes et d'ar-
gent pouvait faire dans la conjoncture présente, où elle avait déjà une
guerre 'a soutenir en Ecosse, c'était de fournir trois mille hommes, qui
seraient levés et payés d'avance aux frais de la France. — Si le roi, mon
maître, répliqua Bouillon, avait de l'argent comptant, il lui serait aisé
de tirer de l'Allemagne et de la Suisse des troupes plus nombreuses et
moins coûteuses, et dont il pourrait disposer a sa volonté, puisqu'elles
IV. 34
530 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
seraient k ses gages, et non pas de simples troupes alliées, toujours en
droit d'agir ou de n'agir pas, selon leurs intérêts du moment. » Et aus-
sitôt, il se leva tout ému, disant qu'il ne lui restait plus qu'a prendre
congé de la reine et a repasser en France. . .
Mais auparavant, il dressa un mémoire qu'il fit présenter à la reine
Elisabeth, et dans lequel, après avoir montré l'utilité, pour les deux
nations, d'une ligue entre l'Angleterre et la France, il se plaignait amè-
rement des commissaires de Sa Majesté anglicane. Ils n'ont pas même,
disait-il, daigné traiter la chose sérieusement, aussi ne puis-je croire
que c'est au nom de la souveraine de l'Angleterre qu'ils ont parlé. Je
supplie donc Votre Majesté de vouloir bien nous déclarer nettement ses
intentions, afin que nous ne perdions pas ici inutilement un temps qui
pourrait être employé au service de notre patrie. »
Elisabeth ayant lu cet écrit, et craignant de mécontenter trop direc-
tement les Français, donna l'ordre a Cecil d'offrir trois mille hommes
de pied équipés et soldés, mais dans six mois seulement, quand la guerre
d'Ecosse serait terminée, et avec cette condition que ces troupes ne
pourraient être employées, que dans la Normandie et dans les autres
provinces du nord-ouest de la France. « Si le roi, reprit Bouillon, offre
à Votre Majesté de conclure avec elle cette ligue offensive et. défensive,
ce n'est pas dans l'espérance d'un secours éloigné dont il n'aura plus
besoin alors, mais à cause du besoin pressant qu'il a d'un secours
présent. — Mais, répliqua Cecil, nous savons de bonne part qu'il est
déjà question d'un traité de paix entre la France et l'Espagne ; et dans
une pareille circonstance, il ne convient pas a la reine d'Angleterre de
prêter ses troupes au roi votre maître, qui ne s'en servira que pour
obtenir des conditions plus avantageuses. » Bouillon affirma par serment
que la chose était fausse et que Henri était bien décidé a ne faire la paix
avec l'Espagne qu'au cas où ses alliés l'auraient tout k fait abandonné.
Cela dit, il demanda de nouveau congé de retourner en France.
Enfin, après quelques nouvelles contestations, le vingt-sixième jour
de mai, on convint que sans déroger^ux anciens traités, le roi et la
reine feraient une nouvelle ligue, pour la défense réciproque de leurs
États contre Philippe, et, pour porter la guerre dans les États de cet
ennemi commun ; qu'on préviendrait de ce traité tous ceux qui avaient
intérêt 'a se mettre à couvert de l'ambition espagnole, et qu'on les invi-
terait a se réunir a la ligue ; qu'on lèverait en commun et à frais com-
muns une armée pour soutenir cette guerre, et que le roi, ni la reine,
ne pourraient sans l'agrément de l'un de l'autre faire ni paix, ni trêve
avec Philippe et ses adhérents. (Cayet, liv. 8, ad ann. 1596.)
H n'y avait plus qu'une petite difficulté, qui faillit pourtant tout
faire manquer. Les commissaires anglais avaient apporté ce traité signé
d'avance par eux, et leur signature occupait la place la plus honorable.
Pour justifier leurs prétentions, ils produisaient d'anciens traités tirés
de leurs archives, où cet ordre avait été observé. Les Français montraient
le contraire, par le dernier traité fait avec Charles IX ; ils finirent cepen-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 531
danl par ne plus contester sur cet article, parce que le roi n'avait pas
encore envoyé ses ordres, ni signé le traité.
Bouillon passa ensuite en Hollande. Les Provinces-Unies s'étaient,
comme on sait, mises depuis longtemps déjîi sous la protection de l'An-
gleterre, et il était tout naturel qu'elles dussent entrer dans la ligue
laite par ce royaume avec la France, d'autant plus (ju'après avoir secoué
le joug de l'Espagne, elles avaient maintenant à défendre leur liberté
reconquise contre IMiilippe, qui prétendait les traiter en rebelles. « Mes-
sieurs, dit Bouillon, dans l'audience (juil obtint des États-Généraux de
la Hollande, ce traité est tout à votre avantage. L'intention du roi,
mon maître, et le secret intime de son cœur que je ne crains pas de
découvrir devant des amis pleins de candeur comme vous, a été de
consolider de tout son pouvoir le glorieux résultat que vous avez déjî»
obtenu par tant d'ellorts et de sacrifices. Reconnaissant des services que
vous lui avez déjà rendus en plusieurs circonstances contre un ennemi
commun, il m'a chargé de vous donner sa parole (jue vos amis et vos
ennemis seront toujours les siens, et qu'il ne fera jamais la paix avec
l'Espagne que de votre avis et avec votre agrément. H espère que vous
prendrez le même engagement. Pour vous donner une preuve du fonds
qu'il l'ait sur votre amitié, il m'a également chargé de vous faire part de
la situation de ses affaires, qu'il sait bien ne devoir pas vous être indif-
férentes. Nos guerres civiles sont heureusement terminées, après plus
de huit années de souffrances et de périls ; mais plus la maladie a été
grave, plus le corps du convalescent reste faible et épuisé, plus il a
besoin du secours de ceux qui s'intéressent 'a sa conservation. Sa Majesté
compte donc sur vous pour l'aider dans ce besoin pressant, d'autant
plus (jue les secours qu'elle vous demande auront pour résultat défini-
tif d'éloigner de vos frontières un ennemi acharné, et contribueront par
conséquent 'a votre propre sûreté ; car c'est l'Espagne qu'il s'agit de
vaincre et de faire reculer. » (DeTiiol, ubi sup.)
La Ligue fut aussitôt adoptée du consentement unanime de toute
l'assemblée. Il fut décidé qu'on prierait les rois d'Ecosse et de Daue-
marck, les électeurs et les princes de l'empire, ainsi que tous les rois,
princes et ré|)ubliques, qui avaient intérêt a s'opposer a l'ambition sans
bornes des Espagnols, d'entrer le plus tôt qu'il se pourrait dans cette
confédération. On décréta en outre que les Etats-Généraux fourniraient
d'abord dix mille hommes de pied et quinze cents chevaux, un train d'ar-
tillerie avec les munitions de guerre convenables et trois cent cinquante
mille francs, pour être employés dans l'intérêt commun. (Mézeiiav, t. IH,
p. 1185 et suiv.)
De son côté, le roi de France promettait pour lui et pour ses succes-
seurs d'accorder protection a tous les citoyens des Provinces-Unies, de
leur permettre de naviguer, commercer et contracter dans tous les pays
de France et de sa dépendance, où il leur serait rendu justice, comme
aux nationaux eux-mêmes, 'a condition que les sujets de Sa Majesté joui-
raient de droits pareils dans les pays des Etats.
532 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Tels furent les principaux articles de ce traité, que Henri IV s'em-
pressa de ratifier aussitôt. Rien ne pouvait, en effet, dans les conjonctures
présentes, être plus avantageux a sa domination encore mal affermie.
Les huguenots, mécontents de son abjuration, commençaient a devenir
exigeants et a se montrer partout moins affectionnés ; les restes de la
Ligue, toujours prêts a remuer, avaient partout conçu de nouvelles espé-
rances, le duc de Montpensier s'était réengagé plus que jamais avec les
factieux ; et Henri venait d'apprendre que ce prince, tramant quelque
dessein secret, cherchait par toutes sortes de moyens 'a s'attacher des
créatures. On avait 'a craindre de voir renaître un nouveau tiers parti,
avec un prince du sang 'a sa tête, d'autant plus qu'en voyant Calais,
Cambray et Ardres au pouvoir de Philippe, on s'imaginait qu'il n'y avait
plus rien d'impossible pour lui. Aussi, la consternation était presque
générale parmi les serviteurs du roi, qui commençaient à désespérer
du succès d'une cause qu'ils avaient eu tant de peines 'a faire pré-
valoir jusqu'alors. (De Thou, ubi sup. — Économies royales de Sully^
1596.)
Mais quand on sut que l'Angleterre et la Hollande allaient prendre
ouvertement le parti de Henri IV et faisaient avec lui une alliance offen-
sive et défensive contre l'Espagne, chacun reprit courage et attendit
sans crainte les événements.
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 33
CHAPITRE XXI
1596-1597. — ARGUMENT : le roi envoie ciuon ravager l'artois.
MANIFESTE DU COMTE D'ESSEX.
LA FLOTTE ANGLAISE EST JOINTE PAR CELLE DE HOLLANDE.
BATAILLE NAVALE PRÈS DE CADIX. — CETTE VILLE EST PRISE ET SACCAGÉE.
ALEXANDRE DE MÉDICIS LÉGAT EN FRANCE.
RESTRICTION DU PARLEMENT POUR ENREGISTRER SES LETTRES.
LE ROI CONVOQUE UNE ASSEMBLÉE DE NOT.ABLES A ROUEN.
LA DUCHESSE DE MONTPENSIER MEURT DE LA PESTE A PARIS. — OUVERTURE
DE l'assemblée DES NOTABLE.S. — DISCOURS DU ROI. — DISCOURS DU CHANCELIER.
CAHIERS DU CLERGÉ, — DE LA NOBLESSE, — DES MEMBRES DE LA JUSTICE.
OMER TALON PARLE POUR LE PEUPLE.
PROPOSITION DE L'ASSEMBLÉE TOUCHANT LES FINANCES. — SULLY SURINTENDANT.
LE ROI A DESSEIN D'ÉPOUSER GABRIELLE. — MOT CRUEL DE SANCY.
LE ROI FAIT SOLLICITER LES PRINCES ALLEMANDS d'ENTRER DANS LA LIGUE
CONTRE L'eSPAGNE. — MAUVAIS SUCCÈS DE SON AMBASSADEUR.
LE VICE-ROI ALBERT EN HOLLANDE. — MORT DE DE ROSNE.
LE PRINCE d'orange BAT LES ESPAGNOLS. — TELLO SURPREND AMIENS.
LE ROI DEMANDE INUTILEMENT DES RESSOURCES AU PARLEMENT.
SULLY PROPOSE SES MOYENS D'aVOIR DE L'aRGENT. — LE ROI REVIENT AU CAMP.
OPÉRATIONS DU SIÈGE. — MORT DE TELLO. — MORT DE SAINT-LUC.
MONTENEGRO PREND LE COMMANDEMENT DES ASSIÉGÉS.
LE VICE-ROI VIENT A SON SECOURS. — SON .AVANT-GARDE EST MISE EN DÉROUTE.
IL n'ose livrer la BATAILLE ET SE RETIRE. — LA GARNISON D'aMIENS CAPITULE.
Le roi, sans perdre de temps, manda le maréchal de Biron qui était
alors dans son gouvernement de Bourgogne, et lui donna l'ordre d'entrer
dans l'Artois, aïin que les sujets du roi d'Espagne se ressentissent à leur
tour des calamités de la guerre. Sa Majesté avait à cœur d'exercer des
représailles envers le vice-roi des Pays-Bas, qui avait si cruellement ra-
vagé le Boulonnais après la capitulation d'Ardres. (Mézerav, t. 111, p. 1179
et suiv.)
Biron, en effet, rendit avec usure aux pays soumis aux Espagnols le
mal que ceux-ci avaient fait aux pays s.oumis a la France. Peu s'en fallut
même qu'il ne surprit Arras : le salut de cette ville, qui ne s'attendait
pas a une attaque aussi brusque, ne dépendit que de la maladresse d'un
pétardier, qui ayant mal attaché son pétard a la porte dont on s'était
approché par surprise et sans être découvert, fut renversé par l'explosion
dans les fossés, sans que la porte lût endommagée. Il fallut se retirer.
534 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Mais au parlir de là, le maréchal alla décharger sa colère sur le plat
pays. 11 prit et incendia le châleau. dimbercourt, pilla la ville de Saint-
Pol et toute la comté, et emmena un grand butin, après s'être avancé
jusqu'aux portes de Douai, « enchérissant autant qu'il pouvait par le fer,
le feu et le pillage, sur les ravages que les ennemis avaient laits dans
le Boulonnais, afin de leur apprendre à faire désormais meilleure
guerre. »
En même temps, le comte d'Essex, a la tête d'une flotte que dirigeait
en personne le grand amiral d'Angleterre Lord Effingham, publiait un
manifeste par lequel il déclarait que la reine Elisabeth lui avait donné
l'ordre de faire la guerre au roi Philippe, et d'attaquer les États de ce
monarque, parce qu'elle était bien informée que le dit prince, persistant
dans ses anciens projets contre l'Angleterre, faisait de grands préparatifs
pour l'envahir. « C'est Ta, disait le général anglais, une trahison inouie
et détestable ; mais ce n'est pas tout encore : nous savons que Philippe a
suborné des assassins pour attenter aux jours de notre bien-aiméç sou-
veraine ; c'est pourquoi nous avons pour instructions de ne faire tort à
aucune nation quelle qu'elle soit, mais de n'épargner en rien les sujets
du roi d'Espagne, de même que tous ceux qui lui fourniront de l'argent,
des soldats, des vaisseaux ou des munitions. Ainsi que ceux qui ne sont
pas Espagnols, et qui se trouvent dans les villes et ports des pays à la
domination du roi d'Espagne, se hâtent d'en sortir, s'ils ne veulent pas
être traités par nous comme ennemis de l'Angleterre. »(De Thou, t. XII,
liv. 116, p. 671.)
Ce manifeste fut publié en français, en italien, en allemand et en
espagnol, et répandu dans tous les pays de l'Espagne et du Portugal.
Les États des provinces insurgées de la Hollande envoyèrent, sous la
conduite de Louis de Nassau, vingt-quatre vaisseaux de guerre se joindre
'a la flotte anglaise, et l'on lit voile directement pour Cadix. On trouva
là la flotte de Philippe composée de vingt-quatre galères, de quatre
galions, du grand vaisseau-amiral et de quatre frégates. La bataille
s'engagea incontinent : elle fut sanglante, et les Anglais vainqueurs
prirent et pillèrent Cadix, passant au fil de l'épée tous les habitants,
sans faire grâce ni au sexe, ni à l'âge, « pour venger, disent les histo-
riens espagnols, la mort de plus de deux mille des leurs, qu'ils avaient
perdus dans ce combat. » (Cayet, liv. 8, ad ann. 1596.)
Ce qui est certain, c'est que les vainqueurs ne purent donner aucune
suite à ce premier succès : il fut impossible aux Anglais de s'accoutu-
mer aux chaleurs de ce climat nouveau pour eux ; la maladie attaqua à
son tour leurs troupes, et le comte d'Essex se hâta de ramener sa flotte
chargée d'un immense butin.
En ce temps-là, le légat du pape arrivait en France; « et il n'y en
eut jamais de meilleur ni de plus paisible. » C'était Alexandre de Médi-
cis, archevêque de Florence, prélat également recommandable par sa
connaissance des affaires et par la noblesse de ses sentiments. Sur toute
sa route jusqu'à Paris, il fut accueilli avec les plus grands honneurs.
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 535
Lesdiguières, quoique prolestant, alla avec une grande suite le recevoir
a la frontière et voulut l'escorter jus(|u'a Lyon. Tous les autres gouver-
neurs des provinces s'empressèrent également de lui faire cortège, et le
roi accourut en poste à Paris pour recevoir cet envoyé du Saint-Père.
Henri de Bourbon, premier prince du sang, vint au-devant de lui jusqu'à
Chartres ; tous les corps de la ville se rendirent a la porte Saint-Jacques
pour le complimenter, et Achille de Harlay, premier président du Parle-
ment, portant la parole au nom de sa compagnie, lui adressa une élo-
quente harangue sur son heureuse arrivée . « Nous espérons, dit-il, que
Votre Excellence ne vient pas comme le précédent légat, pour apporter
en France le flambeau de la guerre, mais au contraire que c'est la paix
de Dieu qui nous arrive avec vous. » (Journal de Henri IV, t. IT,
p. 504.)
Le légat parut un peu mécontent de cette phrase de Torateur parle-
mentaire : il répondit pourtant qu'il était en effet l'envoyé d'un Pontife
pacilique, et qu'en cette qualité, il avait l'intention de se conduire de
telle sorte (jue ceux qui aimaient véritablement le salut de la France
n'auraient qu'a se réjouir de sa venue.
Après cette entrée solennelle, ses pouvoirs furent portés au Parle-
ment, avec des lettres-patentes du roi, qui enjoignaient de les enregistrer
et de les faire publier sans délai, dans les formes ordinaires ; mais, sur
les conclusions du Procureur général, il fut dit « qu'attendu que les
facultés données par le Pape a son Légat étaient plus étendues que
nos lois et nos libertés ne le permettent ; qu'il y était fait mention
de l'acceptation du concile de Trente, lequel n'était point reçu en
France, la publication des dits pouvoirs n'aurait lieu qu'aux clauses et
conditions d'usage, c'est-à-dire sous toute réserve de l'autorité du roi,
de la constitution et des lois du royaume, des droits de la juridic-
tion nationale et des libertés et immunités de l'Église gallicane. » (Cayet,
îibi supra.)
On prescrivit ensuite (jue lorsque le légat sortirait du royaume, il
serait tenu de remettre entre les mains d'un oflicier nommé par Sa
Majesté tous les actes de juridiction qu'il aurait faits pendant sa légation,
et que, faute de ce faire, sa légation serait déclarée nulle. Enfin et sur-
tout, il fut bien convenu que la publication permise 'a ces conditions ne
devrait être en aucun cas regardée comme une approbation ^du concile
de Trente.
Le légat dut trouver sans doute ces conditions un peu blessantes ;
mais ce sage vieillard se conduisit avec une telle modération pendant
tout le temps de sa mission en France qu'il contribua efficacement à
y faire renaître la paix dans les esprits, et comme certains zélés indis-
crets venaient souvent lui apporter des dénonciations contre les héré-
li(|ues, particulièrement contre la princesse Catherine, sœur du roi,
laquelle faisait tenir le prêche à portes ouvertes dans son hôtel de Sois-
sons; « Je ne suis pas venu, disait-il, pour forcer les consciences ; c'est
la paix qu'il faut d'abord établir en France, parce que, sans la paix, il
536 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
serait inutile de penser a y faire fleurir la religion.» (DeTiiou, iibi sxip.
— Mézeray, t. III, p. 1181.)
Il poussa la tolérance jusqu'à assister de sa personne au baptême
d'une lîlle que le roi venait d'avoir de Gabrielle d'Estrées, et que Sa
Majesté voulut faire présenter aux fonts baptismaux avec un grand
étalage de pompe et de magnificence. Mais plusieurs personnes
sensées blâmèrent cette concession du prélat pour un enfant bâtard, et
prétendirent qu'une pareille cérémonie n'eût pas dû au moins se faire
en présence d'un légat du Saint-Siège. (De Thou, t. XIII, liv. 117,
Ce fut lui aussi qui reçut l'abjuration de Charlotte de la Trémouille,
veuve du prince de Condé, mort en 1588. Celle princesse, accusée,
comme on l'a vu, d'avoir empoisonné son mari, en avait appelé au Par-
lement de Paris, qui, au bout de huit ans, venait, sur la recommanda-
tion du roi, de rendre un arrêt de non lieu, par lequel étaient cassées et
annulées toutes les procédures faites dans cette cause par les juges
de Sa in ton 2^6.
EnOn, quelques années après, le légat eut aussi la gloire de convertir
le fameux Sancy. L'abjuration de cet homme, dont le nom a servi de
thème a une des plus mordantes satyres du temps (la Confession de
Sancy par d'Aubigné), eut lieu dans l'église des jésuites. Le légat, pour
pénitence, appliqua quelques légers coups de houssine au nouveau
converti, et comme celui-ci faisait semblant de pleurer : « Voyez-vous,
dit bonnement le saint homme, avec quelle componction ce pauvre
seigneur déplore son hérésie ! » Le roi, qui était présent, dit à ceux qui
l'entouraient : « C'est vrai que Sancy joue bien son rôle : il ne lui
manque plus que de prendre le turban, il le ferait tout d'aussi bonne
grâce. » {Journal de Henri IV, t. II, p. 557.)
Mais si, de ce côté, tout semblait marcher au gré de Henri IV, bien
d'autres sujets de peines et d'inquiétudes réclamaient toute sa diligence
et son adresse. D'une part, les huguenots, lassés de solliciter en vain
un édit qui les mît en sûreté, menaçaient de nouveau de se choisir un
protecteur ou chef suprême autre que le roi, et d'établir entre eux une
confédération qui eût formé comme un nouvel État dans l'Etat. D'autre
part, il voyait les principaux d'entre les seigneurs qu'il avait faits gouver-
neurs des provinces très disposés a se rendre indépendants chacun dans
son gouvernement, et a ressusciter l'ancienne féodalité. Ils en étaient
même venus 'a faire faire au roi, par le duc de Montpensier, la singu-
lière.proposition de lui fournir une armée qu'ils entretiendraient et sol-
deraient à leurs frais, à condition que leurs gouvernements leur
seraient donnés en propriété. On pense bien que des offres aussi
étranges ne furent pas acceptées. (Mézeray, ibid., p. 1184.)
Sa Majesté préféra s'adresser à la nation elle-même, et convoqua
une assemblée des plus notables personnages choisis parmi les grands
du royaume, les prélats, les nobles et les officiers de judicature et de
finance. Le peuple y devait être représenté par le prévôt et les échevins
UU PROTESTANTISME EN FRANCE. 537
«le Paris ; et afin, est-il dit, que les décisions de cette assemblée pus-
sent être regardées comme émanant de la France elle-même, le roi
déféra la nomination des autres membres qui devaient siéger dans
cette réunion a l'élection de leurs pairs.
Cependant, comme sa présence était nécessaire en Normandie et
aux frontières de la Picardie, tant a cause du voisinage des ennemis
que pour surveiller certaines menées des Anglais, contre lesquels il
avait plus d'un sujet de méfiance, malgré les derniers traités, ce fut
dans la ville de Rouen qu'il assigna le lieu des séances de cette assem-
blée des notables.
Une autre raison qui détermina encore ce cboix, c'est que la peste
sévissait alors dans Paris et y emportait cbaquejour un si grand nombre
de personnes, que les prêtres ne pouvaient fournir ;i enterrer les morts.
La ducbesse de Montpensier, si tristement célèbre dans l'histoire de ces
temps-là, fut du nombre des victimes qu'emporta le fléau. « Elle mou-
rut d'un grand flux de sang, qui lui coulait de tous les endroits du corps,
ce qui fut une lin bien digne de sa vie ; de même que le grand tonnerre
et la tempête qu'il fit cette nuit-la (sixième de mai 1596), convenaient
admirablement aux tempétueuses humeurs de son esprit malin et brouil-
lon. » On dit que (juand son corps fut exposé sur le lit de parade, un
gentilhomme vint baiser cette face inanimée, disant tout haut « qu'il y
avait bien longtemps qu'il aurait voulu lui donner ce baiser-la ». (Jour-
nal de Henri IV, t. 11, p. '292 et suiv.)
Le roi fit à Rouen une entrée magnifi(|ue pour laquelle la ville avait
dépensé, a ce qu'on prétend, plus de (juatre cent mille écus, puis l'ouver-
ture de l'assemblée des notables eut lieu le vingt-quatrième jour de
novembre, 159G, dans la grande salle de la maison abbatiale de Saint-
Ouen. Le roi était assis sur une chaire élevée, sous un dais en forme de
trône. A sa droite se tenaient le légat, les cardinaux de Gondy et de
Givry, et quelques évêques ; 'a gauche siégeaient les ducs de Montpen-
sier et de Nemours, le connétable, les ducs d'Epernon et de Rais, et le
maréchal de Matignon ; derrière étaient les ministres d'Etat. (Cayf.t,
liv. 8.)
Le roi prononça une courte harangue, «f Si mon but, dit-il, était de
passer pour excellent orateur, je pourrais vous apporter ici un discours
tout fait, où il y aurait plus d'éloquence que de bonne volonté ; mais,
j'espère plus haut (jue cela : la gloire que j'ambitionne, c'est celle de
libérateur et de restaurateur de cet État. Déjà, par la faveur du ciel, par
les conseils de mes bons serviteurs et par le courage de la noblesse
française, de laquelle je ne distingue pas les princes (la qualité de
gentilhomme français étant le plus beau titre que nous possédions tous),
déjà, dis-je, j'ai pu tirer mon royaume de la servitude et de la ruine.
Maintenant, je désire le remettre en sa première force et en son
ancienne splendeur. Je compte sur vous pour m'aider en cette seconde
entreprise, comme vous m'avez aidé dans la première. Je ne vous ai pas
convoqués ici, comme faisaient mes prédécesseurs, pour vous obliger à
538 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
approuver aveuglément mes volontés, mais pour recevoir vos bons con-
seils et me mettre pour ainsi dire sous votre tutelle. C'est une envie qui
ne prend guère aux rois et aux barbes grises, comme l'est maintenante
mienne ; mais l'amour que je porte 'a mes sujets et le désir qne j'ai de
les voir heureux sont et seront toujours le principal mobile de toutes
mes actions. » (Mézeray, ubi sup. — Péréfixe.)
On trouva généralement que ce discours était bien digne d'un véritable
roi, « lequel ne doit pas croire que sa grandeur et son autorité consis-
tent en une puissance absolue, mais au bien de l'Etat et au salut de son
peuple. » La belle Gabrielle, que Henri menait partout avec lui, « le railla
cependant avec finesse de ce qu'il avait parlé de se mettre en tutelle. —
Ventre saintgris, répondit le bon prince, en riant ; je leur ai dit cela,
il est vrai ; mais je l'entends avec mon épée au côté. » (Péréfixe, ubi
sup. — Mémoires de Villeroij, 1596.)
Après le discours de Sa Majesté, le chancelier Chiverny reçut l'ordre
de parler pour expliquer les royales intentions. Il commença par retracer
assez longuement tous les malheurs des temps passés, il exposa ceux
(ju'on avait encore a craindre : il restait à soutenir une guerre contre
un ennemi dangereux, joignant à une haine irréconciliable une ambi-
tion effrénée et persévérante. « Or, dit-il en terminant. Sa Majesté, qui
a déjà affronté tant de dangers pour le salut de l'État, pense que ne
s'étant jamais ménagée elle-même, il est bien juste que ses fidèles sujets
offrent aussi leur vie et leurs biens pour la même cause. » (De Thou,
ubi sup., p. 19 et suiv.)
En conséquence, dès le lendemain, on forma trois classes des dépu-
tés pour délibérer chacun en particulier. La justice et la finance, réunies
au grand prévôt de Paris et aux échevins, tinrent cette fois lieu du
Tiers-État. Et ces trois classes ayant dressé séparément leurs cahiers,
voici ce que contenaient ceux du clergé :
Que les évêques et archevêques fussent désormais promus par voix
d'élection, ou que, du moins, le roi, avant que de nommer ces hauts digni-
taires de l'Église, fît prendre des informations sur leurs vie, mœurs et
doctrine ; qu'on suivît la même règle, par rapport aux abbayes et même
aux couvents de filles, où surtout il était nécessaire de rétablir l'élection,
si l'on voulait couper racine aux déplorables scandales qui s'étaient
produits dans ces derniers temps ; que les métropolitains, pour surveiller
et corriger les abus, tinssent tous les trois ans au moins des conciles
provinciaux ; qu'on poursuivît sérieusement les simoniaques, « et qu'il
fût défendu aux troupes de profaner les lieux sacrés, en logeant eux ou
leurs chevaux dans les églises, les chapelles, ou même dans les
sacristies. »
La noblesse demanda à son tour : que ses membres fussent admis à
concourir aux bénéfices et dignités ecclésiastiques, en récompense des
grands services qu'elle avait rendus à l'État ; qu'on n'accordât à l'avenir
de lettres d'anoblissement qu'à ceux qui s'en seraient rendus dignes
par de grandes et éclatantes actions, principalement a la guerre ; que
DU PJiOïlCSTANTISME EN FRANGE. 539
tout gentilhomme fût maintenu dans les anciens droits et privilèges de
la noblesse, e'est-a-dire exempté des fonctions de garde, sentinelle et
des autres pareilles corvées ; que le roi prît en sa maison en qualité de
pages le plus de jeunes gentilhommes que faire se pourrait, et qu'il se
chargeât de leur faire donner une éducation convenable a leur naissance ;
que les sénéchaux et baillis des provinces fussent exclusivement tirés
de la noblesse ; que les roturiers et gens de basse extraction ne pussent
porter le nom des châteaux et seigneuries qu'ils auraient achetés, et
s'enter par là sur des familles nobles, en quittant leur propre nom.
Ceux de la justice demandèrent que les charges de judicature ces-
sassent d'être vendues au prolit du trésor, ou que du moins on restrei-
gnît considérablement le nombre des magistratures a vendre, parce que
cela diminuait par un partage trop divisé le proht des titulaires. C'était
le prévôt Langlais qui était chargé de porter la i)arole pour le peuple ;
mais il s'en acquitta si mal que l'avocat Omer Talon l'un des échevins
de Paris, fut obligé de prendre sa place et il parla, dit-on, avec tant
d'éloquence, que le roi s'écria en riant : « Il est heureux pour nous
que Monsieur notre prévôt ait eu la langue au talon. » Talon, demanda
que le roi renouvelât contre le luxe la loi qui défendait de porter de
l'or, de l'argent et des pierreries sur les habits ; qu'on observât avec
plus d'exactitude une ordonnance donnée à Saint-Uermain en d587,
touchant ce que doivent payer les voyageurs pour leur dépense dans les
hôtelleries, et que les honoraires des avocats ainsi que le salaire des
procureurs fussent tarifés. {Journal de Henri IV, t. 111, p. 524.)
On voit que l'assemblée de Uouen avait pris au sérieux la parole du
roi, quand il avait dit qu'il se mettait en tutelle, et que chaque classe
de ceux qui la composaient ne pensait qu"a diriger cette tutelle dans le
sens le plus favorable à ses intérêts. Le roi avait cependant fait savoir
dans ses lettres de convocation que pour l'heure il n'était pas question
de réformer l'Etat, et qu'il fallait seulement aviser 'a lui fournir prompte-
ment les moyens de trouver de l'argent, pour repousser l'ennemi des
frontières. (Mézeray, p. 1185.)
Voici ce qu'on proposa pour cet objet. Sa Majesté fut suppliée de
vouloir bien pour le salut du peuple faire examiner l'état de ses hnances.
En supputant les revenus du royaume, on trouva qu'ils montaient à
neuf millions huit cent mille écus d'or, dont cinq millions passaient
pour Tenlretien du roi et les dépenses de l'armée, le reste servait 'a
payer les gages des officiers dans les autres services, ainsi que les
renies, pensions, intérêts et autres dettes de l'Etat. On proposa d'abord
(jù'aucune pension ne fût payée, ni aucune somme extraordinaire dis-
traite du trésor jusqu'à ce (lue les dettes réelles fussent entièrement
acquittées. On demanda encore que les étoffes d'or et de soie de
fabri(|ue étrangère ne pussent entrer dans le royaume qu'en payant de
forts droits, mais qu'en même temps, on engageât les ouvriers étran-
gers qui s'occupent de ce genre de fabrication a venir s'établir en France,
en leur promettant de les faire jouir des mêmes .privilèges dont jouis-
540
HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
saient les ouvriers nationaux. Et comme on était certain que la plus
grande partie des sommes destinées à payer les troupes avaient été
détournées par les courtisans, on stipula que des commissaires seraient
nommés pour chercher et vérifier tous les édits de paiement enregistrés
depuis vingt ans.
Pour veiller a l'exécution de toutes ces mesures dont la plupart avaient
été suggérées par Sully, on proposa qu'il fût établi un nouveau conseil qui
serait nommé conseil de raison, parce que, disait-on, il serait Ta pour
rendre raison 'a chacun. La nomination des membres qui devaient le com-
poser devait être déférée en partie a l'assemblée elle-même, et en partie
aux cours souveraines ; et ils devaient avoir la disposition et ordination
absolue des recettes et des dépenses. Cette espèce de contrôle ne laissait
pas que de paraître un peu gênante au roi ; mais Sully l'engagea 'a laisser
faire, parce que « cette belle idée, n'étant qu'une pure chimère et imagi-
nation de cerveau mise hors de leur portée, serait bientôt mise à néant
par l'impossibilité même qu'on rencontrerait dans l'exécution. » {Écon.
royales de Sully, 1596.) »
Le roi venait de le nommer surintendant des finances, en l'adjoignant
'a Sancy, depuis longtemps en possession de diriger cette branche impor-
tante du service public, et qui ne s'y était pas appauvri. Sully donc s'oc-
cupa d'abord de deux choses : premièrement, de se mettre au-dessus de
toutes les petites machinations de son collègue, et de le ruiner dans
l'esprit du roi ; ensuite, de tirer le meilleur parti possible des moyens
de faire de l'argent comptant avec les ressources que l'assemblée des
notables avait mises à sa disposition. La suspension des gages des offi-
ciers publics et des pensions produisit bien quelques petites sommes ;
le droit qui h^appait les pays étrangers ne donna que des rentrées insi-
gnifiantes et causa de grands troubles dans les provinces d'au delà la
Loire ; mais ce qui fut plus productif, ce fut la mesure qui prescrivait la
poursuite des larcins commis par les courtisans et les financiers. Ceux-
ci, en effet, jugeant qu'ils s'en tireraient 'a meilleur marché par un com-
promis qu'en laissant traiter l'affaire par les commissaires qu'on voulait
leur nommer, s'empressèrent de faire une bourse commune, et réunirent
une grosse somme qu'ils portèrent au trésor. (Legrain, Décades, liv. 7,
p. 540.)
« Mais il arriva en cela encore un grand abus ; car les meilleures
bourses, qui avaient le plus de part 'a la malversation, ayant avancé les
deniers pour la cotisation générale, il leur fut permis de répéter cet ar-
gent sur tous ceux qui avaient manié les finances et ils s'en prirent aux
grenetiers, contrôleurs, et même 'a des veuves et des enfants mineurs;
et sous le nom honnête de remboursement du prêt au roi, ils trouvè-
rent le moyen non seulement de ne rien perdre du leur, mais encore
de gagner plus de vingt mille écus d'or, au lieu d'être punis. »
Cependant Henri IV était revenu 'a Paris, où les ravages de la conta-
gion commençaient à diminuer, et comme il ramenait avec lui la belle
Gabrielle, dont il paraissait plus épris que jamais, « l'embrassant de-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 541
vaut tout le monde et s'en laissant baiser, » on ne parlait a la cour et à
la ville que^du mariage prochain de Sa Majesté avec cette courtisane
royale. Et, ^n effet, Henri lui-même dit un jour a monsieur de Sancy,
qui n'avait point encore perdu absolument sa conliance: « Je suis ré-
solu de me donner cette satisfaction, et je crois avoir bien assez fait
pour que mon peuple me la passe. — Sire, répondit courageusement
le favori, pensez-vous que cent mille gentilshommes qui vous recon-
naissent pour chef veuillent vous rester attachés, quand vous aurez
commis une faute aussi déshonorante? C'est votre bonne réputation
qui vous a élevé sur le trône royal; mais, pour en descendre, vous
n'avez qu'à faire une action aussi indigne de toutes vos actions précé-
dentes. » {Journal de Henri IV, l. 11, j). 7}'-2h. — Mémoires de Ville-
roy, 1590.)
C'était pourtant un bon prince que celui auquel on croyait pouvoir
parler impunément en de pareils termes. Il est vrai d'ajouter que Sancy
perdit bientôt après la faveur du monarque; mais c'est qu'il avait en
outre choqué plus grossièrement encore la maîtresse royale. « Si le roi
m'épousait, disait-elle un jour, les enfants que j'ai déjà eus de lui de-
viendraient légitimes. — Non, Madame, répondit Sancy; en France les
bâtards de nos rois sont toujours lils de putain. »( .Wem. de Yilleroy,
ubi supra.)
Au reste, l'attention publique fut en ce temps-la même détournée
par un terrible accident (|ui arriva 'a Paris le vingt-deuxième jour de dé-
cembre. Le Pont-aux-Meuniers, (|ui traversait la Seine vis-'a-vis l'ancien
Fort-l'Évêque, s'écroula subitement avec les maisons dont il était char-
gé et les moulins qui s'appuyaient contre ses piles. C'était vers les sept
heures du soir, 'a l'heure du souper; aussi plus de cinq cents personnes
qui avaient Ta leur logement, furent-elles englouties dans le lleuve.
(DUBREUIL, t. P% p. 184.)
L'année 1597 allait commencer. Le roi avait fait partir pour les
principautés du Nord Guillaume Ancel, l'un des plus habiles diplomates
de l'époque, et qui n'avait pas peu contribué par ses conseils et sa pru-
dence aux traités d'alliance offensive et défensive que Bouillon venait de
conclure en Angleterre et en Hollande. Ancel avait ordre de décider les
princes allemands 'a entrer dans cette ligue contre l'Espagne ; et la
chose semblait d'autant plus pressante, (ju'on savait déjà que l'empereur
lui-même venait de s'unir plus intimement encore avec Philippe, et
qu'il n'oublierait rien pour entraîner les électeurs dans son parti. Ancel,
s'étant adjoint Jacques Bongars, déjà depuis longtemps chargé de la
conduite des affaires du roi en Allemagne, crut devoir commencer sa
mission diplomatique par une visite à l'électeur palatin Frédéric, auprès
duquel il trouva Georges-Frédéric, marquis de Brandebourg. (De Thou,
t. XIII, liv. 118, p. 70 et suiv.)
« Le roi de France, dit-il, qui vous regarde comme ses bons et anciens
amis, m'a chargé de venir vous faire part du traité qu'il a conclu depuis
j)eu avec l'Angleterre et les Provinces-Unies, ainsi que du but de ce
542 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
*
traité, qui ne tend à rien autre chose qu'à délivrer l'Europe de l'ambition
envahissante du roi d'Espagne. Vous n'ignorez pas que ce prince ne
roule dans son esprit d'autre projet que d'accomplir par la ruse et par
l'artifice ce que son père avait entrepris de fonder par son courage,
c'est-a-dire une monarchie universelle, réunissant sous sa loi suprême
toutes les puissances de la chrétienté. Vous savez que pour arriver à
cette fin, Philippe n'a épargné ni l'argent, ni les prières, ni les me-
naces, et qu'il a fait tout ce qu'il a pu pour corrompre la fidélité que les
peuples doivent a leurs souverains légitimes. Le royaume de France a
été le premier objet de ses perfides tentatives : après la mort de
Henri III, mort 'a laquelle il n'est pas tout à fait étranger (car la vie des
souverains n'est pour lui qu'une considération secondaire), n'a-t-il pas
soudoyé des assassins pour attenter aux jours de la reine Elisabeth et à
ceux du roi Henri IV? El le prince d'Orange n'a-t-il pas été assassiné par
ses ordres ? Donc il est devenu urgent d'opposer une digue au désir si
ardent que ce monarque ambitieux a toujours montré d'envahir le bien
d'autrui. Serait-il prudent de différer encore quand déj'a, par trahison ou
par surprise, il est parvenu 'a se rendre maître de Cambrai, de Calais et
d'Ardres, et qu'il réunit, en ce moment même, de puissantes armées pour
conquérir d'abord le reste de la P'rance, et soumettre ensuite tous les
autres peuples de l'Europe? Aussi le roi très chrétien, décidé 'a repousser
ce fléau, n'a-t-il pas hésité d'avertir tous les autres princes du péril qui
les menace. Il espère qu'ils uniront leurs forces aux siennes contre un
ennemi commun, et déjà il s'est assuré de la coopération de la reine
Elisabeth et de celle des Provinces-Unies. Maintenant je suis chargé
de vous prier au nom du roi de France et de ses alliés de ne pas négli-
ger le danger que vous courez aussi bien que nous. Quoique les Espa-
gnols ne paraissent pas devoir tourner de suite leurs armes contre l'Alle-
magne, croyez-vous que le Rhin sera la barrière contre laquelle viendra
s'arrêter leur insatiable ambition ? Il faudrait être aveugle et dépourvu de
toute espèce de jugement pour concevoir une pareille espérance. Phi-
lippe n'a-t-il pas dit déjà, dans un fameux édit donné 'a Madrid, il y a sept
ans, qu'après avoir purgé la France du Protestantisme, il tournerait ses
armes contre tous les pays qui en étaient infectés ? Attendez- vous donc
que ses soldats viennent fondre sur vous, lorsque l'occasion leur en
paraîtra favorable? Vainement viendrez-vous alors implorer le secours de
la France à qui vous auriez refusé le vôtre. Elle aura peut-être déjà suc-
, eombé elle-même, et si Philippe réussit un jour à s'emparer de ce
puissant royaume, il faudra nécessairement que tous les autres subis-
sent son joug. Au reste, ce n'est ni par un désir de vaine gloire, ni
pour augmenter sa puissance aux dépens de ses voisins que le roi mon]
maître a conçu l'idée de cette Ligue. Il ne consulte que l'intérêt géné-
ral, et son unique but est de se soustraire, ainsi que tous les autres
princes, au joug de cette monarchie universelle qu'a rêvée l'Espagnol.
