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Full text of "Histoire de M. Émery et de l'église de France pendant la révolution"

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™  PRINCETON,  N.  J.  ^ 


BX  1530    .M47  1895  v.2 
M  eric,     Elie,  1838-1905. 
Histoire  de  M.     Emery  et  de 
1'   église  de  France  pendanj 


Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2014 


https://archive.org/details/histoiredememery02meri 


HISTOIRE 

DE  M.  ÉMERY 

ET  DE 

L'ÉGLISE  DE  FRANCE 


li 


PROPRIÉTÉ  DE 


ŒUVRES  DE  M GR  MÉRIG 


La  Vie  dans  l'esprit  et  dans  la  matière.  In-12,  ¥  edit.    .  3  50 

La  Morale  et  l'Athéisme  contemporain.  In-12,      edit.    .  à  ou 

Du  droit  et  du  devoir.  In-12,  ¥  édit   *  ?" 

L'autre  Vie.  2  vol.  in -8°,  3*  édit   '  ou 

-Le  même.  2  vol.  in-12,  4*  édit  •    •    •  °  » 

La  Chute  originelle  et  la  responsabilité  humaine  ,  8*  edit.  2  » 

Les  Erreurs  sociales  du  temps  présent.  In-12,  /•  edit.  .    .  à  » 

Les  Élus  se  reconnaîtront  au  ciel.  Opuscule  ,  27*  edit.    .    .  1  ou 

Le  Clergé  sous  l'ancien  régime,  2*  édit.   ^  ou 

Le  Clergé  et  les  temps  nouveaux,  2e  édit   « 

Le  Livre  des  espérances.  In-12  

Le  Merveilleux  et  la  Science,  8«  édition  •    •    •  0  °" 

Histoire  de  M.  Émery  et  de  l'Eglise  de  France  pendant  la 

révolution.  2  vol.  in-12,  5e  édition. 
{Ouvrage  couronné  par  V Académie  française.) 


OPUSCULES 

Les  Universités  allemandes  et  les  séminaires  français. 
Le  Clergé  et  la  Science  à  l'exposition  de  Turin.  In  -8" 
Du  Beau  et  de  l'Art.  In-8°. 
La  Sorbonne  et  son  fondateur.  In -8°. 


HISTOIRE 

DE  M.  EMERY 

ET  DE 

L'ÉGLISE  DE  FRANCE 

PENDANT  L'EMPIRE 

PAR  MGR  MÉRIC 

DOCTEUR    EN"    PHILOSOPHIE   ET  LETTRES 
DOCTEUR    EN    THÉOLOGIE    ET    DROIT  CANON 
PROFESSEUR    A    LA  SORBONNE 


CINQUIÈME  ÉDITION 

AUGMENTÉE   DE   DOCfUENTS  INÉDITS 


PARIS 

LIBRAIRIE  CH.  POUSSIELGUE 

RUE   CASSETTE,  15 
1895 

Droits  de  reproduction  et  de  traduction  réservés. 


M.  ÉMERV 


ET   L'ÉGLISE   DE  FRANGE 


SECONDE  PARTIE 
(4800-4811) 


CHAPITRE  PREMIER 

LE  DERNIER  SERMENT  ET  LA  RENAISSANCE  DU  SÉMINAIRE 

I.  —  L'Italie  avait  ressenti  le  contre -coup  de  la  persé- 
cution religieuse  qui  déshonorait  la  France  :  le  Direc- 
toire avait  visé  et  frappé  le  chef  de  l'Eglise.  Le  20  fé- 
vrier 1798,  Pie  VI  est  chassé  de  Rome  par  les  troupes 
françaises,  qui  proclament  la  république  au  bruit  du 
canon ,  et  se  flattent  d'avoir  anéanti  la  papauté  en  détrui- 
sant la  monarchie  pontificale.  Des  bandes  de  pillards  et 
de  misérables,  exaltés  par  le  succès,  encouragés  par  le 
silence  bienveillant  et  par  la  complicité  tacite  de  leurs 
généraux,  se  ruent  dans  les  églises,  les  palais,  les  monas- 
tères, les  chapelles,  les  oratoires  de  la  ville  éternelle, 
partout  ofi  ils  ont  l'espérance  de  détruire  un  emblème 
religieux  :  c'est  le  sac  et  le  pillage ,  avec  le  plus  odieux 
caractère  de  brutalité.  Les  ciboires,  les  ostensoirs,  les 
chandeliers,  les  encensoirs  des  chapelles  pontificales, 
les  objets  du  culte  et  les  ornements  des  autels  sont  enle- 
vés pour  être  détruits  ou  vendus.  Les  bibliothèques  sont 
II  1 


2  M.  ÉMERY 

envahies;  les  livres,  ou  déchirés,  ou  volés,  ou  cédés 
à  vil  prix.  L'or,  l'argent,  les  tissus  précieux ,  les  magni- 
ficences qui  formaient  les  trésors  des  chapelles ,  expres- 
sion sacrée  de  la  foi  et  de  la  reconnaissance  des  rois  et 
des  peuples,  sont  profanées,  partagées  comme  un  butin 
vulgaire.  Les  pierres  tombales  elles-mêmes  sont  sou- 
levées ,  les  cercueils  de  plomb  brisés  et  fondus  :  on  ne 
respecte  pas  la  dépouille  des  morts  dans  le  silence  reli- 
gieux de  leur  dernière  demeure  ;  toutes  les  convoitises 
sont  déchaînées  et  assouvies. 

Les  objets  d'art  ne  sont  pas  traités  autrement  que  les 
monuments  de  la  science  et  de  la  piété.  Le  vandalisme 
sauvage  des  soldats  de  la  Révolution  excite  enfin  l'indi- 
gnation des  officiers  :  ils  adressent  une  protestation ,  au 
nom  de  l'art,  au  nom  de  la  science,  au  nom  de  la  civili- 
sation, au  général  Berthier,  qui  commandait  l'armée 
française  et  laissait  agir  les  pillards. 

Pie  VI  s'éloigne  de  Rome  :  il  cherche  une  retraite 
pour  assurer  l'indépendance  de  sa  parole  et  la  sécurité 
de  ses  derniers  jours.  Il  se  retire  à  Sienne  :  il  est  obligé 
de  fuir.  Il  se  réfugie  à  la  chartreuse  de  Florence  :  il  en 
est  chassé  par  les  Français.  Il  traverse  le  Piémont, 
franchit  le  montCenis  dans  les  plus  cruelles  souffrances, 
s'arrête  à  Grenoble ,  et  arrive  enfin  à  Valence ,  entouré 
d'une  escorte  qui  ne  respecte  pas  la  grandeur  du  vieil- 
lard exilé.  Le  Directoire  déclare  publiquement  que  le 
pape  est  prisonnier  d'Etat. 

La  détention  cruelle  du  pontife  dans  la  citadelle  de 
Valence  ne  dura  pas  longtemps.  Le  Directoire  voulait 
faire  subir  au  pape  un  nouveau  déplacement  et  de  plus 
cruelles  épreuves;  mais  les  forces  du  vieillard  étaient 
épuisées.  Le  27  août  1799,  on  lui  donna  les  derniers 
sacrements.  Après  avoir  reçu  "le  saint  viatique,  il  ouvrit 
les  yeux  ,  et  fit  d'une  voix  élevée  cette  dernière  prière 
sur  la  terre  d'exil  : 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  3 

«  Seigneur  Jésus- Christ,  voici  en  votre  présence  votre 
vicaire  et  le  pasteur  du  troupeau  catholique,  exilé,  captif 
et  mourant  pour  ses  ouailles.  Dans  cette  extrémité,  je 
vous  demande  deux  grâces,  comme  à  mon  père  et  à  mon 
maître:  la  première,  c'est  que  vous  accordiez  à  tous  mes 
ennemis,  et  à  chacun  d'eux  en  particulier,  le  pardon  le 
plus  entier;  la  seconde,  c'est  que  vous  rendiez  à  Home 
la  chaire  de  Pierre  et  le  trône  pontifical  ;  à  l'Europe,  la 
paix  ;  à  la 'France  surtout,  qui  m'est  très  chère  et  qui 
a  bien  mérité  de  l'Eglise,  votre  religion  dans  sa  pléni- 
tude 1 .  » 

Pendant  dix  ans,  et  sur  tous  les  points  de  la  France 
où  régnait  l'esprit  sectaire  des  hommes  de  la  Révolution, 
on  avait  vu  des  religieux,  des  prêtres,  des  milliers  de 
victimes  entassées  dans  l'infection  fétide  des  cachots; 
pendant  dix  ans,  le  sang  des  chrétiens  outragés  pour 
la  cause  de  la  justice  avait  coulé  sans  arrêt,  montant 
vers  Dieu  comme  une  satisfaction  et  une  prière.  En 
mourant  exilé  sur  la  terre  étrangère,  Pie  VI  donnait 
une  valeur  inestimable  et  une  consécration  particulière 
aux  larmes,  aux  souffrances,  au  martyre  de  ces  victimes 
obscures  dont  il  venait  de  partager  le  sort. 

II.  —  La  France  était  à  la  veille  d'un  profond  chan- 
gement politique,  social  et  religieux. 

Les  peuples  se  fatiguent  de  la  révolte,  mais  ils  ne 
rentrent  pas  facilement  et  par  les  moyens  ordinaires 
dans  le  cours  tranquille  de  leur  histoire  :  aux  orages  de 
la  démocratie  révolutionnaire  succède  l'autorité  mena- 
çante de  la  dictature  ;  un  homme  se  lève  qui  répond  à 
l'espérance,  aux  angoisses,  au  dégoût  de  la  nation  aspi- 
rant à  changer  de  maître  et  à  sortir  du  sang  ;  il  a  pour 
sceptre  une  épée;  il  en  frappe  les  malfaiteurs  qui,  au 

1  Artaud,  Histoire  des  Papes,  t.  VIII,  p.  387. 


4  M.  ÉMERY 

nom  de  la  liberté,  ont  tenu  le  pays  dans  le  plus  odieux 
esclavage.  Bonaparte  était  l'homme  du  moment  :  bril- 
lant capitaine ,  il  avait  révélé  de  grandes  qualités  mili- 
taires et  servi  au  début  la  cause  criminelle  des  hommes 
de  la  Révolution;  ceux-ci  ne  voyaient  encore  en  lui  ni 
un  rival  ni  un  maître. 

Au  siège  de  Toulon ,  il  décide  la  victoire  à  suivre  son 
drapeau  ;  le  13  vendémiaire,  il  écrase  dans  les  rues  de 
Paris,  et  sur  les  marches  de  l'église  Saint -Roch,  la  sec- 
tion de  Lepelletier,  commandée  par  le  général  Donican 
et  par  le  brave  Lafont  de  Soulé ,  ancien  garde  du  corps 
de  Louis  XVI  ;  il  fusille  et  mitraille  les  gardes  natio- 
naux fatigués  des  saturnales  de  la  Convention.  Vers  la 
fin  de  mars  1796,  c'est  lui  qui,  vainqueur  des  Autrichiens 
à  la  bataille  de  Lodi  et  maître  du  Piémont ,  menace  les 
Etats  pontificaux ,  excite  ses  soldats  par  cette  proclama- 
tion révolutionnaire  :  «  Rétablir  le  Capitole ,  réveiller 
le  peuple  romain  engourdi  par  plusieurs  siècles  d'es- 
clavage, tel  sera  le  fruit  de  vos  victoires.  Elles  feront 
époque  dans  la  postérité.  Vous  aurez  la  gloire  immor- 
telle de  changer  la  face  de  la  plus  belle  partie  de  l'Eu- 
rope. )) 

Le  général  qui  faisait  entendre  de  telles  paroles  ne 
pouvait  donc  ni  provoquer  ni  mériter  encore  les  défiances 
jalouses  d'un  gouvernement  si  profondément  hostile  au 
catholicisme  en  France. 

D'ailleurs,  le  gouvernement  était  lui-même  troublé 
et  divisé.  Les  patriotes  exaltés  demandaient  la  levée  en 
masse,  le  retour  aux  massacres  et  au  règne  de  la  Ter- 
reur; les  modérés  cherchaient  une  épée  glorieuse  et 
ferme  pour  échapper  aux  jacobins;  le  peuple,  effrayé, 
altéré  de  paix,  voulait  sortir  à  tout  prix,  même  par  la 
violence  et  par  la  dictature,  d'une  situation  pleine  de 
hontes,  de  dangers  et  de  crimes.  Bonaparte,  vainqueur 
dans  la  brillante  campagne  d'Egypte,  débarque  à  Fréjus, 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  5 

traverse  la  France  aux  acclamations  de  la  foule  enivrée 
de  l'éclat  de  sa  gloire  naissante,  arrive  à  Paris,  et  se 
prépare  enfin  à  prendre  en  main,  par  un  coup  de  force, 
le  gouvernement  du  pays. 

Bonaparte  avait  un  profond  mépris  pour  le  Directoire 
et  une  invincible  confiance  en  la  grandeur  de  ses  propres 
destinées.  Il  avait  déjà  goûté  les  premiers  enivrements 
de  la  gloire.  En  regardant  autour  de  lui,  il  rencontrait 
Gohier,  Roger  Ducos,  Moulins,  Sieyès,  le  prêtre  apos- 
tat, Barras,  des  hommes  qu'il  accablait  de  son  dédain, 
et  qui  étaient  cependant  un  obstacle  à  l'accomplissement 
de  ses  vastes  desseins  pour  la  pacification  religieuse  et  le 
relèvement  militaire  de  la  France.  Il  comptait  sur  la  for- 
tune et  sur  les  généraux  fascinés  par  l'ascendant  incon- 
testé de  son  génie  ;  il  était  sur  de  la  réalisation  prochaine 
de  ses  espérances. 

Après  le  banquet  du  15  brumaire  offert  au  général 
Bonaparte,  avec  un  éclat  inaccoutumé,  dans  l'église 
Saint-Sulpice  transformée  en  temple  de  la  Victoire, 
l'heure  était  favorable  a  une  réaction  dont  les  esprits 
avaient  depuis  longtemps  le  pressentiment  et  le  secret 
désir. 

Effrayer  le  pays  par  le  bruit  d'un  soulèvement  des 
jacobins  contre  la  représentation  nationale,  se  présenter 
aux  républicains  comme  le  défenseur  dévoué  d'un  gou- 
vernement compromis  et  menacé  par  l'anarchie,  flatter 
les  généraux  en  leur  promettant  de  les  débarrasser  des 
avocats  politiciens  toujours  contraires  à  la  grandeur 
militaire  de  la  France,  obtenir  enfin,  à  cette  heure  de 
trouble  et  de  confusion,  le  commandement  général  de  la 
force  armée  :  tel  fut  le  plan  de  bataille  conçu  par  Bona- 
parte, approuvé  par  Sieyès  et  favorisé  par  la  complicité 
facile  de  Fouché,  qui  devait  être  un  jour  le  serviteur 
le  plus  obséquieux  de  sa  fortune  souveraine. 

Le  18  brumaire,  à  7  heures,  le  conseil  des  Anciens 


6       •  M.  ÉMERY 

se  réunit  en  séance.  Régnier  propose  de  transférer  le 
Corps  législatif  à  Saint-Cloud ,  pour  échapper  à  la  conju- 
ration des  jacobins  en  révolte ,  et  de  confier  à  Bonaparte 
le  commandement  de  la  force  armée.  La  proposition  est 
votée.  Bonaparte,  entouré  de  ses  généraux  Berthier, 
Lefebvre,  Macdonald,  Murât,  et  d'un  brillant  état-major, 
se  rendit  au  conseil  des  Anciens  pour  entendre  la  com- 
munication officielle  du  décret. 

Les  Cinq -Cents  et  les  Anciens  étaient  réunis  à  Saint- 
Cloud,  troublés  par  une  panique  dont  ils  ne  connais- 
saient pas  la  cause ,  et  dans  une  profonde  ignorance  des 
desseins  de  Bonaparte.  Ils  avaient  entendu  parler  du 
péril  de  la  république ,  d'un  changement  dans  le  Direc- 
toire; ils  ne  savaient  pas  que  le  jeune  général  appelé 
à  la  tête  de  l'armée  pour  défendre  la  République  était 
déjà  le  maître  qui  rêvait  de  l'écraser  et  de  régner. 

Le  Directoire  était  dissous  par  la  démission  involon- 
taire de  quatre  de  ses  membres  ;  le  conseil  des  Anciens 
n'avait  pas  opposé  une  résistance  sérieuse  à  Bonaparte  ; 
il  était  plus  difficile  de  triompher  du  conseil  des  Cinq- 
Cents. 

Les  membres  de  cette  assemblée  pressentaient  le  dan- 
ger; ils  faisaient  entendre  des  cris  de  fureur  contre  les 
ennemis  de  la  république  et  de  la  constitution. 

Lucien  Bonaparte ,  qui  présidait,  ne  dominait  plus 
cette  assemblée  houleuse;  il  était  débordé.  Lorsque  son 
frère  se  présenta  escorté  de  ses  grenadiers  et  de  quelques 
officiers  généraux  fidèles  à  sa  fortune  et  inquiets  de  sa 
tentative,  on  entendit  une  clameur  formidable  et  des 
imprécations  violentes  contre  la  force  qui  osait  pénétrer 
ainsi  dans  la  salle  des  représentants  de  la  nation.  Ce 
n'était  plus  une  assemblée  humaine,  le  tumulte  était 
indescriptible.  Des  menaces,  des  cris  sauvages,  des 
imprécations,  des  provocations  à  la  mort,  des  hurle- 
ments de  fureur,  retentissent  dans  cette  salle  où  se 


ET  L'ÉGLTSE  DE  FRANCE  7 

livrait  le  combat  .suprême  de  la  dictature  et  de  l'anarchie. 

Les  députés  cernent  Bonaparte,  qui  veut  parler;  ils 
essayent  de  l'enlever  et  de  le  chasser  de  l'assemblée  ; 
d'autres  députés  se  précipitent  au  siège  occupé  par  le 
président  et  l'accablent  d'outrages. 

Cependant  un  peloton  de  grenadiers,  l'arme  au  bras, 
pénètre  dans  la  salle,  enveloppe  le  général,  le  dégage, 
se  répand  des  deux  côtés  de  la  chambre,  sous  la  con- 
duite de  Murât,  et  chasse  les  députés  effarés,  qui  dis- 
paraissaient dans  toutes  les  directions. 

C'était  la  fin  de  la  période  révolutionnaire  et  violente, 
la  dernière  heure  du  règne  des  jacobins.  Le  pays  avait 
un  immense  besoin  de  paix.  Celui  qui  prenait  ainsi  le 
pouvoir  par  un  coup  de  force,  comme  on  prend  une 
ville  assiégée,  tenait  dans  ses  mains  les  destinées  poli- 
tiques et  religieuses  de  la  France. 

III.  —  La  première  pensée  de  Bonaparte,  en  arrivant 
au  pouvoir,  fut  d'arrêter  la  persécution  qui  avait  sévi 
trop  longtemps  contre  l'Église,  et,  par  conviction  ou 
peut-être  par  un  calcul  dont  l'habileté  n'est  pas  contes- 
table, il  essaya  de  rassurer  les  consciences;  il  défendit 
d'exiger  les  serments  antérieurs,  qui  fermaient  encore 
à  un  grand  nombre  d'ecclésiastiques  timorés  l'accès  des 
fonctions  publiques  de  leur  ministère.  Un  arrêté  du 
28  décembre  1799,  interprété  par  le  Moniteur  univer- 
sel, rendit  obligatoire  une  simple  promesse  de  fidélité 
à  la  constitution. 

a  On  a  dû  remarquer,  disait  le  Moniteur,  dans  un 
arrêté  des  consuls  du  7  nivôse,  que  les  ministres  des 
cultes ,  assujettis  par  les  lois  antérieures  à  un  serment 
ou  à  une  déclaration  quelconque,  y  satisferont  par  la 
déclaration  suivante  :  Je  promet*  fidélité  à  la  consti- 
tution. 

«  Cette  formule  est  à  elle  seule  une  garantie  parfaite 


8  M.  ÉMERY 

de  la  liberté  des  opinions  religieuses,  car  elle  respecte 
toutes  les  délicatesses  et  jusqu'aux  scrupules  de  la  piété 
la  plus  craintive.  Ce  n'est  pas  un  serment,  une  pro- 
messe faite  à  Dieu  ;  c'est  un  engagement  purement 
civil.  Celle  de  toutes  les  religions  qui  défendrait  avec  le 
plus  de  sévérité  la  fréquence  des  serments ,  ne  peut 
donc  apporter  ici  aucun  obstacle.  On  ne  promet  pas, 
comme  par  le  passé,  de  maintenir  la  constitution  :  il 
y  avait  dans  ce  mot  maintenir,  ou  du  moins  il  parais- 
sait y  avoir  une  promesse  d'action  directe  et  positive 
pour  soutenir,  pour  défendre  un  code  qu'après  tout  on 
ne  pouvait  être  tenu  d'approuver.  On  conçoit  qu'un  tel 
engagement  pouvait  jeter  une  sorte  d'inquiétude  dans 
quelques  âmes,  qu'il  était  bien  cruel  de  tourmenter 
pour  une  formule. 

((  Aujourd'hui  on  promet  uniquement  d'être  fidèle, 
c'est-à-dire  de  se  soumettre,  de  ne  point  s'opposer. 

«  Or  une  pareille  déclaration  est  d'abord  très  suffi- 
sante, et  de  plus  elle  offre  l'inappréciable  avantage  de 
ne  pouvoir  rencontrer  de  résistance.  Quelle  est,  en  effet, 
la  religion  qui  ne  recommande  la  soumission  aux  lois 
du  pays  où  l'on  est  ?  et  quel  est  l'homme ,  fût  -  il 
prêtre,  qui,  par  le  seul  fait  de  son  habitation  dans 
un  pays,  ne  se  croit  pas  tenu  de  respecter  ses  engage- 
ments ?  » 

M.  Émery  usa  de  son  influence  et  de  son  autorité 
pour  décider  les  ecclésiastiques  de  Par  is,  et  les  prêtres 
de  la  province  qui  venaient  le  consulter,  à  faire  cette 
promesse  de  fidélité  à  la  constitution  française.  Le  con- 
seil archiépiscopal  dont  il  faisait  partie  accepta  sans 
difficulté  son  avis,  et  un  grand  nombre  de  prêtres  qui 
dépuis  longtemps  avaient  cessé  d'exercer  les  fonctions 
de  leur  ministère,  en  refusant  de  prêter  le  serment  de 
haine  à  la  royauté,  saisirent  avec  empressement  cette 
heureuse  occasion  de  travailler  de  nouveau  au  salut  des 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCK  0 
âmes  qu'ils  avaient  délaissées.  L'archevêque  de  l'uiïs, 
M.  de  Juigné,  réserva  d'abord  son  avis,  tout  en  conti- 
nuant de  donner  à  ses  grands  vicaires  les  témoignages 
les  plus  affectueux  de  sa  confiance;  il  se  rangea  plus 
tard  à  leur  sentiment. 

Si  la  formule  nouvelle  était  acceptée  avec  faveur  en 
France,  il  n'en  était  pas  de  même  à  l'étranger.  Les 
évèques  émigrés,  dont  les  hautes  vertus  commandent 
le  respect,  restaient  inébranlables  dans  leur  attache- 
ment à  l'ancien  régime  et  à  la  monarchie  traditionnelle; 
ils  voyaient  avec  impatience  M.  Emery  et  une  grande 
partie  du  clergé  français  se  soumettre  à  l'ordre  social 
nouveau  sorti  du  sein  de  la  Révolution. 

Ils  prétendaient  qu'une  soumission,  même  passive, 
à  la  nouvelle  constitution  était  contraire  à  la  conscience 
et  à  la  justice,  parce  qu'elle  impliquait  une  approbation 
implicite  de  la  confiscation  des  biens  du  clergé  et  la 
négation  formelle  des  droits  légitimes  de  Louis  XVIII 
à  la  couronne  de  France.  On  vit  même,  à  cette  occasion, 
l'évéque  du  Puy  interdire  l'exercice  du  culte  public  à 
ceux  qui  prêteraient  le  serment  de  soumission,  quelles 
que  fussent  d'ailleurs  leurs  réserves  et  leurs  restrictions 
sur  le  fond  de  la  question. 

Ces  résistances  inintelligentes,  ces  sévères  défenses, 
inspirées  d'ailleurs  par  les  sentiments  les  plus  respec- 
tables, pouvaient  compromettre  inutilement  le  réveil 
religieux  de  la  France,  et  changer  en  déclaration  de 
guerre  les  dispositions  favorables  du  premier  consul. 
La  loi  des  otages  avait  été  rapportée  :  les  émigrés  ren- 
traient dans  leurs  foyers  avec  l'assentiment  tacite  des 
agents  du  gouvernement;  les  prêtres  détenus  dans  les 
îles  de  Ré  et  d'OIéron  étaient  délivrés  ;  le  clergé  exerçait 
enfin  publiquement  le  culte  catholique  dans  les  édifices 
religieux  qu'on  n'avait  pas  encore  aliénés;  l'avenir  de 
ÇËglise  dépendait  de  la  volonté  souveraine  du  premier 


10  M.  ÉMERY 

consul ,  investi  par  la  constitution  du  24  décembre  1799 
des  pouvoirs  les  plus  étendus. 

Il  n'était  ni  prudent  ni  conforme  aux  intérêts  de 
l'Église  de.  provoquer  à  cette  heure  d'apaisement  la 
colère  de  celui  qui  rouvrait  les  temples  et  rendait  les 
prêtres  à  la  liberté.  Aucun  principe  dogmatique,  aucune 
raison  sérieuse  ne  justifiait  la  résistance  dangereuse  de 
quelques  ecclésiastiques  trop  zélés,  hostiles  à  l'obliga- 
tion du  serment. 

((  Il  n'y  a  rien  de  plus  misérable,  écrivait  M.  Émery 
à  l'abbé  Romeuf ,  que  ce  qu'on  oppose  à  la  promesse  de 
fidélité  ;  mais  il  est  inutile  de  raisonner,  parce  qu'il  y  a , 
dans  certaines  personnes  qui  donnent  le  ton ,  un  parti 
pris  de  n'accorder  aucune  espèce  d'acte  de  soumission 
au  gouvernement.  On  s'imagine  par  là  ramener  l'ancien 
régime  ;  on  se  trompe ,  et  on  sacrifie  à  des  illusions  la 
religion.  Ne  parlons  plus  de  cela  » 

Le  cardinal  Maury,  animé  sans  doute  d'excellentes 
intentions,  intervint  dans  le  débat,  comme  il  avait  déjà 
fait  à  l'occasion  des  serments  antérieurs.  Entraîné  par 
l'élan  irréfléchi  de  son  ardente  imagination ,  il  continua 
d'une  tri.ste  manière  à  troubler  encore  une  fois  les  con- 
sciences et  à  diviser  les  esprits  :  il  écrivit  de  Rome, 
à  quelques  amis  établis  en  France,  que  le  pape  était 
opposé  à  cette  formule  de  serment,  condamnée  d'ailleurs 
à  l'unanimité  par  la  congrégation  des  cardinaux  chargée 
des  affaires  ecclésiastiques  de  France.  Il  n'en  était  rien. 

11  ne  fut  pris  à  Rome  aucune  décision  avant  le  Concor- 
dat, qui  mit  fin  à  toutes  les  difficultés. 

M.  de  Bausset,  évêque  d'Alais,  gémissait  de  ces 
conflits  qui  retardaient  le  triomphe  de  la  foi  dans  les 
âmes  et  la  renaissance  pacifique  de  l'Église;  il  sentait 
cependant  la  délicatesse  de  ces  questions,  il  comprenait 


1  Leltre  du  20  septembre  1800. 


HT  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  II 

les  scrupules  des  consciences  timorées  partagées  entre 
la  crainte  de  faire  une  promesse  coupable  et  le  désir 
de  ne  pas  retarder  le  progrès  des  idées  religieuses.  «  Vos 
observations  sont  très  judicieuses,  répondait  M.  Émery; 
je  viens  d'écrire  a  l'évèque  de  Limoges  que,  s'il  a  cru 
qu'il  y  eut  la  pins  petite  faute  à  faire  la  promesse,  et 
qu'il  l'ait  cru  après  l'examen  le  plus  approfondi ,  il  a 
bien  fait  de  la  défendre,  mais  qu'il  a  dû  signer  cette 
défense  avec  des  larmes  de  sang,  puisqu'il  signait  la 
ruine  de  la  religion  dans  son  diocèse.  Bonaparte  a  tenu 
à  son  retour  des  propos  très  favorables  à  la  religion. 
Il  a  rendu  aux  conseillers  d'État  assemblés  chez  lui  la 
conversation  qu'il  avait  eue  avec  le  clergé  de  Milan  sur 
ce  sujet.  Vous  serez  étonné  d'apprendre  ce  qu'il  a  dit, 
et  ce  que  je  ne  peux  vous  rendre  avec  assez  de  préci- 
sion. Je  viens  de  recevoir  une  lettre  de  M.  l'archevêque 
d'Auch,  qui  persévère  dans  son  sentiment,  qui  a  vu  le 
Mémoire  des  évèques  de  Munich,  et  qui  me  dit,  sur  leur 
difficulté  principale  relativement  à  l'obligation  de  faire 
restituer  les  biens  du  clergé  et  des  émigrés,  des  choses 
très  sages.  Il  a  écrit  au  pape  pour  lui  rendre  compte  de 
sa  conduite  f.  » 

Tandis  que  M.  Émery  cherchait  à  éclairer  et  a  paci- 
fier les  esprits  par  de  savants  articles  insérés  dans  les 
Annales  philosopliiqties  de  l'abbé  de  Boulogne,  l'il- 
lustre évêque  de  Langres,  Guillaume  de  la  Luzerne, 
intervint  dans  la  discussion,  et  réduisit  à  néant,  dans 
une  étude  magistrale,  les  objections  des  adversaires  de 
la  promesse  de  fidélité. 

Ces  adversaires  se  fondaient  sur  cet  argument  :  11 
n'est  pas  permis  de  s'engager  par  promesse  à  faire  ce  que 
Dieu  défend  ou  à  ne  pas  faire  ce  qu'il  commande.  Or, 
en  promettant  fidélité  à  la  constitution,  chaque  article 


'  Lettre  du  8  janvier  1800. 


12  M.  ÉMERY 

de  cette  constitution  devient  l'objet  d'une  promesse  par- 
ticulière, et  parmi  ces  articles  il  y  en  a  qui  sont  mani- 
festement injustes  et  que  nous  devons  repousser. 

«  Je  distingue  deux  sortes  de  lois,  répond  M.  de  la 
Luzerne ,  et  deux  sortes  de  soumission  :  il  y  a  des  lois 
qui  ordonnent  ou  qui  défendent  à  tout  citoyen  de  faire 
quelque  chose;  il  y  en  a  d'autres  qui,  seulement,  auto- 
risent les  citoyens  à  des  actes  quelconques,  mais  sans 
leur  en  imposer  l'obligation.  J'appelle  les  premières  lois 
obligatoires,  et  les  secondes  lois  permissives.  Il  est  dû 
aux  lois  obligatoires  (on  sait  que  je  parle  ici  des  lois 
justes)  une  soumission  active,  c'est-à-dire  on  est  stric- 
tement tenu  à  faire  ce  qu'elles  prescrivent,  à  s'abstenir 
de  ce  qu'elles  interdisent. 

ce  Aux  lois  permissives  on  ne  doit  qu'une  soumission 
passive,  c'est-à-dire  on  n'est  pas  obligé  de  faire  ce  qu'elles 
permettent,  puisqu'elles  n'en  imposent  pas  l'obligation  ; 
mais  on  est  tenu  de  ne  pas  s'opposer  à  leur  exécution. 

«  La  soumission  passive  est -elle  contraire  à  la  loi  de 
Dieu?  Ceux  qui  le  pensent  croient -ils  que  tout  citoyen 
soit  obligé ,  en  conscience ,  de  s'opposer  aux  lois  de  son 
pays  qui  consacrent  des  crimes;  d'y  coopérer  et  d'y  par- 
ticiper de  manière  ou  d'autre ,  quand  elles  permettent 
de  n'y  prendre  aucune  part  et  de  rester  purement  passif 
sur  cet  objet? 

((  Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  un  seul  casuiste  qui 
imposât  cette  obligation  rigoureuse.  Sous  les  premiers 
empereurs  chrétiens,  il  était  encore  resté  du  paganisme 
plusieurs  lois  civiles  contraires  aux  saintes  règles  de  la 
religion  chrétienne  :  ainsi ,  la  permission  du  divorce 
existait  encore  du  temps  de  saint  Jean  Chrysostome. 
Dira -t- on  que  tous  les  chrétiens  se  rendaient  coupables 
quand  ils  ne  s'opposaient  pas  au  divorce  que  voulait  faire 
un  païen?  Évidemment  non. 

«  On  peut  donc  être  soumis  à  une  constitution,  sans 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCK  13 
coopérer  à  ce  quelle  permet  de  contraire  à  ta  loi  de 
Dieu.  La  soumission  n'est  pas  l'approbation.  Ce  n'est 
point  s'associer  au  crime  que  «le  ne  point  s'y  opposer, 
quand  on  n'a  pas  d'autorité  sur  la  personne  qui  le  com- 
met. La  promesse  de  fidélité  n'est  pas  plus  en  1800 
une  adhésion  aux  injustices  exprimées  dans  la  consti- 
tution, que  ne  l'avait  été  en  1790  le  serment  de  main- 
tenir la  constitution,  prêté  par  les  évéques  et  les  prêtres 
de  l'Assemblée. 

a  On  objecte  encore  qu'on  ne  peut  pas  promettre 
obéissance  à  un  usurpateur  :  ceci  est  contraire  à  toute 
la  tradition.  Je  demande,  par  exemple,  si  du  temps 
des  trente  tyrans  qui  se  soulevèrent  contre  Gallien  les 
chrétiens  qui  habitaient  les  pays  usurpés,  et  ceux  qui 
composaient  les  armées  rebelles,  croyaient  se  soumettre 
et  prêter  serment  à  des  souverains  légitimes.  Ils  savaient 
bien,  dans  leur  conscience,  que  ces  maîtres  nouveaux 
étaient  des  usurpateurs;  et  cependant  leur  conscience 
ne  leur  interdisait  pas  la  soumission  et  le  serment. 
Certes,  les  chrétiens  de  ce  temps- là,  qui  étaient  tous 
les  jours  à  la  veille  du  martyre,  avaient  la  conscience 
aussi  délicate  que  ceux  de  ce  temps -ci. 

«  Je  demande  si  deux  des  plus  grands  et  des  plus 
courageux  évéques  que  Dieu  ait  donnés  à  son  Eglise, 
saint  Ambroise  et  saint  Martin,  n'étaient  pas  entière- 
ment convaincus  que  Maxime,  à  la  cour  duquel  ils 
n'hésitaient  pas  à  se  rendre,  était  un  tyran  couvert  du 
sang  de  Valentinien,  l'un  de  ses  empereurs,  et  rebelle 
contre  l'autre  qui  était  Théodose.  On  peut  donc  légi- 
timement se  soumettre  à  la  puissance  que  l'on  sait 
parfaitement  et  que  l'on  croit  pleinement  être  illégi- 
time. 

«  N'y  a- 1- il  pas  eu,  dans  beaucoup  de  pays  où  la  suc- 
cession était  très  bien  réglée,  des  usurpateurs  qui  en 
ont  interverti  l'ordre?  et  quel  est  celui  où  les  bons 


14  M.  ÉMERY 

catholiques  aient  hésité  à  se  soumettre  à  eux?  Prenons 
l'exemple  le  plus  récent ,  le  plus  voisin  de  nous.  En 
Angleterre,  l'ordre  de  la  succession  était  très  constant. 
Ce  Cromwell ,  qui  le  troubla ,  était  évidemment ,  aux 
yeux  de  tout  le  monde,  un  usurpateur.  Voit -on  que  les 
catholiques  répandus  dans  les  trois  royaumes  aient 
refusé  de  se  soumettre  à  sa  domination ,  que  ceux  qui 
ont  été  dans  le  cas  de  lui  prêter  serment  l'aient  rejeté  ? 

((  L'Église,  dont  l'esprit  est  la  permanence  dans  les 
mêmes  principes ,  a  vu  la  soumission  et  le  serment  de 
fidélité  aux  usurpateurs  universellement  pratiqués ,  et 
jamais  ne  les  a  condamnés  :  elle  ne  les  regarde  donc 
pas  comme  condamnables.  » 

D'autres  évêques,  et  des  plus  illustres,  soutenaient 
courageusement  et  avec  le  même  souci  des  intérêts  de 
l'Église  le  sentiment  de  M.  Émery. 

Écoutons  l'archevêque  de  Reims  :  «  Jésus-Christ  a  dit  : 
Rendez  à  César  ce  qui  est  à  César.  Les  apôtres  ont  dit  : 
Obéissez  à  vos  supérieurs ,  même  durs  et  sévères. 
L'Église  enseignait  la  même  doctrine  sous  le  glaive  de 
la  persécution  et  des  bourreaux  ;  l'Église  l'enseigne 
encore  aujourd'hui.  La  religion,  dont  nous  sommes  les 
ministres,  s'accommode  de  toutes  les  institutions  so- 
ciales. » 

L'évêque  de  Boulogne,  dont  l'instruction  pastorale 
fut  adoptée  par  le  plus  grand  nombre  de  ses  collègues , 
disait:  «  Jésus-Christ  déclare  que  son  royaume  n'est 
pas  de  ce  monde  ;  il  fait  le  commandement  le  plus 
exprès  de  rendre  à  César  ce  qui  est  à  César,  et  donne 
lui-même  l'exemple  de  la  fidélité  à  accomplir  ce  pré- 
cepte, en  faisant  un  miracle  pour  payer  le  tribut.  » 

«  Dans  tout  ce  qui  est  civil  et  politique ,  nulle  soumis- 
sion ne  l'emportera  sur  la  nôtre,  »  disait  l'évêque  de  Cler- 
mont,  au  nom  des  évêques  députés  aux  états  généraux. 

((  Fidélité  à  la  loi  de  Dieu ,  écrivait  l'évêque  d'Uzès , 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  15 

obéissance  aux  lois  temporelles  et  civiles,  patience  et 
résignation  dans  nos  peines  personnelles.  »  —  «  Quand 
Jésus -Christ  disait  :  Rendez  à  César  ce  qui  est  à  César, 
il  n'examinait  pas,  comme  le  faisait  observer  l'évéque 
d'Àcqs,  comment  la  puissance  de  César  avait  été  établie, 
il  suffisait  qu'il  la  trouvât  établie;  il  voulait  qu'on  res- 
pectât en  elle  l'ordre  de  Dieu  et  le  fondement  de  l'ordre 
public.  » 

L'évéque  de  Saint-Papoul  en  donnait  cette  explication  : 

((  Le  pouvoir  de  l'Église  est  étranger  a  tous  les  intérêts 
qui  unissent  ou  divisent  les  hommes  sur  la  terre;  il  n'a 
pour  objet  que  les  intérêts  du  ciel.  Jésus-Christ  refusa 
de  prononcer  sur  l'héritage  de  deux  frères.  Il  répondit 
à  celui  qui  lui  demandait  d'interposer  son  autorité  en 
sa  faveur  :  «  0  homme,  qui  est-ce  qui  m'a  établi  pour 
«  juger  entre  vous  et  pour  faire  vos  partages  ?  » 
.  Les  évèques  de  Soissons  et  de  Sisteron  tenaient  le 
même  langage,  et  le  pieux  évèque  de  Blois  s'écriait  : 

((  Laissez-nous  les  âmes  ,  et  prenez  tout  le  reste.  » 

C'est  enfin  en  1700  et  1791 ,  quand  nos  institutions 
séculaires  étaient  brisées,  quand  la  nation  était  esclave 
de  ses  mandataires,  esclaves  eux-mêmes  d'une  poignée 
de  sectaires,  quand  le  pouvoir  royal  semblait  irrévoca- 
blement anéanti,  quand  la  fortune  individuelle  et  la 
fortune  publique  étaient  devenues  la  proie  des  agioteurs 
et  des  voleurs,  c'est  alors  que  les  évêques  exhortaient  les 
fidèles  à  la  soumission ,  à  la  patience,  à  la  tranquillité  ; 
c'est  alors  que  l'Église  gallicane  tout  entière  s'exprimait 
ainsi  dans  la  célèbre  Exposition  des  principes  : 

«  La  religion  chrétienne  est  la  loi  que  le  Père  de  tous 
les  hommes  leur  a  donnée  pour  les  conduire  dans  la 
voie  de  l'éternité;  il  faut  quelle  convienne  à  tous  les 
hommes;  elle  ne  peut  pas  être  vraie  pour  un  peuple  et 
fausse  pour  un  autre...  ;  elle  enseigne  des  vérités  surna- 
turelles qui  n'ont  point  de  rapport  avec  l'administration 


16  M.  ÉMERY 

des  empires...;  ce  n'est  point  selon  les  intérêts  poli- 
tiques et  les  différences  locales  qu'on  peut  changer  les 
principes  d'une  religion  dont  les  dogmes  sont  les  objets 
d'une  foi  surnaturelle  et  dont  la  morale  est  universelle.  » 

Les  partisans  de  la  promesse  de  soumission  à  la  consti- 
tution se  plaisaient  à  rappeler  ce  grand  effort  de  l'épis- 
copat  pour  dégager  la  religion  des  étreintes  de  la  poli- 
tique, à  un  moment  où  la  France  était  cependant  la 
proie  de  misérables  aventuriers,  et  ils  n'avaient  pas  de 
peine  à  établir  que ,  si  la  soumission  était  un  devoir 
quand  le  pays  se  débattait  dans  le  sang  et  les  ruines,  ce 
devoir  était  plus  impérieux  encore  quand  le  gouverne- 
ment promettait  la  paix  et  relevait  la  France. 

((  Peut-on  comparer  les  temps  d'alors,  écrivait  un 
évêque ,  avec  ceux  d'aujourd'hui  ?  les  Césars  qui  ont 
précipité  de  son  trône  le  plus  légitime ,  le  plus  pur,  le 
plus  bienfaisant  des  souverains,  avec  celui  qui,  dix  ans 
après,  a  délivré  la  France  du  joug  de  cinq  tyrans  mon- 
strueux, et  préservé  le  monde  des  fléaux  du  jacobi- 
nisme 1  ?  » 

IV.  —  Ni  la  savante  argumentation  de  l'évêque  de 
Langres,  qui  réfutait  les  objections  et  rétablissait  dans 
l'éclat  de  la  vérité  les  principes  théologiques  confirmés 
par  la  pratique  de  l'Église,  ni  les  observations  desévèques 
les  plus  illustres  ne  firent  cesser  la  division  qui  troublait 
de  nouveau  la  France.  Le  cardinal  Maury  persistait  à  se 
couvrir,  par  une  illusion  peu  charitable,  de  l'autorité 
même  du  souverain  pontife  pour  accuser  M.  Émery  et 
ses  partisans  de  complaisance  coupable,  d'aveuglement 
dangereux  et  de  lâcheté.  Il  bravait  la  colère  des  consuls 
français,  avec  la  sécurité  d'un  homme  que  leurs  coups 
ne  pouvaient  atteindre  sur  la  terre  étrangère ,  et  il  accu- 
sait les  prêtres  restés  en  France  pour  défendre  l'Église 

1  Quatrième  lettre  au  Courrier  de  Londres.  Londres,  1801, 


ET  L'ÉGLTSE  DE  FRANCE  17 

au  péril  de  leur  vie  de  tout  accepter,  parce  qu'il  était 
décidé  lui-même  à  tout  refuser. 

Le  décret  du  gouvernement,  expliqué  par  le  Moniteur, 
marquait  un  pas  vers  l'apaisement  religieux.  Le  gouver- 
nement ne  prétendait  plus  s'immiscer  dans  les  affaires 
ecclésiastiques,  dans  les  détails  du  culte;  il  ne  voulait 
pas  imposer  une  profession  de  foi  ou  un  système  de 
morale  ;  il  s'engageait  à  protéger  le  libre  exercice  de  la 
(religion  chrétienne,  et  il  exigeait  seulement  du  clergé, 
en  échange  de  cette  protection  et  de  cette  liberté,  une 
soumission  sans  laquelle  une  société  ne  peut  ni  vivre 
ni  s'organiser. 

L'évéqùe  d'Angers  était  bien  inspiré  lorsqu'il  écrivait 
plus  tard,  dans  nue  lettre  pastorale  du  20  juillet  1801, 
ces  sages  paroles  : 

ce  Guidés  par  une  charité  douce  et  compatissante  , 
bannissons  les  querelles,  étouffons  tous  les  ressenti- 
ments, soyons  soumis  aux  puissances  qui  nous  gou- 
vernent, car  il  n'y  en  a  pas,  dit  saint  Paul,  qui  ne  vienne 
de  Dieu;  et  donnons-leur,  par  notre  soumission  et  notre 
fidélité  à  la  constitution  de  l'an  VIII,  la  garantie  qu'elles 
exigent,  et  que  tout  citoyen  doit  au  gouvernement  qui 
le  protège  et  sous  lequel  il  vit. 

«  11  est  entré  dans  le  plan  de  Jésus- Christ  que  la 
religion  ne  dérangerait  rien  dans  les  institutions  poli- 
tiques ;  qu'elle  se  plierait  absolument,  comme  dit  saint 
Clirysostome,  à  toutes  les  formes  de  gouvernement. 
Immuable  dans  ses  principes,  amie  de  l'ordre,  magis- 
trat de  la  conscience,  elle  consacre  tous  les  biens  de  la 
sociabilité;  elle  répand  partout  ses  salutaires  influences; 
elle  abhorre  et  proscrit  les  séditions,  les  révoltes,  et  tout 
ce  qui  peut  troubler  l'ordre  établi.  » 

«  Je  regarde  comme  un  grand  point,  écrivait  le  pieux 
archevêque  de  Toulouse,  la  réduction  de  tous  les  ser- 
ments à  Tunique  promesse  de  fidélité  à  La  constitution. 


18  M-  ÉMERY 

Je  crois  qu'il  n'y  a  rien  là  dont  les  consciences  les  plus 
délicates  puissent  s'alarmer,  et  si  on  avait  besoin  d'une 
autorité,  la  formule  prescrite  par  Pie  VI  au  clergé  romain 
suffirait  pour  calmer  tous  les  scrupules.  Cette  formule  est 
ainsi  conçue  :  «  Je  jure  que  je  ne  prendrai  part  à  aucun 
«  complot...  Je  jure  haine  à  l'anarchie,  fidélité  et  atta- 
«  chement  à  la  république  et  à  la  constitution ,  sauf 
((  d'ailleurs  la  religion  catholique.  »  —  C'est  le  serment 
que,  par  un  bref  du  14  janvier  1799,  il  a  ordonné  d'offrir, 
au  lieu  de  celui  de  haine  à  la  royauté.  Je  n'ai  pas  hésité 
à  autoriser  la  promesse,  et  je  pense  qu'à  présent  à  Tou- 
louse on  a  suivi  l'exemple  du  clergé  de  Paris.  » 

Le  clergé  de  Toulouse  suivit,  en  effet,  l'exemple  du 
clergé  de  Paris. 

((  Nous  avons  ici  et  ailleurs,  écrit  un  témoin,  une 
grande  consolation  :  le  culte  est  libre.  La  promesse  a  été 
faite  à  la  presque  unanimité.  M.  Pigeon,  théologien, 
rempli  de  lumières  et  de  vertus,  a  été  un  des  premiers. 
Les  curés  de  Saint- Etienne,  de  Saint- Saturnin  et  autres 
l'ont  suivi.  Il  y  a  trois  semaines  qu'on  a  ouvert  l'église 
Saint -Pierre,  très  belle  et  très  grande,  celle  de  Sainte- 
Anne,  de  Saint- Jacques ,  etc.  L'ancienne  paroisse  de 
Saint  -  Etienne ,  qui  est  en  même  temps  l'église  métro- 
politaine, est  très  vaste.  M.  le  curé  de  Saint  -  Etienne , 
depuis  le  grand  matin  jusqu'au  soir,  ne  l'a  pas  quittée, 
ainsi  que  ses  vicaires  et  un  grand  nombre  de  prêtres. 
Le  soir,  il  a  prêché  et  donné  la  bénédiction  du  saint 
Sacrement,  qui  a  été  suivie  d'un  Te  Deum  solennel. 
L'affluence  du  peuple  était  immense.  Depuis  cinq 
heures  du  matin  jusqu'à  midi,  on  a  constamment  célé- 
bré la  sainte  messe.  On  doit  ouvrir  dimanche  l'église  des 
Grands-Carmes.  Rien  n'est  plus  édifiant  que  le  zèle  et  la 
piété  des  fidèles  '.  » 


1  Annales  philos.,  polit,  et  littèr.,  XIIe  cahier,  p.  133. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  10 
y.  _  Quoiqu'il  fût  préoccupé  des  affaires  générales  de 
l'Église  de  France  et  de  ces  polémiques  retentissantes , 
M.  Émery  n'oubliait  pas  l'œuvre  chère  à  M.  Olier  :  il 
essaya  de  rassembler  les  élèves  dispersés  et  d'organiser, 
grâce  a  la  tolérance  que  l'on  semblait  accorder  au  clergé, 
une  maison  d'études  pour  les  jeunes  ecclésiastiques.  Les 
débuts  furent  modestes.  Pour  éviter  de  les  compromettre 
en  prenant  lui-même,  d'une  manière  publique,  la  direc- 
tion de  la  maison,  M.  Émery  resta  dans  son  modeste 
appartement  de  la  rue  d'Enfer;  il  confia  le  berceau  du 
nouveau  séminaire  à  la  sagesse  de  M.  Duclaux. 

Quelques  élèves  se  réunirent  timidement  dans  un 
hôtel  situé  en  face  du  monastère  des  dames  de  Saint- 
Michel,  dans  la  rue  Saint- Jacques ,  h  l'enseigne  de  la 
Vache  noire;  ils  étaient  animés  d'une  grande  ferveur, 
d'un  excellent  esprit.  On  voyait  dans  leurs  rangs  des 
âmes  d'élite  que  la  Providence  avait  comblées  de  ses 
dons,  et  qui  devaient  répondre  à  ces  libéralités  en  jetant 
un  jour  une  vive  lumière  dans  l'Église  de  France. 

Il  y  avait  Là  le  jeune  de  Quélen ,  depuis  archevêque 
de  Paris,  dont  M.  Émery  avait  prédit  ainsi  l'avenir: 
«  Il  sera  un  jour  un  grand  prélat  dans  l'Église  de  Dieu  ;  » 
de  la  Croix  d'Azolette,  archevêque  d'Audi  ;  Feutrier, 
évéque  de  Béarnais;  Le  Tourneur,  évoque  de  Verdun; 
Liautard,  premier  supérieur  du  collège  Stanislas;  d'Es- 
pinassous ,  doyen  de  Saint-Denis;  l'abbé  Gobbe,  ancien 
médecin  d'un  rare  mérite,  l'un  des  premiers  élèves  du 
nouvel  établissement. 

Il  est  facile  de  comprendre  quelles  devaient  être  la 
piété,  la  foi,  l'ardeur  généreuse  de  ces  jeunes  élèves  qui 
avaient  assisté  au  drame  de  la  Révolution  ,  à  la  persécu- 
tion de  l'Église,  à  la  déportation  et  à  la  mort  héroïque 
d'un  si  grand  nombre  d'ecclésiastiques.  Dieu  avait  placé 
dans  le  sang  des  martyrs  le  berceau  de  leur  vocation 
sacerdotale  ;  et,  si  incertaine  que  fût  encore  la  situation 


20  M.  ÉMERY 

religieuse  de  la  France,  les  directeurs  chargés  de  la 
formation  de  ces  âmes  déjà  bénies  de  Dieu  goûtaient  au 
milieu  d'elles,  dans  l'accomplissement  de  leur  devoir 
de  chaque  jour,  une  joie  qui  était  leur  meilleure  récom- 
pense. 

Les  directeurs ,  par  leurs  grandes  qualités ,  étaient 
bien  dignes  de  ces  élèves.  M.  Labrunie,  arrivé  d'Irlande, 
un  des  théologiens  les  plus  remarquables  de  la  compa- 
gnie, était  chargé  des  conférences  sur  l'Écriture  sainte; 
M.  Frayssinous,  dont  le  nom  et  les  savants  travaux 
honorent  l'Eglise  de  France,  enseignait  la  théologie  dog- 
matique; M.  Boyer,  le  célèbre  prédicateur  des  retraites 
ecclésiastiques,  faisait  la  classe  de  philosophie;  M.  Du- 
claux  présidait  les  exercices,  dirigeait  les  retraites,  et 
donnait  la  glose  à  la  lecture  spirituelle;  M.  Emery  pro- 
fessait l'histoire  ecclésiastique  et  le  droit  canonique. 

On  ne  se  rappelle  pas  sans  émotion  cette  seconde  ori- 
gine du  séminaire  de  Saint-Sulpice.  Ces  hommes,  dont 
la  science  égalait  la  foi  profonde  et  le  dévouement  iné- 
branlable au  saint-siège  réunissaient  ainsi,  au  lendemain 
de  la  Révolution ,  dans  des  jours  encore  incertains  pour 
la  paix  des  consciences,  quelques  élèves  choisis  de  Dieu, 
pour  continuer  avec  eux  les  glorieuses  traditions  de 
l'Église  de  France.  Que  de  privations,  que  de  craintes 
et  de  dangers  dans  cette  humble  famille!  mais  aussi 
quelle  ferveur  et  quel  dévouement  aux  âmes  î 

Les  séminaristes  étaient  logés  dans  trois  ou  quatre 
maisons  voisines,  car  Y  hôtel  de  la  Vache  noire  était 
devenu  insuffisant.  Le  premier  étage  était  occupé  par 
un  éleveur  de  bestiaux,  propriétaire  de  la  maison;  le 
second  étage  servait  de  logement  à  M.  Duclaux,  de  cha- 
pelle, de  réfectoire  et  de  salle  pour  les  exercices  de  la 
communauté.  Les  séminaristes,  vêtus  d'habits  laïques, 
distribués  en  petits  groupes,  prenaient  leurs  récréa- 
tions après  dîner,  en  se  promenant  sur  le  boulevard 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANGE  21 
Montparnasse;  ils  n'étaient  jamais  plus  de  trois  en- 
semble, ils  évitaient  avec  soin  d'appeler  sur  eux  l'at- 
tention. 

VI.  —  M.  Émery  désirait  vivement  s'établir  avec  ses 
jeunes  élèves  dans  le  séminaire  Saint- Sulpice,  encore 
occupé  par  des  femmes  de  militaires;  il  fit  des  démarebes 
pressantes  pour  obtenir  cette  consolation.  Le  premier 
consul  se  montra  favorable  aux  premières  ouvertures 
faites  en  faveur  de  M.  Émery  par  le  cardinal  deBelloy, 
arebevèque  de  Paris  ;  mais  quelques  membres  du  conseil 
d'État  firent  observer  que  l'on  devait  démolir  le  séminaire 
et  dégager  la  magnifique  façade  de  l'église  Saint- Sul- 
pice. Il  est  vrai  que  ce  projet  d'embellissement  n'était  pas 
nouveau. 

Déjà ,  sous  Louis  XV,  on  avait  eu  la  pensée  de  faire 
disparaître  le  séminaire,  et  d'offrir  en  compensation  aux 
prêtres  de  Saint-Sulpice  la  maison  du  noviciat  des  Pères 
jésuites,  qui  venaient  d'être  expulsés.  Quoique  cette  mai- 
son eût  une  valeur  supérieure  à  celle  du  séminaire,  ce 
projet  déplut  à  M.  Couturier,  supérieur  de  la  compagnie, 
qui  disait  en  souriant  :  «  J'ai  peur  des  revenants.  »  11 
écrivit  donc  à  Louis  XV,  avec  lequel  il  entretenait  une 
correspondance  suivie,  et  lui  représenta  qu'étant  vieux, 
il  suppliait  Sa  Majesté  de  ne  pas  l'obliger  à  changer  de 
domicile  avant  sa  mort. 

Louis  XV  se  rendit  à  son  désir,  et  déclara  à  son  conseil 
qu'il  ne  voulait  plus  entendre  parler  de  cette  affaire; 
qu'il  fallait  laisser  en  paix  M.  Couturier  dans  la  maison 
qu'il  habitait  depuis  tant  d'années. 

Le  premier  consul  n'avait  pas  les  complaisances  faciles 
de  Louis  XV  pour  la  compagnie:  la  démolition  du  sémi- 
naire fut  décidée.  M.  Émery  l'apprit  avec  douleur;  il 
descendit  une  dernière  fois  près  de  ces  tombes  oubliées 
où  il  était  venu  demander  si  souvent  à  ses  prédécesseurs 


22  M.  ÉMERY 

dans  la  charge  de  supérieur  général  leur  foi ,  leur  esprit , 
leur  courage  inébranlable  pour  l'accomplissement  hé- 
roïque du  devoir. 

Les  hommes  de  la  Révolution,  qui  cherchaient  du  plomb 
et  des  balles,  s'étaient  emparés  des  cercueils  de  MM.  Olier 
et  de  Bretonvilliers  :  les  restes  vénérés  de  ces  hommes 
illustres,  si  chers  aux  prêtres  de  Saint-Sulpice  et  à  l'Église, 
avaient  été  dispersés  sans  qu'il  fût  possible  à  la  piété 
filiale  de  M.  Émery  de  les  retrouver.  Il  recueillit  cepen- 
dant quelques  débris  du  corps  et  des  vêtements  de  M.  Tron- 
son,  les  enferma  avec  respect  dans  une  boite,  et  les  con- 
serva précieusement,  après  avoir  pris  les  précautions 
nécessaires  pour  en  établir  l'authenticité. 

Les  corps  des  autres  prêtres  de  la  compagnie  restèrent 
dans  leurs  cercueils  ;  les  caveaux  furent  fermés  et  laissés 
sous  les  ruines  de  l'ancien  séminaire,  où  ils  reposent  en- 
core aujourd'hui  dans  la  paix  du  Seigneur.  M.  Émery 
aimait  à  rappeler  aux  élèves  qu'en  traversant  cette  place 
Saint-Sulpice,  sous  laquelle  ont  été  ensevelis  de  pieux 
élèves  et  de  fervents  directeurs,  ils  devaient  prier  poul- 
ies morts  et  se  rappeler  eux-mêmes  leur  berceau. 

Le  23  novembre  1803,  M.  Émery  écrivait  à  M.  de 
Bausset,  en  voyant  tomber  avec  tristesse  les  pierres  du 
séminaire  qu'il  avait  espéré  conserver  : 

((  Vous  êtes  bien  bon  de  désirer  savoir  comment  va 
notre  établissement,  rue  des  Champs.  Il  va  aussi  bien 
que  le  local  peut  nous  le  permettre.  Nos  jeunes  gens 
sont  presque  tous  fervents  dans  la  force  du  terme.  Pour 
accréditer  la  maison,  je  fais  enseigner  l'hébreu  par  un 
professeur  qui  nous  vient  d'Amérique.  Le  jour  de  la  Pré- 
sentation, nous  avons  fait  la  rénovation  des  promesses 
cléricales  entre  les  mains  de  M.  le  cardinal  de  Belloy. 
Notre  local  ne  nous  permettant  pas  les  évolutions  néces- 
saires à  la  cérémonie  ni  l'admission  des  étrangers,  nous 
avons  emprunté  la  galerie  de  l'hôtel  de  Fleury,  ci-devant 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  23 

la  galerie  de  l'abbé  Terray.  Vous  comprenez,  Monseigneur, 
que  nous  avons  employé  la  veille  force  eau  bénite.  Notre 
archevêque  a  été  fort  édifié  et  a  beaucoup  parlé. 

((  Ce  jour-là  même,  le  curé  de  Saint-Sulpice,  dînant 
avec  nous,  apprit  que  la  place  laissée  libre  par  la  démoli- 
tion du  séminaire  allait  servir  de  place  de  Grève ,  et  que 
les  exécutions  y  commenceraient  dans  trois  jours.  Le 
préfet  du  département  va  loger  à  l'hôtel  de  ville  :  il  ne 
veut  point  que  les  exécutions  se  fassent  devant  sa  maison, 
et  l'on  veut  qu'elles  se  fassent  devant  la  maison  de  Dieu! 
Aurait- on  cru  que  le  portail  bâti  par  les  curés  pour 
l'ornement  de  leur  église  aboutirait  à  écraser  le  sémi- 
naire et  à  transformer  le  devant  de  l'église  en  place  de 
Grève?  Le  curé,  qui  a  clans  sa  fabrique  deux  ou  trois 
sénateurs,  les  met  en  mouvement  pour  faire  révoquer 
l'arrêté.  » 

Obligé  de  renoncer  à  l'espérance  de  s'installer  dans  les 
bâtiments  de  l'ancien  séminaire  et  ne  pouvant  pas  demeu- 
rer plus  longtemps  dans  l'hôtel  insuffisant  de  la  rue 
d'Enfer,  M.  Emery  avait  loué  pour  une  année,  dans  la 
rue  Notre-Dame-des-Champs,  une  maison  plus  vaste,  qui 
devint  l'année  suivante,  sous  la  direction  de  l'abbé 
Liautard,  le  collège  Stanislas.  Il  installa  dans  ce  nouveau 
local  ses  élèves  et  les  directeurs  ;  il  appela  de  la  mission 
de  Baltimore  M.  Garnier,  qu'il  voulait  associer  d'une 
manière  plus  intime  à  ses  travaux.  Ce  digne  prêtre,  attiré 
par  un  simple  désir  de  son  supérieur,  brisa  tous  les  liens 
qui  attachaient  profondément  son  cœur  à  l'Amérique, 
repassa  les  mers,  et  vint  partager  la  sollicitude  et  les 
épreuves  de  la  renaissance  du  séminaire.  En  le  voyant, 
M.  Émery  le  reçut  avec  tendresse,  et  lui  dit  en  le  pre- 
nant dans  ses  bras  :  «  Je  n'oublierai  jamais  le  service  que 
vous  m'avez  rendu  en  revenant  si  promptement,  et  je  ne 
manquerai  pas  d'alléguer  votre  exemple  à  ceux  d'entre 
nous  qui,  très  voisins  des  séminaires  où  je  veux  les  en- 


24  Si.  ÉMERY 

voyer,  opposent  toujours  des  difficultés  à  mes  plus  vives 
instances.  » 

Cet  accueil  si  affectueux  n'empêcha  pas  M.  Garnier  de 
sentir  douloureusement  le  sacrifice  qu'il  venait  de  faire  ; 
son  cœur  lui  rappelait  souvent  Baltimore.  Il  ne  fut  pas 
difficile  à  M.  Emery  de  s'apercevoir  du  grand  chagrin  de 
son  ami.  Voulant  le  distraire  et  détourner  son  attention 
de  ces  amers  souvenirs,  il  l'obligea  à  suivre  un  cours 
d'arabe;  il  lui  confia  dans  son  nouvel  établissement  l'en- 
seignement de  l'hébreu,  de  l'Écriture  sainte,  des  sciences 
physiques  et  mathématiques.  Il  l'accablait  de  travail  et 
ne  cessait  de  lui  témoigner  sa  confiance  et  son  amitié 
paternelle. 

VII.  —  Après  cette  nouvelle  installation  provisoire 
d'une  année  dans  les  bâtiments  de  la  rue  Notre-Dame- 
des-Champs,  M.  Émery,  fatigué  de  ces  changements,  qui 
d'ailleurs  pouvaient  nuire  à  la  conservation  de  l'esprit 
ecclésiastique  dans  le  séminaire,  acheta,  sous  le  nom  de 
M.  de  Carvoisin,  un  grand  établissement,  avec  cour,  cha- 
pelle et  jardin,  rue  du  Pot-de-Fer.  Le  17  décembre  1803, 
il  annonça  cette  nouvelle  à  M.  de  Bausset,  en  lui  témoi- 
gnant la  joie  qu'il  éprouvait  de  son  installation  définitive 
dans  une  maison  voisine  de  l'église  Saint-Sulpice.  Après 
lui  avoir  parlé  du  conseil  épiscopal  et  des  affaires  du  dio- 
cèse de  Paris,  il  ajoutait  : 

«  M.  de  Carvoisin  a  acheté  la  maison  80,000  francs, 
et,  avec  les  frais  d'acquisition,  100,000  francs,  dans  la 
pensée  d'y  loger  le  séminaire.  Mais  cette  maison ,  il  la 
loue  à  des  conditions  très  favorables,  et  il  est  prêt  à 
la  céder  quand  on  aura  des  fonds  à  lui  donner.  Je  crois 
bien  qu'il  n'exigerait  pas  tout  ce  qu'elle  lui  a  coûté.  Nous 
n'irons  occuper  cette  maison  que  dans  le  mois  de  sep- 
tembre, après  que  nous  aurons  passé  les  vacances  à  Issy. 
Nous  sommes  obligés  par  un  bail  de  conserver  notre 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  25 
maison  actuelle  jusqu'à  vendémiaire.  Le  temps  des  va- 
cances sera  favorable  pour  le  déménagement. 

«  Assurément  rien  ne  remplacera  le  séminaire  Saint- 
Sulpice  ,  je  ne  dis  pas  pour  la  beauté,  mais  pour  la  com- 
modité et  l'aptitude  aux  exercices  du  séminaire.  Nous 
trouverons  une  cbapelle  ornée  et  à  peu  près  aussi  grande 
que  la  nôtre.  Une  partie  de  la  maison  est  divisée  en  cor- 
ridors; mais  il  y  en  a  une  autre  où  ne  sont  que  des  appar- 
tements. Dans  les  circonstances,  rien  ne  pouvait  mieux 
nous  convenir.  En  ouvrant  une  muraille,  nous  pourrons 
communiquer,  par  la  rue  Férou,  avec  Saint- Sulpice. 
Nous  conserverons  le  nom  de  Saint -Sulpice,  ce  que  je 
regarde  comme  très  important.  Si  Dieu  veut  bien  me 
conserver  encore  pendant  cinq  ou  six  ans,  je  pourrai 
donner  quelque  staï)ilité  à  la  réorganisation  du  séminaire 
et  de  la  compagnie,  et  mourir  avec  quelque  espoir  qu'elle 
ne  périra  pas.  Mais  dans  ce  moment  j'ai  bien  des  craintes. 
Je  continue  cependant  de  marcher,  et  je  me  fortifie  par 
la  pensée  que  nous  avons  un  maître  qui  tient  compte  de 
la  bonne  volonté.  » 

Les  jeunes  séminaristes,  installés  après  tant  d'épreuves 
dans  une  maison  où  ils  trouvaient  un  asile  plus  sûr, 
obéissaient  à  l'impulsion  paternelle  et  vigoureuse  et  à 
l'exemple  de  leur  vénéré  supérieur.  M.  Emery  avait 
rétabli  l'article  du  règlement  qui  prescrivait  une  heure 
entière  d'oraison.  Il  attachait  un  grand  prix  au  respect 
de  cet  usage,  qu'il  estimait  nécessaire  à  la  conservation 
de  l'esprit  intérieur,  à  l'éducation  surnaturelle  des  âmes 
qui  veulent  être  à  Dieu  sans  réserve.  Il  imposa  aux  élèves 
l'obligation  de  porter  la  soutane,  organisa  la  bibliothèque, 
rétablit  les  anciens  rapports  du  séminaire  avec  la  paroisse 
Saint-Sulpice,  fonda  des  cours  et  des  conférences  doctri- 
nales, devenues  nécessaires  pour  la  formation  intellectuelle 
des  séminaristes  depuis  la  suppression  des  facultés  de 
théologie  et  des  vieilles  universités. 


26  M.  ÉMERY 

Il  cherchait  aussi  à  former  ses  élèves  au  ministère  si 
efficace  de  la  prédication  apostolique,  et  par  des  confé- 
rences pratiques,  élevées,  tour  à  tour  graves  et  fami- 
lières ,  il  leur  apprenait  à  s'engager  sûrement  dans  le 
chemin  des  cœurs  qu'une  longue  vie  d'indifférence  cou- 
pable avait  éloignés  de  la  pratique  de  la  vertu.  Il  citait 
de  longs  passages  de  Cicéron  et  de  Quintilien,  développait 
les  sages  préceptes  contenus  dans  la  rhétorique  sacrée  du 
P.  de  Grenade,  rappelait  les  maximes  du  P.  Gueschiez, 
et  les  conseils  nouveaux  présentés  par  Fénelon  dans  ses 
remarquables  Dialogues  sur  l'éloquence.  Les  lettres  de 
saint  François  de  Sales  sur  la  prédication,  les  avis  de 
saint  François  de  Borgia  et  de  saint  Vincent  Ferrier  rele- 
vaient encore  l'intérêt  de  ses  belles  conférences,  et  après 
avoir  exposé  ainsi  les  principes  et  les  sources  de  l'élo- 
quence chrétienne,  il  captivait  l'attention  charmée  des 
séminaristes  en  lisant  avec  un  art  consommé  les  plus 
beaux  passages  des  oraisons  funèbres  de  Bossuet. 

Dieu  bénissait  le  zèle  et  la  prudence  de  son  vaillant 
serviteur.  Il  appelait  au  séminaire  des  âmes  prédestinées 
qui  dédommageaient  leur  supérieur  de  ses  fatigues  par 
la  régularité  pieuse  de  leur  conduite  et  l'ardeur  intelli- 
gente de  leur  travail. 

M.  Emery  eut  la  consolation  et  la  joie  de  recevoir  dans 
la  maison  le  jeune  Teysserre,  brillant  élève  de  l'École 
polytechnique  et  de  l'École  des  ponts  et  chaussées ,  plus 
tard  répétiteur  lui-même  à  l'École  polytechnique  et  auxi- 
liaire, dans  l'enseignement  des  sciences,  du  célèbre 
M.  de  Prony?  que  Bonaparte  aimait  à  consulter  et  qu'il 
appelait  le  premier  ingénieur  de  son  temps. 

Le  nom  de  M.  Teysserre  est  cher  aux  prêtres  de  Saint- 
Sulpice  :  il  ne  rappelle  pas  seulement  l'élève  brillant , 
modeste ,  aimable  dans  sa  piété  profonde ,  qui  édifia  le 
séminaire  et  consola  par  l'exemple  d'une  belle  âme  le 
cœur  de  M.  Émery  ;  il  rappelle  encore  la  fondation  labo- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  27 

rieuse  de  cette  petite  communauté  des  clercs  de  Saint- 
Sulpice,  si  cruellement  éprouvée  à  son  origine ,  et  qui 
donna  à  l'Église  de  France,  dans  l'espace  de  seize  ans, 
six  évêqueSj  entre  lesquels  Msr  Dupanloup,  un  grand 
nombre  de  vicaires  généraux  et  plus  de  deux  cents 
prêtres,  dont  quelques-uns  vivent  encore  et  sont  l'hon- 
neur du  clergé. 

Lorsque  le  jeune  Teysserre  entra  à  Saint- Sulpice ,  il 
frappa  M.  Émery.  Le  regard  pénétrant  du  supérieur 
devina  promptement  que  Dieu  préparait  cet  élève  à  un 
rôle  important  dans  l'œuvre  de  la  formation  du  clergé. 
Il  lui  prodigua  ses  soins,  et  écrivit  un  jour  à  la  mère 
pleine  d'anxiété  de  Teysserre  cette  lettre  où  il  laisse 
voir  sa  connaissance  du  cœur  humain  et  les  trésors  de  sa 
bonté  1  : 


ce  Madame, 

«  Monsieur  votre  fils  est  entré  au  séminaire  depuis  deux 
jours;  il  était  porteurd'une  lettre  pour  moi,  qu'il  ignorait 
être  de  vous.  C'est  la  lettre  d'une  mère,  d'une  excellente 
mère,  qui  doit  tout  naturellement  être  effrayée  de  voir 
son  fils  entrer  au  séminaire.  Je  vous  prie  cependant  de 
calmer  vos  alarmes.  Nous  aurons  le  plus  grand  soin  de 
la  santé  de  votre  (ils  chéri  et  si  digne  «le4  l'être.  Je  vous 
remplacerai,  s'il  est  possible,  pour  les  petits  soins.  Il  dor- 
mira tant  qu'il  voudra,  et  même  je  prévois  que  nous  serons 
quelquefois  obligés  de  lui  ordonner  de  rester  au  lit.  Nous 
avons  deux  jeunes  médecins  au  séminaire  qui  sont  ses 
amis ,  et  que  nous  chargerons  de  veiller  particulièrement 
sur  sa  santé.  En  un  mot,  j'en  aurai  tant  de  soins  ,  soit 
pour  la  nourriture,  soit  pour  les  autres  articles,  que  je 


Vie  de  M.  Teysserre,,  par  M.  l'abbé  Pagucllc  de  Follenay. 


28  M.  ÉMERY 

crains  que  vous  ne  me  reprochiez  dans  la  suite  de  l'avoir 
un  peu  gâté. 

a  Je  vous  félicite,  Madame,  d'avoir  un  enfant  si  ai- 
mable et  si  méritant;  je  félicite  monsieur  votre  fils  d'avoir 
une  si  excellente  mère. 

((  J'ai  l'honneur  d'être  avec  respect,  Madame,  votre 
très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

ce  Émery.  )) 

VIII.  —  Mais  cette  douceur  paternelle,  cette  vigilance 
affectueuse  de  M.  Émery,  ne  lui  laissaient  oublier  ni  les 
difficultés  qui  attendaient  ces  jeunes  élèves  après  les 
jours  paisibles  de  leur  préparation  sacerdotale,  ni  les 
sacrifices  que  Dieu  pouvait  leur  demander. 

Il  insistait,  dans  ses  instructions  et  ses  avis,  sur  la  néces- 
sité d'être  fidèles  à  l'oraison  du  matin  ;  il  leur  apprenait  à 
goûter  cette  vie  chrétienne,  ces  entretiens  intimes,  répétés 
et  prolongés  avec  Dieu,  où  le  prêtre  trouve  toujours  la 
consolation  dans  les  amertumes  inévitables  de  la  vie, 
la  lumière  dans  les  situations  difficiles,  la  force  à  l'heure 
du  danger  et  cette  gravité  sereine  qui  est  l'expression  du 
recueillement  de  l'àme. 

Il  aimait  aussi  à  préparer  les  séminaristes  aux  grandes 
luttes  qu'ils  auraient  à  soutenir  pour  la  défense  de 
l'Église.  Sa  parole  avait  un  accent  particulier  quand  il 
leur  rappelait  l'impérieuse  nécessité  d'être  des  hommes 
de  caractère,  quand  il  leur  présentait  la  vie  dans  sa  réa- 
lité sévère,  avec  ses  périls,  ses  difficultés,  ses  ennuis. 

((  Pourquoi ,  disait-il  dans  une  instruction  sur  les  con- 
tradictions dans  la  vie,  pourquoi  Notre-Seigneur  aurait- 
il  donc  pris  tant  de  soin  de  nous  prévenir  sur  les  contra- 
dictions auxquelles  nous  serions  exposés  dans  le  cours 
de  notre  ministère  ;  pourquoi  les  apôtres,  remplis  de  la 
doctrine  et  de  l'esprit  de  leur  divin  Maître,  nous  tien- 


ET  [/ÉGLISE  DE  FRANCE  29 

liraient- il<  si  fréquemment  le  même  langage  s'ils  avaient 
cru  qu'on  doit  céder  facilement  aux  contradictions,  et 
qu'il  était  inutile  de  nous  raidir  contre  elles,  s'ils  n'avaient 
pas  prétendu  par  là  affermir  notre  courage  et  préparer 
notre  résistance  ,  s'ils  n'avaient  voulu  en  même  temps 
écarter  du  sanctuaire  ces  âmes  molles  et  lâches  qui  sacri- 
fient tout  à  leur  repos,  ces  âmes  faibles  et  pusillanimes 
que  toutes  les  difficultés  étonnent,  que  toutes  les  opposi- 
tions arrêtent?  En  même  temps  que  les  ministres  de 
l'Évanidle  voient  dans  l'exemple  de  leur  divin  Maître  les 
contradictions  auxquelles  ils  doivent  s'attendre  eux- 
mêmes,  ils  y  voient  la  manière  dont  ils  doivent  les  sou- 
tenir. Ni  les  pièges  que  lui  tendent  ses  ennemis,  ni  les 
calomnies  qu'ils  inventent,  ni  les  supplices  qu'ils  lui 
préparent,  n'affaiblissent  son  zèle  et  ne  le  détournent  de 
la  voie  qui  lui  a  été  tracée  par  son  Père... 

«  Tous  les  avertissements  qu'il  nous  donne  sur  les  con- 
tradictions, et  les  exemples  qu'il  nous  en  montre  en  sa 
personne,  sont  donc  autant  d'exhortations  manifestes  à 
la  fermeté,  autant  de  leçons  évidentes  qui  nous  apprennent 
que,  sans  la  fermeté,  nous  serons  des  disciples  infidèles 
et  des  ministres  prévaricateurs.  » 

Et  dans  un  commentaire  éloquent  d'un  texte  de  saint 
Cyprien ,  il  s'écrie  :  «  Ne  sommes-nous  pas  environnés 
d'hérétiques,  d'incrédules,  de  mauvais  chrétiens,  enne- 
mis de  la  doctrine  et  de  la  discipline  de  l'Eglise,  qui 
élèvent  de  toute  part  leurs  voix  et  leurs  mains  contre 
elle?  Soyons  au  milieu  d'eux  comme  un  rocher  contre 
lequel  les  flots  grondent ,  se  lèvent  et  se  brisent.  Qu'im- 
porte au  fidèle  ministre  de  Dieu  de  quelle  part  lui  vien- 
nent les  menaces  et  les  périls  ,  lui  dont  l'état  est  d'être 
exposé  aux  périls,  <-t  qui  tire  de  là  même  sa  principale 
gloire  ?  » 

C'est  par  ces  appels  généreux  au  courage,  autant  que 
par  ses  propres  exemples,  que  M.  Émery,  dont  la  force 


30  M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE 

de  caractère  était  la  vertu  dominante,  excitait  et  dirigeait 
ses  élèves  timides ,  et  les  préparait  à  devenir  des  prêtres 
à  la  hauteur  des  dangers  qu'ils  devaient  affronter.  Il 
vivait  au  milieu  d'eux  dans  une  intimité  touchante,  heu- 
reux d'avoir  enfin  retrouvé  cette  vie  du  séminaire  qu'il 
préférait  à  tout,  et  de  se  cacher  dans  l'obscurité  d'un 
dévouement  qui  a  tout  son  mérite  devant  Dieu,  parce 
qu'il  est  sans  gloire  devant  les  hommes. 

L'œuvre  ainsi  rétablie  devait  essuyer  encore  de  nou- 
velles tempêtes.  Mais  Dieu  veillait  sur  elle,  et,  malgré 
la  violence  de  ses  ennemis,  elle  ne  devait  pas  périr. 


CHAPITRE  II 


FIN  DE  LA  PERSÉCUTION,  EXIL  DE  If.  FOURRIER 

I.  —  Quelque  temps  avant  de  mourir  sur  la  terre 
étrangère,  Pie  VI,  frappé  des  dangers  qui  menaçaient 
l'Église  et  des  difficultés  redoutables  que  le  sacré  col- 
lège aurait  à  braver  pour  obtenir  la  liberté  de  l'élection 
de  son  successeur,  avait  pris  les  plus  sages  dispositions. 
La  mort,  qu'il  voyait  approcher  comme  une  heureuse 
délivrance  dans  l'épreuve  cruelle  de  sa  captivité  ;  le  bou- 
leversement de  la  ville  de  Rome,  abandonnée  aux  fac- 
tieux et  à  de  nouveaux  barbares  ;  la  persécution  habile 
et  puissante  du  gouvernement  français,  décidé  à  tenter 
de  nouvelles  aventures  pour  frapper  le  clergé  déjà  ébranlé 
et  semer  dans  ses  rangs  la  discorde  en  supprimant  son 
chef  visible  :  ces  graves  pensées  venaient  assombrir  les 
dernières  heures  du  vieillard  qui  tenait  encore  dans  ses 
mains  les  rênes  de  l'Église,  et  elles  justifiaient  la  pru- 
dence légitime  de  ses  résolutions. 

Mais  Dieu  manifesta  d'une  manière  sensible  et  surna- 
turelle la  protection  qu'il  ne  refuse  jamais  à  l'Église  à 
l'heure  du  danger,  il  rendit  inutiles  les  dernières  précau- 
tions du  pontife  mourant.  La  Russie,  l'Allemagne  et  la 
Turquie,  des  armées  étrangères,  hostiles  même  par  leurs 
croyances  contraires  à  l'Église  catholique,  deviennent 
subitement  les  défenseurs  d'une  cause  abandonnée  par  les 
peuples  chrétiens,  avancent  leurs  rangs,  se  précipitent  sur 
l'Italie  pour  arrêter  les  projets  ambitieux  du  Directoire  , 


32  M.  ÉMERY 

servi  par  un  capitaine  de  génie,  et  dégagent  la  ville  de 
Venise.  Leurs  soldats  montent  la  garde  pendant  que  le 
conclave,  après  avoir  appelé  sur  ses  délibérations  les 
lumières  de  l'Esprit- Saint,  se  réunit  dans  le  monastère 
de  Saint-Georges-le-Majeur,  et  donne  un  pape  à  l'Église 
catholique  dans  la  personne  de  Pie  VII,  de  la  famille 
illustre  des  Chiaramonti. 

C'était  un  fardeau  redoutable  et  bien  lourd  que  le  con- 
clave imposait  aux  épaules  du  successeur  de  Pierre.  Sur 
tous  les  points  de  l'Eglise  catholique  où  s'arrêtaient 
ses  yeux  voilés  de  tristesse ,  Pie  VII  rencontrait  des 
sujets  d'alarmes,  des  épreuves,  des  révoltes,  d'effrayantes 
menaces.  Jamais  le  secours  de  Dieu  ne  lui  fut  plus  néces- 
saire qu'à  cette  heure,  où  le  présent  et  l'avenir  n'avaient 
plus  ni  consolation  ni  espérance. 

En  apprenant  cette  heureuse  élection,  quelques  évêques 
sollicités  par  M.  de  Bausset  résolurent  d'adresser  au 
nouveau  pontife  un  mémoire  sur  la  situation  des  affaires 
ecclésiastiques  en  France ,  et  de  demander  à  Celui  qui 
est  le  centre  de  l'Église  catholique  ses  conseils,  ses  lu- 
mières et  une  direction. 

M.  Émery  fut  chargé  par  M.  de  Bausset  et  par  ses  col- 
lègues dans  l'épiscopat  de  rédiger  en  leur  nom  ce  mé- 
moire ,  auquel  ils  donnèrent  la  sanction  et  l'autorité  de 
leur  signature  *. 

II.  —  Après  avoir  exprimé  ses  regrets  de  la  mort  de 
Pie  VI  et  offert  ses  félicitations  respectueuses  à  son  suc- 
cesseur, M.  Émery  fait  un  tableau  fidèle  de  l'état  lamen- 
table de  l'Église  de  France  :  il  rappelle  l'impiété  s'affir- 
mant  sans  pudeur,  les  temples  fermés,  les  prêtres  exilés, 
déportés,  égorgés,  les  évêques  schisniatiques  installés 
après  le  serment  criminel  de  fidélité  à  la  constitution 

1  On  conserve  au  séminaire  Saint -Sulpiçe  ce  mémoire,  écrit 
tout  entier  de  la  main  de  M.  Émery,  le  15  mai  1800. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  33 

civile  à  la  place  des  évêques  légitimes;  il  parle  des  faux 
évèques  qui  égarent  les  fidèles  en  les  retenant  dans  l'er- 
reur et  dans  la  révolte  contre  la  chaire  de  Pierre,  des 
prêtres  qui  les  suivent,  et  qui  se  sont  emparés,  par  une 
complicité  coupable ,  des  cathédrales  et  des  paroisses  ;  il 
ne  cache  pas  non  plus  les  tristes  contestations  qui  se  sont 
élevées  entre  les  évèques  fidèles  à  l'occasion  des  serments 
Demandés,  malentendus  déplorables,  qui  contribuent  à 
diviser  encore  aujourd'hui  des  cœurs  également  dévoués 
à  l'Église  et  soumis  au  vicaire  de  Jésus-Christ. 

«  Il  est  un  autre  mal,  écrit  M.  Émery,  dans  le  même 
genre,  que  Votre  Sainteté  ne  connaît  peut-être  pas  et 
fei'il  est  heureusement  en  son  pouvoir  de  faire  cesser. 
Nous  avons  tous  cru,  et  plusieurs  de  nos  collègues  qui 
sont  dehors  l'ont  pensé  avec  nous,  qu'on  pouvait  évi- 
demment remplir  les  conditions  qui  ont  été  successive- 
ment prescrites  aux  prêtres ,  pour  qu'il  leur  fût  loisible 
d'exercer  publiquement  leur  ministère,  en  différentes 
formules,  dépendantes  ordinairement  pour  le  sens  de 
ceux  qui  en  étaient  les  auteurs.  Nous  avons  été  plus  à 
portée  que  nos  collègues,  exilés  dans  des  pays  lointains, 
de  savoir  quelles  étaient  ces  intentions,  et  de  reconnaître 
qu'on  pouvait  souscrire  ces  formules  sans  blesser  aucune 
règle  de  la  foi  ou  de  la  morale.  Un  grand  nombre  de  nos 
collègues,  au  dehors,  ont  été  d'une  opinion  contraire;  et 
il  n'est  pas  jusqu'à  la  simple  déclaration  de  soumission 
aux  lois  de  la  république,  qu'ils  n'aient  jugée  illicite 
et  qu'ils  n'aient  défendu  de  faire  dans  leurs  diocèses, 
jusqu'à  obliger  à  la  rétractation  et  priver  de  toute  fonc- 
tion ceux  qui  l'auraient  faite...  Conséquemment ,  il  n'y 
a  point  eu  de  culte  dans  une  grande  partie  de  la  France; 
le  peuple  est  demeuré  sans  instruction  et  sans  secours 
spirituels.  Et  Votre  Sainteté  voit  facilement  quels  incon- 
vénients entraine  une  semblable  cessation. 

«  Il  est  indubitable  que  tous  ceux  qui  ont  fait  ces  ser- 


34  M.  ÉMERY 

ments  et  ces  déclarations  dans  la  vue  de  ne  point  laisser 
les  fidèles  sans  culte,  n'ont  rien  à  changer  dans  leurs 
sentiments  intérieurs;  qu'ils  sont  parfaitement  d'accord, 
pour  le  fond,  avec  ceux  qui  les  ont  refusés,  et  que  les 
uns  et  les  autres  ne  diffèrent  que  dans  la  manière  d'in- 
terpréter les  formules.  Oh  !  qu'il  était  facile  de  s'en- 
tendre, et  combien  il  aurait  été  sage  de  suivre  l'esprit  et 
la  méthode  de  saint  Athanase ,  dans  le  concile  qu'il  tint 
à  Alexandrie ,  au  retour  de  son  exil  !  Il  trouva  entre  les 
chrétiens,  qui  d'ailleurs  s'étaient  tous  prononcés  contre 
l'arianisme,  une  multitude  de  divisions  sur  des  points 
d'une  haute  importance  :  toute  l'Église  en  était  troublée. 
Il  conféra  avec  les  divers  partis,  les  fit  s'expliquer  les 
uns  en  présence  des  autres,  les  réconcilia,  et  rendit 
ainsi  à  l'Église  un  service  que  saint  Grégoire  de  Nazianze 
met  au-dessus  de  tous  les  jeûnes,  de  toutes  les  mortifi- 
cations, de  tous  les  écrits  et  de  tous  les  travaux  de  ce 
grand  évêque1. 

«  Les  différentes  formules  qui  ont  donné  lieu  aux  con- 
testations sont  aujourd'hui  abolies.  On  leur  en  a  substitué 
une,  qui  est  la  promesse  de  fidélité  à  la  constitution. 
Nous  avons  cru  qu'on  pouvait  la  permettre.  Avant  de 
prendre  un  parti,  nous  aurions  bien  désiré  qu'il  fût  pos- 
sible de  consulter  le  saint-siège  et  d'attendre  sa  réponse, 
mais  le  délai  dans  une  affaire  qui  nous  a  paru  souffrir 
peu  ou  point  de  difficulté  entraînait  de  trop  grands  in- 
convénients; car  c'en  est  un  sans  doute  très  grand  que 
de  laisser  pendant  un  temps  notable  tout  un  peuple  sans 
culte,  sans  instruction,  sans  sacrements.  De  plus,  il 
aurait  résulté  de  la  cessation  du  culte  public,  dans  les 
lieux  où  il  était  auparavant  exercé,  que  les  schismatiques 
se  seraient  emparés  des  églises  vacantes.  » 

M.  Émery  ériumère  ensuite  les  arguments  qui  justi- 


1  Oratio  xxi. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  35 

fient  la  conduite  de  ceux  qui  ont  cru,  en  conscience, 
pouvoir  prêter  et  conseiller  les  serments,  et  il  termine 
le  mémoire  par  ces  paroles  d'un  fils  soumis  de  l'Eglise  : 

((  Au  reste,  très  Saint-Père,  prononcez  dans  votre 
sagesse,  et  faites  connaître  votre  jugement.  Nous  ne 
céderons  en  docilité  et  en  soumission  à  aucun  de  nos  col- 
lègues. Nous  sommes  disposés  à  dire  hautement  que 
Pierre  a  parlé  par  votre  bouche ,  ainsi  que  le  disait  le 
quatrième  concile  œcuménique  dans  ses  acclamations 
à  la  lettre  de  saint  Léon.  » 

Ce  mémoire,  rédigé  avec  une  grande  modération  et 
dans  le  dessein  de  faire  connaître  au  chef  de  l'Église  les 
sentiments  de  l'épiscopat  à  son  égard  et  la  situation  reli- 
gieuse de  la  France,  ne  fut  pas  envoyé  à  Pie  VII  ;  un  grand 
événement  le  rendit  inutile. 

Par  un  bref  adressé  à  tous  les  évèques  de  France,  le 
K)  septembre  1800,  Pie  VII  leur  apprenait  que  le  premier 
consul  Bonaparte  avait  chargé  le  cardinal  Martiniana  de 
lui  faire  des  ouvertures  et  d'entrer  avec  lui  en  négocia- 
tions pour  aplanir  les  difficultés  religieuses  de  l'Église  de 
France  et  rendre  au  culte  catholique  son  ancien  éclat. 
Il  sollicitait  le  secours  de  leurs  prières,  et  les  invitait  à 
demander  à  Dieu  l'appui  de  sa  grâce  afin  de  mener  cette 
laborieuse  entreprise  selon  ses  espérances  et  selon  l'inté- 
rêt de  l'Église. 

Le  20  septembre  de  cette  même  année,  M.  Émery 
exprimait  à  M.  de  Bausset,  évèque  d'Alais,  sa  confiance 
dans  les  intentions  conciliantes  du  premier  consul,  sa 
joie  à  la  pensée  de  la  liberté  rendue  enfin,  après  tant 
d'orages,  à  L'Église  catholique;  il  le  pressait  humble- 
ment de  ne  pas  entraver,  par  une  opposition  inutile  et 
dangereuse,  les  bonnes  dispositions  de  celui  qui  tenait 
déjà  dans  ses  mains  la  fortune  du  pays. 

III.  —  Le  discours  que  Bonaparte  avait  adressé  aux 


36  M,  ÉMERY 

curés  de  Milan ,  quelques  jours  avant  la  bataille  de  Ma- 
rengo ,  et  dont  il  avait  répété  avec  autorité  et  fermeté  les 
pensées  principales  dans  une  allocution  prononcée  devant 
ses  conseillers  d'État,  à  Paris,  avait  attiré  tout  particu- 
lièrement l'attention  de  M.  Emery.  Il  avait  été  frappé  des 
vues  élevées,  des  sentiments  religieux,  des  intentions 
pacifiques,  du  style  ferme  et  clair  de  ce  discours,  vraiment 
remarquable  dans  quelques-unes  de  ses  parties.  Il  le  fit 
imprimer  à  Paris,  en  répandit  un  grand  nombre  d'exem- 
plaires et  invita  M.  Vernet,  prêtre  de  la  compagnie  de 
Saint-Sulpice ,  à  le  propager  dans  les  provinces  du  Midi. 

«  J'ai  désiré  de  vous  voir  tous  rassemblés  ici,  disait 
Bonaparte  aux  curés  de  Milan,  afin  d'avoir  la  satisfaction 
de  vous  faire  connaître  par  moi-même  les  sentiments  qui 
m'animent  au  sujet  de  la  religion  catholique,  apostolique 
et  romaine.  Persuadé  que  cette  religion  est  la  seule  qui 
puisse  procurer  un  bonheur  véritable  à  une  société  bien 
ordonnée  et  affermir  les  bases  d'un  bon  gouvernement, 
je  vous  assure  que  je  m'appliquerai  à  la  protéger  et  à  la 
défendre  dans  tous  les  temps  et  par  tous  les  moyens. 

ce  Vous ,  les  ministres  de  cette  religion  ,  qui  certes  est 
aussi  la  mienne,  je  vous  regarde  comme  mes  plus  chers 
amis,  je  vous  déclare  que  j'envisagerai  comme  perturba- 
teur du  repos  public  et  ennemi  du  bien  commun,  et  que 
je  saurai  punir  comme  tel,  de  la  manière  la  plus  rigou- 
reuse et  la  plus  éclatante ,  et  même ,  s'il  le  faut ,  de  la 
peine  de  mort,  quiconque  fera  la  moindre  insulte  à  notre 
commune  religion,  ou  qui  osera  se  permettre  le  plus  léger 
outrage  envers  vos  personnes  sacrées. 

ce  Mon  intention  formelle  est  que  la  religion  chré- 
tienne, catholique  et  romaine,  soit  conservée  dans  son 
entier,  qu'elle  soit  publiquement  exercée  et  qu'elle 
jouisse  de  cet  exercice  public  avec  une  liberté  aussi 
pleine,  aussi  étendue,  aussi  inviolable  qu'à  l'époque  où 
j'entrai  pour  la  première  fois  dans  ces  heureuses  con- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  37 

trées.  Tous  les  changements  qui  arrivèrent  alors,  princi- 
palement dans  la  discipline,  se  firent  contre  mon  incli- 
nation et  ma  manière  de  penser.  Simple  agent  d'un 
gouvernement  qui  ne  se  souciait  en  aucune  sorte  de  la 
religion  catholique ,  je  ne  pus  alors  empêcher  tous  les 
désordres  qu'il  voulait  excitera  tout  prix,  à  dessein  de 
la  renverser.  Actuellement  que  je  suis  muni  d'un  plein 
i  pouvoir,  je  suis  décidé  à  mettre  en  œuvre  tous  les  moyens 
;  que  je  croirai  les  plus  convenables  pour  assurer  et  garan- 
tir cette  religion. 

«  Les  philosophes  modernes  se  sont  efforcés  de  per- 
suader à  la  France  que  la  religion  catholique  était  l'im- 
I  placable  ennemie  de  tout  système  démocratique  et  de 
tout  gouvernement  républicain  :  de  là  cette  cruelle  per- 
sécution que  la  république  française  exerça  contre  la 
religion  et  contre  ses  ministres;  de  là  toutes  les  horreurs 
auxquelles  fut  livré  cet  infortuné  peuple.  La  diversité 
des  opinions  qui,  à  l'époque  de  la  révolution,  régnaient 
en  France  au  sujet  de  la  religion,  n'a  pas  été  une  des 
moindres  sources  de  ces  désordres.  L'expérience  a  dé- 
trompé les  Français  et  les  a  convaincus  que,  de  toutes 
les  religions  ,  il  n'y  en  a  pas  qui  s'adapte  comme  la  catho- 
lique aux  diverses  formes  de  gouvernement,  qui  favorise 
davantage,  en  particulier,  le  gouvernement  démocra- 
tique ,  républicain,  en  établisse  mieux  les  droits,  et  jette 
plus  de  jour  sur  ses  principes. 

«  Moi  aussi,  je  suis  philosophe,  et  je  sais  que,  dans 
une  société  quelconque,  nul  homme  ne  saurait  passer 
pour  vertueux  et  juste,  s'il  ne  sait  d'où  il  vient  et  où  il  va. 

((  La  simple  raison  ne  peut  nous  fournir  là -dessus 
aucune  lumière  ;  sans  la  religion  on  marche  continuel- 
lement dans  les  ténèbres  ,  et  la  religion  catholique  est  la 
seule  qui  donne  à  l'homme  des  lumières  certaines  et  in- 
faillibles sur  son  principe  et  sur  sa  fin  dernière. 

«  Nulle  société  ne  peut  exister  sans  morale,  et  il  n'y 
Il  2 


38  M.  ÉMERY 

a  pas  de  bonne  morale  sans  religion  ;  il  n'y  a  donc  que  la 
religion  qui  donne  à  l'Etat  un  appui  ferme  et  durable. 
Une  société  sans  religion  est  comme  un  vaisseau  sans  S 
boussole  :  un  vaisseau  dans  cet  état  ne  peut  ni  s'assurer  | 
de  sa  route,  ni  espérer  d'entrer  au  port;  une  société 
sans  religion,  toujours  agitée,  perpétuellement  ébranlée 
par  le  choc  des  passions  les  plus  violentes ,  éprouve  en 
elle-même  toutes  les  fureurs  d'une  guerre  intestine, 
qui  la  précipite  dans  un  abîme  de  maux ,  et  qui  tôt  ou 
tard  entraîne  infailliblement  sa  ruine. 

((  La  France,  instruite  par  ses  malheurs,  a  ouvert 
enfin  les  yeux  ;  elle  a  reconnu  que  la  religion  catholique 
était  comme  une  ancre  qui  pouvait  seule  la  fixer  dans 
ses  agitations  et  la  sauver  des  efforts  de  la  tempête  :  elle 
l'a,  en  conséquence,  rappelée  dans  son  sein.  Je  ne  puis 
pas  disconvenir  que  je  n'aie  beaucoup  contribué  à  cette 
belle  œuvre.  Je  vous  certifie  qu'on  a  rouvert  les  églises 
en  France,  que  la  religion  catholique  y  reprend  son 
ancien  éclat,  et  que  le  peuple  voit  avec  respect  ses  pas- 
teurs sacrés ,  qui  reviennent  pleins  de  zèle  au  milieu  de 
leurs  troupeaux  abandonnés. 

«  Que  la  manière  dont  a  été  traité  le  pape  défunt  ne 
vous  inspire  aucune  crainte  :  Pie  VI  a  dû  en  partie  ses 
malheurs  aux  intrigues  de  ceux  à  qui  il  avait  donné  sa 
confiance,  et  en  partie  à  la  cruelle  politique  du  Direc- 
toire. Quand  je  pourrai  m'aboucher  avec  le  nouveau  pape 
j'espère  que  j'aurai  le  bonheur  de  lever  tous  les  obstacles 
qui  pourraient  s'opposer  encore  à  l'entière  réconciliation 
delà  France  avec  le  suprême  pasteur  de  l'Église.  » 

En  donnant  une  publicité  considérable  à  ce  discours 
où  l'on  sent  déjà,  sous  les  habiletés  d'un  langage  favo 
rable  à  la  religion ,  la  parole  impérieuse  d'un  maître 
absolu,  l'expression  d'une  volonté  qui  veut  être  obéie 
sans  discussion ,  M.  Émery  servait  les  intérêts  de  l'Église 
catholique;  il  ne  savait  pas  que,  malgré  son  empresse- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  39 

ment  à  seconder  les  intentions  pacifiques  de  Bonaparte  , 
il  allait  être  encore  une  fois  frappé,  condamné,  incar- 
céré. 

IV.  —  Il  y  avait  à  cette  époque,  dans  la  compagnie  de 
Saint- Sulpice,  un  prêtre,  parent  et  compatriote  de 
M.  Émery,  qui  devint  plus  tard  évêque  de  Montpellier  : 
c'étaitM.  Fournier1.  Orateur  abondant,  d'une  voix  sonore, 
doué  d'une  imagination  trop  riche,  il  entraînait  les 
foules  par  ses  qualités  populaires  et  par  l'intérêt  piquant 
qu'il  savait  donner  à  ses  prédications,  en  multipliant  les 
allusions  frappantes  aux  événements  de  la  révolution. 
Ce  succès  retentissant,  à  un  moment  où  le  silence  était 
si  nécessaire,  appela  sur  lui  l'attention  ombrageuse  et 
la  sévérité  du  gouvernement. 

Gomme  il  prêchait  le  vendredi  saint,  dans  l'église  Saint- 
Roch,  un  sermon  véhément  sur  la  passion  de  Notre-Sei- 
gneur,  il  consacra  la  première  partie  de  son  discours  à 
reproduire  exactement  et  avec  simplicité  le  récit  des 
saints  Évangiles;  il  se  livra  ensuite  à  des  considéra- 
tions violentes  sur  la  Passion  de  Notre -Seigneur  renou- 
velée par  les  hommes  de  la  révolution.  11  s'écria  : 

(L  Les  Apôtres,  c'était  nous:  ordonnés  comme  eux, 
nous  avions  abandonné  lâchement  Jésus  -  Christ  ;  —  les 

1  Fournier,  né  à  Gex,  le  27  décembre  17G0.  Il  commença  ses 
études  au  séminaire  du  Saint-Esprit,  à  Paris,  les  continua  à  Saint- 
Sulpice;  il  fut  premier  de  licence  en  1784-1785.  Vicaire  général 
d'Auch,  sous  l'épiscopat  de  Mt»r  de  la  Tour  du  Pin,  au  sortir  du 
séminaire,  il  entra  bientôt  dans  la  compagnie  de  Saint -Sulpice, 
sous  la  direction  de  M.  Émery.  Il  était  professeur  de  théologie 
morale  au  grand  séminaire  d'Orléans,  en  1789.  Il  passa  les  mau- 
vais jours  de  la  révolution  caché  chez  un  riche  Orléanais,  De- 
loynes  d'Auteroche.  En  1803,  l'ancien  archevêque  d'Auch,  devenu 
évèque  de  Troyes,  le  nomma  vicaire  général.  Le  cardinal  Feseh 
le  lil  nommer  chapelain,  puis  aumônier  de  l'empereur,  et  évèijue 
de  Montpellier  en  1805.  Il  fut  secrétaire  du  concile  en  1811,  et 
mourut  au  mois  de  décembre  183 î . 


40  M.  ÉMERY 

princes  du  peuple,  c'étaient  les  princes  et  les  nobles, 
conjurés  contre  la  religion;  —  les  scribes,  c'étaient 
les  magistrats  et  les  parlements;  —  les  pharisiens, 
c'étaient  les  jansénistes  ;  —  La  populace,  c'était  le  peuple 
français.  » 

Puis,  regardant  en  face,  dans  l'auditoire,  Talleyrand, 
qui  était  déjà  l'homme  de  Bonaparte  après  avoir  été  le 
courtisan  de  la  révolution ,  il  ajouta  : 

«  Nous  avons  vu  dans  la  révolution  un  traître  se 
tourner  contre  Jésus -Christ;  et  dans  le  camp  des 
évêques ,  successeurs  des  apôtres ,  il  y  a  eu  un  Judas  !  » 

M.  Fournier  eut  cependant  l'habileté  et  la  précaution 
de  finir  son  discours  par  un  éloge  de  Bonaparte;  il  le 
comparait  au  brave  centurion,  il  le  félicitait  d'avoir  rou- 
vert les  églises  fermées  par  la  violence  et  d'avoir  relevé 
les  autels. 

M.  de  Dampierre ,  vicaire  général  de  Paris,  et  M.  Mar- 
duel,  curé  de  Saint-Roch,  se  trouvaient  au  banc  d'oeuvre, 
où  ils  tremblaient  de  la  témérité  vaine  et  dangereuse  de 
l'orateur  intempérant.  Quand  il  rentra  dans  la  sacristie, 
ces  messieurs  lui  exprimèrent  leur  mécontentement  et 
leur  frayeur,  le  priant  avec  insistance  de  modérer  désor- 
mais l'ardeur  de  ses  homélies,  et  d'éviter  les  allusions 
transparentes  qui  faisaient  son  succès. 

A.  la  suite  d'un  nouveau  discours  prononcé,  le  jour  de 
la  Pentecôte ,  dans  l'église  Saint  -  Germain  -  l'Auxerrois , 
M.  Fournier  fut  arrêté  sans  jugement,  sur  un  ordre 
émané  de  Fouché,  préfet  de  police  et  ami  de  Talleyrand  ; 
il  fut  déclaré  atteint  de  folie,  enfermé  dans  l'hospice 
national  de  Bicètre. 

Voici  l'ordre  d'arrêt  : 

ce  Marie -Nicolas  Fournier,  ministre  du  culte  catho- 
lique, se  disant  vicaire  général  d'Auch  et  d'Orléans,  et 
ancien  doctor  de  Sorbonne ,  inscrit  sur  la  liste  des  émi- 
grés. Ayant  quitté  cette  commune  sans  autorisation,  il 


ET  L'ÉGLTSE  DE  FRANCE  41 
était  venu  à  Paris,  et  y  débitait  depuis  quelques  jours 
des  sermons  plutôt  remplis  d'outrages  aux  principes  du 
gouvernement  et  à  la  tranquillité  intérieure  que  des  prin- 
cipes évangéliques.  Cette  conduite,  qui  prouvait  une 
espèce  de  folie,  fixa  l'attention  du  préfet  de  police,  qui 
fit  arrêter  l'individu.  On  a  trouvé  dans  ses  papiers  un 
grand  nombre  de  sermons,  dont  plusieurs  offrent  le  sens 
politique  le  plus  dangereux,  un  traité  où  l'on  réduit  en 
crime  l'acquisition  de  toute  espèce  de  biens  nationaux , 
et  un  autre  où,  en  colorant  de  raisons  religieuses  l'esprit 
de  parti  le  plus  fanatique ,  on  déclare  coupable  tout  mi- 
nistre des  cultes  qui  ferait  la  promesse  de  fidélité  à  la 
constitution.  Lui-même  cependant  avait  fait  cettte  pro- 
messe. Cette  versatilité  de  conduite,  l'incohérence  des 
idées  de  ce  prédicateur,  son  exaltation  et  la  manie 
d'amalgamer  publiquement  des  principes  aussi  étranges 
avec  des  paroles  de  religion,  n'ont  point  permis  de  dou- 
ter qu'il  n'eût  l'esprit  aliéné  au  point  de  compromettre 
l'ordre  public. 

«  En  conséquence ,  le  préfet  de  police ,  aux  termes  du 
paragraphe  6  de  l'article  2C2,  de  l'arrêté  des  consuls  du 
13  messidor  an  VIII,  l'a  fait  arrêter  et  conduire  à  l'hos- 
pice des  fous,  à  Bicètre.  » 

A  peine  arrivé  à  Bicètre,  M.  Fournier  fut  enfermé 
dans  une  loge  ;  on  le  dépouilla  de  ses  habits  ecclésias- 
tiques et  de  ses  souliers,  on  lui  donna  des  sabots,  et, 
après  lui  avoir  rasé  la  tète,  on  le  revêtit  d'une  robe  de 
fou.  Par  un  jeu  singulier  du  hasard,  les  vrais  malades 
de  l'établissement  accouraient  se  prosterner  à  ses  pieds  ; 
dans  leur  folie,  ils  l'appelaient  monseigneur  et  implo- 
raient sa  bénédiction. 

A  la  nouvelle  de  cette  arrestation  arbitraire  et  odieuse, 
M.  de  la  Tour  du  Pin,  évêque  de  Troyes,  ancien  arche- 
vêque d'Auch,  fit  parvenir  secrètement  cette  lettre  à 
M.  Fournier: 


42  M.  ÉMERY 

((  Je  me  réjouissais ,  mon  cher  insensé,  de  vos  succès, 
non  pas  pour  vous  voir  placé  au  rang  des  prédicateurs 
distingués,  —  vous  aviez  une  ambition  plus  noble,  — 
mais  parce  qu'ils  étaient  tout  à  la  fois  une  preuve  de 
votre  zèle  et  de  votre  courage,  et  une  preuve  aussi  que 
les  Parisiens  avaient  conservé  de  la  religion ,  et  que  le 
gouvernement  était  de  bonne  foi  dans  sa  promesse  de 
maintenir  la  liberté  de  conscience.  Votre  renommée  vous 
a  été  funeste,  si  toutefois  on  peut  regarder  comme  funeste 
la  privation  de  la  liberté,  quand  on  la  perd  pour  avoir 
prêché  l'Évangile.  Loin  de  vous  affliger  d'un  traitement 
si  peu  mérité,  vous  avez  remercié  Dieu  de  vous  avoir 
rendu  digne  de  souffrir  un  affront  pour  le  nom  de  Jésus- 
Christ. 

«  Vous  voilà  déclaré  fou  pour  lui  ;  et  en  effet,  aux  yeux 
de  bien  des  gens,  c'est  une  grande  folie  que  de  prêcher 
la  folie  de  la  croix.  Elle  a  été  et  sera  toujours  le  scandale 
de  beaucoup  de  monde.  Il  était  donc  juste  que  celui  qui 
renouvellerait  avec  plus  d'éclat  ce  scandale,  et  entre- 
prendrait de  faire  triompher  cette  folie  après  douze  ans 
de  silence ,  fût  pris  comme  un  scandaleux  et  traité  comme 
un  fou.  Vous  avez  été  ce  sage  insensé  et  ce  scandaleux 
précieux  aux  yeux  de  la  foi ,  et  je  vous  en  félicite.  Votre 
ignominie  glorieuse  vous  rend  plus  cher  aux  yeux  de  la 
religion,  et  vous  prépare,  je  l'espère,  des  succès  que 
l'éloquence  toute  seule  n'opère  pas;  succès  les  seuls 
dignes  de  votre  ambition  ,  qui  n'a  pour  objet  que  le  salut 
des  âmes.  J'espère  aussi  que  le  gouvernement  désavouera 
l'injure  qui  vous  a  été  faite  en  son  nom,  et  qui  en  devien- 
drait une  pour  lui ,  s'il  ne  la  faisait  pas  cesser  prompte- 
ment.  » 

V.  —  Ce  procédé  violent,  qui  permettait  de  se  défaire 
ainsi  d'un  homme  en  le  traitant  de  fou,  devait  soulever 
cependant  des  protestations  de  la  part  des  auditeurs  pleins 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  43 

d'enthousiasme  du  malheureux  prisonnier.  Deux  pam- 
phlets sans  signature,  dirigés  avec  habileté  contre  la  dic- 
tature anonyme  du  ministre  de  la  police,  furent  mis  en 
circulation.  On  soupçonna  M.  Émery  d'en  être  l'auteur  : 
il  fut  immédiatement  arrêté  et  conduit  à  la  préfecture  de 
police,  où  il  subit  trois  interrogatoires,  dans  les  pre- 
miers jours  de  juillet  de  l'an  1801. 

Pendant  ce  temps,  les  agents  du  ministre  de  la  police 
faisaient  chez  lui  des  perquisitions;  ils  saisirent  sa  cor- 
respondance avec  des  prêtres  et  des  évèques  émigrés,  une 
lettre  compromettante  du  cardinal  Maury,  des  exem- 
plaires du  pamphlet  pour  la  défense  de  M.  Fournier.  Le 
préfet  de  police  Dubois,  ému  de  la  correspondance  de 
M.  Émery,  disait  dans  son  rapport  à  M.  Fouché  :  ce  II 
parait  qu'Émery  est  l'oracle  du  clergé  et  l'homme  dans 
lequel  tous  les  évèques  insurgés  ou  insoumis  ont  placé 
leur  entière  confiance.  On  le  consulte  de  toute  part,  soit 
sur  la  promesse  de  fidélité  à  la  constitution,  soit  sur  la 
rentrée  en  France  et  la  possibilité  de  l'obtenir.  » 

Accusé  de  n'avoir  pas  prêté  le  serment  de  fidélité  à  la 
constitution,  d'être  l'agent  des  prêtres  et  des  évèques 
étrangers,  d'entretenir  le  fanatisme  et  l'esprit  de  rébel- 
lion dans  le  clergé,  M.  Émery  pouvait  être  condamné  à 
la  déportation,  en  vertu  des  anciennes  lois  encore  exis- 
tantes; mais  un  agent  supérieur  de  la  préfecture  de  police 
proposa  de  l'enfermer  dans  une  maison  particulière  et 
de  le  tenir  au  secret,  pour  couper  ses  relations  avec  les 
membres  du  clergé  et  l'empêcher  d'exercer  une  influence 
qu'il  ne  perdrait  pas  si  l'on  se  contentait  de  le  déporter. 

Enfermé  au  petit  dépôt  de  la  préfecture  de  police,  à 
côté  de  malfaiteurs  et  de  filles  de  mauvaise  vie,  M.  Émery 
se  livra  de  nouveau  à  cet  apostolat  des  prisonniers  qu'il 
avait  exercé  avec  un  zèle  béni  de  Dieu  et  récompensé 
par  des  succès  inespérés  dans  les  cachots  de  la  Concier- 
gerie. 


44  M,  ÉMERY 

Heureux  de  souffrir  pour  la  cause  de  la  justice,  confiné 
dans  une  chambre  étroite,  insuffisante  et  sans  air,  où 
l'on  avait  entassé  soixante  personnes ,  il  s'occupa  d'amé- 
liorer la  nourriture  de  ses  compagnons,  se  contentant 
pour  lui-même  d'un  peu  de  pain  et  d'une  cruche  d'eau, 
édifiant  les  prisonniers  par  son  esprit  de  pénitence  et  par 
sa  piété  profonde  ,  expliquant  aux  plus  jeunes  les  vérités 
fondamentales  de  la  religion  chrétienne.  Sa  dignité, 
l'austérité  de  sa  vie  sacerdotale,  confondaient  les  prêtres 
apostats,  mariés,  qui  remplissaient  les  bureaux  de  sa 
prison. 

Si  les  évêques  et  les  prêtres  intrus  se  réjouissaient  de 
la  détention  de  M.  Emery,  considéré  comme  le  défenseur 
le  plus  dangereux  des  droits  de  l'Eglise ,  il  n'en  était  pas 
de  même  de  ses  amis,  qui  cherchaient  par  des  influences 
puissantes  à  obtenir  du  gouvernement  son  élargissement 
immédiat. 

Mllc  Jouen,  sainte  fille  dévouée  au  supérieur  de  Saint- 
Su  lpice  ;  le  général  de  Prez- Crassier,  parent  de  M.  Émery, 
ami  de  Fouché  et  de  l'ancien  évèque  constitutionnel  de 
Nancy,  multiplièrent  leurs  démarches  et  obtinrent  enfin, 
le  22  juillet,  la  délivrance  du  prisonnier,  sous  la  condi- 
tion qu'il  prêterait  le  serment  de  fidélité  à  la  constitu- 
tion, et  qu'il  serait  soumis  à  une  surveillance  spéciale 
pendant  un  temps  déterminé.  M.  Émery  apprit  son  élar- 
gissement avec  une  profonde  indifférence  et  un  grand 
sang -froid.  Quand  on  lui  dit  qu'il  avait  été  question  de 
l'envoyer  en  Italie,  il  répondit  tranquillement:  «  J'au- 
rais été  charmé  de  faire  un  voyage  aussi  agréable ,  et  je 
serai  sans  doute  privé  longtemps  de  ce  plaisir.  » 

Le  lendemain  de  son  élargissement,  il  écrivit  à  M.  de 
Bausset  : 

ce  Vous  avez  su  certainement  que  j'ai  été  arrêté  et  dé- 
tenu à  la  préfecture  pendant  dix-huit  jours.  Au  bout  de 
trois  jours,  c'est-à-dire  après  l'examen  des  papiers  et 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  45 

imprimés  trouvés  chez  moi,  je  devais  sortir;  mais  la 
décision  finale  devait  partir  du  ministre  de  la  police, 
qui  avait  promis  de  me  laisser  promptement  en  liberté. 
Cependant  l'expédition,  qu'il  a  fallu  forcer  pour  ainsi 
dire,  n'a  été  faite  qu'après  quinze  jours,  tantje  suis  aimé 
dans  les  bureaux  de  ce  ministère  ! 

«  Je  crois  qu'ils  me  regardaient  comme  l'auteur  de  deux 
écrits  qui  ont  été  produits  dans  l'affaire  de  M.  Fournier, 
dont  le  premier  a  singulièrement  piqué  le  ministre,  et  qui 
était  fait  pour  cela.  Mais  je  n'avais  absolument  aucune 
part  à  cet  écrit,  non  plus  qu'à  l'autre.  Les  constitution- 
nels ne  se  sont  pas  épargnés  dans  cette  circonstance. 

«  Je  dois  regarder  cet  événement  comme  une  faveur 
du  Ciel,  puisque  Dieu  ne  promet  rien  de  plus  en  ce 
inonde  à  ceux  qui  serviront  son  Eglise  avec  plus  de 
zèle.  » 

A  peine  sorti  de  prison,  M.  Ernery  s'occupa  de  la  déli- 
vrance de  M.  Fournier.  Il  fit  appel  au  dévouement  dont 
il  venait  de  recevoir  lui-même  un  témoignage  de  la  part 
de  ceux  qui  avaient  obtenu  son  élargissement  ;  il  multi- 
plia les  démarches,  avec  la  discrétion  commandée  par  la 
surveillance  sévère  dont  il  était  l'objet,  et  écrivit  lui- 
même  à  son  ami,  le  28  juillet  1801,  pour  lui  donner, 
dans  lepreuve  cruelle  de  sa  persécution,  les  avis  d'un 
père  et  les  consolations  élevées  de  la  religion. 

a  Quand  nous  avons  reçu ,  mon  cher  Fournier,  le 
billet  qui  nous  a  instruit  que  vous  suiviez  la  route  de 
Dijon ,  nous  étions  informés  qu'on  vous  conduisait  à 
Turin  ,  et  que  vous  deviez  être  enfermé  dans  une  espèce 
de  séminaire,  devenu  le  lieu  de  votre  réclusion.  J'ai  écrit 
à  Lyon  de  chercher  un  négociant  honnête  qui  vous  ferait 
tenir  par  son  correspondant  à  Turin  l'argent  dont  vous 
auriez  besoin,  en  m'engageant  à  le  rembourser. 

a  M.  et  Mme  d'Auteroche  sont  repartis  le  lendemain  de 
votre  départ.  On  le  leur  a  conseillé.  M.  d'Auteroche  a 


46  M.  ÉMERY 

réclamé  vos  papiers.  On  lui  a  tout  rendu,  excepté  les 
sermons  et  les  lettres ,  dont  on  a  fait  un  paquet  cacheté , 
qu'on  garde  au  dépôt. 

((  Il  est  inutile  de  vous  dire  la  désolation  de  Mlle  Jouen, 
de  M.  de  Crouseille  et  de  sa  tante,  etc.  La  désolation  est 
générale. 

((  L'auteur  du  fameux  roman  à'Atala  a  dit  qu'il  vous 
trouvait  bien  heureux,  et  qu'il  voudrait  être  à  votre  place. 
Effectivement,  aux  yeux  de  la  foi,  rien  de  plus  digne 
d'envie  que  votre  sort. 

((  Tout  le  Nouveau  Testament  est  plein  de  vérités  qui 
le  prouvent  :  vous  en  trouverez  un  grand  nombre  clans 
la  première  épître  de  saint  Pierre.  L'ouvrage  imprimé 
sous  le  règne  de  François  Ier  et  dédié  à  ce  prince,  qui 
vous  a  été  envoyé,  semble  fait  pour  vous.  Lisez  encore, 
à  la  fin  du  Paradisus,  le  Psautier  d'Horstius.  Le  capital 
pour  vous  est  de  ne  pas  laisser  échapper  cette  grâce. 

«  Je  crois  que  Dieu  vous  appelle  au  ministère  de  la 
chaire  :  suivez  donc  cette  vocation,  et  dirigez  vos  études 
de  ce  côté.  Si  vous  êtes  portée  de  lire  quelques  saints 
Pères,  lisez  les  discours  de  saint  Basile  et  ceux  de  saint 
Grégoire  de  Nazianze  :  ce  sont  deux  mines  que  l'on 
n'a  point  encore  assez  exploitées  ;  et  notez  toutes  les  sen- 
tences et  tous  les  traits  qui  pourraient  vous  servir  dans 
la  suite.  S'ils  sont  trop  longs,  contentez-vous  d'en  noter 
la  substance  et  l'endroit  du  livre.  Composez  même  dans 
votre  retraite,  mettez  par  écrit  votre  discours  projeté 
sur  la  Trinité.  Après  tout,  si  vous  manquez  de  livres, 
vous  aurez  toujours  une  Bible  :  lisez-la  attentivement  et 
d'un  bout  à  l'autre  ;  peut-être  que  cela  ne  vous  est  jamais 
arrivé. 

«  Disposez  tellement  votre  temps ,  qu'il  vous  en  reste 
la  plus  grande  partie  pour  la  prière  et  pour  l'étude.  Si 
vous  pouvez  débuter  par  une.retraite,  ce  serait  le  mieux; 
car  le  point  auquel  vous  devez  vous  attacher  davantage , 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  47 
c'est  à  former  votre  intérieur,  à  purifier  vos  intentions, 
et  à  n'avoir  point  d'autres  vues  que  la  gloire  de  Dieu  : 
Ne  forte,  cum  aliis  prxdicaveyim,  ipse  reprobus  effi- 
ciar. 

((  Rien  n'est  plus  dangereux  pour  un  prédicateur 
que  les  applaudissements;  et,  s'il  n'est  pas  un  homme 
intérieur,  un  homme  d'oraison,  il  est  fort  exposé  à  périr. 
Quand  nous  voyons  dans  l'Évangile  qu'au  jour  du  juge- 
ment des  hommes  diront  à  Notre -Seigneur  :  «  N'avons- 
«  nous  pas  chassé  les  démons  et  fait  des  prodiges  en  votre 
«  nom  ?»  et  que  Notre-Seigneur  leur  répondra  :  «  Je  ne 
((  vous  connais  pas;  retirez- vous,  ouvriers  d'iniquité!  » 
j'ai  toujours  cru  que  cela  devait  s'entendre  des  grands 
prédicateurs. 

((  Faites  donc  votre  capital  de  la  piété.  Vous  n'en  prê- 
cherez que  mieux  et  avec  plus  de  succès. 

ce  Je  vous  emhrasse  et  je  vous  recommande  à  la  grâce 
de  Dieu.  » 

VI.  —  Cinq  ans  plus  tard,  lorsque  la  Providence  appela 
M.  Fournier  à  l'épiscopat,  M.  Emery,  qui  portait  le  plus 
grand  intérêt  à  l'àme  de  son  ami,  lui  renouvela  ses 
conseils  paternels,  et  lui  écrivit  cette  lettre,  où  se  ré- 
vèlent encore  les  sentiments  si  chrétiens  et  les  fortes 
leçons  que  nous  venons  de  rappeler: 

«  Je  ne  vous  verrai  peut-être  pas  demain ,  mon  cher 
Fournier,  et  je  ne  veux  pas  tarder  à  vous  donner  quelques 
conseils.  Le  premier  et  le  plus  important  est  de  vous 
pénétrer  dès  à  présent  de  la  grandeur  de  votre  état,  des 
obligations  qu'il  vous  impose,  d'en  faire  l'objet  de  votre 
méditation  de  tous  les  jours,  de  toutes  les  heures,  et  de 
vous  rappeler  sans  cesse  cette  parole  de  saint  Paul  : 
Oportet  episcopum  irreprehensïbUem  esse...,  sobrium, 
prudentem^  omatum,  pudicum.  Souvenez-vous  que 
dès  à  présent  vous  allez  être  en  spectacle ,  et  par  consé- 


48  M.  ÉMERY 

quent  que  n'ayant  rien ,  par  la  miséricorde  de  Dieu , 
à  réformer  dans  le  fond  de  votre  conduite,  vous  devez 
réformer  dans  l'extérieur  tout  ce  qui  pourrait  donner  des 
impressions  moins  favorables.  Votre  gaieté,  surtout  à 
table,  paraît  trop.  Vous  voulez  plaisanter  sans  cesse, 
vous  dissertez  trop  sur  les  mets  qu'on  sert  à  table.  Ceux 
qui  ne  vous  connaissent  pas  croiraient  que  vous  êtes  un 
homme  de  bonne  chère.  Ce  n'est  de  votre  part  que  plai- 
santerie et  bonne  humeur.  Mais  je  sais  qu'on  ne  pense 
pas  toujours  de  même,  et  qu'à  Lyon  le  prédicateur  per- 
dit beaucoup  dans  ses  repas  et  dans  ses  sociétés  particu- 
lières. 

«  Je  crois  ne  devoir  pas  perdre  un  moment  pour  vous 
donner  cet  avis ,  puisque  vous  allez  être  invité  chez  les 
ministres.  Vous  ne  tarderez  pas  à  l'être  chez  M.  Camba- 
cérès,  qui  est  de  Montpellier,  et  vous  serez  très  observé. 
L'Apôtre  disait  à  Tite  ce  que  je  vous  répète  :  In  ow)>  Unis 
teipsum  prœbe  exemplum  bonorum  opemim,  in  do- 
ctrina  in  integritate,  in  gravitate ,  verbum  sanum, 
irreprehensibile. 

ce  Vous  savez  de  quel  esprit  et  de  quel  cœur  part  ce 
qui  précède.  » 

C'est  avec  cette  délicatesse  et  cette  autorité,  fortifiée  par 
la  parole  divine ,  que  M.  Emery  faisait  accepter  ses  con- 
seils et  dirigeait  les  âmes  sans  les  offenser. 

Après  de  longues  démarches,  toujours  infructueuses, 
M.  Émery  sut  intéresser  à  la  cause  de  M.  Fournier  un 
homme  qui  avait  un  grand  ascendant  sur  l'esprit  du  pre- 
mier consul  :  c'était  M.  Fesch,  archevêque  de  Lyon.  Le 
1er  janvier  1803,  M.  Fournier  apprenait  à  Turin,  où  il  avait 
été  envoyé  en  captivité  en  sortant  de  Bicêtre,  qu'il  était 
relevé  de  la  surveillance  de  la  police  et  mis  à  la  disposi- 
tion de  l'archevêque  de  Lyon.  En  lui  communiquant  lui- 
même  cette  nouvelle,  M.  Fesch  l'invitait  à  prêcher  le 


ET  L'ÉGLISE  DE  FR  \M:i:  49 

carême  dans  son  église  métropolitaine,  lui  exprimait  sa 
joie  d'une  délivrance  attendue  et  demandée  depuis  long- 
temps partons  ses  amis,  et  lui  envoyait  avec  une  délica- 
tesse touchante  les  fonds  nécessaires  pour  régler  ses 
comptes,  faire  son  voyage  et  s'installer  à  Lyon. 

«  J'ai  à  vous  apprendre,  Monsieur,  écrit  le  cardinal 
Fesch,  une  nouvelle  aussi  agréable  pour  moi  que  pour 
vous  :  c'est  celle  de  votre  mise  en  liberté,  que  je  tiens  de 
main  sûre.  Recevez  mes  félicitations  et  le  témoignage 
de  la  joie  que  j'en  éprouve.  Ainsi,  Monsieur,  vous  pour- 
rez rentrer  bientôt  dans  la  carrière  ouverte  à  vos  talents 
el  à  votre  zèle,  que  je  réclame  pour  mon  compte,  car 
j'espère  que  nous  aurons  le  plaisir  de  vous  entendre  dans 
l'église  métropolitaine  de  Lyon,  au  carême  prochain. 
A  moi,  je  m'en  réjouis,  appartiendra  l'avantage  de  vos 
succès  évangéliques.  Rendez- vous  ici  dès  que  vous  le 
pourrez ,  rien  ne  sera  plus  facile  que  de  vous  procurer 
de  Paris  vos  papiers  et  tout  ce  qui  vous  est  nécessaire.  Je 
pourvoirai  à  tout,  et  je  m'estimerai  heureux  de  vous 
donner  des  preuves  de  mes  sentiments  pour  vous.  C'est 
le  premier  consul  qui  m'écrit  d'avoir  à  ordonner  de  vous 
relever  de  la  surveillance  et  de  vous  mettre  à  ma  dispo- 
sition. Venez  donc,  Monsieur,  à  Lyon;  je  serai  enchanté 
de  faire  votre  connaissance.  Si  vous  manquez  d'argent, 
tâchez  d'en  trouver  à  Turin ,  et  je  m'en  charge.  Autre- 
ment, tirez  sur  moi  directement  et  écrivez-moi. 

«  f  Joseph  Fescii  ,  archev.  de  Lyon. 
«  Lyon,  11  nivôse  an  XI  (1er  janvier  1803).  » 


CHAPITRE  III 


LE   CONCORDAT  ET   LES   ARTICLES  ORGANIQUES 

I.  —  Pie  VII  avait  répondu  avec  empressement  à  l'in- 
vitation du  premier  consul ,  qui  voulait  régler  d'une 
manière  définitive  la  situation  de  l'Église  catholique  en 
France  et  fermer  l'ère  des  persécutions.  Un  grand  nombre 
d'évêques,  injustement  dépossédés  de  leur  siège  et  sous 
le  coup  des  plus  graves  menaces,  attendaient  encore  dans 
l'exil  le  jour  de  leur  délivrance.  Un  plus  grand  nombre 
de  prêtres,  malheureuses  victimes  de  la  fureur  révolu- 
tionnaire, expiaient  dans  des  cachots,  sur  des  pontons 
ou  sur  une  terre  cruelle ,  dans  des  îles  lointaines ,  leur 
fidélité  héroïque  à  la  cause  de  la  foi.  Les  églises  étaient 
ou  ruinées  ou  fermées.  Des  schismatiques  et  des  intrus, 
qui  portaient  à  leur  front  le  stigmate  de  leur  révolte  obs- 
tinée ,  cherchaient  à  égarer  les  fidèles  et  à  les  entretenir 
dans  le  schisme  :  l'exil  de  la  religion,  chassée  des  écoles, 
des  églises,  des  monastères,  du  gouvernement,  de  la 
nation  elle-même,  avait  permis  à  l'ignorance  et  à  l'in- 
crédulité brutale  de  s'emparer  des  places  abandonnées. 

Bonaparte,  maître  de  la  France  et  dominé  par  une 
pensée  politique ,  obéissait  encore  à  ses  tendances  auto- 
ritaires et  à  son  antipathie  pour  la  révolution ,  quand 
il  entreprit  de  relever,  avec  le  concours  du  chef  de 
l'Église  et  des  évêques  légitimes,  la  religion  vaincue  et 
chassée.  Les  perfides  le  pressaient  de  se  soustraire  à  cette 


M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  51 

influence  étrangère  ,  et  de  travailler,  à  l'exemple  de 
Henri  VIII,  roi  d'Angleterre,  à  la  fondation  d'une  Eglise 
nationale,  indépendante,  dont  il  aurait  la  direction  sou- 
veraine. Ce  réve  pouvait  flatter  l'ambition  du  premier 
consul,  mais  sa  haute  raison  dissipait  le  rêve;  il  savait 
bien  que  les  temps  étaient  changés,  que  la  nation  fran- 
çaise avait  un  tempérament  profondément  catholique, 
et  qu'une  entreprise  qui  aurait  pour  but  de  réaliser  la 
pensée  de  Henri  VIII  ou  le  réve  ambitieux  des  empe- 
reurs de  Russie  échouerait  misérablement  dans  l'im- 
puissance :  elle  ferait  des  martyrs  sans  donner  la  victoire 
aux  bourreaux. 

