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Full text of "Histoire de Roussillon : comprenant l'histoire du royaume de Majorque ..."

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HISTOIRE 


DE 


ROUSSILLON 


PREMIERE    PARTIE 


HISTOIRE 

ROUSSILLOÎN 

DU  ROYAUME  DE  MAJORQUE 

PAR  M.   D.-M.-J.   HENRY 

I  ll\SF.BVATEIiB    BK    LA    BIBLIOTIIKIII E    DE    PEBI-ir.XAN 

PREMIÈRE  PARTIE 


PARIS 

IMMtlMÉ    PAU    AUTOmSATlON   DC    KOI 

A    l/IMPRIMERIË    ROYALE 
M    DCCC    XXX\ 


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WÊBU 


AVERTISSEMENT. 


Le  père  Leiong,  dans  sa  Bibliothèque  fran- 
çaise, nous  apprend  que  Thistoire  de  Roussillon 
a  été  écrite  par  Tabbé  Taverner,  qui ,  au  dire  de 
Martène ,  mettait  la  dernière  main  à  ce  travail  en 
1  7 1 8  ;  mais  elle  n'a  jamais  été  publiée  et  nous 
ignorons  si  le  manuscrit  en  existe  encore.  L'his- 
toire de  cette  province,  comnie  mat4ria,ux  de  l'his- 
toire générale  de  France,  offrp:troj^d'în1,érêt  pour 
rester  ensevelie  dans  l'ouBhv.  Placé  entre  la 
France  et  l'Aragon ,  le  RoiisâBon  est  un  anneau 
qui  unit  l'histoire  de  ces  deux  nations  si  longtemps 
rivales ,  et  elle  seule  explique  une  foule  d'événe- 
ments que  la  passion  et  un  sot  amour-propre 
national  ont  défigurés  chez  les  écrivains  des  deux 
nations,  surtout  dans  le  désastreux  épisode  de 
l'engagement  de  cette  province  à  Louis  XI. 

Consultant  moins  nos  lumières  que  le  désir 
d'être  utile,  nous  avons  entrepris  de  remplir  la 
lacune  que  l'absence  de  celte  histoire  laissait 
dans  la  connaissance  des  faits  généraux.  Si  nous 


■<?^:s 


VI  AVERTISSEMENT. 

n*avons  pas  atteint  notre  but,  la  faute  en  est  à 
notre  talent  et  non  à  notre  bonne  volonté.  Le 
travail  que  nous  présentons  ici  est  extrait  des  his- 
toriens des  diverses  nations  qui  ont  eu  à  traiter 
des  affaires  de  cette  province  ;  nous  nous  sommes 
aidé  des  mémoires  et  pièces  de  circonstance  pu- 
bliés aux  différentes  époques;  des  chartes,  édits 
et  autres  monuments  publics  existant  dans  les 
différentes  archives  de  la  province;  mais,  nous 
devonfi  le  dire,  ces  archives  ne  sont  plus  aujour- 
d'hui ce  qu'elles  furent  avant  nos  désastres  po- 
litiques. Au  commencement  de  la  révolution 
tous  ces  dépôts  furent  plus  ou  moins  mutilés ,  et 
des  documents  précieux  sur  les  actes  des  rois  de 
Majorque,  d'Aragon,  d'Espagne  et  de  France, 
tour  à  tour  maîtres  de  cette  province,  furent 
anéantis.  Les  archives  des  églises  et  maisons  re- 
ligieuses, tant  compulsées  par  Marca,  Baluze, 
Vaissette,  Fossa,  pillées,  dispersées,  livrées  aux 
flammes,  sont  une  perte  immense  pour  l'histoire. 
Nous  avons  vu ,  aux  archives  de  la  préfecture  des 
Pyrénées  -  Orientales ,  le  reçu  d'une  charretée 
des  parchemins  qui  provenaient  de  ces  maisons , 
qui  avaient  été  envoyés  à  Toulon  pour  le  service 
de  l'artillerie  de  la  marine.  Une  partie  de  ces 
mêmes  dépouilles  d'archives ,  qui  n'avait  pu  trou- 


AVERTISSEMENT.  vu 

ver  place  dans  cet  envoi,  resta  amoncelée  dans  un 
galetas  de  Thôtel  de  la  Préfecture ,  où  les  infil- 
trations pluviales,  la  poussière,  les  insectes,  tous 
les  agents  de  destruction,  achevaient  de  con- 
sommer leur  ruine ,  quand,  en  1 8 1 9 ,  nous  fumes 
chaigé  d'en  £ûre  un  dépouillement.  Cest  là  que 
BOUS  découvrîmes  encore  une  partie  des  docu- 
ments qui  ont  servi  à  rédiger xe  travail  et  qui  ne 
font  qu'augmenter  l'amertume  de  nos  regrets  sur 
la  perte  des  autres  :  ces  pièces,  nous  les  indi- 
^ons  dans  les  renvois  par  les  mots  Arch.  eccle- 
siaram. 

Nous  n'avons  pas  cru  devoir  entrer  dans  le  dé- 
^1  minutieux  des  fondations  d'églises,  dona- 
tions  et  autres  actes  pieux  des  comtes  et  des 
rois;  nous  renvoyons  pour  cet  article  au  Marca 
^Wjoa/iica  et  à  l'Art  de  vérifier  les  dates. 

Pour  répondre  un  seul  mot  aux  personnes  qui, 
par  des  sentiments  peu  bienveillants,  avaient 
avancé  que  nous  ne  cherchions  qu'à  dénigrer  le 
pays  dont  nous  tracions  les  fastes,  nous  dirons 
que  n'ayant  pas  à  écrire  une  histoire  contempo- 
raine il  nous  était  facile  d'être  juste  et  impartial. 
Nous  avons  blâmé  ce  que  nous  avons  cru  blâmable 
et  loué  ce  qui  nous  paraissait  digne  d'éloges, 
sans  que  ni  le  blâme  ni  l'éloge  se  soient  ja- 


vin  AVERTISSEMEM 

mais  colorés  des  sendmenls  oa  des  posnoos  da 
jour.  Qa^on  ne  cherche  donc  pas  dans  cet  ou- 
vrage des  aliusioiis  à  des  éréneiDents  cootempo- 
rains:  il  n^est  écrît  que  sons  b  seule  inspîntioo 
des  £ùts  doot  nous  avions  à  readre  compte .  dé- 
gagé que  nous  étions,  en  le  oQm|M»aBt«  de  toute 
pasûon  politique  et  n^avant  phs  pour  guides  que 
notre  conscience,  la  droiture  et  Tèquité. 


INTRODUCTION. 


S  I. 

Topographie.  — Histoire  naturdle. — Géographie  ancienne. — 

Antiquités. 

Le  nom  de  Roussillon^,  rendu  commun  à  toute  la 
province  depuis  sa  réunion  à  la  France»  ne  se  don- 
nait primitivement  qu'au  comté  de  ce  nom ,  qui  s'é- 
tendait le  long  de  la  mer,  depuis  Sdses  jusqu'à  Goi- 
lioure.  Le  reste  du  territoire  compris  aujourd'hui 
sous  cette  dénomination  collective  formait  les  com- 
tés de  Vallespir  et  de  Gonflent,  et  partie  de  celui 
de  Gerdagne. 

La  chaîne  des  Pyrénées ,  en  se  portant  de  TOcéan  à 
]a  Méditerranée,  jette,  au  moment  de  s'enfoncer  sous 
cette  mer  par  le  cap  de  Greus ,  deux  petites  branches 
dont  l'une ,  sous  le  nom  de  Gorbières ,  aboutit  au  cap 
de  Leucate ,  ancienne  limite  des  royaumes  de  France 
et  d'Aragon,  mais  appartenant  au  premier,  et  dont 

^  Rascino.  Daprès  i opinion  du  savant  D.  Pedro  Rodriguez  Cam- 
pomanes  (voyez  Antigucdad  maritinuL  de  la  Rep.  mar.  de  Caiiago)  y 
cette  colonie  aurait  pris  son  nom  de  Ruscino  d'Afrique  aux  environ»  de 
Carthage ,  pag.  i  oo ,  note  C. 


Y  INTRODUCTION. 

Tautre,  sous  le  nom  cfAlbères,  se  tennine  ao  cap 
Cervère,  antique  limite  des  Gaules  et  de  FEspâ^e. 
L*espace  compris  depuis  le  sommet  de  cette  espèce 
de  triangle  iirégulier  jusqu'à  sa  base ,  qui  est  la  mer, 
très-montueux  dans  une  partie  et  tout  en  plaine 
dans  l'autre,  constitue  la  province  de  Roussillon. 

Cette  partie  montagneuse  de  la  province,  qui  est  à 
la  partie  de  la  plaine  dans  le  rapport  de  sept  à  un , 
commence  à  environ  18,000  toises  du  riva^  de  la 
mer,  en  prenant  le  rayon  le  plus  étendu.  En  montant 
de  la  plaine  vers  les  montagnes,  on  trouve  des  col- 
lines d'abord  asses  basses,  et  qui  s'élèvent  ensuite 
rapidement  pour  se  rattacher  à  la  dudne  générale. 
La  branche  des  Albères  se  dirige  de  l'est  &  l'ouest, 
jetant  de  tous  cotés  des  rameaux  qui  &i  sont  comme 
les  contreforts  et  qui  forment  différentes  vallées  dans 
lesquelles  la  végétation  est  très-active,  et  dont  celle 
de  Sorède  est  la  plus  belle  du  côté  de  la  France.  La 
direction  des  Corbières  est  du  nord-est  au  sud-ouest. 
Cette  branche  est  moins  boisée  que  l'autre,  qui  est 
verte  jusqu'à  sa  plus  haute  cime.  Le  pin  et  le  sapin 
dominent  dans  la  Cerdagne  et  le  Confient  ;  le  frêne , 
le  châtaignier,  le  chêue-liége  et  tous  les  arbres  de 
cette  famille  abondent  dans  la  partie  du  Vallespir. 

Au  nombre  des  montagnes  du  Roussillon ,  il  en  est 
une ,  qui,  placée  entre  la  branche  des  Albères  et  celle 
des  Corbières,  et  dominant  de  beaucoup  tout  ce  qui 
l'environne ,  fut  regardée  longtemps  comme  la  plus 


INTRODUCTION.  xi 

haute  de  toute  la  chaîne  des  Pyrénées  :  il  est  avéré 
aujourdliui  qu'elle  n  est  que  la  douzième  en  hauteur 
de  cette  série ,  et  que  même  deux  pics  de  la  Cerdagne 
la  surpassent  un  peu  en  élévation.  L'étymologie  de  son 
nom,  ûmigOy  parait  venir  du  mot  can,  qui  veut  dire 
blanc  \  qualification  qui  se  rapporterait  aux  neiges 
qui  séjournent  huit  à  dix  mois  sur  son  front  caduc. 

Nous  plaçons  ici  le  tableau  de  la  hauteur,  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer,  de  quelques  points  de  la  super- 
ficie du  Roussillon  que  Rocheblave  avait  déterminée 
pour  avoir  cdle  du  Ganigou  : 

Peq)ignaD lo  toises. 

Le  pont  de  Ceret 5o 

Arles 1&3 

BAontfiBrrer 4oi 

La  Croix  de  la  Geste 5i6 

Le  grand  Pastor 619 

Le  pic  de  la  Soque 801 

Le  Pastor  de  Canigou 981 

Treze- Vents 1 ,  187 

Le  pic  méridional  du  Canigou  * 1 M^ 

HAUTEUR     DE    QUELQUES     AUTRES     LIEUX. 

Espira,  suivant  Mechain 339  toises. 


'  CiOurt  de  Gébelin ,  Dict  Étymol. 

*  Mémoire  sur  les  monts  Pyrénées,  par  Pàllassou. 

La  hauteur  du  Ganigou  est , 

Suivant  Rcboul  et  Vidai ,  de  i,43o  toises. 

Suivant  Mechain,  de if^3i 

Suivant  Bory-S^-Vincent ,  de  1 ,44 1 


M 


XII  INTRODUCTION. 

Força-Real ,  suivant  Mechain 267  toises. 

Tautavd 36i 

La  Massane,  suivant  Pallassou &08 

Trois  petits  fleuves  ou  grands  torrents  descendent 
des  montagnes  et  traversent  le  Roussillon  :  ce  sont , 
du  nord  au  sud,  la  Gly,  la  Tet,  le  Tech.  Une  chose  est 
à  remarquer  au  sujet  de  ces  fleuves,  égaux  en  lon- 
gueur, en  largeur  et  tous  les  trois  assez  souvent  des-^ 
tructeurs,  c'est  qu* aucun  des  écrivains  de  Tantiquité 
ne  les  a  indiqués  tous.  Strabon,  qui  fait  mention  de 
la  Tet  et  du  Tech,  leur  donne  les  noms  de  Ruscino  et 
dlUiberis;  mais  nous  pensons  que  c*est  par  erreur 
qu'il  leur  assigne  ainsi  le  nom  des  deux  villes  bâties 
sur  leiu^  rives;  Mêla,  son  contemporain ,  et  Elspagnol 
de  nation ,  devant  par  conséquent  mieux  connaître  ce 
pays  que  le  géographe  grec,  les  nomme  par  leur  propre 
nom,  Telis  (qu'il  faut  sans  doute  lire  Tetis)  et  Tichis; 
mais  nous  ne  comprenons  pas  comment  il  a  oublié 
la  Gly.  Pline,  mieux  informé  que  Strabon,   parait 
avoir  reçu  des  renseignements  sur  le  nom  des  trois 
fleuves;  mais  persuadé,  vraisemblablement  par  l'omis- 
sion de  ses  devanciers,  qu'il  n'y  en  avait  que  deux,  il 
nomme  la  Gly  et  la  Tet,  Vernodubram  et  Tecum,  Ce 
qui  ne  laisse  pas  douter  que  c'est  bien  de  la  Giy  que 
parlaient  les  docimients  sur  lesquels  il  rédigeait  son 
travail,  c'est  que  le  nom  de  Vernodabrum  se  retrouve 
encore,  incontestablement,  dans  celui  de   Verdoublc 


INT4\0DUCTI0N.  xiii 

que  porte  le  dernier  des  affluents  de  ce  fleuve. 
Ptoléraée ,  à  qui  Touvrage  de  Strabon ,  écrit  dans  la 
même  langue  que  celle  qu  il  parlait,  paraît  avoir  servi 
de  guide,  nomme  comme  lui  la  Tet  et  le  Tech ,  Rus- 
cino  et  IlUberiSy  qu'il  écrit  lUeris,  Mêla  signale  les  dé- 
bordements désastreux  de  ces  fleuves  en  ce  peu  de 
mots  :  Parva  Jlamina  uhi  crevere  persœva. 

Marca  ne  pense  pas  que  le  lit  de  la  Tet  ait  toujours 
existé  là  où  il  se  trouve  maintenant,  au-dessous  de 
Perpignan;  suivant  lui,  ce  fleuve  se  rendait,  non  pas 
à  Canet,  mais  à  Torelles,  où  son  embouchure  for- 
mait un  petit  port.  Le  motif  de  cette  déviation  aurait 
été,  d'après  ce  savant  prélat,  d'enlever  aux  pirates  du 
Nord  un  point  de  débarquement  favorable  à  leurs 
ravages  en  Roussilkm  ^  Nous  manquons  aujourd'hui 
de  moyens  pour  vérifier  l'exactitude  de  ce  fait,  qui 
n'aurait  en  soi  rien  d'extraordinaire;  nous  savons  seu- 
lement que  des  médailles  romaines  se  trouvent  quel- 
quefois à  Torelles,  ce  qui  atteste  l'antiquité  de  ce  lieu. 

La  plaine  de  Roussiilon  est  un  terrain  d'alluvion 
formé  d'un  dépôt  de  matières  calcaires  et  granitiques, 
enlevées  par  les  eaux  pluviales  aux  montagnes  qui 
l'entourent^.  Ces  dépôts,  poussés  plus  ou  moins  loin 
dans  le  bassin  que  formait  la  mer,  déterminèrent  les 
atterrissements  successifs  au  pied  de  ces  montagnes , 

^   Marca  hispanica,  autore  Petro  de  Marca,  lib.  I,  cap.  v. 
*  Voyez  à  la  (in  du  volume,  avant  les  notes ,  un  tableau  des  tranches 
de  ce  terrain. 


XIV  INTRODUCTION. 

et  y  produisirent  divers  bancs  placés  dans  des  direc- 
tions parallèles,  suivant  la  force  du  courant  qui  les 
entraînait.  Le  passage  de  la  mer  entre  ces  difiërents 
bancs  étant  enfin  intercepté ,  et  les  dépots  d^alluyion 
les  recouvrant  d*un  limon  fécondant,  il  en  résulta 
une  plaine  qu'enrichit  bientôt  une  puissante  végéta- 
tion. Les  barres  qui  s'étaient  formées  au  large  ayant 
laissé  derrière  elles  de  grandes  étendues  de  ce  bassin 
où  les  dépots  n'étaient  pas  suffisants  pour  élever  le 
fond  au  niveau  des  bancs  qui  les  avaient  circonscrits , 
les  fonds  servirent  de  réservoirs  à  toutes  les  eaux  qui 
s'écoulaient  des  montagnes ,  et  devinrent  des  étangs 
bordant  toute  l'étendue  de  la  conquête  que  la  terre 
avait  faite  sur  la  mer.  Ces  étangs,  réduits  aujourd'hui 
au  nombre  de  cinq,  sont,  celui  de  Salses  ou  de  Saint- 
Laurent,  dont  la  longueur  est  d'environ  7,800  toises, 
la  largeur  de  li,5oo  et  la  circonférence  de  a5,ooo; 
celui  de  Saint-Nazaire ,  dont  la  longueur  est  d'environ 
3,000  toises,  la  largeur  de  a5o  et  la  circonférence 
de  7, a 00;  celui  de  Villeneuve,  dont  la  longueur  est 
d'environ  1,000  toises,  la  laideur  de  600  et  la  cir- 
conférence de  2,000;  celui  de  Saint-Cyprien ,  dont  la 
longueur  est  d'environ  1,000  toises,  la  largeur  de 
/ïoo  et  la  circonférence  de  a, 000;  quant  k  celui  de 
Canet,  encore  très -considérable  au  moyen  âge,  et  où 
se  trouvaient  alors  les  salines  du  Roussillon ,  ce  n'est 
plus  aujourd'hui  qu'une  mare  malsaine  et  qui  est  h 
sec  une  partie  de  l'année.  Ces  quatre  derniers  étangs, 


INTRODUCTION.  xv 

avec  un  autre  que  le  dernier  comte  de  Roussillon  fit 
dessécher,  n  en  faisaient  qu  un  anciennement.  Le  nom 
de  Cabestany ,  caput  stagni,  que  porte  une  petite  com- 
mune à  une  lieue  de  Perpignan ,  prouve  que  les  eaux 
s  avançaient  jusque-là,  et  celui  de  Cobmina  de  h 
statiy  qu'un  ancien  acte  donne  à  une  propriété  du 
terroir  de  Pontella ,  atteste  également  les  limites  de 
ce  vaste  étang  de  ce  côté.  Les  étangs  de  Salses  et  de 
Saint-Nazaire  communiquent  avec  la  mer  par  des 
bouches  qu*on  appelle  graus,  et  dont  Tentretien  s  op- 
pose au  rétrécissement,  et  par  suite  à  Tasséchement 
complet  de  ces  bassins  de  pêche.  Les  eaux  du  premier 
contiennent,  suivant  Carrera,  un  quarante-quatrième 
de  sel  marin. 

Plusieurs  petits  lacs  existent  au  sommet  des  mon- 
ti^nes,  et  donnent  naissance  aux  différents  fleuves  et 
rivières  qui  ont  leur  source  dans  la  province ,  comme 
la  Sègre,  l'Aude,  la  Tet,  le  Tech  et  ime  foule  de  petites 
rivières  ou  ruisseaux  qui  sont  les  affluents  de  ceux-ci. 

La  température  varie  dans  l'étendue  de  la  province 
suivant  les  différents  sites.  Dans  la  plaine,  le  ciel, 
presque  toujours  clair  et  pur,  donne  trop  rarement 
aux  vapeurs  atmosphériques  l'occasion  de  se  con- 
denser et  de  répondre  par  la  pluie  aux  vœux  et  aux 
besoins  de  l'agriculture;  on  y  voit  souvent  des  séche- 
resses opiniâtres  se  soutenir  pendant  huit  mois  et 
plus,  sauf  quelques  ondées  d'orage  qui  donnent  à 
peine  quelques  millimètres  d'eau;  d'autres  fois  la  pluie. 


XVI  INTRODUCTION, 

après  avoir  été  nulle  pendant  tout  le  temps  que  sa 
présence  eût  été  nidispensable  pour  la  germination 
des  céréales  ou  le  développement  des  bourgeons  de 
la  vigne  et  de  Tolivier,  arrive  tout  à  coup  par  torrents» 
et  jette  en  peu  de  jours  sur  les  terres  du  Roussilloi) 
la  même  masse  d*eau  qui  tombe  communément  à 
Paris  dans  le  cours  d*une  année.  Ces  averses  intem- 
pestives achèvent  alors  de  détruire  le  peu  que  la  sé- 
cheresse avait  épai^é.  Dans  la  plaine,  encore ,  Thiver 
est  généralement  doux  et  la  neige  très-rare,  mais  les 
chaleurs  de  Tété  y  sont  souvent  accablantes  ;  on  n'y 
connaît  pas  de  printemps  :  la  même  inconstance  de 
température  qui  a  marqué  l'hiver,  c'est-à-dire  une 
variation  thermométrique  de  o°,  à  1 6  et  1 8°  centi- 
grades se  succédant  brusquement  et  parcourant  toute 
cette  échelle  en  moins  d'une  semaine,  se  prolonge 
jusqu'au  moment  où  l'été  arrive  sans  transition.  Ce 
moment  est  aussi  variable  que  la  température  :  c'est 
tantôt  le  mois  d'avril,  tantôt  le  mois  de  mai;  quel- 
quefois même  les  premiers  jours  de  juin  sont  encore 
assez  froids  pour  le  pays.  L'été ,  non  moins  incons- 
tant que  l'hiver,  est  marqué  par  des  chaleurs  de  3o 
à  35**  centigrades,  quelquefois  plus,  interrompues 
par  un  abaissement  subit  de  température  de  lo  à 
12**  centigrades,  d'un  jour  à  l'autre,  suivant  la  direc- 
tion du  vent  qui  souffle.  L'automne  est  fort  doux,  et , 
sauf  quelques  journées  où  le  mercure  se  rapproche 
du  terme  de  la  congélation ,  le  thermomètre  se  sou- 


INTRODUCTION.  xvii 

tient  généralement  entre  i  o  et  19^  centigrades  jus- 
quà  la  minlécembre. 

La  plaine  de  Roussfllon  est  désolée  par  ces  furieux 
coups  de  vent  du  nord-ouest  qui,  en  Provence,  portent 
le  nom  de  mistraou  (  magistral  is),  et  qxd  prennent  ici 
celui  de  tramontana  (trans-montanus).  Ce  vent  suc- 
cède ordinairement  à  une  petite  pluie,  mais  ne  prend 
que  difficilement  après  de  grandes  averses  et  quand 
la  terre  est  très-imbibée  :  son  action  violente  et  sou- 
Yent  répétée  se  fait  remarquer  sur  les  arbres  de  la 
plaine ,  qui  sont  inclinés  dans  la  direction  de  ce  rumb. 
Nous  disons  qu'il  succède  aux  petites  pluies,  il  suc- 
cède aussi  à  tous  les  autres  vents ,  et  devient  par  là 
le  |dus  habituel  en  Roussillon;  cest  celui  qui  con- 
tribue le  plus  à  la  salubrité  du  pays  et  au  maintien  de 
la  santé.  Le  vent  du  sud ,  au  contraire ,  qu'on  appelle 
vent  i Espagne ,  est  le  plus  nuisible  ;  il  rend  loiurd  et 
pesant,  et  abat  les  forces;  Carrère  le  regarde  comme 
funeste  aux  personnes  qui  ont  une  disposition  à  l'apo- 
plexie :  heureusement  qu'il  souffle  rarement.  Le  vent 
d'est,  ou  vent  marin,  le  dispute  au  nord-ouest  pour 
la  fréquence,  mais  le  plus  ordinairement  il  ne  règne 
que  dans  la  plus  basse  région  de  l'atrT  Des  nuages 
placés  à  des  élévations  différentes  nous  ont  donné 
souvent  le  moyen  de  constater  cette  vérité  :  les  plus 
bas,  ou,  à  défaut  de  nuages,  les  girouettes  de  la  ville 
obéissent  au  vent  d'est  pendant  que  les  nuages  les 
plus  élevés  sont  poussés  par  un  vent  contraire.  Celui- 


XVIII  INTRODUCTION. 

ci,  venant  de  derrière  les  montagnes ,  glisse  par-dessus 
Fautre  qui  rase  la  terre.  Cette  observation,  que  nous 
avons  été  à  même  de  vérifier  dans  toutes  les  saisons , 
ne  s'applique  guère  qu  au  vent  d'est  :  ce  n  est  que  ra- 
rement qu'on  voit  l'accord  exister  entre  les  deux  ré- 
gions de  l'atmosphère,  quand  le  vent  marin  souille 
dans  la  plaine.  La  compression  que  le  vent  douest 
exerce,  dans  ces  circonstances,  sur  le  vent  d'est,  fa- 
vorisant la  séparation  de  l'eau  à  l'état  de  vapeur  dont 
ce  vent  s'est  sursaturé  en  passant  sur  la  mer,  chaque 
fois  qu'il  souffle ,  tout  s'imprègne  d'humidité;  les  bois, 
les  marbres,  les  métaux,  toutes  les  surfaces  lisses 
semblent  transsuder  l'eau,  et  le  linge  contracte  une 
sorte  d'humidité  dans  les  armoires,  même  les  mieux 
fermées.  Ce  vent  d'ouest,  qui  du  haut  des  montagnes 
semble  s'élancer  sur  son  antagoniste,  ne  descend 
que  rarement  jusqu'à  la  plaine;  il  est  presque  tou- 
jours froid  et  pluvieux,  et  dangereux  pour  la  santé, 
suivant  Carrère. 

Le  climat  du  Roussillon  est  le  même  à  peu  près 
que  celui  de  la  Provence.  Les  Pyrénées  méditerra- 
néennes ressemblent  beaucoup  aux  Alpes  proven- 
çales, et  ses  plaines  ne  diffèrent  pas  de  celles  qui  sont 
entre  le  Rhône  et  le  Var;  leurs  productions  sont  les 
mêmes;  la  vigne  et  l'olivier  les  couvrent  de  leurs 
riches  produits  ;  l'oranger,  l'acacia  d'Egypte  à  fleurs 
globuleuses,  y  croissent  sans  effort;  le  grenadier,  l'a- 
loès  agave  y  forment  des  clôtures  naturelles. 


INTRODUCTION.  xix 

Le  sol  du  Roussilion  produit  abondamment  tout 
ce  qui  est  nécessaire  à  la  vie  ;  les  jardins  de  Perpignan 
fournissent  à  peu  près  toute  Tannée  des  légumes  ex- 
cellents; le  gibier  de  toute  espèce  y  multiplie  facile- 
ment ,  et  la  mer  y  prodigue  les  poissons  les  plus  dé- 
licats. Les  anciens  ont  beaucoup  paiié ,  sous  le  nom 
de  poissons  fossiles,  de  muges  qu'on  prenait  sur  les 
bords  de  l'étang  de  Salses,  en  creusant  à  quelque 
profondeur  la  terre  bourbeuse  qui  couvrait  des  cre- 
vasses conmiuniquant  avec  l'étang,  et  dans  lesquelles 
se  glissaient  ces  poissons  pour  chercher  leur  pâture  : 
ce  genre  de  pèche  au  lichet  n'est  plus  en  usage. 

L'histoire  naturelle  du  Roussilion  aurait  besoin 
d'un  écrivain  qui  pût  en  développer  toutes  les  ri- 
chesses. La  différence  de  température  qui  signale  les 
deux  extrémités  de  la  province,  réimit  dans  un  court 
intervalle  les  productions  botaniques  des  r^ons  les 
plus  opposées;  ses  montagnes  recèlent  des  métaux  de 
toute  espèce;  le  fer  existe  presque  partout,  le  plomb 
s'y  montre  sur  plusieurs  points,  et  la  riche  mine  de 
cuivre,  récemment  découverte  à  Canavellas,  vient 
d'ajouter  une  nouvelle  opulence  minérale  à  celle  qui 
existait  déjà,  et  d'accroître  de  son  produit  les  res- 
sources de  la  France  ^.  Carrère  parie  de  topazes  trou- 
vées au  bas  du  pic  de  Bugarach,  et  cite  les  pierres 
transparentes   blanches,    bleuâtres,  violettes,  à  six 

^  Des  essais  de  cette  mine  faits  par  le  directeur  de  la  monnaie  de 
Perpignan  ont  donné  un  résultat  de  quinze  pour  cent. 

b. 


■eut, 
après 


XX  INTRODUCTION. 

Ëices,  des  montagnes  de  Salses,  et  les  pierres  dures, 
noires/brillantes ,  de  Notre-Dame  du  Corail ,  en  Val- 
lespir,  auxquelles  il  donne  le  nom  de  corail  noir,  et  qu*il 
croit  être  le  lapis  obsidiaris  de  Pline.  Plusieurs  points 
de  ces  diverses  montagnes  sont  très-riches  en  fossiles  ; 
des  pectinites  de  tout  genre,  depuis  les  plus  rares  jus- 
qu'aux plus  communes,  et  d'un  volume  remarquable; 
des  gryphites,  des  ostracites  de  toute  forme,  des  spa- 
tangus,  des  cyclolithes ,  des  trochytes,  des  phytolithes 
et  une  foule  d'autres  espèces  s'y  rencontrent  en  grande 
abondance;  enfin,  des  marbres  de  toutes  les  qualités, 
depuis  le  plus  beau  statuaire  jusqu'au  plus  grossier, 
ne  demanderaient  que  des  chemins  pour  aller,  de 
leurs  carrières,  remplir  les  ateliers  des  ouvriers  qui 
les  mettent  en  œuvre. 

Le  Roussillon  possède  im  grand  nombre  de  sour- 
ces d'eaux  minérales ,  dont  plusieurs  sont  appliquées 
au  traitement  de  différentes  maladies.  Les  principaux 
établissements  thermaux  sont  ceux  d'Âries  et  de  la 
Preste,  en  Vallespir;  de  Molitg,  du  Vemet  et  de 
Vinça  en  Gonflent,  et  des  Escaldas  en  Cerdagne  ^. 

^  M.  J.  Anglada,  professeur  de  médecine  légale  et  de  chimie  à 
Montpellier,  après  avoir  publié  des  mémoires  pour  servir  à  lliistoîre 
générale  des  eaux  minérales  et  thermales,  2  vol.  in-8^  venait  démettre 
au  jour  un  savant  ouvrage  spécial  sur  les  sources  d'eaux  thermales  de  la 
contrée  roussillonnaise,  lorsque  la  mort  est  venue  le  frapper,  plein  de 
force  et  de  santé.  Le  monde  savant  des  départements  méridionaux  et 
Perpignan,  sa  patrie,  déplorent  vivement  cette  perte.  M.  Anglada,  peu 
de  jours  avant  sa  mort,  écrivait  à  son  compatriote  J.  Tastu  :  c  Félicitez- 


INTRODUCTION.  xxi 

Dans  Tantiquité ,  le  territoire  de  la  province  appar- 
tenait à  quatre  peuples  différents ,  savoir  :  aux  Sor- 
i<mes^  qui  avaient  la  plaine,  ou  Roussillon  propre- 
ment dit;  aux  Consuarani,  qui  habitaient,  à  ce  qu'il 
parait,  le  Gonflent  et  le  Gapcir;  à  une  partie  des  Cer- 
retanif  qui  cultivaient  les  montagnes  de  la  Cerdagne, 
et  à  une  partie  des  Indigetes,  qui,  à  notre  sens ,  étaient 
maitres  du  haut  Vallespir.  Scylax  donne  le  Roussillon 
aux  Liguro-Ibériens,  qui  s'étendaient  d'Emporiœ  au 
Rhône;  Ptolémée  comprend  les  Sordones  parmi  les 
Volscœ-Tectosages,  ce  qui  est  une  erreur;  Strabon  dit 
seulement  que  ces  peuples  étaient  voisins  des  Pyré- 
nées, mais  leur  territoire  ne  dépassait  pas  Narbonne, 
et  Silius  Italiens  en  donnant  le  Roussillon  aux  Be- 
bryee^,  le  place  au  midi  de  ces  mêmes  Volscœ;  Scym- 
aus  de  Chos,  Dion,  Zonare,  attribuent  également 
aux  Bebryces  le  pays  des  Sordones* 

Dom  Bouquet,  dans  une  note  sur  le  passage  de 
Silius  relatif  aux  Gaules,  dans  le  premier  volume  de 
la  collection  des  historiens  de  France ,  conteste  l'exis- 
tence de  ces  Bebryces  occidentaux.  Dans  son  opinion, 
SiUus,  pour  rendre  plus  célèbre  l'origine  du  nom  des 
Pyrénées,  aurait  imaginé  de  transporter  en  Espagne 
le  royaume  d'Amycus,  roi  des  Bebryciens  d'Orient, 
et  c  est  dans  cette  fable  que  les  écrivains  venus  après 

moi,  moD  cber,  comme  le  père  le  plus  heureux  du  monde ,  car  je  viens 
de  &îre  à  la  fois  trois  établissements  importants  :  j'ai  marié  mou  fils, 
ma  fille,  et  lancé  dans  le  monde  un  livre  nouveau.  » 


XXII  INTRODUCTION. 

ce  poète  auraient  pris  ce  nom  de  Bebryces  donné  aux 
Sordones.  Cette  supposition  ne  nous  semble  pas  con- 
cluante. Silius  ne  parie  point  d'Âmycus,  et  les  histo- 
riens de  l'antiquité  ne  cherchaient  pas  plus  que  nous 
la  vérité  des  faits  dans  les  poèmes  d'imagination  ;  com- 
ment croire  qu'ils  eussent  adopté  si  légèrement  un 
nom  de  peuple ,  s'ils  n'avaient  pas  eu  d'autre  autorité 
pour  appui?  Ajoutons  que,  si  c'était  là  une  invention 
poétique,  Silius  se  serait  borné  à  la  fable  d'Hercule 
et  de  Pyrène ,  et  qu'il  n'aurait  pas  donné  le  nom  de 
Bebryces  aux  Sordones,  qui  ne  sont  point  dans  les 
montagnes ,  ni  celui  de  Bebryca  aula  à  la  Narbonnaise. 
Il  est  plus  probable  que  le  nom  du  pays  a  donné  nais- 
sance à  la  fable ,  que  la  fahle  au  nom  du  pays. 

Le  nom  de  Roussillon  vient  de  l'antique  ville  de 
Ruscino ,  capitale  du  pays  des  Sordones  sous  les 
Gaulois  et  sous  les  Romains.  L'emplacement  de  cette 
ville,  honorée  du  titre  de  colonie,  suivant  Mêla,  et 
simplement  investie  du  droit  latin,  selon  Pline,  ne 
présente  absolument  aucuns  vestiges  de  ces  grands 
monuments  dont  les  Romains  ne  manquaient  jamais 
d'enrichir  leurs  colonies  :  les  guerres  calamiteuses 
dont  ces  contrées  ont  constamment  été  le  théâtre 
ont  tout  anéanti.  Narbonue,  qui  était  d'une  bien 
autre  importance  que  Ruscino,  et  qui,  à  titre  de  ca- 
pitale d'ime  des  grandes  divisions  de  la  Gaule  ro- 
maine ,  a  dû  voir  s'élever  sur  son  sol  tous  les  monu- 
ments qui  concouraient  à  l'embellissement  des  villes. 


INTRODUCTION.  xxiii 

au  culte  des  dieux  et  à  l'amusement  des  peuples ,  ne 
conserve  pas  plus  que  sa  voisine  des  traces  de  ces  im- 
menses et  somptueux  édifices  dont  on  admire  encore 
les  ruines  à  Nîmes,  à  Arles  et  en  tantd*autres  lieux. 

Ruscino  fut  détruite  par  les  Normands  vers  Tan 
859  ^  Les  débris  de  sa  population  se  réunirent  sur 
une  partie  de  remplacement  de  la  ville  ruinée ,  et  ils 
y  bâtirent  quelques  maisons  entoiuées  de  murailles  : 
ce  fut  le  castram  Ruscinonense  y  RoscoUonense  ou  de  Ros- 
dUione.  Ce  castrum,  encore  habité  au  mUieu  du  xrv' 
siède,  a  perdu  depuis  toute  sa  population,  et  il  n'y 
reste  plus  aujourd'hui  que  quelques  maisons  rurales 
avec  une  tour  de  vigie  et  une  église  :  ce  lieu  porte  le 
nom  de  Gastel-Roussillon. 

Le  Roussillon  était  traversé  par  la  voie  Domitia, 
qui  menait  de  Rome  en  Espagne  par  le  midi  des 
Gaules.  L'itinéraire  d'Antonin  trace  cette  partie  de 
route  de  deux  manières  ;  l'une ,  qui  menait  de  Va- 
pincum  à  Gallecinam ,  n'a  que  trois  stations  : 

Narbone    Sabulas,  m.  p.   xxx. 

ad  Stabalum ,  xlviii. 

ad  Pyretif^am,  xvi. 

L autre,  qui  d'Aries  se  rendait  à  Castellon,  Are- 
iota  ad  Castalonem,  compte  cinq  mansions  de  Nar- 
bonne  à  la  frontière  : 

*  Mërca  kispan.  lib.  ilJ. —  Hist.  gén.  de  Long.  tom.  I. 


XXIV  INTRODUCTION. 

Narbone     ad  Vigesimum,  m.  p.    xx. 

ad  Combustam,  xiv. 

Ruscinoney  vi. 

ad  Centurionem,  xx. 

summo  Pyrenœo ,  v . 

La  carte  de  Peutinger  donne  la  même  roule  avec 
quelques  différences.  ATépoque  où  elle  fut  construite, 
l'un  des  enfants  de  Constantin  avait  restauré  Tantique 
ville  d'Illiberis ,  à  laquelle  il  avait  donné  le  nom  de 
son  aïeule  Helena  :  c  est  sans  doute  à  raison  de  cette 
restauration,  que  cette  ville  usurpa  sur  Ruscino  la  pré- 
rogative d'être  capitale  du  pays ,  et  qu'elle  obtint  une 
station  militaire  et  xm  évêché.  Cette  carte  de  Peutinger 
porte,  après  Ruscino ,  le  nom  d'illiberis ,  qui,  à  cette 
époque,  n'avait  pas  encore  cédé  entièrement  la  place 
à  celui  d'Helena  ;  ainsi ,  cette  route  est  : 

Narbone    Rascino,               m.  p.  vi. 

niiherey  vu. 

ad  Centenarium,  xii. 

summo  Pyrenœo t  v. 

Suivant  toute  apparence,  l'un  des  premiers  co- 
pistes de  la  caite  itinéraire  originale  a  oublié  d'ins- 
crire deux  stations  à  partir  de  Narbonne ,  le  Vigesî- 
mum  et  Combustam.  On  ne  trouve  en  effet  que  le 
nombre  vi  après  Ruscino,  ce  qui  indique  la  distance 
réelle  de  cette  ville  à  Combustam.  Les  autres  dis- 


INTRODUCTION.  '  xtt 

tances  sont  justes  à  un  mille  près»  et  conformes  à 
celles  de  la  route  d^Ârles  à  Gastellon. 

La  voie  Domitia  était  pavée  dans  la  traverse  du 
Roussillon ,  et  Resendius ,  qui  Ta  vue  encore  en  cet 
état ,  assure  que  les  pierres  y  étaient  prodiguées  pêne 
mma  profasione  :  on  n'en  reconnaît  plus  de  traces. 

Dans  une  petite  dissertation  que  nous  publiâmes 
en  18a G  sur  cet  itinéraire^,  nous  avons  placé  le  lieu 
appelé  Vigesimum,  aux  cabanes  de  la  Palme,  etCom- 
bnstam,  sur  la  rive  gauche  de  la  Gly,  en  un  lieu  qui 
portait  le  nom  de  Tora ,  et  qui  a  cessé  d'exister  au  xv* 
siècle;  lieu  où  en  163g  l'évêque  d'Elue  fit  bâtir  une 
chapelle  dédiée  à  saint  Martin  et  fondée  sur  l'empla- 
cement du  château.  Nous  venons  de  parier  de  Rus- 
dno,  seconde  station  de  cette  route.  Ad  Centarionem, 
ffd  vient  après ,  était  évidemment  un  poste  militaire 
placé  non  loin  de  la  frontière;  la  preuve  s'en  trouve 
dans  les  tables  de  Peutinger,  oh  ce  même  poste  a  pris 
le  nom  de  ad  Centenariam  ^  et  nous  savons  qu'en  effet, 
aux  derniers  temps  de  l'empire ,  on  avait  changé  en 
celui  de  centeniers ,  le  nom  de  ces  officiers  qu'on  ap- 
pelait auparavant  centurions.  Quant  à  la  position  to- 
pc^phique  de  ce  poste,  nous  croyons  qu'elle  n'était 
ni  à  Ceret ,  comme  le  veulent  Marca  et  Wesselingius ,  , 
ni  à  Locertetum,  lieu  désigné  par  DanviUe,  mais 
qu'elle  se  trouvait  de  l'autre  côté  du  Boulou ,  à  une 
petite  distance  au  nord-est  de  Maurellas,  en  un  en- 

^  Voyez  ia  note  I  à  la  fin  du  volume. 


rxYi  INTRODUCTION. 

droit  où  se  voit  une  ^ise  entourée  de  quelques 
fermes,  ancien  chef-lieu  d'une  commune  xmiquement 
composée  de  métairies  éparses ,  et  qu  on  appelle  Saint- 
Martin  de  Fenollar. 

Le  Portas  ad  sammwn  F^renœam  est  le  passage  de 
ces  montagnes  au  point  culminant  de  la  route ,  sous 
les  trophées  de  Pompée  :  son  nom  se  retrouve  dans 
celui  de  Pertus  qu'il  porte  aujourd'hui. 

La  route  de  Vapincum  à  Gallecinam ,  qui ,  dans  la 
traverse  du  RoussiJlon ,  est  évidemment  et  nécessaire- 
ment la  même  que  celle  qui  vient  d'Arles ,  renferme 
une  erreiu*  de  numération ,  puisqu'elle  présente  une 
différence  en  plus  de  vingt-neuf  milles,  sur  la  pre- 
mière, dont  les  distances  sont  à  peu  près  exactes  ^« 
De  Narbonne  cette  route  se  rend  directement  à  Sal- 
sulas  ou  Salsulae,  qui  empruntait  son  nom  à  une  source 
d'eau  salée  qui  s'y  trouve  ;  de  là  elle  se  porte  ad  5to- 
balum,  lieu  connu  dans  le  moyen  âge  sous  le  nom  de 
Volo,  et  nommé  aujourd'hui  le  Boulou,  à  raison  de 
la  constante  permutation  des  lettres  b  et  v,  familière 
aux  peuples  de  ces  contrées. 

Nous  pouvons  dire  d'IUiberis,  où  la  carte  de  Peu- 
tihger  place  une  station,  ce  que  nous  avons  dit  de 
Ruscino.  Cette  ville  était  déjà  ruinée  dès  le  temps 
d'Auguste  puisque  Mêla,  contemporain  de  cette  épo- 
que, en  parie  comme  des  restes  obscurs  d'une  ville 
autrefois  grande  et  florissante.  L'un  des  enfants  de 

*  Voyez  la  note  J. 


INTRODUCTION.  xxvii 

Constantin  en  fit  un  castrant  ^  auquel  il  donna  le  nom 
de  son  aïeule  Hélène.  L'assassinat  de  Constans  auprès 
de  ce  castram  fournit  k  Zonare  Toccasion  de  dire 
qu'ainsi  s'accomplit  l'horoscope  qui  annonçait  que  ce 
prince  périrait  dans  le  sein  de  son  aieale.  La  restauration 
de  cette  ville  lui  procura  l'avantage  d'être  le  chef-lieu 
du  pays  à  la  place  de  Ruscino  ^  et  de  devenir  plus 
tard  le  siège  de  l'épiscopat  fondé  dans  le  territoire 
des  Sordones,  siège  qui,  sans  cette  circonstance,  au<- 
rait  du  être  à  Ruscino. 

Outre  la  voie  Domitia ,  qui  était  la  route  militaire , 
le  Roussillon  était  encore  traversé,  comme  de  nos 
jours ,  par  des  chemins  entretenus  aux  frais  de  la  pro- 
yince,  que  les  Romains  nonmiaient  actas,  et  qui 
étaient  comme  nos  routes  départementales.  Ces  che- 
mins, qui  n'avaient  de  largeur  que  pour  le  passage 
d'un  seid  char,  communiquaient  d'une  province  à 
Fautre.  Nous  classerons  dans  ce  nombre ,  l '^  le  chemin 
qui  longeait  la  plage  entre  la  mer  et  les  étangs ,  tra- 
versait le  grau  de  la  Nouvelle  et  celui  de  Leucate , 
passait  à  Toreiles  et  conduisait  chez  les  Indigetes  par 
la  Massane  et  par  Banyuls.  Soit  que  cette  route  fût 
devenue  grande  voie  ou,  comme  nous  dirions,  route 
royale ,  dans  les  derniers  temps  de  l'empire ,  et  que 
plus  tard  Charlemagne  eût  affecté  quelques  fonds  à 
sa  réparation ,  toujours  est-il  qu'il  s'y  trouvait  un  de 

*  Eutrope  ne  lui  donne  que  ce  titre  de  castrum. 

*  Voyei  la  note  I. 


xxvui  INTRODUCTION, 

ces  établissements  nommés  Mutationes,  espèce  de 
postes  oii  Ton  entretenait  des  chevaux  au  compte  du 
gouvernement  pour  la  célérité  des  dépêches ,  et  que 
les  vestiges  qui  subsistent  encore  de  cette  route  por- 
tent dans  le  pays  le  nom  de  carrera  de  Carlos-magno. 
L'embranchement  de  cette  route,  qui  passait  par  le 
col  de  la  Massane ,  était  défendu  par  un  château  sous 
la  garde  dun  détachement  de  la  l^ion  décumane 
de  Narbonne  :  ce  château  s'appelait  Vulturaria  et  plus 
tard  Oltrera.  L'autre  branche  traversait  CancoUberis , 
CoUioure  dont  le  nom  se  trouve  pour  la  première  fois 
dans  l'itinéraire  de  l'anonyme  de  Ravenne.  De  ce  point 
elle  passait  au  fond  du  golfe  du  portas  Veneris,  et  se 
dirigeait  sur  Gervaria ,  limite  des  Gaules,  a®  Un  autre 
chemin  qui  conduisait  aussi  au  pays  des  Indigetes  par 
les  montagnes  du  Vallespir  :  un  poste  militaire  dé- 
fendait également  ce  passage,  ainsi  que  l'indique  bien 
évidemment  le  nom  de  Custodia  donné  à  un  ancien 
village  de  l'extrême  frontière,  aujourd'hui  appelé 
Custojas  :  on  sait  que  ce  nom  de  Custodia  conune 
ceux  de  Gastellum  et  de  Praesidium ,  indiquaient  des 
lieux  fortifiés  sur  les  frontières  d'un  état  et  propres  à 
recevoir  une  garnison. 

Nous  ne  parlons  pas  des  autres  chemins  moins 
grands  que  les  actus,  et  que  les  Romains  nonmiaient 
iter.  Entretenus  aux  frais  des  propriétaires  usagers, 
ils  devaient  avoir  à  peu  près  les  mêmes  sinuositéa 
que  les  chemins  vicinaux  d'aujourd'hui. 


INTRODUCTION.  xxix 

Avant  de  terminer  ce  peu  de  mots  sur  la  géogra- 
phie ancienne  du  Roussillon ,  où  nous  n'avons  parlé 
que  des  lieux  mentionnés  dans  les  itinéraires  et  se 
trouvant  sur  le  passage  des  grandes  routes,  nous  de- 
vrions décrire  la  ligne  divisoire  qui  formait  la  limite 
des  Gaules  et  de  TEspagne  dans  cette  partie  des  Py- 
rénées, et  justifier,  en  la  motivant,  l'opinion  que 
nous  avons  émise ,  que  le  haut  Vallespir  a  dû  appar- 
tenir aux  Indigetes;  mais  comme  nous  aurons  à  traiter 
cette  matière  avec  quelque  détail  quand  nous  paiie-* 
rons  de  la  séparation  du  Roussillon  de  la  Catalogne , 
basée  sur  les  anciennes  limites  des  deux  grands  terri- 
toires gaulois  et  espagnols,  d'après  les  dispositions 
du  traité  des  Pyrénées ,  nous  nous  abstiendrons  d'en 
parler  ici,  et  nous  jetterons  un  coup  d'oeil  sur  la  partie 
archéologique  de  la  province  :  nous  n'aurons  pas  à 
nous  étendre  beaucoup  sur  les  restes  des  temps  an- 
ciens. 

Le  Roussillon ,  aujourd'hui  à  peu  près  nu  d'arbres, 
comparativement  aux  temps  antérieurs  au  xv*  siècle , 
possédait  dans  l'antiquité  de  vastes  et  épaisses  forêts 
qui  durent  abriter  les  mystères  des  Druides  et  om- 
brager leurs  grossiers  monuments;  mais  nous  ne 
connaissons  aucun  de  ces  simples  autels,  qui,  pros- 
crits par  les  Romains,  ne  purent  que  très-rarement 
échapper  à  leurs  fureurs  ^  Deux  monticules  de  terre 

*  Depuis  que  ceci  est  écrit,  M.  Jaubert-de-Reart  a  découvert  et  fait 
coDiuâtre  divers  monuments  celtiques  ;  i**  près  de  rétablissement  tlier- 


XXX  INTRODUCTION. 

rapportée  étaient  signalés  naguère  dans  la  plaine,  et 
non  loin  de  Perpignan,  mais  nous  n'oserions  affirmer 
qu'ils  fussent  des  tombelles  ou  tumuli.  Le  premier 
situé  à  Orles  a  été  rasé  depuis  peu  d'années ,  et  son 
intérieur,  jusqu'au  niveau  du  sol,  n'a  présenté  aucune 
trace  de  monument  sépulcral.  L'autre,  connu  sous  le 
nom  de  Mant  de  la  terra  et  qui  existe  près  de  la  com- 
mune de  Saint  -  Cyprien ,  est  de  même  nature  que 
celui  du  département  d'Eure-et-Loir  dont  il  est  parlé 
dans  les  mémoires  de  la  société  royale  des  antiquaires 
de  France  ^  Comme  celui-ci,  le  monticule  de  Saint- 
Cyprien,  dont  ie  diamètre  supérieiu*  est  d'environ 
quinze  pieds ,  a  un  puits  maçonné  en  pierres  équar^ 
ries,  et  des  restes  de  murailles  se  font  apercevoir  au 
bord  de  la  circonférence  supérieure  de  son  cône. 

mal  de  Molitg,  un  dolmen  composé  d'une  table  granitique  de  huit 
pieds  de  long  sur  cinq  de  large  et  un  d^épaisseur,  supportée  par  trois 
autres  tables  de  même  nature,  saillantes  d'environ  trois  pieds  au-dessus 
du  sol  :  il  porte  dans  ie  pays  le  nom  remarquable  de  tamul  dels  Gentils  ; 
2°  un  autre  autel  semblable,  non  loin  du  premier,  au  lieu  dit  coU 
del  Trihec  (col  du  Trépied)  •,  3"  deux  tombeaux  composés  de  pierres 
parallèles  dont  les  latérales  ont  sept  pieds  de  long,  et  que  recouvrent 
des  pierres  de  même  dimension;  4**  des  pierres  tranchantes  du  genre 
de  celles  qu'on  nomme  celiœ  et  dont  Tune  était  percée  d'un  trou  au 
bout  le  plus  étroit;  5°  sur  la  montagne  de  Liauro,  un  autre  dolmen 
placé  dans  un  endroit  qui  domine  une  réunion  de  vestiges  d^anciennes 
constructions  en  pierres  sèches  et  brutes;  là  se  trouve  aussi  une  es* 
pèce  de  polygone  de  six  toises  en  carré,  dont  un  côté  est  de  forme 
elliptique.  Le  rapport  de  ces  découvertes  a  été  fait  à  la  société  royale 
des  antiquaires  de  France  en  décembre  i832. 
»  Tome  VII,  pag.  3o. 


INTRODUCTION.  xxxi 

Si  tes  vestiges  laissés  par  les  aborigènes  sont  si 
rares  et  si  équivoques,  ceux  qui  peuvent  rappeler 
leurs  vainqueurs  ne  sont  ni  plus  abondants  ni  plus  re* 
marquables.  Les  culées  d*un  pont  sur  le  Tech,  un 
peu  en  amont  du  pont  actuel  de  Ceret,  sont  les  seuls 
témoins  des  moyens  pris  par  les  Romains  pour  as- 
surer en  tout  temps  la  traversée  des  fleuves.  Ce  qu^ils 
avaient  fait  pour  le  Tech,  nul  doute  qu'ils  ne  l'aient 
iait  aussi  pour  la  Tet  et  la  Gly  ;  des  traces  du  pont  de 
laGly  se  remarquent  encore  sous  le  pont  actuel,  mais 
rien  ne  rappelle  aujourd'hui  qu'il  ait  jamais  existé  de 
construction  de  ce  genre  à  travers  la  Tet. 

Les  roches  qui  encaissent  le  Tech  avaient  permis 
de  fonder  solidement  le  pont  qui  le  traversait,  tandis 
que  la  mobilité  du  terrain,  siu*  les  rives  des  deux 
autres  fleuves ,  avait  dû  les  faire  établir  sur  pilotis. 
La  destruction  simultanée  de  ces  trois  ponts  aurait- 
elle  été  le  résultat  de  quelque  opération  militaire  à 
une  époque  inconnue?  Les  matériaux  de  celui  de  la 
Tet  auront  été  enlevés,  et  l'exhaussement  du  sol, 
par  les  alluvions,  aura  enseveli  profondément  ses 
fondations. 

Des  substructions  assez  nombreuses  sont  répan- 
dues sur  un  terrain  de  la  rive  droite  du  Tech ,  à  en- 
viron quinze  cents  toises  au-dessous  de  Ceret,  dans 
une  plaine  spacieuse  nommée  plaine  des  tombeaux. 
Outre  une  assez  grande  quantité  de  débris  de  poterie 
grossière  de  l'époque  romaine  qui  couvre  un  vaste 


XXXII  INTRODUCTION. 

espace  de  cette  plaine ,  on  y  voit  des  vestiges  de  mu- 
railles et  les  restes,  assez  bien  conservés,  d'un  tom- 
beau élevé  au-dessus  du  sol.  Ce  monument,  construit 
tout  en  briques,  est  terminé  par  un  encorbellement 
des  briques  des  cotés  qui  s'avancent  Time  au-dessus 
de  l'autre  jusqu'à  ce  qu'elles  se  rencontrent  sous  nne 
dernière  rangée  formant  cette  espèce  de  voûte.  Ce 
lieu  est  désigné  par  le  nom  de  Locertetum,  dans  l'acte 
par  lequel  Louis  le  Pieux  confirme  en  833,  aux  firères 
Wimar  et  Radon ,  la  donation  des  landes  situées  aux 
environs  du  viens  5imûlam,  Ceret,  faite  par  Charie- 
magne  à  leur  père ,  fondateur  de  ce  viens  aussi  bien 
que  du  lieu  de  Villeneuve  ^  Une  chapelle  fut  bâtie 
en  1387  sur  l'emplacement  de  l'ancien  Locertetum, 
qui  acheva  peut  -  être  d'être  complètement  ruiné 
comme  tant  d'autres  boui^  ou  villages,  dans  la  guerre 
si  caiamiteuse  de  l'extinction  du  royaume  de  Ma- 
jorque. La  fondation  d'une  chapelle  signale  générale- 
ment le  lieu  où  existèrent  anciennement  des  villages 
ou  des  bourgs.  Des  titres  incontestables  attestent  que 
l'église  de  Saint-Martin  de  Tora  a  été  élevée  smr  les 
ruines  du  château;  une  église  semblable  se  trouve 
aux  lieux  où  furent  Rascino,  ad  Centarionem,  Muta- 
tioneSf  Villa  Gotïiorum,  et  sur  l'emplacement  de  tous 
les  anciens  boui^s  anéantis. 

C'est  à  Locertetum  que  Danville  plaçait  la  station 
du  Centurionem ,  mais  il  ignorait  le  nom  de  ce  lieu 

*  Marca  hispcaiica,  pag.  771. 


INTRODUCTION.  xxxiii 

dont  i*acte  que  nous  avons  cité  donne  seul  la  con- 
naissance ^. 

Des  substructions  romaines  se  remarquent  au  vil- 
lage delà  haute  Cluse,  improprement  nommé  Lecluse. 
Là  se  trouvait ,  au  moyen  âge ,  un  château  fort  pour 
la  défense  du  passage  des  Pyrénées  par  le  Pertus.  A 
l'époque  de  la  dislocation  de  Tempire  romain  sous  les 
ravages  des  hordes  harhares,  la  nécessité  de  garder 
6t  de  défendre  les  défilés  des  montagnes  entre  les- 
quelles passait  Tantique  voie  Domitia  fit  construire 
des  fortifications  dans  la  position  la  plus  avantageuse 
au-dessous  du  Pertus.  Ces  fortifications,  qu'on  voit 
figurer  sous  le  nom  de  claasurœ,  dans  la  guerre  de 
Wamba  contre  le  rebelle  Paul ,  et  qu  on  désigne  dans 
les  vieux  actes  sous  celui  de  clasœ,  sont  en  face  Tune 
de  l'autre ,  aux  deux  cotés  de  la  route  qui  menait  au 
col  de  Panissas ,  et  forment  aujourd'hui  les  villages 
de  la  haute  et  de  la  basse  Cluse  ^.  Sur  un  ancien 
plan  de  route  des  ponts  et  chaussées,  le  château  de 
la  basse  Cluse  est  appelé  château  des  Maures,  sans 
doute  par  ce  préjugé  populaire  qui  fait  attribuer  dans 
le  pays  aux  Arabes  ou  au  diable  toutes  les  construc- 
tions dont  l'origine  n'est  pas  connue. 

*  Cesi  à  MM.  de  Saint-Malo  que  nous  sommes  redevable  de  Tin- 
dication  de  cette  pièce  importante. 

'  Le  village  de  la  haute  Cluse  est  à  Tendroit  même  de  Tancienne 
fortification;  celui  de  la  basse  Cluse  est  au  bas  de  la  montagne  que 
domine  son  château. 

I.  c 


ixxiv  INTRODUCTION. 

  deux  mille  toises  des  Cluses  se  trouve  le  iSiim- 
mam  Pyrenœum,  dominé  par  une  colline  en  pain  de 
sucre,  qui,  par  cette  configuration,  offre  deux  pas- 
sages :  à  droite  celui  de  Panissas ,  à  gauche  celui  du 
Pertus.  Entre  ces  deux  défilés  s  élève  le  fort  de  Belle- 
garde  ,  qui  a  remplacé  siu*  cette  hauteur  les  oi^eii- 
leux  trophées  de  Pompée,  monument  que  Vauban  fit 
démolir  pour  établir  la  place  d'armes  de  la  fortifica- 
tion régulière  qu'il  construisit  à  sa  place  ^  :  il  consis- 
tait en  une  grande  tour  carrée.  Non  loin  de  là ,  mais 
dans  un  endroit  aujourd'hui  tout  à  fait  inconnu ,  César 
fit  élever  à  son  tour  un  monument  qu'il  décora  du 
nom  plus  modeste  d'autel. 

Nous  avons  dit  qu'aucuns  vestiges  de  grand  monu- 
ment ne  marquent  l'emplacement  de  l'antique  ville  de 
Ruscino;  quelques  légers  fi:*agments  de  tables  de 
marbre  avec  des  traces  d'inscriptions ,  des  tessons  de 
poterie  fine,  quelquefois  avec  des  figures  en  relief 
de  très-bon  goût  et  d'un  style  de  la  bonne  école,  ont 
été  trouvés  en  différents  temps  dans  l'étendue  du  ter- 
rain que  cette  ville  occupait  ;  des  débris  de  poterie 
grossière  couvrent  en  grande  abondance  la  super- 
ficie du  castrwn  qui  remplaça  l'ancienne  ville  dont 
le  périmètre  se  trouva  par  là  considérablement  ré- 
duit ,  et  qui  n'était  guère  que  la  sixième  partie  de  la 
ville  actuelle  de  Perpignan.  Il  existe  à  côté  d'ime  mé- 
tairie qui  se  trouve  dans  l'enceinte  de  ce  castrant  un 

^  Voyez  ia  noie  II. 


INTRODUCTION.  xxxv 

reste  de  réservoir  dont  les  murs  sont  enduits  du  ci- 
ment rouge  ordinaire,  et  dont  le  fond  est  pavé  en 
petites  briques  de  o"*,o68  de  long  sur  o",o4o  de 
large  et  o",  et  o"*,o  1 8  d'épaisseur,  posées  de  champ 
et  de  manière  à  former  ce  que  les  Romains  appelaient 
opoi  spicatum.  Ce  genre  de  très-petites  briques  était 
commun  en  Roussillon ,  et  se  retrouve  partout  où  il 
subsiste  quelques  traces  de  l'antiquité.  Auprès  du  réser- 
voir dont  nous  parlons ,  on  trouva  en  1 8 1 6  im  bout  de 
conduit  en  plomb  dont  la  tête  est  garnie  d'une  plaque 
(b  même  métal,  tout  hérissée  d'aspérités  saillantes 
de  o",oo8 ,  et  remarquables  en  ce  qu'elles  ont  été 
coulées  avec  la  plaque  même  :  leur  destination  était 
d'arrêter  le  ciment  qui  devait  couvrir  cette  plaque 
autour  de  Torifice  du  conduit. 

La  plaine  du  coté  de  Ruscino  est  sur  deux  plans , 
dont  l'un  plus  élevé  que  l'autre  de  trente  à  quarante 
pieds.  Ce  ressaut  du  terrain,  qui  se  fait  d'une  ma- 
nière brusque  et  qui  oflfre  comme  une  sorte  de  fa- 
laise, s'étend  depuis  Perpignan  jusqu'aux  environs  de 
Caoet.  C'est  au  bord  du  plan  supérieur  que  s'élevait 
la  vUle  gauloise,  et,  après  elle,  le  castrum  qui  la 
remplaça.  De  ce  castrant  il  n'existe  plus  aujourd'hui 
que  relise,  une  tour  de  vigie  et  quelques  fermes 
bâties  sur  une  partie  de  l'emplacement  que  devait 
occuper  le  château  seigneurial  auprès  de  ces  deux 
monuments.  A  l'avantage  de  cette  position  au  bord 
d'un  escarpement  naturel,  on  avait  encore  ajouté,  à 

c. 


XXXVI  INTRODUCTION. 

ce  qu'il  semble,  autour  du  manoir  féodal,  un  lai^e 
fossé  qui  Tisolait  du  reste  du  castram  :  c  est  ce  que 
semble  indiquer  du  moins  le  mouvement  du  terrain^ 
D'autres  ravinements  qu'on  remarque  plus  loin ,  au- 
tour de  la  partie  de  cette  plaine  la  plus  abondante  en 
débris  de  poterie,  indiquent  les  fossés  qui  circons- 
crivaient le  castrum  et  la  ville.  Un  pan  de  muraille 
tout  en  pierre ,  et  par  conséquent  du  moyen  âge ,  se 
voit  à  l'orient  de  la  position  du  château,  et  un  peu 
plus  en  dedans  on  trouve  les  vestiges  d'une  seconde 
enceinte  construite  en  pierres  et  briques  qu'on  éleva 
sans  doute  après  la  ruine  de  la  première  :  l'interca- 
lation  des  briques  parmi  les  pierres  remonte  au 
xni*  siècle.  L'église  très-basse  et  bâtie  extérieurement 
en  moellons  d'appareil,  couronnés  sous  le  toit  par 
une  suite  de  petits  arcs  dont  la  convexité  est  en  haut 
et  saillants  de  quelques  centimètres  hors  du  nu  du 
mur,  porte  tous  les  caractères  d'une  construction  du 
IX  ou  x'  siècle.  La  tour,  bâtie  de  la  même  manière ,  est 
percée  du  côté  de  l'orient  d'une  fenêtre  murée  par 
dehors,  et  dont  le  dessus,  en  plein  cintre,  indique 
aussi  une  construction  du  moyen  âge.  La  porte  et  les 
fenêtres  carrées  qu'on  y  voit  ont  été  ouvertes  ou  ré- 
parées depuis  à  la  moderne.  Après  la  ruine  de  l'an- 
tique Ruscino  on  jugea  sans  doute  indispensable  d'é- 
lever cette  tour  de  vigie ,  afin  de  surveiller  la  mer  et 
d'être  informé  à  temps  de  l'apparition  des  flottes  des 
pirates. 


INTRODUCTION.  xxxvii 

L'Oliberis  gauloise,  qui  n'était  déjà  plus  qu  un  mau- 
vais village  du  temps  de  Mêla,  n*a  laissé  aucun  té- 
moin de  son  antique  existence.  L'Héléna  des  enfants 
de  Constantin ,  ruinée  xme  première  fois  de  fond  en 
comble,  en  même  temps  que  Ruscino ,  par  les  pirates 
du  nord,  et  une  seconde  fois,  au  xiii*  siècle,  par  Phi- 
lippe le  Hardi,  ne  montre  plus  guère,  des  temps  an- 
ciens, que  des  lambeaux  de  murailles  équivoques, 
quelques  substructions  cachées  par  des  édifices  mo- 
dernes et  un  petit  nombre  de  sarcophages  chrétiens. 
Un  firagment  d'im  de  ces  sarcophages,  incrusté  dans 
un  des  murs  du  cloître  de  la  cathédrale ,  apparte- 
nait ,  suivant  une  tradition  toute  moderne  et  que  rien 
ne  justifie,  au  tombeau  de  l'empereur  Gonstans,  fils 
de  Constantin ,  tué  aux  environs  d'Elne  par  un  émis- 
saire de  Magnence.  Ce  fi*agment  n'offre  que  le  mo- 
nognunme  du  Christ  enfermé  dans  un  cercle  comme 
on  le  voit  sur  la  plupart  des  sarcophages  les  plus 
conmiuns  des  iv*  et  v*  siècles;  le  reste  de  la  face  de 
ce  tombeau  était  orné  de  ces  cannelures  ondulées 
qu'on  appelle  strigles.  U  est  à  croire  que  la  sépulture 
d'un  empereur  dont  le  fi:ère  régna  après  lui  sur  toutes 
ces  contrées  n'aurait  pas  été  aussi  mesquine,  et  il  n'est 
pas  supposable  que  son  corps  n'ait  pas  été  emporté  à 
Rome  ou  à  Byzance.  Le  silence  de  Marca,  au  sujet 
de  ce  tombeau,  prouve  que  de  son  temps  cette  tra- 
dition n'avait  pas  encore  pris  naissance,  ou  que,  si 
elle  existait  déjà ,  il  n'en  faisait  aucun  cas. 


xxxviii  INTRODUCTION, 

Sur  le»  nombreux  établissements  thermaux  que 
possède  le  Roussillon,  deux  seulement  paraissent 
avoir  été  fréquentés  du  temps  des  Romains  :  ce  sont 
ceux  d'Arles  en  Vallespir  et  des  Ëscaldas  en  Cerdagne. 

Les  bains  d'Arles  étaient  construits  sur  un  plan 
très-vaste ,  autant  qu  on  peut  en  juger  par  les  restes 
antiques  qu'on  retrouve  encore  aujourdliui ,  quoique 
cependant  il  soit  bien  difficile  d*en  reconnaître  toute 
rétendue  au  nûlieu  des  bâtisses  modernes  qui  cou- 
vrent une  grande  partie  des  anciennes  substructioDS. 
On  ignore  le  nom  que  portait  dans  l'antiquité  le  lieu 
où  existent  ces  bains;  donnés  à  l'abbaye  d'Arles  par 
Chaiiemagne  en  788,  ib  ont  porté  depuis  cette 
époque  le  nom  de  cette  ville ,  qui  en  est  éloignée  de 
plus  de  deux  mille  toises.  Quant  au  nom  d'Arles  lui- 
même,  AruléB,  mot  qui  appartient  à  la  basse  latinité, 
il  est  di£BciIe  de  deviner  d'où  il  tire  son  origine  ^. 

La  seule  partie  de  l'antique  établissement  thermal 
qui  se  soit  bien  conservée  jusqu'à  ce  jour  consiste 
dans  la  salle  où  se  trouvait  le  grand  bassin  commun 
ou  lavmrum.  Cette  salle  est  un  parallélogramme 
orienté  est  et  ouest,  de  2 a ",60  de  long,  sur  12*  de 
larçe  et  i  i°*,2o  de  haut  sous  la  clef  de  la  voûte.  Le 
long  des  murs  latéraux  on  voit  de  chaque  côté  deux 
niches,  ayant  2",8o  d'ouverture,  i'^.So  de  hauteur 
et  o",95  de  profondeur  au  centre,  séparées  par  un  en- 

^  Anda  signifiait  également  un  petit  vase  a  contenir  du  feu  et  un 
petit  autel  chrétiem.  Dtuxmge, 


INTRODUCTION. 
foDcement  carré  de  même  hauteur  et  de  même  profon- 
deur  que  les  niches ,  mais  plus  laides  de  i  o"".  Au  mur  du 
fond  se  trouve  une  autre  niche  qui  en  occupe  presque 
toute  la  largeur,  et  qui  a  7",  1  o*  d'ouverture ,  6"  de 
iiautéor  et  i*"  de  profondeur  au  centre.  Ces  niches  la- 
térales étaient  sans  doute  pour  des  baigneur»  particu- 
liers* et  dans  celle  du  fond  devait  être  un  bassin  de 
phis  grande  dimension.  Le  lavacram,  qui  était  au  mi- 
lieu de  cette  salle»  converti  depuis  en  cabinets  de 
baÎD,  avait  16'^  de  long  et  S'^^Uy  de  large;  sa  pro- 
fondeur de  a*"  prouve  qu'il  servait  en  même  temps  de 
fixme^  c  est-à-dire  quon  pouvait  s*y  livrer  à  l'exer- 
dce  de  la  natation.  On  descendait  jusqu'au  fond  par 
mÈf{  marches  r^nant  le  long  des  quatre  faces  et  qui 
servaient  en  même  temps  de  siège  aiuc  baigneurs.  Le 
fond  de  ce  bassin  était  pavé  en  petites  briques,  de 
mêmes  forme  et  grandeiu*  que  celles  dont  nous  avons 
parlé  à  pt^pos  du  réservoir  de  Ruscino. 

Cette  salle  des  bains ,  en  Fétat  où  elle  est  aujour- 
d'hui ,  a  deux  entrées  rapprochées  Tune  de  l'autre  :  la 
première  est  percée  à  T extrémité  du  mur  oriental, 
tout  près  de  l'angle  qu'il  forme  avec  celui  du  nord;  la 
seconde  se  trouve  de  l'autre  côté  de  ce  même  angle, 
de  telle  sorte  qu'elles  ne  sont  séparées  que  par  l'en- 
coignure :  l'une  et  l'autre  nous  paraissent  postérieures 
à  la  construction  du  monument.  L'entrée  antique  de- 
vait être  à  travers  l'enfoncement  carré  qui  sépare  les 
niches  du  coté  septentrional,  comme  aux  thermes 


XL  INTRODUCTION. 

de  Fréjus,  qui  ont  beaucoup  de  rapport  avec  ceux-ci  ^ 
Au  midi  de  la  grande  salle  il  y  avait  jadis  une  se- 
conde salle  moins  vaste ,  garnie  d'enfoncements  carrés 
sur  les  côtés,  et  où  venaient  aboutir  les  tuyaux  des 
eaux  chaudes  ;  un  ancien  acte  donne  à  cette  pièce  le 
nom  d'estufs,  ce  qui  semble  indiquer  le  sudatoriam. 
La  voûte  n'existe  plus ,  et  ime  partie  de  cette  salie  a 
été  prise  pour  la  construction  du  réservoir  actuel 
des  eaux  froides.  D'autres  substructions  romaines  se 
voient  partout  aux  environs ,  et  des  médailles  impé- 
riales y  ont  été  trouvées. 

Un  aqueduc  creusé  en  partie  dans  la  roche  vive , 
sur  la  pente  de  la  montagne ,  et  dont  on  voit  encore 
de  grands  vestiges,  amenait  aux  bains  les  eaux  de  la 
petite  rivière  de  Montalba  au  moyen  d'une  prise  d'eau 
faite  par  un  barrage  en  forte  maçonnerie,  encore  exis- 
tant à  travers  le  ravin  dans  lequel  coule  cette  rivière 
ou  ruisseau  :  ce  barrage  est  ce  qu'on  appelle  dans  le 
pays  le  saut  ttAnnibal. 

Les  bains  des  Ëscaldas,  situés  sur  le  penchant 
d'une  des  montagnes  de  la  Cerdagne  française ,  étaient 
beaucoup  plus  somptueux  que  ceux  d'Arles ,  suivant 
Marca ,  qui  les  a  vus  encore  dans  im  certain  état  de 
conservation.  Ëscaldas  est  une  corruption  évidente 
du  nom  d'aquas  caKdas  qu'ont  porté  plusieurs  établis- 
sements thermaux  de  l'antiquité.  Le  docteur  Carrère, 

^  Ces  thermes  de  Fréjus  sont  gravés  dans  le  supplément  de  Tanti- 
quité  expliquée  de  Montfaucon. 


INTRODUCTION.  xu 

auteur  du  Voyage  pittoresque  du  Roussilion  publié 
en  1 787,  ouvrage  que  nous  citons  souvent  parce  que 
c'est  le  seul  qui  nous  donne  un  état  statistique  de 
cette  province  avant  la  révolution ,  mais  qui  abonde 
en  erreiu^ ,  avance  que  les  bains  des  Escaldas  furent 
construits  sous  Auguste  pour  Tusage  de  la  ville  de 
livia,  que  cet  empereur  avait  fondée  en  llionneur  de 
livie,  sa  fenune;  mais  cet  écrivain  n'avait  pour  appui 
de  ce  dernier  fait  que  le  nom  même  de  la  ville  :  or  ce 
nom  n'est  prononcé  Livia  que  par  le  son  équivoque 
des  lettres  b  et  v,  dans  les  langues  occitanique  et  ibé- 
rienne ,  et  cette  ville  n'est  autre  que  la  Libya  de  Pto- 
lànée,  la  Jalia  Lihyca  de  Pline,  ancienne  capitale 
des  Terretani.  Du  temps  de  Carrère  les  bains  des  Es- 
cddas  consistaient  en  un  lavacram  de  8°",  7  6^  de  long 
«or  4"  5o*  de  large  et  o"*,97'  de  profondeiu*,  pavé 
en  larges  pierres  de  taille  par-dessus  une  charpente 
qa'on  avait  découverte  en  soidevant  une  de  ces  dalles. 
On  descendait  dans  ce  lavacram  par  trois  marches  de 
marbre  blanc  qui  en  faisaient  le  tour.  A  la  même 
époque  on  voyait  encore  les  restes  du  sudatoriam. 
Rien  de  tout  cela  n'existe  plus  aujoiœd'hui;  tout  a  dis- 
paru complètement  sous  les  reconstructions  faites  en 
18a i.  Un  seul  lambeau  de  pavé,  que  la  dureté  du 
statmnen  a  empêché  de  démolir,  est  l'unique  témoin 
<{ui  atteste  encore  qu'il  y  eut  là  jadis  un  établissement 
thermal  des  Romains  :  ce  fragment  se  trouve  dans 
f écurie  construite  sous  la  maison. 


xui  INTRODUCTION. 

L'établiisement  thermal  du  Vemet  ne  date  guère 
que  du  règne  des  rois  wiâigoths.  La  salle  du  grand 
bassin  a  près  d'un  tiers  de  plus  en  hauteur  que  celle 
des  bains  d*Ârles,  mais  elle  n'a  guère  plus  de  longueur 
et  de  largeur.  Sa  voûte  est  formée  par  Tintersection  de 
deux  arcs  près  de  leur  centre ,  ce  qui  la  rend  légère- 
ment ogive.  Le  bassin ,  divisé  comme  celui  d*Âiies  en 
cabinets  particuliers,  avait  autrefois  lo'^ySS  de  lon- 
gueur, i'^ySS  de  largeur  et  o'^,6k  de  profondeur, 
proportions  bien  inférieures  à  celles  du  lavacram  de 
Tanitre  éuMissement*  Ces  bains  se  trouvèrent  com- 
pris dans  la  donation  que  fit,  en  i  oaSy  du  village  du 
Vemet  avec  ses  dépendances,  à  Tabbaye  de  Sainl^ 
Martin  du  Canigou,  le  comte  de  Gerdagne  Wifred« 
fondateur  de  cette  abbaye*  Le  dernier  abbé^  Gmmet 
de  Maupui,  archidiacre  de  la  cathédrale  de  Toulouse, 
qui  fit  séculariser  cette  abbaye  en  1787^  vendit  à 
cens ,  Tannée  suivante ,  à  Pierre  Barrère,  médecin  de 
Perpignan,  le  local  des  bains  «  qui  se  trouvait  dans  un 
état  complet  de  ruines  :  c'est  ce  médecin  qui  le  fit  ré- 
parer, et  qui  ajouta  les  maisons  d'habitation  au  moyen 
des  bois  et  des  matériaux  de  toute  nature  que,  par 
l'acte  de  vente ,  il  s'était  réservé  la  faculté  de  prendre 
dans  les  domaines  de  l'abbaye. 

Les  monuments  du  moyen  âge  sont  très*abondants 
en  Roussillon.  Presque  tontes  les  églises  des  com- 
munes les  plus  anciennes  de  la  province  portent  le 
caractère  de  cette  architecture  pesante  que  des  arcs 


INTRODUCTION.  xuii 

I 

i  plein  cintre  et  une  certaine  disposition  rappelant 
de  très -loin  la  construction  antique  firent  désigner 
par  le  titre  d'ouvrage  romain,  opas  ronumam,  sous  Tem* 
pire  du  gothique.  Parmi  ces  édifices  il  y  en  a  un  que 
nous  citerons  :  cest  i*église  du  village  de  Gustojas, 
l'antique  Custodia.  Cette  é^ise ,  dont  la  consécration , 
rapportée  par  Baluze  à  Tan  1 1  ^s ,  ne  peut  être  que 
k  seconde,  est  probablement  Tune  des  plus  anciennes, 
peut-être  même  la  plus  ancienne  de  tout  le  Rous- 
nUon.  Des  reccmstructions  et  des  restaurations  faites 
au  xn*  siède  et  qui  portent  en  effet  les  caractères  du 
gothique ,  motivèrent  sans  doute  cette  seconde  consé- 
<ratiofi  dont  l'acte  se  trouve  dans  l'appendice  du  Marca 
hùpaaica.  Ces  reconstructions  ne  portèrent  que  sur  la 
partie  extérieure  du  monument  et  sur  sa  couverture , 
dont  ks  arcs  sont  à  tiers-pûînt.  Quant  à  h  partie  in- 
firieure  de  cette  ég^dse,  la  construction  en  est  bien 
certainement  antérieure  à  Tinvasion  du  gothique.  Par 
leur  édit  de  l'an  A56  Vaientinien  et  Marden  ayant  rég^é 
que  les  prêtres  seraient  payés  sur  les  fcmds  de  l*impot« 
des  égUses  commencèrent  à  s'élever  dans  les  villages  ^ 
et  c'est  vers  cette  époque  que  nous  parait  remonter 
la  construction  de  celle  de  Gustojas.  Un  mesaalùmi  en 
fu^écède  la  nef;  les  colonnes  de  la  porte  d'entrée  sont 
ime  réminiscence  grossière  du  corinthien ,  et  le  sanc- 

'  Au  commencement  du  y*  siècle  les  moines  n'avaient  point  encore 
(Téglises;  ils  allaient  à  la  cathédrale,  où  ils  occupaient  les  premières 
piioes  poimi  les  laïques.  Godeou ,  Hisl,  eecUf. 


xLiv  INTRODUCTION. 

tuaire  ou  berna  est  séparé  de  la  nef  par  trois  arcade^ 
inégales,  appuyées  sur  des  colonnes  courtes  et  épais- 
ses ,  commencement  du  style  barbare  qui  s'établissait. 

Un  autre  monument  du  moyen  âge  dont  nous  ne 
poiœrions  nous  dispenser  de  parler  existe  en  Cerdagne, 
dans  le  petit  village  de  Planés.  Unique  en  Europe  par 
sa  forme,  ce  monument,  qu*on  ne  s'attendrait  pas  à 
trouver  au  milieu  de  ces  montagnes ,  repose  sur\  un 
plan  dont  le  dessin  est  un  triangle  équilatéral ,  du  mi- 
lieu de  chacune  des  faces  duquel  est  décrit  un  cerde 
dont  la  circonférence  va  passer  par  le  centre  d'un 
quatrième  cercle  inscrit  dans  le  triangle.  Ce  qua- 
trième  cercle ,  transporté  en  l'air,  donne  la  circonfé- 
rence de  la  coupole  qui  couronne  le  monument  pen- 
dant qu'un  cinquième  cercle ,  toujours  du  même  dia- 
mètre ,  et  dont  la  circonférence  passerait  paiement 
par  le  centre  d'un  cercle  perpendiculaire  à  l'axe  du 
monument  et  reposant  sur  le  sol ,  donne  la  hauteur 
de  cette  même  coupole.  La  solution  de  ce  problème 
très -compliqué  de  géométrie  appartient  à  M.'  Stan. 
Leveillé,  ancien  ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaus- 
sées de  ce  département. 

Quelques  personnes  croient  que  ce  joli  petit  édi- 
fice (ut  une  mosquée  ;  nous  pensons  que  ce  fut  plutôt 
un  tombeau ,  puisqu'une  mosquée  aurait  été  accom- 
pagnée d'im  minaret  et  que  laforme^de  ces  édifices 
n'est  pas  si  compliquée.  La  chapelle  de  Sainte-Croix 
qu  on  voit  s  élever  tout  près  de  l'abbaye  de  Montma-« 


INTRODUCTION.  xlv 

jour,  aux  environs  d'Arles ,  en  Provence ,  a  beaucoup 
d'analogie  avec  cette  construction  de  Planés  ;  ce  mo- 
nument, du  commencement  du  xi*  siècle,  dont  le 
plan  est  une  croix  grecque  formée  par  quatre  cercles 
rentrant  lun  dans  Tautre ,  diffère  de  celui  de  la  Cer- 
dagne ,  quant  à  la  construction ,  par  un  avant-corps 
carré  au-devant  de  Tentrée ,  et  par  une  corniche  du 
meilleur  goût  et  d*une  exécution  parfaite;  l'édifice  de 
Planés,  au  conti*aire,  est  entièrement  nu  d'ornements. 
Ce  monument  appartient  à  l'époque  où  les  Maures 
étaient  maîtres  de  la  Cerdagne,  et  notre  conviction 
est  qu'il  fut  élevé  pour  la  sépulture  de  Munuza,  sou- 
verain de  ces  montagnes,  forcé  dans  Livia  en  ySa , 
et  tué  dans  sa  fuite  auprès  de  Planés.  L'entrée  de  cet 
édifice ,  très-bien  conservé  grâce  à  sa  transformation 
ea  ^lise ,  la  seule  que  possède  ce  petit  village ,  était 
percée  autrefois  dans  le  rond-point  qui  regai'de  l'occi- 
dent ^  :  elle  fut  murée  par  dehors  il  y  a  un  siècle ,  et 
son  embrasure  intérieure  devint  une  niche  dans  la- 
([uelle  on  plaça  la  cuve  des  fonts  baptismaux  :  une 
nouvelle  porte  fiit  ouverte  à  travers  l'une  des  alettes 
de  la  face  méridionale  du  triangle. 

Le  monument  le  plus  épais  de  forme ,  le  plus  bar- 
bare de  construction  qui  existe  en  Roussillon,  se  voit 
sur  le  penchant  de  la  montagne  du  Canigou  du  côté 
deVemet  :  c'est  l'église  de  Saint-Martin,  qui  parait 
dater  du  vu*  siècle  et  à  laquelle  le  comte  de  Cerdagne 

^  Narcisso  Caïuos,  Jardin  de  Maria.        , 


XLvi  INTRODUCTION. 

Wifred  rattacha  en  looi  un  monastère  de  Tordre 
de  saint  Benoit.  Les  trois  nefs  de  cette  lourde  église 
ont  une  longueur  égale  de  ^i'^.i'j  ;  la  largeur  est  de 
3",a4  pour  celle  du  milieu  et  de  a"  69  poiu*  celles 
des  côtés.  Ces  nefs  sont  séparées  par  cinq  colonnes 
et  un  pilier  de  chaque  coté.  Les  colonnes,  hautes  seu- 
lement de  l'^tÔQ,  très-renflées  au  milieu ,  où  leur  dia- 
mètre est  de  o'',3!i ,  sont  surmontées  d*un  chapiteau 
qui  n'est  quune  pierre  carrée  s*élargissant  un  peu  en 
montant,  et  aux  angles  de  laquelle  la  pointe  du  ciseau 
a  à  peine  tracé  une  raie  en  volute.  Le  monastère , 
moins  ancien  que  cette  église  ^  est  aussi  un  peu 
moins  barbare.  Les  colonnes  du  cloître  en  étaient 
effilées  comme  toutes  celles  de  la  même  époque,  et 
les  chapiteaux  très-variés  dans  leurs  formes  et  leurs 
ornements.  Nous  en  avons  vu  un ,  au-devant  d'une 
maison  du  village  de  Castel  (les  habitants  démoli- 
rent ce  cloître  pour  en  transporter  les  colonnes  chez 
eux  lors  de  la  sécularisation  du  monastère) ,  où  se 
trouve  représentée  une  cérémonie  religieuse.  D*abord 
parait  le  porte-croix  entre  deux  acolytes ,  puis  vient 

'  La  priorité  de  temps  de  l'église  de  Saint-Martin  sur  la  fondation 
du  monastère,  outre  qu'elle  est  incontestablement  indiquée  par  la  dif- 
férence de  constructions  de  ces  deux  parties  de  Tédifice,  est  encore 
prouvée  d'une  manière  irréfragable  par  les  termes  de  la  bidle  da  pape 
Sergiuft  pour  la  confirmation  de  ce  monastère.  On  y  lit  :  Qaia  poitalatH 
a  nobis,  Guijrede  dilecte  cornes,  qvmienus  ecclesiam  sancti  Martini  tibi 
concederemus  ut  —  in  ea  monasterium  faceres  —  iWun  prœfatam  ec 
clesiam  cum  suis  pertinenciis  tibi  concedimus  —  et  cetera. 


INTRODUCTION.  xlvii 

un  moine  portant  ia  crosse  de  labbé ,  qu*on  voit  der- 
rière une  table  sur  laquelle  sont  une  colombe  et  un 
rameau  d'arbre,  d'olivier  peut-être;  Tabbé  est  entre 
demLmoines;le  reste  de  la  pierre  est  occupé  par  cinq  au- 
tres moines  de  tout  âge  avec  la  chape  sur  les  épaules. 
L'entrée  du  monastère  était  à  travers  le  clocher, 
qu'on  avait  élevé  à  la  gauche  du  chevet  de  l'église 
préexistante  dont  la  façade  était  tournée  du  coté  des 
précipices  :  sous  cette  église  on  en  creusa  une  autre 
dans  le  roc. 

Le  gothique  de  ia  seconde  époque,  ou  gothique 
fleuri ,  se  montre  dans  une  foule  d'églises  et  d'autres 
monuments  du  Roussillon,  plus  ou  moins  remar- 
quables sous  le  rapport  de  l'art.  Nous  ne  citerons  que 
le  doître  d'Elue  et  l'église  ruinée  de  Saint-Michel  de 
Cuxa.  Le  premier  fut  construit  au  xi*"  siècle  par  Té- 
vêque  Bérenger  IV,  qui  en  fit  bâtir  l'église  sur  le 
pian  de  celle  du  Saint-Sépulcre  de  Jérusalem ,  dont  il 
avait  rapporté  le  dessin,  de  son  pèlerinage  à  la  Terre 
sainte.  Ce  cloître,  tout  en  marbre  blanc,  se  distingue 
par  sa  double  colonnade  du  goût  le  plus  élégant,  par  la 
diversité  de  ses  chapiteaux  et  la  combinaison  des  ani- 
maux bizarres  et  fantastiques  qui  les  composent,  par 
la  délicatesse  du  travail  dans  quelques  parties  ^ ,  par  la 
profusion  des  nœuds,  des  entrelacs,  des  rosons,  et 

'  La  grande  différence  qu  on  aperçoit  dans  l'exécution  d'une  partie 
àt  cet  ornements  vient  d'une  restauration  postérieure  à  Tépoque  de  la 
coQstraction  du  monument. 


xLViii  INTRODUCTION. 

leur  infinie  variété.  Le  cloitre  de  Saint-Michel  paraît 
dater  de  la  même  époque ,  et  appartient  à  la  même 
école  que  celui  d*Ëlne ,  mais  il  n'est  pas  si  beau  ;  quant 
à  l'église,  qui  a  été  démolie  au  commencement  de  la 
révolution,  elle  avait  dû  être  rebâtie  à  une  époque 
plus  rapprochée,  à  en  juger  par  les  embellissements 
de  son  architecture.  Après  avoir  épuisé  dans  ses  orne- 
ments, répandus  avec  tant  de  prodigalité,  tous  les 
produits  du  règne  v^étal,  le  gothique  fleuri  en  vint 
à  employer  les  figures  d'animaux,  et  l'homme  même 
dans  toutes  les  attitudes  imaginables  :  c'est  ce  qu'on 
voyait  à  Saint-Michel  de  Cuxa.  Les  pierres  les  plus 
curieuses ,  sous  ce  dernier  rapport ,  avaient  été  enle- 
vées depuis  longtemps  par  des  nationaux  et  des  étran- 
gers ,  quand  le  propriétaire  de  ces  ruines ,  M.  Jacomet, 
de  Prades,  eut  l'heureuse  idée  d'en  réunir  le  peu  qui 
restait  encore,  dans  le  mur  d'enclos  de  son  domaine, 
et  de  composer  la  porte  de  ce  même  domaine  avec 
des  voussoirs  dépareillés ,  mais  chargés  d'ornements. 
Parmi  ces  pierres  ainsi  conservées,  nous  avons  re- 
marqué un  saltimbanque  marchant  sur  les  mains,  le 
corps  renversé  en  arrière.  La  porte  de  la  maison  ab- 
batiale de  ce  monastère  S  qui  date  de  la  même 
époque  que  le  cloitre ,  est  remarquable  par  la  richesse 
de  sa  décoration ,  composée  de  figures  d'animaux  sym- 
boliques, et  de  saints. 

*  Chaque  moine  avait  une  petite  maison  à  part  avec  &on  jardin  et 
son  ménage,  le  tout  était  entouré  d'un  mur  d'enceinte  commune. 


INTRODUCTION.  xlix 

Le  gothique  uni  au  sarrasin  se  montre  dans  Té- 
difice  de  la  ioge  ou  bourse  de  Perpignan.  Ce  monu- 
ment, tout  bâti  en  grosses  pierres   équarries,   est 
percé,  au  rez-de-chaussée,  de  cinq  grandes  ouver- 
tures, égaies  de  forme,  de  largeur  et  de  hauteur, 
dont  fune  servait  de  porte  d'entrée  à  la  vaste  salle  de 
la  bourse,  et  les  quatre  autres  de  fenêtres.   L'arc 
ogive  de  ces  ouvertures  est  entouré  de  nervures  le 
long  desquelles  serpente  extérieurement  une  tige  d'a- 
canthe épineuse ,  dont  un  groupe  de  feuUles ,  réunies 
en  Êdsceau ,  forme ,  au-dessus  de  la  clef,  un  bouquet 
de  très-bon  goût.  Le  reste  de  la  façade  est  uni;  au 
baut  seulement  règne  une  rangée  de  petites  fenêtres 
accouplées  de  deux  en  deux ,  ornées  de  nervures  et 
de  figures  de  toute  espèce ,  et  dont  le  tiers  supérieur 
est  formé  par  des  pierres  découpées  à  jour.  Sur  le 
coté  sont  deux  autres  fenêtres  parallélogrammatiques, 
ornées  coomie  les  précédentes ,  et  fermées  aussi  en 
partie  par  des  pierres  découpées  à  jour.  L'édifice  était 
terminé  à  l'orientale,  par  une  balustrade  de  pierres 
déchiquetées  en  dentelle,  dont  il  ne  reste  plus  qu'un 
échantillon. 

Après  avoir  indiqué  les  principaux  monuments  ar- 
dûtectoniques  du  Roussillon ,  dont  nous  avons  voulu 
présenter  en  même  temps  la  chronologie,  nous  revien- 
drons sur  nos  pas  pour  faire  connaître  quelques  ves- 
tiges isolés  de  la  domination  romaine.  La  nomencla- 
ture n'en  sera  pas  longue  :  aucune  fouille  régulière  n'a 

I.  ci 


t  INTRODUCTION 

jamais  été  faite  sur  le  sol  des  villes  anciennes  et  des 
mansions  romaines ,  et  pomtant  il  est  à  peu  près  cer- 
tain que  des  recherches  dans  ces  terrains,  vierges  d'ex- 
plorations, auraient  des  résultats  satisfaisants. 

Nous  ne  parlons  pas  des  médailles  qu'on  trouve 
fréquemment  sur  divers  points  du  Roussillon.  La  dé- 
couverte la  plus  importante  en  ce  genre  lut  celle  d'un 
vase  de  terre  trouvé  en  1816,  aux  environs  d'Argelès, 
près  de  la  métairie  de  Pujols,  renfermant  près  d'un 
millier  de  deniers  d'argent,  tous  consulaires  ou  du 
temps  de  J.  César. 

Nous  avons  dit  que  le  col  de  la  Massane  était  dé- 
fendu par  un  château  qui  portait  le  nom  de  Vulturaria, 
que  gardait  un  détachement  de  la  légion  décumane  de 
Narbonne  ^  Ces  soldats  élevèrent  en  l'honneur  de 
Gordien  III,  la  seconde  année  de  son  règne  et  pre- 
mière de  son  consulat,  par  conséquent  en  2 89  de 
notre  ère ,  un  cippe ,  retrouvé  dans  le  massif  de  l'au- 
tel de  l'église  de  Saint-André  de  Sorède,  avec  cette 
inscription,  dont  le  commencement,  jusqu'au  mot 
pîo,  n'a  été  connu  qu'en  181 4,  par  la  publication 
qu'en  fit  M.  le  professeur  Puiggari,  dans  l'annuaire 
des  Pyrénées-Orientales,  imp.  cas**   m.   Antonio  gor- 

DIANO  PIO  FELICI  INVICTO  AVG.   P.    M.  TRIBVN.  POT.  II  COS. 
P.  P.  DECVMANI  NARBONENS. 

Au  village  de  Calla,  près  de  Prades,  on  a  trouvé 

^  La  tour  de  in  Massane  ne  date  que  du  règne  du  premier  roî  de 
Majorque. 


INTRODUCTION.  li 

uu  cippe  tumulaire  portant  sur  lune  de  ses  &ces  un 
rameau  très-mal  sculpté,  et  sur  1  autre  face  cette  ins" 
cription  :  c.  pompeivs  qvartds  i.  a.  m.  svo  ^ 

Un  autre  cippe  est  renfermé  dans  le  massif  dé 
faute!  de  Téglise  de  Labastide,  mais  on  ignore  s*il 
porte  (pielque  inscription;  enfin  un  autel  rond,  en 
marbre  blanc ,  de  forme  élégante ,  saris  inscrip- 
ticm,'  ceint  d'une  branche  de  myrte  sur  laquelle  re- 
posent des  oiseaux  d'un  style  médiocre ,  existe  dans 
la  commune  de  Pezillâ,  à  une  lieue  de  Perpignan, 
et  semble  indiquer  le  culte  de  Vénus  dans  cette  lo- 
calité ^ 

< 

^  Ce  Gains  était  quelque  affiranchi  de  Pompée. 
SoÎTant  M.  Puiggari  cette  pierre  provient  de  Rennes-les-Bains. 
'  Nous  devons  mentionner  ici  les  découvertes  qui  ont  été  faites  en 
archéologie  depuis  que  ce  travail  est  terminé,  i**  Un  tombeau  signale 
pvM.  Puiggari  et  découvert  près  de  Garrius,  sur  le  bord  de  Tétang  de 
Leacate,  creusé  dans  le  tuf  et  contenant,  un  ossuaire  de  terre  cuite  en- 
tooréd^une  quinzaine  de  fioles  de  cinq  à  six  pouces  de  baut^  les  unes 
cflindriques,  les  autres  carrées,  d  autres  dans  la  forme  de  celles  dîtes 
laaymatoires,  toutes  renfermant  des  traces  de  baumes  dessécbés  sous 
fivme de pellicide légère;  plus  extérieurement  étaient  quelques  vases 
de  terre  fine,  d'un  pied  de  baut  sur  cinq  à  six  pouces  de  diamètre, 
conteqant  une  matière  terreuse.  Tous  ces  objeU  et  quelques  autces  re- 
pottdent  sur  une  coucbe  de  cendres,  épaisse  d'un  demi-[Hed,  et  maii^ 
tenue  par  des  tuileaux.  Parmi  cc^  cendres  se  trouvaient  encore  des  mor- 
ceaux de  corail,  une  agrafe  en  métal,  des  anneaux  de  cuivre  à  chatons 
dont  les  pierres  calcinées  s'étaient  détacbées ,  et  une  bague  d'or,  ce  qui 
semblerait  indiquer  la  sépulture  d'une  femme.  2"  Deux  inscriptions 
sur  des  pierres  placées  diâas  la  bâtisse  de  l'église  de  Theza,  mais  qu'on 
sait  avoir  été  tirées  de  la  chapelle  de  Saint-Julien,  près  de  Villeneuve- 
la-Raho.  L'une  de  ces  pierres  porte  les  aigles  d.  m.  en  tête,  et  au-des- 

d. 


ijv  INTRODUCTION. 

cèlent  Tennemi  et  iui  causent  de  grandes  pertes.  Leste 
et  agile  comme  Tisard  de  ses  montagnes ,  le  miquelet 
se  faisait  autant  remarquer  par  son  audace  au  feu  que 
par  son  ardeur  au  butin. 

L'idiome  catalan ,  le  même  que  parient  les  Rous- 
sillonnais ,  les  Valenciens  et  les  Aragonnais ,  a  été  l'un 
des  dialectes  les  moins  altérés  de  la  langue  romane, 
tant  qu'il  a  pu  être  langue  nationale,  et,  conmietel, 
être  uniquement  employé  dans  les  actes  publics  ;  mais 
après  la  réunion  du  RoussiUon  à  la  France ,  il  perdit , 
de  ce  côté  des  Pyrénées ,  une  partie  de  sa  pureté  par 
le  mélange  de  tournures  et  d'expressions  françaises  et 
languedociennes ,  et  après  l'incorporation  de  la  data* 
logne  à  la  monarchie  espagnole,  sous  Philippe  V,  il 
s'appauvrit  aussi ,  de  l'autre  côté  des  monts ,  par  le 
mélange  du  castillan. 

Parier  de  la  langue,  c'est  être  amené  à  faire  men* 
tion  de  ceux  qui  l'ont  cultivée  :  nous  devons  nous 
borner  aux  seuls  enfants  du  RoussiUon. 

Les  lettres  furent,  dans  cette  province,  après  le 
moyen  âge ,  ce  qu'elles  étaient  au  même  temps  dans 
tout  le  midi  des  Gaules.  La  douceur  du  climat,  si  &- 
vorable  au  développement  du  génie,  l'exemple  des 
poëtes  catalans,  occitaniens  et  provençaux,  les  rap- 
ports que  le  RoussiUon  avait  conservés  avec  la  Septi'^ 
manie  et  qu'il  avait  établis  avec  la  Provence,  gou*- 
vemée  pendant  quelque  temps  comme  lui  par  les 
mêmes  princes,  la  proximité  de  la  cour  d'amour  de 


INTRODUCTION.  i.v 

Narbonne,  ne  pouvaient  qu  exciter,  chez  le  Roussil- 
lonnais  spirituel ,  la  verve  poétique  et  la  plus  noble 
émulation. 

Le  plus  ancien  des  troubadours  roussillonnais  dont 
le  nom  et  quelques  œuvres  aient  traversé  les  siècles 
(ut  seigneur  du  village  de  Cabestany  ,  près  de  Per- 
pignan; son  nom,  Guillaume,  immortalisé  par  ses 
Yers,  le  fut  encore  plus  par  Fhorrible  vengeance  dont 
le  troubadour  périt  victime.  Épris  des  charmes  de  la 
femme  de  Raymond,  seigneur  de  Castel-Roussillon , 
Guillaume  lui  adressa  ses  vœux  et  ses  poésies.  Ray- 
mond ,  le  jaloux  le  plus  forcené  de  son  siècle ,  et 
Fun  des  plus  puissants  barons  du  Roussillon ,  signa- 
taire, quelques  années  auparavant,  avec  douze  autres 
barons,  du  traité  de  paÛL  et  trêve  imposé  à  ce  comté 
par  Alphonse  II ,  roi  d* Aragon ,  crut  mettre  son  esprit 
CD  repos  en  enfermant  sa  femme  dans  une  tour  de  son 
château.  Guillaume  composa,  k  ce  sujet,  une  nouvelle 
chanson  commençant  par  ce  vers  : 

Lo  dous  cossire^  etc. 

Ce  fut  l'arrêt  de  sa  mort.  Le  iéroce  baron  l'attira 
dans  un  guetrapens ,  et  lui  arracha  le  cœur,  qu  il  fit 
inan^r  à  sa  femme.  Montrant  ensuite  à  celle-ci  la  tête 
du  troubadour,  il  lui  apprit  quelle  sorte  de  mets  elle 
venait  de  dévorer  et  lui  demanda  si  elle  lavait  trouvé 
bon:  «Si  bon  et  si  savoureux,  répondit-elle,  que  ja- 
«  mais  autre  manger  ne  m  en  ôtcra  le  goût  !  »  A  ces  mots 


m  INTRODUCTION. 

elle  se  précipita  de  la  fenêtre  de  la  tour  sur  le  pavé , 
où  elle  se  tua.  Le  bruit  d'un  tel  for£ût  ayant  soulevé 
d'indignation  toute  la  Catalogne  et  la  Septimanie , 
divers  chevaliers  prirent  les  armes  pour  venger  Guil- 
laume ,  et  le  roi  d'Aragon  accourut  luF-même  k  Per- 
pi^an.  Par  son  ordre  les  deux  victimes  furent  en- 
terrées devant  la  porte  de  la  vieille  église  de  Saint- 
Jean,  de  cette  ville;  les  biens  de  Raymond  furent 
confisqués  au  profit  des  parents  du  troubadour  et  de 
la  dame,  le  baron  fut  enfermé  dans  une  prison  où  il 
périt,  et  son  manoir  de  Castel-Roussillon  lut  rasé. 
Telle  est  la  manière  dont  les  biographes  les  plus  an- 
ciens des  troubadours  rendent  compte  de  la  catas- 
trophe de  Guillaume  de  Cabestaii^  et  de  ses  suites  : 
iKHis  venons  de  voir  qu  en  eflfet  il  ne  reste  jdus  rien 
du  château  féodal  dans  remplacement  qu'il  devait  oc- 
cuper, et  où,  $*il  n  avait  pas  été  détruit  par  justice  do 
prince,  des  ruines  devraient  encore  subsistera 

Les  autres  troubadours  connus  pour  appartenir 
incontestablement  au  Roussillon  sont  : 

Foruiit  de  Perp^an .  dont  Millot  cite  un  tenson 
plem  de  grâce: 

Raymond  Bistors.  qui  se  répand  en  plaintes  tou- 
chantes sur  son  éloignement  de  ses  chères  monli^iies  ; 

Poiis  dXhrtatTa ,  dont  on  connait  de  très-jolis  vers; 

Rêrenser  de  Palasols  ou  de  Palaiols*.  dont  la  for- 

dkmie  m  iâtM  Pilnniii  ,  Piilk4.  tielMe  fecitse  niar. 


INTRODUCTION.  lvii 

tune  ne  fut  en  harmonie  ni  avec  son  talent  ni  avec  sa 
valeur^. 

Le  premier  roman  de  chevalerie  serait  sorti  d  une 
plume  rousflionnaise  si  Ton  juge  de  la  patrie  du  trou- 
badour par  le  nom  de  Heu  qui  suit  le  sien ,  et  si  le  mot 
Roussillon  indique  le  comté  plutôt  que  Time  des  villes 
ses  homonymes.  Le  savant  explorateur  de  la  langue 
romane  n  hésite  pas  à  croire  que  le  roman  de  Gérard 
ie  BûssiUon  appartient  au  douzième  siècle  et  qu'il  pour- 
rait être  même  d'une  époque  plus  ancienne^,  a  La  ru- 
desse du  stylé,  la  violation  fréquente  des  règles  de  la 
versification,  des  fautes  nombreuses  qu'on  ne  peut  at- 
tribuer toujours  à  l'inexactitude  du  copiste  ou  à  l'alté- 
ration du  texte,  sont,  dit  M.  Raynouard,  des  marques 
certaines  de  son  antiquité.  »  L'homonymie  a  Ëdt  sup- 
poser à  un  auteur  que  le  poète  était  le  comte  de  Rous- 
sillon ,  qui  porta  ce  nom  de  Gérard  ;  mais  un  intervalle 
de  près  de  trois  siècles  sépare  Charles  Martel  de  ce 
dernier  personnage. 

Après  ce  premier  âge  de  la  littérature  moderne , 
le  Roussillon  continua  à  payer  son  tribut  aux  lettres , 
et  nous  comptons ,  jusqu'au  xix*  siècle ,  un  grand 
nombre  d'écrivains   qui,  à  notre   connaissance,   se 

^  Raynouard ,  Choix  des  poésies  des  tronhadours,  tom.  V. 

'  «Quand  il  s^est  agi  d*un  manuscrit  de  la  fin  du  xiii*  siède,  conte- 
'oant  an  texte  semi-provençal  de  Girars  de  Roussillon ,  M.  Fauriel  n^a 
*  pas  un  instant  hésité  à  croire  que  les  dix  mille  vers  qu'A  renferme 
•eussent  été  chantés,  et  ne  fussent  hien  antérieurs  à  tous  les  textes 
■  Trançais  du  ui*  siècle,  i  (  M.  Paulin ,  Paris.  ) 


Lviii  INTRODUCTION. 

sont  exercés  dans  tous  les  genres ,  tels  que  la  philo- 
sophie, les  sciences  ou  Térudition^ 

Pour  achever  de  faire  connaître  lliabitant  du  Rous- 
sillon,  il  nous  reste  à  parler  de  ses  mœurs,  de  ses 
usages ,  de  ses  habitudes,  c'est-à-dire  à  l'observer  dans 
sa  vie  privée  avant  de  le  suivre  dans  sa  vie  publique. 
Pour  cela,  avant  de  dire  ce  qu*il  est  aujourd'hui,  il 
nous  faut  examiner  ce  qu'il  fut  autrefois,  et  remonter 
le  plus  haut  possible  dans  l'histoire  de  ses  mœurs, 
afin  de  bien  apprécier  les  changements  que  le  temps 
a  apportés  dans  sa  manière  d'être.  Ces  recherches, 
auxquelles  nous  donnerons  seulement  l'extension  que 
comporte  un  ouvrage  comme  celui-ci ,  qui  n'est  pas 
une  statistique  spéciale,  embrasseront,  autant  que 
possible,  toutes  les  classes  de  la  population. 


S  m. 

9 

Etat  des  mœurs  jusqu  au  xvi*  siècle. 

L'histoire  de  Roussillon  est,  dans  l'histoire  géné- 
rale des  peuples,  l'une  de  celles  qui  offirent  le  plus  de 
calamités.  Battu  par  mille  tempêtes  sous  les  diffé- 
rentes dominations  auxquelles  il  a  été  soumis  ;  dévasté 
par  des  guerres  continuelles,  toujours  accompagnées 
de  meurtres  et  d'incendies,  le  Roussillon  a  été  saccagé 
tour  à  tour  par  les  Romains,  les  Goths,  les  Sarrasins, 

*   Voyez  la  note  IV. 


INTRODUCTION.  lix 

les  Normands,  les  Âragonnais  et  les  Français  ;  ses  ha- 
bitants, avant  d'être  Français,  n'avaient  jamais  vu  un 
siècle  s'écouler  sans  que  quelque  nouveau  désastre  ne 
vint  (aire  coider  leurs  larmes  et  leur  sang.  Une  pa- 
reille situation  dervait  nécessairement  influer  sur  les 
habitudes  de  la  vie ,  et  donner  aux  mœurs  une  teinte 
de  saupvagerie  qui  dura  non-seulement  pendant/le 
moyen  âge ,  mais  encore  pendant  ime  partie  des  cinq 
siècles  qui  le  suivirent;  siècles  qui  fondent  la  transi- 
tion entre  cette  période  d'ignorance  et  de  barbarie  qui 
accompagna  la  dislocation  de  l'empire  romain,  et  les 
temps  où,  grâce  aux  découvertes  qui  signalèrent  les 
quinzième  et  seizième  siècles,  une  nouvelle  civilisa- 
tion commença  à  se  répandre  sur  l'Europe. 

Chez  tous  les  peujdes  de  l'antiquité  et  du  nloyen 
âge,  la  captivité  des  vaincus  étant  de  droit  légitime» 
cet  usage  avait  partagé  les  nations  subjuguées  en  deux 
classes  à  jamais  séparées  :  les  vainqueurs ,  gens  libres, 
militaires  ou  nobles,  qualités  alors  synonymes;  les 
vaincus ,  gens  désarmés,  réduits  è  la  servitude,  n'ayant 
plus  aucun  intérêt  k  défendre  le  pays  quand  ils  en 
auraient  conservé  la  possibilité ,  et  favorisant  forcé- 
ment, par  leur  annulation,  toutes  nouvelles  invasions 
étrangères.  Les  Romains  s'étaient  réservé  seuls  le 
droit  de  défendre  les  Gaules  :  inférieurs  aux  Goths , 
ils  durent  subir  leur  loi.  Vainqueurs  avant  les  Goths , 
les  Romains  s'étaient  partagé  la  population  indigène; 
vaincus  à  leur  tour,  ils  durent  en  24)andonner  la  plus 


Lx  INTRODUCTION. 

grande  partie  aux  Goths ,  qui  se  réservèrent  aussi  uni- 
quement le  droit  des  armes. 

Le  Roussillon,  traversé  à  tout  instant  par  des 
hordes  barbares  que  T  excès  de  la  population ,  la  ru-^ 
desse  du  climat,  im  certain  besoin  de  déplacement 
poussaient  alors  du  Nord  au  Midi ,  et  qui,  après  avoir 
ravagé  la  Gaule,  où  les  Gaulois  n'avaient  plus  la  fa- 
culté de  leiu*  opposer  de  la  résistance ,  se  ruaient  sur 
l'Espagne  où  les  attiraient  im  soleil  inconnu  à  leurs 
âpres  contrées  et  des  richesses  que  s'exagérait  leur  ima- 
gination; le  Roussillon ,  théâtre  constant  de  la  guerre 
entre  ceux  qui  défendaient  les  barrières  des  Pyré- 
nées et  ceux  qui  s'efforçaient  de  les  franchir,  ne  pou- 
vait que  partager  l'état  de  barbarie  dans  lequel  ces 
peuples  envahissants  plongeaient  tous  ceux  qu^ils  sub- 
juguaient. Les  dispositions  arrêtées  au  concile  de 
Touloujes,  par  les  seigneurs  de  la  Septimanie  et  de 
la  marche  d'Espagne  réunis  aux  prélats  que  présidait 
l'archevêque  de  Narbonne ,  les  constitutions  de  paix 
et  trêve  imposées  aux  seigneurs  féodaux  du  Roussillon, 
un  siècle  et  demi  plus  tard ,  par  le  roi  d'Aragon,  pour 
garantir  le  respect  aux  églises,  la  sécurité  aux  fa- 
milles ,  la  sûreté  aux  voyageurs ,  la  protection  à 
l'agriculture,  font  connaître  l'excès  de  misère  au- 
quel ces  ftmestes  passages  avaient  réduit  les  peuples 
de  ces  contrées.  Cet  excès  de  misère  était,  du  reste, 
du  plus  au  moins,  le  partage  de  toutes  les  contrées  de 
l'Europe  que  ces  hordes  du  Nord  avaient  empestées 


INTRODUCTION.  lxi 

de  leur  haleine.  La  tragique  aventure  du  troubadour 
Guillaume  de  Gabestaing  nous  donne  une  idée  de  la 
fi&rocité  des  mœurs  de  quelques  grands  seigneurs  de 
cette  époque;  le  testament  du  dernier  comte  de  Rous^ 
sillon  nous  apprend  et  les  maux  que  produisaient  les 
guerres  privées,  et  la  moralité  des  personnages  les  plus 
éminents  ^;  ses  exécuteurs  testamentaires  sont  chargés 
de  faire  à  ceux  qu*il  a  dépouillés  ou  volés  les  restitu- 
tions convenables  :  c'est  à  ce  titre  qu'il  lègue  diffé- 
rentes sommes  aux  habitants  de  Pollestres,  de  Candell, 
de  Banyuls,  de  Villamolaca,  de  Canamals,  de  Mau- 
rellas,  de  Selon,  de  Peirestortes,  de  Masnou,  de  Ro- 
gis,  et  au  chapitre  de  Sainte-Marie  del  Camp;  il  res- 
titue cent  quarante  sous  à  im  Perpignanais  qui  a  été 
Yolé ,  et  fait  vêtir  neuf  cents  pauvres ,  en  restitution 
de  la  part  qu'il  a  eue  dans  le  vol  fait  par  un  certain 
Pons  de  Navaga  :  pro  parte  kUrocimi  qaam  ego  habni. 

Rien  n'était  respecté  à  cette  époque,  les  maisons 
rdigieuses  pas  plus  que  celles  des  particuliers;  aussi 
trouvons-nous  des  actes  par  lesquels  certains  sei- 
gneurs, en  mourant,  mettent  leurs  veuves  et  leurs 
enfants  sous  la  protection  d'autres  seigneurs  en  état 
de  les  défendre  ^  et  d'autres,  par  lesquels  des  familles 

^  Le  tome  IX  des  mémoires  de  la  société  royale  des  antiquaires  de 
Fnmce  contieiit  un  extrait  du  cartulaire  de  Tabbaye  de  Saint-Père ,  à 
Chartres,  qm  est  intéressant  à  consulter  sous  le  rapport  de  la  frénésie 
de  rapine /erocitotif  impetus  mUitaris,  qui  portait  les  seigneurs  à  ces 
actes  de  brigandage.  (Voyez  lextrait  n**  6  de  ce  cartulaire.) 

'  Voyes  aux  preuves  n**  I. 


Lxii  INTRODUCTION, 

puissantes  couvrent  de  leur  égide  certains  établisse- 
ments religieux ,  qui  leur  promettent  quelques  rede- 
vances ^  Une  note  curieuse  de  i'abbaye  de  Saint-Mar- 
tin du  Ganigou  fait  voir  à  quelle  espèce  de  brigan- 
dage se  livraient  certains  seigneurs  envers  ces  mai- 
sons :  les  griefs  énumérés  dans  cette  note  témoignent 
uniquement  du  désir  de  nuire  ^.  L  auteur  de  ces  vio- 
lences était  im  très-riche  seigneur,  nommé  Pons  du 
Vernet,  poursuivi  plus  tard  par  l'inquisition  conune 
adhérant  à  Thérésie  des  Albigeois.  Nous  ne  saurions 
dire  si  la  cause  de  Fanimosité  de  Pons  contre  le  mo- 
nastère venait  de  quelques  prétentions  sur  le  lieu  du 
Vernet  de  Gonflent,  qui  faisait  partie  des  domaines 
que  le  comte  Wifred  avait  donnés  à  celte  mabon;  ce 
qu*il  y  a  de  certain,  c'est  que  vers  l'époque  où  Pons 
exerçait  ces  hostilités  contre  les  biens  du  monastère , 
l'abbé^  avait  affranchi  en  masse  tous  les  serfs  de  ce 
village  du  Vernet,  qu'il  avait  constitué  en  commune 
en  1 2  4^  '• 

La  démoralisation  était  à  son  comble  dans  ces 
siècles  de  barbarie,  et  l'avarice  la  rendait  encore 
plus  hideuse.  Tout,  en  effet,  était  alors  trafic;  la  reli- 
gion, rhonneur,  la  justice,  la  pudeur  étaient  dans  le 
commerce,  et  chaque  classe  avait  son  négoce  parti- 

'  Voyez  aux  preuves  n"  II.  —  *  Voyez  aux  preuves  \\^  III. 

'  Cette  pièce  est  une  de  celles  qui  ont  disparu  des  archives  de  la 
préfecture  des  Pyrénées-Orientales  depuis  1822  où  nous  l'avions  vue. 
Nous  insérons  aux  preuves,  sous  le  n*  ÏV,  un  autre  acte  d'afiranchis- 
sement. 


INTRODUCTION.  lxiii 

cuJier,  en  Roussillon  comme  partout.  Les  grands 
seigneurs  trafiquaient  des  prélatures  et  des  abbayes, 
les  moindres  seigneurs  vendaient  les  bénéfices  ecclé- 
siastiques, s'érigeaient  eux-mêmes  en  abbés  laïques 
et  disposaient  des  dîmes,  des  donations  et  même  des 
sépultures  ;  les  évêques  et  les  abbés  trafiquaient  des 
biens  de  leurs  églises,  dont  ils  enrichissaient  leurs  pa- 
rents et  leurs  amis  ;  les  prêtres  trafiquaient  des  sacre- 
ments, et  se  faisaient  une  part  dans  les  successions;  le 
peuple  trafiquait  de  sa  liberté  ^,  de  la  vertu  de  sa  fUle , 
de  rhonneur  de  sa  couche,  et  ces  ignominies  étaient 
consacrées  par  des  titres  notariés.  Dans  im  acte  pu- 
blic de  cette  espèce,  une  nommée  Ermessende,  de 
Perpignan,  abandonne  à  son  époux  outragé  une  partie 
de  sa  dot  et  de  son  trousseau,  et,  par  la  plus  crimi- 
nelle des  prévoyances ,  elle  s'oblige  à  perdre  la  tota- 
lité de  cette  dot,  si  elle  est  surprise  de  nouveau  dans 
cet  état  de  tm-pitude  ^.  Il  n'était  pas  toujours  néces- 
saire qu'un  commerce  criminel  fût  prouvé  pour  que 
l'avarice  en  tirât  parti;  sur  une  simple  rumeur  pu- 
blique, un  père  ou  un  époux  extorquait  à  celui  que 
ce  bruit  désignait  comme  le  séducteur  de  sa  femme 
ou  de  sa  fille  une  somme  quelconque  d'argent.  Une 
composition  de  cette  nature,  dont  nous  donnons  le 

'  Preuves  n*  V. 

'  Qnod  si  ego ,  de  ipsa  infaniia  unde  prius  reperta  fueram  amplius 
probata  fuero,  nichil  deinceps  in  ipso  exoar  (pro  axovar)  habeam  vel 
reqairam,  sed  omnino  perdam.  Cette  pièce  est  du  mois  d'août  1175. 
Arch.  eccîes. 


wiv  INTRODUCTION. 

texte  \  est  fondée  sur  un  simple  oui-dire  :  ut  Jicitar. 
Et  comment  des  abus  n  auraient-ils  pas  eu  lieu  ?  A 
cette  époque,  la  loi  accordait  toute  espèce  de  con- 
fiance à  un  paysan  qui  possédait  ime  métairie  et  une 
paire  de  bœufs ,  jusqu'à  concurrence  d*ime  somme 
pénale  de  sept  sous  d'argent  ^. 

L*avarice  avait  introduit  Tautorité  de  ces  honteuses 
transactions,  la  loi  créa  un  tarif  au  moyen  duquel 
tous  les  crimes  et  tous  les  délits  pouvaient  se  ra- 
cheter :  en  voici  quelques  articles  que  nous  tirons  des 
constitutions  de  Catalogne,  reçues  en  Roussillon  pour 
tout  ce  qui  n'était  pas  prévu  par  ses  propres  usages. 

Pour  une  simple  meurtrissure 2  sous. 

Blessure  avec  effusion  de  sang 5 

Un  os  cassé 5o 

Un  sou£3et 5 

G)up  de  poing,  de  pied  ou  de  pierre 10 

Et  s*il  y  avait  effusion  de  sang 20 

Cheveux  tirés  avec  une  main 5 

avec  deux  mains 10 

Jeter  quelqu*un  par  terre 1 5 

Le  tirer  par  la  barbe 20 

Le  renverser  de  son  cheval 4o 

Le  renverser  en  le  poussant 3 

Gracher  au  visage qo 

Voilà  pour  les  délits  correctionnels,  voici  pour  les 
crimes.  La  mutilation  des  différentes  parties  du  corps 
faisait  alors   partie  du  code  pénal.  La  perte  d'un 

*  Preuves  n"  VI.  —  *  Constitutions  de  Catalogne. 


INTRODUCTION.  lxv 

membre  ou  d*un  œil  pouvait  se  racheter  pour  cent 
sous.  Lia  peine  de  mort,  pour  homicide  de  simple 
particulier,  se  convertissait  en  une  amende  de  trois 
cents  sous;  si  le  meurtre  avait  été  commis  sur  un 
moine,  le  prix  était  de  quatre  cents  sous;  il  s'élevait 
à  six  cents  pour  un  prêtre,  et  à  neuf  cents  pour  un 
érèque.  De  même,  on  composait  à  cinq  sous  la  peine 
encourue  pour  la  coupe  dun  olivier,  à  trois  sous, 
celie  d*un  hêtre;  à  deux,  celle  d'un  chêne,  et  ainsi  de 
suite  pour  les  autres  délits  forestiers.  La  conséquence 
de  tout  cela  est  que  l'homme  riche  pouvait  com- 
mettre impunément  toutes  sortes  de  crimes. 

L'extrême  désordre  des  mœurs,  au  xiii*  siècle ,  avait 
forcé  les  gouvernements  à  établir,  dans  les  villes  po- 
puleuses, des  maisons  dans  lesquelles  étaient  relé- 
guées les  personnes  du  sexe  qui,  secouant  toute  pu- 
deur et  se  vouant  à  l'infamie,  étaient  d'un  exemple 
trop  dangereux  pour  l'innocence.  L'inunense  amélio- 
ration survenue  dans  les  mœurs,  depuis  moins  de 
trois  siècles,  et  la  trop  juste  susceptibilité  de  nos 
oreilles,  rendent  extrêmement  difiicile  aujourd'hui 
la  tâche  de  l'historien  qui  doit  aborder  cette  matière 
délicate;  et  cependant,  dans  l'histoire  des  mœurs, 
qui  est  réellement  celle  des  peuples ,  comment  éviter 
ce  passage  scabreux?  Glissons  donc  le  plus  rapide- 
ment et  le  plus  légèrement  possible  sur  ce  terrain 
£u)geux. 

Perpignan  posséda  de  très-bonne  heure  im  de  ces 
1.  e 


Lxvi  INTRODUCTION. 

honteux  repaires  où  le  vice  était  confiné ,  dans  Tinté- 
rét  de  la  morale  publique  et  de  la  sécurité  conjugale  : 
c'était  un  premier  pas  vers  le  retour  aux  bonnes 
mœurs.  Le  premier  règlement  sur  cette  sale  matière 
remonte  à  Tan  i3i&  :  le  a 8  mars  de  cette  année, 
Sanche,  roi  de  Majorque,  ordonne  à  tous  les  agents 
de  ces  turpitudes  de  sortir  de  la  ville  dans  la  semaine, 
sous  peine  d*être  fouettés  dans  toutes  les  rues,  et  d'a- 
voir les  oreilles  coupées.  Pèdre  IV  rendit  des  ordon- 
nances, tant  pour  la  tenue  des  mauvais  lieux,  que 
pour  obliger  toutes  les  fenmies  de  mauvaise  vie  à 
n'en  pas  sortir.  Eji  vertu  de  son  édit  de  i363,  toute 
femme  de  ce  genre  qui  habiterait  ime  rue  où  se 
trouvent  des  femmes  honnêtes  doit  en  être  enlevée, 
quand  même  la  maison  qu'elle  occuperait  lui  appar- 
tiendrait; en  187 5  il  défendit  à  toute  femme  pu- 
blique de  faire  obligation  de  son  corps  à  qui  que  ce 
fût  pour  argent,  pour  nippes  ou  pour  tout  aiftre 
objet,  sous  peine  de  dix  roubles;  il  défend  pareille- 
ment à  tout  homme  de  prendre  pour  amie  une  fenmie 
du  lapanar,  sur  le  principe  que  nul  ne  peut  s'approprier 
la  chose  commune  ^  Nul  ne  pouvait  entrer  dans  ces  en- 
droits avec  des  armes,  la  dague  seule  lui  était  per- 
mise. L'auteur  d'ime  histoire  manuscrite  de  T^lise 
de  Saint -Jean  de  Perpignan  met  au  nombre  des 
actions  de  vigueur  de  l'évêque  Bérenger  d'avoir,  en 
\i2li,  «corrigé  l'insolence  des  officiers  royaux  de 

*  Archives  du  domaine. 


INTRODUCTION.  lxvii 

«Perpignan,  qui  se  permettaient  de  capturer  et  de 
cSiire  composer  les  prêtres  trouvés  dans  les  maisons 
«déshonnêtes  ^.  » 

Une  ordonnance  des  consuls  de  Perpignan  défen- 
dait à  toute  personne  d'avoir,  dans  sa  maison  ou  au 
dehors,  aucune  concubine.  La  peine  encourue  par  le 
contrevenant  pouvait  être  composée ,  à  moins  que  le 
délinquant  ne  fût  un  ecclésiastique,  cas  auquel  la 
composition  était  défendue  :  tout  religieux  ou  clerc 
convaincu  d'avoir  une  femme  de  cette  espèce  devait 
sabir  la  peine  du  fouet,  ce  quon  appelait  courir  la 
ville  ^;  fl  leur  était  aussi  expressément  défendu  d'a- 
voir des  esclaves  du  sexe  féminin. 

Un  motif  de  décence  publique  avait  porté  le  roi 
don  Sanche  à  ordonner  que  les  personnes  surprises 
en  addtëre  ne  fussent  plus ,  suivant  lusage ,  prome- 
nées dans  la  ville  dans  un  état  de  nudité  complète , 
mais  que  Thomme  portât  un  caleçon  et  la  femme  un 
tablier;  la  même  raison  l'engagea,  peu  de  temps 
après,  à  alx^  toute  peine  contre  ce  crime,  dans 
Perpignan  :  ainsi  pour  éviter  le  scandale  de  la  puni- 
tion ce  prince  autorisait  l'adultère ,  en  assurant  son 
impunité  ^.  a  Ce  honteux  privilège ,  dit  Bosch,  ne  fîit 

^  Cofma,  Mot  de  la  insigne  coU,  de  S.  Jaan  de  Perp. 

Voyez  sur  la  même  matière  les  constitutions  de  Ferdinand  II  dans 
^  Code  des  constitutions  de  Catalogne. 

*  Liber  ordiiuU.  in  arck,  commun, 

'  Considérantes  plora  scandala  et  mala  qus  inde  bactenus  conti- 
SCiiot  in  damnnm  et  vitaperium  —  damus  et  concedimus— ita  ut 

e. 


LxvHi  INTRODUCTION. 

«jamais  révoqué,  mais  on  n'en  faisait  aucun  usage, 
«  comme  étant  contraire  à  la  religion  et  à  la  morale 
«  publique  ^.  » 

Les  Roussiilonnais  aimaient  passionnément  les 
jeux  de  hasard;  partout  on  trouve  des  ordonnances 
sévères  pour  les  prohiber,  et  la  fréquente  réitération 
de  ces  défenses  atteste  la  grande  difficulté  qu'il  y 
avait  à  les  faire  exécuter.  Dès  1282  on  trouve  une 
ordonnance  des  consuls  de  Perpignan  qui  défend  de 
prêter  de  l'argent  au  jeu,  sous  peine  au  prêteur  de 
perdre  sa  créance,  quel  que  soit  lemprunteur,  juif  ou 
chrétien.  En  1284  Jayme  I*,  roi  de  Majorque,  pro- 
hibe toute  espèce  de  jeu  de  dés,  tant  dans  l'intérieur 
qu'à  l'extérieur  de  cette  ville ,  sous  peine  de  dix  livres 
d'amende  contre  le  jouem*  et  contre  celui  qui  tien- 
drait le  tripot  ;  le  condamné  qui  n'aurait  pas  de  quoi 
payer  cette  amende  devra  recevoir  un  coup  de  fouet 
pour  chaque  sou  dont  il  sera  insolvable.  Un  règle- 
ment du  bailli  de  la  même  ville,  de  juin  iSoa, 
porte  que  nul  ne  pourra  jouer  sa  chasse  ou  ses  fro- 
mages ^  sous  peine  de  cinq  sous  d'amende  ^.  La  charge 
de  collecteur  des  amendes  prononcées  en  matière  de 
jeu  devient,  en  i386,  l'indemnité  d'un  sous-viguier 
de  Roussillon,  grièvement  blessé  dans  l'exercice  de 

nollus  habitator  masculus  aut  femina  possit  aut  debeat  capi  infira  dic- 
tamvillam,  propier  ^duiterium — nec  pœna  aliqua  condemnarî,  nec 
compelli  ad  compositionem  aliquam ,  etc.  Lib.  virid.  minor. 
*  TitoU  de  honor  de  Catal.  — *  Arch.  com.  liber  ordin. 


INTRODUCTION.  lxix 

ses  fonctions,  et,  pour  mieux  stimuler  son  zèle, 
Pèdre  IV  lui  abandonne  la  moitié  des  amendes  per- 
çues. Le  dispositif  d'un  édit  d'Alphonse  V  atteste  en- 
core la  (ureur  avec  laquelle  on  se  livrait  aux  jeux  de 
hasard,  malgré  toutes  ces  défenses.  Pour  la  décharge 
de  sa  conscience,  dit  ce  prince,  et  pour  faire  cesser 
les  innombrables  indécences ,  dommages,  scandales, 
jurements  et  blasphèmes  qui  se  commettent  dans  les 
tipots  de  Perpignan ,  il  défend  d'en  soufiîjir  aucun 
soit  public  soit  caché.  Cette  défense,  renouvelée  en 
liiy,  ne  fiit  pas  mieux  observée.  Pendant  l'absence 
d'Alphonse,  la  reine  Marie  en  recommanda  à  son 
tour  la  sévère  exécution,  et  elle  alla  même  jusqu'à 
frapper  de  l'énorme  peine  de  trois  mille  florins  d'or  les 
officiers  royaux  qui  toléreraient  dans  Perpignan  des 
teoeurs  de  tripots  et  des  pourvoyeurs  de  mauvais  lieux  : 
l'énonnité  de  cette  amende  peut  faireapprécièr  la  ré- 
sistance que  rencontrait  en  Roussillon  l'exécution  des 
«aiutaîres  mesures  de  l'autorité  royale,  résistance  qu'en- 
^tenaient  sans  doute  les  honteux  profits  que  retiraient 
de  leur  tolérance  ceux  qui  étaient  chargés  de  l'adminis- 
tration. Nous  devons,  avant  d'aller  plus  loin,  expli- 
<per  la  cause  de  cette  résistance  que  npus  verrons 
opposée  souvent  aux  dispositions  prescrites  pair  l'au- 
^rité  régulatrice  dans  le  courant  de  cette  histoire. 

Dépendant  des  états  d'Aragon ,  mais  séparé  du 
ï^ste  du  royaume  par  les  Pyrénées  qui  l'isolaient  en 
<iuelque  sorte  au  milieu  d'une  terre  étrangère,  le 


Lxx  INTRODUCTION. 

Roussillon  se  regardait  plutôt  comme  une  espèce  de 
république  placée  sous  la  protection  de  cette  cou- 
ronne que  comme  une  de  ses  parties.  R^  par  ses 
coutumes  particulières,  se  défendant  par  ses  propres 
moyens,  sans  qu*il  îùi  permis  au  prince  d*y  introduire 
mi  soldat  étranger  au  sol  de  la  Catalogne,  hors  le 
cas  de  guerre  agressive ,  toute  son  existence  se  con- 
centrait en  lui-même.  La  difficulté  des  conununica- 
tions  d*une  province  à  Tautre ,  par  l'interposition  des 
montagnes,  à  une  époique  où  les  routes  étaient  hé- 
rissées d'obstacles  et  de  mauvais  pas,  et  où  il  n'eids- 
tait  aucun  de  ces  établissements  qui  de  nos  jours 
ont  tant  rapproché  les  distances ,  le  peu  de  relations 
que  le  Roussillon  conservait  avec  le  gouvernement 
quand  la  paix  régnait  sur  ses  frontières ,  contribuaient 
«ficore  à  maintenir  et  à  fortifier  cet  esprit  d'indépen- 
dance locale.  Le  gouverneur,  le  bailli  royal,  les  con- 
suls avaient  chacun  leurs  messagers  qu'ils  envoyai^it 
à  Barcelone  quand  il  y  avait  quelque  affaire  è  sou- 
mettre aux  corts  ou  à  la  décision  du  roi,  mais  hors 
de  ces  circonstances  il  n'y  avait  à  peu  près  aucun 
rapport  entre  les  autorités  locales  et  le  centre  du  gou- 
vernement; aussi  le  gouverneur  des  deux  comtés  de 
Roussillon  et  de  Gerdagne,  ainsi  que  chacun  des  c^- 
ficiers  chçii^és  de  r^ir  une  partie  quelconque  de  l'ad- 
ministration,  pourvu  qu'ils  ne  sortissent  pas  de  la 
ligne  tracée  par  les  constitutions ,  s'incpiétaient  peu 
de  ce  qui  se  passait  en  dehors  de  leur  juridiction ,  et 


INTRODUCTION.  uuw 

Q*obéissaienl  guère  aux  ordres  émanés  du  roi  qu'au- 
tant que  la  chose  leur  convenait  ou  qu'ils  ne  pou- 
vaient plus  s* en  dispenser.  De  là  un  relâchement  gé- 
nérai dans  toutes  les  parties  du  service  public,  une 
léthargique  apathie  à  adopter  les  nouvelles  mesures 
prescrites  par  l'autorité  suprême;  de  là  aussi  cette 
force  d'inertie  opposée  constamment  à  tout  ce  qui 
pouvait  gêner  des  habitudes  vicieuses  ou  contrarier 
ies  intérêts  privés. 

Le  désordre  dans  Perpignan  ne  s'arrêtait  pas  à  cette 
passioD  irréfirénable  des  jeux  de  hasard.  Des  gens 
sans  aveu  séduisaient  les  jeunes  filles  des  familles 
opulentes,  les  épousaient  secrètement  et  s'emparaient 
ainsi  de  leur  fortune  malgré  leurs  parents.  Cet  ahus 
des  mariages  dandestins  était  parvenu  à  un  tel  point , 
sur  la  fin  du  r^ne  du  premier  roi  de  Majorque,  que 
le  29  septembre  1 3o6  ce  prince  dut  prendre  des  me- 
sures pour  l'arrêter.  «Lfiformé,  dit -il  dans  son  édit, 
«que  des  gens  osent  prendre  les  demoiselles  [domi- 
uceïlas)  à  l'insu  de  leurs  parents  ou  tuteurs,  et  vou- 
«lant  empêcher  ce  genre  de  séduction,  j'ordonne 
éL  que  toute  demoiselle  âgée  de  moins  de  vingt-cinq 
«ans  qui  se  sera  mariée  sans  l'exprès  consentement 
«  de  ses  parents  ou  tuteurs ,  sera ,  par  le  fait  même , 
«  déshéritée  de  toute  part  à  leur  succession.  Celui  qui 
«  Taura  épousée  sera  exilé  à  perpétuité,  ainsi  que  tous 
«  ceux  qui  auront  facilité  ces  unions  clandestines  ^.  » 

*  Arck.  com.  Ubro  v'uridi  min. 


Lxxii  INTRODUCTION. 

La  rigueur  de  cette  ordonnance  suspendit  pour  quel- 
que temps  le  désordre,  mais  il  reparut  aux  dernières 
années  de  Texistence  du  royaume  de  Majorque,  époque 
à  laquelle  le  choc  des  partis  et  les  convtdsions  poli- 
tiques précipitaient  toutes  choses  dans  une  complète 
désorganisation.  Après  la  réunion  de  ce  royaume  à 
celui  d'Aragon ,  Pèdre  IV  remit  en  vigueur  Tédit  de 
Jayme ,  et  il  ajouta  encore  à  la  sévérité  des  premières 
dispositions.  Dans  sa  nouvelle  ordonnance,  du  28  fé- 
vrier 1369,  il  déclare  qu'il  a  eu  connaissance  que 
«par  suggestions,  par  fraudes  et  même  par  violence, 
c(  on  force  les  jeunes  demoiselles  à  se  marier  à  Tinsu 
«de  leurs  parents  ou  de  leurs  tuteurs,  et  que  des 
«  haines  et  des  dissensions  deviennent  la  suite  de  ces 
«unions  illicites;  en  conséquence,  sur  les  plaintes 
«  portées  par  les  consuls  et  les  notables  de  la  ville  de 
«Perpignan,  il  défend  ces  sortes  de  mariages  sous 
«peine  de  bannissement  pour  ceux  qui  en  contracte- 
«  raient.  Dans  ce  cas  aucune  partie  des  biens  patri- 
«  moniaux  ne  pourra  être  donnée  par  la  fille  à  son 
«  mari ,  par  forme  de  dot ,  en  se  mariant ,  ni  par  tes- 
«  tament  à  sa  mort.  Que  si  le  séducteur  est  un  donoies- 
«  tique  il  sera  pendu  après  que  sa  condition  aura 
«été  constatée  par  les  consuls  ^  » 

Le  luxe  était  la  passion  des  Perpignanaises  comme 
le  jeu  était  celle  de  Tautre  sexe.  Ce  texte  constant  des 
déclamations  des  moralistes ,  qui  crée  tant  de  besoins 

^  Arch.  com,  libro  viridi  min. 


INTRODUCTION.  lxwii 

bcûcés,  mais  qui  stimule  les  arts,  favorise  le  com- 
merce, ouvre  des  ressources  nombreuses  à  Tindus- 
trie,  et  n*estim  vice  réel  dans  un  état  qu'autant  qu'il 
provoque  la  sortie  de  capitaux  que  ne  remplacent 
pas  des  échanges  utiles ,  le  luxe  éveilla  souvent  la 
soliidtude  des  rois  de  Majorque  et  des  magistrats  de 
laviOe.  La  première  loi  somptuaire  que  nous  trou- 
vions dans  les  archives  de  Perpignan  est  du  1 9  sep- 
tembre 1 3  o  6 .  Le  même  j  our  qu*  il  prononçait  des  peines 
sévères  contre  les  mariages  clandestins ,  Jayme  I""  fai- 
sait défeiise  à  toute  fenmie  ou  fille  de  porter  à  l'a- 
venir sur  ses  vêtements  de  l'or,  de  l'argent,  des 
perles  ou  des  pierres  précieuses;  à  elles  permis  seu- 
lement d'attacher  leurs  robes  et  corsages  avec  des 
agrafes  en  aigent  ou  en  vermefl,  uni  ou  relevé  en 
bosse,  et  de  mettre  sifr  leur  tête  trois  paires  ou  quatre 
et  demi  au  plus  de  longues  épingles  appelées  mem" 
iretsie  vermeil,  dont  le  prix  ne  devra  pas  excéder 
vingt  sous  ^  Elles  pourront  porter  aussi  des  chemises 
brodées  et  garnies  de  soie  ;  les  demoiselles  auront  de 
plus  la  permission  de  border  leur  robe  de  certaine 
passenaenterie  que  l'ordonnance  appelle /r<?5  de  lis  ou 
d*une  frange  double. 

«Défense  à  toute  femme  de  porter  sur  son  man- 
teau ni  bulles  d'or  ou  d'argent ,  ni  caixets ,  ni  chaîne 
dor  ou  d'argent,  ni  émaux  pesant  plus  de  douze  onces; 
elles  peuvent  les  attacher  avec  des  agrafes  d'argent 

*  On  peut  évaluer  à  66  cent.  1/8,  le  sou  de  ceUe  époque. 


txxiv  INTRODUCTION. 

ou  de  venneil,  uni  ou  travaQlé,  mais  sans  perles  ni 
pierreries  ni  émaux ,  et  leur  valeur  ne  pourra  excéder 
celle  qu'auraient  ces  mêmes  agrafes,  si  elles  étaient 
simplement  en  argent.  Les  chaînes  ne  pourront  avoir 
plus  de  trois  cannes  de  longueur;  elles  seront  d'ar- 
gent, hors  les  boutons,  les  agrafes  et  les  £nrmoirs 
qui  pourront  être  dorés. 

«Toute  femme  pourra  porter  la  scaxma  (sorte  de 
fichu),  d'un  tissu  de  soie  et  or  ou  argent,  mais  sans 
perles  ni  pierreries  et  sans  aucun  autre  ornement  d'cH* 
ou  d'argent  ;  elles  ne  porteront  ni  perles  ni  colliers 
d'aucune  manière. 

«Aucune  cape  ni  mante  ne  pourra  être  ornée 
d'or,  d'argent,  de  perles,  de  pierres  précieuses;  on 
laisse  pourtant  la  faculté  de  garnir  d'argent  ou  de  ver- 
meil la  coupe  de  devant,  le  chdperon  et  les  ailettes, 
pourvu  que  ces  ornements  ne  montent  pas  au  ddUi 
du  prix  de  trente  sous  pour  les  manteaux  ronds  et  de 
cinquante  pour  les  capes. 

«n  est  permis  de  mettre  au  peylat  (pelisse  peut- 
être  ) ,  à  la  cotte ,  aux  fiotxes  et  robes  longues  ou 
autres  semblables,  des  boutons,  des  grains  ou  pe- 
dretes  ou  tout  ce  qu'on  voudra ,  à  condition  que  la  va- 
leur n'en  dépassera  pas  vingt  sous.  Â  l'endroit  des 
boutonnières  on  pourra  mettre  une  garniture  pareille 
i  celle  du  collet. 

a  Défense  de  porter  aucun  vêtement  de  drap  d'or, 
dallent,  de  soie  ou  de  velours,  mais  seulement  do 


INTRODUCTION.  lu? 

drap  de  laine ,  par  lequel  nous  entendons  camelot,  de 
teHe  couleur  qu'on  voudra.  Le  drap  ne  sera  percé  » 
taflladé  ni  barré  ;  on  pourra  le  border  de  ruban  ou  de 
corde»  de  soie.  Dans  la  présente  capitulation  ne  s<mt 
pas  comprises  les  femmes  de  mauvaise  vie. 

«Permis  aux  demoiselles  de  se  parer  de  colliers, 
de  perles  ou  de  ce  qu'dles  voudront,  de  la  valeur  de 
vingt  sous  au  plus;  défense  aux  femmes  mariées  d'en 
porter. 

«  II  est  pareillement  défendu  de  se  vêtir  de  drap  de 
Pranoe  ou  d'autre  lieu  du  prix  de  fins  de  cinquante 
sons  la  canne.  » 

Dne  partie  de  cette  ordonnance,  commune  au 
RoassiUon  et  à  la  Cerdagne,  fut  renouvelée  spédale- 
moit  pour  Perpignan,  le  la  mars  1/109,  P^  ^^  ^^^ 
Martin.  Ce  prince,  informé  que  quelques  peroonnes 
de  fun  et  de  l'autre  sexe  portent  des  robes  traînanteSt 
oanfteoses,  pompeuses  et  trop  magnifiques  ^  ce  qui  leur  est 
w  occasion  de  pécher  et  les  jette  dans  des  dépenses  excès- 
^f  défend  qu'à  l'avenir  aucune  robe  descende  plus 
bas  que  les  talons  sous  peine  de  dix  sous  d amende, 
sans  rémission ,  par  chaque  jour  de  contravention  :  la 
même  peine  sera  encourue  par  le  tailleur  qui  aura  fait 
cette  robe  contraire  à  Tordonnance. 

Le  bailli  de  Perpignan  fit  publier,  le  7  avril  1 4 1 9  » 
un  nouveau  règlement  somptuaire  aussi  sévère  au 
fond  que  l'édit  de  Jayme  I*,  mais  contenant  quelques 
modifications  que  le  temps  et  les  goûts  avaient  rendues 


Lxxvi  INTRODUCTION, 

nécessaires.  L*or,  l'argent ,  les  pierreries,  les  émaux, 
çt,  de  plus,  Fambre,  dont  ne  parle  pas  Jayme,  con- 
tinuent à  être  .prohibés  sur  les  vêtements  sous  peine 
d  une  amende  de  dix  livres  et  de  la  perte  des  matières 
précieuses;  sont  seuls  exceptés  les  anneaux  et  les  ba- 
gues pour  les  femmes,  les  chaînes  et  les  fermoirs  de 
vermeil  pour  les  hommes,  qui  pourront  s*en  parer  et 
en  orner  leurs  armes,  leurs  courroies  ^ . et  ceintures , 
les  cordons  de  selle ,  les  freins  des  chevaux  et  leurs 
éperons.  Les  femmes  pourront  aussi  enrichir  d'orne- 
ments en  argent  ou  en  vermeil  les  rubans  et  cordons 
de  leurs  chapeaux ,  les  courroies  et  harnais  de  leurs 
palefrois  ;  mais  les  broderies  en  or  ou  en  ai^nt  leur 
sont  sévèrement  interdites  ;  les  hommes  seuls  peuvent 
en  orner  leurs  colliers,  chaînes,  fermoirs,  courroies 
et  ceintures,  dagues,  poignards,  couteaux  et  garni- 
tures d*épées.  Les  vêtements  de  draps  d'or  ou  d'ar- 
gent et  de  soie  cramoisie  sont  défendus  aux  deux 
sexes,  mais  la  prohibition  ne  s'étend  pas  aux  soubre- 
vestes  et  aux  cuirasses ,  qu'on  poiura  faire  aussi  riches 
qu'on  voudra.  Permis  aux  femmes  de  porter  la  man- 
tille ou  manteau  navarrois^  en  drap  de  soie,  pourvu 
qu'il  ne  soit  pas  broché  d'or  ou  d' aident,  et  que  la 
cotdeur  n'en  soit  pas  cramoisie.  Huit  jours  après  la 

^  Ces  courroies  5c  portaient  en  ceinture  et  se  serraient  avec  une 
boucle. 

'  Cest  le  capulct  nommé  capuche  en  Roussillon  et  dont  la  mode  s^esi 
maintenue  jusqu'à  nos  jours  parmi  le  peuple  de  la  campagne. 


INTRODUCTION.  Lxxvii 

publication  de  Tordonnance  aucune  femme  ne  pourra 
se  montrer  avec  des  fourrures  d'hermine  ou  de  toute 
autre  pelleterie  précieuse;  celle  d*agneau  est  seule 
permise.  Les  fourrures  précieuses  ne  seront  placées 
ni  autour  de  la  robe  ni  autour  des  souliers;  on  pourra 
continuer  cependant  à  border  les  vêtements  de  bandes 
de  renard  de  Bretagne,  d*écureuil  ou  de  petit-gris, 
pourvu  que  la  lai*geiu*  de  ces  bandes  n  excède  pas 
deux  empans.  La  queue  des  robes  ne  pourra  pas 
traîner  de  plus  de  trois  empans  à  partir  de  terre.  Au- 
cune ouverture  de  manche  ne  pourra  avoir  plus  de 
dix  empans  de  circonférence  ou  de  cinq  au  redoublé 
sous  peine  de  dix  livres  d'amende.  Les  chemises  de 
soie,  les  parures  de  corail  de  plus  de  cinquante  flo- 
rins d'or  d'Aragon  sont  défendues;  nul  manufacturier 
ne  pourra  vendre  des  tissus  de  plus  de  quatre  à  cinq 
florins  d'or  la  canne. 

S  IV. 

Mœurs  et  usages  jusqu'au  temps  présent. 

Trois  grandes  époques  de  la  vie  de  l'homme  sont 
accompagnées  de  cérémonies  dans  lesquelles  se  ma- 
nifestent particulièrement  les  usages  spéciaux  et  les 
habitudes  de  localité  :  ce  sont  celles  de  son  entrée 
dans  le  monde ,  de  son  imion  avec  une  compagne ,  de 
sa  disparition  du  milieu  des  vivants.  Nous  allons  con- 
signer ici  quelques-uns  de  ces  usages  qui  tiennent  aux 
mœurs  locales,  et  qui,  tendant  à  s'effacer  de  jour  en 


Lxxviii  INTRODUCTION, 

jour,  finiront  par  se  perdre  entièrement.  Nous  parler 
rons  aussi  bien  de  ceux  qui  n'eidstent  déjà  plus  que 
de  ceux  qui  ont  éprouvé  des  modifications  telles  qu'ils 
ne  ressemblent  plus  à  ceux  dont  ils  tirent  leur  ori» 
gine,  et  leur  consacrant  ainsi  aux  uns  et  aux  autres 
une  place  dans  cette  histoire ,  nous  tâcherons  d'arra- 
cher leur  souvenir  à  Tentier  oubli  dont  il  est  menacé. 

NAISSANCES. 

U  ne  paraît  pas  que  les  naissances  aient  jamais 
donné  lieu ,  en  Roussillon ,  à  aucune  cérémonie  parti* 
culière  ou  à  quelque  divertissement  dont  les  circons- 
tances puissent  exciter  l'intérêt  ou  la  curiosité  de  l'ob- 
servateur. Gomme  dans  presque  tout  le  midi  la  rentrée 
du  nouveau-né  sous  le  toit  paternel ,  après  son  bapr 
tême,  est  suivie  d'une  lai^esse  au  peuple  k  laquelle 
on  donne  ici  le  nom  de  rallea  ^  Ce  raUea  consiste  à 
jeter  par  les  fenêtres  divers  fruits  secs ,  quelques  poi- 
gnées de  dragées ,  et  des  feuilles  de  ces  oublies  blan- 
ches, fades  et  insipides,  dont  on  fait  les  pains  à  ca- 
cheter. Les  rivalités  des  en&nts  et  des  individus  de 
tout  sexe ,  qui  se  disputent  ces  friandises  avec  toute 
la  grossièreté  de  la  lie  du  peuple,  sont  im  spectacle 
pour  les  invités  et  pour  les  voisins.  Dans  les  anciennes 
ordonnances  et  règlements  locaux,  nous  ne  trouvons 
rien  qui  se  rapporte  aux  circonstances  des  baptêmes, 

^  Prononcez  rmilUim, 


INTRODUCTION.  lmw 

si  ce  n*est  un  artide  du  règlement  somptuaire  du 
7  avril  1  &  1 9  qui  défend  aux  parrains  et  marraines 
de  donner  à  leurs  filleuls  ou  filleules ,  soit  au  bap- 
tême, soit  à  la  confirmation ,  la  valeur- de  plus  d'un 
Bonn  d*or. 

MARIAGES. 

La  demande  de  la  main  d'ime  fille  se  faisait  autre- 
fois, dans  les  Gaules ,  avec  une  solennité  dont  il  reste 
quelques  traces  dans  les  usages  particuliers  de  di- 
verses localités  sur  toute  l'étendue  de  la  France ,  et 
principalement  dans  les  pays  de  montagnes  où  les 
^es,  une  fois  établis,  sont  difficiles  à  déraciner. 
Une  des  circonstances  de  cette  solennité  se  retrouve 
dans  les  Vosges  et  dans  le  Capcir  :  c  est  celle  qui  con- 
liste  à  bire  passer  successivement  devant  celui  qui 
veut  se  marier  un  certain  nombre  de  jeunes  filles 
avant  d'en  venir  à  celle  qu'il  veut  épouser  :  voici 
comment  se  fait  cette  cérémonie.  Quand  tous  les  ar- 
rangements entre  les  deux  familles  sont  terminés ,  les 
parents  et  les  invités  de  la  part  du  garçon  se  rendent 
avec  lui  au  logis  de  la  fille ,  dont  le  père  feint  une 
grande  surprise  à  la  vue  de  cette  visite.  On  lui  en 
expose  le  motif,  et  on  lui  demande  solennellement 
la  main  de  sa  fille.  Le  père  conduit  alors  toutes  ces 
personnes  i  la  porte  de  la  chanibre  de  la  jeune  vierge 
qui  s'y  est  enfermée  avec  ses  sœurs  et  plusieurs  de  ses 
compagnes.  On  frappe  ;  la  porte  s'ouvre  et  l'on  voit 


VKxx  INTRODUCTION, 

sortir  successivement  toutes  les  jeunes  (îHes.  Devant 
chacune  d'elles  le  père  demande  à  celui  qui  doit  être 
son  gendre  si  c'est  là  celle  qu'A  recherche ,  et  il  ré- 
pond que  non;  enfin  celle  dont  il  demande  la  main 
sort  la  dernière,  et  la  réponse  est  affirmative.  Sur 
cela  la  parole  est  donnée,  on  fixe  le  jour  de  la  noce, 
et  une  fête  de  famille  termine  ces  fiançailles.  Le  jour 
des  épousailles  le  marié  se  rend  setd  de  son  logis  à 
l'église;  la  fiancée,  au  contraire,  y  va  accompagnée 
de  tous  les  parents  et  invités.  Avant  de  partir  le  plus 
proche  parent  de  son  fiitur  époux ,  qui  doit  lui  donner 
le  bras,  lui  chausse  lui-même  une  paire  de  souliers 
dont  il  lui  fait  présent;  Dans  les  Vosges  les  souliers 
de  la  mariée  sont  censés  perdus  et  les  jeunes  gens 
avec  les  jeunes  filles  s'empressent  de  les  chercher  ^. 

Le  feu  a  toujours  joué  un  grand  rôle  dans  toutes 
les  religions  :  c'est  le  symbole  de  la  vie  élémentaire , 
de  la  spiritualité;  c'est  l'emblème  de  la  pureté  de 
l'âme.  Dans  les  noces  les  Romains  allumaient  des  tor- 
ches en  l'honneur  de  Cérès ,  et  ils  aspergeaient  d'eau 
la  mariée.  Lactance  dit  que  le  feu  doit  être  regardé 
comme  l'élément  masculin  et  l'eau  comme  l'élément 
féminin,  et  que  c'est  pour  cette  raison  que  les  anciens 
avaient  introduit  ces  deux  principes  dans  les  céré- 
monies du  mariage.  L'épouse  était  aussi  conduite  chez 
son  époux,  aussitôt  que  la  nuit  était  venue ,  à  la  lueur 
de  torches  que  portaient  quelques  jeunes  enfants. 

^  Mémoires  de  la  société  royale  des  antiquaires  de  France. 


INTRODUCTION.  lxxxi 

Serait-ce  en  réminiscence  de  cet  usage  qu'ancienne- 
ment les  mariages  se  faisaient  de  nuit  h  la  lueur  des 
torches? 

Quelle  que  soit  Torigine  de  cet  usage  il  existait 
encore  en  Roussillon  au  xiv"  siècle,  et  les  lois  somp- 
tuaires  avaient  dû  intervenir  pour  en  borner  la  dé- 
pense. Le  3  des  nones  de  janvier  i3oo  les  pru- 
cThoaunes  de  Perpignan  permettent  à  tout  nouvel 
époux  de  S13  faire  accompagner  de  torches  allumées, 
mais  au  nombre  de  douze  seulement  et  du  poids  de 
cinq  livres  chacune  au  plus;  on  pourra  les  placer 
entre  le  marié  et  la  mariée  en  allant  et  en  revenant 
de  r^se;  mais  celui  qui  en  ferait  porter  plus  de 
douze  et  pesant  plus  de  cinq  livres  se  les  verrait  con- 
fisquer^. Une  autre  ordonnance  permettait  aux  ma- 
riés de  se  faire  suivre  d'un  cortège  aussi  nombreux 
qu'il  leur  plairait  :  de  nos  jours  encore  les  mariages, 
de  la  classe  du  peuple  comptent  quelquefois  des  cen- 
tres de  couples  d'invités  marchant  k  la  suite  des 
époux;  tous  assistent  au  repas  de  noce.  Le  roi  don 
Sanche  modifia  l'article  des  torches.  Dans  son  ordon- 
nance du  1 3  mars  1 3a3 ,  qui  fait  connaître  quelques- 
uns  des  usages  de  ces  temps  dans  cette  circonstance , 
il  dit  qu'une  mode  blâmable  s'est  introduite  depuis 
peu  de  temps ,  et  qu'il  importe  à  la  décence  publique 
de  la  supprimer;  il  défend  en  conséquence  k  tous  pa- 
rents, amis  ou  voisins  des  nouveaux  époux,  de  se 

'  Arck.  com.  liber  ordin. 


Lxxxii  INTRODUCTION. 

porter  tumultueusement  et  avec  des  torches  allumées 
à  leur  maison  pour  leur  rendre  visite ,  les  précéder  ou 
les  accompagner  dans  les  rues,  et  de  se  rendre  de  chez 
Tun  chez  Tautre  en  dansant.  On  pourra  monter  chez 
les  mariés  avec  des  orchestres,  si  on  peut  y  être  reçu 
convenahlement,  ou  bien  à  défaut  on  pourra  danser 
dans  la  rue,  auprès  de  leur  habitation,  mais  que  ce 
soit  sans  torches  ni  flambeaux.  Si  Theure  trop  avancée 
exigeait  que  les  époux  fussent  éclairés  dans  les  rues, 
le  prince  veut  que  ce  soit  avec  décence  et  sans  super- 
fluité  ;  du  reste  il  défend  de  faire  à  Tavenir  aucun  ma- 
riage avant  le  jour,  afin  d*éviter  les  scandales  san>enus 
jusqaà  ce  momerU.  Que  si  une  veuve,  se  remariant, 
veut,  ajoute  le  roi,  que  par  honnêteté  la  cérémonie  se 
fasse  de  nuit,  il  sera  permis  dans  ce  cas  de  se  faire 
accompagner  par  des  torches  :  la  mariée  avec  sa  suite 
en  aura  six  et  le  marié  avec  la  sienne  en  aura  quatre. 

Une  ordonnance  fort  singulière  des  consuls  de  Per- 
pignan, du  17  des  calendes  de  décembre  iSao,  lait 
défense  à  tout  courtier  qui  se  sera  entremis  de  ma- 
riage de  rien  exiger  pour  son  courtage. 

Des  lois  somptuaires  furent  rendues  pour  arrêter 
les  profusions,  à  T occasion  des  mariages.  Celle  du 
a  6  septembre  i388  défend  à  tous  nouveaux  époux 
de  donner,  en  présent  de  noces,  aucun  vêtement 
neuf,  chausses,  chaperons,  bourses,  courroies, 
coiffes  ou  tout  autre  objet  semblable,  ni  joyaux  d*au- 
cune  sorte  à  qui  que  ce  soit,  si  ce  n  est  à  la  mère  seu- 


INTRODUCTION.  lxxxiii 

lement  ou  à  laieule  ou  à  la  sœur  de  la  mariée ,  sous 
peine  à  la  personne  qui  aurait  reçu  le  don  de  s'en 
voir  privée,  et  à  celui  ou  celle  qui  Taurait  donné  de 
payer  une  somme  égale  à  la  valeur  de  ces  objets.  H 
est  paiement  défendu,  sous  la  même  peine,  à  tout 
proche  parent  ou  ami,  de  donner  aux  époux  des 
tasses,  coupes,  couverts  d'argent,  anneaux  ou  autres 
joyaux,  soit  ostensiblement  soit  en  cachette.  Au  festin 
de  noces ,  ni  le  mari  ni  toute  autre  personne  ne  doit 
servir  de  volaille ,  sous  peine  de  vingt-cinq  livres  de 
Barcelone  d'amende.  Nous  pensons  que  cette  circons- 
tance pouvait  avoir  pour  origine  l'usage  très -ancien 
doffiîr  à  une  nouvelle  mariée  la  poule  ou  geline 
comme  le  modèle  d'une  bonne  épouse  et  d'une  bonne 
mère,  usage  qui  se  pratique  encore  dans  les  Vosges, 
ou  le  père  de  la  mariée  présente  à  celle-ci  la  geline, 
au  moment  où  il  la  confie  à  son  futur  époux.  Une 
ordonnance  du  19  juin  iSyâ,  dont  celle  que  nous 
venons  d'analyser  n'est  qu'un  renouvellement ,  défen- 
dait à  tout  propriétaire  de  maison  où  il  y  a  une  fille 
sur  le  point  de  se  marier,  d'avoir  chez  lui  aucune  as- 
semblée, plusieurs  jours  à  l'avance;  il  ne  lui  est  permis 
déformer  de  semblables  réunions  qu'une  seule  fois, 
i  tel  jour  qu'il  lui  plaira,  et  ensuite  le  soir  des  noces, 
et  cela  sous  peine  de  vingt-cinq  livres  d'amende  pour 
le  contrevenant  et  pour  les  invités  ;  on  pourra  toute- 
fois danser  dans  sa  maison  au  son  d'instruments  à 
cordes ,  ou  de  la  voix ,  mais  sans  ménétriers  ni  iacglas, 

/■ 


Lxxxiv  INTRODUCTION, 

ni  aucune  autre  solennité.  Personne  ne  pourra  don- 
ner de  fêle  ni  de  banquet,  si  ce  n'est  le  jour  du  ma- 
riage, sous  la  même  peine  contre  Thôte  et  les  invités, 
sans  aucune  grâce  ni  rémission. 

Le  vin  du  coucher  était  un  usage  très-ancien  en 
Roussillon ,  ainsi  que  Tatteste  le  roman  de  Gérard  de 
Rossillon;  cet  usage  se  conserve  encore  dans  la  vallée 
de  Carol.  Le  soir  des  noces ,  le  plus  proche  parent  du 
marié  danse  avec  la  mariée  ce  quon  appelle  un  ball^ 
et  quand  il  Ta  assise  sur  son  épaule ,  dans  le  saut  à 
deux  \  il  remporte  dans  la  chambre  nuptiale ,  suivi 
de  femmes  portant  du  vin ,  de  Teau  et  des  biscuits. 

Dans  les  siècles  de  barbarie  qui  terminèrent  le 
moyen  âge  et  commencèrent  Tâge  de  transition ,  le 
besoin  de  défendre  les  femmes  en  général ,  mais  plus 
particulièrement  les  nouvelles  mariées  qui,  demeu- 
rant dans  une  auti'c  ville ,  village  ou  métairie  que  leur 
époux,  étaient  exposées  à  être  enlevées,  dans  le  trajet 
qui  séparait  le  domicile  paternel  de  leur  nouvelle  ha- 
bitation ,  par  ces  bandits  qui  se  faisaient  un  jeu  de  tous 
les  actes  possibles  de  brigandage ,  avait  introduit  l'u- 
sage de  les  faire  escorter  par  des  personnes  armées, 
qui  ne  devaient  pas  les  quitter  d'un  pas.  Cet  usage 
s'est  maintenu  dans  les  montagnes  du  Roussillon,  prin- 
cipalement dans  le  Vallespîr.  Des  jeunes  gens  quon 
désigne  sous  le  nom  de  spades  attachaient  à  leur 
ceinture  un  tonnelet,  pour  se  rapprocher  de  l'ancien 

*  Nous  parlerons  bientôt  de  ces  danses. 


INTRODUCTION.  lxxxv 

costume,  et  ceignaient  une  épée,  d*où  leur  venait 
leur  nom;  aujourd'hui,  au  lieu  de  Tépée  ils  portent 
des  pistolets  dont  ils  font  feu  de  temps  en  temps ,  le 
long  du  chemin.  Ces  spades  accompagnent  à  pied  la 
mariée,  qui  est  montée  sur  une  mule  pompeusement 
harnachée  ;  le  marié  suit  à  cheval ,  et  après  lui  tous  les 
invités,  montés  par  couples,  et  ornés  de  rubans,  eux 
aussi  bien  que  leurs  montures.  Se  conformant  stricte- 
ment à  la  tradition  qui  veut  qu'ils  ne  s*écartent  ja- 
mais de  Tépousée ,  quels  que  soient  les  accidents  et 
les  difficultés  du  chemin ,  les  spades  marchent  ou 
courent  à  ses  côtés,  suivant  Tallure  des  chevaux, 
sautent  sm*  les  pointes  des  rochers  ou  s'élancent  d'ime 
pierre  à  l'autre ,  s'il  y  a  un  gué  à  traverser,  aux  éclats 
de  rire  de  tout  le  cortège  et  au  bruit  de  leurs  armes  à 
feu,  qu'ils  ne  manquent  jamais  de  tirer  dans  ces  cir- 
constances, et  seuls  ils  ont  le  privilège  d'aider  la 
mariée  à  monter  ou  descendre  de  son  palefi*oi.  S'il  y 
a  quelque  village  à  traverser,  de  jeunes  filles,  qui  sont 
les  marguillières  de  la  chapelle  de  la  Vierge,  viennent, 
précédées  par  quelques  musiciens,  barrer  le  passage 
i  la  cavalcade ,  en  tendant  un  ruban  à  travers  le  che- 
min. Elles  s'approchent  ensuite  des  mariés,  à  qui 
elles  offrent  des  fleurs ,  et  en  reçoivent  dans  un  petit 
panier  couvert  extérieurement  et  intérieurement  de 
satin  brodé  en  or  et  garni  de  petites  fleurs  artificielles 
quelque  monnaie  pour  l'entretien  de  leur  chapelle, 
be  joli  petit  panier  est  présenté  successivement  à 


Lxxxvi  INTRODUCTION. 

chaque  couple  d*inyités,  qui  y  dépose  sa  l^ère  oF 
frande.  Ce  pieux  tribut  levé  sur  les  mariés  semble 
un  reste  de  ce  droit  de  pebte,  que  tout  veuf  ou  veuve 
se  remariant ,  ou  que  toute  mariée  étrangère  au  pays 
de  son  époux  devait  payer  autrefois ,  les  premiers  pour 
se  racheter  du  charivari ,  les  autres  pour  indemnité  à 
celui  qu*on  appelait  en  France  labbé  de  la  basoche, 
et  en  catalan  Yabbat  de  mal  govem.  Ce  droit  de  pelote 
fut  supprimé  en  Roussillon  par  édit  de  Jayme  l^^  du 
mois  de  mai  1 3oo,  et  il  fut  défendu  de  l'exiger  aussi 
bien  des  juifs  que  des  chrétiens.  Nous  ignorons  quel 
était  ici  le  tarif  de  ce  droit.  En  Provence ,  où  il  sub- 
sista jusqu'à  la  révolution,  il  avait  été  fixé,  par  arrêt 
du  parlement  d'Âix  du  3  août  1717,  à  cinq  livres  par 
chaque  mille  francs  de  dot,  pour  celles  au-dessous 
de  trois  mUle  livres. 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  ces  explorations 
au  sujet  des  mariages;  nous  nous  bornerons  à  ajouter 
que  dans  tout  le  Roussillon  les  prêtres,  au  lieu  de 
se  contenter  d'un  simple  oui,  de  la  part  des  épousés, 
dans  la  cérémonie  de  la  bénédiction  nuptiale,  leur 
font  répéter  mot  à  mot  la  formule  de  l'engagement 
réciproque;  tous  les  assistants  se  mettent  ensuite  à 
crier.  Que  sefassi,  qu'il  se  fasse  (le  mariage). 

FUNÉRAILLES      ET     DEUIL. 

Les  funérailles  et  les  deuils  n'ont  pas  moins  attiré 
l'attention  et  la  sollicitude  de  l'ancien  gouvernement 


INTRODUCTION.  lxxxvii 

du  Roussilion  que  les  mariages  et  les  noces.  L*orgueî], 
la  vanité  n'ont  jamais  laissé  échapper  une  occasion 
de  se  mettre  en  évidence ,  dans  tous  les  actes  exté- 
rieurs et  les  solennités  publiques,  et  cette  superfluité 
de  dépenses  auxquelles  entraînaient  le  plus  sot  amour- 
propre  et  la  plus  ridicule  rivalité  était  souvent  une 
charge  de  plus  pour  les  familles  qui  venaient  de 
perdre  leur  chef.  Par  édit  du  i3  mars  i3îi3  le  roi 
don  Sanche  régla  ce  qui  concernait  les  funérailles  et 
le  deuil  :  c'est  le  premier  règlement  qui  ait  été  fait  en 
Roussilion  sur  cette  matière ,  et  il  nous  fait  connaître 
quels  étaient  les  usages  de  ce  temps-là.  Le  roi  défend 
d'abord  à  toute  personne ,  de  quelque  état  et  condition 
qu'dle  soit,  de  réunir  dans  sa  maison,  pendant  plu- 
sieurs jours  consécutifs,  à  Toccasion  de  la  mort  de 
qudqu'un  des  siens,  des  parents,  des  amis,  des  alliés 
ou  des  étrangers  ;  les  convocations  ne  pourront  avoir 
lieu  que  pour  la  cérémonie  des  funérailles  et  pour 
les  offices  de  la  neuvaine,  sans  pouvoir  s'étendre  hors 
du  cercle  des  parents  et  des  alliés.  Ceci,  dit  le  prince, 
a  pour  but  d'éviter  les  frais  et  Yingratitade  auxquels 
donnent  toujours  lieu  ces  réunions,  qui  ayant  moins 
pour  objet  de  prier  Dieu  pour  le  mort  que  d'ho- 
norer les  parents  vivants ,  sont  constamment  suivies 
de  murmures  et  de  haines.  Il  est  également  défendu 
découvrir  le  cadavre  de  draps  d'or  ou  de  soie, 
quand  on  le  porte  à  la  sépulture,  sous  peine  de  dix 
lirres  d'amende  au  profit  de  la  fabrique  de  l'église  de 


LXxxviu  INTRODUCTION. 

Saint-Jean,  de  Perpignan.  La  même  peine  serait  en- 
courue par  toute  personne  qui,  dans  ce  cas,  faisait 
partie  du  cortège.  Par  cette  prohibition  le  roi  n'en- 
tend pas  empêcher  les  parents  de  couvrir  de  draps  de 
soie  le  défunt,  dans  Tintérieur  de  la  maison,  ni  de 
donnera  1  église  des  draps  d'or  ou  d'autres  joyaux, 
pouj|ÉkQe  du  trépassé.  A  l'enterrement  on  ne  pourra 
pctfl^Huus  de  quatre  torches ,  du  poids  de  cinq  livres 

F^indant  l'occupation  du  Roussillon  par  les  Fran- 
çais, sous  Louis  XI,  les  consuls,  de  l'autorité  du  gou- 
verneur, firent  publier  une  ordonnance  qui  défendait 
à  toute  personne  de  faire  porter  aux  offices  de  neu- 
vaine,  c'est-à-dire  aux  messes  chantées  qu'on  célé- 
brait alors  le  premier,  le  second  et  le  neuvième  jour, 
et  aux  anniversaires,  plus  de  quatre  corbeilles  d'of- 
frandes, quelle  que  fût  la  condition  du  mort  :  la  mode 
s'était  établie  depuis  peu  de  temps  d'en  envoyer  un 
grand^jy mbre ,  suivant  ce  que  dit  l'ordonnance.  Ces 
offraridll' ,  dont  l'usage  se  conserve  encore  de  nos 
jours,  sont  une  suite  des  oblations  que  dans  les  pre- 
miers temps  du  christianisme  les  fidèles  donnaient  à 
l'égltÉfe  «acore  très-pauvre ,  et  qui  étaient  à  peu  près 
les  séidfibiens  dont  les  prêtres  tirassent  leur  subsis- 
tance. Cl^  oblations  avaient  lieu  pour  les  vivants  et 
pour  les  morts,  et  le  concile  de  Vaison  déclara  sacri- 
lège et  larcin  la  retenue  des  offrandes  faites  pour  les 
morts.  Cependant  cet  usage  des  oblations  cessa  de 


INTRODUCTION.  lmxix 

très-bonne  heure  presque  partout;  il  se  maintint 
seulement  dans  quelques  diocèses,  et  nous  voyons 
que  celui  d*E^e  fut  du  nombre.  Nous  ignorons  en 
quoi  elles  consistaient,  à  Tépoque  où  Ton  dut  en  mo- 
dérer la  quantité;  aujourd'hui  chacune  des  deux  ou 
quatre  corbeilles  que  portent  des  femmes  en  deuil, 
aux  services  funéraires ,  contient  une  certaine  -  quan- 
tité de  pain  et  un  litre  de  vin,  placés  sous  une  serviette, 
qu'au  moment  de  Tofirande  le  clerc  reçoit  des  mains 
de  ces  fenmies ,  et  qu*il  emporte  à  la  sacristie.  Cette 
fixation  des  offrandes  au  nombre  de  quatre  au  plus 
Alt  renouvelée  le  22  juin  i5o4,  par  une  nouvelle 
ordonnance  des  consids.  A  cette  époque ,  les  parents 
du  défunt ,  en  se  rendant  à  Téglise  pour  les  offices  des 
neuvaines  ou  des  anniversaires ,  se  faisaient  précéder 
pompeusement  par  un  grand  nombre  de  porteuses 
dobiations  destinées  à  diverses  églises.  En  restrei- 
gnant le  nombre  à  quatre,  les  consuls  déclarent  qu'ils 
ne  prétendent  pas  s'opposer  toutefois,  à  ce  qu'on 
donne  un  plus  grand  nombre  d'offrandes  si  l'on  veut, 
et  à  telles  églises  qu'on  voudra,  mais  que  ce  soit 
occultement  et  non  avec  ostentation,  afin  d'éloigner 
^  péché  de  vaine  gloire  :  tout  contrevenant  devait  être 
puni  d'une  amende  de  dix  livres  et  de  la  confiscation 
des  ofihuides  ^ 

L'édit  de  don  Sanche ,  prohibitif  de  l'exposition  des 
corps  morts  sous  des  couvertures  de  draps  d'or,  fut 

'  Ârck.  com,  liber  ordiMoi, 


xc  INTRODUCTION. 

renouvelé  le  26  septembre  i388.  Depuis  quelque 
temps ,  dit  le  bailli  de  Perpignan ,  il  s*  est  introduit  lu- 
sage  de  mettre  beaucoup  de  draps  d*or,  de  porter 
beaucoup  de  torches  de  cire  aux  offices  des  neuvaines 
et  des  anniversaires  des  morts,  des  personnes  de  con- 
dition ,  d*où  résultent  des  charges  pour  les  familles  ; 
c*est  pourquoi  il  prononce  une  amende  de  cinquante 
livres  pour  chaque  contravention ,  à  moins  que  ce  ne 
soit  pour  un  service  de  roi ,  de  fils  de  roi  ou  de  fib 
du  premier  né  du  roi  ;  et  si  c'étaient  les  consuls  qui 
contrevenaient  à  cette  ordonnance,  ils  devaient  payer 
Tamende  de  leurs  propres  deniers. 

L'ordonnance  des  consuls  du  22  juin  iSoA»  dont 
nous  venons  de  parler,  portait  aussi  règlement  sur  la 
pompe  des  fimérailles;  elle  établissait  qu'à  l'avenir 
les  généreux  (gentilshommes),  les  bourgeois  et  les  per- 
sonnes qui  compteraient  parmi  leurs  ancêtres  quel- 
qu'un qui  aurait  exercé  la  charge  de  consul ,  pourraient 
seuls,  après  leur  mort,  être  présentés  à  l'église  de 
Saint-Jean,  qui  commençait  seulement  alors  à  servir 
aux  fonctions  du  culte  ;  tous  les  autres  morts  devaient 
être  présentés,  suivant  l'usage,  à  la  chapelle  du  ci- 
metière ;  une  exception  était  faite  néanmoins  en  fa- 
veur des  personnes  qui  consentiraient  k  payer,  pour 
V amour  de  Dieu,  cinq  livres  de  Barcelone  à  l'œuvre 
de  l'église,  pour  l'achèvement  de  l'édifice.  Ceux  qui 
voudraient  faire  sonner  les  cloches  de  cette  ^[lise 
4evaient  payer  la  même  somme,  en  sus  des  frais  de 


M^j 


INTRODUCTION.  «a 

la  sonnerie.  Cette  même  ordonnance  fiiah  à  TÎngt  le 
nombre  de  prêtres  qu'on  pouvait  demander  pour  Fen- 
terrement  d'un  boui^eois  ;  à  seize ,  pour  Traterrement 
im  mercaier,  ou  d  une  personne  qui  aurait  été  con- 
sd,  et  à  douze,  pour  celui  de  tout  habitant  d*une 
moindre  condition. 

Cet  usage  des  services  funèbres  aux  jours  de  Ten- 
terrement,  du  lendemain  et  de  la  neuvaine,  n'existe 
pios  depuis  longtemps;  cependant  le  nombre  des 
messes  qu'on  fait  célébrer  est  toujours  de   trois , 
^on  chante  tout  de  suite  et  immédiatement  Tune 
après  l'autre ,   en  présence  du  corps ,  ce  qui  alors 
dispense  du  service  commémoratif  au  bout  de  la  se- 
maine ,  ou  bien  on  en  chante  deux  consécutives  et  la 
troisième  est  renvoyée  à  la  neuvaine,  si  l'enterrement 
s  lieu  le  matin  ;  mais,  si  c'est  le  soir,  les  trois  messes 
se  disent  k  la  suite  l'une  de  l'autre ,  sans  interruption , 
le  jour  de  la  neuvaine  ou  tout  autre  jour,  au  choix  des 
parents.  A  chacune  de  ces  messes,  les  invités  re- 
çoivent une  petite  chandelle  allumée,  et  au  moment  de 
l'offertoire  ils  se  rendent ,  tous  à  la  file ,  précédés  par 
les  prêtres  et  les  parents,  au  pied  de  l'autel  pour 
l^aiserl'étole  et  déposer  la  petite  chandelle  dans  le  bé- 
"■^tier  que  tient  l'enfant  de  chœur  ;  ils  l'y  plongent  par 
le  bout  allumé  :  le  flambeau  renversé  a  toujours  été 
1  emblème   de   la   mort.   Avant   d'arriver  jusqu'au 
naarchepied  de  l'autel ,  chacun  se  tourne  successive- 
nient  vers  celui  qui  le  suit  et  le  salue  d'une  inclina- 


xcii  INTRODUCTION. 

tion  de  tête;  celui-ci  rend  le  salut,  et  se  tournant 
à  son  tour  du  côté  de  celui  qui  marche  après  lui, 
il  le  salue  de  la  même  manière.  La  file  des  femmes 
se  rend  à  Tofiertoire  quand  celle  des  hommes  est 
épuisée,  avec  le  même  cérémonial  et  les  mêmes 
salutations. 

Les  parents  et  les  amis  accompagnent  le  mort  jus- 
qu'au bord  de  la  fosse.  Dans  plusieurs  cantons  des 
montagnes  tous  se  réunissent  ensuite  à  un  repas,  qui 
se  fait  ordinairement  en  maigre-,  s* il  est  en  gras,  on 
n'y  doit  servir  ni  volaille  ni  gibier.  Au  moment  où  le 
mort  est  descendu  dans  la  fosse  on  voit  encore ,  dans 
quelques  lieux  de  la  campagne ,  des  femmes  le  charger 
de  commissions  pour  leurs  parents  déjà  trépassés  ^. 
Dans  la  vallée  de  Garol,  les  hommes  qui  suivent  l'en- 
terrement couvrent  leur  tête  d'une  capuche  de 
femme,  et  celles-ci  la  remplacent  par  un  voile. 

La  première  ordonnance  sur  les  deuils  est  du  rè- 
gne de  Jayme  I",  roi  de  Majorque,  sous  la  date  du 
20  octobre  i3o8.  Ce  prince  en  avait  futé  la  durée  i 
un  mois  pour  la  mort  du  roi  et  celle  d'un  prince  âgé 
au  moins  de  quinze  ans,  pour  celle  de  père,  mère, 
rère  et  sœur,  et  pour  celle  d'une  personne  dont  on 
serait  légataire  imiversel  :  ce  deuil  pouvait  se  porter 

^  Diodore  disait  des  Gauiois  :  «Quelques-uns  jettent  dans  le  bûcher 
«  des  morts  des  lettres  écrites  comme  si  le  défunt  devait  en  prendre 
«connaissance.*  Autrefois,  et  peut-être  encore  aujourd'hui  dans  quel- 
ques endroits  des  montagnes,  on  jetait  dans  la  fosse  de  celui  qu'on  en- 
terrait des  lettres  adressées  à  d'autres  morts  plqs  anciens. 


INTRODUCTION.  iciii 

en  noir  ou  en  blanc,  à  volonté;  pour  tout  autre  pa- 
rent, on  devait  se  borner  à  mettre  une  bordure  de 
deuil  à  ses  vêtements  ordinaires. 

L'ordonnance  du  roi  Sanche  dont  nous  avons  parlé 
plus  haut,  relativement  aux  funérailles,  contient,  sur 
le  deuil  des  femmes,  quelques  dispositions  dont  on 
a  peine  à  se  rendre  compte  aujourd'hui.  Ce  prince  dé- 
fend à  toute  femme  mariée ,  de  quelque  état  ou  con- 
dition qu'elle  soit,  de  prendre  le  deuil  pour  aucune 
autre  personne  que  pour  son  mari,  car  il  est  dur,  dit- 
il,  qu'une  femme  dont  le  mari  est  vivant,  et  qui  ne 
doit  faire  attention  qu'à  celui  de  qui  son  état  dépend , 
pleure  dans  ses  vêtements  un  autre  que  celui  qui  est 
son  chef  et  son  honneur  ^  Toute  femme  qui  contre- 
Tiendrait  h  cette  défense  encourrait  par  le  £aiit  une 
amende  de  dix  livres ,  que  le  mari  aurait  à  imputer 
sur  sa  dot,  si  elle  n'avait  quelque  autre  bien  en 
propre.  La  même  ordonnance  fait  expresses  inhibi- 
tions aux  maris  de  se  vêtir  de  bure  noire  ou  de  toute 
autre  étoffe  lugubre,  à  la  mort  de  leurs  femmes.  Le 
dispositif  de  cet  article  aurait  l'air  d'une  mauvaise 
plaisanterie,  si  une  plaisanterie  avait  pu  être  intro- 
duite dans  une  loi.  «  Plusieurs  personnes ,  dit  le  mo- 
«narque,  ont  commencé  à  extravaguer,  dans  ces  der- 
«niers  temps,  dans  la  vUle  de  Perpignan,   en  se 

^  Damm  enîm  est  quod  millier,  vivente  marito ,  cum  non  sit  quod 
^ceredebeat,  nisi  Ulmn  a  quo  status  suus  dependet,  lugeat  in  ves- 
^u,  nisi  illum  qui  caput  qus  est  atque  honor. 


iciv  INTRODUCTION. 

((  couvrant  de  deuil  quand  leurs  femmes  viennent  k 
((  mourir,  oubliant  qu*il  n  y  a  pas  de  deuil  pour  les 
((  femmes  ;  et  c  est  pour  extirper  une  si  grande  folie 
«  que  la  présente  ordonnance  est  rendue  ^  »  En  consé- 
quence, le  veuf  ne  pouvait  porter  sur  ses  vêtements, 
pour  tout  signe  de  douleur,  qu'une  bande  verte  ou  de 
quelque  autre  couleur  obscure  et  décente,  pendant 
un  mois  seulement,  et  pas  au  delà;  toute  contraven- 
tion, soit  en  public  soit  en  particulier,  contre  ce 
statut,  devait  être  punie  d  une  amende  de  dix  livres, 
sans  pour  cela  que  le  contrevenant  fût  dispensé  de 
s'y  conformer. 

Rien  ne  peint  de  couleurs  plus  vives ,  et  en  même 
temps  plus  hideuses,  T espèce  de  sauvagerie  des 
mœurs  de  cette  époque  que  ce  qui  concerne  les 
femmes  dans  cet  édit.  G*est  surtout  le  comble  de  la 
tyrannie,  que  cette  brutale  disposition  qui  interdite 
la  portion  du  genre  humain  la  plus  vivement  affectée 
de  la  perte  de  ses  proches,  toute  démonstration  pu- 
blique de  sa  profonde  douleur.  Cette  barbare  défense 
fut  encore  renouvelée  par  Jayme  II  en  i332.  Ayant 
appris  que  des  femmes,  à  la  mort  de  leur  père,  mère, 
sœur  ou  frère,  se  permettaient ,  du  vivant  de  leur  mari,  de 
se  vêtir  de  vert  ou  de  toute  autre  couleur  sombre, 

*  Verum,  cumplures,  in  dicta  villa  Perpiniani,  fatuitzare  incepe- 
rint,  a  pauciâ  temporibus  citra,  induendo  se  vesiibus  lugubribns  cum 
eorum  moriuntur  uxores,  non  advertentes  quod  uxoris  non  est  luctus, 
tantam  fataitateni  excipere  volens,  etc.  Liber  ordinat. 


INTRODUCTION.  xcv 

afin  de  porter,  de  cette  manière,  des  vêtements  lu- 
gubres, il  fait  très-expresses  injonctions  à  ses  officiers 
d*empècher  cet  abus ,  avec  ordre  de  ne  ménager  au- 
cune contrevenante ,  quelle  que  puisse  être  sa  condition. 