C'est 'a vous maintenant de délibérer sur les conditions et les sûretés que
vous voulez proposer à Sa Majesté ; elle est bien décidée 'a vous accor-
UU PROTESTANTISME EN FRANGE. 543
der tout ce qui sera juste, et en retour, elle compte qu'avant toutes
choses, vous vous opposerez au passage des troupes qui viennent en ce
moment d'Espagne et d'Italie, et qui se proposent de traverser l'Alle-
magne pour attaquer la France.
Les deux princes témoignèrent d'abord qu'ils étaient extrêmement
sensibles a l'honneur que leur Taisait le roi en leur envoyant un am-
bassadeur ; puis, (juand ils eurent pris communication du traité l'ait avec
l'Angleterre et la Hollande, ils répondirent qu'ils approuvaient en tout
les desseins du roi très chrétien, mais qu'ils regrettaient de n'être pas
libres de prendre une résolution sur un sujet aussi grave avant d'avoir
consulté les autres princes de l'empire.
Ancel, ne pouvant obtenir rien de plus, se réduisit enfin a demander
(ju'on voulût bien au moins augmenter le nombre des troupes que Sa
Majesté aurait l'autorisation de lever en Allemagne. Il lui fut encore
répondu que cet article aussi ne pouvait être réglé que du consentement
des autres princes.
Surpris de ne trouver que des refus, Ancel soupçonna que l'on vou-
lait lui vendre les secours (ju'il était venu demander: il voulut savoir 'a
quel prix on les mettait ; et il apprit bientôt que l'Électeur Palatin s'at-
tendait à ce que le roi s'entremit pour lui faire restituer Strasbourg par
le duc de Lorraine, et que le marquis de Brandebourg voulait qu'on lui
continuât la pension payée par les rois de France à ses prédécesseurs.
Ancel, qui n'avait pas d'ordre à ce sujet et qui, d'un autre côté, sentait
bien qu'il n'avait pas de temps 'a perdre, alla trouver le Palatin de
Bavière ; mais celui-ci se contenta de lui répondre (|u'il ne se sentait
aucune répugnance à souscrire au traité dont Sa Majesté voulait bien lui
faire la proposition, et (ju'on pouvait compter (ju'il suivrait en tout
l'exemple de l'Électeur Palatin chef de sa maison.
Ancel se mit alors en route pour Sluttgard alin de faire la même
proposition au duc de Vittemberg. Ce duc aussi s'excusa de signer
un pareil traité, alléguant qu'il avait en ce moment même d'autres
intérêts plus intimes à régler avec l'empereur, dont il devait crain-
dre de s'attirer le mécontentement, et il ajouta comme le palatin de
Bavière qu'il se réglerait sur ce que ferait l'Électeur Palatin.
L'envoyé français alla ensuite à Bade, et la, il ne put pas même par-
ler au prince de cet électoral, qui était alors malade. Ce furent les mi-
nistres qui lui dirent que Son Altesse remerciait Sa Majesté de l'honneur
qu'elle voulait bien lui faire de le prendre pour allié , mais que, n'étant
pas un prince fort puissant, il ne lui appartenait pas de prendre parti
dans une querelle entre le roi de France et le roi d'Espagne, sans savoir
auparavant pour lequel de ces deux illustres monarques les autres princes
de l'empire se décideraient.
Sans se décourager, Ancel courut solliciter le Landgrave de Hesse,
et le Landgrave lui répondit : « L'Allemagne a bien plus à craindre du
côté de la Turquie que de la part de l'Espagne ; car l'Espagne, après
tout, est un pays chrétien. Quant à moi, au surplus, je suis trop vieux
544 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
pour prendre seul aujourd'hui une ^résolution sans avoir consulté ceux
que cette affaire intéresse aussi bien que moi. »
Le malencontreux ambassadeur reçut des réponses a peu près sem-
blables du duc de Brunswick, de l'administrateur de Magdebourg, des
princes d'Anhalt et de l'administrateur régent de Saxe. Partout les par-
tisans de la faction espagnole, pour empêcher les puissances de
l'empire d'accéder au traité, avaient soudoyé un grand nombre de
prédicateurs pour déclamer hautement contre le roi et contre la reine
Elisabeth, et pour répandre parmi les luthériens, qui bien loin de s'ac-
commoder avec les calvinistes, les traitaient de sacramentaires, le
bruit que c'était 'a l'instigation de la France et de l'Angleterre que le
Turc faisait maintenant une guerre si cruelle en Hongrie.
Pendant ce temps-la, l'archiduc Albert faisait une guerre active aux
Provinces-Unies de la Hollande. Il avait assiégé Hulst, où les États
tenaient une forte garnison, et cette ville avait été forcée de capituler ;
mais l'archiduc avait perdu a ce siège ce fameux de Rosne, cousin de
Sully, dont Henri IV avait dédaigné d'acheter les services comme ceux de
tant d'autres, et dont les talents militaires avaient été depuis si funestes
à la France. De Rosne avait été tué dans la tranchée, et on lui fit de
magnifiques funérailles. (Cayet, liv. 9.)
De son côté, le prince d'Orange avait battu les Espagnols kRavels, et
après leur avoir tué plus de deux milles hommes, il s'était emparé de
Tournhout ; mais, un événement imprévu, et qui semblait devoir porter
le dernier coup a la France, consola bientôt le vice-roi de cette défaite :
ce fut la surprise d'Amiens, la plus forte place de nos frontières de ce
côté-la.
Les habitants, en vertu d'anciens privilèges, avaient le droit de gar-
der eux-mêmes leur ville. Vainement, le roi avait envoyé à leurs éche-
vins une garnison qu'il offrait de ne loger que dans les faubourgs ; ils
l'avaient fièrement refusée et avaient répondu qu'ils se croyaient d'âge
et de force 'a pouvoir se défendre eux-mêmes, et la garnison fut éloignée.
(Matthieu, t. II, liv. 2, p. 250 et suiv.)
Or, il y avait en ce temps-la un certain Dumoulin qui avait été con-
traint de s'éloigner d'Amiens pour se soustraire au châtiment dont ses
crimes l'avaient rendu passible. Cet homme avait remarqué que la garde
bourgeoise faisait assez régulièrement son service pendant la nuit, mais
que, pendant le jour, chacun, empressé de vaquer a ses affaires, aban-
donnait son poste, ne laissant aux corps de garde que quelques hommes
dont on récompensait la bonne volonté intéressée par de l'argent ou par
du vin. Dumoulin alla donc trouver Don Fernand de Tello y Porto Car-
rero, gouverneur de Doullens, et se fit fort de lui faciliter la prise
d'Amiens en plein jour, et en prenant seulement la précaution de faire
approcher les troupes en secret. (De Thou, ubi snp.)
Tello goûta ce projet, et alla faire lui-même une reconnaissance dans
la ville, où il entra déguisé en cordelier ; il trouva qu'en effet les choses
étaient telles que Dumoulin les lui avait rapportées, il fit part du tout au
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 545
vice-roi Albert, (jui s'empressa de donner son assentiment. On commanda
pour ce coup de main six cents cavaliers, deux mille fantassins, et
(juelques compagnies de piquiers et d'arquebusiers qu'on fit précéder pas
un avant-garde de trois cents Espagnols.
Toutes ces troupes, mandées dans diverses garnisons voisines, se
réunirent pendant la nuit a Orvelle, où Tcllo en prit le commandement.
La première dilTicullé fut de passer la rivière d'Autliie, et ce passage prit
tant de temps qu'on commençait à désespérer d'arriver a l'heure conve-
nable à Amiens ; car on avait encore sept lieues à faire. On prit cepen-
dant des guides et on fit une telle diligence que sans avoir été décou-
vert on atteignit avant la pointe du jour une chapelle qui n'est qu'à
une portée de mousquet de la ville ; la, on se cacha partie dans les bâti-
ments de la ville, partie dans ceux d'un couvent voisin, et le reste dans
une saulaie au fond d'une vallée assez profonde.
Il était huit heures du matin, et comme c'était le saint temps du
carême, tout le peuple d'Amiens était aux églises pour entendre le ser-
mon. Quatorze soldats furent déguisés en paysans et en paysannes,
portant des armes sous leurs habits. Trois d'entre eux conduisaient une
charrette chargée de gros échalas couverts de paille, et les autres
avaient sur l'épaule des besaces remplies de pommes et de noix, qu'ils
étaient censés porter au marché.
Ce cortège se dirigea paisiblement vers la porte Montescut. Lors(juc
la charrette fut entrée sous la porte et qu'elle se trouva immédiatement
sous la herse, un des soldats délia comme par accident le sac de noix
([u'il portait, et il en laissa tomber le contenu par terre. Les soldats
qui étaient de garde se précipitèrent sur cette proie qui devait les aider à
boire leur vin du matin, et en même temps, le chef de celte audacieuse
entreprise tira un coup de pistolet pour signal. Les soldats déguisés
jetèrent alors leurs besaces, prirent leurs armes et tuèrent ou mirent
en fuite le peu de monde qui se trouvait à ce poste, el qui ne s'atten-
dait pas à une pareille attaque. (Davila, t. III, liv. 15, p. 95 et
suiv.)
Celui qui avait la garde de la herse eut cependant assez de sang-
froid pour courir la faire tomber ; mais elle rencontra la charrette garnie
de paille et d'échalas, sur laquelle elle demeura suspendue ; et en ce
moment arrivèrent deux cents Espagnols qui suivaient par derrière, et
qui entrèrent dans la ville par cette ouverture.
Les bourgeois, ayant entendu le bruit qui commençait a se faire de
ce côté, sortirent des églises et coururent aux armes ; mais il était déjà
trop tard ; ils furent repoussés ou taillés en pièces.
Toutes les autres troupes ennemies, tant d'infanterie (jue de cava-
lerie, qui s'étaient tenues cachées dans les environs, accoururent pen-
dant ce temps-la, ayant Tello à leur tête ; et celui-ci se hâta de les par-
tager en divers détachements qui occupèrent successivement toutes les
rues, repoussant et dispersant les habitants, et faisant main basse sur
ceux qui tentaient d'opposer de la résistance. La cavalerie, prenant par
IV. 35
546 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
la granirrue, parvint bientôt a la grande place. Amiens était prise et
cette conquête dune ville qui avait plus de quinze mille de ses citoyens
sous les armes avait été faite par trois mille hommes au plus. Les Espa-
gnols n'avaient eu que cinq morts et les bourgeois n'avaient pas perdu
plus de soixante des leurs.
Henri s'occupait alors de fêtes et de plaisirs, et il venait tout récem-
ment d'assister 'a un brillant festin, pour lequel tous les cuisiniers de
Paris avaient été mis a l'œuvre pendant plus de huit jours. En raison
de l'abstinence prescrite par le carême, le service avait été fait en
maigre. Il y avait deux esturgeons qui coûtaient chacun cent écus, et un
grand nombre d'autres poissons d'une grosseur monstrueuse. Mais on
les avait fort artistement déguisés « en viandes de chair ». Le fruit avait
coûté trois cent cinquante écus, et de plus « on servit des poires de bon
chrétien, autant qu'on en put découvrir, à un écu la pièce ». {Journal de
Henri IV, t. ÎI, p. 55.)
Ballets, mascarades, pantalonnades, jeux de cartes et de dés, sui-
virent pendant plusieurs jours ce splendide repas, et ce fut au milieu
d'une de ces fêtes, « pendant que toute la cour s'amusait a rire et a
baller, » que vint retentir la désastreuse nouvelle de la prise d'Amiens.
La consternation fut générale, cette ville était a peu près la seule place
qui pût servir de barrière à la France du côté du nord. On voyait déj'a
l'ennemi libre d'étendre ses courses jusque sous les murs de Paris, et
la capitale du royaume en devenait pour ainsi dire la frontière.
Le vieux levain de la Ligue se remit 'a fermenter ; les prédicateurs,
reprenant une partie de leur ancienne audace, ne parlaient point
d'Amiens, 'a la vérité ; mais ils tonnaient avec un redoublement de zèle
sur les huguenots, dont les assemblées, chez la sœur même du roi, oîi
l'on faisait publiquement le prêche, allumaient, disaient-ils, l'ire céleste.
Le roi, quand celte sinistre nouvelle lui avait été apportée, venait de
se retirer pour se mettre au lit. Il se leva promptement et il convoqua
dans sa chambre même un conseil de ses plus (idèles serviteurs. Il fut
le seul (jui ne parut pas ému. « C'est assez faire le roi de France, dit-
il, faisons maintenant le roi de Navarre. » Puis, s'adressant à Gabrielle
qui était Ta : « Ma belle, ajouta-t-il, laissez-nous. 11 faut, comme vous
voyez, quitter maintenant nos combats d'amour, pour monter a cheval et
faire une autre guerre. — Mon ami, dit-il 'a Sully, qui arrivait en ce
moment-la, Amiens est pris. — Hé bien! sire, répondit l'ami de Henri IV,
il faut le reprendre. Il y a encore de bons Français qui vont s'offrir à
contribuer 'a cette reprise de tout leur courage et de tous leurs moyens.
Je vous promets de n'y pas manquer pour ce qui me regarde, et que
vous aurez en bref soldats, canons, argent, vivres et munitions autant
qu'il vous en faudra. » {Économies royales de Sully, 1597.)
Tout aussitôt on convint des moyens d'accomplir cette entreprise, et
le roi partit sans retard pour se rendre a Beauvais et à Montdidier.
Après avoir rassuré par sa présence ces deux villes, et les avoir mises
en étal de défense, il s'avança jusqu'à Corbie, située sur la Somme au-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 547
dessus (l'Amiens. Et ayant appelé le maréchal de Biron, avec les troupes
qu'il commandait alors, et qui se trouvaient sur les lieux, il lui donna
l'ordre d'investir incontinent la ville du côté de la Flandre, d'où pou-
vaient surtout venir des secours à Fernand Tello.
Biron n'avait au plus que trois mille hommes d'infanterie et six cents
chevaux : ce hit avec cette troupe bien insuflisante qu'il vint établir son
camp au village de Longpré; et cependant de tous les pays de la France
on faisait marcher des soldats, la noblesse accourait de tous les côtés.
Tout le mois d'avril fut employé 'a ces marches, le mois de mai se passa
'a faire les logements et ce ne fut que vers le mois de juin que les
approches commencèrent sérieusement. (De Tnou, ubisup.)
Quoique le vice-roi des Pays-Bas fût extrêmement satisfait du succès
qu'avait eu l'entreprise de Tello, il était toutefois fort embarrassé lui-
même pour trouver les moyens d'en tirer tout le parti qu'il pouvait s'en
promettre. Il n'avait point d'argent et il ne pouvait s'en procurer à
cause d'un édit ([ue Philippe venait de promulguer, et qui en supprimant,
sous prétexte de prétentions usuraires, le paiement de toutes les
sommes dues aux négociants et banquiers, n'engageaient pas ceux-ci à
se mettre de nouveau îi découvert vis-h-vis de l'État ; et pourtant, il était
facile de comprendre que si on laissait les Français reprendre Amiens,
^- un pareil dénouement, d'une entreprise si heureusement conduite jus-
qu'alors, ne servirait (]u'a humilier l'Espagne et à rehausser la gloire et la
bravoure de la France.
Il résolut donc de faire tout son possible pour garder cette conquête,
et il envoya dire a Tello qu'il pouvait compter sur un prompt et puis-
sant secours.
Celui-ci avait commencé par permettre aux siens le pillage de la ville,
et par mettre a rançon la personne môme de chaque habitant. Ce der-
nier moyen lui procura des sommes assez importantes ; ensuite pour
faciliter la défense de la place, il lit brûler tous les faubourgs, et jus-
qu'à l'abbaye de Saint-Jean qui était d'une structure admirable, mais
(|ui se trouvait hors de l'enceinte et qui commandait la ville. Il détourna
le cours de la Somme, qui se partage en deux bras principaux, pour faire
passer la plus grande partie des eaux dans le bras qui protège le côté
par où les assiégeants devaient former leur attaque. Par ce moyen, ce
bras qui n'avait guère que trois pieds de profondeur fut porté à plus de
huit pieds ; enfin, avant que Biron eût eu le temps de former ses lignes
de circonvallation, Tello trouva encore le moyen de faire entrer un
secours de six cents chevaux. (Mkzkhav, 1. 111, p. 1188.)
Le maréchal avait songé 'a se rendre maître de Doullens, d"où les
assiégés pouvaient tirer des vivres et des secours ; mais cette entreprise
manqua, parce (pie les échelles qu'il avait fait préparer pour tenter l'esca-
lade se trouvèrent beaucoup trop courtes.
Les choses en étaient Ta, et la ville était à peu près complètement
bloquée, (juand le mardi vingt-neuvième jour de mai, Tello se mil lui-
même a la tête d'une grande sortie, et déjà il avait forcé les lignes
L
548 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
françaises, et s'était emparé du village de Longpré ; mais Biron, étant
accouru aussitôt, chassa les ennemis a son tour, sans pouvoir néanmoins
les empêcher de remporter dans la place un riche butin.
Le roi était alors retourné a Paris, malade des plaisirs auxquels il
s'était livré précédemment avec trop peu de ménagement, mais plus
malade encore de l'inquiétude que lui causait la situation de ses affaires.
Toute sa constance semblait l'avoir abandonné. « Ah ! écrivait-il a
Schomberg, je suis assailli de tant de nécessités que je ne sais plus à
quel saint me vouer pour sortir de ce malheureux passage ; et si a
travers tout cela ceux de la religion continuent a me demander des
choses que je ne peux leur accorder sans désunir mes sujets, ils aug-
menteront tellement ma peine et mes douleurs, que je n'aurai plus qu'à
mourir d'ennui. » (Mézeray, p. 1190.)
Le neuvième jour d'avril, il était allé au Parlement, et dans un dis-
cours qui se ressentait plus de la nécessité des circonstances que de la
dignité royale, il avait dit qu'il venait demander l'aumône pour ceux de
ses pauvres soldats, qui combattaient encore sur la frontière. « Je con-
jure, ajouta-t-il, les membres de la cour d'aviser sans retard aux besoins
pressants de cette armée, la dernière ressource de l'État, et qui est prête
a tomber en défaillance, sinon, je n'aurai plus qu'a chercher moi-même
l'occasion de donner ma vie avec honneur, aimant mieux périr pour la
France que de voir la France périr. »
Le Parlement avait répondu a ces doléances royales par un arrêt qui
notait d'infamie et condamnait a la dégradation tout gentilhomme qui
refuserait de prendre les armes dans un besoin aussi pressant ; mais il
refusa obstinément d'enregistrer un édit autorisant la création de nou-
veaux offices de magistrature, que Sa Majesté proposait de mettre en
vente pour se procurer de l'argent. Quelques conseillers offrirent
toutefois de se taxer eux-mêmes, « et de prendre sur leurs épaules une
partie du fardeau ; » mais le plus grand nombre ne fut pas de ce der-
nier avis.
Sully, cependant, que depuis la disgrâce de Sancy le roi venait de
mettre définitivement et seul a la tête des finances, songeait à remplir
la promesse qu'il avait faite a Sa Majesté de ne la laisser manquer ni
d'hommes, ni de munitions, ni d'argent. Il traita d'abord avec les plus
riches d'entre les marchands, et en leur assignant pour gage de leurs
avances le produit des gabelles, il obtint une bonne partie des sommes
dont on avait un si pressant besoin ; il dressa ensuite un plan détaillé
de toutes les ressources qui pouvaient encore alimenter le trésor royal.
C'était d'abord de demander un don gratuit au clergé, pour une ou deux
années, et qui serait payé d'avance, ensuite d'augmenter le sel de quinze
sols par minot, de percevoir un tiers en sus sur les entrées et droits de
navigation, et enfin, d'emprunter douze cent mille livres sur les plus
riches, tant de la cour que des autres villes. Le roi, qui approuva ce plan,
se chargea de l'exposer lui-même au conseil dit déraison, et d'en obte-
nir l'approbation. (Économies royales de Sully, ibid.)
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 549
Ce conseil, qui tenait ses séances dans le palais de rarchevcché de
Paris, sous la présidence de l'archevèiiue lui-même, était composé de
courtisans avides, de financiers intéressés et de grands seigneurs ambi-
tieux ; on devait s'attendre qu'il serait hostile au projet. Mais le roi ne
leur laissa pas le temps de réfléchir. « Messieurs, leur dit-il, puisque
vous n'avez pas encore pu me proposer aucun moyen de sortir de l'embar-
ras où nous nous trouvons, quoique je ne sois pas moi-même fort versé
dans les finances, je vais toujours vous donner mon avis sauf à l'échan-
ger contre un meilleur, s'il en survenait un, » et il lut brusquement le
plan que lui avait dressé Sully. Puis, comme tout le monde dans un
premier moment de surprise restait dans le silence, il déclara qu'il pre-
nait ce silence pour un consentement unanime, et qu'il allait donner
des ordres en conséquence de ce vani général du conseil. « Au reste,
ajoute Sully, mon intention n'était pas de me servir de tous ces moyens
a la fois ; » et en efïet, il se contenta d'abord de l'emprunt de douze cent
mille livres, et le roi, sûr de ne plus manquer d'argent, put revenir au
camp.
Mais il y ramenait avec lui sa maîtresse (pii ne le (piittait plus, et
Biron, plus guerrier que courtisan, se crut obligé de lui conseiller, d'une
manière assez libre, d'éloigner au moins ce scandale de l'armée, parce
que toutes ces femmes ne pouvaient servir qu'a corrompre la discipline
et à gêner les opérations du siège. « Voila pourtant, avait-il dit à
quelques amis, en parlant de Gabrielle, le genre de bonheur que Sa
Majesté traîne partout avec elle. » (Davila, t. III, liv. 15, p. 105.)
Henri, pour le calmer, loua beaucoup tous les travaux que le maré-
chal avait déjà fait exécuter pendant son absence ; il régla qu'il aurait
le commandement général de l'armée, ainsi que la direction de toutes
les opérations du siège. Il consentit que Madame Gabrielle allât prendre
son logement dans le vieux château de Boves, dont on ne retrouve
guère aujourd'hui que quelques ruines ; et lui-même prit son (iiiartier
près de la Madeleine, un des endroits les plus exposés de toute la ligne.
Le toit de cette église avait été abattu par l'artillerie des assiégés ; mais,
il y restait encore un endroit voûté, et ce fut la que le roi fit établir son
logement, quoique le canon des remparts vînt tuer chaque jour beau-
coup de monde en ce même lieu. Un boulet traversa même, un jour,
l'endroit où Sa Majesté était couchée, et alla se fixer dans le tronc
d'un arbre voisin, où on le montrait encore bien longtemps après le
siège.
Henri se montra véritablement étonnant pendant tout le cours de
cette mémorable campagne ; et l'on est surpris qu'au milieu des inquié-
tudes et des travaux d'un siège aussi important, il ait pu trouver encore
le temps de s'occuper des affaires de son royaume, rétablir l'exactitude
dans les finances, surveiller l'entrée et la sortie des fonds, régler et
liquider juscpi'aux moindres comptes de détail, et conduire sur la même
ligne les affaires de la guerre et celles du cabinet. On est surpris de la
quantité de lettres que, pendant ce seul temps-la, il écrivit lui-même
550 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
OU qu'il dicta et dont Sully nous a conservé une partie. Son entretien
personnel était le seul qu'on pouvait trouver qu'il négligeait. Il fallait
pour le forcer 'a y penser que son maître d'hôtel vînt l'obliger a s'en
occuper, en l'avertissant « que sa marmite était prête 'a donner du nez
en terre » ; il dit lui-même qu'il était alors presque nu, sans armes et
sans chevaux. {Mém. de Sully , t. III, p. 130 et suiv.)
Cependant l'armée française, grâce aux renforts qui lui arrivaient de
toutes parts, était déjà forte de douze mille hommes de pied et de trois
mille hommes de cavalerie. L'Angleterre avait de plus envoyé au secours
du roi quatre mille soldats ; mais il fallait payer ces troupes régulière-
ment tous les mois, si on voulait les empêcher de déserter. Ce fut
Villeroi que le roi chargea de faire la solde a chaque revue, dans la
crainte que les deniers ne fussent détournés ou mal employés « comme
c'était assez l'usage en ce temps-là ». (De Thou, t. XIII, liv. 108, p. 111
et suiv. — Legrain, liv. 6, p. 529.)
Il régnait alors dans la ville une sorte de maladie contagieuse qui
sévissait surtout sur les habitants, mais qui ne laissait pas que d'em-
porter aussi un bon nombre des défenseurs de la place, tandis que
dans le camp du roi, grâce au bon air de la campagne et à l'abondance
de toutes choses, la santé était parfaite. Sur ces entrefaites, le capitaine
Breuil, s'étant déguisé en moine augustin, parvint 'a s'introduire dans
Amiens ; la, aidé par les pères de cet ordre, qui, en opposition avec les
cordeliers, favorisaient la faction française, il parvint à former avec
quelques bourgeois un complot pour livrer aux assiégeants la tour de
l'ouest, l'une des principales défenses de la ville de ce côté-la. Mais ce
complot ayant été découvert par la trahison d'un des religieux, tous
ceux qui y avaient trempé furent livrés au bourreau, a l'exception des
moines auxquels on n'osa pas s'attaquer.
Sept jours après, Biron, ayant fait pétarder une partie de la muraille
par des gens qui s'étaient glissés dans les fossés, tenta de donner l'as-
saut de ce côté-lâ ; mais il fut repoussé.
L'ennemi faisait cependant presque continuellement d'audacieuses
sorties : quelquefois il avait l'avantage ; mais le plus souvent il était
repoussé avec perte. Dans un de ces combats, près d'une chapelle
que le maréchal avait fait fortifier, les troupes qui s'y trouvaient
eussent été certainement perdues, si un régiment anglais ne fût pas
promptement accouru a leur secours. La lutte fut longue et sanglante.
A la lin, pourtant, les Espagnols furent contraints de battre en re-
traite ; et les Français qui les poursuivirent l'épée dans les reins arbo-
rèrent leurs étendards sur la contre-escarpe. Des deux côtés, on avait
perdu plus de deux cents hommes sans compter les blessés. (De Thou,
uhi swp.)
Pour donner suite à ce premier succès, Biron fit dresser ses batte-
ries près de la chapelle qui venait d'être si vivement disputée, et com-
mença a foudroyer le rempart. Tello fit une nouvelle sortie dans le but
de détruire ces batteries qui commençaient à l'inquiéter ; il y eut une
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 551
balaille acliarnée, les troupes anglaises y firent encore généreusement
leur devoir, et Tello fut repoussé, après avoir perdu soixanle-dix de ses
plus braves soldats. Depuis ce temps, il n'osa plus s'éloigner des rem-
parts ; car il voyait sa garnison diminuer d'une manière effrayante par
tous ces combats et surtout par la maladie.
Et de plus, cbaque fois qu'il éloignait une partie de ses troupes pour
aller au combat, il était obligé de faire ranger l'autre en bataille dans
les rues et sur les places de la ville, pour maintenir les habitants
toujours prêts a se soulever contre l'étranger.
François de Saint-Luc, grand-maître de l'artillerie de France, eut
l'idée de faire dresser des claies d'osier derrière le fossé, et de braquer,
a la faveur de cet abri, six gros canons dont les décharges eurent bien-
tôt renversé une partie des fortifications. Le roi fit aussitôt élever une
plate-forme, du haut de laquelle on pouvait tirer sur l'ennemi jusque dans
l'intérieur de la ville, pendant qu'on s'occupait en même temps a saper
les murailles de ce côté-lîi. ïello, se voyant dans un danger aussi pres-
sant, assembla un conseil de guerre et demanda quel parti il fallait
prendre. Quelques-uns de ses officiers furent d'avis d'abandonner cette
partie du rempart, qu'on ne pouvait plus guère espérer de défendre, et
de se retrancher de l'autre côté du bras de la Somme, qui coule dans
la ville. L'a, disaient-ils, on aura du moins la facilité de tenir assez
longtemps pour pouvoir attendre les secours promis par le vice-roi.
D'autres prétendirent qu'il était plus avantageux et surtout plus ho-
norable de se maintenir encore dans l'endroit où l'on se trouvait, dont,
selon eux, la défense était bien loin encore d'être impossible, et dont l'a-
bandon pouvait être fatal, en augmentant l'audace des partis qui fer-
mentaient déjà dans Amiens.
Ce fut ce dernier avis qui prévalut, et l'on se mit aussitôt en devoir
d'élever un ravelin derrière le rempart, déjà a peu près ruiné par nos
boulets. On obligea tous les habitants à travailler sans relâche à cette
fortification et a porter dans des hottes ou 'a rouler dans des brouettes
les terres nécessaires.
Mais tout à coup survint un de ces accidents qui déconcertent toute
une armée. Comme Tello passait sur un des ponts de la Somme, le long
du(iuel on avait tendu des toiles afin de dérober aux nôtres la vue des
soldats qui passaient par la pour aller à leurs postes sur les remparts,
un coup d'arquebuse tiré au hasard du camp français l'atteignit et le
tua raide sur la place. La garnison perdait l'bomme dont le courage et
le sang-froid eussent pu peut-être encore offrir (juelques chances de plus
à sa résistance. Il fut inhumé dans l'église catliédrale d'Amiens, et l'on
mit sur son tombeau une épitaphe a sa louange, gravée en lettres d'or
sur une planche de bois recouverte de velours noir. Ce fut le marquis
de Monténégro qui lui succéda dans le commandement.
Mais, de leur côté, les Français avaient aussi perdu Saint-Luc, qui
fut tué dans le fossé d'un coup de feu dans la tête, pendant (ju'il y faisait
les devoirs de sa charge de grand-maître de l'artillerie. Saint-Luc,
552 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
ancien favori de Henri III, laissait, dit-on, une grande fortune a ses héri-
tiers. Le roi, ajoute-t-on, en apprenant cette mort, dit : « Je perds
aujourd'hui un très-vaillant et très-fidèle serviteur. »
L'intention de Sa Majesté était de donner la charge de grand-maître
de l'artillerie de France, devenue vacante par cette mort, a Sully, pour le
récompenser des services qu'il n'avait cessé de lui rendre. Mais dès le
lendemain, comme celui-ci se présentait a son lever : « Mon ami, lui dit-
il, j'ai eu toute cette nuit une grosse querelle pour vous ; et il a bien
fallu me laisser vaincre : Gabrielle m'a tant importuné, que je lui ai
accordé la charge de grand-maître de l'artillerie pour son père. Elle me
menaçait de se retirer dans quelque couvent, si'je ne lui donnais cette
satisfaction, et je vous assure que je n'ai pas eu assez de force pour
résister a une pareille menace. Au surplus, j'y ai mis cette condition que
la charge serait a vous, aussitôt la retraite ou la mort du vieux d'Estrée. »
{Écon. rotjales de Sully, 1597.)
Cependant l'artillerie et la mine avaient rendu la brèche assez pra-
ticable pour qu'on pût y donner l'assaut. Les Français d'un côté et les
Anglais de l'autre s'avancèrent avec une résolution rendue plus vive
encore par la rivalité des deux nations, qui brfdaient de s'acquérir l'hon-
neur de la journée. Us furent reçus avec une bravoure égale par les
assiégés. De part et d'autre, on perdit beaucoup de monde et tout
ce que les assiégeants purent gagner, après des prodiges de valeur,
ce fut de pouvoir se loger sur les ruines du premier rempart. Monté-
négro se fortifia et se retrancha de l'autre côté des nouveaux travaux.
(De Tiiou, uhi siip.)
Or, le vice-roi Albert était enfin parvenu, malgré toutes les diffi-
cultés de sa position, a rassembler une armée de plus de vingt mille
hommes, composée en partie de troupes italiennes qui venaient d'arri-
ver du Milanais. Il tint un conseil de guerre pour décider si l'on mar-
cherait directement sur Amiens, afin d'attaquer nos retranchements et
de délivrer la ville, ou si l'on ne tenterait pas plutôt de faire diversion,
en se portant contre Péronne ou contre Saint-Quentin. On s'arrêta au
premier parti, et l'armée du vice-roi se mit en route pour cette expé-
dition.
Incontinent, une forte avant-garde prit les devants pour éclairer la
marche et s'assurer des chemins. Le roi eut avis dès le grand matin de
l'approche d'un corps ennemi ; aussitôt, il se jeta à bas du lit, et quoi-
qu'il eût passé une partie de la nuit dans la tranchée, il voulut aller
reconnaître lui-môme ce qui se passait dans la campagne. Il partit
d'abord avec peu de monde, mais il fut bientôt suivi par le maréchal de
Biron, avec toutes les troupes que le prudent général avait cru pouvoir
détacher du siège. {Mémoires de la Ligue, t. VI, p. 510.)
On rencontra le corps ennemi en deç'a de la petite rivière qui se
jette dans la Somme près de Corbie, et l'on fit halte pour donner aux
troupes le temps de se reposer après une marche assez longue. Le roi
écrivait aux gens de son conseil une lettre ainsi conçue : « 11 paraît
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 553
que le cardinal Albert arrive pour jeter du secours dans Amiens. Je ne
puis croire encore que le dit sieur cardinal me veuille tant de bien que
de venir m'offrir une bataille. Toutefois, puisqu'il s'est tant avancé, il y
sera peut-être forcé ; et je vous assure que je n'en perdrai pas l'occa-
sion; ma cause est si juste (jue Dieu me donnera bien certainement la
victoire. » (Journal de Henri IV, t. III, p. 575.)
A la nouvelle de l'approche du roi, une terreur panique s'empara de
la troupe ennemie qui s'était ainsi avancée, et elle s'enfuit dans un
désordre honteux jusqu"a Bapaume. Les Français la poursuivirent l'épée
dans les reins ; et dans cette déroute, qui ne fut même pas précédée
d'un combat, nous primes trois étendards et plus de deux cents chevaux
abandonnés ; car les cavaliers avaient trouvé plus sûr de mettre pied a
terre pour se sauver dans les fourrés des bois.
C'étaient Spinola et Contreras qui commandaient le corps espagnol
qui venait de fuir si honteusement ; le premier, brave soldat dont le
courage avait déjîi été plus d'une fois éprouvé dans ces guerres, était
furieux de se voir ainsi entraîné dans la fuite des siens. Il voulait se
battre en duel avec Contreras, qu'il accusait d'avoir donné l'exemple
d'une pareille lâcheté. Mais le vice-roi leur ordonna a l'un et a l'autre
de s'abstenir de toute voie de fait. « Attendez, leur dit-il; au jour de la
bataille que je dois livrer bientôt, vous aurez la l'occasion de faire voir
plus glorieusement pour vous lequel des deux est le plus courageux et
le plus fidèle a son devoir. »
Dès qu'Albert, qui continuait cependant sa route, eut passé la rivière
d'Authie, il fit faire plusieurs décharges de son canon, pour faire savoir
aux assiégés qu'il venait à leur secours. Son avant-garde était composée
d'un corps nombreux d'infanterie qu'il avait formé en carré. Deux
autres gros bataillons carrés faisaient le centre, et devant chacun,
il y avait une grande quantité de charrettes, attachées ensemble
par des chahies de fer. Ces charrettes portaient des barques et des
pontons pour passer les rivières et les ruisseaux qui pouvaient se ren-
contrer sur la route, et leur marche était protégée par des arquebusiers
à cheval. La cavalerie et l'artillerie venaient ensuite, et un corps d'infan-
terie d'élite formait l'arrière-garde.
Le vice-roi campa la première nuit près de l'abbaye de Bertincourt.
Le roi, qui, après son succès de la veille, était revenu a son camp, ne
croyant pas que l'ennemi fût encore en humeur de risquer une pareille
démarche, avait négligé de fortifier le village de Longpré et ne songeait
alors qu'a s'opposer aux sorties des assiégés. Aussi fut-il bien étonné de
voir, 'a la naissance du jour, l'armée espagnole s'avancer contre nos
lignes, dans l'ordre formidable qui vient d'être décrit.
A cet aspect, plusieurs des principaux officiers du camp vinrent tout
cflrayés lui dire que tout était perdu, et Henri lui-même douta du suc-
cès de la journée qui se préparait. Ayant le chapeau à la main et les
yeux levés au ciel, il s'écria : « Ah ! Seigneur tout-puissant, si c'est
aujourd'hui que tu me veux punir, comme ne le méritent que trop mes
554 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
péchés, j'offre ma tête a ta justice ; mais prends pitié de ce pauvre
royaume, et ne frappe pas le troupeau pour la faute du berger ! » (Mat-
thieu, t. II, p. 254.)
On s'attendait que l'attaque commencerait sur le village de Longpré
et le roi s'était hâté d'y envoyer des troupes ; car de la prise de ce
poste semblait dépendre tout le succès de la journée ; l'ennemi, maître
de Longpré, aurait eu une communication ouverte avec Amiens ; mais,
le vice-roi, an milieu de la fumée de notre artillerie qui ne cessait de
tirer depuis le matin, eut un moment d'incertitude sur ce qui se pas-
sait dans le camp français, et s'arrêta brusquement dans son mouvement.
La nuit survint fort heureusement et le duc de Mayenne, qui servait
fidèlement Henri IV, comme il l'avait promis, fit fortifier le village avec
la plus grande activité, pendant que les assiégés faisaient des feux de
tous les côtés sur leurs remparts, pour servir de signaux aux secours
qu'ils attendaient, et tiraient sans relâche le canon de toutes leurs bat-
teries. (Cayet, liv. 9, 1597.)
Albert, en effet, avait fait glisser un corps de troupes qui devait
s'introduire dans la place avec des vivres et des munitions ; mais ce
corps fut découvert dans sa marche, battu et repoussé, sans qu'au-
cun de ceux qui le composaient pût approcher même des remparts
d'Amiens.
Quand le jour reparut, Albert vit Longpré protégé par les travaux
que Mayenne y avait fait faire pendant toute la nuit. Il désespéra alors
d'emporter un poste aussi bien défendu, et il jugea prudent de se reti-
rer. En apprenant cette retraite, le roi dit, tout joyeux : « Monsieur le
cardinal archiduc est bravement venu à nous en capitaine ; et voila
qu'il s'en retourne en prêtre. Je regrette qu'il refuse d'aussi mauvaise
grâce l'honneur que le roi de France voulait lui faire d'accepter une
bataille contre lui. »
Puis, laissant dans ses retranchements assez de monde pour les
garder, il se mit à la poursuite de l'ennemi avec tout le reste de son
armée, et il attaqua 'a plusieurs reprises l'arrière-garde du vice-roi.
Mais l'archiduc sut maintenir un si bel ordre dans sa retraite qu'il tut
impossible de l'entamer ou de le forcer à un combat, et qu'après avoir
passé deux jours a Rubempré pour se reposer, il arriva tranquillement 'a
Arras.
Henri, de retour sous les murs d'Amiens, envoya un trompette aux
assiégés pour leur faire savoir que « c'était toujours avec regret qu'il
voyait couler le sang des chrétiens ; qu'il exhortait donc la garnison à ne
plus s'obstiner a la défense d'une place qui ne pouvait plus être secou-
rue, et a songer plutôt a se ménager une capitulation honorable, qu'il
leur offrait encore. » Monténégro assembla un conseil de guerre, et
comme on manquait de mèches et de poudre, et que la contagion fai-
sait chaque jour de nouveaux ravages dans la ville, il fut décidé qu'on
ferait des propositions aux assiégeants. (Mémoires de la Ligue, t. VI,
p. 522.)
I
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 555
« Il fut réglé que les tombeaux et épitnplies, dressés dans les églises
de la ville en l'honneur de ïello et des autres oriiciers tués pendant le
cours du siège, seraient respectés pourvu qu'il ne se trouvât dans les
dites inscriptions rien d'injurieux à la nation française ; que les Espa-
gnols pourraient, s'ils le voulaient, exhumer les corps et les transporter
ailleurs ; que la garnison sortirait mèches allumées et enseignes
déployées, tambours battants, avec armes et bagages ; que le roi fourni-
rait des chariots pour transporter ces bagages, ainsi que les malades et
les blessés jusqu'à Bapaume ou à Doullens ; que ceux des bourgeois qui
voudraient suivre la garnison en auraient la liberté avec le droit d'em-
porter leurs effets ; que les prisonniers faits pendant le siège seraient
rendus ; enlîn que les Espagnols auraient six jours de trêve pour pré-
venir l'archiduc Albert et que si, avant l'expiration de ces six jours, le
dit archiduc n'avait trouvé moyen de faire entrer dans la place un
secours d'au moins deux mille hommes, les conditions sus-énoncées
seraient définitives et exécutées de bonne foi de part et d'autre. » (Cavet,
ubi Slip.)
