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Full text of "Histoire de Quillembois soldat"

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(•icTuiit  W** 


iïîiiiliiiiillli 

3  3333  08108  6874 

lilSTOII^E 

DEqUILLEMBOIS 

SOLDAT 


DU  MÊME  AUTEUR 

DROLES  DE  BÊTES. 

LA  BOITE  A  JOUJOUX,  Ballet  pour  Enfants,  Musique  de  CLAUDE  DEBUSSY. 

LES  BELLES  HISTOIRES  QUE  VOILA. 

ALPHABET  DE  LA  GRANDE  GUERRE. 

LE  LIVRE  DES  HEURES  HÉROÏQUES  ET  DOULOUREUSES.  Images  de  la  guerre. 


André    M  elle 


lilSTOIRE 

qUILLEMBOIS 

SOLDAT 


Librairie   Berger- Levrault 

riAnCY.  Paris  .  Strasbourô 


î>  H^l'h'^'^\ 


Le  Portrait  DE  C|uiLLErABOis 


Quillembois,  soldat  de  bois,  naquit  un  jour, 
comme  tous  les  jouets  de  bois,  d  un  morceau  de 
sapin  tourné. 

Il  fut  soldat  français  parce  que  le  hasard 
avait  placé  à  côté  de  louvrier  qui  était  chargé  de 
l'enluminer,  un  pot  de  bleu  et  un  pot  de  rouge. 

11  aurait  pu  tout  aussi  bien  être  soldat  anglais, 
si  le  pot  de  couleur  bleue  avait  été  plus  loin:  il 


aurait  été  Russe  si  le  pot  de  couleur  verte  avait 
été  plus  près;  il  aurait  même  pu  être  nègre,  si, 
lorsque  vint  son  tour  d  être  peint,  il  n  était  resté 

5 


dans  latelier  qu'un  peu  de  noir  au  fond  dun 
godet 

La  main  de  louvrier  qui  esquissa  naïvement 
les  traits  de  son  visage  tremblait 
un  peu.  Voilà  pourquoi  Quil- 
lembois  eut  le  nez  de  travers  ;  sa 
bouche  ne  fut  pas  non  plus  dans 
le  prolongement  exact  de  son 
nez,  ainsi  que  le  veulent  les  règles 
de  Testhétique,  mais  ses  yeux 
noirs,  bien  daplomb,  regardaient  franchement 
en  face  d'eux,  sans  peur  ni  forfanterie. 

Lorsque  sa  tunique  bleue  fut  sèche,  on  lui 
colla  un  bras  de  bois  de  chaque  côté  du  corps; 
on  lui  colla  ensuite  un  fusil  jaune  le  long  du  bras 
droit,  un  sac  brun  sur  le  dos,  un  pompon  rouge 
sur  son  shako  et,  sous  les  pieds,  en  guise  de 
godillots,  une  large  et  confortable  rondelle  verte, 
au  centre  de  laquelle  il  se  tint  bien  campé,  prêt 
à  recevoir  victorieusement  tous  les  chocs. 


PReniERCNAGRIM 


Comme  Quillembois  avait  une  tête  et  un 
corps  en  bois,  il  était  naturellement  enclin  à 
lobéissance  et  peu  sensible  à  la  douleur.  11  ne  se 
plaignit  donc  pas  lorsqu'un  jour  il  fut  mis  dans 
une  boîte  garnie  de  mousse  et  de  fragments  de 
vieux  journaux  en  compagnie  dune  douzaine 
dautres  soldats,  d un  tambour,  d un  canon,  d un 
capitaine,  d'un  porte-drapeau  et  de  six  arbres 
é^  h  fraîchement  vernis  dont  lodeur  portait 
^^  '/      quelque  peu  à  la  tête. 

Allongé  dans  sa  boîte,  Quillembois 
regardait  devant  lui.  11  voyait,  sur  les  plan- 
chettes dont  latelier  était  garni,  un  grand 


nombre  de  maisons,  darbres,  de  moutons,  de 
vaches,  de  chevaux,  de  canards,  d  oies,  de  poules, 
de  bergers  et  de  bergères  qui  séchaient  en  atten- 
dant d'être  mis  en  boîte  à  leur  tour. 

Il  voyait  surtout,  juste  en  face  de  lui,  une 
petite  bergère  à  la  jupe  verte  et  au  corsage  rose 
dont  les  yeux  étaient  obstinément  fixés  sur  les 
siens. 

Quillembois  et  la  bergère  se  regardèrent 
donc  pendant  des  jours  et  des  jours  jusqu  a  ce 
qu  on  vint  les  en  empêcher  en  mettant  un  cou- 
vercle sur  la  boîte  où  se  trouvait  le  petit  soldat. 

Sans  savoir  pourquoi,  Quillembois  se  sentit 
le  coeur  tout  gros.  Comme  il  faisait  noir  et  que 
personne  ne  pouvait  le  voir,  il  se  mit  à  pleurer 
en  pensant  à  la  bergère  rose  et  verte  quil  ne 
reverrait  peut-être  plus  jamais. 


%^&i!l<#jâli 


Le  Départ 


La  boîte  dans  laquelle  se  trouvait  Quil- 
lembois  fut  mise  dans  un  coin  de  latelier,  à  côté 
dautres  boîtes  semblables. 

Quelques  jours  après  tout  cela,  il  y  eut  un 


grand  remue-ménage  dans  la  fabrique.  Quillem- 
bois  entendit  des  pas  pressés,  des  voix,  des  cris: 
il  lui  sembla  que  les  moutons  bêlaient  triste- 
ment, que  les  chevaux  hennissaient;  il  crut,  au 


milieu  de  tous  ces  bruits,  distinguer  les  sanglots 
étouffés  de  la  bergère  rose  et  verte. 

Mais  sa  boîte  fut  brusquement  soulevée  et 
elle  retom.ba  plus  loin  avec  fracas. 

Il  entendit  ensuite  des  pas  de  chevaux,  des 
roulements  de  camions,  des  chocs  de  plaques 
tournantes  et  des  coups  de  sifflet  stridents. 

11  comprit  qu  il  était  dans  un  train  (car  il  avait 
déjà  vu  des  chemins  de  fer  en  bois) 
et  quil  roulait  vers  quelque  desti- 
nation inconnue. 

Puis  il  s  endormit. 


^'^A 


10 


Un  I2ÉVÊ 

Tout  au  fond  de  la  boîte,  à  travers  1  épaisseur 
de  la  nuit  dans  laquelle  il  se  trouvait,  Quillembois 
vit  un  grand  trou  noir  au  fond  duquel  apparaissait, 
très  petit,  très  lointain,  vaguement  teinté  de  vert, 
de  rose  et  de  gris,  un  petit  village  aux  maisons 
de  bois,  tout  pareil  à  ceux  qu  il  avait  vus  sur  les 
étagères  de  latelien 

Puis  une  lumière  blonde  naissait  doucement. 

Un  gros  papillon  noir  taché  de  jaune  et  de 
violet  s  estompait,  se  précisait,  se  transformait  : 
il  se  teintait  de  rouge,  se  colorait  de  bleu,  se 
nuançait  de  vert 

Et  Quillembois  reconnaissait  les  pots  de  cou- 
leurs à  côté  desquels  il  était  venu  au  monde. 