Le  7  mars  ligk  le  bailli  et  les  consuls  de  Per- 
*  pignau  firent  publier  un  nouveau  règlement  sur  la 
forme  et  la  durée  du  deuil.  Pour  père ,  mère ,  fi^ère  et 
sœur  on  devait  porter,  à  Tenterrement  et  aux  offices 
fiinéraires  de  la  neuvaine  et  de  l'anniversaire ,  le  cha- 
peron taillé  ou  rabattu ,  et  le  reste  de  la  neuvaine,  le 
chaperon  habUlé  ;  et  quant  aux  vêtements ,  le  noir  ou 
le  blanc,  à  volonté,  pendant  im  an,  sans  plus; 

Pour  oncle,  tante,  rieveu,  nièce,  cousin  et  cou- 
sine germains,  le  chaperon  taillé  ou  rabattu  aux 
mêmes  jours  quen  Tarticle  précédent;  le  chaperon 
habillé  le  reste  du  temps,  et  le  blanc  ou  le  noir  pen- 
dant un  mois  ; 

Pour  beau-père,  belle-mère,  beau-frère,  belle- 
sœur,  le  chaperon  habillé ,  et  le  noir  ou  le  blanc  pen- 
dant la  neuvaine  seulement; 

Pour  une  personne  dont  on  hériterait,  le  deuil 
comme  pour  cousin ,  hors  le  chaperon  rabattu  ^ ,  et 

^  Les  personnes  qui  ne  connaissent  pas  la  forme  du  chaperon  peu- 
vent ae  figurer  un  bonnet  de  police  non  aplati,  dont  le  retroussis, 
fendu  par  devant,  pouvait  se  rabattre  sur  la  nuque  et  les  oreilles.  La 
^e  du  chaperon  était  en  pointe  comme  celle  du  bonnet  de  police, 
nuôs  cette  pointe  était  très-longue  et  descendait  jusqu'à  la  ceinture  où 
onrarrètait.  Quelquefois  même  cette  pointe  descendait  jusqu'aux  pieds, 


xcvi  INTRODUCTION, 

pour  tout  parent  à  des  degrés  inférieurs ,  ni  noir  ni 
blanc,  mais  seulement  la  bordure  noire  ou  blanche, 
aux  vêtements  ordinaires,  lors  de  Tenterrement  et 
aux  offices ,  t|Ét  des  trois  jours  de  la  neuvaine  qu  à 
celui  de  randftrsaire. 


TISSEMENTS     PUBLICS. 


Ce  n*est  pas  seulement  dans  les  grands  actes  de  la 
vie  civile  que  se  manifestent  les  usages  particuliers 
aux  différents  peuples;  on  les  retrouve  aussi  dans 
leurs  amusements  privés,  dans  les  divertissements 
publics,  dans  toutes  les  circonstances  de  la  vie  poli- 
tique ou  religieuse.  Une  recherche  attentive  et  minu- 
tieuse de  tout  ce  qui  distingue ,  sous  ces  derniers  rap- 
ports, rhabitant  du  Roussillon  de  celui  des  autres 
provinces  de  France  nécessiterait  un  travail  tout  spé- 
cial, et  ne  peut  entrer  dans  le  cadre,  déjà  trop  élargi 
peut-être ,  de  oplui  dont  nous  nous  occupons  ;  nous 
devons  donc  4ousJ  borner  à  jeter  un  simple  coup 
d*œil  sur  ce  qu'il  y  a  de  plus  tranché  dans  les  récréa- 
tions du  peuple  roussillonnais,  et  dans  ses  habitudes 
de  divertissement. 

Musique.  Cheztdftis  les  peuples  de  la  terre ,  le  chant 
et  la  danse  sont  Isxpression  de  Tallégressc,  de  la 
gaieté,  du  contentOMient  d  esprit.  La  musique,  qui  en 

et  on  en  relevait  le  bout  ^'on  engageait  sous  la  ceinture,  au  côté  op- 
posé  à  celui  le  long  duquel  il  descendait. 


INTRODUCTION.  xcvii 

fait  la  base,  éprouve  des  modifications  et  des  diffé- 
rences, suivant  les  variétés  du  climat,  des  mœurs  et 
du  caractère  des  nations.  Sous  Tinfluence  du  soleil 
méridional ,  le  mouvement  est  vif,  la  mesure  rapide 
et  la  voix  franchit  brusquement  des  intervalles  plus 
ou  moins  grands,  dans  les  graduations  de  Féchelle  dia- 
tonique. En  Roussillon ,  où  ToreiUe  est  généralement 
bien  organisée,  il  existe  une  foule  d'airs  nationaux 
d'une  harmonie  remarquable.  Un  contraste  assez  sin  • 
gulier  règne ,  au  reste ,  entre  la  musique  adaptée  au 
chant  et  celle  appropriée  aux  mouvements  de  la 
danse.  Pendant  que  la  première  se  distingue  par  une 
douce  mollesse  et  une  langueur  amoureuse,  une  pétu- 
lance perpétuelle  forme  le  caractère  éminent  des  airs 
des  danses  nationales. 

Entre  autres  chansons  appartenant  à  la  localité ,  il 
en  est  deux  (jui  sont  dans  la  bouche  de  tous  les  Rous- 
sillonnais  de  tout  âge,  de  toute  condition;  elles  sont 
aussi  inhérentes  au  pays  que  le  sol  même ,  et  il  n'est 
pas  un  seul  habitant  qui  n'en  chantât  à  l'instant  l'air, 
idéËiut  des  paroles.  La  musique  de  l'une  de  ces  chan- 
sons, intitulée  montanyas  régalades,  véritable  ranz 
roussillonnais,  que  l'homme  de  cette  province,  éloi- 
gné de  sa  patrie ,  ne  saurait  entendre  sans  la  plus  vive 
émotion ,  se  distingue  par  une  suavité ,  une  sorte  d'in- 
génuité qui  la  mettent  fort  au-dessus  de  tous  les  autres 
chants  nationaux.  La  musique  de  la  seconde,  qu'on 
appelle  h  pardal,  se  fait  remarquer  par  une  facture 
»•  .  9 


■•%% 


xcviii  INTRODUCTION, 

originale  toute  particulière,  et  par  un  changement 
continuel  de  mesure,  qui  se  renouvelle  huit  fois  dans 
le  courant  du  couplet ,  sans  nuire  au  charme  de  l'en- 
semble. 

Danses.  Les  danses  pratiquées  en  Roussillon  sont 
assez  nombreuses.  Les  unes,  sans  apparat,  semblables 
dans  .tous  les  temps  à  celles  de  tous  les  autres  pays,  et 
que  nous  avons  vues  autorisées  par  l'ordonnance  du 
19  juin  1876,  à  l'occasion  des  mariages,  s'exécutent 
au  son  d'instruments  à  cordes  ;  les  autres,  solennelles, 
dansées  au  bruit  d'un  orchestre  tout  spécial,  semblent 
être  un  héritage  légué  par  les  Maures  aux  habitants  de 
ces  montagnes,  où  elles  se  soht  conservées  comme 
tous  les  usages  confiés  à  ces  localités ,  et  auxquels  les 
empruntent  les  habitants  de  la  plaine,  sur  les  deux 
revers  des  Pyrénées  catalanes.  Nous  ne  dirons  rien 
des  premières ,  et  quant  aux  secondes ,  nous  ne  par- 
lerons, que  des  principales,  comme  types  de  toutes  les 

autr^. 

Ces  danses  spéciales  ,  qui  font  partie  de  toutes  les 
réjouissances  publiques,  et  qui  n'ont  jamais  manqué 
ri'çxciter  à  un  haut  degré  la  surprise  de  ceux  qui  les 
-soient  pour  la  première  fois,  s  exécutent  en  plein  air, 
sur  une  place  publique ,  dans  toutes  les  fêtes  de  pa- 
roisses, tant  à  Perpignan  que  dans  toute  l'étendue  de 
la  province.  Elles  se  composent  ordinairement  de  ce 
qu  on  appelle  le  contrepas  et  te  bail  K  Le  premier  n'est 

*  Dans  le  catalan  deux  U  se  mouillent  toujours. 


INTRODUCTION.  xcix 

qu'un  balancement  grave  et  mélancolique,  exécuté 
par  une  file  de  danseurs  se  tenant  parla  main.  Les 
sexes  ne  se  mêlent  pas  dans  cette  danse,  qui  n*a  lieu 
le  plus  souvent  qu entre  hommes;  si  des  femmes  y 
prennent  part,  eile^ forment  une  file  qui  se  place  de- 
vant celle  de  l'autre  sexe.  Ces  danseurs  font  quelques 
pas  dun  côté ,  reviennent,  en  font  autant  de  l'autre, 
s'abandonnent  un  instant  et  se  reprennent  ensuite,  et 
pendant  un  quart  d'heure  à  peu  près  que  dure  Taii* 
affecté  à  cette  danse  continuent  ce  même  manège 
en  exécutant  le  pas  qu'on  appelle  Vespardanyeta,  qui 
consiste  en  un   rapide  battement  du  talon  autour 
des  cou<de-pied.  L'air  du  contrepas ,  dont  le  rhy  thme 
accentué  et  plein  de  syncopes  passe  du  mode  sé- 
rieux et  grave  à  un  mode  gai,  vif  et  animé,  est  très- 
ancien,  et  se  joue  par  tradition  depuis  le  siècle  de 
Cervantes,  qui  en  parle,  dans  une  de  ses  nouvelles  ^ , 
comme  d'une  danse  introduite  tout  récemment  en 
Espagne.  Le  bail  est  une  sorte  de  ronde  qu'exécutent 
à  la  fois  des  couples  indéterminés  de  danseurs  avec 
leurs  danseuses ,  dont  le  nombre ,  dans  les  fêtes  des 
villages,  s  élève  quelquefois  à  plusieurs  centaines.  Ca- 
valiers et  dames  avancent  et  reculent  alternative- 
ment, sans  faire  ce  qu'on  appelle  des  pas;  ils  changent 
de  danseur  et  de  danseuse ,  se  perdent,  se  retrouvent  ; 
et  i  la  fin  de  l'air,  dont  la  durée  est  égale  à  celle  d'une 
contredanse,   divers  couples  se  réunissent  pour  le 

'  La  ilbuire  Fregoha. 

S' 


c  INTRODUCTION 

saat  qui  termine  chaque  bail.  Pour  exécuter  ce  saut, 
un  certain  nombre  de  couples  de  danseurs  se  ras- 
semblent et  se  forment  en  rond  ;  les  femmes  appuient 
à  droite  et  à  gauche  leurs  mains  sur  Tépaule  des  ca- 
valiers placés  à  leurs  côtés,  et  sellent  en  Tair,  aidées 
par  ces  cavaliers,  qui  favorisent  ce  mouvement  d'as- 
cension au  moyen  de  leur  pouce  placé  sous  laisselle 
de  la  femme ,  le  reste  de  la  main  appliquée  sur  son 
omoplate.  Après  setre  soutenues  quelques  instants 
dans  cette  position,  ces  femmes  reprennent  teiTe,  et 
une  nouvelle  ronde  commence.  Presque  toujours  au- 
trefois, mais  rarement  aujourd'hui,  si  ce  n'est  à  la 
campagne,  en  même  temps  que  divers  couples  i*éunis 
élevaient  ainsi  les  danseuses  en  groupes,    d'autres 
couples  exécutaient  isolément  ce   qu'on  appelle  le 
saut  à  deux.  La  danseuse,  plaçant  sa  main  gauche  dans 
la  droite  du  cavalier,  appuie  sa   main  droite  sur 
l'épaule  gauche  de  celui-ci ,  et  s'élance  en  l'air,  secon- 
dée par  la  main  gauche  du  cavalier  qui  la  porte  sous 
son   aisselle;  à  mesure  qu'elle   s'élève,   cette  main 
gauche  du  cavalier  glisse  rapidement  le  long  du  flanc 
de  la  danseuse ,  et  va  lui  servir  de  siège.  Ainsi  assise 
sur  la  main  de  son  danseur,  qui  la  tient  quelques  se- 
condes à  la  hauteur  de  sa  tête,  ou  qui  la  place  sur  son 
épaule ,  elle  offre  un  spectacle  fort  gracieux ,  et  qui 
frappe  d'admiration  l'étranger  qui  n'en  a  pas  encore 
l'habitude.  U  y  a ,  au  reste ,  beaucoup  plus  d'adresse 
que  de  force  dans  l'exécution  de  ce  saut. 


INTRODUCTION.  ci 

On  ne  peut  guère  douter  que  cette  espèce  de  danse 
lie  soit  d'origine  maure  ^  ;  ses  passes,  son  mode,  son 
langage,  si  nous  pouvons  nous  exprimer  ainsi,  l'in- 
diquent. Le  manège  qui  en  fait  le  caractère  était  une 
peinture  de  Tamour.  Cette  expression  primitive  s* est 
perdue  naturellement  à  travers  tant  de  siècles ,  et  il 
n  en  est  plus  resté  que  des  passes  exécutées  machina- 
lement, traditionnellement,  et  sans  y  attacher  aucune 
idée.  Ce  qui  ne  peut  laisser  aucune  incertitude  sur 
cette  origine,  c  est  Temploi  exclusif  dans  cette  danse 
d'une  sorte  de  petite  burette  de  verre  blanc  à  pied , 
à  panse  large  et  goulot  étroit,  garnie  de  plusieurs  becs 
très-menus  par  lesquels  les  danseurs  faisaient  pleuvoir 
autrefois  sur  leurs  danseuses  une  fine  rosée  d'eau  de 
senteur.  Ce  vase ,  dont  le  nom  encore  arabe  est  al- 
ïïuiratxaj  et  dont  le  pied  était  orné  de  rubans,  aban- 
donné presque  partout  depuis  une  trentaine  d'années, 
ne  se  retrouve  plus  que  dans  quelq[ues  localités  de 
la  montagne. 

Aux  danses  dont  nous  venons  de  parler,  et  qui 
sont  générales  dans  tout  le  Roussillon,  s'en  joignent 
encore  quelques  autres,  communes  à  la  Catalogne  et 
H'Espagne;  et  d'abord,  les  segaidillas,  qu'on  danse 
lopins  souvent  au  chant  de  couplets  portant  ce  même 
nom,  et  dont  le  rhythme  est  vif,  court  et  très-animé. 
Ce  nom  de  seguidiUas  est  donné  à  ces  petits  couplets 
parce  que  le  mode  en  est  bref,  vif  et  suivi  ^.  Les  $e- 

*  Voyei  la  noie  V.  —  *  Dictionnaires  espagnols. 


cil  INTRODUCTION 

gaidUlas  ont  cela  de  particulier,  que  le  cavalier  les 
danse  avec  deux  dames  à  la  fois.  Dans  la  petite  place 
de  Prats-de-MoUo ,  dans  les  montagnes  du  Valiespir, 
on  danse  encore  lo  baU  de  cerimonioj  où  chaque  dan- 
seur a  un  nombre  indéterminé  de  danseuses  devant 
lesquelles  il  figure  tour  à  tour. 

L*orchestre  des  contrepas  et  des  halls  se  compose 
d*un  certain  nombre  d'anciens  et  grands  hautbois, 
d*une  cornemuse  et  d*un  flageolet  très-aigu,  à  trois 
trous,  dont  joue  le  chef  de  musique ,  qui  en  même 
temps  marque  la  cadence  en  frappant  avec  une  ba- 
guette sur  un  petit  tambour  de  quelques  pouces  de 
haut  et  de  diamètre ,  suspendu  au  bras  qui  tient  le 
flageolet.  Ces  musiciens  ont  retenu  le  nom  dejutglars, 
jongleurs,  qu*on  donnait  anciennement  aux  mimes, 
et  il  est  étonnant  que  cette  dénomination,  tombée 
dans  le  mépris  dès  le  temps  de  Philippe- Auguste,  se 
soit  conservée  en  bonne  part  dans  ces  montagnes. 

Mystères.  Dans  l'article  des  amusements  particu- 
liers aux  habitants  du  Roussillon  nous  ne  devons  pas 
oublier  de  placer  ia  représentation  des  mystères^  ou 
anciennes  comédies  sacrées. 

Ces  sortes  de  pièces  informes,  par  lesquelles  se 
manifesta  la  renaissance  de  l'art  dramatique  en  Eu- 
rope, commencèrent  à  obtenir  de  la  vogue  vers  la  fin 
du  w*  siècle,  et  au  milieu  du  xvi*  elles  cédèrent  la  place 
aux  premières  remédies  et  aux  premières  tragédies, 
«imposées  sur  le  modèle  de  celles  de  l'antiquité. 


INTRODUCTION.  cm 

Les  mystères  qu*on  joue  encore  en  Roussillon ,  aux 
fêtes  patronales  de  certains  villages,  datent,  pour  la 
plupart,  de  deux  ou  trois  siècles,  et  sont  la  prolixe 
DaiTation  du  martyre  de  quelque  saint,  ou  de  quelque 
trait  de  Tancien  ou  du  nouveau  testament  ;  il  en  est 
même  qui  comprennent  toute  la  durée  du  monde, 
depuis  la  création  jusque,  et  inclusivement,  à  la  mort 
de  Jésus-Christ.  Là  on  voit  paraître  successivement 
Dieu  le  père,  Adam  et  Eve,  Noë,  Moïse,  les  pro- 
phètes, Héix>de  avec  le  massacre  des  innocents,  Jo- 
seph, Marie ,  les  disciples,  tous  les  personnages  de  la 
Passion,  et  enfin  celui  qui  remplit  le  rôle  de  Jésus- 
Christ  ,  attaché  sur  une  vraie  croix.  Nous  allons  ana- 
lyser une  de  ces  pièces  que  nous  avons  vu  jouer 
autrefois ,  et  dont  nous  avons  décrit  ailleurs  la  repré- 
sentation. Le  théâtre  était  dressé  en  plein  air  sur  une 
place  publique  ;  ce  mystère  était  intitulé ,  Martyre  de 
^nte  Basilisse ;  les  acteurs,  au  nombre  d environ 
quatre-vingts,  étaient  des  cultivateurs  de  tous  les  âges, 
les  plus  jeunes  remplissant  les  rôles  de  femmes. 

Après  un  long  prologue  débité  par  un  acteur  en 
costume  d'abbé ,  la  scène  s  ouvre  par  une  longue  con- 
versation entre  le  père  et  la  mère  de  saint  Julien  sur 
le  mariage  de  leur  fils.  Julien  arrive,  et  déclare  qu  il 
ne  se  mariera  qu  après  avoir  consulté  la  volonté  du 
ciel.  Paraît  bientôt  sainte  Basilisse,  accompagnée  de 
nombreux  parents,  et  son  mariage  avec  Julien  est 
arrêté.  Une  cellule  du  fond  montre  alors  une  cha- 


civ  INTRODUCTION. 

pelle,  avec  autel  paré  et  prie-Dieu.  Julien  y  entre  et 
se  met  en  prières ,  puis  s  endort.  Pendant  son  som- 
meil il  a  une  vision  :  Jésus ,  accompagné  de  divers 
anges,  sort  d*une  des  cellules  du  fond,  traverse  le 
théâtre ,  entre  dans  la  chapelle  et  inspire  à  Julien  qu*il 
peut  se  marier,  pourvu  qu*il  garde  sa  virginité  au  sein 
du  mariage.  Resté  seul,  celui-ci  s'éveille,  tous  les  pa- 
rents arrivent,  et  le  mariage  est  béni  avec  les  for- 
mules du  rituel.  Suit  le  banquet  de  noces,  ample  et 
copieux.  Les  époux  vierges  entrent  dans  Tétat  sacer- 
dotal, se  trouvent  bientôt  à  la  tête  de  nombreux  néo- 
phytes ,  et  le  théâtre  retentit  des  chants  de  T^^e.  La 
scène  change  :  le  préteur  romain  parait,  et  Tarrêt  de 
persécution  contre  les  chrétiens  va  être  exécuté  ;  les 
moines  et  moinesses ,  saint  Julien  et  sainte  Basilisse 
à  leur  tête,  refusent  Tencens  aux  idoles  et  reçoivent  le 
martyre  ;  enfin  le  préteur,  frappé  par  la  foudre ,  est 
emporté  par  une  légion  de  diables.  La  longueur  de 
ces  pièces  est  telle ,  que  leur  représentation  dure 
quelquefois  dix  heures  de  temps,  et  prend  ainsi  toute 
une  nuit  d*été. 

USAGES     DU     CARNAVAL     ET     DU     CAREME. 

Mascarades.  Le  carnaval  se  ressemble  partout  : 
c'est  toujours  un  temps  de  folies  et  d'extravagances, 
une  période  d'intempérance  et  de  dissipation. 

Le  masque ,  imitation  de  ces  figures  postiches  dont 
les  anciens  faisaient  usage  dans  leurs  jeux  scéniques. 


INTRODUCTION.  cv 

fut  emprunté  par  les  premiers  chrétiens  aux  acteurs 
mimiques ,  pour  figurer  les  démons  familiers ,  dans  la 
réunion  qu'on  fit,  en  un  divertissement  permis,  des 
bacchanales,  des  saturnales  et  des  lupercales  de  Tan- 
tiquité;  c'est  une  concession  que  les  premiers  pasteurs 
deTégiise  durent  faire  à  des  catéchumènes  trop  dis- 
posés  à  retourner  aux  erreurs  du  paganisme,  si  on 
leur  arrachait  les  plaisirs  qu'il  leur  procurait.  L'insti- 
tution du  jeûne  quadragésimal  par  les  apôtres,  impo- 
sant pendant  quarante  jours  de  rudes  pénitences  et 
d'austères  privations ,  ce  fut  un  motif  pour  se  rassasier 
de  nourriture  et  de  plaisirs  avant  cette  époque ,  et  le 
carnaval  fiit  établi.  Mais  les  mascarades  n'étaient  pas 
bornées  à  ce  seul  temps  ;  elles  avaient  lieu  dans  une 
foule  d'autres  circonstances,  et  les  capitulaires  syno- 
diaux  d'Hincmar,  archevêque  de  Rheims,  de  85 a, 
nous  apprennent  qu'on  se  masquait  même  aux  com- 
mémorations des  morts. 

L'usage  de  mascarades  dramatiques,  qui  de  l'Italie 
s  est  répandu  partout,  n'est  guère  connu  en  Rous- 
siUon.  A  l'exception  de  quelques  pourceaugnacs  et  de 
^elques  chariatans,  on  ne  voit  guère  que  des  bandes 
de  gens  du  peuple  masqués  bizarrement,  couinant  les 
nies,  et  insultant  plus  qu'ils  n'intriguent.  Des  indivi- 
dus de  tout  âge  vous  brisent  la  tête  avec  les  tambours 
qu'ils  battent  sans  relâche  du  matin  au  soir,  se  croi- 
sant dans  toutes  les  rues  et  allant  dans  tous  les  sens. 
Deux  manières  de  se  masquer,  qui  sont  très-répandues 


oi  INTRODUCTION 

daïïs  ce  pays,  consistent  à  se  vêtir  d*un  capot  de 
paysan  par-dessus  ses  propres  vêtements,  ou  bien  à 
couvrir  sa  tête  d*un  capuchon  de  femme  et  à  attacher 
un  jupon  sur  ses  épaules  et  un  autre  sur  les  hanches. 

Quelques  usages  particuliers  distinguent  certains 
cantons  dans  les  libertés  du  carnaval.  A  Prades,  s*il 
se  trouve  dans  la  ville  quelqu'un  à  qui  on  veuille 
(aire  honneur,  une  personne  du  pays  vient  douce- 
ment derrière  lui,  passe  sa  tête  brusquement  entre 
ses  jambes  et  Fenlève  sur  son  cou  pendant  que  d'au- 
tres personnes  le  soutiennent  de  chaque  coté.  Ainsi 
chaigé  sur  les  épaules  on  le  porte  au  café,  où  il 
doit  régaler  ceux  qui  lui  ont  fait  cette  singulière 
galanterie.  A  Prats-de-MoUo,  le  vendredi  qui  suit  le 
jeudi  gras,  on  exécute  ime  sorte  de  danse  ridicule 
qu  on  appelle  lo  bail  de  posta.  Un  homme  porte  dans 
ses  bras,  comme  un  marmot,  une  planche  longue  de 
six  pieds,  à  Tun  des  bouts  de  laquelle  est  dessinée 
une  tête  grotesque.  Tous  les  danseurs  viennent  de 
*  trois  en  trois,  et  se  tenant  par-dessous  le  bras,  figurer 
devant  Thomme  k  la  planche ,  qui  fmit  par  en  donner 
xm  coup  au  derrière  du  danseur  du  milieu. 

Il  est  une  mascarade  de  tradition  que  chaque  année 
voit  se  renouveler.  Un  homme  de  la  lie  du  peuple  se 
déguise  en  ours;  ses  camarades,  vêtus  des  haillons  les 
plus  sales ,  et  barbouillés  de  la  façon  la  plus  ignoble , 
raccompagnent  et  le  font  danser  au  bruit  assourdis- 
sant de  silHcts,  dVntonnoirs.  de  crécelles  et  de  tara- 


INTRODUCTION.  cvii 

bours.  Nous  n  aurions  pas  fait  mention  de  cette  dé- 
goûtante farce ,  si  ce  n*était  un  usage  d*une  grande 
antiquité  ;  c*est  un  des  divertissements  que  Hincmar 
défend  dans  les  mêmes  circonstances  que  les  masca- 
rades, c'est-à-dire  aux  vefliées  et  aux  conmiémora- 
tionsdes  morts. 

Le  carnaval  se  termine ,  à  Perpignan ,  le  mercredi 
des  Cendres ,  par  une  promenade  de  toute  la  popula- 
tion sur  la  route  d'Espagne.  Près  de  cette  route ,  à 
quelques  cents  toises  de  la  ville,  existait  autrefois 
un  bourg  que  d'anciens  actes  désignent  sous  le  nom 
de  Vilia-Godorum ,  bourg  qui  s'est  éteint  vers  le 
iif  siècle  sous  celui  de  Malleolas  ou  Malloles.  Ce 
bourg,  dont  le  nom  primitif  ne  nous  a  été  révélé  que 
pv  des  actes  du  x*  et  du  xi*  siècle,  avait  une  église 
où  le  premier  jour  de  carême  on  allait  faire,  à  ce  qu'il 
paraît,  une  sorte  de  pèlerinage  pour  expier  les  désor- 
dres du  carnaval.  A  mesure  que  la  ville  de  Perpignan 
s'^ndit  aux  dépens  des  communes  environnantes, 
la  nouvelle  population  de  cette  ville  continua  à  faire 
**€  pèlerinage  dont  l'usage  se  fonda  ainsi  à  perpétuité. 
Quand  le  bourg  et  son  église  eurent  tout  à  fait  dis- 
paru, on  se  rendit  encore  sur  leurs  ruines  par  tradi- 
tion et  par  habitude.  Au  commencement  du  xix*  siècle 
un  citoyen  philanthrope,  le  sieur  Comte,  ayant  fait 
disposer  une  pelouse  au  bord  d'une  fontaine  atte- 
nante à  ses  propriétés,  et  l'ayant  embellie  de  marbres 
îîvoc  le  concours  de  la  ville  de  Perpignan  qui  les  lui 


cviii  INTRODUCTION, 

livra,  au  lieu  d'aller  jusquà  Malloles,  on  s  arrêta  à 
cette  fontaine,  qu  on  appela  d'abord  Bagatelle  et  qu'on 
nomme  aujourd'hui  Fontaine  d'amour. 

Carême.  Ce  que  le  Roussillon  oflFre  de  particulier 
dans  les  usages  du  carême  n'a  lieu  que  pendant  la 
scmaine^inte.  Ces  usages  sont  en  général  conservés 

le ,  qui  elle-même  les  a  conservés  des 
tens.  Ainsi  pour  le  dimanche  des  Rameaux 
,  à  l'un  des  côtés  de  l'autel,  un  gros  laurier 
biSï  feuille,  et  on  attache  à  ses  rameaux  quelques 
branches  de  palmier.  Cet  arbre  reste  là  tout  le  temps 
pascal.  Aux  jours  des  oflices  de  ténèbres  des  enfants 
armés  de  longs  maillets  parcourent  les  rues  par  bandes, 
en  chantant  une  chanson  catalane  fort  plate  et  d*un 
rhythme  très-monotone,  dans  laquelle  ils  maudissent 
les  marchands  de  comestibles  maigres  et  invoquent 
le  retour  des  bouchers,  qui,  cependant,  dans  ces 
vers  peu  harmonieux  sont  traités  de  voleurs  ne  fai- 
sant jamaj^  le  poids.  Après  cette  boulTonncrie  tous 
frappent  à*  coups  redoublés  de  leurs  maillets,  aujour- 
d'hui le  pavé  de  la  rue,  mais  il  y  a  peu  de  temps 
encore  la  porte  de  certaines  maisons.  Cette  exécution, 
qui  est,  ij^t-on,  pour  tuer  les  juifs  et  les  hérétiques, 
pourrait  Ben  avoir  pris  naissance  dans  les  avanies 
dont  on  aflKuvait  les  juifs  avant  leur  expulsion. 

Dans  la  5>lupart  des  églises  de  Roussillon  on  fait 
avec  beaucoup  do  solennité,  le  mercredi  saint,  le  la- 
vement des  pieds  de  Jésus-Christ  sur  la  croix.  Cette 


INTRODUCTION.  cix 

cérémonie ,  qiii  était  pratiquée  autrefois  dans  quelques 
^lises  de  France  par  des  prêtres ,  Test  ici  par  des  en- 
fents  en  bas  âge  sous  la  direction  des  confréries  de 
pénitents  ^  Ce  droit  de  laver  les  pieds  du  crucifix  ap- 
partenait, il  n'y  a  pas  encore  un  demi-siècle,  à  de 
jeunes  filles  nubiles,  qui  représentaient  ainsi  la  pé- 
cheresse Marie-Madeleine  aux  pieds  du  Sauveur. 
Des  motifs  de  décence  leur  ont  fait  substituer  depuis 
déjeunes  garçons  de  l'âge  de  six  à  huit  ans.  A 

Processions.  Les  processions  sont  partout  un  3es 
spectacles  du  peuple ,  qui  se  précipite  en  foule  sur 
leur  passage.  Eln  Roussitlon  comme  en  Espagne  et  en 
Italie  il  y  avait  autrefois  des  processions  nocturnes 
dans  la  semaine  sainte;  celles  qui  se  faisaient  encore 
dy  a  deux  ans  n'en  étaient  plus  qu'un  très-pâle  reflet. 
Anciennement  elles  ne  sortaient  que  de  neuf  à  dix 
heures  du  soir  et  ne  rentraient  guère  qu'un  peu 
avant  le  jour  ;  on  y  voyait  des  flagellants  ;  des  hommes 
dont  les  bras  étendus  en  croix  étaient  liés  le  long 
d'une  barre  de  fer  appliquée  sur  la  nuque;  d'autres 
<pi  étaient  vêtus  d'une  sorte  de  pantalon,  veste  et 
bonnet  composés  d'enroulements  de  tresses  de  sparte , 
et  une  foule  d'autres  pieuses  momeries  tout  aussi  dé- 
goûtantes. Dans  la  matinée  du  joiu*  de  Pâques  on  fait 
une  autre  procession,  qui  n  a  de  remarquable  que  trois 

'  Le  détail  de  toutes  ces  cérémonies  ne  pouvant  trouver  place  ici , 
^^^en  parlerons  amplement  dans  un  travail  spécialement  consacré 
«  «les  recherches  sur  les  mœurs  et  les  usages  du  Roussillon. 


i.x  INTRODUCTION, 

révérences  (\uk  certains  lieux  marqués  les  porteurs 
(le  la  statue  de  la  Vierge  font  faire  à  cette  statue  devant 
<'cl]e  du  Christ  ressuscité  ou  devant  le  saint  sacrement. 


DES     GITÂNOS. 


En  terminant  cette  introduction  nous  ne  devons 
pas  omettre  de  mentionner  une  classe  d*individus 
que  Télranger  arrivant  en  Roussillon  y  voit  avec  éton- 
nement,  et  qui  est  remarquable  par  la  légèreté  de  son 
costume  autant  que  par  la  couleur  de  sa  peau  indi- 
quant ime  race  transplantée  :  ce  sont  les  gitanos  on 
Bohémiens. 

La  race  des  gitanos ,  étrangère  à  la  Catalogne  et  nu 
Roussillon,  où  elle  se  trouve  en  permanence,  paiiie 
domiciliée  dans  les  principales  villes ,  partie  se  dépla- 
isant sans  cesse  et  n ayant  aucun  établissement  fixe,  ni 
feu,  ni  lieu,  nest  autre  que  celle  dont  la  première 
apparition  en  France  et  dans  le  midi  de  l'Europe  fut 
signalée  par  les  écrivains  du  xv"  siècle. 

Induit  en  erreur  par  quelques  rapprochements 
inexacts  nous  avions  avancé  autrefois  *  que  les  gitanos 
étaient  les  descendants  proscrits  des  anciens  Mauivs, 
foivês  par  le  sort  des  armes  de  tomber  dans  les  fers 
de  ceux  qu'ils  avaient  subjugués,  et  qu'ils  n  avaient  de 
commun  avec  cette  caste  vagabonde,  dite  des  Bohé- 
miens, que  leui>  vices,  leur  propension  au  vol,  leur 

'   Hrrm  /w>»ivN«^[r .  jinuee  1811. 


INTRODUCTION.  cixi 

habitude  de  prédire  la  bonne  aventure  par  la  chiro- 
mancie, leurs  maraudages  et  leur  dégoûtante  saleté. 
Des  documents  que  nous  n  avions  pas  eus  alors  nous 
ont  convaincu  depuis  que  les  gitanos  n  avaient  pas 
plus  de  rapport  avec  TArabe  implanté  dans  la  pénin- 
sule, qu'avec  la  population  originaire  de  ces  mêmes 
contrées.  La  différence  de  fdiation  entre  les  gitanos 
et  les  Morisqucs  est  complètement  établie  par  la  date 
de  l'expulsion  des  derniers  et  par  celle  des  premières 
ordonnances  rendues  contre  la  caste  vagabonde,  an- 
térieures de  quatre-vingt-sept  ans  à  Tédit  d* expulsion. 
L'annaliste  de  Catalogne  Féliu  de  la  Pena  y  Pareil 
nous  indique  même  1*  époque  précise  de  Tarrivée  des 
premiers  gitanos  en  Catalogne ,  qui  eut  lieu  trente  ans 
après  leur  apparition  en  France.  «Le  1 1  juin  i/idy, 
«dit cet  écrivain,  entrèrent  dans  Barcelone  un  duc, 
«un  comte  et  un  grand  nombre  d'Égyptiens  quon  ap- 
«  pelait  gitanos,   se  retirant  de  la  province  occupée 
«par  les  mahométans  afm  de  conserver  la  foi  :  ils  se 
«divisèrent  en  Espagne,  et  deux  descendent  les  gi- 
«tanos.  » 

Lorsque,  chassés  de  partout  et  traqués  même  en  fis- 
pagne  comme  des  bêtes  féroces,  ces  hommes  d'ori- 
gine inconnue ,  désignés  sous  les  noms  de  Bohémiens, 
de  gypsies ,  de  zingari  ou  gitanos,  lurent  contraints  de 
chercher  un  abri  dans  les  antres  des  animaux  dange- 
reux auxquels  on  les  assimilait,  la  facilité  de  se  cacher 
dans  les  montagnes  les  multiplia  dans  les  Pyrénées 


c.xii  INTRODUCTION. 

catalanes,  qui  devinrent  en  quelque  sorte  leur  patrie: 
c'est  de  là  qu  ils  font  des  excursions  dans  les  pays  voi- 
sins, surtout  à  répoque  des  foires.  Les  gitanos  no 
mades,  qui  sont  en  quelque  manière  la  race  pure, 
vont  et  viennent  de  Catalogne  en  Roussillon  par 
bandes  ou  tribus  composées  d  un  nombre  plus  ou 
moins  grand  d'individus  de  tout  âge  et  de  tout  sexe, 
remarquables  par  leur  horrible  saleté,  leur  dégue- 
nillage,  le  dévergondage  des  femmes,  et,  ce  qui  ins- 
pire le  plus  d'horreur,  par  la  facilité  de  leur  appétit, 
qui  s'accommode  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  immonde 
et  de  plus  repoussant.  Jamais  embarrassés  de  leur 
gîte,  une  masure  abandonnée,  une  arche  de  pont 
sans  eau  sont  leurs  stations  ordinaires  :  leur  vie  est 
un  bivouac  continuel.  A  peine  la  tribu  a-t-elle  fait 
halte  que  les  femmes  se  répandent  dans  les  rues  de  la 
ville  ou  du  village  auprès  duquel  elle  s'est  arrêtée  pour 
acheter  des  provisions  et  tâcher  de  faire  des  dupes; 
les  enfants,  nus  et  couverts  de  crasse,  obsèdent  les 
passants  pour  leur  arracher  quelque  aumône,  et  les 
hommes  cherchent  à  vendre  ou  k  échanger  quelques 
ânes  ou  mulets  dont  l'origine  entre  leurs  mains  est 
toujours  suspecte  :  le  maquignonnage  et  la  tonte  des 
bêtes  de  somme  sont  toute  leur  industrie. 

Partout  où  passe  une  bande  de  gitanos  la  surveil- 
lance des  fermiers  et  des  villageois  aussi  bien  que  des 
marchands  est  alerte  pour  préserver  de  leur  rapine 
les  basses-cours,  les  jardins,  les  vergers  ou  les  bou- 


INTRODUCTION.  cxiii 

tiques.  Adroits  à  voler  les  montures  de  toute  espèce , 
ib  n  ont  pas  moins  d'adresse  à  les  déguiser  ensuite 
pour  les  rendre  méconnaissables  aux  yeux  mêmes  de 
ceux  à  qui  ils  les  ont  enlevées  ^ 

Le  physique  dugîtano  est  une  peau  enfumée,  des 
dieveux  lisses  et  plats ,  des  traits  fortement  modelés  : 
grande  bouche ,  nez  aquilin ,  angle  facial  point  diffé- 
rent de  celui  des  races  caucasiennes.  Sa  taille ,  géné- 
ralement au-dessus  de  la  moyenne,  est  bien  prise  et 
élancée.  Adroit,  leste,  robuste,  il  supporte  sans  peine 
toutes  les  intempéries  et  brave  toutes  les  saisons. 
Quoique  son  costume  ne  diffère  pas  de  celui  du  Ca- 
talan il  s*y  trouve  cependant  toujours  quelque  chose 
de  remarquable  :  son  pantalon  monte  sur  la  poitrine, 
son  gilet,  de  couleurs  toujours  brillantes,  descend  ra- 
rement de  plus  de  quatre  travers  de  doigt  au-dessous 
des  aisselles ,  parfois  même  il  n'a  pas  cette  longueur , 
sa  veste,  qui  n'est  guère  plus  longue,  est  ronde  et 
garnie  le  plus  souvent,  comme  le  pantalon,  de  passe- 
poils,  de  cordons  ou  de  lacets  disposés  avec  symétrie. 
Un  mouchoir  appliqué  en  bandeau  sur  son  front  et 
noué  derrière  la  tête ,  et  par-dessus  un  long  bonnet 
tombant  à  plat  sur  les  épaules  ou  relevé  sur  la  tête 
d'une  manière  toute  spéciale,  forment  sa  coiffure.  Une 
ceinture  de  soie  ou  de  laine,  cramoisie  ou  noire, 

^  Voyei  dans  la  nouvelle  de  la  Gitanilla  de  Cervantes  la  manière 
drat  cet  admirable  peintre  de  mœurs  a  rendu  la  vie  et  les  habitudes 
^gitanos. 

1.  h 


cxiv  INTRODUCTION. 

s'enroule  autour  de  ses  reins,  et  à  cette  ceinture 
sont  suspendus  les  instruments  de  son  industrie  :  des 
ciseaux  de  diverses  grandeurs,  dont  les  principaux,  à 
lame  très-longue  et  large,  sont  arqués  d'une  façon 
particulière  et  tous  enfermés  dans  un  étui  commun,  fait 
pjï  forme  de  gaine  de  pistolets  d'arçon  ;  des  morailles , 
cordes  et  autres  ustensiles  semblables.  Les  fenmaes, 
dont  les  cheveux  sont  toujours  en  désordre,  se  cou- 
vrent la  tête  d*un  ample  ficbu  noué  sous  le  menton; 
leur  corset,  de  drap,  de  velours,  de  coton  ou  de 
nankin,  à  mancb  es  justes  et  à  longue  taille,  est  lacé 
sur  le  devant ,  et  le  jupon  est  garni  de  découpures  ou 
bordé  d'un  ruban  de  couleur  bien  tranchée  avec  celle 
du  vêtement. 

Les  gitanos  domiciliés  sont  un  peu  moins  dégue- 
nillés que  leurs  compagnons  nomades;  mais  toujours 
une  excessive  saleté  est  le  cachet  de  la  race.  Leurs 
fenunes  ont  un  peu  mieux  que  des  haillons ,  quelques- 
unes  arrivent  même  jusqu'à  une  mise  décente;  mais 
toujours  encore  dans  ces  vêtements  et  dans  la  ma- 
nière de  les  porter  on  voit  quelque  chose  qui  tient  è 
la  caste  et  qui  les  ferait  reconnaître  indépendamment 
de  tous  les  caractères  particuliers  à  leur  espèce. 


PREMIÈRE  PARTIE. 


HISTOIRE 


DB 


ROUSSILLON 


LIVRE  PREMIER. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Annîbal  traverse  les  Pyrénées.  —  Chefs  gaulois  dans  Ruscino. 
— Ambassadeurs  romains  à  Ruscino.  —  Pompée  et  César.  — 
EtaUissement  des  Goths.  —  Expédition  de  Wamba.  —  Prise 
de  livia,  les  Qusas ,  Sordonia.  —  Villa  Godoram. 

Uhistoire   de  Roussiilon,   proprement  dite,   ne 

commence  véritablement  qu*au  moment'  où  les  mar- 

dies  d^Espagne  se  trouvant  délivrées  du  joug  des 

musulmans,  Tancien  pays  des  Sordones  fut  constitué 

en  comté  particulier,  sous  un  nom  emprunté  à  celui 

de  la  ville  qui  en  était  le  chef-lieu ,  et  devint  bientôt 

un  petit  état  souverain  et  indépendant,   autant  du 

moins  que  pouvait  Têtre  une  portion  de  territoire 
I.  1 


Avant 
JcMM-Chmi» 


2  LIVRE  PREMIER. 

que  ]e  lien  féodal  retenait  sous  la  suzeraineté  d*un 
autre  territoire  de  qui  il  recevait  indirectement  la 
loi.  Tout  ce  qui  s'est  passé  avant  cette  époque  rentre 
donc  dans  le  domaine  de  l'histoire  générale.  Mais  la 
connaissance  de  ces  faits  étant  un  préidable  nécessaire 
à  la  narration  des  événements  qui  composent  This- 
toire  locale ,  nous  allons  remonter  dans  les  fastes  de 
ce  pays  aussi  haut  que  les  souvenirs  écrits  peuvent 
atteindre. 

Nous  avons  déjà  dit  ce  que  (ut  la  terre  de  Rous- 
si8.  sillon  sous  les  Gaulois,  et  quels  peuples  Thabitaient. 
Ce  quon  sait  des  annales  de  ces  temps  reculés  se 
réduit  à  fort  peu  de  chose.  Le  passage  d*Ânnibal  k 
travers  ces  contrées  est  l'événement  le  plus  ancien 
dont  la  mémoire  se  soit  conservée,  et  ce  souvenir 
est  borné  lui-même  à  un  très-petit  nombre  de  faits. 
Le  point  précis  où  le  gr^nd  capitaine  de  l'antiquité 
effectua  le  passage  des  Pyrénées  est  encore  im  mys- 
tère. Trois  défdés  se  présentaient  à  lui  pour  opérer 
cette  traversée,  qui  pouvait  être  périlleuse  si  les  po- 
pulations lui  avaient  été  hostiles  :  c'étaient  les  cols 
de  Banyuls  \  de  la  Massane  et  du  Pertus.  De  ces  troij 
défilés,  qui  tous  débouchent  sur  Illiberis,  oùTite-Livc 
nous  montre  l'assiette  du  camp  carthaginois»  le  se 
cond  seid  nous  semble  avoir  dû  obtenir  la  préfé 

^  Nous  conserverons  aux  noms  de  lieu,  le  plus  possible,  leur  véri 
table  orthographe.  Ce  mot  Banyuh  est  écrit  vicieusement  Baignols  oi 
ikigmdsp  parce  qu  en  catalan  ny  équivaut  à  la  n  (egne)  des  Espagnob. 


CHAPITRE  PREMIER.  5 

rence.  D'après  ce  que  rhistorien  romain  nous  fait 
connaître  de  ses  dispositions  de  marche ,  Ânnibsd  ne 
voulait  pas  s*écarter  de  la  mer,  afin  de  se  tenir  cens* 
tamment  à  portée  de  sa  flotte  qui  la  côtoyait.  Quoi- 
que le  col  du  Pertus  ne  l'en  éloignât  pas  beaucoup , 
ceux  de  Banyuis  et  de  la  Massane  en  étaient  encore 
plus  rapprochés.  Mais  le  premier  n*était  qu'un  sentier 
impraticable  pour  une  armée  qui  avait  avec  elle  des 
éléphants;  le  second,  au  contraire,  présentait  une 
route  abordable ,  et  au  moins  aussi  facile  que  celle  du 
Pertos,  qui  n'était  point  alors  ce  qu'on  la  fit  depuis. 
Le  soin  que  prirent  plus  tard  les  Romains  de  cons- 
truire dans  ce  défUé  un  casteUum  que ,  sous  le  nom 
de  VuUararia,  nous  savons  avoir  été  gardé  à  certaine 
époque  par  des  détachements  des  Decumani  de  Nar- 
Inmne,  atteste  que  la  route  du  col  de  la  Massane  était 
accessible  aux  armées. 

Annibal,  brûlant  du  désir  de  faire  la  guerre  aux 
Romains,  avait  pris  et  ruiné,  en  pleine  paix,  la  ville 
de  Sagonte,  alliée  de  la  république,  et  le  sénat  de 
Rome  avait  envoyé  à  Garthage  des  ambassadeurs  pour 
demander,  en  réparation  de  cette  insulte ,  qu'on  leur 
Uyrit  le  général  coupable,  ou  pour  déclarer  la  guerre 
û  cette  satisfaction  était  refusée.  Ce  dernier  parti 
ayant  été  préféré ,  les  ambassadeurs  romains  s'étaient 
rendus  de  Garthage  en  Espagne  potu*  solliciter  l'al- 
liance des  habitants  de  la  rive  gauche  de  TËbre,  qui 

^  seraient  ainsi  opposés  au  passage  d' Annibal  mena- 

1. 


li  LIVRE  PREMIER. 

çant  ritalie;  mais  la  catastrophe  de  Sagonte,  délaissée 
par  Rome  dans  son  pressant  danger,  n*était  pas  de 
nature  à  faire  écouter  favorablement  les  propociitions 
du  sénat. 

Refusés  par  les  peuples  d*Espagne ,  les  envoyés  de 
Rome  étaient  venus  faire  la  même  tentative  auprès 
des  Gaulois  voisins  des  Pyrénées.  Les  che&  de  ces 
peuplades  étaient  en  ce  moment  réunis  à  Rusdno.  En 
se  présentant  devant  leur  assemblée,  les  Romains  ne 
purent  se  défendre  de  quelque  inquiétude  à  la  vue  de 
tous  ces  princes  couverts  de  leurs  armes,  suivant  fii- 
sage  de  la  nation.  Bientôt  rassurés,  ils  exposent  leur 
message  ;  mais  à  peine  ont-ils  cessé  de  parler,  qu*un 
nouvel  incident  vient  déconcerter  leur  gravité.  Ac- 
coutumés à  ËEiire  la  guerre  pour  eux  et  par  eux-mêmes, 
ces  chefs  gaulois  n*avaient  pu  entendre  sérieusement 
des  étrangers  les  engager  à  se  battre  pour  leur  compte, 
et  à  faire  ravager  leurs  propres  terres  pour  épargner 
celles  de  la  république  qui  en  étaient  très-loin.  Quand 
les  plus  âgés  de  ces  chefs  eurent  réprimé  cet  accès  de 
gaieté  de  la  part  des  plus  jeunes,  celui  qui  présidait 
rassemblée  répondit  aux  Romains  que ,  n*ayant  reçu 
ni  bienfaits  de  la  part  de  ceux  qui  les  envoyaient,  ni 
injure  de  la  part  des  Carthaginois,  il  ne  leur  conve- 
nait pas  de  prendre  les  armes  en  faveur  des  uns  au 
préjudice  des  autres;  qu*au  reste,  les  mauvais  traite- 
ments que  les  Romains  faisaient  éprouver  à  ceux  des 
Gaulois,  leurs  compatriotes,  qui  étaient  en  Italie, 


CHAPITRE  PREMIER.  5 

n'étaient  pas  un  motif  qui  pût  les  déterminer  à  épouser 
leur  querelle. 

Annibal,  quittant  les  bords  de  TEbre  pour  aller 
combattre  sur  leurs  propres  terres  les  implacables  et 
éternels  ennemis  de  son  pays,  avait  chargé  Hannon, 
nommé  par  lui  commandant,  en  son  absence,  des 
cantons  espagnols  qu'il  avait  à  traverser,  de  se  porter 
en  avant  avec  ses  dix  mflle  fantassins  et  ses  mille  che- 
vaux pour  occuper  les  passages  des  montagnes.  Après 
avoir  franchi  ces  défilés  avec  le  reste  de  son  armée, 
qui,  par  la  désertion  des  Carpetard  et  le  congé  donné 
aux  Geltibériens ,  qu'eOrayaient  les  périls  de  l'entre- 
prise ,  se  trouvait  réduite  à  cinquante  mâle  fantassins, 
neuf  mille  chevaux  et  trente-sept  éléphants,  le  grand 
capitaine  vint  déployer  son  camp  sous  lUiberis,  ville 
alors  grande  et  opulente.  De  là  il  envoya  aux  chefs  des 
peuplades  gauloises,  toujours  réunis  à  Ruscino,  et 
avec  qui  il  était  déjà  en  rapport^,  des  députés  chargés 
de  réclamer  poiu*  lui  la  liberté  du  passage.  Ces  chefe , 
déjà  peu  disposés  à  s'opposer  de  vive  force  aux  pro- 
grès de  l'armée  africaine ,  et  qui  n'aiu*aient  pu  le  faire 
avec  quelque  avantage,  lorsque,  sans  défendre  les 
gorges  de  leurs  montagnes,  seul  poste  où  ils  pou- 
vaient lutter  avec  supériorité,  ils  avaient  laissé  ces 
étrangers  s'établir  dans  la  plaine  avec  toutes  leurs 
forces ,  séduits  d'aiUeurs  par  les  présents  que  l'adroit 
Carthaginois  avait  eu  soin  de  leur  faire  distribuer  d'a- 
vance ,  se  rendirent  dans  son  camp  et  le  traitèrent  en 


6  LIVRE  PREMIER. 

ami.  Assuré  de  la  neutralité  des  Bebryces  et  desVolces, 
Ânnibal  s'avança  rapidement  vers  le  Rhône ,  où  Tat- 
tendaient  de  tout  autres  dispositions.  Là ,  lès  Romains 
plus  connus  qu'au  pied  des  Pyrénées ,  et  qui  avaient 
des  alliés  dans  les  Phocéens  de  Marseille,  avaient 
trouvé  confiance  et  bon  accueil ,  et  une  armée  gallo- 
romaine  s'était  portée  sur  les  rives  du  fleuve.  Les 
détails  de  cette  mémorable  campagne,  totalement 
étrangers  à  la  province  de  Roussillon  et  d'ailleurs 
trop  connus  de  tous  les  lecteurs,  nous  dispensent  de 
pousser  plus  loin  le  récit  de  cette  célèbre  expédition. 
Depuis  longtemps  les  Romains  nourrissaient  le 
désir  de  s'établir  dans  les  Gaules,  quand  la  jalousie 
des  Saluvii,  qui  habitaient  une  partie  de  la  Provence, 
contre  les  Phocéens  de  Marseille ,  vint  leur  en  fournir 
l'occasion  et  les  moyens.  Déjà,  vingt-neuf  ans  aupa- 
ravant, les  Marseillais  avaient  appelé  une  première 
fois  à  leur  secours  les  armes  du  Capitole.  Appelés  de 
nouveau  en  l'an  627  de  Rome,  les  Romains  ne  se 
contentèrent  plus  d'aider  leurs  alliés,  ils  jetèrent, 
dans  le  voisinage  même  de  Marseille,  les  fondements 
de  lem*  puissance  dans  les  Gaules  :  le  consul  Sextius 
bâtit  Ja  ville  d'Aix,  et  Rome  travailla  à  se  former  une 
province  qui,  en  trois  ans,  s'étendit  jusqu'aux  Pyré- 
nées. En  effet,  pendant  que  Fabius  battait  les  Auver- 
gnats, Domitius  traversait  le  Rhône  et  obtenait  la 
soumission  des  divers  peuples  du  bas  Languedoc. 
Tous  les  pays,  depuis  les  Alpes  jusqu'aux  Pyrénées, 


Avaot 


118. 


CHAPITRE  PREMIER.  7 

subirent  le  joug  de  ces  deux  Romains  ;  et  ceux-ci  éter- 
nisèrent ie  souvenir  de  leurs  conquêtes  par  un  trophée 
élevé  sur  le  sommet  des  AJpes  :  ce  fut  alors  pour  la 
première  fois  quon  vit  ie  vainqueiu*  insulter  au  mal-        lai. 
heur  des  vaincus  ^. 

Pour  contenir  les  peuples  nouvellement  acquis  à 
la  république,  le  sénat  avait  décidé  rétablissement 
d'une  colonie  qui ,  par  sa  position ,  pût  en  même 
temps  protéger  le  passage  des  troupes  en  Espagne  et 
&voriser  iasservissement  de  cette  péninsule.  La  ville 
gauloise  de  Narbo  paraissant  offrir  au  plus  haut  de- 
gré ce  double  avantage ,  Toraleur  Lucius  Crassus  fut 
chargé  d*y  conduire  des  habitants.  Cette  colonie, 
que  Gicéron  appelle  la  sentinelle  du  peuple  romain , 
est  la  première  que  le  sénat  ait  fondée  au  delà  des 
Alpes. 

Les  Romains  étaient  à  peine  établis  dans  les  Gaules, 
quand  les  Cimbres  foulèrent  leur  sol  pour  se  rendre  jos. 
en  Espagne.  La  partie  de  la  province  romaine  qu'ha- 
bitaient les  Sordones,  ancêtres  des  Roussillonnais , 
ravagée  par  le  premier  passage  de  ces  barbares,  eut 
encore  à  souffrir  de  leur  retour,  quand,  battus  par 
M.  Fidvinus  et  les  Celtibériens ,  ils  furent  contraints 
de  repasser  les  Pyrénées  pour  aller  se  faire  exter- 
miner par  Marins. 

Pompée  traversa  à  son  tour  le  pays  des  Sordones  à 

'  Nunquain populus  romanus  hostibus  devictis  victoriam  suam 

aprolvavit.  L,  M,  Ftori  HisL  111,  a. 


190. 


8  LIVRE  PREMIER. 

ATant  la  poursuite  de  Sertorius.  En  retournant  en  Italie, 
ce  Romain  fit  ériger  un  trophée  de  se»  victoires  au 
sommet  d*une  colline  qui  domine  le  passage  des  Py- 
rénées :  ce  trophée  consistait  en  une  tour  carrée  qui 
pouvait  être  aperçue  facilement  de  i*Âmpourdan  et 
flu  Roussillon.  César  passa  lui-même  par  le  Rous- 
sillon  quelque  temps  après,  et,  ne  voulant  le  céder 
en  rien  à  son  rival ,  il  fit  aussi  construire  un  monu- 
ment sur  ces  montagnes.  Mais  le  blâme  qu'avait  en- 
couru Pompée  pour  avoir  qualifié  de  trophée  un 
monument  de  déplorable  souvenir,  puisqu'il  se  rap- 
portait à  des  triomphes  remportés  sur  des  conci- 
toyens au  milieu  dune  guerre  civile,  porta  son  vain- 
queur k  donner  au  sien  le  nom  plus  modeste  d*ara, 
aire  ou  autel. 

Pendant  toute  la  durée  de  l'empire  romain,  le 
Roussillon  suivit  les  mouvements  que  Narbonne  im- 
primait à  cette  partie  des  Gaules  dont  elle  était  la 
capitale;  il  dut  aussi  recevoir  les  lumières  du  chris- 
tianisme vers  le  même  temps  que  cette  ville ,  où  elles 
pénétrèrent  sous  le  règne  de  Néron. 
A,  Le  pays  des  Sordones ,  qui  prit  le  nom  de  diocèse 

de  jé>a»  cbrui.  j'Eluc  lors  dc  la  nouvelle  division  des  territoires  an- 
671. 

tiques  en  arrondissements  épiscopaux,  eut  pour  pre- 
mier évêque  Domnus,  qui  vivait  en  Syi  :  c'est  du 
moins ,  comme  l'observe  Marca ,  le  premier  dont  on 
ait  une  connaissance  bien  certaine. 

Suivant  ce   qui  se  pratiquait  généralement  dans 


CHAPITRE  PREMIER.  9 

tous  les  cantcms  qai  avaient  formé  un  peuple  parti- 
calier,  le  $i^e  épiscopal  des  Sordones  aurait  dû  être 
placé  à  Ruscino ,  chef-lieu  de  ce  pays  ;  mais ,  tout  en 
donnant  au  territoire  le  nom  de  pagus  rascinonensisy 
emprunté  à  celui  de  ce  chef4ieu ,  Tévèché  (ut  trans* 
féré  à  Elne,  sans  doute  en  mémoire  d'Hélène ,  mère 
de  Constantin,  dont  les  petits -fils  avaient  tiré  des 
ruines  dlUiberis  un  castrwn  auquel  ils  avaient  donné 
le  nom  de  leur  aïeule  ^.  Du  reste ,  la  cathédrale 
d'Elne  portait  le  titré  A'eccksia  rascinonensis  ou  ros- 
soUonensUp  tout  comme,  dans  une  charte  du  roi  Eu- 
des, de  889,  le  comté  de  Roussillon  est  appelé  comi- 
ttttas  elenensis.  Au  concile  de  Thusi,  Tévêque  d'Elne, 
Audesinde,  signa  A.  RoêceUensium  episcopus  :  c*est  cette 
circonstance  qui  a  fait  croire  à  quelques  écrivains 
qu*il  y  avait  eu  des  évêques  à  Ruscino. 

Le  Roussillon ,  possédé  pendant  les  premiers  siè- 
cles de  l'ère  chrétienne  par  les  Romains,  fut  tour  à 
tour  saccagé  par  les  hordes  harbares  qui  se  succé- 
dèrent à  des  intervalles  si  rapprochés.  Les  Vandales 
y  pénétrèrent  en  ilo8  en  se  rendant  en  Espagne.  Leurs       *^* 

'  Marca  exjdique  ce  déplacement  insolite  du  siège  épiscopal,  en  sup- 
posant ({ne  Ruscino  aurait  été  détruit  par  les  Vandales;  mais  si  cela  fut 
r^Uement,  E^ne  ne  fut  pas  plus  épargné.  Ce  prélat  ajoute  qu^Elne  dut 
être  rétabli  ensuite;  mais  on  doit  en  dire  autant  de  Ruscino,  qui  exis- 
tait encore  postérieurement  à  cette  époque,  et  qui,  de  Taveu  du  savant 
pràât,  fut  complètement  ruiné  en  85g,  époque  où  commença  le  coê- 
tnun  nucinonense.  Ainsi,  les  circonstances  ayant  été  les  mêmes  pour  les 
deux  villes,  il  faut  nécessairement  chercher  une  autre  cause  au  dépla- 
cement de  Tévèché. 


6^i 


10  LIVRE  PREMIER, 

bandes  ii*ayant  pu  traverser  les  Pyrénées,  trop  bien 
gardés  par  Didyme  et  Vérînien ,  refluèrent  dans  la 
Narbonnaise,  qui  fut  exposée  à  leurs  ravages  jusqu'à 
Tannée  suivante ,  où  elles  parvinrent  enfin  à  forcer  la 
barrière  des  monts  du  côté  de  la  Navarre.  Soustrait 
ensuite  à  Tentière  domination  des  Romains  par  les 
Wisigoths,  le  diocèse  d*Ëlne  fut  incorporé  dans  le 
royaume  de  Gallo-Gothie  avec  la  partie  du  Languedoc 
qui  avait  résisté  aux  armes  de  Clovis. 

L'empire  des  Wisigoths,  ou  simplement  des  Goths, 
comprenait  six  vastes  provinces,  dont  cinq,  au  deii 
des  Pyrénées,  formées  parTEspagne,  qu'ils  avaient 
envahie  ;  la  sixième  en  deçà  portant  le  nom  de  Septî- 
manie.  Une  révolte  ayant  éclaté  dans  celle-ci^  Wamba, 
monté  sur  le  trône  Tan  678,  envoya  poiu:  la  corn* 
primer  un  seigneur  de  sa  cour,  parent  du  roi  son  pré- 
décesseur, et  dont  le  nom  de  Flavius  Paulus  décèle 
une  origine  romaine.  Ce  Paulus,  auquel  on  ne  con* 
naissait  aucun  sujet  de  plainte  ou  de  mécontentement, 
loin  de  remplir  lobjet  de  sa  mission ,  se  mit  à  la  tête 
des  révoltés,  souleva  la  Tarragonaise,  et  s'empara 
de  Barcelone,  de  Girone,  de  Vie,  alors  nommé  Au- 
sone,  et  de  Narbonne.  S'étant  fait  déclarer  roi  d'Orient 
par  les  rebelles ,  il  écrivit  à  Wamba  qu'il  ne  qualifiait 
que  roi  d'Occident  une  lettre  pleine  de  jactance  et  de 
forfanterie  ^. 

Wamba,  parti  de  Tolède,  capitale  de  son  empire, 

'  Apud  scriptorcs  rerum  frauc. 


CHAPITRE   PREMIER.  11 

pour  Tenir  châtier  Tinsolent  qui  répondait  à  sa  con- 
fiance par  une  perfidie,  marche  rapidement  6ur  Tar- 
ragone  ^  od  il  entre  de  vive  force ,  reprend  Barcelone, 
et  se  dispose  à  passer  dans  les  Gaides*  Pour  traverser 
[dus  Êicilement  les  Pyrénées  et  agir  stu*  piusieiurs 
points  k  la  fois ,  il  divise  son  armée  en  trois  corps. 
Le  premier,  conduit  par  Didier,  neveu  du  roi  et  com- 
mandant de  la  Narbonnaise  avant  la  révolte ,  pénètre 
par  la  Cerdagne  et  se  rend  maître  de  Castrum  Libym 
(Livia),  mdgré  la  résistance  d'Yacinthe,  évêque 
d*Urgel ,  et  d*Âraugiscle ,  général  de  Paul  ;  de  là  il  se 
jeta  dans  la  vallée  de  Garol  et  alla  attaquer  Sordonia 
(la  tour  Cerdane),  que  défendait  Witimir.  Le  second 
corps,  sous  les  ordres  de  Wamba  lui-même,  passa 
par  le  diocèse  d*Âusone ,  d*où  il  s'avança  vers  le  col  du 
Pertus.  Ce  corps ,  partagé  en  deux  divisions ,  attaqua 
à  la  fois  les  deux  châteaux  des  Clausuras  (haute  et 
basse  Cluse),  qui  furent  emportés  d'emblée.  Rano* 
onde  et  Hildigise,  le  premier,  duc  de  la  Tarragonaîse, 
l'autre ,  général  de  Paul ,  qui  commandaient  ces  châ- 
teaux, furent  conduits  à  Wamba  les  mains  liées  der- 
rière le  dos.  Le  troisième  corps  entra  par  le  coi  de 
la  Massane ,  attaqua  et  prit  le  château  de  Vulturaria 
(Ultrera),  et  de  là  descendit  à  Caucoliberis  (Collioure), 
qu'il  eideva  aussi  de  vive  force.  Pendant  ce  temps  le 
premier  corps,  qui  venait  de  forcer  Livia,  se  dispo- 
sait à  attaquer  Sordonia ,  où  Witimir  avait  annoncé 
devoir  faire  une  vigoureuse  résistance  ;  mais  ce  gé- 


12  LIVRE  PREMIER. 

néral  ayant  appris  la  chute  des  Clausuras  fut  saisi 
d une  telle  épouvante ,  qu*il  séchappa  secrètement  de 
son  château  et  courut  rejoindre  Paul  i  Narbonne. 

Arrivé  dans  la  plaine  du  Roussillon,  Wamba  s*y 
reposa  deux  jours  pour  donner  à  ses  deux  corps  d'ar- 
mée le  temps  de  venir  le  rejoindre;  et,  après  avoir 
partagé  entre  ses  soldats  le  butin  fait  dans  les  châ- 
teaux emportés  de  vive  force ,  il  fit  partir  un  fort  dé- 
tachement pour  aller  entamer  le  siège  de  Narbonne. 
A  Tapparition  des  troupes  royales,  Paul,  aussi  lâche 
qu'arrogant ,  se  hâta  de  fuir  à  Nîmes,  où  il  se  barri* 
cada  dans  les  arènes.  Les  rebelles ,  voyant  qu'ils  n'a- 
vaient plus  de  ressource  que  dans  la  clémence  du 
vainqueur,  la  firent  implorer  par  Ârgebaud,  évèque 
de  Narbonne ,  qui  sollicita  et  obtint  leur  grâce.  Paul , 
redevable  de  la  vie  à  ceux  qui  devaient  le  juger,  eut 
les  cheveux  coupés  et  fut  emmené  à  Tolède  chargé 
de  chaînes. 

Wamba  séjourna  encore  deux  jours  à  Elne  à  son 
retour  de  Nîmes,  et  il  s'y  occupa  de  régler  les  limites 
des  diocèses  de  la  Septimanie,  sujet  fréquent  de  di- 
visions entre  les  évêques.  Ces  diocèses  étaient  au 
nombre  de  huit  :  Narbonne ,  Agde ,  Bézîers ,  Mague- 
lonne,  Nîmes,  Lodève,  Carcassonne  et  Elne  ^.  Quel- 

^  La  province  de  Roussillon  se  composait  de  cent  quatre-vingt-huit 
paroisses,  dont  cent  quarante  seulement  appartenaient  au  diocèse 
d'Elnc;  celles  de  la  Gerdagne  étaient  du  diocèse  d'Urgel,  les  sept  du 
Gapcir  étaient  du  diocèse  d'ÂIcth  *,  Tautavel  et  Vingrau  appartenaient 
à  larchevéque  de  Narbonne;  enfin  les  abbayes  d'Arles  et  de  Saint-Michel 


CHAPITRE  PREMIER.  15 

ques  anciennes  notices  des  évèchés  d'Espagne  en  oni 
placé  un  à  CoUipure ,  mais  c'est  à  tort.  B  est  probable , 
comme  le  pense  Marca,  que  les  auteurs  de  ces  écrits 
ont  confondu  CaacoUberis  ou  Caac(hIUib$ris  ^  conmie 
on  voit  ce  nom  écrit  quelquefois,  avec  Eine  qui  n'a- 
vait pas  encore  entièrement  perdu  alors  son  nom 
d'Dliberis,  ainsi  que  l'attestent  les  tables  de  Peu- 
tinger. 

C'est  après  son  retour  de  cette  expédition  que 
Wamba  rendit  une  loi  qui  assujettissait  les  prêtres 
séculiers  à  prendre  les  armes  pour  la  défense  du  pays , 
quand  ils  seraient  convoqués  par  les  comtes.  Le  on- 
zième concile  de  Tolède  modifia  ensuite  cette  loi ,  de 
concert  avec  le  roi  Évei^ire. 

L'empire  des  Goths  sur  l'Espagne  et  la  Septimanie 
finit  avec  l'invasion  des  Arabes  en  l'an  7 1  a .  Sa  durée, 
depuis  le  moment  où  l'empereur  Honorius  fut  con- 
tramt  de  céder  à  ces  conquérants  la  partie  des  Gaules 
dans  laquelle  ils  s'étaient  établis ,  et  toute  l'Espagne , 
que  les  armes  romaines  ne  pouvaient  plus  reprendre , 
avait  donc  été  de  deux  cent  qifatre-vingt-quatorze  ans. 
Cest  dans  cet  intervalle,  mais  à  une  époque  tout 
i  fait  inconnue,  que  ces  peuples  fondèrent,  à  un 
Qullier  de  toises  de  Perpignan,  qui  n'existait  point 
encore  alors ,  un  bourg  dont  le  nom  de  Villa  Godorum 

tvaieot  juridictioii  épiscopale  sur  vingt  paroisses  du  Vallespir  et  du 
enflent.  Essais  tûstoriques  et  militaires  sur  la  province  de  RoassiUon, 


14  LIVRE   PREMIER. 

fut  changé  plus  tard  en  celui  de  MaUeolas  ^  :  ce  n*est 
plus  aujourd'hui  qu*un  quartier  où  s'aperçoivent  quel- 
ques ruines. 

Nous  ne  pouvons  citer  aucune  autre  fondation  de 
ce  peuple  dans  cette  province;  l'histoire  dé  cette 
époque  est  enveloppée  des  plus  épaisses  ténèbres, 
et  rien  ne  peut  aider  à  en  pénétrer  Tobscurité. 

'  Voyez  la  note  vi  à  la  fin  du  voltune. 


CHAPITRE  DEUXIEME.  15 


CHAPITRE  IL 

Invasion  des  Arabes. — Mort  de  Munuza  près  de  Hanez.  —  Jie 
RoussiUon  se  donne  à  Pépin.  — La  Cerdagne  délivrée  des 
Arabes.  —  Réfugiés  espagnols.  -^  La  marche  d'Espagne  di- 
visée en  comtés.  —  Titres  d*honneur.  —  Plaids  et  Champs- 
de-mai.  *-«  Création  d*abbayes. 

n  serait  tout  à  fait  superflu  de  parler  ici  des  causes 
de  Tinvasion  de  TEspagne  par  les  Arabes.  Maîtres  de 
la  péninsule ,  après  avoir  défait  les  Goths  et  tué  leur 
roi  Roderic,  ces  Africains  cherchèrent  à  s'étendre  dans 
la  Gaule,  et,  sous  la  conduite  d*Alahor  \  ils  se  présen- 
tèrent au  passage  des  Pyrénées.  Suivant  les  historiens 
arabes,  ils  les  auraient  franchis  et  seraient  parvenus 
jusqu'à  Nîmes;  suivant  les  écrivains  chrétiens,  au 
^^ntraire,  la  vigoureuse  résistance  qu'ils  auraient 
éprouvée  dans  ces  montagnes  les  aurait  forcés  de 

*  Al-haour  ben  Abdel-Rhaman  al-kaisi.  Voyez  i'Ârt  de  vérifier  les 
'laies.  Continuatioo,  3*  partie. 

Les  Occidentaux  n'ont  pas  moins  défî^oré  les  noms  arabes  que  les 

arabes  les  noms  chrétiens,  an  point  qu  il  est  souvent  diiEciie  d'établir 

^^ne  identité.  Il  n  est  pas  plus  facile  de  faire  concorder  lea  mêmes  ^vé- 

v^ements  rapportés  par  les  historiens  des  deux  peuples.  Voyez  VHistoria 

«le  la  dominacion  de  ïos  Arabes  en  Espaha,  par  J.  Ant.  Gonde,  5  vol.  in-4^ 

^830*1891.  Madrid.  Forcé  d^opter  entre  les  nns  ou  les  autres  de  ces 

^ittoriens  pour  le  petit  nombre  de  faits  qui  se  rattachent  à  notre  hift- 

%i>ire,  nous  croyons  devoir  suivre  de  préférence  les  écrivains  occiden- 

"taux,  puisque  la  discussion  des  faits,  pour  en  établir  la  concordance, 

4nctirait  du  cadre  dans  lequel  nous  devons  nous  restreindre. 


16  LIVRE   PREMIER, 

rentrer  dans  la  Tarragonaise ,  et  ce  n'aurait  été  que 
le  successeur  d*Alahor,  Zama  \  qui  aurait  pu  vaincre 
7*'*       cet  obstacle  trois  ans  après. 

En  pariant  de  cette  invasion  des  Arabes,  l'histoire 
ne  nous  la  peint  que  sous  les  couleurs  les  plus  lu- 
gubres. Le  nom  des  Arabes,  Maures  ou  Sarrasins,  ne 
se  montre  à  notre  esprit  qu  accompagné  de  toutes  les 
idées  d'épouvante  et  de  terreur;  il  y  effiice  ou  fidt  pâlir 
celui  des  Hims ,  des  Alains ,  de  tous  les  peuples  les 
plus  barbares  ;  notre  imagination ,  habituée  à  ne  voir 
ces  Africains  que  le  fer  d'une  main  et  la  torche  de 
l'autre ,  croit  ne  pouvoir  suivre  leurs  pas  qu'aux  traces 
du  sang  des  chrétiens  et  à  la  lueur  de  l'incendie  de 
leurs  églises.  Écrivant  sous  l'influence  de  la  diflSrence 
de  religion  au  moment  de  la  plus  grande  ferveur  pour 
le  catholicisme,  qui  n'était  généralement  répandu  dans 
toutes  les  Gaules  que  depuis  trois  siècles,  ces  chroni- 
queurs contemporains  ont  singulièrement  exagéré  les 
ravages  dont  ces  peuples  se  rendirent  coupables.  Les 
Arabes  ne  firent  pas  plus  que  n'avaient  fait  les  bar- 
bares ,  dont  le  passage  fut  une  calamité  pour  les  con- 
trées civilisées  par  les  Romains,  qui  étaient  chrétiennes 
comme  eux,  et  où  ils  éteignirent  toutes  les  connais- 
sances humaines.  A  cette  époque  déplorable  de  l'his- 
toire ,  les  guerres  étaient  toutes  terribles  et  les  inva- 
sions désastreuses.  Les  Arabes,  quelles  que  fiissent 
leurs  connaissances,  ne  différaient  nullement,  à  cet 

*  Al-Samah  beo  Melik  al-Khaulani.  Art  de  vérifier  U$  dates,  3*  partie. 


CHAPITRE   DEUXIÈME.  17 

égard,  des  autres  peuples ,  mais  il  est  constant  que  ceux 
qui  se  résignaient  à  leur  domination ,  et  le  nombre  en 
était  très-grand,  pouvaient  mettre  des  conditions  à 
leur  obéissance,  et  que  ces  conditions  étaient  fidèle- 
ment observées.  «Épargnez  les  peuples  désarmés  et 
«ceux  qui  vivront  en  paix  avec  vous;  réservez  vos 
«coups  pour  ceux  qui  feront  contre  vous. usage  de 
«leurs  armes;  gardez-vous  de  rien  enlever  à  Thabitant 
«des  campagnes,  mais  dans  les  villes  prises  d assaut 
«que  les  dépouilles  vous  appartiennent.»  Telles  fu- 
rent les  instructions  de  Tarie  à  ses  lieutenants  :  elles 
ne  décèlent  pas  le  sanguinaire  cbef  de  ce  qu*on  fait 
exprimer  au  mot  Sarrasins.  Les  chrétiens  des  pays 
conquis  conservèrent  leurs  lois ,  leurs  prêtres  et  leurs 
autels,  et  les  muzarabes  d*Espagne  sont  une  preuve 
de  la  protection  accordée  à  la  religion  des  vaincus. 
Des  chefs  arabes  eux-mêmes  ont  fait  des  règlements 
pour  la  juridiction  diocésaine  d*  églises  de  pays  soumis 
i  leur  domination  ^ 

Possesseurs  du  Roussillon  et  de  Narbonne ,  les  Ara- 
bes voulurent  pousser  leurs  conquêtes  dans  la  Septi- 
manie ,  qu'ils  tenaient  à  soumettre  en  entier  comme 
taisant  partie  de  l'empire  des  Goths,  dont  ils  voulaient 
s'approprier  tout  l'héritage.  L'un  de  leurs  généraux, 
Munuza^  commandant  une  armée  dans  les  montagnes 

'  Voyez  dans  Damet,  Historia  del  Regno  Balearico,  la  charte  d'Ali, 
P^Téglise  de  Dénia  :  elle  se  trouve  aussi  dans  Marca. 
*  Oihman-Ben  Abn-Nexa,  nommé  Munuxa  parles  Occidentaux. 

i.  1 


18  LIVRE   PREMIER. 

des  Pyrénées,  jaloux,  dit-on,  de  la  gloire  acquise  par 
rémir  d*Espagne  Âbd-Errahman-Ben  Abdalach  et  Ga- 
73o.  feki,  avait  conclu,  en  7 3o ,  une  trêve  avec  Eudes ,  duc 
d'Aquitaine,  dont  il  avait  épousé  la  fille  Lampegie, 
princesse  d*une  rare  beauté.  Munuza ,  ayant  reçu  de 
l'émir  Tordre  de  faire  une  nouvelle  irruption  chei  le» 
chrétiens ,  il  lui  répondit  que  la  trêve  signée  ne  lui 
permettait  pas  de  reprendre  les  hostilités.  Âbd-Errah- 
man,  apprenant  bientôt  les  liaisons  de  son  lieutenant 
avec  le  prince  chrétien ,  réitéra  l'ordre  de  fi*anchir  les 
frontières,  attendu  qu'une  trêve  signée  sans  sa  parti- 
cipation n'avait  pas  de  valeur,  et  Munusa ,  forcé 
d'obéir,  prévint  secrètement  son  beau-père  de  se  tenir 
sm'  ses  gardes.  Instruit  de  cette  trahison,  l'émir  en- 
voya contre  le  cheik  infidèle  un  corps  de  troupes  qui 
le  surprit  dans  Livia  \  lieu  de  sa  résidence ,  où  Mu- 
nuza voulut  se  défendre  jusqu'à  l'extrémité;  mais, 
manquant  bientôt  de  tout  dans  cette  place,  il  s'en 
échappa  pour  s'enfuir  vers  son  beau-père.  Gedhi-Ben 
Zeyan,  chargé  du  commandement  des  troupes  en- 
voyées contre  lui ,  le  fit  poursuivre  de  tous  les  côtés. 
Épuisé  de  fatigue  et  retardé  dans  sa  marche  pajr  sa 

*  Le  nom  que  les  Arabes  donnent  à  celle  ville  où  fut  surplis  Abu- 
Neza  est  Allah,  qui  signifie  la  Porte.  Coude  croit  que  c'était  Puycerda , 
mais  c'est  à  tort,  puisque  cette  derni^re  ville  ne  date  que  de  io5o  en- 
viron (voyez  Maira  liisiKin.).  Isidore  de  Badajos  la  nomme  Livia,  et 
Marca  pense  que  c'est  à  celte  occasion  que  l'ancienne  Livia,  qui  était 
sur  la  colline  au  pied  de  Inquelle  est  l)âlie  la  ville  moderne,  fut  dé- 
Iruite  par  les  Arabes.  On  voit  encore  ses  ruines  au  haut  de  cette  colline. 


CHAPITRE   DEUXIÈME.  19 

femme ,  qu'il  ne  voulait  pas  abandonner,  Munuza  s'é- 
tait arrêté  auprès  dune  fontaine,  quand  il  aperçut 
près  de  lui  les  soldats  de  Gedhi.  Abandonné  par  tous 
ses  serviteurs,  il  voulut  défendre  seul  sa  femme,  et       ^3,. 
tomba   accablé  par  le   nombre.  Nous  pensons  que 
cette  fontaine  était  celle  de  Planez ,  et  que  le  singulier 
monument  qu'on  voit  dans  ce  village  fut  le  tombeau 
d'Abu-Neza.  Planez  ne  se  trouve  pas  sur  la  route  de 
V Aquitaine.,  mais  on  doit  supposer  que  le  cheik,  qui, 
comme  le  dit  Vaissette,  connaissait  très*  bien  toutes 
œs  montagnes ,  dut  chercher  à  éviter,  par  un  détour, 
ks  soldats  de  Gedhi  et  à  gagner  la  Septimanie  par 
(Mette  et  le  Capcir.  Quant  au  monument  élevé  sur 
ses  restes  mutilés ,  Abd-Ërrahman ,  après  avoir  puni  le 
traître,  a  pu  faire  donner  à  ces  mêmes  restes  une  se- 
pidture  convenable  au  rang  du  cheik  :  un  pareU  fait 
n'a  rien  d'extraordinaire  de  la  part  des  musulmans. 
Lampegie  fut  envoyée  en  présent  au  calife,  à  Damas, 
a?ec  la  tête  de  son  époux. 

Âbd-Ërrahman  fut  battu  cette  même  année  par 
Charles  Martel,  près  de  Poitiers,  et  il  perdit  la  vie 
dans  la  mêlée.  Son  successeur,  Abd-el-Melic ,  chaîné  ^u. 
de  le  venger,  fut  écrasé  dans  les  Pyrénées.  Les  écri- 
vains arabes  ne  parlent  pas  d'une  irruption  qui ,  sui- 
vant les  chroniqueurs  chrétiens ,  eut  encore  lieu  vers 
cette  époque,  et  où  les  Maures,  après  avoir  pénétré 
jvistju'en  Bourgogne,  furent  repoussés  et  enfermés 
dans  Narbonne. 


20  LIVRE   PREMIER. 

Narbonne  était  Tunique  ville  qui  restât  aux  Arabes 
en  deçà  des  Pyrénées.  En  apprenantdie  danger  qui  la 
menaçait,  ils  lui  envoyèrent  d'Espagne  un  puissant  se- 
cours sous  la  conduite  d'Âmoros  ^  Celui-ci  embarque 
ses  troupes  sur  des  vaisseaux,  mais  ne  pouvant  pas 
opérer  une  descente  à  Tembouchure  de  TAude,  trop 
bien  gardée,  il  alla  prendre  terre  auprès  de  la  petite 
ville  de  La  Nouvelle,  et  de  là  il  se  porta  rapidement 
dans  une  vallée  des  Corbières ,  entre  Villefalse  et  Si- 
gean.  Charles  Martel,  qui  était  devant  Narbonne, 
n  eut  pas  plus  tôt  appris  Tar rivée  de  ce  secours  ennemi 
^3^,  qu'il  se  porta  à  sa  rencontre.  Les  deux  armées  se  me- 
surèrent; le  chef  des  Franks  tua  de  sa  propre  main  le 
chef  des  Arabes,  et  par  ce  coup  hardi  jeta  Tépou- 
vante  au  milieu  de  leurs  bandes.  La  déroute  fut  com- 
plète et  le  carnage  affreux;  le  vainqueur  poursuivait 
les  fuyards  jusque  dans  les  eaux  de  Tétang,  où  il  les 
perçait  de  dards  ou  les  tenait  enfoncés  dans  Teau 
pour  les  y  noyer  :  très-peu  parvinrent  à  sauver  leur 
vie^.  Cependant,  malgré  cette  victoire,  Narbonne  ne 
fut  pas  prise  :  cette  ville  ne  succomba  qu'après  un 

'  C'est  apparemment  Amer-Ben  Amru ,  émir  de  la  mer. 

*  Il  existe,  sur  la  rive  gauehe  de  la  petite  rivière  de  Berre,  À  la  sortie 
du  village  de  Portel,  un  assez  grand  nombre  de  tombeaux  presque  à 
fleur  de  terre,  construits  et  couverts  avec  des  dalles,  et  tous  orientés 
orient  et  occident.  Nous  supposons  que  ce  sont  ceux  des  principaux 
Arabes  qui  périront  dans  cette  aflaire,  et  que  leurs  compatriotes,  qui 
occupaient  ces  montagnes,  auront  enterrés  après  la  bataille.  Amer  ne 
fut  pas  tué,  comme  ravunccut  les  chroniqueurs  français,  puisquHl  se 
révolta  en  749. 


CHAPITRE  DEUXIÈME.  21 

l^locus  de  sept  ans,  et  par  le  concours  des  Goths  qui 
l^habitaient.  Ces  restes  de  l'ancienne  population  con- 
quérante ,  après  avoir  fait  leurs  conditions  avec  Pépin 
pour  conserver  leurs  lois  et  leurs  usages ,  égorgèrent 
les  Arabes  qui  formaient  la  garnison  de  la  ville,  et  en  7^9- 
ouvrirent  les  portes  au  roi  des  Franks. 

Le  RoussUlon  et  le  Gonflent  s'étaient  donnés  à  Pé- 
pin dès  le  temps  qu'il  faisait  le  siège  de  Narbonne  ^ 
Les  Goths,  les  Romains,  les  naturels  du  pays,  qui, 
tous  confondus  formaient  alors  la  population  roussil- 
lonnaise,  s'étaient  sans  doute  défaits  aussides  Arabes 
restés  au  milieu  d'eux,  de  sorte  que  par  la  reddition 
de  Narbonne  la  Septimanie  entière  se  trouva  acquise 
à  la  France;  mais,  ainsi  que  Ta  fort  judicieusement 
remarqué  le  savant  historien  du  Languedoc,  cette 
possession  n'était  pas,  pour  les  Franks,  un  droit  de 
conquête ,  elle  fut  uniquement  le  résultat  d'un  traité 
solennel,  suivant  lequel  le  peu  de  Goths  qui  occu- 
paient encore  les  charges  de  cette  province,  en  vertu 
de  la  cession  que  leur  en  avait  faite  jadis  l'empereur 
Honorius,  la  cédèrent  à  leur  tour  aux  Franks  qu'ils 
appelaient  à  leur  secours  ^.  C'est  à  cette  circonstance 
(jue  fut  due  la  continuation  de  l'usage  des  lois  wisî- 
gothes  dans  cette  partie  de  la  Septimanie ,  au  lieu  de 
l'assujettissement  au  droit  romain  comme  dans  toutes 
les  provinces  soumises  par  les  armes  des  Franks. 

'  Marcahisp.  pag.  34o. 

'  Hist.  gén.  de  Long.  VIII.  47. 


22  LIVRE   PREMIER. 

De  ce  moment  commencèrent  les  véritables  droits  de 
la  France  sur  le  Roussillon ,  le  Gonflent  et  le  Vallès- 
pir ,  très-différents  et  bien  distincts  de  ceux,  auxquels 
elle  prétendit  depuis  sur  le  comté  de  Barcelone. 

Après  la  chute  de  Narbonne ,  les  armées  françaises 
passèrent  les  Pyrénées  et  soumirent  la  marche  d'Es- 
pagne (Catalogne),  où  commandait  Soliman  ^.  Â  Pé- 
pin succéda  Charlemagne,  qui  acheva  Touvrage  de 
ses  deux  prédécesseurs. 
776.  Les  premiers  exploits  du  fJs  de  Pépin  furent  con- 

tre les  Saxons.  Ce  prince  se  trouvait  à  Paderbom, 
quand  Fémir  Ibn-el-Arabi  ^  vint  lui  faire  Thommage 
pour  une  partie  de  TÂragon  dont  il  était  gouverneur. 
Le  roi  des  Maures,  Âbd-Errahman,  qui  s*était  emparé 
sur  Jussuf  du  trône  musulman  de  la  péninsule,  avait 
pour  gouverneurs  des  provinces  voisines  des  Pyré- 
nées ,  des  parents  ou  des  créatures  du  prince  détrôné. 
Plusieurs  de  ceux-ci,  et  entre  autres  Soliman,  gou- 
verneur de  Barcelone,  s  étaient,  en  769,  mis  sous 
la  protection  de  la  France;  Ibn-el-Arabi  avait  tenté 
den  faire  autant,  mais  Âbd-Errahman,  en  ayant  eti 
avis,  s'était  mis  en  marche  pour  TAragon  et  Tavait 
forcé  de  se  soumettre.  Cet  émir  avait  dissimulé  quel- 
que temps,  mais,  croyant  enfin  le  moment  favorable, 

'  Lp  gouverneur  de  Sarragoîiwî,  à  relie  époque,  était  Abd-el-Mdic, 
qui  commandait  égalemenl  la  Catalogne. 

'  \ucun  nom  de  celle  espèce  ne  figure  chez  les  historiens  arabes 
traduits  j>ar  Conde;  c'est  toujours  Abd-el-Melic  qui  est  gouverneur  de 

Sa  rra  gosse. 


CHAPITRE   DEUXIÈME.  28 

il  était  allé  joindre  Ghariemagne  à  Paderborn,  et  dans 
la  diète  de  cette  ville  il  Tavait  reconnu  pour  son 
souverain  et  avait  demandé  son  secours  pour  repren- 
dre ce  qu*Abd-Errahman  lui  avait  enlevé.  Charles  se  778- 
mit  en  effet  en  campagne  Tannée  suivante ,  et  son  ar- 
mée, divisée  en  deux  corps,  entra  en  Espagne  par  la 
Navarre  et  par  le  Roussillon.  La  prise  de  Sarragosse 
ne  tarda  pas  à  coiœonner  cette  expédition.  Après 
avoir  ainsi  remis  Témir  en  possession  de  ce  qui  lui 
avait  été  enlevé ,  les  deux  corps  d  armée  reprirent  la 
route  de  France  par  la  Navarre  et  furent  taillés  en 
pièces  à  Roncevaux. 

Ghariemagne,  ayant  été  forcé  de  rentrer  en  Ger- 
manie pour  soumettre  de  nouveau  les  Saxons  révol- 
tés, Âbd-Errahman  avait  profité  de  son  éloignement 
pour  reprendre  une  partie  des  terres  que  ce  prince 
lui  avait  arrachées  ;  à  son  retour,  Charles  les  fit  re- 
conquérir une  seconde  fois,  et  c*est  alors  que,  pour 
en  assurer  la  conservation ,  il  divisa  tout  ce  territoire 
en  comtés. 

L'empereur  avait  élevé  Louis ,  son  fils ,  au  trône  d*Â- 
quitaine,  dès  Tâge  de  trois  ans.  Ce  jeune  roi  en  avait 
quinze,  quand,  en  7 9 3,  il  alla  secourir  Pépin,  son  79^ 
frère,  roi  dltalie,  contre  les  Bénéventins  révoltés. 
Lémir  Issem,  maître  de  TEspagne,  voulant  tirer  parti 
de  cette  circonstance,  fit  franchir  les  Pyrénées  à  une 
armée  sous  le  commandement  d*Abd-el-Melic  ^  qui 

'  Abd-el-Melik-Beti  Omar,  que  des  Occidentaux  appellent  Marsille'. 


24  LIVRE   PREMIER. 

ravagea  tout  le  pays  jusqu*à  Narbonne.  Celui-ci  était 
déjà  sur  ia  route  de  Carcassonne,  quand  Guillaume, 
duc  de  Septimanie ,  qui  avait  réuni  à  la  hâte  les  trou- 
pes réparties  dans  son  gouvernement,  lui  livra  ba- 
taille et  fut  vaincu ,  malgré  tous  les  prodiges  de  valeur 
personnelle.  Cependant,  les  Maures  affaiblis  par  les 
pertes  que  leur  avait  coûtées  la  victoii'e,  jugèrent  à 
propos  de  repasser  les  Pyrénées,  emmenant  un  grand 
nombre  d  esclaves  et  un  immense  butin.  Cinq  ans 
après,  le  roi  d^Aquitaine,  par  Tordre  de  son  père, 
7»'-  entra  sur  les  terres  des  Maures  et  prit  sa  revanche. 
Dans  cette  expédition ,  Louis  fit  relever  les  murailles 
et  les  maisons  de  la  ville  d*Ausone  ou  Vie,  de  Cardone 
et  de  quelques  autres  châteaux,  et  il  en  confia  le 
commandement  et  la  garde  à  Borcl  avec  le  titre  de 
comte  d'Ausone  :  alors  cessa  entièrement  la  domina- 
tion des  Maures  dans  la  Cerdagne. 

L'invasion  de  l'Espagne  par  les  Sarrasins  avait  fait 
refluer  dans  la  Septimanie  une  foule  de  familles  de 
Golhs  et  de  naturels  du  pays,  qui  avaient  reçu  de 
Charlemagne  des  terres  incultes  dans  la  province. 
Des  voisins  jaloux  avaient  usurpé  sur  ces  terres,  et  les 
comtes  exigeaient  des  concessionnaires  le  cens  et  le 
tribut,  quoique  ces  terres  leur  eussent  été  abandon- 
nées libres  de  toutes  charges.  L'empereur,  à  qui  ces 
familles  avaient  adressé  leurs  plaintes,  avait  renvoyé 
le  jugement  du  fond  de  l'affaire  â  Louis,  roi  d'Aqui- 
taine ,  son  fils,  et  il  avait  écrit  aux  comtes  de  leur  faire 


CHAPITRE   DEUXIÈME.  25 

restituer,  en  attendant,  ce  qui  leur  avait  été  enlevé, 
avec  défense  d*exiger  d*eux  aucun  impôt.  La  consé- 
quence du  renvoi  fait  à  Louis  fut  que  ce  prince  rendit 
deux  ordonnances  pour  fixer  la  manière  dont  ces  ré- 
fugiés devaient  être  traités,  et  les  obligations  aux> 
quelles,  par  réciprocité,  ceux-ci  étaient  tenus  de  se 
soumettre.  Ces  obligations,  qui  n'étaient  du  reste  que 
celles  qui  étaient  commîmes  à  tous  les  hommes  libres 
de  France,  étaient,  en  substance,  de  suivre  le  comte 
à  la  guerre,  de  monter  les  gardes  et  faire  sentinelle, 
d'héberger  les  envoyés  du  roi  [missi  dominici)  allant 
en  Elspagne  ou  en  revenant,  et  de  leur  fournir  des 
chevaux^.  Deux  chartes,  de  81 5  et  816,  confirmè- 
rent cette  ordonnance;  aux  termes  de  la  dernière,  il 
en  fîit  fait  huit  copies  pour  être  déposées ,  Tune  dans 
les  archives  du  palais  et  les  autres  dans  les  che&4ieuK 
des  diocèses  où  se  trouvaient  sans  doute  établis  ces 
réfugiés;  ces  villes  étaient  Narbonne,  Carcassonne, 
Béziers,  Ampurias,  Barcelone,  Girone  et  RosciUona 
<m  Elne ,  car  ici  ce  mot  ne  se  rapporte  point  à  Rus- 
cino. 

En  divisant  la  marche  d'Espagne  en  comtés ,  Char- 
lemagne  avait  innové  sur  l'usage  constant  jusqu'alors 
de  ne  mettre  qu'un  comte  par  diocèse ,  seule  division 
territoriale  connue  à  cette  époque  :  il  en  avait  établi 
plusieurs  dans  chaque  arrondissement  épiscopal.  Ainsi, 
le  diocèse  de  Barcelone,  qui,  comme  tous  les  aii- 

'  Capital,  regam  Franc,  toin.  I,  pag.  55o. 


26  LIVRE  PREMIER. 

très,  n aurait  dû  former  qu*un  comté,  en  eut  deux, 
Barcelone  et  Penitès;  le  diocèse  de  Girone  en  eut 
quatre,  Girone,  Pierrelate,  Âmpurias  et  Besalu;  le 
diocèse  d'Uhgel  en  eut  trois ,  Urgel ,  Cerdagne  et  Pal- 
las  ;  Ausone  en  eut  trois  aussi,  Ausone  ou  Vie,  Manresa 
et  Berga;  enfin  le  diocèse  d*Elne  eut  les  comtés  de 
Roussillon ,  de  Gonflent  et  de  Vallespir.  A  cette  épo- 
que le  Capcir  appartenait  au  diocèse  de  Narbonnè  et 
faisait  partie  du  Carcasses.  Elnlevé  en  980  au  comte 
de  Carcasses  par  celui  de  Cerdagne,  ce  canton  fut 
décidément  attribué  au  dernier  par  le  traité  de  paix 
survenu  entre  ces  princes.  Quant  à  la  vallée  de  Ga- 
roi,  il  paraît  que  de  tout  temps  elle  a  été  comprise 
dans  la  Cerdagne. 

Ce  morcellement  des  diocèses,  tout  insolite  qu*il 
était ,  fut  maintenu  par  Louis  le  Débonnaire ,  après 
la  mort  de  son  père ,  par  la  seule  raison  qu*il  existait 
déjà,  car  une  partie  de  ces  comtés,  et,  entre  autres, 
pour  le  diocèse  d*Elne,  celui  de  Vallespir,  n'eurent 
jamais  de  comtes  particuliers,  mais  seulement  des  vi- 
comtes, et  celui  de  Confient,  s'il  en  avait  avant  qu'ils 
devinssent  héréditaires,  n'en  a  plus  eu  depuis  cette 
époque  après  la  mort  de  Radulphe  qui  le  possédait 
alors  ^ 

La  charge  de  comte  ne  fut  d'abord  qu'à  vie ,  et  ne 

'  Chez  les  Goihs,  comme  cliez  les  anciens  Franks,  chaque  diocèse 
avait  son  comte  et  son  évêque.  Cette  dignité  de.  comte  avait  commencé 
vers  le  milieu  du  m'  siècle. 


CHAPITRE   DEUXIEME.  27 

passait  pas  à  la  famille  de  celui  qui  en  était  pourvu. 
Plus  tard  les  guerriers  préposés  au  gouvemèment 
des  provinces  en  usurpèrent  généralement  la  souve- 
raineté qu^ils  transmirent  à  leurs  descendants.  Gettç 
usurpation ,  dont  on  avait  eu  déjà  quelques  exemples 
H)us  Charles  le  Chauve ,  et  que  Tautorité  royale  ne 
pouvait  plus  empêcher  désormais,  fut  confirmée  et 
rendue  l^itime  dans  la  diète  de  Kiersi,  Tan  876. 

Deux  sortes  d'adjointe  étaient  accordés  aux  comtes 
pour  les  aider  dans  leurs  fonctions.  Les  uns ,  préposés 
à  l'administration  de  certains  cantons ,  à  la  place  du 
comte,  prenaient  le  titre  de  vice-comte,  et  par  syn- 
cope ,  vicomte  ;  les  autres ,  dont  la  charge  était  plus 
bornée,  n'administi^aient  qu'une  portion  de  canton, 
et  s'appelaient  vicarii ,  dont  on  a  fait  viguier.  Le 
Roussillon ,  la  Cerdagne ,  le  Confient  et  lé  Vallespir 
eurent  aussi  leurs  vicomtes  jusqu'au  commencement 
au  \f  siècle;  mais  ie  plus  souvent  ces  vicomtes  ne 
furent  que  des  parents  des  comtes ,  à  qui  ceux-ci  dé- 
partaient une  partie  de  leur  juridiction,  peut-être 
même  un  simple  et  vain  titre. 

Pour  mieux  ^surer  encore  la  défense  de  la  maït^he 
d'Espagne,  Charlemagne  y  avait  établi,  ce  que,  en 
langue  teutoniquéf,  on  appelait  des  va;s5ori,  person- 
nages, auxquels,  en  récompense  de  quelque  vertu 
guerrière ,  le  prince  accordait  une  certaine  quantité  de 
terres,  à  la  charge,  de  la  part  du  concessionnaire,  de 
faire  l'hommage  au  souverain ,  c'est-à-dire  de  lui  être 


28  LIVRE*  PREMIER, 

soumis  et  fidèle  comme  à  son  seigneur.  Le  vassor  cé- 
dait à  son  tour  une  partie  de  ce  qu*il  avait  reçu  k 
d  autres  personnes ,  qui  se  plaçaient  ainsi  sous  sa  dé- 
pendance, et  qui  étaient  ses  vavassors,  et  les  arrière- 
vassaux  de  la  couronne. 

Vers  le  règne  de  Charles  le  Chauve,  ces  vassors 
avaient  pris,  en  France,  le  titre  de  barons,  du  mot 
teutonique  bar,  qui  signifie  homme  ^,  comme  pour 
dire  Thomme  du  prince.  Il  est  vraisemblable  que 
Texpression  catalane  rich-hom,  que  les  Castillans  adop- 
tèrent plus  tard  (rico-homhre) ,  et  qui  répondait  à  celle 
de  baron ,  fut  Texpression ,  en  langue  romane  ou  lan- 
gue d'oc,  de  ce  même  mot  bar,  auquel  on  ajouta  Tépi- 
thète  de  riche,  à  raison  sans  doute  des  grandes  terres 
dont  ceux  qui  en  étaient  honorés  étaient  redevables  à 
la  libéralité  du  souverain. 

Chez  les  écrivains  du  moyen  âge  et  des  siècles  sui- 
vants ,  les  grandes  concessions  de  terre  sont  appelées 
bénéfices  y  parce  qu'elles  étaient  un  effet  de  la  muni- 
ficence du  monarque,  et  les  fielis  prennent  le  nom 
àlionnears,  parce  qu'ils  étaient  ordinairement  la  ré- 
compense dune  action  d'honneiu*,  cest-à-dire  d'un 
acte  de  bravoure. 

Après  les  barons,  qui  formaient  la  première  no- 
blesse, venaient  les  chevaliers,  milites.  Celui  qui  était 
investi  de  cette  qualité  prenait  le  titre  de  dominus  ou 
domnusy  seigneur,  titre  qui,  dans  la  péninsule,  se  na- 

*    Mana  hisp.  pag.  268. 


CHAPITRE  DEUXIÈME.  29 

turalisa  en  s*abrégeant  en  don.  Dans  la  Septimanie, 
les  chevaliers,  au  lieu  de  tirer  leur  titre  de  dominas, 
le  firent  dériver  du  mot  senior  ou  ancien ,  abrégé  en 
celui  de  sen.  Ce  titre ,  joint  à  radjectif  possessif  mon, 
devint  mon  sevyor,   ou,  abréviativement,  mon  sen, 
que  par  euphonie  on  prononça  mossen,  et  qui  sa- 
brégea  encore  lui-même  en  en  qu  on  trouve  fréquem- 
ment dans  les  poésies  des  troubadours.  La  Catalogne, 
faisant  partie  de  la  Septimanie,  adopta  le  titre  de 
en,  auquel  sassocia  plus  tard  celui  de  don,  qui  n'é- 
tait donné  qu'aux  plus  grands  seigneurs.  Le  dernier 
degré  de  la  noblesse  était  distingué  par  le  titre  de 
iomnicellas,  donzel  ou  damoiseau,  donné  à  ceux  qui, 
possédant  des  fiefs ,  n'étaient  ni  barons  ni  chevaliers. 
Ce  titre  eut  pour  correspondant ,  en  Catalogne ,  celui 
itgeneros,  équivalent  de  gentilhomme,  qui  succéda 
i  damoiseau. 

Les  rois  de  France ,  suivant  un  usage  établi  dans 
les  Gaules  dès  la  plus  haute  antiquité ,  tenaient  à  la 
fin  de  chaque  année,  sous  le  nom  de  plaids,  une  as- 
semblée générale  de  tous  les  barons,  prélats,  grands 
seigneurs  et  abbés ,  dans  laquelle  se  discutait  et  s'ar- 
rêtait tout  ce  qui  devait  se  faire  dans  le  courant  de 
l'année  suivante,  soit  en  guerre,  soit  en  administra- 
tion. L'année  commençant  alors  à  Pâques,  et  ces  as- 
semblées se  tenant  en  rase  campagne ,  on  donnait  le 
nom  de  champ-de-mars  à  l'endroit  où  l'on  se  réunis- 
s^t,  et  le  même  nom  servait  à  désigner  aussi  l'assem- 


30  LIVRE   PREMIER. 

blée.  Pépin,  trouvant  le  mois  de  mars  trop  incom- 
mode, lui  substitua  celui  de  mai,  d'où  le  lieu  des 
séances  des  plaids,  et  les  plaids  eux-mêmes  prirent  le 
nom  de  champs-de-mai.  Les  comtes  eurent  aussi  leurs 
plaids,  quand  ils  avaient  quelque  grande  question  â 
décider;  mais  ces  plaids  n'étaient  que  de  circons- 
tance ,  et  les  comtes  ne  pouvaient  les  tenir  autrement 
qaàjean  ^  c'est-à-dire  de  grand  matin.  Le  contrat  de 
vente  d'un  terrain  situé  au  terroir  de  la  Ville  des  Gaths, 
place  au  nombre  des  confronts  le  campus  madii,  ce 
qui  semble  indiquer  que  les  plaids  des  anciens  comtes 
goths,  et  peut-être  aussi  des  premiers  comtes  firanks 
du  Roussillon ,  se  tenaient  près  de  ce  bourg. 

Les  délibérations  arrêtées  dans  les  champs-de-mai 
étaient  envoyées  par  le  chancelier  aux  évêques  et 
comtes  métropolitains,  qui  les  ti*ansmettaient  aux  au- 
tres évêques ,  s'il  y  en  avait  dans  le  ressort  de  la  ju- 
ridiction, et  aux  abbés  pour  les  faire  promulguer.  La 
marche  d'Espagne  n'ayant  que  peu  d'abbayes  quand 
Charlemagne  en  organisa  le  gouvernement,  la  raison 
de  la  tenue  des  plaids  fut,  suivant  Marca,  un  des  mo- 
tifs qui  déterminèrent  ce  prince  à  en  augmenter  le 
nombre.  Le  Roussillon  ne  possédait  alors  que  l'ab- 
baye d'Arles^,  fondée  en  778;  celles  qui  paraissent 

*  Nec  placitum  liabcat  cornes,  nisi  jejunus.  Capit.  reg.  Franc,  t.  î, 
pag.  8^3. 

*  L'abbaye  d'Arles,  alors  sous  le  nom  d'abbaye  de  Vallespir,  était  un 
des  dix-neuf  monastères  de  la  Septimanie  et  un  de^  trente-quatre  qui 
ne  devaient  au  roi  ni  présents  ni  soldats,  mais  seulement  des  prières. 


CHAPITRE  DEUXIÈME.  51 

s*être  établies  à  cette  époque  sont,  Tabbaye  de  Saint- 
Genys-de-Fontanis,  qui  remonte  vers  l*an  8 1 9,  et  celle 
de  Saint-André-de-Soréda ,  à  laquelle  on  voit  Charles 
le  Chauve  donner  une  charte  en  869. 

Un  concile  fut  tenu  dans  l'église  de  Saint-Genys 
vers  la  fin  du  ix*  siècle ,  pour  la  déposition ,  si  le  fait 
est  vrai,  de  Selva  et  d'Hermemiro,  usurpateurs  des 
évêchés  d'Urgel  et  de  Girone  ^ 

^  Marca  hispan. 


32  LIVRE   PREMIER. 


CHAPITRE  m. 

Obscurité  de  Thistoire  des  comtes  de  Roussillon.  —  Gaucdme. 
—  Bera.  —  Suniaîre.  —  Miron.  —  Suniaire  H.  —  Bencion  et 
Gausbcrt.  — Gausfred.  — Comtes  de  Cerdagne,  Wifred. — 
Wifred  II.  —  Oliba.  —  Miron.  —  Comtes  de  Roussillon ,  Gui- 
labert. — Gausfred  II. 

comtw  Rien  de  plus  obscur  que  Thistoire  des  comtes  de 

RoaMtUon.  Roussillou ,  dc  plus  embrouillé  que  leur  chronologie. 
Admis  par  certains  écrivains,  rejetés  par  d'autres,  les 
princes  qui  en  composent  la  suite  se  mêlent  confusé- 
ment dans  les  ténèbres  des  siècles  passés,  et  on  ne 
sait  de  quel  flambeau  s  éclairer  au  milieu  de  ce  chaos, 
historique.  Les  actions  militaires,  soit  agressives,  soit 
défensives ,  de  ces  princes ,  leurs  actes  législatifs  ou  de 
simple  administration ,  sont  à  peu  près  ensevelis  dans 
le  plus  profond  oubli.  Quelques  fondations  pieuses, 
quelques  donations  à  des  églises,  quelques  prises  d'ar- 
mes que  nous  considérerions  aujourd'hui  comme  des 
actes  de  brigandage,  mais  qui  étaient  dans  les  mœurs 
du  temps,  rappellent  bien  le  nom  de  quelques-uns, 
mais  ne  peuvent  suffire  pour  les  faire  -distinguer  de 
leurs  voisins  homonymes.  En  effet,  les  comtes  de  Bar- 
celone, de  Besalu,  d'Ampurias,  de  Cerdagne,  de 
Roussillon,  sortant  tous  de  la  même  tige,  celle  de  Wi- 
fred de  Ria,  se  montrent  sous  des  noms  identiques; 


CHAPITRE  TROISIÈME.  35 

et  si  on  ajoute  à  cela  que,  leur  domaine  privé  se  trou- 
vant épars  sur  toute  la  surface  de  la  marche  d'Es- 
pagne, ils  font  avec  ce  domaine  des  donations  à  des 
églises  situées  hors  de  leur  propre  comté,  et  que  dans 
ces  actes  de  donations  aussi  bien  que  dans  d  autres 
qui  les  concernent,  ils  ne  sont  désignés  que  par  le 
simple  titre  de  comtes,  sans  spécification  de  lieu,  on 
concevra  combien  il  est  diifficile  de  reconnaître,  à 
travers  toute  cette  confusion ,  quel  fiit  précisément  le 
pays  soumis  à  leur  puissance.  Si  Baluze,  si  Vaissette, 
Fossa,  Gispert,  n'ont  pu  débrouiller  cette  chrono- 
logie lorsqu'ils  avaient  à  leur  disposition  les  monu- 
ments dont  nous  sommes  privés  aujourd'hui,  c'est-à- 
dire  les  archives  entières  et  complètes  des  églises  et 
maisons  religieuses,  et  des  titres,  des  archives  publi- 
ques, qui,  à  une  époque  de  vandalisme,  ont  été  livrés 
aux  flammes,  comment  pourrions -nous  espérer  de 
6ire  mieux  qu'eux?  Essayons  cependant  d'extraire  le 
plus  de  lumière  possible  du  peu  qui  nous  reste  sur 
cette  matière  difficile. 

Le  premier  comte  de  RoussiUon  nommé  par  Ghar- 
lemagne  n'est  pas  connu.  Celui  qui  se  montre  à  la 
tête  de  cexix  dont  on  a  conservé  le  souvenir,  c'est 
Gaucdme  ou  Gaucion ,  frère  de  Bernard ,  duc  de  Sep-  -  Giocu» 
timanie,  et  fils  de  ce  Guillaume  que  Charles  avait 
^voyé  contre  les  Maures  entrés  en  Languedoc,  et 
qui  fut  battu  près  de  Carcassonne.  Gaucelme  avait, 
comme  son  firère,  embrassé  le  parti  de  Pépin  P',  roi 


I. 


83i. 


SA  LIVRE   PREMIER. 

d'Aquitaine,  contre  Louis  le  Pieux  ou  le  Débonnaire, 
quand  les  enfants  de  ce  roi  se  révoltèrent  contre  lui. 
Bernard,  dont  la  conduite  hostile  était  connue  de 
toute  la  cour,  fut  privé  de  ses  dignités  dans  rassem- 
blée convoquée  pour  juger  Pépin  et  ses  adhérents; 
quant  à  Gaucelme,  une  commission  fut  envoyée  sur 
les  lieux  pour  faire  une  enquête  sur  la  part  qu*ii  avait 
pu  prendre  dans  la  révolte ,  et ,  reconnu  coupable ,  il 
fut  dépouillé  de  ses  dignités  comme  son  frère. 

Pour  expier  leurs  fautes  et  rentrer  dans  les  bonnes 
grâces  du  monarque,  Bernard  et  Gaucelme  se  dé- 
vouèrent  chaudement  à  ses  intérêts.  Le  duc  de  Septi- 
manie  obtint  la  restitution  de  ses  titres  et  de  ses  hon- 
neurs, et  revint  en  Languedoc  Tannée  suivante.  Son 
frère  n*eut  pas  le  même  bonheur'  :  Thistoire  nous  ap* 
prend  qu'il  continua  à  servir  dans  les  armées  de  Louis, 
et  qu'il  périt  misérablement  en  834.  Enfermé  dans 
Châlons-sur- Saône,  quand  Lothaire  vint  faire  le  siège 
de  celte  ville ,  il  tomba  avec  elle  entre  les  mains  de 
ce  prince  qui  le  fit  décapiter  :  sa  sœur,  qui  s'y  trou- 
vait aussi,  fut  enfermée  dans  un  tonneau  et  jetée  dans 
la  rivière. 

Un  seigneur  nommé  Béranger  avait  été  substitué  à 
Bernard  quand  celui-ci  fut  éloigné  de  son  duché  de 
Septimanie.  A  ce  titre,  et  en  l'absence  du  comte  de 
Roussillon  dont  le  remplaçant  n'était  pas  encore  dé- 
signé, ou  ne  se  trouvait  pas  sur  les  lieux,  Bérenger  se 
rendit  à  Elne,  oii,  le  Ix  des  nones  de  février  83a 


CHAPITRE   TROISIÈME.  35 

(833),  il  tint  un  plaid  dans  lequel  il  fit  restituer  à 
Babila,  abbé  d'Arles,  certaines  terres  usurpées  sur 
l*abbaye. 

Suivant  Fossa  ^  et  Gispert  ^,  Gaucelme  fut  rem- 

fàdicé  par  Suniaire  ;  mais  Baluze  ^  suivi  en  cela  par 

Vaissette  \  lui  donne  Bera  pour  successeur  immédiat. 

Fossa  cite  à  Tappui  de  son  opinion  Tédit  de  Charles 

le  Chauve  en  faveur  des  Espagnols  réfugiés  en  France  ; 

mais  dans  cette  pièce  Charies  se  borne  à  nommer 

le  comte  Simiaire,  sans  ajouter  la  désignation  de  son 

comté,  ce  qui  n'apporte  aucun  témoignage  ni  pour 

ni  contre  ce  sentiment.  Bera ,  qu'admettent  Baluze  et 

Vaissette,  et  que  repousse  Fossa,  se  présente  dans 

lliistoire  comme  ayant  véritablement  possédé  cette 

dignité  ainsi  que  nous  le  démontrerons  bientôt. 

Nous  nous  conformons  au  sentiment  des  deux  der-  B«r«. 
niers  critiques ,  et  nous  plaçons  le  nom  de  Bera  après 
oeltii  de  Gaucelme.  Il  nous  paraît  cependant  qu'il  y 
a  eu  une  lacune  entre  l'année  où  ce  dernier  fut  privé 
de  son  gouvernement  et  celle  où  Bera  fut  revêtu  du 
rien  :  cette  lacune  fut-elle  remplie  par  un  intérimaire 
substitué  ou  par  un  titulaire,  c'est  ce  qu'il  nous  est 
impossible  de  décider. 
C'est  sous  le  comte  Bera  qu'en  846  fut  fondé  dans        ^^^ 

^  Mim,  sar  les  comtes  de  Rouss,  dans  i'Art  de  vériGer  les  dates. 
'  Observations  sar  le  traité  de  iiSb. 
'  Appendix  Marcœ  kispanicœ. 
^  Hist.  gin.  de  Long.  tom.  I. 


36  LIVRE   PREMIER. 

la  vallée  d*Engarra,  en  Gonflent,  le  monastère  de 
Saint -André  d'Exalada,  en  faveur  duquel  Louis  et 
Charles  rendirent  quelques  ordonnances. 

Parmi  les  donations  dont  Bera  enrichit  cette  ab 
baye  de  Saint- André,  il  en  est  une  qui,  vingt-trois  ans 
après,  donna  lieu  à  une  contestation  entre  le  comte 
Salomon  et  labbé ,  et  qui  est  la  preuve  que  ces  deux 
princes  ont  gouverné  le  Roussillon. 
saBttir*.  Vaissette  pense  que  Suniaire  a  pu  succéder  à  Bera 

wo-  en  85 o,  et  en  elTet  les  termes  dans  lesquels  il  est 
parlé  de  ce  comte  dans  un  édit  de  Charles  pour  le 
monastère  d'Exalada  ne  laissent  pas  douter  qu*il  ne 
possédât  le  comté  de  Roussillon  avec  ceux  d*Ampurias 
et  de  Besalu. 

«59.  Nous  ignorons  si  Suniaire  vivait  encore  en  SSg, 

quand  les  Normands  dévastèrent  le  Roussillon.  Ces 
pirates,  dont  la  flotte  se  trouvait  à  Tile  de  Camai|;ue, 
dans  les  Bouches- du-Rhône,  pillèrent  et  brûlèrent 
Ruscino,  Elne  et  les  lieux  circonvoisins ,  poussèrent 
jusqu  à  Arles ,  dont  ils  saccagèrent  et  incendièrent  le 
monastère,  et,  longeant  la  côte  jusqu*à  Valence,  ils 
mirent  tout  à  feu  et  à  sang  sur  leur  passage. 

A  Suniaire  succéda  Salomon ,  dont  ne  parlent  Fossa 
ni  Gispert.  On  ne  peut  pas  douter  cependant  qu'un 
personnage  de  ce  nom  n*ait  possédé  à  la  fois  la  Cer- 
dagne,  le  Gonflent  et  le  Roussillon,  qui  n'étaient 
guère  et  peut-être  même  jamais  séparés  avant  d'être 

«69         héréditaires.  Le  1 5  des  calendes  de  septembre  869, 


CHAPITRE   TROISIÈME.  37 

ce  Saiomon  réclama  la  restitution  de  Talleu  de  Cana 
vellas,  compris  dans  la  donation  de  Bera  au  monas- 
tère d*fixa]ada,  prétendant  que  cet  alleu  n'était  pas  du 
domaine  privé  de  Bera ,  mais  qu'il  appartenait  au  fisc 
et  n  avait  pu,  par  conséquent,  être  aliéné.  La  posses- 
sion privée  ayant  été  prouvée,  Tabbé  de  Saint-André 
gagna  sa  cause.  Pour  qu'on  pût  supposer  que  Bera 
avait  disposé  indûment  d'une  portion  du  domaine  du 
fisc,  dans  le  Gonflent,  qu'on  sait  avoir  été  uni  au  Rous- 
sillon  à  cette  époque,  il  fallait  bien  que  ce  prince  eût 
autorité  souveraine  sur  ces  pays;  et  pareillement, 
pour  que  Saiomon  en  réclamât  la  réintégration  au 
&c,  il  fallait  bien  qu'il  eût  aussi  autorité  à  le  faire ,  à 
raison  de  sa  dignité. 

Avec  la  Cerdagne,  le  Gonflent  et  le  Roussillon, 
Saiomon  posséda  bientôt  encore  le  comté  de  Barce- 
lone. 

Jusqu'à  l'an  863,  la  marche  d'Espagne  avait  été 
unie  à  la  Septimanie;  mais  à  cette  époque  Humfi^id 
ou  Wifi'ed,  ancien  seigneur  de  Ria,  marquis  de  Go- 
thie,  s'étant  permis  de  chasser  de  Toulouse  le  comte 
Raymond,  qui  en  avait  l'investiture  de  Gharles  le 
Chauve,  ce  prince,  outré  de  colère,  le  dépouilla  de 
sa  dignité  et  lança  contre  lui  un  arrêt  de  proscription. 
C'est  alors  que,  regardant  cette  province  comme  trop 
puissante,  Gharies  en  fit  deux  gouvernements  sépa- 
rés :  il  donna  la  Septimanie  à  Bernard  II  et  la  marche 
^'Espagne  à  Saiomon  :  le  Roussillon  se  trouva  donc 


38  LIVRE   PREMIER, 

compris  dans  le  gouvernement  de  la  marche  d'Es- 
pagne. 

A  travers  les  fabulosités  qui  obscurcissent  les  pre- 
miers temps  du  Wifred ,  surnommé  le  Vêla,  on  peut 
distinguer  que  ce  prince  tua  Salomon  avant  87  3,  qu'il 
se  mit  en  sa  place ,  et  qu'il  eut  assez  de  crédit  pour 
obtenir  Fabsolution  de  ce  meurtre  et  la  confirmation 
de  son  usurpation.  Wifred  travaillait,  comme  tous  les 
autres  grands  feudataires ,  à  s  approprier  la  province 
Mîroii.  qu  il  Yégissait.  Il  donna  le  gouvernement  du  Rous- 
sillon  à  son  &6re  Miron ,  qui  en  fut  ainsi  le  premier 
comte  héréditaire  ^  ;  il  confia  le  Confient  à  son  autre 
frère  Radulphe ,  probablement  sous  la  dépendance  de 
son  frère  Miron,  le  Gonflent  étant  alors  en  quelque 
sorte  partie  intégrante  du  Roussillon,  et  garda  sous 
sa  main  le  comté  de  Barcelone  et  tout  ce  qui  en  dé- 
pendait, la  Cerdagne,  le  Besalu  et  TUrgel. 

Fossa  ne  reconnaît  pas  Miron  pour  comte  de  Rous- 
sillon; il  met  à  sa  place  un  Suniaire,  personnage 
presque  complètement  inconnu  et  dont  nous  parie- 
rons bientôt. 

Une  guerre  qui  éclata  entre  le  comte  de  Roussillon 
et  le  marquis  de  Septimanie  semble  indiquer  que  les 
princes  de  la  maison  de  Wifred,  regardant  la  Septi- 

'  Dans  le  numéro  du  Publicaleur,  du  i6  février  i833,  M.  Renard 
dr  Sainl-Malo  contcsle  a  Miron  le  litre  de  comte  de  Roussillon.  Ses 
raisons  ne  nous  ayant  pas  convaincu,  nous  ne  changeons  rien  à  celle 
chronologie. 


CHAPITRE  TROISIÈME.  59 

manie  qu'avait  possédée  Wifred,   le  proscrit,  leur 
oncle,  comine  une  propriété  de  famille,  voulaient  la 
ressaisir.  Avec  un  autre  de  ses  frères  nommé  Hum- 
frid,  moine  échappé  de  son  cloître,  et  secondé  par 
Lindoin ,  vicomte  de  Narbonne ,  Miron  fit  la  guerre  à 
Bernard.  Peut-être  serait-il  parvenu  à  reconquérir  un 
pays,  que  Tétat  où  se  trouvait  alors  la  France  Veut        878. 
difficilement  empêché  de  conserver,  s'il  avait  su  res- 
pecter le  bien  des  églises;  mais  ayant  voulu  en  dis- 
poser à  sa  volonté ,  le  pape  intervint ,  et  en  menaçant 
Miron  et  Lindoin  des  foudres  pontificales,   et  en 
sommant  Humfrid  de  renti^er  dans  son  couvent,  il 
arrêta  cette  usurpation  ^. 

*  Wifred  le  Velu ,  avec  Miron ,  comte  de  Roussillon , 
et  Radulpbe ,  comte  de  Gonflent ,  ses  frères ,  fit  aussi 
la  guerre  aux  Sarrasins  qui  s'étaient  emparés  d'Âu- 
sone  et  de  plusieurs  autres  lieux,  et  il  les  en  expulsa. 
Si  cette  expédition  fut  suivie  de  la  fondation  sup- 
posée du  monastère  de  Ripoll,  cette  guerre  serait 
de  Tan  880  à  888,  époque  de  cette  fondation  par 
Wifred  ^ 

Un  plaid  qui  avait  été  tenu  en  Roussillon  au  mois 
de  décembre  876,  par  Isimbert,  lieutenant  de  Ber- 
nard, marquis  de  Septimanie,  avait  eu  pour  objet  de 
faire  restituer  à  Audesinde,  évêque  d'Ellne,  des  terres 

^  Joannis  Papœ  VIII  epistola,  apud  iMhhei  coUect.  conciliorum,  t.  IX. 
*  Jaime  Villanueva,  Viage  lit.  tom.  VIII ,  append.  pag.  309,  donne 
U charte  qai  fait  remonter  à  l'an  880,  au  moins,  cette  fondation. 


40  LIVRE   PREMIER. 

que  le  comte  de  Roussillon  lui  avait  enlevées  ^.  Quel 
ques  écrivains  ont  cru  voir,  dans  le  fait  même  de  la 
tenue  de  ce  plaid  par  le  délégué  du  marquis  de  Septi- 
manie  après  la  séparation  des  deux  provinces ,  une 
preuve  que  ce  comté  dépendait  de  la  Septimanie  et 
non  de  la  marche  d'Espagne  :  c  est  une  erreur.  Un  his- 
torien anonyme  des  actions  mémorables  des  comtes 
de  Barcelone,  qui  écrivait  au  xin*  siècle,  dit  positi- 
vement que  Wifred  posséda  le  comté  de  Barcelone 
depuis  Narbonne  jusqu  en  Espagne  ^,  et  nous  voyons 
deux  des  frères  de  Wifred  gouverner,  à  la  même 
époque ,  le  Roussillon  et  le  Gonflent.  Cette  vérité  est 
encore  plus  positivement  démontrée  par  rassemblée 
générale  tenue  à  Urgel,  Tan  loio,  par  Ermengaud, 
archevêque  de  Narbonne,  Au  nombre  de  ses  suffra- 
gants  espagnols,  ce  prélat  place  Oliba,  évêque  d'Ellne» 
dont  Uévéché  est  en  deçà  des  Pyrénées^,  Le  fait  dont  il 
s'agit  s'expliquera  de  lui-même,  si  l'on  fait  attention 
aux  dates.  En  876  les  possesseurs  des  grands  fiefs 
s'étaient  déjà  emparés  de  Tautorité  souveraine  des 
provinces  qu'ils  régissaient  pour  la  transmettre  à  leurs 
héritiers;  mais  cette  usurpation,  bien  qu'existante  en 
fait,  ne  l'était  pas  encore  en  droit,  puisque  l'assem- 

*   Marca  hispan.  lib.  IV. 

'  Gesta  comitum  Barcinonensium  a  monaco  RivipuHensis  monas- 
tcrii  scripia  apiid  Baluzium,  in  Marca  bispanica. 

'  Et  hispanoruni  simiil  sufl'raganeorum  praedicti  Ermengaudi ,  quo- 
rum noniina  sunt  :  Pelrus,  Gerundensis;  Borelius,  Âusonensis;  et  qui 
cis  montps  Pyre.napos  est,  Oliba,  Helcnensis.  Marca  hisp.  pag.  977. 


CHAPITRE  TROISIÈME.  41 

blée  de  Quiercy-sur-Oise  dans  laqueUe  Charles  publia 
ses  capitulaires,  dont  le  troisième  reconnaît  le  droit 
de  survivance  pour  les  fils  des  comtes,  ce  qui,  dans 
rétat  de  la  monarchie,  était  une  véritable  reconnais- 
sance d'hérédité,  ne  se  tint  quau  mois  de  juillet  de 
Tannée  suivante  ^.  Les  comtes,  qui,  après  celte  confir- 
mation de  leur  usurpation,  ne  cessèrent  pas  de  recon- 
naître la  suzeraineté  du  monarque,  pouvaient  bien 
moins  encore  décliner  son  autorité  avant  que  leur 
possession  fût  solennellement  légitimée.  Un  certain 
Avddus,  agent  du  comte  de  RoussiUon,  occupait  la 
terre  de  San-Feliu,  qui  appartenait  à  Icvêque ,  et  vou- 
lait en  exiger  les  régalies  :  c'était  donc  le  comte  lui- 
même  qui  était  le  détenteur  des  biens  de  l'église.  Le 
prélat  savait  que  son  adversaire  était  firère  du  comte 
de  Barcelone,  gouverneur  général  de  la  province,  et 
3  avait  tout  lieu  de  craindre,  s'il  s'adressait  à  lui  pour 
obtenir  justice,  que  la  partialité  ne  dominât  la  déci- 
sion; il  ne  voulut  pas  lui  soumettre  le  jugement  d'une 
question  si  importante,  et  réclama  l'autorité  du  roi 
de  France ,  qui ,  par  ces  mêmes  motifs  de  légitime 
suspicion ,  dut  commettre  un  tiers  pour  juger  le  dif- 
férend. Ce  tiers  ne  pouvait  être  autre  que  le  marquis 
de  Septimanie,  égal  en  puissance  au  comte  de  Barce- 
lone, et  qui  se  trouvait  le  plus  voisin  des  parties  en 
litige,  outre  que,  les  deux  provinces  ayant  été  si  long- 
temps réunies  en  une,  le   marquis  de  Septimanie 

*  Apad  scriptorfs  rrrum  franc,  lom.  VII. 


42  LIVRE   PREMIER. 

devait  le  mieux  connaître  les  affaires  du  comté  de 
Roussillon.  Bernard  II,  marquis  de  Septimanie,  se 
trouvant  alors  en  Poitou,  Isimbert  avait  été  chargé 
de  le  remplacer  provisoirement  en  Languedoc,  et 
c'est  en  cette  qualité  dmtérimaii'e  de  Bernard  qu'il 
vint  en  Roussillon  pour  juger  cette  affaire. 
878.  Miron  favorisa,  quelques  années  après,  la  fonda- 

tion du  monastère  de  Saint-Michel  de  Cuxa,  qui  suc- 
cédait à  celui  de  Saint-André  d'Elxalada,  ruiné  par  un 
débordement  de  la  Tet.  Les  effrayantes  circonstances 
de  cette  inondation  ne  sont  plus  connues.  Eln  une 
heure  de  temps  les  bâtiments  de  l'abbaye  forent  em- 
portés, et  plusieurs  des  moines,  ainsi  que  la  plupart 
des  gens  de  peine  attachés  au  couvent,  périrent  avec 
tout  le  matériel  et  les  archives.  Protasius,  abbé, 
et  Witiza  lun  des  moines  survivants ,  s'adressèrent  à 
Miron ,  qui  leur  permit  de  s'établir  dans  la  vallée  de 
Cuxa.  L'ordre  des  bénédictins,  auquel  appartenait 
cette  abbaye,  s' occupant  alors  uniquement  de  l'exploi- 
tation des  terres  incultes,  le  capital  du  nouveau  mo- 
nastère bâti  sous  fin  vocation  de  Saint- Michel  se 
trouva  être,  à  la  fin  de  Tannée,  de  cinq  cents  brebis, 
cent  aumailles,  cinquante  juments,  quarante  porcs, 
deux  chevaux,  cinq  ânes  et  vingt  bœufs.  Le  person- 
nel était  de  cinquante  moines  et  de  vingt  valets; 
quant  au  matériel  du  couvent,  il  se  composa,  outre 
les  objets  pour  le  service  divin,  de  cinq  paires  de 
vêtements  d'église,  de  pareil  nombre  d'autres  vête- 


CHAPITRE  TROISIÈME.  43 

ments  à  l'usage  des  moines  et  de  trente  volumes 
complets  ^. 

L'année  de  la  mort  de  Miron  n  est  pas  connue. 
Son  successeur  fut  le  Suniaire  dont  Fossa  a  fait  le  pre-     s«i»i«ir». 
mier  comte  héréditaire. 

On  ignore  quel  degré  de  parenté  pouvait  unir  ce 
Suniaire  à  son  prédécesseur.  Ce  personnage  serait 
même  resté  complètement  inconnu  sans  une  dona- 
tion faite  à  l'église  d'Elhe  par  ses  enfants ,  qui  disent 
que  cette  libéralité  a  pour  objet  le  repos  de  l'âme  du 
cmte  Saniaire  leur  père  :  voilà  tout  ce  qu'on  sait  de 
lui.  Ce  peu  de  mots,  assez  équivoques,  ayant  paru 
suffisants  à  tous  les  écrivains  pour  classer  ce  prince 

*  Trente  volumes  entiers  formaient,  à  cette  époque,  un  capital  de 
haut  prix,  à  raison  de  k  rareté  des  livres  et  de  la  cherté  du  parchemin. 
^  855  il  n^existait  pas  en  France  un  seul  exemplaire  complet  du  livre 
de  l'Orateur  de  Cicéron  et  des  Institutions  de  Quintilien.  [Muratnri 
^(f.  tom.  III.)  La  valeur  s'en  soutint  à  peu  près  au  même  niveau 
jusqu'à  Tinvention  de  Timprimerie.  La  comtesse  d'Anjou  paya  un  exem- 
pt des  homélies  d'Uaimon,  deux  cents  moutons,  cinq  quartiers  de 
frwnent  et  cinq  de  seigle  et  de  millet.  Cela  se  conçoit  très-bien  :  il  fal- 
**ïtiantde  temps  pour  copier  un  livre!  Au  xv*  siècle  même,  Louis  XI, 
*y>nt  voulu  emprunter  à  la  faculté  de  médecine  les  ouvrages  de  l'Arabe 
'^^,  fut  obligé  de  déposer  en  nantissement  une  quantité  considé- 
'™le  de  vaisselle,  et  de  désigner  un  seigneur  pour  servir  de  caution 
"•Ds  facte  notarié  par  lequel  ce  prince  s'obligeait  à  rendre  le  livre. 
("oyeiRobertson,  Histoire  de  Charles-Quint,  dans  l'Introduction.) 

£q  i33o  un  prêtre  de  Saint-Jean,  de  Perjtignan,  ayant  légué  une 
"Metn  deux  volumes  à  cette  église,  la  remise  en  fut  constatée  par  un 
>ct€  notarié  que  nous  avons  vu ,  dans  lequel  les  deux  volumes  sont  dé- 
'^^' [Anh,  eccUs.) 


B«adoo,GMtH 

Mft« 


tik  LIVRE   PREMIER. 

parmi  les  comtes  de  Roussillon,  nous  n'avons  pas  de 
raison  pour  Ten  exclure.  Ses  enfants  étaient  Bencion 
et  Gausbert,  qui  iui  succédèrent,  Hilmerade,  qui  fut 
évêque  d*Eine  en  91 6,  et  Wadalde,  qu'on  trouve  re- 
vêtu de  cette  même  dignité  en  980,  sans  doute  après 
la  mort  de  son  frère. 
915.  Bencion  et  Gausbert  prirent  ensemble  les  rênes  du 

comté  en  915.  Le  premier  nen  jouit  pas  longtemps; 
il  suivit  son  père  au  tombeau  cette  même  année.  Quant 
à  Gausbert ,  il  assista ,  au  mois  de  septembre  de  l'année 
suivante,  à  la  consécration  de  l'église  de  Sainte-Eu- 
lalie,  d'Elne. 

Cette  église  cathédrale,  construite  depuis  long- 
temps, et  restée  sans  consécration,  ce  qui  ne  l'em- 
pêchait pas  de  servir  aux  usages  du  culte,  était  déjà 
presque  en  ruines  quand  enfin  eut  lieu  sa  dédicace  ^ 
Gausbert  lui  fit  don  d'un  alleu  qu'il  avait  acquis  d'Ât- 
ton ,  comte  de  Pallas ,  au  terroir  de  l'antique  lieu  de 
Mutacionemy  aujourd'hui  simple  quartier  rural  sous  le 
nom  de  Madahons. 

Suivant  une  inscription  existante  à  Saint -Martin 
d'Anipurias ,  Gausbert  aurait  acquis  un  nom  célèbre 
par  quelque  expédition  guerrière,  puisqu'il  y  est  qua- 
lifié de  héros  triomphant;  on  ignore  complètement 
contre  qui  il  eut  à  prendre  les  armes  ;  on  ne  sait  pas 
mieux  quelle  fut  Tannée  de  sa  mort. 

'   Ecclesia  jam  ponc  vetusta  a  longo  teuipore,  iiiconsccrata  reman- 
serat.  Marca  hispan. 


CHAPITRE   TROISIÈME.  45 

Wifred,  Gausfred  ou  Goifrid,  car  on  trouve  ce  Cmnbtàv. 
nom  écrit  de  ces  trois  manières,  succéda  à  Gausbert, 
son  père,  et  fut  en  même  temps  comte  de  Roussil- 
lon,  d'Ampurias  et  de  Peralade^  La  première  époque 
connue  de  son  règne  est  indiquée  par  une  charte  de 
juin  946.  Suivant  Zurita,  ce  prince  aurait  peuplé  la 
ville  de  Coliioure,  en  vertu  de  la  permission  qu'il  en 
aurait  reçue  de  Lothaire  en  981;  mais  on  a  vu  que 
GoUioure  existait  déjà  comme  château  du  temps  du 
roi  Wamba.  Ce  que  Lothaire  concéda  à  Wifred,  ce 
(ut  un  terrain  inculte  entre  Coliioure  et  Banyuls, 
ainsi  que  le  démontre  l'acte  de  cette  concession  rap- 
porté par  Baluze.  Dans  cet  acte  le  roi  donne  au 
comte  le  titre  de  duc  son  ami  ^. 

En  978  Wifired  et  Suniaire,  son  troisième  fils,  ^^s. 
évèque  d'Elne,  car  cet  épiscopat  ne  sortait  guère  de 
la  maison  des  comtes  de  Roussillon,  assistèrent,  avec 
l'évique  de  Vie  et  quelques  autres  personnages  émi- 
nents,  à  la  fête  patronale  du  monastère  de  Saint- 
PieiTC  de  Rodes,  en  Âmpourdan,  et  Wifred,  en  sa 
qualité  de  comte  d'Ampurias,  y  jugea  en  faveur  de 
Tabbé  une  contestation  sur  un  droit  de  pêche.     . 

Ce  comte  partagea  ses  domaines  entre  ses  deux 
ffls  :  le  plus  âgé ,  Hugues ,  eut  les  comtés  d'Ampurias 

'  Fossa,  Mém.  sur  Us  comtes  de  RoussiUon,  dans  l'Art  de  vérifier  les 
dates. 

'  Haecomnia  secundum  petitionem  jam  dicti  ducis  Goifridi,  amici 
Bostri,  etc.  Marca  hispan. 


A6  LIVRE   PREMIER. 

et  de  Besalu,  le  second,  Guilabert,  obtint  celui  de 
Roussillon. 

L'année  de  la  mort  de  Gausfred ,  ou  Wifired ,  est 
tout  aussi  inconnue  que  celle  du  décès  de  ^s  prédé- 
cesseurs; il  parait  cependant  qu'il  vivait  encore  au 
moment  où  un  illustre  personnage  accourut ,  du  fond 
de  ritalie,  au  monastère  de  Saint-Michel  de  Guxa 
pour  y  prendre  Thabit  religieux.  Attiré  par  la  réputa- 
tion dont  jouissaient  ces  laborieux  cénobites,  Pierre 
Urseolo,  ancien  doge  de  Venise,  vint  chercher  parmi 
eux  et  au  milieu  des  solitudes  de  cette  vallée  de  Guxa, 
à  cette  époque  âpre ,  sombre  et  boisée ,  un  port  contre 
les  orages  du  siècle.  Une  vie  monastique,  alors  tout 
employée  au  travail  des  mains,  lui  faisait  espérer  le 
calme  et  le  repos  qu'il  ne  rencontrait  pas  au  mflieu 
de  l'opulence  et  des  grandeurs  ^  Le  monastère»  de 
Saint-Michel  était  de  l'ordre  de  Saint-Benoit,  ordre 
utile  et  précieux  qui  enseigna  d'abord  aux  hommes 
qui  habitaient  les  vallées  des  montagnes,  couvertes 
partout  de  landes  ou  de  forêts,  à  défricher  les  teiTes 
incultes  et  à  les  mettre  en  produit  ;  et  qui,  après  s'être 
rendu  ainsi  le  bienfaiteur  de  Tagricultiure,  entra  avec 

*  P.  Urséolo  passa  dix-neuf  ans  dans  ce  monastère  et  y  mourut  en 
997.  Voypz  J.  Villanueva,  Vlage  Ut.  etc.  tom.  VF,  page  1 85,  et  Just.  Fon- 
tanini,  de  S.  P.  Urseolo,  duce  Vrnetonun.  Rome,  1730.  En  1752  les 
moines  de  Saint-Michel,  à  la  prière  du  cardinal  de  Fleuri,  accordèrent 
à  la  république  de  Venise  une  relique  de  Saint-Pierre  Urséole,  et  re- 
çurent en  présent  un  bassin  d'argent  avec  son  vase,  d'un  très-beau  tra- 
vail. Essais  hisloriqurs  et  mililairfs  sur  la  province  de  Boussillon. 


CHAPITRE   TROISIÈME.  47 

la  même  ardeur  dans  le  champ ,  alors  non  moins  sau- 
vage, des  lettres  dont  il  fut  le  restaurateur,  après  en 
avoir  été  le  conservateur  au  milieu  de  la  barbarie  du 
moyen  âge  ^. 

La  première  année  du  xi*  siècle  fut  signalée  par  la 
fondation  du  monastère  de  Saint -Martin,  aussi  de 
l'ordre  de  Saint-Benoit,  au  milieu  des  rochers  du  pied 
du  mont  Canigou  par  le  comte  de  Cerdagne. 

La  Cerdagne,  qu'avaient  possédée  les  trois  pre-      comiai 
miers  comtes  de  Barcelone,  Wifred  le  Velu,  Wi-  ^c«d*gn«. 
fred  II,  son  fils,  et  Miron,  frère  de  ce  dernier  mort     wifr»dn. 
sans  postérité ,  avait  été  donnée  par  celui-ci  k  Oliba 
Cabreta,  le  second  de  ses  enfants.  Après  Oliba,  mort 
enggo,  ce  comté  avait  passé  sur  la  tête  de  Wifred, 
le  quatrième  de  ses  enfants,  qui  fut  le  fondateur  de 
Saint-Martin,  où  il  se  retira  par  la  suite  avec  sa  se-       looi. 
conde  femme  :  après  la  mort  de  celle-ci,  il  y  prit 
même  lliabit  monastique. 

La  fondation  de  cette  abbaye  ne  fut  point  due, 
comme  l'ont  avancé  quelques  auteurs,  à  une  pré- 
tendue pénitence  imposée  à  Wifi^d  par  le  pape,  en 
expiation  du  meurtre  d  un  neveu  qu'il  aurait  tué  dans 
im  mouvement  de  colère ,  mais  à  la  piété  de  ce  prince , 

'  On  a  vu,  par  le  capital  du  nouveau  monastère  de  Saint-Michel, 
que  c'était  une  vaste  école  d'exploitation  rurale;  c'est  aux  bénédic- 
tiaa  que  l'on  dut  plus  tard  les  ouvrages  de  recherches  les  plus  impor- 
tants, tels  que  la  Gallia  chris^ana,  TÂrt  de  vérifier  les  dates,  l'Antiquité 
expliquée,  la  Nouvelle  diplomatique,  la  Collection  des  historiens  fran- 
çais, etc.  etc. 


1009. 


Gnikbert  I"*. 


looi. 


Gansfrad  II. 
1014. 


48  LIVRE   PREMIER. 

ainsi  que  le  témoigne  Sergius  IV,  dans  la  confirma- 
tion de  cette  fondation  ^  L'église  en  fut  consacrée 
le  4  des  ides  de  novembre  1009  par  Oliba,  évèquc 
d'Elne,  et  cette  consécration  fut  confirmée  ensuit! 
dans  un  concile  tenu  à  Narbonne  vers  loSa  ^ 

Avant  sa  reti^aite  dans  le  monastère  de  Saint-Mar 
tin ,  le  comte  de  Cerdagne  faisait  sa  résidence  dani 
le  village  de  Comella-de-Conflent,  alors  beaucoup 
plus  considérable  que  de  nos  jours,  et  où  il  avait  fail 
bâtir  un  palais  et  une  église  au  retable  de  laquelle  on 
voit  ses  armoiries. 

Le  comte  de  RoussiUon ,  Guilabert  I",  n  est  connu 
que  par  quelques  donations  au  monastère  de  Saint- 
Pierre  de  Rhodes,  en  1 007,  et  par  un  plaid  auquel  il 
assista  k  Urgel  en  1010.  Du  vivant  de  ce  comte,  l'é- 
vêque  d'Elne  assista  à  une  assemblée  convoquée  pai 
Gui  m,  évêque  du  Puy,  dans  laquelle  furent  dressés 
des  règlements  faisant  défense  aux  prêtres  de  porter 
des  armes,  et  aux  laïques  de  troubler  les  cultivateurs 
dans  leurs  travaux. 

Le  successeur  de  Guilabert,  dont  on  rapporte  la 
mort  à  Tannée  1  o  1 4 ,  fut  Gausfred  II ,  en  comptant 
Wifred  pour  Gausfred  I".  Ce  prince,  encore  très- 
jeune  quand  son  père  mourut,  eut  à  disputer  son  hé- 


*  Cette  bulle,  écrite  sur  des  feuilles  de  roseau,  se  conserve  à  la  bi- 
bliothèque de  Perpignan. 

*  L'acte  original  de  cette  confirmation,  souscrit  par  vingt-cinq  pré- 
lats, est  aux  archives  de  la  préfecture  des  Pyrénées-Orientales. 


CHAPITRE  TROISIÈME.  49 

ritage  contre  son  oncle  Hugues,  comte  d'Âmpurias, 
qui  tenta  de  l'en  dépouiller.  Grâce  au  comte  de  Be- 
salu,  qui  prit  la  défense  de  lorphelin,  Gausfred  fut 
maintenu  dans  la  possession  de  ses  domaines.  La 
guerre  qui  avait  eu  lieu  à  cette  occasion  se  termina 
en  lotio  par  la  médiation  d'Oliba,  évêque  d'Ausone  loao. 
(Vie).  Gausfred  assista,  le  16  mai  1012 5,  à  la  dédi-  ioa5 
cace  deTéglise  de  Saint-Jean  de  Perpignan,  première 
paroisse  fondée  dans  cette  ville  alors  naissante ,  et 
dont  nous  allons  retracer  succinctement  lorigine. 


1. 


50  LIVRE  PREMIER. 


CHAPITRE  IV. 

Origine  de  Perpignan.  — Première  église  de  Saint-Jean.  — Dé- 
sordres en  RoussiUon.  —  G)ncile  de  Touloujes.  — -  Trêve  de 
Dieu.  — Fiefs  de  Fcglise  d*Elne.  —  G)mtes  de  Cerdagne.  — 
Etat  de  misère  du  RoussiUon.  —  Testament  du  dernier 
comte. 

La  ville  de  Perpignan ,  dont  quelques  écrivains  ont 
voulu  faire  remonter  Torigine  jusqu'aux  temps  Ëd)u- 
leux,  suivant  Thabitude  des  anciens  auteurs  d'his- 
toires locales ,  a  pris  naissance  k  la  fm  du  x*  siècle. 
Marca,  trompé  par  une  inscription  antique  apportée 
dans  cette  ville  par  un  de  ses  citoyens,  Davi,  qui 
avait  été  gouverneur  de  Tîle  dTvice  ',  inscription  qui 
se  rapporte  à  la  ville  dTvice ,  anciennement  nommée 
Flaviam  Ebasum,  attribue  ce  dernier  nom  à  Perpi- 
gnan, qui,  d'après  cette  pierre,  aurait  été  im  muni- 
cipe  romain.  Cette  erreur,  accréditée  par  son  auto- 
rité et  partagée  par  divers  écrivains,  et  entre  autres 
par  le  savant  dom  Vaissette,  a  été  répétée  dans  l'his- 
toire de  l'académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  *. 

Si,  comme  tout  autorise  k  le  croire,  il  existait  du 
temps  des  Romains  une  route  directe  de  Combusta 

'  Fossa,  Mémoires  pour  Tordre  des  avocats. 
*  Tome  XXV. 


CHAPITRÉ  QUATRIÈME.  51 

oi  Sùibtdmn,  cette  route  devait  inévîtaMement  tra- 
Tetser  la  Tet  vers  le  point  où  se  trouve  aujourd'hui 
le  pont  tout  moderne  de  Perpignan.  Sur  la  rive  droite 
de  Cette  rivière,  au  point  oii  on  la  traversait,  il  a  pu 
y  ânrôir  anciennement  une  de  ces  hôtelleries  k  Tusage 
des  voyageurs  qu'on  appelait  hospitiutn  ou  diversorium. 
Ce  iivefsonum  a  pu  être  Forigine  de  la  ville  actuelle 
de  Perpignan.  Quant  au  nom  même,  rien  n'autorise 
l'étymologie  qu'on  lui  attribue  vulgairement  ^  Le  mo- 
lAiment  le  plua  ancien  qui  en  fasse  mention  est  un 
acte  dé  vente  de  Fan  95121,  dans  lequel  la  villa  Perpi- 
lisnîest  citée  comme  lun  des  confronts.  Dans  un  acte 
postérieur  de  six  ans  à  celui-ci,  le  chemin  qui  y  mène 
est  également  confront  dans  une  donation.  Perpi- 
gnan n'est  donc  considéré,  dans  ces  deux  pièces,  que 
eomme  un  alleu,  et  il  se  montre  en  effet  sous  ce  nom 
tfdleu  en  9  58.  Mais  cet  alleu  devait  être  considé- 
raMe,  puisque  le  marquis  de  Septimanie,  qui  en  était 
propriétaire,  le  partage  par  son  testament  entre  les 
églises  (FElne ,  de  Gironeet  de  Saint-Pierre  de  Rodes 

'  Ud€  tradition  fait  dériver  le  mot  Perpignan,  Perpinya,  en  catalan, 
depCTv-Pmya,  Pierre  Pigne.  Si  cette  étymologie  était  vraie,  les  très- 
▼ieux  actes  ne  porteraient  pas  viUa  Perpiniani  on  de  Perpiniano,  mab 
tilk  Pétri  Pinjœ,  Les  anciens  étaient  très-attentifs  à  conserver  les  noms 
propres,  et  il  n''y  a  pas  d^exemple  qu'ils  aient  syncopé  des  noms  avec 
leoH  prénmns  pour  en  faire  une  dénomination  de  lieu;  il  n'y  a  pas 
(Texemple  aussi  qu  ils  aient  conservé,  dans  les  actes  écrits  en  latin,  des 
fwénmns  en  langue  vulgaire,  comme  serait  Père  pour  Petrus.  D  après 
Baluze,  on  attribuait  Torigine  de  Perpignan  à  une  hôtellerie  de  Ber- 
nard Perpinya,  ce  qui  serait  plus  croyable. 

4. 


52  LIVRE   PREMIER, 

en  Âmpourdan  ^  Ces  terrains  durent  être  achat 
ces  églises  par  le  comte  Gaus&ed ,  quand  il  vou 
établir  une  ville. 

L'existence  d'une  ville  ne  commence  qu'au 
ment  où  une  population  réunie  sur  un  même  ] 
est  assez  considérable  pour  qu  on  lui  donne  les  me 
de  se  livrer  aux  pratiques  du  culte.  L'alleu  qui  i 
tituait  la  villa  Perpiniani  ne  commença  à  jouir  d 
avantage  qu'en  loaS.  A  cette  époque  seulemen 
glise-mère  fut  bâtie  au  moyen  des  fonds  Êiits  par 
sieurs  personnes  k  la  tête  desquelles  figiu^nt  P 
Gausbert,  Bernard,  un  autre  Pons,  Amalric,  Ci 
Austun  et  Pierre,  que  l'acte  de  consécration  qu 
barons  ou  boni  homines,  expression  qui  se  con^ 
ensuite  en  richi  homines.  Réunis  au  comte  de  F 
sillon ,  ces  barons ,  et  d'autres  qui  ne  sont  pas  nom 
fondèrent,  sous  l'invocation  de  saint  Jean,  la  pren 
paroisse,  dont  la  consécration  fut  faite,  comme  i 
l'avons  dit,  le  17  des  calendes  de  juin  (16  mai) 
l'évêque  d'Elne  ^.  C'est  alors  sans  doute  que  le  ce 
Gausfred  accorda  h  cette  localité  les  privilèges  qu 
vaient  en  augmenter  la  population ,  et  faire  la  bas 
son  code  coutumier. 

A  l'église  de  Saint-Jean,  dotée  des  dîmes  du 
roir  de  Perpignan ,  fut  annexé  un  cimetière  ainsi 
le  dit  l'acte  de  consécration  :  voilà  donc  le  mor 

*  Voyez  ce  testament  dans  les  preuves  de  Thistoire  de  Languedi 

*  Voyez  aux  preuves  n°  VII. 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  53 

où  une  population  fut  réellement  agglomérée  sur  le  sol 
de  la  villa  de  Perpignan ,  où  cette  population  put  re- 
cevoir sur  ce  sol  le  baptême  et  la  sépulture;  jusque- 
11  ce  n'était  qu'une  population  éparse,  obligée  d'aller 
chercher  le  premier  des  sacrements  et  déposer  sa  dé- 
pouille mortelle ,  soit  à  Ruscino ,  soit  au  Vemet  ou  à 
la  titta  Godoram.  Voilà  donc  le  berceau  réel  de  la  ville 
de  Perpignan  ^;  ainsi,  c'est  à  tort  que,  trompé  sans 
doute  par  l'erreur  de  Marca ,  Dulaure  a  mis  Perpi- 
gnan au  nombre  des  villes  qui,  comme  Toulouse  et 
Bordeaux ,  conservèrent  le  droit  de  donner  à  leurs 
magistrats  la  dénomination  de  consuls,  jurats,  capi- 
touls,  ainsi  que  leur  autorité  antique  ^. 

L'époque  de  Gausfred  II  fut,  à  ce  qu'il  paraît,  l'une 
de  celles  où  les  désordres  occasionnés  par  les  haines 
particulières  et  l'ambition  des  barons  étaient  par- 
"venus  au  degré  le  plus  effrayant.  A  l'exemple  des  sei- 
gneurs souverains,  les  seigneurs  moins  puissants , 
cherchant  à  agrandir  leurs  domaines  et  à  accroître 
leur  importance  aux  dépens  les  uns  des  autres ,  s'en- 
levaient réciproquement  leurs  héritages  et  leur  juri- 
diction ;  les  inimitiés  étaient  inextinguibles  et  les  ani- 
ïûosités  de  familles  héréditaires.  Des  guerres  privées 
avaient  lieu  de  village  à  village,  de  château  à  château; 
*es  églises  étaient  dévastées,  les  voyageurs  arrêtés  et 
dépouillés,  les  cultivateurs  maltraités,  leurs  maisonv 

*  Voyez  la  note  vu  à  la  fin  du  volume. 

*  Mémoires  de  F  académie  celtique,  tome  f. 


54  LIVRE  PREMIER, 

incendiées,  leurs  bestiaux  tués  ou  enlevés  :  ladésc 
lation  était  partout  ^.  Les  principaux  seigneurs  de  l 
Septimanie  et  de  la  marche  d*£spagne,  dans  la  vui 
de  mettre  un  terme  ou  au  moins  des  bornes  à  i 
somme  de  maux  qui  accablaient  les  peuples,  proyo 
quèrent  la  réunion  d'une  assemblée  générale  des  m 
gncurs  laïques  et  ecclésiastiques  au  milieu  d*un  pu 
attenant  au  village  de  Touloujes,  à  upe  lie^e  de  Pei 
io4i.  pignan.  Le  nom  de  tous  les  seigneurs  qui  se  trou 
vèrent  à  cette  assemblée  n'est  plus  connu;  il  n> 
échappé  à  l'oubli  que  ceux  du  comte  de  Roussillon 
de  Guillaume ,  son  fils ,  de  Raymond ,  comte  de  Cer 
dagnc,  de  Pons,  comte  d'Ampurias,  de  Guillaume 
comte  de  Besalu  et  de  Gausbert,  vicomte  de  Cas 
telnou.  C'est  sans  doute  de  la  circonstance  que  cett 
assemblée  fut  présidée  par  un  prince  de  l'église ,  i'ar 
chevêque  de  Narbonne ,  et  de  ce  qu'elle  s'occupa  d'iii 
térêts  sacrés,  quelle  prit  le  nom  de  concile  au  liei 
de  celui  de  plaid. 

Dans  cette  réunion  fut  décrété  ce  qu'on  appela  1 
trêve  de  Dieu,  treuga  Dominiy  parce  qu'elle  suspen 
dait  les  hostilités  pendant  certains  jours  fériés  ^. 

'  L'ignorance  était  si  grande  aussi ,  à  la  même  époque,  que  rautev 
(l'une  chronique  manuscrite  du  chapitre  d'Elne  remarque  que  sous  \i 
Ycquc  Rérenger,  en  io38,  il  y  avait  un  chanoine  qui  ne  savait  pc 
écrire.  Archives  du  (jènie  miliiaire.  Mémoire  sur  le  Roussillon,  par  M.  Dai 
vare. 

*  Dvs  synodes  axaient  déjà  décrété  des  trêves  de  Dieu,  etDucang 
en  cite  une  de  l'an  99^^,  mais  elles  n'infligeaient  que  des  peines  cano 


10^  I . 

lr<'\e  de  Dieu 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  55 

Comtne  les  guerres  particulières  n'étaient  ni  en- 
tièrement autorisées  ni  entièrement  condamnées  par 
les  lois,  et  que  les  excès  commis  dans  ces  sortes  de 
^mres  étaient  de  droit,  quand  un  défi  avait  préala- 
bl^inent  précédé  l'agression,  l'abolition  subite  et  ab- 
solue d*un  usage  aussi  barbare ,  outre  qu  elle  n  était 
pas  dans  les  moeurs  du  temps,  aurait  été  encore  im- 
possible :  on  ne  pouvait  chercher  qu*à  en  restreindre 
la  durée.  Pour  y  parvenir,  on  protégea  du  manteau 
4e  la  religion  certaines  époques  de  Tannée ,  et  Ion 
déclara  sacrilèges  tous  excès  commis  pendant  ces  temps 
réservés.  L'immunité  des  lieux  saints  se  trouvait  sou- 
Tent  violée  dans  la  poursuite  d'un  ennemi  qui  se  ré- 
&giait  dans  une  église  comme  dans  un  fort  inatta- 
quable; certains  seigneurs,  afin  de  fiadre  participer  leur 
retraite  à  cette  même  immunité ,  faisaiept  aussi  adosser 
leurs  châteaux  à  l'é^e  même  :  le  concile  de  Tou- 
loujes  seSbrça  d'empêcher  tous  ces  abus.  Il  fiit  dé- 
^du  :  1°  de  poounettre  aucune  violence  dans  ]es 
^^8  contre  lesquelles  on  n'avait  pas  élevé  de  for- 
teresse ou  château,  dans  les  cimetières  et  autres 
ueui^  sacrés ,  à  trente  pas  à  la  ronde ,  sous  peine  de 
werilége; 

^"^  D'attaquer  les  clercs  marchant  sans  armes,  les 
^ligieux  et  religieuses ,  et  les  veuves  ; 

3*  De  saisir  les  juments  et  les  poulains  au -des 

^tt;  ceBe  de  Touloujes  fat  la  première  où,  par  le  concours  des 
^^icft,  on  put  &ire  lapplicaiion  de  peines  temporelles. 


56  LIVRE  PREMIER. 

sous  de  six  mois ,  les  vaches ,  ânes  et  autres  bestiai 
utiles  à  l'agriculture  ; 

4"  De  brûler  les  maisons  des  paysans  et  des  der 
qui  portaient  les  armes.  Le  contrevenant  à  ces  st 
tuts ,  qui  n'aurait  pas  réparé  dans  le  terme  de  quin: 
jours  le  mal  qu'il  aurait  fait,  était  condamné  à  paye 
entre  les  mains  du  comte  ou  de  l'évêque  qui  aun 
fait  exécuter  le  décret  du  concile ,  le  double  des  doi 
mages  qu'il  aurait  causés. 

5"*  Étaient  placés  sous  la  trêve  de  Dieu ,  qui  devi 
être  observée  par  tous  les  chrétiens ,  le  jeudi,  le  ve 
dredi ,  le  samedi  et  le  dimanche  de  chaque  semain 
à  partir  du  soleil  couchant  du  mercredi  jusqu^au  soh 
levant  du  lundi;  tout  l'Avent  et  temps  suivant  jusqii 
l'octave  de  l'Epiphanie;  tout  le  carême,  depuis 
lundi  gras  jusqu'au  lundi  après  l'octave  de  la  Peni 
côte;  les  fêtes  et  vigiles  de  l'exaltation  de  la  croix,  i 
la  Vierge,  de  tous  les  apôtres,  de  saint  Laurent,  i 
saint  Jean ,  de  saint  Michel  et  saint  Martin ,  la  vîgi 
de  la  Toussaints  et  les  Quatre-Temps  :  tout  violate 
de  ces  statuts  devait  payer  au  double  de  sa  valeur 
dommage  qu'il  aurait  causé,  et  se  justifier  dans  la  < 
thédrale  par  Vépreuve  de  Veaa  froide.  Si  un  meurt 
avait  été  commis  dans  ces  jours  de  trêve  forcée, 
coupable  était  condamné  à  un  exil  perpétuel. 

Ces  articles  de  la  trêve  de  Dieu,  du  concile  de  To 
ioujes,  la  première  où  l'autorité  temporelle  intervi 
avec  la  spirituelle,  furent  confirmés  par  le  concile  i 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  57 

Saint-Gilles  le  k  septembre  de  l'année  suivante.  Les 
évêques  des  Gaules,  qui  de  leur  côté  s*efibrçaient 
aussi  de  mettre  un  frein  aux  guerres  privées  dé  leurs 
diocèses ,  la  revêtirent  de  leur  approbation  dans  leurs 
synodes  particuliers,  et  ils  firent  tout  leur  possible 
pour  la  faire  adopter  par  les  seigneiurs  soumis  à  leur 
régime  spiriUieL  Les  modifications  et  les  légers  chan- 
gements que  chacun  de  ces  prélats  crut  devoir  ap- 
porter aux  statuts  du  concile  de  Touloujes,  pour  les 
approprier  à  son  diocèse,  furent  T origine  des  va- 
riantes qui  se  font  remarquer  dans  les  différentes 
copies  de  cet  acte  célèbre  ^ 

0  ne  suffit  pas  de  décréter  le  bien,  il  faut  avoir 
les  moyens  d'en  assurer  l'observation ,  et  ces  moyens 
manquaient  le  plus  souvent  pour  la  trêve  de  Dieu. 
L'impérieux  besoin  de  mettre  un  terme  aux  affreuses 
calamités  qui  avaient  provoqué  cette  mesure  fit  alors 
passer  sur  la  forme,  et  l'on  convint  que  tout  viola- 
teur de  la  trêve  de  Dieu,  quand  il  aurait  été  condamné 
paries  évêques  ou  par  les  barons,  à  qui  appartenait 
également  la  connaissance  de  ces  infractions ,  pour- 
fait  être  tué  impunément  par  qui  que  ce  fût  ;  et  pour 
donner  plus  d'autorité  encore  à  cet  homicide  légal, 
on  le  qualifia  du  nom  de  zèle  de  justice;  et  dans  la 
f^mese  ou  instruction  des  évêques  des  Gaules  sur  la 
*^e  de  Dieu,  de  l'année  suivante,  lodii,  il  fiit  in- 
séré que  ceux  qui  vengeraient  ainsi  la  cause  de  la  jus- 

ffisbire  gémérale  du  Languedoc ,  tome  I. 


58  LIVRE  PREMIER. 

tice  seraient  regardés  comme  sélatemv  de  la  caBSe  de 
Dieu  ^.  La  violence  du  remède  prouve  sans  contredit 
toute  celle  du  mal;  mais  ni  l'une  ni  l'autre  ne  sau- 
raient jamais  changer  la  nature  criminelle  de  ce  mode 
d'exécution  si  susceptible  des  plus  efiroyables  abus. 

Les  désordres  qui  avaient  motivé  la  tenue  du  con- 
cile de  Touloujes  étaient  trop  généraux,  trop  dans  les 
habitudes  de  ceux  même  qui  devaient  faire  exécuta 
cette  trêve  de  Dieu,  pour  que  les  statuts  décrétés  dans 
cette  assemblée  pussent  les  arrêter  :  on  n'en  tint  au- 
cun compte,  et  les  guerres  privées  continuèrent 
comme  auparavant  et  aux  jours  prohibés.  En  multi* 
pliant  trop  les  jours  réservés ,  on  avait  annulé  le  re- 
mède :  on  le  sentit  très-bien.  Le  1 7  des  calendes  de 
1047.  juin  lody,  l'évêque  de  Vie,  en  l'absence  de  cdiui 
d'Ëlne  qui  se  trouvait  alors  en  pèlerinage  à  la  Tefre» 
Sainte ,  réunit  de  nouveau  à  Touloujes  les  dignitaires 
de  la  cathédrale  d'Elne,  le  chapitre  et  une  grande 
foule  de  laïques,  tant  hommes  que  femmes,  et  dans  ce 
synode  on  modifia  les  statuts  du  concile.  Les  jours  ré- 
servés pour  la  trêve  de  Dieu  furent  bornés  aux  seuls 
dimanches,  à  partir  du  samedi  soir  à  neuf  heures  jus- 
qu'au lundi  au  lever  du  soleil  ;  la  raison  alléguée  fut 
celle  de  laisser  k  chacun  la  faculté  de  remplir  libre-^ 

'  Cum  «utem  cvepcrit  cuidam  vindicare  in  eos  qui  banc  charbon  et 
Dei  trevam  irrunipore  prxsunipsorint,  vindicantes  nulli  culpœ  ha- 
beanlur  obnoxii,  sed  sicut  cultores  causse  Dei  ab  omnibus  christianis 
eieant  et  redeant  benedicli.  Apud  scripl.  remm  franc,  tom.  XJ. 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  50 

ment  et  sans  péril  ses  devoirs  de  chrétien  le  jour  éa 
semeur;  fl  fut  défendu  d* attaquer,  i**  les  cAercs  et  les 
moines  ¥oyageant  sans  armes;  a**  toute  pei^onne  al- 
lant à  l'église  ou  au  concile,  ou  en  revenant;  ^^  les 
hommes  voyageant  avec  une  besace  ou  accompa* 
gnant  des  femmes;  il  fut  également  défendu  d'envahir 
les  églises  ainsi  que  les  maisons  bâties  auprès  d'elles, 
à  un  rayon  de  trente  pas. 

Le  comte  de  Roussillon  Gausfred  avait  assisté  le       1068. 

i5  de  novembre  10 45  à  la  dédicace  de  la  nouvelle 

éj^  d'Arles;  le  k  des  ides  de  décembre  io58  il  se 

rendit  au  concile  tenu  |à  Ëlne  pour  la  condamnation 

de  la  vieille  cathédrale  et  pour  l'acte  expiatoire  qui 

devait  précéder  là  construction  de  la  nouvelle ,  cons^ 

tniction  à  laquelle  il  contribua  puissamment  par  ses 

libéralités.  La  vieille  église,  qui  était  déjà  presque  en 

mines  au  moment  où  elle  fut  consacrée ,  se  trouvant 

dans  la  ville  basse  et  trop  exposée  aux  ravages  des  pi> 

rates,  il  fut  décidé  de  la  démolir  et  de  la  remplacer 

par  une  autre,  construite  dans  la  ville  haute;  mais 

comme  la  destruction  d  un  lieu  consacré  était  une 

sorte  de  sacrilège,  l'évêque  Bérenger  II  réunit  dans 

sa  ville  épiso^ale  l'archevêque  de  Narbonne  avec 

une  très-grande  suite,  l'évêque  de  Garcas^onne  avec 

sa  suite,  celui  de  Girone  aussi  avec  la  sienne,  les 

comtes  de  Roussillon  et  de  Gerdagne  avec  une  suite 

nombreuse,  ainsi  qu'un  très-grand  nombre  d'autres 

personnes  de  différentes  villes.  L'objet  de  cette  vaste 


60  LIVRE   PREMIER. 

convocation  était,  dit  le  prélat,  de  les  rendre  témoins 
de  la  réparation  que  les  destracteurs  de  t église  faisaient 
envers  le  chapitre  de  Sainte-Ealalie  pour  la  rémission  de 
leurs  péchés.  Cette  réparation  expiatoire  consista  dans 
la  donation  très-considérable  faite  à  Téglise  du  village 
de  Salelles  avec  toutes  ses  dépendances.  Déjà ,  à  cette 
époque ,  Téglise  d'Elne  possédait  de  grandes  proprié- 
tés. En  898  révêque  Riculfe,  voyant  sa  cathédrale 
et  presque  toutes  les  églises  de  son  diocèse  en  ruines, 
s*était  adressé  à  Ghaiies  lU  et  à  sa  mère  Adélaïde,  et 
il  en  avait  obtenu  la  donation  pour  lui  et  ses  succes- 
seurs de  plusieiu's  villas  et  de  plusieurs  terres.  Ces  do- 
nations et  celles  des  comtes ,  tant  de  RoussiUon  que 
de  Baixelone  et  des  états  voisins,  finirent  par  attri- 
buer à  réglise  d'Ellne  une  juridiction  immense  dans 
le  pays.  Un  état  des  fiefs  dépendants  de  cette  église, 
dont  récriture  paraît  être  du  xii*  siècle ,  place  parmi 
ses  feudataires  les  vicomtes  de  Taxu,  de  Castelnou, 
de  Rocabcrti;  les  seigneurs  de  Pia,  de  Salses,  d'Ol- 
trera,  du  Vernct,  de  Touloujes,  de  Montesquiou,  de 
Laroque,  de  Vilasèque,  de  Latour-d*Elne ,  du  Canet, 
de  Villerase,  de  Saint-Cyprien,  de  Mossol,  de  Péra- 
pertusa ,  de  Montescot  et  de  Castel-Roussillon  ;  peu 
d'années  après  elle  eut  encore  pour  vassal  le  seigneur 
de  Bages. 

La  nouvelle  église  d*Elne,  qui  fut  construite  en 
dix  ans ,  s*éleva  sur  le  même  plan  que  celle  du  Saint- 
Sépulcre,   de  Jérusalem,   dont  Bérenger   avait  lui- 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  61 

même  rapporté  le  dessin  de  son  pèlerinage  à  la  Terre 
Sainte. 

Gausfred  eut  pour  successeur,  dans  son  comté,  GoikiMrt  i. 
Goilabert  II ,  son  fils,  vers  Tan  1078.  Le  nombre  des  ^075. 
maisons  groupées  autour  de  1  église  de  Saint-Jean  de 
Perpignan  s'accrut  sous  ce  prince,  qui,  en  1 1  oa ,  ins- 
titua dans  cette  église  un  chapitre  de  collégiale  sous 
Tautorité  d'un  chapelain  majeur.  Cette  église,  quoique 
moins  opulente  que  celle  d'Elne,  n'en  acquit  pas 
moins  en  peu  de  temps  une  juridiction  qui  s'étendait 
sur  plusieurs  villages,  où  elle  avait  le  droit  d'exercer 
la  haute  et  basse  justice ,  et  d'infliger  toutes  sortes  de 
peines  à  la  réserve  de  celle  de  mort.  Toutes  les  autres 
^;lises  de  Roussillon,  s' enrichissant  dans  le  même 
temps  et  dans  la  même  proportion ,  on  peut  dire  qu'au 
m*  siècle  le  dixième  de  la  superficie  de  ce  comté  était 
directement  ou  indirectement  sous  la  dépendance  du 
dergé;  cependant,  malgré  ces  libéralités  excessives, 
plusieurs  finirent  par  tomber  dans  la  pauvreté.  Les 
guerres  désastreuses  que  le  Roussillon  eut  fréquem- 
ment à  essuyer,  les  dévastations,  les  pillages  aux- 
quels ces  églises,  aussi  bien  que  les  monastères, 
furent  si  souvent  en  proie,  les  forçant  de  temps  à 
autre  d'aliéner  des  portions  considérables  de  leurs 
domaines,  l'indigence  en  atteignit  plusieurs. 

L'événement  le  plus  remarquable  du  règne  du 
comte  Guilabert  fut,  sans  nul  doute,  la  grave  insulte 
que  ce  prince  reçut  de  la  part  du  comte  de  Gerdagne. 


62  LIVRE   PREMIER. 

Goakom^  Guillaume-Raymond  avait  succédé  à  Wifired,  «on 
a.         père,   au  comté  de  Cerdagne,   quand  celui-ci  prit 

cerdâgne.  j'ijjajjit  rellgicux  daus  le  monastère  de  Saint-Martin, 
qu'il  ayait  fondé,  et  où  il  mourut  en  lo/ig,  suivant 
rinscription  de  son  tombeau  ^.  On  ne  sait  pas  quelle 
cause  donna  lieu  k  Tinimitié  qui  exista  entre  les  deux 
comtes;  la  seule  chose  connue,  c'est  que  celui  de 
Roussillon ,  se  trouvant  dans  l'église  de  Saint-Michel 
de  Guxa,  les  soldats  de  Guillaume-Ray tnond  Fen  chas> 
sèrent  de  vive  force.  En  réparation  de  la  profanation 
du  lieu  saint,  Tévêque  dTllne  condamna  le  comte  de 
Cerdagne  k  une  pénitence  canonique  et  à  quelques 
hbéralitéls  envers  la  cathédrale  et  certaines  autres 
églijses;  quant  à  la  question  entre  les  deux  comtes, 
iioo.  on  ignore  quelles  en  furent  les  suites.  L'an  i  loo  ce 
même  comte  Guilahert  envahit  la  villa  de  Texneriis, 
dont  il  revendiquait  la  propriété  sur  l'église  d'Ehie,  k 
qui  Guillaume  Arnaud  de  Salses  en  avait  donné  le 
tiers.  Après  des  incendies,  des  morts  d*hommes  et  des 
dommages  de  toute  espèce,  le  comte  finit  par  faire  à 


*  Otte  inscription  avait  été  transportée ,  avec  le  tombeau  du  comte, 
dans  Téglise  du  village  de  Castell;  la  voici  :  Anno  M.  XLIX  incarna- 
tionis  Domini,  pridie  Kalendas  augusti ,  obiit  Dominas  Gaufredus »  quondam 
cornes  nohilissimus  :  qui  sub  titulo  heati  Martini  prœsidis,  hune  locumjussit 
œdijican  :  unde  et  monackusfait  annis  deccmci  ocio.  Nomine  Domini  nostri 
J.'C.  cajus  dicti  Domini  comiiis  et  ejus  uxoris  Elisabeth»  comitissœ,  cor- 
para  transladari  fecit  in  hoc  tumulo  Dominas  Berenqarius  de  Columhario, 
ahbas  istias  loci.  anno  Domini  M.  CGC.  ij.  La  translation  dont  il  s  agit 
était  dé  la  chapelle  basse  dans  Véglise  haute. 


CHAPITRE   QUATRIÈME.  69 

i'évéqae  un  abandon  volontaire  de  la  portion  con- 
testée *. 

Fossa  pense  que  Guilabert  s'associa,  à  nne  époque 

iiiconnne,  le  comte  d*Ampurias,  Hugues,  qu'on  Toit 

en  effet  ajouter  à  ses  titres  cefaii  de  comte  de  Roos^ 

sillbii;  nous  penserions  plutôt,  avec  f  évèque  Taver- 

ner,  auteur  d'une  histoire  manuscrite  des  comtés 

d*Ampurias  citée  par  le  même  Fossa,  que  le  Rous- 

ftîUon  et  l'Ampourdan  étaient  possédés  par  indivis  par 

la  &mille  qui  régnait  sur  ces  deux  pays,  quant  aux 

di^oits  honorifiques,  et  qu'il  n'y  avait  de  séparé  que 

les  revenus.  Nous  Toyons  en  effet  à  tout  instant  des 

comtes  de  Roussillon  prendre  le  titré  de  comtes  d'Amr 

puiias  du  vivant  des  comtes  spéciaux  de  ce  pays,  et 

réciproquement  <  les  comtes  d'Ampurias  s'intituler 

comtes  dé  Roussillon  :  ce  sentiment  nous  senible  seill 

expliquer  convenablement  cette  singulatrité. 

Guinard  ou  Gérard,  nom  sous  lequel  ce  prince  est  GBUwrdi". 
plus  connu  hors  du  Roussillon,  soccédaf  k  Guilabert, 
son  père.  Parti  pour  la  Terre  Sainte,  avec  la  premîèt^ 
croisade,  Guinard  s'était  particulièrement  distingué 
^  si^  d'Antioche,  et  Guillaume  de  Tyr  le  cite 
comme  étant  monté  l'un  des  premiers  à  l'assaut  de 
«nisalem.  A  la  même  époque  le  fils  du  comte  de 
Cerdagne,  Guillaume  Jourdai/i,  surnom  emprunté  au 
^bre  fleuve  de  la  Palestine,  se  couvrait  aussi  de 
gloire  outre  mer. 

*  Mvca  hispan.  lib.  IV. 


oomto 
d«  RoainBoa. 


64  LIVRE  PREMIER. 

Après  avoir  pris  les  armes  en  faveur  de  Bernard , 
comte  de  Toulouse,  son  parent,  en  guerre  avec  le 
duc  d'Aquitaine,  Guillaïune  s*ctait  rendu  auprès  des 
croisés  et  avait  reçu  de  Raymond  de  Saint-Gilles,  son 
>>o^'  oncle,  la  donation  des  domaines  que  celui-ci  avait 
conquis  sur  les  infidèles.  Guillaume  entreprit  ensuite , 
mais  sans  succès ,  le  siège  de  Tripoli  que  bloquait  le 
comte  Baudouin ,  et  se  livra  à  quelques  autres  expé- 
ditions. Après  des  démêlés  et  un  accommodement 
avec  son  cousin,  Bertrand,  fils  de  Raymond  de  Saint- 
Gilles,  qui  ne  voulait  pas  reconnaître  la  donation  faite 
par  son  père,  Guillaume  revint  avec  lui  devant  Tri- 
poli, qui  fut  enfin  emporté.  Ce  prince  ne  jouit  pas 
longtemps  de  sa  part  de  triomphe  :  il  fut  tué  quelques 
jours  après  par  un  de  ses  écuyers.  Â  cette  époque 
il  avait  déjà  succédé  à  son  père  Guillaume-Raymond, 
au  comté  de  Cerdagne ,  conjointement  avec  son  frère 
Bernard-Guillaume, 
g^^^^^^  Ce  dernier,  resté  seid  comte  de  Cerdagne  par  la 

G.iik«iM,    mort  de  son  frère ,  avait  disputé  au  comte  de  Barce- 

comte 

aec«ra«gM.  lone,  Raymond -Bérenger,  la  succession  au  comté 
de  Besalu  que  Bernard,  dernier  possesseur  de  ce  fief, 
avait  légué  à  Raymond.  Mais  Bernard-Guillaume  n'a- 
vait point  d'enfants,  son  frère  n'en  avait  pas  laissé, 
et  l'héritage  de  la  Cerdagne  devait  exciter  l'ambition 
de  tous  les  princes  voisins.  Des  pourparlers  eurent 
lieu,  et  un  accord  survint  bientôt  entre  le  comte  de 
Barcelone  et  le  comte  de  Cerdagne.  Par  ce  traité. 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  65 

le  dernier  abandonna  à  Raymond-Bér^nger  les  places 
qu'fl  avait  déjà  conquises,  lui  céda  tous  ses  droits  sur 
les  domaines  de  Bernard  dont  il  avait  été  le  plus 
proche  parent ,  et  bientôt  après  il  Tinstitua  lui-même 
«on  propre  héritier  aux  comtés  de  Cerdagne  et  de 
Gonflent.  Ainsi,  Raymond-Bérenger  fut  en  possession 
dès  un  des  comtés  de  Besalu,  de  Vallespir  et  de 
Pienre-Pertuse ,  aussi  bien  que  des  vicomtes  de  Riupol 
et  de  Fenouillède  qui  formaient  l'héritage  du  comte 
Bernard,  et  en  1 1 1 7,  époque  de  la  mort  de  Bernard- 
Guillaume,  il  devint  également  maître  de  la  Cer- 
dagne et  du  Gonflent. 

Le  comte  de  Roussillon ,  Guinard  I*  revenu  de  la 
Terre  sainte,  ime  première  fois  du  vivant  de  son 
père,  une  seconde  fois  en  1 1  la ,  fut  tué,  on  ne  sait 
par  qui  ni  comment.  Tannée  suivante,  et  laissa  ses       ,,,3. 
domaines  à  son  fils,  Gausfi:ed  III,  encore  mineur,    ^■»'^'"' 

comic 

80US  la  tutelle  de  son  oncle  Arnaud,  fds  de  Gausfred,    a«RouMiiioD. 

ÇÙ  ajoutait  ce  nom  au  sien.  Get  Arnaud-Gausfred  a 

été  mal  à  propos  confondu  avec  le  comte  Gausfred  III , 

son  pupille ,  ainsi  que  le  démontrait  très-bien  Fossa  ^ 

dans  un  mémoire  destiné ,  à  ce  qu'il  paraît ,  à  rectifier 

Iw  erreurs  contenues  au  sujet  des  comtes  de  Rous- 

sfllon  dans  la  première  édition  de  TArt  de  vérifier  les 

dates. 

*  M.  Renard  de  Saint-Malo,  qui  a  eu  connaissance  du  mémoire 
inédit  de  Fossa,  a  publié  ce  fait  dans  le  numéro  du  Publicateur  du 
i  mai  i833. 

I.  5 


66  LIVRE  PREMIER. 

Pendant  le  temps  que  dura  sa  régence,  Arnaud- 

Gausfredj-qui  s* intitulait  aussi  comte  de  Roussiilon, 

1116.       fonda  dans  la  nouvelle  ville  de  Perpignan,  en  1116, 

un  hôpital ,  qui  est  Thospice  actuel  de  la  Miséricorde. 

C'est  le  seul  acte  connu  de  ce  comte-régent. 

Gausired  III,  que  Y  Art  de  vérifier  les  dates  fait  époux 
d'Ermengarde  Trencavel ,  fille  du  vicomte  de  Béziers, 
dès  Tan  1110,  tandis  que  lacté  sur  lequel  il  se  fonde 
n*cst  qu'un  simple  projet  dunion,  dans  lequel  on  pré- 
voit même  le  cas  où  Gausfred,  au  lieu  d'Ejrmengarde, 
prendrait  toute  autre  des  fdles  de  ce  vicomte  \  épousa 
réellement  Ermengarde  à  une  époque  inconnue;  mais 
vivant  très-mal  avec  cette  femme,  il  la  répudia  en 
I  i5i  ou  1  i5a  pour  en  épouser  une  autre.  Ermen- 
garde se  plaignit  au  pape  Eugène  II,  qui,  n'ayant  pas 
autorisé  ce  divorce ,  excommunia  Gausfred.  Adrien  IV, 
successeur  d'Eugène,  renouvela  cette  sentence,  en 
ajoutant  cette  fois,  pour  la  rendre  plus  formidable, 
une  disposition  qui  déclarait  les  enfants  du  second  lit 
illégitimes  et  inhabiles  à  succéder  à  leur  père.  De  son 
côté,  Guinard,  Gérard  ou  Guirard,  fils  d'&mengarde, 
ressentant  vivement  l'outrage  fait  à  sa  mère ,  malgré 
la  précaution  qu'avait  prise  son  père  de  commencer 
par  lui  donner  en  fief  la  ville  de  Pei^pignan  avec  l'as- 
surance de  sa  succession  au  titre  de  comte ,  s'unit  à 

^  Donamus  supradicto  Gaufrcdo  filio  de  Guirardo  omnia  supradicta 
per  supradictas  convciiicntias  cum  alia  una  de  filiabus  nostris  quam 
habueris  ad  uxorcm.  Dackerii  Spicileij.  tom.  111,  pag.  46 1. 


CHAPITRE   QUATRIÈME.  67 

son  onde  Raymond  Trencavel,  vicomte  de  Béziers, 
et  Tun  et  Tautre  entrant  en  Koussilion  exercèrent  les 
plus  grands  ravages ,  tant  sur  les  terres  des  seigneurs    , 
et  des  particuliers  que  sur  les  biens  du  temple  et  des 
élises. 

Au  milieu  de  Texcès  de  misère  qui  semble  avoir 
pesé  sur  le  Roussillon  pendant  la  durée  du  règne  de 
ses  comtes,  misère  quon  pourrait  dire  avoir  été  la 
conséquence  des  mœiu's  de  Tépoque,  le  règne  de 
Gausfred  se  fait  encore  remarquer  par  un  siu*croît  de 
désastres  et  d'infortune.  Avant  que  le  père ,  le  fils  et 
fonde  déchirassent  le  pays  par  leiu*s  divisions,  les 
pirates  i* avaient  déjà  désolé  par  leurs  rapines.  Au  con- 
cile tenu  à  Narbonne  en  1 1 35  \  nous  voyons  févêque  ,133. 
dXIne,  Udalgarius,  solliciter  les  grâces  de  la  sainte 
assemblée  en  faveur  de  ses  ouailles.  Après  le  tableau 
le  plus  déchirant  de  la  situation  de  son  diocèse,  le 
respectable  prélat  ajoute  qu  en  ce  moment  même  les 
infidèles  demandent  cent  jeunes  filles  pom^la  rançon 
des  prisonniers  qu'ils  avaient  faits  ^.  Les  pères ,  vive- 
ment touchés  de  cette  désolante  peinture,  décrètent 
aussitôt  de  faire  un  appel  à  la  générosité  des  fidèles 

^  Decrettun  concilii  Narbonensis  ann  mcxxxv,  in  favorem  ccclesisB 
fkmuàSf  ex  orig.  in  arch.  ecd.  cated.  Vicens.  n.  494.  Voyez  Appen- 
dice XLVII,  pag.  34o,  tom.  VI  du  Viage  Utemrio  a  las  Iglesias  de 
Eipna,  su  aoÊorelP.  Fr.  Jaime  Villanueva. 

'  •  • .  Centum  adolescentulas  virgines ,  ut  haberent ,  et  tenerent ,  et 

Morerent  eas  nefario  concubitu,  et  cum  eis  delectarentur (De- 

oetum.) 

5. 


G8  LIVRE   PREMIER. 

de  toute  la  province  de  Septimanie,  et,  pour  rendre 
plus  eflicace  cet  appel ,  ils  attachent  de  grandes  in- 
dulgences aux  aumônes  qui  seront  faites  dans  cette 
intention  ^ 

ii43.  Délivré  du  fléau  des  pirates,  le  Roussillon  fut  en- 

sanglanté par  une  guerre  intestine.  Le  vicomte  de 
Taxo,  Tun  des  plus  puissants  barons  du  pays,  voulut 
disputer  au  comte  de  Roussillon  les  droits  honori- 
fiques sur  la  terre  de  Pujols  qu'il  prétendait  lui  ap- 
partenir. On  prit  les  armes  de  part  et  d'autre,  de 
grands  ravages  furent  exercés  réciproquement  sur  les 
terres  des  guerroyants,  et  le  vicomte  de  Taxo,  vaincu 
enfin ,  fut  obligé  de  renoncer  à  ses  prétentions  :  l'acte 
de  renonciation  est  du  7  des  calendes  de  novembre  *. 

i»5s.  Après  cette  guerre  de  féodalité  vint  celle  de  fa- 

mille. Dans  celle-ci,  le  sang  des  Roussillonnais  coula 
de  toute  part  sous  le  fer  de  ceux  qui  étaient  appelés  à 
les  protéger;  les  maisons  furent  incendiées,  les  récoltes 
détruites ,  les  terres  ravagées ,  les  églises  mises  au  pil- 
lage. Enfin ,  après  de  longues  alternatives  de  succès 
et  de  revers,  pendant  lesquelles  tous  les  malheurs 
accablèrent  le  pays,  le  comte  Gausfred  et  son  fils  se 
réconcilièrent ,  et  le  dernier  fut  admis  en  part  dans  le 

*  L'archevt^que  Arnaud,  l^gat  du  saint  si6ge,  qui  présidait  le  concile 
de  1 1 35,  rendit  en  son  nom  le  Decrcfum  cité  plus  haut.  11  y  est  dit  :  Sar- 
rexit  Vdalgarius  Elencnsis  cpiscopus  in  prœsentia  toiius  synodi,  ostendens 
miseriam ecclesiœ  suœ 

*  L'original  de  cette  pic*ce  existe  aux  archives  du  département  des 
Pyrénées-Orientales. 


CHAPITRE   QUATRIÈME.  69 

gouvernement  du  comté  :  on  le  voit  en  effet  prendre 

le  titre  de  comte  en  1 162,  un  an  avant  la  mort  de        uSa. 

son  père.  Déjà,  dès  Tan  1 1^7,  il  avait  reçu  le  titre 

de  vicomte,   qui  n'était  qu'honorifique,  et  dont  le 

prince  revêtait  plusieurs  personnes  à  la  fois. 