A l'expiration du temps fixé par cet accord, aucun secours n'ayant
paru, la ville d'Amiens fut rendue au roi. Le comte de Monténégro, îi
cheval, mais un simple bâton 'a la main et sans bottes, sortit le premier
par la porte de Beauvais, dont le pont-Ievis venait d'être baissé. Il ren-
contra le roi à une lieue de la, et ayant mis pied à terre, il embrassa
la botte du monarque. « Sire, dit-il, je remets aujourd'hui 'a Votre
Majesté une ville qui naguères ne voulait reconnaître, pour ainsi dire,
d'autres maîtres que ses propres magistrats ; mais qui maintenant va
vous appartenir en propre, puisque vous en avez fait la conquête. » (De
Thol', iibi Slip.)
Henri accueillit gracieusement ce compliment d'un ennemi vaincu,
et Monténégro poursuivit son chemin avec deux mille six cents hommes
d'infanterie et six cents chevaux, reste de la garnison d'Amiens. Der-
rière lui venaient les charrettes qui portaient les malades et les bles-
sés, et qu'accompagnaient un grand nombre de femmes.
Le comte de Morette, en passant devant le roi, se permit, tout
vaincu qu'il était, une singulière rodomontade espagnole. Henri, en lui
montrant l'endroit par où le vice-roi avait attaqué son camp : « S'il eût
donné, disait-il, de cet autre côté, où est le quartier de Madame Gabrielle,
il aurait indubitablement gagné la bataille. — Sire, répondit fièrement
le comte, notre vice-roi eût mieux aimé perdre cent batailles que de
venir se fourrer dans un bordeau. » A quoi un gentilhomme français
répondit : « Il a eu raison, votre beau cardinal, car, aussi bien, n'y
aurait-il fait rien qui vaille ; le nom seul de la belle Gabrielle lui aurait
fait peur, comme a un prêtre et faible homme qu'il est. » [Journal de
Henri IV, ibid., p. 581.)
Henri, sur les quatre heures du soir, lit son entrée dans la ville
reconquise. Il trouva que dans cette cité jadis si populeuse il ne restait
plus guère que huit cents des habitants « et que les Espagnols y avaient
556 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
laissé quelque peu de peste, mais fort peu de meubles. » Il se rendit a
la cathédrale, où le Te Deuni fut chanté; et après la cérémonie religieuse,
il revint dans son camp où, celte nuit même, le feu fut mis, on ne sait
trop comment. Le quartier du roi, les tentes des princes et des seigneurs
furent la proie des flammes ; et tous les bagages de l'armée, le trésor
même, furent pillés, ou consumés, ou fondus par l'intensité de l'incendie.
{Mém. de la Ligue, t. VI, p. 519.)
Henri donna le gouvernement d'Amiens 'a Dominique de Vie, qu'il
estimait grandement à cause de sa bravoure et de sa fidélité. Cette fois,
les habitants ne s'opposèrent plus 'a recevoir une garnison royale dans
leurs murs ; car ils avaient sous les yeux les preuves encore flagrantes
de ce qu'il leur en avait coûté pour avoir voulu tenir un peu trop rigou-
reusement à leur sentiment d'orgueil municipal : leurs fortifications
étaient toutes ruinées, leurs maisons désertes, leurs magasins pillés et
la peste ravageait leur ville ; aussi ne sourcillèrent-ils pas même quand
ils virent élever chez eux une citadelle, « qui encore aujourd'hui, dit
Mézeray, fait soupirer les enfants de la faute de leurs pères. » (De
Tiiou, liv. 118, p. 127. — Mézeray, t. III, p. 1201.)
Le roi avait envie d'aller de suite assiéger Doullens, et il donna des
ordres en conséquence, malgré la saison avancée. Pourtant, comme il
le disait lui-même, il ne voulait pas se montrer si impoli que de laisser
s'éloigner un grand personnage de la qualité de Monsieur le cardinal
vice-roi, qui lui avait fait l'honneur de venir le visiter avec une suite si
nombreuse, sans lui rendre visite à son tour, et il alla faire des
courses jusqu'aux portes d'Arras, où ce prince tombé malade de
fatigue avait été forcé de s'arrêter. Quelques coups de canon furent
tirés contre la ville, il y eut plusieurs escarmouches jusque dans les
faubourgs, après quoi Henri, croyant avoir satisfait à ce qu'il nommait
plaisamment un devoir de politesse, se rabattit du côté de Doullens dont
le siège était déj'a commencé, et où il trouva son armée campée dans
les boues d'un terrain détrempé par les pluies de la saison. (De Tnou,
ubi supra.)
Mais déj'a Sa Sainteté Clément Vlll venait de s'entremettre pour
ménager un accommodement entre les deux couronnes de France et
d'Espagne. Henri et Philippe sentaient également le besoin de la paix,
et des plénipotentiaires furent nommés de part et d'autre pour préparer
et discuter les conditions du traité. En attendant, le roi revint à Paris
« où les bourgeois de la bonne ville, par ses ordres conformes 'a leur
aff"eclion, honorèrent sa victoire d'une triomphante entrée, et lui témoi-
gnèrent grande joie de ce que ses armes avaient éloigné la guerre de
leurs portes. » Un brillant cortège vint au-devant de lui, on le condui-
sit a Notre-Dame, où le Te De\im fut solennellement chanté, et on le
ramena au Louvre avec de continuelles acclamations. « La foule était si
grande qu'elle semblait vouloir le porter ; et afin de prolonger un
aussi beau jour, une infinité de flambeaux donnèrent de la clarté h la
nuit. » (Mézeray, t. III, p. 1202.)
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 557
CHAPITRE XXII
1597. — ARGUMENT : agitation des protestants depuis la conversion du roi,
MASSACRE DE LA CHATAIGNERAIE. — ILS ÉLISENT UNE ASSEMBLÉE.
LE ROI TRAITE AVEC EUX. — NÉGOCIATIONS AVEC MERCŒUR.
IL CONTINUE LA GUERRE ET SES INTRIGUES. — DEFON LIVRE LA GARNACHE AU ROI.
EXPLOITS DE LA TRE.MI5LAYE, LIEUTENANT DE BRISSAC.
IL EST TUÉ AU PLESSY-RERTRAND. — COMPLOT ESPAGNOL CONTRE LA VIE DU ROI.
AFFAIRE DE SAINT-PHAL ET DE DUPLESSIS-MORNAY.
LE DUC DE SAVOIE RECOMMENCE LES HOSTILITÉS. — NOUVEAUX EXPLOITS
DE LESDIGUIÈRES EN SAVOIE. — LE DUC DE SAVOIE S'EMPARE DU CHATEAU D'IF.
IL SE HATE DE LE RENDRE A LA NOUVELLE DE LA REPRISE D'aMIENS.
MORT DU MARÉCHAL DE MATIGNON.
Il devient indispensable ici de faire rétrograder mes récils pour
mettre sous les yeux du lecteur la conduite des protestants français
pendant ces dernières années. A leurs yeux, le roi, depuis sa conver-
sion, n'était plus le protecteur sur lequel ils avaient compté ; et, ne
voyant rien advenir qui les rassurât contre les craintes que le passé
leur donnait pour l'avenir, ils reprirent toutes leurs anciennes méfiances
contre le trône dont ils venaient de se montrer les plus ardents défen-
seurs.
Avant de clore les conférences de Mantes (1593), ils avaient renou-
velé sous les yeux mêmes et avec l'approbation du roi le serment
d'union des églises, jurant de vivre et mourir dans la pratique et dé-
fense de leur profession de foi. L'année suivante, ils tinrent un
synode à Montauban dans lequel il fut réglé d'abord que des prières
seraient faites dans tous leurs temples, pour obtenir du ciel le retour
sincère de Sa Majesté 'a la religion qu'elle avait quittée. On décida
ensuite que sous le nom d'assemblée politicjuc, on nommerait des dépu-
tés au nomb^B de trente, pour s'occuper des intérêts du parti et veiller
à la tranquillité commune. Cette assemblée alla d'abord s'établir à
Saintc-Foy, et quoique ses membres n'eussent pas pris de lettres de per-
mission pour se réunir, le roi, qui ne voulut pas se montrer trop sévère,
leur envoya lui-même un brevet d'autorisation. {Hist. de Védit de
Nantes, t. I", liv. 5, cbap. xix.)
L'un des premiers actes de l'assemblée politicjue fut de déclarer
que Henri IV ne pouvait plus retenir la qualité de protecteur des églises
558 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
puisqu'il en avait quitté la religion. Mais, on ne trouva pas a propos de
se remettre a la discrétion d'un nouveau protecteur, et on créa un con-
seil général, qui devait avoir toute autorité dans les affaires religieuses
et par les ordres duquel toutes les provinces seraient gouvernées. Il
devait être composé de quatre membres pris dans le corps de la noblesse,
de deux pris dans celui des pasteurs et de quatre délégués du Tiers-
État. Tous ces membres devaient se renouveler chaque année.
En outre, on créa des conseils provinciaux, composés de cinq a sept
personnes, du nombre desquelles devait être un ministre au moins.
Après cela, on fit un fonds de quarante-cinq mille écus, pour subvenir
aux dépenses générales. C'étaient les conseils particuliers qui devaient
ordonner de l'emploi de cette somme, à charge par eux d'en justifier à
l'assemblée générale.
A ces règlements constitutifs on ajouta quelques articles secrets
dont les plus importants disaient : que pour l'administration de la jus-
tice, on demanderait des chambres mi-parties dans tous les Parlements,
excepté dans celui de Grenoble, oii, grâce à Lesdiguières, les réformés
avaient déjà tout pouvoir ; qu'on solliciterait au nom des églises
françaises l'appui de la reine d'Angleterre et des Provinces-Unies ; et
enfin que dans les villes dont les réformés avaient la garde, les catho-
liques ne seraient admis aux charges publiques que si les villes catho-
liques accordaient chez elles le même droit aux protestants. L'assemblée
ayant ensuite ordonné que sa prochaine réunion aurait lieu a Saumur, le
premier jour du mois de décembre suivant, se sépara.
On trouva a la cour que cette nouvelle organisation que venaient de
se donner les églises ne tendait a rien moins qu"a former un Etat dans
l'État ; et le roi lui-même parut s'en inquiéter; mais il n'osa pas ordon-
ner la dissolution de l'assemblée politique, aimant mieux voir les protes-
tants unis entre eux par cette forme d'association, toute menaçante qu'elle
paraissait être, que soumis a un protecteur 'a qui la puissance du parti,
l'appui de l'étranger et les mécontentements du dedans auraient pu
inspirer des idées d'ambition plus dangereuses encore. Il consentit donc
a traiter avec cette assemblée, pour convenir avec elle, s'il était pos-
sible, de quelque moyen équitable de conserver la paix du royaume,
et il envoya ses lettres -patentes autorisant la réunion des députés a
Saumur.
Les résolutions qui furent prises dans cette réunion furent : de
demander un édit nouveau, consacrant la liberté de l'exercice du culte
réformé, par tout le royaume ; qu'on assurât des gages^ publics aux
ministres de ce culte, soit en laissant les dîmes que les huguenots ne
paieraient plus aux ecclésiastiques, soit en assignant des fonds sur le
trésor public ; que ceux de la religion fussent reconnus admissibles a
toutes les charges ; et enlin qu'on leur laissât en garde les villes qu'ils
avaient entre les mains, et que les garnisons en lussent soldées des
deniers du roi.
Pendant que les réformés dressaient ces articles, un nouvel attentat
DU rnOTESTANTISME EN FRANCE. 559
vint encore ajouter a la méliance et a l'aigreur du parti. Ceux de leur
religion avaient un lieu d'assemblée a la Châtaigneraie, dans la maison
d"un gcnlilliomme nommé Vaudoré. Ils avaient coutume de s'y rendre
de tous les lieux du voisinage, et comme ils avaient à craindre les gar-
nisons ligueuses qui couraient la campagne, ils avaient juscju'alors eu
soin de se munir d'armes pour se détendre. La dame du lieu, qui s'était
déjà signalée par plus d'une preuve de mauvaise volonté à leur égard,
sous jtrétexte que quelques lapins de sa garenne avaient été tués par ces
gens armés qui passaient sur ses terres, lit défense 'a tous ceux qui vou-
draient venir au prêche a la Châtaigneraie d'y apporter des armes. Les
pauvres gens se soumirent 'a cette injonction ; mais, un jour qu'ils
étaient occupés de leurs dévotions, la garnison de Hochefort vint en-
tourer la maison où ils étaient réunis en prières, et y ayant pénétré,
elle les massacra tous, sans distinction de sexe ni d'âge. Un petit
enfant qu'on avait apporté baptiser bit tué comme les autres. Il y en
avait un autre dune dizaine d'années au plus, »|ui se voyant menacé de
mort, oflrit ingénument a ses bourreaux huit sous qu'il avait dans sa
poche pour qu'on lui laissât la vie. « D'après l'ordre de Monsieur le duc
de Mercœur, lui l'util répondu, nous ne pouvons, mon j)auvre petit,
recevoir aucun huguenot a rançon. » Et il l'ut passé au lil de l'épée.
La dame de la Châtaigneraie, qui avait préparé cette sanglante exécu-
tion, « se prit à se divertir avec les bourreaux après le coup l'ait, s'inl'or-
mant avec une froide curiosité du nom des morts, pour s'assurer si tel
et tel de ceux (ju'elle haïssait le plus y étaient compris. — Soyez tran-
quille, disait-elle, Monsieur le duc de .Mercœur, en faisant sa paix avec
le roi, n'oubliera pas de vous faire mettre pour cette bonne œuvre dans
l'amnistie qu'il se propose de demander. » (Ibid.)
Les protestants, a la nouvelle de ce massacre, ne parlaient que de
prendre les armes et d'exercer de sanglantes représailles contre leurs
ennemis ; mais le roi, pour les apaiser, leur Ht savoir qu'il allait laire
poursuivre en justice les auteurs d'une action aussi atroce. Il donna
même des lettres-patentes dans lesquelles il déclarait qu'un pareil atten-
tat ne pourrait jamais être compris au nombre de ces actes militaires,
dont les traités de paix portent ordinairement l'amnistie. En effet,
quelques-uns de ces bourreaux (pii furent pris furent punis de mort.
« Mais, le supplice de cinq 'a six co(|uins ne pouvait être regardé comme
une réparation suffisante de l'assassinat de deux cents personnes inno-
centes. »
Ce fut, quelque temps après, que la prise de Calais par les Espagnols
vint jeter tantd'inijuiéludes dans le royaume. Les réformés transportè-
rent le siège de leur assemblée politique a Loiidun (1^00), poin- pour-
voir aux moyens de maintenir la sûreté de leurs églises au milieu de
tous ces troubles. Le roi leur avait promis |)récédemment et à plusieurs
reprises de rétablir en leur f'a\eur l'édit de 1077 avec toutes ses consé-
quences ; mais cette promesse, (|ui avait eu a peine un commencement
(l'exécution, avait été si mal tenue, il y avait eu tant de longueurs et si
560 • HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
peu d'effet dans les démarches de la cour, qu'on ne pouvait plus, a
ce que prétendaient ceux du parti, se contenter de cet édit, beaucoup
trop en dessous de leurs prétentions, et qu'il en fallait un nouveau plus
ample, plus favorable et surtout plus explicite. {Hist. de Védit de Nantes,
t. F% liv. 4, p. 164 et suiv.)
Une députalion fut donc envoyée au roi lui-même, et Duplessis-Mor-
nay écrivit à ce prince, pour lui démontrer la nécessité de donner
quelque contentement a ceux qui avaient jusqu'alors soutenu sa cause
avec tant de dévouement. « Sire, disait le rigide protestant, vous me
demandez ce que les réformés disent de votre changement. Ils avaient
espéré que vous prendriez leurs intérêts sans qu'ils vous importunas-
sent. Jusqu'à présent, vous ne leur avez pas même ôté, comme on dit,
la corde du cou. Les édits de la Ligue subsistent encore dans plusieurs
parlements. Et pourtant, les réformés ne prétendent pas comme les
royaux vous imposer une religion 'a leur guise. Encore moins veulent-
ils comme les Ligueurs faire changer la loi de l'État, pour donner la cou-
ronne 'a un prince étranger ; ce qu'ils attendaient de vous, c'est la paix
pour leur conscience et la sûreté pour leur vie. Aujourd'hui qu'ils vous
voient abandonner leurs croyances sans avoir pourvu au danger de leur
situation, la plupart d'entre eux croient qu'on ne doit plus rien attendre
de bon de Votre Majesté. Les plus sages pourtant restent persuadués
que vous n'avez pas oublié les services que nous vous avons rendus ;
mais ils craignent que vous manquiez de résolution, et qu'on vous
entraîne 'a jouer le rôle de capitaine général des catholiques contre les
huguenots. Le prêche n'est-il pas déjii banni de la cour? ne vous sol-
licite-t-on pas de nous exclure de toute charge et emploi ? Or, que
pouvons-nous répondre, nous, vos fidèles serviteurs, a ceux qui deman-
dent que nos églises se donnent un autre protecteur, puisque vous ces-
sez d'être le leur ? Mieux que tout autre, cependant, vous savez ce qui
leur est nécessaire. Vous n'avez qu'à vous rappeler les requêtes que
vous avez présentées pour eux, a vos prédécesseurs, elles n'ont rien
perdu de leur justice, parce que vous avez augmenté en puissance. »
Le style de cette lettre était dur et irritant ; Henri n'en nomma pas
moins plus tard Duplessis l'un des commissaires chargés d'examiner les
demandes des protestants ; et il se borna à répondre aux députés avec
un bon visage et par de belles paroles, mais sans rien accorder. (( Sire,
dit alors Vulson, chef de la députation, je dois vous prévenir que l'as-
semblée de Loudun est décidée à ne point se séparer sans avoir
obtenu de Votre Majesté une décision définitive et des assurances telles,
qu'elles puissent tranquilliser les églises réformées sur leur existence.
— Monsieur, répondit le roi, je suis la seule assurance de mes sujets, et
je n'ai encore manqué de foi à personne. — Mais sire, répliqua le député,
Henri 111 lui-même nous a bien donné des garanties. — Les temps sont
changés, dit alors le monarque ; Henri III vous craignait et ne vous aimait
pas; moi, je vous aime et ne vous crains guère. » Il accompagna cette ré-
ponse d'un ordre à l'assemblée de Loudun de se séparer, enjoignant à cha-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 561
Clin (le ceux qui s'y trouvaient de se retirer chez soi, et d'assurer
les peuples de la bonne volonté du roi pour le maintien d'une pleine
liberté de conscience. (Pkukkixi:, Vie de Henri le Grand, ad. fin.,
recueil, etc. — Hist. de l'édit de Nantes, ubi sup.)
L'assemblée s'ollensa d'un ordre donné d'une manière aussi ferme,
et se mit à délibérer sur ce qu'elle avait a faire dans celte fâcheuse
conjoncture. Les plus ardents parlaient déjà de recourir 'a la force et de
recommencer la guerre civile ; mais Mornay les ramena bientôt a un
parti un peu plus modéré, en leur remontrant l'atrocité et les périls de
celui qu'ils voulaient prendre. « Hé bien ! soit, ajoula-t-il, ne nous sépa-
rons pas avant d'avoir obtenu un édit avec des sûretés suflisantes, et
invitons toutes les personnes qualifiées qui ont embrassé notre foi a
venir nous fortifier de leur présence, » et il proposa une déclaration
d'union qu'il signa le premier, et que tous signèrent après lui.
Ensuite, il fut décidé qu'il écrirait de rechef au roi, pour lui repré-
senter chaudement les désordres qui pourraient naître de la séparation
de l'assemblée de Saumur, et pour lui exposer de nouveau les justes
motifs de plainte des huguenots, tant contre les rigueurs des parlements,
qui ne tenaient pas la balance de la justice exacte entre les catholiques
et les réformés, (jue contre les autres avanies, dont ils étaient journelle-
ment victimes. Mornay terminait en suppliant le roi d'envoyer un com-
missaire de sa part, pour régler les choses avec l'assemblée, et il dési-
gnait de Thou (l'historien), « parce que, disait-il, il avait la réputation
d'aimer la paix. »
Le roi se montra touché de cette lettre d'un homme dont il avait
anciennement reçu tant de services, et il révo(|ua incontinent l'ordre de
dissolution de l'assemblée de Loudun, engageant ceux (jui s'y trouvaient
en ce moment 'a attendre au contraire l'arrivée de son commissaire.
L'assemblée profila de cette concession pour écrire au roi sur les aflaires
générales et pour lui envoyer de nouveaux députés. Elle commençait par
le remercier de l'assurance qu'il voulait bien lui donner de sa bonne
volonté, due, disait-elle, au souvenir de l'afl'ection et des services que les
réformés lui avaient de tout temps rendus. Elle se plaignait ensuite de
ceux qui avaient voulu persuader au roi que les réformés étaient traités
conformément aux bonnes intentions qu'il avait pour eux, et à peu près
suivant leurs mérites, ce qui empêchait Sa Majesté de penser plus sérieu-
sement a leurs affaires et d'arrêter les injustices qu'on leur faisait tous
les jours.
« L'édit de 1577, disaient les réclamants, est maintenant devenu
insuffisant pour nous proléger; car, en vertu de certaines restrictions
ou commentaires, on continue à nous traiter maintenant selon les édits
delà Ligue. N'avons-nous donc pas raison, nous qui avons servi si fidè-
lement depuis les premières années de votre règne et de qui Dieu a
béni les travaux, contre toute apparence humaine, de trouver étrange de
nous voir sous le gouvernement d'un aussi juste prince, dans un état
pire que celui où nous étions, sous la domination de ses prédécesseurs !
IV. 36
562 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
Pardon, Sire, si nous venons vous parler de nos affaires particulières,
dans un temps où vous-n^ême en avez de si grandes ; mais les réfor-
més sont aussi une partie assez importante de vos sujets et des plus
fidèles, nous osons le dire ; nous croyons donc que ce qui les regarde ne
doit pas être indigne de votre attention et de vos soins. »
Le roi avait cependant nommé son commissaire pour traiter avec
l'assemblée, et, conformément à la demande de Mornay, il avait désigné
le président de Tliou ; mais celui-ci refusa cette commission dont il
craignait les conséquences. Les catholiques zélés, en effet, n'auraient
pas manqué de lui en vouloir s'il n'avait pas adopté toutes leurs animo-
sités, et les huguenots se fussent irrités s'il n'avait pas aveuglément cédé
'a toutes leurs prétentions. Vie et Calignon furent députés à sa place et
sur son refus : le premier était catholique, et le second huguenot. On
commença par trouver mauvais que « celui-ci eût accepté la commission
de venir chicaner ses frères en religion sur leurs demandes, et de leur
apporter, de la part du roi, des réponses qui ne remplissaient pas leurs
espérances ». {Hist. de l'Édit de Nantes, ubi supra.)
Il n'était accordé que l'exécution de l'édit de 1577, et Henri, par la
bouche de ses commissaires, faisait même quelques reproches assez
sévères à l'assemblée de ce qu'elle témoignait tant de défiance en ses
promesses. « Cela, lui faisait-il dire, me paraît bien éloigné du respect et
de l'affection que vous vous vantez d'avoir toujours eus pour ma personne. »
Il les conjurait ensuite de sacrifier leurs susceptibilités déplacées au bien
public, et de ne pas profiter du mauvais état où étaient momentanément
ses affaires pour ajouter encore aux embarras présents.
L'assemblée répondit qu'elle ne pouvait comprendre quelle espèce
de bien public on voulait que les chrétiens réformés préférassent 'a leur
propre conservation, et comment ce pouvait être un bien que de laisser
tant des meilleurs sujets de Sa Majesté 'a la merci de leurs ennemis,
gens exercés a la perfidie, aux injustices et aux massacres.
Le roi lit alors proposer 'a cette espèce de concile huguenot de se
transférer de Loudun a Vendôme, pour être plus près de la cour ; et cette
proposition ayant été acceptée, les députés des églises se rendirent sans
délai dans cette dernière ville, où ils attendirent trois mois le retour des
commissaires royaux, sans vouloir rien changer 'a leurs prétentions au
sujet d'un nouvel édit, plus large et plus rassurant pour eux que celui de
1577. . . . ,
C'était au moment où le roi était allé tenir les Etats a Rouen. Il crut
calmer les exigences du parti réformé en faisant passer au Parlement
de Normandie l'édit de 1577, qui n'y avait point été encore enregistré ;
mais les huguenots crièrent que cette nouvelle vérification d'un édit
dont ils avaient déclaré qu'ils ne se contentaient plus n'était qu'un
artifice pour leur faire prendre patience ; et, pourtant, la chose ne
laissa pas d'être assez mal prise 'a Rome. Le Pape s'en plaignit au car-
dinal d'Ossat, notre envoyé, qui eut beaucoup de peine 'a calmer la sus-
ceptibilité de Sa Sainteté. {Lettres du cardinal dOssat, t. I", liv. 3.)
DU PIIOTESTANTISME EN FRANCE. 563
Cependant, les commissaires royaux arrivèrent cnlin à Vendôme
(1597), et comme ils n'apportèrent pas de nouvelles concessions, les
huguenots se montrèrent Ibrt mécontents, disant (jue le roi, dans la
crainte d'ofl'eiiser les Ligueurs, ses ennemis, aimait mieux laisser ses amis
lidèles dans la misère et dans un danger évident d'oppression. Ils me-
naçaient même de chercher du soulagement, en usant de leurs propres
ressources. Les commissaires se hâtèrent d'écrire à la cour qu'il
était temps d'en finir, en donnant quelque satisfaction à ces esprits
malades, « non pas de rébellion, disaient-ils, ni de passion factieuse,
mais de crainte pour l'avenir. » {Histoire de Védit de Nantes, ubi
supra.)
Le roi, mécontent de semblables dispositions, qui, si elles n'étaient
pas encore décidément hostiles, ne pouvaient manquer de le devenir
bientôt, s'en prit ouvertement aux ducs de bouillon et de la Trémouille,
les deux seigneurs les plus iniluents dans le parti des réformés, et leur té-
moigna vivement son mécontentement. Bouillon, en effet, était plein d'am-
bition, et l'on savait qu'il aurait voulu se servir des forces protestantes
pour augmenter encore sa puissance et ses possessions déjîi considé-
rables. Pour La Trémouille, jeune, brave, entreprenant et tout-puissant
dans le Poitou, où la plus grande partie de la noblesse le reconnaissait
déjà pour chef, la cour l'accusait d'être entêté et d'aimer la brouillerie.
L'honneur de voir le prince de Condé, son neveu, héritier actuel de la
couronne, puisque le roi n'avait pas encore d'enfants légitimes, lui
haussait, disait-on, le cœur. Aussi, (|uand il lui échappait quelque
parole qui avait l'air menaçant, on ne manquait jamais de la prendre en
mauvaise part, parce qu'on le croyait capable de faire plus que de me-
nacer.
Les choses en étaient là quand on apprit la surprise d'Amiens
par les Espagnols. L'assemblée, qui venait de retourner à Saumur, se
partagea alors en deux factions. Les uns proposèrent de profiter de la
circonstance pour faire une entreprise sur Tours, en y envoyant quel-
ques troupes avouées de la Trémouille ; les autres prétendirent, au con-
traire, que le nouveau malheur dont la patrie venait d'être frappée leur
faisait une obligation de se relâcher de leurs prétentions légitimes pour
ne plus penser qu'a repousser l'ennemi. Ce dernier avis n'était pas
celui des deux ducs, qui voulaient au contraire qu'on eût recours aux
armes ; mais pres(|ue toutes les églises et la meilleure partie de la
noblesse s'opposèrent à cette tentative désastreuse. C'est qu'heureuse-
ment, on n'avait pu s'entendre au sujet de l'administration des deniers
qu'il aurait fallu lever pour faire la guerre. La noblesse voulait en avoir
le maniement ; et les consistoriaux exigeaient que ces sommes fussent
employées par des commissaires îi la nomination des églises qui les
fourniraient. Or, quand chacun des deux partis se fut bien convaincu
qu'il ne pourrait forcer l'autre a céder, plutôt (|ue de céder lui-même,
l'un et l'autre ne chercha plus qu'à se taire honneur auprès du roi de
son apparence de dévouement.
564 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Le comte de Schombei*g arrivait alors a Saumur avec de nouveaux
commissaires envoyés par le roi. Il fit savoir son arrivée a l'assemblée
et demanda qu'elle lui députât quelques-uns de ses membres pour en-
tendre les intentions bienveillantes de Sa Majesté ; mais l'assemblée
refusa de traiter avec lui par députés ; et, se posant comme en droit
d'agir de puissance à puissance, elle l'invita a venir lui-même dans le
lieu de ses séances pour y exposer ce qu'il était chargé de dire de la
part du roi. Schomberg, après avoir refusé d'abord de faire une pareille
démarcbe, finit par envoyer de Vie, lequel, du ton le plus modéré, exposa
aux réformés que, si on connaissait l'état des affaires du roi, on verrait
que pour le moment il ne pouvait faire davantage ; que sa condition
présente était plus malheureuse qu'elle n'avait été, quand il ne s'ap-
pelait encore que le roi de Navarre, et qu'il les priait de se contenter
de ce qu'il pouvait faire pour eux, s'ils ne voulaient le forcer à faire à
tout prix la paix avec l'Espagnol.
L'assemblée ne se trouva guère satisfaite d'un pareil discours, qui ne
répondait rien a ses prétentions ; et, de son côté, elle fit une réponse
aussi vague que celle qu'on lui avait apportée. « Nous éprouvons tous,
dit l'orateur chargé de la parole, un déplaisir fort grand de la perte
d'Amiens, et nous promettons d'emplover nos biens et notre vie pour
le service de l'État, quand l'État aura donné satisfaction à nos justes
griefs. Nous regrettons que les longueurs que l'on apporte 'a rassurer
nos consciences au sujet de notre foi religieuse nous empêchent de
témoigner aussi vivement que nous le voudrions notre dévouement au
roi ; mais nous croyons que la sûreté de la religion et de nos familles
n'est pas moins un bien public que la reprise d'Amiens. »
Duplessis-Mornay, toujours dévoué au roi, cherchait tous les moyens
d'apaiser les esprits aigris de ses coreligionnaires, et d'étouff'er la nou-
velle guerre religieuse qu'il voyait sur le point d'éclater. Il écrivit à
Henri « qu'il deviendrait peut-être plus aisé de porter les choses à la
paix dans une assemblée plus nombreuse, parce qu'il y serait possible
de se procurer un plus grand nombre de voix, pour les opposer à ceux
dont on craignait l'influence et la mauvaise volonté. » [Vie de Duplessis-
Mornay.)
Le roi goûta cet avis et il ordonna de transférer l'assemblée à
Châtellerault, où elle se rendit le seizième jour de juin. Elle fut, en
effet, plus nombreuse qu'elle n'avait jamais été : il s'y trouva un gentil-
homme, un ministre et un homme de loi, de chaque province, et, en
outre, une foule de seigneurs de tous les pays de la France. « La Tré- |
mouille fut nommé président et soutint les intérêts de la nouvelle reli-
gion avec tant de zèle, que la défiance et la haine qu'on avait déjà contre
lui a la cour s'en accrurent de beaucoup. » {Hist. de l'Édit de Nantes, j
ubi supra.)
Le siège d'Amiens, que le roi allait commencer, fut d'abord le sujet
d'une longue délibération. On discuta quelle conduite les huguenots
devaient tenir en celte circonstance : il y en eut qui voulaient qu'on
DU TROTESTANTISME EN FRANCE. 565
rendit encore ce dernier service au roi, pour lui prouver que nulle injus-
tice no pouvait mettre a bout la lidélité et le dévouement de ses plus
anciens et plus vrais amis, et pour couvrir de honte ceux qui après
cela persisteraient a leur faire les mêmes injustices qu'auparavant.
C'était l'avis qu'avait envoyé Lesdiguières ; mais Lesdiguières avait
beaucoup baissé dans l'estime du |)arti ; il passait pour nn ambitieux uni-
quement occupé de lui-même dans le Daupliiné, où il était tout-puis-
sant : ses mœurs étaient mal réglées, et sa vie peu édiliante. Il était
avare et débauché, et on disait qu'il était joint aux réformés par la pro-
fession extérieure seulement, et parce (jue la religion avait été la source
de sa fortune, plutôt que par une véritable piété. {Hist. de VÉ dit de Nantes^
liv. 5, p. 120.)
D'autres membres de l'assemblée demandèrent qu'on laissât un peu
faire les catholiques tout seuls, pour voir comment ils se tireraient de
cet embarras avec leurs seules ressources, et s'ils pourraient se passer
du secours des réformés. Il y en eut même (jui semblèrent craindre
que, se trouvant au siège avec une armée toute catholique, on ne pro-
fitât de la supériorité du nombre et de leur confiance pour faire sur eux
une nouvelle Saint-Barthélémy.
On décida donc, que les réformés n'enverraient aucune troupe, ce
qui, pourtant, n'empêcha pas (ju'un grand nombre de gentilshommes et
de braves soldats de cette religion ne courût se ranger sous les drapeaux
du roi. Le comte de Schomberg persuada même aux ducs de Bouillon et
de la Trémouille de lever du monde parmi leurs coreligionnaires ; et
on leur lit toucher pour cela de l'argent du roi ; mais les troupes du duc
de Bouillon demeurèrent en Auvergne, sous quel(|ue prétexte assez insi-
gnifiant ; et celles du duc de la Trémouille s'en allèrent en Poitou,» pour
y réprimer, disait-il, les courses de quelques Ligueurs, » ce dont le roi
se montra fort mécontent.
Après la reprise d'Amiens, et aussitôt (ju'on eut la première nouvelle
de la paix (fue Clément VTII ménageait entre la France et l'Espagne, l'as-
semblée protestante, qui ne s'était pas encore séparée et qui continuait
ses instances pour obtenir un nouvel écHt, envoya ses plaintes au roi de ce
qu'on travaillait a un traité avec Philippe par l'entremise du Pape. « La
qualité d'un pareil entremetteur, disait-elle, nous fait craindre a bon droit
que ce traité ne se fasse que pour nous exterminer tous. » Le roi répon-
dit que bien qu'il eût de fortes raisons lui-même d'être mécontent de
l'assemblée (pii avait refusé de l'aider dans une circonstance aussi cri-
tique, il promettait que la paix ne se concluerail pas au préjudice d'aucun
de ses sujets huguenots ou catholiques, et (ju'il engageait seulement les
protestants 'a terminer au plus tôt avec ses députés toutes ces longues
discussions, afin cjuil put témoigner librement son affection et sa bonne
volonté pour eux comme pour tous.
Le comte de Schomberg lit donc une espère d'accommodement avec
eux, par le(iuel le droit d'exercice de leur religion était ('tendu a tous
les lieux où il existerait au mois d'août de cette présente année (I.j97) ;
566 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
on leur laissait leurs places de sûreté, et on leur accordait une somme
pour le paiement de leurs soldats et de leurs ministres. Ces concessions
étaient faites, toutefois, avec la réserve du bon plaisir du roi, et l'as-
semblée devait s'adresser directement a lui pour obtenir son approba-
tion. Mais, en ce moment, le traité qu'on était en train de faire avec le
duc de Mercœur absorbait toute l'attention de Sa Majesté et de son
conseil ; et tout demeura encore en suspens.
Le duc de Mercœur était, en effet, le seul des chefs de la Ligue qui
restât alors debout ; et déjà même, il avait fait témoigner au roi à plu-
sieurs reprises qu'il n'était pas trop éloigné d'entendre à un accommo-
dement. Tout récemment encore, il avait chargé Jean Valet, prieur de
la Trinité en Bretagne, d'aller trouver Monsieur de Schomberg, pour lui
faire savoir qu'il accepterait la paix a des conditions raisonnables, et
qu'il souhaitait qu'on lui envoyât des personnes sûres, avec lesquelles il
pourrait discuter ces conditions. Le roi, qui désirait en finir le plus
promptement possible avec la Ligue, chargea la reine douairière, sœur
de Mercœur, de se rendre 'a Ancenis, et la fit accompagner par l'arche-
vêque de Reims, le comte de Fiesque, le gouverneur de l'Anjou et
Duplessis-Mornay. (De Tiiou, t. XIII, liv. 107, p. 2 et suiv.)
Mercœur, pourtant, était loin d'être aussi décidé a renoncer ses an-
ciens projets d'ambition qu'il voulait le faire croire: on perdit d'abord beau-
coup de temps en discussions inutiles. Mercœur prétendait traiter au nom
de toute la province de Bretagne, quoiqu'il fût à peine maître de la moi-
tié de ce pays. Il voulait traiter aussi au nom de l'Anjou, du Poitou et
de la Normandie, où il ne possédait que quelques places, la plupart as-
sez faibles ou peu importantes. Ces prétentions parurent outrecuidantes.
Pourtant, les députés du roi, pour ne pas rompre la conférence sans
avoir au moins fait quelque chose, se résolurent à demeurer encore.
Dans la conférence suivante, Mornay demanda au prieur Valet si ce
n'était pas au nom du duc qu'il était venu faire des propositions secrètes
à Monsieur de Schomberg. ce Je n'ai rien fait que par son ordre, répon-
dit le prieur ; mais Monseigneur n'est pas tout a fait libre d'accepter
toutes sortes de conditions, 'a cause des engagements qu'il a pris précé-
demment avec les Espagnols. Avant donc qu'il aille plus avant, il faut
qu'il soit bien assuré qu'il ne sera jamais dans le cas de regretter les
secours de l'Espagne. — De pareils détours, répondit Mornay, ne sau-
raient convenir au roi, et le duc Vôtre Seigneur manque ici de bonne
foi. » Cette fois, on allait rompre tout a fait la négociation, quand on
vit arriver La Ragotière, porteur de nouvelles instructions de la part du
duc de Mercœur.
Ce nouvel envoyé demanda qu'il y eût une trêve de deux mois,
parce que le duc, disait-il, ne pouvait traiter d'une paix définitive avant
le retour d'un ambassadeur qu'il avait envoyé en Espagne. « Si ce sont
les Espagnols, dirent les députés du roi, qui doivent régler les démar-
ches de Monsieur le duc, et s'il prétend ne négocier qu'avec leur agré-
ment, nous ne pouvons plus désormais traiter avec lui. »
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 567
La Ragotière se borna alors a demander quarante jours, pour laisser
au duc le temps de consulter au moins Monsieur de Mayenne, promet-
tant qu'on se réglerait sur la réponse de ce dernier, et la reine douai-
rière engagea les ministres de Henri a accorder ces quarante jours,
quoiqu'on ne pût plus conserver le moindre doute que Tuniciue but de
Mercœur ne fût de reculer le plus possible la conclusion de la paix, dans
l'espoir qu'il pouvait encore voir surgir quelque événement favorable à
ses projets d'indépendance. On dit même qu'un de ses amis lui ayant
demandé s'il songeait réellement à se faire souverain de la Bretagne : « Je
ne sais pas si c'est un songe, avait-il répondu ; mais il y a plus de dix
ans qu'il dure, » {Mém. de Sully, t. III, liv. 9.)
Aussi, quand il vit que le Légat du Saint-Siège était arrivé en
France, comme cet événement contrariait évidemment ses projets, il ne
craignait pas de dire que le roi ne s'élait pas converti sincèrement, et il
alla même jusqu'à accuser bautement le Pape et le sacré collège d'avoir
manqué de bonne foi et de prudence. Les catlioliques ne pouvaient en
conscience, disait-il, croire à la véritable conversion d'un prince béré-
tique et relaps, ni se soumettre a lui, tant que, par l'extermination com-
plète de tous les sectaires du royaume, il n'aurait pas fourni la preuve
de son retour sans arrière-pensée aux saines doctrines de l'Eglise. (De
Tiiou, iibi Slip.)
On apprit même qu'il était question entre le duc et l'Espagne d'un
nouveau traité, par lequel, moyennant certains dédommagements accor-
dés au premier, l'Infante serait reconnue comme béritière souveraine du
ducbé de Bretagne, et la guerre alors serait continuée dans cette pro-
vince au nom de cette princesse.
Cependant, la trêve était sur le point d'expirer ; et, quoiqu'elle n'eût
pas été très-lîdèlement gardée par Mercœur, qui en avait profité pour
débaucher Cbampigny et pour l'engager 'a lui remettre la ville de Tif-
fauges dont il était commandant au nom du roi, on réfléchit qu'en la
rompant ouvertement, on porterait beaucoup de préjudice aux peuples,
et il fut décidé qu'elle serait continuée.
Sur ces entrefaites, Vincent de Launay, gouverneur de Fougères
pour la Ligue, était mort ; le marquis de Belle-Isie sollicita ce commande-
ment auprès du duc. Belle-Isle avait d'abord embrassé le parti de Mer-
cœur, croyant que c'était le seul moyen de conserver les grands biens
qu'il avait dans la province ; mais quand il vit que les aflaires du roi
prenaient une meilleure tournure, il employa les amis qu'il avait en cour
pour faire sa paix ; il ne demandait rien moins qu'un bâton de maréchal.
« Puisqu'il ne m'apporte rien, avait répondu le roi, je ne veux rien lui
donner. Il devrait encore s'estimer heureux que je veuille bien le rece-
voir sans me faire payer. » (Ml:zi:rav, t. III, p. M62.)
