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Full text of "Histoire de Marguerite d'Anjou, reine d'Angleterre"

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HISTOIRE 



DE LA JEUNESSE 



DU COMMANDEUR DE***, 

ou 

MÉMOIRES 



POUR SERVIR 



A L'HISTOIRE DE MALTE 



HISTOIRE 

DE LA. JEUNESSE 

DU COMMANDEUR DE"*, 

ou 

MÉMOIRES 

POUR SERVIR 

A L'HISTOIRE DE MALTE; 

Par l'Abb* PRÉVOST. 




PARIS, 

LEBLANC, IMPRIMEUR-LIBRAIRE. 



HISTOIRE 



DE LA JEUNESSE 

DU COMMANDEUR DE 



••* 



ou 



MEMOIRES 

POUR SERVIR 

A L'HISTOIRE DE MALTE 



SES 



PREMIERE PARTIE. 



JDans rage où la raison et Teicpérîenee rendent 
les réflexions sérieuses » je considère <|ue d*un si 
grand nombre de mémoires et d'aventures qui 
ont été publiés dans notre siècle » il n*j a point 
un seul de ces ouvrages où Tauteur se soit pro- 
posé un autre but que d'amuser par des faite 
agréables « ou de faire honneur k son esprit et k 
son caractère par les aventures qu'U s'attribue^ 
Le même tour d'idées qui m'a fait faire cette 
réflexion me porte à me rappel^ l'histoire dt 

Vtéyon, Tome XIH,* 1 



3 . HISTOIRE c 

ma vie dans dels vues fort difFëreii tes. Je Ie$ laisse 
à distinguer au lecteur; mais je le prie de se 
souvenir, en lés découvrant, que j'ai Commencé 
par Ten avertir. Ce n'est ni à la joie ni à la dou- 
leur que je Tinvite , et je lui annonce néanmoins 
que s'il est sensible il en éprouvera plus d'une 
fois les mouvements les plus vifs. 

Mon enfance n'a riea de plus extraordinaire 
que les grandes espérances qu'elle avolt fait 
concevoir de mes qualités naturelles. Peut-être 
suis-je le chevalier de mon ordre qui, avec une 
fortune considérable et tous les avantages qui 
peuvent ouvrir dans le monde une carrière bril- 
lante, se soit déterminé par sa propre inclination 
à se charger des devoir^ d'une vocation pénible. 
Les volontés d'un père et les dispositions d'une 
famille décident presque toujours de ces «ortes 
d'engagements. Et je n'avois d'abord que ce 
^otif, puisque je reçus la croix presqu'en nais- 
sant; maïs la mort de mon aine m'ayant fait suc- 
céder à toius ses droits , on fut surpris qu'à l'âge 
dedix^huitaifts^ et lorsque tout sembloit m'appe- 
1er aux fonctions dé chef d'une grande maison^ 
je parlai de me rendre à Malte pour mes cara- 
vanes, et d'abandonner à mes cadets toutes mes 
prétentions. J'avois pris ce goût dans la lecture. 
Rien ne m'a voit paru si noble et si grand que 
saa première vocation , et jenepus me persuader. 



DU COMMANDEUR DE ^^*. 3 

que des avantages aussi frivoles que les bîeug 
de la fortune dussent balancer un sentiment qui 
me paroissoit fondé sur Thonneur et la raison; 
Les résistances de ma famille n'eurent point la 
force de m'arrêter. Je partis avec deux de mes 
voisins qui entreprenoient le même voyage, et 
notre ^navigation fut heureu^ jusqu'à Fentrée 
de> la mer de Gènes; mais un vent impétueux 
nous ayant forcés déranger la côte, le capitaines 
prit le parti de relâcher pour quelques jours 
dans le port d'Orbitello. 

Tandis qu'il y faisoit réparer son vaisseau , 
qui avoit eu quelque chose àsouSiir de la tem-. 
péte, je me fis un amusement de la chasse avec 
les deux compagnons de ma route. Nous ne 
pensions point à former des connoissances dans 
un lieu où nous devions nous arrêter si peu. Mais 
la rencontre que nous fîmes d'un vieux com- 
mandeur, qui avoit ses terres à peu de distance, 
de la ville, nous fit comme une loi de lui offrir 
nos services et de recevoir ses politesses. Il nous 
fit passer, malgré nous, jm jour entier dans soà 
château. La satisfaction qu'il prit à nous faire 
un tableau de la cour de Malte , et à nous ra- 
conter tout ce qui lui étoit arrivé dans le long 
séjour qu'il y avoit fait, le conduisit à nous faire 
jusqu^à la confidence de ses plaisirs. Les fumées 
du vin avoient un peu contribué à cette chaleur. 



I* 



4 HISTOIRE 

Il nous confessa qu'ayant possédé un emploi 
considérable à la cour du grand-maître, il ne 
TaToit abandonné pour se retirer dans sa com- 
manderiez que par le mouvement d'une passion 
aTeugle qu'il ayoil mis tout son bonheur à satis- 
faire. L'ftge n'avoit pu l'en défendre. Tout sa vie 
•*étoit passée dans des occupations laborieuses, 
qui n'a voient jamais laissé d'accès dans son cœur 
au goût du plaisir; de sorte qu'il s'en étoit enivré 
lout-d'un-coup. Il se trouvoit riche. La jeune 
Maltoise, qui lui avoit plu , l'étoit peu. Il l'avoit 
engagée à le suivre avec toute sa famille; et de- 
puis douze ou quinze ans, il menoit avec elle 
une viedouce et tranquilledans sa commanderie. 

Son indiscrétion alla beaucoup plus loin. Il 
parut piqué de ne pas nous trouver autant d'ar- 
deur qu'il croyoit nous en avoir inspiré pour 
Toir sa maîtresse. Quelle firoideur, nous dit-il , 
pour des chevaliers de voti^ Age ! Savez-vous 
qa*après le service de la religion , c'est aux dames 
^e nous devons nos premiers soins ? Recevez 
cette leçon d*un vieillard. Et se levant sans nous 
avertir de son dessein , il sortit d*une marche 
iNmUante pour nous amener les dames, que 
nous n^avions pas encore vues dans sa maison. 

Avec odle quHl nous avoit annoncée, el qu"*!! 
nous présenta la première , il en avoit chez lai 
deux ou trois dX>rbitello, qoe leurs maris lais« 



DU COMMANDEUR DE ***. 5 

SQÎeut i ; sans doute avee 'Confiance 9 chez qsi 
lioiilçifs . âgé; de soii^ante-dix ans, et possédé t 
CQjrxiiA^ pa^sonne né Tignoroit^ d^une passioii 
fort surprenante à son âge. Mais ce ne fut m sf, 
maîtresse, ni les dames d^Orbitello qui s*attirè- 
rçnt notre admiration, I^e <H>mmaurdeuir ^^ s^étoît 
pas.yantéde ce qu'il y avoit de plus glorieux pour 
lui ^aus son aventure. 11 étoit devenu père dès 
la première ^nnée, et S£| maîtresse étoit suivie 
d*une jeune personne de treize ou quatorze aii^ 
qui étoit le fruit de leurs amours. J^avois vu peu 
de £emiÂes aimables ^ ou du-moins mon attf ntiop 
ne a^étoitguète.tournéede ce cotérlà. Mfiis frappa 
de mille thannes que je ctus découvrir d^^P^ 1# 
fille du commandeur, je me retidiç cpiiipatili^;^ 
plus d'une incivilité eo leur donnant toutc|$ }€|3 
louanges qu-il sembloit attendre pour ceux i|^ 
sa maîtresse. Il continua néanmoins de nou^ 
laisser ignorer qu'ils eussent un si heureux, fruij: 
de leur^commerce t et nous quitt&mes sa maison 
s^QS en avoir eu la moindre défiance. 

Quelque impression que la vue d'une si belle 
personne eut faite sur moi, je n'emportai que 
mon premier sentiment, qui a voit été celui del'ad. 
miration. Mes deux compagnons ne s*en étoienjl 
pas sauvés si heureusement. Ils quittèrent à re- 
gret le rivage d'Orbitello ; et , pendant le reste 
du voyage» ils q'eurent point d'autre sujet d'en- 



8 HISTOIHK 

trième levant le bras par intervalles 9 sembloit 
nous témoigner qu^il déplorât Tinfortune de ses 
compagnons 9 et qxCil s'attendoit bientôt à les 
suivra U me parut si cruel de ne pouvoir sauver 
•dtt-moins un de ces tristes objets de la colère du 
•ciel > tandis que le mât s'approcboit quelquefois 
du vaisseau jusqu'à le beurter fort rudement^ 
que dansun mouvement -de compassion auquel 
je nepus résister 9 je de$cepdis jusqu^au bas d? 
réohelle» un croc à la main » avec Tespérapca de 
«aisir le mât lorsqu'il seroit rapproché par les 
flotSi^ Jie le vis paroitre 9 je fis mille eSbrts pour 
Faji^câcfaeri et j^i^n eus un moment Tespérance; 
mm» Je flot.qur T^voil apporté me le dérobant 
QUflsitQt9 je fus si vivement touobé de cette tra- 
bison Aé'}^ fortune i .que9 cédant sans réflexion à 
FardeuX* 4^ mo9 transport 9 je me jetai dans I9 
met:* i pouV* fairç avec la main ce qui m'avoit si 
mal réiiasi avec le croc. Cette follç g.épérosité 
dwQ\%rw4^ ma p0rte certaine. Je me trouvois 
tout rd'Ulir coup dans lin' péril beaucoup plus 
grand que le màlbeulreux . même que je voulois 
secourir ;- mais: par up mjr^cle dont toute m^ 
reconnoissancene m'acquittera jamais envers ii^ 
ciel f le ve9t<qui a^^oit soufflé si impétueusemenli 
jusqu'alors 9 perdit en un moment toute sa, vip<- 
lence » et le mouvementiméme des vagues diminua 
g^nsiblefnent. Je ne donpe h^ nom de miracV? à 



Î>V COMMANDEUR DE ***. g 

ce seoours du ciel , que parce qu*il ne pouvoU 
être accordé plus à-propos ; car il n^ëtoit pas 
surprenant d^ailleursqu'à mesure que nous ayau- 
çions derrière la montagne le irent et ragilation 
de la mer cessassent de se faire sentir. Rien ne 
fut alors^ si facile aux matelots qui etoieut dans 
}a chaloupe , que d*y prendre successivement 
rétranger qui se tenoit toujoar$ vjigoureusement 
à son mât , et moi qui roulois à Ti^venture sans 
le moindre sentiment de connoissance. J^ignore 
par quels degrés Tëtranger fut rappelé à la vie ; 
mais il le fut beaucoup plus toi que moi. L'état 
où je demeurai long-temps fit jdouter si je n^étois 
pas mort. Pendant plus de deux heures je fus 
insensible à tous' les secours qu^on s^empressa 
cle me donner 9 et quand j'ouvris les yeux je 
demandai avec admiration par quel enchante-» 
ment je me retrouvois dans le vaisseau. 

Ma seconde question regarda Tétranger; mais 
à-peine eut^il cotiçii de qui je parlois , que se 
jetant à genoux devant mon lit, il se fitconnoitre 
à moi par ce transport, et par un ruisseau de 
larmes» qui , dans un caractère tel qu'on con^r 
noîtra le sien , étoit peut-être le dernier efFort de 
la reconnoissaiioe. Il s*étoit rétabli facilement ; 
et le^commandeur de BuiUantes ayant reconnu 
lout-d'un-coup quMl avoit affaire à un homme 
au*de«us du commun, Tavoit traité avec toutes 



tO HISTOIRE 

sortes d'égards. 11 s'étoit fait expliquer Toblî- 
gatiou qu'il avoit à mon zèle : son cœur s'étoit 
enflammé à ce récit. Il avoit paru plus inquiet 
du rétablissement de ma santé, que de tout ce 
qui intéressoit et sa vie et sa fortune ; et me 
voyant enfin reprendre mes forces , il fut un 
quart-d'heure à mes pieds, pénétré de tendresse, 
et s'épuisaut en discours passionnés que ma 
foiblesse ne me permettoit point encore d'inter- 
rompre. 

Je ne pus désavouer que je lui avois rendu un 
service sans exemple; mais je l'assurai que je 
m'en croyois payé en voyant à qui j'avois eu le 
bonheur de le rendre. Et je trouvois efTective* 
ment quelque chose de si noble et de si intéres- 
sant dans sa figure , que j'aurois recommencé 
par inclination ce que je n^avois fait que par 
un aveugle emportement de générosité. Sou em- 
pressement ne diminua point autour de moi lors- 
que ma- santé me permit de le recevoir et de 

- rentretenir. Il n'attendit point que je lui mar- 
quasse de la curiosité pour connoitre son nom 
M les circonstances de son naufrage. Il me fit ce 

' récit. 

Mon- nom est Pérès. Je suis né dans une pro- 

irince d'Espagne , où ma maison tient un des 

«niers rangs.Ce n'est ni Tamour^ ni Tambition 

MX ont dérangé ma fortune ^ et je me trouve 



DU COMMANDEUR DE ***. II 

ÎQtéafiinoins plus m^heureux qu^ou ne le fat 
jamais au même âge. Je pa^étois rendu à la cour , 
^vec les espérances communes aux jeunes gens 
de ma sorte, et la protection d'une multitude de' 
'parents qui éloient revêtus des premiers emplois 
duroyaumci Je n'y fus pas long-temps sans me 
ressentir de leur fayeur. un me proposa un 
âiariage qui devoit m*allier au ministre » et qui 
m*assuroi t tout-d^uurcoup un poste considérable • 
y y donnai mon consentement sans avoir vu 
rhéritière qu'on me destinoit. Mais j'avois un 
rival dont on ne m*avoit fait connoître ni le nom» 
ni les vues ; homme lâche et capable des derniers 
crimes. Il n^o^a se mesurera ouvertement avec 
;moi 9 et la réptitation de courage que je m'étoîs 
déjà' faite en quelques occasions particulières , 
lui fit éviter jusqu'à ma présence. L'unique res- 
isoùrce d'un concurrent si méprisable étant la 
calomnie , il empoisonna l'esprit du ministre par 
de si horribles accusations , qu'il lui fit changer 
de pensée pour mon mariage* «f ^en fus averti , et 
ma fierté m'empêcha d'en misirqùer beaucoup de 
•iehagrin. Cependant, comme il importoit à mon 
honneur d'éclaircir la cause de ma disgrâce , je 
redoublai si souvent mes instances' auprès du 
ministre ^ qàé j'appris de lui les lâchetés de^moit 
rival. Une îne cabha pas même son* nom. Une 
4oie maligne que je crus décbuvrirsur son visage. 



T2 HISTOIRE 

et qui venoit peut-être mûijpsiderenTie de m*of- 
fenser, que de la satisfaction quUl avoit de pou- 
voir justifier ses refus, me fit tourner nëaumoins 
mon premier ressentiment contre lui. Je: lui 
reprochai avec tant de hauteur cette indigné 
facilité à se provenir çomtre un homme tel q^^ 
moi, quUl se cmit^ offensé à .soii lôui:. Ge.qw 
n^avoit été qu*^m refroidissement, causé par li^ 
• noirs artifices d^un ennemi,. devint nne hatne 
personiselle,qu*il crut devoir àmaprésomptroïi,. 
et |*éprouvai bientôt que cène sont pas les.pJû^ 
grandes fantea<pils*attirent les plus sevèi^ès pu^ 

mtlOnSa ...-». V .;■...; : 

Cependant jWois été plus heureux que je ne 
le désirois, en ipspirant à dona Béatrîx M ari'uam 
•de$ sentiments que je n'a vois pas conçus pour 
elle. A-peine Favois-je vue dix fois pendant que 
j*avois eu Tespérance de Fépouser. Elle souffrit 
plus impatiemment que moi la révocation des 
ordres du ministre, et je fus surpris de recevoir 
d'elle un billet , qui m'apprit que je n'a vois rîeb 
à regretter , si je faisois dépendre mon bonheur 
de êsi tendresse. Je balançai sur un incident qui 
ne me touchoit par aucun endroit sensible^ 
L*amour ne me disoit rien en faveur de dpnn 
Béatrix. Le seul motif qui m'auroit pu porter 
à profiter de sa foiblesse , étdit l'espèce do triomr 
phe qu'elle me faisoit obtenir survie mini$tr^ et 



DU COMMANDEaR DE ***. j^3 

sur mon riyal. Mais ne pouvaiit jplus.me pro* 
mettre ^ en Tépousant» les avantages qu^on aVoit 
attachés d^abord à cette alliance , c*ëtoit acheter 
trop cher le plaisir d*une si foible yengeance 
que de lui sacrifier mille autres espérances de 
fortune. Si je pénsois» d^ailleurs, k faire éprou- 
ver quelques marques de mon ressentiment à 
mon riyal, c'étoit par des voie» plus dignes de 
mon courage. Il me parut dur , malgré ces ré-* 
flexions» délaisser le billet de dona Bçatrix sans 
réponse; et prenant le parti de lui écrire, je ne 
pouvols me dispenser de le faire dans des termes 
obligeants. Ma lettre fut galante. Loin de m^ex* 
ouser sur rindifférence de mes sentiments, je^ 
me plaignis, au contraire, du malheur qui 
m'ôtoit la liberté de les suivre ; et de quelque 
manière qu'elle put Tentèndre, je ne la trompois 
point en l'assurant que j'aurois fait mon bonheur 
de l'épouser. Cette explication , que je croyois 
propre à lui faire connoître que je ne portois 
pas plus loin mes prétentions, fut, au contraire, 
un nouvel aiguillon pour les siennes. Elle se hâta 
de me répondre qu'elle me rendoit le maître dé 
mon sort ^ que la seule bienséance l'ayant rete-* 
nue jusqu'alors dans la soumission qu'elle devoit 
à son oncle , elle ne s'y ci'oyoit obligée par au- 
cune If^i, lorsquM abusoit de son autorité pour 
l'empêcher de suivre le penchant de son coeur; 



I4 HISTOIRE 

enfin qu*elle étéit disposée à m*âccorder sa main 
aussitôt que je voudrois la recevoir, 

Dona Bëatrix étoil libre en effet, et suivant 
nos usages , elle avoit pu se choisir un mari de- 
puis qu'elle ëloit entrée dans sa vingtième année» 
Cette réflexion me fit penser qu'ayant consenti 
moi-même à notre mariage, l'honneur m'obli- 
geoit de ne pas rompre sans ménagement avec 
elle , sur-tout lorsqu'elle vouloit être fidèle à ses 
promesses, et qu'elle paroissoit compter sur les 
miennes. Je songeai au ssi qu'après tout il ne man- 
quoit à mes premières espérances que la faveur 
du ministre et le poste qu'il m'avoît faitproposer 
en m'ofTrant sa nièce, Dona Béatrix avoit du 
bien. J'étois riche. Un ministre ne vit pas éter- 
nellement , et si je ne devois rien espérer de son 
appui , je ne voyois point ce qu'un homme de* 
ma naissance poùvoit appréhender de sa haine. 
Je me déterminai par la force de ces raisons à 
renouer sérieusement avec elle. Dès notre pre- 
mière entrevue, nous convînmes d'un jour pour 
la célébration de notre mariage. 

Mais si je nourrissois contre mon rival un res- 
sentiment que je voulois satisfaire per une ven- 
geance éclatante, il n'étoit pas moins occupé du 
succès de son amour ; et l'attention .continuelle 
qu'il avoit sur les démarches de dona Béatrix 
lui fit découvrir facilement de quels soins elle 



DU COMMANDEUR DE *^*. l5 

ëtoit . remplie. 11 Taimoit avec uue passion si 
furieuse que, n'étant point capable des généro- 
sités de TamouV) il forma aussitôt tous les noirs 
projets qui pouvoient assurer l'exécution de ses 
désirs. Le premier fut de charger de ses intérêts 
un frère qu'il avoit dans les armes, et qui , pen- 
sant à s'avancer par le mariage de son aîné, en- 
treprit de me faire renoncera mes prétentions. 
Ge brave osa me tenter par des menaces. Il apprit 
sur-le-champ qu'elles étoient peu redoutables. 
Je le tuai. La fureur qu'en eut mon rival lui, 
inspira le seul mouvement de courage qu'il eût 
jamais ressenti; encore fut-il souillé par une 
lâcheté infâme. Il m'attaqua , mais secondé d'uu. 
autre de ses frères, qui n'eut pas plus de honte. 
que lui dé me forcer à un combat inégal. Dans 
mon indignation, je ne songeai qu'à parer les. 
coups du second , et je résolus de tourner tous, 
les miens contre don Antonio ; c'étoit le nom de 
mon rival. Mais il n'eut pas plus tôt pénétré mon . 
dew<îsein, que, cédant à sa frayeur, il prît hon-^ 
teusement la fuite» Son frère soutint son entre-, 
prise avec plus de fermeté; mais il eutlemal7, 
heur de tomber d'un coup mortel. ^ 

Deux: combats, qui s'étoient suivis immé4ia-; 
tement^ m'obligèrent de garder quelques prér. 
cautions. Je me retirai chez uq de mes parents,, 
où je pouvois attendre saps inquiétude ce qu'o^. 



l6 HISTOIRE 

penseroit de mon afFaire à la cour. Mon lÎTal 

trouvant dona Béatrix plus révoltée que jamab 

contre sa tendresse et ses offres ^ prit le temps 

de mon absence pour Tenleyer.On ignora quelle 

route il avoit prise avec elle. Mais ce qui sembloii 

propre à me justifier, acheva de me rendre 

odieux au ministre. Il me regarda comme la 

première source du malheur de sa nièce et de 

la disgrâce de sa famille. Mon procès fut instruit 

avec la dernière rigueur; et tout ce qui put être 

allégué pour ma défense ne fit excepter que ma 

vie d'une sentence cruelle , qui m*enlevoit Thon- 

neur et toute espérance de fortune. Outre la 

donfiscation de mes terres , je fus condamné à 

liu bannissement perpétuel. La haine de mes 

ennemis parut jusque dads le choix du lieu de 

mon supplice. Cétoit Oran , le plus triste séjour 

de l'univers. 

J'y fus conduit avec tout l'appareil qui fait 
une partie de la honte du crime. Quelque in- 
différence que je dusse avoir pour le lieu de 
ma demeure, après une aventure si funeste , je 
n'eus pas plus tôt passé le détroit , que je sentis 
toute l'horreur du sort auquel j'étois condamné. 
Je me trouvai dans une ville peuplée d'un petit 
nombre de misérables , avec lesquels mon seul 
dégoût me faisoit prévoir que je ne formerois 
jamais la moindre société. La garnison ^émo , 



DU COMMANDEDH DE ***. I7 

qui etoit fort mal entretenue, sembloit s^étre 
avilie par ie commerce qu*elle avoit avec les ha- 
bitants. Il ne falloit pas me ilatter de trouver 
quelque moyen de sortir d'^un si triste esclavage. 
Je n'a vois d'un coté que l'Afrique , qui est au- 
jourd'hui plus que jamais le règne de la bar- 
barie, et de l'autre une mer qu'il m'ëtoit impof^ 
sible de traverser, et qui m'ôloit jusqu'à la 
pensée d'aller chercher de l'occupation dans 
quelque royaume de l'Europe. Les précautions 
qu'on prend pour empêcher' la désertion dés 
troupes , et pour arrêter tous ceux que le dé- 
sagrément du lieu feroit penser à retourner eii 
Espagne , tiennent les ports incessamment fer- 
més, et l'on ne sort de ce triste séjour qu'avec 
des permissions que je ne pouvois pas même 
demander. 

Ce fut dans cette malheureuse situation qu'ex- 
citant mon esprit à chercher tout ce qui pouvoit 
adoucir ma misère, je m'eflPorçai de réveiller le 
courage du commandant et de la garnison, pour 
les préparer à quelque vigoureuse entreprise 
contre les Maures. La ville avoît été insultée 
vingt fois par ces barbares , et l'on avoît Regardé 
comme un triomphe de les éloigner de nos mu- 
railles. Après avoir pris quelque connoissance 
de leur situation et de celle du pays , je conçus 
qu'il étoit facile de les repousser jusqu'à la rî- 

Prcvost. Tome XllI. Z 



l8 HISTOIRE 

yière de Mega , et de leur en fermer le passage 
une fois pour toujours, eu bâtissant quelques 
forts au long des rives. Ce projet fut goùlë du 
commandant; il m'en confia rexécution. Mes 
essais furent si heureux, qu^ayant rencontre upe 
troupe de Maures, qui s'étoient rassemblés au 
premier bruit de notre approche , je les taillai 
pn pièces jusqu*au dernier. Mais la facilité que 
ces barbares ont à se. joindre, Gt renaître eu 
peu de jours une armée beaucoup plus nom- 
breuse. Je la défis encore , let dans Tespace de 
trois semaines j^eu forçai tous les restes à se 
mettre ix couvert de l'autre côté de la rivière. 

Le bruit de ce succès vola bientôt jusqu'à 
Madrid. Mes parents et mes amis firent valoir 
mes services à la cour, et je me ressentis de leur 
zèle par une pension que le commandant reçut 
ordre de me payer. Cependant le goût de la 
gloiœ, autant que la nécessité de m'occuper» 
me fit étendre insensiblement mes idées. Quoi- 
que les Maures se continssent sur leurs bords , 
j'étois irrité de les y voir continuellement en 
état de défense y comme s'ils eussent pensé eux- 
mêmes à nous tenir en bride. Je fis jeter un 
pont sur la rivière , hors de la portée de leurs 
yeux ; et prienant le temps de la nuit pour le 
passer avec mes troupes, je fondis impétueu- 
sement sur eux à la pointe du jour. Mon entre- 



DU COMMANDEUR DE **'^. I9 

prise fut heureuse; mais ce ne fut point pour 
moi, qui eus le chagrin d'être fait prisonnier» 
tandis que. mon. armée victorieuse donnoit la 
chasse auic fuyards. Mon cheval s^abattit si mal- 
lieureusement, que je demeurai plus d'un quart* 
d'heure étourdi de ma chute. Le jour étoit eor 
core obscur : mes gens ne s'étant point aperçus 
de mon aventure , je tombai entre les mains 
d'un peloton de Maures, qui se hâtèrent de 
m'emmener par des routes écartées , et qui me 
reconnurent, contre mou espérance, à l'adresse 
de quelques lettres qui se trouvèrent sur moi. 
Mon nom étoit déjà célèbre sur toute la côte 
d'Afrique. Les Maures regardèrent ma captivité 
comme un triomphe. Je fus conduit directe- 
ment à leur capitale, où le bruit de mou mal- 
heur étoit déjà parvenu. La foule du peuple» 
que je vis assemblé autour du palais, me fit 
connoître que J'étois attendu. On me présenta 
au roi, qui me regarda long-temps sans ouvrir 
la bouche. Enfin m'adressant la parole : Chré« 
tien, me dit-il, ta figure ne dément point ta 
réputation.; mais tu nous as fait trop de mal 
pour prétendre à mes caresses et à mes bienfaits, 
et me tournant le dos sans attendre ma réponse, 
il donna ovdre à l'un de ses officiers dé me con- 
duire au lieu qu'il m'avoit destiné. 
• • Je ne fis point d'in^nces pour me faire éçou« 



2* 



20 HISTOtHÉ 

ter 9 et de qnelqae traitement ^ae je fusse m^* 
nacë^ je ne cherchai point d^autre ressource 
que dans ma fierté et ma constance. On me fit 
monter dans une yoiture, où je ne fus accom- 
pagné que de Fofficier auquel le roi m^avoit 
remis. J^étois trop occupé de mon chagrin pour 
examiner curieusement son yisage» et je fis 
même peu d^attention au soin continuel qu^il 
prenoit de me le dérober. Toutes mes réflexions 
ëtoient amères. Quelle fin d'une carrière que 
je Tenois de m'ouvrir si glorieusement! Je me 
rap|)elois Torigine de mes malheurs » et le peu 
de part que j'y avois eue par ma conduite. Les 
lâches pratiques de don Antonio» et Tin juste 
katne du ministre » étoient la seule cause de 
Bia ruine? Devofe-je trouver un motif de con- 
solation dans le témoignage de mon innocence » 
on reprocher ses crimes à la fortune » et m^en 
Caire un sujet de désespoir? 

Nous arrivâmes à ma prison, qui étoit un 
château fortifié par Tart et par la nature, k 
«Louze ou quinze lieues de la capitale. L*officier 
^t me oonduisoit se hâla de sortir de notre 
ivoilàre» et me laissa entre les mains des gardes 
qui nous avoient escortés. On m*introduisit âans 
un appartement qui ne servoit pas pour la pre- 
mière foisde prison. Les fenêtres en étoient basses 
et griUéesi les murs épais » et la porte défendue 



BU COMKANDECll DE ***. 2ï 

par une infinité de verroux. Je m'y livrai , avec 
un renouvellement de douleur , à la considéra* 
tion de mon infortu&e; mais je n'y fus pas long« 
temps sans entendre ouvrir ma porte, et je re* 
connus à Thabit plutôt qu'au visage l'oCficier 
qui m'avoît amené. 11 affectoit encore de se dé- 
guiser; et n'ayant aucune raison de croire que 
ce fût un soin qu'il prît par rapport h moi , je 
lui supposai quelque blessure ou quelque dif- 
formité qu'il s'e&brçoit de me cacher. 

Il s'approcha de i4bi d^un air plus mesuré que 
l'état de ma fortune ne sembloit l'y obliger. Je 
m'aperçus même qu'il étoit tremblant , et le son 
de sa voix me le parut encore davantajge. Il se 
servit de la langue espagnole pour me demander 
dans quelle partie de l'Espagne j'étois né. Je 
lui répondis naturellement que j'étois gentil- 
homme de Galice ; il continua de me demander 
par quelle aventure je me trouvois en Afrique 
à la tête des troupes espagnoles. Quoique rem- 
barras que je croyois remarquer dans toutes ces 
questions fût capaVle de m'inspirer quelque 
réserve, n'ayant rien à me reprocher qui pût me 
causer de la confusion , je lui racontai une partie 
de mes malheurs, et je ménageai peu mes enne- 
mis dans le récit que je lui fis de leur lâcheté et 
de leur injustice. Il m'interrompit par diverses 
questioBi. Il écoutoit mes réponses » et quelque* 



22 HISTOIRE ^ 

fois il condamnoit brusquement ce que je Inî 
reprësentois de plus juste et de plus innocent 
dans ma conduite. 11 me demanda particulière* 
ment ce que j'avois pensé de la fuite de ma 
maîtresse, et si j'avois appris ce qu'elle et oit de- 
venue. Ses mouvements devenoient plus animés 
et son ton plus ferme à mesure qu'il m'enten- 
doit ; dans quelques moments , je fus frappé de 
sa curiosité, jusqu'à me repentir de m'être ou- 
vert si librement; mais la pensée que mes aven- 
tures n'avoient rien de coiftnun avec ma situa- 
tion présente , et que je n'avois rien , d'ailleurs , 
à raconter qui ne fût honorable à mes senti- 
ments, me fit achever mon récit, sans égard 
pour des agitations et des témoignages d'inquié- 
tude que je ne pénétrois pas. 

Enfin, celui qui n'avoit fait jusqu'alors que 
m'embafrasser par ses mouvements et ses ques- 
tions , me causa une vive surprise , par le chan- 
gement qu'il mit tout-d'un-coup dans sa posture 
et dans son langage. Il se leva d'un air aussi fier 
qu'il l'avoit eu timide, et comme si le temps 
qu'il avoit passé à m'entendre eût servi à le for- 
tifier contre moi , il prit un ton qui ne m'an- 
nonça dès les premiers mots que de la haine et 
de la vengeance. Les injures furent aussi peu 
ménagées que les reproches; et lorsque je cbm- 
mençois è douter si je n^avois pas affaire à quel* 



DU COMMANDEUR DE ***. 23 

que insenso qui venoit de tomber dans l'accès 
de sa folle, il se découvrit le irisage , et me laissa 
recoanoître tous les traits de doii^ntonio. 

Mon étoûnement, plutôt que ma frayeur , lui 
donna le temps de m'apprendre lui-même , et 
son nom , et tout ce que j'avois à redouter de 
sa fureur. Traître , me dit-il' , avec une basse 
arrogance, reconuois-tu le plus morlet de tes 
ennemis , l'objet de tes insultes autrefois , au- 
jourd'hui ton maître? Sais-tu que je commande 
dans ce château, et que le roi t'a soumis à mes 
ordres ? Quoi ! reprit-il , en voyant que je le 
regardois froidement, tu ne trembles pas du 
châtiment que je te prépare ? Ah ! quel compte 
tu vas me rendre du sang de mes frères , de la 
perte de ma fortune, et des mépris de dona 
JSéatrix! Il continua long-temps de me traiter 
avec le même emportement , tandis que cher- 
chant dans moi-même par quel étrange caprice 
du sort je le trouvois en effet dans le pouvoir 
de me nuire , l'indignation que je ressentois de 
cette nouvelle ii'ahison de la fortune étoit le 
plus vif des sentiments qui m'agitoient. Je ne 
sais, lui dis-je sans m'émouvoir , à quoi le ciel 
me réserve; mais l'autorité que tu t'attribues ici, 
seroit sans doute pour moi le comble de l'hu- 
miliation. M'étant levé après ces deux mots, il 
s'imagina que je le menaçois de quelque vio- 



:^; nisTûiRE 

lence ; et ne s^en fiant pas même à ses armes , ni 
k l^ certitude qu^il avoit que f étôis desarmé , 
il se retira v^s la porte , d^où sa haine se satisfit 
par un nouveau torrent d'injures. Songe , en 
souffrant, me dit-^il pour dernier adieu , songe ^ 
en périssant , que tes tourments et ta mort vont 
être mon ouvrage , et faire mes plus chères dé* 
lices. Je détournai les yeux, et ne lui faisant 
plus un mot de réponse, je ne lui donnai pas 
même la satisfaction de me croire attentif à ses 
menaces. 

Ma première réflexion fut que son autorité 
ne pouvoit être aussi absolue qu'il s'étoit efforcé 
de me le faire craindre, puisque sa vengeance 
étoit suspendue. Un lâche n'auroit pas perdu 
les premiers moments , s'il n'eût été retenu par 
quelque frein qu'il n'osoit rompre. Dans quel- 
que fa veui' qu'il pût être auprès du roi , et par 
quelque voie qu'il s'y fût élevé, il n'y avoit au- 
cune apparence que ce prince entrât dans se» 
ressentiments jusqu'à lui abandonner la vie d'un 
prisonnier de guerre qu'il n'avoit aucune rai- 
son de mépriser. Cependant je concevois qu'é- 
tant livré à sa garde , dans un lieu dont il étoit 
gouverneur , il pouvoit me traiter avec une 
dureté qui me feroit un rigoureux supplice de 
ma prison , et que s'il n'osoit rien entreprendre 
Quvertement contre ma vie » il y avoit mille 



DU COMMANDEUR DE *'^*. l5 

Toies secrettes de se défaire dVn ennemi , qui 
sout la ressource ordinaire d'un perfide. Il ne 
m'arriva rien jusqu'au lendemain qui put me 
faire nailre des réflexions; mais lorsqu'après 
avoir passé la nuit sans le moindre secours, je 
commençois à craindre que le dessein de mou 
ennemi ne fut* de se défaire de moi par la faim » 
je vis ouvrir les portes de ma prison et je me 
remis aisément dona Béatrîx » quoiqu'elle ^ùt 
quitté, comme don Antonio , Thabit espagnol 
pour prendre celui du pays. Son visage u'étbit 
pas moins changé que sa parure. Elle étoit ac^ 
compagnée d'un domestique que je pris à sa 
figure pour un homme de notre nation. Ils fatv 
mèrentla porte avec soin, ^t dona Béatrix ayani 
reçu mes premières civilités sans me répondre^ 
s'assit pour verser un ruisseau de larmes^ avant 
que de m'avoir fait entendre sa voix. 

Je n'avois jamais eu pour elle une passioii 
fort vive, et tant de malheurs qui étoient ve^ 
nus à la suite m'avoient laissé peu de sentiments 
de reste pour la regretter. Sa vue ne me causa 
donc aucun trapsport , et l'amour n'eut point 
de part aux premiers mouvements de ma com» 
passion ; mais si je n'avois pu lui voir répandra 
tant de pleurs sans être touché de sa tristesse , 
je fus bien plus sensible au vécit qu'elle me fit 
de sa misérable situation. Don Antonio lui avo% 



26 HfSTOIRE 

fait prendre la route de la mer en sortant de 
Madrid, et trouvant à chaque pas des facilités 
qui dévoient faire jauger que ses mesui^ej^ etoient 
prises de plus loin, il l'avoit forcée de s'embar- 
quiT avec lui sur un vaisseau qui sembloit lui 
appartenir , tant il avoit trouvé de diligence et 
de soumission dans le capitaine et les matelots. 
Il avoil gagné avec le même bonheur la côte 
d'Afrique , où il lui avoit déclaré pour la pre- 
mière fois ses desseins, en l'exhortant à s'y sou- 
mettre et h les approuver de bonne grâce. C'é- 
toit de quitter le christianisme avec les pays 
chrétiens , et de chercher à la cour du roi de 
Maroc un établissement qu'il n'avoit pas trouvé 
à Madrid. Les plaintes et les larmes de dona 
Béatrix n'a voient servi qu'à faire prendre à ce 
misérable un ton plus dur et plus absolu.' Il 
l'avoit traitée dès ce moment avec une hauteur 
insupportable , en lui reprochant sans cesse la 
préférence qu'elle m'avoit donuée sur lui ; et 
dans la suite, il avoit employé la violence pour 
se mettre en possession des droits qu'il s*attri- 
btioit sur elle. Soit qu'il eût fait pressentir le 
roi , qui étoit alors à Fez , sur Paccneil qu'il y 
devoit attendre , soit qu'ayant embrassa la re- 
ligion du pays dès les pi^miers jours , il eût ga- 
gué par cette démarche ^e^time et la confiance 
dVme nation infidèle » il avoit reca du roi tou- 



DU COMMANDEUR DE ***. TTJ 

tes sortes de caresses et de bienfaits. Il possédoit 
plusieurs terres considérables avec le ch&teaa 
dont ilëtoit gotrverueur, et Topinion qu'on a voit 
pris de sa capacité et de son zèle , Ta voit fait 
admettre au conseil privé. A la première nou- 
Telle qu'il avoit eue de mes entreprises contre 
les Maures , il s'étoît persuadé qu'ayant décou- 
Tert sa retraite, je n'avois pris les armes que 
pour le persécuter et lui ravir dona Béatriic. 
C'étoitlui qui, depuis que j'avois forcé les Mau- 
res de repasser la Mega , les avoit encouragés à 
se rassembler sur les bords du fleuve , dans l'es- 
pérance qu'étant extrêmement propres aux 
coups d'adresse , ils trouveroient quelque occa- 
sion de me surprendre et peut-être de m'enlevér. 
Le courage lui avoit manqué pour se mettre à 
leur tête; mab il avoit eu l'œil sur leur con- 
< duite , et se livrant aux transports de sa joie 
lorsqu'il avoit su que j'étois prisonnier , il avoit 
brigué la commission de me garder comme une 
-fortune à laquelle il auroit sacrifié tous ses autres 
biens. 

' Dona Béatrix ajouta q;ue depuis deux ans 
qu'elle étoit soumise à la tyrannie de ce perfide» 
€^le avoit vécu dans une guerre perpétuelle 
-avec lui. Il n'avoit jamais obtenu d'elle que les 
faveurs qu'il lui avoit arrachées avec d'horri- 
)>les violences » et souvent le secours odieux dç 



Z3 UISTOiaC 

ses esdaTes. Il lai aroit cliché qae je fa«e fin- 
sonnier de guerre , ei que le roi mVùi commis 
à sa garde; mais il igaoroit que le domeslique 
espagnol pomr lequel il aToit le plus de coa- 
fiaoce» et quHl aToit chargé des cle£i de ma pri- 
son 9 étoit beaucoup moins aUaehè à lui qti*à 
dona Béatrix. Etant parti le matin pcHir aller 
rendre compte au roi de ma sîtuatiou , il ne se 
déficit point quQ iou «xmfident « et celui qu*il se 
proposoît déjà d^employer à sa Tengeauce , dut 
être Hnstrument de mon ^aluU 

Dona Béatrix ne me laissa point le temps de 
lui marquer Tintérét que je prenois à son in- 
ibrtune. Elle passa tout-d*un-coup à me conjurer 
de rompre ses chaînes et de la rendre par toutes 
sortes de Toies à sa Cfimille et à sa pairie. J^ad* 
jnir^i cette proposition , lorsque je me trouTiûs 
moi-même dans une captivité doqt je craîgnoit 
de ne pas Toir aisément la 6n. A-la vérité , je 
comprenois que son secours et celui du confi- 
dent de don Antonio pouToientm^ouTrirlespor- 
tes de ma prison ; mais quelle apparence de 
gagner les bords de la Mega » au travers des 
Maures qui tenoient enccMre la campagne ? Il 
ne s*offiroit pas néanmmns d^autres routes , car 
il 7 aT<Ht encore moins d*espérance de s*échap- 
f^ par les ports de ces barbares ; et pénétrer 
{Iqs 4Taiit 4tfi$ TAfinque pour j trouver des 



DU COMMANOEUll DE ***. 2g 

éhemins moins observés , ëtoit une entreprise 
dont la sûreté même ne pouvoit serrir qn^à nous 
prëcipitet* plu$ infailliblement dans d^autres 
dangers. Je fis ces objections à dona Bëatrix. 
Elles me regardoient beaucoup moins qu^elle ^ 
puisque le péril ne m'auroit point efirayé si je 
n'avois eu d'embarras que pour moi-même. M aî6 
sa réponse et celle de TEspagnol me firent con- 
Aoitre quUIs s'étoient déjà occupés du même 
dessein» et qu'ils n^a voient attendu qu'un guide 
assez hardi pour les conduire. Ils me propo-* 
sèrent de gagner Alger, où les privilèges du 
commerce nous ouvriroient un passage sou$ 
le seul titre de négociants. Il n'étoit question ^ 
me dirent-ils , que de nous dérober asse2 adroi- 
tement pour faire ignorer notre route et pour 
éviter d'être poursuivis. La vraisemblance de ce 
projet ne pouvoit me frapper autant qu'eu 5c, qui 
B'en étoient fait une longue étude; mais commit 
toutes mes craintes ne tomboieut que sur dona 
Béatrix, je n'insistai pas long-temps sur un danger 
qui lui causoit si peu d'alarme. 

La résolution de notre départ fut ainsi formée 
dès le premier jour, et le domestique espagnol 
se chargea des préparatifs. Mais le retour de don 
Antonio nous jeta dans d'autres inquiétudes , 
dont il me fut encore plus difficile de mfe déli- 
vrer. Dans le dessein de m'ôter la vie, il avoît 



32 HISTOIRE 

et ce fut de lui que j'appris aTant la nuit que la 
malheureuse Bëatrix venoit d'expirer aux yeux 
de son tyran. 

11 ne me falloit point d'autre garant de la 
bonne foi de ce garçon , que les expressions de 
•on désespoir et l'horreur qu'il conçut pour son 
matlre. Mes sentiments étoient sans doute aussi 
vifs , quoique je les fisse éclater beaucoup moins. 
Mais prenant un parti qui me fut dicté aussitôt 
par l'honneur autant que par le désir de venger 
une fille infortunée, dont les malheurs n'avoiept 
jamais altéré la vertu, je conjurai l'Espagnol de 
ne pas différer plus long-temps que la nuit sui- 
vante à m^ouvrir les portes de ma prison , et 
sans m'expliquer sur mes desseins, je l'assUrai que 
S^il restoit quelques traces d'humanité dans le 
pays où nous étions , je ne voulois que deux 
jours pour faire monter son détestable maître 
gur l'échafaud^ Il seroit trop glorieux pour un 
infâme , lui dis-je, de périr de ma main. Mais 
je n^avois pas eu besoin d'une longue rétlexion 
pour former mon projet. Il ne fut exposé à man- 
quer que par Timpatiente fureur de don Anto- 
nio qui avoit choisi la nuit suivante pour ache- 
ver l'office du poison. 11 communiqua heureu- 
sement son dessein au domestique , qui saisit 
un instant pour m'en avertir et qui me marqua 
le premier moment de robscurité pour notre 



départ. Quelque £acilité que don Anionio eût k 
me poursuivre 9 je ne Tonlois^ que le temps de 
gagner Fez , et je me fiattois que tandis qû*il 
&*agiteroit pour trouyer son confident » il me we* 
roit facile de m^éloigner. 

Il me le fut encore plus que je ne Tavois es* 
péré ; car , ayant trôuyé à quelque distance du 
cb&teau deux- cheraùs: extrêmement légers ^ 
nous fumes peut-^tre arrivés à la capitale avant 
qu'on eut le moindre soupçon de notre fuite» 
J'allai descendre au palais dû roi , et faisant 
demander une pronlpte audience» je-m'annonçai 
ouvertement sous le nom de don Fetès » général 
espagnol. Là surprise oà je tîs tout le mdiide 
sur mon passage étoit furécisëotient TeSet que 
j'etois charmé de produire, et je 90uhaitois qtie 
le roi pût ressentir la même impression. Je £àê 
introduit si promptemeut dans son cabinefl^ que 
je ne doutai pas^ du-imoins, de Fimpatience 
qu'il a voit de m'enteudce^ Mon abord fut fermée 
mais re^ectùcnix. La même facilité que j*ai ene 
à m'échapper de ma foison , lui dis-^je, je Faii- 
rois eue à sortir de vos éidts; mais ropiniom 
que j'ai de votre générosité ne me peihnet pM 
de vous quitter en f ligilif • C'est de vous-même 
que je veux obtenir la liberté de retourner dans 
uni patrie, et je veux la mériter par un service 
dent vous allez sentir le prix. Un infâme ii^oùs 

Pr^TOst. Tome XilL 3 



34 HISTOIRE 

pa:d d^honneur. Vous m'avez traité en roi qui 
use des droits de la victoire » et le misérable à 
qui. vous avez confié ma vievous expose à pas- 
ser pour mon bourreau. Là, je lui racontai » 
non-seulement le dessein que don Antonio avoit 
formé dé m'empoisonner , maisTeffet de sa ja- 
louse fureur contre dona Béatrix; et reprenant 
notre démêlé dans son origine , je le vis rougir 
plusieurs fois de la lâcheté d*un homme à qui 
il prodiguoit toute sa confiance. Voyez, ajou- 
tai-je , si j'ai droit d'exciter votre justice contre 
un perfide , et si l'intérêt de votre gloire doit 
vous y porter moins que celui de ma vengeance. 
Quoique dur et féroce , le roi de Fez est gé- 
néreux. Il sentit la noblesse de mon procédé ^ 
et ne pensant pas même à me donner des gar- 
des, il ne me demanda que le temps ^ de faire 
paroître devant lui son gouverneur. Les ordres 
qu'il donna pour me faire passer agréablement 
le reste de la nuit me firent connoitre également, 
et qu'il vouloit répondre à l'opinion que j'avois 
de lui, et qu'il avoit pris de ma bonne foi celle 
que je m'étois flatté de lui inspirer. Dès le ma- 
tin du jour suivant , je fus averti qu'il me de*- 
mandoit , et que don Antonio avoit été amené 
au palais par des gardés. Je ne pus me défendre 
d*un mouvement de joie en apprenant l'humi- 
liation de mon perfide ennemi. Elle redoubla 



DU COMMANDEUR DE ***. 35 

* 

Idfrsqu'il m'aperçut et qu'il ne put douter que 
je ne fusse devenu squ. accusateur. Le roi lui 
reprochaen ma présence, .tous les. crimes dont je 
j'avois chargé , et Ip pre;$sfint d*ea faire l'aveu , 
il lui fit envisager dçrprèstlfi supplice qui YaX" 
tendoit. Mais Tadroit renégat se flattant de ne 
pouvoir être couvalficupar m'a seule déposition^ 
prit le parti de se défepidriî p^r :un désaveu for^ 
mel, et protesta qu'il i^e m^avqit pas même connu 
en Espagne. Gett^ apologie étoit si peu vraisentr 
blable » que le roi en p^rut indigné ; cependant 
sa colèr.e .étant retenue .par la .qualité: de mu- 
sulmap.quç l^ mi$ér;able don Aptonio avoit tou- 
jours soutenue avec affectation v il n'osa. peut* 
êtjfe donner, une préférence éclatante au té- 
mçignage^drun chrétien. Il, me regarda: Pérès, 
me dit-i| , j^ mets 1^ di^^rence que je dois entre 
vous ef.yptre ennen^i s mais comment prpuve- 
.re2;^vou$î des; imputations qu'il désavoue ? Je ne 
me, fi$p^s Répéter cette question. Mon honneur 
m'eupa^'oi^sqit blessé, ï^a. voie de^ armes est 
ouverte^ ,i;épondis-je avec chaleur. Le roi loua 
nia prppo^itioi^ y qt faisant valoir à don AqitoQip 
la permission qu'il liii accojrdoit de se justifiepr 
par son courage » il ne put deviner que ce qu'il 
regardQJt comme une faveur , fût^ pour mon 
ennemi un châtiment aussi certain que le sup- 
plice. 

3'^ 



36 HISTOIRE 

Pour moi qui le compris loat-d*un-coup , 
j*eus honte, pendant quelques moments, de la 
nécessité où je me mettois de tremper mes mains 
dans un sang si vil. Cependant n'ayant aucun 
avantage à tirer du témoignage de son domes- 
tique espagnol, qui ne passoit aux yeux des 
Maures que pour un esclave , et m^étant trop 
engagé pour laisser mon honneur en doute* 
chez une nation qui me regardoit comme son 
vainqueur , je me préparai à terminer cette que- 
relle dès Taprès-midi du même jour. J'aban- 
donnai le choix des armes k mon ennemi. II 
se déclara d'abord pour Tépée , contre l'usage 
des Maures qui ne se servent que du sabre. Un 
quart-d'heure après il me fit prier denous ser- 
vir du pistolet. Je consentis à ce changement ; 
mais ce ne fut pas le dernier. Il renvoya chez 
moi , pour me faire demander en grâce que 
ïiôCre combat se fit à coups de fusil. Sa lâcheté 
me fit pitié , car tant d'incertitude Hé pouvoit 
Venir d*anê iiutre cause. Enfin lorsque je me 
dtaftotois à partir pour le joindre, je reçus de 
kll'flàè lettre «crite fen espagnol » par laquelle 
tt'iiÉté oûtqàfôit avec les pins baises expressions 
Il isrû&te » de ne pas pousser plus loin ma 
'Une 9 et dé me contenter de rhumilia- 
d& jt Favoiis réduit. II mè* promettoit de 
^oonnottre coupable devant le roi , à la seuIi» 



DU COMMÀNDEUH DE ***. 37 

condition que j'employerois mon crédit auprès 
de ce prince , pour lui faire conserver avec la 
vie son rang et sa fortune. La force du mépris 
éteignit tous mes ressentiments. J'appris au roi 
les offres de son gouverneur » elles furent exé- 
cutées avec des circonstances qui auroient fait 
mourir de honte un homme moins lâche et moins 
perfide. Mes instances lui sauvèrent la vie , et le 
seul avantage que je tirai d'être venu à la cour , 
fut de me trouver si bien dans Tesprit du roi , 
qu'après m'avoir comblé de témoignages d'es- 
tîme, ce prince m'accorda la liberté. Il y mît 
néanmoins une condition fort dure; en m'of- 
frant de me faire conduire à Oran, ou dans 
quelque port d'Espagne , il me fit engager ma 
parole que je ne prendrois jamais les armes con- 
tre les Maures ^ et que je n'assisterois pas même 
le gouverneur d'Oran de mes conseils. Ainsi la 
seule voie que la fortune m'avoît offerte pour 
me rétablir dans ma patrie m'étant fermée par 
une loi inviolable , il ne me resloit qu'à choi- 
sir quelque autre endroit du monde, où je 
pusse tenter de réparer mon malheureux sort. 
Après mille réflexions , je me déterminai à pas- 
ser en Italie , où la guerre éloit allumée entre 
l'Empire et la France. Je me rendis à Alger avec 
une escorte de Maures , qui me traitèrent sur 
la route comme un jbomme chéri de letu^ mai* 



I 



38 HISTOIRE 

tre, et je m'embarquai sur le premier vais- 
seau' lijui fit voilé ][>our lés états dii grànd-sei- 
gneur , d'où je pouvois trouver plus de facilités 
pour gagner Tltaîîe par terre ou par mer. 
; Une troupe de -passagers, Maures ou Turcs, 
qui étoient à bord avec moi, ne m'inspira pas 
beaucoup de curiosité pour les connoîlre. Je 
passois seul le temps de ma navigation à mé- 
diter sur mes nouvelles, entreprises, lorsque je 
fus interrompu par uu esclave de ma nation , 
qui me conjura d'abord de prêter beaucoup 
d'attention à ce qu'il n'avoit la liberté de m'ex- 
pliquer qu'en peu de mots. Je suis observé , 
me dit-il, et chaque moment que j'employe à 
vous parler, m'expose peut-être à des traitements 
cruels. Vous voyez uu malheureux» qui l'est 
moins par ses propres peines,' que par celles 
d'une femme qu'il aime uniquement , et qui 
doitétre bientôt la proie dequelque infidèle. J'ai 
été enlevé avec elle sur la côte de Catalogne. On 
nous mène en Turquie pour nous vendre. Quel- 
ques efforts que j'ai malheureusement tentés 
pour nous sauver par la fuite , m'ont attiré un 
châtiment dont je frémis. Cependant la mort 
m'effrayant moins que le sort dont jç ne puis me 
garantir, je conçois qu'avec votre secours il n'est 
pas impossible encore de rompre nos chatne$. 



Dlà COMMANDEUR DE ***. 3g 

Etes-vous assez généreux pour me l'accorder ? 
A-peine eus-je répondu qu'il pouYoit compter 
sur mes servi ces » que se hâtant de m'expliquer 
son projet : Je suis homme de mer, me dit-il; j'ai 
commandé dix ans un vaisseau de guerre. Il 
est question de m'aider pendant la nuit à jeter 
la chaloupe. Deux des compagnons de mon sort , 
que j'ai gagnés par l'espérance de se mettre en 
liberté , ne suffisent pas pour exécuter ce des- 
sein sans bruit ; mais le temps est si calme , qu'il 
ne restera vraisemblablement que le pilote ' au 
gouvernail. Je le tuerai si vous me prêtez quel- 
que arme, et je ne douté point qu'avec la cou- 
noissance que j'ai de la manœuvre, nous ne ve- 
nions à-bout dans un instant de mettre la cha- 
loupe en état de nous servir .Vous serez le maître 
alors , ajouta-t-jl, ou de vous livrer à ma con- 
duite , ou de demeurer dans le vaisseau , sans 
qu'on puisse se défier du secours que vous 
m'aurez prêté. Ce plan ne me parut point aussi 
facile qu'à lui. Cependant sans lui faire sentir . 
que les imaginations d'un désespéré ne font 
pas la même impression sur un esprit tran- 
quille : Il me suffit , lui répondis-je , que vous 
me donniez l'occasion de servir des infortu- 
nés. Je ne suis point assez attaché à la vie pour 
vous faire valoir le risque auquel je vais l'ex- 
poser; et je lui engageai ma promesse d'être 
sur le tillac avec mes armes et tout ce qu'il juge^ 



40 HISTOIRE 

rolt nécessaire pour lé secourir. Je lui deman* 
dai comment il se promettoit d*y fair^ mouler 
5a dame , qui devoit dire renfermée dans quel- 
que cabane avec les autres esclaves de son sexe? 
Il craignoitf n^e dit^il^de risquer trop enm'cx- 
pliquant ses mesures; mais elles étoient cer- 
taines» et je pouYois m^en rçposer sur Tintérét 
qu'il a voit à les faire réussir. 

M*ayap( quitté ^ il me laissa le temps de déli* 
bérer moi-même sur ce que je pouvois ajouter à 
son dessein pour en faciliter rexécution. Nous 
ét^OQS k la hauteur de Tisle de Corsie; et com- 
prenant que di^ns une mer si étroite il ne nous 
seroit pa$ difficile de gagner cette côte , j'avois 
d'autant pioins. de répugnance à la conduite de 
Tesclave espagnol, que je m'épargnois bien des 
embarras et des lenteurs pour gagner Tltulie;* 
he domestique de don Antonio oomposoit toute 
ma suite. Je lui devois trop de confiance pour 
ne pas compter sur son attachemept. Il m'em- 
barrassa par diverses objections. C?pçndant mes 
promesses ayant été trop formelles po^r Jes rap^ 
peler à Texamen , je lui donnai ordre de se te- 
nir prêt à me suivre. Çétpit avant-hier 9 c'est-à- 
dire, la nuit qui a précédé celle-ci, que nous 
devions tenter une si grande enlreprise^Vous sa- 
vez à quelle heure commença la tep^péte, puis- 
que vous l'ayez essuyée. Il fujt bieiumoins ques* 
tion de penseï; à .^ fuite» qU{'^ la gonsçrvatioa 



DU commiandï:ur de ***. 41 

du vaisseau que nous voulions aliaudonner. Je 
me prêtai au travail comme le moindre matelot; 
ce qui n^em pécha point que dans TaffreuTC désor- 
dre où ëtoit réquipage , je ne visse TEspagnol et 
ses deux compagnons détacher la chaloupe, sons 
des prétextes que personne n'avoit la liberté 
d'examiner. Heureux s'il a profité assez habi- 
lement de sa hardiesse,pour se dëli ver tout-à-la- 
fois et de Fesclavage et delà mer ! Je le perdis de 
vue dans Tôbscurité, et ne pensant moi-même 
qu^à défendre ma vie* à Hnstant d'un naufrage 
inévitable, je me saisis d'un mât fracassé, que 
je jetai assez adroitement en mer , pour m'élan- 
cer dessus au même moment. Le domestique de 
don Antonio, que j'exhortai à me suivre, se 
jeta après moi avec le même bonheur. Notre 
exemple anima quelques autres matelots k nous 
iqfiiter. Ils n'ont pas résisté, sans doute, à l'impé- 
tuosité des flots , puisque cette voie de salut n'a 
été favorable que pour moi; mais j^errois depuis 
plus de six heures au gré du vent , et je voyois 
encore quelques-uns de mes compagnons atta- 
chés au mât. Les cris que la vue de votre vais- 
seau nous a fait pousser comme de conceit , oot 
attiré vos yeux sur nous; mais lorsque ^on 
agitation vedoubloit par des espérances si 
prochaine^, j^ai senti à la légèreté du mât que 
mes malheureux compagnons périssoient suc- 



42 HISTOIRE 

cessîvemeiit. J'ai tiré de nouvelles forces du 
malheur d'autrui. L'ardeur que j'ai remarquée 
à vos gens pour me secourir , m'a fait même 
éprouver que dans l'extrémité du péril on peut 
être sensible à la joie. Mais que dis-je ? je l'ai été 
jusqu'au transport , à la compassion et à la re- 
counoissance , lorsqu'après vous avoir vu faire 
mille efforts pour vous saisir de mon mât, je me 
suis aperçu, en vous voyant disparoitre, que 
vous aviez été englouti par les flots, et j'aurois 
abandonné mille fois l'instrument de mon salut , 
si j'avois eu la moindre e^érance de racheter 
votre vie aux dépens de la mienne. Enfin j'ai 
été enlevé , au milieu de cettte agitation , par 
des mains puissantes , qui m'ont couché tran- 
quillement dans la chaloupe. Mon premier mou- 
vement a été de presser mes libérateurs de vous 
rendre le même office. Us vous cherchoient , et 
la violence de la tempête étant extrêmement 
diminuée , ils n'ont pas eu de peine à vous trou- 
ver. Quelques liqueurs fortes a voient déjà réta - 
bli nies forces. Si l'on vous a dit avec quelle effu- 
sion de joie et de reconnoissance je vous ai tenu 
embrassé pendant un quart-d'heure, pâle et sans 
mouvement comme vous étiez , m'efforçant de 
vous communiquer la chaleur que je devois 
moins à ma vigueur naturelle qu'à la force des 
circonstances , et me plaignant au ciel de m'avoir 



DU COMMANDEUR DE ***. 48 

mis dans le cas d'une reconnoissance dont je me 
croyois déjà condamné à ne pouvoir jamais 
m'acquîtter , on n'a pu vous faire prendre 
qu'une foible idée du sentiment qui accompa- 
gnoit mes mouvements extériieurs. Je me suis 
retiré en vous voyant ouvrir les yeux , trop con- 
tent d'être assuré de votre vie, et je n'ai voulu 
reparoître devant vous , qu'après vous avoir su 
assez rétabli , pour» êti^e en état de vous rappeler 
ce que vous avez fait pour un inconnu, et de 
comprendre vous-même que vous ne devez met- 
tre ni mesures, ni bornes aux droits que vous 
avez acquis sur moi. 

Un récit si intéressant augmenta beaucoup 
l'inclination que je m'étois sentie pour Pérès sur 
les seules grâces de sa figure ; et je ne désavoue- 
rai point que ce que j'avois fait pour lui , ne 
fût encore une sorte de lien qui fortifia ce pen- 
chant. On s'attache autant par le bien qu'on fait 
que par celui' qu'on reçoit. Je ne pensai néan- 
moins qu'à lui faire interrompre des remercî- 
ments qu'il ne finissoit point. L'étonnement que 
j'avois de le voir si tôt rétabli, tandis qu'au troi- 
sième jour je me sentoiâ encore la tête et l'esto- 
mac dans un étrange désordre, me fit souhaiter 
d'apprendre comment il s'étoit défendu si heu- 
reusement contre les flots. Il m'assura qu'à la ré- 
serve du premier moment y où il avoit avalé» 



44 HISTOIRE 

malgré lui « quantité dVau , il avoit eu peu de 
peine à se soutenir à Taide du màt. Les vagues , 
qui passoient à tous moments sur sa tête , ne lui 
âYoient jamais fait perdre assez la respiration 
pour avoir trouvé beaucoup de difficulté à la 
reprendre. Il avoit conservé toute la liberté de 
sa raison ; et n^ayant appréhendé qu'une las- 
situde dont il se sentoit encore fort éloigné » sa 
surprise étoit que ses compagnons n'eussent pas 
eu la force de résister comme lui à des secousses 
qui Ta voient si peu fatigué. En effet, Texpérience 
m*a fait connoitre dans la suite , que le moindre 
appui soutient facilement un homme dans la 
mer , et que la présence d'esprit et le courage 
sont deux ressources d'une grande utilité contre 
la tempête. 

J'eus la satisfaction t après mon rétablisse-- 
ment , de reconnoître de jour en joUr que 1? goût 
de mon caractère avoit autant de force que la 
reconnoiasance pour me faire un intime ami de 
don Pérès. Je lui jurai Ies>paémes sentiment* Sa 
fortune commençoit à m'intéres^r beaucoup 
plus que la mienne ; et ce fut après avoir beau- 
coup réfléchi sur la manière dont je pouvois m*y 
rendre utile , que je m'efforçai de l'engager à 
prendre comme moi le parti d'entrer dans l'or- 
dre de Malte. Il ne s'y sentoit pas le même peu* 
chant. Dans quelque désordre que sa fortun3 



DU COMMANDEUR DE ***. 4$ 

fût^en Espagne, il n6|iouvoit pei'dre Tespërance 
de ia rétablir au premier changement de mi-^ 
distère. Il ëtoit Taïaé d'une maison puissante ; 
et mon exemple ne servoit tout-au-plus qu*à 
rëbranler. Cependant , lorsque le commandeur 
de Baillantes lui eut expliqué que les derniers 
engagements peuvent être long-temps reculés i 
et qu'il n'iroit rieu chercher dans les armées 
d'Italie, qu'il ne put trouver au service de la 
t*eligion , Famitié lui fit vaincre le reste de ses 
répugnances , et le seul désir de ne pas nous sé- 
pale lui titif lieu de vocation, J'étoi« assez riche 
d'tttie grosse pension que je m'élôis réservée » 
pour ne luS taissér sentir aUùUti be^in de fot* 
tunCé La difficulté n'étoit qu'à lui faire accepter 
-des secours contre lesquels il M matiqueroit 
^as de se révdltèi^* Mâîia j^ ù^ôteVittS AV^c le com* 
fidaïideuï* d«f fiuillémt^ ^ qu'^n a^teudaût ce que 
Wdus llli &^ftV^péi*er de la ^éïiél'ôsité dti 
^rtnd^ihirkreilie ébttttnttâdeut' ^î ^réeroitquel- 
t|ue ëMplôî dans' i^6ti é^caAté , et que , sous ce 
-pl^eifte , ^il^faPassigtieroît tfes àppôitttentrente 
*tibh^îdé<'«Wés qîie'^é^yerbis secfettemeht. 
" No^troîs Vaisseiitt*is¥tant'rassèmWés,noàscon- 
tinuAmês •pcâdààt qtdttte jours de chercher lè^ 
giilèrte turqueS/Mais là même tempête qui nous 
"a voit dispersés , tes avoit fait rentrer dans leurs 
jtorts. Ma pt^mfèirecàra vanne fut ainsi réduite 



46 ^ HISTOIRE 

à une course aussi stérile pour la gloire , qu'elle 
me. paroissoit heureuse par Tacquisitioin que 
î'ayois faite d'un ami. Nous regagnâmes Malte» 
où la tempête avoit cause tant de dommage jus* 
qu'au milieu du port , qu'on y regarda le re- 
tour de nos vaisseaux conjLpie une faveur du 
ciel. Don.Perès, que npus présentâmes au grande 
maître , en fut reçu avec là distinction qui 
étoit due à son mérite et à sa. naissance. Mais il 
sentit, dès le premier jour, un triste effet de 
l'engagement qu'il avoit pris avec le roi de 
Maroc. En apprenant qu'il avoit commandé les 
Espagnols contre les Maures 9 le grand-maître^, 
qui avoit reçu quelques sujets de plaintes des 
Algériens , lui proposa de se charger d'une 
expédition qu'il méditoit coq^re p^ corsaires. 
L'honneur étpit une loi que Perès:r^es|)eotoittrpp 
pour mettre quelque chose en balance avec elle. 
Il déclara naturellement que toujte la ç^te^d^A^ 
frique étoit un lieu sacré pour lui. J'aui'Cfis pfu 
qu'il y pouvoit mettre quelque distinction ,r . cjt 
qu'un serment qui regardoit le roi de. jVIaroc 9 
ne devoit pas s'étendre à tous les Maurçs.; ni.aîs 
il se rappeloit les termes du, rpi^ qui ay oient 
compris également ses sujets et ses. alliés. . r 
Pérès avoit autant d'étendue d'esprit que de 
noblesse de sentiments. ]N'étant pas bien déter- 
miné à s'engager dans notre ordre^.il conçut 



DU COMMANDEUR DE ***. 47 

qu'il y a voit d'autres voies de s'y attirer de la 
considératioh» et toute son étude fut de les cher- 
cher. Après avoir refusé vingt fois les secours 
que je râvods pressé d'accepter , il me fit un 
jour cette ouverture : J'ai honte , me dit-il , de 
recevoir du grand-maitre une pension et des 
caresses que je n'ai méritées par aucun service; 
et tout considéré, si je dois accorder à quel- 
qu'un cette sorte de droits sur ma reconnois- 
sauce » il est plus naturel que ce soit à mon ami. 
Vous avez j dites-vous , dix mille ducats comp- 
tant et des lettres de crédit pour une grosse 
somme. Youlez-vons contribuer à la fortune de 
celui qui fait profession de vous devoir déjà la 
vie? 'Cette proposition m'ayant comblé de joie 9 
je m'arrêtai bien moins à lui faire valoir la sa- 
tisfaction que je ressentois de le pouvoir servir^; 
qu'à le prier, comme je faisois continuel! ementY 
de ne pas exagérer les obligations qu'il m'a voit; 
et comme nous nous trouvions chez moi, je ne fis 
-que prendre ma cassette 9 que je voulus aussi- 
tôt lui mettre entre les mains. !Non, non, me 
dit-il, vous prenez mal ma pensée. Il m'a seni- 
blé , continua-t-il, que rien ne seroit plus noble 
et plus digne de vous , que d'employer une 
somme qui est inutile dans vos > coffres , à ser- 
vir la religion à vos propres frais , et qu'en équi- 
pant un vaisseau sous l'autorité dti grand-maitre , 



45 msToîRE 

Toiis acquerriez bientôt, avec rhonûeurdVmç^ 
entreprise presque sans exemple f de quoi vou» 
dédommager des premières dépenses. Qui sait 
à quoi la valeur peut vous conduire? Vous me 
«donnerez votre lieutenance ; et tout ce qu^on 
peut attendre d'un peu d'usage et d'une parfaite 
amitié » vous me le verrez faire constamment 
^our votre gloire. 

Ainsi cette assistance que Perè& m'avoit de^ 
mandée pour lui y se réduisoit à iHe servir moi«' 
même par la plus glorieuse idée qu'il pût m'in* 
spirer. Cher et illustre ami , lui dis-je en l'em-r 
brassant , je ne trouve qu'un changement à faire 
dans un projet qui m'enchante. C'est que ma 
jeunesse » le peu d'expérience que j'ai dans les 
armes , et le Coud que je fais sur votre gêné* 
reuse amitié, m'ofaligeiatde vaus demander pour 
^oi le rang auquel vous voultez vous réduire. 
Tous commanderez le vaisseau^ je serai votre 
lieutenant , et je ne vois rien .au-dessus de mes 
espérances lorsque vous m'animerez par vos 
exemples. Je n'écoutai point toutes Içs raison^ 
par lesquelles il voulut combattre ma réponse; 
et ne pensant qu'à solliciter l'agrément du grand- 
maître, je l'assurai qu'avant la nuit j'aurois la 
permission qu'il désiroit, si elle pouvoit être 
obtenue. 

Ma proposition parut nouvelle a la cour. La 



^laj^art des jemics cheraKêrs' étdtil* des HdTadëti 
Sans bieh, il étoît môui qn'oii e&t sétri la^rëlîr^ 
gtôh :Jànd îtilérét ; et cette* f>eiisëe '^ùî pduVé/k 
faire <^aîndre au gramï-niàttre ^tteljjtiè t*Mi^ 
ehement dans mon obéissance , fut le prini^i^At 
obstacle qui retarda son dcrUBMteiiieiit ^et^ael- 
q^lies }Otifs« Cependant , après dvdit* pris tavip 
de son conseil^ il m^âôoordat la faveur qUefe 
lui demaiidois ^ soûs la sesule condition qitfe ft 
te serois jamab ftbscifit ploa : de trois moibi^ et 
que là religioa tireroit ses dfoilB ordinaires é^ 
tous les avantages t[uc \fi] rempoHerois.Mi^r le# 
infidèles. Peâfàs se crut e^iÉfi0mb\e de ses désira 
Je lui abandonnai lé sçin d^çj^eter un yaissôau 
et de le faire équiper^ Une s^en trouva point qui 
le satisfît.daos le port de Malte. Nous parttmest 
avec la perdiissidn du grajad-, maître, pour Ye- 
liise » où Ton nous fit espérer que nous trouve-, 
rions à choisir eittre plusieiiirs bâtiments que la 
flotte de cet état Venoit denjever aux Turcs* 

. \ ■ v_- 

Nous y arrivâmes si heureusement ^ qu*on y 
étoît presqu'à la veille d*en faire la vente. Pérès, 
qui avoit employé le peu de teiïips. qu'il avoit 
passé dans Tisle de Malte, à se mettremu fait dé 
la marine, et n^avoit laissé rien échapper à sa 
pénétration, nous acheta un des meiUeui-s voi- 
liers que les Turcs eussent dans cette mèr ; et , 
par Un autre avantage que nous n'aurions pas 

Prévost. Tome XHL 4 



$0 HISTOIRE 

' • ■ - t 

trouvé si facilement à Malte, il engagea à notre 
^enfice çinquiante soldats résolus » ,qu^ i^ous 
oomposèrent , avec àjkx matelots bien cl^pi^s » 
soixante hommes capables de tou(9$ sortes d'en- 
treprises. 

. Toutes les iqstances par lesquelles j'avois es* 
;i^ré de le déterminer à prendre le commande* 
ment, et les efforts que je renouvelai en nous 
mettant en mer, ne: purent le faire changer de 
i-ésplution. Je ne trouvai qu'une voie pour finir 
ce différend. Ce fut de -supprimer le titre de 
capitaine , et de faire connottre la forme de gou- 
vernement que je^ouhaitois d'établir, parle nom 
même que je donilai à bof re vaisseau. Je le nom- 
mai les deux Commandants, el\e déclarai,dès le 
premier jour à l'équipage , qu'il n'y avoit point 
de distinction de titre entre mon ami et moi ; de 
sorte que tous nos gens s'accoutumèrent d'eux- 
mêmes à ne parler de noiis qu'en nommant l'un, 
le Commandant français , et l'autre , le Corn- 

9 

mandant espagnol. La défiance de notre sou- 
mission , que j'avois cru remarquer au grand- 
maître , nous fit prendre le parti de retourner 
d'abord à Malte , pour recevoir les premiers or- 
dres à la tête de nos gens ; mais la fortune , qui 
nous destmoit plus de gloire que de bonheur 
et de richesses , nous préparoit sur la route une 



DU COMMANDEUR DE ***. Si 

rencontre dont toutes les aventures de ma jeu- 
nesse ont pris leur source. 