Il  fut  donc  sagement  inspiré  en  s'adressant  au  repré- 
sentant de  Jésus-Christ  sur  la  terre.  Le  5  octobre  de 
l'an  1800,  Msr  Spinaet  le  P.  Caselli,  servite,  théologien 
consommé,  arrivaient  à  Paris,  envoyés  par  Sa  Sainteté 
Pie  VII,  et  ouvraient  les  négociations  laborieuses  qui 
devaient  aboutir,  après  de  longs  débats,  au  Concordat 
de  4801. 

II.  —  Les  négociations  furent  menées  dans  un  pro- 
fond secret  :  ni  M.  Emery  ni  les  vicaires  généraux  de 
Paris  ne  furent  avertis  ou  consultés  sur  les  dispositions 
qui  étaient  l'objet  du  débat.  M.  Emery  le  déclare  formel- 
lement dans  cette  lettre  qu'il  adressait  en  1801  à  son 
ami  M.  de  Bausset,  évèque  d'Alais  : 

ce  Le  cardinal  Consalvi  est  parti.  J'ignore  les  condi- 
tions du  nouveau  Concordat.  Le  cœur  me  bat,  et  je 
crains  d'apprendre  en  même  temps  que  je  le  désire.  On 
attend  vers  le  milieu  du  mois  le  cardinal  légat.  On  le 
recevra  avec  des  honneurs  extraordinaires.  Le  jour  de 
son  arrivée,  il  couchera  chez  M*1*  Spina;  mais  le  lende- 
main il  occupera  l'hôtel  qu'on  lui  prépare.  » 

Bonaparte  avait  donné  sa  confiance  à  Talleyrand , 
ancien  évèque  d'Autun,  et  à  l'abbé  Bernier,  élève  autre- 


52  M.  ÉMERY 

fois  de  M.  Émery  au  séminaire  d'Angers.  Ils  reçurent 
l'ordre  d'entrer  en  conférence  avec  M»r  Spina. 

Bernier  était  un  homme  habile,  dévoré  d'ambition, 
peu  scrupuleux  dans  le  choix  des  moyens ,  plus  jaloux 
de  plaire  au  premier  consul  que  de  défendre  les  droits 
imprescriptibles  de  l'Église ,  ondoyant  et  souple ,  abon- 
dant et  vide,  habile  à  dissimuler  sa  pensée  sous  des 
formes  équivoques  de  langage,  et  convaincu  d'ailleurs, 
malgré  son  caractère  sacerdotal ,  que  la  conscience  d'un 
diplomate  est  toute  différente  de  la  conscience  d'un 
chrétien. 

Prêtre,  il  convoite  l'archevêché  de  Paris  et  le  cha- 
peau de  cardinal.  Son  plan  de  campagne  était  habile. 
Trop  jeune  encore  pour  occuper  le  siège  le  plus  impor- 
tant de  France ,  il  proposa  au  premier  consul  de  nom- 
mer à  l'archevêché  de  Paris  M.  de  Belloy,  évêque  de 
Marseille,  âgé  de  quatre-vingt-treize  ans,  avec  l'obli- 
gation de  le  prendre  lui-même  pour  coadjuteur.  Mais, 
en  montant  sur  le  siège  de  Paris ,  M.  de  Belloy  déclara 
que  son  grand  âge  lui  laissait  encore  assez  de  forces 
pour  gouverner  son  diocèse  sans  le  concours  d'un  coad- 
juteur. 

Trompé  dans  ses  premières  espérances,  Bernier  de- 
manda l'évêché  de  Versailles.  Mais  le  troisième  consul 
Lebrun  déjoua  ses  projets,  et  fit  nommer  à  sa  place  un 
ancien  membre  de  l'Assemblée  constituante,  son  ami, 
Charrier  de  la  Roche.  Bernier  n'avait  pas  renoncé  au 
chapeau  de  cardinal ,  qu'on  lui  avait  réservé  in  petto  ; 
mais  il  trompa  grossièrement  le  cardinal  Caprara,  en  lui 
certifiant,  contre  la  vérité,  que  les  évêques  constitu- 
tionnels nommés  à  différents  sièges  avaient  fait  en  sa 
présence  une  déclaration  de  soumission  après  laquelle 
le  pape  leur  envoya  des  bulles  d'institution  canonique. 
Pie  VII,  indigné  de  cette  supercherie,  refusa  de  donner 
le  chapeau  convoité.  Bernier  était  le  disciple  et  l'ami  de 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  53 

Talleyrand,  qui  lui  avait  ouvert  les  portes  de  la  cour. 

Au  début  de  sa  carrière  sacerdotale,  simple  curé  de 
Saint -Laud  d'Angers,  il  sert  et  il  trahit  successivement 
les  chefs  vendéens.  Sa  parole  ardente  et  pieuse  soulève 
les  paysans  du  Bocage,  qui  ont  conservé  un  respect  filial 
pour  l'autorité  religieuse  et  une  fidélité  inébranlable 
à  leurs  traditions  monarchiques.  En  1795,  pendant  qu'il 
sollicite  et  obtient  les  faveurs  des  chefs  de  la  résistance 
vendéenne  et  des  émigrés,  il  flatte  le  général  Hoche  et 
se  ménage,  quatre  ans  plus  tard,  la  protection  du  pre- 
mier consul ,  qu'il  présente  à  ses  amis  de  la  Vendée 
comme  un  général  favorable  au  retour  des  Bourbons  et 
au  rétablissement  de  la  religion  dans  le  pays. 

Dans  une  lettre  du  mois  de  décembre  1795,  le  général 
Hoche,  qui  avait  reçu  les  offres  de  service  de  cet  intri- 
gant à  la  poursuite  de  la  fortune,  décrivait  ainsi  son 
caractère  :  «  L'abbé  Bernier  est  un  prêtre  comme  il 
nous  en  faudrait  vingt  ici  :  il  n'a  pas  l'air  de  tenir  beau- 
coup au  parti  royaliste  qui  s'en  va...  Dans  une  circon- 
stance difficile,  je  pense  que  le  gouvernement  pourrait 
compter  sur  son  ambition  encore  plus  que  sur  son 
zèle.  )) 

Lorsque  les  évèques  et  les  prêtres  constitutionnels 
apprirent  l'arrivée  à  Paris  deMsr  Spina  et  l'ouverture  des 
négociations  diplomatiques  avec  le  saint-siège,  ils  éprou- 
vèrent de  vives  alarmes,  et,  encouragés  par  Fouché, 
qui  se  servait  de  leur  résistance  schismatique  et  de  leurs 
menaces  de  révolte  pour  contrarier  les  résolutions  de 
l'envoyé  de  Rome,  ils  s'efTorcèrent  d'organiser  sur  une 
base  nouvelle  et  plus  solide  une  Eglise  gallicane  :  ils 
voulaient  défendre  et  conserver  à  tout  prix  les  titres 
épiscopaux  dont  ils  s'étaient  emparés  à  la  faveur  du 
trouble  et  du  désordre  des  plus  mauvais  jours  de  la 
révolution.  Ils  craignaient  un  blâme  sévère  et  reten- 
tissant du  chef  de  l'Église  contre  leur  conduite  et  leur 


54  M.  ÉMEHY 

obstination  criminelle  dans  l'orgueil  et  dans  la  révolte; 
ils  prévoyaient  avec  une  inquiétude  jalouse  et  malveil- 
lante le  retour  en  France  des  évèques ,  fidèles  à  la  foi 
chrétienne  et  aux  promesses  de  leur  sacerdoce,  qui 
avaient  préféré  l'incertitude  et  les  douleurs  de  l'exil  à  la 
trahison  récompensée  par  des  faveurs  politiques. 

Ils  sentaient  bien  que  la  présence  de  ces  témoins  de 
la  foi  deviendrait  une  protestation  contre  leur  lâcheté 
ambitieuse  :  ils  s'empressèrent  de  nommer  de  nouveaux 
évèques  schismatiques  dans  le  Calvados,  dans  l'Eure, 
dans  la  Seine -Inférieure,  dans  les  Hautes -Alpes,  la 
Meurthe  et  le  Nord;  ils  organisèrent  des  conférences 
ecclésiastiques,  des  synodes  ruraux  et  diocésains,  des 
conciles  provinciaux,  et  ils  s'occupèrent  de  la  convoca- 
tion d'un  concile  national. 

Irrités  de  l'influence  incontestée  et  de  la  résistance 
courageuse  de  M.  Émery,  ils  croyaient  reconnaître  son 
action  secrète  dans  les  conférences  diplomatiques  de 
Bernier,  son  ancien  élève ,  avec  Msr  Spina ,  et  ils  l'atta- 
quaient avec  une  extrême  violence  dans  les  Annales  de 
la  religion.  Un  constitutionnel  terminait  un  long  article 
contre  M.  Émery  en  disant  «  qu'il  fallait  que  le  gouver- 
nement fût  bien  indulgent  pour  ne  pas  forcer  dans  leurs 
derniers  retranchements  ces  hommes  réfractaires,  qui 
étaient  ses  ennemis  les  plus  implacables1  ». 

Dans  un  autre  article,  Morissot,  ancien  intendant  des 
îles,  proposait  de  déporter  dans  l'État  romain  l'évèque 
de  Saint -Papoul,  les  grands  vicaires  de  Paris,  de  Mala- 
ret,  de  Dampierre,  Émery,  et  antres  dévoués  embau- 
choirs pour  le  jjape. 

Cependant,  si  M.  Émery  était  inébranlable  dans  la 
fidélité  de  son  attachement  à  la  chaire  de  Pierre,  il  ne 
manquait  ni  de  charité  ni  de  condescendance  à  l'égard 

1  Annales,  t.  X,  p._45i. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  55 

des  constitutionnels  ;  il  accueillait  même  avec  une  joie 
i  touchante  les  témoignages  de  la  miséricorde  du  saint- 
père  envers  ses  frères  séparés. 

((  Ce  que  vous  ne  savez  pas  encore,  écrivait-il  à  M.  de 
Bausset,  c'est  que  le  pape  a  écrit  à  Msr  Spina  un  bref 
que  celui-ci  a  fait  imprimer  très  secrètement,  et  que  j'ai 
lu  ,  dans  lequel  il  lui  enjoint  de  faire  connaître  aux 
évèques  constitutionnels  qu'il  est  très  bien  disposé  à  les 
admettre  à  la  réconciliation ,  et  il  les  y  engage  par  les 
!  motifs  les  plus  touchants.  Il  ne  propose  d'autre  condition 
que  la  déclaration  de  soumission  aux  jugements  et  brefs 
de  Pie  VI  sur  les  affaires  ecclésiastiques  de  France  et 
l'abandon  de  leurs  sièges.  Il  n'est  question  là  ni  de 
délais  ni  de  pénitence.  Aussi  vous  voyez  que  le  conseil 
j  de  Paris  a  donc  parfaitement  deviné  et  rempli  les  inten- 
i  tions  du  saint-sièore  dans  sa  facilité  à  réconcilier  les 
constitutionnels  1 .  » 

III.  —  Le  premier  projet  de  Concordat  élaboré  par 
Bernier  et  proposé  à  Msr  Spina  fut  envoyé  à  Rome, 
soumis  à  l'examen  d'une  commission  nommée  par 
Pie  VII,  corrigé,  modifié  sur  des  points  fondamentaux, 
et  renvoyé  à  Msr  Spina ,  avec  l'autorisation  de  le  signer, 
s'il  était  accepté  par  le  gouvernement  français. 

Le  29  mai  1801,  le  pape  était  informé  officiellement 
que  toutes  ses  prépositions  étaient  rejetées,  et  que  si  le 
projet  envoyé  de  Paris  n'était  pas  intégralement  accepté, 
I  les  négociations  seraient  rompues,  et  l'envoyé  français 
auprès  du  saint-siège,  M.  Cacault,  rappelé  auprès  du 
général  Murât,  commandant  en  chef  de  l'armée  d'Italie. 

En  présence  de  ces  menaces,  Pie  VII  prit  l'avis  d'une 
congrégation  générale  de  cardinaux  réunis  dans  ses 
appartements,  et  envoya  à  Paris  le  cardinal  Consalvi, 


1  Lettre  du  3  octobre  1801. 


56  M.  ÉMERY 

secrétaire  d'État,  avec  la  mission  de  défendre  les  droits 
du  saint-siège,  et  d'obtenir  de  la  sagesse  de  Bonaparte 
un  Concordat  plus  conforme  aux  principes  immuables  de 
la  religion  catholique. 

Le  20  juin  1801 ,  Consalvi  arriva  à  Paris,  et  descendit 
à  Yauberge  de  Rome,  rue  Saint-Dominique,  où  il  ren- 
contra M8'r  Spina  et  l'ancien  supérieur  général  des 
servites,  le  théologien  Caselli.  Le  22  juin,  il  eut  une 
audience  de  Bonaparte  aux  Tuileries ,  et  le  23 ,  Berniei 
reprenait  officiellement,  avec  le  plénipotentiaire  du  pape, 
les  négociations  suspendues. 

«  Après  vingt -cinq  jours  d'indicibles  fatigues  et  d'an- 
goisses de  tout  genre ,  écrit  Consalvi 1 ,  toutes  les  diffi- 
cultés paraissaient  levées  :  le  rendez -vous  pour  la  signa- 
ture fut  pris  chez  Joseph  Bonaparte  (le  13  juillet  1801). 

((  Quelle  fut  ma  surprise,  quand  je  vis  l'abbé  Berniei 
m'offrir  la  copie  qu'il  avait  tirée  de  son  rouleau,  comme 
pour  me  la  faire  signer  sans  examen,  et  qu'en  y  jetanl 
les  yeux  afin  de  m'assurer  de  son  exactitude,  je  m'aper- 
çus que  ce  traité  ecclésiastique  n'était  pas  celui  dont  les 
commissaires  respectifs  étaient  convenus  entre  eux,  donl 
était  convenu  le  premier  consul  lui-même,  mais  untoul 
autre  !  La  différence  des  premières  lignes  me  fit  exami- 
ner tout  le  reste  avec  le  soin  le  plus  scrupuleux ,  et  j< 
m'assurai  que  cet  exemplaire  non  seulement  contenail 
le  projet  que  le  pape  avait  refusé  d'accepter  sans  ses 
corrections,  et  dont  le  refus  avait  été  cause  de  l'ordre 
intimé  à  l'agent  français  de  quitter  Borne,  mais  en 
outre  qu'il  le  modifiait  en  plusieurs  endroits  :  car  on 
y  avait  inséré  certains  points  rejetés  comme  inadmis 
sibles  avant  que  le  projet  eût  été  envoyé  à  Borne.  » 

Bernier  avait  suivi  les  ordres  de  Bonaparte,  et  pré- 
senté à  la  signature  du  plénipotentiaire  du  pape  ui 


1  Consalvi,  Mémoires,  t.  Ier,  p.  3G3. 


ET  L'ÉfiLISE  DE  FRANGE  57 

concordat  dont  il  n'avait  pas  été  question.  Le  fait  essen- 
tiel affirmé  par  Consalvi  est  contredit  par  ce  témoignage 
de  Theiner  :  «  On  rédigea  dans  la  secrétairerie  d'Etat, 
en  toute  hâte ,  dans  la  journée  du  12  au  13,  un  nouveau 
projet  de  Concordat,  et  ou  obligea  en  quelque  sorte  le 
premier  consul  de  le  présenter  comme  ultimatum  de 
la  république  aux  commissaires  du  saint -siège  pour  la 
signature,  sous  la  menace,  ou  de  l'accepter  tel  qu'il 
était,  ou  de  renoncer  pour  toujours  à  toute  négociation 
sur  ce  sujet.  Bernier,  le  confident  de  Bonaparte,  et  évi- 
demment sous  son  inspiration,  avait  de  bon  matin, 
avant  la  réunion  du  congrès  de  la  signature,  informé 
Consalvi  de  ce  changement  inattendu,  en  lui  faisant 
pourtant  espérer  que  l'affaire  réussirait  tout  de  morne 
malgré  ce  fâcheux  incident,  et  que  le  Concordat  serait 
confirmé  *.  » 

Ce  n'était  pas  sous  la  pression  du  Corps  législatif  que 


1  Theinor,  les  Deux  Concordats,  t.  Ier,  p.  232.  L'impartialité 
nous  fait  un  devoir  de  reproduire  ici  une  observation  du  R,  P.  Des- 
jardins : 

«  Il  est  difficile  de  concilier  les  Mémoires  de  Consalvi  avec  les 
dépêches  officielles.  Cependant  les  faits,  tels  qu'ils  sont  racontés 
dans  les  Mémoires,  sont  de  telle  nature  qu'il  est  impossible  de 
supposer  un  oubli  de  la  part  du  cardinal,  même  après  un  inter- 
valle de  douze  ans.  D'autant  que  dans  son  récit  le  cardinal  insiste 
très  fortement  et  à  plusieurs  reprises  sur  l'odieux  de  ce  procédé. 
Il  faut  donc,  ou  que  les  Mémoires  soient  fabriqués  ou  interpolés, 
ce  que  Theiner  insinue  plus  d'une  fois,  ou  que  les  dépêches  ofli- 
cielles,  par  prudence,  aient  adouci  cet  épisode,  ou  que  ces  mêmes 
dépèches  aient  subi  des  altérations.  Cette  dernière  hypothèse  est- 
elle  absolument  invraisemblable?  Il  faut  remarquer  que  tous  les 
papiers  relatifs  au  Concordat,  qui  étaient  conservés  à  Rome, 
furent  enlevés,  transportés  à  Paris,  et  déposés  aux  archives  du 
ministère  des  affaires  étrangères,  lors  de  l'invasion  de  Rome 
en  1809;  que  ces  archives  sont  soigneusement  fermées;  que  seul 
le  P.  Theiner  a  eu  communication  de  ces  pièces  par  ordre  de 
ceux  qui  étaient  intéressés  à  couvrir  d'un  voile  impénétrable  les 
agissements  de  l'empereur;  enfin  que  le  P.  Theiner  est  loin  de 
mériter  la  confiance  aveugle  de  ses  lecteurs.  » 


58  M.  ÉMERY 

Bonaparte  avait  retiré  le  projet  de  Concordat  reconnu 
par  Consalvi  :  sa  nature  impérieuse  était  rebelle  à  toute 
pression  comme  à  toute  influence  ;  il  faisait  ce  qu'il  vou- 
lait, et  il  imposait  sa  volonté. 

La  convention  présentée  par  Bernier  n'avait  pas  été 
rédigée  à  la  hâte  et  sans  réflexion  ;  c'était  le  projet 
de  convention  qui  avait  été  déjà  envoyé  au  pape  par 
M?r  Spina,  et  refusé  comme  contraire  aux  lois  de  l'Église. 
Bonaparte  avait  une  pensée  arrêtée  depuis  longtemps  ; 
déjoué  par  la  prudence  de  Consalvi,  dans  cette  mémo- 
rable conférence  du  13  juillet,  il  maintint  ses  préten- 
tions, et  imposa  à  l'Eglise  de  France,  sous  le  nom 
d'Articles  organiques ,  les  dispositions  qui  avaient 
provoqué  le  refus  et  les  protestations  de  Consalvi  et  de 
Pie  VII. 

Bonaparte,  irrité  de  la  résistance  de  Consalvi ,  déchira 
le  projet  de  Concordat  qu'il  avait  remis  à  Bernier,  menaça 
le  représentant  du  pape  de  détacher  la  France  du  siège 
de  Pierre,  et  de  fonder,  à  l'exemple  de  Henri  VIII,  une 
Eglise  indépendante  et  nationale. 

Une  troisième  fois  cependant,  les  commissaires  de 
Pie  VII  et  du  premier  consul  essayèrent  de  s'entendre. 
Après  une  discussion  qui  dura  onze  heures  et  prit  fin 
à  minuit,  le  16  juillet  1801,  Consalvi,  Joseph  Bona- 
parte, Spina,  Crétet,  Caselli  et  Bernier  signèrent  enfin 
l'instrument  du  traité. 

IV.  —  Le  Concordat  fut  un  acte  de  justice  etde  haute 
sagesse:  il  rendit  au  clergé  la  liberté,  à  la  religion  les 
temples  dévastés.  A  ce  moment  douloureux  de  notre 
histoire,  les  évêques  étaient  encore  exilés,  les  prêtres 
déportés;  les  fidèles  qui  n'avaient  pas  été  séduits  et 
entraînés  par  l'impiété  sauvage  de  la  France  étaient 
privés  de  secours  religieux  ou  menacés  de  mort  dans 
l'expression  téméraire  de  leurs  regrets;  les  églises  étaient 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  D9 

fermées  ou  livrées  aux  schématiques;  quelques  prêtres 
courageux,  oubliés  par  la  persécution  ,  cachés  clans  des 
caves,  dans  des  greniers,  dans  des  souterrains,  bra- 
vaient la  mort  et  célébraient  secrètement  les  saints  mys- 
tères, tandis  que  les  fidèles  montaient  le  guet  et  obser- 
vaient avec  terreur  les  mouvements  du  dehors  ;  les 
enfants,  comme  le  témoignent  les  rapports  des  conseils 
généraux  en  l'année  1800,  «  n'avaient  plus  la  notion  du 
juste  et  de  l'injuste,  et  trahissaient  déjà  des  mœurs  sau- 
vages et  farouches.  »  Tel  était  l'état  de  ('Église  de 
France,  nous  n'avons  pas  le  droit  de  l'oublier. 

Après  le  18  brumaire,  il  y  eut  sans  doute  un  temps 
d'arrêt  dans  la  persécution,  un  mouvement  prononcé 
vers  le  rétablissement  du  culte  religieux.  Les  fidèles 
furent  témoins  de  la  réouverture  des  églises,  de  la  rétrac- 
tation d'un  certain  nombre  de  prêtres  constitutionnels, 
de  la  fondation  de  plus  de  deux  cents  oratoires  parti- 
culiers, du  retour  en  France  et  dans  leurs  diocèses  de 
quelques  évèques  émigrés ,  de  la  célébration  publique 
des  offices  religieux,  d'une  manifestation  éclatante  et 
soudaine  de  la  vie  catholique  longtemps  étouffée.  Mais 
ce  réveil  religieux  dépendait  de  la  volonté  du  premier 
consul  et  de  son  bon  plaisir.  Il  pouvait  invoquer  les 
lois  de  la  révolution,  s'armer  des  décrets  qui  n'avaient 
pas  été  rapportés,  renouveler  la  persécution  religieuse, 
et  continuer,  avec  l'appui  résolu  des  hommes  les  plus 
exaltés,  l'œuvre  impie  de  la  Convention  et  du  Direc- 
toire. 

Le  Concordat  ne  laissait  plus  de  place  à  l'arbitraire; 
il  était  la  consécration  officielle,  la  reconnaissance  pu- 
blique des  droits  imprescriptibles  de  la  religion  catho- 
lique, et  tout  fidèle  doit  répéter  cette  parole  de  M*?  Pie, 
évêque  de  Poitiers  : 

ce  Qui  de  nous  ne  bénirait  ce  précieux  Concordât,  qui 
a  été,  pour  tout  un  demi-siècle  déjà,  le  point  de  départ 


60  M.  ÉMERY 

de  tout  ce  travail ,  de  tout  ce  mouvement  religieux  dont 
s'étonnera  la  postérité  1  !  » 

Après  le  Concordat  ,  les  évêques  honorés  rentrent 
dans  leurs  diocèses,  les  prêtres  sortent  des  périls  et  des 
privations  cruelles  de  leurs  retraites  aussi  dures  que  îa 
prison;  les  églises  s'ouvrent  à  la  pompe  joyeuse  des 
cérémonies  chrétiennes,  les  enfants  et  les  fidèles  re- 
prennent le  chemin  du  sanctuaire,  et  retrouvent,  avec 
la  liberté  de  témoigner  hautement  leur  foi,  la  paix  et 
la  sécurité  que  dix  années  de  persécution  leur  avaient 
rendues  plus  chères. 

On  a  prétendu  de  nos  jours ,  en  s'autorisant  d'un 
témoignage  de  M.  Le  Goz ,  évêque  de  Rennes  en  1797 , 
et  d'un  passage  des  Annales  catholiques,  du  3  juin  1797, 
qu'antérieurement  au  Concordat  et  sous  l'impulsion  cou- 
rageuse de  la  foi ,  quarante  mille  communes  avaient 
repris  l'exercice  du  culte,  et  certains  historiens  en  ont 
conclu  que  le  Concordat  n'avait  pas  eu  l'importance  reli- 
gieuse, les  résultats  considérables  et  consolants  dont  on 
lui  fait  honneur. 

Mais  ces  allégations  gratuites  tombent  devant  les  faits. 

M.  Le  Coz,  évêque  de  Rennes,  appartenait  à  l'Eglise 
constitutionnelle;  il  avait  prêté  serment  de  fidélité  à  la 
constitution  civile  du  clergé,  et  les  Annales  catholiques, 
dont  on  invoque  le  témoignage,  recevaient  ses  commu- 
nications officielles  et  ses  affirmations  intéressées. 

Qu'il  y  ait  eu,  à  cette  époque,  des  églises  schisma- 
tiques  ouvertes  aux  fidèles  et  protégées  par  le  pouvoir 
révolutionnaire,  c'est  possible;  mais  les  prêtres  et  les 
évêques  assermentés  n'étaient  pas  catholiques,  la  tolé- 
rance facile  dont  ils  étaient  l'objet  n'est  pas  une  preuve 
en  faveur  de  la  liberté  de  la  foi. 

D'ailleurs,  en  1797,  à  l'époque  rappelée  par  M.  Le  Coz 

1  Œuvres  de  3/u>  Pie,  t.  !•«•,  p.  210. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  01 

[et  par  les  Annales  catholique* ,  la  réaction  thermido- 
rienne avait  suspendu  un  instant  les  rigueurs  révolu- 
tionnaires contre  le  clergé  catholique.  Mais  la  trêve  ne 
fut  pas  de  longue  durée.  Après  le  coup  d'État  du  18  fruc- 
tidor, la  persécution  recommença  plus  violente  et  plus 
I sauvage;  elle  devint  horrible,  et  dans  la  Belgique  seu- 
lement, plus  de  neuf  mille  prêtres  furent  déportés.  Elle 
[continua  jusqu'au  moment  où  le  Concordat  releva  les 
ruines  amoncelées  par  la  tempête  de  la  révolution. 

((  On  comptait  en  France,  avant  la  révolution,  de 
[! quarante -quatre à  quarante -cinq  mille  curés,  écrit  l'au- 
teur des  Lettres  de  Londres  ;  il  y  avait  aussi  des  vicaires, 
des  prêtres  habitués  de  paroisses,  des  églises  collégiales, 
des  ordres  religieux,  qui  tous  assistaient  les  pasteurs: 
les  ordinations  étaient  annuelles  dans  chaque  diocèse , 
et  dans  plusieurs  se  renouvelaient  cinq  fois  l'an  ;  et 
même  alors,  dans  beaucoup  de  cantons,  le  même  prêtre 
était  obligé  de  desservir  deux  paroisses,  et  avait  la  per- 
mission de  dire  le  même  jour  deux  messes  dans  deux 
endroits  différents. 

«  Aujourd'hui,  en  1801,  les  deux  tiers  de  ce  clergé 
ont  été  martyrisés  ou  exilés;  les  chapitres,  les  ordres 
religieux  sont  détruits,  les  ordinations  sont  nulles  dans 
la  presque  totalité  de  la  France.  Ce  qui  reste  d'ouvriers 
évangéliques  est  divisé  par  le  schisme  ;  une  partie  est 
réduite  à  l'inactivité  par  le  refus  de  la  promesse  :  tous 
les  jours  il  meurt  des  prêtres  et  il  nait  des  hommes. 
Finissons  ce  tableau,  Monsieur,  et  demandons -nous  ce 
que  devient  la  religion  1 .  » 

V.  — Le  5  avril  1802,  Portalis,  chargé  des  affaires 
du  culte,  présentaau  Corps  législatif,  en  séance  publique, 
la  convention  faite  entre  le  saint-siège  et  le  gouverne- 

1  Troisième  lettre  au  rédacteur  du  Courrier  de  Londres.  Mer- 
credi, 30  septembre  1801. 

2* 


02  M.  ÉMERY 

ment  français.  Il  connaissait  cette  assemblée  composée 
d'incrédules,  d'impies,  d'ennemis  implacables  de  toute 
religion  ;  il  savait  qu'elle  voyait  avec  amertume  et  colère 
Bonaparte  engager  des  négociations  avec  le  saint- siège. 
Voulant,  par  une  précaution  oratoire,  apaiser  son  ressen- 
timent et  gagner  sa  confiance,  il  prononça  un  discours 
peu  conforme  à  la  foi  et  aux  droits  imprescriptibles  de 
l'Église  catholique  ;  il  lut  ensuite  à  haute  voix  le  Con- 
cordat, dont  il  avait  eu  soin  de  traduire  en  français , 
sur  l'ordre  de  Bonaparte ,  les  articles  plus  favorables  à 
l'autorité  civile  qu'à  la  puissance  pontificale,  et  il  finit 
sa  lecture  en  proposant  au  vote  de  l'assemblée  comme 
une  pièce  agréée  par  les  deux  contractants,  et  dans  son 
intégrité,  le  Concordat,  avec  les  soixante -dix- sept 
articles  organiques ,  que  le  pape  n'avait  ni  ratifiés  ni 
connus. 

Un  jeune  prêtre  d'un  rare  mérite,  l'abbé  Le  Sure, 
nommé  plus  tard  vicaire  général  de  Rouen,  fut  choisi 
à  cette  époque  par  son  ancien  supérieur  M.  Émery,  et 
accepté  sous  son  patronage  et  avec  sa  recommandation, 
en  qualité  de  commissaire  français,  par  le  cardinal  Ca- 
prara,  légat  a  latere  du  saint -siège,  chargé  d'assurer 
l'exécution  du  Concordat.  M.  Lesure  était  l'élève  de  pré- 
dilection de  M.  Émery;  il  suivit  ses  conseils  avec  une 
docilité  filiale  dans  l'accomplissement  de  fonctions  qui 
commandaient  une  grande  délicatesse  et  une  rare  dis- 
crétion. Il  informait  M.  Émery  des  nouvelles  importantes 
qui  arrivaient  de  Rome  à  Paris,  et  il  communiquait  à 
Son  Éminence  le  cardinal  Caprara  les  nouvelles  ecclé- 
siastiques de  France,  que  M.  Émery  se  faisait  un  devoir 
de  lui  signaler. 

M.  Le  Sure  était  dans  son  cabinet  de  travail,  lorsqu'un 
libraire  de  Paris,  Adrien  Leclère,  lui  apporta  un  exem- 
plaire imprimé  du  Concordat,  suivi  des  articles  orga- 
niques. A  cette  lecture  il  fut  consterné.  Il  se  rendit 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  63 

immédiatement  chez  le  cardinal  Caprara,  et  demanda  à 
Son  Érninence  si  elle  était  informée  de  l'impression  et 
de  la  publication  officielle  de  ce  document. 

c  C'est  la  première  fois  que  j'en  entends  parler,  répond 
le  cardinal,  je  ne  peux  pas  y  croire,  b 

M.  Le  Sure  fit  observer  que  le  gouvernement  voulait 
tromper  l'Église  de  France  en  lui  faisant  accroire  que 
ces  articles  organiques  avaient  été  ratifiés  par  le  saint- 
siège;  que  déjà  même  un  évèque,  victime  de  cette  ma- 
nœuvre, avait  exigé  l'adhésion  de  son  clergé  à  cette 
pièce  apocryphe,  et  qu'il  était  peut-être  nécessaire  d'avi- 
ser. 11  éclairait  les  évèques  et  déjouait  les  calculs  du 
gouvernement,  servi  dans  cette  circonstance  avec  une 
complaisance  inqualifiable  par  l'abbé  Dernier. 

Les  faits  confirmaient  les  appréhensions  de  M.  Le  Sure. 
Ainsi,  le  18  germinal,  Lucien  Bonaparte,  orateur  du 
Tribunat,  disait  en  présence  du  Corps  législatif,  dans 
une  séance  publique  : 

a  Le  gouvernement  doit  tous  ses  soins  au  rétablisse- 
ment de  la  religion.  Cette  vérité  reconnue  nous  impose 
le  devoir  d'organiser  publiquement  le  culte  catholique  et 
les  cultes  protestants  ;  le  projet  de  loi  atteint  ce  double 
but. 

«  Il  est  composé  d'un  Concordat  fait  avec  le  chef  de 
l'Église  romaine  et  d'articles  réglementaires  sur  les 
diverses  communions  protestantes.  » 

Et,  le  18  avril  180-2,  Bonaparte  terminait  ainsi  une 
proclamation  à  la  France  : 

a.  II  fallait  rasseoir  la  religion  sur  sa  base,  et  on  ne 
pouvait  le  faire  que  par  des  mesures  adoptées  par  la 
religion  même. 

«  C'était  au  souverain  pontife  que  l'exemple  des 
siècles  et  la  raison  même  commandaient  de  recourir 
pour  rapprocher  les  opinions  et  réconcilier  les  cœurs. 

«  Le  chef  de  l'Église  a  pesé  dans  sa  sagesse,  et  dans 


64  M.  ÉMERY 

l'intérêt  de  l'Eglise,  les  propositions  que  l'intérêt  de 
l'État  avait  dictées  ;  sa  voix  s'est  fait  entendre  aux  pas- 
teurs; ce  qu'il  approuve,  le  gouvernement  la  consenti, 
et  ses  législateurs  en  ont  fait  une  loi  de  la  république.  » 

L'opinion  publique  en  France  et  en  Allemagne  fut 
trompée  par  ces  paroles  de  Bonaparte,  qui  plaçait  le 
Concordat  et  les  articles  organiques  sous  l'autorité  même 
du  souverain  pontife  ;  trompée  aussi  par  le  conseiller 
d'État  Portalis,  qui  avait  déclaré  publiquement  et  avec 
insistance  que  ces  articles,  inséparables  du  Concordat, 
avaient  été  également  soumis  à  l'approbation  du  Corps 
législatif.  Il  était  urgent  de  signaler  et  de  combattre 
une  erreur  qui  compromettait  d'une  manière  si  grave 
les  droits  essentiels  du  saint- siège  et  l'indépendance 
même  de  l'Église  catliolique  dans  le  pays. 

Des  protestations  ne  pouvaient  manquer  de  se  faire 
entendre  :  elles  étaient  commandées  par  la  dignité  de 
l'Église  et  par  les  principes  naturels  de  la  bonne  foi. 

Le  12  mai  1802,  M.  Cacault,  ministre  de  France  à 
Rome ,  écrit  officiellement  à  Portalis  : 

((  Le  saint-père  m'a  parlé  des  articles  organiques  ;  il 
est  très  affecté  de  voir  que  leur  publication,  coïncidant 
avec  celle  du  Concordat ,  a  fait  croire  au  public  que  Rome 
avait  concouru  à  cet  autre  travail.  » 

Le  24  mai  de  la  même  année ,  six  semaines  après  la 
promulgation  des  articles  organiques,  Pie  VII  renou- 
velle publiquement  et  avec  douleur  sa  protestation  '. 

Le  9  avril  1.802 ,  Bonaparte  se  préparait  à  recevoir  en 
audience  solennelle  le  légat  et  toute  sa  suite,  pour  la 
prestation  d'un  serment  qui  était  la  consécration  ou  la 
reconnaissance  officielle  des  articles  organiques  annexés 
au  Concordat.  Les  carrosses  de  la  cour,  dit  l'abbé  LeSure, 
entourés  d'une  brillante  escorte,  attendaient  le  légat  au 


1  Allocution  Quam  luctuosam. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  05 

bas  de  l'escalier,  lorsque  Portalis  entra  dans  le  salon 
ioù  le  cardinal  et  sa  suite  étaient  réunis,  et  pria  Son 
Éminence  de  prononcer  devant  le  consul  la  formule  du 
serment  dont  il  lui  donna  copie. 

Le  cardinal,  après  en  avoir  pris  connaissance,  déclara 
nettement  qu'il  s'en  tiendrait  à  la  formule  ordinaire. 
Portalis  insista,  mais  inutilement.  Fatigué  enfin  de  la 
persévérance  du  légat,  il  se  retira  en  lui  disant  : 

«  Dites  votre  Pater,  si  vous  le  voulez.  » 

Arrivé  aux  Tuileries,  le  légat  prêta  le  serment  ordi- 
naire comme  il  l'avait  annoncé,  et  le  Moniteur,  n'en 
tenant  aucun  compte,  déclara  que  Son  Eminence  avait 
prêté  le  serment  tel  que  le  voulait  Portalis. 

Les  protestations  continuent.  Le  25  mai  1802,  Consalvi, 
cardinal  secrétaire  d'Etat,  qui  avait  négocié  le  Concordat, 
adresse  officiellement  au  gouvernement  français,  par 
l'intermédiaire  de  M.  Cacault,  une  protestation  qui  se 
terminait  par  ces  mots  : 

«  Le  soussigné  entend  parler,  et  toujours  par  ordre 
de  Sa  Sainteté,  des  articles  organiques  qui,  inconnus 
à  Sa  Sainteté,  ont  été  publiés  avec  les  dix -sept  articles 
du  Concordat,  comme  s'ils  en  faisaient  partie,  ce  que 
l'on  croit  d'après  la  date  et  le  mode  de  publication.  » 

Le  7  juin  1802,  le  légat  disait  au  premier  consul  : 

«  Je  pleure  quand  je  songe  à  ces  lois  :  elles  foulent 
complètement  aux  pieds  les  principes  et  les  maximes 
canoniques;  elles  tendent  à  réduire  l'Eglise  et  ses  mi- 
nistres à  un  véritable  esclavage.  » 

Il  proteste  encore  officiellement  en  1803 1  ;  et  le 
18  août  de  cette  même  année,  par  ordre  du  saint-père, 
le  cardinal  légat  adresse  à  Talleyrand  une  réclamation 
officielle,  dans  laquelle  nous  lisons  cette  affirmation 
décisive  : 

1  Cette  protestation  fut  publiée  pour  la  première  fois,  en  1S40, 
dans  Y  Ami  de  la  religion,  t.  CVI,  p.  33-65. 


66  M.  ÉMERY 

((  Je  suis  chargé  de  réclamer  contre  cette  partie  de  la 
loi  du  18  germinal,  que  l'on  a  désignée  sous  le  nom 
d'articles  organiques.  La  qualification  que  l'on  donne 
à  ces  articles  paraîtrait  d'abord  supposer  qu'ils  ne  sont 
que  la  suite  naturelle  et  l'explication  du  Concordat 
religieux  ;  cependant  il  est  de  fait  qu'ils  n'ont  point  été 
concertés  avec  le  saint -siège,  qu'ils  ont  une  extension 
plus  grande  que  le  Concordat,  et  qu'ils  établissent  en 
France  un  code  ecclésiastique  sans  le  concours  du  saint- 
siège.  Comment  Sa  Sainteté  pourrait-elle  l'admettre, 
n'ayant  pas  même  été  invitée  à  l'examiner?  » 

Le  10  juin  1809,  dans  la  bulle  d'excommunication 
Quum  memorandœ,  Pie  VII  se  plaint  de  nouveau  «  qu'en 
proclamant  le  Concordat ,  on  y  ait  ajouté  plusieurs 
articles  dont  nous  n'avons  pas  eu  connaissance,  et  que 
nous  avons  sur-le-champ  désapprouvés.  En  effet,  ces 
articles  non  seulement  ôtent  au  culte  catholique  dans 
l'exercice  de  ses  principales  et  plus  importantes  fonc- 
tions une  liberté  qui ,  dès  le  commencement  des  négo- 
ciations, avait  été  déclarée  et  solennellement  jurée 
comme  la  base  et  le  fondement  de  ce  Concordat,  mais 
encore  quelques-uns  attaquent  de  front  la  doctrine  même 
de  l'Évangile.  » 

Et  quand  il  fut  question,  en  1817,  d'un  nouveau  traité 
entre  Pie  VII  et  Louis  XVIII,  les  négociateurs  rédi- 
gèrent un  article  en  ces  termes ,  cà  la  demande  expresse 
du  saint  -  siège  : 

«  Les  articles  organiques  qui  furent  faits  à  l'insu  de 
Sa  Sainteté,  et  publiés  sans  son  aveu  le  18  avril  1802, 
en  même  temps  que  le  Concordat  du  15  juillet  1801, 
sont  abrogés  en  ce  qu'ils  ont  de  contraire  à  la  discipline 
et  aux  lois  de  l'Église.  » 

Il  est  donc  impossible  de  se  tromper  sur  la  pensée  du 
saint-siège  et  sur  l'origine  des  articles  annexés  fraudu- 
leusement au  Concordat. 


ET  LÉGLISÈ  DE  FRANCE  67 

Un  historien  que  Ton  n'accusera  pas  de  flatterie  à 
l'égard  du  pontife  romain,  M.  d'Haussonville ,  résume 
ainsi  cette  lamentable  histoire  : 

t  C'était  bien  de  propos  délibéré,  parce  que  cela  ser- 
vait à  leur  assurer  le  respect  du  clergé  et  des  fidèles, 
que  le  premier  consul  avait  présenté  les  articles  orga- 
niques comme  ayant  été  combinés  d'accord  avec  le  saint- 
siège.  Aucune  précaution  n'avait  été  oubliée  pour  accré- 
diter cette  opinion.  Ces  lois  avaient  été  secrètement  déli- 
bérées en  conseil  d'État  longtemps  avant  la  conclusion 
du  Concordat.  Elles  avaient  pour  but  de  tenir  lieu  d'un 
certain  article  relatif  aux  conditions  de  l'exercice  du 
culte,  article  que  le  cardinal  Consalvi  n'avait  jamais 
voulu  signer  ;  article  dont  la  discussion ,  comme  nous 
l'avons  précédemment  raconté ,  avait  failli  amener  la 
rupture  des  négociations,  et  sur  lequel  on  n'avait  pu 
s'entendre  qu'en  le  supprimant.  Cependant  ces  dispo- 
sitions législatives  élaborées  exclusivement  par  le  gou- 
vernement français,  tout  à  fait  inconnues  à  la  cour  de 
Rome ,  qui  n'en  apprit  l'existence  que  par  la  promulga- 
tion, furent  livrées  au  public  dans  un  gros  volume  offi- 
ciel ayant  pour  titre:  Concordat,  avec  la  même  date 
que  la  convention  synallagmatique  conclue  avec  le  saint- 
■ége.  La  signature  de  Consalvi  seule  y  manquait.  Afin 
d'égarer  davantage  les  esprits  superficiels ,  dans  l'exposé 
des  motifs  du  projet  de  loi  présenté  au  Corps  législatif 
et  portant  approbation  du  Concordat,  ils  étaient  appe- 
lé* :  Articles  organiques  de  ladite  convention  .  et 
M.  Purtalis  ne  manqua  point,  insistant  sur  le  tout, 
d'expliquer  comment  la  convention  et  les  articles  orga- 
niques étant  un  contrat  passé  avec  une  puissance  étran- 
gère, ils  devaient,  d'après  la  constitution,  être  également 
soumis  au  Corps  législatif1.  » 

1  D'Haussonville,  l'Église  romaine  et  le  premier  Empire, 
X.  I*'.  p.  2*7. 


68  M.  ÉMERY 

VI.  —  M.  Émery  éprouva  un  douloureux  étonnement 
à  la  lecture  de  ces  articles  frauduleux  si  contraires  à  la 
discipline  et  aux  droits  de  l'Église.  Il  avait  attendu  avec 
anxiété  la  fin  des  négociations  secrètes  qui  avaient  pré- 
cédé la  promulgation  de  cette  convention ,  exprimant 
seulement  à  ses  amis,  dans  des  lettres  intimes,  la  crainte 
que  lui  inspiraient  les  dispositions  suspectes  de  l'abbé 
Bernier  et  le  silence  des  plénipotentiaires.  Il  redoutait 
une  surprise.  Ses  pressentiments  ne  le  trompaient  pas. 
Des  amis  venus  de  la  Malmaison  lui  faisaient  connaître 
la  pensée  de  l'empereur,  confirmaient  ses  inquiétudes  et 
lui  répétaient  les  paroles  qu'ils  avaient  entendues. 

M.  Emery  connut  enfin  la  vérité  ;  il  fut  même  le 
premier  cà  dévoiler  au  cardinal  Caprara,  par  l'intermé- 
diaire de  l'abbé  Le  Sure,  l'existence  des  articles  qui 
devaient  provoquer  dans  l'Eglise  de  si  légitimes  protes- 
tations. 

Il  rédigea  aussitôt  un  long  mémoire  où,  laissant  de 
côté  le  point  de  vue  politique  et  la  question  d'origine , 
il  se  contentait  d'examiner  le  document  au  point  de  vue 
théologique  et  disciplinaire,  afin  de  signaler  respec- 
tueusement au  cardinal  Caprara  les  -points  sur  lesquels 
Son  Éminence  pourrait  insister  dans  ses  réclamations 
diplomatiques  auprès  de  l'empereur. 

«  L'article  premier,  dit  M.  Émery,  qui  défend  de 
recevoir  et  de  publier,  sans  l'autorisation  du  gouverne- 
ment, même  les  bulles  concernant  la  foi  et  la  morale,  est 
contraire  au  droit  donné  par  Jésus -Christ  à  son  vicaire 
dans  la  personne  de  Pierre,  par  ces  paroles  :  Pais  mes. 
agneaux,  pais  mes  brebis. 

«  Il  est  contraire  même  aux  maximes  de  l'Église  gal- 
licane, puisque,  d'après  ces  maximes,  une  définition 
dogmatique  du  saint -siège  devient  alors  seulement 
règle  de  foi,  quand  elle  est  reconnue  et  approuvée  par 
le  corps  des  évêques. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  09 

«  Or  comment  les  évéques  pourraient-ils  reconnaître, 
si  le  gouvernement  arrête  la  définition  dogmatique?  et 
(•(mi ment  alors  combattre  les  hérésies? 

«  Il  est  même  contraire  aux  coutumes  de  France, 
puisque  d'IIéricourt  enseigne ,  dans  son  grand  ouvrage 
sur  les  Lois  ecclésiastiques  de  France,  tome  Ier,  page  105, 
«  qu'à  l'égard  des  provisions  de  bénéfices,  des  brefs  de 
«  pénitencerie  et  des  autres  expéditions  qui  s'obtiennent 
I  à  Rome  pour  les  affaires  ordinaires,  suivant  la  juris- 
«  prudence  du  royaume ,  on  les  exécute  sans  qu'il  soit 
«  besoin  ni  de  lettres  patentes  ni  d'arrêt  du  parle- 
«  ment....  » 

((  Or  cet  article  premier  ne  permet  pas  même  aux 
particuliers  de  recevoir  ou  de  publier  un  bref  de  Rome 
sans  l'autorisation  du  gouvernement. 

((  L'article  2  complète  le  premier.  Après  avoir  enlevé 
au  chef  de  l'Église  le  libre  pouvoir  de  faire  entendre 
immédiatement  sa  voix  aux  fidèles  par  bulle  ou  par 
bref,  on  lui  enlève  même  le  pouvoir  de  leur  parler 
médiatement,  par  un  nonce,  un  légat,  un  vicaire,  sans 
l'autorisation  du  gouvernement. 

«  C'est  la  négation  de  la  puissance  de  gouverner 
l'Église,  reconnue  au  pape,  même  par  les  conciles  géné- 
raux. 

((  L'article  3  interdit  ta  publication  en  France  des 
décrets  des  conciles  même  généraux ,  avant  l'examen  et 
l'assentiment  du  gouvernement. 

((  On  y  oublie  que  l'Église  est  indépendante  de  la 
puissance  laïque  dans  sa  doctrine.  Comment  donc  un 
pouvoir  séculier  peut -il  s'arroger  le  droit  d'examiner 
les  décrets  même  dogmatiques  de  l'Église  assemblée 
dans  un  concile  général  ? 

((  Et  comment  peut-on  répéter,  dans  de  telles  cir- 
constances, que  l'exercice  de  la  religion  catholique  est 
libre  en  France? 


70  M.  ÉMERY 

((  L'article  6  défère  au  conseil  d'État,  appel  d'abus, 
toute  personne  ecclésiastique  coupable  d'un  excès  de 
pouvoir. 

((  Mais  c'est  un  principe  de  foi  que  les  pasteurs  de 
l'Église  ont  reçu  immédiatement  de  Dieu  un  pouvoir 
propre  et  particulier  dans  toutes  les  matières  qui  ont 
rapport  à  la  religion,  lesquelles  sont  la  foi,  la  morale, 
la  discipline. 

«  Comment  donc  peut-on  accepter  une  loi  qui  consti- 
tue les  magistrats  laïques  juges  des  matières  spiri- 
tuelles, et,  sous  prétexte  d'abus,  attribuer  au  gouver- 
nement civil,  et  dans  les  affaires  ecclésiastiques,  une 
autorité  que  Dieu  ne  lui  a  pas  communiquée  i  ?  » 

VU.  —  Dans  la  suite  de  la  discussion  théologique 
engagée,  M.  Émery  s'efforce  de  mettre  ainsi  en  lumière 
les  points  qui,  dans  ces  articles  organiques,  sont  en 
opposition  manifeste  avec  les  droits  du  saint-siège,  les 
traditions  de  l'Église  de  France  et  les  paroles  mêmes  de 
Jésus -Christ. 

Le  1er  mars  1807,  il  écrivait  à  M.  de  Fontange,  évêque 
d'Autun  : 

«  Il  y  a  plusieurs  articles  dans  les  lois  organiques 
auxquels  on  ne  donne  ici  aucune  importance ,  qu'il' 
convient  de  laisser  tomber  en  désuétude ,  et  par  consé- 
quent dont  il  faut  parler  le  moins  qu'on  peut. 

((  Le  premier  consul  lui-même  n'est  point  fort  pré- 
venu en  faveur  de  cette  partie  de  la  législation.  Il  a 
trouvé  fort  mauvais  que  le  dernier  évêque  de  Nam™ 
en  eût  exigé  la  souscription  ;  et  je  tiens  du  nouvel; 
évêque  que  le  clergé  ou  de  Namur  ou  de  Bruges  s'étant 
présenté  à  lui  avec  l'habit  à  la  française ,  et  ayant  allé- 
gué, pour  se  justifier,  les  articles  organiques,  le  premier, 


1  Mémoire  inédit. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  71 

consul  a  répondu  :  «  Je  ne  connais  que  le  Concordat.  » 

C'est  ainsi  que,  sur  soixante-dix-septarticles,  quelques- 
uns  seulement  reçurent  avec  le  temps,  et  malgré  les 
observations  de  la  cour  de  Rome ,  leur  complète  exécu- 
tion. Le  recours  au  conseil  d'Etat;  la  résidence  des 
curés;  la  défense  faite  aux  curés  d'ordonner  des  prières 
dans  leurs  paroisses  sans  la  permission  del'évèque;  la 
nomination  des  desservants;  la  détermination  du  nombre 
et  de  l'étendue  des  cures  et  des  succursales  ;  l'établisse- 
ment des  fabriques;  les  règlements  qui  concernent  les 

j  édifices  du  culte,  la  célébration  des  mariages,  les  re- 
gistres paroissiaux  ;  le  repos  du  dimancbe  pour  les  fonc- 
tionnaires publics:  tous  ces  points  ont  été  réglés,  et  le 
sont  encore  aujourd'hui,  par  la  stricte  application  des 
articles  annexés  au  Concordat. 

Tous  les  autres  articles  sont  tombés  en  désuétude  ; 
et ,  le  10  juillet  1868,  M.  Emile  Ollivier  pouvait  dire  à  la 
tribune  du  Corps  législatif,  après  avoir  signalé  ce  qu'il 

i  appelait  l'œuvre  néfaste  des  articles  organiques  : 

a  Je  tiens  dans  les  mains  les  articles  organiques. 
Croyez -vous  que,  pour  énumérer  ceux  de  ces  articles 

I  encore  en  vigueur,  il  faille  procéder  en  écartant  ceux  qui 
sont  abrogés  par  désuétude  ? 

«  Nullement  :  ce  serait  un  travail  trop  long  et  trop 
fastidieux  ;  il  suffit  de  rechercher  quels  sont  les  articles 
conservés.  Or  on  en  pourrait  citer  à  peine  un  ou  deux. 

d  Et  encore  ils  ne  sont  pas  exécutés  tous  les  jours; 
on  ne  les  tire  de  leur  néant  et  de  leur  obscurité  que 
dans  les  occasions  importantes,  quand  on  veut  se 
donner  l'apparence  de  faire  quelque  chose  en  ne  faisant 
rien.  » 

Mais  ces  articles ,  tombés  en  désuétude  et  oubliés, 
[  restent  cependant  comme  une  menace  permanente  contre 
TÉglisc,  comme  une  arme  toujours  à  la  disposition  des 
gouvernements  qui  ont  la  prétention  de  s'immiscer  dans 


72  M.  ÉMERY 

les  affaires  ecclésiastiques  et  de  persécuter  l'Église 
quand  ils  ne  peuvent  pas  l'asservir. 

Ce  danger  préoccupait  M.  Emery,  lorsqu'il  écrivait 
la  réfutation  détaillée,  modérée  et  puissante  des  règle- 
ments en  contradiction  avec  le  fond  même  du  Concordat. 

VIII.  —  L'Eglise  de  France  devait  être  soumise  à 
de  nouvelles  épreuves.  Après  avoir  signalé  l'injustice 
odieuse  des  articles  organiques  et  défendu  les  droits  du 
saint- siège,  M.  Emery  fut  appelé  à  seconder  le  repré- 
sentant du  pape  dans  l'application  des  articles  les  plus 
délicats  du  Concordat. 

Les  articles  2  et  3  de  la  convention  conclue  entre 
Sa  Sainteté  Pie  VII  et  le  gouvernement  français  étaient 
ainsi  conçus  : 

«  Art.  2.  Il  sera  fait  par  le  saint-siège,  de  concert 
avec  le  gouvernement,  une  nouvelle  circonscription  des 
diocèses  français. 

((  Art.  3.  Sa  Sainteté  déclarera  aux  titulaires  des 
évêchés  français  qu'Elle  attend  d'eux  avec  une  ferme 
confiance,  pour  le  bien  de  la  paix  et  de  l'unité,  toute 
espèce  de  sacrifices,  même  la  résignation  de  leurs 
sièges.  D'après  cette  exhortation,  s'ils  se  refusaient  à  ce 
sacrifice  commandé  par  le  bien  de  l'Église  (refus  néan- 
moins auquel  Sa  Sainteté  ne  s'attend  pas),  il  sera  pourvu 
par  de  nouveaux  titulaires  au  gouvernement  des  évêchés 
de  la  circonscription  nouvelle.  » 

Dans  ces  graves  conjonctures,  qui  commandaient  une 
si  grande  bienveillance  aux  uns ,  un  si  généreux  sacri- 
fice aux  autres,  il  fallait  d'abord,  dans  l'intérêt  de  l'Église, 
obtenir  par  la  persuasion  la  démission  volontaire  de  tous 
les  évêques  de  France,  sans  courir  les  dangers  d'un 
schisme  ;  il  fallait  ensuite  déjouer  les  intrigues  redou- 
tables des  constitutionnels  et  des  intrus,  qui  convoi  - 
aient  les  sièges  épiscopaux  les  plus  importants  dans  la 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  73 

nouvelle  organisation  de  la  hiérarchie  ;  il  était  enfin 
nécessaire  de  vaincre  les  scrupules  et  les  répugnances 
légitimes  des  anciens  évèques,  et  de  les  décidera  accep- 
ter, après  avoir  fait  le  sacrifice  de  leurs  sièges ,  les 
charges  plus  modestes  qui  leur  étaient  réservées. 

M.  Emery  comprit  la  gravité  delà  situation  :  il  essaya, 
avec  une  sagesse  pleine  de  clairvoyance,  d'humilité  et 
d'abnégation,  de  servir  encore  une  fois  les  intérêts  de 
l'Église  de  France  ,  menacée  dès  la  première  heure  de  sa 
renaissance. 


3 


CHAPITRE  IV 


LES  ÉVÊQUES  CONSTITUTIONNELS 

I.  —  Exiger  la  démission  de  tous  les  évêques,  c'était  une 
mesure  pénible  mais  nécessaire,  commandée  par  la  situa- 
tion particulière  et  lamentable  de  l'Église  de  France. 
Cependant  ces  pasteurs ,  dont  les  uns  avaient  tenu  tête  à. 
la  persécution ,  affronté  vingt  fois  la  mort  au  milieu  de' 
leur  troupeau ,  pendant  la  tyrannie  de  la  révolution,  et 
dont  les  autres  avaient  traîné  une  existence  pénible  et 
pleine  d'angoisses  sur  la  terre  étrangère,  étaient  loin  de 
s'attendre  à  ce  coup  légitime  d'autorité. 

Ils  avaient  caressé  l'espoir  de  se  retrouver  enfin,  après 
un  long  exil,  au  sein  de  leur  Eglise,  entourés  de  leurs 
fidèles,  dans  une  situation  honorée,  à  l'abri  des  sollici- 
tudes matérielles  de  la  vie.  La  démission  était  pour  eux 
la  rupture  du  lien  qui  unissait  leur  âme  à  leur  diocèse  r 
le  sacrifice  d'une  dignité  relevée  par  leur  courage  dans 
la  persécution ,  l'épreuve  de  l'indigence  avec  ses  priva- 
tions les  plus  pénibles. 

«  Quant  à  ce  qui  regarde  ma  subsistance ,  écrivait  au 
saint-père  le  saint  évêque  de  la  Rochelle,  exilé  dans  le 
diocèse  de  Tolède,  j'ai  trop  de  confiance  dans  la  divine 
Providence,  qui  m'a  soutenu  jusqu'à  présent,  pour 
craindre  la  misère;  et  si  Dieu  voulait  m'envoyer  cette 
épreuve ,  la  religion  sainte  m'a  appris  que  personne  n'est 
jamais  tenté  au-dessus  de  ses  forces,  et  je  lui  dois  la  grâce 


M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  ~5 

d'attendre  avec  autant  de  résignation  que  de  tranquillité 
ce  qu'il  lui  plaira  de  me  faire  souffrir  pour  expier  les 
fautes  démon  épiscopat,  et  faire  pénitence  pour  moi  et 
ma  malheureuse  patrie.  » 

Le  savant  évêque  de  Langres,  Guillaume  delà  Luzerne, 
pxplique  et  justifie  en  théologien  les  motifs  de  sa  réponse 
affirmative  à  l'invitation  pressante  de  Pie  VIL  On  retrouve 
o'ans  sa  lettre  un  esprit  de  foi  et  de  sacrifice,  qui  nous 
fait  connaître  les  sentiments  de  l'ancien  clergé  de  France 
pour  le  siège  de  Pierre. 

«  Ayant  reçu ,  dit  la  Luzerne,  de  notre  saint-père  le 
pape  un  bref  en  date  du  15  août  1801 ,  par  lequel  Sa 
Sainteté  nous  fait  connaître  que  l'unique  moyen  de  con- 
server à  la  France  la  religion  catholique  est  que  nous 
remettions  entre  ses  mains  la  démission  de  notre  siège  ; 
après  avoir  imploré  l'assistance  de  l'Esprit-Saint  et  con- 
juré le  Père  des  lumières  de  nous  éclairer  dans  les  con- 
jonctures importantes  et  délicates  où  nous  nous  trouvons, 
et  de  nous  inspirer  ce  qui  sera  le  plus  salutaire  pour  notre 
conscience  et  le  bien  du  troupeau  dont  il  nous  a  confié  la 
garde  ; 

«  Considérant  que  les  circonstances  actuelles,  dont 
l'histoire  des  siècles  chrétiens  ne  présente  aucun  exemple, 
ont  réduit  le  souverain  pontife  à  l'impossibilité  absolue 
de  suivre  les  règles  prescrites  par  les  saints  canons,  et 
que  la  loi  supérieure  de  la  nécessité  Ta  contraint  de  pas- 
ser par- dessus  les  lois  faites  pour  les  conjonctures  ordi- 
naires, spécialement  qu'il  lui  a  été  impossible  de  con- 
sulter, sur  les  changements  à  faire  dans  l'Église  de  France, 
tous  les  évèques  de  cette  Église  et  d'avoir  leur  consente- 
ment, ce  qui  eût  été  nécessaire ,  puisqu'ils  sont,  d'après 
les  saintes  règles  et  même  par  l'institution  de  Jésus-Christ, 
juges  avec  lui  du  bien  de  leurs  Églises  ;  assuré  que  Sa 

1  Lettre  inédite. 


76  M.  ÉMERY 

Sainteté  a  fait  dans  sa  sagesse  tout  ce  qui  était  en  soit 
pouvoir  pour  concilier  ce  qu'exigeait  le  rétablissement  de 
l'unité  catholique  en  France  avec  les  principes  antiques 
qui  sont  depuis  dix-huit  siècles  la  loi  de  l'Église  univer- 
selle ; 


((  Considérant  de  plus  les  grands  exemples  que  nous 
présentent  et  les  siècles  anciens  et  les  temps  modernes 
de  l'Église,  l'offre  généreuse  faite  en  1791  au  pape  Pie  VI, 
de  glorieuse  mémoire ,  par  les  évêques  siégeant  aux  états 
généraux  ,  et  la  proposition  des  célèbres  évêques  qui , 
en  411 ,  composaient  l'Église  d'Afrique,  nous  avons  cru 
devoir  acquiescer  à  la  proposition  qui  nous  est  faite  pour 
le  bien  de  l'Église  par  son  chef.  Reconnaissant  l'ordre 
de  Jésus-Christ  dans  la  demande  de  son  vicaire  terrestre, 
après  avoir  sacrifié  au  maintien  de  l'unité  tout  ce  que 
nous  possédions  dans  le  monde,  il  ne  nous  reste  plus 
qu'un  sacrifice  à  faire  ;  et  nous  nous  y  déterminons  sans 
hésitation ,  puisqu'il  peut  contribuer  au  retour  de  cette 
précieuse  unité  :  c'est  celui  de  nous-même.  Et  nous  le 
disons  du  fond  du  cœur  avec  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
c'est  pour  nous  un  bonheur  d'être  jeté  à  la  mer,  si  par 
là  doit  cesser  la  tempête  et  le  vaisseau  sacré  de  notre 
Église  être  conservé. 

ce  Nous  résignons  volontairement  et  librement,  entre 
les  mains  de  notre  saint-père  le  pape  Pie  VII,  l'évêchéde 
Langres,  dont  nous  avons  été  légitimement  et  canonique- 
ment  pourvu. 

«  A  Wels,  en  Haute -Autriche,  10  février  1802  » 


1  Lettre  inédite. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  77 

«  Très  Saint- Père,  écrivait  le  pieux  archevêque  (le  Tou- 
louse, Msr  deFontanges,en  recevant  dans  l'île  de Mayorque 
jle  bref  de  Sa  Sainteté  ,  je  fais  à  l'instant  même  la  démis- 
ision  de  mon  archevêché  de  Toulouse  entre  vos  mains.  Je 
l'avais  déjà  remise  dans  celles  de  votre  illustre  prédéces- 
seur, de  concert  avec  tous  mes  confrères,  membres 
comme  moi  de  la  première  assemblée,  appelée  Consti- 
tuante, afin,  disions-nous  à  ce  grand  pape,  que  rien  ne 
jpuisse  s'opposer  à  toutes  les  voies  que  Votre  Sainteté 
pourrait  prendre  dans  sa  sagesse  pour  rétablir  la  paix 
.dans  l'Église  de  France.  Je  n'ai  pas  cessé  un  seul  instant 
idepuis  d'être  dans  les  mêmes  dispositions,  et,  puisque 
Votre  Sainteté  daigne  me  dire  que  ma  démission  contri- 
buera à  présent  à  rétablir  la  religion  et  l'unité  en  France, 
je  croirais  manquer  à  mon  devoir  et  à  mes  engagements 
si  j'hésitais  un  seul  instant  à  obéir  à  cet  oracle  du  chef 
de  l'Église. 

((  Qui  mieux  que  vous,  très  Saint-Père,  qui  êtes  en 
même  temps  la  sentinelle  de  la  maison  d'Israël  et  le 
Vicaire  de  Jésus-Christ  sur  la  terre,  et  qui,  par  l'éclat  de 
vos  vertus  et  par  votre  profonde  sagesse,  êtes  fait  pour 
mous  inspirer  la  plus  profonde  confiance;  qui  mieux 
que  vous  connaît  les  maux  de  l'Église  et  le  remède  qu'il 
faut  y  apporter? 

|  «  Sans  doute,  il  en  coûte  à  mon  cœur  d'abandonner  à 
lun  autre  le  soin  du  troupeau  auquel  j'avais  consacré  mes 

plus  tendres  affections.  J'éprouve  avec  amertume  que 
i c'est  le  plus  douloureux  des  sacrifices  que  j'aie  faits.  Ma 
i  seule  consolation  sera  d'avoir  fait  mon  devoir  en  vous 

obéissant. 

«  Daignez,  très  Saint- Père,  écouter  le  dernier  et  le 
plus  cher  de  mes  vœux.  Donnez  à  Toulouse  un  pasteur 
selon  le  cœur  de  Dieu,  qui  par  sa  piété,  ses  lumières  et 
sa  sagesse,  puisse  réparer  les  maux  que  lui  a  faits  l'hor- 
rible tempête  à  laquelle  votre  prudence  va  arracher 


78  M.  ÉMERY 

l'Eglise  de  France,  et  y  faire  le  bien  que  les  circonstances 
et  mon  insuffisance  ne  m'ont  pas  permis  d'y  faire. 

«  A  Palma,  île  de  Mayorque,  le  5  novembre  1801.  » 

II.  —  Le  concile  du  Vatican  a  déterminé  d'une  ma- 
nière précise  et  explicite  les  droits  réciproques  du  saint- 
siège  et  des  évèques  en  matière  de  juridiction  spirituelle. 
Mais  à  cette  époque,  au  commencement  de  ce  siècle,  il  y 
avait  encore  en  France  des  évêques ,  des  théologiens  et 
des  canonistes  qui  ne  reconnaissaient  pas  au  souverain 
pontife  le  droit  de  briser,  sans  le  consentement  tacite 
ou  formel  de  la  partie  intéressée,  le  lien  qui  unit  un 
évêque  à  son  diocèse.  L'opposition  que  l'on  croyait  dé- 
couvrir entre  le  bref  pontifical  et  les  prétendues  libertés 
de  l'Eglise  gallicane  éveillait  aussi  des  susceptibilités 
inquiètes  et  provoquait  des  résistances  d'un  effet  déplo- 
rable dans  les  rangs  mêmes  du  clergé. 

La  situation  devenait  difficile  et  pleine  de  dangers.  Le 
premier  consul  était  l'ennemi  des  ultramontains,  le  dé- 
fenseur opiniâtre  des  disciples  de  Bossuet  et  des  théories 
gallicanes.  Ces  théories  flattaient  son  humeur  indépen- 
dante et  sa  volonté  de  diminuer  jusqu'à  la  dernière 
limite  l'autorité  pontificale.  Il  exprima  souvent  très  hau- 
tement cette  opinion.  Nous  le  verrons  attaquer  M.  Emery, 
dont  l'ultramontanisme,  très  mitigé  sans  doute,  le  choque, 
l'irrite,  et  la  compagnie  de  Saint-Sulpice,  qu'il  considère 
comme  un  foyer  d'opposition  aux  droits  essentiels  de 
l'autorité  civile.  Il  était  d'ailleurs  encouragé  à  la  résis- 
tance par  les  constitutionnels,  ennemis  du  pape  et  cour- 
tisans de  césar. 

Et  c'était  lui  qui,  sacrifiant  et  foulant  aux  pieds  ces" 
libertés  gallicanes,  ces  principes  des  canonistes,  ces  doc- 
trines des  anciens  théologiens  de  France,  prenait  ea 
main  aujourd'hui,  et  pour  le  besoin  de  sa  cause ,  la  dé- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  79 

fense  des  principes  les  plus  favorables  à  la  puissance  des 
papes,  en  exigeant  la  démission  des  évêques  légitimes, 
jen  priant  le  pape  d'user,  par  un  coup  d'éclat  qui  chan- 
igeait  brusquement  la  situation  générale  de  l'Église  de 
!  France,  de  la  plénitude  de  sa  puissance  et  de  son  autorité. 

III .  —  M&r  Spina  connaissait  les  senti  ments  de  M .  Émery 
et  son  autorité  dans  l'Église  de  France  :  il  le  pria  de  le 
.seconder  et  de  faire  tenir  lui-même  à  ses  amis  dans  l'épis- 
copat  le  bref  par  lequel  Sa  Sainteté  demandait  leur  démis- 
sion. Les  évêques  émigrés  en  Angleterre,  soutenus  par 
des  princes  français  royalistes,  qui  voyaient  avec  peine  le 
rétablissement  de  l'Église  dans  notre  pays,  hésitèrent  et 
répondirent  d'abord  par  un  refus  ;  ils  déclarèrent  au 
saint -père  qu'ils  tenaient  immédiatement  de  Jésus- 
Christ,  non  seulement  leur  pouvoir  d'ordre  et  leur  carac- 
tère ,  mais  encore  leur  pouvoir  de  juridiction,  et  qu'ils 
n'avaient  pas  le  droit  d'y  renoncer. 

«  Le  devoir  de  nos  fonctions  nous  oblige  impérieuse- 
ment de  ne  pas  souffrir  que  le  lien  sacré  qui  nous  unit 
aux  Églises  immédiatement  confiées  à  nos  soins  par  la  Pro- 
vidence, soit  brisé  sans  aucune  résistance  de  notre  part.  » 

M.  Émery  fut  contrarié  d'apprendre  qu'on  avait  envoyé 
trop  tôt  le  bref  pontifical  en  Angleterre,  où  l'on  devait 
rencontrer  de  la  résistance ,  au  lieu  de  provoquer  d'abord 
l'adhésion  facile  des  évêques  que  l'on  savait  être  favo- 
rables à  la  volonté  du  pape,  et  de  s'autoriser  ensuite  de 
cette  adhésion  pour  faire  cesser  toute  résistance  de  la 
part  des  opposants,  sans  recourir  aux  moyens  de  rigueur. 

Le  19  novembre  1801,  il  exprimait  à  M.  de  Fontanges, 
ancien  archevêque  de  Toulouse,  réfugié  en  Espagne,  ses 
appréhensions  à  ce  sujet,  ses  espérances,  et  lui  révélait 
l'état  des  esprits  au  moment  où  le  saint -père  attendait 
la  démission  des  évêques  français. 

«  Le  21  octobre,  écrit  M.  Émery,  votre  grand  ami  a 


80  M.  ÉMERY 

reçu  le  bref  du  pape.  Vous  l'avez  reçu  quelques  jours 
après.  Ainsi ,  votre  démission  est  faite  et  envoyée.  J'ai 
toujours  supposé  et  déclaré  que  vous  étiez  disposé  à  la 
donner,  et  l'on  n'a  eu  sur  ce  point  aucun  doute.  J'aurais 
désiré  que  vous  en  eussiez  donné  aussitôt  une  connaissance 
directe  à  Paris,  parce  que  la  voie  du  nonce  de  Madrid  est 
un  peu  longue. 

«  Je  ne  sais  si  on  a  reçu  des  nouvelles  de  MM.  les 
évèques  de  Castres  et  de  Tarbes.  Ce  sont  les  deux  seuls 
évêques  en  Espagne  dont  les  sentiments  soient  igno- 
rés. Mais,  puisque  MM.  de  Blois  et  de  la  Rochelle  ont 
acquiescé  à  la  demande  du  saint-père,  on  ne  peut  guère 
élever  de  doute  sur  les  sentiments  de  ces  prélats. 

ce  Vous  savez  que  treize  évêques ,  en  Angleterre ,  ont 
refusé.  Vous  serez  étonné  que  nous  n'ayons  aucune  nou- 
velle d'Allemagne,  du  moins  de  bien  positives,  excepté 
de  M.  l'évêque  de  Luçon  ,  qui  a  reçu  seulement  le  25  oc- 
tobre la  lettre  du  pape,  quoiqu'il  soit  assez  près  de 
Vienne. 

«  Le  30  octobre,  l'évêque  de  Pamiers,  qui  est  auprès 
de  Hambourg,  n'avait  pas  reçu  la  sienne,  ni  M.  l'arche- 
vêque de  Paris,  le  5  novembre.  Vous  voyez  qu'on  a  pris 
de  très  fausses  mesures  dans  l'envoi  de  ces  lettres.  C'est 
en  Angleterre  qu'on  les  a  fait  parvenir  plus  tôt  qu'ailleurs, 
et  c'est  là  qu'elles  devaient  être  envoyées  plus  tard.  Il  y 
avait  là  un  rassemblement  qui  devait  être  fortement  in- 
fluencé. Les  deux  tiers  de  ceux  qui  ont  refusé ,  placés 
ailleurs,  auraient  acquiescé  sans  difficulté. 

((  Il  y  aura  certainement  des  opposants  en  Allemagne, 
et  dans  le  nombre  il  y  en  aura  qui  auraient  infaillible- 
ment donné  leur  démission ,  qui  avaient  même  déjà  fait 
connaître  leurs  sentiments  à  cet  égard ,  s'ils  n'avaient 
pas  été  influencés  par  des  évêques  d'Angleterre,  qui  cer- 
tainement n'auront  rien  négligé  pour  amener  à  leur  partiv 
le  plus  qu'ils  auront  pu  de  leurs  collègues. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  81 

((  Vous  pouvez  compter  parmi  les  opposante  en  Alle- 
magne les  évèques  qui  sont  à  Munster.  Cette  ville  a  tou- 
jours été  un  foyer,  cà  cause  de  quelques  ecclésiastiques 
intrigants  qui  s'y  trouvent.  Il  résulte  de  cet  exposé  que 
beaucoup  d'évêques  ont  refusé  ou  refuseront,  mais  que 
la  grande  majorité  acceptera. 

«  De  là  il  résulte  que  le  Concordat  n'est  pas  publié; 
que  toutes  nos  affaires,  qui  devaient  être  terminées  avant 
['assemblée  du  Corps  législatif,  sont  dans  le  même  état; 
que  les  évèques  constitutionnels,  qui  ont  fait  cependant 
leur  renonciation ,  lèvent  la  tète ,  parce  que  le  consul 
veut  tout  faire  à  la  fois,  et  qu'il  n'a  pu  nommer  aux  évè- 
chés  avant  que  les  lettres  du  pape  aient  été  reçues  et  qu'on 
ait  pu  recevoir  les  réponses. 

n  D'ailleurs,  comment  disposer  de  tant  d'évèchés  dont 
'es  titulaires  vivent  encore  et  ne  se  sont  point  démis? 
Votre  lettre ,  Monseigneur,  était  pleine  de  sagesse  ;  je 
/ousen  ai  gardé  un  profond  respect. 

a  Je  crois  que  vous  feriez  sagement  de  repasser  la  mer 
ît  de  vous  disposer  au  retour.  On  a  permis  aux  évèques 
Lui  sont  en  Angleterre  de  rentrer  en  France,  on  les 
"xhorte  même  à  le  faire.  Ils  y  font  des  diflicultés,  parce 
pi'ils  craignent  que  leurs  adversaires,  qui  ne  gardent 
)lus  de  mesure,  ne  prétendent  qu'ils  rentrent  pour  sol- 
iciter des  places. 

«  On  s'occupe,  en  ce  moment,  d'une  mesure  générale 
>our  le  retour  des  prêtres  et  des  évèques,  j'entends  les 
i  émissionnaires.  Les  résistants  se  font  beaucoup  de  tort 

eux-mêmes,  et  ils  en  font  encore  plus  à  la  religion;  ils 
nt  contre  eux  tous  les  gens  de  bien.  Leur  conduite 
rctuelle  discrédite  totalement  le  zèle  qu'ils  ont  montré 
isqu'à  présent1.  » 

}  !  1  Lettre  inédite. 


82  M.  ÉMERY 

IV.  —  La  pensée  de  M.  Émery,  et  l'on  peut  dire  aussi 
son  espérance,  était  de  voir  le  gouvernement  rétablir 
dans  leurs  sièges,  d'accord  avec  le  saint -père,  lesévêques 
qui  auraient  donné  un  grand  exemple  de  désintéresse- 
ment en  envoyant  leur  démission.  Aucune  raison  cano- 
nique ou  théologique  ne  s'opposait  à  cet  acte  de  justice 
et  de  haute  convenance  de  la  part  du  gouvernement. 
Ainsi  M.  Émery  écrivait  à  M.  de  Fontanges  et  le  pressait 
déjà  de  reprendre  son  siège  de  Toulouse,  si  l'on  consen- 
tait à  le  lui  rendre. 

((  Votre  détermination  de  n'accepter  aucune  place  serait 
très  fâcheuse ,  parce  qu'il  est  très  intéressant  que  vous 
en  acceptiez  une,  non  pour  vous,  Monseigneur,  mais* 
pour  l'avantage  de  l'Eglise.  Il  est  absolument  nécessaire 
d'accréditer  les  changements  qui  vont  avoir  lieu,  puis- 
qu'ils sont  inévitables.  Il  est  pour  cela  très  important 
que  l'on  nomme  le  plus  qu'on  pourra  d'anciens  évêques 
aux  nouvelles  places,  et  le  public  honnête  et  religieux 
compte  entièrement  sur  vous.  Vous  êtes  généralement 
regardé  comme  un  des  principaux  ornements  de  l'Eglise 
gallicane,  et  votre  refus  d'accepter  aucune  place  accrédi- 
terait les  plaintes  et  les  mécontentements  qui  ne  manque- 
ront pas  d'avoir  lieu  dans  ces  circonstances.  J'ai  écrit  à 
M.  Bernier  qu'on  pouvait  compter  que  vous  accepteriez 
le  siège  de  Toulouse,  s'il  vous  était  rendu.  Ils  font  croire 
que  vous  serez  nommé  à  ce  même  siège,  je  n'en  ai  point 
pourtant  de  certitude  extrême.  Je  ferai  insinuer,  par  les 
alentours  des  faiseurs,  qu'il  est  absolument  nécessaire 
qu'il  en  soit  ainsi.  Cependant,  si  Fou  vous  offrait  un 
autre  évêché,  Je  crois  que  le  bien  de  l'Église  demande- 
rait que  vous  l'acceptassiez.  » 

Mais  les  vues  de  M.  Émery  n'étaient  pas  conformes 
aux  desseins  de  Bernier  et  aux  intentions  du  gouverne- 
ment. L'archevêché  de  Toulouse  fut  donné  à  un  ancien 
apostat,  évêque  constitutionnel,  M.  Primat;  on  offrit  à 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  83 

I  M.  de  Fontanges,  dépossédé  de  son  siège  archiépiscopal, 
l'évèché  d'Autun. 

M.  de  Fontanges  avait  déjà  pris  depuis  longtemps  la 
résolution  de  vivre  dans  la  retraite  et  de  décharger  ses 

\  épaules  du  fardeau  de  l'épiscopat,  il  persistait  dans  sa 
résolution  :  il  voulait  répondre  par  un  refus  aux  nou- 

|  velles  avances  qui  lui  étaient  faites  de  la  part  du  gouver- 
nement. M.  Émery  avait  une  autre  idée  des  devoirs  d'un 
évèque  dans  les  difficultés  où  se  trouvait  l'Eglise  de 
France.  Ennemi  de  l'inaction  quand  la  cause  de  la  reli- 
gion avait  hesoin  de  tous  les  courages,  pénétré  de  cette 
pensée  que  la  vie  est  un  long  combat  et  qu'il  n'est  pas 
permis  de  déserter  le  champ  de  bataille  pour  se  reposer 
dans  les  joies  faciles  d'une  retraite  sans  responsabilité, 
il  fît  agir  et  il  agit  lui-même  avec  insistance  auprès  de 
M.  de  Fontanges,  afin  de  le  décider  à  changer  de  résolu- 
tion. Il  lui  écrivit  de  nouveau ,  à  la  date  du  5  juin  1802  : 
«  M*r  de  la  Tour  du  Pin,  archevêque  d'Auch,  m'a  écrit 
de  Perpignan,  le  c20  mai,  qu'il  comptait  partir  dans 
deux  jours,  et  s'arrêter,  non  à  Toulouse,  mais  à  Mon- 

.  tauban. 

«  Hier,  une  lettre  du  29  mai  nous  apprit  qu'il  était  à 
■  Toulouse,  où  il  nous  dit  que  la  consternation  est  géné- 
t  raie,  à  cause  du  successeur  qu'on  vous  a  donné...  Nous 

lui  écrivons  de  se  rendre  promptement  à  Paris;  en  voici 

la  raison  : 

j     ((  Il  a  témoigné  dans  une  lettre  que,  si  le  bien  de 
1  l'Église  le  demandait,  il  consentirait  à  prendre  un  évèché. 
.  Je  me  suis  contenté  de  faire  insinuer  que  telle  pourrait 
^être  sa  disposition.  Sur  cela  on  a  agi ,  et  l'on  a  proposé 
de  lui  donner  l'évêché  de  Bayonne,  comme  un  évêché 
qui  renferme  presque  toutes  les  parties  de  sa  métro- 
jjpole,  et  dans  lequel  il  était  fort  aimé  et  respecté.  Le 
ministro  a  acquiescé. 

«  D'autres  personnes  ont  agi  pour  le  faire  nommer  à 


84  M.  ÉMERY 

Cahors,  qu'on  prétend  être  plus  important.  Quoi  qu'il  en 
soit ,  il  est  fort  convenable  qu'il  arrive  à  Paris  pour  faire 
déterminer  tout  ce  qui  le  concerne  à  cet  égard  et  pour 
qu'il  prenne  un  parti.  J'ai  l'honneur  de  vous  raconter 
tout  cela  parce  que,  indépendamment  de  l'intérêt  que 
vous  portez  à  M.  l'archevêque  d'Auch,  il  y  a  dans  cette 
affaire  un  contre-coup  pour  vous. 

«  Si  l'on  voit  que  M.  l'archevêque  d'Auch  consente  à 
accepter  un  simple  évêché,  on  pourra  vous  proposer 
d'en  accepter  un  aussi.  On  voit  bien  qu'il  y  aurait  quelque 
inconvénient  à  vous  en  proposer  un  qui  fût  dépendant  de 
votre  ancienne  métropole.  Tous  les  anciens  évêques 
désirent  beaucoup  vous  voir  rentrer  dans  le  corps  épis- 
copal,  non  seulement  pour  des  considérations  person- 
nelles, mais  encore  pour  le  bien  de  la  religion.  C'est 
précisément  parce  que  les  circonstances  sont  fort  difficiles 
qu'il  serait  bon  de  souhaiter  que  des  évêques  comme 
vous  occupassent  des  sièges. 

«  M.  l'archevêque  d'Aix  partira  lundi  pour  Tours.  J'en 
suis  bien  fâché.  Bernier  n'est  point  à  Paris,  et  je  crains 
bien  qu'il  ne  se  trouve  dans  de  grands  embarras  à  l'occa- 
sion de  la  réconciliation  des  évêques  constitutionnels. 

«  J'aurai  l'honneur  de  vous  écrire  bientôt  plus  au  long  ; 
mais  je  désirerais  bien  que  vous  vinssiez  promptement 
à  Paris ,  non  pas  seulement  pour  le  désir  que  j'ai 
de  vous  voir  et  de  vous  renouveler  l'assurance  de  mon 
tendre  et  profond  dévouement,  mais  encore  et  surtout 
pour  que  vous  pussiez  prendre,  de  concert  avec  vos  amis 
les  plus  sages  et  les  plus  désintéressés,  le  parti  qui  vous 
convient  le  mieux.  Je  sais  combien  celui  de  la  retraite  et 
du  repos  a  d'avantage  ;  mais  aussi ,  dans  l'ordre  spirituel 
et  temporel,  il  a  ses  inconvénients.  » 

V.  —  Le  cardinal  Fesch,  qui  avait  du  crédit  auprès  du 
premier  consul  et  une  grande  confiance  dans  la  prudence 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANGE  85 

lhabile  de  M.  Emery,  appréciait  lui  aussi  les  qualités  de 
M.  de  Fontanges  :  il  désirait,  avec  un  grand  nombre  de  ses 
collègues,  le  voir  encore  à  la  tète  d'un  diocèse  important,  où 
il  pourrait  continuer  avec  succès  la  carrière  de  l'aposto- 
lat. M.  Émery .réussit  enfin  dans  ses  négociations,  grâce  à 
^Intervention  puissante  et  décisive  d'une  femme  chrétienne 
idont  il  fit  cet  éloge  au  cardinal  Fesch,  le  21  mars  1805  : 

«  M.  de  Crouzeilles  m'a  appris  hier  que  Votre  Émi- 
nence  avait  donné  pour  dame  d'honneur  à  madame  sa 
sœur  M,ne  de  Fontanges. 

«  Je  prie  Votre  Éminence  de  trouver  bon  que  je  lui  fasse 
mon  compliment  de  ce  choix.  Je  vis  Mme  de  Fontanges, 
à  son  retour  d'Angleterre,  il  y  a  quelques  années.  Elle 
i  avait  vécu  avec  tous  les  évêques ,  parce  que  son  beau- 
frère  ,  M.  l'archevêque  de  Toulouse ,  était  alors  à 
Londres. 

«  Cette  dame  raisonna  sur  tous  les  évêques,  sur  toutes 
les  affaires  ecclésiastiques  du  temps  avec  une  intelligence 
et  une  sagesse  qui  me  charmèrent.  Nous  apprîmes  d'elle 
beaucoup  de  choses  importantes  qui  nous  servirent  dans 
la  conduite  du  diocèse  de  Paris. 

((  Je  lui  ai  dit  quelquefois  qu'elle  avait  l'âme  épisco- 
pale,  et  qu'elle  aurait  aussi  bien  conduit  un  diocèse  que 
son  beau-frère,  M.  l'évèque  d'Autun  ;  ce  qui  est  beau- 
coup dire.  Elle  parle  toujours  d'un  ton  simple  et  sans 
afiectation ,  sans  prétention.  Il  semble  que  c'est  le  bon 
sens  qui  parle  par  sa  bouche.  Quand  Votre  Eminence 
eut  la  bonne  pensée  d'engager  M.  l'archevêque  de  Tou- 
louse à  accepter  un  évêché,  j'étais  assuré  que  l'affaire 
réussirait  en  employant  auprès  de  lui  la  raison  deMmode 
Fontanges.  » 

M.  Emery  seconda  les  intentions  du  saint -siège  et  de 
son  représentant  à  Paris,  en  pressant  avec  la  même  sa- 
gesse et  le  même  zèle  éclairé  et  prudent  les  évêques  de 
Rennes,  d'Agen,  de  Quimper  et  de  Nantes,  de  ne  pas 


86  M.  ÉMERY 

abandonner  aux  constitutionnels  les  sièges  que  le  gou- 
vernement venait  de  leur  proposer.  Il  suit  avec  inquié- 
tude et  anxiété  la  marche  des  affaires;  il  craint  et  il 
espère,  il  presse  et  il  supplie  :  on  voit  bien  par  sa 
correspondance  de  cette  époque  la  profondeur  de  son 
amour  pour  l'Église,  l'ardent  désir  qui  le  consume  de 
voir  le  schisme  constitutionnel  s'éteindre,  et  la  pacifica- 
tion religieuse  se  faire  enfin  dans  tout  le  pays. 

VI.  —  Après  avoir  obtenu  la  démission  volontaire  des 
évêques  légitimes,  il  fallait  pourvoir  aux  sièges  vacants. 
L'agitation  des  constitutionnels,  les  intrigues  qui  se 
nouaient  autour  du  premier  consul,  l'influence,  l'hosti- 
lité même  de  Fouché,  qui  avait  pris  ouvertement,  dans 
différentes  circonstances,  la  défense  obstinée  des  schis- 
matiques,  inspiraient  à' M.  Émery  de  grandes  inquié- 
tudes ;  il  s'effrayait  à  la  pensée  que  Bonaparte,  égaré  par 
de  mauvais  conseillers  ou  emporté  par  son  impatience 
et  par  les  caprices  de  son  humeur  violente,  offrirait  à 
des  ennemis  de  l'Eglise,  à  des  hommes  indignes  ou  inca- 
pables ,  le  ministère  sacré  de  l'épiscopat.  Ses  craintes 
étaient  fondées. 

M.  Émery  fit  savoir  à  l'abbé  Le  Sure,  secrétaire  du 
cardinal  légat  en  résidence  à  Paris ,  que  Bonaparte  avait 
l'intention  de  nommer  douze  évêques  constitutionnels  à 
des  sièges  vacants.  Malgré  les  menaces  et  les  anathèmes 
du  saint-siège,  ces  malheureux  avaient  juré  fidélité  à  la 
constitution  civile  du  clergé;  ils  avaient  usurpé  par  un 
sacrilège  odieux  les  sièges  des  évêques  légitimes,  fomenté 
et  entretenu  la  révolte  et  le  schisme  dans  les  rangs  des 
fidèles,  et  quelques-uns  même  avaient  commis  publique- 
ment, avec  l'éclat  d'un  défi  scandaleux,  le  crime  d'apos- 
tasie. Aujourd'hui  ils  bravaient  une  dernière  fois  l'auto- 
rité du  saint-siège,  en  s'appuyant  sur  l'autorité  civile; 
ils  prétendaient  conserver,  malgré  tout,  l'administration 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  87 
épiscopale  et  les  honneurs  qui  avaient  été  le  prix  de  leur 
trahison. 

L'abbé  Le  Sure  s'empressa  d'informer  le  cardinal  des 
dispositions  du  premier  consul. 

((  Impossible!  impossible!  s'écria  le  cardinal;  le  pre- 
mier consul  a  promis  formellement  de  ne  pas  recourir  à 
ces  sortes  de  gens.  » 

M.  Émery  avait  remis  à  l'abbé  Le  Sure  la  liste  authen- 
tique et  encore  secrète  des  sujets  dont  la  nomination 
fttait  décidée.  Consterné,  indigné  à  la  lecture  de  cette 
liste,  le  cardinal  légat  se  leva,  et  marcha  rapidement 
dans  sa  chambre  en  répétant  : 

((  Voilà  donc  la  France  perdue!  voilà  l'Église  de  France 
dans  la  boue  !  » 

iVprès  avoir  reçu  la  communication  officielle  de  la  nomi- 
nation des  constitutionnels  à  quelques  sièges  vacants,  le 
cardinal  s'informa  de  leur  caractère,  de  leur  vie,  de 
leurs  mœurs,  et,  muni  de  ces  renseignements,  il  se 
rendit  chez  Bonaparte  pour  demander  la  radiation  de 
certains  noms,  qui  étaient  à  la  fois  une  provocation  et 
un  scandale. 

Bonaparte  persista  dans  sa  résolution ,  et  s'écria  avec 
vivacité  : 

«  Eh  quoi!  vous  ne  voulez  pas  de  l'évêque  Primai 
pour  archevêque  de  Toulouse  parce  qu'il  a  porté  le  bon- 
net rouge  et  abjuré  sa  foi?  Mais  saint  Pierre  n'a-t-il  pas 
renié  Jésus-Christ,  et  obtenu  ensuite  la  primauté  de 
l'Église?  » 

La  situation  du  cardinal  était  critique.  Il  voulait  attendre 
la  réponse  de  Rome  avant  de  prendre  une  décision.  Ces 
lenteurs  irritaient  Bonaparte,  qui  s'en  plaignit  un  jour 
à  M.  de  Boisgelin. 

((  Ces  messieurs,  répondit  le  prélat,  ne  peuvent  rece- 
voir l'institution  canonique  qu'après  s'être  mis  en  règle 
avec  Rome. 


88  M.  ÉMERY 

—  Je  les  ai  nommés,  répliqua  vivement  Bonaparte, 
qu'ils  s'arrangent  avec  la  cour  de  Rome.  » 

Instruit  de  cette  parole  par  M.  Émery,  le  cardinal  légat 
rédigea  une  formule  de  rétractation  et  de  soumission  à 
l'autorité  du  saint -siège,  qu'il  résolut  d'imposer  à  tous 
les  sujets  que  le  gouvernement  lui  présentait  pour  l'épis- 
copat.  Il  exigeait  en  particulier  de  chacun  des  évêques 
constitutionnels  «  qu'il  détestât  la  part  qu'il  avait  prise 
au  prétendu  concile  national  tenu  l'année  dernière  dans 
l'église  cathédrale  de  Paris  ».  Les  constitutionnels  avaient 
organisé  ce  simulacre  de  concile  à  l'instigation  de  Bona- 
parte lui-même,  qui  cherchait  alors  à  intimider  le  pape. 

Dans  l'espérance  d'obtenir  un  Concordat  plus  conforme 
à  ses  rêves  de  domination,  il  agitait  le  fantôme  d'un 
schisme  ou  d'une  Eglise  nationale  indépendante  de  la 
papauté. 

La  formule  rédigée  par  le  cardinal  déplut  aux  consti- 
tutionnels ,  qui  exposèrent  à  Portalis  les  causes  de  leur 
mécontentement  et  de  leur  refus. 

VII.  —  Portalis,  irrité  de  la  démarche  si  légitime  du 
cardinal  légat ,  prit  en  main  la  défense  des  contitution- 
nels  ;  dans  une  dépêche  officielle,  il  accusa  le  repré- 
sentant du  pape  d'avoir  insulté  le  gouvernement  en 
reprochant  aux  évêques  de  s'être  réunis  par  ses  ordres 
pour  traiter  des  affaires  de  l'Église  ;  il  ajoutait  que  la 
nation  ne  souffrirait  pas  cet  affront. 

Bernier,  nommé  à  l'évèché  d'Orléans ,  était  l'homme 
de  confiance  de  Portalis;  il  joua  dans  cette  affaire  un  rôle 
en  harmonie  avec  son  caractère  malheureux. 

Le  15  avril  1802,  Portalis  écrivit  à  Bernier  : 

«  J'ai  eu ,  citoyen  évèque ,  plusieurs  conférences  avec 
les  évêques  constitutionnels.  Nous  sommes  convenus  de 
la  formule  que  j'ai  l'honneur  de  vous  adresser.  Dans 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  80 

cette  formule,  on  renonce  formellement,  de  cœur  et 
d'esprit ,  à  la  constitution  civile  du  clergé ,  et  on  promet 
une  véritable  obéissance  au  pape.  Rien  de  plus  positif 
que  cette  renonciation;  vous  jugerez  vous-même  qu'on 
ne  peut  aller  au  delà  sans  avilir  la  nation  elle-même.  La 
déclaration  que  la  formule  renferme  doit  rassurer  entiè- 
rement le  saint-siège.  Je  vous  invite  à  faire  agréer  cette 
Formule  à  Son  Éminence  M.  le  cardinal  légat.  Il  importe 
au  bien  de  la  religion  et  au  succès  des  opérations  si  heu- 
reusement commencées  que  cette  affaire  soit  terminée 
dans  le  jour. 

a  J'ai  l'honneur  de  vous  saluer, 

((  Portalis.  )) 

Bernier  envoya  cette  pièce  au  cardinal  légat  avec  cette 
invitation  : 

((  Éminence, 

«  Je  viens  de  recevoir  de  M.  Portalis  la  lettre  ci-jointe. 
Je  supplie ,  je  conjure  Votre  Eminence  de  la  prendre  en 
considération  et  de  se  souvenir  que,  notre  institution 
n'étant  que  provisoire,  Sa  Sainteté  sera  juge  définitif,  et 
qu'ainsi  il  peut,  par  une  indulgence  provisoire,  nous 
tirer  d'un  pas  si  difficile.  Il  faut  en  finir  et  ne  pas  irriter. 
|Ie  vois  qu'on  est  monté,  et  très  sûrement  on  ne  paraît 
pas  vouloir  fléchir  au  delà  de  ce  que  cette  lettre  contient. 
Je  recommande  avec  larmes  à  Votre  Éminence  de  sauver 
l'Église  de  France  par  sa  bonté. 

«  -{-  Ét.,  évêque  d'Orléans. 

«  Paris ,  15  avril  1802.  » 

Mais  il  n'était  plus  question,  comme  Bernier  le  pré- 
tendait, d'une  institution  provisoire ,  qui  aurait  rendu 


90  M.  ÉMERY 

plus  facile  l'acquiescement  du  saint -siège.  Le  cardinal 
Caprara  s'empressa  de  signaler  cette  erreur  dans  une 
réponse  brève  et  pleine  de  dignité. 

((  Le  cardinal  Caprara  fera  toujours  tout  ce  qui  est  en 
lui  pour  contribuer  au  bien  de  la  religion  et  au  succès 
des  heureuses  opérations  déjà  commencées;  mais  il  dé- 
clare à  M.  l'évêque .d'Orléans  que,  quelques  dispositions 
de  condescendance  qui  soient  dans  son  cœur  et  qu'il  a 
déjà  manifestées,  il  lui  est  impossible  d'aller  au  delà  des 
conditions  qui  lui  sont  impérieusement  prescrites  par  le 
saint-siège. 

«  Il  observe,  en  second  lieu,  que  le  principe  avancé 
par  M.  l'évêque  d'Orléans,  ce  que  l'institution  canonique 
((  donnée  par  le  légat  n'est  que  provisoire  et  que  Sa  Sain- 
ce  teté  est  juge  définitif,  »  est  un  principe  sans  fondement, 
puisque  les  évèques  institués  jouissent  d'une  juridiction 
pleine  et  entière  sur  leurs  diocèses. 

«  Cardinal  Caprara. 

«  15  avril  1802.  » 

Consulté  par  des  évêques  qui  attendaient  une  proroga- 
tion des  facultés  extraordinaires  dont  ils  avaient  besoin 
dans  leurs  diocèses,  et  une  formule  authentique  de  rétrac- 
tation pour  réconcilier  les  constitutionnels  avec  l'Eglise, 
le  cardinal  Caprara  avait  cru  pouvoir  répondre  en  s'adres- 
sant  directement  à  ces  prélats.  Portalis,  informé  de  cette 
intervention  du  cardinal  et  se  croyant  offensé  parce  qu'il 
n'avait  pas  été  consulté,  écrivit  une  lettre  dont  la  raideur 
injuste  exprime  les  intentions  du  gouvernement  et  son 
attitude  en  présence  de  la  cour  romaine. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE 


01 


«  Paris,  19  prairial,  an  X  de  la  République  (juin  1802). 

«  Il  circule,  monsieur  le  cardinal,  dans  le  diocèse  de 
Nancy  et  dans  d'autres  diocèses,  une  formule  de  rétrac- 
tation par  vous  remise  aux  évêques,  et  que  ceux-ci  sont 
I  chargés  d'exiger  des  prêtres  constitutionnels.  Vous  savez 
que,  d'après  l'arrêté  des  consuls  portant  vérification  des 
pouvoirs,  aucun  acte  émané  de  vous  ou  de  Rome  ne 
peut  être  envoyé  dans  les  diocèses,  ni  autrement  circuler 
en  France,  par  voie  directe  ou  indirecte,  sans  l'annexe 
du  gouvernement. 

c  La  circulation  de  la  formule  dont  il  s'agit  est  une 
infraction  manifeste  aux  conditions  sous  lesquelles  vous 
avez  été  reçu,  et  dont  vous  avez  solennellement  promis 
!  l'obéissance  par  un  serment  de  cœur.  Une  telle  infraction 
tend  à  compromettre  et  à  égarer  les  évêques  et  les  autres 
ecclésiastiques  qui  connaîtraient  assez  peu  leur  devoir 
pour  exécuter  des  brefs  ou  bulles  venant  de  Rome  ou  de 
votre  légation,  sans  avoir  préalablement  été  admis  ou 
sanctionnés  par  la  puissance  publique. 

oc  Je  sais  que  si  quelques  évêques  vous  ont  demandé 
!  une  formule  de  réconciliation  ,  vous  les  y  avez  induits 
par  l'envoi  que  vous  leur  avez  fait  de  votre  décret  du 
10  mai  dernier,  portant  exécution  des  brefs  de  Pie  VI  sur 
les  affaires  ecclésiastiques  de  France.  Comment  avez-vous 
r  pu  faire  l'envoi  d'un  décret  qui  ordonne  l'exécution  de 
'  jugements  qui  n'ont  jamais  été  présentés  au  gouverne- 
ment, qui  sont  intervenus  dans  des  formes  contraires  à 
'  nos  lois,  et  dont  les  dispositions  foncières  sont  inconci- 
liables avec  la  dignité  nationale  et  avec  les  droits  du  gou- 
vernement? 

«  Nos  lois  particulières,  les  principes  du  droit  des  gens 


92  M.  ÉMERY 

et  ceux  de  la  religion  exigent  de  vous,  dans  une  aussi 
grave  occurrence,  que  vous  retiriez  tout  de  suite  votre 
décret  et  tout  ce  qui  l'a  suivi. 

((  Les  évêques  et  ecclésiastiques  qui  obtempéreraient 
à  ce  décret  seraient  criminels  d'État,  et  vous  auriez  la 
terrible  responsabilité  des  maux  qui  en  seraient  la  suite, 
et  qui  auraient  pour  principe  la  violation  formelle  que 
vous  auriez  faite  des  conditions  sous  la  foi  desquelles  on 
a  reconnu  vos  pouvoirs. 

((  Portalis.  » 

Le  cardinal  Caprara  se  rendit  aux  observations  du  con- 
seiller d'Etat  chargé  de  toutes  les  affaires  concernant  les 
cultes,  et  retira  le  décret  de  prorogation  des  pouvoirs  et 
la  formule  de  soumission  qu'il  avait  envoyés. 

VIII.  —  M.  Émery  connaissait  les  détails  de  cette 
affaire;  il  était  bien  renseigné  sur  les  agissements  des 
constitutionnels  et  sur  les  projets  du  gouvernement  :  il 
communiqua  des  avis  confidentiels  à  l'abbé  Le  Sure,  en 
le  priant  de  les  faire  tenir  au  cardinal  légat  ;  il  lui  apprit 
ainsi  que  le  gouvernement  avait  promis  aux  constitution- 
nels de  n'exiger  d'eux  aucune  rétractation  et  de  se  con- 
tenter d'une  adhésion  très  explicite  au  Concordat. 

Lorsque  le  cardinal  Caprara  eut  connaissance  de  la 
nomination  de  douze  évêques  constitutionnels  aux  sièges 
vacants ,  il  déclara  qu'il  ne  pouvait  passer  outre  et  que 
les  négociations,  commencées  resteraient  sans  résultat. 
Bernier,  qui  voulait  à  tout  prix  les  faire  réussir  confor- 
mément aux  vues  du  premier  consul,  mit  tout  en  jeu 
pour  fléchir  le  légat.  Portalis  le  pressa  aussi  de  son  côté 
sans  avancer  davantage;  il  crut  d'abord  que  le  Concordat 
n'aurait  pas  lieu. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  93 
Dernier,  cependant,  se  rendit  à  la  Malmaison  pour 
informer  le  premier  consul.  Celui-ci,  qui  avait  fait  inter- 
cepter des  lettres  du  pape  au  légat  et  en  avait  retenu  la 
copie,  les  communiqua  à  Dernier,  qui  repartit  aussitôt 
pour  Paris,  et  se  présenta,  à  minuit,  chez  le  légat.  Il  le 
pressa  de  nouveau  en  lui  disant,  cette  fois  avec  assu- 
rante, que  si  le  Concordat  n'avait  pas  lieu,  ce  serait  Son 
Éminence  seule  qui  répondrait  des  suites  funestes  de 
cette  rupture.  Le  légat  insista  en  disant  que  ses  instruc- 
tions ne  l'autorisaient  pas  à  admettre  comme  évêquès 
des  futurs  sièges  aucun  des  constitutionnels. 
Bernier  repartit  : 

«  Mais  les  instructions  secrètes ,  et  très  secrètes,  que 
vous  avez  reçues  vous  y  autorisent,  puisqu'il  y  est  porté 
!  que,  'pourvu  que  la  foi  soit  sauvée,  le  saint-siège  con- 
Sent  à  abandonner  tout  le  reste,  s'il  le  faut,  pour  le  bien 
de  la  religion.  Si  vous  n'agissez  pas  conformément  à  vos 
instructions  très  secrètes,  vous  prendrez  donc  sur  vous 
seul  la  responsabilité  de  toutes  les  conséquences  de  cette 
rupture.  » 

Aces  mots  d'instructions  très  secrètes,  le  cardinal, 
devinant  qu'une  indélicatesse  avait  été  commise  et  que 
sa  correspondance  avait  été  ouverte,  fut  saisi  d'étonne- 
ment  et  changea  de  couleur.  Il  s'embarrassa ,  balbutia , 
et  dit  enfin  à  Bernier  : 

a  Voulez-vous  que  je  nomme  des  évêques  condamnés 
par  Pie  VI,  qui  n'ont  jamais  fait  aucun  désaveu  de  leur 
schisme? 

—  Vous  avez  confiance  en  moi ,  répondit  Bernier,  je 
me  charge  d'obtenir  leur  rétractation.  » 
On  connaît  la  suite. 

Portalis  ne  savait  rien  de  ces  instructions  très  secrètes, 
dont  le  premier  consul  ne  lui  avait  pas  dit  un  mot.  Aussi 
lorsqu'il  entendit  sonner  le  bourdon  de  Notre-Dame,  qui 
annonçait  à  la  capitale  la  signature  du  Concordat,  il  en 


94  M.  ÉMERY 

fut  tout  surpris  et  ne  comprit  pas  la  cause  de  cette  mani- 
festation !. 

Bernier  eut  alors  avec  les  évêques  constitutionnels  ré- 
unis chez  lui  une  longue  conférence,  à  la  suite  de  laquelle 
il  fit  savoir  au  cardinal  légat  qu'il  avait  pleinement  réussi 
dans  sa  mission ,  que  chacun  des  huit  évêques  constitu- 
tionnels avait  signé  la  formule  de  rétractation  exigée 
par  la  cour  de  Rome,  reçu  l'ahsolution  des  censures 
encourues,  promis  obéissance  au  saint-siège  et  reconnu 
l'autorité  de  ses  jugements  dans  les  affaires  ecclésias- 
tiques de  France.  Après  cette  attestation,  munie  de  la 
signature  de  M.  de  Pancemont,  ancien  curé  de  Saint- 
Sulpice,  trompé  lui-même  par  Bernier,  l'institution 
canonique  fut  accordée  aux  évêques  constitutionnels. 
Cette  lamentable  affaire  paraissait  enfin  terminée. 

Les  douze  évêques  constitutionnels  étaient  Charrier, 
Le  Coz,  Beaulieu,  Lacombe,  Perrier,  Bécherel,  Montault, 
Saurine  ,  Reymond,  Berdollet,  Belmas  et  Primat,  ancien 
oratorien ,  apostat  et  archevêque  de  Toulouse ,  qui  mou- 
rut, en  1816,  des  suites  rapides  d'une  congestion  céré- 
brale ,  après  avoir  écrit  au  pape  et  obtenu  sa  réconcilia- 
tion tardive. 

Bernier  avait-il  encore  une  fois  altéré  la  vérité  et  trompé 
le  cardinal  légat,  pour  extorquer  au  prix  d'un  mensonge 
l'institution  canonique  attendue  par  les  huit  constitu- 
tionnels? Dominique  Lacombe,  nommé  à  l'évêché  d'An- 
goulême,  déclara  publiquement,  dans  une  lettre  adressée 
à  un  prêtre  constitutionnel  de  son  diocèse,  Binos,  ancien 
chanoine  de  Saint-Bernard,  qu'il  n'y  avait  pas  eu  de 
rétractation;  que  l'on  s'était  contenté  d'une  simple  adhé- 
sion au  Concordat;  que  Bernier  et  Portalis  pouvaient 

1  Ces  détails  authentiques  et  inédits  ont  été  communiqués  à 
M.  Faillon  par  Mar  Ginouilhac,  évêque  de  Grenoble,  le  25  juin  1866. 
Il  les  avait  appris  de  M.  Portalis  tils,  qui  les  tenail  de  la  propre 
bouche  de  son  père,  dont  il  était  alors  secrétaire. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  95 

affirmer  ce  fait.  Cet  indigne  prélat  ajouta  ces  paroles , 
qui  restent  comme  une  flétrissure  à  sa  mémoire  : 

«  Vous  désirez  savoir  si  Son  Eminence  le  cardinal 
Caprara  nous  a  demandé  la  rétractation  du  serment  de 
la  constitution  civile  du  clergé,  et  si  les  évéques  constitu- 
tionnels réélus  ont  fait  cette  rétractation.  Je  vous  réponds 
oui ,  je  vous  réponds  non.  Il  est  très  vrai  que  M.  le  légat 
sa  voulu  une  rétractation  ;  il  est  très  vrai  qu'il  ne  l'a  pas 
'obtenue.  Nous  nous  présentâmes  à  lui  le  jeudi  saint,  pour 
lui  demander  l'institution  prescrite  par  le  nouveau  Con- 
cordat. Il  nous  proposa  de  signer  une  lettre  à  Sa  Sain- 
teté, lettre  tout  à  fait  propre  à  nous  révolter.  Nous  refu- 
sâmes de  la  signer.  Par  qui  ce  refus  fut-il  fait?  d'abord 
par  les  évéques  constitutionnels  de  Rennes,  de  Dax  et 
de  Clermont;  ensuite  par  les  évéques  constitutionnels  de 
Rouen,  de  Carcassonne  et  de  Bordeaux.  Nous  allâmes 
ensuite  chez  le  citoyen  Portalis ,  chargé  de  toutes  les 
affaires  ecclésiastiques;  nous  l'instruisîmes  de  ce  qui 
venait  de  se  passer.  Il  parut  improuver  les  prétentions 
de  M.  le  légat;  il  dit  qu'il  y  apporterait  remède  dans  la 
journée;  que  le  gouvernement  ne  voulait  point  de  rétrac- 
tation ;  qu'il  ne  serait  exigé  qu'une  pure  et  simple  adhé- 
sion au  Concordat.  Il  demanda  que  sur-le-champ  fussent 
réunis  chez  lui  tous  les  évéques  constitutionnels.  Il  lit 
appeler  en  même  temps  l'évèque  Bernier;  il  le  chargea 
de  parler  à  M.  le  légat ,  et  de  lui  dire  que  l'affaire  des 
évéques  constitutionnels  devait  finir  dans  la  journée. 
Celui-ci  consentit  à  la  commission  :  il  proposa  et  rédigea 
une  lettre  bien  différente  de  la  première.  Nous  l'adop- 
tâmes. Maintenant,  si  quelqu'un  ose  vous  dire  que  nous 
nous  sommes  rétractés,  ne  craignez  pas  de  lui  dire: 
Mentiris  impudentissime.  On  vous  dira  peut-être  que 
M.  le  légat  nous  a  donné  l'absolution  ;  que  la  preuve  en 
3st  dans  les  registres  de  sa  légation  ;  qu'on  y  a  vu ,  au 
rapport  du  nouvel  évèque  de  Versailles  et  de  quelques 


96  M.  ÉMERY 

autres,  plusieurs  exemplaires  d'un  décret  d'absolution 
humblement  demandé  par  plusieurs  de  nous  et  charita- 
blement accordé  à  plusieurs  de  nous.  Vous  direz  avec 
moi  que  M.  le  légat  a  donné  une  absolution  qui  n'était 
ni  voulue  ni  demandée;  que,  lorsque  le  décret  en  fut] 
remis  par  l'évêque  Bernier  à  quelques-uns  d'entre  nous, 
ils  en  ont  fait  justice  en  le  jetant  au  feu  sous  les  yeux  du 
citoyen  Porlalis.  » 

Nous  avons  découvert  aux  archives  nationales  ce  rap- 
port officiel  et  précis  de  Portalis ,  qui  présente  les  faits 
d'une  manière  plus  exacte  et  sous  un  jour  différent.  Il 
est  adressé  à  l'empereur  : 

cl  Sire, 

((  J'allais  ce  matin  rendre  compte  à  Votre  Majesté  de 
ce  qui  s'était  passé  hier  entre  le  pape  et  les  évèques  dits 
constitutionnels.  Après  quelque  temps,  on  m'a  assuré 
que  les  grandes  occupations  de  Votre  Majesté  ne  lui  per- 
mettaient pas  de  me  recevoir  aujourd'hui.  Je  viens,  en 
conséquence,  vous  exposer  par  écrit  ce  que  je  n'ai  pu 
dire  de  vive  voix. 

«  Mercredi  soir,  M.  le  ministre  de  la  police  ne  put 
obtenir  la  signature,  au  bas  de  la  formule  présentée  au 
nom  du  pape ,  des  évêques  que  l'on  voulait  déterminer  à 
la  souscrire.  Ils  en  signèrent  une  autre  qui  ne  plaisait 
pas. 

((  Le  jeudi  matin  fut  encore  perdu.  L'évêque  de 
Vannes  étant  venu  m'en  instruire,  je  pris  le  parti  de  me 
rendre  chez  le  cardinal  légat,  en  témoignant  le  désir  d'y 
trouver  tous  les  autres  cardinaux.  Je  m'y  rendis  le  jeudi 
à  huit  heures  du  soir. 

ce  Après  une  conférence  qui  dura  jusqu'à  minuit,  il  fut 
arrêté  que  les  évèques  dits  constitutionnels  seraient  reçus 
le  lendemain  dans  la  matinée  chez  le  pape  ;  que  Sa  Sain- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  97 

teté  leur  parlerait  avec  affection ,  et  qu'elle  se  contente- 
rait de  toute  déclaration  raisonnable,  sans  vétiller  sur 
les  termes.  J'obtins  cette  résolution  en  parlant  avec  fer- 
meté et  avec  sentiment. 

((  Le  lendemain  vendredi,  c'est-à-dire  hier,  le  car- 
dinal légat  et  les  autres  cardinaux  se  rendirent  de  bonne 
heure  chez  le  pape  pour  le  prévenir  de  ce  qui  s'était  passé 
la  veille.  Les  évêques  constitutionnels  parurent  à  l'heure 
indiquée.  Le  pape  leur  parla  comme  un  père,  et  la  récon- 
ciliation fut  consommée  avec  attendrissement  de  part  et 
d'autre.  Il  n'y  eut  que  M.  Le  Coz,  archevêque  de  Besan- 
çon ,  qui  se  perdit  en  dissertations  froides  et  théologiques, 
et  qui  sortit  en  refusant  tout. 

«  L'évèque  de  Vannes  avait  été  présent  à  la  conférence 
chez"  le  pape,  il  m'instruisit  du  résultat.  Je  m'empressai 
d'en  donner  connaissance  à  M.  le  ministre  de  la  police, 
,en  le  priant  de  vouloir  bien  agir  de  nouveau  auprès  de 
jce  prélat  pour  le  ramener  à  des  sentiments  de  paix. 

«  Aujourd'hui,  sur  les  cinq  heures  et  demie  du  soir, 
M.  le  ministre  de  la  police  m'a  envoyé  la  déclaration  bien 
simple  qui  avait  été  signée  hier  chez  le  pape  par  les 
autres  évêques  constitutionnels,  et  à  laquelle  M.  Le  Coz 
a  enfin  donné  sa  signature  sur  les  instances  de  ce  mi- 
nistre. 

((  M.  l'évèque  de  Vannes  se  trouvait  chez  moi;  il  s'est 
tout  de  suite  porté  chez  le  pape.  Il  lui  a  présenté  la  décla- 
ration signée  par  M.  Le  Coz,  et  il  vient  de  me  dire  que  Sa 
Sainteté  recevra  demain,  à  huit  heures  du  matin,  M.  Le 
Coz,  qui  a  promis  de  son  côté  de  ne  plus  entamer  aucune 
question  théologique,  et  qui  n'a  plus  besoin  que  de  se 
taire. 

a  Ainsi  toute  l'affaire  est  consommée,  et  la  paix  est 
rétablie  définitivement  et  sans  retour. 

«  La  déclaration  signée  ne  consiste  plus  que  dans  une 
simple  phrase  de  soumission  mue  jmjement*  (ht  saint- 

r 


98  M.  ÉMERY 

siège  et  de  l'Église  catholique,  apostolique  et  romaine, 
sur  les  affaires  ecclésiastiques  de  France. 

((  Le  janséniste  le  plus  outré  ne  répugnerait  point  à 
signer  une  telle  déclaration.  Votre  Majesté  ne  sera  donc 
plus  importunée  d'une  affaire  qui  ne  tenait  qu'à  l'amour- 
propre  et  à  de  petites  passions. 

((  L'évêque  de  Vannes  m'a  attesté  que  les  cardinaux, 
chez  le  pape ,  avaient  été  fidèles  à  tout  ce  qu'ils  avaient 
promis  dans  leurs  conférences  avec  moi;  et  c'est  une  jus- 
tice que  je  dois  leur  rendre  auprès  de  Votre  Majesté.  Le 
pape  s'est  conduit  avec  une  douceur  et  une  charité  admi- 
rables. 

«  Je  suis,  avec  un  très  profond  respect ,  Sire ,  de  Votre 
Majesté , 

«  Le  très  humble,  très  obéissant  et  très 
dévoué  serviteur, 

«  Portalis  1 . 
«  Paris,  ce  7  nivôse  an  XIII,  à  neuf  heures  du  soir.  » 

Ainsi  finit,  par  la  mansuétude  paternelle  du  pape,  le 
schisme  qui  divisa  si  profondément  l'Église  de  France 
pendant  la  Révolution. 

Le  8  juin  1802,  Portalis  écrit  aux  nouveaux  évêques 
que,  pour  répondre  aux  intentions  du  premier  consul, 
ils  doivent  prendre  un  grand  vicaire  dans  les  rangs  des 
prêtres  constitutionnels,  et  que  ceux-ci  doivent  entrer 
dans  la  proportion  du  tiers  au  quart  sur  la  liste  des  curés, 
chanoines,  etc.  11  ajoute  que  le  mariage  des  prêtres  est 
licite;  qu'il  ne  faut  pas  refuser  la  bénédiction  nuptiale  à 
ceux  qui  contractent  un  second  mariage  après  le  divorce; 


1  Archives  nationales,  AF,  IV,  1045. 


ET  L'EGLISE  DE  FRANCE  99 

qu'il  appartient  au  gouvernement  de  statuer  sur  les  cha- 
pelles domestiques,  les  oratoires  particuliers,  le  refus 
public  des  sacrements.  C'est  ainsi  que  ce  conseiller 
d'Etat,  trop  étranger  à  la  théologie  pour  comprendre 
l'inconvenance  maladroite  et  les  erreurs  grossières  de  ses 
prescriptions,  prétendait  assurer  le  libre  exercice  du 
culte  catholique  et  se  conformer  à  la  lettre  aussi  bien  qu'à 
l'esprit  du  Concordat. 


CHAPITRE  V 


LES  PREMIÈRES  DIFFICULTÉS  DE  M.  ÉMERY  AVEC  LE  GOUVERNEMENT 

I.  —  Bernier  redoutait  l'influence  considérable  et  mé- 
ritée de  son  ancien  directeur,  M.  Émery,  sur  le  clergé  de 
France  et  sur  les  membres  les  plus  importants  de  l'épis- 
copat.  Il  voyait  grandir  tous  les  jours  cette  influence  qui 
pouvait,  à  une  heure  peut-être  prochaine,  s'exercer  dans 
les  conseils  du  gouvernement  et  devenir  un  obstacle  à 
l'accomplissement  de  ses  propres  desseins.  Il  avait  reconnu 
déjà  l'opposition  secrète  et  puissante  de  l'ancien  supé- 
rieur du  grand  séminaire  d'Angers  dans  les  difficultés  si 
graves  que  l'Église  de  France  venait  de  traverser.  Bernier 
venait  de  jouer  un  triste  rôle  dans  l'affaire  des  consti- 
tutionnels, il  fuyait  la  présence  d'un  prêtre  dont  la 
dignité  vivante  était  un  reproche  infligé  à  sa  politique 
tortueuse.  Il  conçut  le  dessein  d'éloigner  de  Paris 
M.  Émery,  et  de  se  soustraire  à  son  influence  gênante. 
Aidé  de  Talleyrand,  il  décida  le  premier  consul  à  nommer 
M.  Émery  à  l'évèché  d'Arras.  Le  décret  fut  signé  le 
40  avril  4802. 

M.  Émery  était  trop  dévoué  à  la  compagnie  de  Saint- 
Sulpice  et  à  l'œuvre  des  séminaires  pour  accepter  l'hon- 
neur redoutable  de  l'épiscopat.  Il  n'avait  jamais  eu 
qu'une  pensée  :  servir  l'Église ,  et  rester  fidèle  à  l'esprit 
comme  aux  enseignements  de  M.  Olier.  Après  avoir 
prié,  médité,  pris  l'avis  des  messieurs  de  Saint-Sulpice, 


M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANGE  101 

il  écrivit  à  Portalis,  chargé  des  affaires  des  cultes,  une 
lettre  dont  nous  avons  le  projet  sous  les  yeux  : 

a  J'ai  reçu  ,  dit  M.  Émery,  la  lettre  que  vous  m'avez 
fait  l'honneur  de  m'écrire.  Je  suis  on  ne  peut  plus  touché 
fie  la  marque  d'estime  et  de  confiance  que  daigne  me 
idonner  le  premier  consul  en  me  nommant  à  l'évèché 
l'Arras.  Ces!  à  vous,  sans  doute,  que  je  suis  redevable 
de  l'opinion  qui  l'engage  à  me  croire  propre  à  l'épis- 
copat. 

«  Je  vous  prie  de  lui  présenter  mes  très  humbles 
actions  de  grâces;  mais  je  vous  supplie  en  même  temps 
Je  lui  faire  trouver  bon  que  je  n'accepte  pas.  Je  me  dé- 
termine à  cette  démarche,  après  y  avoir  bien  réfléchi  et 
avoir  invoqué  les  lumières  de  l'Esprit-Saint.  Une  multi- 
tude de  raisons  m'en  font  un  devoir;  je  ne  vous  en 
exprimerai  qu'une. 

ce  J'étais  supérieur  du  séminaire  de  Saint-Sulpice  et  de 
la  congrégation  qui  porte  ce  nom  ,  chargé  par  conséquent 
le  former  les  jeunes  gens  qu'on  y  élevait  aux  vertus  de 
leur  état,  et  particulièrement  à  l'éloignement  pour  les 
lignités  ecclésiastiques;  car  vous  savez  que  l'ambition 
Hait  un  vice  trop  commun  dans  le  clergé  des  derniers 
emps,  et  contre  lequel  il  était  nécessaire  de  prémunir 
'esprit  et  le  cœur  des  jeunes  gens.  Dans  cette  vue,  il 
allait  que  les  supérieurs  ,  qui  donnaient  des  leçons  sur 
a  crainte  et  la  fuite  des  dignités,  en  fournissent  eux- 
mêmes  l'exemple. 

«  En  conséquence ,  mes  prédécesseurs  ont  toujours 
efusé  les  évèchés  qui  leur  ont  été  offerts.  tléritier  de 
eur  office,  j'ai  dû  l'être  aussi  de  leurs  sentiments,  et 
non  éloignement  pour  l'épiscopat  est  arrivé  au  plus  haut 
,i)oint.  Très  certainement,  si  on  m'avait,  sous  l'ancien 
égime,  nommé  à  un  évèché,  je  ne  l'aurais  pas  accepté. 
Comment  pourrais- je,  à  l'âge  de  soixante-dix  ans,  ne 
pouvant  donc  prudemment  compter  que  sur  trois  ou 


102  M.  ÉMERY 

quatre  ans  de  vie,  et  ayant  à  peine  le  temps  de  connaître 
seulement  de  vue  le  troupeau  immense  qui  me  serait 
confié;  comment,  dis-je,  pourrais-je  réussira  arracher 
de  mon  cœur  un  sentiment  si  ancien  et  si  profondément 
enraciné?  Les  violences  qu'il  faudrait  me  faire  ne  pour- 
raient que  compromettre  ma  santé  et  ma  vie. 

((  Mais,  de  plus,  que  penseraient  de  moi  tant  d'ecclé- 
siastiques devant  qui  j'ai  fait  pendant  si  longtemps  une 
haute  profession  à  cet  égard?  Ne  soupçonneraient- ils 
pas  que  cette  profession  n'était  de  ma  part  qu'un  acte 
d'hypocrisie;  qu'au  fond  j'avais  autant  d'ambition  qu'un 
autre  ;  que ,  dans  les  disputes  agitées  entre  les  catho- 
liques en  France  ,  au  sujet  des  formules  exigées  pour  le 
libre  exercice  du  culte ,  je  n'ai  embrassé  les  sentiments 
favorables  à  ces  formules  que  dans  le  dessein  de  plaire 
au  gouvernement  et  de  favoriser  mon  ambition  ? 

«  Et,  de  là,  les  leçons  que  je  leur  ai  données  sur  les 
devoirs  de  leur  état  ne  seraient -elles  pas  discréditées, 
et  ne  perdraient -elles  pas  dans  leur  esprit  tout  le  poids 
qu'elles  avaient  reçu  de  mon  autorité?  Quel  avantage 
surtout  ne  tireraient  pas  de  mon  acceptation  tant  d'ecclé- 
siastiques, soit  au  dedans,  soit  au  dehors  de  la  France, 
opposés  à  la  soumission,  et  qui,  parce  que  je  lui  étais 
favorable  ,  m'ont  traduit  partout  comme  un  homme  infi- 
dèle à  ses  anciens  principes,  et  qui  était  dévoré  d'ambi- 
tion? Loin  d'être  étonné  qu'un  supérieur  de  Saint -SuL 
pice,  nommé  à  un  évèché,  le  refuse,  on  devrait  plutôt 
être  étonné  de  son  acceptation. 

((  Ce  serait  bien  injustement  qu'on  regarderait  mon 
refus  comme  une  marque  d'opposition  au  nouvel  ordre 
de  choses  ,  et  comme  pouvant  servir  de  motif  à  d'autres 
refus.  Aucun  autre  ne  se  trouve  dans  le  même  cas  que 
moi ,  et  je  ne  crains  pas  de  dire  que  je  servirai  mieux 
cet  ordre  de  choses  en  n'acceptant  pas.  Il  y  aura  sûre- 
ment, dans  les  diocèses  où  l'on  place  des  constitution- 


ET  LÉHLÏSE  DE  FRANCE  103 

fiels,  et  dans  ceux  dont  les  évêques  n'ont  pas  donné 
eur  démission,  de  nombreux  opposants.  Si  j'accepte,  et 
n  ensuite  on  me  consulte,  mes  conseils  ne  seront  comptés 
bour  rien,  comme  n'étant  point  ceux  d'une  personne 
rlésintéressée ;  au  lieu  que,  dans  la  supposition  con- 
raire ,  j'aurai  quelque  poids  pour  les  déterminer  à 
'obéissance  et  lever  leurs  scrupules,  et  sûrement  je  serai 
consulté  de  différents  endroits. 

i  «  Je  dis  plus,  je  servirai  mieux  la  religion  et  l'Église 
|?n  persévérant  dans  ma  première  vocation.  Le  plus 
'•;rand  et  le  plus  pressant  besoin  de  la  religion  aujour- 
i'hui  est  de  former  des  prêtres,  et  de  bons  prêtres.  Il 
*  a  au  moins  une  lacune  de  douze  années  à  remplir.  Les 
••uvriers  propres  à  cette  œuvre,  et  qui  voudraient  s'y 
•onsacrer,  seront  pour  les  évêques  assez  difficiles  à  trou- 
er. J'étais  chef  d'une  compagnie  exclusivement  dévouée 
|  l'éducation  ecclésiastique;  plusieurs  membres  de  cette 
;ompagnie  vivent  encore,  ou  en  France  ou  dans  les 
)ays  étrangers;  je  connais  les  lieux  de  leur  demeure,  et 
*e  conserve  assez  d'ascendant  sur  eux  pour  les  engager 
.  reprendre  leurs  premières  fonctions,  si  ingrates  et  si 
)énibles  qu'elles  puissent  être.  Je  puis  les  indiquer  aux 
■vèques,  et  concourir  à  l'établissement  de  leurs  sémi- 
naires. » 

>  Portalis,  accoutumé  à  l'empressement  obséquieux  des 
institutionnels,  qui  sollicitaient  avec  tant  d'ardeur  et 
iu  prix  des  marchés  les  moins  honorables  pour  leur 

onscience,  la  dignité  épiscopale,  s'étonna  de  cette  pa- 
role fière  et  désintéressée.  Il  n'avait  pas  encore  rencontré 

in  homme  qui  lui  parlât,  avec  cette  autorité  et  cet 
iccent  convaincu,  de  l'amour  de  l'Église,  du  prix  des 

mes,  de  la  fragilité  des  honneurs  humains,  des  res- 
ponsabilités redoutables  de  l'épiscopat.  Il  ne  désespérait 

>as  cependant  de  vaincre  cette  résistance  inattendue  et 
île  triompher  de  cet  excès  d'humilité. 


104  M.  ÉMERY 

IL  — Bernier  devint  l'auxiliaire  de  PorLalis  :  il  essaya 
de  faire  comprendre  à  M.  Émery  que  son  refus  aurait 
pour  effet  d'appeler  la  colère  du  premier  consul  sur  la 
compagnie  de  Saint- Sulpice,  de  priver  des  ressources  de 
son  intelligence  et  de  son  caractère  un  diocèse  dont  l'ad- 
ministration pourrait  être  confiée  à  un  homme  incapable 
et  sans  vertus. 

L'archevêque  de  Bourges,  l'évêque  de  Vannes  et 
d'autres  prélats ,  qui  avaient  écouté  autrefois  avec  défé- 
rence, dans  des  circonstances  difficiles,  les  sages  conseils 
de  M.  Emery,  secondaient  par  leur  influence  et  leur  con- 
cours les  sollicitations  pressantes  de  Bernier.  Mais 
M.  Emery  avait  longtemps  réfléchi  avant  d'envoyer 
à  Portalis  son  refus  motivé.  Le  15  avril,  il  répondit  à 
Bernier,  qui  se  flattait  d'avoir  été  inspiré  par  des  senti- 
ments d'amitié  en  présentant  son  nom  au  premier 
consul  : 

((  Je  persiste,  disait  M.  Émery,  à  refuser  l'évèché 
auquel  j'ai  été  nommé.  Je  crois  mes  raisons  légitimes  et 
canoniques.  Elles  n'ont  absolument  rien  qui  puisse  offen- 
ser le  gouvernement,  puisqu'il  est  très  notoire  qu'elles 
ne  sont  fondées  sur  aucune  espèce  d'opposition  à  l'ordre 
de  choses  qui  s'établit,  et  que  je  favoriserai  de  tout  mon 
pouvoir.  Ma  répugnance  pour  l'épiscopat  est  telle,  que 
les  violences  que  je  me  ferais  pour  accepter  et  en  exercer 
les  fonctions  auraient  bientôt  terminé  ma  vie.  La  seule 
perspective  de  cet  état  pour  moi  a  déjà  notablement 
altéré  ma  santé. 