En  cette  année,  1162,  fut  fondée  dans  le  Gonflent^ 
sur  la  limite  du  Languedoc,  Tabbaye  Clariana  ou  de 
Jau,  de  l'ordre  de  Gîteaux. 

Gausfred  mourut  le  24  février  1 1 63  sans  avoir  fait       ,,^3 
de  testament;  mais  il  avait  déclaré  verbalement  de-    Cuinurdij. 

oomto 

vant  sept  témoins  qu'il  laissait  ses  domaines  à  Gui-  deRouMUion. 
nard;  ces  témoins,  qui  étaient  Pons  de  Gollioure, 
Bernard  de  Villelongue ,  Guillaume  de  Soler,  Vincent 
de  Palau,  Âmaud-Radulfe,  Jean-Robert  et  Raymond 
de  Terrade  en  firent  une  déclai^ation  soleimelle,  at- 
testée par  serment,  sur  l'autel  de  Saint-Pierre  de  l'é- 
glise de  Perpignan,  en  présence  de  l'évêque  d'Elne, 
de  l'abbé  de  Saint<André  de  Sorède  et  de  Miron ,  juge 
de  Roussillon.  Il  résulte  de  cet  acte  que  la  ville  de 
Perpignan  était  déjà,  à  cette  époque,  le  chef-lieu  du 
comté  et  la  résidence  de  ses  princes. 

Le  nouveau  comte  avait  déjà  confirmé  l'année  pré- 
cédente, en  entrant  en  part  dans  le  gouvernement  du 
pays,  les  privilèges  de  cette  ville  nouvelle  ainsi  que 
les  coutumes  de  ses  habitants.  Ces  coutumes  étaient 
remarquables  en  cela,  que  le  premier  article  déclare 
que  les  lois  gothiques ,  généralement  observées  alors 
dans  la  Septimanic  et  la  marche  d'Espagne ,  n'étaient 


70  LIVRE   PREMIER. 

pas  reçues  à  Perpignan  (ce  qui  semble  indiquer  que 
Fancicn  alleu  de  Perpignan  avait  encore  une  popuda- 
lion  d'origine  romaine);  que  ses  habitants  ne  pou- 
vaient être  jugés  que  par  les  coutumes  de  la  ville  et 
par  le  droit  romain ,  là  où  les  coutumes  manquaient,  et 
qu  elles  nadmettaient  pas  les  épreuves  par  Teau  froide 
ou  chaude,  ni  par  le  feu  et  le  du?l  *.  Guinard  con- 
finna  ce  dernier  usage  en  particulier,  et  défendit 
qu'on  pût  jamais  s'en  écarter  ^.  Ce  comte  s'occupa 
beaucoup  de  l'agrandissement  de  la  ville,  fit  dessé- 
cher un  marais  ou  étang  que  formait  sans  doute  le 
ruisseau  de  la  Basse  derrière  Saint-Jean,  et  il  est  pro- 
bable que  c'est  lui  qui  fit  construire  la  première  en- 
ceinte fortifiée.  Il  est  certain  qu'il  n'existait  aucunes 
murailles  au  moment  où  son  père  fonda  l'hospice  de 
Saint-Jean,  puisque  ce  prince  donne  pour  confix)nt 
au  terrain  qu'il  abandonne  pour  cette  fondation,  le 
ruisseau  de  la  Basse  qui  coule  en  dehors  des  restes 

'  Iloinines  Pprpiiiiaiii  debeut  placiiare  et  judicari  per  consuetudines 
\illa;,  ci  per  jura  ubi  consuetudincs  deficiuni,  et  non  per  usaticos  Bar- 
rhinoua?  neque  per  leges  Goticas,  quie  non  habent  locun)  in  villa  Per- 
piniani.  Consuet.  art.  i. 

^  In  Dei  nominc.  Ego  Guinardus  Hossilioni  conies,  laudo  et  concedo 
et  recognosco  at([ue  dono  omnibus  honiinibus  et  feminis  ville  Perpi- 
iiiani,  pnrsentibus  atque  futuris,  omncs  bonas  costumas  et  usaticos 
quos  habucnmt  cum  pâtre  mco  et  cuni  antecessoribus  meis,  quod  ju- 
dicium  aquap  frijçid.T  nec  calida?,  nec  ignis  neque  batalla  non  sil  in  hac  ■ 
villa,  nec  in  ea  consenseriut  ex  utraque  parte;  et  quod  domious  prae- 
dicta;  villa'  non  faciat  illic  uUam  toltam  neque  tbrtiam.  Consuei.  Per^ 
piniani. 


1  l'/V. 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  71 

de  cette  première  enceinte.  Guinard,  au  contraire, 
parle  des  murailles  dans  son  testament.  G  est  sans 
doute  à  ces  travaux  que  ce  prince  dut  le  titre  qu'on 
lui  donna  de  restaurateur  de  Perpignan. 

Guinard  n  avait  pas  d*enfants  légitimes  à  qui  il  pût 
laisser  ses  domaines  et  son  titre.  Après  avoir,  par  un 
acte  du  ti  des  calendes  de  juin  1 170,  ajouté  de  nou- 
veaux privilèges  à  ceux  dont  jouissait  déjà  la  ville  de 
Perpignan,  il  fit  son  testament  en  faveur  du  roi  d'A- 
ragon, Alphonse  II,  fils  de  ce  Raymond-Bérenger, 
comte  de  Barcelone,  qui  avait  déjà  hérité  des  comtés 
de  Cerdagne,  de  Gonflent  et  de  Besalu,  et  que  la  for- 
tune la  plus  prospère  portait  au  trône  d'Aragon ,  par 
son  mariage  avec  la  fille  unique  de  Ramire  le  Moine.  117a 
Le  testament  de  Guinard  fut  du  4  des  nones  de  juillet 
1 172  ;  à  sa  mort,  survenue  peu  de  temps  après,  Al- 
phonse entra  en  possession  du  Roussillon ,  de  ce  que 
Guinard  possédait  en  Ampourdan  et  du  bas  Valles- 
pir  ^  Le  haut  Vallespir,  qui  appartenait  au  comte  de 
Besdu,  était  déjà,  comme  nous  lavons  dit,  réuni  au 
comté  de  Barcelone. 

Une  phrase  du  testament  de  Guinard  a  fait  douter 
à  quelques  écrivains  que  le  Roussillon  relevât  du 
comté  de  Barcelone  du  temps  de  ses  comtes,  et 
d autres,  allant  encore  plus  loin,  n  ont  pas  hésité  d  af- 
firmer qu'il  dépendait  uniquement  du  comté  de  Tou- 
louse; d'après  eux,  Guinard,  de  sa  propre  autorité, 

'  Voyez  le  testament  de  Guinard  aux  preuves  n"  VIll. 


72  LIVRE   PREMIER. 

l*aui*ait  placé  ainsi  sous  une  suzeraineté  étrangère  ^  ; 
comme  s  il  avait  été  loisible  à  un  feudataire  de  changer 
arbitrairement  de  suzerain!  La  dépendance  du  Rous- 
sillon,  de  la  marche  d'Espagne,  depuis  la  séparation 
de  cette  province  de  celle  de  Septimanie,  est  trop 
bien  établie  pour  qu'on  puisse  la  contester;  le  comte 
Guinard  ne  fit  que  donner  au  roi  d'Aragon ,  comme 
comte  de  Barcelone ,  ce  qui  n'appartenait  pas  encore 
à  ce  prince,  la  propriété  même  des  comtés  sur  les- 
quels il  avait  auparavant  l'autorité  féodale ,  aussi  bien 
que  sur  ceux  dont  son  père  avait  hérité  déjà  ^. 

*  Gispert-Dulcat,  Observ,  sarle  traité  de  Corbeil  de  1 285.  Fossa,  M.  a». 

*  Vo\ez  la  note  viii  à  la  fin  du  volume. 


CHAPITRE  CINQUIEME. 


CHAPITRE  V. 

Impcditique  retranchement  dû  Roussillon  de  la  Septimanie.  -— 
Alphonse  II  soustrait  la  Catalogne  à  la  suzeraineté  de  la 
France. —  Sollicitude  de  ce  prince  pour  les  Roussillonnais. — 
Albigeois.  — -  Sanche ,  premier  comte  apanagiste.  —  Pèdre  II 
tué  à  Muret ,  prison  de  Jayme. 

Le  testament  du  comte  Guinard,  en  donnant  le  1173. 
Roussillon  au  roi  d'Aragon,  avait  achevé  de  détacher  ^'p^"" 
dos  Gaules  une  portion  de  territoire  qui  en  avait  cons- 
tamment fait  partie  dans  Tantiquité  et  le  moyen  âge; 
*l  ftit  le  complément  de  F  impolitique  retranchement 
de  c;e  comté  au  marquisat  de  Septimanie,  lors  de  la 
dîv^îsion  de  cette  vaste  province  en  deux  gouveme- 
«^oxits. 

Tout  attachait  le  Roussillon  à  la  Narbonnaise  :  la 

»^oilité  des  communications  qui  établissait  une  com- 

'^^-Uiauté  d'intérêts  entre  les  peuples  des  deux  pays, 

*^    souvenir  de  cette  ancienne  et  longue  alliance  qui 

^^    avait  rniis  de  tout  temps  contre  les  peuples  de 

^ Vitre  côté  des  monts.  En  rompant  ces  liens  naturels, 

adjonction  du  comté  de  Roussillon  à  la  marche 

^  Espagne  rendit  les  Roussillonnais  étrangers  à  leurs 

P**opres  compatriotes,  sans  pouvoir  les  identifier  avec 

^^Ux  à  qui  on  les  forçait  de  s  allier.  Dans  fignorance 


74  LIVRE   PREMIER. 

dos  raisons  qui  motivèrent  une  séparation  si  contraire 
aux  intérêts  locaux,  nous  ne  pouvons  en  soupçonner 
d'autres  que  des  convenances  de  famille,  et  le  désir 
d'augmenter  l'étendue  du  territoire  de  la  marche  d'Es- 
pagne, alors  trop  inférieure  à  celle  de  la  Septimanie. 
La  province  de  Septimanie  comprenait,  avant  sa 
division  en  deux  gouvernements ,  du  côté  des  Gaules, 
les  diocèses  d'Elne ,  Narbonne,  Béziers ,  Lodève, 
Agde,  Maguelonne,  Nîmes;  du  côté  d'Espagne,  ceux 
dé  Barcelone,  Girone,  Ui^el  et  Ausone  ou  Vie.  La 
capitale  de  cette  province,  que  les  uns  appelaient 
marquisat  de  Gothie  à  cause  de  ses  anciens  maîtres, 
les  autres  duché  de  Septimanie,  à  cause  des  sept 
principales  villes  qu'elle  renfermait,  était  Barcelone. 
Humfrid,  Wifred,  Guifred  ou  Gausfred,  ce  qui  est 
toujours  le  même  nom,  ancien  seigneur  é'Aria,  au- 
jourd'hui Ria,  entre  Prades  et  Villefranche,  ayant  été 
pourvu  de  ce  gouvernement,  voulut,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit  déjà,  réunir  à  sa  province  le  comté  de 
Toulouse  qui  faisait  partie  de  l'Aquitaine,  et  de  sa 
propre  autorité  il  en  chassa  le  comte  Raymond.  Le 
roi  do  Franco,  indigné,  avait  proscrit  Wifred,  et,  pour 
diminuer  la  puissance  d'un  vassal  qui  pouvait  être 
dangereux.,  il  s'était  décide  à  partager  ce  grand  fief  en 
doux  gouvernements  :  celui  do  la  Septimanie  et  celui 
de  la  marche  d'Espagne.  Quoique  l'hérédité  des  fiefs 
no  fût  pas  encore  établie  d'une  manière  absolue,  elle 
l'était  déjà  tacitement  par  le  soin  que  prenait  le  roi  de 


CHAPITRE  CINQUIÈME.  75 

ch.c5Tcher  le  plus  souvent  le  remplaçant  ou  le  succes- 
se^jÊJT  dans  la  famille  de  lancien  feudataire.  En  nom- 
mstnt  Bernard  duc  de  Septimanie,  et  Salomon  comte 
de  Barcelone,  Charies  s  était  écailé  de  cet  usage  à 
peut,  près  constant;  mais  ce  principe  indirect  d'héré- 
dit-é  fut  rétabli  quand  Wifred  le  Velu ,  proche  parent 
de  Wifred  ou  Himfrid  le  Proscrit,  remplaça  Salomon 
daxiLs  le  gouvernement  de  la  marche  d'Espagne. 

CJuand,  pendant  les  troubles  qui  agitèrent  bientôt 
la     France,  les  gouverneurs  des  provinces  achevè- 
rent de  se  soustraire  au  joug  de  Tobéissance  passive, 
c^  qu'ils  convertirent  leurs  fiefs  à  vie  en  propriétés 
àe  famille ,  le  Roussillon  se  trouva  définitivement  lié 
^  U  Catalogne  par  le  devoir  de  vasselage  auquel  les 
fractionnaires  dun  grand  fief  étaient  tenus  envers  le 
gi^d  feudataire.  Jusque-là  le  mal  n'était  pas  encore 
eitreme  :  les  deux  sections  de  la  Gothie  relevant  éga- 
lement de  la  couronne  de  France  et  n'en  déclinant 
pas  la  suzeraineté,  la  France  n'avait  pas  un  ennemi 
sur  son  propre  territoire.  Mais  ce  dernier  degré  du 
mal  arriva  quand  le  comte  de  Barcelone ,  devenu  roi 
d'Aragon,  acquit,  par  le  testament  de   Guinard,  la 
propriété  du  Roussillon,  au  lieu  du  simple  droit  de 
grand  feudataire,  et  qu'il  se  déroba  à  la  suzeraineté 
de  la  France.  Alors  l' Aragon  se  trouva  en  possession , 
sur  le  propre  sol  de  celle-ci,  d'une  étendue  de  terroir 
qui  lui  en  ouvrait  les  portes,  tandis  que  la  France,  au 
contraire,  pour  combattre  l' Aragon,  avait  d'abord  à 


76  LIVRE   PREMIER, 

lutter  contre  les  peuples  du  RoussiUon  qui  gardaient 
une  ligne  de  défense  qu'il  fallait  emporter,  et  en- 
suite, après  de  grands  efforts  pour  la  franchir,  elle 
se  trouvait  aiTetée  jpar  une  seconde  barrière  encore 
plus  puissante,  les  défdés  des  Pyrénées  :  la  sépara- 
tion du  comté  de  RoussiUon  de  la  province  de  Sep- 
timanie  devait  donc  avoir  des  conséquences  fâcheuses 
pour  la  France ,  et  c'était  une  grande  faute  de  la  part 
de  Charles  le  Chauve. 

Si  ce  démembrement  était  funeste  à  la  France ,  il 
n'était  pas  moins  désavantageux  aux  Roussillonnais  en 
particulier.  Les  intérêts  de  ce  peuple  n'étaient  pas  de 
l'autre  côté  des  Pyrénées  ;  ils  se  trouvaient  naturelle- 
ment liés  à  ceux  des  habitants  de  la  Narbonnaise  avec 
qui  ils  n'avaient  jamais  cessé  de  faire  cause  commune. 
La  facihté  des  communications  établit  toujours  des 
rapports  de  commerce  entre  les  pays  limitrophes, 
outi'e  ceux  de  la  communauté  de  défense  et  les  rela- 
tions de  la  vie  civile.  Pour  le  RoussiUon,  le  commerce 
le  plus  facile,  le  scid  que  permissent  la  liberté  de 
correspondance  et  une  très-longue  communauté  d'in- 
térêts, était  avec  les  peuples  du  Languedoc;  pour  lui 
comme  pour  eux  les  Pyrénées  formaient  un  rempart 
naturel  qui  séparait  de  l'ennemi  ou  tout  au  moins  de 
l'étranger  qui  était  au  delà.  Tant  que  le  comté  de  Bar- 
celone reconnut  la  souveraineté  des  rois  de  France, 
(*es  relations  amicales  avec  la  Narbonnaise  furent  con- 
linuées,  parce  que  la  dépendance  de  ce  pays  de  la 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  77 

marche  d*Ëspagne  n'avait  guère  d'action  que  sur  le 
chef;  mais  quand  Guinard  eut  donné  la  propriété  de 
son  héritage  au  comte  de  Barcelone,  que  la  fortune 
la  plus  favorable  avait  en  peu  d'années  enrichi  de 
tous  les  comtés  de  la  marche  d'Espagne  et  porté  sur 
le  trône  d'Aragon,  et  lorsque,  au  même  temps,  ce 
prince ,  ne  voulant  reconnaître  aucune  puissance  tem- 
porelle au-dessus  de  la  sienne,  se  fut  soustrait  à  l'an- 
cienne suzeraineté  reconnue  par  ses  ancêtres,  les 
mtérêts  privés  des  habitants  du  Roussillon  furent  né- 
cessairement froissés,  parce  que  de  cet  instant  ils  de- 
vinrent des  étrangers  pour  ceux  de  leurs  voisins  dont 
ils  cessaient  d'être  les  compatriotes.  La  difficulté  du 
passage  des  Pyrénées,  ne  favorisant  pas  le  transport 
à  l'autre  côté  des  monts,  de  ces  intérêts  déplacés,  les 
Roussillonnais  se  trouvèrent  isolés  de  lune  et  de 
l'autre  nation.  Nous  avons  montré  déjà ,  dans  l'intro- 
duction, tout  ce  que  cet  isolement  avait  eu  de  funeste 
pour  la  morale  dans  ce  pays  ;  on  doit  bien  croire  que 
l'inertie  des  autorités  locales,  leur  résistance  à  tout 
ce  qui  émanait  de  l'autorité  suprême ,  quand  ces  me- 
sures contrariaient  leur  avarice  ou  leur  ambition ,  ne 
devaient  pas  contribuer  au  bonheur  des  particuliers. 
Ajoutons  que  par  ce  changement  de  domination  le 
théâtre  de  la  guerre,  dans  toutes  les  contestations 
entre  les  deux  puissances,  se  trouvant  sans  cesse 
transporté  en  Roussillon ,  ks  désastres ,  les  calamités 
de  toute  espèce  que  ce  fléau  entraîne  après  lui,  furent 


78  LIVRE   PREMIER, 

pendant  cinq  siècles  le  sinistre  partage  de  ses  habi- 
tants et  la  teriîble  conséquence  de  la  faiblesse  du  petit- 
fds  de  Cbarlemagne. 

Raymond,  comte  de  Barcelone,  qui,  en  montant  sur 
le  trône  d'Aragon ,  avait  quitté  ce  nom  pour  prendre 
celui  d'Alphonse  II,  venait,  disons-nous,  de  se  sous- 
traire au  devoir  de  foi  et  hommage  envers  le  roi  de 
France  pour  son  comté;  le  complaisant  concUe  de 
1180.  Tarragone,  de  1 180,  consomma  cette  usurpation  en 
défendant  à  tous  les  peuples  de  la  marche  d'Espagne 
de  continuer  à  dater  leurs  actes  publics  et  privés  de 
l'ère  de  nos  rois.  Rien  ne  pouvait  excuser  cependant 
une  aussi  criante  injustice.  De  toutes  les  suzerainetés 
possibles ,  celle  de  la  France  sur  la  Catalogne  était  la 
plus  légitime  et  la  plus  incontestable,  puisqu'elle  n'é- 
tait pas  le  produit  de  la  force  qui  contraint  le  plus 
faible  à  subir  sa  loi ,  mais  le  vœu  d'une  reconnaissance 
libre  et  volontaire  de  la  part  des  Catalans.  Cbarle- 
magne, ayant  arraché  cette  province  au  joug  des  mu- 
sulmans, ne  pouvait  pas  la  rendre  à  son  propre  gou- 
vernement, qui  n'existait  plus  depuis  l'envahissement 
de  ces  Africains.  Les  Franks  avaient  conquis,  il  est 
vrai,  le  pays  avec  le  concours  d'une  partie  de  sa  po- 
pulation révoltée  contre  les  Africains ,  mais  cette  po- 
pulation n'avait  nullement  combattu  dans  l'intérêt  des 
débris  des  conquérants  wisigoths,  destructeurs  eux- 
mêmes  de  la  domination  romaine.  La  liberté  de  se 
choisir  un  gouvernement  restait  donc  tout  entière  à 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  79 

ces  indigènes,  qui  s'étaient  volontairement  donnés  à 
leur  libérateur,  et  à  Louis,  son  fils,  ainsi  que  le  dé- 
clare hautement  Charles  le  Chauve  *.  l\ien  n'était 
donc  plus  religieusement  établi  que  cette  suzeraineté , 
et  le  roi  Alphonse,  en  la  brisant  et  le  concile  en 
sanctionnant  de  son  autorité  cette  violation  d  un  de- 
voir auquel  était  légitimement  soumis  le  monarque, 
excédaient  paiement  leur  pouvoir;  ils  déchiraient  un 
pacte  que  le  pays  avait  consenti  et  auquel  ils  étaient 
tenus  de  se  soumettre.  Malheureusement  la  France 
D*était  pas  alors  en  état  de  venger  par  la  force  des 
armes  loutrage  que  lui  faisait  un  prince  puissant  et 
à  qui  tout  prospérait;  et  la  séparation  de  la  marche 
(ITlspagne  de  la  couronne  de  Charlemagne  fut  à  ja- 
mais consommée. 

Alphonse  s*était  rendu  à  Perpignan  immédiatement 
après  la  mort  de  Guinard.  A  son  arrivée  dans  cette 
ville,  il  confirma  les  privilèges  des  habitants ,  et  s  oc- 
cupa du  soin  d'augmenter  les  fortiAcations  de  la  place. 
Avant  de  quitter  le  Roussillon ,  il  échangea  avec  labbé 
de  Saint- Martin  de  Canigou  quelques  portions  de 

'  Gothos  sive  Hispanos  intra  Barcliinonam  —  simul  cum  his  oni- 
nibns  qui  infra  eunidem  comitatum  BarchinoïKc  Hispani  extra  dvitatpin 
qaoqoe  ooDftiituunt,  quorum  progenitorcs,  criidelissimum  jugum  Sar- 
racenoram  évitantes,  ad  eos  (Karolum  et  Illuduvicuni)  fecere  confu- 
gioin,  et  eamdem  civitatem  illorum  omnipotentia^  Ubenter  condonanmt 
seu  tradidenint,  et  ab  eorunidem  Saracenorum  potestate  se.  subtra- 
beotes,  eonim  nostraeque  demum  libéra  et  prompta  voluntate  se  siibje- 
cernnt,  etc.  Capit.  reg,  franc,  tom.  U. 


80  LIVRE   PREMIER. 

terre  situées  dans  le  Gonflent,  contre  un  champ  que 
le  monastère  possédait  auprès  de  Hix,  dans  la  Cer- 
dagne  ^  Onze  ans  après  il  donna  à  cette  même  ab- 
baye les  pasquiers  d*Odello  ^.  Le  monastère  de  Saint- 
Michel  de  Cuxa  obtint  de  ce  même  prince  la  permis- 
sion de  bâtir,  dans  la  villa  de  BasoUf  sous  son  autorité 
royale ,  une  forteresse  dont  le  commandement  appar- 
tiendrait à  labbé  de  ce  monastère  :  cette  permission 
est  du  i3  mai  1 178  '. 

Maître  du  Roussillon ,  Alphonse  mit  toute  sa  solli- 
citude à  purger  cette  terre  des  brigandages  qm'  la  dé- 
solaient.  Immédiatement  après  sa  prise  de  possession, 
il  convoqua  à  Perpignan  les  principaux  barons  et  sei- 
gneurs du  pays ,  et  il  leur  fit  jurer  l'observation  dWe 
loi  qu'il  avait  préparée  sous  le  titre  de  Constitations  de 
paix  et  trêve,  de  concert  avec  l'archevêque  de  Tarra- 
gone  et  les  évêques  de  Barcelone  et  d'Elne.  Ces  cons- 
titutions, qui  depuis  furent  appliquées  à  toute  la 
Catalogne ,  font  connaître  quels  étaient  les  maux  aux- 
quels le  roi  d'Aragon  jugeait  très-urgent  d'apporter 
remède.  Le  premier  article  concerne  les  églises  et  les 
cimetières  à  tout  instant  profanés;  le  second  prescrit 
à  ceux  qui  auraient  été  dépouillés ,  et  dont  les  objets 
enlevés  se  trouveraient  déposés  dans  les  églises,  de 
s'adressera  lui  ou  à  l'évêque  pour  obtenir  justice;  le 
quatrième  et  le  cinquième  garantissent  la  sûreté  des 
clercs,  des  moines,  des  veuves,  des  religieuses,  des 

*  Arch,  eccles.    —  *  Ibidem.  —  '  Ibidem. 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  81 

templiers  et  des  hospitaliers  de  SaintJean  de  Jéru- 
salem; le  sixième  met  spécialement  sous  la  protection 
royale  tous  les  cultivateurs  avec  leurs  capitaux  d'ex- 
ploitation. Le  prince  défend  très-expressément,  par 
le  septième  article,  d'enlever  ou  de  détruire  les  ani- 
maux de  toute  espèce ,  qu'ils  soient  ou  non  consacrés 
k  Tagriculture ,  aussi  bien  que  les  instruments  ara- 
toires. Cette  disposition  tient  tellement  à  cœur  au 
monarque  qu'il  y  revient  dans  les  autres  articles,  et 
qu'il  insiste  spécialement  pour  que  ces  capitaux  des 
fermes  soient  constamment  sous  ie  bénéfice  de  la 
paix  et  trêve.  Les  routes  et  chemins  publics  sont  aussi 
placés  sous  sa  paix  et  trêve;  le  roi  veut  que  les  voya- 
geurs y   soient  désormais  en  telle  sûreté,  que  qui- 
conque oserait  en  attaquer  un  soit  puni  du  crime  de 
lèsennajesté.  Revenant  ensuite  aux  dispositions  de  la 
trêve  de  Dieu,  complètement  tombées  en  désuétude, 
il  défend  toutes  hostilités  privées  pendant  les  diman- 
ches et  les  fêtes,  depuis  l'Avent  jusqu'à  l'Epiphanie, 
depuis  le  carême  jusqu'à  l'octave  de  Pâques ,  les  jours 
de  l'Ascension  et  de  la  Pentecôte  avec  leurs  octaves , 
les  fêtes  de  la  Vierge ,  celles  des  Apôtres ,  de  Saint- 
Jean,  de  Saint-Michel  et  de  la  Toussaint  ^ 

^phonse  venait  chaque  année  passer  quelque 
temps  à  Perpignan,  et  sa  présence  était  toujours 
marquée  par  quelque  acte  législatif  à  l'avantage  des 
habitants.  Un  de  ces  actes,  de  l'an  1173,  leur  accorda 

*  Voyei  évtx  preuves  n°  IX. 
1.  6 


82  LIVRE   PREMIER. 

le  droit  de  saisie  sur  les  biens  de  leurs  débiteurs,  sauf 
les  bœufs  de  labour  déclarés  à  jamais  insaisissables. 
En  1  lyS  il  confirma  pour  la  deuxième  fois  les  pri> 
viléges  de  la  ville,  en  y  ajoutant  cette  fois  quelques 
nouvelles  dispositions.  La  plus  importante  fut  que  nul 
Perpignanais  ne  pourrait  jamais  être  jugé  aflleurs  que 
dans  cette  ville  :  c  est  cette  disposition  qui ,  étendue 
plus  tard  k  tout  le  Roussillon ,  donna  lieu  à  rétablis- 
sement d  une  cour  souveraine  dans  la  province  è  l'é- 
poque où  elle  passa  sous  la  domination  française. 

Alphonse  trouvant  défectueuse  la  position  de  Per- 
pignan, dans  un  bas-fond  dominé  par  deux  collines, 
avait  voulu  en  changer  Tassiette  et  la  transporter  au 
haut  du  puig  de  Saint-Jacques,  qu'on  appelait  alors 
le  puig  des  Lépreux ,  parce  que  la  léproserie  était  sur 
la  pente  de  cette  hauteur;  mais  les  habitants,  qui 
avaient  déjà  leurs  maisons  autour  de  l'église  de  Saint- 
Jean  ,  consternés  d  une  décision  si  préjudiciable  k  leurs 
intérêts ,  firent  parvenir  au  roi  leurs  supplications  par 
les  mains  des  vierges,  des  veuves  et  des  vieillaixls  de 
la  ville,  et  Alphonse,  touché  de  cette  désolation  gé- 
nérale, consentit,  de  l'avis  de  son  conseil  et  avec  l'as- 
sentiment de  la  reine  sa  femme,  et  de  ses  frères,  k 
laisser  Perpignan  dans  Tendroit  où  le  comte  Gaus- 
fred  lavait  établi  ^  ;  il  s  obligea  même  pour  lui  et  pour 

'  Ildefonsus,  Dei  gratia,  rex  Aragoniim, — convocavit  popuJuni 
Perpiniani  et  prsecepit  populo  ut  mutaret  unusquisque  domicilium 
suum  in  podio  leprosoruni. —  Motus  ergo,  rex  pn^ictus,  precibus  po- 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  83 

tes  successeurs  à  ne  plus  en  exiger  à  lavenir  le  trans- 
fert au  puig  des  Lépreux;  mais ,  comme  il  importait  à 
k  «ùreté  de  la  ville  que  cette  hauteur  en  fît  partie,  il 
se  réserva  le  droit  d*y  établir  des  habitants  au  bout 
de  trois  ans,  soit  au  moyen  d'étrangers,  soit  avec  les 
Perpignanais  eux-mêmes ,  si  la  chose  leur  convenait. 

Le  même  édit  portait  que  tout  habitant  devait 
coopérer  à  la  construction  des  murailles:  celui  qui 
ne  voulait  pas  y  travailler  manuellement  pouvait  s'en 
radieter,  moyennant  un  certain  tribut  applicable  à 
ces  mêmes  travaux.  Enfin,  par  mesure  de  police,  ce 
même  prince  défendit  expressément  de  laisser  à  l'a- 
venir aucune  fosse  à  fumier  dans  les  rues ,  sous  peine 
de  dix  sous  d'amende ,  dont  moitié  applicable  aux  tra- 
vaux des  murailles  et  l'autre  moitié  au  fisc  ^. 

Quoique  à  cette  époque  la  paroisse  actuelle  de 
SdntJean  constituât  toute  la  ville  de  Perpignan ,  une 
eneeinte  de  murailles  qui  ne  se  bâtissait  que  par  près- 
tutioD  en  nature ,  et  au  moyen  de  quelques  légères  ré- 
tributions, n'était  pas  une  entreprise  de  courte  durée; 
aussi  ces  travaux  se  prolongèrent  pendant  de  longues 
années.  En  1207  nous  voyons  Pèdre  II,  successeur 
d'^phonse ,  régler  la  forme  d'une  imposition  à  lever 

psli  el«^ij0if  viduarum,  virginum  et  senum,  et  habito  suorum  pro- 
cemm  oonsilio,  qui  cum  eo  ibi  aderant,  et  totius  curiae  suae,  acquievit 
Tolontati  populiPerpiniani,  cum  voluutate  et  laudamento  regiiue  fra- 
tmmqae  suoniin ,  etc.  Ex  coiice  consuetud, 
*  Ibidem. 

6. 


84  LIVRE   PREMIER. 

pour  le  payement  de  ces  constructions,  et  défendre 
expressément  d  exempter  de  cette  charge  aucune  per- 
sonne possédant  quelque  propriété  dans  la  ville,  soit 
clerc ,  laïc  ou  religieux  ^ 

La  Septimanie,  à  cette  époque,  était  désolée  par 
les  premières  guerres  de  religion ,  et  ces  atroces  exé- 
cutions par  le  feu  qui  devaient  bientôt  remplir  le 
monde  d'épouvante  préludaient  dès  ce  moment  contre 
les  Albigeois. 

Plusieurs  passages  de  lancien  et  du  nouveau  testa- 
ment dont  le  sens  est  visiblement  allégorique,  ayant 
fait  naître  la  pensée  que  toute  TÉcriture  avait  un  sens 
mystérieux  qu  on  pouvait  interpréter,  le  sens  littéral 
n'était  plus  compté  pour  rien  à  la  fin  du  xn*  siècle 
dans  plusieurs  cantons  de  la  Septimanie  et  de  l'Aqui- 
taine. Alarmées  des  progrès  que  faisait  cet  esprit  d'in- 
discipline religieuse ,  les  cours  de  France  et  de  Rome 
songèrent  à  en  arrêter  l'effet.  Le  Toulousain ,  où  cette 
fureur  de  gnosticisme  s'était  le  plus  répandue,  devint 
le  but  d'une  croisade  ordonnée  par  Innocent  HI,  et 
les  bûchers  couvrirent  bientôt  tout  ce  pays  :  le  con- 
cile d'Orléans ,  de  1 02  a,  les  alluma  le  premier  contre 
de  simples  erreurs  qu'il  eût  été  plus  convenable ,  sui- 
vant l'esprit  de  l'Evangile  et  plus  encore  suivant  le 
bon  sens,  la  raison  et  la  charité,  de  combattre  par 
la  douceur,  par  la  persuasion  et  par  l'enseignement. 
Le  soin  d'extirper  par  la  violence  cette  reproduction 

^  Ârch,  Dom. 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  85 

du  amnichéisme»  qu'on  appela  l'hérésie  des  Albigeois,        ,194. 
^^  confié  à  une  corporation  religieuse  qu'on  institua 
tout  exprès  sous  le  nom  de  Préciiears,  connue  plus  tard 
sous  celui  de  Dominicains,  qu'elle  prit  de  l'un  de  ses 
plus  ardents  fondateurs. 

La  réunion ,  sous  la  main  du  roi  d'Aragon ,  de  deux 

coDatés situés ,  l'un  tout  à  fait  en  deçà  des  Pyrénées, 

1  autre  au  milieu  de  ces  montagnes,  et  tous  deux  au 

voisinage  des  pays  infectés  par  l'hérésie,  avait  suffi 

au    légat  du  pape  près  d'Alphonse  pour  presser  ce 

pnuce  d'appliquer  à  cette  nouvelle  province  de  ses 

^^ts  les  fougueuses  dispositions  que  le  concile  de  Vé* 

rorie  venait  de  décréter  contre  les  Albigeois ,  c'est-à- 

uire  d'abandonner  à  la  justice  séculière  tous  ceux  que 

les    évèques  auraient  déclarés  hérétiques.  Alphonse 

hésita  longtemps.  Ce  roi  troubadour,  que  la  culture 

"^»    lettres  portait  plutôt  à  la  clémence  qu'à  la  ri- 

P^^iu*,  céda  enfui  aux  importunités  du  cardinal,  et 

'^^pulsion,  sous  peine  de  crime  de  lèse-majesté,  de 

tou^  VandoiSf  Cathares,  pauvres  de  Lyon  et  autres  héré- 

^T^ies  quelconques  fiit  ordonnée.  Ceux  de  ces  héré- 

^T^es  qui  auraient  été  trouvés  dans  les  limites  de  ses 

éta%^^  après  l'expiration  du  terme  qu'on  leur  donnait 

P^^xr  en  sortir,  devaient  être  passibles  de  toutes  les 

P^ï^es,  à  l'exception  toutefois  de  la  mort  et  de  la  mu- 

til^ition. 

Alphonse  était  doux  et  humain.  Tant  qu'il  vécut, 
^  sut  contenir  le  zèle  déjà  trop  ardent  des  inquisi- 


86  LIVRE   PREMIER. 

leurs;  mais,  après  sa  mort,  son  fils  ne  sut  pas  résister 

,,36.  comme  lui  à  la  tendance  envahissante  de  Tautorité 
spirituelle  et  aux  instances  réitérées  des  archevêque  et 
évêques  de  Tarragone,  Barcelone,  Girone,  Vie  et 
Elne;  le  décret  du  concile  de  Vérone  fut  publié  de 
nouveau  en  1 197,  et  la  sévère  exécution  en  (îit  or- 
donnée dans  toute  la  Catalogne. 

Cest  le  a 5  avril  1 196  qu'Alphonse  fut  enlevé  à 
Tamour  de  ses  peuples ,  dans  Perpignan  >  où  il  était 
tombé  malade  en  arrivant.  Sa  mort,  qui  était  un  mid- 
heur  public  dans  les  circonstances  présentes,  fut  prin* 
cipalement  déplorée  par  les  Roussillonnais ,  dont  il 
semblait  s*étre  constitué  le  tuteur,  et  qui^  se  ressen- 
tant chaque  jour  des  améliorations  que  sa  sagesse  et 
sa  fermeté  avaient  apportées  à  leur  situation,  per* 
daient  en  lui  im  zélé  protecteur  contre  les  vexations 
de  leurs  seignetu^s  féodaux.  Son  corps  fut  transporté 
au  monastère  de  Poblet  qu  il  avait  fait  bâtir  pour  la 
sépulture  des  princes  de  sa  race. 

irii.eii.  Cest  la  première  année  du  règne  de  Pèdre  II,  fils 

et  successeur  d'Alphonse ,  que  la  population  de  Per- 
pignan, qui,  jusque-là,  s'était  régie  par  ses  usages, 
sous  Tautorité  du  bailli  institué  par  les  comtes  de  Rous- 
sillon ,  changea  le  régime  de  son  administration  du  con- 
sentement du  roi,  et  se  donna  des  consuls ,  «  pour  dé- 
((  fendre,  garder  et  régir  tout  le  peuple  delà  ville,  tant 
u  grand  que  petit,  avec  tout  ce  qui  lui  appartenait  en 
a  meubles  et  immeubles,  ainsi  que  les  droits  du  roi.  » 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  87 

Cle  changement  dans  le  mode  d^administration  de 

la  vîJle  fut  donc  un  effet  de  la  voionté  des  habitants , 

en  vertu  des  droits  municipaux  dont  les  villes  jouis- 

^tent  dès  avant  la  troisième  race  de  nos  rois ,  ainsi 

9^^  la  si  bien  démontré  dans  un  ouvrage  récent  le 

^èl>re  restaurateur  de  la  langue  romane  ^.  Les  termes 

ààMxs  lesquels  est  rédigée  la  charte  de  conmiune  de 

I^^^pignan  sont  remarquables  :  c*est  le  peuple  qui 

P^x^le  et  non  pas  le  roi.  «Quil  soit  notoire  à  tous 

«o^ux  qui  verront  ou  liront  cet  écrit,  que  nous  tous 

^^n^mble,  les  peuples  de  la  ville  de  Perpignan,  habitant 

^^t,  résidant  dans  ladite  ville,  de  Tavis  et  volonté,  et 

«aussi  par  le  commandement  de  Mustre  seigneur 

«i^oi,  Pèdre,  Nous  constituons  entre  nous  cinq  consuls 

«cl Ans  cette  dite  ville  de  Perpignan,  etc.»  Ainsi,  en 

côl«i,  le  roi  n'intervient  que  par  le  consentement 

aoKiné  pour  la  réunion  de  tout  le  peuple  et  par  Tordre 

<P-a«  cette  convocation  eût  lieu.  «La  sanction  royale, 

«dît  M.  Raynouard,  devenait  indispensable  quand  les 

«u  Citants  établissaient  dans  leur  ville  an  nouvel  ordre 

«  ^'^^ministration,  conféraient  à  leurs  magistrats  une  au- 

*^^orité  plus  étendue  que  Tancienne  ou  demandaient, 

*  *oit  des  lois  nouvelles  en  faveur  de  la  cité,  soit  le  pri- 

«^''ilége  d'une  juridiction  civile  et  criminelle ,  etc.  ^.  » 

C»*^8t  donc  pour  établir  ce  nouvel  ordre  d  adminis- 

Hsynouard ,  Histoire  du  droit  municipal  en  France.  Paris,  1829. 
*  Onvrage  cité,  tome  II. 
Li  charte  de  commane  de  Perpignan  est  une  preuve  de  plus  de  ce 


1196. 


88  LIVRE   PREMIER. 

tratioii  que  les  Perpigiianais  avaient  dû  recourir  à 

)  autorité  du  prince. 

^écrivain  judicieux  que  nous  citons  reconnaît  que 
r  excès  de  brigandage  des  seigneurs  féodaux  envers 
les  citoyens  rendant  impuissante  la  protection  royale, 
le  prince  dut  accorder  à  ceux-ci  le  droit  de  s*armer 
pour  leur  propre  défense.  Pèdre  II  donna  ce  privi- 
lège aux  habitants  de  Perpignan.  En  vertu  de  cette 
concession,  ces  habitants  pouvaient  marcher  sous  la 
conduite  du  bailli,  du  viguier  et  des  constds,  contre 
toute  personne  qui  aurait  fait  tort  ou  injure  à  lun 
d  eux,  quel  que  fût  son  sexe  ou  sa  condition,  si  l'agres- 
seur ne  voulait  pas  faire  réparation  amiable,  suivant 
l'arbitrage  de  ces  magistrats  :  dans  ce  cas,  nui  ne 
pouvait  être  responsable  des  morts  d'hommes  et  des 
désastres  qui  surviendraient  à  l'occasion  de  cette 
agression  :  c'est  ce  qu'on  appelait  le  privilège  de  la 
main-armée  ^ 

Pèdre  vint  à  Perpignan  en  1200  pour  s'aboucher 
avec  Raymond  VI,  comte  de  Toulouse,  qui  s'y  était 

(jii'a  si  bien  démontré  M.  Raynouard,  sur  rexislence  d'un  droit  mu ni- 
cijMil  en  France»  avant  l'établissement  des  communes.  Des  traces  de  ce 
droit,  pour  Perpignan,  se  retrouvent  dans  ses  coutumes,  qui  montrent 
clairement  que  la  population  a  concouru  à  leur  établissement.  Or,  ce 
concours  dénote  un  droit,  et  ce  droit  se  manifeste  entre  autres  dans  les 
articles  2,  55,  59,  qui  imposent  des  conditions  au  seigneur  ou  à  son 
bailli,  et  dans  l'article  52,  qui  astreint  tout  nouvel  officier  royal  à  préier 
serment  devant  le  peuple.  Voyei  aux  prei*ves  n**  X. 

'   Voy/  la  charte  de  commune,  preuves  n"  X. 

Sur  le  privilège  des  armes,  voyci  la  note  vu  de  la  2*  partie. 


CHAPITRE  CINQUIÈME.  89 

rendu  de  son  côté.  Le  résultat  de  cette  entrevue  (ut  une 
alliance  dont  la  jeune  princesse  Eléonore,  sœur  du 
monarque  aragonnais ,  devait  être  le  lien  :  Raymond 
ne  répousa  solennellement  que  quelques  années  plus 
tard,  à  raison  de  sa  trop  grande  jeunesse. 

Quoique  incorporé  à  TAragon,  le  Roussillon  eut 
encore  des  comtes  titulaires ,  qui  furent  des  princes 
de  la  maison  royale  à  qui  ce  domaine  était  donné  en 
apanage  avec  le  comté  de  Cerdagne,  désormais  insé- 
parable du  Roussillon ,  et  formant  avec  lui  une  seule 
et  même  province. 

Le  premier  de  ces  comtes  fut  don  Sanche ,  troi-  sucIm  , 
sième  fils  de  Raymond-Bérenger,  etfi'ère  d'Alphonse  II. 
Le  comte  de  Toulouse ,  Raymond  V,  s'étant  emparé 
de  la  Provence  en  1166  après  la  mort  du  comte  Ray- 
mond-Bérenger II,  cousin  du  comte  de  Barcelone, 
qui  la  possédait  patrimonialement ,  Alphonse  Ten  avait 
expulsé,  et,  en  1 168,  il  avait  donné  ce  comté  à  don 
Pèdre,  son  frère,  pour  le  tenir  de  lui  en  commande. 
Ce  prince  ayant  été  tué  en  trahison  par  Aymar,  fils 
du  seigneur  de  Melgeuil,  le  5  avril  1181,  Alphonse 
avait  tiré  vengeance  de  cet  assassinat,  et  il  avait  subs- 
titué à  don  Pèdre  son  troisième  frère  don  Sanche  : 
mais  bientôt,  voulant  gratifier  de  la  Provence  Al- 
phonse, son  fils,  il  avait  retiré  cette  province  des 
mains  de  son  frère,  en  lui  donnant  en  dédommage- 
ment le  Roussillon  et  la  Cerdagne. 

Sanche  conserva  toujours  le  titre  honorifique  de 


te 


laoa. 
Pèdrall 


coiBto 
<)e  RousMllon. 


90  LIVRE   PREMIER. 

comte  de  Provence ,  ce  qui  ne  Tempêcba  pas  en  i  aoa 

s.ncii6.  de  prendre  le  parti  du  comte  de  Forcaiquier  contre 
le  roi  don  Pèdre ,  son  neveu ,  qui  en  était  comte  titu- 
laire. La  paix  s  étant  faite  deux  ans  après ,  Sanche  as- 

>>oA-  sista  aux  noces  de  Pèdre  avec  la  princesse  Marie,  fille 
de  Guillaume  VIII,  seigneur  de  Montpellier.  Le 
douaire  de  Marie  fut  assigné  sur  le  comté  de  Rous- 
silion  depuis  la  fontaine  de  Salses  jusqu'à  la  Cluse , 
et  cette  princesse  se  constitua  en  dot  tous  les  do- 
maines qui  avaient  été  possédés  par  Guillaume ,  son 
père.  Ces  domaines,  d'après  les  termes  de  la  dona- 
tion de  Raymond  Âton ,  s'étendaient  de  l'Hérault  à 
la  Vidourie  et  du  pont  de  Saint-Guillem  à  la  mer, 
outre  quelques  autres  châteaux  détachés.  C'est  par  ce 
mariage  que  la  seigneurie  de  Montpellier  et  toutes  ses 
dépendances  passèrent  sous  la  couronne  d*Âragon, 
non  toutefois  d'une  manière  parfaitement  loyale.  En 
effet  :  Guillaume  VIII,  en  faisant  du  comte  de  Tou- 
louse et  du  roi  d'Aragon  ses  puissants  exécuteurs  tes- 
tamentaires avait  chargé  ces  princes  de  mettre  en 
possession  de  ses  domaines  Guillaume  ,  son  fils , 
issu  d'un  second  lit^;  mais  Pèdre,  d'accord  avec  le 
comte  de  Toulouse,  au  lieu  de  remplir  les  intentions 
du  testateur,  jugea  plus  convenable  à  ses  intérêts 
d'épouser  lui-même  la  jeune  princesse  du  premier 
lit,  et  de  s'approprier  ainsi  l'héritage  de  son  beau-père. 

'   Le  |>ape  n'ayant  pas  approuvé  ce  second   hymen  avait  déclaré  les 
enfants  qui  en  proviendraient  inhabiles  à  succéder. 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  91 

La  nouvelle  reine  d*Aragon ,  quoique  à  peine  âgée 
We  vingt-deux  ans  ^  avait  été  mariée  déjà  deux  fois  :  la 
première  avec  Barrai  i  vicomte  de  Marseille ,  par  les 
soins  de  sa  marâtre  qui  voulait  se  débarrasser  d'elle. 
Veuve  à  quinze  ans,  elle  avait  épousé  Bernard  IV, 
comte  de  Comminge ,  qui  avait  déjà  deux  femmes  vi- 
vantes et  répudiées,  et  qui  venait  de  répudier  en- 
core cette  troisième  :  tel  était  alors  Tétat  barbare  des 
mœurs.  En  formant  cette  nouvelle  union  avec  le  roi 
d'Aragon,  Marie,  pour  se  soustraire  à  Tafiront  d'une 
seconde  répudiation ,  avait  fait  promettre  solennelle* 
ment  à  son  époux  de  ne  jamais  la  délaisser;  Pèdre  en 
fit  insérer  la  clause  dans  le  contrat ,  et  n*en  tenta  pas 
moins I  deux  ans  après,  de  ^e  séparer  d'elle  :  par  in- 
oonfftance  ou  par  politique,  ce  prince  voulait  alors 
épouser  rhéritière  du  royaume  de  Jérusalem.  Une 
rencontre  ménagée  entre  ce  prince  et  Marie ,  à  l'insu 
du  premier,  dans  le  château  de  Lates,  près  de  Mont- 
pellier, fut  Toccasion  de  la  naissance  de  don  Jayme 
ou  Jacme  (Jacques)  le  i"  février  i!io8. 

Le  comte  de  Roussillon ,  prince  brave  et  guerrier, 
(ut  du  nombre  des  seigneurs  qui  marchèrent  contre 
les  Maures,  avec  les  rois  d'Aragon,  de  Castille  et  de 
Navarre ,  et  il  se  signala  particulièrement  à  la  célèbre 
bataille  de  las  nava$  de  Têhsay  remportée  par  les  chré- 
tiens en  1  û  1  ii«  Don  Nunea,  son  fils ,  qui  y  combattait 
à  ses  cotés,  (ut  armé  dievalier  par  le  roi  d'Aragon 
sur  le  champ  de  bataille.  Après  la  mort  de  Pèdre , 


lïia. 


92  LIVRE   PREMIER, 

tué  à  la  bataille  de  Muret ,  don  Sanche  unit  ses  ef- 
forts à  ceux  des  Catalans  et  des  Âragonnais  pour  la 
délivrance  du  jeune  roi  don  Jayme  qui  se  trouvait 
entre  les  mains  du  comte  de  Montfort  :  voici  &  quelle 
occasion. 

Simon  IV,  successeur  de  son  père  à  la  baronie  de 
Montfort,  et  Tun  des  plus  ardents  croisés  contre  les 
Albigeois,  avait  emporté  en  laog  la  ville  de  Garcas- 
sonne.  L*église  avait  décidé  que  les  seigneurs  héré- 
tiques seraient  privés  de  leurs  héritages,  et  les  princes 
souverains  se  prêtaient  à  consommer  cette  spoliation, 
sans  penser  au  dangereux  exemple  qu*ils  donnaient, 
sans  réfléchir  au  funeste  antécédent  qu*ils  établis- 
saient contre  eux-mêmes.  Le  duc  de  Bourgogne,  les 
comtes  de  Nevers  et  de  Saint-Paul ,  mus  par  un  sMe 
de  religion ,  avaient  contribué  à  exécuter  la  sentence , 
mais  avaient  refusé  de  profiter  des  dépouilles;  Taïn- 
bitieux  Montfort  fut  moins  scrupuleux  :  il  accepta  les 
terres  conquises ,  échangea  son  titre  de  baron  contre 
celui  de  comte,  et  ne  tarda  pas  à  tourner  ses  armes 
contre  Raymond  VI,  comte  de  Toulouse,  qui,  tout 
en  désapprouvant  la  conduite  quon  tenait  à  Tégard 
de  ses  sujets,  avait  été  forcé  d'être  lui-même  Tun  des 
chefs  des  croisés.  Ce  blâme  quil  avait  jeté  sur  les 
sanglantes  exécutions  de  la  cour  de  Rome  fut  contre 
lui  un  arrêt  de  proscription.  Appuyé  par  le  fougueux 
abbé  de  Cîteaux,  légat  du  pape,  qui  venait  d'excom- 
munier les  consuls  de  Toulouse,  parce  quils  n'a- 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  93 

'Paient  pas  voulu  trahir  leur  province,  Simon,  qui 
Voulait  à  toute  force  envahir  les  domaines  de  Ray- 
tnond,  avait  soumis  la  plus  grande  partie  de  ses  terres 
sans  ménager  celles  du  comte  de  Foix  :  Thistoire  de 
Languedoc  et  TÂrt  de  vérifier  les  dates  témoignent 
des  perfidies  au  moyen  desquelles  cet  homme  ambi- 
tieux étendit  sa  puissance. 

Dans  la  crainte  que  le  roi  d*Âragon ,  beau-fi*ère  du 
comte  de  Toulouse,  ne  prît  parti  pour  son  parent, 
Montfort  lui  avait  offert  Thommage  pour  le  comté 
de  Carcasses  que  Pèdre  avait  refusé  d*abord,  et  qu'il 
eut  le  tort  daccepter  ensuite  à  la  sollicitation  du 
l^t  :  l'acceptation  eut  lieu  dans  une  conférence  qu'on 
qualifia  de  concile,  parce  qu'elle  avait  été  tenue  en 
présence  de  plusieurs  prélats,  et  dans  laqueUe  on  ar- 
rêta le  mariage  de  la  fille  de  Simon  avec  le  fils  de 
Pèdre,  l'infant  don  Jayme,  à  peine  âgé  de  trois  ans. 
En  garantie  de  sa  parole,  Pèdre  avait  livré  le  jeune 
prince  à  son  futur  beau-père.  Pèdre  ne  tarda  pas  à 
reconnaître  la  faute  qu'il  avait  faite  et  le  piège  qu'on 
lui  avait  tendu  :  il  marcha  au  secours  du  comte  de 
Toulouse,  et  périt  sous  les  murs  de  Muret,  laissant  >"^ 
ainsi  son  fils  entre  les  mains  de  son  ennemi. 


94  LIVRE   PREMIER. 


eomto 
à*  RoawUkHi. 


CHAPITRE  VI. 

Ligue  pour  la  délivrance  de  Tinfant  roi.  — -  Le  comte  de  Rous- 
sillon  régent  du  royaume.  —  Guerre  civile  en  Aragon.  — 
Guerre  entre  le  comte  de  Roussillon  et  le  vicomte  de  Béirn. 
—  Ligue  contre  le  jeune  roi.  — <-  Nunez  ou  Nunyo^  suocède  à 
Sanche  ou  Sanchez. —  G)nquête  de  Majorque. —  Le  Rous- 
sillon retourne  à,  T Aragon.  — Traité  de  G)rbeil.  —  Partage 
des  états  d* Aragon. 

»*'*  Pèdre  II  était  mort,  et  son  fils,  le  nouveau  roi 

s»eiM.  d'Aragon  ,  se  trouvait  au  pouvoir  du  vainqueur,  qui 
redoublait  de  vigilance  pour  le  garder.  Vainem^it  les 
corts  *  du  royaume  Tavaient  réclamé ,  Montfort  refu- 
sait de  le  rendre  :  on  prit  les  armes  de  part  et  d*autre. 
Lie  comte  de  Roussillon  envoya  son  fils  Nunez  se 
mettre  à  la  tête  de  cette  patriotique  expédition,  que 

'  Les  corts  (cories  en  espagnol)  d* Aragon  et  de  Catalogne  différaient 
des  étais  généraux  de  France,  auxquels  on  les  assimile,  i"  en  ce  que  le 
second  ordre,  qu'on  appelait  bras  militaire,  comprenait  aussi  bien  les 
nobles  que  les  roturiers  devenus  possesseurs  de  terres  en  justice;  9*  en 
ce  que  les  étrangers  nobles  ou  roturiers,  possédant  des  terres  en  Cata- 
logne, y  avaient  droit  de  séance  comme  représentant  les  peuples  de 
leurs  seigneuries  ;  3"  en  ce  que  le  troisième  ordre ,  qu'on  appelait  bras 
roycd,  était  fomié  des  députés  des  villes  dont  le  souverain  lui-même 
était  seigneur  :  ces  villes  étaient  en  petit  nombre,  et  Barcelone  et 
Perpignan  en  étaient  les  principales.  Ces  différences  font  que  nous  con- 
serverons à  ces  assemblées  le  nom  de  coris.  puisque  celui  d^états géné- 
raux n'en  est  pas  la  traduction  exacte. 


CHAPITRE   SIXIÈME.  95 

dirigeaient  Guillaume  de  Moncade  et  Guillaume  de 
Cardone.  Cet  élan  généreux,  qu*appuyait  le  vicomte 
de  Narbonne,  n*eut  cependant  aucune  suite;  les  né- 
gociations de  révêque  de  Segorbe ,  ambassadeur  d'A- 
ragon auprès  du  pape,  obtinrent  un  résultat  que  le 
sort  des  armes  eût  peut-être  rendu  douteux  :  le  pape 
ordonna  et  le  jeune  monarque  fut  rendu  à  ses  peuples. 
Le  cardinal  de  Bénévent,  légat  du  pontife  près  l'armée 
des  croisés,  reçut  le  roi  d'Aragon  k  Narbonne,  où 
étaient  accourus  Sanche  et  son  fils  avec  l'élite  de  la 
noblesse  du  royaume.  Le  légat  conduisit  Jayme  en 
Catalogne,  où  furent  immédiatement  réunies  les  corts. 
Dans  cette  assemblée  solennelle,  tenue  à  Lérida,  il 
(ut  arrêté  que  la  tutelle  de  l'infant  roi  et  la  régence 
seraient  confiées  au  comte  de  Roussillon ,  et  que  la 
résidence  du  prince  serait  à  Monçon ,  sous  la  garde 
de  Guillaume  de  Montredon ,  maitre  du  temple  pour 
TAragon  et  la  Catalogne,  chargé  en  même  temps  de 
surveiller  son  éducation.  Trois  gouverneurs  lui  furent 
donnés,  dont  deux  pris  parmi  les  seigneurs  aragonnais 
et  un  parmi  les  seigneurs  catalans. 

Sanche,  comte  de  Roussillon,  et  Femand  son 
frère,  tous  deux  grands-oncles  du  jeune  roi  et  égale- 
ment jaloux  de  l'autorité ,  avaient  causé  quelque  in- 
quiétude aux  corts.  La  préférence  que  cette  assemblée 
avait  enfin  donnée  à  Sanche  pour  la  régence  blés* 
sant  l'orgueil  de  don  Fernand ,  ce  prince  fit  prendre 
les  annes  à  ses  nombreux  partisans,  et  deux  armées 


191' 


1311. 


96  LIVRE   PREMIER, 

également  formidables  ne  tardèrent  pas  à  ensai 
glanter  l*Àragon.  Cette  querelle  des  deux  oncles  d 
roi  finit  par  causer  de  telles  alarmes  à  Guillaume  d 
Montredon,  aux  prélats  et  aux  principaux  seigneu] 
du  royaume ,  que ,  ne  regardant  plus  leur  jeune  me 
narque  comme  en  sûreté  à  Monçon ,  ils  crurent  d< 
voir  former  une  ligue  pour  len  tirer.  L'an  1 2  i y  ii 
marchèrent  contre  ce  château  et  en  enlevèrent  Jaym 
qu'ils  emmenèrent  à  Saragosse ,  où  don  Sanche  s  en 
pressa  de  se  rendre  pour  se  mettre  lui-même  à  la  têt 
du  cortège.  Cette  démarche  dissipa  tous  les  soupçon 
qu'on  avait  pu  concevoir  sur  sa  fidélité ,  et  ce  princ 
prouva  encore  mieux  l'année  suivante  qu'il  n'en  vou 
lait  pas  à  la  couronne  de  son  neveu  en  se  démettan 
volontairement,  en  faveur  de  la  tranquillité  publique 
de  cette  même  régence  que  lui  avaient  confiée  le 
corts  de  Lérida ,  et  qu'avaient  encore  confirmée  le 
prélats  et  les  barons  ligués  pour  la  sûreté  de  leur  roi 
Sanche  obtint,  en  manière  d'indemnité,  plusieur 
châteaux  et  une  rente  de  dix  mille  sous  sur  les  rc 
venus  de  la  ville  de  Barcelone. 

Une  discussion  qui  s'éleva  entre  le  fils  du  comt 
de  Roussillon  et  Guillaume-Raymond  de  Moncade 
vicomte  de  Béarn,  aux  corts  de  Daroca,  en  mai  i  a  a  a 
donna  naissance  à  une  nouvelle  guerre.  La  cause  d< 
cette  discussion  était  toute  frivole,  mais  la  perfidie 
envenimant  auprès  des  deux  princes  quelques  propo: 
légers,  l'étroite  amitié  qui  avait  jusque-là  uni  ces  ri 


CHAPITRE    SIXIÈME.  97 

vaux  se  convertit  en  une  haine  violente.  Chacun  d*eux 
chercha  aussitôt  des  auxiliaires  parmi  ses  puissants 
amis,  et  la  plus  grande  partie  de  la  nohlesse  du 
royaume  se  divisa  en  deux  bamiières.  Pendant  que 
Nunez  avait  pour  lui  le  jeime  roi  d*Aragon  lui-même , 
Moncade  se  confédérait  avec  plusieurs  seigneurs ,  au 
nombre  desquels  était  don  Pèdre  de  Ahonès,  l'un 
àes  quatre  conseillers  désignés  par  le  pape  Honorius  IIl 
pour  diriger  le  monarque.  Les  corts  du  royaume  étant 
réunies  à  Monçon,  Jayme,  âgé  alors  de  quatorze  ans, 
ordonna  aux  habitants  de  cette  ville  de  prendre  les 
armes,  de  garder  leurs  portes  et  leurs  tours,  et  d*em- 
pêcher  l'entrée  de  leurs  murs  k  toute  bande  armée. 
Moncade  ainsi  réduit  à  l'impossibilité  de  rien  entre- 
prendre dans  la  place,  contre  son  ennemi,  en  sortit 
manifestant  l'intention  de  ravager  le  Roussillon.  Jayme, 
de  l'avis  des  corts ,  lui  écrivit  pour  le  détourner  de  ce 
projet;  Moncade  feignit  de  se  rendre  à  cette  invita- 
tion, et  n'en  continua  pas  moins  son  chemin  vers  les 
Pyrénées,  qu'il  traversa  en  se  jetant  sur  les  terres  de 
aon  Sanche.  Après  un  combat  à  la  lance  et  l'écu,  il 
*  empara  du  château  d'Avalri,  peu  éloigné  de  Perpi- 
gi^^m  et  appartenant  au  baron  de  Château-Roussillon , 
et  de  là  il  marcha  contre  cette  ville. 

Les  Perpignanais  avaient  pris  les  armes  en  faveur 
de  leur  comte,  et,  sous  le  commandement  de  Gisbert 
^^hera ,  îls  s'étaient  avancés  à  la  rencontre  de  Mon- 
cade. Barbera ,  consultant  plus  son  dévouement  que 

1.  n 


98  LIVRE    PREMIER. 

ses  forces,  voulut  barrer  le  passage  aux  ennemis,  mais 
il  fut  battu  et  resta  lui-même  parmi  les  prisonniers. 
La  nouvelle  de  faudacieuse  entreprise  du  vicomte 
de  Béam  mit  en  rumeur  toute  la  Cat^dogne;  Raymond 
Folch,  vicomte  de  Gardone,  ennemi  particulier  de 
Moncade,  vint  avec  une  nombreuse  suite  au  secours 
du  comte  de  Roussillon ,  et  de  toute  part  on  courut 
aux  armes.  Pendant  que  Jayme ,  indigné  du  manque 
de  foi  de  son  vassal ,  réunissait  un  grand  nombre  de 
lances  aragonnaises ,  Moncade  se  mettait  en  mesure 
de  résister  à  toute  attaque,  et  se  fortifiait  de  Tappui 
d*une  partie  de  ceux  qui  entouraient  le  monarque.  A 
la  fm  d*août  Jayme  était  devant  le  château  de  Cer- 
bellon,  près  de  Barcelone,  qu*il  força  en  quatonè 
jours,  quoique  ce  fut  une  des  plus  fortes  places  de  ce 
temps.  Après  divers  autres  avantages,  sa  bannière^ 
sous  laquelle  étaient  rangés  ses  deux  oncles  Sanche 
et  Fernand,  Nunez,  divers  grands  seigneurs  de  sa 
maison,  et  près  de  deux  cents  chevaliers,  se  présenta 
devant  le  château  de  Moncade ,  où  le  vicomte,  sommé 
d*en  ouvrir  les  portes  au  roi ,  répondit  qu'il  n'en  fe- 
rait rien  tant  que  le  roi  le  lui  demanderait  à  la  tête 
d'une  armée.  Le  secret  appui  que  ce  seigneur  trou- 
vait dans  la  plupart  des  barons  qui  accompagnaient 
Jayme  à  une  guerre  qu'ils  faisaient  à  contre -cœur 
lui  donnait  le  moyen  d'être  arrogant  avec  impunité. 
Malgré  sa  grande  jeunesse,  le  prince  avait  pris  les 
dispositions  les  plus  efficaces  pour  réduire  le  château 


.   x 


CHAPITRE   SIXIÈME.  99 

de  Moncade;  mais  les  barons  de  son  armée,  en  fai- 
sant parvenir  eux-mêmes  secrètement  des  vivres  aux 
assises,  rendaient  toutes  ces  dispositions  illusoires. 
Les  murmures  de  ces  barons  démontrant  enfin  au  roi 
Finutilité  de  ses  efforts,  il  dut  subir  l'affront  d'une 
levée  de  siège  devant  un  sujet  révolté  après  deux 
mois  de  blocus.  Moncade,  enhardi  par  ce  départ,  se 
jeta  de  nouveau  sur  le  Roussillon. 

L'opposition  que   la  haute   noblesse  manifestait 
contre  les  vœux  du  roi  n'avait  pas  seulement  pour 
objet  d'empêcher  la  chute  du  château  de  Moncade; 
eQe  prenait  sa  source  bien  plus  haut.  Jayme  encore 
ïûineur,  dirigé  par  des  conseillers  qui  faisaient  trem- 
Wer  les  barons  pour  leur  toute-puissance,  se  mon- 
^t  peu  disposé  à  se  prêter  à  la  domination  qu'ils  pré- 
tendaient s'arroger,  et  ces  barons  voulaient  l'y  sou- 
mettre. Ménageant  donc  une  réconciliation  entre  les 
i^vcL  seigneurs  ennemis,  une  ligue  générale  se  forma 
contre  le  prince,  et  cette  ligue  déféra  la  régence  du 
royaume  à  l'infant  don  Femand  depuis  si  longtemps 
^Dïibitieux  de  cette  charge.  Jayme  était  à  Alagon,  en- 
▼ïronné  de  riches  hommes  qu'il  croyait  tout  dévoués 
i  *a  personne,  quand  Moncade  et  Pierre  de  Âhonès 
viehnent  lui  demander  d'être  admis  à  le  servir.  Le 
jCttne  roi  les  accueille  de  son  mieux,  mais,  par  pru- 
dence, il  recommande  à  Nunez  et  à  Pierre  Femandez 
de  n'admettre  dans  la  place  que  quatre  ou  cinq  che- 
valiers de  la  suite  de  ces  barons  :  l'ingrat  Nunez 


HottMtUoa. 


100  LIVRE   PREMIER. 

permit  qu  il  en  entrât  jusqu'à  deux  cents.  Peu  de  jours 
après,  le  roi,  prisonnier  des  conjurés,  (îit  conduit  k 
Saragosse  avec  Léonore,  infante  de  Gastille,  que  son 
conseil  lui  avait  fait  épouser  dès  Tâge  de  douze  ans. 

13,4.  Nunez  fit  Tannée  suivante  sa  paix  pailiculière  avec 

Jayme,  et  de  ce  moment  on  ne  le  voit  plus  figurer 
dans  les  troubles  qui  continuèrent  encore  quelques 
années  à  agiter  T Aragon.  Tout  porte  à  croire  que  c'est 
là  l'époque  à  laquelle  il  succéda  à  l'apanage  du  Rous- 
sillon ,  et  à  la  fois  à  don  Sanche,  son  père,  dont  l'année 
de  la  mort  n'est  pas  connue. 
Nuayo. conte  Nuncz  OU  Nunyo-Sanchez ,  en  joignant  à  son  nom 
celui  de  son  père  comme  la  chose  se  pratiquait  quel- 
quefois ,  ne  prit  d  abord  que  le  titre  de  seigneur  du 
Roussillon  Dominus  Rossilionis,  qu'il  portait  du  vivant 

>^'6-  de  son  père.  En  1 2  2  6  ce  prince  aida  le  roi  de  France, 
Louis  VIII ,  à  faire  la  guerre  aux  Albigeois ,  et  il  en 
rerut  en  récompense  les  vicomtes  de  Fenouillède  et 
de  Pierre-Pertuse ,  pour  lesquelles  il  prêta  l'hommage 
à  ce  prince ,  sauf  la  fidélité  qu'il  devait  avant  tout  au 
roi  d'Aragon.  Pour  concilier  ces  deux  devoirs,  il  fut 
réglé  que  si  une  guerre  venait  à  éclater  entre  la  France 
et  TAragon ,  Nunyo  déposerait  entre  les  mains  du  roi 
Louis  ou  ses  .successeurs  les  fiefs  qu'il  tenait  de  lui, 
lesquels  lui  seraient  rendus  sans  contestation  à  la  paix  ^ 

'  Martene,  Veterum  script,  collccûo,  tom.  I. — Marca  hisp.  p.  ^\o. 
Dans  ceUe  lettre  le  roi  df  France  donne  h  Nunyo  le  titre  de  comte  de 
RouMillnn  ,  Vallespir,  Coiiflent  et  Cerdagne. 


CHAPITRE   SIXIÈME.  101 

Nunyo  fut  Tun  des  principaux  chefs  de  Texpédition       '^'s 
du  roi  d'Aragon  contre  les  îles  Baléares,  occupées 
par  les  Maures ,  comme  il  avait  été  Tun  des  signataires 
de  la  résolution  prise  pour  entreprendre  cette  con- 
quête. H  n'y  contribua  pas  seulement  de  sa  personne, 
3  fit  encore  lever  dans  ses  domaines  pour  les  frais 
de  cet  armement  le  droit  de  bovage  qui  était  le  plus 
onéreux  de  tous ,  parce  qu'il  frappait  l'agriculture  en 
atteignant  tous  les  bœufs  de  labour;  aussi  ny  recou- 
rait-on que  dans  des  circonstances  extraordinaires  : 
ici,  le  but  religieux  de  l'expédition  fit  acquitter  cette 
imposition  sans  murmurer.  Les  chroniques  du  temps 
citent  Nunyo  comme  s' étant ,  l'un  des  premiers ,  élancé 
des  vaisseaux  sur  le  rivage  en  présence  des  ennemis,  et 
comme  ayant,  dans  la  première  bataille ,  sauvé  f  armée 
chrétienne  par  sa  valeur  et  sa  présence  d'esprit  :  à 
la  tête  de  trois  cents  chevaux ,  il  reprit  certaines  po- 
sitions dont  les  Maures  s'étaient  emparés  après  en 
avoir  débusqué  Guillaume  et  Raymond  de  Moncade 
qui  y  avaient  perdu  là  vie  :  ces  positions  dominaient 
l'armée. 

La  souveraineté  du  Donezan  devint  entre  Nunyo 
et  le  comte  de  Foix  le  sujet  d'ime  guerre  assez  longue, 
et  à  laquelle  mit  fin ,  le  2 7  septembre  1 2 33 ,  une  sen-  lasa. 
tcnce  arbitrale  rendue  par  le  vicomte  de  Cerdagne  et 
l'évèque  d'Elne.  D  lut  dit  dans  cet  accord  qu'Arnaud 
de  Son  et  Bernard  d'Alion  son  frère,  «esteraient  à 
(t droit,  tant  pour  eux  que  pour  Bernard  d'Alion,  leur 


102  LIVRE   PREMIER. 

tt  père ,  à  la  cour  du  comte  Nuny o  pour  le  château  de 
u  Son  (Donezan),  et  que  si  le  comte  de  Foix  venait  à 
((obtenir  ce  pays,  soit  par  droit,  soit  par  guerre  ou 
ude  toute  autre  manière,  il  en  ferait  hommage  au 
a  comte  Nunyo  comme  les  prédécesseurs  de  Bernard 
ud'Âiion  en  avaient  fait  Thommage  aux  comtes  de 
u Cerdagne.  ))  On  voit  par  là,  ajoute  Thistorien  de 
Languedoc  que  nous  venons  de  copier,  que  le  Do- 
nezan ,  qui  était  anciennement  un  fief  immédiat  du 
comté  de  Cerdagne,  en  était  devenu  un  arrière-fief 
depuis  que  feu  Pierre,  roi  d'Aragon,  avait  donné  ce 
pays  aux  comtes  de  Foix  ^ 

Cette  contestation  était  à  peine  terminée  qu'il  s'en 
éleva  une  nouvelle  entre  Nunyo  et  le  roi  Jayme.Le 
premier  réclamait  la  suzeraineté  sur  la  ville  et  le 
comté  de  Carcassonne;  sur  l'honneur  de  Trencavel, 
sur  la  vicomte  de  Millaud ,  sur  celle  de  Narbonne  et 
sur  la  Provence;  Jayme,  de  son  côté,  revendiquait 
le  Vallespir,  le  Gapcir  et  quelques  autres  terres;  ce- 
pendant ces  prétentions  réciproques  ne  donnèrent 
lieu  à  aucune  hostilité,  et  n empêchèrent  pas  Nunyo, 
qui  ne  le  cédait  à  aucun  prince  de  son  époque  pour 
lardeur  aux  combats,  de  se  joindre  à  Jayme  pour 
porter  la  guerre  au  sein  du  royaume  de  Valence. 
Cette  même  année  iNunyo  aida  encore  l'archevêque 
(le  Tarragone  à  faire  la  conquête  des  îles  d'Yviça  et 
(le  Fromentera. 

'  Histour  tfcnéixilf  de  l.an(juedoc ,  loiiie  111,  livre  XXV. 


CHAPITRE   SIXIÈME.  105 

Nunyo  navait  pas  d*enfants  légitimes  »  et  son  apa- 
nage ne  pouvait  manquer  après  lui  de  retourner  à 
fAngon.  Cette  considération  et  les  services  que  ce 
prince  avait  rendus  à  la  couronne  décidant  le  mo- 
narque i  renoncer  aux  prétentions  qu  il  avait  élevées 
en  opposition  à  celles  que  le  comte  avait  mises  au 
jour,  en  mai  i  a 35  il  signa  un  compromis  par  lequel 
il  laissait  Nunyo  en  possession  de  tout  ce  qu'il  avait» 
et  lui  faisait  de  plus  le  don  d  une  certaine  somme 
d'ai^ent.  Ce  n'est  que  de  ce  moment ,  à  ce  qu'il  pa- 
rait, que  le  fils  de  Sanche  prit  le  titre  de  comte  de 
Roussillon  qu'on  lui  donnait,  mais  qu'on  ne  trouve 
dans  aucun  des  actes  émanés  de  lui  avant  cette 
époque  ^  Quatre  ans  après,  ce  prince  vendit  au  roi 
saint  Louis ,  pour  la  somme  de  vingt  mille  sous  mel- 
goriens ,  le  château  de  Pierre-Pertuse  que  Louis  VIII 
lui  avait  donné  quelques  années  auparavant  avec  la 
vicomte  de  Fenouillède,  ainsi  que  nous  l'avons  dit 
l^us  haut. 

Niinyo  mourut  en  12 Ai.  Ce  prince  avait  épousé 
en  1 2 1 5  la  princesse  Pétronille ,  fille  de  Bernard  V, 
comte  de  Conmiinge  et  d'Étiennette  de  Centule ,  fille 
du  comte  de  Bigorre.  Cette  princesse ,  qui  avait  été 
mariée  d'abord  à  Gaston  le  Bon ,  vicomte  de  Béam , 
(ut  enlevée  à  Nunyo  Tannée  qui  suivit  leur  mariage 
par  le  comte  de  Montfort,  qui  la  fit  épouser  à  son 
fils,  afin  de  faire  entrer  par  ce  moyen  le  comté  de 

*  Fofsa,  dans  TArt  de  vérifier  les  dates. 


ia3.). 


laili- 


104  LIVRE   PREMIER. 

Bigorre  dans  sa  famille.  L*odieux  de  cette  conduit 
ne  doit  pas  étonner  :  nous  avons  assez  fait  connaît! 
Tétat  des  mœurs  à  cette  époque.  Après  la  mort  de  < 
nouvel  époux,  Pétronille  contracta  un  quatrième 
puis  un  cinquième  mariage.  Quant  à  Nunyo,  il  époui 
Thérèse  Lopès  qui  ne  lui  donna  point  d'héritier.  & 
domaines  rentrèrent  ainsi  sous  la  main  du  roi  d*) 
ragon,  après  que  ses  exécuteurs  testamentaires  ei 
rent  rempli  ses  dernières  dispositions.  Ce  prince  a  va 
quitté  le  monde  sur  ses  vieux  jours,  et  il  était  ch 
noine  d*Elne  au  moment  de  sa  mort  ^ 

Soixante  ans  ne  s  étaient  pas  encore  écoulés  depu 
que  le  Roussillon  avait  été  donné  en  apanage  aux  i 
fants  d'Aragon  quand  il  fit  retour  à  la  couronne.  I 
sort  de  la  population  ne  (ut  pas  meilleur  sous  a 
derniers  comtes  que  sous  les  anciens.  Les  maux  d< 
peuples  sont  toujours  aggravés  par  Tétat  de  guerre, 
Saiiche  et  son  fils  eurent  sans  cesse  les  armes  à  la  maîi 
aussi  les  impôts  pour  payer  ces  dépenses  écrasaiei 
l'agriculture  pendant  que  les  continuelles  levées  d 
cimaient  la  population  des  campagnes.  Dans  ur 
semblable  situation ,  les  désordres  auxquels  le  roi  A 
phonse  II  avait  voulu  porter  remède  ne  pouvaiei 
pas  cesser.  Aux  sollicitations  de  Galterius,  évêqi 
d'Elne,  Nunyo  avait  bien  promulgué,  le  6  des  nom 
d'octobre  1227  ^,  ^^  nouvelles  constitutions  de  pa 

'   Bosch ,  Titols  de  honor. 

'   Dans  le  spicilfgium  de  Dachery  cette  pièce  porte  la  date  de  i  2  i 


CHAPITRE   SIXIÈME.  105 

et  trêve,  qui,  de  plus  que  les  précédentes,  garantis- 
saient ia  tranquillité  de  toutes  les  classes  quelconques 
de  la  population,  y  compris  les  Juifs  et  les  Sarrasins, 
habitants  ou  captifs  en  Roussillon  ;  mais  que  pouvaient 
de  stériles  engagements  aussitôt  oubliés  que  pris  par 
les  seigneurs  féodaux!  Nunyo  fit  son  testament  le 
16  des  calendes  de  janvier  laAi.  Les  restitutions 
qu'il  ordonna,  jointes  aux  legs  qu'il  fit,  s'élevèrent  à 
de  telles  sommes  que  pour  les  acquitter  le  roi  permit 
aux  exécuteurs  testamentaires  de  percevoir  encore 
pendant  six  mois  après  la  mort  de  Nunyo  les  revenus 
des  deux  comtés. 

Jayme  prit  à  l'égard  du  Roussillon,  après  que  ce 
fief  fut  rentré  dans  ses  mains,  les  mêmes  mesures 
qu'avait  prises  Alphonse  II  quand  il  en  hérita;  il  y  fit 
promulguer  les  constitutions  de  paix  et  trêve  qu'il 
avait  apphquées  àl'Aragon  le  la  des  calendes  de  jan- 
vier 1228.  Par  son  ordre  exprès  un  chanoine  de  Bar- 
celone, nommé  Guillaume  de  San-Roman,  se  rendit 
en  Roussillon,  et,  le  5  des  ides  de  mars  i24i,  il  fit 
jurer  et  signer  cette  paix  et  trêve  par  les  principaux 
seigneurs  de  la  province  réunis ,  non  pas  à  Perpignan , 
mais  à  Malloles  ^.  Jayme  fit  aussi  rédiger  par  écrit  les 
coutumes  de  Perpignan ,  qui  n'étaient  conservées  que 

mais  il  y  a  eu  évidemment  omission  d'un  X ,  puisque  ce  prince  ne  suc- 
céda au  plus  tôt  à  son  père  qu  en  1 324 *  et  que  cet  acte  est  un  acte  de 
souveraineté. 

*  Dacherii  spicile^ium,  tom.  III. 


106  LIVRE   PREMIER. 

dans  la  mémoire  des  hommes ,  et  il  en  confirma  la 
rédaction. 

Le  renouvellement  de  Timpôt  du  bovage  en  i  a  &5 
causa  quelques  troubles  en  Roussillon.  Une  lettre  de 
Tabbé  de  Saint- Martin  du  Canigou  à  Raymond  de 
Pompéian,  procureur  de  Tinfant  don  Jayme,  venu 
dans  la  province  pour  faire  rentrer  cette  contribu- 
tion ,  renferme  la  prière  de  faire  respecter  et  défendre 
le  monastère  et  toutes  ses  dépendances,  attendu 
qu*  aucun  de  ses  honunes ,  dit-il ,  n*a  pris  part  à  la  ré- 
bellion ^ 

Les  rois  de  France  et  d'Aragon  étaient  en  paix; 
mais  il  existait  entre  eux  de  nombreux  ferments  de 
querelle ,  à  raison  de  réciproques  prétentions  sur  des 
fiefs  de  leurs  domaines  respectif.  Les  rois  de  France , 
nous  l'avons  démontré ,  étaient  réellement  suierains 
de  toutes  les  terres  qui  formaient  l'ancienne  marche 
d'Espagne,  distinguées  désormais  par  les  noms  spé- 
ciaux de  Catalogne,  de  Cerdagne  et  de  Roussillon. 
Cette  suzeraineté  était  établie ,  i  °  par  le  fait  incontes- 
table de  la  conquête  de  ces  terres  sur  les  Arabes  d'Es- 
pagne avec  laide  des  rois  de  France;  2°  par  le  par- 
tage de  ces  terres  en  différents  comtés  opéré  par  ces 
mêmes  rois;  3°  par  l'investiture  de  ces  comtés  donnée 
par  eux  à  leurs  barons;  4°  enfin,  et  principalement 
par  le  choix  libre  et  volontaire  que  les  peuples  de  c^s 

'  Cum  nos  nec  aliquis  homo  noster  non  fuerimus  rebelles  inpnB- 
dirlo  bovalico  dando.  (Arch.  eccles.) 


CHAPITRE   SIXIÈME.  107 

contrées  avaient  fait  de  ia  domination  française ,  sui- 
vant la  solennelle  déclaration  de  Chaiies  le  Chauve , 
pour  obtenir  secours  et  protection  contre  les  Maures , 
leurs  dangereux  voisins.  De  leur  côté ,  les  rois  d'Ara- 
gon avaient  des  droits  fondés  sur  plusieurs  pays  situés 
en  Languedoc,  et  Jayme  se  préparait  à  les  £iire  va- 
loir. Louis  IX  eut  connaissance  des  intentions  de 
TAragonnais ,  et ,  pour  opposer  prétentions  à  préten- 
tions, il  chargea  deux  commissaires  de  recevoir  la 
déposition  de  Tévêque  de  Maguelonne  au  sujet  du  fief 
de  Montpellier.  Ce  prélat  leur  déclara  que  cette  ville        >»"• 
et  ses  dépendances  avaient  été  de  tout  temps  un  fief 
de  la  coiu*onne  de  France ,  et  que  lui ,  aussi  bien  qae 
ses  prédécesseurs ,  avaient  toujours  tenu  à  ce  titre  la 
partie  de  la  ville  quon  appelle  Montpellieret  ;  que 
lautre  partie  de  cette  ville  et  le  château  de  Lates 
étaient  de  la  mouvance  de  Téglise  de  Maguelonne, 
et  fiefs  du  roi  d'Aragon  en  sa  qualité  de  seigneur  de 
Montpellier,  du  chef  de  sa  mère  ^  Jayme,  voyant  la 
tournure  que  prenait  lafTaire  qu il  avait  suscitée ,  se 
décida  à  négocier  un  arrangement  amiable.  Un  com- 
promis fut  donc  passé  au  mois  de  juin  entre  les  deux 
mcmarques ,  qui  promirent  de  s  en  rapporter  sous  un 
dédit  de  trente  mille  marcs  d'argent ,  à  la  décision  de 

*  Les  seigneurs  de  subsiantion  étaient  feudataires  directs  de  la  sei- 
§Wtiine  de  MoQtpellier.  Les  fiiles  du  dernier  de  ces  seigneurs  la  don- 
nèrent à  Téglise  de  Maguelonne,  qui  la  céda  à  Gui ,  ancêtre  de  Marie, 
fiemme  de  Pèdre  III  et  mère  de  Jayme,  qui,  de  cette  manière,  se  trou- 
vait arrière-vassale  de  la  couronne  de  France. 


108  LIVRE   PREMIER. 

deux  arbitres  tenus  de  prononcer  leur  sentence  dans 
le  terme  d'un  an.  Mais,  soit  négligence,  soit  mauvaise 
volonté,  ce  terme  s'écoula  sans  conclusion.  Les  in- 
fants d'Aragon,  se  mettant  alors  à  la  tête  de  quelques 
troupes ,  firent  une  irruption  dans  le  Carcasses ,  et  la 
nouvelle  de  ces  hostilités  fit  reprendre  les  négocia- 
tions. Jayme  chargea  de  sa  prociu^ation  Arnaud, 
évêque  de  Barcelone ,  Guillaume ,  prieur  de  Comella 
et  Guillaume  de  Rocaful,  son  lieutenant  à  Montpel- 
lier, avec  pouvoii'  de  transiger  et  compromettre  avec 
le  roi  de  France  sur  les  droits  qu'il  prétendait  avoir 
sur  le  Carcasses,  le  Rasés,  le  Lauraguais,  le  Terme- 
nois,  le  Minervois,  le  Fenouillède,  le  Pierre -Per- 
tuse ,  le  comté  de  Millaud ,  le  Gevaudan ,  le  Gresèz , 
les  comtés  de  Toulouse  et  de  Saint-Gilles  et  sur  tous 
les  autres  domaines  et  juridictions  qui  avaient  appar- 
tenu à  Raymond,  comte  de  Toulouse  ^  Par  conven- 
ii68.  tion  du  1 1  mai  i  a58  passée  à  Corbeil,  où  se  trouvait 
alors  saint  Louis,  le  roi  d'Aragon  renonça  à  toutes 
ses  prétentions  sur  les  pays  ci-dessus,  et  le  roi  de 
France ,  de  son  coté,  abandonna  et  céda  au  roi  Jayme 
et  à  ses  successeurs  tous  ses  droits  sur  les  comtés  de 
Barcelone,  d'Urgel,  de  Besalu,  de  Roussillon,  d'Am- 
purias,  de  Cerdagne,  de  Gonflent,  de  Girone  et  de 
Vie. 

Ce  traité  de  Corbeil ,  dont  Texistence  est  contestée 
par  quelques  écrivains  et  mise  en  doute  par  le  prési- 

'   Hist.  yen.  de  Laiiy.  tom.  III,  aux  preuves. 


CHAPITRE   SIXIÈME.  109 

dent  Hénaut  \  mais  à  l'authenticité  duquel  donnent 
toute  créance  les  recominandables  historiens  du  Lan- 
guedoc,  fut,  suivant  le  père  Daniel,  plus  avantageux 
à  la  France  qu'à  T Aragon,  en  ce  que  la  première  aban- 
donnait des  droits  qu'elle  ne  pouvait  faire  valoir  que 
difficilement  sur  des  pays  situés  de  l'autre  côté  des 
monts,  tandis  qu'elle  acquérait  une  foule  de  villes 
placées  sur  son  propre  territoire.  Le  savant  Vaissette, 
qui  discute  à  fond  la  validité  des  prétentions  des  deux 
couronnes,  prouve  de  la  manière  la  plus  évidente 
que  tout  le  désavantage,  dans  cette  transaction,  fut 
du  côté  de  la  France.  Louis  renonçait  aux  droits  les 
plus  positifs  sur  la  Catalogne ,  la  Cerdagne  et  le  Rous- 
sillon,  pendant  que  le  roi  d'Aragonne  pouvait  lui  op- 
poser que  des  droits  chimériques  et  imaginaires  sur 
tous  les  pays  autres  que  le  Carcasses,  le  Rasés,  le 
Lauraguais,  le  Termenois,  le  pays  de  Sault  et  le  do- 
maine immédiat  de  Fenouillède.  Ajoutons  que,  rela- 
tivement à  la  difficulté  de  faire  valoir  des  droits  de 
l'autre  côté  des  monts,  la  position  du  roi  de  France 
ne  fîit  rendue  plus  désavantageuse  que  celle  du  roi 
d'Aragon  que  par  le  ti^aité  même,  puisque,  si  la  Ca- 
tadogne  est  par  delà  les  Pyrénées  par  rapport  à  la 
France ,  toutes  les  terres  sur  lesquelles  Jayme  fondait 

^  Un  conseiller  au  conseil  souverain  de  Roussiilon,  Gispert-Dulcat, 
fit  imprimer  en  1790  un  mémoire  en  forme  d'observations  pour  nier 
rnistence  de  ce  traité.  Le  même  écrivain  nie  également  Texistence  du 
tesUment  du  dernier  comte  héréditaire  de  Roussiilon. 


110  LIVRE   PREMIER, 

des  prétentions  étaient  dans  une  position  toute  sem- 
blable par  rapport  à  f  Aragon.  C'était  donc  pour  le  roi 
de  France  une  raison  de  plus  de  ne  pas  renoncer  aux 
droits  que  sa  couronne  avait  acquis  sur  le  Roussillon, 
dès  ayant  Charlemagne ,  par  la  cession  que  les  Goths 
en  avaient  faite  à  Pépin  lors  de  leur  révolte  contre  les 
Maures,  ainsi  que  nous  Tavons  fait  remarquer  en  son 
lieu.  La  situation  de  ce  comté  en  deçà  des  Pyrénées, 
du  côté  de  la  France ,  établissait  entre  les  deux  princes 
une  balance  de  position  qui  fut  rompue  au  profit  de 
FAragon  par  cet  imprudent  et  impolitique  traité  de 
Corbeil.  La  soumission  de  Montpellier,  révoltée  contre 
Jayme,  fut  le  premier  bénéfice  que  ce  prince  retira 
de  ce  traité  :  les  habitants  de  cette  ville  n*étant  plus 
soutenus  par  la  France  durent  recourir  à  la  clémence 
de  leur  seigneur,  qui  leur  pardonna,  et  qui  fit  son 
entrée  solennelle  dans  leurs  murs  le  i  o  décembre. 

Dans  le  cours  de  cette  année,  1^58,  il  y  eut  à 
Perpignan  un  soulèvement  dont  la  cause  n'est  pas 
connue,  et  dans  lequel  le  bailli  royal  fut  grièvement 
insulté.  Le  roi  d'Aragon  se  rendit  dans  cette  ville, 
pardonna  aux  habitants  et  fit  divers  changements  dans 
les  monnaies ,  ce  qui  peut  faire  croire  que  quelque 
surhaussement  ou  quelque  altération  dans  la  valeur 
de  ces  monnaies  avait  occasionné  cette  émeute  ^. 
lafîo.  A  la  date  du  6  octobre  1260  nous  trouvons  une 

charte  du  roi  d'Aragon  relative  au  fils  de  ce  Pons  du 

'   Arch.  dom. 


CHAPITRE   SIXIÈME.  111 

Veniet  dont  nous  avons  parlé  dans  Tintroduction  k 
cette  histoire  à  propos  des  mœurs  du  xiii*  siècle.  Nous 
avons  dit  qu'une  note  manuscrite  d*un  abbé  de  Saint- 
Martin  du  Canigou  énumérait  les  griefs  du  monastère 
contre  ce  seigneur  et  contre  son  fils.  Nous  ne  savons 
pas  si  ces  violences  contribuèrent  à  faire  livrer  le 
père  à  Tinquisition ,  et  si  ces  brigandages  contre  Té- 
g^e  furent  une  suite  de  sa  participation  à  Thérésie 
des  Albigeois,  ou  si  l'accusation  d*hérésie  ne  fut  pas 
uniquement  un  prétexte  dont  on  se  servit  pour  se  dé- 
faire de  ce  personnage  dangereux;  nous  ignorons 
aussi  de  quelle  mort  finit  ce  seigneur;  mais  quoique 
tout  porte  à  croire  qu  il  périt  de  mort  violente ,  il  ne 
parait  pas  qu'il  ait  subi  le  supplice  du  bûcher.  Quoi 
qu'il  en  soit,  comme  il  était  mort  sous  le  poids  des 
poursuites  de  l'inquisition,  ses  biens  avaient  été  con- 
fisqués au  profit  du  fisc.  Par  sa  charte  de  la  veille  des 
nones  d'octobre,  Jayme  rendit  au  fils,  nommé  Pons 
du  Vemet  comme  son  père ,  tous  ses  domaines  et  ses 
châteaux  da  consentement  des  deux  inquisiteurs  du 
royaume,  et  il  défendit  de  l'inquiéter  en  rien  à  Ta- 
vmr,  ou  de  le  noter  i infamie  à  raison  de  l'hérésie  de 
son  père^  L'année  suivante,  ce  Pons  fils  échangea 
avec  le  vicomte  d'Ampurias  le  château  et  la  ville  de 
Cadaquers,  en  Ampourdan,  contre  les  châteaux  de 

*  Voyex  aux  preuves  n*  XI.  Cette  restitution  fut  achetée  par  le  fils 
de  ^ons,  au  prix  de  vingt-deux  mille  sous  de  Barcelone,  somme  tr^ 
coandéraUe  à  cette  époque. 


112  LIVRE    PREMIER. 

Tautavel ,  du  Vemet ,  près  de  Perpignan ,  de  Millas 
deTorelles,  de  Saises  et  de  Saint-Laurent  qui  appaj 
tenaient  à  ce  vicomte. 

Le  roi  Jayme,  à  qui  ses  brillantes  expéditions  mi 
litaires  avaient  fait  donner  le  surnom  de  conquérant 
s*était  emparé  des  lies  Baléares ,  du  royaume  de  Va 
lence  et  de  quelques  autres  terres  dont  il  avait  expids 
les  Maures.  Ce  prince  avait  eu  d^Ëléonore  de  Castillc 
sa  première  femme,  im  enfant  nommé  Alphonse,  c 
d'Yolande,  qu'il  avait  épousée  après  avoir  répudi 
Éléonore,  plusieurs  autres  enfants  à  qui  il  voulait  fair 
une  part  dans  son  royal  héritage;  mais  afin  d'évité 
tout  sujet  de  contestation  entre  eux  après  sa  mort,  : 
avait  résolu  de  leur  faille  accepter  à  chacun ,  de  so 
vivant,  la  partie  de  sa  succession  qu'il  se  proposai 
de  leur  départir.  Les  différentes  vicissitudes  qu'; 
éprouva  dans  sa  famille  le  forcèrent  de  refaire  pii 
sieurs  fois  ce  partage. 

L'infant  don  Alphonse  avait  été  reconnu  en  i2aj 
par  les  corls  du  royaume,  pour  héritier  universel  d 
ia  couronne,  à  la  demande  de  Jayme  lui-même  ai 
moment  où  il  poursuivait  son  divorce  avec  la  rein 
Eléonore;  mais  à  cette  époque,  ni  lesiles  Baléares,  r 
le  royaume  de  Valence  n'étaient  encore  conquis,  c 
Jayme,  qui  devait  ces  terres  à  son  épée,  pouvai 
croii^e  qu'il  était  maître  d'en  disposer  suivant  sa  vc 
lonté;  mais,  d'autre  part,  comme  parles  constiti 
tions  du  royaume  le  monarque  ne  pouvait  rien  feir 


CHAPITRE    SIXIÈME.  115 

sans  les  subsides  votés  volontairement  et  librement 
parles  corts,  celies-ci  étaient  aussi  en  droit  de  con- 
sidérer comme  acquises  au  profit  de  imdivisibiiité  de 
\a  couronne  toutes  terres  dont  i  acquit  avait  eu  lieu 
au  moyen  de  subventions  fournies  par  les  sujets  de 
cette  même  couronne;  et  comme,  de  plus,  le  roi  ne 
pouvait  faire  aucune  expédition  de  ce  genre  sans  le 
consentement  et  le  concours  des  barons  du  royaume, 
^i  étaient  maîtres  de  refuser  subsides  et  secours, 
^si  que  nous  le  verrons  plus  tard ,  il  est  évident  que 
les  conquêtes  auxc[ueiles  ils  contribuaient  de  leur  per- 
*onne  et  de  leurs  revenus  devaient  appartenir  à  la 
communauté,  c'est-à-dire  à  Tétat,  et  que  le  roi  n'en 
P<>uvait  pas  disposer  seul  et  sans  leur  participation. 
^  reconnaissance  faite  par  les  corts  de  l'infant  Al- 
phonse comme  héritier  universel  de  la  couronne  en- 
*^^înait  donc ,  pour  cet  infant,  la  possession  de  cette 
^Wonne,  non  pas  seulement  telle  qu'elle  était  au 
moment  de  la  reconnaissance ,  mais  avec  toutes  les 
éventualités  qui  pouvaient  lui  arriver  par  le  concours 
des  barons.  On  voit  par  cet  exposé  que  le  projet  de 
J^ynae  devait  rencontrer  de  grands  obstacles;  un  de 
^8  premiers  résultats  lut  d'augmenter  la  vive  mésin- 
^U^ence  qui  existait  déjà  entre  le  roi  et  son  fils  aîné  : 
Alphonse  ne  manqua  pas  de  partisans  parmi  les  bâ- 
tons, mécontents  de  voir  mettre  ainsi  en  oubli  les 
constitutions  du  royaume. 

Le  premier  partage,  fait  en  laAy»  avait  attribué 

I.  8 


lU  LIVRE    PREMIER. 

le  royaume  d*Âragon  à  Alphonse,  la  principauté  de 
Catalogne  et  Tfle  de  Majorque  à  don  Pèdre ,  f  i^é  des 
enfants  d'Yolande,  et  le  royaume  de  Valence  k  don 
Jayme,  second  fils  de  cette  reine;  don  Femand,  qui 
venait  après  Jayme,  avait  pour  sa  part  les  comtés  de 
Roussillon  et  de  Gerdagne ,  avec  la  vicomte  de  Mont- 
pellier et  tous  les  droits  sur  les  différents  domain 
situés  en  Languedoc,  auxquels  Jayme  renonça 


parle  traité  de  Corbeil.  Ce  partage,  comme  ceux  quS: 
suivirent,  était  ime  atteinte  violente  portée  aux  cens — ^ 
titutions  du  royaume,  puisqu'il  en  séparait,  non 
seulement  des  pays  conquis ,  mais  des  terres  qui  fiu- 
saient  partie  intégrante  de  Tétat  sous  son  prédéces 
seur.  Sanche,  le  dernier  enfant  d'Yolande,  était  d 
tiné  à  Tétat  ecclésiastique;  quant  à  Tenfant  que  1 
reine  portait  en  ce  moment  dans  son  sein ,  si  c*étaÊ: 
un  garçon,  il  devait  entrer  dans  Tordre  des  templiene 
et  si  c'était  une  fille  elle  devait  être  religieuse, 
reine  accoucha  d  une  fille  ;  mais ,  au  lieu  d'entrer  di 
la  religion ,  elle  devint  reine  de  France  par  son  n 
riage  avec  Philippe  le  Hardi. 

La  mésintelligence  était  extrême  entre  Jayme 
son  fils  aîné  ;  bientôt  la  révolte  de  celui-ci , 
par  le  roi  de  Castille,  gendre  de  Jayme  et  méconte 
lui-même  de  son  beau-père ,  ajouta  de  nouveaux 
barras  à  la  position  du  monarque.  Un  accommod 
ment  ménagé  entre  le  père  et  le  fils,  en  i  a 5o,   fi 
passer  Tadministration  générale  du  royaume  sur  l^ 


CHAPITRE   SIXIÈME.  115 

tète  de  cet  infant ,  suivant  les  droits  attachés  à  sa  qua- 
lité d'h^tier  de  la  couronne. 

La  mort  de  don  Fernand,  survenue  cette  même 
année ,  ayant  rendu  nul  le  premier  partage ,  il  fallut 
diviser  entre  les  autres  enfants  le  lot  de  ce  prince. 
Alphonse  ne  reçut  rien  de  plus  que  ce  qu'il  avait  eu 
la  première  fois;  mais  Pèdre  eut  la  Catalogne  avec 
la  Cerdagne  et  le  Roussillon,  les  comtés  de  Riba- 
gorça  et  de  Pallas,  et  les  villes  de  Tortose  et  de  Lé- 
rida;  et  Jayme  obtint  le  royaume  de  Valence,  les  îles 
Haléares  et  la  seigneurie  de  Montpellier.  Ces  pro- 
vinces furent  reçues  par  ces  princes  à  titre  de  dona- 
tion entre-vi&,  le  roi  s'en  réservant  la  jouissance,  et 
l^infant  Alphonse  en  confu^ma  solennellement  l'acte 
^ux  corts  de  Barcelone  de  1^53. 

Un  arrangement  qui  enlevait  à  la  couronne  d'Ara- 
%<^  la  plus  belle  partie  de  ses  domaines  ne  pouvait 
i*ecevoir  l'approbation  de  la  noblesse  du  pays  :  de 
nouveaux   troubles   éclatèrent,   et  l'infant  don   Al- 
phonse, qui,  bien  qu'il  eût  souscrit  aux  volontés  de 
^w  père,  n'avait  jamais  été  franchement  dans  ses 
lionnes  grâces ,  et  qui  trouvait  dans  l'opposition  des 
wons,  au  morcellement  de  la  monarchie,  un  aii- 
^nt  à  son  ressentiment,  se  retrouva  à  la  tête  dun 
P^iti  formidable.  Jayme ,  désirant  maintenir  la  paix 
Milérieure,  consentit  à  modifier  ce  nouveau  partage, 
et  le  royaume  de  Valence  lut  ajouté  à  la  portion  du 

premier- né.  Enfin,  la  mort  de  ce  dernier  prince, 

8. 


116  LIVRE   PREMIER. 

enlevé  presque  inopinément  en  laGo^  donna  lieu  k 
de  nouvelles  dispositions  qui  furent  les  dernières.  Ce 
partage  définitif,  qui  fut  arrêté  le  ai  août  126a, 
donna  à  don  Pèdre  l*Aragon  avec  le  royaume  de  Va- 
lence et  la  Catalogne;  et  à  don  Jayme,  le  royaume  de 
Majorque,  avec  la  seigneurie  de  Montpellier  et  les 
comtés  de  Roussillon,  de  Vallespir,  de  Cerdagne  et 
de  Conflent.  Les  limites  de  ces  comtés  furent  fixées  i 
Pincem,  au  pont  de  la  Corba,  au  cap  de  Creus  et  i 
Bellegarde;  la  vallée  de  Ribes  leur  était  annexée  er 
entier,  ainsi  que  le  bailliage  qui  s'étend  du  Berguerdar 
à  Roca  Sausa  K  Cette  donation  était  faite  sous  Tex 
presse  condition  que  les  monnaies  de  Barcelone  au- 
raient cours  à  perpétuité  en  Roussillon,  Vallespir  el 
Conflent ,  où  continueraient  à  être  observés  les  usages 
de  Barcelone  et  les  constitutions  de  Catalogne ,- saul 
les  coutumes  particulières  des  localités.  En  cas  de 
mort  sans  enfants  mâles,  les  deux  frères  étaient  subs- 
titués l'un  à  Vautre;  et  s'il  arrivait  que,  par  mariage 
ou  autrement,  le  Roussillon  et  la  Cerdagne ,  avec  leurs 
dépendances,  passassent  dans  une  maison  étrangère, 
dans  ce  cas  spécial  seulement ,  le  prince  qui  devien- 
drait possesseur  de  ce  démembrement  de  la  monar 
chie  serait  tenu  d*en  faire  hommage  au  roi  d'Aragon 
Il  était  encore  stipulé  que  si  don  Pèdre  allait  contre 
ces  dispositions  du  partage ,  et  qu'il  fît  la  guerre  à  soi 
frère,  sans  soumettre  à  des  arbitres  communs  le  ju 

*   Testam.  JcLcobi,  apiul  Dacherii  spicile^.  tom.  III. 


CHAPITRE   SIXIÈME.  117 

gement  de  ses  griefs  contre  lui,  il  perdrait,  par  cela 
seul ,  les  droits  de  suzeraineté  qui  lui  écherraient  sur 
ces  comtés  de  Roussillon  et  de  Cerdagne  dans  le  cas 
prévu  du  transport  de  ces  domaines  en  maison  étran- 
gère par  mariage  ou  autrement.  Ces  diflerentes  stipu- 
lations fiirent  confirmées  de  nouveau  par  Jayme  dans 
son  dernier  testament  fait  à  Montpellier  le  7  des  ca- 
lendes de  septembre  1272.  Dans  ce  nouvel  acte  Jayme 
constitua  de  plus  l'indivisibilité  des  deux  royaumes 
d'Aragon  et  de  Majorque,  et,  afin  d'assurer  encore 
mieux  la  substitution  des  deux  frères  en  cas  de  mort 
de  Tun  ou  de  l'autre  sans  enfant  mâle,  il  défendit 
que  jamais  une  femme  pût  hériter  de  leur  couronne  ^. 

'  Testam,  Jacobi,  apud  Dacherii  spicileg.  tom.  III. 


118  LIVRE   PREMIER. 


CHAPITRE   VIL 

Indépendance  des  seigneurs  catalans  reconnue.  •—  Nouveaux 
troubles  en  Aragon.  —  Ports  de  Collioure  et  de  Port- Vendre. 

—  Royaume  de  Majorque.  —  Agrandissement  de  Perpignan. 

—  Eglise  de  Saint-Jean.  — Mense  canonicale. 

jajmt  1  '.  L^  dernier  partage  arrêté  par  le  roi  d* Aragon  le  fut 
définitivement  et  irrévocableftient,  mais  il  n'obtint 
pas  plus  que  les  précédents  Tapprobation  des  riches 
hommes  du  royaume ,  qui  ne  souscrivirent  jamais  à 
ce  morcellement  de  la  monarchie.  Cette  invincible 
opposition  fut  même  par  la  suite  Tune  des  causes  les 
plus  puissantes  de  Textinction  du  royaume  de  Ma- 
jorque après  une  très-courte  durée.  Le  mécontente- 
ment des  barons  ne  se  renferma  pas  toujours  dans  les 
paroles  :  Jayme  fut  bientôt  forcé  d*en  venir  aux  armes 
avec  eux.  Cet  événement,  dont  la  cause  partait  ainsi 
de  loin ,  eut  pour  occasion  immédiate  la  guerre  que 
les  Maures  de  Murcie  et  de  Grenade  faisaient  au  roi 
de  Castilie. 

Après  la  prise  de  Coi  doue  par  les  Castillans, 
l'Arabe  Mahoniet-ben-Alaniir  s'était  emparé  du  trône 
de  (iienade  fondé  sur  les  débris  de  fancien  califat 
d'Occident.  Les  Arabes  de  Murcie ,  ne  voulant  pas 
reconuaitre  lautorilé  de    ce  nouveau   roi,  setaient 


CHAPITRE   SEPTIEME.  119 

soulevés  et  avaient  réclamé  le  secours  de  Tinfant  de 
Castille.  Sacrifiant  ainsi  à  une  basse  jalousie  leur  in- 
térêt le  plus  pressant ,  celui  de  rester  unis  entre  eux 
pour  mieux  résister  aux  attaques  des  chrétiens  qui 
leur  étaient  si  fatales  sur  tous  les  points ,  ils  se  jetèrent 
dans  les  bras  de  leurs  ennemis,  et  se  rendirent  vassaux 
de  la  couronne  de  Castille  :  toutes  les  villes  et  tous  les 
diâteaux  de  Murcie ,  depuis  Âlicante  jusqu*à  Lorca  et 
Chinchilla,  reconnurent  la  suzeraineté  du  roi  chrétien, 
cpii  partagea  avec  le  roi  maure  de  Murcie  les  revenus 
de  rétat.  Cependant  cette  alliance  contre  nature,  pro- 
duit d*une  irritation  d'amour-propre,  ne  pouvait  pas 
durer.  Lies  Murciens  s'unirent  secrètement  aux  Gre- 
nadins, et  les  uns  et  les  autres  aux  Maroquins  pour 
fiiire  la  guerre  aux  Castillans.  Les  Maures  de  Murcie 
se  soulevèrent  contre  les  garnisons  castillanes  ;  ceux 
d'Andalousie  suivirent  leur  exemple,  et  la  Castille 
eut  sur  les  bras  toutes  les  forces  musulmanes  d'Es- 
pagne ,  aidées  de  celles  d'outre-mer.  Dans  cet  état  de 
crise,  le  roi  de  Castille  s'adressa  à  celui  d'Aragon, 
son  beau-père ,  pour  qu'il  opérât  une  diversion  en  sa 
(aveur  du  côté  de  Murcie. 

Jayme  était  à  Saragosse  quand  le  grand-makrc 
d'Alcantara  vint  lui  apporter  les  lettres  de  son  gendre 
et  de  sa  fille  :  il  s'empressa  de  convoquer  à  Huesca 
une  réunion  de  prélats  et  de  barons.  Mais  cette  as- 
semblée ne  pouvait  rien  décider  dans  une  affaire  aussi 
majeure ,  et  qui  était  uniquement  de  la  compétence 


120  LIVh£   PREMIER. 

des  corts.  L'un  des  barons  observa  seulement  que  s'il 
était  juste  d* aider  ie  roi  de  Castille  dans  une  si  grande 
extrémité,  il  ne  l'était  pas  moins  que  ce  prince  com- 
mençât, avant  tout,  par  restituer  à  l' Aragon  la  ville 
de  Requena  et  quelques  châteaux  provenant  de  la 
conquête  de  Valence,  que  ce  prince  s'était  injuste- 
ment appropriés. 
ia64.  Le  roi  savait  bien  que  la  question  d'une  guerre  à 

entreprendre  ne  pouvait  être  résolue  que  dans  les 
coi*ts;  mais,  en  les  réunissant,  il  était  sûr  d'y  ren* 
contrer  des  obstacles  très -graves,  et  c'est  ce  qu'il 
aurait  voulu  éviter.  Voyant  cependant  qu'il  ne»  pou- 
vait rien  décider  sans  leur  concours ,  il  prit  le  parti 
de  ne  pas  les  assembler  toutes  au  même  endroit , 
mais  de  convoquer  séparément  celles  d'Aragon  à  Sa- 
ragossc ,  et  celles  de  Catalogne  à  Barcelone,  espé- 
rant en  venir  plus  facilement  à  bout  de  cette  ma- 
nière. 

Jayme  se  rendit  d'abord  dans  cette  dernière  ville, 
et  s'il  ne  tarda  pas  à  reconnaître  que  ses  craintes 
étaient  fondées,  il  eut  aussi  la  preuve  que  ses  prévi- 
sions avaient  été  justes.  Les  barons  catalans,  quoique 
bien  moins  irrités  contre  lui  que  ceux  d'Aragon, 
parce  que,  se  regardant  comme  entièrement  indé- 
pendants de  ce  royaume  et  se  concentrant  dans  l'in- 
dividualité de  leur  propre  comté,  ils  voyaient  dans 
Jayme,  non  \o  chef  de  la  monarchie,  mais  le  comte 
spécial  de  Barcelone,  ne  s'en  abandonnèrent  pas  moins 


CHAPITRE   SEPTIÈME.  121 

à  de  vives  plaintes  sur  les  griefs  particuliers  qu'ils 
avaient  contre  leur  seigneur,  et  sur  les  prétentions 
qu'il  montrait  contre  leur  indépendance.  Raymond 
Folch,  vicomte  de  Cardone,  avec  tous  ceux  de  son 
parti ,  proposa  même  de  ne  pas  ouvrir  l'oreille  à  la 
demande  du  roi,  tant  que  ce  prince  n'aurait  pas  fait 
justice  à  leurs  réclamations ,  et  qu'il  n'aurait  pas  re- 
connu hautement  leurs  droits.  Jayme,  voyant  qu'on 
voulait  lui  forcer  la  main  au  moment  où  il  s'agissait 
d'une  affaire  qui  lui  semblait  devoir  imposer  silence 
à  toute  considération  personnelle,  puisqu'elle  inté- 
ressait la  religion  et  l'avantage  général  de  la  commune 
patrie ,  manifesta  tout  le  déplaisir  qu'il  en  éprouvait , 
et  se  disposa  à  quitter  sur-le-champ  Barcelone.  Une 
résolution  aussi  rigoureuse  produisit  un  grand  effet 
sur  l'esprit  des  seigneurs  catalans,  qui,  au  fond, 
étaient  très-attachés  à  leur  prince.  On  transigea,  et 
les  corts  accordèrent,  pour  l'expédition  projetée,  ce 
même  droit  de  bovage  qui  avait  été  levé  déjà  deux 
fois  dans  des  circonstances  semblables,  c'est-à-dire 
pour  la  conquête  des  îles  Baléares  et  pour  celle  de 
Valence.  Le  roi ,  satisfait ,  se  fit  un  devoir  de  conten- 
ter à  son  tour  les  barons,  et  le  xi  novembre  i!2  6/i 
il  jura  et  fit  jurer  par  ses  enfants  une  déclaration  so- 
lennelle par  laquelle  il  reconnaît  que  les  subsides  et 
secours  qu'il  a  reçus  des  riches  hommes  et  chevaliers 
catalans,  dans  la  guerre  qu'il  a  faite  aux  Maures,  ne 
lui  ont  été  accordés  par  eux  que  volontairement  et 


122  LIVRE  PREMIER. 

gratuitement»  et  non  à  raison  d'aucune  espèce  de  ser- 
vitude ou  d'obligation  ;  que  ni  lui  ni  aucun  des  siens 
ne  pourront  jamais  se  prévaloir  de  cette  assistance 
contre  eux  ni  aucun  des  leurs ,  pour  en  exiger  aucun 
service ,  et  qu'ils  ne  seront  tenus  qu'au  seul  droit  de 
bovage,  ainsi  qu'il  venait  d'être  consenti.  La  date  de 
cette  pièce  importante»  dont  nous  croyons  devoir 
produire  le  texte  S  a  été  reculée  par  erreur  de  onze 
jours  par  l'annaliste  Zurita. 

Les  affaires  s'étant  ainsi  terminées  à  la  satis&ction 
générale  en  Catalogne,  Jayme  se  rendit  à  Saragosse, 
où  il  ne  devait  pas  être  aussi  heureux.  Les  corts  y 
furent  très-orageuses.  Les  barons  aragonnais  repro- 
chèrent au  monarque  plusieurs  violations  de  leurs 
droits,  et  diverses  infractions  aux  fors  du  pays.  Ce- 
pendant toutes  leurs  plaintes  n'étaient  pas  Clément 
légitimes.  Ils  avaient  raison  de  trouver  mauvais  qu'a- 
près la  conquête  de  Valence  le  roi  eût  enlevé  à  ce 
pays  l'usage  des  fors  d'Aragon ,  dont  on  commençait 
à  se  servir,  pour  les  remplacer  par  d'autres  fors  spé- 
ciaux dressés  de  sa  propre  autorité  et  sans  la  partici- 
pation des  riches  hommes.   Puisque  c'était  à  leurs 
armes  et  aux  secours  volontaires  qu'ils  avaient  prêtés 
au  roi  que  cette  conquête  était  due,  ils  avaient  des 
droits  évidents  au  partage  des  pays  envahis,  et  ceux 
d'entre  eux  qui  s'y  établissaient  ne  pouvaient  pas  être 
forcés  de  renoncer  aux  avantages  que  leur  assuraient 

*  Voyez  aux  preuves  n"  XII. 


CHAPITRE   SEPTIÈME.  123 

tes  constitutions  de  la  mère  patrie;  tout  au  moins 
auraient-ils  dû  être  consultés  pour  rétablissement  des 
nouvelles  constitutions  qui  devaient  les  régir,  le  roi, 
en  vertu  de  la  loi  constitutive  de  la  monarchie  d*  Ara- 
gon,  nayant  pas  le  droit  de  les  leur  imposer  de  sa  seule 
volonté.  Ces  barons  étaient  également  fondés  dans 
leur  improbation  contre  le  partage  de  la  monarchie 
qu'ils  avaient  contribué  à  agrandir,  et  pour  le  dé- 
membrement de  laquelle  Tassentiment  des  corts  eût 
été  nécessaire.  La  justice  de  ces  réclamations  était  in- 
contestable ;  mais  il  n*en  était  pas  ainsi  des  autres ,  et 
le  roi  le  prouva.  Ces  barons  demandaient  la  stricte 
observation  de  la  coutume  d*Aragon  qui  voulait  que 
les  enfants  mâles  des  riches  hommes  pussent  être 
élevés,  mariés  et  faits  chevaliers  par  le  roi,  et  que 
leurs  filles  pussent  aussi  être  élevées  et  mariées  par 
les  infantes  :  Jayme  démontra  que  jamais  aucun  baron 
ne  lui  avait  recommandé  son  fils,  qu'il  ne  se  fût  em- 
pressé de  l'admettre  à  son  service ,  et  qu'il  était  no- 
toire que  le  plus  grand  nombre  de  ceux  qui  existaient 
en  ce  moment  en  Aragon  avaient  été  élevés  dans  son 
palais;  que  quant  aux  filles,  la  prétention  de  vouloir 
qu'elles  fussent  élevées  par  les  infantes  était  une  ei> 
reur,  puisque  la  coutume  n'imposait  cette  obligation 
qu'aux  seules  reines.  Comme  la  passion  mêle  et  con- 
fond trop  souvent  le  juste  avec  l'injuste,  et  les  pré- 
tentions d'intérêt  privé  avec  les  demandes  d'intérêt 
général,  chacun  des  barons,  k  peu  près,. eut  quelque 


137a. 


124  LIVRE   PREMIER. 

exigence  particulière  à  présenter,  et  un  riche  homme 
alla  même  jusqu'à  réclamer  la  seigneurie  de  Mont- 
pellier qu*il  disait  que  le  roi  possédait  à  son  préju- 
dice. Ces  altercations  n'ayant  pu  être  pacifiées,  les 
barons  manifestèrent  des  dispositions  hostiles,  et  le 
roi  manda  aux  riches  hommes  catalans  de  se  réunir 
à  tel  jour  à  Monçon  avec  leurs  gens  d*annes.  La 
prise  de  quelques  châteaux  suffit  pour  imposer  aux 
barons  aragonnais;  et  la  guerre  civile,  qui  semblait 
imminente,  fut  heureusement  étouffée.  Le  jasticia 
d*Âragon,  personnage  dont  nous  aurons  occasion  de 
parler  plus  tard,  députa  au  roi,  de  la  part  des  ba- 
rons, pour  en  venir  à  un  accommodement;  une  trêve 
fut  conclue,  et  le  roi  partit  pour  aller  combattre  les 
Maures. 

Jayme  se  rendit  à  Montpellier  en  i^iy^i;  et  c'est 
dans  cette  ville  que,  le  7  des  calendes  de  septembre, 
il  signa  son  dernier  testament.  Un  article  de  cet  acte 
célèbre  nous  apprend  que  c  est  ce  prince  qui  fit  com- 
mencer le  port  de  CoUioure ,  pour  la  construction  du- 
quel un  péage  était  déjà  établi  par  lui  dans  cette  ville  ; 
il  nous  apprend  aussi  qu  avant  de  s'occuper  de  Col- 
lioure  on  devait  curer,  restaurer  et  mettre  en  état  le 
Port-Vcndre ,  et  que  ce  n'était  qu'après  le  complet  ré- 
tablissement de  celui-ci  qu'on  pourrait  appliquer  aux 
travaux  du  port  de  CoUioure  les  cinq  mille  sous  dont 
il  ordonnait  le  prélèvement  à  perpétuité  sur  les  re- 
venus do  cette  ville;  quand  ces  deux  ports  seraient 


CHAPITRE   SEPTIÈME.  125 

entièrement  achevés ,  la  rente  perpétuelle  devait  être 
consacrée  à  leur  entretien  ^ 

Un  concile  général  que  le  pape  Grégoire  X  avait 
d*abord  voulu  convoquer  à  Montpellier,  et  qu'il  se 
décida  ensuite  à  réunir  à  Lyon,  appela  dans  cette 
dernière  ville  le  roi  d'Aragon ,  avec  qui  le  pape  vou- 
lait avoir  une  conférence.  Grégoire  venait,  à  force 
d'instances  auprès  du  roi  de  France  Philippe  le  Hardi , 
d'obtenir  de  lui  la  cession  du  comté  Venaissin, 
malgré  les  réclamations  du  comte  de  Provence ,  et  il 
désirait  que  le  roi  d'Airagon,  capitaine  très -expéri- 
menté, se  mît  à  la  tête  d'une  croisade  pour  la  Terre 
sainte.  Jayme  se  prêtait  à  ce  désir,  mais  il  demandait 
que  le  pape  le  couronnât  de  sa  propre  main.  Le  pon- 
tife déclarait  y  consentir  si  Jayme  voulait  payer  cer- 
taines sommes  qu'il  disait  lui  être  dues  par  son  père 
avec  tous  les  arrérages  :  Jayme  refusa  et  quitta  Lyon 
avant  la  fin  du  concile.  Ce  prince  séjourna  quelque 
temps  à  Montpellier,  et  se  rendit  ensuite  à  Perpignan , 
où  il  se  trouvait  au  mois  de  juin.  C'est  pendant  le  sé- 
jour qu'il  fit  dans  cette  ville  qu'il  confirma  l'ancienne 
coutume  du  pays  qui  permettait  à  tout  habitant  de 
vendre  et  exporter  son  blé  partout  où  il  lui  plairait, 
par  terre  et  par  mer,  sans  payer  aucun  droit,  pourvu 
que  la  destination  n'en  fut  pas  pour  des  pays  ennemis 
de  l'Aragon.  C'est  encore  de  cette  ville  que  le  2  de  l*^k. 
juin  il  nomma  son  second  fils,  don  Jayme,  futur  roi 

^  Dacherii  spicUeg.  tom  III. 


•    126  LIVRE  PREMIER. 

de  Majorque,  son  lieutenant  dans  la  viUe  et  seigneur» 
de  Montpellier,  avec  pouvoir  absolu  de  la  gouvemei 
comme  lui-même. 

•«7&-  L*infant  don  Jayme  avait  déjà  épousé  par  procura 

tion,  ie  ^li  septembre  i^yS,  la  princesse  Esdar 
monde,  sœur  de  Roger  Bernard,  comte  de  Foîx;  b 
célébration  de  ce  mariage  se  fit  dans  Perpignan  avec 
beaucoup  de  solennité,  le  k  octobre  suivant,  en  pré- 
sence du  roi  d'Aragon,  de  Tin&nt  don  Pèdre,  du  rà 
de  Castille,  son  beau-frère,  et  dune  foule  de  sei- 
gneurs de  France  et  d'Elspagne.  Ces  noces  donnèrent 
lieu  aux  divertissements  les  plus  recherchés  de  cette 
époque,  et  à  des  tournois  où  se  firent  remarquer  les 
chevaliers  de  France,  de  Castille  et  d'Aragon.  La 
princesse  s'était  constitué  en  dot  trois  nulle  marcs 
d'argent  fin ,  poids  de  Perpignan ,  équivalant  à  cent 
cinquante  mUle  sous  melgoriens,  que  son  firère  lui 
avait  comptés  le  2  A  août  précédent  pour  tous  ses 
droits  à  la  succession  de  leur  père,  et  dont  elle  donna 
quittance  par  devant  divers  témoins;  de  son  côté  l'in- 
fant don  Jayme  avait  assuré  à  sa  femme  ime  somme 
pareille  pour  son  douaire,  et  il  s  était  obligé,  par  un 
acte  séparé,  de  restituer  au  comte  de  Foix  quatre- 
vingt  mille  sous  melgoriens  si  Esclarmonde  venait  à 
mourir  sans  enfants. 

.,76.  Jayme  I**,  surnommé  le  Grand  et  le  Conquérant, 

mourut  le  27  juillet  1276  sous  Thabit  de  moine  de 
Tordre  de  Cîteaux  qu'il  avait  pris  peu  do  temps  après 


CHAPITRE  SEPTIÈME.  127 

le  mariage  de  Tinfant  don  Jayme.  Aussitôt  après  son 

décès,  Pèdre  et  Jayme  se  mirent  en  possession  des 

couronnes  qui  leur  revenaient.  Alors  commença  pour 

les  provinces  continentales  lexistence  du  royaume  de 

Majorque  dont  dles  faisaient  partie,  et  qui  était  déjà 

institué  depuis  quarante-six  ans.  En  effet,  Jayme  avait 

en  I  ^129  donné  une  forme  régulière  de  gouvernement 

à  la  partie  des  îles  Baléares  dont  il  avait  expulsé  les 

Maures;  et  le  premier  mars  1  tà3o  les  habitants  de  ce 

nouveau  royaume  avaient  vu  tous  leurs  droits  fixés 

par  une  charte  que  leur  avait  donnée  le  conquérant, 

^^  à  laquelle  avaient  souscrit  comme  témoins  Nuny o  • 

^^^>oate  de  RoussiUon ,  et  les  principaux  che&  de  Tex- 

pédition.  De  cette  antériorité  du  royaume  propre- 

ineot  baléarique  sur  celui  de  Majorque,  composé 

<les   fles  Bsdéares  et  d'une  portion  continentale  du 

'^yaume  d*Âragon,  il  résulte  que,  pendant  que  Tîn- 

™t  Jayme  lut  le  roi  Jayme  I^  pour  cette  partie  con- 

toentale  de  son  royaume,  il  était  Jayme  II  pour  les 

»es  Baléares,  son  père  ayant  été  pour  elles  Jayme  I*. 

'-•e  roi  de  ce  nouveau  royaume  se  rendit  successi- 

vcQaent  dans  l'île  de  Majorque,  en  RoussiUon  et  à 

Montpellier,  pour  y  faii'e  reconnaître  son  autorité  et 

recevoir  l'hommage  de  ses  sujets,  et  il  choisit  Perpi- 

P^^n  pour  le  lieu  de  sa  résidence ,  quoique  la  ville  de 

^^j orque  (ut  toujours  la  capitale  nominale  de  ses 

*^^*  Le  1 8  des  calendes  de  février  il  confirma ,  par 

^cte   solennel,  les  coutumes  de  la  première  de  ces 


n 


77- 


128  LIVRE   PREMIER. 

villes,  écrites  ou  noh  écrites ,  ainsi  que  tous  les  privi 
léges  et  libertés  de  ses  habitants. 

Jusquà  rétablissement  du  royaume  de  Majorqu* 
la  ville  de  Perpignan  n'avait  été  qu*un  bourg  mé 
diocre ,  renfermé  dans  la  circonscription  de  l'une  A 
ses  paroisses  actuelles,  celle  de  Saint-Jean.  Le  roi  d 
la  nouvelle  monarchie  que  venait  de  fonder  Jayme  I* 
en  adoptant  cette  ville  pour  sa  résidence  et  pour  s^ 
capitale  réelle,  songea  à  lui  donner  une  extensioi 
suffisante  pour  en  faire  une  des  villes  les  plus  consi 
dérables  de  cette  époque. 

Nous  avons  dit,  en  parlant  de  l'origine  de  Perpi 
gnan ,  qu  Alphonse  II ,  trouvant  cette  ville  mal  placé< 
au  pied  de  la  colhne  qui  la  dominait,  avait  consent 
à  la  laisser  dans  Tassiette  où  elle  se  trouvait,  sous  la 
condition  qu'on  peuplerait  le  haut  de  cette  colline, 
qu'une  maladrerie  bâtie  à  mi-côte  faisait  appeler  le 
puig  des  Lépreux.  Cette  hauteur  fut  peuplée  en  effet, 
mais  les  maisons  qui  s'y  trouvaient  formaient  un  fau- 
bourg détaché  de  la  ville.  Dans  le  plan  d'agrandisse- 
ment projeté  par  le  premier  roi  de  Majorque,  ce  puig 
fut  compris  dans  l'enceinte  de  la  nouvelle  ville,  dont 
le  périmètre ,  de  l'autre  côté ,  s'étendit  également  sur 
une  autre  colline  que  devait  couronner  le  palais  des 
rois.  La  nouvelle  enceinte  renferma  quelques  édifices 
épars  hors  de  l'ancienne  ville,  et  plusieurs  tènements 
ruraux  appartenant,  soit  au  roi  et  aux  templiers, 
qu'on  voit  en  inféoder  des  portions  à  des  habitants 


CHAPITRE   SEPTIÈME.  129 

pour  j  construire  des  maisons ,  soit  à  Tévêque  d*Elne 

ou  à  des  particuliers,  tels  que  les  nommés  comte  de 

Salses,  Jean  Bastit  ^  Guillaume  Sordani,  et  autres 

dont  les  actes  de  cette  époque  font  connaître  le  nom. 

Les  édifices  qui  se  trouvèrent  enfermés  dans  cette 

enceinte  furent  le  couvent  des  frères  mineurs  ou  cor- 

deliers,  la  maison   de  la  rédemption   des  captifs, 

vendue  depuis  au  commandeur  de  la  Merci  qui  la 

i^emplaça  par  un  couvent  de  son  ordre;  la  maison 

des  frères  de  la  pénitence,  jointe  depuis  aux  terrains 

^e  céda  le  roi  de  Majorque  pour  la  construction  de 

l*^lifie  qui,  devenant  la  paroisse  du  château,  prit  le 

«umom  de  real;  le  couvent  des  grands  Carmes  et 

<^tte  ancienne  léproserie  bâtie  au  bas  du  puig  Saint- 

Jacques,  mais  qui,  depuis  trente -quatre  ans,  avait 

^^^ngé  de  destination;  en  effet,  en  iîi43  Jayme  I* 

I  avait  cédée ,  soûs  la  condition  d*ime  rente  annuelle 

"^   <{uarante-quatre  livres  (évaluation  de  1696),  au 

P*t>fit  de  l'ordre  de  Saint-Lazare ,  à  Tordre  des  prê- 

^'^eurs  nouvellement  institué  pour  la  poursuite  des 

Albigeois.  Les  moines  de  ce  couvent  furent  renvoyés 

^^  ï  ^44,  Tannée  qui  suivît  leur  établissement,  par 

P^^iiîtion  d*on  ne  sait  quelle  faute ,  mais  ils  en  furent 

^''®*>^  en  possession  bientôt  après  ^  :  c'est  Tancien 

^^•^  tènement  de  ce  Jean  Bastit  était  traversé  par  le  ruisaeau  royal 

l«f|Qel  on  jeta  un  pont  quand  ce  terrain  fut  réuni  k  la  ville  ;  de  ià 

^  ^ooq  ^  pont  d^n-Bastit,  que  porte  encore  la  petite  place  qui  se 

^^uve  au  bas  de  la  rue  Saint-Martin. 

J^orea  hiMpan, 

1-  Q 


130  LIVRE  PREMIER. 

couvent  des  dominicains ,  aujourdliui  serrant  de  ma 
gasin  et  de  bureaux  au  génie  militaire. 

Le  premier  roi  de  Majorque  voulant  se  donner,  e 
à  ses  successeurs ,  un  logement  convenable  dans  h 
ville  qu*il  choisissait  pour  sa  résidence ,  fit  jierter  ie 
fondements  d'un  château  royal  sur  une  petite  coUin 
réunie  à  la  ville.  Les  travaux  de  cette  constructioi 
s'exécutèrent  concurremment  avec  ceux  des  muraille] 
de  la  nouvelle  enceinte  pour  lesquels  on  trouve  fika 
sieiurs  pragmatiques  de  Jayme.  L'occupation  de  partii 
d'un  tènement  appartenant  aux  frères  mineurs  étan 
nécessaire  pour  la  construction  de  ces  murailles  »  k 
roi  força  les  templiers  de  vendre  à  ces  moines,  ei 
compensation  de  ce  terrain ,  un  jardin  et  quelque 
maisons  qu'ils  possédaient  auprès  du  couvent  K  Là 
nécessité  de  conduire  à  travers  les  remparts  les  inc 
mondices  de  la  ville  fit  alors  établir,  sous  certaine 
rues ,  des  canaux  voûtés  qui  se  dégorgeaient  dans  1-^ 
cloaques  pratiqués  k  la  place  des  fossés  de  la  vift. 
primitive  :  c'est  à  cette  circonstance  que  quelqu 
ims  de  ces  cloaques  doivent  leur  profondeur  extra 
dinaire  ^. 

Le  château  que  le  roi  de  Majoi'que  faisait  bâti 
Perpignan  était  dans  une  situation  agréable,  do 
nant  toute  la  ville  et  la  campagne.  Ce  château  fo 
un  parallélogramme  d'environ  trente-cinq  toises 
nord  au  midi ,  et  de  vingt-huit  dans  l'autre  sens , 

•  Preuves  n*  XIII.  —  '  Voyez  la  note  ix. 


CHAPITRE   SEPTIÈME.  151 

fonné  de  créneaux  et  flanqué  de  trcâs  tours  à  chaque 
£ice  :  c'e^t  aujourd'hui  le  donjon  de  la  citadelle.  Son 
peu  d*éteDdue  atteste  que  la  cour  des  rois  de  Major- 
ette était  modeste  et  peu  nombreuse  ^  Après  la  réu* 
nion  de  ce  royaiune  à  TAtagon,  ce  château  finit  par 
Hne  aSSecti  au  logement  des  gen^  de  guerre ,  et  Louis  XI 
l'entoura  des  premiers  travaux  qui  en  firent  une  ci- 
tadeile^  La  construction  du  Gastillet  ne  vint  que  iong- 
teiBrps  après  celle  de  ce  château  ^. 

Quoique  les  miurailles  de  la  nouvelle  enceinte  em- 
brassassent tout  le  périmètre  actuel  de  la  ville,  ce 
itom  de  ville  continua  encore  quelque  temps  à  être 
^^fifecté  uniquement  à  la  partie  ancienne.  L'époque  & 
^Bxju^e  lès  muraiOes  de  la  nouvelle  enceinte  furent 
^^^hevèeSf  ou  à  peu  près,  est  indiquée  par  la  permission 
^pte  le  second  roi  de  Majorque  donna  aux  consuls  de 
I^er^Mgnaii  d'en  louer  les  tours  à  des  habitants  :  cette 
pêimission  est  de  i  Sa  4* 

En  augmentant  l'étendue  de  Perpignan ,  les  rois  de 
Majorque  prirent  des  mesures  pour  y  attirer  une  nom- 
breuse population.  Les  privilèges  qu'ils  attachèrent 
au  droit  de  cité  y  firent  affluer  les  habitants  d'une 
fouie  de  bornas  et  de  villages  circonvoisins  dont  plu« 
rieurs  finirent  par  disparaître  entièrement  ^. 

L'accroissement  de  la  ville  et  de  sa  population  exi- 
geait une  augmentation  de  secours  spirituels.  Vers 
l'an  1 3oo  le  premier  roi  de  Majorque  créa  trois  nou- 

*  Voyez  la  note  x.  —  •  Voyez  la  note  xi.  —  *  Voyetlâ  note  nu. 


132  LIVRE   PREMIER. 

velles  paroisses,  en  érigeant  comme  telles  des  églises 
qui  existaient  déjà,  à  ce  qu*ii  parait  ^  Quant  à  la  pa- 
roisse primitive  de  Saint  Jean ,  conune  son  vaisseau 
n*était  plus  en  rapport  avec  le  nombre  des  paroissiens 
et  des  habitants,  il  fallut  en  construire  une  autre 
beaucoup  plus  vaste.  Le  second  roi  de  Majorque  posa 
lui-même,  le  5  des  calendes  de  mai  i3a4»  la  pre- 
mière pierre  d  une  nouvelle  église  à  coté  de  Tancienne, 
et  révêque  dElne  en  posa  immédiatement  la  seconde, 
ainsi  que  le  disent  les  deux  inscriptions  incrustées 
dans  deux  des  piliers  de  la  nef.  Une  partie  du  cime- 
tière ayant  été  prise  pour  cette  fondation  2,  les  consuls 
de  la  ville  demandèrent  et  obtinrent  rautorisatioD 
dacheterun  certain  nombre  de  maisons,  et  de  prendre 
les  rues  et  ruelles  voisines  pour  établir  un  nouveau  ci- 
metière qui  pût  suffire  à  la  population  de  la  paroisse. 
La  construction  de  la  nouvelle  église  de  Saint-Jean 
éprouva  de  grands  retards,  à  raison  de  diverses  cir- 
constances; elle  ne  fut  achevée  quau  commence- 
ment du  xvi*  siècle  par  Tintervention  du  concile  de 
Baie ,  qui,  au  moyen  des  indulgences  qui!  attacha  aux 
dons  qui  seraient  faits  dans  cet  objet,  provoqua 
des  aumônes  suffisantes  pour  y  mettre  la  dernière 


main  ^. 


Le  chapelain  majeur  de  la  collégiale  de  Saint- Jean 

^  Voyez   Fossa,  Mémoire  pour  l ordre  des  avocats,  pag.  68  et  suiv. 
'  Arch.  comm.  lib.  virid.  Maj. 
'  Vovei  la  note  xiii. 


CHAPITRE    SEPTIÈME.  135 

avait  été  pendant  longtemps  Tunique  curé  de  Perpi- 
gnan; cette  chapeDenie  fut  réunie  à  i'évèché  d*Elne 
par  le  pape  Grégoire  IX  en  ia3o,  et  les  chanoines 
continuèrent  à  avoir  la  chaîne  d'âmes,  conjointe- 
ment avec  le  chapelain;  l'é^se  elle-même  conserva 
le  droit  de  porter  le  viatique  et  d'exercer  les  offices 
paroissiaux  dans  toute  la  ville  ^ 

Par  un  des  ahus  si  communs  au  moyen  âge,  le  cha- 
pelain majeur  s'était  attribué,  non-seulement  la  dé- 
pouille des  morts  de  la  ville  de  Perpignan ,  mais  en- 
<^ore  tout  ce  qui  se  trouvait  dans  leur  chambre  au 
moment  du  décès.  Quand  la  chapellenie  fut  donnée  à 
l*^êque ,  il  devint  moins  difficile  de  transiger  siur  cette 
spoliation  des  £unilles  :  par  arrangement  conclu  entre 
1  evêque  Bérenger  et  les  consuls  de  la  yîiie ,  le  1 6  no- 
>^enabre  laôy,  ce  droit  de  dépouilles  fut  converti  en 
^**ï  abonnement  de  mille  sous  melgoriens  ^,  qui  lui- 
ïiaênae  fut  remplacé,  le  3  des  nones  de  septembre 
*  ^  7  o,  par  l'abandon  de  quelques  portions  de  dîmes  des 
Paroisses  de  Sain t-Hippoly te,  Clayra,  Bages,  Malloles 
^  Vemet  qui  appartenaient  à  la  ville  de  Perpignan  *. 

I^s  les  premiers  temps  de  son  existence  il  s'était 
^troduit  dans  l'église  de  Saint-Jean  un  usage  qui  s'est 
*^^^îiitenu  pendant  plusieurs  siècles.  Tout  chanoine 
'Nouvellement  élu  était  tenu  de  réimir  ses  collègues  en 

Mis.  du  chanoine  Coma ,  pag.  6 1 . 

Ct  non  pas  onze  mille  comme  dit  Fossa.  Arch.  eccîes, 

Anh.  dotn. 


134  LIVRE   PREMIER. 

une  festina  ou  collation  dont  le  menu,  réglé  dés  rorî- 
gine,  ne  varia  jamais,  et  pour  les  frais  de  iaqueile  il 
recevait  deux  florins  sur  les  fonds  du  chapitre.  Une 
festina  était  également  imposée  à  Tévêque  pour  le 
jour  de  Saint-Julien.  Le  prélat  versait  d  abord  k  cfaicun 
des  chanoines  de  Saint- Jean ,  réunis  dans  la  salie  capi* 
tulaire,  un  verre  de  vin  muscat  ou  de  vin  cuit,  et' leur 
servait  ensuite  des  dragées  de  deux  qualàés.  Uri  se- 
cond verre,  mais  de  vin  rouge,  leur  était  versé  pen- 
dant qu  ils  mangeaient  ces  dragées ,  et  un  autre  verre 
de  vin  muscat  terminait  cette  collation  succincte  K  La 
pitance  de  ces  chanoines  de  Saint -Jean,  mangeant 
alors  à  la  raense  commune,  était  réglée  à  trente tmcei 
de  pain  du  plus  pur  froment,  à  environ  trois  litres  de 
vin ,  et  des  mets  en  proportion  ^.  Dans  le  principe,  lé 
vin  était  donné  trempé;  ce  ne  fut  qu'en  layS  que 
révêque  Bérenger  le  fit  donner  pur.  Plus  tard,  les 
chanoines  s'étant  plaints  que  le  vin  des  distributions 
était  de  qualité  inférieure,  Tévêque  ordonna  que  la 
portion  canonicale  serait  de  vino  bono  et  optimo  ^. 

A  la  même  époque,  des  personnes  fondaient  dans 
les  églises  des  obits  dont  la  modicité  a  droit  de  nous 
étonner  aujourd'hui,  ou  qui  étaient  soumis  à  des  con- 
ditions qui  peuvent  nous  sembler  bizarres.  En  i  ayS, 
par  exemple,  un  particulier  fonde  dans  Tég^se  de 
Saint- Martin  de  Canigou  un  anniversaire  composé 
d'un  morceau  de  fromage  de  la  valeur  de  trois  oholes 

*   MS.  Coma.  —  -   Voyeit  la  iiolo  xiv.  —  '"  Arch.  ccclcs. 


CHAPITRE  SEPTIÈME.  155 

au  dîner,  et  de  trois  œuîs  au  souper,  si  c*est  un  jour 
gras,  ou  bien  réquivalent  en  poisson,  si  c*est  un  jour 
maigre  ;  dans  le  même  monastère,  un  autre  règle  im 
baoquet  qui  devra  avoir  lieu  à  perpétuité  après  le  ser- 
vice anniversaire  pour  le  repos  de  son  âme  :  dans  ce 
banquet,  Tabbé  lui-même  servira  à  tous  les  moines, 
prêtres,  religieux  et  religieuses  qui  y  aiœont  assisté, 
œt  cBufe,  une  tranche  de  fromage,  un  flan,  une  poi- 
Yrade ,  une  salade  au  lard ,  de  la  liqueur,  des  oublies , 
écL  |)ain  de  froment  et  du  bon  vin  ^ 

*  âex  ova ,  et  nnum  castronum  casd  et  uoum  flaonem ,  et  piperatam 
lioii^iD,  et  oleram  cum  sagmo,  et  nectar,  et  nebalœ  et  panis  finimenti, 
^l^onnrn  vinom  ad  bibeiadum,  in  iOa  die.  Arch.  eccîes. 


LIVRE  IL 


HISTOIRE  DU  ROYAUME  DE  MAJORQUE. 


Fcdralll. 
roi  d*Arafi». 

JayuM  I", 

roi 

4«  Majorque. 

>>77- 


CHAPITRE  PREMIER. 

Inégalité  des  deux  royaumes  d'Aragon  et  de  Blajorque.  -— Pèdre 
veut  faire  casser  le  testament  de  son  père.  —  0  force  son 
fipère  d'être  son  vassal.  —  Cartel  du  duc  d* Anjou  au  roî  d'A- 
ragon. —  Gx)isade  contre  l' Aragon.  —  Surprise  de  Perpignan. 
—  Armée  française.  —  Sac  d*£3ne.  —  La  Massane. 

Après  avoir  été  régi  par  ses  comtes  particuliers 
Tespace  de  trois  siècles  et  demi,  le  Roussillon  avait 
passé  sous  la  domination  de  T Aragon.  Le  premier  des 
rois  de  ce  pays  dont  les  Roussiilonnais  connurent  la 
puissance  avait  regardé  coiAme  un  devoir  sacré  pour 
lui  d'alléger  la  somme  des  maux  qui  oppressaient  de- 
puis si  longtemps  ses  nouveaux  sujets.  Par  ses  soins 
un  large  règlement  de  police ,  sous  le  titre  de  consti- 
tutions de  paix  et  trêve ,  devait  garantir  aux  lieux  saints 
le  respect  que  tout  chrétien  est  tenu  de  leur  rendre, 
aux  laboureurs  les  instruments  et  le  matériel  indis- 
pensables à  leurs  travaux,  aux  voyageurs  la  sûreté  des 
roules  et  la  liberté  des  communications.  Dans  Tétat 
des  mœurs,  à  cette  époque,  c'était  tout  ce  qu'on  pou- 


CHAPITRE   PREMIER.  137 

Tait  faire.  Prélats,  barons,  hommes  de  parage,  sei- 
gneurs de  tous  châteaux ,  églises  à  juridiction  étant  en 
possession  du  droit  de  guerre,  le  souverain  ne  pou- 
vait en  modérer  les  horreurs  et  les  calamités  que  par 
ces  ordonnances  de  paix  et  trêve  qu*il  leur  imposait 
i  tous ,  et  dont  se  trouvaient  exclus  ceux  qui ,  refu- 
sant de  les  jurer  ou  les  transgressant,  se  mettaient 
ainsi  au  ban  du  prince.  L'institution  du  royaume  de 
Majorque  vint  recommencer  pour  les  Roussillonnais 
une  autre  ère  de  calamités. 

Jayme  I*  le  grand  conquérant,  roi  d*Âragon ,  de 
Valence  et  des  âes  Baléares  était  mort ,  et  la  puissante 
monarchie  que  ses  conquêtes  avaient  fondée  formait 
deux  royaumes  d*inégale  grandeur,  d'inégale  force  et 
d'inégale  consistance  politique.  Pendant  que  l'un, 
composé  de  l'Âragon ,  de  la  Catalogne  et  du  royaume 
de  Valence,  avec  la  vallée  d'Aran  et  les  comtés  de 
Ribagorca  et  de  Pallas,  présentait  un  territoire  de 
plus  de  trois  mille  six  cents  lieues  carrées,  compacte 
et  homogène ,  et  couvert  d'une  population  nombreuse, 
forte  de  ses  antiques  institutions  et  solidaire  dans 
toutes  ses  parties,  l'autre  royaume,  qui  comprenait 
les  îles  Baléares ,  le  Roussillon  et  la  Gerdagne  avec  la 
seigneurie  de  Montpellier,  la  vicomte  de  Cariât,  en 
Auvergne,  et  quelques  fiefs  épars  que  les  comtes  de 
Foix  et  d'Ampurias  tenaient  de  l'Aragon,  ne  se  trouvait 
composé  que  de  lambeau^  de  territoires  dont  toute 
la  superficie  réunie  n'arrivait  pas  au  huitième  de  celle 


158  LIVRE   DEUXIÈME, 

du  royaume  d* Aragon,  territoires  qui  se  trouvaient 
séparés  les  uns  des  autres  par  de  grandes  distances,  et 
dont  les  dîfCérents  peuples,  étrangers  entre  eux,  ne 
pouvaient  jamais  s'entre-secourir  ^cacement  au  be- 
soin. Ainsi,  pendant  que  le  premier  renfermait  en 
soi  tous  les  moyens  de  conservation ,  de  stabflité,  de 
durée  et  de  prospérité ,  le  second  apportait  dans  sa 
foriBatîon  tous  les  éléments  de  destruction  et  d*  anéan- 
tissement. Peu  s* en  fallut  que  le  mécontentemeiit  dea 
riches  hommes  d'Aragon,  qui  n'avaient  jamaîa  con* 
senti  à  cette  division  de  la  monarchie ,  et  la  politique 
de  leur  nouveau  roi  n  étouQSaissent  dès  son  berceau  le 
royaume  naissant.  Mais  si  le  roi  don  Pèdre  nie  voulut 
pas  enlever  violemment  la  couronne  à  son  firèoeè  h 
chiite  du  royamne  de  Majorque,  pour  être  retardée 
de  quelques  successions,  n  en  fut  que  plus*terrii^  et 
plus  désastreuse. 

Le  premier  soin  de  don  Pèdre ,  après  la  mort  de 
son  père  et  ses  obsèques ,  avait  été  de  se  faire  cou- 
ronner à  Saragosse.  La  cérémonie  avait  eu  lieu  le 
17  novembre  1276.  Le  roi  de  Majorque,  qui  assis- 
tait à  cet  acte  solennel,  s'était  déjà  fait  couronner  lui- 
même  à  Majorque.  La  prise  de  possession  du  Bous- 
sillon  et  de  la  Gerdagnc,  qui  eut  lieu  ensuite,  fut 
suivie  à  Perpignan  de  grandes  fêtes  auxqueUes  assis- 
tèrent de  nombreux  chevaliers  d* Aragon,  de  Cata- 
logne ,  de  Gascogne  et  de  Languedoc  ^. 

^  Muntaner. 


CHAPITRE   PREMIER.  159 

Dans  le  teni]^  que  Jayme  s'occupait  de  Toi^anisà- 
tiob  de  60Û  nouTcau  royaume;  Pèdre  continuait  i 
ùm  la  guerre  aux  Maures  de  Valence  qui  '  s'étaient 
réroltés.  Bientôt  tt  eut  sur  les  bras  le  comte  de  Foix\ 
qui  s'était  uni  contre  lui  à  quelques  seigneurs  cata- 
lans, et  le  soulèvetnènt  devint  presque  général  en 
Cataloguée.  Ce  soulèvement  avait  pour  cause  le  délai 
que  Pèdre*'.  en  sa  Qualité  de  oorate  de  Barcelone^ 
apportait  à  veair  jurer  le  maintien  dbs  libertés  cata- 
lanes, suivant  l'obligatibn  qiie  les  constitutions  du 
pays  en  imposaient  à  tout  nouveau  comte.  Des  expli* 
cations  eurent  lieu ,  la  Catalogne  se  -calma ,  et  la  |>anL 
fiit  conclue  avec  le  comte  de  Fôîx.  Pendai^t  qiie  cela 
^  passait  de  l'autre  côté  des  teonts,  de  ce  côté  le  r6i 
^  MajoirqU'e  reoidit  l'hodimage  à  l'évéque  de  Magbe- 
■OiUie  pour  les  fiefs  qu'il  tenait  de  son  église. 

Pèdre  ni  pensait  comiùe  ses  barons  à  l'égard  du 

''^aume  de  Majorque  :  il  né  reccnmaissait  pas  à  son 

P^re  le  droit  de  démembrer  la  ihonardne;  aussi,  à 

i*époque  où  Jaynle  fit  te  dernier  partage ,  il  avait  pro^ 

^^^té  secrètement  contre  l'érection  dé  cette  nouvelle 

puissance,  bien  que  pour  obéir  à  son  père  il  eût  sous- 

^^t  pithlMpiement  3i  ciet  acte  de  sa  volonté.  A  peine 

^Ut-il  ceint  là  oourcttme  qu'il  voulut  &ire  annuler  le 

^fttament  de  Jayme  I*  comme  inbflGicîeux  et  excessif; 

^  conséquence ,  après  s'être  arrangé  avec  les  MaUres 

^^  l'es  barons  catalans,  il  prit  la  route  du  RoussiUoni 

lies  deux  frères  étaient  aigris  l'un  contre  i'auti^ 


140  LIVRE   DEUXIÈME, 

depuis  ce  dernier  partage  :  don  Pèdre,  parce  qu'il 
n*avait  pu  cacher  son  mécontentement  du  morcelle- 
ment d  une  couronne  qui  aurait  dû  lui  arriver  tout 
entière ,  comme  au  fils  aîné  du  roi  ;  don  Jayme*  parce 
que  dans  ce  partage  il  avait  perdu  le  royaume  de  Va- 
lence ,  qui  lui  avait  été  donné  d*abord  et  auquel  il  te- 
nait beaucoup.  En  voyant  son  frère  aux  prises  avec 
les  barons  catalans  et  le  comte  de  Foix ,  Jayme  s'était 
ligué  avec  ce  dernier.  Cet  acte  d'hostilité  ne  fit  que 
confirmer  don  Pèdre  dans  la  résolution  de  lui  im- 
poser sa  suzeraineté.  Jayme  ne  pouvant  plus  compter 
sur  Tappui  efficace  du  comte  de  Foix,  son  beau-fi^re, 
quand  la  paix  eut  été  signée  entre  celui-ci  et  le  roi 
d* Aragon ,  lappela  auprès  de  lui  quand  il  sut  que  son 
firère  se  disposait  à  exécuter  le  dessein  qu'il  n'avait  ja- 
mais caché.  Roger-Bernard  vint  en  efiet  à  Perpignan i 
et  sa  présence  contribua  à  laisser  encore  sur  ses  faibles 
bases  le  royaume  de  Majorque.  Résistant  à  toutes  les 
séductions  du  roi  d*Aragon  qui  voulait  l'attirer  à  lui, 
ce  comte  défendit  le  testament  du  père  des  deux  rois , 
et  Pèdre,  dans  Timpossibilité  de  le  faire  casser,  exigea 
qvie  son  frère  se  reconnût  son  vassal.  Cette  affaire, 
négociée  par  ce  même  comte  de  Foix,  fut  terminée  le 
'7»  i3  des  calendes  de  février  1278.  Ce  jour-là  Jayme 
fit  rhommage  au  roi  d'Aragon ,  dans  le  cloître  du  cou- 
vent des  dominicains  en  présence  et  sous  la  garantie 
de  ce  même  comte  Roger-Bernard,  son  beau-frère, 
des  comtes  d'Anipurias  et  de  Pallas,  du  vicomte  de 


CHAPITRE    PREMIER.  141 

Gastelnou ,  de  dix  autres  barons  de  la  compi^nie  du 
roi  d*Àragon ,  et  des  syndics  des  villes  de  Perpignan 
et  de  Majorque  appelés  à  être  témoins  de  cette  hu- 
miliante  cérémonie  ^ 

Ce  que  venait  de  faire  le  roi  d'Aragon  était  con- 
traire aux  dispositions  formelles  de  son  père ,  qui  avait 
institaé  le  royaume  de  Majorque  libre  et  indépen- 
dant, et  qui,  dans  son  dernier  testament,  prononçait 
une  pénalité  contre  don  Pèdre  s'il  allait  contre  ses  vo- 
lontés ;  mais  en  se  conduisant  ainsi  Pèdre  avait  obéi  ' 
aux  vœux  d'une  saine  politique  :  le  nouveau  roi  d'A- 
i^n  devait  à  sa  couronne ,  et  peut-être  à  la  tranquil- 
lité de  ses  états ,  d'établir  au  moins  sa  suzeraineté  sur 
^  domaines  démembrés  de  cette  couronne  auxquds 
^  rattachait  la  sûreté  de  ses  propres  frontières,  et 
TU,  trop  faibles  pour  se  défendre  contre  de  puissants 
^oisiiis,  pouvaient,  en  cédant  à  leurs  menaces,  aug- 
^©nter  contre  lui-même  le  nombre  des  ennemis. 

Quoique  la  violence  exercée  contre  Jayme  fât  re- 
S^ixlée  à  bon  droit  comme  une  oppression ,  et  que  ce 
P'^ce  en  eût  conçu  la  plus  violente  animosité  contre 
^x^  frère  ^,  cependant  dans  les  circonstances  où  se 
^Uvait  ce  prince,  c'était  encore  beaucoup  que  de 
^être  réduit  qu'à  une  dépendance  féodale,  lorsque 
'^    \œu  de  toute  la  noblesse  aragonnaise  était  pour 

*    Zmîta,   Anal,  de  Ara^,  IV,  7.  —  Damet,  Hist,  del  reyno  Ba* 
ï'wr.  ni,  i.  —  Castillo  .Solonano,  Vida  del  rey  don  Pedro,  pag.  a4. 


142  LIVRE   DEUXIÈME. 

l*aiiéantis8Cfnent  de  sa  cx)uronne.  Les  obligations  con- 
tractée&  par  Ja^me^  pour  lui  et  ses  mccesseurs,  furent 
de  se  reconnaître  feudataire  du  roi  d'Aragon  pour  tous 
les  domaines  provenant  de  la  couronne  de  Jâjme  1*, 
à  la  seide  exception  du  fief  dépendant  de  Té^que  de 
Maguèlonne  et  des  terres  nouy^lement  acquises;  de 
livrer  au  roi  d* Aragon,  dès  qu  il  en  serait  requis  par 
lui,  les  places  de  Majorque,  de  Perpignan  et  de  Puy- 
cerda;  de  se  rendre  aux  corts  de  Catalogne  quand  il 
y  serait  appelé,  à  moins  quil  ne  se  trouvât  alors  à 
Majorque,  enfin,  ainsi  qu'il  avait  été  ordonné  par  le 
feu  roi,  de  ne  gouverner  que  par  les  constitutions  de 
Catalogne  et  de  ne  compter  que  par  les  monnaies  de 
Barcelone.  Relativement  à  farticle  de  la  présence  aux 
corts,  Jayme  en  était  personnellement  dispensera  vie 
durant;  cette  sujétion  n'était  obligatoire  que  pour  $e$ 
successeurs;  ajoutons  qu'il  avait  aussi  contracté  Tobli- 
gation  d'aider  le  roi  d'Aragon  de  tous  ses  moyens  en- 
vers et  contre  tous. 

L'occasion  de  remplir  cette  dernière  partie  de  ses 
engagemrnts  ne  tarda  pas  à  se  présenter,  et  Jayme 
s'en  acquitta  avec  toute  loyauté.  La  paix  avec  le  conate 
de  Foix  avait  été  rompue,  et  ce  prince,  de  concert 
avec  quelques  barons  catalans,  avait  recommencé 
contre  le  roi  d'Aragon  une  guerre  qui  devait  finir  pour 
uso.  lui  par  la  captivité.  Le  roi  de  Majorque,  en  sa  qua- 
lité de  vassal,  vint  au  secours  des  Aragonnais,  et  pé- 
nétra de  sa  personne  dans  le  château  de  Balaguer  où 


CHAPITRE    PREMIER.  145 

l'étaient  rétirés  les  rébeUes  ^;  De  son  coié,  pour  rem- 
{dir  ses  piopres.  obligations  de  seigneur  suzerain, 
Pèdre  prit  là  défense  du  roi  de  Majorque  contre  le 
toi  de  France,  qui  usurpait  chaque  jour  sûr  la  sei- 
gneurie de  Montpelliei:;  il  voulut  même  s'aboçcber 
a?ec  ces* dernier  prince  pour  plaider  la  cause  de  son 
fi^re  et  traiter  quelques  questions  qiii  le  regardaient 
penoimellemenL  Une  entrevue  eut  lieu  à  Toulouse 
entre  les  trois  monarques;  elle  donna  occasion  à  des 
fêtes  et  des  tournois ,  mais  ne  fut  suivie ,  de  part  ni 
d'autre,  d'aucun  des  résultats  qu'on  s'en  était  promis. 
Le  roi  de  France  réclama  vainement  la  liberté  dés 
deux  in&nts  de  Castitle,  leurs  commuhs  neveux,  Âl* 
phonse  et  Femand,  que  la  reine  leur  mère,  fille  de 
%me  le  Conquérant  comme  la  première  femme  de 
Philippe,  aVait  conduits  en  Aragon  pour  les  soustraire 
i  leur  oncle  don  Sancbe ,  usurpateur  de  la  couronne 
de  CâstiUe ,  et  que  Pèdre  retenait  pour  s'en  servir  au 
besoin  contre  Sanche.  Les  rois  d'Aragon  et  de  Ma- 
jiH'que  ne  purent  obtenir  aussi  que  Philippe  se  désistât 
^  rien  de  ses  prétentions  sur  Montpellier.  De  nou- 
Idéaux  sujets  de  discorde  ne  tardèrent  pas  à  amener 
enfin  une  rupture  ouverte  entre  la  France  et  l' Aragon. 
Après  la  mort  de  Guillaume  le  Bon ,  rbi  de  Sicile , 
derbier  descendant  du  Normand  Robert  Guiscard, 
conquérant  de  cette  île ,  les  Siciliens  avaient  élu  pour 
roiTsncrède,  neveu  de  Guillaume;  mais,  suivait  le 

*  Castillo  Solonano,  Vida  àel  rey  don  Pedro,  pag.  3i. 


144  LIVRE    DEUXIÈME, 

privilège  que  Timpré voyante  ambition  des  princes  avait 
laissé  prendre  aux  papes,  cest-à-dire  celui  de  s'ar- 
roger  l'autorité  suprême  sur  le  tempord  des  états  et 
la  libre  disposition  des  couronnes  en  faveur  de  qui  il 
leur  plaisait ,  Clément  III  avait  rejeté  cette  élection, 
et  après  lui  son  successeur,  Gélestin  111,  avait  donné 
le  trône  de  Sicile  à  lempereur  Chaiies  VI.  Le  second 
successeur  de  ce  Charles,  mort  aussi  sans  enfants, 
avait  légué  son  sceptre  k  son  neveu  Conradin  ;  mais 
le  pape  Clément  IV,  rejetant  à  son  tour  cette  disposi- 
tion ,  avait  fait  don  de  la  couronne  à  Charles ,  duc 
d*Ânjou,  frère  de  saint  Louis.  Mainfroi,  qui,  de  tu- 
teur du  jeime  Conradin,  fait  prisonnier  par  ce  même 
duc  d*Ânjou  et  barbarement  décapité  par  son  ordre, 
était  devenu  roi  de  Sicile ,  d* abord  par  usurpation  du 
vivant  de  son  pupille,  ensuite  par  l'élection  des  ba- 
rons de  ce  royaume ,  disputait  la  couronne  au  prince 
français  et  occupait  une  partie  de  Tîle.  Le  roi  d'Ara- 
gon, don  Pèdre,  gendre  de  Mainfroi,  avait  fait  partir 
pour  la  Sicile  la  reine  sa  femme ,  après  la  mort  de  ce 
dernier,  pour  se  porter  héritière  de  ce  royaume.  C'est 
seize  ans  après  cet  événement  qu'eut  lieu  la  sanglante 
tragédie  des  Vêpres  Siciliennes. 

Le  pape  Nicolas  III  était  mort ,  et  les  intrigues  ou 
la  violence  du  duc  d'Anjou  avaient  fait  placer  la  tiare 
sur  la  tête  d'un  Français,  sa  créature,  Simon  de  Brion, 
qui  prit  le  nom  de  Martin  IV.  Pendant  que  Charles 
faisait  payer  au  nouveau  pontife  son  élection,  parles 


CHAPITRE   PREMIER.  145 

mesures  violentes  qu*il  le  forçait  de  prendre  contre  le 

roi  d*Aragon ,  l^itime  successeur  de  Mainfroi  par  Ba 

fenume,  ce  même  roi  d* Aragon  poussait  ses  succès 

ismxs  cette  île.  Appelé  par  les  Palermitains ,  Pèdre       m8>. 

dvait  débarqué  à  Trapani  le  i  o  août  128a,  et  il  avait 

été   reçu  par  les  Siciliens  comme  un  libérateur.  Le 

duo  d'Anjou ,  qui  se  trouvait  alors  en  Calabre ,  irrité 

^®    ce  que  ce  prince  venait  lui  disputer  par  droit  de 

suocession  une  couronne  qu'il  tenait  du  souverain 

Pootife,  envoie  de  Re^io  à  Messine,  où  était  Pèdre, 

de»  messagers  lui  dire  qu'il  a  manqué  à  la  loyauté  en 

Venant  sur  ses  terres  sans  le  défier,  et  qu'A  est  prêt  à 

^^  lui  prouver  la  lance  à  la  main.  En  conséquence  de 

^^  oartel,  une  bataille  de  cent  chevaliers  contre  cent 

^^t,    décidée,  et  le  rendez-vous  assigné  à  Bordeaux 

P^tirie  1'  de  juin  ia83  ^ 

dette  bataille  n'eut  pas  lieu,  et  chacune  des  deux 
*^^lions  a  cherché  à  en  rejeter  la  faute  sur  sa  rivale: 
*cs  Français  en  taxant  Pèdre  de  lâcheté,  les  Aragonnais 
^^  les  Italiens  en  accusant  le  duc  d'Anjou  et  le  roi  de 
*'*'suice,  son  neveu,  de  perfidie.  Mais  Taigreur  a  pris 
^^î  la  place  de  la  justice  et  a  étouffé  la  vérité.  Aux 
^x^CKies  mêmes  de  la  convention  du  combat,  il  ne  pou- 
^^*  pas  se  donner,  et  dans  ce  qu'en  ont  raconté  les 
^^^toriens  des  deux  partis  il  n'y  a  que  haine  et  ani- 
^^Osité.  H  avait  été  arrêté  que  les  deux  rois  ne  pour- 

^    Ce  carld  se  trouve  transcrit  tout  au  long  dans  la  chronique  d^Es- 
Ï^S^«  de  Caibonel. 

I.  10 


U6  LIVRE  DEUXIÈME. 

raient  se  battre  qu  en  présence  de  celui  d* Angleterre , 
et  celui-ci,  qui  n  avait  pas  cru  pouvoir  ^[alement  ga- 
rantir aux  deux  champions  la  sûreté  du  camp ,  avait 
non-seulement  refusé  de  venir  à  Bordeaux ,  mais  avait 
même  défendu  la  bataille  dans  toute  Tétendue  de  sa 
domination  ^ 

Charies  d*Anjou  s'était  débarrassé  de  Gomradin, 
son  premier  rival ,  par  un  acte  de  barbarie  ;  pour  se 
délivrer  du  second,  il  appela  sur  lui  les  foudres  de 
Téglise.  Le  complaisant  Martin  IV  avait  déjà  fulminé 
contre  le  roi  d* Aragon  des  bulles  d'excommunica- 
tion immédiatement  après  la  provocation  de  Charles; 
ainsi,  au  moment  où  la  bataille  devait  avoir  lieu,  le 
roi  don  Pèdrc  était  déjà  voué  à  Tanathème,  et  ses 
sujets  déliés  envers  lui  de  tout  devoir  de  fidélité. 

Ni  Pèdre  ni  ses  sujets  ne  s'étaient  mis  en  souci  de 
l'excommunication  dont  le  pape  avait  fiappé  le  trône 
d'Aragon  :  c'est  l'effet  des  injustices  trop  violentes 
d'enlever  leur  force  aux  mesures  même  les  plus  re- 
doutables. Pèdre,  qui,  sur  la  défense  que  lui  avait  faite 
le  pontife  de  prendre  le  titre  de  roi,  se  donnait  par 
ironie  celui  de  «  soldat  aragonnais ,  père  de  deux  rois 
et  maître  de  la  mer,  »  se  prépara  à  défendre  sa  propi 
couronne  que  le  même  pontife  lui  avait  égalemen^j 
retirée  pour  la  donner  au  second  fils  du  roi  de  France;^ 
afin  d'engager  ce  monarque  à  lui  faire  la  guerre. 
,,g5.  Philippe  le  Hardi,  décidé  à  conquérir  le  royaun 

'   Vovci  la  note  \v. 


CHAPITRE   PREMIER.  U7 

d*Ajragon  malgré  les  instances  contraires  de  »es  deux 

fils  ,  Philippe  le  Bel  et  Charles ,  nommé  roi  d'Aragon , 

s'il     faut  en  croire  la  chronique  de  Zantfliet  ^,  avait 

rétJUBii  une  puissante  armée  ;  la  croisade  ordonnée  par 

^  pape  contre  le  prince  que  sa  haine  poursuivait  de- 

▼îit:  rendre  cette  armée  encore  plus  formidable.  Les 

pwrts  de  Marseille ,  d'Aiguës- Mortes ,  de  Gênes  et  de 

Naï*lK)nne  fourmillaient  de  vaisseaux  destinés  à  porter 

«es  provisions  d'une  armée  qui  devait  aller  au  delà  de 

^'^îa  cent  mille  hommes,  puisqu'elle  se  composait  de 

"*^-4mit  mille  six  cents  chevaliers  de  parage  avec  leurs 

'^^^Qunes  d'armes,  de  cent  cinquante  mille  hommes  de 

P^^«] ,  de  dix-sept  mflle  arbalétriers  et  de  plus  de  cin 

T^^^uate  mflle  goujats  ou  conducteurs  des  bagages, 

^^'^^^re  quarante  mille  ribauds ,  gens  destinés  à  pour- 

8UX  fourrages  du  quartier  royal ,  et  qui  n'avaient 

ir  arme  qu'un  bâton.  Cent  quarante  galères  furent 

ts  et  équipées  pour  escorter  cette  forêt  flottante. 

^"^^^md  toutes  les  dispositions  eurent  été  prises ,  Phi- 

Ppe  fit  sortir  de  Saint-Denis  la  célèbre  oriflamme , 

^^  à  la  tête  de  la  principale  noblesse  du  royaume  il 

P^t  la  route  du  Roussillon.  Les  deux  princes  ses  fils, 

^^   reine,  le  cardinal  Jean  Gholet,  légat  du  pape, 

^^*ûent  du  voyage;  il  n'y  eut  pas  jusqu'aux  dames  de 

^^  ooor,  qui ,  pour  gagner  les  indulgences  que  le  pape 

^^^tef^uit  i  cette  croisade,  ne  voulussent  être  de  la 

ie. 

Mfftène,  yy^nwn  scriffl.  collectio,  tom.  V. 


lO. 


148  LIVRE   DEUXIEME. 

Le  roi  de  Majorque ,  placé  entre  deux  états  d<Mit 
il  était  également  feudataire ,  aurait  dû  fiûre  tous  ses 
efforts  pour  rester  neutre  ;  mais  la  dépendance  à  la- 
quelle Tavait  soumis  son  frère  avait  ulcéré  son  cceur, 
et  en  secondant  les  ennemis  de  TAragon  il  espérait 
pouvoir  faire  annuler  l'engagement  forcé  qu'il  avait 
été  contraint  de  souscrire.  Se  couvrant  donc  du  pré- 
texte sacré  de  la  croisade ,  il  se  déclara  contre  Pèdre, 
s'unit  aux  t'rançais,  et  pour  gage  de  sa  foi  livra  deux 
de  ses  fils  en  otage  à  Philippe. 

Le  roi  d'Aragon  ne  pouvait  pas  ignorer  les  intrigues 

* 

de  son  frère  avec  le  roi  de  France.  Lui  rappelant  ses 
devoirs  de  vassal,  il  lavait  d'abord  pressé  de  s'unir  k 
lui  contre  le  prince  dont  il  avait  à  se  plaindre  au  sujet 
de  son  fief  de  Montpellier,  ajoutant  que  s'il  avait  con- 
tracté avec  le  roi  de  France  quelques  engagemen 
qui  l'empêchassent  de   se  montrer  ostensiblemen 
son  ennemi,  il  l'aidât  au  moins  secrètement  de 
finances;  le  trouvant  inébranlable  de  ce  côté,  il  s'étar^ 
ensuite  borné  à  lui  faire  demander,  par  un  chevalier 
nommé  Bérenger  de  Rossanes,  la  liberté  du  passage 
à  travers  ses  états  en  allant  à  la  rencontre  du  roi  d 
France,  faveur  égale  à  celle  qu'avait  obtenue  ce  de 
nier;  mais  le  roi  de  Majorque ,  aveuglé  d'une  part 
le  ressentiment,  et  berce  de  l'autre  de  l'espoir  de 
couvrer  son  indépendance ,  ne  voulut  rien  entendr^^ 
Lorsque  Pédre  vit  qu'il  fallait  en  venir  à  un  coup 
main  contre  son  frère ,  il  se  ménagea  quelques  inte 


CHAPITRE   PREMIER.  149 

gences  en Roussiilon,  et,  sous  le  prétexte  d*aller for- 
tifier divers  châteaux,  il  prit  le  chemin  de  la  frontière 
k  la  tête  de  quelques  compagnies  des  barons  et  des 
chevsdiers  dont  il  connaissait  le  dévouement  ^  Après 
avoir  pourvu  en  passant  à  la  sûreté  de  Girone,  il  tra- 
verse les  Pyrénées  et  ne  fait  connaître  Tobjet  de  son 
expédition  que  sous  les  murs  de  Perpignan.  En  appre- 
nant que  l'enlèvement  du  roi  de  Majorque  est  le  but 
de  cette  course,  le  vicomte  de  Cardone,  l'un  des  ba- 
rons qui  accompagnaient  Pèdre ,  s'excuse  d'y  prendre 
part  sur  les  relations  de  famille  qu'il  avait  avec  la 
reine  E^clarmonde ,  et  le  roi  consent  à  ce  qu'il  se  re- 
tire de  sa  personne ,  mais  en  laissant  tous  les  cheva- 
liers et  hommes  d'armes  qui  suivaient  son  pennon. 

La  troupe  royale  avait  pris  des  chemins  détournés 
dès  son  entrée  en  Roussiilon ,  et  elle  était  parvenue 
au  terme  de  sa  course  avant  même  qu'on  soupçonnât 
sa  marche.  Se  présentant  inopinément  devant  une 
des  portes  de  Perpignan  qu'elle  trouva  fermée,  elle  la 
brise  et  pénètre  dans  la  ville  sans  que  de  fintérieur 
on  ait  pu  se  mettre  en  défense.  Le  fils  du  vicomte  de 
Narbonne ,  le  seigneur  de  Durban  et  quelques  autres 
barons  français  qui  étaient  venus  voir  le  roi  de  Ma- 
jorque, dors  malade,  furent  arrêtés  et  durent  par  la 
suite  donner  rançon  pour  leur  liberté. 

Pèdre  se   rendit  maître  du  château  royal,   qui, 

*  Caslillo  Solorxano,  Vida  del  rey  don  Pedro,  pag.  leS.  —  ProUsIaiio 
J^coki,  Maj,  régis,  apud  Mariene,  Thés,  atiecd,  tom.  \. 


150  LIVRE    DEUXIÈME, 

n  étant  pas  encore  terminé ,  ne  pouvait  être  une  dté- 
fense ,  et  il  fit  occuper  une  certaine  enceinte  fortifiée , 
mais  non  achevée  aussi  probablement,  qu'on  appelait 
la  Maison  du  temple  :  là  se  conservaient  les  joyaux 
et  le  trésor  de  la  couronne  que  Pèdre  fit  saisir.  S'il 
faut  en  croire  Aciot,  historien  presque  contemporain, 
on  aurait  trouvé  dans  cette  même  maison ,  qui  dans 
ce  cas  aurait  servi  aussi  de  chancellerie  au  roi  de  Ma- 
jorque, ce  qui  est  très-probable,  un  traité  entre  le 
pape,  le  roi  de  France  et  celui  de  Majorque,  par 
lequel ,  en  récompense  des  facilités  que  le  dernier  de- 
vait donner  pour  la  conquête  de  l'Âragon,  il  aurait 
reçu  en  fief,  des  mains  du  pontife ,  le  royaume  de  Va- 
lence ,  objet  de  son  ambition.  Mieux  eût  valu  pour 
lui  laisser  Valence  à  TAragon  et  demander  à  sa  ^ace 
la  Catalogne,   contiguë    au  Roussilion,  puisque  ce 
royaume  placé  encore  à  une  grande  distance  du  point 
central  de  ses  états,  par  delà  un  pays  étranger,  n'au- 
jait  fait  qu'augmenter  les  embarras  de  Tadministra- 
tion  et  les  difficultés  de  la  défense  de  son  royaume. 

Pèdre  n'avait  pas  voulu  voii*  son  frère,  mais  il  lui 
avait  fait  signifier  pai*  deux  chevaliers  qu'aux  termes 
(le  l'hommage  qu'il  hii  avait  rendu  et  de  l'engagement 
(ju'il  avait  contracté  il  était  requis  de  livrer  aux  Ara- 
connais  tous  les  châteaux  et  places  fortifiées  du  Rous- 
sillon,  et  Jaynie,  surpris  dans  son  palais,  avait  signé 
tout  ce  qu'on  avait  voulu.  Apprenant  ensuite  que  son 
frère  devait  remmener  prisonnier  en  Catalogne,  il  se 


CHAPITRE   PREMIER.  151 

coula  pendant  la  nuit  hors  du  château  par  un  conduit 
souterrain,  et  se  réfugia  secrètement  à  Laroque.  Le 
lendemain,  au  bruit  de  Tévasion  de  ce  prince,  les 
Perpignanais,  s*imaginant  qu on  lavait  £aiit  périr,  s' ar- 
mant en  tumulte  pour  le  venger  siu*  la  personne  de 
80X1  frère.  Ils  montent  vers  le  château ,  s'emparent  du 
cofnte  de  Pallas  et  de  quelques  autres  barons ,  et  se 
dîisposent  à  assaillir  le  palais  que  gardaient  les  Âra- 
gonnais.  Pèdre,  forçant  alors  à  le  suivre  la  reine  de 
I^Sajorque  avec  deux  de  ses  fils  et  une  infante,  se  hâte 
d^  sortir  de  ce  château  par  la  porte  de  la  campagne, 
et^«  après  avoir  déposé  en  lieu  de  sûreté  ses  otages  ainsi 
q»ic  les  joyaux  de  la  couronne  de  Majorque,  il  rentre 
^^«s  la  ville  pour  apaiser  cette  émeute.  Étant  par- 
venu à  faire  entendre  aux  Perpignanais  que  leur  roi 
•  était  enfui  lui-même,   ceux-ci  se  calmèrent,  déli- 
^^^^rent  les  prisonniers  qu  ils  avaient  faits  et  promirent 
"^  ne  prendre  aucune  part  à  la  guerre  qui  allait  avoir 
"^U-  Alors  don  Pèdre,  qui  n'avait  pas  des  forces  suf- 
"^^ntes  pour  garder  Perpignan  et  le  château  contre 
les  Prançais ,  qui  étaient  déjà  dans  le  voisinage ,  re- 
passa  les  Pyrénées  après  avoir  jeté  des  garnisons  dans 
^elques-unes  des  petites  places.  Arrivé  à  la  Jon- 
^^*^ère,  ce  prince  rendit  la  liberté  à  la  reine  de  Ma- 
Jorc|ng ,  sollicité  à  cela  par  le  comte  de  Pallas  et  le 
^^omte  de  Cardone,  alliés  de  cette  princesse,   et 
^^s  deux  seigneurs  escortèrent  la  mère  et  la  fille  jus- 
^  au  col  de  Banyuls.  Quant  aux  deux  jeunes  princes, 


la  85. 


152  LIVRE   DEUXIÈME. 

ils  furent  retenus  quelques  jours  dans  le  château  de 
Mongrin,  et  emmenés  ensuite  à  Barcelone,  d*où  un 
certain  Vilar  exilé  de  Garcassonne  les  enleva  pour  les 
ramener  à  leur  père. 

Le  roi  d'Aragon,  frappé  d'interdiction  et  d'ana- 
thème  par  le  chef  de  l'église ,  menacé  par  toutes  les 
forces  de  la  France  et  délaissé  par  le  roi  de  Castille 
qui,  après  lui  avoir  fait  espérer  les  plus  puissants  se- 
cours ,  ne  lui  envoya  pas  une  lance ,  n'avait  plus  pour 
faire  tête  à  tant  d'ennemis  que  la  fidélité  de  ses  ba- 
rons *  :  il  trouva  en  elle  les  moyens  d'afifronter  l'o- 
rage. Le  comte  d'Ampurias  se  chargea  de  défendre  les 
cols  de  Banyuls  et  de  la  Massane  ;  le  vicomte  de  Ro- 
cabcrti ,  seigneur  de  la  Jonquière ,  se  porta  au  passage 
du  Pertus,  et  Pèdre  lui-même,  à  la  tête  des  autres 
seigneurs ,  monta  au  col  de  Panissas. 

Cependant  Philippe ,  ayant  laissé  à  Garcassonne  la 
reine  Marie  de  Brabant,  s'avançait  vers  Perpignan 
accompagné  des  deux  princes  ses  enfants  du  premier 
Ht  et  du  cardinal  légat.  Les  troupes  étaient  venues 
confusément  jusqu'à  Salses;  là,  elles  prirent  leur 
ordre  de  bataille.  Philippe  jeta  d'abord  en  avant,  sou- 
tenue par  mille  cavaliers ,  sa  nuée  de  ribauds ,  bandits 
dont  les  brigandages  avaient  déjà  attaché  à  leur  nom 

*   Pèdre  III  était  troubadour.  On  trouve  dans  le  choix  des  poésies 
M.  Raynouard  une  épître  de  ce  prince  à  un  Raymond  Salvage,  par  la 
quelle  il  semble  demander  des  secours  aux  Gascons,  aux  Carcassins  ei 
aux  Agcnois. 


CHAPITRE  PREMIER.  153 

cette  note  d'infamie  que  le  temps  a  rendue  inefia- 
cable.  Après  eux  venaient  les  sénéchaux  de  Carcas- 
sonne,  de  Toulouse  et  de  Beaucaire,  le  sire  de  Lunel, 
le  comte  de  Foix  et  Raymond  Roger  de  Pallas ,  firère 
du  comte  de  Pallas,  vassal  du  roi  d*Âragon;  ces  sei- 
gneurs avaient  avec  eux  cinq  mille  hommes  d'armes. 
A  <^té  de  cette  colonne,  marchait  la  plus  grande 
partie  des  arbalétriers ,  tous  gens  d'élite  et  bien  armés. 
Les  compagnies  des  comtes  de  Toulouse  et  de  Saint- 
Gilles,  du  Garcassez  et  de  Narbonne  venaient  ensuite, 
s^vîes  de  celles  de  Provence  et  du  bas  Languedoc; 
après  s'avançaient  les  troupes  de  l'île  de  France,  de 
1*  Picardie,  de  la  Normandie  et  du  comté  de  Flan- 
™^;  enfin,  derrière  celles-ci,  les  compagnies  que 
cond^iîgait  le  légat ,  gens  à  la  solde  de  l'église ,  et  qui 
s  élevaient  à  plus  de  cinq  mille  chevaux,  outre  de 
i^onibreuses  compagnies  de  Toscane  et  de  la  Ro- 
°^^igne,  commandées  par  des  capitaines  du  parti  des 
Guelfes.  A  l' arrière-garde  étaient  le  roi  de  France  et 
^Ivu.  de  Navarre,  aussi  en  guerre  avec  le  roi  d'Aragon, 
^vis  d'une  multitude  de  barons  convoqués  pour 
^tte  croisade  ;  cette  troupe  aurait  été  encore  plus 
ï^onabreuse  que  la  première,  s'il  fallait  donner  une 
entière  confiance  aux  récits  des  écrivains  aragonnais. 
Cette  armée  campa  entre  Perpignan  et  Je  Boulou, 
ouvrant  de  ses  tentes  toute  l'étendue  de  terrain  qui 
^pare  ces  deux  communes.  Le  roi  de  France ,  avec 
^oute  sa  maison  et  sa  cour,  et  avec  le  légat  et  le  duc 


154  LIVRE   DEUXIÈME.  ' 

de  Brabant,  prit  son  logement  à  Laroque,  où  se  troa> 
vait  le  roi.de  Majorque  depuis  sa  (îiite  de  son  palais. 
Là  fut  traitée  entre  Jayme  et  Philippe  la  remise  de 
Perpignan  et  de  toutes  les  places  du  RoussiUon  aux 
troupes  françaises,  ainsi  que  la  levée  de  tous  les  gens 
de  guerre  de  ce  comté  pour  marcher  avec  Tannée 
expéditionnaire  aux  frais  du  roi  de  Majorque  :  cent 
otages  furent  livrés  au  roi  de  France  pour  garantie  de 
lexécution  de  ce  traité.  Les  Français  entrèrent  à  l'ins- 
tant dans  les  châteaux  de  Laroque  et  de  la  Cluse; 
quant  aux  places  d^Elne,  de  Collioure  et  de  Perpi- 
gnan ,  leur  occupation  présenta  plus  de  difficultés.  Les 
habitants  de  ces  villes  neiu*ent  pas  plus  tôt  appris  l'ac- 
cord conclu  entre  les  deux  rois  qu'ils  prirent  les  armes 
pour  s'opposer  à  l'introduction  de  tout  étranger  dans 
leurs  murailles.  Le  comte  de  Foix  et  le  sénéchal  de 
Toulouse  se  mirent  en  rapport  avec  les  consuls  de 
Perpignan  pour  que  les  habitants  vendissent  au  moins 
des  vivres  à  l'armée,  les  menaçant,  en  cas  contraire,    , 
de  faire  arracher  les  vignes  et  les  arbres  du  terroir.  — 
Sur  l'assurance  que  donnèrent  ces  seigneurs  que  per — 
sonne  ne  pénétrerait  dans  les  murs,  les  Perpignanai^ 
firent  l'hommage  au  roi  de  France  et  promirent  de  n^ 
porter  aucun  préjudice  à   ses  troupes  :  on  s'en  tin^ 
là  pour  le  moment. 

Siuvant  quelcjues  écrivains  français ,  la  ville  de  Pe;-  - 
pignan  aurait  été  prise ,  pillée  et  livrée  aux  flammes 
ils  se  trompent,  c'est  Elne  qui  fut  traitée  ainsi, 


CHAPITRE   PREMIER.  155 

a  5  mai,  »près  avoir  vu  passer  au  fil  de  i'épée,  par 
VoMcire  eotfrès  èa  légat,  tous  ceux  de  ses  habitants, 
S3X1S  distinction  dâge  ni  de  sexe,  qui  ne  Tavaient  pas 
([«xittée  afveo  les  soldats  aragonnais  que  Pèdre  y  avait 
Ifliûaés  ^. 

  la  lecture  de  semblables  atrocités ,  comment  se 
rendre  maître  de  son  indignation  ;  comment  ne  pas 
s*  abandonner  aux  plus  douloureuses  réflexions  sur  le 
sort  des  peuples ,  victimes  obligées  des  querelles  des 
rois?  Quels  étaient  donc  alors,  quels  sont  peut*ètre 
encore  aujourd'hui  les  affreuses  lois  de  la  guerre,  et 
^^s  exécrables  droits  !  Des  fenames ,  des  enÊuits  que 
le  hasard  a  fait  naître  sor  tel  point  plutôt  que  sm*  tel 
Autre ,  et  où  ils  n  ont  ni  empire  ni  volonté ,  sont  impi- 
toyablement égorgés,  parce  que  le  mutre  du  pays 
^fu^âs  habitent  est  en  discussion  d'intérêts  avec  un 
*utre  maître  que  le  sort  a  rendu  vainqueur  !  Mais  si 
*  on  éprouve  un  frémissement  d'horreur  à  Taspect  de 
^nt  de  férocité ,  de  quels  sentiments  n  est-on  pas  saisi 
quand  on  apprend  que  Tatroce  exécution  d'Elne  fut 
^e  Cruii  de  Timpérieuse  volonté  du  légat ,  de  celui  qui 
^représentait  le  père  des  chrétiens?  Ce  fut,  dit  Guil- 
*^ume  de  Nangis ,  «  un  châtiment  ord<»mé  avec  jus- 
^  Uce  par  le  légat  contre  un  peuple  insensé  qui  met- 

I^lûlippua  rex  Francorum  venit  ad  civitatem  quae  vocabaiur  Jaune 
\P<t>  ESena),  quam  rex,  de  prmcepto  legaJd»  omninodestnixit,  irucidans 
^'^'^i^es  qai  intus  erant,  juvenes,  aenes,  clericos,  mulieres  et  parvuloa. 
1^  ckronica  sancli  Beriini,  ofmd  Mariene,  Tkes.  aiucdoL  tom.  II. 