A-peine étions-nous sortis du golfe , que don 
Pérès, avec qui je m^entretenôis de nos desseins 
sur le tillac, aperçut un vaisseau qui éembloit 
prendre le large pour nous éviter. Serions-nous 
assez j^eur€|ux9 me dit-il, pour trouver si tôt 
Toccasion de faire Fessai de nos armes ? Et près* 
sant ]a, manQSjavre , il fît tourner nos voileis vers 
ceux, qui pa^oissoient nous fuir. Toute leur vi- 
tesse ne put nous^jEDpécber de les joindre. Cétoit 
un vaisseau turc , qui ne put être trompé ,k la 
figure du nôtre ; car nous, avions pris soin d^èn 
faire changer jusqu'à la forme. Quoiqu'il; fût 
fort bien en artillerie , la chaleur d'une première 
entreprise ne nous permit point d'avoir recours 
à dès voies, si lentes. Nous allâmes furieusement 
à l'abordage. Pérès nous donna des exemples 
que le pi us foible de notre troupe auroit eu bonté 
de ne pas suivre; et pour ne rien déguiser, nous, 
trouvâmes si peu de défense dans nos ennemis, 
que notre vicl;oire fut sans honneur. Us n'étoienjt 
pas en moiixdre nombre que nous; mais soit quHs 
fussent effrayés de notre résolution , ou que le 
remords des crimes qu'ils venoient de commc^ 
tre éteignît leur courage , ils nbus cédèrent iS 
armes sansTésistancCi 

La première vue de notre proie nous promit 

4* 



5â «tistôiHA 

peu deridies6es( et iiou« apprîmes au même mO' 
ment que nous n'avions affaire qu^à des pirates 
de Dulcigno,qv n^avoient rien à risquer que 
leur vie et leur vaisseau. Cependant, aussitôt que 
nous lA eûmes fait enehaioer, il se présenta 
plusieurs femmes» qui vinrent; nous remercier 
l)omme leurs libératears. Elles nous racontèrent 
que, s^ëtant embarquées sur la côte de Géneâ 
pour se rendre à Malte , elles avoient eu le mal^ 
heur d'être arrêtées par ces corsaire^, qui, ne 
trouvant point sur un vaisseï^ de passage plus 
àe richesses qu*ils n'cp avoi^t aperçu, s'étoient 
déterminés barbarement à faire main-basse sur 
tout ce quineleur avoit pas semblé propre à leur 
inf&me trafic 9 et n'a voient réservé que les femmes 
arec quelques homm^ quHls avoient choisis. Us 
avoient coule ensuite le vaisseauà fond, pour se 
délivrer de Tembarrasde le conduire aprèseux , 
dans une mer où i)s avoient mille périls a redou-^ 
ter. Je demandai à ces étrangères ^'il y à voit 
parmi les captifs quelques persouqes de distine^ 
tion. Elles me répoxM^rent qu*il s^ trouvoit deux 
damçs, dont la figure avoit plus d^éclaH que leur 
train , et qui a voieot paru plus affligées que toutes 
]m autres du malheur qui les avoit fait tomber 
cRnsFesclarage. Pérès marqua autant d^empresse* 
ment que moi à les voir. Tout étant si tranquille 
autour de nous qu^il ne nous restoit qu*à vpguer 



DU COMMANDEUR DE ***. S'a 

tranquiltement vers Malte ^ nous cherchâmes à 
nons amuser dans la compagnie de ceux qui 
nous dévoient leur liberté. Nous ne prévoyions 
|ii Pun ni Tautre que nous y allions trouver la 
perte de la nôtre, etTorigine d'autant d'infor- 
tunes que, de plaisirs. Ces deux daaiesy dVnfrjé 
ne me remis pas tout:d^un-coup le visage^ étoieiM 
la makresse «t la fille du comoftandetTr de M.v.^ 
qui nousavoienttraitésavec tant de politesse dlm» 
le voisinage d'Orbitello. Le eommaiafdeuip étant 
mort, elles a voient pris ausskot le parti de re«« 
tourner à Malte, et les corsaii^es les avotenC en*, 
levées dans leur route. 

On se souvient que la jeune fille ti^avoît ^aa 
plus de treize ans , lorsque le vaisseau qui 
m'amenoit de France avoit relâché à Orhi» 
tello. Il s'étoit passé six mois depuis mon arri-- 
véc à Make. On eônnoit donc son âge^ Mah^ ce 
que j'ai mal représenté dans notre pi^esâiière ren^^ 
contre , ou plutôt ce qu4 ne pouveit être que le 
fruit des six mois qui ^'étoient écoulés depuia 
ma visite ; car il n'est pas vraisemblable qiie-moiir 
cœur et mes yeux ne fussent plus les mémes^ jo 
lui trouvai plus de charmes qu'une femaaef n*eÉk 
a jamais réunis. Ce fut l'impression d'iteilbut 
moment, et l'effet en devint tout-d'uurcoup si 
4|(errible^ que, ne pensant pas méme-à ni'eli dé^ 
fendre « je m'approchai d'elle a^ee une avide^ 



\ 



54 HrSTOIRE 

i tu patience, comme si tout mon bonheur eût 
déjà consisté à la voir de près, à la contempler, 
et à ne plus m'éloîgner d'elle un moment. ^ 

' 'Mais la force d'un sentiment si peu réfléchi 
me fit découvrir avec la même promptitude que 
j'avolk un rival dans mon ami , et que le cœur de 
Pérès éprouvoit tout cequi se passoit dansle mien. 
J'évite également de retracer ici l'excès de mon 
plaisir et de ma peine. Peut-être suîs-je le seul 
exemple d'un atnour né au milieu de tant de 
douleurs; les premiers mouvements en furent 
au^si aveugles que leur cause. J'arrêtai Pérès 
par le bras, et sans avoir démêlé ce que je trou- 
vois de redoutable dans l'ardeut* qu'il marquoit 
pour s'approcher de la fille du commandeur, 
je lui donnai lieu, pour la première fois, par 
une interruption si brusque , de penser que 
je me croyois quelque supériorité sur lui. Ce- 
pendant la honte que j'en ressentis m'ayant fait 
faire un effort pour me vaincre , j'affectai de 
réparer cette grossièreté par une contenance 
riante, et je ne trouvai rien de mieux pour as- 
surer mes prétentions autant que pour sortir 
d'embarras, que de m'abandpnner à la joie que 
je dl^rois ressentir d'avoir si heureusement rend u 
service à deux personnes que je connoissois 
depuis long-temps. J'ajoutai mille choses que jei^ 
croyois capables de faire emtendre à Pérès, que 



DU COMMANJÔÈUÀ' DE ***. 55 

• • • » . 

ce n'étoh'^ais de-' ce jour-là que/j*avoîft le cœur' 
touché pour la jeune Italîenae ; et je ne me sou* 
Tenoi^ point, en lui tenant ce langage, de lui^ 
avoir proteste mille fois que j*étois sans tendresse 
et sans engagement. 

La maîtresse du comniandéur m'ayant re- 
connu au premier instant, je fus soulagé de mon 
embarras par la nécéssitéde répondre à ses remer- 
ciments. Pérès n*a voit point ouvert la bouche ,- 
et sa surprise n*étoit peut-être pas le plus TÎf de 
ses sentiments. Il continua de garder le silence , 
en jetant les yeux sur moi par intervalles; ce qui 
ne m^empécha point de continuer mes caresses ' 
à la mère et à la fille, avec une espèce de trans- 
port qui mé rendoit insensible à toute autre 
Considération : mes soins ne furent pas perdus. 
Elles m'apprirent que le commandeur ayant 
été emporté par une mort subite, le visiteur de 
Tordre, qui se trouvoit chez lui par hazard, 
a voit mis aussitôt le scellé sur tout ce qu*il y a voit 
de précieux dans la maison; et qij^près avoir 
vécu ''si long-temps axec un homme qui leur 
avoit promis cent fois dejeur faire une fortune 
^ honnête, elles ne s'en trouvoientpas plus riches 
en retournant dans leur patrie. Je ne sais si Tin- 
teution de la mère étoit de sonder ma générosité; 
mais elle ne dut pas me trouver difficilèà gagner, 
puisque )^ m'empressai d'aller au-devant de ses 



d4^,s^ Jf prji^/\in o^Qpaeqt pour lui £air.ç.eoLt€n4r^. 
qu^^$aQ$^ être coiiw^;adeur,.je joui^ois d'uA 
af^% grosL Te,Y|çou pouç TewpçpljyeT dp ir^retter 
c^^HJçliçiaxQit p^du^ La seule méprise;. qju'il y 
eut entre nous, fut qu'elle ^'ippiaguia que mes 
QflVe§.f\4i^oiç»t ft, çllçTmêufce ; et q\^ se fçlî- 
qit$M;vt» dé]^ d^ la CîQPquête de mon coeur, elle 
crut v^QH^sff ^y:^ vin amant plus î^uue la 
rpê»i^ fpTtun^, qui Vf opit de lut éç^^pper , 

Cepeaidianij , çom^e riçn ufétoit §i. éJ|^gnç, d^ 
nii^ idées, J€^ m« Uvi;ai au plaisir de; croire que 
j'alloij» dev^uir heureux pau raipxDur. Qettç pasr.^ 
sion., qu€^ je i%e çonnpissois que depuis un iu-^ 
stant,me fiai^Mltdéjà sentir que Je u^a vois point 
d'aïUitre bonheur k désirer. Tous lef moxpQuls 
qu^ >'a>(ois p%^^ qne paroissoieut u^perte coiit 
tinu^Ue. du 3€ul bien auquel la natur^e m'a^voit 
rendu sen3ible. J^ ïijs peudaut toutle Jour dans 
cette ivi^es^îe ,/e( to'u^e ma conduite s^efi ressentit. 
Ayant fait passw lfe3 deux, dam^s^ daivs uotre 
y^is^^Jà^ jiene^lQS. (Quittai point un.moment jus-? 
qu'au soir* Jw^re^urd^ la QièresecQu64;mad'au* 
tant pUis , que y sentanijie besoin que j'avois de. 
la Q^i^gev, mes attentions se* tournoient contir: 
nuiçllem^eiat i^exs elle;;, et Tamour,. d'ailleurs,^ qui 
m^avcoit tQucbé si vivement. pour la fille, m^inspi-, 
roit vmo, Kef^nioe qui ne me permettoit point de 
jiirçadre.^vec elle up air si libre. Perçs n'étoitp^i^ 



D0 COMMANDEUR DE ***. &J 

plus tranquille; mais avec plus d'expérience pt 
de raison que moi , il sa voit déguiser ses sentie 
ments comtn.ç il a voit su pénétrer l^s miens. Ne 
se défiant point que je fu^se dé^ si avancé avec 
la mère , il avoit fait matcher le soin de nos 
affaires comm.uues; ayant toutes les prétentions 
de Tampurt et moitié incertain, moitié piqué de 
nies vues., il n'avoit pas laissé de mettre Tordre 
nécessaire dan^ le vaisseau que nous avions pris. 
Je» ne pus éviter de le rejoindre le 3oir ; niais 
j,e dois confesser que ,, sans me sentir pour lui 
moins d'amitié, sa présence me î^a, dans une 
contrainte insupportable. Mûlu clxagrin redou-^ 
bla, lorsque dans itn entretien que nous euînes 
avec les dam^s , je crus lui remarquer de l'afEec-' 
tation à mettre qu^que différence entre son état 
et le mien, par lf| engagements qi!ie j'étois résolu 
de prendre dans Tordre de Malte, et qui ne me 
laissoient point la liberté de disposer de moi^ 
cœur. C'étoit peut-être la jalousie qui me faisoiç 
empoisonner ses intentions; mais ayant été sur- 
pris de le voir si peu empressé pour la jeune Ita- 
lienne, après avoir cru découvrir la première 
impres^n qu'il avoit ressentie de ses charmes, 
je me figurai qu'il avoit fait fond sur cette voie 
pour me disputer son affection. INous nous quit* 
tânEies sans aucune marque de refroidUssement, 
Cependant l'emportai des soupçons de sa bonne 



58 HISTOIRE 

foîy qu'il ayoît peut-être aussi dé la mienne; et 
je me mis au lit avec cette malheureuse défiance. 
Elle eut peut-être autant de forôepour m*engager 
dans une folle résolution , que tous les sentiments 
i^ui exerçoient déjà sur moi leur tyrannie. Je ne 
pus penser que j'avois un rival si dangereux, 
sans chercher tous les moyens de mettre les in- 
térêts de mon cœur à couvert. J'avois la parole 
de la mère; mais étois-je sûr de la tendresse de 
la fille ? Il ne me vint rien de plus favorable à 
Fesprit dans êes premières réflexions , que de 
feindre, en arrivant à Malte , une maladie qui 
ih*obligeât d'interrompre pour quelque temps 
nos courses , et qui engageât Pérès à se remettre 
en mer jusqu'à, mon rétablissement. J'espérois, 
dans cet intervalle, de lie» solidement mon 
intrigue , et d'être bientôt erf^état de braver 
toutes sortes de rivaux. 

CoiAbjen de difficultés échappoient à mou 
imprudence ! Je ne parle point du tort que j'al- 
lois faire à ma fortune, en ruinant l'opinion que 
le grand- maître avoit eue jusqu'alors de mes 
moeurs et de ma conduite. Cette idée ne s'offrit 
pas même à mon esprit, et je l'eusse rejecee, sans, 
doute , si elle étoit venu troubler des espérances 
Je plaisir 5 avec lesquelles je ne mettois rien en 
balance. Mais je ne voyois pas que la maladie 
même que je voulois contrefaire, étoit ce qu'il 



DU COMMANDEUR DE ***. 5g 

y a voit de pi as opposé à mes désirs , puisque ne* 
pouvant me proposer de vivre dans une même 
maison avec ma maîtresse , je me privois du 
plaisir de la voir , et je la laissois exposée , non- 
seulement à Pérès , jusqu'au jour de son départ ^* 
mais à toute la jeunesse de Tdijdré, dont Tavidité 
est extrême pour les femmes. D'ailleurs quil 
étoit mon but, en me supposant même au point 
de confiance où je voulois parvenir ? Quel lieu* 
voulois-je choisir pour la possession tranquille* 
de mes amours ? Avois-je une retraite , comme 
lé vieux commandeur , pour en faire le séjour 
àe deux femmes, que je ne devoîs pas me pro- 
mettre de pouvoir séparer? Et quand il m'àuroit 
été plus facile de m'en procurer une , étois-je 
donc résolu d'abandonner ma vocation , ou me 
flattols-je que le temps que j'emplôyerois à l'a- 
mour me seroit compté pour une caravane? La 
moindre de ces réflexions m'auroit fait regarder 
tous mes projets comme un excès de folie ; mais 
dans l'aveuglement où j'étois, il ne me vint pas 
même à l'esprit qu'avec de l'argent , de la jeu- 
nesse , et la parole que j'avois reçue de la maî- 
tresse du commandeur , j'eusse le méindre ob- 
stacle à rédouter. 

Le vent nous fut si favorable pendant la nuit 
et le jour suivant, que nous entrâmes dans le 
port de Malte , vingt-quatre heures après notre 






6o HISTOIRE 

aventore^ Je ue manquai point de feindre do 
grandes douleurs , en touchant la terre , et met-^ 
tant la maîtresse du comsnandeur dans mon 
secret , je convins avec elle qxi^elle me ren- 
droit de fréquentes visites. S'il paroit surprenant 
qu'elle fût encore persuadée que je Faimois » il 
fiMit se rappeler ma jeunesse , qui lui avoit fait 
espérer de prendre tout Tascendant qu'elle vou- 
loitsur moi 9 ma timidité peut-être, qui m'a voit 
toujours fait envelopper mes expressions , et 1^ 
force de l'amour-propre , qui pouvoit faire aisé" 
ment illusion à une femme de trente ans , sur-« 
tout lorsqu'elle ne prenoit sa fille que pour ua 
enfant , qu'elle ne soupçonnoit point dfétre en 
concurrence avec elle. Mais, de quelque manière 
qu'on veuille l'expliquer, elle me croyoit si 
enivré de ses charmes, que, prenant pour moi 
une partie des sentiments qu'elle me supposoi^ 
pour elle , mes intérêts lui parurent communs 
avec les siens, et qu'elle entra dans toutes lea 
paesures que je lui proposai* 

Don Pérès parut seul devant le grand-maltre^ 
qui applaudit beaocoup à notre premier essaie, 
Les excuses de mon absence, dont j^'avois prié 
mon ami de se charger , m'attirèrent tant de 
visites et de compliments^, que ne pouivant me 
feindre assez malade pour refuser deles recevoir, 
je craignis dç ne pouv^xir soOstemr assez lon^^^ 



Dû COMMANDEUR DE ***. (î(f 

temps le personnage que j^avois entrepris. Mais 
comme il regardoit particulièrement Pérès ^ que 
)*avoi€ déjà tâché fort adroitement d'engager 
dans une nouvelle course, il me dalirra bientôt 
de cette crainte , en me faisatit connoitre que 
i'avois espéré inutilement de lui en iibposer. 11 
^it un moment où j'étois seul. Après quelques 
préparations , qui ne me parurent point sans 
embarras, il se plaignit amèrement de me Toir 
si tôt perdre la confiance^et Tamitié que je lui 
aroîs jurées , et ue me laissant point le temps de 
chercher des excuses , il me déclai'a qu'il igno* 
roit aussi peu ma passion , que la vanité du pré-« 
texte qui me retenoit au lit depuis notre ai^rivée* 
Je ne vous déguiserai point, ajoula-t-il , que vos 
premiers procédés m*ont affligé. Les mêmes chlEir^ 
mes qui ont gagné votre cœur , avoient fait une 
Vive impression sur le mien. Je me serois mieux 
défendu , si j'avorô pénétré tout-d'ûn-coup vos 
sentiments ; et ce que vous arex pu trouver de 
jBospect et d'obscur dans quelques-uns de fties 
discours , n'étoit qu'un innocent artifice que 
j'employois pour les découvrir. Mais depuis 
qu'une incommodité feinte , un désir pressant 
de me voir Aoigné , et le commerce'^ecret que 
vous entretenez avec ces deux dames , m'ont 
appris ce que j'en dois penser, le ciel m'est té- 
moia que j'ai étoi:^é jusqu'au moindre sen- 



62 HISTOIRE 

timent d'une passion qui m'a fait craindre lat 
ruine de notre amitié; et voiis allez juger par 
l'ouverture que j'ai à vous faire , quelles sont 
eptin mes dispositions. 

Je ne partirai point sans vous, continua-t-il , 
et ce n'est pas pour vous abandonner dès les 
premiers jours que je vous ai promis un éternel 
attachement. Je ne puis consentir non plus à 
vous voir demeurer à Malte, sous tin prétel(.te 
dont on ne manquera point, tôt ou tard , de 
découvrir la fausseté. Nous remettrons donc 

* 

incessamment à la voile, et nous remplirons 
glorieusement nos destinées. Mais voici le pré- 
servatif que je vous ai préparé contre la jalousie. 
Vous vous souveuez, reprit-il, du récit que je 
vous ai fait de mon naufrage, et de l'espérance 
que j'avois eue de rendre service à quelques 
esclaves de ma nation. Ils furent plus heureux 
que moi dans leur chaloupe. Le vent les jeta 
dans l'isle de Gorze, où leur seul malheur a été. 
de perdre le chef de leur entreprise , c'est-à-dire, 
l'Espagnol qui s'étoit ouvert à moi, et qui étoit 
accompagné d'une maîtresse chérie , dont l'in- 
térêt l'a voit fait penser à la fuite. Cette mal- 
heureuse personne, abandonnée, p4r la moi:t de 
son amant , aux désirs de trois autres fugitifs 
qu'elle n'avoit connus que par le même hazard 
qui les avoit rassemblés sur |eur vaisseau , a pris 






DU COMMANDEUR DE ***. G3 

le parti de se rendre ici, daii$ Tespérance d'y 
trouY erl^ protection qu'elle mérite par sa heaaté< 
J'ignore de qui elle a su. imounom ; mais se rapr 
pelant . de^ l'avoir enteiidu pr^QoUcer par le? 
compagnons de sa fuite, elle est venue depuis 
deux jours pour implorer naa générosité, en me 
faisant copn^itre le droit qu*eJley avoit^par 
les prom^e^que j'ai fpites à son amant. Je n'ai 
souhaité d'être instruit de sa condition, quépour 
régler ma conduite et mes secours tsur. cette 
connoissance. Elle m'a r^oontésansdéguisementf 
qu'étant d'une naissance honnête, le goùtda 
plaisir lui a fait oublier son devoir , et qu'aprèâ 
s'étire livrée à son amant, qui lui faisoit quittée 
s^ famille pour se retirer avec lui dans une: d^ 
^es terres , ils ont été enlevés par un corsaire de 
Tunis , la nuit même de leur départ , c'est-à-dil'e, 
avant qu'ils eussent tiré le moindre avantage d^ 
leur fuite pour satisfaire leur amour. Ce récit 
m'a fait comprendre qu'elle a peu de ressources 
à espérer du côté de sa famille ; et la demande 
qu'elle me fait d'un secours vague , dont il semble 
qu'elle m'abandonne l'explication, me pa^sUade 
que j'aurai peu de peine à l'eqgager dans toutes 
mes vues. Elle est aimable. J'étoîs dansl'embarras 
de trouver quelque moyen pour faire renaître 
votre confiance, et pour vous tirer delà léthjargie 
où je crains que l'amour ne vous retienne t^op 



J\: 



64 ttiswUe • 

loDg-tetnps. Je ime suk Jéierniiri^ ^ iioff-j^tiii^^ 
ment k m'aUa^hèr à lelle, niais k nfdi faire ac- 
eompagner dans iii^^ôurses , et jfe tietis Vouô 
proposer de ïftii^ 1^ tàiSae usage été votre lïiaî* 

tresse» ■ • •■ ' ' " ; .::.!:■/. ^■- •• 

Il liie regicré^^ ^ilï'iant ^ après ce discchrà^ 
Ma surprise né m«peiwmai!it l^tmii^de troàVer 
8ur4e-cbanipdeB«iàpirèèfetfbm poùi^ lïitfëpondre ^ 
iirepritavec ittÊÉétne^enùffouemehi : CkétchéZfiaé 
dit-il, agites2*^oa8 pottriroaTer quelle expé- 
dient qui soit |]f)tts ddtiHTiefaable à la sittriaftiôà de 
TOtre cœur , & ^dtregkrïre , à Tintérét A^ Srotre 
fortune ; et si vous cotnptez nos eng!ai{{einents 
à'afnîtié pour qtiétqtt^ctiôse, songez aux sétinents 
par lesqtiels nous à^ôins lié nos ëûtreprises et 
. tkàs é^pëfanceë ; je me' Jhetids sur-le-champ à voà 
désirs 1 maïs suivete iné^c^ônseils si vous avez quel- 
que êoitt'de Votre bôiititeur, et quelque opinion 
de moïi aoffitië. 

^ Mli'dOïifusiô^ s'étâtit ixtt peu dis^pée , je con- 
vid8€Mreml)rfi[ssàTitqtl^un odieux soupçon , dont 
J6 d^âfvois pu nie défetrdf e sur les apparence^ 9 
àvoit tm peu altéré la douceur de notre corn- 
tnei^cé ; et preûaftt oecasion de cet aveu pour lui 
découtl^ir toute Tài^deur de ma passion , je pas- 
sai Idut-d*nn-c6up de Hn^uiétude à rexcès de 
la confiance. La maîtresse du commandeur ne 
pas^it pas un joUi^ snns me venir voir , et dans 



DU COMMANDEUR DE "*"**. 65 

les idées où elle étoit , elle se faisoit toujours ac- 
compagner d^une autre femme » comme si elle 
eût,apiN[*ëhend^ de m*accorder trop d'avantage 
sur elle » avant que tou^s nos conditions fussent 
renées. Je racontai à Pérès que dans la visite 
qu'elle m'a voit rendue là veille , elle m'a voit 
propose de quitter M^te « où elle .sentoit bien 
que nous ne pouvions demeurer, long-temps k 
couvert » et de nous rendre à Yenise ou.à Paris , 
qui lui paroissoient les seuls lieux du monde où 
les commerces de galanterie pussent subsister 
long-temps sans éclat. M'ayant fait expliquer la 
situation de mes affaires, elle ayoit reconnu que 
je ne pouvoisi me dispenser de prendre des en- 
gagements dans l'ordre de Malte , et j'avois en- 
trevu à son langage , que les; femmes galantes 
font bien plus de fond sur un amant forcé au 
célibat, que sur ceux qui peuvent leur échapper 
par des dispositions qui leur font rompre tôt ou 
tard un commerce d'amour , pour songer au 
mariage. - EUe m'avoit donc pressé de faire les 
vœux de la religion ; je lui avois promis de, tout 
employer , pour obtenir que mon voyage de' 
Yenise fût compté pour ma.secon4e. caravane ^ 
et je comptois de me faire dispenser facilement 
de la troisième. Comment lui proposer , dis-je 
à Pérès , un nouveau .plan qui s'accordera mal 
avec la tendresse qu'elle a pour sa fille, et avec 



6G UIST0IH2 

le zèle dont elle parok remplie pour ses intérêts ? 
En effet 9 toutes les explications qu*elle a voit 
eues arec moi» me paroissoient les soins d\iRe 
mère qui vcmloit faire |oumer la galanterie à 
rétablissement solide de sa fille » et nosentretiens 
avoient toujours été si sérieux , que je n*ai ja- 
mais compris sur quels fondements elle sTéloit 
iina^né que j*a vois de la tendresse pour die. 

Pérès , à qui ce soupçon n*étoit pas venu plus 
qu'à moi , me répondit qu*au point où j*en étois 
sans doute avec la jeune Italienne , il ne pré- 
TOjoit pas que sa mère , ni die , pussent rejeter 
aucune de mes propositions. Et quoique je Tas- 
swpasse que je n*avois encore poiu* garant que 
les promesses de la mère , il prit sur lui de les en^ 
§ager toutes deux à nous suivre. Les femmes, me 
dâl-il , ne oonnoissent nidanger» ni peine, avec le 
motif de rintérét et de Tamour. J^aurois peut* 
4ti>e «eu 'qudque difficulté à le charger de cette 
commission , s'il ne m*eût persnadé par d'autres 
discours que le goût 4u plaisir ne tenoit que le 
iwond rang dans son cœur après la gloire et 
ramilié, U revint aïK'ès une heure d^ahsence. 
Ce qu'il me rapporta sans ménagement me fit 
trembler , et Tair ironique dont il accompagna 
ton récit ne fut pas capable de me remettre de 
éoa frayeur. Je vous félicite, me dit-il, du pro- 
, 0fès que vous avei fait dans un oœur sur lequel 



DU COMMANDEUR DE **** 67 

je ne vous connoissois pas de prétentions. Vous 
êtes aiinë avec lés derniers transports. On est dis- 
posé* à irons suivre à travers mille périls ; et pour 
s'en procurer la liberté , oti va mettre Helenà 
(c^étOYt le nom de la ^eune Italienne) dans uri 
couvent ^ où r<m souhaite même que Tenvie lui 
Tienne de ^'engager tout-à^fait. Il m*expliqua 
pkis ^îetiseilaent Teiitretien qu*î'l a voit eu avec 
ia maîtresse Aa commandeur. Dès les premiers 
mots, ii aTc^it compris Terreur où elle étc^rt sur 
Tobjet de ma passion , et s^observant assez pour 
découvrir sans ^affectation tout le fond de ses 
saotiments, il a voit reconnu avec une extrême 
surprise que 4ans toutes 4es communication^ 
qu*eUe avoît eues avec tnioî , eUe a^oit ct^ ii^- 
Tailler pour elle * mépié. L'ouvertnjre par là- 
quetie 44 avolt éomUiéncé ne lui avoit pas pér^^ 
mis dé- dis^tnuler tout-à-^it notre dessein, et 
c'étoit là -dessus qu^èlle avôtt ibrm^ celui dé 
mettre ^ fiile dans un couvent, ponr se disposer 
à me suivre. Mak Përès > S^etant tenu à ce qui 
lui ^oit d'abord écbappé, l'^voît pi^ié dfe ws* 
pefi4ii% ses démarctes juis^qu'Â d'autres éxpliea^ 
lions. fSle sera bielIVot ftcî pour les Recevoir, 
ajônta-4-il; et voici de-que f ai déjà médité pour 
vous âtetvir. NoUti n*aVOns point affaire à des 
vestale^, etleS considératîtons qui m'^arrëterbîetili 
s"^ ééoît question d'une femme d'honneur, ne 

5* 



68 HISTOIRE 

doÎTent point ici nous contraindre. Je consi- 
dère 9 au contraire , que c'est un service que 
nous allons rendre à nos maîtresses que de nous 
. engager à prendre soin de leur sort, et de les 
sauver peut-être de la nécessité de s'adresser 
plus mal. Ce que je pense à éviter est seulement 
la jalousie d'une mère, que je crois capable 
de vous causer beaucoup de chagrin par les 
difficultés qu'elle peut faire naître à votre 
amour. Sans entrer dans des explications dont 
le moindre mal seroit de faire traîner notre en- 
treprise en longueur , je vous conseille d'ap- 
prouver tout ce que la mère vous proposera , 
et de l'inviter à dîner dans quelques jours sur 
Totre vaisseau. EUe ne manquera point d'y me- 
ner sa fille. J'aurai soin que mon Espagnole soit 
de la fête ; et par le soin que je vais prendre 
d'ordonner tous les préparatifs de notre départ, 
nous serons en état de mettre à la voile au mo« 
ment quç nous nous trouverons rassemblés. 

Un homme plus prudent ou moins passionné 
auroit demandé à Pérès sHl ne craignoit point 
qu'une hardiesse de cette nature ne passât pour 
lin crime aux yeux du public; mais quoique 
les mesures qu'il vouloit prendre le missent à 
couvert de cette crainte , et que ce fût pour ga- 
gner du temps qu'il négligeoit de me les expli- 
quer, .je me livrai à.son conseil avec une témé- 



DU COMMANDEUR DE ***. 69 

rite qui n^étoit point excusée par les soins de sa 
prudence, puisque je Jes ignorois. Ma franchise 
va paroître jusque dans le récit de mes fautes» 
et j'annonce volontiers que je ne commence 
point par les plus graves. La RovirU^ car pour- 
quoi ferois^je difficulté de la faire connoitre par 
son nom ? La Rovini , dis- je, tarda peu à venir 
m'apporter elle-même le consentement qu'elle 
donnoit à notre dessein. Elle y ajouta la résolu- 
tion où elle étoit de laisser sa fille dans un cou- 
vent. Pérès, qui se trouvoit présent à cette visite, 
soulagea mon embarras en lui proposant la f étedu 
vaisseau. Elle Taccepta sans se faire presser; etsur 
ce qu'il lui fit entendre que notre départ u'étoit 
pas éloigné, elleparla volontiers d'y mener sa fille, 
comme dans une dernière occasion de se réjouir 
qu'elle vouloit lui procurer. Nous l'exhortâmes 
àne pas différer les préparatifs de son voyage. 
Elle nous parut aussi aixlente que nous à sou*' 
haiter que le jour en fût avancé. Pérès, qui né 
cessa point de la voir, prit soin de répandre, et 
chez die , et parmi les personnes qui la coniioîs- 
soient , qu'elle de voit passer en Italie dans notre 
vaisseau. Ce fut la meilleure précaution de sa 
prudence. Le jour du diné étant arrive, nous 
nous rendîmes au port , après avoir pris les or- 
dres du grand-maitre pour notre départ. La Ro- 
vini y que nous avions fait conduire avec sa fille 



70 HISTOIRE 

et TËspagnole^y étoit à nous attendre. Nous com* 
mençàmes par un grand diné , qui fut poussé 

• 

jusqu'à la nuit , et les ténèbres n'eurent pas plus 
tôt commencé à s'épaissir < que Pérès donna 
ordre secrettement qu'on mit à la voile^ 

U attendit que nous fussions^ sortis du port 
pour adresser aux trois dam;^ le disqpws qu'il 
avoit médité. U prit son sujet d'assez loin » et 
venant à la conclusion par divers détours 9 il 
leur déclara que t iaisaut fond sur les sentiments 
qu'elles avoient pour nous » et nous sentant pé<* 
nçtrés pour elles de la plus vive tendresse^ nous 
nous étions flattés de ne pas leur déplaire en les 
associant à ttotre fortune et k no» enireprises. 
Au moulent où y^ parle 9 ajotttfr4-il , Malte est 
loin de nous « et ce qw va nous occuper uni* 
queioent est la gloire et V^aour. L'Espagnole 
marqua peu de surprise. La Rotîqî parut in^ 
quiette un moment 9 et sa réyerie néuanoins 
n'aboutit qu'à témoigner quelque chagrin de 
se trouver embarquée sans ses malles. Mais Pe« 
rès avoit prévenu cette plainte. Je les ai £jdi 
apporter » 1 ui dit-il^ depuis que vous êtes à bord. 
Ma hardiesse fut regfsirdée , après cette explica- 
tion , comme une galanterie qui donna nais^ 
sance au badinage le plus agréabW- La Rovini 
se consola d'avoir sa fille avec elle ; et croyant dé- 
sormais sa partie trop bien fcMrmée avec moi pour 



DU GOMVANUECR DE ***. 7T 

avoii;. ibesoia de se contraindre ^ elle me donaa 
pendant toute la s<ûree nulle témoignages de 
joie et de tendresse. 

. Ijifon embarras fut d^abord extrême. Je vou^ 
Lois beaucoup de mal à Perèa de n'avoÂr pae 
mieux expliqué dès le premier moment quel 
devoit être notre partage* Comme je répondoia 
mal aux avances de la Royini, que la £oree 
d^une yëritable passion me rendoit fort retenu 
9Tec Heiena^ et que Pwès, attentif & la biei^^ 
séance, ou peu pressé peut-être pw ses sendir 
ments pqitir TEspagnoIe , ne marquoit pas pour 
elle un empressement fort exclusif; la convev-' 
sation ne eessa ppint d'être générale,, et dea 
spectateiikvs indififôrents auroient eu peine à J(vh 
ger pour qui yaîmour nousintéressoit tous deux». 
Cepend^iat cette comédie nie pouvoift durw long" 
temp&' Dès- le même soir , la RovÎM ,. qui! s'aUen* 
doit à passer la nuit avec moi, me prit à Téc^urt « 
et m^ajant représenté qu'elle avoit élevé'Sa fille 
avec beaucoup de retenue , elle* me fit entcanAr^ 
que son dessein étoit, noA-seidlement de kt lai^ 
ser danjs Tignorance de notoe co wmereei,! maii'. 
de lui dérober tout ce qui pou voit lui en &ire 
naître le soupçon. C'est runique raisoir.,i aj.oufai- 
t^elle , qui mie faisoit soubâiter de la toiv dsasis 
un couvents Maî^^ne pouirriez^^^ vous .pas lai kH 
gisr dans un cabiu6t qui soît a quelque disla^e/ 



rjZ HISTOIRE 

de YOtre chambre ? L*oiccasion étoit belle » «ans 
doute, pour lui déclarer que je ne prétendois 
lieu d'elle qui pût blesser les yeux de sa fille. 
J'en auroîs profité , s'il ne m'étoit venu à Tes- 
prit une idée qui s'accordoit mieux a^ec la ten- 
dresse de mes sentiments. Cette séparation, 
qu'elle demandoit pour Hdena, m'assuroit la 
facilité de la voir seule , de loi ouVrii' mon cœur 
sans: témoins , et d'obtenir d'elle-itiéme ce que 
je n^aurois voulu devoir qu^à son inclination. 
T6us mes désirs n'a voient encore pu' me faire 
obtenir cette faveur. Dans le temps que je 
crojois sa mère d'intelligence avec moi pour la 
livrer à mon amour , j'avoi%fort bien comipris 
que dans la vue de faire ses conditions plus 
avantageuses , elle pouvoit se croire [intéressée 
à ne me pas laisser la liberté d^en approcher; 
et depuis que Pérès m'a voit appris de quelles 
idées elle se flattoit, je n'avois eu ni le temps, 
ni le pouvoir de ménager mes intérêts moi- 
même. Ainsi , loin de m'expliquei^^avec elle , je 
résolus de faire durer beaucoup plus long-temps 
son erreur, et d'en profiter secrettement pour 
gagner le cioeur de sa fille par mes caresses. Il 
m'importoit peu quelle opinion elle pouvoit 
prendre de l'affectation avec laquelle je m'efFor- 
eerois d'éviter toutes sortes d'ouvertures avec 
elle, et sur- tout de la solitude où elle alloit se 



DU COMMANDEUR DE ***. fjS 

trouver la première nuit et les suivantes. Je rfe- 
gardois, au contraire j le temps qu'elle passe- 
roit à m'attendre , comme une augmentation de 
facilite pour la visite que je méditois ;. et si Ta- 
mbur la faisoit veiller , c'étoit en quelque sorte 
poiii* ma sûreté. 

Il ne me fut pas difficile d'arranger les loge- 
ments' d'une manière favorable à mon dessein. 
Nous ^conduisîmes les trois dames dans leurs ca- 
banes. Pérès ; q[ui brûloit d'apprendre de quoi 
j'ét0is convenu avec la Rovini , me rejoignît 
après les avoir quittées. Il approuva beaucoup 
mesr Vues ; et pour les siennes , dont j'étois aussi 
curieux d'étrè informé , il me confessa naturel- 
lement que 9 n'ayant point encore été fort pres- 
sant avec son Espagnole, ce n'étoit pas dès le 
premier jour qu'il vouloit entrer dans une liai^ 
son intime avec elle. Ainsi cette nuit» que nous 
avions envisagée de loin comme le commence* 
ment de notre bonbeur , ne décida rien pour 
nos ^espérances. Il ne me restôit que celle de 
satisfaire du-moins mes plus tendres désirs. J'en 
attèndois lé moment avec des transports d'im- 
patience. Les précautions que j-âvois à prendre 
ne regardoient que mon entrée dans la cabane' 
dlielena , que j -appréhendois d'eflfrayer. Je 
m'en approchai sans bruit; et connoissant la 
manière d'eu puvrii: la porte » je comptois 



74 -HISTOIRE. 

m'infcroduire de même jusqu'à son lit. Cepeu-» 
dant un léger mouvement qu'elle entendit lui 
fit demander s^il y avoit quelquVn dans sa ea^ 
bane* Il faUoit répondre ou; abandonner notre 
entreprise. Je me bazardai à dire oui. Cçst domi 
vous, maman, reprit-elle. Comme ye ne crairr 
gnois rien tant que de lui causer asse:^de frayeur 
pour lui faire jeter quelque cri, je pris le parti 
de lui répondre encore^ que j'étois ssl> manaaiy. 
Je gagnai ainsi son lit, sur le bord duquel J0 
m'assis aussitôt. Elle me demanda pourquoi 
j'étois sans lumière. C'est que j'ai plu^etiri 
choses d'importance à vous communiquer » Ukt 
dis*je en contrefaisant doucetnent le son de mtk 
Toix 9 et je serois fÂcbé qu^les fussent fmUmt* 
dues. Commencez donc par tous assi^rer qa&. 
vous n'avez riea à craîndre^^ et qpe jë i9^ voua 
demande que la permission de vou6 eiiAfeGeow 
un moment. Supposées qiM je $uis votre iptaman » 
s^^outai-ye d'an ton eacoire plusr doiKS ^i et n'ayea 
pas plus d'inquiétude avec moi qu'avec elkk 
Mais qui étes-^kms? reprit-elle^ Je suia le cbe^ 
valier de^^ lui vépondis^^ » q^i vous aime piuft 
que sapropi-e vie, et qui antoerois mieux le peydrer 
mille £6is que de vous offemer ou de voua dé^ 
plaire. Je con!tinuai ainsi à la flatter , jusqu'il ce 
que je me crus sûr ^ par ses réponses ^ qurel*!* 
étoit disposée à ip'éoouter f i^aii^uiUement. 



DU C&T!/LUA.TiBEVti DE ***. fjS 

Vous êtes ce que )e connois de plus aimakle» 
lui dis- je enfin » et [.^aî pour \ous des sentiments 
si tendres, que yç^ ne puis être heureux si tous 
ne m^accordez pas votre cœur. Je viens voua le 
demander , belle H^leûa 9 en vous donnant le 
mien. Mon unique désir est de vous faire un 
sort digne d'envie par les biens de la fortune et 
par les complaisances de Famour. Yous seres la 
maîtresse absolue de tout ce qui ^l'appartient » 
comme votre la^e rétoit cbe^ le eommandem* 
de.^.tyet lorsque Vous disposerez ainsi de tout 
ce que je possède» vous verrez que c'est encore 
sur moi que vous aurez le plus de pouvoir. Je 
u'aur ois pas fini si tôt un discours que je trou- 
yois tant de plaisir à pvononcei^ ; mais elle m'in- 
terrompit. Ëk ! qiiei donc , m« dit-^dsle d'un ton 
de douceur et d'innoeelice dont je fus enebanté, 
n'aimez-^vous pas ixk^ mère, et n^est-ee pas p<mr 
être aimée de vous» comme du commandeur, 
qu'elle est ve uuie vivre avec vous? EUes'en flatte 
du^moinsy et c'esit eUe^mêoie qui me l'a dit. En 
voulant me ntettre att couvent , elle m'a voit pro-> 
mis qu'à votre retouf de la m^r elle viendroit 
m'en tirer, et que nous mènericMs avec vous 
une vie aussi heureuse que chez lé cetoman* 
deur. Je l'interrompis à mon toiiir. EUe se flatte 
mal-à-propos , lui dis- je , cair je n'ai jratnais^aîmé 
que vous , et c^^ pour vous seule ^ue j'ai pensé 



76 HISTOIRE 

à me faire accompagner de votre mère, qui 
n^aura qu^à vous Tobligation de tout le bonheur 
qu^elle se promet avec'moi. Maisne me promet- 
tez-voua pas de répondre à ma tendresse , et de 
consentir à tout ce que je veux faire pour vous 
rendre heureuse. Ici Helena, dont j*atten dois 
impatiemment la réponse, parut balancer uu 
moment. Vous ne me répondez rien, lui dis^je. 
Ah! je vois bien que votre mère m'aime plus 
que vous. Son embarras ayant encore duré 
quelques instants, elle me dit enfin que pour 
être sincère , elle vouloit m'avouer qu'elle' s'é- 
toit bien aperçue , dès le jour que je les avois 
délivrées de l'esclavage , que j'avoîs pris de l'in- 
clination pour elle, et qu'elle avoit eu cette pen- 
sée aussi long-temps que les discours de sa mère 
ne l'avoîent pas forcée d'en prendre une autre ; 
qu'elle avoit eu tant de plaisir à se figurer que 
je l'aimois, que si je voulois l'en croire, elle 
avoit beaucoup souffert en perdant cette espé- 
rance ; enfin que, s'il étoit vrai que j'eusse pour 
elle les sentiments dont je l'assurois, son cœur 
lui disoit de même qu'elle étoit capable d'en 
prendre de fort tendres, et que sans s'embar- 
rasser des bietis et des avantages que je lui fai- 
sois envisager en s'attachant à moi, elle feroit 
tout son bonheur de m'aimer et de me plaire. 
Une déclaration si tendre 9 prononcée avec une 



I 

DU COMMAiNDKUa DE ***. ' 77 

timidité ingénue , qui se faisoit sentir par une 
espèce de tremblement que je remarquois dans 
le son de sa Toix ^ me fit éprouver dès ce moment 
plus de plaisir, que je ne m'en étois jamais pro- 
mis de Tamour; et je n'en puis donner une plus 
haute idée » puisque j'y a vois déjà comme atta* 
ché toute la douceur de ma vie. Il n'y eut 
ni respect, ni défaut d'expérience.» qui pût 
prendre le moindre ascendant sur mon trans- 
port; je me laissai tomber à côté d'Helena, et 
rencontrant . sa . tête et ses mains, je m'enivrai 
un .moment de mille plaisirs inexprimables, 
avec la satisfaction.de croire que je les faisoîs 
partager; mais lorsque ma hardiesse augmen- 
toit , et que je ne me sentois point repoussé assez 
brusquement pour croire qu'elle fût condam- 
née, JQ. fus saisi par des bras plus puissants qui 
m'arrachèrent du lit avec la. dernière violence, 
et qui me firent éprouver dans plus d'un endroit 
des meurtrissures capables de me faire jeter des 
cris. Le seul soin de ma défense m'auroit fait 
appeler . quelqu'un de mes gens à mon secours, 
si , dans les mouvements que je fis pour me dé- 
gager, je n'eusse distingué les habits d^une fem-^ 
me. Il ne me parut pas incertain que ce ne fût 
la Rovini. Mais cette pensée augmentant ma 
confusion , j'aidai aux efforts qu'elle faisoit 
pour m'entrainer vers la porte , et je me gardai 



78 HISTOIRE 

bien de laisser échapper un seul mot qui pût 
faire coni]iokre à Helena que j'étois aux mains 
avec sa mère. Quelque jugement quVlle portât 
du bruit qu'elle entendoit près d'elle , et de mon 
depurt précipité, la crainte étouffa sa voix. La 
Rovini s'étant obstinée à garder le même silence, 
cette scène bizarre ne causa aucun trouble dans 
le vaisseau. 

Cependant j^étois tenu au collet , et suivant 
sans résistance la main qui m'entrainoit, je ne 
fus pas long-temps à reconnoître mon ennemie. 
Sa langue, que le transport de sa colère, ou là 
crainte d'être reconnue de sa fille , avoit comme 
forcée jusquVlors au silence, se délia pour 
m'accabler d'injures. Les noms de perfide et de 
monstre ne me furent point épargnés , et les 
coups auroient peut-être recommencé, si je ne 
m'étois mis , en entrant dans sa chambre , der* 
rière une chaise que je lui opposois pour me 
garantir. Le parti que je n'aurois pas manque 
de prendre , auroit été de l'abandonner seule à 
sa fureur , si je n'eusse appréhendé de la lui 
voir tourner contre sa fille. Mais cette crainte , 
aiïtant que la nécessité d'en venir à des explica* 
tions qui ne pouvoient plus être différées, nre 
détermina enfin à lui demander un moment db 
tranquillité et d'attention, pour l'ouverture que 
î*avois à lui faire. Je ne mérite, lui dis-je, ni 



DU COMMANDEUR DE ***. 7g 

le&éottps, mies reproclies Aotâ, tous inraccable^. 
Je a'ai point de paît à votre erreur, et lorsque 
vious m*avefc supposé potsir r<ms d'autres senti» 
mettto ^e ceux deFestime et de ramitié^veus 
o^mi avez trouvé le fondement ni dans mes dis- 
eoftrs i ni dans ma eonduile. J^ainte votre fille. 
Gela est-il clair ? Je n'^ai aimé qu^elle depuis le 
prunier mKiment que je Tai connue , et c*est pour 
ciHe <ttmqiiem0iR; que je vous ai fait des propo- 
sitiims d'étiriiiissement. J*y faisois entrer néan- 
moins le votre, parce que je ne pouvais distin* 
ga&t vos intérêts de ceux de votre fille. Mais 
c'^st à^a'diarmante Helena que fai consacré 
tous les môttvemetftsdemon cœur.Toyez inaîn- 
teûant si vou^ voulet: eotftribuer au bonheur 
^unefiUe qui doit vous ^tre ehère, et rendre le 
v^e certain par ies arr^igemenfts que fai prié 
pour no^e sa^sfactiMi eommune. 
- J'attettdois aa réponse; mai^ né laisattt atteu-^ 
tn»ik4pSL^k sfk <pendée , elle me ^lemandii si ^ m'é-^ 
t^tsttstforéde PiiMlination de sa 'fiRe. J'^eritendis 
le acffts die -ecftte que6rt;ion , et me faisant tioiineni^ 
ée rma «incér^ , je lui ^zifessai natur^ement 
^me ^ venois d'entretenir sa !^Ie pour la pre- 
mière fois. À-f>eine ^eus^je acfbevé ces deux 
mots , ique fa furieuse Rovini poussant contre 
Wnai isL cbaise qui nous séparoit., sortit de la 
i^an^K'e où f^jois avec elle , et gagna ccîle dé 



80 HISTOIRE 

sa ^Ue, où elle s^enjEerma sans vouloir nCenteu- 
dre. Je passai le reste de la nuit à la porte» moins 
occupé de mon amour que de la crainte d'un 
trsinsport dont je ne pouvois pénétrer les suites. 
Avec quelque soin que j'eusse baissé la voix 
pour éviter d'être entendu » un de mes genSvqui 
fut réveillé parle bruit 9 et que le respect empê- 
cha de s'approcher sans être appelé 9 prit le parti 
d'avertir Pérès » qu'il se passoit quelqjoe chose 
d'extraordinaire entre les deux dames et moi. Il 
accourut , et le récit que je lui fis de mon aven- 
ture le fit éclater de rire. J'étois encore trop 
ému pour prendre goût à cette plaisanterie. 
Mais se plaignant de me voir l'humeur si cha- 
grine » il me conjura d'écouter une autre scène 
qui n^étoit guère différente de la mienne » et qui 
ne lui a voit pas permis.de m'écouter sérieuse- 
ment 9 quand il avoit comparé mon sort avec le 
sien. A-peine m'avoit-il quitté» que^ malgré le des- 
sein où il étoit de laisser dormir tranquillement 
son Espagnole , il avoit pris la résolution d'es- 
sayer si elle s'offenseroit de lui voir troubler son, 
repos. Il étoit allé à sa chambre, dont iln'avoitpas 
eu.de peine à s'ouvrir l'entrée, et se présentant 
à elle avec la gaieté d'un amant qui ne prévoit pas 
beaucoup de résiistance , il avoit été surpris de 
s'entendre reprocher un excès de liber;té qui 
blessoit la bienséance. Il n'avoit pris d'abord pe 



DU COtfHAKOEUR DE ***. 8t 

reproclie que pour une coquetlërie, et devenant 
plus pressant à mesure que ses désirs augmen- 
toiént , il s'étoit rendu si importun, qu^on s'étoit 
tlëfendu avec une violence, dont son visage con- 
servoit quelques traces. Enfin , vaincu par le^ 
efforts et par les larmes de dona Eivire , il avoit 
consenti à Técouter , ou plutôt il Ta voit suppliée 
de lui apprendre la cause de ses dégoûts ou de sa 
haine. Elle avoit pris le langage de la vertu pour 
lui protester qu'elle étoit aussi sensible qu'elle le 
de voit aux soins généreux dont il lavoit honorée 
dans sa disgrâce ; mais que dans le misérable 
état de sa fortune, n'ayant pour tout bien que 
son honneur , que le ciel avoit préservé de sa 
propre foiblesse et de la violence des corsaires, 
elle étoit résolue de le conserver à quelque 
prix que ce fût. Je suis bien éloigné, lui avoit 
répondu Pérès , d'y vouloir donner la moindro 
atteinte ; et ce que je vous propose est un com* 
merce honnête et constant, qui né doit rien alté-' 
rer aux vertueux sentiments de votîre cœur. 
Mais rejetant jusqu'à l'ombre de la galanterie, 
elle lui avoit demandé pour unique grâce de la 
laisser libre , ou de souffrir qu'elle nous quittât 
au premier port où nous aurions la commodité 
de relâcher. Pérès piqué peut-être de cette ri- 
gueur, qiii n'a voit pu lui paroitre qu'une affec- 
tation de vertu , n'avoit pas balancé à lui deman* 

PréYOst. Tom9 XUL 6 



82 ' RISTOIRS 

der quelle différence elle trouvolt dolic eutre 
lui et son premier amant? Et piquée à son tour 
d*une question qu'çUe avoit regardée comme 
un outrage, elle lui avoit répondu qu'elle y trotta 
Voit celle que Tamour faisoit mettre entre un 
amant chéri, et un visage odieux. Elle Tavoit 
forcé de sortir après cçtte réponse , et toutes les 
instances par lesquelles il Ta voit sollicitée de lui 
ir'ouvrir sa porte, pour recevoir ses soumissions 
et ses excuses, n'avoient abouti qu'à lui attirer 
de nouvelles injures. 

Pérès , peu touche par Famour, ne trouvoit 
ig[u*un sujet de raillerie dans la ressemblance de 
lios aventures, Je prévois notre sort, ajouta-t-il. 
Après avoir regardé nos dames comme Tagré- 
jmqnt de notre route , peut-être en vont-elles faire 
le supplioe, et nous serons fort heureux à^la-fin 
de trouver quelque moyen de nous en défaire 
honnêtement. 

Tout ce qu'il y ^voit de plaisant dans son ré* 
éit, ne dissipa point Finquiétude et le chagria 
dont j'étois possédé. Je suis fâehé , lui dis-je , 
dé vous voir dans une disposition qui ne me per«r 
met pas même d'attendre de vous un bon cou-^ 
fielL Ce qui vous paroît un badinage est la plu$ 
sérieuse affaire de ma vie.. J^aime plus que ja-^ 
mais depuis que je suis sûr d'être aime* Ma pas^ 
«ion est devenue si nécessaire à ma Yie » que 



DU COMMANDEUR DE ***. 83 

je préférerois la mort à la nécessité de me 
séparer d'Helena, Je la verrai malgré sa mèrej 
je ferai mon bonheur de sa tendresse y je la 
rendrai heureuse elle-même par l'ardeur et la 
constance de mes sentiments. Ne seroit-il pas 
de bonne grâce que sa mère fût arrêtée par 
dés excès de délicatesse, elle qui a vécu quinze 
ans avec un commandeur décrépit ? Et puis ne 
sommes-nous pas ici les maîtres ? Qu'a-t-elle droij 
de me refuser, après avoir eu dessein de se 
livrer elle-même à moi? Plaisant exemple pour 
sa fille! autorité encore plus plaisante, d'ùn^ 
mèrequin'oscroit avouer publiquement ce titre. 
S'il falloit discuter les droits, Helena appartient 
à Tordre. N'est-elle pas fille d'un comtnandçur? 
Je m'engageai ainsi dans un torrent de plaintes 
et da rétlexions , dont. Pérès, disposé à 1^ rail- 
lerie par Bon aventure^ ne put s'empêcher d^ 
rire beaucoup. Il y mêla néanmoins quelques 
avis sérieux sur le tort que j'avoîs de laisser 
prendre sur moi tant d'empire à l'amour , Mais 
je n'étois pkis, en état de goûter un conseil si 
sage. Je condamnerois votre passion 9 uie dii-il# 
ai vous y cherchiez autre chose que du plaisir 
et de l'amusement. Ce sont les bornes que la sa^ 
^es$e vousimpose. L'honneur ue doit pas moins 
vous y retenir. Ne doutez pas, ajouta-t-il, que 
kd eaprioes de la Rotini , comme la fierté de 

6* ^ 



84 HISTOIRE 

mon El vire, necèdentbientôtàrintërêt. Qu'ont- 
elles à espérer de plus heureux que nos offres- 
La nécessité leur fera jeter le masque , et Votre 
impérieuse mère sera trop contente de devoir 
son entretien à rattachement que tous avez pour 
sa fille. 

Il me fut aussi impossible de me rassurer sur les 
prédictions de Pérès , que de me rendre à ses 
exhortations. Je n'en retournai pas moins à la 
porte d'Helena , où je passai tout le reste de la 
nuit dans une agitation que je ne puis repré- 
senter. A-peinê le jour fut-il arrivé, que trem- 
blant encore pour la sûreté de ma chère mai- 
tresse, je fis entrer dans sa chambre une femme 
que j'avois^ prise^our la servir. Mon trouble 
augmenta jusqû au moment où je la vis repa- 
roître. Elle ,çle dit que la Rovini avoit passé la 
nuit à côté de sa fille , et qu^ayant fait à son ré- 
veil des plaintes fort amères de ma témérité , elle 
se promettoit bien de ne plus quitter un moment 
Hdtèna , la nuit et le jour. Je demandai s'il lui 
ctôit échappé quelque regret de seHrou ver dans 
le vaisseau. Son ressentiment ne s'étoît point 
tourné de ce çôté-là , et je conçus que malgré sa 
colère , elle ne renonçoit point aux espérances 
de fortune qu'elle avoit fondées sur mes pro- 
messes. 

C^endant rien' ne fut plus triste que notre 



/ 



DU COMMANDEITR DE ***• 85 

société pendant les deux jours suivants. Pérès af- 
fectoit pour son Espagnole une froideur dont il 
espéroit peut-être plus d'effet que de ses trans- 
ports. Et moi qui Toyois continuellement He- 
lena sous Taile de sa mère , à-peine osais-je lever 
les yeux sur elle, dans la crainte que mes re- 
gards ne fussent observés. Le troisième jour un 
vent impétueux nous ayant jetés, avec quelque 
danger, sur les côtes de la Morée, nous répar 
rames avantageusement quelque dommage que 
notre vaisseau avoit soufiPert , par la prise d'un 
briganlin turc , qui portoit les impôts du pays 
àCionstantinople. Après nous être saisis du trésor 
et de l'équipage , pous délibérâmes si nous nous 
asservirions à l'usage , qui est de conduire direc- 
tement ces sortes de prises^ au grand-maître. 
Mais d'autres intérêts nous faisaiit souhaiter que 
notre^oursefùt pi uslongue, Pérès ne combattit 
point l'envie que je marquai de nous défaire du 
brigantin dans le premier port chrétien. Nous 
retournâmes jusqu'à Tentrée du golfe , ou nous 
primés le parti de gagner Ancône. Pérès me dit 
en abordant : Je suis fort curieux de savoir si 
nos dames marqueront ici quelque envie de nous 
quitter. Cette pensée qui ne m'étoit pas venue 
jusqti*alors, me jeta dans ime si vive inquiétude 
que je fis jeter l'ancre à quelque distance du 
rivagç , et demeurant à bord, je laissai à Pçrès le 



86 ' HISTOIHB 

soin, de finir nos affaires. Mais ayant pris;^ un« 
moment dans Tinter yalle pour reyenlr au vais- 
seau ^ il poussa Torgueil de son triomphe jusqu'à 
reprocher à dona Elvire de n^avoir pas encore 
pensé à prendre quelques rafraîchissements dans 
la ville. Elle reçut ce compliment connue une 
simple politesse ^ et ne conservant plus \q ipoin-. 
dre souvenir 4u dessein qu'elle a voit eu d'aban- 
donner le vaisseau, elle proposa à ses deu:& com- 
pagnes de profiter des of&es de Pérès.. J.e. trem- 
blai en les y voyant consentir , et j'en fis un 
reproche èeoret à Pérès , qui rit de ma frayeur* 
' Notis nous rendîmes dans une hôtellerie du 
port, où je n'euà pas plus tôt mis le pied» que 
mon mauvais génie m'inspira une pensée, ^gicle- 
ment funeste à mon honneur et à mon repos« 
Sans la communiquer à Pérès, je le priai d'oc- 
ùUper adroitement la Rovini ^ pour me donner 
le temps d'entretenir sa fille; et le prévenant seu- 
lement sur une courte absence que je meditoist 
«je lui recommandai de feindre que j'étois re-** 
tourné avec elle au vaisseau. M'étant approché 
d'Helena , dont les yeux étoient sans cesse tour- 
nés sur moi, je lui demandai en peu de mots y 
si elle m'aipioit assez pour quitter sa mère e^ 
me suivre. Mon dessein étoit de l'éloigt^^r , en 
lefiet, dé quelques milles d'Aneône, et de la 
-mettre dans un couvent ,. où . j^ n\e propospîi 



r 



DU COMMANDEUR DE ***. 87 

de la venir prendre aussitôt que nous serioas 
de retoor à Malte. Elle n'eut pas besoin de 
cette explication pour m'assurer qu'elle ne 
Touloit TiTre que pour moi. Je convins avec 
elle d'un signe par lequel mon valet lui feroit 
entendre qu'il seroit temps de sortir. Les ordres 
que je donnai secrettement 4 furent de me trou-^ 
ver dans la ville une voiture. Elle fut prête ea 
moins d'un quart-d'heure. Helena ne se fit point 
avertir deux fois qu^il étoit ti^nïps de se rendre 
à la porte. Sa mère eut d'autant tnditis d'inquié- 
tude de la voir disparoitre ^ qu'étant sorti moi- 
même quelques minutés auparavant , elle n'eut 
pas le nwindre soupçon de nôtre iiitelligencie. 
J'attendois la charmante Helena. L'amour vlû me 
permit point dé faire attention qu'une si étraûga 
démarche dans une fiUe de quàtotze ans île âUp-i 
posoît pas une éducation at^ssi réglée que sa^ 
mère nous avoit représenté la sienne. Je m'abau" 
donnai à toute la chaleur de mes sentiments., 
!Nous sortime^ de la ville ^ sans autre suite que le 
valet qui nous avoit servis. Nous marchâmes 
d^abord au hazard , pour gagner quelque avance 
Rur ceuiiL à qui la pensée pouvott veûir de noué 
poursuivre. Mais après avoir fait environ trois 
milles avec beaucoup de dili^nce » je fis arrêter 
la chaise dans un village, où je voyiloîs m'în- 
former s'il y avoit quelque caunreot.vOisiut Mes 



88 HISTOIRE 

idées ëtoient fort éloignées dn péril qui me me-^ 
naçoit. Il fallut offrir à Helena quelques rafiraî- 
cbissemeuts. La force de roccasion, ou plutôt la 
foiblesse de deux cœurs passionnés , nous fit ou- 
blier le projet que je venois de communiquer à. 
Taimable Helena , et que je lui avois fait ap- 
prouver. Nous nous trouvâmes en un moment 
au-delà des bornes que nous nous étions impo- 
sées, et, loin de revenir de cet égarement, nous 
ne pensâmes qu'à l'augmenter par de nouveaux, 
excès. L'oubli de nous-mêmes et de tout ce qui 
étoithorsde nous fut poussé si loin, que nous, 
passâmes trois semaines dans le même lieu, sans 
faire réflexion si le vaisseau m'attendoit , si Pérès 
avôit tfouvé le moyen d'apaiser la Rovini , et 
si l'argent même qui se trouvoit dans ma bourse 
suffisoit pour la dépense peu ménagée que nous 
avions faîte dans l'hôtellerie. Il ne m'en restoit 
pas assez du-moins pour exécuter le projet du 
couvent, et lorsque je commençai à faire cette 
réflexion , je ne trouvai point d'autre expédient 
que de faire partir mon valet pour Ancône, 
avec ordre de ne se présenter à Pérès qu'avec 
beaucoup de ménagements. Il revînt peu d'heures 
après. Le vaisseau étoit parti; mais il m'appor-» 
toit une lettre de Pérès, que ce fidèle ami avoit 
envoyé de son bord dans le lieu où je l'a vois 
quitté. Il me marquoit qu'ayant trompé ia 



DU COMMANDEUR DE *'^*. 89 

Rovini par la feinte que je lui a vois suggérée , il 
Fa voit fait rentrer facilement dans levïiisseau ; 
mais la fureur qui Tavoit saisie en découvrant 
que je lui enlevois sa fille , avoit été si difficile 
à modérer , qu'après avoir {>assé quelques jours 
à m'attendre, plus occupé du soin d'arrêter une 
mère furieuse, que de celui de vendre le bri-' 
gantin , il s^étoit cru obligé par la prudence de 
remettre à la voile. 11 me donnoit rendez- vous 
à Naples, où il vouloit relâcher avant l'hiver; 
et n'ignorant point que j'avois peu d'argent sur 
moi , il avoit laissé chez un banquier mille pis- 
tôles, qui dévoient m'étre comptées à la seule 
vue de sa lettre. 

Mon imprudente passion me fit regarder toutes 
ces nouvelles comme autant de faveurs de la 
fortune. Je me trouvois libre avec ce que j'aî- 
mois. Il ne me manquoit rien pour la satisfac- 
tion de tous mes désirs. Sur-le-champ j'allai tou- 
cher mes mille pistoles , et prenant la route de 
Naples dans la même voiture que j'avois gardée 
jusqu'alors, je me promis de passer délicieuse- 
ment , dans une si belle ville , environ six se- 
maines qui restoient jusqu'au temps que Pérès 
m'avoit fixé. Nous ne trouvâmes que de l'agré- 
ment sur la route. Helena , dont la douceur m'a- 
voit toujours paru un peu trop semblable à la 
langueur» acquit tant de vivacité par l'exercice 



90 HISTOIRE 

continuel du plaisir , que j'aydis Tesprit aussi 
agréablement occupé de Son entretien , que mon 
cœur rétoit toujours de stè charmes. Nous arri-* 
Tàmes à Naples dans un temps où les spectacles 
et les fêtes s^ succédoient tous les jours , à Toc- 
casiou de la paix qui venoit d^étre signée entre 
TËmpire et la France. A^peine fùmes^nous as- 
surés d'un logement , que , nous étant informés 
des occasions de nous réjouir ^ nous n'épar^ 
gnàmes rien pour y paroltre avec distinction. 
Hclena , qui avoit du-moins tiré de son éduca- 
tion le goût de la parure ^ se signala dès le pre- 
mier jour par la galanterie de son ajustement. 
Sa taille et sa bonne grâce lui attirèrent tant 
d'admiration, malgré le déguisement du masque, 
que se trouvant environnée d'une foule de cour« 
tisans qui se poussoient sans ordre dans une des 
plus grandes salles d'Italie, je perdis ses traces» 
et je fis des efiPorts inutiles pour les retrouver* 
Mes recherches se tirent d'abord sans alarme^ 
Je ne pouvois me figurer qu^elle fût sortie de la 
salle 5 et lui supposant les mêmes soins pour me 
rejoindre « je me llattois du-moins qu'à mesure 
que la foule vîendroit à diminuer, il me seroit 
plus aisé de la reconnoitre* Mais ayant perdu 
toutes mes peines $ l'amertume qui s^empara de 
mon cœur fut si vive et si pressante que , sen- 
laut jusqu'à ma voix qui s'aÎFoiblissoit avec mes 



DIT COMMANDEUR DE ***. Qï 

forces , je m'assis sur le coin d'un banc, où toute 
ma fermeté naturelle ne fut point capable d'ar« 
réter mes larmes. Que m'auroit-il servi de 
prendre des informations parmi des gens dont 
nous n'étions pas connus ? Ce n'étoit pas , d'aiU 
leurs, de ceux qui restoient dans la salle que je 
pouvois savoir où je devois chercher une femme 
qui n'y étoît plus ; et quel chemin avois^je à 
prendre pour la découvrir ? Mon désespoir aug- 
mentoit à chaque moment : j'étois observé néan- 
moins dans la situation où je m'étois mis. Un 
masque, qui avoit remarqué jusqu'à mes larmes, 
s^approcba de moi, e* me demiâtlda civilement 
ce qui m'aftligeoit. A-peihe eus- je la force de 
retenir mes sanglots. J'ai perdu.... et ne sachant 
par quelle qualité je devois désigner Hélena, 
jf'ai perdu, lui dis^je, après avoir hésité quel- 
ques moments , une jeune étrangère que je don- 
nerons ma vie pour retrouver. Ne seroit-ce pas , 
reprit41, cette belle personne qui a fait l'admi- 
ration de toute l'assemblée ? Ah ! ce ne^peut être 
qu'elle» cépondis-je avec tout Fempressement 
de l'espérance. 11 sourit de mon ardeur; et me 
faisant entendre qu*il croy oit savoir de quel ooté 
je de vois la chercher, il m'offrit de me servir de 
guide dans une ville que je n'avois pas l'àir de 
connoitre beaucoup. J'y consentis, sans exami- 
ner si ce n'étoit paa une nouvelle imprudences 



92 HISTOIRE 

Ud équipage fort leste qui attendoit à la pol-te 
nous reçut au même moment. Nous fûmes con- 
duits k grand traio dans une maison qui étoit à 
rextrémité d'un faubourg. J'y fus introduit arec 
toutes sortes de politesses. La compagnie y étoit 
nombreuse, et l'empressement aveu lequel on 
s'assembla autour de môî, me fît connoilre qu'on 
attendoit quelque 'chose d'extraordinaire de 
mon arrivée. J'étois démasqué. On admira beau- 
coup ma figure. Les questions commencèrent 
sur mon pays , sur le sujet de mon voyage, sur 
le temps que je me proposois de passer à Na- 
ples ; et comme si l'on eût ignoré l'embarras où. 
mon guide m'avoit trouvé au bal, on parut 
apprendre avec la dernière surprise ce qu'd 
raconta de ma tristesse et de mes larmes. Alort 
la curiosité devint encore plus pressante pour 
savoir ce que j'avois perdu, et quels liens j'a- 
Toisavec la personne que je regrettols. Mes ré- 
ponses furent vagues. Et m'impatientant à-la-fin 
de ne pas trouver les éclaircissements qu'on m*a- 
Yoit promis, je déclarai nettement à mon guide 
que je me crojois joué par ses promesses. Il souri t 
de celle chaleur, et il m'assura que depuis notre 
arrivée il avoit déjà reçu des nouvelles qui de- 
boonaoler.' 

fiadBÊlr^lik'ayant pris aussitôt par lamain, il 
cpiia dele suivre dans une salle voisine. Tous 



DU COMMANDEUR DE ***. 98 

les spectateurs nous y accompagnèrent. Le pre- 
mier objet que j'y aperçus fut Helena, qui étoit 
assise au milieu de quelques dames , de qui elle 
recevoit mille caresses. Ses yeux étoient mouillés 
de pleurs , et je découyris tant de marques d'in- 
quiétude et d'abattement sur son visage , que je 
me flattai de lui avoir coûté des regrets aussi sin- 
cères que les miens. La présence de vingt per- 
sonnes 9 dont je ne connoissois encore ni la qua- 
lité 9 ni le nom , ne m'empêcha point de courir 
à elle , et de l'embrasser avec des mouvements 
de joie qui en causèrent beaucoup à toute l'as- 
semblée.On m'appritalors que j'étoischez la prin- 
cesse de Mezza Terra , qui avoit voulu se faire 
un amusement de notre aventure. Helena s'étant 
égarée dans la foule des masques , avoit senti 
plus tôt que moi la crainte de ne pas nous re« 
trouver, et dans le saisissement qu'elle en avoit 
eu , elle s'étoit démasquée pour interroger tous 
èeux qui se présentoient autour d'elle. Sa figure 
ayant charmé ceux qui l'admiroient déjà sous 
son déguisement, elle avoit obtenu peu de réponse 
à^ des questions qu'on ne comprenoit point ; et 
les regards qu'on jetoit sur elle achevant de 
reSrayery.elle s'étoit assise comme moi sur un 
banc^ où elle s'étoit mise à verser un ruisseau 
de larmes. La princesse de Mezza Terra avoit 
été la plus ardente à larrassurer, et la pressant 



q4 HISTOIRE 

par dÎTerses interrogations , elle avoit tiré d^ellc 
que c*étoît son amant qu'elle ayoit perdu. Mon 
•portrciit et la description de mon habillement 
aToit fait concevoir à la princesse quUl seroit 
aisé de me démêler dans la foule. Elle avoit 
chargé de ce soin le comte de Palini ^ et cher- 
chant a se réjouir par une aventure extraordi- 
naire 9 elle avoit persuadé à la triste Helena qu'é- 
tant femme du gouverneur de la ville, elle pou- 
voît savoir en peu de temps ce que j'étois devenu. 
Elle Tavoil menée ayec elle dans une maison de 
plaisir qu'elle avoit au faubourg, où elle avoit 
fait préparer à souper pour une multitude d'a- 
mis, qui prenoient autant de plaisir qu'elle à 
notre embarras. 

Nous fûmes les divinités de la fête. Je fus 
aussi caressé par les dames , qu*Helena de tous 
les cavaliers. Le repas fut prolongé fort avant 
dans la nuit. On nous pressa de raconter nos 
aventures ^ et je fus obligé , pour me tirer d'em- 
bartas , d'inventer cent circonstances qui étoient 
propres, au contraire, à déguiser ce que je ne 
vouloîs pas découvrir. Enfin , lorsque le temps 
de se retirer fut arrivé , nous ne manquâmes 
point de gens officieux qui nous offrirent leur 
Toiture; J'àùrois souhaité de ne me pas séparét 
d'Helena. Mais n'ayant rien à risquer avec les 
plus honnêtes gens de Naplés, je consentis à la 



DU COMMANDEUR DE ***. gS 

laisser partir avec un chevalier et deux dames 
qui avoient paru plus empressés que les autres 
autour d'elle. Le carrosse où j'étois suivoit de 
près ; et l'ordre fut donné aux deux cochers de 
se rendre au lieu où nous étions logés. Cepen-^ 
dant , sans avoir rien entendu qui dut me faire 
craindre quelque changement, je ne trouvai 
point Helena eu arrivant à notre hôtellerie. Je 
demandai è mes guides ce que je devois penser 
de oe retardement. Ils en parurent aussi surpris 
que moi. Nous passâmes plus d'une heure dans 
des impatiences inutiles. Enfin , leur ayant pro- 
posé de nous rendre chez le marquis de Leniati t 
qui s'étoit chargé aveo ses deux soeurs de re- 
mettre Helena chez elle, ils m'y conduisirent 
avec autant dVmpressement que moi pour pé- 
nétrer cette nouvelle aventure. 

On nous ouvrit chez le marquis; mais le por- 
tier , qui avoit apparemment ses ordres , s'in- 
forma si j'étois du nombre de ceux qui souhai- 
toient de le voir, et m'entendant répondre que 
j'étois celui dont il demandoit le nom , il me dit 
honnêtement que le marquis s'étoit déjà retiré^ 
et quHelena , dopt l'ahsepce pouvoit me causer 
dq rinquiétude, s'étoit déterminée à passer la 
nuit avec les deux dames. Cette réponse ne fai- 
sant qu'wgmenter mon trouble, j'am^ois iiusisté 
Absolument k vouloir lui parler , si le comte 



qQ ttlSTOlRÉ 

de Palini, qui étoit dans notre - carrosse / )ie 
m^eût représenté qu^Helena étant entre les maini» 
de deux des plus honnêtes femmes de NaplëSf 
je deyois être sans inquiétude jusqu^au lende-* 
tnain ^ et la croire aussi sûrement qu^entre mes 
bras. Je pris le parti » sur sa parole, de retour- 
ner chez moi ; mais je n'en passai pas moins la 
nuit dans une cruelle agitation. 

A-peine le jour fut-il arrivé , qu'où m'antionça 
le marquis de Leniali , qui demandoit avec em- 
pressement à me voir. Je n'eus pas le temps de 
sortir du lit pour le recevoir. Il m^embrassa d'un 
air tendre, et me priant de faire écaorter mes 
gens, il me fit attendre par cette précaution 
quelque ouverture sérieuse et importante. 

Je ne veux point, me dit-il, que vos alarmes 
durent plus long-temps, et j'aurois regret de vous 
en avoir causé , si je n'étois sûr de les réparer 
en vous communiquant aujourd'hui ma joie* 
Votre propre intérêt doit vous rendre capable 
de quelque discrétion , et c'est une loi que vous 
me permettrez de vous imposer, 11 s'arrêta pour 
me donner le temps de lui promettre le secret. 
11 y a quinze ans, reprit-il , que n'en ayant pas 
plus de trente, j'étois à voyager dans les diffé- 
rentes parties de l'Italie. Je connoissois le com- 
mandeur de..%.., qui avoit son château dans le 
voisinage d'Orbitello. 11 y faisoit depuis peu son 



DU COMMANDEIfR DE *'^*. 97 

séjour ayec une jolie Maltoîse quUl avôit enga- 
gée à le suivre, et qui ne pouvoit avoir pour 
lui.4*autre attachement que celui de Tintérét. 
Je passai quelques semaines avec eux, pendant 
lesquelles feu$ le bonheur de plaire à la màitressé 
du commandeilrr Elle me reçut plusieurs fois 
dans son lit, et jie ne la quittai qu^après m'être 
rassasié de ses faveurs. Quelques mois après, 
étant de retour à Naples, je reçus d'elle une 
lettre qui m^apprit que je lui avois laissé un 
fruit de nos amours, et que ne pouvant dé- 
guiser sa situation au commandeur , elle avoit 
réussi avec plus de bonheur qu'elle ne Tavoit 
espéré, à persuader à ce bon vieillard qu'il étoît 
de lui. ËUè me demandoit quelles étoieût mes 
intentions sur le sort de cet enfant. Je lui écrivis 
que ma réponse étoit renfermée dans Tèxplica- 
tîôn qu^èlle me donnoit elle-même , et qu'elle 
devoit étrç satis inquiétude pour ce qui nâttroit 
d'eUe lorsque son vieil amant s'en rbcounôissôit 
le père. 11 ne me restoit point d'inclination pour 
elle , et le fruit d'une passion de trois semaines 
Rie touchoit si peu , que je ne me sentois pas la 
moindre disposition à me charger de ce fardeau; 
Ma lettre , qui étoît d'ailleurs moins tendre que 
civile, dût la piquer beaucoup , puisqu'elle m'a 
privé depuis ce temps -là d'en recevoir des 
siennes. 

