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HISTOIRE
DE
ROUSSILLON
PREMIERE PARTIE
HISTOIRE
ROUSSILLOÎN
DU ROYAUME DE MAJORQUE
PAR M. D.-M.-J. HENRY
I ll\SF.BVATEIiB BK LA BIBLIOTIIKIII E DE PEBI-ir.XAN
PREMIÈRE PARTIE
PARIS
IMMtlMÉ PAU AUTOmSATlON DC KOI
A l/IMPRIMERIË ROYALE
M DCCC XXX\
.•^<-^
WÊBU
AVERTISSEMENT.
Le père Leiong, dans sa Bibliothèque fran-
çaise, nous apprend que Thistoire de Roussillon
a été écrite par Tabbé Taverner, qui , au dire de
Martène , mettait la dernière main à ce travail en
1 7 1 8 ; mais elle n'a jamais été publiée et nous
ignorons si le manuscrit en existe encore. L'his-
toire de cette province, comnie mat4ria,ux de l'his-
toire générale de France, offrp:troj^d'în1,érêt pour
rester ensevelie dans l'ouBhv. Placé entre la
France et l'Aragon , le RoiisâBon est un anneau
qui unit l'histoire de ces deux nations si longtemps
rivales , et elle seule explique une foule d'événe-
ments que la passion et un sot amour-propre
national ont défigurés chez les écrivains des deux
nations, surtout dans le désastreux épisode de
l'engagement de cette province à Louis XI.
Consultant moins nos lumières que le désir
d'être utile, nous avons entrepris de remplir la
lacune que l'absence de celte histoire laissait
dans la connaissance des faits généraux. Si nous
■<?^:s
VI AVERTISSEMENT.
n*avons pas atteint notre but, la faute en est à
notre talent et non à notre bonne volonté. Le
travail que nous présentons ici est extrait des his-
toriens des diverses nations qui ont eu à traiter
des affaires de cette province ; nous nous sommes
aidé des mémoires et pièces de circonstance pu-
bliés aux différentes époques; des chartes, édits
et autres monuments publics existant dans les
différentes archives de la province; mais, nous
devonfi le dire, ces archives ne sont plus aujour-
d'hui ce qu'elles furent avant nos désastres po-
litiques. Au commencement de la révolution
tous ces dépôts furent plus ou moins mutilés , et
des documents précieux sur les actes des rois de
Majorque, d'Aragon, d'Espagne et de France,
tour à tour maîtres de cette province, furent
anéantis. Les archives des églises et maisons re-
ligieuses, tant compulsées par Marca, Baluze,
Vaissette, Fossa, pillées, dispersées, livrées aux
flammes, sont une perte immense pour l'histoire.
Nous avons vu , aux archives de la préfecture des
Pyrénées - Orientales , le reçu d'une charretée
des parchemins qui provenaient de ces maisons ,
qui avaient été envoyés à Toulon pour le service
de l'artillerie de la marine. Une partie de ces
mêmes dépouilles d'archives , qui n'avait pu trou-
AVERTISSEMENT. vu
ver place dans cet envoi, resta amoncelée dans un
galetas de Thôtel de la Préfecture , où les infil-
trations pluviales, la poussière, les insectes, tous
les agents de destruction, achevaient de con-
sommer leur ruine , quand, en 1 8 1 9 , nous fumes
chaigé d'en £ûre un dépouillement. Cest là que
BOUS découvrîmes encore une partie des docu-
ments qui ont servi à rédiger xe travail et qui ne
font qu'augmenter l'amertume de nos regrets sur
la perte des autres : ces pièces, nous les indi-
^ons dans les renvois par les mots Arch. eccle-
siaram.
Nous n'avons pas cru devoir entrer dans le dé-
^1 minutieux des fondations d'églises, dona-
tions et autres actes pieux des comtes et des
rois; nous renvoyons pour cet article au Marca
^Wjoa/iica et à l'Art de vérifier les dates.
Pour répondre un seul mot aux personnes qui,
par des sentiments peu bienveillants, avaient
avancé que nous ne cherchions qu'à dénigrer le
pays dont nous tracions les fastes, nous dirons
que n'ayant pas à écrire une histoire contempo-
raine il nous était facile d'être juste et impartial.
Nous avons blâmé ce que nous avons cru blâmable
et loué ce qui nous paraissait digne d'éloges,
sans que ni le blâme ni l'éloge se soient ja-
vin AVERTISSEMEM
mais colorés des sendmenls oa des posnoos da
jour. Qa^on ne cherche donc pas dans cet ou-
vrage des aliusioiis à des éréneiDents cootempo-
rains: il n^est écrît que sons b seule inspîntioo
des £ùts doot nous avions à readre compte . dé-
gagé que nous étions, en le oQm|M»aBt« de toute
pasûon politique et n^avant phs pour guides que
notre conscience, la droiture et Tèquité.
INTRODUCTION.
S I.
Topographie. — Histoire naturdle. — Géographie ancienne. —
Antiquités.