Brusquement  le  paysage  s'illuminait:  de  lor 
tombait  du  ciel,  saccrochait  au  toit  des  maisons, 
sepandait  sur  les  toisons  blanches  des  moutons; 
les  chevaux  galopaient;  les  vaches  s  en  allaient 
aux  champs;  devant  le  portail  de  la  ferme  aux 


volets  verts,  la  petite  bergère  verte  et  rose  don- 
nait à  manger  aux  poulets  et  aux  dindons. 

Là-bas,  une  poule  qui  venait  de  pondre  le 


disait  gaiement  à  tous  les  gens  de  la  ferme  :  son 
cri  montait  toujours:  il  devenait  de  plus  en  plus 

12 


aigu,  de  plus  en  plus  perçant,  si  bien  qu  il  réveilla 
le  petit  soldat. 

Quillembois  ouvrit  les  yeux.  A  côté  de  sa 
boîte  grande  ouverte,  un  phonographe  martial 
nasillait  une  marche  militaire  de  toute  la  force 
de  ses  disques;  Quillembois  distingua  aussi  des 
lumières,  des  couleurs,  des  personnes. 

11  vit  alors  qu  il  n  était  plus  en  chemin  de  fer 
et  il  s'aperçut  que,  pendant  son  sommeil,  il  avait 
été  transporté  dans  le  rayon  des  jouets  d'un  grand 
magasin. 


Le  Hagasim 


Tout  à  côté  de  Quillembois,  un  arbre 
écrasait  la  poitrine  du  capitaine  ;  un  fusil 
menaçant  était  prêt  à  crever  le  tambour  et  cinq 
ou  six  de  ses  camarades  étouffaient  à  qui  mieux 
mieux  parce  qu  ils  étaient  couchés  à  plat  ventre, 
le  nez  dans  la  mousse.  Quillembois  avait  la 
chance  davoir  la  tête  appuyée  sur  le  bord  de 
la  boîte:  il  pouvait  ainsi  respirer  librement  et 
voir  ce  qui  se  passait  autour  de  lui. 

Tandis  que  le  phonographe  qui  lavait 
réveillé  continuait  sa  musique,  des  chemins  de 
fer  à  mécanique  roulaient  bruyamment  sur  les 


tables  voisines,  des  poupées  glapissaient  «  PPPA- 
PPA-MMMA^MMA  ».  Quillembois  voyait 
encore  des  mâts  de  navires,  tandis  qu  au-dessus 
de  sa  tête,  des  aéroplanes  se  poursuivaient  sans 
pouvoir  jamais  se  rattraper. 

Enfin  des  gens  allaient  et  venaient. 

Comme  ils  regardaient  tous  le  bord  de 
la  boîte,  à  lendroit  même  où  Quillembois 
appuyait  la  tête,  le  petit  soldat  crut  que  les  visi- 
teurs étaient  séduits  par  sa  bonne  mine  et  sa 
gentillesse:  il  redressa  le  torse  et  bomba  avan- 
tageusement la  poitrine;  songeant  à  des  succès 
inespérés,  il  oublia  même,  Tingrat,  que,  là-bas, 
il  ne  savait  où,  une  petite  bergère  verte  et  rose 
pleurait  peut-être  en  pensant  à  lui. 

Mais  il  fut  bien  puni  de  sa  vanité  lorsque, 
penchant  la  tête,  il  vit,  au-dessous  de  lui,  collée 
sur  la  boîte,  une  étiquette  portant  un  prix.  Il 
comprit  alors  que  cette  étiquette,  bien  plutôt 
que  sa  personne,  attirait  lattention  des  clients 
qui  passaient,  calculant  le  montant  de  leurs 
achats. 


Les  Jouets  tluMBLES 


Malgré  tout  le  brouhaha  qui  se  faisait  dans 
tout  le  magasin,  Quillembois  regarda  attenti- 
vement les  petits  jouets  au  milieu  desquels  il 
se  trouvait 


Près  de  lui,  à  côté  dune  bergerie  aux 
moutons  frisés,  un  cortège  de  bêtes 
aux  formes  bizarres  sortait  dune 
Arche  de  Noé. 

Des  manèges  de  chevaux  de 
bois,  aux  cavaliers  de  toutes  les 
couleurs,  tournaient  au  son  de  leur 
boîte  à  musique,  et  des  pantins,  en 
costume    d'Arlequin,    réjouissaient 

16 


les  passants  de  leurs  contorsions  plus  comiques 
les  unes  que  les  autres. 

Des  oiseaux  chantaient  dans  leurs  cages. 
Des  marins  ramaient  dans  leurs  bateaux. 
Et  toute  une  ribambelle  de  petites  poupées 
à  un  sou  dansaient,  dansaient  toujours 
sur  leurs  quatre  crins,  infatigables. 


Les  Jouets  Riches 


Les  jouets  dun  prix  élevé  étaient  groupés 
au  fond  du  magasin:  ils  formaient  un  aristocra- 
tique rayon,  aussi  lointain  du  modeste  petit 
soldat  de  bois  que  peut  l'être,  dun  simple  piou- 
piou,  le  palais  d  un  roi  ou  d  un  empereur. 

Quillembois  contemplait  ce  rayon  avec  de 
grands  yeux  écarquillés.  Il  frissonna  dadmi- 
ration  en  pensant  quil  y  avait  là  des  jouets  si 
chers  qu  il  aurait  fallu  dix  ou  vingt  mille  soldats 
comme  lui  pour  pouvoir  les  payer:  des  auto- 
mates,   fiers    de    leur    grande    popularité,    qui 


jouaient  de  la  mandoline  et  buvaient  du  sirop; 
des  jouets  scientifiques,  des  bateaux  à  vapeur, 
des  sous-marins,  des  locomotives,  des  ballons 
dirigeables  et  des  aéroplanes. 
Il  y  avait  là  des  animaux 
en  étoffe  :  des  ânes  gris  qui 
hochaient  tristement  la  tête, 
se  souvenant  de  Tinjuste  et 
lointaine  tradition  qui  les  con- 
damne à  rester  pour  toujours 
le  symbole  de  l'ignorance  et 
de  la  paresse;  de  gros  élé- 
phants bons  enfants,  que  leur 
réputation  danimaux  pas 
méchants  rendait  propres  à 
subir  toutes  les  mystifica- 
tions de  leurs  compagnons 
les  singes;  des  canards  de 
toutes  les  couleurs,  des 
lions,  des  vaches,  des 
tigres,  des  ours  et  des 
chameaux. 


Il  y  avait  aussi  des 
chauffeurs  cossus  et  de  riches 
automobilistes.  Leurs  voitures  étaient  lancées  à 
toute  allure  sur  de  grandes  tables  :  mais,  hélas  ! 
leurs  pauvres  têtes  de  porcelaine  étaient  à  la 
merci  d  un  caillou  qui  se  trouvait  là,  d  un  chien 
mécanique  qui  passait  devant  eux,  d'un  virage 
mal  pris. 

Et  ces  rois  de  la  route  risquaient  à  tout 
moment  de  se  briser  en  mille  miettes  au  pied 
même  de  la  table  sur  laquelle  ils  accomplis- 
saient leurs  exploits,  terrorisant  tous  les 
autres  jouets. 

20 


F^lus  loin,  de 
hautes  et  super- 
bes quilles  sem- 
blaient défier 
tout  le  monde. 