Prérost. Tomç XIIL n 



98 HlSTOIItE 

Cependant , ayant été hier invité à souper 
chez la princesse de Mezza Terra ^ je n'ai pu 
Toir la jeune Helena sans Lui reconnoître quel- 
(|ues traits de sa mère. Ajoutez-y »si tous voulez^ 
le mouvement secret de la nature ^ qui m'a ver- 
tissoit qu'elle est ma fille ; mais » après l'avoir 
pris pendant quelque temps pour un effet de la 
même impression qui portoit tout le monde à 
l'admirer, je me suis approché d'elle, je l'ai 
examinée avec plus d'attention » et les fahles 
même que vous racontiez de sa naissahce et de 
vos aventures, ne m'ont pas fait perdre l'opi- 
uioa qu'elle avoit des droits plua forts à ma ten- 
dresse , que ceux du mérite et d^ la beauté. C'est 
ce qui me fit engager mes sœurs à lui offrir de 
la remettre chez elle. Je lui uommai sans affec- 
tation sa mère et le commandeur dès qu'elle fut 
dans mon carrosse ; et son embarras fortifiant 
aussitôt mes conjectures, je pris le parti de la 
conduire directement chez moi, où je voulois 
éclaircir une si bizarre aventure. J'étois dans 
cette occupation lorsque vous vîntes à ma porte, 
et, m'étant attendu à votre visite, j'avois chargé 
mes gens de la réponse qu'ils vous firent. Heleaa 
ne se fit pas presser long-temps pour m'avouer 
de qui elle éloit fille. Mon secret m'échappa 
aussitôt , et dans le premier mouvement de ma 
joie, je la tins long - temps embrassée, en lui 



DU COMMANDEUR DE ***. 99 

apprenant, par mes caresses autant que par mou 
récit , la certitude que j*avois d^étre son père* 
Elle s^en est laissé persuader d^autant plus ai- 
sément, qu^elIe se souvient d^ayoir appris de £U^, 
mère qu^elle ne doit point sa naissance au com- 
mandeur. Mes soeurs , à qui je n'ai pas youIu 
cacher les raisons qui me la £aisoient conduire 
chez moi » ont été témoins de cette explication^ 
Mais en pressant Hclena de uous confesç^ 
dans quelle sorte de liaison elle fs( avec yous^ 
nous avons su d^elle.que tous vivez ensemblçi^ 
avec toute la liberté du mariage. Ne vous of- 
fensez point 9 interrompit le marquis en me 
voyant rougir ; je ne pense point à vous en 
faire un reproche. Elle nous a dit aussi que vou» 
êtes homme de condition et chevalier de Malt^» 
mais encore sans engagement^. Yoioi Tidée qui 
m*est venue. Je suis riche, et j'ai coriçu qu'im 
gentilhomme qui se destine à Tordre de Malte, 
doit rétre peu. Helena me devient assez clîère 
pour lui faire un mariage considérable , et ]*em- 
plojerai, d^îUeurs, tout mon cirpdit à la fortune^ 
de celui qui Tépousera. Voyez , monsieur ^ 
ajouta-t-il , si cette espérance et les qualités qui 
TOUS Font fait aimer suffisent. pour vous faire 
souhaiter de devenir son m.ari. Votre %arçit 
annonce tout ce que je désire dans ua^gendre^ 
^t la tendresse dont ma fille paroît i*emplie pour 

7* ' 



iob HISTOIRE 

tous/ tn*assiire que je ne puis faire un choix 
plus propre à la rendre heureuse. 

Quoiqu*un si long discours m*eûl; donné le 
tfeinps de préparer ina réponse , et que là côn- 
élttsîon mêthè eût été arnebée d'assez loin pour 
lie m'àvbir pas cslUsétrbp desurprisé, je ne tron^ 
TiEii pas t6uï-d*un-coup dans meé réfléxioiks , de 
quoi me défendre contre des oSres si pressantes. 
Ma seule reSAétarce fût de le rèihei*cier * de ses 
nltehtionSy et d'applaudir ab bonheur d*Helena » 
^ui tf ouroit sbii père dans Un homme si aimable 
et ii généreux. Je ne sais quel sens il put dbnnèr 
k mes expressions. Mais m^ayant îhTÎté à më faire 
ftàbiller , il me Reposa de raccompagner chez 
lîâi. En le suiVaikt » je me réjbuissbis bien moins 
de la fortuné d'Helena , que je ne gémissois de 
lia nécessité où j'allois être de vivre séparé d'elle ; 
car il ne falloit pas compter que celui iqui la 
Fecbnnoissbit pour sa fille , lui laissât la liberté 
de se tejoindï*e à moi le même jour ; et toute la 
facilité qu'il tn'oSroit pour la voir , ne pbuvoit 
satisfaire la passion dont j'étois plus etiflammé 
que jamais. 

Peut-être se forma-t-elle les tnémes idées dcf 
notre sort* $a tristesse du-mbins nke fit juger en 
la revoyant , qu'il lui rêstoit quelque chose a 
désirer dans le changement de sa condition; 
Mais si j'eus là liberté de la voir , ce fut toujours 



DU COMMAPIDEyR DE **♦. lOl 

SOUS les yeux des deux sœurs du marquis» qui rai- 
jnoieut déjà jusqu'à s'intéf-e^ser autant que leuf* 
firère à sopi établissement. Pès la première visite^ 
(m parla beaucoup de çùop. mariage. Je me re- 
tranchai dans les termes que j'avois d'abord 
employés. Tout Tamour dpnt je brùlois ne pou- 
Toit me faire oublier ce que je me devois à mpîr 
même et àThonneur de ma maison. Je remettoîp 
à faire Touverture de mes idées à ina chère 
jSelena » dans quelque moment où je me flattoi^ 
de pouvoir me dérober arec elle aux yeux jCljp 
ses deux tantes. Il fut longtemps à se prësepter , 
et tous mes soins ne purent le faille naître- hp 
marquis me pressoit pendant çp tepips-là de coq» 
11:1 ure. Elnfin> dans la nécessité .d^Q^'expliqv^Ç^ 
ayec lui » je lui dis naturelljemen^ qu'il s'éto^ 
formé une fausse idée de moi 3*il ine çiroy oit n^ 
avec la fortune »' ou s'il ine.prenoit pqur wx 
■homme qui dût regarder comnie un avantage^ 
les conditions auxquelles il m'offroit sa fille. L^ 
x^harmes dUelena étoient le seul attrait qui pût 
^n'attacher à elle. jSi^ un mot ^ copune il avoit 
voyagé en France, et que la prinçipifle uobles^ 
du royaume i^e poifvpit lui être iiicqninie» je 
lui avouai que j'^çi^ l'aîné jd^. ]ia i^^Uoij^^ dont 
je porAqis le noisç-^ et qwe je.ii'ayaiç p^sé fi 
l'prdr^i de |^Ue, ^smç par des i^j^ particulières 
* aroient jeté cpni^tues de l^tte m^ famille. 



loi HisTômi 

• ,. . . 

Mon dessem n^étoît pas de lui foire etitendreqtifè 
|ë voulusse retioncér absoliimeBt à sa fille , mats 
j'éspérois que me voulant de si fortes raisons de 
S'âlancer , il-devietidroit moitis pressant , etqae 
l*avètiir m^bfïïriroîl quelque moyen de prendre 
d^aùtres méiurfes avécHiBl^Aa. Cepéndalat M. de 
tieiiiàtî sMm'agîtia,*ati contraire, que jene tii'étbîs 
i*éleTë du clôté de la naissanbé iet de la fortuné', 
^lïèfpotir faire Vialôirle désîi^ que faTois dé me 
Voir bieutôt èôii 'giehdré. Il m'en marqua de la 
^éconnbissaY^çë / et tfxant ïé jour de notre mà- 
ViagèVîï me quîtlà pour eu ôi^dô'nner les prépa- 
Mifs;.'Jé['ràtil'6Î9'aiTêté pôiit- in'expMqiiér pins 
çïâireinènr^ 'à*!! lié m*ëtoi't' venu à resprît' que 
'iBfeîîis les' àitoroèhès d*uiîfe '(^érëiîno^^ du! né lui 
^yfôîssôïi ^1 lis douteuse, 'jè éîérbis moins observé 
fe^parlafit !à Hëleiià , et qucsî'ëHe étdit b^n-dis^ 
^sécpdur'moî ,'cônime j*dsôisn'en pas douter » 
il BOUS serdît fôdile de tromper* la vigilance dfe 
son père. 

'*''Eh'un mdt , inbn espérance étdît dé Ténghger 
à quitterîfïfplës avec moi , et délùi faire préférer 
lés donéélii'iitt'ùhéomi^ércè libre , à dés cbaJnes 
dont' fe'tfë'flfe'^ëtitois' atiëùnë envie de me char- 
ger. J*éti^''éiifiii'^bccàsi6â'"'^e je cherchais dé 
féiitréfeififgë^e.Màisiqiiëlfiiï'nioiiéWtfûètiieni 
de là t^6lf^ier>^tiadéë "tfUèf ^à '^!»lb d'à 



DU commâkdeua de **>. loS 

« 

point pour lui ôter celte prévention ? Je cher- 
chai d'abord à m*a$surer si elle m*aimoit toujours 
avec la même passion. Son cœur n^étoit pa& 
changé ; mais je voyois qu*à chaque réponse elle 
iparbissoit toujours compter sur notre mariage, et 
qu'étant comme enivrée du nom et des richesses 
de son père , elle oublioit la tache de sa naissance* 
jusqu'à se figurer que nos conditions étoient 
^ales. Cependant la vivacité de sa tendresse » 
s^exprimant par mille marques de chagrin et 
d'impatience , je me hazardai sur ce fondement 
k lui faire entendre que son père ignoroit mes 
affaires , lorsqu'il me supposoit assez libre pour 
disposer de ma main sans avoir pris quelques 
mesures du côté de MaHe et de ma famille. La 
crainte dele refroidir pourtnoi , ajoutai-je , m'em- 
pêche de lui faire cette ouverture. U est nécessaire 
néanmoins que notre mariage soit différé ; et ce 
qui me jette dans un désespoir mortel , c'est que 
ce délai me prive de tous les plaisirs de l'amour. 
Si vos sentiments étoient toujours les mêmes » 
repris-je, en la regardant tendrement, vous souf- 
fririez autant que moi d'une privation si cruelle; 
et je connois bien des moyens qui pourroient 
nous délivrer de l'esclavage où nous sommes. 
Quelques caresses que je joignis à cette propo- 
sition, firent tout l^^Ebt que j'avois souhaité sur 
Heleua, Elle me jura^ qaie. n'ayant rien de plus 



404 HIStOlKE 

cher que moi , elle se prêteroit à tout ce qui 
pourroit nous assurer la facilité àe nous voir. 
Qui vous empêche , lui dis-je , dç vous dérpbqr 
de la maison du marquis ? Nous nous retirerons 
dans quelque village yoisin , jusqu'à Varrivée de 
Pérès, qui se chargera volontiers de mes affairei^ 
à Malte ; et j^aurai le temps dans cet intervalle dé 
donner de mes nouvelles h ma famille. Votre 
père , qui sait dans quels termes nous atons vécu^ 
ne s'offensera point de nous voir accorder quel- 
que chose à notre tendresse, et si nous nous aper- 
cevons qu^il soit capable de 3'eu p£Penser , nous 
nous garderons bien de lui faire connoitre notre 
familiarité. . . 

Je trompois jHelena; et sa simplicité devoit 
encore être extrême , pour se laisser persuader 
par de si foibles raisonnements. Mais Tampur les 
fortifioit en ma faveur. E}le consentit à prendre 
un moment, dès le même jour, pour monter 
dans un carrosse que je tiendrpis prêt à quelque 
distance de la porte du marquis. La seule con-^ 
dition qu'elle m'imposa 9 jfut de retourner à 
îîaples aussit<)t que je Taurois- conduite au vil- 
lage où je voulois me retirer avec elle , et d'ap- 
prendre au marquis qu'elle n*en avoit pas moins 
de soumission pour tputes ^es volontés. Je lui 
laissai la satisfaction ,dç prairie qu'il poiirrpit se 
contenter de cette marique de respect, et je l'en- 



DIT COMMANDEUR. DE *'^*. Xo5 

Içvaî dan^ raprès-midi à son père , avec autaat 
de joie que jeTavoU déjà enlevée à sa mèr^. ^J.e 
n'étois pas beaucoup plus sûr du lieu de notre 
retraite qi^e j^ ne Ta vois été en sortant d^Ancôoe* 
Cependant la vue (l'un village fort agréable , qui 
n-étoit pas fort éloigné du port , fne ^qtprmina 
tout-d*un-coup à m'y arrêter. Naples nq m'auroit 
pas retenu long-temps , si je n'eusse été forcé d'y 
attendre Pérès. IVIais dans l^ nécessité pu ]Mois 
de le rejoindre^ je regardai encore cqn^me ui| 
avantage de m'étvre retiré dans unesoUbude, dont 
jie serpis li))re 4e sortir à sonarrivéç » s^iris e^tpo- 
^r Helena à paroître aux yeux de* sa mère. 

}\ fallut feindre de retourner 4 la ville, pour 
exécii ter rengagement où je m'étois mis de re*» 
yoir son pè^e; .Mai$ loin d^ chercher lie marquis 
deLeni^i, j'évitai» au contraire, tous les lieux où 
je pouvpis craindre ^ le rencon^er. Helenan'en 
fut pas n^pins persijLa.4jée que je lui ay o^s fait goû- 
ter npjtrefuite, et cette pensée la rendit tranquille, 
^ipsi l'ampiir me préçipitpit 4^ désordre en dé- 
sordre, et me rendoit capable de troqoiper 'jus? 
qu'à Tobjet dont j'fétpis idolâtre ; car je ne pouyois 
me dissimuler à mpi-méme que je jfaisois iin tort 
jcruel à la fortupe d'Hélène. Poùypjs-je espérer 
pour elle que les sentiments de son père se sou* 
tinssent 4an8 le degré de chaleur où ia nature 
les avoit d'abord élevés ^ sur - tout Iprsqu'H 



J06 HISTOIRE 

s^apercerroit tôt ou tard que je n*auroîs pensé 
qu*à tromper sa fille , et que le plus éloigné de 
mes désirs avoit toujours été celui de Tépouser ? 
Tons les avantages que j*étois résolu de faire à 
Helena, étoient-ils capables de compenser les 
bienfaits du marquis ? Et par quelles iH(chesses» 
d^ailleurs, pouvois-je réparer la corruption de ses 
mœurs et la ruine de sa vertu ? Mais une passion 
bien enflammée connolt-elle desrègles de justice? 
Je me livrai si aveuglément à mes transports « 
que n*ayatit plus de goût pour d'autre bien que 
la possession d^Helena , je ne cherchai ]pas 
même à me faire la moindre liaison dans le lieu 
de notre demeure. J*avois pris une maison fort 
commode 9 qui s*étoit trouvée à louer à notre 
arrivée. Deux laquais 9 avec une femme pour le 
service d'Helena, composoient tout mon dômes* 
tique. J'avois un jardin » un bois , un ruisseau ^ 
et tout ce qui fait le charme d*un cœur amou- 
reux dans la solitude. Il me restoit assez d'argent 
pour me procurer des livres. Tous les plaisirs 
auxquels j'étois sensible se trouvoient ainsi 
réunis dans Tenceinte de mes murs, et je n*aurois 
pas changé ma situation pour un empire où je 
n'auroi^ pas été sûr de posséder tranquillement 
les mêmes biens. 

Cependant mon repos fut troublé par la jalou* 
^e. .Gomme la chaleur ne nous permettoit de 



DU COMMÀNDEUk DE ***• ^ ICTJ 

prendre le plaisir de lat promeriade que le sofr, 
j^apérçus plusieurs fois sur le sommet du mur ^ 
au coin d*un angle , dont renfoncement étôk 
assez profond , quelque chose de mobile ,<qui se 
dérôboît par intervalles dans Tobscurité. En vaia 
m'approchois-je pour le reconnoîtré. Je cessok 
d'apercevoir lorsque j'étois au point où j'aurois 
commetkcé à découvrir l'objet distinctement. 
Mais j'étois bien moins étonné de ce phénomène 
que d'en voir rire Helena, qui étoit naturelle- 
ment fort timide. Enfin y la curiosité m'ayant fait 
dëscetiidre seul au jardin , pour me placer dans 
queffqtie lîeù d'où cette figure ne put échapper à 
ma vae,'je*la vis reparoîlre, et je découvris 
clairement que c'étoit une tête; c'est-à-dire» 
que ci^liii qui venoit nous observer étant sus* . 
petidtt derrière le mur , né se montroit qu'autant 
qu'il ëtoit nécessaire pour nous apercevoir. De 
quelque condition qu^il put être » fe m'imagitiai 
qu*il n'y avoît que l'amour qui put le rendre ': 
capable d'aune curiosité si constante, et je n# 
soupçbnnois point qu'elle p&t avoir d'autre 
objet qu'Heléna. Cette idée me jeta dans une si 
vive défiance , que je résolus d'approfondir dis 
lelendemàinraventure. La ùuit et le jour suivant 
furent pour moi un siècle de tristesse et d'agita- 
tion. Je m'armai- vers le soir d'un pistolet ^ et 
me plâçâtitràu lieu'que j'avois occupé la veille » 



i08 HISTOIRE 

à-peine eus-je tu paroftre la tétfs, que lui pré* 
sentant le bout démon arme^ je U menaçai de 
l&cher le coup si elle faisoii le moindre mouve* 
menf: pour se retirer. Une pièce de gibier ne reste 
pas plus immobile sous le fusil du chasseur* J^é- 
^is si proche » qu^en faisant quelques pas de 
plus t je reconnus la téted^uqe femn^e. A Téton- 
nementque je marquai par diverses questions ^ 
on me répondit en tremblant que j'étois trop 
cruel 9 de menacer de la mort une fep;ii|ie qui 
ne cherchoit que le plaisir de me voir ^ et qui 
méritoit peut-être ma recounoissance par ses 
sentiments. II en falloit bien moins potu* u^ fairp 
chianger de langage. Je .m*eSbrçai de réparer ma 
brutalité par des politesses. Mais jLandis que 1^ 
/conversation se lioit avec plus de choeur, j*étoii^ 
écouté par Helena » qui ne m^avpitpas vu sans 
soupçon, descendre deux fois seul au ji^4i^* '^^ 
personne qui me parloit ne perdit pias un mo- 
n^nt pour se retirer en rapercevant . ^ ne fp^étoit 
rien échappé qui pût être (équivoque: pp^r upç 
apoiant^ , et si j^avois quelque ch^pse à mp Repro- 
cher ^ G*étoit peut-être cf'avoir ^99iité ay^ec trop 
de complaisance une déclaration de tendresse 
qui avoit flatté mon amour-propre. J^igqqrois » 
4'0illeurs , de qui je Tavois xeçue , et Je^ ténè- 
fires, qui m^avpient laissé découvrir Ip visage 
4^une femme » ne pa^^voient pas p^no^ 4j^'jtiger 



DU COMMANDEUR DK ***. 109 

de son âge, ni de démêler ses traita. Cependant 
le ressentiment d'Helena se déclara par des 
plaintes fort amères, et toute là jalousie qui 
Khr*aToit agité un ôioment auparavant passa dans 
♦joh ccéur. 

Les excusés par lesquelles je m^efforçaî de 
Tapàiser furent sincèi*es. Je lui appris naturel- 
lement quelles avoieut été mes vues» et mesou^ 
vétiant de l'avoir vu rire plusieurs fois de ce 
qui m*àvoit alarmé, je lui dediandai à elle-même 
Côniniéht jfe devoîs expliquer Taîr d'intelligence 
qu'elle avôit eu \és jours jprébédetits avec la 
tête qttl pai'biisbit sur le mur. Ce ne fut qu'après 
biéb dés instances qu'elle me confessa le véri- 
table sujet dé son chagrin* La femme qui la 
iervôît; étoit d'une hunieur fort badine , et nous 
voyant descendre tous lès soirs au jardin , elle 
l'avoit avertie que son dessein étoîl de m'effray er 
par les apparitions que j'avôis vues plusieurs 
fois successivement. Helena y avoit conseUti 
jpôùr s'en faire un aùiùsement^ et n'ayant pris 
les mouvetnents de înâ jalousie que pour des 
marques de frayeur , elle avoit pris plaisir à 
toir renouveler là ménie scène. Le projet de la 
fi^uin'è-de-chambre àVoit même été plus étendu. 
Elle avôit prié sa maîtresse de s^éloigher de moi 
lorsque je m^àpprocberois du mur, pour lui 
laisser le temps de m'elFrayer encore plus par 



I.IQ HISTOIRE 

quelque autre artifice. Quoique Helena lui ezl 
eût fait la promesse , elle s'étoit si bien persua- 
dée que c^étoit la crainte qui m^agitoit, qu'ap- 
préhendant de pousser trop loin le badinage, 
elle n'avoît pu se résoudre à me quitter. Cepen- 
dant m'ayànt vu prendre seul le chemin du jar- 
din , elle m'avoit suivi dès la première fois. Le 
silence que j'avois gardé à mon retour l'avoit 
rendue assez inquiette pour m'observer le lende- 
main de beaucoup plus près. Enfin ce qui Ta- 
voit jetée elle-même dans la dernière alarme 9 
au-lieu de reconnoitre sa servante, ses yeux, 
plus perçants que les miens, lui avoient fait dé- 
couvrir un visage inconnu; et quelques exprès* 
sions tendres qu'elle avoit entendues, luiavoieat 
fait croire aussitôt qu'elle étoit tout-à-la-fois ipa 
dupe et celle de sa servante. 

Cette aventure me parut fort obscure à moi^ 

même. Je rassurai Helena en lui promettant qijie 

je n'en avois aucune connoissance , et que j'étois 

aussi surpris qu'elle de tout ce que je venois d'en* 

tendre. L'angle du jardin répondoit à la cam- 

pet et c'étoit le seul endroit qui ne fut point 

ôqiié par d'autres jardins. 11 n'y avoit 

j4*App£urence de pouvoir découvrir la per- 

vmequi m'a voit parlé, en nous hâtant de la faire 

?ttttiTre. Mais il étoit si clair que la femme- 

nsbreétoit mêlée dans cette intrigua, que 



DU COMMANDEUR DE '^^^^ llï 

nous la fimé^ appeler aussitôt. Tant qu*elIelD^eut 
point d'autre crainte que celle d^étre congj^iéet 
elle se réduisit à m'expliquer le projet qu^elIe 
a voit confié à sa maîtresse , en me confessant 
qu'elle avoit paru plusieurs fois sur le mur , et 
elle me jura que ne s'y étant pointj)résentée de- 
puis deux jours» elle ignoroit par qui sa place 
avoit été occupée; mais je trouvai si peu de vrai- 
semblance dans ce récit , que l'ayant effrayée 
par des menaces plus terribles » je la forçai de 
m'avouer qu'elle n'étoit chez moi que pour ser- 
vir une dame , qui l'a voit engagée par de grandes 
espérances à se charger de ce rôle. J'aurois mau- 
vaise grâce d'entrer dans un détail trop flatteur 
pour moi ; mais quoique je ne me fusse laissé 
voir dans le village que le jour de mon arrivée, 
j'avois plu à la veuve d'un auditeur du Conseil» 
qui s'y étoit retirée avec de gros biens. Elle avoit 
jugé que ma retraite étoit une partie d'amouf ^ 
et sa passion n'en étoit devenue que plus vive 
pour un homme de mon âge, qu'elle voyoit 
capable d'un si tendre attachement. Lorsque 
j'avois fait chercher une femme pour le service 
d'Helena , elle m'en avoit fait présenter une qui 
lui étoit dévouée. Les lumières qu'elle s'étoit^ 
procurées sans cesse sur la conduite intérieure 
de ma maison, sur m.on assiduité auprès de ma 
maîtresse,, sur mes manières tendres et galantes^;, 



112 HISTOIRE 

enfin , sur le dévouement absolu que je mar- 
quois pour Tobjet de mon amour , avoient 
achcTé de lui troubler Timagination. Les propo- 
sitions qu^on m'avoit fait faire plus d'une foiâ de 
me lier avec quelques honnêtes gens du village , 
étoient venues de sa part. Elle avoit été déses-^ 
pérée de mes refus; et perdant Tespérance de 
s'ouvrir Tentrée de ma maison , qui étoit défen- 
due comme celle d'un monastère » elle avoit pris 
le parti de se ménager l'occasion de me voir j et 
s'il étoit possible de me parler , pendant le temps 
que j'employais tous les jours à prendre Tair au 
jardin. L'exécution de ce projet avoit été con-^ 
certée avec la femme - de - chambre -, qUî s'y, 
étoit prise assez adroitement pour tromper sa 
maitt*ësse. 

Hel^na étoit présente à ce récit. Dans le pre- 
mier mouvement de son indignation , elle con- 
gédia sa suivante ; et comme si elle eût appré- 
hendé que les explications que celte fille pou- 
voit ajouter ne fissent trop d'impression sur moi ^ 
faon -seulement elle lui défendit de prononcer 
tin mot de plus, mais elle me força de me taire 
knoi-méme chaque fois qu'elle ttie vil prêt à lui 
répondre. J'eus cette complaisance pour elle, 
quoiqu'il me parût iftiportaht de connoître 
inieux le caractère dé la dame qui s'étoit pré- 
venue si fortement en ma faveur. Cet incident 



DU COMMANDEir». DE ***• Il3 

empoîsQiitia.4e mille ameriumes la tioacefir det. 
]|Mre çommeroe. Hdena trop faeiile.à se lai^n 
trodblér'par là jalousie , ne me Ttt jplusfiBiîre m» 
pas hors de sa vue «ans s^al^andonuer aux pi 91a 
ium*èâ. défiances. Si elle se réyeilloit pe94.%Qt,li^ 
nuit^ sou premier soin ëtoît dç s^assurer <{ae^ 
f'étoisprèsd^elle. Un moment dedistractiou, njic 
regard trop froid ou trop lent 9 étoient de$ crimeiSi 
qu^il fiedloit expier par mille soumissions.. Cepenr 
dant des caprices si passionnés ne servapt qu*à 
nie la «rendre plus chère » je redoublai ]eû témoi->. 
gnage^ de ma tendresse » pour la guérir d*uu«[ 
prévention aussi funeste, pour son repos que 
pour; le mien. À quoi raniour ne. me fit -il p$j» 
consentir ? Je portai la copaplaisance jusqu^à m^ 
laisser ;revétir.d*un habit de femme » qu^elIè mie 
fit porter hBâ)ittiellement« dans la pensée que m^ 
pouvant. être distingué d'elle au jardin:, il serot^ 
inutile k sai rivale de cher^^hèr INx^a^on de niQ 
voir. Tout lé reste de ma copduite,etide nf^ 
occupations répondit bientôt à cette foUe idée. 
Ott> n^aùroit pas mis de diffêrence entre .unê[ 
femme et moi, non-seulement pour la parure^ 
mais ;p0ur Pair d*aâectation et de mollesse. ; j 
' Je ne pouvois oublie»:, que le temps fixé par 
Pérès iétoit fort proche; et loin de le hâter par 
mes désirs 4 je commençois à le craindre. U ne 
pouvoit manquer dUobBrrompra.une. vie donA 

Pr^ToM. Tome XIU* 8 



ii4 xisToias 

les charmes me sembloient augmenter conti- 
nuellemeatr Qtt'avob-je à èésitet dan» H vesie 
àa moode , lo^rsque je trottrob* dans Tétendae 
de ma maison ce qui sttffîsok poar me rendre 
heureux 7 Je tBfétù^ feie une espèM^de philoso- 
phie, qui me^ faffs&ic porter nndififêrence pour 
k fortune et pour k' gloire fusqu^au mépris; et 
il je n'eusse conçu qu'il me fsrUoit des ressources 
pour les ilécessités d'une longue vie 4 j^auroisëté 
capable de perdre de tuemonanvi ^ mon vsfis- 
seau, Make y laf France, el de m'enserelir jusqu'à 
la mort dans^le village où j'étois. Ce ftit dans ees 
idées que je délibérai, si , sattks voir Perès« je tie 
pouvois pas lui faire demander à son arrivée 
one sommie assee forte pom* me soutenir pendant 
plusieurs années dans ma solitude. Il avoit moff 
argent , et rien ne me paroissoit , d'ailleurs , si aiisé 
que de lui faire remettre une procuration poDer 
tecevoiii de mon banquier la pension que je 
«l'étôis réservent sur mon bien. Il n?étôit pus plus 
diffîcile^e me la faille toucher de M^dte à Naples. 
Pour l'engager constamment dans mes intérêts, 
je pefloois à lui faire pi*ésent de mon Vaisseau , 
^et je ne pouvois «Poi#e qu'il s'obstinât à me 
chercher et à>iife sim; lors^fue^ je lui ferois^ dé- 
clarer quedei^ raisônK' importantes à mon bon<» 
heur mefaisoient renomier à toutes mes vues 
d'établissemetiu «le* f us si sa^sfait de ce projet^ 



DU COMMAND£0^A DE ***. t^B 

que m^o«[p^ratit d*àbard & mon Tâlet^dé-eliàmttft^: 
dont je confiôîsi^is là fid^é; )« ïe chie^ge éf^^' 
9e rendre an prort de NapleS i -el d^ umnàtt ié 

dëbàfcpiemeut de^Perès^a^ëcutietet^^éOÙ jeîtift 
marquois ttits intentions. . .; : 'j 

Itfais dès le métiie jotff ce gar^n ëlatiti-e* 
Tértu arec béaticc^p de diligence i iaai*àpptiH(vtë 
Pérès étoil à Naples depuis Tingé^fiiatre betti'ès',' 
et qu^ét^t surpris de n'a'roîr trdttvé péHttùftfr 
au pow pèfûr le recevbîi* j ils^àgitoit beaucoup 
dans la ▼i!ie«ponr découyrîr ttiës ti-aceiî. Dot 
raisons' faisaient i*è^ênîr mo*' Vàlét ^uï^ îég iièiîf^ 
nés ; l^ilne v Wur mfe toèttre cal Bàtéé codtrë là 
surprix d une visite! imprévue, s'il arrtvoîti /jutf 
Perè^ vint h connoitrê effectivementiàà deiinéu^; 
Fautrorpoûr recevoir de ùouveatte' c*drè^ éùir 
la manière dont il devbit ^ défendre ^ Vil sbtif4 
haitc>ic absolument de me voir. Je fàd^frà^Mf 
de cette nouvelle, que ih*imaginànt déjà Vëë^ 
tendre à ma porte , je pensai à reprendre aussi -^ 
tôt les habits de mon sexe , pour né pas nfei:^ 
poser à la confusion d'être surprîs dans ifa pa^ 
rure oà j'étois. Mais Helëna' vint à' boÀ^ de mé 
rassurer, en me faisant faire attention qu'il né 
déoouvrîroit pas ce qui avoitétéfOsqu'atôrsjliï- 
pénétrable à sonpère. J'âvèis su ; ét^' efiH', tffié ïè 
marquis de Leniàâ 8^'étoit donné béattèoii^dd 
mouvement pour nous tironver | et quoique 

8* 



>!eqwe laît teroire à HjsUiia» 4aa«< 1^9 .premiers 
joçi^ 9 9^0 je lui avois fait goùter. moi - même 
1^8 exçmaeft 4e jiotre fuite , elle aypit, appris de- 
ppi^;»' pai^ mon propre aveu » que je ne m*étoia 
pas présenté à lui depuis notre déparu i 

Je.cJbangeai néanmoins quelque «hose. aux 
premiers ordres que jV^ois donnés à mon valet ; 
etcr^ûgifant qu*ilnemedevinttrop difBcÂledeme 
dérober k l'empressement de Pérès, j'écnTis^uœ 
autre l^tre par laquelle je prions ce cker ami de. 
sûspepdre ses recherches • et de m'âGtendre le 
lendemain dans uii^ lieu que je lui marqupis^ 
Ayec les raisons que j'ayois de vouloir éviter 
sa visite 9 j*appréhendpis qu'à force de mouve* 
nient et de qu<^ionjS il ne rencontrât Leniati 9 
qui ne manquerpit pas de saisir cette occasion 
pour retrouver sa fille. A-peine mon valet fut-il 
parti 9 que tout^es mes craintes se trouvèrent vé- 
rifiées. Pérès s*étoit lié. avec le marquis 9 à 
Toccasion d'une lettre dç la Rovini qu*il s'étoit 
chargé de lui remettre* Il avoit laissé cette femme 
à Make 9 où il étoit retourné exprès pour se dé« 
faire d'elle, dans la seule vue de m'épargner une 
scène ; fi^cheU^e s'il me retrou voit avec sa fille; 
N'ayant ^pu refuser sa co^Imission 9 . il s'étoit 
chargé , de voir Leniàtl de sa part y et les expli- 
catioQjs <{Wil avoit eues avec lui 9 les avoieut dé* 
terwinéf & me cl^cher^ ensemble^ Peut-être $e 



DU COMMANDÉtTR DE ***. itj 

i^érbiènt-ils donné des pemès inutflesV si en^rè* 
%iant des informations dansleTillage ils n*ëfoieSK 
tûmbés sur la servante que nous* afîoiis réôr 
iroyée. Elle nous aioit fait recbnnoftrë '&ëilë!- 
ment au portrait qu'elle leur àToit fait de' çtot^» 
' J'alloîs descendre au jardin avec Heletiâ^. 
loi^que j'ienlendîs frapper brusquement à iîiÀ 
porte. Il me prit un tremblement que )(& île pi& 
iramcre. C*est Pérès, dîs-jeàHelenà» ÔuVrîirôiia^ 
nous? Tandis que nous tenions conseil» il c<Ài^ 
tinubil de frapper ; et mon second yalét, ft qui 
î'àTois i^ecommandé mille fois de 'ne famàiiët^ 
^ir sam mon ordre , fut si TÎTeiiiént éntraflïé 
par le bruit, qu'il étoit à là porté ayant que 
jl^eusse «entendu le mrouvement qu*if fàîsôitpour 
i-y rendr^/Cependant je crus distinguer le bruit 
de ses cleÊi , et , dans le transport dé ma crainte, 
je courus aVec la dernière vitesse pour réihpè- 
dber d'ouvrir. Mais il ouvroit ànnstantquejète 
jsoigni»; de sorte que n'a jant pu retenir la porté ^ 
qui se pottssoit déjà sûr moi , je demetirai eX*' 
posé à la vue , non-seulement de Pérès , niais èài^ 
eore de Lieniati, que je n^avois pas sonpçoilné 
d'éire avee lui. La honte deTétat où j'étois m'àii- 
roit fait précipiter dans un abime , s'il s'eqi ëtoit^ 
ouvert un' à mes pieds. Je détournai 'là tête en 
rougissant. Pérès fut heureusement le seul qui* 
me; reconnut ; et, par une attention digne d^' 



sj^prftdjsncp, «t de json auiifié ^ i] coHfprit ^luc 

iR^T^^Iif:!^^^ $'U m*embf^sspit ayeo.^es r^U^ 
-^îfi? j9^?; }^ jpévii^i^. Il fpigplt,de »e paj »€ ra- 
q)^ïf^.t)^fr1*ff^^^^^^ au valet , qui ëu>it::il»)i 
fci^f intfr4.it de Tcffort que favois fuit {joUr ï!ar- 
Tfî\^K t U lui demanda» en me ûp9nipaiilf4^qiMe| 
fipf^é, W |aUf)it prendre pour me voir. C< fat uuf 
i^pHT^lf 3cèpjÇ9 par Tembarras de cfs garçon 9 qui 
i^*o$pi|: o^yfir la. bouche po^r me faire con^ 
|:{Q!|t^.e. Xie seiU mojfsn qi|jç je crus capable de 
me sauver 4^ cette confusion , fut de baisser la 
tçt^e.^ r^re^ll^ ^e Pérès : Entrez, lui di^je, et 
$i9i^yefiez-you^ de ce que tous devçzà mon hoa^ 
neûr. I] mW^^ndit. Nous le trouvero^» dit -il 
aussiiôt au nia[rquis ; et le pressant d'avancer fil 
le ^tp^nç'trer jusque dans une salle qu'il trouva 
ouverte devant lui. HeJena» qui m'avoît suivf 
des yeux » s'étoit retirée dans un cabip^t après 
I^ avoir reconnus. ISe doutant point qu'elle 
n'eût pris cette prëcautioo » JQ la fis avertir de 
me venir joindre. f)lle fut à moi dansr l'instant, 
EUf^ ëtoit tremblante. Je n'ëtpis; pas moids saisi 
qu'elle y et peut-être n'y eut*il jamais d'exemple 
d'an pareil embarras. 

Yoyez , : l^i dis - je , presque sans haleine ^ à 
quoi vous çi^'f xposez par yo^ caprices. Commeettî 
soutenir la vue de deux gen^ d'honneur dan» 



DU GO1K[MA^P«0% DE ***. ^Ig 

l^Sétifc i^îe auis? Ëlt f arcacboistià cÏMi^^e i&Qtrde 

ff^ré* fyiim momeat jç fus id^cb^rgé 4*m^ pa- 
rure c|«i avoH pceapé t pet^dant dejii^ bQVicçs ^i 

plus prompt., est d^ paroitre cpsequ^lq fa^^xjmt 

poHrT<{iû »e faiâok pi:t^ii>cU0, malgré 9¥>i $ oetftff 

ilexiiHif qui s^^aknt fr4sf^%é»fh mfHi esprit;» 
j'iEiuroif ^oubait^é dV^oir im^ vpiti|i:« p^étçpoi^, 
noiu fipj^#pper , |b| j^ ;nVi|rpis riep jFf^fsM^ 4^ 
e^ cpi*â^ ^^auroif^ ffà\^ laisser dcirrij^ce noiis « si; 
fajTftis .w Tespiqirw^ d'é¥?tgp j^^çïjiati paf k 
filite,. A9>|ift Ç!e^ re8S<H)Pj2^ ^l^at iiji^gia&Âlpjjl^e » jjf^ 
prjf H^lf^lia f»r ^»ai^,.(Bt jp.|n'efforcai,^^ii4ft 
Qs^wt T^* la iialil^* dip coiBpo^er mo»: fvijifige 
€t ma Toix, Je Texliortai «jlfHp^éiQe à H fei?fDe^> 
dftlP^f^m^ l>ocai9H»ii;iiù^oM^^ bonheur d4pi?Q4pit 
d^nolivç» tùnâwt»» Perè$ d»« w"^ pa» pliA^ tôc^ 
apçr^AiW $*<^iaoQ»ait ter$ moi , î} m'e^Wniw 

seçr^ oari^fls ; maiç fAf^s4#t nyii/f ^§rJ; <|««tïr s^e m- 

m(^MT9VJ§,»^ tdpi^ ?ei*ij^ qui«eiii- 
b^j^tirtç<?|jaîn du tdn qu'il^rdeT^j^prjendue aya^: 



T2Ô HlfitÔlRB 

taioi. Monsieur, lui dis-je» si tous connoisste le 
{M^ôir dé ramoilr , notre faite n^a pas dû vous 

* * ■ ■ 

snrj^rendrie: Yo^ propositions de mariage -mV* 

▼ôiéiit flatté ; mais des obstacles; qoe je n'ai^po 

%y>M cfêcfouTrir» ne ni*ayant laiàsé Toir oe^ bon* 

hëùr que dans réloignement, je n*ai pas eu la 

lOl'ce derésister aux mouvements d^une teA-* 

âinâs^e qui ne m'abandonnera qu'avec Ita vie; 

lies -dé^firs de ma chère Heleioa sont lés Mêmes; 

Nous sommes faits pour nousf aimer. Laissez^iiOué 

altendrè'dàns la tranquillité où nous sommes 

des moments doùt le tenue, Â-la-Térité^méjj^rôit 

encore obscur , mais qui seront bien suppléés 

par la con^alice , là fidélité et la tendrélBse inal* 

térable de mes sentiments. Don Pèrès'^ût tous 

avoirdit , ajoutai - je , qiié Vôtre fort due il^est 

pas néce^saii^e pour rendre la nôtre douce 'M; 

heureuse ; je ne vous demande pour Helénu» qùôf 

Tafiècti^n pâterûelle » et pour moi Famitié que 

je veux mériter par lamienne« ■. • . k> î : .. 

Il mie répondit, sans aucun- mouvement 

qui sentit là eolère ou la plainte» qu^l ddiinois^ 

sOit les emportements de la jeunesse, efrqu^i^rèls 

les avantages qu^Helena m*avoit accordés Âir 

elle i je n'étôis pas coupable de les faite àtirér.^ 

Mais je nVjoute qu'un mot, me dit-il, snr- te-' 

quel votii devez réglet-vo8fi*és61titioDS j'c'est-qfee- 

toutes les faveurs qùe^ëdësitihbis à îièlèâA sù^ 



DU COMMlNDEUlî DE ***• IZt 

posent qu'elle s^eh rendra digne par sa conduite» 
et ^ue, si elle résiste au 'dessein cjue j'ai dé là 
marier V je renonce à la qualité de père , qûié 
mon indlinatitm m'aVoif fait prendre aVèc Tap^ 
plaudissement dé ma fàmillei Cette déclaratioii 
étoit [^cise , et le ton dont elle airôit été pro- 
iibucée faisoit sur moi plus d'impression que 
Ifes reproches et' la violeiice. Il me Tint dans ud 
instant Mille idées qui afibiblirênf les plus puis- 
sautes raisons que j'aTois eues de regretter lé 
mariage. Hdenà n*étoit-elle pas sortie sage ddl 
éhaius de sa mère ^ et pouhrôis^jë iiéjgarder ciHàm^ 
une taché des foiblesses ^qu'elle hoTaToitieuésiitié^ 
pour moi? Qu'importbit^celle de èà nài^lelncé» 
l^fM|tîe ]è 'pouVois me fixer- à'Tfàplés avec ellëi" 
et cacher à ita'a fànliHe lélieu de ma demeure 
aussi facilement que mdh mariage? J'aTOÎssôtir 
haite d'entrer dans l'ordre dé Maltle^ pour' suivre 
le penchant qui m'y appëloit :Tâ'^mêmë'rà1^tl' 
ne justifioit-ellepas le chkngeméhtdé m^ irués'f 
et dans- le choix d^un genre dé^vie, rfët6ît-'ëc! 
pa^ l'inclination la ]^lùs fôrtè <^ui devôlt tt^'-' 
jours l'emporter? TousJes mouvements de moi^ 
cœui^ iike faisoiéht sentir "qu'il fétôîtfisiii poài 
l'amour ; et dàfas quel à*ntre ëtW pëtiVdii-^eles' 
satisfaite que dains uin nriarîa^ heiii^éUx et iriilir 



• r 

• ■ î 



«124 laisToiaï 

'déjpart lorsque nous serions i^ëtëniis dci' jtiMin v 
^ de lui dire qu'aussitôt qu'il i^erôit 'tetifr^ & 
lïaples, il se:hAteroit dé lui rënTôyer'satoîtxi^. 
' Pendàut ce temps-là {^étois dau s tfo 'entrôtiëii 
fort animé avec Pérès sur les isuités d'une pas^ 
sion qu'il n'avoif prise dans son originètfaé'poûr 
«n amusement excusable à mon Age. Il aVoit 
pénétré le sens des dernières expressions que 
)'aTois adressées au marquis, et n'osanrt les 
croire sincères, il n'aroit rien eu de si pféssaut 
que de m'en demander l'explication. J'aVôis 
pris ma réponse de fort loin , et la cotichisibxi 
a voit été que, ne pouTant supporter là yie saii!^ 
Helena , j'étois résolu dem'assurer sa pô^è^^kiii 
par le sacrifice de toutes mes espérances; It iifVÀ'it 
•voulu m'interrompre yingt fois, e» j'àVbis W 
ma condamnation dans ses yeux. Mais 'espéi*ant 
de me le concilier par dés marques de généhsitiS 
et d'attachement , je l'a vois prié de m'écoùtei^ 
jusqu'à la fin. Mon Taisseau , lui dis-je , me de* 
venant inutile par le nouveau système c[lié^é 
Tais embrasser, \e ne prétends point que vou» 
attachiez un grand prix au dessein que j'ai de 
vous l'abandonner. Et comme les droits de l'a- 
mitié sont aussi saints pour moi que ceux de 
l'amour , je veux vous laisser la disposition de 
mon revenu , que vous recevrez à Malte de mon' 
bauquier , et dont vous me ferez loucher ce qui 



DU COMMAIf OEUft DE *'''*• 1^5 

^e sera point nécessaire à vos propres usages , 
Car je prévois qu^en épousant Helena» les avan^^- 
teges qu'elle recevra desoupère suffiront pour la 
vie simple que je me propose de mener avec elle. 

Pérès s'étoit fait une violence extrême pour 
m'écouter si long-temps. Enfin» croisant les bras 
avec un air d^étonnement et de compassion, il 
me demanda s'il devoit s'en rapporter sérieuse* 
ment; à ce qu'il entendoit » et si j'étois capable* 
de.m'oublier jusqu'à ce point. Non» reprit-il, 
ce n'est pas mon ami qui perdra tout principe 
d'honneur , jusqu'à se précipiter dans la plus 
honteuse infamie. «Texposerois ma vie pour l'ar- 
réter sur le bord de l'abîme. Je la dois à sa gé- 
néreuse amitié. Je suis prêt à la sacrifier pour 
lui sauver l'honneiir. 

Un reproche si vif m'ayant fort interdit» Pé- 
rès eut le temps de me remettre devant les yeux 
tout ce qu'il crut propre à faire impression sur 
moi. Et ne se pardonnant point» me dit- il, la 
complaisance qui l'avoit porté» contre ses prin- 
cipes » à i^voriser mon amour par ses conseils et 
par son exemple » il s'accusoit lui-même d'être 
la première cause ^ ma perte. Mais comment 
se seroit-ildéfié,ajouta-t-il» d'un caractère aussi 
noble que le mien? Comment m'auroitril cru 
capable, de compter pour rien l'estime de tous 
les honnêtes gens ? Savez - vous » reprit-il » que 



128 HlSTOtaB^îv;. 

. Les mesqr:^ qjue noys primés ensemble stip- 
po$oient quHelena et son père fussent encore 
près de nous. Pçrèg devoit feiiidre » comme moi^ 
que je n'avois p]us d'éloignemënt pour le iha-* 
riagCii et proposer au marquis > dans cette sup- 
position » de retourner à Nappes pour y faire les 
préparatifs de mes noces. Il auroit donné ordre 
|iu Taisseau de mettre dès le même jour à laToile; 
je me serois rendu pendant la nuit; à Pouzzoles 
aVec Helena , et je me serois embarqua sur^le- 
çbamp. Pour lui » que rien ne pressoit de retour- 
ner à Malte 9 il auroit attendu Toccasion d*uh 
autre Taisseau pour nous suivre , et pafoissant 
surpris ^de notre évasion , il auroit conisolé le 
marquis d^ane perte à laquelle il pe s^imaginoit 
pas qu^il pût être mortellement sensible. Ce f^r 
rent mes instances qui le firent entrer dans un 
projet qu^il condamnoit en s'engageant à réxe- 
cuter. Il me fit beaucoup valoir la violence qu*il 
faisoit à ses principes ; mais ce sage ami conçut 
qu^il ne lui restoit que cette voie pour me sau- 
ver d*un mal beaucoup plus redoutable. 

Notre surprise parut égale . en . apprenant 
qu'^Helena étoit psgi^ie avec spn pèrq. Mon.amî; 
ne revenoit pas plus que moi de cette trahison. 
Mais un sentiment qu'il ne partagea point a veo 
moi» fut celui de la douleur. Au contraire , rap- 
pelant toutes ses forcesjpoûr combattre lamieuney 



DU COMMANDEUR DE ***. 12^ 

i} me présenta cet incident comme une faveur 
sî déclarée du ciel , qui vouloit me délivrer mal- 
gré moi iil*une passion également funeste à mon 
honneur et à mon repos, que je le soupçonQai 
pendant quelques moments d'avoir été d'intel- 
ligence avecLeniati pour v\e trahir. Cependant, 
sans se choquer de mes soupçons , il examina de 
sapg- froid ce que nous devions penser d'une 
démarche si brusque , et me confessant qu'il ne 
la trouvoit pas favorable à mes espérances, il 
jug^a seulement qu'il en pouvoit tirer parti pour 
m'arracher à Waples, et me faire prendre le che- 
lain de la mer avec lui. 11 s'y prit avec une 
adresse dont je fus la dupe. Je n*ose vous con- 
seiller, me dit-il 9 de voir Helena , ni son père, 
avant que d'avoir pénétré leurs intentions. En 
vain l'interrompîs-je pour l'assurer que je de; 
vois faire fond sur celles d'Helena. Ah ! reprit-il, 
en feignant presque autant de chagrin que moi , 
je suis fâché que vous ignoriez encore combien 
il y a de légèreté dans le caractère des femmes. 
Mais si vous avez meilleure opinion de mon. 
amitié , laissez-moi retourner à Naples , et fiez- 
vous à moi des intérêts de votre amour. Pour 
peu qu'Helena ait de penchant à vous suivre , 
je vous garantis que je trouverai le moyen de 
faciliter son évasion ; et pour n'être arrêté par 
aucun obstacle, ajouta -t -il, je vais envoyer 

Prévost. ' Tome XHL Q 



'^do HISTOIRE 

oi'dre au vaisseau d'aller nous attendre à Pouz- 
zoles , où nous n'avons besoin que de quelques v 
heures pour nous rendre avec votre maîtresse. 
Ce conseil me parut si sincère et si juste, que 
je m'en remis entièrement au zèle et à la con- 
duite de tnon ami; J'attendis son retour avec des 
transports d'impatience. 11 ne revint que le jour 
éûivant, et d'aussi loin qu'il m'aperçut, les 
signes qu'il me fit de la tête et des yeux m'an- 
noncèrent de tristes explications. Je vous plains, 
me dit-il en m^embrassant ; mais je n'ai prévu 
que trop juste les suites de là trahison du mar- 
quis. Il a fait prendre à Helena d'autres senti- 
ments , et c'est de la part de votre maîtresse 
même que je vous déclare qu'elle est résolue 
d'obéir à son père. Partons, reprit-il en m'em- 
brassant encore; éloignons-nous et d'un homme, 
dont le ressentiment deviendroit dangereux s'il 
se formoit d'autres craintes , et d'une maîtresse 
à qui je n'ai pas reconnu autant d'attachement 
pour vous que vous lui en attribuez. Il est vrai 
que ne pouvant soupçonner Pérès de mauvaise 
foi , le premier mouvement que je ressentis en 
fut un de fierté et dMndignation, qui m'auroit 
fait abandonner sur-le-champ une ingrate et 
parjure maîtresse si le vaisseau eût élé prêt à me 
recevoir. Mais les secondes réflexions furent 
plu« favorables à Helena. Je m'imaginai que 



DU G01M[ISlA.NDEUn DE ***. l3l 

s^^tant expliquée en présence de son père , elle 
arv^oit moins consulté son amour que sa crainte. 
Je fis cette objection à Pérès, qui , se TOyant 
comme poussé à-bout pai^ mon obstination » 
prit enfin le parti de me traiter sans ménage- 
ment. C'est malgré moi, me dit-il, que j*ea 
viens à l'extrémité. J'avois résolu de vous ca- 
cher ce que je n'ai cru propre qu'à aigrir vos 
peines. Mais je ne puis vous voir non plus dans 
cet excès d'aveuglement pour une jeune co- 
quette qui marque pour vous si peu de consi- 
dération. Lisez, ajouta-t-il , en me présentant 
nne lettre. Elle est de la main d'Helena , qui né 
s'*est pas fait presser pour confirmer par écrit ce 
qu'elle m'avoit dit de vive voix. Je reconnus eii 
effet son caractère. Elle me marquoit que ne 
pouvant refuser à son père l'obéissance qu'elle 
lui devoit , elle se voyoit dans la nécessité de 
rompre un commerce qui avoitfait long-temps 
tout son bonheur. Les voeux qu'elle formoît 
pour ma consolation furent la plus cruelle par- 
tie de cette affreuse lettre. J'y crus voir une froi- 
deur si déclarée, que, m'excitant à faire succé- 
der la haine et le mépris aux tendres sentiments 
qui nie remplissoient encore , je commençai par 
offrir à Pérès de partir à l'instant pour Pouzzoles. 
Je connoissois mal les ressorts de mon propre 
cœur, ou plutôt je n'a vois point assez d'expé- 

9* * 



j32 HiSTOIll 

rience du caprice des grandes passions pour 
Sjavoir qu^un pasjsage si prompt de Texcès de la 
tendresse à celui ,de la haine seroit un prodige 
qu^il ne faut point attendre des forces de la 
nature. Je mêle promis néanmoins du mortel 
dépit qui ipa^animoit , et si je ne pus partir sans 
me sentir le coeur cruellement déchiré, je cher- 
chai dans inon honneur et dans ma raison tout 
ce qui pouvoit m'aider à triompher de cette foi- 
blesse. 

. Pérès , à qui je ne déguisois point mes agita- 
tions , me plaignit , sans rien changer à la fer- 
meté de ses exhortations et de ses conseils. Au- 
lieu de me conduire directement à Malte • il se 
figura que pour me remettre en état de paroître 
avec bienséance à la cour du grand-maître , il 
devoil me mener à Toccasion d'acquérir assez de 
gloire pour effacer les impressions fâcheuses que 
les plaintes de la Rovini avoient pu produire. 
Renfermant néanmoins ses vues dans lui-même , 
il remit à me les communiquer au moment de 
Faction, et j'ignorai Tordre qu'il donna de tour- 
ner la voile vers l'Archipel. L'hiver , qui com-r 
mençoit à s'approcher , lui donnoit l'espérance 
de rencontrer quelqu'un des bâtiments que 
cette saison ramène d'Egypte avec les pèlerins 
de la Mecque , et son dessein étoit de chercher 
de si près l'occasion de se battre qu'elle ne pût 



•t 



DU COMMANDEITR DE ***. l35 

lui échapper» «Tétois enseveli dans un coin da 
Taisseau » livré à la violence de mes agitations » 
et toujours persuadé que nons avancions vers 
Malte , lorsque je fus réveillé de cet assoupis- 
sement par la voie de Pérès» Il avoil découvert 
la proie qu'il cherchoit. Aux armes t s'écria- 
t-il ; à rhonneur ! à la victoire t Et me voyant 
lever la tête avec surprise , il me dit en peu de 
mots qu^étant perdu de réputation k Malte, si je 
n'y rentrois point par quelque actiou éclatante', 
il m'offroît une voie présente pour réparer 
toutes mes foiblesses. Oui , lui dis-je en courimt 
aux armes , c'est sur les Turcs que je vais me 
Tenger des trahisons de Tamour. 

La même ardeur s'étant répandue dans tous 
nos gens , nous eûmes bientôt gagné le vent sut* 
le vaisseau des infidèles. Nous lui lâchâmes toUn 
tes nos bordées , qui le mirent dès la première 
décharge dans la nécessité de se défendre uni- 
quement contre les flots. Il fut percé de plu- 
sieurs boulets , qui le mirent en danger de 
périr avant que nous pussions le joindre. Ce- 
pendant nous reconnûmes en allant à Fabordage 
que nos eùnemis n'étoient pas sans cœur et sans 
armes. Us firent si bonne contenance, qutf» 
malgré le désordre de leur vaisseau qui demaà- 
doit sans cesse une partie de l'équipage pour 
«arrêter ràfaaoïitdance de l'eau , ils nous^ disputa 



l34 HISTOIltE. 

rent le terrein pendant plus d^une benre^ et 
nous perdîmes une partie de nos gens arant que 
dq nous Tojr ferme sur leur pont. Il leur eu 
coûta le double; car on n*a rien tu de si intrë-^ 
pide que notre attaque , et chaque hommie qui 
toinboit'de notre côté étoit Tengé au même mo- 
ment par la mort de plus d*uQ ennemi» Je re^- 
grette pour ma gloire que Pérès ne soit pas 
l'historien de ce combat. Il ne me convient de 
relever que son courage qui se signala par des 
coups prodigieux. Je le vis attaché au plus 
brave de nos ennemis. La victoire me parut 
incertaine 9 et par admiration pour la valeur 
de celui qui lui résistolt autant que par empor- 
tement de .s^èle pour mon ami, je me jetai 
au travei^ de leurs armes pour séparer deux si 
l)raves combattants. Notre ennemi cessa de se 
défendre en voyant tous ses gens hors de rési«- 
Stance, Il se tourna vers moi pour me rendra 
ses armes , et joignant la politesse à la sou* 
mission ^ il me dit qu^il me devroit de la recon- 
nôissance pour Ta voir sauvé d'un bras aussi 
redoutable que celui de son adversaire* 

Tout fut soumis en un iûstant , et nous usâ- 
mes avec modération des droits de la victoire. 
Après le carnage auquel nous nous étions aban- 
donnés 9 ne voyant de reste que dix ou dou^e 
hon^m^s qi^i s'étoient rendus à discrétion » nous 



DU COMMANDEUR DE ***. l35 

n^espérions point de tirer beaucoup de fruit de 
notre conquête ; mais Tadversaire de Pérès nous 
prenant à Tëcart 9 nous supplia d'arrêter Tar- 
deur de nos gens 9 qui se disposoient à porter la 
curiosité dans toutes les parties du vaisseau. Je 
ne puis prendre , nous dit-il 9 qu^une haute idée 
de votre politesse si je la mesure sur votre va- 
leur. Commencez par faire passer sur votre bord 
quelques dames qui attendent en tremblant Le 
succès de notre combat. Votre canon les a mises 
dans le même danger que j'ai couru par votre 
épée, et la moitié de notre équipage lutte à- 
présent contre les flots qui inondent le vaisseau 
de tous côtés. Nous nous hâtâmes de donner nos 
ordres. L'étranger , dont nous avions eu peine 
à reconnoître la nation 9 parce qu'ayant distin- 
gué la nôtre il m'a voit parlé aussi facilement 
françois qu'espagnol à Pérès 9 nous pria ide 
venir rassurer ses dames avec lui. Nons les trou- 
vâmes demi-mortes de frayeur. Cependant la 
vue de leur défenseur ayant remis leur cou- 
rage 9 elles reçurent nos soins avec beaucoup de 
politesse 9 et cédant aux exhortations de l'é- 
tranger 9 elles consentirent à se laisser conduire 
dans notre vaisseau. Nous conçûmes aussitôt 
que nous n'avions point d'autre fruit à espérer 
de notre victoire. Les dames étoient Turques 4 
elles revenoient de la Mecque. On n'est point 



l36 ^ . • HISTOIRE 

chargé de richessies au retour d'un pèlerinage. 
Tout notre ëtounement étoit de les voir sous la 
conduite d'un homme que son habit ne pou voit 
nouis faire prendre pour un Turc , et qui nous 
ëloignoit encore plus de cette idée par ses ma- 
nières. 

La précaution qu^il avoit prise de nous faire 
passer sur notre vaisseau , nous parut un ser- 
vice qu'il avoit bien voulu nous rendre à nous- 
mêmes ; car tous les soins que nos gens appor- 
tèrent avec les siens poui'le sauver du naufrage, 
n'empêchèrent point qu'il ne fût bientôt- sub- 
mergé à nos yeux. Nous regrettâmes peu cette 
perte. Il nous suffisoit d'avoir des preuves de 
notre victoire dans une vingtaine de captifs que 
nous comptions mener à Malte. Pérès , ton-* 
jours prudent, fit mettre dans les chaînes ceux 
qui ne lui parurent pas dignes d'être traités avec 
plus de douceur : et réservant toutes nos poli- 
tesses pour l'étranger et pour ses dames , nous 
leur fîmes attendre par nos manières une mieil-*' 
leure composition qu'on ne la reçoit ordinaire- 
ment après un combat si obstiné. Pérès fit tour- 
ner la voile à l'occident; l'étranger s'en aperçut. 
Il nous loua de penser à là retraite , et nous 
y exhortant même par une espèce d'intérêt qu'il 
paroissoit prendre, à notre sûreté , il nous pria 
seulement de modérer assez notre courte pour 



DU COMMANDEUR DE *'^'^. t'Sy ^ 

ne pas nous mettre hors d'ëtat de lui rendre un 
service qu'il attendoit de notre générosité. Nous 
lui demandâmes des explications. Il nous prit à 
récart pour nous les accorder. 

J'ai honte ^ nous dit-il , de vous confesser qui 
je suis , lorsque vous me trouvez revêtu d'un 
habit turc. Je connois le vôtre et je Tai porté. 
Vous voyez le commandeur Junius , dont il est 
impossible que vous ne connoissiez pas le nom* 
Mésaventures n'ont eu que trop d'éclat, et j'i- 
gnore moi-même si je dois les nommer infâmes 
ou glorieuses. Après les distinctions que j'avois 
reçues de l'ordre , on ne devoit pas s'attendre 
à me voir abandonner ma commanderie, et lous 
les avantages que j'avois acquis par de longs 
services. D'un autre côté , ceux qui sont sensi- 
bles à l'ambition, et qui ont appris en obéissant 
de quelle douceur il est de commander , ne me 
condamnerontpoint, sans doute, d'avoir préféré 
l'empire d'une nation à la qualité de sujet du 
grand-maître. 

Loin de m'affliger de votre rencontre, je re- 
mercie lé ciel , continua-t-il , de l'occasion qu'il 
me donne de publier mon aventure et mes sen- 
timents. J'étois monté , par l'ordre du grand- 
maitre , sur un vaisseau François qui faisoit 
voile à Smyrne. Ma commission étoit de ra- 
cheter dcHX chevaliers, -qui avoient été enlevés 



l38 HISTOIRE 

par les Turcs en rendant service à Tordre , et 
qui âiYoient trouvé le moyen de faire savoir à 
Malte Texcès de misère où ils étoient tombés 
dansTesclavage. J'avois caobé toutes les marques 
de mon état , et Ton ignoroit dans le vaisseau 
même où j'étois que je fusse commandeur de 
l'ordre. Le vent nous jeta dans le golfe de Co- 
locbine, et nous força d'y passer quelques jours 
dans une rade si déserte , qu'il n'y paroissoit 
aucune trace d'habitants. Le seul goût de l'a- 
musement me fit prendre un fusil pour aller 
passer quelques heures à la chasse. Je m'en- 
fonçai dans les terres , à la poursuite d'un che- 
vreuil qui me conduisit au sommet d'une col- 
line f d'où j'aperçus une troupe de gens armés 
qui s'agitoient avec beaucoup de chaleur. Il me 
fut impossible de résister au mouvement de ma 
curiosité. Je m'avançai à la faveur d'un bois qui 
régnoit au long de la plaine , jusqu'à me mettre 
à portée d'entendre les discours.de ceux qui 
étoient les plus proches de moi. Ma hardiesse 
redoubla lorsque j'eus distingué le langage 
grec. Je le parlois facilement , et c'étoit cette 
raison qui avoit fait tom^ber sur mpi le choix du 
grand-maître pour le sujet de mon voyage. Il 
ne me seroit pas venu néanmoins dans l'esprit 
dem'exposer chez une nation dont j'ignorois les 
moeurs et les dispositions. Mais quoique la con- 



DU COMMANDEUR DE ***• iSg 

fusion qui r^noît parmi eux ue m^eût point 
encore permis de recueillir rien de suivi dans 
leurs entretiens , je me livrai si fort au désir de 
les entendre » que j'en négligeai les précautions 
qui avoient servi jusqu'alors à me tenir caché. 
Je fus arrêté par une multitude de gens contre 
lesquels je n'entrepris point de me défendre. 
Ils me conduisirent au centre de leur assem- 
blée , et m'entendant parler leur langue , ils ne 
me firent rien appréhender de leurs intentions. 
Cependant, après m'a voir fait diverses ques- 
tions auxquelles je répondis avec beaucoup de 
ménagement, je m'aperçus qu'ils ressentoient 
une impression extraordinaire de ma présence; 
et tandis que j'observois si je devois l'attribuer 
à ma figure ou a mes réponses , ils me propose- 
rent civilement de me retirer à l'écart. Ceux qui 
furent chargés de me conduire, m'expliquèrent 
d'eux-mêmes le sujet qui les a voit assemblés. Leur 
roi, après s'être attiré leur batne par autant de 
barbaries que d'injustices, ^vort perdu la vie 
depuis peu de jours. Ils tne "Confessèrent que 
c'étoit par leurs propres coups , dans une cons- 
piration formée par les priwci'paux de la nation , 
et qui n'avoit réussi qu'après Peïibsîdn d'une 
abondance de sang, que ce prince crtrel a voit 
encore trouvé le moyen de faire couler de ^ës 
propres mains. S'étant aperçu » à l'air des con- 



I40 HI6T0IRE 

jurés, que sa vie touchoit aii dernier moment, 
il n^avoit point attendu les coups qu'on lui des- 
tinoit; il s'étoit jeté, le sabre à la main, dans la 
îoule de ceux qui étoient autour de lui. Un reste . 
de crainte et de respect les aroient jetés d'abord 
dans un si grand trouble, quUls s'étoient laissés 
frapper long-temps avant que de rappeler leur 
courage et dé se souvenir de leur dessein. Ce- 
pendant la vue de vingt de leurs complices , qui 
étoient déjà tombés sous un bras si terrible , les 
détermina enfin à se défendre. Us mirent le mo- 
narque en pièces, par le même nombre de coups 
qu'il s'étoit sacrifié dé victimes. La nation , qui 
étoit encore dans la chaleur d'un si grand évé- 
nement, travailloit à se choisir un nouveau 
maître. Ceux à qui j'avois été présenté étoient 
les chefsde la nation , sur lesquels on s'étoit remis 
de ce choix. Ils continuèrent leurs délibérations. 
Enfin la foule s'étant ouverte, deux de ces graves 
conseillers députés par les autres, viiirent jus- 
qu'à moi d'une marche lente et d'un air respec- 
tueux; ils m'invitèrent à les suivre. Je ne me fis 
pas presser. Etant rentré avec eux dans le cercle» 
on m'y fit ' mille nouveaux honneurs; et celui 
qui paroissoity tenir le premier rang, m'adressa 
un discours dont j'ai retenu jusqu'au moindre 
mot. Etranger, me dit-il, votre contenance, vo6 
discours, le compte que vous nous aves rendit 



DU COMMANDEUR DE ***. 141 

de YOtre patrie et de votre goût pour la guerre 9 
et, ce qui^aît encore plus d^impressionsurnous, 
Fair d'humanité que nous croyons découvrir sur 
votre visage, nous a fait naître la pensée de vous 
choisir pour notre roi. Ce n'est pas sans une di- 
rection particulière du ciel que vous êtes arrivé 
au milieu de nous 9 dans le temps que nous sommes 
assemblés pour nous donner un maître. Acceptez 
cette qualité, qui vous est ofiferte par tous \eS( 
chefs de la nation , et rendezrvous digne de notre 
obéissance. 

' Je n'entreprendrai point de vous représentei? 
mon étonnement.! A-peine pouvois-je nae per- 
suader que mon aventure ne fût point un songe. 
Cependant Fair sérieux qui avoit accompagné 
èe discours, et les marques de respect que tout 
le monde s'empressa de me rendre, eurent la 
force de lever tous mes doutes. Il ne m'ei^ resta 
que sur ma conduite , dont je ne me trouvai point 
assez de présence d'esprit pour décidfer en un 
moment. Toute mon attention se réunit à com- 
poser mon visage et ma posture, pour répondre 
à l'opinion qu'on se fbrmoit de, moi; et je com- 
pris que dans une nation où je ne m'imaginois 
pas (i|ue l'esprit et la politesse fiassent des qualités 
dominantes, je devois peut-être ma principale 
recommandation à quelques avantages exté- 
rieurs que j'avoisalors dans lafigui^e. Ma réponse 



142 Ul^TOIUft 

fut simple* Après avoir remercié le conseil de 
son choix» je. lui demandai jusqu^au lende-^ 
inaiu pour me déterminer. Lesf raisons que j'ap- 
portai de mou incertitude ne furent prises que 
des engagements que j'avois dans un autre pays ; 
je souhaitai qu'on me laissât le temps de peseï^ 
mes devoirs» Ma proposition fut approuvée, et 
je n'en fus pas moins traité dès le même moment, 
avec toutes les distinctions qui convenoient k 
mcm nouveau rang. 

Cependant , comme ma propre surprise aug- 
mentoit à tous moments, et qu'ignorant encore 
jusqu'au nom du peuple qui se soumettoit à 
xnoi , je voulois prendre du-moins quelques in- 
formations sur les engagements dont ou me 
pressoit de me charger, je priai le vieillard qui 
m'avoit parlé au nom du conseil , de demeurer 
seul avec moi pendant quelques moments. Ea 
lui répétant qiie le ]iazard m'avoit jeté sur la 
côte, je lui'cpnfessai que je connoissoi^ peul'en- 
drpM; du monde où j'étois, et moins encore la 
nation qui m'offroit l'honneiu" de la gouverner. 
Il comprit que je lui demandois des éclaircisse- 
ments. "Np^ lumii^res, me dit-il, avec beaucoup 
de modestie , n'égalent point notre droiture e€ 
notre courage. Nous n'ignorons point l'origine de 
notre nation ; elle descend des anciens Spartiates. 
Mais celle du nom de Manioùss, que nos pères 



DU COMMANDEUR DE ***. 14? 

ont porté comme nous , nous est absolument in- 
connue. Notre gouvernement se soutient sous 
la protection du grand-seigneur, avec la seule 
charge d'un léger tribut pour Tétat, et l'obliga- 
tion pour notre souverain de porter l'habit turc» 
et d'aller rendre ses soumissions à la Porte aussi- 
tôt qu'il est* élevé sur le trône. La religion est 
libre, et fort mêlée parmi nous. Le feu roi étoit 
mahométan; et cette qualité l'ayant fait consi- 
dérer plus particulièrement des Turcs, il en a 
peut-être pris droit d'abuser de son pouvoir, et 
de nous traiter avec une cruauté qui l'a conduit 
à sa perte. Je suis grec , un autre est juif, guèbre, 
payen;nous avons des églises, des mosquées et 
des synagogues. Il m'apprit ensuite l'étendue et 
les qualités du pays , ses ressources pour la guerre 
et pour le commerce; enfin tout ce qui pouvoit 
m'en faire prendre une honorable idée, car il 
me déguisa fort adroitement l'unique tache qui 
auroit été capable de me refroidir pour la cou- 
ronne. Les Maniotes vivent de rapine, et le plus 
glorieux exercice de la nation, celui qui distin- 
gue et qui élève le mérite, est de faire la guerre 
aux passants et de s'enrichir de leurs dépouilles. 
Après une délibération qui dura toute la nuit, 
je me déterminai à prendre un rang, qui flatte 
rambition, dans quelques circonstances qu'il 
soit offert, et sur quelque peuple qu'il assure 



144 HISTOIRE 

rautoritë. Je me flattai de devenir utile à une 
multitude d'hommes qui n'avoient peut-être 
besoin que d'un chef raisonnable pour former 
une société plus régulière. Dès le matin je décla- 
rai aux officiers qui me servirent, que j'accep- 
tois les offres du conseil. Le bruit en fut bientôt 
répandu. Je vis accourir une foufe de sujets, 
qui célébrèrent mon élection par leurs applau- 
dissements. En deux jours, mon autorité fut 
mieux établie que celle de mon prédécesseur, 
après vingt ans de règne. Mon inclination ayant 
autant de force que son exemple pour me faire 
commencer mon administration par la bonté et 
la douceur, je me vis bientôt adoré de mes sujets. 
A-peine eus-je appris par quelle guerre ils se dés- 
bonoroient, que cherchant d'autres voies pour 
leur procurer des richesses, j'entrepris de leur 
inspirer le goût de Tagriculture et de tous les 
arts qui pouvoient les conduire plus honnête- 
ment à l'abondance. Ce détail vous seroit en- 
nuyeux , et je ne m'attache qu'à ce qui demande 
d'être justifié dans ma conduite. 

Dans la première année de mon règne, je fis 
le voyage de Constantinople, pour rendre mes 
soumissions au grand-seigneur. J'en fus reçu 
avec d'autant plus de bonté, que le bâcha de la 
Morée, avec qui j'avois formé quelque liaison. 
Ta voit déjà prévenu sur les circonstances ex- 



DU COMMANDEUR DE '***. 145 

Iraordinaires de moa élection, et sur le penchant 
que je marquois à vÎTre en bonne intelligence 
avec les Turcs. J'ayois conçu effectivement qu'à 
quelque système que je pusse m'attacher^ il étoit 
important pour moi de ménager ces redoutables 
voisins. Ce ne pou voit jamais être un état indé- 
pendant que je devoîs me flatter d^établir si prèff 
d'eux, avec des forces si médiocres et un domaine 
si borné. A-peine avois-je 90US mes ordres cent 
mille personnes de Tun et de l'autre sexes; et, 
quoique le métier habituel de la nation fût le 
brigandage et la guwre, je ne me càanpissôis 
pas plus de quinze mille hommes qui i fussent 
capables de porter les armes. J'avois donc affecte 
de marquer beaucoup de confiance à la protec- 
tion des Turcs. Mais je me trouvai dans un 
embarras extrême, lorsqu'après une audience 
favorable du grand-seîgnéur, je tombai entre les 
mains du visir, qui me fit une loi de penser 
promptement au mariage. Ses raisons me pàru-^ 
rent sensées. La Porte ne voyoit pas volontiers 
les Maniotes en possession d*éUre leurs souve-J 
rains. Aùtaùt de nouvelles élections, autant d'oc^ 
casions de douter de la disposition des nouveaux . 
rois. Elle n'étoit pas portée à l'usurpation de leur 
droit; mais elle souhaitoit de le« voir changer 
dans celui d'une légitime succession:, qui assu-. 
rât dans les enfants du prince à-peu-^près les- 

Prérost. 7bm# Xlll. lO 



146 HISTOIRE 

mêmes sentiments qu^on auroit trouvés dans 
leur père. Le visir me représenta que j'y trouve- 
rois moi-même mon intérêt 9 puisque les peines 
du gouvernement ne manqueroient pas de me 
paroitre plus douces, lorsque j'auroisTespéranee 
que mon sang en recueilleroit les fruits; enfin , 
me demandant là-dessus ma parole, il me jeta 
dans un ti*ouble dont je ne vis d'abord aucun 
moyen de sortir. Cependant je me hâtai de pré- 
venir la proposition qu'il m'auroit pu faire de 
me marier à Constantinople. Cétoit me donner 
le temps de chercher des excuses et des prétex- 
tes. Je lui fis entendre que je m'occuperois de 
ce soin aussitôl que je serois retourné dans mes 
états, et que j'avois déjà jeté les yeux sur une 
femme pour laquelle je me sentois de Tincli^ 
nation. 