Le duc, qui voulait retenir ce seigneur dans son parti, le fit donc
gouverneur de Fougères. Il lui promit déplus le gouvornemcnt de Saint-
Michel-au-Péril-de-la-Mer, s'il pouvait forcer un certain capitaine Ker-
martin, qui s'était établi dans ce fort, à le lui rendre. Belle-Isle, après
568 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
avoir pris possession de son nouveau gouvernement, se rendit a Saint-
Michel, dont on lui ouvrit la première porte sans difficulté. Alors, le
sergent qui était de garde en ce lieu, l'ayant laissé entrer avec cinq de
ses gens seulement, voulut refermer la porte sur les autres. Belle-Isle, en
colère, le tua tout aussitôt d'un coup d'épée. Mais Kermartin, qui accou-
rait, commanda à ses soldats de faire feu, et le marquis fut tué a son
tour, ce qui déconcerta si fort les gens qu'il avait amenés avec lui que
tous se sauvèrent sans essayer de venger la mort de leur chef.
De Thou arrivait alors à Chenonceaux accompagné de Schomberg
pour se joindre par l'ordre du roi aux députés chargés de traiter avec le
duc de Mercœur et qui avaient transféré leurs conférences dans cette
dernière ville. « Maintenant, dit Schomberg à l'assemblée, le duc n'a
plus aucun prétexte de conscience a alléguer, puisque le Souverain-Pon-
tife a donné au roi le titre de très-chrétien, et l'appelle aujourd'hui son
cher fils. » La Ragotière, sans rien répondre a cette interpellation, et se
tournant du côté de la reine douairière a qui il affectait toujours de
s'adresser, comme si elle eût traité de sa propre autorité, dit qu'il était
prêt a conclure, mais à certaines conditions, savoir : que le roi
approuverait la cause de la guerre qui lui avait été faite, en reconnais-
sant qu'on n'avait pris les armes contre lui que pour la défense de la
religion : ceci fut accordé sans difficulté ; qu'on ferait la paix avec l'Es-
pagne : 'a quoi il fut répondu que le roi ne demandait pas mieux, si
Philippe y était disposé de son côté ; que les privilèges et droits du
Saint-Siège seraient religieusement respectés dans toute la Bretagne et
que les bénéfices ecclésiastiques demeureraient 'a ceux qui en étaient
pourvus : en réponse à cet article, les députés du roi dirent que Sa Ma-
jesté avait déj'a fait, touchant cet objet, ses conventions avec le Pape, et
qu'il n'était pas nécessaire qu'un autre intervînt ; que les charges don-
nées par le duc de Mercœur, ou créées par lui pendant la guerre, que
celles aussi qu'il avait conférées, par suite de l'absence des titulaires, lors
même que ceux-ci ne s'étaient éloignés que pour le service du roi, res-
teraient 'a ceux qui en étaient actuellement revêtus. Quoiqu'il y eût là
une atteinte notable a l'autorité royale, les députés crurent pouvoir
accorder que ceux 'a qui le duc avait donné une charge vacante par l'ab-
sence ou la mort de quelqu'un de son parti seraient maintenus dans
leur possession, sans rien payer pour les nouvelles provisions qu'ils rece-
vraient du roi, mais que les charges vacantes par la mort des partisans
du roi, ou par leur retraite auprès de Sa Majesté, seraient rendues à des
royalistes ou restituées 'a leurs premiers possesseurs. (De ïhou, ubi siip.
— Mém. de la Ligue, t. VI, p. 544.)
Le duc demanda encore que les gouverneurs des villes et places
dont il s'était emparé par la force des armes dans la Bretagne, dans
l'Anjou, dans le Maine, le Poitou et dans la Normandie, eussent la jouis-
sance durant sept ans des appointements, des pensions et des emplois
qu'ils tenaient de lui ; et que si, dans l'espace de sept ans, quelqu'un
d'eux venait a mourir, le duc conserverait le droit de le remplacer par
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 509
lin sujet a son choix. Cet article fut celui qui amena les plus vives
discussions. On convint d'abord assez aisément que |)Our les places qui
n'appartenaient qu'au roi, le gouvernement en serait laissé a ceux que le
duc de Mercœur en avait pourvus ; et qu'en cas de décès de l'un d'eux,
le duc présenterait trois candidats entre lescjuels Sa Majesté serait tenue
de choisir ; mais à l'égard des villes qui étaient du domaine de quelque
seigneur particulier, il devint moins facile de s'entendre, l'n grand nombre
de ces places étaient, en elVet, la propriété patrimoniale des per-
sonnages les plus puissants et les plus iniluents du royaume, et il y
avait tout 'a craindre que ces seigneurs n'excitassent des troubles dan-
gereux si on leur était leur bien. Mercœur, de son côté, alléguait (jue
plusieurs de ces seigneurs étaient buguenols, que la sûreté de la
religion catholique dans la province exigeait qu'on ne leur rendît pas
d'aussi puissants moyens de la persécuter. On trouva enfin un terme
moyen : ce fut de convenir que les places seraient en eflet rendues à
leurs seigneurs, mais que ces seigneurs n'y pourraient mettre que des
gouverneurs reconnus pour bons et véritables calholi(|ues. Par la, tonte
crainte au sujet de la sûreté de la religion devait, disait-on, dispa-
raître.
Pour son compte particulier, Mercœur exigeait le gouvernement de
la Bretagne, auquel il voulait (pi'on ajoutât tous les pouvoirs de grand-
amiral de France. La première partie de celle demande lui fut accordée ;
mais, par rapport 'a l'amirauté, on répondit qu'on s'en tiendrait 'a l'édit
de Henri III qui avait consacré une transaction faite a ce sujet entre le
duc de Mercœur lui-même et Anne de Joyeuse, quand celui-ci fui pourvu
de la charge d'amiral de France.
Mercœur voulait aussi que Brissac, qu'il n'aimait pas, et 'a qui le roi
avait accordé la lieutenance générale de Bretagne, fût privé de cette fonc-
tion qui serait donnée 'a la personne que Mercœur lui-même désignerait
'a Sa Majesté. Cet article lui fut absolument refusé. Il demandait de plus
qu'on lui livrât la ville et le port de Concarneau, au pays de Vannes ;
or, comme c'était un des meilleurs ports de tous ceux dont la garde
entrait dans les attributions de Brissac, cela fut pareillement rejeté.
Enfin, ayant demandé la somme de quatre cent mille écus d'or, pour
le remboursement des frais de la guerre et l'acipiit de ses dettes, avec
une pension annuelle de cinquante mille écus, le roi consentit a accor-
der deux cent cinquante-six mille écus, montant réduit des dépenses
qu'il réclamait sur son mémoire, et 'a y ajouter une pension de soixante-
neuf mille livres par an.
Quant aux droits et prétentions de la maison de Penthièvre, dont il
se portait comme héritier, il demandait en compensation du sacrifice
qu'il offrait d'en faire deux cent mille écus comptant, ou bien qu'on lui
donnât par engagement la comté de Nantes, ce qui aurait mis tout sim-
plement en sa possession la ville la plus riche et l;i |)lus importante de la
province, et ce qui, avec son titre de gouverneur de la Bretagne, l'eût
rendu tout aussi puissant dans cette contrée qu'il l'avait été pendant les
570 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
troubles. Les ministres du roi répliquèrent qu'on avait déjà transigé au
sujet de ces droits avec le duc Jean d'Étampes, qui en était alors le
possesseur reconnu ; qu'il y avait de cela trente-huit ans, et que, per-
sonne n'ayant réclamé jusqu'alors, contre ce marché fait de bonne foi
par l'État, il y avait maintenant prescription contre toute prétention nou-
velle. Le roi, pourtant, voulut bien encore accorder soixante-six mille
écusd'or pour couper court 'a toute difficulté, tant il se sentait pressé de
terminer ce traité.
Ces conditions ainsi réglées, La Ragotière et les députés du roi arrê-
tèrent de concert qu'après que le duc de Mercœur aurait donné sa
parole a Sa Majesté, il proposerait aux Espagnols, au nom de Henri IV,
une trêve de quatre mois, pendant laquelle, ils se retireraient dans le
port de Blavet (aujourd'hui Port-Louis), discontinuant les fortifications
qu'ils avaient commencées et s'abstenant de faire venir aucun renfort ;
que , pendant ce temps, le dit seigneur duc donnerait au roi Philippe avis
de la trêve conclue, en le priant de rappeler définitivement ses troupes,
auxquelles il serait payé une certaine somme par la province ; que si
l'Espagnol refusait ces propositions, le duc déclarerait alors ouvertement
qu'il était engage par son traité 'a exposer sa vie et ses biens pour chas-
ser les étrangers de la Bretagne. (De Tuou, ubi sup.)
La Ragotière emporta ces articles qu'il promit de rapporter signés
sans aucun délai ; mais à peine était-il parti qu'on vit arriver une
lettre de lui, annonçant que Mercœur, avant de rien ratifier, avait cru
devoir convoquer à Châteaubriant une assemblée des principaux de son
parti. C'était toujours de la part de ce prince le même système de
prorogation et d'attente. Et en même temps, il écrivait au Parlement de
Bretagne que, son plus vif désir étant d'assurer la religion et la tran-
quillité dans la province, même au détriment de ses intérêts particu-
liers, il venait de s'apercevoir de plusieurs choses qui le portaient a se
défier de la réussite de sa bonne intention. « Les ministres du roi,
disait-il, ont obstinément refusé de traiter de l'article de la religion,
quand j'ai voulu le faire au nom de la Bretagne. Je viens donc vous
prier instamment d'unir vos efforts aux miens, pour mettre notre sainte
foi à couvert dans cette province ; car c'est pour ce seul intérêt, je vous
le jure, que j'ai pris les armes et c'est encore le seul motif qui m'em-
pêche de les déposer aujourd'hui. Je crois bien aussi que si nous pré-
cipitons trop la conclusion de la paix, les Espagnols auront le droit de
n'être pas contents de nous ; et vous savez qu'ils sont en mesure de
nous en faire repentir, A mon avis donc, nous ferions bien de con-
venir d'abord avec eux, de peur qu'après avoir fait la paix avec Henri,
nous nous trouvions sur les bras une guerre beaucoup plus fâcheuse
encore. »
Mercœur, après avoir écrit cette lettre, dont il comptait bien que
l'effet serait d'exciter les méfiances du Parlement, renvoya La Ragotière
'a Chenonceaux, Javec ordre d'insister de nouveau sur toutes celles de
ses demandes qui n'avaient point été accordées, principalement sur la
DU TROTESÏxVNTISME EN FRANGE. 571
remise entre ses mains du port de Concarneau et de la comté de Nantes,
et sur la lieutenance de Bretagne, (|ui, si elle n'était pas délinilivement
ôtée a Brissac, devait au moins être partagée entre ce maréchal et une
autre personne a la nomination du duc de Mercœur.
Alors Schomberg, fatigué de ces interminables difllcultés, que le duc
se faisait un jeu d'opposer à un traité déjà arrêté, résolut de hâter la
décision en faisant des préparatifs de guerre contre lesquels il savait
que la Bretagne n'était pas en mesure de résister. A cet effet, il écrivit
aux gouverneurs des places et provinces voisines, pour leur enjoindre
de se trouver un certain jour a Angers. Dans cette assemblée, on convint
des moyens de faire face aux dépenses de l'expédition, des troupes que
chacun fournirait et de la manière dont la solde en serait payée ; mais
pendant cette délibération la ville de Châteaubriant fut prise par Saint-
Gilles, qui en avait reçu l'ordre du connétable de Montmorency a qui
cette place appartenait, et la trêve se trouva ainsi brusquement rompue,
sans autre déclaration.
C'était au moment où le roi était venu tenir les Etats-Généraux à
Rouen. La surprise d'Amiens empêcha pendant quelque temps la cour
de donner suite aux hostilités qui venaient de commencer en Bretagne,
et Mercœur profita de ce temps de répit qu'on lui laissait pour affermir
sa domination dans Tiffauge, que Champigny lui avait livrée. Il y établit
une forte garnison qui mit tout le pays environnant à contribution. En
même temps, il pétarda et prit le château de La Grange, en Poitou ; et
de ce point encore, ses gens purent piller et désoler la campagne. Il se
fit aussi livrer la ville de Mirebeau par un nommé Villebois, homme
vicieux et corrompu, qui y commandait pour le roi et qui avait tout à
craindre des comptes qu'on se disposait a lui faire rendre. Villebois, a
qui le duc promit de le garantir du châtiment qu'il méritait, se déclara
aussitôt contre le roi, reçut la garnison que lui envoya Mercœur et acheva
avec tout l'empressement possible la dévastation complète de ces mal-
heureuses contrées, qui avaient déjà tant souffert de la guerre civile.
Pour ravoir Mirabeau, les députés du roi, qui s'étaient arrêtés a
Tours, proposèrent de faire rendre Châteaubriant au duc ; mais celui-
ci, qui s'était déj'a préparé les moyens de reprendre cette dernière ville,
rejeta la proposition. Il essaya même de s'emparer de Chinon par un
moyen semblable 'a celui qui lui avait si bien réussi avec Villebois,
en faisant les promesses les plus séduisantes au commandant de cette
place, (jui, lui non plus, ne se sentait pas pur de toute exaction : le
roi, pour se conserver un poste aussi important, fut obligé de faire des
promesses plus séduisantes encore.
Châtellerault, où, comme on l'a vu, les protestants tenaient alors leur
assemblée politique, fut également sur le point d'être surpris par les
intrigues de Mercœur. Deux des principaux officiers de la garnison
étaient déjîi gagnés et devaient livrer les portes ; mais ils furent décou-
verts, arrêtés, convaincus, condamnés et mis a mort.
Toutes ces tentatives n'empêchèrent pas le roi de persévérer dans son
572 HISTOIRE' DE L'ÉTABLISSEMENT
projet d'en finir, s'il était possible, avec le duc de Mercœur, par un arran-
gement amiable. La longanimité de Henri paraissait inépuisable, parce
qu'on ne sentait pas comme lui toute l'importance d'éteindre ce dernier
brandon de nos longues guerres civiles, si l'on voulait rendre a la France
son rang éminent dans l'Europe ; aussi disait-on à la cour que Sa Ma-
jesté ressemblait aux singes, lesquels, d'ordinaire, ne font bonne mine
qu'a ceux qui les maltraitent le plus. {Journal de Henri IV, t. II,
p. 559.)
Vers cette même époque, on intercepta une correspondance qui
prouvait combien le duc de Mercœur était lié avec les ennemis de la
France, Un jeune bomme de Beauvais, nommé Lacroix-Desloges, qui
s'était dévoué à la Ligue, et qui avait môme eu quelque part à la sur-
prise d'Amiens, avait, aussitôt que cette ville fut au pouvoir des Espa-
gnols, pris la poste pour aller faire part au duc de cet beureux succès.
Il lui portait en même temps des ordres secrets de la part du cardinal
vice-roi. Arrivé 'a Saumur, il lui fallut demander une permission de
Duplessis-Mornay, gouverneur de cette ville, afin d'avoir des cbevaux
pour continuer son voyage. Mornay alla lui-même l'interroger 'a son
auberge, lui demandant d'où il venait et où il allait, et le voyant se
couper dans ses réponses et pâlir, il le fit arrêter. Ce jeune homme
avait cependant eu le temps de cacher ses papiers dans un tas de
fumier ; mais il avait été vu et les papiers furent retrouvés. (Mézerav,
t. III, p. 1189.)
Il y avait dans le nombre une lettre du cardinal, dans laquelle ce
vice-roi exhortait Mercœur à ne terminer aucun traité avec le roi sans
l'assentiment de l'Espagne, au nom de laquelle il lui promettait que la
paix ne se ferait pas sans que ses intérêts n'y fussent beaucoup plus
amplement stipulés que ce prince ne pourrait le faire lui-même en
traitant seul. Cette même lettte contenait plusieurs lignes écrites en
chiffres, et un grand nombre de phrases conçues en termes si obscurs,
qu'il était impossible d'en saisir complètement le sens. On y faisait
mention d'une armée auxiliaire qui devait incessamment arriver d'Espagne.
On y disait que « les fleurs noires avaient produit des fleurs rouges, qui
venaient d'éclore en Picardie, et que bientôt on en verrait éclore encore
d'autres, dans tout le reste de la France et jusque dans la capitale ».
Lacroix fut donc mis par les huguenots eux-mêmes entre les mains
du prévôt de la connétablie, pour être conduit au roi et pour qu'il
expliquât 'a Sa Majesté les termes incompréhensibles de la correspon-
dance dont il était porteur.
Ce malheureux avait à Paris un oncle nommé Charpentier, avocat au
Parlement : cette circonstance, une fois connue, fut cause qu'on inter-
cepta aussi d'autres lettres que le duc de Mercœur adressait a cet avo-
cat. Le duc lui écrivait de sauver Lacroix à tout prix, s'il était possible ;
« et pour cela, disait-il, je ne vois d'autre moyen que de le faire revendi-
quer par le vice-roi Albert comme son domestique; car pour moi, je
me compromettrais trop, et je compromettrais 'a la fois notre parti, si
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 573
je paraissais m'intéresscr a un homme qui venait me trouver pour me
l'aire part et me féliciter d'un événement que tous les Français, royalistes
et autres, regardent comme funeste a la France. Au reste, j'éprouve déjà
l'heureux contre-coup de cet événement. Les ministres de Henri me
sollicitent plus vivement ([ue jamais pour obtenir une paix que je suis
bien décidé à n'accorder qu'il la dernière extrémité. D'ici-lîi, j'espère
que la cour d'Espagne aura tout le ten)ps de mo donner des nouvelles
positives de cette armée auxiliaire qui m'est promise, et que le vice-roi
Albert sera entré en France avec des troupes et de l'argent. Je lui pro-
mets de mon côté qu'il n'aura pas besoin de tirer un seul coup de
canon, pour se faire recevoir dans toutes nos villes de Bretagne, et je ne
doute pas que, pour peu qu'il veuille profiter des circonstances et de ses
derniers succès, il n'en soit de même pour toutes les autres provinces.
Henri, alors, sera réduit aux dernières extrémités, ainsi qu'il le mérite
bien, étant malgré tous ses beaux semblants l'ennemi acharné de tous
les bons catholiques. J'ai déj'a remis à ce sujet à Sa Majesté catholirpie
une instruction pour lui annoncer (jue si elle voulait bien s'en rapporter
'a moi, et me laisser diriger ma conduite de manière à ne pas paraître
forfaire ouvertement à mon honneur et 'a ma conscience, je me croyais
en état de faire des choses merveilleuses ; mais, pour cela, il faut qu'on
me fournisse de l'argent, des troupes, de l'artillerie et des munitions,
qu'on pourra toujours me faire facilement tenir par la Flandre. Le vice-
roi, l'armée espagnole qu'on m'a promise et moi, nous pourrions alors
entrer simultanémenten campagne, chacun de notre côté, et nous don-
ner rendez-vous sous les murs mêmes de Paris, où tant d'amis fidèles
nous attendent depuis si longtemps. »
Celte lettre n'avait pas besoin de commentaires pour être comprise,
maison en surprit encore une autre du prieur Valet, qui, après avoir
exposé ce même plan, avec plus de détails encore, donnait les instruc-
tions les plus précises pour conduire a bonne fin un autre complot, dont
le résultat ne devait être rien moins que la prise du roi lui-même, qu'on
irait enlever dans son château de Saint-Germain, où il allait souvent se
récréer avec la cour et la belle Gabrielle.
Charpentier, a qui cette lettre était également adressée, fut arrêté et
confronté avec Lacroix. Après avoir été convamcu du crime de haute
trahison et d'avoir servi d'entremetteur dans la coupable correspondance
d'Albert avec les Ligueurs de Bretagne, il fut, ainsi (jue son neveu Lacroix,
condamné à être rompu vif et 'a expirer sur la roue. 11 mourut avec une
grande résolution ; mais Lacroix ne montra pas, dit-on, le même cou-
rage « et parla beaucoup » , ce qui fut cause qu'on arrêta dans Paris
(juantité de personnes dont il avait dit de se délier. Ce Charpentier, qui
finit d'une manière si misérable, était le propre fils de Jacques Charpen-
tier, professeur de philosophie en l'Université de Paris, « grand ligueur
et grand massacreur » et devenu si fameux par ses querelles avec Pierre
Ramus, qu'il avait fait tuer sous ses yeux, lors de la Saint-Barthélémy.
{Journal de Henri IV, t. 11, p. 3i8.)
574 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Mercœur, pendant ce lemps-la, continuait avec un redoublement
d'activité la guerre qu'il faisait au roi depuis la rupture de la trêve. « Il
ne faisait plus conscience de rechercher et d'attirer dans son parti
même les huguenots, de se rendre le garant avoué de toutes sortes de
crimes, et d'accueillir en son giron des gens de sac et de corde, comme
si les plus méchantes voies lui eussent semblé honnêtes pour aller a la
souveraineté. Il lâcha la bride à ceux qui commandaient dans ses places,
et dont la plupart étaient d'insignes voleurs. Aussi, par suite de tant de
déprédations, la famine devint bientôt si grande en Bretagne que les
pauvres gens en furent réduits partout à brouter l'herbe, comme les
bêtes. (Mézeray, t. II, p. 1206.)
II était maître du fort de La Garnache, peu éloigné de Beauvoir, et
c'était du Puy du Fou qui commandait pour lui dans ce fort. Celui-ci
cherchait depuis quelque temps à embrasser le parti royaliste, « parce
que, disait-il, n'ayant pris les armes que pour la défense de la foi catho-
lique, il ne voyait pas pourquoi il ne les déposerait pas quand cette foi
ne courrait plus aucun danger. » Du Fou fut averti que cette intention
l'avait rendu suspect au duc, et qu'on se proposait de profiter du jour
d'une foire, qui devait se tenir dans La Garnache pour y exciter une sédi-
tion, à l'aide de laquelle on le chasserait, lui et sa garnison, qui parta-
geait sa manière de voir. Mauléon, qu'on avait déjà secrètement désigné
pour le remplacer, avait fait entrer dans la place des soldats déguisés que
la veuve d'un aubergiste avait cachés dans son hôtellerie. Du Fou s'en
alla avec les siens attaquer ces intrus et les tua tous, sans qu'il pût s'en
échapper aucun. Ceux de leurs camarades qui attendaient au dehors
que leurs complices vinssent leur ouvrir les portes, accoururent au
bruit que causa ce massacre; mais, du Fou tomba tout aussitôt sur eux,
avec tant de résolution qu'il les contraignit de s'éloigner avec perte, après
quoi il n'hésita plus a se déclarer ouvertement pour le roi. (De Thou,
ubi supra.)
De son côté, le maréchal de Brissac, lieutenant royal en Bretagne,
et auquel dans les circonstances actuelles on ne pouvait envoyer
de nouveaux secours, avait été forcé de disséminer le peu de troupes
qu'il avait dans différents villages, pour réprimer autant que possible les
pilleries de l'ennemi. Cette mesure était devenue d'autant plus néces-
saire que la dernière récolte avait été fort mauvaise et ne pouvait déjà
suffire aux besoins d'un pays depuis si longtemps épuisé, surtout si on
venait la gaspiller encore. La Tremblaye, son lieutenant, était donc
cantonné 'a Messac, avec quelque cavalerie et un détachement d'infanterie.
Brissac eut avis que Saint-Laurens, gouverneur de Dinan, s'étant mis à
la tête de cent bons chevaux et de cinquante hommes de pied, s'en
allait rejoindre le duc de Mercœur et se trouvait déjà du côté de Maure.
La Tremblaye, reçut aussitôt l'ordre de marcher contre cette troupe,
et en arrivant à Maure, il trouva que Saint-Laurens était déj'a délogé et
qu'il avait pris le chemin du|bois de La Roche, dans le dessein de gagner
la rivière de la Vilaine qu'il lui follait traverser. La Tremblaye, sans perdre
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 575
(le temps, se mit a sa poursuite ; et bientôt ii atteignit rarrière-garde
ennemie commandée par le sieur de Trémerenc, frère de Saint-Laurens.
Jl Tattaqua, la mit brusquement en déroute, après avoir tué du premier
choc une cinquantaine d'hommes, lit Trémereuc lui-même prisonnier,
et tomba presque aussitôt sur le corps principal. Saint-Laurens venait de
le faire ranger dans un champ environné de fossés ; malgré l'avanlage
de cette position, les Ligueurs rendirent peu de combat ; cent-cinquante
des leurs restèrent sur la place ; les autres, pensant se sauver par la
fuite, tombèrent entre les mains des paysans, qui les assommèrent pres-
(jue tous, et le chef lui-même eut beaucoup de peine a regagner Dinan
avec quelques-uns de ses cavaliers les mieux montés. (Cayet, Chron.
nov.Wy. 9, 1597. — Mém. delà Lv^iie, t. VI, p. 490.)
La, dans le désir de prendre sa revanche, il se mit à rassembler
quelques forces qu'il tira des garnisons voisines, i)uis il envoya deux
cent cinquante de ses hommes occuper un village nommé Saint-Syriac,
tout proche de Saint-Malo. Ces bandits se barricadèrent dans l'église et
lirent aux environs le plus de dégât qu'ils purent, abattant les arbres
fruitiers et coupant les blés qu'ils faisaient transporter dans des cha-
loupes 'a Dinan.
Ceux de Saint-Malo, réduitsaux abois, députèrent auprès de La Tremblaye
pour le prier de venir les assister et dénicher ces méchants Ligueurs de
leur village de Saint-Syriac.
La Tremblaye décida qu'il irait les atta(|uer par terre avec trois cents
soldats, pendant que les Malouins s'y rendraient par mer avec deux
galères armées, ce qui fut exécuté, et ces pillards se trouvèrent serrés
de si près que de deux cent cinquante qu'ils étaient, « il ne s'en sauva
un seul qui ne fût ou tué ou pendu comme larron. »
De l'a, La Tremblaye alla attaquer le château du Plessis-bertrand qui
était encore un repaire de voleurs ligueurs. Mais, malheureusement, au
moment où il en faisait les approches, il fui tué d'une balle ramée. Ses
officiers, ayant eu avis que Saint-Laurens se disposait a venir avec toutes
ses forces au secours de la place, levèrent le siège pour n'être pas |)ris
'a leur désavantage.
Comme ils s'en retournaient avec leurs troupes en bon ordre, ils
rencontrèrent un capitaine ligueur, qui allait avec sa compagnie rejoindre
l'armée de Saint-Laurens, et l'ayant fait prisonnier, ils lui liren tdire, la
dague sur la gorge, où était le lieu de réunion assigné aux troupes
ennemies. Ils s'y rendirent les premiers, et ayant dressé une embus-
cade sur la route par où Saint-Laurens devait nécessairement passer, ils
le chargèrent avant (|u'il ait eu même le temps de reconnaître ceux qui
l'attaquaient. Trois cents des ennemis furent tués, plusieurs capitaines
furent faits prisonniers ; et pour la seconde fois, Saint-Laurens dut a la
vitesse de son cheval le bonheur qu'il eut de pouvoir encore rentrer dans
Dinan.
Le reste de l'été se passa sans aucune autre entreprise importante.
On faisait alors courir dans toute la Bretagne le bruit que le roi était
576 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
attaqué d'une maladie mortelle, causée par le chagrin ; et les deux partis
restèrent dans l'indécision.
Ce n'était pas la maladie qui menaçait en ce moment les jours de
Henri IV, mais le poignard des assassins. Le roi catholique des Espa-
gnols avait donné mission 'a un nommé Ledesma d'aller en Bretagne,
pour y raffermir le duc de Mercœur dans son alliance avec l'Espagne.
Ledesma, arrivé 'a Nantes, s'en allait souvent faire ses dévotions 'a la
Chartreuse qui est dans le faubourg ; Ta, il fit la connaissance d'un reli-
gieux de ce couvent, nommé Pierre Ouyn, homme de fort mauvaises
mœurs et sans jugement, mais qui avait appris la langue espagnole pen-
dant un voyage que sa mauvaise conduite et la crainte d'un châtiment
bien mérité l'avaient obligé de faire au del'a des Pyrénées. Ledesma
proposa à ce religieux de lui trouver quelqu'un capable d'un bon coup
de main ; c'était de tuer le roi Henri IV et de délivrer par la la France
d'un tyran et d'un protecteur de l'hérésie. (Mézeray, ubi sitp. — Dii
Tnou, ubi sup.)
Le moine, ayant goûté ce projet, chargea de l'exécution un de ses
parents, qui servait dans l'armée de Sa Majesté, en lui promettant des
richesses immenses et un grand établissement; mais celui-ci mourut de
maladie, sans qu'on sache s'il avait consenti à entrer dans cet abomi-
nable complot ; il est certain, du moins, qu'il ne fit aucune révélation,
« ce qui le rendait évidemment coupable du crime de haute trahison. »
De Thou, auquel j'emprunte cette dernière phrase, ne se doutait pas,
quand il l'écrivait, qu'il prononçait d'avance la condamnation de son
propre fils, dont la tête tomba sous le glaive du bourreau juste quarante-
cinq ans après, pour une faute pareille.
Quoiqu'il en soit, le Chartreux n'avait pas été aussi discret que son
parent. Il avait d'abord parlé du complot 'a son confesseur et ensuite à
quelques autres de ses amis. Il fut arrêté à Laval, où il était allé demeu-
rer, après avoir quitté le couvent de Nantes, et il avoua son crime. Le
roi, toutefois, par considération pour l'ordre respectable dont le coupable
était membre, voulut bien lui faire grâce de la vie, après lui avoir fait
faire son procès dans la forme ordinaire, afin que le fait demeurât cons-
tant et qu'il pût quelque jour en demander raison aux Espagnols.
Le siège d'Amiens continuait pendant ce temps-l'a, et le Parlement
de Paris rendit un arrêt sur le réquisitoire du Procureur général contre
ceux qui donneraient retraite aux partisans du duc de Mercœur. Cet
arrêt, qui menaçait les contrevenants des plus grandes peines, fut publié
partout 011 les rebelles étendaient encore leurs courses. Mais pour cou-
per court aux désordres qu'ils commettaient, on crut plus efficace encore
de signer une nouvelle trêve, jusqu'au premier janvier de l'année sui-
vante, avec cette condition que, môme après cette époque, ni l'un ni
l'autre des deux partis ne pourrait commettre aucun acte d'hostilité, sans
avoir fait préalablement signifier qu'il regardait la trêve comme rompue.
{Mém. de la Ligue, t. VI.)
Il était temps pour la malheureuse Bretagne que tous ces débats
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 577
eussent un terme, et les États de la province suppliaient le roi d'y vou-
loir bien faire un voyage, pour en chasser délinilivement le duc, cause
unique de toute cette désolation. Pendant que le maréchal de Brissac dis-
posait toutes choses pour recevoir Sa Majesté, qui venait enfin de recon-
quérir Amiens, il arriva un fait particulier qui causa une grande rumeur
et qui pensa donner occasion aux esprits échauffés de rallumer partout
un nouvel incendie. Le jeune Sainl-Phal, heau-hvre du maréchal, s'était
laissé, dit-on, gagner par la dame de Chavigny, sa tante, qui gardait au
fond du cœur une haine irréconciliable contre Duplessis-Mornay. Un soir
donc que celui-ci se retirait en son logis, Saint-Phal, accompagné de
douze hommes bien armés, l'arrêta dans la rue et sous prétexte de cer-
taines lettres à lui adressées, (jue Duplessis, en sa qualité de gouverneur
de Saumur, avait cru devoir décacheter, il lui adressa de violents
reproches ; puis, tirant un bâton, il en frappa outrageusement ce vieux
seigneur, après quoi il se sauva sur un cheval qu'on lui tenait tout prêt
et courut se réfugier chez le maréchal son beau-frère. {Vie de Duplessis-
Mornay, p. 245 et suiv.)
Brissac trouva une pareille action si lâche et si injurieuse pour
l'autorité royale qu'il arrêta lui-même Saint-Phal, afin, disait-il tout haut,
de le livrer à la justice, mais, en effet, pour empêcher plutôt que
d'autres ne l'arrêtassent et ne le punissent comme il le méritait.
La nouvelle d'un aussi brutal attentat se répandit aussitôt par toute
la France : il se fit un grand concours de noblesse et d'autres personnes
de toutes classes : catholi(jues et huguenots s'empressèrent de venir
consoler l'illustre offensé, lui offrant leurs bras pour punir celui qui lui
avait fait injure. Le roi lui écrivit même de sa propre main. « Mon
ami, lui dit-il, et comme roi et comme votre ami, je prends la plus vive
part 'a votre douleur. Si je n'étais que votre ami et si la dignité royale
ne m'interdisait pas l'usage d'un pareil moyen, mon plus vif désir serait
de vous faire avoir raison l'épée 'a la main de celui qui vous a alïronté ;
et je vous jure que mon épée ne tiendrait j)as au fourreau ; mais,
comme roi, je vous promets qu'il vous sera fait bonne et prompte jus-
lice. »
En efïet, il enjoignit au Parlement de faire sans relard le procès à
Saint-Phal, et le lieutenant-général de Tours fut chargé d'informer de
l'action comme d'un guet-apens. Saint-Phal fut livré par ses |)arents
eux-mêmes et renfermé a la Bastille ; et la sentence qui intervint bien-
tôt ordonna qu'il demanderait pardon au roi, un genou en terre ;
qu'ensuite, il ferait satisfaction à Mornay, le sui)pliant de lui pardonner
et d'intercéder pour lui auprès de Sa Majesté, pour arrêter le cours de
la punition qu'il avait méritée, se soumettant à recevoir de lui un
coup pareil 'a celui qu'il avait donné. De plus, il fut obligé de prendre
des lettres d'abolition, et copie de cet acte fut délivrée à tous les am-
bassadeurs des princes étrangers. Un pareil châtiment couvrit ce jeune
homme de tant de honte qu'il ne vécut pas longtemps après.
Cependant Henri avait prévu, tandis qu'il faisait encore le siège
IV. 37
578 • HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
d'Amiens, que le duc Savoyard, ne manquerait pas de profiter de la cir-
constance, pour faire une invasion dans le Dauphiné et dans la Provence.
Il était même averti que ce prince réunissait déjà des troupes a cet
effet ; en conséquence, il envoya à Lesdiguières Tordre de le prévenir et
d'entrer lui-même le premier en Savoie.
Lesdiguières leva une petite armée de six mille hommes d'infanterie
et de cinq cents chevaux ; et quoiqu'il manquât d'argent et qu'il eût à
traverser des montagnes escarpées, couvertes de neige et sillonnées
par des torrents presque infranchissables, il marcha vers la ville de
Saint-Jean de Maurienne, 'a la vue de laquelle il arriva, non sans avoir
été obligé de livrer sur sa route une multitude de petits combats, pour
déloger du sommet de ces montagnes l'ennemi qui s'y était retranché.
(De Thou, liv. 119.)
Saint-Jean de Maurienne est la capitale de la province ; quoique en-
tourée de montagnes, elle est située au milieu d'une plaine assez étendue
où aboutissent trois vallées. La première qui n'est guère qu'un défilé
étranglé par de hauts rochers, conduit au bourg ; la seconde est la
vallée du mont Cenis, et la troisième aboutit 'a Conflans, un peu au-
dessus de Montmélian. L'Arc entoure une grande partie de la ville,
où l'on ne peut arriver qu'en traversant quatre ponts du côté de La
Chambre. Lesdiguières envoya d'abord un fort détachement pour s'em-
parer de ces quatre ponts. Mais le principal avait déjà été rompu par
les paysans qui s'étaient retranchés sur l'autre rive. Il fallut donc s'ar-
rêter devant cet obstacle et pour comble de contrariété, l'armée se
trouva exposée 'a une pluie qui tomba sans discontinuer pendant plu-
sieurs jours.
Martinengo, qui commandait en ces lieux pour le duc de Savoie, pro-
fita de ce délai et fit apporter par ses troupes de la terre et du gazon
pour fortifier tous les passages, par lesquels les Français pouvaient se
diriger vers Chambéry. Ce général attendait en ce temps-l'a les troupes
du Milanais, qui devaient venir se joindre aux siennes, et qui, ayant déjà
passé le mont Cenis, venaient d'envoyer un puissant secours aux paysans
retranchés de l'autre côté de la rivière ; mais ce premier retranchement
fut vivement attaqué par Créquy, lieutenant de Lesdiguières ; et ceux
qui le défendaient furent obligés de se retirer en toute hâte du côté
des montagnes.
Lesdiguières laissa un seul régiment pour maintenir Saint-Jean de
Maurienne, dont la prise lui aurait fait perdre trop de temps, et se dirigea
avec son armée du côté de Saint-Michel, dans le dessein de couper les
troupes milanaises. Avant que d'être arrivé à Saint-André, il eut la satis-
faction d'apprendre que Saint-Jean de Maurienne s'était rendue par ca-
pitulation, et que, par conséquent, il avait déjà une place d'armes dans
le pays.
Après avoir fait passer à ses troupes la rivière d'Arc, il se trouva
près d'Auriens, vis-à-vis un corps d'Espagnols que Salinas commandait,
et que ce général avait fait camper sur un rocher escarpé.
DU PROTESTANTISME EN FILVNCE. 579
Malgré la forle assiette de cette position, Salinas, craigiianl d'être
enveloppé, profita de robscurilé de la nuit qui survint, pour se retirer
sans bruit, après avoir eu soin de faire allumer du leu dans le camp afin
de mieux cacher sa retraite. A la pointe du jour, Lesdiguières, qui s'aper-
çut de ce stratagème, poursuivit les Espagnols jusqu'à Lanslebourg, au
pied des Alpes Cottiennes ; mais dans la rapidité de sa fuite, Salinas
avait déjà traversé le mont Cenis et se retirait du côté de Suze, laissant
derrière lui une grande (juantilé d'armes et de munitions, que ses soldats
abandonnaient pour bâter leur marcbe, et dont les Français s'emparèrent.
(Cavet, Cliron. nov., liv. 9.)
Pendant le temps qu'on avait employé à cette poursuite, et tandis
que les troupes françaises exposées aux pluies et aux neiges, marchaient
à travers les montagnes après un ennemi qui ne voulait pas les attendre,
une autre division de l'armée milanaise, qui avait passé par le petit
Saint-Bernard, se dirigeait vers la Franche-Comté. A la nouvelle qu'il en
reçut, Lesdiguières revint par Bramant et Saint-Michel h Saint-Jean-de-
Maurienne, et fit fortifier cette place en toute hâte. Il fit élever un fort a
la tête de chacun des quatre ponts; puis, il se dirigea vers La Chambre,
après avoir fait aller devant lui son avant-garde jusqu'au bourg de
Sainte-Catherine.
Le duc de Savoie, avec trois mille Italiens et bon nombre de cava-
lerie, ayant traversé les Alpes, s'était de son côté rendu a la Tarentaise,
oïl il s'était réuni à Martinengo, qui avait déjà sous ses ordres un corps
de six mille hommes de pied et de huit cents chevaux. Le duc n'avait
pas compté trouver si proche de lui l'armée de Lesdiguières ; car il le
croyait occupé alors à poursuivre cette division espagnole, qui, après
avoir passé le petit Saint-Bernard, était déjîi du côté de Saint-Claude en
Franche-Comté. Ayant reconnu son erreur, il envoya bien vite à ces
troupes l'ordre de revenir sur leurs pas, pour lui prêter main forte. Mais
Lesdiguières était déjà devant Aiguebelle, et Créquy s'était même logé
dans la ville. Cette place est située sur un rocher de difficile accès, à
l'entrée des montagnes qui ferment la vallée du mont Ccnis.
Martinengo, dans le dessein d'arrêter la rapidité des mouvements du
général français, lui fit dire qu'il avait des ouvertures de traité à lui pro-
poser. Lesdiguières, qui devinait son motif, se contenta de lui envoyer
un de ses officiers pour recevoir ses communications. Pour lui, sans
perdre de temps, il fit venir du canon de Grenoble et prépara tout pour
livrer une bataille.
L'armée du duc était alors près de Montmélian ; et ce prince, après
avoir posté ses troupes le long de la rivière, depuis Conllans jusqu'à
Miolans, avait fait rompre tous les ponts et inonder le pays pour empê-
cher les Français de venir à lui. Ces précautions n'empêchèrent pas Les-
diguières, aussitôt qu'il eut été rejoint par son canon, d'aller assiéger
La Chambre. Les Français s'emparèrent d'abord des faubourgs, et ayant
appliqué le pétard, ils entrèrent dans la ville sans trouver de résistance
de la pari de la garnison et des habitants. Tous s'étaient réfugiés dans
580 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
la citadelle, dont ils ouvrirent la porte au vainqueur presque aussitôt.
(De Thou, uhi sup.)