((  Depuis  quand  donc  le  refus  d'un  évêché  serait-il  un 
scandale  et  un  crime  ?  Il  ne  peut  l'être  certainement  aux 
yeux  d'un  ecclésiastique  aussi  instruit  que  vous;  il  ne 
peut  même  l'être  aux  yeux  du  premier  consul,  que  ce 
refus  honore,  puisqu'il  prouve  qu'il  a  jeté  les  yeux, 
pour  remplir  les  places,  sur  des  sujets  qui  ne  les  avaient 
pas  briguées. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  105 

||  «  Vous  dites  que  je  vous  ai  fait  des  reproches  ;  mais 
bus  avez  du  sentir  que  c'étaient  les  reproches  de  l'amitié. 
!  est  très  vrai  que,  si  je  me  trouve  dans  une  situation 
rissi  pénihle,  c'est  votre  amitié  pour  moi  qui  en  a  été 
.  cause ,  puisque  c'est  elle  qui  vous  a  engagé  à  me  pro- 
pser  pour  un  évêché.  Mais  je  n'en  sens  pas  moins  le 
•ix  de  votre  procédé,  et  je  ne  m'en  crois  pas  moins 
pligé  à  la  reconnaissance. 

«  Vous  me  faites  redouter  les  suites  de  mon  refus , 
pur  moi  et  pour  les  membres  de  ma  compagnie.  Il 
'est  aucune  suite  que  je  redoute  pour  ma  personne, 
arce  qu'elle  est  exercée  et  préparée  à  tout.  Mais  je  ne 
pis  pas  comment  des  prêtres,  qui  n'ont  absolument 
ricune  part  à  la  détermination  que  j'ai  prise  ,  pour- 
lien  t  être  l'objet  de  quelque  animad version.  —  Cette 
nimadversion  porterait  au  fond  sur  l'Eglise  et  sur  les 
œques,  à  qui  on  rendrait  inutiles  les  services  que  ces 
rètres  seraient  disposés  à  leur  rendre  gratuitement. 
,  «  Mais  il  me  serait  fort  aisé  de  prévenir  toutes  les 
îites  (pie  vous  appréhendez  pour  eux.  Puisque  je  serais, 
n  ce  cas,  le  Jonas  qui  exciterait  cette  tempête,  il  ne 
agirait  pour  moi  que  de  me  jeter  à  la  mer,  ou,  pour 
arler  sans  figure,  que  de  quitter  Paris,  de  remettre 
■ion  autorité  entre  les  mains  d'un  autre  et  de  vivre 
ans  une  retraite  éloignée;  ce  qui  depuis  longtemps 
,st  l'objet  de  mes  vœux.  » 

L'abbé  Rousseau,  futur  évèque  d'Orléans,  était  le 
brviteur  empressé,  obséquieux,  importun  de  Bernier 
4ns  la  campagne  engagée  pour  triompher  des  scrupules 
B  M.  Emery  *.  Le  vénérable  supérieur  de  Saint-Sulpice 

1  Claude-Louis  Rousseau  fut  sacré  le  25  avril  1802,  à  Paris.  Il 
l  évèque  de  Coûtâmes  de  180*2  à  1807.  En  1807,  il  fut  nommé 
jêque  d'Orléans.  Mor  Rousseau  eut  à  subir,  à  Coutances,  les 
peasseries  de  l'administration  civile.  Dans  ses  embarras,  il  avait 
cours  à  son  ami  le  ministre  Porlalis,  ce  qui  le  forçait  de 


106  M.  ÉMERY 

nous  a  laissé  le  portrait  sévère  mais  fidèle  de  ce  can- 
didat bruyant  à  la  haute  dignité  de  l'épiscopat.  Nommé 
enfin  évêque  d'Orléans,  M.  Rousseau  se  plaisait  à  célé- 
brer, dans  un  langage  dont  l'emphase  égalait  le  ridicule, 
les  victoires  de  l'empereur  :  il  envoyait  avec  empresse* 
ment  ces  panégyriques  peu  dignes  de  la  gravité  épisco- 
pale  à  M.  Émery,  sans  dissimuler  son  désir  de  recevoir 
des  félicitations  encourageantes  ;  il  se  plaignait  dans  ses 
lettres  de  son  silence ,  et  ne  comprenait  pas  que  le  supé- 
rieur de  Saint -Sulpice,  affligé  de  ces  lamentables  exagé- 
rations de  langage,  était  plutôt  disposé  à  le  blâmer  qu'à 
lui  décerner  des  louanges. 

«  J'ai  reçu  hier,  écrit  M.  Émery  à  M.  de  Bausset ,  la 
nouvelle  officielle  de  ma  nomination.  Dans  le  moment, 
plusieurs  personnes ,  entre  autres  l'abbé  Rousseau , 
accourent  pour  me  faire  compliment.  Je  témoignai  sans 
déguisement  mon  opposition.  Je  fus  accablé  de  remon- 
trances, et  même  on  me  fit  craindre  la  colère  du  pre- 
mier consul.  J'accusai  réception,  et  je  remis  la  réponse 
au  lendemain.  Je  m'en  occupe;  je  ne  balance  pas  pour 
le  refus,  quoi  qu'il  arrive.  Cependant  je  vais  assembler 
nos  messieurs.  Saint-Sulpice  est  perdu  si  j'accepte,  et  si 
je  n'accepte  pas,  on  me  dit  que  j'attirerai  sur  ma  com- 
pagnie l'indignation  du  premier  consul  \  » 

Il  refusa,  peu  de  temps  après,  avec  la  même  persis- 
tance et  pour  les  mêmes  raisons,  les  évèchés  de  Troyes 
et  d'Autun ,  qui  lui  furent  offerts  à  la  suite  des  dé- 
marches de  l'oncle  maternel  du  premier  consul ,  le  car- 
dinal Fesch,  protecteur  et  ami  de  M.  Emery.  Il  vou- 
lait vivre  au  milieu  des  siens,  reposer  un  jour  dans  la 
tombe  auprès  des  Bretonvilliers,  des  Tronson ,  de  ces 

séjourner  aussi  longtemps  à  Paris  qu'à  Coutances,  où  il  ne  se 
plaisait  point.  Il  mourut  d'une  attaque  d'apoplexie  à  Blois,  le 
7  octobre  1810. 

*  Lettre  du  11  avril  1802. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  107 

maîtres  pieux  dont  il  avait  l'esprit  intérieur  et  les  vertus 
solides.  D'ailleurs,  pendant  les  mauvais  jours  de  la  révo- 
lution ,  il  avait  vu  la  mort  de  près  ;  il  lui  restait  de  cette 
longue  vision  une  impression  profonde  du  néant  des 
dignités  humaines,  de  la  fragilité  de  la  vie  et  de  la 
grandeur  des  choses  éternelles. 

III.  —  Après  avoir  ainsi  organisé  sur  de  nouvelles 
hases  l'Eglise  de  France  relevée  de  ses  ruines,  Bona- 
parte résolut  de  frapper  l'imagination  de  la  foule  par  le 
spectacle  d'une  grande  cérémonie;  il  caressa  l'espérance 
d'attirer  le  pape  à  Paris,  et  de  recevoir  de  ses  mains, 
pour  lui  et  pour  sa  race,  la  reconnaissance  et  la  consé- 
cration religieuse  de  ses  droits,  dans  l'église  métropoli- 
taine de  Notre-Dame. 

Le  cardinal  Fesch  fut  chargé,  sur  les  indications  de 
Bernier,  de  pressentir  les  dispositions  d'esprit  de  la  cour 
romaine ,  et  de  savoir  si  le  pape ,  après  avoir  reconnu 
les  services  que  Bonaparte  avait  rendus  à  l'Église,  con- 
sentirait à  faire  le  voyage  de  Paris,  à  venir  présider  la 
cérémonie  de  son  couronnement  et  de  son  sacre. 
[    Les  désirs  de  l'empereur  étaient  des  ordres  :  il  était 
;  dangereux  de  lui  résister.  Cependant  les  négociations 
!  du  cardinal  Fesch  avec  Talleyrand,  ministre  des  affaires 
[étrangères  de  France,  et  avec  le  cardinal  Consalvi,  qui 
défendait  les  prérogatives  du  saint- siège  et  les  droits  de 
|  l'Église,  furent  longues,  difficiles.  Elles  exigeaient  un 
tact  tout  particulier  :  il  ne  fallait  hlesser  ni  la  dignité 
du  pape,  ni  l'amour- propre  irascihle  et  redoutable  de 
l'empereur. 

La  cour  de  Rome  aurait  désiré  que  le  témoignage  tout 
i  particulier  de  haute  bienveillance  donné  par  le  pape, 
:  dans  cette  circonstance,  fût  reconnu  et  récompensé  par 
!  la  promesse  formelle  d'une  faveur  qui  aurait  été  accordée 
par  l'empereur  à  l'Église  de  France;  cette  Église  était 


108  M.  EMERY 

blessée  dans  son  indépendance  par  les  articles  organiques 
ajoutés  subrepticement  au  Concordat,  et  désavoués  avec 
éclat  par  la  cour  romaine. 

Il  semblait  au  cardinal  Fesch  qu'une  promesse  expli- 
cite n'était  pas  nécessaire ,  et  qu'il  était  plus  sage  de  ne 
pas  contrarier  l'empereur  par  des  exigences  superflues. 
Aux  cardinaux  qui  lui  demandaient  un  engagement  sé- 
rieux il  répondait  que,  dans  une  dépêche  adressée  au 
cardinal  Gaprara ,  le  29  messidor,  Talleyrand  avait  dé- 
claré que  le  voyage  du  pape  à  Paris  n'aurait  pas  seule- 
ment pour  objet  le  couronnement  de  Sa  Majesté,  mais 
que  les  grands  intérêts  de  la  religion  en  formeraient  la 
partie  principale ,  et  seraient  agités  dans  les  conseils 
mutuels  de  l'empereur  et  du  souverain  pontife;  que  le 
résultat  de  leurs  délibérations  ne  pourrait  qu'être  infi- 
niment utile  aux  progrès  de  la  religion  et  au  bien  de 
l'État. 

La  crainte  des  conséquences  d'un  refus  détermina 
Pie  VII  à  se  prêter  au  désir  de  l'empereur. 

Portalis  s'empressa  d'en  informer  l'empereur  par  la 
lettre  suivante  : 

ce  Sire, 

a  M.  le  cardinal  Fesch  mande  que  le  voyage  du  saint- 
père  en  France  est  arrêté,  et  que  le  départ  est  fixé  au 
15  octobre. 

«  Cet  événement ,  qui  fera  époque  dans  l'histoire 
moderne,  et  qui  se  joindra  à  tant  d'autres  choses  aussi 
extraordinaires  que  glorieuses  qui  caractérisent  le  règne 
de  Votre  Majesté,  exige  que  je  prenne  vos  ordres  sur  les 
cérémonies  et  sur  les  objets  qui  peuvent  entrer  dans  mes 
attributions. 

«  Déjà  Votre  Majesté  aura  réglé  dans  sa  sagesse  la 
manière  dont  le  pape  doit  être  reçu  ;  toutes  les  ques- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  109 

tions  relatives  à  ce  point  sont  plutôt  diplomatiques  que 
canoniques  et  religieuses,  et  sous  ce  rapport  elles  sont 
étrangères  à  mon  ministère.  Je  ne  puis  y  avoir  d'autre 
part  que  celle  dont  Votre  Majesté  voudra  bien  se  reposer 
sur  mon  zèle. 

((  Mais  y  aura- 1- il  des  évêques  qui  iront  au-devant 
de  Sa  Sainteté?  Jusqu'où  iront-ils?  C'est  à  Votre  Majesté 
à  prononcer. 

«  M.  le  cardinal  Fesch  observe  qu'il  serait  sage  que 
quelques  évêques  fussent  attendre  Sa  Sainteté  à  Lyon  ; 
et  si  Votre  Majesté  le  pensait  aussi ,  le  choix  de  ces 
évêques  ne  serait  pas  indifférent.  Il  est  essentiel  que  le 
pape,  en  entrant  en  France,  puisse  voir  les  choses  comme 
elles  sont ,  et  qu'il  ne  soit  pas  circonvenu  par  des  exa- 
gérés et  des  fous. 

«  Comme  l'office  naturel  d'un  pape  est  de  jeter  un 
coup  d'oeil  sur  les  affaires  ecclésiastiques,  le  bien  exige 
que  l'Eglise  de  France  lui  soit  présentée,  dès  son  arrivée 
sur  notre  territoire,  telle  qu'elle  est  par  les  bienfaits  et 
par  la 'puissante  protection  de  Votre  Majesté.  Les  pre- 
mières impressions  à  donner  au  pape  doivent  lui  être 
données,  non  par  des  hommes  de  parti,  mais  par  des 
hommes  instruits  et  dévoués  à  l'État.  M.  le  cardinal 
Fesch  me  dit  qu'il  importe  de  ne  pas  négliger  cette  pré- 
caution. Il  présume  que  le  pape  se  reposera  à  Lyon,  et 
il  désirerait  que  là  il  pût  être  fidèlement  éclairé  sur  tout 
ce  qui  peut  intéresser  la  religion  en  France. 

a  Pour  moi,  Sire,  Votre  Majesté  peut  disposer  de  ma 
personne;  je  me  rendrai  partout  où  vos  ordres  m'appelle- 
ront; mon  zèle  ne  peut  avoir  d'autres  bornes  que  celles 
qui  lui  seraient  prescrites  par  votre  volonté.  Et,  pour  le 
bien  même  de  votre  service,  peut-être  ne  serait- il  pas 
indifférent  que  je  puisse  observer  ce  qui  se  passera,  et 
connaître  les  alentours  de  Sa  Sainteté  dès  qu'elle  mettra 
le  pied  en  France. 

II  4 


HO  M.  ÉMERY 

((  Je  hasarde  cette  idée  parce  que  je  suis  comptable  de 
toutes  mes  pensées  à  Votre  Majesté.  Ma  raison  peut  se 
tromper,  mais  alors  mes  erreurs  mêmes  n'auraient  leur 
source  que  dans  mon  zèle. 

((  Le  deuxième  objet  est  la  cérémonie  du  sacre.  Cet 
objet  ne  sera  pas  de  difficile  négociation.  On  retran- 
chera les  cérémonies  qui  ne  vont  pas  à  nos  mœurs.  On 
ne  fera  que  celles  qui  sont  aussi  dignes  d'un  grand 
prince  que  de  la  religion  même.  En  prenant  en  partie 
dans  le  Pontifical  romain,  et  en  partie  dans  l'ancien 
cérémonial  français,  tout  ce  qu'il  y  a  dans  l'un  et  dans 
l'autre  de  majestueux  et  de  raisonnable,  on  peut,  avec 
avantage,  remplir  l'objet  auguste  que  l'on  se  propose. 

((  M.  le  cardinal  Fesch  souhaiterait  qu'avant  l'arrivée 
du  pape  la  métropole  de  Lyon  fût  mise  dans  un  état 
décent;  il  sollicite  à  cet  égard,  de  Votre  Majesté,  un 
secours  qui  puisse  pourvoir  aux  réparations  les  plus 
urgentes  et  dont  l'effet  serait  le  plus  apparent. 

«  Je  soumets  toutes  ces  observations  à  Votre  Majesté. 
Je  me  conformerai  en  tout  aux  intentions  qu'elle  voudra 
bien  me  manifester. 

((  Je  supplie  Votre  Majesté  d'agréer,  etc., 
((  Portalis. 
«  Paris,  2e  complémentaire  an  XII 1.  » 

Informé  de  ces  dispositions  favorables ,  Napoléon ,  qui 
se  trouvait  alors  à  Cologne ,  adressa  cette  demande  res- 
pectueuse à  Pie  VII  : 

<c  Très  Saint -Père, 

ce  L'heureux  effet  qu'éprouvent  la  morale  et  le  carac- 
tère de  mon  peuple  par  le  rétablissement  de  la  religion 

1  Archives  nationales,  AF,  iv,  1045.  Le  manuscrit  conservé 
contient  une  erreur  de  pagination. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  111 

chrétienne  me  porte  à  prier  Votre  Sainteté  de  me 
donner  une  nouvelle  preuve  de  l'intérêt  qu'Elle  prend 
à  ma  destinée  et  à  celle  de  cette  grande  nation ,  dans 
une  des  circonstances  les  plus  importantes  qu'offrent  les 
annales  du  monde.  Je  la  prie  de  venir  donner,  au  plus 
éminent  degré,  le  caractère  de  la  religion  à  la  cérémonie 
du  sacre  et  du  couronnement  du  premier  empereur  des 
Français.  Cette  cérémonie  acquerra  un  nouveau  lustre 
lorsqu'elle  sera  faite  par  Votre  Sainteté  elle-même.  Elle 
attirera  sur  nous  et  nos  peuples  la  bénédiction  de  Dieu, 
dont  les  décrets  règlent  à  sa  volonté  le  sort  des  empires 
et  des  familles. 

«  Votre  Sainteté  connaît  les  sentiments  affectueux  que 
je  lui  porte  depuis  longtemps,  et  par  là  elle  doit  juger  du 
plaisir  que  m'offrira  cette  occasion  de  lui  en  donner  de 
nouvelles  preuves. 

a  Sur  ce,  Nous  prions  Dieu  qu'il  vous  conserve,  très 
Saint- Père,  longues  années  au  régime  et  au  gouverne- 
ment de  notre  mère  la  sainte  Eglise. 
«  Votre  dévot  fils, 

«  Napoléon.  » 

Pie  VII  partit  le  2  novembre.  Pressé  par  les  courriers 
successifs  que  Napoléon  avait  envoyés,  il  lit  le  trajet  de 
Rome  à  Paris  avec  une  précipitation  qui  ne  convenait 
guère  à  la  majesté  du  vicaire  de  Jésus-Christ,  et  qui 
paraissait  encore  trop  lente  à  l'impatience  hautaine  de 
l'empereur. 

La  réception  oflicielle  et  solennelle  du  pape  eut  lieu 
au  palais  de  Fontainebleau.  L'impératrice  Joséphine,  la 
famille  impériale,  la  cour,  les  grands  dignitaires,  réunis 
là  l'entrée  principale  du  vieux  château,  saluèrent  l'arri- 
vée de  celui  qui  venait  donner  à  la  puissance  de  l'empe- 
reur la  consécration  et  la  majesté  de  l'autorité  divine. 

Les  archevêques  et  les  évèques  convoqués  de  tous  les 


112  M.  ÉMERY 

départements  pour  la  cérémonie  du  sacre  arrivaient  déjà 
à  Paris.  L'animation  inaccoutumée  de  la  capitale  ,  les 
visites  des  princes  de  l'Église ,  les  préparatifs  du  sacre , 
l'empressement  des  curieux,  réveillaient  dans  l'esprit  de 
M.  Émery  le  regret  de  ne  pas  vivre  loin  de  ce  bruit  et 
dans  l'oubli. 

«  Mes  embarras  sont  extrêmes,  écrit  M.  Émery  à  son 
ami  l'évèque  d'Alais,  et  j'espère  bien  ne  plus  déménager 
que  pour  aller  habiter  la  maison  où  il  n'y  a  plus  un  clou 
à  mettre.  Vous  avez  vu  la  lettre  du  cardinal  Maury,  du 
12  août  1804,  imprimée  dans  les  journaux.  Le  voilà  sur 
la  scène  de  plus  belle,  et  dans  la  bouche  de  tout  le  monde. 

«'Dans  quelques  jours  nous  quitterons  la  campagne 
pour  venir  nous  établir  à  Paris.  Combien  je  redoute  la 
cohue  qui  va  avoir  lieu  !  Oh  !  que  vous  êtes  heureux 
dans  votre  campagne!  Malgré  mes  démonstrations  et 
mes  accès  de  gaieté,  je  meurs  d'ennui  et  de  chagrin  de 
ne  pouvoir ,  en  conscience  ,  rompre  les  liens  qui  me 
retiennent  ici  *.  » 

Quelques  jours  après,  M.  Émery  annonce  en  ces 
termes  à  M.  de  Bausset  la  mort  de  l'archevêque  de 
Rennes  et  l'arrivée  des  évêques  convoqués  pour  le  sacre 
de  l'empereur  : 

((  M.  l'évèque  de  Rennes  a  terminé  sa  carrière,  hier, 
à  six  heures  du  soir.  Il  s'était  confessé  à  moi ,  et  m'avait 
fait  une  confession  générale.  Il  a  reçu  le  viatique  et 
l'extrême- onction.  Je  suis  le  seul  qui  ai  eu  le  courage 
de  lui  faire  connaître  son  état,  et  j'ai  eu  la  consolation 
d'acquitter  la  reconnaissance  que  je  lui  devais  pour 
l'amitié  constante  qu'il  a  eue  pour  Saint-Sulpice  et  pour 
tous  les  services  qu'il  a  rendus  à  l'Église  de  France  pen- 
dant les  années  de  la  Terreur.  Il  est  mort  dans  de 
grands  sentiments  de  foi  et  de  piété. 


*  Du  13  octobre  1804. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  H  3 

«  Les  évêques  arrivent  en  foule  à  Paris.  Vous  avez 
raison  de  regarder  ce  temps  comme  étant  pour  moi  un 
temps  de  recueillement ,  de  travail  et  d'embarras. 

«  Je  vous  estime  fort  heureux  d'être  à  la  campagne. 
Je  ne  crois  pas  qu'aucun  devoir  de  bienséance  vous 
appelle  à  Paris  dans  ce  temps;  mais  l'amitié  peut  vous 
y  appeler.  Il  me  semble  que  le  cardinal  de  P>ayanne  est 
votre  ami.  Il  logera  chez  M.  Portalis,  car  les  ministres 
mêmes  sont  obligés  de  loger.  On  le  dit  très  sourd  » 

IV.  —  La  veille  du  sacre ,  il  se  produisit  un  fait  inat- 
tendu ,  qui  devait  plus  tard  créer  des  embarras  à 
M.  Émery,  lorsqu'il  fut  consulté  par  l'officialité  diocé- 
saine de  Paris  sur  la  légitimité  du  divorce  de  l'empereur 
avec  l'impératrice  Joséphine. 

Le  public  ignorait  qu'une  simple  cérémonie  civile , 
>  dépouillée  de  tout  caractère  religieux,  avait  uni  José- 
;  phine  à  Bonaparte.  Au  moment  de  s'incliner  sous  les 
:  mains  du  souverain  pontife,  accablée  de  remords,  trou- 
blée et  pleine  de  larmes,  Joséphine  perdit  le  courage  du 
•  silence  et  révéla  son  état.  La  cérémonie  du  sacre  deve- 
nait impossible. 

A  cette  nouvelle,  l'empereur  se  livra  à  toute  sa  colère; 
mais  il  comprit  que  sa  vaine  résistance  allait  se  heurter 
.  contre  une  volonté  inébranlable,  plus  forte  que  la  mort 
I  elle-même,  et  qu'il  fallait  céder.  Persécuter  le  pape, 
:  c'était  faire  un  martyr  sans  échapper  au  scandale; 

essayer  de  le  gagner,  c'était  peine  inutile  :  il  fallait  à 
I  tout  prix  ,  et  dans  quelques  heures,  consentir  au  mariage 
f  religieux. 

Mcr  Fesch,  grand  aumônier  de  l'empereur,  fut  chargé 
de  faire  la  cérémonie,  après-midi,  dans  la  chapelle  des 
i  Tuileries ,  avec  le  plus  profond  secret. 


1  Du  28  novembre  1804. 


H4  M.  ÉMERY 

Avant  la  cérémonie,  Msr  Fesch  se  présenta  au  pape, 
et  lui  dit  avec  un  profond  respect  : 

«  Très  Saint- Père,  je  peux  me  trouver  dans  un  tel 
cas  où  j'aurai  besoin  de  tous  les  pouvoirs  de  Votre 
Sainteté. 

—  Eh  bien!  répondit  le  pape,  je  vous  les  donne 
tous.  » 

Le  curé  de  la  paroisse  n'assista  pas ,  il  est  vrai ,  à  la 
célébration  du  mariage  dans  la  chapelle  des  Tuileries; 
mais  cet  empêchement  n'était -il  pas  levé  par  les  pou- 
voirs extraordinaires  et  sans  condition  que  le  pape  avait 
accordés  au  grand  aumônier  pour  valider  le  mariage  de 
l'empereur? 

Est -il  vraisemblable  que  Msr  Fesch,  décidé  à  répondre 
au  désir  du  saint- père  et  aux  desseins  de  l'empereur 
en  bénissant  l'union  légitime  de  l'impératrice  Joséphine 
avec  Napoléon ,  ait  oublié  cependant  de  remplir  une  con- 
dition essentielle  à  la  validité  du  sacrement? 

Ces  questions  furent  agitées  plus  tard ,  lorsque  l'em- 
pereur, trompé  dans  ses  espérances  et  douloureusement 
surpris  de  n'avoir  pas  d'héritier,  demanda  au  tribunal 
ecclésiastique,  dont  M.  Émery  faisait  partie,  de  pro- 
noncer la  nullité  du  mariage  contracté ,  en  présence  du 
grand  aumônier,  dans  le  mystère  de  la  chapelle  des 
Tuileries. 

La  cérémonie  du  sacre  eut  la  solennité  et  l'éclat  que 
l'on  pouvait  attendre;  mais  jusqu'au  pied  de  l'autel, 
dans  la  pompe  d'une  fête  qui  devait  avoir  un  caractère 
exclusivement  religieux ,  Napoléon  ne  craignit  pas  d'af- 
firmer son  indépendance  à  l'égard  du  vicaire  de  Jésus- 
Christ. 

L'histoire  de  l'Église  nous  apprend  que ,  depuis  l'ori- 
gine des  siècles  chrétiens,  les  empereurs  de  France  et 
d'Allemagne  sacrés  par  le  pape  ont  reçu  des  mains  du 
souverain  pontife  la  couronne,  symbole  de  leur  puis- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  115 

sance  bénie  de  Dieu.  Le  cardinal  Consalvi  n'avait  pas 
manqué,  au  cours  des  négociations,  de  rappeler  cette 
tradition  chrétienne  au  cardinal  Caprara.  Dans  une  note 
diplomatique,  datée  du  7  août,  il  l'avait  invité  à  ne  pas 
la  négliger,  en  réglant,  avec  l'agrément  de  Sa  Sainteté, 
les  détails  de  la  cérémonie  du  couronnement  de  l'em- 
pereur. 

Mais  Napoléon  trompa  l'attente  et  les  desseins  de 
Consalvi.  D'une  main  décidée  il  prit  lui-même  la  cou- 
ronne et  la  posa  sur  sa  tête,  au  grand  étonnement  de 
Pie  VII,  dont  les  ordres  étaient  méconnus. 

Une  protestation  était  inutile  :  elle  aurait  irrité  l'em- 
pereur, sans  lui  causer  des  regrets.  Le  doux  pontife 
garda  le  silence;  il  se  contenta  d'exiger  que  l'acte  incon- 
venant de  Napoléon ,  infidèle  à  sa  promesse ,  ne  fût  pas 
mentionné  au  Moniteur. 

V.  —  Pendant  son  séjour  à  Paris,  Pie  VII  reçut  les 
hommages  du  clergé,  visita  les  églises,  et  prodigua  aux 
fidèles  accourus  pour  le  vénérer  les  témoignages  tou- 
chants de  sa  tendresse  paternelle.  Une  lettre  de  M.  Émery 
à  l'évèque  d'Alais  nous  apprend  avec  quelle  faveur  il  fut 
reçu  lui-même  par  le  souverain  pontife. 

«  Vous  êtes  bien  bon ,  écrit  M.  Émery,  de  prendre 
intérêt  à  ma  santé  et  à  mon  existence  dans  ce  monde. 
Cette  dernière  m'est  bien  pénible;  elle  ne  le  serait 
pas,  si  j'avais  comme  vous  le  bonheur  de  vivre  dans 
la  solitude. 

«  Le  service  de  M.  Saint- Papoul  s'est  très  bien  fait.  Il 
y  avait  une  trentaine  d'évèques.  Aucun  des  constitution- 
nels n'y  a  manqué.  Je  m'informerai  des  anciens  évèques. 
Je  sais  déjà  un  fait  :  c'est  que,  lundi  dernier,  étant  à 
l'archevêché,  M.  de  Juigné  y  vint  en  soutane  violette 
et  avec  sa  croix,  et  nous  dit  qu'il  venait  de  voir  Sa 
Sainteté. 


116  M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE 

ce  J'ai  rendu  mes  devoirs  au  saint -père  avec  le  clergé 
de  Paris.  Quand  mon  tour  vint  d'aller  au  baisement  des 
pieds,  —  et  il  vint  fort  tard,  parce  que  je  n'avais  pas  été 
averti  assez  à  temps,  —  M.  le  cardinal  de  Belloy  me 
nomma.  Alors  le  pape  me  sourit  très  gracieusement  et 
me  dit  des  choses  très  aimables,  à  ce  qu'on  m'a  rap- 
porté, car  je  ne  distinguai  point  ce  qu'il  daigna  me  dire. 
M.  le  cardinal  Fesch  lui  avait  parlé  de  moi  la  veille,  et 
de  Saint- Sulpice,  et  m'a  dit  qu'il  voulait  me  présenter. 
Mais  il  me  suffit  d'avoir  reçu  la  bénédiction  du  saint- 
père. 

((  Le  curé  de  Saint- Sulpice  se  présenta  un  quart 
d'heure  après  moi,  et ,  à  ce  nom  de  Saint-Sulpice,  il  fut 
accueilli  très  gracieusement.  Les  marguilliers  de  Saint- 
Sulpice,  au  nombre  desquels  se  trouvent  des  sénateurs 
et  le  premier  président  Séguier,  ont  prié  le  pape  d'ho- 
norer Saint-Sulpice  de  sa  présence.  Il  a  promis  d'y 
venir  dire  la  messe  le  dernier  dimanche  de  l'Avent1.  )) 

Le  pape  sortit  de  France  et  rentra  dans  sa  ville  éter- 
nelle ,  avec  le  regret  de  n'avoir  rien  obtenu  de  l'em- 
pereur, en  reconnaissance  du  témoignage  éclatant  de 
haute  bienveillance  qu'il  venait  de  lui  accorder,  malgré 
les  murmures  des  vieilles  cours  de  l'Europe,  et  malgré 
l'opposition  respectueuse  de  quelques  membres  du  sacré 
Collège.  Il  ne  savait  pas  encore  qu'il  verrait  un  jour  son 
palais  envahi  par  les  troupes  impériales,  et  que,  pri- 
sonnier de  celui  que  sa  main  venait  de  sacrer,  il  franchi- 
rait encore  une  fois  la  frontière  de  France ,  pour  expie! 
dans  une  détention  rigoureuse  son  dévouement  héroïque 
à  la  cause  de  l'Église  et  de  la  justice. 

1  Lettre  du  15  décembre  1804. 


CHAPITRE  VI 


M.    ÉMERY   ET   LE   CARDINAL  F E S C II 

L  —  La  liberté  rendue  à  l'Église  par  le  premier  con- 
sul ,  la  fin  du  schisme  qui  avait  divisé  les  catholiques  et 
ouvert  aux  intrus  les  portes  du  sanctuaire,  permettaient 
enfin  à  M.  Émery  de  s'occuper  avec  tout  son  zèle  de 
l'œuvre  principale  de  sa  vie  ,  la  formation  du  clergé. 

La  Providence  appela  sur  son  chemin  un  homme  qui 
sut  apprécier  ses  grandes  qualités  et  répondre  à  son  dé- 
vouement par  une  affection  inébranlable  et  un  courage 
plus  fort  que  les  difficultés  :  c'était  le  cardinal  Fesch, 
oncle  maternel  de  l'empereur.  Son  amitié  puissante  servit 
i  d'une  manière  efficace  les  intérêts  de  M.  Emery  et  de  sa 
compagnie.  Né  à  Ajaccio,  le  3  janvier  1763,  Fesch  obtint, 
sur  la  présentation  des  états  de  Corse,  une  bourse  au 
grand  séminaire  d'Aix ,  où  il  entra  après  avoir  achevé 
i   ses  études  littéraires  au  petit  séminaire  de  la  même  ville. 
Il  se  lia,  dès  son  enfance,  d'une  étroite  amitié  avec 
Xavier  dlsoard  et  avec  M.  Jauffret,  nommé  plus  tard 
évèque  de  Metz.  Après  cinq  ans  d'études  théologiques, 
il  fut  ordonné  prêtre,  en  1787,  par  Msr  de  Doria,  évèque 
d' Ajaccio.  11  obtint  un  bénéfice  dans  son  pays  natal,  à  la 
prière  de  son  oncle,  Lucien  Bonaparte,  archidiacre  et 
prévôt  du  chapitre  d' Ajaccio.  Nommé  archidiacre  lui- 
1   même  à  la  mort  de  son  oncle,  il  s'éleva  contre  le  décret 
j  de  la  constitution  civile  du  clergé  qui  supprimait  tous  les 
!  chapitres,  et  vécut  ainsi  dans  le  devoir  et  dans  la  paix  , 


118  M.  ÉMERY 

jusqu'au  moment  où  le  vertige  de  la  révolution  troubla 
les  plus  fermes  esprits. 

En  juin  1793,  il  fuit  la  Corse  avec  sa  famille.  Privé 
de  tout  moyen  d'existence ,  il  obtint  un  emploi  de  four- 
nisseur à  l'armée  des  Alpes,  où  il  persévéra  dans  l'honnê- 
teté de  sa  vie.  Après  le  siège  de  Toulon,  en  décembre  1793, 
son  neveu  Bonaparte  le  fit  entrer,  avec  le  grade  de  com- 
missaire des  guerres,  dans  l'état- major  de  son  armée. 
Il  avait  trouvé  dans  son  neveu  la  condition  de  sa  fortune 
et  le  plus  ferme  appui  de  sa  carrière.  Il  accompagna  Bona- 
parte ,  en  conservant  ses  attributions  militaires ,  pendant 
la  campagne  d'Italie,  et  resta  ensuite  à  Paris,  dans  sa 
famille,  pendant  que  Bonaparte  se  couvrait  de  gloire  en 
Égypte,  et  acquérait  déjà  le  prestige  qui  attirait  sur  lui 
l'attention  de  l'Europe  étonnée. 

Le  18  brumaire  réalisa  les  espérances  et  les  prédic- 
tions des  amis  du  jeune  et  vaillant  capitaine  appelé  à  de 
si  hautes  destinées.  Fesch  avait  conservé,  avec  l'intégrité 
de  ses  mœurs,  une  foi  profonde,  héréditaire  dans  les 
vieilles  familles  de  la  Corse.  Il  attendait  le  moment  favo- 
rable pour  reprendre  avec  honneur  sa  place  et  ses  fonc- 
tions dans  la  hiérarchie  sacerdotale.  Au  moment  où  le 
Concordat  régla  d'une  manière  définitive  les  rapports 
ecclésiastiques  de  la  France  avec  le  saint -siège,  il  fut 
nommé  par  le  premier  consul  à  l'archevêché  de  Lyon. 

Fesch  hésita  d'abord  :  il  voulait  refuser  un  honneur 
dont  il  ne  se  croyait  pas  digne,  des  fonctions  auxquelles 
il  n'était  guère  préparé  par  ses  occupations  antérieures 
et  ses  fonctions  civiles  dans  l'état- major  de  l'armée.  Il 
vint  frapper  à  la  porte  de  M.  Emery,  caché  encore  dans 
une  maison  du  faubourg  Saint- Jacques,  lui  confia  ses 
scrupules,  le  choisit  pour  le  directeur  de  sa  conscience 
et  le  conseiller  de  sa  vie. 

M.  Émery  répondit  à  cette  confiance  par  un  attache- 
ment respectueux,  inébranlable.  Jamais  les  vicissitudes 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  119 
contraires  de  la  vie  ne  brisèrent  le  lien  qui  unissait  ces 
deux  âmes.  Dans  ses  tribulations,  dans  les  épreuves  dou- 
loureuses qu'il  eut  à  subir  de  la  part  de  l'empereur,  dans 
l'angoisse  des  menaces  qui  pouvaient  détruire  et  dis- 
perser les  débris  de  sa  compagnie,  M.  Émery  s'empressa 
de  recourir  au  cardinal  Fesch  ;  il  trouva  toujours  en  lui 
un  protecteur,  dont  l'affection  et  le  dévouement  l'accom- 
pagnèrent jusqu'à  sa  dernière  heure. 

IL  —  Sacré  le  jour  de  l'Assomption  de  l'an  1802,  dans 
l'église  métropolitaine  de  Paris,  M.  Fesch  prit  posses- 
sion du  siège  archiépiscopal  de  Lyon,  et  se  rendit  ensuite 
à  Rome,  avec  le  titre  d'ambassadeur.  Sa  première  pensée 
fut  pour  M.  Émery,  qui  le  remercia  en  ces  termes  de  ce 
témoignage  d'amitié  1  : 

((  J'ai  été  on  ne  peut  plus  vivement  touché  de  la  bonté 
qu'a  eue  Votre  Éminence  de  prendre  elle-même  la  peine 
de  me  donner  des  nouvelles  de  son  arrivée.  Il  est  vrai 
que  je  me  flatte  qu'Elle  est  bien  convaincue  du  tendre  et 
vif  intérêt  que  je  prends  à  sa  personne.  Je  ne  doute  pas , 
Monseigneur,  que  vous  n'ayez  été  très  bien  accueilli  à 
Rome,  et  on  sent  bien  que  cela  devait  être  ainsi  ;  mais 
ceux  qui  ont  comme  moi  l'honneur  de  vous  connaître 
savent  de  plus  que  la  considération  et,  ce  qui  vaut 
mieux  encore,  l'attachement  pour  vous,  vont  toujours 
en  augmentant,  à  mesure  qu'on  vous  connaît  davantage. 

((  Je  voudrais  bien  ,  Monseigneur,  que  Dieu  fit  un 
miracle  de  reproduction,  et  que  vous  soyez  en  même 
temps  à  Rome,  à  Lyon  et  à  Paris  :  à  Rome,  pour  les 
intérêts  de  l'Église  universelle;  à  Lyon,  pour  les  intérêts 
de  votre  diocèse;  à  Paris,  pour  ceux  de  l'Église  gallicane. 
Je  ne  doute  pas  que  le  petit  séjour  que  vous  avez  fait 

1  1803. 


120  M.  ÉMERY 

à  Lyon  en  allant  à  Rome  ne  vous  ait  gagné  tous  les 
cœurs. 

«  Votre  procession  de  la  Fête-Dieu,  et  les  suites  qu'elle 
a  eues  pour  la  publicité  du  culte,  ont  fait  un  effet  mer- 
veilleux. La  sagesse  et  la  fermeté  que  vous  avez  montrées 
dans  cette  circonstance  ont  éclaté  bien  loin  de  Lyon  et 
vous  ont  fait  beaucoup  d'honneur.  Je  prie  Dieu  de  tout 
mon  cœur  qu'il  bénisse  toutes  vos  démarches,  et  qu'il 
fasse  descendre  sur  vous  le  Saint-Esprit,  avec  les  dons 
de  piété,  de  conseil  et  de  force. 

cr  Vous  êtes,  pour  ainsi  dire,  à  la  source  de  toutes  les 
grâces  spirituelles,  puisque  vous  pouvez  si  souvent  visiter 
le  tombeau  des  saints  Apôtres  et  ceux  de  tant  d'autres 
saints  pontifes.  Sûrement  vous  ne  vous  occuperez  pas 
tellement  des  objets  de  votre  légation,  que  vous  ne 
donniez  un  temps  notable  à  vos  propres  affaires. 

ce  Ce  serait  pour  vous  le  moment  de  lire  le  Traité  de 
la  Considération,  et  de  vous  appliquer  une  bonne 
partie  de  ce  que  saint  Bernard  dit  au  pape  Eugène,  et, 
dans  sa  personne,  à  tous  les  prélats  qui  sont  chargés  de 
beaucoup  d'affaires,  vos  affaires  fussent-elles  les  plus 
importantes  de  toutes  pour  le  bien  de  la  religion;  parce 
qu'après  tout,  il  n'y  en  a  point  de  plus  importante  pour 
nous  que  celle  que  Dieu  nous  a  confiée  avant  toutes  les 
autres.  » 

La  restauration  du  grand  séminaire  de  Lyon,  qui  avait 
subi  tant  d'épreuves,  était  l'objet  particulier  des  préoccu- 
pations du  cardinal  Fesch.  Relever  les  études  dans  le 
séminaire,  attirer  des  jeunes  gens  pieux  et  intelligents, 
rétablir  les  anciens  usages ,  combler  dans  les  rangs  du 
clergé  les  vides  nombreux  faits  par  la  Révolution,  c'était 
l'œuvre  essentielle  du  moment.  Pour  la  mener  à  bonne 
fin,  le  cardinal  Fesch  comptait  sur  M.  Émery. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE 


121 


«  Mon  très  cher  monsieur  Émery  , 

((  Depuis  dix -huit  mois  j'écrivais  à  Lyon  de  tenir  la 
main  ferme  à  faire  porter  la  soutane  ;  les  plus  revêches 
étaient  les  personnes  à  leur  aise,  même  les  plus  riches. 
J'ai  dû  me  fâcher,  et  même  l'ordonner.  J'apprends  que 
la  généralité  s'y  conforme  en  approuvant;  les  autres 
Obéissent  en  protestant. 

«  On  travaille,  mon  cher  monsieur  Émery,  avec  beau- 
coup  d'activité  à  la  réparation  de  Saint -Irénée.  J'ose 
espérer  que  le  séminaire  sera  en  état  d'être  habité  avant 
la  fin  d'octobre.  J'ai  tenu  ma  parole,  tenez  vos  pro- 

;  messes.  C'est  à  vous  à  y  envoyer  les  sujets  convenus. 

!  L'archevêque  d'Aix,  tout  en  refusant,  me  laissait  une 
porte  ouverte  pour  me  permettre  de  prendre  ou  pour  me 
donner  vos  messieurs.  Voyez  d'organiser  mon  séminaire 
le  plus  tôt  possible.  Vous  serez  le  seul  responsable 
devant  Dieu.  N'ayez  point  de  regret  de  me  donner  plu- 
sieurs de  vos  bons  sujets.  L'an  prochain,  il  faudra  bien 
m'en  donner  autant.  Je  suis  au  moment  d'obtenir  les 
Colinettes,  au-dessus  et  auprès  de  Saint-Irénée.  C'est  là 
que  j'établirai  mon  séminaire  diocésain.  Ces  deux  maisons 
pourront  contenir  quatre  cents  théologiens,  dont  j'aurais 
besoin  pour  couvrir  le  déficit  actuel  de  deux  cent  cin- 
quante prêtres  et  de  soixante  autres  qui  meurent  dans 
l'année.  Le  supérieur  de  Saint-Irénée  pourrait  l'être 
ainsi  des  deux  maisons. 

«  Prenez  donc  vos  mesures,  veuillez  bien  m'en  écrire, 
et  sachez  que  je  n'aurai  de  repos  et  que  je  ne  vous  lais- 
serai tranquille  que  lorsque  vous  m'aurez  mis  en  état 
d'être  content  de  cette  partie  de  mon  ministère.  Si  vous 
voulez  bien  me  contenter,  pensez  à  me  donner  des 
hommes  qui  vous  ressemblant  un  peu.  Je  suis  un  très 


122  M.  ÉMERY 

grand  ambitieux  ,  je  l'avoue,  et  je  le  suis  au  point  que 
vous  devez  craindre  mon  ambition. 

ce  Comment  alimenter,  me  direz- vous,  cette  quantité 
de  sujets?  Où  trouver  quatre  cents  théologiens?  Je  n'ai 
pas  de  secret  pour  vous.  J'ai  déclaré  la  guerre  aux  curés 
qui  n'établissaient  pas  une  pédagogie  dans  leurs  pa- 
roisses. J'ai  déjà  obtenu  la  promesse  de  plusieurs  curés. 
Dans  un  an,  j'espère  faire  la  visite  de  mon  diocèse,  et 
sans  doute  j'établirai  des  écoles.  Je  trouverai  des  sujets 
que  les  curés  fourniront  jusqu'au  moment  de  leur  admis- 
sion dans  les  petits  séminaires. 

«  Pour  les  fonds,  en  établissant  un  don  à  donner  pour 
plus  de  neuf  cents  fabriques,  avec  les  aumônes  et  les 
revenus  du  secrétariat,  je  pourrai  les  trouver.  En  réalité, 
l'archevêque  et  les  grands  vicaires  marcheront  avec  des 
besaces.  Du  reste,  comptons- nous  pour  rien  la  Provi- 
dence ? 

ce  Vous  avez  donc  juré  la  mort  de  mon  cher  Fournier? 
Ce  pauvre  poitrinaire  est  fatigué  par  le  carême  ;  vous  le 
mettez  au  grand  air  prêcher  dans  le  désert.  Vous  êtes 
un  saint  confesseur  qui  faites  des  martyrs.  Profitez  bien 
de  mon  éloignement.  Si  j'arrive  à  Paris,  je  ne  vous 
l'abandonne  plus1.  » 

III.  —  M.  Emery  ne  partageait  pas  l'inquiétude  du 
cardinal  Fesch  au  sujet  de  M.  Fournier,  délivré  de  sa 
captivité  et  très  mortifié  encore  de  sa  détention  à  la 
maison  des  fous  de  Bicètre.  Dans  sa  réponse,  il  dit  avec 
enjouement  au  cardinal  que  la  santé  du  prédicateur 
est  excellente,  et  qu'il  doit  s'estimer  heureux  de  res- 
sembler à  Notre -Seigneur,  en  prêchant  comme  lui,  en*, 
plein  air,  dans  les  bourgades  et  dans  les  rues. 

La  réorganisation  générale  des  séminaires,  selon  les 


1  Lettre  du  1er  juin  1805. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  123 

idées  du  cardinal  Fesch,  paraissait  difficile  cà  M.  Émery; 
il  opposait  des  difficultés  pratiques  au  plan  qui  avait 
été  élaboré  sous  l'inspiration  de  l'archevêque  de  Lyon. 
D'après  ce  plan,  on  devait  ouvrir  des  séminaires  diocé- 
sains, avec  les  cours  ordinaires  de  théologie  et  la  prépa- 
ration directe  au  sacerdoce,  et  des  séminaires  métropo- 
litains ou  supérieurs,  dont  les  professeurs  recevraient 
un  traitement  de  l'Etat. 

Les  élèves  les  plus  distingués,  admis  dans  les  sémi- 
naires métropolitains,  devaient  se  livrer  à  des  études 
théologiques  et  scientifiques  plus  étendues,  s'exercer  à  la 
discussion,  à  la  polémique,  à  la  soutenance  des  thèses, 
!et  couronner  leurs  études  en  prenant  leurs  grades  aux 
:  Facultés  reconnues  par  l'État.  Ces  sujets  d'élite,  ainsi 
préparés  et  munis  de  leurs  titres,  seraient  seuls  appelés 
| ensuite  à  occuper  les  principales  cures,  les  places  de 
grands  vicaires  et  les  canonicats. 

Ce  plan,  si  conforme  d'ailleurs  à  l'esprit  et  aux  tra- 
ditions de  l'Eglise,  qui  n'exige  pas  seulement  la  piété, 
mais  qui  attend  aussi  la  science  de  ceux  qu'elle  appelle 
à  défendre  la  vérité  chrétienne  dans  les  hautes  situa- 
tions ecclésiastiques,  indique  bien  la  largeur  de  vues  et 
'l'élévation  de  pensées  du  cardinal  Fesch.  Il  avait  l'intel- 
ligence des  besoins  particuliers  de  l'Eglise  dans  les  con- 
jditions  nouvelles  de  la  société  française. 

M.  Émery  était  favorable  en  principe  à  la  pensée  fon- 
damentale du  projet;  mais  l'intervention  de  l'État,  qui 
avait  perdu  son  caractère  ouvertement  et  entièrement 
chrétien,  ou  qui  pouvait  le  perdre,  effrayait  sa  clair- 
voyance; il  prévoyait  les  abus  redoutables  de  cette  ingé- 
rence de  l'autorité  civile  dans  le  domaine  des  choses 
religieuses. 

Il  exprimait  ses  craintes  dans  cette  lettre  adressée  au 
(cardinal  Fesch,  le  3  septembre  1805  : 

«  Ce  qu'il  y  a  de  plus  intéressant  dans  l'établissement 


124  M.  ÉMERY 

des  séminaires  métropolitains,  c'est  le  traitement  du 
supérieur  et  des  directeurs,  dont  vous  seriez  déchargé. 
Mais  combien  de  réflexions  n'aurais -je  pas  à  faire  à 
Votre  Eminence  sur  les  séminaires  tels  qu'ils  ont  été 
réglés  ! 

((  Plus  j'en  étudie  le  plan  et  la  forme,  plus  je  les 
trouve  imparfaits,  vicieux,  désastreux  même  pour  l'au- 
torité spirituelle  des  évèques.  C'est  M.  Jauffret  qui  a 
conçu  le  premier  plan  très  à  la  hâte.  Il  le  communiqua 
à  M.  de  Crouzeilles  ;  ils  me  le  communiquèrent  l'un  et 
l'autre.  En  général  il  me  déplut;  je  fis  des  observations 
importantes,  auxquelles  on  eut  égard. 

«  Je  prédis  que  le  gouvernement  s'emparerait  de  la 
nomination  des  professeurs  ;  on  prétendit  que  non. 
M.  Portalis  est  bien  convaincu  que  cette  nomination 
appartient  aux  évêques.  Mais  le  plan  porté  au  conseil 
reçut  des  modifications  et  des  additions  capitales. 

ce  II  est  vrai  que  le  gouvernement  ne  doit  nommer 
que  des  sujets  présentés  par  le  métropolitain  et  ses  suf- 
fragants;  mais  ces  sujets,  nommés  par  le  gouvernement, 
ne  peuvent  être  destitués  que  par  lui.  Ainsi,  qu'un  supé- 
rieur, que  des  professeurs,  que  des  directeurs  deviennent 
ou  se  manifestent  mauvais  sujets,  soit  pour  les  mœurs, 
soit  pour  la  doctrine,  il  ne  dépend  pas  de  l'archevêque 
ni  de  ses  suffragants  de  les  renvoyer. 

«  Je  sais  bien  que,  pendant  que  vous  gouvernerez  le 
diocèse,  vous  serez  le  maître;  mais  les  règlements  sont 
perpétuels,  et  ni  vous,  Monseigneur,  ni  le  ministre 
actuel ,  ni  le  gouvernement  ne  le  sont;  et  si  un  empereur 
était  insouciant,  et  le  ministre  impie  ou  hérétique,  voilà 
donc  pourtant  tout  l'enseignement  de  l'Église  gallicane 
entre  ses  mains  ! 

«  Mais  j'aurais  bien  d'autres  observations  à  faire  à 
Votre  Éminence,  d'après  lesquelles  Elle  jugerait  que  la 
loi  des  séminaires  métropolitains  ne  peut  plus  subsister 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  125 

telle  qu'elle  est,  et  que  les  évêques,  loin  d'avoir  intérêt 
à  la  conservation  de  ces  séminaires,  en  auraient  au  con- 
raire  à  leur  suppression.  » 

IV.  —  Il  était  impossible  de  trancher  par  une  mesure 
sommaire  ces  graves  et  délicates  questions  sur  les  rap- 
ports du  saint-siège  et  du  gouvernement,  questions 
dont  quelques-unes  sont  encore  pendantes  et  attendent 
une  solution.  11  ne  fallait  pas  espérer  exclure  l'État  et 
obtenir  une  indépendance  absolue  dans  le  domaine  des 
îffaires  spirituelles,  sans  se  mettre  en  opposition  avec 
'esprit  du  Concordat  et  avec  les  conditions  nouvelles  de 
la  société.  Tout  le  problème  consistait  à  savoir  dans 
quelle  mesure  et  à  quel  prix  on  pouvait  reconnaître, 
approuver  l'intervention  de  l'Etat  dans  l'administration 
Ides  grands  séminaires,  qui  avaient  besoin  de  ses  libé- 
Iralités  pour  vivre  et  se  perpétuer.  La  sagesse  comman- 
dait d'éviter  les  extrêmes  et  de  chercher  un  terrain  de 
conciliation,  sans  faire  le  sacrifice  coupable  des  droits 
spirituels  de  l'Église.  Il  semblait  d'ailleurs  qu'en  accep- 
tant même  le  projet  élaboré  par  M.  JaulTret,  futur 
lévèque  de  Metz,  d'après  lequel  l'État  se  réservait  le  droit 
i|de  destitution,  tous  les  périls  signalés  n'étaient  pas  à 
craindre.  Un  directeur,  imposé  par  le  gouvernement, 
|mais  flétri  et  condamné  par  l'Église,  qui  conserve  le 
^pouvoir  de  le  suspendre,  l'interdire,  l'excommunier, 
i (tomberait  nécessairement  sous  le  mépris  des  élèves  :  loin 
'fd'ètre  un  péril,  il  deviendrait  un  objet  d'épouvante  pour 
hes  séminaristes  et  pour  les  directeurs.  Le  courant  de 
l'opinion  devait  l'emporter  loin  de  la  maison  dont  il 
jserait  le  scandale.  Aussi  le  cardinal  Fesch  ne  pouvait  pas 
i  irenoncer  encore,  et  pour  les  raisons  que  M.  Émery  venait 
•d'exposer,  au  projet  défendu  par  l'abbé  JaulTret. 

L'empereur  songeait  alors  à  rappeler  en  France  le 
cardinal  Fesch,  dont  il  avait  à  se  plaindre,  et  à  le  rem- 


126  M.  ÉMEKY 

placer  dans  ses  fonctions  d'ambassadeur  auprès  du  saint- 
siège.  Ce  prélat,  qui  se  croyait  nécessaire  à  Rome  pour 
y  défendre  les  intérêts  de  la  France  et  déjouer  les  calculs 
de  Gonsalvi,  s'alarma  de  ce  rappel.  Il  écrivit  à  l'empereur 
une  lettre  d'un  grand  intérêt,  où  il  exprime  cependant 
avec  trop  de  franchise  le  sentiment  peut-être  exagéré 
qu'il  avait  de  sa  valeur' et  de  son  influence;  on  y  voit 
aussi  l'idée  qu'il  se  faisait  du  rôle  d'un  diplomate  français 
à  Rome. 

ce  Sire, 

((  L'intention  que  Votre  Majesté  me  manifeste,  de  me 
rappeler  et  de  me  faire  remplacer  par  un  séculier, 
m'oblige  à  lui  représenter  l'effet  que  cette  nouvelle  a 
produit  sur  le  secrétaire  d'Etat  et  les  considérations 
qu'elle  m'a  présentées. 

((  Celui-ci  arrivait  chez  moi- au  moment  où  le  courrier 
m'apportait  la  lettre  de  Votre  Majesté,  je  lui  remis  celle 
pour  le  saint-père;  nous  nous  retirâmes  pour  conférer, 
et  dès  lors  je  lui  dis  en  partie  les  intentions  de  Votre 
Majesté. 

((En  le  bien  observant,  je  lui  annonçai  mon  rappel;  ce 
fut  un  antidote  qui  le  remit  au  calme.  J'aurais  pu  lui 
donner  toutes  les  nouvelles  les  plus  affligeantes ,  la  dou- 
leur n'aurait  eu  aucun  accès  dans  son  âme  enivrée, 
qui  calculait  déjà  les  avantages  immenses  qu'il  retirerait 
de  ce  rappel.  «  Faute  heureuse  de  cette  lettre  du  13  no- 
«  vembre,  devait-il  dire,  qui  nous  débarrasse  du  cardinal 
«  Fesch!  Un  nouveau  ministre,  un  protestant  même, 
((  pourrait- il  résister  à  toutes  les  séductions,  femmes, 
«  petits  présents,  protestations  de  dévouement,  humilia- 
((  tions  même? 

((  Ce  protestant  saura- 1- il  établir  une  police  qui  dé- 
((  couvre  mes  pensées  à  peine  écloses?  Aura-t-il  les 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  127 

moyens  du  cardinal  Fesch,  de  qui  on  espère  tout  s'il 
devenait  pape?  Aura-t-il  les  mêmes  intérêts  que  le 
cardinal   Fesch  à  me  surveiller,  à  m'influencer ? 
D'ailleurs,  il  n'est  plus  possible  d'en  imposer  à  celui- 
ci.  Un  homme,  le  plus  prévenu,  aura  peut-être  besoin 
de  se  ménager  la  protection  de  cette  cour,  et  il  pourra 
bien  se  laisser  séduire  par  les  apparences.  Enfin ,  le 
cardinal  Fesch  est  d'autant  plus  dangereux  qu'il  est 
inattaquable  envers  le  monde,  envers  ses  pairs  et 
envers  le  gouvernement  du  saint -siège. 
((  1°  Il  ne  donne  pas  lieu  à  la  médisance,  il  s'est  même 
retiré  de  toutes  les  sociétés.  Il  ne  reçoit  chez  lui  qu'en 
grande  étiquette,  et  il  nous  censure  par  sa  manière  de 
vivre.  2°  On  ne  peut  pas  même  se  plaindre  de  lui, 
parce  qu'il  n'affiche  que  les  prétentions  d'un  simple 
cardinal.  3°  Le  saint -siège  lui  est  même  redevable, 
parce  qu'il  tache  de  lui  rendre  les  services  compatibles 
avec  les  intérêts  de  son  souverain.  Il  est  même  très 
indulgent,  parce  qu'il  se  laisse  persuader  que  ce  n'est 
pas  par  persécution,  mais  par  justice,  que  nous  persé- 
cutons ceux  qui  ont  été  amis  des  Français,  que  nous 
déplaçons  celui  qui,  un  mois  auparavant,  a  été  l'accu- 
sateur de  ceux  que  nous  avons  été  obligés  de  punir 
malgré  nous. 

((  Ce  cardinal  Fesch  qui,  malgré  que  nous  le  détestions, 
:  nous  oblige  de  taire  dire  au  pape,  dans  sa  réponse  à 
:  Sa  Majesté,  qu'il  le  verra  partir  avec  molto  dispia- 
[  cerc.  Aussi  nous  n'avons  pas  pu  dissimuler  nos  dis- 
i  positions  envers  lui,  en  en  parlant  avec  beaucoup  de 
(  froideur,  quoique  nous  nous  soyons  eflbrcés  de  lui 
persuader  que  le  pape  n'a  pas  voulu  en  faire  un  grand 
éloge,  crainte  que  Sa  Majesté  impériale  et  royale  ne  le 
soupçonnât  d'être  trop  partisan  du  saint- siège.  » 
(L  Oui,  Sire,  il  ne  fut  jamais  plus  content  que  cette 
irée-là.  Je  lisais  dans  son  cœur. 


428  M.  ÉMERY 

((  Il  est  incontestable,  Sire,  qu'il  est  de  l'intérêt  de 
Consalvi  que  vous  me  rappeliez ,  et  du  vôtre  de  me 
laisser  la  porte  ouverte,  de  retourner  à  Rome  quand 
bon  vous  semblera.  Consalvi  ne  me  trompera  pas,  il 
trompera  tout  autre. 

((Je  ne  dois  point  entrer,  Sire,  dans  vos  combinaisons; 
mais  si  elles  pouvaient  se  concilier  avec  ma  demeure 
par  intervalles  à  Rome,  mon  établissement  ici  énormé- 
ment dispendieux,  où  j'ai  tout  mis,  croyant  d'y  vivre 
longtemps  et  même  toute  ma  vie,  le  traitement  de  mi- 
nistre qui  cesserait,  étant  remplacé  à  Rome,  sont  des 
raisons  suffisantes  pour  faire  des  représentations  à  Votre 
Majesté  afin  qu'elle  daigne  me  conserver  en  cette  qualité, 
et  qu'elle  me  permette  seulement  de  retourner  en  France 
au  moins  la  moitié  de  l'année ,  lorsque  des  affaires  essen- 
tielles n'exigeraient  pas  ma  demeure  à  Rome1. 

«  Rome ,  le  3  février  1805.  » 

Ces  graves  préoccupations  n'empêchaient  pas  le  car- 
dinal Fesch  de  s'occuper  avec  zèle  de  son  diocèse  de 
Lyon  et  de  la  restauration  des  études  dans  les  séminaires 
de  France.  Pour  atteindre  plus  sûrement  ce  but,  le 
cardinal  Fesch,  dans  son  désir  de  contribuer  à  la  renais- 
sance intellectuelle  du  clergé,  résolut,  avec  l'assenti- 
ment de  l'empereur,  de  réorganiser  la  chapelle  de  Saint- 
Denis  ,  et  de  créer  enfin  cette  haute  école  de  sciences 
ecclésiastiques  dont  il  exposait  ainsi  le  programme  à 
M.  Émery,  le  2  avril  1806  : 

«  J'ai  bien  désiré  d'être  à  Paris  pour  vous  consulter 
sur  un  projet  que  j'ai  envoyé  au  gouvernement  sur  le 
chapitre  de  Saint -Denis.  Je  voudrais  en  faire  une  école 


1  Archives  nationales,  AF,  iv. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  129 

de  perfectionnement  des  études  ecclésiastiques,  en  y 
établissant  une  communauté  de  prêtres,  qui  seraient  en 
nombre  égal  des  départements  de  la  France,  qui  officie- 
raient journellement  à  l'église  et  s'occuperaient  des 
sciences  ecclésiastiques.  Etant  à  portée  de  voir  souvent 
et  de  traiter  avec  des  hommes  vieillis  dans  les  fonctions 
épiscopales,  ils  apprendraient  facilement  l'art  d'admi- 
nistrer un  diocèse.  Il  sortirait  de  là  des  grands  vicaires, 
des  orateurs,  et  il  s'y  formerait  d'habiles  canonistes,  de 
savants  théologiens  :  ce  serait  le  corps  de  réserve  pour 
la  défense  de  la  foi,  des  mœurs,  et  pour  le  renouvelle- 
ment de  l'esprit  ecclésiastique.  Il  y  aurait  en  outre  une 
autre  communauté,  en  forme  de  petit  séminaire,  pour 
les  prêtres  desservants  et  les  enfants  de  chœur.  » 

Ce  brillant  projet  intéressait  M.  Émery  sans  le  séduire  ; 
il  lui  trouvait  même  une  certaine  ressemblance  avec  la 
république  de  Platon.  C'est  ainsi  qu'il  s'exprime  dans 
sa  réponse  à  la  communication  bienveillante  du  zélé  car- 
dinal. Il  multiplie  les  objections,  expose  les  inconvénients 
et  les  difficultés  d'un  tel  établissement,  et  provoque  de 
la  part  de  son  ami  cette  réponse  émue  : 

«  En  répondant  à  votre  lettre  du  20  avril ,  je  com- 
mence par  l'article  qui  concerne  le  chapitre  de  Saint- 
Denis,  où  vous  me  dites  que  mon  projet  est  d'une  exécu- 
tion trop  délicate,  faute  d'ecclésiastiques  et  d'émulation. 

d  Faudra- 1- il  donc  renoncer  à  l'espérance  de  voir 
bien  organiser  l'Église  de  France?  et  dans  dix  ans  les 
séminaires  ne  seront-il  pas  organisés?  D'ailleurs  n'est-ce 
pas  encourager  à  prendre  l'état  ecclésiastique  que  de  pré- 
parer des  places  honorables  aux  jeunes  ecclésiastiques 
qui  se  sont  distingués  dans  le  séminaire? 

«  Pour  l'émulation,  je  craindrais  qu'il  y  en  eût  trop, 
et  qu'elle  ne  dégénérât  en  prétention  orgueilleuse  aux 
premières  places  de  l'Église.  Ces  jeunes  prêtres  qui 
auraient  fait  quatre  ans  de  séminaire;  qui,  avant  d'être 


130  M.  ÉMERY 

élus  prêtres  du  chapitre,  passeraient  quatre  examens 
publics  et  très  rigoureux  ;  qui  seraient  là  à  la  disposition 
du  grand  aumônier,  pour  être  appelés  aux  emplois  de* 
grands  vicaires,  et  pour  être  chargés,  dans  les  cas 
extraordinaires,  des  missions  importantes,  sous  la  main 
du  gouvernement  qui  les  encouragerait  par  des  faveurs 
ou  par  des  expectatives,  ces  jeunes  prêtres  n'auraient 
pas  d'émulation  ? 

((  Si  j'avais  pu  vous  détailler  l'esprit  des  statuts  que 
j'ai  proposés  au  gouvernement,  je  suis  convaincu  que 
vous  conviendriez  que  ce  ne  serait  pas  faute  d'émulation 
que  cette  communauté  ne  marcherait  pas. 

((  Quant  au  voisinage  de  Paris,  il  dépendra  de  l'exac- 
titude des  prêtres,  directeurs  de  la  maison,  d'en  éviter 
les  inconvénients,  et  ce  ne  sera  pas  la  faute  de  l'institu- 
tion s'il  se  glissait  des  abus,  ou  il  faudrait  abandonner 
tout  espoir  de  voir  rétablir  des  maisons  où  la  régularité 
serait  observée.  D'ailleurs,  il  faut  donner  quelque  chose 
à  l'assistance  du  Ciel.  » 

Le  cardinal  Fesch  voyait  bien  que,  si  l'on  voulait  con- 
vaincre les  esprits  égarés  par  les  sophismes  philoso- 
phiques du  dernier  siècle,  par  les  paradoxes  des  réfor- 
mateurs de  la  société ,  par  les  affirmations  retentissantes 
que  l'on  avait  coutume  de  présenter  comme  l'expression 
authentique  de  la  science,  la  piété  ne  suffisait  pas.  Il 
fallait  un  clergé  instruit  des  données  certaines  de  toutes 
les  sciences,  des  objections  nouvelles  élevées  par  l'erreur 
et  au  courant  des  arguments  qui  permettaient  de  les 
réfuter  avec  compétence  et  autorité.  De  là  cette  légitime 
pensée  de  fonder  l'école  supérieure  des  sciences  pour  le 
clergé. 

V.  —  Les  préoccupations  du  chapitre  de  Saint- Denis, 
l'institution  des  écoles  métropolitaines,  des  affaires  dont 
il  était  accablé  dans  l'accomplissement  de  ses  devoirs 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  131 
politiques  d'ambassadeur,  n'empêchaient  pas  M»r  Fesch 
[de  surveiller  le  séminaire  et  le  clergé  de  Lyon. 

Il  y  avait  alors  à  Clermont  un  vénérable  directeur  de 
la  compagnie,  M.  Bouillaud,  aimé,  écouté  de  tout  le 
clergé  du  diocèse.  Le  cardinal  Fesch,  appréciant  les 
hautes  qualités  de  ce  prêtre,  résolut  de  l'établir  à  la 
tète  du  séminaire  de  Lyon.  11  fit  part  de  son  projet  à 
M.  Emery,  et  le  mit  dans  un  grand  embarras. 

Celui-ci  ne  voulait  pas  déplaire  au  cardinal  Fesch , 
ami  et  protecteur  de  la  compagnie  ;  il  hésitait  aussi 
à  contrarier  l'évèque  de  Clermont;  il  lui  répugnait  de 
déplacer  un  vieillard,  attaché  par  le  fond  du  cœur  au 
diocèse  où,  depuis  des  années,  il  faisait  un  bien  consi- 
dérable en  conservant  un  grand  ascendant  sur  l'esprit  du 
clergé.  Les  supérieurs  de  la  compagnie  connaissent  ces 
difficultés  pénibles;  elles  démontrent  avec  la  plus  grande 
évidence  que  trop  souvent  l'obéissance  est  plus  facile 
que  le  commandement.  C'est  un  art  laborieux  de  manier 
les  esprits,  de  diriger  des  volontés  libres,  sans  compro- 
mettre les  intérêts  que  l'on  doit  défendre ,  sans  offenser 
des  hommes  que  l'on  ne  cesse  jamais  d'estimer. 

M.  Emery  exposa  la  situation  au  cardinal  Fesch,  en  le 
priant  de  renoncer  à  son  projet.  Mais  l'archevêque  de 
Lyon  n'avait  pas  l'humeur  changeante  :  il  persista  dans 
son  dessein. 

Cependant  M.  Émery  s'adressa  directement  à  M^  de 
Clermont,  dont  la  réponse  augmenta  son  incertitude  et 
son  chagrin. 

«  J'ai  reçu  ,  Monsieur  et  cher  ancien  confrère,  répond 
l'évèque  de  Clermont  la  lettre  que  vous  m'avez  fait 
l'honneur  de  m'écrire;  M.  Bouillaud  l'a  reçue  le  même 
jour.  Vous  comprenez  qu'elle  m'a  causé  infiniment  de 
peine,  et  elle  a  profondément  affligé  M.  Bouillaud. 


1  Lettre  du  -20  janvier  iSUô. 


132  M.  ÉMERY 

((  Il  n'est  pas  d'abord  possible  de  calculer  le  tort 
immense  que  cette  perte  cause  à  mon  diocèse.  C'est, 
comme  vous  le  savez ,  un  pays  très  difficile  à  conduire. 
M.  Bouillaud ,  qui  y  demeure  depuis  vingt-cinq  ans,  a  la 
confiance  générale ,  y  est  très  aimé ,  très  respecté ,  et  sa 
présence  a  beaucoup  contribué  à  rétablir  le  calme  et  la 
tranquillité  dans  mon  diocèse,  qui,  comme  vous  savez, 
a  été  à  mon  arrivée  très  orageux  et  m'a  donné  beaucoup 
de  peine. 

«  J'ai  bien  obtenu  du  ministre  de  la  guerre  l'échange 
de  mon  séminaire  avec  un  autre  bâtiment;  mais  j'ai 
besoin ,  d'abord ,  de  la  confiance  qu'on  a  en  M.  Bouillaud 
pour  me  procurer  les  secours  nécessaires  à  mon  éta- 
blissement. M.  Bouillaud  est  chargé  des  ecclésiastiques 
répandus  dans  tout  mon  diocèse.  C'est  lui  qui  les  exa- 
mine ,  qui  les  dirige  ;  je  ne  peux  pas  le  faire  par  moi- 
même. 

ce  Des  deux  grands  vicaires  qui  sont  approuvés  par  le 
gouvernement,  il  n'y  en  a  qu'un  qui  peut  me  rendre 
service;  le  deuxième,  que  j'ai  été  obligé  de  prendre 
parmi  les  constitutionnels,  est  bien  un  savant  homme, 
revenu  de  ses  Erreurs ,  très  édifiant ,  mais  perclus  de 
gouttes  depuis  deux  ans ,  ne  pouvant  sortir  de  la 
chambre,  et  dans  l'impossibilité  de  me  rendre  aucun 
service. 

«  Ma  santé  est  depuis  quelque  temps  extrêmement 
fatiguée,  mes  forces  diminuent  beaucoup;  ma  maladie 
de  Paris,  celle  que  je  viens  d'essuyer,  trente  ans  de  tra- 
vail continu  dans  le  grand  vicariat ,  vingt  de  ces  années 
dans  celui  de  Paris ,  et  treize  de  persécution ,  de  souf- 
frances pendant  la  révolution ,  tout  cela  a  profondément 
ébranlé  ma  complexion,  et  depuis  quelque  temps  je  le 
sens  d'une  manière  plus  frappante.  Vous  jugerez  com- 
bien la  perte  d'un  appui  comme  M.  Bouillaud  me  fera  du 
mal,  en  faisant  à  mon  diocèse  un  tort  irréparable. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  133 

((  D'ailleurs,  il  faut  observer  que  ce  changement  ne 
fera  qu'avancer  mes  jours  et  ceux  de  M.  Bouillaud.  Il 
approche  de  soixante-dix  ans;  partout  ailleurs  qu'à  Cler- 
mont,  il  s'est  toujours  mal  porté.  Il  peut  en  résulter 
qu'il  faudra  peut-être  bientôt  un  nouvel  évèque  à  Cler- 
mont  et  un  nouveau  supérieur  à  Lyon. 

((  Voilà  mes  observations,  que  vous  pouvez  même, 
si  vous  le  voulez,  faire  passer  à  Son  Éminence.  Si  l'au- 
torité m'enlève  M.  Bouillaud,  je  sais  souffrir;  il  y  a 
assez  de  temps  que  j'ai  fait  l'apprentissage  des  souf- 
frances, j'apprendrai  à  mourir.  Je  croyais  quêtant  d'an- 
jnées  de  travail,  tant  de  services  rendus  à  la  religion, 
auxquels  j'ai  pu  contribuer  pour  ma  part ,  l'étendue  et 
l'importance  de  mon  diocèse,  pourraient  mériter  quelques 
égards.  » 

VI.  —  M.  Émery  savait  qu'il  pouvait  demander  un 
grand  sacrifice  à  M.  Bouillaud,  et  que  ce  vieillard  aimé, 
respecté,  animé  d'un  grand  esprit  de  foi,  consentirait 
à  exposer  sa  vie,  à  renoncer  à  la  tranquillité  heureuse 
le  sa  situation  dans  le  diocèse  de  Clermont  pour  obéir  au 
[vœu  de  son  supérieur.  La  tritesse  de  l'évèque  de  Clermont 
I    le  bien  du  clergé  compromis  par  ce  départ  douloureux  le 
touchaient  davantage.  Il  fit  part  de  ses  impressions  et 
tnyoya  la  lettre  de  l'évèque  de  Clermont  au  cardinal 
Fesch ,  qui  répondit  en  faisant  appel  à  l'autorité  du  supé- 
rieur de  la  compagnie.  Il  oubliait  que  M.  Émery  n'aimait 
'  pas  à  procéder  par  coup  d'autorité  ni  à  faire  entendre 
I  les  menaces,  parce  que  l'esprit  de  Saint- Sulpice  est 
contraire  à  ces  rigueurs  autoritaires  du  commandement. 
«  Je  ferai  une  observation  à  Votre  Éminence ,  écrit 
|)  M.  Émery  dans  une  lettre  du  1er  juillet  1803  :  c'est  que 
\  es  sujets  de  ma  compagnie,  qui  continuent  de  me  re- 
onnaitre  pour  leur  supérieur,  ne  tiennent  à  ma  com- 
)agnie  et  à  moi  par  aucun  vœu  et  aucune  promesse. 


134  M.  ÉMERY 

Tout  est  affaire  d'estime  et  de  confiance ,  et  Votre  Émi- 
nence  sait  parfaitement  qu'aucun  motif  pris  dans  la 
conscience  ne  les  oblige  de  m'obéir. 

«  J'ai  été  souverainement  étonné  et  édifié  qu'après  la 
Révolution  ils  aient  continué  de  le  faire,  et  rien  ne  m'a 
confirmé  davantage  dans  l'opinion  que  j'avais  du  bon 
esprit  de  la  compagnie.  Mais  il  résulte  toujours  de  là 
que  je  ne  dois  exercer  ma  supériorité  qu'avec  des  ména- 
gements infinis  ,  et  en  prenant  le  ton  de  l'amitié  et  de  la 
persuasion.  Jamais  je  n'ai  donné  d'ordre  ;  je  témoigne 
seulement  qu'une  telle  chose  me  fait  plaisir,  et  ils  le 
font ,  parce  qu'ils  croient  sur  mon  autorité  ou  sur  mes 
raisons  qu'elle  est  juste  et  convenable.  » 

C'est  avec  ce  respect  profond  des  traditions  de  Saint- 
Sulpice  que  M.  Emery  se  plaisait  à  gouverner.  Autant  il 
était  facile  et  bienveillant  dans  ses  rapports  avec  les 
directeurs  qu'il  était  obligé  de  déplacer  pour  répondre 
aux  désirs  des  évêques  et  à  l'intérêt  du  clergé ,  autant  il 
était  ferme  quand  il  fallait  proscrire  tout  ce  qui  semblait 
une  atteinte  au  véritable  esprit  de  la  compagnie.  Dans 
ses  lettres,  dans  ses  instructions,  il  insiste  sur  ce  point, 
et  ses  avis  prennent  un  caractère  particulier  d'autorité 
quand  il  défend  aux  prêtres  de  Saint-Sulpice  toute  fonc- 
tion ,  tout  ministère  extérieur  et  spirituel ,  tout  apostolat 
qui  détournerait  leur  attention  de  cette  œuvre  capitale  et 
exclusive,  la  direction  des  élèves  dans  les  séminaires. 

((  C'est  un  point  fondamental  à  Saint-Sulpice,  écri- 
vait-il à  l'évêque  de  Limoges,  et  son  caractère  distinctif, 
que  les  directeurs  se  renferment  dans  les  fonctions 
propres  à  leur  état  et  n'exercent  aucune  partie  du  minis- 
tère extérieur.  On  a  cru  que  le  travail  pour  la  formation 
des  bons  prêtres  était  assez  important  pour  occuper  un 
homme  tout  entier. 

a  Le  temps  employé  à  confesser  et  à  catéchiser  les 
fidèles  est  très  bien  employé,  sans  doute;  mais  il  l'esl. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  135 
incomparablement  mieux  à  former  de  bons  prêtres,  et 
j'ai  ce  point  de  notre  règle  tellement  à  cœur,  j'en  sens 
tellement  l'importance,  que  si  j'avais  cru  qu'il  ne  dût 
point  subsister,  je  ne  me  serais  donné  aucun  mouvement 
pour  le  rétablissement  de  la  compagnie. 

«  Si  vous  vous  trouvez,  Monseigneur,  dans  des  cir- 
constances où  le  service  de  nos  deux  directeurs  on  dehors 
du  séminaire  vous  paraisse  nécessaire,  donnez-leur  des 
ordres,  auxquels  ils  se  conformeront.  Mais  j'ai  l'honneur 
de  vous  prévenir  que  s'ils  devaient,  dans  la  suite,  être 
appliqués  à  la  moindre  partie  du  ministère  extérieur,  je 

.  les  retirerais  et  je  vous  prierais  de  pourvoir  comme  vous 
jugeriez  à  propos  à  la  conduite  de  votre  séminaire. 

((  Si  ces  messieurs  croyaient  pouvoir  faire  plus  de  bien 
dans  l'exercice  du  ministère  que  dans  la  conduite  du 
séminaire,  je  serais  le  premier  à  leur  conseiller  de 
suivie  leur  attrait  ;  car  je  neveux,  par  la  miséricorde 

i  de  Dieu,  que  sa  plus  grande  gloire.  C'est  ainsi  que 
M.  Fournier  ayant  montré  un  talent  extraordinaire  pour 
la  chaire,  et  ayant  cru  qu'il  ferait  beaucoup  plus  de  bien 

i  dans  cette  partie  que  dans  le  séminaire  ,  j'ai  trouvé  très 
bon  qu'il  la  suivit.  » 

Le  cardinal  Fesch  semblait  ignorer  cette  résolution 
inébranlable  de  son  vénérable  ami.  Devenu  grand  aumô- 
nier, il  voulut  faire  entrer  M.  Émery  dans  le  conseil 
privé  de  Mmc  Lœtitia,  mère  de  l'empereur,  qui  venait 
d'accepter  le  titre  de  protectrice  des  sœurs  de  la  Charité 
et  des  principaux  établissements  de  bienfaisance  chré- 
tienne. Il  savait  que  la  discrétion,  la  sagesse,  la  haute 
intelligence  de  M.  Émery  seraient  d'un  grand  secours 
pour  la  connaissance  des  besoins  temporels  de  tant  de 
malheureux,  et  pour  la  répartition  équitable  des  lar- 
gesses impériales.  M.  Émery  ne  pouvait  pas  se  prêter 
à  ce  pieux  dessein;  il  déclina  la  proposition  qui  lui  était 

i  faite,  en  rappelant  encore  une  fois  à  son  illustre  ami 


136  M.  ÉMERY 

qu'il  mettait  au-dessus  de  tout  le  respect  scrupuleux 
des  traditions  et  de  l'esprit  de  sa  compagnie. 

ce  L'esprit  propre  de  la  petite  compagnie  dont  je  ras- 
semble les  débris,  et  que  je  désirerais  rendre  perma- 
nente 1 ,  répond  M.  Émery,  est  que  les  membres  se 
renferment  entièrement  dans  les  fonctions  de  directeurs 
de  séminaires  et  qu'ils  s'abstiennent  de  tout  ce  qui  serait 
étranger  à  l'éducation  ecclésiastique.  Cette  petite  com- 
pagnie deviendrait  bientôt  inutile  pour  son  objet,  si  elle 
changeait  son  esprit,  et  mon  occupation  actuelle  est 
d'engager  tous  ceux  qui  reprennent  leurs  premières  fonc- 
tions à  se  débarrasser  de  toutes  celles  qui  leur  sont 
étrangères;  mais  il  m'est  impossible  d'y  réussir,  si  je  ne 
donne  moi-même  l'exemple  de  n'accepter  aucun  emploi 
qui  soit  étranger  à  l'œuvre  d'un  supérieur  de  sémi- 
naire. » 

VII.  —  Quelques  mois  après  avoir  donné  cette  réponse 
au  cardinal  Fesch,  M.  Émery  consentit,  au  nom  du 
même  principe,  et  pour  conserver  dans  son  intégrité 
l'esprit  de  M.  Olier,  à  se  séparer  d'un  prêtre  de  sa  com- 
pagnie, son  auxiliaire  de  la  première  heure  au  moment 
de  la  réorganisation  du  séminaire,  M.  Frayssinous. 

Écrivain  distingué,  orateur  de  mérite,  éloquent  sans 
déclamation,  précis  sans  sécheresse  et  sans  raideur, 
versé  dans  la  connaissance  des  erreurs  du  temps  et  dans 
l'art  de  les  réfuter,  Frayssinous  se  sentait  appelé  de 
Dieu  au  ministère  de  la  parole  apostolique.  Ses  modestes 
débuts  dans  la  chapelle  des  Carmes  faisaient  prévoir  ses 
succès  prochains  et  plus  éclatants  dans  la  chapelle  des 
Allemands  de  l'église  Saint-Sulpice.  Il  avait  au  plus  haut 
degré  le  sentiment  des  besoins  nouveaux  des  intelli- 
gences troublées  par  les  sophismes  du  dernier  siècle.  Il 


i  Lettre  du  6  avril  1805. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  137 

n'avait  ni  les  entraînements,  ni  l'éloquence  populaire , 
ni  les  saisissantes  images  de  son  ancien  confrère  M.  Four- 
nier.  Nature  supérieure  et  observateur  judicieux  des 
consciences,  il  avait  compris  que  le  discours  chrétien  ne 
devait  plus  être  un  simple  commentaire  intéressant, 
pieux,  d'un  texte  emprunté  aux  Pères  des  siècles  passés, 
ou  le  développement  littéraire  des  canons  d'un  concile 
œcuménique  accepté  sans  discussion  ;  il  savait  que  les 
jeunes  gens  avaient  besoin  d'écarter  les  objections  philo- 
sophiques élevées  sur  leur  passage  par  l'incrédulité  con- 
temporaine, d'entendre  une  parole  actuelle  et  vivante  et 
de  reconnaître  la  divinité  de  l'Eglise,  qui  impose  sa 
parole  avec  autorité  avant  d'interpréter  les  détails  de  son 
enseignement. 

Le  dogme  catholique  est  immuable,  il  domine  les  vicis- 
situdes de  la  pensée  humaine;  mais  l'art  de  le  défendre 
et  de  le  présenter  aux  foules  participe  aux  modifications 
et  au  changement  des  mœurs,  des  goûts,  de  l'esprit,  de 
l'opinion  même  d'un  pays. 

Frayssinous  était  un  de  ces  hommes  que  Dieu  suscite 
B  ses  heures  de  miséricorde,  au  lendemain  des  catas- 
trophes sociales,  pour  répondre  aux  besoins  nouveaux 
i|ie  ses  contemporains.  Une  telle  vocation  était  incompa- 
ible  avec  les  devoirs  modestes  du  prêtre  de  Saint-Sulpice  ; 
kussi,  le  11  septembre  1806,  il  fit  connaître  sa  voca- 
\  ion  nouvelle  à  M.  Émery,  par  cette  lettre  datée  de  son 
ays  natal  : 

«  Monsieur  et  très  honoré  Supérieur, 

«  Il  y  a  longtemps  que  j'ai  dans  l'esprit  un  projet  que 
•  ne  peux  pas  exécuter  sans  vous  en  faire  part.  Il  pourra 
)us  paraître  singulier  ;  mais  aussi  rien  de  plus  singu- 
er  que  les  circonstances  où  la  Providence  nous  a  placés, 
ous  avez  pu  apercevoir,  ou  du  moins  soupçonner  plus 


438  M.  ÉMERY 

d'une  fois,  que  j'avais  un  goût  très  décidé  pour  les  confé- 
rences de  Saint  -  Sulpice ,  et  que  mon  penchant  naturel 
m'entraînait  plus  vers  ce  genre  d'occupation  que  vers 
tout  autre.  Jusqu'ici ,  resserré  par  le  local  ou  livré  à  des 
fonctions  très  importantes,  je  n'ai  pu  donner  à  cette 
œuvre  qu'un  degré  d'intérêt  et  d'utilité  assez  borné.  Je 
croirais  que  le  moment  est  venu  de  lui  donner  le  déve- 
loppement dont  elle  est  susceptible.  Il  est  aisé  d'en  faire 
une  œuvre  d'une  utilité  majeure  et  universelle. 

«  Si  la  chose  était  à  créer,  on  pourrait  hésiter  à  cause 
de  la  grande  incertitude  du  succès;  mais  la  chose  existe, 
elle  a  été  en  croissant  tous  les  ans  :  il  ne  s'agit  plus  que 
de  la  pousser  plus  loin.  Voici  à  ce  sujet  toutes  mes 
idées  : 

((  Il  me  semble  que,  dans  le  temps  où  nous  sommes, 
un  des  plus  grands  services  que  l'on  puisse  rendre  à  la 
religion ,  c'est  de  la  remettre  en  honneur  aux  yeux  de  la 
classe  élevée  de  la  société.  En  vain  on  ouvrira  des  sémi- 
naires :  s'ils  ne  se  remplissent  de  sujets ,  même  s'ils 
manquent  de  sujets  d'une  Certaine  condition,  il  en 
résultera  un  très  grand  mal  pour  l'Église.  Si  les  classes 
élevées  n'ont  aucune  considération  pour  la  religion  et 
pour  ses  ministres ,  tout  ira  en  dépérissant.  Je  crois 
donc  que  c'est  aller  directement  au  but  que  de  travailler 
à  rendre  la  religion  vénérable  et  chère  à  la  jeunesse  faite 
par  son  éducation  et  par  sa  naissance  pour  occuper  les 
premiers  rangs  de  la  société. 

«  Or  tel  est  l'objet  des  conférences  de  Saint  -Sulpice. 
On  y  voit  des  jeunes  gens  de  toutes  les  provinces,  qui 
ne  peuvent  qu'en  rapporter  des  impressions  salutaires. 
C'est  une  chose  digne  d'être  conservée  ,  très  appropriée 
aux  circonstances,  et  dont  les  résultats  peuvent  être  heu- 
reux ,  qu'une  suite  d'instructions  raisonnées  sur  la  reli- 
gion ,  écoutées  avec  intérêt  par  une  foule  de  jeunes  gens 
destinés  à  être  un  jour  des  pères  de  famille ,  et  qui 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  139 

peuvent  avoir  sur  l'esprit  et  sur  l'opinion  du  peuple  une 
si  grande  influence. 

((  Je  sais  qu'à  parler  en  général ,  l'œuvre  des  sémi- 
jnaire  est  la  première  de  toutes;  mais  il  ne  s'agit  ici  que 
[d'un  individu,  qu'il  est  aisé  de  remplacer  dans  l'ensei- 
ignement  de  la  théologie.  La  Providence  a  voulu  que  je 
fusse  l'homme  propre  aux  conférences  dont  je  parle.  Si 
je  les  continue  dans  un  local  vaste  et  commode,  l'utilité 
jen  sera  heaucoup  plus  étendue.  Je  ferais  un  cours  d'ins- 
truction qui  durerait  deux  ans,  huit  mois  chaque  année; 
je  traiterais  une  suite  de  sujets  analogues  au  temps  où 
•  nous  sommes  et  aux  hesoins  de  la  jeunesse. 

«  Je  sens  bien  que  mon  projet  est  incompatible  avec 
les  fonctions  que  j'ai  remplies  jusqu'à  ce  jour,  et  même 
Lavec  mon  séjour  au  séminaire.  Dans  tout  cela  je  ne 
•trouve  aucun  avantage  temporel;  il  est  même  assez  clair 
s  que  c'est  le  contraire.  Je  n'ai  l'espoir  fondé  d'aucune 
place  quelconque.  Pourvu  que  je  puisse  subsister,  c'est 
[itout  ce  qu'il  me  faut.  Si  vous  goûtez  mes  idées,  je  crois 
que  vous  n'aurez  pas  lieu  de  vous  en  repentir.  Quoi  qu'il 
arrive,  je  ne  serai  pas  moins  pénétré  du  plus  profond 
sentiment  de  respect,  d'estime  et  d'attachement  pour 
vous  et  tout  ce  qui  compose  votre  compagnie. 

«  Frayssinous  ,  prêtre  1 . 

v  A  Saint-Cosme,  par  Espalion  (Avcyron).  » 

i  VIII.  —  M.  Émery  cherchait  avant  tout  la  gloire  de 
Dieu  ;  il  avait  le  sentiment  des  services  considérables 
que  Frayssinous  pouvait  rendre  à  l'Église  en  suivant  son 
attrait  pour  la  prédication.  Si  grand  que  fut  son  attache- 
ment pour  les  membres  de  la  compagnie,  et  en  particu- 


1  Lettre  inédite. 


140  M.  ÉMERY 

lier  pour  un  sujet  d'un  si  rare  mérite,  il  fit  taire  les 
exigences  de  son  cœur.  Dans  une  réponse  affirmative,  il 
rappela  à  son  enfant,  avec  l'autorité  d'un  père,  la  néces- 
sité de  conserver  l'esprit  intérieur  dans  le  monde  et  de 
pratiquer  les  vertus  chrétiennes  au  milieu  des  périls  re- 
doutables de  sa  nouvelle  vie. 

Le  24  novembre  1806,  Frayssinous  répondit  aux  sages 
avis  de  M.  Émery  en  faisant  connaître  à  son  ancien 
maître  l'état  de  son  âme  et  les  luttes  qu'il  avait  eu  à 
soutenir  avant  de  s'arrêter  à  la  pensée  d'une  séparation 
si  douloureuse. 

((  Je  n'ai  pu  qu'être  touché ,  écrit  Frayssinous  1 , 
de  la  bonté  avec  laquelle  vous  me  parlez  dans  votre 
lettre.  J'y  ai  bien  reconnu  l'esprit  de  votre  gouverne- 
ment tout  paternel.  Je  dois  vous  parler  ici  à  cœur 
ouvert. 

«  Vous  croirez  bien,  je  l'espère,  à  ma  sincérité, 
lorsque  je  vous  dirai  que  je  suis  plein  de  vénération  pour 
Saint -Sulpice,  et  que  chez  moi  au  respect  se  joint  ici 
la  reconnaissance.  Je  serais  bien  coupable,  si  j'étais 
capable  d'éprouver  d'autres  sentiments.  On  se  tromperait 
bien,  si  l'on  croyait  qu'il  entre  dans  mon  projet  quelque 
mécontentement  secret. 

a  Tout  ce  que  j'ai  vu  et  connu  à  Saint -Sulpice  est 
bien  loin  d'inspirer  rien  de  semblable.  Je  n'ai  jamais  eu 
qu'à  me  louer  infiniment  des  personnes,  et,  touché  de 
leurs  vertus,  j'ai  bien  souvent  éprouvé  au  milieu  d'elles 
le  sentiment  de  mon  indignité. 

«  Mais  je  dois  dire  que  le  genre  de  travail ,  le  train 
ordinaire  de  vie,  la  contrainte  perpétuelle  d'un  directeur 
de  séminaire ,  me  fatiguent  la  tête.  Il  me  semble  que  je 
n'ai  pas  grâce  pour  élever,  des  ecclésiastiques  et  leur 
parler  de  leurs  devoirs.  Je  ne  le  faisais  qu'avec  répu- 


1  Lettre  inédite. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  141 

ïnance,  et  dans  un  état  do  gène  qui  me  glaçait  et  me 
rendait  comme  immobile.  Dans  le  cours  de  mes  occupa- 
tions, je  me  sentais  sans  cesse  détourné  par  des  idées 
malogues  à  mes  goûts  et  à  la  trempe  de  mon  esprit. 
!  «  De  là,  pour  moi,  un  fond  de  dégoût  et  de  lassitude 
îabituelle.  Les  conférences  de  Saint -Sulpice  me  révé- 
lant toujours  à  l'esprit,  je  les  trouvais  utiles;  elles  étaient 
«rvenues  insensiblement  au  point  où  elles  sont ,  et  la 
Providence  me  semblait  ouvrir  devant  moi  cette  autre 
".arrière,  qui  a  d'ailleurs  des  rapports  avec  la  première. 

a  Je  n'ai  pas  dû  vous  proposer  de  trouver  bon  que  je 
n'y  livre  exclusivement,  en  continuant  de  vivre  au  sémi- 
naire. Dans  votre  maison ,  il  n'est  pas  reçu  de  faire  de 
)areilles  demandes  et  d'avoir  de  telles  prétentions.  On 
loit  être  dans  vos  mains  comme  un  enfant.  Cela  a  été 
It  cela  doit  être  :  sans  cela  l'esprit  de  Saint-Sulpice 
erait  bientôt  altéré.  Il  faut  ou  le  suivre  entièrement, 
>u  vivre  ailleurs.  Il  me  répugne  d'être  comme  un  être 
I  part;  ce  serait  là  un  personnage  équivoque  et  très 
insignifiant. 

((  Hors  du  séminaire,  il  y  a  plus  de  dangers  à  courir; 
nais,  en  retranchant  la  confession  des  personnes  du 
exe  et  les  repas,  on  coupe  court  à  la  plupart  des  dan- 
gers. Avec  les  exercices  ordinaires  de  piété,  l'étude,  la 
\  ionfession  des  jeunes  gens,  on  peut  bien  employer  utile- 
ment ses  jours. 

|  c  Je  puis  me  faire  illusion,  mais  il  me  semble  qu'il 
ludrait  au  milieu  de  Paris,  dans  les  circonstances 
ctuelles,  une  chaire  destinée  à  la  défense  de  la  religion. 
«  M.  Fournier,  qui  la  défendait  avec  tant  d'éclat,  et  qui 
'.ait  là  comme  un  géant  armé  pour  repousser  ses  enne- 
Uis,  sera  comme  perdu  pour  les  chaires  de  Paris.  L'abbé 
le  Boulogne  prêche  peu,  et  pourra  être  appelé  à  l'épis- 
>pat.  Il  ne  reste  plus  personne  pour  le  genre  de  minis- 
ire dont  je  parle.  D'après  toutes  ces  idées,  j'ai  cru 


142  M.  ÉMERY 

devoir  faire  un  essai  et  exécuter  le  plan  que  je  vous  ai 
communiqué. 

((  J'espère  de  la  bonté  de  Dieu  ;  si  je  me  trompe,  il  me 
remettra  dans  ses  voies.  Je  compte  sur  vos  prières,  et 
vous  supplie  d'agréer  les  assurances  de  mon  respectueux 
attachement. 

((  FRAYSSINOUS  *.  )) 

Ce  n'était  pas  une  triste  pensée  d'ambition  vulgaire 
ou  l'amour  de  la  vaine  gloire  qui  déterminaient  le  brillant 
conférencier  de  Saint  -  Sulpice  ,  le  précurseur  de  Lacor- 
daire,  à  se  séparer  des  membres  d'une  compagnie  qui 
avait  eu  les  prémices  de  son  courage  et  de  son  apostolat. 
M.  Frayssinous,  si  grand  et  si  simple  à  la  fois  dans  ses 
manières  et  dans  sa  vie,  était,  lui  aussi,  de  la  race  des 
saints.  A  l'exemple  de  M.  Emery,  il  cherchait  avant  tout 
le  royaume  de  Dieu  et  sa  justice ,  le  triomphe  de  l'Église 
et  le  salut  des  âmes. 

Le  saint  évèque  de  Versailles,  M.  Borderies,  disait  de 
M.  Frayssinous  :  «  C'est  le  prêtre  que  je  vénère  le  plus. 
Il  serait  un  martyr.  Je  ne  suis  pas  digne  de  délier  les 
cordons  de  ses  souliers.  Je  baiserais  ses  pieds.  » 

Lorsqu'il  eut  la  douleur  de  sortir  de  la  compagnie, 
pauvre  des  biens  de  la  terre ,  plein  d'abandon  à  la  volonté 
de  Dieu,  attiré  vers  cette  jeunesse  de  Paris  qu'il  vou- 
lait ramener  au  bien  au  prix  d'un  dévouement  sans 
limites,  il  fit  un  sacrifice  pénible  à  la  nature.  L'avenir 
lui  apparaissait  comme  un  inconnu  redoutable;  il  ne 
connaissait  pas  encore  les  faveurs  même  temporelles  que 
la  Providence  réservait  à  sa  piété  désintéressée  et  à  son  I 
courage.  Il  devint  plus  tard  évèque  d'Hermopolis,  grand  I 
maître  de  l'Université,  ministre  des  affaires  ecclésias-  I 

1  On  conserve  ces  deux  lettres  de  Frayssinous  au  séminaire  j 
Saint- Sulpice. 


I 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  143 
tiques,  pair  de  France,  membre  de  l'Académie  fran- 
çaise; puis,  quand  il  sentit,  après  une  vie  consacrée  sans 
relâche  et  sans  défaillance  à  la  défense  des  droits  de 
l'Église  et  de  la  vérité  chrétienne,  que  la  fin  de  sa  car- 
lin, >  était  proche,  il  sortit  modestement  de  Paris,  sans 
regret  et  sans  bruit ,  se  retira  dans  la  paix  solitaire  de 
?on  pays  natal ,  au  pied  de  ces  hautes  montagnes  du 
Rouergue,  que  son  cœur  n'oublia  jamais.  C'est  là  qu'il 
s'endormit  dans  le  Seigneur,  avec  la  piété  profonde  et  la 
foi  pleine  d'espérance  des  prédestinés. 

I  IX.  —  Ces  séparations  étaient  toujours  pénibles  au 
sœur  de  M.  Emery;  il  aimait  à  témoigner  une  affection 
paternelle  à  tous  les  membres  de  sa  compagnie.  Mais 
aucune  considération  humaine,  aucun  sentiment  ne  pou- 
vait le  détourner  de  l'œuvre  capitale  de  sa  vie  :  il  tra- 
vaillait avec  un  courage  béni  de  Dieu,  au  prix  des  plus 
grands  sacrifices ,  à  relever  les  séminaires  abattus  par  la 
lempète  révolutionnaire,  à  réveiller  dans  le  cœur  des 
prêtres  devenus  ses  auxiliaires  le  dévouement  aux  sémi- 
naristes et  réloignement  du  ministère  extérieur. 

Il  avait  de  la  peine  à  suffire  aux  demandes  qui  lui 
étaient  faites,  de  tous  les  points  de  la  France,  par  des 
jîvêques  empressés  à  donner  à  leur  séminaire  une  base 
bolide.  Lyon  reprend  son  ancien  éclat;  le  vénérable  abbé 
JSleilloc  est  placé  à  la  tète  du  séminaire  d'Angers. 
|Vf.  Levadoux,  arrivé  de  Baltimore,  est  envoyé  au  sémi- 
naire de  Saint-Flour;  celui  d'Aix  est  confié  à  M.  Roux, 
^ncien  supérieur  d'Avignon;  celui  de  Toulouse,  à  M.  de 
Saint-Félix,  émigré  en  Espagne  pendant  la  Révolution; 
•elui  d'Autun  ,  à  M.  Saulnier,  réfugié  en  Italie.  Le 
énérable  M.  Chanut,  successeur  de  M.  Bouillaud,  relève 
e  séminaire  de  Clermont  dans  l'ancien  couvent  desUrsu- 
ines  de  Montferrand ,  et  l'anime  de  son  esprit.  A  Vi- 
iers  c'est  M.  Yernet,  qui  s'entoure  de  quelques  prêtres 


144  M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANGE 

du  diocèse ,  réunit  vingt  élèves  et  reprend ,  au  prix  des 
difficultés  les  plus  pénibles ,  l'œuvre  capitale  de  la  for- 
mation du  clergé.  A  Nantes,  M.  Dorin,  secondé  par 
MM.  Joubert  et  Chevalier  et  protégé  par  M.  Duvoisin, 
évêque  d'un  rare  mérite,  s'installe  avec  ses  nouveaux 
élèves  dans  l'ancienne  maison  Saint -Charles,  autrefois 
habitée  par  des  religieuses.  M.  Emery  envoie  à  Limoges 
M.  Chudeau ,  qui  était  directeur  dans  le  séminaire  de  ce 
diocèse  avant  la  Révolution,  et  le  vaillant  M.  Dilhet, 
dont  il  fît  cet  éloge  :  «  M.  Dilhet  a  de  l'expérience,  du 
zèle,  de  l'activité.  Il  a  travaillé  dans  le  centre  de  l'Amé- 
rique. Puisqu'il  a  réussi  auprès  des  sauvages,  il  n'aura 
pas  de  peine  à  réussir  auprès  des  Limousins.  » 

Tous  ces  prêtres,  dont  la  plupart  avaient  souffert 
mille  épreuves  pendant  les  jours  sombres  de  la  Révolu- 
tion ,  d'une  foi  inébranlable ,  d'une  piété  éminente ,  d'un 
zèle  et  d'une  perfection  sacerdotale  dont  le  souvenir 
effraye  notre  faiblesse,  obéissent  à  l'impulsion  du  supé- 
rieur de  Saint -Sulpice.  Ils  affrontent  de  nouveaux  dan- 
gers ,  bravent  la  misère  et  les  privations  les  plus  dou- 
loureuses, résistent  aux  dégoûts  et  aux  déboires.  Rien 
ne  peut  ralentir  l'ardeur  de  leur  courage,  inspiré  par 
l'amour  le  plus  généreux  de  l'Église  ;  et ,  sur  tous  les 
points  de  la  France  ouverts  à  leur  activité  surnaturelle , 
ils  préparent  de  nouveaux  ouvriers  évangéliques ,  ré- 
veillent l'esprit  sacerdotal,  relèvent  les  ruines  amonce- 
lées par  l'impiété  révolutionnaire.  Quels  hommes!  et 
quel  spectacle  !  Il  fallait  de  nouveaux  apôtres  au  pays 
ravagé  par  une  invasion  de  nouveaux  barbares.  Les  fils 
de  M.  Olier  répondent  à  ce  besoin. 

La  compagnie,  échappée  au  naufrage  de  la  Révolu- 
tion ,  reconstituée  par  son  second  fondateur  M.  Emery, 
retrouve  ainsi  dans  le  culte  des  traditions  qui  ont  fait 
sa  grandeur  dans  le  passé  le  secret  de  sa  force  nouvelle 
et  de  la  fécondité  de  son  apostolat. 


CHAPITRE  VII 


M.    H  ME  11  Y   ET   LE   CARDINAL   DE  BAUSSET 

I.  —  M.  Émery,  accompagné  de  M.  Garnier,  l'un  dos 
irètres  les  plus  distingués  de  la  compagnie,  se  rendait, 
souvent  chez  les  libraires  de  Paris;  il  p;iss;ii(  des  soirées 
►ntières  à  examiner  les  ouvrages,  à  dépouiller  les  papiers, 
t  remuer  les  débris  des  grandes  bibliothèques  enlevées 
.ux  monastères  etaux  maisons  religieuses,  trésors  cachés  el 
intassés  quelquefois  sans  discernement  dans  des  réduits 
bscurs,  au  lendemain  de  la  révolution.  Il  y  avait  là 
.es  trésors  ignorés,  oubliés  par  la  rapacité  grossière  des 
ecéleurs,  des  éditions  rares,  des  collections  précieuses, 
es  livres  de  prix,  de  grands  ouvrages,  condamnés  à 
isparaitre,  vendus  au  poids,  après  avoir  été  volés  aux 
»  Jus  illustres  représentants  de  la  science  ecclésiastique 
|  jans  notre  pays. 

;  !  M.  Emery  profita  de  cette  situation  pour  former  à  peu 
•  frais  les  deux  grandes  bibliothèques  du  séminaire, 
Paris  et  à  la  campagne,  et  le  fonds  principal  de  la 
bliothèque  du  séminaire  de  Baltimore. 
!  ce  Il  faut  bien,  disait -il  souvent,  nous  procurer  des 
ras,  puisque  la  Révolution  nous  a  dépouillés  de  tous 
ux  qui  nous  restaient  :  une  bibliothèque  est  indispen- 
I  ble  au  séminaire.  » 
[Il  acheta  à  des  prix  insignifiants  les    œuvres  des 
n1-  de  l'Église  les  plus  célèbres,  des  commentaires 
|  \r  l'Écriture  sainte,  les  traités  des  canonistes  et  des 
!       11  5 


146  M.  ÉMERY 

théologiens  les  plus  renommés,  et  une  grande  quantité 
d'exemplaires  de  la  Bible  et  du  Nouveau  Testament. 

«  Comme  il  était  très  bon  connaisseur,  raconte  M.  Gnr- 
nier  avec  une  simplicité  touchante  l,  il  ne  manquait 
point  de  découvrir  les  livres  les  plus  utiles.  Un  jour, 
ayant  trouvé  un  livre  qu'il  ne  connaissait  pas,  il  s'assit 
sur  un  tas  de  vieux  papiers  pour  l'examiner  à  loisir. 
Après  l'avoir  lu  attentivement ,  il  me  dit  : 

«  —  Voilà  un  ouvrage  plein  de  recherches,  à  la  com- 
position duquel  l'auteur  a  consacré  toute  sa  vie  ;  il  faut 
empêcher  qu'il  soit  détruit,  je  veux  l'acheter.  » 

((  Une  autre  fois  nous  bouquinions  ensemble  ;  il 
démolit  par  mégarde  une  haute  pile  de  livres  pour  reti- 
rer un  ouvrage  qui  était  à  la  base.  La  pile  tomba  sur  lui, 
un  livre  relié  lui  blessa  la  tête  jusqu'au  sang,  on  fut 
obligé  d'appliquer  une  compresse  d'eau  froide  sur  la 
blessure.  M.  Émery,  qui  ne  perdait  jamais  sa  gaieté,  mé- 
dit en  souriant  : 

«  —  Où  est  le  livre  qui  m'a  blessé?  Je  veux  l'acheter; 
s'il  est  bon,  je  lui  fais  grâce;  s'il  est  mauvais,  je  le  jette 
au  feu.  » 

M.  Émery  était  heureux  dans  ses  recherches  :  il  eut 
ainsi  la  fortune  de  découvrir  un  jour  des  manuscrits  iné- 
dits de  Fénelon  ;  il  en  fit  l'acquisition,  avec  la  pensée 
d'encourager  plus  tard  un  écrivain  de  mérite  à  publier 
la  Vie  et  une  édition  complète  des  Œuvres  du  célèbre 
archevêque  de  Cambrai. 

Il  confia  son  projet  à  un  homme  qui  avait  un  rare 
talent,  de  longs  loisirs,  un  esprit  sage  et  le  culte  des 
classiques  du  grand  siècle  :  c'était  M.  de  Bausset,  évêque 
d'Alais,  élevé  plus  tard,  par  la  bienveillance  du  saint- 
père,  à  la  dignité  de  cardinal. 


1  Notice  inédite. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  147 

II.  —  Né  à  Pondichéry  le  14  décembre  1748,  d'un 
père  qui  occupait  une  haute  situation  civile  au  service  du 
gouvernement,  de  Bausset  revint  en  France  tout  jeune 
encore,  embrassa  l'état  ecclésiastique,  et  fut  ordonné 
prêtre  à  l'âge  de  vingt-cinq  ans.  La  distinction  de  son 
esprit  et  de  ses  manières,  l'aménité  de  son  caractère,  ses 
rares  dispositions  pour  les  lettres,  appelèrent  sur  lui 
l'attention  de  M.  de  Boisgelin,  archevêque  d'Aix,  qui 
lui  donna  des  lettres  de  grand  vicaire  et  le  retint  dans 
son  palais. 

Député  de  la  Provence  à  l'assemblée  générale  du 
clergé,  administrateur  du  diocèse  de  Digne,  il  fut  promu 
à  l'épiscopat  en  1784.  Nous  le  retrouvons,  en  1789,  aux 
états  généraux,  déjà  lié  avec  M.  Emery,  dont  il  écoute 
les  conseils  dans  ses  attaques  courtoises  mais  vigou- 
•euses  contre  la  constitution  civile  du  clergé.  Prisonnier 
t  la  maison  de  la  Bourbe  pendant  la  Révolution,  il  en 
>ort  la  vie  sauve,  et  se  retire,  avec  la  pensée  de  renoncer 
i  l'exercice  de  ses  fonctions  épiscopales,  dans  une  mai- 
ion  de  campagne  aux  environs  de  Paris. 

Il  fut  le  confident  et  le  meilleur  ami  de  M.  Emery. 
tons  ses  épreuves  et  ses  tristesses,  dans  ses  ennuis  et  ses 
léboires,  dans  ses  joies  comme  dans  ses  espérance.^,  le 
œur  de  M.  Émery  cherchait  toujours  le  cœur  de  M.  de 
lausset,  qui  lui  resta  fidèle  jusqu'à  sa  dernière  heure. 
:  1  n'eut  jamais  pour  lui  ni  réticence  ni  secret.  Sa  cor- 
espondance  avec  M.  de  Bausset,  écrite  au  courant  de  la 
lume,  est  un  long  épanchement  de  sou  âme;  on  y  re- 
ouve  les  principales  actions  de  sa  vie.  Le  célèbre  car- 
inal,  qui  eut  la  douleur  de  survivre  à  son  illustre  ami, 
ima  ses  enfants  comme  il  avait  aimé  leur  père  :  il  ne 
h  ?ssa  jamais  de  donner  à  la  compagnie  de  Saint-Sulpice 
I  s  témoignages  les  plus  touchants  de  son  affection. 
Le  cardinal  de  llausset,  libre  de  la  sollicitude  épisco- 
de,  avait  tous  les  loisirs  nécessaires  pour  répondre  au 


148  M.  ÉMERY 

désir  de  M.  Emery  et  préparer  sous  sa  direction  la  publi- 
cation des  Œuvres  complètes  de  Fénelon. 

Il  ne  fut  pas  facile  à  M.  Emery  de  se  procurer  les 
manuscrits  de  l'archevêque  de  Cambrai.  Ces  papiers 
étaient  entre  les  mains  d'un  huissier  intelligent  et  inté- 
ressé, qui  ne  voulait  pas  laisser  passer  sans  en  profiter 
cette  heureuse  occasion  de  réaliser  peut-être  un  bénéfice 
considérable.  Rassurait  même,  sans  y  croire,  que  l'État 
voulait  les  acquérir  à  tout  prix,  mais  qu'il  craignait  de 
n'être  pas  payé.  M.  Emery  mena  l'affaire  avec  prudence, 
et  devint  par  adjudication  publique  acquéreur  de  ces 
manuscrits. 

Il  eut  à  souffrir  quelques  ennuis,  dans  cette  circon- 
stance, de  la  part  d'une  personne  qui  appartenait  à  la 
famille  de  Fénelon,  Mmc  de  Campigny1.  Cette  femme 
aimait  les  vieux  livres,  et  regrettait  beaucoup  d'avoir 
laissé  vendre  à  un  étranger  des  papiers  qui  avaient  pour 
elle  une  grande  valeur.  M.  Émery  consentit  néanmoins 
à  lui  céder  quelques  manuscrits,  qu'il  apporta  lui-même 
à  la  maison  de  Mme  de  Campigny.  En  recevant  son 
paquet,  la  domestique  lui  répondit  avec  colère  : 

«  Voilà  encore  des  pourritures  pour  madame!  » 

D'où  je  conclus,  disait  avec  esprit  M.  Émery,  que 
cette  domestique  n'aime  pas  les  vieux  papiers ,  ce  qui 

1  M.  Girardin,  commissairc-priseur  à  Paris,  prévint  M.  Émery 
que  les  manuscrits  de  Fénelon  allaient  être  vendus.  Ils  furent 
d'abord  achetés  au  nom  de  M.  de  Bausset,  et  celui-ci  les  céda 
ensuite  à  M.  Émery.  11  est  certain,  par  la  correspondance  de 
M.  Émery,  que  Mme  de  Campigny  savait  bien  qu'on  allait  vendre 
ces  manuscrits,  et  qu'il  dépendait  d'elle  de  les  acheter  ou  de  les 
revendiquer.  Nous  avons  l'acte  d'achat  des  manuscrits  de  Féne- 1 
loti.  M.  Girardin,  comme  fondé  de  pouvoirs  de  M.  Louis-François-  ' 
Charles  de  Salfgnac-Fénelon,  aîné  de  la  famille,  dont  la  procura- 
tion est  jointe  à  l'acte,  les  vendit  pour  2  400  francs.  A  la  suite  d( 
l'acte  est  la  reconnaissante  de  M.  de  Bausset,  constatant  qu'il- 
ont  été  payés  des  deniers  de  M.  Émery.  L'acte  est  du  24  bru- 
maire an  IX  ,  qui  correspond  au  15  novembre  1800. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  149 

est  très  naturel,  et  que  Mmc  de  Campigny  les  aime  beau- 
coup. 

«  L'affaire  des  manuscrits  est  enfin  terminée,  écrit 
Et.  Émery  à  l'évêque  d'Alais,  le  1G  novembre  1800: 
Us  manuscrits  sont  chez  moi,  le  payement  est  fait,  et  je 
crois  que  la  cession  est  en  bonne  forme.  J'ai  trouvé  les 
manuscrits  dans  l'état  où  ils  étaient  lorsque  je  les  ai 
examinés;  mais  ils  étaient  dans  un  état  déplorable.  Il 
s'agit  maintenant  de  vous  les  faire  parvenir.  Si  vous 
devez  venir  à  Paris  dans  quelque  temps,  mon  avis  est  de 
vous  attendre,  afin  que  vous  puissiez  jeter  un  coup  d'œil 
sur  l'ensemble,  car  ce  n'est  qu'après  cet  aperçu  général 
que  vous  pourrez  commencer  par  former  un  système. 
Si  je  trouve  l'abbé  Galard,  chargé  autrefois  du  dépôt 
des  manuscrits  et  de  l'érudition,  je  désirerais  lui  mon- 
trer les  manuscrits,  afin  d'avoir  ses  conseils  et  le  plan 
qu'il  avait  conçu.  Il  peut  donner  sur  le  détail  des 
manuscrits  des  renseignements  très  utiles,  et  il  serait 
très  à  propos  que  vous  le  voyiez  une  ou  deux  fois, 
a  Voilà  donc  les  manuscrits  sauvés. 
«  Il  me  semble  que  toute  espérance  de  reprendre  vos 
fonctions  est  fort  éloignée  ,  et  en  même  temps  que  le 
moment  des  vexations  n'est  plus  tant  à  craindre.  D'où 
je  conclus  que  vous  pourriez  bien  entreprendre  un  tra- 
vail qui  demanderait  du  temps  et  de  la  suite.  Je  ne  sais 
pas  si  ce  ne  serait  pas  une  œuvre  digne  de  vous  de  vous 
:harger  de  revoir  les  manuscrits  de  M.  de  Fénelon,  et 
le  publier  ce  qui  vous  paraîtrait  digne  de  l'être.  Vous 
nez  beaucoup  de  goût  et  une  très  grande  facilité  d'écrire  : 
a  première  qualité  assure  que  le  choix  serait  bien  fait, 
it  la  deuxième,  qu'il  vous  faudrait  peu  de  temps  pour 
es  préfaces,  les  notes  et  les  éclaircissements  qui  seraient 
onvenables.  » 

111.  —  M.  de  Uausset  répondit  à  cette  invitation  gra- 


150  M.  ÉMERY 

cieuse  de  M.  Emery  par  un  témoignage  d'humilité  et 
de  confiance ,  en  le  priant  de  lui  donner,  sans  réticence 
et  sans  flatterie,  des  conseils  sur  le  plan,  la  forme  et  le 
mouvement  du  travail  qu'il  s'estimait  heureux  d'entre- 
prendre dans  sa  paisihle  et  verdoyante  solitude  de  Ville- 
moisson  !. 

((  Je  vous  prie,  écrivait  l'évêque  d'Alais,  le  28  jan- 
vier 1801 ,  de  décider  l'ohjet  dont  je  dois  d'abord  m'oc- 
cuper.  Lorsque  je  vous  fais  cette  prière,  je  vous  supplie 
de  bien  vous  persuader  que  ce  n'est  point  une  formule 
de  politesse  ni  un  simple  témoignage  de  confiance,  mais 
une  détermination  positive  et  certaine,  sans  laquelle  je 
ne  puis  entreprendre  le  travail  que  vous  me  proposez. 

«  Je  vous  déclare  très  affirmativement  que,  s'agissant 
d'une  entreprise  très  importante  sous  tous  les  rapports 
et  qui  peut  donner  lieu  dans  la  suite  à  beaucoup  de  dis- 
cussions, je  ne  me  sens  pas  assez  fort  pour  oser  prendre 
sur  moi-même  d'admettre  ou  de  rejeter  telle  ou  telle 
pièce,  d'y  joindre  telle  ou  telle  note,  de  commencer 
par  telle  ou  telle  partie,  sans  avoir  l'appui  de  votre 
autorité.  Mais  aussi  je  vous  déclare  avec  la  même  fran- 
chise que  votre  opinion  réglera  absolument  ma  marche 

«  Ainsi  vous  pourrez  toujours  me  parler  très  simple- 
ment et  très  clairement  :  nous  n'avons  absolument  affaire 
à  aucune  autre  personne  pour  ce  travail  ;  nous  sommes 
absolument  indépendants  de  toute  considération  étran- 
gère, et  nous  n'avons  à  consulter  que  le  témoignage  de 
notre  conscience,  les  lumières  de  notre  raison  et  le  sen- 
timent des  convenances  sur  ce  qui  pourrait  blesser  trop 
vivement  certaines  opinions.  » 

Inspiré  par  M.  Émery ,  dont  il  appréciait  les  rares 
qualités  d'esprit,  M.  de  Bausset  fit  un  long  examen  cri- 

1  Au  château  de  Mme  de  Bussompierre,  à  Yillcmoisson ,  par 
Longjuincau  ( Scine-ct-Oise). 


ET  L'ÉGLISE  DÉ  FRANCE  151 

tique  des  manuscrits  qui  lui  étaient  confiés,  et  résolut 
d'écrire  la  Vie  de  Fénclon.  L'exposition  large  et  litté- 
ral iv  des  faits  qui  composent  la  vie  de  l'archevêque  de 
Cambrai  convenait  mieux  à  sa  nature  d'esprit  et  à  ses 
goûts  qu'un  travail  aride  et  délicat  d'érudition  théolo- 
gique et  de  discussion  détaillée  de  ces  manuscrits  fati- 
gués par  le  temps. 

Dés  ce  moment  M.  Kmery  accepte  le  rôle  de  conseil- 
ler et  laisse  voir,  dans  sa  correspondance  avec  l'évèque 
d  A lais,  sa  prudence  dans  les  avis,  son  goût  délicat,  son 
esprit  critique  et  la  sagesse  de  ses  jugements. 

«  J'ai  lu  avec  bien  de  l'intérêt,  écrivait  M.  Emery 
au  mois  de  mai  1804,  le  morceau  de  la  Vie  de  Fénclon 
que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer.  Je  vais,  puisque 
vous  l'ordonnez,  vous  dire  ce  que  j'en  pense.  Vos 
réflexions  sont  toujours  vraies  et  justes,  mais  je  les 
crois  trop  abondantes.  Vous  n'avez  pas  de  traits  parti- 
culiers à  raconter;  vous  voudriez  cependant  donner 
quelque  étendue  à  cette  partie  de  la  Vie  de  Fénelon, 
et  vous  remplissez  la  lacune  par  des  réflexions,  des 
(observations  sur  la  manière  de  convertir  employée  ou 
à  employer.  Je  crois  que  vous  vous  étendez  trop. 

«  Tout  ce  qui  tient  à  la  conversion  des  protestants 
peut  bien  être  très  intéressant  pour  des  ecclésiastiques; 
mais  votre  Vie  est  autant  destinée  aux  gens  du  monde 
qu'aux  ecclésiastiques,  et  les  premiers  mettent  peu 
d'intérêt  à  ce  qui  n'est  point  (pour  me  servir  d'un 
terme  à  la  mode)  à  l'ordre  du  jour. 

«  Quand  il  sera  question  de  religion,  de  christia- 
nisme, c'est  tout  autre  chose.  Tout,  en  ce  genre,  est 
bien  accueilli  et  bien  intéressant.  Je  sais  que  vous  ne 
devez  pas  faire  une  Vie  de  Fénelon  pour  le  moment 
présent  seulement,  mais  aussi  pour  la  postérité  :  il  faut 
avoir  égard  à  l'un  et  à  l'autre. 

«  On  a  reproché  à  la  vie  faite  par  M.  de  Querbeuf 


152  M.  ÉMEUY 

d'être  trop  longue.  Je  craindrais,  à  la  manière  dont  vous 
commencez,  que  la  vôtre  ne  le  fût  davantage.  Il  est  vrai 
qu'il  y  a  du  bon  cà  répandre  d'abord  toutes  ses  idées! 
parce  qu'on  retrancbe  ensuite  ce  qu'on  juge  à  propos.  » 

IV.  —  M.  Emery  aidait  avec  délicatesse  Févêqul 
d'Alais  dans  le  choix  des  parties  qu'il  était  bon  de  sup- 
primer pour  ne  pas  arrêter  le  mouvement  des  idées, 
le  récit  des  événements,  et  pour  ne  pas  s'exposer  à  fati- 
guer le  lecteur  par  des  considérations  trop  générales  ou 
par  des  discussions  arides;  il  retranchait  impitoyable- 
ment les  hors -d'oeuvre  où  se  complaisait  l'esprit,  légè- 
rement prolixe  dans  son  abondance,  du  savant  évèque 
d'Alais. 

Il  lui  demande  la  suppression  :  ici,  d'un  long  morceau 
sur  le  jansénisme,  qu'il  faut  renvoyer  aux  notes  expli- 
catives ;  là,  d'un  récit  traînant  de  la  vie  du  marquis  de 
Féneîon,  oncîe  de  l'archevêque  de  Cambrai;  plus  loin, 
d'une  discussion  dogmatique  inutile  et  aride  sur  le  quié. 
tisme  et  la  grâce.  Il  s'étonne  et  s'alarme  ailleurs  d'un 
rapprochement  injuste  entre  les  jansénistes  et  les  jésuites, 
d'un  passage  trop  favorable  aux  disciples  de  Jansénius, 
qui  pourraient,  dans  leurs  polémiques,  se  prévaloir  de 
l'autorité  et  des  éloges  d'un  si  docte  prélat. 

Avec  quelle  sagesse  il  juge  la  conduite  de  Bossuet 
et  de  Fénelon  dans  la  controverse  théologique  sur  le 
quiétisme  ! 

«  Je  persévère  dans  mon  sentiment,  écrit  M.  Emery, 
le  20  mai  1808.  Il  ne  faut  pas  que  vous  tombiez  en  con- 
tradiction avec  vous-même,  et  que  vous  ayez  l'air  de 
chanter  la  palinodie,  en  prenant  la  défense  de  Bossuet 
contre  Fénelon.  Je. persiste  à  croire  que,  sur  l'article  .les 
procédés,  Bossuet  est  plus  répréhensible  que  FéneloûS 
qu'il  a  mis  de  la  raideur,  qu'il  a  manqué  de  condesi 
cendance.  C'était  lui  qui  poursuivait,  et  il  y  avait  mille 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  153 

moyens  de  terminer  l'affaire  sans  la  pousser  jusqu'au 
bout.  » 

Leur  correspondance  n'avait  pas  toujours  pour  objet 
la  préparation  de  la  Vie  de  l'illustre  évêque  de  Cambrai  ; 
elle  prenait  souvent  un  caractère  plus  touchant  et  révé- 
lait Fàme  sacerdotale  de  M.  Emery,  qui  subordonnait 
toujours  les  choses  de  la  terre  aux  intérêts  éternels. 

«  Je  suis  enchanté ,  Monseigneur,  des  désirs  que  vous 
témoignez  d'être  entièrement  à  Dieu.  Les  infirmités  con- 
tinuelles qui  vous  assiègent  ne  peuvent  qu'affaiblir  sen- 
siblement votre  corps,  et  vous  avertir  que  votre  carrière 
te  sera  pas  aussi  longue  que  vous  aviez  lieu  de  vous  le 
promettre  dans  les  premiers  temps  de  votre  vie.  C'est 
lans  les  exercices  de  piété  que  vous  trouverez  la  force 
it  la  consolation  dont  vous  avez  besoin. 

«  Vivant  comme  vous  faites,  à  la  campagne  et  très 
éloigné  du  monde,  vous  avez  une  facilité  de  vivre  en 
)ieu  et  avec  Dieu  que  vous  n'auriez  point  eue  dans  toute 
mtre  situation.  Je  suis  pour  cet  objet  à  votre  disposition 
;t  à  vos  ordres,  encore  plus  que  pour  tout  autre. 

«  Vous  verrez  de  votre  campagne,  comme  du  haut 
l'un  rocher,  les  tempêtes  et  les  orages  qui  agitent  et  qui 
oui  mentent  ceux  qui  sont  embarqués  sur  la  mer  de  ce 
aonde.  Toutes  les  vagues  de  cette  mer,  qui  est  encore 
tien  courroucée,  viendront  se  brisera  vos  pieds.  Vous 
l'en  ressentirez  que  le  bruit. 

«  Vos  collègues  remplissent  leurs  lettres  de  gémisse- 
nents  et  de  plaintes.  L'archevêque  de  Lyon  est  arrive  ; 
eue  l'ai  poirt  vu  encore.  Je  l'engagerai,  pendant  son 

ijour,  à  faire,  s'il  le  peut,  quelques  représentations  sur 
i  ps  objets  les  plus  importants.  L'abbé  D***  m'écrit  que  le 

irdinal  de  Kohan  vient  de  mourir,  après  deux  jours  de 
i  îaladie  » 


1  Lettre  inédite  du  2G  février  1803. 


154 


M.  ÉMEftY 


Le  cardinal  Maury,  de  retour  à  Paris,  avait  repris  ses 
anciennes  relations  avec  M.  Émery.  Le  vénérable  supé- 
rieur de  Saint -Sulpice  oublia  les  mauvais  procédés  de 
son  ami  pendant  son  séjour  à  Rome,  à  l'occasion  des 
serments  exigés  par  le  gouvernement  révolutionnaire; 
il  le  combla  des  témoignages  de  sa  bonté  paternelle.  Il  le 
reçut  souvent  chez  lui ,  s'occupa  de  sa  chapelle  privée 
et  des  objets  de  piété  dont  il  pouvait  avoir  besoin ,  et  lui 
donna  une  chambre  à  Issy ,  où  il  vint  préparer  dans  le 
silence  et  la  retraite  son  discours  de  réception  à  l'Aca- 
démie française. 

V.  —  M.  Émery  estimait  que  l'historien  de  Fénelon 
avait  des  titres  plus  sérieux  que  le  cardinal  Maury  à  un 
siège  académique,  et  non  seulement  il  fit  part  à  son 
ami  de  ses  espérances,  mais  il  fit  agir  des  hommes 
influents  pour  les  réaliser. 

L'évèque  d'Alais  opposa  d'abord  des  difficultés ,  des 
scrupules  :  il  exprima  ses  répugnances  délicates,  dans 
une  lettre  du  22  janvier  1808,  à  une  dame  bienveillante 
qui  s'occupait  de  sa  candidature  avec  un  zèle  assuré  du 
succès.  On  y  trouve  des  réflexions  judicieuses  et  l'expres- 
sion fidèle,  dans  un  langage  élégant,  du  caractère  du 
savant  évêque  d'Alais. 

((  Vous  me  demandez ,  Madame ,  de  vous  parler  avec 
une  entière  franchise  sur  le  dessein  dont  M.  Suard  a  eu 
quelquefois  l'idée  de  vous  entretenir.  Je  vais  répondre 
au  vœu  de  votre  amitié  avec  toute  la  sincérité  que  vous 
avez  le  droit  d'attendre  de  moi. 

((  Je  vous  dirai  d'abord,  dans  toute  la  vérité  de  mon 
cœur,  que  je  suis  profondément  touché  du  sentiment 
d'estime  qui  a  inspiré  à  M.  Suard  une  pensée  aussi  flat- 
teuse pour  moi.  Quelque  dénué  qu'on  pût  être  d'amour- 
propre,  il  serait  difficile  de  se  détendre  d'une  satisfaction 
sccrè'e  lorsqu'on  reçoit  un  témoignage  aussi  marque 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  153 
de  la  part  d'un  homme  d'autant  de  goût  et  d'esprit  que 
M.  Suard.  J'aurai  certainement  moi-même  le  plaisir 
d'aller  lui  montrer  toute  la  sensibilité  de  ma  reconnais- 
sance, lorsque  je  serai  à  Paris. 

«  Mais  je  ne  puis  profiter  de  sa  bonne  volonté,  quelque 
touché  que  j'en  sois.  Je  vais  vous  exposer  avec  candeur 
mes  motifs,  du  moins  en  partie,  en  me  réservant  de 
vous  confier  les  autres  lorsque  j'aurai  l'honneur  de  vous 
entretenir. 

«  J'ai  toujours  pensé,  avant  même  la  Révolution,  que 
les  places  de  l'Académie  française  auraient  dù  être 
presque  exclusivement  réservées  aux  véritables  gens  de 
lettres,  et  qu'on  y  avait  donné  trop  facilement  entrée  à 
beaucoup  de  gens  de  la  cour.  J'y  trouvais  surtout  dépla- 
cés- ce  grand  nombre  devéques  qui,  sans  avoir  les 
lettres  et  les  fonctions  de  Bossuet  et  de  Fénelon,  venaient 
y  occuper  leur  fauteuil  pour  y  jouer  un  rôle  quelquefois 
très  embarrassant. 

«  Vous  savez  mieux  que  personne  que  l'état  habituel 
de  ma  santé  et  mes  longues  et  douloureuses  infirmités 
ne  m'ont  pas  permis,  dans  le  nouvel  ordre  de  choses, 
d'accepter  les  premières  places  de  mon  état,  que  l'ami- 
,  tié  et  une  prévention  beaucoup  trop  favorable  m'offraient 
avec  l'empressement  le  plus  flatteur,  sans  attendre  que 
je  parusse  les  désirer  ni  les  rechercher.  Il  y  aurait  une 
inconséquence  sensible  de  ma  part,  après  avoir  refusé 
des  places  qu'une  sorte  de  devoir  religieux  me  forçait 
d'accepter,  si  je  n'avais  pas  été  dans  l'impossibilité 
absolue  d'en  remplir  les  devoirs  et  les  fonctions,  de 
consentir  à  présent  à  faire  partie  d'un  corps  quel- 
conque. 

t  Je  sais  que  les  devoirs  que  j'aurais  à  remplir  dans 
celui-ci  ne  seraient  ni  aussi  habituels  ni  aussi  pénibles 
que  ceux  du  ministère  auxquels  je  m'étais  dévoué;  mais 
enfin  il  y  en  aurait  de  plus  d'un  genre  auxquels  je  ne 


Iu6  M.  ÉMERY 

pourrais  me  refuser  sans  manquer  à  la  reconnaissance 
et  aux  bienséances. 