156  LIVRE   DEUXIÈME. 

«  tait  son  appui  dans  im  faible  roseau  tel  que  Pèdre 
«  d'Aragon,  roi  excommunié,  qui  avait  méprisé  le  com- 
<(  mandement  de  la  sainte  ^ise  et  de  ses  ministres;  » 
c  est-à-dire  qui  n'avait  pas  déposé  sa  couronne  sur 
Tordre  du  légat.  Un  langage  aussi  froidement  barbare 
eût  pu,  dans  les  idées  du  temps,  être  excusable,  si 
dans  cette  lutte  Téglise  avait  été  victorieuse ,  si  l'élu 
du  pape  avait  pu  devenir  roi  ;  mais  quand  le  prétendu 
faible  roseau  eut  été  vainqueur,  quand  il  put  con- 
server sa  couronne  et  la  transmettre  à  sa  postérité, 
le  langage  de  l'apologiste  de  tant  de  crimes  serait  ri- 
dicule s'il  n'était  aussi  féroce  que  déplacé.  Le  roi  de 
Majorque  dut  être  sans  doute  profondément  afHigé 
du  massacre  de  ses  sujets,  et  réclamer  auprès  du  roi 
de  France;  mais  une  voix  réputée  sacrée  couvrit  son 
impuissante  voix,  et  le  roi  de  France,  par  forme  de 
dédommagement,  lui  fit  expédier  sur-le-champ  une 
charte  qui  l'exemptait  lui  et  ses  successeurs  dans  la 
seigneurie  de  Montpellier,  ainsi  que  les  habitants  de  ^ 
cette  ville,  de  la  juridiction  des  sénéchaux  royaux  de?^ 
Beaucaire  et  de  Carcassonne  ^  :  quelle  indemnité  pomza 
tant  de  sang  innocent!  La  Providence  se  chai^ead^ 
le  mieux  venger. 

La  ville  de  Perpignan  ne  fut  pas  prise ,  pas  mêm»  ^ 
attaquée  ;  elle  fut  occupée  par  surprise  au  mépris 
ce  qui  avait  été  convenu  entre  les  consids  de  cette  p 
pulation  et  le  comte  de  Foix.  Sur  le  bruit  qu'on  i 

*   Uist.ijhi.  de  Languedoc  et  preuves,  tom.  IV. 


CHAPITRE   PREMIER.  157 

fecta  de  répandre  dans  le  camp  que  le  roi  d'Aragon , 
d'intelligence  avec  les  habitants  de  cette  ville,  des- 
cendait la  montagne  avec  des  forces  considérables, 
le    oomte  de  Pallas  se  rapproche  de  la  place,  en 
mande  auprès  de  lui  les  principaux  habitants  sous 
le  prétexte  que  le  roi  veut  conférer  avec  eux,  et  les 
retient  en  otage;  alors  les  troupes  entrent  dans  la 
ville ,  et  mettent  au  pillage  la  plupart  des  maisons. 
I^es  habitants,  indignés  de  ce  manque  de  foi,  s  ameu- 
tent et  prennent  les  armes;  un  combat  s'engage  dans 
les  rues,  et  un  capitaine  de  Picardie,  avec  plusieurs 
de    ses  gens,  y  perdent  la  vie.  L'approche  de  forces 
axixcjuelles  îi  était  impossible  de  résister  faisant  mettre 
bas  les  armes  aux  Perpignanais,  les  Français  s'établis- 
*ei^t  dans  la  ville  au  mépris  de  la  foi  jurée,  et  en  oc- 
^^pent  les  tours ,  les  églises  et  les  postes  les  plus  im- 
P^i^tants^. 

I^endant  que  ces  choses  se  passaient  à  Elne  et  à 
^^^rpîgnan ,  les  habitants  de  CoUioiu'e,  redoutant  ^a- 
lenaent  l'occupation  française,  qui  ne  différait  nulle- 
'^^nt  d'une  occupation  ennemie,  avaient  fait  dire  au 
ï'oi  d'Aragon ,  qui  était  à  Panissas ,  qu'ils  étaient  prêts 
*^  Se  livrer  à  lui  s'il  venait  avec  des  forces  suffisantes. 
"èclre  y  accourut  en  effet.  Mais  le  gouverneur  du 
^l^âteau,  qui  avait  eu  vent  de  la  conjiu*ation ,  la  fit 
^cHouer.  Ce  gouverneur,  nommé  Arnaud  de  Saga, 
plaçant  im  habile  arbalétrier  derrière  une  barbacane , 

^    Zurita,  Anales  de  Aragon,  lib.  IV,  cap.  lx. 


158  LIVRE    DEUXIÈME. 

demande  une  conférence  à  don  Pèdre ,  qui  ignora 
qu'A  ne  fut  pas  pour  lui.  Pèdre  se  rend  auprès  d 
château,  accompagné  d*im  seul  cavalier,  et  met  pie 
k  terre  pour  s'entretenir  avec  Talcayde;  mais  sapei 
cevant  que  celuici  voulait  Tattirer  plus  près  du  reni 
part  il  soupçonna  une  trahison,  et,  remontantàchevaj 
il  alla  rejoindre  ses  gens  qui  lattendaient  au  pori 
Avant  de  regagner  la  montagne ,  les  Aragonnais  mi 
rent  le  feu  aux  maisons  extérieures,  aux  galères  et  i 
tous  les  navires  qui  se  trouvaient  au  port  ^. 

Philippe  pouvait  voir  de  son  camp  les  montagne 
qu'il  avait  à  franchir  couvertes  des  tentes  des  Aragon 
nais.  Après  quinze  jours  d'hésitation,  il  se  décide  enfii 
à  prendre  son  passage  par  le  col  de  Panissas ,  moini 
diflicUe  alors,  et  beaucoup  moins  périlleux  que  celui 
du  Pertus  ^. 

Ce  qu'on  nomme  col  de  Panissas  est  un  défilé  sîtu^ 
dans  un  abaissement  des  montagnes  qui  forment  h 
frontière.  Là ,  se  trouve  un  mont  isolé  et  pyramidal 
dont  le  sommet  est  couronné  par  le  fort  de  BeUegarde. 
Le  point  où  ce  mont  se  rattache  à  ceux  de  droite  et 
de  gauche  forme  deux  passages  ou  cols;  le  premier 
est  celui  du  Pertus,  le  second,  celui  de  Panissas,  im- 
praticable aujourd'hui,  et  le  plus  fréquenté  à  cette 
époque. 

Avant  de  se  mettre  en  mouvement,  Philippe  et  la 

'  Castillo  Solorzano,  Vida  del  rey  don  Pedro,  pag.  180. 
*  Ibidem ,  pag.  179. 


CHAPITRE   PREMIER.  159 

l^at  avaient  fait  sommer  don  Pèdre  d*abandonner  sa 
couronne,  dont  le  pape  avait  disposé  en  Êiveur  de 
Charles  de  France ,  et  de  se  retirer  avec  ses  gens ,  le 
rendant  responsable  du  sang  qui  serait  répandu  s'il 
n*obéissait  pas.  La  réponse  de  don  Pèdre  fut  celle  d*un 
roi  :  Celui ,  dit-U ,  qui  disposait  si  libéralement  de  sa 
couronne  en  connaissait  bien  peu  la  valeur;  ses  an- 
cêtres l'avaient  conquise  par  le  sang ,  celui  qui  voulait 
Tavoir  devait  la  payer  au  même  prix. 

L'armée  française  se  trouvait  en  Roussillon  depuis 
plus  de  vingt  jours,  et  le  mois  de  juin  était  déjà  corn- 
ii^eiicé  quand  elle  se  mit  enfin  en  marche  par  le  cdi 
^c  Panissas.  L'avant-garde  entrait  à  peine  dans  le  dé- 
ulé  quand  les  almogavares,  qui  garnissaient  tout  le 
baut  de  ces  montagnes,  firent  rouler  du  haut  en  bas, 
^  travers  les  rochers,  soldats  et  cavaliers.  Dans  l'im- 
possibilité  de  franchir  ce  passage,  le  roi  de  France 
^uercha  ime  autre  route  pour  pénétrer  en  Catalogne. 
W^uîana  veut  qu'il  y  soit  parvenu  sous,  la  conduite 
^'uu  seigneur,  qu'il  appelle  le  bâtard  de  Roussillon, 
*^ul  individu  que  le  roi  de  Majorque  aurait  pu  arra- 
cher au  massacre  d'ïllne;  Zurita  lui  donne  pour  guide 
*  ^bbé  du  monastère  de  Saint-Pierre  de  Rhodes  ;  sui- 
^^ot  l'annaliste  Félix  de  la  Pena,  ce  guide  aurait  été 
^^'^  simple  Français;  enfin  le  chevalier  Ramon  Mun- 
*^*ier,  témoin  oculaire  et  acteur  dans  cette  guerre,  sou- 
^^nt  que  ce  furent  l'abbé  et  trois  moines  du  monasn 
^re  de  Saint-Andi*é  de  Sorède ,  maison  dépendante  de 


i 


160  LIVRE   DEUXIÈME. 

Tabbaye  française  de  la  Grasse ,  près  de  Narbonne  ;  e 
cette  opinion  est  la  plus  vraisemblable.  Ces  religieo: 
indiquèrent  aux  croisés  le  col  de  la  Massane  qu'il 
connaissaient  très -bien,  puisque  leur  couvent  étai 
bâti  dans  la  vallée  qui  y  conduit. 

Décidé  à  prendre  sa  route  par  ce  passage,  Phi 
lippe  fit  d  abord  partir  pendant  la  nuit  le  comte  d'Âr 
magnac  et  le  sénéchal  de  Toulouse ,  avec  mille  che- 
vaux servant  d  appui  à  deux  mille  pionniers  chaigéi 
de  rendre  la  route  praticable  aux  chevaux  et  aux  ba 
gages.  Â  laube  du  jour,  cette  troupe  était  parvenue 
au  haut  du  col  sans  avoir  été  entendue  ni  découverti 
par  les  gens  du  comte  d*Ampurias  qui  en  avaient  h 
garde;  en  Tabsence  du  comte,  qui  dans  ce  moment 
se  trouvait  à  Castellon  avec  la  meilleure  partie  de  ss 
cavderie  pour  y  établir  des  postes ,  la  vigilance  s'était 
endormie.  Dès  que  le  roi  de  France  fut  informé  que 
ses  soldats  étaient  maîtres  de  ces  défilés,  il  fit  dé- 
ployer l'oriflamme ,  et  Tarmée  entière  se  dirigea  vers 
la  Massane.  La  traversée  des  Pyrénées,  par  cette  mul 
titude  de  gens ,  dura  quatre  jours  pleins.  Le  roi  d'Araj 
gon,  voyant  l'obstacle  forcé  et  ne  se  trouvant  plus  en 
mesure  de  disputer  le  terrain  à  une  armée  si  formii 
dable,  fit  annoncer  dans  son  camp  que  les  almog^ 
vares  pouvaient  rentrer  dans  leurs  foyers.  Ces  aime: 
gavares,  comme  nous  l'avons  dit  aiUem^s,  étaient  1^ 
paysans  du  pays  qui  prenaient  les  armes  quand  ils 
étaient  requis  pour  la  défense  de  leurs  frontières, 


CHAPITRE  PREMIER.  161 

qui,  soldats  vétérans  pour  la  plupart,  étaient  re- 
nommés par  leur  farouche  valeur  autant  que  par 
leur  ardeur  au  butin ,  seul  prix  qu'ils  recevaient  de 
leur  déplacement.  Après  avoir  ainsi  congédié  ceux 
dont  il  n'avait  plus  besoin  pour  le  moment ,  Pédre  se 
rendit  à  Péralade  accompagné  de  Tinfant  don  Al- 
phonse, son  fils,  du  comte  de  Pallas,  des  vicomtes 
<le  Cardone  et  de  Rocaberti,  et  des  autres  riches 
hommes  et  chevaliers  de  Catalogne. 

S'il  fout  en  croire  quelques  écrivains,  le  roi  de 
France,  en  se  rendant  de  Panissas  à  Ja  Massane, 
voulut  emporter  en  passant  le  château  de  Montes- 
<iuîu  dont  le  châtelain  se  trouvait  avec  le  roi  d'Ara- 
Son,  et  qui,  vaillamment  défendu  par  la  châtelaine, 
la  dame  Élizende ,  offrit  une  résistance  telle  que  Phi- 
*^PpCf  pour  n'y  pas  perdre  trop  de  temps,  fut  obligé 
^^  passer  outre.  Ce  fait,  qui  ne  présenterait  rien 
^^extraordinaire ,  nous  parait  cependant  apocryphe, 
-■^untaner,  qui  rapporte  un  trait  de  bravoure  de  femme 
^T^î  eut  lieu  quelque  temps  après  à  Péralade ,  ne  dit 
***eii  <]e  celui-ci,  et  Castillo  Solorzano,  dans  la  vie  de 
"èdre  III,  déclare  ne  pas  savoir  le  nom  du  château 
^^  se  serait  passée  cette  action,  quoiqu'il  donne  le 
^oua  d'Élizende  de  Montesquiu  à  la  vaillante  châte- 
■aine.  La  terre  de  Montesquiu  était  domaine  de  fa- 
'^ Jie ,  mais  le  château ,  qu'une  lettre  d'Alphonse  cite 
^^tame  l'un  des  plus  forts  du  Roussillon ,  appartenait 
^^  roi  :  c'était  une  place  du  même  genre  que  celles 

ï.  Il 


162  LIVRE  DEUXIÈME. 

de  Tautavel,  d'Opol,  de  CoHioure,  de  Perpignan,  de 
Puycerda ,  dont  le  châtelain  ou  alcayde  était  nommé 
par  le  prince ,  et  il  existe  à  la  cour  de  l'ancien  do- 
maine  royal  de  Roussillon  des  commissions  de  cette 
espèce  pour  ce  château  de  Montesquiu.  Il  paraît  cer- 
tain cependant  que  ce  château,  comme  ceux  d'Ëine 
et  de  Castelnou,  avait  reçu  garnison  aragonnaise 
quand  Pèdre  fit  son  irruption  sur  Perpignan ,  et,  sous 
ce  rapport,  Philippe  a  très-bien  pu  tenter  de  Tem- 
poiier  par  un  coup  de  main. 


CHAPITRE  DEUXIEME.  163 


CHAPITRE  IL 

Levers  des  Français.  —  Typhus  dans  le  camp.  —  Retraite  et 
désastres.  —  Examen  du  récit  des  historiens  français  sur  cette 
retraite.  —  Relation  d*un  témoin  oculaire. 

Le  premier  pas,  celui  qui  semblait  au  roi  de  France 
^  plus  difficile,  était  fait  :  son  armée  avait  heureuse- 
Ki«it  franchi  les  Pyrénées.  Mais  cette  expédition , 
iîOTmnencée  avec  tant  de  bonheur,  ne  devait  pas  tarder 
^  éprouver  des  revers  que  la  multitude  de  gens  qui 
ïn  faisaient  partie  rendrait  encore  plus  terribles. 

Le  premier  soin  de  Philippe,  en  entrant  en  Am- 

^ourdan,  avait  été  d'occuper  toute  la  côte  depuis  Col- 

^oure  jusqu'à  Blanes ,  et  de  se  rendre  maître  du  port 

•«  Roses ,  afin  d'avoir  un  abri  commode  et  sûr  pour 

'«   vaisseaux  de  charge;  de  là  il  attaqua  et  prit  le 

râteau  de  Lers,  où  le  légat  donna  en  grande  solen- 

^é  au  prince  Charles  de   France  l'investiture   du 

ïnté  de  Barcelone;  Charles,  de  son  côté,  nomma 

sénéchal  de  Catalogne ,  et  l'armée  marcha  sur  Gi- 

^e  et  s'établit  devant  cette  ville. 

'-•a  première  affaire  sérieuse  entre  les  Français  et 

Ajagonnais  eut  lieu  à  l'occasion  des  vivres  et  mu- 

^ns  débarqués  des  vaisseaux.  A  peine  ces  appro- 

^nnements  furent  à  terre  que  l'infant  don  Alonze 

]  1. 


164  LIVBE   DEUXIÈME. 

ou  Alphonse,  fils  de  don  Pèdre,  forma  le  projet  de 
les  détruire.  Soutenu  par  le  roi  son  père  et  par  le 
comte  d*Ampurias,  ce  prince  fond,  à  la  pointe  du 
jour,  sur  les  magasins  que  gardaient  mille  chevaux, 
et  dans  le  même  temps  deux  mille  hommes  de  pied 
se  mettent  à  arracher  les  tentes ,  briser  les  coffres  e 
incendier  les  barraques.  D  autres  hommes  d'armes  ac- 
courant au  secoiœs ,  une  vive  escarmouche  s  engage , 
et  la  victoire  fut  décidée  pour  les  Français  par  l'arrivée 
des  comtes  de  Foix  et  d' Astarue ,  par  le  sénéchal  de 
Mîrepoix  et  quelques  autres  seigneurs  qui  vinrent 
renforcer  la  garde  à  la  tête  des  chevaux  de  Langue- 
doc ^  L'infant  rentra  alors  à  Péralade,  que  le  roi  ne 
tarda  pas  à  évacuer,  et  qu  inceqdia  le  comte  de  Roca- 
berti  qui  en  était  seigneur,  afin  d  empêcher  le  roi  de 
France  de  s'y  fortifier  :  la  même  chose  avait  été  faite 
à  Figuières  K  Les  Français  cherchant  à  faire  tomber 
le  roi  d'Aragon  dans  quelque  embuscade,  le  1 5  d'août 
il  y  eut  encore  une  escarmouche  assez  vive  dans  la- 
quelle Pèdre  paya  de  sa  personne  :  c'est  dans  cette 
action  que  quelques  écrivains  ont  avancé  qu'il  avait 
péri,  d'autres  qu'il  fiit  blessé  au  visage. 

Pendant  que  Pèdre  faisait  fortifier  tous  les  châteaux 

^  Munianer,  cliap.  cxxiii. 

'  Cest  par  erreur  que  dans  un  mémoire  du  tome  V  du  recueil  de  la 
Société  des  antiquités  de  France  on  lit  que  les  Françab  détruisirent 
Tantique  Emporias.  Cette  ville  n'existait  déjà  plus  à  cette  époque,  et 
les  lieux  incendiés  en  Ampourdan  le  furent  par  les  Âragonnais  eux- 
mêmes.  Voyei  Zurita,  Anal,  de  Àrag. 


CHAPITRE   DEUXIÈME.  165 

aux  environs  de  Girone ,  pour  de  là  inquiéter  les  Fran- 
çais qui  formaient  le  blocus  de  cette  place,  et  que  le 
comte  de  Cardone  se  renfermait  dans  cette  même 
place  pour  la  défendre ,  les  riches  hommes  d'Aragon 
se  concertaient  un  peu  tardivement,  à  Saragosse,  sur 
les  secours  à  fournir  à  leur  roi.  L'inévitable  tendance 
du  pouvoir  royal  à  lenvahissement  rendant  plus  irri- 
table la  susceptibilité  de  ces  barons  pour  la  conser- 
vation de  leurs  droits ,  que  de  leur  côté  ils  ne  cher- 
chaient pas  moins  à  étendre,  au  préjudice  de  f  autorité 
royale,  ces  seigneurs  s'étaient  ligués  contre  Pèdre  en 
vertu  d'un  de  leurs  privilèges  dont  nous  aurons  occa- 
sion de  parler  plus  tard,  et  qu'on  appelait  privilège  de 
l'union.  Cependant  en  voyant  le  danger  qui  menaçait  le 
royaume  ils  firent  trêve  un  instant  à  leur  querelle ,  et 
ils  arrêtèrent  que  les  riches  hommes,  les  chevaliers  de 
Masnada  ou  bannerets,  et  les  infançons  ou  simples  gen- 
tikhommes,  qui  n'étaient  pas  occupés  aux  frontières 
de  la  Navarre,  se  rendraient  en  Catalogne.  Suivant  le 
moine  de  San  Juan  de  la  Pena ,  cité  par  Ferreras ,  les 
Catalans  et  les  Valenciens  auraient  seuls  marché  au 
secours  de  leur  prince;  quant  aux  Âragonnais,  ils  au- 
raient refusé  de  le  faire  sur  le  motif  de  fanion,  c'est-à- 
dire  parce  qu'ils  étaient  en  état  d'hostilité  avec  le  roi 
pour  le  redressement  de  leurs  griefs.  Cette  version 
peut  très-bien  se  concilier  avec  celle  de  Zurita.  De 
laveu  de  ce  dernier,  qui  cherche  à  dissimuler  le  tort 
de  la  noblesse  aragonnaise ,  celle-ci  ne  se  réunit  qu'à 


166  LIVRE   DEUXIÈME. 

la  fin  de  juin  pour  délibérer  sur  le  secours  à  envoyer 
en  Catalogne,  tandis  que  c  était  au  mois  d'avril  que 
Pèdre  lui  avait  donné  l'ordre  de  se  porter  dans  cette 
province  pendant  que  la  noblesse  catalane  se  rendrait 
elle-même  en  Âmpotœdan  :  les  Catalans  et  les  Valen- 
-ciens  obéirent  à  l'instant,  et  ce  ne  fiit  que  trois  mois 
après,  qu'en  présence  d'un  péril  commun  les  nobles 
aragonnais  se  décidèrent  enfin  à  ne  pas  abandonner 
leur  prince. 

Les  revers  de  Philippe  commencèrent  par  la  ma- 
rine. Déjà  la  fortune,  contraire  aux  Français,  avait 
justifié  la  dernière  partie  du  titre  que  s'était  donné 
le  roi  d'Aragon ,  celui  de  maître  de  la  mer,  en  attendant 
qu  elle  fît  ressortir  dans  toute  sa  splendeur  celui  de 
valeureux  soldat.  Roger  de  Lauria,  amiral  d'Aragon, 
après  avoir  battu  les  galères  de  Provence  devant 
Malte  en  1 2  83  et  devant  Messine  en  1 286,  et  après 
avoir  enlevé  dans  ce  dernier  combat  la  galère  capi- 
tane,  sur  laquelle  se  ti^ouvait  le  prince  de  Saleme, 
fils  du  duc  d'Anjou,  roi  de  Sicile,  avec  un  grand 
nombre  de  barons  de  sa  suite,  avait  fait  voile  pour 
Roses.  De  leur  côté ,  Raymond  Marquet ,  amiral  de 
Catalogne,  et  Bérenger  Mayol,  son  vice^miral,  ve- 
naient avec  onze  galères  d'en  prendre  quinze  aux 
Français,  entre  San  Féliu  et  Roses,  pendant  que  Lau- 
ria, infoiTné  par  ces  deux  officiers  de  la  présence  de 
la  flotte  française  dans  les  mers  de  Toscane,  l'avait 
cnlièrenient  prise  ou  détruite  en  faisant  route  pour 


CHAPITRE   DEUXIÈME.  167 

91  Catalogne.  Ârriyé  sur  ces  parages,  et  de  concert 
Tec  Marquet,  Lauria  se  tient  un  peu  à  Técait  pen- 
Lant  que  le  premier  se  présente  devant  le  port  de 
loses  avec  dix  galères.  Séduit  par  Tappât  d*une  vie- 
pire  £Biciie ,  Tamiral  de  Philippe ,  Jean  Scot ,  qui  crut 
;ue  ces  dix  galères  étaient  toutes  les  forces  navales 
!*Aragon  en  cet  endroit,  sort  à  leur  poursuite  avec 
ingt-cinq  de  ses  galères.  Â  la  vue  des  dix  premiers 
aisseaux  de  Lauria  qui  se  présentent  sous  pavillon 
nançais ,  il  se  persuade  que  c'est  le  reste  de  sa  flotte 
[ui  a  mis  à  la  voile;  mais  bientôt  la  bannière  aragon- 
taise,  substituée  à  la  bannière  française,  lui  fait  re- 
<Minaitre  le  piège  :  tout  fut  pris  ^  Après  cette  bril- 
axite  action ,  Lauria  donna  dans  le  golfe  de  Roses , 
»ù  il  détruisit  plus  de  cent  cinquante  navires  de  trans- 
port, et  Raymond  Marquet  en  fit  autant  à  San  Féliu. 
Mettant  ensuite  pied  à  terre  pour  combattre  cinq 
uenU  chevaux  français  venus  pour  escorter  un  convoi 
l«  mulets  chargés  de  vivres  pour  l'armée,  Lauria  les 
>at  et  s  empare  de  Roses  quil  fortifie.  Alors  le  roi 
le  France  se  trouva  privé  du  seul  port  où  pussent 
iJborder  ses  vaisseaux,  et  cette  armée  formidable  qui 
'tait  venue  en  Catalogne  avec  des  approvisionne- 
Kients  immenses,  au  lieu  de  chercher  à  reprendre 

*    2urita  dit  que  les  Français  cherchèrent  à  tromper  les  Aragonnais 
^  prononçant  leur  cri  de  guerre  au  milieu  de  la  nuit.  Nous  avons  pré- 
«T^  suivre  la  versioo  de  Muntaner,  qui  se  trouvait  au  camp  du  roi 
'^'^on,  et  dont  le  récit  nous  a  paru  plus  vraisemblable. 


168  LIVRE   DEUXIÈME 

Roses  pour  rétablir  ses  communications  par  mer  et 

se  remettre  en  possession  de  ses  magasins ,  reste  sous 

Girone  et  se  voit  sans  ressources  au  milieu  d'im  pays 

ennemi. 

Dès  son  entrée  en  Ampotœdan,  le  roi  de  France 
avait  mis  le  siège  devant  cette  place  de  Girone ,  au- 
jourd'hui bicoque  indigne  des  regards  d'une  armée, 
alors  ]e  boulevart  de  TAragon  sur  la  ligne  des  Pyré- 
nées catalanes.  Une  épidémie  affreuse,  suite  de  la 
chaleur  du  climat ,  de  l'intempérance  du  soldat ,  des 
excès  de  tout  genre  auxquels  s'abandonnèrent  des 
gens  sans  aveu  et  de  tout  sexe,  accourus  à  la  voix  du 
légat  \  ne  tarda  pas  à  exercer  ses  ravages  sur  cette 
multitude  d'hommes  amoncelés  dans  un  petit  espace. 
Les  Espagnols  voulurent  voir  dans  cette  maladie, 
très-naturelle  en  de  telles  circonstances,  et  connue 
maintenant  sous  le  nom  de  typhus  des  armées,  un 
effet  de  la  vengeance  divine  contre  cette  horde  de 
bandits  de  tous  les  pays  qui  se  souillaient  de  mille 
crimes  et  commettaient  les  plus  révoltantes  impiétés, 
quoique  réunis  sous  le  signe  de  la  croix.  La  disette 
qui  se  fit  sentir  après  la  destruction  des  vaisseaux 
chargés  de  munitions,  la  saleté ,  qui  ne  pouvait  qu'être 
extrême  parmi  tant  de  gens  sans  firein  et  sans  police, 
favorisant  la  propagation  de  l'épidémie,  en  peu  de 
temps  la  mortalité  devint  effrayante ,  et  il  fut  impos- 

^  Utriusqiie  sexus  turba  maxima  affluebat,  ad  tnbam  indulgentia: 
cardinalis.  Gesta  com.  Barck,  a  monaco  RivipaUense,  in  Marca  hispan. 


CHAPITRE  DEUXIÈME.  169 

sible  d'en  enterrer  les  innombrables  victimes.  La  fé- 
tidité qui  s'exhalait  de  tant  de  cadavres  d'hommes  et 
de  chevaux  laissés  sans  sépulture  rendait  mortelle  l'ap- 
proche du  camp,  et  donna  naissance  à  des  essaims 
de  moucherons  qui  augmentèrent  encore  l'horreur 
de  cette  affreuse  calamité.  Ces  insectes  attaquaient 
également  les  hommes  et  les  chevaux ,  s'introduisaient 
par  les  narines  et  les  oreilles ,  et  ne  quittaient  leur 
proie  qu'après  qu'elle  avait  perdu  la  vie  ^. 

L'horrible  odeiu*  qui  s'exhalait  du  camp  des  Fran- 
çais, jointe  à  la  privation  des  aliments  substantiels, 
avait  développé  dans  la  place  assiégée  la  fatale  épi- 
démie qui  dévorait  les  assiégeants.  Privée  de  tout  se- 
cours, ravagée  par  ce  nouveau  fléau,  la  ville  de  Gi- 
rone  dut  venir  à  composition ,  et ,  après  sa  reddition , 
les  deux  foyers  d'infection  se  trouvant  réunis ,  la  ma- 
ladie augmenta  encore  d'intensité  :  elle  ne  cessa  en- 
tièrement dans  Girone  que  lorsque  les  premiers  froids 
se  firent  sentir,  et  chez  les  Français  que  lorsqu'ils 
eurent  changé  de  climat  et  de  régime.  Quoique  les 
assiégés  n'eussent  pas  été  plus  épargnés  que  les  assié- 
geants, par  cet  horrible  fléau,  les  Âragonnais  ne  le 
considérèrent  pas  moins  comme  un  miracle  opéré  par 
l'intercession  de  saint  Narcisse,  patron  de  la  ville, 
pour  sa  délivrance. 

Le  roi  de  France  s'était  établi  au  milieu  des  ruines 

^  Gesta  com.  Barck.  a  monaco  RivipuUense,  in  Marca  hispan, — Car- 
bonel,  Chronica  de  Àrag. 


170  LIVRE   DEUXIÈME. 

de  Péralade ,  ^nprès  que  le  roi  d*Âragon  en  fut  sorti  en 
y  Faisant  mettre  le  feu.  Elntouré  de  morts  et  de  mou- 
rants, et  atteint  lui-^nême  par  Tépidémie,  Philippe  se 
vit  forcé  de  songer  à  la  retraite.  Une  revue  générale 
de  ses  troupes  lui  avait  démontré  de  la  manière  la 
plus  déplorable  la  nécessité  de  prendre  ce  parti  :  de 
cette  immensité  de  gens  qui,  quatre  mois  auparavant, 
avait  traversé  les  Pyrénées,  il  ne  restait  plus  qu'en- 
viron trois  mille  chevaux  armés  ^  :  il  en  avait  péri 
quarante  mille,  suivant  ce  que  Pèdre  écrivait  lui- 
même  au  roi  de  Castille. 
i2bb.  Le  dimanche,  3o  septembre,  les  débris  de  cette 

armée  reprirent  le  chemin  de  France,  le  roi  étant 
porté  moribond  dans  une  litière.  Le  légat  aurait  vo- 
lontiei^s  absous  alors  de  toute  faute  le  roi  d'Arag<»i , 
dit  malignement  Muntaner,  pourvu  que  celuioi  le 
laissât  sortir  de  sa  terre  en  toute  sûreté. 

Les  almogavares ,  rappelés  à  la  frontière  par  don 
Pèdre,  et  impatients  de  se  venger  des  Français,  s'é- 
tai^it  portés  de  nouveau  au  passage  des  Pynénées, 
où  ils  devaient,  cette  fois,  écraser  facilement  dea 
gens  qui  navaient  plus  la  force  de  se  défendre.  Dans 
cette  funeste  retraite,  qui  donna  à  i autre  extréaiité 
des  Pyrénées  un  effroyable  pendant  au  désastre  de 
Roncevaux,  les  soldats  du  roi  d* Aragon  powsuivirent 
les  croisés  pendant  plusieurs  lieues,  en  en  faisant  une 
horrible  boucherie  ;  ils  ne  s'arrêtèrent  enfin ,  à  Mon- 

'  Zurita. 


CHAPITRE   DEUXIÈME.  171 

[uiu,  que  parce  que,  épuisés  de  fatigues  et  ne 
rvant  plus  soulever  leurs  épées,  il  ne  leur  restait 
assez  de  forces  physiques  pour  continuer  le  car- 
e.  Le  choc  retentissant  des  armes ,  les  hurlements 
[ureur  des  combattants,  les  cris  plaintifs  de  ceux 
m  égorgeait  remplissaient  Tair  d'un  bruit  afireux 
s'entendait  à  plusieurs  lieues  au  loin ,  suivant  les 
ariens  du  temps.  Ceux  qui  purent  échapper  à  ce 
sacre  arrivèrent  à  Perpignan,  laissant  derrière  eux 
longue  trace  de  casques  brisés,  d'armures  fra- 
ées,  de  tronçons  d'épées  et  de  cadavres  dont  la 
brisée  par  les  coups  de  hadbe  et  de  massue  prê- 
tait le  plus  horrible  aspect  ^ 
jes  historiens  français  ont  glissé  rapidement  sur  œ 
sage  des  Pyrénées ,  qui  est  pourtant  la  circonstance 
ÀU8  mémorable  de  cette  fatale  expédition ,  et  ils 
lent  le  silence  sur  la  manière  dont  le  roi  mori- 
d  put  être  soustrait  aux  périls  qui  entouraient  son 
Ȏe;  plusieurs  laissent  entendre,  et  Daniel  le  dit 
itivement,  que  ses  soldats  se  firent  jour,  l'épée  à  la 
n,  à  travers  les  ennemis  qui  gardaient  ces  défilés. 
s,  les  personnes  qui  connaissent  ces  mêmes  dé- 
i  ne  sauraient  accueillir  une  aussi  étrange  narra- 
1.  Si  le  trajet  s'était  fait  en  pays  plat,  et  qu'il  eût 
i  de  faire  une  trouée  à  travers  des  rangs  épais  de 
lats  ennemis ,  on  concevrait  que  le  roi  et  ses  en- 
:«,  placés  au  centre  d'un  bataillon  de  sujets  dé- 

Gttla  com.  barckin. 


172  LIVRE   DEUXIÈME, 

voués  qui  se  seraient  fait  tuer  pour  sauver  leurs 
princes ,  auraient  pu  parvenir  à  faire  leur  retraite  en 
sûreté;  mais  il  nen  pouvait  être  ainsi  au  milieu  des 
Pyrénées.  Ici  il  s*agissait  de  traverser  des  gorges  de 
montagnes  dont  le  haut  était  couvert  d'ennemis  qui 
pouvaient  tout  détruire  en  faisant  rouler  les  rochers 
qu  ils  avaient  à  leurs  pieds;  il  fallait  suivre  im  chemin 
en  pente  et  bordé  de  précipices,  où  on  ne  pouvait 
aller  le  plus  souvent  qu'au  petit  pas ,  et  où  trois  che- 
vaux armés  n'auraient  pas  passé  de  front;  il  fallait  faire 
ce  chemin,  embarrassés  d'une  litière  dans  laquelle 
gisait  un  roi  mourant,  litière  qui  non-seulement  de- 
vait prendre  toute  la  Iai|;eur  du  chemin,  mais  qui, 
sur  bien  des  pomts  de  cette  route,  présenta  sans  doute 
des  difficidtés  au  passage  :  û  est  donc  évident  qu'il  y 
a  ici  quelque  mystère  que  les  historiens  français  n'ont 
pas  voulu  avouer.  Abandonnons  ces  réticences  d'a- 
mour-propre, et  rétablissons  la  vérité,  même  aux 
dépens  d'un  peu  de  gloire  nationale  :  l'histoire  de 
France  est  assez  riche  pour  n'avoir  pas  besoin  de 
glaner  des  lauriers. 

Si  l'escadron  où  se  trouvait  le  roi  Philippe,  avec 
les  princes  et  le  légat,  passa  librement  et  sans  danger, 
sinon  sans  inquiétudes,  au  milieu  d'innombrables 
paysans  armés,  ne  respirant  que  la  vengeance  et  pous- 
sant sans  cesse  des  cris  de  mort;  s'il  put  échapper 
aux  coups  de  ces  intraitables  marins  qui,  sous  la 
conduite  de  leur  amiral,  Roger  de  Lauria,  s'étaient 


CHAPITRE   DEUXIÈME.  173 

empressés  d'accourir  de  Roses  à  Panissas  pour  avoir 
lart,  eux  aussi,  à  un  infaillible  butin,  c'est  que  le  roi 
['Aragon  voulut  bien  protéger  lui-même  son  passage; 
'est  parce  que  Tagresseur  de  ce  Pèdre,  à  bon  droit 
ommé  le  grand  roi  par  ses  compatriotes ,  parce  que 
elui  qui  voulait  lui  enlever  sa  couronne  et  ses 
l:ats  était  réputé  mort,  et  que  les  fils  de  cet  agres- 
sur  qui  s'étaient  montrés,  laîné  tout  au  moins,  de 
aveu  de  Muntaner,  contraires  à  cette  expédition, 
valent  sollicité  la  liberté  du  retour  en  France  de  la 
énérosité  de  ce  même  roi  d* Aragon ,  leur  oncle  ma- 
3Tnel.  Nous  apprenons  toutes  les  circonstances  de 
^tte  £itale  retraite  d'un  témoin  oculaire,  de  ce  même 
Laymond  de  Muntaner,  déjà  plusieurs  fois  cité,  et 
rmxi  était  l'un  des  chevaliers  qui  avaient  suivi  don 
^édre  au  col  de  Panissas.  Quoique  l'impartialité  n'ait 
»2is  toujours  été  la  règle  de  ce  chroniqueur,  et  qu'on 
»usse  lui  reprocher  des  mensonges  d'une  évidence 
>^pable  dans  ce  qui  ne  s'est  pas  passé  sous  ses  yeux  ^, 
pendant  les  détails  qu'il  rapporte  sur  cette  retraite 


^  Muntaner  n'écrivit  ses  chroniques  que  dans  sa  vieillesse,  et  il  a 

bien  pu  suppléer  quelquefois  à  Tinfldélité  de  sa  mémoire;  mais  il  a 

ftnasi  oublié  volontairement  ce  qu'il  ne  voulait  pas  dire,  et  de  ce  nombre 

*«  trouve  tout  ce  qui  se  rapporte  à  la  conduite  du  roi  d'Aragon  envers 

celui  de  Majorque,  et  vice  versa.  Il  avait  été  l'administrateur  de  don 

^^dre,  il  fut  ensuite  l'ami  dévoué  du  troisième  fils  du  roi  de  Majorque: 

c'est  cette  double  affection  qui  le  porta  à  ne  jamais  parier  des  torts  ré- 

ciproqoes  de  ces  deux  rois,  et  à  les  excuser  tous  deux  aux  dépens  de  la 

mérité. 


174  LIVRE   DEUXIÈME. 

des  Français  de  l*Ampourdan  s'accordent  trop  avec 
la  vraisemblance  pour  que  nous  refusions  de  donner 
toute  confiance  à  sa  narration. 

Le  roi  de  France,  ayant  pris  la  résolution  de  re- 
passer les  Pyrénées,  se  rendit  avec  ce  qui  lui  restait 
de  monde  à  Péralade ,  où  il  tomba  malade ,  et  où  il 
serait  mort  à  la  fin  de  septembre,  suivant  notre  histo- 
rien. Il  est  dans  Terreur  :  Philippe  ne  mourut  que  le 
2  octobre  dans  Perpignan.  Philippe  le  Bel  eut  peut- 
être  ridée  de  faire  croire  que  son  père  était  mort, 
afin  d*éprouver  moins  d'opposition  dans  la  demande 
quil  fit  faire  secrètement  à  son  oncle,  de  concert 
avec  le  légat.  Cest  là  le  sentiment  de  Thistorien  du 
royaume  Baiéarique,  et  rien  ne  peut  nous  empêcher 
de  l'adopter.  Ce  point  convenu ,  le  reste  du  récit  de 
Muntaner  ne  présente  plus  de  difficulté. 

Le  roi  d'Aragon  avait  répondu  à  son  neveu  qu'il 
laisserait  passer  sans  empêchement  la  litière  et  tout 
ce  qui  serait  avec  elle  autour  de  l'oriflamme ,  mais  il 
avait  déclaré  aussi  que  pour  ce  qui  était  du  reste  de 
l'armée,  le  voulût-il,  il  ne  pourrait  jamais  empêcher 
les  almogavares  et  les  marins  de  fondre  dessus  et  de 
l'écraser.  Sur  cette  réponse  le  légat  pressa  les  princes 
de  se  mettre  en  route  sans  perdre  de  temps,  ajoutant 
que  tous  ceux  qui  mourraient  dans  cette  circonstance 
iraient  en  paradis.  Philippe  le  Bel  s'empressa  d'in- 
former le  roi  de  Majorque  de  cet  accord,  afin  que  ce 
prince  pût,  de  son  côté,  se  porter  au  pas  delà  Cluse 


CHAPITRE  DEUXIÈME.  175 

»ur  prot^er  la  retraite  de  l'armée  à  travers  le  Rous- 
lon  :  les  preuves  de  Thistoire  de  Languedoc  vien- 
nt  ici  corroborer  le  récit  de  Técrivain  catalan;  elles 
lis  apprennent  qu'en  effet  Aymery,  vicomte  de 
rbonne ,  reçut  l'ordre  de  s'y  rendre  aussi  à  la  tête 
milices  de  Languedoc.  Laissons  maintenant  parler 
mtaner  lui-même,  en  conservant  dans  notre  tra- 
ction cette  simplicité  de  style,  cette  naïve  bon- 
mie  qui  jettent  tant  d'intérêt  sur  les  écrits  de  ce 
nps. 

«  Monseigneur  Philippe  (le  Bel)  appela  ses  barons, 
t  forma  une  avant -garde  où  marcha  d'abord  le 
omte  de  Foix  avec  cinq  cents  chevaux  armés.  Le  roi 
enait  après  avec  l'oriflamme,  avec  son  frère,  avec 
e  corps  de  son  père  et  avec  le  légat,  et  entre  eux 
ous,  cela  allait  à  environ  mille  chevaui  armés, 
^près  venaient  tous  les  bagages  avec  la  memio  gent 
ït  les  gens  de  pied.  A  l'arrière -garde  venait  toute 
'autre  cavalerie  restante,  qui  pouvait  être  d'environ 
piinze  cents  chevaux  armés.  Ils  se  mirent  ainsi  en 
Mouvement  de  Pujamilot  \  et  songèrent  à  aller  ce 
|Our-là  à  la  Jonquière.  Ce  même  jour  l'amiral  Roger 
ie  Lauria ,  avec  tous  les  hommes  de  la  mer,  monta 
au  col  de  Panissas.  Et  cette  nuit.  Dieu  sait  comme 
les  Français  la  passèrent  :  pas  un  d'eux  ne  se  désha- 
billa, et  aucun  ne  dormit,  mais  toute  la  nuit  vous  au- 

*  Cétait  le  quartier  du  roi ,  qui  y  habitait  une  maison  de  campagne, 
Ji  environs  de  Péralade. 


176  LIVRE. DEUXIÈME. 

«  riez  entendu  plaintes  et  gémissements ,  car  les  almo- 
«gavares,  les  goujats  et  les  hommes  de  mer  fondirent 
«sur  les  tentes,  et  tuaient  les  gens  et  brisaient  les 
((  coffres,  tellement  que  vous  auriez  oui  im  plus  grand 
«bruit  de  ce  bris  de  coffres,  que  si  vous  aviez  été 
«  dans  une  forêt  où  il  y  aurait  eu  mille  honmies  à  ne 
«  faire  autre  chose  que  couper  du  bois.  Quant  au  car- 
udinal,  je  vous  assure  que  depuis  son  départ  de  Pé- 
«ralade  il  ne  fit  autre  chose  que  dire  des  oraisons; 
«  ce  ne  fut  qu'aux  environs  de  Perpignan  qu*il  se  remit, 
((  car  h  tout  instant  il  craignait  d  être  égorgé  :  Us  pas- 
ce  sèrent  ainsi  toute  la  nuit.  Le  lendemain  matin  le 
<(  seigneur  roi  d'Aragon  fit  savoir  par  des  criées  que 
«toute  personne  quelconque  eût  à  suivre  sa  bannière, 
(cet  que,  sous  peine  de  mort,  nul  ne  frappât  où  sa 
«  bannière  ne  frapperait  pas ,  et  que  les  trompettes  et 
ce  les  nacaires  n  en  donnassent  le  signal  ;  ainsi  chacun 
«  se  réunit-il  à  la  bannière  du  seigneur  roi  d*  Aragon. 
«  Comme  le  roi  de  France  fiit  arrivé  avec  Tavant- 
«  garde ,  ce  corps  passa  par  le  Pertus ,  et  le  seigneur 
«roi  d*Âragon  le  laissa  passer;  et  toute  la  gent  dudit 
«seigneur  roi  criait,  Frappons,  seigneur,  fi^ppons! 
«  et  le  seigneur  roi  les  massait  pour  qu'ils  n'en  fissent 
«  rien  ^.  Ensuite  vint  l'oriflamme  avec  le  roi  de  France, 

^  Muntaner  dit  capdellava  (pelotonnait) ,  qui  répond  au  masser^  em- 
ployé dans  la  chronique  de  la  mort  de  Roland  à  Roncevaux  :  «  Baudoin 
cet  Thyerry,  et  aucuns  peu  de  chrestiens  estoient  dedans  parmi  les 
c  bois,  et  se  massoient,  pour  la  paour  des  Sarrasins.  • 


CHAPITRE  DEUXIÈME.  177 

son  neveu»  avec  son  frère,  et  le  corps  de  leur  père, 
et  le  cardinal ,  ainsi  que  vous  avez  déjà  vu  qu*il  avait 
été  réglé ,  et  ils  se  mirent  en  devoir  de  passer  par 
ledit  lieu  du  Pertus  ;  et  de  même  alors  les  gens  du 
roi  crièrent  à  grands  cris,  Honte,  seigneur!  frap- 
pons, seigneur!  et  le  seigneur  roi  tenait  plus  fort 
jusqu'à  ce  que  le  roi  de  France  eut  passé  avec  ceux 
qui  allaient  avec  lui  près  de  Toriflamme.  Mais  quand 
les  gens  du  seigneur  roi  virent  les  bagages  et  la 
menue  gent  qui  commençait  à  passer,  ne  croyez  pas 
<{ue  le  seignem*  roi  ni  autre  eût  pu  les  retenir.  Si 
l)ien  qu'un  cri  s'éleva  par  tout  Tost  du  seigneur  roi 
d'Aragon ,  Frappons ,  frappons  !  et  alors  chacun  se 
mit  à  courir  sus,  et  vous  auriez  vu  brisement  de 
c^ofiBres  et  enlèvement  de  tentes  et  d'effets ,  et  d'or  et 
d'argent,  et  de  monnaie,  et  de  vaisselle,  et  de  tant 
de  richesses ,  que  chacun  de  ceux  qui  se  trouvèrent 
là  fut  riche  ^  Que  vous  dirai-je?  que  qui  avait  déjà 
)assé,  bien  lui  valut,  car  des  bagages  et  de  la  menue 
ent,  ni  des  chevaliers  de  l'arrière-gai'de,  il  n'en  passa 
as  im  qui  ne  fut  tué  et  son  bagage  emporté.  Quand 
\  commencèrent  à  frapper,  les  coups  furent  si  forts 
'on  les  entendait  de  quatre  lieues  ;  si  bien  que  le 

Vest  ce  que  dit  aussi  le  moine  de  Ripoll.  «Auri  et  argenti,  quod 

nostri  milites  et  pedites  habucrunt,  non  potuit  esse  pondus.  La- 

pretiosi ,  moniiia ,  auri  texta ,  panni  sériel  totam  Catalonia;  pau- 

en  ditaverunt.  Dominus  rex  noster  nihil  accepit  de  campo,  sed, 

gus,  et  in  omnibus  factis  suis  nobilis,  eum  dédit  militibus  et  pe- 

s  regni  sui.  »  Apad  Marca  hisp. 


l^lVRï^  v^  (West  ce®*'     ^ 

^"^         ,      Mes  ouiidUa«^;;^;^^iac  France 

Tpcur  nous  ^--J-- ..^^^^^^  P;;^  J,  ,^. 

«^^^'C^  Va^ors  U  -v^^^;:^  et  que  le.  g« 
«  frappons-  ^^ons  eu  Y  «^  eolev- 

,  cotnpte^  ^^' Vainsi  so«S«««*: ^us   et  à  un  col  c 
«CcpeodaM;^^       •  ,e  trouve  M         ^^  ^^, 

«  -  -^  r  roi;:^^  'o.  ae  n^p;^^  kouss..--- 

aa  baumcre     ^  ocA^a  ^u  J^    ^  ,,o:,ex  le 

"^-  r'tt-!  q-  ^;7,  :L.t  nous;  etl-    - 

..  de  Vrau^e .  qu  ^.^.  ^e  Majo  ^         ^^^  de    M" 

„cravguexneu,*e 


CHAPITRE   DEUXIÈME.  179 

[ue ,  qui  vient  nous  escorter.  Et  alors  le  cardinal 
grande  joie;  cependant  il  ne  se  tint  pas  encore 

r  bien  assuré.  Que  pourrai- je  vous  dire? 

tout  où  ils  purent  aller  au  grand  trot,  ils  le  fi- 
i,  jusqu'à  la  Cluse,  si  bien  que  personne  ne  se 
fait  en  sûreté  jusqu'à  ce  qu'ils  furent  au  Boulou. 
roi  de  France  et  sa  compagnie  s'arrêtèrent  dans 
lieu  pour  y  passer  la  nuit;  mais  le  cardinal  ne 
sa  qu'à  se  rendre  à  Perpignan  sans  prendre  souci 
l'arrière -garde  qu'ils  auraient  laissée  derrière  et 
î  les  gens  d'Aragon  n'eussent  pas  manqué  d'en- 
er  en  paradis  ^ » 

hronicafetaperlo  maynific  en  Ramon  Mantaner,  capit.  cxxxix. 


180  LIVRE  DEUXIEME. 


CHAPITRE  III. 

Q)nquéte  des  îles  Baléares  par  T Aragon.  — G)ntinuation  de  1 
guerre.  —  Paix  entre  la  France  et  1* Aragon. — Le  royaum 
de  Majorque  en  séquestre.  —  Il  est  rendu  à  Jayme.  — 
de  Jayme.  —  Edits  et  ordonnances.  —  Esclaves  maures. 
Templiers  du  Roussillon. 

Une  des  armées  les  plus  formidables  que  la  Fran< 
pût  mettre  sur  pied  venait  detre  presque  entiërem^^K^t 
détruite  par  les  maladies  et  par  les  coups  du  roi  d*  ^ 
ragon ,  et  ce  prince ,  triomphant  à  la  fois  de  ses' 
nemis  et  des  foudres  encore  plus  redoutables  de  ^"*^ 
glise ,  conservait  une  couronne  dont  le  pontife  s'é^K^ait 
trop  hâté  de  disposer.  Après  la  retraite  de  Tamc^ée 
française,  Pèdre  avait  renvoyé  à  leurs  vaisseaux     les 
gens  de  mer,  et  il  s'était  rapproché  de  Castellon-d'Ajm- 
purias  où  Philippe  avait  laissé  une  garnison  axissi 
bien  qu'à  (îirone.  Ces  places  reprises,  le  roi  d'Aragon 
songea  à  punir  son  frère  d'avoir  fait  cause  cominune 
avec  ses  ennemis.  Pour  remplir  ce  dessein,  l'iiifant 
don  Alplionse  fut  chargé  d'aller  soumettre  l'île  de  3fe- 
jorque  pendant  que  Pèdre  marcherait  en  perso/me 
contre  le  Roussillon.  Cette  campagne  n'eût  été,  pour 
ce  prince,  ni  longue  ni  difficile  si  la  mort  ne  fut 
venue  interrompre  le  cours  de  ses  projets.  Pèdre  11/ 


CHAPITRE  TROISIÈME.  181 

Knoiinit  le  8  de  novembre ,  environ  un  mois  après  le 
x>î  de  France ,  dont  les  obsèques  avaient  eu  lieu  à  ^ 
Perpignan  avec  beaucoup  de  pompe,  et  dont  le  corps 
lépecé  et  bouilli  avait  été  partage  pour  la  sépulture 
lïtre  Narbonne  et  Saint-Denis  *. 

La  guerre  continuait  entre  T Aragon  dune  part,  et  AiphoM*ni. 
i  France  et  Majorque  de  l'autre.  La  première  opé-     j'aiI^u. 
ation  du  nouveau  roi  d'Aragon,  Alphonse  IJI,  avait       »*»®- 
lé  de  soumettre  les  îles  de  Majorque  et  dTvice.  Re- 
enu  ensuite  dans  ses  états  pour  régler  les  affaires  de 
administration  aux  corts  de  Saragosse,  il  reprit  les 
rmes  pour  s^opposer  aux  Navarrais  et  aux  Roussil- 
Dnnais  qui  faisaient  quelques  progrès  sur  les  (ron* 
[ères  de  ses  états. 

Jaynie  aurait  désiré  de  tenter  im  coup  de  main  sur       las?. 
lie  de  Majorque  dont  Alphonse ,  son  neveu,  s'était 

^  Philippe  mourut  à  Perpignan  le  5  octobre:  voici  ce  (pie  Muntaner 
il  des  cbdèques  qui  lui  furent  faites  dans  cette  ville.  •  Le  roi  de  Ma- 
jorque garda  pendant  huit  jours,  à  ses  frais,  le  roi  de  France  (Phi- 
lippe le  Bel]  avec  le  corps  de  son  père  et  son  frère;  et  chaque  jour 
la  procession  sortait  pour  aller  faire  des  absoutes  qui  avaient  lieu 
et  de  jour  et  de  nuit;  et  le  roi  de  Majorque  fit  brûler  mille  grands 
brandons  de  cire  à  ses  dépens  pendant  le  temps  que  ces  princes 
'  forent  dans  ses  terres;  si  bien  qu  il  fit  tant  d'honneur  au  corps  du  roi 
tde  France,  à  ses  enfants  et  à  tous  ceux  qui  étaient  avec  eux,  ainsi 
K  qa^au  cardinal,  que  la  maison  de  France  et  celle  de  Rome  lui  en  de- 
K  Traient  conserver  une  éternelle  reconnaissance.  »  Quand  au  moyen  de 
Tébollition  on  eut  séparé  les  chairs  du  cadavre,  des  os,  on  enterra  les 
premières  à  Narbonne,  et  on  emporta  les  ossements  à  Saint-Denis. 
Miit.  gin.  de  Lang. 


182  LIVRE   DEUXIÈME. 

rendu  maître ,  et  c  est  ce  qui  convenait  le  mieux  à  ses 
intérêts;  mais  il  n  était  pas  libre  d's^ir  suivant  sa  vo- 
lonté. Condamné  par  sa  position  à  ne  pouvoir  nea. 
faire  par  lui-même,  il  fut  obligé  de  se  jeter  en  Am — 
pourdan ,  parce  que  le  roi  de  France ,  dont  les  troupe^^ 
formaient  la  meilleure  partie  de  son  armée,  très- 
faible  encore  malgré  ce  secours,  voulait  se  venge 
des  ravages  que  Lauria  avait  exercés  sur  la  cote  d. 
Languedoc.  Jayme  obtint  quelques  légers  avant 
pendant  qu*Âlphonse  était  occupé  sur  les  firontièr^^^^ 
de  la  Navarre;  mais  au  retour  de  ce  piînce,  Jaym       e, 
qui  faisait  le  siège  de  Gastelnou ,  dut  repasser  les  I^^sy. 
rénées,  poursuivi  par  le  roi  d*Âragon  jusqu'aux  li- 

mites des  deux  états.  Une  trêve  d  un  an  signée  au  m    ^m'ir 
de  juillet  entre  la  France  et  T Aragon  n'ayant  pu 

amener  la  paix,  les  hostilités  furent  reprises  en  i  afl&-88. 
13.S9.  Jayme  fit  encore  une  irruption  en  Catalogne  en 

1289;  i^^î^f  ^^op  fsiible  pour  résister  aux  forces^^sde 
TAragon ,  il  leva  le  siège  de  Cortavignon  à  Tappro^    -cbe 
de  son  neveu  et  rentra  en  Roussillon.  Le  résulta^^^lde 
cette  insignifiante    expédition  fut  dattirer  les  {^^ylus 
grands  désastres  sur  une  partie  de  ses  états.  Ces       -  ra- 
vages furent  tels,  de  la  part  des  Aragonnais,   c^^qu'i 
Texception  des  environs  de  Puycerda,  de  Belver.^..  de 
Lîvia  et  de  Dalo,  toute  la  Cerdagne,  le  Capcir  r    — 't  Je 
Confient  jusqu'à  Villefranche ,   ne  furent  qu'un         im- 
mense incendie  :  «  Jamais,  dit  lanonyme  de  RipolHK,  on 
n  avait  ouï  parler  dans  nos  contrées  d\me  si  gra^-iîrfe 


CHAPITRE   TROISIÈME.  183 

Jévastation  dans  les  blés  et  dans  les  autres  objets  ^  » 
\près  cette  exécution  militaii^e ,  Tarmée  aragonnaise 
narcha  sur  RipoU  que  le  jeu  des  machines  de  guerre 
îut  bientôt  forcé  de  se  rendre.  De  son  côté ,  Jayme 
/'oulut  faire  une  tentative  sur  Ribes,  mais  il  ne  fut 
3as  plus  heureux  dans  cette  expédition  que  dans  les 
3récédentes. 

Pendant  que  le  comte  de  Pallas  suivait  le  parti  du 
"oi  d*Âragon,  dont  il  était  feudataire,  le  frère  de  ce 
x>mte ,  Raymond-Roger ,  engagé  dans  celui  du  roi  de 
^lajorque,  avait  été  jusque-là  un  des  plus  fermes 
ippiiisde  ce  prince.  Ce  Raymond-Roger  ayant,  cette 
uinée  1289,  fait  sa  paix  particulière  avec  le  roi  d'A- 
ragon qui  ladmit  dans  ses  bonnes  grâces,  Jayme, 
courroucé  de  son  abandon,  le  traita  de  traître  et  l'en- 
voya défier  en  combat  singulier,  lui  et  le  roi  son  ne- 
veu, offrant  de  se  battre  contre  eux,  à  Bordeaux,  en 
la  puissance  du  roi  d'Angleterre.  Alphonse  répondit 
à  ce  cartel  qu'il  ne  se  battrait  pas  contre  le  roi  de 
Majorque  à  cause  de  Raymond -Roger,   ou  pom^  de 
prétendus  propos  offensants  à  la  personne  de  ce  roi 
qui  auraient  été  tenus  entre  lui  et  ce  seigneur  comme 
le  croyait  Jayme;  mais  qu'il  accepterait  le  combat 
pour  soutenir  que  c'était  lui,  roi  de  Majorque,  qui 
était  le  traître,  puisqu'il  avait  manqué  à  sa  parole  et 
aux  devoirs  que  lui  imposait  son  vasselage  envers  son 
père  ;  que  quant  au  choix  de  Bordeaux,  pour  le  lieu 

^  Geda  com,  Barch.  apad  Marca  hisf). 


184  LIVRE   DEUXIÈME, 

du  combat,  Jayine,  en  cela,  faisait  asses  voir  qu'A 
n'avait  pas  envie  de  s  y  rendre ,  puisqu'il  savait  très- 
bien  que  cette  ville  ne  pouvait  pas  lui  ofiFiir  plus  de 
sûreté  à  lui  qu'elle  n'en  avait  offert  au  roî  son  père, 
lorsqu'il  avait  dû  se  battre  avec  le  duc  d'Anjou;  que, 
pour  la  désignation  du  lieu  où  pourrait  se  tenir  le 
champ-clos  entre  les  deux  rois  l'un  contre  l'autre ,  et 
entre  Raymond-Roger  et  quelque  riche  homme  de 
même  condition  que  lui,  il  s'en  rapportait  au  roi 
d'Angleterre  qu'il  acceptait  pour  juge.  Cette  provo- 
cation n'eut  pas  d'autre  suite,  sans  doute  parce  que 
le  roi  d'Angleterre  eut  encore  la  sagesse  de  ne  pas 
autoriser  le  combat  en  sa  présence  ou  dans  ses 
états. 

La  donation  de  la  couronne  d'Aragon  au  prince 
Charles  de  France  n'était  pas  révoquée,  et  le  pape, 
Nicolas  IV,  successeur  de  Martin ,  donateur  de  cette 
couronne,  tenait  à  ce  que  cet  acte  de  la  toute-puis- 
sance pontificale  sur  les  rois  eût  son  effet.  Le  roi  de 
France  se  trouvait  donc  avec  deux  royaumes  à  con- 
quérir :  celui  d*Aragon  pour  son  frère,  et  celui  de  Si- 
cile pour  son  cousin,  le  prince  de  Saleme,  héritier 
du  duc  d'Anjou,  à  qui  le  pape  l'avait  aussi  donné,  et 
qui,  fait  prisonnier  par  Lauria,  était  captif  en  Aragon. 
L'excommunication  que  Martin  avait  lancée  jadis 
contre  le  défunt  Pèdre  III  avait  été  étendue  par  Ni- 
colas à  la  reine  Constance,  veuve  de  ce  prince,  et  à 
ses  deux  enfants,  Mphonse,  roi  d'Aragon,  et  Jayme, 


CHAPITRE  TRQISIÈME.  185 

qui  portait  le  titre  de  roi  de  Sicile  en  vertu  du  legs 
que  son  père  lui  avait  fait  de  cette  couronne;  mais 
l'abus  de  ces  excommunications  en  avait  tellement 
émoussé  la  pointe  que  les  peuples  d'Aragon ,  devenus 
insensibles  par  lliabitude,  en  avaient  pris  depuis  long- 
temps leur  parti.  Le  roi  de  France,  pressé  de  re- 
tourner en  Roussillon,  témoignait  une  grande  répu- 
gnance à  recommencer  une  expédition  si  malheureuse, 
et  les  grands  comme  les  peuples  avaient  également  be- 
soin de  repos.  D'autre  part,  le  prince  de  Saleme,  qui, 
cx>ndamné  à  mort  en  Sicile,  en  représailles  de  Tassas-       "90- 
sinat  juridique  de  Conradin ,  avait  reçu  la  vie  de  la 
£;énérosité  de  la  reine  d'Aragon  et  de  ses  enfants ,  s'en- 
xiuyait  de  sa  captivité  et  voulait  à  tout  prix  en  être  dé- 
livré. Dans  cet  état  de  choses  le  pape,  ne  pouvant 
plus  se  refuser  è  prêter  les  mains  à  im  arrangement 
réclamé  par  toutes  les  parties,  des  plénipotentiaires 
se  réunirent  en  février  1290  à  Perpignan.  Les  con- 
férences ne  purent  rien  produire  d'abord,  et  il  fallut 
en  venir  à  de  nouvelles  démonstrations  hostiles; 
mais  les  négociations  fiu^ent  reprises  en  mars ,  à  Ta- 
rascon,  et  un  traité  de  paix  générale  fut  enfin  conclu. 
Par  ce  traité  le  roi  d'Aragon  s'obligeait  à  satisfaire  au 
saint  siège,  et  à  jurer,  entre  les  mains  du  pape  lui- 
même,  obéissance  à  ses  commandements;  et  le  pon- 
tife se  donnait  le  mérite  de  lui  laisser  un  sceptre  qu'il 
n'avait  pu  lui  arracher.  Le  seul  roi  de  Majorque,  vé- 
ritablement/r^fc  roseau,  entre  les  deux  grandes  puis- 


319*- 


186  LIVRE  DEUXIÈME. 

sances  que  son  intérêt  aurait  dû  le  porter  à  ménager 
également,  éprouvait  combien  il  en  coûte  de  se  laisser 
maîtriser  par  le  ressentiment.  Condamné  par  le  roi 
d*Aragon ,  et  ne  pouvant  plus  être  défendu  par  celui 
de  France ,  il  ne  fut  pas  compris  dans  le  traité  de 
paix  et  réintégré  par  conséquent  dans  la  possession 
du  titre  de  sa  couronne;  il  fut  arrêté  au  contraire 
que  le  royaume  de  Majorque  resterait  sous  la  puis- 
sance du  roi  d\\ragon  qui  serait  tenu  d*indemniser  le 
fils  aine  de  Jayme  de  la  perte  du  trône  de  son  père  ^ 
Quant  au  royaume  de  Sicile,  cause  première  et  im- 
médiate de  toutes  ces  guerres,  comme  le  pape  en 
avait  lui-même  couronné  roi  le  prince  de  Saleme 
après  que  celui-ci,  pour  sortir  de  sa  prison,  eut  re- 
noncé par  serment  à  cette  couronne ,  et  que  cette  cé- 
rémonie du  couronnement  par  le  pontife,  en  rele- 
vant le  prince  parjure  de  son  serment  était  censée 
consacrer  irrévocablement  sa  légitimité»  Alphonse 
promettait ,  non  seulement  d'user  de  tous  ses  moyens 
pour  (aire  abandonner  File  par  les  seigneurs.de  ses 
états  qui  s  y  trouvaient  en  les  menaçant  de  la  perte 
de  leurs  domaines  d'Aragon ,  mais  encore  d'aller,  au 
besoin,  aider  le  pape  et  le  roi  de  France  à  forcer  les 
Siciliens  de  rentrer  sous  Tobéissance  de  Charles  II. 
C'était  donc  le  roi  dVVragon  qui  faisait  lui-même  l'a- 
bandon des  droits  que  sa  famille  avait  au  trône  de  Si- 
cile; mais  ce  prince  voulait  en  fmir  avec  ses 

•  Ziirita,  hv.  IV,  chap.  c\x. 


CHAPITRE  TROISIÈME.  187 

et  avec  Tégiise,  et  pour  s'assurer  la  paisible  jouis- 
sance de  la  couronne  d'Aragon ,  il  ne  craignait  pas  de 
compromettre  la  sûreté  de  sa  mère  et  de  ses  frères 
qui  pouvaient  être  victimes  du  désespoir  des  Sici- 
liens, ainsi  trahis  par  ceux  en  faveur  de  qui  ils  s'é- 
taient révoltés. 

Un  article  du  traité  de  paix  avait  r^é  que  les  rois 
d'Aragon  et  de  Sicile,  afin  de  mieux  cimenter  entre 
eux  la  bonne  harmonie,  auraient  une  entrevue  sur 
^es  frontières  du  Roussillon.  Cette  entrevue  eut  lieu 
au  haut  de  la  colline  qui  domine  les  cols  de  Panissas 
et  du  Pertus,  et  qu'on  nommait  alors  le  Puy  de  l'ata- 
keya  (de  la  tour),  aujourd'hui  colline  de  Bellegarde, 
où  se  trouvaient  les  restes  de  la  tour  des  trophées  de 
Pompée.  Chacun  des  deux  rqis  s'y  rendit  le  7  avril, 
i  neuf  heures  du  matin,  accompagné  de  douze  che- 
valiers armés  de  leur  seule  épée,  et  de  six  autres 
personnes  choisies,  tant  parmi  les  prélats  et  les  gens 
d'église  que  parmi  les  docteurs  laïques.  Dix  cheva- 
liers avaient  été  postés,  de  part  et  d'autre,  sur  le 
sommet  des  montagnes  voisines,  afin  de  s'assurer 
que  pendant  la  conférence  il  ne  viendrait  des  gens 
armés  d'aucun  côté  :  les  chevaliers  de  France  sur- 
veillaient les  avenues  du  côté  de  la  Catalogne,  et  ceux 
d'Aragon  les  avenues  du  côté  du  Roussillon.  Dans 
cette  entrevue,  le  roi  de  Sicile  sollicita  la  grâce  du 
roi  de  Majorque  présent  à  la  conférence;  mais  Al- 
phonse s'excusa  de  l'accorder,  sous  le  prétexte  qu'il  ne 


roi  d'Angoa. 


188  LIVRE   DEUXIÈME. 

pouvait  rien  décider  à  cet  égard  sans  la  participation 
des  corts  de  son  royaume. 
J«yni«n.         Alphonse  mourut  inopinément  le  18  juin  de  cette 
même  année  à  Fâge  de  vingt-sept  ans.  Cette  fin  si 
imprévue  jeta  la  consternation  parmi  les  peuples  dont 
elle  pouvait  compromettre  de  nouveau  le  repos.  Ce 
prince  mourant  sans  postérité,  la  couronne  d'Aragon 
passait  sur  la   tête  du  second  fils  de  la  veuve  de 
Pèdre  III,  ce  même  Jayme  à  qui  on  venait  d'enlever 
le  trône  de  Sicile.  Cependant  les  craintes  qu'on  avait 
conçues  furent  bientôt  dissipées  ;  tout  le  courroux  de 
Jayme  II  s'évanouit  sous  la  pourpre  royale,  et  ce 
prince  ne  tarda  pas  à  devenir  lui-même  un  des  plus 
zélés  soutiens  de  ce  roi  Charles  II  à  qui  on  l'avait  sa- 
crifié. La  guerre  continua  en  Sicile,  où,  par  haine 
des  Français,  les  Siciliens  restés  fidèles  au  sang  des 
rois  qu  ils  s'étaient  donnés  mirent  la  couronne  sur  la 
tête  de  Frédéric,  frère  cadet  de  Jayme.  Ainsi,  par  un 
de  ces  effets  de  la  Providence  qui  déjouent  toutes  les 
combinaisons  humaines,  la  couronne  de  Sicile  ne  put 
s'ajuster  sur  la  tôle  des  princes  français,  nonobstant 
les  investitures  que  leur  en  donnèrent  différents  papes, 
dans  toute  la  plénitude  de  leur  puissance  apostohque, 
et  nonol)stant  les  anathèmes  fulminés  contre  leurs  ri- 
vaux ,  et  cette  couronne  resta  dans  la  maison  d'Ara- 
gon, malgré  la  double  renonciation  qu'en  furent  deux 
rois  de  celte  maison ,  cl  malgré  la  bassesse  qu'eut  le 
dernier  de  ces  deux  rois  d'accepter  du  pape  Boni- 


CHAPITRE  TROISIÈME.  189 

face  Vin  le  titre  de  gonfalonnîer  et  d*amiral  de  l'é- 
glise ,  contre  son  frère  et  sa  mère ,  que  la  nature  et  le 
bon  droit  lui  commandaient  de  protéger. 

Le  traité  d'alliance  contre  nature  entre  Jayme,  roi  "9* 
d'Aragon,  et  Charles,  roi  de  Sicile,  avait  été  signé 
dans  une  conférence  qu'eurent  ces  deux  princes,  le 
ik  novembre  itig^.  Dans  cette  conférence  le  pape, 
qui  considérait  la  dépossession  du  trône  du  roi  de 
Majorque  comme  injuste ,  par  la  raison  qu*à  ses  yeux, 
dans  la  conduite  déloyale  que  Jayme  avait  tenue  à  l'é- 
gard de  son  frère ,  il  n'avait  fait  qu'obéir  aux  ordres 
du  saint  siège ,  qui  avait  absous  et  dégagé  de  tout  de- 
voir de  fidélité  envers  le  roi  don  Pèdre  tous  les  vas- 
saux et  les  sujets  de  sa  couronne,  fit  renouveler  par 
son  légat  ses  sollicitations  en  faveur  de  ce  prince ,  et 
ces  sollicitations ,  fortement  appuyées  par  les  rois  de 
France  et  de  Sicile ,  déterminèrent  Jayme  d'Aragon  à 
lui  rendre  son  royaume  en  séquestre  depuis  quatre 
ans.  La  restitution  en  aurait  eu  lieu  immédiatement 
si  Jayme  de  Majorque  ne  l'avait  encore  fait  ajourner 
par  son  imprudence. 

Avant  de  reprendre  les  rênes  de  ses  états  Jayme  ,,35. 
crut  devoir  au  principe  d'indépendance  de  sa  cou- 
ronne, de  protester,  dans  un  acte  reçu  le  1  o  des  ca- 
lendes de  septembre  isgS  par  Michel  Roland,  no- 
taire de  Perpignan ,  contre  la  violence  que  lui  avait 
feite  Pèdre,  son  fi^ère,  quand  il  força  à  devenir  vassal 
de  l'Aragon  le  royaume  de  Majorque  institué  libre  et 


190  LIVRE  DEUXIÈME. 

indépendant  par  leur  père ,  contre  tous  les  actes  qui 
s'en  étaient  suivis  et  contre  le  nouvd  hooimage  au- 
quel il  était  encore  contraint  pour  la  restitution  de  ses 
états  \  Le  secret  sur  cette  protestation,  si  elle  était 
clandestine  comme  Tavance  Vaissette,  ne  fiit  pas  si 
bien  gardé  qu*il  ne  vint  à  la  connaissance  du  roi  d'A- 
ragon ,  et  c  est  là  sans  doute  le  véritable  motif  qui 
porta  ce  prince  à  retenir  pendant  quatre  ans  encore 
les  états  de  Jayme.  Enfin,  sur  les  nouvelles  instances 
du  roi  de  France ,  qui  avait  chargé  de  sa  médiation 
Pierre  de  la  Capelle,  évêque  de  Garcassonne,  la  re* 
mise  en  fut  faite  définitivement  en  1 2  98  à  la  suite 
d'im  traité  signé  par  lés  deux  rois  à  Argelès  le  219  juin 
de  cette  année  ^.  Nous  ne  doutons  pas  que  ce  ne  soit 
encore  par  sorte  de  nouvelle  forme  de  protestation , 
que  te  U  des  calendes  d octobre  1^99  Jayme  de  Ma- 
jorque fit ,  de  concert  avec  le  comte  de  Rhodes ,  tious 
ignorons  k  quel  titre  de  la  part  de  celui-ci,  présenter 
à  Raymond,  évêqiic  d'Elne,  et  publier  en  sa  présence 
le  testament  ou  acte  de  partage  des  états  de  Jayme 
le  Conquérant,  instituant  le  royaume  de  Majorque 
libre  de  toute  sujétion  envers  celui  d'Aragon  ^. 
,,99.  L'action  politique  du  royaume  de  Majorque,  sus- 

pendue pendant  huit  ans,  recommença  donc  à  la  fin 

'  Proteslatio  Jacobi,  régis  Majoricarum.  Apud  Maiiene,  Thés.  anecdoL 
tom.  I. 

*  Ibidem. 

*  Dacherii  Spicilrcj.  loni.  ÏII. 


CHAPITRE  TROISIÈME.  191 

de  Tannée  1 298.  Jayme  de  Majorque  avait  fait  Thom- 
mage  au  roi  d'Aragon  à  Argelès  même ,  et  les  alliances 
anciennes  avaient  été  renouvelées  aux  mêmes  condi- 
tions que  celles  qui  avaient  été  imposées  jadis  par 
Pèdre  III;  comme  sous  ce  prince  Jayme  fut  person- 
nellement aflranchi  de  Tobligation  de  se  rendre  aux 
corts  de  Catalogne  :  le  roi  de  Majorque  se  trouva 
donc  dans  la  même  position  où  son  frère  l'avait  placé, 
avec  cette  différence  pourtant  qu'à  cette  première 
époque  Jayme  était  fondé  à  ressentir  le  plus  juste  cha- 
grin de  la  perte  de  son  indépendance ,  tandis  qu'au- 
jourd'hui il  devait  s'estimer  heureux  de  recouvrer 
son  trône  avec  ses  servitudes. 

Jayme,  premier  roi  de  Majorque  pour  la  partie  ,311. 
continentale  de  ce  royaume ,  moiu^ut  le  2  8  mai  1 3 1 1 . 
Bon  et  juste,  ce  prince  laissa  une  réputation  qu'ont 
respectée  tous  les  historiens.  Le  seul  reproche  qu'il 
ait  encouru,  dans  les  trente-cinq  années  qu'il  occupa 
le  trône,  et  ce  reproche  est  très-grave  à  nos  yeux< 
c'est  d'avoir  compromis  l'existence  de  son  royaume 
par  son  impolitique  coalition  avec  le  roi  de  France. 
Ses  intérêts  étaient  de  l'autre  côté  des  Pyrénées ,  quoi 
qu'en  aient  dit  les  historiens  de  Languedoc  pour  le 
justifier.  En  faisant  céder  à  son  ressentiment  contre 
son  frère  les  devoirs  que  lui  imposaient  sa  position , 
les  liens  du  sang  et  les  obligations  qu'il  avait  con- 
tractées envers  son  suzerain ,  toutes  forcées  qu'elles 
étaient,  il  s'exposa  à  perdre  pour  toujours  sa  cou- 


192  LIVRE   DEUXIÈME. 

ronne  mal  affermie,  et  contribua  par  là  aux  malheurs 
qui  affligèrent  son  peuple  dans  le  cours  de  la  guerre 
injuste  des  Français.  Il  était  hoi^s  d*état,  il  est  vrai, 
d'opposer  une  résistance  efiicacc  à  la  multitude  guer- 
rière qui  accompagnait  Philippe  le  Hardi;  mais  dans 
ce  cas,  et  au  mépris  du  prétexte  sacré  dont  il  pouvait 
couvrir  sa  félonie ,  il  devait  subir  la  loi  de  la  néces- 
sité et  rester  tout  au  moins  neutre  de  sa  personne , 
au  lieu  de  former  une  alliance  que  repoussaient  la 
droiture  et  la  justice ,  non  moins  que  les  liens  du  sang 
et  Tintérêt  réel  de  ses  sujets.  Ceux-ci  n'auraient  pas 
souffert  plus  qu  ils  ne  souffrirent  de  la  présence  des  ^^  j 
Français,  qui,  ainsi  qu'on  la  vu,  les  traitèrent  moins  ^a^  < 
en  alliés  quen  ennemis;  et  véritablement  les  affec es- 
tions des  Roussillonnais,  placés  entre  les  Catalans 
les  Français,  étaient  toutes  pour  les  premiers.  En 
rachant  donc  de  l'histoire  de  Jayme  cette  page  pewLjr^u 
glorieuse  à  sa  mémoire,  le  reste  de  sa  vie  ne  montre^^^^ 
plus  quun  roi  dont  la  douceur  et  le  caractère  hu — -^- 
main  et  bienfaisant  s'attachèrent  à  rendre  son  peuples  Je 
heureux. 

Nous  allons  examiner  maintenant  quelques-uns  de^s-*^^ 
actes  de  son  administration  dont  il  ne  nous  a  pas  ét&^  — ^ 
possible  de  nous  occuper  dans  le  cours  de  son  règne.  '^^* 

Chacune  des  portions  dont  se  composait  le  royaum< 
de  Majorque  se  trouvant  régie  par  ses  coutumes 
ticulières  ou  par  les  constitutions  générales  de  Cata 
logne,  Jaymc  eut  peu  à  faire  comme  législateur;  Scr  H 


^e 


CHAPITRE  TROISIÈME.  193 

l'eut  guère  à  s'occuper  que  d'ordonnances  r^emen- 
aires  pour  le  maintien  de  la  police  ou  pour  des  in- 
érets  de  simple  locdité.  C'est  ainsi-  que,  complé- 
ant  ce  que  son  aïeul  et  Alphonse  II  avaient  &it  pour 
^établir  l'ordre  en  Roussillon,  il  avait,  n'étant  encore 
p'infant,  rendu  les  viUes  et  villages  de  ses  futurs 
^tats  responsables  des  vols,  incendies  et  autres  crimes 
^nunis  clandestinement  sur  leur  territoire  dans  l'é- 
endue  d'un  certain  rayon ,  tant  par  mer  que  par  terre, 
es  obligeant  d'en  payer  la  valeur,  si  c'était  vol  ou  in- 
»ndie ,  ou  la  somme  k  laquelle  le  crime  était  sus- 
^ptible  d'être  composé,  s'il  était  d'une  autre  espèce  : 
^'était  le  moyen  le  plus  sûr  d'éveiller  la  sollicitude 
les  habitants  et  la  surveillance  des  magistrats.  Pour 
kvoriser  la  vente  du  vin  du  Roussillon  et  du  terroir 
le  Perpignan  en  particidier,  Jayme  établit  un  système 
prohibitif  dans  un  double  rayon  :  nul  étranger  n'en 
pouvait  introduire  en  Roussillon  ni  en  Confient ,  et 
nul  habitant  de  ces  comtés  n'en  pouvait  introduire 
lans  Perpignan,  tout  vin  à  vendre  dans  cette  ville  dé- 
liant y  être  fabriqué  intra  mnros;  il  leur  était  permis 
cependant  de  faire  entrer  dans  la  ville  les  vendanges 
de  quelque  lieu  que  ce  fut  pour  y  être  vinifiées.  La 
raison  de  cette  différence  était  le  droit  que  le  roi  per- 
cevait sur  ]a  vinification. 

Parmi  les  autres  édits  de  ce  prince,  on  en  trouve 
vn,  du  i"  septembre  1 288,  par  lequel  il  s'efforce  de 
rassurer  les  marchands  qui  fréquentaient  les  foires 

I.  i3 


\ 


m  LIVRE  DEUXIÈME, 

de  Perpignan  et  qii*effiray  aient ,  soit  lee  eiactnro,  usk 
le  danger  des  routes.  Le  prince  veut,  dit-i,  qfae  toute 
personne  qui  y  viendra  puisse  y  rester  et  i*en  fe- 
tourner  sauve  et  en  toute  sécurité ,  avec  tous  ses  effets 
et  marchandises  ^  H  défend  de  contracter  en  toute 
autre  monnaie  que  celle  de  Barcelone ,  et  détermine 
le  rapport  du  tournois  d'argent  de  France  avec  le  d 
nier  de  Barcelone;  ce  rapport  est  de  seixe  déni 
pour  ]a  valeur  du  tournois ,  et  de  douze  tommois 
la  valeur  d'un  florin  d'or.  A  la  suite  de  cet  édit,  ) 
bailli  royal  fit  publier  une  ordonnance  par  laquelle 
est  enjoint  aux  marchands  détaillants ,  à  qui  on 
acheté  pour  la  valeiu*  de  huit  deniers  et  à  qui  on 
sentera  en  payement  un  tournois  d'argent,  d'uvoir        i 
rendre  le  surplus  k  l'acheteur,  jusqu'à  c(»iciirrmc=:3e 
des  seize  deniers ,  valeur  du  tournois  ;  mais  m  Fnnh     m 
ne  s'élève  pas  à  cette  somme  de  huit  deniers,  fael^t^^ 
teur  aura  à  s'arranger  avec  lui  comme  pour  totifcr^e 
autre  dette. 

Un  autre  édit  du  18  avril  i^gti  prouve  que      Is 
manie  de  se  ruiner  pour  chercher  la  pierre  philoap-^ 
phale  avait  pénétré  en  Roussillon.  Jayme  défende:     i 
toute  personne  d'essayer  de  faire  de  l'or  par  olâiyTwrwie 
ou  autrement ,  sous    peine  d'être  considéré  comnie 
faux  monnayour^.  Ce  prince  créa  tout  ce  qui  devait 
concourir  à  l'administration  de  son  royaume,  rftgJa 

'   Liber  ordinal,  ex  archiv.  municip. 
•  Liber  vind.  minor.  in  archti).  municip. 


CHAPITRE  TROISIÈME.  195 

s  devoirs  de  chacun  et  fixa  la  manière  de  procéder 
uEls  Tarrentenitent  de»  biens  du  domaine  royal. 
Jayme  avait  eu  avec  Gaston,  comte  de  Foix,  son 
nreu ,  qudques  discussions  au  sujet  de  leurs  juri- 
ction»  respectives  sur  la  Cerdagne  et  le  Capcir 
une  part,  et  d'autre  part  sur  le  Savartès  et  le  Do- 
aan  ;  mais  ces  différends  se  terminèrent  le  1 5  juillet 
ioU  par  un  arbitrage  laissé  au  jugement  de  Pierre 
!  Fenouillet  et  du  vicomte  de  Narbonne.  Ce  dernier 
ait  venu  à  Perpignan  pour  s'entendre  avec  le  roi  de 
iajorque  sur  quelques  difEicultés  accompagnées  de 
lies  de  £atit  qui  s  étaient  levées  à  la  frontière  au 
Jet  de  la  leude  payaUe  par  les  sujets  n^jorquins  à 
iichevèque  de  Narboime  et  à  ce  vicomte.  Ces  deux 
biftres  avaient  déjà  été  appelés  à  signer  aussi  conune 
moins  dans  le  don  que  le  roi  de  Majorque  avait  fait, 
t  mois  de  juin  de  cette  même  année  1 3o/i»  au  pro- 
ireur  du  comte  de  Foix,  du  château  de  Lez,  dans  la 
[comté  de  Castelbon  :  l'investiture  en  fut  faite  dans 
:  chambre  royale  du  château  de  Perpignan  par  un 
tpuchon  que  le  roi  Jayme  mit  sur  la  tête  de  ce  pro- 
ureur^ 

Les  difficultés  qui  existaient  entre  les  rois  de  France 
fli»  Majorque  au  sujet  de  Montpellier  et  du  château 
le  Lates,  et  qui  n'avaient  pu  être  conciliées  dans 
'entrevue  que  ces  deux  princes  et  le  roi  d'Aragon 
I valent  eue  à  Toulouse ,  l'avaient  été  un  peu  plus  tard 

'  Hiit.  gèn.  de  Long,  tom.  IV. 

i3. 


> 


196  LIVRE   DEUXIÈME, 

dans  une  autre  entrevue  que  Philippe  le  Hardi  et 
Jayme  avaient  eue  au  lieu  de  Palairac  en  iiSS. 
Jay me  reconnut ,  par  acte  du  1 8  août ,  que  Montpel- 
lier, le  château  de  Lates,  Omeillas  et  généralement, 
tout  ce  qu'avait  possédé  Guillaume  de  MontpeUier,  ,^^  - 
appartenait  au  royaume  de  France  et  à  la  mouvanccg,^^ 
de  réglise  de  Maguelonne,  et  en  i3o5  intervint 
nouveau  traité  entre  ce  prince  et  Philippe  le  Bel, 
la  possession  en  commun  et  en  pariage,  de  cette  mêm^, 
ville  de  Montpellier  et  du  château  de  Lates. 

Pendant  le  règne  de  Jayme  I*  les  rois  d*Ârago^^n 
rendirent,  dans  les  corts  de  Catalogne,  diverses 
donnances  qui  étaient  également  applicables  au 

1189.       sillon.  L'une  de  ces  ordonnances  assujettissait  to' ut 

médecin  et  chirurgien  à  un  examen  préalable  aVa^—  nt 
de  pouvoir  être  admis  à  la  pratique  de  son  art;  mètÊ^mae 
disposition  pour  les  avocats  et  les  notaires.  Une 
ordonnance,  non  moins  importante  pour  la  police 
la  navigation,  prescrit  que  toutes  les  fois  que  desc» 
saires  aborderaient  avec  des  prises  dans  l'un  des  po-  :^t^ 
des  royaumes  d'Aragon  ou  de  Majorcjue,  on  les  ^cdé- 
tiendrait  jusqu'à  ce  qu'on  eût  acquis  la  certitude  c^tj^ 
ces  prises  avaient  été  faites  loyalement  et  de  borm^ne 
guerre.  Au  cas  contraire,  ou  si  les  navires  captiK-vés 
provenaient  de  nations  avec  lesquelles  Aragon  et  ^4a- 
jorque  étaient  en  paix,  les  bâtiments  capturés  devaient 
être  restitués  à  ieuis  propriétaires. 

Une  vente  d'esclaves  maures,  que  nous  trouvons 


CHAPITRE  TROISIÈME.  197 

àite  à  Perpignan  en  1297,  ^^^^  amène  à  parier  de 
;ette  classe  de  captifs.  Comme  les  esclaves  chrétiens 
>u  ser£s,  les  Maures  pris  à  la  guerre  étaient  vendus 
lubliquement  sur  les  tables  du  marché  par  ceux  qui 
Lvaient  le  privilège  de  tenir  ces  tables.  Le  prix  se  dé- 
battait de  gré  à  gré,  et  le  vendeur  devait  affirmer  et 
e  rendre  garant  que  lliomme-marchandise  qu'il  ex- 
K)sait  en  vente  provenait  de  bonne  guerre ,  et  n*avait 
tté  pris  ni  par  embûches  ni  par  fraude  :  dans  ce  cas , 
'esclave  aurait  été  remis  en  liberté. 

Pour  pouvoir  distinguer  les  esclaves  maures  des 
ier£s  chrétiens  y  qui  les  uns  et  les  autres  devaient  porter 
es  cheveux  courts,  Jayme  II,  par  édit  rendu  aux 
x>rts  de  Barcelone  de  1291,  assujettit  les  premiers 
i  tailler  ces  cheveux  en  cercle  autour  de  la  tête,  sous  . 
[>eine  de  cinq  sous  d'amende  ou  dix  coups  de  fouet. 

D  après  les  constitutions  de  Catalogne ,  les  méfaits 
envers  les  esclaves  maures  étaient  amendés  comme 
l'esclave  à  patron,  et  leur  mort,  suivant  la  valeur  de 
i'esdbve ,  à  raison  des  talents  dont  il  était  doué.  C*est 
k  raison  de  ces  talents,  qu'en  achetant  ces  esclaves 
on  prenait  toutes  les  sûretés  possibles  pour  garantir 
hoa  acquisition,  et  qu'on  ne  négligeait  aucune  pré- 
caution pour  la  rendre  vahde.  Un  contrat  de  vente 
de  ce  genre  nous  montre  que  l'épilepsie  et  l'inconti- 
nence d'urine  étaient  des  cas  rédhîbitoires  ^ 

Les  esclaves  maures  avaient  un  pécule  sur  leurs 

'  Voyez  aux  preuves  n"  XV. 


198  LIVRE  DEUXIÈME. 

travaux,  cl  c'est  sur  ce  pécule  qu'ils  deraient  payei 
les  amendes  et  les  frais  auxquels  ils  pouvaioit 
condamnés,  pour  fuite,  pour  évasion  ou  pour  tout 
autre  délit.  Dans  le  cas  d'évasion,  l'amende  était 
portionnée  k  la  longueur  de  la  distance  parcourue 
l'esdave  depuis  le  point  de  départ  jusqu'à  celui  o&  £9^  fl 
avait  été  arrêté.  Pour  l'esdave  fugitif  de  ia 
logne,  si  l'arrestation  avait  lieu  avant  qu'il  eût 
versé  le  Lobregat,  il  était  tenu  de  payer  à  son  mail 
un  mancus  d'or  qui  était  la  septième  partie  d'une 
Du  passage  du  Lobregat  jusqu'à  Francolin  la  peiirme 
était  de  trois  jnancns  et  demi;  après  Francolin, 


même  peine  était  d'une  once  d'or,  outre  le  prix  d c« 

fers  et  du  vestiaire  qui  étaient  toujours  à  la  chai]ge  ^Hde 
l'esclave.  Pour  le  Roussillon,  outre  les  amendes 
portionnelles,  il  y  avait  encore  les  frais  d'airestatii 
que  nous  trouvons  tarifés  dans  le  style  de  la  cour  i^du 
vîguier,  frais  qui  se  payaient  également  de 
côté  des  Pyrénées ,  mais  dont  le  taux  n*est  pas  6 
connaissance.  Si  Tcsclave  fugitif  était  arrêté  dans       Je 
ressort  des  viguerics  de  Roussillon  ou  de  VaUespir  -^  3 
devait  être  remis  au  viguier,  qui  le  retenait  jusqu'à      ^ 
que  son  maître  eût  payé  le  droit  des  eaux,  c'est-à-d  ire 
un  morabotin  pour  Veau  à  la  glace  par  chaque  lieue  j^-  ^^ 
courue  par  Tesclave  depuis  son  point  de  départ  j 
qu'à  celui  de  son  arrestation  ^ 


*  Lo  drcl  de  les  aygues,  ço-es,  hun  inoraboti  pcr  ayga  neval,  «^'■"p" 
tant  del  loch  ont  son  fugits  al  loch  ont  son  trobats.  Stil  de  la  cori  deE     wy* 


CHAPITRE   TROISIÈME.  199 

Là  sortie  des  esclaves  maures  de  Roussilion  pour 
France  était  prohibée,  et  des  aïoendes  très -fortes 
étaient  j^noncéies  contre  ceux  qui  se  seraient  livrés 
ï  ce  genre  de  contrebande.  Ceux  de  ces  mêmes  e»- 
elaves  qui  avaient  encouru  la  peine  de  mort,  pour  im 
orime  quelconque ,  étaient  brûlés*  Ce  supplice ,  poiu* 
i^ux  de  Perpignan,  avait  lieu  au  milieu  de  la  grève 
de  la  Tet.  Gomme  ces  sortes  d^esdaves  étaient  tou- 
jours d'une  assez  grande  valeur,  ce  n'était  que  rare- 
umafL  et  pour  des  crimes  bien  énormes  qu'on  exécu- 
tait à  leur  égard  la  sentenoe  de  mort  Dans  tout  autre 
cas,  le  bailli  royal  arrêtait  cette  exécution  en  con- 
fisquant le  suppUciable  au  profit  du  fisc  :  nous  avons 
pour  preuve ,  en  ce  genre,  un  événement  qui  se  passa 
k  Perpignan  au  xiii*  siècle.  Le  baiUi  ayant  arraché  au 
bûcher  un  nommé  Âli,  le  maître  de  cet  esdave  le 
réclama  comme  sa  propriété.  Sur  l'audition  des  parties 
et  des  témoins  la  cour  du  domaine  rendit  le  jugement 
suivant  :  «  Attendu  qu'il  conste  évîd^oiment  que  ledit 
«S^rasin,  du  npm  d'Ali,  esclave  de  Jean  Redon, 
t  marchand  de  Perpignan ,  a  été  condamné  à  la  mort 
«  cwporelle ,  c'est-à-dire  à  être  brûlé  corporellement 
«à  cause  de  ses  fautes  [propter  démentis)  ^  et  qu'il 
«conste  qu'à  raison  de  cette  condamination  ledit  es- 
u  dave  a  été  placé  par  ladite  cour  royale  dans  le  lieu 
«  de  la  grève  oà  on  a  coutume  de  brûler  ces  sortes  de 
igens;  qu'il  conste  que  ledit  esclave  a  été  relevé  ou 
(  libéré  de  cette  condamnation  par  le  bailli  de  la  ville 


200  LIVRE  DEUXIÈME. 

«de  Perpignan  sans  aucune  solennité  de  droit,  et 
c(  qu'ainsi  il  est  devenu  esclave  du  fisc  ;  à  ces  causes 
«nous  prononçons,  soutenons,  déclarons  par  la  pré- 
«  sente  sentence  que  ledit  esclave,  à  raison  de  cette 
«libération,  a  été  et  est  esclave  de  ce  même  fisc,  et 
«par  conséquent  du  domaine  de  notre  sérénissime 
«seigneur,  le  roi  d'Aragon,  auquel  domaine  nous 
«agrégeons  et  prononçons  être  agrégé  par  le  fait 
«  même  ce  dit  esclave  \  » 

Une  autre  anecdote  que  nous  trouvons  sous  l'aimée 
1296  nous  parait  mériter  d'être  mentionnée,  parce 
qu'elle  montre  l'état  de  liberté  dont  jouissaient  à  cette 
époque  les  populations  af&anchies  de  leur  état  de  ser- 
vitude. Les  habitants  du  Vemet  avaient  été  constitués 
en  communauté  par  le  monastère  de  Saint-Martin  du 
Canigou  dont  ils  étaient  serfs  dès  l'an  isi^i  ^.  E^ 
1296  l'abbé  de  ce  monastère,  ayant  donné  un  festin 
splendide  au  roi  Jayme  et  trouvant  ensuite  que  la  dé- 
pense qu'il  avait  faite  était  très -considérable,  voulut 
en  faire  supporter  une  partie  à  la  population  dont  il 
restait  toujours  seigneur.  Sur  le  refus  que  ceile-ci  fit 
d'y  concomir,  l'abbé  fit  saisir  par  son  bailli  divers  im- 
meubles des  habitants  du  Vemet.  Le  U  des  nones  de 
décembre  la  communauté  fit  présenter  à  l'abbé  par 

*  Arck.  dom. 

*  Nous  avons  parlé ,  dans  l'introduction ,  de  Tacte  de  cet  aflBranchis- 
sement  que  nous  avons  lu  et  qui  a  été  depuis  soustrait  des  archives  de 
la  préfecture  des  Pyrénées-Orientales. 


CHAPITRE   TROISIÈME.  201 

ses  procureurs  une  requête  tendante  k  obtenir  que 
toutes  ces  saisies  fussent  relâchées ,  dédarant  que  si 
le  festin  avait  été  contraint  et  forcé ,  la  communauté 
les  habitants  ne  refuserait  pas  d'en  supporter  une 
partie  de  la  dépense  ;  mais  que  puisqu'il  avait  été  vo- 
lontairement offert  par  l'abbé  au  roi,  qui  l'avait  ac- 
cepté pour  faire  honneur  au  monastère,  les  habitants 
le  devaient  contribuer  en  rien  aux  firais  qu'il  avait 
occasionnés;  ils  menacent  de  s'adresser  à  qui  de  droit 
pour  obtenir  justice  si  les  saisies  ne  sont  pas  res- 
tituées^. 

Une .  rixe  violente  s'éleva  cinq  ans  plus  tard  dans 
se  mêjne  monastère  du  Canigou  entre  les  moines» 
livisés  en  deux  pards,  soutenus  par  des  laïques;  la 
sause  de  cette  rixe  fut  une  accusation  de  simonie  portée 
contre  l'abbé  avec  complot  pour  lui  refuser  l'obéis- 
lance.  Une  bataille  à  coups  de  poings  ayant  eu  lieu  ', 
à  la  suite  de  cette  rixe  des  censures  furent  lancées 
contre  les  dissidents.  Le  pape  Boniface  VIII  fît  in- 
former sur  ce  scandale;  les  laïques  furent  renvoyés 
devant  leur  évêque  poiu*  les  peines  qu'ils  avaient  en- 
courues, et  les  religieux  fiirent  suspendus  de  leurs 
ordres  pendant  un  temps  plus  ou  moins  long  suivant 
leur  degré  de  culpabilité. 

Sous  les  dernières  années  du  règne  de  Jayme  I* 

*  Voyez  aux  preuves  n*  XVI. 

*  L'acte  d'absolution  des  religieux  s'exprime  en  ces  termes  :  Propier 
^iolentam  manuam  injectionem  in  se  ipsos  religiosos.  Ârch.  écoles. 


202  LIVRE    DEUXIÈME. 

avaient  commencé,  contre  les  templiers,  les  perse-  

entions  dont  son  successeur  vit  la  catastrophe.  Get.:^r^d 
ordre ,  qui  s  était  établi  en  Catalogne  dès  Tan  1119 
en  Roussillon  neuf  ans  après,  avait  acquis  dans 
dernier  pays  des  richesses  immenses  par  1«8  lâ»éra--. 
lités  dont  le  comblèrent  à  lenvi  les  comtes,  les  aei — ^^S^^j 
gneuns  et  les  simples  propriétaires.  Sa  prinoipal^^Bi 
mai; on,  â  laquelle  on  donnait  le  nom  de  MaisciK^^csi- 
Dieu,  MaS'Deu,  et  d! Hospice  de  la  milice  rifmTftfinfftïnii  ^mu 
da  temple  de  Salomon,  était  déjà  bâtie  en  1 1 38 ,  ùa^b^^m 
qu'il  résulte  de  Tacte  de  donation  des  dîmes  d^^^es 
champs  au  milieu  desquels  eUe  était  fondée  ^. 

A  répoque  de  Térection  du  royaume  de  MajorquiteLAe, 
les  templiers  de  Roussi]]  on  avaient  élevé  des  prètec^sn- 
(ions  sur  la  juridiction  entière  des  villes,  lieux  et 

terres  quelconques  du  Roussillon ,  Vallespir,  Confli-  ^t 
et  Cerdagne  ^.  Cette  ridicule  prétention,  qu*3s  fb^^- 
daient  siu*  des  privilèges  de  Jayme  le  Conquérant        et 

*  Voici  un  extrait  de  Tacle  d'où  nous  tirons  ce  fait  :  «  Nos  Guillclc^^tts 
«  de  Villamolaca  et  OrgoUosa ,  uxor  —  donamus  domino  Deo  et  II        «te 
•  Mariic  et  miliiise  hierosolimitaux  tenipli  Salomonis  et  firatribos  ânc^^Heni 
<  servicntibus  praesentibus  et  fuUiris,  ipsam  decimani  quam  ego  GotB^Biei- 
«mus  janidictas  habebam  et  demandabam  in  ipso  campo  in  (po  est      ~l<in 
«sdificatus  et  constructus  mansus  supra  dictas  militiae  bierosolimiSc^-iaiie 
«qui  appellatur  a  militibus,  mansio  dei,  etc.  Exarck,  eccles,* 

Les  recbcrcbcs  spéciales  de  M.  P.  Puigari  lui  ont  fait  conniStr^-    que 
cette  construction  date  do  Tan  1 1 33.  Le  5  des  nones  d'octobre  i  i^^i  k 
seigneur  de  Banyuls-dels-Asprcs  avait  fait  don,  aux  premien  ieap^^iers, 
d'une  métairie  au  terroir  de  ce  lieu.  Puhlicat.  du  23  mon  iS33. 

*  Voyt'z  aux  preuves  u*  XV L 


CHAPITRE  TROISIÈME.  20S 

de  ses  prédécesseurs ,  donna  lieii  à  cette  époque 
k  des  contestations  que  vint  tenniner  une  sentence 
arbitrale  rendue ,  le  6  des  ides  de  décembre  i  n  7 1 , 
par  GérsSd,  abbé  de  Saint-Paul,  de  Naii>onne,  et 
Gau^eift  de  Voeonaco ,  abbé  ée  Saint-Félix ,  de  Gi- 
rcme ,  chargés  par  les  parties  de  vider  le  différend. 
Cette  sentence  réduisît  les  prétentions  des  templiers  & 
la  juridiction  des  seuls  lieux  d'Odes,  Saint-Hippolyte, 
NjIb  et  Tierrats,  san»  vnême  pouvoir  ^connaître  dans 
oes  qua^e  villages  des  crimes  entraînant  la  mort  ci* 
vile  ou  naturelle ,  ou  la  mutilation. 

Les  templiers  n'avaient  pas  su  garder,  au  mflieude 
leur  opulence ,  cette  humilité  ^t  oes  vertus  chrétiennes 
dont  leurs  vœux  monastiques  leur  faisaient  une  loi, 
et  dont  la  pratique  les  avait  mis  d*abord  en  si  grande 
feeommandation.  Devenus  durs ,  fiers ,  orgueilleux  et 
bientôt  redoutables,  leurs  vertus  changées  en  vices 
les  précipitèrent  vers  leur  mine. 

Lorsque  cet  ordre,  accusé  de  crimes  imaginaires 
parce  q[u'on  ne  voulait  pas  articuler  les  véiilables ,  fiit 
condamné  par  les  conciles  de  Vienne  ^  ses  biens  furent 

1  Une  première  buUe  de  Clément  V,  inécUte,  commençant  ainsi, 
Km;  in  esccelsô  aadita  est,  expédiée  du  concile  de  Vienne  (en  Danphiné), 
le  13  mars  i3i  s ,  abolit  Tordre  des  templiers  et  fit  {Procéder  contre  ses 
Hembres.  Non  per  modam  diffinitivœ  sententiœ,  sed  per  modam  prtmsiùnis, 
lisait  S.  S. 

Une  autre  bulie  inédite  du  liième  pape,  donnée  à  Vienne  le  6  mai 

3i  3 ,  supposant  Tordre  des  templiers  éteint ,  ordonne  à  tous  ceux  des 

itrovinces  (les  Français  exceptés)  de  comparaître  devant  leurs  métropo- 


20a  LIVRE  DEUXIÈME, 

donnés  aux  hospitaliers  de  Saint-Jean  de  Jérusalem  \ 
qu'un  acte  de  Tan  1 1 43  qualifie  de  camilana  de  Jern- 
salent  et  de  seniores  de  cavaUaria  ^.  Les  possessions  des 
templiers  dans  les  royaumes  d*Âragon,  de  Majorque, 
de  Gastille  et  de  Portugal  furent  seules  exceptées  de 
cette  loi  commune ,  et  cette  réserve  fut  accordée  aux 
instances  du  roi  d'Aragon,  qui,  dans  Tintérêt  de  la 
sûreté  des  frontières  de  son  royaume,  du  côté  des 
Maures,  demandait  que  ces  biens  fussent  appliqués  i 
un  ordre  religieux  de  même  nature  pour  combattre 
les  infidèles  qui  Tavoisinaient.  Le  pape  Jean  XXJQ  ins- 
titua en  effet,  en  iSiy,  ce  nouvel  ordre  pour  i'Âra- 
g<Mi ,  et  cet  ordre  fut  un  démembrement  de  celui  de 
Galatrava  que  possédait  la  Gastille.  La  forte  place  de: 
Montesa,  dans  le  royaume  de  Valence,  ayant  été  as- 
signée pour  chef-lieu  à  cette  milice,  les  chevaliers 


la  composèrent  prirent  le  titre  de  chevaliers  de  Mon 
tesa.  La  dotation  de  cet  ordre  se  composa  des  bii 
des  templiers  situés  dans  le  royaume  de  Valence 
lement,  en  y  adjoignant  ceux  qu'y  possédaient  m 

liiains  respectifs,  afin  d'être  jugés  dans  les  conciles  provinciaux,  pi 
s'ils  sont  coupables,  et  absous  s'ils  sont  innocents;  donnant  pouvoir  a' 
dits  conciles,  en  définitive,  de  leur  assigner  une  portion  congrue 
les  biens  dudit  ordre.  Ex  Ârch.  retf.  Barchin.  Reg.  templariorum,  f< 
33  et  35. 

^  Ceci  fut  ordonné  par  une  bulle  du  pape  Jean  XXII,  donnée 
Avignon  le  lo  août  1317.  Fr.  Martin  Ferez  de  Oros,  châtelain  dV 
posta,  fut  chargé  de  recevoir  les  biens  des  templiers. 

'  Àrck.  eccles. 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  207 

ets  d'Aragon.  Ce  traité  ayant  été  maintenu  par 
rme  II,  les  Catalans  et  les  Aragomiais  qui  se  trôu- 
iofit  dans  cette  île ,  et  que  Frédéric,  resté  tOHJouis 
en  dépit  de  tout  possesseur  de  la  courcmne,  île 
avait  plus  entretenir  avec  la  même  magnificence, 
:aient  jetés  sur  des  vaisseaux  et  faisaient  la  course 
itre  les  bâtiments  sartasii»',  sains  respecta:,  à  dé- 
À  de  ceux-ci,  les  navires  marchands  des  autres 
dons.  Ne  connaissant ,  depuis  lôngtempe ,  d'autre 
isir  que  cehii  de  la  vie  licencieuse  des  camps ,  et 
voulant  pas  ensevelir  leur  bouâlante  activité  dans 
isive  retraite  de  leurs  terres  natale»,  ils  attendaient 
^casion  de  reprendre  leur  métier  favori,  quand 
Tuption  des  Turcs  dans  Tempire  des  Grecs  viùt  la 
re  naitre.  Andronic  les  appela  à  son  secours,  et  ne 
da  pas  à  s'en  repentir  :  ils  devinrent  ses  pkis  dasi- 
"eux  ennemis.  Après  diverses  vicissitudes  et  aprè» 
3ir  rempU  de  la  terreur  du  nom  catalan  le  vieux 
ipûre  d'Orient,  ces  Occidentaux,  qu'on  désignait 
i»  le  n(»ii  unique  de  Catalans,  quoique  ce  fût  un 
tlange  d'Âragonnai»,  de  Catalans  et  de  Roussîllon* 
is  marchant  tous  sous  lem*  bannière  distincte,  fuirent 
pelés  au  secours  d'Athènes  par  Gauthier  de  Briemïe 
l  en  était  duc.  Gauthier  n  eut  pas  plus  qu* Andronic 
^'applaudir  de  ses  hôtes.  Bientôt  forcé  de  prendre 
armes  contre  eux ,  il  périt  dans  la  bataille  avec  les. 
)t  cents  chevaliers  qui  l'accompagnaient.  A  cette 
Dque  les    divisions  intestines  qui  avaient   échté 


20d  LIVRE  DEUXIEME. 


mm 


CHAPITRE  IV. 

Let  ûnrians  en  Grèce.  -^  Sanche,  roi  de  Mâjoiqas.  -**-  Dit 
ficullés  ayec  le  roi  de  France  au  sujet  de  MoQtpdlitrr-— el 
avec  le  roi  d*Aragon  au  sujet  de  rhommage.  —  Mort  de 
Sanche.  —  Difficultés  à  ravénement  de  Jayme  II  au  trône. 
—  Révolte  à  Perpignan  contre  le  régent.  —  Jayme  II  com- 
merçant.  — —  Léproseries. 

sueiM.  L'aîné  dee  enfants  de  Jayme  I**  avait  renoncé  à  aei 

M*JoniM-  j|.oits  è  la  couronne  pour  embrasser  Tétat  mimas- 
tique;  le  second,  don  Sanche,  lui  succéda. 

Pendant  que  ce  prince,  dune  humeur  douce  et 
pacifique,  s'étudiait  à  conserver  k  ses  peuples  une 
tranquillité  dont  ils  avaient  un  si  pressant  besoin,  et 
que,  dans  cet  intérêt,  si  puissant  dans  le  cœur  d*unbon 
roi ,  il  ne  faisait  aucune  difficulté  de  rendre  au  roi  de 
France  rhommage  pour  les  fiefs  qu'il  tenait  de  lui  en 
Languedoc,  et  au  roi  d'Aragon  celui  pour  les  états  dé- 
membrés de  TAragon  sans  avoir  recours  à  de  vaines 
protestations  tacites,  son  second  frère,  don  Femand, 
parcourait  la  carrière  la  plus  aventureuse  au  milieu 
des  hasards  de  la  guerre  au-devant  desquels  son  na- 
turel belliqueux  lavait  toujours  précipité. 

Par  le  traité  conclu  entre  Alphonse  III,  roi  d'Ara 
gon ,  et  le  roi  de  Sicile  de  la  maison  de  France,  l 
premier  s'était  obligé  à  faire  vider  la  Sicile  à  tous  1 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  207 

sujets  d'Aragon.  Ce  traité  ayant  été  mnntenu  par 
Jayme  H,  les  Catalans  et  les  Aragonnais  qui  se  trou* 
iFaiofit  dans  cette  île ,  et  que  Frédéric,  resté  toHJouvt 
et  en  dépit  de  tout  possesseur  de  la  couiùnne,  île 
pouvait  plus  entretenir  avec  la  même  magnificence, 
s'étaient  jetés  sur  des  vaisseaux  et  faisaient  la  course 
contre  les  bâtiments  sarifasins',  sains  respecta,  à  dé- 
duit de  ceuitci ,  les  navires  marchands  des  autres 
nations.  Ne  connaissant,  depuis  lôngtempe,  d'autre 
plaisir  que  cehii  de  la  vie  licencieuse  des  camps ,  et 
ne  voulant  pas  ensevelir  leur  boaUlante  activité  dans 
l'oisive  retraite  de  leurs  terres  natale»,  ils  attendaient 
l'occasion  de  reprendre  leur  métier  favori,  quand 
l'irruption  des  Turcs  dans  l'empire  des  Grecs  vîM  la 
£âfe  naitre.  Andronie  les  appela  à  son  secours ,  et  ne 
tarda  pas  à  s'en  r^entir  :  ils  devinrent  ses  plus  dasi- 
^creiu  ennemis.  Après  diverses  vicissitudes  et  aprè» 
avoir  rempU  de  la  terreur  du  nom  catalan  le  vieu, 
empire  d'Orient,  ces  Occidentaux,  qu'on  désignait 
sous  le  nom  unique  de  Catalans,  quoique  ce  fut  un 
Hiélaiige  d'Aragcmnaia,  de  Catalans  et  de  Roussillon* 
nais  marchant  tous  soua  leur  bannière  distincte^  fuirent 
appelés  au  secours  d'Athènes  par  Gauthier  de  Briemïe 
^i  en  était  duc.  Gauthier  n'eut  pas  plus  qu'Andronic 
é  s'applaudir  de  ses  hôtes*  Bientôt  forcé  de  prendre 
les  arme»  eonU*e  eux ,  il  périt  dans  la  bataille  avec  leà 
sept  cents  chevaliers  qui  l'accompagnaient.  A  cette 
époque  les    divisions  intestines  qui  avaient  échté 


208  LIVRE   DEUXIEME. 

parmi  les  che&  des  Catalans ,  ayant  fait  périr  les  uns 
et  forcé  les  autres  de  s* éloigner,  il  arriva  un  cas  aussi 
bizarre  que  singulier,  c'est-à-dire  que  les  vainqueurs 
allèrent  diercher  un  chef  dans  les  rangs  des  vaincus  : 
sur  les  sept  cents  chevaliers  qui  accompagnaient  1^ 
duc  d'Athènes  dans  la  funeste  bataille  qu'il  livra  aux 
Catalans ,  deux  seuls  avaient  échappé  à  la  mort,  l'un 
Italien,  lautre RoussiUonnais.  Sur  le  refus  du  premier, 
le  commandement  de  la  horde  catalane  ayant  été  of- 
fert au  second,  celui-ci,  nommé  Roger  Desiau,  l'ac- 
cepta ,  et  il  régit  le  duché  d'Athènes  au  nom  du  roi  de 
Sicile  de  la  maison  d'Aragon  dont  les  Catalans  ne  ces- 
sèrent jamais  de  reconnaître  l'autorité. 

Instruit  des  divisions  qui  désolaient  l'armée  cata- 
lane, Frédéric  avait  cru  pouvoir  en  réunir  tous  les 
che&  sous  le  commandement  d'un  prince  de  son 
sang,  et  il  avait  envoyé  à  leur  tète  l'infant  de  Ma- 
jorque,  ce  Femand,  troisième  fils  de  Jayme  I*,  que 
Tamour  de  la  guerre  avait  dès  longtemps  attiré  en 
Italie.  Mais  Femand,  ne  pouvant  ramener  à  lui  ceux 
de  ces  chefs  qu'un  caractère  indomptable  et  une  ri- 
valité d'ambition  éloignaient  de  toute  dépendance , 
reprit  la  route  de  l'Italie  et  tomba  au  pouvoir  des 
Français  devant  l'île  de  Négrepont  par  la  trahison  des 
Vénitiens.  Rendu  ensuite  à  la  liberté,  il  revint  en 
Roussiilon,  d'où  il  repartit  bientôt  sur  la  nouvelle  que 
la  guerre  allait  se  rallumer  au  fond  de  l'Italie. 

Sanche,  second  roi  de  Majorque,  avait  épousé  em- 


CHAPITRE  QUATRIEME.  209 

1 3o/i,  à  GoUioure,  la  princesse  Marie,  fille  de  Charles, 
roi  de  Sicile  ou  plutôt  de  Naples ,  puisqu'il  porta  cette 
couronne  et  n*eut  jamais  lautre.  Ce  prince  eut  d'a- 
bord avec  Philippe  le  Bel  quelques  difficultés  au  sujet 
de  Montpellier,  dont  le  roi  de  France  avait,  en  1292, 
acheté  la  propriété  de  1  evêque  de  Maguelonne  ;  mais 
ces  difficultés  s  étant  terminées  à  Tamiable,  le  nou- 
veau roi  de  Majorque  prêta  Thommage  au  monarque 
français,  et  bientôt  après  il  reçut  lui-même ,  dans  Per- 
pignan, celui  du  comte  de  Foix  pour  le  Donezan  et  isis. 
le  Capcir,  et  pour  ce  qu'il  possédait  en  Cerdagne.  A 
lavénement  de  Louis  le  Hutin  à  la  couronne,  de  nou- 
velles questions  s' étant  élevées  sur  la  souveraineté  de 
cette  même  ville  de  Montpellier,  que  ce  prince  pré-  ,3,5. 
tendait  posséder  en  entier,  le  roi  de  Majorque  fut 
cité  devant  le  parlement  de  Paris.  A  cette  nouvelle ,  le 
roi  d'Aragon,  protecteur  naturel  du  royaume  de  Ma- 
jorque, au  titre  de  sa  suzeraineté,  nomma  pour  aller 
plaider  les  droits  de  son  feudataire ,  don  Guereau  de 
Rocaberti  et  don  Lopez  Martin  de  Rueda,  qui  étaient 
à  Girone  quand  parvint  la  nouvelle  de  la  mort  de 
Louis.  Le  roi  de  Majorque,  assigné  de  nouveau  par 
Philippe  le  Long ,  qui  avait  repris  les  prétentions  de 
Louis,  partit  de  Perpignan  pour  Paris  pendant  que  le  ,3,-. 
roi  d'Aragon  y  envoyait  lui-même  don  Ferrer  de  Vil- 
iafranca,  viguier  de  Barcelone,  et  don  Sancbo  San- 
chez  de  Munos,  juge  de  sa  cour.  Ces  ambassadeurs 
exposèrent  au  roi  de  France  que  Jayme  le  Conquérant 
1.  1  f\ 


210  LIVHE   DEUXIÈME, 

et  ses  successeurs  avaient  possédé  sans  contestation  la 
moitié  de  la  ville  de  Montpellier,  dont  la  se^neune 
était  du  domaine  de  rAragon ,  et  que ,  bien  qu'à  raîiOD 
de  quelques  services  rendus  par  le  roi  de  France  & 
Jayme  I",  roi  de  Majorque,  le  premier  prétendit  avoir 
acquis  des  droits  sur  ce  domaine ,  ces  droits  ne  pou- 
vaient dans  aucun  cas  préjudicier  à  ceux  que  le  roi 
d*Aragon  tenait  de  sa  suzeraineté  ^ 

Suivant  les  auteurs  de  T histoire  de  Languedoc,  le 
roi  de  France,  par  seul  égard  pour  le  pape,  dont 
Sanche  en  passant  par  Avignon  avait  reçu  des  lettres 
de  recommandation,  se  serait  désisté  de  ses  pour- 
suites et  des  prétentions  qu'il  avait  élevées  :  nous 
n*hésitons  pas  à  dire  qu  ils  se  trompent.  En  matière 
de  juridiction  de  certaine  importance ,  jamais  recom- 
mandation, quelque  puissante  qu*on  la  suppose,  n*a 
fait  abandonner  des  droits  avérés.  Si  Philippe  renonça 
à  ses  prétentions,  cest  qu  il  fut  forcé  de  se  rendre  à 
révidence  des  raisons  du  roi  d'Aragon.  Le  proete 
entamé  contre  don  Sanche  à  la  cour  du  parlement 
fut  suspendu,  et  le  roi  de  France  envoya  lui-même 
des  ambassadeurs  à  Perpignan  pour  terminer  tous 
les  différends  :  c'eût  été  là  pousser  bien  loin  la  con- 
descendance pour  la  recomnjandation  du  pape  si 
celte  recommandation  seule  avait  décidé  le  roi  de 
France  à  transiger. 

Le  frère  du  roi  de  Majorque,  don  Femand,  était 

'   Zurita. 


CHAPITRE   QUATRIÈME.  211 

parti  aux  premiers  bruits  d'une  nouvelle  guerre  en 
Italie ,  et  sacrifiant  h  l'amitié  les  liens  de  parenté  qui 
Tunissaient  au  roi  de  Naples ,  son  beau-frère ,  il  s'était 
rendu  auprès  de  son  adversaire.  En  indemnité  des 
dépenses  qu'il  avait  faites  pour  lever  une  troupe  nom- 
breuse de  chevaliers  de  Majorque  et  de  Rbussillon , 
Frédéric  lui  donna ,  à  titre  viager,  la  ville  de  Gatane 
avec  un  revenu  de  deux  mille  onces  d'or  de  rente 
sur  le  trésor  royal  ^.  Le  mariage  que  ce  prince  con- 
tracta deux  ans  après  avec  l'héritière  de  la  princi- 
pauté de  Morée,  occupée  alors  par  le  prince  de  Ta- 
rente,  frère  du  roi  Robert,  lui  fournit  l'occasion  de 
se  livrer  à  ses  goûts  belliqueux  par  la  nécessité  d'aller 
conquérir  cet  héritage.  Pendant  qu'il  faisait  ses  pré- 
paratifs, sa  femme  donna  le  jour,  dans  Gatane,  à  un 
prince  qui  fiit  Jayme  II ,  dernier  roi  de  Majorque  : 
cette  naissance  est  du  5  avril  i3i3.  La  princesse  de 
Morée  ayant  succombé  peu  de  mois  après  sa  déli- 
vrance, Femand,  qui  ne  voulait  pas  laisser  son  fils 
en  Sicile,  chargea  son  ami,  Raymond  Muntaner,  de 
l'emporter  à  Perpignan.  La  relation  que  ce  chevalier 
dironiqueur  nous  a  laissée  de  ce  voyage  est  remar- 
quable par  les  détails  et  curieuse  par  la  connaissance 
qu'elle  nous  donne  des  mœurs  et  du  cérémonial  de 
cette  époque^. 

Femand  se  rendit  maître  de  la  Morée  et  épousa 
en  seconde  noces  la  fille  du  roi  de  Ghypre  dont  il  eut 

»  Ziirita.  —  *  Voyei  la  note  xvii. 

i4. 


1. 

'SI 


"i*^'  i^  Foi».  «  "'^'^Aie  p."»""*  V,nW'«  *" 

«nd«"*'"l!„ae,^-.tl.e «ece^-t;:;*».* 


»»'""'       avant  «•"^"rL.t  \«  ï^""',.,  »!«"» 
de  S«da*' ',  ..  .»-•  1„  a„  r»  de  *>  ^^„. 


CHAPITRE   QUATRIÈME.  213 

gageait  à  se  méfier  des  conseils  qiii  tendaient  à  sa 
mine,  et  Texhortait  à  se  concilier  la  bienveillance 
de  don  Jayme  par  une  conduite  franche  et  loyale  ^. 
Sanche ,  dont  le  caractère  faible  et  pacifique  redoutait 
toute  discussion,  suivit  Tavis  qu'on  lui  donnait  et  fit 
partir  sur-le-champ  pour  Barcelone  Guillaume  de 
€anet,  Tun  de  ses  principaux  barons,  et  Nicolas  de 
Saint-Just,  son  trésorier,  pour  resserrer  les  liens  de 
bonne  amitié  avec  le  roi  d'Aragon ,  lui  offrir  ses  ser- 
vices et  répondre  de  sa  présence  aux  eorts.  Sur  cette 
assurance  Jayme,  au  lieu  de  réunir  les  corts  à  Bar- 
celone, les  convoqua  à  Girone  pour  que  son  oncle, 
qui  était  à  Perpignan ,  eût  moins  de  chemin  à  faire. 
Sanche  s'y  rendit  en  effet  et  contribua  de  vingt-cinq 
mille  livres  et  de  vingt  galères  à  l'expédition  de  Sar- 
daigne. 

Sanche  mourut  sans  postérité,  le  k  septembre  iz^k- 
i3q&,  à  Formiguères,  dans  le  Capcir,  où  il  était  allé 
chercher  un  abri  contre  les  chaleiu's  de  l'été.  Son 
corps  fut  rapporté  à  Perpignan  et  inhumé  devant  le 
maître- autel  de  la  vieille  église  de  Saint-Jean.  Son 
fi^re  aîné,  l'infant  don  Philippe,  qui  avait  renoncé 
au  trône  pour  embrasser  les  ordres  sacrés  et  qui 
mourut  cardinal  de  Tournay,  fut  enterré  par  la  suite 
au  coin  gauche  de  ce  même  autel. 

Le  défimt  roi  de  Majorque  laissait  après  lui  une 
grande  réputation  de  franchise  et  de  justie  :  «  Jamais , 

'  Ziirita. 


214  LIVRE   DEUXIÈME. 

«  dit  Muntaner,  ce  prince  n  eut  en  soi  ni  rancune  ni 
«  colère  contre  son  prochain;  »  or,  cela  ne  veut^il  pas 
dire  qu'il  fut  faible,  pusillanime,  et  incapable  de  ja- 
mais prendre  une  détermination  vigoureuse?  Cette 
timidité  lui  faisait  éviter  avec  grand  soin  toute  occa- 
sion de  compromettre  son  repos ,  et  il  est  plus  que 
douteux  que  si  le  conseil  qu  on  lui  avait  donné  de 
résister  au  roi  d'Aragon  avait  prévalu  dans  son  esprit 
il  eût  trouvé  dans  son  caractère  assez  d'énei^ie  et  de 
fermeté  pour  en  poursuivre  les  moyens  et  en  soutenir 
l'exécution. 

Parmi  les  actes  du  règne  de  ce  prince ,  nous  trou- 
vons une  pragmatique  du  8  octobre  i32i,  par  la- 
quelle il  ordonne  que  si  un  prélat,  abbé,  ecclésias- 
tique, baron  ou  chevalier  était  délié  ou  défiait  lui- 
même  quelqu'un,  tout  le  temps  que  durerait  la  guerre 
entre  eux ,  ou  pendant  la  trêve  de  six  mois  qu'il  pou- 
vait leur  imposer  de  sa  pleine  puissance ,  il  ne  serait 
pas  permis  aux  vassaux  de  ces  guerroyants  d'élire  ou 
de  transporter  leur  domicile  à  Perpignan ,  ou  dans 
tout  autre  lieu  de  ses  domaines  ou  des  pays  étrangers. 
Le  but  de  cette  mesure  était  sans  doute  de  forcer  les 
vassaux  à  ne  pas  abandonner  leurs  seigneurs  au  mo- 
ment où  leur  secours  pouvait  leur  être  nécessaire,  e 
à  subir  toutes  les  conséquences  des  agressions  récj 
proques  de  ces  seigneurs  à  qui  ils  avaient  promis  a 
sistance  et  fidélité. 

L'ue  lettre  de  levêque  de  Marseille,  camerliiXf 


«'««di^  X  ^*-*'»«^  de  Cant!'  ^  ''*P'-«'<' 
sen»^         ^^«  «onée  A  R       ^®»^o«  était  tenu  W^ 

*«o>i>ie    m.'  "«  «devait  v  n     ?''''*'«  ^«  cour. 

t*ône  de  M      "'^^'^«"ant  par  «T!  * 

«"««»«  devai,  fl        ™"''  »■""•'  Parj^  r  "*" 
•^^  «P-ndanT^r      ""^  <^'  4SI:  Z  """ 

«•""  Î..I  devaiem  la  rfroj"      '  ">^mt  di. 


216  LIVRE   DEUXIÈME. 

rien  prononcer.  Jayme,  d après  cet  embarras,  consi- 
dérant ses  droits  comme  suffisamment  établis ,  fit  oc- 
cuper Perpignan  et  les  autres  places  de  Roussillon 
et  de  Cerdagne  par  l'infant  don  Âlonze  son  fils, 

Jayme  II  n*ayait  pas  encore  dix  ans  quand  il  monta 
sur  le  trône  de  Majorque.  En  voyant  les  troupes  ara- 
gonnaises  envahir  l'héritage  de  son  pupille ,  le  tuteur 
de  ce  jeune  roi,  Tinfant  don  Philippe,  frère  aîné  du 
feu  roi  don  Sanche,  trésorier  de  l'église  de  Saint- 
Martin  de  Tours ,  s'empressa  de  se  rendre  à  Saragosse 
pour  défendre  la  cause  de  son  neveu  et  plaider  les 
intérêts  de  sa  couronne.  Après  de  longues  discus- 
sions ,  ce  prince  prouva  au  roi  d'Aragon  que  la  subs- 
titution sur  laquelle  il  s'appuyait  était  au  moins  dou- 
teuse ,  et  il  étaya  les  droits  de  son  pupille  d'un 
argument  qui  devait  être  sans  réplique  auprès  d'un 
prince  de  bonne  foi  comme  était  le  roi  d'Aragon  ;  cet 
argument  était,  que  ce  dernier  ne  pouvait  invoquer 
le  bénéfice  de  la  substitution  prévue  par  le  testament 
de  leur  aïeul,  puisqu'il  s'était  trouvé  lui-même  dans 
une  situation  toute  semblable  à  celle  où  était  ac- 
tuellement Jayme  de  Majorque.  Eln  effet,  à  la  mort 
d'Alphonse  III,  Jayme  d'Aragon  avait  succédé  à  son 
frère  ,  quoique  dans  le  temps  on  eût  mis  en  question 
si ,  en  vertu  de  cette  même  substitution  dont  il  récla- 
mait maintenant  le  principe,  ce  n'était  pas  à  Jayme  I* 
roi  de  Majorque,  que  la  couronne  d'Aragon  devait 
appartenir. 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  217 

La  plaidoierie  du  tuteur  du  jeune  Jayme  avait  fait 
impression  sur  i'esprit  de  tous  les  lettrés  et  juriscon- 
mltes  les  plus  célèbi^es,  dont  s'était  entouré  le  roi 
i'Âragon  ;  leur  suflrage  se  trouvant  favorable  à  Jayme 
le  Majorque,  Jayme  d'Aragon  abandonna  ses  préten- 
ions, et  un  accord  intervint  le  2  4  septembre  iSaS, 
m  an  après  que  ce  procès  eut  été  entamé.  Pour  s'atta- 
cher plus  étroitement  le  roi  de  Majorque,  celui  d'Ara- 
;on  lui  donna  en  mariage  sa  petite-fille ,  l'infante  dona 
Zonstance,  fille  de  don  Alonze.  Les  places  de  Rous- 
iillon  qui  avaient  reçu  garnison  aragonnaise  furent 
évacuées ,  et  le  roi  de  Majorque  entra  en  pleine  pos- 
session d'un  trône  qu'il  ne  lui  était  pas  donné  de 
Tansmettre  à  sa  postérité  :  ce  début  fâcheux  de  son 
règne  semblait  être  le  présage  de  la  catastrophe  qui 
levait  le  terminer. 

Après  avoir  rendu  un  service  aussi  important  à  la 
couronne  de  Majorque,  l'infant  don  Philippe  devait 
s'attendre  à  la  reconnaissance  des  Perpignanais  :  il 
n'en  éprouva  que  de  l'ingratitude  :  à  son  retour  l'en- 
trée de  la  ville  lui  fut  interdite;  la  population  en 
irmes  voulait  l'expulser  de  la  régence. 

Les  historiens  ne  disent  pas  quelles  raisons  avaient 
porté ,  non  pas  seulement  la  ville  de  Perpignan ,  mais 
es  peuples  des  deux  comtés  à  faire  une  si  grave  in- 
ure  au  tuteur  du  jeune  roi;  Zuritaet  Vaissette,  qui, 
chacun  de  son  côté,  entrent  dans  d'assez  grands  dé- 
ails sur  les  faits  de  cette  conjuration,  nous  laissent 


218  LIVRE  DEUXIÈME, 

l'embarras  d*en  deriner  la  cause  ;  nous  n'en  pouvons 
soupçonner  qu'une ,  et  voici  à  cet  ^rd  no»  coigee* 
tures.  La  crainte  de  la  guerre  dont  le  royaume  de 
Majorque  était  menacé  par  celui  d'Aragon  ayatl  porté 
sans  doute  ceux  que  don  Philippe  avait  laissés  k  la 
tête  des  affaires,  en  son  absence,  k  conclure  avec 
Gaston  de  Foix,  cousin  du  jeune  roi,  une  Kgue  en- 
vers et  contre  tous,  k  l'exception  du  roi  de  France  K 
II  est  vraisemblable  que  don  Phil^e,  qui  daifts  ce 
moment  négociait  avec  succès  k  Barcelone  \m  teosm^ 
naissance  de  son  neveu  comme  roi  de  Magonjue, 
craignant  que  cette  mesure,  menaçante  pouff  Vi 
gon,  ne  fôt  contraire  aux  intérêts  qu'il  défendaôt* 
improuver  vivement  cette  conduite  et  s'en  expli(pier:a  ^i 
peut-être  en  prince  à  qui  l'autorité  était  eoaiée-.'! 
Quelques  amours-propres  blessés  par  cette  impvoba- 
tion ,  et  sans  doute  aussi  l'ambition  du  comte  de  Foix 
qui  pouvait  avoir  lui-même  des  prétentions  il  la> 
gence,  durent  faire  des  ennemis,  au  royal  tuteur,  imW^i 
tous  ceux  qui  lui  avaient  déjà  prêté  serment  d*ol 
sance  et  qui  se  tournèrent  contre  lui.  Quoi  qu'ff 
soit,  la  ligue  signée  d  abord  entre  Jayme  et  le  comt»: 
de  Foix,  le  fut  bientôt  par  le  comte  de  Comminge 
par  le  seigneur  de  Lille,  par  le  fils  du  vicomte  d 
Narbonne  et  par  les  chevaliers  Dalmas,  de  Caste^-J 
nou  et  Pons  de  Caraman,  que  l'exemple  de  (îastor 
avait  entraînés  et  qui  fournirent  aux  Perpignanais  1< 

'   Prpnvps  Hp!  l'hîstoirp  de  Langin'dor,  tom.  IV. 


CHAPITRE   QUATRIÈME.  219 

moyens  de  se  montrer  hostiles  au  tuteur  de  leur  roi. 
Les  vassaux  directs  de  Philippe  avaient  bien  tenté  de 
prendre  sa  défense,  mais,  attaqués  partout,  surtout 
en  Cerdî^e,  ils  avaient  été  réduits  au  silence.  Après 
ces  voie»  de  fait,  les  conjurés  s'étaient  emparés  de  la 
personne  de  Jayme  et  avaient  placé  près  de  lui  des 
conseillers  et  des  gouverneurs  à  leur  convenance. 

La  ecmduite  du  comte  de  Foix  n'avait  pas  obtenu 
l'assentiment  de  Chartes  IV,  roi  de  France  et  protec- 
teur de  l'inÊint  régent.  Ce  monarque ,  en  sommant  le 
1 1  de  juillet  le  comte  Gaston  de  rompre  ses  liaisons 
avec  les  habitants  de  Perpignan,  avait  mandé  aux 
sénéchaux  de  Beaucaire ,  de  Carcassonne  et  de  Tou* 
louse ,  ainsi  qu'au  recteur  de  Montpellier,  qui  était  le 
eommandant  de  la  partie  française  de  cette  ville ,  de 
contraindre,  s*il  le  fallait,  par  la  force  des  armes  ce 
même  Gaston  et  les  Perpignanais  à  reconnaître  le 
titre  du  tuteur  du  jeune  roi. 

Les  historiens  de  Languedoc  avancent  que  les  me- 
naces du  roi  de  France  suffirent  pour  tout  faire  ren- 
trer dans  Tordre,  et  qu'on  ne  fut  pas  dans  la  néces- 
sité de  recourir  à  des  moyens  extrêmes.  Suivant  eux, 
les  Perpignanais  reçurent  l'infant  à  son  retour,  et 
Charles  permit  à  ce  prince  de  lever,  s'il  en  avait  be- 
soin, quatre  cents  hommes  d'armes  en  France  pour 
sa  garde.  D'après  les  historiens  aragonnais  les  choses 
ne  se  passèrent  pas  avec  cette  modération.  Les  ordres 
du  roi  déterminèrent  bien  les  seigneurs  français  à  se 


220  LIVRE   DEUXIÈME, 

séparer  des  insurgés  de  Roussillon,  mais  ceux-ci,  loin 
de  rentrer  dans  le  devoir,  n'en  devinrent  que  plus 
acharnés  contre  le  régent.  La  version  de  ces  derniers 
écrivains  est  d'autant  plus  croyable  que  le  roi  de 
France  n'avait  pas  d'ordres  à  donner  à  Perpignan.  Ce 
n'est  d'ailleurs  qu'après  le  départ  de  la  garnison  ara- 
gonnaise  que  la  population  de  Perpignan  put  prendre 
les  armes,  c'est-à-dire  au  mois  de  septembre  au  plus 
tôt;  or,  la  ligue  avait  été  sienée  en  juin ,  et  les  ordres 
du  roi  de  France  étaient  du  mois  de  juillet.  Quant  à 
l'emploi  de  la  force  contre  les  Pei^ignanais ,  il  ne 
pouvait  pas  appartenir  à  la  France  ;  le  régent  ne  de- 
vait avoir  recours  en  tel  cas  qu'aux  lances  catalanes , 
seules  compétentes  contre  cette  rébellion. 

L'infant  d'Aragon,  don  Alonze,  avait  déjà  fait  partir 
pour  Perpignan ,  sous  la  conduite  de  don  Pierre  de 
Luna,  archevêque  de  Saragosse,  de  deux  jurats  et 
de  deux  citoyens  de  cette  ville,  l'infante  dona  Cons- 
tance, sa  fille,  épouse  future  du  roi  de  Majorque. 
Cette  jeune  princesse,  à  qui  on  donnait  déjà  le  titre 
de  reine,  devait  être  élevée  sous  les  yeux  de  la 
reine  douairière ,  et  rester  sous  sa  direction  jusqu'à  ce 
que  les  deux  époux  eussent  atteint  l'âge  convenable 
pour  la  consommation  du  mariage  ;  et  pour  garantie 
de  cette  future  imion ,  les  deux  rois  s'étaient  donné 
des  nantissements  réciproques  :  celui  d'Aragon  avait 
livré  aux  Majorquins  le  château  de  Pons,  dans  le 
comté  d'Urgel,  avec  ceux  de  Ponton  et  de  Bègue, 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  221 

liocèse  de  Girone,   et  Tinfant  don  Philippe,  au 
du  roi  de  Majorque,  avait  livré  aux  Aragonnais 
lâteau  de  Carol,  en  Cerdagne,  et  ceux  de  Bel- 
1,  de  Berida  et  de  Pollença  dans  Tîle  de  Ma- 
ie. Mais  en  apprenant  Topposition  que  les  Perpi- 
ais  mettaient  au  retour  du  régent,  le  fils  du  roi 
fait  surseoir  au  voyage  de  sa  fille,  et,  après  avoir 
mblé  à  Péralade  les  forces  catalanes,  il  avait  re- 
ï  les  Pyrénées  le  3 1  décembre.  Ce  prince  reprit 
lemin  de  Perpignan,  précédé  d*une  journée  par 
Ot  de  Moncade  ,  commandant  de  lavant-garde, 
^oncadc  campa  au  Boulou,   où  il   fut  joint  par       «3>6- 
lud  et  Raymond-Roger  de  Pallas,  et  par  Bernard 
abrera  à  la  tête  de  cent  chevaux;  le  lendemain, 
nvier,  il  marcha  sur  Perpignan.  Parvenu  devant 
î  place,  dont  il  trouva  les  portes  fermées  et  la  po- 
tion en  armes  siu*  les  murailles  en  attitude  de  les 
ndre ,  Moncade  forma  sa  troupe  en  ordre  de  ba- 
î  à  rentrée  d'un  petit  bois  qui,  à  cette  époque, 
sinait  le  château  royal.  Bientôt,  cependant,  sor- 
it  de  ce  château  Pierre  de  Belcastel  et  Guillaume 
bns  chargés  d'entrer  en  pourparler  avec  Philippe. 
hs  diverses  allées  et  venues,  on  ouvrit  enfin  les 
es  et  l'arrivée  de  don  Alonze  acheva  de  tout  pa- 
r. 

,e  nouveau  roi  de  Majorque  se  rendit  à  Barcelone       13,7. 
aée  suivante,   accompagné  de  son  tuteur,  pour 
;er  foi  et  hommage  au  roi  d'Aragon.  Dans  l'acte 


222  LIVRE    DEUXIÈME, 

public  dressé  pour  constater  cette  prestation  d'hom- 
mage, acte  dans  lequel  Jayme  déclare  (fu'cfjrant  dépassé 
Vâge  de  douze  ans  il  a  une  parfaite  intelligence  de  ce  qui 
se  fait  ^,  tous  les  traités  conclus  précédemment  entre 
les  deux  couronnes  furent  relatés  et  confirmés,  et  le 
roi  de  Majorque  confessa  tenir  en  fief  le  royaume  de 
ce  nom  avec  les  comtés  de  Cerdagne  et  de  Roussil- 
lon ,  et,  sans  préjudice  au  droit  d*autrui,  les  vicomtes 
d*Omelas  et  de  Carlad ,  ainsi  que  tous  les  domaines 
qui  dépendaient  de  la  seigneurie  de  Montpellier,  à 
Texception  des  fiefs  qui  étaient  tenus  anciennement 
de  révêque  et  de  Téglise  de  Maguelonne,  dont  quel- 
ques-uns étaient  encore  entre  les  mains  de  ce  préla 
et  les  autres  entre  celles  du  roi  de  France. 

Jayme  II,  roi  d'Aragon,  mourut  le  a  noyembre?' 
i3«s.       1 3a  7.  Dans  le  courant  du  mois  d*octobre  de  Tannée 
suivante,  Jayme  de  Majorque  vint  renouveler  à  son 
successeur,  qui  fut  don  Alonze  ou  Alphonse  IV,  père 
de  la  reine  de  Majorque,  le  môme  devoir  d*hommage 
dont  il  venait  de  s'acquitter  depuis  peu  de  temps  en- 
Aiphoiue  IV,    vers  Jaynic.  Après  la  mort  de  Charles  IV,  le  même 
dAMwn.     pî'ince  se  rendit  à  Neuville  en  Hez ,  où  se  trouvait  le 
nouveau  roi  de  France,  Philippe  de  Valois,  et  le 
28  avril  1  33 1  il  lui  fit  Thommage  pour  les  domaines 
qu'il  tenait  de  sa  couronne. 

Un  des  premiers  actes  de  la  majorité  de  Jayme  II 
fut  de  pourvoir  à  la  défense  des  côtes  des  îles  Baléares 

*   Dacherii  Spicifey.  tom.  III,  pag.  714. 


i.î.ii. 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  225 

infesiées  par  les  pirates  maures.  Ces  musulmans, 
qui  avaient  été  si  lon^emps  maîtres  de  ces  îles, 
n'en  avalent  pas  oublié  le  chemin,  et  leurs  fréquente® 
irruptions  désolaient  les  habitants  des  différents  lieux 
de  la  côte  qui  manquaient  de  moyens  pour  s  en  ga- 
rantir. Jayme  savait  que  la  voie  la  plus  efficace  pour 
arrêter  ces  brigandages  était  celle  d'établir  des  garni- 
sons permanentes  dans  les  villes  maritimes ,  et  d'en- 
tretenir sur  la  cote  une  croisière  de  galères  armées , 
mais  il  n'avait  pas  de  fonds  pour  subvenir  à  cette  dé- 
pense et  ne  savait  où  en  puiser.  Dans  cet  embarras,  il 
prit  le  moyen  le  plus  honorable  pour  augmenter  ses 
finances  sans  accroître  les  charges  de  ses  peuples  :  il 
eut  recours  au  commerce ,  et  ne  dédaigna  pas ,  dans 
Tintérêt  de  la  sûreté  de  ses  sujets,  de  se  faire  mar- 
chand lui-même.  Le  commerce  avec  TÉgypte  lui  pa- 
raissant devoir  être  le  plus  lucratif,  c'est  là  qu'il  se 
résolut  d'envoyer  ses  navû^es;  mais  comme  ce  pays 
était  occupé  par  les  ennemis  de  la  foi ,  il  lui  fallait  une 
autorisation  du  pape  pour  y  trafiquer  :  ce  prince  la 
sollicita,  et  il  obtint  la  faculté  d'expédier  à  Alexandrie 
trois  bâtiments  chargés  de  marchandises  pour  son 
propre  compte,  mais  dont  les  armes  de  guerre  ne 
pourraient  pas  faire  partie;  il  obtint  également  la 
levée  des  dîmes  des  églises  pendant  trois  ans  ^ 

En  i332  Jayme  aida  d'une  flotte  le  roi  d'Aragon,       ,33,. 
en  guerre  avec  les  Génois,  et  la  ville  de  Perpignan 

*  Ferrens,  Hist.  gen.  de  Esp. 


224  LIVRE   DEUXIEME, 

voulut  contribuer  de  quelques  galères  à  cet  ai*ine- 
ment.  En  récompense  de  cette  générosité  Jayme ,  par 
ordonnance  du  7  des  calendes  de  novembre,  rendue 
à  Majorque  où  il  se  trouvait  alors ,  permit  aux  consuls 
de  nommer  eux-mêmes  lamiral  de  leur  flottille,  et 
régla  que  cet  amiral  serait  subordonné  à  celui  de 
Majorque,  mais  que  celui-ci  serait  tenu  de  l'appeler 
au  conseil  ^ 

L'année  iSSy  vit  rouvrir  en  Roussillon  les  mala- 
dreries,  dont  la  multitude  des  malades  atteints  de  la 
lèpre  faisait  sentir  la  pressante  nécessité. 

Les  nombreux  pèlerinages  des  Européens  à  la  Terre 
sainte ,  la  misère  qui  les  accueillait  outre  mer,  la  fré- 
quentation des  gens  du  pays,  le  mouvement  conti- 
nuel des  croisades  avaient  propagé  d'une  manière  ef- 
frayante sous  nos  climats  laffreuse  contagion  qui 
depuis  longtemps  déjà  s'était  introduite  en  Europe. 
L'horreur  qu'inspirait  cette  dégoûtante  infirmité  fai- 
sait repousser  du  sein  de  la  société  ceux  qui  avaient 
le  malheur  d'en  être  frappés ,  leurs  propres  parents  ^ 
les  abandonnaient ,  et  on  les  reléguait  dans  des  hos- 

^  Liber  virid,  min. 

*  Le  pape  Alexandre  III,  dans  une  lettre  à  Tarchevêque  de  Cantor- 
bery,  s*élève  avec  force  contre  cet  abandon  des  lépreux  par  leurs  pa- 
rents et  surtout  par  les  époux,  et  il  ajoute  :  cQuoniam  igitur,  cum  vir 
«et  uxor  una  caro  sunt,  non  débet  unus  sine  altero  diutius  esse;  fra- 
ctemitati  tuar,  per  apostolica  scripta  praecipiendo  mandamus,  quod  si 
cqui  sunt  in  provincia  vestra  viri  vel  mulieres  qui  lepne  moribnm  în- 
ccurmnt,  uxores  ut  viros  et  viri  ut  uxores  suas  sequantur  et  ejus  con- 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  225 

âtis  loin  de  toute  habitation  auxquels  on  don- 
nom  de  léproseries,  maladreries ,  mézelleries 
rets.  Une  classe  particulière  d'hospitaliers ,  non 
r  des  vœux,  se  donnant  entre  eux  le  nom  de 
et  le  recevant  des  étrangers,  par  un  dévoue-       ,337. 
ne  peut  seule  inspirer  la  religion  évangélique, 
lanmaient  à  donner  des  soins  à  ces  infortunés, 
ieurs  règlements  avaient  été  portés  en  diffé- 
smps  pour  diminuer  cette  hideuse  contagion , 
n  et  Chaiiemagne  avaient  déjà  réglé,  par  leurs 
aires,  les  mariages  entre  ceux  qui  en  étaient 
s  ^  Alphonse  II ,  le  premier  des  rois  d*Âragon 
le  Roussillon  ait  été  soumis,  en  abandonnant 
res  prêcheurs  la  maison  ou  hospice  des  lépreux 
rpignan,  avait  transporté  cette  infirmerie  au 
u  puy  Saint -Jacques  ^  connu  anciennement 
î  nom  de  puy  des  lépreux  ;  Jayme  le  Conqué- 

iffectione  ministrent,  sollicitis,  monitis  et  exhortationibus  ia- 
indacere,  etc.» 

>reux  qui  devait  être  séquestré  ainsi  pour  toute  sa  vie  était  cou- 
chez lui  à  l'égiise,  par  un  prêtre  en  surplis,  précédé  d*une 
Q  lui  disait  une  messe  de  mort,  et  après  Tabsoute  on  le  con- 
.  la  mézeUerie,  où  le  prêtre  lui  jetait  une  pellée  de  terre  sur  les 
ant  de  se  retirer.  Il  ne  pouvait  sortir  de  ce  tombeau  anticipé  que 
de  son  uniforme  de  lépreux ,  et  ne  pouvait,  sur  peine  de  la  vie, 
ans  aucun  édifice  public  ou  particulier.  Ogée,  Dict  de  Bref, 
it  Pippiiû,  ann.  767. —  Capit.  Kcuvli  magni,  oiui.  789. 
reconnaît  encore  cette  maison  à  un  bas-relief  placé  au-dessus 
orte  ouverte  plus  tard  sur  la  rue  d^En  Calce.  On  y  voit  des  lé- 
genoux  devant  la  sainte  Vierge,  et  au-dessous  cette  légende  en 
es  gothiques  :  Espital  dels  leprosos. 

i5 


226  LIVRE   DEUXIEME. 

rant  lavait  ensuite  supprimée;  mais  Jayme  I^,  roi  de 
Majorque,  recomiaissant  la  nécessité  de  rouvrir  ces 
asiles  de  l'infortune ,  Fàvait  rétablie  par  son  édit  du 
i5  des  calendes  de  mai  1296.  Ce  même  édit  défen- 
dait à  tout  lépreux  qui  ne  serait  pas  du  Roussillon  d*j 
entrer  et  d'y  séjourner,  sous  peine  du  fouet.  Tout  lé- 
preux qui  aurait  cependant  k  traverser  le  Roussillon 
pour  se  rendre  dans  son  pays  pouvait  le  faite ,  sous  la 
condition  de  n  y  pas  séjourner  au  delà  d'une  nuit  et 
un  jour,  et  de  ne  coucher  que  dans  les  léproseries  ; 
tout  lépreux  qui  aurait  commerce  avec  une  femme 
saine  devait  être  pendu  et  la  femme  brûlée  ^  Des 
mesures  d'une  telle  sévérité  faisant  disparaître  la  ma- 
ladie ,  les  léproseries  avaient  été  supprimées  de  nou- 
veau ,  et  les  biens  qui  en  formaient  la  dotatioti  étaient 
devenus  la  proie  de  quelques  particuliers  ou  avaient 
été  aliénés  par  les  communes  ^.  Mais  le  fléau ,  qui  n'é- 
tait qu'éloigné,  ne  tarda  pas  à  reparaître,  et  le  i**"  mai 
iSSy  l'évêque  d'Elne,  Gui  de  Perpignan,  en  provo- 
quant la  restitution  des  biens  qui  appartenaient  aux 

*  Arch,  Perp,  liber  ordinat. 

*  Outre  la  léproserie  de  Perpignan,  nous  en  connaissons  one  à  Mal- 
loles,  à  laquelle  un  testament  de  lan  1  lao  laissait  quelques  biens,  et 
une  à  Ville-Neuve-de-la-Raho,  dont  la  commune  inféoda  les  biens  en 
i33o.  Arch,  eccles.  Les  léproseries  des  autres  communes  sont  moins 
connues.  Dans  Tarrêt  du  conseil  rdatif  à  Tunion  des  biens  des  léprose- 
ries aux  hospices ,  il  est  parlé  de  la  léproserie  de  Perpignan  et  des  re- 
venus de  Tordre  de  Saint-Lazare,  dans  cette  ville,  et  des  léproseries  de 
Pia,  de  Baixas,  de  la  Perche.  Voyez  Tétat  général  des  unions  faites  en 
exécution  de  Tédit  du  mois  de  mars  1698. 


CHAPITRE  QUATRIÈME.  227 

léproseries,  ordonna  le  rétablissement  de  celles  qui 
n'ekistaîent  plus  et  la  réparation  de  celles  qui  tom- 
baient  en  ruines. 

Le  jeune  roi  de  Majorque,  à  qui  ses  sages  disposi-       isss. 
tîons  pour  la  défense  des  îles  Baléares  avaient  concilié 
f amour  des  peuples  de  cesfles,  rendit,  le  16  des  ca- 
lendes d'août  1 338 ,  un  nouvel  édit  qui  ne  devait  pas 
moins  lui  concilier  celui  des  'peuples  de  la  Cerdagne. 

La  conjuration  des  chrétiens  contre  la  domination 
des  Maures,  dans  les  montagnes  de  la  Catalogne,  avait 
donné  naissance  à  ce  qu^on  appelait  les  mauvais  usa- 
ges, sorte  de  tribut  avilissant  pour  ceux  qui  y  étaient 
soumis.  Les  premiers  chrétiens  qui  entreprirent  de 
délivrer  la  Catalogne  du  pouvoir  des  Sarrasins  avaient 
cherché  des  auxiliaires  dans  la  population  asservie 
quïls  avaient  pressée  de  se  soulever.  Quelques  can- 
tons se  révoltèrent  en  effet  et  concoururent  à  leur 
délivrance;  d'autres  n'osèrent  pas  le  faire,  et  atten- 
dirent tranquillement  Tissue  des  efforts  qu'on  tentait 
pour  affranchir  leur  pays  du  joug  des  musulmans. 
Après  la  conquête,  ces  chrétiens  pusUlanimes  conti- 
nuèrent à  être  soumis  par  les  vainqueurs  aux  mêmes 
humiliations  que  leur  avaient  imposées  les  Maures  : 
telle  est,  suivant  les  écrivains  catalans,  l'origine  de  ce 
qu'on  appelait  les  mauvais  usages  ou  mauvaises  coutumes  \ 

^  Pujades  et  ceux  cités  par  lui. 

Dans  quelques  pays  de  France  il  existait  ce  qu  on  appelait  mali  usus, 
mtdm  consuetudines ,  conmetudines  injuriosœ,  pruoa  usaiica,  etc.,  et  en 

i5. 


^ai»  nous  croï       h      ^^^^  ^g^ir  de»  «^       ^^    __ 

^'T    Ae   a  victoire  ^e  ^^Pf  ^^^^  cuvais  u«g«  ^ 
Vabus  de  la  V  ^^^  (,^^,.    ,lTiadivid«s .  d^  Me 

j ,  Nord  e^  suiv"  tnetne»  i»»^  .  ,      ^i 

tout  ce  que  1»  »^°    despotisme  ie  plus  «lu 


foi.  de  s«  can»«  ;  ;  ^^  y^rf^^d  D^q-;^        , 

siècle  après,  le  ^j^;    e  s.%î«  «« 

.ri,uicnl  encore, 

ei»«.ce*onl-.  „yijanon  «"  |J 

,.  la  re«»S"  f  '  .,  ,.„  seigneur,  ou  de  c      • 
.iiierlaterrede»»"    *  _.i,eté  de  to. 

"'  ï""  ■'C  ans  »•««  ""'"r     ™7ur  dWrher 

de  domicile  sans  ^^  ^.^eur  ,, 

„ers  des  biens  de^^;,,ae  la  nioiuisdl 

Ves  ma»""»*»  '° 


ils 

lé- 

de 
ger 

du 
s'il 


CHAPITRE   QUATRIÈME.  229 

une  veuve  sans  enfants  ou  des  enfants  complètement 
orphelins. 

3®  La  caguda,  droit  que  s*attribuaient  les  seigneurs 
de  partager  avec  un  mari  outragé  la  dot  de  sa  femme 
infidèle,  ou  de  s'emparer  en  totalité  de  cette  dot,  si 
le  mari  connaissant  Finconduite  de  sa  femme,  la  dis- 
simulait. 

4*  L'exorquia,  droit  du  seigneur  de  recueillir  des 
biens  de  ïexorch,  c'est-à-dire  de  celui  qui  mourait  sans 
postérité  et  ab  intestat,  la  portion  qui  en  serait  re- 
tenue aux  enfants  s'il  en  avait  eu;  le  reste  de  ces 
biens  retournait  aux  héritiers  naturels.  Les  coutumes 
de  Barcelone  établissaient  ici  une  difiFérence  entre  le 
noble  et  le  roturier;  tous  les  biens  de  l'exorcfc  noble 
appartenaient  au  prince  s'il  mourait  intestat,  et  par 
testament  il  ne  pouvait  disposer  que  du  mobilier; 
'exorch  roturier  au  contraire  pouvait  disposer  de  tout, 
neiible  ou  immeuble  ^. 

5"  La  arcia  ou  arsina,  droit  d'incendie,  c'^est-à-dire 
onime  que  devait  payer  le  vassal  si  le  feu  prenait  à 
a  métairie  par  sa  faute. 

6*  La  forma  de  spoli  forçat,  le  droit  qu'avait  le  sei- 
;neur  de  prendre  le  tiers  de  lods  pour  la  signature 
[u*ii  donnait,  quand  le  vassal  obligeait  ses  biens  pour 

'  Cette  question  de  la  exorqma  est  du  reste  fort  embrouillée  dans  les 
ommentaires  des  anciens  légistes  catalans  sur  les  usages  de  Barcelone. 
Toyez  Us(Uici  Bourch.  fol.  i56  et  seq.,  et  les  Constit.  de  Cat.  tom.  If, 
Mg.  i3o. 


230  LIVRE   DEUXIÈME. 

sûreté  de  la  dot  de  sa  femme.  A  ces  six  articles  Tédit 
de  Ferdinand  en  rattache  plusieurs  autres  sans  déno- 
mination particulière ,  et  tous  plus  ou  moins  odieux , 
comme  de  prendre   pour  nourrice  la  femme  d*un 
vassal  que  le  mari  y  consentît  ou  non ,  et  de  lui 
ou  non  un  salaire  ;  de  prendre  forcément,  pour.se 
servir,  avec  ou  sans  paye,  les  enfants  des  paysapsr    ^ 
le  droit  le  plus  honteux  de  tous,  qui  était  connu  ec^K^i 
France  sous  le  nom  de  cuissage  ^.  La  cession  des  draîtfe-^V'Jtt 
de  toute  espèce  composant  les  mauvais  usages  dopfl::^ii| 
le  nom  se  trouve  mentionné  dans  Tédit  de  Ferdinand .^Qd 
était  stipulée  exactement  et  nominativement  dans  l/f-^^ps 
actes  de  vente  des  domaines  dans  lesquels  ils  {\m  lia  ni 
en  vigueur,  et  il  est  remarquable .  que  tous  lesiieui^^ux 
de  ce  genre  cités  par  Ducange  appartiennent  i  ~        la 
Cerdagne. 

Une  note  manuscrite ,  du  xii*  siècle ,  met  au  nomb  -^mtt 
des  mauvais  usages,  dont  on  demande  la  réfc 
tion,  quelques  autres  odieuses  vexations,  telles 
de  dt'touiner  à  volonté  Teau  d'arrosage,  la  faculté  d  a^»^  ug- 
mentcr  arbitrairement  certaines  redevances,  femy^    pê- 
chement  de  détourner  de  son  champ  les  bestiaux  du 

seigneur  qui  mangent  les  blés  ^. 

^  Voici  en  quels  tenues  s'exprime,  à  ce  sujet,  Tédit  de  Ferdinaa^i^od  : 
«Ni  tanipocli  pugaii,  la  primera  iiit  que  los  pagesos  prenen  mu^^zzzilier, 
«dormir  ah  ella,  o,  en  snal  de  vSenyoria,  la  nit  de  las  bodas,  apres^^ssque 
«la  muHer  sera  colgada  en  lo  llil,  passar  sobre  la  ditamuller. »  f.  tonA. 

de  Cal. 

*  Pr.  n'  \|X.  Vove/.  aiiNsi  Tédit  de  Ferdinand  dans  les  Coust.  d( Cai- 


i 


CHAPITRE   QUATRIÈME.  231 

Le  comte  de  Foix  avait  donné  l'exemple  de  r  abo- 
lition de  ces  turpitudes  :  ie  1 3  des  calendes  de  mai 
laSo  il  en  avait  affranchi  les  habitants  de  la  vallée 
de  Mérens  qui  en  étaient  frappéa.  Jayme  l'imita  un 
sièole  plus  tard;  quant  au  reste  de  la  Catalogne,  ce 
ne  fut  qu'en  i  liS6  que  Ferdinand  II  la  délivra  de  ces 
inËunies  à  la  suite  d'une  révolte  de  ceux  qui  y  étaient 
assujettis.  Du  temps  de  Jaym:è,  ces; mauvais  usages 
fiy^ot  déjà  été  échangés  en  Cerd^ne  contre  un 
ti!ihut  annuel  ;  ainsi  que  l'atteste  l'acte  d'affranchisse- 
mev^,  en  faveur  des  habitants  d'Aionà  ^ 
'  Aux :J[)ones  d'octobre  iSSg,  Jayme  donna  à  l'in- 
duit ^don  Femand,  son  frère,  le  château  et  terroir  du 
^^emet,  près  de  Perpignan,  avec  les  fie£s  et  arrière- 
îefs  qui  y  étaient  attachés ,  et  tous  les  droits  dont  ils 
ouissaient^.  Déjà,  le  29  mai  i33o,  il  lui  avait  aban- 
lonné  la  vicomte  d'Omellas  avec  ses  dépendances, 
lîvers  châteaux  et  domaines  du  voisinage ,  le  fief  de 
^arlad,  le  château  de  Frontignan  et  une  partie  du  do- 
naine  de  la  seigneurie  de  Montpellier.  A  la  mort  de 
Femand ,  dont  l'époque  n'est  pas  connue ,  mais  qui  ar- 
riva avant  l'extinction  du  royaume  de  Majorque,  ces 
terres  passèrent  à  ses  enfants. 

Alphonse  IV  était  mort  le  2  4  janvier  i336,  et  son 
(ils ,  Pèdre  IV,  était  monté  sur  le  trône  d'Aragon  qu'il 

*  Preuves  n"  XX. 

*  Arch.  eccles.  Des  médailles  de  César  trouvées  dans  ce  lieu  du 
Vernet  attestent  que  les  Romains  y  possédaient  quelque  habitation. 


232  LIVRE   DEUXIÈME, 

devait  illustrer  par  de  grandes  actions  et  souiller  par 
bien  des  cruautés  et  bien  des  perfidies.  Â  lui  appar- 
tenait de  faire  rentrer  sous  sa  couronne  tout  l'héri- 
tage de  Jayme  le  Conquérant,  et  d'afiranchir  ses  suc- 
cesseurs du  contre-poids  qu*opposait  à  l'autorité  royale 
le  privilège  qu'avaient  les  barons  féodaux  de  s'unir 
contre  le  trône,  quand  le  trône  menaçait  l'indépen- 
dance féodale  et  les  libertés  publiques ,  deux  choses 
qui,  par  l'abus  des  mots  dans  ces  derniers  temps, 
semblent  antipathiques,  et  qui  existaient  très -bien 
ensemble  dans  la  constitution  de  l'Âragon.  Pëdre  de- 
vait porter  le  premier  coup  à  cet  antique  édifice  et 
poser  ainsi  la  première  pierre  du  pouvoir  omnipotent 
des  rois  dans  la  Péninsule. 


CHAPITRE  CINQUIÈME.  235 


CHAPITRE  V. 

Jayme  difiëre  à  faire  l*hommage  au  nouveau  roi  d* Aragon.  — - 
n  veut  se  soustraire  à  la  suzeraineté  du  roi  de  France.  — 
Joutes  à  Montpellier.  —  Menées  perfides  du  roi  d* Aragon. — 
Pèdre  se  déclare  contre  le  roi  de  Majorque.  —  Jayme  fait  sa 
paix  avec  le  roi  de  France, 

Jusqu'à  ravénement  de  Pèdre  IV  à  la  couronne     pmwiv, 
d'Aragon,  le  roi  de  Majorque,  Jayme  H,  qui  avait   "**^^'™* 
vu  deux  fois  la  succession  à  ce  trône  se  renouveler,  et 
qui,  jusqu'à  ce  jour,  s'était  montré  si  exact  à  aller 
jurer  à  chacun  de  ces  nouveaux  rois  l'hommage  dont 
sa  vassalité  lui  faisait  un  devoir,  manqua  à  cette  exac- 
titude quand  elle  lui  aurait  été  le  plus  nécessaire  :  de 
cette  négligence  découlèrent  tous  les  malheurs  dont 
il  fut  accablé.  La  raison  qui  l'empêcha  d'abord  de  se 
rendre  à  Barcelone  lut  que  certains  embarras ,  sur- 
venus dans  son  royaume,  et  dont  il  avait  donné  con- 
naissance à  l'archevêque   de  Saragosse,  chancelier 
d'Aragon,  le  retenaient  à  Perpignan;  mais  ces  em- 
barras ne  pouvaient  pas  durer  éternellement;  on  peut 
donc  croire  que  le  véritable  motif  qui  lui  fit  ensuite 
différer  indéfiniment  ce  voyage  d'obligation,  c'était 
tuiiquement  l'ennui  que  lui  causait  le  retour  si  Iré- 
|uent  d'une  formalité  toujours  humiliante  pour  un 


234  LIVRE   DEUXIÈME. 

front  ceint  du  diadème.  Les  années  s* écoulaient  ce- 
pendant, et  rhommage  ne  se  rendait  pas.  Pèdre, 
ayant  résolu  sur  ces  entrefaites  d'exiger  le  serment 
de  fidélité  de  quelques  barons  dont  il  se  méfiait,  il 
voulut  que  Jayme  vînt  aussi  remplir  enfin  une  forma- 
lité dont  celui-ci  voulait  encore  retarder  raccomplis- 
sement.  Des  lettres  que  le  pape  Benoît  XII  écrivait  i 
rinfant  don  Pèdre ,  oncle  du  roi  d'Aragon,  ainsi  qu'aux 
archevêques  de  Tarragone  et  de  Saragosse  pour  les 
faire  intervenir  entre  les  deux  rois,  afin  d'empêcher 
une  rupture  ouverte,  attestent  l'animosité  qui  existait 
déjà  entre  eux,  et  prouvent  qu'il  y  avait  réellement 
mauvaise  volonté  de  la  part  de  Jayme.  On  peut  sup- 
poser que  c'est  l'intérêt  que  le  pape  témoignait  en 
faveur  du  roi  de  Majorque  qui  porta  l'inSuit  à  se 
rendre  à  Perpignan,  pour  représenter  à  Jayme  1» 
conséquences  fâcheuses  que  pourrait  entraîner  un 
plus  long  délai  à  remplir  ce  qui  était  un  devoir  pour 
un  prince  vassal. 

Le  voyage  de  don  Pèdre  eut  tout  le  succès  que  ce 
prince  s'en  était  promis;  au  mois  de  juillet  suivant 
Javme  se  rendit  à  Barcelone,  et  la  cérémonie  delà 
prestation  de  foi  et  hommage  eut  lieu  en  présence 
des  infants  don  Pèdre  et  don  Raymond -Bérenger, 
oncles  du  roi,  de  l'infant  don  Jayme,  comté  d'Urgel, 
son  frère,  de  Tarcheveque  de  Tarragone,  des  évê- 
qiies  de  Barcelone  et  d'Elnc,  des  vicomtes  de  TlUe, 
de  Cabrera,  d'Évol,  de  dix  chevaliers,  officiers  delà 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  235 

maison  du  roi  d'Aragon,  de  quatre  conseillers  de  la 
ville  de  Barcelone,  et  de  deux  citoyens  de  Valence, 
messagers  et  députés  de  cette  ville. 

Si  on  ne  savait  pas  déjà  que  la  mésintelligence  ré- 
gnait entre  les  deux  rpis,  la  manière  dure  dont  Pèdre 
en  usa,  dans  cette  circonstance  «  avec  ie  roi  de  Ma- 
jorque, l'attesterait  suffisamment.  Après  l'avoir  tenu 
longtemps  debout ,  sans  ^ui  offrir  de  carreau  pour  s'as-  1339. 
seoir,  Pèdre  prit  l'avis,  de  i^on  conseil  pour  savoir  s'il 
devait  lui  en  faife  donne;r  uu ,  et,  sur  la  réponse  affir- 
mative, il  fit  apporter  de  sa  chambre  celui  qu'il  avait 
fait  préparer  tout  e^cprès,  beaucoup  plus  bas  que  le 
sien  et  très-différent  K 

Jayme  avait  à  pçipe  rempli  le  devoir  auquel  il  était 
tenu,  mais  que  son. adversaire  s'était  étudié- â  rendre 
très-humilianty  qu'il  demanfda  la  perpiissiôn  de  se  re« 
tirer,  et  que,  le  cœur  gjpos  de  ressentiments ,  il- reprit 
le  cllçm^)^e,  sa  capital^» 

,  Un  événement  très-fâcheux,  survenu  quatre  mois 
après,  et  auquel  Jayme  fut  peut-rêtré  étranger,  aug- 
menta encore  l'inimitié .  de3  deux  princes  :  il  servit  de 
prétexte  à  l'exécution  des  desseins  que  Pèdre  nour- 
rissait dès  longtemps  contre  Jayme.  La  possession  par 
TAragon  4e^  Ues  de  Corse  et  de  Sardai^ne  était ^une 
ÎQyestiture  du  saint. siège,  et  Pèdre,  qui  avait  tenu  à 
l'égard  du  papç  précisément  là  même  conduite  qui 
avait;attiré  sur  1^  roi  de  Majorque  tout  le  poids  de-sa 

»  Zarita. 


236  LIVRE   DEUXIÈME, 

haine,  forcé  d'aller  enfin  prêter  hommage  en  personne, 
pour  ce  fief,  entra  dans  Perpignan  le  3o  octobre,  et 
prit  la  route  d'Avignon,  accompagné  de  don  Jayme  et 
de  plusieurs  barons  de  la  cour  de  ce  dernier.  Le  roi 
d'Aragon  fit  son  entrée  avec  le  roi  de  Majorque  à  son 
côté,  et  chacun  d'eux  ayant  un  écuyer  pour  conduire 
son  cheval.  Le  lendemain,  jour  de  ia  cérémonie, 
comme  les  deux  princes  se  rendaient  dans  le  même 
ordre  auprès  du  pape,  l'écuyer  du  roi  de  Majorque, 
s' apercevant  que  le  cheval  du  roi  d'Aragon ,  qui  était 
vif  et  fiingant,  était  un  peu  en  avant  de  celui  de  son 
maître,  se  permit  de  le  frapper  avec  la  gaide  qu*il  te- 
nait à  la  main,  de  manière  que  l'écuyer  aragonnais 
fut  lui-même  atteint  par  le  coup.  Pèdre,  outré  de  ce 
qu'il  regardait  comme  une  insidte,  et  aussi  de  ce  que 
le  roi  de  Majorque,  qui  n'avait  pas  remarqué,  ou  qui 
feignait  de  n'avoir  pas  remarqué  l'action  inconvenante 
de  son  écuyer,  ne  se  mettait  pas  en  devoir  de  le 
châtier,  voulut  tirer  son  épée  pour  en  frapper  l'é- 
cuyer ou  le  roi  lui-même;  heureusement  que  cette 
épée,  qui  était  celle  du  couronnement,  était  très-for- 
cée dans  son  fourreau,  et  que,  malgré  ses  efforts  réi- 
térés, don  Pèdre  ne  put  parvenir  à  l'en  arracher. 
L'infant  don  Pèdre,  son  oncle ,  s'interposant  au  même 
instant ,  la  pompe  de  la  cérémonie  ne  fiit  pas  ensan- 
glantée; mais  le  cœur  de  TAragonnais  n'en  fut  que  plus 
ulcéré  contre  son  beau-frère.  Le  refus  que  lui  fit  en- 
suite \v  pa[)e  de  lui  accorder  quelques  grâces  qu'il 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  257 

sollicitait,  et  entre  autres  celle,  dit-on,  de  confirmer 
sur  sa  tête  la  couronne  de  Majorque  ^ ,  porta  au 
comble  sa  haine  contre  don  Jayme,  et  décida  la  ruine 
de  ce  monarque. 

Pèdre ,  cherchant  à  justifier  sa  conduite  dans  Taf- 
faire  de  la  spoliation  du  roi  de  Majorque,  accuse 
Jayme  d'avoir  cherché  à  se  soustraire  à  sa  suzerainté, 
et  un  passage  de  Zurita  peut  faire  croire  qu'en  effet 
celui-ci  avait  sondé  à  cet  égard  les  dispositions  du  roi 
de  France  ;  mais  un  autre  annaliste  d'Aragon ,  le  père 
\barca,  n'hésite  pas  à  repousser  cette  inculpation 
^mme  calomnieuse;  suivant  lui,  ce  ne  fut  qu'un  ar- 
ifice  du  roi  Philippe,  qui,  connaissant  la  vanité  du 
'oi  d'Aragon,  et  voulant  le  mettre  dans  ses  intérêts, 
e  séduisit  au  moyen  d'une  pompeuse  ambassade. 
Philippe  craignait  que  don  Jayme  ne  se  joignit  aux 
iombreux  adversaires  qu'il  avait  déjà,  et,  pour  être 
nieux  assuré  de  ne  l'avoir  pas  pour  ennemi,  il  jugeait 
nécessaire  de  l'occuper  avec  son  beau-frère.  H  fit 
lonc  contre  celui-ci,  au  roi  d'Aragon,  ce  qu'Abarca 
àomme  une  infamie ,  moyen  bien  indigne  de  la  ma- 
esté  d'un  si  grand  roi  ^. 

L'intention  que  Pèdre  prête  au  roi  de  Majorque 

^  Abarca,  Anales  de  los  reyes  de  Aragon,  tom.  II. 

*  Y  si  bien,  Phiiipo  referio  esto  para  ganarse  enteramente  a  don 
^edro,  y  para  cobrir,  con  ia  hermosa  capa  de  ias  conveniencias  de  es- 
■9.do  y  fineza  de  buen  aniigo,  la  fealdad  de  medio  tan  poco  digno  de 
«  mayestad  de  tan  gran  rey.  Âharca,  ibidem. 


258  LIVRE   DEUXIÈME. 

n*est  donc  rien  moins  que  prouvée;  mais  en  suppo- 
sant même  qu'elle  le  fut,  que  don  Jayihe,  feudata 
à  la  fois  de  deux  rois ,  eût  cherché  à  se  dérober  & 
des  deux,  comme  celte  intention,  par  rapport  â  ÎA» 
ragon,  n'avait  été  suivie  d'aucune  tentative  d*exécu 
tion ,  et  que  ce  prince  avait  au  contraire  fait  Tâvec 
matériel  de  sa  dépendance,  l'année  même  qui 


celle  de  son  tardif  hommage ,  enjoignant  ses  gaière— 

à  celles  d'Aragon  pour  défendre  Valence  menacé  pa 

le  roi  de  Maroc ,  Pèdre  n'avait  aucune  raison  de  p: 
crire  sa  couronne.  Quelque  effort  qu'ait  fait  ce  dei 
nier  pour  rejeter  les  torts  sur  sa  victime,  Tacco: 
unanime  de  tous  les  historiens  ^  le  charge  de  la  hont^ 
de  cette  criminelle  spoliation.  Zurita  reconnaît  à  do: 
Pèdre  un  naturel  pervers;  il  le  regarde  comme  ehdi 
à  la  cruauté,  ennemi  acharné  de  son  propre  sang,  d 
il  l'accuse  de  n'avoir  agi  que  par  astuce  et  par  fraude 
dans  cette  affaire  de  la  destruction  du  royaume  de 
Majorque  ''^;  Mariana  lui  reproche  une  ambition  sans 
bornes,  une  soif  insatiable  de  domination  qui  lui  fit 
chasser  du  trône,  avec  une  extrême  iniquité  et  une 
profonde  perfidie,  un  roi  son  parent  ^. 

11  faut  confesser  cependant  que,  si  Pèdre  ,  mû  par 
la  politique,  n'a  reculé  devant  aucun  moyen  pour 
arriver  à  ses  fins,  la  conduite  de  don  Jayme  ne  fut 

'  Ziirita,  Ferreras,  Mariiiiia,  Aharca,  crUcrmiUy,  Vaissclte,  etc. 

*  Anales  de  Amij.  \II,  [)\\  Mil,  î^. 

*  Mariana,  Hist.  (jennul  tir  Ksp.  \VI,  i?. 


CHAPITRE  CINQUIÈME.  259 

is  exempte  de  tout  reproche;  et^n  n'admettant  pais 
s  virulentes  accusations  que  plusieurs  historiens, 
li  n'ont  fait  que  copier  en  cela  le  témoignage  plud 
le  suspect' de  don  Pèdre  lui-même;  font  peser  sur 
L  mémoire,  on  né  peut  s  empêcher  de  voir  en  lui 
^  la  jactance,  de  Timprudence  et  de  l'entêtement. 
ous  contesterons  presque  qu'à  ces  défauts  on  puisse 
outer  le  vice  de  mauvaise  foi  :  expliquons  notre 
ensée. 

EêMï  1 33 1  Jayme  avait  juré  au  roi  de  France  l'hom- 
lage  pour  la  seigneurie  de  Montpellier;  mais,  à 
ette  époque,  ce  prince  n'avait  pas  encore  seize  àiis, 
t  il  n'avait  pu  s'en  rapporter,  pour  la  nécessité  de 
ettCj  démarche,  qu'à  l'avis  de  l'infant  don  Philip^, 
•Qp  dévoué  au  roi  de  France,  son  ami,  pour  élever 
uelque  contestation  sur  cet  article;  niais,  en  iSSg, 

jugeait  les  choses  par  lui-même,  et  les  raiisons  de 
oute,  sur  la  légitimité  decet  hommage,  qui  ne  l'a- 
aient  pas  frappé  la  première  fois,  poutaient  s'êti^e 
présentées  depuis  à  son  esprit,  ou  à  celui  de  son  con- 
eil-  Le  moment  lui  semblait  venu  de  se  soustraire  à 
ne  dépendance  qu'à  tort  ou  à  raison  il  ne  regardait 
»as  comme  fondée  sur  des  titres  à  l'abri  de  toute  con- 
estation.  Après  quatre  années  d'hostilités  latentes,  la 
^'rance  et  l'Angleterre  en  étaient  enfin  venues  à  une 
^erre  déclarée,  et  Edouard  VI  avait  ouvert  la  cam- 
pagne par  le  siège  de  Cambrai.  Le  roi  d'Angleterre 
i^mptait  beaucoup  d'alliés  parmi  les  princes  d'Aile- 


240  LIVRE   DEUXIÈME, 

magne,  et  le  bruit  courait  qu'il  devait  encore  s'unir 
avec  le  roi  de  Majorque,  dont  le  fils  aurait  épousé 
une  fille  d'Edouard.  Sur  cette  rumeur,  le  roi  de 
France,  Philippe  de  Valois,  voulant  s'assurer  des 
i34o.  vraies  dispositions  de  Jayme,  le  fit  assigner  pour  ve- 
nir renouveler  l'hommage.  Jayme,  regardant  comme 
incertains  et  douteux  les  titres  sur  lesquels  s'appuyait 
ce  monarque  pour  établir  sa  suzeraineté ,  était  réelle- 
ment décidé  à  les  contester,  et  le  roi  d'Aragon,  à  qui 
il  s'en  était  ouvert  comme  à  son  allié  naturel,  l'avait 
indignement  dénoncé  lui-même  à  Philippe  ^  Ne  se 
doutant  pas  de  la  trahison  de  son  beau-firère,  Jayme, 
victime  d'une  double  perfidie ,  répondit  à  la  sonuna- 
tion  du  roi  de  France ,  qu'il  ne  se  reconnaissait  pas 
pour  vassal  de  sa  couronne  pour  la  seigneiuîe  de 
Montpellier,  et  qu'il  ne  croyait  pas  avoir  à  répondre 
sur  ce  fait  au  parlement  de  Paris ,  ni  à  se  soumettre  à 
son  jugement;  mais  qu'il  s'en  rapporterait  à  la  décision 
du  pape ,  ou  des  cardinaux  d'Espagne  ou  de  Naples. 
Cette  proposition  était  raisonnable,  et  puisqu'il  y 
avait  doute  sur  la  légitimité  de  l'hommage,  il  était 
juste  d'en  remettre  la  solution  à  celui  qui  en  était  le 
juge  naturel.  En  effet,  le  motif  sur  lequel  le  roi  de 
Majorque  appuyait  sa  prétention  était,  ainsi  qu'il  le 

1  Pue  —  sino  particular  enemistad  y  odio  que  contra  d  tuvo ,  que 
se  confirmo  por  averie  (Pedro)  con  grande  artificio  descubierto  al 
rey  de  Francia,  que  (Jayme)  se  avia  querido  rebellar  contra  d.  Za- 
rita,  VIII,  55. 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  241 

indait  au  roi  d'Aragon ,  en  lui  rendant  compte  de  ce 
*il  venait  de  faire,  que  Tacte  par  lequel  l'évèque  de 
iguelonne  avait  vendu  au  roi  de  France  ses.  droits 
?  Montpellier  devait  être  considéré  comme  nul, 
rce  qu  il  avait  été  fait  contre  la  volonté  du  pape.  Il  est 
m  certain  que  le  pape  étant  considéré  comme  le 
rat^r  des  biens  de  T  église ,  et  nulle  aliénation  n*en 
uvant  être  faite  sans  soi}  consentement ,  s  il  n'avait 
s  autorisé  ce  transport  de  droits  fait  au  roi  de 
ance  en  lagS,  sur  ce  quon  appelait  la  part  antùfue 

Montpellier,  Jayme,  partie  intéressée  dans  ce 

nsport,  pouvait  fort  bien  ne  pas  le  reconnaître  et 

contester  la  validité  ;  or,  en  soumettant  la  décision 

cette  contestation  au  collège  des  cardinaux  de 
pies  ou  d'Espagne,  partie  désintéressée,  et  neutre 
ofi  la  question,  il  ne  pouvait  pas  être  exposé  au 
proche  de  déloyauté  ou  de  mauvaise  foi.  Le  moyen 
'il  proposait  était  même  le  seul  qui  eût  pu  jeter  de 
lumière  au  milieu  de  laflaire  si  obscure  du  partage 
la  souveraineté  de  Montpellier,  si  vivement  dé- 
ttue  de  part  et  dautre  aux  xuf  et  xiv*  siècles.  Sui- 
nt ce  que  le  sénécbal  de  Carcassonne  mandait  au 
\  de  France,  le  vendredi  après  la  Quasimodo,  1 34 1 , 
yme  était  même  parvenu  à  découvrir  un  titre  qui 
ouvait  son  indépendance  pour  cette  seigneurie  de 
tontpellier  :  c'est  ce  qu'il  fallait  vérifier.  Pour  sou-  ^3;^, 
nir  ces  prétentions  d'indépendance,  le  roi  de  Ma- 
)rque  se  rendit  à  Montpellier  au  commencement  de 

i.  16 


tA2  LIVRE  DEUXIÈME. 

i34i«  et  il  y  fit  publier  des  joutes  pour  le  mois ^ 
mars  suivant*  malgré  la  défense  du  roi  de  France*  qui 
ne  voulait  pas  qu'il  y  eût  de  ces  fêteii  sdmindes  dm» 
tous  tes  pays  soumis  à  sa  puissance,  tant  qoa  dure- 
mit  la  guerre  avec  TAngleterre. 

A  la  nouvelle  de  cette  résistance  aux  ««dres-  fixr- 
mds  du  roi  de  France ,  le  comte  de  Vdentinois,  lieu- 
tenant, de  Philippe  en  Lapguedoc,  s'était  raf^prodié 
de  Montpellier  à  la  tête  d*une  année,  et  il  avait 
assis  son  camp  au  Terrail,  à  une  lieue  de  cette  vilk. 
Cette  démarche  menaçante  n*empècha  pas  Jayme  de 
fidre  renouveler  les  publications  de  ses  joutes»  qui 
eurent  lieu  effectivement  le  1 1  mars.  Le  comte  de 
Vdentinois,  avant  d'en  venir  à  des  voies  extrêmes,  se 
Tttidit  à  Montpellier  pour  filtre  des  reprësentatiom 
au  roi  de  Majorque,  et  celui-ci,  pour  toute  r^KMise, 
fit  publier  de  nouvelles  joutes  pour  le  lendemapa. 
Sur  cela,  le  comte  fit  avancer  ses  troupes  sous  les 
murs  de  Montpellier,  et,  de  son  coté,  le  roi  de  Ma- 
jorque fit  armer  les  habitants,  sonner  le  tocsin  et 
mettre  la  ville  en  état  de  défense.  Des  hostilités  au- 
raient suivi  sans  doute  immédiatement,  si  le  comte 
de  Foix ,  qui  se  trouvait  auprès  de  Jayme ,  n'avait  pa- 
cifié cette  querelle.  Jayme  promit,  dit-on,  de  ne  pas 
tenir  les  nouvelles  joutes ,  mais,  lûanquant  à  sa  pro- 
messe ,  il  les  présida  le  lundi  suivant  ^.  Ce  prince ,  de 
Tavis  de  son  conseil,  voulut  même  tenter  de  fidre  en- 

^  H'ut.Qin.  de  Lany.  tom.  IV. 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  243 

lever  au  Terraîi  le  comte  de  Valentînois  et  ses  gens  ; 
mais  ce  capitaine,  qui  était  sur  ses  gardes,  fit  échouer 
la  tentative  et  donna  commission,  le  même  jour,  au 
juge  royal  et  à  celui  du  petit  scel,  de  Montpellier, 
d* informer  contre  le  roi  de  Majorque,  contre  ses 
officiers  et  contre  les  habitants  de  Montpellier  qui 
lui  avaient  prêté  leur  secours. 

Les  choses  en  étaient  à  ce  point,  quand  Jayme 
écrivit  une  seconde  fois  au  roi  d* Aragon  pour  récla- 
mer son  appui.  Dans  une  conférence  qui  eut  lieu  entre 
ces  deux  princes  à  Saint-Geloni ,  avant  la  fin  du  ca- 
rême, le  roi  de  Majorque  exposa  à  son  beau-fi^ère 
f  intention  où  il  était  de  déclarer  la  guerre  au  roi  de 
France,  et  de  se  liguer  avec  le  roi  d'Angleterre  pour 
la  faire  avec  plus  d* avantage ,  et  il  le  pressa  de  s'ex- 
pliquer sur  la  conduite  qu'il  tiendrait  dans  cette  cir- 
constance, savoir  :  s'il  le  laisserait  combattre  seul,  ou 
s'il  l'aiderait  de  ses  armes,  comme  lui  en  faisaient  une 
obligation  leurs  conventions  réciproques. 

Au  dire  de  don  Pèdre  et  de  ceux  qui  l'ont  copié , 
le  roi  d'Aragon  aurait  cherché  à  détourner  le  roi  de 
Majorque  de  son  dessein,  par  la  peinture  de  tous  les 
dangers  auxquels  cette  guerre  pouvait  l'exposer,  et , 
quant  au  fait  de  son  assistance  particulière ,  il  lui  au- 
rait répondu  que  c'était  là  une  question  grave,  qui 
demandait  les  plus  mûres  délibérations  ^  ;  mais  ni  ce 
roi  ni  ces  historiens  ne  disent  toute  la  vérité  ;  nous 

>  Ziirita,VII,54. 

16. 


244  LIVRE   DEUXIÈME. 

savons  par  la  lettre  que  le  sénéchal  de  Carcassonne 
écrivait  au  roi  de  France,  ce  que  Pèdre  n'avoue  pas, 
et  que  Zurila  ignorait  sans  doute ,  c  est-à-dire ,  qu'il 
fut  convenu  secrètement  entre  ces  deux  princes,  de 
lever  de  concert  une  armée  de  trois  mille  hommes 
d'armes  et  de  cent  mille  fantassins,  pour  faire  la 
guerre  à  la  France  ^.  Au  moyen  de  c^tte  convention 
ténébreuse,  et  que  Pèdre  n'avait  nullement  l'intention 
de  tenir,  ce  prince  soutenait  le  roi  de  Majorque  dans 
ses  idées  d'indépendance  de  la  France,  par  l'espé- 
rance d'en  être  puissamment  secondé;  il  l'empêchait 
de  se  liguer  avec  le  roi  d'Angleterre  contre  Philippe, 
son  véritable  allié ,  et  avec  qui  il  avait  renouvelé  les 
anciens  traités ,  et  il  le  poussait  à  engager  de  plus  en 
plus  une  querelle  dont  il  espérait  retirer  seul  tout  le 
profit;  et  l'inconsidéré  roi  de  Majorque ,  qu'une 
aveugle  fatalité  semblait  pousser  à  sa  perte,  donnait 
avec  toute  confiance  dans  le  pié^e  que  lui  tendait  la 
plus  odieuse  duplicité. 