Il est vrai que je n'avois pas le cœur libre; 
mais lié par des vœux dont je ne pou vois espérer 
de dispense, je ne m'étois jamais proposé d'en- 
trer dans les engagements du mariage. Le com- 
merce où je vivois avec une de mes sujettes , 
étoit une simple galanterie, dont je n'espérois 
pas que les fruits pussent jamais devenir pro- 
pres à me succéder. Et la crainte que m'a voient 
inspirée les tentations du visir se seroit dissipée, 
sans doute, à mesure que je me serois éloigné 
de G>nstant,inople , si je n'eusse amené à ma 



DIT COMMANDEUR DE *'^*. 147 

«uile le^père de ma maîtresse, à qui les ioslanç^s 
du yisir ne pureut demeurer cacliées. Il les i^e* 
garda comme uu bonheur pour sa fiUe 9 et se- 
vrant à moi dès le premier jocir de mon départ > 
il ne me cacha point que , pour prix de sa coor*- 
plaisance et de son attachement , il se flattoit qiie 
je ne penserois point à prendre une autre femme 
que sa fille. Je me gardai bien de m*ouvrir àlui ; 
mais je prévis que si jVvoîs quelque chose à 
redouter de mes sujets» la source de mes char 
grins yiendroit de ses prétentions. En effet» je 
fus à-peine arrivé que communiquant le dessein 
du visir à tous les chefs de la nation » il leur fit 
goûter un changement qui ne pouvoit servir 
qu^à Taugmentation de leur sûreté et de leur 
puissance. Je fus surpris un jour de recevoir une 
députation solemnelle du corps de mes étais # 
par laquelle tous mes sujets me pressoient, pour 
leur intérêt et pour le mien » de me choisir une 
femme dans la nation; etparoissant entrer dans 
des vues conformes à mes désirs , ils me firent 
entendre qu'ils reconnoîtroient volontiers pour 
leur reine celle en faveur de qui mes incUiia*- 
tions s'étoient déjà déclaréeSé Je pénétrai d^où 
venoit Tartifice^ et n'espérant de me sauver que 
par des délais 9 j'affectai » sans violence» de pa^ 
roitre disposé à les satisfaire. Mais je fus la dupe 
de ma politique^ on ne pensa aussitôt qu^à fi^ire 



10* 



148 HISTOIRE 

les préparatifs de mes noces, et les raisons par 
lesquelles je m'efforçai de les retarder ne furent 
point écoutées. Ma maîtresse pressa elle-même 
' le jour de la célébration; de sorte que , me dé- 
fiant de mon autorité pour arrêter le zèle public , 
mon imagination ne me fournit point d'autre 
Toie que de déclarer au conseil l'obligation où 
jé croyois être de consulter le visir sur mon 
mariage. Cette objection ne souffrant point de 
réplique , on suspendit l'empressement qui m'a- 
▼oît alarmé , et je pris du temps pour envoyer 
mes députés à Constantinople. IN'osant leur faire 
TouTcrture de mon embarras, je fus réduit à 
marquer naturellement au visir que mes sujets 
désiroient autant que lui mon mariage , et qu'ils 
me proposoient une femme de leur nation ; mais 
que, pour entrer dans les vues qu'il m'avoit 
communiquées, je ne voulois point conclure sans 
sa participation ; et pour jeter de loin de nou* 
Telles semences de délai , je lui écrivois confi- 
demment qu'il étoit peut-être à souhaiter que 
mon épouse fût d'un sang plus dévoué aux Turcs 
que le sang grec. Ma pensée étoit que, donnant 
lui-même dans cette proposition , il se chargeroit 
du soin de me chercher un autre parti , contre 
lequel il me seroit aisé de multiplier les objec- 
tions dans l'éloignement , et qui serviroit du- 
moîns à ralentir le père de ma maîtresse et tous 



DU COMMANDEUR DE ***. 149 

ses amis , dont Timpatience faisoit ma., princi* 
pale crainte. Mais qu^arri va-t-il ? Le grand-visir^ 
plus ardent que je ne Taurois cru à saisir mea 
nouyelles ouvertures » se hâta de m*en\oyer trois 
des plus belles filles du vieux séraij , entre les- 
quelles il me fit dire que je pouvois faire un 
choix 9 qui seroit toujours approuvé du grand* 
seigneur. Leur anûvée déconcerta extrêmement 
les Mauiotes; ils me crurent aussi aftligé qu^eux 
de me voir ôter la liberté de suivre mes încli-^ 
nations; d'autant plus que me. voyant danslar 
nécessité de choisir entre les troi$ dames , j'eus, 
besoin de recourir à d'autres artifices pour les» 
intéresser elles-mêmes à me lai^er libre. Je con^f 
tinuai de voir plus assidûment que jamais m^ 
maîtresse , avec une affectation de seqret et de 
ménagement pour les trois dames ; mais cher^ 
chant à les piquer par le mépris que je faisois 
de leurs charmes , je pris soin de les faire avertir 
quje je paroissois sans goût pour ell^s , et que 
tous mes empressements étoieut pour une autre. 
Il n'y eut point de Maniote qui ne fût disposée 
me rendre ce service , etleur zèle fui si heureux, 
que les trois dames prirent pour moi une aver* 
sion qu'elles firent bientôt éclater. Je n'attendis 
point qu'elles, m'çn donnassent des mai^ques fort 
impétueuses » et prenant occasion de ^urs pre- 
miers ressentimjaats potfur en faire mes plaintes 



l5o HISTOIRE 

au ^iâir , je me trourai le maitre de faire traîner 
mon choix en longueur ^ par une feinte que je 
Mutins long-temps avec beaucoup d^adressë. Du 
eôté de la Porte ^ je faisais entendre qu^ayanfe 
Fespérance de ramener les dames par degrés^ je 
tie renonçois pas au plaisir d*en prendre une 
pour mOil épouse; tandis qu'avec mes sujets je 
me plaignois amèrement de la contrainte où. 
î^-étois « et des loix rigoureuses qui m'étoient im- 
posées* Cependant I comme ce rôle ne pouvoit 
toujours durer , je résolus, après Tavoir poussé 
aussi loin qtlMl pouvoit Tétre , de changer tout- 
d*un-coupde batterie. Je m'expliquai ouverte- 
ment sur le peu d'espérance que j'avois de m'ac- 
éorder jamais arec ces dames , après les empor- 
tements auxquels elles s'étoieiit échappées contre 
âibi; et protestant que je n'en respectois pas 
moins celui qui me les avoit envoyées , je décla-» 
rai que mon dessein étoit de les reconduire moi* 
iflême à Constàn'ttuople, pour justifier mon pro- 
cédé à la Porté. Les Maniotes louèrent beaucoup 
une résolution qui leur rendoit l'espérance de 
me voir une femme de leur nation; et je me 
flattois, de mon côté, qu'en parlant mot-méme 
au visir, il me seroit aisé âe lui faire naître cent 
nouvelles idées qui éloigneroient toujours 1$ 
conclusion^ que je redoutoîs^. . 

J'étois crn rotrte pour l'exéCTttibh de ce projet , 



DU COMMANDEUR DE ***. l5l 

lorsque tous m^avez attaque; et tes dames que 
j'ai ^yec moi sont celles qui m^ont servi si long- 
temps à me défendre contre le mariage. J'ai su 
néanilioinsf par les relations que je me suis éta- 
blies dans quelques ports, voisins de Malte » qu'oa 
y a donné des couleurs toutes différentes à moU 
aventure , et que non-seulement Ton m'y croît 
miarié , mais qu'en apprenant le |)assage des troi^ 
dames qui m'avoient été envoyées par le visir » 
on s'est figuré que j'allois former un sérail; d'où 
l'on a conclu que j'avois embrassé le mahômé* 
tisme^ La haute faveur que je me suis ménagée 
à la Porte a contribué^ sans doute, à ceite erteut. 
Loin d« regarder Votre rencontre et ma défaite 
comme un malheur^ je m'applaudis de l'occa- 
sion qu'elles me donnent de me rétablir dans 
Festime de Tordre , et dans l'opiùion du publie. 
Il n'y a de changement dans mon sort que celui 
qui m'a placé sur tin trône. Mes nouveaux de^ 
Voirs ue m'ont pas fait oublier mes anciens en- 
gagepEieats « et mes sentiments d'honneur et de 
religion <mt été les mêmes, à la tête d'un peuple 
barbare^ qu^oû me le^ a connus sous l'obéissance 
du grand-mailre. 

]^Oi(s avions entendu parlef mille iois du 
CQiàmàndeur Junius^ et son eafâotàre étQÎt fort 
bien établi dans l'espFJt ^es HoEâiét€|E^ gens. Ou 
publioit , en effet , qu'il avoit emi^brassé lareli- 



l52 HISTOIRE 

gion tur^e ,' et quMl abusoit du pouvoir sou- 
verain pour satisfaire toutes ses passions. Sa 
jAysionomie seule , qui respirôit la droiture et 
rhonneur , sufBsoit pour nous garantir la sin- 
cérité de son récit. Nous lui fîmes une infinité 
de questions sur les usages de ses peuples et sur 
la nature de son gouvernement: Ce- détail al- 
longerait trop mon ouvrage ; et ceux à qui mes 
papiers passeront après ma moit, y trouveront 
de quoi satisfaire la curiosité du public. Mais 
après avoir rendu ce que nous crûiiiés dévoiir au 
Vbi desMaiiiotes, et lui avoir fait des excuses 
de riiitérruption que nous avions apportée à ses 
desseins ; nous lui demandâmes ce qui nous 
vèfStoit à faire pour la réparer. Je n^ai pas dotité^ 
ziôUs tépondit-il', que votre générosité ne vous 
j^rtàt *à in'oblîger . Si j'âvoîs à former quelque 
désir, ce'seroit, sans doute, d'être conduit à 
Gonstantinople ou d^ns quélqtie port turc j d^où 
je n'eusse point de peiné à tia'y rendrie. ]\Iais 
cémnie je ne pourrois vous demander cette grâce 
sans indiscrétion , et que le seul service que 
vous puissiez me rendre seroit de me jeter sur 
la côte de la Morée , où je ne me trouverois pas 
même salnls eknbai'ras, il me vient une bizarre 
imagination à laquelle }e m'arrête. Avec le fond 
que je puis faire sur votre secret , je veux vous 
accompagner jusqu'à Malte et passer l'biveç 



DU COMMANDEUR DE ***. ^ l53 

avec TOUS. Le moindre déguisement empêchera 
que je n*y sois reconnu. Je reverrai des lieux 
qui m'ont toujours été chers, et peut -être y 
retrouverai- je quelque ami à qui je ne crain- 
drai pas de me faire connoitre. Votre secours 
me procurera facilement quelque moyen de 
retourner au printemps dans mes états ; et si 
vous me laissez une partie des sommes que j*ai 
avec moi » je me fournirai de milles choses qui 
seront utiles à mes sujets. Nous ne balançâmes 
pointa lui promettre , non-seulement qu^il se- 
roit fidèlement caché à Malte, par le soin que 
nous prendrions de veiller à sa sûreté , mais 
qu'il demeureroit lé maître de tout ce qu'il 
avoit sauvé de son vaisseau et des dames même 
qu'il s'étoit chargé de conduire. Pour les gens 
de sa suite , il nous parut difficile de leur as- 
surer à tous la liberté ; mais nous lui fimes es- 
pérer qu'en arrivant à Malte, nous trouverions 
quelque équivalent qui pourroit satisfaire le 
grand-inattre ; et coi|pmeiil n'ignoroit pas plus 
que nous les usag^ dei l'ordre , nous le priâmes 
de nous apprendre lui^némé ce que nous pou- 
vions faire de plus utile pour son service. II' 
noua répondit que les damés et < ses gens ne 
pouvoient être sauvés du droit des vainqueurs » 
et que loin' de nous gêner Jà-dessus par dés de-^ 
mandés . injustes » il ! nous exhortoit à profiter 



l54 HISTOIRE 

d'un avantage qui iioUs a voit coûté assez cher. 
Mais acceptant nos offres pour lui - même , il 
quitta dès le même jour Thabit turc pour en 
prendre un grec , et il nous demanda la même 
faveur pour un de ses gens à qui il avoit une 
parfaite confiance. Up^ précaution seulement 
qu^il crut deycir à la prudence , fut de cacher 
aiïx Maniotes de sa suite que Pérès avoit déjà 
fait mettre dans les chaînes , qu^il fût avec nous 
quand nous arriverions à Malte. II souhaita 
même que les dame« Fignorassent aiissi , pa]:(ce 
qu'il ne falloit point espérer qu'elles pussent dé- 
guiser leurs aventures et sa condition^ qui le 
feroient reconnoitre trop facilement. 

II nous fut aussi aisé de lui accorder cette 
satisfaction que de la lui promettre. Nous re- 
tournâmes vers Malte « assez contents d'avoir 
trouvé du-moinsToccasion^d'exercer nos armes^ 
quoique nous ne fussions point sans quelque 
regret d'avoir causé tant de mal au roi des Ma- 
niotes. Cette expédition produisit TeSet que 
Pérès en avoit attendu. Elle me fit recevoir à 
Malte comme un homme qui s'étoit déjà dis- 
tingué par plus d'une action de fermeté , et 
l'accusation de la Rovini passa pour l'emporte-^ 
ment d'une femme sans padenr. Eflé sut mon 
arrivée dès le premier moment, oa plutôt Fim- 
patlence qu'elle avoit de revoir Pérès l'ayant 



QU COMIiKAI«DEU& DE ***. l35 

amenée à mon bord ayant que nous eussions ' 
touché le rivage , elle ne put apprendre qu'il 
me ramenoit arec lui sans marquer un extrême 
empressement de me revoir. Elle pensoil peut- 
être à m'accabler de reproches et d'injures. Mais 
Pérès , qae le hâ2ard lui fit rencontrer avant 
moi , trouva le moyen de Tapaiser en lui ra^ 
contant que le marquis de Leniati avoit reconnu 
sa fille. L'outrage dont elle brûloit de se plain- 
dre se trouvoit ainsi changé en un service dont 
elle se promit bien de partager les fruits. Ce- 
pendant sa joie fut modérée par le compte que 
Pérès lui rendit de sa commission. Leniati, qui 
s'étoit livré si volontairement aux mouvements 
de la nature, avoit paru beaucoup moins sen- 
sible à ceux de Tamour. Soit que sa passion 
n'eût jamais été violente , soit que le temps l'eût 
refroidie tOut-à-fait , il avoit témoigné à Pérès 
Kuerûrrivée de la Rovinl lui causeroit moins 
de plaisir que d'embarras, et qu'il étoit trop 
tatid à sort âge pour divulguer une galanterie 
qu'il avoit cachée heureusement dans^ sa jeu-* 
nesse. Elle s'y étoit peut-être attendue ;. mais 
cettô edcplication lui fit naître des défiances qui 
euretu: d'autres suites. Le témoignage de Pérès 
ne lui parut pas suffire ponr- la rassurer sur le 
sot^t àe fia fille. Elle alla jusqu'à se figurer que 
c'^loit un artifice pour jcouvrir rintrigue du 



l56 HISTOIRE 

marquis , et qae si Helena n^étoit pas avec nous 
dans le vaisseau» nous Tavions laissée dans quel- 
que lieu où nous étions surs de. la retrouver. 
Cependant le doute où elle resloit servit du- 
moins à lui faire supprimer ses cris. 

Après avoir pris toutes les mesures qui pou- 
voient assurer de la tranquillité et de l'agrément 
an. roi des Maniotes , Pérès , qui a voit pour moi 
un attachement et un zèle incroyables, me pria 
d^écouter ce qu'il avoit médité , me dit-il , pour 
mk fortime et pour mon honneur. Il avoit com- 
posé son visage à la tendresse. Son exorde fut 
pris des premières confidences que je lui avois 
faites après son naufrage. Je lui avois parlé de 
ma vocation avec transport , et je m'étois ef- 
forcé de lui inspirer le même goût pour Tor- 
dre de Malte. Il me demanda si j'avois perdu 
eette noble inclination ou si elle étoit refroidie. 
Malgré toute Tamertume qui régnoit encor^ 
dans mon cœur , je lui répondis que mes vues 
n'étoient point changées. En croiriez-vous » re- 
prit-il, le plus fidèle et le plus tendre de vos 
amis ? Le péril dont vous sortez m'a laissé de 
vives alarmes. Peut-être votre cœur n'est-il pas 
assez tranquille pour vous laisser découvrir . le 
précipice que vous avez évité. Mais si vous: jire- 
nez quelque confiance à mon zèle , si vous me 
croyez capable de distinguer vos intérêts j eu- 



DU COMMANDEUR DE ***. iSj 

fin si VOUS me connoîssez assez d^honneur et 
d^amitié pour les chercher à toutes sortes de 
prix, savez-vous, mon cher chevalier, ce qui 
TOUS reste à faire de plus glorieux , de plus 
sage et de plus utile pour votre fortune et votre 
réputation ? Cest de prendre des engagements 
dans votre ordre, et de vous former un lien 
que toute la force de vos passions ne puisse 
rompre. J'ai pénétré votre caractère, ajouta-til; 
avec de Tesprit et des sentiments dignes de votre 
naissance , vous avez un fond de vivacité et de 
penchant au plaisir , qui me fait trembler pour 
le succès de vos meilleurs desseins. Et pûis', si 
vous m'accordez cette liberté , le passé subsiste 
encore dans la mémoire de bien des gens. L'ac- 
cueil gracieux que le grand-maitre vous a fait 
à votre retour ne lui a pas fait oublier des foi- 
blesses qui n'ont que trop éclaté. Vous n'avez 
qu'une voie pour effacer de si fâcheuses im- 
pressions ; elle est ouverte devant vous. J'en 
vois le terme : c'est le faîte des richesses et de la 
gloire, elles ne peuvent manquer à votre nom et 
aux services que vous avez déjà rendus à la re- 
ligion ; au-lieu que par des délais vous vous 
exposez à mille nouveaux dangers, et j'y pré- 
vois votre perte. 

S'il y avoit de la franchise dans ce distours , 
on en trouvera peut-être encore plus dans la 






l58 HISTOIRE 

fidélité que j'ai à le rapporter. Loin de me pa- 
roitre choquant dans la bouche de Pérès, je le 
remerciai des inquiétudes de son amitié, et je 
n'opposai à ses conseils que ma triste situation, 
qui ne me permettoit guère de penser à une 
cérémonie où je ne pouvois apporter trop d'où- 
Terturc de cœur et de liberté d'esprit. Il dissipa 
cette objection par de nouvelles instances. En-^ 
fin, m^ayant fait entendre que non-seulement le 
grand-maitre seroit charmé de me voir dans la 
disposition qu'il vouloit m'inspirer , mais que 
depuis quelques explications qu'il avoit eues 
avec lui il avoit conçu que je pouvois prendre 
un chemin plus sûr pour mériter ses faveurs , 
il me fit passer sur toutes les difficultés que je 
trouvois encore dans la tristesse et l'agitation 
de mon cœur. Je marquai mes intentions au 
grand-maitre , qui reçut cette ouverture comme 
une grâce que je lui aurois faite à lui-même. 
Le jour fut marqué pour la cérémonie de mon 
engagement. Je l'attendis sans impatience 9 mais 
je puis dire aussi sans répugnance et sans em- 
barras. Il vint; je n'ose décider si ce fut trop 
tôt ou trop tard, et c'est le mystère de ma vie le 
plus obscur et le plus funeste. 

Deux mois qui s'étoient passés depuis mou 
départ de Malte avoient adouci le chagrin de 
ma perte, et si je regrettois encore Heleoa » c'é- 



DU COMMANDEUR DE ***. iSj) 

toit comme Un bien auquel la raison , autant que 
la nécessité , m'a voient forcé de renoncer. Je 
portois envie à Pérès , qui jouissoit tranquille* 
ment de son Espagnole , et qui , sans lui avoir 
jamais marqué beaucoup d'amour , avoît eu la 
satisfaction àe lui voir déposer insensiblement sa 
fierté. Ses plaisirs n'étoient qu'une foible image 
des miens , et je le forçois souvent de le con- 
fesser; mais il me faisoit avouer aussi que ne 
connoissantui mes erreurs, ni mes peines , l'es- 
pèce de bonheur auquel il s'étoit réduit étoît 
préférable à celui qui m'avoit causé les plus 
délicieux transports. Un honnête homme , me 
disoit-il , doit toujours conserver un juste em- 
pire sur lui-même; sans quoi, ses principes sui* 
vent continuellement la loi de ses passions. Je 
sentois la vérité de cette morale. LaRovini avoît 
quitté Malte pour rejoindre sa fille. Tout pa- 
roissoit contribuer à fortifier ma raison et ma 
tranquillité. Enfin je prononçai mes vœux; et 
comme s'ils m'eussent rempli d'une nouvelle 
ardeur, je ne m'occupai les jours suivants, avec 
Pérès , qu'à former de glorieux projets pour l'a 
campagne que nous étions prêts à commencer. 
C'éit)it au mois de mars , et dans un temps où 
la mer n'étoit encore ouverte que pour les bâti- 
ments de passage. J'élois retiré le soir, et je ne 
pensois qu'à me livrer au sommeil. On m'avertît 



l6o HISTOIRE 

qu^une dame, enveloppée d'une mante» deman* 
doit instamment à me voir, et qu^on avoiteti 
peine à la retenir à ma porte , lorsqù^'elle avoit 
appris que j'étois^seul dans ma chambre. A-peine 
avoit-on fini cette e'&plication qu'elle s'ouvre 
effectivement l'entrée , malgré la résîstanee qu'on 
lui faisoit encore , et jetant sa mante, qui m'em* 
péchoit d'abord de là reconnoitre , elle accourt 
à moi les bras ouverts; et livre dans» les mîen$ 
ma chère Helena. Quel moment ! On meurt de 
joie, dit-on , on meurt de la violence d'une «pas* 
sion qui jette le désordre dans tous les sens: 
non , l'on ne meurt de rien , puisque je fus ca- 
pable un instant de soutenir ce qui se passa dans 
mon ame. Ah! Helena ! Mais je n'eus pas la force 
de prononcer son nom. Tout ce que l'excès de 
mon transport a voit pu m'en laisser étoit réuni 
à la serrer contre mon sein jusqu'à perdre la réS- 
piration. J'étois serré de même; caria peinture 
que je fais de mes sentiments n'est point assez 
vive pour représenter les siens. Je la crus deux 
bu trois fois mourante; cependant elle s'échappa 
de mes bras , et je fus surpris de lui voir une 
espèce d'empressement à s'éloigner de mon lit. 
Mais ce fut pour se jeter sur une chaise ^ où die 
se défit , avec une diligence admirable , de sa 
coiffure et de ses habits ; et se précipitant vers 
moi avec de nouveaux transports, elle me fit 



I « 



DU COMMANDEUR DE ***. l6r 

oublier en un moment mes promesses , mes ré- 
solutions , mes vœux ^ tout ce que la. raison , 
rhonneur, la religion m'avoient fourni d*armes 
contre Tamour. 

Je ne m^arréterai point au détail de mes plai- 
sirs 9 lorsque d^autres lumières me les font re- 
garder comme un criminel égarement. Mais de 
quels ménagements , de quelles craintes , de quels 
i*emords étois-je capable, entre les bras de ce 
que j'aimois uniquement; et quels devoirs n'au- 
roîs-je pas sacrifié à la tendre Helena ? Elle mit le 
comble à mon amour et à ma joie, en m*appre- 
nanties motifs et les circonstances de son voyage. 
Leniati n^avoit pas plus tôt appris mon départ., 
que perdant toute espérance de me la voir épou*- 
ser , il Tavoit pressée de recevoir de sa main un 
autre amant : elle avoit ouvert aussitôt les yeux 
sur l'artifice de son père ; car c etoit lui qui Ta- 
voit engagée à m'écrire par la persuasion qu'elle 
n'avoit pas de moyen plus infaillible pour me 
faire hâter mon mariage. Helena aui'oit regardé 
comme un bonheur d'être ma femme ; mais la 
distinction où elle m'avoit vu à Malte la faisant 
juger de l'indécence de cette prétention mieux 
que Leniati, à qui l'éloignement de ma patrie 
laisoit peut-être regarder cette alliance d'un au- 
tre œil, il n'y avoit point de titre par lequel elle 
n'aimât mieux m'appartenir que de renoncer â 

Prérort. T9m9 JCIIl. j I 



l6z HISTOIRE 

vivre avec moK Ne pouvant douter que ce ne 
fût le désespoir qui m'a voit fait prendre le parti» 
de repasser la mer , elle n'avoit plus pensé qu'à 
me suivre» avec la confiance de. me retrouver* 
tout^ la tei]tdresse qu^eile m'a Vioit connue pour 
elle. Jj'occaiSiQU lui. manquoit^ ou -plutôt étant' 
observée de trop près pour se dérober facile-^^ 
ment , elle se défendoit contre les instance^ de^ 
son père f tandia qu'elle cherchoit le moyen de' 
quitter secrettement: sa maison. Sa mère» àrri«< 
vant à INapIes dans cet intervalle » elle s -était vuf 
plus de liberté, dans les mom^3ts>où l'on ne^ 
pouvoit lui refuser de la voir et de l'accompa*^ 
gner. Elle en avoit choisi un aveo tant de pré^ 
caution 9 que s'étant fait<x>nduire sur-lé-cbamp^ 
au port , on avoit perdu ses traces juisqu'à ne se» 
pas défier qu'elle eût tourné de <^e coté-là. La< 
suivante que j'avoismise près d'elle, l'a voit aidée* 
dans sa fuite. Elles s'étoient '• embarquées toutesr 
deux sans obstacle, et mon appartement avoitr 
été le. seul asile qu'elles eussent cherché en ar^-^ 
rivant à Make. . . 

Il se mêla peu de réflexions sérieuses lîans nos 
caresses et dans nos entretiens» La nuit fut si 
courte pour nous , qu'il nous «parut surprenant 
de voir arriver le jour; et dans l'ivresse -où noiisf 
étions l'un et l'autre, nous oubliâmes' pendant^ 
une grande partie de la matinée q^'ilexistâb 



DU COMMANDJEp^, DE ***. l63 

quelque chose au-delà de nos rideaux. Mon valetr» 

de-chambre 9 qui étpit heureusement le mêvie 

que j'avois à Malte ^ avoit pris^oin d'écarter If, 

reste de mes domestiques ; et quoiqu'ils ne pus-} 

sent .ignorer que )a d^iae qui étpit entrée danfl^ 

ma chambre, y avoit^assé ja nuit, ils ne, spupf. 

çonnpient pp^nt}d*autre qajstère dans^pette aven-» 

ture qu'une partie de gal^terie, telle qu'on n'es^ 

point surpris d'en voir à Malte parmi les cheval 

liers de mon âge. Maiî^ Pérès» à qui l'entrée. de 

ma chambre étoit toujours libre, s'y ets^nt picçt 

sente avec le commandeur de Zuniga, mon val^ 

ne put trouver ,^ dans $on imagination y^:a\iQun 

prétexte povjir le refuser, Celui d'un^ ^èyHefviçHr 

lente, qui m'a voit tourmenté, toute la n^i(, fî;^, 

an contraire^ un motif deçuriosité cft d^e zè^ep^^ij^ 

le généreux Pérès, Il entra, maigris l^s suppUc^ 

tions redoublées du valet, et le commandeur n^ 

manqua point de le suivre. J ■ entendis, heureaT 

sèment leur voix» et ma seules ressource fut 

d'exhorter Helena à se couvrir*» jbeur prévéntio» 

les empêcha d'apercevoir sa$ h^J^its, qc^jpoi^ 

valet-de-chambre eut ^oin d'çç^rter prompto^ 

ment. Mais rien ne second^ mieux l'erreur €|^ il$ 

étoient, que le trouble dont je ne pus me dé* 

fendre en les voyai^t si proche de moL Ils. juger 

rent , au désordre de moOr visage^^ ^^^ J'^^6^^ 

beaucoup.plus mal encore qu'on ne m'avpit^i^ 



ïl^ 



164 HISTOIRE 

présenté, et leurs soins ne faisant qu'augmenter 
ihon agitation , ils prirent un ton si sérieux , que 
doutant plusieurs fois si ce n*étoit point une rail- 
lerie, je soupçonnai qù^ils avoient déjà quelque 
connoissance de mon aventure. Ce n'étoit pas 
Perés' que je redoutois. J'ëtois sûr que ses re- 
proches porteroient du-moins le caractère de 
Famitié. Mais le commandeur de Zuniga étoit un. 
homme aussi terrible par la sévérité de son hu- 
ïneur, que respectable d'ailleurs par sa vertu. 
L'afiection qu'il avoit conçue pour moi 9 et qui 
m'attiroit sa visite , n'a voit eu pour cause que 
son admiration pour le zèle qui m'avoit fait 
prendre les derniers engagements de Tordre 
dans un âge où l'on n'est pas ordinairement fort 
pressé de se charger d'un fardeau si pénible. Je 
comprenois tout le tort que le moindre éclat al- 
loit faire à ma réputation; et dans un embarras 
si cruel, j'étois encore tremblant pour Helena, 
qui étoit dans une situation à me faire craindre 
qu'elle n'y perdît bientôt l'haleine et les forces. 
Je ne l'entendois plus respirer, et ma tendresse 
trop prompte à s'alarmer me là représentoit déjà 
mourante ou peut-être expirée. 

Cependant, loin de paroître disposés à me 
quitter, je voyois nies deux Espagnols assis, et 
commençant ensemble un entretien dont je 
croyois déjà prévoir la longueur; et pour corn- 



DU COMMÀTTDEril DE **'^. l65 

bler ma consternation , }a cruelle amitié de Pérès 
le portoit à tourner les yeux sur tnoi au moindre 
mouvement qu'il me voyoit faire, et quelquefois 
à se lever pour m'offrir son secours. Je le priai , 
d'ua ton fort brusque, de s'occuper de sa con-* 
yersation , et me plaignant d'un aSreux mal de 
tête , j'en pris droit de tii:*er moi-même mes ri- 
deaux. J'espërois que par pitié on me laisseroit 
libre ; mais ou crut avoir tout fait en baissant la 
voix de quelques degrés. Cependant, je profi- 
tai de cet intervalle pour secourir H^lena. La 
frayeur et la contrainte de sa situation l'avoient 
fait tomber en eSet dans un profond évanouis^ 
sèment. Elle n'avoit pas distingué Pepès , et les 
marques d^inquiétude que j'avois données par 
tant de mouvements et d'agitation , lui avoient 
fait croire le péril égal pour moi. Eu la trou- 
Tant insensible et sans respiration , quel moyen 
de distinguer si elle étoit morte ou vivante ? Je 
ne ménageai plus rien. Sortez, messieurs, m*é- 
criai-je d'une voix douloureuse, et délivrez-moi 
d'un supplice insupportable. Cette prièiie ou cet 
CMrdre fit prendre au commandeur le parti deso 
retirer. Mais Pérès, après lui avoir fait mes ex- 
cuses, ne tarda point à retourner sur ses pas. Il 
avoit conçu que jem'étois senti pressé de quel- 
que besoin naturel, et tournant cette aventure 
en badinage ^ il reveûoit pour en rire avec moi». 




^66 HISTOIRE 

Personne n'ajant osé Tarréter, cjyel ftit son é|Qii- 
3aéixient de Toir entre n^es bras viqe jeu.ne per- 
sonne, ^u'il reconnut aussitôt pour HfîleaA 9^ de 
}à Voir sans connoissance , et de me trouver pres- 
que aussi abattu par l'inquiétude et la douleur, 
qu'elle Tétoît par sa foiblesse? Il s'empressa .de 
lions donner du secours, et ne voyant que ^ntou 
valet-de-chambre auprès. de moi,. il comprit 
que cette scène demandoitde la discrétion.. 
- 'Helena eut bientôt rappelé ses esprits; mais 
jA^ns le trouble où j'étois encore, je ne fajspis 
d'attention qu'à elle, et je l'accablois de carcj^^s 
•aâns> adresser un seul mot à P^ès. 11 s'éloit.assis 
fvis^à-vis de moi , d'où il me considéroit avec upe 
profonde méditation. Ce qui.l'occupoit daps 
cette posture n'étoit pas précisément. Je retour 
d'Helena, coiitre Jaquelle il. me croy oit assez 
défendu désormais par mes engagements ; au 
contraire, il la voyoit à moi comme il avoit tou- 
jours souhaité qu'elle y fut;. et /s'il y, trouvoit 
qiaelque difficulté ,: ce n'étoit qu'à déguiser cette 
galanterie jusqu'à notre départ. Mais iJ m'a con- 
fessé qu'après tant de marques de fidélité et de 
zèle, il avoit été vivement piqué de me voirpour 
lui si peu de confiance ^ que j'eusse fait» revenir 
Helena sans jsa participation. 11 crqyoit.s'élre fait 
un ami dans lequel , à l'exc^tion. de cette aideip 
de jeunesse qui me faisoit sacrifier' quelquefois 



DU t^OMMANDEUH DE ***. J67 

toutes.mes lumières à Teinporteinent du plaisir, 
il se ilattûit d'avoir découvert une (partie des 
qualités qu^iJ possédoit* Cependant, la droiture» 
là franchise, ses deux qualités les, plus obères, 
. paroissoient être celles qui me manquôiént :par* 
ticulièrement. Son ressentiment -alla jusqu'à le 
faire penser à se retirer, pourse borner désor- 
p^iais au titre et aux fonctions de Tamitiéordi- 
naire.:Je tournai enfin les yeux sur lui. Son air 
grave et pensif me faisant attendre les reprocbes 
Jesplùs sévères , je me bâtai de les prévenir, pour 
épargner cette humiliation à macbère-Helena, 
Vous êtes surpris, lui dis-je, de voir ici une per- 
j^onne que vous croyiez à Naples.vEt Iw raconi- 
tjàut Tétonnement que j'a voisrressenti moi?mê]iie 
de l'arrivée imprévue de mamaitrea^, je J*»x- 
}iortai à prendre l'a^r riant quivCOÙvcU0i£iàism 
prppre joii^. Il le prit.en efîet; car^oy«nt;)A^ 
jses soi^pçons dissipés^ il se.hàta de.mVmbrasser 
avec mille marques de tendresse ;-iet tournant 

«nsuite sçs caresses versHeleAa»^ il'^^V ^'^^ 
donna pendant quelques moments., jusqu/àm^n^ 
spirer plusieurs mouveme^nts fde ijalp^iii^jie». Il 
voulut savoir.ledétail.dé ses jav^|ijtui?e$«}La'€on* 
yersatign se Ija .^jfae tajtit d'agréodept , çp^ â 
J9elen£^ oublia sa foiblessç , «tPv^ès son çbiagria , 
je i^e livrai Anssji Sans ré^ervie auK f4«s (pura» 
douceuriS de Yamow et dp T^iaHi^» 



l68 ' HWTOIRE ^ 

< Cependant Pérès , qui ne perdoît jamais de 
vue son objet, me représenta que, si près de ma 
profession, dans une ville aussi petite que Malte^ 
au milieu de mes domestiques, j^avois besoin 
d'une infinité de ménagements pour cacher le 
renouvellement démon intrigue, sans compter 
qu'il falloît s'attendre que la Rovini ne manque- 
roît point de découvrir les traces de sa fille; et 
que si Leniati étoit assez sensé pour éviter l'é- 
clat, nous ne devions point espérer la même 
prudence d'une femme si vive et si hautaine^ U 
auroit peu servi de nous faire observer le dan* 
-ger^ s'il ne nous eût offert aussitôt le remède : 
iltenoit son Espagnole dans une maison écartée, 
où le roi des Maniotes avoit aussi son logement. 
Helena pouvoit se mettre à couvert dans la même 
retraite. Il n'étoitquestion que d^attendrela nuit 
pour l'y conduire; et ne devant pas être plus de 
quinze jours à partir , il sembloit que nous eus- 
sions peu d'obstacles à craindre dans un espace 
éi court. Toutes ces précautions furent prises la 
nuit suivante. 

J'avois peu fréquenté le commandeur Junius 
pendant l'hiver. Mes visites auroient pu nuire 
au désir qu'il nous avoit marqué de n'être pas 
reconnu. Nous avions commencé, Pérès et moi, 
par lui rendre tous les services qui pouvoient 
favoriser ses desseins » et nous avions même ob- 



DU COMMANDEUR DE '^**. l6g 

tenu du grand-maître la liberté des trois dames 
turques et de quelques Manîotes qui nous 
aToient paru les plus attachés à leur roi. Il nous 
avoit assurés qu'il se prîveroit de les voir pour 
conserver mieux le secret de sa solitude; et s'il 
s'étoit servi d'une autre voie que la nôtre pour 
renouveler quelqu'une de ses anciennes liaisons^« 
nous n'avions pas eu la curiosité de pénétrer, ni 
quels étoient ses amis , ni quels moyens il avoit 
^ employés pour les attirer chez lui. Notre étonne- 
mentfut extrême de le trouver, en arrivant, avec 
les trois dames turques. Nous nous reprochions 
même déjà comme une indiscrétion de l'avoir 
surpris; mais après noas en avoir marqué un 
peu de confusion , il nous témoigna , au con- 
traire, beaucoup de joie d'une visite qu'il auroit 
cherché , nous dit-il , à se procurer ; et il nous 
pria de l'écouter avec l'inclination qu'il nout 
croy oit toujours à lui rendre service. -• 

Quoique la crainte d'en abuser, continua-ti!'» 
l'eut empêché jusqu'alors de faire fond sur notre 
vaisseau pour retourner dans ses élats , il avoit 
formé un dessein qu'il se flattoit de nous faire 
approuver , et qui nous deviendroit aussi utile 
par les avantages extraordinaires que nous en 
devions tirer, qu'à lui par l'occasion qu'il- y 
trouveroit pour rentrer dans le golfe de Golo- 
chine. • 



G;6st^,^ea.4Ames,rqprit-il.,jqjiej'ai Tohliga- 
jMpa des QOunçeUes vue^ q^e,j*^i formées*. Je.n'ai 
^\k. voir rUiver si proche de sa fin, $ans .penser 
que je dois quitter MAl(e , et^que je ae puis laisser 
Xoes compagnes après mpi. Je le^ ai fait avertir 
«que je .n!étois pas si loin d'elles qu'elles.se Té- 
.tQÎent figuré, et. dans .quelques \i3ites qu^elles 
XaVnt rendues , j'ai tiré d'elles des lumières qui 
jpeuvent tourner à votre avantage. £lles ^opt 
toutes trois de l'Epire , et c'est à ce titre que le 
Ijrand-visir me les avoit envoyées, parce qu'é- 
Jbant voisines de mon état, il s'étoit imaginé 
iqu!elle&y seroient reçues plus volontiers. Comme 
leur gQÙt jue les po^e <pas à retourner dans un 
«érail 9.elles. ipe proposent de les conduire, sur la 
jcôte d'Albanie. Le gouvernement y. est. si foijble 
i|u'eUesme garautis^eut to^tes.sprtesidVy.antages 
{>aQla force. J!aiifipngé ^ ajoujta Juuius; qjie vpus 
avez un vaisseau bien équipé , et qiie , ueuian- 
^aot p^Sjplps de.:pxiissance que de courage 
$t . (d'iambitipu , vous y. pourriez fprmer . un état 
ji'a/utajPl; .p)^^ ferme que je tpus pro;mels l'assi- 
.^9Ace de tQus.njes JVUuiotes. Et si l'on pQuvoit 
§e.fier ^axisiiQ|i[rudence à l'avenir, je vous ferons 
i^uvi^ger ;^que . uos forces ,àant réunies, iu>.us 
^lous éléyieriQBS peut;. être ;à un point d'ipdj?pen- 
danpe qui ^ous fcrpjt mçpris^r tous Iqs effort^ 
des Turcs. Ajouterai-je, reprit-il , que si nous 



DU COMMANDEUR DE ***• VJl 

nous lassons de commander à des barHares , il 
sera toujours temps de proposer au grand-maitre 
des conditions qui seront facilement acceptées? 
Nous Jui soumettrons nos états , et Tordre sera 
trop heureux de trouver un établissement qui 
sera toujours préférable à cette misérable isle. 
Junius fixa ses regards sur nous en finissant* 
Je jetai les miens sur Pérès , qui ne me regarda 
pas avec moins dVttçntion. Nous demeurâmes 
ainsi tous trois comme suspeqdus , nous à cher- 
cher quelle devoit être notre réponse, et Junius à 
raltendre. Enfin Pérès, dont je respectois' tou- 
jours le jugement et Texpérience, me pria de 
troUveirbon qu'il expliquât sou sentiment. Nous 
garantirez-vQus , dit^il à Junius , de réunir vos 
gens à votre arrivée, et d'eu composer un corps 
sur lequel on puisse compter ? Dans cette sup- 
position , au-lieû d'aller descendre en Albanie , 
nou^ vous conduirions à Maina, et lorsque nous 
vous Verrions partir assez bien accompagné pour 
forcer la frontière de nos voisins, nous irions 
volontiers tenter de l'autre côté une descente ^ 
avec l'espérance de n'être pas long-temps à vous 
rejoindre. Le projet parut encore plus vraisem- 
blable à Jiinius sous cette nouvelle face. Il y 
joignit mille ouvertures qui dépendûiènt de la 
GonnoLsrsàncè qu'il avoit desliëux/etdelaxon- 
fiance particulière qu'il avoit dans la fidélité et 



17^ HISTOIRE 

la valeur de ses sujets. Pour moi , qui ne pou- 
Tois en manquer pour Pérès, je me reposai vo- 
lontiers sur lui (le tout ce qui pouvoit tourner 
à notre gloire et à notre utilité commune. 

Pendant un entretien si sérieux, Helena et 
les trois dames , dont nous nous étions écartés 
de quelques pas , lioient connoissance, à Taide 
d'un langage corrompu qui est connu de toutes 
les nations du Levant. L'Espagnole de Pérès , 
que nous avions vue la première , et qui nous 
ayoitaccompagnésdansrappartementdeJunius, 
servit à former promptement cette liaison , par 
la familiarité qu'elle avoit déjà avec la jeune 
Italienne et les dames turques; de sorte qu'agi- 
tant toutes quatre le même sujetdont nous étions 
occupés , je fus extrêmement surpris devoir ac- 
courir vers moi Helena, qui me conjura de ne 
pas négliger une entreprise qui pouvoit assurer 
pour jamais la tranquillité de notre amour. Cet 
aiguillon fut plus puissant pour moi que l'exem- 
ple de Junius, et l'espérance du trône. Nous par- 
tirons , lui dis-je avec le transport qu'elle m'in- 
spiroit; nous irons faire régner l'amour dans les 
montagnes de l'Epire. En effet , plus nous con- 
sidérâmes ce projet, plus le succès nous en 
parut certain, et Junius nous confessoit lui- 
même , qu'il étoit surprenant que les Vénitiens 
ou les Maltois ne l'eussent jamais formé. 



DU COMMANDEUR DE ***. lyS 

Pérès nous proposa de le communiquer au 
grand-maître. Ses raisons furent que Fa vêu de 
Tordre ne changeroit rien à nos vues , si nous 
obtenions quelque succès ; et que si la fortune 
ne secondoit pas notre entreprise » il nous seroit 
toujours avantageux de pouvoir compter sur le 
secours et la , protection du grand-maître. Cette 
proposition étoit prudente. Mais Tintérêt de Ju- 
nius, dont nous n'aurions pu nous dispenser de 
mêler le nom dans nos aventures , nous força de 
la rejeter. Les autres mesures furent prises avec 
beaucoup de sagesse dans ce premier entretien. 
Pérès se chargea de faire acheter tout ce qui se 
trouveroit d'armes inutiles à Malte , et je ne de- 
sespërois pas de trouver un grand nombre de 
volontaires pour grossir notre équipage. . 

L*amour , qui étoit mon seul motif dans une 
si étrange entreprise » faillit dès les premiers 
jours de la faire avorter. Le roi des Maniotes» 
après nous avoir fait admirer sa sagesse dans la 
résistance qu'il avoit faite à tant de proposi- 
tions de mariage, devint amoureux d'Helena 
dans le commerce qu'une même demeure lui 
donnoit continuellement avec elle. Mille devoirs 
que j 'a vois à remplir ne me permeltoient point 
d'y être à tous les moments du jour. La voyant 
sans cesse, sans autre témpin que l'Ëspagaole, 
il n'étoit pas surprenant qu'elle lui parût aiT 



174 HISTOIRE 

mable; mais ce que je regardai comme une noire 
perfidie, il ne fut point arrêté par la connois- 
sance qu'il eut de ma passion. Après mille ga-' 
Innteries inutiles» qu'Ûelena eut la discrétion de 
me dissimuler ^ il crut abréger les formalités de 
Tamour en lui faisant valoir le rang où il pou- 
vdît rélever, et pour conclusion, il lui offrit 
ouvertement de la faire reine des Maiiiotés. Quel- 
que penchant qu elle eût à me cacher jusqu'à la 
fin celte trahison , elle comprit que dans une 
conjecture où notre voyage deMaina nous livre-» 
roit peut-être à sa discrétion, je devois être avef ti 
du péril. Ma jalousie s'échaufia si vivement à 
cette nouvelle , que j'atirois reproché sur-le- 
champ au commandeur sa perfidie et son ingra-* 
titude, si Pérès, qui étoit témoin de ma fureur i 
n'en «ût arrêté les transports. Il se chargea lui- 
même de représenter Tindécence de ce procédé 
au roi des Maniotes. Je voulus ignorer ce qui 
g'étoit passé dans leur explication, de peur d'y 
trouver quelque nouveau sujet dé ressentiment. 
Mais l'amour m'offrit une occasion de me ven- 
ger, dont j'auroîs profité si Pérès ne m'eût en- 
core rappelé à la modération. Plus Junius avoit 
d'éloîgnement pour le mariage , plus il parois* 
soit s'accorder de liberté sur le commercé des 
femmes. Il nous parut bientôt fort clair qu^il 
avoit peDsé à séduire^Hélena par de fausses éspé* 



DU COMMANDirtJK'DE ***. IJ^ 

ranees; car, paroisisai^t rcTéMir toiit-<}\m-fc'6up 
des^mimeiltâ 'qu'il ai'dit'euspbhrélltei illddr'na 
tonèljés sôiûs Yèi^ièS €«>is dèttflëi'tiirquês j poùi* 
le84liel^esf it'aTOit tiiiin[aé àti^i'ayaiftt tàùt d'îiî- 
diËférentref; C'étoièttt, saii^'d»ut6, les biesohts da 
tetnpéf attfeirt ' qlii le -ffrèisSôietit.' Ëilëi ' éÉôiént 
côùtitiuellêtflettlcWéa'ltt^déptfîà: quelles avoît' 
fait arértît- d'è saWlétofeùVé: Là ri*ratfë oH élïès 
s'étôiénit fctfP ttiaaeStëffièiittètiueâ^^ aVéc le se- 
coù'i^ d*ùiïè stttiliïië'moaiqUé que Jùniiw leur 
a"v'oît fàft t'ouéftèr'^ai' Ifâ mâîns dè'Péi'èS, leuir 

avdit ass'éï'ca^éë^d'erinûî p-tfûi''êtfë cTïaifeéêsd^ 
l'ocèasiïto dfr ^ë prâdUi-èV qael4u'è attittéeinénl!.' 
Je m'à'pêreus dé'rémfpféséëttiè'tff qui! a^roît ati- 
tôUt* d*èltéè; maîéîl hë nl'è'fù't'pâi'nltoihs aised^ 
rëëdfiùôttrë qûë , sans àtièniîé pifé€éàtî6nk leur 
efeïhfte,' f y avôts MthmvLmApplnrdéT^tf^è^ 
qûeltfi. tJtt f eéSëtitiifaéne sèbrét', qètê^je'rfoùrris* 
sot$ totij8U« , më fit ti'dîlM réhtië dé iAë'vei4^er> 
^rar lin bHâtie^ht de la ttiëine nafure qûé ToP 
fettlëV Je' m criié pdS blèèsé? k tèndreisSé dTïe-' 
leuttp&t Mtiè [Yk^àkilé ofùié cofeur tt'àuroit pbînC 
dé'paèt.' OiVtiïe dôntfôît déS fàbilités dont je pofu- 
vois profiter à totfâ M^tnehVs, et je mè iisuii 
tridâiphë d'ôbtieïiir lëé taréliïè de tfois femmes» 
do'ùC'il sènibloit que Jtîùi'us se fuï composé xtn 
sërâïL'Ett ctfraMffhî^ùâht liiïin dessein à Pérès » 
j'àvois cbtti|kté qtX'il^ â|>fltîttdii>6it?. Maisîlpnf 



176 HISTOIRE 

le ton auqael je m'attendois le moins. Quoi ! 
chevalier , me dit-il , c^est à la débauche que 
votre cœur se tourne, et vous n^étes pas satisfait 
d*une maîtresse aussi aimable "^u^elena? La 
chaleur de Tâge , continua-t-il , la nécessité de 
se faire quelque amusement, et plus encore la 
force d'une première passion , ont pu faire ex- 
cuser jusqu'à-présent votre foiblesse ; et je serois 
fprt embarrassé moi-même si quelque juge sé- 
vère me demandoit des excuses plus fortes pour 
la mienne. Mais savez-vous qu'autant un atta- 
chement réglé peut mériter d'indulgence, autant 
l'inconstance et la variété des plaisirs, en quoi 
consiste proprement la dépravation des moeurs f 
est indigne d'un honnête homme. L'un trouve 
une espèce de justification dans le penchant de 
la nature, au-lieu que ce dernier dérèglement 
en blesse toutes les loix. En vain m'efForçai-je 
de me rétablir dans l'esprit de Pérès par l'ex- 
plication de mes motifs. Il les condamna avec 
la même droiture, et me faisant souvenir que 
j'avois des engagements plus forts que les siqxis» 
il me força de confesser que je n'étois déjà que 
trop loin au-delà de mes bornes. . 

Tout ce qui venoit d'un ami si cher et si 
éclairé me paroissoit respectable. J'ai fait mille 
fois réflexion combien cette manière tendre et 
mesurée de combattre les emportements de la 



DU COHMAICDEUR DE ***• 177 

jeunesse , est pré£érable à ramertame d^iine cen- 
sure violente 9 qui irrite tout-à-là-fbis et contre 
le précepte et contre celui qui lé présente sivee 
trop de rigueur. On ne va que trop recbnnoitre 
dans cette remarque le fruit de ma propre expé*^ 
rience. 

Let jour de notre départ étoit si prochexjue je; 
me crus déliTré de toutes sortes de ménagements;^ 
je ne fis pas difficulté de propo^r une partie ûe 
soupe chez ma mattresse , à quelques jeuneà 
chevaliers avec qui fatois** formé une (étrokci 
liaison. Je m*estimois d'autant plus libre' que 
Junîus et les dames turques s*étoient:dtéjà ren-« 
dus au vaisseau» Il ne restait avec Helena que 
TEspagnole de Pérès , qui consentok «osai à nous 
accompagner dans toutes nos entrepnses. Nous 
nouk réjouimes avec si peu de {nrécautions , et 
Pérès métne, qui n'étoitpas insensible à la joie, 
se défia^i peu que nbus fussions observés, que 
cette partie fit un éclat extraordinaire dans la 
ville. On n'eut pas de peine, ensuite à déootivrir 
parfindiserétion de )(|uelqu'un de nosfconvivesv 
que les deux dames étoient la maitressede moi» 
aitti et la mienne. Les premières ciroonstaBces 
de mon aventure lurent aussitôt rappelées} et 
daiisuti profès de six semaines » dont oa^avoilî 
vantélareligion et la ferveur, on trouva des dé-* 
so^dres de cette nature esttrémementscandaleux. 

Prévost. Tome XUL 12 



- » Le'graùd^maîCre , qui en fut informé par mille 
rdationfi:;, mè fit appeler dès le. jour suivant ^ qui 
étoit la yefllede celui de notre départ. Peut*étre 
étois^je.'le seul , avec Perè^^ qui ignorât lesi^et 
des ordres que je reçus] et ma surprise fut ex- 
trême en arrivant au palais de me voir environné 
d^une foule de gens quimefirent craindre de n'y 
être pas traité avec les caresses dont le grand-^ 
Biaitine;.m'afvoit toujours honoré. Ce qu'on me 
fit «appréhender de la sévérité de sa morale » m'a- 
|.arma jusqu'à me faire balancer , si ^ sans parot- 
tre devant lui, je ne feroisipas beaucoup mieux 
de mé rendre surJe-ohamp à bord, et de faire 
mettre laàsfeitôt à la Toile. Mais le ridicule dont 
je me^sisKods iéoUTert me parut encore plus re- 
doutable que> les Ji'eproches dont j'étois menacé.. 
J'eutrai dans les appartements, et poui? essai de 
ce qui mMttiendoit, j'essuyai dès la première 
Salie lesv avis) du commandeur de Zuniga'^ qui 
sémbioit avoir choisi exprès oe: poste pour m'ac- 
câblerde sa^morale au passage.» Il étoit infoirmé» 
];icu>seulement' de ce qiiei toute la ville savoit 
eommé>hii',>'itnais de:.ce-qui a'étôit pajssé dai^ 
mon (appartement à Utrrivée. d'Helenas et de 
toutes Iks eircoïistances: que j'avois cru Jui déror 
ber pendant la visite qu'il m'avoit renduc^Left 
voies par iesquellc^s il s';étbit ifait instruire < sont 
encore, un mystère pour moi. Je souffris ^n 



w. 



i ■•■ 



v^» 



DU COMMANDEUR DE ***. lyg 

taélange de reproches et de railleries que je fus 
obligédepardoDuer à son rang et à son âge^ IlmV 
l^ertit néanmoins qyie le graûd-mailre ignoroitla 
première scène, et que pour lui «qui a^oit eu lâr-* 
dessus de bonnes lumières, il àurôit soin de les di^ 
simuler.Cette rencontre m^ayant comme aguerri, 
j.'entraiàyec plus de hardiesse dans le cabinet du 
grand-maître. Mais tout ce que je venpfisd'ëprou^ 
ver n'approchoit point de ce qui nt'ëtoit réservé. 
Le grand-maître, joignant le tondit chrisliapisme 
i celui du pouvoir absolu , metraît^ comme ua 
jëuné Ubertin qtrii apportoit plus de scandale 
dans l'ordre que ^e ne lui rendrois jamais'de ser- 
vices; et faisant valoir la qualité de i^digieux^ qui 
est plus réelle 'pour mes pareils ,1que pour la plu- 
partides sociétés monastiques , puisqii^à Tunique 
vôeU des bénédictins^ 'par exemple, qui né les 
engage explicitement ^ù'à robêissance et à' la 
réformation des mœurs y nous ajoutons formel-i 
lement celui d^une chasteté et d'une pauvreté 
perpétuelles, iiî me mbnaca des punitions qui 
sont impdsées pat* nos statuts à Tinfraction des 
voeux solemneïs; "Je :meserçîs peu eflfrayé de seé 
menaces, s'il n'avoit exigé de moi ùn^ promesse 
positive d'abandonnei^'Helena, etidemd;treàla 
voile dès la nuit . suivante. Je fus si frappé dé 
cette proposition , qu'hésitant à répondre, je lui 
donnai lieu de reuodveler ; ses ipvéctaves et la 






|8g HISTOIKE 

menace de me faire arrêter. Le danger me parut 
aussi sërîeux ponrilelena que pour moi-même. 
Il ne me vint point d'autre expédient que de 
mVttacher à là seconde partie de ses ordres 9 
et d'employer des termes assez composés pour 
éluder la première. Je sentois, lui dis- je respec- 
tueusement 9 le tort quanj^avois eu de m'exposer 
à son indignation et à la censure du public 9 et 
j*étois résolu de me mettre en mer au même mor 
ment pour arrêter le scandale par un si prompt 
départ. L*équivot]ue étoit difficile à pénétrer. Il 
s'en défia si peu , que , louant mon dessein , il 
m'exhorta lui-même à ne pas demeurer à Malte 
jusqp'au lendemain. 

Afa seule confusion auroit suffi , sans doute 4 
pour me faire précipiter mon départ. J'ayançat 
sur Je-ehamp les ordres que j^avois donnés k Té- 
quipage 9 et je fis avertir ^erès qu'il falloit êtreà 
bord avant mipuit. Mais rien n'étoit si loin de 
mes résqlutioiîs que de partir sans Helena. Je 
n'attendis que l'arrivée de la nuit pour me chan- 
ger moi-même de la conduire au port. Ainsi, dans 
le temps que lahont^ seule auroit été capable de 
me faire quitter Malte 9 je m'en préparois une 
raison bien plds infaillible par une espèce d'en- 
lèvement redoublé» dont je devois prévoir que le 
bruit ne seroit pas plus long-tomps à se répandre 
que cdui du jour précédent, lia prudence de 



DU comwàndeur de **^. i6i 

Pérès j fut trompée. Il avoit déjà pris congé du 
grand-maitre e( de tous ses amis. N'étant occupé 
que de nos préparatifs» il ignora jusqu'à For* 
dre que j'avois reçu de me rendre à la cour; 
il ne crut pas notre partie et le départ d*Helena 
plus conaùs que le séjour qu'elle avoit fait à 
Malte deg||is quelques semaines. D^mpn côté, 
j'eus soin d'écarter tout ce qui pouvoit lui don* 
uer cette connoissance. Jeredoutois tqntesses ré- 
flexions» et les efforts qu'il auroit entrepris peut- 
être pour me faire préférer mon devoir et ma 
fortune à l'amour.^ 

. Il admiroit l'ardeur avec laqudle je pressois 
la manoeuvre » et l'attribuant à TimpatiaiGe de 
combattre et de vaincre* il me félicita de ne 
m'étre pas laissé amollir p^r une passion qui ne 
produit pas toujours des vertus » lorsqn'dle ^t 
tranquille et satisfaite. Je m'applaudissois d'une 
erreur que j'étois sûr de confirmer par ma con- 
duite dans toutes les occasions qui demande- 
roieut de la valeur. Nous fumes éloignés du port 
fivant le jour l et le même vent nous conduisit 
en moins de quarante heures à l'entrée du golfe 
de Colochine, où nous n'avions plus rien à crain- 
dre de la mer jusqu'à Maina. Quelque confiance 
que nous eussions dans laboniie foi de Juaius, 
k| prtidence nous obligeoit de ne pas nous livrer 
l^ns précl^ution entre ks mains d'unn nation 

l 



' - N 



182 HtSTOIKE 

dont il notis àvoit confessé que le caractère res- 
sembloit "peu à celui des anciens Grecs , jnsqii^où 
elle faisoit remonter son origine. Nous ne fîmes 
pas même une question inutile au roi, en lu^ 
demàiidant's^il ne craignoit pas que son absence, 
et le bruit de son malheur qui ayoit sans douté 
été porté dtfrisle pays, n'eussent produit quel- 
que changement parmi ses sujets. Il nous répon- 
dit que Tfayaift point eu d'autre motif que leur 
inclination' pour le mettre sur le trône , ils ne 
pouvoient s'être refroidis poiir lui lorsqu^l s'é- 
toit efforcé, au contraire, de l'augmenter païf ses 
services. Nous lui fîmes approuver néanmoins 
que l'ancre fût jetée à quelque iâistance du port ; 
ièt lui' doAfnânt quelques-uns de nos soldats pour 
l'escorter' dans la chaloupe, nous lui conseil- 
lâmes d'aller pressentir la disposition des siens; 

Il fut reconnu en abordant au rivage, et les 
premiers Maniotes qu'il rencontra ne lui refu- 
sèrent point les respects auxquels il s'étôit at- 
• tendu; Mais ce qu'ils sie hâtèrent de lui raconter 
ne se trouva que trop conforme à nos craintes. 
L'ambition n'avoit pas manqué de profiter de 
son absence et de la nouvelle de sa captivité, 
pour faire perdre à la nation toute espérance de 
le revoir. Un autre s'étoit élevé sur le trône à srf 
place ,' et' joignant la malignité à cette vraisem- 
blance , il a voit éteint jusqu'au regret de sa pert^- 



D0 COMMANDEUR DE ***. l83 

en persuadant aux Maniotes que le» ménage- 
ments qu'il ayoit gardés pour là Potte étoient 
une dépendance honteuse qui ne pouvoit man- 
quer de les conduire tôt ou tard à resclavage. 
Les Turcs n'a voient pu réduire; eu effet, cette 
fière nation sous le joug» ou peut-être ne Ta- 
Toient-ils jamais tenté , parce qu'ils n'ont pas 
beaucoup d'utilité à tirer de cette conquête. 
L'usurpateur , qui se nommoit Didero , étoit en 
course avec une partie de ses troupes. - Mais en- 
tretenant toujours des craintes dans un poutoir 
mal affermi ^^ il avoit laissé douze t)u quinze 
cents hommes près de sa capitale , dans un camp 
régulier où il les tenoit prêts à tout événement. 
Le rapport de Junius nous fit juger que c'étoit 
contre lui-même qu'on pensoit à se fortifier par 
ces préparatifs. Pérès , plus entendu que moi 
dans la guerre, saisit tout* d'un-coup le point 
de sa situation, et lui représenta ce qu'il avoit 
à craindre et à es]^érer. Il n'y a point d'appa- 
rence ; lui dit-il , qu'avec environ cent hommes 
qui composent nos forces , nous puissions entre* 
prendre une descente à la vue d'un ennemi pré^ 
paré à nous recevoir; et quand nous serions 
beaucoup plus forts , je ne tois rien à jprétendre 
ici par la violence. Mais l'absence de votre eour 
current vous és!t favorable. Si le désir de régner 
vous touche assez pour vous fair^ mépriser lé 



284 HISTOIRE 

périly prësentez-Yous à vos sujets , et voyez ce 
que vous pouvez attendre de leur aâectipn^IIs 
TOUS ont vu ; ne doutez pas que votre arriva 
B^ait pt*odtlit parmi eux un mouvemedt extr^or- 
dinaire.Cest le moment de les mettre à Tépreuve. 
SI, le camp et la ville se déclarent pour vous 9 
nous sommés aussitôt les maîtres^ Mais ne pen- 
sons qu^à nous retirer, si vOuSvïie les trouvez pas 
disposés à vous recevoir. Fïous remarquâmes, d^ 
rincertitude dans Junius. Cependant Thonneur 
^e lui permettant poikit d'abandonner tout-d'up- 
•coup ses prétentions , il convint qu'il n'avoit 
jpas deux partis à prendre. Au*lieu de dix sol- 
dats que nous lui avions donnés pour rêfscorr 
ter , Pérès lui conseilla de ne pretidrê que deux 
'bommes à $a suite. Cette confiance feit toujours 
impression sur un peuple grossier • Il partit, 
fïous Tattendimes avec inq;uiétude pendant le 
reste du jour et la nuit suivante. Enfin , lorsque 
nous <iommencions à craindre qu'il n'e&t man^ 
que de conduite ou de succès , une barque t dé^ 
tachée du rivage , nous amena quelques Ma* 
niotes, qui nous demandèrent civilement la 
permission de monter à bord. C'étoient les dé- 
putés de U ville autant que de Junius. Ils nous 
remercièrent de leur avoir rendu leur roi. Mais 
ayant peu de commerce» nous dirent-ils, avec 
les étrangers 9. ils nous suppUoient de ne pas 



DU COMIMIA^DEUR DE ***. l85 

nous offenser 8*iU nous refusoient Teiitr^e de 
leur pays. Nous comprimes que de qyelque 
manière quUls fussent disposés pour lui « ils ne 
Touloient point q^'il dut son rétabUssemeot à 
ses propres forces, |ls nous offrirent des rafrâj«- 
i^hissements , que nous refusâmes ; mais surpris 
que les compliments qu'ils nous-fireut de la jMt 
de Jiinius se réduisissent à des politesses vogues 9 
qui ^e pouYoient nous faire juger ni de sa situar 
tion , ni de leur dessein ^ nous leur demandâmes 
pourquoi nous ne revoyions pas du -moins les 
deux hommes dont qous Tavions fait accompa- 
gner » çt sHls n^Toient pas reçu d*ordre pour re<- 
tirer son équipage et les dapies turques* II» n'a- 
Yoient pas la moindre iustruction là-dessus; et 
toutes les question par lesquelles nous fatî^ 
guàmes les députés ne nous apportèrent pas 
d'autres lumières* 

Cette obstination à nous cacher leurs affai):^ 
nous fit prendre uike meilleure idée de leur po» 
litiquje que Junius même ne nous Ta voit donnée 
par ses relations. Noua offrîmes aux dames tur^ 
ques la liberté de nous .quitter pour se rendre i 
Maina ; mais loin de raccepier» elles nous couju^ 
rèrent de leur procurer tout Hutre sort que celltt 
de vivre aivec les Turcs ei les Maniotes. Le go^ 
de la liberté , dont elles avmeiit senti la douceur 
pendant quatre mois».aTpit chapge, toutes les 



l86 . HTSTOIKE 

idées de leur naissance et de leur 'éducation'. 
Nous consentîmes à les garder sur le Taisseau, 
sans avoir approfondi quelles étoient leurs vues. 
A l'égard des députés, la seule faveur qteie nous 
les priâmes de nous accorder fut de remettre à 
Junius une lettre que nous lui écrivîmes, et 
dont notre dessein étoit d'attendre la réponse. 
Après quelques marques d'inquiétude et d'é- 
tonnement, nous le pressions de ne pas nous 
laisser partir sans connoitre mieux son sort et 
'ses intentions. Et prévoyant que les mêmes rai- 
sons qu'on avoit eues de tenir une conduite si 
mystérieuse empêcheroient peut-être qu'on- ne 
lui permit de nous répondre, nous lui promet* 
lions de lui rendre compte un jour de tout ce 
qu'il laissoit entre nos mains. 

Dans toute autre circonstance, nous ne nous 
serions jamais déterminés à partir sans, être 
mieux instruits de ses affaires, et nous aurions 
regardé même comme une loi d'honneur de ne 
-pas laisser derrière nous un homme à qui nous 
avions accordé une sorte de protection. Mab 
outre que la présence d'un corps de quinze cents 
hommes nous tenoit nécessairement en bride, 
il nous pai*ut , au langage respectueux des Ma* 
niotes, qu'ils ne pou voient lui avoir &it un mau- 
vais accueil , et que nous devions éviter par con^ 
séquent de les aigrir en nous mêlant malgré eux 



DU COMMÀNDEtr.R'DE '^'^'^. l^ ' 

de le;urs intérêts. Nous passâmes trois jours à 
Tancre , sans nous apercevoir qu'on parût pen- 
ser à nous. A }a distance où nous étions de la 
yille, et cachés derrière une pointe -qui nous 
tenoit à Tabri , nous ne^ découvrîmes rien qui 
pût servir de matière à nos conjectures.. Là cu- 
riosité m^auroit porté à nous approcher du-^ 
moins de l'entrée du poi^t ; mais Pérès jugea que 
nos moindres observations poq^vant nous rendre 
suspects, elles deviendroientpeut«étre^ussi per- 
nicieuses à Junius qu'elles seroient - inutiles 
pour nous. Il nous restôit à délibérer si, dans la 
supposition que le roi des Maniotes étoit re- 
monté sur le trône , nous devions suivre 1q pro^ * 
jet de tenter quelque chose eu Albanie. Mais 
des espérances si légères ne pouvant faire le fom - 
dément d'une entreprise, sensée^ nouismotis qc- - 
cordâmes à penser que^ si nous devions tourner 
dé ce côté-là , ce ne. devoit être qu'après a^oir 
laissé le temp^ à Junius de faire ses préparatifs. 
Si nous ne trouvions point alors plus de vrai- 
semblance dans le plan qu'il nous a voit proposé, . 
nous ne laissions point d'atoir deux motifs pour 
nous approcher de quelque port d'Albanie. 
L'un de remettre dans leur patrie les trois ,dame$ 
turques. De jolies femmes' iir'étoien); pas uU' far- 
deau ipôur nous^ët nouSn'étions pas même fatin 
gné^du nombre; mais itoios nous étions aperçus ^ 



283 HI5T0IAE 

que , malgré la présence de Juniiis » qui eontF» 
nuoît de leur rendre les mêmes soins, trois jeunes 
chevaliers , qui av oient obtenu la permission de 
faire une campagne avec nous, faisoieot des 
progrès continuels auprès d'elles* Pérès étoit en- 
nemi de la débauche , et s'il donnoit ce nom , 
comme je Tai fait remarquer , à Tinconstan^ et 
à la variété des désirs , il nç le donnoit pas moins 
k toutes sortes d*excès qui lui paroissoient ble^ 
^er la bienséance. Ainsi oe qui lui sembloit sup'^ 
portable entre lui et moi , prenoit un air cho« 
quant pour lui lorsqu'il y voyoit le scandale 
attaché. Vous allez voir , m'avoit-il dit plusieurs 
fois , que nos soldats et nos matelots^ qui cmt 
respecté jusquVprésent nos amours , vont pren- 
dre droit de la multitude des exemples pour se 
relâcher de la ^Considération qu'ils ont eue pour 
nos maîtresses ; heureux &-la-fin si nous ne les 
voyons pas mutinés pour nous les enlever, ou 
pour s'en procurer d'autres , qu'ils se croiront 
autorisés à faire monter sur notre vaisseau. Enfin 
Pérès vouloit que l'amour fût conduit avec bien* 
séance « et que nos foiblesses fussent revêtues 
d'un air de dignité qui les rendit respectables 
aux gens qui nous obéfssoient. Notre seeond 
motif étoit d'apprendre par la voie de l'Albanie 
des nouvelles certaines de Junius, et de lui faire 
même donner des nôtres par un exprès qui nç 



DU COMMANDEUR DE ***. 189 

parottroit point suspect à ses peuples en venant 
d'un lieu si yoisin. 

Nous sortîmes du golfe sans être déterminé? 
sur notre routéTet poussés par le désûr Yague def 
chercher les occasions de nous distii^uer. Elles 
pou voient s'offrir à chaque moment, puisque 
nous étions résolus de nous avancer jusqu'aux 
Dardanelles , et é*attaquer tout ce qui n'auroit 
pas sur pous d*autre avantage que celui du 
nombre. Helena, qui ne nous enténdoit plus 
parler que de combats et de guerre , tomba dans 
des alarmes qui troubloient continuellement 
son repos. Je ne vis rien de plus propre à la 
rassurer , que de lui faire prendre un habit 
d'homme, qui ne l'exposeroit jamais qu'à la 
moitié du péril. Elle y consentit; et me souve-* 
nant de la métamorphose qu'elle m'avoit forcée 
de faire à Naples, je pris un plaisir extrême à la 
trouver capable de faire la même folie pour me 
plaire. On ne se représentera jamais combien 
cet habit la rendoit aimable. Mais à-peine l'a» 
voit-elle porté deux heures , que nous décou^ii 
vrtmes un vaisseau dont nous ne reconnûmes 
pas tout -d'un - coup le pavillon. Il nous parut 
même que dans la difficulté de distinguer qui 
nous étions 9 il en avoit changé plusieurs fois 
dans un espace fort court ; et nos matelots , qui 
connoissoient mieux que Pérès et moi toutes le^ 



igo HISTOIRE .^ 

ruses des corsaires » nous assurèrent à-Ià-fîn que 
c^étoit un vaisseau de Dulcigno. Il étoit moins 
question d^attaquer que de nous défendre; car 
dans quelles vues nous serions-nous arrêtés aux 
plus miséAbles de tous les brigands? Nous sa- 
vions qu*ils ne cherchoient pas non plus les 
vaisseaux de Malte; mais le nôtre avoit con- 
servé son ancienne figure ^ et qiioique nous fus- 
sions bien éloignés de déguiser notre pavillon , 
Tusage que tous les corsaires ont d'en cbanger 
contiauellemeat ne permet guère de se fier, à 
Tapparence dans toutes les parties de la Médi- 
terranée. Les mêmes matelots qui nous avoient 
fait connoitre de quels ennemis nous avions à 
nous défendre , nous exhortèrent à les prévenir, 
si nous voulions nous mettre en état de ne les 
pas craindre. En efifet, leur voyant tourner 
vers nous leurs voiles , nous nous hâtâmes de 
leur faire face, et le. vent nous favorisant plus 
qu'eux 9 nous leur épargnâmes la plus grande 
partie du chemin. Ils nous reconnurent à. notre 
lipprôche, et nous les vîmes tout - d'un - coup 
changer de route, comme s'ils eussent voulu 
nous faire connoîlre qu'ils cherchoient à nous 
. £viter. Mais nous étions déjà remplis du feu qui 
fi-alluçie à l'approche du combat. Pçrès,:terrible 
. dans ce^ grandes occasions , secouoit son sabre, 
et ne re^piroit que le^momont de Tabôrdage. Je 



DU COM]!t|AIfD|SUll DE **'^. Igl 

me dispoiois à le seconder arec les trois cheva- 
liers; et pour aguerrir Helena , je la plaçai sur 
le tiliac y à Tabri de U^ mousqueterie , par le soin 
q^e j^us de lui former un rempart de tout ce 
qui pouYoit la défendre. Nous joignîmes les 
corsaires. Us nous reçurent intrépidement. Mais 
ils étoieut exercés, sans doute , à la ruse qu'ils 
méditoient , car il est impossible que 9 sans des 
préparatifs extraordinaires» elle eût pu leur 
réussir avec tant de bonheur. 

Pérès s*étoit formé pour principe 9 sur-tout 
depuis que notre canon nous aToit fait perdre 
le vaiaseau de Junius, de ne pas employer le 
secours de. Tartillerie dans toutes les occasions 
où nous pouvions espérer d*en venir brusque- 
ment à rabordage. Les corsaires s*étant laissés 
accrocher sans avoir lâché non plus leur bor- 
dée 9 nous fûmes aussitôt jsur leurs ponts avec 
la meilleure partie de nos gens. Mais aurlieu de 
nous y faire tête , ils passèrent sur notre vaisseaii 
avec: une vitesse qui surpassoit beaucoup la nô- 
tre; et tandis que /notre surprise nous faisoit 
prendre leur mouvement pour une. fuite 9 ils re- 
tirèrent les grapins qui tei!ioient leur vaisseau 
.au nôtre 9 et s'éloignèrent de nous en nu in- 
stant. Pérès 9 confondu de ce spectacle » les re- 
gardoit avec admiration. Ce qui restoit de leurs 
gens sur leur bord ne paroissant point cap^tble 



igi HISTOIRE 

de nous arrêter, je chercfaois , comme luî^ quei^ 
que moye^ derepassersurlenôtre.Lahonteetla 
rage nous auroîent rendus capables de toute» 
sortes d*exoès dans ce furieux moment; mai^ 
elles ne pouToient se tourner que contre noua^ 
mêmes. IXos ennemis trouTant peu de résistance 
dans une foible partie de nos gens que nous 
avions laissés à bord , les traitoielit déjà en Tain« 
queurs , et forçoient nos matelots de pr>endi^^ 
tout Tayantage du yent pour s*éloigner. Maia cô 
qui dût exciter encore plus nos transports , ne 
doutant point que notre artillerie , dont nons 
étions fort bien montés , ne fût prête à tirer , ils 
y mirent eux-mêmes le feu , et proches comme 
nous l'étions encore , ce né put être que par un 
miracle des plus signalés quHls manquèrent de 
nous couler à fond. Cependant leur exemple 
nous ayant fait prendre le seul parti qui nous 
ouvrît quelque jour à Tespérance» nous pres- 
sions la manœuvre pour nous efforcer de les 
suivre , et nous leur aurions fait payer leur tra^- 
bison bien cher, sHl nous avoit été possible de 
les rejoindre. Mais leur vaisseau étoit une vraie 
retraite de brigands , où régnoient le désordre et 
la misère. Leurs voiles étoient en pièces , et tout 
le reste y répondoit au caractère de ces misé^ 
râbles. Le vent nous servant néanmoins presque 
aussi heureusement quVux, ils ne purent prendre 



\ 



DU COMMANDEUR DE ***. ig3 

dre assez d'avance pour échapper absolument 
à notre Tue. De quelque côté qu'ils pussept 
tourner, ils jugèrent bien que nous ne nous 
lasserions pas de les poursuivre. DansTimpos* 
sibilité de gagner Dulcigno , ils se livrèrent à 
l'impétuosité du vent qui les portoit vers la côte 
d'Afrique. Tous nos efforts n'ayant pu empê- 
cher qu ils n'y fussent deux jours avant nous, 
ils eurent le temps de prévenir les Maures sur 
notre arrivée, et d'en assembler assez pour se* 
mettre en état de ne pas nous craindre. 