((  Le  genre  de  vie  que  j'ai  adopté  depuis  tant  d'années 
est  le  seul  qui  convienne  à  mes  goûts,  à  ma  santé,  aux 
circonstances  où  je  me  suis  trouvé,  à  la  tranquillité  du 
ma  vie,  à  mon  véritable  bonheur.  Le  plus  léger  chan- 
gement altérerait  essentiellement  toute  la  douceur  de 
mon  existence.  Aussi  rien  au  monde  ne  pourrait  m'en- 
gager  à  compromettre  ces  avantages  si  précieux  pour 
quelques  vains  succès  d'amour- propre. 

((  J'ai  eu  le  bonheur  inappréciable  de  conserver  l'es- 
time et  l'amitié  de  tous  ceux  qui  m'ont  marqué  de  l'in- 
térêt et  de  la  bienveillance  dès  mes  premières  années. 
Au  milieu  même  des  orages  de  la  Révolution  et  du  choc 
des  partis,  je  n'ai  rencontré  aucun  ennemi  personnel , 
ni  même  aucun  détracteur.  N'ai-je  pas  assez  d'obligation 
à  la  Providence  de  m'avoir  ménagé  un  sort  aussi  dési- 
rable, dans  un  temps  où  toutes  les  passions  ont  été  mises 
en  mouvement  et  ont  exercé  tant  d'injustices  1  ?  » 

VI.  —  M.  Émery  ne  partagea  pas  dans  cette  circons- 
tance les  sentiments  de  M.  de  Bausset.  Il  ne  pouvait  pas 
se  laisser  toucher  par  la  pensée  de  laisser  son  ami  mener 
une  vie  facile,  agréable,  à  l'abri  des  orages,  dans  une 
maison  pleine  d'attraits  et  de  cbarmes.  Ces  considérations 
n'avaient  aucun  poids  pour  ce  vaillant  serviteur  de  Dieu5 
dont  la  vie  laborieuse  s'écoulait  dans  la  lutte  et  qui  ne 
demandait  à  Dieu  que  le  repos  de  l'éternité. 

Ce  n'étaient  pas  davantage  des  considérations  humaines 
ou  la  pensée  de  satisfaire  un  moment  l'amour- propre  de 
son  ami  qui  décidait  M.  Emery  à  persévérer  dans  ses 
espérances,  et  à  presser  instamment  l'évoque  d'Alais  de 
solliciter  les  suffrages  de  l'Académie.  Ses  lettres  à  M.  de 


LclLi'e  inédite. 


ET  L'EGLISE  DÉ  FRANCE  157 
fausset  nous  apprennent  à  quel  point  il  était  Inspiré  par 
des  pensées  plus  élevées:  il  voyait  des  impies  lettrés  et 
intrigants  occuper  les  sièges  de  Fénelon  et  de  Bossuet;  il 
craignait  l'influence extérieuredece  scandale,  et  il  estimait 
avec  raison  qu'il  ne  fallait  pas  livrer  la  place  à  l'ennemi, 

11  pensait  aussi  que  l'aménité  de  caractère  de  M.  de 
Hausse!,  sa  distinction,  sa  bienveillance,  ses  manières 
courtoises,  lui  gagneraient  le  cœur  de  ses  collègues  de 
l'Académie,  et  lui  permettraient  de  contribuer  d'une 
manière  efficace  à  faire  aimer  la  religion1. 

«  Si  les  honnêtes  gens  refusent  d'entrer  dans  ce  corps, 
écrivait  M.  Émery,  il  sera  perpétuellement  composé 
d'impies,  et  c'est  un  malheur  pour  la  religion.  Puis  il 
y  a  des  gens  bien  pensants  qui,  par  leur  dureté,  sont 
plus  propres  à  aigrir  les  mécréants  qu'à  les  ramener.  Le 
cardinal  Maury  prétend  que  quand  il  acquiesça  aux  sol- 
licitations qui  lui  furent  faites  pour  entrer  à  l'Académie, 
il  y  mit  pour  condition  qu'on  y  ferait  entrer  des  évèques 
et  des  ecclésiastiques,  comme  autrefois;  il  en  indiqua 
quelques-uns;  je  ne  me  souviens  pas  si  vous  étiez  du 
nombre.  Mais  après  que  votre  Vie  de  Fénelon  aura  paru, 
vous  serez,  sans  difficulté,  l'évèque  le  mieux  titré  pour 
occuper  une  place  à  l'Institut.  Je  ne  vois  guère  d'évèques 
qui  aient  écrit,  sinon  M.  de  Langres  et  M.  de  Nantes; 
mais  ils  n'ont  point  le  titre  de  littérateurs  2.  » 

VII.  —  Le  bonheur  humain  est  d'ailleurs  fragile.  Dieu 
rappela  cette  vérité  d'une  manière  saisissante  à  M.  de 
Bausset,  en  lui  ravissant  M"10  de  Basso  ni  pierre,  qui  était 
l'âme,  l'honneur  et  la  joie  sereine  de  ce  château  de  Ville- 

I  1  Après  les  Cent -Jouis ,  M.  de  Bausset  fut  nommé  suecessive- 
Iment  pair  do  France,  cardinal,  membre  de  l'Académie  française, 
'lue,  ministre  d  Etat  et  commandeur  de  l'ordre  du  S^int- Esprit, 
ill  mourut  le  21  juin  1824. 

*  Lettre  à  M.  de  JJaustel,  28  décembre:  18D7. 


158  M.  ÉMERY 

moisson,  près  Longjumeau,  où  M.  de  Bausset  goûtait  une 
paix  sans  orage. 

Cette  mort  frappa  cruellement  l'évêque  d'Alais  :  ses 
lettres  à  M.  Émery  et  à  M.  Courtade,  prêtre  de  Saint- 
Sulpice,  expriment  douloureusement  le  vide  immense 
creusé  dans  son  cœur  par  la  mort  de  cette  femme  chré- 
tienne. 

M.  Emery  ne  laissa  pas  passer  cette  circonstance  sans 
essayer,  dans  un  langage  plein  de  tendresse,  de  consoler 
son  ami ,  d'élever  ses  pensées  vers  Dieu  et  de  lui  rappe- 
ler le  néant  des  amitiés  humaines. 

«  Votre  lettre ,  écrit  M.  Émery,  vient  de  me  jeter  dans 
une  grande  affliction.  Je  ne  m'attendais  pas  à  apprendre 
la  mort  de  Mme  de  Bassompierre.  Je  croyais  bien  qu'elle 
ne  recouvrerait  pas  la  santé,  mais  je  croyais  aussi  qu'elle 
languirait  encore  longtemps.  La  volonté  de  Dieu  soit 
faite! 

((  C'est  ainsi  qu'en  vivant  nous-mêmes  plus  longtemps, 
nous  voyons  partir  successivement  les  personnes  qui  nous 
sont  les  plus  chères  ;  mais  elles  ne  font  que  nous  précé- 
der, et  nous  allons  bientôt  les  rejoindre. 

«  Je  suis  affligé  pour  Mme  de  Bassompierre  et  pour 
vous  :  pour  Mmc  de  Bassompierre,  quoique  après  un  mo- 
ment de  réflexion  on  doive  plutôt  la  féliciter  d'avoir 
quitté  cette  malheureuse  vie,  surtout  en  la  quittant  sous 
d'aussi  favorables  auspices;  pour  vous,  Monseigneur, 
parce  que  cela  va  changer  notablement  votre  manière 
d'exister,  et  que  vous  aurez  peine  à  en  trouver  une  aussi 
favorable  à  vos  goûts  et  à  vos  études. 

((  Mais  que  la  volonté  de  Dieu  soit  faite! 

«  C'est  maintenant  que  vous  sentez  tout  l'avantage  de 
vous  être  tourné  entièrement  vers  Dieu.  La  religion  seule 
peut  vous  consoler  :  elle  ne  me  paraît  jamais  plus  conso- 
lante que  dans  sa  doctrine  sur  les  morts.  Nous  savons 
par  elle  que  nous  demeurons  en  communion  avec  les 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  159 

défunts  que  nous  regrettons;  que  nous  pouvons  leur  être 
encore  plus  sensiblement  utiles  par  nos  prières  que  lors- 
qu'ils étaient  sur  la  terre;  qu'ils  sont  instruits  par  les 
anges  du  souvenir  que  nous  en  conservons,  que  cette 
pensée  nous  console ,  que  nous  adoucissons  leurs  souf- 
frances, et  que  nous  abrégeons  le  temps  de  leur  durée, 
et  que  nous  contribuons  à  rapproclier  le  moment  où  ils 
jouiront  pleinement  de  Dieu. 

«  Tous  les  jours  vous  prierez  pour  elle,  et  vous  com- 
munierez ou  vous  célébrerez  plus  souvent  le  saint  sacri- 
fice, dans  le  dessein  de  lui  témoigner  plus  efficacement 
votre  amitié. 

«  Pour  moi ,  ma  plus  grande  consolation  aujourd'hui 
est  de  prier  pour  les  personnes  que  j'ai  connues  dans  le 
monde.  J'imagine  que  par  là  je  me  fais  des  amis  et 
je  me  prépare  une  réception  plus  favorable  dans  les 
cieux1.  » 

VIII.  —  M.  Émery  ne  cherchait  pas  seulement  à  con- 
soler son  ami  désolé  d'une  mort  qui  brisait  une  amitié 
de  quarante  ans  :  il  voulait  aussi  ranimer  son  ardeur, 
réveiller  son  courage,  lui  rappeler  d'une  manière  déli- 
cate qu'il  devait  consacrer  son  talent  et  les  dernières 
années  de  sa  vie,  déjà  si  pleine,  au  service  de  la  vérité. 
Heureux  du  grand  succès  de  Y  Histoire  de  Fénelon,  dont 
la  première  édition  ,  publiée  en  1808,  avait  été  promp- 
inent  épuisée,  M.  Emery  eut  la  pensée  de  demander  à 
l'évêque  d'Alais  une  Histoire  de  Bossuet.  Ce  travail  ne 
devait  pas  seulement  le  distraire  de  son  chagrin;  il  devait 
contribuer  encore  à  la  gloire  de  Bossuet  et  à  la  défense  de 
la  religion. 

M.  de  Bausset  se  mit  à  l'œuvre;  il  laissa  M.  Émery 
recueillir  avec  patience  les  matériaux,  les  classer  avec 

1  Lettre  inédite  du  oO  janvier  1810. 


100  M.  ÉMERY 

méthode,  les  distribuer  selon  l'ordre  logique,  et  faire 
ainsi  la  partie  la  plus  ingrate  de  sa  tâche  ;  il  s'enferma 
ensuite  de  nouveau  dans  le  silence  de  sa  douloureuse 
retraite ,  et  rédigea  les  premiers  livres  de  la  Vie  de  Bos- 
suet. 

«  Me  voici  de  retour  dans  ma  solitude ,  écrit  l'évêque 
d'Alais,  et  je  n'ai  rien  eu  de  plus  pressé  que  de  reprendre 
mon  travail  sur  Bossuet.  C'est  la  seule  chose  qui  puisse 
m'attacher  et  me  distraire  fortement  du  passé,  du  présent 
et  de  l'avenir. 

((  Mais  je  prévois  qu'il  sera  nécessairement  très  long, 
et  je  ne  m'en  plains  pas ,  puisque  j'y  trouve  de  l'intérêt, 
de  la  douceur  et  de  la  consolation.  Je  ne  sais  pas  si  ce 
travail  pourra  jamais  être  d'une  grande  utilité  pour  les 
autres;  mais  enfin  il  aura  été  un  grand  agrément  pour 
moi,  et  il  est  d'un  genre  convenable  à  mon  état,  à  mon 
âge  et  à  mes  goûts;  il  aura,  jusqu'à  un  certain  point, 
rempli  le  vide  de  ma  vie,  suppléé  à  la  parfaite  nullité  à 
laquelle  mes  infirmités  m'ont  condamné,  et  nourri  mon 
esprit  de  pensées  et  d'études  utiles.  De  pareils  résultats 
sont  assez  précieux  pour  les  faire  rentrer  dans  les  calculs 
d'un  homme  raisonnable.  Donnez-moi  de  vos  nouvelles: 
vous  savez  que  je  n'aime  pas  à  être  longtemps  sans  en 
recevoir  » 

M.  Émery  lit  avec  soin  les  premiers  cahiers  de  l'His- 
toire de  Bossuet.  Il  s'inquiète  encore  de  l'abondance 
prolixe  de  son  illustre  ami;  il  lui  signale,  sous  le  voile 
des  félicitations  les  plus  délicates,  l'inconvénient  des 
longueurs  qu'il  ne  sait  pas  encore  éviter. 

((  J'ai  reçu  le  troisième  cahier,  répond  M.  Emery,  et 
je  vous  en  fais  mon  compliment,  parce  que  vous  débutez 
fort  bien  ,  et  aussi  parce  qu'Horace  a  dit  : 

Dimidium  facti  qui  cœpit  habct. 
Lcllre  inédite  du  "27  mai  1S1U. 


ET  L'EGLISE  DE  FRANCE  101 

«  J'ai  tout  lu,  et  j'ai  fait  quelques  petites  observations. 
Faut-il  que  je  vous  renvoie  les  cahiers  avec  mes  notes? 
autrement,  je  vous  les  communiquerai  de  vive  voix.  Dès 
à  présent  je  crains  une  trop  grande  abondance. 

i  Si  le  prélude  de  la  vie  de  Bossuet  a  donné  un  grand 
livre,  vous  courez  risque  d'être  surchargé  et  obligé  de 
vous  resserrer  dans  des  endroits  où  il  aurait  été  conve- 
uable  de  s'étendre.  Il  ne  faudrait  pas  que  la  Vie  de  Jîos- 
suet comportât  plus  de  trois  volumes;  tout  au  plus  pour- 
riez-vous  en  donner  un  quatrième.  C'est  beaucoup  que 
le  public  vous  ait  passé  trois  volumes  pour  Fénelon  ;  peut- 
être  ne  vous  en  passerait-il  pas  davantage  pour  Bossuet, 
qui  est  moins  aimé  et  moins  aimable  que  Fénelon. 

«  Je  vois  que  vous  avez  déjà  peint  Bossuet  par  des 
traits  assez  longs,  que  vous  serez  obligé  de  reprendre 
dans  le  coure  de  sa  vie  théologique  et  oratoire.  Je  dési- 
rerais qu'à  mesure  que  vous  composez  et  que  vous  jetez 
vos  idées,  vous  marquiez  tout  de  suite,  et  par  un  signe  qui 
fût  à  vous,  ce  qui  pourrait  être  retranché,  si  vous  êtes 
forcé  à  la  lin  défaire  des  retranchements. 

«  Nous  sommes  pleins  des  préparatifs  pour  le  mariage 
de  l'empereur.  Rien  dans  tout  ce  spectacle  ne  me  tente 
le  moins  du  monde.  Je  ferai  ce  jour- là  mon  oraison  sur 
la  cité  céleste,  vers  laquelle  je  m'approche. 

«  Cette  lettre  serait  partie  hier  si ,  dans  le  moment  où 
j'allais  la  fermer,  il  n'était  venu  dans  ma  chambre  un 
juge  de  paix,  de  la  part  du  ministre  de  la  police,  pour 
saisir  ce  qui  se  trouverait  chez  moi  des  corrections  et 
tddi  lions  aux  Nouveaux  Opuscules  de  Fleury .  Je  lui  en 
u  donné  douze.  Voilà  les  gentillesses  auxquelles  je  suis 
*xposé.  Je  crois  que  c'est  en  haine  du  nom  de  Saint- 
Milpice  qu'on  veut  transférer  le  séminaire  à  Saint-Nico- 
is  1 .  » 


Du  2i  mars  IS10. 


162  M.  ÉMERY 

L'évêque  d'Alais,  toujours  plein  de  déférence  et  de 
soumission  aux  avis  de  M.  Émery,  conservait  cependant 
son  indépendance  et  son  sentiment  dans  les  appréciations 
diverses  des  principaux  événements  de  la  vie  de  Bossuet. 
Sur  quelques  points  il  maintint  son  jugement,  malgré 
les  sages  observations  que  nous  retrouvons  dans  les  lettres 
de  M.  Émery. 

M.  Émery  n'approuvait  pas  la  faveur  avec  laquelle 
l'évêque  d'Alais  parlait  des  services  littéraires  des  jansé- 
nistes, de  la  sympathie  de  Bossuet  pour  le  Nouveau  Tes- 
tament de  Mons,  condamné  à  Rome,  et  des  déclarations 
de  l'assemblée  de  1082. 

Malgré  ces  légers  dissentiments,  M.  Émery  pressait 
M.  de  Bausset  de  faire  taire  son  chagrin  et  de  travailler 
sans  relâche,  au  nom  de  la  religion,  à  V Histoire  de  Bos- 
suet. 

«  Je  pense  souvent  à  vous  et  à  vos  embarras,  et  j'y  suis 
fort  sensible.  Vous  devez  avoir  de  la  peine  à  vous  accou- 
tumer à  la  privation  de  M,ne  de  Bassompierre  ;  vous 
devez  nécessairement  entrer  comme  conseil  dans  tous 
les  arrangements  et  les  discussions  qu'entraîne  son 
décès. 

«  Gela  vous  prend  beaucoup  de  temps,  et  il  est  difficile 
que  Bossuet  ne  soit  pas  oublié.  Cependant  c'est  une  tache 
que  vous  ne  devez  pas  perdre  de  vue  et  que  vous  repren- 
drez aussitôt  que  vous  pourrez.  La  Vie  de  M.  de  Bos- 
suet, comme  celle  de  M.  de  Fénelon,  sert  encore  mieux 
la  religion  que  ne  le  ferait  un  traité  exprès  de  la  religion; 
vous  y  établirez  tous  les  grands  points  de  la  doctrine  et 
du  gouvernement  ecclésiastique. 

((  J'ai  fini  mon  petit  travail  sur  le  cardinal  Dubois. 
Quand  j'aurai  donné  un  coup  d'œil  sur  les  Mémoires  de 
la  Régence,  je  le  donnerai  à  M.  Picot. 

«  Je  voudrais  publier  sous  forme  de  supplément  tout 
ce  que  j'ai  recueilli  des  pensées  de  Leibniz  relatives  à 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  163 
la  religion.  Ce  bon  M.  Sigorgne  croyait  que  c'était  une 
manière  indirecte,  mais  plus  efficace  dans  ce  temps-ci, 
de  défendre  la  religion. 

«  Je  dois  me  presser  de  faire  le  bien  que  je  peux  faire, 
P  parce  que  le  temps  va  me  manquer.  Dum  tempus  habe- 
\tnus,  opcremur  bonum. 

a  Oh  !  combien  vos  prières  pour  Mme  de  Bassompierre 
doivent  vous  donner  de  consolation!  Je  ne  connais  rien 
de  plus  efficace  pour  faire  cesser  la  tristesse  1.  » 

IX.  —  La  pensée  du  travail  touchant  le  cardinal  Du- 
bois, auquel  M.  Émery  fait  allusion  dans  sa  lettre  à  M.  de 
Bausset,  lui  avait  été  inspirée  par  une  lettre  de  Fénelon 
à  Mmc  Roujault 2,  favorable  à  la  mémoire  de  ce  fameux 
cardinal.  11  n'était  pas  possible  de  laver  cette  mémoire  de 
toutes  les  attaques  ,  de  lui  rendre  cette  beauté  sacerdo- 
tale et  ce  charme  surnaturels  qui  sont  l'expression  de  la 
'vertu.  La  vie  de  Dubois,  légère  et  trop  souvent  compro- 
•misedansde  tristes  aventures,  ne  comportait  pas  une 
telle  réparation  ;  mais  il  était  permis  du  moins  de  faire 
'la  part  de  l'injustice  et  de  la  calomnie  dans  les  accusa- 
tions violentes  dont  il  avait  été  l'objet  et  de  rétablir  la 
vérité.  Il  commença  ce  travail  historique  ;  il  fut  complété 
et  achevé  par  Picot,  dans  Y  Ami  de  la  religion  et  dans 
ses  Mémoires  3. 

M.  de  Bausset  s'intéressait  à  cette  réhabilitation  histo- 
rique d'un  prince  de  l'Église  ;  il  communiqua  à  M.  Émery, 
le  14  mars  1810,  une  note  intéressante,  recueillie  dans 
un  ouvrage  que  le  vénérable  supérieur  de  Saint -Sul- 
pice  n'aurait  jamais  eu  la  curiosité  indiscrète  de  con- 
sulter. 

1  Du  7  janvier  1810. 

2  Correspondance  de  Fénelon,  t.  III,  p.  III. 

a  Ami  de  la  religion,  t.  XXXII,  p.  *2bMJ.  —  Picot,  Mémoires, 
à»  edit.,  p.  109. 


164  M.  ÉMERY 

((  Je  viens  de  trouver,  écrit  M.  de  Bausset,  un  fait  bien 
plus  honorable  pour  la  mémoire  du  cardinal  Dubois  que 
toutes  les  harangues  et  tous  les  compliments  académiques, 
et  je  l'ai  trouvé  où  certainement  vous  n'auriez  pas  été 
tenté  d'aller  le  chercher  :  c'est  dans  les  Lettres  de  Ninon 
de  Lenclos  et  de  Saint-Évremont. 

«  En  1698,  vous  voyez  que  c'est  bien  longtemps  avant 
la  Régence,  et  il  fallait  que  Louis  XIV  eût  conçu  une 
grande  idée  des  talents  de  l'abbé  Dubois ,  le  roi  envoya 
à  Londres  le  maréchal  de  Tallard ,  en  qualité  d'ambassa- 
deur, pour  la  négociation  la  plus  importante  peut-être  qui 
pût  alors  occuper  tous  les  cabinets  de  l'Europe,  puisqu'il 
s'agissait  de  négocier  avec  Guillaume  III  et  la  Hollande 
un  traité  de  partage  de  tous  les  États  de  la  monarchie 
espagnole,  dont  la  santé  languissante  de  Charles  II  laissait 
prévoir  la  succession  très  prochaine. 

«  Devinez  qui  Louis  XIV  choisit  pour  donner  au  ma- 
réchal de  Tallard  toutes  les  instructions  et  tous  les  secours 
que  l'on  ne  pouvait  transmettre  sûrement  ni  convenable- 
ment par  écrit  et  pa/  des  dépèches  diplomatiques?  Ce 
fut  l'abbé  Dubois. 

«La  goutte,  qui  tracassait  mes  mains  depuis  plusieurs 
jours,  vient  de  descendre  aux  pieds,  et  me  tient  cloué 
sur  mon  fauteuil,  Dieu  seul  sait  pour  combien  de  temps. 
Je  me  console  en  m'occupant  de  Bossuet  Je  n'attends, 
pour  vous  envoyer  le  premier  livre  de  son  Histoire,  que 
les  détails  que  je  vous  ai  demandés  au  sujet  de  quelques 
difficultés  sur  l'une  de  ses  thèses.  Mandez -moi  si  je 
pourrai  vous  envoyer  ce  premier  livre  par  les  voitures1.  )) 

D'Alembert,  Saint-Simon,  Voltaire  et  les  ennemis  les 
plus  ardents  de  l'Église  catholique  n'avaient  pas  laissé 
passer  une  occasion  si  favorable  d'attaquer  la  religion , 
en  frappant  de  leurs  calomnies  un  de  ses  ministres  les 


1  Lettre  inédite. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  16;i 

plus  renommés.  Ils  ne  pardonnaient  pas  au  cardinal 
Dubois  d'être  arrivé,  lui,  sorti  des  derniers  rangs  de  la 
société,  aux  honneurs  les  plus  enviés,  à  une  époque  où 
les  préjugés  de  sang  et  de  race  faisaient  peser  quelque- 
fois sur  le  pauvre  le  mépris  des  puissants,  et  ils  avaient 
suivi  avec  dépit  ses  démarches  officielles  auprès  des  sou- 
verains de  l'Europe,  qu'il  intéressait  à  la  cause  du  roi. 

Ce  n'est  pas  la  personne  du  cardinal  Dubois,  c'est 
l'Église  que  M.  Émery  veut  défendre.  Il  énumère  avec 
douleur  les  insultes  et  les  calomnies  des  philosophes,  les 
discute  et  les  réfute.  Homme  sans  talent,  arrivé  au  pou- 
voir par  de  basses  intrigues,  prêtre  libertin,  corrupteur 
du  régent,  dont  l'éducation  lui  avait  été  confiée,  scep- 
tique,  mort  volontairement  sans  les  secours  de  la  reli- 
gion :  voilà  les  traits  sous  lesquels  Voltaire  a  représenté 
le  cardinal  Dubois. 

tes  qualités  littéraires  des  discours  de  Dubois  et  de 
son  célèbre  Mémoire  au  régent  sur  le  projet  dangereux 
de  convoquer  les  états  généraux,  l'éloge  de  son  talent 
par  Fontenelle  le  jour  de  sa  réception  à  l'Académie  fran- 
çaise, répondent,  aussi  bien  queses  succèsdiplomatiques, 
I  aux  détracteurs  de  son  esprit.  Fontenelle,  cité  par 
M.  Emery,  pouvait  rappeler  encore  que  la  pourpre  ro- 
maine fut  accordée  à  Dubois  à  la  recommandation  de 
tous  les  souverains  de  l'Europe,  reconnaissants  de  la  paix 
qu'il  leur  avait  ménagée. 

Mais  l'homme  de  talent  importait  peu  à  M.  Emery  ; 
il  voulait  connaître  le  prêtre  et  flétrir  la  calomnie. 

Le  cardinal  Dubois  travailla  autant  que  le  cardinal  de 
Rohan  à  pacifier  les  esprits  en  1720,  à  éteindre  le  jansé- 
nisme; il  pressa  les  évoques  de  France  assemblés  chez 
lui  de  rédiger  le  corp*  de  doctrine,  et  de  se  soumettre 
I  ouvertement,  sans  réserve,  à  la  bulle  Unigenitus.  C'est 
lui  <pie  les  évèques  choisissent,  enl723,  pour  président 
de  l'assemblée  générale  du  clergé,  par  voie  de  postula" 


166  M.  ÉMEltY 

tion,  quoiqu'il  ne  fût  pas  membre  de  l'assemblée  ;  c'est 
Massillon ,  l'évêque  de  Clermont,  qui  répond  de  sa  foi  et 
de  ses  mœurs  dans  les  informations  canoniques  prélimi- 
naires, au  moment  de  sa  nomination  à  l'archevêché  de 
Cambrai ,  et  c'est  le  cardinal  de  Rohan  qui  présida  la 
cérémonie  de  son  sacre. 

Voilà  donc  des  hommes  éminents  par  la  science  et  par 
la  vertu ,  des  hommes  qui  certes  ne  peuvent  pas  igno- 
rer les  faits  publics  et  la  conduite  extérieure  de  Dubois , 
des  évêques  du  plus  grand  mérite  :  le  cardinal  de  Rohan, 
le  cardinal  de  Gesvres,  M.  de  Tressan ,  évèque  de  Nantes 
et  plus  tard  archevêque  de  Rouen,  Massillon,  évêque  de 
Glermont,  qui  rendent  hommage  à  l'honnêteté  de  Dubois 
et  condamnent  ainsi  les  calomnies  intéressées  des  impies 
qui  ont  outragé  sa  mémoire.  Il  mourut  des  suites  de 
l'opération  de  la  pierre,  après  avoir  fait  dévotement  une 
confession  générale  au  P.  Germain ,  de  l'ordre  des  Ré- 
collets. Voltaire,  qui  ne  recula  jamais  devant  le  men- 
songe, le  fait  mourir  d'une  maladie  honteuse  et  sans 
sacrement 1 . 

M.  Émery  rétablit  la  vérité  sur  tous  ces  points  avec 
une  grande  précision  dans  sa  défense  impartiale  de  Du- 
bois, et  il  confirme  encore  l'autorité  déjà  considérable 
de  ces  témoignages  par  cette  lettre  de  Fénelon  à  Mmc  Rou- 
jault,  dont  le  mari  avait  été  intendant  à  Maubeuge,  dio- 
cèse de  Cambrai.  La  lettre  est  datée  du  14  octobre  1711 2. 

ce  II  me  semble ,  Madame,  que  je  reconnaîtrais  mal  vos 

1  Journal  de  l'abbé  Dorsanne. 

2  Cette  lettre  a  été  reproduite  par  le  savant  et  pieux  abbé  Gos- 
selin,  dans  les  œuvres  complètes  de  Fénelon,  avec  la  note  sui- 
vante :  «  Cet  abbé  (Dubois)  est  le  même  qui  devint  en  1720 
archevêque  de  Cambrai,  cardinal  en  1721,  et  qui  joua  un  si  grand 
rôle  sous  la  régence  du  duc  d'Orléans.  On  sait  combien  ce  prélat 
a  été  maltraité  par  certains  historiens;  mais  il  paraît  bien  prouve 
que,  sans  être  entièrement  irréprochable,  il  ne  méritait  pas  à 
beaucoup  près  les  traits  odieux  dont  on  a  flétri  sa  mémoire.  Le 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  t67 

bontés  pour  moi  si  j'en  doutais  après  tant  d'expériences. 
Souffrez  donc,  s'il  vous  plait,  que  je  montre  une  pleine 
confiance  pour  une  grâce  que  je  dois  vous  demander. 
M.  l'abln?  Dubois,  autrefois  précepteur  de  Monseigneur 
le  duc  d'Orléans,  est  mon  ami  depuis  un  grand  nombre 
d'années.  J'en  ai  reçu  des  marques  solides  et  touchantes 
dans  les  occasions.  Ses  intérêts  me  sont  sincèrement 
chers.  Je  compterai,  Madame,  comme  des  grâces  faites 
à  moi-même  toutes  celles  que  vous  lui  ferez.  S'il  était 
connu  de  vous,  il  n'aurait  aucun  besoin  de  recomman- 
dation ,  et  son  mérite  ferait  bien  plus  que  mes  paroles. 
11  a  une  a  flaire  importante,  où  vous  et  M.  Roujault  pou- 
vez lui  être  très  utiles.  J'espère  que  vous  ne  me  refuserez 
pas  de  lui  faire  sentir  ce  bon  cœur,  qui  m'a  fait  une  si 
forte  impression  pendant  que  vous  étiez  dans  ce  pays. 
Vous  êtes  fort  heureuse  de  n'y  être  plus.  Nous  ne  voyons 
que  ravage  et  misère.  Dieu  veuille  nous  donner  une 
bonne  paix.  » 

M.  Émery  conclut  avec  raison  de  cette  lettre,  posté- 
rieure à  l'éducation  du  régent ,  que  pendant  son  précep- 
torat Dubois  n'avait  pas  trahi  la  conliance  qu'on  lui  avait 
accordée,  et  que  les  violentes  attaques  des  philosophes 
incrédules  du  dernier  siècle  contre  ce  personnage,  prince 
de  l'Église,  cachaient  une  manœuvre  qui  avait  pour  but 
d'inspirer  le  mépris  de  la  religion  servie,  d'après  leurs 
calomnies,  par  d'indignes  ministres  qu'elle  comblait  de 
ses  faveurs. 

X.  — La  correspondance  continue  ainsi,  intime,  savante, 
variée,  sur  tous  les  sujets  et  sur  les  aflaires  du  temps 

témoignage  que  lui  rend  ici  Fénelon,  qui  avait  dû  le  connaître 
particulièrement  à  la  cour,  est  sans  doute  un  dos  plus  imposants 
que  l'on  puisse  opposer  à  tant  de  reproches  et  de  calomnies  aux- 
quels l'abbé  Dubois  a  été  en  butte.  Voyez,  à  ce  sujot,  l'Ami  de 
la  religion,  t.  XXXII,  p.  289  et  suiv. 


\Q8  M.  ÉMERY  ET  LÉGLISE  DE  FRANCE 

entre  M.  Érnery  et  l'évêque  d'Alais.  M.  de  Bausset  ne 
cesse  pas  d'écrire,  sens  la  direction  de  son  vénérable  ami, 
la  vie  de  Bossnet.  M.  Émery  n'eut  pas  la  consolation  de 
lire  cette  histoire,  à  laquelle  il  s'intéressait  avec  son 
esprit  et  avec  son  cœur.  Frappé  par  la  maladie  qui  devait 
l'emporter,  à  la  veille  de  quitter  la  terre ,  le  supérieur 
de  Saint-Sulpice  s'oubliait  encore  lui-môme,  et  toujours 
occupé  de  la  défense  de  l'Église  et  de  la  gloire  de  la  reli- 
gion, il  envoyait  d'une  main  tremblante  à  M.  de  Baus- 
set ses  derniers  conseils  et  l'expression  touchante  de  ses 
espérances. 

L'évêque  d'Alais  offrit  plus  tard  à  M.  Garnier  le  pre- 
mier exemplaire  de  l'histoire  de  Bossuet,  en  expri- 
mant ainsi  ses  regrets  et  le  chagrin  dont  son  cœur  était 
rempli  : 

«  Voilà,  Monsieur,  cette  histoire  de  Bossuet,  dont  le 
bon  M.  Émery  n'a  guère  vu  que  les  premiers  livres ,  et 
que  je  n'ai  pris  la  détermination  d'écrire  qu'à  sa  sollici- 
tation. C'est  à  lui  que  je  dois  l'idée  d'avoir  osé  essayer 
de  rendre  hommage  aux  deux  plus  grands  évèques  qui 
ont  honoré  l'Église  de  France  dans  le  plus  beau  siècle  de 
la  monarchie. 

«  Il  ne  se  passe  pas  un  jour  de  ma  vie  où  je  ne  bénisse 
la  mémoire  de  cet  excellent  homme ,  dont  les  sages  et 
utiles  instances  m'ont  ainsi  forcé  de  donner  cette  esti- 
mable direction  à  mes  études  et  à  mes  travaux. 

((  En  pensant  aux  services  immenses  que  M.  Émery  a 
rendus  à  la  religion  et  à  l'Église,  on  ne  peut  s'empêcher 
de  regretter  que  de  tels  hommes  ne  soient  pas  immortels, 
car  il  n'est  aucune  époque  critique,  il  n'est  aucune  affaire 
importante  où  l'on  ne  s'aperçoive  du  vide  que  de  pareils 
hommes  laissent  toujours  après  eux.  » 


CHAPITRE  VIII 


APOSTOLAT  EXTÉRIEUR  DE   M.   É ME  RY 

I.  —  Inspiré  par  son  zèle  pour  le  salut  des  âmes  et  la 
gloire  de  la  religion,  M.  Emery  aimait  à  se  rapprocher 
les  hommes  qui ,  par  le  prestige  du  talent  et  le  retentis- 
sament  de  leurs  travaux,  pouvaient  contribuer  d'une 
manière  plus  efficace  à  la  défense  delà  vérité  chrétienne. 
Sa  correspondance  et  ses  relations  fréquentes  avec  Charles 
[ionnet,  le  naturaliste  le  plus  célèbre  de  la  Suisse, 
l'avaient  pas  d'autre  objet;  il  continua,  pendant  son 
>éj   à  Paris,  au  lendemain  delà  Révolution,  à  recher- 
cher le  commerce  des  savants  égarés  qu'il  voulait  rame- 
îer  à  Dieu . 

Il  voyait  souvent  son  compatriote,  le  célèbre  astronome 
glande,  qui  avait  été  le  compagnon  des  premiers  jeux 
le  s'Ui  enfance  au  pays  de  Gex ,  et  que  l'on  considérait 
Paris  comme  un  des  chefs  les  plus  ardents  du  parti  de 
'incrédulité  arrivée  à  l'athéisme  le  plus  absolu. 
Élève  des  jésuites  au  collège  de  Lyon,  Lalande  eut 
:  >our  professeur  de  sciences,  pendant  sa  jeunesse,  un 
lathématicien  célèbre,  le  P.  Bereaud,  à  qui  il  exprima 
lusieurs  fois  avec  insistance  le  désir  d'entrer  comme 
ovice  dans  la  compagnie  de  Jésus.  Jeune  encore,  après 
voir  fini  ses  études  classiques,  il  se  sentit  attiré  vers 
I  |étude  des  sciences  physiques  et  de  l'astronomie.  Invité 
I  la  cour  de  Frédéric  II,  roi  de  Prusse,  il  y  devint  l'ami 
'  ees  philosophes  impies  dont  le  roi  sceptique  aimait 


170  M.  ÉMERY 

à  s'entourer  :  Maupertuis ,  Lameltrie ,  Dargens.  Ses 
succès  précoces,  l'orgueil  et  des  fréquentations  suspectes 
étouffèrent  la  foi  dans  son  âme,  sans  lui  faire  perdre 
son  amitié  d'enfance  pour  M.  Émery. 

Esprit  faux ,  gonflé  d'ambition ,  très  versé  dans  les 
sciences  expérimentales,  mais  d'une  profonde  ignorance 
en  matière  de  philosophie  et  de  religion,  Lalande  avait 
encore  le  défaut  singulier  d'être  un  fanfaron  d'incrédu- 
lité, et  d'étaler  à  tout  propos,  avec  une  audace  imper  tua 
bable,  son  dédain  pour  les  pratiques  religieuses.  Il  disait 
un  jour  à  M.  Garnier,  qui  d'ailleurs  n'avait  pas  de  peine 
à  le  réfuter  : 

«  Je  ne  vois  dans  le  magnifique  spectacle  du  firma- 
ment et  des  lois  admirables  des  corps  célestes  que  des 
forces  et  du  mouvement;  mon  intelligence  n'a  aucune 
idée  de  la  cause  première  qui  a  fait  ces  mondes  et  déter- 
miné les  lois  éternelles  de  leur  évolution.  » 

M.  Emery  ne  l'évitait  pas,  malgré  son  impiété  publi- 
que; il  le  recevait  à  la  campagne  d'Issy,  les  jours  de  pro- 
menade, et  il  aimait  à  répondre  aux  craintes  exprimées 
par  M.  Garnier  avec  une  tristesse  respectueuse  : 

«  M.  de  Lalande  n'est  pas  plus  athée  que  vous  et  moi. 
Il  se  dit  athée  par  une  vanité  ridicule,  et  pour  faire 
parler  de  lui.  » 

L'orgueil  fit  perdre  à  Lalande  jusqu'au  sentiment 
des  convenances;  il  commettait  souvent  des  maladresses 
éclatantes  sans  conscience  et  sans  regret.  Son  Diction- 
naire des  athées  était  son  œuvre  de  prédilection;  il  le 
considérait  comme  l'expression  la  plus  heureuse  et  la 
plus  complète  de  ses  pensées  à  l'égard  de  la  religion. 
Pour  donner  plus  d'autorité  et  de  longueur  à  la  liste 
des  athées  célèbres  qu'il  avait  dressée,  il  eut  l'imper- 
tinence d'affirmer  dans  son  dictionnaire  que  le  cardi- 
nal archevêque  de  Tours  ne  croyait  pas  à  l'existence 
de  Dieu.  Le  vénérable  cardinal  se  plaignit  avec  douleur 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  171 

de  la  calomnie  de  Lalande  à  sa  parente,  l'impératrice 
Joséphine,  qui  en  informa  Honaparte,  la  veille  de  la 
glorieuse  bataille  de  Marengo. 

Bonaparte  adressa  aussitôt  à  l'Académie  des  sciences 
de  Paris  une  lettre  énergique  et  pressante  qui  devait 
être  lue  publiquement,  en  présence  de  Lalande  et  de 
tous  les  membres  de  la  compagnie.  Il  y  disait  qu'il  était 
étrangement  surpris  que,  dans  un  temps  où  la  Provi- 
dence se  manifestait  avec  tant  d'éclat  en  faveur  des 
armées  françaises  ,  il  y  eût  alors  au  sein  même  de  l'Aca- 
démie des  hommes  assez  absurdes  pour  soutenir  qu'il 
n'y  a  point  de  Dieu;  qu'il  espérait  que  l'Académie  ferait 
son  devoir  à  l'égard  de  M.  de  Lalande,  et  qu'au  reste, 
si  elle  négligeait  de  le  faire,  que  M.  de  Lalande  n'ou- 
bliât pas  qu'il  irait  lui-même  le  mettre  à  la  raison. 

Lalande,  humilié,  confus,  abattu  dans  son  orgueil 
immense  par  cette  correction  publique,  éclatante,  qui  le 
((•livrait  de  honte  aux  yeux  de  toute  la  France,  exprima 
quelques  jours  après  son  chagrin  dans  cette  lettre  à  un 
de  ses  amis  : 

«  Cette  semaine  il  m'est  arrivé  trois  avanies  dont  cha- 
cune aurait  suffi  autrefois  pour  me  faire  mourir;  mais 
aujourd'hui  je  n'ai  plus  de  nerf;  je  suis  comme  insen- 
sible,  n'étant  pas  mort  de  chagrin.  La  première,  c'est 
l'affront  que  j'ai  reçu  de  l'empereur  lui-même,  en  pré- 
sence de  l'Académie.  La  seconde,  c'est  que,  quoique 
président  du  bureau  des  longitudes,  je  n'ai  pas  pu  faire 
recevoir  mon  neveu,  que  les  examinateurs  ont  refusé 
malgré  ma  protection  et  mon  crédit.  La  troisième  enfin, 
que  le  même  neveu  m'a  donné  un  soufflet.  » 

II.  —  Ces  avertissements  sévères  et  ces  leçons  de 
l'expérience  ne  suffisaient  pas  cependant  à  redresser 
son  esprit,  et,  en  1805,  il  fit  hommage  à  M.  Emery  de 
son  second  supplément  au  Dictionnaire  des  alliées,  sans 


i  72  M.  ÉME Re- 

paraître même  soupçonner  l'inconvenance  d'un  tel  envoi 
fait  à  un  prêtre  dont  il  oubliait  le  caractère  sacré  et  les 
convictions  inébranlables.  M.  Émery  lui  exprima  sou 
étonnement,  et  fit  part  ensuite  de  sa  tristesse  à  Mmc  de 
Lalande,  nièce  du  savant  astronome,  qui  vivait  avec  son 
oncle  et  gémissait  des  aberrations  de  son  esprit. 

«  M.  de  Lalande,  écrit  M.  Émery,  a  eu  la  complai- 
sance de  m'envoyer  son  deuxième  supplément.  J'ai  cru, 
Madame,  devoir  le  remercier  et  lui  témoigner  en  même 
temps  la  profonde  affliction  que  m'avait  causée  sa  lec- 
ture. 

«  Il  m'a  répondu  et  m'a  dit  que  vous  partagiez  mon 
mécontentement.  Je  vous  avoue  que  cela  m'a  fait  grand 
plaisir.  Dans  le  vrai,  M.  de  Lalande  se  fait  le  plus  grand 
tort  possible.  Votre  bon  esprit  vous  le  fait  sentir,  et  votre 
excellent  cœur  s'en  afflige. 

«  On  voit  avec  douleur  que  sa  manie  de  vouloir  passer 
pour  athée  est  incurable.  Il  vise  sans  cesse  à  la  célébrité, 
et  il  y  arrive,  mais  par  une  voie  qui  le  couvre  de  confu- 
sion et  de  ridicule  auprès  de  la  généralité  des  hommes. 
Il  va  plus  loin  dans  ce  dernier  écrit  que  dans  tous  les 
autres.  Il  soulèvera  contre  lui  tous  les  savants,  parce 
qu'il  veut  abaisser  Newton  et  affaiblir  par  là  le  poids  de 
son  autorité.  Il  proclame  et  déclare  athées  beaucoup 
de  personnes  vivantes.  Je  crains  qu'il  ne  s'en  trouve 
quelqu'une  qui  l'attaque  au  criminel,  et  il  est  certain 
qu'après  la  déclaration  qu'il  a  faite  il  n'est  presque 
point  de  pays  dans  le  monde  d'où  il  ne  fût  chassé. 

a  Comment,  quand  on  connaît  M.  de  Lalande,  n'être 
pas  affligé  de  voir  un  homme  si  estimable,  si  bon,  si 
bienfaisant,  attaqué  d'une  manie,  —  car  on  ne  peut 
pas  s'exprimer  autrement,  —  si  dangereuse  pour  la 
société,  si  préjudiciable  à  son  honneur  et  à  son  repos?  )> 

M.  Émery  cherchait  dans  ses  conversations  intimes  et 
fréquentes  avec  Lalande  à  le  ramener  à  de  meilleurs 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  173 

sentiments,  pour  le  délivrer  d'une  manie  qui  ne  reposait 
pas  sur  une  conviction  sincère. 

Les  sectaires  qui  avaient  juré,  sous  le  règne  de  Vol- 
tain-,  L'anéantissement  de  la  religion  chrétienne,  et  qui 
étaient  organisés,  disciplinés,  dirigés  dans  leur  abomi- 
nable campagne,  avaient  un  grand  empire  sur  l'esprit 
deLalande;  ils  ne  voulaient  pas  lâcher  leur  proie. 

Un  jour  cependant,  après  une  longue  et  sérieuse  con- 
pœrsation  dans  les  jardins  d'Issy,  Lalande  révéla  le  fond 
le  sa  nature  et  de  ses  convictions  ;  il  prit  un  engagement 
formel  avec  M.  Emery. 

«  Mon  cher  cousin,  lui  dit  M.  Emery,  nous  sommes 
tous  mortels,  et  vous  ne  voulez  pas  sans  doute  sortir 
de  ce  monde  sans  remplir  des  devoirs  dont  vous  no 
pouvez  ignorer  l'importance? 

—  C'est  bien  mon  intention,  répond  Lalande;  si  je 
vous  faisais  appeler,  consentiriez -vous  à  me  procurer  le 
secours  de  votre  ministère? 

—  Vous  pouvez  y  compter,  dit  M.  Emery;  comme 
prêtre,  je  dois  être  disposé  à  me  rendre  auprès  de  tout 
homme  qui  réclame  les  secours  de  la  religion;  à  plus 
forte  raison  s'il  s'agissait  d'un  homme  comme  vous, 
qui  êtes  mon  compatriote,  mon  ami  et  mon  parent. 
Mais  si  j'apprenais  que  vous  èles  malade,  et  que  vous 

I  oubliez  cette  promesse,  me  permettriez-vous  d'aller  vous 
i  rappeler  les  sentiments  que  vous  me  témoignez  aujour- 
d'hui? 

—  Oh!  si  le  cas  arrivait,  répond  Lalande,  vous  me 
feriez  plaisir  d'en  user  de  la  sorte.  » 

Quelques  jours  après  cette  conversation ,  Lalande  fut 
frappé  d'une  maladie  grave.   M.  Emery  accourut,  il 
[essaya  d'entrer;  mais  les  philosophes  sectaires  veillaient 
sur  leur  proie.  Ils  répondirent  que  l'état  du  malade 
I  n'était  pas  alarmant,  et  qu'on  recevrait  le  prêtre  le  len- 
;  demain.  Pendant  la  nuit,  la  mort  emporta  Lalande  dans 


174  M.  ÉMERY 

l'éternité.  Dieu  n'accorde  pas  toujours  aux  mourants  la 
grâce  suprême  du  pardon  refusée  pendant  toute  la  vie. 

M.  Emery,  consterné ,  rencontra  le  lendemain  la  do- 
mestique qui  avait  soigné  Lalande  pendant  ses  dernières 
heures. 

«  Oh!  Monsieur,  s'écria- 1 -elle  en  le  voyant,  que  mon 
cher  maître  vous  a  donc  demandé,  pendant  la  nuit  de 
sa  mort  !  Il  a  prié  et  conjuré  ces  messieurs  qui  étaient 
là  de  permettre  qu'on  vous  envoyât  chercher ,  et  il  s'est 
mis  en  colère  contre  eux  parce  qu'ils  lui  refusaient  cette 
consolation. 

«  Oh  î  que  de  fois  ce  pauvre  défunt  vous  a  réclamé  !  t> 
Les  voies  de  Dieu  sont  impénétrables. 

III.  —  M.  Émery  avait  encore  une  grande  estime  pour 
Deluc,  savant  naturaliste,  membre  de  l'Institut,  qui 
appartenait  à  la  religion  réformée  :  il  fit  imprimer  ses 
Lettres  sur  l'histoire  physique  de  la  terre  et  son 
Précis  de  la  philosophie  de  Bacon.  Deluc  s'estimait 
heureux  de  consacrer  son  talent,  ses  vastes  connaissances 
et  sa  vie  même ,  à  la  défense  de  la  révélation  chrélienne 
méconnue  par  les  partisans  trop  nombreux  de  la  reli- 
gion naturelle  et  du  vague  déisme  des  philosophes  du 
dernier  siècle. 

En  favorisant  le  succès  de  ce  savant  géologue,  M.  Emery 
avait  sans  cesse  devant  les  yeux  le  salut  des  âmes,  et  il 
était  soutenu  par  l'espérance  de  voir  enfin  cet  homme 
de  bien  et  de  science,  élevé  dans  l'erreur,  ouvrir  les 
yeux  et  confesser  la  vérité  catholique  dans  son  intégrité. 

Le  28  octobre  4803,  M.  Émery  faisait  connaître  au 
cardinal  Fesch,  dans  une  lettre  sur  la  situation  géné- 
rale de  l'Eglise,  son  opinion  sur  le  caractère  et  la  valeur 
de  Deluc  : 

«  Il  est  d'abord  très  étonnant  que  le  saint-père  trouve 
sa  principale  consolation  dans  l'Eglise  de  France.  Gepen- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  175 

<];mt,  en  réfléchissant  sur  ce  qui  se  passe  en  Allemagne, 
je  suis  moins  étonné. 

«  Je  suis  en  correspondance  avec  un  savant  génevois, 
nommé  Deluc,  à  l'occasion  des  ouvrages  qu'il  compose 
en  laveur  de  la  religion  chrétienne,  et  de  plusieurs  com- 
plots contre  cette  religion  qu'il  a  déjoués  à  Berlin  et 
ailleurs,  jusque-là  qu'un  impie,  dans  une  réponse  qu'il 
lui  a  faite ,  lui  a  reproché  d'être  l'agent  du  pape  à  Lon- 
dres ;  —  ce  même  Génevois  a  la  qualité  de  lecteur  de  la 
reine  à  Londres;  —  il  m'a  appris  ce  qui  se  passait  en 
Bavière,  et  il  en  était  vraiment  indigné.  Il  m'écrivait  de 
Brunswick,  le  7  septemhre  : 

«  L'impiété  se  montrait,  il  est  vrai,  plus  ouvertement 
«  dans  notre  communion  protestante;  mais  aujourd'hui 
«  la  secte  antichrétienne  qui  travaille  sous  le  manteau  du 
u  christianisme  a  prévalu  en  Bavière,  et  se  sert  d'un  sou- 
<  verain  aveugle  pour  avancer  son  ouvrage.  On  lui  a  fait 
i  publier  des  règlements  pour  l'éducation,  qui  livrent 
i  la  jeunesse  à  ses  instituteurs.  On  lui  a  fait  adresser  aux 
(  magistrats  d'Augsbourg  une  lettre  de  reproches  de  ce 
(  qu'on  y  permet  l'impression  et  la  distribution  des  livres 
[  qui  traversent  le  progrès  de  l'esprit  de  lumière,  livres 
[  dont  il  a  défendu  l'entrée  dans  ses  États,  et  de  ce  qu'on 
a  reçu  de  jeunes  Bavarois  dans  l'institut  des  jésuites, 
dont  ces  magistrats  ont  ordonné  le  retour  dans  des  écoles 
de  perversion...  Il  a  établi  des  inspecteurs  de  librairie 
avec  pouvoir  de  saisir  et  de  confisquer  toutes  les  images 
des  saints  et  tous  les  livres  de  théologie  qui  ne  sont  pas 
conformesà  la  religion  épurée.  Ces  gens-là  ont  étendu 
leur  influence  dans  la  communion  grecque.  Ils  ont  en- 
gagé l'empereur  de  Russie  à  établir  une  université  à 
Dorpats ,  et  à  se  réserver  la  nomination  des  professeurs. 
On  v  voit  aller  de  tout  pays  des  hommes  appartenant 
I  à  la  secte,  de  sorte  qu'on  va  aussi  empoisonner  l'esprit 
des  jeunes  Busses,  puisque  cette  université  servira  à 


176  M.  ÉMERY 

((  former  des  instituteurs.  Ainsi  le  torrent  nous  embrasse 
((  de  toute  part.  Et  moi  directement,  ici,  j'y  résiste  avéj 
«  une  force  et  un  courage  dont  je  suis  quelquefois  étonné 
«  moi-même.  On  ne  m'empêchera  pas  de  planter  des 
«  colonnes  qui  s'élèveront  au-dessus  de  l'inondation,  et 
ce  serviront  de  points  de  ralliement.  J'ai  réussi ,  grâce  à 
((  Dieu  et  par  l'ordre  du  duc  de  B...,  à  publier  une  édi- 
«  tion  allemande  de  mes  deux  derniers  ouvrages  contre 
((  Tellet,  —  c'est  le  nom  du  principal  ministre  pro- 
«  testant  de  Berlin,  —  et  je  vais  mettre  sous  presse  un 
«  petit  ouvrage  contre  le  premier  des  ecclésiastiques 
((  d'ici,  avec  l'approbation  du  duc,  qui  voit  bien  le  mal, 
((  mais  qui  n'a  pas  de  bras  pour  agir,  tout  se  trouvant 
«  entraîné  dans  le  torrent.  » 

«  N'est-ce  pas  une  chose  étonnante,  Monseigneur, 
ajoute  M.  Émery,  de  voir  un  protestant  si  zélé  pour  la 
défense  de  la  révélation?  Il  disait  à  M.  Barruel  qu'il  serait 
bien  fâché  qu'il  y  eût  un  quart  d'heure  dans  sa  vie  qui  ne 
fût  pas  employé  à  la  défense  de  la  révélation  chrétienne. 

«  Il  a  quitté  sa  famille  à  Londres,  et  est  demeuré  six 
ans  en  Allemagne ,  pour  faire  une  espèce  de  mission 
auprès  des  académies  de  ce  pays ,  toutes  perverties. 
Comme  il  est  un  physicien  du  premier  ordre,  et  qu'il 
est  très  versé  dans  la  géologie  et  la  paléontologie ,  il  a 
voulu  leur  démontrer  que  cette  histoire  qu'on  préten- 
dait être  contraire  au  récit  de  Moïse  sur  l'origine  et 
l'antiquité  du  monde  confirmait  au  contraire  pleinement 
cette  narration. 

«  Mais  j'en  conclus,  et  c'est  là  que  j'en  voulais  venir, 
que  la  religion  est  dans  un  état  beaucoup  plus  triste  en 
Allemagne  qu'en  France,  sans  excepter  les  pays  catho- 
liques, au  moins  ceux  qui  ne  sont  pas  sous  la  domination 
de  l'empereur1.  » 


1  Lettre  inédite. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FHANCK  1 77 

IV.  —  1)01110  était  douloureusement  frappé  de  l'état 
lamentable  de  la  religion  chrétienne  en  Europe;  il  con- 
sidérait la  diffusion  de  la  science  comme  un  apostolat 
d'un  ordre  supérieur,  et  après  avoir  longtemps  étudié 
la  tactique  de  ses  adversaires,  après  avoir  reconnu  qu'ils 
se  retranchaient  derrière  les  fantômes  d'une  fausse 
science  pour  flatter  l'orgueil  de  la  raison  et  ameuter 
les  foules  contre  l'Église,  devenue  à  leurs  yeux  le  dernier 
refuge  de  la  superstition  et  de  l'ignorance,  il  entra  réso- 
ument  dans  sa  voie.  Il  mit  à  nu  les  erreurs,  les  hypô- 
I îùsrs,  les  contradictions  de  la  vaine  science  au  service 
les  révoltes  de  la  raison;  il  établit  sur  une  base  expé- 
ÏDienlale  inébranlable,  sur  des  faits  précis,  l'histoire 
scientifique  de  l'organisation  et  de  la  formation  du  globe 
errestre  ;  il  montra  par  sa  vie ,  par  son  apostolat  et  par 
es  œuvres,  qu'il  n'est  pas  impossible  d'être  chrétien  et 
avant,  et  que  la  foi  n'exige  pas  l'abdication  coupable 
Le  la  raison. 

L'étude  attentive  des  variations  et  de  la  décadence  du 
iroteslantisme,  entraîné  vers  le  déisme  et  l'incrédulité, 
rappait  aussi  son  esprit  observateur.  Il  suivait  avec  tris- 
esse  les  étapes  de  la  chute  rapide  de  sa  religion  en 
Allemagne,  où  le  déisme  était  déjà  triomphant,  et  il 
lissa  un  jour  tomber  de  sa  plume  cet  aveu  désinté- 
essé  : 

«  Je  suis  persuadé  qu'on  ne  peut  conserver  la  révé- 
ttion  que  dans  l'Eglise  catholique,  que  toutes  les  Églises 
>rotestantes  tendent  au  déisme,  et  si  je  convertissais  un 
lisérable,  je  lui  conseillerais  d'embrasser  la  religion 
atholique.  » 

M.  Émery  suivait  avec  une  sympathie  inquiète  les 
.îouvements  de  cette  àme  droite  et  chrétienne,  et  il 
nvoya  même  un  exemplaire  des  ouvrages  de  Deluc  au 
élèbre  cardinal  Gerdil,  l'une  des  gloires  de  l'Église  au 
)mmencement  de  ce  siècle  et  l'adversaire  le  plus  re- 


178  M.  ÉMERY 

douté,  le  plus  savant  de  l'incrédulité  moderne.  L'illustre 
cardinal  répondit  à  l'envoi  de  M.  Émery  par  celle  lettre 
où  sa  piété  et  sa  modestie  se  révèlent  avec  un  charme 
incomparable  : 

V.  —  «  J'ai  reçu,  peu  après  l'arrivée  du  très  respeej 
table  archevêque  de  Corinthe,  votre  obligeante  lettre  du 
30  novembre. 

«  Les  gracieux  témoignages  que  vous  m'y  donnez  de 
vos  sentiments  à  mon  égard  me  pénètrent  de  la  plus  vive 
reconnaissance  ,  et  augmentent  mon  regret  de  n'avoir 
eu  la  satisfaction  de  recevoir  ni  la  précédente,  dont  l'un 
des  gens  de  M.  de  Labrador  avait  eu  la  complaisance  de 
se  charger,  ni  l'exemplaire  des  Lettres  géologiques  du 
célèbre  M.  Deluc,  ni  la  lettre  dont  Msr  d'Àlais  avait  eu 
la  bonté  de  m 'honorer,  et  qui  en  contenait  d'autres, 
adressées  au  saint -père  par  des  évèques  résidant  en 
France. 

((  Quant  à  l'ouvrage  de  M.  Deluc,  je  vous  suis  tics 
obligé  du  soin  que  vous  avez  pris  de  me  le  procurer.  Il 
y  a  bien  des  années  que,  dans  un  court  passage  qu'il  fit 
à  Turin,  j'eus  lieu  de  reconnaître  et  d'admirer  en  lui 
un  caractère  de  modestie  digne  d'un  vrai  savant,  dont 
j'ai  toujours  conservé  le  souvenir. 

«  Vous  me  le  présentez  comme  un  protestant  très 
voisin  du  catholicisme.  Plaise  au  Seigneur  d'achever  en 
lui  son  ouvrage,  et  nous  donner  la  consolation  qu'en 
l'admirant  comme  naturaliste  ,  nous  puissions  l'em- 
brasser comme  un  vrai  frère  en  Jésus -Christ. 

«  C'est  une  œuvre  digne  d'exercer  votre  zèle  bien 
connu  pour  le  salut  des  âmes.  Porro  unum  est  neces^tr 
rium.  Qu'est-ce  que  la  plus  haute  réputation  à  tous 
autres  égards,  si  on  a  le  malheur  de  se  perdre  pour  tou- 
jours? 

«.  J'attends  avec  empressement  l'intéressant  Précis  de 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  i/9 

la  philosophie  de  Bacon  que  vous  m'annoncez.  Dans 
mon  introduction  à  l'étude  de  la  religion,  dédiée  à 
Benoit  XIV,  j'ai  cité  celle  parole  comme  de  Bacon,  que 
l'élude  approfondie  de  la  philosophie  rapproche  de  la 
religion  ceux  qu'une  étude  superficielle  en  éloigne. 

«  J'aurais  été  surpris  du  projet  de  faire  passer  Bacon 
pour  U7i  mécréant  très  prononcé ,  si  l'on  ne  devait 
s'attendre  à  tout  de  la  part  de  ces  mécréants  du  siècle. 
Je  ne  sais  comment  j'ai  pu  être  cité  par  un  M.  delà  Salle, 
prétendu  auteur  de  la  traduction  française  des  œuvres 
de  Bacon,  ne  me  souvenant  pas  d'avoir  jamais  eu  de 
eprrespondance  ni  de  relation  avec  aucun  littérateur  de 
ce  nom,  beaucoup  moins  de  l'avoir  aidé  de  mes  conseils 
et  de  mon  secoure. 

((  J'ajoute  que  dans  le  grand  nombre  de  productions 
que  j'ai  livrées  à  la  presse  durant  le  cours  de  plus  d'un 
demi -siècle,  depuis  ma  première  jeunesse  jusqu'à  ce 
jour,  où  je  traîne  mes  quatre-vingt-quatre  ans,  j'ai  tou- 
jours été  assez  indifférent  à  tout  ce  qu'on  aurait  pu  dire 
pour  ou  contre  le  mérite  et  les  talents  de  l'écrivain. 

«  Mais  j'aurais  été  navré  de  douleur  s'il  m'était  revenu 
(pi  on  y  eût  relevé  la  moindre  expression  ou  même  quel- 
que ambiguité  moins  conforme  aux  saines  maximes  de 
notre  sainte  religion  et  aux  décisions  du  saint-siège, 
centre  de  l'unité. 

«  Tel  a  été  constamment  l'objet  de  ma  plus  sévère  et 
scrupuleuse  attention.  —  Permettez  -  moi ,  Monsieur, 
qu'en  adressant  au  ciel  nos  vœux  les  plus  sincères  pour 
votre  longue  et  précieuse  conservation,  je  recommande 
'la  caducité  de  mon  âge  à  la  charité  de  vos  saintes 
prières  1 .  » 

VI.  —  C'est  au  courant  de  cette  même  année  1802 
I    1  A  Home,  le  11  mars  1802.  {Lettre  inédite.) 


180  M.  ÉMEIIY 

que  M.  Émery  entra  en  relations  avec  ChaleaubrianJ 
Le  brillant  écrivain  n'était  plus  ce  jeune  incrédule  que 
nous  avons  entrevu  sur  le  navire  qui  emportait  vers 
/Amérique  les  disciples  de  M.  Olier.  Sceptique,  enivré 
de  sa  jeunesse  et  de  son  talent,  il  saluait  devant  lui, 
à  cette  époque  éloignée,  le  long  avenir  qu'il  espérait 
remplir  du  bruit  de  son  nom  et  de  l'éclat  de  ses  œuvres. 
Revenu  à  Dieu  et  à  la  foi  de  son  enfance,  Chateaubriand 
voulait  réaliser  avec  sa  plume  ce  que  Bonaparte  avait 
fait  avec  son  épée  :  relever  les  autels  et  servir  la  reli- 
gion oubliée  dans  les  entrainemenls  de  sa  jeunesse.  Sur 
les  inslances  de  M.  Émery,  Chateaubriand  consentit  à  la 
publication  d'une  édition  abrégée  du  Génie  du  christia- 
nisme,  et  renonça  même  à  ses  droits  d'auteur.  Fray.ssi- 
nous  fit  le  choix  des  chapitres  qu'il  fallait  conserver, 
Clausel  deGoussergues  ajouta  quelques  notes,  et  M.  Émery 
revit  et  corrigea  avec  attention  toutes  les  épreuves  de  ce 
travail. 

M.  Émery  devait  profiter  de  son  ascendant  sur  le 
grand  écrivain  dans  une  circonstance  plus  grave  :  ((  Bo- 
naparte pensa  à  moi,  écrit  Chateaubriand,  pour  un  poste 
de  premier  secrétaire  d'ambassade  à  Rome,  en  180!]. 
Fontanes  et  Mmc  Bacciochi  me  pressèrent  de  profiler  de 
la  fortune.  Je  refusai  net.  Alors  on  fit  parler  une 
autorité  à  laquelle  il  m'était  difficile  de  résister.  L'abbé 
Émery,  supérieur  du  séminaire  de  Saint -Sulpice,  vint 
me  conjurer,  au  nom  du  clergé,  d'accepter  pour  le  bien 
de  la  religion  la  place  de  premier  secrétaire  d'ambassade 
que  Bonaparte  destinait  à  son  oncle,  le  cardinal  Fesch. 

«  Un  hasard  singulier  m'avait  mis  en  rapport  avec 
l'abbé  Émery.  J'avais  passé  aux  États-Unis  avec  l'abbé 
Nagot  et  divers  séminaristes,  vous  le  savez.  Ce  souvenir 
de  mon  obscurité,  de  ma  jeunesse,  de  ma  vie  de  voyageur, 
qui  se  réfléchissait  dans  ma  vie  publique,  me  prenait 
par  l'imagination  et  le  cœur. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  181 

o  L'abbé  Émery,  estimé  de  Bonaparte,  était  fin  par  sa 
nature,  par  sa  robe  et  par  la  Révolution.  Mais  cette 
(inesse  ne  lui  servait  qu'au  profit  du  vrai  mérite.  Am- 
bitieux seulement  de  faire  le  bien ,  il  n'agissait  que  dans 
le  cercle  de  la  plus  grande  prospérité  du  séminaire. 
Circonspect  dans  ses  actions  et  dans  ses  paroles,  il  eût 
Hé  superflu  de  violenter  l'abbé  Émery,  car  il  tenait  tou- 
ours  sa  vie  à  votre  disposition,  en  échange  de  sa  volonté, 
ju'il  ne  cédait  jamais  ;  sa  force  était  de  vous  attendre 
issis  sur  une  tombe.  Il  échoua  dans  sa  première  tenta- 
ive.  Il  revint  à  la  charge,  et  sa  patience  me  détermina, 
'acceptai  la  place  qu'il  avait  mission  de  me  pro- 
poser 1 .  » 

M.  Emery  fit  encore  les  plus  grands  efforts  pour  ra- 
mener à  de  meilleurs  sentiments,  au  lendemain  de  la 
dévolution,  l'abbé  Grégoire,  dont  la  dernière  heure  est 
estée  enveloppée  de  mystères.  Ayant  obtenu  de  l'arche- 
vêque de  Paris  l'autorisation  de  célébrer  les  saints  offices, 
[près  avoir  fait  une  promesse  extérieure  de  soumission 
omplète  au  Concordat,  cet  évèque  schismatique  per- 
stait  secrètement  dans  la  révolte  contre  l'Eglise.  Il 
iclara  un  jour  à  M.  Émery  qu'il  avait  écrit  au  pape 
ne  lettre  explicite,  dans  laquelle  il  prétendait  justifier 
11  conduite  pendant  la  Révolution,  et  qu'il  attendait  avec 
«patience  la  réponse  de  Sa  Sainteté. 
'I  a  Détrompez-vous,  lui  répondit  le  vénérable  supérieur 
le  Saint -Sulpice ,  vous  ne  recevrez  pas  de  réponse;  le 
,ipe  ne  peut  pas  vous  reconnaître  pour  évêque;  allez 
lus  jeter  à  ses  pieds,  faites -lui  l'aveu  sincère  de  vos 
■  arements  publics,  vous  serez  accueilli  à  bras  ouverts 
r  sa  miséricorde  paternelle.  » 

,Mais  Grégoire  n'était  pas  disposé  à  reconnaître  la 
:prématie  spirituelle  du  saint-siège  ;  il  était  resté  le 


Chateaubriand,  Mémoires  d'outre- tombe ,  t.  II,  p.  308. 
11  6 


182  M.  ÉMERY 

défenseur  obstiné  de  la  constitution  civile  du  clergé. 
«  Le  pape  seul  a  condamné  cette  constitution  ,  et  je 
récuse  son  autorité  séparée  de  celle  de  l'Eglise.  »  Telle 
était  sa  défense. 

M.  Émery  lui  rappelait  avec  charité  que  presque  tous 
les  évèques  catholiques  avaient  envoyé  leur  adhésion  for- 
melle à  la  bulle  de  Pie  VI,  que  toutes  ces  adhésions 
étaient  conservées  dans  les  archives  romaines,  qu'il  était 
facile  de  s'en  assurer,  et  il  ajoutait  avec  une  douce 
ironie  :  «  Vous  qui  aimez  tant  les  voyages,  allez  donc 
à  Rome  vous  assurer  par  les  témoignages  les  plus  cer- 
tains du  sentiment  de  l'Église  en  cette  matière.  » 

L'obstination  de  Grégoire  était  plus  forte  que  les  solli- 
citations pressantes  du  vénérable  prêtre  qui  avait  souffert 
persécution  pour  la  justice,  dans  les  cachots  de  la  Con- 
ciergerie, pendant  qu'il  était  lui-même  comblé  d'hon- 
neurs par  les  ennemis  les  plus  implacables  de  l'Eglise 
catholique.  Mais  la  charité  de  M.  Émery  ne  se  lassait 
pas. 

Peu  de  temps  après  ce  dernier  entretien ,  Grégoire 
publia  une  Histoire  des  sectes  religieuses.  Les  grandes 
et  sévères  leçons  de  la  Révolution  avaient  déjà  éclairt 
des  esprits  trop  longtemps  égarés  par  les  séductions  d< 
la  nouveauté,  et  provoqué  dans  la  classe  intelligente  ui 
retour  généreux  au  christianisme  ;  mais  les  prévention 
de  l'abbé  Grégoire  résistaient  à  ce  courant,  et,  d 
l'aveuglement  de  sa  passion  qui  ne  désarmait  pas,  il 
craignit  pas  de  ranger  parmi  des  sectaires ,  sous  le  no 
ridicule  de  cordicoles,  les  partisans  de  la  dévotion 
sacré  Cœur. 

ce  Comment!  lui  dit  avec  émotion  M.  Émery,  voi 
osez  qualifier  de  sectaires  tous  les  partisans  du  culte  qi 
l'on  rend  au  sacré  Cœur!  Il  faut  donc  traiter  de  sectair 
tous  les  évèques  de  France,  une  multitude  d'évêques 
pays  étrangers,  le  sacré  Collège  et  celui  qui  est  le  ch 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  183 

de  toute  l'Église  ,  le  centre  même  de  la  communion 
catholique.  Est- il  permis  à  un  catholique,  à  un  prêtre, 
de  soutenir  un  tel  sentiment?  » 

L'abbé  Grégoire  ne  répondit  pas.  Devenu  sénateur,  il 
continua  ses  rapports  théologiques  et  littéraires  avec 
M.  Émery,  dont  il  estimait,  malgré  tout,  la  dignité 
sacerdotale,  le  courage  et  l'élévation  d'esprit.  11  lui  pro- 
curait les  ouvrages  de  la  bibliothèque  de  l'Institut  dont 
M  avait  besoin  pour  ses  travaux  théologiques,  écoutant 
tivec  respect  les  affectueux  reproches,  les  invitations 
pressantes,  les  avis  répétés  de  son  illustre  ami.  M.  Émery 
n'eut  pas  la  consolation ,  avant  de  mourir,  d'obtenir  de 
le  prêtre  égaré,  qui  devait  lui  survivre,  un  désaveu 
jublic  et  sincère  de  ses  erreurs  coupables  ;  nous  savons 
•seulement  que  l'abbé  Grégoire  mourut  après  avoir  reçu 
i'un  prêtre  légitime  l'absolution  de  son  passé;  nous 
l'essayerons  pas  de  pénétrer  le  secret  mystérieux  de  sa 
lernière  heure. 

:  VIL  —  M.  Émery  fut  aussi  le  directeur  et  le  père 
l'une  àme  prédestinée  qui  a  rempli  Paris  du  charme 
ncomparable  de  sa  douceur,  du  rayonnement  de  sa  vertu 
;t  des  œuvres  d'une  charité  courageuse,  d'une  femme 
(ui,  dans  un  jour  d'émeute,  arrêtait  les  vainqueurs  par 
•'ascendant  pacifique  de  sa  bonté  et  sauvait  la  vie  des 
tisonniers.  Elle  est  restée  célèbre  parmi  nous  sous  le 
10m  de  sœur  Rosalie. 

Sœur  Rosalie  était  née  au  pays  de  Gex;  elle  avait 
rrandi  dans  les  vallées  où  s'écoulèrent  la  jeunesse  et 
'enfance  de  M.  Émery,  et  comme  lui  elle  avait  entendu 
le  bonne  heure  la  voix  miséricordieuse  du  Seigneur,  qui 
appelait,  malgré  sa  modestie,  à  de  hautes  destinées. 
|f.  Emery  avait  été  son  parrain  par  procureur.  Ravi  par 
î  charme  surnaturel  de  cette  àme  dont  le  monde  n'était 
•as  digne ,  il  l'appela  à  Paris,  lui  fit  ouvrir  les  portes  du 


184  M  É.MERY 

noviciat  des  sœurs  de  Saint -Vincent -de -Paul,  veilla  sur  I 
elle  avec  l'affection  d'un  père  et  le  respect  plein  de  solli-  I 
citude  d'un  homme  de  Dieu.  Touché  de  la  générosité  I 
ardente  de  son  caractère ,  il  aida  de  ses  conseils  et  de  sa  I 
longue  expérience  ses  premiers  pas  dans  le  chemin  de 
la  perfection.  Quand  il  apprit  qu'elle  avait  été  envoyée  1 
au  faubourg  Saint -Marceau,  dans  le  quartier  le  plus  1 
pauvre  et  le  plus  dangereux  de  Paris ,  il  lui  dit  avec  1 
satisfaction  : 

((  C'est  bien  là  ce  qu'il  vous  faut,  vous  serez  la  ser- 1 
vante  de  tous  ces  pauvres.  » 

Quand  M.  Emery  installa  son  séminaire  dans  la  rue 
du  Pot-de-Fer,  sœur  Rosalie  se  mit  à  sa  disposition  pour 
faire,  avec  une  de  ses  compagnes,  les  achats  indispen- 
sables à  une  première  installation.  Chassé  du  séminaire  i 
par  un  ordre  de  l'empereur,  un  an  avant  sa  mort,  il 
prit  en  location  un  modeste  appartement  à  l'angle  de  la 
rue  Vaugirard.  Sœur  Rosalie  organisa  son  petit  ménage, 
et  lui  exprimait  un  jour  son  chagrin  des  épreuves  qu'il 
était  condamné  à  subir  : 

«  Cette  tristesse,  répond  gravement  M.  Emery,  n'es! 
pas  digne  d'une  fille  de  Saint -Vincent- de -Paul,  qui  fu 
toujours  si  soumise  aux  ordres  de  la  Providence,  et  qu 
regardait  les  croix  et  les  tribulations  comme  les  solide 
biens  de  cette  vie.  Vous  n'avez  donc  pas  de  foi  ?  Ceci  n'es 
qu'une  tempête  qui  se  dissipera.  Il  est  vrai  que  nou 
avons  de  puissants  adversaires,  mais  ils  passeront,  e 
nous  resterons  après  eux.  » 

Cette  sainte  fille  a  exprimé  son  admiration  respec 
tueuse  pour  le  père  de  son  âme  dans  une  lettre  d'un 
simplicité  touchante,  qui  donne  un  relief  puissant  au 
grandes  vertus  de  son  héros  : 

«  L'ameublement  de  M.  Émery,  écrit  sœur  Rosalie 
était  la  simplicité  même  :  son  lit  avait  tout  l'air  d'u 
triste  grabat.  Comme  nous  savions,  Mllc  Jouen  et  moi 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  185 

u'il  était  sujet  à  avoir  froid  aux  pieds,  nous  voulûmes 
ni  procurer  une  bouteille  de  grès  pour  l'en  garantir; 
oais  ce  ne  fut  pas  chose  aisée  de  la  lui  faire  accepter,  il 
allut  soutenir  avec  lui  une  sorte  de  combat.  «  Il  ne  faut 
pas,  disait -il ,  être  le  serviteur  de  noire  carcasse,  ni 
nous  assujettir  à  tous  ses  besoins.  » 
c  Voulant  se  dédommager  de  n'être  plus  en  commu- 
iauté,  après  son  expulsion  du  séminaire  par  le  gouvern- 
ement, et  rendre  au  prochain  quelques  services,  il 
sllait,  avec  M.  de  Saint-Félix,  servir  les  infirmes  des 
'otites- Maisons.  Il  catéchisait  les  vieillards,  et  leur 
?ndait  les  services  les  plus  abjects.  Quelle  simplicité, 
uelle  pauvreté  dans  toute  sa  personne!  Ses  soutanes 
t'étaient  point  de  drap,  mais  d'une  espèce  de  serge  ou 
.'escot.  Il  ne  porta  jamais  de  douillette.  Il  se  servait  seu- 
ment  d'un  vieux  manteau,  avec  lequel  on  le  voyait 
îiver  dans  les  rues  ou  sur  le  chemin  de  Vaugirard. 
i  «  Lorsqu'il  écrivait  à  des  femmes,  ses  lettres  étaient, 
)ur  ainsi  dire,  écrites  avec  une  plume  de  fer  ;  non  qu'il 
t  jamais  manqué  à  aucun  des  devoirs  de  bienséance  ou 
•politesse,  mais  ses  expressions  étaient  si  graves  et  si 
en  mesurées,  que  tout  s'y  ressentait  de  la  dignité  d'un 
être  rempli  de  l'esprit  de  son  état.  Il  n'écrivait  jamais 
«m  qui  put  lui  donner  quelque  sujet  de  peine,  s'il  venait 
être  rendu  public.  Aussi  jamais  ses  ennemis  ne  l'ont 
^lomnié  sur  l'article  des  mœurs.  » 
Quand  elle  apprit  la  douloureuse  nouvelle  de  la  ma- 

>  Uie  de  celui  qui  l'avait  portée  par  procureur  aux  fonts 
iptismaux,  et  qui  n'avait  jamais  cessé  de  lui  servir  de 

•  ire,  elle  implora  la  faveur  de  le  voir  une  dernière  fois, 
<  s'incliner  sous  sa  main,  de  recevoir  sa  bénédiction. 
Ris  le  vaillant  serviteur  de  Dieu  ne  voulait  pas  dé- 

►  ttrner  son  âme  des  pensées  éternelles,  et  s'imposant  un 
orifice  infiniment  pénible,  il  répondit  : 

i  Allez  dire  à  sœur  Rosalie  qu'il  faut  faire  des  sacri- 


486  M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE 

fices  pour  les  offrir  à  Dieu,  et  que  je  lui  envoie  ma  béné- 
diction comme  ami,  comme  parrain  et  comme  père.  » 

L'humble  fille  de  Saint -Vincent -de -Paul  survécut  à 
celui  qui  avait  pris  devant  Dieu  la  responsabilité  de  son 
âme;  mais  M.  Émery,  plus  près  de  Dieu  après  sa  mort, 
continua  de  veiller  sur  elle,  et  elle  dut  à  son  intercession 
le  mâle  courage  et  les  grandes  vertus  dont  elle  donna  le 
spectacle  à  Paris,  le  jour  où  l'émeute  grondait  aux  portes 
mêmes  du  couvent  des  Filles  de  la  Charité. 

C'est  que  l'amour  des  âmes  rachetées  par  le  sang  de 
Jésus -Christ  égalait  dans  le  cœur  de  M.  Émery  son  zèle 
ardent  pour  la  défense  de  la  religion  et  le  triomphe  de 
l'Eglise.  A  la  Conciergerie,  il  se  fait  apôtre  et  transforme 
les  victimes  désignées  pour  l'échafaud  en  prédestinées 
que  Dieu  attend  pour  leur  manifester  sa  gloire.  Après  sa 
prison,  il  ramène  à  Dieu,  dans  des  circonstances  tou- 
chantes, l'abbé  de  Saint-Léger,  dont  la  conduite  frivok 
avait  été  un  long  et  douloureux  scandale  ;  Larcher,  1( 
savant  helléniste  de  l'Académie  française ,  qui  avait  pri: 
part  à  la  conjuration  des  philosophes  contre  la  religion 
et  Mlle  Jouen,  si  respectueuse  et  si  fidèle  dans  sa  recon 
naissance  envers  celui  dont  la  parole  avait  su  captive 
son  cœur  généreux.  Il  continue  son  apostolat,  réveill 
les  courages,  stimule  les  lâches.  Dédaigneux  du  repc 
que  cherchent  les  âmes  faibles,  il  ne  connaît  ni  défai 
lance  ni  ralentissement  dans  son  zèle ,  et  il  poursu 
particulièrement  avec  passion  la  conversion  des  homm< 
célèbres,  dont  le  talent  promettait  un  concours  si  pr 
cieux  pour  cette  cause  à  laquelle  il  avait  voué  sa  vie  : 
cause  de  Jésus -Christ. 


CHAPITRE  IX 


PUBLICATION  DES  OPUSCULES  DE  FLEURY  ET  DÉMÊLÉS 
AYEC  I.  EMPEREUR 

I.  —  Fouché,  ministre  de  la  police,  et  dévoué,  malgré 
,les  derniers  événements  qui  avaient  changé  la  situation 
ide  l'Église  de  France,  au  parti  des  constitutionnels,  con- 
,servait  les  mêmes  sentiments  d'aigreur  à  l'égard  de 
[M.  Émery.  Il  voyait  dans  le  vénérable  supérieur  de 
ÎSaint-Sulpice  une  puissance  dont  il  craignait  l'ascendant, 
[l'adversaire  souvent  heureux  et  toujours  redoutable  des 
constitutionnels,  le  défenseur  des  droits  du  saint -siège 
iet  des  traditions  de  l'Église  catholique  contre  les  ambi- 
tieuses menées  des  nouveaux  courtisans  du  pouvoir  civil. 
Il  avait  atteint  et  frappé  une  première  fois  M.  Émery , 
quand  il  fit  enfermer  à  Bicètre  son  parent,  le  malheureux 
'M.  Fournier,  et  il  saisit  avec  empressement  une  nouvelle 
Dccasion  de  satisfaire  avec  succès  son  long  ressentiment. 

M.  Émery,  qui  avait  eu  la  fortune  de  publier  les 
.manuscrits  inédits  de  Fénelon,  avait  aussi  découvert, 
dans  ses  explorations  avec  M.  Garnier  chez  les  libraires 
île  Paris,  des  papiers  de  Fleury,  dont  quelques-uns 
l'avaient  jamais  été  publiés;  les  autres  avaient  été  altérés 
)ar  la  mauvaise  foi  intéressée  des  jansénistes  et  des 
ennemis  de  la  papauté.  En  parcourant  ces  manuscrits  du 
jélèbre  théologien,  il  admira  la  droiture  et  la  correction 
le  ses  sentiments  sur  la  doctrine  condamnée  de  Jansé- 
jiius,  sa  modération  et  sa  réserve  pleine  de  sagesse  dans 


188  M.  ÉMERY 

l'appréciation  de  la  déclaration  de  l'assemblée  du  clergé 
de  France  en  4682,  sa  sévérité  légitime  à  l'égard  des 
actes  injustes  des  parlementaires  qui  couvraient  du 
masque  de  la  liberté  leurs  violentes  attaques  contre  les 
droits  de  l'Église  et  du  saint-siège;  de  ces  hommes 
«  qui  ne  s'opposent  à  la  nouveauté,  disait  Fleury,  que 
quand  elle  est  favorable  au  pape  ou  aux  ecclésiastiques, 
et  font  peu  de  cas  de  l'antiquité,  quand  elle  choque  les 
intérêts  du  roi  ou  des  particuliers  laïques  1  ». 

Il  fut  également  frappé  d'apprendre,  en  lisant  les 
Anecdotes  sur  l'assemblée  de  1682,  recueillies  par 
Fleury,  que  Bossuet,  l'ami  de  ce  grand  historien,  aurait 
désiré  que  l'on  s'abstînt  de  traiter  dans  cette  assemblée 
la  question  de  l'autorité  du  pape;  qu'il  fît  écarter  par 
son  heureuse  intervention  un  projet  de  déclaration  de 
l'évêque  de  Tournay  contraire  à  l'infaillibilité  et  à  l'in- 
défectibilité  même  du  saint -siège,  et  que  le  quatrième 
article  de  la  déclaration,  voté  par  le  clergé,  était  suscep- 
tible d'une  interprétation  favorable  à  la  puissance  du 
Vicaire  de  Jésus- Christ. 

Publier  une  édition  authentique  des  Opuscules  de 
Fleury,  c'était  donc  rendre  justice  à  l'historien,  venger 
sa  mémoire  des  flatteries  intéressées  des  jansénistes, 
affirmer  les  droits  du  saint-siège,  et  rétablir  la  vérité 
sur  un  point  intéressant  de  notre  histoire  ecclésiastique. 
Mais  une  telle  publication  devait  exciter  la  colère  des 
jansénistes,  qui  vénéraient  Fleury  comme  un  ancêtre,  et 
irriter  les  constitutionnels,  restés  les  courtisans  de  la 
puissance  civile,  contre  la  puissance  légitime  du  Vicaire 
de  Jésus -Christ. 

Avant  de  publier  ce  travail,  M.  Emery  consulta  l'ar- 
chevêque d'Aix  et  plusieurs  évêques,  dont  il  aimait 
à  suivre  les  conseils  en  vénérant  leur  sagesse;  leur  ré- 


1  Nouveaux  opuscules,  f°  185. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  189 

ponse  ayant  été  affirmative  et  même  pressante,  comme 
m  le  voit  dans  sa  correspondance,  il  s'inclina  devant 
leur  décision. 

II.  —  En  France,  en  Belgique,  en  Italie,  des  théolo- 
giens modérés,  et  des  plus  distingués,  applaudirent  à 
'œuvre  de  M.  Emery.  A  Rome,  on  lut  avec étonnement 
a  belle  dissertation  de  Fénelon  sur  l'autorité  du  pape, 
lont  M.  Emery  avait  envoyé  un  exemplaire  au  souve- 
rain pontife,  et  qu'il  avait  fait  imprimer  à  la  suite  des 
•puscules  de  Fleury.  Le  cardinal  Antonelli  lui  répondit, 
e  5  mai  1807,  par  cette  lettre  qui  était  la  récompense 
e  son  courage  à  braver  l'impopularité,  et  de  ses  eflbrts 
our  rattacher  le  jeune  clergé  à  la  chaire  de  Pierre  par 
ne  obéissance  éclairée  : 

'  «  On  ne  peut  assez  louer  ni  remercier  l'éditeur  des 
Nouveaux  opuscules  d'avoir  lavé  autant  qu'il  était  pos- 
ble  l'abbé  Fleury  d'une  tache  imprimée  à  sa  mémoire, 
t  d'avoir  fortement  réprimé,  sinon  entièrement  réduit, 
•s  ennemis  de  l'Église  romaine,  qui  abusaient  du  nom  et 
?  l'autorité  de  ce  grand  homme...  J'ai  lu  la  dissertation 
!  l'archevêque  de  Cambrai  sur  l'autorité  du  pape  avec 
ute  l'attention  que  m'ont  permise  mes  grandes  et  con- 
nuelles  occupations,  jointes  à  une  santé  assez  chance- 
nte.  Il  serait  à  souhaiter  que  cette  dissertation  fût 
îprimée ,  mais  non  pas  à  Rome ,  car  on  ajouterait  foi 
en  difficilement  à  l'authenticité  de  cet  écrit,  eu  égard 
peu  de  preuves  que  l'on  en  a,  et  qu'il  serait  néces- 
'ire  de  compléter. 

«  C'est  à  Paris  qu'il  conviendrait  de  la  publier,  mais 
i  et  égard  je  m'en  rapporte  à  vous. 

«  J'ai  parlé  au  saint-père  de  ces  deux  objets.  Il  a 
r  î-uavec  beaucoup  de  joie  les  Opuscules  de  Fleury,  et  il 
;  «la  chargé  d'offrir  ses  remerciements  à  l'éditeur,  dont  le 
&  Vouement  envers  le  saint-siège  apostolique  se  mani- 


190  M.  ÉMEKY 

feste  si  évidemment  dans  cet  ouvrage.  Il  m'a  recom- 
mandé de  déposer  aux  archives  du  Vatican  la  disserta- 
tion de  Fénelon,  avec  les  lettres  que  vous  m'avez  écrites 
sur  ce  sujet.  » 

Le  cardinal  Fesch,  qui  était  à  Rome,  accueillit  au 
contraire  avec  inquiétude  et  mécontentement  cette  publi- 
cation; elle  lui  paraissait  inopportune;  il  craignait  la 
colère  de  l'empereur,  et  il  entrevoyait  les  dangers  qui 
menaceraient  bientôt  le  séminaire  et  la  compagnie.  Il 
lui  semblait  que  M.  Emery  donnait  à  ses  plus  cruels 
ennemis,  à  une  heure  incertaine,  des  armes  puissantes 
contre  ses  propres  intérêts.  Le  cardinal  exprima  en  des 
termes  très  vifs  la  surprise  et  le  mécontentement  qu'il 
venait  d'éprouver  à  la  lecture  des  Opuscules  de  Fleuri/. 
Ses  alarmes  naissaient  de  sa  grande  affection  pour  la 
compagnie  de  Saint -Sulpice  et  pour  son  supérieur. 

L'orage  se  formait  à  l'horizon. 

M.  Emery  s'empressa  d'écrire  au  cardinal  Fesch,  le 
18  avril  1807,  pour  lui  faire  connaître  ses  sentiments  et 
la  pensée  à  laquelle  il  avait  obéi  en  publiant  les  opus- 
cules de  Fleury. 

Sa  lettre,  d'une  fierté  respectueuse,  exprime  bien  les 
grandes  qualités  de  cette  âme  sacerdotale  et  l'inébran- 
lable attachement  de  sa  volonté  à  la  chaire  de  Pierre, 
menacée  par  des  timides  et  des  révoltés.  Il  ne  mentionru 
pas  même  les  constitutionnels  qui  le  poursuivent,  mai: 
il  réprouve  avec  une  sévérité  courageuse  les  liberté 
civiles  qui  sont  les  chaînes  de  l'Église,  et  les  complai 
sances  des  courtisans,  dont  la  bassesse  à  l'égard  di 
pouvoir  civil  égale  l'audace  dans  la  révolte  contre  l'auto 
rité  du  Vicaire  de  Jésus-Christ. 

«  C'est  dans  leurs  rapports  avec  le  pape  que  ces  Opus 
cules  de  Fleury  paraissent  vous  avoir  déplu.  Voici  cepen 
dant  tout  ce  qui  résulte  de  cette  publication  : 

«  Qu'on  avait  supprimé  dans  le  discours  de  Fleur 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANGE  191 

I   sur  les  libertés  de  l'Eglise  gallicane  quelques  traits 
i   favorables  au  pape  et  aux  évèques ,  et  que  ces  traits  ont 
été  rétablis;  que  M.  Fleury  a  cru  que  les  parlements 
avaient  mis  quelquefois  au  rang  de  nos  libertés  de  véri- 
i   tables  abus  ;  que  le  parlement  de  Paris  semblait  être  en 
guerre  avec  le  pape;  que  dans  les  démêlés  mêmes  qu'on 
,   avait  avec  le  pape,  il  ne  fallait  pas  oublier  qu'il  est  le 
Père  commun. 

((  Or  quel  est  le  jurisconsulte  honnête  qui  osât 
aujourd'hui  être  d'un  autre  avis?  Encore  une  fois  j'en 
suis  à  chercher  ce  qui  a  pu  donner  lieu  de  croire  à  Votre 
Éminence  que  le  gouvernement  pourrait  être  choqué  de 
l'impression  de  quelques  opuscules  de  Fleury. 

«  A  Dieu  ne  plaise  que  j'imagine  que  le  gouverne- 
ment est  l'ennemi  du  saint- siège,  et  qu'il  trouve  mau- 
vais qu'on  dise  quelque  chose  qui  serait  à  l'avantage  de 
son  autorité  spirituelle  ,  telle  qu'elle  a  été  établie  par 
Jésus-Christ.  Ce  n'est  pas  assurément  vous,  Monsei- 
gneur, qui  le  trouveriez  mauvais,  et  comme  cardinal  et 
comme  évêque  du  premier  siège  des  Gaules. 

«  Et  que  deviendrait  l'autorité  des  évêques,  si  celle  du 
chef  tombe  dans  le  mépris? 

ce  La  seule  conséquence  que  l'on  puisse  tirer  des  Opus- 
cules de  Fleury,  et  cette  conséquence,  je  l'avoue,  c'est 
i  que  M.  Fleury  lui-même,  quoique  défenseur  zélé  de 
nos  libertés,  a  cru  que  les  parlements  avaient  souvent 
i  abusé  souvent  de  ce  nom  pour  gêner  et  opprimer  la  juri- 
i  diction  spirituelle  des  évêques.  Vous  avez  vu  M.  Bossuet 
dire  dans  l'oraison  funèbre  de  M.  le  chancelier  Le  Tellier, 
en  présence  de  tous  les  magistrats  du  parlement,  que 
les  libertés  de  l'Église  gallicane  avaient  toujours  été 
employées  contre,  elle. 

«  Et  encore  à  présent,  Monseigneur,  n'avez-vous  pas 
vu,  n'avez-vous  pas  expérimenté  que  dans  les  conseils, 
«    dans  les  tribunaux,  les  plus  grands  adversaires  de  l'Église 


192  M.  ÉMERY 

et  des  évêques  étaient  d'anciens  avocats,  tout  imbus 
encore  des  principes  de  l'ancienne  jurisprudence? 

((  J'avais  pendant  la  Révolution  recueilli  les  petits 
opuscules  manuscrits  de  M.  Fleur  y,  et  surtout  son  dis- 
cours sur  l'Église  gallicane.  J'en  avais  parlé  par  occasion 
à  quelques  évêques ,  et  particulièrement  à  Mgr  l'arche- 
vêque d' Aix ,  qui  n'a  cessé  de  m'écrire  pour  me  presser 
de  le  rendre  public,  et,  en  le  rendant  public,  je  n'ai 
fait  que  déférer  à  ses  instances. 

ce  Je  n'ai  vu  encore  aucun  évêque  qui ,  après  avoir  lu 
ces  opuscules,  ne  m'ait  dit  que  j'avais  rendu  un  grand 
service  à  l'Eglise  et  à  la  religion,  et  je  suis  persuadé 
que  si  vous  voulez  bien  prendre  la  peine  de  lire  encore 
cet  ouvrage,  ou  de  vous  en  faire  rendre  compte,  vous  en 
porterez  le  même  jugement. 

«  Je  ne  mets  à  cela  pour  mon  compte  aucune  impor- 
tance. Tout  mon  travail,  ou  presque  tout,  fut  fait  pen- 
dant les  grandes  vacances  que  m'a  données  la  Révolu- 
tion. Je  n'ai  pas  le  temps  aujourd'hui  de  faire  des 
ouvrages;  nous  redoutons  même  à  Saint- Sulpice  le  nom 
d'auteur. 

((  Je  voulais  éviter  de  paraître  l'éditeur  des  opuscules, 
mais  cela  ne  m'a  pas  été  possible,  et  alors  je  me  suis 
trouvé  dans  la  nécessité  d'en  donner  quelques  exem- 
plaires. J'en  ai  donné  un  au  cardinal  Maury.  Je  "ne  sais 
s'il  a  tout  lu ,  mais  je  sais  qu'il  a  lu  au  moins  les  avis 
spirituels,  et,  pour  votre  édification,  Monseigneur,  je 
dirai  à  Votre  Éminence  qu'il  en  a  été  satisfait.  » 

III.  —  Les  informations  du  cardinal  Fesch  étaient  trop 
exactes  :  les  craintes  qu'il  exprimait  confidentiellement 
à  M.  Émery  étaient  fondées  sur  une  longue  expérience 
de  la  vie,  et  sur  la  connaissance  qu'il  avait  acquise  du 
caractère  de  l'empereur  et  des  menées  actives  des  adver- 
saires de  la  papauté.  Il  jugeait  sainement  la  situation. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  193 

Fouché  considéra  l'ouvrage  de  M.  Fleury  comme  un 
lommage  excessif  rendu  au  saint-siège  ,  et  comme  une 
entative  d'émancipation  du  clergé  à  l'égard  de  cette 
utorité  civile  et  politique  que  le  gouvernement  était 
écidé  à  défendre  avec  énergie  contre  tous  ses  ennemis. 
I  appela  donc  chez  lui  M.  Émery,  et  lui  demanda  des 
xplications. 

On  ne  peut  se  défendre  d'un  étonnement  pénible  en 
sant  cet  interrogatoire  où  un  laïque,  ministre  de  la 
olice,  étranger  par  ses  fonctions,  par  son  caractère  et 
ar  son  éducation  antérieure  aux  questions  théologiques, 
îterroge  un  vieillard  qui  a  fait  de  l'étude  de  la  science 
icrée  l'objet  essentiel  de  ses  travaux,  et  lui  fait  subir 
n  examen  sur  les  points  les  plus  délicats  de  la  religion. 

M.  -Emery  insista  dans  ses  réponses  sur  une  distinc- 
on  capitale,  qui  était  la  justification  de  sa  conduite  et 
le  son  travail. 

«  Il  est  de  foi ,  dit  M.  Émery,  que  le  pape  est  le 
.'litre  de  l'unité  catholique,  le  chef  visible  de  l'Église, 

qui  tous  les  chrétiens  doivent  obéissance;  qu'il  a  de 
.oit  divin  la  primauté  d'honneur  et  de  juridiction. 

«  On  peut  lire  l'expression  solennelle  de  cette  doc- 
ine  catholique  clans  le  discours  de  Bossuet  sur  l'unité 
î  l'Eglise,  et  dans  le  préambule  de  la  déclaration 
e  1682.  On  ne  peut  méconnaître  ce  dogme  catholique 

ns  cesser  d'être  catholique  et  sans  tomber  dans  l'hé- 
'•sie.  » 

Dans  sa  réponse  à  Fouché,  M.  Émery  affirma  haute- 
ent  ce  point  de  la  doctrine  révélée. 

Interpellé  sur  les  prérogatives  pontificales  qui  étaient 
|icore  à  cette  époque  un  su  jet  de  contestation  entre  les 

éologiens,  M.  Émery  déclara  qu'il  n'avait  pas  de  doc- 
jine  particulière  sur  ce  point,  et  que  les  membres  de  sa 
[mpagnie  étant  les  délégués  des  évéques  pour  l'en- 

igoement  de  la  théologie  dans  les  séminaires,  il  suffi- 


104  M.  E.MERY 

sait  de  connaître  l'opinion  des  évèques  pour  connaîtra 
l'enseignement  des  directeurs. 

Accusé  de  n'avoir  pas  été  favorable  aux  libertés  d< 
l'Église  gallicane  dans  la  publication  des  opuscules  d< 
Fleury,  M.  Emery  n'essaya  pas  de  se  justifier.  Son  àm< 
droite  et  vraiment  sacerdotale  s'indignait  à  la  vue  dei 
constitutionnels  obstinés ,  qui  cherchaient  sans  cess< 
dans  ces  prétendues  libertés  des  armes  déloyales  contr< 
l'autorité  du  saint -siège;  et  malgré  sa  modération  habi 
tuelle,  malgré  la  largeur  de  ses  idées  et  son  respect  biei 
connu  pour  l'autorité  civile,  il  gémissait  d'entendr< 
parler  sans  cesse  de  ces  libertés. 

((  Il  est  vrai ,  répondit  M.  Emery  à  Fouché,  que  Fleur; 
parle  de  nos  libertés  avec  sagesse  et  sans  emportement 
mais  les  ennemis  les  plus  dangereux  d'une  doctrine  son 
ceux  qui  l'exagèrent  et  ne  mettent  aucune  modératioi 
dans  sa  défense.  Il  paraît  manifestement,  par  les  opus 
cules,  que  Fleury  n'était  pas  un  adulateur  du  parle- 
ment de  Paris;  car  il  soutient  expressément  que  1( 
parlement  a  mis  quelquefois  au  rang  de  nos  libertés 
des  usages  qui  étaient  de  véritables  abus;  il  blâme  ouver- 
tement certains  points  de  sa  jurisprudence  et  ses  procédés 
à  l'égard  de  la  puissance  ecclésiastique;  il  dit  deux  fois, 
en  propres  termes,  qu'on  pourrait  faire  un  traité  des 
servitudes  de  l'Eglise  gallicane  ,  comme  on  en  a  fait  un 
de  ses  libertés.  » 

IV.  —  Mais  Fouché  était  principalement  choqué  de 
la  maxime  suivante  de  Fleury,  répétée  par  M.  Émery  : 
«  Lorsqu'il  s'agit  de  faire  observer  les  canons  et  de  main- 
tenir les  règles,  la  puissance  du  pape  est  souveraine  el 
s'élève  au-dessus  de  tout.  » 

Cette  maxime  nouvelle  et  inconsidérée  n'était  -elle 
pas,  disait  Fouché,  l'expression  la  plus  éclatante  des 
doctrines  ultramontaines,  réprouvées  tant  de  fois  pai 


ET  L  ÉGLISE  DE  FRANCE  105 

nos  assemblées  et  par  le  clergé  de  France,  dans  la  per- 
sonne de  ses  plus  illustres  représentants? 
If.  Émery  répondit  ainsi  : 

«  M.  Fleury  dit,  dans  son  Discours,  que  l'autorité  du 
pape  est  souveraine,  et  qu'elle  s'élève  au-dessus  de  tout 
quand  il  s'agit  de  maintenir  les  règles  et  de  faire  obser- 
ver les  canons.  Et  par  conséquent ,  on  doit  dire  qu'elle 
s'élève  aussi  au-dessus  de  tout  quand  il  s'agit  de  la  con- 
servation d'une  partie  notable  de  l'Eglise,  puisque  ce 
n'est  que  pour  le  salut  et  la  conservation  de  l'Eglise  que 
les  règles  et  les  canons  ont  été  faits. 

ce  Or  nous  avons  absolument  besoin  de  ce  principe  de 
Fleury  quand  il  s'agit  de  défendre  le  Concordat  et  tous 
les  changements  qui,  dans  ces  derniers  temps,  ont  été 
faits  dans  l'Église  de  France  ;  car  il  est  très  vrai  que  ce 
qu'on  appelle  nos  libertés  y  répugnait  absolument ,  qu'il 
a  fallu  en  faire  taire  la  plus  grande  et  la  plus  notable 
partie. 

«  Par  un  seul  acte,  tous  les  évèchés  ont  été  suppri- 
més, ceux  même  qui  subsistaient  depuis  l'établissement 
du  christianisme;  d'autres  ont  été  créés,  sans  aucun 
égard  aux  anciennes  limites;  tous  les  évèques  français, 
au  nombre  de  plus  de  cent,  ont  été  destitués  sans  forme 
de  procès;  tous  les  chapitres,  abbayes  et  bénéfices  ont 
été  anéantis;  tous  les  biens  ecclésiastiques,  irrévocable- 
ment cédés,  etc. 

((  J'ose  dire  que  tous  les  papes,  ceux  même  qui  ont 
porté  plus  loin  leur  autorité,  n'ont  jamais  fait,  dans  la 
suite  de  plusieurs  siècles,  des  changements  ou  des  coups 
d'autorité  aussi  grands  que  ceux  qui  ont  été  faits  en  un 
moment  par  Pie  VIL 

a  Je  crois  cette  opération  du  pape  très  légitime,  et  il 
faut  bien  le  reconnaître;  autrement  il  n'y  aurait  plus  en 
France  que  des  évèques  sans  titre  valable.  Mais  cette 
opération  ne  peut  être  légitime  qu'autant  que  le  pape 


196  M.  ÉMERY 

a  eu  le  droit  et  l'autorité  de  la  faire.  Et  pour  établir  qu'il 
a  cette  autorité,  il  faut  donc  dire  que  dans  certaines  cir- 
constances son  autorité  est  souveraine  et  s'élève  au-dessus 
de  tout.  » 

Si  habile  que  fût  la  défense ,  elle  ne  pouvait  pas  dé- 
sarmer Fouché;  il  parvint  à  éveiller  les  susceptibilités  de 
l'empereur,  à  donner  à  son  ressentiment  un  commence- 
ment de  satisfaction.  La  compagnie  de  Jésus  avait  repris 
en  France,  sous  le  nom  de  congrégation  des  Pères  de  la 
Foi,  la  direction  de  quelques  collèges,  déjà  très  floris- 
sants ;  son  installation  dans  le  pays  était  signalée  au  gou- 
vernement comme  une  victoire  des  ultramontains.  Le 
1er  novembre  1807,  un  décret  supprima  la  congrégation. 
Quelque  temps  après,  obéissant  encore  à  l'influence  de 
Fouché,  Napoléon  donna  l'ordre  de  préparer  le  décret 
de  suppression  de  la  compagnie  des  Sulpiciens. 

V.  —  Ému  du  danger  qui  menaçait  sa  compagnie  , 
M.  Émery  chercha  des  protecteurs.  Il  rédigea  deux  mé- 
moires; il  en  envoya  un  exemplaire  à  M.  Bigot  de  Préa- 
meneu ,  le  successeur  de  Portalis  dans  la  direction  des 
affaires  du  culte,  et  un  autre  au  cardinal  Fesch.  Le 
cardinal  avait  annoncé  l'orage  à  ses  amis  :  il  voulait  bien 
encore  dans  ces  circonstances  difficiles ,  malgré  son  mé- 
contentement profond,  donner  un  nouveau  témoignage 
de  son  dévouement  désintéressé  à  M.  Émery  et  à  sa 
maison. 

Le  5  février  1808,  le  ministre  présenta  au  conseil 
d'État  le  rapport  suivant  sur  l'origine  et  la  compagnie 
de  Saint-Sulpice  : 

«  Le  nom  de  Sulpiciens  donné  aux  prêtres  qui  dirigent 
le  séminaire  de  Saint-Sulpice  est  un  nom  de  localité 
emprunté  de  la  paroisse  même  où  ils  exercent  leur  minis- 
tère ,  quoique  ce  nom  ne  soit  pas  la  dénomination  d'une 
société,  et  que  ceux  qui  le  portent  n'aient  jamais  formé 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  197 
ni  voulu  former  une  congrégation  proprement  dite , 
obtenu  ni  sollicité  à  cet  effet  aucune  approbation  de  la 
cour  de  Rome;  il  existe  pourtant  entre  eux  les  liens  les 
plus  forts ,  ceux  qui  sont  formés  par  la  cohabitation ,  la 
profession  des  mômes  principes  dès  les  plus  tendres 
années,  et  la  destination  au  même  but. 

a  Ce  but  est,  pour  les  Sulpiciens,  la  direction  et  l'en- 
seignement des  études  ecclésiastiques  dans  les  sémi- 
naires, comme  la  direction  de  toute  espèce  d'enseigne- 
ment public  était  le  but  des  Pères  de  la  Foi.  L'une  et 
l'autre  fin  tendent  à  donner  une  grande  influence  à  l'asso- 
ciation dont  elles  dirigent  invariablement  la  marche. 
«  Il  y  a  cette  différence  entre  les  Sulpiciens  et  les 
;  Pères  de  la  Foi  et  même  les  anciens  jésuites,  que  les 
I  Sulpiciens  se  consacrent  exclusivement  à  l'éducation  des 
I  prêtres,  obtiennent  et  conservent  parmi  le  clergé  une 
|  influence  beaucoup  plus  durable,  et  qui  n'est  affaiblie 
j  par  aucune  distraction  étrangère.  Aussi  M.  Émery, 
directeur  actuel  du  séminaire  du  Saint -Sulpice,  a-t-il 
traversé  la  Révolution  et  lui  a-t-il  survécu ,  sans  cesser 
d'être  la  boussole  du  clergé  dans  les  temps  malheureux, 
comme  il  l'est  encore  depuis  le  rétablissement  de  la 
prospérité  publique. 

((  Un  autre  rapport  sous  lequel  les  Pères  de  la  Foi 
ne  sont  pas  à  comparer  avec  les  Sulpiciens,  c'est  que  les 
premiers ,  nés  en  pays  étrangers  et  du  sein  des  orages , 
ne  s'étaient  transplantés  en  France  qu'à  la  faveur  du 
mystère  et  n'y  jouissaient  que  d'une  existence  ré- 
prouvée. 

«  Les  Sulpiciens,  au  contraire,  datent  du  xvnc  siècle. 
Leur  fondateur  fut  M.  Olier,  curé  de  Saint-Sulpice,  né 
dans  les  premières  classes  de  la  société.  Ils  reçurent 
leurs  statuts  de  M.  le  cardinal  de  Noailles,  en  1708;  et 
leur  confirmation  au  parlement  et  au  grand  Conseil  eut 
lieu  dans  la  même  année. 


198  M.  ÉMERY 

«  On  peut  remarquer  que  ces  statuts  leurs  prescrivent 
de  se  renfermer  uniquement  dans  les  soins  de  l'enseigne- 
ment ecclésiastique.  Pour  n'être  point  distraits,  ils 
doivent  s'abstenir  de  tout  autre  ministère. 

ce  L'intention  du  fondateur  avait  été  de  se  borner  à  une 
petite  compagnie  ;  mais  l'établissement  passa  ses  espé- 
rances, et  les  Sulpiciens,  avant  la  Révolution,  étaient 
encore  au  nombre  de  quarante. 

ce  II  en  reste  encore  la  moitié,  la  plupart  employés 
dans  le  saint  ministère ,  ou  dirigeant  les  séminaires  éta- 
blis par  les  soins  des  évêques,  ou  hors  de  service. 

«  Leur  supérieur  n'a  jamais  voulu  accepter  d'autres 
fonctions  ecclésiastiques  que  celle  du  séminaire  de  Saint- 
Sulpice,  qu'il  dirige  encore  aujourd'hui.  Ce  séminaire 
est  considéré  comme  séminaire  diocésain  de  Paris. 
Comme  tel,  il  est  dans  la  même  catégorie  que  tous  les 
séminaires  diocésains  de  l'empire  qui  attendent  une 
organisation  définitive. 

«  Cette  organisation  fixera  le  nombre  des  personnes 
employées  à  l'enseignement  ecclésiastique,  leurs  attri- 
butions, leurs  rapports  hiérarchiques  et  leurs  exercices. 
Ce  ne  sera  qu'alors  que  les  ecclésiastiques  encore  exis- 
tants sous  la  dénomination  de  Sulpiciens ,  rentreront 
dans  la  classe  des  ecclésiastiques  ordinaires  et  des  profes- 
seurs de  séminaire.  » 

VI.  —  La  tactique  du  ministre ,  favorable  à  la  com- 
pagnie des  prêtres  de  Saint- Sulpice  ,  consistait  à  séparer 
leur  cause  de  celle  des  Pères  de  la  Foi,  en  indiquant 
leur  différence  d'origine,  de  nature  et  d'objet,  et  à  les 
présenter  comme  les  délégués  particuliers  des  évêques 
dans  la  direction  spirituelle  et  l'enseignement  de  la 
théologie. 

Ils  cessaient  ainsi ,  aux  yeux  du  gouvernement ,  de 
relever  d'un  supérieur  général;  ils  rentraient  dans  les 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  199 

cadres  ordinaires  du  clergé  soumis  à  la  surveillance  et 
à  l'autorité  des  évèques  diocésains. 

La  défense  était  heureuse.  Le  cardinal  Fesch,  que 
Ton  retrouve  toujours,  avec  son  cœur  dévoué,  aux 
heures  difficiles  de  la  compagnie ,  essaya  même  de 
donner  plus  de  poids  à  la  défense  par  son  intervention 
personnelle.  Il  représenta  à  l'empereur  que  les  Sulpi- 
ciens  avaient  été  toujours  animés  d'un  excellent  esprit; 
qu'ils  ne  formaient  pas  une  congrégation  religieuse  à 
la  manière  des  autres  congrégations  approuvées  à  Rome 
et  organisées  sur  des  bases  différentes,  et  que  si  l'on 
était  malheureusement  et  injustement  encore  effrayé  de 
leur  modeste  influence,  il  était  facile  d'en  prévenir  les 
effets,  en  limitant  le  nombre  des  sujets  qu'ils  pourraient 
recevoir  et  le  nombre  de  séminaires  dont  ils  pourraient 
accepter  la  direction.  Il  ajouta  que  si  l'intention  de 
l'empereur  était  de  briser  leur  association  ,  il  lui  deman- 
dait comme  une  dernière  grâce  de  ne  pas  leur  infliger 
l'humiliation  d'une  dissolution  éclatante  par  décret,  et 
qu'il  le  priait  de  charger  simplement  le  ministre  des 
cultes  de  manifester  sa  volonté  à  M.  Émery. 

Le  péril  semblait  conjuré  par  ces  hautes  influences , 
et  M.  Emery  caressait  déjà  l'espérance  de  vivre  tranquille 
et  en  silence  au  milieu  des  siens.  Cependant  ses  adver- 
saires, irrités  de  ce  premier  échec,  essayèrent  de  rani- 
mer le  zèle  de  Fouché ,  et  de  faire  comprendre  à  l'em- 
pereur, déjà  mécontent  de  la  cour  de  Rome  et  ouverte- 
ment en  guerre  avec  le  saint -siège,  que  le  supérieur 
de  Saint-  Sulpice  entretenait  en  France  un  esprit  mau- 
vais ,  et  que  les  prêtres  de  sa  compagnie  étaient  les 
défenseurs  les  plus  dangereux  des  doctrines  ultramon- 
taines. 

VII.  —  Dans  les  circonstances  difficiles  où  se  trouvait 
alors  l'Eglise  de  France,  il  était  également  dangereux  de 


200  M.  ÉMERY 

rappeler  les  droits  de  l'Église  romaine  et  d'affirmer  les 
prérogatives  spirituelles  du  souverain  pontife.  Aveuglé 
par  le  prodigieux  succès  de  ses  armes  à  travers  l'Europe 
soumise,  Napoléon  souffrait  avec  peine  le  voisinage  d'un 
pape  qui ,  non  content  de  tenir  dans  ses  mains  les  clefs 
du  royaume  des  cieux,  ne  craignait  pas  encore  de  dé- 
fendre contre  les  menaces  de  ses  ennemis  sa  royauté 
temporelle.  Un  vertige  de  domination  absolue  et  uni- 
verselle troublait  l'intelligence  de  l'empereur.  Il  pensait 
alors  à  dépouiller  le  pape  de  son  pouvoir  temporel ,  et  il 
devait  bientôt  attaquer  même  sa  puissance  spirituelle , 
en  lui  contestant  le  droit  de  refuser  l'institution  cano- 
nique aux  évêques  présentés  par  son  gouvernement.  Il 
voulait  régner  seul  sur  l'Europe  vaincue  ;  mais  si  la  for- 
tune prodigieuse  de  son  épée  brisait  toutes  les  résis- 
tances, il  avait  cependant  un  vague  sentiment  que  la 
puissance  temporelle  et  spirituelle  du  Vicaire  de  Jésus- 
Christ  échapperait  aux  coups  violents  de  la  force  :  il 
cherchait  un  moyen  nouveau  d'en  triompher. 

Le  doux  pontife  qui  occupait  le  siège  de  Rome  avait 
multiplié  les  témoignages  de  sa  paternelle  sollicitude 
envers  l'empereur.  Il  avait  signé  le  Concordat  et  accordé 
à  l'autorité  civile  une  autorité  considérable  dans  l'admi- 
nistration des  affaires  ecclésiastiques  de  France  ;  il  avait 
mécontenté  les  rois  des  cours  étrangères ,  en  venant 
couronner  dans  la  métropole  de  Paris,  avec  toute  la 
pompe  d'une  fête  religieuse ,  le  nouveau  souverain  ;  il 
était  prêt  encore  à  faire  les  sacrifices  Les  plus  douloureux 
pour  conserver  la  paix  à  l'Église  et  donner  à  l'empereur 
de  nouveaux  témoignages  de  son  amitié. 

Mais  ces  gages  de  conciliation  ne  suffisaient  pas  :  l'em- 
pereur demandait  à  Pie  VII  de  manquer  à  ses  engage- 
ments sacrés  envers  l'Église,  par  l'abandon  volontaire 
de  son  pouvoir  temporel.  Le  43  février  1806,  Napoléon 
avait  écrit  au  saint -père  une  lettre  dans  laquelle  il 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  201 

déclarail  impérieusement  qu'il  attendait  de  lui,  dans 
l'ordre  temporel,  la  déférence  et  les  égards  qu'il  voulait 
bien  lui  rendre  en  échange  dans  l'ordre  spirituel;  que 
les  ennemis  du  pape  étaient  les  ennemis  de  la  France, 
parce  que  si  Pic  Yll  riait  le  souverain  de  Homo,  Xajioléon 
en  était  V empereur. 

Cette  dernière  parole  exprimait  bien  la  pensée  mena- 
çante de  celui  qui  se  préparait  déjà  à  envahir  les  Etats 
pontificaux.  Il  se  détournait  de  temps  en  temps  de 
Rome  pour  frapper  ailleurs  de  grands  coups,  avec  une 
rapidité  foudroyante.  Excité  par  ses  triomphes,  dominé 
par  l'idée  implacable  qui  s'est  emparée  de  son  esprit,  il 
revient  sans  cesse  à  Rome  et  au  pontife  dont  il  veut 
obtenir  la  déchéance  volontaire.  Il  saura  recourir  à  la 
ruse,  à  l'intimidation,  à  la  diplomatie,  à  la  violence. 
C'est  un  spectacle  singulier  que  celui  de  ce  capitaine  de 
génie  qui  fait  trembler  l'Europe,  toute  retentissante  du 
pas  de  ses  hommes  d'armes  et  du  bruit  de  ses  victoires, 
irrité  et  impuissant  en  face  d'un  vieillard  désarmé! 

Au  mois  d'octobre  1805,  Gouvion  Saint- Cyr  entre 
dans  Ancône  et  s'y  établit  en  maître.  Au  mois  de 
mars  180G,  Joseph  Bonaparte  monte  sur  le  trône  de 
Xaples.  Le  vainqueur  d'Austerlitz  signe  la  paix  de 
Presbourg,  et,  au  mois  de  mai  1806,  il  fait  savoir  au 
pape,  par  le  représentant  de  la  France  h  Rome,  qu'il  va 
s'emparer  du  duché  dTrbin  ,  de  la  marche  d' Ancône, 
de  Civita-Vecchia.  Au  mois  de  juillet  1807,  au  lende- 
main des  sanglantes  victoires  d'Iéna  et  de  Friedland  , 
l'empereur  signe  la  paix  glorieuse  de  Tilsitt,  et  renou- 
velle ses  menaces  contre  le  vieillard  inébranlable  qui 
défie  doucement  sa  colère.  Celui  qui  s'appelait  avec  em- 
phase le  nouveau  Charlemagne  estime  que  la  recon- 
naissance du  pape  n'est  pas  à  la  hauteur  des  services 
qu'il  a  rendus  à  l'Église,  au  lendemain  des  profanations 
révolutionnaires;  il  le  presse  par  la  diplomatie  et  par  la 


202  M.  ÉMERY 

violence  de  marcher  dans  le  système  de  la  France,  de 
contracter  avec  lui  une  ligue  offensive  et  défensive , 
d'épouser  ses  querelles  et  de  partager  ses  périls  sur  les 
champs  de  bataille.  A  la  fin,  fatigué  de  l'inébranlable 
et  pacifique  résistance  du  vieillard ,  qui  ne  se  laisse  pas 
même  émouvoir  à  la  menace  d'un  concile  général  con- 
voqué par  l'autorité  civile  et  de  l'annulation  publique- 
ment annoncée  de  la  donation  de  Charlemagne,  impa- 
tient, il  précipite  les  événements.  Le  général  Miollis 
reçoit  l'ordre  de  marcher  sur  Rome,  en  ayant  l'air  de 
se  diriger  vers  Naples.  Le  2  février  1808,  les  bataillons 
de  Miollis  s'emparent  sans  combat  de  la  Ville  éternelle , 
et  le  pape  prisonnier  au  Quirinal ,  entouré  de  ses  cardi- 
naux ,  attend  la  fin  de  la  tempête  qui  commence  à 
gronder. 

Nouveau  Charlemagne,  Napoléon  prétendait  avoir  le 
droit  de  défaire  ce  que  son  illustre  prédécesseur  avait 
fait,  et  de  s'emparer  des  États  pontificaux.  Il  prétendait 
encore  ,  en  ajoutant  l'outrage  aux  violences  de  la  spolia- 
tion, que  le  pouvoir  temporel  n'avait  pas  été  donné 
pour  l'avantage  particulier  d'un  pape ,  mais  qu'il  avait 
été  cédé  dans  l'intérêt  de  la  religion  trahie  par  Pie  VII. 

Cependant  le  pape  désarmé  rappelait  à  l'empereur  les 
leçons  de  l'histoire  et  le  respect  que  l'on  doit  au  chef 
de  l'Eglise.  Une  note  énergique  du  cardinal  Gabrielli,  en 
date  du  16  mai  1808,  apprenait  à  Napoléon  que  le  pou- 
voir temporel  du  pape  était  justifié  par  mille  années  de 
possession;  que  Charlemagne  avait  simplement  confirmé 
la  libéralité  de  son  père  à  l'égard  de  l'Eglise ,  et  que  la 
donation  de  Pépin  n'avait  été  que  la  restitution  de  l'exar- 
chat de  Ravenne  et  de  la  Pentapole  usurpés  par  les 
Lombards. 

Accusé  de  trahir  les  intérêts  de  l'Église,  le  pape  se 
redresse,  et,  avec  l'autorité  divine  de  son  caractère  mé- 
connu, il  dicte  cette  fière  réponse  au  cardinal  Gabrielli  : 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  203 

c  Sa  Sainteté  veut  et  ordonne ,  au  nom  de  cette  foi  qui 
ne  se  contente  pas  seulement  des  expressions  de  la 
langue,  mais  qui  «demande  les  expressions  du  cœur,  au 
nom  de  Dieu  qui  abhorre  la  simulation  et  la  duplicité, 
enfin  au  nom  de  l'unité  catholique,  que  Sa  Majesté 
fasse  une  fois,  devant  l'univers,  ce  témoin  et  juge  véri- 
dique  et  impartial,  la  déclaration  d'être  catholique  ou 
qu'il  renonce  à  une  religion  qu'il  professe  par  ses  paroles 
et  nullement  par  ses  actions.  » 

Dans  la  nuit  du  5  au  6  juillet  1809,  Radet,  ce  misé- 
rable qui  avait  toutes  les  audaces  insolentes  du  parvenu, 
toutes  les  obséquiositésdu  valet  ;  tour  à  tour  aplati  et  lâche, 
vantard  et  violent;  aujourd'hui  général  et  baron  de  l'em- 
pire, demain  lieutenant -général  des  armées  du  roi; 
aujourd'hui  impudent  jusqu'au  cynisme  en  face  du  pape; 
demain  prosterné  dévotement  au  pied  du  trône  de 
Pie  VII,  le  général  Radet,  suivi  de  ses  hommes,  pénètre 
par  surprise  et  par  violence  dans  le  palais  du  Quirinal 
livré  au  pillage,  et  quand  il  se  trouve  en  présence  du 
pape,  après  avoir  enfoncé  les  portes ,  fait  sauter  les  ser- 
rures et  brisé  brutalement  toutes  les  barrières,  dans 
l'intérieur  des  appartements  pontificaux,  il  ose  réitérer 
au  saint-père,  au  nom  de  son  souverain,  la  proposition 
d'abdiquer  son  pouvoir  temporel. 

Le  pape,  debout,  l'écrase  de  son  regard  et  lui  répond 
avec  fermeté  : 

a  Nous  ne  pouvons  pas,  nous  ne  devons  pas ,  nous  ne 
voulons  pas.  Nous  n'avons  agi  qu'après  avoir  invoqué  les 
lumières  de  l'Esprit- Saint  ;  et  vous  nous  taillerez  en 
morceaux  plutôt  que  de  nous  faire  rétracter.  Si  vous 
avez  cru  devoir  exécuter  des  ordres  semblables,  à  cause 
du  serment  que  vous  avez  prêté  ,  pensez-vous  que  nous 
puissions  abandonner  les  droits  du  saint  -  siège,  auxquels 
nous  sommes  liés  par  tant  de  serments?  Nous  ne  pou- 
vons renoncer  à  ce  qui  ne  nous  appartient  pas;  le  do- 


204  M.  ÉMERY 

maine  temporel  est  à  l'Église  romaine,  et  nous  n'en 
sommes  que  les  administrateurs.  L'empereur  pourra 
nous  mettre  en  pièces ,  mais  il  n'obtiendra  jamais  cela 
de  nous.  Après  tout  ce  que  nous  avions  fait  pour  lui, 
nous  ne  devions  pas  nous  attendre  à  ce  traitement.  » 

Pendant  que  l'empereur,  dans  l'éclat  de  sa  gloire, 
entraînait  son  armée  victorieuse  vers  les  hauteurs  de 
Wagram,  le  général  Radet,  aux  ordres  de  Miollis,  ache- 
vait son  vaillant  exploit.  Le  pape  prisonnier  était 
enfermé  dans  une  voiture  solidement  verrouillée  et  em- 
porté loin  de  Rome.  Pie  VII  avait  prévu  cette  épreuve. 
Avant  de  partir  il  laissa  ces  adieux  touchants  à  sa  ville 
bien -aimée  : 

«  Dans  les  douloureuses  extrémités  .où  nous  nous 
trouvons ,  nous  versons  des  larmes  d'attendrissement,  en 
bénissant  Dieu ,  le  Père  éternel  de  notre  Seigneur  Jésus- 
Christ,  le  Père  des  miséricordes,  le  Dieu  de  toute  conso- 
lation ,  qui  nous  donne  ce  doux  soulagement  de  voir  sè 
renouveler  en  notre  personne  ce  que  son  divin  Fils, 
notre  rédempteur,  annonça  à  saint  Pierre,  prince  des 
apôtres,  dont  nous  sommes  le  successeur,  sans  mérite 
de  notre  part,  quand  il  lui  dit  :  «  Dans  votre  vieillesse 
«  vous  étendrez  les  mains,  et  un  autre  vous  liera  et  vous 
«  conduira  où  vous  ne  voulez  pas.  » 

ce  Nous  savons  néanmoins  et  nous  déclarons  que,  sans 
un  acte  de  violence  (étant  en  paix  avec  tout  le  monde, 
priant  même  continuellement  pour  tous  les  princes), 
nous  ne  pouvons  être  arraché  de  la  ville  de  Rome  ,  qui 
est  notre  légitime  et  pacifique  résidence,  comme  capitale 
de  nos  Etats,  comme  siège  spécial  de  la  sainte  Eglise 
romaine  et  comme  centre  universel  de  l'unité  catho- 
lique ,  dont  nous  sommes  sur  la  terre ,  par  une  disposi- 
tion divine  ,  le  chef  suprême  et  le  modérateur. 

((  Nous  étendons  cependant ,  avec  résignation ,  nos 
mains  sacerdotales  à  la  force,  qui  les  lie  pour  nous  traîner 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  205 
ailleurs.  En  même  temps  que  nous  déclarons  respon- 
sables envers  Dieu,  de  toutes  les  conséquences  de  cet 
attentat,  ceux  qui  en  sont  les  auteurs,  nous  n'avons, 
pour  notre  part,  qu'un  désir,  nous  ne  donnons  qu'un 
conseil  et  qu'un  ordre  à  nos  fidèles  sujets,  à  notre  trou- 
peau particulier,  à  l'Église  catholique,  c'est  qu'ils  imitent 
avec  ardeur  les  fidèles  du  premier  siècle ,  alors  que  saint 
Pierre  était  renfermé  dans  une  prison  et  que  «  l'Église 
«  ne  cessait  de  prier  Dieu  pour  lui  ». 

«  Successeur  quoique  indigne  de  ce  glorieux  apôtre, 
nous  avons  la  confiance  que  tous  nos  fils  bien-aimés  ren- 
du mi  1  ce  pieux  devoir,  peut-être  le  dernier,  à  leur 
fatdre  et  commun  père;  et  nous,  en  récompense,  nous 
leur  donnons  avec  la  plus  grande  effusion  de  cœur  la 
bénédiction  apostolique  » 

A  cinq  heures  du  matin  le  doux  pontife ,  malade,  sans 
suite,  sans  provisions,  sans  autre  habit  que  ceux  qu'il 
irait  sur  lui,  gardé  à  vue  comme  un  prisonnier  dange- 
reux ,  prenait  la  route  de  Florence. 

Après  une  halte  à  Radicofani,  et  malgré  les  intolé- 
rables souffrances  du  captif,  le  cortège  reprend  sa 
marche  violente,  traverse  la  Toscane,  fend  la  foule 
accourue  pour  saluer  sur  son  passage  le  prisonnier,  qui 
Répond  aux  témoignages  répétés  de  leur  douleur  et  de 
leur  tendresse  par  son  regard  et  ses  bénédictions,  et 
arrive  enfin  sur  le  Monte- Acuto ,  à  la  célèbre  chartreuse 
de  Florence.  Pie  VII  se  repose  un  instant  dans  la 
chambre  où  son  prédécesseur  sur  le  siège  de  Pierre, 
victime  des  fureurs  du  Directoire  ,  avait  enduré  pendant 
neuf  mois  les  douleurs  de  la  captivité. 

Le  9  juillet,  à  quatre  heures  du  matin,  Pie  VII  se 
I  lève  et  reprend  le  chemin  de  l'exil.  Il  traverse  rapide- 
ment Gênes,  Alexandrie,  fait  une  halte  à  l'hospice  du 

1  Proclamation  de  Pie  VII,  du  6  juillet  1809. 

6* 


206  M.  ÉMERY 

Mont-Cenis,  entre  à  Grenoble,  où  la  population  chré- 
tienne lui  fait  une  réception  triomphale.  Le  chef  d'esca- 
dron Gaillot  s'empare  du  cardinal  Pacca,  et  l'enferme 
à  Fénestrelles ,  pendant  que  le  colonel  Boisard  conduit 
Pie  VII  par  Valence  ,  Avignon  ,  Aix  et  Nice ,  jusqu'à 
Savone,  où  il  est  constitué  prisonnier  d'État  et  séparé 
de  ses  ministres,  de  ses  conseillers  et  de  ses  amis. 

L'empereur  isolait  le  pape  pour  le  soustraire  à  des 
influences  contraires  à  ses  projets  de  domination  univer- 
selle, il  espérait  ainsi  obtenir  plus  facilement  de  son  pri- 
sonnier livré  à  lui-même  et  affaibli  par  de  cruelles  souf- 
frances des  concessions  qui  auraient  livré  à  son  ambition 
insatiable  les  intérêts  temporels  et  spirituels  de  l'Eglise 
de  France. 