Une  seconde  entrevue  eut  lieu  entre  les  rois  beaux- 
frères  ;  dans  celle-ci  il  fut  convenu  que  des  ambassa- 
deurs  iraient  de  leur  part  auprès  du  roi  de  France, 
pour  l'engager  à  en  venir  à  un  accord.  Cette  dé- 
marche, qui,  en  l'état  où  étaient  les  choses,  aurait 
pu  être  utile  au  roi  de  Majorque,  si  elle  avait  été  faîte 
de  bonne  foi,  n  avait  d'autre  but,  de  la  part  du  roi 
d'Aragon ,  que  d'endormir  son  vassal ,  pendant  que  le 

*  Hisl.  gén,  de  Lamj.  lom.  IV. 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  245 

n  de  France  faisait  saisir  la  seigneurie  de  Mont- 
dlier  avec  les  vicomtes  d'Omellas  et  de  Garladis, 

qu'une  armée,  que  devait  commander  le  duc  de 
srmandie,  fils  de  ce  monarque,  se  réunissait  à  Saint- 
lul  de  Fenouillède  pour  entrer  en  Roussillon. 

La  crise ,  si  bien  ménagée  par  le  roi  d'Aragon,  ne 
rda  pas  à  arriver.  Jayme ,  impatient  de  commencer 
^erre,  avait,  le  dernier  jour  de  novembre,  sommé 
^dre  de  se  trouver  à  Perpignan  au  q5  d'avril  sui- 
nt ,  avec  son  contingent  de  forces ,  pour  reconquérir 
;  places  que  le  roi  de  France  avait  fait  occuper,  et 
tte  sommation  avait  soulevé  le  voile  en  partie. 
!ïdre  avait  assemblé  son  conseil,  non  pour  délî- 
;rer  sur  l'objet  du  message  du  roi  de  Majorque, 
ais,  ainsi  qu'il  en  fait  l'aveu  lui-même,  pour  trou- 
ât le  moyen  de  se  dispenser  honnêtement  de  rem- 
îr  ses  engagements.  Ses  conseillers  embarrassés  ne 
>uvant  lui  en  foiunir  aucun ,  il  prit  la  parole  et  s'ex- 
rima  ainsi ,  suivant  sa  propre  histoire  :  «  Nous  vous 
demandons  un  biais  pour  pouvoir  dûment  et  rai- 
sonnablement nous  excuser  de  satisfaire  à  cette  re- 
quête, mais  nous  y  avons  pensé  nous-même,  et 
nous  avons  trouvé  un  bon  moyen,  et  le  voici  ^.w 
le  moyen,  c'était  de  convoquer  les  côrts  k  Barcelone, 

^  Vosaitres  tots  stats  et  pensais  sobre  aqucst  fet,  e  aço  com  puixats 
nhtoc  manera  que  nos ,  rahonablement  et  deguda  pognessem  excusar 
1  dit  rey  de  Mallorqups  la  rcquesla  a  nos  pcr  ell  fêla  :  e  diem  vos  que 
osahres  accordas.spts  algiina  manera  o  cas  perloqual  nos,  degudament 


246  LIVRE  DEUXIÈME 

pour  le  a5  mars,  un  mois  avant  l'eutrée  en  campigue 
du  roi  de  Majorque,  et  d'y  appeler  ce  prince,  oh^gé 
par  sa  qualité  de  vassal  de  la  couronne  de  s*y  trouver 
en  perscmne;  s*il  ne  s'y  rendait  pas,  fl  ■"■"ip^it  i 
son  devoir,  et  on  n'était  tenu  à  rien  envers  loi;  c'é- 
tait, comme  le  dit  avec  raison  Zurita,  une  aubtflité 
bien  indigne  du  trône. 

En  même  temps  que  don  Pèdre  cherchait  i  aravér 
les  apparences,  tont  en  manquant  de  fin  i  son  bean- 
firère,  ce  prince  agissait  sourdement  auprès  du  roi  de 
France  qui,  moins  passionné  et  n'ayant  aucun  motif 
de  haine  personnelle  contre  Jayme,  aurait  voufai  ter* 
miner  amiablement  ses  différends  avec  ce  prince. 
lyautre  part,  comme  il  importait  i  ce  même  roi  d'A- 
ragon que  les  hostilités  ne  fussent  point  commencées 
quand  le  coup  qu'il  méditait  contre  le  roi  de  lia- 
jorque  serait  porté,  il  lui  fit  dire  par  ses  meaaagws 
de  ne  pas  rompre  encore  avec  Philippe,  l'occasion 
n'étant  pas  opportune;  il  lui  conseillait,  et  le  requé- 
rait même  de  chercher  à  justifier  sa  cause  en  re- 
jetant les  torts  sur  son  adversaire,  de  manière  &  ce 
qu*au  moment  de  l'explosion  chacun  pût  lui  donner 
droit  ^ 

Les  corts  de  Catalogne  furent  convoquées  pour  le 

e  rahonable,  poguessem  excosar  ladita  requesta  —  mas  nos,  se^ns 
nostres  viares,  hi  havem  pensada,  hi  trobada  una  bona  maoeni,  e  Teoi 
quina,  etc.  Carbonell. 
»  Zurita,  VU,  55. 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  247 

25  du  mois  d'avril,  et  le  roi  de  Majorque  reçut  as- 
signation pour  être  rendu  à  Barcelone  le  2  5  mars. 

En  recevant  le  message  qui  lui  commandait  de 
quitter  ses  états  au  moment  convenu  avec  le  roi  d*A- 
ragon  pour  l'entrée  en  campagne,  Jayme  put  s'aper- 
cevoir enfin  qu'il  était  joué  par  son  beau-frère.  «  Nous 
«intercéderons  pour  vous  auprès  du  roi  de  France 
«  pour  qu'il  vous  rende  justice,  et,  s'il  s'y  refuse,  nous 
«sommes  prêt  à  remplir  tes  obligations  que  nous 
«avons  concertées  avec  vous  pour  le  cas  011  vous 
«commenceriez  la  guerre  contre  la  France.»  Telles 
avaient  été  les  dernières  assurances  que  le  roi  de  Ma- 
jorque avait  reçues  du  roi  d'Aragon^.  Gomment,  après 
des  promesses  aussi  positives,  ce  prince  aurait-il  pu 
s'attendre  à  une  aussi  indigne  trahison?  Étourdi  de  ce 
coup  imprévu ,  et  ne  voulant  conserver  aucune  incer- 
titude sur  les  dispositions   hostiles  de  don  Pèdre, 
Jayme  lui  écrivit  une  dernière  fois,  le  k  février  iS^a, 
pour  s'excuser  de  se  rendre  à  Barcelone ,  à  raison  de 
la  situation  où  se  trouvaient  ses  affaires  avec  la  France , 
et  pour  le  sommer  de  se  trouver  lyi-même,.  au  jour 
cîonvenu,  à  Perpignan,  avec  le  secours  qu'il  devait  lui 
fournir.  C'est  alors  que  Pèdre  leva  entièrement  le 
n^asque.  Non-seulement  il  désapprouva  hautement  la 
guerre  que  ce  prince  voulait  faire,  mais  il  l'accusa 
liu-même  d'un  crime  dont  il  n'avait  jamais  été  ques- 
tion jusque-là,  celui  d'altération  des  monnaies ^ ;  ille 

>  Abarca.  —  »  Zurita,  VIII,  60. 


248  LIVRE  DEUXIÈME, 

cita,  en  conséquence,  à  comparaître  devairt  sa  cour, 
dans  le  terme  de  vingt-six  jours,  pour  se  justifier, 
1^  d*avoir  fait  fondre  à  Perpignan  dès  monnaies  de 
Barcelone,  afin  de  ies  frapper  à  son  coin,  et  tt'en 
avoir  fabriqué  de  fausses;  a®  d'avoir  pertnis  qu'il  dr- 
cuiât  en  Roussillon  des  monnaies  française^ ,  en  con- 
travention à  ce  qui  avait  été  réglé  avec  le  preiriîer  roi 
de  Majorque. 

Si  le  parti  n'avait  pas  été  pris  d'avance  de  condam- 
ner Jayme  sur  un  prétexte  quel  qu'il  fôt,  il  lui  eût 
été  bien  facile  de  réfuter  ces  griefe  ;  mais  tout  ce  que 
put  dire  ce  prince,  et  les  mémoires  justificatifs  que 
présenta  son  maître  rationnel  ne  furent  d'aucun  eff^: 
l'arrêt  était  irrévocable. 

La  citation  du  roi  d'Aragon  fut  signifiée  à  Jayme , 
dans  son  château  royal  de  Perpignan,  le  17  février. 
Au  moment  d'entrer  en  campagne ,  ce  prince  ne  jugea 
pas  à  propos  d'y  déférer,  et  par  cette  résoîutiôn  pré- 
vue par  don  Pèdrc  il  combla  tous  les  vœux  de  ce- 
lui-ci. Pèdre  fit  aussitôt  déclarer  son  vassal  rebelle  et 
contumax,  et  ses  domaines  saisissables;  c'est  à  quoi 
tendaient  toutes  ses  pensées  depuis  qu'il  avait  pris  en 
main  les  renés  de  l'état. 

Le  roi  de  Majorque  avait  cru  que  la  réunion  des 
eorts  de  Catalojçne  était  un  subterfiige  de  son  beau- 
IVère,    pour  se  dispens(r  seulement  de  prendre  les 
armes  eontre  le  loi  de  France;  il  ne  pouvait  pas  soup 
(  ornier  (pril  v  allait  pr)ur  lui  de  la  perte  de  sa  cou- 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  249 

ronne.  En  reconnaissant  le  guet-apens  dans  lequel 
Tavait  attiré  la  plus  noire  trahison ,  Jayme  s* empressa 
de  faire  sa  paix  avec  le  roi  de  France ,  et  Philippe  lui 
rendit  sur-le-champ  les  domaines  qu'il  lui  avait  saisis. 
Mais  cet  orage  qu'il  venait  de  conjurer  n'était  rien 
auprès  de  celui  qui  grossissait  et  allait  éclater  de  l'autre 
coté  des  Pyrénées.  Malheureusement  pour  ce  prince, 
le  seul  parent  qui  lui  fût  dévoué ,  celui  dont  la  sagesse 
avait  pacifié  deux  fois  à  Montpellier  ses  imprudentes 
querelles  avec  le  comte  de  Valentinois,  et  dont  la 
valeur  épi^uvée  l'aurait,  sinon  sauvé  dans  ces  grates 
circonstances,  au  moins  préservé  d'une  ruine  et  d'une 
spoliation  ^  complètes ,  Gaston  II,  comte  de  Foix» 
mourut ,  malheureusement  pour  lui ,  alors  qu'il  lui 
devenait  le  plus  nécessaire. 


248  LIVRE  DEUXIEME. 

cita,  en  conséquence,  à  comparaître  devant  sa  cour, 
dans  le  terme  de  vingt-six  jours,  pour  se  justifier, 
1*  d  avoir  fait  fondre  à  Perpignan  des  monnaies  de 
Barcelone,  afin  de  les  frapper  à  son  coin,  et  d'en 
avoir  fabriqué  de  fausses;  a®  d'avoir  permis  qu'il  cir- 
culât en  Roussillon  des  monnaies  firançaiséà ,  eh  con- 
travention à  ce  qui  avait  été  réglé  avec  le  prerilîer  roi 
de  Majorque- 

Si  le  parti  n'avait  pas  été  pris  d'avance  de  condam- 
ner Jayme  sur  un  prétexte  quel  qu'il  fût,  il  lui  eût 
été  bien  facile  de  réfuter  ces  griefs  ;  mais  totit  ce  que 
put  dire  ce  prince,  et  les  mémoires  justificatifs  que 
présenta  son  maître  rationïiel  ne  furent  d'aucun  efTçt  : 
l'arrêt  était  iiTévocable. 

La  citation  du  roi  d'Aragon  fut  signifiée  à  Jayme , 
dans  son  château  royal  de  Perpignan,  le  17  février. 
Au  moment  d'entrer  en  campagne ,  ce  prince  ne  jugea 
pas  à  propos  d'y  déférer,  et  par  cette  résolution  pré- 
vue par  don  Pèdre  il  combla  tous  les^  vœux  de  ce- 
lui-ci. Pèdre  fit  aussitôt  déclarer  son  vassal  t'èbélle  et 
contumax,  et  se$  domaines  saisissables;  c'est  à  quoi 
tendaient  toutes  ses  pensées  depuis  qu'il  avait  pris  en 
main  les  rênes  de  l'état. 

Le  roi  de  Majorque  avait  cru  que  la  réunion  des 
corts  de  Catalogne  était  un  subterfuge  de  son  beau- 
frère,  pour  se  dispenser  seulement  de  prendre  les 
armes  contre  le  roi  do  France;  il  he  pouvait  pas  soup- 
çonner qu'il  y  allait  pour  lui  de  la  perte  de  sa  cou- 


CHAPITRE   CINQUIÈME.  249 

ronne.  Eln  reconnaissant  le  guet-apens  dans  lequel 
l'avait  attiré  la  plus  noire  trahison ,  Jayme  s  empressa 
de  faire  sa  paix  avec  le  roi  de  France ,  et  Philippe  lui 
rendit  sur-le-champ  les  domaines  qu'il  lui  avait  saisis. 
Mais  cet  orage  qu'il  venait  de  conjurer  n'était  rien 
auprès  de  celui  qui  grossissait  et  allait  éclater  de  l'autre 
côté  des  Pyrénées.  Malhciureusement  pour  ce  prince, 
le  seul  parent  qui  lui  fut  dévoué ,  celui  dont  la  sagesse 
avait  pacifié  deux  fois  à  Montpellier  ses  impiiidentes 
querelles  avec  le  comte  de  Valentinois,  et  dont  la 
valeur  éprouvée  l'aurait ,  sinon  sauvé  dans  ces  grates 
circonstances,  au  moins  préservé  d'une  ruine  et  d'une 
spoliation  complètes ,  Gaston  II,  comte  de  Foix, 
mourut ,  malheureusement  pour  lui ,  alors  qu'il  lui 
devenait  le  plus  nécessaire. 


355  LIVKE    DEUXIÈME. 

L'advprsité  r<'nd  tmriililrs  et  soumis,  même  les  po- 
tpntats.  .layme,  dont  la  fierti^  s'était  justement  indi-  . 
gnée  dp  la  d^^lcynlt^  cniidtiite  du  roi  d'Aragon,  se 
voyant  miîiiar^  par  la  formidable  ligue  de  sei  deiii 
voisins,  fît  demander  par  l'entremise  du  pape  un 
Muf-ronduît  pour  m;  rendre  à  Barcelone. 

Ce  voyagf  fonmit  it  .■'on  astucieux  ennemi  un  nou- 
veau jip^tcxte  pour  le  perdre.  Pèdre  prétendit,  vhoM 
Ibrt  étrange,  que  le  roi  de  Majorque  avait  voulu  \6 
faire  arrAter  lui,  sa  femme  et  ses  enfants,  pour  1m 
envoyer  A  Majortjue  d,^n!»  le  cliàtcau  d'AIaron  '. 

t>a  supi>osition  que  Jayme,  au  milieu  d'une  cour 
hostile,  eût  pu  concevoir  un  projet  aussi  extravagant 
que  celui  de  se  saisir,  par  force  ou  par  adresse ,  de  la 
personne  du  roi  et  de  tmite  sa  famille,  de  les  enlever 
dii  sein  tin  leur  palais,  au  centre  de  la  capitale,  souâ 
les  yeux  d'une  population  dévouée,  c«tte  supposition  J 
Ae  pouvait  tromper  personne,  et  les  liistoricns  rtra- 
gonnais  trouvent  eus^némes  qu'en  fait  d'invention  Km 
n'en  pouvait  intaginer  de  plus  grossière  et  de  plus 
honteuse.  Pèdre  ne  s'en  servit  pas  ttioiiU  pour  at» 
projets,  et  SHr  ce  ridicule  motif  il  retint  prisonmiret 
dans  son  palais,  la  reine  de  Majorque,  sa  propre 
sœtn*.  Une  violente  altercation  s'en  itant  suivie  mtre 

'   E  havia  aii  delliberat  que  de  continent  <{ne  Sotseû  eu  la  cAllA 

iaa facs  pendre  I  noa  e  ■!»  dit»  infants.  Esicridanem  ne  an  ^uiA, 

queos  occi*>rn  toti  decontineut,  eiino nos  menu.....  en  lo  midi 

de  Aliiro.  Chronica  lirt  iry  en  Pfrr,  écrite  de  SB  nwin  et  raj^KHl^par 
Carbonpil.liï,  (II,  fol.  i3o. 


CHAPITRE  SIXIÈME.  253 

les  deux  rois,  Jayme,  qui  vit  qu  on  violait  à  son  égard 
le  sauf-conduit,  se  hâta  de  retourner  en  Roussiilon, 
emmenant  avec  lui  toutes  les  dames  et  demoiselles  de 
la  suite  de  sa  femme,  qui  resta  captive  à  Barcelone. 
A  son  retour  à  Perpignain ,  il  justifia  toute  sa  conduite 
dans  im  manifeste  où  il  prouvait  qu'il  aurait  pu,  si 
telle  avait  été  son  intention,  enlever,  dans  Perpignan 
même,  le  roi  d'Aragon  et  ses  en&nts,  mais  qu*il  n*en 
avait  jamais  eu  la  pensée,  ce  qu'il  était  prêt  à  soutenir 
en  combat  singulier.  En  représailles  de  Tinjuste  dé- 
tention de  sa  femme,  il  fit  arrêter  tous  les  sujets  ara- 
gonnais  qui  se  trouvaient  dans  ses  états ,  et  séquestrer 
leurs  biens. 

Le  malheureux  roi  de  Majorque,  voué  à  une  ruine 
complète  par  un  prince  qui,  joignant  à  une  grande 
puissance  et  de  vastes  moyens,  une  astuce  et  une 
perfidie  plus  grandes  encore,  ne  s  était  pas  contenté 
d'isoler  son  adversaire  de  ceux  qui  auraient  pu  lui 
prêter  leur  appui,  mais  s'était  fait  de  nombreux  par* 
tisans  en  Roussiilon,  ne  pouvait  plus  compter  sur 
ses  propres  sujets.  En  attendant  l'examen  que  nous 
nous  proposons  de  faire  de  la  conduite  de  Jayme  et  du 
jugement  que  doit  porter  de  lui  l'impartiale  postérité, 
disons  un  mot  de  la  cause  de  la  défection  de  ses 
peuples  du  continent. 

L'avantage  de  faire  partie  d'un  royaume  fort  de 
ses  propres  ressources  et  pouvant  en  toutes  circons- 
tances prendre  l'attitude  que  lui  commandaient  sa 


25'(  LIVRE    DEUXIEME, 

politique  et  SCS  intérêts,  au  lieu  de  n'appartenir  qu'à 
un  pnnoe  dont  les  moyens,  déji^  insignifiants,  étaient 
tellement  dissémines  qu'il  ne  pouvait,  au  besoin,  les 
réunir  en  temps  opportun;  qui,  dans  l'impuissance 
de  prendre  un  ton  ferme  et  imposant,  était  forcé  de, 
se  traîner  de  ligue  en  ligue,  et  de  chercher  à  tout 
instant  des  auxiliaires  parmi  ses  voisins,  disposés  i 
le  soutenir  aujourd'hui  et  demain  Â  l'abandonner,  eL  j 
qui,  vendant  toujours  chèrement  leurs  services,  l'obli- 
geaient d'écraser  ses  peuples  d'impôts  pour  subvenir 
à  ces  dépenses;  cet  avantage,  dîsous-nous,  devait 
frapper  nécessairement  les  grands  comme  le  peuple 
de  la  couronne  de  Majorque ,  et  leur  faii'G  regretter  le 
temps  où,  à  l'ombre  de  la  bannière  royale  d'Aragon, 
ils  vivaient  tranquilles  et  heureux,  dans  une  indépen»  J 
dance  à  peu  près  complète.  Dans  une  telle  situation  ] 
d'esprit,  si  k  des  motifs  aussi  réels  et  aussi  li^itimes  | 
de  fatigues  et  d'accablement,  il  venait  à  se  joindre 
quelque  sujet  de  mécontentement  personnel  contre  le 
chef  du  gouvernement,  il  était  bien  dîfficfle  qu'on  te 
refusât  k  prêter  l'oreille  aux  insinuations  de  cdlui  qui, 
étant  le  plus  fort,  s'annonçait  hautement  comme  on 
réparateur  qui  devait  &ire  cesser  pour  jamais  cette 
position  le  plus  souvent  pénible  et  malheureuse,  et 
toujours  équivoque,  en  éteignant  l'éphémère  puis- 
sance qui  seule  l'occasionnait  ;  qui  promettait  garantie 
entière  et  récompenses  à  qui  le  seconderait.  Pour 
rester  inébranbbles  dans  ses  devoirs ,  en  des  circms- 


CHAPITRE   SIXIÈME.  255 

tances  semblables ,  il  faudrait  un  dévouement  et  une 
résignation  qui  ne  sont  pas  le  partage  du  commun  des 
liommes.  Le  sujet  personnel  de  mécontentement 
contre  Jayme  II  était  un  goût  de  dépenses  qui,  n  é- 
tant  pas  en  proportion  avec  ses  revenus,  lui  faisait 
augmenter  encore  la  somme,  déjà  si  lourde,  des  im- 
pots. Les  agents  du  roi  d'Aragon,  exploitant  sourde- 
ment ce  mécontentement,  et  leurs  souples  intrigues  se 
façonnant  à  toutes  les  conditions,  se  prêtant  à  toutes 
les  formes,  et  se  mettant  à  toutes  les  portées,  gagnè- 
rent de  proche  en  proche  la  plus  grande  partie  de 
la  population,  et  il  arriva  alors  ce  qu*on  voit  toa- 
jours  se  reproduire  en  de  pareilles  conjonctures  :  les 
sujets  se  détachèrent  peu  à  peu  de  leur  prince;  sa 
justice,  son  équité,  ses  bienfaits  anciens  et  récents 
:iurent  mis  en  oubli,  tout  lui  fut  imputé  à  crime ,  et 
le  monarque,  après  avoir  perdu  leur  affection,  se 
trouva  insensiblement  isolé  au  milieu  de  ses  peuples. 
Xn  des  circonstances  identiques,  les  résultats  aussi 
sont  toujours  les  mêmes ,  et  l'histoire  des  xviii*  et  xix' 
«ècles  doit  rendre  très-intelligibles  pour  nous ,  s'ils  ne 
l*ont  pas  été  pour  nos  devanciers,  les  événements  du 
avi*  siècle  au  sujet  de  Tinfortuné  roi  de  Majorque. 

Le  petit  nombre  de  personnes  que  le  torrent  de  la 
séduction  et  de  l'exemple  n'avait  pas  entraîné  dans 
ie  parti  du  roi  d'Aragon,  et  qui  était  resté  fidèle 
au  milieu  d'une  défection  générale,  éprouva  combien 
la  loyauté  devient  un  crime  odieux  et  impardonnable 


266  LIVRE  DEUXIÈME, 

aux  yeux  de  ceux  qui  ont  trahi  leurs  devoirs.  Le  pres- 
sant besoin  d  argent  pour  subvenir  aux  dépente^  né- 
cessaires à  une  lutte  aussi  dangereuse  que  celle  qui 
allait  souvrir  ayant  fait  passer  le  roi  da  Majorque 
sur  1  exacte  légalité  des  formes  exigées  par  les  cons- 
titutions pour  la  levée  des  contributions,  une  sédi- 
tion éclata  dans  Perpignan,  et  la  populace,  excitée 
par  ceux  qui,  en  poussant  les  masses,  ont  toujotu:s 
grand  soin  de  se  cacher  dans  Tombre,  pilla ,  non-seu- 
lement les  objets  appartenant  à  la  couronne,  mais  en- 
core les  propriétés  des  seigneurs  connus  pour  être 
dévoués  au  roi.  Jayme,  forcé  de  reconitaître  qu*il  ne 
pouvait  frapper  de  nouvelles  impositions  sans  l'avis  et 
le  consentement  des  consuls,  conseillers  et  chefs  de  métiers 
de  la  ville,  donna,  le  17  décembre,  cette  déclaration 
solennelle,  (  t  amnistia  par  le  même  acte  tous  qeux  qui 
avaient  pris  part  à  la  révolte  à  découvert  oa  en  ^cret  ^ 
Le  roi  d'Aragon ,  pour  mener  à  une  bonne  fin  une 
perfidie  si  heureusement  commencée,  b  était  empressé 
de  réunir  son  armée,  et,  sans  attendre  Texpiration  du 
délai  d'im  an  assigné  à  Jayme  pour  sa  justification,  il 
prononça  en  grande  pompe  la  réunion  définitive  des    ^ 
états  de  Majorque  à  ceux  d'Aragon,  en  présence  des^ 
syndics  des  villes  royales  convoqués  à  cet  effet  dan^  ^ 
Barcelone  ;  l'acte  dressé  en  conséquence  est  du  j^ 
des  calendes  d'octobre  de  cette  année  1  3^2  ^  Pieri^^,^ 

'    An  h.  Pcrj).  lih.  liriil.  min. 

*   Voyez  VixvW  d'union  aux  preuves  n"  WI. 


CHAPITRE   SIXIÈME.  257 

Paschal,  procureur  du  roi  de  MajOrc[ue,  avait  bien 
opposé  k  la  sentence  de  don  Pèdre  des  exceptions 
'fondées  sur  la  donation  royale  de  Jayme  le  Conque- 
:M*ant,  qui  défendait  toute  diminution  des  états  de  Ma- 
jorque, et  plusieurs  autres  raisons  péremptoires;  mais 
les  armes  du  droit  n  étaient  plusd  aucune  vaieui*  contre 
la  volonté  bien  décidée  de  n'employer  que  celles  de 
la  force.  Le  pape  Benoît  XII,  de  son  côté,  avait  fait 
plus  vives  instances  en  faveur  de  Topprimé;  rien 
pouvait  faire  changer  ia  résolution  irrévocable* 
jment  prise  de  confisquer  Théritage  de  Jayme.  Ainsi, 
pendant  qu  une  armée  navale  de  cent  dix:-sept  voiles 
de  toutes  grandeurs  mettait  en  mer  sous  la  conduite  de 
I^ierre  de  Moncade  pour  faire  la  conquête  de  Tile  de 
Alajorque ,  une  armée  de  terre  se  réunissait  sous  le 
cominandement  de  Tinfant  don  Jayme,  frère  du  roi, 
et  de  don  Lopè  de  Luna ,  pour  agir  sur  le  continent. 

Le*jroi  de  Majorque  s'était  rendu  de  sa  personne  1343. 
dans  la  principale  des  îles  Baléares  pour  attendre  son 
^snnemi  qui  y  passait  lui-même  avec  sa  flotte.  Le  car- 
dinal André  Ghini  Malpiggi ,  légat  du  pape  près  de 
Jayme,  et  qui,  suivant  les  vœux  du  pontife,  avait  fait 
de  longs  et  inutiles  efforts  pour  réconcilier  les  deux  rois, 
disposait  à  passer  lui-même  dans  cette  île  pour 
mpécher  ces  princes  d'en  venir  aux  mains,  quand  sa 
jmauvaise  santé  le  força  de  rentrer  à  Perpignan ,  où  il 

ourut  le  a  de  juin  ^. 

^  Baluze,  Hist.  des  papes  d Avignon,  tome  I. 


258  LIVRE  DEUXIÈME. 

La  tête  ardente  de  Pèdre  ne  pouvait  sou£Brir  de 
contrariétés.  Voulant  maîtriser  ies  déments  comme 
les  hommes,  il  fit  appareiller  sa  flotte  en  dépit  de 
tous  les  pilotes ,  dont  Tavis  unanime  était  qu'il  y  avait 
la  plus  grande  imprudence  à  mettre  en  mer  au  mo- 
ment où  les  signes  d*une  tempête  se  manifestaient  de 
la  manière  la  moins  équivoque.  Impatient  d*entamer 
Taflaire  de  la  spoliation ,  il  ne  voulut  rien  entendre , 
et  ce  seul  trait  le  peint  en  entier.  La  tourmente  éclata 
comme  on  Tavait  prédit,  et  sa  violence  fut  extrême 
pendant  six  jours.  Un  calme  plat  lui  succéda,  qui  re- 
tint encore  à  la  mer  les  vaisseaux  pendant  plusieury 
jours  avant  de  leur  permettre  d'aborder  à  Majorque. 
Eln  voyant  la  cote  garnie  de  troupes  disposées  à  re- 
pousser son  débarquement ,  Pèdre  envoya  deux  de 
ses  chevaliers  leur  dire  qu'il  trouvait  bien  étrange 
qu'ils  prétendissent  résister  à  leur  roi  ^;  et  en  effet 
ce  prince  devait  s'étonner  de  ces  dispositions  hostiles 
d'après  les  intelligences  qu'il  s'était  ménagées  dans 
les  principales  villes  de  cette  île.  Cependant  il  fiedlut 
en  venir  aux  armes.  L'amiral  Pierre  de  Moncade 
donna  ses  ordres  aux  gdères  dans  la  nuit  du  a  5  mai. 
Ces  galères ,  divisées  en  quatre  escadres  qui  mena* 
çaient  les  Majorquins  sur  quatre  points  différents,  les 
obligeant  ainsi  de  partager  leurs  forces,  les  jetèrent 
dans  l'incertitude  et  Êicilitèrent  le  débarquement 
Pèdre,  dont  la  bravoure  égalait  les  mauvaises  qua- 

^  Abarca,  And,  de  Arag.  tom.  II. 


CHAPITRE  SIXIÈME.  259 

ités,  et  qui,  dans  un  corps  grêle  et  chétif,  portait 
ine  âme  toute  de  feu  et  une  énergie  qui  participait 
le  la  nature  de  cette  âme ,  sauta  le  premier  à  terre 
n  s'élançant  de  la  poupe  de  son  vaisseau  sur  une 
»ointe  de  rocher  de  la  montagne  de  Péguera ,  malgré 
I  nuée  de  flèches,  de  dards,  de  javelots  et  de  pierres 
lont  les  Majorquins  couvraient  le  rivage.  Il  gravit 
nsuite  à  pied  et  sous  le  poids  de  son  armure  cette 
dénie  montagne,  par  une  pente  ardue  et  difficile, 
d8  principaux  officiers  qui  devaient  l'entourer  pou- 
ant  à  peine  le  suivre.  Parvenu  au  haut  de  ce  mont, 
[  en  débusque  ceux  qui  le  gardaient  pendant  que 
in£auit  don  Pèdre ,  son  oncle ,  débarquant  d'un  autre 
ôté,  poussait  également  devant  lui  ceux  qui  lui 
taient  opposés  et  que  commandait  Jayme  en  per- 
t>nne.  C'est  alors  que  triomphèrent  les  intrigues  de 
Aragonnais  :  le  roi  de  Majorque  se  vit  en  un  instant 
bandonné  de  ceux  mêmes  sur  lesquels  il  comptait 
;  plus. 

Pendant  que  l'armée  d'Aragon  marchait  en  ordre 
or  la  ville  de  Majorque  d'où  les  syndics  étaient  sortis 
u-devant  de  don  Pèdre ,  Jayme ,  consterné  de  cette 
iremière  défection  qui  lui  en  présageait  tant  d'autres, 
oguait  vers  le  Roussillon  avec  la  crainte  d'être  pour- 
uivî  par  les  galères  de  son  ennemi  et  livré  peut-être 
oême  par  les  siennes  propres. 

Le  premier  soin  de  Pèdre ,  en  entrant  à  Majorque, 
ut  de  faire  proclamer  la  sentence  de  confiscation 


260  LIVRE    DEUXIÈME. 

des  états  de  son  beau -frère,  ce  qui  eut  lieu  sans 
aucune  opposition.  H  n  en  fut  pas  de  même  pour  la 
formalité  qui  devait  suivre,  celle  de  faire  confirmer 
cette  sentence  par  les  syndics  de  la  commune.  A  la 
sommation  qui  leur  en  fut  faite ,  ces  braves  gens  ré- 
pondirent avec  courage  que  don  Jayme  était  leur  roi, 
et  queux,  comme  ses  vassaux,  ne  devaient  point  croire 
aux  crimes  quon  lai  imputait  et  moins  encore  l'en  panir« 
Cette  réponse  si  pleine  de  noblesse  et  de  dignité  irri- 
tant rinfant  don  Pèdre,  oncle  du  roi,  il  repartit  avec 
toute  râpreté  de  son  caractère  sauvage  :  «  Le  roi  et 
c<  nous  tous  sommes  dans  la  ferme  résolution  de  faire 
«  périr  le  royaume  et  les  états  d^Ai^agon  avec  tout  ce 
«qui  s'y  trouve  d'hommes,  de  femmes  et  d'enfants, 
«et  chacun  de  nous  comme  sa  propre  chair  et  son 
«  propre  sang,  plutôt  que  de  permettre  que  cette  royale 
«  couronne  souffre  de  notre  vivant  la  moindre  altéra- 
«  tion  et  la  moindre  diminution  ^  »  De  pareils  propos 
étaient  bien  dignes  de  celui  qui ,  pendant  que  le  roi 
de  Majorque  était  à  Barcelone  sous  la  garantie  d'un 
sauf-conduit,  voulait  qu'on  lenfermàt  dans  une  prison, 
afin  de  s'emparer  de  ses  états  sans  tirer  Tépée.  La 
même  sentence  de  confiscation  fut  solennellement 
publiée  ensuite  dans  la  cathédrale  de  Majorque,  le 
a  a  juin,  en  présence  de  tout  le  peuple,  et  confirmée 

^  Abarca,  Anal,  de  Arag.  tom.  II.  Les  dernières  paroles  se  rappor- 
taient à  la  réunion,  ordonnée  parla  sentence  royale,  des  états  de  Ma- 
jorque à  ceux  d* Aragon. 


CHAPITRE   SIXIÈME.  261 

[mmédiatement  par  le  roi  lui-même,  la  main  posée 
lur  la  croix  et  les  évangiles. 

Les  hostilités  avaient  déjà  commencé  sur  le  con- 
Jnent  avant  le  départ  de  la  flotte  pour  la  conquête  de 
Majorque.  Dès  la  fin  d'octobre  de  fannée  précédente 
quelques  compagnies  de  cavalerie ,  sous  le  comman- 
lement  d'Arnaud  d'Eril  et  de  Guillaume  de  Belléra , 
econdées  par  les  paysans  des  vigueries  de  Ripoll  et 
le  Berga,  étaient  entrées  dans  la  Cerdagne  où  elles 
ivaient  fait  le  dégât. 

En  quittant  Majorque,  Pèdre  avait  mis  en  délibé- 
ation  devant  son  conseil  la  question  de  savoir  s'il 
levait  retourner  directement  à  Barcelone  ou  s'il  ne 
râlait  pas  mieux  aller  sur-le-champ  débarquer  à  Col- 
ioure  pour  se  mettre  immédiatement  en  possession 
les  deux  comtés.  Plusieurs  étaient  de  ce  dernier  sen- 
îment,  mais  la  majorité  ayant  été  d'avis  de  se  rendre 
Tabord  à  Barcelone  poiu*  de  là  marcher  ensuite ,  le 
dus  promptement  possible ,  sur  le  Roussillon ,  la 
lotte  vogua  vers  la  Catalogne. 

Pendant  que  Pèdre  travaillait  à  réunir  des  forces 
mposantes,  et  que  des  levées  considérables  se  fai- 
aient  dans  toute  la  principauté,  ce  même  prince 
cherchait,  d'autre  part,  à  justifier  sa  conduite  auprès 
lu  pape  dans  une  lettre  où  étaient  longuement  ex- 
K>sës  tous  les  griefs  qu'il  prétendait  avoir  contre  le 
•ci  de  Majorque.  Le  pontife  lui  répondit  de  Ville- 
ineuve-lez- Avignon ,  le  i ''juillet,  que,  s'il  croyait  avoir 


262  LIVRE   DEUXIEME, 

à  se  plaindre  de  Jayme,  ce  prince  n  avait  pas  moins  à 
se  plaindre  de  lui.  Clément  VI  fit  partir  quelques  jours 
après  un  nouveau  légat ,  ami  de  don  Pèdre ,  qui  ar- 
riva à  Barcelone  le  1 1  du  même  mois  :  ses  instances 
en  faveur  de  Jayme  n*eurent  pas  plus  de  succès  que 
celles  de  son  prédécesseur.  Ce  l^at,  qui  était  Ber- 
nard, cardinal  de  Rodés,  s*épuisa  en  longs  et  bons 
raisonnements.  Pèdre  écouta ,  et  énuméra  de  nouveau 
ses  griefs  contre  son  beau-frère,  leçon,  dit  Âbarca, 
qu'il  avait  très-bien  apprise  par  cœur;  et,  poiu*  se  dé- 
barrasser de  toute  nouvelle  sollicitation  de  ce  genre , 
il  ajouta  qu'il  y  regarderait;  mais,  au  sortir  du  con- 
seil, et  après  avoir  soupe  avec  le  légat,  il  partit  sur- 
le-champ  pour  le  Roussillon. 

L'état  des  finances  de  Pèdre  ne  répondait  pas  au 
grand  développement  de  son  armée  :  la  solde  était 
arriérée.  Â  Girone  quarante  cavaliers  à  qui  il  était 
dû ,  et  qu  on  n  avait  pas  voulu  indemniser  de  la  perte 
de  leurs  chevaux ,  retournèrent  chez  eux.  «  B  est  vrai, 
((dit  Pèdre  dans  sa  chronique,  que  les  chevaliers  et 
((  riches  hommes  qui  étaient  restés  en  deçà ,  lorsque 
((  nous  allâmes  à  Majorque ,  nous  firent  grand  afiront 
((  sur  le  manque  de  solde;  surtout  l'infant  Jayme  et  le 
((  comte  de  Luna ,  lequel  parlait  pour  les  siens.  Bs  di- 
((  saient  que  les  cavaliers  aragonnais  avaient  un  arriéré 
((  de  quinze  jours  et  ceux  de  Catalogne  de  dix ,  qui  plus 
((que  moins.  Ému  de  ce  reproche,  nous  leur  répon- 
((dîmes  qu'ils  n'avaient  qu'à  partir,  que  nous  entre* 


CHAPITRE   SIXIÈME.  265 

16  en  Roussillon  avec  ceux  qui  avaient  conquia 
jorque.  Mais ,  craignant  qu'ils  ne  noua  quittassent 
lement ,  nous  les  primes  chacun  à  part ,  et  fina- 
lent  leur  promimes,  foi  de  roi,  de  les  payer  du 
îs  de  solde  qui  leur  serait  dû  pour  avoir  été  en 
issillon  et  pouvoir  retourner  dans  leurs  foyers, 
te  promesse  les  satisfit;  ils  nous  suivirent  tous,  n 
ï  ^9  juillet  l'armée  aragonnaise  sortit  de  la  Jon- 
re  et  se  dirigea  vers  le  col  de  Panissas  qu  elle 
ï  sans  opposition.  Un  détachement  se  porta  vers 
lâteau  de  Bellegarde ,  et  le  reste  de  l'armée  alla 
>er  sur  les  bords  du  Tech,  près  de  Saint-Jean  de 
s.  Le  lendemain,  comme  l'armée  s'acheminait 
Perpignan,  quelques  cavaliers  et  fantassins  qui 
^haient  séparés  du  corps  de  bataille,  allèrent 
parer  de  la  tour  de  Nidolères  à  laquelle  ils  mi- 
le feu  après  en  avoir  égorgé  toute  la  garnison  : 
débutait  cette  guerre  toute  de  haine ,  et  d'autant 
furieuse  que  cette  haine  était  de  famille;  guerre 
use  et  sacrilège  qui  devait  couvrir  le  Roussillon 
Cerdagne  de  meuitres  et  d'incendies. 
8  roi  d*Aragon  était  à  Elne  quand  arrivèrent 
de  lui  révêque  de  Huesca  et  Hugues  d'Ârpajon , 
gés  d*implorer  à  leur  tour  sa  miséricorde  en  fa- 
de don  Jayme  pour  qui  chaque  pontife  témoi- 
;  successivement  le  plus  vif  intérêt  :  vaines  ten- 
es.  Le  légat  se  joignit  encore  à  eux  le  lendemain 
)  fut  pas  plus  heureux;  une  ambassade  de  la  reine 


264  LIVRE   DEUXIÈME, 

de  Sicile,  dona  Sancia,  cousine  dii  roi  de  Majorqae, 
n*avait  pas  eu  plus  de  succès  :  l'intérêt  de  i'Aragon 
exigeait  Textinction  du  royaume  de  Majorque,  et  la 
résolution  de  don  Pèdre  était  inébranlable.  Quoique 
^  des  sentiments  de  haine  personnelle  entrassent  pour 
beaucoup  dans  sa  conduite  contre  son  beau-frère,  il 
est  certain  néanmoins  qu  une  politique  bien  entendue 
lui  commandait  de  réintégrer  à  ses  domaines  ce  que 
son  aîeid  en  avait  si  imprudemment  retranché,  et 
cette  considération,  très-bien  sentie  par  ce  prince, 
prêtait  une  nouvelle  énergie  à  son  immuable  volonté. 

D*Ëlne ,  le  roi  dÂragon  s'était  porté  devant  Ganet, 
d'où  il  présidait  au  ravage  des  terres  du  RoussiUon  : 
ce  prince  ne  laissait  d'autre  alternative  aux  sujets  du 
roi  de  Majorque  qu'une  soumission  aveugle  ou  une 
entière  ruine. 

Pendant  que  le  quartier  royal  se  trouvait  devante" .«it 
Ganet,  une  rixe  s'éleva  dans  l'intérieur  de  cette  petiULUi»'^ 
ville  entre  la  garnison  qui  voulait  la  défendre,  et  le^ft  ^s 
habitants  qui,  dans  leur  intérêt  personnel,  n'aspi^-KÎ- 
raient  qu'à  la  livrer.  Ces  soldats,  que  commandait"-5^t 
François  dOms,  se  voyant  hors  d'état  de  se  défendr^^""^ 
tout  à  la  fois  contre  les  traîtres  du  dedans  et  les  en— -^"^- 
nemis  du  dehors,  prirent  le  parti  de  la  retraite  et  cé-^^^^ 
dorent  la  place  aux  Aragonnais.  Le  lendemain,  a  août  ^^  -•^» 
les  milices  de  Manresa,  avec  quelques  compagnies  d^  -Ce 
gens  de  guerre,  allèrent  attaquer  le  château  de  Sainte^^  -^ 


Marie-la-Mer  dont  elles  s'emparèrent  et  que  le  rot^^^oi 


J 


CHAPITRE  SIXIÈME.  265 

Pèdre  fit  fortifier.  Ge  même  jour,  Ximenès  de  ^parça 
entra  de  vive  force  dans  Gastei-Rosselio  après  en  avoir 
dé&it  la  garnison  sortie  à  sa  rencontre ,  et  d'autres 
compagnies  se  rendirent  maîtresses  de  Gastel-Amaud- 
Subira  qui  fiit  incendié. 

Pèdre  fit  sommer  Raymond,  vicomte  de  Ganet, 
qui  avait  été  son  prisonnier  à  Majorque ,  de  se  rendre 
et  de  lui  livrer  le  château  :  il  s'y  décida  sans  di£Qculté. 
Le  vicomte  et  sa  fenune  eurent  le  diocèse  de  Girone 
pour  prison. 

Le  roi  d'Aragon  confia  le  commandement  de  Ga- 
net,  dont  il  fit  sa  place  d'armes ,  à  Philippe  de  Gastre. 
Le  6  août  il  se  rapprocha  de  Perpignan  pour  le  blo- 
quer, et  campa  entre  Bajoles  et  la  ville. 

Perpignan  ne  répondait  pas  à  la  sommation  de  don 
Pèdre  ;  les  consuls  de  cette  ville  refiisaient  même  de 
hii  envoyer  leurs  messagers,  car  plus  tard,  alors  que 
Pèdre  était  à  la  Jonquière ,  lui  ayant  demandé  com- 
munication du  procès  fait  à  Jayme  afin  de  l'examiner 
avant  d'en  exécuter  la  sentence,  il  leur  avait  été  ré- 
pondu an  poch  asprement  par  le  roi  d'Aragon  que, 
puisqu'ils  prétextaient  ignorance  d'une  chose  claire 
et  notoire,  ils  eussent  à  se  rendre,  sinon  que  leurs 
successeurs  en  verseraient  des  larmes  amères  ^. 
'  En  effet,  arrivé  sous  les  murs  de  la  place,  il  fit  ar- 
racher toutes  les  vignes,  brûler  les  oliviers  et  déra- 

'  Que  si  no  venian,  que  a  llurs  successors  ne  romandria  plorosa 
memoria.  CarhoneU,  cap.  xix,  liv.  III. 


26()  LIVRE    DEUXIEME. 

cinfîrleN  autres  arbres,  à  la  seule  exception  (les  figuiers 
dont  il  aimait  le  l'ruit  '.  Sa  colère  ne  s'arrêtant  pas  là, 
il  fit  nicllre  h  mort  quelques  Perpigiiaiiais,  capturée 
dans  une  sortie  qui  avait  Hé  repoussée  avec  taiit  de 
vigueur,   qu'un    chevalier  aiagoiuiais ,    entraîné   lui-  , 

même  par  le  (lot  des  fuyards,  avait  été  fait  prisonnier  A 

dans  l'intérieur  des  murailles. 

Au  mouienl  où  cela  se  passait,  une  colonne  de  ^ 

quiiiEc  cenls  hommes  de  Cerdagne  descendait  au  se-  — 

fours  de  Perpignan.  Pidre,  informé  de  l'approche  de  ^a 
cette  troupe,  avait  envojé  pour  la  combattre  don  m~:i 
l'ieiTe  de  hjterica.  Celui-ci  voulut  se  mettre  en  cm-  — j- 
huscade  sur  la  route;  mais,  l'ayant  aperçu .  les  Cerda-  — m' 
^n<)ls  se  retirèrent^  Rodés,  d'où  quelques  jours  après  <^k>i. 
ils  parvinrent  h  Perpignan. 

Le  roi  d'Ai-agon  s'était  persuadé  qu'en  se  priten-  — *■ 
tant  devant  Perpignan ,  dont  une  bonne  partie  de  laj 
population  était  dans  ses  intérêts,  les  portes  lui  em 
Mraîent  ouvertes.  Irrité  d'une  râaiataiK»  à  ktpicfiB 
ne  s'attendait  pas,  et  blessé  surtout  qu'oB  n*eàt£ 
aucune  réponse  au^  messagers  qu'il  venait  d'enVoyn 
de  nouveau  aux  consuls ,  il  fit  continuer  pendantu 
joufB  encore,  sous  ses  propres  yeux,  la  < 
du  terroir  de  cette  ville,  et  U  ae  rendit  i 
Solcr  qu'il  emporta  facilement.  De  là,  de«eèodHitIv!^^a 

'  B  Iota  la  gCDt  de  pen  aoiuen  nrampau,  tnllanl  vinycs,  oUuErei  -^  ' 
■Itm  aibrei,  him  figuena,  per  tal  cntn  les  figu»  nos  ubien  tnillo^E  -^n 
que  altn  firuyla.  Clavn.  dm  Prre. 


CHAPITRE   SIXIÈME.  267 

Tet  jusqu'à  Saint-Estève ,  il  brûla  ce  village,  en  dé- 
truisit les  moulins  et  ravagea  les  terres.  Le  1 3  août  il 
revint  à  Ganet,  d'où  il  envoya  des  détachements  ar- 
racher les  vignes  et  dévaster  les  champs  de  Glaira. 

Malgré  le  mauvais  succès  des  démarches  du  saint 
si^e  en  faveur  du  roi  de  Majorque,  la  charité  zélée 
des  papes  ne  se  refroidissait  pas ,  et  Clément  VI ,  hé- 
ritier des  bonnes  dispositions  de  Benoit  XII  pour  le 
monarque  opprimé,  ne  pouvant  renoncer  à  l'espoir 
que  Pèdre  ne  se  laissât  enfin  toucher  aux  vives  ins- 
tances de  l'é^'se,  pressait  son  légat  de  revenir  tou- 
jours à  la  chaîne  sans  se  décourager.  Le  légat,  avec 
Tévêque  de  Huesca  et  quelques  grands  personnages, 
eut  donc  encore  les  1 7  et  1 8  de  ce  même  mois  d'août 
des  conférences  avec  le  roi  d'Aragon,  et  cette  fois 
l'issue  fut  plus  hemreuse  :  il  fut  arrêté  qu'une  trêve 
suspendrait  les  hostilités.  Le  pape  crut  avoir  triomphé 
de  l'obstination  de  don  Pèdre  :  il  ne  connaissait  pas 
le  caractère  de  ce  prince.  Pèdre  déclare  lui-même, 
dans  l'histoire  de  sa  vie ,  que  le  seul  motif  qui  le  dé- 
termina à  accéder  à  cet  armistice,  c'était  le  besoin  de 
rentrer  en  Catalogne  pour  renouveler  ses  provisions 
et  faire  confectionner  des  machines  de  guerre  pour 
l'attaque  de  vive  force  de  Perpignan,  sur  la  résis- 
tance duquel  il  n'avait  pas  compté. 

Cette  trêve,  que  le  légat,  au  comble  de  la  joie, 
s'était  empressé  d'aller  annoncer  à  celui  qui  fut  roi 
de  Majorque,  pour  nous  servir  des  propres  exprès- 


268  LIVRE   DEUXIEME, 

sions  de  don  Pèdre  ',  commençant  le  19  août,  de- 
vait durer  jusqu'au  premier  avril  suivant.  Pidre  fit 
suspendre  les  dévastalions,  retourna  à  Canet  doat  il 
fit  augmenter  les  ibrtilications ,  en  donna  )e  comman- 
deuiffnt,  sous  le  litre  de  capita  et  procarador,  à  frère 
Guillaume  de  (îuimera,  de  l'ordre  de  Saint-Jean  de 
l'Hôpitai,  et  reprit  ensuite  avec  la  plus  grande  partie 
de  ses  troupes  la  route  de  fiarcetonc. 

'  Cm  ciprRssÏDDs,  il  les  rl-pf^le  i  i»ûhé  «1  du  ton  le  plui  oalngeD- 
Hmcot  raillFur  :  En  Jaamr  qat  fo  rry  dt  MaUorifaa.,..;  rn  Jaunie  Je 

Mi&>rqart......  dri  ^  J»,...:  h  ilit  i/uffùn ;  m^ll^Ut  «olîa  rM«r„...: 

itl  «lit  afim  rry,  PMre  avait  h  cette  époque  ritigt~lr«*  koi  ol  d«mi  :  «a 
ctri  qat  noi  rrrm  tn  tdal  dr  XXIII  anyï  r  mig.  Sos  reaseutiiiients,  bien 
iiu  mal  runilM,  avaient  donc  loule  l'ardeur  de  toa  JEunc  Age.  Son  im- 
pitrtÏDentr  fierté  scmlîla  se  radoucir  h  partir  du  jour  où  le  maltieureoi 
Itjmi:  te  Tut  livré  à  la  merd  de  aon  ennemi  :  Pèdre  lui  danaa  alon  le    : 
tilrt  de  (a  ail  en  Jaunir  dt  JUdllonfiiri:  mais  >ur  le  refus  que  fait  pdus  -^ 
tard  Jajme  de  reconnaître  les  litres  nouveaux  de  f  usurpateur,  ces  tit 
dont  il  est  crueDemeat  dépouilla,  Pèdre,  nouveau  roi  de  Majonpi*^ 
cointe  de  Rounïllon.  de  Cerdsgne,  etc.,  n'appelle  plus  son  oneemFj 
vaincu  que  in  Jaame  de  JWaHor^iu^i,  cl  un  peu  plus  tard  Jdiuiu  d,t  Mont—  i 
petier,  parce  que  le  roi  détrôné  était  allé  se  réfugier  dans  cette  ville 
dernier  Beuron  de  u  couronne  bri»ie. 


CHAPITRE  SEPTIEME.  269 


CHAPITRE   VIL 

Nouveaux  préparatifs  de  guerre.  —  Reprise  des  hostilités.  — 
Prise  de  diverses  places.  —  Siège  et  capitulation  de  Col- 
lioure.  —  Divers  châteaux  ouvrent  leurs  portes.  —  Jayme  se 
livre  à  discrétion.  —  Le  reste  du  Roussîllon  se  soumet.  — 
Pèdre  dans  Perpignan. 

Le  roi  de  Majorque  commençait  à  respirer.  A  la 
crainte  de  se  voir  forcé  dans  sa  capitale  succédait 
Tespoir  d*une  entière  réconciliation  avec  son  beau- 
frère;  il  ne  doutait  pas  que,  par  une  conséquence  né- 
cessaire de  la  déférence  que  le  roi  d'Aragon  venait 
de  montrer  enfin  aux  désirs  du  pape,  un  arrange- 
ment définitif  n  eut  lieu  par  la  même  médiation  :  le 
malheureux  ne  tarda  pas  à  être  arraché  à  ses  illusions. 
Averti  des  préparatifs  qui  se  faisaient  de  l'autre  côté 
des  Pyrénées,  il  ne  pouvait  se  méprendre  sur  la  des- 
tination des  machines  qu'on  fabriquait  en  si  grande 
hâte  à  Barcelone  et  à  Valence.  Voulant  alors,  de  son 
coté ,  faire  de  nouveaux  efforts  pour  se  mettre  en  dé- 
fense, il  trouva  partout  sur  ses  pas  son  implacable 
ennemi.  Le  1 5  du  mois  d'août  il  avait  vendu  à  Guarin 
de  Château -Neuf  le  village  de  Saint- Côme,  pour 
douze  cents  écus  de  France.  Pendant  la  trêve,  il 
se  décida  à  engager  à  quelques  cardinaux  les  sei- 
gneuries   d'Omellas,  de  Montpellier  et  de  Garlad; 


i343. 


tm  LIVRE  DBDXIEMK 

mais  Pàdre»  ae  fiuidaiit  sur  ce  que  le.priiicipil.4ai 
terres  lui  appartenait,  et  ^e  Jayme  ne  pouvÉft  les 
diéner,  fit  tant  auprès  du  pape  et  du  roi  de  Kranee, 
qu'A  empêcha  le  roi  de  Majorque  d*en  reee?oir  b 
finanoe.  Phflippe  aUa  |dus  loin*  par  lettres  MMUMi 
du  5  septembre  il  fit  défenses  à  tout  sujet  déisà  odo- 
romie  de  fidre  sortir  du  royaume  des  chefèôxv  '^ 
armes»  des  vivres,  rien  en  un  mot  de  ce  qui<éba|i^ 
cessaire  au  roi  de  Bfajorque,  et  ce  fut  le  roi  d*AngQB 
hii-4nèmet  qui  fit  notifier  ces  lettres*  le  1 1 'lidtafcn 
suArant,  aux  sénéchaux  de  Beaucaire,  de  Giiesi 
sonmè,deToidouseet  deBigorre.  m.  :  / 

,144.  iajrme ,  retombé  dans  les  plus  croe&es  amdélfts',^! 

serait  plus  de  quel  côté  se  tourner  pouf  coijuWÉfb''  ^- 
rage.  Dès  le  commencement  de  janvier  i  Sft&ll' 
éerit  au  roi  d*Aragon,  le  priant  de  se  souveaftri 
était  doublement  de  sa  fiimflle  par  les  liens  dit  Ml^. 
et  par  son  mariage  avec  sa  propre  sœur,  et  qifl 
titre  il  implorait  sa  justice.  Pèdre  impatienté  répon- 
dit au  religieux  chargé  de  ce  message,  qu*il  avait 
cédé  contre  Jayme  avec  toute  justice  comme  juge 
comme  suzerain ,  et  suivant  le  commandement  de&' 
lois  divines  et  humaines  ;  puis  il  récapitula  aussi! 
tous  les  griefs  qu*il  avait  contre  son  heau-fi:ire,  l'ac-- 
cusant  de  plus  cette  fois  d* avoir  dit  que  s'il  pouvar5=--^ 
boire  de  son  sang  il  ne  se  croirait  pas  encore  asses:^^^ 
vengé  ^  :  propos  horrible  s'il  fut  tenu  en  eflet,  nùSlm^^ 

'  Abarca. 


i 


CHAPITRE  SEPTIÈME.  271 

fois  plus  horrible  encore  s*il  fut  imaginé  par  le  roi 
(l*Aragon ,  ou  par  quelqu'un  de  ceux  qui  fomentaient 
sa  haine  contre  son  beau-frère.  Afin  d  enlever  toute 
espérance  à  ce  prince,  Pèdre,  sur  un  bruit  vague 
[|ui  se  répandit  que  Jayme  voulait  venir  à  lui  en 
bahit  de  moine  ou  de  pénitent,  manda  au  bailli  de 
Piguières  de  couvrir  d'espions  tous  les  passages ,  pour 
que,  si  le  roi  de  Majorque  se  présentait  effectivement 
sous  ce  déguisement,  il  fôt  arrêté,  et  enfermé  dans 
ta  tour  de  la  Giit)nella.  Pour  manifester  ensuite  com- 
bien sa  résolution  était  irrévocable,  il  prononça,  le 
39  mars,  en  grande  solennité,  dans  la  chapelle  du 
palais  de  Barcelone ,  incorporation  perpétuelle  et  in- 
aliénable des  états  de  Majorque  à  la  couronne  d'Ara- 
gon, et  déclara  ses  sujets  déliés  de  toute  obéissance 
envers  lui  et  envers  ses  successeurs,  quant  à  ce,  si  lui 
ou  eux  venaient  à  séparer  ou  aliéner  aucune  partie  de 
ce  qui  avait  constitué  ce  royaume  de  Majorque,  soit 
par  donation  entre  vifs,  par  testament  ou  par  alliance, 
soit  même  pour  occasion  de  paix  ou  de  concorde  ;  et 
si  pareille  chose  arrivait  jamais,  le  roi  déclarait  qu'il 
serait  Ubre  à  ses  sujets  de  s  y  opposer  par  la  force ,  et 
de  lever  à  cet  effet  des  hommes,  des  armées  et  des 
contributions  ^. 

Les  riches  hommes  d'Aragon  avaient  été  convo- 
<{ués  poiu*  le  commencement  du  printemps.  A  la  nou- 
velle de  cette  disposition  de  guerre,  le  pape  avait 

^  Pfccnfos  n  XXII. 


272  LIVRE   DEUXIÈME, 

envoyé  près  du  roi  d* Aragon  l'archevêque  d'Aii,  pour 
tâcher  de  fkire  prolonger  la  trêve  jusqu'à  la  fin  de 
septembre  ;  mais  ce  prélat  ne  put  rien  obtenir.  Au 
jour  convenu,  toutes  les  compagnies  se  trouverait 
réunies  à  Girone  :  c était  le  2  5  avril. 

Le  roi  de  Majorque  avait  contracté  Tengagemaitde 
ne  rien  entreprendre  contre  les  garnisons  aragonnaises 
laissées  dans  les  places  de  ses  états  occupées  par  elles, 
tant  que  durerait  la  trêve;  dès  qu'il  eut  connaissance 
de  la  marche  des  ennemis ,  il  voulut  faire  le  dégât  au- 
tour de  Canet  ;  mais  rien  de  ce  qu'il  pouvait  entre- 
prendre ne  devait  réussir  :  ia  fatalité  avait  marqué  sa 
destinée.  La  compagnie  de  chevaux  sortie  de  Per- 
pignan pour  cette  expédition  fut  mise  en  déroute  par 
Guillaume  de  Guimera,  qui  la  ramena  avec  tant  de 
vigueur  jusqu'aux  portes  de  la  ville,  que  les  Majo^ 
quins  furent  très-heureux  d'y  pouvoir  rentrer. 

Avant  de  repasser  les  Pyrénées,  Pèdre  avait  gravi 
la  montagne  de  Montserrat,  pour  offrir  à  la  Vierge  de 
ce  célèbre  monastère  une  j^alère  d'argent,  en  actions 
de  grâces  de  la  victoire  qu'il  avait  remportée  l'année 
précédente  à  Majorque,  dans  la  campagne  contre 
cette  île.  L'infant  don  Raymond-Bérenger,  frère  de 
co  prince  et  comte  apanagiste  d'Ampurias,  avait  ren- 
du la  liberté  à  Bérenger  de  Villaragut,  à  Bernard  de 
So  et  à  quelques  autres  chevaliers  du  parti  du  roi  de 
Majorque,  qui  avaient  été  faits  prisonniers  du  côté  de 
Lança,  et  que  rinfant  avait  enlevés  à  leurs  capteurs 


CHAPITRE   SEPTIÈME.  275 

our  les  délivrer.  Sur  la  connaissance  de  cet  événe- 
lent,  Pèdre  avait  fait  entamer  contre  son  frère  un 
rocès-criminel.  Raymond-Bérenger,  ayant  joint  don 
èdre  à  Girone,  et  étant  parvenu  à  lui  faire  entendre 
I  justification,  en  obtint  son  pardon,  et  il  dut  sesti- 
ler  heureux,  car  la  clémence  n'était  pas  la  qualité 
e  don  Pèdre,  qui  nen  avait  pas  fait  preuve,  surtout 
ïivers  son  propre  sang.  Par  reconnaissance ,  ou  pour 
accomplissement  des  conditions  mises  à  son  pardon , 
laymond-Bérenger  procura  au  roi  la  soumission  de 
oute  la  vallée  de  Banyuls.  Arrivé  k  Figueras,  le 
mai,  Pèdre  mit  quelques  jours  à  faire  ses  dernières 
ispositions  de  campagne,  et,  le  i5,  il  traversa  le 
ol  de  Panissas,  précédé  par  les  deux  infants,  ses 
rères,  qui  étaient  à  favant^arde.  Quelques  soldats 
e  la  garnison  des  Châteaux  des  Cluses  voulurent 
enter  d'enlever  une  partie  des  bagages,  au  moment 
lu  passage;  mais  Tescorte  du  convoi  les  força  de  ren- 
per  dans  leurs  forts.  Pèdre  coucha  entre  Saint-Jean- 
la-de-Corts  et  le  Boulou,  et  le  lendemain  il  se  dirigea 
ers  Fine,  faisant  de  nouveau  ravager  les  terres  et 
acendier  les  habitations  sur  toute  sa  route. 

Après  avoir  employé  quelques  jours  à  consommer 
es  dévastations,  le  roi  d'Aragon  avait  établi  son  quar- 
ier  dans  les  jardins  au-dessous  d'Elne,  pendant  que 
Herre  de  Queralt  se  portait  sur  la  Tour-Bas-Elne, 
!t  que  Guillaume  de  Guimera ,  gouverneur  de  Canet, 
i'emparait  de  Ville  -  Longue  de  la  Salanque.  Les 
1.  i8 


274  LIVKE    DEUXIEME. 

femmes  et  les  enfants  de  ce  dernier  lieu  furent  forcée 
d*en  sortir,  on  ne  dit  pas  pourquoi,  et* de  se  rendre 
k  Ganet. 

La  ville  de  Collioure  était  investie  par  Dalmas  de 
Totzo,  viguier  de  Girone,  h  la  tête  des  gens  de  sa 
viguerie;  Pèdre  fit  renforcer  ce  corps  par  quelques 
compagnies  de  chevaux ,  sous  les  ordres  de  Raymond 
de  Riusec,  et  il  se  disposa  à  investir  Argelès. 

Le  roi  d'Aragon  était  près  de  Pujols,  où  était  son 
quartier  royal,  quand  le  vicomte  dlUe  ^  vint,  de  la 
part  de  Bernard  de  So,  Tun  des  principaux  officiers 
du  roi  de  Majorque,  le  même  que  le  comte  d*Ampu- 
rias  avait  arraché  à  la  captivité  quelques  mois  aupa- 
ravant, traiter  de  sa  soumission  k  ce  prince.  Les 
conditions  étant  réglées,  ce  seigneur  augmenta  le 
nombre  des  transfuges  qui,  chaque  jour,  vendant 
leurs  sei"vices  à  Tennemi,  trahissaient  la  cause  du 
malheur. 

Deux  vaillants  chevaliers  de  Saint-Jean  de  Jérusa- 
lem, Pierre  d'Oms  et  Pierre-Arnaud  de  Peirestortes _ 
fidèles  au  roi  de  Majorque,  et  inaccessibles  à  toute 
corruption,  avaient  fortifié  le  Mas-Deu,  Palau  ettou 
les  châteaux  qui  dépendaient  de  Tordre.  Pèdre,  poiL- 
faire  cesser  cette  résistance,  ordonna  au  grand-prie 

'   La  terre  d'Ille,  on  Iloussillon,  avait  été  ôrigéc  en  vicomte  par 
roi  Sanche,  prédécesseur  de  Jaynic  II,  en  faveur  de  Pierrede  Fenouil! 
^n   i5i/i.  Pierre  épousa  Ksclarmonde,  vicomtesse  de  Canet,  ce  c 
réunit  ces  deux  vicomtes  sur  la  même  léte. 


CHAPITRE    SEPTIÈME.  275 

de  Catalogne  de  révoquer  ces  chevaliers,  et  de  les 

remplacer  par  d'autres  qui,  nés  dans  ses  états ,  fussent 

dévoués  à  sa  personne;  de  cette  manière  il  eut,  sans 

coup  férir,  ces  points  qui  étaient  susceptibles  d'une 

bonne  dé£ense.  La  tour  de  Pujols,  dépendante  de 

l*âbbaye  de  Fontfroide,  se  montrant  disposée  aussi  à 

ixiquiéter  ses  troupes,  Pèdre  fit  sommer  iabbé  de  la 

faire  remettre  entre  ses  mains  ;  mais  Tabbaye  de  Font- 

finoide  était  française ,  et  n'avait  rien  à  démêler  avec 

l€^   roi  d* Aragon  :  la  sommation  fut  sans  effet. 

Le  château  d'Argelès,  où  commandait  un  Français, 
nionnmé  Joflfre  ou  Geofroi  E^tendard,   et  qui  avait 
pour  garnison  une  compagnie  de  Génois  qui  dans 
toutes  les  occasions  avaient  fait  preuve  de  valeur, 
^tait  cerné  par  les  Âragonnais ,  et  battu  par  deux  en- 
gins et  un  mangonneau.  Pèdre  fit  creuser,  entre  la 
place  et  le  quartier  royal,  un  canal  communiquant  à 
la  mer,  dans  lequel  il  fit  remonter,  pour  concourir  au 
si^ge ,  tous  les  navires  qui  se  trouvaient  à  Canet  et  à 
Port-Vendre  ^  Une  tour  en  bois  fut  construite  pour 
<^ombattre  une  maison  que  Joffre  avait  bien  fortifiée, 
^t  qui  causait  beaucoup  de  mal  aux  Aragonnais.  A  la 
preimière  attaque,  le  commandant  de  cette  maison 
*yant  été  tué,  la  garnison   pnt  l'épouvante  et  le- 
vacna,  et  cette  perte  entraîna  celle  de  la  place,  qui 
^^pîtula  le  6  juin.  Maître  d'Ai^elès,  Pèdre  fit  atta- 
^^r  la  tour  de  Pujols,  dont  la  résistance,  quoique 

'   -Znrita. 

18. 


276  LIVRE   DEUXIÈME. 

vive,  ne  fut  pas  longue,  et  il  se  porta  ensuite  sur 
Collioure. 

CoUioure  était  investi  depuis  plusieurs  semaines 
quand  Farrivée  du  roi  d'Aragon  fit  prendre  de  nou- 
velles dispositions  pour  en  pousser  le  siège  avec  vi- 
gueur. Le  quartier  du  roi  s'établit  au-dessus  de  la 
ville,  du  côté  de  la  montagne;  don  Jayme  d'Aragon , 
fils  naturel  du  roi  Jayme  II,  quil  venait  d'armer  che- 
valier  dans  Argelès,  lut  placé  à  la  gauche  du  quartier 
royal,  du  côté  de  la  mer;  l'infant  don  Pèdre,  son 
oncle,  se  porta  de  l'autre  côté,  sur  le  chemin  de  Port- 
Vendre,  avec  don  Pierre  d'Exerica;  le  vicomte  de 
Gardone  campa  dans  le  bas,  à  l'endroit  nommé  la 
Coma,  et  l'amiral  don  Pierre  de  Moncade,  avec  le 
comte  de  Pallas,  s'établit  sur  le  rivage  de  la  mer. 

Les  opérations  d'attaque  de  CoUioure  commen- 
cèrent par  une  tour  aussi  forte  par  sa  construction 
que  par  sa  position  sur  un  point  élevé.  L'ardeur  des 
combattants  les  entraînant  jusqu'aux  fossés,  quoique 
la  retraite  fût  sonnée,  Pèdre  s'aperçut  qu'ils  ne  pou- 
vaient plus  revenir  sans  danger,  et  il  envoya  pour  les 
soutenir  et  continuer  l'attaque  don  Artaud  de  Foces. 
Cette  témérité  lut  couronnée  de  la  plus  heureuse 
réussite  ;  la  tour  fut  emportée ,  après  un  rude  combat 
qui  causa  beaucoup  de  mal  aux  assiégeants.  Une  autre 
tour  placée  au-dessus  du  couvent  des  prêcheurs  fut 
attaquée  ensuite ,  et  il  y  eut  là  un  combat  à  la  lance 
et  à  l'écu.  L  avantage  restant  aux  Aragonnais,  les  Ma- 


CHAPITRE   SEPTIÈME.  277 

quins  se  replièrent  dans  leur  forteresse ,  et  Exerica 
npara  du  boulevart,  qui  fut  pillé  et  démantelé, 
ut  moyen  de  résistance  se  trouvant  enlevé  succes- 
ement  aux  assiégés,  le  gouverneur  de  Gollioure, 
n  Raymond  de  Codolet,  qui  était  un  des  principaux 
gneurs  du  Roussillon  et  majordome  du  roi  de  Ma- 
nque, demanda  à  capituler,  et  Tobtint  aux  condi- 
us  les  plus  honorables.  La  garnison,  composée  de 
mois  et  de  nationaux,  eut  la  faculté  de  se  retirer 
ec  armes  et  bagages ,  sous  Tescorte  de  compagnies 
lyonnaises  pour  la  faire  respecter,  et  les  habitants  de 
ville  obtinrent,  non-seulement  la  garantie  de  leurs 
Dpriétés,  mais  la  restitution  de  ce  qui  avait  été  pillé 
r  les  gens  de  Pierre  d*Ëxerica,  dans  le  boidevait 
àporté  auparavant. 

-A  l'époque  où  nous  sommes  arrivés  y  le  pape ,  dont 
persévérance  à  chercher  les  moyens  de  sauver  la 
ironne  de  Majorque  ne  pouvait  être  égalée  que  par 
stination  de  Pèdre  à  se  refuser  à  tout  accommo- 
dent, avait  encore  envoyé  à  ce  prince  le  cardinal 
ibrun  avec  des  paroles  de  réconciliation;  Tinu- 
de  cette  nouvelle  démarche  devait  bien  démon- 
m  pontife  que  toute  proposition  était  désormais 
flue,  et  que  c  était  ajouter  peut-être  à  Tirrita- 
le  l'oppresseur,  que  de  témoigner  trop  d'intérêt 
eur  de  sa  victime. 

roi  d'Aragon  ,  dans  Thisloii^e  de  sa  vie,  prétend 
cardinal  d'Embrun  s'avança  jusqu'à  lui   de- 


S78  LIVRE  DEUXIÈME. 

muider  si,  dans  le  cas  où  le  toi  de  liajorqlie^MqOMt- 
tvait  entre  ses  mains  sa  personne,  ses  enfroAi^  «es 
terres  et  sa  couronne,  il  lui  garantirait  la  ne  et  les 
membres  saii&,  et  s*il  i^abstiendmit  de  le  tenir 
une  longue  et  dure  captirité,  et  qu'ayant 
des  deux  in&nts  ii  «Tait  répondu  dans  k  sens  de 
demande.  Nous  ne  croyons  pas  «{uePèdre  ffisesfî 
Térité.  L*ind%nation  que  témoigna  Jay  mé  en 
nant,  de  la  bouche  du  l^t ,  une  ^oposilioil  dé 
nature,  dont  tout  atteste  que  Tinidative  est  dise  an 
d*Aragon  lui-même ,  surtout  si  l'on  considèfe  faa 
que  prit  par  la  suite  ce  roi  pour  amener  son 
firére  k  ce  résultat,  fiit  oelle  d'un  prince  qui 
dignité  :  il  déclara  au  l^at  qu'il -aimait  mirai 
son  royaume  par  la  force  des  armes  que  de 
à  en  (aire  l'abandon  par  une  lâcheté. 

GoUioure  était,  après  Perpignan,  le  point  le  fftwÉ 
important  du  Roussillon ,  et  celui  sur  lequd  était  foÊLée 
Tattention  des  commandants  des  forts  et  châteaux  des 
environs.  Â  son  sort  paraissait  lié  celui  de  toutes  c^es 
places  ;  après  sa  chute ,  toutes  firent  leur  soumissidXi' 
Les  premières  qui  demandèrent  des  conditions  fiii^^n^ 
ies  châteaux  de  Saînt-Elme ,  de  Paiau  et  de  la  Ro^'^ic* 
Pèdre  s* établit  dans  ce  dernier,  et  il  envoya  d^B^^ 
trois  cents  chevaux  s'emparer  de  Millas  et  de  Th^^oir, 
et  ravager  toute  la  campagne.  Le  château  de  Mon^  tes- 
quiu  se  défendit  encore  quelque  temps  contre  le  vi- 
comte de  Cardone  ;  Maurellas  se  rendit  ensuite ,  c^  i^ 


CHAPITRE    SEPTIÈME.  279 

4ragonnais  allèrent  faire  le  blocus  d*Elne.  Dans  Tinter- 
Italie,  Pèdre  reçut  les  clefs  de  la  lourde  Madeloch  et 
lu  château  d'Ultrera.  Dans  le  même  temps,  don  Gila- 
>ert  de  Centellas  se  rendait  maître  d'une  maison  for- 
îfiée  qui  était  tout  près  de  Perpignan;  il  y  fit  prison- 
liers  quelques  cavaliers  provençaux,  sous  le  com- 
nandement  d'un  chevalier  nommé  Pierre  de  la 
iaume.  Ille,  Brulla,  Mosset  ouvrirent  aussi,  à  la 
nême  époque,  leurs  portes  à  leurs  seigneurs,  qui 
taient  déjà  depuis  longtemps  dans  le  parti  du  roi 
r  Aragon. 

Eàne  était  à  peine  investie,  que  la  défection  d'une 
lartie  des  habitants  la  fit  tomber  au  pouvoir  de  don 
^ècire.  La  fidélité  et  la  trahison  en  étant  venues  aux 
nains  dans  cette  ville ,  quelques  hommes  et  quelques 
emmes  coururent  aux  murailles,  appelèrent  à  grands 
;rîs  les  Aragonnais,  en  hissèrent  plusieurs  sur  le  rem- 
part, au  moyen  de  cordes  qu'ils  leur  jetèrent,  et  in- 
roduisirent  ainsi  les  premiers  ennemis  dans  la  place. 
Ileux-ci  s'emparèrent  d'une  des  portes  qu'ils  s'empres- 
^rent  d'ouvrir  à  leurs  compagnons.  Surpris  de  cette 
manière,  ceux  des  habitants  et  des  soldats  que  les 
Vragomiais  n'avaient  pu  rendre  transfuges,  se  reti- 
•^rent  dans  leur  fort,  sans  cesser  de  combattre,  tandis 
jue  d'autres ,  restés  dans  la  ville  basse ,  continuèrent 
pendant  toute  la  journée  à  lutter  contre  les  ennemis; 
rre  ne  fut  que  le  soir,  qu accablés  de  fatigue  et  écrasés 
par  le  nombre  ils  durent  enfin  se  rendre.   Pèdre, 


280  LIVRE   DEUXIÈME. 

pour  récompenser  la  perfidie  qui  avait  fait  tomber 
celte  place  entre  ses  mains,  y  envoya  trois  de  ses  che- 
valiers en  empêcher  le  pillage.  Au  bout  de  quelques 
jours  ceux  qui  s'étaient  enfermés  dans  la  ville  haute, 
manquant  d*eau  et  de  vivres,  furent  forcés  de  capi- 
tuler; on  les  échangea  contre  des  Âragonnais  faits  pri- 
sonniers dans  la  Cerdagne.  Le  lendemain,  1 2  de  juillet, 
on  put  voir  de  Perpignan  l'étendard  royal  d'Aragon 
flottant  au  haut  du  clocher  de  la  cathédrale. 

Ce  même  jour  les  almogavares  et  quelques  cava- 
liers ravagèrent  les  terres  de  Saint-Hippolyte  et  de 
Claira.  Les  propriétés  de  ceux  de  Saint -Laurent 
furent  respectées,  parce  que  les  habitants  faisaient 
cause  commune  avec  les  ennemis ,  et  qu'ils  avaient  eu 
même  quelques  engagements  avec  les  habitants  des 
deux  villages  voisins. 

En  même  temps  que  le  roi  d'Aragon  cherchait  à 
soumettre  par  la  terreur  et  la  misère  ceux  des  sujets 
du  roi  de  Majorque  qu'il  n'avait  pu  corrompre;  il 
poursuivait  avec  ce  prince  la  négociation  qu'il  avait 
entamée  avec  le  cardinal  d'Embrun,  et  qui  avait 
pour  objet  de  porter  Jayme  à  se  remettre  lui-même 
en  son  pouvoir,  avec  ce  qui  lui  restait  encore  de 
châteaux  et  de  places,  et  surtout  la  ville  de  Per- 
pignan. Le  malheureux  roi  de  Majorque  en  était  ar- 
rivé à  ce  point,  qu'il  n'avait  plus  d'autre  alternative 
que  de  s'abandonner  à  la  discrétion  de  son  ennemi, 
ou  d'attendre  qu'une  sédition  le  livrât  peut-être  pieds 


CHAPITRE   SEPTIÈME.  281 

et  poings  liés.  La  majeure  partie  des  habitants  de  sa 
capitale  attendait  les  Aragonnais ,  qu'elle  favorisait  de 
tous  ses  moyens.  Plusieurs  conspirations  découvertes, 
et  qui  avaient  nécessité  des  exemples ,  ne  lui  avaient 
que  trop  révélé  le  péril  de  sa  position.  Un  événement 
qui  venait  de  se  passer  lui  avait  appris  aussi  quil 
ne  devait  plus  compter  que  bien  faiblement  sur  ses 
propres  troupes;  la  séduction  et  la  corruption  les 
avaient  détachées  de  lui  ;  le  parjure  était  dans  tous  les 
rangs.  Ayant  voulu,  de  l'avis  du  corps  municipal,  qui 
en  sentait  la  nécessité,  faire  brûler  le  faubourg  des 
teintureries,  aujourd'hui  faubourg  de  Notre-Dame, 
|ui  exigeait  une  garde  de  trois  cents  hommes  dont  la 
Présence  eût  été  très-utile  dans  la  place ,  et  qui ,  hors 
les  murailles,  pouvaient  être  facilement  enlevés  par 
ennemi,  cette  garde,  d'accord  avec  les  gens  du  fau- 
lOiii^Y  refusa  d'obéir,  se  fortifia  dans  l'église,  et  ap- 
•ela  contre  son  propre  roi  le  secours  de  don  Pèdre. 
ayme  se  trouvait  donc  à  la  merci  de  ce  prince. 

Don  Pierre  d'Exerica  avait  été  chargé  d'entrer  en 
ourparlers  avec  le  roi  de  Majorque,  et  de  l'assurer, 
e  la  part  de  son  maitre ,  qu'il  pouvait  se  mettre  entre 
»s  mains  librement,  sans  crainte  et  sans  conditions, 
"u'îl  serait  traité  avec  indidgence,  qu'on  n' entre- 
rendrait rien  contre  sa  personne ,  et  qu'il  en  serait 
.-sé  envers  lui  miséricordieasement  Ce  seigneur  s'ap- 
iTocha  de  Perpignan  à  la  tête  de  trois  cents  chevaux 
X  mille  almogavares.  Arrivé  à  une  petite  distance 


282  LIVRE  DEUXIEME, 

de  cette  ville,  il  s^arrêta,  et  don  Pierre  de  Godolet 
alla  le  joindre  de  la  part  du  roi  de  Majorque.  Après 
quelques   débats  préliminaires,  ces  deux  seigneurs 
convinrent  qu^Eoierica  se  tirerait  un  peu  à  Técart 
avec  quinze  de  ses  chevaliers,  et  que  le  roi  de  &fa- 
jorque,   accompagné  de   pareil  nombre  de  cheva- 
liers, viendrait  s'aboucher  avec  lui.  L'entrevue  eut 
lieu  dans  une  vigne,  k  côté  du  chemin  qui  mène  à 
Ëlne.  Eoierica ,  après  avoir  rendu  son  message ,  donn 
au  roi  Jayme  l'assurance  que  son  maître  tiendrai 
fidèlement  toutes  ses  promesses;  et  le  roi  de  Ma- 
jorque, privé  de  tout  appui,  menacé  comme  on  F 
vu  dans  sa  propre  ville  par  la  plus  grande  partie  d 
ses  sujets,  ([ue  les  malheurs  de  cette  affreuse  gue 
autant  que  les  intrigues  de  TAragonnais  avaient  so 
levés  contre  lui ,  forcé  en  un  mot  de  subir  la  dur 
loi  de  la  nécessité,  promit  de  s'abandonner  à  do:r 
Pèdre,^aver  tous  ses  châteaux  de  Roussillon  et 
C(Tdagne. 

La  position  de  don  Jayme  était  bien  faite  pour  e 
citer  rintéret  de  tous  les  potentats,  et  toutefois, 
l'exception  du  paj)e,  aucun  n'avait  voulu  interven 
pour  lui;  le  roi  d'Angleterre,  avec  qui  il  était  sur 
point  de  s'allier  au  commencement  de  cette  guer 
était  occupé  avec  le  roi  de  France,  tacitement  lig 
avec  le  roi  d'Aragon;  et  ni  le  roi  de  Castille  ni  cel 
de  Navarre,  dont  la  politique  devait  être  l'empêcl^- 
ment  de  l'augmentation  do  puissance  de  la  couron 


CHAPITRE   SEPTIÈME.  283 

i* Aragon,  n'avaient  fait  la  moindre  démarche  en  sa  fa- 
veur. Cependant  le  fils  aîné  de  Philippe  de  Valois, 
fean ,  dac  de  Normandie ,  entraîné  par  un  sentiment 
généreux,  avait  voulu  interposer  ses  bons  offices  entre 
es  deux  beaux-fi'ères ,  et,  par  son  ordre,  Gofllaume 
le  Vîilers,  maître  des  requêtes  du  royaume,  était  allé 
(emander  une  conférence  au  roi  d'Aragon ,  et  soUî- 
iter,  en  attendant,  une  suspension  d*armes«  Mais 
ette  tardive  ambassade ,  dont  le  succès  eût  été  plus 
ne  douteux,  ne  put  profiter  à  Jayme;  de  Villers 
l'airiva  à  Elne  qu  au  moment  où  Exerica  et  le  roi  de 
faj orque  étaient  en  pourparlers,  et  il  ne  fut  pas  dîf- 
iriie  au  roi  d'Aragon,  s'excusant  sur  l'état  actuel  des 
hoses,  de  ne  point  déférer  à  l'invitation  de  l'héritier 
u  trône  de  France. 

Elxerica  revint  à  Perpignan  le  lendemain  du  jour 
e  sa  conférence  avec  Jayme.  Sa  mission  était,  ce 
>ur-là ,  de  régler  avec  ce  prince  la  manière  dont  se 
^rait  la  soumission ,  ou ,  en  d'autres  termes ,  de  faire 
onnaltre  au  roi  de  Majorque  jusqu'à  quel  point  le 
onseil  d'Aragon  avait  décidé  que  son  front  royal  de- 
ait  s'humilier.  Il  fut  aiTêté  que  le  jour  suivant,  1 5  du 
30ÎS  de  juillet,  Pèdre  recevrait  Jayme  en  présence 
es  infants  don  Pèdre  et  don  Jayme  ^  de  dix -sept 
îches  hommes  ou  chevaliers  de  sa  cour,  et  de  son 
onfesseur. 

Le  jour  qui  devait  éclairer  la  déposition  du  roi  de 
Majorque  s  étant  levé,  Jayme,  qui  ne  pouvait  se  per- 


284  LIVRE   DEUXIÈME. 

suader  que  la  couronne  ne  lui  fài  rendue  après  quil 
aurait  satisfait  à  Foi^eil  de  don  Pèdre ,  se  disposa  à 
cousonuner  son  douloureux  sacrifice.  Accompagné  du 
^eul  Elxerica  il  quitte  Perpignan,  et,  cédant  à  sa  mau- 
vaise fortune ,  il  prend  la  route  d*^ne.  Pèdre  Tatten- 
dait  sous  sa  tente  :  celui-ci  entrait  dans  sa  vingt-qua- 
trième année,  Jayme  avait  alors  vingt-neuf  ans. 
La  distance  de  Perpignan  à  Ëlne  n*est  que  de  deu] 


lieues;  mais  qu'elles  durent  être  longues  à  parcouriE 
pour  le  malheureux  roi  de  Majorque  ! 

La  tente  du  roi  d*Âragon  était  dressée  hors  de  h 
ville.  Entouré  de  tous  les  personnages  désignés  poi 
être  témoins  de  Taccomplissemcnt  d*une  perfidie  pi 
parée  avec  tant  d'art  et  poursuivie  avec  tant  de  pei 
sévérance ,  Pèdre  biiilait  d*impatience  de  voir  sa  vi< 
time  à  ses  pieds.  Ces  inquiétudes,  il  ne  peut  les 
simuler  en  écrivant  sa  chronique,  u  Nous  attendioi 
«dit-il,  la  venue  de  Jayme  de  Mallorques;  il  ne  p 
« raissait  point.  Nous  ouïmes  la  messe,  et  attendîuL^^^s 
«  encore  un  peu  ;  mais  il  ne  venait  point.  Puis ,  no  ^ja.s 
«nous  mîmes  à  table  et  disions  que  s'il  venait  no^xs 
«nous  lèverions.  Finalement  nous  avions  fait  no^^re 
«sieste  qu'il  n était  pas  venu.  » 

Enfin  le  roi  de  Majorque  entra  dans  la  tente    cîii 
roi  d'Aragon.  Il  était  armé  de  toutes  pièces,  hors   la 
tête  qui  resta  découverte.  Pèdre,  qui  était  assis  qustnd 
ce  prince  se  présenta ,  se  leva  quand  il  le  vit  près  de 
lui.  Javmr  mit  un  genou  en  terre  et  Pèdre  lui  tendît  la 


CHAPITRE   SEPTIÈME.  285 

1,  que  son  beau-frère  baisa  malgré  la  volonté  du 
l' Aragon,  s'il  faut  s'en  rapporter  à  ce  que  dit 
i-ci.  Pèdre  le  releva  et  l'embrassa.  «  Mon  sei- 
îur,  dit  alors  le  roi  de  Majorque,  j'ai  erré  envers 
15,  mais  non  pas  contre  ma  foi.  Cependant,  sei- 
;ur,  si  je  l'ai  fait ,  je  voudrais  qu'il  n'en  fiât  ainsi  ^ 
le  Tai  fait  c'est  faute  de  bon  sens,  ou  par  mauvais 
iseil,  et  je  viens  m'en  amender  devant  vous,  car 
suis  de  votre  maison ,  et  veux  vous  servir  parce 
B  je  vous  ai  toujours  aimé  de  cœur;  et  que  je 
s  certain  que  vous,  mon  seigneur,  m'avez  beau- 
ip  aimé  et  que  vous  m'aimez  encore.  Je  prétends 
as  servir  de  telle  manière  que  vous  puissiez  vous 
lir  pour  bien  servi  par  moi,  et  je  mets  en  votre 
issance  ma  personne  ainsi  que  toute  ma  terre.  » 
re  lui  répondit  :  «  Si  vous  avez  erré,  c'est  peu  de 
ose,  car  errer  et  reconnaître  son  erreur  c'est 
ose  humaine ,  mais  y  persévérer  c'est  malice, 
asi ,  puisque  vous  reconnaissez  votre  erreur,  nous 
rons  de  vous  miséricorde  et  vous  ferons  grâce, 
manière  que  chacun  pourra  voir  que  nous  avons 
t  envers  vous  miséricordieux  et  gracieux.  Vous, 
pendant,  remettez  en  notre  puissance  votre  per- 
nne  et  toute  votre  terre  suivant  nos  conven- 
ons. » 
kprès  ces  deux  discours  assez  décousus  et  dans  les- 

Yo  he  errai  vers  vos ,  mas  no  contra  fe;  pero,  scnyor,  siu  he,  nou 
aver  fet,  e  siu  he  fet  nou  cuyt  hauer  fet,  etc.  CarhoneU. 


286  LIVRE   DEUXIÈME, 

quds  chacun  des  deux  rois  mentait  à  sa  conscience  \ 
Eierica  conduisit  son  prisonnier  dans  la  ville  d^Elne. 
L*inibrtuné  Jayme,  le  front  rouge  de  honte,  iTtit 
k  peine  quitté  la  tente  du  roi  d'Aragon  que  déjà  cehii- 
ci  envoyait  don  Philippe  de  Castro  et  ramiral  doa 
Pierre  de  Moncadc  lui  demander  les  pouvoirs  néces- 
saires pour  se  mettre  immédiatement  en  posaeasioim 
de  Perpignan  et  de  ses  fortifications.  Jayme  se  oon — 
tenta  de  faire  dire  verbalement  au  commandant  d 
château,  qui  se  nommait  Saragossa,  et  aux  jsrofs  o 

corps  municipal ,  de  recevoir  les  troupes  d'Aragon  

Ces  deux  chevaliers  s  v  rendirent  incontinent  a?ecr* 
quelques  compagnies  de  cavalerie  et  prirent  postes  — 
sion  de  la  ville  et  de  ses  murailles;  quant  au  château  j^^ 
dont  le  châtelain  avait  été  solennellement  délié  de  so: 
serment  par  Jaymc  avant  son  départ  ^  ce  ne  (ut  qu 
le  lendemain ,  1 6  de  juillet,  après  bien  des  protesta 
tions  de  la  part  du  corps  municipal ,  des  sommation 
de  la  part  des  roiiiniissaires ,  et  enfin  la  présentatioc 
d'un  ordn'  mit  de  la  main  du  roi  drtrôné  ^,  qu'il  leu 

'  ('.es  deux  discours  n Ont  p.is  oit*  traduits  trAs-exactement  on  ca== 
tillaii  par  Zurita.  Il  ^^l  bien  douteux  ,  au  reste,  que  ce  soient  ceux  qu 
furent  tenus  dans  c«'tte  circonstance  solennelle.  Le  n>i  don  Pèdre  n'fc 
cri\it  son  liisloire  (jur  près  de  (juarante  ans  apr^s  ces  é\éncmonts,  m 
dans  un  ài;c  où.  jnijeanl  sa  (onduite  a>ec  d'autres  yeux  qu'à  vin^ 
quatre  ans,  il  >"i'IVorc;nt  d»  juNtilier  tout  cr  (pra\ait  d'odieux  ce  grarv 
acte  de  prilitiipie,  sinon  <lc  |.robih-. 

*  L'acte  puhln"  <'n  cxiNt»^  <ians  l«s  registres  de  l'ancienne  cour  c^ 
domaine. 

'   Preu\«'>  n    Wlll 


-»i 


y 


CHAPITRE   SEPTIÈME.  287 

ouvert.  Alors  Tétendard  royal  de  Majorque  fut 

nplacé  sur  la  plus  haute  tour  de  ce  château  par 

ui  d'Aragon.  En  le  voyant  flotter,  le  château  de 

lira  fit  sa  soumission. 

Le  roi  d'Aragon ,  couvert  de  fer  comme  pour  une 
:aille ,  fit  son  entrée  dans  Perpignan  le  même 
ur,  1 6  juillet ,  à  la  tête  de  ses  gens  d  armes  dont  la 
nne  tenue  émerveilla,  dit-il,  les  habitants.  Pendant 
il  entrait  par  la  porte  d'Elne ,  celle  de  Notre-Dame 
nnait  issue  à  une  compagnie  de  chevaux  de  France 
l  était  à  la  solde  du  roi  de  Majorque.  Aucun  his- 
ien  ne  dit  à  qui  elle  appartenait  ;  on  a  tout  lieu  de 
lire  que  c  était  à  la  comtesse  de  Foix,  qui  avait  tou* 
irs  refusé  de  déférer  aux  sommations  de  ne  prêter 
[mn  secours  k  Jayme.  Comme  cette  bande  passait 
r  Salses ,  elle  voulut  s  indenmiser  sur  ce  pays  de 
perte  de  sa  solde,  qui  ne  lui  avait  pas  été  payée,  et 
e  se  mit  à  butiner  ;  mais  Roger,  comte  de  Pallas , 
'il  ne  faut  pas  confondre  avec  Artaud  de  Pallas, 
nrîteur  fidèle  et  dévoué  de  Jayme,  sortit  du  château 
ec  sa  compagnie,  et  trouvant  les  Français  épars 
ins  les  maisons ,  il  en  tua  im  grand  nombre  et  l'eprit 
ut  le  butin.  Ceux  qui  purent  échapper  ne  durent  la 
e  qu'à  la  générosité  de  ce  seigneur  qui  défendit  à  ses 
;ns  de  les  poursuivre.  Peu  s'en  fallut  que  ce  Guil- 
iime  de  Villers,  que  le  duc  de  Normandie  avait  en- 
Dyé  au  roi  d'Aragon  et  qui  s'(  n  retournait  avec  cette 
cupe ,  ne  fut  tué  dans  cette  échauffourée. 


288  l.iVRK    DKliXlKMK. 

A  Perpignan,  où  l'èdre  iil  qiieltiue  séjour,  il  i-eçitt 
riiomniago  àe»  seigneurs  roiissillonnais  que  la  maii* 
vaisf  foitime  de  leur  mi  força  il  à  plier  devant  le  vain- 
(pieur.  Après  iivoir  fait  cliajiger  ks  consuls  et  renou- 
veler les  jnrats .  ce  prince  nomma  bailli  royal  de  la 
ville  et  lietitennnt  général  des  doux  comtés  don  Ray- 
mond de  Tolïo,  et  il  envoya  plusieurs  de  ses  cheva- 
liers recevoir  dans  les  principaux  cantons  l'hommage^ — 
des  différents  seigneurs  de  Roussilion  et  de  Cerdagn^s 
qui  ne  s'étaient  pas  rendus  personnellement  à  Perpi — 
giian.  Maitin  Lopès  de  Oteyça  marcha  à  la  tête  des 

cjuvlqu»?s  foices  contre  le  château  de  Força-Heal  qu . 

tenait  encore,  et  François  Aiadren  alla  mettre  gar- 
nison dans  Salses.  Les  châteaux  d'Opol .  de  Teutave  -^ 
et  de  Corsavi  reçurent  garnison,  et  à  cette  mèm^w 
époque  ou  restitua  ^  Raymond,  vicomte  de  Canet,  l^v 
château  de  ce  nom  ainsi  que  t^elui  de  Saintfr-MarifrJ^^ 
Mer  qui  lui  appnrtenaient  '. 

Cependant  le  roi  Jayme,  toujours  persuadé  qu 

s«s  états  lui  seraient  rendus ,  ne  cachait  pas  ses  iMlf^"^ 
rances  à  ses  amis,  et  soutenait  ainsi  la  fidélité  dh<ii — '- 
cdante  de  quelques-uns;  mais  bientôt  il  fut  tiré  dMI 
cette  agréable  erreur  par  la  nouvelle  qu'un -p 
génénd  du  royaume  allait  être  assemblé  pour  ] 
noncer  solennellement  la  confiscation  définitive  i 


'  CeBaymoDdéUit vicomtedeCaoetet letgoeurdeSunta-UaRBa 
ne  faut  pu  le  confondre  a<rec  le  vicomte  d'IUe  et  deCanet,  de  !■  mû^ 
de  Fenonillet,  qui  avait  des  premiers  trobil*  cause  dorai  dsHijar^ 


CHAPITRE    SEPTIÈME.  289 

perpétuelle  de  son  royaume  :  son  geôlier,  don  Pierre 
d^Exerica,  lui  notifia  même  une  lettre  de  don  Pèdre 
qui  lui  enjoignait  de  lui  faire  rendre  lobéissance  par 
tous  ses  sujets  indistinctement,  ajoutant,  de  la  part 
de  ce  prince,  qu'il  lui  serait  fâcheux  dctre  obligé  d*en 
venir  avec  lui  à  de  dures  extrémités ,  mais  que  s'il  ne 
remplissait  pas  immédiatement  toutes  ses  promesses 
on  saurait  l'y  contraindre.  La  lettre  du  roi  d'Aragon 
se  terminait  par  les  recommandations  les  plus  ex- 
presses à  son  agent  de  bien  surveiller  son  prisonnier 
pour  qu'il  ne  pûttrouver  aucun  moyen  de  s'échapper  ^ 
Ce  qui  avait  donné  lieu  à  cette  missive ,  c'est  que  dans 
ce  moment  même  don  Juan  de  So,  vicomte  d'Évol, 
bien  différent  de  ce  Bernard  de  So  qui  avait  lâche- 
ment abandonné  son  roi  pour  passer  dans  les  rangs 
ennemis,  continuait  à  harceler  les  Aragonnais,  en 
Gonflent,  avec  quelques  compagnies  à  ses  ordres.  Ce 
sagneur  venait  de  saccager  le  village  d'Ejis ,  où  les 
Aragonnais  avaient  une  garnison ,  et  d'autre  part  les 
Majorquins  qui  étaient  au  château  de  Bellegarde  guet- 
tant les  almogavares  licenciés  qui  passaient  par  les 
cols  du  Pertus  ou  de  Panissas ,  les  tuaient  sans  mi- 
séricorde. 

La  réunion  du  royaume  de  Majorque  à  celui  d'A- 
ragon ,  décrétée  par  Pèdre  IV  depuis  près  de  deux  ans 
et  confirmée  par  lui  dans  la  cathédrale  de  Valence 
au  mois  de  décembre  de  la  même  année  \oli^,  puis 

*  Znrita. 

1.  19 


290  LIVRE    DEUXIÈME. 

dans  celle  de  Majorque  au  mois  de  juin  i343  avait 
été  publiée  à  son  tour  dans  Té^ise  de  Saint-Jean  de 
Perpignan,  et  confirmée  devant  tout  le  peuple  as- 
semblé, le  3  2  du  mois  de  juillet,  six  jours  après 
l'entrée  solennelle  de  don  Pèdre  dans  cette  ville.  Déj 
le  dimanche  précédent  un  moine  de  Saint^Françoi 
s* était  chargé  de  faire  Téloge  du  roi  d* Aragon,  et  d 
démontrer  ses  droits  au  royaume  de  Majorque  a 
moyen  du  sermon  qu'il  prêcha  en  présence  du  princ 
dans  la  cour  du  château  royal  dont,  à  cette  i 
tion ,  on  avait  laissé  l'entrée  libre  au  public;  le  mê: 
jour  deux  autres  moines  avaient  fait  entendre 
sermon  analogue  dans  1  église  de  Saint-Jean  et  d 
celle  des  cordeliers.  Après  avoir  ainsi  fait  prépa 
l'esprit  du  peuple  par  ces  discours  apologétiqu 
Pèdre  était  descendu  du  château  dans  la  ville»  e 
en  avait  parcouru  les  rues  à  cheval ,  suivi  de  ses  c 
valiers,  et  affectant  de  saluer  avec  bienveillance 
ceux  qui  se  trouvaient  sur  son  passage  et  qui  ï 
cueillaient  par  des  acclamations. 


CHAPITRE    HUITIEME.  291 


CHAPITRE  VIII. 

oorts  coniinnent  la  spoliation.  —  Jayme  accuse  Exerica  de 
ravoir  trompé. — Démentis  et  cartels.  —  Jayme  quitte  la  Ca- 
talogne. —  Echauflburée  en  Cerdagne.  —  Inquiétudes  de  don 
Pèdre.  —  Ses  vengeances  en  Roussillon.  —  Conduite  odieuse 
do  roi  de  France. 


Si  la  loyauté,  marchant  toujours  tête  levée,  af-  1344. 
nte  hardiment  tous  les  regards ,  le  transfuge ,  bour- 
lé  de  remords,  évite  avec  anxiété  celui  qu*il  a 
i  et  craint  incessamment  la  juste  peine  due  à  son 
'amie.  Le  roi  de  Majorque,  après  avoir  obtenu  de 
d'Ëlne  à  Thuir,  s  était  bientôt  vu  forcé  d*en- 
T  en  Catalogne ,  et  avait  sollicité  du  roi  d*Âragon 
e  entrevue  que  celui-ci  lui  avait  accordée,  malgré 
vives  instances  des  seigneurs  roussillonnais,  trem- 
*>i^nt  que  ce  monarque ,  ébranlé  par  le  prince  dont 
il»  avaient  favorisé  et  précipité  la  ruine,  ne  revînt 
^u.x'  ses  résolutions.  Cette  entrevue  eut  lieu  au  mi- 
H^ti  du  grand  chemin,  à  une  demi -lieue  de  Perpi- 
an,  et  sans  qu  aucun  des  deux  princes  descendit 
cheval. 

L'entretien  roula  sur  neuf  articles  que  Pèdre  re- 
^^a  par  ordre.  Premièrement,  le  roi  de  Majorque 
^^ïTianda  à  son  adversaire  de  vouloir  entendre  son 

"9- 


292  LIVRE   DEUXIÈME. 

droit  ;  à  quoi  Pèdre  répondit  que  la  chose  était  déjà. 
faite ,  et  qu*il  aurait  dû  le  plaider  à  Tépoque  où  ii 
avait  été  cité  à  comparaître  par  devant  lui.  Second 
ment,  il  demanda  que  les  droits  de  ses  neveux,  1 
enfants  de  don  Femand ,  sur  certains  châteaux  qu'il 
possédaient  en  Roussillon»  fussent  respectés.  Troi 
sièmement,  il  désirait  qu*c^  la  place  de  la  ville  d 
Manresa ,  qui  lui  était  assignée  pour  résidence ,  o 
substituât  celle  de  Berga  ;  quatrièmement»  qu'il  11 
fût  permis  de  voyager  armé  et  avec  une  escorte  s 
(isante  pour  le  mettre  à  couvert  des  attaques  d'A — 
naud  de  Roquefeuil,  chevalier  français,  allié  du  r^ 
d'Aragon,  devenu  lennemi  personnel  de  Jayme  i 

cause  du  meurtre  commis  par  ce  dernier,  dans  »  "»  ji 
mouvement  de  colère,  sur  la  personne  du  fils  de  -^r^e 
seigneur  ^  ;  cinquièmement ,  que  copie  de  son  proc:^  ^s 
lui  fut  délivrée  :  ces  quatre  derniers  articles 
furent  accordés.  Au  sixième,  qui  était  de  ne 
ajouter  foi  aux  propos  qu'on  lui  tiendrait  contre  1 
Pèdre  répondit  qu'il  lui  serait  pénible  que  persom. 
pût  mal  parler  de  lui  avec  vérité.  La  septième 
mande  ne  fut  pas  reçue  avec  les  mêmes  égards.  Jay 


I 


'   Aucun  écrivain  ne  nous  dit  à  quel  sujet  Ja\Tiic  avait  fait  péri*"  *'f 
chevalier;  IVdre  se  borne  î\  citer  le  l'ait  sans  ajouter,  comme  ccuk    <7W' 
l'ont  copié,  «pie  ce  prince  TaNait  fait  périr  criullcment.  Peu  de  ie''Mnpf 
après  une  reconciliation  survint  entre  Jaynie  et  Arnaud  de  Roque fcu" 
par  Tentreniise  du  pape,  et  Arnaud  reçut  en  dédommagement  les  lîeui 
de  Pouget,  Pouzols,  Salnl-I^usile  et  Vindemian  dé|>endant  de  la  ba- 
ronie  d'Omelas 


CHAPITRE   HUITIÈME.  293 

triait  son  beau-frère  de  ne  pas  s  entourer  de  ceux  de 
es  anciens  vassaux  qui  l'avaient  trahi.  Pèdre,  choqué 
c  cette  expression ,  répondit  qu'il  ne  fallait  pas  ap- 
cler  traîtres  ceux  qui  avaient  loyalement  rempli  leur 
«voir,  qu'A  les  défendrait  contre  qui  que  ce  fût.  Jayme 
tarait  ensuite  prié  le  roi  d'Aragon ,  s'il  fallait  en  croire 
elui-ci ,  de  lui  permettre  de  le  servir  lui-même  de 
^s  armes ,  ce  à  quoi  Pèdre  aurait  répondu  évasive- 
3ent.  Cette  assertion  n'est  pas  croyable.  Jayme  aurait 
entablement  mérité  son  sort  s'il  avait  pu  descendre 
ime  aussi  basse  demande  ;  elle  lui  ferait  perdre  tout 
ijQtérêt  que  sa  position  réclame  de  l'impartiale  pos- 
éxité;  mais  un  roi  qui  perd  sa  couronne  n'offre  pas 
.o»  bras  et  son  épée  à  celui  qui  la  lui  ravit;  cela  ne 
^Aurait  être,  et  Pèdre  ajoute  ici  une  calomnie  à  ses 
amtres  crimes  contre  son  parent.  Le  prince  qui  re- 
commande à  son  spoliateur  l'avenir  de  ses  neveux 
n'est  pas  un  prince  qui  veuille  se  déshonorer.  Pèdre 
avait  quelque  intérêt  à  avilir  celui  dont  il  usurpait 
l'héritage,  et  cette  demande  de  service  qu'il  nous  dit 
lui  avoir  été  faite  ne  doit  pas  avoir  plus  de  créance 
T^e  le  prétendu  projet  d'enlèvement  de  toute  une  fa- 
^*^e  royale  au  milieu  de  sa  cour.  Ce  qui  se  passa 
ensuite  est  le  meilleur  démenti  à  cette  inculpation. 
Au  reste  il  n'existait  plus  personne  de  la  famille  de 
J^yme  quand  Pèdre ,  pour  pallier  ses  torts  aux  yeux 
de  la  postérité ,  écrivit  son  histoire  :  ne  pouvait-il  pas 
en  imposer  impunément  à  sa  propre  conscience  P 


294  LIVRE  DEUXIÈME. 

Lie  roi  de  Majorque,  forcé  de  quitter  le  Roui- 
sillon,  avait  été  conduit  à  Berga;  fl  arait  enauite 
changé  cette  résidence  pour  celle  de  Saint -Gug^t^ 
Quand  Pèdre  revint  à  Barcelone  Jayme ,  muni  d'i 
sauf*conduit ,  se  rendit  au  château  de  Badalona,  à  un 
lieue  de  cette  dernière  ville.  Cest  là  que  le  ao  octob 
suivant  il  reçut  des  mains  de  Pierre  de  Moncade,  d 
Philippe  Boys,  de  Garcia  de  Loris  et  de  Raymom 


Sicart,  secrétaire  du  roi  d'Aragon,  le  message  d 
corts  qui  lui  signifiait  que  ses  états  étaient  confisqi 
sans  retour.  Ces  hauts  messagers  déposèr^fit  en  mèm 


temps  entre  ses  mains,  en  faisant  dresser  acte  pub: 
de  cette  remise ,  les  articles  suivants  proposés  par 
roi  d'Aragon  et  adoptés  par  les  corts  : 

Cl  1^  Il  sera  donné  par  nous  au  roi  de  Majorque  d 
tt  mille  livres  de  rentes  perpétuelles ,  lesquelles 
«lui  compterons  jusqu'à  ce  que  nous  ayons 
«pour  lui,  hors  de  notre  seigneurie,  des  biens 
«  rapportent  autant  de  rentes  pour  son  entretien , 
«  de  sa  femme,  notre  sœur,  et  de  ses  enfants ,  avec  I« 
((  condition  que  s  ils  meurent  sans  postérité  lesdiK^^^^ 
<(  rentes  nous  retourneront. 

((  2°  Nous  lui  laissons  les  droits  de  commis  ou    ^J^ 
<(  eondscation  qui  nous  appartenaient  sur  les  viconi'*:^^ 
(«  d'OuK^las  et  de  Carlad  et  sur  les  terres  de  Mo ^nt- 
<•  pellier. 

<(  y  Nous  lui  relaxons  la  seigneurie  directe  et  a^llo- 
«  diale  dcsdites  vicomtes  et  terres. 


CHAPITRE    HUITIÈME.  295 

«  b!*  Nous  lui  remettons  les  (rais  et  dépens  pour 
l'exécution  par  mer  et  par  terre  (c'est-à-dire  pour  la 
conquête  de  ses  états  ) ,  lesquels  montent  à  de  très- 
grandes  et  inestimables  sonunes ,  sous  la  condition 
que  ledit  don  Jayme  de  Majorque  sera  tenu  de  re- 
noncer au  titre  et  aux  insignes  de  roi,  de  briser 
les  sceaux  où  étaient  le  nom  et  le  titre  de  majesté 
royale,  de  changer  Técusson  de  ses  armes  ou  d*y 
faire  des  différences  notables,  de  nous  remettre 
toutes  chartes  et  écritures  relatives  aux  royaume, 
comtés  et  terres  qu'il  avait  possédés  ; 

«  5^  Qu'fl  nous  restitue  toutes  écritures  et  obliga- 
tions que  peuvent  lui  avoir  adressées  les  gens  des 
comtés  de  Roussillon  et  de  Gerdagne  qui  ne  nous 

A  obéissent  pas,  et  qu'il  ne  leur  prête  ni  faveur  ni 

ui  aide; 

«  6^  Qu'il  fasse  assurance  et  obligation  de  ne  ja- 

c«  xnais  nous  faire,  ni  lui  ni  les  siens,  aucune  de^ 

«  mande  ni  procès  sur  ce  que  nous  lui  avons  pris  par 

«  justice. 

<c  7"*  Si  lesdites  conditions  ne  sont  pas  accomplies 

«  par  lui,  les  présents  articles  seront  sans  effet  ^  » 

A  la  lecture  de  ces  propositions,  dont  le  roi  don 
Pèdre  nous  a  conservé  la  substance,  Jayme  indi- 
8>^  rejeta  avec  mépris  le  message;  il  protesta  contre 
'e  titre  de  roi  de  Majorque  et  comte  de  Roussillon 
^t  de  Gerdagne  que  s'attribuait  le  roi  d'Aragon,  en 

*   Cari>one]l. 


296  LIVRE   DEUXIÈME. 

ne  lui  en  donnant  aucun  à  lui-même ,  et  déclara  qu'il 
n  acceptait  rien  et  qu'il  ne  consentii^ait  à  rien  de  ce 
que  portait  cet  écrit.  Dans  la  crainte  ensuite  qu'on 
n'attentât  à  sa  liberté ,  il  crut  prudent  de  sortir  sur-le- 
champ  de  Badalona,  et  il  se  transporta  à  Saint-Vin- 
cent, près  du  château  de  Cervellon. 

Six  jours  s'étaient  écoulés  depuis  que  Jayme  avait 
quitté  le  voisinage  de  Barcelone,  quand  ce  prince  en- 
voya au  roi  d'Aragon  ses  protestations  contre  tout  ce 
qui  avait  été  fait  contre  son  autorité.  Le  roi  de  Ma- 
jorque soutenait  que  la  conduite  qu'on  tenait  envers 
lui  n'était  pas  celle  dont  Pierre  d'Elxerica  lui  avait 
donné  l'assurance  sous  serment;  il  accusait  ce  sei- 
gneur de  l'avoir  trompé  sur  les  véritables  intentions 
de  son  maître;  que,  ne  lui  laissant  pas  croire  que  ce- 
lui-ci voulait  éteindre  le  royaume  de  Majorque,  il  lui 
avait  fait  livrer  par  surprise  la  ville  et  le  château  de 
Perpignan  avec  toutes  les  places  qui  tenaient  encore 
pour  lui;  enfm,  il  alléguait  ses  droits  à  la  couronne , 
antérieurs  et  plus  sacrés  que  ceux  du  roi  d'Aragon  ; 
et  demandait  la  restitution  de  ses  états. 

Le  prince  qui  peut  se  faire  rendre  par  la  force  la 
justice  qu'on  refuse  à  son  bon  droit  n'a  pas  besoin 
d'exhaler  d'inutiles  protestations,  ne  lui reste-t-il  pas 
la  dernière  raison  des  rois  ^?  mais  celui  qu'on  a  pré- 
cipité du  trône ,  plus  malheureux  que  le  dernier  de 

^  C'est  la  devise  que  Louis  XIV  avait  inscrite  aur  ses  canons,  aUima 
railo  reguni. 


CHAPITRE   HUITIÈME.  297 

::eux  qui  furent  ses  sujets,  ne  peut  trouver  aucun 
uge  pour  recevoir  sa  plainte,  aucun  tribunal  pour 
ni  rendre  justice.  La  lettre  par  laquelle  le  roi  spolié 
ivait  réclamé  contre  l'injustice  dont  il  était  victime, 
i*eut  pour  réponse  qu'une  longue  justification  de  la 
conduite  du  roi  spoliateur  avec  le  refus  formel  de  la 
restitution  qu'il  réclamait.  Pèdre  fut  si  content  de  la 
ettre  qui  fut  écrite  à  cette  occasion ,  que  quarante  ans 
iprès  û  s'arrête  encore  deux  fois  avec  complaisance 
HT  son  style  et  sur  sa  diction  ^. 

Le  message  du  roi  d'Aragon  au  roi  de  Majorque 
i^arriva  pas  seul  entre  les  mains  de  celui-ci  :  Jayme 
l'avait  pas  encore  épuisé  toute  la  coupe  d'amertume. 
Jn  message  particulier  de  don  Pierre  d'Exerica  ac- 
compagnait celui  du  prince,  portant  démenti  sur  ce 
[ue  Jayme  avait  avancé  sur  son  compte,  et  se  justi- 
îant  de  lui  avoir  jamais  rien  promis  au  delà  de  ce 
[ue  le  roi  don  Pèdre  avait  l'intention  de  faire;  il  finis- 
ait  par  traiter  de  menteur  quiconque  prétendrait  le 
ontraire. 

Pour  qualifier  convenablement  un  pareil  langage, 
L  faudrait  bien  savoir  la  vérité  sur  im  fait  d'aussi 
grande  importance  que  celui  avancé  par  Jayme ,  c'est- 
L-dire  que  pour  amener  sa  soumission  on  lui  avait 
>romis  de  ne  pas  lui  faire  perdre  la  couronne,  fait 

^  £  era  molt  bella  resposta  e  be  dita,  e  assats  longa.  —  Li  presen- 
cmren  la  nostra  resposta,  que  era  moit  bella  e  ben  dictada ,  e  ben  com- 
plîda.  CorèoRf// ,  fol.  i56,  v. 


298  LIVRE    DEUXIEME. 

dénié  par  les  uns  et  soutenu  par  les  autres.  Si  Tim- 
putation  du  roi  de  Majorque  était  fausse,  Exerica, 
n'eût-il  même  pas  été  du  sang  royal ,  était  en  droit  de 
repousser,  avec  toute  Tindignation  d*ime  âme  géné- 
reuse ,  ime  calomnie  qui  blessait  son  honneur  ;  et  ni 
la  qualité  de  don  Jayme  ni  ses  malheiu^  ne  sauraient 
Tabsoudre  de  l'indignité  d'im  semblable  mensonge; 
mais ,  si  le  monarque  détrôné  rappelait  un  fait  vrai ,  si, 
pour  hâter  l'accomplissement  de  sa  ruine ,  on  lui 
avait  caché  toute  la  vérité  et  on  l'avait  assoupi  par  de 
fausses  promesses,  rien  ne  serait  comparable  à  cet 
horrible  abus  de  confiance ,  si  ce  n'est  l'insolence  du 
démenti  de  celui  qui  s'en  serait  rendu  coupable.  A 
défaut  de  témoignages  authentiques,  si  nous  interro- 
geons les  probabilités ,  la  balance  ne  penchera  pas  en 
faveur  d'Exerica.  Ce  seigneur,  allié  des  deux  rois  au 
même  degré ,  mais  ami  particulier,  confident  et  con- 
sefller  intime  de  celui  d'Aragon,  fiit  chargé  par  ce 
prince  de  la  négociation  qui  devait  amener  le  roi  de 
Majorque  à  se  livrer  lui-même;  il  n'ignorait  aucun 
des  projets  de  son  maître ,  et  la  mauvaise  foi ,  les  per- 
fidies de  Pèdre  ne  sont  pas  une  garantie  de  la  loyauté 
de  son  agent;  les  graves  inculpations  dont  le  char^ 
gèrent  bientôt  les  seigneurs  restés  fidèles  au  prince 
spolié  ne  sont  pas  non  plus  de  nature  à  nous  faire 
prendre  \le  lui  une  opinion  trop  favorable. 

Le  message   d'Exerica  ne  pouvait  qu'enflammer 
l'indignation  du  roi  détrôné  :  ne  se  possédant  plus  et 


CHAPITRE   HUITIÈME.  299 

ne  ménageant  plus  rien ,  H  prodigua  à  ce  seigneur  les 
épithètes  les  plus  offensantes,  en  offirant  d'apporter 
les  preuves  les  plus  positives  de  ce  qu'il  avait  dit  ^ 
De  leur  côté ,  don  Artaud  de  Pallas,  don  Juan  de  Ma- 
jorque, don  Pierre  Raymond  de  Godolet,  Bérenger 
d'Oms,  le  Français  JoSre  Estendard,  Raymond  de 
Villamaud ,  Perrin  de  Balma ,  Delmas  Desvolo ,  Fran- 
çois Lopès ,  Raymond  de  Pallarols  et  d'autres  cheva- 
liers ,  tant  roussillonnais  que  français,  qui,  au  nombre 
de  dix-neuf,  n'avaient  pas  voulu  se  séparer  du  roi  de 
Majorque  dans  son  malheur,  confirmèrent  la  déclara- 
tion de  ce  prince,  et  affirmèrent  qu'Exerica  mentait 
lui-même  en  donnant  un  démenti  au  roi,  et  qu'ils 
étaient  prêts  à  le  soutenir  les  armes  à  la  main.  Pierre 
de  Godolet  rompant  le  silence  sur  la  conversation  se- 
crète qui  avait  eu  lieu  enti^  lui  etExerica,  sous  les 
murs  de  Perpignan ,  rapporta  que  ce  seigneur  s'était 
complu  à  faire  Téloge  du  roi  de  Majorque,  ajoutant 
qu'il  déplorait  sincèrement  les  malheurs  qui  lui  ar- 
rivaient, résultats  de  la  trahison  des  siens,  et  qu'il 
aurait  beaucoup  mieux  aimé  le  servir  que  le  roi  d'A- 
ragon. Exerica  se  justifia  auprès  de  ce  dernier  des 
propos  qu'on  lui  imputait,  et  protesta  de  sa  fidélité, 
et  Pèdre,  qu'irritait  cette  altercation,  dont  tout  l'o- 
dieux ,  en  définitive ,  retombait  sur  lui ,  voulait  user 
d'un  moyen  extrême  pour  y  mettre  un  terme. 

Il  ne  restait  plus  au  roi  d'Aragon  que   de  faire 

*  Abanca. 


500  LIVRE   DEUXIÈME. 

arrêter,  et  péril'  peut-être,  celui  dont  il  avait  brisé  le 
sceptre  et  qui  le  fatiguait  encore  de  ses  plaintes  im- 
portunes; il  ne  Tosa  pas.  Ce  ne  fut  pas  le  désir  d'é- 
pargner à  Jayme  une  humiliation  de  plus,  moins  en- 
core celui  d'épargner  à  lui-même  un  nouveau  crime , 
qui  arrêta  Pèdre  ;  ce  fut  la  crainte  de  ce  qui  pourrait 
en  résulter  pour  lui-même.  Le  roi  de  Majorque  était 
en  Catalogne  sous  sa  sauvegarde.  En  usant  de  vio- 
lence envers  lui ,  Pèdre  se  parjurait  aux  yeux  de  tous 
les  princes  de  l'Europe ,  et  cette  voix  protectrice  des 
opprimés,  qui  restait  partout  silencieuse,  pouvait 
enfin  se  faire  entendre.  Qui  sait  si  ce  droit  sacré  de 
sauvegarde,  violé  dans  la  personne  d'un  monarque 
détrôné  et  respectable  par  l'excès  de  son  infortune, 
ne  lui  aurait  pas  suscité  alors  quelque  défenseur! 
Pèdre  se  détermina  à  dissimuler,  mais  pour  que  son 
dépit  pût  se  manifester  par  quelque  endroit,  il  fit 
retenir  une  somme  de  mille  livres  que  son  trésorier 
devait  payer  à  Jayme  pour  fournir  à  ses  premiers 
besoins. 

Le  roi  de  Majorque  savait  à  quel  ennemi  il  avait 
affaii^e  ;  la  nuit  qui  suivit  le  retour  des  messagers  du 
roi  d'Aragon  et  de  Pierre  d'Exerica  fut  pour  lui,  et 
pour  les  siens,  une  nuit  de  transes  et  d'anxiétés;  tous 
s'attendaient  à  quelque  violence  de  la  part  de  don 
Pèdre,  et  dès  le  lendemain,  de  bonne  heure,  ils  par- 
tirent de  Saint- Vincent,  et  se  rendirent  à  Martorell, 
ville  d'une  population  plus  considérable  et  où  ils  sup- 


CHAPITRE   HUITIÈME.  301 

posaient  que  le  roi  d'Aragon  oserait  moins  attenter  à 
leurs  jours  ^  Le  12  de  novembre,  qui  était  le  lende- 
main de  l'arrivée  des  fugitifs  à  Martorell,  de  nouveaux 
messages  furent  transmis  à  Jayme  et  à  ses  barons,  par 
Pèdre  et  par  Exerica ,  et  un  cartel  les  suivit.  Les  Ma- 
jorquins  ayant  accepté  le  champ-clos ,  des  saufs-con- 
duits furent  demandés  au  roi  d* Aragon,  qui  les  fit 
expédier  sur-le-champ.  Douze  barons  du  parti  du  roi 
de  Majorque  devaient  combattre  corps  à  corps  Exe- 
rica ,  accompagné  d'un  nombre  équivalent  de  barons 
aragonnais.  Mais  le  combat  n'eut  pas  lieu  :  Jayme, 
qui,  de  l'aveu  de  son  ennemi,  ne  se  regardait  comme 
en  sûreté  nulle  part  dans  les  terres  de  la  domina- 
tion de  son  beau-frère ,  se  décida  à  quitter  à  l'instant 
même  la  Catalogne,  et  il  ordonna  à  ses  barons  de  le 
suivre. 

Le  départ  précipité  de  don  Jayme  et  des  siens ,  au 
moment  où  un  combat  singulier  devait,  suivant  les 
mœurs  du  temps ,  manifester  de  quel  côté  se  trouvait 
le  bon  droit,  pouvait  être  considéré  comme  une  fuite 
lâche  et  honteuse,  et  fut  en  effet  proclamé  tel  par  le 
roi  d'Aragon ,  non  pas  pour  Jayme,  mais  pour  ses  ba- 
rons; quant  aux  historiens,  qui  ont  copié  ce  prince, 
ils  ne  se  font  pas  difficulté  d'étendre  cette  inculpation 
jusqu'au  prince  même.  Mais  en  présentant  le  départ 

^  Abarca  dit  que  le  roi  de  Majorque  et  ses  chevaliers  dorent  plutôt 
la  vie  à  la  sauvegarde  sous  laquelle  ils  étaient  placés  qu'à  leur  change- 
ment de  résidence. 


302  LIVRE   DEUXIÈME. 

du  roi  de  Majorque  comme  une  fuite  précipitée,  ces 
écrivains  accusateurs  n'ont  pas  médité  sur  les  paroles 
de  don  Pèdre.  Ce  prince  n'inculpe  nullement  le  roi  de 
Majorque  ,  et  il  est  loin  de  présenter  son  départ 
comme  une  fuite  honteuse.  En  traçant  l'itinéraire 
suivi  par  Jayme  pour  sortir  de  Catalogne,  il  lui  fait 
employer  huit  joiu's  dans  le  trajet  de  Martorell  à 
Puycerda,  distance  qu'on  peut  facilement  parcourir 
en  quatre,  et  le  second  jour  il  le  fait  s'arrêter  à  Car- 
done,  pour  se  rendre  à  une  invitation  du  vicomte. 
Est-ce  là  une  fuite  lâche  et  précipitée?  Pèdre,  après 
avoir  parlé  de  cette  invitation,  ajoute  :  «Les  autres 
«  que  nous  avions  garantis  pour  faire  les  batailles  ne 
«  se  mirent  pas  en  peine  de  venir,  mais  ils  se  hâtèrent 
i\  de  s'en  aller  :  »  c'est  en  ces  mots  qu'il  jette  sur  eux 
l'accusation  de  lâcheté.  Mais,  dans  un  fait  aussi  grave , 
peut-on  s'en  rapporter  uniquement  à  lui  ?  Si  nous  con- 
sultons un  écrivain  qui  ne  saurait  être  taxé  de  partia- 
lité dans  cette  discussion.  Ferreras,  qui  a  mérité  la 
confiance  des  judicieux  historiens  de  Languedoc,  ce  . 
sera  par  la  faute  même  de  don  Pèdre  que  le  combat 
aura  manqué:  ce  prince,  suivant  cet  historien,  «qui 
(f  avait  les  états  de  don  Jayme,  s'inquiéta  peu  de  tous 
«  ces  raisonnements  et  empêcha  le  combat  ^.  » 

Zurita  et  Abarca  avancent  que  Pierre  d'Exerica 
devait  se  mesurer  avec  le  roi  de  Majorque  lui-même  : 
rien  ne  prouve  qu'un  semblable  duel  ait  été  proposé. 

^  Hisi.  génér,  d Espagne,  traduction  de  d'Hermilly. 


CHAPITRE   HUITIÈME.  305 

Non-seulement  la  chronique  de  don  Pèdre  n'en  parle 
pas,  mais  elle  déclare  au  contraire  que  c'était  avec 
dion  Artaud  de  Pallas  qu*Ëxerica  devait  croiser  la 
lance  ^  Don  Jayme  se  trouverait  donc  personnelle- 
ment disculpé  de  toute  lâcheté,  si  ce  mot  ignominieux 
pouvait  jamais  se  trouver  à  côté  de  son  nom.  Quant 
aux  chevaliers  qui  étaient  avec  lui ,  quel  si  grand  in- 
térêt auraient-ils  eu  à  éviter  ce  combat  ?  Ce  ne  sont  pas 
<;es  êtres  rares  et  magnanimes  qui ,  se  faisant  de  la  fidé- 
lité un  culte  d'idolâtrie,  sacrifient  leur  bien,  leur  fa- 
mille, leur  existence  sociale  pour  suivre  leur  prince 
«ur  la  terre  d'exil ,  qui  peuvent  chercher  à  conserver 
leur  vie  aux  dépens  de  l'honneur.  Un  grand  dévoue- 
ment entraîne  nécessairement  l'entière  abnégation  de 
soi-même,  et  qui  croira  jamais  qu'auprès  d'une  vertu 
^ussi  sublime  un  sentiment  bas  puisse  se  faire  jour? 
li'fle  de  Sainte-Hélène,  à  défaut  d'autres  lieux,  serait 
là  pour  nous  prêter  son  grave  témoignage. 

Suivant  les  historiens  de  Languedoc,  dont  le  lan- 
gage ne  peut  être  accusé  de  passion,  Jayme,  bien  loin 
^e  prendre  la  fuite,  ne  quitta  la  Catalogne  que  du 
^consentement  du  roi  d'Aragon ,  à  qui  la  permission  en 
^tait  demandée  depuis  longtemps  avec  beaucoup 
^'instances.  Pèdre  nous  donne  lui-même  l'itinéraire 
^u  voyage  de  son  prisonnier,  et  nous  y  voyons  des 

'  E  Mossenyer  n'artal  proferis  que  si  nos  io  guiavem  ab  los  altres 
<\ni  eren  nomenats  en  la  ietra,  que  vendria  davant  nos  e  ques  combatria 
<^n  ab  con  ab  don  Pedro  de  Exerica.  Carbonell. 


304  LIVRE   DEUXIÈME, 

journées  de  quatre  à  cinq  lieues.  Ce  n*est  pas  avec  une 
telle  lenteur  quon  fuit.  Ce  qui  parait  certain,  c'est 
qu*aux  derniers  jours  de  ce  voyage,  Pèdre,  informé 
sans  doute  par  ses  agents  qu  un  mouvement  en  faveur 
du  roi  de  Majorque  se  tramait  dans  la  Cerdagne,  se 
repentit  du  consentement  qu  il  avait  donné  au  départ 
de  ce  prince,   et  prit  des  moyens  pour  le  retenir. 
Ferreras  assure  qu'il  envoya  même  quelques  troupes 
à  sa  poursuite  :  «  Jayme ,  ajoute  cet  historien ,  fut  con— 
«traint,  avec  une  poignée  de  monde  qu'il  avait,  d^ 
«  repasser  les  Pyrénées  couvertes  de  neige  et  par  urm. 
«froid  cuisant,  implorant  la  justice  de  Dieu  contre  1 
«tyrannie  de  don  Pèdre.  » 

Un  trône  renversé  laisse  encore  longtemps  sur  ft 
sol  des  traces  de  son  existence  ;  la  foudre  qui  le  brise 
en  disperse,  mais  n'en  anéantit  pas  du  même  coiza 
les  éléments.  La  réunion  du  royaume  de  Majorque        ^ 
celui  d'Aragon  était  au  premier  rang  dans  les  intér^^  -ts 
politiques  dos  doux  peuples;  mais  le  roi  détrôné  av  ^=^  it 
des  partisans  en  très-grand  nombre,  et  de   ceux-^r^i, 
les  uns  par  pure  fidélité,  les  autres  par  intérêt  p^^i"- 
sonnel,  avaient  résisté  à  toutes  les  séductions  de  dL<:>J} 
Pèdre,  et  ressentaient  vivement  tout  l'odieux  de     Ja 
conduite  de  ce  prince.  Le  plus  grand  nombre  de  cc*s 
partisans  existait  en  Cerdagne,  où  les  menées  du  i^cpi 
d'Aragon  avaient  du  être  moins  pressantes  et  moins 
actives,  parce  que  la  chute  du  Roussillon  devait  en- 
traîner  inévitablement  celle  de  ce  comté.  La  petite 


CHAPITRE   HUITIÈME.  505 

iacé  de  Villefranche ,  en  Gonflent,  fut  la  première  à 
éprendre  les  armes  en  faveur  de  son  prince.  Les  ha- 
îtants  de  cette  ville  ^  s*étant  soulevés ,  tuèrent  mi 
rndic  de  Puy cerda  venu  dans  leurs  miu*s  pour  esdger 
lommage  au  roi  d'Aragon ,  et  Puy  cerda  lui-même 
e  tarda  pas  à  se  déclarer  pour  don  Jayme. 

En  apprenant  que  ce  prince,  quittant  la  Catalogne, 
»  rendait  auprès  du  comte  de  Foix ,  les  habitants  de 
uy cerda  lui  avaient  député  dix  d'entre  eux,  pour  lui 
ire  qu'As  étaient  prêts  à  lui  ouvrir  leurs  portes;  et  en 
Tel,  quand  Jayme  se  présenta  devant  cette  viUe,  le 
o  novembre,  à  la  tête  de  sa  petite  troupe,  qui  se  com- 
osait  d'une  quarantaine  d'hommes  à  cheval  et  d*en- 
LTon  trois  cents  à  pied ,  les  habitants  prirent  les  armes 
M  cris  de  vive  le  roi  de  Majorque  I  tuèrent  un  prêtre 
tiî  voulait  les  contenir,  et  un  chevalier  d' Ampourdan 
jd  gardait  la  porte  par  laquelle  devait  entrer  le  roi , 

ils  donnèrent  ainsi  accès  à  sa  troupe.  Le  viguier  et 
s  consuls  nommés  par  le  roi  d'Aragon  s'échappèrent 
»  la  ville;  et  de  ceux  qui  tenaient  le  parti  de  ce  der- 
er,  les  ims  prirent  la  fuite,  les  autres  se  cachèrent 
»igneusement  dans  les  maisons. 

^  La  fondation  de  Villefranche  est  de  Tan  1075*,  c  est  le  comte  de 
Tdagne,  Guillaome  Raymond,  qui ,  dans  ses  démêlés  avec  le  comte  de 
>assillon,  la  fit  bâtir  sur  la  rive  droite  de  la  Tet,  dans  une  position  qui 
rme  tout  à  la  fois  la  vallée  qui  du  Roussillon  mène  à  Cornella-de- 
>pflp.nt  où  était  le  palais  des  comtes  de  Cerdagne,  et  celle  qui  mène 
ftns  le  baut  Gonflent,  le  Capcir  et  la  Cerdagne.  Son  premier  nom  fut 
iUaMbera  qui  fut  bientôt  après  changé  en  celui  de  Villo'franca. 
1.  20 


306  LIVRE   DEUXIÈME. 

Puycerda  n  avait  pas  été  surpris  :  les  Âragonnais 
qui  s*y  trouvaient  avaient  été  avertis,  dès  le  grand 
matin,  de  rapproche  du  roi  de  Majorque.  A  la  pointe 
du  jour,  l*alcayde  ou  capitaine  de  Garoi,  voyant  pa- 
raître la  troupe  de  ce  prince ,  qui  avait  fait  un  détour 
pour  arriver  à  Puycerda  par  cette  vallée ,  s* était  em- 
pressé d'en  donner  avis  au  viguier,  qui  était  sorti  de 
cette  ville  à  la  tête  de  quelques  soldats  pour  disputer 
le  passage  de  ces  défdés;  mais  c'était  trop  tard.  Forcé 
de  se  retirer  devant  la  troupe  royale,  ce  viguier  rentra 
dans  Puycerda,  où  Jay me  le  poursuivit,  et  entoura 
la  place.  C'est  dans  ce  moment  que  les  partisans  du 
roi  détrôné  se  soulevèrent  en  sa  faveur. 

Maître  de  Puycerda,  Jay  me  voiUut,  sans  perdre  de 
^  temps,  essayer  son  ascendant  sur  les  autres  popula- 
tions, et  il  fit  partir  pour  Livia  don  Artaud  de  PaUas 
avec  sa  troupe  :  l'alcayde  de  cette  place,  Guillaume 
Despervès,  s'était  déjà  réfugié  dans  le  château,  après 
avoir  démantelé  les  murailles  de  la  ville,  ce  qui 
semble  indiquer  que  les  sentiments  des  habitants 
étaient  favorables  au  roi  de  Majorque.  Le  lendemain 
Jay  me  s'y  rendit  lui-même  avec  un  renfort  de  gens  de 
Puycerda;  mais,  ne  trouvant  pas  ses  forces  suffisantes 
pour  faire  le  sicge  du  château,  il  rentra  le  soir  même 
dans  cette  dernière  ville. 

Jayme  vo  dut  faire  une  tentative  sur  Villefrancbe 
où  les  Aragonnaiç  étaient  rentrés.  Le  22  il  descendi" 
la  Tet  avec  sa  petite  troupe,  qui,  bien  qu'augmenter 


CHAPITRE   HUITIÈME.  507 

d*im  certain  nombre  d'habitants  de  Puycerda  et  de 
Cerdagnols ,  n^était  pas  cependant  en  force  pour  pou- 
voir rien  entreprendre  contre  une  ville  murée;  aussi 
Le  prince  comptait  plus  siu*  un  mouvement  de  la  po- 
pulation que  sur  la  puissance  de  ses  moyens;  mais 
\sinar  de  Mosset,  qui  s'était  jeté  dans  cette  place  avec 
{uelques  cavaliers,  et  Guillaume  Despuig,  viguier  de 
Honflentt   qui  s'y   trouvait   pareillement  avec  bon 
nombre  de  partisans  d'Aragon,  avaient  rendu  im- 
possible tout  soulèvement  de  la  part  des  habitants. 
Fayme  arrivé  devant  cette  ville  au  milieu  de  la  nuit, 
^n  avait  fait  attaquer  immédiatement  la  porte  à  coups 
le  hache.  En  voyant  les  Aragonnais  accourir  à  la  dé- 
^Qnse  des  murailles,  et  n'apercevant  rien  qui  pût  in- 
liquer  quelque  coopération  de  la  part  des  habitants, 
I  reconnut  que  l'afFaire  était  manquée,  et  abandonna 
<NQ  entreprise.  Dans  la  crainte  ensuite  d'être  enve- 
oppé  par  les  troupes  aragonnaises ,  il  reprit  la  route 
e  Gerdagne. 
LiCs  mesures  que  s'était  empressé  de  prendre  le  roi 
Aragon  pour  la  sûreté  du  Roussillon  et  de  la  Cer- 
\gne ,  à  la  première  nouvelle  de  ce  qui  venait  de  se 
sser  à  Puycerda,  sont  le  témoignage  le  moins  équi- 
que  que  ce  prince  n'était  pas  aussi  assuré  du  dé- 
lement  des  anciens  sujets  du  roi  de  Majorque,  qu'il 
»cte  de  le  dire  dans  l'histoire  de  sa  vie ,  et  que  l'ont 
uglément  répété  tous  ceux  qui  l'ont  suivie^.  Jayme, 

Carbonell,  Zuriia,  Feliu  de  la  Pena,  Bosch,  Fossa,  etc. 


20 


5()8  LIVRE   DEUXIÈME. 

qu  ils  représentent  comme  un  objet  de  haine  si  una- 
nime et  si  excessive ,  que  la  plus  grande  inquiétude  des 
habitants  du  Roussilion  était  que  Pèdre,  se  laissant 
enfin  toucher  par  les  sollicitations  du  pape  en  faveur 
de  leur  roi ,  ne  les  rendit  au  supplice  de  Tavôir  encore 
pour  maître;  Jayme  se  montre  à  peine  à  Textrémité 
de  ses  domaines  avec  une  misérable  poignée  de  gens, 
que  déjà  la  Catalogne  entière  est  en  mouvement.  Le 
conseil  du  roi  et  celui  de  la  ville  de  Barcelone  sont 
convoqués  à  Tinstant  même  :  cYtait  au  milieu  de  la 
nuit,  et  les  ordres  les  plus  prompts  et  les  plus  pres- 
sants sont  expédiés  sur  tous  les  points.  D*abord  le 
conseil  s* oppose  à  ce  que  le  roi  parte  de  sa  personne, 
avant  de  pouvoir  marcher  à  la  tête  d'une  puissante 
armée;  puis  tous  les  prélats,  barons,  chevaliers, 
villes  et  boui^s ,  et  généralement  toutes  personnes  de 
quelque  état  et  condition  qu  elles  soient ,  depais  le  sa-      — y- 

vetier  jusqu'au  possesseur  d'un  alleu,  ont  ordre  de  s'ar- ^. 

mer  et  de  voler  en  Cerdagne  ^;  des  courriers  et  des  ^^^ 
instructions  sont  expédiés  de  tous  côtés,  conune  si  un 
ennemi  des  phis  redoutables,  à  la  tête  de  la  plus  for- 
midable des  années,  inmarait  le  pays  d'une  invasioi 
prochaine.  Le  comte  d'IJrgel,  celui  de  Pallas,  P^»     ^- 
de  Cabrera,  le  tuteur  du  jeune  vicomte  de  Rocaberl / 


'  Tranu'lnn  à  tols  Ictres  a  spngles  prélats,  romtos,  barons,  riut^/^ 
e  viles  genenilenjent  lotlioni  de  qualsevol  stanicnt  fos,  savater  o  aloc-y, 
qiiens  \eni.niessen   soccorer  en  (lertlanya,  bon  anaveni  per  cobrar  Jt 
vUa  (le  Puis|;cerda.  Carhonrll.  fol.  i58. 


CHAPITRE   HUITIÈME.  509 

Galceran  de  Gabrenz ,  Giiabert  de  Cniilles  doivent  se 
porter  rapidement  sur  la  contrée  menacée,  avec  tout 
ce  qu*ib  pourront  réunir  de  compagnies  de  chevaux , 
et  avec  les  gens  des  vigueries»  afin  d'en  contenir  les 
<li£férents  lieux;  le  comte  d'Urgel  est  chargé»  de  plus, 
de  pourvoir  à  la  sûreté  des  châteaux  de  Berida,  de 
Carol  et  de  la  tour  Gerdane  ;  le  comte  de  Pallas  veil- 
lera  à  celle  du  château  de  Livia.  Le  bailli  de  Figuières 
doit,  de  son  coté ,  jeter  des  garnisons  dans  les  places 
de  Bell^arde  et  de  la  Gluse.  Le  procureur  royal  de 
nToroella-de-Mongriu  défendra  Gollioure  et  la  tour  de 
Aladelock;  Galceran  de  Pinos  se  portera,  avec  les 
Inommes  d*armes  de  Berga ,  à  Belver  et  à  Gampredon, 
^t  il  jettera  des  vivres  et  des  hommes  dans  les  châ- 
"^eaux  de  la  vallée  de  Ribes;  enfin  la  ville  de  Per- 
pignan ,  dont  Pèdre  devait  être  si  sûr,  après  toutes  les 
intrigues  et  les  trahisons  quil  y  avait  accumulées, 
oette  ville ,  il  ne  s'en  rapporte  qu  à  lui-même  pour  la 
défendre.  Après  avoir  chargé  son  onde,  Tinfant  don 
Haymond,  dy  passer  avec  toutes  les  forces  de  TAm- 
pourdan ,  il  s  y  rend  de  sa  personne  en  toute  diligence, 
^t  y  arrive  le  dernier  jour  de  novembre;  et  comme 
c'était  alors  Tusage  que  les  reines  suivissent  leurs  maris 
:3ans  leurs  expéditions  militaires,  celle  d* Aragon,  à 
oeine  relevée  de  couches,  fait  ce  voyage  avec  son  der- 
îier  né,  alors  âgé  de  quarante-deux  jours.  Gomment 
-roire,  après  cela,  à  la  haine  si  universelle  des  sujets 
u  royaume   de  Majorque  contre  leur  souverain, 


SIO  LIVHE  DEUXIÈME. 

comme  le  prétend  Pèdre?  Si  tout  le»  sujet»  de  Jayme 
avaient  été  si  révoltés  des  orvantés  ê$  ce  pH»eé,  ^*fli 
eussent,  non-seulement  appelé  de  leurs  vœux,  ma» 
aidé  unanimement  de  tous  leurs  moyetts  Tartivée  des 
AragonnaiSt  bars  UbératêurSf  s'ils  avaient  manifesté  tant 
d*allégresse  quand  ils  eurent  appris  qu'ils  n^avtfiettt 
plus  à  redouter  le  sceptre  du  tyran,  ainsi  qtiele  dît  le 
roi  d'Aragon,  pourquoi  tant  d'inquiétude»  pour  là 
conservation  de  pays  où  son  rival  était  ri  abhoirré; 
pourquoi  la  défection  d'une  seule  ville  oause^^dle 
tant  d'alarmes  et  tant  de  mouvements  de  troupe»  dans 
la  Gatfdogne  entière ,  et  dans  toute  l'étendue  de»  deuk 
comtés  ?  L'amour  des  peuples  pour  le  tihérattw/\  leur 
haine  contre  le  tyran  n'étaient-ils  donc  pas  la  meflleute 
garantie  de  leur  fidélité  au  premier  et  de  leur  Oj^^ 
sition  au  retour  du  roi  de  Majorque  ?  C'est  que  le  nA 
d'Aragon  savait  très-bien  que  la  [dus  grande  partie  de 
ceux  qui  étaient  opposés  à  l'existence  politique  dn 
royaume  de  Majorque  ne  Tétaient  pas  personnelle- 
ment au  roi,  et  ne  prendraient  jamais  les  armes  contre 
lui ,  que  les  grandes  protestations  de  dévouement  à  la 
cause  d* Aragon  venaient  de  ceux  qui,  trop  compromis 
avec  le  prince  qu* ils  avaient  trahi,  devaient  redouter  - 
par-dessus  tout  un  changement  qui  pourrait  leur  pro — 

curer  le  juste  salaire  de  leur  perfidie,  que  ces  trans 

ports  de  joie  qui,  suivant  lui,  avaient  éclaté  à  sa  vue  «^ 
et  dont  il  fait  parade ,  n*étaient  Texpression  des  rœa^m 
que  de  ces  factieux  qui,  dans  tous  les  temps,  oraf 


CHAPITRE  HUITIÈME.  311 

roula  fidre  regarder  la  nation  comme  identiBée  avec 
leim  personnes. 

En  quittant  Puycerda  pour  descendre  à  Ville- 
finnche  avec  la  meilleure  partie  de  sa  petite  troupe  » 
en  d^amissant  surtout  la  première  de  ces  villes  du 
plus  grand  nombre  de  ceux  de  ses  habitants  qui 
étaient  dans  ses  intérêts,  le  roi  de  Majorque  avait  fait 
iule  &ute  qui  devait  lui  coûter  cher  ;  elle  donnait  à 
eeuz  des  partisans  du  roi  d'Aragon  cachés  dans  les 
maisons  la  fietcilité  de  faire  une  tentative  pour  se  re- 
mettre en  possession  de  l'autorité.  Le  suriendemain 
clu  départ  de  Jayme,  qui  était  le  a  4  novembre ,  s  étant 
armés  secrètement ,  ces  partisans  courent  la  ville  de 
trèa-grand  matin  »  en  criant ,  Aragon  !  Aragon  I  pendant 
^pie  des  gens  à  leur  solde  vont  sonner  le  tocsin  dans 
tons  les  clochers.  Se  ruant  impétueusement  dans 
'toutes  les  rues,  ils  forment  des  barricades,  tendent 
de»  chames,  et  font  main -basse  siu*  tous  ceux  qui 
tsherchent  à  se  rallier  au  cri  de  Majorque  I  Bientôt 
maîtres  des  portes,  des  tours  et  des  murailles,  ils  le 
9ont  de  toute  la  ville. 

La  fortune ,  toujours  contraire  au  roi  de  Majorque, 
avait  servi  à  souhait  ses  ennemis  :  une  heure  plus 
tard  leur  complot  ne  pouvait  plus  s'exécuter  :  Jayme 
arrivait,  au  moment  même,  du  col  de  la  Perche,  où 
il  avait  couché  en  revenant  de  sa  malencontreuse  ex- 
pédition. II  était  déjà  sorti  de  Livia  quand  le  son  du 
tocsin  vint  frapper  son  oreille.  Tl  se  presse  de  marcher 


S12  LIVRE  DEUXIÈME. 

sur  Puycerda;  mais  au  pied  des  nuirafflet,  un  mofaie 
de  Saint- Dominique  arrive,  lui  raconte  ce  qui  8*esl 
passé,  et  le  conjure  de  se  retirer  au  [dus  tôt,  s*il  ne  veut 
s*eaqK>ser  à  une  mort  certaine  ainsi  que  tous  oeoz  qm 
raccompagnent. 

Jayme,  trop  fidble  pour  songer  à  tenir  la  oam- 
pagne,  dut  évacuer  la  Cerdagne  ce  même  jour,  lais- 
sant tous  »eB  bagages  au  pouvoir  de  Tenneim;  S  dut 
traverser  le  col  de  Pimorent,  dors  couvert  de  neige, 
au  risque  de  s'y  perdre  et  d*y  laisser  la  vie.  Sou£Brant 
de  la  faim,  il  n*avait  rien  mangé  depuis  la  veSle* 
et  de  la  rigueur  du  froid,  &ute  des  vêtements  né- 
cessaires pour  fisiire  un  tel  voyage  dans  cette  saison, 
ce  ne  fut  qu*avec  bien  de  la  peine  qu*il  parvint  à  Ax 
avec  ses  compagnons.  D*Âx  ce  prince  passa  à  Fonc, 
où  le  comte  Gaston  et  sa  mère ,  qui,  en  dépit  des  dé- 
fenses réitérées  du  roi  de  France  et  des  sommations 
de  celui  d*Aragon ,  n'avaient  jamais  cessé  de  lui  donner 
des  marques  de  leur  attachement  et  de  Tintérêt  qu'ils 
prenaient  à  son  désastre  ^ ,  1  accueillirent  avec  la  plus 
grande  amitié. 

Pendant  que  le  roi  de  Majorque,  dans  un  complet 
dénùment ,  cherchait  un  refuge  auprès  du  seul  parent 
qui  ne  leùt  pas  abandonné;  qu'il  s'éloignait  de  ses 
états,  emportant  la  cruelle  pensée  qu'il  laissait  ex — 
posés  aux  vengeances  du  roi  d'Aragon  ceux  qui  si 
taient  si  généreusement  dévoués  à  sa  cause ,  Pèdre 

'   Histoire  de  Ixtuguedoc. 


CHAPITRE  HUITIÈME.  515 

traitant  de  rebelles,  parce  qu'il  était  le  plus  fort,  les 
Tictimes  de  leur  fidélité ,  faisait  périr  du  dernier  sup- 
plice tous  ceux  qui  tombaient  entre  ses  mains ,  et  par- 
tageait leurs  dépouilles  entre  ses  familiers.  Les  re- 
ntres de  l'ancien  domaine  du  Roussillon,  de  cette 
époque,  sont  pleins  des  actes  de  ces  déplacements  de 
propriétés ,  et  la  modicité  du  plus  grand  nombre  de 
€XB  biens  ainsi  enlevés  à  leurs  propriétaires ,  atteste 
que  ce  n'était  pas  seulement  parmi  les  grands  sei- 
^eurs  entourant  le  trône,  et,  comme  le  prétend  don 
Pèdre,  parmi  cette  popidace  de  prolétaires  dont  il 
parie  avec  tant  de  mépris ,  c'est-à-dire ,  dans  les  deux 
points  extrêmes  de  la  popidation,  que  Jayme  avait 
conservé  des  amis,  mais  qu'une  foule  de  gens  delà 
classe  moyenne  le  disputait  aussi  avec  eux  de  cou- 
mge  et  de  dévouement. 

A  son  arrivée  en  Roussillon ,  Pèdre  fit  trancher  la 
'tête  à  tous  ceux  qui  avaient  été  favorables  au  roi  dé- 
"trônéy  et  entre  autres  à  Arnaud  de  Pallarols,  à  Hu- 
^et  d'Âlaignia ,  tous  deux  chevaliers  de  la  coiu*  de 
don  Jayme  et  de  son  conseil,  et  à  quatorze  autres 
personnes  de  marque  de  la  suite  de  ce  prince,  les 
xins  et  les  autres  faits  prisonniers  à  Puycerda,  au  mo- 
ment où  le  complot  des  partisans  d'Aragon  remit  cette 
ville  sous  la  puissance  de  don  Pèdre. 

Le  roi  d'Aragon,  parti  de  Barcelone  quand  ses 
moyens  de  résistance  à  une  insiurection  générale  qu'il 
eroyait  imminente  dans  les  deux  comtés  eurent  été 


Slft  UVRE  DEUXIÈME. 

organiflés,  éntm  dus  Perp%iuui  le  3o  DOfTeiiilite«  etk 
reine,  sa  femme,  j rintle  la  da  mdf  suiTimt,  cvecin 
enfimt  nouveau-né.  Cette  princesse  fut  reçue  airee  beau- 
coup de  pompe,  et  son  arrivée  donna  à  doil  Pèdra, 
qui  cherchait  tous  les  moyens  de  se  popdafiaer  dans 
Pei|iignan,  l'occasion  de  remplir  ces  vues  toutes  po- 
litiques«  Ce  prince ,  après  avoir  fidt  mention ,  dans  son 
histoire,  des  beaux  vêtements  de  soie  dont  se  cou- 
vrirent dans  cette  oocuirence ,  tant  les  principaux  ha- 
bitants que  ceux  qui  occupaient  des  charges  pdUiqnei, 
parte  des  fttes  et  des  réjouissances  qui  eurent  liea 
dans  la  ville.  Nous  recuefllons  de  ses  récits  que  des 
danses  publiques  s'exécutaient  alors  comme  oujour 
d'hui  dans  le  Roussillon  ;  qu'une  grande  foule  J  p» 
naît  part  tout  à  la  fois,  et  que  ces  danses,  qui  s'appiK 
laient  danses  mêlées,  danses  m$sokdB$,  et  qui  nous 
paraissent  être  les  mêmes  que  celles  qu'on  appdle 
maintenant  bs  balles,  dont  nous  avons  parié  dans  Tin^ 
troduction,  étaient  très- vives  et  très-animées.  Ces 
danses,  que  don  Pèdre  généralise  sous  le  nom  de 
ballades,  montèrent  au  château  royal,  dans  la  soirée, 
et  se  renouvelèrent  dans  la  coiu*  intérieure.  Le  roi  y  ^ 
descendit  de  ses  appartenients,  se  joignit  aux  dan — 
seurs,    dansa  lui-même,  et  prit,  nous  assure-t-ii 
beaucoup  de  plaisir  à  ce  divertissement.  Après  quel  ^^ 
bail  fut  fini ,  il  fit  apporter  du  vin  et  des  dragées ,  qu'  ij 
fit  distribuer  à  tous  ceux  qui  étaient  présents,  et    Si 
mangea  nt  but  avec  eux.  Cette  familiarité,  sioppor* 


CHAPITRE  HUITIÈME.  315 

tune  dans  cette  circonstance ,  n*avait  rien  de  choquant 
k  cette  époque ,  elle  était  dans  les  mœurs  du  temps. 
Le  jour  de  Noël,  qui  suivit  de  très-près  cette  fête,  le 
roif  voulant  frapper  les  yeux  par  la  splendeur  de  la 
majesté  royale,  se  couvrit  de  tous  les  insignes  de  sa 
puissance,  et  fit,  ainsi  vêtu,  une  cavalcade  dans  les 
rues  de  la  ville.  Ce  prince  énumère  lui-même  ces  in- 
signes: c'étaient  la  dalmatifjue  ou  manteau  royal,  la 
couronne ,  f  étole  et  le  manipule  ;  il  portait  dans  une 
main  la  pomme ,  symbole  de  la  puissance  souveraine , 
et  dans  iautre,  le  sceptre  fleuronné  ^  Raymond- 
Roger,  comte  de  Pallas,  et  Pierre  de  Fenouillet,  vi- 
comte d*llle,  marchaient  aux  cotés  du  mors  du  cheval, 
et  les  consuls  de  Perpignan  étaient  à  la  droite  et  à  la 
g^che  du  monarque ,  suivis  des  plus  notables  de  la 
ville*  Un  orage  qui  éclata  pendant  cette  marche  pom- 
peuse força  la  cavalcade  de  remonter  au  château  en 
grande  diligence. 

Pèdre  s'arrêta  k  Perpignan  jusqu*à  la  fin  de  Tannée 
suivante,  ne  négligeant  rien,  dans  ce  laps  de  temps, 
pour  bien  fonder  sa  domination  dans  les  deux  comtés. 
Au  pretnier  février  il  reçut  dans  cette  ville  une  am- 
bassade du  roi  de  Grenade ,  qui  demandait  la  paix  en 
son  nom  et  en  celui  du  roi  de  Maroc  :  le  traité  fut 
signé  le  1 1 . 

Cependant,  ni  le  mauvais  succès  des  conjurations, 

*  Voyez  la  suite  de  portraits.  Tel  est  représenté  Alphonse  IV,  père 
de  PMre  IV. 


Sl«  LIVRE   DEUXIÈME. 

ni  la  terreur  des  supplices  n'arrêtaient  les  partisans 
de  don  Jajme  :  cette  année  i3&5  en  fimmit  une 
nouv^e  preuve.  Une  vaste  conspiration,  tramée  i 
Majorque  et  à  Perpignan ,  et  qui  s'étendait  sur  tout 
le  RoussiUon  et  le  Gonflent ,  avait  pour  objet  de  li- 
vrer lUe  de  Majorque  au  roi  détrôné ,  dès  qu'il  s'y 
présenterait  avec  quelques  gdères,  et  de  iaire  périr 
Pèdre  dans  Perpignan  même.  Poiur  ce  dernier  pro^ 
des  arbalétriers,  cachés  dans  la  maison  d'un  certain 
François  Caldès  et  dans  les  maisons  voisines,  de- 
vaient tirer  des  flèches  sur  ce  prince,  pendant  que 
d'autres  conjurés  se  jetteraient  9ur  les  gens  de  sa  suite 
et  les  égorgeraient.  Si  une  circonstance  quelconque 
faisait  manquer  cette  partie  du  complot ,  les  mêmes 
conjurés,  munis  de  &usses  cle&,  devaient  s'intro- 
duire dans  le  château  royd  avec  des  gens  armés, 
pour  s'en  rendre  maîtres,  fidre  main-basse  sur  les 
Aragonnais ,  tuer  le  roi ,  et  n*épai^er  ni  la  reine  ni 
ses  enfants,  s* il  faut  en  croire  sur  parole  don  Pèdre 
lui-même,  narrateur  de  ces  faits.  Au  même  jour  di- 
vers châteaux  devaient  être  livrés  aux  Majorquins. 
Trahis  par  la  femme  de  i  un  des  chefs ,  tous  les  con- 
jurés furent  arrêtés ,  envoyés  à'  Barcelone,  et  mis  à 
mort  par  divers  supplices.  L'histoire  signale  comme 
étant  à  la  tête  de  ce  projet  hardi,  François  d*Oms, 
Jean  de  Saint-Jean,  Richaume  du  Vernet  et  Guillot 
de  Claira  :  ceci  se  passa  à  la  fm  d*octohre. 

Le  pape  Clément  VI  ne  s'était  pas  démenti  dans  la^ 


i 


CHAPITRE  HUITIÈME.  317 

protection  qu'il  accordait  au  malheureux  roi  de  Ma- 
jorque. Jayme ,  assuré  de  trouver  toujours  ouverte  à 
ses  plaintes  1  oreille  du  père  des   chrétiens,  s'était 
rendu  auprès  de  lui,  k  Avignon.  Dans  le  courant  de 
janvier  de  cette  même  année  i3&5,  un  messager  du 
pontife  avait  été  envoyé  à  Perpignan ,  pour  réclamer 
en  faveur  de  ce  prince  la  restitution  du  royaume  de 
Majorque,  et  la  faculté  pour  la  reine  Constance,  tou- 
jours prisonnière  de  son  firère ,  le  roi  d'Aragon ,  de 
rejoindre  son  mari.  Pèdre  avait  répondu  aux  de- 
mandes du  pape  par  une  ambassade  solennelle;  sur 
le  premier  chef,  il  priait  sa  sainteté  de  ne  plus  se  fa- 
tiguer désormais  en  sollicitations  à  jamais  inutiles,  ce 
qui  était  consommé  étant  irrévocable;  et,  quant  à  la 
liberté  de  la  reine  de  Majorque,  Pèdre,  après  avoir 
fiiit  tous  ses  efforts  poiu*  dissuader  sa  sœur  d'aller  se 
réunir  à  son  mari,  avait  enfin  consenti  à  la  laisser 
partir.   Mais,  dans  la  crainte  que  la  vue  de  cette 
princesse  ne  causât  quelque  mouvement  en  Rous- 
sillon,  il  s'était  décidé  à  ne  pas  lui  laisser  traverser 
ce  comté;  en  conséquence  une  galère  était  partie  de 
CoUioure  poiu*  Lança  au  mois  de  juillet,  et  elle  avait 
transporté  la  princesse  par  mer  à  Leucate,  où  l'at- 
tendait un  cardinal  envoyé  par  le  pape  pour  la  con- 
duire à  Avignon.   Cette   persévérance   de  la  reine 
Constance  à  se  réunir  à  son  époux  dans  le  malheur 
la  justifie  de  l'inculpation  dont  la  charge  le  roi  Pèdre  : 
celle  d'avoir  dénoncé  elle-même  le  projet  absurde 


318  LIVRE   DEUXIÈME. 

que  ce  prince  prête  à  Jayme,  d*avoir  voulu  TenieTer 
à  Barcelone  avec  toute  sa  famille  pour  Tenvoyer  pri- 
sonnier à  Majorque. 

Une  mésintelligence  survenue,  à  la  même  époque, 
entre  le  roi  de  France  et  celui  d* Aragon,  après  avoir 
jparu  promettre  au  roi  de  Majorque  1  appui  des  lances 
françaises,  protection  qui  aurait  été  bien  autrement 
.  puissante  que  celle  des  supplications  du  chef  de  l'é- 
glise, ne  servit,  en  définitive,  qu'à  faire  sentir  plus 
vivement  au  prince  spolié  toute  l'étendue  de  son  in- 
fortune. La  France  était  toujours   en  guerre  avec 
l'Angleterre,  et  un  valeureux  baron  de  Catalogne, 
Pons  de  Santapau,  l'un  des  capitaines  les  plus  re- 
nommés de  l'époque,  s'ennuyant  de  l'oisiveté  dans 
laquelle  le  laissait  l'état  de  paix  de  l' Aragon ,  était  (dlé, 
à  la  tête  de  quelques  compagnies  de  chevaux,  offirir 
ses  services  au  roi  d'Angleterre.  Le  roi  de  France, 
Philippe  de  Valois,  regardant  ce  voyage  du  seigneur 
catalan    comme   une  infraction   au  traité  dailiance 
entre  la  France  et  TAragon,  avait  envoyé  à  Perpignan 
une  ambassade  pour  réclamer  la  restitution  de  la 
couronne  de  Majorque  en  faveur  de  don  Jayme,  et 
Pèdre  alarmé  s'était  empressé  de  rappeler  Santapau. 
Celui-ci,  qui  en  vertu  des  libertés  de  la  Catalogne  au- 
rait pu  ne  pas  déférer  à  cet  ordre  du  roi,  s'empressa 
d'obéir  par  sentiment  de  patriotisme ,  et  son  retour 
rétablit  la  bonne  harmonie  entre  les  deux  monarques. 
Le  malheureux  Jayine,  abandonné  au  moment  oik. 


i 


CHAPITA£  HUITIÈME.  519 

son  âme  s'puvmt  à  l'espérance ,  fit  par  lui-même  Tex- 
péfîence  de  cette  cruelle  vérité,  qu'il  ne  faut  jamais 
<x>mpter  sur  Tamitié  du  puissant  quand  on  est  tombé 
dan»  l'infortune ,  et  qu  entre  les  mains  de  celui  qui  a 
tout  celui  qui  n'a  plus  rien  n  est  qu'un  épouvantait 
<]ue  l'autre  lance  ou  brise  suivant  ses  intérêts.  Non- 
seulement  le  roi  de  France  sacrifia  derechef  l'op- 
primé qu'il  semblait  avoir  pris  sous  sa  défense,  mais, 
ajoutant  l'indignité  à  l'abandon ,  il  se  ligua  une  se- 
conde fois,  et  plus  étroitement  encore,  avec  l'oppres- 
seur, et  consentit  à  lui  livrer  même  tous  ceux  qu'il 
svait  pris  sous  sa  sauvegarde  f  alors  fut  conclu  le  pre- 
mier traité  d'extradition  pour  la  remise  des  criminels 
ou  dénoncés  pour  crimes,  et  des  rebelles;  la  remise  de- 
vait s'en  faire  sur  la  simple  demande  de  l'une  des 
parties  contractantes.  Ce  traité  fut^igné  le  29  avril,  et 
six  mois  après,  le  ^29  octobre,  Raymond  de  Sagariga, 
gouverneur  des  deux  comtés ,  alla  s'aboucher  à  Nar- 
bonne,  avec  le  sénéchal  de  Garcassonnc,  pour  régler 
es  formes  à  observer  dans  ces  extraditions  ^  Le  roi 
e  France ,  dès  le  a  1  avril ,  avait  mandé  aux  séné- 
laiix  de  Carcassonne ,  de  Toulouse  et  de  Beaucaire , 
isi   qu'à  ses   officiers  de  Montpellier,  d'accorder 
ite  faveur  au  roi  d'Aragon,  et  de  s'opposer  à  tout 
ours  en  faveur  de  celui  de  Majorque  ;  ainsi  deux 
îs  avaient  suffi  pour  changer  complètement  les 
ositions  du  roi  de  France,  et  pour  lui  faire  sous- 

rch.  dooi. 


SSO  LIVRE  DEUXIÈME. 

crire  un  traité  qui  confirmait  la  spolialioa  contre 
laqudle  fl  avait  d*abord  semblé  vouloir  protester.  11 
est  vrai  que  le  roi  d'Aragon  avait  promis  de  donner 
la  main  de  Tainée  de  ses  filles  au  fib  de  Jean,  dnc  de 
Nmmandie,  l'aîné  des  enfiuats  de  Philippe  de  Vdois, 
et  cette  spécieuse  raison  d'état,  ou  plutôt  de  fiimflle, 
avait  &it  taire  toutes  considérations ,  non-teulmnettt 
de  justice  et  de  loyauté,  mais  de  saine  politique.  N'était- 
il  pas,  en  effet,  du  jdus  grand  intérêt  pour  la  France 
de  ne  pas  permettre  l'agrandissement  de  l'Âragon, 
puissance  très-considérable  à  cette  époque ,  et  devait- 
elle  souffrir  l'anéantissement  d'un  petit  état  intenné- 
diaire,  qui  l'empêchait  d'être  avec  elle  en  contact 
direct*  et  dont  l'absorption  par  l'Âragon  donnait  à 
l'Espagne  les  portes  du  Languedoc?  Mais  un  mariage 
sembla  une  garantie  plus  certaine  que  le  rempart  des 
Pyrénées.  Cependant  ce  mariage,  teUement  reculé 
dans  l'avenir  que  la  princesse  qui  en  était  te  lien  n'a- 
vait encore  que  cinq  ans,  ne  se  fit  jamais  :  cette  in- 
fante épousa  par  la  suite  le  roi  de  Sicile,  Frédéric II; 
la  France  n  obtint  aucun  des  avantages  qui  lui  étaient 
promis  par  cette  union  problématique,  et  son  roi 
resta  pour  jamais  souillé  de  la  tache  la  plus  odieuse, 
celle  d'avoir  trahi  le  malheur  au  moment  même  où  il 
avait  paru  lui  tendre  la  main  poiu»  le  secourir. 

L'honneur  fut  de  tout  temps  pour  les  Français  un  j 
mobile  plus  puissant  et  plus  décisif  que  les  froides.^ 
combinaisons  de  la  diplomatie  ou  de  l'intérêt  par 


CHAPITRE   HUITIÈME.  321 

50iind.  Malgré  les  défenses  de  Philippe  de  prêter  au- 
cune assistance  au  roi  de  Majorque ,  malgré  Tordre 
donné,  le  27  avril,  au  sénéchal  de  Carcassonne  de 
punir  quelques. uns  des  seigneurs  de  sa  sénéchaussée 
qui  s'étaient  joints  à  don  Jayme  pour  marcher  sur  le 
Roussillon,  ce  prince  ne  cessa  jamais  de  trouver 
dans  la  généreuse  noblesse  de  Languedoc,  des  bras 
prêts  à  défendre  en  sa  personne  la  cause  du  malheur. 


I.  3  1 


522  LIVRE  DEUXIÈME. 


CHAPITRE   IX. 

Jayme  tente  de  ressaisir  sa  couronne.  —  Le  roi  de  France  lui 
enlève  ses  dernières  ressources. —  Les  Roussilloonais  trans- 
fuges ,  odieux  aux  seigneurs  d* Aragon.  —  Idée  du  gouverne 
ment  d* Aragon.  —  Les  seigneurs  aragonnais  recourent  à 
Y  union.  — Ce  que  c'était  que  V  union.  —  Autorité  du  jastida. 

Le  guet-apens  tendu  au  roi  de  Majorque  par  le  roi 
d'Aragon,  pour  le  priver  de  ses  états,  avait  couvert 
d'opprobre  le  monarque  vainqueur,  malgré  tout  son 
triomphe ,  et  celui-ci  avait  su  faire  rejaillir  une  partie 
de  sa  honte  jusque  sur  la  couronne  de  France,  de- 
venue complice  du  crime  de  la  spoliation.  Cependant,  ^ 
à  quelque  extrémité  que  l'infortuné  roi  de  Majorque  ^ 
fût  déjà  réduit,  1  œuvre  d'iniquité  préparée  contre  lui  _5r 

n'était  pas  entièrement  consommée.  Jayme,  dépos 

sédé  de  sa  couronne  héréditaire  par  un  roi  puissant^       , 

son  parent,  son  allié,  son  suzerain,  celui  qui  devais  t 

être  son  protecteur  tant  qu'il  ne  se  rendrait  pas  cou     — : 
pable  de  félonie,  ne  possédait  plus  que  ce  que  ce  vo^^i 
n'avait  pu  lui  ravir,  la  seigneurie  de  Montpellier  et  1^=^5 
autn^s  terres  de  Languedoc  qui  relevaient  directemer""^/ 
de  la  couronne  de  France.  Au  moyen  des  faibles  s< 
cours  qu'il  tirait  de  ces  fiefs,  il  pouvait  encore  tent« 
quelques  entreprises  contre  le  détenteiu'  de  ses  état:5; 


CHAPITRE  NEUVIÈME.  523 

il  fallait  lui  enlever  ces  dernières  ressources  :  les  deux       1347 
géants  unis  contre  le  pygmée  en  prirent  la  résolution, 
et  le  roi  de  France  n'eut  pas  honte  de  se  rendre  Texé- 
cateur  de  cette  nouvelle  injustice. 

L'année  i3&6  s'était  passée  en  négociations  et  en 
préparatifs.   Au  commencement  de   iS&y,  Jayme, 
avec  les  levées  qu'il  avait  faites  à  Montpellier  et  dans 
ses  autres  domaines ,  et  surtout  avec  le  secours  des 
seigneurs  français,  qui  dans  tout  le  cours  de  cette 
gaerre  n'avaient  pas  craint  de  s'exposer  au  ressenti- 
ment de  Philippe,  se  vit  en  état  de  causer  quelques 
inquiétudes  à  l'Aragonnais  :  il  le  trouva  déjà  en  me- 
sure. Aux  premiers  bruits  de  ce  nouvel  armement, 
Pèdre  avait  mandé  de  Valence ,  où  il  se  trouvait  alors, 
âi  son  firère,  don  Raymond-Bérenger,  au  vicomte  de 
Cardone ,  au  vicomte  de  Canet  et  à  quelques  autres 
barons,  de  se  porter  rapidement  en  Roussillon,  et  à 
Ion  Graiceran  de  Pinos,   de  se  rendre  à  Puycerda 
vec  ses  compagnies  de  chevaux;  et,  dans  le  niéme 
?nips ,  il  provoquait,  de  la  paît  du  roi  de  France ,  un 
nouvellement  de  défense  à  tous  ses  sujets  de  prêter 

^ours  à  son  ennemi,  défenses  qui  furent  signifiées  à 

noblesse  du  Languedoc  le  3o  mars. 

Tayme'débuta  par  une  tentative  sur  l'île  de  Ma- 

fue,  où  l'appelaient  les  vœux  de  quelques  amis 

l  y  avait  laissés.  Mais,  pour  imposer  aux  Aragon- 

et  augmenter  la  confiance  de  ses  partisans,  il 

t  un  certain  déploiement  de  forces,  et  il  n'avait 

ai. 


524  LIVRE   DEUXIÈME. 

que  quelques  galères ,  insuflisantes  •  même  -  potir  se 
montrer  avec  sûreté  sur  les  cotes  de  cette  iie  -z  raminl 
des  galères  de  Provence,  Ghaiies  de  Grimaldi»  prince 
de  Monaco,  consentit  à  l'accompagner  dflins  cette 
course,  avec  sa  flotte,  afin  de  laisser  croire  aux  Mt- 
jorquins  que  toute  cette  armée  navale  appartenait  k 
leur  roi  ^.  Ces  galères  se  présentèrent  en  eSet  devant 
Majorque ,  mais  leur  apparition  ne  produisit  aucun 
eflfet  :  depuis  la  découverte  du  complot  qui  tendait, 
deux  ans  auparavant,  à  rendre  les  Baléares  au  itx 
spolié,  Pèdre  avait  rendu  impossible  toute  nouvelle 
insurrection.  Hors  d'état  de  rien  entreprendre  àforae 
ouverte  avec  de  si  faibles  moyens ,  Jayme  se  ooa- 
tenta  de  ravager  les  côtes»  et  l'amiral  de  Grima)dL«i 
ayant  pris  des  rafiraîchisfements  pour  ses  équipages^, 
toute  la  flotte  reprit  le  chemin  de  Provence.  Bieat&^-r: 
les  troubles  qui  éclatèrent  en  Aragon  Êusantsupposm: 
à  Jayme  que  Toccasion  était  opportune  pour  essayi 
un  coup  de  main  sur  le  continent,  ce  prince  se  hàl 
de  réunir  tout  ce  qu'il  put  de  compagnies  de  chevauaa 
et  de  fantassins,  et  il  entra  en  Roussiilon. 

Les  facilités  que  le  roi  de  Majorque  trouvait  dan5 
la  population  de  ses  anciens  états  le  mirent  à  inéme 
d'occuper  tout  le  Confient  ayant  que  doU;  Pèdre 
n'eût  connaissance  de  son  arrivée.  Infornié  de  cette 
invasion  subite  par  le  gouverneur  de  Roussillon,  ce 
prince  manda  au  comte  de  Pallas  et  au  vicomte  de 

»  Zurila,VIII,9. 


CHAPITRE  NEUVIÈME.  325 

larckme  de  marcher  en  diligence  sur  la  Gerdagne , 
our  en  interdire  l'entrée  aux  Français  qui  suivaient 
lyme,  et  il  rassembla  lui-même  en  toute  hâte  des 
irces  pour  les  conduire  à  Perpignan. 

Pendant  que  le  tocsin  appelait  aux  Pyrénées  tous 
s   paysans  armés   de  la  Gatdogne,   don   Arnaud 
Ëril ,  gouverneur  des  deux  comtés ,  le  vicomte  d'Ule 
t  quelques  autres  chevaliers ,  à  la  tête  des.  gens  de 
lerre  qu'ils  avaient  pu  tirer  de  la  Catalogne  et  du 
oussillon,  s'étaient  portés  sur  le  Gonflent.  Arrivés 
lus  Vinça ,  ces  capitaines  attaquèrent  ce  bourg  avec 
opétuosité,  mais  en  désordre,  et  furent  repoussés, 
ependant  la  faible  garnison  que  le  roi  de  Majorque 
irait  laissée  dans  Vinça  ayant  éprouvé  de  grandes 
ertes  dans  l'attaque ,  et  se  voyant  hors  d'état  de  re- 
ster une  seconde  fois  aux  forces  qui  la  menaçaient, 
décida  à  l'évacuation  dès  la  nuit  suivante.  Le  mou- 
ment  était  à  peine  commencé,  que  les  Aragonnais, 
îTtîs  de  cette  retraite ,  se  précipitèrent  dans  la  place 
firent  un  grand  carnage  des  partisans  du  roi  de 
'^orque  qui  fuyaient  avec  les  Français.  Plusieurs  de 
habitants ,  pour  mettre  la  Tet  entre  eux  et  leurs 
»mis,  voulurent  traverser  cette  rivière;  mais  les 
}s  en  ayant   malheureusement  enflé  les  eaux, 
Tue  tous  ceux  qui  y  avaient  cherché  leur  salut  y 
èrent  la  mort  ;  d'autres ,  croyant  que  l'immunité 
»ux  saints  leur  sauverait  la  vie,  s'étaient  réfugiés 
es  églises ,  mais  la  fureur  du  soldat  ne  respec- 


520  LIVRE    DEUXIEME, 

tait  l'icii  :  ils  furent  tués  à  coups  de  couteaux ,  sur  les 
autels  même .  et  les  chapelles ,  comme  si  elles  avaient 
été  complices  de  l'insurrection,  furent  mises  au 
pillage  '. 

La  nouvelle  àe  ce  désastre  parvint  au  roi  de  Ma- 
jortiue  à  Ria,  en  même  temps  que  l'annonce  de  la 
prochaine  entrée   en  Rousnillon  du   roi  d'Aragon, 
parti  de  Fîguières  avec  l'infant  don  Pèdre.  son  oncle. 
6  la  tête  de  forces  considérables.  Incertain  de  ce  qu'il 
devait  Paire,  Jayme  s'était  d'abord  décidé  à  livriîr  ba- 
taille aux  Antgonnais  campés  à  Cadolet.  avant  qu'il» 
pussent  i-ccevoir  le  puissant  renfort  qui  déjà  traversait 
les  Pyrénées;  c'était  le  parti  le  plus  sage:  son  irréso- 
lution ie  perdit.  A  peine  avait-il  fait  un  mouvement    ^ 
pour  se  rapprocher  de  rrtte  armée,  que,  changeant.^ 
subitement  d'avis,  il  monte  en  Cerdagne  et  tente  de:^^ 
s'emparer  de  Fuycerda.  Forcé  de  i^-noncer  à  cette^a 
conquête,  après  d'inutiles  efforts,  il  rcvifnt  en  Con- 
fient, mais  il  était  trop  tard  :  le  roi  d'Aragon  était  déjSE 
à  Thuir.  Reconnaissant  alors  l'impossibilité  de  teni=) 
ta  campagne  contre  des  forces  aussi  supérieures,  ^B 
reprit  le  chemin  de  France  :  c'est  i  son  retour  d^-^ 
cette  fâcheuse  expédition ,  que  ce  prince  sévît  mler^T 
ses  domaines  de  Languedoc. 

Dans  ce  nouvel  acte  de  spoliation  dont  l'infortuné 
roi  de  Majorque  était  victime,  on  ne  sait  ce  qu'on  doA 
le  plus  admirer,  de  l'odieux,  de  l'injustice  ou  de  la  fri- 


CHAPITRE   NEUVIÈME.  527 

YoUté!  du  prétexte  dont  on  se  servit  pour  la  com- 
mettre :  J<ii(pn€  était  entré  en  RoussiUon  sans  la  permission 
da  rci  de  France.  Ainsi,  le  roi  de  Majorque  était 
asiioiflé  à  ceux  qui  lui  prêtaient  leur  aide,  et  le 
pripce  détjroné  devait  demander  la  permission  d'em- 
ployer ses  deniers  à  recouvrer  sa  puissance!  Mais 
Jayme ,  bien  qu'il  fut  vassal  de  la  couronne  de  France, 
pOAiyait-il  être  compris  dana  la  mesure  générale  par 
laquelle  Philippe  avait  défendu  de  prêter  aucun  se- 
court au  roi  de  Majorque  P  N'était-il  pas  lui-même,  ce 
roi  de  Majorque ,  privé  de  ses  états  par  une  perfidie , 
^t  autorisé  par  tous  les  droits  de  la  justice  et  de  l'é-^ 
quité  à  chercher  à  les  reconquérir  ?  Le  roi  de  France 
deyait-il  lui  ravir  ses  domaines ,  quand  il  ne  saisissait 
paA  eemi  des  seigneurs  qui  l'avaient  secondé  dans  ses 
tentatives,  en  dépit  de  ces  mêmes  défenses?  Ou  bien, 
en  ne  considérant  même  le  roi  Jayme  que  comme 
vassal  direct  de  la  couronne  de  France ,  avait-il  besoin 
de  l'agrément  du  roi  pour  venger  ses  propres  injures  ? 
Le  droit  de  guerre  appartenait  aux  possesseurs  de 
fieCs;  ce  droit  était  de  Tessence  du  gouveiisemenl  féo- 
dal .  alors  encore  dans  toute  sa  plénitude.  Les  troubles 
que  les  guerres  privée^  jetaient   dans  le  royaume 
avaient  bien  porté  quelques  rois  à  y  mettre  des  bornes, 
mais  la  défense  absolue  en  était  impossible,  parce 
que  la  noblesse  regardait  ce  droit  de  guerre  comme  un 
le  ses  privilèges  les  plus  précieux.  En  octobre  i  a  45 
«ouis  IX  avait  rendu  son  ordonnance  dite  la  qnaran- 


328  LIVRE   DEUXIEME. 

taine-le-roi,  par  laquelle  il  défendait  de  recourir  atix 
armes  avant  que  quarante  jours  ne  se  fussent  écoulés 
entre  l'ofiense  el  les  hostilités  ;  Philippe  le  Bei,  après 
avoir  fait  tous  ses  efforts  pour  prohiber  à  jamais  dans 
ses  états,  par  ses  édits  des  g  janvier  i3o3  et  a  dé- 
cembre I  3 1  1 ,  les  guerres  privées  que  se  faisaient  les 
seigneurs,  avait  fini,  le  aj)  juOlet  i3ii,  par  les  dé- 
fendis seidement  pendant  la  durée  de  sa  guerre  de 
Flandre;  plus  tard,  en  mars  i356  el  en  décembre 
i363,  Charles,  lieutenant  du  royaume  pour  le  roi 
Jean,  son  père,  el  ce  monarque  lui-même  se  bor- 
nèrent à  défendre  qu'aucune  guerre  privée  pût  avoir 
lieu  pendant  que  le  royaume  aurait  à  soutenir  lui- 
niême  une  guerre  '■  :  le  privilège  en  existait  donc  en- 
core entier  en  i3i7;Jayme  était  donc  dans  son  droit, 
et  l'action  du  roi  de  l'Vance  n'était  qu'un  acte  de  [rfus 
de  violence ,  qui  tenait  à  la  loi  du  plus  fort. 

Jayme,  réduit  au  désespoir  par  cette  dernière  in 

justice,  implora  de  nouveau  l'assistance  du  pape  son^ 
unique  soutien.  Gément  écrivît  au  roi  de  France^, 
non  pour  rédamer  de  lui  une  restitution ,  la  poUtiqa^= 
de  PhUippe  lui  commandait  de  conserver  des  terre^^ 
qui  convenaient  à  l'unité  de  son  royaume,  et  il  B'étaL~4 
pas  plus  disposé  que  Pèdre  à  se  dessaisir  de  ce  qu'SJ 
avait  pris,  mais  pour  solliciter  sa  commisération  e-wj 
fiiveur  d'un  prince  qui  n'avait  plus,  disait  le  pontife , 
de  quoi  se  sustenter,  lui  sa  femme  et  ses  en&ots, 

'  OrdonnaDceidei  Toii  de  France. 


CHAPITRE   NEUVIÈME.  329 

leMfiiel^,  quoique  pauvres,  n'en  étaient  pas  moins  issus 
de  race  royale  K  En  attendant  que  la  commisération 
de  l'oppresseur  permît  à  cette  royale  famille  d'avoir 
en  propre  un  peu  de  pain,  le  pontife  la  recueillit 
chex  lui  et  l'entretint,  disons  de  ses  propres  de- 
niers, pour  ne  pas  dire  des  produits  de  la  charité  pu- 
blique^ ' 

La  guerre  que  le  roi  d'Aragon  avait  faite  en  Rous- 
silion  pour  envahir  le  patrimoine  du  roi  de  Majorque 
arait  été  avancée  bien  plus  encore  par  le  parjure  et  la 
trahison  des  sujets  majorquins,  que  par  la  valeur  et 
la  force  des  armes  des  Âragonnais.  La  perfidie  d'une 
partie  de  la  noblesse  de  ce  comté ,  qui  avait  si  puis- 
samment contribué  à  briser  le  trône  de  la  patrie ,  eut 
pour  la  monarchie  même  d'Aragon  des  conséquences 
taxquelles  on  eût  été  loin  de  s'attendre ,  et  dont  nous 
dlons  rendre  compte  succinctement ,  comme  se  liant 
idirectement  à  notre  sujet. 
Pour  s'attacher  de  plus  en  plus  ceux  dont  le  dés- 
Hineur  lui  avait  facilité  la  conquête  de  leur  pays , 
^dre  s'était  environné  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus 
loent  parmi  les  riches  hommes  de  RoussiUon  et 
Cerdagne;  il  les  avait  placés  dans  son  conseil, 
\8  les  offices  de  sa  maison,  dans  toutes  les  chaînes 
dépendaient  de  sa  couronne  et  qui  donnaient  le 

«mn  aliande  non  habeat  nnde  se  ac  filios ,  licet  pauperes ,  regali 
\  prosapia  genitos,  sustentare  valeat ,  amovere.  Preuves  de  t histoire 
de  Lan€fuedoc. 


530  LIVRE   DEUXIEME, 

plus  d'accèii  auprès  de  sa  personne.  Cet  entourage 
presque  exclusif  dVlrangers,  excitant  bientôt  i'inquié- 
tude  des  barons  aragonnai»,  cciix-cî  avaient  cru  devoir 
se  liguer  pour  éloigner  d'auprès  du  monarque  des  pcr- 
soni)at;es  dont  l'obsession  pouvait  finir  par  devenir 
préjudiciable  à  l'état. 

Sous  un  gouvernement  absplu,  cette  conjuration, 
dont  le  prétexte  elle  motif  titaient  le  bien  public,  au- 
rait pu  paraître  n'avoir  réellement  pour  cause  qu'une 
basse  jalousie  des  faveurs  du  prince,  le  dépit  de  voir 
donnera  d'autres  des  postes  honorables  ou  lucratifs,  un 
i^ioblc  sentiment  d'envie  contre  d'ambitieux  favoris 
qui ,  en  maîtrisant  l'esprit  du  monarque,  pouvaient  en- 
lever Btix  Aragonnais  sa  confiance ,  les  lui  rendre  sus- 
pecLi  et  les  faire  tomber  dans  sa  disgrâce;  mais  rien  de 
tout  cela  u'élait  possible  en  Aragon.  Modèle  des  états-  -^ 

où  les  devoirs  de  toutes  les  classes  étaient  le  plue  exac 

fement  trart'^s,  tout  y  étiiit  prévu  pour  la  garantie  dcgz^ 
libertés  de  chacune  d'elles,  en  se  maintenant  c~ 
la  ligne  d'obligations  réciproques  que  le  Code  t 
constitutions  leur  imposait.  Bien  loin  que  le  im  d'A-  — 
ragon  pût  jamais  devenir  despote ,  les  lois  fondamen.'— 
laies  de  l'état  le  tenaient  dans  une  dépendance  ^â 
directe  des  corts  du  royamne ,  et  des  seigneurs  Ëo- 
daux,  créateurs  de  la  monarchie  aragonnaise,  que 
ceux-ci  n'avaient  rien  à  redouter  des  alentours  du  roi, 
dans  leurs  intérêts  privés. 