Mais,       au 
moindre    coup 
de   boule,   elles 
tombaient       par 
terre,  heurtant  du- 
rement   le    sol    de 
leur    nez    camard 
et    ne    se   relevaient 
plus. 
Il  y  avait  des  soldats  de  plomb: 


Musiciens  aux  instruments  de  cuivre,  fan- 
tassins aux  pantalons  garance,  tambours,  porte- 
drapeau. 


21 


Chasseurs  à  cheval  aux  tuniques  bleu  de 


ciel. 


Dragons  aux  casques  d'argent. 


Turcos  aux  chéchias  rouges,  zouaves  aux 
turbans  blancs. 


Généraux  et  officiers  de  toutes  sortes,  aux 


22 


brillants  uniformes,  aux  aiguillettes  d  or,  aux  mul 
tiples  décorations. 


Artilleurs  aux  sombres  costumes. 


Spahis  aux  burnous  flottants. 


':^M. 


Fourgons  régimentaires,  parcs  dartillerie, 
voitures  d'ambulance. 

Il  y  avait  enfin  de  monstrueux  canons  à  air 
comprimé,  jetant  plusieurs  projectiles  à  la  se- 
conde. 


23 


Quillembois  les  regarda  sans  effroi. 
Il  ne  savait  pas  encore  que  les  soldats  de 
bois,  comme  les  autres,  sont  quelquefois  obligés 


daller  à  la  guerre  et  de  prendre  part  à  de  ter- 
ribles combats  à  la  fin  desquels  les  canons,  seuls, 
restent  debout 


24 


C|a!LLEMBOIS  ESTVeNDU 

Enfin,  un  jour,  une  dame  vint  au  magasin 
et  emporta  la  boîte  dans  laquelle  se  trouvait 
Quillembois. 

Ce  fut  avec  une  grande  joie  qu'il  quitta  le 
magasin:  les  phonographes  lassourdissaient,  les 
lumières  leblouissaient,  la  poussière  lui  donnait 
des  nausées  et  le  froid  de  la  nuit  des  rhuma- 
tismes. 

De  plus,  l'humidité  le  faisait  un  peu  enfler, 
tout  comme  ces  tiroirs  de  bois  quon  ne  peut 
plus  fermer  ni  ouvrir  lorsque  le  temps  est  à  la 
pluie. 

La  dame  emporta  la  boîte  chez  elle,  puis 
la  mit  dans  une  armoire  au  fond  de  laquelle 
dautres  jouets  se  trouvaient  déjà.  Quillembois 
retrouva  ainsi  le  calme  et  la  chaleur  dont  il 
avait  été  privé  depuis  son  arrivée  à  la  ville. 

De  temps  en  temps,  la  dame  sortait  soigneu- 

25 


sèment  les  jouets  de  leur  boîte  :  elle  regardait  si 
toutes  les  petites  pièces  dont  ils  sont  composés 
étaient  bien  à  leur  place;  il  fallait  parfois 
changer  le  crin  cassé  dune  poupée  qui  avait 
trop  dansé,  ou  donner  un  nouveau  fusil,  fait  d  un 
morceau  d  allumette,  à  un  soldat  qui  avait  perdu 
le  sien;  certains  jouets  n avaient  plus  ni  bras  ni 
jambes:  la  bonne  dame  leur  en  donnait  de  tout 
neufs,  qu  elle  taillait  elle-même  dans  de  petites 
planchettes,  puis  elle  prenait  soigneusement  ces 
pauvres  éclopés  et  leur  faisait  passer  la  nuit  au 
coin  du  feu  afin  que  la  colle  sèche  bien  et  qu  ils 
aient,  dès  le  lendemain,  des  membres  assez 
solides  pour  que  rien  ne  puisse  plus  les  faire 
bouger. 


26 


Une  R^ge  d'Histoire 


Il  faut  dire  que  pendant  la  nuit,  à  Theure  où 
tout  le  monde  dort  profondément,  les  jouets  ne 
sont  plus  les  petits  objets  dénués  de  mouvement 
et  de  pensée  que  nous  voyons  pendant  le  jour. 

Ils  vivent,  au  contraire,  comme  de  véritables 
petits  hommes  :  ils  vont  d  une  boîte  à  l'autre, 
causent  entre  eux,  et  les  événements  qui  se  pas- 
sent dans  notre  monde  font  souvent  l'objet  de 
leur  conversation. 

27 


Mais  le  moindre  regard  qui  se  pose  sur  eux 
leur  fait  reprendre  immédiatement  leur  appa- 
rence inanimée  de  bois,  de  métal  ou  de  carton. 

Aussi  jamais  personne  na-t-il  pu  les  voir 
remuer. 

Mais  ceux  qui  savent  comprendre  leur  lan- 
gage entendent  quelquefois,  derrière  une  porte, 
les  histoires  qu  ils  racontent. 

Un  soir  donc,  un  tambour,  auquel  il  avait 
fallu  recoller  une  baguette,  parlait,  au  coin  du 
feu  devant  lequel  il  séchait,  à  une  marchande 
en  porcelaine  qu  il  avait  fallu  fixer  plus  solide- 
ment aux  brancards  de  sa  voiture  d'oranges  et 
qui,  pour  cette  raison,  occupait  lautre  coin  de  la 
cheminée. 

((  En  ce  temps-là,  disait  le  tambour,  les 
hommes  vivaient  heureux. 

«  Tandis  que  les  soldats,  mes  camarades, 
faisaient  lexercice  devant  leurs  forts,  les  petites 
bergères  menaient  paître  les  vaches  et  les  mou- 
tons sur  rherbe  verte  des  prairies.  Elles  trayaient 
leurs  vaches  et  le  bon  lait  écumeux  coulait  dans 

28 


les  seaux  de  cuivre.  De  belles  clames,  bien  coif- 
fées et  bien  habillées,  venaient  dans  les  fermes: 
elles  achetaient  le  lait  et  le  faisaient  boire  à  leurs 
bébés  qui  conservaient  ainsi  leur  bonne  mine  et 
leurs  joues  fraîches  et  roses.  Les  hommes  fau- 
chaient, moissonnaient.  Tout  le  long  de  ce  pays, 
les  chemins  de  fer  transportaient  sans  cesse  des 
voyageurs  qui  s'en  allaient  çà  et  là,  les  uns  pour 
leurs  plaisirs,  les  autres  pour  leurs  affaires.  Les 
automobiles  sillonnaient  les  routes,  et  toutes 
les  usines  étaient  en  action,  tissant,  tournant, 
forgeant  et  découpant  sans  arrêt. 

((  Or,  voici  qu  un  soir  d  été,  en  1914,  un  tam- 
bour battit  dans  un  village,  d  autres  tambours  lui 
répondirent;  les  cloches  des  petites  églises  son- 
nèrent à  toute  volée;  tous  les  habitants  des  villes, 
des  villages  et  des  fermes  accoururent  sur  les 
places  publiques  et  ils  apprirent  avec  conster- 
nation que  la  guerre  venait  d  être  déclarée  à  nos 
soldats  aux  pantalons  rouges  par  les  soldats  de  la 
nation  voisine,  qui  étaient  vêtus  de  gris. 

((  Le  tambour  roulait  toujours  et  des  soldats 


venaient  de  tous  les  côtés  :  les  uns  étaient  de  très 
jeunes  gens,  forts  et  robustes,  dautres  étaient 
plus  âgés.  Jeunes  et  vieux  partaient  tous,  pleins 
d  ardeur  et  de  vaillance,  au  secours  de  leur  pays 
envahi. 