Le nom de Roussillon^, rendu commun à toute la
province depuis sa réunion à la France» ne se don-
nait primitivement qu'au comté de ce nom , qui s'é-
tendait le long de la mer, depuis Sdses jusqu'à Goi-
lioure. Le reste du territoire compris aujourd'hui
sous cette dénomination collective formait les com-
tés de Vallespir et de Gonflent, et partie de celui
de Gerdagne.
La chaîne des Pyrénées , en se portant de TOcéan à
]a Méditerranée, jette, au moment de s'enfoncer sous
cette mer par le cap de Greus , deux petites branches
dont l'une , sous le nom de Gorbières , aboutit au cap
de Leucate , ancienne limite des royaumes de France
et d'Aragon, mais appartenant au premier, et dont
^ Rascino. Daprès i opinion du savant D. Pedro Rodriguez Cam-
pomanes (voyez Antigucdad maritinuL de la Rep. mar. de Caiiago) y
cette colonie aurait pris son nom de Ruscino d'Afrique aux environ» de
Carthage , pag. i oo , note C.
Y INTRODUCTION.
Tautre, sous le nom cfAlbères, se tennine ao cap
Cervère, antique limite des Gaules et de FEspâ^e.
L*espace compris depuis le sommet de cette espèce
de triangle iirégulier jusqu'à sa base , qui est la mer,
très-montueux dans une partie et tout en plaine
dans l'autre, constitue la province de Roussillon.
Cette partie montagneuse de la province, qui est à
la partie de la plaine dans le rapport de sept à un ,
commence à environ 18,000 toises du riva^ de la
mer, en prenant le rayon le plus étendu. En montant
de la plaine vers les montagnes, on trouve des col-
lines d'abord asses basses, et qui s'élèvent ensuite
rapidement pour se rattacher à la dudne générale.
La branche des Albères se dirige de l'est & l'ouest,
jetant de tous cotés des rameaux qui &i sont comme
les contreforts et qui forment différentes vallées dans
lesquelles la végétation est très-active, et dont celle
de Sorède est la plus belle du côté de la France. La
direction des Corbières est du nord-est au sud-ouest.
Cette branche est moins boisée que l'autre, qui est
verte jusqu'à sa plus haute cime. Le pin et le sapin
dominent dans la Cerdagne et le Confient ; le frêne ,
le châtaignier, le chêue-liége et tous les arbres de
cette famille abondent dans la partie du Vallespir.
Au nombre des montagnes du Roussillon , il en est
une , qui, placée entre la branche des Albères et celle
des Corbières, et dominant de beaucoup tout ce qui
l'environne , fut regardée longtemps comme la plus
INTRODUCTION. xi
haute de toute la chaîne des Pyrénées : il est avéré
aujourdliui qu'elle n est que la douzième en hauteur
de cette série , et que même deux pics de la Cerdagne
la surpassent un peu en élévation. L'étymologie de son
nom, ûmigOy parait venir du mot can, qui veut dire
blanc \ qualification qui se rapporterait aux neiges
qui séjournent huit à dix mois sur son front caduc.
Nous plaçons ici le tableau de la hauteur, au-dessus
du niveau de la mer, de quelques points de la super-
ficie du Roussillon que Rocheblave avait déterminée
pour avoir cdle du Ganigou :
Peq)ignaD lo toises.
Le pont de Ceret 5o
Arles 1&3
BAontfiBrrer 4oi
La Croix de la Geste 5i6
Le grand Pastor 619
Le pic de la Soque 801
Le Pastor de Canigou 981
Treze- Vents 1 , 187
Le pic méridional du Canigou * 1 M^
HAUTEUR DE QUELQUES AUTRES LIEUX.
Espira, suivant Mechain 339 toises.
' CiOurt de Gébelin , Dict Étymol.
* Mémoire sur les monts Pyrénées, par Pàllassou.
La hauteur du Ganigou est ,
Suivant Rcboul et Vidai , de i,43o toises.
Suivant Mechain, de if^3i
Suivant Bory-S^-Vincent , de 1 ,44 1
M
XII INTRODUCTION.
Força-Real , suivant Mechain 267 toises.
Tautavd 36i
La Massane, suivant Pallassou &08
Trois petits fleuves ou grands torrents descendent
des montagnes et traversent le Roussillon : ce sont ,
du nord au sud, la Gly, la Tet, le Tech. Une chose est
à remarquer au sujet de ces fleuves, égaux en lon-
gueur, en largeur et tous les trois assez souvent des-^
tructeurs, c'est qu* aucun des écrivains de Tantiquité
ne les a indiqués tous. Strabon, qui fait mention de
la Tet et du Tech, leur donne les noms de Ruscino et
dlUiberis; mais nous pensons que c*est par erreur
qu'il leur assigne ainsi le nom des deux villes bâties
sur leiu^ rives; Mêla, son contemporain , et Elspagnol
de nation , devant par conséquent mieux connaître ce
pays que le géographe grec, les nomme par leur propre
nom, Telis (qu'il faut sans doute lire Tetis) et Tichis;
mais nous ne comprenons pas comment il a oublié
la Gly. Pline, mieux informé que Strabon, parait
avoir reçu des renseignements sur le nom des trois
fleuves; mais persuadé, vraisemblablement par l'omis-
sion de ses devanciers, qu'il n'y en avait que deux, il
nomme la Gly et la Tet, Vernodubram et Tecum, Ce
qui ne laisse pas douter que c'est bien de la Giy que
parlaient les docimients sur lesquels il rédigeait son
travail, c'est que le nom de Vernodabrum se retrouve
encore, incontestablement, dans celui de Verdoublc
INT4\0DUCTI0N. xiii
que porte le dernier des affluents de ce fleuve.