La  situation  religieuse  du  pays  était  donc  entièrement 
changée.  Aux  espérances  que  les  chrétiens  fidèles  avaient 
conçues  en  apprenant  la  signature  du  Concordat,  le  réta- 
blissement du  culte  ,  le  sacre  et  le  couronnement  de 
l'empereur,  la  fin  du  schisme  constitutionnel,  le  retour 
des  évêques  et  des  prêtres  légitimes  dans  leurs  églises 
dévastées  et  trop  longtemps  abandonnées,  avait  succédé 
une  frayeur  profonde.  La  captivité  du  pape  et  les  desseins 
nouveaux  de  l'empereur  inspiraient  les  plus  graves 
inquiétudes.  Les  hommes  du  gouvernement,  empressés 
à  faire  la  cour  à  l'empereur,  les  libertins  incrédules 
élevés  dans  les  principes  de  la  Révolution,  les  constitu- 
tionnels, se  réjouissaient  déjà  des  malheurs  de  l'Eglise 
et  s'empressaient  de  signaler  au  ministre  de  la  police, 
avec  une  joie  mal  déguisée,  les  démarches  et  les  paroles 
des  prêtres  fidèles  qui  osaient  exprimer  avec  trop  de  sin- 
cérité leur  dévouement  au  souverain  pontife  et  leurs 
préférences  pour  les  doctrines  romaines. 

Ils  espéraient  ainsi  gagner  les  faveurs  impériales. 

Les  créatures  de  Fouché  connaissaient  bien  la  situa- 
tion, et  en  dénonçant  M.  Émery  comme  un  partisan  des 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  207 

doctrines  ultramontaines,  ils  espéraient  appeler  sur  lui 
et  sur  sa  compagnie  la  colère  de  l'empereur,  en  guerre 
ouverte  avec  la  papauté. 

VIII.  —  M.  de  Fontanes  appréciait  la  sagesse  et  les 
hautes  qualités  de  M.  Emery,  il  essaya  de  détourner 
l'orage.  Il  soumit  à  l'empereur  l'idée  d'appeler  à  Fontai- 
nebleau le  vénérable  supérieur  et  de  l'interroger  direc- 
tement lui-même,  pour  connaître  enfin  sa  pensée  et  ses 
moyens  de  défense. 

L'empereur  se  rendit  aux  observations  respectueuses 
de  son  ministre  et  pria  le  cardinal  Fesch  de  mander 
M.  Émery  à  Fontainebleau. 

Napoléon  connaissait  M.  Emery.  Il  l'avait  reçu  pour  la 
première  fois  le  15  janvier  1801 ,  quand  il  se  présenta 
au  palais  avec  les  vicaires  généraux  de  M.  de  Juigné, 
arcbevèque  de  Paris,  pour  lui  offrir  les  bommages  du 
clergé  et  lui  faire  connaître  ses  dispositions  favorables 
au  serment  de  fidélité.  Talleyrand  et  Dernier  lui  avaient 
parlé  souvent  de  leur  ancien  maître  à  Angers  et  à  Paris; 
(ils  lui  avaient  signalé  dans  M.  Émery  un  bomme  de 
caractère  qui  pouvait  ou  contrarier  ou  servir  efficacement, 
par  son  influence  puissante  sur  le  clergé,  ses  desseins  à 
l'égard  du  chef  de  la  catholicité. 

Malgré  ses  préventions  autoritaires  et  par  un  caprice 
de  sa  nature  pleine  de  contrastes,  le  souverain  redouté 
de  la  France  ne  pouvait  se  défendre  d'estimer  et  d'ad- 
mirer ce  vieillard  capable  de  tout  braver  pour  rester 
fidèle  au  devoir  ;  il  savait  par  expérience  qu'il  ne  se 
I  rendrait  maître  de  M.  Emery  ni  par  la  force  brutale  ni 
par  la  flatterie.  Il  ne  voulait  pas  le  tenter  par  la  promesse 
jjdes  dignités  humaines  :  ce  prêtre  désintéressé  avait 
lj refusé,  au  péril  de  l'existence  même  de  sa  compagnie, 
les  évèchés  d'Arras,  d'Autun  et  de  Troyes.  Il  ne  pouvait 
|pas  espérer  d'intimider  par  des  menaces  le  vieillard  qui 


208  M  ÉMERY 

avait  regardé  la  mort  en  face,  pendant  les  longues  heures 
de  sa  captivité  dans  la  prison  de  la  Conciergerie. 

L'empereur  savait  que  cet  homme,  détaché  de  tout, 
était  une  force  et  ne  ressemblait  pas  aux  courtisans  de 
toute  livrée  aplatis  devant  sa  puissance.  Sa  résistance 
l'irritait,  ses  qualités  supérieures  l'attiraient;  sollicité 
en  sens  contraire  par  son  oncle  maternel,  qui  aimait 
M.  Émery,  et  par  le  ministre  Fouché,  qui  le  détestait, 
Napoléon  ne  suivit  jamais  à  l'égard  du  supérieur  de 
Saint-Sulpice  une  ligne  de  conduite  invariable  et  claire- 
ment déterminée. 

«  Sire,  disait  un  jour  à  l'empereur  M.  Émery  dans 
une  conversation  sur  des  questions  théologiques,  vous 
êtes  dans  l'erreur. 

—  Comment,  je  suis  dans  l'erreur  ! 

—  Sire,  vous  me  demandez  de  vous  dire  la  vérité;  il 
ne  conviendrait  ni  à  mon  âge,  ni  à  mon  caractère,  de 
faire  ici  le  courtisan  :  je  dois  donc  dire  à  Votre  Majesté 
qu'elle  est  dans  l'erreur  sur  ce  point.  En  cela  je  ne  crois 
pas  manquer  au  respect  que  je  lui  dois.  Autrefois,  en 
Sorbonne,  on  se  servait  du  même  langage,  on  disait 
même  :  Cela  est  absurde,  et  personne  ne  s'en  offensait, 
pas  même  un  fils  de  prince  s'il  soutenait  une  proposition 
qui  pût  y  donner  lieu.  » 

Et  comme  l'empereur  lui  reprochait,  avec  un  fin  sou- 
rire, de  régenter  les  évêques ,  M.  Émery  lui  répondit 
avec  une  gravité  respectueuse  : 

«  Sire ,  les  évêques  ont  grâce  pour  se  conduire  eux- 
mêmes  ;  mais  si  quelques-uns  croient  devoir  me  demander 
avis,  il  me  semble  que  mon  âge  et  mon  expérience  me 
mettent  en  état  de  leur  donner  conseil.  » 

Le  comte  Molé  avait  fait  la  première  communion  des 
mains  de  M.  Émery;  il  avait  conservé  pour  lui  un  sou- 
venir mêlé  de  tendresse  et  de  reconnaissance,  et  son 
image  ornait  sa  chambre  à  coucher  de  Champlatreux. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  200 

Sa  haute  situation  sous  l'empire,  et  ses  relations  intimes 
avec  le  vénérable  supérieur  de  Saint-Sulpice,  lui  avaient 
permis  d'entretenir  l'empereur  des  grandes  qualités  de 
son  ami  et  de  connaître  son  sentiment  à  son  égard. 
Il  trouva  plus  tard  une  occasion  solennelle  de  le  rap- 
peler. 

a.  Napoléon ,  écrivait  le  comte  Molé  dans  son  discours 
de  réception  à  l'Académie  française,  en  4840,  ne  pouvait 
se  lasser  d'admirer  dans  ce  saint  prêtre  je  ne  sais  quel 
mélange  de  simplicité  presque  primitive  et  de  sagacité 
pénétrante,  de  sérénité  et  de  force,  j'ai  presque  dit  de 
grâce  et  d'austère  ascendant. 

«  Voilà,  me  dit-il  un  jour,  la  première  fois  que  je 
((  rencontre  un  homme  doué  d'un  véritable  pouvoir  sur 
«  les  hommes,  et  auquel  je  ne  demande  aucun  compte 
«  de  l'usage  qu'il  en  fera.  Loin  de  là,  je  voudrais  qu'il 
«  me  fût  possible  de  lui  confier  toute  notre  jeunesse  :  je 
a  mourrais  plus  rassuré  sur  l'avenir.  » 

IX.  —  M.  Émery  redoutait  cependant  les  emporte- 
ments de  Napoléon,  et  quand  il  reçut  l'ordre  inattendu 
de  se  rendre  immédiatement  à  Fontainebleau,  il  craignit 
un  nouveau  malheur  pour  la  compagnie  ;  il  fit  une 
xmrte  prière  à  la  chapelle,  monta  dans  la  voiture  du 
cardinal  Fesch,  et  se  recueillit  devant  Dieu,  en  cherchant 
es  réponses  qu'il  pourrait  faire  à  l'interrogatoire  de  son 
souverain. 

La  voiture  arriva  à  Fontainebleau.  Le  cardinal  Fesch 
ttendait  M.  Emery.  Il  lui  annonça  que  l'empereur 
l'avait  pas  l'intention  de  s'entretenir  avec  lui  des  affaires 
énérales  de  l'Eglise  et  de  la  situation  du  saint-siège, 
îais  que  Fouché  avait  dénoncé  les  opuscules  de  Fleury, 
ue  la  compagnie  de  Saint-Sulpice  avait  été  signalée 
omme  un  foyer  d'ultramontanisme  et  d'opposition  au 
ouvernement,  et  que  l'empereur  voulait  connaître  la 


210  M.  ÉMERY 

vérité  sur  ces  accusations  persistantes ,  avant  de  prendre 
une  décision  dont  il  connaissait  la  gravité. 

M.  Émery  prépara  sa  défense,  et  attendit  avec  un  filial 
abandon  à  la  volonté  de  Dieu  le  moment  où  il  plairait 
à  l'empereur  de  le  recevoir  et  de  l'entendre.  Il  voyait 
souvent  le  cardinal  Fesch,  pendant  les  heures  monotones 
et  longues  de  son  séjour  au  château,  et  se  recueillait 
ensuite  dans  des  méditations  solitaires,  et,  détournant 
sa  pensée  tranquille  de  l'interrogatoire  qu'il  allait  bientôt 
subir,  il  priait  à  genoux  pour  les  princes  de  Valois  dont 
le  souvenir  était  gravé  sur  les  pierres  mêmes  de  la  cha- 
pelle du  château,  bâtie  par  leur  munificence  royale. 

Il  prévoyait  bien  que  l'empereur  élargirait  le  cadre  de 
l'interrogatoire  et  qu'il  ne  pourrait  pas  se  défendre  de 
lui  parler  de  ses  démêlés  avec  le  saint -siège. 

Trois  jours  après  son  arrivée,  il  fut  enfin  introduit 
dans  le  cabinet  de  l'empereur. 

((  J'ai  lu  votre  livre,  dit  Napoléon  en  lui  montrant  un 
exemplaire  des  Opuscules  de  Fleury  ;  il  y  a  dans  la 
préface  quelque  point  qui  n'est  pas  franc  du  collier; 
mais,  en  somme,  il  n'y  a  pas  de  quoi  fouetter  un  chat.  » 

Puis,  changeant  subitement  de  ton  et  de  conversation, 
l'empereur  parla  •  avec  emportement  et  rapidité  de  la 
conduite  de  Pie  VII. 

«  Je  ne  sais  ce  que  le  pape  peut  me  reprocher.  N'ai-je 
pas  nommé  de  bons  évêques?  Il  est  vrai  que  plusieurs 
ont  refusé,  comme  vous  avez  fait  vous-même;  mais  je  ne 
suis  pas  cause  de  leur  refus.  Du  reste,  je  respecte  la 
puissance  spirituelle  du  pape;  mais  sa  puissance  tem- 
porelle ne  vient  pas  de  Jésus -Christ  :  elle  vient  de  Char- 
lemagne  ;  je  puis  et  je  veux  la  lui  ôter,  parce  qu'il  m 
sait  pas  l'exercer,  et  qu'étant  déchargé  de  l'administra- 
tion temporelle,  il  pourra  vaquer  plus  librement  à  siv 
fonctions  spirituelles. 

—  Sire,  répondit  M.  Émery,  longtemps  avant  Char- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  211 

lemagne  la  foi  et  la  piété  des  fidèles  avaient  assuré  aux 
papes  des  possessions  temporelles,  et  si  Votre  Majesté 
croyait  avoir  le  droit  de  reprendre  la  donation  de  Char» 
lemagne,  elle  devrait  respecter  les  donations  antérieures 
faites  par  les  chrétiens. 

—  Le  pape  est  un  brave  homme;  si  je  le  voyais  un 
quart  d'heure,  il  me  serait  facile  de  m'entendre  avec  lui, 
mais  il  est  entouré  de  cardinaux  encroûtés  d'ultramon- 
tanisme  qui  le  dominent  et  le  font  agir  à  leur  gré. 

—  Sire,  si  Votre  Majesté  croit  pouvoir  s'arranger  si 
facilement  avec  le  pape,  elle  pourrait  le  faire  venir  à 
Fontainebleau. 

—  C'est  aussi  ce  que  j'ai  l'intention  de  faire. 

—  Mais  dans  quel  état  Votre  Majesté  le  fera -t- elle 
venir?  S'il  traverse  la  France  en  prisonnier,  un  pareil 
voyage  fera  beaucoup  de  tort  à  Votre  Majesté,  car  le 
pape  sera  partout  environné  de  la  vénération  des  fidèles. 

—  Ce  n'est  pas  ainsi  que  je  l'entends ,  répliqua  l'em- 
pereur; si  le  pape  vient  ici,  je  veux  qu'on  lui  rende 
les  mêmes  honneurs  que  lorsqu'il  est  venu  me  sacrer. 
D'ailleurs,  il  est  étonnant  que  vous,  qui  avez  étudié  la 
théologie  toute  votre  vie,  vous  ne  puissiez,  pas  plus  que 
les  évèques  de  France,  trouver  un  moyen  canonique 
pour  m'arranger  avec  le  pape.  Quant  à  moi,  si  j'avais 
étudié  la  théologie  seulement  pendant  six  mois,  j'aurais 
bientôt  débrouillé  cette  affaire,  parce  que,  dit- il  en 
portant  le  doigt  sur  son  front,  Dieu  m'a  donné  l'intelli- 
gence. Je  ne  parlerais  pas  latin  aussi  bien  que  vous;  mon 
latin  serait  un  latin  de  cuisine,  mais  j'aurais  bientôt 
éclairé  toutes  les  difficultés. 

—  Sire,  vous  êtes  bien  heureux  d'être  en  état  d'ap- 
prendre toute  la  théologie  en  six  mois;  pour  moi,  il  y 
a  plus  de  cinquante  ans  que  je  l'étudié  et  même  que  je 
l'enseigne,  et  je  ne  crois  pas  encore  la  savoir.  » 

A  ce  moment  l'huissier  de  service  annonça  à  haute 


212  M.  ÉMERY 

voix  et  avec  emphase  le  roi  de  Hollande,  le  roi  de  Bavière 
et  le  roi  de  Wurtemberg. 

«  Qu'ils  attendent!  »  répondit  sèchement  l'empereur. 

Il  continua  pendant  près  d'une  demi -heure  à  causer 
avec  M.  Émery  de  la  situation  de  l'Église  et  de  ses 
projets. 

Avant  de  se  retirer  de  l'audience,  M.  Émery  dit  à 
l'empereur  : 

((  Sire,  puisque  Votre  Majesté  a  daigné  lire  les  Opus- 
cules de  Fleury ,  elle  me  permettra  sans  doute  de  lui 
offrir  quelques  additions  que  j'y  ai  faites  et  qui  sont  le 
complément  de  l'ouvrage.  » 

L'empereur  déposa  le  livre  sur  sa  table  de  travail ,  et 
promit  d'en  prendre  connaissance. 

M.  Emery  revint  à  Paris  avec  la  consolation  de  n'avoir 
pas  sacrifié  les  droits  du  saint-siège,  et  d'avoir  parlé  avec 
courage  et  prudence.  Il  avait  su  concilier  son  obéissance 
filiale  à  l'Église  avec  les  devoirs  que  tout  sujet  doit  à  son 
souverain. 

Les  projets  menaçants  de  l'empereur  attristaient  l'âme 
de  M.  Emery,  profondément  attaché  à  la  personne  du 
souverain  pontife;  il  prévoyait  les  conséquences  lamen- 
tables de  la  persécution  religieuse  ouverte  par  l'ambition 
sans  mesure  de  l'empereur  ;  il  gémissait  de  la  violence 
inqualifiable  faite  au  pape,  dont  on  ne  respectait  ni  l'au- 
torité spirituelle  ni  l'autorité  temporelle.  Après  tant 
d'efforts  pour  assurer  la  pacification  religieuse  de  la 
France ,  on  était  de  nouveau  à  la  veille  de  graves  événe- 
ments qui  pouvaient  compromettre  d'une  manière  désas- 
treuse la  paix  des  consciences  et  le  progrès  de  la  religion. 

((  C'est  maintenant  le  bon  temps  pour  mourir,  »  disait 
avec  tristesse  M.  Émery. 

Il  ne  pouvait  pas  manquer  de  rendre  compte  à  son 
ami,  l'évèque  d'Alais,  de  son  entrevue  avec  l'empereur 
et  de  ses  appréhensions  : 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  213 

«  Vous  avez  dû,  lui  écrivait-il,  être  étonné  de  mon 
silence.  Je  suis  parti  mardi,  7  novembre,  mandé  pour 
Fontainebleau  par  le  cardinal  Fesch.  Le  motif  de  mon 
voyage,  c'est  qu'on  était  revenu  auprès  de  l'empereur 
contre  moi  et  les  Sulpiciens,  à  l'occasion  des  Nouveaux 
Opuscules  de  Fleury.  On  prétendait  que  nous  étions 
ultramontains.  J'ai  trouvé,  en  arrivant,  que  l'empereur 
les  avait  lus  et  avait  dit  que  ce  n'était  pas  ce  qu'on  lui 
avait  donné  à  entendre.  M.  le  cardinal  voulait  qu'il  me 
vit,  espérant  qu'il  ne  me  trouverait  pas  aussi  noir  qu'on 
m'avait  représenté.  Je  l'ai  vu,  seul  avec  le  cardinal,  pen- 
dant près  d'une  heure.  Il  a  été  peu  question  de  ma  per- 
sonne et  de  mon  ouvrage  ;  mais  l'empereur  a  parlé  con- 
tinuellement de  ses  affaires  avec  le  pape.  J'ai  intercalé 
de  temps  en  temps  quelques  observations  ;  je  l'ai  fait 
comme  un  bon  catholique  et  un  ami  de  la  concorde  entre 
le  sacerdoce  et  l'empire.  Ma  conscience  ne  me  reproche 
auçune  flagornerie.  » 

X.  —  Le  ministre  de  la  police  ne  connaissait  pas  sans 
doute  le  résultat  de  cette  entrevue  de  M.  Emery  avec 
l'empereur,  et  voulant  témoigner  son  zèle  en  faveur  du 
gouvernement,  il  fit  saisir  au  séminaire  tous  les  exem- 
plaires des  additions  et  des  Opuscules  de  Fleur)/. 

M.  Emery  se  flattait  d'avoir  trouvé  enfin  le  repos  qu'il 
désirait  depuis  longtemps,  quand  il  apprit  cette  nouvelle 
tracasserie  du  préfet  de  police.  Il  écrivit  aussitôt  ,  le 
24  mars  1810,  la  lettre  suivante  à  Fouché  : 

«  Monseigneur,  il  sort  de  chez  moi  un  commissaire 
qui  s'est  présenté  de  votre  part  pour  saisir  les  exem- 
plaires que  j'aurais  des  corrections  et  additions  aux  Nou- 
veaux Opuscules  de  Fleur;/. 

«  J'eus  l'honneur  de  voir  Votre  Excellence,  il  y  a  deux 
ans,  au  sujet  du  livre,  et  je  crois  qu'elle  fut  satisfaite  de 
mes  explications.  Je  fus  donc  très  étonné,  les  vacances 


214  M.  ÉMERY 

dernières,  quand  j'appris  qu'on  avait  fait  une  nouvelle 
dénonciation  des  Opuscules  de  Fleury.  L'empereur 
voulut  voir  l'ouvrage,  et  M.  le  cardinal  Fesch  jugea  à 
propos  de  m'appeler  à  Fontainebleau  et  de  me  présenter 
à  l'empereur,  qui  voulut  bien  me  donner,  dans  son 
cabinet,  une  audience  d'une  heure. 

((  Il  me  parla  d'abord  de  mes  Nouveaux  Opuscules  de 
Fleury,  me  dit  qu'il  les  avait  lus,  ne  s'en  plaignit  point, 
et  se  contenta  d'observer,  en  souriant,  qu'il  y  avait  quel- 
que petite  chose  à  reprendre  dans  la  préface,  et  passa  à 
un  autre  sujet. 

((  Voilà  donc  cet  ouvrage,  dont  on  a  voulu  deux  fois 
me  faire  un  crime  auprès  du  prince,  justifié  par  le 
prince  lui-même.  J'avais  avec  moi  un  exemplaire  des 
corrections  et  additions.  En  quittant  l'empereur,  je  le 
lui  offris,  et  le  priai  d'y  jeter  un  coup  d'œil.  Il  l'accepta 
avec  bonté. 

«  Ces  additions  et  corrections  étaient  imprimées  de- 
puis quelque  temps  ;  je  ne  les  avais  point  envoyées  chez 
le  libraire,  quelque  innocentes  et  irréprochables  qu'elles 
fussent,  pour  ne  point  donner  lieu  à  mes  ennemis  de 
vous  faire  une  nouvelle  dénonciation.  Mais,  quelque 
temps  après  mon  retour  de  Fontainebleau,  ayant  tout 
lieu  de  croire  que  l'empereur  avait  été  satisfait  de  ce 
petit  supplément,  je  l'ai  envoyé  au  libraire. 

((  Quel  a  été  donc  mon  étonnement,  quand  j'ai  vu 
arriver  chez  moi  un  commissaire!  Cet  étonnement  a  été 
d'autant  plus  grand  ,  qu'il  y  a  environ  deux  mois  on 
avait  fait  agir  le  préfet  de  police  pour  le  même  objet  ,  et 
que  ce  magistrat,  après  avoir  pris  connaissance  de  cet 
ouvrage,  avait  laissé  tomber  la  dénonciation. 

((  J'ose  prier  Votre  Excellence  de  vouloir  bien  se  faire 
rendre  compte  de  l'ouvrage  par  une  personne  autre  que 
celle  qui  le  lui  a  déféré.  Si  je  ne  connaissais  pas  ses 
occupations  immenses,  je  la  prierais  de  vouloir  bien  être 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANGE 


215 


elle-même  le  juge,  et  je  ne  doute  pas  qu'alors  elle  voulut 
bien  ordonner  que  les  exemplaires  saisis  me  fussent 
rendus. 

((11  est  écrit  que  ma  vie,  quoique  je  l'aie  consacrée 
tout  entière,  ainsi  que  ma  fortune,  au  service  de  l'Église 
et  de  l'État,  sera  une  suite  continuelle  de  traverses  et 
de  dégoûts.  Heureusement  mon  âge,  soixante-dix-huit 
ans,  m'avertit  que  cette  suite  aura  incessamment  un 
terme.  » 

Cette  lettre  fit  connaître  au  ministre  de  la  police  les 
sentiments  de  l'empereur  qu'il  paraissait  ignorer,  et 
rendit  la  paix  au  vénérable  supérieur  de  Saint- Sulpice. 
Fouché  arrêta  les  poursuites  et  laissa  tomber  dans 
le  silence  cette  affaire  désagréable,  où  la  justice  et 
la  modération  étaient  certainement  du  côté  du  per- 
sécuté. 

XI.  —  On  fut  très  satisfait  à  Rome,  dans  la  cour  pon- 
tificale, de  la  sagesse  et  du  courage  de  M.  Émery.  La 
publication  des  Opuscules  de  Fleuri/  fut  considérée 
comme  le  gage  d'un  rapprochement  longtemps  désiré 
entre  le  clergé  français  et  le  saint-siège  Les  félicitations 
adressées  à  M.  Emery  par  les  prélats  les  plus  renommés 
d'Italie,  par  un  grand  nombre  d'évèques  français, 
ennemis  des  doctrines  exagérées,  mais  jaloux  de  recon- 
naître les  droits  de  l'Eglise,  sans  oublier  leurs  devoirs 
envers  l'État ,  lui  firent  oublier  les  tristesses  de  ses  der- 
nières épreuves. 

M  Lambruschini ,  nonce  en  France  sous  Charles  X, 
conservait  religieusement  un  exemplaire  des  Opuscules 
de  Fleury,  qu'il  emportait  toujours  avec  lui  dans  ses 
voyages. 

Quand  il  vint  pour  la  première  fois  à  Issy,  il  entra 
dans  le  modeste  cimetière  dos  prêtres  de  Saint  -  Sulpice , 
s'agenouilla  sur  la  tombe  de  M.  Émery,  et  après  avoir 


216  M.  ÉMERY 

fait  une  courte  prière ,  il  dit  en  se  relevant  aux  prêtres 

qui  l'accompagnaient  dans  son  pèlerinage  : 

«  Voilà  un  homme  qui  a  beaucoup  aimé  l'Eglise.  » 

XII.  —  M.  Emery  supportait  avec  résignation  sans  se 
plaindre  ses  épreuves  personnelles ,  son  caractère  était 
l'ait  à  la  lutte;  sa  vie  entière  s'écoula  d'ailleurs  dans  les 
dures  fatigues  d'une  persécution  qui  semblait  raffermir 
son  âme  en  élevant  ses  pensées  dans  les  régions  d'une 
sérénité  inaltérable.  Il  souffrait  davantage  des  maux  qui 
affligeaient  l'Église  ;  le  triste  spectacle  auquel  il  assistait, 
après  les  vaines  espérances  que  l'avènement  de  Bona- 
parte et  la  conclusion  du  Concordat  avaient  fait  naître 
dans  tous  les  esprits,  le  plongeaient  dans  une  immense 
tristesse  qui  se  révélait  quelquefois  par  des  paroles  dé- 
couragées. 

La  ville  de  Rome ,  veuve  du  pape ,  était  aux  mains  de 
l'étranger.  M.  Emery  aimait  à  faire  naître  dans  les  âmes 
le  sentiment  délicat  de  la  fidélité  sans  réserve  au  chef  su- 
prême de  l'Église  comme  une  compensation  à  la  violence 
qu'il  subissait  dans  une  prison  française.  Les  causes  justes 
compromises  sont  toujours  les  plus  belles,  elles  ont  des 
séductions  puissantes  pour  les  âmes  généreuses.  Il  voyait 
avec  peine  que  des  évêques  semblaient  oublier  les  de- 
voirs de  l'obéissance  chrétienne  et  s'arrogeaient  sans 
nécessité  des  pouvoirs  extraordinaires,  dont  la  validité 
pouvait  être  contestée  : 

((  Personne  n'a  reçu  de  réponse  du  pape,  écrivait-il,  le 
5  janvier  1809,  à  M.  Rousseau,  évêque  d'Orléans;  mais 
on  sait  qu'il  a  nommé  une  commission  pour  examiner 
les  demandes  qui  lui  sont  faites  par  les  évêques  de  France. 
Aussi  il  faut  attendre. 

ce  Je  crois  que  ce  serait  une  grande  imprudence  à  des 
évêques  de  s'arroger  en  attendant  un  droit  qui  ne 
leur  appartient  pas,  d'autant  plus  qu'ils  ne  sont  pas  dans 


ET  L'ÉGLISE  DR  FRANCE  217 

le  cas  où  le  recours  à  Rome  est  impossible,  puisqu'on 
peut  y  recourir  comme  avant  l'arrivée  du  cardinal  Ca- 
prara,  et  que  des  chrétiens  qui  ne  veulent  pas  prendre 
la  peine  d'attendre  une  réponse  de  Rome  et  qui  sont 
dans  la  volonté  de  se  passer  de  dispense  et  de  rompre 
avec  l'Église  ne  méritent  pas  le  nom  de  chrétien. 

«  Il  vaut  mieux  laisser  les  chrétiens  de  cette  espèce 
aller  accroître  le  nombre  des  prévaricateurs  et  des  dis- 
sidents que  de  porter  atteinte  à  l'autorité  du  saint -siège, 
où  consiste,  écrivait  Rossuet,  le  salut  de  la  catholicité 
et  de  l'Eglise.  Les  évêques  doivent  être  très  persuadés 
que  les  atteintes  portées  à  l'autorité  du  saint -siège 
frappent  leur  propre  autorité;  que  si  le  gouvernement 
(ce  qu'à  Dieu  ne  plaise)  envahissait  l'autorité  du  saint- 
siège,  il  envahirait  bientôt  et  bien  plus  facilement  celle 
des  évêques,  et  que  les  mômes  raisons  qui  feraient 
secouer  aux  évêques  l'autorité  du  pape  feraient  bientôt 
secouer  aux  curés  l'autorité  des  évêques.  » 

M.  Émery  cherchait  ainsi  à  maintenir  les  volontés  et 
les  esprits  en  communion  avec  le  saint-siège,  à  diminuer 
(  les  calamités  déjà  si  considérables  qui  affligeaient 
l'Église.  Il  voyait  aussi  avec  dégoût  les  philosophes  et 
les  démocrates  qui  avaient  défendu  pendant  les  mauvais 
jours  de  la  révolution  la  liberté  sans  frein,  les  droits  de 
■tomme,  les  maximes  républicaines  les  plus  audacieuses, 
se  traîner  comme  des  courtisans,  des  valets,  aux  pieds  de 
l'empereur,  qui  les  accablait  de  son  dédain,  flatter  ses 
tendances  autoritaires  par  les  bassesses  les  plus  igno- 
minieuses et  devenir  les  panégyristes  de  l'arbitraire 
après  avoir  été  les  coryphées  de  la  licence.  Sa  dignité 
d'homme  était  offensée  de  ce  spectacle;  son  âme  droite 
s'indignait  du  rôle  abaissé  et  volontaire  de  ces  plats 
courtisans. 

«  J'ai  vu  M.  Gavard,  écrit  M.  Emery,  le 8  février  1809, 
à  l'un  de  ses  cousins  qui  résidait  à  Genève;  son  nom 
II  7 


218  M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE 

m'a  réjoui  parce  qu'il  m'a  rappelé  la  Gavarde,  cette 
excellente  femme  qui  faisait  si  bien  les  tourtes  et  qui 
avait  de  si  bons  raisins  dans  sa  vigne. 

((  C'est  la  révolution  qui  a  fait  perdre  au  papa  ses 
principes,  qui  étaient  fort  bons.  Rendu  à  lui-même,  il 
les  retrouvera.  Vous  avez  aussi  perdu  quelque  chose  de 
ce  côté -là,  mon  cher  cousin;  vous  le  retrouverez  aussi. 

ce  Si  vous  voyiez  de  près,  comme  je  les  vois  à  présent, 
tous  ces  malheureux  philosophes  qui  ont  tant  travaillé  à 
abolir  les  anciens  principes,  à  établir  les  droits  de  la  raison 
de  l'homme  et  les  droits  du  peuple  ;  si  vous  voyiez  combien 
ces  hommes  sont  aujourd'hui  bas,  rampants,  flagor- 
neurs !  Vous  savez  ce  qu'ils  ont  été  pour  la  démocratie, 
et  ils  sont  aujourd'hui  les  plus  ardents  défenseurs  de 
l'autorité  arbitraire.  C'est  qu'au  fond,  tous  ces  gens  à 
beaux  principes  ne  sont  que  des  esclaves  de  la  vanité 
et  de  la  cupidité.  Ils  trouvent  leur  profit  aujourd'hui 
à  flatter  l'autorité  arbitraire,  ils  la  flattent  sans  pudeur.  » 

A  tous  les  moments  de  l'histoire  on  a  vu  se  renou- 
veler ce  même  spectacle.  Après  l'anarchie  la  dictature, 
et  les  courtisans  les  plus  bas  de  cette  dictature  ont  tou- 
jours été  ceux  qui  la  veille,  aux  jours  d'anarchie, 
oubliaient  déjà  leur  dignité  humaine  et  faisaient  litière 
des  protestations  les  plus  légitimes  de  la  justice,  de  la 
conscience. 


CHAPITRE  X 


RÉORGANISATION  DE  LA  SORBONNE  ET  DE  L'UNIVERSITÉ 

I.  —  Les  professeurs  de  la  Sorbonne  avaient  déclaré 
publiquement  à  M.  de  Juigné,  archevêque  légitime  de 
Paris,  qu'ils  ne  reconnaîtraient  jamais  l'évèque  intrus, 
créature  du  pouvoir  civil,  qui  usurpait  sa  place  et  trahis- 
sait tous  ses  serments.  Ils  affirmaient  avec  courage,  dans 
une  protestation  restée  comme  l'expression  de  la  fidélité 
de 'leur  foi,  qu'au  pape  seul  appartient  le  droit  d'instituer 
canoniquement  les  évèques,  qu'il  n'était  pas  permis  de 
prêter  serment  à  la  constitution  civile  du  clergé ,  et  qu'ils 
étaient  décidés  à  donner  à  leurs  élèves  et  au  clergé  de 
France,  au  prix  des  plus  grands  sacrifices,  l'exemple  de 
la  soumission  au  Vicaire  de  Jésus-Christ. 

Cette  fermeté  doctrinale  des  professeurs  de  la  Sorbonne, 
héritiers  des  traditions  des  théologiens  les  plus  renommés 
des  siècles  passés,  avait  irrité  le  gouvernement,  qui  cher- 
chait des  complices  dans  l'épiscopat  et  dans  les  rangs  du 
clergé,  où  il  avait  déjà  trouvé  des  serviteurs  empressés 
et  déshonorés  de  ses  rancunes  contre  le  Vicaire  de  Jésus- 
Christ. 

Lorsque  le  gouvernement,  engagé  dans  la  voie  des 
persécutions,  exigea  du  clergé  le  serment  de  fidélité  à  la 
constitution  civile,  tous  les  professeurs  de  Sorbonne  et 
de  Navarre,  à  l'unanimité,  déclarèrent  qu'ils  ne  prête- 
raient pas  ce  serment,  et  qu'ils  réprouvaient  la  constitu- 


220  M.  ÉMERY 

tion1.  Mais  si  l'Assemblée  constituante  avait  été  tolé- 
rante quand  elle  avait  décrété  que  les  maisons  d'édu- 
cation continueraient  à  recevoir  des  élèves  et  à  donner 
l'instruction,  le  Directoire  de  Paris  était  animé  des 
sentiments  les  plus  hostiles.  Irrité  de  la  résistance 
légitime  et  honorable  de  la  Sorbonne,  qui  avait  été 
pendant  des  siècles,  au  témoignage  même  de  souve- 
rains pontifes ,  la  lumière  et  la  gloire  de  l'Église  de 
France,  il  décréta  sa  suppression  par  un  arrêté  du 
47  octobre  1790. 

Les  professeurs  de  la  maison  de  Sorbonne  rédigèrent 
une  déclaration  dans  laquelle  ils  réprouvaient  la  consti- 
tution civile,  et  lui  donnèrent  ces  qualifications  sévères 
mais  justes  :  hérétique,  schismatique,  opposée  à  l'esprit 
du  christianisme.  On  voit  au  bas  de  cette  déclaration  la 
signature  de  tous  les  professeurs  de  la  maison  de  Sor- 
bonne et  de  la  maison  de  Navarre. 

c<  La  Sorbonne  tomba,  écrit  M.  Picot,  parce  qu'elle 
était  une  école  catholique.  C'est  à  ce  titre  qu'elle  fut 
odieuse  à  la  fois  aux  jansénistes,  aux  philosophes  et  aux 
révolutionnaires.  Elle  vengea  par  des  censures  motivées 
que  nous  avons  eu  souvent  occasion  de  mentionner  les 
doctrines  de  l'Église  contre  les  attaques  de  l'université  ; 
elle  mérita  les  éloges  de  plusieurs  papes,  et,  principale- 
ment dans  la  seconde  partie  du  xvne  siècle,  tous  ses  actes 

1  «  Si  donc,  disaient  les  professeurs  dans  une  éloquente  pro- 
testation, déserteurs  tout  à  la  fois  de  la  doctrine  pure  que  nous 
avons  puisée  dans  son  sein  et  de  notre  propre  enseignement 
dans  ses  écoles,  nous  avions  la  coupable  faiblesse  de  prêter  ser- 
ment, c'est  dans  ses  Annales  (de  la  Faculté)  et  jusque  dans  nos 
leçons  mêmes  que  nous  pourrions  lire  l'arrêt  flétrissant  de  notre 
condamnation.  Une  si  lâche  désertion  ne  nous  eut-elle  pas  rendus 
indignes,  et  des  fonctions  honorables  que  nous  exerçons  en  son 
nom,  et  de  notre  propre  estime?  »  (Protestation  de  la  faculté 
de  théologie  de  la  Sorbonne  contre  la  constitution  civile  du 
clergé  de  France.  ) 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  221 
ont  prouvé  son  attachement  à  l'Église  et  au  saint-siège'.  » 

Dans  un  bref  adressé,  le  13  avril  1791  ,  à  M.  de  Bois- 
gelin ,  archevêque  d'Aix ,  et  aux  évèques  de  France  res- 
tés fidèles  au  saint-siège,  Pie  VI  rappelait  avec  honneur 
cette  conduite  de  la  célèbre  Sorbonne  à  une  heure  où  la 
fidélité  était  un  grand  acte  de  courage,  et  il  rendait  hom- 
mage au  talent,  à  la  vertu,  à  la  foi  inébranlable  de  ses 
professeurs. 

II.  —  La  main  qui  relevait  l'Église  de  ses  ruines,  en 
rétablissant  les  séminaires,  en  donnant  une  organisation 
nouvelle  au  chapitre  de  Saint-Denis  et  une  plus  grande 
autorité  à  l'épiscopat  sorti  des  négociations  du  Concordat, 
essaya  de  relever  aussi  la  Sorbonne  et  de  lui  rendre  la 
splendeur  des  siècles  passés. 

Ce  n'était  pas  cependant  une  pensée  de  réparation  envers 
la  religion  chrétienne  qui  pouvait  inspirer  la  conduite  du 
geôlier  du  pape.  Tandis  que  les  esprits  sages  regret- 
taient les  vieilles  universités  de  France,  où  l'on  retrou- 
vait les  mœurs,  l'esprit,  la  vie  des  anciennes  provinces, 
l'empereur,  dominé  par  la  pensée  d'une  centralisation 
absolue,  ennemi  des  libertés  provinciales, jaloux  détenir 
dans  ses  mains  puissantes  la  direction  de  l'enseignement 
à  tous  les  degrés,  créa  l'université  de  France.  Il  l'édifia 
sur  les  ruines  des  universités  ravagées  par  la  tempête  de 
la  révolution.  Cette  centralisation  était  un  grave  danger 
pour  le  progrès  scientifique  des  études,  pour  l'indépen- 
dance même  légitime  des  esprits  dans  le  choix  des  mé- 
thodes, et  pour  les  droits  de  l'Église,  à  qui  seule  appar- 
tient la  mission  divine  d'enseigner  à  ses  ministres  les 
principes  immuables  de  la  science  sacrée;  elle  pouvait 
un  jour  exposer  l'Église  au  schisme  et  aux  rigueurs  de 
la  persécution. 

1  Picot,  Mémoire  pour  servir  à  l'histoire  de  l'Église,  etc.,  t.  YI, 
!  p.  151. 


222  M.  ÉMERY 

Portalis  était  mort  ;  Fourcroy,  très  versé  dans  les  ma- 
tières d'enseignement,  d'une  rare  intelligence  et  à  la 
hauteur  des  plus  difficiles  problèmes,  fut  chargé  par 
l'empereur,  au  commencement  de  l'année  1808,  de  rédi- 
ger un  décret  de  réorganisation  de  toutes  les  facultés 
réunies  sous  la  dénomination  commune  d'université  de 
France.  La  tâche  était  délicate,  elle  était  vaste  ;  elle  n'exi- 
geait pas  seulement  des  connaissances  variées  sur  les 
différents  objets  de  l'enseignement  de  la  théologie,  du 
droit,  de  la  médecine,  des  lettres  et  des  sciences,  elle 
exigeait  encore  un  grand  jugement,  un  esprit  sage  et 
pratique,  disposé  à  tenir  compte  des  conditions  nouvelles 
de  la  société  française,  sans  rompre  brutalement  avec 
les  traditions  et  les  enseignements  du  passé. 

Fourcroy  était  l'ami  du  cardinal  Fesch ,  il  sentit  le 
besoin  de  recourir  à  ses  lumières  dans  l'accomplisse- 
ment de  sa  tâche,  et  d'user  de  son  crédit  auprès  de  l'em- 
pereur. Le  cardinal  Fesch  avait  donné  depuis  longtemps 
sa  confiance  à  M.  Émery  ;  il  ne  voyait  pas  en  France  un 
homme  aussi  expérimenté  que  lui  dans  la  connaissance 
des  séminaires,  des  matières  de  la  théologie,  des  usages 
de  l'ancienne  Sorbonne;  il  ne  connaissait  pas  un  esprit 
aussi  modéré  dans  la  recherche  pratique  du  possible, 
aussi  contraire  à  la  poursuite  capricieuse  de  l'idéal,  pour- 
suite qui  expose  trop  souvent  à  une  ruine  irréparable  ce 
qu'il  faudrait  sauver. 

Dès  les  premiers  jours,  M.  Émery  se  trouva  donc  investi 
de  la  confiance  du  ministre  et  chargé  de  relever  de  ses 
ruines  la  Sorbonne. 

D'un  coup  d'œil  prompt  et  sûr,  M.  Émery  jugea  la 
situation.  Après  avoir  pris  connaissance  d'un  projet  de 
décret  qui  lui  fut  présenté  par  le  cardinal  Fesch,  il  vit 
bien  qu'on  devait  s'arrêter  à  deux  idées  :  reconnaître  aux 
évêques,  avec  les  ménagements  commandés  par  les  cir- 
constances, le  droit  de  nomination  aux  chaires  de  la 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  223 

faculté  de  théologie,  et  rattacher  la  nouvelle  Sorbonne  à 
l'ancienne,  en  rendant  les  chaires  vacantes  aux  profes- 
seurs qui  les  avaient  occupées  avant  leur  dispersion  bru- 
tale par  le  Directoire  du  département.  C'était  ainsi  la 
Sorbonne  avec  le  prestige  et  l'éclat  de  son  passé,  avec  ses 
mêmes  professeurs,  ses  mêmes  élèves,  qui  se  préparait 
à  ouvrir  de  ^nouveau  ses  cours  suspendus  pendant  les 
mauvais  jours  de  la  Terreur. 

Ce  plan,  il  le  réalisa  avec  une  sagesse  pleine  de  fer- 
meté. Personne,  en  France  ou  à  l'étranger,  dans  le  clergé 
ou  dans  l'épiscopat,  n'eut  alors  la  pensée  vaine  de  deman- 
der une  institution  canonique  nouvelle  en  faveur  d'une 
faculté  qui  reprenait  simplement  les  cours  interrompus, 
après  avoir  été  arrêtée  dans  son  existence  par  des  hommes 
violents,  irrités  de  son  dévouement  à  l'Église  catholique 
et  à  la  chaire  de  Pierre. 

Les  professeurs  de  la  nouvelle  Sorbonne  se  présentaient 
donc  à  la  France  avec  l'institution  canonique  dont  ils 
n'avaient  jamais  été  dépouillés,  avec  les  privilèges  qu'ils 
n'avaient  jamais  perdus,  avec  l'ambition  légitime  de 
suivre  l'exemple  de  leurs  pères  dans  leur  dévouement 
sans  mesure  au  jeune  clergé. 

III.  —  Le  cardinal  Fesch  fit  tenir  le  projet  deFourcroy 
concernant  le  rétablissement  des  facultés  de  théologie 
au  vénérable  supérieur  du  séminaire  Saint -Sulpice,  qui 
le  renvoya  à  Son  Eminence  avec  les  observations  sui- 
vantes : 

«  Les  professeurs  de  théologie  en  Sorbonne  n'étaient 
point  nommés  ordinairement  par  les  évèques,  mais  par 
la  faculté  de  théologie  elle-même,  qui  choisissait  un  de 
ses  membres  à  l'élection. 

«  En  vertu  d'un  privilège  attaché  à  la  faculté  de  Paris, 
le  roi  et  un  prince  de  la  maison  d'Orléans,  qui  avaient 
fondé  chacun  une  chaire  de  professeur  dans  cette  faculté, 


224  M.  ÉMERt 

conservaient  le  droit  de  nommer  chacun  directement  un 

professeur. 

((  Il  serait  inconvenant  que  le  grand  maître  de  l'uni- 
versité, qui  peut  être  un  homme  du  monde,  étranger  ou 
même  hostile  à  la  religion ,  fit  le  choix  des  professeurs 
de  théologie.  Mais  au  moins  faudrait-il  qu'il  n'en  nom- 
mât définitivement  aucun  qui  ne  fût  approuvé  par  le  mé- 
tropolitain. Sans  cette  précaution,  son  choix  pourrait 
tomher  sur  un  ignorant  ou  sur  un  homme  de  doctrine 
suspecte,  ou  même  sur  un  homme  qui  n'aurait  pas  de 
religion. 

((  Les  places  de  professeurs  seront  dans  la  suite  don- 
nées au  concours.  Mais  quels  seront  les  juges  de  ces 
concours?  des  laïques  ou  des  ecclésiastiques?  Gomhien 
peu  de  personnes  se  présenteront  à  ces  concours  !  Il  vau- 
drait autant  que  la  nomination  fût  faite  par  le  grand 
maître  avec  l'approhation  de  l'évêque. 

((  Toutes  les  facultés  de  théologie  et  leurs  formes  inté- 
resseraient moins  les  évèques,  si  l'on  ne  devait  pas  exiger 
dans  la  suite  que ,  pour  posséder  certaines  places  dans 
l'Église ,  il  faudrait  avoir  obtenu  des  degrés. 

«  Il  n'est  pas  question  de  séminaire  métropolitain  ,  et 
peut-être  n'y  a-t-il  pas  là  un  grand  mal.  Mais,  sur  les 
représentations  qui  ont  été  faites  par  Son  Éminence  à 
M.  Portalis,  ce  ministre  avait  changé  entièrement  le  plan 
des  séminaires  métropolitains.  Il  serait  assez  intéressant 
que  Son  Eminence  le  demandât  au  fils  Portalis,  parce 
qu'il  y  a  des  vues  dont  elle  pourrait  profiter  dans  les  cir- 
constances présentes.  Bien  peu  d'ecclésiastiques  pourront 
venir  dans  la  métropole  profiter  de  l'avantage  des  degrés. 
M.  Portalis  proposait  que  tous  les  ecclésiastiques  qui 
auraient  étudié  dans  un  séminaire  pourraient  obtenir 
des  grades  dans  les  universités,  en  subissant  les  mêmes 
épreuves  que  ceux  qui  ont  suivi  les  écoles  des  universités. 
Mais  il  n'est  peut-être  pas  temps  de  faire  ces  observations. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  225 

I  Quand  il  est  dit,  titre  Ier,  article  2  ,  a  qu'aucun  éta- 
«  blissement  quelconque  d'instruction  ne  peut  être  formé 
«  hors  de  l'université,  sans  l'autorisation  de  son  chef,  » 
a-t-on  prétendu  y  comprendre  les  séminaires?  Serait -il 
possible  que  les  évèques  ne  fussent  pas  pleinement 
maîtres  de  l'éducation  de  leurs  ecclésiastiques,  qu'ils  ne 
puissent  nommer  et  destituer  à  leur  gré  les  supérieurs, 
directeurs  et  professeurs  de  leurs  séminaires?  Ce  serait 
le  coup  le  plus  funeste  que  l'on  pût  porter  à  l'autorité 
spirituelle  de  l'Église  et  à  celle  des  évèques.  J'ai  peine  à 
croire  que  cela  puisse  entrer  dans  les  vues  du  gouverne- 
ment. L'Église  de  France  aurait  alors  à  envier  le  sort 
des  Eglises  qui  existent  sous  la  domination  des  Turcs, 
car  elles  sont  pleinement  maîtresses  de  leur  enseigne- 
ment. 

«  Ce  qui  donnerait  à  craindre  que  telle  est  l'inten- 
tion de  l'auteur  du  projet,  c'est  qu'il  est  dit,  au  n°  53, 
«  que  le  grand  maître  déterminera  le  nombre  de 
«  sujets  qui  devront  être  élevés  dans  les  séminaires.  » 
Cet  article  seul  mettrait  tout  le  ministère  et  toute  la 
succession  des  ministres  dans  la  main  de  ce  grand  maître, 
puisqu'il  pourrait  vouloir  ne  laisser  entrer  dans  les  sémi- 
naires qu'un  nombre  insuffisant  de  sujets.  Que  pense- 
t-on  des  évèques,  puisqu'ils  ne  sont  pas  même  les  maîtres 
de  recevoir  dans  leurs  séminaires  les  sujets  qui  s'y  pré- 
sentent, et  qu'on  ne  leur  laisse  pas  le  jugement  du  nombre 
de  sujets  nécessaires  pour  leurs  diocèses? 

«  Si  les  supérieurs  et  les  professeurs  sont  ou  doivent 
être  membres  de  l'université,  ils  sont  obligés  à  un  ser- 
ment qui  mérite  beaucoup  de  considération,  parce  qu'il 
leur  fait  contracter  toutes  les  obligations  spéciales,  civiles 
|  et  temporelles,  qui  doivent  les  lier  au  corps  enseignant. 
Mais  quelles  sont  toutes  ces  obligations?  Faut-il  mettre  à 
|  ce  rang  tout  ce  qui  est  matière  du  paragraphe  38?  Com- 
j  bien  de  personnes  attachées  aux  maximes  et  libertés  de 


226  M.  ÉMERY 

l'Église  gallicane,  qui  répugneraient  à  se  lier  par  ser- 
ment! Mais  surtout  qui  pourrait  prudemment  s'attacher 
à  soutenir  les  maximes  sur  lesquelles  reposent  les  lois 
organiques  des  cultes,  puisqu'on  n'explique  point  quelles 
sont  ces  maximes,  puisque  parmi  ces  lois  organiques  il 
en  est  qui  respirent  l'hérésie  ,  puisque  le  rédacteur  de 
ces  lois  est  convenu  plusieurs  fois  qu'il  en  est  un  très 
grand  nombre  qui  n'étaient  ni  exécutées  ni  exécu- 
tables ?  » 

IY.  —  Les  observations  fondamentales  de  M.  Émery 
furent  accueillies  avec  déférence.  Le  cardinal  Fesch^vou- 
lait  relever,  en  France  et  dans  le  clergé ,  le  niveau  des 
études  ecclésiastiques ,  sans  rompre  entièrement  avec  un 
passé  trop  favorable  peut-être  aux  prétentions  changeantes 
de  l'autorité  civile.  Le  décret  impérial  du  17  mars  1808, 
appliqué  à  toutes  les  facultés  de  théologie  de  notre  pays, 
contenait  cette  reconnaissance  officielle  de  l'autorité  épis- 
copale  en  matière  d'enseignement  religieux  : 

«  Art.  7.  —  L'évèque  ou  l'archevêque  du  chef-lieu  de 
l'académie  présentera  au  grand  maître  de  l'université 
les  docteurs  en  théologie  parmi  lesquels  les  professeurs 
seront  nommés.  Chaque  présentation  sera  de  trois  sujets 
au  moins,  entre  lesquels  sera  établi  un  concours  sur 
lequel  il  sera  prononcé  par  les  membres  de  la  faculté  de 
théologie.  » 

L'article  3  du  décret  impérial  faisait  droit  aux  légi- 
times observations  de  M.  Emery  sur  l'indépendance  né- 
cessaire de  l'enseignement  théologique  dans  les  sémi- 
naires. Il  était  ainsi  conçu  : 

«  Art.  3.  —  L'instruction  dans  les  séminaires  dépond 
des  archevêques  et  évêques,  chacun  dans  son  diocèse. 
Ils  en  nomment  et  révoquent  les  directeurs  et  profes- 
seurs. » 

Cette  organisation  nouvelle  de  l'enseignement  théolo- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  227 

gique  dans  nos  facultés  était  loin  de  répondre  aux  espé- 
rances de  M.  Emery.  Jaloux,  avec  raison,  d'assurer  la 
liberté  de  l'Église  dans  le  domaine  des  choses  spiri- 
tuelles, effrayé  de  l'état  des  esprits,  des  dispositions  du 
gouvernement,  de  l'avenir  de  la  religion,  il  aurait  voulu 
soustraire  à  la  surveillance  dangereuse  de  l'autorité 
civile  et  attribuer  exclusivement  à  l'Eglise  la  direction 
de  l'enseignement  théologique.  Il  ne  dépendait  pas  de 
lui  d'obtenir  ce  résultat,  il  devait  essayer  de  faire  le  plus 
grand  bien  possible  avec  des  moyens  défectueux.  Il  révéla 
dans  ces  circonstances  cet  esprit  pratique,  ennemi  des 
vaines  chimères,  qui  était  le  caractère  distinctif  de  sa 
nature. 

Le  4  mai  1808,  il  écrivait  à  Ms*  d'Aviau,  archevêque 
de  Bordeaux  : 

«  Vous  êtes  bien  bon  de  me  demander  mon  avis  sur  la 
nomination  des  trois  professeurs  de  la  faculté  de  théolo- 
gie'. Il  serait  avantageux,  sous  un  rapport,  que  ces  pro- 
fesseurs fussent  en  même  temps  les  professeurs  du  sémi- 
naire, ou  du  moins  qu'ils  y  enseignassent,  afin  que  les 
élèves  du  séminaire  ne  fussent  point  obligés  de  sortir 
.  pour  entendre  leurs  leçons.  Mais  j'y  vois  bien  des  incon- 
,  vénients,  d'un  autre  côté  :  inconvénients  du  côté  des 
i  évèques,  inconvénients  du  côté  des  directeurs  du  sémi- 
i  naire. 

«  Si  les  professeurs  du  séminaire  sont  en  même  temps 
I  professeurs  de  l'université,  l'école  sera  censée  l'école  de 
(  l'université  ,  et  dès  lors  elle  est  soumise  à  l'inspection  de 
l'université;  celle-ci  enverra  tous  les  ans  des  inspecteurs 
i  pour  lui  rendre  compte;  elle  voudra,  ou  du  moins  elle 
i  pourra  ,  régler  la  forme  et  le  fond  des  études.  Cette  uni- 
[  versité  sera  composée  en  très  grande  partiedelaïques.  Dans 
ce  moment,  le  grand  maître  est  un  fort  honnête  homme 
et  bien  intentionné;  mais  peu  s'en  est  fallu  qu'elle  n'eût 
eu  dès  ce  moment  à  sa  tète  un  personnage  tout  di fièrent. 


228  M.  ÉMERY 

Il  ne  faut  pas  voir  seulement  la  composition  actuelle, 
mais  ce  qu'elle  peut  être  dans  la  suite. 

ce  Je  croirais  donc  qu'il  est  du  plus  grand  intérêt  des 
évêques  et  de  leur  autorité  de  demeurer  entièrement  les 
maîtres  de  l'enseignement  dans  leurs  séminaires,  en  ce 
sens  qu'ils  puissent  destituer  à  leur  gré  les  professeurs 
et  régler  seuls  les  objets  de  l'enseignement.  Un  évèque 
est  le  docteur  aussi  bien  que  le  pasteur  de  son  diocèse  ; 
l'école  du  séminaire  est  proprement  son  école,  c'est  en 
son  nom ,  pour  lui  et  à  sa  place  qu'on  y  enseigne. 

((  Avez -vous  fait  attention,  Monseigneur,  que  le  pro- 
fesseur, une  fois  nommé,  ne  peut  plus  être  destitué  que 
par  le  grand  maître,  et  même  que  les  pouvoirs  du  grand 
maître  à  cet  égard  sont  limités,  mais  surtout  qu'après 
les  premières  nominations  les  places  seront  données  au 
concours  ? 

ce  Rien  ne  marche  encore,  les  trente  conseillers  ne  sont 
pas  encore  nommés.  Il  parait  certain  que  M.  Fontanes  a 
proposé  pour  conseillers  à  vie  deux  évèques,  celui  de 
Nantes  et  celui  d'Alais;  et  je  crois  savoir  que  ce  dernier 
ayant  déclaré  qu'il  ne  voulait  faire  aucune  résidence  à 
Paris,  on  lui  a  dit  qu'on  avait  besoin  de  son  nom,  qu'il 
ne  résiderait  pas  s'il  voulait,  et  qu'il  suffirait  qu'il  don- 
nât son  avis  quand  on  le  demanderait.  Ces  deux  choix 
seraient  fort  bons.  Le  chancelier,  évèque  de  Casai,  est 
arrivé  depuis  quelques  jours;  c'est  encore  un  bon  choix. 
Je  dirai  en  passant  que  nous  avons  aussi  l'archevêque  de 
Malines,  qui  a  réellement  donné  sa  démission  et  reçu  un 
canonicat  de  Saint-Denis. 

«  Je  ne  sais  point  encore  quels  seront  les  privilèges  de 
ceux  qui  auront  pris  des  degrés  dans  cette  université  ;  ce 
sera  peut-être  de  pouvoir  seuls  être  chanoines ,  curés  de 
première  classe,  grands  vicaires.  Il  ne  peut  y  avoir  rien 
de  plus.  Je  crains  que  tout  cela  ne  serve  qu'à  gêner  les 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  220 

évéques  dans  la  distribution  des  places  et  que  les  épreuves 
ne  se  réduisent  à  bien  peu  de  chose.  Personne  n'aurait 
été  plus  propre  que  vous  à  rédiger  ce  plan  d'études.  Dieu 
veuille  tourner  tout  à  sa  plus  grande  gloire  !  » 

If.  Émery,  nommé  vice- recteur  de  la  nouvelle  Sor- 
bonne,  qui  lui  doit  ainsi  son  organisation,  s'occupa  du 
choix  des  professeurs.  La  lettre  suivante,  qu'il  adressa  au 
savant  abbé  Guillon,  auteur  de  travaux  très  estimés  sur 
les  Pères  de  l'Église,  nous  apprend  que  sa  première  pen- 
sée fut  d'accomplir  un  acte  de  justice  envers  les  anciens 
professeurs  qui  avaient  survécu  à  l'épreuve  de  la  révolu- 
tion et  de  les  rétablir  dans  leurs  fonctions. 

«  Je  vous  prie  de  croire,  écrit  M.  Emery,  le4  juillet  1809, 
que  j'ai  pensé  à  vous  dans  la  circonstance.  On  a  nommé 
pour  de  bonnes  misons  les  anciens  professeurs  de  la 
Sorbonne.  Je  sais  que  vous  êtes,  plus  que  personne,  en 
état  d'enseigner  l'histoire  ecclésiastique;  mais  un  des 
anciens  professeurs  de  Sorbonne  avait  cette  partie. 
S'il  n'avait  dépendu  que  de  moi,  vous  auriez  été  nommé 
à  la  chaire  d'éloquence  sacrée,  dont  les  fonctions  princi- 
pales seront  de  faire  connaître  les  plus  beaux  morceaux 
des  Pères  latins  et  des  Pères  grecs.  J'entends  les  plus 
beaux  morceaux  de  leurs  homélies  et  de  leurs  discours 
moraux.  Mais  il  a  fallu  consulter,  et  j'ai  trouvé  des  obs- 
tacles dont  nous  parlerons.  Avez -vous  une  connaissance 
étendue  de  l'hébreu?  Je  l'ignorais;  apprenez-le-moi. 
Croyez,  Monsieur,  que  je  vous  suis  bien  sincèrement 
attaché,  et  que  personne  n'apprécie  plus  que  moi  vos 
talents.  » 

La  réorganisation  de  la  faculté  de  théologie  était  faite 
à  peu  près  selon  les  vœux  de  M.  Emery,  et  à  l'avantage 
de  l'Eglise  et  du  jeune  clergé.  Pendant  plusieurs  jours, 
le  vénérable  supérieur  de  Saint-Sulpiee,  heureux  de  cette 
renaissance  inespérée,  entretint  les  élèves,  rassemblés 
dans  la  salle  commune,  de  l'ancienne  Sorbonne,  dont  il 


230  M.  ÉMERY 

avait  apprécié  les  glorieux  services  et  les  grands  tra- 
vaux; il  fit  aussi  l'éloge  de  M.  de  Fontanes,  dont  il  goû- 
tait la  finesse  d'esprit  et  la  modération  de  caractère,  et 
des  nouveaux  professeurs  qu'il  avait  lui-même  choisis. 
A  partir  de  ce  jour,  dit  un  élève  de  M.  Émery,  les  sémi- 
naristes de  Saint- Sulpice  reprirent  les  anciens  usages  et 
se  rendirent  à  la  Sorbonne,  trois  fois  la  semaine,  pour 
assister  aux  conférences  théologiques  et  rédiger  les  cahiers 
sous  la  dictée  des  professeurs. 

V.  —  Napoléon  se  préoccupait  de  l'organisation  du 
conseil  supérieur  de  l'université.  Dans  une  conversation 
avec  M.  de  Fontanes,  appelé  à  Saint-Cloud,  le  lundi 
49  septembre  1808,  il  exposa  ainsi  ses  projets: 

ce  II  faut  attendre  que  l'université  soit  organisée  comme 
elle  doit  l'être.  Trente  conseillers  dans  une  première 
formation  ne  produiraient  que  désordre  et  qu'anarchie. 
On  a  voulu  que  cette  tête  opposât  une  force  d'inertie  et 
de  résistance  aux  fausses  doctrines  et  aux  systèmes  dan- 
gereux i  il  ne  faut  donc  composer  successivement  cette 
tète  que  d'hommes  qui  aient  parcouru  toute  la  carrière, 
et  qui  soient  au  fait  de  beaucoup  de  choses.  Les  premiers 
choix  sont,  en  quelque  sorte,  faits  comme  l'on  prend 
des  numéros  à  la  loterie.  Il  ne  faut  pas  s'exposer  aux 
chances  du  hasard  ;  dans  les  premières  séances  d'un 
conseil  ainsi  nommé,  je  le  répète,  tous  les  esprits  dif- 
fèrent :  chacun  apport0  sa  théorie  et  non  son  expé- 
rience. On  ne  peut  être  bon  conseiller  qu'après  une 
carrière  faite. 

((  C'est  pourquoi  j'ai  fait  moi-même  voyager  mes  con- 
seillers d'État  avant  de  les  fixer  auprès  de  moi.  Je  leur 
ai  fait  amasser  beaucoup  d'observations  diverses  avant 
d'écouter  les  leurs.  Les  inspecteurs  sont  donc,  en  ce 
moment,  vos  ouvriers  les  plus  essentiels;  c'est  par  eux 
que  vous  pourrez  voir  et  toucher  toute  votre  machine,  ils 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  231 

apporteront  au  conseil  beaucoup  de  faits  et  d'expérience, 
et  c'est  là  notre  grand  besoin. 

«  Il  faut  donc  les  faire  courir  à  franc  étrier  dans  toute 
la  France,  et  leur  recommander  de  séjourner  au  moins 
quinze  jours  dans  les  grandes  villes.  Les  bons  jugements 
ne  sont  que  la  suite  d'examens  répétés. 

«  Souvenez-vous  que  tous  les  hommes  demandent  des 
places.  On  ne  calcule  que  ses  besoins,  et  jamais  son 
talent.  Peut-être  môme  vingt  conseillers  ordinaires, 
c'est  beaucoup  ;  cela  compose  la  tête  du  corps  d'éléments 
hétérogènes.  Le  véritable  esprit  de  l'université  doit  être 
d'abord  dans  le  petit  nombre.  Il  ne  peut  se  propager  que 
peu  à  peu ,  que  par  beaucoup  de  prudence,  de  discrétion 
et  d'efforts  persévérants. 

((  Fontanes,  savez-vous  ce  que  j'admire  le  plus  dans  le 
monde?  c'est  l'impuissance  de  la  force  pour  organiser 
quelque  chose. 

«  Il  n'y  a  que  deux  puissances  dans  le  monde  :  le  sabre 
et  l'esprit.  J'entends  par  l'esprit  les  institutions  civile- et 
religieuses.  A  la  longue,  le  sabre  est  toujours  battu  par 
l'esprit1.  » 

M.  Émery  avait  pris  une  part  trop  active  à  l'organisa- 
tion de  l'université  de  France  pour  échapper  à  l'attention 
du  gouvernement  et  rester  plus  longtemps  étranger  à  la 
direction  de  l'instruction  publique.  Au  mois  de  sep- 
tembre 1808  ,  M.  de  Fontanes,  grand  maître  de  l'univer- 
sité, présenta  à  la  signature  de  l'empereur  une  liste  de 
trente  membres  qui  devaient  composer  le  conseil  supé- 
rieur de  l'université,  vingt  en  qualité  de  conseillers  ordi- 
naires, dix  avec  le  titre  de  conseillers  à  vie. 

«  Deux  noms  manquent  sur  cette  liste,  »  dit  l'empe- 
reur; et,  prenant  la  plume,  il  écrivit  les  noms  de  M.  de 
Bausset  et  de  M.  Emery. 

1  Papiers  communiqués  par  M.  Eugène  Rendu. 


232  M.  ÉMERY 

Le  décret  impérial  était  ainsi  conçu  : 
((  Article  premier.  —  Sont  nommés  pour  remplir  les 
fonctions  de  conseillers  titutaires  de  l'université  : 

«  Les  sieurs  :  de  Bausset,  ancien  évèqued'Alais;  Emery, 
ancien  directeur  du  séminaire  Saint-Sulpice  ;  Nouga- 
rède  ,  questeur  du  Corps  législatif  ;  de  la  Malle,  avo- 
cat; de  Bonald;  des  Renaudes,  ex-tribun  ;  Cuvier, 
Jussieu,  Legendre,  membres  de  l'Institut  ;  Guéroult, 
proviseur  du  lycée  Charlemagne. 

«  Art.  2.  —  Ils  recevront  un  brevet  de  conseiller  à 
vie,  lorsque  pendant  cinq  années  ils  auront  rempli  leurs 
fonctions  à  notre  satisfaction. 

((  Art.  3.  —  La  nomination  du  sieur  Arnaud  aux 
fonctions  de  conseiller  ordinaire  et  de  secrétaire  général 
du  conseil  de  l'université  est  approuvée. 

((  NAPOLÉON. 

((  Pour  expédition  : 

((  FONTANES.  )) 

M.  deVillaret,  évèque  de  Casai,  chancelier  de  l'uni- 
versité, s'empressa  de  communiquer  officiellement  à 
M.  Emery,  en  villégiature  à  Issy,  la  nouvelle  de  sa  nomi- 
nation. 

Il  était  également  difficile  à  M.  Émery  d'accepter  et 
de  refuser.  Lorsque  le  cardinal  Fesch  lui  proposa  d'en- 
trer dans  le  conseil  de  Mme  Laetitia,  mère  de  l'empereur, 
nommée  protectrice  des  établissements  de  bienfaisance 
de  Paris,  il  opposa  un  refus  respectueux,  en  rappelant 
que  toute  fonction  extérieure  était  incompatible  avec  son 
caractère  de  prêtre  de  Saint-Sulpice  et  la  charge  déjà  si 
lourde  de  supérieur  général  de  la  compagnie.  Il  avait 
également  justifié  par  les  mêmes  raisons  son  refus  de 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  233 

faire  partie  d'un  conseil  chargé  de  l'administration  des 
missions  étrangères  ;  aussi ,  en  apprenant  sa  nomination 
de  conseiller  titulaire  de  l'université,  il  résolut  de  re- 
mercier l'empereur  et  de  rester  dans  l'obscurité  de  son 
ministère. 

Il  écrivit  donc  la  lettre  suivante  à  M.  de  Fontanes  : 

((  M*r  l'évèque  de  Casai1  a  pris  la  peine  de  venir  hier, 
à  la  campagne,  pour  m'apprendre  que  j'étais  placé  sur 
l'état  des  conseillers  à  vie  de  l'université ,  et  il  s'est 
annoncé  comme  venant  me  l'apprendre  de  votre  part. 

((  Je  commence  par  vous  remercier  de  votre  attention 
à  me  faire  donner  promptement  cette  nouvelle,  mais  je 
dois  surtout  vous  remercier  de  la  nomination  elle-même, 
qui,  sans  doute,  est  au  moins  en  partie  votre  ouvrage, 
quoiqu'on  m'ait  fait  entendre  qu'elle  venait  du  propre 
mouvement  de  l'empereur. 

«  Quelque  honorable  que  soit  pour  moi  le  choix  de 
!  l'empereur,  quelque  avantageuse  que  soit  en  elle-même 
la  place  de  conseiller  à  vie,  trouvez  bon  que  j'hésite  et 
i  que  je  délibère  pendant  quelques  moments  sur  l'accep- 
t  tation. 

«  J'ai  toujours  vécu  jusqu'à  présent,  par  goût  et  par 
principe ,  dans  un  état  de  retraite  et  d'obscurité  ;  j'ai 
,  refusé,  en  conséquence,  les  évèchés  que  Sa  Majesté  a 
:  bien  voulu  m'offrir.  Je  persiste  plus  que  jamais  dans 
■  mon  goût  et  dans  mes  principes  ;  je  touche  à  la  fin  de 
;  ma  carrière,  puisque  j'ai  soixante-dix-sept  ans;  et  voilà 
que  la  place  à  laquelle  j'ai  été  nommé  me  produit  dans 
le  monde  et  me  tire  de  mon  heureuse  obscurité. 

((  Il  y  a  plus  :  la  place  que  je  remplis  m'occupe  tout 
entier,  et  la  preuve  en  est  que,  depuis  qu'il  m'a  été  pos- 
|  sible  de  la  reprendre,  c'est-à-dire  depuis  cinq  ou  six 

!  Villaret,  né  à  Rodez  en  1739,  évêque  d'Amiens  en  1802,  trans- 
féré en  180i  à  l'évêché  d'Alexandrie  (Piémont),  dont  le  siège 
épiscopal  fut  porté  à  Casai. 


234  M.  ÉMERY 

ans,  je  n'ai  pas  trouvé  le  temps  de  finir  un  travail  com- 
mencé sur  Descartes ,  semblable  à  celui  que  j'ai  fait  sur 
Leibniz  et  sur  Bacon,  quoique  quinze  jours  fussent  suffi- 
sants pour  y  mettre  la  dernière  main. 

«  J'ignore  quelles  sont  les  occupations  attachées  à  la 
place  en  question,  et  par  conséquent  si  elles  peuvent  se 
concilier  avec  celles  de  mon  état  actuel,  état  que  je  suis 
dans  le  dessein  de  continuer  jusqu'à  la  mort.  A  ces  con- 
sidérations qui  me  mettent  dans  la  nécessité  de  déli- 
bérer, je  pourrais  en  joindre  quelques  autres. 

«  Au  reste,  Monsieur,  je  vous  prie  de  croire  que  je 
n'aurais  pas  hésité  à  refuser  la  place,  si  vous  n'étiez  pas 
à  la  tête  de  l'université,  et,  puisqu'elle  devait  avoir  pour 
chef  un  homme  du  monde,  j'ai  regardé  comme  un  trait 
particulier  de  la  providence  de  Dieu  sur  cet  empire  que 
le  choix  de  l'empereur  tombât  sur  votre  personne.  » 

VI.  —  M.  de  Fontanes  persista  dans  sa  résolution,  et, 
en  adressant  à  M.  Émery  une  expédition  de  sa  nomi- 
nation de  conseiller  titulaire,  il  lui  exprima  gracieu- 
sement l'espérance  de  voir  ses  dernières  incertitudes 
tomber  en  présence  de  l'intérêt  de  la  religion,  de  la 
morale  et  du  bien  public. 

M.  Emery  pouvait  rendre,  en  effet,  dans  sa  situation 
nouvelle,  les  plus  grands  services  à  la  cause  de  la  reli- 
gion. Le  conseil  supérieur  de  l'université,  chargé  d'exa- 
miner toutes  les  affaires  concernant  l'instruction  publique 
à  tous  les  degrés,  de  trancher  les  difficultés  qui  pou- 
vaient s'élever  dans  les  collèges  et  au  sein  des  facultés, 
de  régler  les  conditions  d'existence  des  séminaires  et 
l'enseignement  supérieur  de  la  théologie ,  de  choisir  les 
auteurs,  les  méthodes,  d'assumer  ainsi  la  responsabilité 
de  la  formation  intellectuelle  et  morale  de  plusieurs 
générations,  avait  une  importance  considérable  au  point 
de  vue  social  et  religieux  :  l'étendue  du  bien  que  l'on 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  235 
pouvait  espérer  de  faire  tentait  l'âme  généreuse  de 
M.  Emery. 

Le  cardinal  Fesch ,  de  concert  avec  plusieurs  évêques 
également  dévoués  aux  intérêts  de  la  compagnie,  pressait 
M.  Émery  de  donner  son  consentement  et  de  ne  pas 
s'exposer  par  une  humilité  qui  semblait  excessive  à  mé- 
contenter l'empereur.  Le  vénérable  supérieur  assembla 
son  conseil ,  fit  un  exposé  impartial  de  la  situation ,  en 
témoignant  cependant  des  répugnances  déjà  très  an- 
ciennes pour  les  fonctions  publiques,  et  déclara  qu'il  se 
soumettrait  à  sa  décision.  Après  avoir  délibéré,  pesé  les 
inconvénients  et  les  avantages,  le  conseil  émit  l'avis  que 
M.  Emery  devait  accepter. 

Cette  nomination  fut  accueillie  avec  une  faveur  mar- 
quée dans  l'épiscopat  et  dans  le  clergé  ;  des  félicitations 
parties  de  tous  les  points  de  la  France  vinrent  troubler 
M.  Emery  dans  la  tranquillité  de  sa  retraite,  au  sémi- 
naire de  Paris.  Ces  félicitations  le  laissaient  néanmoins 
indifférent;  ce  fut  avec  un  détachement  profond  des 
honneurs  qu'il  n'avait  jamais  convoités ,  et  avec  un  sen- 
timent très  vif  des  ennuis  qui  lui  étaient  réservés,  qu'il 
prit  possession  de  son  titre  de  conseiller. 

Nous  retrouvons  l'expression  de  ces  sentiments  dans 
une  lettre  familière,  pleine  d'abandon,  qu'il  écrivait  à 
l'un  de  ses  parents. 

«  J'ai  reçu  le  compliment  que  vous  m'avez  adressé, 
Monsieur  et  cher  cousin,  avant  votre  départ.  Avouez  que 
vous  avez  été  étonné  de  me  voir  conseiller  à  vie  ;  mais  je 
l'ai  été  encore  plus  que  vous ,  et  vous  serez  étonné  peut- 
être  quand  je  vous  dirai  que  j'ai  recliigné  et  qu'il  m'a 
fallu  deux  jours  pour  prendre  mon  parti.  Mais  enfin 
ie  l'ai  pris  :  force  a  été,  car  on  tombait  sur  moi  de  tout 
côté. 

«  Je  ne  sais  pas  trop  ce  que  c'est  qu'un  conseiller  à 
vie.  Est-ce  un  conseiller  qui  conseille  de  vivre,  ou  un 


236  M.  ÉMERY 

conseiller  à  qui  on  conseille  de  vivre  longtemps'.'  Quoi 
qu'il  en  soit,  j'ai  reçu  ma  patente  ;  mais  il  y  a  un  grand 
article  qui  m'a  déconcerté,  c'est  que  je  n'aurai  mon 
brevet  de  conseiller  à  vie  qu'après  cinq  ans,  et  que  mon 
noviciat  durera  cinq  ans.  C'est  un  peu  long  pour  un 
noviciat,  et  dans  cinq  ans  je  ne  serai  plus  en  vie. 

«  Quoi  qu'il  en  soit,  ma  place  jusqu'ici  ne  m'a  valu 
que  des  compliments  et  des  demandes  très  inutiles  et 
très  ennuyeuses,  et,  outre  la  perte  de  temps,  la  perte 
d'argent,  car  les  poissardes  et  les  tambours  ne  sont-ils 
pas  venus,  et  n'ai -je  pu  m'en  défaire  autrement  qu'en 
leur  donnant  de  l'argent  de  ma  bourse  légère  '? 

ce  Mais  venons  à  quelque  chose  de  plus  sérieux;  je 
vous  souhaite  une  bonne  et  longue  vie.  Je  la  souhaite 
aux  frères  et  aux  sœurs,  et  surtout  je  souhaite  à  la 
chère  maman  la  cessation  ou  du  moins  l'adoucissement 
dans  ses  souffrances,  et  la  continuation  de  sa  patience 
et  de  son  courage. 

((  Dites-lui  que  je  prie  bien  tous  les  jours  Dieu  pour 
elle,  et  croyez  que  je  ne  vous  oublie  pas  4.  » 

VII.  —  Quelque  temps  après,  le  conseil  supérieur  de 
l'université  fut  présenté  solennellement  à  l'empereur. 
La  pompe  et  l'éclat  de  cette  cérémonie,  où  les  dépu- 
tations  officielles  s'étaient  présentées  revêtues  de  leurs 
insignes  universitaires,  inspiraient  à  M.  Émery  des  ré- 
flexions qu'il  communiquait  ainsi  dans  une  lettre  intime 
à  son  grand  ami,  le  cardinal  de  Bausset  : 

«  Il  faut  vous  remercier  de  l'usage  que  j'ai  fait  hier 
de  votre  robe  et  de  votre  toque,  car  j'ai  conservé  ma 
soutane,  ma  ceinture  et  mon  rabat.  Le  conseil  a  été 
présenté  à  l'empereur,  il  a  paru  immédiatement  après 
la  Chambre  des  comptes  ;  un  décret  lui  assigne  cette 

1  Lettre  du  27  septembre  1808  à  M.  Girard,  procureur  général 

de  la  cour  criminelle,  à  Genève. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  831 

place  parmi  les  cours  souveraines.  Dans  toutes  les  céré- 
monies publiques  il  sera  appelé  et  conservera  ce  rang. 
Les  seuls  conseillers  titulaires  avec  les  trois  grands  offi- 
ciers auront  droit  de  paraître. 

«  Je  sais  que  vous  devez  être  tout  glorieux  de  cette 
distinction.  J'ai  paru,  parce  que  l'empereur,  m'ayant  vu 
quelques  jours  auparavant ,  se  serait  aperçu  de  mon 
;  absence.  J'ai  reconnu  qu'il  vous  était  impossible  de 
prendre  part  à  de  pareilles  cérémonies. 

et  Le  compliment  de  M.  de  Fontanes  aura,  sans  doute, 
été  le  meilleur.  Il  était  tiré  ex  visceribus  rei,  je  veux 
dire  de  l'établissement  de  l'université.  Les  autres  ora- 
I  teurs  ont  été  réduits  aux  lieux  communs.  Nous  avons 
i  attendu  quelque  temps;  j'ai  dit  une  partie  de  mon  cha- 
pelet, j'ai  fait  quelques  élévations  d'esprit  jusqu'au  ciel 
i  pour  comparer  la  cour  de  là -haut  à  celle  d'ici -bas. 

c  Je  vous  avoue  que  cette  dernière  me  paraissait  bien 
j  misérable;  elle  était  toute  renfermée  dans  deux  salles, 
et  je  pensais  que  dans  quelques  années  et  le  courtisé  et 
,  les  courtisans  seraient  tous  réduits  en  poussière. 

«  Mais  une  grande  raison  de  vous  écrire,  c'est  pour 
avoir  une  réponse  qui  me  donne  de  vos  nouvelles.  » 

Les  occupations  de  conseiller  de  l'université  laissaient 
|  peu  de  loisirs  à  M.  Emery  et  l'exposaient  à  tous  les 
:  ennuis  qu'il  avait  prévus,  qu'il  aurait  voulu  détourner. 
Le  conseil  se  réunissait  plusieurs  fois  la  semaine,  et 
lorsque,  fatigué  de  ces  longues  séances,  M.  Emery  rega- 
gnait lentement  le  séminaire  pour  y  goûter  un  moment 
!  de  repos,  il  était  accablé  de  visites,  de  recommandations, 
j  de  sollicitations  de  la  part  des  candidats  aux  chaires 
vacantes  dans  les  collèges  de  l'université.  Sa  correspon- 
1  dance,  déjà  très  étendue,  prit  de  plus  grandes  propor- 
1  tions  :  après  avoir  satisfait  aux  réceptions  et  à  sa  corres- 
pondance, il  ne  trouvait  plus  les  loisirs  nécessaires  pour 
vaquer  à  ses  propres  travaux. 


238  M.  ÉMERY 

ce  Ma  tranquillité  et  mon  bonheur,  écrit  M.Émery, 
ne  gagneront  point  à  cette  place  de  conseiller.  Depuis  le 
moment  de  ma  nomination,  j'ai  été  accablé  de  visites 
de  personnes  qui  demandent  des  places  à  l'université, 
et,  quand  je  leur  dis  que  ces  places  ne  dépendent  pas 
de  moi ,  elles  se  rabattent  à  demander  des  lettres  de 
recommandation. . .  On  m'a  fait  un  devoir  d'accepter  cette 
place.  J'ai  baissé  la  tête  et  je  porte  le  joug,  car  nous 
tenons  déjà  des  conseils.  On  les  tient  deux  fois  la  se- 
maine ;  ces  conseils,  joints  à  celui  de  l'archevêché,  me 
prennent  trois  jours  de  la  semaine.  Tout  cela  n'est  en- 
core rien  auprès  des  visites ,  des  lettres ,  des  sollicita* 
tions  que  cela  m'attire.  Dieu  soit  loué!  je  ne  me  console 
que  par  l'espérance  d'être  de  quelque  utilité  pour  la  reli- 
gion et  pour  l'Église...  Hier,  je  ne  perdis  point  le  temps 
au  conseil  ;  je  fis  adopter  un  article  très  important  sur 
l'éducation  religieuse  dans  les  lycées.  On  est  convenu 
que  le  grand  maître  enverrait  à  tous  les  lycées  et  col- 
lèges un  plan  ou  ordre  d'exercices  religieux  à  suivre, 
dressé  sur  ce  qui  se  pratiquait  dans  les  collèges  de  l'uni- 
versité de  Paris.  Je  serai  encore  de  quelque  utilité  quand 
il  s'agira  d'organiser  la  faculté  de  théologie.  Après  cela, 
je  croirai  pouvoir  m'absenter  impunément  de  temps  en 
temps1.  » 

Dieu  le  récompensa  de  ses  sacrifices  en  lui  donnant 
une  grande  influence  sur  ses  savants  collègues  :  ils  ad- 
miraient son  esprit  conciliant,  sa  haute  intelligence,  sa 
courtoisie  aimable,  la  sagesse  profonde  de  ses  avis. 

VIII.  —  M.  Émery,  qui  avait  donné  tous  ses  soins  à  la 
réorganisation  de  l'enseignement  ecclésiastique  supérieur 
dans  les  facultés  de  théologie ,  ne  pouvait  pas  rester  in- 
différent à  l'œuvre  capitale  de  l'organisation  des  petits 


1  Lettres  aux  évêques  de  Vannes,  de  Mende  et  d'Àlais. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  239 

séminaires,  qui  sont  l'espérance  de  l'Eglise.  Ici  encore 
M.  Émery  se  trouvait  en  présence  de  Napoléon,  qui  avait 
sur  ce  point  des  idées  arrêtées.  Voici  les  ordres  que  l'em- 
pereur avait  donnés  au  grand  maître  de  l'université  : 

c(  Indépendamment  des  séminaires  métropolitains,  il 
y  aura  un  séminaire  par  diocèse.  Ces  séminaires  seront 
des  écoles  spéciales  de  théologie.  On  ne  pourra  y  admet- 
tre que  des  élèves  ayant  dans  la  faculté  des  lettres  les 
grades  qui  garantissent  que  les  personnes  qui  en  sont 
pourvues  savent  parfaitement  le  latin.  On  pourra  ad- 
mettre dans  les  séminaires  des  jeunes  gens  qui  n'auront 
pas  été  élevés  dans  l'université.  Cette  disposition  aurait 
pour  objet  de  faciliter  l'admission  des  neveux  des  curés. 

ce  Tout  évêque  ou  homme  charitable  qui  voudra  fonder 
des  bourses  dans  les  lycées  ou  dans  les  écoles  secondaires, 
pour  des  jeunes  gens  destinés  à  l'état  ecclésiastique,  en 
sera  le  maître.  On  pourra  même,  par  une  sorte  de  contrat 
1  avec  les  parents,  régler  une  espèce  de  remboursement 
\  dans  le  cas  où  l'élève  renoncerait  à  l'état  ecclésiastique  : 
I  ce  genre  de  convention  est  assez  commun  pour  les  jeunes 
[  gens  qui  entrent  en  apprentissage.  L'université  peut 
facilement  établir  son  autorité  sur  les  petits  séminaires 
1  actuellement  existants,  en  les  constituant  en  écoles  secon- 
I  daires.  Il  semble  qu'on  ne  devrait  pas  trouver  tant  de 
difficultés  dans  une  question  qui  présente  un  moyen  de 
solution  si  simple. 

«  En  effet,  si  les  prêtres  ne  veulent  de  petits  sémi- 
naires que  pour  les  jeunes  gens  qui  se  destinent  à 
l'Église ,  en  apprenant  les  humanités  ,  et  pour  qu'ils 
soient  élevés  dans  les  principes  religieux  avec  un  peu 
plus  de  sévérité,  ce  but  est  parfaitement  rempli  en  consti- 
tuant en  écoles  secondaires  les  petits  séminaires,  à  l'exis- 
tence desquels  le  principe  de  l'université  ne  s'oppose  pas. 
Mais  si  l'on  considère  l'université  comme  incompatible 
|  avec  les  idées  de  religion,  et  que  ce  soit  en  conséquence 


240  M.  ÉMERY 

qu'on  veuille  l'indépendance  des  petits  séminaires,  c'est 
déceler  des  vues  qu'il  faut  bien  se  garder  de  favoriser. 

ce  En  constituant  les  petits  séminaires  en  écoles  secon- 
daires, on  ne  change  rien  à  leur  existence  réelle,  et  ceux 
qui  veulent  qu'ils  existent  doivent  être  satisfaits.  On 
satisfait  également  ceux  qui  croient  l'existence  indépen- 
dante des  petits  séminaires  contraire  aux  principes  de 
l'organisation  de  l'université.  Le  règlement  doit  être 
rédigé  de  manière  à  ne  pas  donner  l'idée  d'une  précau- 
tion contre  le  clergé.  Il  faut  au  contraire  lui  donner  une 
couleur  de  protection,  et  rendre  très  apparente  l'intention 
où  l'on  est  réellement  de  faire  ce  qui  convient  pour  apu- 
rer au  culte  un  nombre  suffisant  de  ministres  des  autels. 

((  Tous  les  évêques  qui  voudront  conserver  les  établis- 
sements fondés  par  eux  sous  le  nom  de  séminaires, 
s'adresseront  au  grand  maître  pour  obtenir  l'autorisation. 
Je  dirai  à  mon  ministre  des  cultes  de  ne  me  présenter 
personne  pour  être  curé  sans  qu'il  ait  le  grade  de  bache- 
lier. Un  séminaire  est  une  école  de  théologie.  On  n'y 
entre  qu'autant  qu'on  est  bachelier  en  belles-lettres.  Les 
petits  séminaires  seront  écoles  secondaires.  Je  n'empêche 
pas  les  évêques  d'établir  ces  écoles  C'est  une  bonne 
garantie  que  celle  des  évêques  ;  je  les  laisse  administrer, 
mais  je  veux  que  le  directeur  et  les  professeurs  soient 
dans  l'université,  et  qu'ils  aient  prêté  serment.  Si  les 
évêques  ne  veulent  qu'envahir,  ils  seront  déjoués  ;  s'ils 
veulent  seulement  favoriser  l'instruction,  ils  seront  satis- 
faits. Les  instituteurs  suivront  la  direction  de  T univer- 
sité, feront  cause  commune;  le  grand  maître  pourra 
surveiller1.  )) 

IX.  —  Le  grand  maître  de  l'université,  s'inspirant 
des  ordres  qu'il  venait  de  recevoir  de  l'empereur,  envoya 
aux  évêques  de  France  des  instructions  qui  mettaient  en 

1  Papiers  de  M.  Rendu. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  241 

péril  le  recrutement  et  la  formation  des  clercs  dans  les 
petits  séminaires. 

Alarmé,  M.  Emery  s'empressa  d'envoyer  des  obser- 
vations au  grand  maître  de  l'université.  Il  lui  adressa  la 
lettre  suivante  : 

«  J'ai  sous  les  yeux  la  lettre  que  vous  avez  jugé  à 
propos  d'écrire  aux  évéques  sur  les  séminaires,  et  voici 
ce  que  je  lis  sur  la  fin  :  «  A  l'égard  des  petits  séminaires, 
t  la  loi  ne  reconnaît  aucune  école  théologique  (j'imagine 
«  que  vous  avez  voulu  dire  ecclésiastique),  et  ces  éta- 
c  blissements  ne  peuvent  différer  aux  yeux  de  l'université 
«  de  tout  autre  établissement  d'instruction  publique.  » 

«  Sur  quoi  j'ai  l'honneur  de  vous  faire  les  observa- 
tions suivantes  :  les  séminaires  sont  des  maisons  où  se 
forment  à  la  science  et  à  la  piété,  sous  l'autorité  des 
évéques,  les  jeunes  gens  qui  se  destinent  à  l'état  ecclé- 
siastique. Un  évêque  peut,  avec  raison,  juger  conve- 
nable de  réunir  dans  une  ou  plusieurs  maisons  ceux  de 
ces  jeunes  gens  qui  sont  moins  âgés  et  qui  étudient  les 
humanités,  et  de  réunir  dans  une  autre  ceux  qui  sont 
plus  âgés  ,  qui  se  disposent  plus  prochainement  à  la 
réception  des  saints  ordres,  et  qui  s'occupent  de  l'étude 
de  la  théologie.  Ces  différentes  maisons,  d'après  la  défi- 
nition donnée ,  sont  des  séminaires  proprement  dits ,  et 
celles  où  l'on  enseigne  seulement  les  humanités  aussi 
bien  que  celles  où  l'on  enseigne  seulement  la  théologie. 

«  Le  saint  concile  de  Trente,  qui  a  institué  les  sémi- 
naires, a  supposé  qu'on  y  enseignerait  les  humanités  à 
ceux  des  jeunes  gens  qui  les  ignorent ,  en  même  temps 
qu'on  les  formerait  à  la  piété  et  à  l'esprit  ecclésiastique. 
L'usage  veut  qu'on  appelle  petits  séminaires  les  maisons 
où  les  plus  jeunes  élèves  du  sanctuaire  apprennent  les 
humanités,  et  grands  séminaires  celles  où  l'on  enseigne 
à  ceux  qui  sont  plus  avancés  en  âge  les  hautes  sciences 
ecclésiastiques.  Mais,  encore  une  fois,  les  unes  et  les 

7* 


242  M.  ÉMERY 

autres  sont  des  séminaires  proprement  dits ,  et  par  con- 
séquent, puisque  les  séminaires  sont  mis  par  la  loi  sous 
la  surveillance  immédiate  des  évèques,  les  maisons  qu'on 
appelle  petits  séminaires  sont  sous  cette  surveillance. 
Aussi  les  supérieurs  de  ces  maisons  ne  sont  pas  assu- 
jettis à  faire  la  déclaration  prescrite  par  l'article  13  du 
17  septembre. 

((  Vous  dites,  Monsieur,  dans  la  lettre  aux  évèques, 
que  la  loi  ne  reconnaît  aucune  école  théologique  sous  la 
dénomination  de  petits  séminaires  ;  je  désirerais  bien 
que  vous  voulussiez  vous  faire  représenter  le  volume  de 
la  collection  des  procès-verbaux  des  assemblées  du  clergé 
où  se  trouve  le  procès-verbal  de  l'assemblée  de  1786. 
Lisez,  page  1100,  si  vos  occupations  vous  le  permettent, 
un  rapport  très  intéressant  sur  les  petits  séminaires,  et 
vous  vous  convaincrez  que  les  lois  civiles  aussi  bien  que 
les  lois  ecclésiastiques  reconnaissent  et  ont  reconnu,  de 
tout  temps,  les  petits  séminaires  sous  le  nom  d'écoles 
chrétiennes  ecclésiastiques. 

«  Les  petits  séminaires,  dit  le  rapporteur,  page  1105, 
ont  été  de  tout  temps  l'objet  des  vœux  communs  de  la 
puissance  ecclésiastique  et  de  la  puissance  séculière  ;  nous 
pourrions  ici  remettre  sous  vos  yeux  une  longue  suite  de 
conciles,  d'édits  et  d'ordonnances  de  nos  rois.  Ces  monu- 
ments respectables  formeraient  une  chaîne  qui  prend  son 
origine  dans  les  premiers  temps  de  notre  monarchie. 

«  Le  rapporteur  observe,  à  la  page  1107,  que  Louis  XIV, 
dans  des  lettres  patentes  données  l'an  1650,  attribue  le 
malheur  des  temps  et  les  ravages  de  l'hérésie  à  l'inobser- 
vation des  décrets  des  conciles  et  des  ordonnances  des  rois 
ses  devanciers  sur  l'établissement  d'écoles  chrétiennes 
pour  l'instruction  des  jeunes  élèves.  ((  Nous  désirons, 
«  dit  ce  prince ,  à  l'exemple  des  rois  nos  prédéces- 
«  seurs,  exciter  les  évèques  à  de  si  louables  entreprises.  » 
Ce  vœu  si  souvent  énoncé  dans  diverses  lettres  patentes 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  243 
particulières,  Louis  XIV  crut  devoir  l'exprimer  avec  plus 
de  solennité  et  lui  donner  une  efficacité  plus  générale 
par  sa  déclaration  du  13  octobre  1698.  «  Rien  n'étant 
«  plus  important  pour  le  bien  de  la  religion ,  dit 
«  Louis  XIV,  que  d'avoir  des  ecclésiastiques  capables  par 
«  leurs  mœurs  et  doctrine  de  remplir  les  saintes  fonc- 
ée tions  auxquelles  ils  sont  destinés,...  nous  exhortons 
«  et  enjoignons  aux  archevêques  et  évêques  d'établir, 
«  dans  les  diocèses  où  il  y  a  des  séminaires  pour  les  clercs 
«  plus  âgés,  des  maisons  particulières  pour  l'éducation 
«  des  jeunes  clercs  pauvres,  depuis  l'âge  de  douze  ans, 
m  qui  paraîtront  avoir  de  bonnes  dispositions  pour  l'état 
«  ecclésiastique,  et  de  pourvoir  à  la  subsistance  des  uns 
«  et  des  autres  par  union  des  bénéfices.  » 

((  Il  est  aisé  de  voir,  conclut  le  rapporteur,  que  ces 
écoles  chrétiennes  pour  les  jeunes  enfants  destinés  au 
ministère  des  autels  dont  l'établissement  est  ordonné 
d'âge  en  âge  par  un  si  grand  nombre  de  conciles,  de 
capitulaires ,  édits  et  ordonnances  de  nos  rois,  sont  en 
tout  conformes  aux  petits  séminaires  qui  existent  déjà 
dans  quelques  diocèses. 

((  La  conséquence  ultérieure  des  observations  précé- 
dentes est  que  la  loi  a  reconnu  de  tout  temps  les  écoles 
ifcclésiastiques  que  nous  appelons  petits  séminaires;  et 
les  écoles  formées  et  conduites  sous  l'autorité  des  évoques 
étant  des  séminaires  suivant  l'acception  rigoureuse  des 
termes,  elles  doivent  être  sous  la  surveillance  immédiate 
des  évoques,  d'après  la  disposition  de  la  dernière  loi. 

«  Nous  arriverions  au  même  résultat  en  suivant  la 
notion  que  M.  le  ministre  des  cultes  s'est  formée  des 
grands  et  petits  séminaires  :  il  les  regarde  comme  ne 
formant  tous  qu'un  seul  séminaire  ou  un  seul  corps; 
mais  les  élèves,  à  raison  de  leur  multitude  et  de  la  diver- 
sité de  leurs  études,  sont  distribués  en  différentes  mai- 
sons. Les  petits  séminaires  ne  sciaient  donc  que  des 


244  M.  ÉMERY 

sections  du  séminaire  du  diocèse  et  en  auraient  donc 
toutes  les  prérogatives. 

((  Quelques  évêques  proposaient  d'avoir  avec  vous  et 
avec  le  ministre  des  cultes  une  conférence  pour  le  redres- 
sement du  grief  dont  ils  se  plaignent,  en  rendant  en 
même  temps  une  pleine  justice  à  vos  excellentes  dispo- 
sitions pour  le  clergé.  Puisque  vous  m'avez  ordonné, 
Monsieur,  de  vous  dire  ce  que  je  pense  sur  cette  affaire, 
je  vais  le  faire  avec  liberté. 

«  Je  pense  donc,  sur  plusieurs  raisons  que  j'aurai 
l'honneur  de  vous  déduire  une  autre  fois,  qu'il  est 
beaucoup  plus  expédient  que  vous  terminiez  cette  affaire 
vous  seul;  et  j'oserais  vous  proposer  d'écrire  une  lettre 
circulaire  aux  évêques,  où  vous  leur  diriez  qu'il  vous 
a  été  fait  quelques  observations  sur  les  dispositions  con- 
tenues dans  votre  dernière  lettre  relativement  aux  petits 
séminaires,  que  vous  aviez  jugé  à  propos  d'en  conférer 
avec  les  évêques  qui  sont  à  Paris,  et  que,  d'après  les 
éclaircissements  qui  vous  ont  été  donnés  sur  la  fin  et  la 
composition  de  ces  maisons,  vous  pensez  que  toute  mai- 
son où  l'on  élève  des  jeunes  gens  pour  l'état  ecclésias- 
tique, —  si  l'évêque  du  diocèse  déclare  qu'il  regarde  cette 
maison  et  qu'il  l'autorise  comme  petit  séminaire,  s'il 
témoigne  en  même  temps  que  son  intention  est  qu'on 
n'y  reçoive  et  qu'il  veillera  pour  qu'il  n'y  soit  reçu  en 
effet  que  des  jeunes  gens  qui  se  destinent  à  l'état  ecclé- 
siastique, conformément  aux  dispositions  du  concile  de 
Trente,  sess.  23,  ch.  xvm;  —  vous  pensez,  dis-je,  que 
cette  maison  doit  être  réputée  séminaire,  et  que,  par 
conséquent,  ceux  qui  la  dirigent  ne  sont  point  assujettis 
à  faire  la  déclaration  prescrite  par  l'article  13  du  17  sep- 
tembre. Il  serait  bon  de  prévenir  en  même  temps  les 
évêques  que  vous  donnerez  en  conséquence  des  ins- 
tructions aux  inspecteurs  généraux  envoyés  dans  leurs 
diocèses. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  245 

«  J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  profond  respect  et  un 
bien  sincère  dévouement,  Monsieur,  votre  très  humble 
et  très  obéissant  serviteur. 

«  Émery. 

«  12  février.  » 

Le  cardinal  Fesch  s'était  chargé  de  présenter  lui-même 
à  l'empereur  les  sages  observations  de  M.  Emery,  et  de 
lui  faire  connaître  les  craintes  de  l'épiscopat  touchant  la 
nouvelle  loi  sur  l'organisation  des  petits  séminaires. 
L'empereur  l'écouta  avec  bienveillance  et  se  rendit  a 
ses  raisons.  M.  Émery  écrivit  aussitôt  une  nouvelle  lettre 
au  grand  maître  de  l'université  : 

«  Depuis  ma  lettre  écrite,  j'ai  vu  quelqu'un  qui  m'a 
dit  que  M.  le  cardinal  avait  parlé  des  petits  séminaires 
à  l'empereur,  et  que  l'empereur  avait  été  de  son  avis. 

.((  Une  autre  personne  est  venue  qui  m'a  dit  qu'il  y 
avait  une  contérenee  assignée  pour  une  heure  lundi,  et 
que  M.  le  cardinal  ainsi  que  M.  le  ministre  des  cultes 
voulaient  que  je  m'y  trouvasse.  C'est  M.  l'évèque  de 
Quimper  qui  vient  de  me  le  dire.  Je  suis  très  fâché  de 
cette  conférence,  qui  n'était  point  du  tout  nécessaire;  car 
je  suis  très  assuré  que,  de  votre  propre  mouvement  et 
sans  sollicitation ,  vous  auriez  fait  droit  à  la  demande 
des  évèques. 

«  Puisque  vous  me  donnez  la  liberté  de  vous  dire  ce 
que  je  pense,  je  dirai  encore  que  mon  avis  est  que  vous 
proposiez  vous-même  d'écrire  sur-le-champ  et  d'inter- 
préter votre  lettre  sans  que  le  ministre  des  cultes  s'en 
mêle  :  aous  pourriez  dire  encore  que  vous  écrirez  aux 
inspecteurs  généraux  de  ne  point  comprendre  dans  leurs 
attributions  les  maisons  que  les  évèques  déclarent  être 
leurs  petits  séminaires. 

«  J';ii  l'honneur  de  vous  prévenir  que  j'ai  envoyé  à 
M.  le  cardinal  Fesch  copie  de  la  lettre  que  j'ai  l'honneur 


246  M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE 

de  vous  écrire  en  même  temps  que  je  lui  ai  envoyé  la 
lettre  que  vous  avez  écrite  aux  évêques,  et  que  je  lui 
avais  demandé  parce  que  j'avais  besoin,  avant  de  vous 
écrire,  d'en  connaître  le  contenu  précis.  Je  l'ai  relue" 
avant  de  la  renvoyer,  et,  à  l'exception  de  l'article  en 
question,  je  la  trouve  pleine  d'égards  et  de  ménagements 
pour  les  évêques 1 .  » 

C'est  avec  ce  zèle  infatigable  que  M.  Émery  défendait 
pied  à  pied  les  intérêts  de  l'Église  et  qu'il  s'occupait  de 
la  réorganisation  de  l'enseignement  dans  les  facultés,  les 
collèges  et  les  séminaires.  Entouré  de  savants  que  l'igno- 
rance religieuse  ou  une  défiance  excessive  éloignaient  de 
l'Église  et  exposaient  trop  souvent  à  prendre  des  me- 
sures préjudiciables  pour  la  religion,  il  réussit  à  se  faire 
écouter,  à  conquérir  l'estime  et  le  respect  de  ses  collègues, 
dans  le  conseil  de  l'université,  à  faire  adopter  ses  projets. 
On  aimait  à  voir  en  lui  le  prêtre  intelligent  et  tolérant 
qui  triomphe,  sans  oublier  jamais  de  ménager  l'amour- 
propre  de  ses  contradicteurs. 

Il  défendit  les  droits  et  prérogatives  des  facultés  de 
théologie  ;  il  fit  accepter  son  projet  d'organisation  de 
l'enseignement  religieux  dans  les  lycées,  il  vengea  les 
frères  des  Écoles  chrétiennes  et  leur  constitution,  dénon- 
cée comme  contraire  aux  droits  de  l'État  et  trop  favo- 
rable aux  prérogatives  du  saint -siège;  et  il  contribua 
d'une  manière  efficace  à  faire  nommer  aux  emplois  su- 
périeurs de  l'enseignement  universitaire  des  hommes 
modérés. 

Là,  aussi  bien  qu'au  séminaire,  à  la  cour  et  dans  le 
conseil  de  l'archevêché ,  il  ne  cesse  jamais  d'être  un 
prêtre  intérieur  et  modeste  ;  il  cherche  Dieu  à  travers  les 
choses  humaines,  et  il  met  au-dessus  de  tout  le  salut 
des  âmes,  la  gloire  de  Dieu. 

1  Papiers  communiqués  par  M.  E.  Rendu. 


CHAPITRE  XI 


ADMINISTRATION   DU   DIOCÈSE  DE  PARIS 

L  —  M.  de  Belloy,  évêque  de  Marseille,  devenu  par 
l'influence  intéressée  de  Bernier  archevêque  de  Paris, 
avait  connu  M.  Émery  pendant  les  mauvais  jours  de  la 
révolution.  11  estimait  sa  modération,  sa  droiture,  la 
sagesse  de  ses  décisions,  son  zèle  prudent  et  terme;  il 
l'avait  encouragé  plusieurs  fois,  avec  une  grande  affec- 
tion, à  persévérer  dans  sa  voie,  à  l'époque  où  les  ser- 
ments exigés  par  le  gouvernement  semaient  la  division 
dans  les  rangs  du  clergé. 

En  prenant  possession  du  siège  de  Paris  cà  un  âge 
très  avancé,  le  cardinal  de  Belloy  se  sentait  encore  assez 
d'énergie  pour  remplir,  sans  le  secours  d'un  coadjuteur, 
les  devoirs  de  la  charge  épiscopale.  Il  appela  auprès  de 
lui  M.  Émery,  lui  donna  des  lettres  de  grand  vicaire,  et 

I  le  plaça,  par  la  confiance  qu'il  ne  cessa  jamais  de  lui 
témoigner,  au  premier  rang  de  son  conseil. 

Le  nouveau  conseil  se  trouvait  en  présence  d'une 
situation  remplie  de  difficultés;  il  fallait  du  tact  pour 
apprécier  les  besoins  des  âmes  et  les  concessions  que 

I  Ton  pouvait  leur  faire  sans  compromettre  la  dignité  de 

|  l'Église.  M.  Émery  fut  l'âme  du  conseil  dans  ces  con- 
jonctures pénibles;  il  mit  au  service  de  son  archevêque 
sa  prudence  et  les  connaissances  très  étendues  qu'il 
avait  acquises  dans  l'étude  approfondie  de  l'histoire 

;  ecclésiastique,  des  canonistès  et  de  la  théologie. 


248  M.  ÉMERY 

On  avait  sous  les  yeux  une  Église  bouleversée  par  la 
révolution  la  plus  profonde  dont  l'histoire  ait  conservé 
le  souvenir.  Des  évèques  avaient  usurpé  les  fonctions 
épiscopales,  des  prêtres  s'étaient  mariés;  des  religieux, 
dans  le  fol  entraînement  qui  précipitait  la  France  à  sa 
ruine,  avaient  commis,  avec  le  bruyant  éclat  d'un  scan- 
dale, le  crime  d'apostasie;  des  religieuses  avaient  con- 
tracté des  mariages  sacrilèges,  des  femmes  mariées 
n'avaient  pas  attendu  le  décès  de  leur  époux  légitime 
pour  contracter  un  nouveau  mariage ,  des  fidèles  avaient 
encouru  volontairement  et  sans  remords  la  peine  de 
l'excommunication;  il  fallait  porter  remède  à  ces  maux, 
régulariser  des  situations  fausses,  compromises,  et  cher- 
cher avant  tout  à  sauver  les  âmes. 

II.  —  M.  Emery  rédigea  une  savante  dissertation  his- 
torique et  théologique  sur  la  conduite  tenue  par  l'Eglise 
aux  siècles  passés,  dans  des  circonstances  analogues;  il 
en  dégagea  les  principes  qui  devaient  guider  le  clergé 
à  travers  les  difficultés  de  la  situation  présente.  Il  exa- 
mina les  brefs  pontificaux,  les  faits  historiques,  les  déci- 
sions des  conciles  pendant  les  premiers  siècles  de  l'Eglise 
et  aux  époques  lamentables  de  relâchement  dans  la  dis- 
cipline et  la  morale;  il  en  fit  sortir  des  enseignements 
précis  sur  la  conduite  à  tenir  à  l'égard  des  personnes 
mariées  sans  témoins  et  sans  bénédiction  du  prêtre ,  des 
apostats ,  des  sacrilèges,  des  divorcés ,  disposés  à  obtenir 
de  l'autorité  légitime  leur  réconciliation  avec  Dieu. 

Cette  savante  dissertation  de  M.  Emery,  remarquable 
par  l'érudition  ecclésiastique  et  la  richesse  des  docu- 
ments, frappa  le  conseil  archiépiscopal  ;  elle  faisait  péné- 
trer la  lumière  dans  une  situation  pleine  de  ténèbres, 
elle  permettait  aux  prêtres  chargés  de  la  direction  des 
âmes  de  s'orienter,  de  trouver  leur  voie. 

Déjà  sous  l'épiscopat  de  M.  de  Juigné,  avant  que  le 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  249 
Concordat  eût  réglé  d'une  manière  définitive  les  nou- 
veaux rappports  de  l'Église  et  de  l'État,  M.  Émery  avait 
tracé  avec  une  rare  sagesse  les  règles  à  suivre  dans  les 
conjonctures  laborieuses  où  se  trouvait  l'Eglise,  et  rien 
ne  fait  connaître  mieux  que  ces  règles  le  triste  état  des 
âmes  au  lendemain  de  la  révolution. 

«  Tous  les  prêtres  qui  ont  encouru  le  schisme  en 
communiquant  in  sacris  avec  les  intrus  et  les  jureurs, 
écrit  M.  Émery,  quoique  n'ayant  pas  fait  eux-mêmes 
le  serment,  seront  obligés  de  rétracter  leur  faiblesse  et 
leur  erreur  en  présence  de  deux  témoins  au  moins;  alors 
ils  seront  réconciliés  et  admis  à  dire  la  messe.  Pour  évi- 
ter tout  scandale  aux  fidèles,  ils  ne  devront  exercer  leur 
ministère  qu'après  une  rétractation  notoire. 

«  Les  jureurs  qui  n'ont  pas  communiqué  avec  Pévêque 
intrus  en  publiant  leurs  lettres  pastorales  ou  en  se  ser- 
vant des  dispenses  accordées  par  eux,  et  qui  n'auront 
pas  exercé  des  pouvoirs  hors  des  limites  de  leur  juridic- 
tion, seront  obligés  de  se  rétracter  devant  plusieurs 
témoins.  Suivant  l'avis  de  plusieurs,  ils  ne  doivent  pas 
être  tenus  à  signer  de  registres  ;  mais  je  pense  avec  beau- 
coup d'autres  qu'il  est  plus  convenable  qu'ils  signent 
sur  un  registre,  en  tète  duquel  sera  inscrite  une  formule 
de  rétractation  du  serment  civique  l.  Ils  seront  remis 
dans  leurs  fonctions  après  avoir  donné  une  entière  publi- 
cité à  leur  rétractation  et  après  un  mois  d'épreuve.  Si 
néanmoins  ,  avant  cette  dernière  épreuve,  ils  avaient 
donné  des  marques  de  repentir,  et  s'ils  étaient  instam- 
ment réclamés  de  leur  commune,  on  pourrait  les  en 
dispenser,  surtout  si  la  commune  est  privée  de  secours 
religieux.  Dans  ce  cas,  le  scandale  n'est  pas  à  craindre. 

1  «  Ego  infrascriptus  ejuro  sermentum  civicum  quod  praestiti, 
anno  17t>l.  quoad  spiritualia  et  regimen  Ecclesiae,  illosque  errores 
qui  civili  constilutione  continentur,  et  jurejurando  promitto  me 
Sedi  apost.  et  episc.  obtemperaturuin.  » 


250  M.  ÉMERY 

((  Ceux  qui,  après  avoir  fait  le  serment,  auront  encore 
communiqué  avec  l'évêque  intrus,  en  publiant  les  lettres 
pastorales  et  en  se  servant  de  leurs  dispenses,  seront 
tenus  de  se  rétracter  et  de  signer  devant  plusieurs  té- 
moins le  registre  où  sera  inscrite  la  formule  de  rétrac- 
tation *. 

«  Après  avoir  été  réconciliés  par  ceux  à  qui  nous  en 
donnons  le  pouvoir,  ils  seront  réintégrés  dans  leurs 
fonctions;  mais  ils  ne  les  exerceront  qu'après  avoir 
donné  à  leurs  paroissiens  une  ample  connaissance  de 
leur  rétractation. 

ce  Ils  seront  tenus,  pendant  six  mois,  à  prévenir  de 
leur  faiblesse  et  de  leur  rétractation  ceux  qui  s'adresse- 
ront à  eux  pour  la  confession.  On  doit  leur  conseiller 
de  changer  de  résidence.  Ils  resteront  un  mois  à  la 
communion  laïque.  On  pourra  abréger  ce  temps,  si 
toute  crainte  de  scandale  cesse  par  l'empressement  des 
paroissiens  à  les  demander,  et  par  des  besoins  urgents. 

((  Les  intrus  et  ceux  qui  ont  été  ordonnés  par  eux  ,  s'ils 
se  repentent,  signeront  aussi  une  rétractation.  Après 
avoir  suivi  les  règles  canoniques ,  nous  pouvons  les 
absoudre  et  les  employer  dans  le  ministère.  Le  bref  du 
pape  nous  en  donne  le  pouvoir,  mais  je  ne  pense  pas 
qu'on  puisse'leur  donner  des  pouvoirs  dans  la  paroisse 
qu'ils  ont  occupée.  Ceux  qui  travaillent  dans  le  ministère 
peuvent  seuls  connaître  les  dangers  de  leur  séjour  dans 
le  même  endroit. 

((  Il  convient,  d'après  l'opinion  de  beaucoup  d'admi- 
nistrations, de  laisser  à  la  communion  laïque  les  intrus 
pendant  six  mois,  et  pendant  ce  temps  ils  seront  tenus 

1  «  ...  Declaroque  speciatim  sacrilegas  esse  ordinationes  ab 
intrusis,  sive  peractas,  sive  receptas,  irritam  esse  collatam  ab  eis 
auctoritalem,  injustamque  et  nullam  esse  intrusionem  una  cum 
aetibus  inde  consecutis  :  denique  parochiam  vel  parochiœ  partem 
quam  injuste  occupavi,  reapse  abdico.  » 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  251 

d'assister,  trois  fois  la  semaine,  aux  conférences  qui 
leur  seront  faites  par  des  personnes  désignées  par  nous. 
Ils  s'instruiront  et  se  formeront  à  l'esprit  de  leur  état. 
Après  ce  temps  d'épreuve,  on  leur  donnera  de  l'emploi 
dans  les  endroits  les  plus  éloignés  de  l'endroit  où  ils 
ont  donné  sujet  de  scandale. 

ce  Ceux  qui  auront  été  ordonnés  par  les  intrus  avant 
l'âge  requis  et  hors  des  époques  fixées  subiront  les 
épreuves  suivantes  :  ceux  qui  étaient  déjà  dans  les  ordres 
sacrés  resteront  à  la  communion  laïque  jusqu'à  ce  qu'ils 
aient  rempli  les  mois  d'interstices  entre  chaque  ordre  ; 
ceux  qui  n'auraient  reçu  aucun  ordre  avant  leur  intru- 
sion seront  examinés  pour  savoir  quelle  espérance  on 
peut  avoir  dans  leurs  lumières  et  leurs  dispositions. 
Ensuite  ils  observeront,  au  prorata ,  les  mêmes  inters- 
tices. 

«  Cette  dernière  classe  paraîtra  d'abord  traitée  avec 
rigueur;  mais  on  sait  positivement  que  plusieurs,  et 
même  le  grand  nombre,  savent  à  peine  lire,  n'ont 
aucun  principe  du  latin,  que  d'autres  étaient  mariés 
et,  en  général,  qu'ils  étaient  des  sujets  entièrement 
taré*. 

«  Quelques  administrateurs  reçoivent  des  lettres  de 
leurs  coopérateurs ,  qui  annoncent  qu'une  conduite  plus 
indulgente  ferait  beaucoup  de  mal.  Ces  administrateurs 
n'avaient  pas  manqué  cependant  d'exhorter  à  la  clémence, 
et  avaient  rapporté  dans  ce  dessein  les  exemples  et  les 
conseils  de  miséricorde  qu'ils  avaient  extraits  de  l'Écri- 
ture sainte,  des  saints  Pères,  des  conciles,  et  princi- 
palement du  concile  de  Florence.  On  a  fait  observer, 
il  est  vrai ,  que  les  Pères  de  ce  dernier  concile  étaient 
chargés  de  réunir  à  l'Eglise  romaine  des  personnes  nées 
et  entretenues  dans  le  schisme  depuis  bien  des  années. 

oc  Entre  les  prêtres  qui  ont  affligé  l'Eglise  par  de 
scandaleux  mariages,  les  uns  sont  plus  coupables  parce 


252  M.  ÉMERY 

qu'ils  ont  choisi  des  veuves,  des  femmes  divorcées,  des 
religieuses,  des  filles  de  mauvaise  vie.  Ils  ont  ainsi  ajouté 
le  crime  au  crime.  Les  autres  ont  épousé  des  personnes 
libres.  Ils  sont  tous  très  criminels.  Nous  ne  pouvons  leur 
rien  dire  sinon  qu'ils  se  séparent,  qu'ils  réparent  leur 
scandale  par  une  sincère  pénitence,  et  qu'ils  attendent 
avec  soumission  le  jugement  de  l'Eglise. 

«  Nous  distinguons  en  quatre  classes  les  malheureux 
qui  ont  renoncé  à  leurs  lettres  d'ordination.  l°Ceux  qui, 
en  les  remettant,  ont  déclaré  publiquement  par  des  dis- 
cours impies  qu'ils  abdiquaient  un  état  qu'ils  n'avaient 
exercé  que  pour  tromper  le  peuple,  par  hypocrisie  et  par 
ambition  ;  vrais  apostats,  il  faut  les  exhorter  à  la  péni- 
tence pour  réparer  l'abominable  scandale  qu'ils  ont 
donné  ;  ils  attendront  le  jugement  de  l'Église.  2°  Ceux 
qui,  sans  discours  préliminaire,  ont  rendu  leurs  lettres 
d'ordination  et  ont  signé  un  registre  où  était  énoncée 
la  déclaration  qu'ils  renonçaient  à  leur  état  et  qu'ils  se 
dépr élisaient  ;  dans  plusieurs  départements  cela  a  été 
ainsi  pratiqué.  Leur  position,  moins  grave  que  celle  des 
premiers,  les  soumet  aux  mêmes  peines.  Le  temps  de 
leur  pénitence  sera  plus  court.  3°  Ceux  qui,  victimes 
de  la  peur  ou  gagnés  par  un  sordide  intérêt,  sans  péro- 
rer, sans  signer  de  registre ,  ont  remis  leurs  lettres  et 
renoncé  à  leurs  fonctions,  seront  réintégrés  dans  leur 
état  primitif  après  quelques  mois  de  pénitence  et 
quand  ils  auront  fait  cesser  le  péril  de  scandale,  par  un 
aveu  notoire  de  leur  faiblesse  et  de  leur  repentir. 

((  Ceux  qui,  sans  discours,  sans  signature,  mais  égarés 
par  la  crainte  du  danger,  ont  remis  leurs  lettres,  en 
protestant  qu'ils  n'entendaient  pas  renoncer  à  leur  état, 
il  faut  les  plaindre  de  n'avoir  pas  eu  le  courage  de  con- 
quérir les  palmes  des  martyrs  et  les  réintégrer  dans  leurs 
fonctions.  Ils  seront  certainement  pleins  de  zèle  pour 
mériter  et  gagner  la  confiance  des  fidèles. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  253 

«  Un  grand  nombre  de  personnes  ont  divorcé;  les 
unes  par  inconduite,  avec  la  volonté  de  rompre  leurs 
liens  et  d'en  contracter  de  nouveaux  :  elles  sont  jugées. 
Plusieurs  femmes,  trompées  par  la  frayeur  et  dans  le 
désir  de  conserver  leurs  biens  temporels ,  ont  signé  un 
acte  civil  de  divorce,  en  sachant  bien  qu'elles  ne  pou- 
vaient pas  rompre  leurs  liens,  et  sans  la  volonté  inté- 
rieure de  contracter  un  nouveau  mariage  :  les  unes 
autorisées  par  des  personnes  graves,  les  autres  sans 
avoir  pris  conseil.  Il  faut  les  réconcilier  et  les  admettre 
à  la  communion,  après  leur  avoir  fait  sentir  toute  l'hor- 
reur de  l'Eglise  à  l'égard  de  tout  ce  qui  peut  porter 
atteinte  à  la  sainteté  du  mariage.  Mais  il  faut  aussi  leur 
faire  signer  une  déclaration,  en  présence  de  plusieurs 
témoins1. 

((  Ceux  qui  par  des  vœux  solennels  se  sont  consacrés 
j  à  l'état  religieux  ont  contracté  deux  engagements ,  l'un 
envers  la  religion,  l'autre  envers  la  société.  En  les  déga- 
geant du  dernier  engagement  fondé  sur  les  lois  civiles, 
en  les  déclarant  habiles  à  succéder,  et  en  diminuant 
dans  cette  éventualité  leurs  revenus  et  leur  traitement, 
on  doit  les  autoriser  à  prendre  ce  qui  leur  est  nécessaire 
pour  vivre  et  se  couvrir,  avec  le  consentement  de  leurs 
j  supérieurs,  qui  leur  rappelleront  leur  vœu  de  pauvreté. 
I  Ne  pouvant  rien  avoir* en  propre,  ils  donneront  le  sur- 
plus à  leur  famille,  qui  a  fait  les  frais  de  leur  éducation 
et  de  leur  entrée  en  religion. 

«  Tous  ceux  qui  ont  contracté  mariage  à  la  munici- 
palité sans  recevoir,  avant  ou  après ,  la  bénédiction 

1  Voici  le  modèle  de  déclaration  :  «  Je  soussigné  déclare  que, 
quoique  j'aie  signé  un  acte  civil  de  divorce,  je  n'ai  jamais  pensé 
que  mon  mariage  pùt  être  dissous  par  cet  acte.  Je  n'ai  pas  eu 
I  l'intention  d'en  contracter  un  autre  pendant  la  vie  de  mon  épouse. 
Si  ma  conduite  a  pu  causer  quelque  scandale  dans  l'Église  catho- 
jlique,  apostolique  et  romaine,  dans  laquelle  je  veux  vivre  et 
,  mourir,  j'en  demande  humblement  pardon.  • 

II  8 


254  M.  ÉMERY 

nuptiale  ,  doivent  s'empresser  de  se  présenter  à  l'église, 
pour  y  renouveler  leur  promesse  et  recevoir  la  bénédic- 
tion en  présence  de  quatre  témoins.  Si  cependant  ils 
répugnent  trop  à  le  faire  dans  l'église ,  on  peut  le  faire 
dans  la  sacristie,  et  même  dans  une  chambre.  On  sup- 
pose qu'il  existe  des  raisons  pour  éviter  la  trop  grande 
publicité.  Mais  il  faut,  dans  tous  les  cas,  quatre  témoins. 
On  doit  tenir  la  même  conduite  à  l'égard  des  bénis  par 
les  intrus,  après  les  avoir  absous  du  schisme  qu'ils 
peuvent  avoir  encouru. 

((  Plusieurs  de  ceux  qui  ont  contracté  mariage  à  la 
municipalité  sans  être  bénis,  ni  avant  ni  après,  sont 
persuadés  qu'ils  peuvent  divorcer  et  contracter  de  nou- 
veaux liens.  Aucun  ministre  ne  peut  bénir  ces  nouveaux 
mariages.  )) 

III.  —  Telles  étaient  les  sages  prescriptions  dictées 
par  M.  Émery;  elles  ne  révèlent  pas  seulement  la  pru- 
dence du  vicaire  général  de  Paris,  elles  forment  une 
page  éloquente  d'histoire  ecclésiastique ,  elles  nous  font 
connaître  avec  une  simplicité  douloureuse  et  poignante 
l'état  lamentable  de  l'Église  de  France.  A  la  fin  de  la 
révolution  et  dans  les  premiers  jours  de  l'empire,  la 
famille,  le  clergé,  la  société  tout  entière,  avaient  été  pro- 
fondément bouleversés.  Quelques  années  avaient  donc 
suffi  pour  faire  ces  ravages ,  creuser  ces  abîmes ,  où  le 
passé  vint  s'engloutir  avec  les  institutions  religieuses 
les  plus  saintes ,  en  laissant  le  pays  en  présence  d'un 
avenir  inconnu,  plein  de  menaces. 

Le  Concordat  fut  un  remède  nécessaire ,  mais  insuffi- 
sant, au  mal  qui  dévorait  les  âmes.  L'esprit  public  avait 
perdu  sa  voie ,  et  le  pouvoir  n'avait  pas  le  sentiment  du 
relèvement  du  pays  par  l'influence  religieuse  trop  long- 
temps combattue.  Le  divorce  même  restait  dans  nos 
lois,  comme  un  héritage  funeste  de  la  révolution.  Le 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  2o5 
8  juin  1802,  Portalis  n'avait  pas  craint  d'envoyer  aux 
évéques  de  France  une  circulaire  dans  laquelle  il  leur 
demandait  de  choisir  des  vicaires  généraux  dans  les  rangs 
des  prêtres  constitutionnels  ou  jureurs,  de  leur  donner 
les  meilleures  places  ,  d'autoriser  le  mariage  des 
prêtres,  de  ne  pas  refuser  la  bénédiction  nuptiale  aux 
personnes  divorcées  qui  contracteraient  un  second 
mariage  sous  la  protection  de  la  loi.  11  caressait  ainsi 
la  pensée  chimérique  et  coupable  de  faire  l'ordre  avec  le 
désordre ,  de  relever  la  France  en  employant  à  cette 
œuvre  les  moyens  qui  avaient  précipité  sa  ruine, 

IV.  —  Le  vénérable  archevêque,  Mffr  de  Belloy ,  décli- 
nait sensiblement;  ses  forces  trahissaient  son  ardeur. 
M.  Émery,  témoin  de  cet  affaiblissement  rapide,  s'ef- 
frayait à  la  pensée  des  intrigues  qui  pourraient  livrer 
bientôt  le  siège  archiépiscopal  de  Paris  à  un  homme 
indigne  des  honneurs  et  des  périls  de  cette  haute  situa- 
tion. 

Le  8  mars  1806,  il  écrivit  au  cardinal  Fesch  : 

«  M.  le  cardinal  a  été  indisposé,  et  il  l'est  encore. 
Son  indisposition  est  de  même  nature  que  celle  qui  a 
été  presque  générale  à  Paris,  mais  il  n'est  point  fait 
aux  indispositions;  il  a  quatre-vingt-dix-sept  ans,  et 
dans  quelques  mois  quatre-vingt-dix-huit;  par  consé- 
quent, une  maladie  qui  n'est  point  alarmante  pour  un 
homme  d'un  âge  ordinaire  est  très  alarmante  dans  M.  le 
cardinal  de  Belloy. 

(L  Le  public  a  donc  raisonné  sur  son  successeur.  Ce 
public  n'a  pas  hésité  à  penser  et  à  dire  que  vous  seriez 
archevêque  de  Paris  si  vous  vouliez. 

«  Mais  on  a  raisonné  dans  la  supposition  que  vous  ne 
voudriez  pas,  et  alors  on  a  dit  assez  généralement  que 
le  nouvel  archevêque  serait  M.  de  Fontanges,  si  la  mort 
ne  l'avait  pas  enlevé,  et,  pour  le  dire  en  passant,  Votre 


236  M.  ÉMEKY 

Éminence  voit  quel  présent  elle  avait  fait  à  l'Église  de 
France  en  faisant  donner  l'évêché  d'Autun  à  ce  prélat, 
et  en  l'engageant  a  l'accepter,  puisqu'on  le  regardait 
comme  le  prélat  le  plus  propre  à  occuper  le  siège  de 
Paris,  dans  la  supposition  que  vous  ne  jugeriez  pas  à 
propos  de  le  remplir  vous-même. 

((  Je  persévère  à  croire  que  le  bien  de  l'Eglise  gallicane 
vous  demande  à  cette  place.  Si  Votre  Eminence  n'en  veut 
point,  et  si  elle  me  demandait  ce  que  pensent  et  ce  que 
désirent  les  gens  de  Lien,  je  lui  répondrais  que  Ton 
désire  M.  l'évêque  de  Troyes.  On  n'objecte  rien,  sinon 
qu'il  a  eu  une  attaque  d'apoplexie;  mais  il  se  porte  fort 
bien,  et  il  peut  vivre  encore  plusieurs  années. 

((  M.  de  la  Tour  du  Pin  a  peut-être  moins  d'activité  et 
d'habileté  pour  les  affaires  que  M.  de  Fontanges;  mais, 
outre  qu'il  les  entend  très  bien,  et  quoique  M.  de  Fon- 
tanges soit  un  prélat  très  vertueux,  M.  de  la  Tour  du 
Pin  est  bien  supérieur  en  cette  partie.  Et  voilà  qui  vous 
honore  encore  infiniment  :  c'est  que  les  deux  plus 
illustres  prélats  de  l'Église  gallicane,  ceux  que  l'on  a 
jugés  plus  dignes  d'occuper  le  siège  de  la  capitale,  sont 
vos  créatures.  )) 

Les  pressentiments  de  M.  Émery  ne  tardèrent  pas  à 
se  réaliser:  le  10  juin  1808,  le  siège  de  Paris  devint 
vacant  par  la  mort  de  M.  de  Belloy.  La  vacance  dura 
deux  longues  années.  M.  Émery,  nommé  vicaire  capi- 
tulaire  par  le  choix  du  chapitre  métropolitain,  s'occupa, 
avec  une  responsabilité  dont  il  sentait  le  poids,  de  l'ad- 
ministration religieuse  de  ce  grand  diocèse. 

V.  —  Des  difficultés,  prévues  depuis  longtemps  parles 
esprits  sages,  retardèrent  la  nomination  du  successeur 
de  M.  de  Belloy. 

Le  31  janvier  1809,  l'empereur  nomma  son  oncle 
maternel  à  l'archevêché  de  Paris,  réalisant  ainsi  les  plus 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  257 

chères  espérances  de  M.  Emery;  mais  le  cardinal  Fesch 
était  profondément  attaché  au  diocèse  de  Lyon,  qu'il 
administrait  avec  une  sagesse  à  la  hauteur  de  toutes 
les  difficultés  :  il  ne  voulait  ni  interrompre  son  apos- 
tolat, ni  confier  à  F  intelligence  et  à  la  bonne  volonté 
d'un  successeur  les  œuvres  considérables  nées  de  son 
inspiration,  fécondées  par  l'influence  qu'il  tenait  de  sa 
parenté  avec  le  chef  de  l'Etat. 

«  Vous  avez  raison,  écrivait  M.  Emery  à  M.  de  Bausset, 
le  7  février  1809,  de  féliciter  l'Eglise  de  la  nomination 
de  M.  le  cardinal  Fesch  à  l'archevêché  de  Paris;  mais  il 
y  a  une  circonstance  bien  fâcheuse  :  il  se  heurte  à  vouloir 
garder  l'archevêché  de  Lyon. 

1  ((  Ce  serait  le  premier  exemple  donné  en  France  de  la 
pluralité  des  évêchés  depuis  le  concile  de  Trente.  Ses 
aisons  sont  louables  et  marquent  de  très  bonnes  inten- 
tions, mais  elles  sont  insuffisantes.  C'est  donner  sans 
t;ause  un  très  mauvais  exemple,  et  je  crains  que  cela,  en 
portant  un  coup  mortel  à  sa  régularité  ou  a  la  réputation 
,  le  sa  régularité,  ne  soit  un  grand  obstacle  au  bien  qu'il 
,iurait  pu  faire. 

i  «  C'est  lui  qui  veut  cette  pluralité,  ce  n'est  pas  l'em- 
)ereur.  11  m'avait  demandé  ce  que  j'en  pensais,  je  le  lui 

!  i  dit  avec  franchise,  et  j'ai  motivé  puissamment  mes 

i  pinions;  mais  il  y  a  si  peu  de  personnes  qui  nous 
iment  sincèrement  et  qui  ne  craignent  de  nous  déplaire 

l[n  nous  disant  la  vérité,  que  les  évèques  eux-mêmes, 

•  ui  blâment  fortement  les  choses  et  qui  sont  liés  avec 

I  on  Eminence,  n'osent  rien  lui  dire.  » 
!  La  lettre  suivante  nous  apprend  cependant  que  le  car- 
inal  Fesch  obéit  à  des  raisons  respectables  quand  il 

infusa  définitivement  l'archevêché  de  Paris,  et  qu'il  était 

[mimé  d'un  grand  esprit  de  foi  : 


258 


M.  ÉMERY 


«  14  septembre  1810. 