De la, Lesdiguières alla investir le fort de Chamousset, situé vers la
gauche, au sommet d'une montagne assez proche du grand chemin
qu il commande. Le duc de Savoie y avait fait entrer une forte garnison ;
il avait aussi fait élever en avant de cette place sur les bords de Tlsère
des retranchements en forme triangulaire environnés d'un fossé et garnis
d'artillerie. Il prétendait à l'aide de ce poste, très-avantageux, en effet,
intercepter les secours que nos troupes étaient dans la nécessité de
tirer de la France. Créquy, avec son régiment, s'avança de l'un des côtés
du triangle jusqu'au pied du retranchement ; et son attaque fut si vive
que l'ennemi fut repoussé jusque sur la rive opposée. Pendant ce
lemps-la, Verdun, à la tête de trois compagnies, se jetait dans le fossé
de l'autre côté du retranchement. Malgré la mitraille et les balles qui
pleuvaient sur lui, montant par des espèces de degrés que les pionniers
y avaient faits, il arriva sur le talus et mit en fuite ceux qui défendaient
encore ce poste. La plupart se jetèrent dans la rivière, où un grand
nombre périt, si bien que cette alfaire coûta aux Savoyards plus de huit
cents hommes tués ou noyés. Le commandant du retranchement fut pris
avec la plupart de ses officiers, et Don Philippe, frère naturel du duc de
Savoie, qui avait voulu assister a cette affaire, manqua lui-même de res-
ter au nombre des prisonniers. 11 fut obligé de changer d'habits et d'al-
ler se cacher dans une île couverte de buissons. La garnison de Cha-
mousset, n'espérant plus alors d'être secourue, se rendit vie et bagues
sauves. (Caykt, ubi sup.)
Lesdiguières revint après cet exploit 'a Aiguebelle, dont la citadelle,
qui avait résisté jusqu'alors, se rendit également à des conditions hono-
rables, après la mort de celui qui y commandait et qui fut emporté d'un
coup de canon.
De Ta, on alla assiéger le fort dEugy, qui ne fît pas une longue
résistance ; et pendant ce temps-la, le duc de Savoie ne faisait toujours
aucun mouvement. On s'était attendu qu'il passerajt l'Isère, et Lesdi-
guières avait même écrit a Grenoble que son armée se préparait a livrer
incessamment une grande bataille, et qu'elle faisait ses dispositions
avec autant de joie et d'empressement que s'il se fût agi d'aller à un
grand festin. Le duc se contenta de venir camper à Saint-Hélène a une
lieue de Montmélian. (De Thou, ubi sup.)
A la fin, pourtant, ayant été rejoint par un nouveau renfort de
Suisses et d'Italiens, il se décida à fiiire un mouvement offensif; et, au
moment où on s'y attendait le moins, on vit tout 'a coup ses troupes se
ranger en bataille, entre le bois de la Coise et un gros ruisseau très-pro-
tbnd qui coule a l'opposite. A cette vue, la confusion se mit parmi les
Français, et si le Savoyard les eût attaqués sans retard, il eût très-proba-
blement remporté une victoire complète; mais il laissa passer le moment
favorable et nos soldats eurent bientôt repris leur sang-froid.
Le combat dura cinq heures sur le bord du ruisseau ; sur ce point-
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 581
lli seulement, les ennemis perdirent ûcnx cents hommes, et tic notre
côté, nous comptions trente-trois morts cl quatre-vingts blessés. Nos
soldats avaient élevé un retranchement de gazon sur la rive gauche du
ruisseau : ils y jetèrent a la hâte deux ponts, sur lesquels ils passèrent,
et coururent a l'ennemi. Celui-ci, après avoir soutenu quelques attaques,
se relira dans son camp.
Don Philippe appela alors en combat singulier Créquy, qui l'avait
déjà forcé 'a fuir devant lui. Créquy se présenta aussitôt tout armé ; mais
le duc déclara nul ce cartel, parce qu'il avait été envoyé à son insu,
et Don Philippe ne parut pas.
Le duc, cependant, fit pointer son canon contre les deux ponts (jui
avaient servi aux nôtres a passer le ruisseau, et les Suisses qui étaient
dans son armée, au mépris de leurs capitulations qui leur interdisaient de
porter les armes contre le roi, sur les terres de France, vinrent nous
attaquer avec fureur. On s'attendait 'a une affaire générale pour ce jour-
la ; mais les Suisses ne furent pas soutenus, et après un combat assez
vif où ils furent repoussés, Lesdiguières, qui avait fait un détour, et (jui
arrivait avec sa compagnie de cavalerie, tomba sur eux et les tailla en
pièces. La nuit sépara les combattants ; l'ennemi avait perdu plus de
quatre cents hommes, sans compter les blessés, tandis que du côté des
Français, il n'y avait, dit-on, que six morts. On nomma cette affaire le
combat des Molettes, 'a cause de deux rochers peu distants l'un de
l'autre auprès desquels il se livra, et qui portent ce nom.
Trois jours après, le duc décampa et prit son chemin par la vallée
de Grésivaudan. Nos soldats harcelèrent son arrière-garde, et étant entrés
après elle dans Sainte-Hélène, ils brûlèrent celte ville avec sa citadelle.
Lesdiguières dispersa ensuite ses troupes sur le terrain qu'il venait de
conquérir ; il fit faire des retranchements sur les bords de l'Isère pour
mettre tout ce pays à couvert, et il revint à Grenoble, que la peste rava-
geait en ce moment.
Aussitôt qu'il se fut éloigné, le duc de Savoie songea 'a rentrer dans
ces vallées ; il était, dit-on, principalement poussé par les reproches de
sa femme, laquelle ne cessait de lui répéter qu'il était déshonorant
pour lui de laisser des hérétiques lui prendre ses États, lui qui les allait
attaquer dans les États des autres.
Les troupes qu'il envoya, sous la conduite du colonel Ponté, ne vou-
lurent pas d'abord avoir affaire aux soldats de Lesdiguières, et vinrent
attaquer les retranchements que les paysans des vallées avaient élevés
au col de Feneslrclle. Elles s'emparèrent du fort qui commande ce pas-
sage ; mais le capitaine Balsac accourut avec sept cents anjucbusiers et
recon(|uit la position, après avoir tué beaucou|) de monde a l'ennemi.
Ceux de la vallée de Progela avaient pendant ce temps-l'a occupé le
défilé par où l'ennemi devait nécessairement passer pour venir 'a eux, et
quand les Savoyards se présentèrent de ce côté, ils les écrasèrent du
haut de leurs rochers et n'en laissèrent pas échapper un seul. Ponté, au
désespoir de se voir repoussé partout, se crut heureux de pouvoir rega-
582 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
gner Pérouse, ce qui n'empêcha pas le duc de Savoie de faire allumer
des feux de joie dans ses Etats pour célébrer l'heureux succès de ses
armes.
Sallnas et ses Milanais s'étaient aussi rapprochés du côté de Lafrette.
Lesdiguières, averti de ce mouvement, fit passer l'Isère a Labeaume-
D'Autun, qui marcha droit a l'ennemi, l'attaqua, le mit en déroute, lui
tua deux cents hommes et fit cinquante prisonniers, du nombre desquels
était Salinas lui-même ; et ce fut ainsi que dans l'espace de quelques
mois, Lesdiguières rangea sous la puissance du roi toute cette partie de
la Savoie qui est en deçà de l'Isère.
De son côté, le duc de Florence avait aussi songé à s'approprier
quelque part des débris de la France, qu'il croyait déj'a aux abois, et
c'était sur les îles de Marseille qu'il avait depuis longtemps jeté son
dévolu. Il espérait qu'aussitôt qu'il s'en serait rendu maître, il ne tarde-
rait pas 'a subjuguer la ville elle-même, ou que, du moins, l'Espagne ne
demanderait pas mieux que de traiter de ces îles avec lui, en lui don-
nant en échange les places maritimes de la Toscane. (Mézeray, t. III,
p. 1211.)
Ce plan semblait d'une réussite facile: en effet, après la mort de
Henri III, le gouverneur du château d'If, Nicolas de Beausset, dans la
crainte que l'Espagnol ne s'emparât de celte place, l'avait mise sous la
protection du duc de Florence qu'il jugeait moins dangereux, et celui-ci
lui avait immédiatement envoyé des secours d'hommes et de munitions.
De plus, il avait fait à ses frais bâtir dans l'île de Poumègues une forte-
resse où il avait placé une garnison des siens, pour prêter, disait-il,
main forte au besoin contre ceux qui viendraient attaquer le château
d'If.
Les choses étaient restées dans cet étal jusqu"a la surprise d'Amiens
par les Espagnols. Or, a cette époque, ceux de la garnison de Poumègues
vinrent dîner avec les Français qui gardaient le dit château d'If ; et,
après avoir joyeusement fait grande chère avec eux, ils assommèrent
traîtreusement les sentinelles, enfoncèrent la porte 'a coups de canon et
s'emparèrent de la place ; mais, pour endormir les habitants de Marseille,
ils annoncèrent d'abord qu'ils s'étaient aperçus que Beausset avait l'in-
tention de trahir la France, et qu'après l'avoir mis hors d'état de le
faire, ils allaient garder la forteresse au nom du roi.
Bientôt après, Jean de Médicis, frère naturel du duc de Florence,
étant arrivé avec cinq galères, ils attaquèrent et prirent les frégates des
Marseillais et mirent les équipages 'a la chaîne. « Ces îles, dirent-ils
alors, appartiennent à notre maître du chef de la duchesse, son épouse,
qui, en sa qualité de princesse lorraine, a des droits légitimes sur toute
la Provence. » La guerre avait aussitôt éclaté ouvertement, et depuis ce
moment, « on avait usé bien de la poudre à s'entre-canonner de part et
d'autre. »
Mais, quand Amiens eut été reconquis par le roi, le duc de Florence
comprit qu'on pourrait bien lui faire payer chèrement cette velléité de
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 583
conquête, et il jugea prudent de réparer son manque de foi par des
excuses et par des soumissions. Henri chargea le cardinal d'Ossat d'al-
ler traiter avec lui ; et, attendu le grand besoin qu'on avait de pacifier au
plus tôt le royaume, il fut réglé que le duc rendrait les forteresses d'If et
de Poumègues sans y rien démolir ; qu'il pourrait, néanmoins, emporter
son artillerie, ainsi que les armes et bagages qui lui appartenaient, et
que le roi se reconnaîtrait débiteur d'une somme de deux cent raille
écus, pour les constructions qui avaient été faites par les Florentins. Dix
otages nobles devaient être remis au duc, en garantie du paiement de
cette somme.
C'est ainsi que la Provence se vit enfin entièrement tranquille, après
tant d'années de troubles et de misères. Les peuples, dit-on, avaient pu
prévoir tous ces maux ; car, dès les premiers temps de la Ligue, on
avait vu s'assembler sur les côtes de Marseille une quantité prodigieuse
de dauphins, « ce qui était chose épouvantable, parce que ces poissons
sont le présage de la tourmente. » Aussi, l'évêquc de Cavaillon, qui
pour lors se trouvait à Marseille, s'en alla sur les bords de la mer les
maudire et les excommunier, leur ordonnant de se retirer ; mais, les
dauphins ne s'en allèrent pas pour ces conjurations, et demeurèrent Ta
sept ans, au grand dommage de la pêche, qui ne valut rien pendant tout
ce temps-l'a sur cette côte. Ni les jeûnes, ni les prières publiques, ni les
dévotions de toute sorte, ni même une bulle du Saint-Père, (jui en der-
nier lieu, relevait la ville de toutes les censures ecclésiastiques qu'elle
pouvait avoir encourues, n'eurent aucun effet. Quand la paix fut faite
avec les Florentins, l'évêque de Marseille, avec la bulle du Pape en main,
vint alors bénir la mer, ainsi que les. barques et les filets des pêcheurs,
et il commanda aux dauphins de s'éloigner; cette fois, ils obéirent et la
pêche devint productive.
En ce temps-la mourut Monsieur le maréchal de Matignon, « lequel
étant 'a table et faisant bonne chère, rendit l'esprit sur la table même oii
il dînait, sans avoir eu le temps d'avoir recours 'a aucun remède contre
le mal qui l'étouffa, et sans avoir pu d'aucune façon se préparer 'a ce
moment suprême. Jugement de Dieu, qu'il nous faut adorer. » Depuis
quinze ans, Matignon exerçait les fonctions de gouverneur de la Guyenne,
où il avait, comme on l'a vu, rendu de notables services ; mais le roi
avait depuis quelque temps donné ce gouvernement au jeune Henri de
Bourbon, prince de Condé, alors âgé de neuf ans à peine, et il s'était
trouvé un certain Louis Dolé, qui, dans un beau discours, avait félicité
la Provence d'être mise sous la direction d'un prince aussi sage, fils de
saint Louis, dont l'heureux naturel, les talents et la naissance, promet-
taient à cet heureux pays un avenir tout rempli de prospérité. {Jour-
nal de Henri IV, t. Il, p. ôOO.)
Il est vrai que Matignon devait continuer d'administrer pour l'enfant
gouverneur, et Matignon avait fait ses preuves. La Guyenne lui de-
vait d'avoir été pres([ue entièrement préscrvi'e du fléau de la guerre
civile ; aussi Bordeaux, par reconnaissance, élut pour maire le comte
i
584 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
de Torigny, fils unique de ce grand homme. Le roi remplaça le père
dans ses fonctions de gouverneur par Alphonse d'Ornano, créé depuis
peu maréchal de France. (De Thou, t. XIII, liv. 119, p. 157.)
Cette même année, on répandit le bruit de la mort d'un autre person-
nage non moins célèbre, mais dans un autre genre. Théodore de Bèze,
Tami et le premier des disciples de Calvin, venait, disait-on, de termi-
ner sa longue carrière à Genève ; et les jésuites, dans le but de décrier
la religion qui leur était antipathique, s'efforçaient de faire croire a l'ab-
juration d'un de ses principaux apôtres, et publièrent que Bèze était
mort dans les sentiments d'un bon catholique, après avoir condamné et
détesté lui-même les erreurs qu'il avait prêchées aux autres. Mais celui-
ci, qui n'était pas mort et qui vécut jusqu'à l'année 1605, écrivit lui-même
pour réfuter une semblable assertion un petit traité qu'il intitula : Beza
redivivus: « Bèze ressuscité. » {Journal de Henri IV, t. Il, p. 588.)
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 585
CHAPITRE XXIII
4598-1599. — ARGUMENT : congrès de vervins.
VOYAGE DE HENRI EN BRETAGNE. — PACIFICATION DE LA BRETAGNE.
SOUMISSION DU DUC DE MERCŒUR. — TRAITÉ DE VERVINS.
PAIX GÉNÉRALE. — MORT DE PHILIPPE II, ROI D'ESPAGNE.
PROMULGATION DE L'ÉDIT DE NANTES.
L'année 1598 commençait sous les plus heureux auspices : le Pape,
voulait sérieusement voir la chrétienté pacifiée ; son légat en France, le
bon cardinal de Médicis, travaillait de tout son pouvoir a amener ce résultat
désiré ; et Philippe lui-même, devenu vieux et malade, sentait (|u'il
n'avait que peu de temps 'a retenir dans ses mains défaillantes ce
vaste pouvoir qu'il ne devait plus songer 'a augmenter. Ce trône qu'il
allait bientôt quitter pour entrer dans la tombe allait être occupé après
lui par un prince faible, jeune et inexpérimenté. Et pour ce nouveau
monarque, il serait évidemment plus utile d'avoir un roi tel que Henri IV
pour allié, que de l'avoir pour ennemi. Philippe donc, lui aussi, désirait
la paix. (De Thou, liv. 120, t. XIII, p. 195 et suiv.)
Un congrès s'ouvrit 'a Vervins en Vermandois, dès le mois de janvier,
pour y discuter entre toutes les parties intéressées, les clauses et con-
ditions d'une pacification solide ; mais, une question d'étiquette faillit
d'abord tout compromettre. Il ne s'agissait de rien moins que du
grave article de la préséance : les rois de France avaient eu de tout
temps ce droit sur les rois d'Espagne ; mais, au concile de Trente, le
monarque espagnol l'avait fait contester, et comme son parti était de
beaucoup le plus fort dans le concile, il l'avait d'autant plus facilement
emporté que le cardinal de Lorraine, représentant de la F'rance, avait fait
bon marché de cette prérogative. Les députés français au congrès de
Vervins la remirent de nouveau sur le tapis.
Le cardinal de Médicis, embarrassé par ces prétentions, tourna la diffi-
culté : il régla que les Espagnols auraient a la vérité la droite , mais
qu'ils siégeraient à un rang inférieur a celui des Français, qui prendraient
leur place à gauche immédiatement auprès du cardinal. Ce singulier
expédient donna satisliiction à toutes les vanités, et chacun, sans discuter
davantage, parut content de pouvoir dire qu'il avait le siège le plus
586 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
honorable. Le congrès put donc commencer ses séances ; mais il se
passa quatre mois entiers avant que les plénipotentiaires parvinssent a
se mettre d'accord sur aucun point.
Pendant ce temps-là, les États de Bretagne continuaient leurs sup-
plications pour que le roi vînt lui-même dans leur malheureuse pro-
vince, où, disaient-ils, sa présence seule pouvait mettre fin aux troubles
de la guerre civile. Schomberg s'était même rendu auprès de Sa Ma-
jesté pour lui exposer l'état des affaires, et pour l'engager à ne pas
différer plus longtemps un voyage devenu indispensable.
Henri résolut d'acquiescer a ces prières. La trêve faite avec le duc
de Mercœur était écoulée ; il envoya l'ordre a ses députés de ne pas la
renouveler et de faire les significations nécessaires pour être en droit de
recommencer les hostilités ; car, depuis la reprise d'Amiens et l'ouver-
ture du congrès de Vervins, rien ne l'empêchait plus, en effet, d'en finir
définitivement avec ce dernier chef de la Ligue. De plus, il venait d'ap-
prendre que ceux de Dinan, s'élant soulevés, avaient forcé le gouverneur
que leur avait donné Mercœur à se retirer dans la citadelle dont ils
avaient barricadé toutes les issues. Brissac courut donc a leur secours,
et ayant fait placer de l'artillerie sur les points les plus élevés de la ville,
oîi les habitants l'avaient reçu avec empressement, il força bientôt le
gouverneur a capituler. Brissac marcha ensuite contre Le Plessis-Bertrand
qui n'attendait que son arrivée pour lui ouvrir ses portes. La prise de
la Tour de Sessons fut un peu plus difficile, parce que cette place était
mieux fortifiée, mais elle finit également par se rendre. (Cayet, Chron.
nov,, liv. 9.)
Le roi était déjà parti de Paris, après avoir nommé le prince de
Conti gouverneur de la capitale et chef du conseil. 11 avait aussi donné
au connétable une armée de dix mille hommes pour tenir tête a l'ar-
chiduc sur les frontières de Picardie, et il avait fait prendre les devants
aux troupes qu'il avait destinées a l'accompagner dans son voyage de
Bretagne. A sa première halte, qui fut à Toury en Beauce, Duplessis de
Cosme, qui occupait Craon en Anjou et le fort Château-de-Montjean dans
le Maine, lui envoya sa soumission, que Sa Majesté accueillit avec bonté,
accordant à ce gentilhomme, l'un des plus redoutables pillards de son
temps, amnistie générale pour le passé et des conditions fort avantageuses
en faveur de sa prompte obéissance. On lui laissa le gouvernement de
Craon, et il fut expressément défendu de faire contre lui aucune
poursuite, tant pour le meurtre du baron de Crique-Bœuf et le sac du
château de Montjean, que pour tous les homicides et autres crimes
énormes qu'il avait commis. « Tout cela fut réputé n'avoir été fait par
lui que par un motif de religion. » (Mézeray, 1. 111, p. 1217. — De Thou,
îihi sup.)
Le roi passa par Orléans, Blois, Amboise et Chenonceaux, où était
encore la reine, veuve de Henri HL II lui promit qu'il traiterait avec
bonté le duc de Mercœur, son frère. Ce fut là aussi qu'il reçut la sou-
mission de ceux de Rochefort. Les deux frères Offanges, qui comman-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 587
daient dans cette place, en avaient fait un véritable repaire de brigands,
dont les ravages avaient pendant neuf ans entiers désolé tout le pays,
jusqu'aux portes mêmes d'Angers ; tout cela fut également amnistié, tou-
jours comme n'ayant eu pour cause que le zèle de la religion. (De
Tnou, ibid.)
De là, le roi arriva 'a Tours, où les ducs de Bouillon et de la Tré-
mouille vinrent le trouver. Ils lui apportaient les réclamations de l'as-
semblée protestante de Chàtellerault, alarmée de ce que Sa Majesté
n'avait encore fait que des promesses aux réformés, tandis qu'on était
déj'a sur le point de conclure la paix avec l'Espagne et de forcer le duc
de Mercœur 'a recevoir les conditions qu'on voudrait lui imposer. Les
réformés donc n'avaient- ils pas tout 'a craindre des exigences d'une
cour mal intentionnée contre eux, quand le roi, après avoir triomphé de
tous ses ennemis, n'aurait plus besoin du secours de ses anciens coreli-
gionnaires? {Hist. de VÉdit de Nantes, t. I", liv 5, p. 255 et suiv.)
Déj'a, en effet. Sa Majesté, dans un conseil qui s'était tenu pour dis-
cuter les articles du nouvel édit réclamé par les protestants, avait parlé
contre eux d'un ton si haut et si menaçant « (ju'ils en avaient été pres-
que réduits au désespoir ». Mais, Sa Majesté n'avait parlé ainsi que pour
faire paraître l'édit moins choquant aux yeux de Monsieur le légat et des
catholiques, en l'accompagnant de ces duretés étudiées. Au fond, le roi
ne demandait pas mieux que de donner satisfaction aux anciens amis
qui l'avaient si bien servi, au milieu des hasards de sa dangereuse car-
rière, et l'accueil plein d'aménité et de franchise qu'il ht aux deux ducs
en était une preuve convaincante.
Il arriva à Angers. Le duc de Mercœur, ainsi qu'on s'y était bien
attendu, voyant que toutes les villes sur lesquelles il avait le plus
compté et qu'il regardait comme devant servir de frontières aux places
qu'il tenait encore en Bretagne avaient fait leur soumission, commença
à craindre d'être bientôt abandonné de tout le monde; il lit partir
Madame la duchesse sa femme avec des députés qui vinrent de sa part
faire excuse au roi « de ce que le dit duc était demeuré si longtemps
en armes, après la réconciliation de Sa Majesté avec Sa Sainteté et
le Saint-Siège. Il n'en avait agi ainsi que par des considérations qui
regardaient le bien du royaume, dont il avait toujours désiré la conser-
vation et craint le démembrement. » Le roi répondit (jue son plus vif
désir à lui avait toujours été de mettre lin aux troubles du pays, plutôt
par une obéissance volontaire de tous ses sujets que par la force des
armes ; et que, comme Notre-Seigneur Jésus-Christ, il se sentait encore
disposé 'a faire jouir les derniers venus du même salaire accordé 'a ceux
qui étaient arrivés les premiers. (De Thou, i(bi siip.)
Après cette réponse, on entama sans retard la discussion des condi-
tions de l'arrangement. Mercœur désirait conserver le gouvernement de
la Bretagne ; le roi voulait, au contraire, se réserver la libre disposition
de ce gouvernement. Ce fut Madame Gabrielle, devenue depuis peu
duchesse de Beaufort, qui trouva le moyen de terminer cette contesta-
588 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
tion a l'amiable, en proposant de marier Monsieur César, son {ils,
qu'elle avait eu du roi, avec la fille unique du duc de Mercœur. En
considération de ce mariage, Henri donnait en dot à César la duché de
Vendôme avec le titre de pair de France et le gouvernement de la
Bretagne. Il ajoutait une somme de cent-soixante mille écus pour
l'établissement des deux jeunes époux, plus deux cent mille écus qui
devaient être employés par Mercœur à l'achat de quelques terres en
France, à la commodité des dits époux ; et, moyennant ces conditions.
Monsieur César, bâtard de Henri IV, duc de Vendôme, pair de France
et gouverneur de Bretagne, fut solennellement fiancé avec la princesse
Françoise de Lorraine, fille unique du duc de Mercœur. Le noble fiancé
n'était encore que dans sa quatrième année. Sa fiancée avait déjà six ans.
{Journal de Henri IV, t. II, p. 405.)
La cérémonie fut faite dans le château d'Angers par le cardinal de
Joyeuse, avec autant de magnificence et de pompe que si c'eût été pour
un fils de France, et toute la cour y assista en habits de fête.
Cette union avait aplani toutes les difficultés, et l'édit de la récon-
ciliation du roi avec le duc de Mercœur fut enregistré à Paris le vingt-
neuvième jour de mars. Dans le préambule de cet édit. Sa Majesté com-
mençait par excuser le duc de Mercœur de n'avoir pas de suite déposé
les armes après l'absolution donnée au roi par le Pape et l'arrivée du
légat apostolique en France. Il était dit que ce prince n'avait agi ainsi
que par de grandes et justes raisons qui concernaient la sûreté de la
Bretagne. Dans un temps où Sa Majesté était retenue sur les frontières
de la Flandre par une guerre dont le succès était incertain, il avait
craint que les ennemis ne s'emparassent d'une province où ils avaient
des intelligences avec les principaux seigneurs du pays, et il avait jugé
plus utile de rester au pouvoir, pour opposer une autorité déjà établie a
toutes ces menées. Le duc était en conséquence approuvé et reçu en
grâce, ainsi que les ecclésiastiques, les gentilshommes et les roturiers
qui s'étaient attachés à son parti, et nommément ceux qui, sous le nom
de Parlement de la province, avaient élevé un autre tribunal a Nantes, en
opposition avec le Parlement du roi, siégeant à Rennes. « Le roi confir-
mait tous ces officiers de judicature dans les charges dont ils avaient
été pourvus par le duc de Mercœur, à la seule condition de lui prêter
serment de fidélité et de se réunir au Parlement de Rennes. » Il renou-
velait l'amnistie générale, pardonnant 'a tout ce qui s'était fait contre les
trêves pendant ces malheureuses guerres ; il remettait les décimes jus-
qu'au jour du présent édit, et interdisait toute poursuite en justice pour
la restitution des deniers publics qui pouvaient avoir été enlevés de part
et d'autre. Tous les prisonniers devaient être rendus sans rançon. Les
privilèges des villes étaient conservés, et il était accordé 'a Mercœur une
compagnie de cent hommes d'armes avec dix-sept mille écus de pension.
(DeThou, ubi Slip.)
Plusieurs s'étonnèrent que le duc de Mercœur, qui avait eu tout pou-
voir dans le parti de la Ligue, ne se fût pas fait acheter beaucoup plus cher.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 589
Il est certain que le traité (lu'il avait refusé précédemment semblait bien
plus avantageux ; mais il avait trop relardé. La |)aix allait être conclue
avec l'Espagne, (|ui ne manquerait pas de l'abandonner, et s'il ne voulait
tout perdre, il était grand temps j)our lui qu'il fit de bonne grâce ce
qu'il ne pouvait plus éviter désormais de faire par force. On voit au reste
qu'il n'avait pas tout à fait perdu de vue ses intérêts. Il trouvait par sa
soumission le moyen de conserver les immenses richesses (ju'il avait
acquises pendant la guerre, et par la faveur toute-puissante de la favo-
rite dont il devenait l'allié, en mariant sa lille au fils de cette dame, il
s'assurait encore toutes sortes de lacilité pour les augmenter dans la
suite. (Cheykunv, Mém. d'État, [hdH.)
La paix devait, en effet, bientôt sortir du congrès de Vervins, et les
plénipotentiaires réunis dans cette ville s'étaient déj'a mis d'accord sur
presque tous les points. Le roi, pour ne point paraître agir contre le
traité qu'il avait fait tout récemment avec l'Angleterre et les États-
Généraux des Provinces-Unies, envoya vers la reine Elisabeth Hurault
de Maisse pour lui exposer le motif et le sujet de la négociation (jui
allait bientôt aboutir. Hurault avait charge de dire que, suivant les
conventions du roi avec ses bons alliés, la France, alin de rendre la
Ligue assez puissante pour résister à l'ennemi commun, avait envoyé des
ambassadeurs 'a tous les princes de l'Allemagne et du Nord , mais,
qu'aucun n'avait accordé son adhésion. La France, depuis si longtemps
épuisée, ne pouvait seule soutenir la guerre. Ses linances étaient a sec, et
la reine d'Angleterre elle-même n'avait pu promettre que des secours
d'hommes et d'argent beaucoup trop insullisanls. H était donc juste que
le roi songeât d'abord 'a ses intérêts, ([u'on lui laissait le soin de détendre
seul ; que, cependant, avant de signer un traité indispensable a la tran-
quillité de son royaume, il avait cru devoir prévenir la reine d'Angleterre
et lui demander si elle voulait être comprise dans ce traité. Dans tous
les cas, il la priait de lui expliquer clairement ses intentions, pour qu'il
pût sauvegarder par tous les moyens en son pouvoir les intérêts d'une
princesse a qui il avait de grandes obligations, et qu'il aimait comme une
sœur.
Les Anglais ne manquèrent pas de reprocher au roi son peu d'atta-
chement 'a leur alliance et son ingratitude. Ils prétendaient exiger l'en-
tière exécution des promesses (ju'il leur avait faites, quand il avait con-
clu avec eux la Ligue contre l'Espagne. Mais Hurault répondit «t que
les rois ne faisaient jamais entre eux de traités sans cette tacite condi-
tion de n'exécuter que ce qui leur était utile, et d'éviter ce (|ui pouvait
préjudicier 'a leurs intérêts; (ju'ainsi on ne pouvait pas demander au
roi son maître de continuer seul au milieu de mille dangers la guerre
contre l'Espagne, quand la paix était devenue absolument nécessaire 'a
ses peuples ; que tout ce (jue la plus stricte é(juité pouvait exiger de
lui était, comme il le faisait en ce moment, de prévenir ses alliés du
parti qu'il allait prendre, alin qu'ils vissent à mettre eux-mêmes de leur
côté leurs intérêts a couvert. » (De Tiiou, liv. i'2U, p. 207.)
590 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Elisabeth, fort mécontente, répondit qu'elle enverrait en France un
ambassadeur avec les instructions nécessaires pour la conservation des
intérêts de l'Angleterre et des Provinces-Unies, et Cecil fut chargé de
cette mission. Il alla trouver le roi 'a Angers et le suivit jusqu'à Nantes,
où Sa Majesté ne tarda pas à se rendre. Les Provinces-Unies envoyèrent
aussi leurs députés : il fut arrêté que le roi paierait à des échéances
fixes toutes les sommes dépensées par la Hollande et l'Angleterre, pour
les secours qui lui avaient été envoyés si à propos, pendant ces der-
niers troubles, et Sa Majesté promit, de plus, d'appuyer secrètement de
tout son pouvoir les Etats- Généraux jusqu'à ce que leur accommode-
ment fût fait.
Après le départ de ces ambassadeurs, Henri s'occupa enfin sérieuse-
ment à faire dresser l'édit que lui demandaient si instamment ses sujets
protestants. Depuis longtemps déjà, les églises entretenaient auprès de
lui des députés chargés de soutenir leur cause, auxquels elles donnaient
tous les jours de nouvelles instructions, à mesure qu'on faisait naître de
nouvelles difficultés sur leurs prétentions ; et, de son côté, le roi avait
nommé des commissaires dans son conseil pour examiner soigneuse-
ment leurs cahiers et en discuter les articles. {Hist. de l'Édit de
Nantes, t. I", liv. 5, p. 221 et suiv.)
Il y avait surtout de grandes difficultés sur le droit d'exercice de la
religion réformée, dans certains lieux où les huguenots prétendaient
l'établir ou le conserver, et où la cour ne le voulait pas permettre. De
plus, le roi voulait que leur assemblée politique, qui se tenait alors à
Vendôme, se séparât aussitôt que l'édit qu'il consentait à leur accorder
serait enregistré au Parlement de Paris. Eux prétendaient que leur
assemblée devait au contraire continuer à se tenir réunie, au moins
jusqu'à ce que cet édit eût été enregistré par tous les parlements du
royaume. « On n'exige, disaient-ils, notre séparation que pour éluder
ensuite l'édit avec plus de liberté, quand il ne se trouvera plus personne
pour en presser l'enregistrement, et nous savons trop déjà que dans
chaque province les édits ne sont réputés lois de l'État qu'après que
cette formalité a été remplie par le Parlement. »
On consentit après de longs débats à leur donner contentement
sur ce point, d'autant que la cour venait d'aviser qu'il serait bon de
différer la publication de l'édit jusqu'après le départ du légat de Sa
Sainteté, départ dont l'époque était encore incertaine. On ne voulait
pas lui causer l'affront de faire cette publication en sa présence, et
il fallait bien donner aux huguenots quelque dédommagement pour ce
retard.
Le roi voulait aussi nommer les gouverneurs des places de sûreté
qu'il leur laissait, avant que ces gouverneurs eussent pris l'assentiment
du conseil des églises, prétendant qu'agir autrement, ce serait faire
brèche à l'autorité royale ; mais les réformés voulaient être maîtres
absolus de la nomination, dans la crainte que si ces gouvernements
dépendaient de la cour, ceux qui les obtiendraient d'elle ne fussent
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 5<J1
des gens a sa dévotion, (jui se metlraienl peu en peine de contenter les
églises, puisqu'ils pourraient se njaintenir sans elles.
Il fut ensuite question de diminuer le nombre de ces places de
sûreté. Il n'en avait, prétendait-on, jamais été accordé plus de sept ou
huit aux réformés, et aujourd'hui ils en tenaient plus de deux cents,
tant grandes que petites, ce qui était exorbitant et fait pour donner
de l'ombrage aux catholiques.
Enfin, les intérêts particuliers entraient aussi dans le nombre des
causes qui donnaient lieu a ces interminables discussions, et chaque
église disputait avec acharnement pour s'assurer la conservation des
privilèges qu'elle croyait lui être acquis.
Tous ces incidents divers retardèrent la conclusion de l'édit jus(ju'au
treizième jour du mois d'avril. Il fut appelé l'Édit de iNantes parce qu'il
fut dressé en cette ville ; mais il ne fut enregistré et publié (jue le
vingt-cinquième jour de février de l'année suivante.
Cependant, on travaillait avec toute l'activité possible au congrès
de Vervins pour la conclusion du traité de paix. Les plénipotentiaires du
roi très-chrétien étaient messire Pomponne de Bellièvre et Nicolas
Brulart, sieur de Sillery. Jean Richardot, le chevalier de Taxis et le
secrétaire dn conseil royal d'Espagne, étaient la pour soutenir les inté-
rêts du roi Philippe. Le légat de Sa Sainteté présidait cette réunion,
assisté de François de Gonzague, évêque de Mantoue et nonce du Pape,
(Cayet, Chron. septen., liv. ï".)
Les articles du traité furent enfui arrêtés le deuxième jour de mai.
Ils portaient que la paix faite en \hh9 a Cateau-Cambrésis serait de nou-
veau confirmée ; que toutes querelles et hostilités seraient mises en
oubli ; que le trafic serait libre entre les sujets des deux rois ; (|ue les
l)laces prises de part et d'autre, depuis le dit traité de Cateau-Cam-
brésis, seraient restituées dans le délai de deux mois.
Sur ce que le roi catholique désirait que le duc de Savoie fût com-
pris en ce traité, Sa Majesté très-chrétienne, a la demande du dit seigneur
roi d'Espagne, consentait 'a recevoir le dit duc en bon parent et allié,
et a lui accorder les mêmes grâces et faveurs (ju'il avait reçues des
quatre rois ses prédécesseurs, et quant aux diflérends (ju'il avait avec la
France pour la possession de certaines parties du territoire, il fut con-
venu qu'on s'en rapporterait a l'arbitrage de Notre Saint Père le Pape.
On convint aussi qu'en cette paix et alliance seraient compris, si
voulaient y être et du consentement des dits sieurs rois, tous les rois,
princes et seigneurs alliés de l'une ou l'autre des deux puissances con-
tractantes dont la liste fut dressée. Enfin, il fut arrêté par une clause
générale qu'aucun des deux rois ne prendrait les armes, ni ne les
ferait prendre contre aucun des princes dont le nom était mentionné
dans le traité ; mais ni le nom de la reine d'Angleterre ni celui des
Provinces-Unies ne figuraient dans la liste.
Cette paix, ainsi solennellement jurée, fut célébrée par de brillantes
fêtes et de grands feux de joie, tant à Paris (|u'a Bruxelles.
592 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Pendant qu'on en discutait encore les conditions, le duc de Savoie
reprenait Aiguebelle, dont Lesdiguières s'était emparé l'année précédente.
Créquy avait voulu jeter du secours dans cette place, mais emporté par
une trop grande ardeur, il s'engaga dans un défilé, où il perdit une
partie de ses soldats, et fut même fait prisonnier. Lesdiguières réso-
lut de venger cet échec et forma l'entreprise d'enlever à son tour un
fort que le duc avait fait bâtir sur les terres de France, vis-a-vis celui
des Barreaux, et auquel il avait donné le nom de Saint-Barthélemy,
tant parce qu'il avait été achevé le jour de la fête de ce saint que
parce que ce nom lui paraissait pour lui d'un heureux augure. (De Thou,
liv. 120, p. 2i3et suiv.)
Lesdiguières fit donc approcher ses troupes de ce fort : il leur
avait distribué des échelles, et vers les dix heures du soir, elles arri-
vèrent en grand silence au pied des remparts. Mais leur marche avait
été trahie, les sentinelles ennemies avaient remarqué au loin dans la
campagne des feux que les valets de l'armée avaient eu l'imprudence
d'allumer pendant l'absence de leurs maîtres, et elles avaient donné
l'alarme, ce qui pensa faire échouer l'entreprise. {Vie de Lesdiguières.)
Nos soldats commençaient déjà 'a poser leurs échelles en gardant le
plus grand silence et à monter à l'escalade ; quelques-unes de ces
échelles se rompirent, et au bruit qui se fit, l'ennemi, qui se tenait sous
les armes, accourut en grand tumulte du côté où ce bruit s'était fait
entendre. Mais ceux des nôtres qui n'avaient point éprouvé le même
accident étaient déjà sur la crête du mur. L'action s'engagea, et elle
fut poussée avec tant de vigueur de notre côté que les Savoyards, après
avoir perdu cent hommes, se jetèrent en désordre du rempart dans le
fossé, d'où chacun d'eux prit le chemin qui lui parut le plus sûr pour
se sauver. Il n'y eut qu'un petit nombre de prisonniers parmi, lesquels
se trouva Bellegarde, chargé par le duc de Savoie du commandement
de cette place qu'il avait juré de conserver jusqu'à la mort. On y trouva
six grosses pièces de canon, trois autres pièces de campagne avec des
balles, des boulets et des munitions de toutes sortes et en quantité.
Le duc tenait 'a conserver un poste aussi avantageux qui lui donnait
pied en Dauphiné ; il se disposait à le reconquérir à tout prix ; mais la
nouvelle de la conclusion du traité de Vervins, dans lequel le roi d'Es-
pagne l'avait fait comprendre, ne tarda pas 'a lui arriver. Il comprit alors
que ne pouvant plus compter sur les secours de l'Espagne, il ne serait
pas seul assez fort pour lutter par les armes contre la France, et il se
hâta d'accepter les conditions qu'un des articles du traité avait stipulées
pour lui, sauf 'a tirer plus tard le meilleur parti possible de la nouvelle
situation qu'on venait de lui faire.
Cependant, le clergé catholique, voyant qu'un édit était déjà tout
préparé en faveur des protestants, voulut aussi se donner de nouvelles
garanties et obtenir quelques concessions ; et, s'étant réuni en assemblée
à Paris, il fut arrêté qu'on ferait des remontrances à Sa Majesté. Ce fut
l'archevêque de Tours qui fut chargé de porter la parole en cette cir-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 593
constance. Après s'être longuement étendu sur la corruption générale
des mœurs et le peu de respect qu'on avait pour la religion, le prélat
demanda que, pour remédiera tout, le concile de Trente" fût publié et
reçu en France, a Texception seulement de ce qui concernait les liber-
tés et privilèges de l'Église gallicane et les droits du royaume. Il
demanda aussi que le roi cessât de nommer aux évéchés et aux autres
bénélices ecclésiastiques, qu'on abolît les pensions dont quelques-uns
de ces bénéfices, étaient grevés en faveur de certaines personnes
laïques, et qu'on pourvût au plus tôt, aux dépens du trésor public, aux
fonds nécessaires pour les réparations et le rétablissement de celles des
églises qui tombaient en ruines. (.Mkzeuav, t. III, iibi sup.)
Le roi répondit : « Cette corruption de mœurs dont vous vous plai-
gnez me pénètre moi-même de douleur et je gémis comme vous sur
le mépris qu'on fait de notre sainte religion. Ces maux et tous ces vices,
vous ne l'ignorez pas, existaient en France bien avant que je ne fusse
sur le trône ; et, pour mon compte, j'ai toujours tâcbé d'y appliquer
tous les remèdes possibles; mais il faut agir avec prudence en pareille
matière. J'espère bien que, par mes soins, l'Église reprendra son ancienne
splendeur. Je ferai du moins tous mes eflorts pour la rendre aussi llo-
rissanle qu'elle l'était du temps de nos ancêtres : vous, de votre part,
tâchez aussi que par vos bons exemples vous rameniez les peuj)les à la
pureté de la foi et à la pratique de la vertu. Je promets de m'acquitter
des devoirs d'un bon prince ; vous, remplissez les obligations de bons
et fidèles serviteurs du troupeau qui vous est conlié ; et, cela fait, si les
rois mes prédécesseurs ne vous ont donné jusqu'à présent que de belles
paroles, moi, avec ce manteau poudreux que vous me voyez et ce cos-
tume sans faste et négligé, je prends l'engagement de vous donner des
effets. Au reste, j'aurai soin de faire répondre à toutes vos demandes
par mon conseil. »
Quoi qu'en eût dit le bon roi, il ne donnait guère lui aussi, qu'une
promesse qui ne l'engageait à rien, et il est très probable que le clergé
ne se trouva pas trop satisfait de la réponse (|u'il venait de recevoir de
l'homme au manteau poudreux et au costume sans faste.