«  Pendant  que  les  soldats  se  rassemblaient, 
les  bergers  et  les  bergères  faisaient  rentrer  leurs 
troupeaux  dans  les  étables;  les  belles  danaes  bien 
habillées  se  cachaient  avec  leurs  bébés  tout  au 
fond  de  leurs  boîtes  ou  préparaient  de  la  charpie 
pour  les  blessés;  et,  déjà,  sur  terre  et  sur  mer, 
dans  les  plaines  et  sur  les  montagnes,  les  fusils 
partaient,  les  canons  tonnaient,  coulant  des  ba- 
teaux, abattant  des  bataillons  entiers  de  soldats. 

((  Des  fermes  étaient  en  feu,  des  villages  en- 
tiers croulaient  sous  le  choc  des  obus;  les  soldats 
gris  étaient  sans  nombre,  mais  dautres  soldats 
arrivaient  sans  cesse  pour  lutter  contre  eux  :  les 
uns  vêtus  de  brun  ou  de  vert,  les  autres  coiffés 
de  hauts  turbans  ;  et  des  blancs  et  des  nègres,  et 
toute  une  armée  qui  venait  de  bien  au  delà  des 
mers,  et  de  hardis  cavaliers  qui  chargeaient  sans 

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répit,  sans  trêve,  jusqu'au  moment  où  les  soldats 
gris,  harcelés  de  tous  côtés,  vaincus,  s  enfuyaient 
en  déroute. 

((  Déjà  les  belles  dames  et  les  bébés  bran- 
dissaient des  drapeaux  de  toutes  les  couleurs. 

((  Revenus  enfin  au  pays  qu  ils  avaient  déli- 
vré de  Tennemi,  les  soldats  embrassaient  leurs 
femmes  et  leurs  enfants,  reprenaient  avec  joie 
leurs  pacifiques  travaux;  et  tous  les  gens,  fer- 
miers, belles  dames,  ouvriers,  voyageurs,  bergers, 
disaient  avec  satisfaction  :  «  La  paix  est  faite, 
«  la  paix  est  faite.  » 

((  Et  pourtant,  des  femmes  qui  avaient  perdu 
leurs  fils  ou  leurs  maris  pleuraient  encore;  des 
enfants  étaient  vêtus  de  noir;  des  infirmes  pas- 
saient sans  bras,  ou  sans  jambes,  ou  sans  yeux 
pour  voir  la  lumière  du  soleil.  Années  de  tueries! 
années  de  massacre!  Pourquoi  tout  cela?  Pour- 
quoi ?  Pourquoi  ?  » 

Un  léger  craquement  se  fit  entendre  à  ce 
moment  du  côté  de  la  porte.  Le  tambour  ne  par- 
lait déjà  plus.  La  marchande  n  entendait  plus. 


Nuit  de  Noël 


Quelques  jours  se  passèrent.  Puis,  un  soir,  la 
dame  prit  délicatement  par  la  taille  Quillembois 
et  ses  camarades  et  les  mit  en  rang  sur  le  parquet 

Ils  étaient  alignés  comme  à  la  revue  ou  à  la 
parade. 

Et  ils  avaient  bien  froid,  car,  ce  soir-là,  il  n  y 
avait  pas  de  feu  dans  la  cheminée. 

Devant  eux  un  grand  arbre  vert  paraissait 
sortir  du  plancher,  et  tandis  que  ses  plus  basses 
branches  touchaient  le  sol,  les  plus  hautes  mon- 
taient jusqu'au  plafond. 

La  dame  s  en  alla  et  la  chambre 
resta  plongée  dans  lobscurité. 

Alors,  dans   larbre,  une  petite 
lumière  salluma. 

Puis  une  autre. 

Puis  d autres  encore:  et  bientôt 
ce  fut  une  illumination  complète. 

Comme  il  faisait  chaud,  maintenant  ! 

32 


Au  loin,  des  musiques  se  faisaient  entendre, 
de  doux  airs  de  harpe  et  de  violon. 


33 


Et  voici  que,  du  fond  de  la  cheminée,  des 
soldats  de  plomb  débouchèrent 

Précédés  de  joyeuses  fanfares,  ils  défilèrent 
devant  larbre  et  se  lancèrent  à  l'assaut  de  ses 
plus  basses  branches  sur  lesquelles  ils  s'instal- 
lèrent 

Par  terre,  une  glace  entourée  de  mousse 
semblait  être  un  étang  limpide  dans  lequel  se 
reflétaient  les  lumières:  sur  ce  lac  un  grand  voi- 
lier était  à  lancre  et  des  petits  bateaux  allaient 
et  venaient  autour  de  lui. 

Un  troupeau  de  vaches  entrait  maintenant: 
tandis  que  les  bergers  jouaient  de  la  musette,  les 
vaches  avançaient  lentement  et  venaient  se  ran- 
ger au  bord  de  1  étang. 


Un  petit  ours  accourut  en  trottinant  :  il 
secoua  la  cendre  qui  s  était  attachée  à  ses  pattes 
et  grimpa  lestement  tout  en  haut  de  larbre. 


34 


Sur  les  branches  du 
•  V.  sapin  et  au  travers  de  la 
"*      chambre,  des  fils  d  or  et  d'ar- 


gent scintillaient;  de  grosses 

boules,    les   unes    de    métal 

jaune  les  autres  de  métal  blanc,  ressemblaient  à 

des  bouquets  de  soleil  ou  à  des  guirlandes  de 

lunes. 

D  autres  jouets  sortaient  encore  de  la  che- 
minée. 

Des  pantins  bariolés  sautaient  adroitement 
sur  le  coin  des  meubles  et  sy 
asseyaient    sans    façon  ;    une 
locomotive    suivie   de   ses    /^ 
wagons  bondissait  à  travers 
les  rameaux  de  larbre  et  sy 
accrochait. 

Une    église,    de    petites 
maisons,  arrivaient  en  sautillant  ; 
des    poules,    des    oies,    des    canards    les    sui- 
vaient ;   un   éléphant    marchait    pesamment   en 
avant  des  bêtes  de  la  ménagerie  et  une  pièce 

35 


d  artillerie  entrait  avec  fracas,  au  grand  galop  de 
ses  chevaux  blancs. 

Au  son  du  chalumeau,  des  bergers  et  des 
bergères  menaient  leur  troupeau  de  moutons 
enrubannés. 

Alors  Quillembois  sentit  battre  bien  fort  son 
petit  cœur  de  bois  :  devant  lui,  timide  et  rougis- 
sante, la  petite  bergère  rose  et  verte  était  arrêtée 
et  lui  souriait  gentiment. 

Un  bruit  dailes  se  fit  entendre  dans  la 
cheminée  :  les  musiques  se  turent,  les  lumières 
seteignirent. 

Dans  la  ville,  les  cloches  sonnaient  à  toute 
volée  et  de  fraîches  voix  d'enfants  disaient  : 
((  Noël,  Noël,  Joyeux  Noël. 
«  Merry  Christmas.  » 


36 


q 


aiLLEMBOIS  eST  DOMINE 


La  porte  s  ouvrit. 