«  Monsieur  le  ministre  , 

ce  Par  mes  réponses  à  vos  lettres  du  20  août  et  di 
1er  septembre,  vous  avez  dû  connaître  ma  constante  ré- 
solution de  ne  point  abandonner  mon  arcbevêché  de 
Lyon,  et  Sa  Majesté,  qui  veut  bien  me  laisser  toute 
liberté  dans  l'option  de  l'arcbevêché  de  Lyon  ou  de  Paris, 
se  rappelle  sans  doute  que  cette  résolution  ne  date  pas 
seulement  de  l'époque  où  je  fus  nommé  au  siège  de 
Paris,  mais  qu'elle  remonte  même  au  temps  où  il  étail 
question  de  me  faire  accepter  la  coadjutorerie  de  Pvatis- 
bonne,  puisque  dans  mon  acte  d'acceptation  j'ai  signifie 
pour  condition  unique  la  conservation  de  mon  premiei 
siège. 

a  Pourrais -je  me  décider  à  l'abandonner,  aujourd'hui 
qu'il  me  donne  de  vraies  consolations  et  que  les  résultats 
de  mon  administration  m'assurent  que  j'y  ai  fait  quelque 
bien?  Quelles  raisons  pourraient  me  convaincre  que  h 
divine  Providence  veut  que  je  l'abandonne  pour  le  dio- 
cèse de  Paris?  Quelle  est  l'autorité  qui  commande  c< 
sacrifice  et  qui  exige  ma  docilité? 

((  Le  temps  que  j'ai  mis  à  répondre  à  vos  différente 
lettres,  entre  autres  à  votre  dernière  du  6  septembre 
sur  cette  importante  affaire,  a  dû  faire  juger  à  Votre  Ex 
cellence  que  je  ne  me  suis  pas  décidé  légèrement  et  san 
avoir  pesé  toutes  les  raisons  pour  ou  contre.  Il  s'agissai 
de  l'œuvre  de  Dieu,  et  je  l'ai  prié  de  n'avoir  point  égar 
à  mes  inclinations,  de  les  contrarier  même,  et  dans  s 
miséricorde  de  ne  pas  permettre  que  des  vues  humaine 
et  personnelles  eussent  quelque  influence  sur  mon  choi) 
Oui,  monsieur  le  ministre,  je  veux  rester  archevêque c 
Lyon,  parce  que  je  crois  que  telle  est  la  volonté  de  Diei 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  2o0 

«  Du  reste,  je  prie  Son  Excellence,  en  agréant  les 
sentiments  de  ma  haute  considération,  de  recevoir  mes 
sincères  remerciements  pour  ce  qu'elle  veut  bien  me 
dire  de  flatteur.  Mais  les  vœux  du  clergé  de  Paris  pour- 
raient-ils étouffer  les  cris  de  mes  coopérateurs,  de  mes 
amis  et  de  mes  enfants  du  diocèse  de  Lyon  *?  » 

Napoléon  ,  mécontent  de  la  résolution  du  cardinal 
Fesch,  de  son  refus  persistant  de  prendre  au  moins  l'ad- 
ministration du  diocèse,  avec  le  titre  de  grand  vicaire 
capitulaire,  changea  brusquement  d'avis  et  nomma,  le 
4  octobre  1810,  le  cardinal  Maury  archevêque  de  Paris. 

Cette  nomination  subite  n'était  pas  régulière  :  elle 
inspira,  pour  de  hautes  raisons  indépendantes  de  toute 
considération  personnelle,  de  vives  appréhensions  à 
M.  Emery. 

Déjà,  le  26  août  1809,  Pie  VII,  prisonnier  à  Savone, 
avait  adressé  au  cardinal  Caprara,  résidant  à  Paris,  une 
lettre  très  ferme,  dans  laquelle  il  déclarait  qu'il  avait 
pris  la  résolution  de  ne  plus  reconnaître  les  nominations 
faites  par  l'empereur  aux  sièges  vacants  de  France  et 
d'Italie,  s'il  n'obtenait  pas  certaines  satisfactions  com- 
mandées par  l'honneur  de  l'Église  et  l'inviolable  dignité 
de  son  chef. 

Le  saint -père  rappelait  avec  douleur  les  nouveautés 
déjà  introduites  contre  sa  volonté  formelle,  les  violences 
exercées  injustement  contre  un  grand  nombre  d'ecclé- 
siastiques, la  déportation  de  quelques  évèques  et  car- 
dinaux, l'envahissement  et  l'occupation  du  patrimoine 
de  saint  Pierre  par  les  troupes  françaises,  les  mauvais 
traitements  qu'il  avait  eu  lui-même  à  subir  en  se  voyant 
traîner  de  ville  en  ville  à  travers  l'Italie,  comme  un  vil 
prisonnier,  par  la  volonté  capricieuse  de  l'empereur,  les 


1  Archives  nationales,  XV.  iv,  1047. 


260  M.  ÉMERY 

sacrilèges  attentats  commis  sous  ses  yeux  dans  les  églises 
de  Rome,  au  moment  de  son  arrestation.  Après  cette 
longue  énumération  des  violences  commises  par  des 
soldats  sacrilèges  et  de  ses  propres  souffrances,  Pie  VII 
ajoutait  que  si  l'empereur  voulait  sincèrement  la  paix 
de  l'Église,  il  devait  avant  tout  se  réconcilier  avec  son 
chef,  lui  rendre  la  liberté,  lui  permettre  au  moins  de 
communiquer  avec  ses  secrétaires,  ses  cardinaux,  les 
évêques;  il  rappelait,  en  finissant,  que,  prisonnier, 
séparé  de  tous  ses  conseillers,  il  ne  pouvait  pas  exercer 
les  fonctions  de  sa  charge  pontificale,  ni  s'occuper  de 
nommer  aux  évêchés  vacants  les  sujets  présentés  par  le 
gouvernement. 

Cette  lettre  était  un  cri  de  douleur  en  même  temps 
qu'une  protestation  contre  la  violence  du  persécuteur. 

Le  cardinal  Maury,  que  nous  avons  vu  si  empressé  à 
couvrir  de  l'autorité  pontificale,  pendant  la  révolution, 
ses  anathèmes  contre  les  serments  imposés  aux  ecclé- 
siastiques, avait  perdu  beaucoup  de  son  ardeur  pieuse 
des  anciens  jours,  de  son  dévouement  retentissant  au 
saint-siège  et  à  la  cause  de  nos  rois.  La  fidélité  n'était 
pas  le  caractère  de  son  âme  versatile.  Il  était  devenu 
l'ami  de  l'empereur,  qui  flattait  son  ambition  secrète  et 
le  considérait  déjà  comme  un  instrument  docile  de  ses 
projets. 

En  présence  de  l'opposition  légitime  du  saint -siège, 
qui  refusait  l'institution  canonique  aux  candidats  pré- 
sentés par  le  gouvernement,  Maury,  dont  l'esprit  était 
fertile  en  expédients  de  toute  sorte,  suggéra  à  l'empereur 
le  moyen  de  se  passer  du  saint -siège,  en  faisant  admi- 
nistrer les  diocèses  vacants  par  des  vicaires  généraux 
capitulaires,  qui  tiendraient  du  gouvernement  le  titre 
d'évêques  et  les  honneurs  qui  leur  appartenaient  en  vertu 
du  Concordat. 

L'idée  était  habile  :  le  ministre  des  cultes  reçut  l'ordre 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  201 

d'inviter  les  chapitres  des  diocèses  dont  le  siège  épis- 
copal  était  vacant  à  choisir,  pour  vicaires  généraux  capi- 
tulaires,  les  évoques  désignés  par  l'empereur.  Le  car- 
dinal Maury  fut  récompensé  du  service  qu'il  venait  de 
rendre  au  gouvernement  :  un  décret  impérial  le  nom- 
mait de  cette  manière  archevêque  de  Paris. 

Le  16  octobre  1810,  le  comte  Bigot  de  Préameneu , 
ministre  des  cultes,  écrivait  à  l'empereur  : 

«  Sire, 

a  Hier,  15  du  mois,  j'ai  transmis  aux  vicaires  géné- 
raux de  Paris  le  décret  du  14,  qui  nomme  le  cardinal 
Maury  à  l'archevêché  de  Paris,  vacant  par  la  mort  du 
cardinal  Belloy. 

((  Aujourd'hui,  les  vicaires  généraux  sont  venus  en 
{personne  m'informer  que  le  chapitre  a  conféré  les  pou- 
voirs spirituels  de  sa  compétence  au  cardinal  arche- 
vêque. 

«  J'irai  demain,  avec  ces  prélats,  visiter  et  faire  meubler 
la  partie  du  palais  archiépiscopal  destinée  à  son  habi- 
tation personnelle,  afin  qu'il  puisse  l'occuper  sur-le- 
!  champ. 

«  Le  nouvel  archevêque  de  Paris  se  trouvera  ainsi 
Entièrement  installé  le  plus  promptement  qu'il  soit  pos- 
sible. 

I  «  Je  suis,  avec  un  profond  respect,  Sire,  de  Votre 
Vlajesté , 

«  Le  très  soumis,  très  dévoué  et  très  fidèle  serviteur 
fj't  sujet, 

«  Le  comte  Bigot  de  Préameneu. 

«  Paris,  16  octobre  1810  ».  » 
Archives  nationales. 


262  M.  ÉMERY 

VI.  —  Le  saint -père  apprit  avec  douleur  cette  résolu- 
tion du  gouvernement  qui  séparait  les  évêques  du  saint- 
siège,  en  rendant  illusoire  l'institution  canonique;  i' 
exprima  dans  ce  bref,  daté  du  5  novembre  1810,  er 
termes  affectueux  mais  pleins  de  tristesse,  l'étonnemeni 
que  lui  causait  l'ingratitude  et  la  témérité  coupable  di 
cardinal  Maury  : 

((  Vénérable  Frère,  salut  et  bénédiction  apostolique. 

«  Il  y  a  cinq  jours  que  nous  avons  reçu  la  lettre  pai 
laquelle  vous  nous  apprenez  votre  nomination  à  l'arche- 
vêché de  Paris  et  votre  installation  dans  le  gouvernemenl 
de  ce  diocèse. 

((  Cette  nouvelle  a  mis  le  comble  à  nos  autres  afflictions 
et  nous  pénètre  d'un  sentiment  de  douleur  que  nous  avons 
peine  à  contenir,  et  qu'il  est  impossible  de  vous  exprimer, 

«  Vous  étiez  parfaitement  instruit  de  notre  lettre  ai 
cardinal  Gaprara ,  alors  archevêque  de  Milan ,  dam 
laquelle  nous  avons  exposé  les  motifs  puissants  qui  nous 
faisaient  un  devoir,  dans  l'état  présent  des  choses,  d< 
refuser  l'institution  canonique  aux  évèques  nommés  pai 
l'empereur. 

«  Vous  n'ignoriez  pas  que  non  seulement  les  circons- 
stances  sont  les  mêmes ,  mais  qu'elles  sont  devenues  e 
deviennent  de  jour  en  jour  plus  alarmantes,  par  1 
souverain  mépris  qu'on  affecte  pour  l'autorité  de  l'Eglise 
puisqu'en  Italie  on  a  porté  l'audace  et  la  témérité  jus 
qu'à  détruire  généralement  toutes  les  communautés  reli 
gieuses  de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  supprimer  des  paroisses 
des  évêchés,  les  réunir,  les  amalgamer,  leur  donner  d 
nouvelles  démarcations,  sans  excepter  les  sièges  subui 
bicaires,  et  cela  s'est  fait  en  vertu  de  la  seule  autorit 
impériale  et  civile.  Car  nous  ne  parlons  pas  de  ce  qu 
éprouvé  le  clergé  de  l'Église  romaine,  la  mère  et  la  ma 
tresse  des  autres  Églises,  ni  de  tant  d'autres  attentats. 

ï 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  263 

«  Vous  n'ignoriez  pas,  avons -nous  dit,  et  vous  con- 
naissiez dans  les  plus  grands  détails  tous  ces  événe- 
nements,  et,  d'après  cela,  nous  n'aurions  jamais  cru  que 
vous  eussiez  pu  recevoir  de  l'empereur  la  nomination 
dont  nous  avons  parlé,  et  que  votre  joie,  en  nous  l'an- 
nonçant, fût  telle  que  si  c'était  la  chose  la  plus  agréable 
pour  vous  et  la  plus  conforme  à  nos  vœux. 

a  Est-ce  donc  ainsi  qu'après  avoir  si  courageusement 
et  si  éloquemment  plaidé  la  cause  de  l'Eglise  dans  les 
temps  les  plus  orageux  de  la  Révolution  française-,  vous 
abandonnez  cette  même  Eglise ,  aujourd'hui  que  vous 
êtes  comblé  de  ses  dignités  et  de  ses  bienfaits,  et  lié  si 
étroitement  à  elle  par  la  religion  du  serment? 

((  Vous  ne  rougissez  pas  de  prendre  part  contre  nous, 
dans  un  procès  que  nous  ne  soutenons  que  pour  dé- 
fendre la  dignité  de  l'Eglise!  Est-ce  ainsi  que  vous  faites 
si  peu  de  cas  de  notre  autorité  pour  [oser  en  quelque 
sorte,  par  cet  acte  public,  prononcer  sentence  contre  nous, 
à  qui  vous  deviez  obéissance  et  fidélité  ? 

«  Mais  ce  qui  nous  afflige  encore  davantage,  c'est  de 
voir  qu'après  avoir  mendié  près  d'un  chapitre  l'adminis- 
tration d'un  archevêché,  vous  vous  soyez,  de  votre  propre 
autorité  et  sans  nous  consulter,  chargé  du  gouvernement 
d'une  autre  église,  bien  loin  d'imiter  le  bel  exemple  du 
cardinal  Joseph  Fesch,  archevêquede  Lyon,  lequel,  ayant 
été  nommé  avant  vous  au  même  archevêché  de  Paris, 
I  cru  si  sagement  devoir  s'interdire  absolument  toute 
administration  spirituelle  de  cette  église,  malgré  l'invi- 
tation du  chapitre. 

«  Nous  ne  rappelons  pas  qu'il  esl  inouï  dans  les 
annales  ecclésiastiques  qu'un  prêtre  nommé  à  un  évèché 
quelconque  ait  été  engagé,  par  les  vœux  du  chapitre, 
à  prendre  le  gouvernement  du  diocèse  avant  d'avoir 
reçu  l'institution  canonique.  Nous  n'examinons  pas, 
et  personne  ne  sait  mieux  que  vous  ce  qu'il  en  est,  si  le 


264  M.  ÉMERY 

vicaire  capitulaire  a  donné  librement  et  de  plein  gré  la 
démission  de  ses  fonctions  et  s'il  n'a  pas  cédé  aux  pro- 
messes, à  la  crainte  ou  aux  menaces,  et  par  conséquent 
si  votre  élection  a  été  libre ,  unanime  et  régulière  ;  nous 
ne  voulons  pas  non  plus  nous  informer  s'il  y  avait  dans 
le  sein  du  chapitre  quelqu'un  en  état  de  remplir  des 
fonctions  si  importantes;  car,  enfin,  où  veut -on  en 
venir  ? 

((  On  veut  introduire  dans  l'Eglise  un  usage  aussi  nou- 
veau que  dangereux,  au  moyen  duquel  la  puissance 
civile  parviendrait  insensiblement  à  n'établir,  pour  l'ad- 
ministration des  sièges  vacants,  que  des  personnes  qui 
lui  seraient  entièrement  vendues.  Qui  ne  voit  évidem- 
ment que  c'est  non  seulement  nuire  à  la  liberté  de 
l'Église,  mais  encore  ouvrir  la  porte  au  schisme  et  aux 
élections  invalides  ? 

«  Mais,  d'ailleurs,  qui  vous  a  dégagé  de  ce  lien  qui 
vous  unit  à  Monte -Fiascone?  Qui  vous  a  donné  des  dis- 
penses pour  être  élu  membre  d'un  chapitre  et  vous 
charger  de  l'administration  d'un  autre  diocèse?  Quittez 
donc  sur-le-champ  cette  administration.  Non  seulement 
nous  vous  l'ordonnons,  mais  nous  vous  en  prions,  nous 
vous  en  conjurons,  pressé  par  la  charité  paternelle  que 
nous  avons  pour  vous ,  afin  que  nous  ne  soyons  pas  forcé 
de  procéder  malgré  nous,  et  avec  le  plus  grand  regret, 
conformément  aux  statuts  des  saints  canons  ;  et  per- 
sonne n'ignore  les  peines  qu'ils  prononcent  contre  ceux 
qui,  préposés  à  une  église,  prennent  en  main  le  gouver- 
nement d'une  autre  église,  avant  d'être  dégagés  des 
premiers  liens. 

«  Nous  espérons  que  vous  vous  rendrez  volontiers  à  nos 
vœux,  si  vous  faites  bien  attention  au  tort  qu'un  tel 
exemple  de  votre  part  ferait  à  l'Église  et  à  la  dignité 
dont  vous  êtes  revêtu.  Nous  vous  écrivons  avec  toute  la 
liberté  qu'exige  notre  ministère;  et  si  vous  recevez  notre 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANGE  265 

lettre  avec  les  mêmes  sentiments  qui  l'ont  dictée,  vous 
verrez  qu'elle  est  un  témoignage  éclatant  de  notre  ten- 
dresse pour  vous. 

«  En  attendant,  nous  ne  cesserons  d'adresser  au  Dieu 
bon,  au  Dieu  tout- puissant ,  de  ferventes  prières  pour 
qu'il  daigne  apaiser,  par  une  seule  parole,  les  vents  et 
les  tempêtes  déchaînés  avec  fureur  contre  la  barque  de 
Pierre,  et  qu'il  nous  conduise  enfin  à  ce  rivage  si  désiré 
où  nous  pourrons  librement  exercer  les  fonctions  de  notre 
ministère.  » 

VII.  —  Ce  bref,  daté  de  Savone,  ne  rappelait  pas  seu- 
lement au  cardinal  Maury  les  bienfaits  qu'il  avait  reçus 
du  saint -siège,  les  honneurs  dont  il  avait  été  comblé, 
l'ingratitude  dont  il  se  rendait  coupable,  mais  il  con- 
tenait encore,  exprimée  avec  une  grande  clarté,  la  con- 
damnation sévère  et  attristée  de  la  théorie  du  cardinal 
Maury  sur  les  prétendus  droits  des  yicaires  capitulaires, 
transformés  en  évèques  par  une  manœuvre  habile  et 
par  une  subtilité  d'argumentation  au  service  de  l'esprit 
de  révolte. 

L'empereur,  irrité  de  cette  condamnation  éclatante  de 
ses  projets,  lit  enfermer  à  Vincennes  les  hommes  qu'il 
soupçonnait  coupables  d'avoir  inspiré  le  pape  dans  cette 
circonstance.  Parmi  eux  se  trouvaient,  avec  plusieurs 
cardinaux,  Me*  de  Gregorio  et  le  père  Fontana,  général 
des  Barnabites,  plus  tard  cardinal.  Napoléon  redoubla 
de  sévérité  à  l'égard  du  pape  prisonnier,  lui  fit  inter- 
dire toute  communication  avec  les  fidèles  de  France  et 
d'Italie. 

Ce  n'était  plus  seulement  le  pouvoir  temporel  des 
papes  qui  était  en  question,  c'était  l'antique  et  redoutable 
querelle  de  l'investiture  qui  renaissait  sous  .une  forme 
particulière  à  ce  siècle,  avec  les  prétentions  ambitieuses 
d'un  souverain  devenu  maître  de  l'Europe. 


266  M.  ÉMERY 

Le  cardinal  Maury  rédigea  une  adresse  qui  devait  être 
présentée  à  l'empereur  au  nom  du  chapitre  métropo- 
litain, pour  lui  faire  connaître  d'une  manière  solennelle, 
dans  ces  conjonctures  difficiles,  les  sentiments  du  clergé 
à  son  égard. 

Les  grands  vicaires  de  Paris  et  les  chanoines  de  la 
métropole,  réunis  en  séance  extraordinaire,  reçurent 
préalahlement  communication  de  cette  adresse,  et  furent 
invités  à  faire  leurs  observations. 

M.  Émery  assistait  à  cette  réunion.  Il  avait  reçu  avec 
amitié  le  cardinal  Maury,  à  son  retour  de  Rome  ;  il  lui 
avait  rendu  de  fréquents  services,  le  recevait  à  la  cam- 
pagne avec  une  bienveillance  paternelle ,  se  plaisait  même 
à  lui  donner,  avec  une  autorité  ferme  et  discrète,  les 
conseils  les  plus  sages,  les  plus  conformes  aux  intérêts 
de  sa  conscience.  Ils  avaient  renoué  les  liens  qui  les 
unissaient  dans  les  premiers  jours  de  la  Révolution , 
quand  ils  défendaient  ensemble ,  avec  un  égal  courage  et 
un  retentissement  inégal,  la  cause  de  l'Église. 

Il  n'y  avait  donc  aucune  amertume,  aucun  ressenti- 
ment personnel  dans  le  cœur  de  M.  Émery  à  l'égard  du 
cardinal  Maury  ;  mais  il  ne  pouvait  pas  partager  l'opinion 
de  son  ami  sur  les  pouvoirs  du  chapitre  et  sur  la  nomi- 
nation des  vicaires  généraux.  Dans  les  mémoires  inédits 
qu'il  composa  sur  cette  matière  délicate  que  nous  avons 
sous  les  yeux,  il  refusait  nettement  aux  chapitres  le  droit 
de  révoquer  les  grands  vicaires  pour  donner  tous  les 
pouvoirs  spirituels  à  l'évèque  nommé  en  dehors  du  sou- 
verain Pontife;  il  s'élevait  aussi  fortement,  comme  il 
l'avait  fait  déjà  à  l'occasion  de  la  constitution  civile  du 
clergé,  contre  la  prétention  du  gouvernement  de  s'im- 
miscer dans  les  affaires  ecclésiastiques,  d'appeler  un 
évêque  titulaire,  de  le  transférer,  sans  consulter  le  pape, 
d'un  siège  à  un  autre,  par  un  acte  capricieux  de  son 
autorité. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  267 

Sur  tous  ces  points,  M.  Emery  ne  pouvait  pas  tran- 
siger; sa  pensée  était  irrévocablement  arrêtée. 

Aussi,  lorsqu'il  entendit  la  lecture  de  l'adresse  rédigée 
par  le  cardinal  Maury  qui  flattait  d'une  manière  cou- 
pable l'autorité  de  Napoléon,  en  bravant  contre  toute 
justice  et  toute  convenance  les  prières  et  les  menaces 
de  Pie  VII,  il  se  leva,  signala  avec  dignité  les  erreurs 
exprimées,  et  demanda  hautement  un  changement  dans 
la  rédaction. 

Le  cardinal  Maury  prétendait  : 

«  1°  Que  l'usage  constant  de  toutes  les  églises  de 
France  était  et  avait  toujours  été  depuis  plusieurs  siècles 
que  les  chapitres  déférassent  aux  évèques  nommés  par  le 
souverain  toute  la  juridiction  épiscopale  ;  2°  qu'en  con- 
séquence de  ce  droit  ecclésiastique,  ce  fut  par  le  sage 
conseil  de  Bossuet  à  Louis  XIV  que  tous  les  archevêques 
et  évèques  nommés  depuis  4682  jusqu'à  Tannée  1693 
allèrent  gouverner  paisiblement,  en  vertu  des  pouvoirs 
qui  leur  furent  donnés  par  les  chapitres,  les  églises  mé- 
tropolitaines ou  les  cathédrales  dont  ils  étaient  destinés 
à  remplir  les  sièges  vacants ,  sans  qu'on  leur  opposât  ni 
le  moindre  empêchement  ni  la  moindre  réclamation.  » 

Le  cardinal  Maury  avait  émis  une  assertion  téméraire, 
en  attribuant  à  Bossuet  une  parole  qu'il  n'avait  jamais 
prononcée,  une  opinion  qu'il  n'avait  jamais  défendue. 
M.  Émery  le  fît  observer  publiquement  en  quelques 
mots.  Après  une  courte  délibération  ,  l'adresse  fut  mo- 
difiée et  présentée  à  la  signature  des  membres  de  la 
réunion.  M.  Émery  craignait  avec  raison  une  surprise  : 
il  opposa  un  refus  et  se  retira. 

Nous  verrons  bientôt  la  réalisation  des  craintes  du 
vénérable  supérieur  de  Saint-Sulpice. 


CHAPITRE  XII 

LE  COMITÉ  ECCLÉSIASTIQUE  ET  LE  SECOND  MARIAGE  DE  L'EMPEREUR 


I.  —  Tandis  que  les  troupes  françaises  enlevaient  du 
fort  Saint-Ange  le  drapeau  pontifical  et  s'emparaient  par 
force  de  la  ville  de  Rome,  Pie  VII  signait  une  protes- 
tation indignée  et  la  bulle  solennelle  d'excommunica- 
tion contre  l'empereur.  Par  cet  acte  de  courage  il  s'ex- 
posait au  martyre,  mais  depuis  longtemps  il  était  prêt 
à  mourir  ;  il  avait  offert  à  Dieu ,  pour  la  défense  de 
l'Église,  sa  vie  pleine  de  déboires  et  du  dégoût  infini  des 
choses  humaines. 

Enfermé  à  Savone,  traité  comme  un  prisonnier,  il  se 
dressait  encore  dans  sa  captivité,  il  résistait  sans  fai- 
blesse à  celui  devant  qui  tremblaient  tous  les  souverains  ; 
il  refusait  avec  énergie  de  seconder  ses  projets  schisma- 
tiques,  de  ratifier  ses  choix  pour  l'épiscopat. 

Irrité  de  cette  résistance,  l'empereur  sentait  bien  qu'il 
avait  déjà  fait  un  abus  coupable  de  sa  puissance  en  con- 
damnant à  l'exil  le  chef  de  l'Eglise;  malgré  ses  emporte- 
ments calculés,  il  ne  s'arrêta  pas  à  la  pensée  défaire 
un  martyr  en  immolant  le  pape  ,  il  conçut  un  autre  des- 
sein. 

Il  y  avait  malheureusement  dans  le  clergé  français  de 
hauts  dignitaires  tremblants  devant  sa  puissance  et  liés 
envers  lui  par  les  honneurs  dont  il  les  avait  comblés.  Il 
leur  avait  prodigué  les  décorations,  les  places  au  sénat,  les 
titres  de  comte  et  de  baron ,  et,  tout  en  méprisant  lui- 


M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  260 
même  ces  vains  hochets  de  la  faihlesse  humaine,  il  avait 
su  en  faire  un  usage  heureux  pour  s'assurer  des  servi- 
teurs empressés  à  seconder  ses  desseins,  à  réaliser  les 
espérances  de  son  ambition  sans  limite. 

En  présence  des  difficultés  soulevées  par  l'opposition 
courageuse  de  Pie  VII,  Napoléon  institua  une  commis- 
sion ecclésiastique  dans  laquelle  il  fit  entrer  quelques- 
unes  de  ses  créatures,  et  avec  eux  des  hommes  d'une 
dignité  irréprochable;  il  les  invita  à  répondre  à  un 
questionnaire  dont  il  avait  préparé  les  éléments. 

Cette  commission  était  composée  du  cardinal  Fesch, 
président;  du  cardinal  Maury,  de  l'archevêque  de  Tours, 
des  évèques  de  Nantes ,  de  Trêves ,  d'Evreux  et  de  Ver- 
ceil ,  de  M.  Emery  et  du  P.  Fontana,  supérieur  général 
des  Barnabites.  Le  comité  choisit  pour  secrétaires  l'abbé 
Frayssinous  et  l'abbé  Rauzan. 

'II.  —  M.  Emery  prévoyait  la  gravité  des  affaires  sur 
lesquelles  il  serait  appelé  à  délibérer,  et  la  difficulté  de 
parler  avec  l'indépendance  essentielle  au  prêtre  dans  ces 
circonstances ,  où  la  dignité  de  l'Église  et  du  saint-siège 
était  en  question  ;  aussi  il  essaya  de  se  dérober  et  de  res- 
ter dans  le  silence  de  sa  retraite.  Il  était  fatigué  de  la 
responsabilité  du  pouvoir,  des  consultations  pressantes 
dont  il  était  accablé  depuis  tant  d'années.  Il  souhaitait 
intérieurement  que  la  Providence  vint  à  son  aide  et 
détournât  de  lui  ce  calice;  il  écrivait  à  son  confident, 
l'évêque  d'Alais  : 

((  Oh  !  que  je  bénirais  une  maladie  qui  m'arriverait 
dans  ces  circonstances,  dût-elle  m'emporter!  Aussi  bien 
je  commence  à  nr ennuyer  de  la  vie  !  » 

Ce  comité  devait  s'occuper  des  droits  de  l'empereur 
sur  les  Etats  pontificaux,  dont  il  s'était  emparé  par  un 
coup  de  force;  du  moyen  de  rendre  inutile  l'institution 
canonique  des  évèques;  de  la  bulle  d'excommunication 


270  M.  ÉMERY 

lancée  contre  lui  ;  du  droit  de  convoquer  un  concile  natio- 
nal chargé  de  traiter  en  dehors  du  saint-siège ,  en  vertu 
de  sa  propre  autorité,  les  questions  qui  intéresseraient 
l'Église  de  France  et  les  prérogatives  de  l'État. 

Les  questions  posées  par  l'empereur  étaient  claires, 
elles  ne  pouvaient  laisser  aucun  doute  sur  les  desseins 
dont  il  préparait  l'accomplissement. 

ce  Supposé,  disait  l'empereur,  que  l'on  reconnaisse  qu'il 
n'y  a  pas  de  nécessité  de  faire  de  changement  dans  la 
constitution  actuelle  du  saint-siège,  l'empereur  ne  réu- 
nit-il pas  en  sa  personne  les  droits  qu'avaient  par  le 
passé  les  rois  de  France ,  les  ducs  de  Brabant ,  les  rois 
de  Sardaigne,  les  ducs  de  Toscane,  etc.,  dans  la  nomi- 
nation des  cardinaux  et  dans  toutes  les  autres  préroga- 
tives? 

((  La  bulle  d'excommunication  du  10  juin  1809  n'étant 
pas  seulement  contraire  à  la  charité  chrétienne,  mais 
encore  à  l'honneur  du  trône,  quel  parti  doit -on  prendre 
pour  empêcher  les  papes  d'en  venir  dans  la  suite,  pen- 
dant les  temps  de  trouble  et  de  calamité ,  à  un  tel  excès 
de  pouvoir  ? 

«  Le  gouvernement  français  n'ayant  pas  manqué  à 
l'observance  du  Concordat,  si  le  pape  refuse  d'en  exécu- 
ter les  articles  et  les  intentions  de  l'empereur,  il  doit  être 
considéré  comme  aboli;  et  dans  ce  cas,  que  conviendrait- 
il  de  faire  pour  le  bien  de  la  religion  ?  » 

La  commission  répondit  qu'on  ne  pouvait  pas  convo- 
quer un  concile  œcuménique  sans  le  pape;  qu'il  n'était 
pas  utile  de  convoquer  un  concile  national  ;  que  l'empe- 
reur pouvait  exiger  du  pape  la  nomination  des  chapelains 
du  cardinalat  et  les  prérogatives  dont  jouissaient  les 
souverains  des  pays  réunis  à  l'empire  ;  qu'en  présence  de 
la  résistance  du  pape,  qui  refusait  d'accorder  l'institu- 
tion canonique  aux  évèques  nommés,  il  serait  légitime, 
opportun,  de  convoquer  un  concile  national  chargé  d'at- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  '2'\ 
tribuer  au  métropolitain  le  droit  de  confirmer  canonique- 
ment  la  nomination  de  ses  sufiragants,  et  de  reconnaître 
au  plus  ancien  évèque  de  la  province  ecclésiastique  le 
droit  d'instituer  canoniquement  le  métropolitain.  Enfin, 
par  un  dernier  oubli  des  principes  fondamentaux  de  la 
théologie  et  de  la  discipline  ecclésiastique,  la  commis- 
sion déclarait  que  la  bulle  d'excommunication  fulminée 
par  Pie  YII  était  nulle,  de  nul  effet,  et  elle  rappelait, 
avec  une  complaisance  servile  ,  dans  la  réponse  aux  con- 
sultations qui  lui  étaient  adressées,  les  honneurs  tempo- 
rels accordés  par  l'empereur  a  quelques  membres  de 
Pépiscopat,  trop  heureux  de  lui  exprimer  dans  cette 
circonstance  leur  reconnaissance  et  leur  fidélité. 

III.  —  La  tristesse  et  le  découragement  profond  de 
M.  Émery,  obligé  d'assister  aux  séances  de  cette  commis- 
sion ,  se  révèlent  dans  ses  lettres  intimes  de  cette  époque 
à  ses  amis,  l'évèque  d'Alais,  l'évèque  de  Limoges, 
M.  Xagot.  Son  cœur  si  droit,  si  délicat  dans  la  fidélité 
de  son  dévouement  inébranlable  à  l  Église,  est  rempli 
d'amertume  et  de  dégoût;  il  conjure  ses  amis  de  deman- 
der à  Dieu  de  lui  donner  la  force,  la  mesure  dont  il  a 
besoin  pour  défendre  les  droits  de  l'Eglise,  avec  la  sincé-' 
rité  d'un  confesseur  de  la  foi,  sans  blesser  inutilement 
des  prélats  dont  il  honorait  avec  un  profond  respect  le 
caractère  épiscopal. 

Cette  grâce  du  courage  ne  lui  fut  pas  refusée.  x\u  cours 
des  délibérations  de  ce  comité,  dominé  malheureusement 
par  la  crainte  de  l'empereur  et  par  le  désir  de  dégager 
Pie  VII  des  liens  de  sa  captivité  au  prix  des  concevions 
condamnées  par  la  conscience,  M.  Émery  resta  toujours 
debout;  il  défendit  les  droits  de  l'Église  avec  une  fermeté 
inébranlable  dans  son  respect  ,  et  força  l'hommage  de 
ses  contradicteurs  étonnés,  troublés  déjà  par  les  premiers 
reproches  de  leur  conscience. 


272  M.  ÉMERY 

M.  Frayssinous,  secrétaire  du  comité,  assistait  aux 
délibérations;  il  parla  plus  tard  avec  admiration  à  son 
ancien  confrère,  M.  Garnier,  de  la  conduite  de  M.  Émery 
dans  ces  conjonctures  difficiles.  Ce  vieillard,  que  l'on  avait 
arraché  à  la  solitude  paisible  du  séminaire  Saint-Sulpice 
pour  le  faire  entrer  malgré  lui  dans  un  conseil  composé 
des  plus  hauts  dignitaires  de  l'Église,  était  encore  le 
plus  grand  de  cette  assemblée  par  son  détachement  des 
dignités  humaines ,  par  les  combats  qu'il  avait  livrés 
pour  la  foi,  dans  les  jours  sombres  de  la  Terreur,  et  par 
son  dévouement  infatigable  aux  intérêts  de  la  religion , 
intérêts  que  ne  craignaient  pas  de  compromettre,  à  cette 
heure  douloureuse,  des  hommes  qui  avaient  juré  de  les 
défendre  jusqu'à  la  mort,  au  jour  de  leur  consécration 
épiscopale. 

Il  se  leva ,  et  s'autorisant  des  paroles  mêmes  de  Bos- 
suet,  que  le  cardinal  Maury  avait  eu  l'imprudence  de 
citer  encore  une  fois  avant  de  l'avoir  lu ,  déclara  que  le 
pape  devait  être  maître  dans  ses  États  temporels  pour- 
être  libre  partout;  que  cette  liberté  était  la  condition 
essentielle  de  l'exercice  complet  de  sa  juridiction  spiri- 
tuelle. Il  protesta  avec  force  contre  la  prétention  cou- 
pable des  membres  de  la  commission  de  refuser  au  pape 
le  droit  de  défendre,  par  l'excommunication,  ses  intérêts 
temporels  ;  droit  qui  était  confirmé  cependant ,  depuis 
des  siècles,  par  la  pratique  constante  de  l'Église,  par  le 
concile  de  Trente  et  par  les  conciles  généraux.  Il  éclairait 
les  questions  débattues,  en  rappelant  les  faits  principaux 
de  l'histoire  ecclésiastique,  les  règles  du  droit  canon,  les 
principes  les  plus  certains  de  la  théologie,  exprimant 
avec  une  fermeté  émue  et  presque  indignée,  qui  se  tra- 
hissait de  temps  en  temps  par  des  réponses  brèves,  sai- 
sissantes, son  étonnement  douloureux  de  l'oubli  ou  de 
la  complaisance  servile  des  membres  de  la  commission. 
M.  de  Barrai,  archevêque  de  Tours,  essayait  de  le  gagner; 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  273 
mais  un  jour  M.  Émery  lui  répéta  jusqu'à  dix  fois  d'un 
ton  saccadé  :  Non,  Monseigneur,  cela  n'est  pas! 

Que  pouvait  craindre  ce  vieillard  courageux?  Il  deman- 
dait sans  cesse  à  Dieu  la  grâce  de  quitter  ce  monde  et 
d'aller  à  lui. 

«  Qu'il  laisse  donc  l'Église  tranquille,  disait-il  en  par- 
lant de  l'empereur;  qu'il  rende  à  leurs  fonctions  le  pape, 
les  cardinaux ,  les  évêques;  qu'il  renonce  à  des  préten- 
tions extravagantes;  tout  le  reste  sera  bientôt  arrangé! 
Et  ces  évêques,  qui  regardent  comme  des  améliorations, 
comme  des  bienfaits  pour  l'Église,  les  décorations  ou 
|ee  litres  qu'ils  ont  obtenus!  Où  allons-nous  donc,  mon 
Dieu  1  !  » 

M.  Émery  refusa  de  signer  les  réponses  de  la  commis- 
sion. Il  ne  pouvait  pas  approuver  un  acte  que  sa  cons- 
cience condamnait  et  contre  lequel  il  avait  protesté  avec 
une  si  noble  fermeté. 

a  Les  titres  de  religieux,  de  juste,  de  zélé  pour  le  culte 
catholique,  adressés,  écrit  le  cardinal  Pacca  en  parlant 
de  ces  réponses,  à  un  souverain  qui  venait  d'usurper  le 
patrimoine  de  l'Église,  et  qui  tenait  en  prison  son  chef 
suprême;  l'accusation  calomnieuse  que  l'on  faisait  peser 
sur  ce  vénérable  pontife,  comme  si,  pour  des  intérêts 
temporels,  il  eût  trahi  son  devoir  dans  le  gouvernement 
des  choses  sacrées;  la  censure  peu  respectueuse,  souve- 
rainement injuste  et  mensongère  des  maximes  de  l'Église 
romaine  et  de  la  conduite  des  papes  ;  enfin  les  malignes 
insinuations  suggérées  à  Napoléon  pour  favoriser  ses 
desseins,  tout  cela  fait  désirer  aux  bons  Français  que 
ces  monuments  peu  honorables  soient  retranchés  des 
archives  de  cette  illustre  Église  "2.  » 

1  Vie  de  M.  Coustou,  p.  232. 

2  Le  texte  des  réponses  de  la  commission  n'a  jamais  été  publié 
d'une  manière  complète.  Le  cardinal  Pacca  écrit  au  tome  II  de 


274  M.  ÉMERt 

IV.  —  A  peine  la  commission  ecclésiastique  eût -elle 
terminé  ses  travaux  sur  les  difficultés  pendantes,  qu'elle 
fut  saisie  d'une  grave  question  de  morale  et  de  discipline 
ecclésiastique.  L'empereur  voulait  faire  annuler  son  pre- 
mier mariage,  contracté  en  1796,  avec  Joséphine,  veuve 
de  Beauharnais ,  et  prendre  pour  seconde  femme  une 
princesse  d'Autriche.  Le  sénat,  toujours  docile  aux 
ordres  de  Napoléon ,  avait  déjà  prononcé  l'annulation  du 
premier  mariage,  en  justifiant  sa  décision  par  l'impossi- 
bilité où  se  trouvait  Joséphine  de  donner  à  l'empereur  un 
héritier  de  la  couronne.  La  décision  du  sénat  était  con- 
traire ,  il  est  vrai ,  au  décret  du  30  mars  1806 ,  décret  qui 
interdisait  formellement  le  divorce  ((  aux  membres  de  la 
famille  impériale  de  tout  âge  et  de  tout  sexe  »  ;  mais  de 
tels  décrets  ne  troublaient  pas  la  conscience  de  l'empe- 
reur et  n'étaient  pas  de  nature  à  changer  ses  résolutions. 

L'annulation  du  mariage  civil  prononcé  par  la  puis- 
sance séculière  était  insuffisante,  l'archevêque  de  Vienne 
refusait  de  procéder  à  la  célébration  du  second  mariage 
de  l'empereur  avec  une  princesse  d'Autriche  avant  l'an- 
nulation canonique  régulière  du  premier. 

Depuis  longtemps  Napoléon  pressentait  cet  obstacle;  il 
essayait  de  le  tourner. 

Au  mois  d'avril  1808,  au  retour  de  Bayonne,  Napoléon, 
ayant  accordé  une  audience  à  l'archevêque  et  au  clergé 
de  Bordeaux,  laissa  volontairement  paraître,  dans  une 
conversation  préparée  avec  art ,  l'objet  inattendu  de  ses 
préoccupations.  Improvisé  canoniste,  il  essaya  d'argu- 
menter sur  la  convenance  et  l'utilité  du  divorce  dans  des 
cas  déterminés. 

ses  Mémoires  :  «  Si  cette  réponse  fut  telle  qu'elle  a  été  imprimée, 
elle  sera  une  preuve  humiliante  de  la  grande  inlluenee  que  l'esprit 
d'ambition  et  de  ilatterie  exerce  sur  les  personnes  même  les  plus 
distinguées  par  l'élévation  de  leur  dignité  et  par  le  mérite  de 
leur  doctrine.  » 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  27b 
Un  vieux  docteur  de  Sorbonne,  l'abbé  Thierry,  qui  se 

trouvait  là,  prit  la  parole  et  rappela  ce  texte  si  ferme  et 

si  clair  du  Nouveau  Testament  : 

((  11  n'appartient  pas  à  l'homme  de  séparer  ce  que  Dieu 

a  uni. 

—  Oui,  cela  est  bon,  reprit  l'empereur,  dans  les  cas 
ordinaires  de  la  vie,  sans  quoi  il  n'y  aurait  plus  rien  de 
stable  dans  l'institution  du  mariage;  mais  lorsque  des 
causes  majeures  interviennent,  lorsque  le  bien  de  l'État 
l'exige,  cela  ne  peut  être. 

—  Cependant ,  Sire,  le  précepte  de  l'Évangile  n'admet 
pas  d'exception. 

—  Eh  quoi  !  monsieur  l'abbé,  êtes-vous  protestant? 

—  Protestant  !  pourquoi  ? 

—  Parce  que  vous  ne  reconnaissez  pas  l'autorité  de  la 
tradition. 

—  Mais  la  tradition  est  unanime,  comme  l'Écriture, 
sur  l'indissolubilité  du  lien  conjugal. 

—  Non,  s'écrie  vivement  l'empereur,  la  tradition  est 
pour  moi.  Ne  l'ai -je  pas  vu  dans  la  Pologne,  dans  le 
grand  duché  de  Posen,  dans  les  États  de  Hongrie  et  autres 
pays  du  Nord ,  où  j'étais  il  y  a  si  peu  de  temps?  » 

Interpellé  directement,  le  supérieur  du  grand  sémi- 
naire, qui  jusque-là  avait  gardé  un  silence  prudent, 
appuya  le  sentiment  du  docteur  de  Sorbonne  sur  l'impos- 
sibilité du  divorce  ;  il  essaya  de  faire  comprendre  à  l'em- 
pereur que  l'Église  s'était  contentée  de  constater  et  de 
prononcer  que,  dans  certains  cas,  le  mariage  n'existait 
pas,  par  défaut  d'une  condition  essentielle  à  son  accom- 
plissement, mais  qu'elle  n'avait  jamais  donné  son  con- 
seil tement  à  l'annulation  d'un  mariage  légitime. 

Le  vénérable  et  pieux  archevêque  de  Bordeaux , 
Msr  d'Aviau,  assistait  en  silence  à  cette  discussion  théo- 
logique. L'empereur,  irrité  de  l'opposition  qu'il  venait 
de  rencontrer,  s'écria  : 


276  M.  ÉMERY 

((  De  quels  hommes  s'entoure  donc  cet  archevêque  de 
Bordeaux  ?  Il  n'y  a  pas  un  seul  théologien  parmi  eux  ; 
mais  du  moins  les  ai-je  bien  mis  au  sac  » 

Puis,  voulant  se  venger  de  la  leçon  qu'il  venait  de 
recevoir,  il  chargea  M.  Bigot  de  Préameneu,dèsson  retour 
à  Paris,  d'ordonner  à  M.  l'archevêque  de  Bordeaux  de 
congédier  sans  délai  son  grand  vicaire,  son  secrétaire 
général  et  le  supérieur  de  son  grand  séminaire. 

Napoléon  avait  donc  une  idée  arrêtée  :  son  dessein  était 
d'obtenir  de  l'Eglise,  ou  par  la  diplomatie  ou  par  la  vio- 
lence ,  le  consentement  qu'il  avait  obtenu  sans  résistance 
de  la  docilité  facile  du  sénat. 

V.  —  Le  cardinal  Fesch,  informé  de  la  résolution  de 
l'empereur,  ne  pouvait  pas  oublier  ce  qui  s'était  passé 
dans  la  chapelle  des  Tuileries,  la  veille  du  sacre  et  du 
couronnement  ;  il  se  rappelait  que,  muni  de  pleins  pou- 
voirs accordés  par  le  Vicaire  de  Jésus -Christ,  pasteur  de 
l'Eglise  universelle,  il  avait  béni  secrètement  le  mariage 
de  Bonaparte  avec  Joséphine,  veuve  de  Beauharnais;  que 
l'acte  de  célébration ,  dressé  et  signé  par  lui ,  avait  été 
remis  à  l'impératrice  Joséphine ,  et  qu'il  avait  eu  mani- 
festement la  pensée  de  répondre  à  l'ordre  formel  de 
Pie  VII  en  remplissant  scrupuleusement  toutes  les  con- 
ditions canoniques  requises  pour  l'union  religieuse  des 
deux  époux. 

Quelle  était  donc  la  pensée  du  pieux  cardinal  à  ce 
moment  difficile  où  ,  pressé  d'un  côté  par  sa  conscience 
et  sollicité  dans  un  sens  différent  par  la  volonté  formelle 
de  l'empereur,  il  lui  semblait  impossible  de  s'enfermer 
dans  un  silence  coupable  ?  Nous  l'ignorons. 

Gambacérès  réunit  chez  lui,  le  22  décembre  1809,  les 

1  Histoire  de  M»r  d'Aviau  du  Bois  de  Sanzay,  archevêque  de 
Vienne  et  de  Bordeaux,  par  Mtn-  Lyonnet,  archevêque  d'Albi,  t.  II. 
p.  561. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  277 

officiaux  et  les  promoteurs  du  diocèse  de  Paris,  et  leur 
dit: 

«  Par  un  article  inséré  au  sénatus-consulte  du  16  de  ce 
mois,  je  suis  mis  en  demeure  de  poursuivre  devant  qui 
de  droit  l'effet  tles  volontés  de  Sa  Majesté.  L'empereur 
ne  peut  espérer  d'enfants  de  l'impératrice  Joséphine  ; 
cependant  il  ne  saurait,  en  fondant  une  nouvelle  dynas- 
tie, renoncer  à  l'espoir  de  laisser  un  héritier  direct  qui 
assure  l'intégrité,  la  tranquillité  et  la  gloire  de  l'empire. 
Il  est  dans  l'intention  de  se  marier  et  d'épouser  une 
catholique;  mais  son  mariage  avec  l'impératrice  José- 
phine doit  être  auparavant  annulé,  et  son  intention  est 
de  le  soumettre  à  l'examen  et  à  la  décision  de  l'officia- 
lité1.  » 

Camhacérès  n'était  ni  théologien  ni  canoniste ,  son 
allocution  suffirait  à  le  démontrer.  Encore  qu'il  adressât 
la  parole  à  des  ministres  de  l'Eglise  sur  une  affaire 
qui  intéressait  au  plus  haut  point  la  puissance  spiri- 
tuelle ,  il  n'invoquait  pour  demander  la  dissolution 
du  premier  mariage  de  l'empereur  que  la  nécessité 
d'État  et  l'espérance,  d'ailleurs  légitime,  de  confier  un 
jour  les  destinées  de  la  France  à  un  descendant  de  la 
famille  impériale. 

Le  curé  de  la  paroisse  et  les  témoins,  dont  la  présence 
est  exigée  par  le  concile  de  Trente  sous  peine  de  nullité, 
n'avaient  pas  assisté  au  mariage.  Voilà  l'argument  le 
plus  spécieux  que  des  théologiens  essayaient  de  présen- 
ter en  faveur  des  projets  de  l'empereur  a. 

'  D'Haussonville ,  l'Eglise  romaine  et  le  premier  empire, 
tome  III,  p.  321. 

2  Consulter  sur  la  question  théologique  :  1°  Conférences  de 
Paris  sur  le  mariage,  t.  Ier,  p.  64;  t.  II,  pp.  22  et  82.  —  2°  Fleury, 
Histoire  ecclésiastique ,  t.  XV,  pp.  532-587,  etc.  —  3°  Longueval, 
Histoire  de  l'Église  gallicane,  t  X,  p.  115,  etc.  —  4°  Dom  Cel- 
lier, Histoire  des  auteurs  ecclésiast.,  t.  XXIII,  p.  337.  —  5°  Ba- 
ronius,  anno  771,  n°  3.  in  fine.  —  6°  Fleury,  t.  IX,  liv.  43,  n°  59. 

8* 


278  M.  ÉMERY 

Mais  des  faits  graves  détruisaient  malheureusement 
d'une  manière  décisive  la  valeur  de  cet  argument.  Sur 
le  désir  exprimé  par  le  pape,  sur  la  demande  formulée 
avec  une  vive  insistance  par  l'impératrice  Joséphine 
elle-même  avant  la  cérémonie  du  sacre  en  1804,  le 
premier  mariage  de  l'empereur  avait  été  validé  secrè- 
tement dans  la  chapelle  des  Tuileries,  vers  quatre  heures 
de  l'après-midi,  par  le  cardinal  Fesch,  qui,  sans  rien 
spécifier  dans  cette  circonstance  et  pour  donner  à  l'acte 
qu'il  allait  faire  toute  son  efficacité ,  avait  obtenu  de 
Pie  VII  les  pouvoirs  de  dispense  les  plus  étendus. 

Après  avoir  acquis  la  certitude  que  Joséphine  de 
Beauharnais  était  la  femme  légitime  de  l'empereur,  mais 
alors  seulement,  Pie  VII  avait  consenti  à  faire  avec  la 
solennité  accoutumée  la  cérémonie  du  sacre  dans  la 
métropole  de  Paris. 

Le  pape  annonça  quelque  temps  après  à  toute  la  chré- 
tienté, dans  une  allocution  consistoriale  du  26  juin  1805, 
((  qu'il  avait  procédé  avec  toute  la  pompe  des  cérémonies 
prescrites  par  l'Église  à  la  consécration  et  au  couronne- 
ment de  l'empereur  et  de  sa  très  chère  fille  en  Jésus- 
Christ,  excellente  épouse  de  ce  prince,  »  déclarant 
ainsi  d'une  manière  solennelle  la  validité  du  mariage 
de  l'empereur. 

M.  Garnier  rapporte,  après  le  cardinal  délia  Somaglia, 
que  Pie  VII,  en  apprenant  le  projet  caressé  par  Napo- 
léon, s'écria  : 

«  Comment  l'empereur  peut-il  penser  à  faire  annuler 
son  mariage,  puisque  j'avais  donné  au  cardinal  Fesch 
toutes  les  dispenses  nécessaires?  » 

Ces  considérations  formaient  au  moins  une  grave  pré- 
somption contre  la  rupture  humiliante  et  douloureuse 

-—  Longueval,  t.  IV,  p.  460.  Ces  trois  derniers  auteurs  étudient 
le  droit  de  Charlemagne,  qui  se  maria  avec  Hildegarde,  après 
avoir  quille  Hermengarde ,  fille  du  roi  des  Lombards. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  279 

pour  l'impératrice  Joséphine,  que  l'on  voulait  obtenir 
du  Vicaire  de  Jésus-Christ  '. 

•  D'ailleurs  il  était  difficile,  au  moment  où  le  pape  était 
prisonnier  à  Savone,  de  trouver  un  tribunal  compétent, 
investi  du  droit  légitime  de  se  prononcer  sur  une  cause 
qui  soulevait  de  si  graves  difficultés  canoniques.  Cepen- 
dant l'usage,  expliqué  et  justifié  par  de  graves  raisons, 
avait  toujours  été  de  réserver  la  solution  de  ces  diffi- 
cultés majeures  à  l'autorité  suprême  du  vicaire  de  Jésus- 
Christ. 

Mais  ces  considérations  n'étaient  pas  de  nature  à 
ébranler  les  résolutions  de  l'empereur.  Il  fit  établir,  en 
se  concertant  avec  l'autorité  diocésaine,  trois  tribunaux 
ecclésiastiques:  diocésain,  métropolitain  et  primatial , 
et  leur  intima  l'ordre  de  se  prononcer  promptement  sur 
la  question  qui  l'intéressait ,  sans  recourir  aux  lumières 
et  à  l'autorité  du  saint-siège. 

VI.  —  La  commission  ecclésiastique  supérieure  dont 
nous  avons  déjà  parlé  n'avait  pas  cessé  de  tenir  ses 
séances  depuis  la  discussion  de  l'adresse  à  l'empereur, 
elle  s'attribuait  une  autorité  particulière  excessive  dans 
les  affaires  religieuses  de  l'Église  de  France  ;  elle  leva 
les  scrupules  des  membres  de  l'officialité  diocésaine , 
embarrassés  de  la  mission  périlleuse  dont  ils  étaient 
chargés,  et  leur  conféra,  sans  autorité,  le  droit  de  se 
prononcer  sur  la  question  en  litige.  M.  Emery  se  sépara 
encore  une  fois  de  ses  collègues  et  réserva  son  opinion. 

Le  9  janvier  1810,  le  tribunal  diocésain,  après  avoir 

1  a  11  paraîtrait  qu'il  y  avait  une  cause  réelle  de  nullité,  mais 
dont  on  ne  voulut  pas  faire  mention  :  l'impuissance  relative  entre 
les  deux  époux,  empêchement  dont  Napoléon  lui-même  parla 
un  jour  au  Conseil  d'État,  et  que  l'on  connaissait  à  la  cour  de 
Vienne.»  (  Rohrbacher,  Histoire  universelle  de  l'Église  catho- 
lique, t.  XII,  livre  XII,  p.  45.) 


280  M.  ÉMERÏ 

examiné  et  discuté  les  raisons  invoquées  en  faveur  des 
prétentions  de  l'empereur,  déclara  officiellement,  par 
une  sentence  publique,  «  que  le  mariage  entre  Leurs 
Majestés  l'empereur  et  roi  Napoléon  et  l'impératrice  et 
reine  Joséphine  avait  été  nul  et  non  valablement  con- 
*  tracté,  et  qu'il  était  comme  tel  nul  et  de  nul  effet,  faute 
de  la  présence  du  propre  pasteur  et  de  celle  des  témoins 
voulus  par  le  concile  de  Trente  et  les  ordonnances.  » 

La  raison  prise  du  défaut  de  consentement  de  l'un  des 
conjoints  était  écartée  *. 

Un  seul  homme  pouvait  encore,  dans  ces  conjonc- 
tures difficiles ,  éclairer  la  situation  par  une  parole  nette 
et  courageuse,  c'était  le  cardinal  Fesch.  Seul  il  pouvait 
dire  encore  une  fois,  avec  autorité,  qu'il  avait  eu  la 
volonté  d'user  des  pouvoir  illimités  reçus  de  Pie  VII  et 
de  lever  tous  les  empêchements ,  quand  il  célébra  sans 
témoins,  dans  la  chapelle  des  Tuileries,  le  mariage  de 
l'empereur. 

Le  cardinal  Fesch  signa  et  remit  à  l'offîcial  du  dio- 
cèse la  déclaration  suivante,  en  l'absence  de  l'acte  de 
célébration  de  ce  mariage  : 

«  Plusieurs  fois  Sa  Majesté  l'impératrice  m'avait 
engagé  à  m'intéresser  auprès  de  Sa  Majesté  l'empereur 
pour  obtenir  la  bénédiction  de  leur  mariage;  mais  ce  ne 
fut  que  la  veille  du  couronnement  que  l'empereur,  me 
faisant  appeler  vers  une  ou  deux  heures  de  l'après-midi, 
me  dit  que  l'impératrice  voulait  absolument  recevoir  la 
bénédiction  nuptiale,  et  que,  pour  la  tranquilliser,  il 
s'était  décidé  à  m'appeler.  Mais  il  me  protesta  qu'il  ne 
voulait  pus  de  témoins ,  et  qu'il  exigeait  sur  toute  cette 
affaire  un  secret  aussi  absolu  que  celui  de  la  confession. 
Je  dus  lui  répondre  :  «  Point  de  témoins,  point  de  mariage. » 

«  Mais  voyant  qu'il  persistait  à  ne  vouloir  point  de 

1  Cf.  Welschingor,  le  Divorce  de  Napoléon.  —  Paris,  Pion. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  2M 

témoins ,  je  lui  dis  que  je  n'avais  point  d'autres  moyens 
que  de  me  servir  de  dispenses,  et,  montant  aussitôt  chez 
le  pape,  je  lui  représentai  que  très  souvent  j'aurais 
besoin  d'avoir  recours  à  lui  pour  des  dispenses,  et  que 
je  le  priais  de  m'accorder  toutes  celles  qui  me  devenaient 
quelquefois  indispensables  [tour  remplir  les  devoirs  de 
grand  aumônier.  Le  saint-père  adhérant  à  ma  demande, 
je  me  rendis  à  l'instant  chez  Sa  Majesté  l'empereur, 
avec  un  rituel  pour  donner  la  bénédiction  nuptiale  à 
Leurs  Majestés,  ce  qui  fut  fait  vers  quatre  heures  de 
l'après-midi. 

«  Deux  jours  après  environ,  l'impératrice  me  demanda 
un  certificat  de  cette  bénédiction  nuptiale,  mais  elle- 
même  ne  doutait  pas  qu'elle  lui  avait  été  accordée  pour 
calmer  sa  conscience,  et  que  cet  acte  devait  rester  sous 
le  plus  inviolable  secret  ;  je  lui  fis  connaître  l'impossibi- 
lité où  j'étais  de  lui  accorder  ce  qu'elle  me  demandait. 

ce  Néanmoins,  m 'ayant  assuré  que  l'empereur  consen- 
tait à  ce  que  ce  certificat  lui  fût  donné,  je  crus  devoir 
acquiescer  à  sa  demande;  mais  quelle  fut  ma  surprise 
lorsqu'ayant  dit  ce  que  j'avais  fait  à  l'empereur,  j'en 
reçus  de  très  sévères  reproches,  et  qu'il  me  dévoila  que 
tout  ce  qu'il  avait  fait  n'avait  d'autre  but  que  de  tran- 
quilliser l'impératrice  et  de  céder  aux  circonstances!  Il 
me  déclara  qu'au  moment  où  il  fondait  un  empire,  il  ne 
pouvait  pas  renoncer  à  une  descendance  en  lip:ne  directe. 

et  En  foi  de  quoi,  j'ai  donné  la  présente  déclaration 
pour  valoir  ce  que  de  droit. 

«  Paris,  6  janvier  1810. 

u  7  Cardinal  Fesch.  » 

Plusieurs  journaux ,  et  des  personnes  aussi  mal  infor- 
mées qu'empressées  à  mettre  en  circulation  des  nou- 
velles sans  fondement  ,  prétendirent  que  M.  Émery 


282  M.  ÉMERY 

avait  été  l'inspirateur  des  décisions  du  tribunal  diocé- 
sain, et  qu'il  avait  ainsi  assumé  devant  l'Église  et  devant 
l'histoire,  par  une  influence  occulte  et  puissante,  la 
responsabilité  de  l'annulation  du  premier  mariage  de 
l'empereur. 

Cette  assertion  est  fausse;  M.  Emery  n'est  solidaire 
à  aucun  degré  de  la  sentence  officielle  qui  fut  rendue,  et 
qu'il  n'a  pas  signée. 

Le  14  février  1810,  il  écrivait  à  M.  Girod,  de  l'Ain  : 
«  Vous  avez  vu  mon  nom  au  bas  d'une  pièce  à  laquelle 
je  n'ai  aucune  'part.  L'affaire  a  été  discutée  en  mon 
absence,  et  il  n'a  été  question  dans  la  commission  que 
de  la  compétence.  Ces  messieurs  disent  que  la  sentence 
et  les  motifs  n'ont  point  été  soumis  à  leurs  délibéra- 
tions. J'incline  cependant  à  croire  que,  du  côté  du  tri- 
bunal ecclésiastique ,  tout  a  été  régulier.  » 

Un  élève  du  séminaire ,  qui  fut  plus  tard  grand 
vicaire  de  Limoges,  M.  Hervy,  a  raconté  le  fait  suivant  : 

((  Au  moment  du  divorce  de  l'empereur,  des  journaux 
annoncèrent  que  M.  Emery  avait  pris  part  au  jugement 
prononcé  par  l'officialité  diocésaine,  que  l'on  accusait 
de  bassesse  envers  l'empereur.  Je  dis  à  M.  Montagne  qu'il 
me  semblait  que  M.  Émery  devait  démentir  cette  impu- 
tation calomnieuse. 

((  M.  Montagne  répondit  : 

((  —  Quel  bien  pourrait-il  en  résulter?  Cette  protesta- 
tion serait  arrêtée  par  la  police  ,  et  vous  et  vos  confrères 
seriez  renvoyés  dans  vos  familles.  » 

((  Peu  de  temps  après,  un  jour  de  grande  promenade, 
un  séminariste,  qui  avait  un  peu  la  police  du  réfectoire, 
me  dit  : 

«  —  Allez  à  la  table  de  M.  le  supérieur.  » 

«  Je  m'en  excusai,  en  lui  faisant  observer  que  les 
anciens  n'avaient  pas  encore  mangé  avec  M.  le  supé- 
rieur; mais  il  insista,  et  j'obéis. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  283 
a  M.  Émery  attaqua  aussitôt  la  question  du  divorce 
le  l'empereur.  Il  parla  du  tribunal  de  l'officialité  diocé- 
wiine,  érigé  brusquement  et  détruit  aussitôt  après  qu'il 
cul  rendu  la  décision  qu'on  lui  demandait.  Il  exposa 
fort  longuement  les  raisons  qui  avaient  été  alléguées 
pour  l'aire  prononcer  la  nullité  du  mariage  de  Joséphine. 
11  en  rejeta  plusieurs  comme  nulles,  ainsi  le  défaut  de 
consentement  de  l'empereur. 

«  Il  parla  ensuite  de  la  présence  du  propre  prêtre  ;  il 
observa  que,  si  l'on  avait  soutenu  théoriquement  que  le 
grand  aumônier  était  le  prêtre  de  nos  rois,  on  n'avait 
jamais  suivi  ce  sentiment  dans  la  pratique,  et  que  tou- 
jours le  curé  de  Saint- Germain  assistait,  en  étole,  à  la 
bénédiction  nuptiale  qui  était  donnée  par  le  grand  aumô- 
nier; et  il  en  conclut  que  le  mariage  célébré  par  le  cardi- 
nal Fesch,  en  l'absence  du  curé  de  la  paroisse,  était  nul. 

«  Il  insista  ensuite  sur  l'incompétence  de  l'official 
pour  juger  les  causes  matrimoniales  des  souverains;  il 
dit  qu'il  n'était  pas  assez  indépendant  pour  être  juge,  et 
que  son  jugement  serait  suspect,  même  dans  le  cas  où  la 
force  de  caractère  le  rendrait  inaccessible  à  la  crainte  et 
à  l'ambition;  que  la  morale  publique  était  intéressée  à 
ne  pas  laisser  au  peuple  des  prétextes  pour  accuser  ses 
rois  d'adultère  ,  et  que  ces  prétextes  étaient  inévitables, 
quand  les  causes  de  divorce  étaient  livrées  au  jugement 
des  simples  sujets  des  souverains.  Il  ajouta  qu'il  n'y 
avait  que  le  pape,  libre  dans  ses  Etats,  qui  eût  assez 
S'indépendance  pour  prononcer  des  jugements  autorisés, 
et  qu'il  avait  protesté  lui-même  contre  la  compétence  de 
l'officialité  de  Paris,  sans  donner  son  avis  sur  le  fond  de 
la  question  !.  » 

1  Lettre  inédite.  M.  Émery  ne  parle  pas  des  pouvoirs  illimités 
accordés  par  Pie  VII  dans  celte  circonstance  à  S.  E.  le  cardinal 
Fesch. 


284  M.  EMERY 

Le  cardinal  Fesch  ne  partageait  pas  les  inquiétudes  si 
légitimes  de  M.  Émery  touchant  l'incompétence  de  l'offi- 
cialité  diocésaine  dans  l'affaire  dont  il  était  saisi.  Il 
n'avait  pas  la  notion  exacte  des  droits  réservés  au  saint- 
siège  dans  les  causes  majeures  ;  il  était  disposé  à  se 
passer  du  concours  du  pape,  dont  il  contestait  l'autorité. 

Au  mois  de  juillet  1805 ,  sur  les  ordres  de  l'empereur, 
il  avait  essayé  officiellement  de  faire  annuler  le  mariage 
de  Jérôme.  Ambassadeur  à  Rome ,  investi  d'une  grande 
puissance,  habile  et  souple  dans  ses  supplications  et 
dans  ses  menaces,  il  se  flattait  d'y  réussir.  Irrité  des 
résistances  qu'il  rencontra,  il  écrivit  à  l'empereur  une 
lettre  où  il  révélait  sa  pensée  erronée  sur  le  droit  de 
résistance  au  chef  de  l'Église.  Il  semblait  indiquer  déjà 
à  l'empereur  la  ligne  de  conduite  qu'il  devait  suivre 
plus  tard  pour  tenter  d'obtenir  l'annulation  de  son  pre- 
mier et  légitime  mariage. 

«  Sire, 

«  Par  la  lettre  que  j'ai  eu  l'honneur  d'écrire  à  Votre 
Majesté,  le  14  messidor  courant,  elle  aura  vu  que  Sa 
Sainteté  s'était  décidée  à  renvoyer  le  courrier  avec  la 
réponse  négative  sur  l'affaire  du  mariage  J...  Mais  ma 
lettre  d'étonnement  que  j'écrivis  au  secrétaire  d'État 
suspendit  le  départ  de  ce  courrier,  pour  me  donner  le 
temps  de  répondre  au  mémoire  qu'il  m'avait  envoyé  pour 
appuyer  leur  délibération.  Je  ne  perdis  pas  un  instant, 
et  quatre  jours  après  j'ai  été  assez  heureux  d'adresser 
au  secrétaire  d'État  celui  que  j'ai  l'honneur  d'envoyer 
à  Votre  Majesté,  et  je  suis  fondé  à  croire  qu'ils  ne  pour- 
ront pas  se  refuser  à  rendre  une  justice  si  bien  fondée  en 
raisons  et  en  autorité. 

«  Oserais -je  prier  Votre  Majesté  de  lire  entièrement 
ce  mémoire,  qui  la  mettra  bien  au  fait  de  l'état  de  la 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  285 

question,  et  que  si  l'on  s'entête  ici  à  persister  dans  un 
refus,  ce  procès  sera  gagné  victorieusement  en  France 
par-devant  l'archevêque  de  Paris? 

«  Je  suis  avec  respect,  Sire, 
«  De  Votre  Majesté  Impériale  et  Royale  , 
«  Le  très  obéissant  serviteur, 

«  Le  cardinal  Fesgh  K 

a  Rome,  le  21  messidor  13«  (10  juillet  1805).  » 

Le  cardinal  se  proposait  donc  d'en  appeler  de  Rome 
à  l'archevêque  de  Paris ,  dans  une  affaire  dont  la  solu- 
tion appartenait  essentiellement  au  saint-siège.  M.  Émery 
ne  pouvait  pas  approuver  cet  oubli  des  principes  les  plus 
certains  de  la  théologie  et  des  droits  du  Vicaire  de  Jésus- 
Christ. 

VIL  —  L'empereur  avait  réuni  de  force  à  Paris  tous 
les  cardinaux  valides  qui  résidaient  à  Rome  au  moment 
de  l'enlèvement  de  Pie  VII,  avec  l'espérance  de  les 
dominer  soit  par  la  crainte ,  soit  par  des  promesses  qui 
flatteraient  leur  amour -propre,  et  de  s'assurer  un  rôle 
prépondérant  dans  le  prochain  conclave,  si  le  pape  suc- 
combait aux  épreuves  prolongées  de  la  captivité.  Il  dota 
ces  princes  de  l'Église  d'une  pension  de  trente  mille 
francs,  les  attira  aux  fêtes,  aux  soirées  de  la  cour,  et 
leur  donna  des  places  d'honneur  aux  offices  du  dimanche, 
dans  la  chapelle  impériale  des  Tuileries. 

Les  cardinaux  qui  résidaient  à  Paris  résolurent,  par 
un  sentiment  de  haute  convenance  autant  que  pour 
détourner  l'orage  d'une  terrible  persécution,  d'assister 
à  la  cérémonie  civile  du  mariage  de  l'empereur  avec 

1  Archives  nationales,  AF.  iv,  1694.  Cette  lettre  n'a  jamais  été 
publiée. 


286  M.  ÉMERY 

Marie- Louise,  archiduchesse  d'Autriche.  Ils  hésitaient 
seulement  sur  la  conduite  à  tenir  à  l'égard  du  mariage 
religieux;  ils  craignaient  de  consacrer,  par  leur  présence 
à  l'église,  un  acte  dont  ils  contestaient  la  validité. 

M.  Émery,  consulté  par  le  cardinal  délia  Somaglia,  lui 
répondit  que  cette  assistance  au  mariage  religieux  lui 
paraissait  licite,  prudente  ,  et  que  son  absence,  en  infli- 
geant un  blâme  implicite,  une  humiliation  publique 
à  l'empereur,  appellerait  sur  l'Eglise  de  France  en 
particulier,  peut-être  même  sur  le  saint- père,  d'inévi- 
tables malheurs.  Puis,  prenant  le  langage  du  théolo- 
gien ,  il  ajouta  qu'il  n'était  pas  permis  cependant  d'agir 
contre  sa  conscience,  et  que,  si  Son  Eminence  ne  croyait 
pas  en  conscience  avoir  le  droit  d'assister  à  la  cérémonie 
religieuse,  elle  devait  s'en  abstenir. 

Des  rapports  infidèles  dénaturèrent  les  sages  paroles 
de  M.  Emery  ;  ils  prétendirent  qu'il  avait  donné  aux 
cardinaux,  réunis  à  Paris,  le  conseil  imprudent  de  pro- 
tester contre  le  mariage  religieux  de  l'empereur,  en 
refusant  de  paraître  à  la  cérémonie.  Une  telle  interpré- 
tation de  la  pensée  de  M.  Emery  était  contraire  à  toute 
sa  conduite  dans  cette  affaire ,  à  toutes  ses  paroles  ;  elle 
exposait  le  supérieur  et  les  membres  de  la  compagnie  de 
Saint-Sulpice  à  de  grands  dangers.  Le  cardinal  Fesch, 
affligé  et  ému  de  cette  nouvelle  si  peu  conforme  à  ses 
espérances  et  aux  déclarations  de  M.  Emery,  s'empressa 
de  lui  écrire  pour  avoir  une  explication  de  sa  conduite, 
et  le  justifier  quand  le  bruit  fâcheux  de  sa  résistance 
arriverait  aux  oreilles  de  l'empereur. 

((  Hier  au  soir,  disait  le  cardinal  Fesch,  une  personne 
digne  de  foi,  et  dont  le  témoignage  est  au-dessus  de  tout 
soupçon ,  m'a  assuré  avoir  entendu  le  matin  ,  de  ses 
propres  oreilles,  d'un  cardinal  parlant  à  elle-même,  que 
M.  Emery  avait  confirmé  ce  cardinal  dans  son  opinion 
qu'il  ne  pouvait  pas,  en  conscience,  assister  au  mariage 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  287 

de  l'empereur.  J'ai  eu  beau  assurer  à  cette  personne 
que,  hier  même,  à  trois  heures  après  midi,  M.  Émery, 
pour  la  seconde  ou  troisième  fois,  m'avait  protesté  qu'il 
était  d'une  opinion  toute  contraire,  et  qu'il  pensait  que 
les  cardinaux  pouvaient  assister  à  la  cérémonie,  cette 
personne  a  persisté  à  soutenir  que  vous  aviez  tenu  à  ce 
cardinal  un  langage  entièrement  opposé  à  celui  que  j'ai 
dit  avoir  entendu  de  vous.  Cette  affaire  est  trop  grave 
pour  qu'elle  ne  soit  pas  éclaircie,  afin  de  faire  revenir 
des  personnes  qu'on  a  voulu  tromper.  Je  vous  demande 
une  réponse  catégorique  et  qui  ne  puisse  laisser  aucun 
doute  sur  votre  manière  de  penser  à  cet  égard,  et  sur  les 
propos  qu'on  vous  attribue  d'avoir  tenu  à  ce  cardinal. 
J'ai  besoin  de  votre  réponse  aujourd'hui ,  avant  six 
heures  du  soir.  » 

M.  Émery  écrivit  aussitôt  au  cardinal  délia  Somaglia, 
qui  n'avait  pas  répété  fidèlement  ses  paroles,  la  lettre 
suivante  : 

VIII.  —  ((  Votre  Eminence  voudra  bien  me  permettre 
de  lui  adresser  avec  simplicité  quelques  plaintes  respec- 
tueuses. M*r  le  cardinal  Fesch  m'a  témoigné  savoir,  d'une 
personne  au-dessus  de  tout  soupçon,  que  j'avais  décidé 
(jiie  MM.  les  cardinaux  ne  pouvaient  en  conscience 
assister  à  la  cérémonie  du  mariage  de  l'empereur,  et 
c'est  par  écrit  qu'il  me  l'a  témoigné,  et  avec  un  vrai  ton 
de  mécontentement. 

((  Un  évèque  qui  est  venu  me  voir  m'a  assuré  que 
c'était,  vous,  Monseigneur,  qui  aviez  instruit  M.  le  car- 
dinal Fesch  de  cette  décision,  comme  l'ayant  entendu  de 
ma  bouche. 

((  1°  Quand  il  serait  vrai  que  j'aurais  donné  cette  déci- 
I   sion,  indépendamment  de  ce  que  mon  avis  serait  de  la 
plu-;  mince  autorité  vis-à-vis  des  cardinaux,  Votre  Emi- 
nence n'a  donc  pas  vu  qu'elle  m'exposait  au  plus  grand 


288  M.  ÉMEKY 

danger,  puisque  la  colère  de  l'empereur  qui  éclaterait 
contre  les  cardinaux  refusant  d'assister  au  mariage  re- 
tomberait ensuite  et  plus  rudement  encore  sur  moi ,  s'il 
venait  à  connaître  que  moi,  sans  mission  et  sans  ca- 
ractère, j'ai  influé  sur  ce  refus?  Quel  avantage  n€ 
donnerais -je  pas  contre  moi  à  mes  ennemis,  qui  m'ob- 
servent jour  et  nuit,  dans  le  dessein  de  me  perdre? 

«  2°  Ou  l'on  vous  a  donc  bien  mal  entendu,  ou  vous 
m'avez  bien  mal  entendu  vous-même,  quand  j'ai  eu 
l'honneur  de  répondre  à  Votre  Éminence  sur  les  ques- 
tions qu'elle  m'a  faites  à  ce  sujet.  Vous  m'avez  dit 
qu'après  avoir  fait  les  recherches  les  plus  exactes,  vous 
étiez  convaincu  que  vous  ne  pouviez  pas  aller  au  mariage 
sans  blesser  votre  conscience. 

((  J'ai  dû  vous  dire  et  je  vous  ai  dit  que,  dans  cette 
supposition,  vous  ne  deviez  point  y  assister,  parce  que 
j'étais  persuadé  comme  vous  qu'on  ne  pouvait,  qu'on  ne 
devait  jamais  agir  contre  sa  conscience,  même  erronée. 
Je  suis  convenu  encore  avec  Votre  Éminence ,  sui 
diverses  raisons,  qu'il  y  aurait  moins  de  difficultés  à 
assister  à  Pacte  civil  qu'à  l'acte  religieux  ;  il  est  inutile 
d'entrer  à  ce  sujet  dans  aucun  détail. 

ce  Mais  vous  ai -je  jamais  dit  que  vous  ne  pouviez  er 
conscience  assister  au  mariage?  Ne  vous  ai -je  pas  fait 
remarquer  les  inconvénients  sans  nombre  qui  étaien 
attachés  à  votre  refus  d'assister?  Non  que  les  inconvé- 
nients soient  une  raison  d'autoriser  l'assistance  qu 
serait ,  d'ailleurs ,  illicite  ;  mais  ces  inconvénients  son 
une  raison  très  forte  d'examiner  le  plus  attentivemen 
qu'il  est  possible  si  réellement  l'assistance  est  illicite 
et  si  la  conscience  qu'on  s'est  formée  à  ce  sujet  n'es 
point  une  conscience  erronée.  » 

M.  Emery  envoya  au  cardinal  Fesch  une  copie  de  si 
lettre  et  la  réponse  du  cardinal  délia  Somaglia,  qui  réta 
blissait  la  vérité  sur  les  sentiments  qu'il  avait  exprimés 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  289 

IX.  —  Treize  cardinaux  refusèrent  d'assister  au  ma- 
riage religieux  de  Napoléon  avec  l'archiduchesse  d'Au- 
triche; ils  expliquèrent  leur  absence  dans  cette  adresse 
respectueuse  à  l'empereur  : 

«  Les  cardinaux  soussignés,  frappés  de  l'indignation 
de  Votre  Majesté  impériale  et  royale  ,  qui  leur  a  été 
exprimée  par  son  ministre  dans  les  termes  les  plus  forts, 
parce  qu'on  les  a  crus  coupables  de  rébellion  pour  n'être 
pas  intervenus  à  la  cérémonie  religieuse  du  mariage, 
déposent  au  pied  de  votre  trône  cette  humble  déclara- 
tion ,  par  laquelle  ils  font  connaître  avec  vérité  et  fran- 
chise leurs  sentiments  infiniment  éloignés  de  cette  incul- 
pation qu'ils  ont  tant  en  horreur. 

«  Ainsi,  ils  protestent  qu'il  n'y  a  eu  ni  intrigues,  ni 
coalition,  ni  complot  d'aucune  espèce;  que  leur  opinion 
a  été  le  résultat  de  quelques  communications  confiden- 
tielles et  fortuites ,  qu'ils  n'ont  jamais  eu  pour  objet  les 
graves  conséquences  qui  leur  ont  été  manifestées  par  le 
ministre.  Ils  n'ont  point  assisté  à  la  susdite  cérémonie, 
par  le  seul  motif  que  le  pape  n'était  point  intervenu  dans 
la  dissolution  du  premier  mariage. 

«  Ils  déclarent,  en  outre,  qu'ils  n'ont  jamais  eu  dans 
la  pensée,  ni  de  se  faire  juges,  ni  de  vouloir  douter  de 
la  validité  delà  dissolution  du  premier  mariage,  ni  delà 
légitimité  du  second,  ni  de  jeter  de  l'incertitude  sur  les 
droits  des  enfants  qui  en  naîtront  à  la  succession  du 
trône. 

«  Enfin,  ils  supplient  Votre  Majesté  d'agréer  leur 
humble  et  sincère  déclaration  unie  aux  sentiments  du 
profond  respect,  de  l'obéissance  et  de  la  soumission  qu'ils 
ont  l'honneur  de  lui  vouer. 

«  Paris,  le  5  avril  1810  1 .  » 

1  Au  tome  Ier  de  ses  Mémoires,  le  cardinal  Consalvi  explique 
autrement  son  abstention  et  celle  des  autres  cardinaux  qui  parta- 

II  9 


290  M.  ÉMERY 

Cette  déclaration  respectueuse  des  treize  cardinaux, 
qui  ne  tranchait  pas  la  question  capitale  de  la  validité 
du  second  mariage,  ne  pouvait  pas  désarmer  la  colère 
de  l'empereur  ;  il  voyait  dans  leur  conduite  à  son  égard 
un  blâme  téméraire  et  une  protestation  indirecte  d'une 
publicité  scandaleuse;  il  leur  défendit  de  porter  les 
insignes  du  cardinalat,  et  les  dispersa  aux  environs  de 
Paris. 

Le  cardinal  Pacca  jugea  sévèrement  les  cardinaux 
comblés  des  faveurs  impériales  qui  ,  après  avoir  donné 
à  Paris,  pendant  que  le  pape  était  captif,  le  spectacle 
d'une  vie  mondaine,  se  permirent  encore  d'assister  à  la 
cérémonie  religieuse  du  mariage  de  Napoléon.  Après  avoir 
rappelé,  avec  la  grave  autorité  d'un  témoin,  les  faits 
que  nous  avons  racontés  et  les  solennelles  paroles  de 
Pie  VII  déclarant  que  Joséphine  était  l'épouse  légitime 
du  prince,  il  s'exprime  ainsi  dans  ses  Mémoires  : 

«  D'après  une  déclaration  si  solennelle  de  la  part 
d'un  pontife  religieux  comme  l'était  Pie  VII,  comment 
les  cardinaux  pouvaient -ils  prendre  part  à  une  affaire 
d'une  si  haute  importance  sans  une  nouvelle  déclaration 
du  même  pontife?  Ils  ne  pouvaient  trouver  aucun  motif 
de  sécurité ,  ni  dans  le  procès  mystérieux  qui  avait  été 
fait  secrètement,  ni  dans  la  décision  d'un  petit  nombre 

gesrient  son  sentiment.  «  On  prétendait,  écrit  Consnlvi ,  que  le 
mariage  précédent  avec  Joséphine  avait  été  dissous,  quant  au  lien 
sacramentel,  par  une  sentence  de  l'ofticialité  de  Paris,  confirmée 
par  l'officialité  métropolitaine,  déclarant  nulle  la  première  union. 
Treize  cardinaux,  au  nombre  desquels  j'étais,  trouvèrent  cette 
procédure  illégale  et  illégitime.  Il  ne  voulait  pas  même,  écrit-il, 
assister  au  mariage  civil,  «  parce  que  cet  acte  donnait  lieu  de 
«  regarder  comme  brisé  légitimement  le  lien  précédent...  Ne  pas 
«  assister  à  la  célébration  de  son  mariage,  c'était  protester  ofti- 
«  ciellement  et  canoniquement.  » 

Or,  dans  la  déclaration  que  nous  venons  de  citer,  Consalvi 
déclare  qu'il  n'a  jamais  eu  la  pensée  de  douter  de  la  validité  de 
la  dissolution  du  premier  mariage,  ni  de  la  légitimité  du  second. 


ET  L'EGLISE  DE  FRANCE  291 

de  piètres,  sujets  de  l'empereur,  qui  composaient  le  tri- 
bunal de  la  soi-disant  officialité  de  Paris;  parce  que  cette 
décision  ne  pouvait  être  opposée  à  ce  que  les  cardinaux 
avaient  entendu  de  la  bouche  même  du  chef  suprême 
de  l'Église.  » 

Quelques  séminaristes  demandés  par  le  cardinal  Fesch 
assistèrent  à  la  cérémonie.  Avant  leur  départ,  M.  Émery 
les  réunit ,  leur  donna  des  conseils  appropriés  à  la  cir- 
constance, et  leur  cita  cette  parole  de  saint  Fulgence, 
à  l'entrée  triomphale  de  Théodoric,  roi  d'Italie  : 

«  Si  la  splendeur  de  Rome  terrestre  est  si  grande, 
quelle  doit  donc  être  la  beauté  de  la  Jérasalem  céleste  î 
Si,  dans  cette  vie  périssable,  Dieu  environne  d'un  si 
grand  éclat  les  partisans  et  les  amateurs  de  la  vanité , 
quelle  gloire  et  quelle  félicité  prépare- t-il  donc  aux 
saints  dans  le  ciel  !  » 

Libre  de  tout  engagement,  M.  Emery  s'abstint  d'as- 
sister au  mariage  de  l'empereur  ;  il  resta  dans  la  paix 
solitaire  de  sa  cellule,  méditant  sur  la  fragilité  des 
honneurs  de  la  terre,  sur  les  épreuves  qu'il  venait  de 
subir,  se  rapprochant  tous  les  jours  davantage ,  par  les 
progrès  de  son  àme  mortifiée ,  de  cette  cité  céleste  dont 
le  nom  revient  souvent  dans  ses  lettres,  comme  un  pres- 
sentiment de  sa  fin  prochaine  et  de  sa  délivrance. 


CHAPITRE  XIII 


NOUVELLES   MENACES   CONTRE   LA  COMPAGNIE 

I.  —  Dans  le  courant  de  l'année  4804,  M.  Émer} 
ayant  reçu  de  M.  de  Gourgues,  bienfaiteur  de  la  com- 
pagnie, un  don  généreux,  avait  racheté  le  parterre  et  la 
maison  de  l'ancienne  propriété  d'Issy.  Il  aimait  à  revoir 
ces  lieux;  ils  lui  rappelaient  les  plus  touchants  souve- 
nirs de  sa  jeunesse  sacerdotale  et  les  traditions  de  l'an- 
cien séminaire  frappé  avec  tant  de  violence  par  la  tyrannie 
de  la  Révolution  ;  tout  son  désir  était  depuis  longtemps 
d'installer  encore  une  fois  ses  confrères  et  les  jeunes 
séminaristes  dans  la  maison  et  dans  les  jardins,  animés 
autrefois ,  sanctifiés  par  la  présence  et  par  les  exemples 
des  premiers  directeurs  de  la  compagnie. 

Il  s'était  empressé  de  faire  part  de  son  bonheur  à  son 
ami,  l'évèque d'Alais ,  dans  une  lettre  du  8  février  1804  : 

((  Vous  paraissez ,  par  suite  de  votre  amitié  poui 
Saint -Sulpice,  mettre  quelque  intérêt  au  recouvremenl 
de  la  maison  d'Issy.  Je  crois  donc  vous  faire  plaisir  er 
vous  apprenant  que  l'acquisition  de  cette  maison  esl 
consommée.  Cette  acquisition  ne  comprend  que  la  mai- 
son et  le  parterre.  Le  parc  et  la  chapelle  de  Lorett( 
n'en  font  point  partie.  Nos  moyens  ne  nous  ont  poin 
permis  de  joindre  l'un  à  l'autre.  La  Providence  nou! 
fournira  peut-être  ce  qui  nous  manque  aujourd'hui 
Ma  transplantation,  et  l'établissement  de  notre  nouvelli 


M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  293 

maison  tant  au  spirituel  qu'au  temporel,  absorbent  tout 
mon  temps  et  me  font  oublier  Descartes  et  Newton. 

«  Je  viens  de  faire  une  retraite  dans  la  maison  d'Issy. 
J'occupais  l'appartement  de  mes  prédécesseurs,  que  j'ai 
rétabli  dans  son  premier  état.  J'ai  dit  la  messe  tous  les 
jours  dans  la  chapelle  de  Saint- Sauveur,  quoiqu'elle 
ne  soit  pas  encore  entièrement  rétablie.  J'allais  dans  le 
clos,  avec  l'agrément  du  propriétaire,  dire  mon  chapelet 
auprès  de  la  chapelle  de  Lorette,  à  la  porte  qu'on 
appelait  des  Lions. 

«  Ces  réminiscences  m'ont  donné  beaucoup  de  conso- 
lations. Mais  les  réparations  à  faire  dans  la  maison  sont 
en  très  grand  nombre ,  quoique  chacune  ne  soit  pas 
considérable.  Le  parterre  avait  disparu,  et  n'offrait  plus 
qu'un  jardin  potager;  la  plupart  des  arbres  étaient 
abattus.  J'ai,  fait  rétablir  toutes  les  allées  telles  qu'elles 
étaient,  replanter  les  charmilles  et  le  même  nombre 
d'arbres.  J'ai  fait  placer  dans  la  bibliothèque  autant  de 
livres  qu'elle  en  contenait  auparavant.  » 

Privé  encore  de  la  consolation  de  prier  dans  la  cha- 
pelle de  Lorette ,  dont  le  prix  d'achat  dépassait  de  beau- 
coup ses  modestes  ressources,  M.  Emery  voulait  cepen- 
dant réveiller,  entretenir  dans  le  cœur  des  séminaristes 
une  dévotion  filiale  à  la  sainte  Vierge.  Il  se  souvint  que 
saint  François  de  Paule  avait  fait  honorer  la  sainte 
Vierge  sous  le  vocable  de  Notre-Dame  de  Toutes-Grâces, 
et  que  MM.  Olier  et  Bretonvilliers  aimaient  à  donner  ce 
nom  dans  leurs  prières  à  la  mère  de  Jésus- Christ. 

Secondé  par  des  séminaristes  animés  d'un  excellent 
esprit  et  d'un  grand  désir  de  témoigner  leurs  sentiments 
de  religion  envers  la  sainte  Vierge,  il  fit  construire  une 

i  humble  chapelle  provisoire  dans  le  jardin  où  il  venait 
de  s'installer,  et  la  plaça  sous  la  protection  de  Notre- 
Dame  de  Toutes- Grâces;  il  attendait  sans  impatience 

I  le  jour  qui  lui  semblait,  hélas!  bien  éloigné,  où  la  Pro- 


294  M.  ÉMERY 

vidence  lui  permettrait  d'entrer  en  possession  de  la  cha- 
pelle de  Lorette. 

((  Nous  sommes  donc  à  Issy,  écrivait  M.  Émery  au 
père  Grivel,  le  31  avril  1808,  point  encore  de  chapelle 
de  Lorette  ;  mais  nous  avons  dans  le  jardin  de  M.  Pvégnier 
une  chapelle  dédiée  à  la  sainte  Vierge,  sous  le  nom  de 
Notre-Dame  de  Toutes -Grâces.  Saint  François  de  Paule 
avait  fait  honorer  la  sainte  Vierge  sous  ce  nom  dans 
l'église  des  Bons  -  Hommes  de  Chaillot.  J'ai  vu,  dans  les 
vies  de  MM.  Olier  et  de  Bretonvilliers ,  qu'ils  avaient  su 
gré  à  saint  François  d'avoir  eu  cette  pensée,  et  qu'ils 
allaient  fréquemment  visiter  cette  église  des  Bons- 
Hommes.  On  a  pillé,  on  a  détruit  l'église;  mais  le  titre 
de  Notre-Dame  de  Toutes -Grâces  était  tombé  par 
terre;  je  l'ai  ramassé  et  je  l'ai  pris.  N'ai -je  pas  bien 
fait?  Et  croyez -vous  que  la  nation  me  prendra  pour  un 
voleur?  » 

Il  vint  là,  dans  cet  oratoire  improvisé  en  1808,  quand 
il  fut  nommé  membre  du  conseil  supérieur  de  l'Univer- 
sité; et  après  avoir  longtemps  prié  la  sainte  Vierge,  il 
prit  l'engagement  secret  de  réserver  tous  les  ans  son 
traitement  de  conseiller  pour  le  rachat  de  la  maison  où 
M.  Olier  avait  placé  le  berceau  de  la  compagnie.  En 
sortant  des  longues  séances  du  conseil  supérieur  de 
l'Université,  il  rentrait  lentement  au  séminaire,  comp- 
tait ses  jetons  de  présence ,  et  disait  à  son  vieil  ami , 
M.  Garnier  : 

«  Voilà  tant  de  gagné  aujourd'hui  pour  la  sainte 

Vierge.  » 

Il  put  réaliser  une  partie  de  ses  espérances  vers  la  fin 
de  l'année  1809,  et  faire  déjà  l'acquisition  du  jardin 
potager  d'Issy ,  du  cabinet  où  Bossuet  et  Fénelon  avaient 
tenu  leurs  célèbres  conférences  sur  le  quiétisme,  et 
enfin  de  la  maison  de  M.  Olier. 


ET  L*È61#ISfi  DE  FRANCE  295 

II.  —  Son  dernier  vœu  était  de  recouvrer  la  chapelle 
tde  Lorette,  afin  de  laisser  en  mourant  ce  pieux  sou- 
venir de  ses  pères  à  la  reconnaissance  de  ses  succes- 
seurs : 

«.  Nos  messieurs,  écrivait  M.  Émery  à  l'évoque  d'Alais 
le  <)  février  1811,  consentent  qu'en  emploie  trente  mille 
livres  à  l'acquisition;  mais  ils  ne  croient  pas  que  l'on 
doive  aller  au  delà.  Il  m'est  possible,  tant  de  mon  patri- 
■■•  moine  que  de  mes  revenus  de  conseiller,  d'ajouter  qua- 
torze mille  livres.  Je  désirerais  l'acquisition,  principale- 
ment pour  rétablir  la  chapelle  de  Lorette,  et  je  la  désire 
1°  par  respect  pour  la  mémoire  de  mes  prédécesseurs 
à  qui  cette  chapelle  était  si  chère;  2°  pour  témoigner  à 
la  sainte  Vierge  notre  reconnaissance  de  ce  qu'elle  a  fait, 
car  ce  n'est  qu'à  sa  protection  singulière  que  nou^ 
devons  notre  existence,  qui,  quoique  telle  quelle,  me 
parait  miraculeuse  :  3°  pour  mériter  la  continuation  de 
•cette  protection. 

n  II  est  singulièrement  désagréable  pour  moi  d'être 
la  dupe  et  la  victime  de  la  grossièreté  et  de  l'avidité  d'un 
mercenaire  :  je  passerais  sur  cette  considération  ;  mais 
on  me  fait  entendre  que  ce  n'est  pas  le  plus  grand  bien  ; 
qu'avec  quatorze  mille  francs  je  peux  faire  un  plus  grand 
bien  que  ne  sera  le  rétablissement  de  cette  chapelle, 
dont  peut-être  moi  et  Saint- Sulpice  profiteront  fort 
peu. 

«  Mon  cœur  va  à  l'acquisition  ;  mais  la  considération 
précédente  me  retient.  Cependant,  dans  quatre  ou  cinq 
jours  il  faut  que  cela  soit  décidé.  Vous  êtes  sape,  vous 
êtes  désintéressé,  vous  connaissez  les  avantages  et  |éfl 
désavantages.  Décidez- moi  pour  la  plus  grande  gloire 
de  Dieu,  pour  le  plus  grand  bien  de  Saint -Sulpice.  » 

M.  Emery  craignait  de  voir  cette  maison  de  Lorette, 
devenue  la  propriété  d'un  plombier  enrichi,  tenace  et 
très  intéressé,  démolie  ou  affectée  à  d'autres  usages;  il 


290  M.  ÉMERY 

voulait  à  tout  prix  la  sauver  de  la  destruction  sacrilège 
et  la  conserver  avec  les  souvenirs  de  M.  Olier.  Le  conseil 
de  la  compagnie  hésitait  devant  la  dépense,  et  tout  en 
craignant  de  déplaire  à  M.  Émery,  qui  avait  à  un  si 
haut  degré  l'esprit  de  ses  pères,  l'amour  le  plus  tendre 
pour  les  souvenirs  aimés  de  ses  prédécesseurs ,  il  n'osait 
pas  encourager  son  pieux  dessein.  M.  de  Bausset  estimait 
qu'il  serait  téméraire,  compromettant,  d'assumer  la  res- 
ponsabilité d'un  avis  touchant  l'avenir  de  Lorette  ;  néan- 
moins ,  après  de  longues  tergiversations ,  il  conseilla 
hardiment  à  son  ami  de  réaliser  son  pieux  projet. 

«  In  verbo  tuo  laxabo  rete,  lui  répond  joyeusement 
M.  Émery  le  3  mars  1811  ;  puisque  vous  pensez  que  je 
dois  le  faire  j'achèterai  le  clos.  Ce  clos  valant  trente 
mille  francs,  si  j'en  donne  quarante-quatre  mille,  ce 
sera  quatorze  mille  francs  que  j'aurai  donnés  pour  la 
conservation  de  Lorette.  Ce  sera  un  sacrifice  fait  à  la 
sainte  Vierge  et  à  la  mémoire  de  mes  prédécesseurs. 
Ces  quatorze  mille  francs ,  je  les  aurais  employés  à  une 
bonne  œuvre.  J'étais  sulement  inquiet  de  savoir  si  la 
première  devait  l'emporter  sur  toute  autre.  Vous  an- 
noncez,  en  me  parlant  du  manuscrit  de  Bossuet,  que 
vous  ferez  bientôt  un  petit  voyage  à  Paris.  Oh  !  que  nous 
avons  de  choses  à  dire  qui  ne  se  disent  qu'en  conver- 
sation !  » 

Heureux  de  rentrer  enfin  dans  la  maison  de  ses  pères, 
M.  Émery  signa  le  contrat  de  vente,  remit  la  somme 
convenue  à  M.  Blin,  le  propriétaire  intéressé  de  la 
maison  de  Lorette,  qui  réalisait  une  bonne  affaire,  et 
s'occupa  aussitôt,  avec  un  empressement  plein  de  can^ 
deur,  de  réparer  la  maison  et  ses  dépendances.  Il  refit 
le  parc,  installa  des  jeux  de  balle,  rétablit  les  anciennes 
allées,  restaura  la  chapelle  avec  le  secours  de  la  Provi- 
dence  et  de  ses  propres  économies. 


ET  L'ÉGLISE  DE  Fit ANCE  297 

III.  —  Cependant  la  colère  capricieuse  de  l'empereur 
menaçait  encore  une  fois  la  compagnie.  Les  jansénistes 
et  les  constitutionnels,  ayant  appris  que  M.  Emery  avait 
refusé  de  signer  les  conclusions  de  la  commission  ecclé- 
siastique et  de  l'officialité  diocésaine  touchant  le  mariage 
le  Napoléon  et  la  nomination  illégitime  de  Maury  à  l'ar- 
chevêché de  Paris,  s'empressèrent  de  réveiller  de  nou- 
veau l'inimitié  dangereuse  de  Fouché. 

«  Je  vois  avec  peine,  disait  Bonaparte  au  cardinal 
Fesch  dans  un  moment  de  mauvaise  humeur,  que  vous 
écrasez  les  constitutionnels  ;  vous  ne  les  traitez  pas  de  la 
même  manière  que  les  anticonstitutionnels.  Cependant 
les  uns  sont  bien  plus  nos  amis  et  ceux  de  l'Etat  qu'une 
partie  des  autres.  Méfiez -vous  beaucoup  des  sulpiciens  ; 
je  vous  le  répète ,  ces  hommes  ne  sont  attachés  ni  à 
l'État  ni  à  la  religion  ;  ce  sont  des  intrigants.  » 

M.  Emery  fit  part  de  ses  craintes  au  cardinal  Fesch, 
qu'il  n'avait  jamais  cessé  de  considérer  comme  le  pro- 
tecteur désintéressé  de  la  compagnie  et  du  séminaire 
auprès  de  l'empereur  ;  il  lui  démasqua  le  dessein,  formé 
par  ses  ennemis,  de  faire  transférer  le  séminaire  Saint- 
Sulpice  de  la  rue  du  Pot-de-Fer,  où  il  était  à  peine  ins- 
tallé après  de  longs  sacrifices,  de  longs  ennuis,  soit  au 
collège  d'Harcourt,  soit  dans  l'abbaye  de  Sainte -Gene- 
viève, soit  enfin  à  Saint-Nicolas-du-Chardonnet.  Il 
discutait  ces  hypothèses,  démontrait  l'impossibilité  ma- 
térielle de  s'établir  dans  ces  vieux  bâtiments  ;  ils  avaient 
eu  des  destinations  différentes  sous  les  règnes  précé- 
dents, et  ils  ne  se  prêtaient  pas  facilement  aux  exi- 
gences d'une  maison  consacrée  à  la  formation  des  jeunes 
clercs.  Il  suppliait  enfin  le  cardinal  de  considérer  son 
grand  âge,  ses  infirmités,  d'écouter  son  affection  long- 
temps éprouvée  pour  Saint- Sulpice,  et  de  détourner 
l'empereur  d'un  projet  qui  troublait  cruellement  sa 
vieillesse  en  compromettant  les  plus  graves  intérêts. 


298  M.  ÉMERY 

M.  Émery  cherchait  le  repos  et  ne  le  trouvait  pas. 
Lorsqu'il  fut  obligé  de  passer  de  la  rue  Notre-Dame-des- 
Ghamps  à  la  rue  du  Pot -de -Fer,  il  se  croyait  enfin  à  la 
dernière  étape  de  son  voyage. 

((  J'espère  bien,  disait-il,  ne  sortir  d'ici  que  pour 
entrer  dans  la  maison  étemelle,  où  il  n'y  aura  pas  un 
clou  à  planter.  » 

Mais  la  Providence  ne  voulait  pas  lui  donner  sur  la 
terre  le  repos  si  longtemps  attendu,  et  le  27  mars  4810 
il  recevait  du  ministre  des  cultes  la  lettre  suivante,  qui 
faisait  évanouir  d'une  manière  cruelle  ses  dernières 
espérances. 

IV.  —  ((  Monsieur,  toutes  les  associations  ecclésiastiques 
d'hommes ,  non  autorisées  depuis  la  Révolution ,  ont  été 
déclarées  dissoutes  par  le  décret  du  3  messidor  an  XII. 
Dans  ce  nombre  se  trouvait  comprise  l'association  des 
sulpiciens,  ayant  pour  fondateur  M.  Olier. 

((  Quoique  les  membres  de  cette  association,  sous  le 
simple  titre  de  séminaire,  ne  fassent  point  de  vœux, 
quoiqu'ils  n'aient  point  de  costume  particulier,  cepen- 
dant il  est  de  fait  qu'ils  se  reconnaissent  et  qu'ils  corres- 
pondent entre  eux  comme  formant  une  société,  qu'ils 
ont  des  règlements  communs. 

ce  Sa  Majesté  m'a  donné  les  ordres  les  plus  formels 
pour  que  la  loi  ait,  à  l'égard  de  cette  société,  son  effet 
comme  pour  toutes  les  autres.  Je  dois  donc  prendre  le 
même  mode  d'exécution  pour  que  la  dissolution  soit 
opérée  et  constatée.  Je  vous  demande  en  conséquence  , 
comme  supérieur  de  cette  association ,  de  m'envoyer  : 
1°  un  état  nominatif  des  membres  de  l'association  des 
sulpiciens;  2°  le  lieu  de  leur  résidence;  3°  le  lieu  de 
leur  naissance;  4°  leur  âge,  au  moins  par  approxima- 
tion ;  5°  les  noms  de  ceux  qui ,  ayant  annoncé  la  vocation 
pour  entrer  dans  cette  société,  ont  été  admis  aux  tra- 


ET  I/Ér.LlSE  DE  FRANCE  299 

vaux  ou  aux  épreuves  préparatoires;  (>°  l'état  des  mai- 
sons ou  biens-fonds  ,  s'il  en  est,  qui  appartiennent  à  la 
société,  quoiqu'ils  puissent  être  sous  des  noms  particu- 
liers. 

«  Je  vous  invite  à  m'envoyer  ces  états  le  plus  tôt  pos- 
sible, et  je  dois  en  même  temps  vous  notifier  que  les 
rapports  qui  caractérisent  votre  association  mettraient, 
s'ils  étaient  continués,  les  membres  qui  la  composent 
en  état  de  désobéissance  formelle  à  la  loi.  » 

M.  Émery  se  trouvait  ainsi  sous  le  coup  de  deux 
menaces:  l'une  visait  le  séminaire,  l'autre  compromet- 
tait l'existence  même  de  la  compagnie.  Si  profonde  que 
fût  la  tristesse  de  ce  vaillant  serviteur  de  Dieu  en  se 
voyant  condamné  à  être  encore  une  fois  le  témoin 
impuissant  de  la  ruine  des  œuvres  qu'il  avait  tant 
aimées,  il  ne  perdit  ni  son  sang-froid  ni  son  courage; 
après  avoir  mis  sa  confiance  dans  la  Providence,  qui 
n'avait  jamais  cessé  de  le  protéger  aux  moments  les  plus 
difficiles  de  sa  vie,  il  prépara  son  plan  de  défense  avec  la 
sagacité  et  la  prudence  chrétienne  qui  marquent  toutes 
ses  actions. 

Gagner  du  temps,  laisser  au  cardinal  Fesch  le  soin 
de  le  défendre  au  moment  opportun ,  tel  était  le  parti  le 
plus  sage.  M.  Émery  s'empressa  de  l'adopter. 

Il  adressa  au  cardinal  Fesch  un  mémoire  détaillé 
sur  l'organisation ,  l'état  et  l'objet  précis  de  la  compa- 
gnie, en  insistant  sur  les  arguments  susceptibles  de 
mériter  l'attention  bienveillante  de  l'empereur  el  de 
l'éclairer. 

oc  On  ne  saurait  trop  répéter,  écrit  M.  Emery,  que 
l'association  de  Saint- Sulpice,  surtout  dans  les  circons- 
tances, ne  forme  pas  une  congrégation  proprement  dite, 
ni  même  un  corps  en  vigueur;  que  les  anciens  membres 
de  l'association  ont  bien  voulu,  pour  rendre  service  aux 
évêques,  reprendre  leurs  premières  fonctions;  qu'ils 


300  M.  ÉMERY 

n'ont  aucun  engagement  entre  eux ,  ni  avec  l'ancien 
supérieur  ;  que  le  supérieur  ne  s'est  servi  de  son  ancienne 
qualité  que  pour  leur  être  un  point  de  ralliement,  pour 
les  indiquer  aux  évéques  qui  les  demanderaient;  qu'il 
ne  fait  à  leur  égard  que  l'office  de  conseiller  et  d'ami  ; 
que  si  quelques  ecclésiastiques  ont  témoigné  du  goût 
pour  remplir  les  fonctions  de  directeurs  de  séminaire,  et 
qu'il  les  ait  crus  propres,  tout  a  consisté  de  sa  part  à  les 
instruire  sur  la  manière  dont  ils  devaient  remplir  leur 
vocation;  que  les  sujets  qui  sont  en  très  petit  nombre 
se  retirent  quand  ils  veulent;  que,  quand  les  membres 
de  l'association  travaillent  dans  un  séminaire,  c'est 
l'évêque  du  diocèse  qui  est  leur  supérieur  proprement 
dit,  et  que  leurs  relations  avec  le  chef  de  l'association 
consiste  à  recevoir  des  encouragements ,  des  consolations 
et  des  conseils. 

«  Il  ne  vaut  pas  la  peine  de  faire  aucun  éclat  pour 
dissoudre  cette  petite  association.  Les  ressources  qui  ont 
aidé  à  la  faire  subsister  s'épuisent  ;  son  chef  a  soixante- 
dix -huit  ans,  il  y  a  tout  lieu  de  craindre  qu'à  sa  mort 
elle  ne  se  dissipe  d'elle-même.  La  moitié  des  archevêques 
et  des  évèques  de  France  ont  été  élevés  dans  des  sémi- 
naires de  Saint -Sulpice;  ils  en  connaissent  bien  la  doc- 
trine, l'empereur  peut  s'en  informer,  et  puisqu'il  est 
très  content  de  ces  évèques  ,  sa  satisfaction  doit  s'étendre 
à  ceux  qui  les  ont  formés,  dans  le  sens  que  la  doctrine 
de  ces  derniers  ne  doit  pas  lui  être  suspecte.  » 

Après  avoir  développé  ces  arguments,  M.  Émery 
signalait  au  cardinal  Fesch  les  ennemis  secrets  de  la 
compagnie,  ces  jansénistes  qui  n'avaient  jamais  par- 
donné à  Saint-Sulpice  sa  fidélité  inébranlable  à  la  doc- 
trine catholique,  sa  soumission  constante  aux  évèques, 
son  respect  pour  les  traditions  séculaires  de  l'Église  de 
France. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  301 

V.  —  Les  jours  s'écoulaient  sans  amener  dans  la  vie 
de  la  compagnie  les  changements  redoutés  ;  mais,  comme 
il  était  question  d'installer  le  séminaire  dans  les  anciens 
bâtiments  de  l'école  normale,  M.  Émery  en  visita  l'in- 
térieur et  les  détails  avec  un  soin  minutieux.  Le  direc- 
teur de  l'école  n'avait  pas  reçu  l'ordre  de  changer  de 
maison  ;  il  ignorait  les  intentions  du  gouvernement  à 
cet  égard.  M.  Émery  en  informa  le  cardinal  Fesch ,  et 
lui  communiqua  ses  tristes  impressions  par  cette  lettre 
du  23  février  1810  : 

oc  Je  me  suis  informé  auprès  du  chef  de  l'école  nor- 
male où  devait  être  placée  cette  école  après  que  nous 
y  serions  installés,  puisqu'elle  ne  devait  pas  l'être  au 
collège  d'Harcourt,  que  le  gouvernement  avait  acheté 
pour  elle.  Il  m'a  répondu  qu'il  n'en  savait  rien.  J'ai  été 
ce  matin  voir  le  collège,  qui  renferme  deux  grands  corps 
de  logis  et  une  assez  grande  cour.  Une  partie  considé- 
rable a  été  abattue ,  ainsi  que  la  chapelle  et  la  biblio- 
thèque. Tout  me  parait  très  peu  disposé  pour  un  sémi- 
naire :  de  petits  escaliers,  point  de  corridors.  Il  faudrait 
nécessairement  y  faire  de  très  grands  changements. 
L'architecte  a  évalué  à  six  ou  sept  cent  mille  francs  la 
dépense  qu'il  fallait  faire  pour  y  loger  l'École  normale. 

«  J'ignore  pour  quelle  cause  on  a  abandonné  le  des- 
sein qu'on  avait  de  l'y  loger.  Votre  Altesse  m'a  dit,  je 
crois,  que  l'empereur  voulait  que  le  séminaire  y  fiit 
établi  dans  six  semaines.  Cela  est  parfaitement  impossible, 
à  moins  qu'on  ne  veuille  loger  les  séminaristes  comme 
on  loge  dans  un  hôtel  garni.  Un  déplacement  au  milieu 
d'une  année  entraînerait  une  dissipation  et  une  perte  de 
temps  qui  devraient  faire  regarder  l'année  comme  perdue. 
11  en  a  beaucoup  coûté  à  ces  jeunes  gens  pour  s'arranger 
dans  leurs  chambres.  Un  nouvel  arrangement  leurdevien- 
draitfort  à  charge,  et  je  prévois  qu'un  très  grand  nombre 
se  retirerait. 


302  M.  ÉMERY 

((  Je  vous  avoue  qu'une  transmigration  serait  pour 
moi  une  véritable  calamité.  J'ai  tout  fait  et  tout  sacrifié 
pour  former  l'établissement  qui  existe.  Depuis  que  la 
maison  a  été  achetée,  il  n'y  a  point  d'années  où  je  n'aie 
fait  beaucoup  pour  l'adapter  aux  usages  d'un  séminaire  : 
elle  l'est  parfaitement  aujourd'hui;  elle  est  établie  sous 
le  nom  de  séminaire  de  Saint- Sulpice ,  nom  qu'il  n'est 
point  possible  de  conserver  ailleurs.  C'est  à  ce  nom  qu'elle 
doit  tout  ce  qu'elle  est;  car,  sans  cela,  il  n'y  aurait  pas 
quinze  séminaristes. 

((  Indépendamment  de  cette  considération,  je  ne  sais 
si  j'aurais  assez  de  force  et  de  courage  pour  suffire  à 
tous  les  embarras  d'un  nouvel  établissement.  Je  suis 
sur  la  fin  de  ma  carrière,  où  j'aurais  besoin  d'un  peu 
de  repos. 

((  Mais  Votre  Altesse  fera  ce  qu'elle  jugera  plus 
utile  au  diocèse  de  Paris;  je  me  prêterai  avec  les  miens 
autant  que  je  pourrai.  Il  est  vraiment  désagréable,  au 
souverain  degré,  de  se  donner  des  peines  et  des  embarras 
extrêmes  pour  former  un  établissement  qu'on  est  menacé 
d'abandonner  d'un  moment  à  l'autre. 

«  Vous  savez,  Monseigneur,  que  nous  ne  tenons  qu'à 
un  fil ,  que  sans  les  bontés  et  la  protection  de  Votre  Al- 
tesse nous  serions  déjà  détruits.  Le  parti  dominant  ne 
peut  pas  nous  souffrir,  et  il  prévaudra  tôt  ou  tard.  L'em- 
pereur s'est  expliqué,  il  n'y  a  pas  .longtemps,  d'une 
manière  très  peu  favorable  sur  notre  compte  à  une  per- 
sonne de  qui  je  le  tiens.  » 

L'affection  et  l'autorité  du  cardinal  Fesch  triomphèrent 
encore  une  fois  de  la  malveillance  persistante  des  jansé- 
ûites,  si  nombreux  dans  les  bureaux  du  ministère  de  la 
police.  M.  Émery  commençait  à  croire  que  Dieu  avait 
exaucé  ses  prières  et  qu'il  pourrait  continuer,  en  se 
faisant  oublier  des  hommes,  l'œuvre  toujours  ébranlée 
de  M.  Olier.  Mais  la  police  de  Fouché  veillait.  On  avait 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  303 

saisi  et  fait  passer  sous  les  yeux  de  l'empereur  une  lettre 
de  M.  lïmery  à  l'abbé  de  Lacoste -Beau fort,  chanoine 
théologal  de  Cahors,  dans  laquelle  il  racontait  les 
épreuves  qu'il  avait  subies ,  les  dangers  qui  avaient  me- 
nacé la  compagnie,  et  ses  craintes  trop  légitimes  sur 
l'avenir  de  sa  maison. 

«  II  est  très  sérieusement  question,  écrivait  M.  Emery, 
de  transporter  le  séminaire  de  Saint- Sulpice  dans  les 
bâtiments  de  Saint -Nicolas,  qu'on  commence  à  rétablir 
dans  ce  dessein.  Un  arrêté  voulait  que  la  translation  eut 
lieu  le  1er  mai,  mais  l'impossibilité  a  opposé  un  autre 
arrêté  auquel  on  obéit  toujours.  Il  est  même  très  difficile 
que  cette  translation  puisse  s'exécuter  au  commencement 
de  l'année  prochaine.  On  suppose  une  translation  entière, 
ce  qui  entraine  celle  du  maître  aussi  bien  que  celle  des 
élèves ,  et  c'est  encore  beaucoup ,  car  on  en  veut  au  nom 
et  aux  personnes.  Celles-ci  essuient  une  attaque  directe, 
en  tant  qu'on  soupçonne  qu'elle  forme  corps,  et  vous 
voyez  par  les  nouvelles  que  la  haine  du  corps  et  des 
corporations  se  conserve  dans  toute  sa  force.  J'espère 
cependant  encore  du  bénéfice  du  temps  et  surtout  de  la 
protection  des  saints  patrons  et  supérieurs.  J'espère  que 
nous  pourrons  procurer  une  niche  à  votre  statue  de 
Notre-Dame  du  Mont-Carmel  sans  vous  mettre  à  contri- 
bution. Quoique  vous  ayez  trois  ans  de  plus  que  moi,  je 
peux  fort  bien  vous  précéder;  mais,  comme  le  contraire 
est  possible,  si  vous  faites  quelques  dispositions  pieuses, 
destinez- moi  quelques  cent  livres  que  j'emploierai  en 
œuvres  pies  dans  l'établissement  d'Issy,  le  seul  monu- 
ment à  Paris  qui,  avec  la  maison  de  Yaugirard ,  rappelle 
l'ancien  Saint- Sulpice.  Je  prends  des  mesures  pour  être 
conservé  dans  le  cas  même  où  nous  n'aurions  plus  de 
séminaire  ;  mais  l'état  des  choses  ne  peut  pas  durer  avec 
violence;  le  gouvernement  peut  changer,  et  le  bras  de 
Dieu  n'est  pas  raccourci.  » 


304  M.  ÉMERY 

M.  Émery  soulageait  ainsi  librement  son  âme  dans 
une  conversation  écrite,  pleine  d'abandon  familier,  avec 
un  vieil  ami,  sans  arrière -pensée  d'opposition  politique 
au  gouvernement,  dont  il  n'avait  pas  cependant  à  faire 
l'éloge.  La  police  ne  fut  pas  de  cet  avis. 

Le  ministre  des  cultes  fit  un  rapport  à  l'empereur  sur 
la  lettre  de  M.  Émery,  qui  venait  d'être  interceptée;  il 
en  discutait  tous  les  points,  et  qualifiait  très  sévèrement 
ce  passage  :  Le  gouvernement  'peut  changer,  et  le  bras 
de  Dieu  n'est  pas  raccourci,  et  il  concluait  ainsi  : 

«  M.  Émery  est  réellement  à  la  tête  des  études  ecclé- 
siastiques. La  plupart  des  évèques,  et  même  les  plus 
recommandables,  ont  été  élevés  à  Saint -Sulpice  ;  ils  ont 
en  lui  une  très  grande  confiance,  il  a  refusé  d'être 
évêque,  ce  qui  le  met  à  cet  égard  sur  leur  ligne,  mais  il 
est  au-dessus  de  chacun  d'eux  par  sa  grande  influence 
sur  le  clergé.  Il  s'est  rendu  utile  et  s'est  montré  avec 
de  bons  principes  dans  le  temps  du  rétablissement  du 
culte,  ce  qui  a  encore  ajouté  beaucoup  à  sa  considéra- 
tion. Il  est  d'ailleurs  très  propre  à  maintenir  les  mœurs 
et  le  meilleur  ordre  pour  les  études  d'un  séminaire  et 
la  préparation  aux  fonctions  sacerdotales. 

«  Votre  Majesté  a  reconnu  qu'il  pouvait  être  utile  et 
lui  a  donné  dans  l'université  un  grade  élevé. 

«  Son  Altesse  M?r  le  cardinal  Fesch  a  cru  également 
utile  au  bien  de  votre  service  de  le  ménager  beaucoup , 
pour  joindre  cette  influence  à  la  sienne  propre  et  multi- 
plier ainsi  les  moyens  de  mieux  seconder  Votre  Majesté. 

«  Mais  je  ne  puis  dissimuler  que  M.  Émery  n'avait 
pas,  avant  les  affaires  de  Rome,  des  idées  ultramontaines. 
Je  crois  qu'il  est  fort  opposé  au  nouvel  ordre  de  choses , 
que  cela  tient  aux  principes  qu'il  s'est  formés,  et  qu'il  en 
reviendrait  d'autant  moins  qu'il  craindrait  de  compro- 
mettre son  ascendant. 

«  Le  plan  que  je  me  proposais  de  présenter  à  Votre 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  SOS 

Majesté  à  son  égard  était  d'exiger  de  lui  une  déclaration 
par  écrit  de  sa  soumission  pleine  et  entière  au  décret  qui 
supprime  sa  société,  et  de  détendre  en  même  temps  aux 
membres  connus  de  sa  société  toute  correspondance  entre 
eux  sous  peine  d'être  déclarés  incapables  d'enseigner, 
d'être  renvoyés  dans  leurs  diocèses  et  privés  de  toutes 
pensions. 

«  Depuis  la  lettre,  je  ne  peux  plus  rien  proposer, 
M.  Émery  a  besoin  de  toute  l'indulgence  de  Votre  Ma- 
jesté. 

«  Le  comte  Bigot  de  Préameneu. 
«  Paris,  31  mai  1810. 

((  Je  joins  l'état  nominatif  que  M.  Émery  m'a  en- 
voyé » 

1  Archives  nationales .  AF,  rv. 


État  nominatif  demandé  par  Mgr  le  ministre  des  cultes  des  anciens  membres  de  l'association  ( 
Sulpice  qui  sont  actuellement  employés  à  la  direction  des  séminaires,  et  de  ceux  qui,  ayant  an 
la  vocation  pour  entrer  dans  cette  société,  ont  été  admis  aux  travaux  des  premiers,  avec  l'âge,  1 
la  résidence  et  de  la  naissance  des  premiers,  demandé  aussi  par  Son  Excellence. 


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ET  L'ÉGLISE  DE  FRANGE  307 

Cette  première  lettre  avait  indisposé  l'empereur  à 
l'égard  de  Saint -Sulpice.  Une  seconde  lettre  écrite  par 
un  séminariste  sans  défiance  et  d'une  imagination  trop 
vive,  interceptée  par  ia  police,  à  ce  moment  critique  de 
[.'existence  du  séminaire,  provoqua  de  la  part  de  l'em- 
pereur une  explosion  de  colère  et  d'irritation  violente 
qui  se  termina  par  un  ordre  d'expulsion  immédiate  de 
M.  Émery. 

VI.  —  Le  jeune  élève  qui  faisait  naître  involontai- 
rement cette  tempête,  emporté  par  son  imagination 
sans  mesure  et  par  des  craintes  exagérées,  oubliait  ce 
que  Bonaparte  avait  fait  pour  relever  la  religion  et 
rendre  à  la  France  ses  ministres  et  ses  autels.  Il  traçait 
un  tableau  lamentable  des  ravages  de  l'impiété  en  France, 
en  Espagne,  en  Allemagne,  en  Italie;  il  décrivait  la 
frayeur,  le  découragement  des  fidèles,  la  torpeur  des 
évoques,  la  captivité  du  pape ,  la  terreur  des  séminaristes 
qui  n'osaient  pas  persévérer  dans  l'épreuve  d'une  voca- 
tion pleine  de  tant  de  périls  ,  la  conspiration  des  princes 
et  des  peuples  contre  la  religion  de  Jésus-Christ;  il  ter- 
minait sa  lettre  en  déclarant  qu'il  était  impossible  au 
plus  habile  politique  de  trouver  un  moyen  humain  de 
sauver  le  pays,  tombé  dans  un  état  désespéré. 

((  Vous  me  dites,  écrivait  ce  jeune  séminariste,  (pie 
votre  pays  ne  fournit  aucune  nouvelle  ;  il  n'en  est  pas 
de  même  du  nôtre,  qui  nous  en  fournit  continuellement, 
et  de  bien  mauvaises.  La  ruine  de  la  religion  et  de  ses 
ministres,  on  n'entend  pas  parler  d'autre  chose.  On  ne 
bêul  plus  se  dissimuler  cette  terrible  vérité;  partout 
le  découragement  et  la  terreur.  Ce  n'est  pas  seulement 
en  France  que  l'impiété  fait  ses  ravages;  elle  les  étend 
sur  l'Espagne,  sur  l'Italie  et  sur  l'Allemagne.  C'est  une 
conspiration  générale  en  Europe  de  proscrire  la  religion 
de  Jésus-Christ.  Si  Dieu  ne  nous  regarde  en  sa  miséri- 


308  M.  ÉMERY 

corde,  avant  qu'il  soit  deux  ans  il  n'y  aura  plus  aucune 
trace  du  culte  public,  et  les  peuples  seront  ce  qu'ils 
voudront  être  ;  tout  semble  tendre  à  ce  but  déplorable. 
On  ne  fait  plus  mystère  des  plans  concertés  et  suivis  avec 
méthode  :  on  les  apprend  dans  les  conversations ,  on  les 
lit  dans  les  ouvrages  périodiques.  Le  zèle  des  premiers 
pasteurs ,  ou  refroidi  ou  enchaîné ,  n'oppose  aucune 
digue  à  ce  torrent  qui  va  bientôt  tout  engloutir.  Il  faut 
que  nos  crimes  soient  bien  grands  pour  nous  avoir  attiré 
de  si  épouvantables  fléaux.  Il  y  a  apparence  qu'on  nous 
laissera  finir  l'année  dans  notre  maison.  On  travaille  à 
toute  force  à  réparer  le  séminaire  de  Saint- Nicolas,  dont 
on  avait  d'abord  suspendu  les  travaux.  On  ne  croit  pas 
que  nos  messieurs  soient  appelés  à  diriger  ce  nouveau 
séminaire.  Leur  compagnie  est  détruite  en  haine  des 
bons  principes  qu'elle  a  toujours  professés.  Qui  mettra- 
t-on  à  leur  place?  Vraisemblablement  des  hommes  d'une 
doctrine  moderne,  et  qui  soient  propres  à  égarer  :  car 
on  ne  cherche  pas  autre  chose...  On  ne  voit  aucun  moyen 
humain  de  rétablir  tant  soit  peu  les  affaires  de  l'Eglise. 
Il  faut  un  prodige  du  ciel  :  sans  contredit,  nous  ne  Je 
méritons  pas.  Aucun  des  évêques  nommés  n'a  l'espoir 
d'aller  dans  son  siège,  à  moins  qu'il  ne  veuille  y  aller 
contre  l'autorité  légitime,  ce  qu'il  ne  faut  pas  présumer. 
Le  saint -père  ne  fera  pas  de  pacte  au  détriment  de  la 
religion  dont  il  est  le  chef  auguste,  et  qu'il  console  par 
sa  patience  inaltérable  au  milieu  des  maux  sans  nombre 
dont  il  est  accablé ,  et  par  sa  résignation  dont  il  y  a  peu 
d'exemples.  On  s'attendait  à  ce  que  cette  ordination  fût 
nombreuse,  on  s'est  trompé.  Tous  nos  jeunes  gens  ont 
la  terreur  dans  l'âme;  ils  redoutent  les  malheurs  atta- 
chés à  l'état  ecclésiastique.  D'ailleurs  leurs  parents,  dont 
le  consentement  est  nécessaire ,  et  cela  d'après  de  nou- 
veaux ordres,  les  en  détournent.  » 

Cette  lettre  servait  trop  bien  les  desseins  perfides  des 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANGE  309 

constitutionnels  et  des  jansénistes,  pour  passer  inaperçue. 
Ces  malheureux  avaient  des  intelligences  dans  la  police, 
ils  ne  se  faisaient  pas  scrupule  d'intercepter  les  lettres , 
d'épier  les  démarches  du  supérieur  de  Saint- Sulpice, 
de  chercher  par  des  moyens,  souvent  les  moins  honnêtes, 
l'occasion  de  prendre  en  défaut  ses  élèves ,  et  de  signaler 
au  ministre  de  la  police,  avec  un  empressement  qui 
trahissait  leurs  espérances,  les  paroles,  les  actions  les 
plus  propres  à  provoquer  la  colère  de  l'empereur  contre 
la  compagnie. 

Sous  un  gouvernement  libéral,  le  ministre  de  la  police 
n'aurait  attaché  aucune  importance  à  l'imprudence  naïve 
d'un  jeune  élève,  et  jamais  il  n'aurait  eu  la  pensée 
injuste  de  rendre  le  supérieur  de  la  maison  responsable 
des  vivacités  et  des  alarmes  pieuses  d'un  subordonné. 
Mais  le  gouvernement  était  loin  d'être  favorable  à  la 
liberté. 

Désolé  de  cette  imprudence  ,  effrayé  des  suites 
qu'elle  pouvait  avoir  pour  le  séminaire  et  la  compagnie, 
M.  Emery  écrivit  au  cardinal  Fesch,  qui  était  lui- 
même  occupé  en  ce  moment  de  la  cérémonie  du  mariage 
de  l'empereur  ;  c'était  dans  les  premiers  mois  de 
l'année  1810. 

«  Monseigneur,  je  ne  crois  pas  devoir  différer  davan- 
tage d'envoyer  à  Votre  Altesse  une  copie  de  la  lettre 
que  m'a  écrite  le  ministre  des  cultes.  Je  n'en  ai  encore 
donné  connaissance,  comme  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  le 
dire,  qu'à  quelques  directeurs.  J'y  joins  la  copie  du 
décret  concernant  la  translation  du  séminaire.  Ces  deux 
objets  exigeraient  bien  quelques  éclaircissements.  Aussi- 
tôt que  mon  indisposition  me  permettra  de  sortir,  j'irai 
chez  Votre  Altesse  pour  avoir  son  avis  et  connaître  ses 
intentions. 

((  Il  me  vient  une  pensée  que  je  veux  communiquer 
à  Votre  Altesse.  Je  sens  parfaitement  que  dans  ces  jours 


310  M.  É.MERY 

il  est  très  difficile,  sans  être  cependant  impossible,  de 
parler  à  l'empereur  d'autre  chose  que  de  ce  qui  a  rapport 
à  son  mariage.  Si  la  Providence  vous  donnait  un  mo- 
ment, Votre  Altesse  ne  pourrait-elle  pas  représenter 
à  l'empereur  qu'il  est  contre  ses  intentions  que,  dans 
le  temps  où  l'on  ne  distribue  que  des  grâces  dans  tout 
l'empire,  je  sois  le  seul  qu'on  ait  ordre  de  tourmenter  ; 
que,  s'il  le  voulait  bien ,  Votre  Altesse  dirait  de  sa  part 
au  ministre  des  cultes  que  votre  intention  est  qu'il  soit 
sursis  jusqu'à  nouvel  ordre  à  ce  qui  concerne  le  sémi- 
naire. 

«  Le  ministre  me  dit  que  ce  qui  avait  aigri  l'empe- 
reur, c'était  les  lettres  de  quelques  séminaristes.  J'ai  fait 
des  perquisitions,  et  je  crois  que  le  séminariste  qui  avait 
écrit  imprudemment,  était  un  homme  de  vingt-cinq 
à  trente  ans,  qu'il  n'était  pas  au  séminaire  depuis  deux 
mois,  et  qu'il  était  membre  d'une  petite  société  pieuse 
que  la  police  a  inquiétée. 

«  Ne  serait- il  pas  injuste  d'imputer  au  séminaire  un 
délit  auquel  il  n'a  aucune  part?  Je  le  dirai  plus  ample- 
ment à  Votre  Altesse  quand  j'aurai  l'honneur  de  la  voir. 
Mais  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  dans  tout  l'empire  une 
maison  où  l'on  parle  moins  de  nouvelles  qu'au  sémi- 
naire. Aucun  journal  n'y  entre,  si  l'on  excepte  le  Jour- 
nal des  curés,  que  l'on  m'envoie  gratis,  et  qui  n'est  lu 
que  de  moi  et  de  deux  ou  trois  prêtres. 