Républicain  sous  les  formes  de  la  royauté,  le  gou- 


CHAPITRE   NEUVIEME.  331 

Yemement  d'Aragoû,  comme;  celui  de  Catalogne, 
appartenait  miiquement  aux  corts.  Composées  des 
deux  classes  de  la  noblesse ,  les  riches  hommes  ou 
barons  et  les  chevaliers ,  des  députés  du  clei^é  et  des 
représentants  des  villes  royales ,  ces  corts  souveraines 
pouvaient  seules  ordonner  les  impôts,  ratifier  les 
traités,  régler  les  monnaies;  à  elles  seules  apparte- 
nait le  droit  de  rendre  les  lois,  de  revoir  les  juge- 
ments, de  surveiller  l'administration,  de  réformer 
les  abus.  Rempart  inexpugnable  des  institutions  so- 
ciales, elles  recevaient  les  plaintes  du  roi  comme 
celles  du  demiei'  des  sujets,  et  ne  manquaient  jamais 
d'y  faire  droit.  Dans  Tintervalle  des  sessions ,  tous  les 
pouvoirs  de  ce  corps  étaient  confiés  à  un  haut  ma- 
gistrat, qui,  sous  le  nom  dejusticia,  voyait  soumis  à 
son  suprême  tribunal  les  grands  du  royaume  et  le 
monarque  lui-même.  En  vertu  d'un  ancien  for,  si  le 
roi  ou  ses  ministres  blessait  les  intérêts  dé  l'état  ou 
des  particuliers ,  s'il  violait  quelques  parties  des  cons- 
titutions ,  s'il  n'obtempérait  pas  aux  remontrances  que 
lui  avaient  faites  les  corts,  les  grands  seigneurs  se 
réunissaient  en  une  confédération  nommée  union,  et 
cette  union  empêchait  qu'aucun  revenu  payable  au 
roi  lui  fut  compté,  jusqu'à  ce  que  justice  fût  ren- 
due. Si  la  réparatioh  de  l'injure,  de  l'injustice  ou  de 
l'atteinte  portée  aux  libertés,  ne  suivait  pas  promp- 
tement  les  remontrances  failes  par  Yunion,  celle-ci 
pouvait,  sans  rébellion ,  et  en  vertu  des  droits  de  son 


532  LIVRE   DEUXIÈME, 

institution ,  se  dégager  dn  serment  dé  fidéiité ,  ré- 
viser obéissance  au  monarque ,  et  même  s*en  donner 
un  autre  :  telle  était  Tétendue  des  droits  des  hants 
barons  ^  Sous  un  gouvernement  de  cette  espèce,  la 
faveur  royale  ne  pouvait  pas  être ,  pour  ces  hauts  ba- 
rons, presque  les  pairs  du  roi,  l'objet  d'une  suscep- 
tibilité d'ambition  ou  d'envie.  L'intérêt  seul  du  bien 
public  fut  donc,  en  i  S&y,  la  cause  première  et  inmié- 
diate  du  recours  à  l'amoTi;  d'autres  passions  s'y  mê- 
lèrent plus  tard ,  et  finirent  par  transformer  en  vraie 
sédition  ce  qui  n'était  d'abord  qu'une  opposition  lé- 
gaie  et  dans  un  but  patriotique.  Ce  but  était,  conune 
on  l'a  vu ,  de  forcer  le  monarque  à  se  séparer  des  ba- 
rons roussillonnais ,  pour  lesquels  ceux  d'Aragon 
étaient  pleins  de  mépris.  Jaloux  à  l'excès  de  leurs 
prérogatives,  mais  pleins  d'honneur  et  de  droiture, 
ils  ne  voyaient  qu'avec  indignation ,  autour  du  souve- 


rain ,  des- hommes  qui  avaient  trahi  leur  propre  roi  e1 
favorisé  sa  spoliation.  Dans  l'intérêt  de  l'état  ili 
avaient  accepté  le  bénéfice  de  la  trahison ,  mais  1( 
cœur  soulevé  contre  ceux  qui  s'en  étaient  rendus  cou 
pables,  ils  ne  voulaient  pas  les  trouver  dans  les  co 
seils  du  monarque.  Parjures  une  fois,  ceux-ci  poi 


vaient  l'être    encore,    et   les    Âragonnais    devaient/ 
craindre  qu'ils  ne  cherchassent  à  amener  des  noux- 
veautés  contraires  aux  vrais  intérêts  du  royaume  ; 
c'est  là  le  motif  noble,  grand,  généreux,  que  Znriîâ 

'  Ziirita    —  Ant.  Percr,  firlacion ,  part.  i. 


CHAPITRE   NEUVIÈME  533 

donne  à  la  confédération  légale  qui  se  forma  alors 
entre  tous  les  grands  d*Âragon  ^. 

Les  membres  des  corts  de  ce  royaume,  réunis 
spontanément  à  Saragosse,  jurèrent  Taïuon,  et  furent 
imités  par  ceux  de  Valence.  A  la  tête  de  cette  douUe 
ligué  était  le  frère  du  roi,  Tin&nt  don  Jayme,  que 
Pèdre  avait  exclu  de  toute  participation  aux  affaires 
du  royaume,  en  faveur  de  sa  fille,  dona  Constance, 
mesure  contraire  à  Tusage  suivi  jusque-là,  les  femmes 
ne  pouvant  succéder  au  trône  qu'à  défaut  de  mâles 
dans  les  lignes  collatérales  :  c'était  là  un  motif  de 
j^us  pour  l'union.  Les  précédents  sur  lesquels  les 
seigneurs  ligués  s'appuyaient  pour  soutenir  les  pré- 
tentions  de  l'iofant  étaient  que  la  reine  Pétronille^ 
quoique  héritière  du  roi  Ramiré,  son  père,  avait  pré- 
féré, en  mourant,  laisser  le  trône  au  comte  de  Bar- 
celone, .son  mari,  plutôt  qu'à  ses  filles,  que  Jaytne  le 
Conquérant  avait  aussi  exclu  les  filles  de  sa  succession, 
et  que,  conformément  à  ces  principes,  le  père  du  roi 
actuel,  Alphonse  IV,  avait  substitué  l'infant  don 
Tayme  à  don  Pèdre  lui-même,  si  celui-ci  venait  à 
lourir  sans  enfants  mâles. 
Quand  cette  ligue  des  seigneurs  aragonnais  eut  ac- 

lis  toute  la  consistance  qu'on  voulait  lui  dcmnér,  elle 

^  Esto  procuravan  con  grande  instancia ,  impatando  à  ios  cavalleros 
^osaellon  que  el  rey  ténia  en  su  consejo,  que  avian  sido  traydore»  a 
ey,  y  que  fueron  causa  que  el  rey  (de  Aragon)  lo  de^eredasse^  y 

no  cessarian  de   intentar  ciras  novedades  muy  préjudiciables  y 

idalosas.  Zurifa .  VIÏI,  12. 


354  LIVRE   DEUXIÈME. 

exposa  au  roi  ses  demandes  et  ses  grie&;  elle  réclamait 
principalement  la  confu*mation  des  donations  fidtes 
par  Alphonse  IV  à  la  mère  de  don  Pèdre  et  à  ses 
frères ,  et  dont  le  prince  les  avait  dépouillés  ;  la  créa- 
tion pour  le  royaume  de  Valence  d'une  magistrature 
correspondante  à  celle  du yiu^tcîia  d'Aragon;  le  choix, 
parmi  les  membres  de  Yanion,  d'un  certain  nombre 
de  personnes  pour  être  du  conseil  du  rot  et  de  celui 
de  l'héritier  présomptif  de  la  couronne;  l'ordre  qu'au- 
cun individu  du  Roussillon ,  ou  qui  ne  serait  pas  né 
du  côté  des  Pyrénées  qui  regarde  la  Catalogne,  ne 
pût  être  auprès  de  la  personne  du  roi  ou  de  celle  de 
l'héritier  présomptif,  soit  en  qualité  d'o£Qcier  de  sa 
maison,  soit  en  celle  de  conseiller,  jusqu'à  ceq[u'en 
un  parlement  général  de  l' Aragon,  de  Valence  et  de 
Catalogne ,  on  eût  examiné  si  le  roi  pouvait  s'ent 
des  Roussillonnais  sans  préjudice  pour  l'état,  ^t  san 
péril  pour  sa  personne.  Quant  à  la  réintégration  d 
Imfant  don  Jayme  à  la  dignité  de  lieutenant  du  roi 
dans  Tadministration  du  royaume,  poste  inhérent  i 


la  qualité  d'héritier  présomptif,  la  question  en  fu — 
ajournée,  parce  que,  dans Tinterv aile,  une  assemblé 
de  lettrés,  après  Tavoir  examinée  et  avoir  entend 
les  débats  de  part  et  d*autre,  avait  décidé  que  Tusag 
adopté  dans  les  autres  royaumes  de  la  péninsule,  A^ 
faire  succéder  directement  la  fille  au  père,  à  dékmjt 
de  garçons,  devait  être  commune  à  TAragon. 

La  politique  de  don  Pèdre  n  était  pas  celle  des  corts. 


CHAPITRE    NEUVIÈME.  555 

CldleiH^  avaient  sanctionné  la  réunion  du  royaume 
le  Majorque  à  celui  d'Aragon  comme  la  réintégration, 
longtemps  provoquée ,  d'un  démembrement  de  Tétat 
]ui  n'avait  jamais  été  consenti  par  elles,  et  comme  le 
Bruit  d'une  conquête,  sans  s'inquiéter  par  quels  moyens 
Dette  réint^ration  et  cette  conquête  avaient  eu  lieu; 
mais  Pèdre ,  qui  savait  très-bien  qu'il  les  devait  peut- 
&tre  inoins  encore  au  tranchant  de  Tépée  qu'aux  menées 
ténébreuses  qu'il  avait  su  pratiquer  dans  le  pays ,  avait 
le  jdus  grand  intérêt  à  ménager  ceux  que  les  Aragon- 
nais  ne  voyaient  qu'avec  ombrage.  Diamétralement  op- 
posés dans  leurs  vues,  c'était  précisément  la  raison 
mêine  qui  faisait  abhorrer  ces  étrangers  par  tô  no- 
blesse, qui  le  forçait,  lui,  de  se  les  attacher.  Ces 
traîtres  avaient  une  grande  influence  dans  les  cottités 
oè  le  roi  spolié  conservait  de  nombreux  partisans , 
le  ia  part  desquels  chacune  des  années  précédentes 
vait  vu  éclore  des  conspirations.  En  se  soumettant 
IX  volontés  de  Yunion,  Pèdre  humiliait  les  barons  et 
levaliers  roussillonnais  et  pouvait  les  rejeter  dans 
parti  de  Jayme,  qui  dans  ce  moment  même  me- 
^t  le  Gonflent  :  la  force  des  choses  l'entraînait 
ic  à  résister  à  ce  qu'on  exigeait  de  lui ,  outre  que 
caractère  altier  et  violent,  qui  lui  donnait  des 
chants  despotiques,  lui  faisait  regarder  comme 
humiliation  la  loi  qu'on  prétendait  lui  imposer, 
rminé  à  affronter  l'orage,  il  accepta  toutes  les 
t^es  qui  pouvaient  en  résulter. 


336  LIVRE   DEUXIÈME. 

En  prenant  la  résolution  de  braver  la  féodsdité  de 
son  royaume,  Pèdre ,  plus  astucieux  encore  qu*adroit, 
et  il  Tétait  extrêmement,  eut  soin  de  chercher  à  en 
diminuer  les  forces  en  semant  la  discorde  entre  les 
grands  seigneurs.  Ce  moyen  n  est  jamais  sans  succès  : 
plusieurs  de  ces  seigneurs  et  un  certain  nomhre  de 
villes  se  déclarèrent  en  sa  &veur. 

Deux  partis ,  qui  se  partageaient  toute  retendue  du 
royaume,  étaient  en  présence.  Le  roi,  pour  essayer 
ses  forces,  convoqua  les  cortsà  Montso;  mais  Yunion 
en  réclama  la  tenue  à  Saragosse ,  et  Pèdre  dut  y  con- 
sentir :  ce  fut  une  première  défaite.  Craignant  poiu: 
sa  personne,  il  demanda  un  sauf-conduit  aux  chefs 
de  Yunion,  qui  répondirent  que  le  roi  jouissait  de  toute 
sa  liberté,  qu'il  pouvait  nonnseulement  se  rendre  à 
Saragosse  en  toute  sécurité ,  mais  qu'il  trouverait  ses 
sujets  toujours  prêts  à  lui  obéir,  dès  qu'il  les  aurait 
satisfaits  sur  leurs  griefs ,  suivant  ce  qui  était  ré^é 
par  les  constitutions. 

Pèdre  alla  donc  tenir  les  corts  à  Saragosse  „  dont 
les  membres  de  ï  union  refusèrent  l'entrée  aux  dé- 
putés des  villes  qui  n'avaient  pas  voulu  se  confédérer. 
La  méfiance  existait  de  part  et  d'autre.  Le  roi  se  pré- 
sentant à  l'assemblée  accompagné  de  quelques  Cata- 
lans ,  l!anîon.  exigea  lem*  sortie ,  et  Pèdre  dut  ies  ren- 
voyer. Les  frères  du  roi  se  montrèrent  lés  plus  animés 
contre  le  monarque,  qui  venait  de i faire  décider  à 
leur  préjudice  l'ordre  de  successibilité  aU:.troa6..en 


CHAPITRE    NEUVIÈME.  337 

faveiir  des  filles;  ils  allèrent  jusqu'à  le  menacer  de  le 
déposer. 

Le  roi  demandait  de  remettre  aujusticia  la  décision 
de  toutes  les  difficultés  qui  existaient  entre  lui  et  hi 
noblesse;  il  ne  voulait  pas  admettre  la  légale  exis 
tence  de  ramon,  le  privilège  s'en  trouvant  aboli,  sui 
vant  lui,  par  une  prescription  de  soixante  ans  pen- 
dant lesquels  on  n'y  avait  pas  eu  recours  :  depuis 
ce  laps  de  temps  on  n'avait  eu  aucun  besoin  d'en  faire 
usage.  Forcé  pourtant  par  la  nécessité,   Pèdre  dut 
consentir  à  la  confirmation  de  ce  privilège ,  mais  en 
protestant  secrètement  contre  la  violence  qui  lui  ar- 
rachait cette  confirmation ,  qui  eut  lieu  le  i  "^  de  sep- 
tembre; le  6,  en  gage  de  sa  parole,  il  remit  en 
otage  à  Yunion  vingt-<[uatre  châteaux  royaux,  tant  en 
Aragon  que  dans  le  royaume  de  Valence.  Il  éloigna 
aussi  d'auprès  de  lui  un  certain  nombre  de  seigneurs 
tant  roussillonnais  que  catalans,  également  suspects 
aux  Âragonnais  et  aux  Valenciens  ^,  et  Yunion  désigna 
im  nombre  égal  de  ses  membres  poiu*  remplir  ces 
vacances;  il  fiit  arrêté  de  plus  que  le  roi  ne  poiœrait 
entremettre  dans  ses  affaires  propres,  comme  dans 

'  Les  Aragonnais  et  les  Valenciens  faisaient  cause  commune,  parce 
qoe  TAragon  ayant  conquis  Valence  sur  les  Maures,  c'étaient  des  familles 
tfBgonnaiaes  qui  en  avaient  obtenu  les  fiefs,  et  les  uns  et  les  autres 
avaient  le  même  intérêt  dans  les  affaires  d'Aragon.  Les  Catalans,  au 
contraire,  formaient  une  principauté  étrangère  qui  avait  ses  intérêts  h 
part;  il  ne  leur  appartenait  donc  pas  d'intervenir  dans  les  affaires  de 
rAragon,  et  les  Aragonnais  étaient  fondés  à  les  en  repousser. 


338  LIVRE  DEUXIÈME. 

celles  qui  concernaient  TÂragon ,  aucun  Catalan  »  sou» 

peine  de  perdre  les  châteaux  déposés  en  otage. 

Après  avoir  obtenu  satisfaction  sur  ce  grief,  Yunion 
remit  sur  le  tapis  la  question  de  la  successibilité  au 
trône.  La  décision  des  lettrés  paraissait  trop  visible- 
ment influencée  par  le  roi  pour  être  admise  sans  dis- 
cussion ,  et  conune  Pèdre  ne  voulait  rien  céder  mr 
cet  artide,  de  nouvelles  discordes  agitèrent  encore 
r Aragon.  Enfin  cependant,  en  faisant  la  clôture  de  la 
session  des  corts  au  mois  d* octobre,  ce  prince  rendit 
k  son  frère  la  lieutenance  générale  du  royaume ,  et 
révoqua  Thommage  reçu  par  la  princesse  sa  fille,  sauf 
toutefois  les  droits  qu*il  lui  reconnaissait  toujours  à 
sa  succession  s*il  mourait  sans  héritier  mâle. 

L*infant  don  Jayme  n*eut  pas  à  se  réjouir  long- 
temps du  demi-triomphe  qu*il  venait  de  remporter. 
Étant  venu  trouver  le  roi  son  frère  k  Lérida,  û  en  re- 
partit avec  le  germe  d  une  mort  violente  :  le  poisoi^ 

que  chacun  soupçonna  qu*il  avait  reçu  le  mit  au  tom 

beau  en  peu  de  jours  ^ 

Les  Valenciens  n  avaient  pas  obtenu  ce  qui  faisai^t^ 
particulièrement  l'objet  de  leur  ligue  avec  les  .\ra — 
gonnais;  ils  n  avaient  donc  pas  encore  dissous  leumr^ 
confédération ,  quand  la  mort  funeste  du  frère  du  roi 
vint  produire  une  nouvelle  irritation  dans  tous  les 
esprits.  L'union  générale  reprit  soudain  une  nouvelle 
activité,  et  on  mit  à  sa  tête  l'autre  frère  du  roi,  l'în- 

1  Zurita,  Vni,  i8. 


CHAPITRE   NEUVIÈME.  339 

bni  don  Femaiid ,  qui  devait  succéder  à  don  Jayme 
au  poste  de  lieutenant  générai  du  royaume.  De  ce  mo- 
ment ce  prince  (ut  également  proscrit  dans  le  secret 
de  Tâme  de  son  frère.  La  iùauvaise  foi  de  ce  dernier, 
qui  venait  de  rappeler  autour  de  lui  les  mêmes  per- 
soilnages  qu*il  avait  dû  éloigner  de  son  conseil ,  don- 
nant en  outre  un  prétexte  légitime  au  renouvèttement 
de  la  confédération ,  ïanion  se  reconstitua  plus  mena- 
çante que  jamais.  Don  Pèdre  se  trouvant,  au  com-  1348. 
Aiencement  de  1 368,  à  Murviedro ,  fantique  Sagonte, 
une  violente  émeute  s*éleva  contre  son  entourage ,  et, 
poitr  se  soustraire  à  ta  (ureûr  du  peuple ,  les  Catalans 
et  Roussillonnais  du  conseil  du  roi  s'échappèrent  se- 
crètement de  la  ville. 

Dès  là  fin  de  1 3  67  les  deux  partis  en  étaient  venus 
aux  mains  pour  la  première  fois.  Pierre  d^Exerica , 
que  le  roi  avait  nommé  gouverneur  général  de  Va- 
lence ,  et  Taicade  de  Xativa  avaient  réuni  un  grand 
nondbi^e  de  Maures  soumis  à  la  domination  des  chré- 
tiens, et  cette  armée,  jointe  aux  levées  qu'avait  faites 
de  son  coté  le  grand  maître  de  M ontesa  qui  tenait  pour 
le  roi,  s*étaif  mesurée  afvec  les  troupes  de  Y  union; 
mais  la  victoire  n'avait  pas  été  pour  les  royaux.  Une 
Acbnde  bataille  fut  encore  perdue  par  eux,  et  chaque 
îKouvet  échec ,  en  affaiblissant  l'armée  de  don  Pèdre , 
augmentait  les  forces  de  Vunion  de  tous  les  mécon- 
tents qui  n'avaient  pas  osé  se  déclarer  d'abord ,  et  de 
cette  foule  timide  et  flottante  qui,  dans  toutes  les 


340  LIVRE   DEUXIÈME. 

crises  politiques ,  attend  pour  se  déclarer  que  la  for- 
tune ait  signalé  le  parti  le  plus  fort. 

Toujours  vaincues  dans  toutes  les  rencontres,  les 
troupes  royales  ne  trouvaient  plus  à  se  recruter,  et 
Vunion  croissait  chaque  jour  en  force  et  en  audace. 
Dans  cette  crise  violente,  et  dans  cet  état  d'abandon 
et  de  discrédit,  lorgueil  de  don  Pèdre  fut  forcé  de 
plier,  et  des  concessions  furent  faites  qui  aiuraient  dû 
mettre  fin  aux  troubles.  Us  ne  cessèrent  pas,  parce 
qu*il  est  bien  difficile  que  dans  im  grand  conflit  les 
passions  ne  viennent  pas  se  mettre  à  la  place  du  bon 
droit  quand  le  bon  droit  est  satisfait,  et  que  les  exi- 
gences les  plus  injustes  ne  s  accroissent  pas  avec 
concessions  les  plus  légitimes. 

Kissue  de  la  guerre  civile ,  qui  sévissait  avec  im< 
extrême  fureur,  n  aurait  pas  été  facile  à  prévoir  "  — ' 

une  division  fomentée  par  les  intrigues  du  roi  navai t 

détaché  de  la  ligue  Tun  des  personnages  les  plus  mai 
quanls  ci  les  plus  innuents.  Lopù  de  Luna,  posseî 
seur  d'une  foule  de  villes  et  de  châteaux,  tant  e: 
Aragon  qu'à  Valence,  et  dont  la  puissance  territ( 
riale,  supérieure  à  celle  d'aucun  autre  seigneu] 
même  de  la  maison  royale,  était  renforcée  de  toi 


le  poids  que  lui  donnait  son  alliance  avec  le  roi  doc^t 
il  avait  épousé  la  tante,  était  entre  en  discussion  av^c 
Ximenés  de  Lrrea,  autre  grand  personnage  de  la  con- 
fédération, devenue  séditieuse  depuis  que  le  roi,  ei/ 
accordant  tout  ce  qui  était  légitimement  réclama, 


CHAPITRE   NEUVIEME.  341 

l'avait  dépouUlée  de  toute  sa  légalité.  Lopè  de  Luna 
devint  le  chef  le  plus  ardent  de  Tarmée  royale ,  où  se 
trouvait  désormais  le  bon  droit  :  la  guerre  civile  et 
toutes  ses  horreurs  désolèrent  donc  encore  T Aragon. 
La  victoire  d'Epila,  remportée  le  21  juillet  par  ce 
même  Lopè ,  anéantit  enfin  la  sédition  en  mettant  en 
même  temps  à  la  discrétion  du  vainqueur  le  privilège 
à  l'abri  duquel  cette  sédition  avait  commencé.  Pèdre 
n  était  pas  assez  généreux  pour  séparer  le  principe  de 
l'abus  qu'on  en  avait  fait;  avec  la  guerre  civile  finit 
pour  toujours  la  faculté  qu'avaient  les  barons  du 
royaume  de  pouvoir  se  rallier  légitimement  sous  l'é- 
tendard de  YunioUf  et  le  même  coup  qui  renversait 
l'antique  privilège  créé  pour  opposer  une  puissante 
barrière  aux  envahissements  de  l'autorité  royale  ou- 
vrit aussi  la  première  porte  à  l'établissement  du  pou- 
voir absolu.  Pèdre,  victorieux,  révoqua  solennelle- 
ment ce  privilège  aux  corts  de  Saragosse.  Après  en 
avoir  lacéré  lui-même  le  titre  de  ses  mains  ce  prince, 
dans  toute  la  fougue  de  son  caractère  impérieux ,  tira 
son  poignard ,  s'en  blessa  légèrement  à  la  main ,  et 
couvrant  ces  lambeaux  de  parchemin  du  sang  qui 
coulait  de  sa  plaie  :  «Qu'un  privilège,  s'écria-t-il avec 
«furie,  qui  permet  à  des  sujets  de  se  choisir  un  roi, 
«soit  effacé  par  le  sang  d'un  roi^»  C'est  à  cet  acte 
d'un  despotisme  aussi  stupide  qu'arrogant  que  ce 
prince  dut  le  surnom  de  Pugnalet  ou  du  petit  poi- 

^  Antonio  Ferez ,  Rehiciones. 


3&2  LIVRE  DEUXIÈME. 

gnard  ^.  Par  la  suppression  de  cette  célèbre  institu- 
tion de  Vunion,  la  défense  des  libertés  publiques  se 
trouva  placée  uniquement  dans  les  mains  du  jasticia; 
mais  quel  devait  être  le  sort  de  cette  autorité  quand 
la  puissance  qui  pouvait  au  besoin  1^  soutenir  par  la 
force  des  armes  était  anéantie?  La  force  morale  la 
maintint  encore  quelque  temps,  avant  qu  elle  n'expirât 
de  Ëiit  sous  la  despotique  volonté  de  Philippe  IL 

G*est  donc  à  un  incident  de  la  guerre  de  Rous- 
sillon  qu*est  dû  le  renversement  de  Tune  des  institu- 
tions les  plus  remarquables  du  régime  féodal ,  et  la 
décadence  du  pouvoir  sans  bornes  de  ce  juge  extra- 
royal, magistrature  suprême,  modéra tnce  de  la  puis- 
sance royale  et  boulevart  des  libertés  publiques,  qui 
datait  en  Aragon  du  berceau  même  de  la  monarchie  ^. 

'  Le  caractère  hautain  de  ce  prince,  qui  le  rendait  très-exigeant  sur 
le  cérémonial ,  le  fit  aussi  surnommer  le  Cérémonieux. 
«  Voyei  note  XVIIL 


CHAPITRE   DIXIEME.  343 


CHAPITRE  X. 

Jayme  reçoit  le  prix  de  ses  domaines  de  Languedoc.  —  Der- 
nière tentative  et  mort  de  ce  prince. — Jugement  impartial 
sur  son  règne. 

Après  la  dissolution  de  Vanion,  le  roi  d^Âragon  ,340, 
avait  resserré  davantage  les  liens  de  son  sdliance  avec 
le  roi  de  France,  afin  de  mieux  s*entendre  avec  lui 
sur  ce  qu'il  aurait  à  faire  ultérieurement  contre  le  roi 
de  Majorque,  qu'on  n'appelait  plus  que  Jayme  de 
Montpellier  en  Aragon,  et  qui,  après  l'extorsion  de 
ses  domaines  situés  en  France,  ne  fat  plus  désigné 
que  par  le  titre  de  Jayme  de  Clarence ,  du  chef  de  sa 
mère,  princesse  de  Morée. 

Privé  de  toutes  ses  ressources ,  et  dans  l'impossi-  ,3^^. 
bilité  de  rien  entreprendre  contre  son  ennemi ,  Jayme 
végétait  depuis  deux  ans  dans  une  oisiveté  bien  con- 
traire à  son  caractère,  et  rien  ne  pouvait  faire  prévoir 
le  terme  d'une  situation  qui  l'humiliait,  quand  un 
voyage  que  fit  le  roi  de  France  à  Avignon ,  en  avril 
1349,  ^^^*  ^*^^  ^^^  sortir  d'une  manière  inespérée. 

Philippe  était  allé  voir  le  pape ,  et  ce  pontife  s'était 
empressé  de  lui  présenter  la  royale  famille  que  sou- 
tenaient seules  ses  libéralités.  Jayme  savait  trop  bien 


MA  LIVRE   DEUXIEME. 

qu'il  ne  pouvait  plus  compter  sur  la  restitution  d'au- 
cune partie  de  ses  c^tats;  il  proposa  nu  roi  de  France 
de  lui  vendre  les  domaines  qu'il  lui  avait  saisis,  et 
Philippe  acrepta  avec  joie  une  offre  qui,  en  régida- 
risant  un  acte  dont  ii  ne  pouvait  se  dissimuler  l'injus- 
tice, le  metlaiten  possession  légale  de  plusieurs  lerre$ 
qui  convenaient  parfaitement  à  l'agrandissement  de 
son  royaume.  Kirmin  de  Coqiierel ,  évt^que  de  Noyon, 
chancelier  de  l'Vance,  Guillaume  de  IHoMe,  seigneur 
de  Hevei,  et  Pierre  de  la  Forêt,  chancelier  de  Nor- 
mandie, cliarg^s  par  ce  prince  de  terminer  cette  af-^i 
faire,  entrèrent  aussitôt  en  conférence  avec  le  roi  d^ 
Majorque,  et  le  marché  fiit  conclu  le  18  du  mémo- 
mois  d'avril.  La  France  acquit  ainsi,  pour  le  prix  do 
cent  vingt  mille  ^cus  d'or  payables  en  trois  termes, 
la  seigneurie  de   Montpellier   qui  rapportait   3,380 
livres  de  i-cnte,  et  celle  de^Lates  qui  en  produisait 
435  '. 

Jayme  ne  se  vit  pas  plus  tôt  possesseur  d'une  somme 
qui  lui  permettait  de  faire  des  levées,  qu'il  se  mit  en 
mesure  de  tenter  encore  la  fortune  des  armes.  Quel- 
ques intell%ences  qu'il  avait  à  Valence,  parmi  les 
anciens  mécontents  de  ronion,  lui  faisant  regarder 
l'invasion  de  Majorque  comme  plus  facile  qu'une  at- 

'  Il  est  stipulé  dans  l'acte  de  vente  que  si  le  roi  de  Fnuce  lecon- 
naissait  que  les  revenus  annuels  de  ces  seigneurs  étaient  iaféntim^ 
celte  fiiation,  on  retiendrait  sur  le  dernier  payement  autant  de  foiiilii 
soQiqu'ily  aurait  EU  de  sous  de  moins  de  revenu  par  an. 


CHAPITRE  DIXIÈME.  3A5 

taque  sur  le  continent ,  il  s*était  décidé  à  passer  dans 
cette  île.  Avec  la  faveur  de  la  reine'  de  Naples , 
Jeanne  I**,  comtesse  de  Provence,  qui  lui  prêta  cette 
même  flolte  que  commandait  Charles  de  Grimaldi, 
il  embarqua  quatre  cents  chevaux  et  trois  mille  fan- 
tassins ,  tous  recrutés  en  France ,  et  il  vogua  vers  les 
îles  Baléares. 

Le  roi  d'Aragon  avait  trop  d'intérêt  à  faire  épier 
toutes  «les  démarches  de  Jayme  pour  n'être  pas  in- 
formé à  temps  des  préparatifs  que  faisait  ce  piînce. 
Il  sut  que  son  intention  était  de  se  rendre  à  Ma- 
jorque ,  et  se  hâta  d'en  donner  avis  au  gouverneur  de 
cette  île  pour  qu'il  se  tînt  sur  ses  gardes  et  qu'il  prît 
toutes  ses  mesures  pour  être  en  état  de  défense  ;  il 
donna  en  même  temps  l'ordre  à  Pierre  de  Moncade, 
amiral  de  sa  flotte ,  de  chercher  partout  sur  mer  les 
vaisseaux  de  Provence  pour  tâcher  de  détruire  cette 
armée  avant  qu'elle  ne  pût  toucher  terre.  Peu  s'en 
fallut  en  effet  qu'un  combat  naval  ne  décidât  du  sort 
de  Jayme  :  les  deux  flottes  abordèrent  presque  en 
même  temps  à  Majorque. 

ïln  touchant  au  rivage  baléarique  Jayme  trouva 
tout  contre  lui.  Outre  les  secours  qu'il  avait  reçus  di- 
rectement, le  gouverneur  de  Majorque,  Gilabert  de 
Gentellas,  se  trouvait  avoir  encore  en  sus  im  surcroît 
fortuit  de  forces  par  le  relâche  des  compagnies  de 
cavalerie  et  d'infanterie  que  Raimbaud  de  Corbère, 
gouverneur  général  du  royaume  de  Sardaigne  et  de 


su  LIVRE   DEUXIEME. 

Corse ,  emmpnait  avec  lui ,  et  qui  se  trouvaient  k  Ma- 
jorque depuis  le  commencement  d'août. 

L'intention  de  Jayme  était  d'attaquer,  dès  le  len- 
demain de  son  arrivée ,  la  ville  de  Majorque ,  éloignée 
de  trois  milles  du  point  du  débarquement.  Il  fut  pré- 
venu par  les  Aragonnats ,  qui  ne  lui  donnèrent  pas  le 
temps  de  s'écarter  de  la  plage.  Gilaberl  de  Centeltas 
et  Raimbaud  de  Corbérc,  sortis  de  très-bomie  beure 
et  saiks  bruit  de  la  ville,  le  s  S  octobre,  se  présen- 
tèrent devant  le  roi  de  Majorque  au  moment  où  ce 
prinr^?  se  mettait  en  marche  :  la  rencontre  eut  lieu 
uti  peu  après  le  lever  du  soleil.  La  partie  était  loin 
d'Être  égale.  Pendant  que  Jayme  ne  comptait  pas  trois 
mille  cinq  cents  combattants  en  tout ,  les  généraui 
aragonnaLs  se  trouvaient  à  ta  tète  de  forces  considé- 
rables du  continent  et  de  nombreuses  compagnie» 
d'insulaires  qu'ils  avaient  dressés ,  ce  qui  portait  l'ef- 
lèctif  de  l'armée  à  huit  cents  chevaux  et  vingt  mille 
fantassins  '. 

L'apparition  de  cette  multitude  d'ennemis  ne  dé- 
couragea ni  Jayme  ni  les  siens  ;  s'étant  empressé  de 
mettre  ses  Français  en  bon  ordre  de  bataille,  il  donna 
lui-même  le  signal  de  l'attaque.  La  bataille  commencée 
au  soleil  levant  était  encore  dans  toute  se  ■  furie  à 
midi,  et  le  succès  en  demeurait  incertain,  tant  lei 
Français,  animés  par  l'exemple  du  chef,  mettaieiU 
d'acharnement  à  combattre.  Pour  eux  il  ne  s'E^;iBSUt 

'  Zurita,  Vm,  34. 


CHAPITRE   DIXIEME.  347 

que  de  Thonneur ,  mais  pour  Jayme  il  y  aUait  du 
destin  de  sa  vie ,  puisqu'il  en  était  à  ses  dernières  res- 
sources. L'ennemi  battu,  l'île  de  Majorque  lui  appar- 
tenait, et  avec  elle  il  regagnait  une  partie  de  sa  cou- 
ronne et  les  moyens  de  reconquérir  l'autre;  mais  s'il 
était  vaincu  toute  espérance  était  perdue,  et  il  n'y 
voulait  pas  survivre. 

GepéDdant  tes  Français ,  quelque  téméraire  que  fût 
leur  valeur,  ne  pouvaient  pas  balancer  la  multitude 
des  ennemis  qu'ils  avaient  en  tête  et  qui  les  envelop- 
paient de  toute  part.  Aucun  ne  lâchait  pied;  tous 
mouraient  à  la  place  où  ils  combattaient.  Les  Âragon- 
nais ,  convaincus  qu'à  la  vie  seule  de  Jayme  tenait 
l'issue  de  la  journée,  se  réunirent  en  si  grand  nombre 
contre  lui,  qu'à  force  de  coups  et  de  blessures  ils 
parvinrent  à  le  renverser  de  cheval.  L'un  d'eux,  le 
voyant  enfin  sans  mouvement,  lui  coupe  la  tête  et  la 
montre  aux  Français  :  la  vue  de  ce  funeste  trophée 
éteignit  tout  à  cjoup  l'ardeur  des  combattants  ;  n'ayant 
plus  aucun  intérêt  à  continuer  la  bataille,  ils  cher- 
chèrent à  se  rembarquer,  mais  aucun  n'y  put  par- 
venir; tous  ceux  qui  avaient  mis  le  pied  sur  cette 
Ëitale  terre  furent  tués  ou  pris ,  et  le  fils  du  malheu- 
reux roi,  blessé  lui-même  au  visage,  fiit  du  nombre 
des  prisonniers.  Le  roi  d'Aragon,  à  qui  ce  prince  foi 
envoyé»  ie  fit  enfermer  d'abord  dans  le  château  de 
Xativa ,  l'antique  Saetabis ,  d'où  il  fut  transféré  ensuite 
au  château  neuf  de  Barcelone  et  gardé  à  vue  nuit  et 


SAS  LIVRE   DEUXIEME, 

jour.  Quant  au  corps  du  feu  roi,  transporté  à  Valence 
par  les  ordres  de  don  Pèdre.  il  fut  inhumé  dans  le 
chœur  de  la  cathédrale  de  cette  ville. 

Telle  fut  la  fin  de  Jayme  II,  troisième  et  dernier 
roi  de  Majorque,   qui,  après  s'être  vu  contester  la 
couronne  au  déhut  de  son  règne,  finit  par  se  la  voir 
arracher  avec  violence  après   l'avoii'   portée   vingt- 
quatre  ans.  Indignement  calomnié  de  son  vivant  et-  ^ 
après  sa  mon  par  don  Pèdre,  son  parent,  son  rival^H 
et  l'auteur  de  tons  .ses  maïu.  ce  prince  périt  comra^^ 
devrait  mourir  tout  monarque  dont  on  brise  ie  trône 
les  armes  à  la  main,  laissant  à  la  postérité  une  mé=^ 
moire  chargée  des  crimes  imaginaires  dont  l'a  souillé       ^ 
son    implacahle  ennemi.  Par  une   inconcevable  ta^^ 
talité  ces  odieuses  accusations  n'ont  trouvé  jusqu'i^HW 
que  des  échos  poiu-  les  répéter,  sans  rencontrer  pe?::^- 
sonne  qui  voulût  se  donner  la  peine  d'en  vérifier    ^a 
«incérité  et  d'en  apprécier  la  justice.  C'est  donc  à  no-^s 
à  examiner,  avec  cette  rigoureuse  impartialité  q^ue 
l'histoire  doit  à  ceux  qui  ont  tenu  dans  leurs  maLwu 
le  bonheur  ou  le  malheur  des  peuples,  quelle  fiit  h 
conduite  de  ce  prince  sur  le  trône  et  quelle  part  \ui 
revient  réellement  dans  la  somme  d'injures  que  lui 
ont  prodiguées  et  que  lui  prodiguent  encore  des  écri- 
vains tant  étrangers  que  nationaux,  les  premiers  à 
l'imitation  des  autres  qui  sont  supposés  devoir  être  le 
mieux  instruits  de  leurs  propres  affaires. 

Les  auteurs  aragonnats,  catalans  et  roussillonnaii 


CHAPITRE   DIXIÈME.  349 

nont  jusqulci  parlé  de  Jayme  II  que  comme  d'mi 
monstre  de  barbarie ,  d*un  lâche  tyran  comparable  à 
Néron  par  son  humeur  féroce  et  sanguinaire,  et  dont 
les  violences  et  les  fureurs  ne  pourraient  reconnaître 
pour  cause  qu'un  cerveau  en  démence.  Mais  une 
chose  qu'il  convient,  qu'il  importe  de  constater  avant 
tout,  c'est  que  les  crimes  dont  on  accuse  Jayme,  tous 
les  actes  révoltants  qu'on  lui  attribue,  ne  datent  que 
de  l'an  i343.  Avant  ce  terme,  rien  dans  ce  prince 
n'avait  provoqué  encore  l'animadversion  des  peuples; 
si  en  parlant  de  lui,  antérieurement  à  cette  époque, 
les  écrivains  modernes  ajoutent  à  son  nom  quelque 
épithète  flétrissante ,  cette  épithète  est  plutôt  fondée 
siu*  ce  qui  se  passa  depuis  que  motivée  par  des  faits 
accomplis  d'avance;  or,  en  i343,  le  roi  d'Aragon 
avait  déjà  condamné  son  beau-frère  à  perdre  la  cou- 
roime  ;  ce  monarque  rival  exerçait  en  Roussillon  les 
ravages  dont  nous  avons  essayé  de  rendre  compte  ;  il 
s'efforçait  de  contraindre  par  la  terreur  et  les  dévas- 
tations les  peuples  de  ce  comté  à  se  soumettre  à  lui; 
à  cette  époque ,  par  la  violence  ou  par  la  séduction , 
don  Pèdre  avait  attiré  à  son  parti  le  plus  grand 
nombre  des  barons  roussillonnais  et  les  plus  in- 
fluents; à  cette  époque  encore  Jayme,  réduit  à  im 
petit  nombre  d'amis  qui  avaient  repoussé  toutes  les 
avances,  toutes  les  insinuations  de  l'adversaire  de 
son  trône ,  et  qui  lui  étaient  restés  fidèles  et  dévoués , 
avait  à  lutter,  d'une  part  contre  im  ennemi  extérieur 


350  LIVHF.   DEUXIEME. 

qui  semait  la  mort ,  l'incendie  et  les  mines  dans  ses 
état»,  et  s'attachait  h  l'isoler  de  ses  sujets,  de  l'autre 
contre  la  trahison  intérieure  qui  faisait  tous  ses  efforts 
pour  précipiter  la  catastrophe. 

Si  nous  faisons  la  part  des  mœurs  du  siècle  où  vi- 
vaient l'èdre  et  Jayme ,  et  si  nous  pesons  bien  la  po- 
ailion  si  particulière  et  surtout  si  critique  où  se  trou- 
vait ce  dernier  prince,  notLs  serons  peut-être  conduite 
h  penser  que  les  cruautés  qu'on  lui  reproche ,  si  elle» 
ne  sont  pas  exagérées,  pourraient  bien  notre  qu'une 
^numération,  présentée  avec  les  couleurs  de  la  passion 
et  du  ressentiment,  des  mesures  de  sévérité  auxquelles 
il  était  forcé  de  recourir  pour  contenir  ses  peuples, 
atteindre  et  frapper  les  parjures  et  les  fauteurs  de 
corruption ,  et  déjouer  des  conspirations  ourdies  en 
faveur  du  roi  d'^Vragou.  Ce  qu'il  fit  dans  des  circons- 
tances aussi  difficiles,  tout  autre  l'eût  fait  comme  lui, 
<H  le  prince  le  plus  doux  et  le  plus  humaiû,  s'il  était 
vaincu  par  le  succès  d'une  conjuration ,  pourrait  être 
é^lement  accusé  de  férocité,  k  raison  des  mesures 
de  r^eur  qu'il  aurait  dû  prendre  pour  briser  les  com- 
|!dots  et  châtier  les  traîtres.  Si  Jayme'  eût  triomphé, 
tout  l'odieui  qu'on  a  versé  sur  lui  aurait  été  le  pa^ 
tage  de  ceux  qu'après  sa  chute  on  a  présentés  comme 
ses  victimes-,  mais  ce  lut  Pèdre  qai  t'emporta.  Le 
succès  ayant  couronné  l'usurpation,  il  faliutjustifief  une 
spdiation  injustifiable  autrement  que  par  ces  taisont 
d'état  et  de  haute  convenance  politique  qu'on  n'avait 


CHAPITRE   DIXIÈME.  551 

pas  encore  à  cette  époque  la  hardiesse  d*avouer  hau- 
tement poiu*  excuser  les  plus  révoltantes  injustices;  il 
fdlut  colorer  cette  odieuse  spoliation  du  prétexte  de 
Tintérèt  spécial  des  habitants  des  domaines  inféodés 
à  Jayme,  et  qui  étaient  toujours  et  d*abord  les  sujets 
du  roi  d'Aragon,  avant  de  letre  du  roi  de  Majorque, 
en  ne  considérant  celui-ci  que  comme  simple  feuda- 
taire  de  la  couronne  de  don  Pèdre.  En  conséquence 
de  ce  principe,  il  fallut  établir  que  les  sujets  de  Ma- 
jorque qui  servaient  la  cause  du  roi  d'Aragon  au  pré- 
judice de  leur  propre  seigneur  ne  faisaient  que  rem- 
plir un  devoir;  alors  les  traîtres  envers  ce  dernier 
fnînce ,  qui  avaient  reçu  la  peine  de  leur  infamie ,  ne 
furent  plus  que  des  martyrs.  Pèdre  a  lavé  lui-mèmé 
don  Jayme  des  prétendus  actes  de  barbarie  et  d'inhu- 
manité qu'on  lui  reproche,  en  fournissant  des  fonds 
pour  l'érection  d'une  chapelle  expiatoire  à  l'endroit 
oà  avaient  péri,  de  la  main  du  bourreau,  certains 
Perpignanais  qui  reconnaissaient,  dit-il,  son  bon  droit, 
ou,  en  d'autres  termes,  qui  avaient  conspiré  contre 
leur  monarque. 

Les  crimes  que  le  roi  d'Aragon  reprochait  à  celui 
de  Majorque  étaient  d'avoir  surchargé  d'impôts  la  por- 
tion des  sujets  de  sa  couronne  qui  se  trouvaient  sous 
l'administration  du  roi  de  Majorque,  à  qui  ces  do- 
maines étaient  inféodés ,  de  les  avoir  tyranniquement 
persécutés  par  toutes  sortes  de  moyens,  de  leur  avoir 
enlevé  leurs  biens  comme  si  c'était  des  peuples  nou- 


I 


LIVRE  DEUXIEME.  ^^^^^ 
vellenient  conquis;  d'avoir  fait  périr  des  innoccnb, 
d'en  avoir  renfermé  d'iiiitresdnns  d'étroites  prison», 
d'en  avoir  banni  d'iiutres  encore  pour  leur  ravir  leur 
héritage,  cl  tout  cela  au  mépris  des  luis  et  constitutions 
de  Ciitalogne  qui  régissaient  le  royaume  de  Majorque  : 
c'étaient  ces  motifs  qui  l'avaient  mû,  disait-ïl,  k  re- 
prendre tous  ces  Tiefe  sous  su  main.  Mais  avant  d'en- 
trer dans  cette  énurnération  des  griefs  présentés  par  — 
don  Pèdre  contre  Jayme  et  que  Zurita  récapitule  -^ 
d'après  lui,  ce  grave  historien  a  grand  soin  de  dire  nue—  -j 
c'est  là  une  exagération  dont  le  roi  d'Aragon  se  scrvît^r-  t 
pour  justlTicr  sa  conduite  quand  le  roi  de  Majorgm'  ti 
fut  tombé  en  sa  puissance'.  L'écrivain  roussi'llnnnaifa— -  _s 

Aadré  Bosch  nous  donne  la  liste  de  tous  les  forfaits rs 

imputés  au  dernier  roi  de  Majorque  d'après  un  procé:.  ;^s 
instruit  contre  ce  prince  ;  il  i'accuse  : 

1°  D'avoir  fait  arrêter,  le  dimanche  des  Rameau  .  jx 
de.  Tau  i3A3,  le  vicomte  d'Ille  avec  plusieurs  an  m        < 

(^evaliers,  et  de  les  avoir  fait  conduire  à  Majorqu e 

où  on  devait  les  mettre  k  moil.  Le  courrier  qui  po:^H<;,  ' 
tait  cet  ordre  fut  pris,  ce  qui  empêcha  l'exécution  ^-*'  ' 
cette  sentence  :  leurs  biens  furent  saisis  par  le  6eL~"f 
motif  qu'i/s  voataient  moyenner  un  accommodement  entr-^ 
les  deax  rois; 

3°  D'avoir  invité  le  jour  de  Pâques  les  consuls  d 
notables  de  Perpignan  à  se  rendre  au  château  dan5 
l'intention  de  les  iàire  arrêter  de  guet-apens  :  le  coup 

>  Zurita,  VU,  65. 


CHAPITRE   DIXIÈME.  555 

manqua  parce  que  deux  d'entre  eux  ne  s'y  rendirent 
paa; 

3*  D'avoir,  au  mois  de  juin ,  excité  les  pauvres  k 
^'emparer  des  biens  des  riches;  de  s'en  être  fait  une 
escorte  qui  injuriait  les  autres  citoyens  pour  les  pro- 
voquer à  leur  riposter,  afin  ictooir  un  prétexte  pour  les 
tuer; 

4*  D'avoir  fait  fondre  beaucoup  d'ustensiles  d'or  et 
d'argent  de  la  chapelle  du  château  royal,  ainsi  que  du 
couvent  des  frères  mineurs  de  Perpignan  pour  en  faire 
de  la  monnaie; 

S**  D'avoir,  dans  le  courant  du  mois  d'août,  laissé 
tuer  par  les  soldats  qui  allaient  avec  lui  un  marchand 
qui  le  suppliait  défaire  la  paix  avec  le  roi  d'Aragon; 

6"  D'avoir  fait  monter  au  château  le  jour  de  Sainte- 
Elisabeth  trois  cents  Perpignanais  des  plus  riches, 
sous  prétexte  de  lui  faire  cortège  pour  une  messe  so- 
lennelle; d'en  avoir  fait  mettre  aux  fers,  sans  motif, 
cent  dix-huit,  dont  trois  étaient  consuls;  d'avoir  me- 
nacé et  injurié  ceux  qui  s'intéressaient  pour  eux,  et 
de  ne  les  avoir  relâchés  que  moyennant  une  compo- 
sition de  deux  mille  cinq  cents  florins; 

7"  D'avoir  fait  tenailler  et  couper  la  langue  à  trois 
consuls,  trois  jours  avant  Noël,  pour  inspirer  de  la 
crainte  aux  autres; 

8"  D'avoir  tenu  dans  des  lieux  obscurs  les  enfants 
uniques  des  riches  et  des  vassaux  des  barons  aux  dé- 
pens des  pères;  si  bien  que  plusieurs  en  moururent, 
I.  a3 


Sûfi  LIVUE    DEUXIEME.  V, 

d'autres  eu  tombèrent  malades  et  ne  piu'ent  jamaU 
bien  se  r^lablïi-.  IJ  y  .iv^ït  iiussi  parmi  ces  captïis  Âei 
moines,  des  dtanoincs  et  d'autres  ecclésiastiques  qâ 
se  refusaient  à  payer  les  droits;  Jaunie  en  empêchait 
d'aiilrcs  de  sortir  de  leurs  coiivenb; 

9"  De  n'avoir  admis  dans  sa  société  <fae  des  folean 
lie  rjrand  chemin  :  d'avoir  fait  saisir  les  biens  et  démolir 
leti  maisons  de  cetix  ifai  s'étaient  absentés  de  Perpigwa; 

lo"  D'avoir  révoqué  les  privilège»  des  consuls, 
après  que  les  deux  mille  cinq  centj  (lorins  auxquels 
avait  été  futée  la  rançon  de  ceux  qui  étaieni  reteiiin 
au  ch^tea»  eurent  été  comptés,  et  cel,i  pour  n'être 
pas  contredit,  etc. 

Tous  ces  griefs  furent  insérés  dans  un  procès  fail 
au  roi  de  Majonpie,  au  mois  d'août  i3i6,  c'est-à- 
dire,  lorsque  les  Aragonnais  étaient  en  possession  de 
Perpignan  depuis  un  mois;  dans  im  temps  où  per- 
sonne, dans  cette  ville,  ne  pouvait  élever  la  voix  en 
faveur  de  l'accusé  ;  où  le  tribunal  érigé  par  l'enneaii 
de  cet  accusé  ne  faisait  qu'enregistrer  les  accusatioit) 
quelles  qu'elles  fussent,  plausibles  et  spécieuses,  ou 
absurdes  et  ridicules;  où  cet  ennemi  avait  intérêt i 
chercher  la  justification  de  sa  propre  conduite  dam 
la  culpabilité  de  celui  qu'il  avait  dépouillé,  et  oà 
ceux  qui  avaient  favorisé  son  usurpation  devaient 
nécessairement  calomnier  le  prince  qu'ils  avaieni 
trahi. 

De  toute  cette  série  d'actes  imputés  à  crime  au  roi 


CHAPITRE   DIXIÈME.  355 

de  Majorque,  le  plus  grand  nombre  ne  mérite  pas 
d'être  réfuté  aujourd'hui,  et  on  s'étonnerait  qu'ils 
aient  pu  trouver  place  dans  un  procès  de  cette  nature, 
si  on  ne  voyait  dans  une  foulé  d'autres  procès  de  ces 
époques ,  des  accusations  non  moins  révoltantes  par 
leur  absurdité.  Quant  à  celles  de  ces  inculpations  qui 
portent  sur  des  faits  d'une  certaine  gravité,  il  n'en  est 
aucune  qui,  examinée  avec  cette  sévère  impartialité 
que  la  postérité  doit  mettre  dans  ses  tardives  investi- 
gations, ne  soit  de  nature  à  être  justifiée  par  les  cir- 
constances dans  lesquelles  ce  prince  se  trouvait  placé  : 
remplissons  ce  devoir. 

Le  roi  de  Majorque  a  fait  arrêter  le  vicomte  d'Ule 
et  jdusieurs  autres  barons  et  chevaliers.  Ces  arresta- 
tions n'ont  pas  eu  L'eu  sans  cause.  Le  prince  dont  un 
ennemi  puissant  proscrivait  la  couronne  avait  trop 
d'intérêt  à  ménager  ses  barons  pour  se  livrer  à  des 
aetes  insensés  qui  n'auraient  fait  qu'ajouter  une  force 
morale  aux  forces  matérielles  de  son  ennemi.  Le  seul 
iait  de  ces  arrestations  atteste  donc  que  Jayme  avait 
Aé^k  découvert  leur  trahison ,  et  que  ce  fut  pour  les 
empêcher  de  la  consommer  qu'il  les  fit  déporter  à 
Majorque. 

Le  jour  de  l'arrestation  de  ces  prisonniers  était, 

BOUS  dit  Bosch,  le  dimanche  des  Rameaux  de  l'an 

i3â3.  Cette  année,  la  fête  de  Pâques  tombait  aii 

1 3  avril  ^  ;  le  dimanche  des  Rameaux  fut  donc  le  6  de 

*  Art  de  vérifier  les  dates,  lom.  I. 

2  3. 


556  LIVKE    DEUXIÈME, 

ce  mois.  Jayme  passa  à  Majorque  à  la  fm  de  ce  même 
mois ,  pour  défendre  cette  île  contre  le  roi  d*Âragon. 
Les  seigneurs  déportés  n'étaient  déjà  plus  à  Majorque, 
puisque  Jayme  aurait  pu  faire  exécuter  à  son  arrivée 
la  condamnation  à  mort  qu  on  prétend  qu'il  avait  pro- 
noncée contre  eux ,  s'il  était  vrai  que  la  prise  du  mes- 
sager qui  portait  Tordre  de  cette  exécution  en  eût  seule 
empêché  Teffet.  Mais  le  roi  de  Majorque  n'avait 
même  pas  ordonné  de  les  tenir  en  prison ,  puisqu'ils 
avaient  pu  quitter  cette  île,  et  que  peu  de  temps 
après  nous  trouvons  en  effet  ce  même  vicomte  d'IUe 
dans  le  camp  du  roi  d'Aragon  :  l'envoi  de  ces  person- 
nages à  Majorque  n'avait  donc  été  qu'une  simple  dé- 
portation ,  et  la  saisie  de  leurs  biens ,  présentée 
comme  postérieure  à  leur  arrestation,  n'eut  lieu  ap- 
paremment que  lorsque  Jayme  fut  informé  qu'ils 
avaient  passé  à  l'ennemi. 

Le  guet-apens  tendu  aux  consuls  et  conseillers  de 
la  ville  de  Perpignan,  avorté  par  le  seul  fait  de  l'ab- 
sence de  deux  d'entre  eux,  n'est  pas  susceptible  de  dis- 
cussion. Coinnient  l'absence  de  deux  individus  qu'on 
pouvait  arrêter  plus  tard  aurait-elle  empêché  le  prince 
de  s'assurer  de  la  personne  du  plus  grand  nombre? 

Les  troisième  et  einquiènje  griefs  portent  le  cachet 
de  ces  contes  populaires  qu'on  voit  se  renouveler  à 
loutes  les  époques,  quand  il  y  ^  un  chef  à  désaffec- 
tionner  :  on  sait  s'il  dépendait  du  roi  de  Majorque  de 
faire  la  paix  avec  le  roi  d'Aragon.  Quant  à  la  fonte 


CHAPITRE   DIXIÈME.  557 

d'une  partie  de  l'argenterie  de  la  chapelle  du  château 
royal,  Jayme  n'en  devait  compte  à  personne;  et  pour 
celle  du  couvent  des  frères  mineurs ,  ce  prince  fit  ce 
qu'ont  fait  tant  d'autres  princes  dans  un  moment  urgente 
La  détention  arbitraire  d'un  certain  nombre  d'en- 
fents  de  familles  riches,  pour  forcer  les  parents  à  les 
racheter,  serait  une  iniquité  que  rien  ne  saurait  jus- 
tifier si  elle  était  prouvée.  Peut-être  pourrait-on  soup- 
çonner que  cette  mesure  avait  plutôt  pour  objet  de 
s*assurer,  au  moyen  de  ces  otages ,  de  la  fidélité  de 
£aimilles  suspectes  ;  mais  ce  qui  paraît  devoir  éloigner 
toute  criminalité  de  ce  fait ,  c'est  que  dans  ce  même 
article  on  voit  des  prêtres  et  des  moines  arrêtés  égale- 
ment pour  n'avoir  pas  voulu  payer  certains  droits.  Si  la 
détention  de  ces  derniers  avait  été  illégale,  eîle  aurait 
excité  les  plaintes  des  autorités  supérieures  de  l'église, 
toujours  si  promptes  à  s'irriter  quand  on  touchait  aux 
privilèges  et  aux  immunités  cléricales ,  ou  à  ce  qui  te- 
nait à  leur  juridiction;  or  nous  avons  vu  que  le  pape 
avait,  au  contraire,  constamment  soutenu  et  défendu 
le  monarque  accusé.  Que  Jayme  ait  commis  quelques 
extorsions  pour  se  procurer  l'argent  dont  il  avait  un  si 
extrême  besoin  pour  l'entretien  des  troupes  étrangères 
qui,  dans  ce  moment,  faisaient  toute  sa  force,  il  n'y 
aurait  là  rien  de  surprenant;  la  prodigalité  paraît 
avoir  été  son  plus  grand  défaut ,  et ,  à  une  époque  où  les 
voies  les  plus  criminelles  pour  accroître  ses  finances 
ne  répugnaient  pas,  il  a  du  faire  sans  doute  comme  les 


358  LIVRE   DEUXIÈME. 

autres.  Nous  avons  déjà  dit  que  ce  prince  avait  voulu 
lever  arbitrairement  sur  les  Perpignanais  une  contri- 
bution dont  l'illégalité  avait  causé  une  sédition  dan- 
gereuse. 

Le  septième  article  est  le  plus  grave.  Jayme  aurait 
fait  saisir  avec  des  tenailles  et  couper  la  langue  à  deux 
consuls,  afin  d'intimider  les  autres.  Mais  d'abord  il 
faut  se  rappeler  qu'à  cette  époque  l'amputation  de  la 
langue  aussi  bien  que  la  mutilation  des  membres 
étaient  des  peines  prononcées  judiciairement,  et  qui 
faisaient  partie  du  barbare  code  pénal  du  moyen 
âge.  La  perte  de  la  langue  était  l'horrible  peine  portée 
contre  ceux  qui  tenaient  des  propos  contre  les  droits 
du  souverain,  et  cette  disposition  légale  nous  explique 
l'application  de  cette  peine  à  deux  consuls^.  Sans 
doute  que  ces  magistrats,  séduits  par  les  agents  du 
roi  d'Aragon ,  avaient  parlé  publiquement  en  faveur 
de  ce  prince,  qui  avait  prononcé,  depais  plas  d'un  an, 
la  confiscation  du  royaume  de  Majorque,  et  leur  tra- 
hison était  d'autant  plus  punissable,  que  par  leur  po- 
sition élevée  ils  pouvaient  ébranler  davantage  la  fidé- 
lité de  leurs  administrés. 

^  En  1390  ce  supplice  fut  inflige  publiquement,  au  milieu  du 
marché  de  Narbonne,  à  un  ouvrier  maçon,  pour  avoir  dit  que  le  roi 
d'Aragon  avait  des  droits  sur  le  comté  de  Toulouse.  Voici  le  récii  d*iiii 
témoin  oculaire  :  •  Anno  Dom.  mccxc  fuit  abscissa  lingua  publiée  in 
«>  mercato  castri  iNarbonnensis  cuidam  homini  csmentario,  quia  aflinna- 
«  verat  rorani  senescaiio  quod  rex  Aragonum  habebat  jus  in  comitatu 
«  Tolosano;  et  ego  vidi  abscindi  sibi  linguam.  »  Aurta  practica  J,  de  AmiU. 


CHAPITRE   DIXIÈME.  559 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  l'examen  des 
;rimes  reprochés  au  roi  Jayme  II;  nous  nous  borne- 
'ons  à  conclure  par  cette  observation ,  que  beaucoup 
rhabitants  de  Perpignan  désiraient  ardemment  de  voir 
déterminer  la  lutte  qui  les  ruinait  tous;  qu'ils  voyaient 
)ue  cette  lutte  ne  pouvait  finir  que  par  l'extinction  du 
royaume  de  Majorque  ;  et  que  tous  ne  se  contentaient 
pas  de  la  désirer  seulement.  Une  charte  du  7  des  ides 
ie  mai  i3&5  sert  à  prouver  que  la  corruption  avait 
jagné  toutes  les  classes;  par  cet  acte  Pèdre  déclare 
concourir  pour  une  somme  de  cent  livres  à  l'érection 
d'une  chapelle  au  terroir  de  Malloles,  à  l'endroit  où 
existaient  les  fourches  patibulaires  auxquelles  furent 
pendus  Pierre  Ribera  et  Pierre  Armand ,  apothicaires, 
et  un  autre  Pierre  Armand,  menuisier,  condamnés; 
dit  le  roi  d'Aragon,  à  la  mort  des  traîtres,  pour  avoir 
ressenti  les  injustices  du  roi  de  Majorque  ^ 

Un  fait  très-avéré,  cest  que  les  sujets  de  la  cou- 
ronne de  Majorque  désiraient  avec  ardeur  un  change- 
ment de  domination ,  et  c'est  ce  désir,  ou  mieux  en- 
core, ce  besoin,  qui  causa  tant  de  défections,  de 
trahisons  et  de  parjures;  aussi,  sous  ce  rapport, 
quand  le  roi  don  Pèdre  avance  qu'il  était  appelé  par 
le  vœu  des  habitants ,  il  n'en  impose  pas  à  la  postérité. 
Nous  avons  déjà  dit  quelque  chose  de  la  cause  de  ce 
besoin ,  nous  allons  la  développer  complètement. 
Le  royaume  de  Majorque,  composé  de  démem- 

'  Voyez  aux  preuves  n"  XXIV. 


MW  LIVRE   DEUXIEME, 

brenients  épars  de  l'Aragou,   avait  apporté  en  nais- 
sant le  germe  de  sa  mort.  Les  trois  portions  de  terri- 
toire dont  il  se  formait,  ^tant  sans  homogénéité,  ne 
pouvaient  ni  faire  ensemble  cause  commune,  ni  avoir 
les  mêmes  inlérêls.  Le  grand  intervalle  qui  les  sépa- 
rait les  unes  des  autres  faisait  qu'elles  ne  pouvaient 
établir  entre  elles  des  rapports  faciles,  des  liaisons  I 
amicales,  de  ces  alliances  de  famille,  de  ces  associa-  I 
lions  d'affaires  qiiî    fondent  les  provinces  les  unes 
dans  les  antres,  et  établissent  entre  tontes  une  véri^ 
table  solidarité;  la  même  cause  les  empêcbait  ausSL^ 
de  pouvoir,  au  besoin ,  s'entre-secourir  efficacement--- 
Montpellier,  Carlad  et  les  autres  domaines  situés  en  t 
France,  séparés  du  Roussillon  par  de  vastes  portions 
du  Languedoc  ou  de  l'Auvergne,  et   étrangers  eux- 
mêmes  pour  la  plupart  les  uns  aux  autres,  ne  pou- 
vaient pas  consUtuer  une  force  dans  l'état.  Les  îles 
Baléares,  plus  éloignées  encore  du  Roussillon,  centre 
de  l'administration  aussi  bien  que  des  intérêts  de  la 
monarcbie,  ne  pouvaient  pas  établir  des  communi- 
cations promptes,  sûres  et  régulières  avec  Perpignan, 
capitale  réelle  du  royaume,  à  raison  des  chances  de 
la  navigation  par  les  vents  en  temps  de  paix ,  par  les 
vents  et  les  croisières  ennemies  en  temps  de  guerre; 
ces  îles  ne  pouvaient  guère  constituer  aussi  une  force 
dans  l'état  :  c'était  donc  dans  les  deux  seuls  comtés 
de  Roussillon  et  de  Cerdagne  que  consistait  principa- 
lement la  puissance  de  ce  royaume.  Mais  les  res- 


CHAPITRE   DIXIÈME.  361 

sources  de  ces  deux  comtés«sont  très-bornées.  Quelle 
que  soit  Tindustrie  qu'on  suppose  dans  Perpignan ,  à 
cette  époque  où  elle  était  véritablement  très-grande , 
son  commerce  devant  être  resserré  entre  d'étroites 
limites,  et  d'autres  villes  non  moins  industrielles  exis- 
tant autour  d'elle,  ce  négoce  pouvait  bien  procurer 
de  l'aisance  à  quelques  familles,  mais  non  pas  de 
très^randes  ressources  à  l'état;  aussi  avons-nous  vu 
le  roi  lui-même  obligé  de  faire  ce  même  négoce  pour 
son  propre  compte,  afin  de  se  procurer  lés  moyens 
de  pourvoir  à  la  sûreté  des  côtes  de  Majorque.  Tout 
tendait  donc  à  la  ruine  de  ce  petit  royaume. 

Les  intérêts  de  Montpellier  et  autres  domaines  du 
Languedoc  liaient,  d'une  part,  ces  domaines  à  la 
France  et  les  isolaient  du  Roussillon,  dont  cette  ville 
était  éloignée  de  trois  journées  de  marche,  outre  que 
ses  habitants  ne  pouvaient  soufirir  la  domination  es- 
pagnole et  avaient  tenté  plusieurs  fois  de  la  secouer, 
notamment  en  12 15,  isSS,  12712;  d'autre  part,  les 
btérêts  des  îles  Baléares  en  attiraient  les  habitants 
vers  Valence  et  l' Aragon,  dont  ces  îles  étaient  les  plus 
voisines,  d'où  étaient  sorties  les  familles  qui  s'y 
étaient  établies  après  la  conquête,  et  avec  qui  elles 
avaient  conservé  les  plus  intimes  relations;  restaient 
donc  encore  le  Roussillon  et  la  Cerdagne,  isolés,  et 
obligés  pourtant  de  prendre  un  intérêt  actif  à  la  pros- 
périté de  pays  qui  ne  leur  étaient  que  d'une  médiocre 
ressource  :  voilà  les  mines  placées  sous  les  fondements 


562  LIVRE  DEUXIÈME. 

du  royaume  de  Majorque  dès  son  origine.  A  ces  causes 
premières  de  destruction  étaient  venues  se  joindre 
celles  qu'entraînait  la  dépendance  que  Pèdre  III  avait 
imposée  à  cette  couronne. 

La  plus  onéreuse  des  chaînes  auxquelles  le  roi  d'A- 
ragon assujettit  le  roi  de  Majorque  est  peut-être  celle 
qui  le  semble  le  moins  au  premier  aspect  :  l'obli- 
gation de  ne  laisser  circuler  dans  les  deux  comtés 
que  la  monnaie  de  Barcelone.  Les  rois  d'Aragon  le 
sentaient  si  bien  que  c'est  toujours  sur  cette  servitude 
qu'ils  insistent  le  plus.  Jayme  le  Conquérant,  en  ins- 
tituant le  royaume  nouveau ,  avait  ordonné  que  les 
usages  du  comté  de  Barcelone  et  les  constitutions  de 
Catalogne  y  seraient  toujours  observés,  et  que  la 
monnaie  de  ce  même  comté  y  aurait  cours  k  perpé- 
tuité; mais  Pèdre  III,  allant  plus  loin  que  son  père, 
lorsqu'il  imposa  sa  suzeraineté  au  royaume  institué 
libre,  rendit  cette  monnaie  exclusive,  et  l'un  des 
principaux  griefs  sur  lesquels  Pèdre  IV  avait  fondé 
son  décret  d'extinction  du  royaume  de  Majorque, 
c'était  que  Jayme  II  avait  permis  la  circulation  des 
monnaies  françaises,  conjointement  avec  celles  de 
Barcelone;  ainsi,  cette  dernière  monnaie  n'avait  pas 
cours  à  Montpellier,  et  celle  de  France  ne  pouvait 
pas  être  reçue  en  Cerdagne  et  en  Roussillon,  quoique 
ces  deux  provinces  fissent  partie  de  la  même  cou- 
ronne. La  condition  du  change  des  monnaies,  dans 
le  connnerce  du  Roussillon  et  de  Montpellier,  d'où  le 


CHAPITRE  DIXIÈME.  563 

roi  aurait  pu  tirer  de  plus  grandes  ressources,  devait 
nécessairement  gêner  et  restreindre  ce  commerce, 
qu'elle  assimilait  au  commerce  étranger;  il  fallait 
donc ,  dans  les  affaires ,  stipuler  les  qualités  des  mon- 
naies ,  et  perdre  probablement  sur  les  valeurs  ;  l'unité 
monétaire  attachait  donc  Montpellier  à  la  France ,  et 
par  Montpellier  nous  entendons  tous  les  autres  do- 
maines de  la  couronne  de  Majorque  situés  sur  le  ter- 
ritoire français  ;  la  même  unité  attachait  le  Roussillon 
et  la  Cerdagne  à  la  Catdogne  ;  ce  n*était  que  là  que 
les  valeurs  réciproques  ne  perdaient  pas  :  les  intérêts 
du  Roussillon  étaient  donc,  sous  tous  les  rapports, 
de  l'autre  côté  des  Pyrénées. 

A  leur  titre  de  vassaux  de  la  couronne  d'Aragon, 
les  rois  de  Majorque  étaient  tenus  de  contribuer  aux 
armements  de  cette  couronne,  contre  quelque  en- 
nemi que  ce  fût;  et  ce  pays  était  toujours  en  guerre  : 
les  Maures ,  les  Pisans ,  les  Génois ,  les  Siciliens  atti- 
raient tour  à  tour  ses  armes.  Les  Roussillonnais  étaient 
doue  traînés  sans  cesse  en  auxiliaires  à  la  suite  des 
Aragonnais,  sans  qu'il  en  résultât  poiu*  eux  ni  hon- 
neur, ni  gloire,  ni  profit.  La  détresse  qui  devait  ré- 
sulter naturellement  d'une  pareille  situation  s'était 
déjà  fait  sentir  sous  Jayme  I"*  et  sous  Sanche;  elle 
augmenta  encore  sous  Jayme  II,  dont  les  goûts  dépen- 
siers n'étaient  pas  en  rapport  avec  les  ressources.  Il 
est  donc  bien  évident  que  le  plus  grand  intérêt  des 
lies  Baléares,  de  la  Cerdagne  et  du  Roussillon,  était 


564  LIVRE   DEUXIÈME. 

dans  la  dislocation  de  leur  petit  empire,  dans  l'anéan- 
tissement du  pacte  qui  rapprochait  leurs  éléments 
hétérogènes  en  les  séparant  de  ceux  avec  qui  ils  con- 
servaient leurs  affinités,  dans  la  cessation  de  cet  état 
pénible  et  équivoque  qui  ne  présentait  jamais  à  la 
chose  publique  que  la  misère  pour  perspective.  Ce 
changement  était  appelé  par  tous  les  vœux,  se  trou- 
vait dans  tous  les  cœurs,  était  l'objet  de  toutes  les 
espérances.  Tant  que  les  rois  d'Aragon  n'annoncèrent 
pas  l'intention  de  détruire  le  royaume  de  Majorque, 
on  prit  patience  par  l'impossibilité  de  faire  autrement; 
mais  aussitôt  que  la  suppression  de  ce  trône  eut  été 
arrêtée,  ceux  même  des  sujets  de  Jayme  qui  étaient 
le  moins  opposés  à  ce  prince  durent,  sans  rien  en- 
treprendre à  son  préjudice,  souhaiter  au  moins,  dans 
l'intérêt  de  la  patrie,  le  triomphe  de  la  cause  étran- 
gère ,  qui  était  malheureusement  pour  tous  une  cause 
de  famille. 

Si  à  ces  considérations  générales  et  permanentes 
on  ajoute  encore  la  gêne  dans  laquelle  les  ravages 
exercés  sur  les  terres  du  Roussillon  pendant  deux  an- 
nées consécutives  avaient  dû  jeter  les  propriétaires  de 
ces  terres,  la  misère  extrême  qui  devait  en  être  la 
conséquence,  surtout  dans  Perpignan,  l'irritation  qu'a- 
vaient dû  faire  naître  dans  les  esprits  certaines  me- 
sures fiscales ,  commandées  par  l'urgence ,  mais  mal 
calculées  dans  leur  exécution ,  et,  sans  contredit  aussi, 
une  foule  de  vexations ,  produit  inévitable  de  cet  étal 


CHAPITRE   DIXIÈME.  565 

de  défiance  auquel  le  dernier  roi  de  Majorque  était 
réduit  par  la  connaissance  des  trames  et  des  com- 
plots qui  s'ourdissaient  contre  lui,  au  dedans  et  au 
dehors  de  ses  états,  on  aura  la  raison  de  cette  dé- 
fection du  plus  grand  nombre  de  ses  sujets,  la  cause 
de  cette  ardeur  avec  laquelle  un  très -grand  nombre 
de  Perpignanais  embrassa  le  parti  de  la  rébellion, 
et  on  trouvera  immanquablement  aussi  Torigine  ir- 
rémédiable de  lanimosité  du  peuple  contre  ce  prince, 
et  celle  des  inculpations  que  la  perfidie  inventait  ou 
exagérait,  et  que  la  crédulité  plébéienne  s'empressait 
d'accueillir  et  de  propager. 

Que  si,  du  reste,  la  postérité  doit  juger  un  roi  par 
ses  actes,  ceux  qui  nous  restent  de  Jayme  II  sont  loin 
d'être  ceux  d'un  tyran  sanguinaire  et  cruel.  Le  premier, 
ce  prince  arrêta  l'abus  révoltant  de  la  barbarie  que 
les  anciens  peuples  avaient  introduit  dans  la  recherche 
des  coupables  :  par  édit  de  i332  il  défendit  d'appli- 
quer personne  à  la  question ,  sans  jugement  et  sans 
cause  connue  ;  avant  cette  époque ,'  il  suilisait  d'un 
léger  soupron  pour  faire  torturer  un  malheureux, 
sans  commencement  de  preuves  et  sans  procédure 
préliminaire.  En  1 3  3  4,  pour  tarir  une  source  de  procès 
ruineux,  il  ordonna  aux  notaires  d'expliquer  bien 
exactement  toutes  les  clauses  dans  les  contrats  ;  cette 
même  année,  dans  l'intérêt  de  la  fortune  des  parti- 
culiers comme  dans  celui  de  la  couronne,  il  établit 
les  archives  dites  de  la  cour  du  procureur  royal  ou  du 


366  LIVRE   DEUXIÈME, 

domaine ,  et  fil  transcrire  sur  des  registres  toutes  les 
chartes,  titres,  pragmatiques,  privilèges  et  autres 
actes  émanés  de  lui  ou  de  ses  prédécesseurs  au  titre 
de  comtes  de  Roussillon ,  en  faveur  des  commimautés 
d'habitants  ou  des  particuliers,  et  qui  n  existaient  que 
sur  des  feuilles  volantes,  trop  susceptibles  de  se 
perdre  ou  de  se  dégi^ader;  sous  son  autorité,  les  con- 
suls de  Perpignan  fondèrent  également  les  archives 
de  la  commune  et  firent  aussi  transcrire  sur  divers 
registres  les  ordonnances,  provisions,  titres  et  actes 
quelconques  relatifs  à  l'administration  ou  à  la  police 
de  la  ville  ^  En  iSSy  Jayme  défendit  aux  juges  et 
aux  greffiers  de  rien  exiger  des  habitants  de  Per- 
pignan plaidant  entre  eux  ou  contre  des  étrangers,  si 
ce  n  est  dans  les  cas  d'appel.  Deux  ans  après  il  régla 
que  dans  toutes  les  questions  qui  n'excéderaient  pas 
une  valeur  de  cent  sous,  il  serait  procédé  simple- 
nient  et  sans  écrit,  et  sans  solennité  de  droit  ni  juge- 
ment; enfin  c'est  lui  qui  le  premier  attaqua,  dans  ses 
états,  cette  turpitude  des  mauvais  usages  qui  subsista 
encore  un  siècle  en  Catalogne.  Ces  actes  ne  décèlent, 
dans  le  caractère  de  ce  prince,  ni  cette  iniquité,  ni 
cette  férocité  que  lui  reprochent  les  historiens  qui  ont 
copié  la  chronique  de  don  Pèdre  ;  ils  montrent  bien 
plutôt  le  roi  qui,  suivant  Vaissette,  se  rendit  célèbre 
par  son  amour  pour  la  justice  et  par  plusieurs  autres 

^  Le  livre  vert-majeur  ne  fut  commencé  que  plus  tard,  sous  le 
règne  de  Jean  V\ 


CHAPITRE  DIXIÈME.  367 

^rtas^.  Jayme  eut  les  défauts  de  son  siècle;  son 
rand  malheur  fut  de  trouver  dans  le  roi  d'Aragon 
n  suzerain  qui  voulait  à  toute  force  faire  rentrer 
oussa  main  les  provinces  quen  avait  distraites  Jayme 
B  Conquérant,  et  qui,  sans  pudeur  et  sans  loyauté, 
egardait  comme  bons  et  légitimes  tous  les  moyens 
[ui  pouvaient  le  conduire  à  ce  but. 

'   Hitt.  gin,  de  Languedoc,  tom.  IV. 


I 


DiiTinilli^  cuire  !n  Frnnce  el  l'Aragon  au  sujet  des  domainn 
i\e  l^nRucdoc,  —  Giptivité  et  i^asion  de  l'infant  de  Ma- 
jorque. —  Liitlc  entre  le  dcfgë  el  les  cnatuls  de  Perpignaa. 
— TcDlsIive»  de  l'infant  de  Majorque  et  m  mort.  —  Le  diic 
d'Anjou  hérite  de  ses  droits. 

Aprî's  cinq  années  d'iiuitilcs  efforts  pour  ressaisir 
son  diadf^me,  Jaytnell  avait  enfin  perdu  la  rîe  comme 
un  h^ros,  À  la  tète  d'autres  héros  que  n'avait  pu  intS- 
mider  lo  nombre  si  disproportionné  des  ennoiiiis  qu'ils 
avaient  à  combattre,  et  sa  mort  laissait  son  heiireia 
rival  libre  possesseur  du  sceptre  qu'il  venait  de  lui 
airacber.  Mais  tout  n  était  pas  éteint  avec  don  Jayme  : 
ce  prince  di-trôné  laissait  un  fils  el  une  fille,  béritirrs 
de  ses  droits,  et  qui  longtemps  encore  suscitèrent  des 
embarras  à  la  politique  spoliatrice  de  l'Aragonnais. 
La  couronne  de  Majorque,  bien  que  brisée  par  te  fait, 
existait  encore  moralement  dans  la  personne  dujeune 
prince  que  f  issue  funeste  d'une  bataille  trop  inégale 
avait  fait  tomber  entre  les  mains  d'un  irréconciliable 
ennemi. 

L'intérêt  général  des  deux  comtés  eidgeait,  comme 
nous  l'avons  montré ,  que  la  monarchie  de  Majorque 
fût  supprimée,  et   que    la  domination    aragonnaise^ 


CHAPITRE  ONZIÈME.  369 

étendît,  comme  auparavant,  son  miité  sm*  tout  le 
territoire  qui  en  avait  été  distrait  autrefois.  Mais  le 
triomphe  des  intérêts  généraux  ne  peut  jamais  avoir 
lieu,  sans  froisser  une  foule  d'intérêts  privés,  et  ceux- 
ci  usurpent  tacitement,  dans  bien  des  cœurs,  la  place 
qixe  semble  y  occuper  seul  le  sentiment  d'une  fidélité 
à  toute  épreuve.  Ceux  des  Roussillonnais  pour  qui  Ta- 
mour  du  prince  était  un  véritable  culte,  aussi  bien 
c[i:te  ceux  qui  cachaient  leur  ambition  sous  Tapparence 
à.e»    sentiments  généreux,  désiraient  avec  une  égale 
ardeur  que  le  fils  de  l'infortuné  Jayme  pût  reprendre 
sa  c^ouronne ,  et  tous  étaient  prêts  à  le  seconder  dans 
*^s  efforts  ;  mais  entre  l'époque  où  nous  sommes  par- 
veràxis  et  celle  où  ce  jeune  prince  put  fiaire  quelques 
*®ï^t:atives,  l'histoire  signale  divers  événements  dont 
ï^Oias  avons  à  rendre  compte. 

l'union  des  rois  de  France  et  d'Aragon  contre  le 
ice  qu'ils  voulaient  dépouiller  n'avait  subi  aucune 
«tération  tant  que  Jayme  avait  vécu  ;  mais  cette  bonne 
"^i*ttonie  cessa  après  la  mort  de  la  victime;  il  arriva 
"^x^  ce  qui  arrive  toujours  quand  on  en  est  au  par- 
*^e  des  dépouilles  :  des  contestations  s'élevèrent  au 
*Hl^t  des  droits  réciproques  sur  les  domaines  situés  en 
^•^^^guedoc.  Tranquille  désormais  sur  le  fruit  de  ses 
^^Urpations ,  Pèdre  prétendit  que  Philippe  n'avait 
P^  acheter  de  Jayme  ces  domaines  au  préjudice  de 
*^   Couronne,  et  il  en  revendiqua  la  propriété,  que 

'^îlippe  lui  contesta.  Pèdre  envoya  en  France,  pour 
I.  ai 


i35o. 


à' 


^  trôi 

i  loni 

^^  bor 


'•LIVRE    hRUXIÈME  "'^ 

demander  lu  restitution  des  sc^ieurics  de  Mont- 
pellier, Lates.  Omeias  et  Curlad,  don  Pierre  de  Ke- 
nouillet,  vicomte  d'illc  et  de  Canet,  qui  lui-même 
lïTait  à  it^damer,  pour  son  propre  compte,  la  levée 
'^  de  la  saisie  faite,  durant  la  guerre  des  Albigeois,  dp 
la  viromté  de  FonouîHide  dont  sea  ancêtres  avaient 
joui.  /Vucun  droit  ne  fut  fait  à  cette  trop  Juste  récia' 
matioii  ':  et  cpinnt  à  cellefi  de  don  l'èdre,  Philippe 
envoya  en  Aragon  le  doyen  de  Paris.  Raymond  de 
Saignes,  pour  »e  bien  mettre  au  Ëtit  des  droits  àea 
ndeux  rois  sur  les  pays  coiitcutia.  Le  roi  d'Aragon ,  pour 
•voir  meilleur  miirché  do  celui  de  France,  remit  sur 
le  tapis  le  projet  de  mariage  entre  l'aînée  de  ses  filles, 
qu'il  avait  jadis  d^clart-e  héritière  pi-ésumptive  de  son 
trône,  et  l'un  des  petits -fils  de  France.  ApW-s  de 
longues  coiileslHtions,  un  traité  intervint,  qui  dt^clara 
bonne  et  valable  la  vente  effecti»ie  par  Jayme  de 
ijnrqiie,  cl  le  roi  de  France  consentit  à  solder  au 
d'Aingon ,  qui  se  portait  pour  tuteur  de  son  neveu, 
l'infant  de  Majorque,  son  prisonnier,  la  somme  qu'il 
restait  devoir  sur  les  cent  vingt  mille  éciis  d'or  du 
prix  d'achat,  si  Pèdre  pouvait  iiii  présenter  une  auto- 
nsation  à  recevoir  de  la  part  de  l'mËint  à  qui  cett^ 
somme  revenait  de  droit,  et  au  nom  de  qui  Pèdre  1^ 

'  Cette  vicomte  fut  uûie  sur  une  Mutence  de  t'ia([uiûte<i^  aB<r« 
la  plus  alwininible,  puisqu'il  fit  le  procès  i  un  prince  mort  d^Mkû 
plus  de  vingt  aus  din»  l'union  de  l'égHse  et  *ous  tlitlnt  raligîraz  : 
sps  nssements  furen)  pihuniés  du  Masdeu  et  brOléa. 


CHAPITRE   ONZIÈME.  371 

rédttmait.  Quant  au  mariage  du  prince  Charies  de 
Franoe  avec  Tinfainte  dona  Constance,  comme  ce 
prince  devait  épouser  la  fille  du  duc  de  Bourbon ,  la 
main  de  cette  infante  iîit  promise  au  second  des 
petits-fils  du  roi;  mais  le  mariage  de  cette  princesse  se 
trouvasit  ensuite  arrêté  avec  le  roi  de  Sicile ,  l'infante 
Jeanne,  sa  isœur,  lui  fut  substituée,  comme  Louis  avait 
été  substitué  lui-même  à  son  frère  aîné. 

Ces  n^ociations,  commencées  quelques  mois 
avant  la  mort  de  Philippe  de  Valois ,  ne  se  terminèrent 
que  sous  Jean  I*  son  successeur.  A  cette  époque,  de 
nouveaux  commissaires  ayant  été  adjoints  à  Raymond 
de  Salgues,  ils  s'abouchèrent,  dans  Perpignan,  avec 
ceux  do  roi  d'Aragon,  et  après  de  nouvelles  discus- 
sions, et  une  foule  d'observations  de  part  et  d'autre , 
ils  arrêtèrent  enfin ,  le  S  février  1 35 1 ,  qu'en  considé-  issi. 
ration  du  mariage  projeté  pour  l'alliance  des  deux 
fianilles  le  roi  Jean  donnerait  à  son  fils  la  ville  de 
llontpelUer  et  le  château  de  Lates  avec  tout  ce  qui 
avait  appartenu  au  roi  de  Majorque  en  Languedoc, 
et  que  l'infante  recevrait  en  dot  cinquante  mille  flo- 
rins ;  au  moyen  de  cet  accord ,  le  roi  de  France  acqué- 
rait définitivement,  et  sans  plus  de  contestations,  les 
domaines  achetés,  sur  lesquels  le  roi  d'Aragon  aban- 
donnait toutes  ses  prétentions  à  tout  jamais.  Le  roi 
Jean  s'engageait,  de  plus,  à  donner  cinquante  mille 
florins  pour  les  enfants  qui  naîtraient  du  futur  ma- 
riage ,  et  s'il  arrivait  que  les  deux  époux  n'eussent  pas 

2/1. 


sn 


LIVHE   DEUXIEME. 


de  poslérité.  ou  même  si  le  mariage  ne  s'accomplissait 
pas.  ie  roi  de  France  devait  compter  à  celui  d'Aragon 
c£nt  cinquante  mille  florins,  sur  lesquels  seraient  pré—, 
levés  les  cinquante  iiiille  que  If  roi  d'Aragon  pro-^ 
mettait  en  dot  <i  sa  (îile. 

Ce  mariage,  que  la  grande  jeunesse  de  l'infante  avai| 
fait  ditli^rer  jusqu'au  moment  oi'i  elle  aurait  atteint  &q 
dousième  année,  devait  se  rélébicr  au  mois  de  sep. 
tembre  i356.  Le  roi  d'Aragon  s'était  rendu  k  Per- 
pignan, ofi  devait  avoir  lieu  la  ct^rémonie  nuptialp; 
lout  était  pn'^t  pour  les  fêtes  qui  devaient  soleniùsfr 
cet  événement,  et  on  n'attendait  plus  que  le  fianeé, 
quand  la  fatale  isnue  de  la  bataille  de  Poitiers  vint 
changer  entièrement  la  face  des  alfaires.  Dans  cette 
journée  funeste,  \a  France  avait  perdu  le  due  dp 
Bourbon ,  frère  du  roi  et  père  de  ia  reine  de  CasiiUe. 
Gauthier  de  Brlenne,  duc  d'Athènes,  et  un  grand 
nombre  d'autres  personnages  de  marque;  maïs  le 
malheur  le  plus  sensible ,  c'était  la  captivité  du  roi 
Jean  lui-même,  tombé  entre  les  mains  des  AngUts 
avec  le  dernier  de  ses  enfants,  Philippe,  qui  depoit 
fut  duc  de  Boui^ogne  et  comte  de  Flandre.  Alors,  tmu 
les  grands  projetsfondésde  si  loin  sur  l'union  desdein 
maisons  de  France  et  d'Aragon  s'évanouirent,  et  toutes 
les  ténébreuses  menées  de  Philippe  VI  pour  seconder 
le  roi  d'Aragon  contre  le  roi  de  Majorque  furent  m 
pure  perte  :  l'infante  promise  à  Louis  de  France  de- 
vint l'épouse  de  don  Juan ,  comte  d'Ampurias. 


CHAPITRE   ONZIÈME.  373 

La  mort  du  roi  de  Majorque  avait  délivré  don 
Pèdre  d'un  ennemi  qui,  tant  qu'il  aurait  vécu,  ne  lui 
aurait  pas  permis  de  jouir  en  paix  du  fruit  de  son 
usurpation;  mais  un  fils  restait  de  ce  roi,  et  ce  jeune 
prince  s'était  signalé  à  côté  de  son  père  dans  l'une  des 
plus  âpres  et  des  plus  célèbres  batailles  dont  les  fastes 
de  la  guerre  aient  conservé  le  souvenir.  L'intrépidité 
dont  l'infant  don  Jayme  avait  donné  des  preuves 
pouvait  faire  prévoir  qu'en  héritant  des  droits  et  de 
la  vfideur  de  son  père  il  aurait  hérité  aussi  de  sa  téna- 
cité à  poursuivre  l'usurpateur  de  son  patrimoine;  il 
était  donc  de  l'intérêt  de  don  Pèdre  de  tenir  ce 
prince,  son  neveu,  dans  une  captivité  si  étroite, 
qu'avec  la  liberté  il  ne  pût  jamais  recouvrer  les 
moyens  de  lui  susciter  de  nouveaux  embarras.  Cet 
infant  était  gardé  à  vue  dans  sa  prison;  et,  connais- 
sant le  caractère  de  son  ennemi,  sachant  qu'aucun 
crime  ne  lui  coûtait  pour  conserver  ou  augmenter  sa 
suprême  puissance,  qu'il  s'était  défait  parle  poison  et 
par  le  fer  ^  des  deux  infants  ses  fi:ères ,  que  Yanion  lui 
avait  opposés,  on  doit  lui  savoir  quelque  gré  de  n'a- 
voir pas  attenté  aux  joiu's  de  son  jeune  prisonnier  :  la 
rigoureuse  surveillance  à  laquelle  il  avait  soumis  ce 

,  ^  Llnfant  don  Jayme  avait  péri,  comme  on  Ta  vu,  de  mort  violente 
à  la  saite  d'une  visite  qu'il  fit  à  son  frère;  don  Fernand,  qui  lui  avait 
été  substitué  par  Ywùon»  voulant  se  retirer  en  France,  Pèdre  fit  courir 
après  lui  avec  ordre  de  le  ramener  ou  de  le  tuer  s'il  refusait  de  revenir, 
ce  qui  fut  rigoureusement  exécuté  en  i363. 


374  LIVRE  DEUXIÈME, 

prince ,  dans  le  château  fort  où  il  devait  passer  «a  vie , 
lui  fit  regarder  ce  crime  comme  iautile,  et  il  ne  le 
commit  pas. 

Le  protecteur  du  père  n'avait  pas  manqué  au  fils  ; 
le  pape  Innocent  VI,  successeur  de  Clément  VI,  avait 
recommencé  pour  lui,  auprès  de  don  Pèdre,  les  in* 
fructueuses  démarches  dont  ses  prédécesseurs  avaient 
si  longtemps  fatigué  ce  monarque  en  faveur  du  feu 
roi;  mais,  avec  don  Pèdre,  un  intérêt  trop  marqué 
poiu*  le  captif  devait  plutôt  nuire  que  servir  :  les  ins- 
tances réitérées  du  pontife  n'avaient  abouti,  en  défi- 
nitive ,  qu'à  faire  ajouter  aux  rigueurs  de  la  captivité 
de  l'infant.  Rien  ne  pouvait  faire  présager  la  déli- 
vrance de  ce  jeune  prince,  quand  tout  à  coup  une 
main  hardie  parvint  à  briser  ses  fers.  Le  premier  mai 
i36a.  1 36a,  à  minuit,  le  capiscol  de  la  cathédrale  de  Bar- 
celone, Jacques  de  San  Clémente,  muni  de  fausses 
cle&,  et  accompagné  de  serviteurs  dévoués,  pénètre 
dans  la  prison,  tue  le  geôlier  particulier  du  prince, 
qui,  ne  devant  jamais  le  perdre  de  vue,  couchait  dans 
la  même  chambre  que  lui ,  et  rend  l'infant  à  la 
liberté  \ 

L'évasion  de  don  Jayme  causa  de  grandes  aiudétés 
au  roi  d'Aragon ,  qui  se  trouvait  en  ce  moment  à  Per- 
pignan. Ceux  des  RoussUlonnais  qui  n'avaient  jamais 
varié  dans  leurs  sentiments  pom*  le  père  avaient  con- 
servé leur  fidélité  au  fils ,  et  cette  classe  de  gens  dont 

Zurila,  IX,  Sq. 


CHAPITRE  ONZIÈME.  375 

l'opinion  flottante  ne  se  plait  qu'aux  changements  se 
ressouvenait  avec  affection  du  jeune  prince  qu'à  sa 
naissance  la  population  entière  avait  proclamé  héri- 
tier légitime  de  la  couronne  de  Majorque,  et  elle 
n'était  pas  éloignée  d'embrasser  sa  cause.  Â  la  crainte 
qu'un  soulèvement  en  faveur  de  l'in&nt  n'éclatât  donc 
'  en  RoussiUon^,  se  joignait,  dans  l'esprit  de  don 
Pèdre ,  celle  que ,  profitant  de  la  guerre  que  l'Âragon 
avait  à  soutenir  en  ce  moment  contre  la  CastiUe  et  la 
Navan^ ,  l'in&nt  ne  se  servît  contre  lui  de  ces  bandes 
d'aventuriers  que  la  paix  laissait  en  France  sans  occu- 
pation ,  favorisé  en  cela  même  par  le  roi  Jean ,  qui 
cherchait  à  tout  prix  à  délivrer  ses  provinces  de  ces 
hôtes  dangereux  qui  les  désolaient.  Tout  préoccupé 
de  ces  terreurs,  qui  n'étaient  pas  sans  fondement, 
le  roi  d'Aragon  s'était  empressé  de  faire  entrer  en 
Roussillon  toutes  les  troupes  qui  se  trouvaient  en 
Catalogne;  mais  la  fortune  le  servit  encore  mieux  que 
ses   combinaispns.   Lm&nt   don   Jayme,    soit  qu'il 
ignorât,  soit  qu'il  ne  voulût  pas  profiter  de  ces  circons- 
tances favorables ,  vogua  ver^  Naples  au  sortir  de  sa 
prison ,  et  bientôt  après  il  devint  l'époux  de  la  reine 
Jeanne  I"*,  veuve ,  depuis  un  an,  de  Louis  de  Tarente. 
L'événement  prouva  que  les  sinistres  prévisions  de 
don  Pèdre  auraient  pu  se  réaliser  si  Jayme  était  venu 
en  Languedoc  au  lieu  de  se  rendre  en  Italie.  En  effet, 
dès  l'année  précédente,  les  compagnies,   qui  dévas- 

*  Znrita,  IX,  39. 


^P^^^H        LIVUË   DEU.MKME. 

(aient  la  France,  étaient  entrées  pu  RoussiUon;  elles 
y  revinrent  encore  cette  ann<^e,  et  Jayme  aaraîl  pu 
ntiliser  h  son  profil  leur  voleur  et  leur  ardeur  guer- 
rière; en  Il's  {ironant  à  son  servire,  il  les  aurait  em- 
ployées à  roiever  le  trône  de  Majorque,  comme  plus 
tard  Henri  de  Transtamare  les  employa  à  l'aire  passer 
la  couronne  de  Castillc,  de  la  tête  de  Pèdre  le  Cruel 
sur  la  sifime  propre. 

Ces  bandps  de  pillards  et  d'assassins  que  l'histoire, 
qui  leur  attribue  des  cruautés  inouïes,  et  peut-être 
exag<'-ré('8 .  signale  sous  les  noms  de  tofidean,  à'écor- 
vhcan,  de  tard-venus,  raniassis  dv  f^cns  de  toutes  les 
nations,  dont  la  guerre  était  l'unique  métier,  et  qui. 
jusqu'au  nombre  de  plus  de  trente  mille  hommes 
pleins  d'audace  et  d'intrépidité,  se  moquaient  cl 
triomphaient  do  toutes  les  forces  qu'on  voulait  leur 
opposer,  devaient  leur  origine  à  la  paix  qui  suivit  la 
délivrance  du  roi  Jean.  Accoutumés  à  ne  vivre  que  de 
rapines ,  ces  aventuriers  s'étaient  réunis  sous  des  chefi 
de  renom,  qui  eiix>m£mes,  n'ayant  d'autre  fortune 
que  Icurépt'c,  vivaient  du  pillage  des  provinces  sur 
lesquelles  ils  se  niaieiil.  Bertrand  du  Gueseliu  parvint 
enfm  k  en  débarrasser  la  France  en  1 365,  en  les  em- 
menant en  Castille  au  secours  du  comte  de  Tnns- 
tamare  '. 

'  Suivant  lachroDÎquedeDuGuGsdin,  cecapitaine,  afiD(IetracD|Kr 
\e  roi  de  Cailillc  sur  la  des^nation  de  ces  bandes ,  et  lui  faire  aàrt 
qu'il  \ti  emmenai!  contre  les  Maures  de  Grenade ,  Et  coudre  une  cnii 


CHAPITRE   ONZIEME.  377 

L*année    i368   vit  commencer  dans  Perpignan       i368. 
ime  lutte  entre  les  consuls  de  la  vHie  et  le  clergé, 
lutte  scandaleuse  qui  se  prolongea  l'espace  de  sept 
ans,  et  dans  laquelle  prirent  parti  le  pape  et  le  roi 
d'Aragon. 

Les  calamités  qui  avaient  pesé  sur  ]a  ville  da  Per- 
pignan durant  la  guerre  dévastatrice  qui  s'était  terminée 
par  l'écroulement  du  trône  de  Majorque  avaient  im- 
posé à  cette  ville  des  charges  pour  lesquelles  elle 
avait  été  dans  la  nécessité  de  contracter  des  dettes. 
Pour  parvenir  à  les  éteindre ,  les  consuls  avaient  dé- 
cidé de  mettre  un  impôt  sur  la  viande;  mais,  pour  le 
rendre  moins  onéreux  aux  habitants,  en  le  faisant 
porter  sur  un  plus  grand  nombre  de  contribuables ,  le 
corps  mimicipal,  avec  l'autorisation  du  roi  d'Aragon, 
avait  établi  qu'au  lieu  de  frapper  d'impôt  la  viande 
débitée  à  la  boucherie  on  assiérait  cet  impôt  sur 
chaque  tête  d'animaux  qui  entreraient  en  ville  pour 
la  consommation;  de  cette  manière  la  taxe  atteignait 

blanche  sur  la  casaque  des  soldats,  d'où  ces  compagnies  furent  appelées 
compagnies  blanches  ;  mais  ce  fait  est  de  Tinvention  du  poète  chroni- 
^enr.  L'expédition  de  Du  Guesdin  est  de  1 365 ,  et  d^à  les  compa- 
gnies blanches  avaient  ce  nom  en  i36i  :  voici  une  note  qui  se  lit  au 
livre  vert  mineur  de  la  commune  de  Perpignan  :  Eodem  aiuio  (i36i) ,  in 
wnense  angasto  intrarant  in  hoc  terra  magni  prœdatores  vocaJti,  les  compa- 
nyes  blanques,  quorum  erant  capita,  Segui  de  BadafoU  et  Petit  Mosqni, 
I^es  sont  aussi  signalées  sous  le  même  nom  dans  un  acte  par  lequd, 
«n  i363 ,  Pèdre  IV  abolit  certains  arrérages  de  rentes  réclamés  par  le 
cardinal  Nicolas,  prieur  d'Espira,  sur  le  motif  que  le  Roussilion  avait 
été,  ces  années-là,  dévasté  par  les  gents  blantiues.  Arch.  eccles. 


578  LIVRE   DEUXIÈME. 

les  clercs ,  alors  très-nombreux  dans  Perpignan ,  aussi 

bien  que  les  séculiers. 

A  peine  la  criée  de  cette  taxe  fut-elle  fidte  dans  la 
ville,  que  le  clergé  jeta  des  cris  d*alanne;  il  pré- 
tendit que  l'administration  violait  les  libertés  de 
TégUse  et  attaquait  ses  immunités»  et  Tévèque  d*Ëlne, 
Pierre  Planella ,  admonesta  plusieurs  fois  les  consuls 
pour  qu'ils  eussent  à  révoquer  une  mesure  qui  rédui- 
sait, disait-il,  les  prêtres  à  un  état  de  servitude. 
N'ayant  rien  pu  obtenir  d'eux ,  le  prélat  lança  une  sen- 
tence d'excommunication  et  fit  entamer  devant  les 
juges  ecclésiastiques  un  procès  contre  ces  magistrats* 
>369.  Sur  ces  entrefaites»  l'année  consulaire  venant  à  ex- 
pirer, et  d'autres  consuls  ayant  été  nommés  &  la  place 
des  premiers,  ces  nouveaux  magistrats,  loin  de  ré- 
voquer la  taxe  imposée  par  leurs  prédécesseurs, 
ajoutèrent  crime  sur  crime^  suivant  le  langage  du  vi- 
caire génércd,  en  établissant  une  nouvelle  oontribo- 
tion  qui,  comme  celle  de  la  viande,  devait  frapper 
également  les  ecclésiastiques  et  les  séculiers  ;  ils  sup- 
primèrent en  conséquence  l'impôt  ordinaire  sur  le 
vin,  et  le  portèrent  sur  ies  raisins  qu'on  apportait 
en  ville,  soit  pour  être  mangés  en  nature,  soit  pour 
cire  convertis  en  vin.  Ces  consuls,  aussi  bien  que  ceux 
qu'ils  avaient  remplacés,  avaient  réellement  excédé 
leur  pouvoir  dans  cette  mesure.  En  droit,  les  biens 
(le  Téglise  étant  alors  exempts  de  toutes  charges  mu — 
nicipairs,  les  consuls  ni  le  conseil  de  ville  ne  pou— 


CHAPITRE   ONZIEME.  579 

Tttent  ocxitraindre  les  prêtres  à  payer  une  contiibu- 
tîoo  qui,  quelque  déguisée  qu'elle  fôt,  n  en  frappait 
pas  moins  les  produits  de  ces  mêmes  biens.  Le  clergé 
se  r^idait  coupable  d*égoisme  en  refiisant  obstiné^ 
ment  de  contribuer  à  allier  des  charges  extraordi- 
naires qui  demandaient  le  concoturs  du  patriotisme 
de.tou&.les  citoyens,  et  cet  égoîsme  était  ici. d'autant 
{dus  odieux,  que  le  pape  lui-même,  dans,  une  des 
pièces  du  procès ,  proclamait  que  ces  dettes  avaient 
été  contractées  par  la  vflle  pour  la  défense  de  la  patrie 
et  du  trône  ^;  il  se  déclarait  donc  de  fait,  par  cette 
sordide  avarice ,  rennemi  du  pays  et  de  la  monarchie  ; 
mais  enfin,  puisque  son  cœur  voulait  rester  fermé  à 
f  intérêt  général ,  on  ne  pouvait  pas  le  contraindre  à 
lui  ouvrir  la  bourse.  Atteint  par  la  nouvelle  mesure , 
il  n'^d  devint  que  plus  furieux. 

Le  roi  d'Aragon  avait  trop  d'intérêt  à  s'attacher  la 
population  de  Perpignan ,  pour  ne  pas  abonder  dans 
le  sens  du  corps  municipal  de  cette  ville.  Ce  prince, 
sur  la  demande  des  consuls ,  donna  ordre  à  l'évêque 
d'Elue  de  rencmcer  aux  procédures  qu'il  avait  com- 
mencées contre  les  consuls ,  sous  peine  de  voir  pro^ 
céder  contre  lui-même;  et,  sur  le  refus  de  ce  prélat, 
il  fît  saisir  et  occuper  ses  temporalités. 

La  saisie  des  temporalités  était  à  peu  près  le  seul 
moyen  de  répression  que  les  princes  de  la  teire  eus- 

*  Pro  sêhendis  debitis  quœ  propter  pcUriœ  et  regrd  Aragonum  âefen- 
ûme  contraxerartt.  \ojti  preuves  n**  XXV,  la  note  de  la  fin. 


380  LIVRE   DEUXIEME. 

sent  conti'e  des  prètrc:a  tui'buleiits  ou  iactieux:  luaû 
ce  moyen  a  rarement  atteint  le  but  qu'on  s'était  pro- 
posé en  y  recourant,  paree  que  l'intérêt  de  la  religion, 
la  dignité  du  sacerdoec.  les  pa^rogatives  de  l'église  que 
celni  qu'on  voulait  frapper  ne  manquait  jamais  de 
faire  intervenir  dans  ces  sortes  do  circon stances,  ral- 
liaient autour  de  lui  par  le  mot  sonore  de  persécution, 
le  nombre  toujours  très-grand  des  ^mes  craintives  et 
le  rouvraient  d'un  rempart  toujours  dangereux  à  at- 
biquer.  Ce  moyen  employé  contre  l'évèque  et  le  rha- 
pitre  d'Elne,  qui  étaient  dans  leur  droit,  ne  pouvait 
donc  qu'ajouter  h  l'irritation  qui  existait  déji^,  saus 
rien  produire  d'avantageux  en  faveur  de  la  mesure 
fiscale,  cause  prenuèi-e  de  cette  sévérité.  L'a^reur 
s'en  mêlant  de  part  et  d'autre ,  une  foule  d'ignoblci 
vexations  furent  prodiguées  au  prélat  par  les  olIidEn 
royaux.  Ainsi,  l'évèque  devant  procéder  !i  une  ordi- 
nation générale  et  voulant  la  faire  hors  de  la  vtie 
de  ceux  qu'il  avait  excommuniés,  ceux  qu'A  voulait 
éviter  le  suivirent  à  Pallol,  où  elle  devait  avoir  lieu, 
afin  d'en  être  témoins  malgré  lui.  Une  autre  fois  le 
même  prélat  voulant  réunir  son  synode  à  f^e  comme 
de  eoutume ,  le  capitaine  que  le  vtguîer  de  Rous- 
sillon  avait  placé  dans  cette  ville,  dont  la  juridiction 
avait  été  retirée  à  l'église,  fit  fermer  les  portes  pour 
qu'aucun  des  prêtres  convoqués  ne  pût  entrer  dans 
la  cité.  Cédant  à  toutes  ces  tracasseries  l'évèque  s'ex- 
patria; après  son  départ  son  psdais  fiit  envahi  et  sac- 


CHAPITRE    ONZIEME.  581 

cage.  Bientôt  plusieurs  prêtres  furent  arrêtés,  d'autres 
lurent  exilés ,  et  on  fit  de  vains  efiForts  pour  se  saisir 
lie  la  personne  du  vicaire  générai ,  âme  et  principal 
agent  de  tous  ces  troubles.  Celui-ci  lança  alors  un  in- 
terdit général  sur  la  ville  de  Perpignan  :  les  consuls 
et  le  bailli  firent  fermer  tous  les  clochers  pour  qu'on 
ae  pût  pas  le  fiilminer. 

Cependant  les  amis  de  i'évéque  agissant  auprès  du 
roi  d'Aragon ,  ce  prince  avait  ordonné  qu'il  fut  sursb 
aux  exécutions  contre  le  clergé  :  cette  modération  jeta 
l'alarme  dans  le  corps  municipal  de  Perpignan.  Les 
consuls  envoyèrent  des  messagers  représenter  au  roi 
combien  cette  condescendance  allait  être  préjudi- 
ciable aux  intérêts  de  la  population ,  et  la  politique  de 
don  Pèdre  le  fit  revenir  sur  ses  derniers  ordres. 

L'évèque  d'Elne  avait  porté  sa  plainte  au  pape ,  qui 
avait  pris  fait  et  cause  pour  le  clergé ,  comme  le  roi 
d'Aragon  pour  les  consuls.  Après  deux  années  entières 
de  récriminations  la  cour  de  Rome,  que  les  rapports 
contradictoires  des  parties  n'avaient  pu  fixer  encore 
sur  la  nature  des  faits,  parce  que  le  roi  d'Aragon  ac- 
cusait le  pré^^t  d'avoir  altéré  la  vérité  dans  ses  plaintes 
et  que  les  consuls  s'inscrivaient  aussi  en  faux  contre 
ses  rapports ,  chargea  les  prieurs  de  Cornclla  et  d'E^ 
pira  d'entamer  une  enquête  sur  touâ  les  griefs  pour  les 
soumettre  au  jugement  du  saint  siège;  mais  avant 
tout  il  était  prescrit  à  ces  commissaires  de  faire  rendre 
à  l'évèque  et  au  chapitre  leurs  temporalités  et  leur 


3M  1.IVKK    DRUXIRME, 

jnrîdirlion  dont  \r  roi  les  avait  dt^pouill^a;  ils  de- 
VHÏent  faire  restituer  dniu  les  greniers  de  i'évèché  tout 
)e  h\é  que  les  conaiils  de  Perpignan  el  les  oiTicien 
royaux  en  avaipn!  iait  rulnver,  ou  en  faire  pajrur  la 
valeur  sur  l'csdinatioii  ;  ils  t-laîent  ehargi^s  de  rappeler 
les  prêtres  exil^,  de  rendre  la  libcrtt^  à  ceux  qui 
pouvaient  être  détenus,  de  faire  révoquer  toutes  pro- 
hibitions, citations  et  proelamations  lnno4^es  contre  le 
clerg<^  ou  l'évèque,  et  de  fairo  Jurer  aux  eonsuls  qn'ils 
reslitueraiwit  h  ehaeun  dos  cleres ,  si  la  ville  succom- 
bait dans  ce  pntcès.  toute  fiomnte  de  denier»  qui  aurait 
étv  payée  par  eux  à  raison  des  taxe»,  avec  obligatinn 
de  n'eu  plu»  établir  Jainalti  de  semblables  h  l'avenir; 
ils  devaient,  en  un  uiot,  d^JÎrc  tout  ce  qui  avait  éti 
fait  par  l'autorit*^  séeulière.  et  cela  comme  simple  pp^ 
liminaire  k  une  absolution  provisoire  des  consuU  et 
des  officiers  royaux ,  et  Ha  levée  de  l'interdit  qui  pe- 
sait sur  la  ville;et,  si  trois  mois  apri-s  l'établissement 
de  ce  (pie  le  pontife  appelait  une  paix  et  trêve,  le* 
consuls  n'avaient  pas  satisfait  k  ces  conditioDS,  ces 
commissaires  devaient  rétablir  l'excommunication  et 
l'interdit  comme  auparavant. 

Les  deux  commissaires  n'auraient  jamais  pn  mettre 
asses  d'impartialité  dans  une  affeire  qui  touc^ît  k 
leur  ordre,  pour  que  leur  intervention  fût  de  quelque 
utilité,  dans  l'intérêt  de  la  pacification  de  cette  que- 
relle. Dans  leur  sentence  du  a  décembre  tS^o  ils  ne 
firent  que  répéter  mot  k  mot  plusieurs  des  i 


CHAPITRE  ONZIÈME.  583 

de  rinterdit  du  vicaire  général,  pièce  aus&i  remar- 
quable par  sa  violence  que  par  Tabus  du  langage  mys^ 
tique,  et  la  comparaison  assez  ridicule  des  fiaitU  de  la 
cause  avec  quelques  traits  de  rÉoriture  sainte;  pièce 
dans  laquelle  on  Ut  que ,  semblable  à  la  princesse 
des  provinces  qui  était  devenue  la  tributaire  ies  na- 
tions, suivant  les  pandes  de  Jérémie,  Téglise  d*Elne 
est  tombée  sous  la  servitude  des  consuls  de  Perpi- 
gnan, pires  que  Pharaon  qui,  en  réduisant  tout  son  peuple 
à  tesdavage ,  avait  au  moins  conservé  aux  prêtres  leurs 
biens  et  leurs  revenus  ^. 

Cette  sentence ,  qui  préji^ait  la  question,  n'ayant 
pas  été  acceptée  parles  consuls,  Texcommuoication 
et  f  interdit  furent  maintenus.  La  conteatation  se  pro* 
longea  encore  pendant  Tespace  de  cinq  ans  de  la 
même  manière,  et  elle  se  termina  enfin  en  iSyG  par  .s^e. 
une  transaction.  Les  taxes  fiirent  supprimées  avec  pro- 
messe de  n'en  jamais  établir  de  semblables  à  l'avenir, 
la  vUle  paya  à  l'évèque,  par  forme  de  dédommage* 
ment,  une  somme  de  cinq  mille  sept  cent  cinquante 
florins  d'or,  toute  la  procédure  fiit  annulée  pour  que 
jamais  on  ne  pût  s'en  servir  comme  de  fondement  à 
des  poursuites  ultérieures,  et  les  consuls  durent  jurer 
sur  les  évangiles  qu'en  aucun  temps  on  ne  toucherait 
aux  revenus  de  l'église  :  telle  (ut  l'issue  de  cette 
longue  et  scandaleuse  discussion,  fruit  de  l'entête-* 
ment  autant  que  de  l'égoïsme  et  de  l'avarice»  discus- 

i  Preave»  n*»  XXIV. 


58&  LIVRE    DEIJXIF.MK, 

siun  (litiis  laquelle,  pour  rtnployer  une  phrase  que 
nous  trouvons  dans  une  lettre  du  cardinal  de  Saint- 
Marcel  sur  cette  aflfaire,  'rL'évèque  avait  d<!-fendii  In 
^libertés  de  l'église  avec  un  lèle  ofiostoUijae  pendant  que 
u  Ifs  consuls  cherchaient  les  avantages  de  (a  patrie  avK 
u  une  excessifs  témérité.  » 

Une  nouvelle  excommunication  fut  prononcée  cm- 
tic  les  consuls  de  Perpignan,  en  t386.  par  l'offiriai 
pour  n'avoir  pas  payé  un  cens  de  quinze  livres  sur 
tine  maison  que  la  ville  ne  possédait  plus.  Pendant 
que  depuis  un  siècle  les  papes  étaient  devenus  tr^* 
réservés  sur  l'emploi  de  ces  anathtmes,  l'abus  en 
était  si  grand  dans  les  mains  des  oCGciers  inférieurs  de 
l'église  que  plus  tard  la  ville  itntière  d'Elne  fut  excom-  ' 
muniéc  pour  sept  «ous  que  les  consuls  avaient  cru  ne  < 
pas  devoii'  payer.  i 

Le  nombre  des  clercs  était  excessif  en  Roussillon.  J 
el  leur  moialité  souvent  fort  équivoque;  don  Pèdrc  ' 
fut  obligé  de  rendre  diverses  ordonnances  pour  les 
rappeler  au  sentiment  de  la  dignité  de  leur  état  et  les 
contenir  dans  les  limites  de  la  décence.  Le  désir  de 
jouir  des  franchises  ecclésiastiques,  de  participer  aux 
avantages  et  aux  privilèges  dévolus  à  la  cléricature, 
celui  d'échapper  à  la  juridiction  civile  pour  n'être 
justiciables  que  de  l'église,  extrêmement  indulgente 
pour  une  foule  de  déhts,  portait  un  grand  nombre 
d'individus  k  prendre  le  premier  degré  des  ordre* 
sacrés,  ce  qui  suffisait  pour  les  placer  pour  toujoun 


CHAPITRE  ONZIEME.  585 

ous  la  férule  de  Téglise.  Mais  cette  multitude  de  ton- 
urés  ne  pouvait  pas  toujours  remplir  des  fonctions 
tonorables,  et  parmi  ceux  qui  prenaient  la  prêtrise 
ous  n  avaient  pas  le  bonheur  d'arriver  aux  bénéfices. 
Ijrêtés  par  la  misère  au  début  de  la  carrière,  ils 
talent  souvent  forcés  pour  vivre  d'exercer  des  mé- 
iers  qui  dégradaient  le  caractère  qu'ils  avaient  reçu 
»u  qui  déshonoraient  le  costume  dont  ils  ne  pou- 
vaient se  séparer.  Le  roi  d'Aragon  dut  intervenir 
>our  les  forcer  à  se  respecter  eux-mêmes.  Se  trouvant 
i  Perpignan  en  1 345 ,  ce  prince  avait  été  informé  par 
a  rumeur  publique  que  plusieurs  clercs,  tant  simples 
106  mxuiésy  remplissaient  des  emplois  interdits,  of- 
fensant ainsi  les  règles  divines  et  humaines ,  et  qu'ils 
commettaient  une  foule  de  délits  pour  la  répression 
lesquels  ils  échappaient  ensuite  aux  poursuites  de  la 
ustice  en  déclinant  la  juridiction  séculière;  c'est  pour- 
pioi ,  par  édit  du  7  des  nones  de  mai  de  cette  année 
i345,  il  défendit  expressément  au  gouverneur  de 
loussillon,  au  viguier,  au  bailli  et  à  tous  autres  of- 
lâers  royaux ,  d'admettre  à  l'avenir  à  l'exercice  des 
charges  de  consul,  d'avocat,  de  procureur,  de  notaire 
!t  autres,  aucun  individu  portant  tonsure  ou  l'ayant 
)ortée  et  pouvant  alléguer  de  cette  tonsure.  Si  malgré 
^ette  défense  ces  officiers  se  permettaient  d'en  recevoir 
sciemment  quelques-uns,  ils  encourraient  son  indi- 
cation et  seraient  condamnés  à  une  amende  de  mille 
pièces  d'or,  à  prendre  sur  leurs  biens,  sans  grâce  ni 
I.  25 


imn  LIVRI-:    DF.DXIKME. 

r^-mission.  Le  i5  murs  i366  le  même  prince  avait 
(^crit  à  ce  même  gouverneur,  qu'ayant  appris  tout  r^ 
cemment  que  des  prélats,  barons,  chevaliers  et  antret 
ayant  une  juridiction  particulière,  permettaient  â  àet 
clercs  d'exercer  des  fonctions  défendues  par  son  édit, 
se  flattant  par  l<^  de  (eut-  faire  i^luder  la  juridiction 
royale ,  il  lui  enjoignait  d'y  mettre  opposition ,  et  de 
remplacer  par  des  laïques  les  clercs  qui  occuperaient 
de  ces  sorte»  de  places,  sous  peine  d'une  amende  de 
mille  morabotins  '.  En  i3(ïo  lui  certain  Bt-rengcr, 
juge  oi*dinairp  de  San-Feliu.  qui  avait  falsifié  uiie 
pièce,  ayant  été  arrtHé  par  ordre  du  viguier  et  s'étant 
réclamé  comme  clerc  de  la  juridiction  ecclésiastique, 
Pèdre ,  par  lettres  patentes  du  a  i  février  i  3fi  i ,  avait 
ordonné  de  passer  outre  ^  attendu  ses  constitutioQf 
de  i345,  qui  furent  renouvelées  en  i366. 

Les  clercs  pauvres  s'étaient  rejetés  sur  le»  arts  mé- 
caniques, et  plusieurs  ne  rougissaient  pas  d'embrasser 
les  professions  les  plus  viles  et  nièine  les  plus  infâmes-, 
le  roi  d'Aragon  dut  encore  arrêter  ces  excès  désho- 
norants. Une  ordonnance  du  6  mars  1374,  qui  fui 
publiée  dans  Perpignan  et  dans  tout  )e  Roussillon  \f 
g  décembre  suivant,  signale  comme  exercés  par  des 
clercs  les  métiers  de  cabaretiers,  de  cordonniers,  de 
teneurs  de  tripots,  de  crocheteurs,  de  jongleurs  et 
mimes,  de  pourvoyeurs  de  mauvais  lieux,  de  cor- 
saires et  même  de  bourreaux,   dans  les  cours  séni 

'   Arch.  dont.  —  '   Ihîilrm. 


CHAPITRE   ONZIÈME.  387 

lières,  pour lapplication  de  la  torture  ^  Avant  de  faire 
publier  cette  ordonnance,  Pèdre  avait  eu  la  sage 
précaution  de  la  faire  sanctionner  par  le  pape,  qui 
Tavait  trouvée  juste  et  raisonnable,  et  qui  avait  pres- 
crit à  tout  clerc  exerçant  une  des  professions  men- 
tionnées dans  la  prohibition,  ou  un  métier  mécanique 
quelconque,  d'y  renoncer  dans  le  laps  dun  mois, 
sous  peine  de  perdre  ses  droits  à  la  juridiction  ecclé- 
siastique. Le  scandale  cessa  pour  quelque  temps; 
mais  le  mal  avait  de  trop  profondes  racines  pour 
être  extirpé  entièrement.  Après  la  mort  de  Pèdre, 
Martin,  son  successeur,  fut  obligé  de  renouveler  deux 
fois  ces  édits,  le  i6  décembre  i4o5  et  le  26  février 
làoy. 

L'infant  de  Majorque,  en  devenant  l'époux  de  la 
reine  de  Naples ,  s'était  obligé  à  ne  prendre  que  la 
qualité  de  roi  de  Majorque,  sans  y  joindre  jamais 
celle  de  roi  de  Naples,  dont  Jeanne  n'entendait  pas 
partager  avec  lui  l'autorité  et  dont  le  trône  lui  était 
interdit  après  elle.  Cependant  s'étant  donné  ce  titre, 
des  plaintes  s'étaient  élevées  contre  lui ,  et  le  pape 
l'avait  averti  de  se  tenir  dans  les  conditions  des 
clauses  de  son  mariage ,  s'il  ne  voulait  pas  s'exposer  à 
quelque  accident  funeste.  Dégoûté  alors  de  partager 
la  stérile  couche  d'une  reine  qui  ne  lui  faisait  pas  par- 
tager sa  puissance,  il  l'avait  quittée,  et,  après  avoir, 
par  donation  entre-vifs,  cédé  tous  ses  droits  h  la  cou- 

*   Arch.  donu 


q5. 


388  LIVRE    DEUXIÈME, 

ronne  de  Majorque  à  sa  sœur,  dans  le  cas  où  il  mour-   , 
rail  sans  postérité  ' ,  il  s'était  rendu  auprès  du  roi  de   , 
Castille,  alors  en  guerre  avec  celui  d'Aragon,  pour 
exercer  sa  valeur  contre  le  détenteur  de  son  héritage. 
Fait  prisonnier  bientôt  après  par  Henri  de  Transti- 
mnrc,  qui  disputait  la  couronne  de  Castille  à  Pcdre 
le  Cruel,  il  fut  délivré  par  les  soins  de  sa  femme,  qui    \ 
paya  soixante  mille  ducals  d'or  pour  sa  rançon  '.  \ 

Jaymc  avait  enfin  reporté  ses  regards  sur  ses  do- 
maines Itérédiluircs;  il  voulut,  mais  ti'op  tard .  tenter    ' 
quelques  clforEs  pour  les  reconquérir.  S'étant  assuré    ' 
de  la  protection  de  la  France  et  de  failiance  d'Henri  II,    d 
comte  de  Transtamare  et  roi  de  Castille,  qui  pro-    l 
mettait  d'entrer  en  Aragon  par  ses  frontières  pendant 
que  les  Français  y  pénétreraient  avec  Jayme  par  ie 
Roussillon,  ce  prince  réunît  à  Narbonne,  pai-  le  con- 
cours de  la  reine  de  Naples  et  du  duc  d'Anjou,  gou- 
verneur de  Lanpiedoc,  mille  lances  tant  provençales 
que  françaises ,  bretonnes  et  gasconnes ,  ce  qui  faisait 
tme  petite  armée  de  six  mille  hommes  '.  Au  moii 
d'août  il  entra  en  Roussillon,  passa  k  une  lieue  de 
Perpignan  qu'il  savait  trop  bien  défendu  pour  perdre 

'  Cet  acte  fut  passé  le  i3  novembre  i363,  à  Villaocipota.  lienia- 
coDDD  aujoDrdliui.  D'Egly,  Hiit.  iet  mit  dt  SiciU  de  la  maûon  Je  Fnatet, 
tom.  n. 

*  Muratori,  AnnnJ.  tom.  VIII. 

'  A  cette  époque  une  lance  on  lanctJaumU  te  composait  dn  dmt- 
lier,  de  trois  arcben,  d'un  écuyer  et  d'nn  page.  Son*  Lonii  XITU 
Unce  fournie  fut  de  »cpt  bommea,  et  d«  huit  sons  François  I**. 


CHAPITRE   ONZIEME.  580 

du  temps  à  en  feire  le  siège ,  et  prit  immédiatement 
la  route  du  coi  de  Panissas. 

Trop  actif  et  trop  vigilant  pour  être  pris  en  défaut, 
le  roi  d* Aragon  avait  pourvu  de  bonne  heure  à  la  sû- 
reté de  ses  états.  Don  Bérenger,  frère  de  don  Galce- 
ran  de  Pûios,  gouverneur  général  de  Roussillon  et 
de  Gerdagne,  avait  reçu  ordre  de  joindre,  suivant 
que  le  besoin  l'exigerait,  les  compagnies  quil  avait 
avec  lui  à  celles  du  vicomte  d'Ule,  qui  se  trouvait  en 
Gonflent,  ou  à  celles  du  vicomte  de  Rocaberti,  capi- 
taine des  gens  de  guerre  d'Ampourdan  et  de  Girone; 
don  Bernard  de  Son  et  le  comte  de  Pallas  étaient  en- 
trés avec  leurs  compagnies  dans  cette  dernière  vUle  ; 
Figuières  avait  reçu  les  levées  de  tous  les  lieux  de 
son  district;  ceux  du  village  de  Barraça  et  du  terri* 
toire  du  château  de  Crexel  s  étaient  portés  au  col  de 
Panissas,  sous  le  commandement  d*un  chevsdier 
nommé  Galceran  d'Ortal,  et  s'étaient  fortifiés  dans 
l'église  du  village  même  de  Panissas,  qui  était  très- 
forte  de  construction;  enfm  les  comtes  d'Urgel  et  de 
Prades,  le  vicomte  de  Cardone  et  d'autres  chevaliers 
s'étaient  rendus  à  Barcelone  à  la  tête  de  leurs  vas^ 
saux,  pour  y  former  une  réserve. 

L'infant  de  Majorque  n'arriva  pas  jusqu'à  Panissas. 
Informé  de  la  difficulté  qu'il  aurait  à  forcer  ce  pas- 
sage ,  il  s'était  décidé  à  pénétrer  en  Aragon  par  l'Ur- 
gel ,  et  il  avait  pris  la  route  de  Gonflent ,  attaquant , 
chemin  faisant,  les  places  qui  se  trouvaient  à  sa 


no  LIVItt:    DEUXIEME. 

(lorU^e.  Fidèle  à  sa  promesse  le  roi  de  Castille  faisait 

entrer  dans  le  même  temps  eu  Aragon  doiue  cetiU 

Isnces,  M>UA  le  capitaine  Geofroi  Rechon.  chevalier 

breton. 

Le  désir  de  ména^^er  iin  pays  qu'il  regardait  comme 
son  palrimoine  et  où  il  trouvait  de  nombreux  amis, 
et  ce  besoin  de  vengeance  (jiii  le  rendait  impatient  de 
ravager  les  terres  de  son  ennemi,  ne  laissaient  pas 
retirer  à  l'infant  de  grands  fruits  de  l'ntlaque  det 
places  fortes,  quoiqu'il  trouvât  des  pailtsans,  même 
parmi  les  officiers  du  roi  d'Aragon.  Une  réqiusilion 
de  B^irenger-Jean,  juge  ordinaire  de  Confient,  aux 
capitaines  Btirenger  de  Pinos ,  frère  du  gouverneur 
général  des  deux  comtés,  et  Bérenger  d'Apilia,  qui 
l'un  et  l'autre  commandaient  à  Villefranche ,  semble 
prouver  que  ces  deux  seigneurs  favorisaient  secrète- 
ment ce  prince.  Par  cet  acte ,  dressé  solennellement 
par  devant  notaire,  Bérenger-Jean  somme  ces  offi- 
ciers, en  présence  des  consuls  de  la  vilie,  de  ne  pas 
en  permettre  la  sortie  aux  habitants  en  état  de  coo- 
courir  à  sa  défense.  «  Plusieurs  des  personnes  qui  se 
«trouvent  dans  Villefranche,  frappées,  dit-il  daiu 
«cette  réquisition,  d'une  vaine  terreur  à  l'approche 
«  de  l'infant ,  ont  défectionné  et  se  sont  retirées  k  Per 
u  pîgnan  ou  ailleurs;  plusieurs  d'entre  les  plus  riches, 
«  tant  parmi  ceux  qui  restent  encore ,  que  parmi  cem 
u  qui  sont  déjà  sortis ,  font  tous  leurs  efforts  pour 
u  retirer  de  cette  ville  leurs  femmes  et  leurs  familles, 


CHAPITRE   ONZIÈME.  591 

«et,  ce  qui  est  bien  plus  coupable,  le  font  avec  un 
asauf-conduit  de  cet  infant,  sauf-conduit  dans  lequel 
«ce  prince  se  qualifie  roi  de  Majorque  et  comte  de 
«  Roussillon  et  de  Gerdagne ,  au  grand  scandale  de  la 
«communauté,  et  au  préjudice  du  seigneur  roi  d'A- 
«ragon;  c'est  pourquoi  (ajoute  le  requérant)  moi, 
«  Bérenger-Jean ,  juge  ordinaire  de  Gonflent,  tant  en 
«  mon  propre  nom  qu'en  celui  de  tous  mes  adhérents, 
«  dans  l'intérêt  de  la  chose  publique ,  pour  la  conser- 
«vation  de  cette  place  et  pour  la  gloire  de  notre 
«illustrissime  seigneur,  le  roi  d'Aragon,  je  vous  re- 
«quiers  par  cet  écrit,  vous,  nobles  seigneurs  Bé- 
«renger  de  Pinos  et  Bérenger  d'Apilia,  capitaines 
«  dudit  Villefranche ,  et  vous  vénérable  Pierre  Fabre , 
«  consul  dudit  Villefranche ,  et  vous  aussi  qui  gardez 
«  les  clefs  des  portes  de  cette  ville ,  de  ne  plus  rien 
«  permettre  de  semblable  à  l'avenir,  etc.  » 

Les  deux  capitaines  ne  répondirent  à  cette  réqui- 
sition qu'en  lacérant  la  copie  qui  leur  en  fut  remise  : 
quant  aux  consuls ,  le  premier  d'entre  eux  répondit 
que  son  vœu  était  conforme  à  celui  du  juge,  et  il 
exigea  que  sa  réponse  (ut  consignée  dans  l'acte ,  dont 
copie  lui  serait  remise  ^. 

*  Cette  réponse  fut  insérée  telle  que  le  consul  Tavait  prononcée, 
c'est-à-dire  en  catalan  :  «  £1  no  consent  ni  vol  que  negun  hom  ni  ne- 
«  guna  dona  del  loch  de  Villafranca  ne  de  la  recultia  (P)  ischaper  neguna 
t  manera ,  ny  ab  salfconduyt  ni  sens  aquell ,  del  dit  loch  de  Villafranca , 
t  e  de  asso  requer  los  senyors  capitans  e  lo  senyor  lochtenent  de  gover^ 
t  nador.  t  Arch.  eccles. 


2  LlVItE    DEUXIEME. 

Si  par  bienveillance  pour  ceux  qu'il  regardait 
eomme  se.i  .sujets,  l'infant  de  Majorque  n'avait  pas 
ravagé  leurs  lerres,  il  n'en  fut  plus  ainsi  quand  il  fut 
parvenu  sur  le  sol  de  la  Catalogne;  \à  il  mit  tout  à 
feu  et  à  sang.  De  la  Catalogne  il  descendit  dans  le 
plat  pays  d'Aragon,  en  suivant  le  cours  du  Gallego, 
et  en  continuant  les  mêmes  dévastations  :  cV'tail  en 
janvier  1375. 

Les  dispositions  prises  par  le  roi  d'Aragon  et  les 
ravages  exercés  par  l'infant  curent  bientôt  amené  la 
disette  dans  l'armée  française.  Obligé  de  la  conduire 
dans  la  Castille  pour  la  faire  subsister,  Jayme  fut 
saisi,  pre.sque  en  y  arrivant,  d'une  fièvre  maligne 
dont  il  moui-ut  à  Almacan,  et  il  fut  enterré  dans  le 
monastère  de  Soria. 

La  manière  dont  le  roi  Pédre  raconte  dans  sa 
chronique  l'incursion  de  l'infant  de  Majorque  et  sa 
mort  est  entièrement  opposée  h  la  version  suivie 
par  tous  tes  historiens  et  que  nous  venons  de  répéter 
nous-même.  Suivant  le  royal  chroniqueur  Jayme  entra 
en  Catalogne  et  descendit  directement  à  Barcelone; 
se  dirigeant  ensuite  sur  la  Seu-d'Ui^el ,  il  serait  res- 
sorti par  la  vallée  d'Aran  et  serait  mort  empoisonné 
presque  aussitôt. 

Quelle  que  soit  la  véritable  de  ces  deui  versions, 
ce  passage  de  l'infant  don  Jayme  à  travers  le  Rous- 
sillon  donna  matière  à  de  nombreuses  poursuites 
contre  les  partisans  do  ce  prince.  Une  foule  de  che- 


CHAPITRE   ONZIÈME.  305 

raliers ,  dont  quelques-uns  tenaient  à  la  maison  même 
lu  roi  d* Aragon,  furent  arrêtés  comme  complices  de 
jette  irruption ,  et  entre  autres  un  certain  Jean  Ra- 
mirèz  d'Ârellano,  vassal  direct  du  roi  et  élève  de  son 
propre  palais.  Accusé  parle  vicomte  de  Perellos,  qui 
s'obligeait  à  soutenir  son  dire  Tépée  à  la  main,  Ra- 
mirèz  demanda  au  roi  la  permission  de  se  battre  avec 
lui  en  champ-clos,  mais  cette  affaire  n'eut  pas  de 
suite. 

Après  la  mort  de  l'infant  don  Jayme,  sa  sœur, 
dona  Isabelle,  mariée  au  marquis  de  Montferrat,  et 
qui  l'avait  accompagné  dans  cette  expédition  parce 
ipi'elle  était  encore  plus  animée  que  lui  contre  don 
Pèdre ,  et  à  qui  Mariana  donne  le  titre  d'héroine  sans 
rien  dire  de  ce  qui  a  pu  le  lui  mériter,  ramena  l'armée 
française  en  Gascogne,  secondée  par  don  Jean  de 
Malestit  et  par  les  autres  capitaines.  Dans  l'impossi- 
bilité de  pouvoir  désormais  rien  entreprendre  de  plus 
par  elle-même  cette  infante  céda  à  Louis,  duc  d'An- 
jou, ses  droits  à  la  couronne  de  Majorque  ^,  et  reçut 
sn  indemnité  une  pension  viagère  de  cinq  mille  cinq 
:ents  livres  sur  la  ville  et  la  chàtellenie  de  Lavaur; 

'  L'infant  de  Majorque  avait  cédé  ses  droits  à  sa  sœur  avant  de  quitter 
tapies,  et  d'Égly  cite  Tacte  et  la  date  de  cette  donation.  H  est  bien 
^Dnant  alors  que  le  duc  d'Anjou,  dans  ses  instructions  à  ses  ambas- 
kadeurs  auprès  du  roi  de  Gastille,  assure  avoir  reçu  lui-même  une  sem- 
blable donation  de  ce  même  infant;  ce  devait  être  probablement  une 
substitution,  qui  devint  une  donation  réelle  par  la  cession  que  lui  fit 
Infante. 


5M  LIVRE  DEUXIEME. 

mais  les  habitants  de  cette  ville  s'étant  opposés  k 
cette  assignation,  le  prince  remplaça  cette  pension 
par  la  baroniede  Lunel  dont  la  princesse  devait  jouir 
tout  le  temps  de  sa  vie  :  cet  acte  fut  passé  le  i  a  juin 
i38i. 

Investi  de  droits  à  une  couronne ,  le  duc  d'Anjou 
n'eut  plus  de  repos  jusqu'à  ce  qu'il  se  fût  mis  en  état 
de  les  faire  valoir.  ïl  s'empressa  de  se  liguer  avec  le 
roi  de  Portugal ,  qui  promit  de  seconder  par  mer  la 
conquête  du  royaume  de  Majorque,  et,  en  février 
*^7«-  1 376 ,  il  s'adressa  à  Henri ,  roi  de  Cas  tille ,  pour  qu*il 
l'aidât  à  conquérir  son  trône.  Louis  demandait  à  ce 
monarque  un  secours  de  trois  mille  hommes  d'armes  ^ 
de  mille  genetes,  sorte  de  cavalerie  légère  qui  n'avait 
pour  combattre  que  la  lance  et  le  bouclier,  et  de  mille 
arbalétriers ,  pour  rester  sous  ses  ordres  l'espace  de 
trois  ou  quatre  mois  quand  il  attaquerait  le  roi  d'Ara- 
gon; il  lui  demandait  de  plus  d'engager  le  roi  de  Na- 
varre à  entrer  dans  la  ligne.  Henri  souscrivit  à  tous 
ces  vœnx,  et,  assuré  de  cette  assistance,  Louis,  qui 
était  gouverneur  de  Languedoc,  reçut  de  l'assemblée 
des  communes  des  trois  sénéchaussées  de  la  pro- 
vince, réunies  au  Pont-Saint-Esprit,  un  subside  de 
deux  francs  par  feu  ^. 

Kn  apprenant  les  prétentions  de  ce  nouveau  rival, 
le  roi  d'Aragon  avait  envoyé  des  ambassadeurs  au  roi 

'    lioinmr  d'armes  était  la  iiuMiie  chose  que  lance  fournie. 
'  llisioirr  iièncralr  de  Lamjnedoc .  lonie  IV. 


CHAPITRE   ONZIÈME.  395 

de  France,  fipère  du  duc  d'Anjou,  pour  lui  exposer 
ses  titres  à  la  possession  de  la  couronne  de  Majorque 
et  le  constituer  juge  du  différend  qui  s'élevait  entre 
son  frère  et  lui.  Ghaiies  V,  surnommé  à  bon  droit  le 
Juste,  ne  voulut  pas  accepter  l'arbitrage  d'une  contes- 
tation dans  laquelle  son  frère  était  partie ,  et  en  ren- 
voya la  connaissance  au  pape.  Celui-ci  qui,  dans  ce 
moment ,  se  disposait  à  quitter  Avignon  pour  trans- 
férer de  nouveau  le  saint  siège  à  Rome,  délégua  le 
cardinal  de  Terrouene  pour  s'instruire  des  faits.  Le 
duc  d'Anjou,  qui  connaissait  et  l'ennemi  à  qui  il  avait 
affaire  et  les  lenteurs  de  la  cour  de  Rome ,  et  qui  vou- 
lait être  en  mesure  de  commencer  les  hostilités  aus- 
sitôt que  la  paix  entre  la  France  et  l'Angleterre  serait 
conclue,  réunit  sur  les  frontières  du  Roussiilon  quatre 
mille  lances ,  dont  il  donna  le  commandement  à  Ar- 
naud d'Espagne ,  équipa  quarante  galères  pour  courir 
les  cotes  de  Catalogne  et  envoya  son  défi  au  roi 
d'Aragon. 

Arbitre  de  la  querelle  qui  divisait  les  deux  conten- 
dants,  Grégoire  XI,  qui  désirait  de  maintenir  la  paix, 
avait  chargé  le  cardinal  de  s'interposer  entre  eux  pour 
négocier  im  accommodement,  et  Louis  avait,  h  sa 
prière,  sursis  à  l'entrée  en  campagne  :  cette  déférence 
lui  fit  perdre  la  partie ,  ou  tout  au  moins  les  chances 
qui  étaient  alors  en  sa  faveur.  Il  avait  été  convenu 
que  de  part  et  d'autre  des  plénipotentiaires  seraient 
envoyés  à  Avignon  au  mois  d'avril  suivant,  et  que, 


377. 


1^7^- 


596  LIVRE   DEUXIEME. 

pour  donner  au  cardinal  plus  de  facilité  pour  Toir 
alternativement  les  deux  princes ,  le  duc  d*Anjou  se 
rendrait  à  Narbonne  et  le  roi  d* Aragon  à  Perpignan. 
Le  prince  français  se  trouva  effectivement  à  Narbonne 
le  9  décembre,  mais  ce  fut  vainement  que  le  cardind 
attendit  l'arrivée  de  don  Pèdre  à  Perpignan.  Celui-ci, 
qui  ne  voulait  qu*amuser  son  adversaire  et  gagner  du 
temps,  se  contenta  d*y  envoyer  don  Juan,  son  fils, 
sans  même  lui  donner  des  instructions  pour  entrer 
en  traité.  Le  duc  d*Ânjou  et  le  cardinal,  las  enfin  d*at- 
tendre,  s*en  retournèrent,  le  premier  à  Toulouse  et 
l'autre  à  Avignon. 

Le  système  de  temporisation  adopté  par  don  Pèdre 
avait  complètement  réussi.  A  la  mort  du  roi  d*Angle^ 
terre ,  Edouard  III ,  loccasion  paraissant  fiatvorable  à 
Cbaries  V  pour  recommencer  la  guerre  dans  les  pro 
vinces  que  les  Anglais  possédaient  en  France ,  le  duc 
d'Anjou  fut  occupé  dans  la  Guienne  et  dut  ajoumei 
SCS  projets  de  campagne  contre  le  roi  d'Aragon.  Ce- 
pendant pour  tenir  ce  prince  en  demeure  il  engagea 
le  roi  de  Castille,  son  allié,  à  entrer  en  négociations 
avec  lui.  Henri  invita  en  effet  don  Pèdre  à  envoyer  à 
Biirgos  des  ambassadeurs  pour  s'aboucher,  en  sa  pré- 
sence ,  avec  ceux  qui  devaient  y  venir  de  la  part  du 
dur  d'Anjou  ;  mais  il  en  fut  encore  cette  fois  comme 
la  première  :  les  envoyés  de  Louis  arrivèrent  à  Bui^os 
à  la  fin  de  janvier  iSyS,  et,  après  y  avoir  attendu  six 
mois  ceux  du  roi  d'Aragon,  ils  s  en  revinrent  k  Ton- 


CHAPITRE   ONZIÈME.  597 

louse.  Cependant  Pèdre  fit  parvenir  ses  propositions 
au  roi  de  Castille ,  et  ces  propositions  furent  de  con- 
fondre toutes  les  prétentions  réciproques  dans  un 
mariage  entre  sa  petite-fille ,  Tunique  enfant  du  duc 
de  Girone,  et  le  fils  du  duc  d* Anjou.  Ce  projet  de  ma- 
riage» qui  fiit  réellement  effectué  le  a  du  mois  de 
décembre  1 4oo ,  c'est-à-dire  vingt-deux  ans  plus  tard, 
et  qui  donna  à  la  France  des  droits  à  la  couronne 
d* Aragon  qu'on  chercha  à  faire  valoir  à  la  mort  du 
roi  Martin,  ne  pouvait  pas  satisfaire  pour  le  moment 
le  duc  d'Anjou ,  dont  l'ambition  était  de  porter  une 
couronne.  On  en  vint  aux  armes,  à  ce  qu'il  paraît, 
quoique  l'histoire  garde  le  silence  sur  les  hostilités 
qui  purent  avoir  lieu  et  qui  ne  durent  ofirir  aucune 
circonstance  remarquable.  On  ignorerait  même  en- 
tièrement cette  prise  d'armes,  si  les  registres  de  la 
sénéchaussée  de  Carcassonne  n'avaient  appris  aux  his- 
toriens de  Languedoc  qu'ime  flotte  aragonnaise  fit,  au 
mois  d'octobre  de  l'année  suivante,  une  descente  et  ,3^^ 
quelques  dégâts  sur  les  côtes  du  diocèse  de  Béziers  ^. 
Le  duc  d'Anjou  renonça  bientôt,  sinon  à  ses  pré- 
tentions à  la  couronne  de  Majorque,  du  moins  aux 
moyens  de  se  la  faire  restituer.  Ce  prince  voulait  ab- 
solument un  trône.  Jeanne  I**,  reine  de  Naples,  veuve 
de  l'infant  don  Jayme,  et  qui  venait  de  perdre  encore 
son  quatrième  époux,  Otton  de  Brunswick,  cher- 
chant partout  un  appui  contre  son  implacable  en- 

>  Hitloire  générale  de  Langvtedoc,  iom.  IV. 


90e  LIVRE   Ui:UXIEME. 

ncmi,  le  roi  tic  Hongrie,  avait,  par  son  U'stanicnt  du 
1 3  juin  1 38o ,  ÎiisUIim^  lo  frère  du  roi  de  France  son 
héritier  universel.  Regardant  avec  raison  la  cotironuft 
de  Naplcs  commo  plus  importante  que  celle  de  Ma- 
jorque, dont  la  possession  était  d'ailleui-s  très-incer- 
taine, ce  prince  tourna  toutes  ses  vues  vers  la  pre- 
mière, qui  pouvait  par  la  suite  lui  fournir  plus  de 
moyens  poui*  parvenir  h  l'acquisition  de  la  seconde. 
Après  s'être  fait  couronner  par  le  pape  il  passa  en 
Italie,  mais  arriva  trop  tard  pour  être  utile  à  sa  bien- 
faitrice. Jeanne ,  faite  prisonnière  par  Charles  de  Du- 
ras, compétiteur  de  Louis  d'Anjou  au  Iràne  de  Naples, 
venait  de  terminer  sa  vie  par  une  mort  violente.  Le 
dur  d'Anjou  mourut  lui-même  le  1 1  octobre  l38à. 


CHAPITRE   DOUZIEME.  399 


CHAPITRE  XIL 

Divisions  dans  la  famille  royale  d'Aragon.  —  Le  justicia  ré- 
voque un  édit  royal.  —  Mort  de  Pèdre  IV.  —  Caractère  de 
ce  prince.  —  Événements  en  Roussillon.  —  Juan  I",  roî 
d* Aragon.  —  Les  Armagnacs  en  Ampourdan.  —  Fin  de  la 
monarchie  de  Majorque. 

Le  roi  don  Pèdre  avait  débuté  dans  son  règne  par 
dépouiller  sa  mère  de  son  douaire  et  ses  frères  de 
leurs  apanages;  il  le  termina  en  cherchant  à  faire 
perdre  à  son  gendre  ses  domaines,  et  à  son  fils  aîné  les 
droits  que  sa  naissance  lui  donnait  à  sa  succession. 

Pèdre  avait  épousé  en  quatrièmes  noces  Sy  bille  de 
Forcia ,  fille  d'un  simple  chevsdier  d* Ampourdan ,  et 
veuve  d'un  autre  chevalier  nommé  Artaud  de  Foces. 
D'un  esprit  adroit  et  insinuant  cette  reine  avait  su  si 
bien  s'emparer  de  l'esprit  de  son  vieil  époux  qu'elle 
le  faisait  obéir  aveuglément  à  tous  ses  caprices.  L'au- 
torité de  don  Juan,  qui  remplissait  les  fonctions  d'ad- 
ministrateur général  du  royaume ,  inséparables  de  la 
qualité  d'héritier  de  la  couronne,  la  contrariant,  elle 
ne  cessait  d'aigrir  le  roi  contre  cet  infant.  Pèdre  vou- 
lait marier  ce  prince,  veuf  de  Marthe,  fille  du  comte 
d'Armagnac,  à  la  princesse  Marie  de  Sicile,  mais 
Juan  était  amoureux  d'Yolande,  fiUe  du  duc  de  Bar. 


i384. 


400  LIVRE   DEUXIEME. 

Pour  éviter  un  hymen  qui  le  contrariait  et  satislàire 
en  même  temps  sa  passion,  l'infant  s'était  retiré  au- 
près de  Jean,  comte  d'Ampurias,  son  beau-frère, 
où  son  mariage  avec  Yolande  s'était  célébré.  Le  roi 
d'Aragon,  vivement  offensé  de  cette  désobéissance, 
tourna  son  ressentiment  principalement  contre  son 
gendre  qui  avait  favorisé  cette  union,  et  qui  lui  avait 
donné  quelques  autres  sujets  de  mécontentement;  ii 
forma  le  dessein  de  le  priver  de  son  comté  et  mit  aus- 
gitôt  la  main  à  l'exécution.  Une  armée  entra  en  Am- 
pourdan,  s'empara  des  places,  pilla  le  pays  et  en 
occupa  bientôt  la  plus  grande  partie.  Le  comte  d'Am- 
purias, menacé  d'être  assiégé  dans  CasteDoti,  de- 
manda le  secours  de  quelques  compagnies  fran<;aises, 
qui  traversèrent  en  eifet  le  Roussillon  sans  rencontrer 
d'obstacles  et  entrèrent  en  Ampourdan, 

Pendant  que  le  comte  d'Ampurias  était  en  butte  à 
toute  la  colère  du  roi  pour  avoir  rendu  service  à 
l'infant  d'Aragon,  celui-ci,  retourné  auprès  de  son 
père  après  son  mariage ,  se  trouvait  forcé  de  prendre 
les  armes  contre  son  beau-frère.  D  avait  cherché  d'a- 
bord à  obtenir  la  grâce  de  celui-ci ,  maïs  n'avait  pu 
fléchir  le  vietu  monarque ,  malgré  les  ménagements 
que  le  comte  avait  eus  pour  l'armée  royale,  qu'il  au- 
rait pu  attaquer  avec  avantage  et  qu'il  avait  laissée 
passer  librement ,  et  ceux  même  qu'il  avait  eus  pour 
la  reine  qu'il  aurait  pu  faire  prisonnière  et  dont  il 
avait  respecté  l'asile.  Dans  t'impossibUité   de  rien 


CHAPITRE   DOUZIÈME.  401 

obtenir  de  Tobstmation  du  roi,  Juan  fit  dire  secrète- 
ment au  comte  de  ne  pas  se  confier  uniquement  au 
peu  de  troupes  françaises  qu'il  avait  sous  ses  ordres, 
mais  de  se  concerter  avec  le  comte  d*Armagnac  pour 
se  mettre  en  état  de  faire  tête  à  Tarmée  que  son  père 
menait  contre  lui.  Jean  écoutant  cet  avis  s'était  ligué 
en  effet  avec  le  comte  d'Armagnac  et  de  Gomminge , 
Jean  III ,  neveu  de  la  première  femme  de  don  Juan. 
D'après  leurs  conventions,  ces  princes  devaient  se 
partager  toutes  les  conquêtes  que  les  Français  feraient 
en  Catalogne ,  mais  oe  qui  serait  pris  en  Roussillon 
devait  appartenir  à  l'infante  de  Majorque,  marquise 
de  Montferrat ,  sauf  les  droits  de  la  princesse  d'Ar- 
magnac. 

Pèdre  n'avait  pu  ignorer  la  ligue  que  son  gendre 
v^enait  de  conclure  avec  le  prince  qui  se  déclarait 
protecteur  de  l'infante  orpheline.  Déterminé  par  l'im- 
coinence  des  hostilités  à  passer  l'hiver  à  la  proximité 
des  Pyrénées,  il  s'était  établi  à  Figuières,  d'où  il  avait 
envoyé  au  gouverneur  de  Roussillon  une  ordonnance 
[jui  réglait  les  signaux  que  devaient  se  transmettre ,  à 
l'apparition  des  Français,  les  tours  bâties  sur  la  crête 
des  montagnes.  Ces  tours,  dont  l'usage  en  Espagne 
remonte  à  la  plus  haute  antiquité,  portent  de  nos 
jours  le  nom  d'atalayas,  qu'elles  ont  retenu  de  la 
langue  arabe  ^  Suivant  cette  ordonnance  le  guetteur 

^  Le  mot  atalayas,  passé  de  Tarabe  dans  les  langues  de  la  Péninsule, 
(ignifie  guetter.  Tite-Live  parle  de  ces  tours  de  signaux  à  propos  de  la 
1.  26 


402  LIVRE   DEUXIEME. 

de  ia  tour  la  plus  voisine  du  point  où  se  trourait  k 
rendez-vous  de  Tennemi  était  tenu  de  faire  le  premier 
signal,  aussitôt  qu'il  aurait  connaissance  du  mouve- 
ment des  Français  pour  se  porter  en  Roussillon.  Ce 
signal  devait  être  un  grand  feu,  qui  produirait  une 
épaisse  fumée  qu'on  ferait  durer  une  heure  de  temps, 
si  c  était  pendant  le  jour,  ou  dont  Tédat  ne  pût  être 
confondu  avec  celui  d* aucun  autre  feu,  si  le  signai 
avait  lieu  la  nuit  ^  Après  ce  premier  feu,  qui  devait 
éveiller  Tattention,  on  aurait  à  signaler  le  nombre 
de  troupes  ennemies  en  faisant  un  nouveau  feu  ré- 
pété autant  de  fois  qu'il  y  avait  de  centaines  de  lances 
dans  l'armée  d'invasicHi;  enfin,  quand  cette  armée 

flotte  d'Asdrubal  mouillée  à  Tarragone  que  Scipion  vint  attaquer.  Dé- 
cade m,  liv.  II.  Le  célèbre  article  des  usages  de  Barcelone,  mtitaié 
Princeps  namque,  fait  connaître  que  de  tout  temps  Tusage  a  âé  de  se 
transmettre  les  signaux  par  des  feux.  L'une  de  ces  tours  de  sigaaux, 
élevée  au  col  de  la  Massane ,  ayant  été  frappée  trois  fois  de  la  foudre, 
de  1711  à  1 7 1 6 ,  ot  la  (lernirrc  fois  les  quatre  soldats  avec  le  caporal 
qui  en  faisaient  ia  garde  ayant  été  tucs^  elle  fut  abaixlonnée,  ainsi  que 
ccHe  de  Madeloeh  qui  avait  le  même  nombre  d'hommes  pour  la  garder. 
On  relevait  tous  les  huit  jours  ces  petits  détachements. 

'  Les  signaux  par  le  feu  ont  eu  lieu  de  toute  antiquité;  Polvbe,  Tile- 
Live,  Vegrce  en  parlent,  et  Jules  Africain  nous  apprend  que  pour  cela 
on  faisait  de  grandes  provisions  de  bois  sec,  de  chaume,  de  paille  et  de 
branchages  d'arbres,  et  il  ajoute  qu'en  jetant  de  la  graisse  sur  ces  ma- 
tirrcs  on  produisait  beaucoup  de  flamme  et  une  fumée  très-épaisse  qui 
s'élevait  par  tourbillons.  On  appelle  en  catalan  ces  feux,  alimarias, 
d'où  est  veim  le  dicton  fer  alimarias,  faire  des  embarras,  beaucoup  de 
bruit  pour  rien  ;  en  espagnol  almcnara,  feu  de  signal,  appelé  ainsi  parce 
qu'on  l'allumait  sur  les  hautes  tours,  ou  aUdayas,  nommées  mimu  ou 
menas  en  arabe. 


CHAPITRE   DOUZIÈME.  403 

urait  passé  la  frontière  et  se  trouverait  sur  les  terres 
TAragon,  le  guetteur  devait  renouveler  le  feu,  et  le 
lire  durer  plus  longtemps  que  les  fois  précédentes, 
ja  tour  du  phare  de  Perpignan ,  qui  était  au  château 
oyal ,  et  probablement  celle  qui  en  termine  la  cha- 
melle, était  chargée  de  répéter  immédiatement  le 
ignal  donné  par  la  première  vigie,  pour  que  de  là  il  fût 
ransmis  de  tour  en  tour  jusqu*à  celles  qui  sont  au  re- 
ers  des  Pyrénées  ^  Une  circidaire  écrite  le  1 5  dé- 
embre  de  cette  année  par  le  gouverneur  des  deux 
omtés  aux  commandants  des  tours  les  informa  que 
inq  cents  lances  étaient  prêtes  à  entrer  en  Roussillon  ; 
«pendant  aucune  tentative  ne  fut  faite  de  tout  cet 
iver.  Ce^e  circulaire  fut  présentée  le  1 6,  au  châte- 
ain  d*Opol ,  le  1 7  à  celui  du  château  de  Força-Real , 
1  successivement  à  tous  les  alcaydes  ou  commandants 
tt  châtelains  des  tours  et  châteaux  de  la  frontière 
lu  Roussillon,  ainsi  quil  conste  du  visa  apposé  au 
las  de  cette  même  lettre  ^;  de  là  le  nom  de  circulaire 
lonné  à  ces  missives.  Ce  moyen  abrégeait  le  travail 
le  bureau,  à  une  époque  où  l'administration,  étant 
Boins  compliquée ,  n'exigeait  pas  un  si  grand  nombre 
le  scribes,  mais  elle  causait  une  grande  perte  de 
emps,  par  T obligation  où  était  le  même  messager  de 
urésenter  sa  lettre  circulaire  à  tous  ceux  qui  devaient 
^n  prendre  connaissance. 
L'infant  d'Aragon  après  avoir  lui-même  compromis 

*  Arch.  dom,  —  *   Ibidem. 

a6. 


iISS. 


404  LIVRE   DEUXIEME, 

son  lieaii-frère,  cherrhait  à  regagnera  ses  dépens  la 
confiance  (lu  roi.  Sur  1r  prétexte  que  le  comte  d'Am- 
purias  avait  appfl<^*  aiipii-s  de  lui  beaucoup  pliis  de 
fortes  françaises  qu'il  ne  l'avait  cngagi*  à  le  laîre', 
Juan  prend  à  Fipii^res  trais  cents  chevaux  de  ^a^ 
mie  que  rommandaîl  le  comte  de  Foroia ,  frère  de  11 
reine,  qni  venait  dr  lever  le  siège  de  Verges,  traverse 
le  RousKillon  pendant  la  nuit,  dans  iv  plus  grand  si- 
lence, entre  dans  lesCorliitVes,  arrive  à  la  pointe  do 
jour  à  Durban,  où  se  i-éunissaient  les  compagnie! 
françaises  destinées  k  entrer  en  Ampourdan  ,  les  sur- 
prend pendant  leur  sommeil,  cl  fuit  prisonniers  les 
principaux  chefs  qu'il  emmène  à  Perpignan. 

Cette  action  hai-die  plut  singulièrement  311  roi.  qui 
doutait  des  dispositions  de  son  fds  pour  l'art  de  la 
guerre,  mais  elle  ne  servit  en  rien  les  vues  de  doa 
Juan.  Devenant  au  contraire  de  plus  en  plus  odieuii 
la  reine,  celle  princesse  se  mil  k  inlrigner  pour  lui 
faire  perdre  les  droits  qu'il  tenait  de  sa  naissance,  et 
Pèdre,  dont  la  faiblesse  pour  sa  femme  se  manifestait 
principalement  par  les  poursuites  qu'il  dirigeait  contre 
son  propre  sang ,  ne  sut  pas  lui  résister  :  par  son 
ordre,  un  procès  fut  entamé  contre  son  fils,  pourie 
déclarer  indigne  de  lui  succéder  et  faire  tomber  la 
couronne  sur  la  tète  de  l'enfant  de  l'ambitieuse  reme. 
Des  cricurs  publics  promulguèrent  dans  toutes  1» 
villes  du  royaume  des  défenses  expresses  do  roi  it 
'   Abarca,  An^.  dr  Aragon,  loni.  II. 


CHAPITRE   DOUZIÈME.  kOb 

reconnaître  à  l'avenir  lautorité  de  l'infant  en  sa  qua- 
lité de  futur  héritier  du  trône. 

Un  acte  aussi  révoltant  d'injustice  et  de  tyrannie 
ne  pouvait  pas  être  admis  en  Aragon ,  où  les  consti- 
tutions du  royaume  offraient  aux  princes  et  aux 
peuples  lésés  dans  leurs  droits  un  recours  légal  contre 
l'abus  de  la  puissance  royale  elle-même.  Le  premier 
mouvement  de  l'infant  avait  été  de  se  joindre  à  son 
beau-frère ,  pour  soutenir  par  les  armes  les  privilèges 
de  sa  naissance;  mais  l'inégalité  des  forces  qu'ils  au- 
raient pu  opposer  à  celles  du  roi  lui  faisant  bientôt 
abandonner  ce  dessein ,  il  recourut  à  la  voie  de  la 
justice ,  la  seule  en  effet  qu'il  avait  à  invoquer,  puis- 
qu'il était  assez  heureux  pour  qu'il  y  eût  dans  le 
royaume  un  tribunal  compétent  pour  connaître  de 
Fexcès  de  l'autorité  souveraine.  Dominique  Cerdan , 
jasticia  d'Aragon,  à  qui  l'infant  présenta  sa  requête, 
trouvant  ses  plaintes  justes  et  fondées ,  et  l'édit  du  roi 
contraire  aux  constitutions  et  aux  fors  de  la  nation , 
s'empressa  de  donner  des  lettres  inhibitoires ,  qui 
furent  publiées  dans  tout  le  royaume ,  et  qui  annu- 
lèrent l'ordonnance  du  monarque ,  forcé  par  la  loi  de 
se  rétracter. 

Le  comte  d'Ampurias ,  obligé  de  se  défendre  contre 
les  attaques  de  son  beau-père,  n'avait  pu  réunir  au- 
tour de  lui  qu'un  petit  nombre  de  gens  de  guerre  de 
Languedoc.  Au  printemps  de  i386  il  voulut  tenter       i386. 
de  rentrer  dans  ses  domaines;  mais  cette  troupe ,  avec 


'i06  LIVRE   DEUXIEME, 

laquelle  U  espérait  pouvoir  se  maînlenir  en  Ainpourdan, 
où  le  peuple  i^tait  pour  lui.  n'était  pas  suffisante  pour 
espérer  de  se  Q-ayer,  à  miiin  armée,  un  passage  A  tra- 
vers \v  Roussillon  :  Jean  fit  donc  demander  A  Gilubert 
de  Cruilles ,  gouverneur  de  la  province ,  la  liberté  de 
ce  passage.  Giiaberl  ne  n^pondit  qu'en  renouvelante 
Ions  les  alcaydcs  dos  forts  l'ordre  de  s'opposer  de 
vive  force  à  l'entrée  dfi  toute  lance  étrangère,  et  en 
faï.tant  arri'ter  les  messagers  du  comte,  qui  furent  re- 
tenus h  Caheslany.  Obligé  de  renoncer  à  conduire  M 
petite  année  par  la  grande  route,  Jean  songea  aîOTl 
îk  ia  faire  Fder  le  long  de  la  mer,  en  pi-ëvenanl  de  son 
passage  la  vicomtesse  d'Ille  et  de  Canet  qui  se  trouvait 
dans  celte  dernière  ville,  et  sur  la  neutralité  de  qui  1 
il  devait  d'autant  plus  compter,  qu'en  vertu  de  li 
ligue  qu'il  avait  signée  avec  le  comte  d'Armagnac  1« 
terres  de  cette  dame  devaient  être  respectées  par  les  j 
Français.  Don  Alonre  d'F.xerîc3,  l'un  des  chevaliers 
du  comte  d'Ampurias,  chaîné  de  s'aboucher  avec  il 
vicomtesse,  se  rendit  auprès  d'elle  dans  une  barqne; 
mais  Gilabert,  dont  l'activité  égalait  la  vigilance,  in- 
formé de  cette  démarche  par  ses  espions ,  força  ta  ri- 
comtesse  de  venir  h  Perpignan ,  rt  fit  occuper  Canet 
par  Raymond  Zaportella.  A  cette  nouvelle,  qui  décon- 
certait tous  ses  projets,  le  comte  d'Ampurias  renonçi 
h  sa  tentative,  et  rentra  en  Languedoc.  La  mort  de 
Pèdre,  arrivée  le  5  de  janvier  suivant,  mitim  terme 
^  ces  querelles  de  famille. 


CHAPITRE   DOUZIÈME.  407 

Le  lecteur  connaît  la  vie  politique  de  Pèdre  IV  ;  il 
ne  nous  reste  qu'à  porter  un  regard  impartial  sur  son 
caractère.  Si  Thistoire  de  ce  prince  contient  une  in- 
finité d'actes  qui  vouent  sa  mémoire  à  l'exécration ,  il 
en  est  aussi  une  foule  d'autres  qui  la  recommandent 
aux  honunages  de  la  postérité. 

Les  historiens  nationaux ,  imités  en  cela  par  les 
étrangers,  n'épai^nent  à  don  Pèdre  ni  le  blâme  ni 
les  injures.  Mariana  et  Ferreras  l'accusent  de  n'avoir 
cherché  que  des  prétextes  pour  enlever  la  couronne 
à  son  beau-frère;  l'annaliste  Abarca,  après  avoir  parié 
en  son  lieu  de  tous  ses  crimes ,  finit  cependant  par 
fiure  de  lui  im  éloge  brillant ,  et  avance  que  ce  fut  un 
prince  sage ,  juste  et  pieux;  il  ajoute  qu'il  fut  adonné 
aux  lettres  et  très-versé  dans  l'alchimie  et  l'astrologie. 
L'autre  annaliste  d'Aragon,  Zurita,  dont  l'esprit  judi- 
cieux, et  généralement  assez  critique  et  impartial,  ne 
se  dément  jamais  dans  tout  le  cours  de  son  histoire , 
nous  a  laissé  de  don  Pèdre  le  portrait  le  plus  odieux. 
Le  début  du  chapitre  cinquième  de  son  huitième  livre 
est  surtout  remarquable,  n  Le  caractère  de  don  Pèdre 
«et  son  naturel  furent,  dit-il,  si  pervers  et  si  portés 
aau  mal  qu'il  ne  se  signala  jamais,  et  jamais  ne  mit 
«  plus  d'ardeur  en  aucune  chose,  que  dans  la  poursuite 
tt  de  son  propre  sang.  Il  débuta  dans  son  règne  par 
«déshériter  ses  deux  frères,  les  infants  don  Juan  et 
«don  Femand,  ainsi  que  sa  mère,  la  reine Léonore , 
tt  sur  un  motif  aussi  illégitime  qu'indécent ,  et  il  fit 


M8  LIVUK   DEUXIEME. 

«  lous  ses  efTortH  pour  les  détruire.  N'y  pouvant  rémsir 
u  parce  que  le  roi  de  Castilie  prit  la  défense  de  U 
u  reine  aa  Bceur,  de  ses  neveux  et  de  leurs  domaines, 
nU  8C  tourna  contre  le  roi  de  Majorque,  son  beau- 
a  frère ,  qu'il  ne  lâcha  que  quand  il  l'eut  perdu.  Après 
u  l'avoir  dépouillé  de  son  patrimoine  avec  tant  d'înliu- 
iimanité,  il  fit  périr  ses  frères,  fun  par  le  poison, 
u  l'autre  par  le  poignard.  A  la  fin  de  sa  carrière  il 
Il  poursuivit  le  comte  d'Urgel,  son  cousin ,  et  le  comte 
M  d'Ampurias  son  gendre,  et  il  termina  enfin  sa  vie  en 
a  cherchant  â  se  défaire  de  son  propre  fiis,  son  béri- 
Ktier.n  L'annaliste  de  Catalogne,  Félùi  de  la  Pena  y 
I''^reU,  qui,  tout  f opposé  de  Zurita,  ne  se  montre 
qu'écrivain  passiomié ,  superstitieux  et  d'une  d^oû- 
tante  partialité,  assure  que  Pédre  fût  très-sage ,  pieux, 
religieux,  attentif,  curieux  et  très-brave;  seulement 
il  le  trouve  un  peu  trop  ardent  et  prompt,  et  pour 
preuve  de  ce  défaut  il  cite  la  mort  de  don  Femand, 
son  frère ,  et  celle  de  l'infante  Jeanne ,  sa  fdle ,  épouse 
du  comte  d'Ampurias,  que  l'indignation  d'avoir  reçu 
un  soufflet  de  son  père  parce  qu'elle  avait  pris  la  dé- 
fense  de  son  mari  conduisit  au  tombeau  en  peu  de 
temps  ^. 

Tous  ces  faits  ne  justifient  que  trop  la  perversité 
de  nature]  que  Zurîta  reproche  à  don  Pèdre  ;  et  ce- 
pendant les  actes  d'administration  de  ce  prince  sont, 
pour  la  plupart,  empreints  d'une  sagesse  qui  motive- 

'  Anaitt  de  CabdaÀa.  tom.  Il,  Ub.  Xltl,  cap.  xu. 


CHAPITRE  DOUZIÈME.  409 

rait  seule  les  éloges  d'Abarca  et  de  Pareil  :  citons  ceux 
de  ces  actes  qui  se  rapportent  au  Roussillon. 

L'année  même  de  Tincorporation  de  cette  province 
à  son  empire ,  Pèdre  étend  sur  elle  l'article  des  cons- 
titutions de  Catalogne  qui  soumet  toute  personne 
ayant  rempli  un  emploi  de  juridiction  à  tenir  taala, 
c  est-à-dire  à  répondre  à  tous  les  griefs  que  qui  que  ce 
soit  pourra  articuler  contre  elle  relativement  à  l'exer- 
cice de  ses  fonctions  ;  et  plus  tard  il  défend  de  pour- 
voir d'aucun  nouvel  office  tout  citoyen  qui ,  après  en 
avoir  exercé  un,  n'aurait  pas  encore  subi  cette  espèce 
de  jugement  national.  En  1 3^5  il  rend  cette  célèbre 
ordonnance  dont  nous  avons  parlé,  destinée  à  forcer 
les  clercs  du  Roussillon  à  se  tenir  dans  la  limite  des 
professions  honorables ,  et  à  savoir  se  respecter  eux- 
mêmes  pour  forcer  les  autres  au  respect.  Eln  1 35 1 
parut  de  ce  prince  une  ordonnance  non  moins  re- 
marquable dans  Imtérêt  de  la  sécurité  des  citoyens. 
Considérant,  dit-il,  qu'une  barbe  postiche  facilite 
les  homicides  en  déguisant  le  meurtrier,  il  défend 
expressément  de  s'en  affubler,  prononce  la  peine 
de  dix  années  d'exil  contre  tout  chevalier  ou  noble 
qui  en  porterait  une,  et  celle  de  la  mutilation  du 
poing  contre  le  coupable  du  même  délit  s'il  est  rotu- 
rier, et  ordonne  de  plus  que  cette  dernière  peine  sera 
paiement  appliquée  au  barbier  qui  l'aurait  fabriquée. 
Donnant  encore  plus  d'extension  à  l'acte  de  justice 
ît  d'humanité  de  Jayme  II,  Pèdrc  défend  d'infliger 


410  LIVRE    DEUXIÈME. 

aucune  peint  corporelle  et  d'applûpier  aucun  cou- 
pal>tf>  Â  la  torture  avant  d'avoir  ouï  su  défense. 

C'est  !\  ce  prince  (pie  ic  Roussillon ,  qu'il  semble 
avoir  voulu  s'attacher  par  la  reconnaissance  après  l'a- 
voir subjugué  par  la  corruption  et  la  teiTeur,  dut  t'a- 
Vfintagc  de  posséder  une  oniversité.  D^jà ,  dès  1 3aâ, 
dea  clasKOii  d'Études  avaient  été  fondées  daiu  Perpi- 
gnan par  i'évèquc  d'Elne,  Bt-rcnger  VII;  mais  ce 
n'était  proprement  lyue  pour  l'instruction  des  ecdé- 
aiastique.H  '.  Par  une  pragmatique  datée  du  i  5  des  ca- 
lendes d'avril  i  3^g,  Pj^dre  fonda  daus  la  même  ville 
une  université  pour  l'instniction  des  laïques,  et  ceux 
qui  éludiaicnl  sous  les  professeurs  qui  y  furent  établit 
purent  obtenir,  en  vertu  de  cette  charte  d'institution, 
les  mêmes  pril-ro^atives  que  les  étudiants  en  l'univer 
site  de  Lérida.  Le  préambule  de  cette  pièce  remar- 
fpiahle  mérite  d'être  signalé.  Pédre  considérant  u  que 
»  If  Roussillon  abonde  en  aliments  ',  par  la  disposition 
u  de  son  sol ,  suivant  le  vœu  de  la  divine  providence, 
«et  désirant  qu'il  abonde  aussi  en  instruction;  vou- 
«lant  féconder  les  sciences  dans  ses  états  pour  que 
uses  sujets  puissent  y  recueillir  les  fruits  des  con* 
H  naissances  qu'Us  sont  obligés  d'aller  chercher  arec 

'  Manuscrit  da  chaDoine  Coma,  pag,  il  S. 

*  Une  lettre  de  Pèdre  IV  à  ion  procureur  t<fjd,  du  lè  àécOÊk* 
i36>,  fait  coDDutre  que  le  vUt  muicat  de  PvpgDau  ou  peut-eu^ 
Rivesaltej,  était  déjà  tr^s-renammé  i  celte  époque,  puitqne  ce  fnutt 
le  chargp  de  lui  en  envoyer  i  Barcelone  trois  sommées,  de  manière  la 
qu'il  arritc  pour  les  ilte*  de  Noél. 


CHAPITRE   DOUZIÈME.  411 

«grande  peine  chea  les  nations  étrangères»  et  qu'ils 
«  trouvent  de  quoi  contenter  à  cet  égard  leur  avidité; 
«  sur  la  demande  des  consuls  de  Perpignan  et  sur  le 
a  désir  qu'il  a  de  favoriser  de  tout  son  pouvoir  toute 
«  espèce  d'augmentation  de  prospérité  dans  sa  princi- 
«pauté,  et  éviter  d'inutiles  dépenses  aux  habitants 
«  de  Perpignan  que  l'aménité  de  son  site ,  la  fertilité 
«  de  son  sol ,  la  profondeur  dans  les  sciencea  des  doc- 
«  teurs  qui  y  résident  rendent  compétente  pour  une  si 
«grande  entreprise;  »  à  ces  causes  il  fonde  dans  cette 
vflle  une  université  pour  l'enseignement  de  la  théo- 
logie, du  droit  et  des  arts  ^ 

En  voyant  une  si  grande  contradiction  entre  les 
actes  d'administration  du  roi  don  Pèdre  et  sa  con- 
duite» ne  dirait-on  pas  que  ce  prince  réunissait  dans 
sa  nature  les  deux  principes  du  bien  et  du  mal  ?  Pèdre 
fut  méchant  par  ambition  et  par  caractère,  et  bon 
par  politique  et  par  calcul  ;  et ,  à  cet  égard ,  le  lan- 
gage cauteleux  et  adulateur  du  préambide  que  nous 
venons  de  citer  en  faveur  des  RoussiUonnais  en  gé- 
néral et  des  Perpignanais  en  particulier,  rapproché 
de  la  conduite  que  tint  ce  prince  envers  les  seigneiu^ 
de  ce  pays ,  malgré  les  dangers  imminents  dont  leur 
entourage  le  menaçait  de  la  part  de  Ymnion,  en  dit 
[dus  que  les  plus  longs  discours.  Enclin  au  despo- 
tisme, mais  forcé  de  se  contenir  dans  les  limites  des 
constitutions  du  pays,  Pèdre  saisit  avec  empresse- 

'  Àrch,  dom. 


tIS  LIVKE    DEUXIKME. 

ment  toutes  les  occasions  d't^tctidre  sa  puissance,  et 
la  victoire  d'Epila  vint  parfaitempnt  seconder  ses  vue» 
en  lui  donnant  la  facuiti^  de  pouvoir  détruire  l'ancien 
privilège  de  l'union  devenue  séditieuse;  mais  là  dut 
s'arrêter  sa  haine  contre  les  institutions  qui  le  contra- 
liaient,  et  sa  vengeance  contre  ceux  qui  lui  avaient 
tenu  ttite.  Les  Espa^^iols  donnent  à  Pèdre  IV  le  titre 
de  grand  roi,  et  en  considérant  tout  ce  que  ce  prince  a 
fait  en  guerre ,  en  politique,  en  adminiâtration ,  on  ne 
peut  s'empi^cher  de  le  lui  confirmer;  mais  le  litr«  de 
grand  nVst  pas  synonyme  de  bon ,  de  juste  ni  de  cons- 
ciencieux, qualitt'S  qui  seides  font  l'honnête  homme. 
Les  crimes  de  don  Pèdre  prii'ent  naissance  dans  ce 
caraclère  de  hauteur  et  de  fierté  qui  lui  faisait  exi- 
ger (ant  de  déférences  et  de  soumission  de  la  part 
de  ceux  fjui  l'approchaient,  et  dans  une  politique 
ambitieuse,  astucieuse  et  absolue  qui  ne  connaissait 
ni  amitié  ni  liens  du  sanj;.  Aux  nombreuses  preuves 
qu'il  avait  données  de  ce  caractère,  durant  tout  le 
cours  de  son  règne ,  il  en  ajouta ,  h  l'heure  de  sa  mort, 
une  dernière  qui  n'est  pas  la  moins  remarquable.  Ce 
prince  avait  imposé  à  don  Juan ,  son  fds  et  son  suc- 
cesseur, quelques  obligations  à  remplir.  Pour  être 
assuré  que  ses  derniers  ordres  seraient  exécutés  avec 
la  même  exactitude  que  s'il  était  vivant  il  ordonna, 
par  un  dernier  codicille,  à  tous  les  prélats,  barons, 
chevaliers  et  k  tous  ses  sujets  en  général,  de  ne  pas 
reconnaître  son  fils  pour  leur  roi,  et  de  ne  pas  lui 


CHAPITRE   DOUZIÈME.  413 

prêter  serment  de  fidélité  s'il  ne  remplissait  pas  ponc- 
tuellement ses  volontés ,  ajoutant  que  s'ils  ne  faisaient 
pas  eux-mêmes  ce  qu'il  leur  prescrivait  il  les  frappait 
d'avance  de  sa  dernière  malédiction  ^.  On  peut  dire 
que  sous  le  plus  grand  nombre  de  rapports  Pèdre  fut 
le  chef  de  l'école  dans  laquelle  se  distinguèrent  après 
lui,  don  Juan  II,  Louis  XI  et  Ferdinand  le  Catho- 
lique. 

Au  nombre  des  actes  d'administration  de  Pèdre  IV 
se  trouve  une  ordonnance  rendue  en  1 3 5o,  le  1 7  dé- 
cembre ,  à  Perpignan ,  par  laquelle  il  est  défendu  de 
compter  à  l'avenir  le  temps  par  l'ère  de  César,  et  qui 
prescrit  de  n'employer,  pour  la  date  des  actes  publics 
et  particuliers,  que  l'ère  de  la  Nativité  de  Jésus-Christ. 

Une  autre  ordonnance ,  dont  le  but  était  tout  poli- 
tique et  qui  fut  rendue  le  22  juillet  1 364,  avait  forcé 
les  généreux  ou  gentilshommes  de  Roussillon  à  se  faire 
recevoir  chevaliers  dans  le  courant  de  l'année.  La 
générosité  étant  en  Aragon  comme  dans  toute  l'Es- 
pagne le  dernier  degré  de  la  noblesse,  celui  qui  avait 
obtenu  celte  distinction  se  trouvait  exempté  des 
charges  municipales  et  des  impositions  roturières.  Sa 
qualité  de  généreux  l'assujettissait  bien  à  un  service 
militaire ,  mais  ce  service ,  très-facile ,  était  rarement 
exigé.  Le  chevalier,  au  contraire,  s' obligeant  par  ser- 
ment à  sacrifier  à  tout  instant  sa  vie  pour  le  bien 
public,  devait  avoir  incessamment  un  cheval  équipé 

^  Zurita. 


UMi  LIVRE   nEllXIEME. 

iivpc  tout  l'attirail  d'un  homme  de  guerre,  afin  iv 
pouvtiir  marchor  au  preniîor  s^al.  Pèdre,  qui  vou- 
lait Irouvrr  dans  sa  noblc-ssc  im  corps  de  cavalerie 
redouUiliip  Pt  toujours  pn;t  k cotubattre,  ^taït  inlcrcssé- 
à  ce  que  (es  nomhreux  généreux,  qu'il  avait  créés  parm^ 
ceux  qiii  avaient  servi  sa  cause,  devinssent  cheva- — 
lîers,  et  il  leur  en  Ct  un  devoir  sous  peine  de  perdra 
leur  qualité. 

Une  disposition  an-ét^e  en  iS^o,   et  renouvelé^ 
cinq  ans  après,  dt^fendail  de  laisser  sortir  dn  Rous- 
sillon  i'or,   l'argent  et  le*  chevaux.  Toute  personne 
qui  arhrtait  un  cheval  était  tenue  d'en  faire  la  décli- 
ration,  le  jour  mâme,  i\  la  cour  du  domaine  poor 
qii'on  pût  être  assuré  qu'il  ne  s'en  emportait  pas  en 
France  ',  A  cette  époque  la  race  des  chevaux  de  Ce^ 
dagne  était  bonne,  estimée  et  recherchée. 

Avant  que  les  deux  comtés  de  Ccrdagne  et  (le 
RûuMitlon  fussent  tombés  soits  la  domination  des  nÛ  ^v 
d'Aragon  par  le  testament  de  leurs  derniers  comta 
héréditaires,  les  assemblées  des  cœIs  n'y  étaient  p» 
connues  '  -,  ce  ne  fut  même  que  trente-cinq  ans  «{Mil, 
que  le  roi  Pèdre  II  vint  tenir  la  première  de  cet  t*- 
semblées  pour  la  province.  La  réunion  en  eut  lieu  1 
Puycerda,  et  dans  ces  corls  fut  rendu  l'édit  parleqod 

'  Arth.  àotn. 

*  Les  ccaite*  lenaient  lenn  plaids,  mais  les  nobla  Mob  «ne  k 
haut  clergé  y  assisUieot.  Cependanl  il  y  avait  des  auemblëcï  pcfHi- 
Uires  pour  l'élection  des  niagistrals  et  des  évoques.  Voyet  i  cet  égtri 
rhisinire  du  droit  municipl  de  M.  Baynouard. 


CHAPITRE   DOUZIÈME.  415 

Pèdre  règle  ce  qu*il  y  aura  à  faire  contre  les  magnats 
du  royaume  et  tous  autres  qui  refuseraient  de  donner 
des  garanties  pour  le  maintien  de  la  paix  et  trêve. 
Aux  ^différentes  corts  qui  furent  tenues  ensuite  en  Ca- 
talogne, sous  Jayme  le  Conquérant,  le  comte  apana- 
giste  de  Roussilion  fut  appelé  comme  représentant  de 
ces  comtés.  Pendant  toute  la  durée  de  la  monarchie 
de  Majorque  aucunes  corts  ne  furent  convoquées 
dans  ce  royaume,  parce  que  Pèdre  III,  ayant  imposé 
violemment  sa  suzeraineté  au  premier  roi  de  ce  nou- 
veau royaume,  et  le  droit  de  convoquer  ces  assem- 
blées n  appartenant  qu*au  souverain.,  Jayme  I*,  de- 
venu simple  feudataire  du  roi  d* Aragon ,  s'en  trouva 
dépossédé  par  le  fait,  et  que,  aux  termes  mêmes  de 
Tacte  de  vasselage  qu*il  avait  été  forcé  de  souscrire , 
il  devait  aller  représenter  lui-même  ses  fiefs  aux  corts 
de  Catalogne  comme  l'avaient  fait  les  comtes  apana- 
gistes.  Après  Textinction  du  royaume  de  Majorque  le 
roi  d'Aragon,  voulant  faire  participer  les  deux  comtés 
au  privilège  de  la  représentation  aux  corts  générales  de 
Catalogne ,  Pèdre ,  par  sa  pragmatique  du  1 2  des  ca- 
lendes d'août  i344,  c'est-à-dire  du  cinquième  jour 
après  son  entrée  dans  Perpignan ,  établit  qu'à  l'avenir, 
toutes  les  fois  que  ces  sortes  d'assemblées  auraient 
lieu  à  Barcelone  ou  dans  toute  autre  ville  de  Cata- 
logne ,  les  syndics  de  la  ville  de  Perpignan  y  seraient 
appelés  ainsi  que  les  barons,  chevaliers  et  tous  autres 
des  deux  comtés  ayant  droit  d'y  assister. 


41fi  tlVRB   DEUXIEME. 

Plusieurs  fléaux  désok'rent  le  î\oiissîllon  soiu  \f 
ri'gru!  de  Pètlre  IV.  Nous  ne  pai'loi'ons  pas  de  diverse» 
secousses  àc  tremble  ment  de  terre  qui  ne  produisirent 
aucun  désastre  ',  m»is  nous  citerons  de  miellés  mtr- 
(alités  qui  décimtreut  h  population.  D'abord  eu  mars, 
avril,  mai  et  juin  iS/|8,  \me  peste,  ou  toute  autre 
rontigion  sous  re  nom  générique,  exerça  les  plus 
grands  ravnges  diins  toute  la  Catalogne  et  l'Angon, 
mais  sévit  de  la  manière  la  plus  terrible  sur  Perpignan, 
où  il  périt  très-soavent  plus  de  mille  personnes  ]«r 
jour  '.  I^a  gi-andr  pénurie  de  personnes  instniil» 
pour  remplir  les  places  de  l'administration  et  \es 
fom-tions  publiques,  causée  par  cette  aOreuse  morta- 
lité ,  força  le  roi  d'Aragon  it  se  relâcher  momentané- 
ment de  ia  défense  qu'il  avait  faite  de  laisser  occuper 
ces  charges  par  les  rlcrcs.  Une  autre  mortalité  non 
moins  désolante  se  manifesta  dans  Perpignan  eo 
jaîllet,  août  et  septembre  i36i,  et  celle^à  exa^  ■ 
principalement  ses  ravages  sur  les  enfants;  enlîn,  en 
1 570.  la  même  maladie  se  renouvela,  et  la  mortaiiié 
porta  sur  les  jeunes  gens ,  dont  un  très-grand  nombrt 
périt  pendant  les  sbc  derniers  mois  de  l'année.  Noui 
n'avons  trouvé  nulle  part  des  indications  sur  la  nature 
et  le  caractère  précis  de  cette  maladie. 

'  Voyei  note  m. 

' Fuil  in  terra  ista  magna  mortatitat  gentiiun ,  talitn  qM' 

de  decem  persoDU  vix  una  renianail,  quia  id  una  di«,  mille  peW 
el  plu*,  ampiuinif  in  hac  villa  moriebantur,  Libro  viiidi  minan,  «sli  Jf 
morialilatf. 