Des  têtes  blondes  et  des  têtes  brunes  d'en- 
fants apparurent.  Tous  ces  petits  regardaient 
avec  admiration  larbre  de  Noël  et  les  jouets  qui 
{entouraient :  pris  d'un  grand  respect  pour  un  si 
beau  spectacle,  ils  n'osaient  pénétrer  dans  la 
chambre,  mais  la  dame  vint  et  ils  la  suivirent  à 
petits  pas. 

Quand  ils  eurent  contemplé  tout  ce  qu'il  y 
avait  sur  le  plancher  et  dans  l'arbre,  la  dame  leur 
distribua  les  jouets.  Un  petit  garçon  blond  eut 
les  soldats  de  bois,  sa  sœur  eut  la  bergère  rose 

et  verte,  les 
bergers,  les 
moutons,  la 
bergerie  et 
tout  un  vil- 
lage ;      les 


soldats  de  plomb  furent  donnés  à  un  autre  garçon 
brun,  qui,  très  fier  du  cadeau  qu  il  avait  reçu,  s  en 
alla  bien  vite  en  poussant  de  grands  cris  de  joie. 

Car  les  petits  enfants  préfèrent  souvent 
les  soldats  de  plomb  aux  soldats  de  bois.  Les 
attitudes  martiales  et  variées  de  ces  hommes 
et  de  ces  chevaux  de  métal,  la  précision  des 
détails  des  harnachements  et  des  uniformes  sé- 
duisent tous  ceux  qui,  comme  les  petits  enfants, 
ne  voient  dans  la  guerre  qu'une  suite  de  jolis  ta- 
bleaux militaires,  abondants  en  épisodes  pitto- 
resques et  en  situations  théâtrales,  à  la  façon  des 
batailles  d  autrefois. 

Les  soldats  de  bois  ne  sont  pas  avantageux; 
mais  ils  ne  savent  pas  ployer,  mais  ils  sont  rus- 
tiques et  redoutables.  Ceux-là,  petits,  maigres, 
basanés,  ont  été  taillés  dans  du  bois  d  olivier  ou 


38 


d'amandier  et  viennent  de  Provence.  Ces  grands 
gaillards,  forts  et  bien  portants,  à  la  figure  vio- 
lemment enluminée,  qui  chantent  fort  dans  les 
marches,  boivent  ferme  dans  les  haltes  et  tapent 
dur  dans  les  combats,  viennent  des  régions  du 
Centre  et  sont  faits  dorme  ou  de  peuplier. 
D  autres  viennent  de  Corse  et  sont  en  chêne  vert. 
Il  y  a  des  Auvergnats  en  châtaignier,  des  Ven- 
déens en  bouleau,  des  Parisiens  en  platane  et  en 
marronnier.  Voici  des  Normands  en  hêtre,  des 
Bretons  en  frêne,  et  voici  de  jeunes  gars  aux 
yeux  bleus  qui  sont  en  sapin  des  Vosges. 

Les  soldats  de  bois  ne  sont  pas  avantageux, 
mais  ils  savent  tenir  la  tranchée  et  fixer lennemi. 

Et  dans  leurs  fibres  coule  encore  la  bonne 
sève  qu  ils  ont  puisée  dans  le  sol  des  forêts  de 
France. 


Première  Sortie 


Le  lendemain  du  jour  de  Noël,  Quillembois 
se  retrouva  dans  une  armoire. 

On  racontait  dans  la  maison  que  le  petit 
garçon  avait  mangé  trop  de  friandises,  qu  il  était 
malade  et  qu'on  le  privait  de  ses  jouets  pour  le 
punir  de  sa  gourmandise. 

Quillembois  s  ennuya  bien  pendant  quelques 
jours.  11  aurait  voulu  voir  la  maison  dans  laquelle 
il  allait  vivre  désormais  et  en  connaître  les 
habitants. 

11  se  demandait  pourquoi  il  était  injuste- 
ment condamné  à  demeurer  enfermé  dans  une 

40 


armoire  parce  qu  un  petit  garçon  n  avait  pas  été 
raisonnable.  Et,  pour  comble  de  malheur,  il  en- 
tendait, tout  près  de  lui,  la  petite  fille  qui  jouait 
avec  la  bergerie,  les  moutons  et  la  bergère  rose 
et  verte. 

Aussi  se  trouvait-il  bien  malheureux. 

Mais  enfin  le  petit  garçon  guérit  et  on  lui 
rendit  ses  soldats. 


Quillembois  fit  lexercice  sur  une  table,  à  la 
lueur  d'une  grosse  lampe:  il  défila,  avec  les  autres 
soldats,  sur  deux  rangs,  sur  quatre  rangs  ;  il  monta 


la  garde  au  sommet  dun  fort;  il  vit,  de  lautre 
côté  de  la  table,  la  bergère  et  ses  moutons. 

Les  péripéties  de  la  manœuvre  le  condui- 
sirent même,  à  un  certain  moment,  tout  près  de 
sa  petite  amie,  mais,  brusquement,  il  vit  dispa- 
raître moutons,  bergère  et  bergerie. 

Lui-même  se  retrouva,  après  un  grand  choc, 
au  fond  de  sa  boîte,  se  heurtant  avec  ses  cama- 
rades. 

11  était  l'heure  de  dîner. 

Et  on  venait  de  débarrasser  la  table. 


42 


Première  Victoire 


Quelques  jours  après  cette  première  sortie, 
les  soldats  de  bois  furent  tous  rangés  sur  un  fort. 

Devant  eux,  larmèe  des  soldats  de  plomb, 
que  le  petit  garçon  brun  avait  apportée  pour 
jouer  à  la  bataille,  occupait  l'autre  côté  de  la 
table.  Une  partie  de  cette  armée  se  dissimulait 
derrière  une  rangée  d arbres  verts:  la  cavalerie 
setait  mise  à  labri  dans  un  village  au  milieu 
duquel  se  trouvait  un  canon  gris  et  les  petits  pois 
qui  servaient  de  projectiles. 

La  mitraille  pleuvait  dru  sur  le  fort,  et  les 
soldats  de  bois,  mal  abrités,  tombaient  avec 
fracas.  Mais,  au  pied  du  fort,  un  gros  canon  jaune 
ripostait  ferme  et,  à  chaque  coup,  des  files  en- 
tières de  soldats  de  plomb  sabattaient  sur  la 
table. 


43 


Au  plus  fort  de  la  bataille,  Quillembois  fut 
envoyé  aux  renseignements. 

Attaché  à  un  gros  ballon  rouge,  il  monta 
jusqu'au  plafond.  Lorsqu'il  fut  arrivé  là-haut,  il 
ne  vit  plus,  au-dessous  de  lui,  que  de  petites 
taches  de  toutes  les  couleurs.  Mais,  bientôt,  il 
put  distinguer  ce  qui  se  passait  en  bas. 

11  y  avait  encore,  dans  le  camp  adverse, 
beaucoup  de  soldats  et  beaucoup  de  petits  pois. 
Et,  là-bas,  tout  au  bout,  à  langle  de  la  table,  un 
général  et  son  état-major  se  tenaient  hors  de  la 
portée  du  canon  du  fort. 

Alors,  du  côté  de  larmée  des  soldats  de 
plomb,  un  aéroplane  prit  son  vol  au  moment 
même  où  Quillembois  commençait  sa  descente. 


44 


Attaché  à  la  suspension,  loiseau  blanc  dé- 
crivait de  grands  cercles  au-dessus  de  la  table;  le 
ballon  continuait  toujours  sa  descente;  le  choc 
était  inévitable. 