Pourtant, les jésuites, qui ne perdent jamais de vue ce qui concerne
l'intérêt de leur société, n'en jugèrent pas moins l'occasion favorable
pour présenter une requête au roi, tendant a obtenir leur réhabilitation
et leur rappel en France. On sait que, malgré l'arrêt du Parlement de
Paris qui les expulsait du royaume, ils s'étaient maintenus, même osten-
siblement, dans tous les pays du ressort des Parlements de Toulouse et
de Bordeaux. Dans diverses autres provinces, en déguisant seulement
leur nom, ils s'étaient également remis à occuper les collèges ; et bien
des personnes, comme c'est assez l'ordinaire quand une chose est dé-
fendue par l'autorité, envoyaient de préférence leurs enfants étudier
dans ces collèges. Les révérends pères, toujours en changeant d'habit et
de nom, s'étaient même glissés jusque dans plusieurs écoles de la capi-
tale. Vainement, les gens du roi avaient pressé Sa Majesté de donner
IV. 38
594 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
une déclaration pour enjoindre aux autres Parlements de France de faire
publier dans leur ressort l'arrêt du bannissement de cet ordre, déclaré
dangereux. Les amis que la société avait su se faire jusqu'auprès du roi
et de la belle Gabrielle avaient pu par leurs intrigues rendre cette dé-
marche inutile. Les gens du roi donc, voulant empêcher que la loi ne
fût entièrement violée, vinrent représenter au Parlement l'injure que la
résistance apportée par les jésuites à se soumettre 'a son arrêt faisait a
Lautorilé de la cour. Us demandèrent qu'il fût défendu aux villes, aux
collèges et aux universités, de laisser prêcher ou d'admettre à aucune
fonction de l'enseignement, soit public, soit particulier, aucun membre
de cet ordre condamné, quand bien même il déclarerait lui-même
ne faire plus partie de la société. On savait qu'a l'aide de certaines
restrictions, les jésuites croyaient pouvoir faire cette déclaration, sans
compromettre leur conscience et sans cesser d'être jésuites. (De Thou,
liv. 119, p. 159.)
La cour avait donc déjà rendu un arrêt conforme à cette demande,
et comme on apprit quelque temps après que la ville de Lyon avait mis
son collège sous la direction d'un nommé Porsan qui avait été jésuite,
le Nivernais Simon Marion, baron de Druy et avocat du roi au Parlement
de Paris, vint demander qu'on décrétât d'ajournement personnel le
prévôt des marchands, les échevins de la ville et Porsan lui-même. Le
prévôt et les échevins comparurent, mais Porsan ne se présenta
pas.
Les premiers exposèrent au tribunal qu'ils n'avaient pas cru contre-
venir îi la sentence du 29 décembre 1594, parce que Porsan avait quitté
la société des jésuites bien avant le prononcé de celte sentence ;
Marion alors lit un long discours, dans lequel il démontra que celui qui avait
été jésuite est toujours jésuite, tant à cause des vœux qu'on lui a fait
prononcer que par suite des moyens adroits dont la société savait se
servir pour retenir, même malgré eux, ceux qui s'étaient une fois attachés
a elle. « Du reste, ajouta-t-il, votre ville, en confiant à Porsan l'éduca-
tion de sa jeunesse, a cru sans doute la remettre en des mains sûres et
fidèles. Eh bien, les informations faites 'a notre requête contre ce Por-
san nous ont fait connaître que vous aviez au contraire livré vos enfants
en des mains très périlleuses pour leur morale et leur salut. Je ne dois
pas entrer ici dans d'autres détails ; car, si tout ce que nous faisons,
nous magistrats, est vraiment public comme ayant le bien public pour
but, la plupart des moyens dont nous nous servons ne peuvent être
sus sans danger que quand notre but est atteint. » Il termina en requé-
rant que Porsan fût, conformément a l'arrêt de 1594 et à celui que la
cour avait rendu tout dernièrement, expulsé de Lyon et du royaume ;
mais qu'auparavant, il fût pris au corps et rendu prisonnier à la con-
ciergerie, pour avoir à répondre à qui de droit de ses faits et gestes
particuliers, et pour lui être son procès fait et parlait, sur les charges
en informations contre lui faites. (De Tuou, ubi supra. — Mém. de la
Ligue, t. VI, p. 559.)
DU PUOTESTANÏISME EN lUANCE. 5'Jj
l.a cour rendil anvt conforme. Et par un second anvl, Il fut
enjoint aux habitants de Lyon de mettre a la place du dit l'orsan un
homme capable de conduire leur collège et des professeurs non
suspects.
Les clioses en étaient restées la quand les jésuites, se sentant forts
de la protection du légat, qu'ils avaient su intéresser en leur faveur,
crurent pouvoir, comme il a été dit plus haut, obtenir leur réinstallation
complète. Le père Richeome, l'un deux, avait proposé une requête au
roi, qui fut imprimée afin qu'elle passât dans les mains de tout le
monde ; mais le Parlement, persistant a déclarer que la soi-disant
compagnie de Jésus professait des doctrines blâmables et exécrables,
rendait en même temps un arrêt des plus sévères contre le seigneur de
Tournon, sénéchal d'Auvergne, qui, très-zélé pour la conservation du
collège de ces pères, que le cardinal son oncle avait érigé dans sa ville
de Tournon, avait refusé d'obéir a la sentence de leur bannissement.
La cour ordonnait que les biens du dit seigneur seraient saisis et anno-
tés, lui-même privé de sa charge de sénéchal et déclaré incapable d'oc-
cuper toute autre tonction dans l'État ; et par le même arrêt, il était fait
de nouveau défense 'a tous les sujets du roi d'envoyer leurs enfants
étudier chez les jésuites, avec injonction aux procureurs du roi d'infor-
mer contre les contrevenants. On déclarerait inhabiles et indignes d'ob-
tenir des degrés dans l'Université tous ceux (pji auraient reyu les le(;on3
des professem's de cette société. (De Thou, ubi snp.)
Tournon dénonça cette sentence au Parlement de Toulouse, au res-
sort duquel il appartenait, et qui se hâta de rendre un arrêt contraire,
'a la sollicitation du syndic des États du Languedoc, que les jésuites
avaient su mettre dans leurs intérêts. Le parlement toulousain faisait
défense expresse aux magistrats, consuls ou autres dépendants de sa
juridiction, de troubler en quoi que ce soit les pères de la compagnie
de Jésus dans la jouissance de leurs biens et d'empêcher la jeunesse
d'aller étudier dans leurs collèges, sous peine de dix mille écus d'or
d'amende.
Henri fut très-mécontent de voir son autorité compromise par la
contradiction de ces deux arrêts également rendus en son nom. Les plus
sages membres de son conseil et le chancelier lui-même étaient d'avis
de" casser l'arrêt du Parlement de Toulouse, en ordonnant a ce Parle-
ment ainsi qu'a celui de Bordeaux d'enregistrer la sentence prononcée
quatre ans auparavant contre Jean Chatel et ses complices ; mais les
amis que les jésuites avaient autour de Sa Majesté trouvèrent moyen
de faire différer cette mesure, et ces pères en furent quittes pour attendre
un moment plus favorable.
Sur ces entrefaites, le légat se disposait a tjuitter la France, avant
qu'il n'eût demandé son audience de congé; le roi alla lui faire visite
sans cérémonie, accompagné seulement de Sillery, créature de la du-
chesse de Ijeaufort ijui eu avait fait son conlideul le plus intime. « Je
serais bien ingrat, Monsieur le cardinal, dit le roi, si je ne reconnais-
596 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
sais que celte paix qui vient de succéder dans mon royaume à tant de
troubles et de guerre est due, après Dieu, au Saint-Père et à vos bons
soins ; mais pour la rendre durable, vous devez comprendre combien il
serait important que je pusse offrir aux Français un lils né de mon
sans. Malheureusement, je suis le mari d'une femme avec laquelle je ne
dois ni ne puis avoir de postérité. »
11 parla ensuite de la dissolution de ce mariage, devenue une néces-
sité pour le bonheur de la France, et il pria le légat d'en appuyer la
demande auprès du Pape. Puis il amena insensiblement le nom de la
duchesse de Beaufort, louant beaucoup les mœurs et la piété de cette
dame, ainsi que la grande et sincère affection qu'elle lui avait vouée.
A ces paroles, le légat fut tout étonné. Il interrompit Sa Majesté
avant qu'elle allât plus loin dans cette singulière confidence, et il se hâta
de répondre : « Sire, je m'estime heureux d'avoir pu contribuer à l'éta-
blissement de cette paix et d'avoir par l'a satisfait le Pape et Votre
Majesté. J'ai plusieurs fois souhaité voir luire le premier jour de cette
heureuse tranquillité, dùt-il être le dernier de ma vie. Mais, a présent
que Dieu a accordé ce bienfait au monde chrétien et que j'ai atteint le
but de ma légation, il ne me reste plus autre chose a faire que de retour-
ner 'a Rome, pour rendre compte au Saint-Père de la manière dont j'ai
exécuté ses ordres. »
La conversation se termina ainsi, ot le roi se repentit d'avoir fait
part au prélat de ses intentions de mariage avec sa belle et ambitieuse
maîtresse; car le cardinal ne manqua pas de s'en aller avertir les plus
grands seigneurs du royaume de ce projet, dont l'exécution serait,
disait-il, aussi honteuse 'a Sa Majesté que funeste 'a la France, les sup-
pliant d'en détourner leur maître par tous les moyens. Peu de jours
après, ce digne prélat quitta la France pour s'en retourner en Italie.
Vers la même époque à peu près, Philippe terminait dafls le monas-
tère de l'Escurial, 'a l'âge de soixante etdouzeans, sa longue et orageuse
carrière. Il s'était fait transporter dans ce saint lieu qui sert de sépulture
aux rois d'Espagne, « parce que, disait-il, il faudrait toujours l'y porter
après sa mort, et qu'il aimait mieux y aller vivant. » Depuis longtemps, il
se sentait éteindre dans les douleurs d'une horrible maladie. Son corps
n'était plus qu'un immense abcès, et il s'engendrait dans ses chairs une
telle quantité de poux qu'on ne [pouvait suffire a les ôter. Tout récem-
ment, il avait tîancé l'Infante d'Espagne à Albert, vice-roi des Flandres,
qui renonçait, 'a cet effet, 'a sa dignité de cardinal ; et il lui avait donné
en dot la souveraineté de tout ce qui appartenait aux Espagnols dans ces
contrées, lui transmettant en outre les droits qu'ils réclamaient sur le
reste. (Cayet, Cliron. septen., liv. P'.)
Quand le monarque eut enfin perdu tout espoir de prolonger une vie
insupportable, il fît venir son fils qui allait bientôt être son successeur,
et il lui remit entre les mains un papier qu'il gardait fort secrètement et
qui contenait ses avis sur le gouvernement, écrits par lui-même. Il recom-
mandait au jeune prince d'être attentif aux changements qui pourraient
DU PROTESTANTISME EN FRANGE. 597
survenir dans les autres royaumes, alin d'en laire son profil. « Ayez
soin, disait-il, de ne jamais admettre le peuple dans radminislralion des
affaires, il pourrait devenir exigeant et vous tourmenter par des préten-
tions embarrassantes ; ne vous appuyez (jue sur la noblesse et les ecclésias-
tiques; mais n'oubliez pas (ju'il ne faut jamais laisser ces deux corps en
bonne barmonie entre eux, et que vous devez soigneusement entretenir
leur rivalité, en faisant pencber la balance de vos faveurs tantôt d'un
côté, tantôt de l'autre. Recbercbez l'alliance des Français, des Anglais et
de certains princes allemands ; ceux-là seuls peuvent vous être utiles; ni
les princes d'Italie, ni la Pologne, ni l'Ecosse, ni les autres puissances du
Nord ne sont en état de vous procurer le moindre avantage. Restez sur-
tout en bonne correspondance avec les papes ; mais n'oubliez pas de
pensionner les cardinaux pour avoir 'a vous le plus grand nombre de voix
possible dans le conclave. J'ai donné, il est vrai, les Pays-Bas 'a votre
sœur; mais dans cette donation, je vous ai ménagé un grand nombre
d'échappatoires dont vous pourrez plus tard vous servir i)our les re-
prendre. Quant 'a l'article important du commerce de l'Espagne avec les
Indes, vous n'avez que deux concurrents redoutables : l'Angleterre d'a-
bord, et la France ensuite. Ces deux royaumes sont les seuls puissants en
marine : je crains beaucoup pour vous les entreprises du premier ; car
le peuple anglais est avide de richesses, j)ersévéranl et âpre au gain.
Pour la France, je m'en inquiète moins ; on y est trop léger pour lutter
longtemps contre les diflicultés. Au reste, contre l'une et l'autre de ces
deux puissances, mon avis est que vous vous renforciez de ceux des
Pays-Unis et de la Hollande, s'il le faut absolument, bien que ces gens-
l'a soient vos ennemis aujourd'hui, et en partie hérétiques. Enfin pour
vos finances, ne vous en rapportez qu'à vouà-même. Ayez toujours l'œil
sur vos conseillers, même les plus privés, et accoutumez-vous aux cliillVes.
Il ne me reste plus qu'à vous donner quebjues conseils généraux dont
je me suis bien trouvé : donnez toujours de la besogne à vos secré-
taires, soit d'importance ou non ; ne rendez aucun deux intlispensable
à la marche des affaires, et surtout ne découvrez jamais vos secrets à
un ami, fût-il éprouvé et d'un dévoùment irréprocbable. En observant
ces avis que je vous laisse écrits de ma main, jespêre, mon fils, cpie
vous régnerez glorieusement et heureusement. »
Cependant, depuis bientôt un an que la paix était signée, rien n'était
encore décidé relativement à la possession du marquisat de Saluées (jue
se disputaient le roi de France et le duc de Savoie. Les deux princes
avaient pris le Pape pour arbitre, et le roi avait envoyé à Home Sillery
pour y soutenir ses droits ; c'était le comte de Touzaine qui y était pour
le duc. En vertu de la règle du droit commun, par laquelle il est dit
que le spolié doit être réintégré par provision, Sillery voulait (jue son
maître fût réintégré provisoirement dans la |)OSsession du marquisat,
usurpé par le duc de Savoie à la faveur des guerres de la Ligue contre
Henri 111. Touzaine prétendait de son côté que cette règle ne concer-
nait que les particuliers et ne pouvait être étendue aux contestations
598 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
entre souverains, à l'égard desquels la possession actuelle était le meil-
leur droit. (De Tiiou, ubi supra.)
Quand on en vint au principal, Sillery fit valoir que la princesse
Alix, en 1210, avait fait et reiidu hommage pour le marquisat de
Saluées à son oncle Hugues, dauphin de Viennois, hommage renouvelé
en 1354 par le marquis Thomas, entre les mains de Charles, fds aîné
du roi Jean, a qui le Dauphiné venait d'être cédé.
A tout cela, le comte de Touzaine répondait que l'hommage fait au
dauphin de Viennois était nul, parce que cette princesse n'était pas la
véritable propriétaire du marquisat, qui appartenait a son petit-fils Main-
froy encore mineur, et que la ratification faite plus tard par Thomas
n'avait pas plus de validité, attendu que Thomas, s'étant lui-même
reconnu précédemment comme tenancier pour son lief des ducs de
Savoie, n'était plus qu'usufruitier et n'avait pas le droit de se donner a
un autre suzerain.
Comme on ne pouvait s'entendre sur toutes ces questions, on proposa
de mettre provisoirement le marquisat en séquestre entre les mains du
Pape, et cette proposition parut d'abord acceptable de part et d'autre.
Le roi envoya son consentement ; mais le duc, qui soupçonnait Sa Sain-
teté d'être trop favorable a Henri IV, révoqua son ambassadeur sous un
prétexte futile et en envoya un autre, pour reprendre la discussion sur
nouveaux frais. Celui-ci, ayant obtenu une audience particulière du Sou-
verain-Pontife, lui dit assez imprudemment que si son maitre obtenait
de Sa Sainteté un jugement favorable, son intention était de la laisser
libre de disposer du marquisat en faveur d'un de ses neveux, qui le tien-
drait comme hef mouvant de la Savoie.
Clément VIII comprit alors qu'on soupçonnait son intégrité, et il
donna sur-le-champ son désistement de sa qualité d'arbitre. Le duc,
honteux, fil faire des excuses au Pape, et comme il voyait qu'il s'était
généralement rendu odieux par la manière dont il s'était conduit dans
cette affaire, il promit qu'il irait lui-même en France, pour s'entendre
directement avec le roi ; mais il ne se montra pas plus fidèle a tenir
cette promesse qu'a la parole donnée pour lui par son premier ambas-
sadeur. Il fallut plus tard en venir aux armes pour terminer cette contes-
tation.
Pendant que ces discussions avaient lieu 'a Rome, les protestants
redoublaient leurs instances pour obtenir l'enregistrement et la publica-
tion de l'édit qu'on leur avait accordé a Nantes. Le roi lui-même regar-
dait l'exécution de cet édit comme indispensable au rétablissement com-
plet de la paix et de l'ordre dans l'intérieur. Il convoqua donc au Louvre
une députation de chaque Chambre et parla ainsi :
« Je me souviens, messieurs, qu'il y a vingt-six ans, étant 'a la cour
du roi Charles IX, je proposai une partie de dés à mon parent et en
ce temps-la mon ami, Henri de Lorraine, duc de Guise. On essuya la
table, et dans le temps que nous allions commencer à jouer, on la vit
pleine de gouttes de sang, qu'on essuya de nouveau, mais qui reparurent
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 599
à plusieurs reprises. Etonné de ce prodige, j'en tirai mauvais augure,
je refusai de jouer, et je dis à ceux qui étaient auprès de moi, mais
assez bas pour n'être pas entendu du duc : « Je prévois qu'il coulera
un jour des torrents de sang entre monsieur de Guise et moi. » Cette
prévision n a été que trop réalisée.
<f Que nos malheurs passés nous servent donc au moins d'instruc-
tion pour l'avenir. N'avons-nous pas versé assez de sang ? u'avons-nous
pas assez soud'ert ? L'Étal a maintenant besoin de la paix, et comme
Dieu s'est servi de moi pour vous la donner, je liens aussi à vous la
conserver. Je vous parle ici comme un père 'a ses enfants et je vous
exhorte à maintenir l'union entre vos compatriotes et vos concitoyens;
serait-il possible qu'après avoir fait la paix avec les étrangers, la guerre
se rallumât avec mes sujets?
« Les séditieux qui viennent encore vous parler de l'intérêt de la
religion ne cherchent qu'à cacher sous un nom révéré l'esprit de fac-
tion et de discorde qui les anime toujours. C'est la paix et l'union qui
font seules relleurir la religion ; et c'est oifcnser cette religion, (pii
commande la charité, que de prêcher une nouvelle guerre civile. Le
Souverain-Pontife, lui-même, pense 'a ce sujet comme moi. Au reste,
comme votre roi, j'ai sur vous le droit de la puissance paternelle ; et
c'est à moi de ramener dans le chemin ceux qui par ignorance ou
par mauvaise volonté voudraient s'en écarter, et ce droit, je suis bien
décidé à en user.
« La nouvelle loi que je vous propose (renregistrer ne fait d'ailleurs
que consacrer d'anciennes dispositions dont j'ai reconnu la sagesse et
l'utilité. Si j'y ai fait quelques additions, c'est que, les temps n'étant plus
les mêmes, j'ai, après un mûr examen, trouvé ces additions indispen-
sables. Je vous prie donc et vous ordonne d'enregistrer sans délai cet
édit fait moins en faveur des huguenots que pour éviter une nouvelle
guerre civile. Vous, messieurs, (pie j'ai toujours trouvés soumis dans les
temps les plus fâcheux, refuseriez-vous de m'obéir aujourd'hui, quand je
n'ai plus nulle part d'autres ennemis disposés à combattre mon auto-
rité? »
Ce discours n'empêcha pas que, quand l'édit fut apporté au Parle-
ment, plusieurs conseillers ne s'opposassent a l'enregistrement ; mais
le conseiller Coqueley en prit la défense avec une grande élo(|uence.
« Suivons, dit-il, messieurs, les vues d'un prince dont la bonté égale la
sagesse, et sans nous laisser conduire par un zèle indiscret, soulfrons
que des compatriotes, des citoyens, jouissent des honneurs, des privi-
lèges et des dignités qu'ils ont naturellement droit de partager avec
nous. N'ont-ils pas concouru comme nous et avec le même dévouement
à la défense de la patrie, quand elle était en danger, et peut-on sans in-
justice leur refuser de participer aux fruits de la victoire?
« Dira-t-on que c'est oiïenser Dieu que de monlrer de la tolérance
pour des opinions qu'il réprouve? Eh ! le Tout Puissant vous a-l-il par
hasard demandé de prendre sa défense ? N'est-il plus assez fort pour se
600 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
faire justice à lui-même, s'il le juge à propos ? Ne vous a-t-il pas au
contraire recommandé la charité même envers les payens et les infi-
dèles ? »
Après cette allocution de Coqueley, on alla aux voix sur les diffé-
rentes dispositions de l'édit. Plusieurs conseillers persistaient encore
avec la même aigreur dans leur opposition a l'enregistrement, principa-
lement pour ce qui regardait l'admission des huguenots dans les charges
publiques, alléguant qu'aucun antécédent n'autorisait une pareille con-
cession, opposée de tout point aux institutions des anciens empereurs
chrétiens, qui avaient au contraire prescrit expressément d'expulser les
hérétiques de la cité. On leur répondit que l'intérêt de la tranquillité
publique avait toujours suffi pour qu'on tolérât dans un temps ce qu'on
aurait empêché dans un autre.
Le parti qui voulait l'enregistrement sans aucune modification l'em-
porta 'a la fin ; et l'édit de Nantes, ainsi que les articles secrets qui
l'accompagnaient, fut soUennellement enregistré au Parlement de Paris,
le vingt-cinquième jour de février de cette année 1599, et réputé loi de
l'État.
FIN
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 601
APPENDICE
TEXTE DE L'ÉDIT DE NANTES.
Henri, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents
et à venir, salut :
Entre les grâces infinies qu'il a plu à Dieu nous départir, celle est bien
des plus insignes et remarquables de nous avoir donné la vertu et la force de
ne céder aux effroyables troubles, confusions et désordres qui se trouvèrent à
notre avènement à ce royaume, qui était divisé en tant de parts et de factions,
que la plus légitime en était quasi la moindre; et de nous être néanmoins
tellement roidi contre cette tourmente que nous l'ayons enfin surmontée, et
touchions maintenant le port de salut et repos de cet Etat. De quoi à lui seul
en soit la gloire tout entière, et à nous la grâce et l'obligation qu'il se soit voulu
servir de notre labeur pour ce bon œuvre, auquel il a été visible ù tous si nous
avons porté non seulement ce qui était de notre devoir et pouvoir, mais
quelque chose de plus, qui n'eût peut-être pas été en autre temps bien conve-
nable à la dignité que nous tenons, que nous n'avons plus en crainte d'y
exposer, puisque nous y avons tant de fois exposé notre propre vie; et en cette
grande concurrence de si grandes et périlleuses affaires, ne se pouvant toutes
composer tout à la fois et en même tems, il nous a fallu tenir cet ordre, d'en-
treprendre premièrement ce qui ne pouvait se terminer que par la force, et
plutôt remettre et suspendre pour quelque tems les autres qui se devaient et
pouvaient traiter par la raison et la justice : comme les dillerents généraux
d'entre nos bons sujets et les maux particuliers des plus saines parties de
l'État, que nous espérions pouvoir bien plus aisément guérir, après en avoir
ôté la cause principale qui était en la continuation de la guerre civile. En quoi
nous étant, par la grâce de Dieu, bien et heureusement succédé, et îos armes
et hostilités étant du tout cessées, en tout le dedans de ce royaume, nous espé-
rons qu'il succédera aussi bien aux autres affaires qui restent à composer et
que par ce moyen nous parviendrons à l'établissement d'une bonne paix et
tranquille repos qui a toujours été le but de nos vœux et intentions, et le prix
que nous désirons de tant de peines et travaux, auxquels nous avons passé
ce cours de notre âge. Entre lesdites affaires auxquelles il a fallu donner pa-
tience, et l'une des principales, ont été les plaintes que nous avons reçues de
plusieurs de nos provinces et villes catholiques do ce que l'exercice de la reli-
gion catholique n'était pas universellement rétabli, comme il est porté par les
états ci-devant faits pour la pacilication des troubles à l'occasion de la religion;
comme aussi les supplications et remontrances qui nous ont été faites par nos
602 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
sujets de la religion prétendue réformée, tant sur l'exécution de ce qui leur est
accordé par lesdits, édits que sur ce qu'ils désireraient y être ajouté pour
l'exercice de ladite religion et la liberté de leur conscience et la sûreté de leurs
personne et fortune, présumant avoir juste sujet d'en avoir nouvelles et plus
grandes appréhensions à cause de ces derniers troubles et mouvements dont le
principal prétexte et fondement a été sur leur ruine. A quoi, pour ne nous
charger de trop d'affaires à la fois, et aussi que la fureur des armes ne com-
patit pas à l'établissement des lois, pour bonnes qu'elles puissent être, nous
avons toujours différé de temps en temps de pourvoir. Mais maintenant qu'il
plaît à Dieu commencer à nous faire jouir de quelque meilleur repos, nous
avons estimé ne le pouvoir mieux employer qu'à ce qui peut contribuer à la
gloire de son saint nom et service, et à pourvoir qu'il puisse être adoré et prié
par tous nos sujets; et s'il ne lui a plu permettre que ce soit pour encore en une
même forme de religion, que ce soit au moins d'une même intention et avec
telle règle qu'il n'y ait point pour cela de trouble ou de tumulte entre eux, et
que nous et ce royaume puissions toujours mériter et conserver le tjtre glorieux
de très chrétien, qui a été par tant de mérites et dès si longtemps acquis, et
par même moyen ôter la cause du mal et trouble qui peut advenir sur le fait
de la religion, qui est toujours le plus glissant et pénétrant de tous les autres.
Pour cette occasion, ayant reconnu cette affaire de très grande importance et
digne de très bonne considération, après avoir repris les cahiers des plaintes
de nos sujets catholiques ; ayant aussi permis à nos dits sujets de la dite reli-
gion prétendue réformée de s'assembler par députés pour dresser les leurs, et
mettre ensemble toutes leurs dites remontrances, et sur ce fait conférer avec
eux par diverses fois, et revu les édits précédents, nous avons jugé nécessaire
de donner maintenant sur le tout à tous nos dits sujets une loi générale, claire,
nette et absolue, par laquelle il soit réglé sur tous les différends qui sont
ci-devant survenus entre eux, et y pourront encore survenir ci-après, et dont
les uns et les autres ayent sujet de se contenter selon que la qualité du tems
le peut porter. N'étant pour notre regard entré en cette délibération que pour
le seul zèle que nous avons au service de Dieu, et qu'il se puisse dorénavant
faire et rendre par tous nos dits sujets et étabhr entre eux une bonne et perdu-
rable paix. Sur quoi nous implorons et attendons de sa divine bonté la même
protection et faveur qu'il a toujours départie à ce royaume, depuis sa naissance
et pendant ce long âge qu'il a atteint, et qu'elle fasse la grâce à nos dits sujets
de bien comprendre qu'en l'observation de cette dite ordonnance consiste (après
ce qui est de leur devoir envers Dieu et envers tous) le principal fondement
de leur union, concorde, tranquillité et repos, et du rétablissement de cet Etat
en sa première splendeur, opulence et force, comme, de notre part, nous pro-
mettons de la faire exactement observer, sans soutïrir qu'il y. soit aucunement
contrevenu. Pour ces causes, ayant avec l'avis des princes de notre sang,
autres princes et officiers de la couronne et autres grands et notables person-
nages de notre conseil d'Etat étant près de nous, bien dihgemment pesé et
considéré toute cette affaire, avons, par cet édit perpétuel et irrévocable, dit,
déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons :
Article premier. — Que la mémoire de toutes choses passées de part et
d'autre depuis le commencement du mois de mars 4585, jusqu'à notre avène-
ment à la couronnne, et durant les autres troubles précédents, et à l'occasion
d'iceux, demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non avenue, et ne
sera loisible ni permis à nos procureurs généraux et autres personnes quel-
conques, publiques ou privées, en quelque temps, ni pour quelque occasion
que ce soit, en faire mention, procès ou poursuite en aucune cour ou juridic-
tion que ce soit.
Art. il — Défendons à tous nos sujets, de quelque état et qualité qu'ils
soient, d'en renouveler la mémoire, s'attaquer, ressentir, injurier, ni provoquer
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 603
l'un l'autre par reproches de ce qui s'est passé ; pour quelque cause ou pré-
texte que ce soit, en disputer, contester, quereller, ni s'outrager et offenser de
fait ou de paroles, mais se contenir et vivre paisiblement ensemble comme
frères, amis et concitoyens, sur peine aux contrevenants d'être punis comme
infracteurs de paix et perturbateurs du repos public.
Art. III. — Ordonnons que la religion catholique, apostolique et romaine
sera remise et rétablie en tous lieux et endroits de cettuy notre royaume et
pays de notre obéissance où l'exercice d'icelle a été intermis, pour y être paisi-
blement et librement exercée, sans aucuns troubles ou empêchements, défen-
dant expressément à toute personne de quelque état, qualité ou condition
qu'elle soit, sur les jjeines que dessus, de ne troubler, molester, ni inquiéter
les ecclésiastiques en la célébration du divin service, jouissance et perception
des dîmes, fruits et revenus de leurs bénéfices, et tous autres droits et devoirs
qui leur appartiennent : et que tous ceux qui, durant les troubles, se sont em-
parés des églises, maisons, biens et revenus appartenant auxdits ecclésias-
tiques, et 4}ui les détiennent et occupent, leur en délaissent l'entière posses-
sion et paisible jouissance, en tels droits, libertés et sûretés qu'ils avaient aupa-
ravant qu'ils en fussent désaisis, défendant aussi expressément à ceux de ladite
religion prétendue réformée de faire prêches, ni aucun exercice de ladite reli-
gion ès-églises, maisons et habitations desdits ecclésiastiques.
Art. IV. — Sera au choix desdits ecclésiastiques d'acheter les maisons et
bâtiments construits aux places profanes sur eux occupées durant les troubles,
ou contraindre les possesseurs desdits bâtiments d^ach^^ter le fonds, le tout
suivant l'estimation qui en sera faite par experts dont les parties omviendront
et à faute d'en convenir, leur en sera pourvu par les juges des lieux, sauf aux-
dits possesseurs leur recours contre qui il appartiendra. Et où lesdits ecclésias-
tiques contraindraient les possesseurs d'acheter le fond, s les deniers de l'esti-
mation ne seront mis en leurs mains ; ains en demeureront lesdits possesseurs
chargés, pour en faire profit, à raison du denier vingt, jusqu'à ce qu'ils aient
été employés au profit de l'église, ce qui se fera dans un an. Et où ledit tems
passé, l'acquéreur ne voudrait plus continuer ladite rente, il en sera déchargé
en consignant les deniers entre les mains de personne solvable, avec l'auto-
rité de la justice, et pour les lieux sacrés en sera donné avis par les commis-
saires qui seront ordonnés pour l'exécution du présent édit, pour sur ce y être
par nous pourvu.
Art. V. — Ne pourront loutesfois les lieux et places occupés par les
fortifications et réparations des villes et lieux de notre royaume et les maté-
riaux y employés, être vendiqués ni répétés par les ecclésiastiques, ou autres
personnes publiques ou privées, que lorsque lesdites fortifications et répara-
tions seront démolies par nos ordonnances.
Art. VI. — Et pour ne laisser aucune occasion de trouble ni différend
entre nos sujets, avons permis et permettons à ceux de ladite religion pré-
tendue réformée, vivre et demeurer par toutes les villes et lieux de cettuy notre
royaume, et pays de notre obéisssance, sans être enquis, vexés, molestés, ni
astreints à fiiire chose pour le fait de la religion contre leur conscience, ni pour
raison d'icelle être recherchés ès-maisons et lieux où ils voudront habiter, en
se comportant, au reste, selon qu'il est contenu en noire présent édit.
Art. VIL — Nous avons aussi permis à tous seigneurs, gentilshommes,
et autres personnes, tant regnicoles qu'autres, faisant profession de la religion
prétendue réformée, ayant en notre royaume ot pays de notre obéissance tiaute
justice, ou plein fief de haubert, comme en Normandie, soit en propriété ou
usufruit, en tout, ou par moitié, ou pour la troisième partie avoir en telle de
leurs maisons desdites hautes justices, ou fiefs susdits qu'ils seront tenus
nommer devant à nos baillifs et sénéchaux, chacun en son détroit pour le
604 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
principal domicile, l'exercice de ladite religion, tant qu'ils y seront résidant, et
en leur absence leurs femmes ou bien leur famille, ou partie d'icelle. Et en-
core que le droit de justice ou plein fief de haubert soit controversé, néanmoins
l'exercice de ladite religion y pourra être fait, pourvu que les dessus dits soient
en possession actuelle de ladite haute justice, encore que notre procureur gé-
néral soit partie. Nous leur permettons aussi avoir ledit exercice en leurs autres
maisons de haute justice et fiefs susdits de haubert, tant qu'ils y seront pré-
sents et non autrement, le tout tant pour eux, leur famille et autres gens qui
voudront y aller.
Art. VIII. — Es maisons des fiefs où ceux de ladite religion n'auront ladite
haute justice ou fief de haubert, ne pourront faire ledit exerci :e que pour leur
famille seulement. N'entendrons toutefois, s'il y survenait d'auti es personnes
jusqu'au nombre de trente, outre leur famille, soit à l'occasion d s baptêmes,
visites d'amis ou autrement qu'ils en puissent être recherchés ; moyennant
aussi que lesdites maisons ne soient au dedans des villes, bourgs ou villages
appartenant aux seigneurs hauts justiciers catholiques, autres que no*is, esquels
lesdits seigneurs catholiques ont leurs maisons. Auquel cas ceux de ladite
religion ne pourront, dans lesdites villes, bourgs ou villages faire ledit exercice,
si ce n'est par permission et congé desdits seigneurs hauts justiciers, et non
autrement.
Art. IX. — Nous permettons aussi à ceux de ladite religion faire et con-
tinuer l'exercice d'icelle, en toutes les villes et lieux de notre obéissance où il
était par eux établi et fait publiquement, par plusieurs et diverses fois, en
l'année 1596 et en l'année 1597, jusques à la fin du mois d'août, nonobstant
tous arrêts et jugements à ce contraires.
Art. X. — Pourra semblablement ledit exercice être établi et rétabli en
toutes les villes ou places où il a été établi ou dû l'être par l'édit de pacification
fait en l'année 1577, articles particuliers et conférences de Néracet Fleix, sans
que ledit rétablissement puisse être empêché ès-lieux et places du domaine
qui ont été possédés ci-devant par ceux de la prétendue religion réformée,
encore qu'ils aient été depuis aliénés à personnes catholiques. N'entendons
toutefois que ledit exercice puisse être rétabli ès-lieux possédés ci-devant par
ceux de cette religion, en considération de leurs personnes ou à cause du pri-
vilège des fiefs, si lesdits fiefs se trouvent maintenant possédés par personnes
de la religion catholique, apostolique et romaine.
Art. XL — D'avantage, en chacun des anciens bailliages, sénéchaussées
et gouvernements tenant lieu de bailliage, ressortissant nuement et sans
moyen ès-cour de parlement, nous ordonnons qu'ès-faubourgs d'une ville
outre celles qui lui ont été accordées par ledit édit, articles particuliers et con-
férences, et, où. il n'y aurait de villes, en un bourg ou village, l'exercice de
ladite religion prétendue réformée se pourra faire publiquement pour tous
ceux qui y voudront aller, encore que ès-dits bailliages, sénéchaussées et gou-
vernements il y ait plusieurs lieux où ledit exercice soit ce présent établi, fors
et excepté pour ledit lieu de bailliage nouvellement accordé par le présent
édit, les villes où il y a archevêché et évêché, sans toutefois que ceux de la re-
ligion prétendue réformée soient pour cela privés de pouvoir demander et
nommer pour ledit lieu dudit exercice, les bourgs et villages proches desdites
villes. Excepté aussi les lieux et seigneuries appartenant aux ecclésiastiques
ès-quels nous n'entendons que le second lieu de bailliage puisse èire établi, les
en ayant de grâce spéciale exceptés et préservés. Voulons et entendons, sous le
nom d'anciens bailliages, parler de ceux qui étaient du temps du feu roi Henri,
notre très honoré seigneur, tenus pour bailliages, sénéchaussées et gouverne-
ments ressortissants sans moyen en nos dites cours.
Art. XII. — N'entendons par le présent édit déroger aux édits et accords
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 605
ci-devant faits pour la réduction d'aucuns princes, seii^neurset {gentilshommes
et villes catholiques en notre obéissance, en ce qui concerne l'exercice de ladite
religion ; lesquels édits seront entretenus et observés pour ce regard, selon
qu'il sera porté par l'instruction des commissaires qui seront ordonnés pour
l'exécution du présent édit.
Art. XIII. — Défendons expressément à tous ceux de ladite religion
faire aucun exercice d'icelle, tant pour le ministère, exercice public, discipline
ou instruction d'enfants en celtuy notre royaume et pays de notre obéissance,
en ce qui concerne la religion, fors qu'ès-lieux permis et octroyés par le pré-
sent édit.
Art. XIV. — Comme aussi de faire aucun exercice de ladite religion en
notre cour et suite, ni pareillement en nos terres et pays qui sont delà les monts,
ni en notre ville de Paris, ni à cinq lieues de ladite ville. Toutefois, ceux de
ladite religion demeurant es dites terres et pays delà les monts, et en notre
dite ville et cinq lieues autour d'icelle, ne pourront être recherchés dans leurs
maisons, ni astreints à faire chose pour le regard de leur religion contraire à
leur conscience en se comportant, au reste, selon qu'il est contenu en notre
présent édit.
Art. XV. — Ne pourra aussi l'exercice public de ladite religion être fait
aux armées, sinon au quartier des chefs qui en feront profession, autre tou-
tefois que celui où sera le logis de notre personne.
Art. XVI. — Suivant l'art. 2 de la conférence de Nérac permettons à
ceux de la religion de pouvoir bâtir des lieux pour l'exercice d'icelle aux villes
et places où il leur est accordé, et leur seront rendus ceux qu'ils ont ci-devant
bâtis, ou le fonds d'iceux en l'état qu'il est à présent, même aux lieux où ledit
exercice ne leur est permis, sinon qu'ils aient été convertis en autre nature
d'édifice, auquel cas leur seront baillés, par les possesseurs desdits édifices, des
lieux et places de même prix et valeur qu'ils étaient avant qu'ils y eussent bâti,
ou la juste estimation d'iceux, à dire d'expert sauf auxdits, possesseurs et pro-
priétaires leur recours contre qui il appartiendra.
Art. XVII. — Nous défendons à tous prêcheurs, lecteurs et autres qui
parlent en public, d'user d'aucunes paroles, discours et propos tendant à exciter
le peuple à sédition ; ains leur avons enjoint et enjoignons de se contenir et
comporter modestement, et de ne rien dire qui ne soit à l'instruction et à l'édi-
fication des auditeurs, et à maintenir le repos et tranquillité par nous établis
dans notre royaume, sur les peines portées par les précédents édils. Enjoi-
gnons très expressément à nos procureurs généraux et leurs substituts d'in-
former d'office contre ceux qui y contreviendront, à peine d'en répondre en
leur propre et privé nom et de privation de leurs offices.
Art. XVIII. — Défendons aussi à tous nos sujets, de quelque qualité et
condition qu'ils soient, d'enlever par force ou induction, contre le gré de
leurs parents, les enfants de ladite religion pour les faire baptiser et confirmer
en l'église catholique, comme aussi mesmes défenses sont faites à ceux de la
religion prétendue réformée, le tout à peine d'être punis exemplairement.
Art. XIX. — Ceux de ladite religion ne seront aucunement astreints ni
demeureront obligés pour raison des abjurations, promesses et serments qu'ils
ont ci-devaat faits, ou caution par eux baillée concernant le fait de ladite reli-
gion et n'en pourront être molestés ni travaillés, en quelque sorte que ce
soit.
Art. XX. — Seront tenus aussi garder et observer les fêtes inédites en
l'église catholique, et ne pourront aux jours d'icelles besogner, vendre, ni
étaler à boutiques ouvertes, ni pareillement les artisans travailler hors leurs
boutiques et en chambres et maisons fermées, es dits jours de fête et autres
jours défendus, à aucun métier dont le bruit puisse être entendu au dehors des
606 HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT
passants ou des voisins : dont la recherche néanmoins ne pourra être faite que
par les officiers de justice.