CHAPITRE   DOUZIÈME.  417 

  Pèdre  IV  succéda  don  Juan ,  duc  de  Girone,  son  juan  i« 
Ss;  et  ce  qu'il  y  a  de  remarquable  encore  dans  les  '^*^' 
ctes  de  ce  roi,  c*est  que  lui,  qui  avait  suscité  une 
;uerre  civile  dans  ses  états  pour  assurer  la  couronne 
TAragon  à  sa  Sile ,  au  préjudice  de  ses  frères ,  con- 
rairement  aux  usages  du  royaume ,  finit  dans  son  tes- 
ament  par  exclure  absolument  toute  femme  de  sa 
iuccession,  en  substituant  à  don  Juan  Tinfant  don 
Martin ,  son  second  fils ,  si  le  premier  mourait  sans 
léritier  mâle,  et  à  Martin,  ses  neveux  et  arrière- 
leveux,  ou,  à  défaut  de  ceux-ci,  Tenfant  qu'il  avait 
m  de  Sy bille  de  Forcia. 

L'Aragon  ne  pouvait  jouir  d'une  longue  paix.  De- 
puis longtemps ,  soit  par  ses  propres  agressions ,  soit 
pour  repousser  celles  de  ses  voisins  ou  pour  faire 
valoir  des  droits  fondés  ou  équivoques  sur  des  pays 
bintains,  la  guerre  semblait  être  devenue  l'âme  de 
se  royaume,  le  tumulte  des  camps  le  seul  délassement 
ie  ses  citoyens.  La  Gastille,  la  Navarre,  la  Sicile,  la 
Sardaigne,  la  France,  Majorque,  les  pays  encore  pos- 
lédés  par  les  Maures  d'Espagne ,  les  grands  vassaux 
le  sa  couronne  étaient  le  but  contre  lequel  sa  va- 
leur s'exerçait  tour  à  tour.  Des  prétentions  quelque- 
fois fondées ,  souvent  injustes ,  le  plus  ordinairement 
douteuses;  des  inimitiés  de  famille,  des  tracasseries 
domestiques  étaient  sans  cesse  la  cause  ou  le  prétexte 
de  nouvelles  hostilités,  et  servaient  d'excuse  à  Thu* 

meur  belliqueuse  de  ses  rois. 

I.  117 


418  LIVRE   DEUXIÈME. 

Celui  qui  venait  de  succéder  à  un  prince  dont  un 
demi-siècle  de  règne  $*était  passé  en  entier  au  milieii^ 
des   combats  ne  pouvait  manquer  de  revêtir  lui^ 
même  la  cuirasse.  Ce  fut  moins  cependant  par  s^ 
propre  inclination  que  pour  obéir  à  Timpulsion  d^ 
son  siècle  et  è  une  sorte  d'inquiétude  martiale  qui 
agitait  Tesprit  des  grands  de  son  royaume,  que  don 
Juan  I*  tira  Tépée. 

Les  historiens  montrent,  en  effet,  ce  prince 
comme  plus  porté  à  la  paix  qu*à  la  guerre ,  et  comme 
moins  sensible  à  la  gloire  des  armes  qu'aux  charmes 
de  la  poésie  et  aux  douces  inspirations  des  trou- 
badours. 

Au  reste ,  jamais  peut-être  le  portrait  d*un  roi  ne 
s'est  offert  au  jugement  de  la  postérité  moins  ressem- 
blant è  Toriginai  que  celui  que  les  historiens  nous 
ont  laissé  de  don  Juan.  Suivant  Zurita,  le  roi  don 
Pèdre,  son  père,  le  regardait  comme  trop  humain 
pour  être  un  bon  homme  de  guerre.  Mariana  lui  ac- 
corde une  très-grande  alTabilité,  «un  fonds  de  bonté 
a  et  de  douceur  qui  le  rendait  incapable  de  faire  du 
(•  chagrin  à  personne ,  à  moins  qu'on  ne  Tirritât  par 
«  quelque  offense  considérable.  »  Le  lecteur  jugera 
par  les  faits  de  la  vérité  de  fapologie. 

Cet  infant  don  Juan ,  qui  s'était  montré  si  ingrat 
envers  son  beau-frère,  malheureux  parle  seul  fait  de 
sa  condescendance  pour  lui,  ne  démentit  pas  ce  ca- 
ractère en  montant  sur  le  Irone.  A  peine  y  fut-il  assis, 


CHAPITRE  DOUZIÈME.  419 

dr  d*une  maladie  qui  avait  mis  ées  jours  en 
,  k  Girone ,  qu'il  rendit  à  sa  beUe-mère ,  avec 
irayante  usure ,  tous  les  maux  qu'il  avait  reçus 
La  veille  de  la  mort  dé  don  Pèdre,  cette  prin- 
pour  éviter  les  effets  du  ressentiment  des  in- 
i'était  enfuie  de  Barcelone  avec  son  frère ,  don 
d  de  Forcia  et  le  comte  de  Pdlas;  mais  le 
monarque  n'avait  pas  encore  les  yeux  fermés, 
y  à  le  frère  cadet  de  don  Juan,  l'infant  don 
,  se  mettait  à  sa  poursuite.  Assiégée  dans  le 
Il  de  sa  famille,  elle  fat  forcée  de  se  rendre,  et 
^e  à  Barcelone.  Juan  la  fit  enfermer  dans  une 
prison.  Bientôt  ce  prince  eut  l'indignité  de  la 
ppliquer  à  la  question  pour  de  prétendus  sor- 
dont  un  juif  l'accusait  de  s'être  rendue  cou- 
ses complices,  c'est-à-dire,  ses  amis,  furent 
avec  la  même  barbarie,  et  périrent  presque 
une  mort  violente.  Cette  princesse  elle-même 
^a  ses  jours  que  par  la  vive  intercession  du  car- 
égat,  et  par  l'abandon  qu'elle  fit  à  la  jeune 
Violante ,  de  tous  les  domaines  dont  le  feu  roi 
apanagée.  C'est  à  la  même  intercession  que 
d  de  Forcia  et  le  comte  de  Pallas  furent  rede- 
de  la  vie.  De  tous  les  grands  biens  que  la  reine 
»  avait  possédés,  il  ne  lui  resta,  pour  vivre, 
igt-cinq  mille  sous  de  rente  que  lui  donna  don 
Les  amis  de  don  Pèdre ,  et  entre  autres  ce  Gi- 
de Cruillcs,  gouverneur  de  Roussillon,   qui 

27- 


420  LIVRE   DEUXIÈME, 

avait  rendu  de  vrais  services  à  la  monarchie  par  son 
inébranlable  fidélité,  furent  aussi  emprisonnés  et 
poursuivis  avec  plus  ou  moins  d*achamement  ;  enfin 
le  comte  d*Ampurias  lui-même,  ce  prince  qui  depuis 
trois  ans  était  dépouillé  de  ses  domaines  et  avait 
éprouvé  toutes  les  misères  et  les  calamités  d'une 
guerre  haineuse  dont  le  nouveau  roi  était  seid  la  cause, 

i388.  dut  passer  aussi  par  Tépreuve  d*un  injuste  emprison- 
nement, et  d'un  procès  plus  injuste  encore,  avant  de 
rentrer  dans  la  possession  de  ses  terres ,  que  la  seule 
volonté  du  roi  pouvait  lui  rendre,  conune  seule  elle 
Ten  avait  privé.  Pour  soutenir  des  dépenses  au-dessus 
de  ses  moyens ,  Juan  augmenta  les  impôts ,  et  souleva 
ainsi  une  indignation  générale.  Une  réunion  de  sei- 
gneurs eut  lieu  à  Galasans;  cette  réunion  fut  mena- 
çante ,  et  une  guerre  civile  était  sur  le  point  d'éclater, 
quand  Juan,  intimidé,  mit  de  la  réforme  dans  sa 
conduite  et  éloigna  d'auprès  de  sa  femme  ime  in- 
trigante dont  les  perfides  conseils  avaient  déjà  lait 
commettre  bien  des  fautes.  Cette  détermination  du 
roi  lut  très-heureuse  :  la  guerre  qui  ne  tarda  pas  à  se 
renouveler  sur  la  frontière  d(^  France  eût  pu  devenir 
fâcheuse  pour  le  monarque,  s'il  avait  été  encore  sé- 
par(^  de  ses  barons. 

^^^0-  Les  historiens  de  l'autre  côté   des  Pyrénées  pré- 

tendent ([ue  ce  fut  sans  sujet  que  le  comte  d'Ar- 
nia^nac  se  jeta  sur  le  Roussillon  et  fAmpourdan;  ils 
n'iijnoraient  pas  cependant,  et  quelques-uns  favouent 


\ 


CHAPITRE  DOUZIÈME.  ^21 

même ,  que  le  prince  français  avait  des  droits  à  faire 
valoir  contre  le  monarque  aragonnais. 

Après  la  mort  de  Louis  I"^,  duc  d'Anjou  et  roi  de 
Naples,  la  marquise  de  Montferrat  avait  transporté  à 
Jean  ni,  comte  d*Annagnac,  ses  droits  à  la  couronne 
de  Majorque ,  et  ce  comte  avait  fait  entrer  en  Rous- 
sillon,  sous  les  ordres  de  Bernard,  son  frère,  une 
année  recrutée  parmi  ces  restes  de  bandes  françaises 
et  gasconnes  qui  brigandaient  encore  dans  les  pro- 
vinces de  Touest  et  du  midi.  Les  dispositions  arrêtées 
par  don  Juan  contre  les  prisonniers  de  guerre,  dans 
cette  irruption  du  comte  d'Armagnac,  sont  conformes 
à  f  état  des  gens  que  Bernard  emmenait  avec  lui.  Le 
a 3  juin  iSgo  ce  monarque  prescrivit  au  gouverneur  .j^^, 
de  Boussillon ,  don  Gilabert  de  Gruiiles,  renvoyé  à 
son  poste  à  sa  sortie  de  prison,  de  n'autoriser  la  ran- 
çon d'aucun  des  hommes  d'armes  oa  pillards  ennemis 
qui  tomberaient  en  son  pouvoir  :  tous  devaient  être 
retenus  en  prison  ou  vendus  comme  esclaves ,  et  seu- 
lement à  des  sujets  du  roi  d* Aragon  ^. 

Le  comte  d'Armagnac ,  instruit  par  l'expérience  du 
duc  d'Anjou,  savait  très-bien  que  tout  autre  moyen 
que  celui  des  armes  était  inutile  pour  ressaisir  une 
com^onne.  Aussi ,  sans  perdre  de  temps  en  vaines  né- 

^  No  puga  ningos,  lo  dit  hom  d'armes  o  pillart  presoner,  dar  à 
alcan  réscat;  ans,  envers  si  aquell  haya  à  retenir  presoner  o  vendre  d, 
si  mes  amarà,  per  càtice  à  hom,  mes  natiiral  del  dit  senyor,  e  no  a 
a)lra  qnalsevol  persona.  Liber  provitionam. 


422  LIVRE   DEUXIÈME. 

gociations ,  il  avait  £ût  traverser  rapidement  le  Rous^ 
sillon  à  son  armée ,  qui  avait  pénétré  en  Ampourdan 
sans  obstacle ,  pris  Bascara  de  vive  force ,  et  qui  me- 
naçait encore  d'autres  places.  Bernard  d'Armagnac 
était  depuis  six  mois  en  Catalogne,  qnand  le  roi 
d* Aragon  se  trouva  enfin  en  mesure  de  marcher 
contre  lui. 

Pendant  que  toutes  les  places  de  la  principauté  ré- 
paraient en  diligence  leurs  fortifications  et  que  Gih- 
bert  de  Gruilles  réunissait  dans  Perpignan  les  forces 
qu'il  avait  à  sa  disposition  pour  garder  la  province  et 
couper  la  retraite  à  Tennemi ,  Juan  partait  de  Girdne 
pour  livrer  bataille  aux  Français,  avant  qu'ils  ne 
fussent  joints  par  les  renforts  qu'il  savait  qu'on  levait 
en  Languedoc.  Bernard  ne  l'attendit  pas  ;  trop  fidbie 
pour  tenir  tête  à  l'armée  aragonnaise  avec  ce  qu'il 
avait  de  monde ,  il  repassa  la  frontière ,  et  se  jeta  dam 
les  Corbières ,  sans  que  Gilabert  de  Gruilles  pût  s'op- 
poser à  son  passage.  Le  roi  Juan,  parti  de  Gironde 
3i  mars,  vint  à  Perpignan,  où  il  s  arrêta  jusqu'au 
mois  de  juin,  qu'il  retourna  à  Barcelone. 

Les  Français,  en  quittant  TAmpourdan  pour  gagner 
les  Corbières,  avaient  eu  pour  principal  objet  la  sû- 
reté de  leur  butin,  qu'ils  voulaient  mettre  hors  des 
atlcintcs  des  Aragonnais.  A  peine  eurent-ils  appris 
que  don  Juan  avait  repassé  les  Pyrénées,  que,  se  je- 
tant de  nouveau  sur  le  Roussillon,  ils  ravagèrent  le 
pays  et  se  hâtèrent  d'emporter  dans  les  montagnes  le 


CHAPITRE  DOUZIÈME.  425 

finit  de  leurs  nouvelles  déprédations.  Une  troisième 
incursion  eut  bientôt  lieu,  et  dans  celle-ci  ils  tentèrent, 
mais  vainement,  d'escalader  le  château  de  Força- 
Real  :  ces  irruptions ,  qui  se  renouvelèrent  successi- 
vement contre  Mosset,  Salses,  Saint-Hippolyte  et 
d'autres  lieux  tour  à  tour  pillés  et  dévastés ,  avaient  ré- 
pandu la  consternation  et  Teflroi  dans  le  pays.  Le  gou- 
verneur de  Roussillon  ne  savait  plus  conunent  arrêter 
des  courses ,  qui ,  se  faisant  avec  une  rapidité  extrême 
sur  des  points  inconnus,  et  favorisées  par  les  diffé- 
rents passages  des  montagnes,  mettaient  en  défaut 
tous  les  moyens  qu'on  pouvait  employer  :  il  imagina 
d'user  de  représailles.  Informé  par  un  espion  que 
l*un  des  principaux  capitaines  des  ennemis,  le  sei- 
gneur de  Fraisse,  avait  quitté  Rhodes  où  était  le 
quartier-général,  pour  aller  passer  dans  son  château 
la  fête  de  Notre-Dame  d'août,  il  part  de  Perpignan  ce 
jour-là  même,  arrive  le  lendemain  à  la  pointe  du 
jour  avec  soixante  chevaux  et  soixante  arbalétriers 
devant  le  château  de  Fraisse,  qu'il  surprend;  mais  le 
seigneur  en  était  déjà  reparti.  Avant  de  se  retirer, 
Gilabert  incendia  le  village  et  son  château. 

Le  succès  de  cette  expédition  démontrant  la  possi-  1391. 
bilité  de  faire  une  guerre  de  partisans,  le  gouverneur 
de  Roussillon  rechercha  les  occasions  de  rendre  aux 
ennemis  le  mal  qu'il  en  recevait  dans  sa  province. 
L'année  suivante,  pendant  que  les  Français  recom- 
mençaient   leurs   irruptions  et   qu'une   fois,   entre 


424  LIVRE   DEUXIEME, 

autres,  ils  s  avançaient  jusqu'au  pont  de  la  Tet,  sous 
Perpignan,  il  envoya  contre  le  château  de  Rassi- 
guières,  Raymond  d*Àbella,  capitaine  d'une  com- 
pagnie cantonnée  à  Baixas,  Arnaud  de  ServeUon,  qui 
occupait  Rivesaltes ,  avec  la  sienne ,  quelques  autres 
cavaliers  et  deux  cents  arbalétriers  ;  mais  cette  expé- 
dition ne  réussit  pas  :  les  Roussillonnais,  battus, 
éprouvèrent  de  grandes  pertes.  Après  quelques  nou- 
velles incursions  de  part  et  d autre,  le  comte  d'Âr- 
magnac  partit  enfin  pour  lltaUe  avec  ses  bandes, 
dans  l'intention  de  remettre  son  beau-frère ,  Charles 
Visconti,  en  possession  de  la  ville  de  Milan,  dont 
Galeazzo  Visconti  l'avait  chassé,  et  ce  départ,  qui 
eut  lieu  à  la  fin  de  cette  année  i  Sg  i ,  mit  fin  à  ce 
système  de  mutuelles  dévastations,  et  aux  hostilités 
dont  la  restitution  de  la  couronne  de  Majorque  était 
le  prétexte. 

On  ne  sait  en  quelle  année  mourut  l'infante  de  Ma- 
jorque. Les  dernières  notions  qu'on  ait  d'elle  sont 
de  i4o3,  année  où  elle  toucha  encore  la  pension 
(|u'elle  avait  obtenue  du  roi  de  France  en  indemnité 
de  la  cession  de  ses  droits  sur  Montpellier.  Voici  ce 
qui  s'était  passe  à  cet  égard. 

En  janvier  iSgo  Charles  VJ  étant  venu  à  Mont- 
pellier, rinfante  Isabelle  avait  réclamé  de  ce  prince 
le  payement  de  la  somme  de  quatre-vingt  mille  écus 
qui  reslai(  nt  encore  dus  sur  la  vente  faite  à  Philippe 
de  \  alois  par  le  roi  Jayme  11,  delà  seigneurie  do 


CHAPITRE  DOUZIÈME.  425 

Mon^ellier  et  de  ses  dépendance».  Le  oqnseil  du 
m,  consulté  sur  cette  rédamation i  ayait  répondif 
(pi*on  n!y  pourrait  faire  droit  que  lorsque  la  priur 
cesse  aurait; accompli  sa  vingt-cinquième  année. Jba? 
belle ,  $*étant  ensuite  rendue  à  Paris ,  prouva  qu*après 
la  mort  de  son  père  le  château  de  Pésenas  lui  ayant 
été  assigné  pour  demeure  avec  une  pension  de  mille 
dnq  cents  livres  ide  rente  »  :  cette  somme  ne  lui  avait 
jamais  )été  comj^tée.  Enfin  le  i3  septembre  iSgS  il 
lui  fut  accordé,  en  échange  de  toutes  ses  prétentions 
sur  Montpellier,  auxquelles  elle  déclarait  renoncer 
formellement,  une  somme  de  cinq  mille  livres  une 
fois  payée ,  et  une  pension  viagère  de  mille  deux  cents 
livres,  sur  les  château  et  châtellenie  de  Gallaigues et 
sur  quelques  autres  domaines  de  Languedoc^. 

Avec  cette  princesse  finit,  en  droit  >  Texistence  du 
royaume  de  Majorque,  qui  avait  fini  en  fait  depuis 
soixante  ans  :  jetons  un  dernier  regard  sur  sonorga- 
nisation  intérieure ,  pour  la  partie  du  continent. 

L*histoire  de  dix-huit  siècles  écoulés  de  notre  ère 
ne  nous  montre  aucune  monarchie  dont  la  durée  ait 
été  plus  courte ,  et  dont  cette  courte  durée  ait  été  tra* 
versée  par  plus  de  vicissitudes  que  celle  du  royaume 
de  Majorque.  À  peine  institué,  ce  royaume  se  voit 
menacé  dans  son  existence,  et  s*il:  reste  debout  sur 
ses  débiles  fondements ,  c-est  pour  perdre  50n  indé- 
pendance. Bientôt  une  guerre  funeste  vient  de  nou- 

*  Uistùin  générale  de  Languedoc,  tom.  IV.  . .    ^ 


426  LIVRE  DEUXIÈME. 

veaa  comprofnettre  cette  chancelante  couronne.  Ce 
pays  n'est  pas  encore  bien  revenu  de  cette  secousse, 
que  des  convulsions  plus  violentes  l'atteignent,  et 
cette  fois  ses  maux  ne  lui  donnent  quelipie  relâche 
qu'au  moment  où  s'écroule  un  trône  que  les  sièdes 
n'avaient  pas  consolidé. 

Tant  qu'exista  le  royaume  de  Majorque  ,  les 
peuples  du  continent  furent  soumis  à  deux  rois  i 
la  fois  :  ils  avaient  à  reconnaître  l'autorité  de  leur 
prince  immédiat,  et  celle  des  rois  d'Aragon,  qui,  en 
leur  qualité  de  suzerains,  étendaient  sur  les  deui 
comtés  les  dispositions  du  plus  grand  nombre  de  leurs 
ordonnances. 

La  cour  des  rois  de  Majorque  avait  été  très-mo- 
deste ,  et  leur  entourage  très-circonscrit.  Leur  gou- 
vernement se  composait  de  deux  lieutenants  généraux 
ou  vice-rois,  l'un  pour  les  parties  cismarmes,  c'est- 
à-dire  ,  pour  le  Roussîllon ,  la  Cerdagne  et  les  autres 
domaines  continentaux,  Tautre  pour  les  parties  trans- 
marines  où  îles  Baléares.  A  ces  deux  officiers  appar- 
tenait la  juridiction  suprême,  qu'ils  n'exerçaient  tou- 
tefois qu'en  l'absence  du  roi,  ou  par  son  exprès 
commandement,  dans  les  causes  qu'il  leur  dépai^ 
tait.  Chacun  des  deux  comtés  de  Roussillon  et  de 
Cerdagne  avait  en  outre ,  pour  l'administrer,  un 
autre  officier  royal ,  sous  ce  même  titre  de  lieutenant 
général . 

Lo  lieutenant  général   des  parties  cismarincs  ou 


CHAPItftE  DOUZIEME.  427 

transmarine^  avait  le  même  conseil  que  le  toi  lui^ 
même.  Ge  ôonseil  se  composait  du  chancelier,  du 
trésorier,  des  sénateurs ,  des  docteurs  en  droit ,  de 
plusieurs  chevaliers  et  nobles  et  des  secrétaires 
royaux.  La  formule  des  commissions  que  le  roi  don- 
nait pour  exercer  certaines  fonctions  était  très -simple  : 
a  Qu'un  tel  remplisse  Toffice  de  conseiller  ou  de  vi- 
guier  ou  de  baUli ,  »  ou  bien ,  «  Qu'un  tel  entende  les 
causes  de  telle  viguerie  ou  de  tel  bailliage  ^  » 

Le  roi  de  Majorque  avait  deux  procureurs  royaux, 
dont  l'institution  émanait  de  don  Sanche  :  ces  o£B- 
ciers  prenaient  connaissance  de  toutes  les  causes  féo- 
dales, ou  appartenant  à  son  propre  domaine.  Ils 
avaient ,  poiu*  les  suppléer,  des  lieutenants ,  nommés 
en  catalan  portant  veus,  dénomination  qui  s'appliquait 
à  tous  les  suppléants  des  offices  de  juridiction.  Il  y 
avait  aussi  des  commissaires  poiu*  l'amortissement, 
mais  qui  n'étaient  le  plus  souvent  que  des  officiers 
ordinaires,  spécialement  députés  poiu*  amortir  la 
somme  dont  l'acte  fait  mention. 

Les  officiers  attachés  à  la  personne  du  roi  de  Ma- 
jorque étaient  le  camerlench  ou  chambellan  et  chan- 
celier de  son  sceau  secret,  le  majordome  ou  grand 
maître  du  palais,  des  chambellans  ordinaires,  des 
veneurs ,  des  aposentadors  ou  maréchaux  des  logis,  des 

*  Bosch,  Tiiols  de  honor,  II,  a 8,  S  i .  En  voici  un  exemple  quant  aux 
affaires  à  suivre  :  Qaod  ahbcu  Arularam,  vocaiis  consiUariis  consubun, 
conferei  cam  eU»  et  ordinet.  Lib.  virid.  maj. 


428  LIVRE   DEUXIÈME. 

alguasiUf  des  huissiers,  des  famiUars,  gens  attachés  à 
la  maison  du  prince  sans  être  domestiques ,  et  d'autres 
encore  dont  le  titre  et  les  fonctions  sont  spécifiés 
dans  le  code  des  lois  palatines,  dû  à  Jayme  U. 


«■ 


ÉTAT  DES  TERRAINS 

foi  constituent  le  sol  d'alluviom  de  la  plaine  de  RomsiUon  dressé  par 
M.  Booix,  fils,  professeur  de  chimie  à  Perpignan,  pendant  le  son- 
dage qui  se  fit  sur  la  place  Royale  de  cette  ville  pour  rétablissement 
d'un  puits  artésien  K 


1^  Décombres  et  fondements  de  bâtisse i"65* 

a**  Argile  marneuse  cellulaire o  4q 

3**  Marne  argileuse  avec  rognons  de  marne  cal- 
caire ,  blanche ,  quelquefois  dure ,  souvent 

friable •  •  •* •  o  3o 

4**  Sable  fin  argileux,  presque  pas  calcariière  et 

fortement  micacé o  65 

5**  Sable  graveleux o  i5 

6"  Sable  sans  gravier o  6o 

7**  Gravier  et  gros  cailloux  roulés  de  même  na- 
ture que  ceux  qui  régnent  le  long  delà  Tet.  3  a5 
8**  Nappe  d'eau ,  niveau  des  puits  des  environs. 

9**  Gravier  et  cailloux 2  a5 

lo*^  Gravier  sans  gros  cailloux o  a5 

1 1*  Gravier  fin  argileux o  76 

1  a**  Argile  plastique  brune o  3o 

i3"  Idem  bleuâtre o  70 

i^*"  Idem  bleuâtre  avec  sable  graveleux o  65 

i5^  Idem  plastique o  80 

16^  /(2?m  jaunâtre o  18 

^  Ce  sondage,  commencé  le  3  août  1829,  fut  poussé  jusqu'à  une 
)rofondeur  de  4i  mètres  43  centimètres,  et  abandonné  ensuite. 


/|50  TERRAINS  DU   ROUSSILLON. 

17*  Ai^e  plastique 3"  75' 

18*  /f&m  ocracée,  avec  mica. 3  35 

19*  Mamn  calcaire  friable ' i  £0 

3o*  Argile  sablonacuse  grisâtre a  00 

91*  /(J«m  av«c  saille  rougefttre  foncé. 1  60 

39*  Idtm  vcrd&tre 1  00 

i3*  Saille  «rpleut  ocrncé 1  3o 

9/1°  Ciravicr  argileux 1   3o 

a5'  SoWc» 8  55 

96"  Sable  grossier  lié  par  un  limon  argileux  for- 
mant pite  très-dure ,  espèce  de  gré»  gros- 

«er 5  bo 

97'  Sable  fin  verdAtre,  argileux o  30 

Cessation  des  travai»  par  suite  de  la  fréquente 
rupture  de  la  sonde  causée  par  l'inexpérience  de» 
ouvriers. 


NOTES  ET  PREUVES 


DE  LA  PREMIÈRE  PARTIE. 


NOTES. 


NOTE    I. 

.Sur  la  voie  Domitia  dans  la  traverse  du  Roussillon. 

Dans  la  petite  dissertation  que   nous  publiâmes  autrefois 
sur  la  partie  de  la  voie  Domitia  qui  traverse  le  Roussillon ,  et 
que  nous  examinions  depuis  Narbonne  jusqu*au  Pertus ,  nous 
avions  établi  que  les  trois  stations  dont  remplacement  inconnu 
est  un  sujet  de  controverse,  c'est-à-dire  Vigesimum,  G)mbustam 
et  Centurionem ,  se  trouvaient  aux  cabanes  de  la  Palme ,  àTora , 
bourg  ruiné  en  face  de  Rivesaltes,  et  à  Saint-Martin-de-Fe- 
noUar.  Cette  opinion ,   vivement  critiquée  tout  récemment  *, 
nous  force  de  justifier  ici  le  choix  de  ces  trois  positions  subs- 
tituées par  nous  à  celles  indiquées  par  Marca,  VVesseling  et 
Danville.  Comme  notre  critique  n*a  fait  que  combattre  notre 
travail  sans  proposer  un  autre  système  »  nous  n'avons  qu*à  nous 
occuper  de  nos  propres  idées. 

Les  raisons  alléguées  contre  nous  sont  que  nos  calculs  des 
distances  sont  engoués ,  et  que  le  sol  sur  lequel  nous  plaçons 
Combusta  et  Centurionem  n'a  jamais  fourni  aucune  preuve  ar- 
chéologique. 

Nos  calculs  des  distances  contiennent  des  erreurs ,  nous  le 
reconnaissons  ;  mais  nous  devons  dire  que  de  quelque  manière 
qu*on  s'y  prenne  pour  calculer  les  distances  indiquées  par  les 
itinéraires ,  en  comptant  le  nombre  de  toises  que  donnent  les 
routes  tracées  sur  les  meilleures  cartes  entre  les  stations  dont 

•  Le  PuhUcaieur.  journal  de  Perpignan  ,  numéro  du  6  octobre  iSSa. 

I.  a8 


I    ■ 


.< 


l'Dinpl(tceiuei)l  e»l  ie  mieux  conmi ,  el  converl usant  i^i»nitc  ru 
loise»  PLI  milles  romnius,  jamais  on  uo  {Miurro  nrrivcr  à  un  r«- 
Riilut  parfaitmneni  tatùfaiMnt,  noît  ptrco  que  TasBicUe  Am 
route»  moderne*  n'mt  plus  In  mfmc  que  cdio  des  anneonei' 
voie» .  le  be»oiii  do  supprimer  rwlitioti  di^uurs  devenus  inutil» 
par  le  df^lnccment  de»  {xipulalions ,  ou  cnUù  d'adoucir  rerUÏnei 
mnnléc»  trop  urduttii .  iiyunt  (ttrcà  de  raccourcir  ou  d'ollouger  as 
dltlauce»  ;  »uil  parc«  qu'en  traçant  sur  les  caries  les  contours 
des  roules  dans  les  endroits  où  la  nature  du  terrain  ii  parcourir 
lex  a  muitipliif's,  ou  a  indiqué  ces  roittours  snns  s'astreindre  i 
leur  iàire  exprimer  rifrourcusemcnt  le  nombre  de  tm»cs  qu'il» 
doivent  représenter.  Nom  nous  sommes  convaincu  que  lenieil- 
lenr  moyen  do  parvenir  i  retrouver  sur  ip»  cartes  les  nombra» 
do  milles  indiqua  par  le»  itiiiér»ire» ,  cVtail  de  mesurer  l'intïf 
vallc  entre  deux  |Kiints  dotiru%,  non  pnrlccatctil  minutieu.i  dr* 
toises  |Miur  les  réduire  ensuite  en  milles  romains,  mais  (nrr 
une  fraction  de  ce  mille  lui-même.  Ainsi ,  prenant  sur  l'i^cltfll'' 
de  la  carte  de  Cassini  sept  cent  soixante  toises,  i^les  n  la  loit' 
gueur  du  mille  romain .  nous  Avons  divis*  celle  long:ueur  m 
quatre  parties ,  et  c'est  avec  une  de  ces  fractions ,  re|ir<-scnlsnl 
«a  qunrl  de  mille ,  que  nnu^  nvon«  parrotini  toutes  les  distanrM 
que  l'itinéraire  d'Antnnin  met  entre  les  stations  placées  depaii 
Narbonne  jusqu'au  Pcrtus.  dans  la  route  d'Arles  à  CasteUon, 
Areiale  ad  Catlatlùnem  :  cette  méthode  nous  a  donné  un  résultat 
beaucoup  plus  certain  que  le  calcul  rigoureux  des  toises  que 
nous  avions  employé  la  première  fois. 

En  sortant  de  Narbonne  la  voie  Domitia  se  rendait  ad  Vige- 
ùmam  (  milliariam  ) .  éloigné  de  vingt  milles.  Marca  place  cette 
station  aux  cabanes  de  Fitou  ;  Wesiieling  la  suppose  k  Sigcao. 
En  plaçant  la  pointe  du  compas  ouvert  à  un  quart  de  mille  ro- 
main ,  sur  le  point  de  la  carte  de  Cassini  où  la  route  qui  mène  k 
Montredon  s'embranche  avec  celle  qui  conduit  en  Espagne, 
nous  venons  en  soixante-dix -neuf  enjambées,  faisant  dis-neuf 


:«..>.jiiaiA 


DE    LA    PHEMIEHK   PARTIE.  ^35 

milles  trois  quarls  sur  la  rive  droite  d*uii  ruisseau  qui  passe  au- 
dessous  des  cabanes  de  la  Palme  :  c*e8t  là  que  nous  croyons 
devoir  placer  ce  vingtième  milliaire. 

Du  Vigesimum  à  G)mbustam  Titinéraire  compte  quatorze 
milles.  Marca  et  Wesseling  placent  cette  station  à  Rivesaltes  ; 
nous  pensons ,  nous ,  qu^elle  a  dû  se  trouver  sur  la  rive  gauche 
de  la  Gly,  à  Tora ,  bourg  aujourd'hui  anéanti ,  et  qui  existait 
encore  au  xv*  siècle.  L'intervalle  qui  sépare  de  ce  lieu  les  ca- 
banes de  la  Palme  est  de  soixante-huit  fractions  de  mille  ou 
dix-sept  milles  entiers ,  ce  qui  donne  trois  milles  de  plus  que 
Tindication  de  Titincraire.  Ici  on  est  forcé  de  reconnaître  une 
erreur  dans  l'expression  de  cette  distance  de  l'itinéraire ,  puis- 
que la  route  depuis  le  Vigesimum  étant  resserrée  entre  l'étang 
de  Leucate  et  les  montagnes  des  G>rbières ,  elle  n'a  jamais  pu 
varier  au  point  d'offrir  une  différence  de  deux  mille  deux  cenl 
quatre-vingts  toises. 

Le  lieu  de  Tora  où  nous  plaçons  Combusta  nous  paraît  être 
le  seul  qui  réunisse  toutes  les  conditions  qui  peuvent  déter- 
miner les  antiquaires  :  existence  immémoriale  du  lieu  et  con- 
cordance parfaite  de  toutes  les  autres  parties  de  l'itinéraire  à 
partir  de  ce  point.  Tora ,  ruiné  d'abord  en  grande  partie  par 
une  violente  inondation  delaGly  en  i33a,  fut  sur  le  point  d'èli*e 
abandonné  par  ses  habitants  :  l'abbé  de  Fontfroide,  seigneur 
du  lieu,  et  le  roi  de  Majorque  empêchèrent  cette  désertion. 
Tora  était  encore  un  bourg  considérable  en  1875 ,  puisque  par 
ordonnance  du  6  octobre  de  cette  année  le  viguier  de  Roussillon 
faisait  notiûer  aux  deux  consuls  qui  en  régissaient  les  habi- 
tants d'avoir,  de  concert  avec  les  deux  consuls  de  Rivesaltes ,  à 
faire  réparer  le  pont  de  la  Gly  dans  la  semaine  *.  Puisque  cette 
commune  avait  deux  consuls  comme  Rivesaltes,  Timportance 
de  ces  deux  lievix  était  la  même.  Mais  la  population  de  Tora 
avait  disparu  en  i56i,  puisque  le  j  5  octobre  Noquorol  de  Pei- 

*    Tiihle  RigaudÏHe.  fol.  1 7.  de  la  Taaia  deU  «stH$  de  /a  rori  Jel  f. 

28. 


U5Ù  NOTES 

restortes  en  acquit  la  propriété  à  titre  de  fiel',  et  que  Tacte  dit 
que  le  château  et  la  ville  sont  totalement  ruinés  et  abattus: 
c*est  donc  évidemment  dans  le  cours  de  la  guerre  de  Loub  XI 
que  ces  derniers  restes  de  l'ancienne  Mansio  ont  été  effacés. 

On  a  objecté  contre  notre  opinion  qu'en  aucun  temps  le  soi 
de  Tora  n'avait  offert  de  vestiges  d'antiquité.  Grâce  au  lèle 
éclairé  de  M.  J.  Parés  de  Rivesaltes  pour  les  recherches  d'in- 
térêt public  de  toute  espèce ,  ce  sol  muet  a  parlé ,  et  son  témoi- 
gnage ne  laisse  plus  matière  a  aucune  objection  raisonnable  : 
d'anciennes  substructions ,  dédaignées  jusqu'à  ce  jour,  entêté 
reconnues  pour  romaines ,  des  médailles  soit  de  la  colonie  de 
Nîmes,  soit  de  F'austine,  ont  été  exhumées,  et  on  a  découvert 
plusieurs  tombeaux  et  des  ossuaires  de  différentes  grandeurs' 
Mais  ce  nom  môme  de  Tora  n'est-il  pas  aussi  une  antiquité? 
Loin  de  croire  qu'il  ait  succédé  à  celui  de  G)mbusta,  nous 
sommes  persuadé  qu'il  lui  est  antérieur  et  qu'il  s'est  encore 
maintenu  aprî's  lui.  M.  P.  Puiggari  a  constaté  la  racine  phéni- 
cienne de  plusieurs  noms  de  lieux  existants  dans  le  Roussillon  ; 
nous  ne  croyons  pas  qu'il  ait  parlé  de  celui  de  Tora  dont  la  ra- 
cine tor  se  retrouve  dans  une  foule  de  noms  de  villes,  tant  en 
Orient  qu'en  Occident,  et  qui  en  hébreu  comme  en  chaldéen. 
en  arni)c  cl  dans  le  irrer  ropiç,  exprime  un  lien  circonscrit  :  am 
hitus  mûri ,  seplnni  {Lc.vic.  hcptiKjL).  Quant  an  mol  Combusla  il 
pourrait  bien  venir  de  la  combustion  (\vs  landes  on  garigiiesqiii 
encombraient  I  endroit  ou  les  Romains  fondèrent  leur  mansio. 
Iiois  de  l'enceinle  de  Fora*',  et  ce  qui  nous  le  fait  penser  cesl 
quOn  donne  encore  aujourd  liui  a  celle  manière  de  défriche- 
ment le  nom  de  (vcmadit .  cpii  esl  la  Iradudion  de  (À>mbusta. 


D.in^  lin  \.isr  'Ml  il  lioinr  iinf  rapsnlo  dr  icrrc ,  «lo  la  forinr  cl  de  la  grandeur  i'ant 
lin  ufl'',  roiilVrmanl  lr>  oi^clllCllt^  d  un  folus.  Dau»  un  aniic  (or:>liri}ti  on  a  trouvé  un  MiM- 
lotir  (Ir  li.nitr  ^^aluro .  dont  t(ius  le»  o«  riaient  pnrf.«i)pnw'iit  en  pLrc,  à  IVicoption  de  U  tflf . 
(jiii  s«-  IrmiviMt  .inpli<|in<»  nur  la  rolonne  xertébi  .dt' ,  prcme  que  liodividn  avait  été  detamif. 
rii'-  anciiMinf  r^^li^o  provrnant  des  bien"»  de»  templier»».  a«lo\«ée  à  une  métairie,  porl« 
•  11-  m  le  nom  dViîlise  dn  ma»  de  la  (inrigite. 


DE    LA    PREMIÈRE   PARTIE.  ^37 

De  cette  station  de  Ck)inbusta  à  Ruscino  ritinéraire  compte 
six  milles.  En  faisant  parcourir  à  la  fraction  du  mille  romain 
l'espace  qui  sépare  remplacement  de  Tora  (à  l'extrémité  du 
coude  que  fait  la  route  qui  du  mas  de  la  Garigue  va  à  Rive- 
salles,  point  où  ont  été  trouvés  les  tombeaux  romains,  à  environ 
huit  cent  cinquante  toises  à  Touest  de  la  chapelle  de  Saint- 
Martin  ,  bâtie  sur  remplacement  du  château  de  Tora)  de  celui 
de  Ruscino ,  en  traversant  la  Gly  à  gué  ou  en  bac  et  passant 
par  les  villages  de  Pia  (Appia),  et  de  Bon  pas  où  des  médailles 
romaines  ont  été  découvertes ,  on  trouve  juste  ces  six  milles. 

De  Ruscino  on  allait  auCenturionem  :  distance ,  vingt  milles. 
En  partant  de  cette  ville ,  capitale  du  pays  des  Sordones ,  la 
voie  romaine  devait  se  porter  à  Elne  par  Cabestang ,  Salleles , 
Theza  et  G)rnella  ;  et  d'Elne  au  Centurionem  par  OrtafiTa ,  BruUa, 
et  le  Boulou.  Là,  traversant  le  Tech  à  gué  ou  en  bac,  elle  se 
rendait  au  Centurionem ,  que  nous  croyons  avoir  dû  être  vers 
lendroit  où  se  trouve  la  chapelle  de  Saint-Martin  de  FenoUar. 
Entre  ces  deux  points,  notre  compas  nous  donne  de  quatre- 
viogt-une  à  quatre-vingt-deux  enjambées  ;  ce  qui  fait  bien  les 
vingt  milles  de  Tilinéraire  d'Antonin ,  plus  une  fraction  qui 
peut  être  facilement  absorbée  par  quelques  contours,  dans 
cette  longue  étendue  de  chemin. 

Saint-Martin  n*est  qu'une  cha{)e]le  entourée  de  quelques 
métairies,  mais  elle  a  été  paroisse  d'une  commune,  sous  ce  nom 
de  Saint-Martin,  qui,  depuis  quelques  années  seulement,  a  été 
réunie  à  celle  de  Maurellas,  éloignée  d'environ  mille  toises.  Ce 
titre  de  paroisse  et  de  commune  atteste  que  ce  lieu  a  joui  d'une 
certaine  importance ,  à  une  époque  quelconque.  Jamais  on  n'y 
a  trouvé ,  il  est  vrai ,  du  moins  à  notre  connaissance ,  de  mé- 
dailles romaines;  mais  à  Tora  aussi  on  n'en  avait  encore  trouvé 
aucune  il  y  a  une  dizaine  d'années ,  et  nous  ne  sachons  pas  qu'on 
en  ait  trouvé  également  au  Boulou,  quoique  l'identité  de  ce 
lieu  avec  l'antique  Stabulum  ne  soit  mise  en  doute  par  per- 


438  NOTES 

sonne.  Ce  qu'il  y  a  de  certain ,  c*est  que  sur  le  coteau  au  bas 
duquel  s'élève  la  chapelle  de  Saint-Martin  de  Fenollar,  à  ren- 
drait qui  est  aujourcVliui  couvert  de  chénes-liéges ,  il  a  exis^ 
des  maisons  dont  nous  avons  parfaitement  reconnu  les  rester  à 
ras  de  terre ,  au  milieu  des  pierres  sans  nombre  qui  recouvre^Dj 
ce  sol  y  maisons  qui  ont  du  disparaître  depuis  bien  des  sièd^s 
puisque  des  chênes  ont  pu  s'y  établir.  A  la  métairie  qui  est 
adossée  à  Téglise ,  nous  avons  cru  reconnaître  certaines  partie» 
de  bâtisses  romaines ,  avec  des  portes  à  plein  cintre ,  parties  sur 
lesquelles  on  a  reconstruit  plus  tard  une  voûte  à  tiers-point. 
Derrière  cette  métairie  on  découvrait  aussi ,  il  y  a  une  vingtaine 
d'annc^s,  des  restes  de  canaux  assez  larges  et  profonds,  coiu- 
truits  en  pierre  de  taille ,  et  qui  ne  peuvent  se  rattacher  à  aucun 
usage  d'exploitation  rurale.  Un  jour  peut-être,  d'autres  décou- 
vertes viendront,  comme  à  Tora,  attester  d'une  manière  moins 
équivoque  que  là  était  réellement  le  poste  du  Centurion. 

La  seconde  roule  décrite  par  l'itinéraire  d*Antonin,  cdlede 
Vapincum  ad  Gaîleciam ,  diffère  essentiellement  de  la  première; 
ce  ne  sont  plus  les  mêmes  gîtes  ni  les  mêmes  distances  :  au  lieu 
du  Vigesimum,  de  Combusta,  de  Ruscino,  du  Centurionem, 
r'est  Salsnlis,  Slahuhim;  au  lieu  de  soixante-cinq  milles  à  par- 
courir (le  Narlxunie  au  IVrliis ,  c'est  quatre- vingt -qualone 
uiilies.  KvidenHnent  cette  derni^Te  roule  était  tracée  difTérem- 
uient  que  1  autre.  Celle  d'Arles  à  (]aslellon  su[)pose  toutes  les 
rivières  j^uéables  ou  Iraversahles  en  bac,  suivant  la  ligne  la 
|)lus  courte  ;  la  seconde  les  suppose  débordées,  ou  trop  pleines 
tleau  (»our  cire  traversées  autrement  que  sur  des  ponts.  Mêla 
nous  (lit  de  (es  r'i\ ivrv»,  pnrra  flumhia,  ubi  crcvere  p€rsœva,el, 
en  ellet ,  à  la  moindre  crue  ,  nous  les  voyons  se  changer  en  tor- 
icnts  (lani^ereux  ;  il  fallait  donc  prévoir  ce  cas,  et  établir  une 
seconde  loute  praticable  dans  ces  circonstances  :  c'est  ce  qu'a 
N aient  lait  les  IU>mains.  ^ 

La   |»l;une  du   IU)ussillon,  Ires-basse  a  mesure  quelle  s  ap 


DE   LA    PREMIÈRE   PARTIE.  439 

proche  de  la  mer,  est  souvent  inondée,  et  les  routes  qui  tra- 
versent celte  partie  basse,  qu*on  appelle  Salanque,  demeurent 
impraticables  pendant  un  temps  plus  ou  moins  long.  Ces  diffi- 
cultés s'opposaient  à  la  fondation  des  ponts  sur  la  ligne  la  plus 
courte ,  celle  de  la  première  route  dont  nous  venons  de  parier. 
On  chercha  donc ,  pour  la  nouvelle  route ,  des  points  moins  ex- 
posés aux  suites  fâcheuses  des  débordements  :  pour  le  passage 
de  la  Gly,  ce  point  fut  fixé  à  un  millier  de  toises  au-dessus 
de  Tora,  en  un  endroit  où  les  berges,  aujourd'hui  presque 
aplanies  par  Tëxhaussement  du  lit  du  torrent,  se  trouvaient 
alors  plus  élevées ,  ad  ripas  altos  :  de  là  le  nom  de  Rivesaltes 
donné  au  village  qui  s'établit  sur  la  rive  droite  de  la  Gly,  à 
Tissue  de  ce  pont.  Il  n  est  pas  inutile  de  remarquer  que  ce 
même  nom  de  ripas  altos,  Rivesaltes ,  est  donné  à  Tendroit  où  se 
trouvent  les  restes  du  pont  romain  du  Tech.  Des  traces  du  poot 
romain  de  la  Gly  se  font  reconnaître  encore  au  pied  de  quelques 
unes  des  culées  actuelles ,  sous  les  nombreuses  réparations  qu'a 
reçues  ce  monument  à  toutes  les  époques. 

De  la  Gly  la  route  se  dirigeait  vers  la  Tet,  en  passant  par  le 
Vemet  où  des  médailles  romaines  ont  été  trouvées.  Cette  direc- 
tion nous  mène  au  pont  actuel ,  dit  de  la  Pierre,  sous  Perpignan; 
elle  nous  porte  à  en  déduire  que  ce  pont  actuel  a  remplacé  le 
pont  romain.  Cette  idée  n*est  pas  nouvelle  et  a  été  fort  com- 
battue ;  il  est  certain  pourtant  qu'un  pont  a  existé  sur  la  Tet  du 
temps  des  Romains ,  et ,  cela  avéré ,  il  n*a  pu  être  qu'en  cet  en- 
droit. Le  pont  actuel  existait  en  1 1 96,  époque  à  laquelle  Per- 
pignan n'était  qu'un  petit  bourg  :  ce  c'est  pas  pour  lui  qu'on 
dut  faire  l'énorme  dépense  d'un  pont  en  pierre  de  sept  arches  ; 
il  n'y  a  qu'un  intérêt  général,  comme  celui  d'une  grande 
route,  qui  ait  pu  la  motiver  :  c'est  donc  le  pont  romain  qui  a 
été  réparé  et  remplacé  successivement  à  mesure  de  sa  destruc, 
tion.  Nous  en  disons  autant  du  pont  jeté  sur  le  ruisseau  delà 
Basse,  ruisseau  qui  grossit  souvent  d'une  manière  formidable  ; 


et  i)u'oti  u  loujuur»  dû  traverseï'  sur  un  pont.  A  ciiHi  cciib 
(Dises  ilii  |M)iil  (le  la  Tel,  et  un  peu  uu^dessus  de»  moulins  clet 
Qualre-Gisals .  u»  voit  des  restes  de  cult^  qui  doivunl  appar- 
(eiiir  H  ce  poul.  dont  l'ori^iac  remoiile  sans  doute  aux  Ro- 
jrnuns .  et  qui .  comaw  celui  de  la  Tel .  n  èlé  restaura  de  sîcde 
en  siècle  Jusqu'au  moment  où  nii  le  n-mplai;a  par  rdui  qu'on 
appelle  Poul-Kouf^  *. 

Du  pont  de  In  Basse  la  roule  so  diri^ail  vers  le  poul  du 
Toclt.  en  passant  probablement  par  VilUGodorum.  TulujUi 
Canolien,  Ponlrlln  <?t  Trullas,  afin  de  traverser  le  Re^rl  pnx 
d«  »û  snun-<-;  df  la  elle  venait  rejnindre  U  roule  d'Uliberii  i 
Stabutiim.  par  Tressere,  tous  lieux  connus  de  luntiquité.  Dt 
Saitttliv  ad  Stttbiilarn,  par  riliitî-raire  que  nous  traças,  la  dis- 
tance est  d'environ  trente-neuf  mîUcs  romains ,  nu  lieu  de  qot- 
nuitc4iuil  romme  l'initique  l'ïlioémire  d'Antoiiin  ;  il  y  a  donc 
évtdcmmcnl  ici  un  dix  île  trop,  La  loo^eur  que  nous  faisoni 
parcourir  à  cette  mute  nous  semble  la  plus  grande  qu'on 
puisse  lui  sllribuer.  et  |>our  trouver  ces  dix  milles  de  [4us.  H 
faudrait  lui  taire  faiiv  d'iiiulilos  cîreuits  à  travers  faute  cetts 
partie  de  k  plaine  du  Koussillon. 

Hc  .Stnbninm  retlc  m^-mc  route  «r  ivndnil  nu  puni  du  Ti-4:li. 
dont  partie  d<^s  culées  subsiste  encore  à  une  centaine  de 
toises  en  amont  du  pont  moderne  de  Ceret.  De  la  elle  devait 
aller  joindre  la  montée  de  la  Guse  et  se  rendre  au  Pertus  par 
Locertelnm  et  Maurdlas  :  distance,  seize  milles.  En  faisant 
parcourir  au  compas  la  longueur  de  roule  que  nous  signalons, 
nous  trouvons  ijoixante-trois  à  soixante-quatre  enjambées,  qui 
font  bien  les  seiie  milles  indiqués  ". 

Hdu|>  >tDi  I'.  rf  opWi.  U  larpiir  i*  êtt  nUtt  iUit  U  mtm  i|»>  uB>  Ja  nlin  in  p«t 


•* 


DE   LA   PREMIERE   PARTIE.  441 

NOTE   IL 

Sar  la  position  des  trophées  de  Pomj)èe. 

L*emplacement  des  trophées  de  Pompée  n*est  pas  connu ,  et 
leur  position  a  été  fort  controversée  par  les  écrivains.  Les  uns 
ont  cru  que  certains  gros  anneaux  de  fer  qu*on  trouve  sur 
quelques  unes  des  montagnes  qui  bordent  la  Catalogne,  et 
dont  nous  aurons  occasion  de  parier,  servaient  à  les  fixer; 
d'autres  ont  voulu  voir  ce  monument  dans  cette  suite  de  tours 
qui  couronnent  les  crêtes  des  montagnes ,  d'autres  enfm  dans 
]a  ville  même  de  Pampelune ,  et  Lamartinière  en  fait  une  ville 
maritime  de  la  Tarraconnaise.  Nous  ne  pensons  pas  qu'il  y  ait 
lieu  à  réfuter  des  systèmes  qui  ne  peuvent  pas  se  soutenir,  mais 
nous  dirons  un  mot  de  celui  du  savant  Pierre  de  Marca ,  qui 
place  ces  trophées  sur  la  montagne  de  la  Cluse  ou  TEcluse;  à 
l'endroit  même  où ,  dans  le  moyen  âge,  on  éleva  des  forticalions 
pour  la  défense  du  passage  du  Summum  Pyrenaeum. 

Les  trophées  de  Pompée  étaient  au  haut  d'une  montagne. 
Salluste  dit  :  Devictis  Hispanis,  trophœa  in  Pyrenœi  jugis  cons- 
truxit.  Us  étaient  dans  une  position  à  être  aper(^nis  des  terres 
des  Gaules  et  de  celles  d'Espagne,  et,  suivant  Strabon,  ils  se 
trouvaient  près  de  la  roule  qui  conduit  en  Ibérie,  à  l'extrémité 
des  terres  des  Emix)ritains.  Admettre  que  ce  monument  existait 
à  la  Cluse ,  ainsi  que  le  dit  Marca ,  ce  serait  admettre  égale- 
ment que  les  Emporitains  s'étendaient  jusque-là,  et  que  le 

ncnîre  d'Anlooin  qni  »e  rendait  d'Arles  à  Castulon.  Suivant  ce  littérateur,  cette  voie  lon- 
geait la  mer,  et  passait  entrr  l'étang  de  Salses  et  le  rivage;  et  les  stations  étaient  Combusta 
aa  Toisinage  de  Sain t-Laurenl-de-la-Salan que,  Centurionem  au  hameau  de  Lavall,  dans  la 
«a(l^  de  Sorèdc ,  et  Sno^mum  Pyrencum  au  col  de  la  Garbessera  par  lequel  la  route  par  le  col 
ém  la  Maisane  débouche  en  Espagne.  Cette  opinion ,  toute  nouvelle ,  peut  se  défendre  &ciiemeiftt 
dans  le  sens  pour  ou  contre.  Quoique  nous  ne  soyons  nullement  convaincu  par  les  raisons 
qa«  donne  notre  érudit  adversaire,  et  que  nous  persistions  dans  notre  sentiment  avec  plus 
de  fisTce  encore  depuis  que  le  sol  de  Tora  a  montré  tant  de  preuves  de  l'habitation  des  Romains 
sar  ce  point,  nous  n'en  sommes  pas  moins  empressé  de  rendre  au  travail  de  M.  de  Sainl-Malo 
toute  la  justice  qai  lui  est  due. 


kkl  NOTES 

passage  (lu  Sumiiuini  PYrenaeiim  était  en  Elspagiie,  et  non  aux 
limites  des  deux  contrées,  ce  qui  serait  opposé  à  tous  les  té- 
moignages historiques.  Cest  donc  plus  près  de  ce  passage  qu"  il 
faut  chercher  la  place  de  ces  trophées ,  et  le  savant  auteur  c^e 
rhistoire  générale  de  Languedoc  avait  déjà  reconnu  quec*^st 
la  colline  de  Bellegarde  qui  les  supportait.  Cette  colline  s*élf&\e 
sur  le  point  culminant  de  la  traversée  des  Pyrénées;  elle  se  d^ 
tache  de  toutes  les  autres ,  et  domine  deux  passages  :  c*esL  un 
pain  de  sucre  que  la  nature  semblait  avoir  destiné  à  Tusage  tjue 
voulait  en  faire  le  vainqueur  de  TEspagne.  Sur  la  cime  de  cette 
colline  ainsi  isolée,  et  qu*on  voyait  se  dessiner  sur  un  cîe/ 
presque  toujours  pur,  tant  du  côté  de  TEspagne  que  du  côté  de 
la  France ,  s*éleva  la  tour  qui  constituait  les  trophées  de  Pom- 
pée. Le  mémoire  de  Vauban  relatif  à  la  construction  du  fort  de 
Bellegarde ,  qui  a  remplacé  ce  monument,  le  représente,  à  son 
époque ,  comme  «  un  carré  long  dont  les  deux  grands  côtés  coo- 
•  tenaient  chacun  dix-huit  toises  de  longueur,  et  les  deux  autres 
«treize  toises  chacun,  hors  d'œuvre.  Sa  hauteur  était  de  dii 
«  toises  et  l'épaisseur  des  murs ,  de  quatre  pieds  *.  » 

On  ne  saurait  dire  si ,  à  Tépoquc  de  la  décadence  de  Tempire, 
les  Bomains  n'avaient  pas  transformé  eux-mêmes  cette  tour 
monumentale  on  une  loin'  de  drfense;  ce  qu'il  y  a  de  certain, 
c  est  (|u'elle  était  déjà  telle  sous  les  rois  i^ollis  :  ils  en  a\aienl 
fait  im  |)osle  uulitaire  assez  important,  et  ils  avaient  ajouté,  à 
l'an^^le  orientalde  la  tour  principale,  une  seconde  tour  plus 
petite,  niais  [)lus  clevco.  L  entrée  de  re  poste  était  gaixléc  par 
un  petit  ouvrap^ecpii  en  couvrait  la  porte,  et  l'on  avait  pratiqué 
a  sa  base  un  clienn'n  de  ronde  avec  un  parapet  d'un  pied  et 
deuii  d'épaisseur.  Ces  tours,  à  ce  qu'il  |)araît,  i*estèrent  dans 
ce  même  étal,  ou  du  moins  avec  peu  de  cha.ij^ement,  pendaul 
toute  la  durée  de  la  monaicliie  (rAra<;on.  Devenus  maîtres  du 
[>a\>   [)ar  le  traite  des  PvnMU'es  .   les  Krançais  les  maintinrent 


DK   LA   PREMIÈRE    PARTIE.  443 

dans  le  même  état,  mais  les  Espagnols  qui  s'en  emparèrent 
quinze  ans  après  y  tirent  quelques  augmentations;  enfin  elles 
disparurent  après  la  paix  de  Nimègue.  Ce  poste  étant  reconnu 
trop  faible,  à  raison  de  son  importance  conmie  clef  de  la  France 
dans  cette  partie,  Louis  XIV  envoya  Vauban  sur  les  lieux,  pour 
arrêter  ce  qu'il  y  avait  à  faire  dans  rintérét  de  la  sûreté  de  la 
frontière ,  et  ce  célèbre  ingénieur  en  proposa  la  démolition  pour 
construire,  à  la  place,  la  fortification  régulière  qui  B*y  voit  au- 
jourd*hui.  Le  sol  sur  lequel  s'^evait  la  tour  fut  aplani  et 
abaissé  de  dix  toises ,  pour  rétablissement  de  la  place  d'armes  : 
ainsi  disparurent  jusqu'aux  derniers  vestiges  les  trophées  de 
Pompée. 

Sur  la  foi  de  Pline,  tous  ceux  qui  ont  padéde  ces  trophées, 
Marca  et  Vaissette  eux-mêmes,  ont  pensé  qu*on  y  voyait 
l'image  de  ce  Romain  :  nous  n'hésitons  pas  à  dire  que  c'est  une 
erreur.  Nonne  illa  similior  tut,  imago,  quam  Pyrenœi  jatjis  impo- 
snisti  ?  voilà  ce  que  dit  l'historien  naturaliste.  Mais  à  quel 
propos  s'exprime- 1- il  ainsi?  c'est  en  parlant  du  troisième 
triomphe  de  Pompée ,  dans  lequel  le  vainqueur  de  Mithridate 
avait  fait  porter  fastucusement  son  portrait  entouré  de  pierres 
précieuses  ;  c'est  en  lui  reprochant  cette  vanité  puérile ,  indigne 
d'un  grand  homme.  N'est-il  pas  bien  évident  alors  qu'il  n'est 
point  du  tout  question  ici  d'une  représentation  de  Pompée 
placée  sur  cette  tour,  mais  de  la  tour  elle-même  avec  les  tro- 
phées qui  s'y  trouvaient  gravés  et  l'inscription  qui  annonçait 
sommairement  les  hauts  faits  du  héros? C'est  une  figure  ora- 
toire ,  grande ,  noble ,  sublime  ;  une  métonymie  par  laquelle  il 
compare  le  monument  et  les  glorieux  souvenirs  qu'il  consacre 
à  cette  peinture  périssable  qu'un  méprisable  orgueil  porte  le 
même  vainqueur  à  faire  paraître  dans  la  pompe  de  son  triom- 
phe. Quelle  pitoyable  comparaison  n'eût-ce  pas  été  que  celle 
d*une  image ,  soit  statue ,  soit  buste ,  soit  médaillon ,  on  ne  con* 
çoît  pas  trop  lequel ,  posée ,  on  ne  sait  trop  comment ,  sur  cette 


tilik  NOTES 

tour  avec  celle  qu'on  promenait  dans  les  mes  de  Rome!  Qui 
aurait  pu  ju^i^er  d'ailleurs  de  la  ressemblance  ? 

Après  sa  campa^pie  d'Espagne,  César,  repassant  les  Pyrénées 
par  le  RoussiUon  ,  voulut  aussi  élever  un  monument  en  face  de 
celui  du  rival  qu'il  voulait  poursuivre  de  toutes  les  manières. 
Non  moins  orgueilleux,  mais  plus  adroit,  il  sut  cacher  sa  va- 
nité sous  le  manteau  de  la  religion  :  au  lieu  de  dresser  des 
trophées  comme  son  adversaire ,  il  éleva  sur  un  sommet  voisin 
une  grande  masse  de  pierres  taillées  régulièrement  et  bien 
polies ,  à  laquelle  il  donna  le  nom  d  autel. 

L'emplacement  de  cette  construction  n'étant  indiqué  d'une 
manière  précise  par  aucun  historien  ancien ,  il  devient  très-dif- 
iicile  de  découvrir  en  quel  lieu  elle  a  pu  se  trouver.  Dion  assure 
que  ce  fut  non  loin  des  trophées  de  Pompée  que  César  éleva  son 
autel  ;  il  est  probable  qu'il  dut  choisir  pour  cela  une  hauteur  en 
présence  du  monument  auquel  le  sien  devait  insulter;  nous 
pensons  que  sous  ce  rapport  aucun  lieu  ne  lui  convenait  mieux 
que  la  montagne  de  la  haute  Cluse ,  qui  n'est  séparée  de  Belle- 
garde  que  par  le  vallon  du  Pertus ,  et  où  se  voient  des  restes 
de  substructions  romaines   et  gothes.  L'autel  de  César  qui, 
massif  et  sans  creux  comme  le  fait  entendre  Dion,  ne  pouvait 
pas,  ainsi  (jiie  la  tour  dv  l\)in|)ce,  c'ire  coincrli  en  ibiiiiication , 
fui  sans  (loiilc  dénioli  à  Irpoquc*  ou ,  le  |)assaj^e  des  Pvrcnees 
devant  être  numi    de  (bateaux  forts,  on  l)àtil  en  cet  endroit 
l'une  (les  drux  clausuirs  i]\\\  en  gardaient  le  (lefdc'. 

NOTJL    111. 

Surir  Irouhiidour  (iudUuimr  dr  (lahrsUtintj . 

l)e|)uis  (^ue  Ihistoire  de  Koussillon  est  coni|)osee ,  quelques 
nouvelles  (kromertes  laites  parmi  les  débris  des  ancieimes  ar- 
rhi\es  (lu  houssilion  ont  j>ort('  1  un  de^  hommes  de  lettres  les 
|)lus  di>lin|;ue>  du  |mn>  .  M    f^iei  re  Pui^j^aii ,  à  mettre  au  ran^ 


DE   LA   PREMIERE   PARTIE.  kUb 

des  fables  la  fin  tragique  du  troubadour  Guillaume  de  Cabes- 
taing  ou  plutôt  de  Cabestanh  *.  Dans  un  des  numéros  du  Publi- 
cateur,  journal  littéraire  de  Perpignan  ,  ce  critique  dit  qu*un 
acte  de  vente  de  divers  droits  seigneuriaux  en  faveur  des  tem- 
pliers, consenti  solidairement  par  Raymond  de  Castel-Rous- 
sillon ,  Saurimonde  sa  femme ,  et  Raymond  leur  fds ,  sous  la 
date  du  1 7  des  calendes  de  juin  1 3o5 ,  «  est  une  preuve  irréfira- 
«  gable  que  ces  deux  époux  jouissaient  encore  de  la  vie  et  de 
«  leur  domaine  neuf  ans  après  la  mort  d'Alphonse ,  roi  d*A- 
a  ragon.  »  Le  fait  est  incontestable  ;  mais  faut-il  en  conclure  avec 
M.  Puiggari  que  l'aventure  de  Guillaume  «  doit  être  réléguée 
«  au  rang  des  contes  des  jongleurs  ?  »  Dans  l'annuaire  de  Per- 
pignan pour  i834  ce  littérateur,  revenant  sur  le  même  sujet, 
ajoute:  «Un  titre  de  l'an  laio  nous  apprend  encore  que  Sau- 
«  rimonde  était  vivante,  mais  veuve  à  cette  date  (Arch.  da  dont. 
«liasses  n°  ^^9)-  D'un  autre  côté  les  historiens  espagnols 
«  comptent  Guillaume  de  Cabestanh  au  nombre  des  chevaliers 


*  Ijt  CançomTdt  ohrax  enamoradai  que  va  publier  iocnssamment  M.  J.  Tastu,  competriote 
de  ce  troubedour,  contient  un  poème  de  lo^a  vers  de  F.  Rocaberti,  intitule  Ut  Gloria 
Xamer.  L'auteur  a  traité  aon  sujet  dans  la  manière  des  comédies  de  Dante  :  les  ombres  des 
amanis  beureux  et  malheureux ,  inconstants  ou  fidiles  lui  apparaissent  aussi.  Dans  la  Se^na 
atmtfiia  on  trouve  une  sorte  de  dialogue  commençant  ainsi  : 

Passât,  io  viu  Guiilem  de  Cap  ettanjr. 
Viansb  ell,  o  Psris  lo  segon  ; 
Isol  d'sprès  •  sb  lo  noble  Tristany 
Tots  arreglats  ab  forma  de  cos  ait  : 
Cascu  cantant  per  divcrça  lagria 
Ab  délit  gran  ,  sens  enuig  e  desait. 
Vent  lur  délit  comcnsi  dir  en  mi  : 
Quant  boll  délit,  e  quant  bell  pensament 
Porten  aquells  tant  deLlabla  fil 
lo  piedors,  cuytat  los  fui  mirar; 
E  dells  après  viu ,  ab  trista  stmblança 
Ser  Capeslany,  lo  primer  en  cantar. 

VoiU  sans  doute  l'antique  manière  d'écrire  ce  nom  que  plus  tard  les  Catalans  ont  écrit 
CalÊStaaj.  ayant  changé  cap.  du  caput  latin,  en  eah ,  dont  los  modernes  Castillans  ont  bit 
tahexa.  En  tout  cas  le  village  de  Cabeslany  est  situé  en  Ronaaillon  contre  l'étang  de  Saint- 
Ifaunrr ,  qu'il  semble  dominer. 


kUù  NOTES 

«  roussillonnaisqui  combattireDt  à  U  célèbre  bataille  de  las  navas 
•  de  Tokua  en  ma.» 

La  mort  tragique  de  Guillaume  n^est  pas  une  liction.  Dn 
troubadour  de  ce  nom  a  existé ,  et  plusieurs  de  ses  poésies  sont 
venues  jusqu'à  nous  :  les  noms  de  Raymond  de  Castel-Rous- 
sillon .  donné  à  son  meurtrier,  et  de  Sauriroonde ,  donné  à  la 
dame  de  ses  pensées,  se  trouvent  dans  les  actes  du  temps,  et 
ce  n*est  pas  sur  des  personnages  aussi  connus  et  d*une  telle 
c^ébrité  qu*un  vil  jongleur  se  serait  permis  de  forger  une  his- 
toire si  déplorable  pour  les  uns ,  si  atroce  pour  Tautre.  Un  autre 
chevalier  troubadour,  Raymond  de  Miraval ,  qui  raconte  toutes 
les  circonstances  de  cette  horrible  aventure  ne  peut  pas  être 
flétri  du  titre  de  jongleur,  titre  qu*une  charte  de  Tan  1191  as- 
simile d^à  à  celui  de  voleur  (Ducange,  au  motjoca^ator).  Ce 
troubadour  était  en  relations  avec  le  roi  d'Aragon ,  Pèdre  II ,  qui 
devait  reprendre  pour  lui ,  sur  les  croisés  contre  le  comte  de 
Toulouse,  le  château  de  Miraval  dont  il  était  co-seigneur.  Ce 
Raymond  mourut  en  1218:  il  avait  donc  été  contemporain  de 
Guillaume,  et,  puisqu'il  était  du  Carcassèz,  la  tragédie  dont  il 
rend  compte  s*était  presque  passée  sous  ses  yeux.  La  seule  er- 
reur qu*il  y  ait  à  reprendre  dans  le  fond  de  Taventure ,  d*aprcs 
les  deux  biographies  citées  par  M.  Raynouard ,  dans  son  choix 
des  poésies  des  troubadours ,  c'est  qu'au  lieu  d'Alphonse  II  il 
faut  lire  Pèdre  H,  successeur  du  premier,  et  troubadour  cou- 
ronné aussi  bien  que  son  père.  Raymond  de  Miraval  donne ,  il 
est  xTai,  au  meurtner  de  Guillaume,  le  nom  de  Castel  au  lieu 
de  celui  de  Castel-Roussillon  :  d*où  vient  cette  dilTérence  P  c'est 
ce  que  nous  n'avons  aucun  moyen  d'expliquer;  mais  cette  diffé- 
rence de  nom  ne  détruit  pas  le  fait.  Ce  n'est  pas  le  hasard  qui 
a  pu  réunir  dans  nos  parchemins,  à  l'époque  à  laquelle  on 
place  cet  événement,  les  noms  de  Raymond  de  Castel-Roussillon, 
de  Saurimonde  sa  femme,  et  de  Guillaume  de  Cabestanh,  donnés 
par  les  biographes  aux  acteur  et  victimes  de  la  catastrophe. 


DE   LA    PREMIERE   PARTIE.  447 

Il  es'l  doiic  bien  avéré  que  le  meurtre  de  Guillaume  n*a  pas 
eu  lieu  sous  le  règne  d'Alphonse  II,   mais  bien  sous  celui  de 
Pèdre  II,   son  iils.  Quant  à  Vacte  duquel   il  consterait  que 
âaurimonde  était  veuve  en  1210,  M.  Puiggari  s*est  trompé  en 
oroyant  à  Tidentitc  de  la  Saurimonde  dont  il  s'agit  dans  cette 
pièce  avec  la  Saurimonde ,  châtelaine  de  Castel-Roussillon  ;  il 
n'existe  entre  ces  deux  femmes  aucune  espèce  de  rapports.  Cette 
pièce  commence  ainsi  :  Notum  sit  cunctis  quod  ego ,  Pondus  de 
Vemeto, — dono  et  kuido ,  Jirmùerque  concedo  alque  in  prœsenti 
trado  adfeuodam,  iibi  Saurimundœ,  Jiliœ  dominœ  Mariœ  de  Pe- 
tralata,  et  tuis,  omnique  tuœ  posteritati ,  etc.  Ce  nom  de  Sauri- 
monde ne  se  trouve  plus  qu'à  la  lin  de  cette  même  pièce ,  et 
egfo  prœnominala  Saurimunda,  recipiopro  te,  domino  meo,  Poncio 
de  Vemeto,  dictum  honorem  infeuodam,  etc.  U  n*est  donc  nulle- 
ment question  ici  de  la  dame  de  Castel-Roussillon ,  moins  en- 
core de  son  prétendu  veuvage ,  et  M.  Puiggari  a  été  trompé  par 
Thomonymie  ;  mais  le  nom  de  Saurimonde  était  aussi  commun 
à  cette  époque  que  celui  d*Ermengarde ,  d'Ek'messende ,  de 
Guisla,  et  autres  dont  fourmillent  les  actes  du  temps.  Et  d'ail- 
leurs la  veuve  de  l'un  des  plus  puissants  seigneurs  du  Rous- 
sillon  se  serait-elle  constituée  vassale  d'un  autre  seigneur?  En 
effet,  Saurimonde  promet  à  Pons  du  Vernet,   son  seigneur, 
domino  meo,  pour  elle  et  pour  sa  postérité,  d'être  toujours,  tiln 
et  tuis,  boni  komines  et  fidèles  ac  légales  in  omnibus  et  per  omnia. 

Nostradamus  place  la  mort  de  Guillaume  vers  l'an  1 2 1 3  : 
cette  date  doit  être  la  vraie  :  ce  serait  alors  au  retour  de  la  cam 
pagne  de  las  navas  de  Tolosa  que  ce  poète  serait  tombé  dans  le 
guel-apens  que  lui  tendit  le  vieux  Raymond.  Celui-ci  devail 
avoir  alors  au  moins  soixante  ans ,  en  ne  lui  en  supposant  que 
vingt  quand  il  souscrivit  en  1 1 78  le  traité  de  paix  et  trêve  im- 
posé par  Alphonse  aux  seigneurs  roiissillonnais.  Le  soin  que  lui 
et  sa  femme  prennent  de  faire  inter>'enir  leur  fils  dans  l'acte  de 
i2io5  prouve  que  ce  dernier  était  déjà  homme  à  cette  époque. 


titiS  NOTES 

Saurimonde  devait  bien  approcher  alors  de  la  quarantaine  ^| 
eOe  ne  la  dépassait  pas.  Cétait,  comme  on  voit,  de  la  part  ^y 
baron  une  bien  vieille  jalousie ,  et  de  la  part  du  troubadour  ^^^ne 
bien  ancienne  passion. 

NOTE    IV. 

Sur  quelques  écrivains  roussiUonnais. 

Notre  ambition  aurait  vie  de  donner  ici  une  note  exacte  de 
tous  les  écrivains  qu*a  produits  le  Roussillon  jusqu'au  zix' siècle; 
mais  dans  l'impossibilité  de  remplir  cette  tâche ,  nous  devons 
nous  borner  à  signaler  ceux  dont  le  nom  est  parvenu  à  notre 
connaissance.  Uignorance  où  nous  sommes  de  Tépoque  précise 
où  florissaient  quelques  uns  de  ces  écrivains  nous  force  d'a- 
dopter, pour  cette  nomenclature.  Tordre  alphabétique.  Pour 
ce  qui  est  du  titre  des  différents  ouvrages  que  chacun  d'eu  a 
pu  produire  nous  renvoyons  à  la  France  littéraire. 

Amanrich  (Cyr  )  de  Pia ,  mort  en  1 728 ,  a  publié  divers  ou- 
vrages de  médecine. 

Arng  (Nicolas),  de  Perpignan,  recteur  de  T  université  de 
cette  ville  en  i663  :  divers  ouvrages  de  théologie. 

AKii'STiN  (Micliel),  prieur  du  tem|)le  à  Perpignan,  publia 
en  catalan  un  livre  d  a<^^ricullure  iii  folio,  161  7,  qui  fut  traduit 
en  (  aslillan  en  iG'.WJ,  el  qu'on  desij^nait  en  Catalogne  parle 
nom  de  Livre  du  Prieur. 

Baldo  (  Louis).  On  le  croit  Houssillonnais  parce  qu'il  aécril 
sur  le  houssillon  el  la  (AMHla<^ne. 

IUkkkha  (  Pierre),  de  Per[)ij?nan  ,  uiorl  en  1  ^55  :  entre  autres 
ouvrajies  de  médecine  et  d'histoire  naturelle,  Ornithologiœ  spé- 
cimen novnni ,  .sivc  séries  aviuru  in  ïluicinone ,  ete.  Perpinianis.  U 
Comte,  17/16,  petit  in-V- 

IVviuu.HA  ,  de  Prades ,  a  écrit  sur  les  épidémies  elsiirlato- 
pogra|)lHe  de  Mnntlouis. 


DE   LA   PREMIERK   PARTIE.  449 

iN-DE-BoiSMORTiER  (M"*  Suzanne),  de  Perpignan,  a  publié 
nans  moraux  et  une  correspondance  épistolaire,  1760. 
PUS  (Manahem),  juif  de  Perpignan,  est  auteur  d*une 
de  manuel  lexique  intitulé  Michâl-josi  (perfection  de 
).  Le  texte  hébreu  a  paru  à  Salonique  en  1667.  Ann.  des 
es-Orientales. 

:u  (André),  de  Perpignan ,  est  connu  par  ses  recherches 
s  titres  d'honneur  de  la  Gitalogne  et  du  Roussillon, 

QH   (Joseph),  de  Perpignan,  a  écrit  sur  la  valeur  des 
»  monnaies  de  Catalogne ,  1771* 

fiL  (Michel-Jean-Joseph),  né  à  Baixas  en  l'jà^,  mort  à 
;n  1829,  Tun  des  derniers  religieux  des  bénédictins  de 
^gation  de  Saint-Maur  et  des  plus  infatigables  écrivains 
ordre  célèbre.  Outre  divers  petits  écrits  sur  difiTérents 
d'histoire  et  de  nombreux  articles  insérés  dans  les  me- 
\  de  rinstitut ,  il  a  composé  les  volumes  XII  à  XVIQ  de 
lection  des  historiens  de  France,  et  préparé  et  mis  en 
les  matériaux  du  XIX'  dont  il  n'a  pas  vu  terminer  l'édition, 
volumes  XIII  à  XVI  de  l'Histoire  littéraire  de  France. 
I  AN  VAS  (Pierre),  de  Villefranche  :  commentaires  sur 
n. 

iRERA  (François),  de  Perpignan,  mort  en  iGgS,  a  écrit 
médecine  militaire  et  contre  l'astrologie. 
iRERA  (Joseph),  fils  du  précédent,  mort  en  1787  :  divers 
^es  de  médecine. 

IRERA  (Thomas),  fds  du  précédent,  né  en  1714,  a  écrit 
sur  les  différentes  branches  de  la  médecine  et  sur  les 
minérales  du  Roussillon.  Rival  de  Pierre  Barrera,  son 
itriote ,  leur  controverse  n'a  pas  toujours  été  exempte  d'ai- 
et  d'animosité.  Cependant  Barrera ,  ayant  été  attaqué  par 
onyme  sur  l'opinion  qu'il  avait  émise,  que  la  médecine 
it  arriver  à  la  connaissance  des  maladies  par  l'autopsie 

29 


450  \OTKS 

île*  cadavres ,  ift .  w  tnmvaol  eii  ce  iiHiment  Iriit-iiitilnilL- ,  Citr- 

pwa  M  chargen  de  iia  défense  qui  fut  vielorîeusc. 

Cahhiiia  (Josepii-liartiiétem)').  (ils  de  ce  dernier,  a  i-ouune 
son  père  publi<'-  un  trrs-irrnnd  nombre  d'ogniicul^s  »ui  lenUf- 
fércnti?»  parties  de  la  mMccine.  On  lui  attribue  nuMi  dtt  n>- 
man»,  des  piérc»  de  tliéiitre.  des  pw^sicn  ol  larticl*  do  Rmrn- 
«lion  dans  lo  Vojage  piltorf^Hjue  do  la  France, 

Coma  (JnM|ih|,  de  Perpignan,  recteur  de  runivenili^  di 
retlo  viUe  en  1617.  a  laissé  un  manuscrit  un  peu  diffus ,  mAii 
|dein  de  reckerclie»  importantes  sur  les  églises  d'Elni^  vl  <ie 
Saint-Jean  du  ferpi^^nnu. 

Couine  (Frnurois),  nntnire  a  lilr:  avait  i*cri(  sur  la  );«gf!n 
phie  du  Bnussillnn  et  de  la  T^rda^r..  [Maniueril.) 

CoMPTKH-De-SAf.Aitiiir.i  (  sunyora  Uabd  ).  retipeiiHi  rn»e< 
gnante.  cbuniiinesse  de  Suint- Au^isltn  ,  an  ruuvenl  tU'  Stini- 
Sanveur  de  Perpignan  :  connue  par  une  pti>cr  do  omt  witmil^ 
dû-neuf  ven  catalans,  inliltilée  Liw  a  naîtra  mroni  ^^ 
Camt  ;  elle  vivait  en  1 1')^  5 .  M .  Tastu  se  pro|Hue  de  faire  ron 
naîtra  cette  muie  oubliée  rnmme  tant  d'autres  qui  ont  illuitn' 
le  Parnasse  rataian.  , 

CosTK  (Louin).  de  Pi'qtij^nii ,  a  rimlinvers'^  nvec  JoMfli 
Barthélémy  Carrera  quelques  questions  anatoniiques,  1771- 

Cnos  (Jérôme J.  chinii^en  de  Perpignan ,  a  laissé  un  nu- 
nuscrit  ou  journal  de  ce  qui  s'est  passé  de  plus  important,  i" 
l'ao  i5g7  à  l'an  1637.  Nous  avons  fait  usage  de  ses  notes. 

Delpas  (Ange),  de  Perpignan,  mort  en  1&96  el  bMifiè: 
dilTérents  ouvrages  de  théok^e. 

DescAUPS  (Antoine-Ignace),  de  Perpignan;  reçu  jteuile a 
i63o.  Il  a  écrit  sur  la  congrégation  de  Notre-Dame  iM  5k^ 
et  la  vie  de  Soarès.  Perpignan,  1671  et  1673. 

EsTHiïGOs  et  non  Estubgos  (Ira  Joseph -Élîes).  prédicateur  (t 
supérieur  du  couvent  des  Cannes  de  Perpignan  :  difiënnttoo- 
vrages  a!irétiques,  parmi  lesquels  Ftnix  caiala  toi  }An  M i»- 


DE    LA   PREMIERE   PARTIE.  451 

ar  privilegi tfavors ,  y  gracias  de  N.  S.  del  Carme,  in-8*.  Perpi 

m,  Estève Bartau ,  an  i6il5. 

PossA  (François),  de  Perpignan,  a  écrit  sur  le  droit  public 

Catalogne  et  a  puldié  en  1 777  un  mémoire  plein  de  savantes 

herches  sur  la  condition  des  ciloyens  honorés  de  Catalogne 

le  Roossillon.  On  lui  doit  aussi  les  mémoires  sur  les  comtes 

Roussillon,  de  Cerdagne,  de  Besalu  et  d*Ampunas  insérés^ 

is  TArt  de  véri&er  les  dales. 

Cjelabert  (Jean),  chirurgien  de  Perpignan  >  a  fait  avec  deux 

9e»  compatriotes  des  corrections  au  traité  de  chirurgie  de 
trre  d^Ai^[iiata.  Cet  ouvrage  eat  un  des  premiers  livres  im- 
més  à  Perpignan  en  i5io. 

Gelabert  (Melchior),  de  Rîvesaltes,  mort  en  1767  :  ou- 
ige»  de  théologie. 

GiGENTA  (NRchel),  vicaire  général  d'Elne,  a  écrit  sur  la  cha- 
é,  1587. 

GiSPEAT-DuLCAT ,  Conseiller  au  conseil  souverain  du  Rous- 
Ion  :  Observations  sur  le  traité  du  1 7  des  calendes  d'août  ia58, 
naidéré  principalement  dans  son  rapport  avec  le  Roussillon , 
4^,  imprimé  en  partie  à  Perpignan ,  partie  à  Narbonne. 
Gdilla  (Louis),  notaire  à  Perpignan,  auteur  en  1 685  d'un 
inuel  de  la  doctrine  chrétienne  en  catalan ,  et  en  1 695  d*un 
re  mystique  sous  ce  titre  :  Alaspervolar  à  Deù. 
HoRTOLA  ou  bien  Cosma-Damia-Ortala  (Damien),  de  Perpi- 
an  «  poète ,  mathématicien ,  orientaliste ,  étudia  la  médecine 
08  Silvius  et  fit  son  droit  à  Bologne  :  il  mourut  en  i566. 
I  a  de  lui  In  cantica  canticoram,  in-4®.  Barcelone,  i583. 
Htssop  (Joseph),  de  Perpignan,  poète  hébreu,  que  Ton  pré- 
me  avoir  vécu  vers  la  fin  du  xv*  siècle ,  est  auteur  du  Vase 
ïTgent,  poème  imprimé  à  Constantinople  en  i5a3  ,  et  traduit 

latin  par  Reuchlin  sous  ce  titre  :  Raîbhi  Jos,  Hjrssopus,  Per- 
lianensis,  jadœorum  pœta  dulcissimus,  ex  hebrœa  lingua  in  la- 
tam  traiuctus.  Tubingœ»  ibii,  in-4°-  (Ann.  des  Pyr.-Orient.  ) 


Jalahkht  (KrniK^i*).  dt^  Perpigiinn .  tuurl  «n  )83a  .a  puUi^ 
«>U8  te  litn-di!  Oivçiraiiliie  ilet  Pyrrnitt'OrieKtaU*  une  Htatitlifiw 
iibrégée  de  ce  dé|>arleiu(^iil. 

JuCAVerx  ( Joaepli  ] .  de  Finestrel .  a  puUié  en  i  <i88  Rt^lm  i 
iheummlot  parlientarei  por  la  viiia  rrtmilatia. 

hw  (Pierre),  de  Perpignan,  fut  un  Mvnnl  lliéologim.  il 
fnrma  une  Irà^WIle  bihtiod]èt|iieet  n'n  rien  publia. 

Lenis  (Aiiloinej,  de  Montlonis.  a  r'-rril  xur  )a  ei^i^phirtl 
le»  thMlrei. 

LLOT-DE-hiBKHA  (Mîrliel).  de  Qnira.  recleurde  iX'niYwilf 
en  ibH^.  Hittoria  rU  ta  S.  rrliquiitdelhnuynui  eiquerra  lU  S.  Jms 
Raptiila  Perpi|{Dni).  iSyool  ibgo- 

Malkh  (Jpjin),  de  Perpignan,  reçu  iMKhelier  k  TuulonH'. 
fiit  du  rwtciir  de  rilnivcr»iti>  de  Pcrpifnian  en  ifK>6.  ii  ïip 
de  vingt  on»,  à  cause  de  »on  ^and  lavoir,  qaoi  qu'il  ne  ftl  p» 
enturt?  docteur.  11  alla  prendre  ce  [^ade  k  Bologne  apr^  ton 
rectorat ,  et  nmurtit  »aiift  doute  tK's-jeuiie  puikmi'on  ti'»  mn 
de  lui. 

Mtnci.  rurr^  deCornella-de-la-ltivière.  a  i^rit  nur  la  manière 
de  recueillir  les  denrées  en  Koussillnn  un  petit  volume  plnn 
de  vues  judicieuses,  1785. 

Memton  ,  capiKin.  de  Perpignan,  a  écrit  sur  la  comctioii 
du  calendrier  Grégorien  et  sur  les  épacte». 

MiBO,  nom  d'une  ramille  transplantée  du  Roussilkm  en 
France ,  où  elle  est  devenue  très-célèbre.  Gabriel  Hiro  fiit  fn* 
mier  médecin  de  Charles  VIII  en  1^89  1  son  fils  le  fat  d'Anne 
de  Bretagne  et  de  Louis  XII  ;  son  petît-lils  jouit  à  (op  tour  de 
la  confiance  d'Henri  11  et  de  Charles  IX.  Ses  autres  fttittHi 
furent,  l'un  président  au  pariementde  Paris,  un  autre prè^ 
des  marchands,  et  un  troisième  archevêque  de  Lyon.  De  lui 
descendit  Robert ,  seigneur  de  TremUay. 

■  L'.iii««rtil«diP»rp(>'«»  ••  IrouMil  .lot.  ..4.11U.  i  U  MiU  im  gmmrm  itUàV. 


DE   LA    PREMIERE   PARTIE.  453 

Navarro  (Bernard),  de  Perpignan,  a  écrit  la  vie  de  Saint- 
icolas  le  Tolentin 

NiGOLAU  (Pierre),  de  Millas,  prieur  d*Espira  ,  a  écrit  en  ca- 
lao sur  les  vertus  de  la  Sainte- Vierge  d*Espira,  1607. 

Oliba  (Antoine),  de  Porta,  dans  la  vallée  de  Carol,  reçu 
Kteur  à  Perpignan  en  i58o,  devint  loracle  du  barreau  de 
ircelone.  Il  a  publié  plusieurs  ouvrages  de  jurisprudence  très- 
tiinés ,  et  entre  autres  celui  sur  les  usages. 

Ortola  ,  voyez  Hortola. 

Paschal  (Pierre),  notaire  de  Perpignan ,  a  laissé  eu  manus- 
it  un  journal  intéressant  de  tout  ce  qui  s'est  passé  dans  cette 
Ue  pendant  sa  vie  et  surtout  dans  la  révolution  de  Catalogne 
3  i64o. 

PÈRE  (Jean),  de  Perpignan ,  est  cité  par  Bosch  comme  au- 
ur  de  divers  livres. 

Prior  (Pierre-Nicolas),  d'Espira  de  G)nflent,  auteur  du 
irre  De  la  Conception  de  Notre-Dame,  in-4".  Perpignan ,  i63o. 

PuiGNAU ,  notaire  de  Perpignan,  avait  écrit  comme  Paschal 
n  journal  de  tout  ce  qui  s'était  passé  de  mémorable  de  son 
!mps  au  XVI*  siècle. 

PujOL  (Bernard),  chanoine  de  Perpignan ,  a  écrit  de  adora- 
one  et  Thistoire ,  1 608 . 

Ramon  (Joseph),  de  Perpignan,  a  écrit  sur  la  jurispru- 
ence,  i6a8. 

Riu  ou  Rio  (Honoré),  de  Saint-Hippoly te ,  a  laissé  divers 
uvrages  ascétiques.  Il  entra  aux  jésuites  en  1606,  à  Tâge  de 
iDgt  ans,  et  mourut  à  Perpignan  le  a  A  septembre  de  Tan 

644. 

Ri  MO  (Pierre),  de  Perpignan,  a  écrit  sur  les  psaumes  vers 
i  milieu  du  xiii'  siècle. 

RocA  (Thomas),  de  Perpignan,  a  écrit  sur  l'astrologie  et 
ontre  la  nécromancie ,  1 6a  a . 

Ros  (Antoine),  de  Perpignan  ,  a  écrit  sur  le  droit,  i564* 


^54  NOTKS 

ScoEAT  (Franco»^,  ckinirgien  de  Peq>ignan,  a  concouru 
aux  corrections  et  à  la  publication  catalane  de  la  chirurgie 
d'Argilata. 

SoLRB  (Françoia),  de  Perpignan,  a  publié  un  traité  sur  la 
réforme  des  monnaies  catalanes ,  1611. 

Soi.eA-DABiiEXDABis  (  liekhior),  abbé  de  Saint-Martin  du 
Canigou ,  a  écrit  sur  le  uii*  chafMtre  de  Danid. 

Sc.xiER  (Pierre),  de  Perpignan,  a  écrit  la  vie  de  Saint-Do- 
minique, 

Terbeka  (Guy),  de  Perpignan,  mort  à  Avignon  en  iSSq; 
général  des  grands  Carmes  en  i3i8,  puis  évèque  de  Majorque 
en  i33i,  ensuite  d*Elneen  i33o;  patriarche  de  Jérusalem  et 
évéque  de  \  aisoo.  D  a  laissé  des  constitutions  synodales  cé- 
lèbres ,  et  a  écrit  sur  rhérésie ,  sur  les  sentences ,  sur  la  phy- 
sique et  la  métbaphysique  de  l*âme,  sur  la  philosophie  morale 
d'Aristote,surlavie  de  Jésus-Ouvt,  etc.  H  laissa  plusieurs  autres 
ouvrages,  dont  deux  manuscrits.  De  correctione  vit»,  Correc- 
tariumjuris,  sont  conservés  dans  la  bibliothèque  du  Vatican. 

ToRBELLA  (Jean),  de  Perpignan,  a  écrit  sur  la  grammaire, 
1678. 

ToHELLO  (  Alibnse  de),  chirurgien  de  Perpignan ,  a  concouru 
aussi  aux  corrections  et  à  la  publication  de  la  chinir^e  d*Ar- 
gilata. 

Xaupy  (Joseph),  de  Perpignan,  mort  en  1778,  a  contro- 
versé avec  Fossa  la  question  de  la  noblesse  des  citoyens  honorés. 
11  a  aussi  écrit  sur  Tédifice  de  Téglise  métropditaine  de  Bor- 
deaux et  sur  le  prétendu  épiscopat  de  Pierre  de  Grammont 

Dans  les  arts  et  les  sciences  le  Roussillon  a  produit  aussi  des 
noms  célèbres.  Les  portraits  d* Hyacinthe  Rigaud ,  né  à  Perpi- 
gnan, sont  connus  de  TEurope  entière,  et  les  scienoes  phy- 
siques et  mathématiques  transmettront  à  la  dernière  postérité 
le  nom  du  chef  actuel  de  Tastronomie,  François  Arago,  que 
Perpignan  dispute  à  Estagel ,  lieu  de  sa  naissance. 


i 


DE  LA   PREMIÈRE  PARTIE.  45b 

NOTE   V. 

Sur  les  différentes  espaces  de  danses  populaires  du  RotusUlon. 

Nous  avons  parlé  assez  au  long,  dans  le  texte,  des  danses 
catalanes  ou  roussillonnaises  ;  nous  allons  pourtant  revenir  sur 
cet  article  qui  nous  semble  mériter  quelque  attention. 

Dans  sa  statistique  générale  des  départements  pyrénéens, 
M.  Alex.  Dumège  conteste  à  cette  danse  lorigine  arabe  que 
nous  lui  avons  attribuée  dans  une  petite  notice  publiée  il  y  a 
une  quinzaine  d'années.  Ce  savant,  dont  les  laborieuses  inves- 
tigations archéologiques  ont  été  si  précieuses  pour  Thistoire  de 
la  France  occitanique,  ne  croit  pas  que  les  bals  soient  un 
héritage  des  Maures ,  parce  que ,  dit-il ,  les  sectateurs  de  Tisla- 
misme  ne  se  mêlaient  pas ,  même  en  Espagne,  publiquement  avec 
les  femmes ,  et  que  la  liberté  de  celles-ci  n'était  pas  dans  leurs 
mœurs.  M.  Dumège  est  dans  Terreur  :  la  sévérité  musulmane 
s'était  au  contraire  fort  i*elâchée  dans  la  péninsule ,  par  l'exemple 
des  chrétiens  ;  et  c'est  un  des  reproches  que  les  Maroquins ,  qui 
s'en  scandalisaient  fort,  ne  cessaient  de  faire  aux  Maures  de 
Grenade,  quand  ceux-ci  les  appelaient  à  leur  secours.  On  n'a 
qu'à  consulter  à  cet  égard  l'histoire  de  la  domination  des  Maures 
en  ELspagne ,  d'après  les  auteurs  arabes  eux-mêmes.  Les  règle- 
ments du  roi  de  Grenade ,  Jussef  V\  le  prouvent  encore  mieux. 
Ce  prince  ordonna  que  dans  les  mosquées  les  femmes  fussent 
séparées  des  hommes ,  que  les  jeunes  filles  y  fussent  placées 
dans  une  tribune  à  part ,  où  elles  seraient  couvertes  de  leurs 
voiles,  etc.  *.  S'il  y  a  quelque  chose  de  peu  décent  dans  la  danse 
catalane ,  comme  le  croit  M.  Dumège ,  ce  n'est  que  dans  Tespèce 
de  saut  introduit  depuis  peu  de  temps ,  et  qui  consiste  à  élever 
la  danseuse  sur  le  poing ,  le  derrière  en  l'air  et  la  tète  et  les  pieds 
pendants  ;  mais  dans  le  saut  par  groupes ,  et  dans  celui  où  le 

"  Conde ,  Hi$toirt  tU  la  domination  dei  Arabes  tn  Espagne. 


â56  NOTES 

JaDseur  ^ève  sa  danseuse  assise  sur  sa  main ,  il  n*y  a  rien  que 
de  gracieux.  Tout  est  arabe  dans  cette  danse.  Le  mode  en  est 
calqué  sur  les  mœurs  amoureuses  des  Maures  :  agaceries,  bou 
deries,  jalousies,  tout  y  était  exprimé,  dans  Torigine;  aujour- 
d'hui ce  n*est  plus  qu*une  suite  de  mouvements  en  avant ,  en 
arrière^  sans  autre  but  que  de  danser  suivant  Tusage  tradi- 
tionnel, et  sans  y  attacher  aucune  espèce  d*idée.  Nous  avons 
parié  du  vase  de  verre ,  autrefois  accessoire  obligé  de  cette  danse 
et  dont  Tusage  est  presque  perdu  aujourd'hui  *  :  son  nom  est 

encore  arabe,  ^^  marrahh;  les  instruments  eux-mêmes  sont 

arabes  aussi.  Qu'est-ce,  en  effet,  que  le  hautbois ,  si  ce  n*est  Yal- 
boque  des  Espagnols  P  et  celui-ci ,  peut-on  contester  qu*il  ne 
soit  Yal-boq,  (j^^  flûte  ?  Il  n*y  a  pas  jusqu'aux  castagnettes , 
avec  lesquelles  les  danseurs  accompagnent  encore  parfois  leur 
danse,  dont  le  nom  ne  tire  son  étymologie  de  cette  même  langue, 
dans  laquelle  kas  signifie  vase,  gobelet,  et  par  extension, 
cymbale  **. 

Au  sujet  de  ces  danses ,  nous  avons  remarqué  deux  erreurs 
dans  les  mémoires  de  l'académie  celtique ,  et  nous  devons  les 
relever.  La  première  appartient  à  M.  Elie  Johanneau,  qui, 
dans  une  note  à  la  traduction  de  l'alphabet  de  la  langue  pri- 
mitive de  l'Espagne,  de  don  J.  de  Erro ,  tome  II  de  la  collection, 
parie  Jtune  danse  aa  clair  de  la  lune,  exécutée  à  Perpignan  par 
divers  danseurs,  dont  l'un,  conducteur  de  la  danse,  porte  un 
chapeau  orné  d'un  plumet.  Rien  absolument  de  semblable  ni 
même  d'approchant  n'a  lieu  en  Catalogne  ni  en  Roussillon.  La 
danse  catalane  s'exécute  de  jour  comme  de  nuit,  mais ,  dans  ce 
dernier  cas ,  non  pas  à  la  lueur  de  la  lune ,  mais  bien  à  celle 
d'un  éclairage  éclatant  :  cette  danse  au  clair  de  la  lune  ap- 
partient aux  Pyrénées  occidentales.  La  seconde  erreur,  dont  il 

*  Ce  vase  m  trouve  figuré  dans  les  planchée  du  Toyage  d'Egypte  de  Denon ,  pkacbe  94 , 
fig.  16  et  95.  . 

"  Viioteau,  Afaiifuc  dtt  Egypiiins.  Caatagnelte  nous  parait  \euir  des  mot»  ..ySr  .  «vO 
Km  (aAAana,  comme  qui  dirait  froisaement  de  vaaea.  Les.  krptag.  ^ 


DE  LA  PREMIERE  PARTIE.  457 

est  parié  au  tome  IQ ,  dans  une  dissertation  de  M.  MuUer  sur 
l*origine  d*un  pèlerinage  qui  se  fait  en  Allemagne,  en  dansant, 
c'est  qu*en  Roussillon  comme  en  Espagne  et  en  Portugal,  on 
exécute  des  danses  solennelles  en  Thonneur  de  nos  nuptères  et  de 
nos  plus  grands  saints.  De  mémoire  d'hommes  on  n'a  vu,  et 
rien ,  dans  aucun  écrit  du  pays  n'autorise  à  croire  qu'on  ait  va 
les  veilles  des  fêtes  de  la  Vierge,  les  jeunes  Jilles  s'assembler  devant 
la  porte  des  églises  et  passer  la  nmt  à  danser  en  rond,  en  chantant 
des  cantiques.  En  Catalogne ,  comme  en  Roussillon ,  on  danse  la 
veille  et  le  jour  des  fêtes  patronales  des  paroisses  ;  mais  c'est 
comme  partout,  et  sans  y  attacher  d'autre  idée  que  cdle  de  se 
donner  un  plaisir  selon  le  goût  de  la  population.  On  danse 
devant  la  porte  de  l'église  quand  l'église  est  sur  l'une  des  faces 
de  la  place  publique  ;  mais  c'est  uniquement  parce  que  la  place 
publique  est  l'endroit  le  plus  convenable ,  comme  lieu  spacieux, 
et  s'il  y  en  a  un  de  plus  spacieux  encore ,  il  obtient  la  préférence 
sur  la  place  de  l'église. 

NOTE   VI. 

Sar  la  VUla-Godoram  ou  MaUoles. 

Le  bourg  de  MaUoles ,  dont  quelques  vestiges  se  voient  à  une 
demi-lieue  de  Perpignan,  fut  fondé,  à  ce  qu'il  parait,  par  les 
Goths,  qui  lui  donnèrent  le  nom  de  Villa-Godorwn^  que  dans 
certains  actes  du  x*  et  du  xi'  siècle  nous  avons  lu  plus  souvent 
Villa-Godoro  et  Villa-Godore.  Nous  ne  sachons  pas  qu'aucun 
écrivain  eût  encore  fait  connaître  ce  nom  de  lieu  avant  que 
nous  l'eussions  découvert,  en  1819,  dans  de  vieux  parchemins, 
provenant  des  archives  des  églises,  que  nous  étions  chargé  de 
vérifier.  Ce  nom  était  toujours  accompagné  de  celui  de  Mal- 
liolas;  une  seule  fois  nous  l'avons  trouvé  seul,  dans  un  contrat 
de  vente,  du  règne  du  roi  Robert.  Les  monuments  d'origine 
gothique  de  ce  lieu  ont  disparu  entièrement,  et  nous  n'en 


45«  NOTES 

(Viiimiwui)s  plu»  qu'un  teul  encore  existant:  c'eal  l'umctii 
lUai'biT  blunc  qui  xervait  de  ibiiti  baptismaux  à  r«^M  dei:r 
bour|^ .  et  qui .  IrunsporU-e  à  Perpignan  .  «ert  au  tnime  ungc 
dar»  l'égliBc  de  âBinl-Jeiiu  *. 

Le  poni  (le  Maliole»  vicnl  d'une  églîte  qui  avait  61e  bntir 
au  milieu  il' un  plan  de  jeuut»  vigi^ie»  .  malliola.  el  qui  avut  uu 
uhapitiv  de  cuU^iale.  Mallole»  élail  encore  liabit^  par  dei  fw 
nonnca  do  distiRction  eu  1 197.  et  c'eat  la  qu'ea  laài  onjun 
la  paix  et  IWWe  de  -layma  I".  C«  nom  de  Mdliolse ,  qui  sccotn- 
pafsiia  d'ab»rd  cnliii  de  V'illa-tiodunmi ,  eu  usurpa  enstiils  ta- 
ttei«ui«ut  b  place.  Un  cuniral  di:  venli;  de  l'an  io3li  distingue 
trtt-bîeu  le  bour((  uu  Vtlla-liuiluruin.  ilu  terroir  mi  p\»tt  dt 
Malioles  ;  ■(  eil.  y  esl-il  dit ,  ipro  mato  ei  peeiai  Jaoi  de  iun 
in  (timitala  liotolioneiui .  infraftiut  ni  lerminiuik  Villa  fiwàirtff 
lie  Mailealat  ;  et  «il  ipto  maio  intiu  m  ipia  villa ,  ci  pmat  Jtiai  ^ 
rifuKuin  ipio  piano.  (Arcb.  evcies.  ) 


NOTE    Vil. 
.W  laJondalioH  lU  Prrpigaaii. 
L'existence  do  Perpipinan.  c'est- 11  dire,  le 


!iil  a 


iiiuiMins  se  groupcrcnt  sur  tiii  puml  du  len-uir  di-  h  villu  qui 
portail  ce  nom  .  date  de  la  fondation  de  l'église  qui  fuldoaikt 
en  paroisse  à  la  peuplade  nouvelle  réunie  sur  ce  point,  c'est-i- 
dire,  en  102b.  Cependant,  avant  la  fondation  de  c«tteé)^ 
paroissiale,  qui  est  celle  du  vieux  SainlJean.  il  existait, nn 
l'endroit  où  elle  fut  bâtie,  un  moDastère  connu  sous  le  titredt 
Saint-Pierre  du  Moj>t-MaJeur.  L'église  de  ce  monastère,  dédiée  i 
la  Vierge  et  aux  saints  Jean-Baptiste.  Pierre  et  Paul,  était  de- 


là pnCI.  DU  (tau  plu  W^  Ht 


DE   LA  PREMIERE  PARTIE.  450 

signée  sous  le  nom  d*ég^se  del  correck  du  canal,  du  nom  de 
l'endroit  où  die  était  bâtie ,  in  villa  qnœ  valgo  œrrecho  diâtur, 
La  bulle  du  pape  Sergius ,  qui  autorise  la  consécration  de  cette 
église ,  dit  :  benedictionem  nostram  comcedimns  kaic  loco  de  comcho. 
Le  pontife  accorde  à  ceux  qui  assisteront  à  cette  consécration , 
avec  des  sentiments  convenables ,  la  rémission  du  tiers  de  leur 
pénitence  canonique  et  le  droit  de  couper  leurs  cheveux,  tfmod 
capillos  possint  incidere.  Deux  hommes  pieux,  Albert  et  Raymond, 
avaient  obtenu  la  faculté  de  pouvoir  augmenter  cette  é^Use 
nouvdlement  édifiée,  et  d* agrandir  le  monastère  de  Mont* Ma- 
jeur :  voilà  tout  ce  que  Ton  sait  de  cette  ancienne  église  du 
Correch ,  et  encore  ne  le  sait-on  que  par  cette  bulle  pontificale , 
qui  n*e8t  pas  d*une  authenticité  telle ,  qu*dle  n'ait  fait  naitre  de 
graves  soupçons  dans  Tesprit  de  Marca  et  de  Fossa  *.  Voyec  le 
mémoire  de  ce  dernier  pour  l'ordre  des  avocats  ,  p.  67,  note  II. 

NOTE   VIIL 

iSar  la  dépendance  du  Roussillon  de  la  marche  d'Espagne. 

La  dépendance  du  Roussillon  delà  marche  d'Espagne,  ou 
du  comté  de  Barcelone,  est  incontestablement  établie,  i**  par 
le  manuscrit  du  moine  de  RipoU ,  publié  par  Baluze,  dans  lequel 
il  dît  que  Wîfred  posséda  la  marche  d'Espagne  depuis  Naor- 
bonne  jusqu'en  Espagne;  a^  par  la  possession  successive  de  ce 
comté  par  deux  frères  de  ce  Wifred,  premier  comte  héréditaire, 
et  5"  par  la  déclaration  de  Tarchevêque  de  Narbonne ,  dans  l'as- 
semblée générale  d'Urgel,  déclaration  que  nous  avons  rapportée 
dans  le  texte  de  cet  ouvrage.  Cependant  qudques  écrivains ,  et 
entre  autres  Gispert-Dulcat ,  conseiller  au  conseil  souverain  de 
RoussiHon,  dans  ses  Observations  sur  le  traité  de  G)rbeil  de  1  a  58, 

*  Un  obtt  fondé  dans  l'égUie  d«  Noire -Dame  de/  comck,  par  Raymond  d'Onu,  cha- 
■oino  de  Snot-Jean ,  en  i373  {Àrek.  ecclw.  ),  démontre  que  celte  eglite  n'ot  autre  que  celle 
d«  TMni.  SanilrJeen,  fondée  en  loaS. 


MO  'NOTKS 

ont  voulu  MjHictiir  cjiip  te  comb^  n'avait  pa»  twsc  de  dépendre 
>lf  cctiii  de  Tcutwusc ,  nprè»  te  partage  de  la  f>ep1iiniuiie  en  dew 
prOTin<r«>;  Gisperl  vu  jusqu'il  dire  que  le  comte  Guinard  fùl 
Ini-inétne  l'aveu  de  celte  df^pondance,  dans  co  passajfe  de  mu 
lestuDeiil  où,  en  pariaitt  du  roi  d'Aragon,  auqud  il  latuese* 
terre» .  il  dit .  Mtam  Imnonm  qui  ad  jut  iUiat  non  pertinebat  iHi 
(iiNio,  qu'il  interprète  ain«i  :  Mon  fief  lai  ne  Trhrvait  pai  de  liu.et 
tar  Itqtul,  n'étant  pos  luztrain,  il  n'avait  auean  dixtit,  Cett«  iulei^ 
prélation  e»t  erroiM'v. 

S*il  iHait  vrai  qui^  Ir  comte  de  IlouMiiion  eût  pu ,  par  tu 
■impie  «i^te  de  mi»  deniit-rei  va)oriti>i ,  flou»traire  wn  fief  i  la 
iuteniaeU'  du  marquis  de  Septimanie,  et  le  placer  sous  celif 
du  (."omte  di^  litre  eloiie .  il  s'ensuivrait  qui)  était  libre  et  facul- 
latif  aux  di^tenleurs  uu  possesseurs  de  fieb  de  se  donner  tel  ou 
tel  maître,  ce  qui  est  contre  toute  vi^té.  On  a  bien  vu  qudque^ 
foi»  un  fcudataire  ne  d^ober  à  son  seigneur,  et  se  placer  *oui 
ie  patruiiaj^  d'un  autre ,  qui  s'cnfçageait  à  le  défendre  contre  le 
premier,  dont  il  avnit  'a  sr  plaindre;  mais  un  pareil  acte,  qui 
eoustîtuait.  de  la  part  du  feiidalaire.  anc  félonie,  mot  adapte 
Ji  la  chow,  était  toujours  suivi  de  voies  de  fait.  Ce  môme  vusal 
ii'aunilpas,  au  moment  de  su  mort,  frustré  son  seJgneurd'nM 
suie  ru  il]  clé  qu'il  iii?  lui  availjamais  conlesiée  de  son  vivant, 
quand  aucun  intérêt  ne  l'y  obligeait,  quand  il  n'aiticulail 
aucun  grief  contre  celui  de  qui  on  suppose  qu'il  releraît.  On 
doit  bien  croire  que  le  marquis  de  Septimanie  n'aurait  pas  eo- 
duré  patiemment  un  acte  aussi  ill^time,  et  aussi  ofiensaiil 
pour  lui;  qu'une  guerre  s'en  serait  suivie  entre  lui  et  leroi  d'A- 
ragon ,  afm  de  décider  par  la  voie  des  armes  à  qui  dei  deux  It 
Koussillon  devait  rester  :  ce  comté  en  valait  bien  la  peine.  Bien 
loin  de  là.  nous  voyons  ce  comte  de  Toulouse,  Raymond  V. 
conclure,  immédiatement  après  qu'il  aurait  eu  re^u  cette  io- 
jure,  en  février  1 1^3.  un  traité  de  paix  avec  le  roi  d'Anglelem 
par  la  médiation  de  trois  princes,  dont  l'un  est  prétûémeat  ce 


DE  LA   PREMIERE   PARTIE.  461 

même  roi  d* Aragon.  Et ,  dans  le  cas  où  des  circonstances  impé- 
rieuses lui  eussent  en  ce  moment  commandé  de  s'abstenir  de 
voies  de  fait  contre  une  pareille  dépossession,  il  aurait,  tout 
au  moins,  protesté  contre  le  testament  de  Guinard,  et  fait  re- 
vivre ses  droits  dans  Toccasion  ;  ce  qui  n*eut  jamais  lieu. 

L'article  du  testament  de  Guinard  concernant  ce  legs  est 
conçu  ainsi  :  Omnem  meum  alium  honorent,  videlicet  comitatas 
Rossiliofûs  et  quicqnid  ai  jus  ejus  pertinet  in  petra  latensi  et  empu'- 
ritanensi  comitata,  sicut  haheo  vel  habere  deheo,  et  sicat  in  cartis 
antiqms  inier  me  et  comitem  empuritanensem  scriptum  est  -^  totvan 
integriter  dono  domino  mec  ,  régi  Aragonam;  dono  et  successoribus 
ejus,  Rogo  etiam  dominum,  meum  regem,  per  illanijidem  et  per 
illum  amorem  quem  illi  demonstro  in  hoc  testamento,  quando  meum 
honorem  qui  ad  jus  illius  non  pertinebat  illi  dono,  ut  Berengarium  de 
Orle,  meum  parentem  et  meum  carissimum  amicum,  et  Poncium  de 
Taékone  et  omnes  meos  homines  diligat  et  defendat  ah  omnibus  ho- 
minibus,  et  honoretomnia  quœ  illius  sont.  Dans  tout  cela  peut-on 
voir  autre  chose  que  le  don  de  la  propriété ,  et  non  celui  de 
Thommage  ?  Si  Guinard  n'avait  voulu  que  placer  le  Roussillon 
sous  la  suzeraineté  du  roi  d'Aragon ,  il  en  aurait  laissé  la  pro- 
priété à  quelque  parent ,  comme  ce  Bérenger  d'Orie ,  qu'il  qua- 
lifie de  très-cher  ami  ;  mais  il  n'en  est  rien.  Le  Roussillon  ne 
change  pas  de  suzerain ,  c'est  la  propriété  qui  passe  en  d'autres 
mains  ;  c'est  la  possession  qui  appartiendra  désormais  à  celui 
qui  n'avait  encore  que  la  suzeraineté.  Et  quant  au  comte  de 
Barcelone  lui-même,  comme  celui  de  Septimanie  0  se  trou- 
vait placé  sous  la  suzeraineté  supérieure  du  roi  de  France, 
depuis  la  conquête  de  la  Catalogne  sur  les  Maures. 

Le  seul  mot  équivoque ,  dans  toute  cette  partie  du  testament 
du  dernier  comte  héréditaire  de  Roussillon ,  c'est  celui  de  jus, 
dont  la  signification  la  plus  ordinaire  est,  juridiction;  mais 
un  écrivain  du  xiv*  siècle,  Jean  Charlier,  surnommé  Gerson, 
a  très-bien  démontré  qu'il  ne  veut  pas  toujours  dire  juridiction 


Mi  NOTES 

(la  juxlic« ,  mais ,  luiviul  le  cas .  propriété .  puimaiice  :  Uictm 
ji»  Bûn  ngmjiail  lemper  Jariftalionem  mu  jiuluium,  tad  iignifioil 
inttrdttm  poleilalef».  qaa  non  nt  jutla  '.  Apr^»  avoir  donné  w 
Mais  BU  roi  (i'Arap^n,  à  qui,  loin  do  contester  l'honuawige. 
GuiDird  donne  le  titiv  de  suieraju,  Jominum  m*»!»,  il  lui  re- 
command»  p«rticuli('rrment  deux  de  «es  barons .  et  «es  sujeU 
en  K<>néral  :  il  1»  lui  recommande .  comme  le  psypmant  duM 
detl43  qu«Ja  rcvonnnis santé  impose  au  priiH«,  toujoan  son 
MÎgneiir.  tkminum  meum.  par  le  don  <|ii'il  lui  fait  dan»  son  tes 
tamont  ;  cr  iMiament  Ini  démoolre  combien  il  lui  fltt  fidèle. 
fm"  iUam  fidem:  (combien  il  lui  est  atloi'hi^.  par  iilam  umoreni 
ifaem  illi  Jrmonilro,  puisqu'il  lui  donne  ion  firf .  mcum  honorrm , 
qui  n'était  pa»  en  sa  possession,  ijai  ndjai  îUw  nonpcrtimtbal. 
(iispert  veut  trouvej-  un  nouvel  argument  fatnrabln  a  %nn 
■jsléaie .  dans  un  passage  d'une  cliarle  de  boiiiiind .  otmilc  dr 
Toulouw,  en  faveiirdcs  Génois  et  de*  l.oinlMrds,  qui  l'avaient 
aidé  dans  son  (rt|H'<dition  de  la  tcrro  sainte.  En  I  io()  ce  priiioe 
leur  niK'orila  l'cKeniptinn  île  toutes  Mrics  d'impôts ,  depuis 
Nice  juMju'à  l'urt-Veudn.'  ;  (.'ancrai  al  nallat  Janueiuium  nrr 
alifuu  SaoHeiau  lioe  NauUiaii  ont  Albinganetuii.  a  Nixzu  Wfw 
adporlun  Vmerit.tuetliamijaâlibet  LombaniHteàintocUMiti 
Junctut.  ttltam  Irihutiim  ilum'l  ut  U-rixt  mt'u  ".  \l  nous  semble  évi- 
dent qu'on  ne  doit  voir,  dans  toute  cette  obacurilé,  qu'une 
«xemption  de  tribut  pour  tous  ceux  qui  font  le  cabotage  depuit 
Nice  jusqu'à  Port- Vendre,  et  dont  les  marchaudise*  airiveroat 
dans  les  terres  de  Bertrand .  soit  directement  par  le  Languedoc, 
soit  indirectement  par  le  Roussillon  ou  par  la  Proveoce,  qui 
appartenait  alors  au  comte  Gilbert,  de  la  maison  de  Boson  '". 


DE   LA   PREMIERE   PARTIE.  /i65 

Un  traité  des  Narbonnais  avec  ces  mêmes  Génois ,  de  Tan  1 1 65 , 
époque  à  laquelle  ces  peuples  étaient  en  hostilité  avec  le  comte 
de  Toulouse,  porte  qu*ils  observeront  la  paix  depuis  Monaco 
jusqu*au  Port- Vendre  :  Nos  Narhoaenses,faâmas  et  tenehimas  pa- 
cent  a  Monaco  sciUcet  nsque  ad  Portum  Venerit.  On  ne  peut  pas 
imaginer  que  les  Narbonnais  aient  prétendu ,  par  cet  acte ,  se 
déclarer  propriétaires  de  tout  le  littoral  du  midi  des  Gaules.  A 
cette  dernière  époque ,  la  Provence  était  possédée  en  toute  sou- 
veraineté par  Raymond  Bérenger  II,  de  la  maison  de  Barcelone, 
qui ,  en  épousant  Richilde,  nièce  de  l'empereur  Frédéric ,  avait 
reçu  ce  comté  ab  Alpibas  usque  ad  Rhodanam,  et  qui  n'avait  rien 
de  commun  avec  les  Narbonnais.  Ceux-ci  ne  font  donc  que 
mettre  sous  leur  paix  et  trêve  les  arrivages  maritimes ,  depuis 
Monaco  jusqu'à  Port- Vendre,  c'est-à-dire,  qu'ils  s'engagent  à 
ne  capturer  aucun  navire  génois  le  long  de  la  côte  de  Provence, 
de  Languedoc  et  de  Roussillon. 

n  est  un  fait  qui  domine  tout ,  dans  cette  discussion  ;  c'est 
que  si  le  comte  Guinard  avait  voulu  soustraire  ses  domaines  à 
la  suzeraineté  du  comte  de  Toulouse,  il  l'aurait  fait  de  son  vi- 
vant, et  non  pas  après  sa  mort;  car  un  intérêt  quelconque  étant 
le  mobile  des  actions  des  hommes,  cet  intérêt  n'existait  plus 
pour  lui  après  son  décès,  puisqu'il  ne  laissait  pas  d'enfant;  e( 
le  comte  de  Toulouse  n'aurait  pas  enduré  patienmient  un  pareil 
afËront.  Si,  comme  nous  l'avons  dit,  des  circonstances,  qudles 
qu'elles  fussent ,  avaient  empêché  ce  dernier  prince  de  reven- 
diquer par  la  voie  des  armes ,  ou  par  celle  des  négociations ,  le 
droit  qu'on  lui  enlevait ,  la  question  de  ce  droit  aurait  été  natu- 
rellement un  des  griefs  qu'il  eût  pu  faire  valoir  quand  la  guerre 
se  déclara  entre  lui  et  le  roi  d'Aragon  en  1 1 79.  Les  historiens 
ne  se  taisent  pas  sur  les  causes  de  cette  nouvelle  guerre  ;  c'était , 

{tarti*  de  b  Provence  aommée  «l«pais  comtat  KtHoiuin  ,  ce  qui  nelsi  doniuit  aacua  drail  sur 
1  autre  partie  que  possédait  souverainement  Gilbert  et  qui  comprenait  tout  le  littoral  de 
la  mer. 


nea  NOTES 

■lu  lu  part  du  rai  d'Aragon,  de»  prétenlioDs  sur  )e  txaità  it 
Mel^ueuîl  et  le  thAleau  d'Albnron ,  pos»ikl^«  par  le  comte  in 
Toutoitse;  et  de  la  part  de  celui-ci.  de»  prétentions  rut  les  do- 
niaine»  de  Ilouergue  el  do  Gevaudao  :  c'était  bien  le  cai  de 
parler  mni  du  ItoitMiIlnn  ;  mai)  il  n'en  est  nullenjeot  question  ; 
If  cfinite  de  Toidoiisc  n'avait  donr  rien  à  r^lamor  il  cet^ud. 

NOTK    IX. 

Surlrt  rianijafi  dr  Perpignan. 

lia  ville  primitive  de  Perpi^an ,  cieconscrile  du»  ce  i|iii 
ferme  In  paroiMe  actuelle  de  Saint-Jean ,  êlaii  entoura'  de 
fossés .  dont  ceux  du  luidi  et  de  l'e^t  étaient  les  [^us  prolbtKlt. 
\  relie  i^poque.  le  moulin  de  la  ville  étaîl  dans  la  rue  qui  porte 
encore  lo  nom  de  rue  <la  Moulin,  perpendiculaire  ^u  luarcbé 
Neuf.  L'eau  de  celte  usine  était  amenée  par  le  canal  royal .  qui 
avait  son  entrée  à  l'endroil  qui  a  été  depuis,  la  porte  Sainl- 
Martin ,  traversait  les  champs  rpii  forment  aujourd'hui  les  niw 
de  Saint-Martin  et  de  Saint-Auguslin .  et  venait  aboutir  au  mou- 
lin ,  ou  s'en  trouve  encore  la  chute ,  ce  qu'on  appelle  l'efttoaflMr. 
De  ik  cet  eaui  étaient  conduites  hors  de  la  ville  par  une  eu- 
nette  praliquée  au  fond  des  fossés  méridional  el  oriental,  qui 
existent  encore  en  partie ,  sous  les  maisons  de  ta  rue  de  la  Fus- 
terie .  sous  le  marché  au  blé .  sous  la  place  de  l'Huile  et  la  nie 
qui  va  à  la  fontaine  de  Na-Piitcarda ,  de  là,  à  la  place  Saint- 
Dominique,  et  de  cette  place  hors  des  remparts,  par  ia  porte 
qui ,  à  raison  de  cet  égout .  prenait  le  nom  de  porte  de  VAxa- 
gador,  au  boul  de  la  rue  de  la  Douane.  Ce  fut  quand  la  ville 
s'agrandit,  sous  le  premier  roi  de  Majorque,  qu'on  bitit  une 
voûte  au-dessus  de  celte  cunette ,  ce  qui  constitua  la  grande 
cloaque  que  parcourent  encore  les  eaux  de  la  ville ,  à  certaini 
jours  de  la  semaine.  Il  résulte  de  cette  disposition ,  que  le  court 
des  eaux .  dans  relie  cloaque ,  est  en  raison  inverse  de  la  pente 


>â.i:k... 


DE   LA   PREMIÈRE   PARTIE.  k6b 

de  la  rue  de  la  Fusterie  qui  la  couvre ,  et  que ,  dans  le  même 
temps  que  les  eaux  du  ruisseau  de  cette  rue  coulent  de  Test  à 
Touest ,  celles  du  canal  qui  se  trouve  au-dessous  vont  dans  le 
sens  contraire.  La  grande  profondeur  à  laquelle  se  trouve  le 
plan  de  ce  canal  en  a  fait  diviser  la  hauteur  en  deux  parties  par 
une  forte  voûte  ;  la  partie  du  dessus  forme  des  caves  à  plusieurs 
des  maisons  de  ce  quartier.  Un  autre  fossé  ou  canal  fut  creuse 
plus  tard  autour  de  Tun  des  quartiers  de  la  paroisse  de  la  Real. 
Ces  nouvelles  cloaques ,  partant  du  marché  Neuf,  remontent 
sous  la  grande  rue  de  la  Real ,  passent  sous  celle  qui  traverse 
devant  cette  é^ise ,  descendent  par  la  petite  rue  de  la  Real  au 
marché  au  Blé ,  et  vont  se  décharger  dans  la  grande  cloaque. 
Ce  canal ,  non  moins  profond  que  le  premier,  est  interrompu 
par  un  mur  en  maçonnerie  vers  le  milieu  de  la  petite  rue  de  la 
Real.  Un  troisième  embranchement,  partant  de  l'ancien  moulin 
de  la  ville ,  se  dirige  vers  la  rue  de  T Ange ,  qu  il  parcourt  dans 
toute  son  étendue ,  et  va  déboucher  dans  le  fossé  de  la  Basse ,  à 
côté  de  la  porte  qui  existait  anciennement  au  bout  de  cette  rue. 

NOTE    X. 

Sur  l'ancien  château  des  rois  de  Majorque. 

Le  château  royal  de  Perpignan  était  entièrement  terminé,  à 
ce  qu'il  paraît ,  à  Tépoque  de  la  mort  du  premier  roi  de  Ma- 
jorque. Après  Textinction  forcée  de  ce  royaume ,  il  n*eut  plus  de 
destination  fixe,  et  il  resta  à  la  disposition  du  roi  d'Aragon 
comme  maison  royale.  Ferdinand  I''  Tassigna  pour  demeure  à 
Tantipape  Benoît  XIII ,  qui  y  séjourna  tant  que  TAragon  re- 
connut son  autorité  ;  il  fut  ensuite  affecté  au  logement  des  gens 
de  guerre,  sans  cesser  d'être  désigné  par  le  nom  de  château 
royal.  Ce  château  avait  une  grande  entrée  avec  pont-levis,  au 
milieu  de  la  façade  occidentale,  et  trois  autres  portes,  aux 
autres  façades ,  pour  communiquer,  soit  avec  le  jardin  et  le  pré 
I.  3o 


dôe  •  iNOTES 

dits  lie  la  Betne.  M>it  avec  lu  bo»  du  Itoi.  Au  milieu  de  U  vule 
rttur  que  laîsseni  entre  iMva  Ica  i[uati«  lactts  de  ce  bâtimeot, 
exitle  un  puits  trèB-pitifiintl.  La  chupelle,  loule  bàlie  eu  pierm 
d<^  taille,  s  eli>vc  du  milieu  de  la  face  urienlule.  Cette  chap^ 
t4ait double, c'esl-à-dire  qu'il  s'en  troufail  une  au  rei-de«hau» 
%/ie,  qui  n'était  que  ciiinmt!  diapelle  aouteiraine ;  cello  qui  ta- 
vait  à  la  cel<-J)ration  dca  saiub  uiyslènr»  l'Iail  uu  |)tu  au-dessut 
du  plan  An»  appaiiementa  du  pramier  éta{^c.  et  ou  y  luontait 
par  un  larfje  perron .  aboulitsant  à  uuc  |;nlerie  couverte  atten- 
dant aur  toute  la  face  intnîeure  du  bàlimenl  de  ce  col^,  LW 
très  de  la  cbspelle  intérieure  i»t  nue  et  sans  aucune  etpùce 
d'ornaiDont»  -,  celle  do  la  chapelle  inpf^rieure  élail  toute  en 
marbre,  et  d^orée,  nuivant  le  gtiût  du  temps,  do  colonnea 
minci»  et  itr^lei   ctonl  le»  Hinpil^aui  aonl  orné.t  d'animaui 
chimMqiiCii.  Le*  bntlanln  fie  la  porte,  en  bois  de  iinirGr,  ifturni 
divine»  (tn  mmpa<  lînitntt»  par  de»  listels  m>u»  Imqnd*  ilam< 
cacJu^  de»  cluus  qui  tendaient  une  toile  |)eiiile  eu  liltiu  ila  ciel 
Celle  toile  avait  été  placét^  sur  ce»  batlanta .  sans  doute  potii 
masquer  )e»  fente*  et  les  jours  que  forme  le  retrait  du  buis  iwn< 
ce  ciiiual.  quelque  vieui  que  soient  les  madrier»  qu'on  eoi 
ploie  pour  les  ouvrages  de  inennlserîp  ■  de*  veslipe*  de  rplii' 
loiie  peinte  s'y  remarqueni  encore ,  près  des  iisieis. 

La  galerie  placée  à  la  liauteur  des  appartemenb,  el  par 
laquelle  on  montait  à  la  chapelle,  établissait  une conuDuaica- 
tion  entre  les  appartements  du  roi,  placés  du  calé  du  nord,(' 
ceux  de  la  reine  qui  se  trouvaient  au  côté  opposé.  A  coté  de  la 
grande  entrée ,  au  milieu  de  la  face  occidentale,  on  voit  iol^ 
rieurement  un  bel  escalier  suspendu,  d'une  constructioD  k- 
marquable. 

Les  registres  de  l'ancienne  cour  du  domaine  royal  nous  ip- 
prennent  que  pendant  longtemps  les  rois  d'Aragon  firent  ât 
ver  des  lions  dans  le  château  royal  de  Perpignan  ;  on  y  tionis 
inscrites   plusieurs  commissions  de  personnes  chaînées  dca 


DE   LA   PREMIERE   PARTIE.  ^67 

prendre  soin  ;  on  y  a  même  transcrit  la  manière  dont  il  faut 
élever  les  jeunes  lionceaux.  Le  lion  étant  le  symbole  de  la  puis- 
sance suprême ,  il  ne  devait  avoir  pour  gouverneurs  que  des 
personnes  nobles  ;  aussi  voyons-nous  cette  chaîne  confiée  à  des 
chevaliers,  dont  Tun,  en  i455,  Daimas  del  Volo,  se  qualifie 
chambellan  du  roi.  Une  lettre  de  Tinfant  don  Juan,  fils  de 
Pèdre  IV,  et  lieutenant  général  dans  les  comtés  de  Roussillon 
et  de  Cerdagne ,  défend  au  gouverneur  du  château  de  permettre 
qu*aucun  troupeau  puisse  brouter  les  gazons  de  ce  château ,  ré- 
servés pour  le  pâturage  des  chèvres  et  autres  animaux  destinés 
à  la  nourriture  des  lions. 

Un  trompette  fut  attaché  au  château  royal  quand  on  le  con- 
vertit en  logement  de  gens  de  guerre.  Le  8  de  janvier  i  Aoa  le 
roi  Martin ,  informé  que  Tinsuflisance  du  salaire  de  ce  trompette 
le  forçait  à  servir  de  domestique ,  ordonne  à  son  procureur  royal 
de  porter  ce  salaire  à  cent  sous  de  Barcelone  *,  «  Attendu ,  dit 
«  ce  prince ,  que  Tofiice  de  trompette  est  très-nécessaire  et  très- 
«  important  à  ce  château ,  clef  non-seulement  des  comtés ,  mais 
■  de  toute  la  Catalogne.  » 

C'est  dans  ce  château  que  fut  enfermé  et  que  mourut  en 
bas  âge  Tainé  des  enfants  de  Jacques  d'Armagnac ,  placé  avec 
son  firère  sous  Téchafaud  sur  lequel  on  décapita  ce  prince ,  le 
4  août  1477.  (Sainte-Fois.) 

Le  château  royal  était  entouré  de  prés  et  de  bois  garnis  de 
bancs,  pour  la  conmiodité  des  promeneurs.  Une  défense  qui 
se  renouvelait  tous  les  ans  portait  que  personne  n*y  devait 
entrer  avec  des  chiens ,  des  arbalettes  et  toute  espèce  d*attirail 
de  chasse.  Au  bois  étaient  contigus  un  olivet ,  un  verger  et  un 
champ  de  figuiers ,  qu'après  la  ruine  du  royaume  de  Majorque 
les  rois  d'Aragon  baillaient  à  ferme.  Un  bail  de  quatre  ans, 
commençant  au  1"  mars  iÂo3,  porte  le  prix  annuel  de  ce  fer- 
mage à  la  sonmie  de  trente  livres  de  Barcelone.  (  Arch.  dom.  )| 

3o. 


.Sur  r^puyuf  dr  la  toiatraction  Ja  CofliUrt,  I 

L'i>poqiie  d«  !a  coosiruction  du  [«lit  cltâtran  cm  casUttel  de  \ 
Perpignan  eut  al>»ol  union t  incountiv.  Eu  Tnlufincc  dr  tout  do-  , 
cumcDl  »ur  ettXe  origine ,  le»  uns  onl  rt'panlc  mj  fi>rt  cnninM 
uii  inonnnicnt  du  \'  sjnrle,  le*  autres  t^tinime  ue  nunontuitj 
{iM  au  doln  du  xV  si«-lo.  Un  nncieu  pr*tre  avail  tmurc.  dilon^ 
iiiio  nnic  qui  allriliuait  In  ronHalînn  t\v  cotte  masse  n  In  pm— 
mière  du  et»  deux  époijUT'ii,  mni«  col  Pcclétiastique  est  roor^ 
dcpuU  linigl«m[i« ,  et  noux  n'ovoii»  pu  avoir  aucun  renseigne- 
ment [(rïcû  siu"  \n  viriié  de  ce  fuit,  dont  nous  avons  de  t)onn« 
niiRuna  de  douter.  Pour  ce  i]ui  eut  du  la  co»»tmclion  de  re 
chùteau  au  xi'  «iècle,  nom  no  croyons  pas  que  cette  opinion 
»uit  mieux  ruiidcv.  A  celte  époque ,  la  métlimle  de  rortificRlioii 
n'était  plus  celle  employée  au  castiltcl,  et  d'aîUcur*  nou*  Ir 
Irouvuns   mentionné,  des  iA3o,   tous  le  nom  de  Cattillttun 
htatw  Maria,  dan»  udl'  senteiiitr  arLIliale  de  cette  anni!^. 

Tout  porte  à  croire  que  la  fondation  de  ce  rhâtcau .  entière- 
ment de  d^Tense.  e»l  postiVipure  à  la  ri'union  du  mvaumede 
Mxjorque  à  celui  d'Aragon,  Si  cette  forteresse  avait  existât 
celte  époque,  il  est  impossible  qu'il  n'en  eût  pas  été  faitnteii' 
lion  dans  le  courant  de  cette  guerre  désastreuse ,  dans  laquelle 
Perpignan  fut  resserré  de  si  jircs.  L'occasion  d'en  parler  se  pré- 
sentait nécessairement,  nous  disons  même,  inévitablenienl. 
soit  à  propos  de  la  révolte  des  habitants  du  faubourg  de  Notit- 
Dame ,  que  ce  fort  domine .  soit  au  sujet  de  la  remise  des  fof- 
lifu;ations  de  la  place  et  du  cbàteau  royal  aux  troupes  du  coi 
d'Aragon.  La  construction  de  cette  masse,  toute  en  briqua,  et 
encore  un  indice  qu'elle  appartient  au  xiv'  siècle.  L'usag«  de 
faire  entrer  ces  matériaux  dans  la  bâtisse .  Irès-répandu  du» 
r.uilicjuiti'.  avail  commencé  à  se  perdre  vers  le  temps  de  Gtl- 


DE   LA   PREMIERE   PARTIE.  469 

lien.  Au  lieu  d*une  maçonnerie  toute  en  briques,  on  n'em- 
ploya plus  celles-ci  que  conjointement  avec  des  pierres.  On 
faisait  une  assise  de  pierres  et  moellons  d'environ  un  pied  de 
haut,  sur  laquelle  on  plaçait  deux  ou  trois  rangs  de  briques, 
quelquefois  plus,  et  on  alternait  ainsi  jusqu'au  haut  de  Tédi- 
fice.  Cette  manière  de  bâtir  fut  abandonnée  vers  le  temps  d'At- 
tila ,  et  on  en  revint  à  la  bâtisse  toute  en  pierres.  Au  xiii*  siècle 
on  recommença  à  introduire  la  brique  dans  les  constructions, 
de  la  même  manière  qu'au  m*  siècle,  c'est-à-dire  en  inter- 
calant des  rangées  de  briques  dans  les  assises  de  pierres  et 
moellons.  Perpignan  ayant  été  fondé  à  l'époque  où  l'on  ne  bâ- 
tissait qu'avec  des  pierres ,   les  murailles  qui  entourèrent  la 
ville   primitive  furent  construites  en  remblai  de  pierrailles, 
avec  parements  de  galets  tirés  du  lit  de  la  Tet,  et  on  recon- 
naît à  cette  uniformité  de  bâtisse  les  maisons  les  plus  anciennes 
de  la  paroisse  de  Saint-Jean.  Cette  méthode  commençant  à 
changer  à  l'époque  où  Perpignan  devenu,  de  fait,  capitale  du 
royaume  de  Majorque,  s'agrandissait  de  deux  tiers,  on  peut 
suivre ,  dans  les  constructions  faites  depuis  cette  époque ,  les 
différents  progrès  du  nouveau  système  de  bâtisse.  L'église  des 
Carmes,  construite  en   12 13,  celle  des  Prêcheurs,  en  ia43, 
celle  des  Cordeliers,  en   1292,  sont  en  parements  de  galets, 
mais  avec  le  tour  des  fenêtres  et  le  pilier  qui  en  partage  la  lar- 
geur,  en  briques  ;  celles  de  la  Real  et  de  Saint-Jacques ,  bâties 
plus  tard ,  présentent  des  parties  de  murs  de  quatre  pieds  de 
haut,  en  galets,   séparés  par  un  ou  deux  rangs  de  grosses 
briques.  Cette  méthode  d'entremêler  les  briques  avec  la  pierre 
multipliant  les  briqueteries,  et  rabaissant  par  conséquent  le 
prix  de  ces  matériaux ,  on  les  fit  entrer  en  plus  grand  nombre 
dans  les  constructions  ;  au  lieu  de  trois  ou  quatre  pieds  d'in- 
tervalle entre  les  rangées  de  briques ,  on  n'en  mit  plus  qu'un  de 
douze  à  quatorze  pouces ,  comme  à  l'église  de  Saint-Jean ,  fon- 
dée en  iSad-  Bientôt  on  ne  fit  plus  qu'un  lit  de  briques  et  un 


470  >iOTES 

<1«  galet*,  tjui  souvient  m^me  ^laiFtit  «éparé»  entre  eux  pu  une 
brique  indinée:  enfin,  ver»  l«  xvT  fcietle.  le  iriagp  dp»  j(«lcb 
(Uo»  In  riviVre.  cl  leur  transport  devenant  plu»  cwileux  qo» 
l'achat  de»  britfiics ,  nn  rcmim^n  k  s'en  senir ,  et  on  n'an* 
ployi  plus  que  In  l>riqiie  wule.  Les  coiiitructions  militaira 
avaient  devance  cetle  l'po^iie ,  comme  auMÎ  Hlr»  continuèrent 
h  employer  l'anHcnne  méthode,  concurremmrjit  avec  la  nou- 
velle, quand  le»  particulierH  n'admettaient  pins  «i  piermnk 
paletu  dan»  leur»  coutirrictiona.  Le  caslîtlet.  tout  bili  en  briqoM^ 
i  l'exception  dr»  angle»  pi  ilu  tour  des  feu^tn?»  et  portes .  a  dA 
ttro  construit  »om  le  rt^e  de  Pedro  iv  ou  de  Martin  ,  son  soc- 
cesseur.  qui  ont  lont  fatt,  l'un  et  l'autre,  pour  celte  ville  et  ptmr 
•a  conservation .  et  qttï  voulurent ,  par  co  moyen  ,  assurer  dm 
protection  cfEcacc  aux  deux  fauboun?» .  liabités  alor»  par  1» 
ttniiturier»  «t  le»  lanneun. 

Lu  rdi-mt!  du  cusiillcl  eut  celle  d'un  cam^  long,  terminé  atu 
deux  bouts  par  unii  tour  qui  n'a  de  saillie  que  du  crlté  deli  ' 
campagne ,  pour  la  défense  do  In  porte  de  la  ville ,  qui  élail  • 
travors  ce  cIiAIoru.  Celte  saillie  des  tours  n'est  même  pus  wk- 
lameDl  arrondie;  le  milieu  de  cette  demi -circonférence  poniM 
m  avant  un  ventre  encore  plus  saïllanl  que  le  resle.  L'cnlH*  d( 
la  ville  qui  se  trouvait  entre  ces  deux  lours  s'appelait  portali 
Noilra-Dona  del  Pont,  comme  le  témoignent  de  vieux  ado. 
parce  que  le  pont  de  la  Tet,  comme  presque  tous  les  ponts  uh 
ciens,  élail  sous  la  protection  de  la  Vierge,  dont  la  chapde 
étail  bàlie  en  dehors  du  faubourg.  Environ  un  siècle  après  k 
construction  de  la  forteresse  ,  on  supprima  l'entrée  de  la  rSe 
qui  la  traversait,  et  on  bâiil  l'appendice  qui  forme  VentréeK- 
tudle ,  à  la  gauche  du  castillel.  La  différence  des  temps  esl  b»» 
marquée  par  celle  des  mâchicoulis  qui  la  couronnent.  Ceik 
construction  nous  fait  penser  que  cet  appendice  est  l'ouvngc 
des  Français .  sous  Louis  XI.  C'est  ce  prince .  qui ,  comme  M 
sait,  changea,  en  prison  d'état,  une  foule  de  chàleaui-  1^ 


DE    LA   PREMIÈRE  PARTIE.  471 

archives  du  domaine  nous  apprennent  que  sous  sa  domination 
en  Roussillon,  le  castilletfut  dégagé  des  maisons  qui  lui  étaient 
adossées,  que  les  fenêtres  en  furent  garnies  de  grilles  de  fer,  et 
que  des  réparations  à  neuf  y  furent  faites  ;  il  est  donc  à  croire 
que  c'est  pour  assurer  encore  mieux  la  garde  des  prisonniers 
qui  devaient  y  être  enfermés,  que  Louis  fit  supprimer  le  pas- 
sage qui  traversait  cette  prison. 

NOTE   XIL 

Sur  qaelqaes  bourgs  dépeuplés  et  abandonnés. 

Le  nombre  des  villages  ou  bourgs  dépeuplés  à  la  suite  des 
longues  et  sanglantes  guerres  auxquelles  le  Roussillon  a  été  si 
souvent  en  proie,  et  par  d'autres  causes ,  est  considérable.  Nous 
oe  voulons  parier  ici  que  de  ceux  qui  existaient  aux  environs  de 
Perpignan ,  et  dont  la  dépopulation  paraît  avoir  été  provoquée 
aussi  par  Tagrandissement  de  cette  ville ,  sous  les  rois  de  Ma- 
jorque qui  l'avaient  choisie  pour  leur  résidence. 

Les  actes  des  x%  xr,  xii*  siècles  font  mention  d'une  foule  de 
lieux  qui  n'existent  plus  depuis  longtemps,  et  dont,  pour  quel- 
ques uns ,  l'emplacement  est  inconnu  ;  tels  sont,  à  un  rayon  de 
qudques  lieues ,  Canomalis ,  Ortolanes ,  Ories ,  Malleolas ,  Ver- 
netum  ,  Villamaldum  ,  Mutaciones  ,  Ponciones  ,  Villa  de 
Barres,  etc. 

Nous  avons  déjà  parié  de  Malleolas  ou  Villa-Godorum  ;  nous 
avons  dit  à  peu  près  tout  ce  qu'il  y  a  à  dire  sur  le  Castrum  de 
Rossillone,  l'antique  Ruscino,  dont  la  population  finit  par 
s'éteindre  pendant  la  guerre  qui  avait  pour  objet  la  réunion  du 
royaume  de  Majorque  à  l' Aragon.  En  effet ,  nous  trouvons  dans 
un  ancien  titre  de  l'an  182 4  une  publication  faite  par  le  crieur 
pahlic ,  dans  toutes  les  rues  de  cette  ville;  et  un  siècle  après,  une 
maison  que  son  acte  de  vente  signale  comme  placée  dans  i'in- 


472  NOTES 

(Meur  do  In  ville,  i/i/iu  villam  iIp  Castro  Rouihoiie,  n'a  pour 

confroiit»  cjiic  dos  k'^nemcntji  nirnt», 

A  pru  de  (liïtniit:c  du  (^ostruin  de  Rossilione  était  le  village 
<le  Villnruuud.  I  i7/a -/IrnaWi,  dinUtigué  en  supérieur  et  infé- 
rieur. («  vilbgL',  dont  la  ]Kisitioii  prétiw  est  dilTicile  à  deler- 
miiter  ttujuunnnii .  était  pourtant  encore  habité  eo  iSpô. 
ptiisqu'à  cett«  é[K)i]ue  il  y  existait,  d'après  un  acte  que  noua 
avum  lu.  une  euur  [curia]  et  itu  Uaillî.  En  i  hà^  il  n'y  reaUit  pini 
{Mtnunnu.  et  lu  recturie  eu  fut  unie  au  di api tre  de  Saint-Jean 
de  rer|iignau.  Le  aa  décembre  i485  le  vicomte  d'Ille  et  Canet. 
sénéchal  d<>  ToulotiM ,  pondant  l'cn^jagement  du  lioussillon  ■ 
la  t'rancc.  approuva  In  vente,  faite  m  la  m^me  éj^isc,  de  ce  fief 
que  Vidal  de  Vnt|;ornera  toiinit  de  lui. 

Ortolnnes  était  prcH  de  Hivptinlle»  ;  In  Villa  de  barres  était  nui 
environ»  de  Snlm^,  et  avnil  encore  des  Imliitnnts  cii  119J; 
celle  de  Contliionrai  ou  de  Pontionihns  était  auprès  de  C^éi; 
Ortn.  ancien  domaine  drs  templiers,  est  très-counu,  et  n'a 
jiunais  été.  j>enl-étre.  ipi'un  hameau,  comme  les  trois  autre» 
lieux:  leVoruel.  possédé  uusxi  en  partie  par  les  templiers ,  est 
également  (rés-connu  ;  des  niédaUles  i-omaines  trouvées  «or 
Hon  sol  slleslenl  son  nntiqnité.  Quant  aux  lieux  de  Cauomulii 
ou  Kanomales,  et  de  Mutaciones.  Mutacionibus.  Mudaiionibos , 
i\i  cxislaienl  dans  la  Salanque.  aux  environs  de  Bonpas  et  de 
Claira,  et  ce  sont  aujonrd'liui  deux  quartiers  appelés  Gma- 
Malh  et  Madahons.  Le  premier  avait  déjà  perdu  tous  ses  habi- 
tants au  comniencenienl  du  xiii'  siècle.  A  partir  de  cette 
époque,  le  nom  de  ce  village,  qui  dans  tous  les  actes  anté- 
rieurs est  écrit  (x)nomalis  et  Canomalibus,  devient  Canis-Mali), 
et  finit  par  n'être  plus  écrit  que  Canibus-Malîs.  L'autre  boui^, 
Mutaciones.  qui  datait  des  temps  antiques,  était,  à  ce  que  soa 
nom  indique  .  un  de  ces  logis  où  exblaient  des  rdais  de  cIk- 
vnux  apparlcnant  à  l'étal ,  pour  le  transport  des  paquets  dont 
étaient  cliar^és  les  messn^ers ,  comme  aujourd'hui  les  courrios, 


DE   LA   PREMIERE    PARTIE.  475 

et  pour  le  service  des  voyageurs  qui  avaient  le  droit  ou  Tauto- 
risation  de  s'en  servir.  Cette  espèce  de  bureau  de  poste  était  sur 
la  route  directe  de  Salses  à  Ruscino ,  et  servait  pour  la  prompte 
conununication  des  dépêches.  Mutaciones  n'est  pas  mentionné 
sur  les  itinéraires  d'Antonin  et  de  Théodose ,  par  la  raison  que 
ces  itinéraires  ne  citent  que  les  villes  et  villages  d'étape  pour  le 
logement  des  soldats  en  marche ,  et  que  les  mutations  étaient 
toujours  dans  des  lieux  ouverts ,  et  où  Ton  pût  arriver  de  nuit 
conune  de  jour.  L'église  de  Mutaciones  avait  le  titre  de  pa- 
roisse ,  ce  qui  semble  annoncer  une  population  d'une  certaine 
importance.  Cette  église,  convertie  en  ferme,  existe  encore 
sous  le  nom  de  Saint-Sébastien.  £^e  avait  été  réunie  en  lààS  à 
la  mense  capitulaire  de  Saint-Jean  de  Perpignan ,  par  la  raison 
qu'il  ne  résidait  plus  personne  sur  cette  paroisse  :  attendens 
qnod  parochialis  ecclesia  Sancti-Sebastiani  de  Mutacionibus,  dicta 
dioBcesis,  per  unam  leucam  vel  circa  ah  eadem  villa  Perpiniani  dis- 
tans,  parochianis  adeo  destituta  erat,  eo  quod  in  ilUus  parochia 
nuïlus  twic  residebat,  etc.  (Arch.  eccles.) 

NOTE    XIII. 

Sur  Cachhement  de  l'éylise  de  Saint-Jean. 

L'agrandissement  de  Perpignan  avait  exigé  l'augmentation 
des  édifices  consacrés  au  culte.  Trois  nouvelles  paroisses  avaient 
été  érigées  par  le  premier  roi  de  Majorque ,  en  attendant  qu'on 
pût  reconstruire  à  neuf  celle  de  Saint-Jean,  devenue  beaucoup 
trop  petite  pour  la  population  nouvelle.  Les  fondements  de 
cette  seconde  église  de  Saint-Jean  furent  jetés,  comme  nous 
l'avons  dit,  en  i324«  et  les  travaux  en  furent  continués  sans 
interruption  jusqu'à  la  naissance  des  voûtes.  Interrompus  alors 
par  la  guerre  que  le  roi  d'Aragon  faisait  au  dernier  roi  de  Ma- 
jorque, ils  furent  repris  à  la  paix,  et  abandonnés  encore  en 
1627,  à  cause  de  la  peste  qui  désolait  alors  le  Roussillon  A  la 


û7i  ^0T^■:s 

cestalion  <lu  liteau,  ie  manf)ue  de  fonds  empÀsba  la  Dotivdle 
re|iri»e  des  trnvaun  ;  ro  ne  fui  que  par  la  faveur  du  concile  de 
Bile  qu'on  pul  achever  cet  pdilice.  Ce  concile  nttachnil  ua 
f^Hiid  intérêt  n  fairp  Irmiincr  lus  églises  dont  la  conslructioD 
durait  depuis  lon^mps.  L'év-t^iue  d'EIne  el  le  cliapiire  de 
Saint-Jean  rà:laiuérent  aoo  intervention .  et  dans  Itt  séiuioe  du 
b  des  calendes  d'août,  ces  prélats  dérrélérent  de  grandes  iU' 
diligences  en  faveur  de  tous  les  lideles  cjui  concourraient .  par 
leurs  oilraiides,  à  l'achèvement  de  cette  église.  Le»  travaux  k 
trouvant  ainsi  repris  pendant  l'occupation  du  Houssilloii  par 
les  rran<;ti»,  la  voûte  fut  terminée,  et  les  armes  de  France 
furent  «vulptées  à  la  clef  de  cette  voûte.  au-deMUs  du  »aDe- 
tuaire,  La  reine  de  ^apIes  ,  doim  Saiicia,  infante  de  Majorque, 
avait  déjà  fait  terminer  n  ses  frais  la  cliapeiic  de  la  Vierge,  dite 
du  la  Ma^rana  :  cette  princesse  donna  pour  cela  1^5  llorîiu 
il'nr,  valant  trente-cinq  onces.  {M.  S.  du  chait.  Coma.) 

L'élise  entière  ne  fut  complètement  achevée  qu'on  iSio; 
cejjeudant.  dès  l'an  i5o4,  époque  à  laquelle  l'orgue  fut  placf. 
un  avait  commencé  à  y  célébrer  quelques  oflices.  La  consccnilion 
aulennelle  n'eut  lieu  toutefois  que  le  16  mai  1509.  On  trouve 
dans  les  archives  de  la  ville  une  publication  faite  par  ordre  à» 
consuls,  obligeant  tous  les  habitants,  vu  ia  sainteté  dasam- 
ment  de  la  dédicace,  à  se  rendre  à  l'église  de  Sainl-Jean,  pour 
assister  à  la  messe  et  vËpres  qui  y  seront  célébrés,  *diu  peiwJt 
cinqioiu  d'amende.  [Lib.  Ordinal.) 

Le  retable  du  maître- autel  lut  d'abord  de  bois  doré.  Va 
siècle  plus  tani ,  le  chapitre  et  les  consuls  s'entendirent  pour 
faire  les  fonds  néc«ssaires  pour  payer  celui ,  en  marbre  blaoc . 
qu'on  y  voit  aujourd'hui.  Le  zèle  fut  tel ,  que  ce  travail ,  d'uw 
assez  belle  exécution ,  entrepris  à  la  fin  de  iGiS,  parunscnlp^ 
leur  de  Barcelone,  se  trouvait  déjà,  le  5  juillet  de  l'année  joi 
vniite,  presque  nu  point  où  on  le  voit  aujourd'hui  :  In  nwrl  ^ 
l'artiste  enipiV'ha  qu'il  fût  achevé. 


DE    LA    PKEMIEKE  PARTIE.  475 

L*église  de  Saint-Jean  n*a  qu'une  seule  nef,  mais  imposante 
par  sa  grandeur  et  par  la  hardiesse  de  sa  voûte.  La  largeur  du 
vaisseau ,  entre  les  piliers  qui  séparent  les  chapelles  en  enfon- 
cement qui  régnent  sur  les  côtés ,  est  de  soixante  pieds  ;  sa  lon- 
gueur, depuis  la  porte  jusqu'au  chevet ,  est  de  deux  cent  qua- 
rante pieds ,  et  la  hauteur,  sous  voûte ,  est  de  quatre-vingt-sept 
pieds.  Une  lézarde  s'étant  manifestée  dans  les  grosses  mu- 
railles, du  côté  du  clocher,  au  commencement  du  xviii'  siècle, 
on  se  hâta  d'y  faire  quelques  réparations  ;  mais  ces  travaux , 
maladroitement  calculés ,  ne  firent  qu'augmenter  le  mcd.  L*ar- 
chitecte  des  états  de  Languedoc  appelé  à  Perpignan  par  l'in- 
tendant de  Roussillon,  fit,  le  27  février  lyAii  un  rapport 
duqud  il  résultait  que  les  réparations  qu'on  avait  exécutées 
avaient  occasionné  une  nouvelle  lézarde ,  que  le  mur  de  l'église 
présentait  un  ventre  de  huit  pouces ,  et  qu'il  existait  une  pous- 
sée de  la  voûte  d'ogive  contre  le  mur  de  face  extérieure  du 
clocher  ;  il  conseilla ,  pour  arrêter  le  mal  et  consolider  le  monu- 
ment, la  construction  d'un  contre-mur  avec  des  arcs-boutants 
pour  soutenir  l'ancien  :  ce  qui  fut  exécuté.  (Arch,  près.) 

Le  clocher,  suivant  la  tradition ,  était  de  la  même  date  que 
l'église  du  vieux  Saint- Jean ,  et  ce  qui  reste  dé"  la  construc- 
tion primitive  ne  dément  pas  cette  origine.  Cette  tour,  fondée 
sur  quatre  gros  piliers  angulaires ,  était  terminée  par  un  dôme 
couvert  en  plomb  *,  sur  lequel  s'élevait  une  statue  de  Saint- 
Jean  ,  de  dix  pieds  de  haut.  En  1 709,  cette  tour  menaçant 
ruine,  on  en  démolit  la  plus  grande  partie,  qui  fut  reconstruite 
en  briques  "*  et  à  pans  coupés ,  comme  on  la  voit  aujourd'hui. 
La  tour  de  l'horioge  était  aussi ,  k  la  même  époque ,  terminée 
par  un  dôme  couvert  de  plomb,  qui  s'écroula  en  1717.  La  re- 
construction n'en  commença  que  longtemps  après.  En  1 787, 

*  I^  dépense  da  plomb  fat  faite  par  1m  consub,  avec  let  fonds  de  la  ville,  auMibien  qae 
ctUedee  denx  grandes  cloches,  qui  furent  fondues  le  9  novembre  i353.  Note  da  livn  vert  mintur. 

"  Les  pierres  dont  était  construite  lancienne  tour  servirent  à  paver  le  parvis ,  qui  avait 
d*aboird  M  fait  en  briques. 


476  NOTKS 

oii  descendit  In  ditchc.  ifu't  tlulr  de  l'on  1.^99  *,  et  on  refit  In 
deux  mure  en  pierre»  de  luilie,  L'dégante  cape  de  fer  qui  1er 
mine  U  tonr.  fat  fHitc  en  1 7^3  .  >-■(  te  1  ^  mai  de  l'aitn^  lui- 
tHfil«  Qii  y  rvplarn  In  cloche. 

Lt  façade  de  l'^liso  nt  resli^  sans  ornement»,  faute  d«  Ebiid«. 
Au  xvii'  aiérle  on  lileva,  devant  la  porte.  )c  tambour  en  m*- 
i,»nnerie  que  couronne  nii  dôme  »urnionl4  de  In  statue  de 
laint  Jemi.  cl  on  construisit  le  psrvi»  rjui  U  prrcède.  De 
I  haque  cité  ilc  l'entra  de  ce  pnrvi»  on  plaça  nnc  sinine ,  enle- 
va depuiv  la  i^union  du  Konssillon  ■  la  France.  La  statue  de 
gauche  représenUiit  un  vieillard  portant  »ur  sa  poitrine  nn  ecu . 
avec  cette  inH'ri|)lion .  Innala  /iilrtilm  in  conle  Pcrpiiiianeiuiim  ; 
il  montrait  du  datgt  un  pli  de  »n  rolw  où  se  trouvaient  renfer- 
més un  cliien,  nn  rhnt,  nn  rnl  et  des  lambeaux  d*enfant.  nvec 
cos  mot»  :  En  eihai  et  etra  Perpiiuanrniitm  pra  lervitiù  régit  et  pa- 
Irim.  Celte  statue  fui  [losiV!  I'-  fi  tnnrs  16.^1  :  sur  son  piédestal 
on  lisait  c«s  trois  inscriptions  : 

Première  inscription.  JVon  mihi,  uni  tnli  Deo  honor  ri  ijlona 
Deuxiénte  inscription.  Fiêeliuima  aria  Pfrpimanrniii.fmdiUa 
aiitt  X"  advêulum,  i>ccci.ixx  oniiM;  1  eomilihua  gubrrmtta  al  aium 
Dùmini  nccc  luijue  ad  MKhwu. 

Troisième  inscription.  Eccifsiœ  vêlera  Sancti  Johannis  cowe- 

La  seconde  statue ,  qui  était  placée  du  côté  de  l'hoHoge ,  avsîl 
été  inaugurée  sur  son  piédestal  te  18  juin  de  la  même  année; 
elle  représentait  ta  vilte  de  Perpignan,  sous  la  figure  d'up 
guerrier  casi^ué  et  cuirassé,  ayant  sur  ta  poitrine  cette  inscrip- 
tion :  Fiiiem  à  Sancio  Pauio.  ftdetitatem  a  natara,  roiuiliam  t 
mcis,  arma  a  t'icloriis,  tituiamJideUssimm  a  servitiit;  cl/nem  et  "<■' 
riim  Hispaitiœ  ab  obedientia  sustenlo.  Au  piédestal  on  lisait  la  lin 
de  l'inscription  de  l'auti-c  piédestal .  en  ces  termes  : 


DE  LA    PREMIÈRE   PARTIE.  ^77 

Première  inscription.  Gubernata  per  Aragonum  reges,  ah  an- 
no  MCLXXii  usqiie  ad  mcclxii  :  per  reges  Majoricaram,  usque 
ad  MCCCXLIV  :  itérant  per  reges  Aragonum  ad  mcggglxii,  quœ  fuit 
per  reges  Galbrum  tyramûce  oppressa  y  usque  ad  mggggxciii,  quœ 
fuit  régi  Aragonum  restituta. 

Deuxième  inscription.  Non  gestis  sed  solo  servitio  Dei  glorior. 
(  M.  S.  d*Honoré  Clavari.  ) 

L'église  de  Saint-Jean  possédait  autrefois  un  ostensoir  de 
vermeil,  de  plus  de  six  pieds  de  haut,  et  dont  le  poids  excédait 
quatre  cents  marcs  *.  Pour  le  porter  aux  processions  du  saint- 
sacrement,  il  fallait  huit  ecclésiastiques  des  plus  forts.  (  Voyage 
pitt.  de  Rouss.  ) 

NOTE    XIV. 

Sar  les  portions  canonicaUs  à  la  mense  de  Saint- Jean. 

La  quantité  de  vivres  qui  formait  chaque  portion  canonicale 
aurait  de  quoi  e£Brayer,  si  Ton  ne  savait  pas  que  la  charité  en- 
vers les  pauvres  est  une  des  vertus  imposées  au  sacerdoce ,  et 
que  Texcédant  de  la  table  capitulaire  donnait  à  chaque  cha- 
noine les  moyens  de  faire  chaque  jour  une  large  aumône.  Voici 
à  cet  égard  ce  que  nous  trouvons  dans  le  manuscrit  du  cha- 
noine G)ma. 

«La  mense  commune  (capitulaire)  avait  de  rentes  environ 
«deux  mille  florins  d*or  d'Aragon.  La  portion  de  pain  et  de 
«  vin  qui  se  donnait  aux  chanoines ,  ainsi  que  celle  des  dilTé- 

•  rents  autres  aliments ,  était  si  excessive ,  qu'une  seule  aurait 
«  suffi  à  la  nourriture  de  quatre  personnes.  En  effet,  on  donnait 

•  à  chacun  une  livre  de  pain  du   poids  de  trente-huit  onces 

•  (équivalant  à  environ  treize  hectogrammes),  de  très-belle  fa- 

*  Cette  belle  pièce  ainsi  qu'un  plat  sur  lequel  se  trouve  la  tête  de  saint  Jean ,  le  tout  en 
argent,  étaient  un  don  de  la  confrérie  des  pareurs  de  Perpignan,  et  attestent  la  richesse  de 
cette  corporation,  qui  avait  contribué  puissamment  ii  la  construction  de  1  église,  où  elle  avait 
une  chapelle  à  la  droite  du  sanctuaire.  Marcé,  Euai  tur  la  manurt  de  rrcueillirUt  denriei  du 
RotuiUloH. 


«8  NOTES 

•  rinp.  rt  une  certniii*  mt-sure  tie  viii  ap[wl*d  /wdri*  (é(|iii«a- 
«Unt  h  lieux  litres  quatre  treiuéntm).  Chnque  jour,  ^o*  ou 

•  maigre,  un «ervail  au  réfectoii-e  deu»  sotipp»;  nu x  jours  in»i- 

■  gnw,  l'uDe  ^Liit  irbortola^s.  l'autre  de  Irgunu-s-  Ces  joiin- 

■  là  un  (loiiuait  de  deux  e^^péces  de  poÎMon ,  l'une  de  pobun 

■  frttit.  l'aulre  de  poiuoD  salé.  En  carèoie  et  aux  jours  de  jeûne 

■  aussi  bien  qu'aux  vendredis  de  l'nnn^.  le  cliapdain  (cdui 

■  qui  élail  rliai-){^  des  dislribntioiii)  était  tenu  de  donner  à 

•  chacun  trois  morceaux  de  poiston  frais  ou  salé,  excepté  dc- 

■  puis  le  premier  vendredi  apr^s  PAques  juvqu  it  la  Saint-MicW 

■  de  septembre,  qu'on  (ttmnnil  n  rliKuiiriiiq  (euIs  eu  sus  de  ce 

■  qui  est  dit,  K  un  jwtit  friimagn.  Mats  le  vendredi  saint,  en 

■  m^oire  do  la  mort  et  pasiion  de  Jésus-Christ,  ou  ne  piaçaîl 
1  sur  In  table  cuinmune  que  des  foucices  chaudes  et  de  l'eau. 

■  Les  samed-îs  ou  jeiïuait  en  l'Iionneur  de  Notre-Dame,  et  on 
<  servait  douse  oeufs  et  du  jardinage.  La  vigile  de  Sainl-JMu  on 
«  donnail  pour  dessert  trois  fi(;ne»  Iraiches  ou  auliv  fruit.  Aax 

■  villes  de  lo  PcRterûte.  do  l'Ascension,  de  Saint-Jean,  du 

•  Saint-Pierre,  de  Saiut-Paul  cl  aulres.  en  sus  du  poisnon. 

■  chacun  recevait  cinq  trufa. 

•  Aux  jours  pr"-''  ""  donnait  enli-e  six  |)ersonnes  un  quir- 

•  lier  de  mouton  qui  était  apprêté  de  trois  manières  difTérentes, 

■  aussi  bien  que  le  quart  d'un  aduaco,  et  on  jetait  dans  ta  mar- 

•  mite  de  gros  quartiers  de  vache  et  de  porc.  Le  jour  de  Noët 

■  le  chapelain  était  obligé  de  distribuer  entre  six  un  agneau  rôti 

•  avec  deux  soupes  de  paradei  ',  et  de  donner  deux  deniers  de 

•  uectar  [  il  doit  vouloir  dire  hypocras  ) ,  et  un  denier  de  gaulres. 

■  Aux  jours  de  Saint-Etienne  et  de  Saint>Iean  l'évangéliste ,  on 

•  distribuait  entre  deux  personnes  un  oiseau  dit  cyrogrHlat~.et 

•  l'on  ajoutait  des  épices  aux  soup^  ;  la  m£me  pitance  se  don- 


î 


DE   LA   PKEMIÈRE   PARTIE.  479 

nait  à  la  Grconcision ,  à  l'Epiphanie  et  à  la  Puriûcatiou ,  avec 
force  vache  (c*est  sans  doute  bœuf  qu*îl  faut  entendre),  et 
porc  à  la  marmite.  Le  dimanche  de  carnaval  on  partageait 
entre  six  un  quart  de  nK)uton ,  et  on  donnait  une  moitié  de 
poule  à  chacun.  Aux  trois  fêtes  de  Pâques  oo  donnait  un 
chevreau  pour  quatre  personnes,  la  moitié  en  était  ix>uillîe, 
Tautre  moitié  rôtie;  on  ajoutait  ces  jours-là  du  petit-salé  au 
bouilli,  et  la  soupe  était  de  macarons.  Aux  jours  de  T Ascen- 
sion et  de  la  Pentecôte ,  comme  aux  jours  de  Pâques ,  le  jour 
de  Saint  Jean  on  mettait  au  pot  au-feu  un  gios  morceau  de 
vache  et  de  porc ,  et  on  partageait  un  canard  entre  deux  ; 
même  chose  au  jour  de  TAssomption.  Tous  les  dimanches, 
depuis  Saint-Jean  jusqu'à  TAssomption ,  on  partageait  entre 
quatre  personnes  un  gros  canard  en  sauce. 

«  Tous  les  jours  de  distribution ,  les  restes  du  diner  étaient 
distribués  aux  pauvres  qui  attendaient  à  la  porte.  Quand  un 
des  conunensaux  s'absentait,  ou  5'i7  n'avait  pas  assisté  aax  ser- 
vices divins,  sa  portion  ne  restait  pas  au  proiit  de  la  mense 
conunune  ;  elle  augmentait  celle  des  pauvres ,  etc.  > 

NOTE   XV. 

Sar  le  combat  singulier  entre  le  roi  d Aragon  et  le  doc  d Anjou. 

L'histoire  de  Pèdre  m ,  roi  d'Aragon ,  se  lie  trop  intimement 
avec  celle  du  Roussillon ,  pour  qu'il  ne  nous  soit  pas  permis  de 
défendre  sa  mémoire  de  l'odieuse  inculpation  dont  n'ont  pas 
hésité  à  la  flétrir  quelques  écrivains ,  peu  soucieux  de  cette  im- 
partialité ,  premier  devoir  de  l'historien. 

Les  circonstances  qui  firent  manquer  le  combat  qui  devait 
avoir  lieu  entre  ce  prince  et  le  roi  de  Sicile ,  Chaiies  d'Anjou , 
chacun  à  la  tête  de  cent  chevaliers ,  sont  racontées  si  difiérem- 
ment  par  les  historiens  des  deux  nations ,  que  ce  n*est ,  comme 
y  invite  Ferreras ,  que  dans  les  écrits  de  ceux  qui  n'avaient  au- 


cun  inlérèt  à  Uirc  la  vérité. 


quoi 


cheit-l.c 


I  I»  ,M. 


Suivant  In  Fraoçais,  l'cdre  aurait  propose  liiitnôm«  te  c«rtd, 
«t  il  ne  l'nurftit  fnit  que  tiens  le  seul  objet  de  ^gner  du  temp* 
Bn  Sicile,  en  attciidaiil  quu  les  maindies  vinssent  détruire  l'or- 
mée  frHn<;ni*c.  Im  lAi^lielt^  du  voi  rl'Arngon,  qui  n'aurait  pu 
paru  au  mndei-vous .  taiidi»  que  le  iluc  d'Anjou  .  roi  de  Sicile, 
Mrait  reaté  en  armes,  au  milieu  du  cliaiup  dus  .  depuit  le 
soleil  levaul  jusqu'uu  soleil  louciiunl,  le  jour  que  devait  aroir 
lieu  le  L'ombnl .  l'aurait  seule  fuît  manquer.  Suivant  les  Aragon- 
nais ,  Charles  d'Anjou  aurait  porli^  le  pi-emier  dél'i  ;  il  aurait  a»- 
signi^  lui-ni^me  la  ville  de  lloideaux  comme  le  lieu  du  combat, 
el  y  «orail  venu  avec  le  roi  de  France,  qui  se  serait  fait  suivre 
de  douie  mille  cLovaui  artii^'s.  Le  roi  d'Angleterre,  inrormé  de 
celle  circonstance,  et  jugeant  bien  qu'il  ne  pouvait  pas  assurer 
le  camp  nu  roi  d'Aragon ,  n'aurait  pas  voulu  se  transporter  » 
Bordeaux,  et  imn  sénéchal  aurait  fait  connaître  cette  réaoIutitiD 
nu  rui  don  l'èdre.  Oclutci ,  malgré  les  dangers  qu'il  poiiviit 
courir,  se  serait  œiidu  dans  cette  ville .  déguisé .  aurait  dcmanil^ 


acte  de  sa  présence 
guago  de  sa  venue . 
mains  de  cet  oITicier. 
Il  répugnera  toujoi 
roi  comme  Pédre,  qi 
jamais  aucune 
seul  son  royaui 
lancée  contre  lu 
de  générositi'  di 


'bal.  et  aurait  laissé,  en  témoi 
le ,  sa  lance  el  »ou  épée  entre  let 


tout  lecteur  impartial  de  croire  qu'un 

t'ait  de  si  grandes  choses,  qui  n'évita 

de  combattre ,  qui  défendit  presque 

2  contre  toute  la  croisade  que  le  pape  avtil 

qui  paya  si  souvent  de  sa  personne  et  mit  taat 

is  sa  conduite  envers  le  roi  de  France  et  se 


I  dcnoùment  de  leur  funeste  expédition  en  Calati^; 
que  ce  prince ,  disons-nons ,  ait  pu  se  rendre  coupable  de  l'x^ 
tion  dégradante  qu'un  lui  prête  :  cette  expression  infâme,  t* 
mol  lâcheté,  semble  reculer  de  lui-même  devant  son  nom. 
Thomas  livmer.  compilateur  des  actes    publics  de  l'hisloiR 


..J 


DE  LA  PREMIERE  PARTIE.  (i8l 

d^An^eterre,  en  fixant  l*opiniou  sur  quelques-unes  des  circons- 
tances  de  cette  célèbre  discussion ,  montre  le  jugement  qu*on 
doit  porter  sur  lensemble. 

Les  articles  arrêtés  par  les  commissaires  désignés  par  les 
deux  princes  pour  régler  les  conditions  du  combat  furent  en 
substance  : 

«  Que  le  combat  aurait  lieu  à  Bordeaux  dans  le  lieu  que  le 
roi  d'Angleterre  jugerait  le  plus  convenable,  lequel  lieu  serait 
environné  de  barrières; 

•  Que  les  deux  rois  se  présenteraient  devant  le  roi  d'Angle- 
terre pour  donner  ce  combat  le  i"  juin  1 283  ; 

«  Que  si  le  roi  d'Angleterre  ne  pouvait  pas  se  rendre  en  per- 
sonne à  Bordeaux  les  deux  rois  n  en  seraient  pas  moins  tenus 
de  se  présenter  devant  celui  que  le  n>éme  roi  aurait  député 
pour  recevoir  acte  de  leur  comparution  ; 

«  Que  si  le  roi  d'Angleterre  ne  se  trouvait  pas  en  personne  au 
même  lieu ,  ni  n'envoyait  quelqu'un  pour  tenir  sa  place ,  les  deux 
rois  seraient  encore  tenus  de  se  présenter  devant  celui  tfui  comman- 
dait à  Bordeaux  pour  lui  ; 

«  Que  le  combat  ne  pourrait  avoir  lieu  quen  la  présence  du  roi 
d'Angleterre  et  non  devant  qui  que  ce  fut  des  gens  de  ce  monarque, 
sauf  aux  deux  rois  de  convenir  entre  eux ,  par  un  consentement 
mutuel,  de  combattre  de  cette  manière,  c'est-à-dire  en  l'ab- 
sence d'Edouard  ; 

«  Que  si  le  roi  d'Angleterre  ne  se  trouvait  pas  en  personne  au 
lieu  et  au  temps  marques ,  les  deux  rois  seraient  tenus  de  l'at- 
tendre trente  jours; 

«  Que  celui  des  deux  rois  qui  manquerait  de  se  trouver  au 
lieu  et  jour  désignés  serait  réputé  vaincu ,  parjure ,  faux ,  in- 
fidèle, traître;  qu'il  ne  pourrait  jamais  s'attribuer  ni  le  nom  de 
roi  ni  les  honneurs  dus  à  ce  rang  ;  qu'il  demeurerait  pour  tou- 
jours privé  et  dépouillé  du  nom  de  roi  et  de  Thonneur  royal ,  et 
serait  incapable  de  tout  emploi  et  dignité  comme  vaincu ,  par- 
I.  3i 


W2  \OTKS 

jiire .  fauk  .  ifilHlrlo ,  inràniu  «^(«nwllant^ul.  ■  Voye*  le  te)de  tU 
rrt  ac«)ni  dmin  Rymer.  Inciii'  U. 

Ui  rni  (l'AiiglitU-'irp  nuviiît  tro(t  bien  le*  dispoxilïoii»  que  fiii- 
MÎI  la  rni  it«  Frunt-u  («nr  «muixt  le  wirrM  du  rambat  «n  ft 
veiir  de  >nn  ouclu  [Htur  oter  {iromrltre  la  iiireti^  du  camp  n 
rtri  d'Ara(»oii  :  c  est  ce  inolif  ijni  i'i'mjiiVho  du  »c-  rendn»  à  Bof- 
itoaua  ol  (l'autoriser  la  haUiUo.  nin»  qu'il  s'en  cxfdiqiiii  kvoc  le 
rai  de  Sicile .  Charim  d'Anjou,  (|iiand  il  lui  ^ril  ^ua  fSMirfif 
pourrait  gognnr  Irt  ihux  tvyautnei  A'Anujonet  ih  Sifile,  l'JncM» 
(6wf  fHU  affunrr  f'  raui^  aiu:  dtiu:  mit  ni  ptrmtttn  f ue  ce  Ja^ 
MJttiin  ourun  (ifu  de  au  dimiinalion .  ni  «n  auriin  autre  où  il$ml 
oa  «on  fMMiMir  de  Vempichet.  I«i  iiutaocM  (rM-pr^esantca  du 
pape,  tout  (li'ntiiiéà  CIiuHm.  pour  qu'txlouui-d  ne  pt^nnll  pu 
)e  cnmbal .  motivaitMit  «ans  doula  aussi  U  lin  du  pacage  qiie 
non»  riions.  Le^  hislorien*  frani;nii  qui  conviennent  det  il^ 
marchea  midtiplii^»  du  pape  aupn'-s  de»  rois  d'An^lvIenv  rt  Hf 
France  pour  i^u'iU  s'appotnwcnt  au  caml>at  du  prince  non  la 
vori .  contre  un  advpruniif  qu'il  avait  ctimnM-nrt^  par  fticom 
muiiier  pour  le  mettre  linrs  du  droit  oommuTt .  ne  renur 
quant  pas  qu'ils  font  du  duc  d'Anjou  uii  fan»  bratr.  qui,  lùr 
du  triomphe  par  le  sii'ours  di*»  lances  françaises  qiip  Ip  mi  Plii 
lippe  avait  réunies  autour  de  Bordeaux  .  n'aurait  tenu  daas 
toute  cette  affaire  qu'une  conduite  de  fanfaron,  ce  qui  ne  <> 
nullement  au  caractère  de  Cliaries.  féroce  il  est  vrai,  mis 
brave  et  lojal.  Les  torts .  dans  cette  circonstance ,  appartiennenl 
au  roi  de  France,  qui  avait  fait  avancer  ses  troupes  sons  Bar- 
deaux pour  assurer  le  succès  à  son  oncle  malgré  même  la  vo- 
lonté de  celui-ci. 

Il  est  bien  avéré  que  Philippe ,  a  qui  on  a  si  sin^liéremenl 
donné  le  surnom  de  Hardi ,  puisque .  comme  le  remarque  Hé- 
lerat ,  rien  dans  sa  vie  ne  peut  le  justifier,  avait  entouré  Bor- 
deaux de  ses  troupes  et  tendu  ainsi  desembùcheaau  roi  d'Aragon. 
Los  savants  historiens  de  Languedoc  alTirmentque  ce  princeanil 


DE   LA   PREMIÈRE   PARTIE.  /i85 

convoqué  toute  la  noblesse  de  son  royaume  pour  raccompagner  à 
Bordeaux,  et  les  archives  de  Montpellier  leur  ont  fourni  la  preuve 
que  le  sénéchal  de  Gircassonne  avait  mandé ,  en  conséquence , 
les  principaux  vassaux  de  sa  sénéchaussée ,  et  leur  avait  or- 
domié  de  se  trouver  à  Bordeaux  en  chevaux  et  en  armes  avec 
les  gens  de  leur  suite  le  3i  mai  13 83  *  :  or,  le  3 1  mai  était  In 
veille  du  jour  assigné  pour  le  duel.  Comment  après  avoir  donne 
des  témoignages  si  authentiques  du  peu  de  sûreté  qu'il  y  avait 
pour  le  roi  d* Aragon  à  se  rendre  librement  au  rendez-vous ,  ces 
historiens  peuvent-ils,  quelques  lignes  plus  bas,  accuser  ce 
prince  d* avoir  craint  de  prétendaes  embûches  ?  Etait-ce  pour  ne 
la  rendre  que  simple  spectatrice  d'un  combat  dont  il  n'était 
pas  juge  et  qui  ne  se  donnait  pas  sur  ses  propres  terres  que  le 
roi  dé  France  faisait  prendre  les  armes  à  toute  sa  noblesse  ? 

Charies  se  trouva  à  Bordeaux  le  1"  juin ,  et  y  resta ,  dit-on , 
toute  la  journée  au  milieu  du  champ  clos.  Mais  pourquoi  cda  P 
ce  prince  savait  très-bien  que  le  combat  ne  devait  pas  avoir 
lieu ,  puisque  le  roi  d'Angleterre  lui  avait  écrit  d*une  manière 
si  précise  qu'il  ne  voudrait  pas  permettre ,  au  prix  même  des 
deux  royaumes ,  que  le  duel  se  fit  en  aucun  lieu  de  sa  domina 
tion  :  les  historiens  français  qui  rapportent  cette  conduite  de 
Charies  lui  font  donc  faire  une  rodomontade.  Muntaner,  écrivain 
contemporain  et  qui  raconte  avec  beaucoup  de  détail  toute  cette 
a&ire,  ne  parie  nullement  de  cette  circonstance,  et  en  cela  il 
rend  plus  de  justice  à  Charles.  La  seule  chose  qu'eût  à  faire 
le  roi  de  Sicile  c'était,  aux  termes  du  paragraphe  à,  de  faire 
acte  de  comparution  par  devant  le  sénéchal  du  roi  d'Angle- 
terre. D'après  le  paragraphe  6 ,  il  aurait  dû  attendre  à  Bordeaux 
pendant  trente  jours  la  venue  du  roi  d'Angleterre  ;  mais  il  savait 
très-pertinemment  que  ce  prince  n'y  viendrait  pas  :  raison  do 
plus  pour  que  Charles  n'ait  pas  fait  ce  que  lui  prêtent  les  his- 
toriens français. 

*  HUtfin  fimérûli  de  Lanjutéoc .  tnm«  TV,  pag.  4  >  • 


Uharlcn  fil  l'acln  tir  iTnuipiinitinii  nuquet  il  '^sil  tenu  el  su 
râtfl  tl  Bonlcjuix;  {icnikiil  l'c  li'inpx  les  Ixuupes  françaîHM  f;iirt- 
tairol  l'tirnvpf  (lu  nii  i]'Ara)^u  jiour  s'emparer  de.  m 
c'ent  dti  muiru  ut  que  celui-ci  uvuil  taule  raison  de  cninilrr,  «l 
re  qui  muliva  le  il^uïwineul<[ii'il  prit  pour  entrer  «IlanfHiii 
en  loiiUi  hùrelf^  et  faire  «'gaiement  acte  de  coinpanitiou.  (7(91  li 
aaiiiaeuuial  ce  k  quoi  ih  Élai^-nt  leim*  l'un  «t  r«iilre.  i:ar  puur 
In  bataille,  HOU»  le  rrpolon*  ,  elle  ne  poiivaîl  piu  nvoir  lieu,  Ir 
roi  d'AaitUilvrra  ^nt  ala«nl  et  n'aynnt  d^ignr  pectonne  pour 
le  reBiplAccr  ;  r'c*t  encan  ce.  que  ce  (>rince  proclame  htsi»' 
Hieul  (bti*  la  lettre  qu'il  (^rivjt  «u  pritice  de  Snleme.  Tili  ir 
(HinHe*.  que  Ai>fl  loin  d'avoir  aa^vrJè à toa pèrr  en  tfa'il  lai  né- 
mande  loitchani  ce  nmbal ,  it  Va  rv/uté  loui  ifutrv  :  re  nM  lt> 
«ipreMioiis  vat-au>»  d'bdouard,  dan»  cette  lellrequ'il  avait ticnlt 
en  fnui<;aî» ,  el  que  Hi^iner  rnpporle  flan»  «on  tonte  II. 

Pâlir  noua  ri-namitr,  si  le  rninbat  entre  les  deux  mit  u  ■  p•^ 
«m  lieu ,  on  n'ait  pu  [Mr  la  Tiiiite  dii  roi  d'Aragon ,  moins  eutn 
par  M  làcliol^,  luoi  qui.  «uivatit  l'exprosKion  de  MonUigM. 
biirlc  de  ae  Iniuver  à  eùt^  de  l'e  niitn  ;  c'e^t  ytar  In  Taule  du  >rul 
rui de  France,  dont  la  cai)duile  iiesaureil  »«  justifier  n  rmicii' 
Wiail  que  le  roi  d'ArBRûi)  tlaJl  sous  le  poids  des  Toniln»  ^ 
l'église,  que  cet  analhcme  le  nacttait  hors  du  droit  commun, 
et  que,  dans  les  idées  ilti  temps,  tout  étant  permis  contre  un 
excommunié,  une  fierridîe  cessait  de  paraître  contre  lui  une 
action  détestable. 

NOTE    \V1. 

.Sur  tinlrrrofiatoire  drs  lem'Airrt  du  RousnlloH. 

Tout  ce  qui  se  rattache  à  ces  malheureux,  que  de  ■rop 
gmiiiles  riche.«ses.  et  san.s  doute  aussi  la  crainte  qu'ils  u'- 
busnsseni  plus  tard  de  l'inHuence  que  leur  donnait  ces  mè\acs 
rii'hu.'ise» ,  pn^ipititrcnt  à  leur  ruine ,  intéresse  vivement  aujour 


DE   LA   PREMIERE   PARTIE.  485 

à  raison  de  riiorrible  injustice  dont  ils  périrent  victimes 
a  plupart.  Nous  croyons  devoir  extraire  des  savantes  et 
euses  recherches  de  M.  Raynouard  ce  qui  se  rapporte 
mpliers  du  Roussillon  >  dont  rétablissement  était  au  Mas- 
et  nous  le  faisons  avec  d'autant  plus  de  plaisir  que  ces 
tiers  sont  du  nombre  de  ceux  qui  soutinrent  le  plus  lié- 
ïment  l'innocence  de  Tordre. 

fut  dans  le  courant  du  mois  de  février  iSog  que,  par 
z  de  Tarchevéquc  de  Narbonne,  son  métropolitain.  Té- 

d'E^ne  commença  une  information  contre  vîngt-cinq 
iers  du  Mas-Deu  qui  se  trouvaient  alors  détenus  dans  le 
lu  de  TruUas.  «Tous  soutinrent  Tinnocence  de  Tordre 

cette  fermeté  et  cette  candeur  que  la  vérité  seule  peut 
irer.  Le  livre  des  statuts  fut  déposé  entre  les  mains  de 
que;  ils  déclarèrent  qu^ils  ne  concevaient  pas  que  des 
iliers  eussent  fait  Taveu  des  crimes  qu'on  imputait  à 
Ire ,  puisque  jamais  Tordre  ni  les  chevaliers  n*en  avaient 
oupables  ;  que  si  quelqu'un  d'eux  avait  &it  de  tels  aveux 
ait  menti  par  sa  gorge  ;  un  autre  ajouta  que  celui-là  de- 
être  le  diable  incamé  sous  la  peau  étnn  homme. 
AYMOND  DE  LA  Garde,  précepteur  du  Mas-Deu,  observa 
selon  leurs  statuts  un  chevalier  coupable  des  dérégle- 
ts  de  mœurs  qu'on  imputait  à  tous  aurait  perdu  Thabit 
'ordre ,  et ,  les  fers  aux  pieds  et  aux  mains ,  aurait  été 
dans  une  prison  pour  y  être  nourri  du  pain  de  la  tristesse 
>reuvé  de  Teau  de  la  tribulation  tout  le  reste  de  sa  vie. 
ARTHÉLEMi  DE  LA  TouR,  prêtre,  s'exprima  ainsi:  Je  ne 
(  pas ,  sauf  Thonneur  et  le  respect  que  je  dois  au  souve- 
pontife  et  aux  cardinaux  qui  attestent  les  aveux  du  grande 
tre,  je  ne  puis  pas  croii*e  qu'il  ait  avoué  les  crimes  dont 
Ire  est  faussement  accusé. 

•ÉRENGUiER  DE  CoLLO  dit  :  En  Thonueur  de  la  croix  et  de 
is  crucifié  les  frères  de  Tordre  adorent  solennellement  1^ 


tm  NOTKS 

•  croix  U'oia  foû  l'HuaMcIt?  veiuircdi  »aiiit  tl  le»  joui-s  des  tHi 
>  de  la  croix  en  mai  el  «n  septembre. 

>  Jban  dk  Coma,  [ir^lrp.  ejouta  que  bien  loin  d'iiiRiiiter  «  la 

■  croix  Ir»  chevalier*  flvnieiU  pour  die  un  le)  respect,  que  In»- 

•  i]u'iU  duvAici'l  Riititfaire  a  ipjclqiies    bemim   nature!»,  ii 

■  ivaienl  l' Attention  Hn  dtfKMcr  leur  uianleau ,  où  «>t  b  li^n 
-drlacntix.. 