Patatras! 

Entraîné,  déchiré  par  les  ailes  de  lavion, 
l'aérostat  se  dégonfla  aussitôt,  safîala,  et  Quil- 
lembois  tomba  sur  un  arbre. 

Mais  que  se  passe-t-il? 

Voici  que  larbre  oscille  sur  sa  base  et  s e- 
croule  en  faisant  tomber  d autres  arbres;  que 
ces  autres  arbres  écrasent  Tinfanterie,  lartillerie 
et  entraînent  dans  leur  chute  une  maison  qui  jette 
leglise  par  terre;  que  leglise  renverse  à  son  tour 
les  cavaliers  qui  sabritaient  derrière  elle  et  que 
son  clocher  sabat  sur  le  général  et  son  état- 
major  d  officiers,  n  en  laissant  pas  un  seul  debout. 

11    ne   restait   plus   rien    maintenant,   abso- 


45 


lument  rien,  de  larmèe  des  soldats  de  plomb, 
plus  rien  que  laviateur  sur  son  avion,  qui  se 
balançait  stupidement,  au  bout  de  sa  ficelle, 
devant  ses  troupes  anéanties. 

Les  soldats  de  bois  avaient  gagné  la  bataille; 
les  soldats  de  plomb,  honteux,  s  en  allèrent  pour 
toujours. 


Ainsi,  le  sort  des  armées  dépend  quelque- 
fois d  un  incident  futile  :  une  pluie  qui  tombe, 
un  pont  qui  s'écroule,  un  convoi  qui  arrive 
en  retard  peuvent  faire  perdre  ou  gagner  une 
bataille. 

Les  soldats  de  bois  fêtèrent  la  victoire  qu  ils 
avaient  remportée  sur  les  soldats  de  plomb.  Les 
rues  et  les  maisons  du  village  furent  pavoisées, 
il  y  eut  une  grande  revue  passée  par  le  général 
de  bois  et  un  grand  défilé  auquel  assistèrent  tous 


46 


les   habitants   de   la  ville,   des   campagnes,   des 
fermes  et  des  bergeries. 

Et  le  soir  venu,  Quillembois  s'endormit  avec 
délices  sur  sa  litière  de  mousse  et  de  copeaux 
fins. 


47 


Souvenirs  du  Passé 


Parfois,    les    soldats    de 
bois  du  petit   garçon   voisi- 
naient, sur  la  table,  avec  la 
I    E  ^^à^3^SË\    1  bergerie  de  la  petite  fille  et 
Il     fl      Ail  Quillembois  bavardait  avec 

les  bergers. 
Or,  il  reconnut,  un  jour,  un  de  ces  derniers. 
Natifs  du  même  sapin,  ils  avaient  été  tournés  le 
même  jour. 

Si  le  berger  n  était  pas  soldat,  comme  Quil- 
lembois, cest  parce  quau  moment  où  il  aurait 
fallu  l'armer,  il  ne  restait  plus,  dans 
latelier,  un  seul  bout  de  bois  assez  long 
pour  en  faire  un  fusil;  les  petits  mor- 
ceaux qui  traînaient  encore  sur  les 
établis  étaient  tout  au  plus  bons  à  faire 
des  triques  de  berger  ou  des  sabres 
dofficier. 

48 


11  aurait  été  officier  si  le  petit  morceau  de 
bois  qu  on  lui  colla  au  bras  avait  eu  la  pointe  en 
lair;  il  fut  berger  parce  que  la  pointe  de  ce  mor- 
ceau de  bois  avait  été,  au  contraire,  mise  en  bas. 

Mais  il  était  satisfait  de  son  sort  et  il  n'enviait 
personne. 

Quillembois  et  le  berger  parlèrent  ensemble 
des  anciens  camarades  qu  ils  avaient  retrouvés 
dans  le  grand  magasin. 

Un  grand  beau  garçon,  qui  avait  été  taillé 
dans  le  cœur  même  de  larbre,  avait  été  mis  dans 
une  boîte  de  soldats  de  luxe  et  il  était  parti  un 


jour  pour  l'Amérique  en  compagnie  de  poupées 
richement  habillées  et  de  coûteuses  voitures 
automobiles.  Un  autre  était  marin  sur  un  cuirassé 


49 


en  bois;  un  autre  était  acteur  dans  un  théâtre  de 
marionnettes;  et  puis,  il  y  en  avait  un,  qui  avait 
mal  tourné:  il  était  devenu  pion  dans  un  jeu 
dechecs,  avait  été  peint  en  noir  et  passait 
depuis  pour  être  en  ébène. 


Un  petit  maigriot,  qui  avait  été  taillé  dans 
une  branche  morte,  était,  lui  aussi,  soldat:  mais  il 
avait  la  taille  si  fine  et  il  était  si  fragile  qu  il  n  avait 
même  pas  pu  arriver  jusqu'au  magasin  et  quil 
s'était  cassé  en  deux  pendant  le  voyage. 

Mais,  depuis  longtemps,  on  n  avait  plus  de 
nouvelles  d  aucun  d  eux. 

Et  on  allait  bientôt  les  oublier. 


50 


Vie  de  Garnison 


Depuis  que  les  soldats  de  plomb 
étaient  retournés  chez  eux,  les  sol- 
dats de  bois  ne  faisaient  plus  la 
guerre. 

Sur  la  table,  paisible  désormais,  ils 
voyageaient  souvent  en  chemin  de  fer: 
parfois,  le  train,  lancé  trop  fort,  ne  s  arrê- 
tait pas  au  bord  de  la  table  et  il  tombait 
avec  ses  voyageurs  sur  le  parquet,  mais 
tout  le  monde  se  relevait  sans  mal. 

Ils  passaient  aussi,  en  rangs  serrés, 
sur  des  ponts  de  pierre  ou  de  bois;  quel- 
quefois, un  de  ces  ponts,  mal  construit, 
s'écroulait  et  les  ensevelissait  sous  ses 
décombres. 

Mais  ils  s'en  ti- 
raient encore  sans 
dommage. 

51 


Au  bord  d  une  cuvette  pleine  d'eau,  ils  s'em- 
barquaient sur  de  petits  bateaux  et  faisaient  de 
dangereuses  traversées,  le  plus  souvent  suivies 
de  naufrages;  mais,  heureusement,  les  soldats  de 
bois  flottent,  aussi  toutes  les  pertes  se  bornaient- 
elles  à  quelques  bras  ou  quelques  fusils  décollés 
qui  étaient  remis  en  place  le  lendemain. 

Mais,  un  soir  après  le  dîner,  la  guerre  civile 
déchaîna  ses  horreurs  sur  la  table  familiale. 

N  ayant  plus  de  soldats  de  plomb  à  abattre, 
le  petit  garçon,  voulant  se  servir  de  son  canon, 
se  mit  à  tirer  sur  la  bergerie  et  sur  le  village. 

Les  pauvres  moutons,  frappés  par  des  petits 
pois  ou  des  boulettes  de  mie  de  pain,  tombaient 
les  quatre  pattes  en  lair;  les  petites  cabanes  à 


52 


roulette,  dans  lesquelles  s  abritent  les  bergers,  les 
maisons,  les  arbres,  tout  était  renversé.  Quillem- 
bois  entendit  la  petite  fille  qui  pleurait,  puis  une 
grosse  voix  ordonna  aux  enfants  d  aller  se  cou- 
cher tout  de  suite. 