Art. XXI. — Ne pourront les livres concernant ladite religion être im-
primés et vendus publiquement qu'aux lieux ou villes où l'exercice public de
ladite religion sera permis ; et pour les autres livres qui seront imprimés es
autres villes, seront vus et visités tant par nos officiers que théologiens, ainsi
qu'il est porté par nos ordonnances. Défendons très expressément l'impression,
publication et vente de tous livres, libelles et écrits diffamatoires sur les peines
contenues en nos ordonnances.
Art. XXII. — Ordonnons qu'il ne sera fait différence, ni distinction
pour le regard de ladite religion, à recevoir les écoliers pour être instruits ès-
universités, collèges et écoles, et les malades pauvres aux hôpitaux, maladreries
et secours publics.
Art. XXIII. — Ceux de ladite religion seront tenus de garder les lois de
l'église catholique reçues en notre royaume pour le fait des mariages, contrac-
tés et à contracter, ès-degrés de consanguinité et affinité.
Art. XXIV. — Pareillement ceux de ladite religion payeront les droits
d'entrées, comme il est accoutumé pour les charges et offices dont ils seront
pourvus, sans être contraints à assister à aucune cérémonie contraire à leur
dite religion ; et étant appelés par serment, ne seront tenus d'en faire d'autre
que de lever la main, jurer et promettre à Dieu qu'ils diront vérité. Ne seront
aussi tenus de prendre dispense du serment en passant les contrats et obliga-
tions.
Art. XXV. — Voulons et ordonnons que tous ceux de ladite religion et
autres qui ont suivi leur parti, de quelque état, qualité et condition qu'ils
soient, soient tenus et contraints, par toute voie due et raisonnable, et sous les
peines contenues aux édits sur ce fait, payer et acquitter les dîmes aux curés
et à tous autres à qui elles appartiennent, selon l'usage des lieux.
Art. XXVI. — Les exhérédations ou privations, soit par disposition entre
vifs ou testamentaires faites seulement en haine ou pour cause de religion,
n'auront lieu tant pour le passé que pour l'avenir entre nos sujets.
Art. XXVII. — Afin de réunir d'autant mieux les volontés de nos sujets,
et ôter toutes plaintes à l'avenir, déclarons ceux qui font ou qui feront profes-
sion de ladite religion capables de tenir et exercer tous états, dignités, offices
et charges publiques quelconques, royales, seigneuriales ou des villes de notre
dit royaume, nonobstant tout serment à ce contraire, et d'être indifféremment
admis et reçus en iceux; et se contenteront nos cours de Parlement et autres
juges d'informer et enquérir sur la vie, mœurs et honnête conversation de ceux
qui sont ou seront pourvus d'offices tant d'une religion que d'autre, sans
prendre d'eux d'autre serment que de bien et fidèlement servir le roi en l'exer-
cice de leurs charges, et garder les ordonnances comme il a été observé de
tout temps. Advenant aussi vacance desdits états, charges et offices, il y sera
par nous et sans distinction pourvu de personnes capables, comme chose qui
regarde l'union de nos sujets. Entendons aussi que ceux de ladite religion
puissent être admis et reçus dans tous nos conseils, délibérations, assemblées
et fonctions qui dépendent des choses susdites, sans que pour raison de ladite
religion ils en puissent être rejelés ou empêchés d'en jouir.
Art. XXVIII. — Ordonnons pour l'enterrement des morts de ceux de
ladite religion, pour toutes les villes et lieux de ce royaume, qu'il leur sera
pourvu promptement en chaque lieu, par nos officiers et magistrats et par les
commissaires que nous députerons à l'exécution de noire présent édit, d'une
place la plus commode que faire se pourra, et les cimetières qu'ils avaient ci-
devant, et dont ils ont été privés, à l'occasion des troubles, leur seront rendus.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 607
sinon qu'ils se trouvassent à présent occupés par édifices et bâtiments, auquel
cas leur en sera pourvu d'autres gratuitement.
Art. XXIX. — Enjoi^^nons à nos officiers de tenir la main à ce qu auxdits
enterrements il ne se commette aucun scandale et seront tenus, dans quinze
jours après la réquisition qui en sera faite, pourvoir ceux de ladite religion de
lieu commode pour lesdiles sépultures, sans user de longueur et remises, à
peine de cinq cents écus en leur propre et privé nom. Sont aussi faites dé-
fenses, tant auxdits officiers qu'à tous autres, de rien exiger pour la conduite
desdits corps morts, sur peine de concussion.
Art. XXX. — Afin que justice soit rendue et administrée à nos sujets,
sans aucune suspicion, haine ou faveur comme étant un des principaux
moyens pour les maintenir en paix et concorde, avons ordonné et ordonnons
qu'en notre cour de parlement de Paris sera établie une chambre composée
d'un président et de seize conseillers, laquelle sera appelée et intitulée
chambre de l'Edit, et connaîtra non seulement des causes et procès de ladite
religion qui seront dans l'étendue de ladite cour, mais aussi de nos parlements
de la Normandie et de la Bretagne, selon la juridiction qui lui sera ci-après
attribuée par le présent édit, et ce jusques à tant que chacun desdits parle-
ments ait établi une chambre pour rendre la justice sur les lieux. Ordonnons
aussi que des quatre offices de conseillers en notre dit parlement, restant à la
dernière érection qui en a par nous été faite, en seront présentement pourvus
et reçus audit parlement quatre de ceux de ladite religion prétendue réformée,
suffisants et capables, qui seront distribués, à savoir: le premier reçu en ladite
chambre de l'Edit, et les autres Irois, à mesure qu'ils seront reçus, en trois
chambres des enquêtes, et outre que des deux premiers offices de conseillers
lais de ladite cour qui viendront à vaquer par mort, en seront aussi pourvus
deux de ladite religion, et iceux reçus et distribués aux deux autres chambres
des enquêtes.
Art. XXXI. — Outre la chambre ci-devant établie à Castres, pour le
ressort de notre parlement de Toulouse, laquelle sera continuée en l'état
qu'elle est, nous avons pour les mêmes considérations ordonné et ordonnons
qu'en chacune de nos cours de parlement de Grenoble et de Bordeaux, sera
pareillement établie une chambre composée d'un des deux présidents, l'un
catholique, et l'autre de ladite religion, et de douze conseillers dont six seront
catholiques et les autres six de ladite religion, lesquels président et conseillers
catholiques seront par nous choisis et pris des corps de nos dites cours, et
quant à ceux de ladite religion, sera faite érection nouvelle d'un président et
six conseillers par le parlement de Bordeaux, et d'un président et trois con-
seillers pour celui de Grenoble, lesquels, avec les trois conseillers de ladite
religion qui sont à présent audit parlement, seront employés à ladite chambre
du Dauphiné, et seront créés lesdils offices aux mêmes gages, honneurs,
autorité et prééminence que les autres dites cours, et sera la séance de la
chambre de Bordeaux à Bordeaux ou à Nérac, et celle du Dauphiné à Gre-
noble.
Art. XXXII. — Ladite chambre du Dauphiné connaîtra des causes de
ceux de ladite religion prétendue réformée du ressort de notre parle-
ment de province, sans qu'ils aient besoin de prendre lettres d'évocation, ni
autres provisions qu'en notre chancellerie du Dauphiné, comme aussi ceux de
ladite religion de Normandie et de Bretagne ne seront tenus de prendre lettres
d'évocation qu'en notre chancellerie de Paris.
Art. XXXIII. — Nos sujets de la religion du parlement de Bourgogne
auront le choix de plaider en !a chambré ordonnée au parlement de Paris, ou
en celle de Dauphiné, et ne seront aussi tenus de prendre lettres d'évocation,
ni autres provisions, qu'es dites chancelleries de Paris ou Dauphiné selon
l'option qu'ils feront.
608 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Art. XXXIV. — Toutes lesdites chambres, composées comme dit est,
connaîtront et jugeront en souveraineté et dernier ressort par arrêt, primati-
vement à tous autres, des procès mus et à mouvoir es quels ceux de ladite
religion seront parties principales, ou garrants, ou défendants, ou démendants
en toutes matières, tant civiles que criminelles, soient lesdits procès par écrit
ou appellations verbales, et ce, si bon semble auxdites parties et l'une d'icelle
le requiert avant contestation en cause, pour le regard des procès à mouvoir,
excepté toutefois pour toute matière bénéliciale et les possessoirs des dîmes
non inféodées, les patronats ecclésiastiques et les causes où il s'agira des droits
et devoirs au domaine de l'Eglise qui seront toutes traitées et jugées en cours
de parlement, sans que lesdites chambres de l'édit en puissent connaître.
Comme aussi nous voulons que ppur juger et décider les procès criminels qui
interviendront entre ecclésiastiques et ceux de ladite religion, si l'ecclésiastique
est défendeur, en ce cas la connaissance et jugement du procès appartiendra à
nos cours souveraines primativement auxdites chambres, et où l'ecclésiastique
sera demandeur la connaissance et jugement dudit procès appartiendra par
appel et en dernier ressort auxdites chambres établies. Connaîtront aussi
lesdites chambres, en temps de vacation, des matières attribuées par les édits
et ordonnances aux chambres établies en temps de vacation, chacune en son
ressort.
Art. XXXV. — Sera ladite chambre de Grenoble dès à présent unie et
incorporée à la cour dudit parlement, et les présidents et conseillers de ladite
religion, nommés présidents et conseillers de ladite cour, et à ces fins premiè-
rement distribués par les autres chambres, et tirés d'icelles pour être employés
et servir en celle que nous ordonnons de nouveau, à la charge toutefois qu'ils
assisteront et auront voix et séance en toutes délibérations qui se feront les
chambres assemblées et jouiront des mêmes gages, autorité et prééminence
que les autres présidents et conseillers de ladite cour.
Art. XXXVI. — Voulons et entendons que lesdites chambres de Castres
et de Bordeaux soient réunies et incorporées en iceux parlements, en la même
forme que les autres quand besoin sera, et que les causes qui nous ont mû
d'en faire l'établissement cesseront et seront à ces fins les présidents et con-
seillers d'icelles de ladite religion nommés et tenus pour présidents et conseil-
lers de ladite cour.
Art. XXXVn. — Seront aussi créés et érigés de nouveau, en la chambre
ordonnée pour le parlement de Bordeaux, deux substituts de nos procureurs et
avocats généraux dont celui du procureur sera catholique et l'autre de ladite
religion, lesquels seront pourvus desdils offices aux gages comptants.
Art. XXXVIII. — Ne prendront lesdits substituts autre qualité que de
substituts, et lorsque les chambres ordonnées pour les parlements de Toulouse
et de Bordeaux seront unies et incorporées auxdits parlements, seront lesdits
substituts pourvus d'une charge de conseillers.
Art. XXXIX. — Les expéditions de la chancellerie de Bordeaux se feront
en présence de deux conseillers d'icelle chambre, dont l'un sera catholique et
l'autre de ladite religion, en l'absence d'un maître de requête de notre hôtel;
et l'un des notaires et secrétaires de ladite cour du parlement de Bordeaux fera
résidence au lieu où ladite chambre sera établie, ou bien l'un des secrétaires
de la chancellerie pour signer les expéditions.
Art. XL. — Voulons et ordonnons qu'en ladite chambre de Bordeaux, il
y ait deux commis du greffier dudit parlement, l'un au civil et l'autre au cri-
minel, qui exerceiont leur charge par nos commissions, et seront appelés
commis au gref civil et criminel, et pourtant ne pourront être destitués ni
révoqués par les greftlers du parlement. Toutefois seront tenus de rendre
l'émolument desdits greffes auxdits greffiers, lesquels commis seront salariés
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 609
par lesdits greffiers selon qu'il sera arbitré par ladite chambre. Plus, il y sera
ordonné des huissiers catholiques qui seront pris en ladite cour, ou d'ailleurs
selon notre bon plaisir, outre lesquels en sera érigé deux de ladite religion
et pourvus gratuitement, et seront tous lesdits huissiers réglés par ladite
chambre, tant en l'exercice de leur charge qu'ès-éraoluments qu'ils devront
prendre. Sera aussi expédié commission d'un payeur de gages et receveur des
amendes de ladite chambre, pour en être pourvu tel qu'il nous plaira, si ladite
chambre est établie ailleurs que dans ladite ville. Et la commission ci-devant
apportée au payeur de gages de la chambre de Castres sortira son plein et
entier elFet et sera jointe à ladite charge la commission de la recette des amendes
de ladite chambre.
Art. XLI. — Sera pourvu de bonnes et suffisantes assignations pour les
gages officiers des chambres ordonnées par cet édit.
Art. XLIL — Les présidents, conseillers et autres officiers catholiques
desdites chambres seront continués, le plus longuement que faire se pourra et
comme nous verrons être à faire, pour notre service et le bien de nos .sujets.
Et en licenciant les uns, sera pourvu d'autres en leur place, avant leur parte-
ment, sans qu'ils puissent, durant le temps de leur service, se départir ni
absenter desdites chambres, sans le congé d'icelles qui sera jugé sur les causes
de l'ordonnance.
Art. XLIII. — Seront lesdites chambres établies dedans six mois, pen-
dant lesquels (si tant l'établissement demeure à être fait) les procès mus et à
mouvoir où ceux de ladite religion seront parties, des ressorts de nos parle-
ments de Paris, Rouen, Dijon etPiennes, seront évoqués en la chambre pré-
sentement établie à Paris, en vertu de l'éditde 1577, ou bien au grand conseil
au choix et option de ladite religion, s'ils le requièrent ; ceux qui seront du
parlement de Bordeaux, en la chambre établie à Castres, ou au dit grand
conseil à leur choix ; et ceux qui seront de Provence, au parlement de
Grenoble. Et si lesdites chambres ne sont établies dans trois mois, après la
présentation qui y aura été faite de notre présent édit, celui de nos parlements
qui en aura fait refus sera interdit de juger des causes de ceux de ladite
religion.
Art. XLIV. — Les procès non encore jugés pendants es dites cour de
parlement et grand conseil, de la qualité susdite, seront renvoyés, en quelque
état qu'ils soient, es dites chambres chacun en son ressort, si l'une des parties
de ladite religion le requière, dans quatre mois après l'établissement d'icelles
et quant à ceux qui seront discontinués, et ne sont en état d'être jugés lesdits
de la religion seront tenus d'en faire déclaration, à la première déclaration et
intimation qui leur sera faite de la poursuite, et ledit temps passé ne seront
plus reçus à requérir lesdits renvois.
Art. XLV. — Lesdites chambres de Grenoble et de Bordeaux, comme
aussi celle de Castres, garderont les formes et styles des parlements au ressort
desquels elles sont établies et jugeront en nombre égal d'une et d'autre reli-
gion, si les parties ne consentent au contraire.
Art. XLVL — Tous les juges auxquels l'adresse sera faite de l'exécution
des arrêts, commissions desdites chambres et lettres obtenues ès-chancellt-rie
d'icelle, ensemble tous huissiers et sergents, seront tenus de les mettre à exé-
cution et lesdits huissiers et sergents faire tous exploits, par tout notre
royaume, sans demander placet, visa ne pareatis, à peine de suspension de
leur état, et des dépens, dommages et intérêts des parties, dont la connais-
sance appartiendra auxdites parties.
Art. XLVn. — Ne seront accordées aucunes évocations des causes dont
la connaissance est attribuée auxdites chambres, sinon ès-cas des ordonnances
dont le renvoi sera fait à la plus prochaine chambre, établi suivant notre édit ■
I • 39
610 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
et les partages du procès desdites chambres seront jugés en la plus prochaine,
observant la proportion et forme desdites chambres, dont les procès seront
procédés : excepté pour la chambre de l'édit, à notre parlement de Paris, où
les procès partis seront départis en la même chambre par les juges qui seront
par nous nommés par nos lettres particulières pour cet effet, si mieux les
parties n'aiment attendre le renouvellement de ladite chambre, et avenant
qu'un même procès soit parti en toutes chambres mi-parties, le partage sera
renvoyé à ladite chambre de Paris.
Art. XLVIII. — Les récusations qui seront proposées contre les prési-
dents et conseillers des chambres mi- parties pourront être jugées au nombre
de six, auquel nombre les partis seront tenus de se restreindre, autrement
sera passé outre sans avoir égard auxdites récusations.
Art. XLIX. — L'examen des présidents et conseillers auxdites chambres
mi-parties sera fait par notre conseil ou par lesdites chambres, chacun en son
détroit, quand elles seront en nombre suffisant ; et néanmoins le serment
accoutumé sera par eux prêté ès-cours où lesdites chambres seront établies,
et à leur refus, en notre conseil privé, excepté ceux de la chambre de Lan-
guedoc, lesquels prêteront leur serment ès-mains de notre chancelier, ou en
icelle chambre.
Art. L. — Voulons et ordonnons que la^ réception de nos officiers de
ladite religion soit jugée par lesdites chambres mi-parties à la pluralité des
voix, comme est accoutumé aux autres jugements, sans qu'il soit besoin que
les voix surpassent des deux tiers suivant l'ordonnance à laquelle, pour ce re-
gard, il est dérogé.
Art. LL — Seront faites auxdites chambres mi-parties les propositions,
délibérations et résolutions qui appartiendront au repos public et pour l'état
particulier et police des villes où icelles chambres seront.
Art. LH. — L'article de juridiction desdites chambres ordonnées par le
présent édit sera suivi et observé, selon sa forme et teneur, même en ce qui
concerne l'exécution ou infraction de nos édits, quand ceux de ladite religion
seront partie.
Art. LIIL — Les officiers subalternes, royaux ou autres, dont la récep-
tion appartient à nos cours de parlement, s'ils sont de ladite religion, pourront
être examinés et reçus es dites chambres, à savoir ceux des ressorts des par-
lements de Paris, Normandie et Bretagne, en ladite chambre de Paris ; ceux
de Dauphiné et Provence, en la chambre de Grenoble ; ceux de Bourgogne, en
la chambre de Paris ou de Dauphiné à leur choix; ceux du ressort de Tou-
louse, en la chambre de Castres, et ceux du parlement de Bordeaux, en la
chambre de Guyenne, sans qu'autres puissent s'opposer à leur réception, et se
rendre parties, que nos procureurs généraux et leurs substituts, et les pourvus
auxdits offices. Et néanmoins, le serment accoutumé sera par eux prêté ès-
cours des parlements, lesquels ne pourront prendre connaissance de leur
réception, et au refus des parlements, lesdits officiers prêteront serment es
dites chambres, après lequel ainsi prêté, seront tenus de présenter par un
huissier ou notaire l'acte de leur réception aux greffiers desdites cours et en
laisser copie auxdits greffiers, auxquels il est enjoint d'enregistrer lesdits actes
à peine de tous dépens, dommages et intérêts des parties. Et où lesdits greffiers
seront refusants de ce faire, suffira auxdits officiers de rapporter l'acte de ladite
sommation, expédiée par lesdits huissiers et notaires, et icelle faire enregistrer
au greffe de leur juridiction, pour y avoir recours quand besoin sera, à peine
de nullité de leur procédure et jugement ; et quant aux officiers dont la récep-
tion n'a accoutumé d'être faite en nos dits parlements, en cas que ceux à qui
elle appartient fassent refus de procéder à ladite réception, se retireront lesdits
officiers par devers lesdites chambres pour leur être pourvu, comme il appar-
tiendra.
DU l'ROTESTANTISME EN FRANGE. (jM
Art. LIV. — Les officiers de ladite relijj^ion qui seront pourvus ci-après
pour servir dans les cours de nos parlements, grand conseil, chambre des
comptes; cours des aydes, bureaux des trésoriers de France et autres officiers
de finances, seront examinés et reçus ès-lieux où ils ont accoutumé de l'être;
et en cas de refus ou déni de justice, leur sera pourvu en notre conseil
privé.
Art. LV. — Les réceptions de nos officiers ci-devant faites en la chambre
établie à Castres demeureront valables, nonobstant tous arrêts et ordonnances
à ce contraires. Seront aussi valables les réceptions des juges, conseillers élus
et autres officiers de ladite religion faites en notre privé conseil ou par com-
missaires par nous ordonnés pour le refus de nos cours de parlement.*: des
aydes et chambres des| comptes, tout ainsi que si elles avaient été faites' par
lesdites cours et par les autres juges à qui la réception appartient; et seront
leurs gages alloués par les chambres des comptes sans difficulté. Et si aucuns
ont été rayés, seront rétablis sans qu'il soit besoin d'avoir aucune jussion que
le présent édit, et sans que lesdits officiers soient tenus de faire apparoir
d'autre réception nonobstant tous arrêts à ce contraires, lesquels demeureront
nuls et de nul efîet.
Art. LVL — En attendant qu'il y ait moyen de subvenir aux frais de
justice desdites chambres, sur les deniers des amendes sera par nous pourvu
d'assignations valables et suffisantes pour fournir auxdits frais, sauf d'en répéter
les deniers sur les biens des condamnés.
Art. LVIL — Les présidents et conseillers de ladite religion ci-devant
reçus en notre cour du parlement de Dauphiné et en la chambre de l'édit
enregistré en icelle, continueront et auront leurs séances et ordre d'icelle les
présidents comme ils en ont joui, et les conseillers suivant les provisions qu'ils
ont obtenu.
Art. LVin. — Déclarons toutes sentences, jugements, arrêts, procédures
saisie, vente, décrets, donnés contre ceux de ladite religion, tant vivants que
morts, depuis le trépas du feu roi Henri II, à l'occasion de ladite religion tu-
multes et troubles depuis advenus, ensemble l'exécution d'iceux jugements et
décrets dès à présent cassés, révoqués et annullés, et iceux cassons révo-
quons et annulions, ordonnons qu'ils soient rayés et étés des registres des
greffes des cours tant souveraines qu'inférieures. Gomme nous voulons aussi
être ôtée et elïacée toute marque et vestige et monuments desdites exécutions
livres diffamatoires et libelles contre leur personne, n»émoire et postérité et
que les places es quelles ont été faites pour cette occasion démolitions ou rase-
ments seront rendus en tel état qu'elles soient aux propriétaires d'icelles, pour
en jouir et disposer à leur volonté, et généralement avons cassé et annullé toutes
procédures et informations faites pour entreprises quelconques, prétendus
crimes de lèse-majesté et autres. Nonobstant lesquels procéduies, arrêts et
jugements contenant réunion, incorporation et confiscation, voulons que ceux
de ladite religion et autres qui ont suivi leur parti et leurs héritiers rentrent
en la possession réelle et actuelle de tous et chacun leurs biens.
Art. LIX. — Toutes procédun^s faites, jugements et arrêts donnés du-
rant les troubles contre ceux de ladite religion qui ont porté les armes, ou se
sont retirés hors de notre royaume, ou dedans icelui des villes et pays par eux
tenus, en quelque autre matière que de la religion et troubles, ensemble toute
péremption d'instance, prescriptions tant légales que conventionnelles ou cou-
tumières et saisies féodales échues pendant lesdits troubles, ou par empèclie-
ment légitime provenant d'eux, et dont la connaissance demeurera à nos juges
seront estimées comme non faites et non advenues. Et telles les avons décla-
rées et déclarons, et icelles mettons à néant, sans que les parties s'en puissent
aucunement aider ; ains seront remises en l'état qu'elles étaient auparavant
612 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
nonobstant lesdits arrêts et l'exécution d'iceux et leur sera rendue la posses-
sion dans laquelle ils étaient à cet égard. Ce que dessus aura pareillement
lieu à l'égard des autres qui ont suivi le parti de ladite religion, ou qui ont été
absents de notre royaume pour le fait des troubles, et pour les enfants mineurs
de la qualité susdite qui sont morts pendant les troubles, remettons les parties
au même état qu'elles étaient auparavant, sans refondre les dépens, ni être
tenues de consigner les amendes : n'entendant toutefois que les jugements
donnés par les juges présidiaux ou autres juges inférieurs contre ceux de ladite
religion, ou qui ont suivi leur parti, demeurent nuls, s'ils ont été donnés par
juges séants ès-villes par eux tenues, et qui leur étaient de libre accès.
Art. LX. — Les arrêts donnés en nos cours de parlement ès-matières
dont la connaissance appartient aux chambres ordonnées par l'édit de 1577 et
articles de Nérac et Fleix, ès-quelles cours les parties n'ont procédé volontai-
rement, c'est-à-dire ont proposé et allégué des déclinatoires ou qui ont été
donnés par défaut et forclusion, tant en matière civile que criminelle, nonobs-
tant lesquelles fins, les parties ont été obligées de passer outre, seront pareille-
ment nuls et de nulle valeur et pour le regard des arrêts donnés contre ceux
de ladite religion qui ont procédé volontairement, et sans proposer fins décli-
natoires, iceux demeureront et néanmoins sans préjudice de l'exécution d'iceux,
se pourront, si bon leur semble, pourvoir par requête civile devant les
chambres ordonnées par le présent édit, sans que le temps porté par les ordon-
nances ait couru à leur préjudice : et jusqu'à ce que lesdites chambres et chan-
celleries d'icelles soient rétablies, les appellations verbales et par écrit inler-
jettées par ceux de ladite religion devant les juges, greffiers et commis,
exécuteurs des arrêts et jugements auront pareil effet que si elles étaient
relevées par lettres royaux.
Art. LXI. — En toutes enquêtes qui se feront pour cause que ce soit,
es matières civiles, si l'enquêteur ou commissaire est catholique, seront les
parties tenues de convenir d'un adjoint, et où ils ne conviendraient, en sera
pris d'office par ledit enquêteur ou commissaire un qui sera de ladite religion,
et sera de même pratiqué quand l'enquêteur sera de ladite religion, pour l'ad-
joint qui sera catholique.
Art. LXII. — Voulons et ordonnons que nos juges puissent connaître de
la validité des testaments auxquels ceux de ladite religion auront intérêt, s'ils
le requièrent : et les appellations desdits jugements pourront être relevées par
ceux de ladite religion, nonobstant coutume à ce contraire, même celle de la
Bretagne.
Art. LXIII. — Pour obvier à tous différends qui pourraient survenir entre
nos parlements et les chambres d'icelles cours ordonnées par notre présent édit,
sera par nous fait un bon et ample règlement entre lesdites cours et chambre,
tel que ceux de ladite religion jouiront entièrement dudit édit, lequel sera vé-
rifié en nos cours de parlements et garde et observé, sans avoir égard aux
.précédents.
Art. LXIV. — Inhibons et défendons à toutes nos cours souveraines et
autres de ce royaume de connaître et juger les procès civils et criminels de
ceux de ladite religion dont par notre édit est attribuée la connaissance auxdites
chambres, pourvu que le renvoi en soit demandé, comme est dit article XL du
présent édit.
Art. LXV. — Voulons aussi, par manière de provision et jusqu'à ce qu'en
ayons autrement ordonné, qu'en tous procès mus et à mouvoir où ceux de
ladite religion seront en qualité de demandeurs ou défendeurs, parties princi-
pales ou garants en matières civiles, es quelles nos officiers ès-sièges prési-
diaux ont pouvoir de juger en dernier ressort, leur soit permis de requérir
que deux de la chambre où les procès se devront juger s'abstiennent du juge-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 013
ment d'iceux, lesquels, sans expression de cause, seront tenus de s'en abstenir
nonobstant l'ordonnance par laquelle les juges sont tenus de ne s'abstenir
sans cause, leur demeurant, outre ce, les récusations de droit contre les autres.
Et en matière criminelle es quelles lesdits présidiaux et autres juges royaux
subalternes jugent en dernier ressort pourront les prévenus de ladite reli.',Mon
requérir que trois desdils juges s'abstiennent du jugement de leur procès, sans
expression de cause. Et les prévôts des maréchaux de France, vi-baillifs, vi-
sénéchaux, lieutenants de robe courte et autres ofllciers de semblable qualité
jugeront suivant les ordonnances et règlements ci-devant donnés, pour le
regard des vagabonds ; et quant aux domiciliés chargés et prévenus de crimes
prévôtaux, s'ils sont de ladite religion, pourront requéiir que trois des juges
qui en peuvent connaître s'abstiennent du jugement et seront tenus s'en
abstenir, sans exception de cause, sauf, si en la compagnie où le-dits procès se
jugeront se trouvaient jusqu'au nombre de deux en matière civile'et de trois
en matière criminelle de ladite religion, auquel cas no sera permis de récuser
sans expression de cause, ce qui sera commun et réciproque aux catholiques,
en les mêmes formes que dessus pour le regard des lécusations de juges où
ceux de ladite religion seront en plus grand nombre. N'entendons toutefois
que lesdits sièges qui jugent en dernier ressort prennent connaissance des
troubles passés. Et quant aux crimes et excès advenus, par autre occasion que
du fait des troubles depuis le commencement do mais 1585 jusqu'à la fin de
l'année 1597, en cas qu'ils en prennent connaissance, voulons qu'il y puisse
avoir appel par devant les chambres ordonnées par lo présent édit, comme il
se pratiquera en semblable pour les catholiques complices et où ceux de la reli-
gion prétendue réformée seront parties.
Art. LXVI. — Ordonnons aussi que dans toute instruction, autre qu'in-
formation des procès criminels et sénéchaussées de Toulouse, Carcassonne,
Rouergue, Montpellier et Nîmes, le magistrat ou commissaire député pour
ladite instruction, s'il est catholique, sera tenu de piendre un adjoint qui soit
de ladite religion dont les parties conviendront et ils n'en pourraient convenir
qui sera pris d'office par ledit magistrat, et si lui-même est de ladite reli-
gion, l'adjoint sera catholique.
Art. LXVII. — Quand il sera question de faire procès criminel par les
prévôts des maréchaux ou leurs lieutenants à quelqu'un de ladite religion
domicilié qui soit accusé d'un crime prévôtal, lesdils prévôts ou lieutenants,
s'ils sont catholiques, seront tenus d'appeler à l'instruction desdits procès un
adjoint de ladite religion, lequel adjoint assistera aussi au jugement de la
compétence et au jugement définitif dudit procès, laquelle compétence ne
pourra être jugée qu'au prochain siège présidial, en assemblée avec les princi-
paux officiers dudit siège qui seront trouvés sur les lieux, à peine de nullité,
sinon que les parties requissent que la compétence lût jugée es dites chambres
ordonnées par le présent édit, auquel cas pour le regard des domiciliés è.«-
provinces de Guyenne, Languedoc, Provence et Dauphiné, les substituts de
nos procureurs es dites chambres feront à la requête d'iceux domiciliés appor-
ter en icelles les charges et informations faites contre iceux, pour connaître et
juger si les causes sont prévôtales ou non ; pour après, selon la qualité des
crimes, être par icelles chambres envoyés à l'ordinaire ou jugés prévôtalement,
ainsi qu'ils verront être à faire par raison en observant le contenu de notre
présent édit, et seront tenus les juges présidiaux, prévosts des maréchaux et
autres qui jugent en dernier ressort de respectivement satisfaire aux comman-
dements qui leur seront faits par lesdites chainbres, tout ainsi qu'ils ont
accoutumé faire auxdits parlements à peine de privation de leur état.
Art. LXVIII. — Les criées, affiches et subhatations des héritages dont on
poursuivra le décret seront faites ès-lieux et heures accoutumées si faire se
peut, suivant nos ordoimnances, ou bien au marché public, s'il en est au lieu
6i4 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
où sont lesdits héritages ; s'il n'y en a point, soient faites au plus prochain
marché du ressort du siège où l'adjudication doit se faire, et seront les affiches
mises au poteau dudit marché et par ce moyen seront bonnes et valables lesdites
criées et passé outre à l'interposition du décret sans s'arrêter aux nullités qui
pourraient être alléguées à cet égard.
Art. LXIX. — Tous titres, papiers, enseignements et documents qui ont
été pris seront restitués de part et d'autre à ceux à qui ils appartiennent, en-
core que lesdits papiers et les châteaux es quels ils étaient gardés ayent été
pris et saisis, soit par commissions spéciales du feu roi, du nôtre ou par les
mandements des gouverneurs et lieutenants généraux de nos provinces, ou
sous quelque autre prétexte que ce soit.
Art. LXX. — Les enfants de ceux qui sont retirés hors de notre royaume,
depuis la mort du feu roi Henri II, pour cause de la religion et troubles, en-
core que lesdits enfants soient nés hors du royaume, seront tenus pour vrais
français et régnicoles, et tels les avons déclarés et déclarons sans qu'il leur
soit besoin de prendre lettres de naturalisation, ou autres provisions de nous
que le présent édit ; nonobstant toutes ordonnances à ce contraires, à la charge
que lesdits enfants seront tenus dans dix ans, après la publication du présent
édit, venir demeurer en ce royaume.
Art. LXXI. — Ceux de ladite religion et autres qui ont suivi leur parti,
lesquels auront pris à ferme, avant les troubles, aucuns greffes, gabelles, im-
position foraine et autres droits à nous appartenant dont ils n'ont pu jouir à
cause d'iceux troubles, demeureront déchargés de ce qu'ils n'ont reçu desdites
finances, ou qu'ils auront sans fraude payé ailleurs qu'ès-recettes de nos
finances, nonobstant toute obligation sur ce par eux passée.
Art. LXXII. — Toutes places, villes et provinces de notre royaume et
autres lieux de notre obéissance useront et jouiront des mêmes privilèges,
immunités, libertés, franchises, foires, marchés, juridictions et sièges de jus-
tice qu'elles faisaient au commencement des troubles, en mars 1585, et précé-
demment, nonobstant toutes lettres à ce contraires, et les translations desdits
sièges, à l'occasion des troubles, lesquels seront rétablis aux lieux où ils
étaient.
Art. LXXIII. — S'il y a quelques prisonniers qui soient encore tenus
parautorité de justice ou autrement, même ès-galères, à l'occasion des troubles,
seront élargis et mis en pleine liberté.
Art. LXXIV. — Ceux de ladite religion ne pourront, ci-après, être sur-
chargés et foulés d'aucune charge ordinaire ou extraordinaire plus que les
catholiques et selon la proportion de leurs biens et facultés et pourront, le cas
advenant, se pourvoir devant les juges auxquels la connaissance en appartient,
et seront tous nos sujets, tant catholiques que de ladite religion, déchargés de
toutes charges qui ont été imposées de part et d'autre durant les troubles, sur
ceux qui étaient de contraire parti et non consentants : ensemble des dettes
créées et non payées frais faits sans le consentement d'iceux, sans toutefois
pouvoir répter les fruits qui ont été employés au payement desdites charges.
Art. LXXV. — N'entendons que ceux de ladite religion et autres qui ont
suivi leur parti, ni les catholiques qui étaient demeurés ès-villes par eux
occupées et qui leur ont contribué, soient poursuivis pour le payement des
tailles, aides, octrois et autres impositions et subsides échus et imposés durant
les troubles, devant et jusqu'à notre avènement à la couronne, soit par lesdits
rois nos prédécesseurs, ou par les gouverneurs et états des provinces, cours et
parlements dont nous les avons déchargés et déchargeons par ces présentes,
défendant à tous receveurs généraux et intendants de les rechercher directement
et indirectement en quelque sorte que ce soit.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. G15
Art. LXXVI. — Demeureront tous chefs, chevaliers, seigneurs et gen-
tilshommes, officiers, corps de ville et communautés et tous les autres qui les
ont aidés et secourus, leurs veuves, hoirs et successeurs, quittes et déchargés
de tous deniers qui ont été par eux ou leurs ordres pris et levés tant des
deniers royaux à quelque somme qu'ils se puissent monter, que des villes et
communautés et particuliers, des rentes, revenus, argenterie, ventes de hiens
meubles, ecclésiastiques et autres, hois de haute futaie, soit du domaine ou
autres, amendes, hutin, revenus ou autre nature de deniers pris, à l'occasion
des troubles, depuis 1585 jusqu'à notre avènement à la couronne, sans que
ceux qui ont été commis par eux à la levée d^s sommes ou qui les ont livrées
en pussent être aucunement recherchés, et demeureront quittes à présent et
pour toujours de l'administration desdits deniers, en rapportant pour décharge,
dans quatre mois après la publication du présent édit, acquit dûment expédié
des chefs de ceux de ladite religion ou de ceux commis par eux à la reddition
des comptes, ou des communautés des villes qui ont eu autorité pendant
lesdits troubles. Demeureront pareillement quittes et déchargés de tous actes
d'hostilités, levée et conduite de gens de guerre, fabrication et évaluation de
monnaie, fonte et prise d'artillerie et munitions, confections de poudre et sal-
pêtre, prises, fortifications, démantellement et rasement de villes, châteaux,
bourgs et bourgades, entreprises sur icclles, démolitions d'églises et maisons
et établissements de justice, soit en nature civile ou criminelle, police et
règlements faits entre eux, voyages et intelligences, négociations, traités et
contrats avec princes et commerçants étrangers, introduction desdits étrangers
ès-villes et lieux de notre royaume et généralement de tout ce qui a été fait,
géré et négocié durant lesdits troubles, depuis la mort du feu roi Henri II par
ceux de ladite religion et autre qui ont suivi leur parti.
Art. LXXVII. — Demeureront aussi déchargés ceux de ladite religion de
toutes assemblées par eux faites et tenues, tant à Mantes que depuis ailleurs
jusqu'à présent, ensemble des conseils par eux ordonnés et établis dans les
provinces, délibérations et ordonnances et règlements faits auxdites assemblées
et conseils, établissements et augmentations de garnison, assemblée de gens
de guerre, levée et prise de nos deniers soit entre les mains de nos receveurs
généraux et particuliers, collecteurs des paroisses en quelque façon que ce
soit, arrêts de sel, continuation ou érection nouvelle de traités et péages et
recette d'iceux, armements et combats par mer et tous accidents advenus pour
faire payer lesdites traites, péages et autres deniers, fortifications de villes,
châteaux et places, impositions et corvées, destitution de nos receveurs, fer-
miers et autres officiers, établissement d'autres en leur place, et de toutes
unions, dépêches et négociations faites tant dedans que dehors le royaume, et
généralement de tout ce qui a été fait, délibéré et ordonné par lesdites assom-
blées et conseils, sans que ceux qui ont donné leur avis, signé, exécuté, f.iit
signer et exécuter lesdites ordonnances, en puissent être recherchés, ni leurs
veuves et héritiers, ores ni avenir, encore que les particularités n'en soient ici
consignées, et sur le tout sera imposé silence perpétuel à nos procureurs
généraux et à tous ceux qui pourraient y prétendre intérêt en quelque fa<;on
et manière que ce soit, nonobstant arrêts, jugements et procédures faites au
contraire.
Art. LXXVIII. — Approuvons et validons en outre les comptes qui ont
été vus et examinés par les députés de l'assemblée de ladite religion ; voulons
qu'iceux et les acquits et pièces rendues par les comptables soient portées en
notre chambre des comptes à Paris trois mois après la publication du présent
édit, et mises ès-mains de notre procureur général, pour être délivrées an
garde des livres et registres de notre chambre pour y avoir recours toutes fois
que besoin sera sans que lesdits comptes puissent être revus ni les comptables
tenus à aucune comparution ni correction, sinon en cas d'omission de recette
616 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
et faux acquit imposant silence à notre procureur général pour le surplus que
l'on voudrait dire être défectueux, défendant aux gens de nos comptes de Paris
et des provinces d'en prendre connaissance aucune.
Art. LXXIX. — Quant aux comptes qui n'auront encore été rendus,
voulons iceux être clos et examinés par les commissaires à ce par nous députés,
lesquels sans difficulté alloueront toutes les parties payées par les comptables,
en vertu des ordonnances d'iceux de la religion ayant pouvoir.
Art. LXXX. — Demeureront tous, collecteurs fermiers et tous autres,
bien et dûment déchargés de toutes sommes payées auxdits commis, jusqu'au
dernier jour de ce mois; voulons le tout être alloué et passé aux comptes de
notre chambre des comptes purement et simplement en vertu des quittances
apportées, et si aucunes étaient ci-après expédiées ou délivrées, elles demeu-
reront nulles et ceux qui les excepteront ou délivreront seront condamnés à
l'amende de faux emploi, et où il y aurait quelques comptes déjà rendus, sur
lesquels seraient aucunes radiations ou charges, avons icelles ôtées et levées et
rétablissons lesdites parties entièrement, en vertu des présentes, sans qu'il soit
besoin pour tout ce que dessus de lettres particulières ni autre chose que
l'extrait du présent article.
Art. LXXXI. — Les gouverneurs, capitaines, consuls et personnes com-
mises au recouvrement des deniers pour payer les garnisons des places tenues
par ceux de ladite religion auxquels nos receveurs et collecteurs des paroisses
auraient fourni par prêt sur leurs cédules les deniers nécessaires pour l'en-
tretien desdites garnisons, jusqu'à concurrence de l'état que nous avons fait
dresser au commencement de l'an 1596, seront tenus quittes et déchargés,
encore que par lesdites cédules et obligations n'en soit faite aucunement men-
tion, et pour y satisfaire les trésoriers généraux feront fournir en chaque géné-
ralité par les receveurs de tailles leurs quittances aux collecteurs et par les
receveurs généraux leurs quittances aux receveurs particuliers, pour la dé-
charge desquels receveurs généraux seront les sommes dont ils auront tenu
compte dressées sur les mandements levés par le trésorier de l'épargne sous
le nom de l'extraordinaire de nos guerres, pour le payement desdites garni-
sons, et où lesdits mandements seront inférieurs à ce que porte notre état de
l'an 1596 seront suppléés de nouveaux mandats pour la décharge de nos
comptables et restitution desdites promesses et obligations, en sorte qu'il n'en
soit rien demandé à l'avenir à ceux qui les auront faites ; et toutes lettres de
validation nécessaires pour la décharge des comptables seront expédiées en
vertu du présent article.