1  L'iiifunnation  iiit  Ivriniiic):  !<■  1 1  de> caleiiden  de  sepleuiNT 

•  l^io.  •  Moaamenli  hiit.  rtlal.  à  la  i-anilam.drs  chev,  ilii  Teitpli, 
paj(e>  àh  et  ^67. 

NOTE    Wll. 

IMalion  d»  l'oj-nji  Jr  Miuitancr,   dr  Colonr  A  Prrpujnan .  (mur  ajifiurtf 
rinjanl  Jaymr  A  $f>n  aï/alt. 

•  Quand  rinl'ant  don  Fernand  fut  parti  de  Meitsine  (puur  l> 
Uor^).  je  nolîsai  une  net'  de  Barcelone  qni  était  à  PiiHW 
pour  qu'elle  vint  è  Messine  et  de  là  à  Catane ,  et  je  li*  é^- 
nirnl  puster  dans  cette  ville  une  Irejt-bonne  dame  de  parop 
qui  était  Amjiaurdanr!  et  sn  nommait  madame  Agnès  Dtin. 
venue  en  Sicile  dans  la  coinpa^'iiîc  de  iiolilc  dume  Isabelle  ilt 
Cabrera,  femme  du  noble  Bérenger  de  Sarria.  Elle  avait  w 
vingt-deux  enfants,  et  était  très-dévote  et  pleine  de  boDtàJt 
[n'arrangeai  avec  celte  dame  et  avec  ce  noble  personna^  poar 
qu'il  la  laisaât  venir  avec  moi ,  afm  de  la  charger  de  la  guit 
du  seigneur  infant,  messire  Jayme.  fils  du  seigneur  in^' 
HMsaire  Femand  ;  et  il  me  la  laissa  par  un  effet  de  sa  courtoiW' 
Je  lui  confiai  donc  le  seigneur  infant ,  parce  qu'il  me  pariisuit 
qu'elle  devait  avoir  beaucoup  d'expérience  en  ce  qui  coDcenc 
les  enfants,  et  qu'elle  était  d'une  condition  distinguée  etl» 
iiorée.  H  y  avait  là  aussi  une  brave  dame  qui  avait  été  noomM 
de  l'infant  don  Femand  et  que  madame  la  reine  de  M^OT]i>e 
lui  avait  envoyée  aussitdl  qu'dle  apprit  qu'il  s'était  mari^-J* 


J 


DE   LA    PREMIERE   PARTIE.  487 

ris  encore  d'autres  femmes,  outre  la  nourrice  de  l'infaDt,  qui 
tait  une  femme  de  Catane  forte  et  bien  constituée,  et  qui  l*al- 
âitàt  avec  grand  succès.  Outre  cette  nourrice  j*en  pris  encore 
eux  autres  que  j'embarquai  dans  la  nef  avec  leurs  nourris- 
>ns ,  aiin  que  si  une  venait  à  manquer,  il  y  en  eut  toujours 
'autres  pour  la  remplacer.  J'enibarquai  ces  deux  dernières 
rec  leurs  enfants  pour  que  leur  lait  ne  passât  pas  et  qu'elles 
ts  allaitassent  jusqu'au  moment  ou  leur  service  deviendrait 
écessaire. 

«  Mon  voyage  étant  ainsi  disposé ,  je  mis  un  bon  équipage 
ans  la  nef,  et  j'y  fis  monter  cent  vingt  hommes  d'armes  de 
arage  et  d'autres ,  et  je  me  munis  de  tout  ce  qui  m'était  né- 
essaire  pour  la  nourriture  et  pour  la  défense.  Au  moment  où 
appareillais  de  Messine  arriva  de  Qarence  une  barque  armée 
ue  le  seigneur  infant  envoyait  au  roi  de  Sicile  pour  lui  £ùre 
avoir  la  grâce  que  Dieu  lui  avait  faite  (la  prise  de  Clarence)  ; 
t  il  me  le  mandait  à  moi-même  avec  détail  pour  que  je  pusse 
n  informer  le  seigneur  roi  de  Majorque ,  madame  sa  mère  et 
es  amis  ;  il  m'envoyait  aussi  des  lettres  pour  madame  sa  mère 
t  pour  le  seigneur  roi  de  Majorque ,  et  me  priait  de  me  hâter 
le  quitter  la  Sicile.  Assurément  je  me  dépéchais  bien ,  mais  je 
ois  bien  plus  de  diligence  encore  quand  je  sus  ces  bonnes 
touvelles. 

«  Je  ils  donc  partir  la  nef  de  Messine  pour  Catane  où  je  me 
endis  par  terre ,  et  peu  de  jours  après  mon  arrivée  elle  entra 
lans  le  port  et  j'y  fis  embarquer  tout  le  monde.  Au  moment  de 
tire  monter  à  bord  le  seigneur  infant,  messire  Ot-de-Monel 
gouverneur  de  Catane)  fit  rassembler  tout  ce  qu'il  y  avait  de 
hevaliers  catalans,  aragonnais  et  latins  dans  Catane,  ainsi 
rue  tous  les  citoyens  honorés  de  la  ville ,  et  s' adressant  a  eux 
1  leur  dit  :  Reconnaissez-vous ,  messieurs ,  cet  enfant  pour  le 
leigneur  don  .layme,  fils  du  seigneur  infant  don  Femand  et 
le  madame  Ysabelle,  sa  femme  défunte  PTous  direnl  que  oui . 


488  NOTKS 

«gii'ils  avaient  assisté  à  son  bapléme.  qu'ils  l'avaient  cnMulr>n 
(Il  connu  ,  et  qu'ils  étaient  sûrs  que  c'était  lui.  Sur  ctïtte  ilécli- 
ration  le  seigneur  Ot  tit  di-esser  un  acte  public.  Il  répéta  eiuuile 
la  même  queilion .  et  ïur  la  même  rép}n»e  il  lit  faii^  un  second 
acte  public,  et  il  retommen^o  une  troisième  Tniiet  fil  Tain  un 
Iniistémc  écrit.  Il  mil  ensuite  l'eofanl  ilans  mes  In-as ,  el  voulul 
avoir  (le  moi  nn  nouvd  acte  lémoijîuuut  qu'il  était  quille  du 
serment  el  bommu^c  qu'il  m'avait  fuît .  ol  par  loquet  je  recon- 
naissais avoir  re(;ii  ce  dépôt.  Quanti  cela  fut  terminé  j'eroporUt 
de  la  villo,  dans  mes  bras,  le  seipineur  inânt,  suivi  pir  pin» 
dtt  mille  persomies.  et  quand  je  le  mis  daus  la  nef  tout  Inr 
liront  if  sip>e  de  la  croix  cl  lo  bénirent.  Ce  jour-iii  «rriïii  » 
Catnne  nn  huissier  du  seigneur  roi  Frédéric,  apportniil  de» 
part  deux  puires  de  rol>es  de  drnp  d'or,  avec  divers  préiiciu  pour 
le  setgmuir  itiFnnt  don  Javmp, 

•  Nous  lunes  voil^  de  Cnlunn  lu  premier  aoûl  de  l'an  i3i5 
Quand  je  fus  au  ca|>  Trapani  je  reçus  des  lettres  où  l'on  i» 
di^sit  de  nie  mélier  de  quatre  galères  q«i  avaient  Hé  arorfn 
contre  moi  poureidever  celenfaiil,  psrce  qu'on  s«]^)osailqw 
si  on  pouvait  l'avoir  on  recouvrerait  la  ville  de  Oarenw.  Kn 
apprenant  celle  nouïi4le  j'Hupneiiiai  encore  les  force*  ilt  tt 
nef.  et  j  y  mis  plus  d'armes  el  plus  de  gens,  et  je  vousfmHiiN> 
que  de  quatre-vingt-onze  jours  ni  moi  ni  auCMne  des  (éninK) 
qui  étaient  avec  moi  ne  mîmes  le  pied  à  terre.  Nous  nousanf 
lames  douze  jours  à  l'ile  de  Saint-Pierre  (dépendant  de  Is  Str- 
daigne),  et  nous  y  attendîmes  le  départ  de  vingt-quatre  neb. 
tant  catalanes  que  génoises,  qui  allaient  au  ponent.  Nouspv- 
limes  tous  ensemble  de  cette  île .  et  nous  essuyâmes  une  tdk 
tempête  qu'il  y  en  eut  sept  qui  se  perdirent,  et  nousell» 
autres  fûmes  en  grand  ilanger.  Cependant  il  plut  à  Dieu  dt 
nous  lai.sseï'  prendre  leriv  à  Salon .  le  jour  de  la  Toussainl. 
"ans  que  jamais  la  mer  eût  fait  le  moindre  mal  an  seipMW 
infant  ni  à  moi  ;  car  il  ne  sortit  pas  de  mes  bras  ni  nuit  ni  jour 


DE    LA    PREMIERE    PARTIE.  489 

lut  que  dura  la  tempête.  Je  devais  le  tenir  moi-même,  parce 
ue  la  nourrice  ne  pouvait  se  soutenir  tant  elle  souffirait  du  mal 
e  mer>  ainsi  que  les  autres  femmes ,  qui  ne  pouvaient  ni  le 
orter  ni  se  mouvoir. 

«Quand  nous  fûmes  à  Salou  Tarchevêque  de  Tarragone, 
lonseigneur  don  Pierre  de  Rocaberti,  nous  envoya  autant  de 
lontures  que  nous  en  avions  besoin ,  et  on  nous  donna  pour 
abitation  Tbôtel  de  Guauesch.  Nous  nous  en  allâmes  ensuite  à 
etites  journées  à  Barcelone  où  nous  trouvâmes  le  seigneur  roi 
'Aragon  qui  accueillit  très-bien  le  seigneur  infant ,  voulut  le 
oir>  le  baisa  et  le  bénit.  Nous  nous  remimes  ensuite  en  chemin 
vec  la  pluie ,  un  grand  vent  et  très-mauvais  temps.  J*avais  fait 
lire  une  litière  sur  laquelle  le  seigneur  infant  était  placé  avec 
a  nourrice  ;  la  couverture  en  était  d'un  drap  enduit  de  cire  et 
e  dessus  de  preset  rouge  :  vingt  hommes,  au  moyen  de  bandes, 
SI  portaient  sur  le  cou ,  et  ainsi  attdés  ils  mirent  vingt-quatre 
3urs  pour  aller  de  Tarragone  à  Perpignan.  Avant  d'arriver  dans 
etle  viUe  nous  trouvâmes  frère  Raymond  de  Saguardia ,  avec 
lix  cavalcadours  que  madame  la  reine  de  Majorque  avait  en- 
oyés  pour  accompagner  le  seigneur  infant,  si  bien  qu'il  ne 
'doigna  jamais  de  nous ,  lui  et  quatre  huissiers  du  seigneur 
oi  de  Majorque  qui  nous  avaient  été  envoyés  dès  que  nous 
urnes  à  Perpignan. 

«Quand  nous  arrivâmes  au  Boulou,  pour  le  passage  du 
?ech ,  tous  les  hommes  de  ce  lieu  sortirent  ;  les  plus  forts  pri- 
ent la  litière  sur  leurs  épaules  et  firent  traverser  la  rivière  au 
eigneur  infant.  Cette  nuit  nous  fûmes  joints  par  les  consuls  et 
^rand  nombre  de  prud'hommes  de  Perpignan ,  et  par  tous  les 
hevaliers  qui  n'avaient  pas  accompagné  le  roi  de  Majorque  en 
'Vance  (à  Montpellier).  Nous  entrâmes  ainsi  dans  la  ville  de 
'erpignan  au  milieu  des  honneurs  qu'on  nous  faisait ,  et  nous 
nontâmes  au  château  où  étaient  madame  la  reine,  mère  du 
eigneur  infant  Kernand ,  et  madame  la  reine ,  femme  du  sei- 


MO  NOTES 

)tnpiir  rui  dri  Mnjorque  :  et  toutes  deux .  quand  «Jlm  nom  timil 
montrr  nii  rhiitcnu .  descendirent  à  la  chafidle  '. 

t  Qtianil  noiu  IViiiies  nrriv«f  n  la  porte  diidit  cbàtnau .  je  {irù 
ilan*  tni-n  lirn*  1p  M'ignt^ur  inrani ,  el  là  ,  avec  grande  joie,  je  )c 
portai  dt-vant  Un  mncs  qui  étaient  ensemble.  Que  Dîeti  nau» 
lionne  untanl  île  ^nir  qu'en  restentit  madame  la  mne.  vm 
ftieule.  quand  elle  Ir  vil  ainiî  grftcienx  et  beau  ,  av«c  la  bct 
Hniite  et  belle,  et  vêtu  de  drap  d'or  avec  un  manloau  ù  la  m- 
tala ne  fourré ,  et  un  beau  batal  (bonftot  en  foritiedottiorlî^jiJu 
m^mc  drap  sur  (a  léte.  Quand  je  fui  pr^  de»  reine»  je  m'ige- 
nouillni  et  baisai  la  main  de  rhacune.  et  Je  fis  baiMT  au  wi- 
^etir  in&nl  la  main  do  ion  iiieide.  Quand  cela  lîil  fait  élu 
voulut  le  prendre  don^t  rcs  bi-a« ,  mais  je  lui  dis  :  Paile»-nioi  li 
fjice  et  tnnnri.  t>t  qu'il  nevousdi-pUisepas  .  car  vous  ncratuei 
paa  que  je  n'aie  été  déchargé  dn  lardcau  que  j'ai.  Madame  It 
reine  se  mil  k  rire  et  dit  qu'elle  y  consentait.  Je  lui  dis  alori: 
Madame .  le  lieutenant  du  sei^ueur  roi  csl'ii  ici  i'  et  elle  dit  ■■ 
Oui,  «eigncur,  le  voici  :  c'était  uieKsire  Hugues  de  l'otao.  Je  dt- 
mmidai  ensuite  m  le  bailli  élait  ik,  ainsi  que  le  vtguier  et  1» 
consuls  de  Perpignan  ;  ils  y  Étaient.  Je  demandai  alors  un  no 
lain  public  qui  se  trouva  là-,  il  y  avait  aussi  beaucoup  àt 
c-hevnlien  ainsi  que  tous  les  hommes  bonorés  <le  la  v  iUe.  Qufl.iii 
tous  furent  réunis.  Je  fis  venir  les  femmes,  les  nourricea.  In 
chevaliers  el  fils  de  chevaliers  et  la  nourrice  de  monKigneur 
Pemand.  et  en  présence  des  dames  reines  Je  leur  demsiulii 
par  trois  fois  :  Reconnaissei-vous  cet  enfant  que  je  tiens  dam 
mes  bras  pour  l'infant ,  messire  Jayme ,  premier  né  du  seigneor 
infaut ,  messire  Fernand  de  Majorque .  et  fils  tie  madame  Y» 
belle ,  sa  femme  f  Tous  répondirent  que  oui.  Je  répétai  la  même 
chose  trois  fois ,  et  chaque  fois  on  me  répondit  qu'il  était  bien 
certainemrat  celui  que  Je  disais.  Et  comme  j'eus  dit  cela  je  n- 


DE   LA    PREMIÈhE  PARTIE.  491 

quis  récrivain  de  m'en  donner  acte  public.  Je  dis  ensuite  à 
madame  la  reine ,  mère  du  seigneur  infant  messire  Fernand  : 
Madame ,  croyez-vous  que  ce  soit  là  Tinfant  Jayme ,  ûls  de  Tin- 
fant ,  messire  Fernand  votre  fils ,  que  mit  au  monde  madame 
Ysabelle ,  sa  femme  ?  Oui ,  seigneur,  dit-dle.  Et  trois  fois  je  ré- 
pétai la  même  question  en  présence  de  tout  le  monde ,  et  elle 
me  répondit  de  même  :  Oui,  je  suis  bien  sûre  que  c'est  là  mon 
cher  petit-fils  et  je  le  reçois  pour  tel  ;  et  je  demandai  acte  pu- 
blic de  cette  réponse  au  témoignage  de  tous  les  ci-dessus 
nommés.  Alors  je  lui  dis  :  Madame,  de  votre  part  et  de  la  part 
du  seigneur  infant,  messire  Fernand,  tenez-moi  pour  bon, 
loyal  et  quitte  de  cette  conunission ,  et  de  tout  ce  dont  j'étais 
responsable  envers  vous  et  envers  le  seigneur  infant,  don  Fer- 
nand ,  votre  fils  ;  et  die  me  répondit ,  Oui ,  seigneur,  et  je  ré- 
pétai la  même  chose  trois  fois ,  et  à  chaque  fois  elle  me  répondit 
qu'elle  me  tenait  pour  bon ,  loyal  et  quitte ,  qu'elle  me  déchar- 
geait de  tout  ce  dont  j'avais  été  chargé  envers  elle  et  envers 
son  fils  ;  et  j'en  fis  dresser  acte  public.  Et  quand  tout  ceci  fut 
fait,  je  lui  livrai  le  seigneur  infant  en  bonne  santé,  et  elle  le 
prit  et  le  baisa  plus  de  dix  fois  ;  et  puis  madame  la  reine ,  la 
jeune,  le  prit  et  le  baisa  aussi  plus  de  dix  fois.  Madame  la  reine 
le  reprit  et  le  donna  à  madame  Pierrette ,  qui  était  près  d'elle , 
et  nous  nous  quittâmes  le  château  et  allâmes  à  l'hôtel  où  je  de- 
vais loger,  à  savoir,  dans  la  maison  de  don  Pierre,  bailli  de 
Perpignan.  Ceci  eut  lieu  le  matin.  Après  dîner  je  remontai  au 
château  et  je  remis  les  lettres  que  j'apportais  de  la  part  du 
seigneur  infant,  messire  Fernand,  pour  madame  la  reine,  sa 
mère,  et  pour  le  seigneur  roi  de  Majorque ,  et  je  leur  rapportai 
tout  le  message  dont  j'avais  été  chargé. 

«  Que  vous  dirai-je  I  je  restai  quinze  jours  à  Perpignan ,  et 
chaque  jour  j'allais  voir  deux  fois  le  seigneur  infant,  et  j'éprou- 
vai un  si  grand  ennui  quand  je  m'en  séparai  que  je  ne  savais 
plus  que  devenir.  •  Chron.  d'En  Ram.  Munt.  cap.  a 68  et  269. 


NOTE    XVlll. 

Sui  faulniiU  da  Jiulicin  it.lruijoii, 

f^ons  ci-oyoïis  devoir  donner  id,  ttn  favpnr  de  ceux  de  m» 
iocUsuT»  (fui  ne  «utit  pa»  faniilîeni  avec  l'Iiittoire  d'Aragoji. 
<{ucl([ucs  déLaili  «ur  uiHtc  niagislrature  unique  dans  1»  faile* 
du  moïKlt!. 

\<iniil  le  lï'  siècle  l'Ara^n  élail  répi  [lar  de»  contle».  Vas 
l'an  tlig  IniRo  ArisU,  roi  de  Pampelune.  fut  do  bumî  mi 
d'Artp^n  par  le»  rkbn  homme»  dn  pap  :  celte  rialfi  eal  reculé» 
pBrquel([UM>niutjus()u'ii  H8â.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  parait  qur 
LMt  il  rélaldÙNnnent  m^mv  dp  la  Diounrcliie  que  le»  hauts  pet 
Mmnagui  qui  fblidî-roiit  et!  Iràttf  d'Aragon  lirpnl  leurs  rràerîO 
|wiir  Ui  partage  de  l'aulDriliA  entre  eux  et  le  priacr  qu'il*  rh-- 
voietilsiir  le  pavois,  (^  réserve»  LoastituérenI  le  for»  {faen] 
lie  Subrarve ,  compilé  sur  ce  que  les  loi»  lomlNutles  et  fraoïjua  ' 
avalent  de  uiicux.  Il  Tut  établi  en  prineipe  que  puttqiie  le*  lit- 
ron» abaudonnaient  au  régime  d'un  roi  ce  qu'ils  aTatunt  voit 
(jais  sur  le»  Maure»,  eo  coi  commeuteraît .  avant  tout,  fai 
jnrar  de  le»  mainleciir  dan»  leur»  itivît»  :  qii'iiticuu  mi  ite  (lour 
rait  rien  décider  sans  le  conseil  de  ses  barM)»,  ni  taire  guêtre. 
trêve  ou  traité  important  sans  l'avis  de  doute  riches  b(»nmes  on 
de  douze  des  plus  anciens  et  des  plus  sages  du  pays  qui  lÔRDe- 
raient  ce  conseil.  En  même  temps ,  pour  donner  un  contre- 
poids à  cette  autorité  royale,  il  fui  convenu  d'instituer  un  juge 
pour  prononcer,  en  toutes  circonstances,  entre  celui  àqni  It 
]>ouvoir  souverain  était  confié  et  ceux  qui  le  lui  défeviênt  Ea 
conséquence  Inigo  Arisla,  en  recevant  la  couronne ,  recoooul 
Il  ceux  qui  la  lui  donnaient  le  droit  de  le  déposer,  ti  jamais  il 
nllait  conti'e  les  lois  qui  existaient  au  moment  de  son  âecdoo' 
de  là  le  privilège  de  Vunion .  pour  résister  aux  envahissemealf 
(le  [MiUïoir  <lo  la  pnil  du  nionni-qui' .  el  l'odice  de  jiulicia,  pour 


DE    LA   PREMIERE   PARTIE.  U95 

s'interposer  entre  le  roi  et  ses  peuples,  et  prononcer  entre  eux. 
Le  justicia  était  donc  le  conservateur  légal  des  libertés,  qui  con- 
sistaient dans  l'exacte  observation ,  de  la  part  du  monarque , 
des  fors  et  coutumes  de  la  nation.  Le  roi ,  aussi  bien  que  le  der- 
nier de  ses  sujets,  ressortissait  du  tribunal  de  ce  magistrat, 
et  les  uns  et  les  autres  lui  présentaient  leurs  réclamations  sous 
le  titre  de  manifestation.  Au  justicia  seul  appartenait  le  droit  de 
réparer  les  injustices  des  tribunaux  et  cours,  en  revenant  sur 
la  chose  jugée,  quelle  que  fût  la  juridiction,  luque  ou  ecclé- 
siastique, de  qui  elle  émanait.  Seul  au  monde,  il  pouvait  ar- 
rêter l'exécution  des  ordonnances  royales  qui  lui  paraissaient 
injustes  ou  illégales;  il  avait  le  droit  d'évoquer  à  lui  toutes  les 
affaires ,  d'exclure  les  ministres  et  de  leur  faire  rendre  compte 
de  leur  administration.  Sa  force  était  toute  morale,  car  il  ne 
pouvait  pas  donner  des  ordres  aux  gens  de  guerre,  et  on  sent 
la  sagesse  de  cette  mesure.  Responsable  de  ses  faits  et  actes 
devant  les  corts  seules,  le  justicia  était  les  corts  elles-mêmes , 
permanentes  dans  sa  personne  pendant  les  intervalles  des  ses- 
sions. 

La  même  prudence  qui  avait  fait  défendre  au  justicia  de 
s'appuyer  sur  la  force  armée  avait  aussi  fait  exclure  de  ces  fonc- 
tions les  riches  hommes ,  qui ,  n'étant  pas  passibles  de  la  peine 
de  mort,  n'auraient  pas  offert  assez  de  garanties  à  la  société; 
la  seconde  classe  de  la  noblesse  pouvait  seule  fournir  ce  ma- 
gistrat ,  qui  était  à  la  nomination  du  roi ,  et  qui  avait  pour  as- 
sesseurs cinq  jurisconsultes  qui  décidaient  de  la  légalité  des 
plaintes. 

Jusqu'à  Tan  i46i  le  justicia  n'avait  été  responsable  que  des 
corts;  a  cette  époque  on  jugea  convenable  d'instituer  une  com- 
mission d'enquête  de  dix-sept  membres  des  corts  qui  se  réunis- 
saient trois  fois  par  an  pour  examiner  la  conduite  du  justicia  et 
recevoir  les  plaintes  auxquelles  ses  actes  auraient  pu  donner 
lieu. 


C'est  le  jusUciA  (|)ii ,  A  chaque  clmngempnl  ()e  régne.  a«anl 
i[ue  les  Kuj«li>  jiirnK*piil  fiiJHiU'  au  roi.  i-ecevail  rlu  monaïqiM 
le  aermcnt  de  nupocter  pt  mainleDÎr  le*  libertés  publique» 
AtMs  »\iT  non  tribunni  et  lo  t6tc  couverte  il  voyait  le  poMe»- 
»eur  de  1a  cnuronne  plirr.  nnoti^b:,  le  ^non  devant  lui.d 
jurer  «iir  un  cnu'iUi  t.X  niir  le»  ^von^ili^a .  d'observer  les  fon 
du  royitinnt-  Ol  de  guuvtu-nrr  tuivnrit  los  luis;  c'vït  lai  qui  prn 
tHin<;oil  njor»  sur  Is  It'tc  du  uionaïque  proslenié  devant  If 
corps  de  la  nation,  reprtwenlé  par  ce  ma^iurat  suprême,  cts 
paroles  «AcriKiicnlslIeR  :  Kos,  QVt  valem  tant  (»m  vns.  i»  ri* 
NosTDE  II»,  rart  jm,  qce  ko»  guakdktï  NusTn»  roiut  t.  u- 
BuniTM.  K  (iK  ^o.  NO    {Ziirita  Père»,    /l*W.) 

.Sur  ifiiriifafi  lrttnhlemenl$  ,U  trirr  ru  HmuiUtoH . 

L«  litre  des  archive»  de  la  mairie  de  Perpignan,  intituir 
livre  œrt  miaear,  commence  par  un  calendrier  sur  Ictfud  onl 
été  inscrite»  Icn  priocipoles  .secousses  de  Irrmblemenl  de  tenr 
rcuenties  dans  celte  ville  :  les  voici.  Le  1 1  fiWricr  1 33o ,  à  uni' 
heure  avant  le  jour,  secousse  de  la  diir^y  cl'un  «ir  Mana. 

Le  'i  mars  1 373 ,  avant  minuit ,  secousse  qui  dura  près  à'nnt 
heure  ;  le  reste  de  cette  note  est  devenu  iliiiiUe. 

Le  19  du  méDie  mois  il  y  eut.  le  soir,  une  nouvelle  secousse 
peu  considérable  de  la  durée  d'environ  la  moitié  d'un  ow 

Le  3  mai  suivant,  à  une  heure  après  v^res ,  renouvdlemeal 
du  tremMement  de  terre  de  la  durée  d'un  one  Mmria. 

Le  37  avril  i3Si.  à  une  heure  après  midi,  secousse  dont  la 
durée  nest pas  appréciée. 

lie  3  février  lâ^S.  entre  huit  et  neuf  heures  du  matin,  vio- 
lente secousse  de  la  durée  de  plu»  de  deiiï  Pater  noster.  Tout 
les  habitnnts  de  Perpignan  s'enfuirent  dans  la  campagne,  lui 


DE    LA   PREMIERE    PARTIE.  W5 

récroulemetit  des  maisons  paraissait  iinniineiit.  Cependant 
aucun  accident  ne  survint  dans  cette  ville;  mais  à  Barcelone 
cette  même  secousse  ùi  crouler  tout  un  côté  de  Téglise  Sainte- 
Marie-la-Mer,  ce  qui  tua  vingt-deux  personnes  (  c*était  le  jour 
de  la  Chandeleur).  Divers  accidents  arrivèrent  en  d*autres  lieux 
de  la  Catalogne  et  firent  périr  plusieurs  personnes. 

Le  !25  mai  i4^8«  vers  une  heure  après  minuit,  secousse 
très-violente. 

Le  1 6  septembre  1 45o  secousse  qui  dura  Tespace  d*un  pater 
et  d'un  ave;  une  maison  du  quartier  de  Tuniversité,  aujour- 
d'hui de  la  Monnaie ,  fut  renversée. 

Le  i5  février  i56o  légère  secousse  de  la  durée  de  quelquet^ 
secondefl.  Quelques  autres  notes  semblent  se  rapporter  à  de6 
événements  de  cette  espèce,  mais  récriture  en  est  presque 
ef&cée. 


qiiod  ego ,  l'etnu  de  Tii- 


In  Dei  ncimiiie.  Nuvttrtnt  u 
lii^îû,  (tuai  hiilxxi  totuai  n 

moriam  ft  liM^iK^Um .  coinendo  trsdfiqiir  tîhi .  nepotî  moe. 
l'étal  An  lluili||;iirtins .  lilio  sororisiune  Ciiiil*:,  et  mello  tihi  ni 
[Mtc*Utii  «4  iii  riistixlià  et  in  defensinne  uior  nicn .  EmiMMndii. 
«I  fiiîii»  ineii».  Petrus  Berenganu».  et  lolu»  a 
measreHiuobilia  et  immobilta.iii  (|uocuiuque  loco  sînt.  ]<leoqae. 
quod  lu  uon  fuisti  îii  i|)»imi  I^Hlameutum  quod  ego,  Petnif  <le 
Tuliifsii* .  cond«in  feci  ot  iliM:o^()sco ,  et  ai>nega  ipsum  tnb- 
menUim.  piv  oroni  tcmfiore.quoU  aliqua  pote»Uite  nec  vdJlu- 
dioe  non  liBbcat;ol  ut  beno  manul«neas  cl  defendas .  «ecundimi 
tuHin  possere,  uxor  mea  ot  fdim  meus  et  totii*  meu«  lu 

feuos ,  alodios  doiuinx  uxori  iiieae.  Ermessendi ,  ut  ipsa  )il 
dives  m  omni  vita  sua.  Posl  iiiorlcm  vero  suam ,  mnaneil 
filio  meo.  Pclro  Berengario.  Et,  si  lilius  meus,  Petnu  Beitn- 
g:ariiis .  obieril  sine  infante ,  ca  légitime  ab  integro ,  tolus  meut 
hoiior,  fcuos,  alodios  dimitto.  dono,  laudo,  Hnniterque  cou 
cedo  tibi  nepoti  meo ,  Petro  de  Radigueras .  et  omnibus  tim 
successoribus  ad  omnes  tuas  voluntates  faciendas  in  aetemum; 
et  totum  hoc  facio  ad  eUicmam  meam  voluntatem,  cum  omni 

meo  sensu ,  pro  nomine  teslamenti.  El  haic  tene fet 

Denm  et  per  ista  sancta  quatuor  evangelia.  Actum  est  hoc, 
IV  iinnis  Augiisti.  anno  ucr.i.  signum  Pétri  de  Tulugiis.qui 


DE  LA  PREMIÈRE  PARTIE.  497 

hanc  cartam  fieri  jussi ,  firmavi ,  laudavi  et  testes  firmare  ro' 
gavi ,  etc.  (  Arch.  eccles.) 

N"    II. 

Protection  aux  maisons  religieuses. 

In  Dei  nomine.  Nolum  sit  cunctis  quod  anno  incarnationis 
€jusdem  mcgviii  ,  rege  régnante  Philippo ,  mense  madii ,  ego , 
domina  Fina  de  Qairano ,  et  ego ,  Bernardus  Guillelmi ,  et  ego , 
Petnis  de  Qairano ,  filii  ejusdem  dominœ  Fins ,  nos  omnes  si- 
mul,  bona  Bde,  sine  enganno  et  pro  sainte  animarum  nostra- 
rum  et  remissione  peccatorum  nostronim  recipimus  sub  garda 
et  protectione  nostra  potenti,  domum  et  familias  scilicet  et 
omnes  res  Fontisfrigidi  monasteriî,  et  expressim  grangiam 
S.  Salvatoris  de  Cauomalis ,  et  totum  honorem  et  fratres  et  fa- 
milias et  bestiaria  et  omnes  res  ad  ipsam  grangiam  pertinentes, 
abique ,  sub  specialî  protectione  et  defensîône  nostra  potenti , 
et  sine  enganno,  ad  bonum  et  ad  omnem  utilitatem  praedicti 
monasterii  Fontisfirigidi  ettuî,  Bernardî,  abbatis,  et  fratrum 
illias lo<:i  recipimus  bona  fide,  sine  enganno,  ad  vestrum  posse, 
in  omnibus  locis.  Dam  us  etiam  et  concedimus  firmiter  per  nos 
el  per  nostros ,  pro  amore  Dei  et  remissione  peccatorum  nostro- 
rum ,  Deo  et  prsedicto  monasterio ,  el  abbati  et  fratribus  illius 
loci,  perpetuo  solvimus  et  penitus  diffinimus  ab  bine,  et  in 
perpetuum,  sine  enganno  et  ullo  retentu  mali  ingenii,  omnes 
vestras  petitiones  et  quaerimonias  quas  ad  usus  illud  monaste- 
rium  et  abbatem  et  fratres  illius  loci  habemus  et  habere  vel 
petere  possumus,  apud  Mollctum,   in  campo  scilicet  quem 
abbas  et  fratres  alii  ab  Amalrico  de  Caneto   sibi  emerunt  et 
acquisierunt ,  et  in  omnibus  aliis  locis,  sicut  abbas  et  fratres 
Fontisfrigidi  tenent  et  habent,  et  ab  eodem  Amalrico  et  ab  aliis 
personnis  sibi  adquisierunt,  totum  integriter  atque  generaiiter, 
sine  ullo  enganno  et  aliquo  retentu  mali  ingenii ,  prout  meliùs 
I.  3a 


itW  t'UKUVKS 

in  hoc  carta  dîci .  I^i  vet  iiitelligi  potcsl ,  ad  utilital^m  prxdùli 
monaslerii.  inlira  tîim  ot  icrmiiios  Suiicti  Saivslofis.  el  Saocii 
Pelici»  de  Sancto  Stophano  dr  PJnn.  El  si  quœ.  jure  iegis  id 
consuctudini» .  conlra  lior  fncluin  venire  possumus  vei  poleri- 
mu* .  illi  juri  ex  rcrin  noirntia  rt  ronsiilte  reiiunciamus.  Lan- 
dataTuil  hs<c  caria  donadiinin  et  diffinidoniit  cl  niaiiutenencic. 
a|)ud  vilUm  de  Ocranu,  infra  pirtain ciuln  de  Ititenia.  coran 
«dhibili*  U.>!itiliui>  :  nnintinrlo  de  Petra  Calcitc,  Hamuiula 
AyiDfirica.  [WitMr<lo  Eibrinu  et  uliit.  Et  est  verum  quod  pfD[i- 
ter  haio  liabuiiaii»  et  recepîmus  de  bonio  jaindtcli  monasterii. 
de  mantbuH  fratria  Bcmardî  de  Codalelo,  xxv  aolidos  Darchi' 
nnniB,  boii<M,<piî  Kilicel  scriptor  cxlilil  iiujtia.  el  Ikh:  si^inn 
fecit.  {Anh.  Kclet.] 

N-    1)1. 

Hnlftil/'  fabbi  de  Sainl-^far1ln  i/a  Cotiijou  contrt  Pons  da  Vtnitt. 

i'rtïttière  aatt.  lieu  est  lueiiioria  lualefîcûuiim  quvt  Ponciiu 
d«  Vcrnelo  l«cil  douiiii  Sancti  Martini.  In  pi-iinû  Trcgit  ciut^ 
noatrum.  et  copit  ibi  xi  vacas.  ot  cuni  Pelriia  de  Aspirano,  qd 
modo  e«l  abbas ,  et  G.  de  Caaafabri  conTcnirent ,  R.  de  Venwl»  I 
Tnili'i  )irii'ill<'l.>  iiinK'l'Kio.  junnil  idem  It.  super  iiij  cvangelii. 
3ub  preaencià  el  tcstimonio  B.  Gleiici.  et  R.  Clerici,  et  Poodi 
de  Vernelo,  G.  deVernelo,  A.  Dominici  etlî.  Moncr,  et  Veroeli 
Pabrici  et  multonim  aliorum  hominum  ,  quod  dictus  P.  tilios 
suus,  numijuam  rediretcum  eonecdaretci  aliquod  conaUiiuD 
vel  auxilium.  donec  di rectum  faceret  doniui  Sancti  Martiai. El 
habemus  eiim  suspectutn  pcr  mullag  preaumpcioDe*  quod 
postea  rediit  cum  eo,  et  quod  omnia  malebcia  Utciiopenti 
consilio  ipsius. 

El  post  prxdictum  sacramentum ,  quadam  nocte  idem  P.  Jt 

Vemeto  fregil  casteDum  de  Verneto ,  et  talavit  ibi  clau 

et  ortos,  et  dicitur  quod  eadmn  nocle  rediit  cum  pâtre  wo  <) 


DE  LA   PREMIERE   PARTIE.  499 

maire  ;  et  in  crastino  cepit  et  ligavit  duos  nuncios  nostros  in 
boscho,  et  abstulit  eis  iiij  solidos  et  vj  denarios.  Ëodem  die 
fregit  cortallem  nostnim  de  E^dino  (  Egat  ) ,  et  traxit  inde  unam 
tunicam  et  calcias  et  sotulares  de  B.  de  Mosscto.  Alia  die  fregit 
cortallum  de  Oris ,  de  Comeliano ,  et  traxit  inde  duas  vacas  de 
Vemeto.  Alia  die  occidit  duas  vacas  et  vulneravit  quatuor,  in 
cortallo  de  Coilo  de  Jou ,  et  traxit  inde  omnes  caseos  qtios  ibi  in- 
venit.  Alia  die  fecit  redimere  homines  de  Rial  xl  solidos,  et  pro 
tîmore  ipsius  miserunt  se  predicti  hoflunes  in  manutenencia  P. 
Demalait,  et  dederuntei,  pro  introitu,  x  solidos  et  unam  libram 
cerae  annuatim.  Alia  vice  fregit  cortales  de  Egher,  et  habuit 
inde  cl  oves  et  unum  asinum  et  très  pueros ,  quos  fecit  redimere 
c  solidos ,  et  capas  et  tunicas  et  caseos.  Alia  vice  in  treuga  et 
guidatico  habuit  de  P.  de  Rial ,  unam  tunicam  et  conigiam  et 
cultdlum  de  Bonofdio ,  duas  capas  de  P.  Amato ,  una  pelles  et 
ima  savana.  Et  post  sacramentum  quod  ipse  et  R.  de  Vemeto, 
pater  suus,  fecerunt  in  ecclesia  Sanctae  Mariae  de  Vemeto,  de 
compositione  facienda  cum  domo  Sancti  Martini ,  abstulit  homi- 
nibus  nostris  de  Avidano,  viiij  soHdos,  vij  galinas,  et  empa- 
ravit  nobis  bordam  de  Odilone  quam  pater  suus  nobis  ven- 
diderat. 

Post  haec  omnia,  dictus  P.  de  Verneto  stando  in  ûde  et 
guidatico  cum  abbate ,  ita  quod  non  expedivit  se  de  illo ,  leva- 
vît  bestiare  nostrum  de  Vemeto ,  ultra  dc  oves ,  et  cepit  iiij  ho- 
mines qui,  per  Dei  gratiam,  evaserunt.  Postea,  cepit  duos  ho- 
mines de  Odilone ,  quorum  alterum  fecit  redimere  xv  solidos  et 
altenim  tenet  adhuc  captum. 

La  seconde  note  n'est  qu'une  répétition  abrégée  de  celle-ci,  mais 
au  bas  de  la  feuille  on  lit  une  sorte  d'arrêt  de  poursuites  conçu  en  ces 
termes  : 

Sub  tali  conditione; 

Quod  nulla  convenientia  quam  monachi  fecerunt  non  poterat 
requirere  nec  demandare.  Si  filius  suus  maie  fecit  in  aliquam 

3a. 


«Kl  PRKDVES 

rvm  quoil  mOHJidii  |HM»iiil  vindicnrc  in  iili<fiii>m  ruin ,  lir  fji 

ciai)t.  (  Arck-eccla.) 

N-    IV. 

âctf  daffraochiufinfiil  (fun  irrf  lU  l'igUtt. 

NolHtn  lit  ciiiirtû  ({uod  egn  Arnolduii  de  Sallono .  prebiler 
tiliue  et  decanuB  Hosatlionii  ^ali» .  bona  lide ,  per  me  et  per 
oœnes  succeMores  meos  alTrajiqui»co  le  Peirutn  Divini.  Ik<- 
mincnn  noAtnini,  de  Mîliariii,  et  luos  présentes  atque  futnro» 
ab  omni  qiiesta.  forcia  et  servicio  copendo.  pminileni  lilii 
bona  fide  et  Roleuini  sliptilalioiie .  quoi!  ep)  et  successorcj  n 
nnmquam  te  et  luo»  ducam  ad  exercilum  vel  hoslc»  noc  ad 
valcatM .  ucc  pouain  to  et  tuos .  6^  vcl  niei .  in  alïijuD  loto  ps 
Rt^lida  nec  raicemo»  in  riminncin  pro  aliqtia  neceasitule, 
cum  tun  voloiitnlc.  nec  abslrabemus  nb  i»la  doni 
dando  vcl  rwlmdo  vel  aJterî  dùlr.tbcndo,  A(Tranqui»co  ilaquc 
ta  el  tno»  in  prrprliiiini  nb  omnibus  ,  exccpUs  ccnsibus  Cl 
lici»  qntis  foccrc  consiievisti. 

Egoqnc  prrHirlns  Pelnis  Divini.  gratis,  bona  Gde.  {itnniDttD 
ttbi,  Amaido  de  SrIIoiio  prcdiclo.  et  snccesaoribiis  tuis,  qonl 
^ço  et  mei  erimiis  vobis  fidèle»  hominos  cl  defensorc»  rwi/m 
cetem  bomines  pro  posse  noslro ,  et  quod  non  euemm  de  isli 
dominacione  nec  faciemiis  alium  dominuni  neque  donÛDani 
nec  in  castris  vd  viliis  domini  régis  nec  alibi,  nec  in  vilUde 
Miliariis  continiiam  residenciam  Taciemus  nisi  cum  veatrs  li- 
cencia speciali.  Actum  est  boc  nonis  mercii ,  anno  Christi  mï 
lesimo  ducentesimo  quinquegesimo  secundo.  Signuii><  '^ 
{Arch.  eccUs.) 

N"   V. 

Vtaie  de  ta  libtrU  oa  OMalioa. 

Notum  sit  cunctis  quod  ego,  Beraardua  Xatmar,  de  tbl- 

leolis ,  facio  me  et  omnes  descendentes  mecs  natos  et  Dasdtnn)) 


DE   LA  PREMIÈRE  PARTIE.  501 

homines  proprios  et  solidos  militiae  Templi,  in  potestate  vestri 
firatrifl  Pétri  de  Camporotundo,  praeceptoris  domus  Templi  Perpi- 
niani ,  mitendo  manus  meas  inter  vestras  et  osculando  venera- 
bilem  signum  crucis  quam  in  chlamyde  vestra  portatis  ;  pro- 
mittendo  vobis  et  fratribus  militiae  Templi ,  et  eidem  militiae 
Templi ,  fidelitalem  et  hommagium  ;  et  pro  recognitione  dicti 
hominatici,  dabo  vobis  et  fratribus  Templi ,  quolibet  anno ,  in 
festo  natalis  Domini ,  xij  denarios  Barchinonae  eorum  monetœ 
legitimi  terni,  pro  quibus  vobis  et  fratribus  Templi  solvendis 
obligo  vobis  et  successoribus  vestris  et  militiae  Templi ,  omnia 
bona  mea  presentia  et  futura.  Et  hoc  totum  ut  in  charla  conti- 
netur  me  observaturum  bona  fide  et  per  stipulationem  vobis 
promitto,  et  etiam  per  Deum,  tactis  corporaliter  sacrosanctis 
quatuor  evangeliis,  sponte  juro. 

Elt  nos,  frater  Petrus  de  Camporotundo,  promittimus  libi, 
dicte  Bemardo  Xatmar,  quod  nos  et  fratres  Templi  deffendemus 
te  et  tuos  et  bona  tua ,  secundum  bonas  mores  Templi.  Actum 
est  hoc  ij  kal  madii,  anno  Domini  mccclxxx  secundo.  (Arch. 
mies.) 

Autre  ablation  à  Saint-Martin  du  Caniyou. 

Notum  sit  omnibus,  quod  ego,  Guillelmus  ill.  spontanea 
mea  volontale  dono  me  îpsum  et  mea  quaeçumque  habeo  mo- 
naslerio  Sancti  Martini  de  Gmigone ,  et  tibi ,  patri  abbati ,  et 
pmni  ejusdem  loci  conventui ,  et  me  semper  devotum  in  om- 
nibus et  fidelem  me  bona  fide  promitto.  Et  incontinenti,  de 
bonis  meis  in  pecunia  numerata  ccc  solidos  offero  Deo  et  al- 
tari  beati  Martini  ;  reliquorum  vero  bonorum  meorum  in  usum 
^ctum  in  vita  mea  retineo;  cessa  domui  Sancti  Martini,  et 
tibi ,  patri  abbati ,  et  conventui  ac  successoribus  vestris  proprie- 
tate  ipsorum  bonorum  in  perpetuum. 

Et  ego, Guillelmus,  Dei  gracia  abbas  Sancti  Martini ,  de  vo- 
Juntate  et  conseusu  totius  conventus,  recipio   te  pradictum 


jvita  r«ÇBl«D  :jwict)  B«nnfictî .  cnm  omiubns  ilUs.  quicqnid 
«iat  <|iioil  v|ro  «d  aliquis  pcr  me  anqnam  commeodavimiB 
jmtlîrtz  «cdcNf  «i  mm  oauiî  meo  ntanso  et  borda  de  CcrId 
<]uod  est  mran  liberum  alodium.  H  cum  omnibus  habiMo- 
riba*  eidnn .  <|uod  maosiim  ei  bordMn  tenent  et  habeol  per  ne 
fttnii  Porcelli  de  Cereto  el  Bemardus .  filiiu  qus ,  totum  in- 
teinter  ac  gpnenliler  el  plenarie  de  cœlo  tisque  ad  abjuDD 
cum  omni  plenitudine  lotim  int^ritatis.  sicut  melius  ac  |^ 
mus  dici  et  intelligi  vel  nontinari  potest  «el  poterit  unquam ,  là 
onine^  volimlales  dictx  ecciesix  et  snorum  servilorum  corn- 
|>lenda5  et  faciendas  in  omnibus  per  secula  cuncta ,  per  alodiuis 


y^ 


DE   LA   PREMIERE   PARTIE.  503 

firaiichum  et  liberum  et  sine  omni  contradictu  meî  et  meorum 
et  totius  viventis  personae.  Et  est  certiim  quod  in  his  praedlctis, 
nec  in  aliquo  horiun,  uichil  aliud  amplius  retineo  nisi  dimi- 
<lium  in  rébus  praedictis  et  usumfiructum  in  manso  et  borda , 
tantum  modo  in  vita  mea,  et  hoc  tenebo ,  dum  vixero ,  in  conni- 
mendationem  dicta;  ecclesiae  et  non  aliter,  etc.  Quod  est  actum 
xiij  kal.  aprilis,  annoChristi  Mr.xxviii.  (Arch,  eccîes.) 

N»   VI. 

Composition.  hontea$e. 

Notum  sit  cunctis quod  nos,  Oairanus  Torrellani  et  Jacobus 
Torrellani ,  fiHus  ejus ,  de  Qairano ,  per  nos  et  omnes  nostros 
profitemur  et  recc^oscimus  tibi,  Bernardo  Blanqueti,  dicti 
loci ,  quod  tu  solvisti  nobis  plenarie  et  integriter  ad  meam  vo- 
luntatem,  illas  quindecim  libras  Barchinonœ,  earum  de  qua 
moneta  lxv  solidos  valent  unam  marcham  argenti  fini,  recti 
pensi  Pcrpiniani,  quos  nobis  promiseras  sglvere ,  ratione  Ermes- 
sends  filiae  meae,  dicti  Qairani,  quam,  ut  dicitur,  cognoveras 
carnalîter,  et  ad  praedictas  quindecim  libras  Barc.  fuerat  compo- 
situm  inter  nos  et  te ,  rationibus  predictis  ;  de  quibus  predictis 
quindecim  libris  Barc.,  a  te  per  paccatos  nos  tenemus,  reuuu- 
ciates  exceptioni  pecunis  non  numeratae;  facientes  inde  tibi 
firmum  et  perpetuum  pactum  de  non  potendo  aliquod  ulte- 
rius  pro  predictis,  et  de  non  movendo  aliquam  de  cetero 
questionem  vel  demandam ,  et  quod  contra  predicta  vel  aliquid 
predictorum  non  veniemus  bona  fide  et  per  stipula lionem  tibi 
proniittimus.  Actum  est  hoc  decimo  kalendas  novembris ,  anno 
Domini  millesimo  trecentesimo  duodecimo.  Signum  Clairani 
Torellani  et  Jacobi  Tordlani ,  filii  ejus  predictus,  qui  hœc  om- 
nia  laudamus.  Signum  Pétri  Boschi,  Pétri  Fabri,  Poncii  Bar- 
<lani  de  Gayrano,  testium.  Petrus  Jauberti  scriptor  publicus  de 
Ciairano  hoc  scripsit,  et  hoc  signm 4- fecit.  (Arch-  eccles.) 


Extrait  de  FAcIfJfciinUcnilion  île  Tiglar  lU  Saint' Jtm^e-Vtau. 

In  rioiuioe  Domini  Dci  oelonil.  Sub  die  iucaruBtiotiis  Domini 
iiostri  Jésus  Clirisli,  anno  xxv  post  milles.  Iitdictionis  quïnto, 
veniens  vir  reverendissimus ,  doiunus  Bcrengarius,  epucoptu. 
ia  comilatu  Rossiliouensi .  in  suburbîo  ^nen»i,  in  villa  qiis 
vocotar  de  Porpiniano.  ad  consocianilam  eccleaiom  in  honore 
Suicti  Johonni*  fiaptist^p.  quam  axlilicaverunt  boni  honiîneti 
id  c9l  baronex  Pondus,  Gausberlus.  Bernanlns,  Ponci 
Amoiricus,  Cicardn»,  Austem,  Petrus  Baron  cutn  aliis  bonis 
liominibus  (fiii  ihi  aderanl;  et  bobet  icmninos  ip&a  ecclesia.  de 
parte  orientis  in  coma  Crosa,  île  parte  occidentis  a  Petra  Fila, 
et  vadit  indc  u  Puigitiest,  de  parte  meridie  ia  regido  Beari.  et 
de  parle  cîrci  iii  regido  de  Vcmet ,  et  de  qtiiiita  parte  in  régula 
de  Arccdonta ,  et  de  sexta  parte  in  borgoErbiuo.  Ego  vera.jam- 
dicttis  Oereogarius  episcopos  .  concedo  el  tirmo  pnedicta  omnia 
infra  terminos  contiiienlia  cum  decimis  et  oblaliunibus  suis  et 
cnm  cimiterio  ia  ginim  ecclcsia?  ad  corpora  mortuonim  wpe- 
lienda.  Et  ego  predicttis  Berengarius  episcopus  sic  dono  o 
stipradicla  iid  domiini  San(  li  Jobftiinis  qui  est  fiindalus  in  villa 
Perpiniani ,  tolum  ac  Integnun,  etc.  (Ex  Marca  hi^)aa.\ 

N"  Vlll. 

Ttttâiiual  da  comte  Gainard. 

In  Dei  Domine.  Notum  sit  cunctis  prssentïbus  alque  futuris. 
quod  ego,  Guinardus,  conaes  Rossilionensis ,  futuri  timens  ^ 
cussionem  judicii  et  hxres  esse  cupiens  regni  cœlestïs,  in  aeo 
bono  sensu  cl  plena  memoria  condo  meum  teslameatuo)  toUui 
averi.  el  continnare  illud  prax:ipio. 

In  primis ,  dono  Domino  Deo  et  beatse  Mariai  PoDtîsIngidi , 


DE   LA  PREMIÈRE  PARTIE.  505 

me  ipsum  per  vitam  et  mortem ,  ita  quod  si  vivens  seculum  re- 
linquero,  ibi  ad  rdigionem  veniam,  ibique  monachus  pauper- 
que  miles  Christi  Jesu  efiiciar  ;  si  autem  citra  mare  mortuus 
fuero ,  ibidem  corpus  meum  ad  sepeliendum  relinquo.  Relinquo 
monasterio  Fondsfrigidi  mille  centum  morabotinos  bonos ,  quos 
douent  praedicto  monasterio  Templarii,  pro  mea  laboratione 
quam  rdinquo  eis  in  Pujols.  Relinquo  praedictis  Templariis, 
pro  amore  Dei  et  sainte  animœ  meae,  meum  castnun  de  Palatio 
cum  omnibus  terminis  suis ,  cum  ingressibus  et  egressibus  suis 
et  cum  omni  jure  suo ,  sicut  ego  possideo  et  possidere  videor 
sicut  melius  potest  intelligi.  Similiter  rdinquo  Templariis  fumos 
de  Perpiniano ,  et  ut  in  prsedicta  villa  furnus  vel  fumi  non  pos- 
sint  fieri  sine  licentia  eorum.  Relinquo  etiam  eis  ipsas  heminas 
de  Perpiniano  et  molinos  qui  sunt  juxta  portale  qui  eidt  ad 
Midleolas.  Relinquo  hospitali  de  Jérusalem  meum  castrum  de 
Malpas ,  cum  omnibus  terminis  suis  et  cum  omni  jure  suo ,  cum 
ingressibus  et  egressibus  suis ,  sicut  ego  possideo  et  possidere 
videor,  et  cum  terris  tam  eremis  quam  oondirectis ,  sicut  mdius 
potest  scribi  et  intelligi.  Relinquo  Guilldmo  de  castro-novo 
ipsum  honorem  quem  sibi  clamabat  in  prsdicto  Castro  et  teneat 
illum  pro  praedictos  hospitalarios.  Relinquo  etiam  eis  campum 
de  stagno  qui  est  in  adjacencia  Sancti  Johannis  de  Perpiniani, 
de  quo  ejeci  aquam ,  et  molinos  quos  Bemardus  Saucius  habet 
in  pignore  pro  mille  solidis,  qui  sunt  subtus  domum  Leproso* 
rum.  Relinquo  monasterio  Sancti  Genesii  albergam  quam  in  eo 
habeo,  et  ut  in  valle  Sancti  Pétri  in  proprio  bonore  habeat  pro* 
prium  custodem  qui  diligenter  custodiat  ne  bajulus  meus  de 
colligendis  expietis  aliquod  dampnum  faciat  praedicto  monas- 
terio. Relinquo  monasterio  Sancti  Andres  boscum  quem  habeo 
in  adjacencia  et  in  décimale  Sancti  Martini  de  Ripa,  cum  om- 
nibus terminis  suis ,  cum  ingressibus  et  egressibus  et  cum  omni 
jure  suo ,  et  albergam  suam  quam  habeo  in  praedicto  monas- 
terio, per  me  et  per  omnes  successores  meos.  Relinquo  etiam 


50ë  PREUVES 

predicto  monasierio  omne  pignus  quod  fiemardus  de  Rocha 
habet  pro  me  in  villa  de  Cabanas  et  in  villa  sancd  Martini  de 
Ripa,  et  ipsius  abbas  monasterii  trabat  eam  de  pignore.  Relin- 
quo  ecclesis  sancti  Johannis  Peq)iniani  agrarium  illomm  hor- 
lonim  qui  sunt  a  canonica  juxta  regum  qui  vadit  ad  molendint 
nova,  excepto  illo  quem  dedi  Leprosis.  Relinquo  etiam  praedictx 
eodesiae  Sancti  Johannis  Peq)iDiani  condaminas  quas  habeo 
in  adjacencia  ejus.  Relinquo  Leprosis  Perpiniani  agrarium  de 
horto  Johannis  Roberti.  Relinquo  Guillelmo  Sancti  Laurentii 
et  Petro  Sancti  Hippoliti  albergas  quas  mihi  faciebant.  Re- 
linquo populo  Perpiniani,  praesenti  et  futuro,  viduaticum 
quem  in  eis  accipiebam.  Relinquo  hominibus  de  Albera  omnes 
meas  novas  defensas.  Relinquo  illud  quod  supra  miseram  jugi 
donatîco,  excepto  legitimo  usatico.  Relinquo  Beatrici,  conso> 
brine  meae ,  meum  castrum  de  Mesova  per  allodium.  G>ncedo 
Berengario  de  Orle  unum  locum  in  villa  Peq)iniani ,  ante  fur 
nos ,  ubi  possit  edificare  duos  mausos ,  ad  recognitionem  Poncii 
de  Tadione  et  Raymundi  de  Redotta  et  Guillelmi  Sancti  Lau- 
rentii. Ëcclesiffî  et  populo  de  Polestres ,  pro  malefacto  quod  eis 
fisci ,  reslituo  duos  mille  solidos  melgurienses ,  bonos  et  miti- 
biles,  ut  dividant  inter  se  juste  ,  consilio  probonim  hominum. 
I  loiiiinibus  de  Cerelo,  aiil  hercdibiis  aut  propinquis  eoriim  , 
relinquo,  pro  inalcfaclo  quod  eis  fcci ,  mille  solidos  nielpii- 
rienses  bonos  et  niilibiles,  ul  dividaul  inter  se  juste,  consilio 
pi-oborum  lioniinuni.  Hominibus  de  Candel  quibus  abstuli 
sunm  avère,  reslituo  cenlum  solidos  melgurienses.  lîeredibus 
Poncii  de  Baniuls  ,  et  ceteris  bominibus  pra'dicla'  villa* ,  restituo 
Irecentos  solidos  melg;urienscs ,  quibus  malum  feci.  Petro  Mar- 
tine, fœneratori  Perpiniani,  ()ro  dampnoquodei  intulil quidam 
lalro,  restituo  cenlum  quinquaginta  solidos  melgurienses.  Ca- 
nonicis  Sancta*  Maria*  de  (^am(>o,  restituo  rbuenlos  solidos  niel 
gurienses  pro  malefacto  quod  eis  feci.  l\estituo  bominibus  de 
Villamulaclia ,  pro  malefacto  quod  eis  feci,  mille  solidos  iiiel 


DE   LA   PREMIÈRE  PARTIE.  507 

gurienses  ut  dividant  inter  se  juste.  Hominibus  de  Ganomals 
restituo,  pro  malefacto  quod  eis  feci,  trecentos  solidos  melgu- 
rienses.  Pro  parte  latrocinii  Pontii  de  Navaga  quam  ego  habui, 
restituo  mille  solidos  mdgurieDses ,  ex  quibus  induantur  cen- 
tum  pauperes  tunicis  novis.  Si  quid  residuum  fuerit  de  ilHs 
mille  solidis ,  in  cibos  pauperum  totidem  expendantur.  Homi- 
nibus  Maureliani  restituo ,  pro  malefacto  quod  eis  fieci ,  quin- 
gentos  solidos  mdgurienses.  Hominibus  de  Relon  restituo,  pro 
malefacto  quod  eis  feci,  ducentos  solidos  melgurienses.  Homi- 
nibus de  Parietestortas  restituo,  pro  maleBcio  quod  eis  feci, 
ducentos  solidos  melgurienses.  Hominibus  de  Domo-nova  res- 
tituo ,  pro  malefacto  quod  eis  feci ,  mille  solidos  melgurienses. 
Hominibus  de  Rogis,  pro  malefacto  quod  eis  feci,  restituo 
oentum  solidos  Bitterenses.  Restitutionem  istam ,  que  scripta 
est  in  boc  testamento,  fJEiciant  Templarii  et  Hospitalarii  de  me- 
dietate  expletorum  illius  eleemosinœ  quam  eis  fisK^io ,  médium 
per  médium ,  exceptis  ille  mille  centom  morabotinis  quas  soli 
Templarii  debent  persolvere  monasierio  Fontisfrigidî.  Istam  res- 
titutionem prsBdictam  faciant  Templarii  et  Hospitalarii,  ad  recog- 
nitionem  abbatis  Fontisfrigidi ,  ad  persolvenda  débita  mea, 
qu«  sunt  tria  millia  quingenti  solidi.  Rdinquo ,  ad  recogni- 
tionem  manumissorum  meorum,  omnia  expleta  quœ  haberc 
debeo  in  Albera  et  in  Pujols,  excepta  laboratione,  quam  dono 
Templariis ,  et  tabernam  Perpiniani  et  guidaticum  vetulum  et 
expleta  quas  exierint  de  condaminis  Perpiniani ,  quae  relinquo 
ecclesisB  Sancti  Johannis  de  Perpiniano.  Omnia  alia  expleta  que 
habere  debeo  in  villa  Perpiniani,  excepto  illo  quod  dedi  tem- 
plariis et  Hospitalariis  et  Leprosis  et  ecclesix  Sancti  Johannis , 
tamdiu  teneant  donec  omnia  débita  sint  persoluta.  Quod  si  post 
hoc,  clamer  venerit  prodebitis  vel  dampnis,  secundum  recog- 
iiitionem  suam  tamdiu  praefati  manumissores  predicla  expleta 
Albere  et  Pujols  et  Perpiniani  (eneaiit,  donec  omnia,  siciit  jus- 
ticia  et  ratio  dictaverit,  sint  persoluta.  Qmnem  meum  alium 


5(»  l'IlElIVBS 

hoDorcm  ,  vuldicet  comilalum  Itossilianeii&CRi ,  cl  qiiidquid  id 
jus  îlltua  ptrlinet  in  PetraJatcmi  cl  iii  EmpuriUiiiensi  conûtatu, 
lient  liaboo  vd  linbcre  ilebeo.  et  ticut  in  aaliquis  cartis  iiiter 
me  (ït  («mitum  Empiifitoneusem  scriplum  ett.  exccptis  liis  qui 
in  htK  tcutamcut»  expresse  reliqiii  monosteriis .  Templania  el 
liospilBlariisctecdeiiiisel  onuiihus  mcis.  totum  inlegriter  diiuo 
dumiuo  mco.  régi  Aragonuni.  et  Buccessoribus  cju9,  61  abiero 
sine  iiifaiile  de  le^ilinio  conjugio;  tali  coavcnieatia  el  tali  iafr 
pecla  ralione  ut  ip»e.  ea  qutt  in  hoc  testamcnto  pro  salulc 
aiiiuu!  meai  rdif;i(MiB  el  veiierabtlibus  locis  reliqui .  manu  le- 
neanl  el  praidicta  raligiusa  el  veiierabilia  loca  ea  qua^  ilU»  rc- 
linquu  in  puce  atque  quielv  absr|uc  diiuinulione  scu  veinliono 
in  perpeiuum  teuere  ai:  j>ossiilere  Cucial,  Hogo  etiani  tlominum 
ineum  rcgcm,  pcr  eam  lidein  et  per  illum  nmoreni  quem  illi 
dsmonsiro  in  hoc  U'stamenlo,  quando  nieum  honorem  qui  ad 
jus  illius  non  pertinebal  illi  dono,  ut  Rercugoriuiu  de  (Mes. 
mcnm  parenUnn  el  mcum  ciirÎMimuni  amicnm,  et  Pouicum 
de  Tacidone  cl  GuilIclmuDi  Snncli  Laurenlii  cl  omnes  meot 
aniicoB  ddigat  ntque  defendat  nb  omnibus  boniinibus  et  lio- 
norat,  el  omnia  qux  illius  sunt. 

Si  qui»  conlra  boo  mcum  Icstaraenltnn  venire  IcmptaveHl, 
agere  non  vaieat ,  sed  in  duplo  componat.  Factum  est  hoc  tesla- 
menlum  U  nonas  Julii ,  anno  dominicee  iiicamationis  mclxiii  , 
r^nanle  Lodoico  rege.  SignumGuînardi,  qui  hocteslamentum 
scribere  jussit,  finnavit,  lestibusque  rinnari  rog;avit,  etc. 
[Excodiee  coruuet.  Perpin.] 

N"    IX. 
ConititatioHs  ik  paix  ri  frcttf  ttAlphonte  II. 

Divinaruni  cl  humanarum  rerum  tuitio  ad  neminem  mngii 
quani  ad  principem  perlincl:  nihîlque  lam  proprium  eue 
débet  boni  m-  l'ccli  priucrpis.  qnam  injurias  propulsarc,  betla 


DE   LA  PREMIÈRE   PARTIE.  509 

sedate,  pacem  stabilire  et  infonnare,  cl  informatam  subditis 
conservandam  tradere,  ut  de  eo  non  incongrue  dicî  etpraedicari 
possit  quod  a  principe  regum  dictum  est  :  per  me  reyes  régnant 
et  patentes  scrihant  jasticiam,  Ea  propter. 

Nos  Ddefonsus ,  Dei  gratia  rex  Aragonum ,  cornes  Barchinonœ 
et  Rossiiionis,  et  marchio  Provincis,  publics  utilitati  totius 
tems  nostrsB  consulere  et  providere  satagens ,  et  intuitu  divini 
numinis,  tam  ecclesias  quam  religiosas  personas  cum  omnibus 
suis  tebus  nostrse  protectionis  prœsidio  vallare  ac  perpetuo  mu- 
nire  cupiens,  anno  ab  incamatione  Domini  mclxxiii.  Habito, 
apud  Peq)inianuni  *,  super  hoc  tractatu  et  deliberatione  cum 
venerabilîs  viris  Guilielmo ,  Tarragonensi  archiepiscopo ,  apos- 
tolicas  sedis  legato  et  B.  Barchinonensi  episcopo  ;  et  Guilielmo 
Jordani ,  Eïnensi  episcopo ,  omnibus  baronibus  comitatus  Ros- 
siiionis, nec  non  et  aliis  pluribus  magnatibus  sive  baronibus 
curiae  meae,  quibus  unanimiter  omnibus  justum  et  œquum 
visum  est  et  communi  utilitati  expedire,  ut  in  comitatu  Rossi- 
lionensi,  quem  per  Dei  graciam  nuper  adeptus  sum,  vel  alias 
in  toto  Eïnensi  episcopatu ,  pax  et  trega  institua tur,  et  nefanda 
raptorum  et  praedonum  audacia  exterminetur  ;  praedictorum 
omnium  assensu  et  voluntate,  omnibus  tam  laicis  quam  cle- 
ricis  qui  in  prasdicto  episcopatu  degere  noscuntur,  trevam  et 
pacem,  secundum  formam  infra  positam  et  praescriptam,  te- 
nenda  et  inviolabiliter  conservauda  injungo;  meque  ad  obser- 
vandam  et  in  eos  qui  eam  violaverint  vindicandum  alligo  et 
astringo. 

I.  In  primis  igitur,  cum  praedictorum  episcoporum  et  alio- 

*  Dalau  donne,  page  i363  du  Marca  lÙÊpaHiea ,  b  oopie  de  ces  constitntiont  de  paix  et 
trêve,  qui,  plu»  tard  furent  appliquées  à  toute  la  Catalogne;  à  la  place  des  naots  apud  Perpi- 
uianum.  il  y  a  dans  celles-ci,  apud  fonlem  dt  Aldara.  La  copie  que  nous  transcrivons  est 
extraite  d'un  manuscrit  du  xiii*  siècle,  provenant  do  Saint-Martin  du  Canigou ,  et  qui  nous 
appartient.  Dans  la  copie  que  Baluze  a  extraite  des  codex  de  la  bibliothèque  Colberiine,  il  y  a 
fAuaieurs  articles  qui  furent  ajoutés  à  ces  nouvelles  constitutions  t  entre  autres  un  contre  les 
voleurs  elles  receleurs;  plusieurs  autres  articles  présentent  dce  différencet  notables,  enfin  le« 
signatures  sont  toute»  différente». 


â 


I 


i|«*apeciâti  hemîoain  c«n*un  in  bonn  Doî  inlellipintuT.  mb 
perpelna  |wcr  H  MniriUI«  intbtwn.  iu  qund  nullus  eaa  vd 
conim  cnnilrria  vd  Mcrari«  ûi  niraibi  cujii»caK|ue  eoelnir 
maUilnla.  înnwlen!  vel  in&in^ef«  {intMininl.  nirhil^iw  ïndp 
alutnlHïTi!  amnplet,  Icriendî»  hujn»  ntatnlj  iriDeralorihis , 
[■ma  sacnl«;;n.  i-]ti»dan  kwi  «pÎM:o|K>  infemida.  et  luititfiK 
donc  ilupltti  damimi  quvd  flccMÎt ,  n  qui  pMtus  est  pr«ttandi 

U.  Uccinuf  quoqoc  ÎBCMlrUaU*  Mib  «Mkea  pads  ol  Irrvf 
dafanioue  Do«»liluo;  il»  Inmrii  quod  lî  raplore^  vd  Fuirs  in 
•odcHÎ*  pnnlMn  tel  ali»  makiiciB  can|7^avn-iiil .  ({tutrimonii 
wl  epiiwopaiii  d  ad  me  «ive  ad  bajuluni  meum.  iteferanl.  el 
n  lune,  nmirti  jwlicio.  tcI  qiiod  commûsum  ftient.  enttn- 
ddnr,  vd  a  paco  prviiicbi  eoclivin  i^ue»trelur, 

111.  Uominicaiuros  qiioquc  (-jinonirarum  »ub  e&deiu  pads 
MCiirilaUi  conulituo .  ximili  pu-na  imimnrnle  mi  qui  eas  iava- 
tiera  prc!>ui»ps«not 

I\ .  Seil  et  diricos,  nwtiachcw.  vidiias  r.t  Mnctimonides 
eOTUinque  mt  »iiti  radeni  pm^is  dprentkuie  iioatra  aucloribtf 
winslitniu*.  iiemo  a|>rvbendBt.  et  aîchil  eb  iujuric  inférât.  iu«i 
ïa  ludeGdia  ioventi  fuerini,  .Si  qui»  in  nlîqueEii  îsturuin  monus 
mjecerit,  vd  aliqucxIabstulerit.BblaU  in  duplum  restituât,  et 
de  injuria  nichilominus.  judicio  episcopi,  satùfacial.  et  lacri- 
legii  (Mcnam  cpiitcopo  dependat. 

V.  Emunitates  quoque  templi  et  hospilalis  Jherosolimitani , 
nec  non  et  aliorum  locorum  venerabitîum ,  cum  omnibui  rebu» 
>ui>,  subeadem  pacis  defensione  etpenx  intenntnacioDe,  pa- 
riler  cum  riericis  et  ecdesiis  constituo. 

VI.  Villanos  et  villanas,  et  omnes  res  eoruoi  tam  mobUes 
quant  se  movenles.  viddicet  boves,  ovea,  asinos  vd  asinai. 
equos  vel  equn»  celeraque  animalia ,  sive  sint  apta  ad  arandain , 
sive  non ,  sub  pacis  et  trerx  secnritale  instiluo ,  ut  nollus  eos 
capial,  vd  alias,  in  corpore  proprio  in  rébus  mobilibus  vd 


DE  LA   PREMIÈRE  PARTIE.  5li 

iiumobilibus  dampnum  inferat,  nisi  in  maleficio  inventi  fiue- 
rint,  vel  in  cavalcadis  cum  dominis  aut  aliis  ierint. 

VII.  Praeterea,  sub  eadem  pœna  interminacione  prohibée  ul 
nuUus ,  in  prsdicto  episcopatu ,  praedam  facere  présumât  de 
equabus,  mulis,  mulabus,  vaccis,  bobus,  asinis,  asinabus, 
ovibus,  arietibus,  capris,  porcis  siye  eonim  ^Detibus;  neque 
mansiones  villanorum  aiiquas  diniant  vel  incendant,  vel  aliis, 
ad  nocendum ,  ignem  subponant. 

Vni.  Terras  in  contentione  positas,  nidlus  villanus  laboret, 
postquam  inde  commonitus  fuerit  ab  eo  in  quo  justicia  placiti 
non  remanserit.  Si  vero,  ter  commonitus,  postea  laboraverit  et 
propterea  damnum  inde  susceperit,  non  requiratnr  pro  paoe 
fracta;  salva  pace  bestiarum  in  usum  laborationis  deditarum, 
et  eorum  qui  eas  gubernaverint  cum  omnibus  quœ  secum  por- 
taverint  :  nolo  enim  quod  propter  rusticorum  contumaciam , 
aratoria  animalia  deperdantur,  invadantur  vel  dispendanlur. 

IX.  Vomeres  et  alia  aratoria  instrumenta  sinl  in  eadem  pace , 
ut  ille  vel  illa  qui  cum  supradictis  animalibus  araverit  vel  eas 
gubemaverit  vel  ad  ea  confugerit,  cum  omnibus  qus  secum 
portaverit  vel  habuerit,  eadem  pace  muniatur.  Et  nullus  homo 
ea  animalia ,  pro  plivio  vel  aliqua  occasione ,  capere  vel  rapere 
presiunat.  Si  quis  contra  hujus  modi  constitutionem  commiserit 
damnum,  componat  illi  cui  malum  fecerît,  infra  xv  dies  sim- 
plum ,  post  XV  dies  duplum ,  praestandis  insuper  lx  solidis  epis- 
copo  et  mihi ,  ad  quos  quaerimonia  infracta  pacis  et  trevs  dinos- 
citur  pertinere. 

X.  Si  quis  autem  ûdejussor  extiterit,  si  fidem  non  porta- 
verit de  suo  proprio,  pignoretur,  servata  pace  bestiarum  in 
usum  laborationis  deditarum ,  nec  pro  pace  fracta  habeatur.  Si 
vero  infra  primos  xv  dies ,  temerator  constitutae  pacis  et  trevs 
simplum  non  emendaverit,  postea,  ut  dictum  est,  duplum 
praestet,  ita  quod  medietatem  istius  dupli  habeat  querelator, 
et  alteram  medietatem  episcopus  et  ego,  qui  ad  banc  justiciam 


I 

I 


UuUm  it  dio»  ps  ne  td  pcr  epûoofHUb  «d  per  nnncitiiii  id 
per  Boaàtm  aantiv*  'nieta  Irmcistar  canmuaibn  dampnum 
MM  cnModaimil .  noidc  ipw  malelKlor  tt  romplices  soi. 
cDM^Hlvra  H  tnuilùtnn»  cju  ■  ptvdirta  pacc  et  bW4  wpa- 
ratî  intcOiguibir.  ila  qnoil  nulmn  ifood  profila-  hoc  iUaUuu 
fiwrit .  ntn  mpiiralnr  pn>  pooe  et  te«a  fracU .  «ervaUi  Umea 
pan)  ani>B«]ian)  et  nulronuatoftnn  araloriuiD  -,  «od  si  niale- 
faclor  el  •djalona  giM  jamdiclo  quoeltand  nDiuii  mAlum  fè- 
eerÎDl  tmeadHar  MiilB  |m  fatm  bvcU. 

XL  \  u»  puUieiB  tm  eMBinni  vd  tiralaa  in  uU  wcuriuie 
et  pnXedînae  |nkki  m  amxtitni).  al  nnllus  iode  iln-  o^^ctitct 
iovKial.  (d  ûi  ccvporv  me  in  rebui  Moialîquid  inalestia;  in- 
faM,  pcniB  letc  inijc»Utid  umnineDte  ci  ijaj  bac  icc«rit,  poM 
MtûiactMnnii  dupli  <ie  malefocUa  et  injuria  dAmputuu  paMi 
prsslîtam.  lUuil  aaitm  p^ucnUUn  uomiliiu  interdîco  aU]u« 
pnihibco,  quod  aninulU  ankirïa  nulla  raiionc  ncc  «4  pro  At- 
\kta  domtnt  depndtfe  aUqui»  id  ptgnome  audeat 

Xn.  IVslerea  tUiHi  ntDtliluetMlum  ert  Mque  finnitcr  obscr<^ 
nutduB  ccmuimu*  »ub  eadent  trera  el  p*ce.  die»  DoRuak» 
me  (ntiviUlrt  tminiuin  npcMitolnriim .  ndvniluiii  Domini  usqua 
ad  octavam  Epipbania  et  Quadragesimam  usque  ad  Uctavam 
Pascbx .  diem  quoque  Asceosionb  aec  non  Pentecoste  cum 
Octabis  suis  et  très  festivitates  Sanctx  Maris  et  festivitatem 
Sancti  Johaonis  Baplistz  et  Sancli  Micbaelis  et  omnium  «anc 

XIU.  Salvitates  quoque  tolius  epUcopalus  EJneosis,  lam 
Dovat  quam  antiquitus  constilutas.  sub  pradkla  pacis  et  secu- 
ritale  ponimus  et  constiluimus. 

i^o.  II(tefon«iis ,  Dei  gratis  rei  .\ragonum,  cornes  Barchi- 
norue  el  niar((uio  Provincîx,  pro  Dei  amore  et  subdictorum 
meorum  utilitate ,  juro  per  Deuni  et  hsc  sancta  quatuor  evan- 
)^ia .  quod  prcscriplam  trevan)  et  paceœ  Unniter  tenebo  el 


n 


DE   LA   PREMIERE   PARTIE.  515 

observabo  et  teneri  et  observari  ab  omnibus  meis  volo  atque 
precipio.  Quod  si  quis  infitiDgerit,  non  habebiC  meum  amo- 
rem,  sed  sub  aquindamento  meo  erit  quousque  supradicto 
modo  restituât  quod  rapuerit  vel  infiregerit. 

Ërmengardus  de  Verneto. .  Berengarius  de  Orle.  Berengarius 
de  Caneto.  Guillebnus  de  Apiano.  Raimundus  de  Tacidone. 
Raymundus  Ermengaudi  de  Villarasa.  Gausbertus  de  Castro 
novo.  Guillebnus  de  Sancto  Laurentio.  Bemardus  de  Alione. 
Guillebnus  Bemardi  de  Paracols.  Guillelmus  de  Sancta  G>- 
lumba.  Bernardus  Bertrandi  de  Doroonova.  Raymundus  de 
Castello-Rassilione.  (Exveten  codice  nostro,) 

Extrait  des  couiumes  de  Perpignan. 

Hscc  sunt  consuetudines  Perpiniani  quas  ad  praesens  inve- 
nimus  et  ad  memoriam  reducimus  quibus  homines  Perpiniani 
cum  dom.  Nunone  Sancio  eî  cum  antecessoribus  suis  et  ciun 
Dom.  Guirardo  et  cum  antecessoribus  suis  et  cum  Gaufredo 
firatre  suo  usi  sunt  pro  bona  consuetudine. 

1.  Homines  Perpiniani  debent  placitareet  judicare  per  con- 
suetudines villse  et  per  jura  ubi  consuetudines  deficiant,  et  non 
per  usaticos  Barchînonae  neque  per  legem  gothicam  quse  non 
habent  locum  in  villa  Perpiniani,  neque  intestatio  neque  exor- 
quia ,  nec  aiiquod  désuet  nisi  in  sale  tantum ,  quod  incipit  in 
ultima  die  Jovis  Aprilis  usque  in  primam  diem  Jovis  Junii. 

a.  Item,  si  Dominus  conqueratur  de  aliquo  liomine  Perpi- 
niani ,  débet  eum  certificare  facere  quo  et  de  quo  conqueratur. 
Et  si  postea  potes  t  petere  ab  eo  firmanciam  et  si  reus  petierit, 
Dominus  débet  illum  expectare  de  firmancia  usque  in  cras- 
tinum  diem ,  nisi  esset  querimonia  facta  de  enormi  crimine  in 
quo  dilatio  esset  periculosa.  Idem  et  in  bajulo  quod  in  domino 
dictum  est ,  et  omni  alio  ut  prius  cQrtificent  de  quo  conqueritur. 
I.  33 


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DE   LA    PKEMIEHE   PARTIE.  515 

test,  aiitequam  testes  jurent  contra  eum,  jurare  quod  per  iram 
et  non  per  veritatem  illud  dîxit,  et  sic  a  nulla  parte  débet  ha- 
bere  justiciam  dominus. 

ao.  Item,  si  vilispersona  vel  bacailalor  injuriam  fecerit  vel 
dixerit  alicui  probo  homini  de  Perpiniano>  alhis  circumstans 
potest  eum  coiriperc  in  ipsa  rixa,  sine  defeerioratione  illius 
personaB-,  et  quod  dominus  nichii  possit  petere  ab  eo  qui  etim 
corripuit. 

a 6.  Item,  quilibet  de  Perpiniano  potest  mutare  stationem 
suam  et  domicilium  ubicumque  volucrit  infira  provinciam  vel 
extra  sine  impedimento  domini  et  alterius  personne  et  ubicum- 
que ipse  vel  sui  fuerint,  possunt  retinere  possessiones  suas  in 
YÎlla  Perpinianî ,  etc. 

4o.  Item,  homines  Perpiniani  quando  milites  guerregant  se 
possunt  se  mittere  alii  in  Castro  alterius  militis  et  alii  in  alterius 
Castro ,  et  intérim  ille  miles  contra  quem  se  mittunt  in  Castro 
alterius  militis  non  potest  facere  aliquod  malum  aliquibus  bonis 
suis,  nec  aliquod  dampnum  dare,  sed  solummodo  personis 
illorum ,  dum  fuerint  in  defensione  castri  et  non  in  alio  tem- 
père. Si  vero  voluerint  esse  valitores  et  adjutores  se  alii  alterius 
militis  et  alii  alterius  habentium  guerras ,  possunt  hœc  facere  et 
equitare  contra  adversarium  illius  quem  adjuvant.  Quo  casu 
etiam  si  revertantur  ad  Perpinianum  taies  valitores  et  adju- 
tores exti  tente  guerra,  ille  miles  contra  quem  sunt  non  potest 
facere  aliquod  malum,  vel  dampnum  dare  bonis  suis,  sed 
tantum  personis  suis  et  illorum  qui  eum  eis  erunt  et  bonis  qum 
secum  ducunt  et  portant,  nisi  forte  illi  dixerint  militi  contra 
quem  sunt  quod  de  cetero  non  erunt  contra  eum.  Postea,  ille 
miles  cui  hoc  dixerint  nullum  malum  vel  dampnum  possunt 
facere  vel  dare  personis  suis  vel  illis  qui  eum  illis  in  illa  guerra 
fuerint  vel  bonis  quae  secum  duxerint  vel  portaverint  in  illa 
guciTa  ;  et  quodcumque  malum  vol  dampnum  fecerint  vel  de- 
derint  in  diclu  guerra  est  per  consuetudinem  diflinitum  eis. 

33. 


510  PREUVES 

5a.  Item,  quîcumque  bajulus  vel  vicarios  vel  scriplor mo- 
Ulur,  débet  jurare  coram  populo  se  factanim  bene  et  fiddiler 
suiim  ofRcium  et  cum  justicia ,  secundum  quod  ei  justom  et 
viftuiD  (îierit  et  secuDdmn  consuetudines  et  leges. 

55.  Item,  dominus  dod  potest  mutare  macdlum  nec  aliquis 
aiiiis  ;  et  si  aliquc  tabulae  in  macello  ponerentur  praeler  cod- 
siMlas ,  débet  eas  inde  bajtdus  expellere  ;  qui  bajulus  si  beat 
uoiueht  «  licset  impuue  illud  iacere  probis  hominibus  Perpiniani. 

6s.  llem,  simimimms  ut  nemo  agens  teneatur  in  Iota  ctosa 
esfirànere  causam  suc  petitionis  dum  tamen  ea  de  pecuoii 
sibî  sciheiida  CKÎal  cum  instrumento  publico  facto  in  scribaiiti 
IVrpimani,  elt. 

QiM»  prcdkias  consuetudines ,  dominus  Jacobus,  Dei  gracis 
m  Anf^miun,  llj^oncanmi  et  Valenciae,  cornes  Barchinonc 
H  iWi«MliMi»  H  dom.  Ilootîspessulani  laudavit,  et  approbtrit 
pff\>bfes  lnmiiiiibiKS  H  umnenilmti  villm  Perpimani, 

(  Jbi  ar  if  rMMMMT  fi  ^viU^e  des  armes  de  Perpiymaii, 

V^um  sît  cuncb»  TÎdentibus  ei  audientibns  banc  scripto- 
nuii .  qu^xl  ix>*  i>mn<»  insimul ,  populî  totius  villse  Perpiniani 

hâî  .îA  tt^  ;-î  >'..\:.U>  :^  tsiilem  villa  Perpiniani,  consilio  et  vo- 
liiv.t.»'.:'  .¥.  :v .%,/..%::  ■.:uî:îî  domini  Pelri,  Dei  p*acia  régis  Ara- 
Cv'i.uuî.  V  ::r.t.*  Tvirv  :.;iv;iia^.  constitmmus  inter  nos  v  consules 
in  v'-.vî.i  >:...••  P/r; -.".riAni .  nomine  M:ilicel  :  Emientraudum 
Cm  SM.  it  Nt;  î.a: -.im  àe  \  ilUra^a.  el  Bernardiim  de  Solatico. 
et  \iîA:t:r.  J.;  N.irtvn.i.  ti  JjKvbuni  Andream  qui  bona  fide 
iu<t.xii.Miî  t*.  /leisiuiAi^î  .K  m.miiteneant  et  reganl  cunctum 
jvputuiu  M.i.v  IVr.  ::u.ur. .  Uni  |var>um  quam  magnum,  el 
omnes  rt^  t\ mm  ni.b.ic^  t:  immohile5.  et  ouinia  jura  d''  re^s 
^À  (:À'.\\\M-:n\  d:\\\::\\  r\\:i>  rrvdicti  in  omnibus  el  ad  ulili- 
taUm  ti  î.it  itaitm  1. 1:1:5  ix  ;  uli  pnvfali  \i\Lv  Perpiniani.  Qui 
ronsuie*  |  :  m  inin.^ti  suit  ibi  va  ronsularia  de  istis  proximis 


DE  LA   PREMIERE   PARTIE.  517 

Lalendis  roarcii  usque  ad  unum  aonum.  Quo  termino  com- 
pleto,  si  tune  pnedicti  oonsules  in  pnefata  consularia  remanere 
aduerint,  sive  quod  non  essent  ibi  utiles,  sive  causa  necessi- 
tads  quam  haberent,  sive  quod  xlictus  populus  viltœ  Perpi* 
nianî  pro  •  consulibas  eos  habere  noluerit,  mittantur,  et  sta- 
tuantur  ibi,  in  dicta  villa,  arbitrio  et  ci^icione  totius  populi 
pnedicti,  idios  v  consules  ad  unum  annum,  et  ita  prosequatur 
semper  de  anno  in  annum  omni  tempore ,  de  praedictis  consu- 
libiis  si  ibi  non  fuerint  utiles  et  fidèles  in  dicta  consularia,  sive- 
que  populus  noiiet  eos  habere  et  retinere  ibi  de  uno  anno  el 
antea.  Adhuc,  nos  omnes  habitantes  et  stadantes  in  dicta  villa 
Perpiniani ,  bona  fide  et  sine  omni  enganno  cum  bac  prœsentî 
carta  in  perpetuum  valitura,  unusquisque  ex  nobis  propria 
Bostra  manu  dextra  juramus  oorporaliter,  tactis  sacrosanc- 
tis  iiij  evangeHis ,  vitam  et  membra  et  fidelitatem  domino  régi 
pnedicto  et  suis,  et  de  omnibus  suis  juribus  et  in  omnibus  bona 
ide.  Adhuc,  nos  omnes  habitatores  prae&tse  villœ  Perpiniani, 
lam  parvi  quam  magni,  convenimus  inter  nos  omnes,  bona  fide 
et  sine  omni  enganno ,  quod  erimus  insimul  nobîsmetipsis  et 
ex  viribuf  domini  régis  et  suorum  boni  valitores  et  veri  adju- 
tores  et  defensores  scilicet  ex  nobismetipsis  et  ex  omnibus 
rébus  nostris ,  et  ex  omnibus  juribus  domini  régis  contra  omnes 
homines  qui  non  sint  villœ  Perpiniani ,  salva  semper  fidelitate 
domini  régis  et  suorum  in  omnibus ,  et  hoc  totum  dicimus  nos 
observaturos ,  et  juramus  sub  eodem  sacramento  prsescripto. 

Et  ego ,  Petnis ,  Dei  gracia ,  rex  Aragonum ,  cornes  Barchi- 
Donœ ,  p^  me  et  per  omnes  meos  successores ,  cum  hac  prae- 
senti  carta  in  perpetuum  valitura ,  laudo  et  concedo ,  firmiterque 
eonfirmo  cunctîs  hominibus  meis  villœ  Perpiniani  ibi  habi- 
tantibus  et  stadantibus,  prssentibus  et  futuris ,  cum  hac  eadem 
carta  in  perpetuum  valitura ,  quod  si  aliqua  persona  qus  non 
sint  villse  nostnc  Perpiniani  aiiquod  forisfactum  sive  dampnum 
sive  malum  sive  detrimentum  sive  injuriam  fecerit  de  honore 


de  iqhiJiili»ne  aive  ailo  alio 
srare  KaoBs,  me 

et  ML  vicKHii.  (pu  in  cBcte  nosln  TÎBa 
«ttiBÉCBirfiÉ  cifr  iiipiliaBft  ci 

CBIKBieO  IM^IIIO  et 

va  nnllMit  soDB 
■HfMH»  iHiift  et  iafert 
ei:a  iB  pnsentui  eomm 
<«  re^titnere  et  UBeuda 
âcotâ  jua  et  rat»  dîcta^pcrit, 
]■>«  tiiiiafqriut,  vohmia»,  et  ex 
ntdicti  coÊtsnàa^  cttm  laeo 
ja^iiîo  -sK  ssnm  '^vearm^  «nBeomii  pafNife  Ptrpîniaoi  vadmt et 
TiMunni .  JMcmt  ^aiaa.  auper  indeCailaiein  qui  lor- 
infaDMii  âBczi  41  isBOHe  Hfrr*  aàiî  lefeifceietnr  et  erit  et 
•lÎB  rear  dvtift  «snm:  4I  ifr  mmphi  oMile&ctii  (|aani  ifat 
■if  «1^  .Je  jMmvt:  'maBint»  iiKnntt  ÉMBunnit  lUBiMiDaHi 

■umquani  ego 
j|Mfiare  oaqse  aiif|iiid 
ncne  iive  pelere.  ffMHpuMi  Mrtrrn  «iicii  coosuIb  com  meo 
;iiio  et  vinau  ei  oum  pupuîi»  Ftfpiuieni  ^mptr  alk|aeBa 
âumwi.^  ruiper  riiiam  ifuitewiHrint-,  h.  abipiis  ex  ipsa  YÎBe 


baoeat  inde  dampaimi  il  âuiiiiua^  BacdbinaiL.  cpii  — ■**^"^1nr  et 
'ientnr  in  opère  muronua  villa?  P^KrpâuaaL  Mandanma  adhoc 
<pjnd  oafln»  :ut  jiuHia  eipiitace  aeqne  aiîipia  inaèfftcii 
•iiicai  hmnmi  S¥e  iniinie  «pâ  aim  ait  viiks  Papmiaoî « 
rjniaâio  dictomni  consHihun  tit  mm.  Im^iÀ  et  ^kartL  QMid  si 
rpiiaauaa»  âieit  tamptare .  liin^  qaaàe&cta  cognitiPMe  pnedic^ 
Uirum  conanlum  et  oiei  bajuli  «t  vicarii.  et  idtra  kabeat  iwle 
'tampniun  x  solidoa .  tpÂdenlnr  et  nûttantiir  in  opère  ptjedici»- 
rrim  nniromm.  GmMii»  vaiu  reevpefcal 


> 


DE  LA   PREMIERE  PARTIE.  519 

quam  fecerint  pro  conducto  sive  pro  loguerio  de  bestiis  si 
equitaverint,  pro  iilo  cni  debitum  sive  tortom  restitutum  fui( 
bona  lide.  Similiter  quaiecumque  consules  in  supradicta  con- 
Bularia  mittentur  ac  statuentur  de  anno  in  annum ,  jurent  si- 
miiiter  ûdelitatem  nostram  et  omnia  jura  nostra ,  et  fidelitatem 
totias  popali  praedicts  viike  nostre  Perpiniani  et  ex  omnibus 
rébus  eorum ,  eodem  modo  ut  jara  juraverunt  praedicti  con- 
suies.  Et  ego,  Ermengaudus  Grossi  ;  et  ego ,  Stephanus  de  Vil- 
larasa;  et  ego,  Bemardus  de  Solatico;  et  ego,  Vitalis  de  Nar- 
bona,  et  ego,  Jacobus  Andréas,  nos  quinque  supradicti 
consules,  juramus  quisque  ex  nobis  lidelitatem  domini  régis  et 
suonim  et  omnium  jnrium  suorum  în  omnibus,  et  vitam  et 
membra  omni  tempore ,  et  fidelitatem  tolius  populi  Perpiniani 
et  ex  omnibus  rébus  eorum ,  tactis  sacrosanctis  iiij  evangeliis , 
quod  sacramentum  corporaliter  facimus,  et  est  manifestum. 
Actum  est  hoc  septimo  kalendas  marcii,  anno  incamationis 
domini  mclxxxxvi  ,  signum  Pétri ,  régis  Aragonum  et  comitis 
•BarchinonsB,  qui  predicta  omnia  laudo  et  confit  mo  proprio  si- 
^o  meo  -f  Petrus  Ausone  sacrista.  Signum  Guillelmi  Durfortis. 
iSignum  Johannîs  Beraxensis  domini  régis  notarii  qui  litteras 
signi  domini  régis  scripsit 

Confirmation  des  coutumes  par  Pedre  IL 

Manifestum  sit  omnibus  prssentibus  et  fiituris  quod  ego , 
Petrus,  Dei  gracia  rex  Aragonum  etcomes  BarchinonaD,  laudo 
et  concedo  et  confirmo,  et  cum  bac  praesenti  carta  perpeluo 
Yiditura  liberaliter  autoriio  vobis  omnibus  hominibus  tam  ma- 
joribus  quam  minoribus  habitantibus  et  habitaturis  in  Perpi- 
niano ,  omnes  illas  bonas  consuetudines  quas  pater  meus ,  bona$ 
memoria;,  dominus  Udefonsus,  iiiustris  rex,  vobis  condam 
dédit,  laudavit,  concessit  et  confirmavit,  sicut  melius  et  since 
rius  coutinetur  in  instrumento  ab  eo  ipso  nobis  inde  facto.  Prae- 
terea  volo  et  mando ,  et  paginas  presentis  auctoritale  iirmissirae 


b  Vacvs .  «rdàù  >■>— >  iracKcntomm .  m  19*  A  J 
>  nn*tTt>  ah  afic«tol>t-M  Milr  romÙM.  per  teilts  t^v 
i-iwl»  iuiratuoi  fu«rit  <{uo(l  IVwkïus  de  Vernelo.  ^Hiad^ 
[lalri  iïliuî  PtMHài  tle  \«i>rto,  luKvtkoos  receperft,  cda^A. 
Mi»tiHu«il.  funiliu-es  habueril.  cas  bene  fecerit  k  elî^Mi 
MWav«rïl  :  ptr  que  consut  quoit  eonim  erroribiu  onBifil  d 
iioM  constat  quod  confeMu»  riiil,  nec  etiam  penltuît,  fOf'B' 
(juc  omnia  bona  dkti  1V(m.-u  itf  fuiicti  erant  de  jure  DOrtro  ht- 
rario  confiscanda  ;  no»,  volettes  dïcio  Poncîo,  filîo  dïctî  dfr' 
fiindi  mis«Ticordiz  i  iscera  afierirp ,  eidem ,  auctoritate  pmM- 

lium  indidgemus .  retniltimtis *  roDcedîmus  et  in  pape* 

luuin  abMlvimus  et  defTinintu!'  omnia  castra  et  viSas  on 
tenninis  suis  et  alias  poueMiones  el  omnia  bona  mobilîa  et 


DE  LA  PREMIÈRE  PARTIE.  521 

immôbilia  quae  fuerunt  dicti  patris  sui  âefuncti,  et  omnem 

justidam generalem  et  penonalon  seu  mittam 

cujuscuique  generis  ait  quam  habemus  vel  habere  possumus 
super  omnia  bona  dicti  Pondi  defuncti,  patris  sui,  ratione dicti 

criminis ,  vd  ratione •  criminis  vd  ddicti  a  dicto 

pâtre  suo,  vd  etiam  ab  ipso  usque  nunc,  quacumque  ratione 
comissi,  sive  inventum  fuit,  sive  possit  unquam  de  rétro  inve- 

niri;  et  ex  bac  concessione dictus  Pondus,  filius 

dicti  Poncii  defuncti ,  omnia  predicta  bona  libère  ac  licite  reti- 
nere,  et  de  ipsis  testari  et  suam  perpetuo  faoere  voluntatem 

possit  «  etiam  recipere  et  capere  omnes et  qui  d  ad- 

venient  et  advenire  poterunt  ratione  proximitatis ,  agnatorum 
vd  cognatorum,  vd  aliarum  personnanim.  Ac  si  «  ratione  dicti 

criminis,  dictus  pater  suus ,  vd  etiam  ipse,  numquam 

et  dicto  Pondo,  filio  dicti  patris  defuncti ,  quod  propter  dû^um 
ddictum  preteritum  non  possit  unquam  ab  aliquo  inquietari 

nec  infamiœ  notasignari,  ex  patemo  ddicto seteum 

ad  £simam  et  ad  onmia  supradicta  de  plenitudine  nostrae  potes* 
tatis ,  et  quod  possit  peragere  omnia  qus  quiiibet  homo  capax 

et  integ rum  ut  tanquam  fiddis  et  catbo^ 

licus  admittatur  semper  ad  onmes  légitimas  actiones.  Volumus 

quod  onmia  supradicta Poncius  defunctus,  fuit 

in  ipso bœreticus  judicatus.  Propler  banc  autem  re- 

missionem  et  graciam ,  a  dicto  Poncio ,  filio ....  viginti  duo 
millia  solidorum  mdgonensium  concedimus  récépissé ,  reniin- 

ciantes  except doli  et  pecuniae  non  numeratse,  renun- 

ciantes  etiam   scienter  et  consulte,  quantum  ad 

minons  pretii  et  auxilio  illius  legis  qua  succuritur  deceptis 

ultra  dimidium  et  onmi  dio  jure  et  ratione et  civili 

repugnantibus  contra  predicta  vd  aliquod  predictorum.  Et 
banc  gratiam  et  remissionem  facimus  de  assensu  et  voluntate 
dictorum ,  fratris  Pétri  de  Cardila  et  fratris  Bernardi  de  Vacco 
{ou  JBorco),  inquisitorum  haereticas  pravitati&  in  regnoct  domi* 


&30 

coiiilitiiD  quod  o: 


PKËUVES 

il  persona  ûve  sît  miles,  si* 


sit  religiosa  ,  vel  aliNS  cujuslibct  condicioiiU  v' 
aliquid  liabcat  et  positideet  iii  viUa  Perpinw 
suis,  dct  cl  mitUt  in  expensis  et  missionib 
Perpiniaiii  vicinaliter  «ecundum  qiiod  hr 
et  limiiler  precipio  bajulo  quicumque 
vd  il)  poMcnim.  sulwUtuendoque  bo' 
lînnilei'  conipleat  cl  coiiservel,  et  qur 
rieccsM!  fucrit  |)utciitialitcr  diitrinf 
Datiim  rcrpiiiiaiii  xiij  Laleudait 
l'er  uiaiiiiiu  Pelri  i\c  Ulandis,  not 


.ii-chinoBB  tl  Ui- 


Novermt  iiiiivcrsi.  qiiod 
Arngoniiii),  Majoricarum 
(Jrgclli  et  domîiius  Mon' 
iiiqiiîsitoribus  )ia»«ticon 
nardo  de  Vacco,  ordin 
•Idiiiîiiio  nfistro  nb  ai 
ni-iik--  iiivnjliim  fur 
piilt-i  i^tiiis  roncii  ' 
Mislitiiicril,  rnmiliii 


.dm» 

,    alicujus  alterius  serfiôi: 

■&c  nos  et  nosiros,  volumus. 

olris  et  vntris ,  quod ,  ralione 

hominibiis  vctlris  prejiulkiaiii 

.  veslTonim  prcjudicio.inodoel 

i-ecognoscîmus  fore  c-oncessa  mm- 

■lOftria,  infanlîbiis  Pedro  et  Jacobo, 

iiictil  quatuor  evangcliis  quod  ip)i 

rlii  nullum  vobÎK  vel  veslris.necrliun 

oneni  raciantvd demandant.  neciiMiin 

jui  intendant  adquisivissc  vel  lialHW, 

o  qucui  UnlH'ie  <lcbcii(  tcmjMirf  «iKinini 


■  l< 


'*.RE   PARTIE.  523 

-^  et  Jacobus  prœdicti, 
)  adjutorium  amore 
iiclo,  fore  (ÎEictum,  et 
uiisuetudinis  vel  usus, 
i  quatuor  evangelia,  ma- 
iiod  nulluni  vobis,  richis 
ncc  vestris  nec  hominibus 
e  subsîdii  vel  adjutorii,   fa- 
>ii  possit  parare  nec  faccre  pre- 
cl  vestris  per  nos  nec  nostros  in 
1  de  vcslra  fuerit  volunlate;  imo 
0  dono  gratuitu  conûtenuir  et  re- 
lod  fuit  actum  in  Barchinone,  in  pa- 
iiovembris  anno  Doniini  mcclx  quarto , 
le.  (Arch,  eccles.  ) 

N"    XIII. 

t-ment  de  ienxiin  pris  pour  les  niaraillfs. 

versi  quod  nos,  frater  Guillelmus  de  Abellariis, 

I  us  Mansi  Dei ,  militiœ  Templi ,  sciens  et  rccognos- 

-operatoriis  domus  fratrum  minorum  Peq)iniani, 

^dem  domus  fratrum  minorum  Perpiniani  recipien- 

itbis  fratri  G.  Ferrando,  guardiano  fratrum  minorum 

iii  et  fratribus  totius  conventus  tam  pncsentibus  quam 

.  quod  fuit  voluntas  illustris  domini  régis  Majoricarum 

=l)orum  hominum  vills  Perpiniani  quod  in  satisfactione  et 

{>ensationc  cujusdam  tenenciœ  quam  clavarii  cisae  Perpi- 

•ni  occupaverunt  pro  opère  murorum  dictœ  vills  Perpiniani, 

ater  Amaldus  de  Torricela,  praedecessor  noster,  olim  prse- 

ceptor  dictsB  domus  Mansi  Dei ,  vendcret  vobis ,  nomine  dictas 

domus   fratrum  minorum  et   fratribus  minoribus  conventus 

perpiniani  ortum  dicta*  domus  Mansi  Dei  inferius  alTroiilatum, 


522  PKKUVES 

nio.  Ad  mnjurein  etiam  limiiutein  prxseiiton  (Mi|;iiiam  hiiUi 
iKisIra  MMK^iliiuus  roburari.  Dstiim  Barcliiloiis .  piidie  notât 
outobri ,  uuiKi  Dumîiii  millesimo  duceiitesimo  sexa^sùno. 
Kgiiuin  Jocobi,  Dei  gralia,  régis  Arngonuin.  MRJoi'icaruiii  e< 
VAleiiliiU,  cooiitis  Barcliiloiijf  et  Urgdli.  et  domiai  Moatùpts^ 
Milani.  Tesbjti  stint  A.  de  l,uitii,  iVxùiiius  de  tJrrea.  Kùmiuiu 
de  FoMÎbug  et  d«  Anlillo,  MarlÎDua  de  Luua.  Signum  Mi- 
cboelli,  etc.  { Ex  anh.  vcclet.  ] 

Iniliiifiiilancr  rtn  ^ri^Jllfarl  eaialsinl. 

fkrretitii  iiniveni  qiiod  mw,  Jacobn».  IVi  gratis,  rei  Arn- 
i;iMiUDi,  Majortcarum  et  Valeutiir,  romes  Barchinouie  et  Hr 
gsBî.  et  domimis  MuntiftpeMulani ,  per  nos  «l  iioRlro».  reco|; 
DMc:in>us  et  conlilemur  votij» .  ricliis  liomtiiLbus  el  milhibin 
Catalonioi,  qiiml  subsidiutn  sive  ^ervitium  quod  iiobi*  tnodn 
conccM»l»,  n  vobi»  vri  a  ve«trîs  bominibus,  dedistis  el  con 
ceMisliii  noli»  (p-atisct  >ponlan«n  volantatc,  pt  aroore  mixin», 
ac  puro  et  graluitu  dono ,  ei  ad  preces  nostras ,  in  aonlium 
frnerrft- qiiam  contra  Snirnren os  praponuimus  babere.flDOO 
ratîone  aervitutis  sabjectorum  vel  alicujns  alteriiu  servidi, 
OBUS  tel  consuetudinis.  Unde,  per  nos  et  nostros,  volumu». 
recognowîmus  et  concedimus  vobb  et  vestria,  quod,  ratkmc 
dkti  adjutorii ,  nulhiln  vobia  vel  hominibus  vesiris  prqudkâtiiii 
generetur,  imo.  sine  veitro  et  veRtronim  prejudîcio,  modod 
in  posterum ,  nobis  predicta  recc^o»cimus  fere  coocesM  tnan- 
dootes  excellentiMimii  filiis  nosiris ,  inbntibus  Pedro  et  iaoobo. 
4)uod  jurent  super  Mcroeanctif  quatuor  evangdiis  qiiod  ipti 
■tecsui,  racionedicti  auxilii  nullum  vobis  vd  veafaria.aec etiam 
vestria  hominibus,  peticionem  faciantvel  demandant,  necuHim 
aut  consuetudinem  vd  jus  intendant  adquisivisse  vel  habere, 
eKccpto  tanici>  bovalico  qiiem  hnltere  debent  tentpore  suonini 


DE  LA  PREMIÈRE  PARTIE.  523 

regiminuiD.  Ad  hœc,  nos  infantes  Petrus  et  Jaeobus  prœdicti, 
recognoscentes  prsedictum  subsidium  seu  adjutorium  amore 
maximo  domini  régis,  patri  nostro  prœdicto,  foré  £sctam,  et 
non  racione  alicujus  servitutis,  juris,  consuetudinis  vel  usus, 
juraniMS  per  Deum  et  ejus  sacrosancta  quatuor  evangelia,  ma- 
nibus  nostris  corporaliter  tacta,  quod  nullum  vofais,  richis 
hominibus  et  militibus  antedictis,  nec  vestris  nec  hominibus 
etiam  vestris  peticionem,  racione  subsidii  vel  adjuiorii,  fa- 
ciemus ,  nec  istud  servicium  non  possit  parare  nec  facere  pre- 
judicium  in  posterum  vobis  vel  vestris  per  nos  nec  nostros  in 
isto  caau  vel  simili  alio,  nisi  de  vestra  fiierit  vcduntate;  imo 
hoc  servicium  ex  vestro  puro  dono  gratuitu  confitemur  et  re- 
cognoscimus  récépissé.  Quod  fuit  actum  in  Rarchinone,  in  pa- 
lacio  dcmiini  régis,  ij  idus  novembris  anno Domini  mgglx  quarto , 
praesentibus  testibus,  etc.  (Arch,  eccîes,) 

N«    XIII. 

Remplacement  de  terrain  pris  pour  les  nmraiUes. 

Noverint  universi  quod  nos,  frater  GuiUdmus  de  Abellariis, 
prvceptor  domus  Mansi  Dei ,  militi»  Templi ,  sciens  et  recognos- 
cens  vobis — operatoriis  domus  firatrum  minorum  Perpiniani, 
nomine  ejusdem  domus  fratrum  minorum  Perpiniani  recipien- 
tibus,  et  vobis  fratri  G.  Ferrando,  guardiano  fratrum  minorum 
Perpiniani  et  fratribus  totius  conventus  tam  prsesentibus  quam 
futuris ,  quod  fuit  voluntas  illustris  domini  régis  Majoricarum 
et  proborum  hominum  vilis  Perpiniani  quod  in  satisfactiokie  et 
compensatione  cujusdam  tenenci»  quam  clavarii  cisœ  Perpi- 
niani occupaverunt  pro  opère  murorum  dictA  viUse  Perpiniani, 
frater  Arnaldus  de  Torricela,  prffidecessor  noster,  olim  prie- 
ceptor  dicta  domus  Mansi  Dei ,  venderet  vobis ,  nomine  dictas 
domus  fratrum  minorum  et  fratribus  minoribus  conventus 
perpiniani  ortum  dictée  domus  Mansi  Dei  inferius  affroutatum, 


PREMIÈRE  PARTIE.  525 

lans  exceptioni  pecunûe  non  numerais 

ir  qui  ullra  dimidium  justi  pretii  deoepti 

ivit;  et  si  hsec  venditio  plus  valeat  dicto 

(t  valitura,  iliud  totum,  in  ter  vivos^dictus 

fratri  Jacobo  dédit;  et  promisit  eodem 

line  proprio  quam  nomine  procuratorio 

^arracenum  poterat  vendl  per  ipsum , 

'  ûistelario ,  et  se  facturum  et  cura- 

^QB  Pontius  de  Castelario  habebit 

1  ipenditionem ,  et  faciet  ipse,  et 

im  eidem  domui  Mansi  Dei  et 

Bonum  habere  et  tenere  in 

pefpetuum,  et  se  teneri 

n  Jacobo  nomine  ejus, 

■'t  sumptibus  et  inter- 

itrem  Jacobum  seu 

Dei  facere  contin- 

.lendo  quam  in  in- 

uo  verbe  absque  testibus 

ois  omnem  necessitatem  de- 

^  super  praedictis.  Item,  nominibus 

.  eodem  fratri  Jacobo,  nomine  dictas 

ulanti,  quod  dictus  Sarracenus  est  de 

m  est  de  paiia  aliqua  nec  fiirtim  raptus, 

c  patitur  morbum  caducum  ;  aligando 

nomine  dictse  domus  Mansi  Dei,  omnia 

futura.  Et  incontinenti ,  constituit  se 

mine  suo ,  vel  qui  possidere 

3t  corporalem  possessionem  quam  possit 
oluntate.  Et  Raymundus  de  Porta ,  ha- 
(ido,  precibus  et  mandato  dicti  Pétri 
ejussorem  dicto  fratri  Jacobo  de  Œeriis, 
Mansi  Dei  recipienti,  de  praedictis  om- 


52ft  l'RKIIVKS 

et  c«n»iit  et  furit  ca|iii)Tn ,  tU\  Et  nunc .  de  oiandalo  tlieli  Ju- 
mîni  régi»,  pev  nos  et  succtssore»  matro»  et  ouiiies  TralreB  lui- 
Utiu!  Teiupli  |ir>cseiites  et  futuri ,  vendimus  vobis.  dtcli» 
operariis  (•mentibus  noniinp  l<1  ad  opu»  fratrum  minorum  Per- 
pinioai  et  convcatus  ejuïdem  domu*,  dictum  ortum,  etc. 
{Arch.  ccela.) 

N°   XV. 

Vmlr  pubUiiiw  dan  Sarraiin. 

Novttriiit  iiiiivenii  ijuod  ego,  Pelnis  Florjs,  liabîUlor  de 
(juiilMioUindo,  procurntor  l'oiitii  de  Cnsteldrio.  mililis,  no- 
mine  procuralorio  ejus  data  «ub  mandnlo  per  ip»uiii  Pontium. 
lie  veiideiido  Surraceauin  infraMriptua) ,  ut  per  publieuiu  lat- 
Irumentum  in<ln  luctuiu  apparebat,  quenidam  SBiraoï-uiiiu 
tiomtiie  Aimel.  qutin,  ut  dîcebal,  dederat  dicto  PonlioGaus- 
beiiiu  de  Caïtronovo;  veudidîl  et  tradidit  publiée  ïn  plalei 
publics  viUc  l'erpinîani ,  in  tabula  Pétri  Kiperio;,  mercatorii 
PcrpiDiaoi,  cum  publiée  dictus  Soiracenui  aubaslarelur  per 
plateam  piiblicam  villie  Peqiinianî,  fratri  Jacobo  de  Olerii), 
pnrceplori  donius  lempl!  Perpiniani,  prœseoti,  nomine  do- 
mus  Hausi  Dei  militite  Templi  ement!  et  recipienti ,  totum  inte- 
nter ac  generaliter  cum  omnibusjuribusquoshabebat  indicto 
Sairaceno  prsdictus  PetruB  Floris  ex  nomitie  procuratorio  et 
potestatesibi  data  per  dictum  Pontium  de  Gistelaria ,  utsuperiiu 
continetur,  ad  ulililatem  et  comodum  dictse  dotnus  Mansi  Dei, 
Biititiae  Templi  :  cedendo  dicto  fratri  Jacobo  omnia  jura  et  ac- 
cione»  qu«  et  qua»  habebat  in  dicto  Sarraceno,  Domine  pro- 
ctu-atorioet  vice  dicti  Ponlii  de  Castdario,  conslituendodiclum 
fratrem  Jacobum,  nomine  dictœ  domus  Mansi  Dei  emeuleni, 
at  iii  rem  suam  procuralorem  contra  omnes  peraonas.  Quam 
vendicionem  eidem  fratri  Jacobo  fecit  precio  undecim  librarum 
et  dcceni  salidoriim  malgon.  bonorum,  de  quibus  per  pacca- 


DE   LA   PREMIERE  PARTIE.  525 

tum  se  tenuit ,  renuncians  exceptioni  pecuniae  non  numeralae 
et  iUs  legi  qua  juvantur  qui  ullra  dimidium  justi  pretii  deoeptî 
5unt,  similiter  renunciavit;  et  si  hœc  venditio  plus  valeat  dicto 
pretio,  velinposterum  est  valitura,illud  totum,inter  Yivos,dictua 
Petrus  Fions  praedicto  fratri  Jacobo  dédit;  et  promisit  eodem 
firatri  Jacobo ,  tam  nomine  proprio  quam  nomine  procuratorio 
prsedicto ,  quod  dictum  Sarracenum  poterat  vendi  per  ipsum , 
ut  proprium  dicti  Pontii  de  Castelario ,  et  se  facturum  et  cura- 
turum  cum  efFectu  quod  dictus  Pontius  de  Castelario  habebit 
ratam  et  ûrmam  semper  dictam  venditiouem ,  et  faciet  ipse,  et 
dictus  Pontius ,  dictum  Sarracenum  eidem  domui  Mansi  Dei  et 
dicto  fratri  Jacobo  nomine  ejus,  bonum  habere  et  tenere  in 
pace  et  quiète  ab  omni  persona,  in  perpetuum,  et  se  teneri 
eidem  domui  Mansi  Dei  et  dicto  fratri  Jacobo  nomine  ejus, 
et  successoribus  suis  de  omni  evictione  et  sumptibus  et  inter- 
esse  signos  in  eam  evictîonis  dictum  firatrem  Jacobum  seu 
successores  suos  vel  dictam  domum  Mansi  Dei  facere  contin- 
geret  pro  praedicto  Sarraceno,  tam  in  obtinendo  quam  in  in- 
cumbendo ,  ex  quibus  credatur  pleno  suo  verbo  absque  testibus 
et  juramento  ;  demitens  sibi  et  suis  omnem  necessitatem  de- 
nunciandi diclo Pontio  et  suis  super  praedictis.  Item,  nominibus 
quibus  supra,  promisit  eodem  fratri  Jacobo,  nomine  dictas 
domus  Mansi  Dei  stipulanti ,  quod  dictus  Sarracenus  est  de 
bona  guerra  et  quod  non  est  de  palia  idiqua  nec  furtim  raptus, 
nec  mingit  in  Iccto  nec  patitur  morbum  caducum;  aligando 
in  dicto  fratri  Jacobo,  nomine  dictae  domus  Mansi  Dei,  onmia 
bona  sua  pnesentia  et  futura.  Et  incontinenti,  constituit  se 

dictum  Sarracenum  nomine  suo ,  vel  qui  possidere 

munus  fuerit,  plenamet  corporalem  possessionem  quam  possit 
accipere  sua  propria  voiuntate.  Et  Raymundus  de  Porta ,  ha- 
bitator  de  Camporolundo ,  precibus  et  mandato  dicti  Pétri 
Floris,  constituit  se  fidejussorem  dicto  fratri  Jacobo  de  Œeriis, 
nomine  dictan  domus  Mansi  Dei  recipienti ,  de  praedictis  om- 


PltfctVES 
)  el  sinpiilia  «apradictis  ultendPndÎR  el  compUndis  dictu 
fralri  Jacolm  el  RiiccMioribiis  nuis  et  dictt  doinni  Mansj  LVÎ 
CUDi  tt>  ol  Rtne  oo.  in  vila  el  iii  inoric.  renuncîans  reecriplo 
divi  Adriatii  el  benelicio  novtp  conatilulioni»  et  dividcnd^r  ac- 
lionîii.  et  illi  aiileiilîce  dkei)li  reum  principalcm  primo  fera 
oonveniendtim ,  obligAndo  jflmdiclo  fratri  Jacobo  et  succcmo 
ribii*  «uis  nomine  dicta-  domim  Maitsi  Dei  el  eidcni  doomi 
ntnnia  boiia  *iin  prm«nlin  «t  fuliira.  Acluni  est  hoc  priino  ka- 
Uadu Martin, a mio  Domini  iU(:i:nonageRitno sexto.  Signiim.  etc. 
{Ex  areh.  eceiet.  ] 

V urftii .  au  roi  dr  Atajori/m- . 

Extrait.  Nos,  |>rocuratores  iiiiiverMlntis  huminiiRi  dicii  Inci 
(le  Venietn,  uoniiiio  procuratorio  prasiiclo.  suppliRARiu»  ft 
.  requirimuR  vobîa.  rcvcreodo  domino  Guillelnio,  Dei  gntii 
■bbali  Saacii  Marliiii  Caiiigonenaîs ,  qualtrou*  iila  pignon*  que 
vo«  recepisti»  «eu  recipi  el  pignorarc  feciftlia  per  diulum  Potnim 
de  Joncelo.  bajtiliim  de  Vcrni'ln,  mliono  r.r,  f>olidi>ruiu  aiil 
majoris  aiit  minons  summs  quos  aeu  quam  vos  vultis  et  inlen- 
ditis  extorqiiere  et  eiigere  ab  universitate  hominiun  de  Ver- 
neto,  occasione  illiiisconviviiquod  hoc  aano  fecistû et  dedistis 
illustrissime  domino  régi  Majoricarum  in  vestro  monasierîo. 
nobis  et  aliis  bominibus  dicti  loci  quorum  sunt  dicta  pignon 
restitualis  et  reddi  et  restitui  faciatis,  cum  prtedicta  unitersilas 
non  teneatur  ad  solvendum  prxdictum  convivitun,  expeosu 
seu  missiones  ejusdem,  nec  ad  coiitribuendum  et  solvendoni 
partem  aliquam  in  eisdem .  cum  vos  spontaneus  et  absque  ali- 
qua  coactione,  invitando  dictum  dominum  regem  feceritis  et 
dederitis  eidem ,  in  dicto  vestro  monaslerio  conviviiuo  anle- 
dictnm,  et  idem  dotoinus  rex,  sua  liberalitate,  ad   honoreœ 


DE  LA  PREMIERE  PARTIE.  527 

veslruna  et  dicti   monasterii  pnedielom   convivium  a  vobis 
duxeril  aoceptandum ,  etc.  (  Ex  orra,  ecehs.) 

N"   XVII. 

Prétentions  des  TempUets  sur  les  comtés  de  RoussiUon  et  de  Cerdagne, 

Noverint  univeni  quod  oo9 ,  infans  Jacobus ,  iUosiris  régi» 
Aragonum  filius,  hasres  Majoncamm,  Montbpessulani ,  Ro6« 
silionis,  Vallespirii,  Ceritaniaa  et  G)Qflaeiiti8 ,  nomine  domini 
régis  patris  nostri  et  oostro  ei  successorum  ejusdem  et  nostri, 
dominorum  Rossilionis,  Vallespirii,  CeritaniaB  et  ConflueDlis 
ex  una  parte,  et  nos  frater  Amaldus  de  Castronoro,  humais 
militiaB  Templi  magister  in  Aragonia  et  Cathaionia,  per  nos  et 
omnes  successores  nostros  ex  parte  altéra ,  consilio  et  assensn 
fratrum  nostrorum  coropromittimus  in  vos,  venerabiles  et  dis- 
cretos  Geraldum,  abbatem  Sancti  Pauli,  de  Narbona,  et  Gos 
bertum  de  Voconaco,  abbatem  Sancti  Felicis  de  Gerunda, 
tanquam  in  arbitros  arbitratores  seo  amicabiles  compositopes 
super  controversia  quorundam  privilegiorum ,  tam  a  dicto  do- 
mino rege  quam  ab  antecessoribus  quibusvis  inductorum  seti 
concessorum  domui  militise  Templi  et  hominibus  ejusdem,  in 
terra  Rossilionis,  Vallespirii,  Ceritaniœ,  et  Ginfluentis,  orta 
diuiius  inter  infantem  Jaod^um  et  Curiam  dicti  domini  régis 
ex  una  parte ,  et  nos  fratrem  Arnaldum  prsdictum  et  fratres  et 
hooûnes  militise  Templi  ex  altéra ,  super  eo ,  yidelicet ,  quod  nos, 
firater  Arnaldus  praedictus,  asserebamus  et  asserimus  in  onmibus 
honûmbus  etfemnis,  villis  et  castris  ntis  in  proedictis  locis  temm 
Rossilionis,  Vallespirii,  Ceritanim  et  Conjlnentis,  nos  debere  ha- 
bere,  occasione  praedictorum  privâegiorum ,  in  praedictis  locis, 
scilicet  castris  et  villis  et  hominibus  et  feminis  eorumdem ,  et 
sdibi  in  hominibus  môlilî»  Tem{^  infira  prsdictas  terras ,  josti- 
cias  civiles  et  criminales  etetiam  merum  imperimn.  Ex  adverso, 
nos  infans  Jacobus  prœdictus,  nomine  dicti  domini  régis  et 


/ 


53A  PHEUVES 

iKwtri  et  iiicccKMiriim  iioitrortini  in  dicii*  terris,  <lu.'ebatniii> rt 
aw«rebaiiiii»  et  nx«oriiniix  vx  IvuDrc  [M'aHlkloruiu  prïvilp^ionim 
prsiclictuni  fratn;ut  Arnaldum,  inaginlrum,  seu  fratre»  mÛilùe 
Templi,  nomme  dictieiloinus,  non  debereliabere  aliquamjurU' 
dictionentinkuaiiuibuB  (rutnirum  «eu  rillaruiuniilitiivTt»n{di, 
Ktt  aliû  in  terra  [ioitilionu,  Vallttpirii,  Ceritaniw  ft  VonfiatRlii 
rontmorontitiu.  wà  tolum  iiiodo  faticain  decem  diertim  in  pro- 
prii»  et  Milidi»  castris  Templi ,  maxime  qiiod  ex  intprprvUlioR* 
facta  o  dictu  doniiiio  r^^  ,  paire  no»tro ,  super  dictis  privilf^iù 
rolligtlur  Gvidenter.  noc  etiam  ex  tenora  diclarum  privilegiiv 
nim  videbattir  en  qux  sunt  meri  împcrii  (bra  rnticessa  domui 
mil) tir  Templi  îii  liomînilxis  supradictin.  Diide,  de  cotnmuni 
coucordid  et  atitensu.  super  omudiui  piwdiclîii  el  siogulii, 
excepta  rutro  cl  villa  de  Palan ,  dt^  cuju»  jiirisdrcttooe  et  jua- 
ticîa  nou  intoDigimn*  aliqiitd  compromit  1ère ,  de  pricscnli  ctm- 
promittimua  in  in*  .  prediclos  vjrm  el  diicrelos  Gerarditm  el 
Gocbortiim,  abbates  pntdiclos.  lanquEtin  in  ai-bîlm»  arbîtr*- 
Inre»  seu  amicabiles  co mponi tores ,  ni  supcriu»  dictum  ml; 
îUujue  quitquid  pm>dictis  nliqno  WM  aliquiliiis  prcedictorum 
jure,  laudo,  consilio  seli  omicabili  conipositioDC  juxta  QMtri 
ordinitcioncm  dirUm  .s(>u  voliinUtem  duxeritis  ordinandum. 
quocumque  modo ,  ralum  fiabebimus  atque  tinnum ,  mu  olifi- 
gatione  boiiorum  dicti  domini  régis  et  nostrorum  el  domm 
dicta;  militia;  Templi ,  volecites  ctiam  quod  de  prsdictis  et  sin- 
guli5  possitis  cognoscere  et  inquirere  de  piano  et  sine  strepila 
judicii,  omissaomnis  juris  solemnitate,  et  nos,  consulte  et  ei 
cerla  scientia ,  renunciamus  quod  contra  dictum  seu  prootm- 
ciationem  ve)  ordinacîocem  vestram  nos  vel  aller  nostrum  dod 
possimus  recurrerc  ad  arbitrium  boni  viri. 

Nos  vero ,  Geraldus,  abbas  Sancti  Pauli ,  et  Gosbertus ,  abbas 
Sancti  Felicis  Gerunda: ,  arbitri  arbitratores  seu  amicabilet 
composilores ,  habita  inter  nos  et  cum  sapientibus  super  pn- 
dictis  dili^nti  consilio  et  Iractatu,  proedictis  domiDO  infanli 


DE   LA  PREMIERE  PARTIE.  529 

Jacobo  et  fratri  Amaldo,  magistro  domus  militiae  Templî,  in 
nostra  prsesentiaconstitutis,  visis  privil^^iis  hinc  iude  productis 
et  rationibas  utriusque  partis  auditis ,  inquisito  commuai  usu 
totios  terne  Rossilionis,  Vallespirii,  Ceritanis  et  G)nfluentis  et 
liJbertatibas  concessis  villis  et  civitatibus  et  hominibus  domini 
régis  a  dicto  domino  rege  vel  ab  antecessoribus  suis,  inter  eos 
taliter  duximus  ordinandum  quod  prsdictus  magister  Templi 
et  successores  ipsius  et  firatres  militûe  Templi  habeant  omni- 
modam  jurisdictionem  et  omnes  justicias  civiles  et  criminales 
in  castris  seu  villis ,  parrocbiis  et  terminis  de  Sancto  Ypolito  et 
de  Orulo  et  de  Angils  et  de  Terrats ,  et  hominibus  in  eis  inha- 
bitantibus ,  excepto  mero  imperio  in  omnibus  criminibus  qui 
inducunt  mortem  civilem  vel  naturalem  seu  detruncationem 
membrorum ,  et  jurisdictionem  et  cognitionem  et  punicionem 
pacis  et  treugae  qui  et  quae  sunt  et  rémanent  in  prœdictis  locis 
pênes  dictum  dominum  regem  et  dominum  infantem  Jacobum 
et  successores  eorum,  dominos  terr»  Rossilionis,  Vallespirii, 
Ceritanise  et  G>nfluentis. 

Item,  dicimus  etordinamus  quod  si  homines  domini  régis  et 
domini  infantis  Jacobi  delinquerent  iufra  prsdicta  castra  seu 
terminos  eorumdem ,  quod  non  teueantur  respondere  pro  dicto 
ddicto  seu  delictos  in  posse  bajuli  seu  bajulorum  praedictorum 
loconim  seu  parrochiarum ,  nisi  in  posse  curiae  dicti  domini 
régis  et  domini  infantis  Jacobi  et  successorum  suorum  domi- 
norum  terrae  Rossilionis,  Vallespirii,  Ceritaniae  et  G)nfluentis; 
aed  volumus  quod  bajulus  sive  bajuli  militiae  Templi  prœdicto- 
mm  locorum  seu  parrochiarum  possint  homines  dicti  domini 
regb  et  domini  infantis  capere ,  et  ipsos  captos  ad  curiam  dicti 
domini  régis  et  domini  infantis  Jacobi  incontinenti  mittere  et 
tradere  teneantur. 

Item,  dicimus  et  ordinamus  quod  si  homines  praedictomm 
locorum  sive  parrochiarum ,  prsesentes  et  futuri  comitterent  seu 
delinquerent  aliquod  conlra  dictum  dominum  regem  vel  in- 
I.    '  34 


650  l'Rtl'VEft 

raDtcin  Jacobiim .  vel  contra  vivuiiuiii  vel  bajulo»  seit  nlio»  offl> 
ciales  eorum ,  aiil  contra  ramiliaiu  ipsïus  domiiii  rcgis  vel  àa- 
mini  infantis,  ([uo<)  tpncanlur  i^spoodere  pro  dicliti  ddiclii 
comîïsis  ac  ofTensin  in  pti^sc  riiriafdicli  domiDÎ  re^iï  et  domini 
ïiifiuilit  Jacobt  et  «iiurum  aïKXJCWMriini ,  dominonim  Kto  hofr 
ttlioDÎs,  Va)lL'S[imî,  Cçrilauiit  etGtnfluentis,  et  salvo  doniÎM 
régi  el  doaiUio  inbiili  itnaho  ni  mi»  successoribus ,  dominii 
tttrf»  Ru»ilioniB,  VaDespù-it.  Ceritamie  et  Conlliicnlis  omn 
jurûdictiuiie  el  plenaria  polcstale  iu  pncdtctù  loci».  *i  in  dicio 
laaptlrti  st!u  bajuiis  pra-dictorum  locorum  de&ctu»  jmlici* 
iurentiin  fueril. 

It«in,  diciniTK  et  ordinanm»  cjuod  m  homioes  Perpioiani, 
chriMiani  vel  judiri ,  linbcnl  cnnxuin  sive  causas  contra  hanùiKi 
dictonim  locorum  »C»  pnnw.hiaruni  in  curia  praxlictofum  lo» 
corum,  qnnd  non  trnpHnlnr  wilverc  nliquas  expcnsa»  pro  jo- 
dirc  vcl  srriptnra,  iiisi  Imaiines  liiniliterdictoruni  loconim  KO 
porrocUiarum  l«ni!uiitur  Bolv(>re  aliquas  expcnsnft  pru  judice  v«j 
ScHpIoro  in  poste  turiu.'  bujiili  l'eqiiuiani  cum  contïgerit  ipM) 
habore  causaui  »ive causas  in  possecuria;  bajtiii  Perpiniaoi. 

Iteoi.  dicimus  et  ordinamiis  quod  si  homines  dictoruin  loco- 
ntm  seu  parrochiRrum  v(>l  prod^cessores  eorum  craiit .  vel  sur- 
ceMores  eorum  erunt  in  alïquo,  racione  mutui  seu  contractas 
aliquibus  christianis  vel  judsis  perpetuum  obligati.  pra  dicte 
magistro  seu  commendatore  Mansi  Dei  vel  Iratribus  militiff 
Templi  principaliter  vel  secundarie  aut  accessorïe,  quod  te- 
neantur  respondere  et  placitare  in  posse  domini  régis  et  do- 
mini infantia  Jacobi  et  successorum  suorum ,  dtamnorum  teirc 
Rossilionis.  Vallespirii,  Ccritaniœ  et  Confluentis  et  curis 
Perpiniani. 

Item ,  dicimus  cl  ordinamus  quod  in  aliis  locis  et  bominibui 
et  feminis  in  compromisso  compensis  militia;  Templi  in  terri 
Rossilionis,  Vallespirii,  Cerilaniaj  et  Confluentis  dictus  doni' 
nus  rex  et succcssoressuî, domini  terr-icRossilionb,  Vallespitii. 


DE   LA  PREMIERE   PARTIE.  531 

Ceritaniae  et  Ginfluentis ,  habeant  omnimodam  jurisdictioneni 
personalem,  civilem  et  criminalem  et  menim  imperium  et  pa- 
cem  et  treugam ,  sine  ornai  contradictione  dicti  magistri  et  om- 
nium successorum  suorum  et  firatrum  domus  militiae  Templi, 
salvo  dicto  magistro  et  fratribus  domus  dictas  militiœ  Templi 
omni  jurisdictione  reali  etfeudali.  Actum  est  hoc  vj  idus  decem- 
bris ,  anno  Domiui  millesimo  ducentesimo  septuagesimo  primo, 
^num,  etc.  {Ex  arch.  eccles,) 

N«   XVIII. 

AttesUUioa  da  CamerUngue  du  pape  Jean  XXII,  qae  la  cour  apostolique  na 
rien  reçu  du  déUgui  de  Hahbé  de  Saint-Martin. 

Uniyersis  praesentes  litteras  inspecturis ,  Gasbertus  permis- 
sione  divina  Massiliensis  episcopus ,  domini  papae  camerarius , 
salutem  in  Domino. 

Ad  universitatis  vestrae  notitiam  praesentîum  tenore  deduci- 
mus  quod  cum  dominus  firater  Berengarius,  abbas  monasterii 
Sancti  Martini  canigonensis ,  Elnensis  diœcesis,  teneatur  sin- 
gulis  annis,  curia  existente  citra  montes,  sedem  apostolicam 
visitare,  sedem  ipsam  pro  uno  anno  proxime  nunc  transacto 
per  religiosum  virum  firatrem  Raymundum  de  Odelone ,  mo- 
nachum  dicti  monasterii,  procuratorem  suum  in  hoc  specia- 
liter  constitutum  cum  devotione  débita  visitavit,  nichil  tam'en 
idem  procurator,  visitationb  hujus  modi  nomine  camerae  do- 
mini nostri  paps ,  obtulit  vel  servivit.  In  cujus  rei  testimonium 
praBsentes  litteras  fieri  fecimus  et  sigilli  cameriatus  nostri  ap- 
pensione  muniri.  Datum  Avenione,  die  décima  Junii,  anno 
Domini  mgcg  vicesimo  tertio,  indictionis,  etc.  (Ex  arch.  eccles,) 

N»   XIX. 

Réclamation  au  siyet  des  mauvais  usages. 

Hase  sunt  quaB  1 remorata  de  mala  consuetidine  ;  et 

in  primis  del  aiga  que  hom  nos  toi.  don  fem  lo  sens,  aube  ia 

34. 


ÛSa  PREUVES 

seslofada.  don  ioiii  lo  »pn».  qiie  oni  nos  a  cregiida.  e  In  fbgaces 
ovgiide».  no  gni>nm  melrc  messager,  ne  bover.  ne  porcher,  ne 
g«ïo.  ne. .  . .  ncTaber. nieimdemanament  debaile.  lorbcsliw 
qtlon»  Idein  nostrcn  blndi  c  non  sen  gosam  defendei'e.  Do  tôt 
ftragnm.  si  vobi»  i)locel.  cbû  altesles  cuslumes  adobeile».  [ire- 
gum  quK  les  ol>li(w  del  vino.  preneii  del  vi  de  In  Invpiiia  que 
aiii  es  i^onsuetudo.  (  Ex  areh.  recia.  ) 

N-   XX. 

Affranehiiiemnit  dei  nioiivuii  uio^i, 

Jacolius.  Dei  gracia,  rt-n  Miijoricnnim  el  conies.  fidelîbiu 
novtris  iiniversituti»  de  Aloiio,  in  Ccrdania,  et  *in)>ulisde  et 
presentdjus  et  fiiluris.  aaliik-ni  ul  graciam.  Siipptîcatis  pni 
parte  veatra,  aiiiiuenles  favorabiltter  !»  Iiac  parle,  vos  et  ves- 
IruDi  siugulos  et  boua  ve»tra  omnia  afTraDquîmus ,  per  nos  et 
nostros  (juo^libol  succêssores,  el  Immunes  reddimus  perpetoo, 
lam  de  spécial!  gracia',  quam  ratione  infra  scriptce  quanlilstû 
pecuniœ,  ab  inleitiis,  aissiiiis,  cuguciac,  ewrquiis  et  homiaum 
redemplionibus ,  îd  est  pra^slatioDÎbus  quœ  nobis  debebanlur, 
si  sb  intestato  deccdeos  et  ratione  casiialis  iacendii .  adulleiii. 
sterilitnti.'i ,  el  si  adlocaalia  vesira  dotniciliFi  mnlarelis;  volenlM 
et  staluentes  quod  ex  nuac  oichil  teneamini  solvere,  vel  per 
DOS  vel  per  nostros  a  vobis,  seu  vestnim  aliquod  quidem  peli 
But  exhigi  valeat  pro  prxdictis,  aut  aliquo  eorumdem;  quo- 
□iam  ab  eis  omnibus  et  prestnlione  et  exactione  eorum  vos  et 
bona  vesira  absolvimus  et  penilus  liberamus  ;  nos  enim  falemur 
quod  de  trecentis  Ubris  Barchinonx  quce  nobis  dare  consue- 
visHs  pro  praediclis,  contenli  sumus;  mandamus  itaque  qui- 
buslibet  ollictalibus  nosiris  et  nostrorum ,  preseotibus  el  fulum, 
quatenus  omnia  et  singula  supradicta  vobis  aut  veslrum  cui- 
libet  observent  lîrmiler  et  faciant  obsenari.  Datum  Perpiniani. 
xvj  kal.  Augusti,  anno  Domini  millesimo  trecentesimo  Irige- 
■imo  nclavo.  [Areh.  <lom.] 


DE  LA   PREMIERE  PARTIE.  533 

N"   XXL 

Union  du  royaame  de  Majorque, 

In  Domine  sanctœ  irinitatis  et  unicœ  deitatis ,  amen.  Pateat 
universis  quod  nos,  Petrus,  Dei  gratia,  rex  Aragonum,  etc. 
Sedule  cogitantes  quœ  ab  altissimo ,  qui  ex  suœ  clementiœ  ma- 
jestatis  nos  regnorum  et  terrarum  culminis  decoravit,  ac  hono- 
rificatus  populis  insignavit,  precipue  nobis  importât  ut  ea  sic 
unita  servemus ,  quod  nequaquam  desolationem  incurrat.  Nam 
jure  veritatis  eloquium  omne  regnum  in  se  divisum  desolabitur, 
régna  quoque  debent  unitatis  constantia  et  indivisibililatis  so- 
liditate  gaudere,  ut  virtus  unita  sit  fortior  ad  exercendum,  sine 
personarum  acceptione ,  justiciam  sine  qua  omnis  terra  périt  et 
babitatoris  ejus  civis  ruil  utilitas  et  principes  nequeunt  diu 
regnare.  Gonilatb  quidem  in  unum  viribus,  qui  majori  potencia 
Ailciuntur,  publicas  res  adversusque  hostiles  incursusque 
uberiori  defensionis  et  pacis  quietudine  solidatur.  Etenim  do- 
cuit  experientia  temporibus  retrolapsis,  qualiter  attemptata 
divisio  regnorum  Aragonum,  Valentiœ  et  comitatus  Barchi- 
nons  a  nostris  progenitoribus ,  nimium  paravit  excidium,  in- 
duxit  scandalum ,  vehemensque  periculum  formidavit. 

Sane ,  g^oriosus  princeps ,  dominus  Jacobus ,  divalis  recor- 
dationis,  rex  Aragonum,  abacius  noster,  praemissa  considerans, 
regnis  suis  univit  ex  destinatione  conquiesce  regnum  Majori- 
canun  et  ei  adjacentes  insulas ,  quod  et  quas  ut  electa  magna- 
nimus  a  manibus  eripuit  paganorum,  et  eamdem  unionem 
privilegiis  edictis  etlegibus  exlutis,  successivis  temporibus  con- 
firmavit,  et  quibusvis  postea  de  regno  et  insulis  memoratis 
cum  certis  Cathalomœ  partibus  incisionem  prejudicialiter 
acceptasset,  attamen,  prseexcelsus  princeps,  domînus  Petrus, 
rex  Aragonum ,  proavus  noster  recordalionis  felicis ,  incisionem 
praefatam  reduxit  ad  deditam  unitatem  qua  serenissimus  dQ- 


M.  Vémitm  m  «HÏlalni  BmU- 

■oMra  Ma  paMico  iabm  fado  etcWuo  pcr  Kriptarem  iiottnua 
et  noUrian  nfra  maiplam  '  in  ip»>  diiuie  EudûnoDa, 
dj  kal,  odofarâ.  ukm  tVmîni  iÉrj-.cu.  Mciuuki.  ptool  'm  H 
■KMcilur,  hzcetaliapleDiustkclanri.  EiexttuK.dom  cdfln- 
buDDS  in  cintate  Vakolûe  cariam  geoeralcfn  rcgnict^ 
Valentic  regni .  diclAm  uniotwm  confinDaTÛnns  et  deaao  ié- 
cimus,  roboraUm  Ênnis  et  juramentis  lingulomni  ad  dictam 
cnriam  vocaloruai.  qui  solerlnn  in  hiit  inslantiam  faciebanl, 
cunt  prïvilegio  iiostro  clauio  et  facto  per  euDdeai  Dotarium  io 
ecdetia  cathedrali  beats  Marûe,  sedis  Valeatic,  dum  inîbi 
publicabatur  generalis  curùe  memonita ,  pridie  kalendas  jt- 
nuariî,  proxime  dicti  anni.  Cumqae  pmt  aprehoisioDeni  de 
regnoet  civitate  Majoriez  et  ei  adjaceDtibus  iniulis  per  nos,  ni 


'^ 


DE   LA  PREMIERE   PARTIE.  535 

prœtangitur,  juste  factam,  et  per  ipsam  civitatem  diadema 
nofttmm  et  regalia  providessemus  portare  insiguia,  dictas 
onîones ,  quas  inibi  legi  et  publicari  fecimus ,  présente  geutium 
copiosa  muititudine  coufirmavimus ,  iterato  tactis  per  nos  ad 
earum  corroborationem ,  cruce  Domini  et  evangeliis  sacro- 
sanctis,  cum  carta  nostra  seu  publico  instrument)  facto  in 
eeclesia  cathedrali  dictas  civitatis  Majorics,  x  kal.  julii,  anno 
ifCGGXL  tercii,  per  notarium  supracitatum.  Nuncquippe,  me- 
morantes  omnes  uniones  et  singulas  supradictas,  ac  eas  hujus 
série  confirmantes  ad  humiiis  gentis  supplicationis  instanciam 
vestri,  fidelium  nostrorum  Guillelmi  Çacosta,  Francisci  Im- 
berti  et  Amaidi  de  Quintana,  civium  Majoric»,  et  Johannis 
Ecbalii,  habitatoris  villae  internée,  syndicorum  et  nuncionim, 
juratorum,  consiliariorum ,  proborum  hominum  et  universi- 
tatum  Majoricœ,  ad  haec  speciaiiter  constitutorum  nobisque 
missorum,  cum  publico  instrumento  de  quo  frases  in  posse 
infra  nominati  scrîptoris  nostri  et  notarii  plenariam  fidem  ;  nec 
non  etiam  syndicorum  civitatum  et  villarum  regalium  Catha- 
ioniaB  predictarum,  quorum  nomina  inferius  descrîbuntur,  nec 
minus  de  expresso  consensu  inclitorum  infisintium,  ricorum 
hominum  et  baronum  ac  ediorum  prout  nominantur  inferius 
seriatum ,  tenoris  praïsentis  nostri  paginas  perpetuis  temporibus 
inyiolabiliter  duraturae ,  de  certa  scientia  et  spontanea  voluntate 
per  nos  et  omnes  heredes  et  successores  nostros  prefatum  reg- 
num  Majoricae ,  cum  civitatibus  et  insulis  Minoricae ,  Evicœ  ac 
aliis  adjacentibus  ipsi  regno  ac  comitatu  Rossilionis  et  Geri- 
tanise  terras  Gonfluentis  et  Vallespirii  et  Caucoliberim ,  nec  non 
jura  quaevis  nobis  pertinencia  quomodo  libet,  in  eisdem  dictis 
AragoniaB  et  Valentiae  regnis  ac  comitatui  Barchinonae  adjmi* 
gimus  indissolubiliter  et  unimus  ;  nec  non  etiam  promit timus, 
providemus,  ordinamus,  statuimus,  decemimus  ac  facimus 
quod  dictum  regnum  Majoricae ,  cum  civitate  et  insulis  supra- 
ci  ictis,  nec  non  comitatu  praedicto  cum  terris  aliis  memoratis  et 


5sa  pnEtJVKS 

lix'n  univcnuilibu»  cl  singulis  silualis  in  illîs.  et  ctioijuniiu» 
universùi  ad  nos  perlinentibiis  in  eÎMlem .  cum  dictts  Angonic 
el  V'ateuti4!  regiiii  cl  camilalu  Barchinonic  sïnt  nniLa  p«rpelua 
et  conjiuicta .  aine  medio  el  aine  aliquo  intenrallo .  el  »ub  uno 
Dolo  no»lro  el  iiCMlroriim  auccessorum  univorsaliuin  (lominio 
iii<)iviiil)ili  ol  iiiieptirabili  [)ci'se> eret .  ita  quod  quicitm^ueatt 
rvi  Aragoniii-.  ValcnliiD  comeRque  Barehinons  idem  eliam  ait 
rei  Majurico!  et  pm^iiicUnini  et  adjacenlium  insularuoi  ac 
«Oines  dictorum  cuniilaliiiim  et  lerraruiD.  Nos  eniin.  pernoset 
(unuca  havede*  el  sui»«s9om  tiiistros  protoitlimiu ,  de  certo 
Kientia  et  «[ira^Mi.  <{uud  dictu  re^iuin,  i.'ivtlaleiD.  iusuUs. 
(.-oinilatum  et  terra» .aive  loca.  vila»,  (.-aftlra.  regaliat.  reddilui, 

jurn oITicia,  usufruclum  aut  aervilute»  eorum.  nos, 

vel  ipai  boredes  auL  succeMorca  noatri  nullo  teuipore  in  te, 
vel  >  *e,  vel  etiaot  intcr  te  dividcnuia  !>eii  njiennbimui  ant 
Mparabiniiia ,  nec  dividi,  aeparari  aeu  alienari  faciemus.  va 
«juoinodo  lîbet  pci-mitentua  in  perpetuuui  vel  ad  tempus.  a 
rt^in  cl  cutnilatu  prxdicii».  acii  a  iioslm  coroiia  iTgia.  in 
lotum  ïcilîcct  vel  iu  parte,  uec  jier  nos  vci  illos  dari  valeaiil  nà 
faudum  honoratiu»  yà  aliud,  proprielatem  vel  possessioneiD 
per  ïendicioneiii,  canibiutu  vel  ab^oliitionem.  etiam  precarie, 
uec  etiam  inler  vivos  vel  in  ultima  valuntate,  etiam  in  filiuoi 
filiamve,  aeu  aiios  deacendentes  aut  collateralea  aut  alios  quoavis 
unum  vel  plures  aut  nemini  cuicumque,  nec  per  arbitrium, 
transactionem  seu  quamvia  compositionem ,  nec  p^  aliquam 
aliana  racionem  quxdici,  Qominari.excogitari  posait,  aune,  vd 
edom  in  fulurum,  quacumque  etiam  parliculari  alienacione 
de  premiasia  el  aliù  in  ipsis  regno,  civïtale,  inaulia.  conùti- 
lîbua,  terria  et  locia  eorum  nobis  perlinenlibus  quovis  modo 
nobia  et  noalris  succesaoribua  penitus  interdicta;  promitimiu 
etiam  de  certa  acientia  et  conaulte ,  et  per  dos  et  omnea  heredea 
s  nostros  decemimua  el  finnîler  alatuimu*  quod 
n  Hiclrirum  regni  Majorirs,  rivilatis,  inaulaniro,  co- 


DE  LA   PREMIERE   PARTIE.  537 

mltatuum,  lerrarum,  locorum  et  aliorum  superius  descripto- 
mm,  quod  dudum  inclito  Jacobo  de  Majoiica  jure  utilis 
dominii  pertinebant,  nunc  autem  sunt  nobis,  ut  pretangitur, 
pleno  dominio  adquisita,  vel  aliquod  eonim  nullatenus  eidem 
Jacobo  remitemus,  renunciabimus,  dabimus;  nec  concedemus, 
vendemus ,  permutabimus  vel  alienabimus  alio  quovis  titulo 
sive  modo  ad  imperpetuum  vel  ad  tempus,  nec  concedemus  in 
feudum  precario,  emphitheotico ,  libellario  vel  alio  quovis 
titulo  sive  modo,  nec  filio  seu  filiis  ejus  natis  aut  nascituris, 
nec  alii  vel  aliis  personis  extraneis  vel  privatis ,  etiam  racione 
concordiœ  sive  pacis,  si  forsan  inter  nos  et  ipsum  Jacobum 
tractaretur,  fieret  vel  firmaretur,  nec  racione  compromissi, 
transactionis  aut  pacti  quœ  de  premissis  aliquod  facere  non 
possemus,  nec  ex  alia  quivis  etiam  vel  alicujus  vel  aliquorum 
supplicationem  nec  motu  proprio  inter  vivos  aut  in  ultima  vo- 
luntate,  nec  alias,  modo  aliquo  sive  causa. 

Volumus  insuper,  concedimus,  decemimus  et  statuimus 
quod  si  forsan ,  quod  absit ,  nos  vel  nostri  successores  vellemus 
unionem  peractam  quomodolibet  violare  seu  contra  eam  facere 
vel  venire,  vel  ipsam  non  tenere  vel  observare,  prout  supe- 
rius continetur,  incliti  infantes  Petrus  Rippacurciœ  et  Monta- 
nearum  de  Prades  cornes,  parens  Jacobus,  cornes  Urgdli  et 
vicecomes  Agerenus,  frater  Raymundus  Berengarius,  Impuria 
comes ,  parentes  nostri  carissimi  et  successores  eorum  ac  uni- 
versitates  praedicts  et  earum  singuli  non  teneantur,  nec  pos- 
sint  nos  vd  ipsos  successores  nostros  in  aliquo  juvare  in  pra&- 
dictis ,  vel  circa  eas ,  nec  obedire  nostris  et  eorum  jussionibus , 
quoad  ea  ;  quinymo ,  dicti  infisintes  suique  successores ,  sub- 
dicti,  vassali,  et  valitores  ac  universitates  pretactœ,  necnon 
omnes  habitatores  dictorum  regni  et  civitatis  Majoricœ  eique 
adjacentium  insularum ,  ac  ipsorum  comitatuum  et  terrarum , 
ac  singularum  ipsarum,  présentes  et  fiituri  possint,  teneantur 
et  debeant  ipsum  regnum,  civitatem  et  insulas,  comitatum  et 


QftDfaCtM  H 

id  MnvMonsDOOtri.perDOi 

wllilimii  de  km  intromitteTe 

ab  unirant- 

Qooâ  ert  actaaa  in  capcAa  palacâ  ivfa  crritrta  BanhhioaB' 
dÏF  Ino»  ïi^  L^  aprfli».  MMin  Doninî  «cxcxL  qnarla>  Sigoum 
hitari.  Dr  çracia.  n:^  Ar«£«ovn.  Valeoàc.  de.  5wMat 
Jia.1  yajfi  A  ofmatmmét  trmmm^,  ^nwtwutmm  momJaéfi- 

ecrmûi.  «M/ 1»  «Mft    Hpianlwï  lËn  in  iMihitadiDe copnu 


DE   LA  PREMIERE  PARTIE.  539 


N»   XXII. 

Procès-verbal  de  la  remise  du  Château  royal  de  Perpignan 

aux  Aragonnais. 

0 

SU  omnibus  notum  quod  nos,  Jacobus,  Dei  gratia,  rex 
Majoricœ,  cornes  Rossilionis  et  Ceritaniae  ac  dominus  Montis- 
pessuiani  absolvimus,  quittamus  etliberamus  vos  Franciscum 
Saragossa,  militem,  ab  homagio  ac  fidelitatis  sacramento  per 
vos  nobis  prestatis,  pro  castellania  et  custodia  castri  magni 
nostri  regii,  viUœ  Perpiniani  ;  mandantes  vobis  quatenos  dictum 
castrum  de  nostro  spécial!  mandato  trada...  domino  regi  Arago- 
num  yel  cui  ipse  voluerit  Nam  quamcumque  traditionem  inde 

fiBCoritîs  ex  nunc  prout  et  tune ratam  habebimus  per- 

petuo  atque  iirmam  et  gratam.  Actum  est  in  Gunera  regia, 
Yocata  àds  Timbres,  castri  regii  Perpiniani,  quinta  décima  die 
Julii ,  anno  Domini  mggcxl  quarto ,  in  presentia  et  testimonio 
nobilis  Alti  de  Cuor,  nobilis  Berengarii  de  Vilario  acuto  et  Pétri 
Adalberti ,  mercatoris  Perpiniani. 

Post  hoc,  die  Jovis,  sexta  décima  dicti  julii,  nobilis  et  egre- 
gius  vir,  dominus  Philippus  de  Castris,  in  littore  pontis-levadis 
castri  regii  praedicti,  ante  januam  priorem  introitus  ipsius 
castri  personaliter  constitutus,  presentavit  dicto  Francisco, 
castellano  praedicto,  et  per  me,  notarium  subscriptum  legi 
mandavit,  in  presentia  et  audiencia  dicti  castellanî  et  testium 
subscriptorum  ,  quandam  litteriam  régis  Majoricarum  pre- 
dicti,  tenons  subsequentis  : 

«  Rey  de  Maylorchas. 

tDe  paraula  vos  avem  manatqud  castdl  nostre  dePerpinya 
livrastes  a  aqueyla  persona  de  qui  per  letra  vos  escrivem. 
Perque,  aquesta  letra  vos  manam,  quel  dit  castdl  livretz  al 
noble  En  Phelip  de  G^tres,  car  tôt  nostre,  loqual  es  haud,  es 


I 


&W  PREUVES 

trrt  dd  WHjor  nj  d«  Ar^o.  Dal  a  EInA .  a  xyj  de  Jnliol ,  de) 

aaj  «uxiAitii.  > 

QtM  lillcTB  lecU.  dicUM  noinlU  pelîîl  H  requistvit  ex  parle 
dkli  dumini  reftb  Araçoiium  ut  Lastrum  |)redictuiii  aibi  Ire- 
dnvt,  «krui  liabumiiit  a  dicta  domino  ^e^e  MajoricK  în  nlln- 
ilnlû,  Fl  honitn  ftieniul  (estes  Anialdus  do  Corbaria,  Beruinlut 
dm  Corbaria.  DoniicelU  et  Petrus  Companirs.  jurisperiliu.  el 
ego ,  itictu»  Anioniai  Galexerii .  notsriu» .  (|ui  de  presenlatione 
didJe  lîttcrac  el  wciihp  raquisitionig  ,  requisitUR  notam  rewpi, 

Poat  lunr,  cudmi  die,  dirliiR  rn^IcllaDi»  dictum  pontem  qui 
Icvatiu  crat  baxari  fecit.  et.  jiitla  lîtterx  predictK  tenorem, 
tticium  Doliilimi  pcr  roanui»  actijiîens .  januant  primam  dicii 
caïlri ,  aiiU*  quam  e>t  dictii.i  pou» .  iutroduul  et  clavcs  eju»deni 
januf  Kibi  tradidit.  Deiiide  aicedens  ad  jaouam  rerratam  in- 
troiliia  dicli  easirt.  idem  fc«it  ut  Ruprn.  Deiade  acceden*  ad 
januaui  ferratain  qua  liabelur  accessus  ad  praluiD.  etiam 
clavM  illius  sibi  tradîdîl.  Conseqiienler  accedetis  ail  januaui 
ferralain  nemoria,  eliant  sibi  clavr»  cdidît.  Et  eidem  fecit  de 
janiin  rcrrntn  ((ua  habeliir  introitiu  ad  eiiindcin  pralum ,  quft 
c»t  prope  januDin  dicti  imnoris.  Et  hax.  facla  fuerc  in  prr- 
wntia  et  tcslimniiio  lestium  proxime  M.'riptorutD.  De  quibi» 
omnibus  prsdictÎB  el  singulis ,  jamdictus  castellanus  quoque 
□obilis  petiemnt  et  requisiverunt  stbi  Eieri  publicum  instru- 
mentum.  Sîgnum  Antonii  Gualexerii,  noiarii  pablicî,  etc.  (El 
Ubro  viridi  minori.) 

N»    XXIII 

Provisio  del  senyor  rey  en  père  ab  laquai  mana  al  procu- 
rador  fiscal  que  de  cent  lliures  B.  à  la  obra  de  la  capella  que 
deu  fer  à  les  forques  de  Mailoles  à  le»quals  Toren  p«njats  pcr 
lo  rey  en  Jacme  de  Mallorca  ,  los  bonrats  en  P.  Riben  e  en 
P.  Arnau,  apothicaris  e  en  Père  Amau,  fuster. 

Petrus,  Dei  gracia,  rex  Aragonum.  Valencis,  Majoricaniiii. 


DE  LA   PREMIERE  PARTIE.  541 

Sardinîœ  et  G)rsic8B ,  comesque  BarchiDons ,  Rossiiionis  et  Ce- 
ritaniœ,  fidelibus  suis  procuratoribus  Rossiiionis  salulem  et 
graciam.  Attendentes  sanum  propositum  successorum  fideHum 
nostrorum  Pétri  Ripariae,  Pétri  Arnaldi  apothecarii  et  Pétri 
Amaldi  fusterii,  his  annis  crudeli  et  fere  inhumano  mortis 
tormento  traditorum  nidlo  preeunte  reatu,  per  inclitum  Jaco- 
bom  de  Majorica,  eo  solum  quia  eos  non  suœ  nobis  tune 
rcpugnanti  injusticis  sentiebant,  suo  arbitrio  inclinatos; 
qui  successores ,  ut  eorum  retulit  supplicatio ,  valde  in  votivis 
genint  affectibus  quamdam  constnii  et  edificari  capellam  in 
podio  de  Malleolis  ubi  praefati  defuncti  dictum  crudele  su- 
plicium  subierunt,  ut  quia  ibi  illorum  corpora  minus  debitœ 
mortis  passi  fuere  suppHciùm,  ibidem  in  eonim  remissionem 
precaminum  divina  et  Deo  accepta  fiant  officia  quibus  ipsorum 
anîms  valeant  in  cœlestibus  collocari ,  dedimus  et  concessimus 
predictis  successoribus  in  adjutorium  dicts  capellae  operis, 
centum  libras  Barchinonae  ut  eadem  edificetur  citius,  et  bono- 
rum  qus  in  ea  fient  simus  particeps.  Domino  permittente. 
Igitur,  vobis  dicimus  et  mandamus  quatenus  de  pecunia  ex 
redditibus  et  juribus  uostris  pênes  vos  missae  vel  de  cetero 
existenti,  dictas  centum  librâs  tradatis  et  solvatis  Bernardo 
Aybri,  Vitali  Rotundi  et  Petro  Raymundo  Amaldi,  qui  procu- 
ratores  et  operarii  dicuntur  operis  supradicli,  quibuscumque 
aliis  mandatis  vobis  verbo  seu  litteris  factis  obsistentibus  nullo 
modo ,  ipsis  vobis  banc  tradentibus  et  apocham  de  soluto.  Vo- 
lumus  tamen  quod  eadem  pecunia,  per  eosdem  operarios  in 
operi  necessanis  et  non  ad  usus  alios  aliquatenus  convertatur. 
Nos  enim  damus  dilecto  nostro  magistro  rationali,  aut  cui- 
cumque  aiteri  a  vobis  tompotum  recepturo  presentis  série  in 
mandatis,  ut  dictas  centum  libras  in  nostro  admittant  com- 
puto  ;  recuperando  a  vobis  presentem  et  apocham  memoratam. 
Datum  Perpiniani ,  vij  idus  Madii ,  anno  a  nativitate  Dom. 
MCGC  quadragesimo  quinto ,  rex  Petrus.  (  Ex  libro  provis.  ) 


V /Eh*,  n  ^«m  J>  FMfw  f>Mnr  HaMb '. 


Tttn  FraMçot* ,  far  U  gHcc  de  Dîen ,  ahbé  du  monaalére 
de  S>.  Gcos  de  Pootûnn,  éiicUd'Eloe.  ikairv  gntenl  aa 
•fàfilMl  ri  tamporel  do  rtftrandiwiiDf  m  J.  C  père  et  notre 
M^pnor  Pienv.pkr  b  pic*  de  Dira,  «oique  d'Qne,  qui  m 
ta«Tc  «n  term  lainUisa.  »n  r^entnd*  abi)é>.  «as  véné- 
nll»  ftin^J  al  atrt  faocb  umituns,  domers.  nclenn. 
«ÎDWW  fmfétmÊit  ri  Mn  «nlm  pr itm  carés  n«mpts  ou  non 
■■i^  ^fu  Mot  dan*  notiT  ^rché  d'Qne ,  »4lul-  Par  le»  pré- 
MMh>  MIri.  arac  m  ossr  fmàa  i  Bnerfonie  el  uoc  setuîlile 
■hmliiii  naos  voaa  (Ù3om  mtoît  oamBe  les  vèoéT^M  Pierre 
Fafari.  DariMtd  .^mand ,  CnilbuDW  Aowcd)  et  Deniwd  Go- 
menc ,  cuauib  d«  U  *îDe  de  PerpâgDan ,  ianiKe  dernière,  avec 
dm  [N^leittf  ri  Ma»  cotaiàént  que  lei  per»onnes  eccle«iu- 
bqne* .  uoo-sndcancnl  de  U  part  de  Dieu  au  ponroir  de  qni 
MQl  la  eaipÎK*  fi  loa*  le*  royaoïnes  de  l'univers,  mats  eooon 
de  lj  jiMl  de  nolnr  t*igi»ear  tepspe.  îon  vicaire  stir  la  terre, 
auquel  Jâus-Chnst.  qui  nous  a  rachetés  avec  son  sang.  ■ 
promis  que  ce  qu'il  lierait  sur  la  terre  serait  lié  dans  le 
cid,  elc.  connue  aussi  de  la  part  des  empereun  chrétiens, 
sont  exempts  des  impositions  ordonnées  par  les  téculiers;  et, 
ce  qu'il  faut  bien  peser,  c'est  que  Pharaon,  prince  païen  et  in- 
fidèle, qui  tenait  tout  sou  peuple  en  esclavage  et  qui  ignonil 
la  loi  catholique,  n'avait  pas  moins  laissé  en  leur  première 
liberté  les  prêtres  et  les  ministres  de  Dieu  qui  desservaient  ton 
temple.  Mais  les  cousuls  de  Perpignan  (ce  que  nous  vous  an- 
nouons  avec  douleur),  oubliant  leurétemd  salot,  cherchent 


r\ 


DE   LA   PREMIÈRE  PARTIE.  543 

à  faire  perdre  la  liberté,  et  à  réduire  en  servitude  non-seu- 
lement  le  clergé  de  Perpignan ,  mais  encore  tous  les  ecclésias- 
tiques de  révéché  d*£^ne ,  en  voulant  soumettre  les  ecclésias^ 
tiques  qui,  de  tous  temps,  ont  été  afiranchis  de  tout  impôt  de 
la  ville,  à  payer  comme  les  séculiers  certaine  imposition  par 
livre  de  viande.  Elnvieux  de  la  liberté  du  clei^é ,  ils  trouvèrent 
un  moyen  pour  les  faire  payer,  et  ce  fut  d*ordonner  que  tous 
ceux  qui  vendraient  des  bestiaux  pour  la  boucherie  eussent  k 
payer,  par  tète  de  chacun  d*eux ,  une  certaine  somme  au  per- 
cepteur qu'ils  nommeraient.  Avec  ce  moyen ,  les  ecclésiastiques 
se  trouvaient  dans  Tobligation  de  payer  comme  les  séculiers, 
et  ainsi  ces  ecclésiastiques ,  qui  auparavant  étaient  exempts  des 
tributs,  se  virent  réduits  à  la  servitude  et  mis  à  Tégal  des  sécu- 
liers. Monseigneur  Tévèque,  comme  un  bon  père  que  son 
oflBce  pastoral  charge  de  défendre  et  de  conserver  les  libertés 
ecclésiastiques ,  de  veiller  au  salut  de  ceux  qui  lui  sont  soumis 
et  de  corriger  les  délinquants  en  les  retirant  de  la  voie  de  la 
perdition ,  ne  négligea  pas  d'avertir  les  consuls  dans  diverses 
conférences,  pour  qu  ils  restituassent  au  clergé  tout  ce  qu  ils 
avaient  usurpé  sur  lui,  les  admonestant,  pour  faire  retourner 
les  choses  à  leur  premier  état,  que,  puisqu'ils  avaient  été  les 
auteurs  de  la  servitude  des  prêtres,  au  préjudice  de  leur  cons- 
cience, ils  fussent  maintenant  les  médiateurs  pour  qu'ils 
jouissent  de  leur  liberté  en  achetant  la  viande  sans  aucun  im- 
pôt Mais  les  consuls ,  comme  de  sourds  serpents ,  ne  voulurent 
pas  écouter  ses  avis ,  désireux  de  s'approprier  ce  qui  apparte- 
nait aux  ministres  du  Seigneur,  lesquels  nuit  et  jour  prient 
Dieu  pour  qu'il  pardonne  les  péchés  du  peuple,  et  convoiteux 
de  s'enrichir  du  mal  des  autres ,  afin  de  pouvoir  mieux  détruire 
les  privilèges  et  les  libertés  saintes  de  l'élise;  il  fut  donc 
oMigé  de  leur  déclarer  qu'ils  avaient  encouru  la  sentence 
d'excommunication.  Aux  honneurs  du  consulat  succédèrent , 
l'aunéo  suivante,  Pierre  d'Alamany,  Bernard  Garriga,  Pierre 


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DE   LA   PREMIERE  PARTIE.  545 

grande  foule  se  rendit  à  EUne  et  aux  autres  lieux  qui  sont  de  la 
dépendance  de  Tévêc^é  ou  du  chapitre ,  prenant  possession ,  de 
la  part  du  roi,  de  touties  les  temporalités,  dépouillant  Tévèque 
et  le  chapitre  de  leur  juridiction ,  destituant  les  bayles  et  autres 
officiers  nommés  par  Tévêque  ou  le  chapitre,  et  en  mettant 
d'autres  à  la  place.  Non  contents  de  ce  qu'ils  venaient  ainsi 
d'obtenir  du  roi,  les  consuls  lui  envoyèrent  en  message  les  vé- 
nérables Bérenger  de  Cabestany,  licencié  en  droit,  et  Bernard 
Gomeric ,  et  ce  prince  ficcorda  à  leurs  importunes  instances  un 
nouveau  mandat  par  lequel,  entre  autres  choses,  il  est  ordonné 
que  si  Tévèque  ne  révoquait  pas  les  procédures  par  lui  faites 
contre  ses  officiers  et  les  consuls,  1^  lieutenant  du  gouverneur 
eût  à  sévir  contre  l'évéque  plus  encore  qu'il  n'avait  fait  ;  mais 
monseigneur  l'évéque,  toujours  constant,  ne  voulut  se  désister 
de  rien  de  ce  qu'il  avait  commencé.  Le  vénérable  Raymont  de 
Parasis ,  lieutenant  du  vice-gérant  du  gouverneur,  voyant  donc 
que  le  seigneur  évéque  n'obtempérait  pas  aux  ordres  du  roi, 
mit  dans  la  ville  d'E^e  un  capitaine  ou  gouverneur,  bien  qu'en 
ce  temps-là  il  n'y  eût  aucun  danger  de  guerre,  et  cela  au  grand 
préjudice  de  l'église ,  et  quoiqu'il  n'y  eût  de  semblables  capi- 
taines ni  à  Perpignan  ni  en  aucun  lieu  de  ces  comtés.  Ledit 
lieutenant  nomma  Jean  Fuster,  banquier  de  Perpignan ,  pour 
recevoir  et  recouvrer  les  rentes  de  l'évéque  et  du  chapitre  et  les 
distribuer  à  sa  volonté.  Ce  Jean  Fuster,  au  moyen  de  ce  titre 
de  receveur,  faisait  publier  par  la  ville  de  Perpignan  que  per- 
sonne ne  payât  k  l'évéque  ni  cens ,  ni  rentes  de  cdles  qui  lui 
étaient  dues  ;  il  arriva  en  outre  que  le  samedi  de  carême ,  après 
le  mercredi  des  Cendres,  l'évéque,  voulant  célébrer  une  ordina- 
tion générale  dans  l'église  de  Pallol ,  ne  pouvant  le  faire  à  Elne 
à  cause  des  excommuniés  qui  s'y  trouvaient  et  pour  lesquels 
l'interdit  avait  été  mis ,  à  raison  de  leur  occupation  de  la  cité, 
les  deux  exempts  Pierre  Marta  et  Jacques  Fabre ,  que  le  viguier 
avait  placés  à  Elne ,  se  rendirent  à  Pallol.  L'évéque  leur  ayant 
I.  35 


M^||      à  k  ■<&>> 

^■■■Sem.  MOT*  dui  le  piliii 
1^*..  •■  IriiHil  I»  |Kjrta  dt  li 


BK»  b  «DclaâMtîcpr*  ri  le*  don» 
L  0«  JbiAvt.  **ec  PierTc  Siiihd  <k 
pvnaaasi.  cnlnèrmt  du  pabé 
■»  1  ndMl  pour  »•  prorâioD. 
■  .  If  dàtriboant  ■  <}ui  bon  levf 
c  Pi(n«  S«iMa,  se  swsireDi,  fn 
A  <ie  Ptnoia .  de*  bœufa  que  monieigMitr 
«s  leim,  lesqud*  fuienl 
(«ttdw»  «s  «K  jn  paUar  a  EVrppBan.  Comme  les  eodésùitiqna 
^  ftip^gin  mttbàtat  a  euratian  le  mandement  que  moD- 
»ctt:D«ttr  fei^qoe  arui  fait  cMitac  les  excoaunuoite,  icdil 
iKfwtnkult  àm  ^roarrmear  H  les  rontul*  firent  fenner  In  cl» 
.-hen  .le  b  *iUe 


DE   LA   PREMIÈRE   PARTIE.  547 

Monseigneur  Tévéque ,  par  Tintermédiaire  de  ses  députés , 
avait  exposé  au  roi  les  outrages  que  ses  officiers  avaient  com- 
mis contre  lui ,  et ,  sur  Taudition  de  ces  plaintes ,  ce  prince , 
comme  bon  chrétien,  révoqua  son  ordonnance.  Les  consuls, 
c'est-à-dire,  Pierre  d'Aleraany,   Bernard  Gariga,  Pierre  Ga- 
randi,  Bernard  Fabre  et  Laurent  Montilia,  envoyèrent  une 
autre  fois  les  vénérables  Bérenger  de  Cabestany  et  Raymond 
Sarda  ou  roi ,  qui ,  sur  les  impertinentes  représentations  de  ces 
députés ,  ordonna  au  lieutenant  du  gouverneur  des  comtés  de 
Roussillon  et  de  Cerdagne  de  rétablir  les  choses  sur  le  même 
pied  qu*avant  son  dernier  mandat ,  si  Tévéque  ne  révoquait  pas 
ce  qu'il  avait  fait  contre  ses  officiers  et  contre  les  consuls.  Et 
bien  que  le  vénérable  Pierre  de  Saint- Amant,  hospitalier  et 
chanoine  de  Tortose,  vicaire  général  de  monseigneur  Tévêque, 
eût,  en  maintes  occasions,  représenté  de  la  part  de  Tévèque 
les  intentions  de  monseigneur  Tévéque,  et  qu'il  se  fût  opposé 
aux  prétentions  des  consuls ,  il  ne  put  jamais  avoir  le  bonheur 
de  se  faire  écouter.  Alors  Pierre  Bemardi ,  sous-bayle  de  Rous- 
sillon ,  par  ordre  de  Raymont  de  Parasis ,  vice-gérant  du  gou- 
verneur, occupa  les  temporalités  du  seigneur  évéque  dans  Elne , 
ia  Tour  et  Saint-Cyprien  ou ,  de  la  part  du  roi ,  il  nomma  des 
bayles  et  des  officiers  au  préjudice  de  monseigneur  Tévéque  et 
de  l'immunité  de  l'église  d'Elne.  Après  avoir  donné  diverses 
exhortations  et  différentes  admonitions  à  Pierre  Bemardi  et  à 
ses  compagnons,  pour  qu'ils  cessassent  et  revinssent  sur  ce 
qu'ils  avaient  fait,  on  les  déclara  enfin  contumaces  et  excommu- 
niés. Le  vice-gérant  du  gouverneur  se  rendit  k  Elne,  accom- 
pagné de  quelques  hommes  ;  aussitôt  entrés  dans  la  ville ,  ils 
investirent  le  palais ,  rompirent  la  grande  porte  de  la  rue  et  ap- 
[tiquèrent  des  échelles  en  d'autres  endroits  pour  y  faire  monter 
d'autres  gens  dans  le  seul  objet  de  me  capturer;  mais,  le  bon 
Dieu  soit  louél  j'eus  le  temps  de  me  réfugier  dans  l'église  cathé- 
drale, où  Raymont  de  Parasis  accourut  avec  une  grande  foule 

35. 


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LA  PREMIERE   l»AUTIE.  f.'i9 

nge  l'erreur  aussîlot  qu'elle  la  connaît  et  qui 
e  que  quand  elle  est  seule.  Que  si  les  of- 
I  et  les  consuls  actuels,  aussi  bien  que  leurs  piV-dé- 
uDieu  présenta  leur pcnséeel avaient rédéclii 
ulaieat  faire,  ils  n'auraicnl  pas  allenlé  conlro  les 
TéglÏK  et  ne  se  seraîeul  pas  mis  eu  opposilion  avec 
S  et  leur  pasteur.  Mais  l'évéquu ,  son  clergi}  et  l'église 
ï  jMuvons  pleurer  avec  une  profonde  douleui-  et 
•  •iteoler  comme  le  prophète  Jérémie   quand  il  disait, 
iirvviruioram  facla  est  sab  Iribalo,  c'est-à-dire  l'église 
'st  rendue  tributaire  par  les  consuls  de  Perpignan  ;  cl 
iséquent  les  ecclésiastiques  sont  réduits  ù  la  dernière 
<on.  Que  si  Pharaon  ,  faute  de  connaître  la  loi  de  Dieu , 
.lit  lout  son  peuple  à  l'esclavage ,  il  laissait  néanmoins  les 
s  exempts  de  tributs  et  avec  la  liberté  de  jouir  de  toutes 
poEsessions  ;  mais  à  Perpignan  les  ecclésiastiques  sont  en 
éganxavec  les  séculiers,  par  le  fait  des  consuls,  qui  pour- 
avaient  été  admonestés  eu  différentes  occasions  pour  qu'ils 
saMent  les  ecclésiastiques  jouir  de  leur  liberté,  et  qu'ils  ne 
r  fiwent  pas  payer  l'impôt  de  la  viande  et  du  vin,  à  quoi 
n'ont  pas  voulu  consentir,  aimant  mieux  subir  la  seutcncc 
■  TexcommuDication  que  de  satisfaire  k  monseigneur  l'évëque 
l  à  l'église  d'Elne ,  dont  les  officiers  royaux  se  sont  rendus 
ualtres.  Et  encore  que,  en  fréquentes  occasions,  les  officiers 
rojmix  aient  été  requis ,  de  la  part  de  monseigneur  l'évéque  et 
d»  U  nâtre,  de  restituer  la  Juridiction  lemporello  de  l'église 
(THne  et  de  rendre  au  seigneur  évéquc  et  au  chapitre  tout  ce 
qui  Kvait  été  usurpé  sur  eux,  comme  aussi  de  retirer  de  la  ville 
etatriRslIeuxdépendantsdel'évéchc  et  du  chapitre  les  oITicicrs 
rojMix,  les  leÎMant  jouir  de  tout  ce  que  Jean  Puster  leur  rele 
DÛt,  ils  ne  Grent  aucun  cas  de  ces  avis.  Il  est  vrai  que  le  sei- 
gneur roi,  sauf  toujours  sou  honneur  et  sa  révérence,  a  accordé 
HUx  consuls  dificrentek  ordonnances  sur  les  impertinentes  sup- 


DE  LA   PREMIERE  PARTIE.  551 

les  élises  et  chapelles  dé  Perpignan,  mais  encore  dans  son 
terroir  jusqu'à  ce  qu'il  soit  par  nous  ordonné  le  contraire.  Et 
pour  que  la  sentence  d'interdit  que  nous  donnons  soit  notoire 
à  tous  et  que  personne  n'en  puisse  alléguer  prétexte  d'igno- 
rance, nous  faisons  publier  les  présejites  dans  l'église  de  Saint- 
Jean  de  Perpignan  parles  semainiers,  et  nous  en  faisons  pla- 
carder aux  portes  une  copie  sur  laquelle  sera  empreint  le  sceau 
de  notre  vicariat.  Données  dans  l'église  de  Saint-Fructueux  de 
Rupe  veteri,  diocèse  d'E^ne,  le  39  août  1369;  témoins  Jean 
Lilcc  ,  recteur  de  ladite  église ,  Bernard  Estève ,  prêtre  de 
Rupe,  et  plusieurs  autres.  [Mss,  can.  Coma,) 

Nota,  a  la  suite  de  cette  pièce  nous  voulions  donner  le  texte  d*un 
rescrit  apostolique  contenant  le  détail  de  ce  qui  s'était  passé  subséquem- 
ment,  mais  nous  ne  Tavons  plus  retrouvé  aux  archives  de  la  préfecture 
des  Pyrénées-Orientales  où  nous  l'avions  lu.  Cette  pièce  est  du  nombre 
de  celles  qui  ont  disparu  de  ces  archives  en  1 83 1 . 


TABLE  DES  CHAPITRES, 


DES   NOTES  ET  PREUVES 


CONTENUS 


DANS  LA  PREMIÈRE  PARTIE. 


Avertissement ? 

Introduction ix 

S  f .  Topographie.  —  Histoire  naturelle.  —  Géographie  an- 
cienne. —  Antiquités Id. 

S  II.  Caractère    des  Roussillonnais.  —  Langue.  —  Ecri- 
vains   LU 

S  III.  État  des  mœurs  en  Roussillon  jusqu'au  xvi*  siècle..       LViii 
S  IV.  Mœurs  et  usages  jusqu'au  temps  présent:  mariages, 
funérailles  et  deuil.  —  Divertissements  publics. — 
Musique.  —  Danses.  —  Mystères.  —  Mascarades. 
Carême.  —  Procession.  —  Gitanos lxxtii 


LIVRE    PREMIER. 

Chap.  I.  Annibal  traverse  les  Pyrénées.  —  Chefs  gaulois.  —  Am- 
bassadeurs romains  à  Ruscino.  —  Pompée  et  César. — Établis- 
sement des  Goths.  —  Elxpédition  de  Wamba. —  Prise  de  Livia, 
des  Clusae,  de  Sordonia. —  Villa-Godorum 


554  TABLE 

Pag». 

Cbap.  II.  Invasion  des  Arabes. —  Mort  de  Munaza.  — Planez. 

—  Le  Roussillon  se  donne  à  Pépin.  —  La  Cerdagne  é^Uvrée 
des  Arabes.  —  Réfagiés  espagnols.  —  La  marcbe  d^Espagne 
divisée  en  comtés.  —  Titres  d*bonneur.  —  Plaids  et  cbamps 

de  mai.  —  Création  d'abbayes 1 5 

Chap.  III.  Obscurité  de  Tbistoire  des  comtes  de  Roassîllon.  — 
Comtes  de  Roassillon  et  de  Cerdagne • 33 

Chap.  IV.  Origine  de  Perpignan.  —  Première  église  de  Saint- 
Jean.  —  Désordres  en  Roussillon.  —  Concile  de  Touloujes.  — 
Trêve  de  Dieu.  —  Fiefs  de  Téglise  d'Elne.  —  Comtêt  de  Cer- 
dagne. — Misère  du  Roussillon.  —  Testament  de  Gjpinard. .  .      5o 

Chap.  V.  Séparation  impolitique  du  Roussillon,  de  la  Septimanie. 

—  Âlpbonse  II  soustrait  la  Catalogne  à  la  suzeraineté  de  la 
France.  —  Sollicitude  de  ce    prince  pour  les*  flft^issillonnais. 

— -  Albigeois.  —  Sancbe.  —  Pèdre  II > 73 

Chap.  VI.  Ligue  pour  la  délivrance  de  Jayme  I*'.  — Le  comte  de 
Roussillon  régent  du  royaume. — Guerre  civile. — Guerre  entre 
le  comte  de  Roussillon  et  le  vicomte  de  Béam.  —  Ligue  contre 
le  jeune  roi. — Nunyo-Sancbez.^— Conquête  de  Majorque. — 
Traité  de  CorbeU.  — Partage  des  états  d* Aragon 94 

Cbap.  VII.  Indépendance  des  seigneurs  catalans.— Nouveaux 
troubles  en  Aragon.  —  Collioore  et  Port- Vendre.  —  Royaume 
de  Majorque.  —  Agrandissement  de  Perpignan.  —  Eglise  de 
Saint-Jean.  —  Meuse  canonicale 118 


LIVRE  II. 


\ 


Chap.  I.  Royaame  de  Majorque.  —  Inégalité  ^is  xleux  royaumes 
d'Aragon  et  de  Majorque.  —  Pèdre  veut  Jkre  casser  le  testa- 
ment de  son  père.  —  Il  force  son  frère  iStre  son  vassal.  — 
Cartel  du  duc  d'Anjou  au  roi  d'Aragoi^||hCroi8ade  contre 
Pèdre.  —  Surprise  de  Perpignan.  —  SarVpMie.  —  La  Mas- 
sane > 1 36 


DE   LA   PREMIERE   PARTIE.  555 

Chap.  II.  Philippe  le  Hardi  en  Ampourdan.  —  heven  des  Fran- 
çais sur  mer.  — -  Typhus  dans  le  camp.  —  Retraite  et  désastre 
des  Français.  *—  Examen  critique  de  la  narration  des  historiens 
français.  —  Relation  de  Muntaner. i63 

Cbap.  m.  Conquête  des  îles  Bdéares  par  TAragon.  —Continua- 
tion de  la  guerre.  —  Paix  entre  la  France  et  TAragon.  —  Le 
royaume  de  Majorque  en  séquestre. — 11  est  rendu  à  Jaymc.  — 
Édita  et  ordonnances.  —  Esclaves  maures.  —  Templiers  de 
Roussillon. 180 

Chap.   IV.  Les  Catalans  en  Grèce.  ^—  Sanche ,  roi  de  Majorque. 

—  Difficultés  avec  le  roi  de  France  —  et  avec  le  roi  d* Aragon. 

—  Mort  de  Sanche  et  difficultés  à  Tavénement  de  Jayme  II  au 
trône. -^ — Révolte  en  Roussillon  contre  le  régent. — Jayme  II 
fait  le  commerce  dans  Tintérêt  de  ses  sujets  d*outre-mer.  — 
Rétablissemeni  des  léproseries 906 

Chap.  V.  Jayme  diil^re  Thommage  au  roi  d*Aragon ,  —  veut  se 
soustraire  à  la  suzeraineté  du  roi  de  France. — Joutes  à  Mont- 
pellier.— Menées  perfides  du  roi  d* Aragon,  — qui  se  dédarc 
contre  celui  de  Majorque.  —  Jayme  fait  la  paix  avec  le  roi  de 
France 233 

Chap.  VI.  Alliance  des  rois  de  France  et  d* Aragon  contre  Jayme.— 
Causes  de  la  défection  des  RoussUlonnais.  —  Émeute  dans  Per- 
pignan. ^Attaque  de  Majorque  et  trahison.  —  Pèdre  en  Rous- 
sillon.—  Résistance  de  Perpignan. — Médiation  du  pape. — 
Trêve aSo 

Chap.  VII.  Nouveaux  préparatifs  de  guerre. — Reprise  des  hosti- 
lités.— Prise  de  diverses  places.  —  Siège  et  capitulation  de 
Collioure.  —  Jayme  se  livre  à  discrétion. —  Le  reste  du  Rous- 
sillon se  soumet.  —  Pèdre  dans  Perpignan.  • 269 

Chap.  VIII.  Les  corts  éoofinnent  la  spoliation.  —  Jayme  accuse 
Exerica  de  Tavoir  trompé.— Démentis  et  cartels. — Jayme  quitte 
la  Catalogne.  —  É^anffourée  en  Cerdagne.  —  Inquiétudes  de 
don  Pèdre.  —  SeU  veiigeances  eu  Roussillon.  —  Odieuse  con- 
duite du  roi  de  franco 291 


DE   LA  PREMIERE  PARTIE.  557 

Pages. 

Xlf .  Sur  quelques  communes  dépeuplées  et  abandonnées 471 

XIII.  Sur  l'achèvement  de  Téglise  de  Saint- Jean 473 

XIV.  Sur  les  portions  de  la  mense  capitulaire. 477 

XV.  Sur  le  combat  singulier  entre  le  roi  d'Aragon  et  le  duc 
d'Anjou 479 

XVI.  Sur  rinterrogatoire  des  templiers  da  Roussillon 484 

XVII.  Sur  le  voyage  de  Muntaner,  de  Catane  à  Perpignan 686 

XVIII.  Sur  l'autorité  du  justicia 492 

XIX.  Sur  quelques  tremblements  de  terre  en  Roussillon '^94 


PREUVES  DE  LA  PREMIERE  PARTIE. 

I.  Protection  aux  veuves  des  seigneurs  et  à  leurs  enfants 496 

II.  Protection  aux  maisons  religieuses 497 

III.  Notes  de  l'abbé  de  Saint-Martin  du  Cai^igou  contre  Pons  du 
Vemet 498 

IV.  Acte  d'affranchissement  d'un  serf  de  l'église 5oo 

V.  Vente  de  sa  liberté  ou  oblation Id. 

VI.  Composition  honteuse 5o3 

VII.  Extrait  de  l'acte  de  consécration  de  l'église  Saint-Jean-le- 
Vieux 5o4 

VIII.  Testament  du  comte  Guinard Id. 

IX.  Constitutions  de  paix  et  trêve  d'Alphonse  II 5o8 

X.  Extrait  des  coutumes  de  Perpignan 5i3 

XI.  Restitution  des  biens  de  Pons  du  Vemet 620 

XII.  Indépendance  des  seigneurs  catalans 532 

XIII.  Remplacement  de  terrain  pris  pour  les  murailles. .......   523 

XV.  Veute  publique  d'un  Sarrasin Sa  4 

XVI.  Réclamation  des  habitants  du  Vemet  au  sujet  du  festin 
donné  à  Saint-Martin ,  au  roi  de  Majorque 536 

XVII.  Prétentions  des  templiers  sur  les  comtés  de  Roussillon  et 

de  Cerdagne • 527 


TABLE  DE  LA   PREMIERE  PARTIE.       558 

XViri.  Attestation  do  Camerlingue  du  pape  Jean  XXII ,  que  la 
cour  apostolique  n  a  rien  reçu  du  délégué  de  Tabbé  de  Saint- 
Martin  53 1 

XIX.  Réclamation  au  sujet  des  mauvais  usages Id, 

XX.  Afiranchissement  des  mauvais  usages 533 

XXI.  Union  du  royaume  de  Majorque 533 

XXIf.  Procès-verbal  de  la  remise  du  château  royal  de  Perpignan 

aux  Aragonnais 539 

XXIII 54o 

XXiy.  Interdit  général  mis  sur  la  ville  de  Perpignan  par  le  vicaire 
général  du  diocèse  d'Elue ,  en  labsence  de  Tévéque  Pieire  Pla- 
nella 54^ 


• 
0