«  On  recommande  dans  les  instructions  la  subordi- 
nation et  l'obéissance  au  souverain;  mais  jamais  on  ne 
parle  aux  jeunes  gens  d'affaires  publiques,  politiques 
ou  ecclésiastiques.  Il  leur  est  même  prescrit  de  ne  point 
s'en  occuper  pendant  la  récréation,  et  ils  ne  le  font 
jamais.  » 

Mais  aucune  considération  ne  pouvait  agir  en  ce  mo- 
ment sur  l'esprit  de  l'empereur,  ni  modifier  sa  détermi- 
nation. Le  13  juin  1810,  le  ministre  des  cultes  envoyait 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  9 1  i 

iiux  vicaires  généraux  de  Paris  l'ordre  formel  de  faire 
sortir  du  séminaire  de  Saint-Supiee,  transformé  en 
séminaire  diocésain  ,  M.  Emery  et  tous  les  membres  de 
la  compagnie;  d'appeler  des  directeurs  et  un  supérieur 
séculiers,  et  de  s'emparer  de  la  maison,  sous  la  réserve 
d'une  indemnité  qui  serait  allouée  aux  personnes  inté- 
ressées ,  en  attendant  le  moment  où  le  séminaire  pour- 
rait être  transféré  dans  d'autres  bâtiments  choisis,  dési- 
gnés par  le  gouvernement. 

L'empereur  avait  dit  brusquement,  le  II  juin  1810, 
après  avoir  pris  connaissance  de  la  lettre  imprudente 
écrite  par  le  séminariste  : 

«  Il  faut  qu'au  mois  de  juillet  cette  congrégation  soit 
dissoute  et  le  séminaire  détruit.  » 

L'ordre  d'expulsion  transmis  par  le  ministre  des  cultes 
aux  vicaires  généraux  de  Paris  était  conçu  dans  des 
termes  qui  ne  permettaient  aucune  explication  : 

«  Il  convient  que  le  séminaire  de  Saint-Sulpice  change 
tout  à  fait  de  main  et  de  nature;  à  dater  d'après-demain, 
il  faut  qu'il  ne  soit  autre  chose  qu'un  séminaire  du  dio- 
cèse de  Paris;  qu'il  soit  organisé  en  conséquence;  qu'on 
lui  donne  un  directeur  et  tous  les  administrateurs  dont 
il  a  besoin  ;  qu'on  n'y  emploie  aucun  sulpicien ,  et  que 
M.  Emery  cesse  sur-le-champ  d'y  remplir  aucune  fonc- 
tion. On  doit  s'emparer  immédiatement  de  la  maison, 
qui  pourrait  être  une  propriété  du  domaine,  et  que  du 
moins  dans  le  cas  on  pourrait  considérer  comme  une 
propriété  publique,  puisqu'elle  appartient  à  une  congré- 
gation. S'il  est  reconnu  qu'elle  est  une  propriété  parti- 
culière de  M.  Emery  ou  de  tout  autre,  on  pourra  en 
payer  d'abord  les  loyers,  et  la  requérir  ensuite,  sauf 
indemnité,  comme  utile  à  un  service  public.  Le  ministre 
des  cultes  fera  connaître  dans  la  journée  de  demain  les 
intentions  de  l'empereur  aux  grands  vicaires  de  Paris 
et  à  M.  Émery.  Lorsque  le  séminaire  qu'on  prépare  sera 


312  M.  ÉMERY 

établi,  le  séminaire  de  Saint- Sulpice  subsistera  comme 
petit  séminaire. 

«  Pour  copie  conforme  : 

«  Le  ministre  des  cultes , 

((  Comte  Bigot  de  Préameneu.  » 

Le  46  juin  1810,  le  ministre  des  cultes  informait 
ainsi  l'empereur  de  l'application  des  mesures  qui  avaient 
été  prises  à  l'égard  du  séminaire  de  Saint- Sulpice  : 

«  Sire, 

oc  J'ai  l'honneur  de  rendre  compte  à  Votre  Majesté  de 
l'exécution  donnée  jusqu'à  ce  moment  à  ses  ordres  con- 
cernant le  séminaire  de  Saint- Sulpice. 

((  Ces  ordres  sont  du  13;  le  14,  je  le  i  ai  notifiés  aux 
grands  vicaires  en  leur  prescrivant  de  se  réunir  sur-le- 
champ  pour  prendre  les  mesures  d'exécution  et  m'en 
informer  le  lendemain. 

((  De  mon  côté,  j'ai  été  à  ce  séminaire,  ainsi  que  Votre 
Majesté  me  l'avait  prescrit;  j'ai  témoigné  à  M.  Émery 
à  quel  point  Votre  Majesté  était  mécontente  du  mauvais 
esprit  qui  régnait  dans  sa  maison,  au  point  que  les  élèves 
osaient  dans  leur  correspondance  se  mêler  d'affaires 
publiques. 

«  J'ai  reçu  hier  au  soir,  des  vicaires  généraux,  une 
lettre  dont  je  joins  ici  la  copie.  Suivant  cette  lettre,  un 
des  points  principaux  est  rempli,  celui  de  la  sortie  de 
M.  Émery  du  séminaire.  Il  lui  a  été  notifié  que  désor- 
mais le  séminaire  de  Saint -Sulpice- n'était  autre  chose 
que  le  séminaire  du  diocèse. 

«  Les  grands  vicaires  demandent  le  temps  absolument 
nécessaire  pour  changer  les  professeurs.  Je  veillerai  à  ce 
que  ce  ne  soit  pas  un  moyen  dilatoire ,  et  si ,  contre  les 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  313 

ordres  que  j'ai  répétés,  ce  changement  est  différé,  j'en 
rendrai  compte  à  Votre  Majesté. 

«  M.  Émery  m'a  déclaré  que  la  maison  où  est  le  sémi- 
naire lui  appartient.  Je  lui  ai  dit  que  j'en  examinerais 
les  titres;  que  si  sa  propriété  était  justifiée,  l'intention 
de  Votre  Majesté  était  de  lui  donner  une  indemnité, 
Biais  que,  dans  tous  les  cas,  la  propriété  devait  rester  au 
diocèse  pour  cause  d'utilité  publique. 

«  Paris,  16  juin  1810. 

((  Le  comte  Bigot  de  Préameneu.  » 

Voici  la  lettre  des  vicaires  généraux  à  Son  Excellence 
le  ministre  des  cultes  : 

«  Nous  avons  communiqué  à  M.  Émery  la  lettre  de 
Votre  Excellence  et  les  ordres  de  Sa  Majesté  relatifs  au 
séminaire.  Il  va  cesser  ses  fonctions  et  s'absenter  du 
séminaire.  Nous  étions  d'avance  persuadés,  Monsei- 
gneur, de  son  obéissance,  nécessairement  mêlée  cette 
fois  d'une  affliction  que  son  grand  âge  et  ses  longs  ser- 
vices ne  pouvaient  que  lui  rendre  très  amère. 

((  Le  séminaire  de  Paris  n'est  plus  autre  chose,  Mon- 
seigneur, selon  le  vœu  de  Sa  Majesté,  que  le  séminaire 
du  diocèse. 

«  Puisque  les  volontés  prononcées  de  l'empereur 
éloignent  de  cette  maison  les  anciens  membres  de  la 
compagnie  de  Saint -Sulpice  ,  nous  ne  les  compterons 
pas,  Monseigneur,  dans  la  nouvelle  organisation;  mais 
nous  pensons  que  la  sagesse  et  la  bonté  de  Sa  Majesté 
nous  autorisent  à  prendre,  après  la  retraite  de  M.  Emery, 
le  temps  absolument  nécessaire  pour  remplacer  les  sul- 
piciens  par  d'autres  ecclésiastiques  qui,  au  talent  de 
l'enseignement,  joignent  le  goût  de  la  vie  sérieuse  et 
assidue  d'un  séminaire,  et  à  qui  nous  puissions  confier 

9* 


314  M.  ÉMERY 

sagement ,  utilement  et  honorablement  pour  nous- 
mêmes,  le  séminaire  de  la  capitale,  centre  des  jeunes 
élèves  de  talent  de  tous  les  diocèses. 

«  Paris,  15  juin  1810. 

«  Les  vicaires  généra%ix  dit  diocèse  de  Paris  :  Legeas  , 
d'Astros,  Jalabert1.  » 

M.  Émery  perdit  sa  dernière  espérance  ;  invité  à  tran- 
cher la  question  de  propriété  de  la  maison  occupée  par 
le  séminaire  de  la  rue  du  Pot-de-Fer,  il  fit  cette  réponse  : 

VIL  —  c(  Votre  Excellence  désire  savoir  le  prix  de  la 
maison  qu'occupe  le  séminaire.  Elle  a  pu  voir,  par  le 
contrat  de  vente  qui  a  été  sous  ses  yeux,  que  le  prix  est 
de  cent  mille  francs.  Les  réparations  et  les  construc- 
tions qui  ont  été  nécessaires  pour  la  rendre  propre  à 
l'usage  auquel  elle  était  destinée  ont  coûté  au  moins 
vingt  mille  francs.  Je  ne  parle  pas  des  frais  de  contrat 
et  d'enregistrement. 

((  Votre  Excellence  me  demande  si  l'argent  employé 
à  l'acquisition  ne  provient  point  en  tout  ou  en  partie 
de  la  pieuse  libéralité  des  fidèles  qui  auraient  voulu 
ainsi ,  et  sous  mon  nom ,  coopérer  à  une  œuvre  dont 
l'objet  était  de  fournir  des  ministres  pour  la  religion. 

((  Je  réponds  nettement,  et  dans  toute  la  sincérité  de 
mon  cœur,  qu'il  n'en  est  rien.  Vous  pouvez  vous  rappe- 
ler ce  que  j'ai  dit  à  ce  sujet  dans  une  lettre  précédente, 
et  je  suis  prêt  à  entrer  avec  vous,  si  vous  le  désirez, 
dans  les  détails  les  plus  satisfaisants. 

((  J'ai  reçu  de  temps  en  temps  quelque  argent  pour 
payer  la  pension  de  pauvres  ecclésiastiques  ;  mais  tout 
a  été  employé  à  cet  usage. 

1  Archives  nationales,  AF,  ivf  1047. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  315 

((  Votre  Excellence  désire  encore  savoir  les  condi- 
tions auxquelles  je  consentirais  à  la  vente,  et  si  je 
veux  traiter  de  gré  à  gré  ou  attendre  la  réquisition  qui 
me  serait  faite.  J'ai  l'honneur  de  répondre  à  Votre 
Excellence  que  je  désire  traiter  avec  elle  de  gré  à  gré, 
I  et  qu'elle  sera  maîtresse  des  conditions. 

((  Il  me  suffit  de  savoir  que  l'intention  de  l'empereur 
[  est  que  je  renonce  à  la  propriété  de  la  maison.  Sa 
Majesté  me  trouvera  toujours  disposé  à  faire  ce  qui  est 
en  mon  pouvoir,  et  que  je  croirai  lui  être  agréable. 
Elle  m'a  comblé  de  bonté  dans  tous  les  temps.  Je  ne 
peux  pas  oublier  qu'elle  m'a  offert  successivement  les 
trois  évêchés  d'Arras,  de  Troyes  et  d'Autun,  et  que, 
quand  il  a  été  question  de  nommer  des  conseillers  de 
l'Université,  elle  a  daigné,  de  son  propre  mouvement, 
jeter  les  yeux  sur  moi. 

ce  Elle  me  traita  encore  avec  beaucoup  d'affabilité 
Tannée  dernière,  dans  l'audience  qu'elle  voulut  bien 
m'accorder  à  Fontainebleau.  Je  lui  dois  une  grande 
reconnaissance,  et  je  ne  peux  qu'être  douloureusement 
affecté  de  ce  que,  depuis  cette  époque,  on  a  travaillé  à 
me  perdre  dans  son  esprit.  C'est  apparemment  en  me 
i  faisant  passer  comme  un  ultramontain  forcené...  » 

M.  Emery  était  trop  sage  et  trop  chrétien  pour  faire 
une  opposition  systématique  au  gouvernement,  et  oublier 
les  témoignages  de  confiance  particulière,  d'estime,  de 
respect,  qu'il  avait  reçus  de  l'empereur. 

L'heure  de  la  séparation  était  venue.  M.  Émery  ras- 
sembla la  communauté,  déjà  profondément  émue  par 
I  les  premiers  bruits  de  la  douloureuse  nouvelle,  dans  la 
salle  des  exercices  à  l'heure  de  la  lecture  spirituelle; 
il  exposa  et  commenta  avec  une  émotion  profonde,  et 
d'une  voix  tremblante,  les  paroles  d'adieu  suprême  de 
saint  Paul  aux  premiers  chrétiens  qu'il  avait  engen- 
drés à  la  foi ,  et  qui  avaient  reçu  les  premières  ten- 


316  M.  ÉMERY 

dresses  de  son  àme.  Il  parla  longuement  de  son  dévoue- 
ment à  l'Eglise  romaine,  de  la  fidélité  à  la  règle,  du  soin 
qu'il  aurait  de  leur  donner  des  professeurs  soumis  sans 
réserve  à  l'autorité  de  l'Église,  malgré  les  difficultés 
élevées  par  la  haine  des  méchants,  de  la  nécessité  de 
rester  inébranlables  dans  la  fidélité  d'une  obéissance 
absolue  et  filiale  à  tous  les  enseignements  émanés  du 
saint -siège,  et  leur  promit  que  sa  pensée  serait  toujours 
au  milieu  d'eux. 

Rien  de  plus  touchant  que  cette  scène.  Ce  grand  vieil- 
lard qui  avait  blanchi  dans  les  combats  pour  la  défense 
de  l'Église  et  la  conservation  de  l'œuvre  immortelle  de 
ses  pères,  le  cœur  déchiré,  les  yeux  pleins  de  larmes, 
interrompu  dans  ses  adieux  par  les  sanglots  de  ses 
enfants,  à  la  veille  de  paraître  devant  Dieu,  donnait  à 
tous  les  siens,  d'une  voix  émue,  les  derniers  accents 
de  sa  tendresse  et  les  suprêmes  conseils  d'un  cœur 
rempli  de  l'esprit  d'en  haut. 

Mais  laissons  parler  un  témoin ,  l'abbé  de  Mazenod , 
qui  fut  plus  tard  évêque  de  Marseille. 

ce  Nous  étions  tous  émus  jusqu'aux  larmes.  L'avant- 
quart  sonna  pendant  qu'il  parlait  encore.  Gosselin , 
exact  comme  il  l'avait  toujours  été  dans  ses  diverses 
fonctions,  se  levait  pour  aller  sonner.  M.  Émery  s'en 
aperçut  et  l'arrêta  en  disant  ces  paroles  mémorables 
pour  un  supérieur,  qui  avait  présidé  depuis  tant  d'an- 
nées à  un  si  grand  nombre  d'exercices  de  la  commu- 
nauté :  «  C'est  la  première  fois  que  je  passe  l'heure  et 
«  que  j'interromps  l'ordre  du  règlement,  et  ce  sera  la 
ce  dernière.  »  Il  acheva  ce  qu'il  avait  à  nous  dire,  et 
on  l'écoutait  encore.  L'émotion  était  à  son  comble.  On 
était  dans  une  sorte  de  perplexité.  Chacun  sentait  qu'il 
manquait  quelque  chose  à  cette  scène  attendrissante. 
Ceux  qui  étaient  à  mes  côtés  me  pressaient  de  prendre 
la  parole.  Teysserre ,  entre  autres ,  me  disait  :  «  Parlez 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  317 

«  donc  au  nom  de  nous  tous.  »  J'en  sentais  moi-même 
le  besoin. 

«  C'est  alors  que,  me  levant,  je  lui  exprimai  vivement 
les  sentiments  que  tous  les  cœurs  me  dictaient.  Je  luj 
donnai  le  doux  nom  de  père,  et  je  lui  protestai,  inter- 
prète de  tous  mes  condisciples,  que  tous  ses  enfants 
seraient  dignes  de  leur  père  dans  les  temps  difficiles  où 
nous  nous  trouvions. 

«  Je  finis  en  le  suppliant  de  nous  bénir  tous  avant  de 
nous  quitter.  La  scène  fut  courte,  mais  excessivement 
touchante.  A  ces  derniers  mots,  toute  la  communauté, 
directeurs  et  élèves,  se  prosterne,  et  le  saint  vieillard, 
ému  jusqu'au  fond  de  l'àme  et  presque  troublé,  car  il 
fut  sur  le  point  de  se  mettre  à  genoux  comme  nous , 
leva  les  mains  au  ciel  et  nous  bénit,  d 

La  douleur  de  ces  adieux,  exprimés  avec  cette  simpli- 
cité touchante  par  un  des  fils  les  plus  aimés  de  M.  Emery, 
nous  fait  connaître  l'esprit  paternel  du  séminaire  et  la 
tendresse  filiale  des  élèves  pour  leur  supérieur. 

M.  Émery  se  retira  à  Issy.  En  arrivant  dans  cette 
maison  tranquille,  il  s'agenouilla  aux  pieds  de  Notre- 
Dame  de  Toutes -Grâces,  et  confia  à  la  bonne  Vierge, 
qui  n'avait  jamais  cessé  de  le  protéger,  ses  douleurs,  ses 
épreuves  et  ses  espérances. 

((  Dans  la  tempête  que  nous  éprouvons,  disait  cet 
homme  de  Dieu ,  toute  ma  confiance  est  dans  la  sainte 
Vierge,  la  mère  Agnès,  M.  Olier,  ses  successeurs  et 
tous  les  patrons  du  séminaire.  » 

Son  âme,  éprouvée  par  de  si  grandes  tristesses,  trou- 
vait un  refuge  assuré  et  plein  de  consolations  spiri- 
tuelles dans  un  commerce  plus  intime  avec  les  saints 
protecteurs  de  l'œuvre  persécutée  de  M.  Olier  :  il  atten- 
dait sans  découragement  des  jours  meilleurs. 


CHAPITRE  XIV 


LE    DERNIER  COMBAT 

I.  —  Malgré  son  départ  de  Paris  et  son  exil  passager 
dans  la  maison  d'Issy,  M.  Émery  n'avait  pas  cessé  d'as- 
sister régulièrement  aux  séances  du  conseil  de  l'arche- 
vêché et  du  conseil  supérieur  de  l'université  de  France. 
Souvent,  à  l'occasion  de  ses  fréquents  voyages  à  Paris, 
après  la  disgrâce  de  Fouché,  dont  il  n'avait  plus  à 
craindre  le  ressentiment  implacable,  il  faisait  de  courtes 
apparitions  au  séminaire  Saint -Sulpice  et  bénissait  ses 
enfants. 

Au  1er  janvier  1811 ,  M.  Émery  se  présenta  chez  l'em- 
pereur avec  tous  les  membres  du  conseil  supérieur  de 
l'université,  convoqués  pour  offrir  au  chef  de  l'État  l'ex- 
pression de  leurs  sentiments  de  fidélité  et  leurs  hom- 
mages. Les  délégués  de  l'archevêché  de  Paris  et  des 
grands  corps  de  la  nation  assistaient  à  cette  cérémonie. 

Dans  cette  imposante  assemblée,  deux  hommes  appe- 
laient principalement  l'attention  de  l'empereur,  qui  avait 
tout  préparé  pour  l'éclat  d'une  manifestation  :  c'étaient 
l'abbé  d'Astros  et  M.  Émery. 

L'abbé  d'Astros,  vicaire  général  de  Paris,  neveu  de 
Portalis,  l'ancien  ministre  des  cultes,  n'était  pas  un 
homme  hostile  au  gouvernement  de  l'empereur;  il  avait 
les  idées  sages  de  conciliation  et  de  prudence  commandées 
par  la  gravité  exceptionnelle  des  circonstances  dans 
lesquelles  se  trouvait  alors  l'Église  de  France,  et  encore 


M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  319 

qu'il  fut  attaché  aux  anciennes  maximes  de  l'Église 
gallicane,  il  avait  voué  un  respect  profond ,  un  dévoue- 
ment sans  bornes  au  successeur  de  Pierre.  Il  n'était  pas 
seulement  un  homme  de  foi,  d'une  doctrine  irréprochable 
et  d'une  piété  touchante,  il  était  aussi  avant  tout  un 
caractère  inébranlable.  Là  était  le  secret  de  sa  force  et 
de  son  autorité. 

Obligé  par  ses  fonctions  de  haranguer  le  cardinal 
Maury,  le  jour  où,  malgré  la  défense  du  saint -siège,  ce 
prince  de  l'Église  avait  pris  en  vertu  d'une  simple  délé- 
gation capitulaire  le  gouvernement  de  l'église  de  Paris, 
l'abbé  d'Astros  évita  la  banalité  des  éloges  de  circon- 
stances, et  rappelant  à  M.  Maury  les  jours  lointains  où 
il  avait  mérité  les  faveurs  du  saint-siège  par  son  dévoue- 
ment courageux  à  la  cause  de  l'Église,  il  lui  fit  cette 
brève  harangue  : 

•  ((  Il  n'est  personne,  Monseigneur,  qui  ne  se  rappelle 
en  ce  moment  avec  quelle  éloquence  et  quel  courage 
vous  avez  défendu,  dans  Je  temps,  la  cause  de  la  religion 
et  du  clergé.  » 

Un  autre  jour,  le  cardinal  Maury  présenta  l'abbé 
d'Astros  et  ses  collègues  à  quelques  amis,  en  disant  : 

«.  Voici  mes  grands  vicaires. 

—  Votre  Epiinence  se  trompe,  répondit  froidement 
M.  d'Astros;  ce  sont  les  grands  vicaires  du  chapitre,  et 
non  les  siens.  » 

L'empereur  connaissait  ces  dispositions  d'esprit  de 
l'abbé  d'Astros,  son  opposition  incessante  au  cardinal 
Maury,  devenu  sa  créature,  et  l'imprudence  provocante 
dont  il  s'était  rendu  coupable  à  ses  yeux  en  publiant  un 
bref  pontifical ,  daté  du  18  décembre  1810,  contre  l'ad- 
ministration illicite  du  cardinal  Maury. 

L'empereur  voulait  témoigner  hautement  son  irritation 
contre  l'abbé  d'Astros.  La  scène  était  prévue,  et  le  mo- 
ment était  choisi. 


320  M.  ÉMERY 

Il  passe  rapidement  devant  les  sénateurs ,  les  généraux, 
les  officiers,  les  délégués  des  grands  corps  de  l'État,  et 
va  droit  au  cardinal  Maury  : 

«  Où  sont  vos  grands  vicaires? 

—  Sire,  voilà  mon  frère,  voilà  M.  Jalabert,  voilà 
M.  d'Astros. 

—  Avant  tout,  Monsieur,  dit  vivement  l'empereur  en 
interpellant  M.  d'Astros,  il  faut  être  Français;  c'est  le 
moyen  d'être  en  même  temps  bon  chrétien.  La  doctrine 
de  Bossuet,  voilà  le  seul  guide  qu'on  doive  suivre;  avec 
lui  on  est  sûr  de  ne  pas  s'égarer.  J'entends  que  l'on 
professe  les  libertés  de  l'Église  gallicane.  Il  y  a  autant 
de  distance  de  la  religion  de  Bossuet  à  celle  de  Gré- 
goire VII,  que  du  ciel  à  l'enfer.  Je  sais,  Monsieur,  que 
vous  êtes  en  opposition  avec  les  mesures  que  ma  politique 
prescrit.  Vous  êtes  l'homme  de  mon  empire  qui  m'êtes 
le  plus  suspect. 

((  Du  reste  (mettant  la  main  sur  la  garde  de  son 
épée),  j'ai  le  glaive  à  mes  côtés,  et  prenez  garde  à 
vous  !  » 

Ce  même  jour,  l'empereur,  qui  avait  d'abord  résolu  de 
se  débarrasser  de  l'abbé  d'Astros  en  le  faisant  fusiller,  se 
rendit  à  une  sage  observation  de  M.  Begnault  de  Saint- 
Jean -d'Angély,  et  se  contenta  de  le  faire  enfermer  au 
donjon  de  Vincennes,  où  il  resta  jusqu'à  la  fin  de 
l'empire. 

Le  duc  de  Bovigo,  chargé  d'exécuter  les  ordres  de 
l'empereur,  dit  à  l'abbé  d'Astros  d'un  ton  railleur  : 

a  Ah  !  ah  !  vous  voudriez  bien  être  martyr,  mais  vous 
ne  le  serez  pas.  » 

Après  avoir  soulagé  sa  colère  et  joué  son  rôle,  l'em- 
pereur continua  de  parcourir  les  rangs  de  l'assemblée , 
en  gardant  le  silence.  Il  cherchait  M.  Émery.  Il  aimait 
les  contrastes  violents,  et  il  voulait  opposer  à  son  indi- 
gnation contre  l'abbé  d'Astros  sa  sympathie  éphémère 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  32! 

et  de  circonstance  pour  le  vénérable  supérieur  de  Saint- 
Sulpice.  Il  s'approcha  de  lui  et  lui  dit  en  souriant  : 
a  Avez-vous  quatre-vingts  ans? 

—  Sire,  j'en  approche  de  près,  car  j'en  ai  soixante- 
dix-neuf. 

—  Eh  bien,  je  vous  souhaite  dix  ans  de  plus.  » 

M.  Émery,  qui  n'attachait  pas  grande  importance  à  ce 
témoignage  inattendu  d'une  bienveillance  capricieuse, 
s'inclina,  et  de  retour  dans  sa  chère  maison  de  Saint- 
Sulpice  il  dit  en  riant  à  son  vieil  ami  M.  Garnier  : 

ce  L'empereur  m'a  fait  une  civilité  qu'il  n'a  faite  au- 
jourd'hui à  personne  ;  il  m'a  souhaité  non  pas  une 
bonne  année,  mais  dix  bonnes  années;  je  crains  bien 
que  ses  souhaits  ne  me  soient  pas  heureux  et  ne  me 
portent  malheur.  » 

«  Le  premier  jour  de  l'an,  écrit  M.  Emery  à  M.  de 
Bausset,  à  la  faveur  de  votre  accoutrement,  j'ai  paru 
à  l'audience.  L'empereur  a  parlé  très  vivement  à  M.  d'As- 
tros.  Ce  jour-là  même,  il  a  été  arrêté.  Ses  papiers  ont 
été  saisis,  et  il  a  été  enfermé  à  Vincennes.  J'arrête  beau- 
coup de  circonstances.  Le  chapitre  a  eu  ordre  de  s'as- 
sembler hier,  et  de  le  destituer.  Mais  croiriez- vous  que, 
dans  cette  même  audience,  le  meilleur  de  vos  serviteurs 
a  été  gracieuse,  et  qu'on  lui  a  souhaité  encore  dix  ans 
de  vie? 

((  L'on  m'a  dit  que  ce  qui  retarde  la  distribution  des 
prix  décennaux,  c'est  que  l'empereur  a  trouvé  mauvais 
qu'on  n'eût  point  parlé  du  Génie  du  christianisme.  La 
classe  première  a  répondu  qu'on  ne  savait  pas  à  quelle 
classe  rapporter  cet  ouvrage.  L'empereur  n'a  point  été 
satisfait  de  cette  réponse,  et  la  classe  est  occupée  de  faire 
un  rapport  sur  l'ouvrage  *.  » 

Le  châtiment  et  l'exil  de  l'abbé  d'Astros  n'étaient  pas 


i  Du  4  janvier  1811. 


322  M  É.MERY 

une  leçon  suffisante  aux  yeux  de  l'empereur;  il  attendait 
une  réparation  plus  éclatante.  Le  cardinal  Maury,  tou- 
jours empressé  à  flatter  le  souverain,  se  proposait  d'ap- 
prouver et  de  justifier  publiquement  par  une  adresse 
capitulaire  la  conduite  impérieuse  et  les  exigences  cou- 
pables de  l'empereur  dans  ses  derniers  démêlés  avec 
l'auguste  prisonnier  de  Savone. 

Ni  l'empereur  ni  M.  Émery  n'estimaient  le  caractère 
versatile  du  cardinal  Maury. 

Il  avait  l'ambition  d'écarter  le  cardinal  Fesch,  en  se 
prévalant  du  titre  usurpé  d'archevêque  de  Paris,  et  de 
baptiser  lui-même  le  jeune  roi  de  Rome. 

«  C'est  mon  droit,  disait-ii  un  jour  à  M.  Emery. 

—  Si  vous  étiez  vraiment  archevêque  de  Paris,  ré- 
pondit le  supérieur  de  Saint- Sulpice,  je  n'aurais  rien 
à  dire;  mais  vous,  qui  ne  tenez  votre  nomination  que 
de  l'empereur,  qui  peut  la  révoquer  quand  il  lui  plaira, 
vous  croyez  l'emporter  sur  le  cardinal  Fesch,  oncle  de  cet 
enfant,  et  sur  l'empereur  lui-même,  qui  ne  veut  pas  que 
ce  soit  vous  !  » 

Le  cardinal  Maury  persista  dans  sa  résolution;  mais, 
congédié  par  l'empereur,  il  laissa  paraître  sa  mauvaise 
humeur,  et  déclara  que  sa  dignité  offensée  ne  lui  per- 
mettait pas  d'assister  au  baptême. 

((  Eh  bien!  répondit  l'empereur,  n'y  assistez  pas;  nous 
pouvons  bien  nous  passer  de  vous.  » 

II.  —  Le  cardinal  Maury  avait  invité  ses  chanoines  à 
exprimer,  dans  une  adresse  qui  devait  être  lue  en  séance 
publique,  leur  opinion  sur  la  conduite  du  saint- siège 
contraire  aux  prétentions  schismatiques  du  nouvel  arche- 
vêque de  Paris,  et  leurs  sentiments  à  l'égard  du  sou- 
verain. Le  projet  d'adresse,  rédigé  par  M.  Maury  lui- 
même,  contenait  des  assertions  contraires  aux  maximes 
fondamentales  de  l'Église  et  aux  prérogatives  essentielles 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  323 

du  saint-siège.  Elle  avait  été  écartée,  après  un  débat 
prolongé  où  le  chapitre  avait  entendu  la  protestation 
indignée  et  savante  de  M.  Émery. 

Le  cardinal  Maury  avait  semblé  d'abord  s'incliner 
devant  la  volonté  du  chapitre ,  et  accepter  l'adresse  mo- 
difiée dans  un  sens  orthodoxe. 

Mais  il  avait  une  autre  pensée. 

Trois  jours  après  cette  réunion  préparatoire,  le  6  jan- 
vier, le  chapitre  métropolitain  réuni  aux  Tuileries  se 
présentait  devant  l'empereur  pour  lui  exprimer  haute- 
ment l'hommage  de  sa  fidélité.  A  ce  moment,  le  cardinal 
Maury,  substituant  vivement  l'adresse  dont  il  était  l'au- 
teur à  l'adresse  corrigée  par  le  chapitre,  s'approcha  de 
M.  Jalabert,  vicaire  général  de  Paris,  et  lui  remit  en 
présence  de  l'empereur,  du  grand  aumônier,  du  ministre 
des  cultes  et  de  tous  ses  confrères,  la  pièce  qu'il  devait 
lire  immédiatement  à  haute  voix  au  nom  du  chapitre 
métropolitain.  M.  Jalabert  n'eut  pas  le  temps  d'examiner 
l'adresse  qu'on  lui  présentait,  et  qui  aurait  dû  être  cor- 
rigée conformément  au  dernier  vote  capitulaire.  Il  était 
trop  tard  pour  éviter  le  piège.  Il  fit  cette  lecture  et  dissi- 
mula le  trouble  qu'il  éprouvait,  en  se  voyant  obligé 
d'exprimer  des  sentiments  qu'il  avait  réprouvés,  con- 
damnés l. 

«  Messieurs,  répondit  l'empereur,  je  suis  satisfait  de 
l'exposition  des  principes  du  chapitre  de  Paris.  Il  est 
dans  les  miens  de  maintenir  les  droits  de  ma  couronne. 
Je  veux  que  la  dignité  de  mon  trône  et  l'indépendance 
de  la  nation  ne  puissent  être  compromises  dans  mes 

i  Ce  fait,  contredit  par  M.  Poujoulal  dans  son  Histoire  du  cardi* 
nal  Maury,  a  été  établi  parles  témoignages  les  plus  respectables. 
Il  est  affirmé  par  M.  Émery,  par  If.  Gantier,  qui  connaissait 
tous  les  détails  de  cette  séance,  et  par  le  vénéré  M.  Gosselin,  qui 
avait  entendu  le  récit  de  cette  triste  affaire,  des  lèvres  mêmes  de 
If.  Jalabert. 


324  M.  ÉMERY 

relations  avec  le  pape.  Après  la  cérémonie  du  sacre, 
Pie  VII  s'en  est  allé  avec  un  vif  ressentiment  contre  moi  ; 
j'en  connais  les  motifs.  Le  premier  était  relatif  aux  pro- 
positions du  clergé  en  4682.  Le  pape,  se  trouvant  avec 
moi,  me  montra  une  lettre  de  Louis  XIV  qui  promettait 
de  ne  point  ordonner  l'exécution  de  sa  déclaration  sur  les 
quatre  articles.  Le  pape  voulait  que  je  lui  en  donnasse 
une  semblable,  promettant  qu'elle  serait  secrète.  La 
seconde  cause  du  ressentiment  du  pape  vient  de  ce  qu'il 
n'a  pu  obtenir  la  concession  de  la  Romagne. 

«  Cependant  un  tel  état  de  choses  ne  saurait  durer. 
Le  pape  me  prend -il  donc  pour  un  des  rois  fainéants  ou 
imbéciles  que  subjugua  Grégoire  VII?  Je  veux  savoir  où 
j'en  suis,  où  l'on  prétend  me  mener,  et  à  quel  point  l'on 
veut  s'arrêter.  Si  le  pape  fait  la  promesse  solennelle  de 
ne  rien  faire  contre  les  quatre  articles  de  1682,  qu'il 
retourne  à  Rome,  qu'il  vienne  à  Paris,  qu'il  choisisse 
un  autre  point  de  l'empire  ;  cette  liberté  lui  est  donnée 
par  le  sénatus- consulte. 

ce  Si  saint  Pierre  revenait  au  monde,  ce  n'est  pas  à 
Rome  qu'il  irait.  Il  a  quitté  Antioche,  il  a  préféré  Rome 
à  Jérusalem,  parce  que  Rome  était  la  première  des  capi- 
tales et  le  séjour  des  empereurs,  comme  l'est  aujourd'hui 
Paris.  Qu'il  fasse  d'ailleurs  ce  qu'il  voudra  avec  les  puis- 
sances étrangères,  je  ne  m'en  mêle  pas.  Il  trouvera  en 
Autriche  les  mêmes  principes  de  liberté,  ou  même  de 
plus  étendus.  Mais  chaque  puissance  fait  ce  qui  paraît  le 
mieux  lui  convenir...  » 

Rappelant  ensuite  ses  derniers  démêlés  avec  le  pape , 
à  l'occasion  de  l'institution  canonique  des  évêques,  l'em- 
pereur exprimait  ainsi  ses  résolutions  : 

«  A  l'égard  des  institutions  canoniques,  puisque  le 
pape  s'est  obstiné  à  ne  pas  exécuter  le  Concordat,  je  peux 
et  je  dois  dans  les  circonstances  actuelles  y  renoncer. 
Voilà,  Messieurs  du  chapi+re,  quels  sont  mes  principes; 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  325 

faites-les  connaître  à  vos  curés.  Ils  sont  tous  à  l'avantage 
de  la  religion  ,  et  je  ne  m'en  écarterai  jamais  *.  » 

III.  —  Si  pénible  que  fut  l'étonnement  de  M.  Jalabert, 
le  M.  Émery  et  des  membres  du  chapitre  métropolitain 
de  Paris,  en  entendant  la  lecture  de  l'adresse  substituée 
secrètement  à  la  dernière  heure  par  la  ruse  du  cardinal 
Maury  à  l'expression  vraie  de  leurs  sentiments,  il  leur 
fut  impossible  d'élever  une  protestation  publique. 

La  réponse  brève,  saccadée,  autoritaire  de  Napoléon 
à  l'adresse  dont  il  avait  inspiré  les  idées  principales  ne 
permettait  d'ailleurs  que  le  silence  et  la  douleur  de  la 
résignation. 

M.  Émery  se  félicita  d'avoir  protesté  hautement  dans 
la  commission,  et  d'avoir  refusé  de  donner  sa  signature 
à  une  déclaration  qui  devait  affliger  profondément 
Pie  VII  dans  les  épreuves  déjà  si  douloureuses  de  sa 
captivité. 

Quelques  jours  après  avoir  fait  cet  accueil  gracieux 
à  M.  Émery,  l'empereur  lui  donna  de  nouveau  un  témoi- 
gnage inattendu  de  l'estime  qu'il  faisait  de  son  autorité 
sur  le  clergé  de  France  et  de  la  valeur  de  ses  décisions 
en  matière  de  droit  canon  et  de  théologie. 

Napoléon  n'était  pas  encore  satisfait  des  réponses  de  la 
dernière  commission  ecclésiastique;  il  cherchait  avec 
anxiété,  dans  sa  pensée  inquiète,  troublée,  le  moyen  de 
8'aflïanchir  de  l'intervention  du  saint-siège,  dans  la 
nomination  des  évèques  de  son  choix. 

Il  forma  une  nouvelle  commission  composée  des  arche- 
vêques et  évèques  de  Lyon,  de  Paris,  de  Tours,  de  Ma- 
tines, d'Évreux,  de  Nantes,  de  Trêves,  et  de  M.  Emery, 
conseiller  de  l'Université. 

M.  Émery  connaissait  la  gravité  des  questions  que  ce 


1  Audience  du  dimanche  G  janvier  1811. 
11 


10 


326  M.  ÉMERY 

conseil  serait  appelé  à  résoudre,  la  responsabilité  qu'il 
devrait  assumer  aux  yeux  de  l'Église  et  de  la  France,  et 
les  desseins  souvent  manifestés  de  l'empereur.  Il  écrivit 
au  ministre  des  cultes  pour  le  remercier  de  l'honneur 
qu'il  voulait  bien  lui  faire,  en  l'appelant  à  siéirer  dans 
une  assemblée  composée  des  plus  grands  dignitaires 
ecclésiastiques  de  l'empire.  Il  le  priait,  au  nom  de  la 
dignité  des  évéques  membres  du  conseil,  au  nom  des 
traditions  de  l'ancien  clergé,  de  ne  pas  permettre  qu'un 
simple  prêtre  fût  appelé  à  se  prononcer  dans  les  affaires 
si  graves  soumises  à  la  haute  sagesse  des  membres  les 
plus  illustres  de  l'épiscopat. 

((  Si  Votre  Excellence,  écrivait  M.  Émery,  avait  le 
temps  d'écouter  mes  raisons,  je  crois  qu'elle  ne  les  dé- 
sapprouverait pas  ;  mais,  dans  ie  moment  présent,  je  lui 
en  exposerai  une  :  c'est  que  je  crois  qu'un  simple 
prêtre,  tel  que  je  suis,  est  déplacé  dans  une  assemblée 
d'évèques ,  et  qu'il  est  contre  tous  les  anciens  usages  de 
l'y  appeler.  Je  viens  de  vérifier,  dans  les  procès- verbaux 
du  clergé,  que  dans  toutes  les  assemblées  extraordinaires 
où  l'on  convoquait  les  évèques  qui  étaient  dans  la  capitale 
pour  délibérer  sur  des  matières  de  religion,  on  n'appelait 
que  des  évéques  et  on  ne  leur  associait  aucun  théologien. 
Quelle  figure  un  prêtre  seul  ferait-il  dans  ces  assemblées? 
Si  Votre  Excellence  juge  dans  sa  sagesse  que  je  ne  peux 
me  dispenser  d'assister  à  l'assemblée,  elle  trouvera  bon 
que,  par  respect  pour  les  évèques,  je  m'abstienne  de 
toute  voix  délibérative  et  que  je  n'aie  que  la  voix  consul- 
tative, c'est-à-dire  que  je  fournisse  sur  les  matières  qui 
seraient  mises  en  délibération  les  lumières  et  les  docu- 
ments que  mes  études  et  mon  expérience  peuvent  im 
mettre  dans  le  cas  de  donner,  quand  je  serai  requis  de  1( 
faire.  » 

Mais  sa  demande  ne  fut  pas  exaucée. 

«  Demain  jeudi,  écrit  M.  Émery  à  M.  de  Bausset,  st 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  32" 

réuniront  les  membres  de  la  commission  présidée  par 
M.  le  cardinal  Fesch,  chez  le  ministre  des  cultes,  pour 
Intendre  une  communication.  Ils  se  rassembleront  dans 
la  suite  chez  le  cardinal.  J'ai  reçu  l'invitation.  J'ai  fait 
ce  que  j'ai  pu  pour  décliner.  Indépendamment  d'une 
autre  considération,  mon  travail  sur  Descaries  et  Leibniz 
ta  prodigieusement  souffrir,  et  eu  vérité  je  crois  que 
je  sers  mieux  la  religion  par  ce  travail  que  je  ne  la 
servirai  dans  cette  commission  qu'on  appelle  aujourd'hui 
le  Conseil  du  clergé. 

«  Je  crains  d'accepter,  je  crains  de  refuser.  Mais  j'ai 
fait  une  observation  singulière  :  c'est  que  dans  toutes 
les  assemblées  d'évèques  tenues  extraordinairement 
pour  cause  de  religion,  on  n'y  a  jamais  appelé  de  théo- 
logiens. » 

IV.  —  Les  instructions  données  à  la  commission  par 
le  ministre  des  cultes  rappelaient  les  griefs  de  l'empereur 
contre  le  pape  prisonnier  et  désarmé.  Napoléon  n'avait 
pas  réuni  ses  évêques  pour  connaître  leur  sentiment  sui- 
des questions  dogmatiques  discutées  librement  par  des 
théologiens  indépendants  ;  il  leur  demandait  la  confirma- 
tion solennelle  et  la  justification  de  sa  conduite  à  l'égard 
de  Pie  VII.  C'est  bien  ce  qui  ressort  de  la  lecture  de  ce 
document  qui  leur  fut  présenté  : 


INTRODUCTION 


a  1°  Son  Altesse  éminentissime  le  cardinal  Fesch , 
grand  aumônier  de  l'empire,  archevêque  de  Lyon;  Son 
Éminence  le  cardinal  Maury,  archevêque  de  Paris  ;  Son 
Éminence  le  cardinal  Caselli,  évoque  de  Parme;  M.  le 
comte  de  Barrai ,  archevêque  de  Tours  ;  M.  le  comte  de 
Pradt,  archevêque  de  Malines;  M.  le  baron  Bourlier, 


328  M.  ÉMERY 

évêque  d'Évreux;  M.  le  baron  Duvoisin,  évèque  de 
Nantes;  M.  le  baron  de  Manny,  évêque  de  Trêves,  et  le 
sieur  Émery,  conseiller  de  l'Université  impériale,  ont 
été  convoqués  par  ordre  de  Sa  Majesté  pour  lui  servir  de 
conseil.  C'est  comme  attachés  à  sa  personne  et  aux  intérêts 
de  son  peuple,  dont  ils  sont  les  principaux  pasteurs, 
qu'elle  les  a  réunis  dans  sa  capitale,  afin  que,  dans  les 
circonstances  actuelles ,  ils  lui  tracent  la  marche  la  plus 
conforme  aux  conciles  et  aux  usages  de  l'Église. 

((  Le  pape  a  fait  un  acte  d  évêque  universel  à  l'époque 
du  rétablissement  des  cultes  en  France.  Il  a  été  autorisé 
à  cet  acte  par  les  circonstances  extraordinaires  où  se 
trouvait  l'Église  gallicane,  et  par  l'autorisation  formelle 
de  l'empereur.  L'autorisation  même  de  l'empereur  n'au- 
rait pas  rendu  suffisant  le  pouvoir  du  pape  pour  ren- 
verser la  juridiction  épiscopale'  de  toute  une  contrée,  si 
on  ne  s'était  pas  trouvé  dans  des  circonstances  uniques  ; 
sans  quoi  ce  serait  poser  en  principe  que  le  pape,  in- 
fluençant un  prince  faible,  pourrait  culbuter  l'épiscopat 
de  tout  un  empire. 

((  Les  prétentions  du  pape  d'être  reconnu  comme 
évêque  universel  ont  donc  été  constamment  rejetées  par 
l'empereur  ;  mais  le  pape,  s'autorisant  de  ce  cas  extraor- 
dinaire et  unique  dans  l'Église,  a,  depuis  le  Concordat, 
agi  comme  s'il  avait  un  pouvoir  absolu  sur  l'épiscopat. 
Il  devient  donc  indispensable  de  poser  de  nouvelles 
limites  entre  les  prétentions  du  pape  et  l'indépendance 
de  toutes  les  nations.  Ces  limites  sont  toutes  posées  par 
les  conciles  et  par  les  quatre  propositions  du  clergé  de 
l'Église  gallicane. 

«  Le  pape  les  ayant  constamment  méconnues  depuis 
le  Concordat,  Sa  Majesté  a  pris  le  parti  d'interrompre 
toute  communication  avec  le  pape,  jusqu'à  ce  qu'il  ait 
prêté  serment  de  ne  jamais  rien  faire  contre  les  quatre 
propositions  de  l'Église  gallicane ,  arrêtées  dans  l'assem- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  329 

blée  de  1682.  En  effet,  le  pape  avait  agi  contre  ces  prin- 
cipes lorsque,  communiquant  le  Concordat  au  consis- 
toire des  cardinaux ,  il  a  été  mis  des  réticences  qui  sont 
autant  de  germes  de  troubles,  et  les  évèques  de  France 
ont  reconnu  qu'elles  étaient  contraires  à  leurs  principes. 

«  Depuis,  le  pape  a  lancé  des  bulles  d'excommunica- 
tion pour  des  affaires  temporelles,  et  en  cela  il  a  été 
contre  les  premiers  principes  de  la  religion,  et  notam- 
ment contre  ceux  de  l'Église  gallicane,  qui  ne  reconnaît 
point  le  droit  d'excommunier  les  souverains. 

ce  Lors  du  Concordat ,  l'esprit  de  la  cour  de  Rome  se 
fit  voir  :  au  lieu  d'établir  dès  lors  les  chapitres  comme 
nécessaires  pour  l'ordre  hiérarchique,  il  n'y  en  est  fait 
mention  que  comme  d'une  institution  dont  on  pourrait 
se  passer,  et  qui  ne  serait  point  dotée.  On  présuma  que 
les  évèques  resteraient  sans  chapitre ,  qu'ils  en  seraient 
d'autant  plus  faibles,  et  que,  pendant  les  vacances,  le 
pape  gouvernerait  les  diocèses  par  ses  délégués. 

((  Cette  doctrine  est  pareillement  démontrée  par  le 
bref  du  pape  aux  chapitres  de  Florence,  de  Paris,  d'Asti, 
brefs  qui  interdisent  aux  chapitres  l'exercice  de  leur 
autorité,  en  leur  défendant  de  la  déléguer.  Les  chapitres 
ont  repoussé  de  si  étranges  prétentions. 

«  Le  chapitre  de  Milan  lui-même,  quoique  ne  faisant 
pas  partie  de  l'Église  gallicane,  aussitôt  que  le  bruit  a 
commencé  à  se  répandre  de  la  conduite  du  pape  contre 
les  chapitres,  comme  il  a  vu  que  la  vacance  du  siège 
métropolitain  depuis  plus  d'un  an  faisait  le  plus  grand 
tort  au  temporel  et  au  spirituel  de  ce  diocèse,  a  été  au- 
devant  de  la  tentative  de  pareilles  entreprises,  en  s'adres- 
sant  à  Sa  Majesté  pour  l'assurer  que  les  prétentions  du 
pape  seraient  universellement  rejetées  comme  contraires 
aux  prérogatives  des  chapitres  et  au  droit  de  l'épiscopat 
institué  par  Jésus -Christ. 

ce  Le  pape  a  institué  par  son  bref  du  30  novembre  1810 


330  M.  ÉMERY 

le  cardinal  di  Pietro,  son  fondé  de  pouvoirs  en  France, 
en  lui  donnant  tous  ceux  à  l'effet  de  pourvoir  aux 
besoins  de  l'Eglise.  Il  a  ainsi  voulu  introduire  une  juri- 
diction contraire  aux  principes  qui  régissent  cette  Eglise. 
Les  principes  du  pape  et  sa  conduite  prouvent  qu'il  veut 
faire  de  la  France  ce  qu'il  a  fait  de  l'Allemagne ,  la  gou- 
verner par  un  vicaire  apostolique,  à  peu  près  comme 
en  Hollande  et  dans  les  pays  où  la  religion  n'est  pas 
tolérée,  et  où  les  princes  n'auraient  pas  voulu  tolérer 
l'épiscopat. 

((  Le  droit  d'institution  des  évêques  a  été  accordé  aux 
papes  par  François  Ier  et  par  l'empereur,  à  condition 
qu'ils  institueraient  les  personnes  nommées  par  les  sou- 
verains. Le  pape  ayant  violé  ce  Concordat  synallagma- 
tique,  l'empereur  a  bien  voulu  imiter  Louis  XIV  dans 
sa  longanimité;  mais  le  pape  s'y  étant  opposé,  ce  que 
n'avait  pas  fait  Innocent  XII ,  a  rendu  vain  et  inutile  ce 
moyen  ;  dès  lors  il  n'est  plus  suffisant  pour  assurer  la 
paix  de  l'Église.  C'est  ce  qui  a  déterminé  l'empereur  à 
déclarer  qu'il  ne  souffrirait  plus  que,  dans  l'empire,  l'in- 
stitution des  évêques  fût  donnée  par  le  pape. 

«  Indépendamment  du  fait  même  de  la  vacance  des 
principaux  sièges  de  l'empire  et  du  royaume  d'Italie, 
vacance  occasionnée  par  la  conduite  du  pape  à  l'égard 
des  bulles,  il  a  par  le  même  bref,  adressé  au  cardinal 
di  Pietro,  déclaré  qu'il  ne  donnera  jamais  de  bulle  aux 
évêques  nommés.  Il  ne  s'est  donc  pas  borné  à  annuler 
le  Concordat;  de  fait,  il  a  voulu  décidément  et  formel- 
lement l'annuler.  Aussi  deux  déterminations  ont  été 
prises  par  Sa  Majesté  : 

«  1°  Aucune  communication  n'aura  lieu,  entre  ses 
sujets  et  le  pape,  que  celui-ci  n'ait  posé  les  limites  de 
son  autorité  en  reconnaissant  celles  qui  ont  été  posées 
par  Jésus -Christ  lui-même,  c'est-à-dire  qu'aux  termes 
du  sénatus-consulte  il  n'ait  juré  de  ne  rien  faire  en 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  331 

France  contre  les  quatre  propositions  de  l'Église  galli- 
cane, arrêtées  dans  rassemblée  du  clergé  en  1682  ; 

«  2°  De  ne  plus  faire  dépendre  l'existence  de  l'épis- 
copat  en  France  de  l'institution  canonique  du  pape, 
qui  serait  ainsi  le  maître  de  l'épiscopat. 

a  Quant  aux  mesures  à  prendre  pour  que  l'Eglise  ne 
soutire  pas  de  cette  interruption  de  communication,  et 
que  les  évèques  ayant  le  caractère  requis  puissent  exer- 
cer leur  juridiction  épiscopale,  l'empereur  s'en  rapporte 
aux  évèques  pour  lui  faire  connaître  ce  qui  convient  le 
mieux,  soit  qu'on  revienne  à  la  Pragmatique  de  saint 
Louis  tant  regrettée ,  soit  à  tout  autre  usage.  » 

V.  —  Consterné»  à  la  lecture  de  cette  déclaration  de 
guerre  au  saint-siège,  et  de  cet  appel  au  schisme  au 
nom  de  l'indépendance  de  l'autorité  civile,  M.  Émery 
s'empressa  d'exprimer  au  cardinal  Fesch  son  impression 
douloureuse,  ses  craintes  pour  l'avenir  de  l'Eglise  de 
France,  et  les  conséquences  lamentables,  désastreuses, 
des  prétentions  exprimées  par  l'empereur. 

Le  cardinal  Fesch,  ému  des  observations  judicieuses 
de  M.  Émery,  se  rendit  chez  le  souverain,  lui  parla  du 
danger  de  faire  inutilement  des  martyrs  et  de  s'engager 
dans  une  persécution  sans  gloire  et  sans  nécessité.  Il  le 
pressa  respectueusement  de  renoncer  à  son  projet  bles- 
sant pour  les  consciences  catholiques,  et  il  obtint  des 
modifications  qui  laissaient  cependant,  dans  toute  sa 
hardiesse,  la  prétention  absolue  de  pourvoir  en  dehors 
du  saint-siège  aux  évéchés  vacants. 

La  pensée  de  l'empereur  était  bien ,  en  effet,  d'ètiv  le 
chef  de  l'Eglise  de  France,  de  tenir  dans  sa  main  puis- 
sante un  épiscopat  qu'il  aurait  choisi  lui-même,  et  qui 
serait  l'instrument  docile,  toujours  soumis,  de  ses  vo- 
lontés. Les  jansénistes  formaient  encore  en  France  une 
secte  intrigante  ;  elle  avait  un  épiscopat  schismatique 


332  M.  ÉMERY 

indépendant  de  l'autorité  du  pape,  elle  encourageait 
les  prétentions  de  l'empereur  et  flattait  son  désir  secret 
de  domination  universelle. 

Ils  oubliaient  qu'il  n'appartient  pas  à  quelques  évêques 
convoqués  par  un  souverain  dans  l'ordre  politique , 
étranger  à  l'Église,  de  changer,  sans  le  consentement 
et  l'avis  du  successeur  de  Pierre ,  un  point  quelconque 
de  la  discipline  générale  de  l'Eglise,  affirmé,  établi  par 
l'usage,  les  conciles  et  la  tradition. 

Ils  oubliaient  que  le  successeur  de  Pierre  est  revêtu 
de  la  primauté  d'honneur  et  de  juridiction  sur  les 
évêques,  sur  les  ministres  inférieurs,  sur  tous  les  fidèles, 
princes  et  sujets,  et  qu'il  n'est  au  pouvoir  d'aucune 
autorité  civile  sur  la  terre ,  quelle  que  soit  d'ailleurs 
sa  puissance,  de  s'opposer  à  l'exercice  de  cette  juridic- 
tion et  de  séparer,  par  un  acte  dont  la  violence  éga- 
lerait l'injustice,  les  évêques  du  pape,  de  qui  ils  tiennent 
par  délégation  leur  propre  juridiction. 

Ils  oubliaient  que  le  ministère  sacré  ne  peut  être 
exercé  qu'en  vertu  d'une  mission  et  d'une  juridiction 
légitime,  qu'il  n'y  a  de  mission  et  de  juridiction  légitime 
que  celle  qui  vient  de  Jésus -Christ  et  que  l'Église  con- 
fère ,  et  qu'elle  seule ,  à  l'exclusion  de  toute  puissance 
séculière ,  a  le  droit  de  régler  la  manière  de  la  conférer. 
«  Si  quelqu'un  dit  que  ceux  qui  ne  sont  ni  ordonnés 
ni  envoyés  par  la  puissance  ecclésiastique  et  canonique, 
mais  viennent  d'ailleurs,  sont  des  ministres  légitimes 
de  la  parole  et  des  sacrements,  qu'il  soit  anathème.  » 

Telle  est  la  doctrine  du  concile  de  Trente.  Les  Pères 
de  ce  concile,  expliquant  ce  qu'il  faut  entendre  par  puis- 
sance canonique,  déclarent  que  le  pape  seul  a  le  droit, 
suivant  la  discipline  établie,  de  donner  aux  évêques  leur 
mission  i. 

1  Sess.  28,  ch.  vu.  —  Sess.  24,  de  reform.,  cap.  i. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  333 

Aussi,  dans  un  bref  célèbre  adressé  à  If.  de  Loménie, 
Pie  VI,  témoin  attristé  d'une  grande  persécution,  disait  : 

«  Nous  vous  recommandons  surtout  de  ne  pas  avoir 
la  témérité  de  conférer  l'institution  canonique  aux  nou- 
veaux évoques,  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit,  et  de 
ne  pas  affliger  l'Église,  en  lui  donnant  des  ministres 
rebelles.  C'est  au  Siège  apostolique  que  ce  droit  appar- 
tient uniquement ,  d'après  les  décisions  du  concile  de 
Trente.  Si  quelque  évèque ,  quelque  métropolitain  se 
l'attribue ,  alors  nous  serons  forcés ,  en  vertu  des  fonc- 
tions apostoliques  qui  nous  sont  confiées,  de  déclarer 
schismatiques  et  ceux  qui  institueront  et  ceux  qui  seront 
institués.  » 

Ce  n'était  donc  pas  le  vain  désir  de  faire  opposition 
sans  justice,  sans  raison  à  l'empereur,  en  exagérant 
d'une  manière  coupable  les  droits  de  la  puissance  spi- 
rituelle, qui  inspirait  Pie  VII,  quand  il  déclarait  à 
Napoléon  que  l'institution  des  évèques  n'appartient  qu'au 
Vicaire  de  Jésus-Christ.  Il  défendait  la  doctrine  théolo- 
gique, les  droits  de  l'Église,  la  dignité  du  sacerdoce, 
Tindépendance  des  âmes ,  dont  la  protection  lui  était 
confiée. 

VI.  —  Les  cardinaux  et  les  prélats  de  la  commission 
ecclésiastique  étaient  embarrassés.  Ils  ne  voulaient  pas 
déplaire  à  l'empereur  ;  ils  craignaient  aussi  sans  doute 
de  compromettre  ou  de  trahir,  par  des  concessions  que 
leur  conscience  réprouvait  énergiquement ,  les  droits 
de  cette  Église  qu'ils  avaient  juré  de  défendre  au  péril 
même  de  leur  vie,  le  jour  de  leur  consécration. 

Ils  cherchèrent  des  moyens  détournés  et  des  com- 
promis. Ils  répondirent  qu'ils  voyaient  dans  les  brefs 
I  adressés  par  Pie  VII  aux  chapitres  de  Paris,  de  Florence 
,et  d'Asti,  une  preuve  affligeante  des  fausses  idées  ins- 
pirées au  pape  par  des  personnes  mal  instruites  des 


334  M.  ÉMERY 

usages  et  de  l'état  de  l'Église  de  France  ;  que  ce  serail 
une  sage  prévoyance  de  faire  ajouter  au  Concordat  de 
l'année  1801  cette  clause,  que  Sa  Sainteté  donnerait, 
dans  un  temps  déterminé ,  l'institution  canonique  aïo 
évêques nommés  par  l'empereur;  que,  ce  temps  une  fois 
passé,  l'institution  canonique  serait  dévolue  au  concile 
de  la  province  ;  que,  si  le  pape  ne  consentait  pas  à  l'addi- 
tion de  cette  clause,  son  refus  justifierait  à  la  face  de 
toute  l'Église  l'abolition  du  Concordat  ;  qu'il  était  de  la 
plus  haute  importance  de  ne  pas  heurter  de  front  l'opi- 
nion publique,  qui  n'a  pas  coutume  d'être  favorable  aux 
changements  et  aux  innovations;  qu'il  fallait  y  préparei 
peu  à  peu  les  esprits  ;  que  l'Église  de  France  était  auto- 
risée, en  cas  de  nécessité,  à  pourvoir  elle-même  à  sa 
propre  conservation. 

Au  nombre  des  évêques  membres  de  la  commission 
qui  signèrent  cette  réponse  si  offensante  pour  le  cœui 
et  la  dignité  du  souverain  pontife,  nous  voyons  le  car- 
dinal Maury. 

On  aurait  pu  rappeler  à  ce  prélat ,  installé  à  l'arche- 
vêché de  Paris  par  la  volonté  seule  de  l'empereur,  qu< 
le  17  novembre  1790,  député  à  l'Assemblée  nationale 
il  avait  prononcé  en  face  des  révolutionnaires  déchaîné 
un  discours  éloquent  pour  repousser,  condamner,  flétri 
l'acte  même  qu'il  venait  de  confirmer  aujourd'hui  d< 
sa  signature  de  cardinal. 

On  devine  les  souffrances  morales  de  M.  Émery  à  1 
vue  de  ces  lâchetés ,  et  sa  tristesse  en  voyant  cet  anciei 
compagnon  d'armes  passer  à  l'ennemi.  Tous  les  dégoût 
de  la  terre  devaient  remplir  son  âme  et  le  détacher  de  1 
vie  pour  le  préparer  à  mourir. 

VII.  —  Le  17  mars  1811,  l'empereur  convoqua  le 
membres  de  la  commission  ecclésiastique  et  les  réunit 
en  audience  solennelle ,  dans  une  grande  salle  du  palai 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  335 

des  Tuileries.  Il  avait  le  goût  de  ces  manifestations  écla- 
tantes, il  aimait  à  s'entourer  de  majesté  pour  donner 
plus  d'ampleur  et  d'étendue  à  l'expression  impérieuse 
et  aux  défis  de  sa  pensée. 

M,  ÉïWery,  emmené  presque  de  force  aux  Tuileries 
par  les  évèques  de  Boulogne  et  de  Troyes ,  que  le  car- 
dinal Fesch  avait  envoyés  au  séminaire  avant  l'audience 
pour  triompher  de  s#s  résistances,  se  trouvait  là,  perdu 
au  milieu  des  évéques,  des  archevêques,  des  cardinaux, 
des  conseillers  et  des  grands  dignitaires  de  l'empire. 
Leurs  vêtements  éclatants ,  parés  des  décorations  et  des 
insignes  fastueux ,  rappelaient  les  faveurs  impériales  et 
al  tiraient  l'attention.  Je  ne  sais  si  le  regard  deTalleyrand, 
prince  de  Bénévent,  s'arrêta  sur  M.  Émery.  Il  était  là, 
lui  aussi  ;  il  devait  le  craindre.  S'il  était  capahle  encore 
de  remords,  il  devait  éviter  la  vue  vengeresse  de  ce 
pauvre  vieillard  blanchi  dans  dcglorieux  combats,  courbé 
sous  le  poids  des  années  et  des  épreuves,  inébranlable 
dans  la  fidélité  courageuse  de  sa  foi.  Ce  prêtre  lui  repro- 
chait, par  sa  simplicité  austère,  sa  livrée  d'aujourd'hui 
et  sa  fortune  insolente. 

Après  une  longue  attente  de  deux  heures,  l'empereur 
fît  son  entrée.  Un  grand  silence  succéda  aux  acclama- 
tions retentissantes  qui  saluèrent  son  arrivée.  Il  ouvrit 
la  séance  par  un  discours  violent  contre  le  pape,  qu'il 
accusa  de  résister  injustement  à  ses  projets.  Il  énuméra 
ses  griefs,  en  les  soulignant  par  des  menaces,  et  il  an- 
nonça son  dessein  de  convoquer  un  concile  national 
pour  soustraire  Tôpiscopat  aux  envahissements  de  l'au- 
torité pontificale.  Il  voulait  apprendre  enfin  à  l'Église 
de  France  à  se  gouverner  elle-même,  sans  recourir  à 
une  puissance  étrangère. 

Cette  puissance  osait  se  permettre  encore  aujourd'hui 
d'excommunier  le  souverain,  qui  avait  ouvert  les  portes 
des  églises  et  signé  le  Concordat.  Il  parla  de  l'institution 


336  M.  ÉMERY 

canonique  refusée  aux  sujets  désignés  pour  occuper  des 
sièges  vacants  en  France  et  dans  le  royaume  d'Italie. 

La  parole  de  l'empereur  était  saccadée ,  elle  trahissait 
l'amertume  et  la  violence  de  sa  colère  ;  il  semblait  pro- 
voquer impunément  ceux  qui  pâlissaient  en  écoutant  sa 
harangue  et  défier  un  contradicteur  d'oser  se  lever  pour 
défendre  en  sa  présence  l'autorité  du  pontife  qui  expiait 
à  cette  heure  même  son  courage  apostolique  dans  les 
cruelles  douleurs  d'une  longue  captivité. 

Les  prélats,  les  évèques  et  les  cardinaux  comblés  des 
faveurs  impériales  gardaient  le  silence.  Ils  n'étaient  pas 
de  la  race  choisie  des  confesseurs  de  la  foi.  Les  grands 
dignitaires  de  l'empire ,  sceptiques ,  élevés  au  pied  de 
l'échafaud  pendant  les  derniers  jours  de  la  Révolution 
ou  dans  le  tumulte  des  camps  et  des  bivouacs,  assistaient 
à  cette  scène  émouvante  et  jouissaient  en  secret  de  l'hu- 
miliation infligée  à  l'Eglise  dans  la  personne  de  ses 
représentants.  Cambacérès  et  Talleyrand  cherchaient  un 
homme  dans  les  rangs  de  la  commission  ecclésiastique, 
ils  y  rencontraient  des  courtisans. 

(c  Monsieur  Emery,  s'écrie  l'empereur  en  interpellant 
le  supérieur  de  Saint -Sulpice,  que  pensez -vous  de  tout 
cela?  » 

A  cette  brève  interrogation ,  le  silence  devint  plus 
profond ,  et  un  frisson  de  crainte  passa  sur  le  front  de 
tous  les  assistants. 

ce  Sire,  je  ne  puis  avoir  d'autre  sentiment  sur  ce  point 
que  celui  qui  est  contenu  dans  le  catéchisme  enseigné 
par  vos  ordres  dans  toutes  les  églises  de  l'empire.  On 
lit  dans  plusieurs  endroits  de  ce  catéchisme  que  le 
pape  est  le  chef  visible  de  l'Église,  à  qui  tous  les  fidèles 
doivent  l'obéissance  comme  au  successeur  de  saint  Pierre, 
d'après  l'institution  même  de  Jésus- Christ.  Or  un  corps 
peut-il  se  passer  de  son  chef,  de  celui  à  qui,  de  droit 
divin ,  il  doit  l'obéissance  ? 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  337 

—  Continuez,  dit  l'empereur. 

—  On  nous  oblige  en  France  à  soutenir  les  quatre 
articles  de  la  déclaration  de  1G82,  mais  il  faut  en  rece- 
voir la  doctrine  dans  son  entier;  or  il  est  dit  aussi,  dans 
le  préambule  de  cette  déclaration  ,  que  la  primauté  de 
saint  Pierre  et  des  pontifes  romains  est  instituée  par 
Jésus  -  Christ ,  et  que  tous  les  chrétiens  lui  doivent 
obéissance. 

«  De  plus ,  on  ajoute  que  les  quatre  articles  ont  été 
décrétés  pour  empêcher  que,  sous  prétexte  des  libertés 
de  l'Église  gallicane,  on  ne  porte  atteinte  à  cette  pri- 
mauté. 

—  Eh  bien,  répond  l'empereur,  je  ne  conteste  pas  La 
puissance  spirituelle  du  pape,  puisqu'il  l'a  reçue  de 
Jesus-Christ.  Mais  Jésus-Christ  ne  lui  a  pas  donné  la 
puissance  temporelle,  c'est  Charlemagne  qui  la  lui  a 
donnée  ;  et  moi ,  comme  successeur  de  Charlemagne,  je 
veux  la  lui  ôter,  parce  qu'il  ne  sait  pas  en  user,  et  qu'elle 
L'empêche  d'exercer  ses  fonctions  spirituelles.  Monsieur 
Émery,  qu'avez-vous  à  dire  à  cela?  » 

M.  Émery  connaissait  l'objection.  Il  l'avait  déjà  enten- 
due à  l'audience  de  Fontainebleau ,  et  il  avait  répondu 
qu'avant  Charlemagne  le  pape  avait  déjà  des  Etats  tem- 
porels. 

«  Sire,  je  ne  puis  avoir  là-dessus  d'autre  sentiment 
que  celui  de  Bossuet ,  dont  Votre  Majesté  respecte  avec 
raison  la  grande  autorité  et  qu'elle  se  plaît  à  citer  sou- 
vent. Or  ce  grand  prélat,  dans  sa  défense  de  la  déclara- 
tion du  clergé  de  France,  soutient  expressément  que 
l'indépendance  et  la  pleine  liberté  du  chef  de  la  religion 
sont  nécessaires  pour  le  libre  exercice  de  sa  suprématie 
spirituelle  dans  l'ordre  où  se  trouvent  maintenant  éta- 
blis les  royaumes  et  les  empires,  «  Nous  félicitons,  dit 
«.  l'évèque  de  Meaux,  de  sa  souveraineté  temporelle  non 
«  seulement  le  Siège  apostolique,  mais  encore  l'Église 


338  M.  ÉMERY 

«  universelle ,  et  nous  souhaitons  de  toute  l'ardeur  de 
ce  nos  vœux  que  cette  principauté  sacrée  demeure  saine 
«  et  sauve  en  toutes  manières.  » 

—  Je  ne  récuse  pas  l'autorité  de  Bossuet,  réplique 
l'empereur  ;  tout  cela  était  vrai  de  son  temps  ,  où ,  l'Eu- 
rope reconnaissant  plusieurs  maîtres,  il  n'était  pas  con- 
venable que  le  pape  fût  assujetti  à  un  souverain  particu- 
lier. Mais  quel  inconvénient  y  a-t-il  que  le  pape  me  soit 
assujetti  à  moi,  maintenant  que  l'Europe  ne  connaît  que 
moi  seul? 

—  Sire,  Votre  Majesté  connaît  aussi  bien  que  moi 
l'histoire  des  révolutions  ;  ce  qui  existe  maintenant  peut 
ne  pas  toujours  exister,  et  dans  ce  cas  tous  les  inconvé- 
nients prévus  par  Bossuet  pourraient  reparaître.  Sire, 
ajouta  M.  Émery  d'un  ton  plus  grave  qui  saisit  l'assem- 
blée, vous  allez  souvent  à  la  guerre,  vous  en  connaissez 
les  hasards.  Si  vous  laissez  votre  fils  en  bas  âge,  on 
voudra  le  dépouiller;  et  le  pape,  qui  a  toujours  été  le 
protecteur  des  faibles,  sera  peut-être  alors  son  seul 
appui. 

—  Et  n'ai -je  pas  le  droit,  réplique  l'empereur  en 
passant  à  un  autre  sujet ,  de  déclarer  au  pape  que  s'il 
ne  donne  pas  l'institution  canonique  aux  évèques,  dans 
un  délai  déterminé,  je  passerai  outre  et  je  me  servirai 
d'un  concile  provincial? 

—  Jamais ,  Sire ,  le  pape  ne  fera  cette  concession,  qui 
rendrait  illusoire  son  droit  d'institution. 

—  Vous  vouliez  donc  me  faire  faire  un  pas  de  clerc?  » 
s'écrie  l'empereur  en  jetant  un  regard  sévère  et  mépri- 
sant sur  les  membres  de  la  commission. 

Puis  il  lève  brusquement  la  séance  et  se  retire. 

Les  membres  de  la  commission ,  effrayés  du  noble 
langage  tenu  par  M.  Émery,  se  pressent  auprès  de  l'em- 
pereur; ils  lui  prodiguent  des  excuses,  des  témoignages 
d'obéissance,  avec  le  regret  profond  des  paroles  témé- 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANGE  339 

raires  de  ce  vieillard  ,  inconscient  de  l'inconvenance 
hardie  de  ses  réponses. 

Ils  achevaient  la  faute  de  leur  silence  par  une  der- 
nière lâcheté. 

ce  Taisez -vous,  Messieurs,  répliqua  l'empereur.  Vous 
vous  trompez,  je  ne  suis  pas  fâché  contre  l'abbé  Emery. 
Il  a  parlé  comme  un  homme  qui  connaît  et  qui  possède 
bien  son  sujet.  C'est  ainsi  que  je  veux  que  l'on  me 
parle.  » 

VU.  —  Le  bruit  de  cette  séance  mémorable  se  répandit 
dans  toute  la  France  et  à  l'étranger.  Ceux  qui  avaient 
autrefois  accusé  M.  Emery  d'avoir  autorisé  par  une 
basse  complaisance  des  serments  défendus ,  et  ceux  qui 
le  trouvaient  téméraire  quand  il  affirmait  les  vérités  fon- 
damentales sur  l'autorité  du  successeur  de  Pierre,  lui 
prodiguèrent  leurs  félicitations  et  les  témoignages  de 
leur  admiration.  Le  cardinal  Maury  était  avec  eux. 

<l  Je  savais  bien  que  M.  Émery  avait  beaucoup  d'es- 
prit, disait  Talleyrand  en  sortant  de  la  séance,  mais  je 
ne  croyais  pas  qu'il  en  eût  autant.  Il  a  l'adresse  de  dire 
franchement  la  vérité  à  l'empereur  sans  lui  déplaire,  9 

Indifférent  à  l'éloge  et  au  blâme,  toujours  sensible 
aux  avertissements  de  sa  conscience,  M.  Emery,  qui  avait 
prié  la  sainte  Vierge  et  invoqué  pieusement  M.  Olier  par 
une  courte  prière  avant  de  se  rendre  à  cette  séance, 
rentra  dans  sa  chambre  du  séminaire  avec  le  calme 
serein  d'un  homme  qui  voit  de  trop  près  la  fin  de  toute 
chose  pour  s'intéresser  encore  à  la  gloire  et  aux  félicita- 
tions de  ce  monde. 

((  Voilà  donc  ce  même  homme,  écrivait  M.  Émery  en 
faisant  allusion  au  passé,  qui,  comme  vous  savez,  a  été 
suspect  et  accusé  de  pusillanimité  par  tant  de  personnes 
au  dedans  et  au  dehors  pendant  la  révolution,  le  voilà 
loué  pour  son  courage  par  les  mêmes  personnes  qui,  pour 


340  M.  ÉMERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE 

la  plupart,  auraient  besoin  qu'on  leur  en  inspirât1.  » 

Sa  vie  publique  s'était  ainsi  écoulée  entre  deux  actes 
glorieux  pour  sa  mémoire,  qui  témoignent  avec  éclat  de 
l'ardeur  courageuse  de  sa  foi  et  de  son  dévouement  iné- 
branlable à  l'Eglise  et  à  la  papauté.  Supérieur  du  sémi- 
naire Saint- Sulpice ,  aux  premiers  jours  de  la  Révolu- 
tion ,  non  seulement  il  avait  été  l'inspirateur  de  l'abbé 
Maury,  mais  il  avait  écrit  lui-même  des  lettres  éloquentes 
contre  la  constitution  civile  du  clergé.  A  la  fin  de  sa  vie 
il  retrouva,  sous  une  autre  forme  ,  les  mêmes  ennemis, 
et  son  dernier  acte  est  encore  une  parole  ferme  et  une 
fîère  protestation  en  faveur  du  droit  sacré  du  Vicaire  de 
Jésus- Christ. 

Il  pouvait  désormais  fermer  les  yeux  et  s'endormir 
dans  la  paix  du  Seigneur.  Sa  mémoire  était  vengée,  même 
ici -bas  et  pendant  sa  vie,  d'un  injuste  soupçon  de  fai- 
blesse complaisante  envers  les  princes  de  la  terre. 

((  Peu  de  temps  après,  écrit  le  cardinal  Consalvi , 
M.  Emery  tomba  malade,  peut-être  par  l'effort  qu'il 
avait  fait  sur  lui-même,  car  il  était  plus  qu'octogénaire, 
et  bientôt  il  mourut,  heureux  de  n'avoir  pas  terminé  sa 
carrière  avant  d'arriver  à  un  point  si  glorieux  aux  yeux 
du  monde,  et  si  méritoire  pour  le  ciel 2.  » 

1  Lettre  à  M.  Nagot  du  2  avril  1811. 

2  Mémoires  du  cardinal  Consalvi. 


CHAPITRE  XV 


l'heure  suprême 

I.  —  L'empereur  n'était  pas  encore  satisfait;  il  avait 
pris  la  résolution  de  soumettre  à  un  concile  national  ses 
difficultés  avec  le  pape ,  et  d'obtenir  enfin  du  clergé  de 
France  une  réponse  définitive ,  conforme  à  sa  volonté  de 
faire  lui-même  ,  en  dehors  du  saint -siège  ,  un  épiscopat 
dévoué  à  sa  personne  et  à  ses  idées. 

II.  de  Bausset  soutirait  de  la  goutte  dans  sa  maison  de 
campagne  ;  il  échappait  par  son  infirmité  aux  embarras 
de  ses  collègues ,  appelés  par  l'empereur  à  se  prononcer 
dans  les  commissions. 

Le  15  mars  1811  ,  M.  Emery  apprit  à  M.  l'évèque 
d'Alais  le  dessein  de  l'empereur,  et  le  félicita  de  l'in- 
disposition qui  lui  permettait  d'échapper  aux  périls  des 
délibérations. 

«  Je  n'ai  qu'un  mot  à  vous  dire.  Hier,  le  ministre 
des  cultes  invita  tous  les  membres  de  la  commission  à  se 
rendre  chez  lui  pour  entendre  une  volonté  de  l'empe- 
reur. Cette  volonté  est  d'assembler  tous  les  évèques  de 
l'empire,  du  royaume  d'Italie  et  de  la  confédération,  pour 
délibérer  sur  les  sujets  qui  seront  proposés  par  la  com- 
mission. L'empereur  aurait  voulu  que  l'assemblée  eût 
lieu  aussitôt  après  Pâques.  On  s'est  accordé  à  dire  qu'elle 
ne  pouvait  avoir  lieu  avant  le  mois  de  juin.  Savez- vous 
qu'il  était  question  d'appeler  les  chanoines  de  Saint- 
Denis?  0  bienheureuse  goutte,  vous  mériteriez,  encore 


342  M.  ÉMERY 

plus  que  la  folie ,  que  quelque  Érasme  fit  votre  éloge  !  » 

A  partir  de  ce  moment ,  M.  Émery  sentit  ses  forces 
décliner;  il  se  prépara  doucement  à  mourir.  Jamais  la 
vie  ne  m'a  été  plus  à  charge,  disait- il  à  l'évêque 
d'Alais. 

Il  répétait  aussi  souvent  cette  parole  :  C'est  un  beau 
temps  pour  mourir!  Il  cherchait  et  lisait  avec  plus  d'at- 
tention, de  goût,  de  recueillement,  les  ouvrages  et  les 
livres  de  piété  qui  traitaient  de  la  mort  ;  il  avait  même  le 
désir  de  donner  sa  démission  de  supérieur  général,  afin 
de  ne  s'occuper  que  de  son  âme  et  de  l'éternité. 

Nous  retrouvons  l'expression  de  ses  pressentiments 
dans  la  lettre  paternelle  qu'il  écrivait,  à  cette  époque, 
à  un  de  ses  anciens  élèves ,  l'abbé  Dorion  : 

«  Oh  !  que  votre  lettre  m'a  fait  de  plaisir,  mon  cher 
Dorion!  Vous  priez,  me  dites -vous,  tous  les  jours  Dieu 
pour  moi.  C'est  pour  moi  une  grande  consolation.  Je 
puis  donc  espérer  et  croire  que  vous  prierez  après  ma 
mort  pour  le  repos  de  mon  âme,  en  même  temps  que 
vous  lirez  ces  paroles  dites  au  fond  de  votre  cœur  :  Oui, 
je  prierai  pour  lui ,  je  le  promets  à  Dieu. 

«  Je  vous  écris  d'Issy ,  où  je  fais  ma  retraite  pendant 
la  semaine  sainte  suivant  mon  usage,  et  je  m'y  prépare 
à  la  mort.  Je  me  porte  assez  bien ,  il  est  vrai  ;  mais  mon 
âge  m'avertit  que  cette  mort  ne  peut  pas  être  éloignée. 
Venez  donc,  mon  cher  Dorion,  si  vous  voulez  me  voir 
avant  ma  mort,  je  vous  attends.  Vous  me  dites  que  vous 
pensez  sans  cesse  au  séminaire ,  j'aime  à  croire  que  c'est 
au  séminaire  Saint- Sulpice.  Il  est  probable  qu'il  subsis- 
tera encore  l'année  prochaine.  Je  viens  d'acquérir  le 
clos  de  Lorette.  On  travaille  à  rétablir  la  chapelle  où 
vous  aurez  la  consolation  de  prier  Dieu.  Quoiqu'il  n'y 
ait  que  les  quatre  murailles,  je  commence  à  y  prier 
Dieu  ,  et  je  le  prierai  dès  aujourd'hui  pour  vous. 

«  Adieu,  mon  cher  Dorion,  je  vous  embrasse  in 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  343 

osculo  sancto,  et  je  vous  renouvelle  les  assurances  de 
ma  sincère  et  bien  tendre  amitié.  » 

La  pensée  du  concile  national  que  l'empereur  voulait 
convoquer  se  présentait  sans  cesse  à  son  esprit  déjà 
fatigué.  Il  avait  perdu  le  sommeil  ;  il  travaillait  nuit  et 
jour  à  préparer  des  matériaux  pour  défendre  encore  une 
fois  les  droits  de  l'Église  et  donner  les  conseils  de  sa 
longue  expérience  et  de  son  érudition  théologique  aux 
prélats  qui  viennent  le  consulter. 

Ce  travail  excessif  précipita  sa  mort.  On  était  alors  au 
25  avril  1811. 

II.  —  Il  eut  souvent,  pendant  les  combats  dont  sa  vie 
était  faite,  le  dégoût  amer  des  choses  de  la  terre,  et 
depuis  longtemps  son  âme,  détachée  des  joies  humaines, 
s'arrêtait  avec  amour  dans  la  contemplation  des  mer- 
veilles consolantes  du  ciel.  Il  se  préparait  au  départ 
suprême,  avec  la  ferme  confiance  filiale  et  la  joie  de 
l'exilé  qui  va  revoir  sa  patrie  ;  son  âme  haletante,  bles- 
sée par  l'infini,  trouvait  des  paroles  dont  l'accent  ému 
attendrit  encore  ceux  qui  ne  les  ont  pas  entendues ,  et 
qui  peuvent  les  lire  à  l'heure  de  la  tentation  : 

a  Est- il  donc  vrai,  disait-il  en  terminant  un  discours 
de  retraite1,  que  je  sois  si  près  du  royaume  des  cieux? 
Est- il  donc  vrai  que  je  n'aie  plus  qu'un  pas  à  faire,  à 
tendre  la  main  pour  saisir  et  m'assurer  à  jamais  la  cou- 
ronne de  gloire?  Mille  grâces  vous  soient  rendues,  ô  mon 
Dieu!  C'en  est  fait,  je  ne  balance  plus,  le  peu  que  vous 
exigez  encore  de  moi  je  vous  l'accorde,  je  vous  le  pro- 
mets. La  pensée  du  paradis  que  j'entretiendrai  dans  mon 
cœur  sera  le  garant  de  ma  promesse. 

«  0  royaume  des  cieux  !  vous  serez  donc  mon  partage  ; 
ô  cité  céleste!  je  serai  donc,  un  jour  un  de  vos  citoyen?; 


1  Sermon  inédit. 


344  M.  ÉMERY 

ô  maison  de  mon  Dieu  !  séjour  des  anges  et  des  saints  où 
mon  Dieu  se  montre  à  découvert  et  face  à  face,  vous  serez 
donc  mon  habitation  éternelle  ! 

a  Que  mon  âme  et  tout  ce  qui  est  en  moi  bénisse  le 
Seigneur  :  Benedic,  anima  mea,  Domino,  et  omnia 
quse  intra  me  sunt ,  nomini  sancto  ejus. 

«  Oh  !  mon  âme,  ne  perdez  jamais  de  vue  un  si  grand 
bonheur,  et  répandez -vous  en  sentiments  de  joie  et  de 
reconnaissance  ! 

«  Que  je  puisse  dire  avec  le  prophète  :  Hœc  recor- 
datus  sum ,  et  cffudi  in  me  animam  meam,  quoniam 
transibo  inlocum  tabernaculi  admirabilis,  usque  ad 
domum  Del. 

«  Mon  âme  a  soif  du  Dieu  fort,  du  Dieu  vivant;  quand 
irai -je?  quand  me  présenterai -je  devant  la  face  de 
Dieu? 

((  Mes  larmes  furent  mon  pain  et  le  jour  et  la  nuit, 
et  pendant  ce  temps  on  me  disait  chaque  jour  :  Où  est 
ton  Dieu  ? 

«  Je  me  suis  souvenu ,  et  mon  cœur  en  défaillait,  je 
me  suis  souvenu  que  j'irai  au  lieu  où  est  l'admirable 
sanctuaire,  jusque  dans  la  maison  de  Dieu. 

((  Oh  !  que  la  promesse  du  ciel  soit  toujours  présente 
à  mon  esprit  et  à  mon  cœur!  qu'elle  soit  jusqu'à  la  fin 
le  principe  et  la  source  de  ma  joie!  que  je  puisse  ajouter 
avec  le  prophète ,  oui ,  j'ajoute  avec  lui  : 

«  0  Jérusalem,  si  je  t'oublie,  que  ma  main  droite 
devienne  inutile. 

ce  Que  ma  langue  s'attache  à  mon  palais,  si  je  ne  me 
souviens  plus  de  toi , 

«  Si  je  ne  place  pas  toujours  Jérusalem  la  première 
entre  mes  sujets  de  joie.  » 

Ces  touchantes  paroles  qu'il  adressait  aux  prêtres 
pour  les  consoler  et  les  fortifier  dans  les  dures  épreuves, 
les  fatigues ,  les  déboires  de  leur  ministère ,  il  les  disait 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  345 

souvent  à  son  àme ,  à  mesure  qu'il  approchait  du  terme 
de  la  vie. 

Sa  bonté,  qu'il  avait  su  concilier  avec  une  fermeté 
inébranlable  dans  l'accomplissement  des  devoirs  de  son 
ministère,  prenait  un  caractère  particulier  de  tendresse 
paternelle  ;  elle  se  révélait  de  mille  manières  dans  ses 
lettres,  dans  ses  entretiens,  dans  les  plus  petits  détails 
de  sa  vie. 

Un  jour,  pendant  qu'il  faisait  la  lecture  spirituelle , 
un  petit  papillon  se  mit  à  voltiger  et  à  tournoyer  auprès 
de  la  chandelle.  M.  Émery  Péearta  doucement,  le  ramena 
sur  la  table  et  le  couvrit  de  sa  main  jusqu'au  moment 
où  il  lui  rendit  la  liberté,  à  la  fin  de  l'exercice.  Il  n'ai- 
mait pas  que  l'on  fit  souffrir  les  animaux.  La  bonté 
modeste  avait  aussi  pour  lui  un  attrait  puissant  ;  il  se 
plaisait  à  répéter  à  ses  élèves  cette  touchante  parole  : 
«Je  ferais  volontiers  cinquante  lieues  pour  m'entretenir 
avec  un  bon  cœur.  » 

Son  humilité  grandissait  avec  le  détachement  profond 
et  le  mépris  de  la  gloire  humaine.  Un  éditeur  de  Mar- 
seille, préoccupé  de  réaliser  quelques  bénéfices,  eut  la 
mauvaise  pensée  d'aiouter  au  frontispice  d'une  nouvelle 
édition  des  Examens  particuliers  de  Tronson  ces 
mots  :  revu  et  corrigé  par  M.  Émery.  Tout  fier  de  sa 
combinaison,  il  s'empressa  d'en  envoyer  un  exemplaire 
au  supérieur  de  Saint  -  Su  1  pi  ce.  Troublé  ,  indigné 
même  de  la  maladresse  de  l'éditeur,  M.  Emery  se  laissa 
aller  à  un  violent  mouvement  de  mécontentement. 

«  Quoi!  s'écria-t-il ,  revu  et  corrigé  par  Emery  !  Quel 
est  le  sot  qui  a  pu  imprimer  pareille  chose!  Emery  corri- 
ger Tronson  !  Et  qui  est  donc  ce  M.  Emery  pour  oser 
corriger  Tronson  ?  » 

Il  appela  M.  de  Mazenod ,  et  lui  donna  l'ordre  de  se 
rendre  immédiatement  chez  M.  de  Portalis  avec  une 
lettre  de  sa  part ,  pour  le  prier  de  faire  saisir  tous  les 


340  M.  ÉMERY 

exemplaires  de  cette  nouvelle  édition  et  d'en  défendre 
la  vente. 

Il  se  préparait  ainsi  tous  les  jours  davantage ,  par 
une  pratique  plus  sévère  de  toutes  les  vertus  sacerdo- 
tales ,  à  la  mort  qu'il  voyait  approcher  sans  murmures. 

La  mort  le  frappa  promptement ,  mais  elle  ne  pouvait 
pas  le  surprendre. 

((  Le  lundi  de  la  semaine  de  Quasimodo,  écrit  M.  Gar- 
nier  il  vint  le  matin  dans  ma  chambre  pour  me  re- 
mettre des  lettres  destinées  au  séminaire  de  Baltimore. 
Le  changement  qui  paraissait  dans  ses  yeux  et  dans  tout 
son  visage  me  fit  peur. 

((  —  Monsieur,  m'écriai -je,  quels  yeux  vous  avez! 
Vous  êtes  certainement  malade.  » 

((  Ce  fut  alors  qu'il  m'avoua  que  depuis  trois  mois  il 
ne  dormait  plus,  et  que  ce  malheureux  concile  lui  donne- 
rait la  mort.  Il  sortit  néanmoins,  ce  jour-là,  pour  aller  au 
conseil  de  l'archevêché,  fit  plusieurs  courses  à  pied  dans 
Paris,  et  rentra  au  séminaire  vers  quatre  heures  du  soir, 
n'ayant  encore  pris  aucune  nourriture. 

((  Il  se  mit  à  table  pour  dîner;  mais,  selon  sa  coutume, 
il  avait  un  livre  à  la  main  et  lisait  en  mangeant.  La  nuit 
suivante  il  eut  une  indigestion,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas 
de  se  lever  le  matin  et  de  dire  la  messe  à  son  ordinaire  ; 
mais,  s'étant  retiré  dans  sa  chambre  après  son  action  de 
grâces,  il  se  trouva  très  mal  sans  en  rien  dire  à  per- 
sonne. » 

III.  —  Il  y  avait  en  ce  moment  au  séminaire  Saint- 
Sulpice  deux  élèves  pénétrés,  plus  que  les  autres, 
d'une  affection  filiale  et  d'une  vénération  profonde  pour 
M.  Émery. 

L'un  était  M.  Tournefort,  il  fut  plus  tard  évêque  de 


1  Garnier,  Notice  sur  M.  Émery. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  &47 
Limoges;  l'autre,  M.  de  Mazenod,  qui  a  laisse  à  Mar- 
seille, avec  des  œuvres  impérissables,  le  souvenir  aimé 
d'un  évèque  selon  le  cœur  de  Dieu. 

Un  jour,  après  avoir  dit  quelques  paroles  en  passant 
à  son  ami  et  condisciple  l'abbé  de  Mazenod,  Tournefort 
se  retira  pour  entrer  dans  la  chambre  de  M.  Émery  et 
lui  demander  une  permission. 

Il  en  sortit  précipitamment,  tout  ému,  profondément 
troublé,  et  dit  à  M.  de  Mazenod  d'une  voix  entrecou- 
pée : 

«  Je  ne  sais  pas  ce  qui  est  arrivé  à  notre  supérieur, 
mais  je  l'ai  trouvé  accablé ,  la  tête  sur  la  poitrine ,  il 
semble  dormir,  il  n'a  pas  môme  répondu  à  mon  salut; 
je  crains  qu'il  ne  soit  gravement  indisposé.  » 

L'abbé  de  Mazenod  se  leva  aussitôt ,  prit  un  reliquaire 
et  entra  chez  M.  Emery,  sous  prétexte  de  lui  demander 
un  certificat  d'authenticité. 

M.  Émery,  affaissé  sur  sa  chaise,  répondit  à  peine  en 
balbutiant  à  la  prière  de  l'abbé  de  Mazenod.  Il  prit  la 
plume  cependant  sans  relever  la  tête,  et  griffonna  d'une 
manière  illisible  la  signature  qu'on  lui  demandait.  L'abbé 
de  Mazenod  crut  reconnaître  les  premiers  symptômes 
d'une  attaque  d'apoplexie.  Il  courut  chez  l'économe, 
M.  Giraud,  le  pressa  de  se  rendre  auprès  de  M.  Émery, 
et  lui  proposa  d'aller  lui-même  sans  délai  chercher  son 
médecin. 

«  Un  médecin!  dit  M.  Giraud,  M.  Émery  n'a  jamais 
voulu  voir  un  médecin,  il  n'a  jamais  pu  leur  donner 
sa  confiance,  et  ce  sera  une  grande  misère  de  le  faire 
changer  d'avis,  malgré  la  gravité  de  son  état.  B 

M.  Émery,  se  trouvant  un  peu  mieux,  attribua  son 
état  pénible  de  somnolence  passagère  à  un  excès  de 
fatigue,  et  exprima  le  désir  de  se  rendre  à  Issy,  où  il 
espérait  se  reposer  en  respirant  un  air  plus  frais.  Comme 
il  descendait  l'escalier  pour  monter  en  voiture,  il  ren- 


348  M.  ËMERY 

contra  le  docteur  Laënnec,  que  l'abbé  de  Mazenod  avait 
appelé  et  prévenu  des  répugnances  du  supérieur.  Le 
médecin  s'approcha  de  lui,  lui  tendit  la  main  et  essaya, 
d'un  air  indifférent,  de  lui  tâter  le  pouls. 

«  Ne  voilà-t-il  pas  qu'il  me  tâte  le  pouls!  dit  en  sou- 
riant M.  Émery. 

—  C'est  une  habitude  chez  ces  messieurs,  »  répondit 
l'abbé  de  Mazenod. 

A  peine  M.  Émery  fut -il  parti  pour  la  campagne,  que 
M.  Giraud  et  M.  de  Mazenod ,  inquiets  de  l'état  de  leur 
supérieur  et  ne  voulant  pas  le  quitter  dans  la  crainte 
d'une  catastrophe  immédiate,  se  rendirent  secrètement 
à  Issy. 

M.  Emery  s'arrêta  rue  Vaugirard,  entra  dans  la  cha- 
pelle de  M.  Olier,  où  il  fit  une  longue  prière,  —  il  ne 
savait  pas  qu'il  disait  un  adieu  suprême  à  des  souvenirs 
qu'il  aimait;  —  puis  il  continua  son  chemin  vers  les 
ombrages  de  la  paisible  maison  de  campagne. 

Le  lendemain  mercredi,  il  se  leva  malgré  son  extrême 
faiblesse,  malgré  les  observations  et  les  prières  pres- 
santes de  ces  messieurs;  il  dit  son  office  avec  peine  et 
marcha  jusqu'à  l'autel  pour  y  célébrer  une  dernière  fois 
le  sacrifice  de  la  messe.  Cet  homme  avait  une  énergie 
plus  forte  que  la  maladie,  il  semblait  même  défier  la 
mort.  Il  disait  souvent  pendant  sa  vie  :  «  C'est  à  l'autel 
qu'un  prêtre  doit  mourir.  » 

Après  la  messe,  excédé  d'un  si  grand  effort,  il  retomba 
dans  une  prostration  profonde,  et  rejeta  les  dernières 
ablutions. 

On  le  ramena  à  Paris. 

Quatre  médecins  d'un  grand  mérite,  réunis  en  consul- 
tation, reconnurent  que  le  malade  était  perdu.  Pendant 
la  nuit,  M.  de  Mazenod  et  ceux  qui  veillaient  avec  lui 
essayèrent  de  lui  faire  avaler  des  boissons  rafraîchis- 
santes. Mais  le  moribond,  toujours  préoccupé  de  la 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANGE  349 
sainte  messe  qu'il  voulait  célébrer  le  lendemain  matin , 
craignait  de  n'être  pas  à  jeun,  et  ne  sachant  pas  s'il  était 
minuit  sonné,  refusait  tout  aliment,  toute  boisson.  Il 
fermait  ta  bouche  et  serrait  les  dents  quand  on  essayait 
de  faire  violence  à  ses  refus. 

Le  lendemain  matin  il  voulut  se  lever  encore  une 
fois  et  se  traîner  jusqu'à  la  chapelle  pour  y  célébrer  le 
sacrifice  de  la  messe.  Il  n'était  pas  en  état  de  le  faire, 
et  l'on  craignait  avec  raison  un  accident.  Ni  les  prières , 
ni  les  sollicitations  pressantes,  ni  les  avis  de  ceux  qui 
le  veillaient  et  qui  cachaient  même  ses  vêtements  pour 
l'empêcher  de  sortir  de  sa  chambre,  ne  pouvaient  triom- 
pher de  cette  volonté,  qui  s'affirmait  encore  avec  auto- 
rité. 

Il  se  leva  malgré  tout,  s'appuya  sur  les  bras  de  ceux 
qui  l'assistaient,  et  se  dirigea  en  chancelant,  pâle,  défait, 
frappé  des  premiers  coups  de  la  mort,  vers  la  porte  de 
sa  chambre.  Il  voulait  avancer  encore.  Le  vénérable 
M.  Duclaux,  prévenu  du  danger,  accourut,  et  s'armant 
d'un  courage  qu'il  n'avait  jamais  eu  en  présence  de  son 
supérieur  vénéré,  il  dit  avec  énergie  : 

a  Cela  ne  se  peut  pas. 

—  Et  pourquoi  ? 

—  Parce  que  je  défendrai  qu'on  vous  serve  la  messe.  » 
A  ces  mots  M.  Emery,  stupéfait   d'entendre  cette 

parole  sévère,  regarda  Mb  Duclaux  d'un  air  étonné  et 
affligé;  il  garda  le  silence  et  rebroussa  chemin. 

Rentré  dans  sa  chambre,  il  se  coucha,  reçut  l'absolu- 
tion, le  saint  viatique  et  l'extrême- onction. 

M.  Fournier,  évéque  de  Montpellier,  vint  le  voir,  lui 
promit  de  réparer  la  chapelle  de  Lorette  et  de  déposer 
son  corps,  si  Dieu  l'appelait  à  lui,  auprès  de  la  sainte 
Vierge,  qu'il  avait  tant  aimée.  Et  comme  il  demandait  au 
malade  s'il  entendait  bien  ses  dernières  paroles  ,  il  ré- 
pondit :  a  Oui  !  oui  !  » 

10* 


350  M.  ÉMÈRY 

Les  directeurs  et  les  élèves  du  séminaire  s'agenouil- 
lèrent aux  pieds  de  son  lit  ;  ils  versaient  des  larmes  et 
recommandaient  à  Dieu  cette  âme,  dans  l'épreuve  de 
ses  derniers  combats. 

(c  Notre  bon  père,  dit  M.  Duclaux,  donnez  votre 
bénédiction  à  tous  vos  enfants  qui  sont  ici  présents.  )) 

M.  Emery  les  bénit  et  dit  à  voix  basse,  avec  de  grands 
efforts,  ces  paroles  suprêmes  qui  résumaient  sa  vie  : 

«  Je  n'ai  vécu  que  pour  le  séminaire  et  pour  l'Église  ; 
ils  seront  l'objet  de  mes  prières  et  de  mes  vœux  jusqu'à 
mon  dernier  soupir.  Je  vous  donne  à  tous  ma  bénédic- 
tion. » 

Il  retomba  aussitôt  dans  un  profond  assoupissement. 
De  temps  en  temps,  du  geste  et  du  regard,  qui  avait 
conservé  son  intelligence,  il  témoignait  encore  aux 
assistants  que  la  dernière  heure  n'était  pas  venue,  et 
qu'il  n'était  pas  séparé  de  ses  enfants  bien -aimés. 

Puis  il  cessa  toute  communication  extérieure  avec  ce 
monde  et  se  renferma  dans  un  grand  silence,  interrompu 
par  le  bruit  saccadé  de  sa  respiration  pénible,  étouffée. 
L'agonie  commençait.  On  eut  dit  qu'il  gravissait  péni- 
blement une  pente  rapide ,  et  que  son  corps  et  son  âme 
faisaient  un  grand  effort  pour  atteindre  un  sommet  mys- 
térieux. Les  assistants  étaient  muets,  consternés,  en 
présence  de  ce  spectacle  austère  d'une  âme  qui  cherche 
à  briser  ses  derniers  liens  et  à  s'envoler,  pendant  que  la 
maison  branlante  du  corps  tombe  en  ruines.  Les  direc- 
teurs et  les  élèves  se  mirent  à  genoux ,  ils  commen- 
cèrent les  prières  des  agonisants.  M.  Pignier  se  tenait 
debout  dans  la  ruelle  du  lit,  penché  sur  le  moribond; 
il  humectait  de  temps  en  temps  les  lèvres  desséchées  et 
ardentes  de  M.  Émery,  et  soulevait  les  rideaux  de  serge 
verte  pour  donner  de  l'air  à  sa  poitrine  haletante  et  de 
la  lumière  à  ses  yeux,  qui  se  fermaient  aux  faibles  clar- 
tés de  ce  monde.  L'agonie  continuait  dans  les  douleurs 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  351 

et  les  mystères.  Puis  M.  Figuier,  qui  suivait  tous  les 
mouvements,  appuya  son  oreille  sur  la  poitrine  du  mou- 
rant, écouta  avec  angoisse  pendant  quelques  secondes, 
et  se  releva  en  disant  aux  assistants  d'une  voix  émue  : 

«  Messieurs,  c'est  fini;  nous  pouvons  réciter  le  De 
profundis.  » 

Il  était  deux  heures  trois  quarts  de  l'après-midi  du 
second  dimanche  après  Pâques,  28  avril  1811.  L'Église 
chaulait  le  joyeux  Alléluia  par  lequel  les  anges  célèbrent 
le  triomphe  remporté  sur  la  mort  par  le  Christ  ressus- 
cité. Les  assistants ,  résignés  ,  oubliant  le  corps  livré 
aux  destructions  de  la  maladie,  bénissaient  l'âme  du 
grand  serviteur  de  l'Eglise,  et  l'accompagnaient  en  priant 
dans  les  magnificences  de  la  gloire  réservée  aux  élus. 

On  apporta  un  verre  d'eau  bénite  et  une  branche  de 
buis.  Les  assistants  se  levèrent.  A  ce  moment  le  cardi- 
nal Fesch  entra  dans  la  chambre  mortuaire. 

ce  Monseigneur,  lui  dit  M.  Fournier,  c'est  fini;  il  est 
mort  !  » 

Le  cardinal  Fesch,  profondément  troublé,  fit  une 
courte  prière  et  se  rendit  immédiatement  à  Saint-Gloud 
pour  annoncer  cette  triste  nouvelle  à  l'empereur. 

((  J'en  suis  fâché,  répondit  vivement  Napoléon  ;  j'en 
suis  très  fâché,  c'était  un  homme  sage,  un  homme  de 
grand  mérite.  Il  faut  lui  faire  des  obsèques  extraordi- 
naires; je  veux  qu'il  soit  enterré  au  Panthéon.  » 

Un  mois  à  peine  avant  la  mort  de  M.  Émery  ,  le 
3  avril  1811,  Dieu  avait  rappelé  à  lui  M.  de  Juigné,  l'an- 
cien archevêque  de  Paris. 

Dans  le  mandement  de  carême  de  l'année  1812,  le  car- 
dinal Maury  rappelait  au  clergé  de  Paris  ces  pertes  si 
douloureuses,  et  louait  ainsi  la  mémoire  de  ces  deux 
serviteurs  de  Dieu  : 

«  M.  Émery,  ce  noble  vétéran  du  clergé  de  Paris, 
possédait  spécialement  la  science  ecclésiastique,  les  plans 


352  M.  ÉMERY 

des  grandes  études,  les  méthodes  d'instruction  et  d'in- 
stitution les  plus  propres  à  perpétuer  la  connaissance, 
les  principes  et  la  gloire  de  l'Église  de  France.  S'il  est 
triste  pour  nous  d'avoir  à  déplorer  en  même  temps  pour 
l'Église  de  Paris  la  mort  d'un  si  digne  archevêque  qui 
l'avait  gouvernée  avec  tant  d'édification  et  la  perte  d'un 
de  ses  plus  illustres  collaborateurs ,  il  est  juste  du 
moins,  comme  il  est  beau,  de  pouvoir  décerner  le  même 
jour,  dans  tous  les  temples  de  ce  diocèse ,  un  hommage 
si  mérité  à  deux  éminents  hommes  de  bien,  dont  les 
noms  occuperont  une  place  honorable  dans  les  dyptiques 
de  cette  métropole ,  et  qui ,  après  avoir  été  tendrement 
unis  pendant  leur  vie,  ont  terminé  ensemble  leur  car- 
rière ,  sans  que  la  mort  même  ait  pu  les  séparer.  » 

IV.  —  M.  Garnier  prit  le  reliquaire  et  la  petite  croix 
d'argent  que  M.  Émery  portait  sur  sa  poitrine  pendant 
la  vie.  M.  de  Mazenod  et  M.  de  Janson  conseillèrent 
alors  à  M.  Duclaux  de  conserver  le  cœur  du  défunt;  ils 
assistèrent  à  l'autopsie,  qui  fut  faite  pendant  la  nuit  par 
le  docteur  Laënnec,  assisté  du  directeur  de  la  maison  des 
jeunes  aveugles  de  Paris.  Le  cœur  de  M.  Émery ,  en- 
fermé dans  un  reliquaire  en  vermeil,  fut  placé  dans  un 
petit  tabernacle,  au-dessous  du  cœur  de  M.  Olier. 

Aucun  autre  ne  surpassa  jamais  ces  deux  grands  carac- 
tères dans  l'amour  de  l'Église  et  le  dévouement  à  la 
compagnie. 

Le  corps,  revêtu  des  habits  sacerdotaux,  fut  déposé 
dans  un  cercueil  en  bois  et  descendu  le  30  avril,  à  six 
heures  et  demie  du  matin,  dans  le  vestibule  de  la  mai- 
son qui  conduit  au  jardin.  Son  Éminence  le  cardinal 
Dugnani,  les  directeurs,  les  élèves  du  séminaire,  le 
curé  de  la  paroisse  et  tout  son  clergé,  les  vicaires  géné- 
raux de  Paris,  des  évèques  de  la  commission  ecclésias- 
tique et  les  conseillers  de  l'université,  des  amis  et  des 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  353 

anciens  élèves  de  Saint  -  Sulpice  ,  réunis  pour  rendre  au 
défunt  un  dernier  hommage,  se  rangèrent  derrière  le 
cercueil ,  formèrent  le  cortège  et  entrèrent  dans  la  cha- 
pelle où  devait  avoir  lieu  la  cérémonie. 

M.  Duclaux  récita  les  prières  de  la  levée  du  corps, 
d'une  voix  entrecoupée  par  les  sanglots.  En  entrant 
dans  la  chapelle,  trop  étroite  pour  une  si  grande 
attluence,  les  séminaristes  se  rangèrent  sous  la  tribune, 
le  clergé  sur  les  côtés,  et  le  cercueil,  posé  sur  deux  tré- 
teaux, entouré  de  quelques  cierges,  fut  placé  aux  pieds 
de  l'autel. 

Après  la  messe  chantée  par  M.  Fournier,  évêque  de 
Montpellier,  le  cortège  prit  le  chemin  d'Issy.  A  la  bar- 
rière Vaugirard,  les  élèves  du  séminaire  et  les  direc- 
teurs revêtirent  leurs  surplis  de  cérémonie  ;  la  croix 
processionnelle  prit  la  tête  du  défilé ,  et  l'on  entonna  le 
chant  des  psaumes  de  la  pénitence,  en  laissant  un  inter- 
valle de  quelques  minutes  entre  chaque  verset. 

Après  une  courte  halte  à  la  porte  de  l'église  de  Vaugi- 
rard, le  curé ,  suivi  de  son  clergé ,  récita  les  prières  de 
l'absoute,  jeta  de  l'eau  bénite  sur  le  cercueil,  et  récita 
le  psaume  des  morts  :  on  arriva  ainsi  à  l'entrée  du  vil- 
lage d'Issy.  Le  curé  de  la  paroisse  et  les  douze  prêtres 
qui  formaient  son  clergé  prirent  rang  dans  la  proces- 
sion, tandis  que  les  officiers  civils  de  la  commune  se 
plaçaient  derrière  le  cercueil. 

Lorsque  le  cortège  fut  en  vue ,  on  ouvrit  la  porte 
cochère  de  la  maison  de  campagne  ;  des  sentinelles  main- 
tenaient l'ordre  et  ne  laissaient  entrer  que  les  personnes 
invitées.  M.  Fournier  prit  l'étole  noire,  fit  les  prières  de 
la  levée  du  corps  et  de  l'absoute,  et  suivit  le  clergé,  qui 
défila  dans  l'enclos  de  Lorette,  longea  le  bassin,  et  passa 
sous  la  voûte,  au  delà  de  laquelle  six  directeurs,  MM.  Du- 
claux, de  Saint-Félix,  Montaigne,  Giraud,  Boyer  et  de 
Baudry ,  prirent  le  cercueil  des  mains  des  séminaristes , 


354  M.  ÉMERY 

et  le  portèrent  eux-mêmes  jusqu'auprès  de  la  tombe  où 
il  fut  déposé. 

Après  les  prières  d'usage ,  on  descendit  le  corps  dans 
le  caveau,  qui  fut  fermé  à  neuf  heures  du  soir;  M.  Four- 
nier  prononça  quelques  paroles  émues,  et  salua  dans 
le  défunt  un  ange  de  paix,  de  lumière  et  de  consolation. 

((  Le  cardinal  Dugnani,  écrit  M.  Garnier,  dont  nous 
suivons  le  pieux  récit,  les  évêques,  et  après  eux  tous 
les  assistants,  répondirent  :  Amen. 

tt  Le  cardinal  avait  connu  M.  Émery  avant  la  Révo- 
lution, pendant  sa  nonciature  en  France.  Depuis  qu'il 
était  revenu  à  Paris  par  les  ordres  de  Napoléon ,  il  avait 
renoué  avec  lui  son  ancienne  amitié  et  ne  se  conduisait 
que  par  ses  avis.  Il  avait  manifesté  le  désir  d'être  enterré 
auprès  de  lui ,  dans  le  cas  où  il  viendrait  à  mourir  à 
Paris ,  et  il  m'avait  laissé  pour  cela  une  certaine  somme 
destinée  à  lui  faire  ériger  un  tombeau  convenable  à  sa 
dignité.  » 

Quelques  jours  après  ces  funérailles,  on  grava  sur  la 
pierre  tumulaire  qui  couvrait  les  restes  de  M.  Émery 
l'inscription  suivante  ;  elle  résume  sa  vie  de  sacrifice  et 

ses  rares  mérites  : 

Hic  jacet 
Jacobus  Andréas  Émery 
Seminarii  sancti  Sulpitii  superior  nonus, 
Universitatis  imperialis  consiliarius  perpetuus, 
vlr  optimi  ingenu  insignisque  virtutis 
In  vultu  benignitas, 
In  ore  sermo  ad  flectendos  animos  appositus, 
In  scriptis  doctrina  sponte  fluens, 
exquisitumque  judicium  , 
prisci  moris  et  avit.e  disciplinee  tenacissimus , 
In  conciliis  sagax  et  prudens  , 

In  intricatïs  solers, 
In  regiminis  arte  pr^cipuus  , 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE 


355 


In  adversis  fortis  et  invictus,  i 
Integer  in  omnirus, 
Episcopalibus  infulis  pluries  repulsis, 
Elegit  arjectus  esse  in  domo  Dei  sui  ; 
Beat/e  Marle  Virginis  famulus  addictissimus, 
Spons.eque  Ghristi  Ecclesle  ,  CUI  totus  yixit  , 
Miles  indefessus, 
Bonum  gertamen  certans  oriit, 
28  aprilis  1811,  /et  ati  s  79. 

Le  portrait  de  M.  Émery,  que  nous  avons  reproduit 
pour  la  première  fois  en  tète  de  cette  nouvelle  édition,  a 
été  fait  d'après  le  tableau  original  conservé  au  séminaire 
Saint -Sulpice.  Le  pieux  et  savant  M.  Garnier  raconte 
ainsi  l'histoire  de  ce  portrait  : 

((  Un  jour  qu'après  avoir  dit  la  messe,  il  déjeunait 
avec  les  dames  Jouen  4,  elles  le  supplièrent  de  vouloir  bien 
permettre  qu'on  tirât  son  portrait.  Elles  lui  annoncèrent 
en  même  temps  qu'elles  avaient  fait  venir  un  bon  peintre 
qui  était  déjà  dans  la  maison.  Là-dessus  M.  Émery  prend 
feu  j  et  dit  qu'il  ne  le  permettra  jamais,  qu'aucun  de  ses 
prédécesseurs  ne  s'est  laissé  peindre  de  son  vivant,  qu'il 
ne  veut  point  donner  cet  exemple,  et  qu'en  lui  faisant 
une  pareille  proposition  on  prend  le  moyen  de  le  faire 
aller  un  jour  en  purgatoire.  En  disant  ces  mots,  il  se  lève 
et  se  dirige  vers  la  porte. 

((  Mais  ces  dames  lui  déclarent  qu'il  ne  peut  sortir, 
que  la  porte  de  la  maison  est  fermée,  qu'elles  en  ont  la 
clef,  et  qu'elles  sont  bien  décidées  à  ne  la  lui  pas  remettre. 
Enfin  elles  tombent  toutes  deux  à  ses  genoux,  et  le  sup- 
plient avec  larmes  de  ne  pas  leur  refuser  la  faveur  qu'elles 
lui  demandent.  M.  Emery  crut  qu'il  y  aurait  de  la  du- 

1  M.  Émery  avait  converti  Mlle  Jouen  en  1799;  il  fut  le  direc- 
teur de  la  lille  et  de  sa  mère.  Avant  de  mourir,  il  dit  à  M.  lîar- 
nier  :  «  N'oubliez  pas  Mlle  Jouen;  elle  m'a  rendu,  ainsi  qu'à  Saint- 
Sulpice,  les  plus  grands  services.  » 


356  M.  ÉMERY 

reté  et  même  une  sorte  d'ingratitude  à  leur  résister  da- 
vantage, ce  Je  vois  bien,  dit-il,  qu'on  ne  peut  s'empêcher 
«  de  faire  ce  que  les  femmes  se  sont  une  fois  mis  dans 
«  la  tête.  Je  consens  à  faire  ce  que  vous  désirez,  mais 
«  sous  trois  conditions  qui  vous  sembleront  probable- 
ce  ment  difficiles  à  remplir  :  la  première  est  que  vous  ne 
«  montrerez  mon  portrait  à  personne  avant  ma  mort; 
ce  la  seconde,  que  vous  n'en  parlerez  non  plus  à  personne; 
ce  la  troisième ,  que  vous  vous  confesserez  de  la  violence 
ce  que  vous  venez  de  me  faire,  et  moi,  qui  suis  votre 
((  confesseur,  je  pourrai  bien  vous  donner  pour  péni- 
ce  tence  de  brûler  ce  portrait  quand  il  sera  fait.  » 

«  On  souscrivit  à  ces  conditions,  et  le  peintre  fut  in- 
troduit. M.  Emery  dit  alors  qu'il  ne  pouvait  consentir  à 
se  laisser  représenter  avec  des  habits  laïques,  mais  en 
soutane  et  en  surplis,  comme  tous  ses  prédécesseurs.  Il 
fallut  donc  envoyer  chercher  à  son  logis  un  costume 
ecclésiastique,  dont  il  se  revêtit  à  l'instant.  Le  peintre 
voulait  le  représenter  assis  dans  un  fauteuil;  mais  il 
voulut  absolument  que  ce  fût  dans  une  chaise  semblable 
à  celle  dont  il  se  servait  habituellement,  n'ayant  jamais 
usé  de  fauteuils.  Il  voulut  aussi  qu'on  lui  mît  une  plume 
à  la  main,  comme  l'instrument  qui  lui  avait  le  plus  servi 
pendant  sa  vie.  Le  portrait  achevé,  les  deux  dames  furent 
très  fidèles  aux  conditions  que  M.  Emery  leur  avait  im- 
posées ;  elles  cachèrent  le  tableau  dans  leur  appartement 
et  n'en  parlèrent  à  personne  du  vivant  de  M.  Émery, 
pas  même  aux  ecclésiastiques  du  séminaire.  Ce  ne  fut 
qu'après  sa  mort  qu'elles  le  montrèrent  et  le  portèrent 
au  séminaire,  où  il  est  conservé 1 .  » 

V.  —  Nous  ne  voulons  pas,  en  écrivant  les  dernières 
pages  de  cette  histoire,  jeter  un  coup  d'œil  sur  le  long 
chemin  que  nous  avons  suivi ,  résumer  cette  noble  vie 

1  Garnier,  Notice  sur  M.  Émery. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  357 

consacrée  sans  réserve  à  la  cause  du  Seigneur  et  chercher 
dans  les  faits  considérables  qui  l'ont  remplie  un 
exemple  pour  le  présent,  une  espérance  pour  l'avenir. 
Nous  préférons  laisser  à  l'illustre  cardinal  de  Bausset  le 
soin  de  nous  faire  entendre  encore  une  fois  sa  parole, 
avec  la  douceur  d'un  ami  qui  pleure  un  ami ,  et  nous 
dire  ce  que  la  modestie  d'un  prêtre  de  Saint- Sulpice  ne 
leur  avait  pas  permis  de  nous  faire  connaître. 

((  J'ai  lu,  écrit  M.  de  Bausset  à  M.  Duclaux,  avec 
autant  d'attendrissement  que  de  reconnaissance  tout  ce 
que  vous  avez  la  bonté  de  me  mander  sur  un  événement 
qui  affecte  bien  douloureusement  tous  les  amis  de  la  re- 
ligion et  de  l'Eglise. 

a  Ce  n'est  pas  à  une  société  particulière  que  M.  Émery 
appartenait  exclusivement  :  il  a  été  dans  tous  les  temps 
la  gloire  et  la  lumière  de  l'Eglise  de  France,  il  en  a  été 
le  modérateur  pendant  vingt  ans  des  plus  violentes  tem- 
pêtes. On  a  eu  raison  de  dire  que  son  opinion  seule  a 
été  une  autorité. 

((  Dieu  seul  peut  savoir  combien  il  a  prévenu  de 
malheurs  et  combien  peut-être  il  en  aurait  prévenu. 
Tous  ceux  qui  aimaient  sincèrement  la  paix  et  le  salut 
de  l'Église  s'appuyaient  avec  confiance  de  son  suffrage  et 
de  ses  avis.  Ceux  même  qui  étaient  peut-être  importunés 
de  sa  renommée  n'osaient  braver  l'autorité  que  son  nom 
seul  imprimait  à  ses  opinions.  Du  sein  de  l'obscurité  où 
il  aimait  à  se  renfermer,  il  avait  jeté  un  tel  éclat,  qu'il 
était  devenu  le  centre  où  venaient  aboutir  les  sollicitudes, 
les  consultations  et  les  déterminations  convenables  à 
chaque  circonstance. 

«  Par  un  décret  redoutable  de  la  Providence,  il  manque 
à  l'Église  de  France  dans  le  moment  même  où  il  lui 
était  le  plus  utile  et  le  plus  nécessaire,  à  l'époque  d'un 
concile  dont  tous  les  membres  auraient  recouru  avec 
empressement  à  ses  lumières  et  à  ses  conseils.  Toute 


358  M.  ÉMERY 

notre  confiance  ne  doit  être  et  ne  peut  être  qu'en  la  Pro- 
vidence. M.  Émery  semble  en  avoir  été  l'organe  et  l'in- 
terprète pendant  vingt  ans. 

«  Par  sa  sagesse  et  sa  fermeté ,  il  a  su  se  rendre  supé- 
rieur aux  événements  ;  il  n'a  jamais  considéré  que 
l'intérêt  de  la  religion,  et,  fidèle  invariablement  à  cette 
grande  pensée,  il  s'est  attaché  à  séparer  ce  grand  intérêt 
de  toutes  les  considérations  humaines  et  de  toutes  les 
vicissitudes  politiques.  Nous  venons  de  voir,  Monsieur, 
par  le  concert  unanime  de  regrets  et  d'éloges  qui  l'a 
suivi  au  tombeau,  qu'il  a  forcé  tous  les  partis  à  être 
justes  envers  lui.  Il  n'a  jamais  pensé  qu'à  Dieu  et  à  la 
religion,  et  cependant  il  n'a  pas  échappé  à  cette  gloire  et 
à  cette  renommée  humaine  qu'il  dédaignait. 

((Vous  savez,  Monsieur,  tout  ce  que  M.  Emery  était 
pour  moi  et  tout  ce  que  j'étais  pour  lui.  Je  l'ai  déjà  dit, 
et  je  ne  cesserai  jamais  de  le  dire,  l'affection  et  la  bonté 
constante  dont  il  m'a  honoré  seront  les  titres  qui  pourront 
le  plus  me  recommander  à  l'estime  publique.  C'est  à  ces 
titres  que  j'ose  vous  supplier,  Monsieur,  ainsi  que  vos 
respectables  coopérateurs,  de  me  conserver  les  sentiments 
qu'il  m'accordait.  Croyez  que  j'en  suis  digne  par  la  tendre 
reconnaissance  et  le  respect  filial  que  j'ai  voué  à  mes 
premiers  instituteurs. 

a  C'est  là  que  j'ai  toujours  vu  les  plus  hautes  vertus 
s'unir  à  la  plus  modeste  simplicité,  une  charité  indul- 
gente avec  le  zèle  le  plus  pur  pour  la  religion ,  et  une 
profonde  soumission  aux  autorités  religieuses,  s'allier 
au  plus  noble  détachement  des  hommes  et  des  biens  de 
la  terre.  Je  pense  et  j'ai  toujours  pensé  que  si  toutes  les 
sociétés  quelconques  eussent  été  animées  de  l'esprit  de 
celle  de  Saint-Sulpice ,  de  cet  esprit  de  paix,  de  sou- 
mission et  de  charité  dont  elle  ne  s'est  jamais  écartée , 
jamais  on  n'aurait  vu  de  troubles  et  de  divisions  ni  dans 
l'Église  ni  dans  l'État. 


ET  L  ÉGLISE  DE  FRANCE  359 
((  C'est  à  moi,  Monsieur,  à  vous  demander  comme  une 
grâce  la  permission  de  recourir  à  vos  lumières,  et  d'aller 
quelquefois  à  Issy  prier  sur  le  tombeau  de  cet  homme 
vénérable  qui  a  été  de  nos  jours  l'honneur  du  sacerdoce 
et  dont  notre  siècle  n'était  pas  digne.  —  M.  Émery, 
debout  au  milieu  des  ruines  et  des  destructions  qui  ont 
marqué  les  vingt  dernières  années  de  son  passage  sur  la 
terre,  me  parait  encore  plus  grand  que  saint  Vincent  de 
Paul,  qui  a  fait  de  si  grandes  choses  dans  un  siècle  où 
tous  les  moyens  de  création  étaient  à  sa  disposition. 

((  Le  moment  n'est  pas  venu  de  rendre  à  sa  mémoire 
un  hommage  digne  de  lui  ;  mais  le  temps  viendra  sans 
doute  où  on  pourra  le  montrer  tel  qu'il  était.  La  pru- 
dence commande  de  couvrir,  pour  ainsi  dire,  d'un  voile 
l'éclat  de  tant  de  vertus  *. 

ce  f  L.-Fr.  de  BAUSSET,  évêque  d'Alais.  » 


1  Quand  nous  publiâmes  la  première  édition  de  cette  histoire , 
Son  Excellence  le  nonce  apostolique  à  Paris,  M*'  di  Rende,  au- 
jourd'hui cardinal  archevêque  de  Bénévent,  rendit  ce  bel  hom- 
mage à  M.  Émery  dans  une  lettre  qu'il  voulut  bien  nous  adres- 
ser : 


«  l'ai  puisé  dans  la  lecture  de  cet  ouvrage  très  remarquable 
une  instruction  utile,  surtout  en  ces  temps-ci. 

«  J'ai  admiré  les  éminents  services  que  M.  Émery  a  rendus  à 
l'Église  dans  les  temps  difficiles  qu'elle  traversait,  grâce  à  celle 
direction  sûre  qu'il  a  su  imprimer  autour  de  lui,  direclion  d'au- 
tant plus  ferme  qu'elle  était  appuyée  exclusivement  sur  la  science 
théologique  et  sur  le  désir  efficace  de  sauver  les  âmes,  indépen- 
damment de  toute  préoccupation  mondaine  et  de  toute  passion 
politique. 

«  Sa  conduite,  sage,  prudente  et  droite,  lui  coûta  beaucoup  de 
contradictions;  mais  enfin  elle  fut  couronnée  par  l'approbation 
du  pontife  romain,  qui  loua  celui  qu'on  appelait  le  gallican  et 
qui  fut  le  seul  â  défendre  le  pape  en  face  de  Napoléon. 

«  Quant  â  moi ,  je  suis  de  l'avis  du  cardinal  Lambruscbini,  qui, 
visitant  la  tombe  de  M.  Émery,  dit  :  «  Voilà  un  grand  serviteur 
«  de  l'Église.  » 


GHAPIfTRE  XVI 


LES  ŒUVRES  PHILOSOPHIQUES  ET  THÉOLOGIQUES  DE  M.  ÉMERY 

I.  —  M.  Émery  ne  cherchait  pas  dans  l'étude  des 
grands  philosophes  la  démonstration  d'une  théorie  méta- 
physique ou  d'un  système  particulier.  Esprit  pratique  et 
toujours  préoccupé  de  la  défense  de  l'Église,  placé  au 
premier  poste,  en  présence  des  attaques  violentes  et 
persistantes  des  orgueilleux  incrédules  du  dernier  siècle, 
il  entreprit  de  venger  l'honneur  de  la  foi  chrétienne  et 
de  confondre  ses  adversaires  par  l'argument  d'autorité. 

Opposer  la  foi  religieuse  des  savants  les  plus  illustres 
des  siècles  passés  aux  négations  et  aux  railleries  hau- 
taines des  impies  qui  ont  la  prétention  de  parler  au  nom 
de  la  raison  et  de  la  science,  tel  est  le  hut  qu'il  veut 
atteindre,  et  c'est  au  prix  des  plus  grandes  fatigues,  par 
un  travail  sans  cesse  interrompu ,  au  milieu  du  torrent 
d'affaires  qui  l'emportait  loin  de  sa  chère  solitude,  que 
M.  Émery,  déjà  avancé  en  âge,  eut  la  consolation  de 
réaliser  son  dessein. 

Son  grand  ouvrage  d'apologétique  chrétienne  est  né 
de  celle  pensée  et  d'une  lecture  attentive,  la  plume  à  la 
main,  des  écrits  les  plus  remarquables  de  Bacon,  de 
Descartes,  de  Newton  et  de  Leibniz.  Il  oppose  l'autorité 
de  la  raison  aux  incrédules  qui  prétendaient  se  servir 
exclusivement  de  la  raison  pour  combattre  toute  affir- 
mation religieuse  de  l'immortalité  de  l'âme  et  de  l'exis- 
tence de  Dieu. 


M.  ÉMEKY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  361 

11  était  bien  préparé,  par  ses  études  antérieures  et  par 
le  sentiment  très  vif  des  conditions  nouvelles  de  la  lutte 
entre  l'Église  et  ses  ennemis,  au  travail  considérable 
qu'il  avait  entrepris.  Versé  dans  la  connaissance  de  la 
littérature  ancienne  et  moderne,  familier  avec  l'histoire 
ecclésiastique  dont  il  avait  étudié  les  détails  en  remon- 
tant aux  sources;  en  pleine  possession  de  la  vérité  théo- 
logique, morale  et  canonique,  il  aimait  encore  par 
devoir  autant  que  par  attrait  à  suivre  les  progrès  des 
sciences  naturelles,  dont  il  parlait  la  langue  technique 
avec  la  sûreté  d'un  homme  qui  en  a  fait  une  étude 
approfondie.  Sa  correspondance  variée  avec  l'abbé  Si- 
gorgne,  le  P.  Boscowich,  l'abbé  Haùy,  Cuvier,  Deluc, 
sur  les  matières  scientifiques  agitées  de  son  temps,  lui 
permettait  d'apprécier  la  haute  valeur  des  grands  esprits 
dont  il  invoquait  le  témoignage  en  faveur  de  la  reli- 
gion. 

•  Son  œuvre  apologétique  est  le  développement  sévère 
de  cette  pensée  qui  devait  frapper  tous  les  esprits  par 
sa  simplicité  : 

Bacon,  Descartes  et  Leibniz  sont  les  philosophes  les 
plus  célèbres  et  les  savants  les  plus  illustres  des  temps 
modernes.  Dans  ce  siècle  incrédule  et  railleur,  leur  nom 
fait  autorité,  leurs  écrits  sont  consultés,  leur  enseigne- 
ment est  considéré  par  les  philosophes  même  les  plus 
hostiles  à  l'Eglise  et  à  toute  religion  comme  l'expression 
incontestable  de  la  vérité  scientifique.  Gassendi ,  Baillet, 
les  rédacteurs  du  Journal  de  Trévoux,  par  la  plume  du 
célèbre  Bertier,  Addison ,  parlent  souvent  de  ces  grands 
hommes  avec  l'admiration  que  commande  l'autorité  du 
génie.  Les  incrédules  les  plus  connus  par  leur  hostilité 
contre  toute  vérité  révélée,  Hume,  Voltaire,  d'Alembert, 
Diderot,  appellent  Bacon,  dans  un  langage  pompeux,  le 
père  de  la  philosophie  expérimentale,  le  plus  illustre  des 
philosophes  du  dernier  siècle,  «  un  personnage  univer- 
II  11 


362  M.  ÉMERY 

selleraient  estimé  par  la  grandeur  extraordinaire  de  son 
génie.  » 

Les  mêmes  juges  parlent  avec  un  grand  enthousiasme 
de  Descartes  et  de  Leibniz. 

Voilà  le  fait  constaté  par  M.  Émery,  qui  recueille  et 
reproduit  avec  un  soin  scrupuleux  les  dépositions  des 
adversaires  de  toute  religion.  Il  ne  discute  pas  ces  éloges 
pompeux;  il  ne  fait  pas  la  critique  philosophique  du 
système,  de  la  méthode  et  des  opinions  de  ces  auteurs 
célèbres  ;  un  tel  travail  ne  convient  pas  à  son  objet.  Il 
accepte  le  jugement  des  incrédules  sur  l'incomparable 
valeur  de  ces  hommes  qui  ont  honoré  la  raison  en 
l'élevant  à  une  si  grande  hauteur. 

Or,  ajoute  M.  Emery,  Bacon,  Descartes  et  Leibniz 
ont  cru  à  l'existence  de  Dieu  ,  à  l'immortalité  de  l'âme, 
à  la  divinité  de  Jésus-Christ,  à  la  vérité  de  la  révélation 
chrétienne.  Ils  ont  exprimé  hautement  leur  croyance 
religieuse  dans  leurs  savants  écrits  ;  ils  n'ont  pas  craint 
de  la  défendre  et  de  répondre  aux  attaques  de  l'incrédu- 
lité de  leur  temps  ;  ils  ont  parlé  avec  une  foi  respectueuse 
et  une  tendre  charité  de  leurs  sentiments  chrétiens. 

Deux  conclusions  découlent  de  ce  fait. 

La  première,  c'est  qu'on  peut  être  à  la  fois  un  homme 
de  génie  et  un  parfait  chrétien ,  et  qu'il  n'y  a  pas  oppo- 
sition entre  la  science  et  la  révélation,  comme  les  incré- 
dules déistes  modernes  se  plaisent  à  le  dire,  sans  essayer 
de  le  démontrer. 