Art. LXXXIL — Aussi ceux de la religion se départiront et désisteront
dès à présent de toutes pratiques, négociations et intelligences tant dedans que
dehors notre royaume, et leurs assemblées et conseils établis dans les pro-
vinces se sépareront promptement, et seront toutes ligues et associations faites
ou à faire au préjudice de notre présent édit cassées et annulées; défendons
à nos sujets de faire aucune cotisations ni levées de deniers sans notre permis-
sion, fortitications, enrôlement d'hommes, assemblées et congrégations autres
que celles qui leur sont permises par notre présent édit, et sans armes, le tout
sous peine d'être punis comme infracteurs de nos lois et ordonnances.
Art. LXXXIIL — Toutes prises qui ont été faites par mer, durant les
troubles, en vertu des aveux et congés donnés et celles qui ont été faites par
terre sur ceux du contraire parti et qui ont été jugées par les juges et commis-
saires, ou par les chefs de ladite religion ou leur conseil, demeureront assou-
pies par le bénéfice du présent édit sans qu'il en puisse être fait aucune pour-
suite ; ni les capitaines et autres qui ont fait de pareilles prises, leurs cautions
et lesdits juges, leurs veuves et héritiers recherchés ni molestés, nonobstant
tous arrêts de notre conseil privé et des parlements, et toutes lettres de marques,
saisies privées et non jugées, sont et demeureront abolies.
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 617
Art. LXXXIV. — Ne pourront être recherchés ceux de ladite religion
des empêchements et oppositions qu'ils ont données ci devant, même durant
les troubles, à l'exécution des arrêts pour le rétablissement de la religion ca-
tholique en divers lieux de ce royaume.
Art. LXXXV. — Quant à ce qui a été fait ou pris durant les troubles par
voie d'hostilité contre les règlements publics ou particuliers des chefs et com-
munautés qui avaient commandement, on pourra en foire la poursuite devant
la justice.
Art. LXXXVI. — Mais attendu que ce qui a été fait ainsi de part et
d'autre, s'il était sujet à être recherché, il n'y a homme de guerre qui ne
pourrait être mis en peine, dont pourrait advenir renouvellement de troubles,
voulons que seulement les cas exécrables soient exceptés seuls de l'abolition,
comme ravissements, forcements de femmes et de filles, briîlements, meurtres
et voleries faits par prodition de guet-apens hors les voies d'hostilité, contre
les lois de la guerre, et pour exercer des vengeances particulières.
Art. LXXXVII, — Ordonnons aussi que punition sera faite des crimes
et délits commis entre personnes de même parti, si ce n'est un acte commandé
par les chefs de part et d'autre, selon les nécessités et lois de la guerre, et
quant aux levées et exactions de deniers, ports d'armes et autres exploits, faits
d'autorité privée et sans aveu, en sera faite poursuite par voie de justice.
Art. LXXXVIII. — Les villes démantelées pendant les troubles, pour-
ront les fortifications être rétablies aux frais des habitants avec notre per-
mission.
Art. LXXXIX. — Voulons et nous plaît que tous les seigneurs, cheva-
liers, gentilshommes et autres, de quelque qualité et condition qu'ils soient, de
ladite religion et ceux qui ont suivi leur parti, rentrent et soient effectuelle-
ment conservés en la jouissance de tous leurs biens, noms, raisons et actions,
nonobstant les jugements rendus durant les troubles, lesquels jugements et tout
ce qui s'en serait suivi avons annulés.
Art. XC. — Les acquisitions que ceux de ladite religion et de leur parti
par autorité d'autres que des rois nos prédécesseurs, pour les immeubles
appartenant à l'Eglise, n'auront lieu ni elfet ; ains ordonnons que les ecclé-
siastiques rentrent incontinent et soient conservés dans la possession desdits
biens, sans être tenus de rendre le prix de la vente, nonobstant lesdits contrats,
lesquels avons cassés et annullés, sans que les acheteurs puissent avoir recours
contre les chefs par l'autorité desquels lesdits biens auraient été vendus.
Néanmoins pour le remboursement des deniers véritablement et sans fraude
déboursés par les acheteurs, seront expédiées lettres-patentes de permission à
ceux de ladite religion d'imposer et d'égaler sur eux les sommes à quoi se
monteront lesdites ventes, .sans qu'iceux acquéreurs puissent prétendre aucune
action pour leurs dommages et intérêts à faute de jouissance, ains se conten-
teront du remboursement des deniers par eux fournis, précomptant sur iceux
les fruits par eux perçus, si ladite vente a été faite à bas prix.
Art. XCL — Et afin que tous nos justiciers, tant officiers qu'autres sujets,
n'en ignorent, et pour ôter toute ambiguïté qui pourrait être faite au moyen
des précédents édits, à cause de l'adversité d'iceux, nous déclarons tous autres
édits précédents, articles secrets, lettres, modifications, arrêts, rendus tant
par nous que par les rois nos prédécesseurs, en nos cours de parlement ou
ailleurs, concernant le fait de ladite religion et des troubles advenus dans notre
royaume, de nul effet et valeur; auxquels par notre présent édit nous déro-
geons pour toujours déclarant que nous voulons que ce présent notre édit soit
ferme et inviolable, gardé et observé, tant par nos justiciers qu'autres sujets,
sans s'arrêter ni avoir aucun regard à tout ce qui pourrait être contraire ou
dérogeant à icelui.
648 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
Art. XCII. — Et pour plus grande assurance de l'observation que nous
désirons d'icelui, nous voulons et ordonnons que tous les gouverneurs, lieute-
nants généraux de nos provinces, baillifs, sénéchaux, et autres juges de notre
dit royaume, incontinent après la réception d'icelui édit, jurent de le faire
garder chacun en son détroit, comme aussi les maires, échevins, capitouls,
consuls et jurais des villes, annuels et perpétuels. Enjoignons auxdits nos offi-
ciers le faire jurer aux principaux desdites villes, tant de l'une que de l'autre
religion, mettons ceux desdites villes en notre protection et sauf garde, et les
uns à la garde des autres, les chargeant respectivement par acte pulDlic de
répondre civilement des contraventions qui seront faites audit édit dans leurs
dites villes par les habitants d'icelles et mettre les contrevenants ès-mains de
justice.
Mandons et ordonnons à nos amés et féaux, les gens tenant nos cours de
parlements, chambres des comptes et cours des aides, qu'après le présent édit
reçu, ils ayent, sous peine de nullité de tous actes qu'ils feraient à ce con-
traire, de faire pareil serment que dessus, et icelui notre édit faire publier et
enregistrer dans lesdites cours, en sa forme et teneur, purement et simple-
ment, sans user d'aucunes modifications, restrictions, déclarations ou registres
secrets, ni autre jussion ni mandement de nous, et à nos procureurs généraux
en requérir et poursuivre sans délai la dite publication.
Si donnons en mandement auxdits gens de nos dites cours et chambres et
auxdits nos juges de faire lire, enregistrer et publier et enregistrer en leurs
cours et juridictions et icelui garder et entretenir de point en point et en faire
jouir paisiblement tous ceux qu'il appartiendra, cessant et faisant cesser tous
troubles au contraire, car tel est notre plaisir, en foi de quoi nous avons signé
les présentes de notre propre main et avons fait mettre notre scel.
Donné à Nantes, l'an de grâce mdlxxxxviii, et de règne le neuvième.
Sig7ié: HENRI.
Pour compléter cet édit, œuvre incontestable d'une sage tolérance et d'une
politique aussi prudente que juste, Henri IV, afin de régler tout à fait l'état du
protestantisme en France, accorde cinquante-six autres articles qui, dit-il,
seront entièrement observés et accomplis tout ainsi que ceux contenus audit
édit et enregistrés es- cours des parlements. Par ces articles, que, pour cer-
taines considérations. Sa Majesté voulut être tenus secrets :
Les protestants n'étaient pas tenus de contribuer aux réparations, cons-
tructions et frais des églises catholiques ni de tendre leurs maisons les jours
de processions; la tenture, si elle avait lieu, était faite aux frais de la ville.
Ils ne devaient plus être obligés à recevoir les exhortations d'un prêtre à
l'article de la mort, et leurs ministres avaient toute liberté de venir les visiter
et consolider.
L'exercice public de leur religion était permis à Pimpoul et au faubourg du
Polet pour Dieppe, à Sancerre, à Montagnac, dans un faubourg de deux villes
de la Picardie. Dans chaque bailliage et sénéchaussée de la Provence et du
Viennois, un lieu sera désigné pour ledit exercice, en outre de ceux où il est
déjà établi. Outre les deux lieux où il est en activité dans les îles d'Oléron, il
en sera accordé deux autres. Il continuera à Metz.
Ceux de ladite religion seront admissibles aux offices, dignités et emplois
publics.
L'exercice de ladite religion sera interdit dans tous les lieux où par des
traités antérieurs le roi s'est engagé à ne permettre que l'exercice du culte ca-
DU PROTESTANTISME EN FRANCE. 619
tholique, dans les villes et faubourgs de Reims, Rocroi, Saint-Dizier, Guize,
Joinville, Fismes, Montcornet-ès-Ardennes. Il ne sera accordé pour chacun des
bailliages de Bourges et d'Orléans. Aucun exercice ne se fera à Morlaix, à
Quimper ni dans tout l'évêché de Cornouailles, ni à Beauvais, ni à Alais, ni à
Fiac, ni à Aurillac. Il pourra avoir lieu dans le ressort du parlement de Tou-
louse excepté à Toulouse même et dans les autres sénéchaussées, ramenées en
notre obéissance par le duc de Joyeuse. Il est interdit à Soissons, Ghàlons et
Dijon pendant six ans. Il sera public à Lyon, à Chauvigny et seulement dans
un seul lieu de la sénéchaussée de Poitiers. Il ne pourra être rétabli ni à Agen
ni à à Périgueux, ni à Amiens, ni à Péronne, ni à Abbeville, ni à Sens, ni à
Nantes. Il sera accordé un lieu pour la ville et vicomte de Paris.
Sa Majesté veut que l'édit soit observé dès à présent, en ce qui concerne
l'exercice de ladite religion, dans tous les autres lieux où par les traités faits
avec d'aucuns princes, seigneurs et villes, il n'a pas été stipulé de prohibition.
On pourra assembler le peuple même au son des cloches et faire tous actes et
fonctions apparentes dudit culte.
Ne pourront être contraints les ministres à révéler en justice ce qui leur
aura été confié en consistoire.
Pourront ceux de ladite religion tenir écoles publiques, mais seulement dans
les lieux où l'exercice de leur culte est permis.
Les mariages ci-devant contractés par prêtres et religieux qui ont embrassé
ladite religion ne seront l'objet d'aucune recherche, leurs enfants seront ha-
biles à succéder pour les meubles, acquêts et conquets de leurs père et mère;
mais lesdits religieux et religieuses ni leurs enfants ne seront admis à aucune
succession directe, ni collatérale, excepté des biens qui leur seront légués par
testament ou autrement.
Egalement les mariages au tiers ou quart degré de parenté ne pourront
être contestés ni privés des droits de succession.
Les dons et legs faits pour l'entretien des ministres et écoles seront va-
lables.
Il sera permis à ceux de ladite religion de s'assembler par devant le juge
royal et de voter et lever sur eux telle somme qui sera jugée nécessaire à l'en-
tretien de leur culte.
Leurs ministres seront exempts des gardes, rondes et logis des gens de
guerre.
Pour les enterrements faits de ceux de ladite religion, dans les cimetières
catholiques, ne sera faite aucune recherche.
Enfin Sa Majesté promet de faire instance auprès des puissances étrangères
pour qu'aucun de ses sujets de ladite religion n'y soit inquiété en sa conscience
ni soumis à l'inquisition.
Signé : HENRI.
2» jour de mai mdlxxxxviii. (Scellées du grand sceau de cire jaune.)
Par un autre édit du 30 avril. Sa Majesté avait déjà accordé et promis que
toutes les places, villes et châteaux, que les protestants tenaient précédemment
et avec garnison jusqu'à la fin du mois d'août dernier, demeureraient en leur
garde pendant l'espace de huit ans. Quant aux autres places qu'ils tiennent
également, mais sans garnison, il n'y sera rien altéré ni innové à l'exception
de Vendôme, Pontorson, Aubenas et Chauvigny, dont le roi se réserve la libre
620 HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT
disposition, et pour l'entretien des garnisons desdites villes, places et châteaux
restés en leur garde, il sera accordé une somme de cent quatre-vingt mille
écus par chacun an, sans comprendre l'entretien des places du Dauphiné, au-
quel sera pourvu d'autre manière, sur l'avis du sieur de Lesdiguières.
Après l'expiration desdites huit années, Sa Majesté s'engage à ne pas rem-
placer par d'autres les gouverneurs qui seront encore en place. Quant aux
gouvernements qui se trouveront vacants, ils seront donnés indistinctement à
des personnes de l'une ou de l'autre religion, selon le mérite et la capacité de
chacun.
Et par brevet du même jour, le roi accordait de plus, à titre de gratification,
comme il est dit dans cette pièce, et pour subvenir à certaines dépenses que
Sa Majesté ne veut être spécifiées ni déclarées, une somme de quarante-cinq
mille écus par an, assignée sur les recettes générales des villes de Paris, Rouen,
Gaen, Orléans, Tours, Poitiers, Limoges et Bordeaux. ^
L'édit de Nantes semblait devoir pour toujours mettre fm en France à ces
longues guerres civiles dont la religion avait commencé par être la cause et
avait fini par n'être plus que le prétexte ; et pourtant cet édit fit encore bien
des mécontents. Il assurait, comme on voit, aux protestants, dans de justes
limites que les circonstances de l'époque n'auraient pas permis de franchir sans
danger, la liberté de conscience et leurs droits de citoyens dans la patrie com-
mune, mais bon nombre d'entre eux accusaient le roi d'avarice et d'ingratitude
parce qu'il n'avait pas payé leurs services aussi chers qu'il avait payé la sou-
mission des Ligueurs. Henri, en effet, avait plutôt cherché à établir la paix et la
sécurité pour tout le parti qu'il aimait, qu'à faire la fortune de quelques am-
bitieux dont il n'avait plus besoin d'acheter la conscience.
Du côté des catholiques, au contraire, on trouvait assez généralement que
le roi avait beaucoup trop accordé à l'hérésie. D'après les listes dressées dans
chaque province, il fut constaté que le nombre des églises protestantes aux-
quelles l'édit accordait l'exercice public de leur culte se montait déjà pour tout
le royaume à sept cent soixante et l'on savait que bien d'autres lieux, villes,
places et villages pouvaient encore, aux termes de cet édit, réclamer le même
privilège. Il y avait bien là de quoi inquiéter un peu l'intolérance des parti-
sans de l'unité religieuse; aussi les a-t-on vus bientôt s'appliquer par tous les
moyens en leur pouvoir à rendre nulles les sages dispositions de cette loi conci-
liatrice. Ils parvinrent même à en imposer la révocation, et la France se res-
sentira longtemps encore de la plaie faite alors à son industrie et à sa propriété
par ce grand assassinat politique, dont la main des jésuites dirigea le poignard.
--£_.e3Ct5i*c5'
TABLE DES MATIÈRES
Chapitre premier. — 1589. — Diverses opinions dans l'arraëe tou-
chant la reconnaissance de Henri IV. — Le roi lui-même incertain
pense à se retirer à Tours. — Guitry le fait changer d'avis. — Sancy lui
gagne les Suisses. — Los royalistes de l'armée finissent par lui prêter
serinent après qu'il a pris certains engagements dont on dresse un acte.
D'Épeinon se retii-e. — Allocution du roi à cette occasion.— Il promet
une Assemblée des Étals-Généraux à Tours. — Il met en délibération si
Ton doit continuer le siège de Paris. — Il essaie de traiter avec Mayenne
qui refuse. — Henri en conduisant le corps du feu roi à Gompiègne
s'empare de différentes places. — Il sépare l'armée en trois corps, et
lui-même, à la tête de l'un, passe en Normandie. — On lui remet Dieppe
et la ville de Gaen. — Il feint d'assiéger Rouen pour attirer Mayenne.
— Ce qui s'était passé à Paris après la mort du feu roi, — à Bordeaux,
— à Toulouse, — à Tours, — en Languedoc, — en Bourgogne. —
Mayenne, avec une nombreuse armée, poursuit le roi en Nonnandie. —
Celui-ci vient camper à Arques, — Bataille d'Arqués 1
Chapitre IL — 1589. — Appréciation de l'avènement de Henri IV chez les
princes de la Ligue protestante, — en Angleterre, — en Suisse, — dans
les Etats d'Italie, — à la cour de Rome, — en Espagne, — en Savoie, —
en Lorraine. — Le parlement de Paris et le parlement de Tours. —
Fausses nouvelles dans la Capitale. — Arrêt du parlement de Rouen.
— Les Anglais au secours du roi. — Il marche sur Paris. — Il fait des
propositions à Mayenne. — Il attaque Paris. — Mayenne y revient avec
son armée. — Retraite de l'armée royale. — Supplice de Blanchet et du
prieur Bourgoing. — La Ligue refuse une pension à son roi Charles X.
— Propositions du roi d'Espagne aux Ligueurs. - Le légat Gaétan. — •
Son arrivée à Paris. — Le roi prend Etampes dont il détruit le château.
— Il passe la Loire. — Il assiège et prend Vendôme. — Supplice du
gouverneur. — Le roi à Tours. — Prise du Mans. — Le duc de Nevers.
— Il prête de l'argent à Henri IV. — Henri IV à Laval, — à Mayenne,
— à Alençon. — Siège et prise de Falaise. — Le roi est maître du
littoral de la Normandie et prend Ronfleur 05
Chapitre III. — 1590. — Intrigues de Philippe. — L'archevêque de Lyon.
— Mayenne en campagne. — Il reprend Vincennes et Pontoise. — Il as-
siège Meulan. — L'approche du roi fait lever le siège. — Le roi prend
Pacy. — Il marche vers Dreux, — Les .Vliemands envoyés au secours
622 TABLE DES MATIÈRES.
du roi mis en déroute par le duc de Lorraine. — Le légat au parlement
de Paris. — Arrêt du parlement de Toulouse contre le légat. — Décret
de la Sorbonne. — Lettres du légat contre Henri IV. — Procession et ser-
ment. — Déclaration du roi d'Espagne. — Siège de Dreux. — Arrivée
des troupes flamandes au secours de Mayenne. — Le maréchal de
Schomberg. — La veuve Leclerc. — Bataille d'Ivry. — Lettres de
Mayenne au roi d'Espagne et au Pape. — Politique de Sixte V 50
Chapitre IV. — 1590. — Les aiouvelles de la bataille à Paris. — Entrevue
du Légat et de Biron. — Villeroy au camp royaliste. — Le roi prend
Corbeil, — Lagny, — Melun, — Moret, — Créquy, — Provins, — Mon-
tereau, — Nogent, — Méry. — Il est contraint de lever le siège de
Sens. — Le Vénitien Moncenigo envoyé du Légat. — Siège et blocus de
Paris. — Givry à Gharenton. — D'Aumont à Saint-Cloud. — Occupation
de la rive gauche. — Mort du prétendu roi Chai'les X. — Mayenne avec
un secours de Flamands rentre en Picardie. — II est repoussé par le
roi. — Arrêts des parlements de Rouen et de Paris. — Procession delà
Ligue. — Exploits du ligueur La Bourdaison. — Continuation du siège.
— Prise de Saint-Denis. — Rappel de Cheverny. — Complot déjoué à
Senlis. — Attaque et prise des faubourgs de la capitale. — Famine. —
Provisions trouvées dans les Couvents. — Lettre de la duchesse de
Mayenne à son mari. — L'arrivée du duc de Parme fait lever le
siège 71
Chapitre V. — 1590. — La guerre civile dans le Maine et en Bretagne. —
Lansac. — Le prince de Conti. — Mercœur. — Le prince de Bombes.
— Les paysans font la guerre aux nobles. — En Auvergne. — Le comte
de La Rochefoucauld-Randon. — Le maire Tissandier. — Le grand sé-
néchal d'Auvergne. — Le marquis de Chabanne. — En Languedoc, en
Dauphiné, en Provence et dans le Lyonnais. — Lesdiguières et La Va-
lette. — Le parlement d'Aix. — La comtesse de Sault. — Le comte de
Carces. — Martiningue, Senas et les Savoyards. — Gadagne. — Ornano.
— Saint-Sorlin, — Senneci. — En Bourgogne. — Tavannes. — Des-
peville 99
Chapitre VI. — 1590. — Le roi va au-devant du duc de Parme. — Les Pa-
risiens délivrés font une procession. — Les deux armées en présence.
— Le duc se retranche. — Il prend Lagny. — Le roi revient à l'attaque
de Paris. — Mécontentement des catholiques de son armée. — Elle se
disperse. — Le roi se retire à Senlis. — Il prend Glermont. — Le duc
jjrend Corbeil. — Mort de Sixte V. — Le Légat retourne à Rome. —
Élection d'Urbain VIL — Sa mort. — Élection de Grégoire XIV. — Les
Ligueurs de Paris projettent une espèce de répubhque. — Ils députent
au duc de Mayenne. — Le duc de Parme retourne en Flandres.— Givry
reprend Corbeil. — Le roi à la poursuite du duc. — La Belle Gabrielle.
— Le roi bat l'arrière-garde et l'avant-garde du duc. — Celui-ci quitte
la France. — Ses projets. — Il laisse une partie de ses troupes à
Mayenne 123
Chapitre Vil. — 1590 et 1591. — Le roi à Saint-Quentin. — Prise de
Corbie. — Le roi à Senhs. — Matignon en Guyenne. — Les Jésuites. —
Le parlement de Bordeaux. — Troubles en Champagne. — Les Ligueurs
prennent Villefranche. — Joyeuse est repoussé à Troyes. — Succès de
la Ligue en Poitou. — Le capitaine La Guerche. — Marguerite de Co-
ligny. — Le duc de Savoie prend Draguignan. — Son entrée à Aix. —
Marseille l'appelle. — Lesdiguières prend Grenoble. — Maurice fait
aUiance avec le roi. — Elisabeth lui envoie des troupes. — D'Aumale
tué à l'attaque de Saint-Denis. — Le roi tente inutilement de sur-
TABLE DES MATIERES. 623
prendre Paris. — Envoi d'un nonce en France. — Siège de Chartres. —
Intrigues du cardinal de Vendùnie. — Le tiers parti. — Chartres capi-
tule. — Mort de Châtillon 141
CiiAi'nnE VIII. — 1591. — Château-Thierry livré à Mayenne. — Nouvelles
négociations de Villeroy. — Conseil tenu par le duc de Lorraine, les
Guises et le duc de Savoie. — On y décide d'envoyer un ambassadeur au
roi d'Espagne. — Jeannin chargé de cette mission. — Lettre du parti
royaliste au Pape. — Lettre du Pape à la Ligue. — Le roi surprend
Louviers. — Le parlement de Chàlons condamne la bulle du Pape. —
Le Parlement de Tours déclare le Pape fauteur de rébellion et ennemi
du royaume. — Le parlement de Paris condamne et casse ces deu.\ ar-
rêts. — Le roi révoque Tédit de Juillet. — Assemblée des prélats roya-
listes. — Intrigues du cardinal de Bourbon. — Mayenne tente de
surprendre Mantes. — Mandement des prélats assemblés. — Le roi
prend Noyon. — Le jeune Guise échappe de prison. — Continuation de
la guerre civile dans les provinces : — Dans le Berry, — dans le Limou-
sin, — dans la Marche, — en Touraine, — en Bretagne, où La Noue
est tué, — dans l'Anjou, — en Auvergne, — en Bourgogne, — dans
les provinces du Midi. — Exploits de Lesdiguières 1G1
Chapitre IX. — 1591 et 1592. — Les débris de l'armée du Pape se rendent
à Verdun. — Mort de Grégoire XIV. — Élection d'Innocent IX. — Il
envoie en France comme légat le cardinal de Plaisance. — Ce légat fait
renouveler le serment à la Ligue. — L'archevêque de Paris préfère
l'exil. — Diatribe de Boucher. — Le légat excite les Seize contre le
parlement de Paris. — Ils pendent Brisson, Larcher et Tardif. —
Mayenne accourt à Paris. — Il fait pendre ([uatre des coupables et pu-
blie l'abolition générale pour le passé. — Le roi marie le vicomte de
Turenne, qu'il fait maréchal, avec l'héritière de Bouillon. — Les troupes
allemandes envoyées au secours de Henri IV. — Il prend Aubenton et
Verdun. — Villeroy négocie encore. — Siège de Rouen. — Arrivée du
duc de Parme en France. — Il se fait livrer La Fère. — Il oblige le roi
à lever le siège. — Il est blessé à Caudcbec. — Le;roi est rejoint par
de nouvelles troupes et revient contre l'ennemi. — Il accule à son tour
l'armée du duc dans une position insoutenable. — Leduc s'en tire habi-
lement. — Il fait sa retraite et retourne en Flandre 202
Chapitre X. — 1592. — Élection de Clément VIII. — Il confirme le légat.
— Son bref est frappé d'appel par le parlement de Châlons qui ajourne
le légat. — Le parlement de Paris fait brûler cet arrêt par le bourreau.
— Villeroy continue de négocier en faveur des princes lorrains. —
Mayenne offre au duc de Nemours de le faire roi et de lui faire épouser
l'Infante. — Conditions de la reine d'Angleterre. — Villars à Quille-
bœuf. — - Prend Pont-Audemer. — Biron tué à la prise d'Épernay. —
Prise de Provins. — Le roi fait demander son absolution au Pape qui
la refuse. — Les partis à Paris. — Élection d'une nouvelle municipalité
à Orléans. — Défaite des royalistes à Craon. — Défaite des Ligueurs ù
Brest. — Quintin pris et repris. — Prise de Chàteauneuf. — Prise de
La Guerche. — Prise de Saulx-le-Duc. — Les deux Tavannes opposés
en Bourgogne. — Le duc de Bouillon bat les Ligueurs à Beaumont. —
Il prend Sedan. — Conspiration en Guyenne. — Sapion de Joyeuse en
Languedoc. — La Valette tué au siège de Rochebrune. — D'Epernon
lui succède dans le gouvernement de la Provence. — Joyeuse battu au
siège de Villemur. — Il se noie. — Le cardinal de Joyeuse et le capucin
Frère Ange choisis par les Ligueurs de Toulouse pour le remplacer. —
Maugiron livre Vienne. — Le duc de Nemours prend les Échelles. — Le
duc de Savoie prend en personne Anfibes. — Lesdiguières rentre en
624 TABLE DES MATIÈRES.
Savoie. — Il prend le Vigan en Gahoi's. — Il bat le duc de Savoie. —
Le duc d'Épernon reprend Grasse et Antibes. — Il échoue à Arles. —
Casault, Louis d'Aix et la comtesse Desault à Marseille 236
Chapitre XI. — 1592-1593. — On désire la paix à Paris. — Mort du duc
de Parme. — Mayenne rompt les négociations entamées avec Villeroy.
— Il crée quatre maréchaux de France et convoque les États-Géné-
raux. — Sa déclaration à ce sujet. — Exhortation du légat. — Réponse
de Henri IV. — Déclaration des catholiques du parti royaliste. —
Mayenne ouvre les États. — La satire Ménippée. — Le roi va au-devant
de sa sœur. — Entrée de la princesse à Bordeaux. — Ils se rencontrent
à Saumur. — Gonseils de Duplessis au roi touchant l'abjuration. — Le
roi à Tours. — Réponse des cathohques du tiers parti à la déclaration
des catholiques royalistes, — Réplique de ceux-ci. — Mayenne va au-
devant des Espagnols. — Les Espagnols reprennent Noyon et retournent
en Flandres. — Harangue de l'ambassadeur d'Espagne aux États en
présentant les lettres de son maître. — Harangue du cardinal de Pel-
levé. — Réponse des États aux catholiques royaux. — Conspirations
dans le camp du roi. — Colloque de Saint-Jean-d'Angély. — Conseil de
Sully au sujet de la conversion de Henri IV. — Le roi se déclare presque
convaincu des dogmes cathohques 270
Chapitre XII. — 1593. — Conférences de Suresnes.— Henri y fait annoncer
sa résolution d'abjurer. — Inquiétudes des protestants. — Déclaration
des catholiques royaux pour les rassurer. — Les livrets des huguenots.
— Résolution des États touchant les conférences. — Le légat ordonne
des prières et une procession. — L'ambassadeur d'Espagne et l'évêque
de Senlis. — L'acceptation du concile de Trente proposée aux États qui
la rejettent. — Mendoce au nom de l'ambassadeur espagnol leur de-
mande d'élire l'Infante. — Réponse évasive des États. — Arrêt du par-
lement pour le maintien de la loi salique. — Pi-otestations des zélés
Ligueurs. — Reprises des conférences. — Révolte des troupes de Mans-
feld. — Prise de Dreux par le roi. — Proposition du légat aux États. —
On discute de l'élection en son hôtel. — Feria consent à l'élection du
duc de Guise qui épouserait alors l'Infante. — Cette proposition n'est
pas accueillie par les États. — On y décide d'accepter la trêve offerte
par le roi 304
Chapitre XIII. — 1593. — Abjuration du roi. — Exhortation du légat aux
cathohques de la Ligue. — Mayenne défend d'aller à Saint-Denis. —
Lettre du roi aux Français après son abjuration. — Sermons ligueurs
et libelles. — Traité de La Villette. — Mayenne se rapproche du légat
et de l'Espagne. — Il fait prêter de nouveau serment à l'Union par les
États. — Il leur fait accepter le concile de Trente. — Le roi écrit au
Pape et lui envoie une ambassade. — Conspiration de Barrière, ses
aveux et son supphce 336
Chapitre XIV. — 1593. — Le duc de Mercœur refuse la trêve. — Il l'accepte
après une tentative inutile sur Rouen. — La Fontenelle s'empare du
Granec. — Le comte de la Maignane s'établit au Faou. — Le baron de
Guirtgamp prend Douarnenez et y perd toute sa bande. — La guerre
continue en Guyenne. — Révolte dite des Croquants. — Matignon forcé
de lever le siège de Blaye. — Le duc de Savoie prend Exiles. — Lesdi-
guières le bat à Salbertran. — Le duc accepte la Trêve. — Arles se
soumet à d'Épernon. — La nouvelle de la trêve l'empêche de prendre
Aix. — Son traité secret avec Montmorency et le comte d'Auvergne. —
Lesdiguières, par ordre du roi, soulève la Provence contre lui. — D'Éper-
non triomphe de tous ces obstacles. — Nemours veut se rendre indé-
•TABLE DES MATIÈFtES. t>2ç
pendant ù Lyon. — Les habitants le font prisonnier, — Mauvais succès
de l'ambassade du roi au Pape. — Protestation du duc de Nevers. —
Manifeste de l'évèque du Mans. — Députatioii de Mayenne au Pape. —
Ses demandes à Philippe. — Surprise de l-'écanip. — Les Ligueurs
échouent à Caen. — Lettre dÉlisabelh au roi. — Sa conversion. — 11
reçoit la députation des Réformés. — Colloque de Duperron et Rostain.
— Catholiques et huguenots également mécontents 351
Chapitre XV. — 1594. — La trêve expire. — Les hostilités recommencent
autour de Paris. — Déclaration du roi datée de Montmartre. — Les
chefs ligueurs se mettent à l'encan. — Meaux se rend au roi. — Arrêt
du parlement de Paris ordonnant l'expulsion de la garnison espagnole.
— Le peuple demande la paix. — Rrissac remplace Relin comme gou-
verneur. — Soumission d'Aix, — de Lyon, — d'Orléans, — de Bourges.
— Le roi est sacré à Chartres. — Mayenne quitte Paris. — Le roi
revient à Saint-Denis. — Rrissac lui livie la capitale. — Déclaration
royale touchant la réduction de Paris. — Arrêt du parlement, — Décret
de la Sorbonne. — Exhortation de l'archevêque de Bourges au clergé.
— Les capucins et les jésuites restent seuls obstinés ;Wl
Chapitre XVI. — 1594. — Sully visite à Anet la duchesse d'Aumale. — 11
reçoit la soumission de Verneuil au Perche. — Il traite avec Villieis et
achète la reddition de Rouen. — Le reste de la province reconnaît le
roi. — Soumission d'Abbeville et de Montreuil. — Troyes chasse son
gouverneur et proclame le roi. — Sens, Ayen, Villeneuve et Marmande
le reconnaissent, — ainsi que Poitiers. — Mansfeld prend La Capelle. —
Le roi assiège Laon. — Révélations du cardinal de Bourbon mourant à
Sully. — Reprise au parlement du procès de l'Université et des curés
contre les jésuites. — Débats de cette alfaire, — Arrêt qui ne termine
rien. — Opinion de de Thou. — Diatribe de Passerai 4US
Chapitre XVII. — 1594. — Continuation du siège de Laon. — Retraite des
Espagnols. — Mort de Givry. — Capitulation de Laon. — Soumission
de Château-Thierry. — Amiens chasse le iluc d'Aumale et ouvre ses
portes aux royahstes. — Le roi à Cambrai. — Puis à Amiens. — Beau-
vais lui adresse sa soumission. — Saint- Malo et Noyon suivent cet
exemple. — Mayenne s'abouche à Bruxelles avec l'archiduc. — 11 n'en
reçoit que des promesses. — Le duc de Guise, après avoir tué Saint-Pol,
s'accommode avec le roi. — Mort du cardinal de Bourbon. — Mort du
comte d'O, — Le maréchal d'Aumont entre dans Laval, — Quimper ré-
siste à une surprise royaliste. — D'Aumont prend le château de Morlaix
sous les yeux de IMercœur. — 11 force Quimper à se rendre. — 11 prend
d'assaut Le Crozon. — De Carces en lutte contre d'Épernon. — Lesdi-
guières intervient. — Intrigues de La Fin. — D'Épernon forcé de se
tourner du côté de la Ligue. — Le duc de Savoie s'empare de Bri-
queras. — 11 demande la paix au roi qui la lui accorde ù des conditions
avantageuses pour lui 43<
Chapitre XVIII. — 4594 et 1595. — Le roi, voulant faire la guerre à l'Es-
pagne, écrit aux États de l'Artois et du Ilainaut. — Attentat de Jean
Chàtel. — Son supplice. — Le parlement condamne les jésuites comme
complices. — Déclaration des autres ordres religieux touchant l'obhga-
tion de prier pour le roi. — Apologie des jésuites. — Apologie de
Châtel par le docteur Boucher, — Procession à l'occasion de l'attentat
et à laquelle assiste le roi. — 11 tient l'assemblée annuelle de l'ordre du
Saint-Esprit. — Édit en faveur des protestants. — Déclaration de guerre
à l'Espagne. — Les hostilités commencent. — Le maréchal de Bouillon
dans les Pays-Bas. — D'AssonviUe et Beauvau dans la Eranche-Comté.
IV. 40
626 TABLE DES MATIÈRES.
— Tavannes en Bourgogne. — Mayenne vient dans cette province dont
il était gouverneur. — Le roi y envoie Biron, — qui prend Beaune, —
Montereau, — Dijon. — Le connétable de Gastille entre en Bourgogne.
— Le roi y vient de son côté. — Combat de Fontaine-Française. — Le
connétable se retire à Gray. — Les Français l'y suivent et défont une
partie de ses troupes. — Les Suisses obtiennent du j'oi qu'il évacue la
Franche-Comté. — Il laisse Mayenne se retirer à Châlons. — Il passe
clans le Lyonnais. — Vienne est livrée au connétable de Montmorency.
Mort du prince de Nemours 459
Chapitre XIX. — 1595. — État des affaires du roi dans le Nord. — Les
Espagnols entrent en Champagne. — Bouillon quoique battu empêche
de prendre La Ferté-sur-Chiers. — Mort de Tarchiduc Ernest. — Le
comte de Fuentes lui succède et entre en Picardie. — Il prend Le Ca-
telet. — Bouillon lui reprend Ham. — Fuentes assiège DouUens, bat
Bouillon qui venait secourir cette place et la prend. — Il assiège Cam-
brai. — Le duc de Nevers y envoie son fds. — Les habitants, mécon-
tents de Baligny, ouvrent leurs portes, — Le roi part de Lyon et vient
en Picardie. — Il assiège La Fère. — Mort du duc de Nevers. — Mort
du maréchal d'Aumont. — Exploits et supplice du baron de La Fonte-
nelle. — Le comte de Magnance. — Prise de Comper par les frères
d'Andigny. — La cour de Rome consent à l'absolution du Pape. — Cé-
rémonies de cette absolution 487
Chapitre XX. — 1596. — Continuation du siège de La Fère. - Le cardinal
Albert, -vice-roi des Pays-Bas. — Mayenne se. réconcilie avec le roi. —
Réconciliation du nouveau duc de Nemours. — L'ex-capucin Joyeuse
rend Toulouse et est fait maréchal de France. — D'Épernon dispute la
Provence au duc de Guise. — Arrêt du parlement d'Aix. — Intrigues du
duc de Guise contre Lesdiguières chargé par le roi de le soutenir, —
Lesdiguières se dédommage en prenant et pillant Auriol. — Gasault
fait entrer l'Espagnol dans le port de Marseille. — Le capitaine Liberta
promet à Guise de lui livrer cette ville. — Il tue Casault. — Le viguier
Louis d'Aix se sauve et les Marseillais crient : Vive le roi. — La flotte
espagnole se retire. — Guise bat d'Épernon. — Celui-ci traite de sa
soumission avec le roi. — Entrevue du roi et du duc de Mayenne. —
L'archiduc assiège et prend Calais. — Belin lui livre traîtreusement la
place d'Ardres, — La Fère se rend au roi. — L'archiduc se retire à
Saint-Omer. — Ligue contre l'Espagnol entre l'Angleterre et la France.
— Les États de Hollande s'adjoignent à cette Ligue 512
Chapitre XXL — 1596-1597. — Le roi envoie Biron ravager l'Artois. —
Manifeste du comte d'Essex. — La flotte anglaise est jointe par celle de
Hollande. — Bataille navale pi'ès de Cadix. — Cette ville est prise et
saccagée. — Alexandre de Médicis légat en France. — Restriction du
parlement pour enregistrer ses lettres. — Le roi convoque une assem-
blée de notables à Rouen. — La duchesse de Montpensier meurt de la
peste à Paris. — Ouverture de l'assemblée des notables. — Discours du
roi. — Discours du chancelier. — Cahiers du clergé, — de la noblesse,
— des membres de la justice. — ûmer Talon parle pour le peuple. —
Proposition de l'assemblée touchant les finances. — Sully surintendant.
— Le roi a dessein d'épouser Gabrielle. — Mot cruel de Sancy. — Le
roi fait solliciter les princes allemands d'entrer dans la ligue contre l'Es-
pagne. — Mauvais succès de son ambassadeur. — Le vice-roi Albert en
Hollande. — Mort de de Rosne. — Le prince d'Orange bat les Espa-
gnols. — Tello surprend Amiens. — Le roi demande inutilement des
ressources au parlement. — Sully propose ses moyens d'avoir de l'ar-
TABLE DES MATIÈRES. 627
gent. — Le roi revient au camp. — Opérations du siège. — Mort de
Tello. — Mort de Saint-Luc. — Montenegio prend le commandement
des assiégés. — Le vice-roi vient à son secours. — Son avant-garde est
mise en déroute. — Il n'ose livrer la bataille et se retire. — La garnison
d'Amiens capitule 533
Chapitre XXIJ. — 1597. — Agitation des protestants depuis la conversion du
roi. — Massacre de La Châtaigneraie. — Ils élisent une assemblée. — Le
roi traite avec eux. — Négociations avec Mercœur. — Il continue la
guerre et ses intrigues. — Defon livre La Garnache au roi. — Exploits
de La Tremblaye, lieutenant de Brissac. — Il est tué au Plessy-Bertrand.
— Complot espagnol contre la vie du roi. — Affaire do Saint-Phal et de
Duplessis-Mornay. — Le duc de Savoie îecommence les hostilités. —
Nouveaux exploits, de Lesdiguiôres en Savoie. — Le duc de Savoie
s'empare du château d'il". — H se hâte de le lendre à la nouvelle de
la reprise d'Amiens. — Mort du maréchal de Matignon 557
Chapitre XXIII. — 1598-1599. — Congrès de "Vervins. — Voyage de Henri
en Bretagne. — Pacification de la Bretagne. — Soumission du duc de
Mercœur. — Traité de Vervins. — Paix générale. — Mort de Phi-
lippe II, roi d'Espagne. — Promulgation de l'édit de Nantes 585
Appendice. — Texte de l'Édit de Nantes. — Articles additionnels. —
Épilogue 601
lUP. OKOROES JACOB, — OBLtASS.
BW5830.A28V.4
Histoire de l'établissement du
Princeton Theological Seminary-Speer Library
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