Et  la  lampe  s'éteignit. 


a.    OL 


53 


Projets  de  Départ 


Les  soldats,  les  moutons,  les  bergers  et  la 
bergère  restèrent  donc  pêle-mêle  sur  la  table. 

Au  bout  d'un  instant,  quand  les  jouets  furent 
bien  sûrs  qu  ils  étaient  seuls  et  que  personne  ne 
pouvait  les  voir,  ils  se  hasardèrent  à  faire  un 
pas  ou  deux  en  avant;  un  rayon  de  lune,  qui 
entrait  par  la  fenêtre,  éclairait  d  une  lueur  bla- 
farde les  ruines  du  village  et  de  la  bergerie. 


Mais,  déjà,  les  bergers  étaient  revenus:  les 
uns,  aidés  des  soldats,  remettaient  les  maisons 
debout  pendant  que  les  autres  ramassaient  les 
moutons.  Quillembois  pensa  que  la  petite  ber- 
gère n  était  pas  loin.  Enjambant  les  décombres 

54 


a^^ 


avec   précaution,   il   la   chercha   au  milieu  des 
ruines  et  laperçut  enfin  au  bord  de  la  table. 

La  pauvre  petite,  les  yeux 
pleins  de  larmes,  regardait 
labîme  qu elle  avait  devant  les 
yeux  et  dont, à  cause  de  lobscu- 
rité,  elle  ne  pouvait  apercevoir 
le  fond,  qui  était  le  parquet. 

Elle  expliqua  à  Quillem- 
bois  quelle  ne  pouvait  plus 
vivre  au  milieu  de  ces  coups 
de  canon  qui  renversaient  les  villages,  les  églises, 
les  moutons  et  les  bergères,  et  qu  elle  ne  dési- 
rait rien  tant  que  de  senfuir. 

Le  petit  soldat  lui  répondit  qu  il  ne  deman- 
dait pas  mieux  que  de  se  sauver  avec  elle;  il 
ajouta  qu  il  serait  bien  heureux  de  la  guider  dans 
cette  entreprise  pleine  de  dangers,  si  elle  voulait 
bien,  toutefois,  le  lui  permettre. 

Comme  il  était  déjà  tombé  du  haut  dune 
table,  il  savait  bien  que  les  jouets  de  bois  ne  se 
font  pas  grand   mal    dans    leur  chute,  mais  il 


55 


pensa  aussi  que  ni  la  bergère  ni  lui  ne  pour- 
raient, une  fois  quils  seraient  en  bas,  ouvrir  la 
porte  ou  la  fenêtre  et  qualors  ils  seraient 
ramassés  tous  les  deux,  le  lendemain  matin, 
pour  aller  rejoindre  les  autres  jouets  au  fond  de 
leur  boîte. 

Ils  décidèrent  donc  de  se  blottir  derrière  un 
tas  de  petits  pois.  Quillembois  s'était  rappelé 
que,  tous  les  matins,  on  secouait  le  tapis  de  la 
table  par  la  fenêtre;  il  pensa  que,  s'ils  avaient 
le  bonheur  de  ne  pas  être  vus  au  moment  où  on 
rangerait  les  jouets  épars  sur  la  table,  ils  cour- 
raient la  chance  detre  jetés  ensemble  dans  le 
jardin,  avec  les  petits  pois,  les  mies  de  pain  et 
autres  détritus. 


56 


L'Évasion 


0  Les  événements  se  passèrent  bien  ainsi  que 
les  avait  prévus  le  petit  soldat.  Mais,  tandis  que 
la  bergère  tombait  au  pied  du  mur  de  la  maison, 


Quillembois  fut  jeté  beaucoup  plus  loin  :  il 
tomba  d  abord  sur  un  arbuste  pour  dégringoler 
ensuite  dans  un  gros  chou. 

Un  peu  étourdi  par  sa  chute,  il  essayait  de 
se  remettre  d  aplomb,  mais,  dans  ce  mouvement, 
il  glissa  malencontreusement  entre  deux  feuilles 


57 


et,  malgré  tous  les  efforts  qu'il  fit,  il  ne  put  se 
dégager  de  leur  étreinte. 

Prise  de  peur  en  se  voyant  séparée  de  son 
compagnon,  la  petite  bergère  n  osait  plus  bou- 
ger :  tout  ce  grand  monde  inconnu  qu  elle  voyait 
autour  délie  lefPrayait  plus  encore  que  les 
coups  de  canon. 

Alors,  de  désespoir,  elle  se  laissa  rouler  au 
bord  d  une  allée,  espérant  qu  on  ly  retrouverait 
bientôt. 

En  effet,  quelques  heures  plus  tard,  Quil- 
lembois  entendit  les  cris  de  joie  de  la  petite  fille, 
ravie  d  avoir  retrouvé  son  jouet. 

11  pensa  tristement  quil  allait  être  éloigné 
pour  toujours  de  la  petite  bergère  rose  et  verte. 


58 


CjaiLLEnBOIS  REVIEMTSANS  GlOIRE 

Quillembois  passa  de  longues  journées  dans 
le  chou. 

11  souffrit  beaucoup,  car,  au  fur  et  à  mesure 
que  le  chou  poussait,  ses  feuilles  grossissaient  de 
telle  façon  que  Quillembois  était  de  plus  en  plus 
serré  entre  elles. 

11  avait,  de  plus,  à  subir  deux  fois  par  jour  le 
supplice  de  larrosage,  excellent  pour  les  choux, 
mais  très  mauvais  pour  les  soldats  de  bois;  dans 
la  journée,  de  grosses  mouches  se  promenaient 
sur  sa  figure  et  le  chatouillaient  désagréable- 
ment; pendant  la  nuit,  les  limaces  rampaient  sur 
son  corps  et  laissaient  derrière  elles  des  traînées 
de  leur  bave  dégoûtante. 

Il  pensait  bien  pourrir  là,  lorsqu'un  jour  le 
chou  fut  cueilli  pour  être  mis  dans  la  soupe. 
Quillembois  glissa  dans  la  marmite,  y  resta  toute 
la  journée  et  fut  retrouvé,  le  soir,  à  table,  dans 
la  soupière. 

59 


Mais  dans  quel  état!!  Les  brillantes  couleurs 
de  ses  joues  étaient  ternies;  son  pantalon  rouge 
était  dun  rose  sale;  sa  belle  tunique,  décolorée, 
était  souillée  de  graisse  ;  son  shako  noir  était 
devenu  gris;  ses  bras,  son  fusil,  son  sac  et  la  con- 
fortable rondelle  qui  lui  servait  jadis  de  souliers, 
le  tout,  décollé,  flottait  sur  le  bouillon. 

La  cuisinière  fut  appelée:  on  lui  montra  les 
horreurs  qui  nageaient  là  et  on  la  chassa  sur-le- 
champ  en  lui  ordonnant  de  remporter  la  sou- 
pière. Aussi,  dès  qu  elle  fut  dans  la  cuisine,  elle 


60 


saisit,  de  rage,  le  corps  de  Quillembois,  le  jeta 
par  terre,  et,  dun  vigoureux  coup  de  pied, 
elle  lenvoya,  sous  un  meuble,  rouler  dans  la 
poussière. 