La  seconde,  c'est  que  les  chrétiens  attachés  à  l'Évan- 
gile peuvent  se  glorifier  de  voir  les  hommes  les  plus 
célèbres  partager  leurs  croyances,  et  qu'on  ne  peut  les 
accuser  de  superstition  ,  d'ignorance  ou  de  crédulité 
naïve  et  grossière,  sans  faire  peser  la  même  accusation 
sur  ces  grands  hommes  devant  lesquels  l'incrédulité 
baisse  la  tête  avec  respect.  L'objection  perd  ainsi  jus- 
qu'aux apparences  d'autorité  qui  pouvaient  la  justifier. 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANGE  363 
((  Quel  plaisir,   écrit  La  Bruyère  (au  chapitre  des 
esprits  forts),  d'aimer  la  religion  et  de  la  voir  crue  et 
soutenue  par  de  si  beaux  génies  et  de  si  solides  esprits!  » 

«  Ainsi,  ajoute  encore  M.  Émery  en  tète  de  son  ouvrage 
sur  le  Christianisme  de  Bacon,  les  quatre  plus  grands 
génies  du  dernier  siècle,  Bacon,  Descartes,  Leibniz  et 
Newton,  les  quatre  hommes  qui  tiennent  le  sceptre  de 
toutes  les  hautes  sciences,  et  à  la  suite  desquels  marchent 
tous  les  géomètres  et  tous  les  physiciens  des  derniers 
temps;  tous,  remarquons -le  avec  soin,  tous,  profondé- 
ment instruits  dans  la  science  des  saintes  Ecritures, 
dans  l'antiquité  ecclésiastique  et  profane,  dans  la  con- 
naissance de  la  doctrine  chrétienne,  et  par  conséquent 
ayant  jugé  la  religion  avec  une  pleine  connaissance  de 
cause ,  tous  ont  été  chrétiens ,  tous  ont  vécu  et  sont 
morts  dans  la  profession  la  plus  haute  et  la  plus  sincère 
du  christianisme.  » 

II.  —  M.  Émery  démontre  la  vérité  de  son  argument 
par  les  ouvrages  de  ces  savants  illustres,  dans  lesquels  il 
choisit  avec  art  les  fragments  et  les  traités  qui  se  rap- 
:  portent  à  la  religion.  Il  expose  avec  méthode,  complète 
i  par  des  notes  concises,  toujours  claires  et  décisives,  leur 
I  opinion  sur  les  questions  douteuses,  leur  ferme  croyance 
dans  les  choses  certaines,  et  fait  passer  sous  les  yeux  du 
lecteur  les  prières,  les  pieuses  considérations,  les  démon- 
strations savantes  qui  concourent  à  établir,  non  seule- 
ment la  foi  chrétienne ,  mais  encore  la  piété  profonde  de 
ces  auteurs  illustres. 

Il  fut  ainsi  amené  à  publier  successivement  le  Chris- 
tianisme de  Bacon,  les  Pensées  de  Descartes  sur  la 
religion,  et  les  Pensées  de  Leibniz  sur  l<<  religion  et 
la  morale.  Il  avait  le  dessein  de  compléter  cette  démon- 
stration de  la  vérité  chrétienne  par  l'argument  d'autorité 
scientifique,  en  publiant  encore  les  pensées  de  Newton 


364  M.  ÉMERY 

et  d'Euler  sur  la  vérité  et  la  divinité  de  la  révélation. 
Mais  Dieu  ne  laissait  pas  des  loisirs  à  son  serviteur;  les 
nécessités  douloureuses  de  la  lutte  venaient  sans  cesse 
l'arracher  au  silence  de  sa  retraite  laborieuse. 

Il  parvint  avec  peine  à  donner  une  édition  complète 
des  pensées  de  Descartes  et  de  Leibniz  : 

«  Mes  enfants,  disait- il  aux  ouvriers  qui  travaillaient 
à  l'impression  de  Descartes ,  il  faut  vous  dépêcher  ;  c'est 
l'enfant  de  ma  vieillesse,  et  la  mort  peut  me  surprendre.» 

Entre  tous  ces  esprits  auxquels  il  emprunte  cet  argu- 
ment populaire  et  décisif  en  faveur  de  la  nécessité  de  la 
foi  chrétienne,  c'est  principalement  Leibniz  qui  est  l'ob- 
jet de  son  admiration. 

Ce  qui  frappe  dans  l'œuvre  apologétique  de  M.  Émery, 
c'est  la  pénétration  de  son  esprit,  son  habileté  et  sa 
promptitude  à  dégager  d'une  parole  des  grands  philo- 
sophes toutes  les  conséquences  qu'elle  renferme,  pour 
les  présenter  au  lecteur  avec  un  relief  saisissant. 

Dans  un  article  qu'il  publia  en  1795  au  Journal  géné- 
ral de  France,  n°  23,  il  cite  cette  belle  page  de.  Leibniz  : 

«  On  a  raison  de  prendre  des  précautions  contre  les 
mauvaises  doctrines,  qui  ont  de  l'influence  dans  les 
mœurs  et  dans  la  pratique  de  la  piété...  Si  l'équité  veut 
qu'on  épargne  les  personnes,  la  piété  ordonne  de  repré- 
senter, partout  où  il  appartient,  le  mauvais  effet  de  leurs 
dogmes  quand  ils  sont  nuisibles  :  comme  sont  ceux  qui 
vont  contre  la  Providence  d'un  Dieu  parfaitement  sage, 
bon  et  juste,  et  contre  cette  immortalité  des  âmes  qui  les 
rend  susceptibles  des  effets  de  la  justice,  sans  parler  d'autres 
opinions  dangereuses  par  rapport  à  la  morale  et  à  la  police. 

«  Je  sais  que  d'excellents  hommes  et  bien  inten- 
tionnés soutiennent  que  les  opinions  théoriques  ont  bien 
moins  d'influence  dans  la  pratique  qu'on  ne  le  pense; 
et  je  sais  aussi  qu'il  y  a  des  personnes  d'un  excellent 
naturel  à  qui  ces  opinions  ne  feront  jamais  rien  faire 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  365 

d'indigne  d'elles;  d'ailleurs,  ceux  qui  sont  venu?  à  ces 
erreurs  par  la  spéculation  ont  coutume  d'être  naturel- 
lement plus  éloignés  des  vices  dont  le  commun  des 
hommes  est  susceptible.  Mais  ces  raisons  cessent  le  plus 
souvent  dans  leurs  disciples  ou  leurs  imitateurs,  qui  se 
croient  déchargés  de  l'importune  crainte  d'une  Provi- 
dence surveillante  et  d'un  avenir  menaçant,  qui  lâchent 
la  bride  à  leurs  passions  brutales,  et  tournent  leur 
esprit  à  séduire  et  à  corrompre  les  autres.  Ils  seront 
capables,  pour  leur  plaisir  ou  pour  leur  avancement, 
de  mettre  le  feu  aux  quatre  coins  de  la  terre;  et  j'en  ai 
connu  de  cette  trempe  que  la  mort  a  enlevés.  » 

Voici  le  commentaire  de  M.  Emery  :  «  Arrêtons- 
nous  un  moment  :  que  de  choses  précieuses  renferme 
ce  préambule  î  que  de  réflexions  et  quels  sentiments  ne 
fait-il  pas  naître  r  quand  on  voit  d'un  côté  quelle  est 
la  futilité  parfaite  et  la  profonde  ignorance  de  tous  ou 
presque  tous  ceux  qui  affectent  aujourd'hui  tant  de  mé- 
pris pour  la  religion,  et  osent  dire,  contre  le  sentiment 
unanime  de  tous  les  siècles,  qu'elle  est  inutile  et  même 
dangereuse  cà  l'ordre  de  la  société,  et  que,  d'un  autre 
côté,  on  se  rappelle  que  l'auteur  qu'on  vient  d'entendre 
est  cet  homme  qui ,  semblable,  dit  Fontenelle,  à  ces  an- 
ciens oc  qui  avaient  l'adresse  de  mener  jusqu'à  huit 
«  chevaux  attelés  de  front,  a  mené  de  front  toutes  les 
a  sciences  »  ;  que  cet  écrivain  était  à  la  fois  un  grand 
métaphysicien,  un  grand  jurisconsulte,  un  grand  poli- 
tique, un  grand  théologien,  un  grand  homme  de  lettres, 
un  érudit  profond,  un  physicien  et  un  mathématicien  du 
premier  ordre;  en  un  mot,  pour  me  servir  des  termes 
de  Charles  Bonnet,  une  encyclopédie  vivante,  et  un  des 
plus  profonds  génies  qui  aient  paru  sur  la  terre.  » 

M.  Emery  avait  trouvé  ainsi  un  moyen  facile  et  lumi- 
neux de  venger  la  religion  des  attaques  de  l'incrédulité 
moderne  et  d'en  relever  la  dignité  dans  l'opinion  publique, 


366 


M.  ÉMERY 


en  la  présentant  sous  les  auspices  des  hommes  dont  la 
science  n'est  pas  contestée  *. 

1  Voici  la  liste  des  ouvrages  de  M.  Émery  : 

1.  Esprit  de  Leibniz,  2.  vol.  in-12  (1772),  I,  121,  réimprimé 
en  1803  sous  le  titre  de  Pensées  de  Leibniz  sur  la  religion  et 
la  morale,  2  vol.  in-8°. 

2.  Esprit  de  sainte  Thérèse,  1  vol.  in-8°  (1775  et  1779). 

3.  Lettres  au  P.  Lalande,  de  l'Oratoire,  52  pages  et  27  pages 
in-8°  (1791). 

4.  Principes  de  Bossuet  et  de  Fénelon  sur  la  souveraineté,  1  vol. 
in-8°  (1791). 

5.  Observations  sur  une  lettre  d'un  vicaire  général  de  Toulouse, 
relative  au  serment  de  liberté  et  d'égalité,  20  pages  in -8° 
(1795). 

6.  Entretien  en  forme  de  dialogue  sur  les  préjugés  du  temps 
contre  la  religion,  83 pages  in-8°  (1796). 

7.  Mémoire  sur  cette  question  :  Les  religieuses  peuvent- elles 
aujourd'hui,  sans  blesser  leur  conscience,  recueillir  des  suc- 
cessions et  disposer  par  testament  ?  Leurs  supérieurs  peuvent- 
ils,  doivent-ils  même  leur  en  accorder  la  permission?  27  pages 
in-8o  (1797). 

8.  Préface  de  V Histoire  physique  de  la  terre,  par  André  Deluc, 
(1798). 

9.  Christianisme  de  Bacon,  2.  vol.  in-12  (1799). 

10.  Articles  insérés  dans  les  Annales  catholiques,  littéraires, 
philosophiques,  etc.,  de  1800  à  1810. 

11.  Conduite  de  V Église  dans  la  réception  des  ministres  qui 
reviennent  de  V hérésie  ou  du  schisyyie ,  1.  vol.  in-8°  (1800),  et 
in-12  (1801). 

12.  Lettres  à  un  évêque,  par  M.  dePompignan,  avec  un  Discours 
préliminaire,  2  vol.  in  8°  (1802). 

13.  Défense  de  la  Bévélation  par  Euler,  72  pages  in-8°  (1805). 

14.  Défense  de  l'Essai  sur  la  tolérance,  de  M.  Duvoisin,  71  pages 
in-8°  (1805). 

15.  Nouveaux  opuscules  de  Fleury,  1  vol.  in-12  (1807). 

16.  Corrections  et  additions  pour  les  Nouveaux  Opuscules  de 
Fleury,  72  pages  in-12  (1809). 

17.  Nouvelle  édition  de  la  Vie  de  la  mère  Agnès,  par  M.  de  Lan- 
tages,  1  vol.  in-12  (1808). 

18.  Essai  de  défense  du  cardinal  Dubois,  27  pages  in-8°  (1810). 

19.  Pensées  de  Descartes  sur  la  religion  et  la  morale,  1  vol.  in-8° 
(1811). 

20.  Supplément  aux  Pensées  de  Leibniz,  —  Dissertation  sur  la 
mitiyation  de  la  peine  des  damnés,  Système  théologique  de 
Leibniz  (non  publiés  du  vivant  de  M.  Émery). 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  367 

III.  —  Il  eut  un  jour  une  conversation,  à  l'occasion 
de  ses  dernières  publications,  avec  un  ministre  protes- 
tant venu  d'Allemagne  à  Paris,  qui  lui  révéla  l'existence 
d'un  manuscrit  de  Leibniz,  dans  lequel  les  témoignages 
de  ce  savant  en  faveur  de  la  religion  catholique  étaient 
plus  explicites  que  dans  ses  Pensées;  c'était  le  System  a 
theologicum. 

On  conserve  à  la  bibliothèque  de  la  maison  de  Saint- 
Sulpice ,  à  Baltimore ,  une  copie  de  ce  manuscrit  de 
Leibniz,  écrite  de  la  main  de  M.  Emery,  avec  la  note 
suivante  de  M.  Brûlé  : 

a  On  connaissait  bien  l'existence  du  Système  théo- 
logique  de  Leibniz,  conservé  dans  la  bibliothèque  de 
Hanovre,  mais  toute  communication  en  avait  été  refu- 
sée. Sur  les  premières  instances  de  M.  Émery,  on  lui 
en  envoya  un  autre  bien  moins  important  ;  il  n'en  fut 
pas  dupe  et  fît  de  nouvelles  démarches,  par  le  cardinal 
Fesch ,  qui  obtint  un  ordre  favorable  du  roi  de  West- 
phalie.  Alors  ce  manuscrit-ci  fut  livré,  et  le  roi  l'envoya 
au  cardinal  avec  une  lettre,  dont  II.  Garnier  conserve 
l'original.  M.  Emery  le  copia  lui-même,  en  laissant  les 
blancs  aux  endroits  douteux  qu'on  remarque  dans  le 
manuscrit  ci -joint.  Il  le  collationna  ensuite  avec  M.  Pa- 
rage ,  bibliothécaire  du  séminaire  ,  en  corrigeant  les 
méprises  et  complétant  ce  qu'il  n'avait  d'abord  pu  lire. 
M.  Hemey,  ancien  grand  vicaire,  actuellement  occupé 
de  l'édition  de  Bossuet  qui  s'imprime  à  Versailles,  en 
tira  une  seconde  copie  plus  au  net,  qui  reste  à  Paris 
entre  ses  mains. 

«  Celle-ci  m 'ayant  été  confiée  à  lire,  pendant  mon 
dernier  séjour  à  Issy,  le  jour  de  mon  départ ,  je  la  remis 
à  M.  Garnier,  en  lui  exprimant  combien  un  pareil  écrit, 
plein  des  aveux  motivés  les  plus  décisifs  de  l'homme  de 
génie  qui  traita  avec  Bossuet  de  la  réunion  des  protes- 
tants aux  catholiques,  serait  précieux  dans  nos  missions 


368  M.  ÉMERY 

protestantes  des  États-Unis  ;  il  me  le  donna.  M.  Hemey 
conserva  l'autre  plus  au  net.  Il  me  le  donna  le  20  sep- 
tembre, et  j'écris  aujourd'hui,  30,  à  Bordeaux,  avec  la 
mémoire  la  plus  fraîche,  et  le  plus  exactement  qu'il 
m'est  possible,  la  présente  notice  sur  cet  inestimable 
manuscrit. 

((  Au  séminaire  de  Bordeaux,  30  septembre  1815. 

«  Brûlé,  prêtre  de  Saint- Sulpice ,  sur  le  point  de  retourner  à 
Baltimore  *.  » 

Cette  note  établit  l'authenticité  du  manuscrit  recueilli 
par  M.  Émery,  authenticité  contestée  par  des  écrivains 
modernes,  qui  s'étonnent  de  rencontrer  sous  le  nom  d'un 
protestant  célèbre  les  aveux  et  les  affirmations  les  plus 
favorables  à  la  doctrine  catholique. 

Cependant  le  célèbre  antiquaire  Murr,  dont  le  témoi- 
gnage a  été  ratifié  par  la  Revue  de  Dublin  ,  a  fait  la 
déposition  suivante  : 

IV.  —  «  J'ai  lu  le  système  théologique  de  Leibniz.  Il 
paraît  avoir  été  écrit  en  1671  et  1680,  ou  peu  après. 
L'autographe  en  est  conservé  dans  la  bibliothèque  royale 
de  Hanovre,  mais  sans  titre  ni  préface.  M.  Iung,  mem- 
bre du  conseil  aulique  et  bibliothécaire,  a  transcrit  en 
150  pages  in-folio  ce  singulier  ouvrage,  qui  est  de 
nature  h  faire  une  plus  grande  sensation  que  tous  les 
autres  écrits  de  Leibniz.  Il  y  détend  la  religion  catho- 
lique, même  sur  les  points  qui  ont  été  le  plus  vigou- 
reusement contestés  entre  les  catholiques  et  les  protes- 
tants, avec  tant  de  zèle  que  l'on  douterait  qu'il  en  fût 
l'auteur,  si  son  écriture  n'était  bien  connue  par  une 
foule  de  documents.  Il  règne  dans  tout  l'ouvrage  une 
noble  simplicité,  sans  emphase  et  sans  animosité ,  et 

1  Inédit. 


ET  L' ÉGLISE  DE  FRANCE  369 

partout  l'auteur  y  déploie  une  sagacité  remarquable1.  » 

Dans  cet  ouvrage  qu'il  composa  après  ses  longues  et 
savantes  controverses  avec  Bossuet,  quand  il  eut  appro- 
fondi avec  la  sûreté  puissante  de  son  esprit  tous  les 
détails  de  la  doctrine  catholique ,  Leibniz  nous  fait  sou- 
vent entendre  l'enseignement  le  plus  précis  de  la  théo- 
logie catholique ,  et  la  condamnation  la  plus  sévère  et 
la  mieux  justifiée  des  erreurs  cachées  dans  la  religion 
de  Luther. 

Au  début  de  son  système  théologique ,  il  expose  et 
démontre  clairement  l'existence  et  les  attributs  de  Dieu, 
la  chute  du  premier  homme  et  ses  funestes  effets  sur  la 
race  humaine,  la  possibilité  et  la  nécessité  d'une  révé- 
lation, les  caractères  qui  la  justifient  et  les  mystères 
qu'elle  impose  à  notre  foi. 

Sur  tous  ces  points  l'accord  est  complet  entre  Leibniz 
èt  l'Église  catholique. 

Il  entre  ensuite  au  cœur  de  l'enseignement  révélé,  et 
quand  on  lit  ses  pages  sur  la  grâce,  le  libre  arbitre,  la 
justification,  son  principe,  sa  nature,  ses  effets,  son 
amissibilité  ;  quand  on  le  voit  rejeter  la  doctrine  des 
calvinistes  et  des  luthériens  et  reproduire,  en  l'acceptant 
avec  une  sûreté  théologique  irréprochable,  la  doctrine 
catholique  sur  la  nécessité  de  la  tradition,  l'autorité  in- 
faillible de  l'Église,  le  nombre  et  l'efficacité  des  sacre- 
ments, la  suffisance  et  l'utilité  de  la  communion  sous 
une  seule  espèce,  le  sacrifice  de  la  messe,  la  vénération 
des  reliques  et  des  images  des  saints,  le  purgatoire  et 
toutes  les  conséquences  que  l'Église  déduit  de  ce  dogme, 
on  ne  comprend  pas  l'hésitation  de  ce  grand  homme  qui 
n'est  plus  protestant,  qui  n'ose  pas  se  déclarer  catho- 
lique ;  mais  on  voit  bien  aussi  la  force  considérable  que 

1  Journal  Zur  Kunst-geschichte  und  zur  algemeinen  Lilte- 
ratur. 


370  M.  ÉMERY 

l'autorité  de  cet  esprit  si  vaste  apporte  à  la  défense  de  la. 
vérité  chrétienne  l. 


V.  —  Une  réflexion  de  Leibniz  sur  l'éternité  et  la 
mitigation  des  peines  des  damnés  fit  naître  dans  l'esprit 
de  M.  Émery  la  pensée  d'approfondir  cette  matière,  et 
de  présenter  avec  précision ,  mais  sans  se  prononcer,  les 
opinions  contraires  des  canonistes  et  des  théologiens  sur 
cette  grave  question. 

M.  Émery  connaissait  et  respectait  jusqu'aux  déli- 
catesses même  de  la  foi,  il  n'aurait  jamais  consenti  à 
s'écarter  du  grand  chemin  de  la  tradition  chrétienne 
pour  soutenir  une  opinion  qui  aurait  eu  contre  elle  l'au- 
torité des  plus  graves  théologiens. 

Sa  dissertation  sur  la  mitigation  des  peines  des 
damnés,  louée  récemment  par  le  P.  Ventura,  dont  l'au- 
torité théologique  a  une  valeur  considérable  dans  l'Église, 
admirée  par  des  archevêques  et  des  évêques  qui  étaient 
depuis  longtemps  les  amis  de  M.  Émery,  n'était  pas 
faite  pour  le  public.  L'auteur  refusait  de  se  prononcer 
sur  le  fonds  de  la  question,  et  se  contentait  du  rôle 
impartial  de  rapporteur.  Cette  intéressante  dissertation 
témoigne  d'une  grande  modération  d'esprit  et  d'une  vaste 
connaissance  des  Pères  de  l'Église  ,  des  conciles ,  du 
droit  canon  et  de  la  théologie. 

1  Garnier,  héritier  des  papiers  de  M.  Émery  et  son  successeur 
dans  la  charge  de  supérieur  général  de  la  compagnie,  publia  le 
manuscrit  de  Leibniz,  avec  la  traduction  française,  par  M.  Molle- 
vaut.  MM.  Ràss  et  Weiss  en  publièrent  aussitôt  une  traduction 
allemande,  accompagnée  du  texte  latin  et  d'une  excellente  préface 
par  le  docteur  Doller. 

Une  discussion  sur  la  controverse  soulevée  par  M.  Foucher  de 
Careil ,  à  l'occasion  du  manuscrit  de  Leibniz,  n'entre  pas  dans  le 
cadre  de  notre  sujet. 

On  peut  consulter  sur  ce  point  un  excellent  article  de  la  revue 
de  Dublin,  intitulé:  Protestant  Evidence  of  Catholicité ,  — 
Leibniz  (n°  10,  mai  1841). 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  371 

Une  lettre  de  M.  Emery  à  M.  l'abbé  de  Yaricourt,  vers 
la  fin  de  Tannée  1808,  nous  apprend  des  détails  pleins 
d'intérêt  sur  ce  nouveau  travail,  qui  devait  susciter  plus 
tard  de  vives  controverses. 

ce  Je  vous  envoie,  lui  dit-il,  une  brochure  qui  est, 
peut-être,  ce  que  j'ai  fait  de  mieux  et  avec  plus  de  soin. 

ce  C'est  une  dissertation  qui  devait  accompagner  l'édi- 
tion des  Pensées  de  Leibniz qui  est  faite,  par  consé- 
quent, depuis  cinq  ou  six  ans,  et  que  j'ai  cru  devoir 
supprimer  par  prudence.  Je  l'ai  examinée  et  perfec- 
tionnée depuis,  je  l'ai  fait  examiner;  et  enfin,  dans  la 
crainte  qu'un  travail  que  je  crois  curieux  et  utile  ne  fût 
entièrement  perdu  après  ma  mort,  je  l'ai  fait  imprimer, 
mais  j'en  ai  retiré  jusqu'ici  tous  les  exemplaires  ;  je  n'en 
ai  donné  qu'un  très  petit  nombre  à  quelques  savants 
évèques,  qui  l'ont  tous  approuvée.  J'en  ai  envoyé  trois 
exemplaires  à  Rome:  un  au  P.  Fontana,  théologien  du 
pape,  aujourd'hui  général  des  Barnabites,  à  qui  je  l'avais 
communiquée  manuscrite  lorsqu'il  accompagna  le  sou- 
verain pontife  à  Paris,  les  autres  aux  cardinaux  Anto- 
nelli  et  di  Pietro ,  qui  m'en  ont  remercié. 

ce  Le  P.  Fontana  m'a  proposé  d'en  envoyer  deux  exem- 
plaires au  pape ,  qu'il  se  chargerait  de  lui  présenter, 
persuadé  que  le  saint- père  la  lirait  avec  plaisir.  C'est 
cette  dissertation  que  je  vous  envoie,  et  que  vous  ne 
jugerez  qu'après  l'avoir  lue  une  deuxième  fois.  » 

Nous  voyons  dans  une  note' écrite  de  la  main  de 
M.  Emery  que  le  saint- père  fit  remercier  M.  Emery  de 
son  envoi,  et  que  les  cardinaux  Antonelli  et  di  Pietro, 
et  les  théologiens  les  plus  estimés  de  Rome  qui  avaient 
reçu  du  P.  Fontana  communication  de  cette  disserta- 
tion sur  la  mitigation  des  peines  des  damnés,  n'y  avaient 
trouvé  aucun  principe ,  aucune  affirmation  repréhen- 
sible  ou  contraire  à  la  foi. 

Le  vénérable  archevêque  d'Aix  ne  se  contenta  pas  de 


372  M.  ÊMERY 

lui  témoigner  sa  satisfaction,  il  lui  signala  même  un 
argument  nouveau  en  faveur  de  sa  thèse  : 

((  J'ai  lu  avec  une  extrême  satisfaction  votre  disser- 
tation. On  ne  peut  rien  voir  de  plus  exact,  de  plus  im- 
partial ,  de  plus  complet.  Je  suis  tout  à  fait  dans  votre 
sentiment,  et  je  crois  que  les  temps  présents  et  les 
esprits  d'aujourd'hui  demandent  que  ce  sentiment  soit 
généralement  adopté.  Je  n'y  vois  rien  que  de  très  ménagé 
pour  les  adversaires. 

a  Je  trouve  que  quand  vous  vous  objectez  quelques 
décisions  qui  défendent  les  prières  pour  les  réprouvés, 
vous  pourriez  dire  que  les  défenses  même ,  en  désignant 
l'espèce  des  réprouvés  pour  lesquels  on  défend  de  prier 
(comme  les  péchés  contre  le  "Saint-Esprit),  supposent 
qu'on  peut  prier  pour  les  autres.  » 

Cette  note  contient  encore  ces  paroles  flatteuses  du 
P.  Fontana,  chargé  d'exprimer  la  pensée  de  Sa  Sainteté  : 

Summus  Pontifex,  cum  doctissimx  dissertationis 
tuse  exemplar  ei  oblatum  fuit,  summopere  et  nomine 
et  munere  tuo  delectari  visus  est.  Itaque  amantissimis 
verbis  tibi  salutem  dicere  et  gratias  agere  a  Saricti- 
tate  Sua  jussus  s  uni. 

VI.  —  Mais  c'est  principalement  dans  les  controverses 
philosophiques  et  religieuses  que  M.  Emery  révèle  des 
qualités  éminentes.  Il  expose  avec  clarté  l'objection  de 
son  adversaire,  la  dépouille  de  son  enveloppe,  la  met 
à  nu,  et  la  détruit  avec  une  vigueur  particulière.  Son 
style  est  naturel,  sans  recherche,  sans  qualificatifs  inu- 
tiles, mais  ému  et  rapide  dans  l'exposition,  élevé  et 
souvent  éloquent  dans  la  discussion ,  précis ,  sans  aridité 
et  moulé  sur  la  pensée  dont  il  dessine  les  formes  et  les 
détails. 

Dans  un  dialogue  écrit  pendant  la  Révolution,  sur 
quelques  préjugés  du  temps,  il  met  en  scène  un  prieur 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  373 
et  un  ancien  fermier.  Le  fermier  répète  les  objections 
courantes  sur  l'inutilité  de  la  religion ,  les  mauvais 
prêtres, l'athéisme  et  les  superstitions.  M.  Émery  reprend 
une  à  une  toutes  ces  objections,  si  arides  qu'elles  puis- 
sent être,  et,  avec  une  étonnante  vigueur  de  discussion 
et  de  pensée,  il  les  réfute  et  démontre  ensuite  la  vérité  ; 
il  sépare  la  cause  de  la  religion  de  la  mauvaise  conduite 
de  quelques  prêtres  qui  ont  affligé  l'Eglise  par  le  spec- 
tacle de  leur  défection;  il  établit  l'antiquité,  l'univer- 
salité, la  perpétuité  de  la  foi  religieuse  dans  le  monde; 
il  démontre  l'existence  de  l'âme  et  sa  distinction  du 
corps  par  les  facultés  qui  n'appartiennent  qu'à  elle,  et 
l'existence  de  Dieu  par  l'argument  de  causalité,  et  ter- 
mine, après  avoir  fait  la  description  de  l'audace  igno- 
rante des  fanatiques  de  l'impiété,  en  pressant  le  fermier 
de  conserver  la  foi  de  ses  pères  et  ses  sentiments  reli- 
gieux. 

Quelle  vérité  dans  ce  tableau  des  abus  et  des  excès  de 
la  Révolution  : 

«  Je  sais  et  je  me  rappelle  avec  horreur  qu'on  a  pro- 
fané les  vases  sacrés,  traîné  avec  ignorance  les  ornements 
sacerdotaux  et  tout  ce  qui  avait  été  jusqu'alors  l'objet 
de  la  vénération  publique;  je  sais  qu'à  Paris,  par  ordre 
de  la  municipalité  et  du  département ,  et  dans  toute 
l'étendue  de  la  France ,  par  ordre  des  représentants  en 
mission,  on  a  renversé  les  autels,  brûlé  les  livres  d'église, 
mutilé  les  statues  des  saints,  déchiré  leurs  images,  dis- 
persé leurs  reliques,  détruit  dans  des  lieux  publics 
et,  autant  qu'on  a  pu,  dans  les  maisons  particulières 
tous  les  monuments  et  tous  les  signes  de  la  religion, 
réduit  tous  les  temples  à  l'état  d'édifices  profanes, 
et  abattu  même  dans  quelques  départements  tous  les 
clochers. 

«  Enfin,  pour  renfermer  tout  en  deux  mots,  on  peut 
dire,  je  le  sais,  que  toute  la  France,  pendant  quelques 


374  M.  ÉMERY 

mois ,  a  paru  faire  une  profession  de  foi  d'athéisme  ou 
d'idolâtrie,  ou,  si  vous  l'aimez  mieux,  d'un  monstrueux 
mélange  de  l'un  et  de  l'autre;  qu'elle  a  offert  et  offre 
encore  aujourd'hui  dans  toutes  ses  villes  et  dans  tous  ses 
villages  un  tel  spectacle  de  dévastation  et  de  spoliation, 
qu'on  peut  dire  avec  vérité  que  si  les  Turcs  ou  les  Tar- 
tares  s'étaient  rendus  maîtres  de  la  France,  ils  ne  se 
seraient  pas  portés  à  de  si  grands  excès.  » 

Ailleurs,  dans  ce  même  dialogue,  il  regarde  l'avenir 
avec  tristesse,  et  explique  ainsi  le  silence  de  Dieu  en 
présence  du  triomphe  des  méchants  : 

ce  Dieu  ne  peut -il  pas  vouloir  traiter  la  religion  en 
France  comme  il  l'a  traitée  dans  d'autres  contrées  bien 
plus  illustres,  telles  que  l'Afrique?  Ne  peut -il  pas  per- 
mettre qu'elle  y  soit  anéantie  et  qu'elle  disparaisse? 
Jésus -Christ,  qui  a  promis  à  l'Église  qu'elle  ne  périrait 
jamais,  n'a  rien  promis  aux  églises  particulières  :  l'Église 
de  France  n'a  pas  plus  de  titres  à  ses  yeux  pour  obtenir 
une  durée  perpétuelle  que  n'en  avait  autrefois  l'Église 
d'Afrique. 

((  Dans  cette  supposition  douloureuse,  il  est  vrai,  mais 
qui  n'a  rien  d'incroyable,  n'est- il  pas  conséquent  que 
Dieu  n'arrête  point  les  dévastations  de  l'impiété  par  des 
prodiges  éclatants,  et  qu'il  leur  laisse  un  libre  cours, 
comme  il  fit  autrefois  au  temps  où  les  Sarrasins  envahi- 
rent l'Afrique? 

((  Sans  doute ,  il  en  coûte  pour  faire  une  supposition 
semblable ,  et  nous  espérons  bien  qu'elle  ne  se  réalisera 
jamais.  Mais  cela  suffit  pour  justifier  à  nos  yeux  la  divi- 
nité sur  l'inaction  apparente  de  sa  justice  et  pour  faire 
cesser  nos  doutes  sur  la  Providence ,  si  cela  ne  suffît  pas 
pour  faire  cesser  nos  pleurs.  » 

Tous  les  écrits  de  M.  Émery  révèlent  la  même  hauteur 
de  vues,  la  même  correction  de  style  et  cette  sobriété, 
dédaigneuse  des  amplifications  oratoires,  qui  dégage  et 


ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE  375 
traduit  fidèlement  et  fortement  la  pensée.  Soit  qu'il 
défende  son  sentiment  sur  les  serments  imposés  par  le 
gouvernement  révolutionnaire ,  soit  qu'il  attaque  les 
aveugles  partisans  de  la  constitution  civile  du  clergé , 
dans  ses  lettres,  dans  ses  discours,  dans  ses  mémoires, 
il  est  avant  tout  homme  d'action  ;  il  s'empare  de  l'his- 
toire, qu'il  ne  cesse  jamais  de  méditer,  des  textes  de 
l'Écriture  et  des  conciles,  des  témoignages  sacrés  et  pro- 
fanes ,  les  fond  dans  une  trame  puissante  et  réfute 
l'erreur  ou  démontre  la  vérité  avec  toutes  les  ressources 
de  la  science  et  l'énergie  d'une  conviction  qui  prend  sa 
source  dans  l'amour  des  âmes  et  le  dévouement  le  plus 
pur  à  la  cause  de  l'Eglise  !. 

1  En  dehors  de  ses  ouvrages,  M.  Émery  avait  encore  publié  les 
études  suivantes.  Fidèle  aux  traditions  de  modestie  qui  sont  l'hon- 
neur de  sa  compagnie,  M.  Émery  ne  signa  jamais  ni  ses  livres 
ni  ses  mémoires  et  ses  dissertations  : 

année  1800 

Sur  la  promesse  de  fidélité  àla  constitution  de  Van  VIII.  (Annales 
philosophiques ,  t.  I,  p.  91.) 

Sur  le  bref  de  Pie  VI  du  16  janvier  1796.  {Ibid.,  p.  155.) 

Sur  la  réunion  de  l'Église  russe  à  l'Église  romaine.  (  Ibid.,  p.  155). 

Lettre  à  l'auteur  des  Annales  sur  l'exercice  de  plusieurs  cultes 
dans  une  même  église.  (Ibid.,  p.  285.) 

Sur  les  mariages  décadaires.  (Ibid.,  464.) 

Anecdotes  sur  l'assemblée  de  1682.  (  Ibid.,  p.  503.) 

Sur  la  maxime  attribuée  à  saint  Augustin:  in  necessariis  uni- 
tas,  etc.  (T.  II,  p.  13.) 

Lettres  sur  l'histoire  physique  de  la  terre,  par  Deluc.  (Ibid., 
pp.  337,  385,  474.) 

Sur  le  droit  des  chapitres  pendant  la  vacance  des  sièges  épis- 
copaux.  ( Ibid.,  p.  506. ) 

année  1801 

Lettre  inédite  de  l'abbé  Fleunj.  (T.  III,  p.  227.) 
Du  sentiment  de  Bossuetsur  l'autorité  et  la  réception  du  concile 
de  Trente  en  France.  (T.  III,  p.  239.) 


376  M.  ÉA1ERY  ET  L'ÉGLISE  DE  FRANCE 

Tel  fut  l'écrivain ,  tel  aussi  fut  l'homme  ;  ses  écrits 
comme  sa  parole  forcèrent  l'estime  même  de  ses  adver- 
saires, qui  ne  pouvaient  se  défendre  de  reconnaître  en 
lui  un  grand  caractère  et  un  prêtre  selon  le  cœur  de 
Dieu. 

ANNÉE  4804 

Des  nouveaux  chapitres  cathédraux.  (Annales  littéraires,  t.  II, 
p.  231.) 

ANNÉE  1805 

Sur  l'édition  des  lettres  d'Euler,  publiée  par  Condorcet.  (T.  111, 
p.  465.) 

Défense  de  l'Essai  sur  la  tolérance.  (T.  IV,  p.  193.)  Un  second 
article  sur  le  même  sujet,  contenu  dans  le  même  volume,  n'est 
pas  de  M.  Émery. 

année  1806 

Remarques  sur  le  caractère  d'Arnauldpar  Leibniz.  (Ibid.,  p.  505.) 
Défense  des  premières  vérités,  par  l'abbé  Sigorgne.  (Mélanges, 
t.  I^r,  p.  1.) 

Anecdotes  sur  le  procès  de  Fouquet.  (Ibid.,  p.  30.)  Nous  n'ose- 
rions assurer  absolument  que  cet  article  soit  de  M.  Émery. 

année  1810 

Sur  le  cardinal  Dubois.  (Ibid.,  t.  VIII ,  p.  176.) 


FIN 


APPENDICE 


Lettre  au  pape  Pie  VI  des  Évèques  français 
qui  n'ont  pas  consenti  à  donner  leur  démission. 

Londres,  27  septembre  1801. 

Très  Saint -Père, 

Nous  ne  dissimulons  pas  à  Votre  Béatitude  la  grave  dou- 
leur qui  affecta  nos  âmes  aussitôt  que  nous  reçûmes  les 
lettres  de  Votre  Sainteté,  en  date  du  15  août  1801 ,  l'an  se- 
cond de  son  pontificat.  Cette  douleur  est  si  profonde,  que, 
bien  qu'il  n'y  ait  pour  nous  aucun  devoir  plus  cher  et  plus 
élevé  que  d'écouter  autant  qu'il  est  en  notre  puissance,  avec 
une  déférence  entière,  les  conseils  de  Votre  Paternité,  cepen- 
dant cette  même  douleur  nous  laisse  non  seulement  incer- 
tains et  flottants,  mais  encore  nous  contraint,  malgré  nous, 
à  tempérer  notre  obéissance. 

La  force  de  ces  lettres  est  telle,  que,  si  elles  obtiennent 
jamais  ce  qu'elles  prescrivent,  en  un  seul  instant  toutes  les 
Églises  épiscopales  (jui  existent  en  France  deviendront  veuves. 
Votre  Sainteté  ne  nous  apprend  pas,  et,  pour  avouer  libre- 
ment la  vérité,  nous-mêmes  nous  ne  concevons  pus  comment 
la  viduité  subite  de  toutes  les  Églises  de  ce  vaste  empire  pro- 
duira l'etfet  salutaire  de  la  conservation  de  l'unité  et  du  réta- 
blissement en  France  de  la  religion  catholique. 

Certainement  l'expérience  de  toutes  les  calamités  qui 
depuis  beaucoup  d'années  déchirent  la  patrie,  montre  assez 
tout  ce  que  nous  devons  craindre  des  maux  et  des  malheurs 
qui  résulteront,  pour  la  religion  catholique ,  de  cette  viduité 


378 


APPENDICE 


simultanément  universelle  :  la  voie  à  suivre  pour  éviter  ces 
maux  ne  peut  être  ouverte  à  Votre  Sainteté  que  par  une 
assemblée  de  tous  les  évêques  de  l'Église  gallicane. 

Nous  ne  voulons  pas  parler  ainsi  pour  faire  entendre 
qu'il  nous  est  pénible  et  désagréable  de  faire  un  pas  en 
arrière  à  travers  ces  temps  de  douleur  et  de  deuil;  au  con- 
traire, dans  notre  faiblesse,  nous  éprouverions  une  conso- 
lation pour  chacun  de  nous,  et  un  bonheur  ineffable  pour 
tous,  en  nous  voyant  déchargés  d'un  si  grand  fardeau  (si 
toutefois  il  était  permis  de  penser  à  quelque  consolation  et  à 
quelque  bonheur,  après  que  nos  esprits  ont  été  brisés  sous 
le  poids  de  tant  de  maux). 

Mais  le  droit  de  notre  ministère  semble  nous  demander 
de  ne  pas  souffrir  que  l'on  rompe  jamais  facilement  ce  lien 
qui  nous  a  unis  aux  Églises  immédiatement  confiées  à  notre 
sollicitude,  parla  providence  de  Dieu  très  bon  et  très  haut. 

Nous  conjurons  ardemment  Votre  Sainteté  de  consentir 
à  ce  que,  dans  un  écrit  qui  lui  sera  transmis  incessamment, 
il  nous  soit  permis  d'expliquer  et  de  développer  plus  au  long 
les  arguments  sur  lesquels  nous  appuyons  notre  sentiment. 
Cependant,  remplis  de  confiance  dans  l'affection  véritable- 
ment paternelle  de  Votre  Sainteté  à  notre  égard ,  nous  espé- 
rons qu'elle  ne  déterminera  rien  de  plus  sur  cette  affaire 
jusqu'à  ce  qu'elle  ait  pesé,  avec  toute  l'équité  dont  Elle  est 
capable ,  les  motifs  que  les  fils  allégueront  devant  un  Père  si 
pieux. 

Prosternés  aux  genoux  de  Votre  Béatitude,  nous  implo- 
rons de  toute  la  force  de  notre  âme  la  bénédiction  aposto- 
lique, et  nous  sommes  les  très  dévots  et  très  obéissants 
fils  de  Votre  Sainteté. 

Cette  lettre  était  signée  parles  prélats  dont  les  noms  suivent  : 

Arthur  Richard,  archevêque  et  primat  de  Narbonne; 
Louis,  évêque  d'Arras;  François,  évêque  de  Montpellier; 
Louis-Antoine  de  Grimaldi,  évêque  et  comte  de  Noyon; 
.T.- François,  évêque  de  Saint- Pol- de -Léon;  H.- Louis, 
évêque  de  Périgueux;  Pierre-Auguste,  évêque  d'Avranches; 
Sérastien- Michel,  évêque  de  Vannes;  Henri,  évêque 
d'Uzès;  Seignelay,  évêque  de.  Rodez  ;  Charles-Eutrope , 
évêque  de  Nantes;  Philippe-François,  évêque  d'Angou- 
lême;  Alexandre-Henri  ,  évêque  de  Lombez;  J.-B.  Louis, 
évêque  nommé  de  Moulins. 


LE  CONCORDAT 


Convention  entre  le  gouvernement  français 
et  Sa  Sainteté  Pie  VII. 


Le  gouvernement  de  la  République  française  reconnaît 
que  la  religion  catholique,  apostolique,  romaine,  est  la  reli- 
gion de  la  très  grande  majorité  des  citoyens  français. 

Sa  Sainteté  reconnaît  également  que  cette  religion  a  retiré 
et  attend  encore  en  ce  moment  le  plus  grand  bien  et  le  plus 
grand  éclat  de  l'établissement  du  culte  catholique  en  France, 
et  de  la  profession  particulière  qu'en  font  les  consuls  de  la 
République. 

En  conséquence,  d'après  cette  reconnaissance  mutuelle, 
tant  pour  le  bien  de  la  religion  que  pour  le  maintien  de  la 
tranquillité  intérieure,  ils  sont  convenus  de  ce  qui  suit  : 

Article  premier.  —  La  religion  catholique ,  apostolique, 
romaine,  sera  librement  exercée  en  France,  son  culte  sera 
public  en  se  conformant  aux  règlements  de  police  que  le 
gouvernement  jugera  nécessaire  pour  la  tranquillité  pu- 
blique. 

Art.  2.  —  Il  sera  fait  par  le  Saint-Siège,  de  concert  avec 
le  gouvernement ,  une  nouvelle  circonscription  des  diocèses 
français. 

Art.  3.  —  Sa  Sainteté  déclarera  aux  titulaires  des  évêchés 
français  qu'elle  attend  d'eux  avec  une  ferme  confiance,  pour 
le  bien  de  la  paix  et  de  L'unité,  toute  espèce  de  sacrifices, 
même  celui  de  leur  siège. 

D'après  cette  exhortation,  s'ils  se  refusaient  à  ce  sacrifice 
commandé  par  le  bien  de  l'Église  (  refus  néanmoins  auquel 
Sa  Sainteté  ne  s'attend  pas  i,  il  sera  pourvu  par  de  nouveaux 


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APPENDICE 


titulaires  au  gouvernement  des  évêchés  de  la  circonscription 
nouvelle,  delà  manière  suivante: 

Art.  4.  —  Le  premier  consul  de  la  République  nommera, 
dans  les  trois  mois  qui  suivront  la  publication  de  la  bulle  de 
Sa  Sainteté,  aux  archevêchés  et  évêchés  de  la  circonscription 
nouvelle.  Sa  Sainteté  conférera  l'institution  canonique  suivant 
les  formes  établies  par  rapport  à  la  France  avant  le  change- 
ment de  gouvernement. 

Art.  5.  —  Les  nominations  aux  évêchés  qui  vaqueront 
dans  la  suite  seront  également  faites  par  le  premier  consul, 
et  l'institution  canonique  sera  donnée  par  le  Saint-Siège,  en 
conformité  de  l'article  précédent. 

Art.  6.  —  Les  évêques,  avant  d'entrer  en  fonction,  prête- 
ront directement,  entre  les  mains  du  premier  consul,  le  ser- 
ment de  fidélité  qui  était  en  usage  avant  le  changement  de 
gouvernement,  exprimé  dans  les  termes  suivants  : 

«  Je  jure  et  promets  à  Dieu,  sur  les  saints  Évangiles,  de 
garder  obéissance  et  fidélité  au  gouvernement  établi  par  la 
constitution  de  la  République  française.  Je  promets  aussi  de 
n'avoir  aucune  intelligence,  de  n'assister  à  aucun  conseil,  de 
n'entretenir  aucune  ligue,  soit  au  dedans,  soit  au  dehors, 
qui  soit  contraire  à  la  tranquillité  publique;  et  si,  dans  mon 
diocèse  ou  ailleurs,  j'apprends  qu'il  se  trame  quelque  chose 
au  préjudice  de  l'État,  je  le  ferai  savoir  au  gouvernement.  » 

Art.  7.  —  Les  ecclésiastiques  du  second  ordre  prêteront 
le  même  serment  entre  les  mains  des  autorités  civiles  dési- 
gnées par  le  gouvernement. 

Art.  8.  —  La  formule  de  prière  suivante  sera  récitée  à  la 
fin  de  l'office  divin,  dans  toutes  les  églises  de  France  : 

Domine,  salvam  fac  Rempublicam. 
Domine,  salvos  fac  Consules. 

Art.  9.  —  Les  évêques  feront  une  nouvelle  circonscription 
des  paroisses  de  leurs  diocèses,  qui  n'aura  d'autre  effet  que 
d'après  le  consentement  du  gouvernement. 

Art.  10.  —  Les  évêques  nommeront  aux  cures.  Leur  choix 
ne  pourra  tomber  que  sur  des  personnes  agréées  par  le  gou- 
vernement. 

Art.  11.  —  Les  évêques  pourront  avoir  un  chapitre  dans 
leur  cathédrale  et  un  séminaire  pour  leur  diocèse,  sans  que 
le  gouvernement  s'oblige  à  les  doter. 

Art.  12.  —  Toutes  les  églises  métropolitaines,  cathédrales, 


APPENDICE 


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paroisstales  et  autres,  non  aliénées,  nécessaires  au  culte, 
seront  mises  à  la  disposition  des  évêques. 

Art.  13.  —  Sa  Sainteté,  pour  le  bien  de  la  paix  et  l'heu- 
reux rétablissement  de  la  religion  catholique,  déclare  que  ni 
Elle  ni  ses  successeurs  ne  troubleront  en  aucune  manière 
les  acquéreurs  des  biens  ecclésiastiques  aliénés,  et  qu'en 
conséquence  la  propriété  de  ces  mêmes  biens,  les  droits  et 
revenus  y  attachés,  demeureront  incommutables  entre  leurs 
mains  et  celles  de  leur  ayants- cause. 

Art.  14.  —  Le  gouvernement  assurera  un  traitement  con- 
venable aux  évêques  et  aux  curés  dont  les  diocèses  et  les 
cures  seront  compris  dans  la  circonscription  nouvelle. 

Art.  15.  —  Le  gouvernement  prendra  également  des  me- 
sures pour  que  les  catholiques  français  puissent,  s'ils  le 
veulent,  faire  en  faveur  des  églises  des  fondations. 

Art.  16.  —  Sa  Sainteté  reconnaît,  dans  le  premier  consul 
de  la  République  française,  les  mêmes  droits  et  prérogatives 
dont  jouissait  près  d'elle  l'ancien  gouvernement. 

Art.  17.  —  Il  est  convenu  entre  les  parties  contractantes 
que,  dans  le  cas  où  quelqu'un  des  successeurs  du  premier 
consul  actuel  ne  serait  pas  catholique,  les  droits  et  préroga- 
tives mentionnés  dans  l'article  ci-dessus  et  la  nomination 
aux  évêchés  seront  réglés,  par  rapport  à  lui,  par  une  nou- 
velle convention. 

Les  ratifications  seront  échangées  à  Paris,  dans  l'espace 
de  quarante  jours. 

Fait  à  Paris,  le  26  messidor  de  l'an  IX  de  la  République  /Van- 
nai*? (15  juillet  1801). 

Signé  :  Joseph  Bonaparte. 

Herculus  card  'uialis  Consalvi  ,  Cretet. 
Joseph  archiep.  Coriathi ,  Bermer. 
F.  Garolus  Caselli. 


ARTICLES  ORGANIQUES  DE  LA  CONVENTION 

DU  26  MESSIDOR  AN  IX 
Et  loi  du  18  germinal  an  X 


TITRE  PREMIER.  —  Du  régime  de  l'église  catholique 
dans  ses  rapports  généraux  avec  les  droits  de  la 
police  de  l'état. 

I.  Aucune  bulle,  bref,  rescrit,  décret,  mandat,  provision, 
signature  servant  de  provision,  ni  autres  expéditions  de  la 
cour  de  Rome,  même  ne  concernant  que  les  particuliers,  ne 
pourront  être  reçus,  publiés,  imprimés,  ni  autrement  mis  à 
exécution,  sans  l'autorisation  du  gouvernement. 

II.  Aucun  individu  se  disant  nonce,  légat,  vicaire  ou  com- 
missaire apostolique,  ou  se  prévalant  de  tout  autre  dénomi- 
nation, ne  pourra,  sans  la  même  autorisation,  exercer  sur  le 
sol  français  aucune  fonction  relative  aux  affaires  de  l'Église 
gallicane. 

III.  Les  décrets  de  synodes  étrangers,  même  ceux  des 
conciles  généraux,  ne  pourront  être  publiés  en  France  avant 
que  le  gouvernement  en  ait  examiné  la  forme,  leur  confor- 
mité avec  les  lois ,  droits  et  franchises  de  la  République  fran- 
çaise, et  tout  ce  qui,  dans  leur  publication,  pourrait  altérer 
ou  intéresser  la  tranquillité  publique. 

IV.  Aucun  concile  national  ou  métropolitain,  aucun  synode 
diocésain,  aucune  assemblée  délibérante  n'aura  lieu  sans  la 
permission  expresse  du  gouvernement. 

V.  Toutes  les  fonctions  ecclésiastiques  seront  gratuites, 
sauf  les  oblations  qui  seraient  autorisées  et  fixées  par  les 
gouvernements. 


APPENDICE 


383 


VI.  Il  y  aura  recours  au  conseil  d'État,  dans  tous  les  cas 
d'abus  de  la  part  des  supérieurs  et  autres  personnes  ecclé- 
siastiques. 

Les  cas  d'abus  sont  :  l'usurpation  ou  l'excès  de  pouvoir, 
la  contravention  aux  lois  et  règlements  de  la  République, 
l'infraction  des  règles  consacrées  par  les  canons  reçus  en 
France,  l'attentat  aux  libertés,  franchises  et  coutumes  de 
l'Église  gallicane,  et  toute  entreprise  ou  tout  procédé  qui, 
dans  l'exercice  du  culte,  peut  compromettre  l'honneur  des 
citoyens,  troubler  arbitrairement  leur  conscience,  dégénérer 
contre  eux  en  oppression,  ou  en  injure,  ou  en  scandale 
public. 

VII.  Il  y  aura  pareillement  recours  au  conseil  d'État  s'il 
est  porté  atteinte  à  l'exercice  public  du  culte  et  à  la  liberté 
que  les  lois  et  les  règlements  garantissent  à  ses  ministres. 

VIII.  Le  recours  compétera  à  toute  personne  intéressée. 
A  défaut  de  plainte  particulière,  il  sera  exercé  d'ofhce  par 
.les  préfets. 

Le  fonctionnaire  public,  l'ecclésiastique  ou  la  personne 
qui  voudra  exercer  ce  recours,  adressera  un  mémoire  détaillé 
et  signé  au  conseil  d'État  chargé  de  toutes  les  affaires  con- 
cernant les  cultes,  lequel  sera  tenu  de  prendre,  dans  le  plus 
court  délai,  tous  les  renseignements  convenables,  et,  sur  son 
rapport,  l'affaire  sera  suivie  et  définitivement  terminée  dans 
la  forme  administrative,  ou  renvoyée,  selon  l'exigence  des 
cas,  aux  autorités  compétentes. 

TITRE  II.  —  Des  ministres 
Section  première.  —  Dispositions  générales. 

IX.  Le  culte  catholique  sera  exercé  sous  la  direction  des 
archevêques  et  évèques  dans  leurs  diocèses,  et  sous  celle  des 
curés  dans  leurs  paroisses. 

X.  Tout  privilège  portant  exemption  ou  attribution  de  la 
juridiction  épiscopale  est  aboli. 

XI.  Les  archevêques  et  évêques  pourront,  avec  l'autorisa- 
tion du  gouvernement,  établir  dans  leurs  diocèses  des  cha- 
pitres cathédraux  et  des  séminaires.  Tous  les  autres  établis- 
sements ecclésiastiques  sont  supprimés. 

XII.  Il  sera  libre  aux  archevêques  et  évêques  d'ajouter  à 
leur  nom  le  titre  de  Citoyen  ou  celui  de  Monsieur.  Toutes 
autres  qualifications  sont  interdites. 


384 


APPENDICE 


Section  IL  —  Des  archevêques  ou  métropolitains. 

XIII.  Les  archevêques  consacreront  ou  installeront  leurs 
suffragants.  En  cas  d'empêchement  ou  de  refus  de  leur  part, 
ils  seront  suppléés  par  le  plus  ancien  évêque  de  l'arrondisse- 
ment métropolitain. 

XIV.  Ils  veilleront  au  maintien  de  la  foi  et  de  la  discipline 
dans  les  diocèses  dépendants  de  la  métropole. 

XV.  Ils  connaîtront  des  réclamations  et  des  plaintes  por- 
tées contre  la  conduite  et  les  décisions  des  évêques  suffra- 
gants. 

Section  III.  —  Des  évêques,  des  vicawes  généraux 
et  des  séminaires. 

XVI.  On  ne  pourra  être  nommé  évêque  avant  l'âge  de 
trente  ans,  et  si  on  n'est  originaire  Français. 

XVII.  Avant  l'expédition  de  l'arrêté  de  nomination,  celui 
ou  ceux  qui  seront  proposés  seront  tenus  de  rapporter  une 
attestation  de  bonne  vie  et  mœurs,  expédiée  par  l'évêque 
dans  le  diocèse  duquel  ils  auront  exercé  les  fonctions  du 
ministère  ecclésiastique  ;  et  ils  seront  examinés  sur  leur  doc- 
trine par  un  évêque  et  deux  prêtres,  qui  seront  commis  par 
le  premier  consul,  lesquels  adresseront  le  résultat  de  leur 
examen  au  conseil  d'État  chargé  de  toutes  les  affaires  concer- 
nant les  cultes. 

XVIII.  Le  prêtre  nommé  par  le  premier  consul  fera  les 
diligences  pour  rapporter  l'institution  du  pape. 

Il  ne  pourra  exercer  aucune  fonction  avant  que  la  bulle 
portant  son  institution  ait  reçu  l'attache  du  gouvernement, 
et  qu'il  ait  prêté  en  personne  le  serment  prescrit  par  la 
convention  passée  entre  le  gouvernement  et  le  saint- siège. 

Ce  serment  sera  prêté  au  premier  consul  ;  il  en  sera  dressé 
procès -verbal  par  le  secrétaire  d'État. 

XIX.  Les  évêques  nommeront  et  institueront  les  curés; 
néanmoins  ils  ne  manifesteront  leur  nomination  et  ils  ne 
donneront  l'institution  canonique  qu'après  que  cette  nomi- 
nation aura  été  agréée  par  le  premier  consul. 

XX.  Ils  seront  tenus  de  résider  dans  leurs  diocèses;  ils  ne 
pourront  en  sortir  qu'avec  la  permission  du  premier  consul. 

XXI.  Chaque  évêque  pourra  nommer  deux  vicaires  géné- 
raux ,  et  chaque  archevêque  pourra  en  nommer  trois  :  ils  les 


APPENDICE 


choisiront  parmi  les  prêtres  ayant  les  qualités  requises  pour 
être  évêques. 

XXII.  Ils  visiteront  annuellement  et  en  personne  une  partie 
de  leur  diocèse,  et  dans  l'espace  de  cinq  ans  le  diocèse  entier. 

En  cas  d'empêchement  légitime,  la  visite  sera  faite  par  un 
vicaire  général. 

XXXIII.  Les  évêques  seront  chargés  de  l'organisation  de 
leurs  séminaires,  et  les  règlements  de  cette  organisation 
seront  soumis  à  l'approbation  du  premier  consul. 

XXIV.  Ceux  qui  seront  choisis  pour  l'enseignement  dans 
les  séminaires  souscriront  la  déclaration  faite  par  le  clergé 
de  France  en  1682,  et  publiée  par  un  édit  de  la  même  année; 
ils  se  soumettront  à  y  enseigner  la  doctrine  qui  y  est  conte- 
nue, et  les  évêques  adresseront  une  expédition  en  forme  de 
cette  soumission  au  conseiller  d'État  chargé  de  toutes  les 
affaires  concernant  les  cultes. 

XXV.  Les  évêques  enverront,  toutes  les  années,  à  ce  con- 
seiller d'État,  le  nom  des  personnes  qui  étudieront  dans  les 
séminaires  et  qui  se  destineront  à  l'état  ecclésiastique. 

•  XXVI.  Ils  ne  pourront  ordonner  aucun  ecclésiastique,  s'il 
ne  justifie  d'une  propriété  produisant  au  moins  un  revenu 
annuel  de  trois  cents  francs,  s'il  n'a  atteint  l'âge  de  vingt- 
cinq  ans,  et  s'il  ne  réunit  les  qualités  requises  par  les  canons 
reçus  en  France. 

Les  évêques  ne  feront  aucune  ordination  avant  que  le 
nombre  des  personnes  à  ordonner  ait  été  soumis  au  gouver- 
nement, et  par  lui  agréé. 

Section  IV.  —  Des  curés. 

XXVII.  Les  curés  ne  pourront  entrer  en  fonctions  qu'après 
avoir  prêté,  entre  les  mains  du  préfet,  le  serment  prescrit 
par  la  convention  passée  entre  le  gouvernement  et  le  saint- 
siège.  Il  sera  dressé  procès-verbal  de  cette  prestation  par  le 
secrétaire  général  de  la  préfecture,  et  copie  collationnée  leur 
en  sera  délivrée. 

XXVIII.  Ils  seront  mis  en  possession  par  le  curé  ou  le 
prêtre  que  l'évêque  désignera. 

XXIX.  Ils  seront  tenus  de  résider  dans  leurs  paroisses. 

XXX.  Les  curés  seront  immédiatement  soumis  aux  évêques 
dans  l'exercice  de  leurs  fonctions. 

11* 


386 


APPENDICE 


XXXI.  Les  vicaires  et  les  desservants  exerceront  leur  mini- 
stère sous  la  surveillance  et  la  direction  des  curés. 

Ils  seront  approuvés  par  l'évêque,  et  révocables  par  lui. 

XXXII.  Aucun  étranger  ne  pourra  être  employé  dans  les 
fonctions  du  ministère  ecclésiastique ,  sans  la  permission  du 
gouvernement. 

XXXIII.  Toute  fonction  est  interdite  à  tout  ecclésias- 
tique, même  Français,  qui  n'appartient  à  aucun  diocèse. 

XXXIV.  Un  prêtre  ne  pourra  quitter  son  diocèse ,  pour 
aller  desservir  dans  un  autre,  sans  la  permission  de  son 
évêque. 

Section  V.  —  Des  chapitres  cathédraux ,  et  du  gouverne- 
ment des  diocèses  pendant  la  vacance  du  siège. 

XXXV.  Les  archevêques  et  évêques  qui  voudront  user  de 
la  faculté  qui  leur  est  donnée  d'établir  des  chapitres  ne 
pourront  le  faire  sans  avoir  rapporté  l'autorisation  du  gou- 
vernement, tant  pour  l'établissement  lui-même  que  pour  le 
nombre  et  le  choix  des  ecclésiastiques  destinés  à  les  former. 

XXXVI.  Pendant  la  vacance  des  sièges,  il  sera  pourvu  par 
Je  métropolitain,  et  à  son  défaut  par  le  plus  ancien  des 
évêques  suffragants,  au  gouvernement  des  diocèses. 

Les  vicaires  généraux  de  ces  diocèses  continueront  leurs 
fonctions ,  même  après  la  mort  de  l'évêque ,  jusqu'à  rempla- 
cement. 

XXXVII.  Les  métropolitains,  les  chapitres  cathédraux, 
seront  tenus,  sans  délai,  de  donner  avis  au  gouvernement 
de  la  vacance  des  sièges,  et  des  mesures  qui  auront  été 
prises  pour  le  gouvernement  des  diocèses  vacants. 

XXXVIII.  Les  vicaires  généraux  qui  gouverneront  pendant 
la  vacance,  ainsi  que  les  métropolitains  ou  capitulaires,  ne 
se  permettront  aucune  innovation  dans  les  usages  et  cou- 
tumes du  diocèse. 

TITRE  III.  —  Du  culte 

XXXIX.  Il  n'y  aura  qu'une  liturgie  et  un  catéchisme  pour 
toutes  les  églises  catholiques  de  France. 

XL.  Aucun  curé  ne  pourra  ordonner  des  prières  publiques 
extraordinaires  dans  sa  paroisse,  sans  la  permission  spéciale 
de  l'évêque. 


APPENDICE 


387 


XLI.  Aucifne  fête,  à  l'exception  du  dimanche,  ne  pourra 
être  établie  sans  la  permission  du  gouvernement. 

XLII.  Les  ecclésiastiques  useront,  dans  les  cérémonies 
religieuses,  des  habits  et  ornements  convenables  à  leur  titre; 
ils  ne  pourront,  dans  aucun  cas  ni  sous  aucun  prétexte, 
prendre  la  couleur  et  les  marques  réservées  aux  évêques. 

XLIII.  Tous  les  ecclésiastiques  seront  habillés  à  la  fran- 
çaise et  en  noir. 

Les  évêques  pourront  joindre  à  ce  costume  la  croix  pasto- 
rale et  les  bas  violets. 

XLIV.  Les  chapelles  domestiques,  les  oratoires  particu- 
liers, ne  pourront  être  établis  sans  une  permission  expresse 
du  gouvernement,  accordée  sur  la  demande  de  l'évêque. 

XLV.  Aucune  cérémonie  religieuse  n'aura  lieu  hors  des 
édifices  consacrés  au  culte  catholique,  dans  les  villes  où  il 
y  a  des  temples  destinés  à  différents  cultes. 

XLVI.  Le  même  temple  ne  pourra  être  consacré  qu'à  un 
même  culte. 

XLVII.  Il  y  aura  dans  les  cathédrales  et  paroisses  une 
place  distinguée  pour  les  individus  catholiques  qui  remplissent 
des  fonctions  civiles  ou  militaires. 

XLYIII.  L'évêque  se  concertera  avec  le  préfet  pour  régler 
la  manière  d'appeler  les  fidèles  au  service  divin  par  le  son 
des  cloches.  On  ne  pourra  les  sonner  pour  toute  autre  cause 
sans  la  permission  de  la  police  locale. 

XLIX.  Lorsque  le  gouvernement  ordonnera  des  prières 
publiques,  les  évêques  se  concerteront  avec  le  préfet  et  le 
commandant  militaire  du  lieu  pour  le  jour,  l'heure  et  le  mode 
d'exécution  de  ces  ordonnances. 

L.  Les  prédications  solennelles  appelées  sermons,  et  celles 
connues  sous  le  nom  de  stations  de  l'Avent  et  du  Carême , 
ne  seront  faites  que  par  des  prêtres  qui  en  auront  obtenu 
une  autorisation  spéciale  de  l'évêque. 

LI.  Les  curés,  aux  prônes  des  messes  paroissiales,  prie- 
ront et  feront  prier  pour  la  prospérité  delà  République  fran- 
çaise et  pour  les  consuls. 

LU.  Ils  ne  se  permettront  ,  dans  leurs  instructions,  aucune 
inculpation  directe  ou  indirecte,  soit  contre  les  personnes, 
soit  contre  les  autres  cultes  autorisés  dans  l'État. 

LUI.  Ils  ne  feront  au  prône  aucune  publication  étrangère 
à  l'exercice  du  culte,  à  moins  qu'ils  n'y  soient  autorisés  par 
le  gouvernement. 


388 


APPENDICE 


LIV.  Ils  ne  donneront  la  bénédiction  nuptiale  qu'à  ceux 
qui  justifieront,  en  bonne  et  due  forme,  avoir  contracté  ma- 
riage devant  l'officier  civil. 

LV.  Les  registres  tenus  par  les  ministres  du  culte  n'étant 
et  ne  pouvant  être  relatifs  qu'à  l'administration  des  sacre- 
ments ne  pourront,  dans  aucun  cas,  suppléer  les  registres 
ordonnés  par  la  loi  pour  constater  l'état  civil  des  Français. 

LVI.  Dans  tous  les  actes  ecclésiastiques  et  religieux,  on 
sera  obligé  de  se  servir  du  calendrier  d'équinoxe  établi  par 
les  lois  de  la  République;  on  désignera  les  jours  par  les  noms 
qu'ils  avaient  dans  le  calendrier  des  solstices. 

LYII.  Le  repos  des  fonctionnaires  publics  sera  fixé  au 
dimanche. 

TITRE  IV.  —  De  la  circonscription  des  archevêchés  et 

DES  PAROISSES;  DES  ÉDIFICES  DESTINÉS  AU  CULTE  ET  DU 
TRAITEMENT  DES  MINISTRES. 

Section  première.  —  De  la  circonscription  des  archevê- 
chés et  des  évêchés. 

LV1II.  Il  y  aura  en  France  dix  archevêchés  ou  métropoles 
et  cinquante  évêchés. 

LIX.  La  circonscription  des  métropoles  et  des  diocèses 
sera  faite  conformément  au  tableau  ci -joint. 

Section  II.  —  Da  la  circonscription  des  paroisses. 

LX.  Il  y  aura  au  moins  une  paroisse  par  justice  de  paix. 

Il  sera  en  outre  établi  autant  de  succursales  que  le  besoin 
pourra  l'exiger. 

LXI.  Chaque  évêque,  de  concert  avec  le  préfet,  réglera  le 
nombre  et  l'étendue  de  ces  succursales.  Les  plans  arrêtés 
seront  soumis  au  gouvernement,  et  ne  pourront  être  mis  à 
exécution  sans  son  autorisation. 

LXII.  Aucune  partie  du  territoire  français  ne  pourra  être 
érigée  en  cure  ou  en  succursale  sans  l'autorisation  expresse 
du  gouvernement. 

LXIII.  Les  prêtres  desservant  les  succursales  sont  nom- 
més par  les  évêques. 


APPENDICE 


380 


Section  III.  —  Du  traitement  des  ministres. 

LXIY.  Le  traitement  des  archevêques  sera  de  15 (XX)  fir. 

LXV.  Le  traitement  des  évêques  sera  de  10000  fr. 

LXVL  Les  curés  seront  distribués  en  deux  classes. 

Le  traitement  des  curés  de  la  première  classe  sera  porté 
à  1500  fr.;  celui  des  curés  de  la  seconde  classe,  à  1000  fr. 

LXVII.  Les  pensions  dont  ils  jouissent,  en  exécution  des 
lois  de  l'Assemblée  constituante,  seront  précomptées  sur 
leur  traitement. 

Les  conseils  municipaux  des  grandes  communes  pourront, 
sur  leurs  biens  ruraux  ou  sur  leurs  octrois,  leur  accorder 
une  augmentation  de  traitement,  si  les  circonstances  l'exigent. 

LXVIII.  Les  vicaires  et  desservants  seront  choisis  parmi 
les  ecclésiastiques  pensionnés  en  exécution  des  lois  de  l'As- 
semblée constituante. 

Le  montant  de  ces  pensions  et  le  produit  des  oblations 
formeront  leur  traitement. 

LXIX.  Les  évêques  rédigeront  les  projets  de  règlements 
relatifs  aux  oblations  que  les  ministres  du  culte  sont  autori- 
sés à  recevoir  pour  l'administration  des  sacrements.  Les 
projets  de  règlements  rédigés  par  les  évêques  ne  pourront 
être  publiés,  ni  autrement  mis  à  exécution,  qu'après  avoir 
été  approuvés  par  le  gouvernement. 

LXX.  Tout  ecclésiastique  pensionnaire  de  l'État  sera  privé 
de  pension  s'il  refuse,  sans  cause  légitime ,  les  fonctions  qui 
pourront  lui  être  confiées. 

LXXL  Les  conseils  généraux  de  département  sont  autori- 
sés a  procurer  aux  archevêques  et  évêques  un  logement  con- 
venable. 

LXXII.  Les  presbytères  et  les  jardins  attenants,  non  alié- 
nés, seront  rendus  aux  curés  et  aux  desservants  des  succur- 
sales. A  défaut  de  ces  presbytères,  les  conseils  généraux 
des  communes  sont  autorisés  «à  leur  procurer  un  logement  et 
un  jardin. 

LXXIIL  Les  fondations  qui  ont  pour  objet  l'entretien  des 
ministres  et  l'exercice  du  culte  ne  pourront  consister  qu'en 
rentes  constituées  sur  l'État.  Elles  seront  acceptées  par 
l'évêque  diocésain,  et  ne  pourront  être  exécutées  qu'avec 
l'autorisation  du  gouvernement. 

LXXIV.  Les  immeubles  autres  que  les  édifices  destinés 


390 


APPENDICE 


au  logement  et  les  jardins  attenants,  ne  pourront  être  affec- 
tés à  des  titres  ecclésiastiques,  ni  possédés  par  les  ministres 
du  culte  à  raison  de  leurs  fonctions. 

Section  IV.  —  Des  édifices  destinés  au  culte. 

LXXV.  Les  édifices  anciennement  destinés  au  culte  catho- 
lique, actuellement  dans  les  mains  de  la  nation,  à  raison 
d'un  édifice  par  cure  et  par  succursale ,  seront  mis  à  la  dis- 
position des  évêques  par  arrêté  du  préfet  du  département. 
Une  expédition  de  ces  arrêtés  sera  adressée  au  conseiller 
d'État  chargé  de  toutes  les  affaires  concernant  les  cultes. 

LXXVI.  Il  sera  établi  des  fabriques  pour  veiller  à  l'en- 
tretien et  à  la  conservation  des  temples,  à  l'administration 
des  aumônes. 

LXXVII.  Dans  les  paroisses  où  il  n'y  aura  point  d'édifice 
disponible  pour  le  culte ,  l'évêque  se  concertera  avec  le  préfet 
pour  la  désignation  d'un  édifice  convenable. 


RECLAMATION 


CONTRE  LES  ARTICLES  ORGANIQUES 

FAITE  AU  NOM  DU  SIÈGE  APOSTOLIQUE 

Par  le  cardinal  Caprara,  le  18  août  1803, 
et  adressée  au  ministre  de  France  Talleyrand 

Monseigneur, 

Je  suis  chargé  de  réclamer  contre  cette  partie  de  Ja  loi  du 
18  germinal  (8  avril  1802)  que  l'on  a  désignée  sous  le  nom 
d'articles  organiques.  Je  remplis  ce  devoir  avec  d'autant 
plus  de  confiance,  que  je  compte  davantage  sur  la  bienveil- 
lance du  gouvernement  et  sur  son  attachement  sincère  aux 
vrais  principes  de  la  religion. 

La  qualification  qu'on  donne  à  ces  articles  paraîtrait 

1  S.  S.  le  pape  Pie  VII  a  protesté  personnellement  contre  la 
publication  des  articles  organiques ,  notamment  en  1802  et  en  1800. 
Voici  en  quels  termes  il  le  fit  dans  son  allocution  Quam  luctuo- 
sam,  prononcée  dans  le  consistoire  du  24  mai  1802  :  «  ...  Ani- 
madvertimus  una  cum  prailata  conventione  Nostra  nonnullos 
alios  arliculos  ignotos  Nobis,  promulgatos  esse;  quos ,  vestigiis 
prœdecessorum  Nostrorum  inhaerentes ,  haud  possumus  non 
expetere  ut  oppovtunas  ac  necessarias  modijicationes  ac  muta- 
tiones  accipiant.  —  Nous  avons  remarqué  qu'à  la  suite  de  Notre 
convention  ont  été  promulgués  quelques  articles  à  Nous  entière- 
ment inconnus.  Marchant  sur  les  traces  de  Nos  prédécesseurs, 
c'est  pour  Nous  un  devoir  de  demander  que  ces  articles  reçoivent 
des  modifications  convenables  et  subissent  des  changements  né- 
cessaires. » 

Dans  la  bulle  Quam  memoranda,  du  10  juin  1809,  Sa  Sainteté 
sexprime  ainsi  :  «  Quam  sane  amaritudinem  non  dissimulavi- 


302 


APPENDICE 


d'abord  supposer  qu'ils  ne  sont  que  la  suite  naturelle  et 
l'explication  du  Concordat  religieux;  cependant  il  est  de  fait 
qu'ils  n'ont  point  été  concertés  avec  le  saint- siège,  qu'ils 
ont  une  extension  plus  grande  que  le  Concordat  ,  et  qu'ils 
établissent  en  France  un  code  ecclésiastique  sans  le  concours 
du  saint-siège.  Comment  Sa  Sainteté  pourrait-elle  l'admettre, 
n'ayant  pas  même  été  invitée  à  l'examiner  ?  Ce  code  a  pour 
objet  la  doctrine,  les  mœurs,  la  discipline  du  clergé,  les 
devoirs  des  évêques,  ceux  des  ministres  inférieurs,  leurs 
relations  avec  le  saint -siège  et  le  mode  d'exercice  de  leur 
juridiction.  Or  tout  cela  tient  aux  droits  imprescriptibles  de 
l'Église  :  elle  a  reçu  de  Dieu  seul  l'autorisation  de  décider 
les  questions  de  la  doctrine  sur  la  foi  ou  sur  les  règles  des 
mœurs,  et  de  faire  des  canons  ou  des  règles  de  discipline. 

M.  d'Héricourt,  l'historien  Fleury,  les  plus  célèbres  avo- 
cats généraux  et  M.  de  Gastillon  lui-même,  avouaient  ces 
vérités.  Ce  dernier  reconnaît  dans  l'Église  «  le  pouvoir  qu'elle 
a  reçu  de  Dieu  pour  conserver,  par  l'autorité  de  la  prédica- 
tion, des  lois  et  des  jugements,  la  règle  de  la  foi  et  des 
mœurs ,  la  discipline  nécessaire  à  l'économie  de  son  gouver- 
nement, la  succession  et  la  perpétuité  de  son  ministère1  ». 

Sa  Sainteté  n'a  donc  pu  voir  qu'avec  une  extrême  douleur 
qu'en  négligeant  de  suivre  ces  principes,  la  puissance  civile 
ait  voulu  régler,  décider,  transformer  en  lois  des  articles  qui 
intéressent  essentiellement  les  mœurs,  la  discipline,  les 
droits  de  l'instruction  et  la  juridiction  ecclésiastique.  N'est- 
il  pas  à  craindre  que  cette  innovation  n'engendre  les  défiances, 
qu'elle  ne  fasse  croire  que  l'Église  de  France  est  asservie, 

mus,  ipsisque  Fratribus  Nostris  sanctœ  Romanae  Ecclesia?  cardi- 
nalibus,  in  allocutione  ad  ipsos  habita  in  consistorio  diei  24  maii 
anni  1802  :  significantes  scilicet,  ea  promulgatione  nonnullos 
initae  conventioni  adjectos  fuisse  articulos,  ignotos  Nobis ,  quos 
statim  improbavirnus.  —  Cette  douleur  amère.  Nous  ne  l'avons 
pas  cachée  à  Nos  frères  les  cardinaux  de  la  sainte  Église  ro- 
maine, dans  une  allocution  prononcée  dans  le  consistoire  du 
24  mai  1802,  leur  faisant  savoir  qu'il  a  été  ajouté  à  la  promul- 
gation de  la  convention  conclue  quelques  articles  qui  Nous 
étaient  tout  à  fait  inconnus,  et  que  Nous  avons  aussitôt  désap- 
prouvés. » 

De  leur  côté,  les  évêques  de  France  protestèrent  contre  ces 
mêmes  articles  en  1826  et  en  1829. 
1  Réquisitoire  contre  les  actes  de  rassemblée  du  clergé,  en  1765. 


APPENDICE 


393 


même  dans  les  objets  purement  spirituels,  au  pouvoir  tem- 
porel, et  qu'elle  ne  détourne  de  l'acceptation  des  places  beau- 
coup d'ecclésiastiques  méritants?  Que  sera-ce  si  nous  envi- 
sageons chacun  de  ces  articles  en  particulier? 

Le  premier  veut  «  qu'aucune  bulle,  bref,  etc.,  émanés  du 
Saint-siège,  ne  puissent  être  mis  à  exécution,  ni  même  pu- 
bliés, sans  l'autorisation  du  gouvernement  ». 

Cette  disposition  prise  dans  toute  cette  étendue  ne  blesse- 
t-elle  pas  évidemment  la  liberté  de  renseignement  ecclésias- 
tique? Ne  soumet-elle  pas  la  publication  des  vérités  chré- 
tiennes à  des  formalités  gênantes?  Ne  met-elle  pas  les 
décisions  concernant  la  foi  et  la  discipline  sous  la  dépen- 
dance absolue  du  pouvoir  temporel?  Ne  donne -t-elle  pas  à 
la  puissance  qui  serait  tentée  d'en  abuser  les  droits  et  les 
facilités  d'arrêter,  de  suspendre,  d'étouffer  même  le  langage 
de  la  vérité,  qu'un  pontife  fidèle  à  ses  devoirs  voudrait  adres- 
ser aux  peuples  confiés  à  sa  sollicitude? 

Telle  ne  fut  jamais  la  dépendance  de  l'Église,  même  dans 
les  premiers  siècles  du  christianisme.  Nulle  puissance  n'exi- 
'geait  alors  la  vérification  de  ses  décrets.  Cependant  elle  n'a 
pas  perdu  de  ses  prérogatives  en  recevant  des  empereurs 
dans  son  sein.  Elle  0 oit  jouir  de  la  même  juridiction  dont 
elle  jouissait  sous  les  empereurs  païens.  Il  n'est  jamais  per- 
mis d'y  donner  atteinte,  parce  qu'elle  la  tient  de  Jesus- 
Christ[.  Avec  quelle  peine  le  saint-siègp  ne  doit-il  pas  voir 
les  entraves  qu'on  veut  mettre  à  ses  droits  ? 

Le  clergé  de  France  reconnaît  lui-même  que  les  jugements 
du  saint-siège,  et  auxquels  adhère  le  corps  épiscopal,  sont 
irréfragables:  pourquoi  auraient -ils  donc  besoin  de  l'auto- 
risation du  gouvernement,  puisque,  suivant  les  principes 
gallicans,  ils  tirent  toute  leur  force  de  l'autorité  qui  les  pro- 
nonce et  de  celle  qui  les  admet?  Le  successeur  de  Pierre 
doit  confirmer  ses  frères  dans  la  foi,  suivant  les  expres- 
sions de  l'Écriture;  or  comment  pourra-t-il  le  faire  si,  sur 
chaque  article  qu'il  enseignera,  il  peut  être  à  chaque  instant 
arrêté  par  le  relus  ou  le  défaut  de  vérification  de  la  part  du 
gouvernement  temporel?  Ne  suit -il  pas  évidemment  de  ces 
dispositions  que  l'Église  ne  pourra  plus  savoir  et  croire  que 
ce  qu'il  plaira  au  gouvernement  de  laisser  publier? 

Cet  article  blesse  la  délicatesse  et  le  secret  constamment 

1  D'Héricourt,  Lois  ecclésiastiques. 


394 


APPENDICE 


observés  dans  les  affaires  de  la  Pénitencerie.  Tout  particulier 
peut  s'y  présenter  avec  confiance  et  sans  crainte  de  voir  ses 
faiblesses  dévoilées.  Cependant  cet  article,  qui  n'excepte 
rien,  veut  que  les  brefs,  même  personnels,  émanés  de  la 
Pénitencerie,  soient  vérifiés.  Il  faudra  donc  que  les  secrets 
de  famille  et  la  suite  malheureuse  des  faiblesses  humaines 
soient  mis  au  grand  jour,  pour  obtenir  la  permission  d'user 
de  ces  brefs?  Quelle  gêne!  quelles  entraves  !  Le  parlement 
lui-même  ne  les  admettait  pas,  car  il  exceptait  de  la  vérifi- 
cation les  provisions,  les  brefs  de  la  Pénitencerie  et  autres 
expéditions  concernant  les  affaires  des  'particuliers. 

Le  second  article  déclare  «  qu'aucun  légat,  nonce  ou  délé- 
gué du  saint-siège  ne  pourra  exercer  ses  pouvoirs  en  France 
sans  la  même  autorisation  ».  Je  ne  puis  que  répéter  ici  les 
justes  observations  que  je  viens  de  faire  sur  le  premier 
article  :  l'un  frappe  la  liberté  de  l'enseignement  dans  sa 
source ,  l'autre  l'atteint  dans  ses  agents  ;  le  premier  met  des 
entraves  à  la  publication  de  la  vérité,  le  second  à  l'apostolat 
de  ceux  qui  sont  chargés  de  l'annoncer.  Cependant  Jésus- 
Christ  a  voulu  que  sa  divine  parole  fût  constamment  libre, 
qu'on  pût  la  prêcher  sur  les  toits,  dans  toutes  les  nations 
et  auprès  de  tous  les  gouvernements.  Comment  allier  ce 
dogme  catholique  avec  l'indispensable  formalité  d'une  vérifi- 
cation de  pouvoirs  et  d'une  permission  civile  de  les  exercer? 
Les  apôtres  et  les  premiers  pasteurs  de  l'Église  naissante 
eussent -ils  pu  prêcher  l'Évangile,  si  les  gouvernements 
eussent  exercé  sur  eux  un  pareil  droit  ? 

Le  troisième  article  étend  cette  mesure  aux  canons  des 
conciles  même  généraux.  Ces  assemblées  si  célèbres  n'ont 
eu  nulle  part  plus  qu'en  France  de  respect  et  de  vénération, 
comment  se  fait-il  donc  que  chez  cette  même  nation  elles 
éprouvent  tant  d'obstacles,  et  qu'une  formalité  civile  donne 
le  droit  d'en  éluder,  d'en  rejeter  même  les  décisions? 

On  veut,  dit-on,  les  examiner.  Mais  la  voie  d'examen, 
en  matière  religieuse,  est  proscrite  dans  le  sein  de  l'Église 
catholique  :  il  n'y  a  que  les  communions  protestantes  qui 
l'admettent ,  et  de  là  est  venue  cette  étonnante  variété  qui 
rè<xne  dans  leurs  croyances. 

Quel  serait  d'ailleurs  le  but  de  ces  examens?  celui  de 
reconnaître  si  les  canons  des  conciles  sont  conformes  aux 
lois  françaises?  Mais  si  plusieurs  de  ces  lois,  telles  que 
celles  sur  le  divorce,  sont  en  opposition  avec  le  dogme  catho- 


APPENDICE 


395 


lique,  il  faudra  donc  rejeter  les  canons  et  préférer  les  lois, 
quelque  injuste  ou  erroné  qu'en  soit  l'objet?  Qui  pourra 
adopter  une  pareille  conclusion?  Ne  serait-ce  pas  sacrifier  la 
religion ,  ouvrage  de  Dieu  même ,  aux  ouvrages  toujours  im- 
parfaits et  souvent  injustes  des  hommes? 

Je  sais  que  notre  obéissance  doit  être  raisonnable  ;  mais 
n'obéir  qu'avec  des  motifs  suffisants  n'est  pas  avoir  le  droit, 
non  seulement  d'examiner,  mais  de  rejeter  arbitrairement 
tout  ce  qui  nous  déplaît. 

Dieu  n'a  promis  cette  infaillibilité  qu'à  son  Église  :  les 
sociétés  humaines  peuvent  se  tromper;  les  plus  sages  légis- 
lateurs en  ont  été  la  preuve.  Pourquoi  donc  comparer  les 
décisions  d'une  autorité  irréfragable  avec  celle  d'une  puis- 
sance qui  peut  errer,  et  faire,  dans  cette  comparaison,  pen- 
cher la  balance  en  faveur  de  cette  dernière?  Chaque  puissance 
a  d'ailleurs  les  mêmes  droits;  ce  que  la  France  ordonne, 
l'Espagne  et  l'Empire  peuvent  l'exiger;  et  comme  les  lois 
sont  partout  différentes,  il  s'ensuivra  que  l'enseignement  de 
TÉglise  devra  varier  suivant  les  peuples  pour  se  trouver 
d'accord  avec  les  lois. 

Dira-t-on  que  le  parlement  français  en  agissait  ainsi  ?  Je  le 
sais  ;  mais  il  n'examinait,  suivantsa  déclaration  du!24  mai  4766, 
que  ce  qui  pouvait,  dans  la  publication  des  canons  et  des 
bulles,  altérer  ou  intéresser  la  tranquillité  publique,  et  non 
leur  conformité  avec  des  lois  qui  pouvaient  changer  dès  le 
lendemain. 

Cet  abus  d'ailleurs  ne  pourrait  être  légitimé  par  l'usage, 
et  le  gouvernement  en  sentait  si  bien  les  inconvénients, 
qu'il  disait  au  parlement  de  Paris,  le  6  avril  1757,  par  l'or- 
gane de  M.  d'Aguesseau  :  «  Il  semble  qu'on  cherche  à  affai- 
blir le  pouvoir  qu'a  l'Église  de  faire  des  décrets,  en  le  fai- 
sant tellement  dépendre  de  la  puissance  civile  de  son  con- 
cours, que,  sans  ce  concours,  les  plus  saints  décrets  de 
l'Église  ne  puissent  obliger  les  sujets  du  roi.  » 

Enfin  ces  maximes  n'avaient  lieu  dans  les  parlements, 
suivant  la  déclaration  de  1766,  que  pour  rendre  les  décrets 
de  l'Église  lois  de  l'État,  et  en  ordonnner  l'exécution  avec 
défense,  sous  les  peines  temporelles,  d'y  contrevenir.  Or 
ces  motifs  ne  sont  plus  ceux  qui  dirigent  aujourd'hui  le  gou- 
vernement, puisque  la  religion  n'est  plus  la  religion  de 
l'État,  mais  uniquement  celle  de  la  majorité  des  Français. 

L'article  5  déclare  qu'il  y  aura  recours  au  conseil  d'État 


396 


APPENDICE 


pour  tous  les  cas  d'abus.  Mais  quels  sont- ils?  L'article  ne 
les  spécifie  que  d'une  manière  générique  et  indéterminée. 

On  dit,  par  exemple,  qu'un  des  cas  d'abus  est  l'usurpa- 
tion et  l'excès  de  pouvoir.  Mais,  en  matière  de  juridiction 
spirituelle,  l'Église  en  est  le  seul  juge;  il  n'appartient  qu'à 
elle  de  déclarer  «  en  quoi  l'on  a  excédé  ou  abusé  des  pou- 
voirs qu'elle  seule  peut  conférer  »  ;  la  puissance  temporelle 
ne  peut  connaître  l'abus  excessif  d'une  chose  qu'elle  n'ac- 
corde pas. 

Un  second  cas  d'abus  est  la  «  contravention  aux  lois  et 
règlements  de  la  République  »  ;  mais  si  ces  lois,  si  ces 
règlements  sont  en  opposition  avec  la  doctrine  chrétienne , 
faudra-t-il  que  le  prêtre  les  observe  de  préférence  à  la  foi  de 
Jésus-Christ?  Telle  ne  fut  jamais  l'intention  du  gouvernement. 

On  range  dans  la  classe  des  abus  «  l'infraction  des  règles 
consacrées  en  France  par  les  saints  canons  ».  Mais  ces  règles 
ont  dû  émaner  de  l'Église  ;  c'est  donc  à  elle  seule  de  pro- 
noncer sur  leur  infraction,  car  elle  seule  en  connaît  l'esprit 
et  les  dispositions. 

On  dit  enfin  qu'il  y  a  lieu  à  Y  appel  comme  d'abus  pour 
toute  entreprise  qui  tend  à  compromettre  l'honneur  des 
citoyens,  à  troubler  leur  conscience,  ou  qui  dégénère 
contre  eux  en  oppression,  injure  ou  scandale  public  d'après 
la  loi. 

Mais  si  un  divorcé ,  si  un  hérétique  connu  en  public  se 
présente  pour  recevoir  les  sacrements ,  et  qu'on  les  lui  refuse, 
il  prétendra  qu'on  lui  a  fait  injure,  il  criera  au  scandale,  il 
portera  sa  plainte,  on  l'admettra  d'après  la  loi;  et  cependant 
le  prêtre  inculpé  n'aura  fait  que  son  devoir,  puisque  les 
sacrements  ne  doivent  jamais  être  conférés  à  des  personnes 
notoirement  indignes. 

En  vain  s'appuierait-on  sur  l'usage  constant  des  appels 
comme  d'abus.  Cet  usage  ne  remonte  pas  au  delà  du  règne 
de  Philippe  de  Valois,  mort  en  1350;  il  n'a  jamais  été  con- 
stant et  uniforme  :  il  a  varié  suivant  les  temps;  les  parle- 
ments avaient  un  intérêt  particulier  à  l'accréditer  :  ils  aug- 
mentaient leurs  pouvoirs  et  leurs  attributions;  mais  ce  qui 
flatte  n'est  pas  toujours  juste.  Ainsi  Louis  XIV,  par  Pédit 
de  1695,  art  34,  36,  37,  n'attribuait-il  aux  magistrats  sécu- 
liers que  Y  examen  des  formes,  en  leur  prescrivant  de  ren- 
voyer le  fond  an  supérieur  ecclésiastique.  Or  cette  restriction 
n'existe  nullement  dans  les  articles  oryaniques.  Ils  attribuent 


APPENDICE 


397 


indistinctement  au  conseil  d'État  le  jugement  de  la  forme  et 
celui  du  fond. 

D'ailleurs  les  magistrats  qui  prononçaient  alors  sur  ces 
cas  d'abus  étaient  nécessairement  catholiques;  ils  étaient 
obligés  de  l'affirmer  sous  la  foi  du  serment,  tandis  qu'au- 
jourd'hui ils  peuvent  appartenir  à  des  sectes  séparées  de 
l'Église  catholique  et  avoir  à  prononcer  sur  des  objets  qui 
l'intéressent  essentiellement. 

L'article  9  veut  que  le  culte  soit  exercé  sous  la  direction 
des  archevêques,  des  évêques  et  des  curés.  Mais  le  mot 
direction  ne  rend  pas  ici  les  droits  des  archevêques  et  évêques  : 
ils  ont,  de  droit  divin,  non  seulement  le  droit  de  diriger, 
mais  encore  celui  de  définir,  d'ordonner  et  de  juger.  Les 
pouvoirs  des  curés  dans  les  paroisses  ne  sont  pas  les  mêmes 
que  ceux  des  évêques  dans  les  diocèses;  on  n'aurait  donc 
pas  dû  les  exprimer  de  la  même  manière  et  dans  les  mêmes 
articles ,  pour  ne  pas  supposer  une  identité  qui  n'existe  pas. 

Pourquoi  d'ailleurs  ne  pas  faire  ici  mention  des  droits  de 
•Sa  Sainteté?  A-t-on  voulu  lui  ravir  un  droit  général  qui  lui 
appartient  essentiellement? 

L'article  10,  en  abolissant  toute  exemption  ou  attribution 
de  la  juridiction  épiscopale,  prononce  évidemment  sur  une 
matière  purement  spirituelle  ;  car  si  les  territoires  exempts 
sont  aujourd'hui  soumis  à  l'ordinaire,  ils  ne  le  sont  qu'en 
vertu  d'un  règlement  du  saint-siège;  lui  seul  donne  à  l'ordi- 
naire une  juridiction  qu'il  n'avait  pas.  Ainsi ,  en  dernière 
analyse,  la  puissance  temporelle  aura  conféré  des  pouvoirs 
qui  n'appartiennent  qu'à  l'Église.  Les  exemptions,  d'ailleurs, 
ne  sont  pas  aussi  abusives  qu'on  l'a  imaginé.  Saint  Grégoire 
lui-même  les  avait  admises,  et  les  puissances  temporelles 
ont  eu  souvent  le  soin  d'y  recourir. 

L'article  11  supprime  tous  les  établissements  religieux, 
à  l'exception  des  séminaires  ecclésiastiques  et  des  chapitres. 
A-t-on  bien  réfléchi  sur  cette  suppression?  Plusieurs  de  ces 
établissements  étaient  d'une  utilité  reconnue  ;  le  peuple  les 
aimait;  ils  le  secouraient  dans  ses  besoins;  la  piété  les  avait 
fondés;  l'Église  les  avait  solennellement  approuvés,  sur  la 
demande  même  des  souverains  :  «  elle  seule  pouvait  donc  en 
prononcer  la  suppression.  » 

L'article  14  ordonne  aux  archevêques  de  veiller  au  main- 
tien de  la  foi  et  de  la  discipline  dans  les  diocèses  de  leurs 
suffragants.  Nul  devoir  n'est  plus  indispensable  ni  plus  sacré, 
II  12 


398 


APPENDICE 


mais  il  est  aussi  le  devoir  du  saint-siège  pour  toute  l'Eglise. 
Pourquoi  donc  n'avoir  pas  fait  mention  dans  l'article  de 
cette  surveillance  générale?  Est-ce  un  oubli?  est-ce  une  ex- 
clusion ? 

L'article  15  autorise  les  archevêques  à  connaître  des  récla- 
mations et  des  plaintes  portées  contre  la  conduite  et  les 
décisions  des  évêques  sufï'ragants.  Mais  que  feront  les  évêques 
si  les  métropolitains  ne  leur  rendent  pas  justice?  A  qui 
s'adresseront -ils  donc  pour  l'obtenir?  A  quel  tribunal  en 
appelleront-ils  de  la  conduite  des  archevêques  à  leur  égard? 
C'est  une  difficulté  d'une  importance  majeure  et  dont  on  ne 
parle  pas.  Pourquoi  ne  pas  ajouter  que  le  souverain  pontife 
fait  alors  connaître  de  ces  différends  par  voie  d'appellation , 
et  prononcer  définitivement  suivant  ce  qui  est  enseigné  par 
les  saints  canons? 

L'article  17  paraît  établir  le  gouvernement  juge  de  la  foi, 
des  mœurs  et  de  la  capacité  des  évêques  nommés  ;  c'est  lui 
qui  les  fait  examiner,  et  qui  prononce  d'après  les  résultats  de 
l'examen.  Cependant  le  souverain  pontife  a  seul  le  droit  de 
faire,  par  lui  ou  par  ses  délégués,  parce  que  lui  seul  doit 
instituer  canoniquement,  et  que  cette  institution  canonique 
suppose  évidemment,  dans  celui  qui  accorde,  une  connais- 
sance acquise  de  la  capacité  de  celui  qui  la  reçoit.  Le  gou- 
vernement a-t-il  prétendu  nommer  tout  à  la  fois  et  se  cons- 
tituer juge  de  l'idonéité?  ce  serait  contraire  à  tous  les  droits 
et  usages  reçus  ;  ou  veut-il  seulement  s'assurer  par  cet  exa- 
men que  son  choix  n'est  pas  tombé  sur  un  sujet  indigne  de 
l'épiscopat  ?  C'est  ce  qu'il  importe  d'expliquer. 

Je  sais  que  l'ordonnance  de  Blois  prescrivait  un  pareil 
examen  ;  mais  le  gouvernement  consentit  lui-même  à  y  déro- 
ger. Il  fut  statué,  par  une  convention  secrète,  que  les 
nonces  de  Sa  Sainteté  feraient  seuls  ces  informations.  On 
doit  donc  suivre  aujourd'hui  cette  même  marche,  parce  que 
l'article  4  du  Concordat  veut  que  Y  institution  canonique  soit 
conférée  aux  évêques  dans  les  formes  établies  avant  le  chan- 
gement de  gouvernement. 

L'article  22  ordonne  aux  évêques  de  visiter  leurs  diocèses 
dans  l'espace  de  cinq  années.  La  discipline  ecclésiastique 
restreignait  davantage  le  temps  de  ces  visites  ;  l'Église  l'avait 
ainsi  ordonné  pour  de  graves  et  solides  raisons  ;  il  semble , 
d'après  cela,  qu'il  n'appartient  qu'à  elle  seule  de  changer 
cette  disposition. 


APPENDICE 


399 


On  exige,  par  l'article  24,  que  les  directeurs  des  séminaires 
souscrivent  à  la  déclaration  de  1 082  et  enseignent  la  doctrine 
qui  y  est  contenue.  Pourquoi  jeter  de  nouveau  au  milieu  des 
Français  ce  germe  de  discorde?  Ne  sait-on  pas  que  les  auteurs 
de  celte  déclaration  l'ont  eux-mêmes  désavouée J  Sa  Sainteté 
peut-elle  admettre  ce  que  ses  prédécesseurs  les  plus  immé- 
diats ont  eux-mêmes  rejeté?  Ne  doit -elle  pas  s'en  tenir  à 
ce  qu'ils  ont  prononcé?  Pourquoi  souffrirait-elle  que  l'orga- 
nisation d'une  Église  qu'elle  relève  au  prix  de  tant  de  sacri- 
fices consacrât  des  principes  qu'elle  ne  peut  avouer?  Ne  vaut-il 
pas  mieux  que  les  directeurs  des  séminaires  s'engagent  à 
enseigner  une  morale  saine,  plutôt  qu'une  déclaration  qui 
fut  et  sera  toujours  une  source  de  division  entre  la  France 
et  le  saint-siège? 

On  veut,  article  25,  que  les  évêques  envoient  tous  les  ans 
l'état  des  ecclésiastiques  étudiant  dans  leurs  séminaires; 
pourquoi  leur  imposer  cette  nouvelle  gêne?  Elle  a  été  incon- 
nue et  inusitée  dans  tous  les  siècles  précédents. 

L'article  26  veut  qu'ils  ne  puissent  ordonner  que  des 
hommes  de  vingt-cinq  ans;  mais  l'Église  a  fixé  l'âge  de  vingt 
et  un  ans  pour  le  sous-diaconat,  et  celui  de  vingt-quatre  ans 
accomplis  pour  le  sacerdoce.  Qui  pourrait  abolir  ces  usages, 
sinon  l'Église  elle-même?  Prétend-on  n'ordonner,  même  des 
sous-diacres,  qu'à  vingt-cinq  ans?  Ce  serait  prononcer  l'ex- 
tinction de  l'Église  de  France  par  le  défaut  des  ministres; 
car  il  est  certain  que  plus  on  éloigne  le  moment  de  recevoir 
les  ordres,  et  moins  ils  sont  conférés.  Cependant  tous  les  dio- 
cèses se  plaignent  de  la  disette  de  prêtres;  peut-on  espérer 
qu'ils  en  obtiennent,  quand  on  exige  pour  les  ordinands  un 
titre  clérical  de  300  francs  de  revenu  ?  Il  est  indubitable  que 
cette  clause  fera  déserter  partout  les  ordinations  et  les  sémi- 
naires. Il  en  sera  de  même  de  la  clause  qui  oblige  l'évèque  à 
demander  la  permission  du  gouvernement  pour  ordonner  ; 
cette  clause  est  évidemment  opposée  à  la  liberté  du  culte, 
garantie  à  la  France  par  l'article  1"  du  dernier  Concordat. 
Sa  Sainteté  désire,  et  le  bien  de  la  religion  exige,  que  le 
gouvernement  adoucisse  les  rigueurs  de  ces  dispositions  sur 
ces  trois  objets. 

L'article  35  exige  que  les  évêques  soient  autorisés  par  le 
gouvernement  pour  l'établissement  des  chapitres.  Cependant 
cette  autorisation  leur  était  accordée  par  l'article  11  du  Con- 
cordat. Pourquoi  donc  en  exiger  une  nouvelle,  quand  une 


400 


APPENDICE 


convention  solennelle  a  déjà  permis  ces  établissements?  La 
même  obligation  est  imposée  par  l'article  23  pour  les  sémi- 
naires ,  quoiqu'ils  aient  été ,  comme  les  chapitres ,  spéciale- 
ment autorisés  par  le  gouvernement.  Sa  Sainteté  voit  avec 
douleur  qu'on  multiplie  de  cette  manière  les  entraves  et  les 
difficultés  pour  les  évêques.  L'édit  de  mai  4763  exemptait 
formellement  les  séminaires  de  prendre  des  lettres  patentes1, 
et  la  déclaration  du  16  juin  1659,  qui  paraissait  les  y  assu- 
jettir, ne  fut  enregistrée  qu'avec  cette  clause  :  sans  préju- 
dice des  séminaires ,  qui  seront  établis  par  les  évêques 
pour  l'institution  des  prêtres  seulement.  Telles  étaient  aussi 
les  dispositions  de  l'ordonnance  de  Blois ,  article  25 ,  et  de 
l'édit  de  Melun,  article  1er.  Pourquoi  ne  pas  adopter  ces 
principes?  A  qui  appartient-il  de  régler  l'instruction  dogma- 
tique et  morale  d'un  séminaire,  sinon  à  l'évêque?  De  pa- 
reilles matières  peuvent -elles  intéresser  le  gouvernement 
temporel? 

Il  est  de  principe  que  le  vicaire  général  et  l'évêque  sont  une 
seule  personne,  et  que  la  mort  de  celui-ci  entraîne  la  cessa- 
tion des  pouvoirs  de  l'autre  ;  cependant ,  au  mépris  de  ce 
principe,  l'article  36  proroge  aux  vicaires  généraux  leurs 
pouvoirs  après  la  mort  de  l'évêque.  Cette  prorogation  n'est- 
elle  pas  évidemment  une  concession  de  pouvoirs  spirituels 
faite  par  le  gouvernement  sans  l'aveu  et  même  contre  l'usage 
reçu  de  l'Église? 

Ce  même  article  veut  que  les  diocèses,  pendant  la  vacance 
du  siège,  soient  gouvernés  par  le  métropolitain  ou  par  le 
plus  ancien  évêque. 

Mais  ce  gouvernement  consiste  dans  une  juridiction  spiri- 
tuelle. Gomment  le  pouvoir  temporel  pourrait-il  l'accorder? 
Les  chapitres  seuls  en  sont  en  possession.  Pourquoi  le  leur 
enlever,  puisque  l'article  11  du  Concordat  autorise  les  évêques 
à  les  établir  ? 

Les  pasteurs  appelés  par  les  époux  pour  bénir  leur  union 
ne  peuvent  le  faire,  d'après  l'article  54,  qu'après  les  forma- 
lités remplies  devant  l'officier  civil;  cette  clause  rectrictive 
el  grnanteaété  jusqu'ici  inconnue  dans  l'Église.  Il  en  résulte 
deux  espèces  d'inconvénients  : 

L'un  affecte  les  contractants,  l'autre  blesse  l'autorité  de 
l'Église  et  gêne  ses  pasteurs.  Il  peut  arriver  que  les  contrac- 


1  Mémowes  du  clergé,  tome  II. 


APPENDICE 


tants  se  contentent  de  remplir  les  formalités  civiles,  et  qu'en 
négligeant  d'observer  les  lois  de  l'Église,  ils  se  croient  légi- 
timement unis,  non  seulement  aux  yeux  de  la  loi,  quant 
aux  effets  purement  civils,  mais  encore  devant  Dieu  et  devant 
l'Église. 

Le  deuxième  inconvénient  blesse  l'autorité  de  l'Église  et 
gêne  les  pasteurs  en  ce  que  les  contractants,  après  avoir 
rempli  les  formalités  légales,  croient  avoir  acquis  le  droit  de 
forcer  les  curés  à  consacrer  leur  mariage  par  leur  présence, 
lors  môme  que  les  lois  de  l'Église  s'y  opposeraient. 

Une  telle  prétention  contrarie  ouvertement  l'autorité  que 
Jésus-Christ  a  accordée  à  son  Église,  et  fait  à  la  conscience 
des  fidèles  une  dangereuse  violence.  Sa  Sainteté,  conformé- 
ment à  l'enseignement  et  aux  principes  qu'a  établis  pour  la 
Hollande  un  de  ses  prédécesseurs,  ne  pourrait  voir  qu'avec 
peine  un  tel  ordre  de  choses;  elle  est  dans  l'intime  confiance 
que  les  choses  se  rétabliront  à  cet  égard ,  en  France ,  sur 
le  même  pied  sur  lequel  elles  étaient  d'abord  et  telles  qu'elles 
se  pratiquent  dans  les  autres  pays  catholiques.  Les  fidèles, 
•dans  tous  les  cas,  seront  obligés  à  observer  les  lois  de 
l'Église,  et  les  pasteurs  doivent  avoir  la  liberté  de  les  prendre 
pour  règle  de  conduite,  sans  qu'on  puisse,  sur  un  sujet  aussi 
important,  violenter  leurs  consciences.  Le  culte  public  de  la 
religion  catholique,  qui  est  celle  du  consul  et  de  l'immense 
majorité  de  la  nation,  attend  ces  actes  de  justice  de  la  sagesse 
du  gouvernement. 

Sa  Sainteté  voit  aussi  avec  peine  que  les  registres  soient 
enlevés  aux  ecclésiastiques  et  n'aient  plus ,  pour  ainsi  dire, 
d'autre  objet  que  de  rendre  les  hommes  étrangers  à  la  reli- 
gion dans  les  trois  instants  les  plus  importants  de  la  vie  :  la 
naissance,  le  mariage  et  la  mort;  elle  espère  que  le  gouver- 
nement rendra  aux  registres  tenus  par  les  ecclésiastiques 
la  consistance  légale  dont  ils  jouissaient  précédemment  ;  le 
bien  de  l'État  l'exige  presque  aussi  impérieusement  que  celui 
de  la  religion. 

Article  61.  Il  n'est  pas  moins  affligeant  de  voir  les  évêques 
obligés  de  se  concerter  avec  les  préfets  pour  l'érection  des 
succursales;  eux  seuls  doivent  être  juges  des  besoins  spiri- 
tuels des  fidèles.  Il  est  impossible  qu'un  travail  ainsi  com- 
biné par  deux  hommes  trop  souvent  divisés  de  principes 
offre  un  résultat  heureux  ;  les  projets  de  l'évêque  seront  con- 
trariés, et,  par  contre-coup,  le  bien  des  fidèles  en  souffrira. 


402 


APPENDICE 


L'article  74  veut  que  les  immeubles  autres  que  les  édifices 
affectés  aux  logements  et  les  jardins  attenants  ne  puissent 
être  affectés  à  des  titres  ecclésiastiques ,  ni  possédés  par  les 
ministres  du  culte  à  raison  de  leurs  fonctions.  Quel  con- 
traste frappant  entre  cet  article  et  l'article  7  concernant  les 
ministres  protestants  !  Ceux-ci  non  seulement  jouissent  d'un 
traitement  qui  leur  est  assuré ,  mais  ils  conservent  tout  à  la 
fois  les  biens  que  leur  Église  possède  et  les  oblations  qui 
leur  sont  offertes.  Avec  quelle  amertume  l'Église  ne  doit- 
elle  pas  voir  cette  énorme  différence  !  Il  n'y  a  qu'elle  qui  ne 
puisse  posséder  des  immeubles  ;  les  sociétés  séparées  d'elle 
peuvent  en  jouir  librement  :  on  les  leur  conserve,  quoique 
leur  religion  ne  soit  professée  que  par  une  minorité  bien 
faible,  tandis  que  l'immense  majorité  des  Français  et  les 
consuls  eux-mêmes  professent  la  religion  que  l'on  prive  léga- 
lement du  droit  de  posséder  des  immeubles. 

Telles  sont  les  réflexions  que  j'ai  dû  présenter  au  gouver- 
nement français  par  votre  organe.  J'attends  tout  de  l'équité, 
du  discernement  et  du  sentiment  de  religion  qui  anime  le 
premier  consul.  La  France  lui  doit  son  retour  à  la  foi  ;  il  ne 
laissera  pas  son  ouvrage  imparfait,  et  il  en  retranchera  tout 
ce  qui  ne  sera  pas  d'accord  avec  les  usages  adoptés  par 
l'Église.  Vous  seconderez  par  votre  zèle  ses  intentions  bien- 
veillantes et  ses  efforts.  La  France  bénira  de  nouveau  le  pre- 
mier consul;  et  ceux  qui  calomnieraient  le  rétablissement 
de  la  religion  catholique  en  France,  ou  qui  murmureraient 
contre  les  moyens  adoptés  pour  l'exécution,  seront  pour  tou- 
jours réduits  au  silence. 

Paris  ,  18  août  1803. 


J.-A.  cardinal  Càprara. 


TABLE  DES  MATIÈRES 

DU  TOME  SECOND 
CHAPITRE  I 

LE  DERNIER  SERMENT  ET  LA  RENAISSANCE  DU  SÉMINAIRE 

Triomphe  do  la  révolution  à  Rome.  —  Captivité  et  mort  de  Pie  VII. 

—  État  nouveau  des  esprits  en  France.  —  La  journée  du 
18  brumaire.  —  Promesses  de  fidélité  à  la  constitution.  — 
Fausse  interprétation  et  opposition  de  Maury.  —  Réponse  et 
réfutation  par  M.  Emery.  —  Eclaircissements  dans  le  Journal 
officiel.  —  Lettres  des  évêques  de  Langres  ,  Reims,  Saint- 
Papoul,  Soissons,  Blois,  Angers  et  Toulouse.  —  Le  séminaire 
est  transféré  successivement  rue  Saint-Jacques,  rue  Notre-Dame- 
des-Champs  et  rue  du  Pot -de -Fer.  —  Démolition  de  l'ancien 
séminaire.  —  M.  Émery  visite  une  dernière  fois  les  tombes  des 
anciens  sulpiciens.  —  Projet  d'une  place  de  Grève.  —  Lettre 
de  M.  Émery  à  M.  de  Rausset.  —  Entrée  de  Teyssere  au  sémi- 
naire. —  M.  Émery  écrit  à  la  mère  du  nouveau  séminariste.  — 
Conférences  et  instructions  de  M.  Émery   1 

CHAPITRE  II 

LA  FIN  DE  LA  PERSÉCUTION  ET  L'EXIL  DE  M.  FOURNIER 

M.  Émery  rédige  un  mémoire  à  Pie  VII  au  nom  de  quelques 
évêques  de  France.  —  Discours  de  Bonaparte  au  clergé  catho- 
lique de  Milan.  —  Les  espérances  des  catholiques.  —  Prédica- 
tion retentissante  de  M.  Fournier  sur  la  Passion.  —  Allusions 
dangereuses.  —  M.  Fournier  est  arrêté  et  enfermé  dans  une 
maison  de  fous.  —  Lettre  de  l'évêque  de  Troyes  au  prisonnier. 

—  Une  apologie  de  M.  Fournier.  —  M.  Émery  est  accusé  d'en 
être  l'auteur.  —  Ses  papiers  sont  saisis.  —  Interrogatoire.  —  Il 
est  enfermé  au  petit  dépôt  de  la  préfecture  de  police.  —  Apos- 
tolat des  prisonniers.  —  Sa  délivrance.  —  Il  adresse  des  con- 
seils à  M.  Fournier.  —  Il  obtient  son  élargissement  par  l'inter- 
vention du  cardinal  Fesch.  —  Lettre  du  cardinal   31 


404 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CHAPITRE  III 

LE  CONCORDAT  ET  LES  ARTICLES  ORGANIQUES 

Bonaparte  et  le  projet  de  Concordat.  —  Mor  Spina  et  le  P.  Caselli 
arrivent  à  Paris.  —  Premières  négociations.  —  Les  intrigues  de 
Bernier.  —  Les  jansénistes  et  les  constitutionnels  agissent  contre 
M.  Émery.  —  Sentiments  du  pape  à  l'égard  des  constitution- 
nels. —  Nouvelles  intrigues  de  Bernier.  —  Rapports  de  M.  Émery 
avec  l'abbé  Le  Sure  et  le  cardinal  Caprara.  —  Le  Concordat  est 
signé.  —  Opportunité  de  ce  traité.  —  Les  articles  organiques. 

—  Étonnement  du  cardinal.  —  Protestations  réitérées  de  la 
cour  de  Rome.  —  Difficultés  entre  le  nonce  et  Portalis.  — 
M.  Émery  écrit  une  réfutation  des  articles  organiques.  —  La 
démission  des  anciens  évoques  est  exigée.  —  Périls  et  diffi- 
cultés  50 

CHAPITRE  IV 

LES  ÉVÈQUES  CONSTITUTIONNELS 

Sentiments  des  évêques  touchant  la  démission  demandée.  —  Obser- 
vations des  évêques  de  la  Rochelle,  Langres,  Toulouse.  —  Pro- 
testation des  évêques  réfugiés  en  Angleterre.  —  Intervention  de 
M.  Émery.  —  Ses  rapports  avec  M.  de  Foulanges.  —  L'empereur 
veut  remplacer  les  anciens  évêques  par  des  évêques  constitu- 
tionnels. —  Étonnement  et  douleur  du  nonce.  —  Lettres  de 
Portalis  et  de  Bernier.  —  Bernier  veut  tromper  le  nonce.  — 
Irritation  de  Portalis  contre  le  cardinal  Caprara.  —  Ses  lettres 
au  pape  sont  interceptées.  —  Nomination  de  douze  évêques 
constitutionnels.  —  Triste  déclaration  de  l'évêque  d'Angoulème. 

—  Rapport  de  Portalis  sur  l'affaire  des  constitutionnels.  .  Il 

CHAPITRE  V 

PREMIÈRES  DIFFICULTÉS  DE  M.  ÉMERY  AVEC  LE  GOUVERNEMENT 

M.  Émery  est  nommé  à  l'évêché  d'Arras.  —  Refus  motivé  et  lettre 
à  Portalis.  —  Nouvelle  lettre  à  Bernier.  —  M.  Émery  refuse 
encore  les  évêchés  d'Autun  et  de  Troyes.  —  Son  dévouement 
à  la  compagnie  de  Saint -Sulpice.  —  Négociations  du  cardinal 
Fesch  avec  Rome  à  l'occasion  du  sacre  de  Napoléon.  —  Pie  VII 
consent  à  venir  à  Paris.  —  Lettre  de  Portalis  à  l'empereur.  — 
Voyage  de  Pie  VII  à  Paris.  —  M.  Émery  annonce  au  cardinal 


TABLE  DES  MATIÈRES 


40o 


Rausset  la  mort  de  l'archevêque  de  Rennes  et  l'arrivée  des 
évêques  à  Paris.  —  Le  mariage  secret  de  l'empereur.  —  Le  pape 
accorde  au  cardinal  Fesch  tous  les  pouvoirs  nécessaires  pour 
faire  un  mariage  valide  et  licite.  —  La  cérémonie  du  sacre.  — 
Déception  du  pape.  —  M.  Émery  obtient  une  audience  de 
Pie  VII.  —  H  écrit  à  l'évêque  d'Alais  100 


CHAPITRE  VI 

M.  ÉMERY  ET  LE  CARDINAL  FESCH 

Le  cardinal  Fesch,  sa  jeunesse,  sa  vocation,  sa  nomination  à 
î'épiscopat.  — Premiers  rapports  avec  M.  Émery.  — Il  est  nommé 
ambassadeur  à  Rome.  —  Mi  Émery  lui  donne  des  conseils  et 
une  direction  spirituelle.  —  Réorganisation  du  séminaire  de 
Lyon.  —  Les  séminaires  métropolitains.  —  L'empereur  veut 
rappeler  de  Rome  le  cardinal.  —  Réponse  et  observations  du 
cardinal.  —  Réorganisation  du  chapitre  de  Saint -Denis.  — 
M.  Émery  élève  des  objections  contre  ce  projet.  —  Insistance 
du  cardinal  Fesch.  —  M.  Bouillaud  et  le  séminaire  de  Cler- 
mont.  —  Deux  lettres  de  Frayssinous  à  M.  Émery.  —  Il  sort 
de  la  compagnie.  —  M.  Émery  consent  à  ce  départ.  —  M.  Émery 
relève  les  séminaires  d'Angers,  de  Saint-Flour,  d'Aix,  de  Tou- 
louse ,  d'Autun  ,  de  Clermont ,  Viviers ,  Nantes  et  Limoges.    1 17 


CHAPITRE  VII 

M.  ÉMERY  ET  LE  CARDINAL  DE  BAUSSET 

M.  Émery  et  M.  Garnier  chez  les  bouquinistes.  —  Il  découvre  les 
manuscrits  de  Fénelon.  —  Il  se  propose  de  publier  la  vie  et  les 
œuvres  de  Fénelon.  —  11  invite  M.  de  Rausset  à  se  charger  de 
ce  travail.  —  Lettres  de  M.  Émery  à  M.  de  Bausset.  —  Intimité 
de  cette  correspondance.  —  M.  de  Bausset  soumet  son  travail 
à  M.  Émery.  —  Observations  critiques  de  M.  Émery.  —  Mort 
de  Mm8  de  Bassompierre  et  découragement  de  M.  de  Bausset. 
—  M.  Émery  lui  rappelle  les  consolations  de  la  religion.  —  11 
l'exhorte  à  se  présenter  à  l'Académie.  —  M.  de  Bausset  pré- 
sente ses  objections  à  M.  Émery  et  à  M.  Suard.  —  Opinion  de 
M.  Émery  touchant  la  querelle  du  quiétisme.  —  Il  engage  M.  de 
Bausset  à  écrire  l'histoire  de  Bossuet.  —  M.  Émery  écrit  une 
notice  sur  le  cardinal  Dubois.  —  Fidélité  de  l'affection  et  de  la 
reconnaissance  de  M.  de  Bausset  pour  M.  Émery  145 


406 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CHAPITRE  VIII 

APOSTOLAT  EXTÉRIEUR  DE  M.  ÉMERY 

Rapports  de  M.  Émery  avec  M.  de  Lalande.  —  Il  ne  croit  pas  à 
ses  forfanteries  d'athéisme.  —  Il  essaye  de  vaincre  son  orgueil. 

—  Lettre  de  M.  Émery  à  Mrae  de  Lalande.  —  Ronaparte  flétrit 
publiquement  l'orgueil  de  M.  de  Lalande.  —  Lalande  promet  à 
M.  Émery  de  l'appeler  à  ses  derniers  moments.  —  Les  voltai- 
riens  empêchent  M.  Émery  d'arriver  à  M.  de  Lalande,  mou- 
rant. —  Correspondance  de  M.  Émery  avec  le  géologue  Deluc. 

—  M.  Émery  apprécie  ce  savant  dans  une  lettre  au  cardinal 
Fesch.  —  Correspondance  avec  le  cardinal  Gerdil.  —  M.  Émery 
et  Chateaubriand.  —  L'abbé  Grégoire.  —  Efforts  de  M.  Émery 
pour  le  ramener  à  Dieu.  —  La  sœur  Rosalie.  —  Son  dévoue- 
ment à  M.  Émery  169 

CHAPITRE  IX 

PUBLICATION  DES  OPUSCULES  DE  FLEURY  ET  DÉMÊLÉS  DE  M.  ÉMERY 
AVEC  L'EMPEREUR 

M.  Émery  publie  une  nouvelle  édition  des  opuscules  de  Fleury. 

—  Il  reçoit  des  encouragements  de  quelques  évêques.  —  Appro- 
bation du  cardinal  Antonelli.  —  Observations  sévères  du  car- 
dinal Fesch.  —  Réponse  de  M.  Émery.  —  Il  est  poursuivi  par 
les  constitutionnels  et  par  Fouché.  —  Il  donne  des  explications 
à  Fouché.  —  11  expose  son  opinion  sur  l'autorité  du  pape.  — 

—  M.  Bigot  de  Préameneu  et  le  cardinal  Fesch  prennent  la  dé- 
fense de  Saint-Sulpice.  —  Triste  état  de  l'Église.  —  Envahisse- 
ments des  États  pontificaux.  —  Enlèvement  du  pape.  —  Exil  et 
captivité  à  Savone.  —  Douloureux  état  de  l'Église  de  Rome.  — 
La  compagnie  de  Saint-Sulpice  est  menacée  de  suppression.  — 
Napoléon  fait  appeler  M.  Émery  à  Fontainebleau.  —  Longues 
entrevues.  —  Hommages  du  cardinal  Lambruschini  à  M.  Émery. 

—  Nouvelles  tracasseries  de  Fouché.  —  Réponse  de  M.  Émery. 

—  Lettre  à  M.  Rousseau,  évêque  d'Orléans.  —  Les  révolution- 
naires devenus  les  courtisans  de  la  dictature  187 

CHAPITRE  X 

M.  ÉMERY,  LA  SORBONNE  ET  L'UNIVERSITÉ 

Suppression  de  la  Sorhonne  par  le  directoire  de  Paris.  —  Noble 
déclaration  des  derniers  professeurs.  —  Projet  de  réorganisa- 
tion de  Fourcroy  et  du  cardinal  Fêsch.  —  Décret  impérial.  — 


TABLE  DES  MATIÈRES 


407 


Observations  de  M.  Émery  sur  ta  création  des  facultés  de  théo- 
logie. —  Il  fait  part  de  ses  craintes  à  l'archevêque  de  Bordeaux. 
—  Les  anciens  professeurs  sont  rétablis  dans  leurs  chaires.  — 
M.  Émcry  est  nommé  vice -recteur.  —  Les  élèves  du  séminaire 
suivent  les  cours  de  la  Sorbonne.  —  Lettre  de  M.  Émery  à 
M.  l'abbé  Guillon.  —  Entretien  de  Napoléon  et  de  M.  de  Fon- 
tanes,  à  Saint -Cloud,  sur  la  création  d'un  conseil  supérieur 
de  l'Université.  —  M.  Émery  est  nommé  conseiller  titulaire  de 
1  Université.  —  Hésitations,  refus.  —  Instances  de  Fontanes,  du 
cardinal  Fesch  et  de  quelques  évêques.  —  M.  Émery  accepte  sa 
nomination.  —  Il  rend  compte  à  M.  de  Bausset  de  la  première 
séance  du  conseil.  —  Réorganisation  des  petits  séminaires.  — 
Ordres  de  Napoléon  au  grand  maître  de  l'Université.  — 
M.  Émery  écrit  un  mémoire  sur  la  question.  —  Il  a  recours  au 
cardinal  Fesch  219 


CHAPITRE  XI 

ADMINISTRATION  DU  DIOCÈSE  DE  PARIS 


•  M.  de  Belloy  est  nommé  archevêque  de  Paris.  —  Il  donne  sa  con- 
fiance à  M.  Émery.  —  Dissertation  de  M.  Émery  sur  la  réor- 
ganisation de  l'Église  de  Paris.  —  Maladie  de  M.  de  Belloy.  — 
Inquiétudes  de  M.  Émery  sur  le  choix  du  successeur.  —  Il  a 
recours  au  cardinal  Fesch.  —  Difficultés  intérieures.  —  Le  car- 
dinal Fesch  est  nommé  archevêque  de  Paris.  —  Il  refuse  et 
explique  son  refus  au  ministre.  —  Intrigues  et  nomination  du 
cardinal  Maury.  —  Le  ministre  des  cultes  écrit  à  Napoléon  au 
sujet  de  cette  nomination.  —  Indignation  et  protestation  de 
Pie  VII  en  apprenant  cette  nomination  illégitime.  —  Repré- 
sailles de  Napoléon.  —  Flatteries  de  Maurv.  —  Protestation  de 
M.  Émery  "  247 


CHAPITRE  XII 

LE  COMITÉ  ECCLÉSIASTIQUE  ET  LE  SECOND  MARIAGE 
DE  L'EMPEREUR 


Organisation  du  comité  ecclésiastique.  —  M.  Émery  est  obligé  d'en 
faire  partie.  —  Il  exprime  son  anxiété  à  l'évèque  d'Alais.  — 
L'empereur  impose  un  programme  à  la  commision. —  M.  Émery 
se  sépare  de  ses  collègues  sur  des  points  fondamentaux.  —  Té- 
moignage de  Frayssinous.  —  Il  réfute  le  cardinal  Maury.  —  11 
blâme  l'archevêque  de  Tours.  —  Il  refuse  de  signer  les  conclu- 
sions du  comité.  —  Jugement  du  cardinal  Pacca  sur  les  tra- 


408 


TABLE  DES  MATIÈRES 


vaux  de  cette  commission.  —  Affaire  du  divorce  de  l'empereur. 
—  Napoléon  et  l'archevêque  de  Bordeaux.  —  Difficultés  théôlo- 
giques.  —  Le  cardinal  Fesch  avait  reçu  de  Pie  VII  tous  les  pou- 
voirs nécessaires  pour  valider  le  premier  mariage.  —  Déclaration 
du  cardinal  Fesch  à  l'Officiel  du  diocèse,  le  6  janvier  4810.  — 
M.  Émery  n'eut  aucune  part  à  la  sentence  rendue  par  l'officia- 
lité.  —  Sentiment  de  M.  Émery  sur  l'incompétence  de  l'officia- 
lité  et  le  devoir  de  réserver  au  pape  les  causes  majeures.  — 
Une  lettre  du  cardinal  Fesch  sur  la  question.  —  Les  cardinaux 
et  le  second  mariage  de  Napoléon.  —  M.  Fesch  fait  des  obser- 
vations à  M.  Émery.  —  Une  explication  avec  le  cardinal  délia 
Somaglia.  —  Les  noirs  et  les  rouges.  —  Explication  des  oppo- 
sants. —  Les  séminaristes  à  la  cérémonie  du  mariage.  .  268 

CHAPITRE  XIII 

NOUVELLES  MENACES  CONTRE  LA  COMPAGNIE 

M.  Émery  rachète  la  maison  d'Issy  et  la  maison  de  M.  Olier.  — 
Lettre  à  M.  de  Bausset.  —  M.  Émery  fait  l'acquisition  de  la 
chapelle  de  Lorette.  —  Nouvelles  intrigues  des  constitutionnels. 
Napoléon  dénonce  encore  les  sulpiciens  au  cardinal  Fesch.  — 
Ordre  de  dissolution  de  la  compagnie.  —  Il  reçoit  le  décret  du 
ministre  des  cultes.  —  Tristesse  de  M.  Émery.  —  Il  a  recours 
au  cardinal  Fesch.  —  La  police  intercepte  une  lettre  de  M.  Émery 
à  M.  Lacoste -Beaufort.  —  Le  ministre  des  cultes  fait  un  rap- 
port à  l'empereur  sur  cette  lettre,  —  Imprudence  d'un  sémina- 
riste. —  Ordre  d'expulsion  immédiate. —  État  nominatif  de  la 
compagnie.  —  Le  ministre  des  cultes  transmet  le  décret  d'ex- 
pulsion aux  vicaires  généraux.  —  Réponse  des  vicaires  géné- 
raux. —  Rapport  du  ministre  à  l'empereur.  —  M.  Émery 
tranche  la  question  de  propriété  du  séminaire.  —  Adieux  de 
M.  Émery  à  la  communauté.  —  Récit  de  M.  de  Mazenod.  — 
M.  Émery  se  retire  à  Issy  292 


CHAPITRE  XIV 

LE  DERNIER  COMRAT 

M.  Émery  recouvre  l'amitié  de  l'empereur.  —  M.  d'Astros  et  le 
cardinal  Maury.  —  Noble  attitude  de  M.  d'Astros.  —  Irritation 
de  l'empereur  contre  lui.  —  Audience  du  1er  janvier  1811.  — 
Menaces  de  l'empereur  à  M.  d'Astros.  —  Gracieuseté  envers 
M.  Émery.  —  Manœuvres  déloyales  du  cardinal  Maury.  — 
Exposition  de  principes  du  chapitre.  —  Réponse  de  l'empereur. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


400 


M.  Émery  est  nommé  membre  de  la  commission  ecclésiastique 
de  1811.  —  Ses  refus  et  ses  ennuis.  —  Instructions  formelles 
de  l'empereur  à  cette  commission.  —  Angoisses  de  M.  Émery. 

—  Un  projet  de  concile  national.  —  Le  point  principal  du 
débat.  —  Un  épiscopat  séparé  du  pape.  —  Séance  extraordi- 
naire du  7  mars  aux  Tuileries.  —  L'empereur  et  M.  Émery.  — 
Dialogue.  —  Réllexions  de  Talleyrand.  —  Le  cardinal  Consalvi 
rend  hommage  au  courage  de  M.  Émery  318 

CHAPITRE  XV 
l'heure  suprême 

Le  projet  d'un  concile  national.  —  M.  Émery  fait  connaître  son 
anxiété  à  M.  de  Bausset.  —  M.  Émery  a  le  pressentiment  de  sa 
fin  prochaine.  —  Une  lettre  à  l'abbé  Dorion.  —  La  pensée  du 
ciel  et  le  dégoût  de  la  terre.  —  Sa  bonté  et  son  humilité.  — 
Les  examens  particuliers  de  M.  Tronson.  —  Premières  atteintes 
de  la  mort.  —  Récit  de  M.  Garnier.  —  Une  nouvelle  attaque.  — 
L'abbé  de  Mazenod.  —  Suprême  effort  de  M.  Emery.  —  Il  revient 
à  Pans.  —  11  veut  encore  monter  à  l'autel.  —  Intervention  de 
M.  Duclaux.  —  Les  derniers  sacrements,  l'agonie  et  la  mort. 

—  Visite  de  M.  Fournier.  —  Hommage  du  cardinal  Maury.  — 
Autopsie  de  M.  Émery.  —  Le  cœur  est  conservé.  —  M.  Duclaux 
fait  la  levée  du  corps.  —  Le  cortège  s'achemine  vers  le  cime- 
tière d'Issy.  —  Épitaphe  de  M.  Émery.  —  Suprêmes  adieux  de 
Tévèque  d'Alais  341 

CHAPITRE  XVI 

LES  ŒUVRES  THÉOLOGIQUES  ET  PHILOSOPHIQUES  DE  M.  ÉMERY 

Pensées  de  Leibniz  sur  la  religion  et  la  morale.  —  Le  Christia- 
nisme de  Bacon,  —  Défense  de  la  révélation  par  Eu  1er.  —  Pen- 
sées de  Descartes  sur  la  religion  et  la  morale.  —  De  la  miti- 
gation  des  peines.  —  Système  théologique  de  Leibniz.  .  3G0 

Appendice  377 

Le  Concordat  et  les  articles  organiques  379 

réclamation  contre  les  articles  organiques  391 


25240.  —  Tours,  inipr.  Marne. 

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