De quoi étions-nous capables, d'ailleurs, avec 
aussi peu d'artillerie et de munitions que nous en 
avions trouvé sur leur bord? Le port où nous 
arrivions à leur suite étoit un lieu fort mal dé- 
fendu , et l'habitation avoit moins l'apparence 
d'une ville que d'un misérable village. Mais 
trois ou quatre cents Maures bien armés quel 
nous aperçûmes sur le rivage , et notre canon 
même qu'ils avoient disposé à tçrre pour s'en 
servir contre nous; ne nous perraettoient pà? 
d'approcher sans une imprudence aveugle. Mon 
désespoir augmentoit à tous moments. Je vou- 
lois que , sans considérer le péril , nous lissions 
notre descente cinq cents pas au-dessus d'eux: 
Environ soixante homines que nous avions avec 
nous , gens d'une résolution et d'une valeur 
éprouvée, me paroissoient suffire popr battre- 



194 HISTOIKË 

une arikéé de Maures. Ils ne soutiendront pas 
un moment nos coups , disois-je à Perés. Vous 
et moi , c^est assez pour les faire trembler. Tout 
furieux qu'il étoit lui-même , il jugea que cette 
entreprise ne pouvoit être tentée. Comme Ja 
plus sensible de nos pertes étoit celle de nos mai- 
tresses, et qu'avec beaucoup moins d'amour 
que moi il ne paroissoit pas regretter moins la 
sienne , il me proposa de sacrifier volontaire- 
ment mon vaisseau, et de faire demander aux 
corsaires à cette condition, les dames qu'ils 
nous avoient enlevées. Je n'a vois pas besoin d'in- 
stances pour me rendre à ce conseil. Les trois 
chevaliers , qui étoient sous nos ordres , ayant 
lé même intérêt que nous à cette négociation ^ 
nous offrirent de se rendre au rivage. Nous re- 
fusâmes de les engager dans un péril que nous 
ne partagerions pas avec eux. Mais choisissant 
entre nos soldats un Italien fort adroit, qui 
avoit passé toute sa vie à courir cette mer, et 
qui avoit une connoissauce confuse de tous les 
langages , nous le chargeâmes d'une commission 
dont il se crut fort honoré. Il se mit. dans là 
chaloupe , conduit par deux matelots de l'équi- 
page des corsaires. L'espérance nous rendit plus 
tranquilles , car nous ne doutions presque point 
que nos ennemis ne fussent trop satisfaits d'a- 
cheter la paix et la possession de leur butin , 



DU COMMANDEUR DE ***. fgg 

eu nous cédant une si petite partie de leur proie^ 
Notre raisonnement étoit que ces misérables , 
n'estimant les femines que pour les vendre , ils 
aimëroient beaucoup mieux renoncer à un gain^ 
qui n^avoit pas de proportion avec les richesses 
qu'on leur abandonnoit, que de s'obslinér à 
garder la cote ^ et à nous disputer là descente 
aussi longtemps qu'il bous plairoit de les tenir 
en alarme. Le parti même qu'ils ayoient pris de 
demeurer à terre , tandis qu'ils àuroietit pu se 
rembarquer avec un nombre de gens supérieur 
au nôtre » et se servir contre nous de tbos les 
avantages de notre vaisseau, iiouS faisoit con« 
noître l'opinion qu'ils a voient de nous, et com- 
bien ils se troiroient heureux d'en être déli- 
vrés» Mais nous né faisions point réflexion qu'il 
n'y a rien de si cruel que les perfides et Ifes lâ- 
ches , lorsqu'ils se sont mis eu état dé ne rien 
craindre. Us reçurent nbtre député. Ndtts re- 

• 

marquâmes même , à la distance où nous étions, 
qu'ils s'étoient assemblés atitéul' de lui j^bUr 
l'écouter; et soit envie de nôtis ^ffrajer, soil 
simple mouvement de cruauté, ils lui tlrànbhè- 
rent aussitôt la tête* Ce fut alors que , ne më 
possédant plus , j^excitai totts ines gens à tirer 
vengeance d'une ttction si barbare» Pérès ménie 
comtnençoit à réCOnnoltrè qu'il tàlôit miettx 
périr les armes à la tttàin que de ntltis voir ré^ 

i3* 



igS HISTOIRE 

duits à cet excès d'hun^iliation. Cependant une 
autre pensée lui fit suspendre nos transports. 11 
me dît que, dans quelque endroit que nous fus- 
sions de la côte d'Afrique , nous ne pouvions 
pas être fort éloignés de Tunis , puisque c'étoit 
un yent d'est qui nous avoit poussés impétueu- 
sement pendant quatorze jours. Il nous étoit aisé 
du -moins de prendre langue quelques milles 
plus bas; et s'il se trouvoit effectivement que 
nous fussions voisins» ou du port qu'il avoit nom- 
m^9 ou de quelque autre lieu dont le gouver- 
nement fût régulier , il ne désespéroit pas qu'en 
faisant valoir les relations qu'il avoit eues à la 
cour de Maroc , et la certitude qu'il avoit en- 
core de n'être pas mal dans l'esprit du roi , la 
crainte d'un prince si redouté ne nous servit 
plus que tous nos efforts. Nous nous trouv&mes 
plus proche que nous n'avions osé le croire d'un 
port nommé Trina, Pérès nous conseilla de lui 
9)>andonner la conduite de nos intérêts , dans 
la crainte que notre qualité de chevaliers ne 
nous fit trouver de la difficulté dans les pre- 
mières préventions. 11 se présenta seul à ceux qui 
Tinrent visiter notre vaisseau, et demandant 
d'être conduit au gouverneur , auquel il avoit 
à communiquer des affaires importantes, il ob- 
tint d'abord que nous fussions traités avec po- 
litesse. Il nous resta néanmoins des gardes, de 



DU COMMANDEUR DE ***. I97 

qui nous apprîmes bientôt qu*onnMgnoroît point 
à Trina Tarrivée d'une troupe de corsaires qui 
étoient venus se réfugier dans le pays avec leur 
butin. Le gouverneur alarmé de leur avoir vu 
rassembler un si grand nombre de Maures., qui 
n'avoient point eu d'autre motif pour les secou- 
rir que leurliaine contre les Chrétiens» avoît 
déjà donné des ordres pour y faire avancer quel- 
ques troupes régulières; et la moindre de ses 
intentions étoit de s'attribuer quelque part à 
leur proie. Le retour de Pérès nous apporta 
d'autres éclaircissements. 11 ne s'étoit pas flatté 
mal-à-propos en croyant son nom respecté des 
barbares. Le gouverneur Tavoit vu à la cour de 
Maroc , et se souvenant de la considération qu'il 
y avoit obtenue» il s'empressa de lui en marquer 
par ses services. Et la modération de notre de- 
mande lui parut sans doute un prétexte pour 
faire tourner à son profit tout ce que nous of- 
frions de lui abandonner. Quoi qu'il en soit, il fit 
porter à ses troupes qui s'étoient déjà mises eu 
marche 9 un nouvel ordre de dissiper prompte* 
ment les mutins , et d'amener à Trina tout ce que 
les corsaires nous avoient enlevé. Cependant il 
lui représenta que n'osant disposer avec un pou- 
voir absolu d'une prise enlevée sur les chrétiens, 
il falloit que le roi fût informé de cet événement, 
et qu'il nous accordât lui-même la liberté i^ 



I^S HISTOIRE 

nos dames. Celte objection fit craindre à Pérès 
ce que nous eûmes le chagrin de Yoir arriver » 
c^est-àrdire, que les lenteurs el les discussions ne 
fissent reconnoitre les trois dames de Junius pour 
des- femmes qui appartenoient à la Turquie 9 et 
que cette difficulté ne rendit leur délivrance 
impossible. Mais c^étoi t ne prévoir encore qu'une 
partie de nos inquiétudes » et je devois y avoir 
la meilleure part. 

Pérès n'auroit pas balancé à se rendre sur-le* 
champ à la cour , où sa présence auroît produit 
plus d'effet qu'une députation 9 s'il n'eût appré- 
hendé que nous ne nous trouvassions mal de son 
absence. Il étoit convenu avec le gouverneur, 
que jusqu'au retour du courrier nous demeure* 
rions tranquilles à la distance où nous étions du 
port; et la seule précaution qu'il eût pu prendre 
pour la sûreté des dames , avoit été d'obtenir 
qu'elles fussent amenées les premières à Trina 9 
pour y demeurer sous la protection du gouver- 
neur. Ces deux conventions furent observées fidè- 
lement; Htôis ceux qui eurent la commission d'a- 
mener les dames, ne purent deviner qu'Helena fût 
du même sexe que les trois Turques et FJEspa- 
gnole. Non-seulement elle n'avoit pas quitté les^ 
habitsdunôtre, que je lui avois fait prendre avant 
notre infortune; mais ses compagnes intéressées 
par l'atnitié à lui épargner les périls qui mena* 



DU COMMANl>BUK DE ***. 199 

çbîent sa jeunesse , s^étoient accordées à la faire 
passer auic yeux des corsaires pour un jeune 
homme de Tàge qu^dle portoit sur sa figure. 
Ainsi les ordres du gouTerneur n^ayant point 
' été aissez expliqués pour faire concevoir aux 
autres que le changement qu'on mettoit dans 
leur situation étoit une fa vear ^ Helenâ » qu'elles 
se Tirent forcées d'abandonner, fut laissée der- 
rière sans qu'elles osassent encore découvrir son 
sexe, et l'exhortation qu'elles lui firent en là 
quittant, fut, au contraire, de redoubler ses soins 
pour le cacher. Cependant elle suivit dès le leur 
demain le reste de notre dépouille ; mais elle con- 
tinua d'être séparée deis autres , et le gouverneur 
même la mettant au nombre des prisonniers que 
nous paroissions négliger, s'applaudit de pouvoir 
la compter entre les parties du butin dont il étoit 
résolu de s'emparer. 

Le soin qu'il eut de faire avertir Pérès qu'il 
avoit reçu les dames , et qu'il nous promettoit 
de les traiter avec toutes sortes d'égards , diminua 
les mortelles alarmes qui ne m'avoient pas donné 
de relâche depuis la perte de ce que j'aimois. II 
se passa quelques fours pendant lesquels je fus 
soutenu par l'espérance. Enfin, les ordres du roi 
étast arrivés , Pérès qui en reçut avis se rendit à 
terre pour apprendre ce que nous avions à nous 
promettre. Ils étoient accompagnés d'une éxpUr 



200 HISTOIRE 

cation qui ne fut pas accablante pour moi seul , 
mais qui ne put Tétre autant pour les trois che- 
valiers que pour moi. Ce prince avoit été promp- 
tement informé que les trois dames étoient tur- 
ques ; elles s'étoient trahies malgré elles par leur 
langage. Il s^excusoit avec plusieurs marques 
d'estime et de bonté pour Pérès , de ne pouvoir 
lui remettre trois captives qui étoient mahomé- 
tanes ; et la demande que le gouverneur avoit 
fait faire en son nom, ne proposant que quatre 
dames à délivrer , la faveur du roi se réduisoit à 
nous accorder TEspagnole. 

Pérès n'étoit pas assez amoureux pour n'être 
sensible qu'à sa propre joie. L'amour lui fit aisé- 
ment comprendre à quel désespoir j'allois me 
livrer en apprenant qu'Helena étoit, non-seule- 
ment oubliée dans les ordres du roi de Maroc , 
mais inconnue au gouverneur , et par conséquent 
demeurée , suivant les apparences , entre les mains 
des corsaires. Il n'osoit s'expliquer ouvertement 
sur les marques qui pou voient la faire recon- 
noitre, sur-tout lorsqu'ayant eu la liberté de voir 
âoa Espagnole » il sut d'elle que par ses conseils 
ma timide maîtresse avoit continué de déguiser 
^on sexe. La réclamer avec trop d'éclat , c'étoit 
Vexposer-à ne jamais sortir des mains de cnux 
^^tti la retenoient » et qui ne découvriroient point 
^a*elle et oit ime des plus aimables filles du 



DO COMMANDECR DE ***. 20I 

inondé , sans prendre pour elle une autre sorte 
d'attachement. Cependant , en suivant les traces 
de tout ce qui nous a voit 'été enlevé, il apprît 
enfin qu'elle avoit été livrée au gouverneur. 
L'embarras ne ccssoit point par ciette découverte. 
Il parut même de fort mauvais augure à Pérès , 
que le gouverneur ne pouvant ignorer les mou- 
vements qu'il s'étoit donnés pour la découvrir » 
eût affecté de garder un profond silence, qui 
ne pou voit partir d'un homme disposé à l'obliger. 
Cependant, ne pouvant pénétrer malgré lui dans 
l'intérieur de sa maison , il fut réduit à lui con- 
fesser naturellement qu'il manquoit quelque 
chose à ses bienfaits, et que pour nous donner 
lieu de louer éternellement sa générosité , il f alloi t 
nous rendre un jeune homme que nous avions 
perdu avec notre vaisseau , et qu'il avoit attaché 
à son service. Pérès s'imaginoit encore que le 
sexe d'Helena pouvoit être ignoré , et qu'il pou- 
voit la délivrer à la faveur de quelques équivo- 
ques. Mais, soit que le gouverneur l'ignorât ef- 
f ecti vement, soit qu'il ne pensât qu'à s'envelopper 
dans une réponse obscure , il marqua beaucoup 
de regret de voir son autorité plus bornée que 
jamais par les derniers ordres du roi ; et pour ce 
qui regardoit particulièrement le jeune homme 
qu'on lui demandoit, il s'excusa par des engage- 
ments qu'il avoit déjà pris pour l'envoyer à la 



)204 HISTOIRE 

contre Tavarice et la perfidie du gouverneur , 
qui s'ëtoitmisen possession de la plus richepartie 
de leur butin, ils m'offrirent de se joindre à moi 
avec tous leurs gens pour nous saisir delà ville; et 
prévenant l'objection qu'ils dévoient craindre na- 
turellement du côté du nombre , ils m'assurèrent 
que les premiers Maures qu'ils avoient attroupés 
en arrivant sur la côte » étoient aussi indignés 
qu'eux de s'être vu enlever la part qu'ils espé- 
roient à leur proie , et que par le penchant de 
tous ces peuples à se révolter , ils étoient disposés 
à s'unir à nous pour s'enrichir par le pillage de 
la ville. 

Ils ne pouvoient me prendre dans un moment 
plus propre àme faire écouter leurs offres.Quoi- 
que je sentisse tout ce qu'il y avoit d'humiliant 
pour moi à me lier avec des infâmes , leurs sen- 
timents et leurs principes m'étoient indifférents 
lorsque je n'avois besoin que de leur courage et 
de leurs armes. Je leur demandai sans délibérer 
à quel temps ils remettoient l'exécution de leur 
d^aseiii. En effet , il n'y avoit que la lenteur qui 
• le faûre rejelter. Tout ce qui pouvoit être 
«ompt qoe le retour de Pérès , avoit des 
les pour mon impatience. Je les fis expli- 
les moyens qu'ils vouloient employer. 
■ent que s'ils étoient surs de moi » ils 
rpient dès la nuit suiviante pour esca- 



DU COMMANDEUR DE ***. 2o5 

lader la yille du côté de la terre, tandis que je 
formerois mon attaque par le port. Les troupes 
que le gouverneur avoit fait marcher contre eux, 
avoient déjà repris leurs quartiers à quelque dis- 
tance. Il ne falloit pas craindre quVl^s pussent 
se rassembler en un instant. Celles de la ville 
étoient en si petit nombre qu'elles ne pouvoient 
soutenir nos premiers efforts. Quatre heures nous 
sufiQsoient pour faire un butin considérable; et 
maîtres des trois vaisseaux qui étoient dans le 
port , sans compter les nôtres , nous pouvions 
les charger de notre proie, en confier la conduite 
à nos plus fidèles compagnons , et partir ensemble 
pour aller faire à Malte , ou à Dulcigno , le par- 
tage de nos richesses. 

Je m'arrêtai aussi peu à Tindignité d'une cons- 
piration qui sembloit nous mettre sur la même 
ligne avec une troupe de voleurs , qu'à Fespé-^ 
rance du pillage, dont ils croy oient me faire un 
puissant motif. Helena m'occupoit seule. Je 
pensois à cet unique trésor ,'et je n'étois effrayé 
que par la difficulté de trouver la maison du 
gouverneur dans ULe ville que je ne connoissois 
point. Les corsaires, à qui je fis cette objection, 
se persuadèrent que c'étoit une espèce de choix 
dulieu que je voulois me réserver pour le pillage; 
etparoissant disposés à ne me rien contester, ils 
me promirent de m'envoyer à leur retour dix 



20G HISTOIRE 

• 

Maures qui me serviroient de guides. Je leur* 
engageai ma parole de commencer mon attaque 
au signal dont nous conyînmes, et ne deman- 
dant point d'autre sûreté dans des pirates que 
le désir de s'enrichir par le toI , je les renvoyai 
fort satisfaits de mes promesses. 

Cependant , à • peine furent - ils partis que 
mille sentiments d'honneur , dont toute la force 
de la douleur et de l'amour ne put me défendre , 
semblèrent me reprocher mon dessein comme 
un crime. Pérès l'approuvera-t-il ? Ce fut la pre- 
mière question par laquelle je mis mon propre 
cœur à l'épreuve. L'idée seule de ce vertueux 
ami étoit capable de me soutenir dans le sentier 
de l'honneur. Mais que fut-ce , en y réfléchis- 
sant davantage , de considérer que dans le voyage 
qu'il avoit entrepris pour mes intérêts^ mon 
téméraire engagement l'exposoit à toute la ven- 
i^eance du roi de Maroc » qui ne pourroit ignorer 
un moment la part que j'aurois eue à la trahison 
des corsaires ? Je ne balançai poiùt sur cette 
réflexion à regretter jusqu'à la moindre idée de 
mon projet, et j'admirai l'imprudente folie qui 
m'avôit rendu capable d'y consentir. Cepen- 
dant , je ne pouvois fenoncèr auâsi à là flatteuse 
espérance que j'avois eue pendant quelques 
moments de revoir Helena dès la nuit suivante. 
Elle me fit examincir du-tnoins s'il étoit impos- 



DU COMMANDEUR DE ***. 207 

aible^ sans prendre part à Tentreprîse des eor^ 
saires , de profiter de Tobscurité et de la confu- 
sion pour renlever. Mais cette délibération me 
fit naître une autre crainte, qui fut bientôt assez 
forte pour me faire reprendre toutes les vues 
que je yenois de condamifer. Les corsaires pou- 
Toîent-ils s'emparer de Trîna et piller la ville , 
sans retrouver Helei>a , sans ia reconnoitre, et 
par conséquent sans Tenlever encore une fois ? 
Qui savoit même de quoi ces brutaux , et les 
Maures qui étoient prêts à les seconder , seroient 
capables dans la chaleur du pillagj^ et du mas- 
sacre ? Ah ! ma vie, celle de Pérès , l'intérêt du 
monde entier, pouvoiént-ils me faire abandon- 
ner une maîtresse si chère aux plus horribles de 
tous les malheurs ? Non , non , ce n'est pas pour 
Pérès que je dois craindre , il a de Tesprit , disois- 
je en moi-même, il a de l'adressé et du courage; 
un homme tel que lui a-t-il des périls à redou- 
ter ? Il trouvera du - moins le moyen de! fuir. 
Mais une fille de seize ans a-t-elle quelqtie res- 
source contre la violence d'une troupe de bar- 
bares ? Et si elle li'est pas secourue par uû amant 
k qui elle a tout sacrifié , de qui attendra-t-elle 
du secours ? 

Je sentois couler mes larmes dans la violence 
de cette agitation ; c^r si je n'étois plus arrêté 
par rinfamie de me joindre aux corsaires^ je ne> 



203 HISTOIRE 

pouvois secouer les remords de Fainitié. Je ne 
communiquai à personne , ni mon trouble , ni 
un dessein sur lequel j^étois encore dans une 
cruelle indécision. Les dix Maures arriyè- 
rent avant la fin de la nuit. Ce fut un mortel 
redoublement d'incertitude. Je fus long-temps 
sans leur parler , et je donnai ordre qu'aucun 
de mes gens n'approchât d'eux. Enfin , formant 
une autre espérance sur quelques idées tumul- 
tueuses qui me passoient dans l'esprit , je me les 
fis amener. Je remarquai d'abord avec joie que 
les corsaires avoient choisi ceux à qui ils avoient 
trouvé quelque connoissance de la langue qu'ils 
appellent Franca. J'avois quelques lumières à 
espérer de leurs explications. Je leur demandai 
s'ils connoissoient assez la ville et la maison du 
gouverneur, pour m'inspirer toute la confiance 
que je vouloisleur accorder; et me persuadant 
par leurs réponses que je pouvois également 
compter sur leurs services et sur la passion qu'ils 
avoient pour le pillage, je leur découvris mon 
nouveau projet , qui étoit de m'emparer à- la« 
yérité de la maison du gouverneur, mais pour 
léorenabandônner lesdépouilles, leur protestant 
que de tout le butin dont je voulois me rendre 
mattre, je ne désirois qu'un jeune esclave Ita- 
lien 9 que je les conjurois de me faire retrouver. 
Vmettois une condition; c'étoit qu'avant la 



DU COIlîMÀNDEaR DE ***• ^09 

fin de la nuit , et lorsque je leur aurols ai^uré lemr 
proie par la force des armes , qUelqu^'un à\f^^ 
tr^eux me ramèneroit au vaisseau avec tous mes 
genSi Je ne sais de quel succès une rësûliitioA si 
mal concertée auroit été suivie, ni même )usqu*à 
quel point j^auroi^ eu à me louer de la iidalité 
des Maures. Mais croyant tout^à-la-fois iqe sau^ 
ver de la hcmle de m'associer aux corsaires y et 
ménager le» intérêts de Pérès en quittant la vHle 
avant le pillage, je raVpplaudis de la facilité que 
)e me promettois déjà dans Texécutioai de mon 
entreprise. 

. Il ne restoît qu^à la communiquer à mes gens. 
Je fis appeler les trois chevaliers , qui eurent la 
complaisance de ne me condamner que par le 
silence avec lequ^ iU reçurent mes ordres^ et 
qui n^en paroissant pas nU)ins disposés à les sui* 
vre , prirent le soin de préparer tout mon monde 
au combat. Nousn^avions pas besoin d'un quarts 
d^heure pour nous rendre à la,\ille, et le vent 
nous promettoit d^étre assez favorable pour 
Tabréger eikcore. Après ai^oîr pris quelques 
heures de sommeil,, je trouvai en me réveillant 
que Taprès-'midi étoit déjà fort avancée, et que 
l'obscurité devant commencer vers neuf heures» 
il m'en restoit à-peine quatre pour achever mes 
préparatifs. J'étois résolu de n'en pas perdre un 
moment, et mon ardeur n'avoit fait qu'aug- 

Prévost, Tome XIII. I4 



2IO HISTOIRE 

menter , avec les forces que je venois de réparer 
par le sommeil. On m'avertit qu'on voyoit pa- 
roître Pérès. Ce fidèle ami qui soufiroit mortel- 
lement du trouble où il ne doutoit pas que sa 
lettre ne m'eût jeté, avoit fait en vingt-quatre 
heures plus de cent lieues , et revenoit avec 
toute la joie qu'il s'attendoit de me causer par 
les plus heureuses nouvelles. Le roi de Maroc , 
sensible au plaisir de le revoir, lui avoit non- 
seulement accordé la liberté d'Helena ; mais ap- 
prenant notre aventure , et la conduite du gou- 
verneur, il l'avoit chargé lui-même d'un ordre 
qui portoit la restitution de notre vaisseau, à la 
seule condition de composer avec les corsaires, 
pour leur faire trouver aussi quelque faveur 
dans l'asile qu'ils avoient cherché sous sa pro- 
tection. Pérès lui avoit offert généreusement de 
s'en tenir à notre première proposition ; mais ce 
prince avoit réglé lui-même que uou^ abandon- 
nerions aux corsaires la moitié de leur proie. 
Avec cet heureux fruit de son voyage , Pérès 
mpforîoit d'autres éclaircissements , qui n'é- 
c'pu moins avantageux pour ses propres 
Is. H avoit appris de toute la cour et du 
me» qne peu de semaines après son pre- 
irt de Maroc , il y étoit arrivé quelques 
da gpaverneur d^Oran., qui venoient 
ML libère et le prix de sa rançon. Le 



DU COMMANDEUR.de ^^*. 2H 

Irouvant parti, ils avoient marqué d'autant plus, 
de regret de ne le pas rencontrer , qu'ils avoient. 
ordre de lui annoncer qu'en faveur de ses ser-. 
vices, la cour d'Espagne, à la sollicitation du 
gouverneur d'Oran , qui les avoit fait valoir , 
lui accordoit sa grâce avec la restitution de tous 
ses biens , et prenoit sur elle les frais de sa ran- 
con. Ainsi Pérès se trouvoit à la fin de ses infor- 
tunes, et ce n'étoit plus que le zèle de l'amitié, 
qui l'amenoit à Trina , pour finir ou pour par- 
tager les miennes^ 

Il m'embrassa avec transport , en mettant le 
pied dans le vaisseau ; et sans remarquer mon; 
trouble, qu'il n'auroit pu, d^ailleurs, attribuer 
qu'aux sujets de douleur qu^il m'avoit laissés 
à mon. départ^ il se hâta de me raconter ce qu.'ilj 
crut le plus propre à rétablir ma tranquillité. 
Je fus sensible , sans doute , à son récit; mais ne 
pouvant éloigner de mon imagination le péril. 
d'Heleuja , je conservois un reste d'embarras dont 
il s'aperçut; et Hû épargnant même de m'en, 
demander la c^use, je lui appris sans détour la< 
conspiration des corsaires et la part que l'intérêt 
de ma maîtresse m'avoit forcé d'y prendre. Il 
frémit de cette nouvelle. Sa surprise n'étoit 
point que l'amour eût été capable de m'engager 
dans une «i horrible résolution , ni sa douleur, 
que je n'eusse point assez considéré le péril ai^* 

14* 



212 ' rfisrtorKB 

qtiel ri atiroît pti se frotfver exposé; maïs la re- 
cômioîssance dont îïnotrs croyoît redevables au 
l'aï de MaT*oic , Itri fit regarder mon entreprise 
cotMtkt vtà: ct'îiîie monaferueùx , et me déclarant 
qu'il falloît soteger plutôt à d'éfendre Trâact le 
^arernetrr, il me conjuria dans les term^ les 
plus pressant» d'abandonner vttte résolution qui 
nous couVrîroît d'nil éternel Opprobre, jfe ne 
résistai pas^ un mùmfent à ses înstanees. Cepen- 
dant, lui ayant appris combien le temps étoît 
cber , il me fit consentir à me rendi^e sur-le- 
champ à Trina , pour découvrir au gouverneur 
rînsulte dont ri étoit menacé , et Taider , s*il étoit 
nécessaire ^ âes armes de nos gens et de ses pro- 
pres bras, k repoussiér urre si dangereuse atta- 
que. Il voultrf que les dix Maures fussent gardés 
à vue , et qu*atr-lieu de descendre daùs la cba- 
Toupe , BOUS notfs approchassioârs du rivage 
àiec notrie vaisseau. 

Lai ddctl!?lé que j^ëris à suivre tous ses con- 
^ê lui fit eiïblier moù ifflpmdence. Nous ne 

■ 

]^érdtAé9 ptfs tin fÈlcIment potir gagner la terre. 
^tMlqtLe JtlàÂtte que notre appv-oche répandit 
éàni^ le pttttf elle cessa éd le voyant- paraître. 
, Ott éuAt déjà A bien informé dé racctieil fàvo- 
\^ jMble qùH avoH reçu à Itt eotir, que tous les 
MiÉKtti^ ^eirtptessoient de lui maii'quer du res- 
pect. Nous latissftmes nos gens dî^jilosés au com* 



DU COMMANDEUR DE ***. 2l3 

bat; et n^ayant appris mon premier desçei^ 
qu^aux trois ch^yaliei^s , je n^eus besoin ^ue 
d'un mot pour leur déclarer ^u'il étoit changé. 
Le gouvernev^r , à qui Pérès n avoit expliqué 
qu'à demi les ordres du roi , fut surpris de Tair 
empressé avec lequel il nous vit arriver. Mais 
quelle fut son inquiétude au récit du danger 
qui le menaçoit ? Il se crut perdu* A - peiné 
a voit - il dans la ville deux cents hommes de 
troupes réglées. Ses fortifications étoieutXoiUes; 
et l'heure dvi péril étoit si peu éloignée , qu'il 
ne voyoit rien à espérer de la prudence. Cepeii- 
dant la promesse de notre secours le rassuriat. 
Les Maures connoissent la valeur des chrétiei^s,; 
et soixante soldats tels que nous lui représe^-* 
tâmes les nôtres , lui parurent ime Armée. P^rc^ 
ne laissa point de l'eis^hoi^ter à.ras^embler parmi 
les bourgeois tous ceux qui lui p^roitjlfoie^t 
propres à se servir d'une épée; et daus moius 
d'une heure nous vîpcies autour, du châjbeau en- 
viron trois cents hommes qui pouvoient £gurer 
du-moins par le nombre. 

Mais au milieu de ce mouvement .j'é):pîsag^té 
de deuLx soins, que je communiquait Perès^I^ 
premier pou voit être aisément di(Ssipé;,et je i^e 
doutai point qu'il n'eût aussitôt cette complai- 
sance pour moi. Dans l'incertitude du succès de 
notre défense , je lui proposisii de nous faire^ 



2l4 HISTOinÉ 

rendre Helena avant Tattaque , et de la faire 
conduire à bord, où elle seroit du-moîns plus 
sûrement avec l'Espagnole. Ma seconde diffi- 
culté regardoit les corsaires même , à l'égard 
desquels j'allois me rendre coupable d'une in- 
fidélité qui surpassoit peut-être la faute que 
j'avois commise en me liant avec etrx. Il n'étoit 
pas question d'examiner si c'étoient des infâmes. 
Je leur avois engagé ma parole ; et si l'honneur 
m'ordonnoit de les priver du secours que je leur 
avois promis, m'autorisoit-il à tourner contre 
eux mes armeset cellesdemes gens? Pérès jugea 
que la sûreté d'Helena demandoit qu'elle fût 
conduite au vaisseau. A l'égard des corsaires , 
il me parut qu'il n'auroit pas balancé non plus 
à recônnoitre la justice de mes scrupules , si la 
ne'i^sité ne nous eût fait comme une loi de 
les étouffer. Cependant , après les avoir pesés 
long-temps, il crut trouverun tempérament qui 
pouvoit mettre mon honneur à couvert. Ce fut 
de faire avertir les corsaires , que non-seulement 
j'abandonnoîs le dessein de les seconder , mais 
qu'ayant dés propositions avantageuses à leur 
faire, je demandois iqu'ils me députasseift deux 
de leurs chefs pour les recevoir. Il lui parat 
inéme ii^itile de communiquer cette démarche 
au gouverneur; et comme il pouvoit arriver 
que , loip de garder quelque modération , ces 



DU COMMANDEUR DE **'^. 2x5 

brigands n*en devinssent que plus furieux , il 
jugea que ce dey oit être un des dix Maures du 
vaisseau, que je deyois charger de ma commis- 
sion , après lui avoir fait observer que nous 
avions mis la viHe en état de se défendre. Il étoit 
huit heures ^ et le jour commençoit à baisser. 
Ma crainte étoit que la fureur des corsaires ne 
nous laissât point le temps d^exécuter nos réso- 
lutions. Je fis venir néanmoins un des dix Maur 
res, à qui je comihandai de faire la dernière 
diligence» Et revenant à la nécessité de conduire 
Helena au vaisseau, je pressai Pérès d^en faire la 
proposition au gouverneur. Mais autre sujet d'a- 
larme. Ce perfide se trouvant offensé du parti 
que Pérès a voit pris de s'adresser à la cour , et 
n'osant abuser néanmoins du pouvoir qu'il avoit 
sur Helena y Tavoit fait partir pour Maroc dans 
Tabsence de mon ami. En nous faisant cette 
déclaration , il afiecta de justi£er sa conduite 
et de nous rassurer contre toutes sortes de crain- 
tes. Après l'avoir promise à l'empereur ^ nous 
dit-il, je ne pouvois me dispenser de l'envoyer 
promptement à sa cour, et je me flattois même, 
eontinua-t-il en s'adressant à Pérès , qu'elle y 
seroit aussitôt que vous. Mais votre diligence a 
trompé toutes mes mesures. Ne vous défies 
point , ajouta-t-il , de la générosité^de mon mai- 
tre, qui n'est point capable de rétracter une 



fil6 HlSTOtHE 

faveur après Tavoir accordée. Le traître uenous 
eût point donné cette espérance s'il l^eùt crue 
aussi infaillible qvCil nous la yantoit. Dans le 
premier mouvement de mon indignation » je 
i^grettai d^avoir abandonné mon dessein , et je 
Taurois renouvelé au mépris de toutes les in- 
stances et de toutes les considérations de Pérès ^ 
si mon emportement ne m'eut laissé assez de 
raison pour comprendre que j'allois m'ôter 
toute espérance de faveur du côlé de la cour, 
Pérès qui remarqua mon trouble , et qui en 
redouta les suites » me fit faire lui-même cette, 
réflei^ion. Je me fis une mortelle violence pour 
modérer mon ressentiment jusqu'à Tatrivée du 
M^ure. 

La réponse des corsaires fut plus ferme que 

je ne m'y attendois. Us me faisoiqnt faire un 

reproche amer de ma frayeur ou de mon in- 

cpnstanee , et n'en paroissaot pas moins résolus 

.de se faire justice par les armes , ils me décla- 

roieut qu'ils étoient aussi peu capables de se 

laisser tromper par l'artifice qu'intimider par 

leBimenaoes ou par la force. Cette bravade irrita 

iPeràa. iUi ipe cinit .dégagé de tous les scrupules 

pûcmffrvôieni: arrêté ; et jugeant que, dans quel- 

[De dessein ique . nos ennemis persistassent» il 

0âBS:seroit:plua aisé de les mettre à la raison en 

leine campagne qu'en les attendant dans nos 



DU COMMANDEUR DE **'^. 21J 

murs , il fut d'avis de les préveaii* par une 
prompte et vigoureuse attaque. La chaleur où 
j'étois encore m'auroit fait goûter toutes les pro- 
positions de combattre. Nous sortîmes avant que 
la nuit fût obscure. Nos ennemis , qui étoient à 
peu de distance , ne furent point déconcertés 
de notre approche. Ils essuyèrent du-moins nos 
premiers coups; mais Vimpétuosité de nos gens 
eut bientôt jeté Pépouvante parmi les Maures. 
Nous leur vîmes prendre la fuite avec autant de 
lâcheté qu'ils avoient -marqué de présomption. 
Quelques corsaires , qui se défendirent pluà 
courageusement, furent pris les armes à la main. 
Je me crus obligé à quelques sollicitations pour 
leur sauver la vie. Mais Pérès les crut indignes 
de quartier. Il fit allumer un grand feu , à la 
lumière duquel ils furent pendus sur le champ 
de bataille. 

Nous passâmes toute la nuit dans le inépcie 
lieu. Le lendemain ayant fait divers détache- 
ments pour battre la campagne , nftus vfùmes 
assurés qu'il ne nous restoit plus d'ennemis à 
combattre. D'ailleurs, les troupes que le gou- 
verneur avoient mandées , se trouvèrent ras* 
semblées avant le milieu du jour , et nous nous 
vîmes assez forts pour n'avoir plus rien à crain- 
dre de sa surprise. Pérès n'attendit point que \e 
lui proposasse de retourner à la coor. Il partit; 



/ 



2l8 HISTOIRE 

et rien n^égalant sa diligence , il fit le voyage 
en quatre jours. Mais au-lieu de me ramener 
Helena , il m'apportoit un ordre de me rendre 
moi-même à Maroc. Le roi, charmé de la jeune 
Italienne , avoit témoigné quelque désir de la 
conserver, sur-tout en apprenant de Pérès même 
que ce n'étoit point à lui qu'elle avoit appar- 
tenu. Mon généreux ami avoit employé toutes 
ses instances pour obtenir qu'elle me fut resti- 
tuée , et rhistoire de ma passion n'avoit pas été 
sans force pour toucher le cœur du monarque. 
Enfin, se laissant fléchir par ce récit, il avoit 
souhaité pour unique satisfaction de voir en 
faveur de qui il exerçoit sa bonté; et Pérès , qui 
jugeoit de moi par les yeux de l'amitié , s'étoit 
persuadé que ma présence ne pouvait servir 
qu'à le confirmer dans cette disposition. 

Le service que nous avions rendu à la ville 
ne npus laissant rien à craindre pour notre 
vaisse'au, nous prîmes le chemin de Maroc, 
avec une luite composée de l'élite de nos gens. 
Le bruit s'étoit déjà répandu que nous avions 
sauvé Trina du pillage, et nous nous en res- 
sentîmes sur la route par les caresses que nous 
reçûmes des Maures. Mais en approchant de la 
capitale» une trahison contre laquelle nous n'é- 
tions point en défense , nous exposa au plus 
triste dé tous les malheurs» Vingt-cinq ou trente 



DU COMMAÎSDE^UR DE ***. 219 

de nos corsaires qui s'étoient rassemblés , avé<5 
'qiielq[iies habitants du pays qu*ils avoient pris 
pour leurs guides, nous surprirent dans un lieu 
fort désavantageux, et nous tuèrent six de nos 
gens avant que nous eussions le temps de nous 
recoHnoître. Nous sentîmes, Pérès et moi, tout le 
besoin que nous avions de notre courage. .S*il 
fit des prodiges de valeur , je ne fus pas moins 
heureux à le seconder, et le reste de nos soldats, 
qui étoient véritablement à toute épreuve , 
se conduisit avec tant de prudence et de réso- 
lution , que nous fîmes perdre à nos ennemis 
Tespérance de nous vaincre. La mort de nos six 
hommes et de deux autres qui eurent ensuite 
le même sort, étoit déjà vengée par celle de 
^ingt-deux de nos assassins. Le reste de ces mi- 
sérables prit la fuite , et nous ne nous arrêtâmes 
point Ion g- temps à les poursuivre. Mais entre 
les morts qui étoient restés sur le champ de ba- 
taille , je reconnus un des corsaires qui étoient 
Tenus me proposer le pillage de la ville , et qui 
conservoit encore un reste de vie. Je Tinterro- 
geai sur le dessein qui avoit rassemblé sa troupe, 
et qui Tamenoît si proche de Maroc. Il me ré- 
pondit , en me demandant la vie pour prix de 
sa sincérité, que leur espérance étoit de trouver 
quelque occasion de réparer leurs affaires par 
le vol dans le voisinage de la capitale; et qu'ayant 



220 UISTOIRS 

appris de quelques Maures qu^ils aTOÎent ren^ 
cotttrés, que nous ëlioDSSur la même route , il$ 
avoient pris la résolution de uous attaquer^ 
pour venger leurs compagnons 9 et de nous ôter 
la YÎes^ils le pouvoient pai* le même supplice. Je 
lui tins parole , en le faisant porter dans une 
maison qui se trouva sur le chemin , où je don- 
nai quelque argent pour le faire traiter. Cet 
homme ûi dans la suite pour mon honneur au- 
tant que j^avois fait pour sa vie. 

Cependant nous arrivâmes aux portes de Ma- 
roc , d'où Pérès se détacha pour obtenir la per- 
mission d y entrer avec nos gens. Cette précau- 
tion n'étoit qu'une déférence volontaire, caries 
habitants, qui étoient déjà informés de Tobli- 
gatioQ qu'on nous avoit-à Trina , nous reçurent 
moins avec la haine qu'ils portent aux chrér- 
tiens, qu'avec la tendresse qu'ils croyoienf de- 
voir à leurs meilleurs amis. Nous obtînmes le 
même accueil à l'entrée du palais. Pérès, qui 
vouloit me faire paroitre avec quelque dignité, 
avoit recommafidé secretlement à nos gens de 
me rendre les marques d'honneur qu'il croy oit 
propres à faire le plus d'impression sur les 
Maures. Il me montra don Antonio , son ancien 
rival et son mortel ennemi , qui , ne pouvant évi- 
ter de paroitre devant nous, par les devoirs d'un 
emploi- que de nouvelles lâchetés lui avoient 



DO COMMANDEUR DE ***. 221 

&it obtenir , s^eSbrçoit néanmoins de se dérober 
à nos yeux en tenant la tête incessamment tour- 
née. Pérès ne se dëfioit point que la hatne de ce 
renégat nous préparât encore un cruel obstacle, 
lïous fûmes introduits à Taudience du roi , qui 
nous traita Tun et l'autre avec beaucoup de dis^ 
tinction. Mais après m'avoir interrogé long- 
temps sur tes circonstances dé^on amour et de 
mes aventures 9 il me dit qu'en promettait à 
Pérès de me rendre Helena , il a voili ignoi^é que 
je fusse d'une profession qui li^'interdtsoit le 
commerce des femmes ; que sî c'étoit un crime 
pour moi de viôïer mes engagements, il ne 
voyoit point comment il pouvoît éviter lui- 
même de se rendre fort coupable en me donnant 
Foccasion et le pouvoir de satisfaire d'injustes 
désirs; et qu'aprèsr bien des rétlexions, il s'é(oîlr 
déterminé à m'offrir tout ce qui me paroJtroît 
propre à me dédommager d'un bien qu'il se 
croyoît obligé de retenir. 

Pérès, presque aussi troublé que moi d'un 
discours si peu prévu, rappela tout ce qu'il 
avoit d'esprit et de hardiesse, pour faire sentir 
au roi que sa parole étoit indépendante de mes 
devoirs , et qu'ignorant , d'aillenrs , qtiel5 étoiértt 
mes desseins pour Ta venir , un prétexte si foiblc 
ne ponvoit justifier son changement. Il me con- 
yètioit si peu d'ouvrir la bouche pour ma propre 



222 HISTOIRE 

défense , que j^eu abandonnai le soin à mon ami ;. 
sans compter que , dans la consternation où j^é* 
tois , j^aurois tiré peu de secours de mon esprit 
et de mon éloquence. Cependant^ après avoir 
fait valoir ]a difficulté par de nouvelles raisons,, 
le roi changea de discours avec autant d'indifïë- 
rence que s'il eut regardé la question comme 
décidée. Pérès vÊe conjura, en françois, dene 
m'échapper à rien qui pût rendre sa négociation 
plus difficile; et, suivant ce prince dans ses 
jardins, il continua de se prêter à tous les sujets 
dont il lui plut de Tentretenir. Pour moi , qui. 
ne me sentis point la force de faire le sacrifice 
de ma douleur à la complaisance, je rejoignis 
mes gens, sans savoir ce que j'allois devenir 
avec eux. Mais un )officier , qui avoit déjà reçu 
Tordre de nous loger , s'offrit de me conduire 
au lieu qui m'étoit destiné , et répondit à la. 
crainte que je lui marquai de ne pas retrouver 
aisément mon ami , qu'on auroit le même soin 
pour lui lorsqu'il sortiroit du palais. 

L'espérance de Pérès , en s'attachant à suivre 
le roi étoit, non-seulement de le rappeler à ses 
promesses, et de lui reprocher une infidélité si * 
honteuse 9 mais de savoir de lui-même qui nous 
devions accuser de notre disgrâce. Quoiqu'il fût 
naturel de penser que c'étoit un crime de l'a- 
mour , il se persuada que le perfide Antonio 



DU COMMANDEUR DE ***. ; 223 

y avoit eu quelque part, et cette pensée fit 
renaître toute son indignation contre un ennemi 
si méprisable* Dans le temps qu^il s^occupoit ainsi 
de mes intérêts , la même idée me vintà Tesprit. 
Elle me fit former aussitôt les plus furieux pro- 
jets de vengeance. Je ne contins point assez mon 
ressentiment pour n'en pas communiquer une 
partie à Tofficier qui me conduisoit , et sa ré- 
ponse flatta la violence de mes transports. Il pa- 
rut charmé de pouvoir se livrer à la haîne et au 
mépris qu'il portoit à don Antonio. Ces deux 
seatiments , me dit-il , étoient ceux du public , 
qui n'avoit vu qu'en gémissant un homme si vil 
et si odieux emporter, par les plus honteuses 
bassesses, des biens et des emplois qui avoient 
été refusés au mérite. Et , sans savoir ce qui ani- 
moit contre lui ma colère , il me garantit le suf- 
frage et l'appui de tous les honnêtes gens dans 
tout ce que j'entreprendrois pour sa ruine. Nous 
n'avions pas quitté cet entretien , lorsque Pérès, 
arrivant du palais , confirma mes soupçons par 
les lumières qu'il venoit de recevoir. Il avoit eu 
l'adresse de tirer de la bouche du roi même l'a- 
veu des mauvais offices qu'Antonio nous avoit 
rendus. Ce n'étoit point contre Pérès que sa ma- 
lignité osoit s'exercer. Le passé Tauroit rendue 
suspecte ; mais jugeant les intérêts de mon ami 
communs avec les miens , il avoit entrepris de 



224 HISTeiRE 

}e cl>agriûér ^n causont ma honte ou ma p^érte. 
Enfin ^ profitatit de TkiefiiKitioo cf u^il avoît re- 
marquée à soti ms^ttre pour tiéletnB ^ il lai ayoit 
persuadé de me proposer raUemative , ou de 
renoncera ma maii^eâs» par les raisons que j^ai 
rapportées , ou d*ett»brasser le mahométisme 
pour m'en asé^orer 1« f ossessiou. 

Pérès sijCm^SLf méanmcHns, qu'il ne désespëroit 
pas de ramener Fesprit du roi. Il avoit observé 
que c'élôît moinis une passion qu'un goût pour 
la figure et les agréments d'Heletia , qui lui fai- 
soit sonhaiter de la retenir dans son sérail , et 
l'alternative même k laquelle il se réduisoit vo- 
lontairement ne marquoif point des désirs bien 
empressés. Qnoique je distinguassfe assez dans 
ce discours ce qui ne devoit être attribué qu'au 
désir de me cOnSoler, fe me remis de toutes mes 
espérances au 2è)eet à la tendresse de mon ami. 
Il rejeta la proposition que je lui fis de tenter 
l'enlèvement d'Helena. Songez , me dit-il , que 
nous sommes éloignés de la mer, et que le pas- 
sage ne nous seroit pas libre à Trina. 11 ne goûta 
pas davantage le dessein que je lui marquai de 
me venger d'Anloniô parles armes. C'étoit irriter 
le roi ; et quelle utilité avois-je à recueillir du 
' sang d'un lâche et d'un perfide ? Mais il me con- 
seilla de surmonter, au contraire, tous mes 
ressentiments, et de paroitre k la cour avec un 



/ 



DU COMMANDEUR DB ***. 125 

nir de politesse et de satisCaqtion , qui pût me 
concilier là bien veillance du roi , et restime de 
lous les grands. Sans m^expliquer ses principales 
vues , il m*assura qu'il avoît en réserve une voie 
qu'il ne vouloït tenter qu'à rextrémité , , mais 
dont il croyoit le succès infaillible. 

La nécessité me força de me rendre à ce coo^ 
seil , autant que la confiance dont je ne pou vois 
manquer pour Pérès. Les soins que je pris pour 
plaire me réussirent mieux que je n'avois osé 
l'espérer. Je me vis bientôt recherché et caressé 
de toute la cour. Le roi même prit pour moi un 
goût qui se.déclaroit continuellement par l'hon- 
neur qu'il me fàisoit de m'admettre à touls ses 
plaisirs. ïl me parloît souvent d'Helena , et je 
commençai enfin à bien augurer de l'amusement 
qu'il se faîsoit de me tenir dans l'incertitude, 
en mè donnant quelquefois à chercher un. troiy 
sième parti entre les deux qu'il m'a voit proposés. 
Maïs cette familiarité et le bruit qui s'étoit ré- 
pandu de son alternative, produisit un funeste 
effet sur mon honneur. Nous avions laissé nos 
trois chevaliers à Trina avec deux tiers de nos 
gens. Ils apprirent avec la promptitude ordi- 
naire de la renommée, et peut-être par la mali- 
gnité d'Antonio^ que le roi m'avoit proposé 
d'embrasser sa religion , et cette nouvelle pre- 
nant bientôt un autre tour dans la bouche du 

Prévost. Tome MIL z5 



±26 HISTOIRE 

public 4 on conclut du long séjour que je faisoîs 
k Maroc 9 et des caresses que j'y recevois de toute 
la cour , que j'avois sacrifié ma religion à Ta- 
mour. Les trois chevaliers ne purent entendre 
ce récit sans' indignation. Trop prompts à le 
croire , ils prirent ensemble la résolution de se 
dérober secrettement avec mes gens et mon vais- 
seau, et ils allèrent porter à Malte Taffreuse nou- 
velle de mon changement. 

Nous apprtmes leur départ sans en soupçon*- 
ner la cause; et Pérès » aussi piqué que moi de 
leur trahison , ne put Tattribuer d'abord qu'à 
Fimpatience qu'ils avoient eue de quitter un lieu 
barbare où nous paroissions nous oublier. Mais 
]è reçus ce triste éclaircissement du corsaire à 
qui j'avois conservé la vie sur la route de Maroc» 
tetqui, s'étant heureusement rétabli , ne trouva 
point de ressoiurce plus sûre que de venir m'of- 
frir ses services. Je les acceptai , sur l'apparence 
qu'il portoit d'un soldat intrépide, et l'ayant 
envoyé aussitôt à Trina pour approfondir les 
motifs et la conduite de nos fugitifs, «il me rap- 
porta ce qui n'y étoit plus ignoré de personne | 
que les chevaliers s'étoient emportés contre moi 
avec tant de violence, que le gouverneur, irrité 
de leurs discours , qu'il prenoit pour autant de 
blasphèmes, leur avoit ordonné de se retirer 
dans leur vaisseau ; qu'ils avoient mis à la voile 



DU COMMANDEUR DE ***. 227 

le jour suivant, et que personne ne s^ëtôit mêlé 
de les arrêter. 

Toute la force de ma passion ne m^empêcha 
point de sentir Timportance de ce mal-entendu. 
J*en marquai mes alarmes à Pérès. Il eonfôssa 
qu*il ne poutoit m'arriver rien de plus cruel , 
et pensant aussitôt au remède, il n'en vit point 
d'autre que de hâter notre départ, pour aller 
détruire nous-mêmes un bruit qui lui étoit aussi 
injurieuiL qu'à moi. Mais il comptoit en même- 
temps que ma faiblesse ne me permettroit point 
de partir sans Helena. Il me le proposa néan« 
moins, avec la promesse de revenir aussitôt sur 
nos traces. Comptez , me dit-il , qu^ici , non plus 
que dans les autres parties du monde , on n'ar« 
rache {>oint les faveurs d'une femme par des 
moyens violents. L'âge du roi, d'ailleurs, setnble 
vous garantir qu'il ne prendra point pour Votre 
maîtresse une passion qu'il n'a pas conçue dès 
le premier moment. Il a mille femmes dont il 
ne fait pas plus d'usage. Vous retrouverez He* 
lena dans l'état où nous la laissons. Ces raisons 
avoîent pu modérer mes craintes depuis que je 
l'avois perdue , et le fond que je faitois sur sa 
tendresse avoit toujours éloigné des idées qut 
n'auroient été que trop propres k me jeter dans 
l'extrémité du désespoir. Mais je me considérois 
ici beaucoup moins qu'elle, Quand j'aurois pu 

i5* 



228 HISTOIRE 

me résoudre à quitter ua pays où je la laissoif 
au pouvoir d'un autre , je me reprësentois quelle 
seroit sa consternation et sa douleur en appre- 
nant mon départ, el je prévoyois que si Ton you- 
loit entreprendre quelque chose sur son cœur » 
ce seroit de mon absence qu'on se feroit contre 
moi les plus fortes armes. Les corsaires m'avoient 
paru bien moins redoutables pour elle , qu'une 
cour où Ton n'étoit point sans politesse et sans 
galanterie. L'intérêt de ces brigands étoit de la 
conserver , suivant leur usage, pour en tirer un 
plus grand prix de ceux qui l'auroient achetée 
de leurs mains ; au-lieu qu'en supposant le roi 
revenu des plaisirs de l'amour, comme son âge 
devoit le faire penser, j'avois à craindre autant 
de rivaux qu'il y avoit de seigneurs galants à la 
cour. Non, non, dis-jeà Pérès, vous ne me for- 
cerez point de m'éloigner d'Helena. Vous m'ai- 
mez ; vous ne voulez pas me réduire au désespoir. 
Trouvons quelque voie qui puisse accorder 
l'honneur et l'amour. Demeurez donc seul ici , 
reprit- il , tandis que je ferai le voyage de Malte, 
et que j'employerai toutes sortes de moyens pour 
vous justifier. J'interrompis ce cher ami : Ah ! 
vous ne m'abandonnerez pas, lui dis-je, dans les 
circonstances de ma vie où le secours de l'amitié 
m'est le plus nécessaire. Vous ne partirez point 
sans Hclenaet sans moi. Vous l'obtiendrez du 



DU COMMÀNDl^UR DE ***. 229 

roi qui vous aime. Vous me la rendrez, et vous 
me serez plus cher que jamais. Je Tembrassois 
en lui parlant avec cette ardeur. Ne voyez- vous 
pas, continuai-je , que notre seul retour à Malte 
fera tomber tous les bruits qui auront blessé 
notre honneur ? Pérès m'interrompit à son tour. 
Il est toujours cruel, me dit-il, qu'ils ayent pu le 
répandre ; le meilleur remède suppose un mal 
qu'il auroit été plus heureux d'éviter. D'ailleurs, 
je cesse de vous flatter, reprit-il, et je veux que 
vous connoissiez votre situation. Je me croyoîs 
sûr de la liberté d'Helena , et le roi se défendoit 
si fôiblemept que je touchois au fruit de toutes 
mes instances , lorsque Antonio l'est venu ruiner 
par ses pernicieux conseils. En louant la généro- 
sité de ce prîtice , qui consentoit à se priver d'un 
objet agréable pour satisfaire deux étrangers 
qu'il estime , il lui a représenté que cette grâce 
méritoit d'être attendue , et qu'il gagneroit dou- 
blement en nous retenant» à sa cour avec Helena. 
Il a fait notre éloge. Il a promis au roi qu'en 
passant quelques années à Maroc , nous y laisse- 
rions des traces de notre séjour par une infinité 
de bons usages que nous ne manquerions point 
d'y introduire. Enfin , il lui a fait un portrait si 
flatteur de notre mérite, que les louanges de ce 
malheureux nous deviennent aujourd'hui plus 
funestes que sa h'ÂÎae. Aussi viennent-elles de la 



23o HISTOIRE 

même source 9 ajouta Pérès, et je me défie plu» 
que jamais de ce que tant d^artifice nous pré- 
pare à Tayenir. 

Cependant , reprit-il encore , nous nous voyons 
comme fixes dans cette ville , aussi long-temps 
du-moins que vous ne serez point capable de 
partir sans être accompagné d'Helena. Le roi 
m^a même fait entendre que , n'espérant plus de 
TOUS engager dans sa religion , il vous accorde- 
roit volontiers la vue de votre maîtresse, à la 
.seule condition que nous passerions quelques 
années à sa cour. Tout me paroissoit si cruel 
dans cet éclaircissement, j'y trouvois tout si ter- 
rible, et pour Tamour et pour Tbonneur, que^ 
m'abandonnant .à la fureur dont je me sentois 
eilflammé contre Antonio, j'en tirai assez de 
force pour cacher mon dessein à Pérès. Voyez 
le roi, lui dis-je, en étouffant dans mon cœur 
tous les transports qui cherchoient à éclater, 
pressez-le avec tout les droits que vous donne sa 
faveur. Méditez bien sur une situation si délicate 
avant que de m'expliquer vos derniers conseils. 
Je suis résolu de les suivre. Si je ne lui promet- 
tois rien de contraire à mes sentiments, j'étois 
bien éloigné de lui découvrir tout ce qui se pas- 
soit dans mon ame. La vetigeance m'occupoit 
uniquement. J'^étois résolu de chercher Antonio , 
et d'éteindre tous mes ressentiments dans le sang 



} 



DU COMMANDEUli DE ***. 23l 

de ce perfide. La haîne publique dont je le savoir 
chargé, me garjantissoit autant d'apprpb^tel^^$ 
qu'il y avoit de courtisans à Maroc. Ge il'^t 
point, d'ailleurs , ma raison et ma prudence que 
je cherche à justifier, puisque tous le^^môuve-f 
ments dont j'ëtois agité étoient autant d'égaré^ 
ments et de transports. 

Je quittai Pérès avec une espèce de calme, 
dont il n'y avoit qu'un excès de passion qui pût 
me rendre capable» Je connoissois la demeure 
de don Antonio; j'allai seul observer sa porte* 
J'y demeurai long-temps à l'attendre; et le voyant 
sortir, enfin , avec une suite nombreuse, je m'ap-* 
prochai d'un air tranquille pour le rassurer 
conire toutes les craintes qui saisissent le cœur 
d'un lâche. Mon espérance étoit de Tengager-^^ 
faire un tour de promenade s^vec moi , et de pren^ 
dre le premier moment où j e pourrois ine trouver 
àl'écart. Mais àlapremière proposition quefe lui 
fis de l'entretenir, il me pressa d^entrer chez lui^ 
où j'aurois une parfaite liberté. Je me repentis 
de m'étre ouvert trop tôt^ et, ne pouvant appoir- 
ter que de mauvaises excuses, je pris le parti d^ 
le suivre. La vue de son jardin, qui se présentojt 
en entrant, me rendit respérance. Je le priai de 
m'en faire connoitre les beauti». Mais peu atten- 
tif à ce qu'il s'empressa de me montrer, je ne 
cherchois qu'un endroit quLplût à ma ftoeu^. 



dSi HISTOIRE 

Je crus Tatoir Iroùvé derrière une charmiîlle 
fort épaisse. Défends-toi , traître , lui dis-je , en 
mettant le sabre à la main ; c^est ici que tu rece- 
Tras le châtiment de tous tes crimes. Il demeura 
tremblant à me regarder. Défends-loi, repris-je» 
et n Vpère aucun quartier : il faut que tu meures ; 
choisis de périr en l&che ou de te défendre en 
homme d'honneur. Son épouvante redoubloit 
jusqu'à lui ôter la force de repondre. Peut-être 
se flattoit-il de me faire rougir de mes propret 
avantages, et d'obtenir grâce de la honte que je 
devois ressentir de tuer un ennemi si méprisable. 
Mais le transport où j'étois me rendoit le cœur 
incapable de compassion. Je Taurois mis en piè* 
ces, s'il'n'avoit employé que sa lâcheté pour me 
toucher; je l'en lùenaçois d*une voix terrible. Il 
se jeta à mes genoux; et tirant de son sein une 
petite croix qu'il m'offrit en allongeant le bras , 
il me conjura par ce signe de la religion de lui 
accorder la vie, ou le temps de se préparer à là 
mort. Je ne sais quel nom je dois donner à l'im- 
pression que ce spectacle lit sur moi. Mon res- 
pect pour la religion n'étoit pas lé plus vif de 
mes sentiments. La chaleur de mon âge, les pas- 
sions qui. me ty rannisoient , mille habitudes fort 
opposées aux idées communes de la religion ne 
me disposoient pas beaucoup à me laisser vaincre 
OU attendrir par ^ v^ie d'un crufcifix^ Cependant 



DTJ COMMàNDEUH DE ***. 233 

je demeurai comme immobile à ce spectacle; et 
laissant ' tomber le bras dont je soutenois mioa 
sabre, je m'attachai quelques moments à consi- 
dérer un malheureux , dont la piété même me 
sembloit le comble de sa lâcheté. Ce fut de cetta 
idée que je pris occasion de lui reprocher son 
infamie. Misérable ! lui dis- je ; eh ! qui te force 
de vivre dans une religion que tu dois détester 
si tu es chrétien dans le cœur? ou de quel front 
m'opposes-tu des armes si respectables , si tu es 
tel que ton habit et ta situation portent à le 
croire? 11 gardoit un silence qui venoit de sa 
frayeur beaucoup plus que de sa honte; et ma 
fureur reprenant son cours , quoiqu il conti- 
nuât de me présenter des deux mains son cru- 
cifix, sous lequel il se tenoit comme à couvert* 
je lui aurois arraché mille fois la vie s'il ne s^étoit 
hâté de parler au premier signe qu'il me vit faire 
pour lever le bras. Epargnez ma vie, me dit-il 
d'une voix tremblante, et je vais reconnoître 
aussitôt ce bienfait par un service qui surpas- 
sera toutes vos espérances. Je connpis vos peines, 
continua -t -il; et peut-être ai-je à me repro- 
cher d'y avoir contribué. Mais je vous oflfre un 
prompt remède. Je vous rends Helena , a\pc les 
moyens de quitter l'Afrique; et je ne vous de- 
mande pour prix de mon zèle que la liberté de 
vous suivre. 






234 HISTOIRE 

Une proposition si peuattendueréveilla toute 
mon attention. Je sentis le danger d'être trompé; 
mais j'étois dans un lieu si écarté • que» ne crai- 
gnant point d'être entendu » je pris le parti de 
m'expliquer librement. Infâme, repris -je du 
même ton, je rirois de ma propre crédulité si 
j'étois capable de me fier à tes promesses, Cepen- 
dant , songe que je suis maître de ta vie , puisque 
je puis te Tarracher au milieu de tes gens , et que 
tes précautions ne peuvent te mettre plus à cou* 
vert que tes accusations et tes plaintes. Nous 
sommes seuls. Je me fais violence pour. te par-* 
donner. Mais songe à ce que tu me proposes; 
et compte qu'après me l'avoir fait accepter» il 
n'y a que ta mort ou l'exécution de tes promesses 
qui puisse me satisfaire. Il les renouvela de l'air 
le plus propre à me persuader qu'elles étoient 
sincères. Je lui fis quitter la posture où il étoit. 
Nous reprimes notre promenade» qu'il me pria 
lui-même de continuer pour m'expliquer le fond 
de son dessein. Le roi » me dit*il » aux plaisirs 
duquel il s'étoit rendu nécessaire » avoit tant de 
confiance à sa fidélité, qu'il se trouvoit le maître 
d'ouvrir et de fermer l'entrée de son palais. Son 
emploi» qui se nommoit oùfanga, répondoit à 
celui de gouverneur ou concierge de nos maisons 
royales. Il me garantissgit» non-seulement de me 
procurer la satisfaction de voir Helfina » mais de 



DtJ COMMANDEUR DE ***. 235 

nie faire passer avec elle uue partie du jour; et, 
lorsque je serois détermiué à partir» il me la 
livroit sur le rivage de la mer, sans autre obstacle 
que ceux que je ferois naître moi-même à ses 
services. Avec quelque ardeur que je souhai- 
tasse de revoir |na maîtresse, je ne m^arrétai 
point à cette espérance ; mais venant tout-d'un- 
coup au dénouement : Quand puis-je partir avec 
elle, lui dis-je? Cette nuit même, me répondit-il 
sans balancer, si vous avez un vaisseau prêt à 
vous recevoir. Je demandai des explications 
pour une offre si précise. Il m^apprit qu^il avoit 
acheté une terre sur le bord de la mer, et qu^il 
pouvoit y conduire Helena , avec d^autant plus 
de sûreté , qu^en supposant même qu^on s^aperçut 
de sa fuite et de la mienne, ce ne seroit jain^s 
de ce côté-là qu^on penseroit à chercher nos 
traces. Cet arrangement me parut si simple, quV 
près avoir renouvelé les menaces qui pouvoîent 
m^en garantir Texécution, je ne trouvai plus 
d'autre difficulté qu'à me procurer un vaisseau. 
J'avois celui des corsaires à Trina; mais je n'o- 
sois me promettre que le gouverneur, après avoir 
perdu toutes les prétentions qu'il avoit eues sur 
le nôtre, consentît à me Tabaudonner sans un 
ordre de la cour. C'étoit une difficulté sur la* 
quelle je remis- à consulter Pérès; et, laissant 
Antonio dans, des dispositions sur lesquelles il 



>■ 

â36 UISTOIRE 

lie me restoît pas le moindre doute» je lui promis 
tous les secours qu'il sembloit attendre de moi, 
s'il continuoit de s'en rendre digne. 

En le quittant , il me vint à l'esprit que mon 
. corsaire , qui se noniniôit Lirno y pouvoit con- 
tribuer , avec ma recommandation , à me faire 
obtenir le vaisseau qui lui avoit appartenu. Rien 
ne l'obligeoit à confesser qu'il étoit du nombre 
de ceux qui avoient entrepris de ruiner Trina , 
et mon seul témoignage suffisant pour le faire 
traiter avec quelque considération , jene déses- 
fiérai point qu'il ne pût obtenir la restitution 
d'un bien que le roi même avoit pensé d^abord à 
lui conserver. Je le rencontrai assez heureuse-r 
lûent pour lui communiquer mes intentions 
ayant que de rentrer chezmoi , et je l'engageai à 
présenter au roi sa demande , que je lui promis 
de seconder par mes plus fortes instances. Ge plan 
éloignoit encore mon départ, et c'étoit le seul 
chagrin qui m'ôccupoit en rentrant dans le lieu 
de ma demeure. J'y trouvai Pérès. Il m'aborda 
d'un air empressé , et je compris qu'il avoit at-^ 
tendu mon retour avec impatience. Mais j'en 
avois tant moi-même de lui apprendre ma nou- 
velle aventure, que, me hâtant de le prévenir ; 
je lui racontai, avec ce qui venoit de se passer 
dànsle jardin d'Antonio, la promesse que f*àvois 
tirée de lui , et les ordres que j'avois donnés au 



DU COMMAPrOEaR DE ***. i37 

corsaire. Pérès , extrêmement ému de mon dis- 
cours , me demanda si j'avois bien consulté la 
prudence en prenant la moindre liaison avec le 
plus perfide et le plus lâche de tous les hommes : 
et continuapt avec autant de chaleur que j'en 
avois marquée; je quitte le roi» me dit-il, à qui 
je me suis peut-être rendu importun par l'ardeur 
de mes sollicitations. U mVi confessé que ce n'est 
pas sa propre passion q\ii lui fait retenir Helena, 
mais celle d'un homme à. qui il doit de la recon* 
noissance , et qui lui a demandé ce^tte jeune per- 
sonne dès les premiers purs de son arrivée , pour 
unique récompense de son attachement et de 
$es services. Le roi s'est engagé par des promesses» 
et tout^îe qu'il a fait jusqu'ici en notre faveur ou 
contré nous j est une eàpèce de coml^at qu'il a 
soutenu continuellemeAt eptre le désir qu'il a 
de nous obliger 9 et la fidélité qu'il croit devoir 
à sa parole. Enfin , j'ai découvert par l'aveu que 
mes instances lui ont arraphé, que c'est à don 
Antdnip qu'il nous sacrifie; ou plutôt qu^ c'est 
ce traître qui lui a suggéré jusqu'à-présent tout 
ce qu'il a fait pour éluder nos prières. Voyez , 
ajouta Pérès, quelle confiance vous devez à 
TofFre qu'il vous fait de vous livrer \otre maî- 
tresse , et si vous ne devez pas vous attendre , au 
contraire , à vous la voir enlever par quelque 
nouvelle trahison. Toutes mes furqurs s'élant 



238 HISTOIRE 

renoaveléesà ce récit , je m'emportai en menaces^ 
et je formai de nouveaux projets de yeng<eance. 
Mais Pérès poussant la pénétration plus loin » 
crut trouver dans mon aventure même Texplica- 
tion des vues de notre ennemi. Son dessein , me 
dit-jiiy n'est pas de vieillir en Afrique ^ puisque 
son changement n'est qu'extérieur ; et je suis 
persuadé que ce qu'il cherche est l'occasion de 
retourner en Europe avec Helena. Vous verret 
qu'il trouvera lui-même un vaisseau pour fuir 
avec elle , et que l'offre qu'il vous a faite n'est 
que pour se délivrer des obstacles qu'il appré- 
hende de votre part , en vous engageant à le 
favoriser par là persuasion qu'il travaille pour 
vos intérêts. 

Rien n'auroit arrêté mon transport , si cette 
réflexion m'eut paru plus qu'une conjecture. 
Mais Pérès ayant du-moins approuvé les mesures 
que j'avois prises avec le corsaire , par l'utilité 
dont le vaisseau pouvoit nous devenir dans des 
circonstances imprévues , il obtint de moi que 
je garderois pendant quelques jours assez de mo- 
dération pour lui laisser le temps d'approfondir 
les artifices d'Antonio , et il consentit même que, 
pour mettre ce perfide à l'épreuve , je feignisse 
d'accepter l'offre qu'il m'avoit faite de me pro- 
curer la vue d'Helena. Je lui en fis la proposition 
dès le même jour; mais après m'avoir confirmé 



DU COMMATÏDEUR DE ***. 289 

sa promesse , et m*ayoir marqué jusqu'au moment 
qu'il Vouloît prendre pour m'introduire au sé- 
rail, il eut l'adresse d'y faire naître tant de dif- 
ficultés que ma visite se trouvoît renvoyée cha- 
que jour au lendemain. Le corsaire obtint dans 
cet intervalle la faveur qu'il demandoit au roi , 
et ce prince ne la lui fit point acheter trop cher 
lorsqu'il sut que j'y prenoîs quelque intérêt. 
Pérès , qui a voit arrangé déjà bien des projets sur 
notre dernier entretien, me conseilla d'engager 
]e corsaire à se mettre promptement en mer , sans 
s'éloigner de la côte , et de lui donner même une 
partie de mes gens, autant pour le mettre en état 
de défense que pour nous assurer de sa fidélité. 
Il affecta de ne pas m'expliquer davantage une 
entreprise dont il espéroit beaucoup de succès ; 
mais la perfidie même d* Antonio nous servit 
mieux que toute notre résolution et notre adresse. 
A-peine eut-il appris que le corsaire obtenoit 
la restitution de son vaisseau , que regardant 
cette occalsion comme le plus favorable incident 
pour l'exécution de toutes ses vues , il se hâta de 
le voir secrettement, dans l'espoir de se l'attacher 
par les plus grandes récompenses. Limo n'a voit 
point d'autre raison pour rejeter ses oflTres que 
les engagements qu'il avoit avec moi, et j'admirai 
la discrétion qui lui fit demander quelques jours 
pour sa réponse , dans la seule vue dé prendre 



i24x> HISTOIlllâ 

mes ordres , sans s^étre expliqué néanmoins sur 
les liaisons qu'il avoit avec moi. Il me rendit 
compte aussitôt du marché qu*on lui avoit pro- 
posé. Antonio ne lui dèmandoitque de le con-^ 
duîre dans quelque port de France ; mais feignant 
d'être chargépar le roi» d'une commission qui 
exigeoit autant de secret que de diligence, il lui 
ayoit expliqué les mesures qu'il vouloitlui faire 
prendre pour son départe C'étoit de se rendre sur 
la côte , à là hauteur de sa terre , d'où il avpit 
quantité de choses précieuses à faire transporter. 
Lîrno» sans pénétrer plus loin que lesappareoces, 
faisoit dépendre de moi sa irépopse » et me renou- 
vela les assurances d'un attachement et d'un zèle 
à toute épreuve. 

Dans la première surprise de cette nouvelle » 
je demeurai si incertain de ce que j'en devois 
penser, que, malgré toutes les défiances de Pérès, 
j'étoîs porté à croire encore qu'Antonio pouvoit 
élre sincère , et que ses propositions se rappor- 
toient au dessein qu'il avoit de me servir. Rien ne 
m'attachoit tant à cette opinion que le désiv que 
je lui connoisspis de retourner au christianisme. 
Quelle apparence , disois-je , qu'en cédant au 
mouvement de sa conscience, il pense à la char- 
ger d'un nouveau crime ? Cependant , pour ne 
rien mettre au hazard , je recommandai à Lirno 
de lui cacher soigneusement les liaisons . qu'il 



DU COMMANDEUR DE ***. 24.! 

atoit avec moi, et lui laissant la liberté d^entrer 
dans les engagements qui lui étoiént proposés^ 
j'exigeai seulement qu'il m'informât de toutes 
les explications qu'il recevroil. Mon empresse- 
ment fut de revoir Pérès , à qui j'avois des ou- 
Tertures si importantes à communiquei^. Mais je 
rencontrai Antonio , et quel fut mon étonnement 
de le voir venir à moi avec toute la vivacité de 
Famitié, pour m'apprendre qu'il a voit trouvé un 
vaisseau prêt à partir , et qu'il n'attendoit qu'un 
signe de mes désirs pour mettre à la voile ? 
' Avec mon iinprudénte franchise, je me livrai 
à la bonne foi qui éclatoit sur son visage » et ne 
ine souvenant ni de mes propres soupçbïiWDÎ de" 
l'avis de Pérès , je concertai avec ïùilès inoyens 
de nous dérober sans faire naître de défiance à' 
la cour. Il me fit un plan si aisé , qùé ma confiance 
augmentant à chaque mot , je lui engageai liia 
parole qu'il pouvoit tout attendre de Ina récon- 
noissance. Il me pria dé fixer lé jour de notre 
départ , en me laissant le maître de toutes les 
circonstances. Commeil m'avoitnoMméle cor- 
saire, je jugeai à-peu-prês dans quel temps son 
vaisseau pouvoit être en mer , et je convin$ pré- 
cisément du jour. La prudence ne nous permet* 
toit pas de nous voir familièrement dans cet 
intervalle, mais nous réglâmes les lieux et les 
moments'où nous pourrions nous entretenir. 