Comme  la  bonne  était  aussi  sale  que  la 
cuisinière,  Quillembois  resta  de  longs  jours  sous 
ce  meuble.  Mais,  une  Fois  par  mois,  la  maîtresse 
de  maison  présidait  elle-même  au  balayage. 

Ce  jour-là,  Quillembois  reçut  dans  les  reins 
un  bon  coup  de  balai  qui  l'envoya  rebondir  sur 
les  marches  d'un  escalier  :  au  moment  même,  le 
petit  garçon  blond  descendait  de  sa  chambre. 

Au  bruit  que  fit  Quillembois  le  petit  garçon 
se  précipita.  Après  un  instant  d'hésitation,  il  vit 
que  cette  chose  informe  était  un  de  ses  soldats 
et  Quillembois  fut  remis  dans  sa  boîte,  avec  les 
autres  jouets,  dans  larmoire  habituelle. 


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Une  Grande  Douleur 

Lorsque  le  pauvre  Quillembois  fut 
de  retour  parmi  ses   camarades,  il  eut 
^^-4^     un  moment  de  bonheur,  mais  sa  joie  fut 
de  courte  durée. 

Aucun  des  soldats  ne  voulut  reconnaître, 
dans  ce  morceau  de  bois  gras  et  sale,  qui  sentait 
encore  le  chou,  leur  ancien  compagnon  de 
gloire.  Tous  lui  tournaient  le  dos  avec  mépris  et, 
comme  il  insistait  pour  reprendre  sa  place  au 
milieu  d'eux,  le  capitaine  donna  Tordre  à  ses 
soldats  de  jeter  Quillembois  par-dessus  le  bord 
de  la  boîte. 


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Les  soldats  obéirent  et  Quillembois  tomba 
en  plein  dans  la  bergerie  :  à  quelques  rondelles 
de  lui,  la  bergère  verte  et  rose  gardait  toujours 
ses  moutons. 

En  lapercevant,  Quillembois  poussa  un  cri 
de  joie  et  se  précipita  vers  elle  :  il  pleurait 
d'émotion  en  retrouvant  sa  chère  petite  pas- 
toure  qu  il  croyait  bien  ne  plus  jamais  revoir. 


Mais  la  bergère  eut  peur  de  cet  homme 
sans  bras,  qui  titubait  sur  son  pied  trop  petit  et 
elle  courut  se  réfugier  auprès  d'un  grand  berger 
bleu  et  gris  qui  était  armé  dun  solide  gour- 
din ;  comme  elle  criait  de  toutes  ses  forces  : 
((  Au  fou,  au  fou  !  »  d  autres  bergers  accoururent 
avec  des  chiens  et  mirent  en  fuite  Quillembois, 


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qui,  après  mille  difficultés,  réussit  à  se  hisser 
jusqu'au  sommet  de  leglise,  où  il  put  enfin 
échapper  à  leur  colère. 

Toute  leau  dont  il  setait 
imbibé  pendant  larrosage,  tout  le 
bouillon  de  choux  dont  il  setait 
imprégné  dans  la  marmite  et  dans 
la  soupière  sen  allèrent  durant 
cette  nuit  sous  forme  de  larmes,  car 
Quillembois  ne  connut  jamais  de 
douleur  plus  amère. 

Devant  leglise,  bergers,  arbres, 
maisons,  chiens  et  moutons  dansaient  joyeuse- 
ment pour  célébrer  les  fiançailles  de  la  petite 
bergère  verte  et  rose  et  du  grand  berger  gris 
et  bleu. 


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La  fiin  de  C|uiLLErABOis 

Lorsqu'il  eut  épuisé  toutes  ses  larmes  et 
qu'il  ne  fut  plus  qu  un  petit  morceau  de  bois  sec 
et  ratatiné,  Quillembois  voulut  s'éloigner  pour 
toujours  du  lieu  de  son  malheur. 

Entre  l'extrême  bord  du  rayon  sur  lequel  il 
se  trouvait  et  la  porte  de  l'armoire,  il  existait  un 
vide  assez  grand  pour  qu'il  pût  y  passer.  Quil- 
lembois se  rappelait  avoir  vu,  sur  la  planchette 
inférieure,  des  livres  et  des  plumiers.  11  espérait 
qu'au  milieu  d'eux  il  pourrait  peut-être  vivre 
ignoré  et  se  refaire  une  existence  calme  et 
paisible,  comme  celle  d'un  vieux  savant. 


65 


11  abandonna  donc 
son  refuge,  sapprocha  du 
bord  du  rayon  et  se  laissa 
tomber  au  hasard. 

Mais  son  malheur 
voulut  qu  il  chût  la  tête  la 
première  dans  un  encrier 
qui  navait  justement  pas 
été  bouché.  La  jupe  de  sa 
tunique,  trop  large  pour  passer  par  louverture 
du  flacon,  lempêcha  de  couler  jusqu'au  fond 
mais  il  resta  là,  les  pieds  en  lair  et  la  tête  dans 
lencre,  sans  pouvoir  se  dégager. 


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11  fut  retrouvé  le  lendemain,  dans 
cette  position  inattendue,  par  les  enfants 
qui  venaient  chercher  leurs  jouets.  En  le 
voyant,  ils  s'accusèrent  mutuellement  de 
setre  joué  ce  mauvais  tour  et  ils  se  dis- 
putèrent bien. 

Mais  lorsqu'ils  eurent  retiré  Quillem- 
bois  de  lencrien  ils  rirent  tellement  en 
voyant  sa  pauvre  tête  noire,  qu'ils  ne  res- 
tèrent pas  fâchés  plus  longtemps  et  qu'ils 
coururent  vers  la  chambre  de  leurs  pa- 
rents, voulant  leur  montrer  ce  personnage 
ridicule,  espérant  bien  que  tout  le  monde 
en  rirait  autant  qu'eux. 

L'encre  qui  dégouttait  de  la  tête  de 
Quillembois  tacha  le  tapis  de  la  salle  à 
manger,  l'escalier,  le  parquet  de  la  cham- 
bre. Le  héros  démodé  n'eut  pas  un  succès 
de  rire,  mais  d'horreur. 

Alors,    arraché    des    mains    qui    le 

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tenaient,  il  fut  jeté  dans  le  feu  où  il  se  consuma. 

Ses  anciens  camarades,  le  tambour,  le  capi- 
taine, le  porte-drapeau  disparaîtront  à  leur  tour  : 
les  bergers,  les  moutons,  les  bergères  roses  et 
vertes  s'en  iront  aussi  en  fumée  ou  en  poussière. 

Des  jouets  naissent,  des  jouets  meurent  :  et 
leur  histoire  se  ressemble  beaucoup. 


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TABLE 


PAGES 

Le  Portrait  de  Quillembois 5 

Premier  Chagrin 7 

Le  Départ 9 

Un   Rêve 11 

Le  Magasin H 

Les  Jouets  humbles 16 

Les  Jouets  riches 18 

Quillembois  est  vendu 25 

Une  Page  d'histoire. 27 

Nuit  de  Noël 32 

Quillembois  est  donné 37 

Première  Sortie. 40 


PAGES 

Première  Victoire 43 

Souvenirs  du  Passé 48 

Vie  de  Garnison 51 

Projets  de  Départ. 54 

L'Évasion bl 

Quillembois  revient  sans  gloire. 59 

Une  grande  Douleur 62 

La  Fin  de  Quillembois 65 


IMPRIME    PAR    BERGER-LEVRAULT 
NANCY 


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