PréTost. Tome XUL 16 



242 qi^TOiHE; 

J'çmport^i l;^qt de salisfaetipn de e^l« reici* 
coptre f que liruknt de YQÎr Pef è& 9 je ne Ffihoir- 
dai qv^^TCQd^ exdam^ti^DS, qui r^fer^d^i^iiti 
au^ut de plaintes de ses défiapçes , q^e de féli- 
citations, de mon propre heuheur- Il Vécout^. 
trapqwllei^et^t* Mais quoiqu'iwvbarrasi^ d*|iiv 
détail sî précis 9 il ne perdit point Topiniqn qWil 
ayoit de don Antonio , et uotre conYer£;^io^ se, 
paçsa d^^ \W^ dispute fort ammée où je p^^îs lea 
intérêt^ 4? ^olre ennemi contre toutes s^s pir^* 
ventiodi^* l^otre entretiçn diiro^l euçore» Içx^que 
le core^ire.Tint rintçrroi^pre. Il m^apportoitjes 
^xplicatiops d* Antonio « qui l,ui ^Toit porté sè% 
ordres ^pi^ès^X^gir quitté. Jeq'y Irouyaî qu*uD^ 
^ule çxCj^ptÎQii au^çartiçjteadpat j'étgiaconyei^u^^ 

%vçç l^^.Â^4iç^ du samedi ^ qw nous ai^iou^. 

fixç pour rçpabarquçmeftt; ^ ijl ayoit mfrq^^ iq 
vendredi au, corsaire. Le souveuir de x^c^ ÇQ^-*. 
veutiQU? w'éloit iroppréseatpQw ipe délier d^ 
ç^a, méw>ire.^ Je, coufossai mon scrupule 4P^r^ 
Il euçQncli^tf tputrd*uU''CQup que j'étois le jouei^ 

d'u,n traîtrç» çt que UQU» avious^h^esoin d^. tout^ 
nos préçakutjipji;^^ pour ppuad4>C^4re de »ea kn- 
postureiS. i 

J*ainioi$ mieux croi^re encore que wa wé- 
moire s*étoit trompée. ,. que de reconpoître dP» 
Antonio pwwr un perfide^ Cepeudaut Perès^* qui 
remarqua le. ?ç>, eJt l'attgiciUwent du, QqfMWfi.> 



i 



©U COMMANDEUR DE **♦. Xj3 

}ui recooimaDda de m'arertir coustammenf; des 
ordres qu'il rece¥roit d'Antonio » et 8ur*tout de 
ne paa le recevoir que nous ue fussions rendus 
nous-mêmes à son bord. 11 se passa quelques 
jours 9 pendant lesquels Antonio ne me parla 
que pour confirmer ses promesses. Pérès , à qui 
tout ëtoit suspoct^ pressentoit les dispositions 
du roi^ el ne découvrant rien qui lui marquât 
la moindre intelligence avec- notre ennemi ^ il 
prit le parti de demander à oe printce la peiv 
mission de s'éloigner pandant quelques jours 
avec moi ^ pour une partie de chassé qu'il nous 
supposa dans les montages. Le jour 4ont j^étoîe 
convenu avec Antonio t étoit le derniw de la 
oiéme semaine. Je £(s entendre à ce peirfide» que 
noire dessein ëtoit de trompervhi'court pour 
aims rendre le vendredi au soir à satHaîsondè 
campagne. U parut satisfait de cetarranglsment « 
et triomphant dëjà de notare orédolilé, il se flal>- 
toit d'être lûen loin en mer avant que nous fus- 
sions arrivés chm lui. Vous reverrex Helena» 
me dit-il afifeetueusement ; j'aurai la douceur 
d'avoir réuni deux cosurs qui s'aiment» et je 
vous devrai mon^pèfiM et mon salut élimelt si 
^rous êtes fidèle à vos promesses. 

Horrible/perfidie 1 le traître ne pensoit qu'à 
fiie tromper. Mais étant convemiis aveo Limo 
du jour et du^lieu oà nous devions nousTendra 

i6* 






/ 



{244 HISTOIRE 

à bord ) nos mesures furent prises avec tant d^or- 
are et de justesse » que nous y fumes avec dix 
Mldats qui nous restoient , la nuit même qui 
i|>récédoit le jour marqué par Antonio. Nous 
trouvant les maîtres par le nombre de nos gens 
JAUtant que par la fidélité du corsaire , nous ne 
^mes plus difficulté de lui découvrir le fond de 
:BOS desseins. 11 nous promit son secours avec la 
même chaleur. Nous ignorions encore les pré- 
•cautions qu'Antonio pouvoit prendre pour as- 
surer sa fuite ; mais quel nombre, quelles forces 
àuroient été capables de nous alarmer ? Le vent 
nous servk avec tant de bonheur, qu'étant arri- 
vés avant le jour dans le lieu que le corsaire 
aiTpit déjà reconnu , je n'eus point d'autre in- 
quiétude que l'impatience de Toir paroitre He- 
lena. Un bruit parti du rivage nous avertit qu'il[ 
f alloit faire avancer la chaloupe. C'étoit le signal 
dont on étoit convenu. Limo se détacha lui- 
même pour recevoir les ordres d'Antonio , mais 
ce fut après nous avoir renouvelé ses serments. 
Je me retirai avec Pérès, pour ne paroitre qu'au 
moment où nous serions sûrs du succès de notre 
entreprise. Il se passa quelques heures avant 
que les richesses d'Antonio ^fussent transpor- 
tées. Mais chaque partie que nous en voyions 
arriver redoubloit notre confiance pour le 
corsaire , et nous ne pûmes douter à-la-fin qu'il 





DU COMMANDEUR DE ***. 24& 

ne fût prêt d'arrivîer avec Antonio et Heléna^ 
Ils arrivèrent eûfm. Si je m'étois retiré pout* 
satisfaire Pérès, j^avois laissé mon valet-^de* 
chambre sur le tillac , avec ordre de m^avertir 
des moindres événements. Il accourut à moi, 
Helena , me dit-il , est à bord avec don Antonio. 
Mais elle est baignée de larmes ,^ et chaque pas 
qu^elle a fait lui a coûté un soupir. Ah ! tu crois> 
m^antioncer un sujet de douleur, m*écriai-je;' 
mais tu ne comprends pas ce que c^est que ce& 
précieuses larmes. Je concevois efFectiv^nent 
que la triste Helèna , se croyant au pouvoir d'un* 
ravisseur , et séparée dé moi poiir Ijainais,. don* 
noit oette tristesse et ces.pleun au désespoir de 
sa situation. Je ne consultai pas Pérès pour sor«*^ 
tir de la chambre où j'étois. Il me- suivit. A la* 
voit'eV^dis-je au: corsaire Lirno qui venoit au-- 
devant de moi. Il me demanda de quel, côté: il 
detoit tourner , quoique je lui eusse déjà donné 

^ ordredénous coi^uireàBarcelone. Mon4es8ein 
étoiiide remettre oibn. cher Pérès dans sa patrie. 

^ Mais j'avoisexpUqo:^ secretteméntmesintentionsr 
âu corsaire , et : Iherès , f qui ; lui avoit demandéi 
quels ordres il avoit reçus de moivlai avoit' re^ 
commandé 9 au contraire, dq prendre saroute, 
non; i^éir$ Malte ,^0Ujil étoît persuadé. qUa'« je ine 
devois point paifoilre saw précautions ^Hmais 
T^rft l'îilç dô Gq^% ^u :il espéroil 4â ^ppuvoii?; 



248 HISTOIRE 

pris pour nous tandis quUls étoient sous nos 
oirclres» étoient entrés tout-d*un-coup dans les 
sentimeuts que Lirno n-avoit pas manqué de 
leur inspirer. Je chargeai néanmoins un de mes 
gens de prendre soin d* Antonio et de sa suite. 
Mais à-peine Tavoîs-je perdu de Tue, qu'ayant 
compris qu'il étoit au pouvoir de ceux: qu'il 
avoit voulu trahir , le désespoir , qui étoit seul 
capable de lui tenir Heu de courage , lui fit évi- 
ter jusqu'à la yue de Lirno 9 qu'il regardoit 
comme l'auteur de sa disgrâce. Il s'assit dans 
un coin du tillac , contre un tas de cordages » 
et ne soufirant pas méme^que ses esclaves » qui 
se .rangqrept autour de lui» ouvrissent la hou* 
che pqur lui parler, il demeura comme ahimé 
dans la considération de son infortune. Au mi< 
lieu de la joie où je sentçis nager mon cœur ^ 
le récit qi^V^^ i^ie vint faire de sa situation» 
m'auroit inspiré de la pitié ^ et je pensois à le 
faire traiter du -moins avec quelque sorte de ' 
bonté. ])lais le juste Pérès me représenta que 
des crimes de la nature des siens ne méritoient 
pas même les sentimeuts.naturels de la compas- 
sion. Abandonnez - le à lui-même, me dit -il; 
nous lui, rem^ettrons sea. richesses au preinier. 
port,.et,n9us serons délivrés pour jamais. d*un 
infâme. ,... . ., . . \. 

Helena x^ous racontoit^ pendant ce .temps -là, 



DU COMMANDEUR DE ***. 249 

toutes les peines qu^elle avoit essuyées depuis 
notre séparation , et les dernières alarmés où 
Tavoit jetée son enlèvement. Ce n^étoit ni du 
gouverneur de Trina » ni du roi même ^ qu'elle 
avoit appréhendé des insultes et de la vio- 
lence. Us ravoient traitée 9 au contraire^ avec 
toutes les attentions qu*on^ doit à la jeunesse et 
à la bealité. Mais à-peine avoit-elle été connue 
d'Antonio y qu'elle n'avoit pas été tranquille un 
mopient. Fier de Famitié du roi et :de Fespé-* 
ranoe que ce prince lui avoit donnée de Tobtef- 
nir pour &on sérail , s'il pouvoit se dt^gagçr hoDh 
nétement de nos instapces, il avoit pris aveo 
elle le ton d'un amant qui se croit d^éjà sûr de 
sa conquête} et dans la liberté qu'il avoit de la 
voir à tous les moments du jour , il l'avoit mise 
vingt fois dans la nécessité de se défendre avec 
ses <>^ngles, ou de se pi^ocurer du secours par 
ses cri^^ Le roi, à;, qui .elle en avoit fait «ses 
plaintes 9 avoit toujpursf rtraité cette licenl^e de 
badinage. Enfin ^ lorsque ce prince avoit paru 
pr^t à -^ laisser fléchir par nos sollicitationa ^ 
et^ qu'AJ^tonio avoit joint a cette cirainte celle 
que j€( lui avois in^piçée par mes menaces , la 
malheureuse Helena s'étoit vue exposée à^lous 
les caprices d'un traître, qui n'avoit pji:^ cbœ- 
ché qu'à s'assurer sa possession par tc^ites sortes 
dévoies. I^'occaston qu'ilavoit cru tarpuiv^r dans 



le secfours du coi*saîre étoife 4eirenue pour tidii^ 
une fâY«ttr extraordinaire de la ^^riUtte , pktùé 
qu'elle lui atoit fait perdre j èaûû doute , âtè 
idëeft beaucoup plUè lioired s dOAt nôU» U*lltiriôM 
ptt arrêter TeiLéeutiou. Il d*iltoit àervi ii^anmôiti^ 
pour engager Helena k lé suivre, de la métne 
feinte v p^r laquelle il 9é flatlôit de m'àVoir 
irotftpé; ô'ert-à-dire que^luî ayant àppri^j qu'il 
agisâoic de coûôért ûyM moi dans le detdèeiu dtf 
8a fuite, et Tayaut même persuadée de sa botitie 
fbi par uti billet qu'il m'avoît engagé à lui 
écrire ^ cette tetidre fille n'avoit pa^ doutée en 
é'ëôhappant du sérail , qu'dle fié dût ée itùa^ 
irer k rkîMant daus mè^ bras. Mais à^peiuè ^^é^ 
tditMi ern mattre àt aôA sort en attH^tit- à ia 
mai^oru , qull lui àTôit déclaré à qui élt défait 
àpparteuir ; de sorte qu'eu àe reûd«tttt att tàb- 

sêÉUi eu il avoit falitt dé là tioIei^Gé i^r la 
conduire « elle s'éiéit te^dée comme là pt(Ae' 
dW perfide qui la tcnoH pour le reste de ih 
vie dai» lé plus odieitl ekchlVage; 

Lés transports de tvoWt \ù\e fureut prt>pOï^ 
tionuës k tant de peines ei dé àM^m. Vd^ 
pertes nott* toucboiéfit pèw < et fétoîs 9àM èm* 
bart^s pour la redtitutiou dé«É(on tai^éëatt < Ùl^ 
que ma pàrr sêMit feke k Malte. It Ué .lâieîï» 
matiquoit qué le^ trois déme» turqueéi dM€ 
noué'igtiorîons même le ^tL ËUéS étoiétit' de* 



\ 



DU COMUIANDEtJll OË *'**. 2^1 

meurëes comme en pai tage au gouTertiear de 
Trina; et n'ayant point conçu, Pérès et moi ^ 
qu'elles eussent rien à souhaiter de plus heu-* 
reux^ nous n'avions fait aucune sollicitation 
pour leur liberté. Il étoît peut-être entré quel- 
que ressentiment de cette indifférence dans la 
fuite précipitée des trois chevaliers qui étoient 
partis avec notre vaisseau. Mais il devoit être 
assec égal pour trois femmes destinées an sérail 
par leur naissance et leur religion, d'être au 
pouvoir des Maures ou des Turcs. Tandis que 
nous étions dans cet eutretîen, un bruit extraor- 
dinaire que nous entendîmes sur le tillac m'y 
fit monter avec Peines. Nous eûmes peine d'a- 
bord à nous eu faire expliquer la cause dans 
la confusioâ qui régnoîl parmi nos gens. Ce- 
pendant nous apprlmies qu'Antonio vendit de 
se précipiter dans la mer. Quelques mate- 
lots s'étoient jetés aussitôt daus la èbalonpe, 
avecVeSpérance de le sauver malgré lui. L'obscu- 
rité étoit si profonde , que je ne me promis pas 
beaudottp de succès dé leurs soins. J'e:&hortai 
néànmoiâi tous les autres à ne rieu épatigner 
pour le secourir «: et je proposai même une ré- 
compense considérable pour celui qui lui cou- 
serreroit la vie. Pérès tie marquôit pas moin» 
d'empr^isseiiient que moivet nous pÉss&MëS plut 
d\ine heure à joindre nos propres éffoéts à ceuic 



252 HISTOIRE 

des matelots. Mais nous perdîmes enfin Tespe- 
rance, et nous crûmes» Fuu et l'autre 9 avoir 
accordé beaucoup plus que nous ne devions, au 
seul sentiment de Thumanité. Ses quatre es- 
claves , qui s'ëtoient agites avec un zèle fort ar- 
dent, s'assemblèrent autour, de moi pour m'ap- 
prendre les circonstances du désespoir de leur 
maître. Il avoit rejeté les services et les aUments 
que je lui avois fait offrir^ et son silence avoit 
duré pendant quelques heures avec la même 
obstination. Appelant enfin ses .esclaves , il leur 
avoit distribua., me dirept* ils, quelques pièces 
d'or qu'il avoit sur lui; il leur avoit ordonné 
de s'éloigner de quelques pas , et sans ajouter 
un seul mot, il s'étoit tourné vers la mer, où 
il s'étoit laissé tomber comme une masse de 
plomb. Cette fin nous auroit paru fort supé- 
rieure à ridée que nous. avions de son carac- 
tère , si l'un des quatre esclaves ne m'eut pris 
àTéçartun moment après pour m'av^tic d,^ 
me défier de ses compagnons. Je le priessai de 
s'expliquer. C'est un bonheur, pour vQp$ , re- 
prit-il, que vous ne spyie:! pas: resté dans vptre 
chambre au bruit qui s'est répandu de lamjort 
de mon mailre. Us avoient ordre de prendre ce 
moment pour vous ôtev, la vie, d^us; l'opîniqa 
que tous vos gens se ren4ant sur le tillap^iHl 
VOUS: trouveroient sans secours et san^4^f^^v 



DU COMMANDKUll DE ***. à53 

Et pour ne vous rien* cacher ^ ajouta*t-il , doti 
Antonio ne s^est pas jeté dans la mer. Il est dans 
un coffre 9 dont il a fait jeter la charge , et se 
flattant qu^après que • nous l'aurons défait de 
yous et de don Pérès 9 il gagnera facilement leg 
corsaires par Toffre d'une partie de sesrichesses» 
il attend le succès d'une entreprise qu'il n'a pas 
osé tenter lui-même. 

Quelque terrible que fût cet avis , il me le pa«* 
rut moins que plaisant, par la précaution:que la 
lâcheté d'Antonio lui avoit fait prendre. Je le 
communiquai aussitôt à Pérès , qui j loin dé faire 
arrêter les trois esclaves, comme je l'auroiscru 
nécessaire à notre sûreté , se contenta d'attacher 
autour d'eux six de nos gens les plus résolus i 
avec ordre^nonseulement d*observer toutes leurs 
actions, mais de les tuer au moindre signe de 
trahison ou de violence. Il dédaigna même de 
tirer de la situation d'Antonio l'amusement 
«qu'elle auroit pu nous procurer, et voulant esf 
sayer seulement si les esclaves espagnols étoient 
capables de la témérité qu'on leur attribuoit, il 
me fit consentir à les laisser deux ou trois jours 
dans l'opinion que leur secret étoit ignoré. Noul 
remarquâmes effectivement quHls cherchoient 
l'occasion de s'approcher de nous, et qu'ils prer 
noientles moments où nous étions mal accom** 
pagnes. Celui qui m^avoit découvert leur com- 



aÔ4 HISTOIRE 

jplot avoit ordre de ne rien changer à sa coait- 
duite; et chaque jour il me rendoit compte ^non- 
seulement de ce qui s^ëtoitpasséentr'eux^mais de 
Tentretien qulls avoient eu pendant la noit avec 
leur maître » à qui ils tâchoient alors de rendre 
sa situation commode* Cependant, lorsque nous 
fumes assurés que leur dessein se soutenoit con- 
stamment , Lirno, à qui nous n^avions pu le ca- 
-eher, nous pressa si vivement de lui abandonner 
le soin des précautions » que nous nous en re- 
posâmes sur lui* Il s^j prit avec la dureté d*un 
corsaire. S'étant fait accompagner, sana affecta* 
tien , par quelques-uns de ses gens , il me de- 
manda ce que c*étoit que ce coffre qui étoit resté 
sur les ponts avec quelques autres parties du ba«- 
;gage d'Antonio, Ses esclaves, qui n'en éioient 
pas éloignés, lui répondirent qu'il étoit de l'é- 
quipage de leur maître. Il le prit brusquement, 
et le poussant d*un coup de fâed dans la mer, il 
'termina par cette prompte expédition les jours 
ijCuU malheureux, dont nous étions fort éloignés 
de souhaiter la mort. Les esclaves osèrent ha* 
Mrder quelques plaintes indiscrettes dans le 
premier mouvcsment de leur confusion. Il ien 
prit droit de les faire traiter avec la même ri- 
gueur. Qu'on me précipite ces misérables, dît-*il 
a ses gens. Ils entreprirent en vain de résister; et 
ce qui Aous causa un vif regret, celui qui nous 



DU COM1M(ii^])ïp£Ul^ DE ***. aS5 

^voit^ervi^ f \it çoqfpDdi} ay W les trQi^qQopiJ>lQ9« 

Juiirm crut $ç foire bojgtoe m* à no^i y^iwc d'une ^i 

siQc^em^nt , e( dqvuî ^ùo^ea méipeport^ à cintre 
qae 1^ ^ele de nou^ ^ryir y a^oit eiA lAQiw àt 
p^t que VTÊ^spérww. d^ pv)fiLt€ur d^M d^uilte 
dç pqtr^ eau^uiî^ Lq Yeut, couUnwHt de «ouf 
çU*^ %i fo^orj^ble» q^^ i^Qus £aiv^& d^u^ troi» qu 
quatre jouth à U luut^ur d^ M^Ueu Vor^ d« 
Perc^ ^ifoit été wiiriii fl lom de m'^n p^biadre t 
j*ea 4voΣi m^rqu^ iwe^ ^We rei^QDAQÎ^^OQe à 
mqa mu9lr« a»U XQ¥t €^ qu'il 4iceO<?d;oit à me$ 
im4réu ^U 9utwt d^ perdu pour Ji^ fôwt» ^t 
je^ pe m'oeoujpais quà qber^c^ pinr quek ser^ 
TiçeSft OKI pw qu^l« lM(^f$iit$ )0 p^aiN^^ re^ 
pçmdc€^ à t^nt de géoéroi^ #t d*diAîti4 Gepeet^ 
d^utii4 me^Pirq q\^ ncm^ apfirQcliîaas de fislft 
deQçMrz^ei^QV^ LiruQ a¥oiitcH*dr«4'^b^rd^, l«i 
ju^A^ wÎQ^ qui j»^im9mU trwibier i 1^ pemM 
d^x9pu r^jtpiXr ^ ^ iieoQU«4oi^;b^^w^aup|dki$ 
y iy^ioveiiai dfti^ ma. lyiàaoir^et iprsqu^f 9 ii>^miM 
i^u^ ^cqn^x^ç,^ de num départ.» lV>pimQ^ qw 

u'^yoit, pu xOÂnquqr de ^Q i^pandl^ 4^m«^ ^¥e9» 

twe$ d'Afrique et demoxupQsto^ieff îe^mertef^ 
çeuti9Jl e^ que i'i^yimà ^edout^r de kk «é^^riié 4» 
^r^nd-m^jtret je balauç^ $i je nedeVfCH^ jm r^^ 
QQUQer 4;(Myit-4-£ût«ude^eiu dereps^roiftpe «i $e» 
y eui(^ Mqii étouu^mei^étoiii méa^ q^ 



£56 HISTOIRE 

m'eût encore marqué là-dessus aucune alarme. H 
craiut,disois-je»demecauserlropdefrajenr;cary 
en supposant qu'on revienne de Thorrible pré- 
Tention de mon changement^etquema jeunésise 
fasse fermer les yeux sur ce qui semble mériter 
plus d'indulgence , le premier sacrifice qu'on 
croira devoir exiger ne sera-t-il pas celui dlTe- 
lena ? Cest elle qui m'a attiré mes premières hu* 
miliations» Son nom est aussi connuà Malte que le 
mien. On me l'enlèvera. On croira me rendre un 
bon office, en me guérissant de l'amour malgré 
moi. Qui sait si sa mère, revenue de Naples, et 
trop bien informée de mes aventures , n'excitera 
pas la sévérité du grand-mattre par ses cris? Ma 
perte est certaine , ou plutôt celle dllelena , qui 
entraînera infailliblement la mienne. Ces ré- 
flexions , dont la vérité me sembloit augmenter à 
chaque coup de vent qui nous poussoit vers le 
port , me firent naître une des plus folles résolu- 
tions dont on ait vu jusqu'ici l'exemple dans ma 
conduite. Piqué du souvenir qui se renouveloit , 
de la hauteur avec laquelle j'a vois été traité par 
le grand-maître, agité par mes craintes, plus 
enflammé que jamais par Tamour, je ne perdis 
point l'envie de prendre terre dans l'isle de 
Gorze; mais je me proposai, en arrivant, d'y 
cacher monnom; d'envoyer Lirno à Malte pour 
y demander la restitution de mon vaisseau; de 



DU COMMANDEUR DE ***. iSj 

le charger de ma croix pour la remettre aux 
officiers de Tordre t en leur protestant que je 
me croyois dégagé de toutes sortes de liens par 
le traitement insupportable que je me souvenois 
d'avoir reçu; de prendre chez mon banquier 
environ vingt mille francs » dont les termes 
étoient échus 9 pour la pension que je m'étois 
réservée , et d'aller m'établir avec Helena , non 
en Espagne, non à Naples, non dans les états de 
Junius, ou dans quelque autre lieu qui me f&t 
déjà connu, mais dans les Indes occidentales ^ 
où j'avois appris depuis un an , par les nouvelles 
publiques, que la France formoit tous les jours 
de nouveaux établissements. Cette idée se pré- 
senta d'une manière si riajiteà mon imagination, 
que m*y attachant aussitôt comme au seul parti 
que j'eusse à choisir, je mis seulement en déli- 
bération si j'en ferois un mystère à Pérès. Mais 
outre que je ne pouvois lui cacher les démarches 
que j'avois à faire dans Tisle de Gorze, je fis ré- 
flexion que ma route étant le long de TEspagnet 
j'avois un service de plus à lui rendre, en le con- 
duisant dans le port où il voudroit aborder. 
Quoique je dusse m'attendre à lui voir combattre 
ma résolution, je me fortifiai tellement dans celle 
de rejeter tous les conseils qui ne s'accorderoient 
point avec mes idées, que je crus pouvoir m'ex- 
poser aux graves représentations de Pérès. 

Prévost. T9m9 XIIL JJ 



a5S - M\B!£0%fiM 

Il comprit né&maoin^ à mou embarras tfàë 
]!!ayx>is quelque chose d*extraordiuaire à loi 
communiquer. 11 m^écouta les yeux baissés. Mea 
premières ouxertures furent accpjDip^gnées d^uii 
air ti^xiide ; mais m^ hardiesse et ma chaleur 
augmentant à mesure que j*avançois« je lui fia 
un admirable plan de toutes mes yuesy etrje le 
terminai même par des regrets de u*£^yoir pas 
une fortune assez bien établie pour lui offrir 
UjQe retraite axec moi. Atcc quelque Tiyacité 
que }e lui eusse fait ce récit, mon embarras me 
reprit en le finissant, et ce ne fut pas sans inquiet 
tude que j^attendis sa r^onse. U leva enfin let 
yeux sur moi; mais fy découvris autant de dou-> 
leur et de compassion que de tendresse 9 et seê 
premiers termes furent quelques exclamations^ 
qui renfermoieut un mélange de ces trois sen«» 
timents. Cependant je fus comme irrité de voir 
les apparences si contraires à mon attente , et le 
C^grin que j^en^eus dissipant toutes mes crain^^ 
tes, j^interrompis brusquement le discours qu^il 
OQmmençoit , pour lui dire que j'ay ois quelque 
re^el de m'étre ouT<ert à lui , et que s^il n*ap-* 
piY>uyoit p(is mes desseins , il étoit inutile de 
nous arrêter à d'autres explications. Je Faurois 
même quitté sur-le-champ , pour me délivrer 
de cette contrainte* Mais il m'arrêta par la main, 
«I ^IpnAant un toiu plus tranquille ^ il me çon* 



DU GOMBCÂNDEUii DE ***. 25^ 

îura de Técouter. Ses réflexions ne furent d*a- 
bord que de^lieui coolmuns de sagesse et d^hbjl- 
à^of , par lesquete il s'eSbrça d'établir , sans 
aUcûn rapport k ma conduite et à mes desseins 9 
que tout ce ^ili n*est pas fondé sur deux prin- 
cipes )si nécessaires , rend inutiles la ^ande 
nàis^nce, la fortune et les meilleures qualités 
de Tésprit et du cœur. Je prévoyois Fapplicà-î 
frion de cette nïôrale. Il la fit bientôt sans ména- 
gement. Un projet tel que le mieil^ me dit-il j 
entratnoit la ruine absolue de ma répotatioù', et 
inVIoit rendre méprisaUe aux yeux làéine de 
mes amis. Et reprenant tous les degrés parles*- 
^uels j*ét6is parvenu au bord du préôipide où 
Mme Toyoil prêt à tomber , il «e reprocha amè« 
fument d'y avoir contribué par Tapprobation 
qu'il avôit donnée à mes foiblesses. Ne croyei^ 
pas, reprît-ij , qu'elle ait été sincère. C^est ùné 
aveugle amitié qui Wa fait cherch^Nr tous lêà 
moyens de vous satisfaire 9 aussi' long -tempi 
que je 'n'ai vu dans votre conduite que les 
désordres q«ii peuvent être pardonnes à l'ar- 
deur de la jeunesse. Quoi<[ue sans goût pôurteé 
plaisirs qui vous enivrent , j'ai porté là complai- 
sance jusqu'à m'en procurer de la même nature, 
pour v<oU8 faire troïtver plSus de douceur datis 
les vôtres. Si' je n'ai pu vous retenir tc)ùj6ut<s 
dans les feofnes de 4a bienséance , jameflattohi 

17'^ 



a6o HisTOias 

du-moins qu'après les aroir passées vous outtî- 
riez quelque jour les yeux sur votre devoir , et 
que vous justifieriez les espérances qui m^a voient 
fait porter la complaisajuce à cet excès. Mais vous 
êtes donc résolu » continuait-il en me regardant 
avec fierté, de mettre le comble à vos égare* 
ments ? J'avoue qu'un ton si diflféçent de celui 
de Tamitié , , et si opposé même à celui qu'il 
avoit toujours pris avec moi » me jeta dans une 
confusion dont il ne me fut pas aisé de revenir. 
J^avois conçu pour lui presque autant de res- 
pect que de tendresse» et tant de preuves que 
î'avois reçues de son attachement étoient un aur» 
tre lien qui étoit capable de me servir de frein» 
Cependant 9 je me voyois comme insulté par un 
homme à qui je ne devois aucun compte de ma 
conduite ; et ce qui me paroissoit encore plus 
piquant , je croyois m'aperce voir qu'il abusoît» 
jpour me traiter avec cette hauteui* , d'une es- 
pèce de soumission que j'avois toujours eue 
pour ses conseils. U me fut impossibliç.. de résisr 
ter à cette idée. Mon, cpeur enflé de son ressen- 
timent se soulagea par quelques plaintes » qui 
ne durent point avoir plus de douceur pour 
'Pérès y que ses reproches n'en avoient eu pour 
moi. Il en parut frappé jusqu'à quitter ma main 
qu'il tenoit encore et à. se reculer quetlques pas. 
U ne répliqua paS; Jtiéanmpins directeiaent kat 



qu^il y ftToit de brusque dans marëpoiise. Mais 
reprenant son discours, et donnant plus de force 
encore à ses regards : Sayez-vous, me dit-il , que 
c'est Kntérét de mon honneur que j'ai à soute- 
nir autant que le vôtre ?* Savez - vous que la 
honte, dont je vous vois résolu de vous couvrir, 
retombe directement sur moi? Vous me croyez 
donc aussi insensible que vous à la réputation ? 
Vous croyez que je compte pour rien l'estime 
d'un ordre où je me suis fait d'illustres amis , et 
où je me suis peut-être attiré quelque considé- 
ration par ma naissance et par mes sentiments ? 
Non , non , reprit-il , je n'ai ni folie, ni passion 
qui m'aveugle. L'amitié m'a pu faire oublier 
bien des devoirs ; mais je sais à quelles bornes 
elle doit s'arrêter. Et je vous déclare , ajouta^ 
t-il en élevant la voit , que si mes prières et mes 
instances, si le cri de l'honneur ne vous rap- 
pellent point à vous-même , nous n'aurons pas 
plus tôt touché la terré que je révèle votre des^ 
sein à tous ceux qui voudront l'entendre , et 
j'exhorterai même le commandeur de Tisle de 
Gorze à vous faire arrêter pour vous livrer aus^ 
sitôt entre les mains du grand - maître. Cette 
menace me fit frémir. J'aurois porté la main sur 
la garde de mon épée , si je n'eusse été retenu 
par la vue de plusieurs de nos gens , qui com- 
mençoient à s'assembler au bruit, et qui a voient 



déjà les yeux sur i&ous. Je nq djs que d^^ mq^ 
à Pérès 9 et ce fut la fureur qui rw les dictai 
' Traître , je saurai te prévenir, t^uge qu eia 
touchant au riyage ». il faut défendre ta ;^ie ou 
m*arracher la inieane. Lui ayant tourné 1^ dçâ 
sur-le-cbaxnp , j^ignorai TiuipresSkion qat çetou^ 
trage fit sur lui , et j'allai me renfermer dansr 
ma chambre 9' d'où j[e £& défendre à ^es genfr 
qu'on lui laissât la liberté de .m'approcber. It 
$e présenta néanmoins à ma porte, et surpris de 
Tordre quUl y trouva 9 il ne prit le parti de.s^ 
retirer qu'après s'en être fait expliquer toutes 
les circonstances. 

J'étois pendant ce temps-là au comble de la 
fureur , et loin de me repentir de ce qu'elle 
m'a voit fait dire9J*en sentoîs redoubla à chaque 
moment les transports. Il me vint^à 1,'esprit de 
faire jeter Pérès sur le rivage ^ de tourner ausr 
sitôt mes voiles sur l'Amérique; car la confiance 
que î'avois à Ijirno. me faisoit regarder sou 
vaisseau comme le xniçp. Et, faisant mén)^ reV 
flexion que la dépouille d'Antpnip n^ dédomr 
mageoit abondamment de tout ce qu^ j,^ ,pou-^ 
vois laisser derrière moyi 9. je. ne ^is copimi^nt je 
pus résister à cette pensée. -Mais, je serois mort 
de honte 9 si j'étois parti sanfi faire, ^niir k 
Pérès, que je ne sa vois point m'effrayer des 
airs hautains d'un. Espagnol et qyfe si nofis n'a^ 



BU COMKÂKinràli BS ^^^ i63 

vions pas les mêmes idées dé Thoniiear , f étoîs 
capable de Soutenir ti^tu'^u^emeiif les miennes. 
H s*est donc flatté, disois-^e, dé ifit persuadet* 
que Famonr est un crime , et que je me désltô- 
nore en chej*chant à vivre tranquîltement aveé 
une femme qise f aithe. Ah ! je le iÉélicite de ces 
btUès idées, et de la complaisance à laquelle 
il altribue sèn comn^erce amoureux. Mais je 
pense , moi , que s*il y a quelque honte à vivre 
avec une femme, c^est lorsque cette liaîsdn nfë^ 
pas excusée par Tattachemeiit du cœui^ , et qtiè 
ie plaisir animal est le seul attrait qui nous- dé- 
termine. Et pour le reste , je lui ferai connottrè 
que si je prends Je parti de renoncer aux armes*» 
ve n*est pas que je ne sache quelques fois^ nie ser- 
vil* de moû épiéë. Lirne, qui fût averti de notre 
différend , se hâta de m^en venir demander Féx- 
plieation. Je lui déclarai efn général que f étôis 
irrité contre Perè& i et que s*il àvoit quelque 
envie de m^bbliger ^ il falloit retenir tous nos 
gend à bord eùL arrivant à Grorze , et se prépare^ 
à toutes sortes d'événethents. H me pira une fir 
délité sam réserve. Dès le niêifie jiou]^V''^<^w 
entr&mes heureuseniéât dans lé pà^t. fl! fa&oit 
queia colère , ou plutôt Tintérêt dé mou aïkiour; 
eut fait ime âiïiingé ahératioû ààxs^ m:ôn carac- 
tère ^ poftsqa^uil ' lÉttervalle de plvis de quatre 
haopes «iWoit rietf ditofoâlé â^tte^.tcbifsports. 



i64 HISTOIRE^ 

et que loin de rétracter les ordres que j'aTois r 
donnes à ma porte» je les àvois répétés avec une 
nouvelle obstination chaque fois que Pérès s*j 
étoit présenté. Toutes mes réflexions étoieni; 
noires. Uamitié me sembloit éteinte dans mon 
cœur jusqu'à n'en plus reconnoître aucune 
trace. Un aveugle dessein de me venger d'une 
menace qui ne me sortoit point de l'esprit , et 
d'en arrêter promptement les effets , étoit la 
seule idée qui m'occupât et qui réglât tous mes 
mouvements et toutes mes résolutions* 

À-peine fûmes-nous entrés dans le port, que, 
me reposant sur les ordres que j'avois donnés à 
Limo,je sortis de ma chambre avec une agi- 
tation furieuse , et joignant Pérès qui étoit à se 
promener sur les ponts , je lui proposai de des- 
cendre avec moi dans la chaloupe. Quel est 
votre dessein ? me répondit - il d'un, ton fort 
doux. Je vous l'expliquerai , repris-je brusque^ 
ment. Il demeura quelques moments à balancer. 
Je le pressai par des reproches qui n'étoient pas 
plus ménagés. Enfin , consentant à me suivre , 
il descendit après moi. Lirno embarrassé, se 
présenta pour m'arréter par ses instances. Je lui 
ordonnai d'un ton absolu de nepasouvrirlabou* 
che , et je fis retourner de même quelques-uns 
de mes gens qui se disposoient àm'accompagnen 

Nous gagpâmes le rivage » conduits seule- 



Dr GOMMANDCtrtl DE ***. 265 

inent jpar. deù% 'matelots. Je ne prononçai pac^ 
un mot dans le passage , et Pérès morne et pen^ 
sif garda le même silence. Il n*y eut de sa part 
ni de la mienne >aacane marque d^attention et 
de politesse en sortant de la chaloupe. Noud 
avions pris terre à quelque distance de la ville. 
Je montrai à Pérès le chemin que nous devions 
prendre. Mon dessein étoit de nous dérober à la 
vue du vaisseau. Il continua de me suivre sans 
me faire la moindre réponse. Nous arrivâmes 
à peu de distance , dans un lieu où nous com- 
mencions à nous trouver à couvert. Comme il 
n'avoit pu méconnoître mon dessein , il me pria 
d'arrêter avant que de nous engager plus loin » 
et me regardant d*un œil où je voyois quelque 
apparence de joie contrefaite, il me demanda 
où je prétendois donc le conduire. 

Cette fausse tranquillité me parut un nouvel 
outrage. Nous y touchons , lui dis- je. Un moment 
va décider qui de nous deux conduira l'autre iaa 
grand-maitre; mais je suis sur , ajoutai- je en af- 
fectant un ton aussi libre que le sien , que ce 
n'est pas vif que je lui serai livré par un traître» 
Je vis changer tout^d'un*coup son visage , et 
Tair de la plus profonde douleur prendre dans 
ses yeux la place de celui qu'il avoit affecté. O 
Dieu ! qu'entends- je , s'écria-t-il ! Quoi! ce nom 
odieux a pu sortir de votre bouche î Chevalier ^ 



s66 HfSTains 

reprit-il, ayec Booins d'éniotioxi^ je sacififiétotm 
mes ressentiments à Tamitié; maitexpIiqueMiioi 
donc d^où Tient ce transport , et ce que tous 
méditez ici contre votre ami. Loin de me sentir 
appaiser par cette modération, je n^y crus voir 
que Tinsulte d'un homme qui se crojoit supé* 
rieur à moi par Texpérience des armes , et qui 
n'aToit différé si long-temps à s'expliqner qu< 
pour me faire sentir la confiance avec- laqu^ll^ 
il se laissoit engager dans toutes sortes d'aveâi-^ 
turcs. Cependant , comme il s'étoit arrêté y et 
qu'il sembloit s'attendre que j'allois entrer dans 
quelque discussion , je le pressai encore d^ara» > 
çer. Mais il se posta ferme dans le lieu où i\ 
étoit, et commençant par mille noms tendres « 
qui étoient prononcés avec une vive ardeur, il 
me demanda ouTcrtement si j'étois bien résolu 
d'attaquer sa vie. Quoique je cfriSse Ure suk* son 
TÎsage une partie de ce qui se passoit dâpns soifv 
cœur, il y avoit trop d'amertume dan^ le mien , 
pour me trouver capable de revenir tout-d'«in- 
eoup à la tranquillité qu'il m'auroit fallu pou^ 
entrer dans les explications qu'il paroissoit de- 
mander. Celui qui m'a menacé de me trahir , lui 
dis- je ,^ a dû s'attendre à toutes les extrémités de 
ma vengeance. Vous trahir ! m'interrompit-il : 
Ahî chevalier, que vous me connoissez peilf. Et 
me rappelant toute sa conduite depuis que nous 



D0 COMMANDliUâ DE ***. 267 

profession d*étre âmis^, il mè força dé 
convenir en moi - même qu^elle n'avoit étS 
qa*ttne suite continuelle de sacrifices quM) avcii; 
faits à ramitié. Msàs c^est vous , reprit-il avec 
douceur , qui ne semblez occupé qu'à vous tra- 
hir vous-même; J'ai employé mille fois tout le 
dt*oit ^ue me donnoit une longue familiarité , 
pour vous ouvrir les yeux stir lé tort que vous 
avez fait à votre fortune et h votre gloire. Tant 
que j^ai cru qu'il pouvoit être réparé 9 je me 
riuis console de Piilutilité de mes soins.^ Votre 
retour à Malte me faîsoit mieux espérer de Ta- 
tenir; et, quoique la nécessité de mes affaires 
m&rapelle en Espagne, vous me voyez oublier 
mes propres intérêts pour emporter la satisfac- 
tion d'avoir servi à rétablir les vôtres^. Ils peu- 
vent l'être encore. Us ne vous obligent pas même 
d'abandonner cette Helena qui vous est si chère. 
Combien ne trouvérons^ous pas de voies pouf 
la conserver avec bienséance? Etes-vous le seul 
qui ayiez de l'attachement pour une maîtresse T 
On ne s'en est offensé que par l'éclat des der- 
nières circonstances. Vous êtes jeune, votire pro-' 
Ibssiou'étoit récente ; quel scandale au milieu 
de Malte, et sous les y eux dû grand-^maitre! 
Mai» votre retour, et quelques justes ménage- 
ments^ peuvent réparer toutes les impressions 
du passée Qu'ai-je donc pu penser, continua* 



JtGB BI8T0IRX 

t-il» et qaelle a dû être ramertume de mon 
cœvar ^ en yoas voyant former une résolution 
insensée » dont la honte rejaillit également sur 
TOUS et sur moi ? Que dis- je ! Vous m*en avez 
parlé comme d'un projet invariable, et que 
Vous étiez à la veille d^exécuter. Etoit-ce par des 
conseils et par de simples instances, que je pou- 
yois espérer de vous ramener à la raison ? Vous 
me seriez peut-être échappé en touchant la terre. 
J'^i tenté de vous efFrayer par ce qui m'est venu 
de plus terrible à Tesprit; et si je ne suis point 
capable de vous trahir , je ne vous dissimule 
point encore que je le suis de tout entreprendre 
pour vous empêcher de courir à votre perte. . 

J'avois eu le temps de réfléchir pendant ce 
long discours sur des motifs si clairement expri-. 
mes ; et le souvenir des obligations que j'avois 
à Pérès , agissant aussi vivement sur mon cœur 
que ses explications présentes , je revins assez 
de mon emportement pour sentir ce que je de-, 
vois à son amitié. Cependant, un reste de fierté 
ne me permettant pas de lui laisser voir ce chan- 
gement , je lui demandai seulement , en baissant 
les yeux , quels étoient donc ces moyens qui lui 
paroissoient si surs, pour me rétablir .dans Tes-* 
prit du grand-maître en conservant Helena. Etes^ 
vous capable, me répondit-il, de reprendre assez 
de confiance i mon amitié pour m*en abandonner 



DU COMMANDEUR DE ***. 2^ 

le choix et la conduite? Je parus balancer à cette 
question ; mais honteux » à-la-fin , de ne pas ré- 
pondreaux sentiments d*un homme dontla droi^ 
iure et la générosité m*étoient si bien connues, 
j^écartai en un moment tous les nuages qui cou- 
Troient encore mes yeux. Pérès, lui dis-je en me 
jetant à son cou pour Tembrasser , je serois in- 
digne de Tair que je respire , si je ne tous croyois 
pas le plus fidèle et le meilleur de tous les amis* 
Je ne TOUS ai que trop outragé par mes défiances. 
Venez, je me livre à vous , et je vous abandonne 
ma vie et mon honneur , si vous me conserves 
Helena. J'étois touché jusqu^aux larmes de mille 
mouvements qui s'étoient élevés dans mon cœur. 
11 ne désira point d'autre marque de ma sincé- 
rité , et m'embrassant à son tour avec cette no- 
blesse qui donnoit de la dignité à ses moindres 
actions , il me confessa que je Tavois mis à la plus 
rude épreuve où il eût jamais vu son courage. 
Nous retournâmes sur-le-champ au vaisseau. 
Il m'expliqua en marchant quelles avoient été 
ses vues lorsqu'il avoit pris le parti de m'accom- 
pagner jusqu'à Malte. Il ne falloit pas. douter, 
medit^il, que l'opinion que les trois chevalieni 
auroient répandue de mon apostasie n'e&t achevé 
de me perdre dans l'esprit du grand-maître , et 
la prudence ne me permettoit pas de reparoitre 
à Malte sans précautions. Aussi avoit-il approuvé 



^yO HISTOIRE 

Tordre que j^ayois dounë à limo de s'arrêter 
dans Fisle dé Gorze* J'y pouTois demeurer sou» 
quelque déguisement » tandis qu'il se rendroit 
i /la cour , où il se promettoit que son témoi- 
gnage et celui de tous ses gens sufBroient pour 
dissiper les plus noires imputations. A Tégard 
d'Helena , il me proposa de la lui confier , pour 
la mettre pendant quelques semaines dans un 
couvent. Sa pensée étoit , qu'en me voyant ar- 
river sans elle, on perdroit aisément le souvenir 
d'une galanterie passagère, et qu'après avoir 
satisfait pendant quelque temps aux apparences, 
il me seroit facile de la tirer de sa retraite , soit 
pour entreprendre avec elle quelque nou;veaa 
voyage 9 soit pour l'entretenir à Malte avec plus 
d€ décence et de discrétion. 

Je sentis renaître toutes mes peines à la .pro- 
position d'abandonner Helena. Cependautj'étoia 
trop avancé pour faire à Pérès un outrage plus 
sensible que jamais , en lui marquant de la dé- 
fiance. Je résolus de ne pas mettre de réserve à 
mon consentement, et je conçus qu'en effet ses 
vues pouvoient avoir tout le succès qu'il me fai- 
loit espérer. D'ailleurs, le zèle que je connoissois 
àLirao pour mon service , étoit une autre raison 
qui pouvoit soutenir ma foiblesse, et , s'il faut 
le confesser à ma honte , je pensai d'avance à 
mettre ce corsaire dans ma confidence. .... 



DIT COMMA-NDEUR DE ***. 271 

Jfopre absence avoit été si courte que les 
gaicde^ du port n'ayant point encore eu le temp» 
de {nous 'Tenir reconnoitre » Pérès me conseilla 
de me faire conduire vers eux aVant leur ar- 
i^ivée , et de me faire passer pour un étranger 
^ui avoit demandé d'être mis à terre , en pas^ 
saut à la vue de risle. Il me laissa le soin de 
cooKiposer .quelque histoire qui rendit cette ima^ 
gînation vraisemblable y et, me priant de lui 
penyQjer sur-le-champ la chaloupe» il se promit 
de reprendre le large avant qu'on pût se pro-^ 
curer assez .d'informations pour deviner qui 
j'étols. Je ne partis néanmoins qu'après avoix^ 
oommuniqué notre projet à Helena* Elle nj 
consentit qu'en répandant des larmes. Lirno, 
<|iie f admis à cet entretien, me renouvela s^ 
Sarments. Enfin ^ je quittai le vaisseau en faisant 
souvenir Pérès , que je oroyois faire plus pouf 
hû par cet excès de confiance , que je n'avois 
fait ipar tous mes services , et qu'il n'a voit fait 
hû^méme .par des preuves si constantes de la plus( 
généreuse amitié. 

li.me fut aisé de prendre 4e nom que je voulue 
dhoisir, et de donner la couleur que je crus la 
plus favorable à mon aventure. Les gardes du 
port s'empressèrent peu pour reconnoitre le vais-* 
seau lorsqu'ils le virent retourner vers la mer« 
{e demeurai dans Tisle ajeo deux de mes gens» 



TrjZ HI8.TOIJIB 

dont le courage et la fidélité étoient à répreuve« 
Je satisfis » sans affectation , à tontes les qnes^ 
tions du commandant , et feignant d^avoir be- 
spin de quelques jours de repos avant que de 
passer à Malte , j^eus la liberté de me retirer dans 
ime hôtellerie. J'y entrai avec une espèce de 
négligence qu'on porte dans un lieu où Ton se 
croit absolument inconnu. Cependant» au pre- 
mier pas, je me sens étroitement embrassé; et mes 
yeux me font reconnoitre le commandeur Ju- 
nius. Je lui rendis ses caresses avec mille înar- 
ques de la joie que j'avois de le revoir. Mais 
Tayant conjuré jtussitôt de ne pas prononcer 
mon nom , et de feindre qu'il me connoissoit 
pour un offieier françois 9 je fus aussi surpris 
qu'il le paroissoit , de m'entendre demander la 
même grâce , et dans des termes beaucoup plus 
pressants que les miens. 

Nous passâmes aussitôt dans une chambre 
écartée , et notre empressement fut égal pour 
apprendre les aventures qui en produisoient 
une si étrange. Je ne lui appris des miennes que 
ce que je n'espérpis pas de pouvoir lui cacher. 
U admira la ressemblance de nos destinées , et 
s'ouvrant avec moins de réserve , il m'apprit les 
tristes événements qui Tavoient précipité du 
trône dans une hôtellerie de Tisle de Gorze. 

Après nous avoir quittés dans le golfe de 



DU COMMAIiOEilH DE ***. 278 

Coloohiiieiâl'f ^eCqit apppochëdela cô^ âirMrpiQs 
de /précaiftioa jque la ipnermîère fois» Lêi tivèr^ 
étci^tcfmaferttdû'^caa afmqs^ ^ue la nontMédt 
iôa^janifDoe! «t l'at^nte^ de soit retour -y'' a^o^jén^ 
asaciaUës jI/âfaÉdeiir:de régner; lui aToit £»il* mé- 
^i^eof lé ^îdrîl. U s^ëimtpflElètl'ià cette maUitadev 
qui i^airok xeça comnieiisoa^biattrê^ Cdtoieât 
6es .f)Iai eél« f^ttisansv ii]ua la eéùXi bruit d& 
$6a,nofiL aToitiexcitési ^ le sbrfàr.î II «^étxltt miéi à 
leur t^el» 01 se faisant aciJain|H^^iièr|^^ 40a. 
palai^j^ilrj]^ a^oit tenu cdiisëU SàirecVél^ideJa 
Iraâpe sur ce qu^il air oit à cranidre dbiaofi lûmlu 
Quelquie! sèle j^u'il brouxàt dai») sofi paiti^^vfl 
ayoit compris que son. a1;>aence ayant v^oidiJa 
plus^^rande partie.de ja^nâttoÎL^iLne âqfoit pas 
espérer que ceux qn£,.a3ëtèfeift «attacbésuluaiblû- 
veàu roi'a&ao^oniiasteat Eàcilemôit sbi sntéi;ét|^ 
Cependant , tconuno iLnfy À^ifit qtie te^èoonage 
•et la isrinetë 'ipsi . pt^saàit vépàvev ses iaffiijras) ^ ' H 
aTCM^iprisie parti de «ie'prësënter an'ecimpt^ôe 
soii riiahàwoit: laKsé'pràs de larVilleviaù risofoé 
d'être iàçeablé toiit-dTnuriaoup: par le ijWmlnâ 
U • y .aiiait été neoa aivee ,c^ekj apclamotiotis! npa^ 
l-aydieni èk^Moé:; el^^nMjBnb'mkvièanrîmaik itiâiia 
hommtoaoïuaaes oiïdnes^Utt'aitoitpàS'doiibBf^ayi 
mesure 'qn'îl's^arincM'^tvcip ïUsurpaAenr^iaoai 
acifée neigrossfift'.]MsiEdarjbB£Éfpifcd!ai^ 
de T€laitairei/Jba>nâtién d!QMsai|BiH:l3be^^ danb 

PréTost. Tom€ XllL l8 



'}e tempe qu'il comptoit plus que jàinaiii'iUff son 
î^utréppise » le père de la maîtresse . q«'îl «Yok 
-eaitretenue longtemps pendant son nègne, le 
jpignitAla tête d'une! troupe noinlireiife. qu'il 
ayoît rassemblée pour le servir. U lui^MÉianda 
un moment d'entretien, dans lequel ij[ le pressa 
de lui déclarer les sentiments qu'il conserTOÎt 
pour sa fiUe. Et ne balançant point à lai- faire 
lôohnoitre ses intentions,, il lui pnômit «pe, s'il 
se déterminoit i prendre sur-le-cbamp la ïftialité 
de son gendre , il aUoitrainir en sa faveur tous 
jCefUL que lés intrigues de l'usurpateur avoient 
détachés de son parti. Junius, se fondant trop 
aurle zèle de ses gens , ayoit rejeté une propo- 
sition qui ressemblbit trop à la contrainte. Ses 
idées de célibat, qu'il regardoit comme un eur 
gagementindispensable* et sa propre inclination 
qui ne le portoit point au mariage , . lui avoient 
&it répondre avec peu de ménagement an Mbt 
jûote , qu'un sujet ne faisoit point de composi* 
iions si hautaines avec aon souverain» Le fier 
Grec n'a voit point attendu d'antre ex^^icatiou 
pour se retirer, et par quelque pratique qui 
étoit demeurée inconnue 'à Junius't il ftvdit en«- 
traîné après lui nourseùlement sa propre troupe, 
mais encore celle quis'éfeoit réunie *avec tant de 
zèle sous lesenseignesdjimalheureuxmonarque. 
Se trouvant donc abandonné de tout, s» gens « 



V 



»U COMMANDfiUjR, DE '^**. iy^ 

et trop .heureux, sans doute f de n^étre pas livré 
à son rival, il demeura dans rembarras de cher- « 
cher uucheminpour fuir. L'idée qui lui i^stoit 
de notre projeta d'Albanie le fit tourner.de oe 
côté-là ; mais ce ne fut qu'avec des peines conti* 
nuelles et d'aSreux dangers , qu'il surmonta les . 
obstacles qui s'opposèrent à son passage. Enfin , 
lorsque l'ignorance du pays , et la crainte d'être 
arrêté, lui faisoient désespérer de pouvoir ti»- 
Terser les montagnes, il tomba dans les mains de 
quelques brigands , qui le forcèrent de s'engager 
dans leur profession. La nécessité de défendre sa 
vie plutôt que l'envie de se faire honneur de son 
courage , lui fit faire quelques actions si déter- 
minées , qu'elles le firent considérer de ses nou- 
veaux compagnons. Il crut ne rien risquer à 
leur déclarer qui il étoit , et cette connoissauce 
redoublant en efifetleur zèle, il reprit l'espérance 
de remonter sur le trône avec leur secours.' Elle 
n'étoitpàs fondée sur le nombre ; mais connois- 
sant le caractère des Maniotes, il se persuada 
<{u'il lui suffiroit de. paroître avec quelques . 
troupes pour ranimer son parti. 

Il retourna plein de confiance par les chemim 
qu'il avoit parcourus avec tant de frayeur .r Mais 
le terme de son règne étoit arrivé. Son malheur 
lui fit rencontrer l'usurpateur à la tête de son 
armée» U fut enveloppé avec tant de diligence » 

i8* 



• _ 

ST^ HISTOIRE' 

que n^ayant pu sesauyer par la fuite ^ il demeura 
prisonnier avec tous^ ses gens. L'infoHuné Junius 
se crut à la dernière heure de sa nrie; et son rival 
ne Teut pas plu» tôt reconnu , que dans le res- 
setitiment qu^il conservoit de ses dernières en- 
treprises , il parut disposé à prononcer Tarrét de 
sa mort. Cependant, il se fit un mouvement 
parmi les Maniotes en faveur d'un homme qui 9 
loin de les avoir oflPenses, s'étoit fait aimer de 
toute la nation pendant son règne. Sans penser 
à le rétablir dans ses droits, on résolut de le 
dérober du-moins à Finjuste haine de sott* rival ; 
et les principauic chefs s'étant unis pour deman*- 
der sa vie et sa liberté, Tobtinreot d^autant plus 
facilement, qu^une prière de cette nature ren- 
fermoit une menace dont le sens n'étoit pas in- 
certain. Junius fut « non-seulement an*aché à la 
mort^ mais par une suite des mêmes sentiments^ 
les Maniotes prirent la résolution de le renvoyer 
couvert de bienfaits. Le nouveau roi n'ayant 
osé s'y opposer, on le conduisit à Maina avec 
toutes sortes d'honneurs , et Ton équipa un vais*- 
seau pour le transporter dans Tisle de Gorze, où 
il souhaitoit de se rendre avant que de retour- 
ner à Malte. Son dessein étoit le même que le 
mien ; c'est-à-dire que , n'osant se présenter à la 
cour du grand-maître sans avoir détruit les ac- 
cusations injurieuses dont on avôit noirci son 



DU COMMANDÉtrii DE ***. 27^ 

honneur et sa l'eligioa, il avoit voulu se mettra 
en état de faire sa puiiL d^nsiréloigueoaent» Mai* 
À-peine spn yaiâseau s^étbit^il ^arté du rivage^ 
qu*ua jeuoe Mamote , qui , $aiis être connu de 
réquipagç« a voit été reçu à bord en qualité de 
passager, avoit demandé* à Teutrelfeuir en parti* 
culier. Sa surprise Ta voi$ beaucoup emporté sur 
sa joie , en reeonnoissant sa maîtresse^ qui s^étoit 
revêtue d'|ux;babit d* homme, pour le suivre» 
Quoiqu^l eût toujours mairqué pour elle un 
attachement, fort vif, la résolution où il étoit 
de retourner à Malte Vftccordoit mal aveu ua 
engagement doUkt il craignoit mille suites fà» 
cheuses. Le bruit s^étant répandu depuis long^ 
temps q\Ci\ étoit marié , c*étoit le confii^mer^ 
que de revenir accompagQé> d'uBe.femme 9 doiit 
il ne pQUiTo/l; sç disp^i^^^i* de prendre $oibi 
ïou^es ce^ î[d^ft Lui avoient £ait mettre beaucoup 
de froiql^ui? d#Q6 IVccUeil- quf il avôit fait à idette 
fidèle lOQ^itress^e^ Cependant^, ne voyant aucua 
moyen de s'en défaire', et la présence d'une 
femme ^oi^ble layant péutréti^ ranimé tous ses 
sentimeqts , il s'étoit déterminé à )a recevoir , et 
il revoit à Gorze a ve<; lui. ; 
. La réserve avec laquelle je m'étois d'abord 
expliqué sur, ma situation fut bientôt dissipée 
par des ouvertures si sincères. Je ne pus cacher 
4 Jujiius 4 que mes peiûes , mes iuquiétudcs f mea 



\ 



278 HISTOIRE 

craintes 9 étoiétil de la mêine nature que les 
demies; enfin , qti^îl'ne falloit <|u*un méimë non 
pdur deux histoires si ressemblantes. Le seul 
ayantage qu*il aTOlt sur moi , étoit d*étre arrivé 
depuis huit jours, et d^aToir dé|à fait quelques 
démarches dgnt il aTôit reçu beaucoup dé sati^ 
faction. Cependant , comme il étoit ausSsi inconmit 
que moi' dans Tisle de Gorze , et que se servant 
du ministère d*Un'Italien fidèle qu'itatoit adressé 
à quelques-uns de ses anciens amis, il aToit ^eint 
d'être demeuré en Sicile, dW il ettvo^oit sent 
messager à Malte, la diligence de cet agéttt n'èm- 
péchoit point qu'il ne fut obligé de- différer 
quelque temps à le renvoyer avec les explica- 
tions qu'on lui avoit demandées , pour donner 
de là vraisemblance à son éloignement. Ces ex- 
plications, que le gràkid^maitré avoit lui-ménre 
exigées , regardoient un certain nombre dé cheis 
où Ton réduisoit toutes les accusations formées 
contre Junius, et sur lesquels on vouloit qu'il se 
purgeât avant que de s'approcher d^ Tisle. On 
demandoit s'il étoit vrai qu'il fut marié à Maina 9 
qu'il y eût formé un sérail , qu'il eût embrassé 
le mahométisme , et qu'il eût entretenu une 
étroite alliance avec la Porte. Son innocence 
étant aisée à prouver' sur Les trois premiers arti- 
cles, il n'étoit embarrassé quepourle quatrième; 
mais comme p'étoit le plus foiblé; et qu'il se 



BU COUHAIfOEUa DE *^*. TJ^ 

croy oit aasëz excusée par les nécessita de -soar 
gouyernemeut 9 il se Aattoit <|tte sa coii|Lp6sition 
devieïidroit fort aisée; ' ^ i. ♦ . > 

Jie nWois- pas une si Immsuc opinion ^'dè^ lu 
mienne. Jumus méine^ qni se sbùrenôit'dé 
réclat.<pie mpn amour aVoit fait à jnAn départ 
de Malte» neipnt ^ persuader aussi fteilémeiÉit 
que Pecè&> que le grand -mettre fermAi jamais 
les yeux sur un commerce qti?il aVoit condamne 
atec lant de hauteur. U me. fit naître tant de 
craintes* que mille foisje'me repentis de m^âtre 
livré^aTec si peu de précautiofiis« J'attendis. tom 
les joursxies nouvelles^ arec une impatience qui 
me rendoit la yie insupportable. Enfin, je Vis 
arriyer Limo , mais dans une chaloupe^ .et quoi*** 
qu'en entrant au portil afiectât un air teéi^juiUe^ 
pour déguiser son tropUe iaux spectateurs 9 je 
remarquai qu'à mesure que nous nous écartions 
de ceux qui pouvoienCnousobseryer, ilprènoifc 

une ph;^^^'^^™^^ P^ ^^'^^^'^ ^ plus, embar- 
rassée; Je ne serois pas ici 9 me dit-il à-la-fin , si je 
n'avois cherché que ma sûreté; et quoique fa je 
fait l'action d'un homme d'honneur , je ne me 
crois pas fort à couvert de la vengeance de Totre 
ordre. J'ai tué les trois chevaliers quii¥oas ont 
noirci dans l'esprit du grand-mattre. A-pêine 
ai-je eu le temps de me jeter dans ma cHaloupe^ 
#t si je puis espçrer d'être ici tranquille» ce ne 



fBut éira^âeipaii la.(éflfeq*â»i qœ j Vu eod i*e rîs- 
fnclr Isjfpflfisa^.'viQzLiueliBiê 8oàpèoiinerav{)oiDt 
de m*étre expose à la mecayec déïik niatelots; 
tt aîft^QflBDéMé pfae nc h û j ôc sera, isap» doute, dans 
Sbld liciMalte. Pteréoipnç ^^CRJcffab^ oo s'éunt iaim^ 
gm^'^ItviiMrôjtâdt ban.TeDSiiîpoi*yqa^^lQtde 
fAQ0iUi»:'^pe deiqbelqcMi m4i$qr»rqiû''éùneM 
au iief d Jie lalmetii^et IW a^ slétoippràkt )ift*rét^ 
è^finnBBhiweri jalil cfôit jëtraiyr; • -^ cï- 'ii:-^ ^if- \ 
f^ljljiealdoitfrde dôb^iureUtuneJitaL^a^prit tooles tes 
éliBgatiém iquç jIavcn»^<soii'ztie; il'n^tfrdit pti 
^pnilUBflesMie HehMÛliînsqii^aa motfïènl^n'l^eKi 

paisojcCctièctlexëcittlée f|eerânê didciletJon^pour 
léi|i^lfe^'lenr deroiaHnelraoon^oimiiîaepmi^ 
ÇféJBnyjqJ ftlaif; tpAoïqulili n'eût fiointrdWtre 
opyimjMfciiiV et cp'il M&sàtià PerèsJawiiLdenie 
înaûfiw. ir la cour y il( i^toit fort bîep imtpé daos 
iaBaé«)ér4t6^ e» ^Uîaatidàas idi^âiv^eiidroitb 
de Ifatinlifi, tol!itu»cpi*îl«vqift àrvLrjptfbjftèfid^ 
tfûircifesliffoitBqa'Uey'Àïiuvoît rëp«i^^ Api* 
preqantique iei' trois ckevaliers cantmiioiênt de 
SM iioiiicîc^ et tfu^lk pronoieut même droit di^ 
Bonrsdisexiee pour r aiufin ce que Ferès aroit déjà 
£aît aiLfVià'iaTeiir^ il iToit employé la l:éorihu4' 
nation .^Qirire . eu!i , eiti s^emport^àit. bèapcôup 
vcontrè là làdeté iç[ii!ilft;avoîentette dem^alMint* 
doimer , et en leur jrepijodiaait > comme; un Vol^ 



DtJ COMBfAJHDEUja DE *'^*. 28r 

Vftutorité qu:il£riâ'éi^iejot>atU*îbuee sur thon vaii-i 
9e^v i^ henv rft^mtDx - pour les dames torques 
:Ki^a;ifQ)<r,poiiifr|et;éiQaUiée; et^saisis^mipeut^re 
xw^tJÉx. qUe>çc)Qijfti; wérité <l)e:léur arenture» il 
iCavoit pas )batia]cëijà faire passer leur départ 
pné^ipitë pouh uii74fi£fet dé leur. ressentiment, él 
lenrs'àccusationa'pptir une basse irengeancé de 
la froideur avec laquelle j*aYeis:6oùffi^rC.quV>ti 
retint ^le^rS) Bdèftr^s&esl II fiil'ipQip€>ssdb]e que ces 
d^<^iPBliQDtrdeoieiirasiseni( long'* temps incoia^ 
im^jkWi l90Îb dbiïTaHers. Iti en. parlèrent avec 
là $9periorilé!^qu^lsr«Q crôjbièntsur tn homme 
dcMP^^ils.cônnoissoient! la pro£eissîioni. Mais^ ne 
cher chant tqu>un prétexte pour leur faire une 
qûejsedA^ oui^earte, Useiît rendre témoignage , par 
^àeaefi persciines v i^le quelques t^tmès: in}u«4 
riiebkr^)lietol)âoîfnt échappéB>xumtre Ini»'^ 
CiHeiiffjift asaes jiéflir ie portjer/à leur faire wbl déSL 
QiM^ulil les ;fîtf «appeler separeihent :^ le Hem 
^iiieixF mariopiaf ut le même « etlaidistance da 
temj^s ine fut que d*nne demi-heure. Us se trou-' 
vèrent aujccfiisiff ement au rendez-:70us, et Lirnô 
eut khônheiir de le& tuer tous trois» Cependant ^ 
600: courage àtiroit eu peu d^ntiljté ppbr ma jui^ 
iifi«alâôix;isi{run^â!èu:x n^eûit consenré asses 'de 
vie povâr demander les secours de la reKgièii; 
Jbiif tio.ateijt oppielé quelque passants, sur qoi'ii 
a*iiimt reposé' de ce soin ; talùdis auen*enant ûtt 



* 

282 r HISTplRlS : 

chemin ëcarlé pour se dërobér^aux poursaitèi; i 
il avoit gagné son ▼aisseau .11 y atoit confié^san: 
aTènture à ses gens » qui aToient presqu^aataiiftr 
d'intérêt qne lui à cacher Sa^fiiite ; el dlmsTifti- 
possibilité de mettre aussitôt à là voile , il étok 
descendu dans la ckaloupéttv^c deniL matelots »^ 
qui aToient risqtië leur prd^pre*Tiié pour TaiM*- 
ner dans risle de Grorze* ' *• 
« Il ignoFOÎt quelles avbient'été les disposîtioni 
du cheyalier -qu'il avoit laissé mourant; el "M 
reprochant même lé faiouvemmt db eômpasricw 
qui^'avoit porté à lui envoyer duiseêouins^ il 
regrettoit de ne l'avoir point achevé. Mais, cfooi-^ 
que je ne pénétrasse pas plus que lui les avatt** 
tages que jê de vois tirer de cet incident, et -qu'il 
me semblât, au'coiBtraire, que 9 s'iiavoitqudqûo 
chose à redouter, ce n'ékoit què>d0la' dépositiMf 
dé l'ennemi qu'il, avoit épargnév^a eondaiotftmi 
un regret qui blessoit l'humanitif; et je Ï^accu!tt4) 
dé déshonorer, par un reste de ' férocité,' la' ôe^ 
blesse que jeremarquois, d'ailleui9,'dans le fonil 
de son c^actère. Sans me réfouifii'drla tnôrt de 
pies ennemis, qui me dispebsoit héaomoins d'àx^ 
poser quelque jour ma vie pour tirer raison de 
leur injustice, je lui demandai cequeBerè&avoit 
fait pour moi. Il l'ignoroit , et les cfxpticatioiia 
qiiece cher ami avoit eues avec le grànd-maitre, 
étoient encore seerettes; mais il avoit su^ c<kQiaia 



DU GOMMANDEaR DE ***. a83 

le public, que mon vaisseau , qu'il ayôit rede« 
mandé en mon- noni'^ lui avoit été rendu dès le 
jour qui avoit suivi son arrivée. 
, Junius 9 que je ne fis pas difficulté d'appeler à 
notre conseil , admira beaucoup la hardiesse et 
la fidélité du corsaii% Connoissant néanmoins 
avec quelle se vérité le duel est défendu à' Malte^ 
il lui âuroit conseillé de reçommeneer plutôt à 
confier sa vieeux flots, pour gagner, à touftea 
«ortesde risques,' Tltalie ou la Sicile, que de 
demeurer exposé à des recherches qu'où pousse* 
roit infailliblement jusque dans Tisle de Gorze^ 
lorsqu^on les verroit inutiles à Malte. Mais lemsé 
corsaire se reposoit sur se^^gens , à qui il ayfiît tq-» 
commandé de le venir prendre ^ès la niSutisiiH 
vante. Comme il étoit résolu de partir ausiSlôt,. il 
me pria de lui marquer qmelqué lieti où il |>ût ma 
rejoindre^ dans le désir où il étoit de s'attacha 
constamment à mon service. Je ne pouvois ras« 
sembler trop de gens braves et fidèles. Ainsi i 
quoique je ne visse point assez clair dans l'avenir 
pourcompter sur mes propres desseins, le seul 
désir de me conserver les droits qu'il m'accordoit 
sur lui; më fit nommer le port de Messine , où je 
pensois à me rendre au commencement du prin* 
temps. , . 

• Il me demanda aussi mes ordres pour, la àé^ 
pouille de don Antonio. Cette question m'ejoibar- 



284 HISTOIRE )- 

rassB'. Quoique je n^ prëteodisse aucune parti 
j'a^ois quelque peine à m'expliquer sans la par^ 
ticipation de Pérès; .et si quelquVn deroit pro-j 
fiterdHtn si ricbë butin, c'ëtoit lut, .sang doute, 
Aprèsiant dUnfortunes et de pertes que la hain<8 
d'Antmiio Icû avoift caus^. Gspendant je crue 
deVoif juger dfë^âaenttineiits par les mieus-, ou 
plutôt ij.'ayoid trop de preuTes desa gënërositë 
pfaurtie pas preToir qi^*il dédaigiEerbitiune proiis 
dbnt il a'auroitd^ôblîgation qu'au malbeûr d^au'^ 
trui. Notre principe avoit toujours été de nous 
enrichir, s'il ëtoit possible, aux dépens de nos 
e&nemis , mais te armes à la main , et par les y oies 
dont ma profession ne faisoit un devoir contre 
les infidèles* Après quelques rëfleiioiiis, je prri 
doncile parti d^abaodonner à Lfrno les richesses 
dontïl in'offroit la disfRIsition ; et dans le dessein 
où je le Yoyois de me servir, je ne doutai point 
qu^ellés ne tournassent à mon avantage, pair 
Fusage qu'il en feroit pour s'ëquiper mieux et 
pour augmenter s^ forces. Il admira mon dësiq^ 
térdssement, et ce fut un nouV^ aiguillon potit 
son zèle. * 

En ôonsidërant , pendant le reste du jour, là 
situation de ma fortune et les fondements de me^ 
espërances, il me vint mille regrets de me sëpai 
rer d'un homme dont le secours pouvoit m'ëtre 
à tous moments isëcessaire i et peut^re eus* jf 



DU COMMANDEUR DE ***. ^85 

encore la foibl^esse de me repentir d^avoir abati-* 
donné mes affaires à la conduite de Pérès. Ua-^ 
mour m'ëchauffant plus que jamais, je faisoi^ 
réilexion que,. dans les sentiments que je con- 
tioissois à mon ami, je ne pou vois être excusé 
4*imprudence , puisqu^autant qu^il ëtoit porté à 
£ayoriser ma passion , s'il trou voit le moyen de 
la concilier avec mon devoir, autant je devois 
craindre qu^îl ne se joignît lui-même au grand- 
maître pour la Combattre , et pour m'enarrachei* 
Fobjet, s'il se persuadoît une fois qu'elle étoit 
incompatible, avec ma fortupe et mon honneur. 
J'étois si troublé de cette imagination, que dans 
plusieurs moments j'aurois volontiers fait avertir 
(lelena de repasser dans Fisle de Gorze , et je 
serois parti sur-le-champ avec elle et Lirno pour 
fuira jamais tous les ennemis de mon bonheur 
et de mon repos. Vers le milieu de la nuit, Lmio 
qui avoit marqué cette heure à ses gens, et: qui 
peusoit à les aller joindre à Tentrée du port, se 
leva pour me dire le dernier adieu. Les tour** 
menls de mou cœur redoublèrent si vivement k 
cette séparation , que je ne pou vois lui permettra 
de me quitter. Je l'arrêtai pour lui répéter cent 
fois mes derniers ordres, et.j'étois encore dantf 
un combat d'autant plus difficile k soutenir^ que 
je m'efforçois en méme-tempsdè cacher mon âgi«- 
tation , lorsque nous fumes avertis qm^il eniroil 



286 IttSTOIRE 

que c^étoit le sien; et que ses gens , ayant mal 
compris ses ordres , alloient Texposer à quelque 
^ dangerpar leur imprudence. Mais nous ne fûmes 
pas long-temps dans cette inquiétude. Etant allé 
moi-même au port ; la première personne que jy 
aperçus fut Pérès. Il me reconnut aussi dans rol>- 
scuritë; et, m'embrassântsans précaution , il me 
parut affecter d^élever la voix pour me faire 
connoitre par mon nom. Je lui fis remarquer 
aussitôt son imprudence ; mais recommençant 
avec la même affeq^ition , il me fit juger aisé- 
ment qu^il m^apportoit d^eureuses nouvelles^ 

Tous êtes libre ici , me dit-il enfin , et vouS'le 
serez à Malte quand il vous plaira d'y retourner. 
Le grand - maître oublie les anciens sujets de 
plainte, et rend justice k votre innocence sur les 
dernières accusations. Enfin , vous pouvez repa>- 
roitre à la cour avec toutes vos espérances. Quel- 
que joie que je ressentisse de ce discours , je Tin- 
t^rrompis pour lui demander ce qu*il avoit fait 
d*Helena. Elle est dans un couvent , reprit-il ^ 
avËC tout Tagrément et toute la sûreté que vous 
pouvez désirer; mais sa santé ayant souffert quel- 
que altération par les fatigues de nos voyages» 
elle s*est trouvée assez mal dès le lendemain de 
notre arrivée. Cétoit empoisonner ma joie. Je 
ne VQulois pas diffisrer un moment à partir, et 



DU GOMVANDËClt DE ***. 287 

;*accusois dëjà Perèa de ravoir abandonnée dans 
çettesituation. Maisi:eprenantun ton pi us grave; 
Je me reproche , me ditril » de ne vous avoir pas 
caché sa maladie; et )e n'y auroîs pas manqué , si 
}e ne vous avois cru/ capable 4'un^ peu de modé- 
ration. Il m'assura qu'il n'y avoit rien qui dût 
m^alarmer pour sa vie ; mais quand le datiger 
auroit été plus grand , ajouta-t-il , je devois con«* 
sidérer que je ne pouvois lui- procurer des se* 
cours ouverts» ni donner des marqua éclatantes 
de rintérét que je prenois à sa santé , sans ruiner 
totU ce qu'il venoit de faire beureusement pour 
me rétablir dans l'esprit du.grand*maitre. Il me 
rappela ce que je lui avois promis et ce que je me 
devois à moi-même. Enfin, m'ayant répété avec 
serment, que la vie d'Helena ne couroit aucun 
danger, il me déclara que dans la crainte où je 
le mettois de me voir trahir mieis propres intérêts 
par quelque indiscrétion, il exigeoit de mon 
amitié que je demeurasse à Gorze jusqu'au réta - 
Wi«.n>eo, de »» m.!.^. /^ 

Quoique je ne pusse rien lui refuser après 
le nouveau service qu'il venoit de me rendre, 
je me flattai de le faire changer de pensée en 
lui promettait toute la modération qu'il dési- 
roit. Le commandant auquel il fut conduit nous 
auFoit gênés par ses politesses, si nous ne l'a* 
vions prié de ipkous laisser libres pendant le reste 



288 HISTOIRS 

de la nuit. Je n^oubliois pas que Lirnoiavoît 
besoin de notre secours pour rejoindre sesgens^ 
et Pérès , qui les avoit rencontrés & quei^que^dis» 
tance du Port , lui conseilla de ne pas perdre us 
moment pour regagner son vaisseau. Il nous: ra^ 
èonta néanixioins, ayant son départ ^'dans quelles 
dispositions il aToit laissé la cour^Le chevàli'ei? 
à qui Limo à voit procuré de l'assistance après 
I\iToir blessé mpridlement, yétoif; cru obligé^ 
en expirant^ d'expliquer ks Wdtif s qu'il ttvoit 
eus avec ses compagnons, pont* nie ridii^t* 
par une imputation à laquelle il confessa <[ttii4 
avoient trouvépeu de vraisemblance. La eàttàé 
de leur ressentiment étoit celle que Pérès s^iêUAt 
imaginée. Après avoir souffert impatiemineiài! 
dans notre navigation que nous eussions par li 
condamner leurs prétentions sur les trois daitteK 
turques , ils avoient perdu toute mesure en nous 
voyant résolus à Trina de ne rien entreprefndrtf 
pour la liberté de trois femmes dont lesint^t^S 
n'avoient rien de commun avec les nôtres. Dkà 
ce moment nous étions devenus leurs ennieMis, 
et s'ils avoient attendu si létig-temps à se déclà- 
fer, ce n'avoié été que pour chercher uh*prét 
texte à la fuite qu'ils médîtoient. Ils aVéjeÉÉt 
saisi le premier sans Tappi^ttfondir , et lé déinv 
de s'avancer s'étant joint.au nïottvemeûtàé 'la 
vengeance, ils s'étoient lVa«étf*qtfèa arriyatit'à 



DU COMMANDEUH DE ***. 289 

• • "> ■ 

Malte ils obtiendroient facilement du grandr 
maître la possession d*un vaisseau quHls auroient 
comme sauvé dés mains des infidèles. Ils avoieût 
été trompés dans cette espérance , car mon vais* 
«eau avoit été confisqué au profit de l'amirauté ; 
mais leur dépit croissant par ce mécompte, ils 
avoient continué de s'emporter avec plus de cha- 
leur contre Tapostàsie qu'ils m'avoientattribuée* 
Pérès n'ayant pag fait éclater son dessein en arri- 
vant , ils avoient pris droit encore du silence 
qu'il gardoit avec tout autre c(ue le grand'-maî'- 
tre, pour répandre sourdement qu'il n'auroit 
point eu tant de modération, s'il n'étôit venu 
plaider la cause d'un coupable; et le tén^oignagé 
du corsaire et de mes gens n'a voit passé dans 
leur bouche que pour une apologie mandiée. 
Cette confession du chevalier ne fut d'abord 
qu'un acte secret de religion; mais le prétrè 
qu'on avoit appelé pour l'entendre lui fit une 
loi indispensable de la rendre pubUque , en la 
répétant devant plusieurs témoins. Elle fut rap^ 
portée au grand -maître avec toutes les circon- 
stances qui pouvoient lui donner du poids. Son 
penchant le portant déjà à se laisser persuader 
par le témoignage de Pérès, dont il conhoissoit 
la droiture et l'honneur, il déclara ,noH^seule- 
ment qu'il étoit convaincu de mon innocence', 
mais qu'il crOyoit les trois chevaliers justement 

Prévost. Tome XIII, Iq 



290 : HISTOIRE 

punis. Cependant il n'avoit pas trouyé moitis 
étrange qu*un corsaire eût osé pousser si loin 
la hardiesse » et Tordre de Tarréter avoit été 
publié à son. de trompe dans toutes les. parties 
de risle , d'où Fou ne pouvoit s^imaginer qifil 
fût parti, tandis qu'on TOjoit encore, son vais- 
seau dans le port. 

Ainsi Lirno sç trouvoit le réparateur de ma 
réputation , et Pérès m'en^orta à lui reùdre 
toute la reconnoissance que je lui devois à ce 
.titre. Ce fut un motif aussi puissant que sa gé- 
nérosité pour lui faire approuver le parti que 
j'avois pris d'abandonner toute la dépouille 
d'Antonio à ce fidèle corsaire. Nous prîmes soin 
de le faire conduire avant la fin de. la nuit jus- 
qu'à son vaisseau. Je l'assurai en le quittant que 
j'oubliois sa naissance et sa professioa 9 pour ne 
considérer en lui qu'un des plus braves hommes 
du monde; et formant d'autres vues, sur son 
attachement, je le fis convenir du rendez-y ouS 
que je lui avois^ donné à Messine. 
. . Dans la nécessité de commencer par les intérêts 
les,plus pressants, Pérès n'ay oit encore 4onné à Ju- 
nius que les marques ordinaires de la jpie qu'on 
sent de> retrouver un ami. Mais en apprenant 
ses aventures et les raisons qui Tarrétoient à 
Gorze, il ne douta point que nous .c(é' pussions 
tous deux nous rendre utiles à sa. justification*; 



\\ 



». 



DU COMMANDEUR DE ***. 29I 

Cependant une autre réflexion lui fit dissimu- 
ler celte pensée. Dans le dessein quHl a voit formé 
de me faire passer quelques jours de, plus à 
Gorze» il crut que la compagnie de Junius se- 
roit un motif de plus pour m*y faire consentir. 
Il le prit à Técait pour lui communiquer ses 
vues , et Payant engagé à s^unir h lui » ils réus- 
sirent de concert à me faire promettre que je 
difiPérerois huit jours à me rendre à Malte. Il 
sembloit dans cette conduite que Pérès pénétrât 
Tavenir , et qu'il yit clairement tous les effets 
qu'il devoit attendre de sa prudence. 

Il retourna lui-même à la cour , non-seule- 
ment pour me satisfaire par les soins que je le 
priai d'aller prendre dUelena , mais pour com- 
mencer à seryir Junius sans Tavoir averti de 
son dessein*. Son absence ne surpassa point le 
terme qu'il m'avoit fixé. J'employai tout le hui- : 
tième jour à l'attendre sur le rivage. Junius, 
qui gardoit moins de ménagement depuis les 
nouvelles qu'il avoit reçues, n'avoit pas fait 
difficulté de m'acoompagner , et quoiqu'il ne i 
s'attendit à rien moins qu'au bonheur qa*oii loi * 
venoit annoncer, la seule amitié lui faUôit par«';; 
tager mon impatience. Enfin Pérès s'ofint à no8> -. 
yeux. Le vent n'avoit jamais été si favorable à . 
mes désirs. Le vaisseau fut au port en un. î&*'* 
stant, et Pérès | $au tant sur. le rivage , ,BOtta r 

19* 



2yi niSTOinE 

apprit dès les premiers mots 9 à Junius » que sa 
paix ét<Mt faite avec le grand-maltre ; k moi, 
qu^Heleiia étoit parfaitement rétablie. 

Cher ami! m'écriai «je avec transport, ma 
vie 8affîra<trdle pour m^acquitter de tant de 
bienfaits? La reconnoissance de Junius n'écla* 
tant pas avec moins d'ardeur , il eut peine à suf- 
fire à noft caresses et à nos embrassements. Il 
n'y avoît fdus d'obstacles qui pussent retarder 
notre départ. La maîtresse de Junius fut ame* 
née sur4e-champ au vaisseau » et Pérès , qui 
n'iguoroit point quelles étoient de ce coté-1^ 
les craintes de Junius , le soulagea encore en 
loi promettant de loger cette femme avec son 
Espagnole, et de se faire passer ponr son amant. 
Nous revimes Malte avec des emportements de 
joie. Il n'auroit manqué à mon bonhtur que de 
trouver Helena sur le port , et de lui voir ou- 
vrir les bras pour m'y recevoir. Mais Pérès , 
quoique rassiiré contre Timpatience qui m'a- ' 
voit fait rompre toutes Boiesures pendant sa ma- 
ladie, m'avoit fait promettre encore que je se- 
rois du • moins quinze jours sans entreprendre 
de la voir; et la nécessité de prendre l'air pour 
se rétablir étoit un prétexte si naturel , qu'oft 
ne ponvoit trouver étrange qu'elle sortit alors 
de son couvent. Yous^ la verres ainsi par inter- 
vaUei, îoK dit-il, et si vous êtes capable de quel-* - 



4- 



DU COMBCANDEUR DE ***. JîgS 

que liiodération ^ tous dérobéree yolre intrigue 
aux; yeux de tout le monde jusqu^au momekit de 
votre départ. Il yiendra un temps » ajouta-tHl, 
où la longueur de ce commerce formera une 
espèce de prescriptiou qui le fera respecter; 
sur-tout si vous le soutenez sans désordre, et si 
.vous continuez , d'ailleurs, de tous attirer une 
juste considération par to6 services. Je rlui de» 
mandai $*il avoit entendu parler de la Rovini. 
Elle ëtoit revenue à Malte 9 me dit-il, depuis là 
fuite de sa fille; mais après y avoir attendu 
long-^temps mon retour, elle a voit pris le parti 
dese retirer en Italie, où elle y vivoit d*une petite 
pension de son ancien amant. 

Pérès avoit ménagé notre réception avec tant 
de prudence, que, loin d'être exposés à quel- 
ques reproches , nous ne trouvâmes que de la 
bonté dans le grand-mattre* Toute la cour étant 
entrée dans les mêmes disposition», on évita de 
rappeler des souvenirs qui pouvoient nous cha- 
griner , et les premiers jours de notre arrivée 
. furent autant de fêtes , dcmt tout le monde sem- 
bloit partager la joie. Junîus eut la satisfactî<m 
de voir le secret de son intrigue bien établi par 
là complaisance de Pérès , et son caractère lui 
promettoit beaucoup de tranquillité dans sfs 
amours. J'ai connu peu d'hommes aussi simples 
dans les manières , et d'une si grande modër^- 



'ag4 ' ^' * HISTOIRE, 
lion dam les sentiments. Soit* goût naturel» soit 
qu^il eût acquis Famour du travail sur le trône 
des Maniotes « il se plaîsoit à faire de ses propres 
mains jusqu'à ses habits et ses perruques ; de 
sorte que se livrant à cette occupation pendant 
une partie du jour, on n*étoit pas porté à s*ima> 
giner qu'il passât rautre avec une maîtresse* 
Pérès , qui a voit occasion de le voir plus parti- 
culièrement que moi 9 m'a raconté qu'il Fa voit 
surpris quelquefois dans son travail, et qu'ayant 
znis à-la-fin sa maîtresse dans le même goût , ils 
s'occupoient ensemble à coudre ou à tresser des 
cheveux.' 

J'anticipe sur mes aventures , car dans le 
temps que' Junius jouissoit si paisiblement de ses 
amours , il s'étoit déjà fait une étrange révolution 
dans tous mes sentiments. Pérès eut une peine 
extrême à m'assujettir aux bornes qu'il m'avoit 
prescrites, et les quinze jours que je lui avois 
accordés me parurent d'une longueur qui me 
fit trouver la* vie fort ennuyeuse^ Cependant, 
comme il m'étoit permis de recevoir des lettres 
dlielena V et de lui faireit*endre les miennes, je 
me cônsolois'par la douceur de lui expliquer 
mes tendres sentiments. Après avoir employé le 
jour dans la société de mes amis , je me dédom- 
mageôislesoirde cette violence , eti me rendant 
proche de son couvent ^ où je passois souvent la 



DU COMMÀNDEim DE ***. 1q5 

nuit entière à penser au seul objet dont fétois 
possédé 9 à me figurer , au moindre bruit , que 
c^étoit elle que j*entendois; enfin 9 où je faisois 
mes délices» de mUmàginer seulement que je 
respirois le même air. Cette yie» que je menai 
pendant quinze jours, aToit augmenté Tardeur 
de mes sentiments jusqu^à me persuader que 
Helena étoit Tunique bien pour moi. J*aurois 
sacrifié poiu* elle ina vie et ma fortune. Eu un 
mot , je me crojois à la perfection de Tamour. 
Avec quelle chaleur n'avertis-je point Pérès que 
j'^étois à la veille du jour dont nous étions con- 
venus? Combien ne lui fis* je pas valoir ma fidé- 
lité et ma patience ? Vous êtes satisfait, lui dis-je; 
mais je ne vousaccorderoispasun quai^td'lieure 
de délai , dût-il m^en coûter tout ce que j*ai de 
cher et dé' précieux. Il ne chercha point à reçu* 
1er Texécution de sa promesse. Helena étoit pré- 
Tenue sur notre rendez-vous. Le lieu qui s*of- 
froit naturelleinent étoit Tappartement de la 
dame espagnole. «Ty passai le jour entier, quoi- 
qu^Helena n^ dût être amenée que vers le soir. 
J^étois plein d^eile , je ne parlois que de ses 
charmes et des transports que j*alIois ressentir 
en la voyant. Je priois le ciel d'anéantir les 
heures qui . retardoient son arrivée. Elle parut 
enfin, ou plutôt apprenant qu^elle mont oit Tes- 
calier, je commençois k me précipiter yers la 



i 



Z^S HISTOIRE 

porte» lorsque Pérès l'ouvrit, etjne présenta 
^ne jeuue personne qui fut absolument in* 
fîonnue pour moi. Je demeurai interdit, en 
cherchant à quoi cettei plaisanterie pouvoit 
<jK>utir. Je voy ois une fille de la taille et de Tâge 
d^Helena ; mais j'ayois vi^ peu de visages qui 
m'eussent paru aussi désagréables. Une peau dif- 
forme, les yeux louches, une blancheur fade 
et dégoûtante. En fixant néanmoins mes regards 
çur ce fantôme, je ne laissois pas d*y démêler 
quelque chose qui ne m'étoit point étranger. 
J'allois marquer mon étonnement à Pérès, et lui 
demander pourquoi je le voyois sans Helena; 
mais il prévint ma question et mes plaintes : Je 
vous la rends , me dit-il , et vous n'avez pas eu 
plus d'empressement qu'elle pour cet heureux 
moment. Sa maladie l'a un peu défigurée, ajou- 
ta-Tt-il , et je ne l'ai pas reconnue tout-d'un-coup, 
Mais l'amour pénètre au travers de tous les 
voiles , et vous reconnoissez , sans doute , votre 
chère Helena. £n rélléchissant depuis sur ce 
discours, j'aurois soupçonné Pérès d'une cruelle 
ironie, s'il ne m'avolt protesté avec mille ser- 
nlents que son intention étoit droite et sincère. 
Quoiqu'il n'eût pas ignoré que la maladie d'He- 
Jena a voit été la petite v^ole, et qu'il me l'eût 
même appris en partant de l'isle de Gorze , il 
|i*avoit pas su qu'elle eût été absolument, défigu* 



DU COMMANDEUR DE ***. 297 

jree par ce cru^l ennemi de la beauté , et ce 
n^étoit que du même jour qu'il s'en ^toit instruit 
par ses propres yeux. Ppur moi, qui n'aurois 
pas été plus abattu d'un coup de foudre, je de-* 
ineurai quelques moments à considérer l'objet 
de ma tendresse, et je cherchois dans ses ti^aits 
quelques restes de l'image que j'en conservoidi 
encore au fond du cœur. Uh froid inexpri- 
mable, qui me glaçoit le sang k mesure que 
cette nouvelle figure sembloit efiacer l'autre » 
m'empécba d'ouvrir les bras pour l'embrasser. 
Cependant la bienséance me porta enfin à lui 
faire quelques caresses. Je m'assis près d^elle ; je 
tâcbai de rappeler le souvenir de mes anciens 
sentiments f. poursuppléerà ceux que mou coeur 
me refusoît. 

Helena ne s'aperçut pas tout-d'un-coup de 
cette altération. Elle n'attribua ma retenue qu'à 
la présence de nos témoins ; et quelque légers 
compliments qu'elle me fit sur le cbangemepl de 
son visage , lui parurent suffisants pour réparer 
toute l'impression qu'il avoit pu faire, sur moi. 
!Nous soupàmes avec nos amis, et je m'eSbrcai 
pendant le repas de ive rendre maître du trou- 
ble qui croissoit continuellement dans ipoa 
cœur. On s'imagina qu'on n'avoit point de meil- 
leur service à me rendre que de me laisser seul 
avec ma maîtresse. Je ne me refusai point à l'oc- 



< 



2g8 HISTOIRE 

casion, et quand une longue priTation de toutes 
sortes de plaisirs n^auroit pas rendu ma sensibilité 
plus facile à renaître » les caresses passionnées 
d'Helena ne m^auroient pas permis de demeurer 
sans mouvement auprès d^elle. La nuit se passa 
dans un mélange d^indiiférence et d^ardeur ^ au- 
quel je n^ai point de nom à donner. Mais lors* 
que le jour vint m^apprendre , encore mieux 
que la lumière des bougies » ce qui me restoit 
à la place de ce que j*aVois perdu , je ne pus 
résister au dégoût que je ressentis de ce spec- 
tacle. Jc me tournai de Tautre côté , et feignant 
d'être pressé du sommeil , il n^ eut ni instances » 
ni caresses qui pussent me faire quitter cette 
situation. Helena fut forcée de se lever par l'ar- 
rivée de nos amis , qui lui reprochèrent sa pa- 
resse. Mais je continuai de garder la posture où 
j'étois 9 et fermant les yeux avec obstination » je 
persuadai à tout le monde que j'avois effecti- 
Tement besoin de repos. 

Quelles étoient mes réflexions dans ces cruels 
moments! Quoi! disois-je, une passion quis^est 
fortifiée par tant d'épreuves et par une si lon- 
gue durée, un amour si tendre et si constant, 
pourroit s'éteindre par un accident qui n'étoit 
au pouvoir dUelena ni au mien ? Mais les plus 
justes reproches que j'étois porté à me faire , et 
que je croy ois mériter, n'empêchoient pas que je 



DU COMMANDEUk DE '^**. S99 

ne sentisse au ^ fond de mon ctieur la vérité du 
changement que je condamnoîs. Quelle res- 
source contre une inconstance si peu volontaire ! 
Je ne mettois point en délibération si j'aban- 
donnerois une maîtresse que j'avois si tendre- 
ment aimée.' Non , non , je ne serai jamais in- 
«ensible à son' bonheur, disois-je, j^emplojerai 
une partie de ma fortune pour assurer la sienne: 
Mais où trouver un remède contre le dégoût 
qui m*a saisi ? Et me rappelant tout ce que j*a- 
vois entendu dire de la fidélité et de la 'tk>ù- 
stance» je m^accusois de nWoir pas assez com- 
pris que Tamour doit être effectivement sujet à 
changer , lorsquUl n'a pour objet que des qua- 
lités extérieures qui dépendent des accidents dû 
hazard. Je me viis rempli de la figure d'Helena, 
disois- je encore ; je n'ai pas porté mon admira- 
tion plus loin/ que les charmes de son visage. Il 
falloit approfondir son caractère, y démêler ce 
qui étoit capable de flatter mon esprit et ma 
raison : j'y Irouverois peut-êti'e aujourd'hui de 
quoi me soutenir contre les funestes impressions 
que son visage fait sur mes yeux. £st*il trop 
tard, ajoutai-je? Et pourquoi neferois^je pas 
du-moins cet essai ? ' 

Je me crus assez fort de cette idée pour com-^ 
mencer aussitôt mon entreprise. Je me levais 
avec la résolution de me rapprocher d'Helena^ 



300 HISTOIRE 

pour étudier son caractère » et tout ce que le 
charme de moù amour et du sien m'avoit em- 
pêché d^examluer dans un si long commerce. Je 
conçus qu^il me faudroit tenir les yeux plu3 
souvent fermés qu^ouverts; maïs la Tue étoit- 
elle donc le seul de mes sens dont je pusse espérer 
du plaisir ? Comme ma ^Iaîtresse u*avoit point 
encore de sujet déclaré de me croire changé 
pour elle, ma présence ne la gêna point» et mes 
moindres attentions suf&soientf au contraire » 
pour Tentretenir dans une erreur dont rien ne 
sembloit propre à la faire sortir. Pérès fut le seul 
à qui je jugeai à-propos de m*ouYrir« Il m*écouta 
avec diverses marques d'étonnement. Mais sans 
lui laisser le temps de me répondre» je joignis à 
.cette confidence le dessein où j'^tois de rappeler 
mon cœur à Tamour par une autre voie, et je 
le priai de m^aider lui-même à découvrir dans 
Helena toutes les qualités qui pouvoient me faire 
oublier la perte de ses charmes. Il me promit 
ses services avec le tnéme zèle que je lui avois 
toujours trouvé pour mon bonheur. 

Céioit un espoir chimérique dont je me re- 
paissois; et Pérès, qui en jugeoit mieux que 
moi , ne se dispensoit de me déclarer son opinion 
que pour me laisser le temps de m*en convaincre 
par Texpérience. Outre qu'Helena' n^avoit pas 
^eçu dç sa mère une éducation qui eût été ca- 



DU COMISANDEUR DE ***. 3oi 

pable de former beaucoup ses sentiments » et 
que toutes les perfections de son ame se rédui-> 
soient à la douceur, il savoit que si l'amour na 
consulte' pas toujours les sens pour s'insinuer 
dans un cœur, il est bien rare aussi qu'il s'eu 
ouvre l'entrée malgré eux; c'est-à-dîre, que si 
la beauté n'est pas nécessaire aux femmes pour 
se faire aimer, il faut du-moins qu'elles n'ayent 
rien de révoltant pour les yeux et pour les autres 
sens. Il prévit donc que mon dessein n'abouti-r 
roit qu'à me tourmenter par de vains efforts, et 
peut-être le regarda-t-il comme une espèce de 
réparation que je voulois faire à ma maîtresse 
pour l'insulte que je lui faisois en cessant, mal* 
gré moi , de Taimer. 

L'application que j'apportai tous les jours 
suivants à pénétrer le caractère d'^elena, sup-' 
posoit bien encore des assiduités et* des soins; 
mais elle les trouva si différents des marques 
ordinaires de ma tendresse , qu^elle ouvrit bien- 
tôt les jeux sur le changement de mon cœur. 
Sa tristesse et ses larmes furent d'abord les seuls 
interprètes de ses r^ets. Elle me regardoit d'un 
aîr consterné, sans avoir la force, ni peut-être 
la hardiesse de se plaindre. Me voyant sourd à 
cette sorte de reproche, elle fit éclater enfin ses 
soupirs ; et ce qu'elle n'osa me dire à moi-même ,^ 
elle prit le parti de le confier à Pérès. Quelque 



3o4 HISTOIRE 

je ne m'atlcndois point, me jeta dans un embar- 
ras beaucoup plus grand que le sien. Gependantr 
quand le désirde la ménager auroit pu me rendre 
capable de recourir à quelque détour, la honte 
d'employer l'artifice et la dissimulation devant 
Pérès et son Espagnole, qui connoissoient le 
fond de mes sentiments , suffisoit pour me forcer 
d'«tre sincère. Ainsi , sans considérer si la dureté- 
n'étoit pas un plus grand crime, jea-épondis natu*- 
Tellement que Texécutiou de mes promesses, ou 
si elle vouloit leur donner un autre nom , que la 
fidélité de mes serments n'étoit plus en mon pou-^ 
"voir ; que moi;i cœur, toujours capable des mêmes 
sentiments, ne soubai toit rien avec tant de pas- 
sion que de les satisfaire; mais qu'il étoit vrai, 
comme je le confessois malgré moi , qu'il ne se 
tournoit plus verê elle avec le même penchant : 
qu'à quelque bause qu'il lui plut d'attribuer 
mon inconstance, c'étoit elle-même qui devoit 
arrêter le cours d'un mal dont j'avois assez de 
regret pour m'en plaindre; en un mot, que je ne 
me sentois coupable de rien , et que j-étois aussi 
affligé qu'elle de mon changement. 

Quoique mon embarras eût rendu le ton de 
mon discours assez brusque, Helena se contrai- 
gnît encore; et , reprenant avec plus d'esprit que 
je ne lui en avois reconnu depuis que j'avois 
eessé de l'aimer, elle me demanda quel prijc ell^ 



D0 COMMANDEU'R DE ***• 3o5 

déToiit donc attacher aux sentimeats que j^avois 
^s pour eUe^ a^ils avoieut dépendu d* un objet 
aiiissi fragile que la beauté ? Et de tant de caresses 
dont j^avois pris plaisir à la combler, nese sou- 
Yënoit->elle pas qi^e la ni^itié n*avoit pas ëta 
ndii^sée à sOiL visage ? Cependant» ajouta-t-elle:^ 
c^est la seule parue de moi-même que la maladie 
mi idéfîgurée. Elle ayoit » sans doute » médité çett^ • 
objection; carp^roissants^en applaudir» elles*aiv 
r4ta pour attendre ma repensée Malheureuse- 
ment il ne s'en présenta point à^mon esprii^^quj^ 
je crusse prppre à la sati$faire ^ ni dont je fussç 
sejtisfait moi-même- Ainsi le même trouble, qujl 
Ikfv^it déjà < rendu ; ma première apologie trop 
dui^e, me fit répondre sans ménagement que je 
fifarois jainais démêlé Torigine de njtes. senti* 
me]its;mai$ que Vils ay oient été. tels qu^elle pa-* 
roissoit le croire» Jl devenoit fort heureux. pour 
•iftoi d'en §tre délivré. 

, J^ignore ce qu^Helena put trouver de plus 
piquant dans cette réponse que dans la première.* . 
I^aisla fur/eur s*allumant tout-d*un-coup daii^ 
MS yeux» elle mereprochama perfidie avec tant 
d'amertvime et de violence» que les forces. lujL 
manquant après les avoir épuisées par un. tor.- 
rent d'injures» die tomba sans counoissance et 
s^n$ sentiment. Je pris d'elle tous les soins que 
je crus devoir à la recpmiioissance, autant qu*^ 

PréVost. Tomû XIIL 20 



So6 itiSTOIR fi 

Fhuinaûité. Gêf^ndânl cette scène me faîMiit 
prévoit* ,â qUdi je devois m'attendre à raTeitir^ 
je déclatai à PcDrès ique mon dessein n'étoit pM 
de la revoir, et (juié j*aUois lui faire une pension 
honnête, dont je lui laisserois.la libeHé de jouir 
dans quelque lieu- dti monde qti'dle - voulût 
choisir. Je quittai Tàppartemeiit malgré les ef* 
forts qu^il fit pour m^fiùtéter ; et retournant cbeii 
ihoi , je fis dresser dans la meilleure fot^me un 
acte par lequel je lui faisoid pàtLt toute sa vie 
quatre mille livres de rente, qui éioient environ 
la dixième partie de mon revénU; Je Ue différai 
point à le lui envoyer^ et je né doutai pas m^Mi 
^ue cette libéralité Ite servit bientôt à la consoler* 
Mais, dans le même temps, il se passoit une 
autre scène qui étoit capable de ruiner tout le 
fruit que j'espérois de cette résolution. *Perèa 
jpetisbit de jour en jour à retoui^net* en Espagne v 
où ses affaires Tappeloient nécessairement, j^e 
lui avois proxhis de le conduire à Barcelone^ et 
notre dessein, à la fin de Thiver, étoit de prendre 
le corsaire Limo à Messine, pour nous teettre 
en état de ne rien craindre des Africains suf 
notte route. Avec quelque constance qû^il eût 
paru attaché à son Espagnole, il avoit fait ré^ 
netiion que c^étoit ttne mauvaise suite à tratnei* 
eu Espagne , et que sa fortune rappelleroît bîcfn^ 
iâi à d^autres engagements. Il ne s*y étoit pas priç 



D0 COMMâNPEUR DE ***. 307 

aussi brusquement que jnqi. pouc faire gûBfcçr 
son, départ à sa ipaitreisâ; eliAirant defort loia 
la nécessité de leur sépar^rtioiK, il lui^ a¥ùit:fait 
exitèâdre que ^ïxe potivalit résista:* aax raièons 
quilerlippelémat dans sa palriei, son espéraiite 
ét^it . qia'elle odnéerrerôit 4e la fidélité pour loi 
pendant Ma absence. €'étoit ltii^<darer<qu^ 
éioit v^mi'O' â^\A quitter, et qu'il ne lui pvdisi«ti 
tok'pàsdet revenir. Cleàfi^âtîà, dont jefiepdle'v^ 
pas tsktàeâwidu%4,em^ àfMii'e 43oniioititêd|s ii()m v 
tL'in7:oit;p(ymi approfondi loat^^unncoupiesidev- 
seins dSe soli iamant; et ^e s'a^rceVant ^df&uctia 
changement datissaoonduite^^ ^lé a^bitalkendA 
qu'il f&tabsdttment <lét^:ininé potu" Itiiidécla- 
rer ses prbpi^ sentimenfts^» Mais-dÀn» Lau tsa^élr 
tion où farrois laissa Heleiia^ il àrrÎTa;, iMikcn4- 
reuseméiHipocir^erèSyque^ dans lelsisoiii^^qu'ii 
prit d^dlê^i^prèf* qu'elle iiilt revenue ds)SQnj éra^ 
tiouiss€9M€M^ il 00<ttipta ^parmi les taison^ ^qui 
âevoient ^sëi^if^ir à iaiéit^âsoler^^^resseiab^noe 
4iesoiiaok^a^^ celui de^ilflciisentia^lV^ous'voyea^ 
iuii dit^il i ff^v^ Têlcemple'^e Totre amie iir; pair :}e 
tÀien ^ tfue^cé^ Ssortes d'égarements ne ^px pa# 
laits pour d^êr ^éwèltement^ Xe .pat:p • iàqea. 
êàinmeiit p6tir l'Ëspfilgùci » et le èbevaiiect^t ^ 
sdltt de m'y cttnduii^e. Je kis^e unefetiUmequ^ 
J^ai uhiqitemént aimée» et doât la situation ne me 
sera jamais indifférente. Ybus vivrez enéeiËfcble^ 

20 '^ 



3l6 HISTOIRE 

«YOilb recommandé à moa valet de ne pas pubHer 
daos le récit qu^il me ferait de sa commission. 
Perè^9 atissi surprix que moi 9 voulut tenter &is6$ 
bienfaits lie seraient pas reçus avec plus de re- 
eOnnoissancÈ. Il fit porter à son ï^pagnole un 
é<irit signé de Sa main t par lequel il lui f assoit 
une cession libre et Satis réserve, de tout ce qu^il 
possédoit à Malte , en expUquantIa n^ure et la 
iraleur de chaque partie de ce présent. Il eut 
comme moi Tafiront de se le voir renvoyer. Nous 
ne pûmes prendre ce double refus que pour un 
excès de fiarté et de dépit » et quoique nous eus- 
sions droit peut- être de nous croire dispensés 
d'insister, nous résolûmes d'attendre que cette 
chaleur fût diminuée poUr leur renouveler nos 
propositions. 

Quelques jours se passèrent » pendant lesquels» 
ai nous ne parûmes point chez nos dames t nous 
ne cessâmes pas dU-moins de les faire traiter avec 
la même libéralité et les mêmes aitei^ions. Mais 
je fus informé le premier qu'il s'étoit présenta 
deux femmes au grand*maitre , et qu^on leur 
avoit entendu prononcer notre nom avec beau- 
coup de plaintes et de larmes* Il nous p^trutsi 
' certain que ce nepouvoit être quenosmititresses» 
tque dans l'inquiétude du tour qu'elles auroient 
dionné à leurs accuMtions 9 nous primes le^parti 
de ne pas attendre que le grand- maître nous fît 



D0 COMmA.KDBna DE ***. 3ll 

a^ppeler. Nqtredéfen^ étoit $.i facile ^. çt dans le^ 
idées mémjç q|iç.le graud^m^it^^ avoit entr^tei 
nues long-temps 9 il de voit lui étr^ si agréable 
4*apprendre que mon intrigue ëM^I absolun^ea(f 
i*ompi|e , que nous nous préseqtâm^ à lui .«^jg^ 
aucune ^laFquç d'embarr^. Il ne npus reçi^f 
point d'un air ^ libre. Et nqus a japt témoigné 
seulement qu'il soubaiterok de recevoir djçno^f 
quelques explications, il fitéc^rter tpu^ le ffion^f 
pour nous les demander. ; , 

Elles furçnt simples. A-peine np^s $ut*ii.^i( 
ço.nnoître de qupi il étoit questipn , aue T^^vh^^ 
chargeant de lui répondra , çofn^tejoca tp^u^ 
Vbistoire de nos amours , en dpni^aQt «^^ ^our 
plaiisant à4esaventureç dpnt laplupAli;i^'#j^^T4 
p^s assez sérieuse^ pour en rec^voii^ mi a^^itre^ 
Outre que nous i;i^|is étions fait uA? r^jutatipi^ 
d'Jbonneur qui ne permettpit ^.p^srspnQ^d^fLpm 
soupçonner de m^^y^ise fp^» i^Qtr^pfoçéd^étpit 
ii droit et $i noble » qu^ n*^yau(jà rp,^ir d'awsuxie 
cii^constance, p^i^ n^ dii^ipwUoiiÇ^ pas u^v(\^ 
pptre dernièrp SQ6ae#9i le^ r.?fu§ qjuey^pus ^yipios 
c^uyés. Ce àé^W fit suf le gr^^^-j^itre tpi^t^ 
rimpr^ssion quç ppii^ en «yip^s fiçpéfée^. ]yi y 
trouva rédaireic^enieiH 4e4iy§rses açp^$^|;ÂPns« 
«que les d^vi^ 4^»i^» ^^WWt'.f pcm^ f^vec 4'afLti^9^ 
plus de m(Jtignît4 <^ 4<e ^pi^f^^^P t ^^^sfi ehfiAr 
^«nt la n^turç 4^ j^ui eil«f pôi^ ejipoçaie«t 



efF^ctÎYeDient à paroître fortcrftmiiels'aux yéïfâc 
d'an juge moîfis sage et moins éctairé. 'Noitt 
séjour à Féz i etuotre familiarité ayec les Maures ^ 
notre projetd'établissement dans TAlbanie^ celui 
de'ma fuite en Amérique , tout a voit été revêtu 
des plus odieuses couleurs. Mais le principal de 
nies crimes étoit la séduction et renlèyement 
• d'Herena . En relcTant le tort que j'a vois fait à son 
honneur et à sa fortune, elle avoit demandé xxtt 
dédommagement proportionné aux espérances 
que lui donnoient alors sa jeunesse , sa beauté » 
et rhonnei|r qu^elle avoit d*étre fille d*un des 

- plus grands seigneurs de Tiaples. 

Il nous devint aisé de concevoir par quel motif 
elles a voient réfuté nos bienfaits. Elteslesavoient 
regardés comme une réparation trop inférieure 
aux avantagea qu^elles croyoîent s'être acquis 

- sur nous , et TEspagnole même faisant valoir une 
naissance dont elle auroit eu beaucoup d^era- 
barras à donner les preuves» exigeoit de Pérès 
qull réparât son honneur en Tépousant. Les 
faits étoient si connus 9 et des prétentions de 
cette nature avoient paru si ridicules au grand- 
maître» qu'après avoir été satisfait par nos expli- 
cations sur les articles qui Tavoient jeté dans 
quelque embarra»» il termina le nôtre en nous 
déclarant ses intentions. Helena ^ntdè sa dépen- 
dance , il me dit que son dessein ëtdit de la fMre 



D0 GOMlStANDECït DE ***• 3i3r 

conduire dâœ^^n couTent qui est à quelques 
milles de la capitale ; et loin d'accepter les quatre 
mille francs que j'ëtoîs toujours disposé à lui 
assurer, il borna nia libéralité à deux cents écuSf 
que je m'engagerois à payer annuellemeut pour 
sa pension. A Tégard de dona Clementia , il étoit 
résolu de ia faire prier de quitter Tisle » et d'a- 
bandonner à Pérès le soin de ses propres diffé^ 
rends. 

Je pensai si peu à raè prévaloir de la protec- 
tion du grand-maitre^ qu'en le quittant, je me 
proposai d'écrire à Helena , jpour lui renouveler 
toutes mes offres , et de lui appreiidre même ce 
quelle avoit à craindre de la cour. Mais en ar- 
rivant chez moi , j'appris qu'elle y étoit depuis 
une heure à m'attendre, et qu'elle avoit demandé 
avec beaucoup d'instances qu'on lui procurât la 
liberté de me voirsans témoins. Je priai Pérès de 
lui laisser . cette satisfaction. * BTétant présenté 
seul, je lui trouvai le visage couvert d'un voile. 
Elle ne l'écarta point pour me recevoir. Au con- 
traire , après avoir pris quelques soins pour ne 
laisser voir aucune partie de sa tête 9 elle s'avança 
vers moi avec une démarche timide^ et me priant 
d'une voix tremblante de lui pardonner sa har- 
diesse, elle ajouta qu'elle croy bit avoir plus de 
<fond à faifé sur ma bonté, lorsqu'elle déroboit 
k mes yeux» ce qui lui avoit smaLheureusement 



9l4 «ISTOIRRr 

attiré ma haine. J*allais lui protester qae laûi 
d'être capable d'un si horvible sentimept , j^étoU 
au$si disposé que jamais à lui rendre tpus le^ 
çerTÎces de Tamitié , sians m'offeoser même de ce 
qu'elle avoit entrepris pour me nuire*. Mais eU^ 
lui'interrompit par ses /sanglots. Hélas ! me ditr 
ellç , dans quel affreux désespoir faut-il que vous 
m'ayez jetée , pour mVyoir fait oublier que vous 
êtes encore pour moi le plus cher de tous le^ 
hommes , et que ma vie est un bien que je serois 
larop heureuse de sacrifier pour vous. Hâte9> 
You$9 reprit^elle i de voir le graad-mait|['e , et df 
lui apprendre que je rétracte tout ce qu'une 
aveugle fureur m'a fait pronoucei* coutre voua^ 
Je lui répondis eu souriant, que la justice du 
grand-maitre m'avoit déjà mis à pouvert ; mai^ 
que le péril o^ elle m'avoit ^^po^ » .m'avpit 
effrayé bea^coup moins que j^e ^'é(ois attendri 
de son repentir. Vous me pardQnuez donc^ 
reprit-tclle ? Ahl que j'ai le cœur soulagé de votre 
réponse , et que j'appréhende pei^ee qui peut me 
menacer moi-même^ si vous cons^rya:^ assez de 
);ionté pour vous intéresser à vfioTfi sprt^ E^t me 
priant d'expliquer ce que jeuelui avojs annoncé 
qu'à demi , elle ne marqua pasla moin4realarme 
An dessein où le grapd-maitre étoit. d^ la rcA- 
#çrmer dans wfi couvent, LaissezrDAa; Iç fQÎp ^ 
jpjçditTcUerdç, w»ç d^pber à ses pol^|^^s. J^ 



DU COMVANDErOR DE ***. 3l5 

ne TOUS demavde qu'uD^ grâce avec celle quQ 
vous Tenez de m'acoorder. G'e^t d'être six se^ 
laaiaes san$ fornier d'epgagement i et de mepro^ 
mettre qu'à lai fin de ce ternciè vous recevra 
ma visite avec autant de bonté qu'aujo^rd'httîi 
Je ne fis pas difficulté de lui engager ma parole t 
elle me la fit répéter avec les jAus fortes exprès^' 
jalons ; et me quittant sans ajouter un seul mot » 
elle me laissa dans une parfaite incertitude du 
f$ens de ses discours et du motif de sa visite* 

Comme j'étois sincère en lui promettant de 
Tamitié, et que j'aurois ressenti beaucoup de 
chagrin de la voir entrer dans un couvent sang 
inclination pour Ja retraite, je craignis qu'elle 
ne négligeât trop l'avis que je lui avois donné , 
et que le grand*maitre ne la fît peut^tre enlever 
plus tôt qu'elle n^ s'y attendoit. Un de mes gens 
k qui je donnai oitdre de la suivre pour la firesser 
de se mettre en sûreté , me rapporta qjuHl l'avoit 
cherchée inutilement chez dona Clementia » et 
.qu'gyant quitté cette maison le jour précédent , 
:on ignoroit ca qu'elle étoit devenue. Cependant 
le hasard me fit appreudre p0u de jours après 
.qu'elle s'étoit retirée chez une de ses parentes , et 
•qjui'ell<$ s'y livroit ^ des opérations fort dange* 
tr^çusc^* Quelques incommodités » qui étoient Le 
frui^ de m6s> voyages de mer, me fai$oient em- 
ployer» pouv mA guérison » un oj^rateur Italien 



âi6 msTOiRC 

^iii ëtoit arrivé depuis quelque temps à Malle* 
Eu me Tautaut son habileté , il me parla d'une 
cure extraordinaire qu'il avoit entreprise ^ et 
^u'il se flattoit de faire réussir heureusemenjfc. 
G'ëtoit » me dit-il , celle d'une jeune fille ^ que la 
{fetite Tërole ayoit défigurée, et dont il préten- 
doit rétablir la peau dans sa première beauté. Je 
découvris, en le pressant, que c'étoitHelena qui 
fi*étoit abandonnée à ses promesses. Dois- je le 
confesser ? Cette obstination à me plaire fit 
^ëz d'impression sur mon cœur, pour réveiller 
tine partie des sentiments que j'avois eus pour 
^lle. Elle m'aime, disois-je ; eh ! quel autre bon« 
heur ai-je attendu de l'amour que celui d'être 
aimé ? Ne suis- je pas trop heureux qu'ell^e estime 
assez mon cœur pour le vouloir conserver au 
risque de sa vie ? Car l'opérateur ne m'a voit pas 
caché qu'en répondant de lui rendre toute sa 
beauté, si elle résistoit à la force de ses remèdes, 
il ne répondoit pas de sa vie si son tempérament 
se trouvoit plus foible que les secours qu'il vou- 
loit employer. Comme il ne lui avoit pas^ déguisé 
le péril à elle-même , je fus attendri de sa réso- 
lution , jusqu'à mettre en balance si je ne devois 
pas lui épargner un danger où j'étois bieu' sûr 
que l'amour l'exposoit plus que la vanité de son 
sexe , et la reprendre dans l'état où elle ëtoit , 
pour lui marquer plus de tendiresse et 4'attach(S* 




DU €OMl|ANI>EU]l^D£ ***• 

xnent <|ue jamais. Mais Tafireuse image qui s^étoit 
graiFée dans ma mémoire , s^y rçtiofivela si Tiver 
ment au premierpas que je fispocKr suivre cettç 
U&uTelle idée 9 que sentant tous mes désirs éteints 
au même moment^ je revins à r^pdifférence qp 
avoitétédepUis quelques semaines I^ dispositipu 
Jiabituelle de tooi^ cœur.v 

Pérès ne sortit pai» si heureutemaiit . du même 
embarras. SoaEspagnole » aùs^i içmpprtée qu'on 
représente les femmes de sa : Q.atipn , comptoit 
sur la démarche, qu'elle avoit faite à )a cour , |î^ 
se promettoit que le moindre avantagée qu'elle eii 
pût tirera étoit de déshonorer Pérès s'il refusoit 
absolument de l'épouser. Les remords qu'Helena 
avoit marqués à leur retour , ^kvoient afibibli si 
peu ses désirs de vengeance » que ne voyant pas 
dans le grand-maitre toute la diligence qu'elle 
avoit espérée à les satisfaire , eUe étoû résolue de 
le presser par de nouvdles instances y lorsque 
l'ordre de quitter .Mfilte lui fut apporté par un 
shirre. On lui aooordoit huit jours ppur les pré-^ 
paratifs. de son départ. La f tireur dont elle, fut 
sai^ à cette nouy^e 9 p'eoopécha point qu'dle 
pe gardât quelqufsç mesures avfec l\>£Ëcier du 
grand-maitre: EUe . jpromit d'obéin Mais w^ 
humiliée qu'irritée d'un succès si contraire à ses 
espérances, elle résolut dès le premier moment 
de se fairç justice par ses mains ; ^\^ triompha 



3l8 RISTOIllfi 

t]ue son amâi^ oblenoit sur elle , fut xme ^u-^ 
Telle râi^ft de haine qu'elle joignit à la chatetKir 
'dé son ressienïimèat. Perèé ^ (|Ui lulsouhaitdit aU 
fond du cœur tout le bien qu'il ne se crôyoît 
yj^lus propre à 4tii procurer, chercha dès le sôi^ 
inéme à la Toir^ ét^on désâein étôit bien moiM 
de lui reprocher les accusations dont elle^voit 
tâché de nous noircir , que de concerter avec'élle 
i5e qu'il pou^dit faire pour la rendre tranquiliie 
et heureuse. Il la trouTB seule. Elle mëditoitsa 
«irengeance^ Cependant le retour Volontaire d'un 
homme qu'4elleavoit aimé^ suspendit quelques 
itnoments ses transports. Ellese dôntia le teinps 
de récouter; et Pérès m'a dit \ingt fois que 
n^âyant remarqué dans ses yeux que des appa* 
irences dé^doucëtii^^il avoit admiré combien le^ 
femmes sotit capables de prendre d'empire 'Suv 
le^ plus furieux miouvements de leur cpeuf , et 
avec quelle force elles savent déguiser les â|^a^ 
innées. Qemenitia parut lui^j^réte^uneattentioii 
tifanquille anissilong-tempdqtl^ellefut inèertanoie 
ëé ce qu'il venbit lui annènpâ^. Elle l'engageci 
inêtùe à s'ôtivtît* entièrement ; par diverse» de^ 
hiandes qu'elle Kti fit avec là Uléme moderato»; 
Mais à-peiné 'eut «elle ëntendu^qo'ilne s'opposoit 
j[>ointà l'ordre du grand-maitreV et qu'il né pen^ 
soit qu'à se défaire d'elle en' la comblant de 
bienfaiti'9 que nerésistant p\us à l'impétuosité 



DU COMltfU.KDBU|l DE ^^^. St^ 

de'Sa'rage , èHe se jeta sur lui avec te dernier 
transport. Glëmeûtia étoit une femme de la pltia 
haute taille,' 'et d'utie vigueur extraordinaire^ 
Ayant surpris Pérès parla vitesse de son mou-* 
vement , elle te siarsit à la gorge. Quelque vigou- 
reux qu^l fût lui-même , elle le rénverto* si 
prompttaient de sa chaise r qu^a jant Tavautàge 
de le tenijf sous eOe , il se trouva tdut^d*un-coap 
suffoque JQsqtif à pwdre la respiration. EUè s!en 
aperçut par lé peu de résistande qu'il lui .fit j et 
pi^ofitânÂ^'de èe momeiït pour lui ôter son* ëpée, 
elle lui en appuya la pointe sur restomaa , ién 
jttrànt dSin air furieux, qu'au moindre m'Ou- 
trentent quelle Itii verroit faire pour se défendre^ 
elle Ten peroeroit sans pitié. m - . . 

' Cette situation étoitembânri7ateàntepôur«idei 
{)lus braves hommes duàonife^ qui n'avoit point 
dé parti àbhoisn:* entre tutieffiort inévitable v ou 
là botitê^ 4dtt-seule»ient de devoir la vie à une 
letiime,iiiaid*d^ recevoir toutes les conditioia 
auxquelles on voudroit la lui- faire acheter. IL 
demèiii'a immobile sous la pointe de :^ propee 
iépée, potir» entendre da-^nunns les loix ^qu'oa 
|)énsoit à -lui-inipôser; Geméntia ne dimhtàanl; 
rien de sa ftlfèhr , lui den^nda s'il étoit r^lu 
de rabaii(ioiin0i^. 11 répohdit indirectement v par 
des raisons prises de la nécessite de ses afi^ires^ 
t|ùl le rat^pdoiént en Espagne , et de la aiatjare 



3>ZO HISTOIRfi 

de leur engagement, qai n*avoit point été formé • 
pour durer toujours. 11 Ta donc. été ^ pour me 
tromper , reprit la f urieuseClémenl;!^? Eh bien l 
choisis entre la mort qu'il dépend de moi de. te 
donnœ 9 et les promesses que j^exige»' Je veux 
que tu m*aimes toute ta vie. Si je suiâ^ forcée de. 
quitter cette rille « je Teùx quetula quittes avec 
moi. Afrique, Espagne, Italie # tout lieu du 
monde où je pourrai Tivre avec loi , vfUesi égal ^ 
et je veux que tu prennes plaisir à m'y voir^ 
Voilà ce qu'il faut me jurer devant lé diel , si tu 
n'aimes mieux que je te perce le cœur. . 

Pérès avoit eu le temps de partager aosn atten* 
tion entre ce qu'il entendoit , et les moyens de 
se retirer d'embarras. Toutes ses réilexjons ne 
lui faisant point trouver d'autre voie que celle 
delà soumission, il prit le seul parti qu'il. eut 
à prendre avec une femme. Il lui promit de 
Taimer et de la voir toujours avec plaisir. Un 
serment de cette nature auroit paru ri4icule à 
ibute autre qu'une femme passionnéét Mais Cle- 
nentia, trop satisfaite de l'entendre, sentit tout- 
il*un-coup expirer sa haine. Elle auroit embrasse 
mille fois son amant, s'il ne lui étoit surtenu une 
autre' idée qui faillit à détruire toutes ses espér 
Tances. Dans le moment même quelle baissoit le 
bras pour abandonner répée, et que ses regarda 
déjà changés faisoient croire à Pérès qu'il étoit 



DV COMMÀNDEUH DE ***. 321 

à la fin d'une si fâcheuse scène , elle reprit et 
iVpeeétle même aîr de foreur j^our lui imposer 
une nouvelle colsdition. Je veux^ lui dit-elle 
encore^ que 9 pour confirmer tes serments, tu 
YÎennes p£|$ser cette nuit avec moi. Pérès 9 qui 
voyoit le péril moins pressant, ne put s'eifipâ* 
c)]^ de rire de cette proposition. U y consentit 
phis sincèrement qu*attii premières. Junius étant 
arriré heureusement pour le délivrer de ^M 
embarras , il n*<eut rien de si pressant qne de me 
venir raconter $oii aventure. Maisaù milieu d*an 
récit quHl ne pnt me fiiire d*Un top sérieux , t) né 
me cacha point qn^il sentoit q«ielque ècrupule 
d'hcmnenr' sur ce serment qui lui avoit été arra«> 
ché par ta force. Quoiqu^en le prononçant il 
eàt changé qudque chose aux ternies de sa mai- 
tresse^, et qu*il put se sauver à l£^ faveur de Fé- 
qnivoque, il ne faisoit point réflexion sans honte 
qu^il s*étoit mis dans la nécessité de recourir à 
de si misérables armes, et je le vis balancer sTil 
n^étoit pas f^us digne de lui de s^en tenir au pro^ 
verbe , qui traite- Ichis les serments amoureux 
dHlIusiott. Cette excuse ne le satisfaisant point 
encore , il prit enfin une rés^^ution que je trou- 
vai effectivement pins honorable, et qui me fut 
un nouveau témoignage de la générosité de son 
caractère. Ce fut d*obtenir du graùd-maitre , 
soùs prétexte que la saison n*étoit pas encore 

Prévost. Tome XII Ir 21 



322 HISTOIRE 

assez avancée pour les voyages dé mer, que doua 
Clementia passât le re^e de l'hiver à Malte. Son 
dessein étoit de se servir de cette faveur onéme/y 
prour faire entendre à sa maitresse f que leur iji-> 
(rîgue ëtaiit devenue pulblique 9 ils dévoient. re- 
nfoncer à se voir jusqu'^à leur départ; et né dou- 
tant point que Tabsence n'eût son effet ordinaire 
sur le cœur . d'une fexnme avec qui le hazard 
Tavoit plu^ lié que rinclination, il se proposoifc 
encore d'y joindre un autre secours, qui étoit 
d'engager le lieutenant de mon vaisseau » à qui 
il avoit remarqué quelque inclination, pour elle 
à la voiftfréquemment. Cet officier» qui étoit un 
jeune Maltois sans fortune» n'avoit point assez 
de délicatesse pour refuser d'en faire sa femme » 
lorsquHl verroit joindre à ses charmes le présent 
que Pérès étoit toujours disposé à lui accorder; 
et Clementia » lorsqu'elle seroit un peu revenue 
de ses transports» ne pouvoit refuser» sans folie» 
un établissement qui réparoit tout le désordi^e 
desa conduite » pour s'obstiner à suivre un amant 
avec la seule qualité de maltresse. Je trouv.ai tant 
de vraisemblance et d'honnêteté dans ce plan» 
qu'il m'en fit former un de la même nature en 
faveur d'Helena. J'avois à nv>n service un Pipo- 
vençal de fort bonne mine» qui me tenoit lieu 
tout-à-la-fois de valet-de-chambre et de maître- 
d'hôtel; homme» d'ailleurs» qui ne manquoit ni 



/ 



DU COMMANDEUlIr DE ^^^. 3^3 

cTesprit, ni d*ëducatioQ. Je devois dea réconir 
penses à sou attachement. Ce n^ëtoit pas ravaler 
trop Helena, dont la mère n'étoit qu*unebour«; 
geoisé dé Malte. Je résolus, en les mariant, d'at- 
tacher à la vie de Tun et de Tautre les quatre 
mille francs que j'avois destinés à ma maîtresse, 
et je ne remis pas plus loin que le même jour à 
faire cette ouverture à mon valet. Il la reçut 
comme ce qui pouvoit lui arriver de plus heu-, 
reux. Quoique je n'espérasse rien de l'entreprise 
de l'opérateur, le moindre changement ne pou- 
voit être qu'un avantage pour Helena, et ce n'é- 
toit point à la beauté que mon valet s*attachoit.^ 
J'eus tant de satisfaction de ce projet, qu'entrant' 
avec la même ardeur dans celui de Pérès, je lui 
pï*omis de ne rien épargner pour les f^iire réussir 
tous deux dans le même temps. Il eut la com«r 
plaisance de revoir Clementia la nuit suivante. 
La joie qu'elle en ressentit, et les assurances 
qu'il lui donna que l'ordre du grand -maître 
seroit révoqué, la disposèrent à se priver de ses 
visites. ;Perès ne manqua point de m'apporter le' 
lendepiain cette heureuse nouvelle. Nouscrûmes 
notre liberté et notre repos bien établis. 

Six, semaines se passèrent avec beaucoup de 
tranquillité. Mon lieutenant , qui avoit accepté 
fort ardemment nos propositions , s^étoit attaché 
à:voir Clemeûtia , sans lui avqir expliqué parti- 

21* 



Sz4 lÊUYÔîUti 

culièremenl ses espérances. Cé(oit le temps oh 
Topérateur avoit promis que les charmes d*Hè'>- 
lena seraient réparés. Il lui afoit fait souSrir des* 
tourments ineitprimables» qui n'aToient abotrti 
qu'à lui ajouter quelques degrés de laideur. 
Aussi se rendit-elle justice. A-peine eut^e ap* 
pris de son miroir qu^elle avoit été trompée pair 
de fausses espérances^que nous épargnant à tous 
detik la tisîte dont nous étions convenus » elle 
prit le parti de m*écrire. Sa lettre étoit un mo* 
dèle de raison et de modestie. Elle déploroit lé 
malheur qui m*ayoit séparé d'elle; mais confes- 
sant qu'elle n'étoit plus propre à inspirer de Fa- 
mour, et qu'il lui cbnvenoit encore moins d^j 
abandonner son cœur, elle më prioit , non de lui 
accorder la pension que je lui arois offerte » mais 
de la mettre en état d'entrer daiis les vues dti 
grand-maltrCy qui avoit paru souhaiter qu*elle 
se retirât dans un couvent. Cette douôeur 'fit 
assez d'impression sur moi pour renouveler éà- 
core une fois toutes les anciennes traces de ma 
passion. Mais ce terrible visage, qui m'avôit 
guéri malgré moi, revint encore à ma mémôîl^ef 
et me rendit aussitôt le même service. 

Cependant n'en étant pas moins attaché à mon 
projet, et ne prenant même la résolution dHSe* 
lena que pour le dernier effet de son désespoir, 
je me hâtai de lui répondre que je la priôîs de 



Dff COMB[i.NDEUR DE ^'^'^. S2& 

ne rien précipiter ^ ^t que j*aYois sur elle des 
Tues ifai cou'venoient mieux à sùn houneur. Je 
ue sais de quoi elle se flatta; mais elle prom^ 
d^attendre tranquillement mes cn^dnes. Les infoVv 
«nations qu^elle eut la curiosité de prendre en 
même-temps sur la situation de Clementia » loi 
firent naître Tenyie de la reroir. J'ignorois» et 
Pérès ne savoit pas mieux que moi ce qui ayoit 
causé leur séparation. Nous apprîmes l>ientdt 
néanmoins par mon yalet-dé*chambre » à qui je 
permis de Toir assidùmaitHelenatetqpiydans 
ropmion oùeiie étroit qu*il la voyoitde ma part, 
en étoit reçu avec beaucoup d^honnéteté et de 
xx>aiplaisance9 qu'elle n'avoit point eu d'autrerai- 
'Son queremportement continuel où elle vojoit 
sa compagne 9 et >qiie le remords de leurs accu- 
sations. Mais les nouTelles idées donft elles trob- 
Toientdeia dottceur ià s'entretenir, ayant servi 
il rétablir leur ssmitié et lear commerce » elles se 
" communiquèrent leurs espérances v 'Ct Mes re* 
commencèrent à s^ conduire panr* 4les ^délibéra- 
tiens communes* Ocmmie' mon . Heulienant 1^ 
f oyoit avec beaucbop d'assiduité^ et que mon 
^ Talety ou» poidr lui 'donner un -meilleour nom , 
que mon matlre^'bdtel ne leur' faisoit pas moins 
'^assidûment sa cour, îi fut impossible que daùs 
» des enti^tieds ^ continuels ils ne s'ouTrissent 
^point sur lersèntiMeBÎtsde leur oepur. il anita 



326 ." histoïae;^ 

aiix deux ûmânts de faire, trop éclater leur^ prér- 
tentions 9 etUa'ppùi mémequ^iJs ay oient dans» la 
faveur de Pérès et dans la mienne. Clementia jie 
s^y trompa poixit. Elle déguisa ses idées; et ùe, 
craignant rien sùr-le-'cbainp de la pénétràlion. 
dUelena, elle remit à lui expliquer plus traur 
quillement sa .découverte. 

La fierté, car après l'idée que j'ai donnée de 

Clementia 9 je n'attribuerai point ses fureurs à 

râmour , l'idée qu'elle se fit des motifs de son 

amant» dans un projet où elle crut reconfnoitre 

; moins d'indifférence que de mépris ; enfm- mille 

' réflexions noires et funestes qui. furent augmeor 

-tées par'la comparaison de 'ce qu'elle v^enoit 

d'entendre' avec toute la conduite de Pcrèsivia 

firent passer toiit-d'un-cbup de la . tranquillité 

où die ëtoit k de nouveaux transports de fureur. 

iËUe s'efforça (de les inspirer .à. Helena. Getne 

pouvoit être* par les mêmes. raisona qu'elles se 

- eroy oient offensées. Mon lieutenaxit.n'étoit point 

un homme domtClementîa pût rougir de.se voir 

; riecherchée. Ajussi coneut^lle> moins de haiiie 

contre lui que contre Pérès ;tjnàis pour faii?e 

entrer 'Helena dans son ;rés^eal^enrt ^ elle lui 

.représenta combien je devois U imépriser^ pour 

«lui avoir vlaniéi comme un bonheur.de dfiJVenir 

• la femme de mon valet. It'étoitreUe pas fille d'OA 

.'.homme de qualité» et la bénédiction !du mariage 



i>U COMMANDEUR DÉ '*^**, 3^7 

ckangeoit-elle rien À la noblesse natait6]le. du 
sang ? Elle lui fit tant de lionte du sort .auquel 
je la dèstinois, que lui ayant communiqué une 
partie de sa fureur » elle la disposa, à recevoir 
toutes ses impressions ^ et à ne se conduire que 
par ses conseils. Le premier dessein qiii'elles fprT 
mèrent ^ensemble ^ fut de marquer par que[lque 
insulte éclatante le mépris qu^elles faisoiiejit d^ 
leurs nouveaux amants. La comparaison-qu^dles 
faisoient d'eux à nous » leur en avoit fgiit prendre 
une idée trop désavantageuse ; et les regardant 
conime des gens sur qui Tégalité où ellea-^voi^it 
vécu avec nous leur doiwoit une espèce d'em- 
pire 9 tlles.ne se crurent point obligées à garder 
beaucoup de mesures pour les humilier. Mais 
un. peu de prudence leur auroit fait prendre 
du-moins de meilleures .précautioioisripour leur 
propre sûreté. M t;^ : 

Dès le lendemain , ayant, prié; Jjuniiis de . se 
troiivier.chez elles danis le temps qu'elles étoient 
accoutumées de les recevoir , elles commencé- 
rent avec eux par des airs de hauteur :qui ne 
furent pas compris d'abord par deux amants 
timides et respectueux, mais qui firent enfin 
ouvrir les yeux àmoli lieutenant. L'amour n'a-* 
voit point éteint sa fierté. Quoiqu'il n!eùt pas 
fait difficulté de vivre ÊMnilièremènt .avec mon 
maître- d'hôtel V sur lequel il connoissoit mss 



<ia8 HI&TOIKK 

nneSi il i^ <sî piqué de se -^dir mettre atéd hii 
tor le même rang, par quelques diBcours ou 
GleineQtî«i'âembloit oonfoD^dre leur tëmërité et 
leurs eonditions » qu'il abandonna aussitiit l0 
ton de la galanterie pour se défendre a^ec beau- 
coup deiern^eté. Elle n*altendoit que ce ^[>re^ 
texte ptmf Tinsulter plus^ oUTortement» Elle im^ 
|ilora le «iecours dq Juilius contre des insolents 
l}ui abufi^ient 4^ la fatetir de leurs maîtres; et 
quelqio^s < gens qu'elle aVoitapostés, et qui ac* 
coururent il ses cris , entreprirent de cbiasser 
les deUKatiQiâatsaTec une indigne violence. Mon 
lieutenant, perdit toute la ooiisidération qu'il 
dcToit au se^e de Cllementia.^ Le désespoir qu^il 
ressentitde se voir traité avec ce mépris païf <une 
femme à qui il croyoit faire un sacrifice comi^ 
dérableQu^ l'épousant, lui fit tourner sa ven- 
geance contre elle-même. Il a voit été forcé df 
mettre^ l'épée à la; main pour se défendi>e^ et le 
seul usage qv^'un aveugle emportement lui' exi 
fit faire,' fut pour en porter un coup mortel à 
la ma)iieuv^«ise Clementia. JuniîusL songea ;mDins 
à la venger .qu'à s'opposer à Taugmeatation dià 
désordre; et trois ou quatresuppôts sor lesquels 
•elle avoitl)eaucoup ooolptéié u'osèceut i*îen eur 
^reprendre contre ua lù&êicier jqui ne pàrQjsioit 
f>as disposé à leur cé<kâ fooileoieût Va^êAiasA 
Tous . leurs âoins se ) jréKuaiireut^ atf toUr- ^iKette^ 



DU GOMMA.NDEUR DE ***. Sag. 

fondis que le lieuteqant et le maitre-d'hôtei ne 
pensèarent qu^à s'âoigaa:. # 

' Us vinrent, néanmoins 9 me rendre compte 
aussitôt de ce malheureux ëvéuement. Un succès 
SA humiliant lesavoit guéris tous deux, de leur 
passion, et leur empressement fut bien moins 
de me faire des excuses , que de me demander 
la liberté de mépriser et de haïr deux femme» 
qui avaient eu si peu de reconnoissanoe pour 
leur attachement. Au milieu de leur récit, je crus 
distinguer que Tamant d^Heléna étoit le moins 
irrité , et qu'il doutoit encore des sentiments de 
sa maîtresse , parce que c^étoit Clementia qui 
en avoit été Tunique interprète. 

Cependant Pérès n apprit point le malheur 
de cette femme, sans y prendre un vif iut^râ;; II 
se hâta de la voir« Elle étoit dans un état oà lV)n 
n^espéroit plus rien de sa vie. Elle parut se^rani* 
mer, néanmoins , àla vne de celui ^uVUe reagar-* 
doit comme le premier auteur de ses peines; et 
ses dernières paroles furent des ^n précations 
contre lui^ Il eut assez de générosi^ pour s^en 
afSiger. Je Pavois suivi presque a^ même mo^ 
ment; de sorte que je fus témoin de loetto triste 
entrevue , sans que mes exhortations >at mes in-- 
stances fussent capables d'en adoucir Thorreun 
Helena h^avoit pas qoitté sa compagne.; Je lui 
adressai un discours touchant ou, l^jrenvDttant 



\ 



S3i HISTOIEE 

A craindre d'ane attaque si impreTue^ et le mou- 
Viement que nous Times faire à nos enneodsiDong 
annonça tout - d'un - coup Tespéranoe qu'ik 
avoient de profiter de notre malheur. Cepe»r 
dant la yiolence du yent nous permettant aussi 
peu de reculer que notre courage » nous ne finies 
pas une contenance moins ferme. Notre artil- 
lerie , qui ëtoit beaucoup plus forte que celle 
des trois corsaires ensemble » nous serait si heu- 
reusement , que nous en coulâmes un à fond dès 
la première bordée. Les deux autres parvinrent 
à nous accrocher des deux côtés. Mais ce par- 
tage nous effraya d'autant, moins qu^ayant -assez 
^de monde pour faire face à Tun et à rautre» 
'c'étoit ui» avantage pour nous» dans le mauvais 
état de notre manoeuvre , de pouvoir joindve 
nos ennemis de si près. Aussi leur valeur ne 
réi$i$ta-4;-elie pas long-temps ii la nàtre.:Ko(us en 
«tuâmes une partie, et le reste me tarda point à 
se rendre. 

Une proie si Tile nVjoutoit rien à aoa ri- 
chesses ; mais c'éloit commencer si glorieuse- 
-ment là campagne, qu^au-lieu de nous radouber 
datis q^l<{ue port du royaume de Starples^ nous 
Tésolûflies de retourner A Malte, où nous nous 
' iLàttioûs de rantrer t^Mine en triomphe^ Laiaer 
' tious parut bientôt aiMfcr tranquille pîour «e rien 
' eraindre de Tétat o^ nims étions. New litraver- 



DU GOMK'A.If DEITR DE ***. 33S 

sàmeSf en effet, sans péril; et notre retour sur- 
prk tout le monde* La première nouvelle que 
f appris au port» fut que le marquis de Leniati p 
arrivé depuis deux jours avec la mère d'Helena, 
avoit porté ses accusations au grand-maitre pour 
renlèvement de sa fille , et que la eoor n'ayant 
pu rejeter les instances d'un homme de cette 
considération, avoit pris le parti de recevoir 
ses plaintes. Helenai, à qui j'a vois* laissé le soin 
de m9 maison , s'étoit vue fcHrcée de retourner 
sous la conduite de sa mère, et Ton me parla 
^ sérieusement de cette afSsiire , que je délibérai 
avec Pérès si ma sûreté ne demandoit paa que 
]e m'éloignasse de Tisle. Cependant , outre le 
mauvais état de mon vaisseau , il me fit consi* 
dérei* qu'une fuite si peu mesurée donneroit 
trop d^avantage à mes accusateurs, et que la 
faveur du grand -maître s'étant déjà déclarée 
pour moi , je devois craindre peu qu'il me l'ôtàt, 
pour raccorder à une femme telle que la Rovini, 
dont il étoit à présumer que Leniati n'avoit suivi 
que les impressious. En effet, j'appris dès le 
même jour, par un billet d'Helena, qu'elle étoit 
la source de cette entreprise. Poussée par les 
conseils de ta malheureuse Clementia , elle avoit 
é^rit k sa mère pour se plaindre de mes injus- 
tices ^et ses plaintes avoient été si touchantes , 
que la Rovini avoit engagé le marquis ^ 4>ar ses 



334 HISTOIRE 

larmes , à se rendre ouvertement son défenseuiV. 
Mais Helena m^assuroit que, 'loin de se joiùdra^ 
k eux pour me chagriner, elle alloit chercher. 
Toccasion de se dérober à leur vigilance conti* 
nuelle , résolue de s^aller jeter aux pieds du. 
grand-maitre , pour s'opposer à leurs accusa-; 
tions, et pour obtenir la liberté d'exercer Tem-' 
ploi que je lui avois confié dans ma maison. 

Cétoit une autre extrémité , qui pouvoit en-^» 
traîner de nouveaux embarras. Je pris le parti 
de me présenter au grand-maître, qui ne mer 
parut pas peu troublé de la nécessité où il étoit: 
d'écouter Leniati. Sans compter le scandale 
d'une affaire si éclatante, il oraignoit de se 
voir forcé de me traiter en juge, et la rigueur 
ne s'accordoit point avec les senti ments^qu'il 
avoit conçus pour moi. Après m'a voir fait envi^^ 
sager les suites qu'il appréhendoit de ne pou- 
Toir empêcher, il me dit que, ne supposant ta 
la Rovini que l'envie d'obtenir quelques dédom- 
magements pécuniaires , il me consôilloit d'allet 
au-devant deses désirs, en lui offrant plus qu'elle 
ne pouvoit prétendre. Ce moyen, que je goûtai^ 
aussitôt , demandoit une espèce de négociation 
dont je voulois charger Pérès; mais le gr^md-; 
maître fut d'avis que , pour étouffer plus promp^ 
tement le scandale et les plaintes, je devois 
joindre la politesse à mesofiresyeh faisant iprier 



DU COMMANDEUR DE ***. 335 

Leniati et sa maîtresse de recevoir ma visite. J'y 
consentis d'autant plus volontiers que je m'ac- 
quérois de nouveaux droits sur sa protection , 
en me conduisant par ses conseils., Je fis avertir 
aussitôt la Rovini de l'intention où j'ëtois d'en- 
trer dans toutes ses vues, et du dessein que )'a vois 
de la voir. 

Si j'eus quelque imprudence à me reprocher , 
ce fut de ne m'étre pas adressé à Leniati , qui 
a voit, sans doute, trop d'honneur pour abuser 
de ma confiance. Je qpmmis une autre faute , 
en ne me faisant accompagner de personne, 
dans une maison où, sans me défier même des 
malheurs qui m'attendoient , je devois souhaiter, 
d'avoir qi^felques témoins de mes ofires, et de. 
la manière dont elles seroient reçues. Mais la 
droiture néglige ordinairement les précautions. 
Je me rendis chez la Rovini à l'heure qu'elle . 
m'avoit marquée pour ma visite. Elle n'a voit que . 
sa fille avec elle. Mais à-peine fus-je assis que , 
voyant entrer successivement trois inconnus, 
qui prirent place près de moi , avec peu d'atten- 
tion aux devoirs communs de la politesse, j'au- 
gurai mal d'une assemblée que je ne crus pas 
formée par le seul hazard. Il en vint un qua-r 
trième. C'étoit apparemment le plus terrible f car 
aussitôt qu'il parut, Helena, qui n'avoit encore 
osé lever les yeux devant sa mère, ne futpa^ 



336 HISTOIEE 

maiuressë àa mouYemenfc qui lui fit âcver la 
Toix^ et se servant de quelques mots francoid 
que je lui avoîs appris dans nos ¥0 jages , elle 
me pressa de me retirer 9 si je voulois éviter le 
ressentiment de sa mère. Uexemple de Pérès me 
fit rappeler ce que j^avois à craimire. Je quittai 
la place où j^ëtois, et m^étant avancé sans affec- 
tation vers la porte 9 je méditoi&le nouYeau tour 
que cet incident m^obligeoit de donner k mes 
offres. Je fus arrêté par un cinquième spadassin 
qui (aisoit la garde dehors , pour empêcher ap- 
paremmen t rj ue jene pusse m^ëchapper. Quoique 
je ne pensasse point à sortir sans avoir expliqué 
le sujet de ma visite, il se présenta brusquement 
à ma rencontre , et il m'avertit qn'on^ie quittoit 
point des femmes qu on avoit offensées sans leur 
faire une juste réparation. Le ton dont elle m*ë^ 
toit demandée me Tauroit fait alors regarder 
comme une bassesse. Le nombre de mes enne« 
mis ne refroidit point Tardeur qui m'enflamma 
le sang lout-d'un-coup, et ne pouvant m^imagi* 
ner 9 d'ailleurs ^que cinq hommes qui portoient 
une épée ne fussent que de vils assassins , je fis 
face avec beaucoup de fierté. Je commençoisà 
me plaindre d'un procédé qui répondoit si mal 
aux vues qui m'avoient amené , et je demandoia 
à la Rovini quel étoit son dessein en appelant à 
jaotre entretien une troupe de gens que je ne 



DU coMMArfDSirm de ***. , 3S^ 

eonnobsoispoii:^'^ lorsque Fim d'eas^ ^^ssan^ 
derrière moi s'approcAia de la .p^te pqur. iafiei> 
wer* Hdiëiia V cpki sVen aperçut f in'aterM jKpr mi 
cri de me défiier de la târahiisÔD» J*eaft le temps 
de poirter laiEDâni sur mon épée » et te seul moàh 
Yemeiit»«(cieî^a^coâftpa^gqai d'tmr^ardtécnble^ 
arrêta le p<»rfide qnii s^étbii à|>proché. Cepa^* 
diàttt la Kof^fiif fv^eosemeiit irritée eovtre ta 
fiUe,Yie cessbkd» KaccablerdUdplres«t4ë(Mtipéf 
limâk qn'tm de ^ suppôts , ipepro^éhant iear 
lâcheté àM8^d<]MpiEigiiotig^ fit miiie dte s^iTMièet 
ters tnoi.ïWnt dedenieur et d^iticcrti tùde^iiitâyâot 
fait comidtré ^[iK& f avois kfl&ire à de» ehnémii 
|Mra recbuitieibles ^ je pri» tm ton qful aurait été 
peM4tre une n&uve)leiàipradêfice^a*tkatbretii 
ëtë oapal^ à» mb taW0 ^ partager saui^éoi fe» 
péril. Môii ëpée ^ sur laqtiellti f atdid tonf^Kitt 
là màisi , ^mbloit les tebit^ éti. t^peoiv ^f^i^ 
le temps de faire un reproche amer à la Rbi^ltif 
de llndigne traitenleut tgfu^elle faisoit à »i fille. 
Oi^ eiMiiditvdtos eet i&tgryallê » la inn^t de 
L^iali^ qui mi^ntoit accômpi^giië àé ^néUspa^nm 
Ge Ait domiàe tm tiigââl pour »e» cii»f adrer-< 
Mif esy qmf tiratit aussitôt lenn épées^ fiourmèrefti 
lUi dèaii^-é^iïlë ftutow de moi ^ saitt m'a{>pro7 
eher :iÉéa0mo»ûig à»la lôsigneui* de lettra aiwttu 
Je eomm^nçsii à e#oii^e quMl ne ine ir6iit>it plma 
cpi^à vendre ma vie leplusobtt^ qu^il nie serwt 



83iB * • HlâTOIKE • 

possible 9 et j^éioi^ ppét mémeà-^révehir mef^ 
ennemis^ en -leur; portant les: premiers coups, 
lorsqfu'aVec Léniati , qui ay oit doublé le Jlas^suur 
quëliq[ue bruit quMl entendoit». jéjjiiistparoître 
fierèsJ Etant le.prçxmer qu'ils aperçùrend tous 
^ettXf» ils' £i2f:entrëtraBgementiSurpm*^ine voir 
Ijépceà la main. Mais 1^ ayant misheuxrtnéij^efi!^ 
iansirien comprendrejà la piainté que ^ leur fis 
du'péril' oà;j*étdis,*:Leniatif qui jieta les/jetiic 
iui:inesa$sassinsr,.dol3ina toutes lés mai^ques d'ua 
eji^ti:«ém^;étonnemeni:. Eb I qui vous.amètie -mf-i . 
inisér^les Z leur dit-il d'un air iiàpérièux. Quel . 
&i k' dessein/ de ; ce i déguisènie^jt eh de cet horr' 
riblé eomplol 3 Unn d*eux' réppndit tunîdemeni 
qii'il ne llgnoroit paSb Coiiiment;, je ne Tignor^ 
fibint;?. jcéprit-il dWi»ton furieux. Sortes ^^ in- 
fâmes ; et fondant- sur éU3C à grands coups d^ 
plat de son épée , âl les tit descendre avec préci- 
pitation. 

./Ge sont méslgeris, me dit-il: en: se tournant 
Tei-s moi, qui'se sont' armés et travestis pour 
quelque dessein que j'ignore. Mais';nous rap- 
prendrons de vous, madame , continua-tril , eu 
sjadriessant à la Hovini ; et je soubaite de ne pas 
vous trouver aussi coupable que je le soupçonne» 
ËHe demeuiTL sans réponse, et dans un embarras 
qui rédoubla la cdlère dé Leiliati. Je pris ce 
XEvoinent pour lui déclarer dans quelles inteia.^ 



DU COMMANDEUR DE ^^^. SSq 

tions j'étoîs venu. Il lésTsavoit déjà de Pérè^J'ét 
c^étoit le dessein de Se prêter à notre réconci- 
lîatîoù.- ^ui • l'a voit amenîé. Maisf lorsque -j'eus 
ajoute qu- après l'avoir fait avertir de ma'visitef 
et luiifen avoir fait marquer l'hetire , j'avois été 
surpris d^ me voir assiégé chez elle d'une troupe 
d'assassine^ à qui il n'avoit matiqué que ief^ou^ 
rage pour m?ôter la vie^ il ^'emporta jusqii^à 
tourner tont^^ elle la pointe dé son épée ; et, 
cédant dnfiif aux efforts que nd^ts - fîmes |>our 
l'arrêter j il ttife pt*omit de ne la laisse^ vivf>ô'qu?à 
condindû denous ré vêler lesecret'd'àné âffrôMe 
entreprise , où Thonneur lui faisoit ci^indre 
qu'on lief l'accusât d'avoir ti^empé. ' : ^ ' 
Elle àé'versoit pas \ine larme , et le sentimegat 
qui lui Attarder le silence V n'étdit qu'ici tran^i^ 
port de la plus noire fureur: Forcée ^éantnôind^ 
par les menaces du marquis : Quoi ? IttVditi^Uê;* 
je n'arrâcheroiâ pas là vie par mille morts au ra- 
visseur dema'fiUe ,àceluiqaii l'a rendue telle que' 
jelavoî]fi(,*elle que mes yeux tïiéme ont eu peine 
à la reconiibître. Est-ce à vous à prendre parti 
contre elle et «contre moi? Gui, cbntînu[à*-*-éH6* 
avec là même furie î j'ai voulu le faire tuier à mesr 
yeux; mais ëe n^auroit été qu'-après* hii avoir àr-- 
racfaé des proiiiel^ses bien supérieures à ses office»»' 
et les lui -àrvoir-fait signer, fe {Poignard tfiir'liL 
gorge. Votre arrivée sauvera son bîeli, qui étoit 



}fdf ïïpmjnàre objet de pàsk Tjeqgeaoce} mais qu^il se 
ffifAe dfi vfkoi , s*il Tçut saiiTer sa rie. Je £|ia 
peu touché d'unie imeçiac^ q^e je nç p^is qfjte 
pcmr un accès de fureur. Sfais Ledîatit fort 
eopfus d'iiipe aventure dput il prévoyoit que la 
boute le suivroit à Naples , s'eSTprcpit de m^ &¥re 
étoiii&r mes plaint^ pai? i^es justifications e( s^ 
cfieixses. U me raconta cpmineujt il «"était lai^ 
çug^ger à venir demander justice au grapd- 
mi^tre , du tort que j'ayoM fai( à sa fiUe. Etant 
retombé daisis Vbabiiudfl de vivre avep la Ko* 
Tllli» il a voit eu peu d^inquiétude pour Helena» 
%ua« long -temps qu*il m'a voit su passionix^ 
pour elle; et lorsqu'elle avoit renoncé, voloutai* 
vement k s'établit* par le mAriajg^» il ayoit conçu 
cpifi ce qui fNDAvoii, lui furii^er de plus beureu:ii 
émh As tivre a^eq u^ Amant dont elle éiail 
adorée. Mai^ tipprcmint eusuile par une lettre 
4ft4i mmu^ que nQ9/^§i»)€went j^ Tavois abi»^ 
d«DiMi» » mais que je la Ir^itois avoQ un mépHa 
a», m^ dureté wi»pp«rtfiblesr, il uVoii puréola* 
tqc ^ la t^dvensf p^ernelk « rt flun. <oliîpiter 

tifvgs c^ )a lU^rinû C^ftd^nl H woît ressenti 

une «utre suirpri«e, «JOb aiTiY*|ifc k Mftîtei de )u 
tPAui^ établie daW *!?% #*tWftf et fort ÉMfttîf-^ 
^^ en ^pfk^rcapM^ d^ M>n^ $fppt, )) «u?«rit tnat>r^ 
pfWifiiié è. yy laisséir aç^ \\he^, A h ?*sentî- 
vt^oii d« h RoTÎni^ qni a.yuît redoublé ^ eu 



ou COKHlNDBUm DE '^^*. ^f 

Voyant sar Ié<Tisi^ de sa fiUé ka tracà d\me 
eruellfi maladie 9 rie Peut comme forcé de s*à« 
dressel: au ^aaidl-mattre* H n'avoit pat ^ compté 
n^mmoini» , ajoUta^K-^il i qiie la tra&inn et 
Vassêssineéi dussent être employés 9 et bien 
moins encore qu'on ostti Mëoroer ses propres 
domestiques; 

Là résiolutimi qn'il ^it^cii jetaittt sw la Ro^ 
TÎni un regard méprisane^ fut de deahaader à 
Hdéttav qni étoit encore à verser deslarsi^S'^ 
pour qvkA parti son^ ooëur se dédlaroiu Ur lui 
jura qu'elle aurbit la' lâ^erté db le suÎTré^' et 
qu'elle n^avoit rien à craindi^' de SH" nàère; 
Geâe tendre fille le^a les yeux sur wm^ coilimé 
pour cbercheiE' datelefir mitnalsr ce que je lui peif^ 
mettois de répondre. Je ne sais sMa conipafsioti 
et la reGonnoisBanbe mirent qudqu» air d^ 
douceur sur moft vîshgè y0kàïs h prenant pour 
un signe qiie ses désiirs étoient entaidbsv elié 
accourut /^ere moi 1er biiasotttvrtë'f^et elle sinsii 
ma màitt> pour marquer à* soo'père de quoi elle 
faisoit' soii'parti3ûge. Il se touprna ^vexiBrmOi. J'eii<*^* 
tends ce langage^ me ditiil , €t si' Vous étés tôû^ 
jours disposé apprendre soin ^d'elle, ^ je Vafaan-* 
dbnneà votre générdsité. Qu'elle retourne cbea 
vous dès ce- moment; Helenài n^tteodit point 
que cette permission £&t répétée^ EHê se dIsp<M 
soit à prendre le chemin de md-inaison ,- api^ 



r ' 



342. / .: HISTOIRE 

ayoîr adressé qùeUjués remercimenis au marquîsi 
et à sa mère. Mais coUe^ci, plus furieuse que] a* 

inais, s'élança sur elle 9 pour lar oretenic. Ou ne 
m^arracherd point ma fille ,:s'éoriart^lle> d'ua 
ton terrible; et toi , reprit-ellë , en^'adressant au 
marquis, toi qui t'attribues le droit de disposer 
d'elle 9 apprends que tu n'as que celui que j'ai 
Toulu te donner sur elle< et sur moi V et qu'une 
misérable pension que je rougis d'avoir ac- 
ceptée, ne me rendra jamais ton esclave. Piqué 
de ce reproche ^ qui n'étoit pas tout-à-^fait ;Sans 
justice, Leniati lui répondit d'un ton brusque ^ 
qu'il rougissoit lui-même d'avoir eu trop' de 
bonté pour elle, et cette nouvelle scène ^alloit 
devenir plus terrible que celle dont nous sor-» 
lions ^ lorsque le ciel m'inspira une pensée 
qui calBaa tout-'d'un-coup l'orage. Aimezr-Tous 
assez votre fille-, dis-je à la Rovini, poursou- 
bait^ de vivre avec elle ? Je vous ofire , comme 
à'jellei une retraite dans ma maison. Yousvous 
scmvenez que c'étoit mon ancien projet. Mes 
dispositions.n'ont pas changé. Elle m'interrom- 
pit; : J'accepte 3 vos ,ôffres , me dit-elle , moins 
peut vivre avècma fille, que pour romjpre tout 
commerce avec ce monstre. Elle ' parloit de 
Leniati , qui.^ ne fit. que sourire de cet eniporte- 
m^tl Loin de s'opposer à ma^ proposition , il 
IS<H|iY£t que c'étoit ce qui pouvoit arriver de 



DU COMïiAKD^UR DE ***. f4S 

jilus hét^iN^uiç^pout^ «lies et jiiôUFiDoîrméBxe AlVii 
rbis pu hH représenter qyte rbonnèur :»e^*en 
fafsoitpastineli»îplus qu-àlui, et^uexiosdeTpirs 
étoiènt À*peu-ptès les mésieé. Mais Uennriçrcbe 
terminer tiBfe affaire; <j[ui mèichagrinoît, èt/Fi*- 

tiiité méiiie que^je ppuvois«tii^rv<^d^^ i^'^ii'^'^ 
^nce, de deux fraimes doni lès intérêt» dervieiiK 
droîent cqmmnn^ avec les idû^s,- me fit/r,eoe<- 
voir > saH< consetutement et celui de la. Royini^ 
comme une (faTeutr« i . >î.':i ■ . . ; *> 
* Le bruit de> ce traité s^étatit aussitôt .répandu t 
le grand-raaitre qn ibt si satisfait ^ 'qu^il ^en prit 
occasion ^ de faire • publiquement mon ' élog^^ 
Toutes Us erreurë'de'imjeunessese trouvèrent 
réparées ipar un -sacrifice , qui en étoit comme 
TeiLpiation. Les^eomiâandettrs lespluç yieux et 
les plus rigides m^accablèrent é& caresses , et 
titèrènt un he^ief^x 'pré$age def la yictoire que 
j^avois rempprtéeP ^ sur • moi-niiéme; Ainsi , mon 
départ^ qui* ne fut différé que jûsqu^au réta* 
Glissement de^ âton . vaisseau , fttt accc^pagné 
des félicitations* «t- des 'Vœux de toute la cour; «^ 
Ce ne fut pas sans «êssujj^er eistcore qiielques 
dîsgracfes^djar 4a;iiièri ^t ^^yedti^.qne je gagnai 
Messine.' Pérès '4EuiimiriÂit' que jenVusse jamais 
entreprit da«a^ig4tion,iôù*)^::p'eusse été msA* 
traiter par i^bd^fge^tèmpêtëv^i^^ mé 

i^eposerèdiiîràb delecondu^^eà Espagne ^^ sur 



làno9 ifooL tt(Mis atteadoîK étim ce por^, et :k 
renonaeer à la mer • où. j^avoîe Mcptis^. m^ div^ # 
âssea^ de {^oire^ poiur ine boraév e«x occapftrr 
tîbnfi tranquilles dehi cour. Maîa- jiçtft'ayoîs plu» 
daB&le oœur de semimenl plus vi£i|Uiee«lai dci 
ramitié. Que oe devois-'jie pointa un %im^i. gé-e 
aéreux et si fidèle ? Le plus ardent de mes djésm 
asdroii été de, passer le reste de mes jours aveo 
lui; etloisque ki nécessité de oos iafeéiïéts noua 
forçoit de nous séparer , je comptoir pour vm 
})onheur précieux, tous les moments où jëpou- 
i[oip vÎTiie encpre aveo lui« Je ju^ai. de uele.pM 
quitter ^. que je ue Feiisse remis! dans, le: sein de 
safamille^ Akisi, changeant Tanci^n projet df» 
m.'arréter au ^emiex: portd'Ëspaguey j^ré^liM 
de raccompagner k Madrid, et 4ê là jusqW^m 
Galice. L'^oo^te de. Limo nous éioit peu n^ 
<)esfiaii}e diips; un t^mps où. la.{*vai|c49;a¥oit su]Q 
ncis mers uni^ flotte pui^ianl<e>» qui resserroil 
tous: les Africains dans leurs.ports. Cependant 
il: noiis pressa, de si bonne grace^e lui accordei^ 
la liberté de nous sui vre > que noua couMutlmes 
àfaire leyojAgeai^eclm. 

Notre naYigatiou ne fut intemotopue par au^ 
Gun obstacle jusqtt<à la hauteur rde Minorque» 
où nous nous wgàndiopa déj^ oomatts dims uxie. 
mer qui appas*\enpit. à TEspagiiè, Limq , quiï 
TOOntoil un Taisseaù. fort léigear ^ était soureplr 



DU C0M«A9D1&ttR DE ^"^"^n S^S 

assez loift derânl m>i»; et notre dessein étant 
d'aller prendretcvK'àCadl'X^ il fut poussé par 
«a vent si fa^f orable, mu passage da détroit , 
que nous le peiHUmes^ de vue* Le Itasard Ini fil 
reDoonlrer na navire espagnol qui revenoit n- 
ehement ebapgé ; et par ki pénétration qm na 
manque jamais aux corsaires , ii reconnot Vum-^ 
portance de cette proie. La qualité d'Espagnol 
dana Pérès me lui parat* point an motif assen 
fort pour loi £dre épargoer sar nation. U se 
laissa emporter par son avidité pour* le balinif 
et dans.un combat qui dura moin$;d'un quart- 
dlienve^l se rendit maitre da vaiaseaaet de plas 
de ceatniUe piastres qui composoientunepartie 
de>sa cfani^ei Cependant , à«peiae fot4l verent^ 
d'mtmoaveinent deciialeur auquelilétoit peat» 
être redrmble de sa Tiotoire^ qu'il sentit rindé^i* 
cence qu'il y auroit à rejoindre' Pérès areo la 
dépouille d*un vaisseau de sa nation. Itn*y en 
avoit pas^moina è nous^quitter sans nous av^ertiv 
de sa vetraibe.; et* la déposition da liea ne^lai 
permettoir points d'atUeura, de passer si prèsdo 
noua avec sa proie sansétre reoonna. Il pria 
nne résolution «àilentroit moins de prudence 
quadehardiesse^ Gefot do rendre la liberté an 
vaisseau qu'il avoit pris » après avoir fait trans- 
porter daos^le sien tout œ qu*il y trouva de ri^ 
ôhesses, et>*étre iGmaré-seulemejat par les ques- 






tdoiisqiiHl fit att capitaine 9 que le ternie d^'^^a 
route ëtoit un pbrJt'd'Aikidaloasie. En9uite mOr« 
dérant sa course , ioomme s^il ii!eût pensé cpji^k 
nous attendre pour entrer dan&Gadix ay ec nous>^ 
il noua dissimula si adroitement son aventure # 
que nous n*en conçûmes pas le taoindiie soup-^ 
çon. Notre route s^acheva heureusement) et 
LirnOySÛr de la discrétion de ses gens par le soin 
qu^il àvoit eu de partager avec eux son butin ^ 
se présenta au port aVec une audace digne de sa 
profession. ' 

La difficulté ne fut pas d'y être reçu » parce^ 
qu'ayant compté dele joindre à Messine » poiliv 
croiser avec lui contre les Turcs » j'avois^ eu lib 
précaution de me munir de Taveu du grand-» 
maître' pour deux yaisseàux qui paroissoietit 
également soumis à mes ordres. Mais quelque 
confiance que Lirno pût prendre à la -fidélité 
de son équipage, il ne jugea point à-propos d'a^ 
bandonner son bord pour nous suivre ^ et sur-^ 
pris même de me voir disposé à quitter Je miea 
pour accompagner Pérès 9' il me déclara que tout 
ce qu'il pouvoit faire^pour me marquer. son at-* 
tachement, étoit d'attendre mon retour dans. le 
port de Cadix. Je me séparai de lui avec l'opi-» 
nion que j'avois toujours eue de ^on caractère» 
et la promesse de n'être pas long-temps à le re^ 
joindre. Pérès, qjais'^toit d'abord proposé^'aller 



BU COMMANDEUR DE ***. 847 

droit à Idadrid» cbangea ce dessein dans celui 
de commencer par la -visite de ses terres. 11 n'é- 
toit pas fâché de me faire prendre une idée de 
sa grandeur ; et les assurances qu^il avoit reçues 
du roi de Maroc » lui garantissoient qu^il j pou- 
voit paroitre en sûreté. 

Nous arrivâmes dans un château qui repré- 
sentoit fort bien la noblesse d'une des plus an- 
ciennes maisons d'Espagne. Pérès y fut reçu 
comme lin maître chéri , dont on croyoit depuis 
long-temps la mort certaine , et qu'on ne put 
revoir qu'avec des transports de surprise et de 
joie. Il dépécha aussitôt à Madrid , pour faire 
pressentir les dispositions de la cour, et la ré- 
ponse qu'il en reçut surpassa ses iéspéranqes. Qn 
y conservoit si fidèlement la mémoire de ses 
services, qu'il fut invité à s'y rendre par çeu:i: 
même qui avoient eu le plus de part à sa: dis- 
grâce. Je mefo un plaisir de le suivre, pour 
être témoin des honneurs qu'on lui destinoit. 
A-peine passâmes-nous huit jours dans ses terres, 
et nous étant rendus à Madrid, il y fut comblé 
des bienfaits du roi presque en arrivant. J'avois 
part aux caresses qu'il rece voit , et toujours 
attentif aux plus tQudres égards <de l'amitié , il 
n'auroit pas goûté un plaisir s'il ne. l'eût par- 
tagé avec moi. Mais Pérès ne devoit pas jouir 
long - temps de sa fortune , et j'étois destiné 



34S HrSTOIRE 

i recevoir en Espagne le ]^tts mortd ckagr» 
^e j*aye essayé dans tonte n» vie. 

Au mUteu des plti» haute» espiorances efcdaiM 
la poftsessUm demiUe aranfeagesqui anroient déjk 
cammencé à les remplir , on pressa Perèsde ao 
fixer par le mariage. Il y marqua d'autant plus 
de pa:ichant , qae fn'a jant entendu parler plu- 
sieurs fois de mon départi » il crut qws: le plaisir 
dPasaistev à/ ses noices seroit un engagement qui 
me retiendroit plus long-temps a Madrid; Ceux 
qui lui a voient proposé de se marier s'empres^ 
serent pour lui trouver un parti digne de lui. 
On lui en ofirit plusieursy qui firent ttalanoer 
pendant quelque tempsson choix. Enfin le même 
sort qui^ Tavoit poursuivi si long-temps 9 le fit 
tomber sur ce qu^ii y avoit dé plu6 odieux en 
Espagne.' La' beauté , la naissaSnce: et la fortune- 
sembloient réunies néanmoins dans l'objet au^ 
quel il s'attacha ; et; quoiqu'il fût lui-même au^ 
dttauade la jeunesse , étant aussi distingué par le» 
avantagea extérieurs de lisi figure, quepar lemér 
rite et la réputation , il n'y eutpersônneà la coiu« 
qui n'applaudttÀ Tnnion de deux cceur^qui pà^ 
roissoient dignes Fuade Tautre. Il devint asMdu 
auprès de sa maîtresse, et la>gravité de soti ca« 
raotèrele fîtex^cepter dè$ loix qu'onimposcf en Es^ 
pàgneauxamantsdontlasagésseetlarétenûesoiit 
sn^ctes. Je me trouvai lié par conséquentaveo 



DU COMI^ÀNPJBIIIR DE '*^**. 849 

V<^j^t dç ^ teodrea^e » car il â^aùroit pas fait un 
pias sans me pressier 4e raccompagner. Mon rok 
daps leurs çfijtrotieas étoit çelm d*tin ami qu» 
aait le monde et qui a rexpériexuc^^e Tamour. Je 
Idw laifiSQÎ9iQtd;elaiîberté4oot UsaToientbesoîu 
pour se commmitqtieF iciiu«; tendres sentiments; 
f t si jf étois 90tt:YfeBl appelé à la partî<iipation de 
œ$ mjslèrea^r fia mattressc: ^m p»r lui^îiiéme ; 
y^ p^abosoi^ ^mait é*uàe fareur dont je fte iœ 
çtQj0i^ rédevaUfe qu^à leur amitié; Cependant^ 
\^ CQj^ditioiiS du mariage ajânt été réglées ^ ob 
Ç9 disposoi( dé}à les pt éparatili ^ et le jonr ëtoîl 
1jt%é pour laoélébratum. Pérès pavônsoil èharnia 
4q son choix* Sa maitresse semUoit Fétre da 
sieo» J*applàudîssois aux apparences de leur 
tendresse # et yt les félicitoîs sooTent à\ute si 
bfmre^se union. Enfin » la ireiiie du jour mar<^ 
HW pour la £ête^ )e fus prié par xri billet de la 
jputte Ëspagniole de me rendre chez elle, et 
rii^wie qu^eUe mer marquoil éloit celle où Toti 
j^l 1q me^nsd^ monde eû^ Espagne» U étoit na^ 
Mirel d^ m^imaginer qu^elle m^appdoit avec la 
pfMTlieipatioii démon ami. J'arois diné arec lui; 
QuQiqii*eUe me reeommandàt beaucoup de dis^ 
orétion, je ite pus croire que cette précaution 
le Regardât » ek je lui compmniquai ausniôt le 
billet que ji'aToia reçu* Allez ^ me dit-^il ; c*est 
qH^i^ idée galante qu'elle veut TOùaproposer» 



35o HISTOIRE 

pour embellir la îêle. Je la trouTai seule, et \eê 
inesurës que ses gens gardèrent peut mlntro-! 
duire , s'accordèrent fort biéA"'aTec le sedref 
quelle m*éi?>6it demandée' Enfii^:; m^ayant refcU 
d^ua air einbartfaesséVelIepaitub chercher qtiel^ 
que temps sesèxpfessions.u'^^direiffiQiiv m^'dit-; 
elle» est l'homme! du iE^t>p()e:' pour qui j'ai le 
plus d'estime r mais je suis sans ^teiidfésse pour 
lui; et s'il m'ëtoît peftnis de suivre le pencbànt 
de mon cœur j feconnôis quelqu'un à qui je le* 
donnerais tout entier. J'âllois lui répondre que 
le plus solide fondement du mârii^geést l'estitii^e»* 
et que la tendresse ne larde guère à la suivie.- 
Elle m'interrompit dès lë premier mot : Non ;• 
non , reprit-elle ^ je n'irai jabiais plus lom que? 
ce sentiment; mais s'ilest'impossiblé que vous ne' 
vous en soyez point aperçu , si voiis avez com-^ 
prU par mes attentions et mes regards , que* 
c'est vous seul qui pouvez faire mon bonheur >i 
et que votre profession est un mortel obstacle »' 
qui m'a forcée d'étouffer mon pebchânt; enfin »' 
si vous êtes persuadé que je vous aime , vous* 
ne serez pas étonné qu'avant de me livrera votre* 
ami , je souhaité de vous voir , une fois du^ 
moins, tel que j'aurois désiré devons obtenir 
pour tout le resté de ma vie. Elle nie fît entendre' 
alors que n'ayant plus que la nuit suivante » 
dont eUe pût disposer , eDe étoit résolue de mV 



nu COMMÀNDEUa DE **'*'. 35if 

Lan^onjier les prémices dé ses charmes» et de 
satisfaire desdé^r;S auxquels son étatlicxbligeroit 
iè lendemaiii de renoncer. Et: profitant du si^ 
lence où inoniëtoniiemetit m*ayoitjeté toutr 
d^uni-co'up, 'dk ^Bte gâpaatât^ique les maures 
qu'elle aToit pivises élôigmàroieut Routes lés dér 
fiances dePecès ^et jiis<^'aux^pi]:idresr$oupçdzi3 
/ dé oëuxtçuii t>ouv0ieat préncbîe quelque iot^ét 

à sa COl^duiite^ » • :;: 'i' î. > 

Après imenioDgue expérience des déaordirei 
de V^m^wiriy je matois, pessuadé qu'il i^^ii^ 
aVoît point que , j'ignorasse ** et r qu^: toutes les 
foiblesses d'autrui pe poutjoient être^que Ja ré^ 
pétition- des' mijennes. Mais je fus frappé de la 
mouveauté y autant que de Findécence de sarprpr 
position ;f. et ne j pensant, point assez à déguiser 
l'impression que j*ejD[ r^ssentois» je lui répondis 
trop 'naturellement iqùe jje ulc' Pavois . manquât 
ni à Tathitié, ni)à:rhonneur. Elle ajouta quel- 
ques instances ron je commeiiiçois- à Toijr que le 
dépit r^mportbit beaucoup !S)ir l'amour i et me 
trouvant la même fermeté à.me défendi^e> elle 
entra ^dans un mouvement de fureur qui m'o? 
.bligea de penser à me retirer^ Mais ce fut alora 
que. sa colère et son indignsftion montèreiit au 
comble. N'ayant- aucune espérance de pouyoîç 
m'arréter, elleme jiura^ dans le momaa^t que 
je. tournois le dos pour la quitter» que j:e jpa^ 



BSà « nsToiRB 

panols en yaiade ramitié» pour sairrer Perà» 
Âtt «oit qu^elle lui promettent , et que les fateiirs 
t|ti6 je Itti refosoiâ , seroient sur -ie^- champ lé 
pAttâge 4*tta ai^e» E«i effet , danrie trmnsport 
^i i*agitoît f elle appela une cfepèce Û9 valet- 
étf^^ôbamlire ^ qai m'atoitiiilitidait^el qui fiaK 
ioit la gamie à ait p«rta. li entra a» ^ma mo¥ 
inéDtqaa je êùtiài». J'èatendia Tordra fu'eUe lui 
dounoit 9 de fermer la porte 8ur Bft^ -Quolipia 
|a n'eusse rien de si pressant qnè de m!éloigner , 
pour délibérer rar cette étrange arcMiUirey un 
mouTeraeut de euriosHé me portâpendant qnel*- 
que temps à prêter ToreUle. Son dépit étmt ein« 
eore si yif » que ne lui permettant de garder 
aucune mesure ^ il ne m'échappa point un seul 
de ses termes» Elle donna ordre k son domesti^ 
que de s'asseoir près d'elle^ et sur quelques 
diffionltés que le respeot lui fit faire ^ elle lui 
Renouvela ses volontés dSin ton plus absolu. Il 
les exéonta sans doute. Cette ouverture fut sni-» 
vie de* quelques moments de silence» J^aurois 
souhaité de pouvoir observer jusqu'à leur eon^ 
tenance et leurs regards» Elle repjrit enfin pres^ 
que dans les mêmes termes qu'elle avoit em<» 
ployés aveo moi : Je vous ai toujours aimé , lui 
dit^Ie » et )*ai regretté mille fois que votre 
naissance et votre eoodition ne m'ay^nt pas 
parmi» de suiirrt le penchant da mon oosur^ Je 



4ui&.^ r}%.yf il}& de mosu m^ri^e; mahi rien iif ^ 
nx^empéche encof-e de.f^iisi^jxe aujfmrd'i^oi 7x1/^ ; 
teu^es^ ^le s^rréta^ pqur,lui laisser àe;f'mfif,y 
appfupenameoil^ses in^ei^Kliiopfj^fréaii^smf d*)^M^ 
reur; .e^:$i' je nVo^fe <îru Ja mieuK pui^ir ^ ^[ 
arertissaiâ Pérès de la^ boette dont il létpit «91er . 
nacé ^ .je serois rentré. jTép^e. à la niain , pow-. 
4toafl(er dans son sapg ses d^irs et^;|ji jmfanii^* ; 
Cependant 4( ne Tonlant p:i^ perdrç. de. ccdtto. 
scènes jfVt^dois qnetkyff^it la r^ppnse.d^. 
Tal^ty ppurjuger de lies .progrès,, par lestéiopir:: 
gnages de^a hardiesse et de sa joie^.Ufne de^. 
meura pa^ immobile, puisque j^entendis quelr 
que bruit^ qui me fit connaître l'ardeur d^jw^j 
sentiments. .I||laîs dans le Jtejnps quç je proyolj^* 
la jeune Espagnole au coipbje de sa honte., quel, 
fut mon étonnement de Tentendre .éclater eu 
injures et » menaces 3 Misérable, lui di^elle».. 
qu'oses-tp, prétendre? Quel est donc ton inso- 
lence ? . Quoi.!, traître, tçs .infâmes désirs o$ffa%\ 
se porter .sur, moi. Fuis , si tu ne veux pas ,que 
j*élève la Toix pour te punir, et n'aye pas la hfur/* - 
diesse.dereparoitre àmes^reux» . ...j. .. 

C^ malheureux se hâta eSectiTement de $9fw 
tir; et Tentendant approc^^ de la porte, j)e^s 
à-peine le temp de gagner. Tescalier pour ^i« 
ter qu*il m*aperçût. Une conclusion si peu a^* 
tendue jeta toutes mes^idé^s dans une jaoïii- 

Prévost. 7bai« jStL zS 



\4ipmM\itm lAmé^'^' VBspà^dié àbiëùif' 

dUtftèùtijéi' AÙfJ é^êlHiHiM^V et je cM>j^$^ Vdir ^ 
dlât^mm ^(Sef^eioWlfé'&êpitâeïëÀVèm qui» 




tMAôe cfttëmùi^ dédale' fë^69r\ et sëi iiitëi¥bga.> 
tlSWài ih^iiaf^Uèit^lit UUë ^tié' cl'ês dîfUdbltés" 
^ëif a#à'^éUétrt)tfis''dlétt<J cl:Vtë dtllMiHtiJ^e- H'âi^- 

tfamfWia^ôrtdtte: Jfe fti^-sï tbùtflie'dëyimf<r«i' 




lûbîh.- MHii' «hëf Pei^i' M^à v-ob'ël i^îi'iF se ttbùi* 
Vdft •S' la' ïflltS i'iidë:'ej#èiiVè' qiW' éftt jàttiSs' 
eJÎéV<fe lii'Vèftte W-fot>c.«fattrâWï'dfe' sTasisedft-V 



DU GOMVANBEctîK DE ^^^. 9Bfi 

|KMiis SQtssQulàgnr.. Je me rendrois! dîgôeide tedi 
meii ttalfaeuFf iMbdk^il,. si pe soupçoniidis mfsa 
âiM'id'}i;aTOtf\e0ittribuéi JNoiUy jjç saïatépmnw^ 

aU&s) edl»: .jgcrfidev et je n'accuse cpifelle d^çn 
«LéBégleneiit -si' in<mstituâiJiix^ Sar dovleui; ëtoft 
èliingéei.U tnerregardbit dfun ceil< éteint, et -je 
"^rôrf oistdfi|ii$ m moîadteftjnonisemeiKtci itno'agi» 
tatittib cwDsiûbibvie 4fai maniaok L'akëràtam^ knF 
bite dé aâii foncés. .Dansf leé'diésoipotr que je rissf 
Séntoîflrr écr rar.'iîtuaUoair:, jfalloî» kii.faêrê dtt 
çdouÉdSL d'une) pmîtionr dK>ni) leâ effets mé >pa» 
FÔôfiMipeat *»; fiusiest». Ift coiapirii ma pensée. Kp 
tegteètei^ poibft^më drU^il*, k aemiee . ^ue tchv 
iretaiitt* Ur esb eldir que-Taimlié ytim-mm 
Sij-a^oia (|uelqù]e ckaseird& 
gÎDCff ,.ecr^90^ d'élre yiti^ d^un mODStne^àj^ai 
)&: d«âs 'j^joiièç) mai katM. Mais je ne ^euai pap 
Baânieiqiidmmi'ihessentimèéfc éclate:, et maisevdi» 
ytèaÊfftSLtwetikJÊà lemépvisi II mepria néanaibiiiB 
êà'iaàar& akrerlir de sa pact oci»t qui s^âoieaf 
intépesBàriàison maria^.vque <jbe9 raisonsinriiM 
eiUestnefluî peffOHrtioieail: plua d^^ penser; Je 
pcisi cette xiemnussion asoi ^ mâme , ! et je Vâxëq 
eotaîi'aïKèo dos mëinrgemeoits-qai.deToifcndiica 
satkfaûlé. Gat«xcès.dé zèlerfat une imprudeièGeb 
J^coL : Tftsf :qa8^lleB»- ims) qui ' sisr cantenlwreirtf dm 
mm tnarapieffiedor ^xsettfiBliMo^ii^ 

23* 



5B6 HISTOlRfi 

4eur. Msàs le bruit de mes remercftôieilU s*élaot 
irëpandu avant que f'eusse achevé mes visîtes^t 
deux jeunes gens, qui appartenoient de près à 
la dame espagm>le^ me déclarèi^enl podr tonte 
réponse qu^îls vouloient tk*er vengeance et de 
Pérès f^ qui les insnltoit , et dei moi qui leur 
«nnonçois son insulte. Je ne n^^abâissai point 
àieur faire les excuses de mon ami ^ que je nV 
irois pas laissé dans une situation qui le rendit ca« 
pable de se servir de son épée. J*acceptai le défi; 
et m^étant rendu seul au lieu marqué pour le 
eombat, je m'animai par le souvenir deJLirnOt 
qui n'avoit pas craint de se nie8uner/8U%Dessi<* 
Tement avec trois ennemis* Lea miens parurent 
surpris de se voir attendus de moi seul; ils m*en 
demandèrent la raison. Je ne leur répondis qu'en 
mettant Tépée à la main, aveu quelques mots 
qui purent leur faire entendre que j^ ne- mê 
crojrois pas trop foiUe pour deux. Ge fut dii^ 
moins cette espèce d*insulte qu'ils £rent.valoir 
pour justifier leur procédé ; mais si ia cootinoîih 
aance mtsdiocre que jWois de 'leur langue , me 
fit exprimer 'impârfa^einent m« pensée 9 elle 
portoit seulement que dans une querelle où Vsb^ 
initié m'engageoit, jënesavois ce que c'étoit que 
de^ faire partager le paril à mon atni; Mes pre-^ 
mtiers coups f arent beureux« Jeblessai celui qui 
«\iSrit pour me eombottre:, et ion second eut 



nv coiii|ÂNp£ix|^ DS ^'^^^ SS7 

d!aborÂ;4<s§9^'d*hpDn(8ur pour laisser notre dif* 
f^repd (3^9p^^^fiX^ ,égali^^ M «^9 jàrpeine eut-il ti| 
çpuler 4e WE^ d^ son ami ,. qu^, violant toutçf 
sortes de bienséances, il fondit impétueusement 
sur moi 9^ et dans le moment que je parois 4 
Tautre^il m^ perça d*un coup mortel* Je tom^ 
bai sans connoissance ; la iseule générosité qu*ilf 
eurent pour laori, fut de me faire porter j| la 
Tille dans Ifét^t^pù fétois. Si je revins à mçî 
avant que. d*ar^ ver chez |?erçs «^ je ne repris 
pointasses de force pour mieltre ordre aux cir- 
constan<^^^^jet,pour empêcher <qu*ob ne Tinfor- 
màt trop tôt de mon mal)ieur. Un domestique ^ 
dont je :^*étpis fait acçonxp^gner» crut me faire 
honneur de mon zèle en se hâtant de lui racon- 
ter le p^l où je m^étois e^iposé'pqiiir. le servir* 
Cétoitporter )e coup mort^ au généreux Perèa* 
U n^appi^t point le nom :de^ pies adversaires ^ et 
les circons^uc|S# de mon cpop^bfU; » sans pénétrer 
une partie de la vérité* Son cœur n*y résista 
point. Egalement sensible k Tamour et à Tami-? 
lié» il fit. des. plaintes amères s^a ciel ^ qui le frap 
poit par depx endroits si tendras. En vain s*opr 
posa-tHHi à Tardeur qu^il marqua pour se faire 
transporter ds^p#.mpn appartement. Je le vif 
furriver entre le$. mains de ses gens» aussi pftle 
et aussi affoibli que sHl eût essuyé pendant plut 
sieurs jours une maladie violente. U m*attendri^ 



tèptmbei'iam\é9 'si!^iAeûtif9!if*mt*éÈktfA^^ 
éomtiài'fotia'âà 'miétt y èt'f ë^éttWi t^fu'btf 
pcàlt êireumé'stàMhVé-'aiA. <cè}é a'iiti ^àuA ifà^k 
ià''pààsi<m'i*^é lààkréiaé. '«'»-^" ■ > <«' 

ètr-dhihiJbre ; ^ isài^s-è^irè M>h%iil¥ àtOn âsn^ 
^ètBvt%.^e\e ^iëîi,^lm Eé'ùWlo^'aè nëwé 
^s tmiabVér'liâraés'&àrqilés'^oiiië'AcëtBFifù^iàti 

stVàlËtidn. Il'ftitf drcë>de ééaér è'tàc^'ibàl'àÀée^; 
Méâi Véb»tiaa.\ioti H^ me % 'e^géf ^të ieena-^ 

n^ri '^. ffeTàttt^' étt 'âftiittoiM d«¥àM (es 
7iééi'&î,;ët de <{iië)qtié %ttftnèt<e - C^uë ^cf oiël Ois^ 
-[ibefit^ sa Vie^tdë'UmknnèiVÉÂt-^té ttité 
'é'6ti«flâtion'p«ài'iWn'ou pour r«4l*ë a^fhW 
ëiftre les Irà^ Bé àdii' ami. Mafik fet totiune nt 
lÀfkccotrctà bas 'ttiéhitc eétte ftraèléle'âiMtoeur. fie 
ikiàî de Pérès 8'ëlofî^cbattgé'eû'J*lettro^.^0n edt 
thyp dé 'soin deme dëgaisersar^Htitf f ioii ^^mâlgr^ 
les iiifDnna€6ns f|t]^ je âéitiiHËdeis*G^(Hxtiiitid<^ 
tèfaiènt: Accable de steidcmleurë^^ié^^^u^lles 
<]^11 'se^&ksôittâatis deâ$e^ apporter 'déftttiietmeS'^ 
il^kfiira 4e troisième "jour deisa-tnaladife, «aivÉ 
(^e^j^cfrose même appris q«e*jîél()k «meiiacé dé 



DO COM^^^^ÇffljR DI ***. ,^ 

sauve de Forage qui renverse les arbres le^P^Bs 

> l^oi.ql}ftS9^ <ilie^cftrt^ïJi:««V9friff«V#jt,fi*^^ 
.A-peme|pr^-,jej^ify»ir;dCAflaH<5r .^np ,^n ,Mir 

^a^é|^, pwur.^e ^^ j(;KiD4rie«t<A',ap|^r;tiij X^im^ 
.de .t^tanrpï^ .^<)a ç<?iw-;,"?e {«e ff»(5r/lS»W>«S;4^ 
^W)i^is I si j^'^VKf^i J^ •jF'P^He ^ ^>n^ f^^iiH«H* 

«la voile.'|Di«qs le ceQti^.4eÇfsfag9fl» ^Tkfi^l^ 
j.;«oir. employer laTioWnQt) |!9tt^;tiie: forcer de) 




'Ciéiri^je l'èl^^e^fceiÀin de MàaAcf^'fôït itN 
iâéiséiimiiWà p<ftié UMilk'iÙii Mt^ f ap^ 
lè^i :nétt'fii»'infBî^ë'eït>rentrâiit^âÀkis la <^t^ 
ia%. 'Lii>tid aW» 'ététéettànvi à Gad^ '^ ^Hel^ 
^éS^id» des Ë^gtf<yls àoiit ilàtôiç {Allé Ks 
▼aisseau. Le siëii'â'roit été saisi, et'M?-iÂi§ntlB 
'iNroBa ftit é 'flaiàs'tni'é 'étroite prison.' Sa perie éloit 
'eél4fiâié;iHl n'eût emj^byë tton ndin'péùt faire 

-^W é^éaéàiëM i 'et la'vin^iiUtë Séi'éit- 
'^èdtB/métcé à se CàMsantënier le criiiiinel à Ma^ 

'*«Il-'f élioifcarritéla VéiHè de'mofDidépart. Mon 
*tàhm% ^ti^l rëdàiàbit'cyèbre, et peut-être les 
D»«tpebné ^i ^^èren^t ibiattre tiatiusellëièént de 
Wk liaiMH avec iWif bbiisàîfHé , faisoiinit dëiirer de 
'ék*eattààet. Je- kiti'inlè' fis jpas preissiâr ^ùi' pft- 
4Mlt1e'4às')é léildëUain au tribut' de' 1^ jtur- 
•«kepQaacttiëàï^poi^ confus' "É'ayM^ pu nie 
.|li»^<Jéniprétidrële foàd d'uné^iàffàire si noix- 
t*ell«[ 'pbn^ moi, feiis besoin d'èù' démander 
'ftmties tes circonstances avant que de hâzardér 
<kïnoittéterëpoii«é. Et né comprentattt jilasrméme 
r «près ttta long i»écit, que Factioùdé Lîrho se 
•fût passée depuis taétre -association, feme flattdi 
-d*abord que de qifekjues crimes qu'il- se fût 



DO COMTk\WDetfk OI ***i ~36t 

pris au service 4© l*ordre , pourroit lui atfiWr 

-^àqué iria^geûcé; MMs^^^d lut=«on éfon- 

àeitafent d'ajiiiireiidi'è^nfin ëé^tfoa dîtoifc su p^ 

ié'témoigiiàge"dâè"'inarchàildk es^'àgbols et '^ 

^&'f(rotpre ëcliïèsîîbtt'? Je déièujpé^krde sa gfâce. 

' Cepeadanf Itt^jitWv^ de mon ^tiidbbétice étoft si 

' claire , qa'léHèÂlsBpà tëà» Iwr'swài^ns qa*ati 

"iivôit eus'dit^ ûotr<s"mteHig«hce^f «us la liberté 

-d'bdres^ H&éi iènièiUttbEls Si* ië ; cbtir , et ^ 

faire Tàloi? lit'lnfdé^^ti dti'gniiid«lva!lre, qni 

ëtdft expliqftfêe dwài'^^iies teinût^dëina cbnrinîs- 

sibii; Lé rbi<?«(diiï f hiteifessai la bdùte à m'écon- 

'i^ dans ixn)e%0g'^e'àtidietiéè',' parut disposé & 

retarder leiW^éineiit du tribttûal.- -Jb èàisis ce 

'tobmenlt dè'ftf<^ear^pour Im-^^bobter Thistoil^ 

de-Lirno, êÇ^&ii^ëls degi^ je rémois amëiié 

^'ju^ii'à me'ddnxiëP l^ssiirànce dé l^ttàbber c6ii~ 

'itàiuaièàti WSa «^re.fl <li<4«Ll Utotiqûoi» àii- 

'' 'aine quàltl^imtitttlire. La tàUté ieiéttiè <ju'il ^t^ 

ibitf de conifBéttîrë'étoit si exlraèindinaire ^ «rikë, 

jbùTant être t6tA*îiéé' ^Q badinage, je la repté^ 

'Sèitai commit le resté d*uhé forte habitude qili 

mVoît pas lierMis k' lin yiëhi iébrsaire de idè- 

nihirer oisif et tranquille & la tW d^Une proie 

st^icfae. Il fke^éh ëtoit rîèîi dissipe » puisque 

fasirauté d^ Cddit Taroit fait saisir toute en* 

liée t et le àihabms^ que le vaispeau espagùel 






• f • »• 




jjpprs spiv^^ç, î|9jjti«&,qfïfiiï.{jay^i:aae.€^i^.U- 

9l>ypit;rôffdUï4wï|ç^è^ce4]W^rÀd,îÏP pWfibw» 

.ir^awdu,4e„iip8*ysn^Rr^ Ô^pii^ Jlp ^<j(Htfl^e 
9f<^p avoia > £^, au j:oi. l^.^^r^glf na(9m<4piffti> 

.fls^riçUB.d',^ép^DtH^,<iUf|f9iî|iwe «lid^^m^^firpi 



» 
t 



D0 covLmâ.HBamM i>e ^*'^. .^SS 

&isavoienUét«i]its,.^léM>Uwik'{i|^ jnimais 
à^ >fnrte ^el iMttie indiilûEttîom IDb icack «neagnp 
fl&»y:anqb:fii|)]:4M«tsm sa «msosité^ eUefjrohlut 
M9oi^ ce i^ii'jiéiolt fdeTeaneeme^^éleQla::^^'Xf6à 

ttiiftielk softe^e^liiedi }6^O]iMrà0}s 'encore -avec 
<tte.ijirn& ^ qài>âiikiit ^sippi^ideiMoi les devnlèreii 

qu^le éeàiatidbiit. i6iëloiti'M(fïMip ^qur jl^ftràs . 
Mfi^^Dgdgieifip^^irt r4l4Eii^fidtu^ôtstiM3iâgiiier^*«à 

éfbemxe» atB^âiyiiUëif lie^uaSavrâ fait^mdkib» 
fèfiepusiiidtf^ttbfiUtiïerJàdâipiaeejdlJg^ ^ f 

«Mte6V «é^fit^^tta^làtsir^é^gii^iitert sa >foli«cp«il: 

sentiments. Il devint encore plus persuasif ,^iéti$^ 
^^^ i*a7«ifit^tMâue^âr<li:Md«^n%^ , 4c^t la 
lOÊ&tt d«M^6s»pjBpH»cilis4Wiia ti^^^issé la dispo^Èiietf, 
îi éobçitt' 4^*60 • q mUatitiHË^pagneieile WÊe^Mm»* 
queroit pa«'dWifK»!ter4oUi(i ce^tellatiieisèrtm 



/ 



jpa^ fiNTcëe de hm»et: derrière éUe.' CTltteit répa# 
i!icr:la perte x{tt*ilveaQit de faire. .Un inotif si 
puissant rendit bientôt! sea conseils : ¥iet€irie]U4 
et de ^enr de trouver de ma part queli^oe -àb» 
ètad^ à ce glorieux dessein , iliuî fit entendra 
^è «iUe méiwg«meats que ^tTûb à gardar 
rayée la cour poudrant me faîi^ bâcher mes p)«a 
^tendres inclinations tî^tlle n^aybit pas de meil^r 
leur parti à prendre que de se .wadire à Cadix^ 
ou je a^aurois paales mêmes difficultés à com^ 
Jhattre* Ainsi Limo «fx^ujour» rappelé, à ses Bm 
client principes^ ne cOunoissoit .Tien de si doux 
que la rapine et. renlèyement, 11 aida ^i secreir 
;temênt la jeûne Espagnole à siirmâiifer tous }^ 
obstacles qui Tarr^oiest ^ quVlfe ae trouta 
prête il partir ayant nous. Unlyeybge^ qu*ellf 
fei^t à sa maison de campagne v ffi^. le prétexte 
qui Gouyrit sa fuîtei ayeci un petit ttCMnbre de 
jiea plus fidèles domestiques. Xiirno se chargea 
4e son argent el de s^ bijoux , qui.foraiojenittUt 
dépôt des plus pr^oieui^f iet Jies: eydnft une &m 
entre ses maîÀs , il compta , sans doute » qu*ib 
.n*en sortiroient pas aussi entiers qu^ila y étoienft 
-entrés. . .■ ;' ".n»' 

Cependaiit m affaires étant, terminées fw^ 
mes soins , je ne pensai qu^à regagner moayaîlk 
seau f le cœur toujours plein de tristesse et 4*Ar 
jnertume. Lirno • qui se crut obligé de fairf 



DU COMMÂNOKUE DE *^\ ^65 

quelques fiSoris pour y rappeler la joie f m'ap- 
prit ea chfipaip qu'il m^ypit préparé ane vialr 
tr^te fbrtaimablefydontil^proinettoitquele» 
caresses dissiperoient bientôt tous mes cbagiius. 
Je marquai beaucoup d'indifférence pour ses 
promesses, et les regardant comme un propos 
.bazardé pour mon amusement, j -arrivai à Ca- 
4ix sanay avoir faitla moindre;attention. Comme 
irien ne ppi^Toîtm'y arrêter que la restitution 
du vaisseau de Limo, pour laquelle favois déjà 
fait expédier d^s ordres p je me. rendis sur son 
bord, ofù-mon étonnement surpassa toytes mes 
expressioi^s en reconnaissant la maîtresse de 
mon malbenteux ami. Elle s'y étoit retirée eu 
arrivant à Cadix, par le conseil et sur la recom* 
inandation de Lirno. Il avoit voulu me ménager 
le plaisir d*unié. agréable surprise. Son dessein 
iwoit réussi ^ a'il n'avoit pensé qu'à m'émou- 
voir, car je:le fus avec plus de violence que je ne 
Mi'en seiïois cru capable dans • les tristes senti- 
9ients doi^ j'é^s possédée} mais ce ne fut ni 
Taimpur «rui Wjppindre pencbant pour cettç pas- 
sion qui causa mon trouble* L'image de Pères 
mourant, et celle d'une perfide qui avoit été 
la première cause de sa mort^ furent les premiers 
objets qui seprésentèrent à mon esprit. J'aurais 
détourné, les. y eux pour gagner ma chambre, 
sans m'informer quel ui^c^if avoit amené l^Espa- 



fh»ft^(ipte ft^mérëtelto^ doMi^ëlië. Jfe^laftiëi 

êé eéete Mélhë. En^kev nefi^cnSaiif muf de qui 
éTét^it p^is^é Mftief eilèf ^ittKDfi , Mds^iMfe d^gtiiM^ 
àMme'PéthEp(n*ttemeatiitt)^ dëpil r^h^^ 

]^cipitëie api'è^ itidii' refus', elte ixtàff^it n«it^ 
féHieixïéritfle-cfe§sei]rr(}Uesa fMissîdtiv té etAMeil de 
£?rxiÔ9elfFopHiîôn'qû^elléavditdéttldii^cat*a<^^ 

dbil^tni« ornVËfiftatiefsielfi^aottdtMirè'rfovqo'éNë 

tftt'Hfe* mef faisait de' sH toimàië , m Pa^euglu 
cOTÔânce arec liâqûelte je la' 'tttyW ^éte à^M 
n^èr ^ ïûoi. il $eY^^ cë'fô^ Ubr Aiarek^ 

ç8ncfu, dont'jfe dfevW^ cnecridVë tbUt^^'tfhhcbttp 
fes^cdtiditîcmy;Â sôiti qu'elle flfe^^ fortd' stir fiMM 

caïâctèfë Oit ^ût sa beauté , Fârrtetfi^a we lëqtldlRi 
eiïe çliei^ctfôîtf '<dësVegdt*ds , iïiTai*liijfiièit/ uhe cViiM 
flaiicë ^àiis f ei etorilir dte itteM séMii]cieilt$> dôm^ 
n*H4^oi^jàittâis'Vrtxrfetfetoffle; i* • *''-' '^- ^ ^ 



^^pieiidataV|ë'èieèifôiSj tàùn àcenv] i4fûmobile ; m 
]ë^Tàiiif6is • dëfi^ tfV«e tùvts' seâ* dhtfrtties de IV 

^ëidèiiijipiltiiti nptè^ rfv^iV étë silôilg-teirips^ 
fotbrë*, dk^ùVtth-VéSister^ àuiS dttaqùi^ d'tittW 
^mréemVé jjàtfdilfe îriséAsibiKlë^ où frfi* 
flaSsélki^ë^te dte MàWfe, conttîiettçôît a s'établir 
«tirîdéî^fondcfiliétrtS qld ne* dëibiéiit jilus être 
^|tet^àfcîiattgétf.tJ'à¥ms'ël^c^ pâi' 

l-amôùt e* rà?mitiy V oùdu-Étidîhs leé fniîls c^tii 
ih'en rt^dîetiît?,' rite? pafdisàbfeti* si amers , qUe 
]^)c6\ixii^xk'^opptfèt Ittf rttStaes' plafîsirs par la' 
iîimndi'6'pâMfetf a^i riiJêtfié*»]^éîiïeéV H fâlloitnéàn- 
lîixims i^é^WAiÀNrf à FEspàgtiolë; et? rîen» n^étîatif 
càpti^ë âe riie faîk*é> mdtf^iiëe âij« égards qtiî 
fioiit du^â sbii- stiÉtf , ètî n*étoit pèi* ùh petit emV 
BfàWtis q;a^ dèfléUî dé téjétet* hôhtfêttemérit stes pi^o- 
po^tidns. JfBîprîsf nàiès'objetftiods du tôié de ma' 
ftirtûrië; (JiiiA'àVôît que trop SfOtiflfert d^ûn aiitre 
éa^^tiîétLi-^ afp¥ès leiifu^'jèTÙiÉ ponVôis plus ei^ 
pifedàW dfe* Ik tnéiie ùaftire , sans- itf attirer in^ 
felHiMeiaetal? la dîs^Vàce du grand-th^^^^ et lef 
iltiépti'ê àis^nîtiti (M*dî*ê. 11 étbît dur TK>ur moi dé 
ditet«^livi^rléé*p^r dc!s cTidne^si'plè'^attees; màisr 
d^'kîHéliî^^, (f uëlq1!i^ charmiez que j'eusse tft)iïf es 
déitus les plaiiirs dé Tàttiour, fâVdîtf toujéurs' 
^niicj*iiier ôeii'^toit pas d^nne'fiile de sa néfesàiicè^ 
qf!iéje^dctbi#Ws^tteudre;-€t feslôix de ma^rè- 



368. .-•'*^-' -'-HMTOIE*::.:03 j(i 

fession tie me* permcUant poii^' 4*9fFu^' pi^'ies 
Toiesde rhonneur&la posse^s^op 4'llP coeur. '^Ij 
^ele sien , sU! ppuYoit m^étfq.pi^dxmnable de 
ipe livrer à quelque foibles^e « ç*4^n.t aux d^penf 
d^une Tertu moins précieuse q\n/^ }a sienne* Je^ 
la coujurois donc den^en pas croire si aisément 
de fausses idées de bonheur et de plaisir. Au. 
contraire, sous quelque prétexte et par quelque. 
Toie qu*elle eût quitté Madrid 9 je lui conseiUo^^ 
de réparer par un prompt retour le t(Mrt qu^elle; 
avoit fait k sa réputation ^ s*iln*étoit encore plus 
sûr de se retirer dans un couvent , où un séjour 
de quelques mois efiaceroit tous les soupçons 
que son départ pouvoit avoir fait naître. EIIq 
m^écoutoit avec une attention , dont je m*efibr* 
çois en vain de pénétrer le sens. La perte de mon 
ami ayant comme changé mon caractère , j'étois 
devenu plus grave dans ma figure p plus circons- 
pect dans mes idées, plus capable môme de 
]p*attacher d^une vue ferme à mes réflexions ; et 
l!héritage que j^avois recueilli du sage Pérès , 
étoit un commencement de prudence. Cependant 
il m^auroit peu servi à démêler les sentiments^ 
de l'Espagnole f si elle ne me les eût expliqués 
avec moins d*obscurité. Soit que la violence df , 
ses passions eût causé quelque altération dans 
son esprit, soit qu^elle eût naturellement un fond 
delégèretéet de bizarrerie qui uous étoit échappé 



/ 



DU COMMANDEUR DE ***. 869 

dans le commerce que nous avions eu ayec elle ; 
soit enfin que le ressentiment de se voir méprisée 
ne lui fournit point de vengeance plus flatteuse ^ 
elle fit un éclat de rire qui alla jusqu^à Tindé* 
cence; je te crois fou, chevalier, me dit-elle , en 
affectant un air fort libre; et quand je vois un 
corsaire, tel que toi faire le vertueux et le magna- 
nime , je ris de ton extravagance autant que de 
ta grossièreté. Pars donc, ajouta-t-elle, et va 
chercher à Maroc ou à Malte, une femme aussi 
aimable que moi. Où est Lirno, s*écria-t-eUe , en 
se tournant vers la porte. Il étoit à deux pas ;' et 
Je respect Tay ant arrêté jusqu^alors , il ne fit pas 
difficulté de paroître lorsqu'il s'entendit appeler» 
Yoilà donc , lui dit-elle ^ ce galant* chevalier « 
dont tu m'a vois vanté le caractère ? Je te préfé- 
reroisàlui, si je ne prenois dès ce moment uu 
souverain mépris pour tous les corsaires. 
. . J'essuyai ces injures sans émotion. Lirno, plus 
surpris que moi , me demanda en langue franque^ 
si i'avoisxendu cette femme tout-à-fait foUe. Je 
iûi répondis d'un air beaucoup moins enjoué » 
.que je lui sa vois très'-mauvais gré de m'a voir 
jeté dans cet embarras, et ne me croyant point 
dispensé de rendre à une fille si respectable par 
.sa naissance, les devoirs qui conyenoient à sa 
situation , je lui offris la main pour la conduire 
à la chaloupe. Elle me repoussa avec mépris , et 

PréTOit. Tome XI U. Jt^.. 



3yO HISTOIRB 

preiumtcdle de lirno, elle gagna latenv^saRis 
aroir tooméune fois les jeox Ters monTaisseau* 
Le souTenir de ma propre aTentore me fit ap- 
préhender qu'après aToir réussi si mal ayec moi » 
elle ne se laissât gagner par les séductions de 
Limo. J^attendis impatiemment le retour de ma 
chaloupe 9 et je me rendis au rivage anrec une 
merreilleose diligence. J'appris d^un des gens 
de Limo , qu'il avoit pris une chaise dans Ia« 
quelle il s^étoit fait conduire hors de la ville 
avec la dame Espagnole 9 et qu'il n'avoit promis 
d*étre de retour à Cadix que deux jours après. 
Kans quelque lieu qu'elle se fût rendue , je me 
ICTUS délivré d*un fardeau qui ih'avoit causé de 
rinqaiétude 9 et je demeurai tranquille en atten- 
dant Limo. 

Il revînt en effet le second jour. Son récit fut 
simple. Il avoit conduit la dame dans un monas- 
tère célèbre , qui n'étoit qu'à dix lieues de 
Cadix. Elle y étoit entrée, comme si le désir d'y 
faire une retraite de quelques semaines, Teut 
amenée de Mad rid , et Ta veu de son nom lui avoit 
attiré beaucoup de considération. Sur la route 
elle s'étoit étiiportée contre moi aux derniers 
excès; et Lirno me confessa qu'il lui crojoît 
l'esprit tout-à-fait dérangé. Il Tavôit laissée, me 
dît-il , sous la protection du ciel , et son avis étoit 
que nous ne devions pas différer à mettre à la 



»0 COMMANDEUR DE ***. Syi 

voile^ Je n'opposai rien à ce dernier conseil , et je ne 
marquai point non pln^s de curiosité pour savoir 
, le fond d'une aventure dont j'étois bien moins 
occupé que du perpétuel sujet de ma tristesse. 
Nous quittâmes le port dès le lendemain. Lirno 
etoît demeuré sur mon bord, assez sûr de poù* 
voir regagner le sien , lorsque nous aurions perdu 
de vue la côte. La joie dont il étoit rempli ne put 
se déguiser long-temps. Il commença par me 
féliciter du parti que j^avois pris de rejeter lê« 
sollicitations de l'Espagnole. Cétoit un nouvci 
obstacle , me dit-il , pour vos courses militaires 
et pour l'avancement de votre fortune. C'est par 
la même raison , a jouta-t-il , que je ne lui ai pas 
proposé de m'accepter après vous. J^ m'imagine 
que, dans les alarmes où elle étoit, elle auroit fait 
peu de difficulté de me suivre. Mais nous avons ^ 
«Teprit-il , en fermant à demi les yeux , de quoi 
nous consoler desa perte. Je lui demandai quelle 
acquisition il'avoit faite en Espagne. Il s'empressa 
ûe me raconter les soins qu'il avoit pris à Madrid 
pour engager notre Espagnole à ne pas partir les 
mains vides ; et la simplicité qu'elle avoit eue de 
lui confier ce qu'elle avoit de plus riche en argent 
et en bijoux. J'emporte tout, reprit-il, et jevous 
6n destine la meilleure part. Je n'ai pas nianqué 
de lui faire entendre qu'elle ne pouvoit quitter 
trop tôt Cadix, et que le moindre délai l'exposoit 

^4* 



Sj2 HISTOIRE 

à se voir perdue de réputation. Elle estpairtîe 
avec moi. Je lui ai promis de faire porter sont 
trésor au monastère , et j'ai feint de laisser mes 
ordres à quelques - uns de mes gens. Mais la 
promptitude de notre départ nous met à couvert, 
et nous sommes assez éloignés pour ne pas crain- 
dre d'être poursuivis. Ce que je trouvai encore 
de plus surprenant que le fond de cet odieux 
récit , fut Tair de satisfaction et de confiance qui 
étoit répandu sur le visage dé Lirno. J'en fus 
choqué jusqu'à délibérer dans' ma première 
chaleur si je ne le ferois pas chasser ignominieu- 
sement de mon vaisseau. Quelle raison avois-je 
.donnée à ce brigand de me croire capable de 
partager ses crimes? 11 m'avoit vu exercer k'ior 
vérité une espèce de piraterie contre les Turcs » 
et peut-être mettoit-il peu dé distinction entre 
son métier et le mien ; mais il ne £alloit pas plus 
d'esprit et de courage qu*il n'en avoit, pour 
sentir la différence qui devoit se trouver dans 
nos principes , et je rougissois qu'il eût pu m^eu 
croire de semblables aux siens. Cependant m'é- 
tant rendu maître de ce premier mouvement , je 
me bornai à lui faire honte de son action; je la 
traitai de vol infâme, et je le pressai de retourner 
à Cadix , pour renvoyer à l'Espagnole son ar- 
' gent et ses bijoux. Loin de se rendre à mes in- 
stances , il s*en. offensa, autan t. que de mes rë« 



V 



D0 COMMAPfDÉUK DE ***. S^Sr 

proches , et me quittant d'un air brusque , il se 
fit reconduire sur-le-champ dans son vaisseau. ^ 
Si j'ai quelque chose à me reprocher ici , c'est 
de n'avoir pas pris le parti de le faire arrêter. 
Mais je me flattois encore qu'un peu de réflexion 
sur mes conseils » le ramèneroit au devoir , et 
j*eus les yeux long-temps attachés sur son vais- 
seau dans l'espérance de le voir retourner vers 
le port. Ce qu'il n'étoît pas porté à faire par ses 
principes 9 je ne doutois pas que la seule envie 
de se coi^erver mon amitié , ne pût l'y résoudre 
malgré son inclination ; car je ne lui avois pas 
dissimulé qu'après le service que je venois de lui 
rendre à Madrid , et la liaison où j'avois paru 
vivre avec lui , je croyois mon honneur attaché 
au sien. En effet , cette pensée agissoit si vive- 
ment dans mon esprit que me croyant perdu de 
réputation , si le vol n'étoit pas réparé , je ne fus 
pas plus tôt sûr qu'il continuoit paisiblement sa 
route, que je formai la résolution d'employer 
la force pour l'arrêter , et de périr plutôt que de 
me laisser déshonorer par son crime. Le vent 
B'étoit^pas assez fort pour me faire craindre que 
la légèreté de son vaisseau lui fît gagner sur moi 
beaucoup d'avantage. Je me hâtai de lui envoyer 
deux de mes gens , avec un ordre précis de re- 
tourner à Cadix , et des menaces aussi vives que 
mon ressentiment, s^il balancoK à m'obéir. Sa 



Bj4 HisToins 

réponse fut d^uoe hauteur qui acheya de m^irri^ 
ter. Je ne balançai point à m'ayancer yers lai 
ayec tous le& signes qui annoncent le combat ^ etr 
le fier Lirno ne chercha point à Téviter. 

Cependant au milieu de la chaleur qui m*a^ 
nimoit, je conseryai assez de réflexion pour 
sentir combien il étoit fâcheux encore pour ma 
réputation d'en yenir à cette cruelle extrémité 
avec un homme dont j'ayois tantyanté rattache- 
ment , et que j'ayois choisi pour le compaguoa 
de mes entreprises. Je résolus de renouveler mes 
instances par une nouvelle députation. Il la reçut 
avec le même orgueil. Qu'où mette donc le feu 
au canon , dis-je brusquement. Je fus trop biea 
obéi. La bordée fut si malheureuse pour Lirno ^ 
qu^étant alors sur le tillac à-donner ses ordres , il 
fut emporté d'un des premiers boulets. J'essuyai 
néanmoins la décharge de toute son artillerie ^ 
qui me causa peu de dommage ; mais ses gen» 
perdirent l'envie de me combattre après la perte 
de leur chef, et nesachant pointle sujet de notre 
querelle , ils prirent le parti de la soumission « 
Mes ordres furent donnés aussitôt pour gagner 
Cadix , et l'unique soin dont je m'occupai en 
arrivant, fut de renvoyer le vol du corsaire au 
monastère de l'Espagnole. 
• Je regrettai peu le malheur du corsaire, el 
moins encore l'utilité que j'aurois pu tirer de $es 



i^ 



jt 



DU COMMANDEUR, DE **^. SyS 

aervices. Cette aventure m^apprit seulement k 
compter moins sur des caractères dépravés par 
réducation et par Fhabitude. La nature avoit 
donné à Lirno une partie des qualités qui for- 
ment les plus grands hommes; mais le genre de 
vie qu'il avoit mené depuis Tenfance^ avoit cor- 
rompu toutes ces semences de vertu , et ce qui 
lui en restoit n'avoit poipt assez de force pour 
réprimer celle d'une infinité de vices ^ que Tex- 
périence avoit nourris continuellement. Mou 
embarras ne regarda que la disposition de sou 
Taisseau. Il ne me fut pas aisé de décider si le$ 
droits que fa vois de me Tattribuer, étoient assez 
justement acquis ; et le penchant même de ses 
gens à continuer de me servir ne levoit pas tous 
mes scrupules. Je remis le jugement de cettç 
difficulté au grand-maitre , et le long séjour quç 
j'avois fait à Madrid ne me laissant rien espérer 
du reste de la campagne , je ne pensai qu'à re« 
prendre la route de Malte. 

L'amour du devoir , et le goût de ma pro- 
fession sembloient renaître dans mon cœur , ^ 
mesure que les obstacles diçparoissoien^. Je me 
trouvai si rempli de ces deux sentiments , en 
arrivant au port ^ que je ne m'imaginois plus 
que rien fût capable de les suspendre , ou de les 
troubler. Cependant j'eus encQre une occasion 
de reconnoître que la vertu demande d'être 



\ 



876 HISTOIRE 

fortifiée par Thabîtade. M^étant rendu droit à m^ 
maison , j ^ trouTai Helena 9 qui ne s^atténdoît 
pas si tôt à mon retour. Sa mère étant absente , 
j'essuyai les caresses passionnées de cette jeun« 
personne ; et guéri comme je Tétois de tous mes 
anciens sentiments 9 rebuté même de sa figure 9 
je ne laissai pas de me trouver si sensible à Tem* 
portement de sa joie » que je me livrai avec elle 
aux dernières faiblesses. Cet oubli de moi-même 
dura peu.^A-peine fus-je revenu de ma première 
ivresse , que y me faisant un reproche de ce 
désordre, je n'eus pas besoin d'efforts pour re- 
nouveler les résolutions que j'avois emportées à 
mon départ. MaisHelena n'en demeura pas moins 
persuadée qu'elle pouYoit reprendre l'ascendant 
qu'elle avoit eu sur mon cœur, et cette espérance 
ralluma toute l'ardeur du sien. Je ne pouvois 
îplus être seul un moment. Elle observoit toutes 
les occasions de me surprendre dans ma chambre. 
£n vain affectois-je un air grave et sérieux pour 
la recevoir. Si elle paroissoît modérée pour quel- 
ques moments , par un accueil si froid , elle trou- 
Toit le moyen de m'échauffer à son tour , et mes 
résolutions étoient oubliées. Sa mère s'en aperçut 
avec plaisir. Je voy oisf briller plus de joie dans 
leurs yeux , plus d'art et de soin dans leur parure. 
L^babitude faisant disparoitre insensiblement à 
mes yeux les ravages de la petite vé]:ole » je rêve* 



OtT COMflîANDËUA- DE ^'l^*. S77 

noîs à trouver le même goût dans tout ce qui 
ûvoit flatté mon amour , et je touchai peut-être 
au point de me retrouver plus tendre et plus pas- 
sionné que jamais. 

Le péril étoit d'autant plus grand, que ne 
me défiant point de mes dispositions, je croyoi$ 
accorder beaucoup plus à la passion d'Helena 
qu'à la mienne , et je ne la voyois jamais sortir 
de mes bras , sans m'étonner de la complaisance 
que j'avois eue de Yj recevoir. Il est vrai que 
cette réflexion ne m'étoit jamais venue au mo- 
ment qu'elle y entroit. Ainsi , tous mes senti- 
ments alloient reprendre leur cours, et mon 
imagination m'auroit représenté à-la-fin un« 
maîtresse plus aimable que jamais , lorsque le 
souvenir de mes services me fit choisir par le 
grand-maître, pour ambassadeur de la religion , 

à la cour de C'étoit m'ouvrir une nouvelle 

carrière, où j'entrois d'autant plus volontiers > 
que ces longues agitations commençoient à me 
faire souhaiter le repos. Je pris aussitôt la réso- 
lution de me défaire de mon vaisseau, et quoi- 
que le jugement du grand-maître m'eut été fa- 
Torable pour celui de Lirno , je ne voulus point 
profiter de la dépouille d'un malheureux , pour 
qui j'avois eu quelques sentiments d'amitié. J'a- 
bandonnai tout ce qui lui a voit appartenu, à soiî 
lieutenant et à wn équipage > et le grand maître 



378 HISTOIAB 

leur laissa la liberté de retourner dans leur patrie, 
sans autre condition que de ne s^armer jamais 
contre les vaisseaux de Tordre. Je ne m*étois 
ouvert à personne de la faveur du grand-maître» 
et mes préparatifs se faisoient sourdement. He- 
lena fut peut-être la seule qui crut avoir pénétré 
que je me disposois à quitter Malte. Tous les 
prétextes que j'avois pris pour la vente de mon 
vaisseau , ne purent la tromper. Elle n^étoit plus 
capable de se livrer aux conditions que nous 
nous étions imposées ^ et de vivre tranquille 
dans ma maison , lorsqu'elle cesseroit de m^j 
voir. Elle me prit dans un de ces moments 9 où 
elle s^étoit fait un tribut de ma complaisance , 
et ses larmes m'apprirent autant que ses plaintes 
ce qu'elle appréhendoit de mon absence. Je fu^ 
plus éveillé par ce reproche » que je ne l'avois 
été par toutes mes réflexions, et la première 
fois, peut-être, depuis mon retour , j'ouvris les 
yeux sur les nouvelles chaînes dont je m'étois 
chargé. Je sentis mon cœur beaucoup plus en- 
gagé que je ne me l'étois figuré, et je frémis 
d'un obstacle que je m'étois formé volontaire- 
ment. La honte que j'en ressentis , me fit quitter 
ma situation avec une vivacité qui efiraya ma 
maîtresse. Je la laissai tremblante , et je gagnois 
la porte , sans jeter sur elle un regard. Cependant 
la vieille impression des plaisirs que je venois 



nV COHMÀNDEUH DE ***. 3jq 

de goûter avec elle , me fixa au moment que 
j'étols prêt à sortir. Helena^ luidis^je, en me 
tournant vers elle » pourquoi ne puis-je plus 
vous préférer à ma fortuné ^ à ma réputation, à 
mille biens qui m^étoient moins chers que tous» 
et que je me souviens de voi^ avoir autrefois 
sacrifiés! J'ai le même cœur, ajoutai-je, le$ 
mêmes transports, et je suis capable, par con- 
séquent, des mêmes foiblesses. Mais comblé 
comme je suis de vos faveurs, je ne crois point 
que je doive vous préférer aux établissçmeiits 
que le cours de ma vie semble me promettre , 
et je me ruinerois infailliblement en recom- 
mençant à m'attacber à vous. Jouissez avec votre 
mère des douceurs que ma fortune présente 
me met en état de vous offrir. Régnez dans ma 
maison. Qu'on n'y reconnoisse point d'autres 
loix que les vôtres. Mais ne vous opposez point 
aux efforts que je vais faire, pour me dégager 
éternellement de l'amour , et soyez même per- 
suadée qu'ils seroient superflus. 

Je la quittai. Ma passion étoit peut-être aussi 
violente qu'elle l'a voit été dans les plus tendres 
moments de ma vie. Mais ma raison s'étoit forr 
tifiée. Je fermai l'oreiUe d'avance à toutes le$ 
objections que j'attendois d'Helena, quoiquer 
je me sentisse le cœur aussi agité peut-être que 
le sien. 



38o HISTOIRE 

Elle ne fît éclater aucun transport ; maïs le 
trouble de ses regards , et le changement même 
de ses traits marquoient la violence de ses agita- 
tions. Après avoir promené loug-temps sur moi 
des yeux incertains, elle en laissa couler quel- 
ques larmes ; mais elle s'en aperçut , et les es- 
suyant aussitôt , elle me pria d'entendre un 
discours , qui ne m'importuneroit pas long- 
temps , me dit-êlle , et qui me feroit cbnnoître 
ses sentiments , comme je venois de lui expH* 
quer lès miens. Vousm'avez aîmée, reprit-elle, 
en poussant plusieurs soupirs , et je n'en de* 
mande le témoignage qu'à votre cœur. Aussi 
vous ai-je tout sacrifié. La perte même de ma 
Beauté n'est venue que des tourments de l'ab* 
sence et des inquiétudes de l'amour. Dans quel 
état n'aùriez-vous pas fait le charme de mes 
yeux, après avoir pris un empire si puissant sur 
toutes mes affections ? Le ciel permet que vous 
soyez disposé tout autrement que moi , et c'est 
sans doute pour mon repos autant que pour le 
vôtre. Je ne regrette que la foiblesse que j'ai 
eue de me persuader depuis votre retour , que 
vous pouviez revenir à moi par d'autres goûts 
que ceux qui vous y avoient d'abord attaché. 
Je ne m'explique qu'à demi , parce que je meurs 
de honte à ce moment de m'être trompée moi- 
même par de ridicules espérances. Adieu, ajouta- 



DU COMMANDEUR DE **^. 38l 

t-elle » en se levant ; j'accepte le couvent que 
vous m'avez offert; et j'y vole dès ce moment. » 
Je fis quelques efforts pour l'arrêter , non que 
je condamnasse son dessein, mais dans la seule 
vue de prendre toutes les mesures qui pouvoient 
rendre son sort agréable dans la retraite. Et je 
cessai même de m'opposer à son départ, lorsque 
j'eus fait réflexion que cette vivacité ne chan* 
geroit rien à mes soins. Je communiquai mon 
projet à sa mère, qui ne balança point à l'ap- 
prouver; et je l'exécutai avec assez de noblesse 
pour m'attirer les applaudissements du public* 



FIN. 



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