Ptoléraée , à qui Touvrage de Strabon , écrit dans la
même langue que celle qu il parlait, paraît avoir servi
de guide, nomme comme lui la Tet et le Tech , Rus-
cino et IlUberiSy qu'il écrit lUeris, Mêla signale les dé-
bordements désastreux de ces fleuves en ce peu de
mots : Parva Jlamina uhi crevere persœva.
Marca ne pense pas que le lit de la Tet ait toujours
existé là où il se trouve maintenant, au-dessous de
Perpignan; suivant lui, ce fleuve se rendait, non pas
à Canet, mais à Torelles, où son embouchure for-
mait un petit port. Le motif de cette déviation aurait
été, d'après ce savant prélat, d'enlever aux pirates du
Nord un point de débarquement favorable à leurs
ravages en Roussilkm ^ Nous manquons aujourd'hui
de moyens pour vérifier l'exactitude de ce fait, qui
n'aurait en soi rien d'extraordinaire; nous savons seu-
lement que des médailles romaines se trouvent quel-
quefois à Torelles, ce qui atteste l'antiquité de ce lieu.
La plaine de Roussiilon est un terrain d'alluvion
formé d'un dépôt de matières calcaires et granitiques,
enlevées par les eaux pluviales aux montagnes qui
l'entourent^. Ces dépôts, poussés plus ou moins loin
dans le bassin que formait la mer, déterminèrent les
atterrissements successifs au pied de ces montagnes ,
^ Marca hispanica, autore Petro de Marca, lib. I, cap. v.
* Voyez à la (in du volume, avant les notes , un tableau des tranches
de ce terrain.
XIV INTRODUCTION.
et y produisirent divers bancs placés dans des direc-
tions parallèles, suivant la force du courant qui les
entraînait. Le passage de la mer entre ces difiërents
bancs étant enfin intercepté , et les dépots d^alluyion
les recouvrant d*un limon fécondant, il en résulta
une plaine qu'enrichit bientôt une puissante végéta-
tion. Les barres qui s'étaient formées au large ayant
laissé derrière elles de grandes étendues de ce bassin
où les dépots n'étaient pas suffisants pour élever le
fond au niveau des bancs qui les avaient circonscrits ,
les fonds servirent de réservoirs à toutes les eaux qui
s'écoulaient des montagnes , et devinrent des étangs
bordant toute l'étendue de la conquête que la terre
avait faite sur la mer. Ces étangs, réduits aujourd'hui
au nombre de cinq, sont, celui de Salses ou de Saint-
Laurent, dont la longueur est d'environ 7,800 toises,
la largeur de li,5oo et la circonférence de a5,ooo;
celui de Saint-Nazaire , dont la longueur est d'environ
3,000 toises, la largeur de a5o et la circonférence
de 7, a 00; celui de Villeneuve, dont la longueur est
d'environ 1,000 toises, la laideur de 600 et la cir-
conférence de 2,000; celui de Saint-Cyprien , dont la
longueur est d'environ 1,000 toises, la largeur de
/ïoo et la circonférence de a, 000; quant k celui de
Canet, encore très -considérable au moyen âge, et où
se trouvaient alors les salines du Roussillon , ce n'est
plus aujourd'hui qu'une mare malsaine et qui est h
sec une partie de l'année. Ces quatre derniers étangs,
INTRODUCTION. xv
avec un autre que le dernier comte de Roussillon fit
dessécher, n en faisaient qu un anciennement. Le nom
de Cabestany , caput stagni, que porte une petite com-
mune à une lieue de Perpignan , prouve que les eaux
s avançaient jusque-là, et celui de Cobmina de h
statiy qu'un ancien acte donne à une propriété du
terroir de Pontella , atteste également les limites de
ce vaste étang de ce côté. Les étangs de Salses et de
Saint-Nazaire communiquent avec la mer par des
bouches qu*on appelle graus, et dont Tentretien s op-
pose au rétrécissement, et par suite à Tasséchement
complet de ces bassins de pêche. Les eaux du premier
contiennent, suivant Carrera, un quarante-quatrième
de sel marin.
Plusieurs petits lacs existent au sommet des mon-
ti^nes, et donnent naissance aux différents fleuves et
rivières qui ont leur source dans la province , comme
la Sègre, l'Aude, la Tet, le Tech et ime foule de petites
rivières ou ruisseaux qui sont les affluents de ceux-ci.
La température varie dans l'étendue de la province
suivant les différents sites. Dans la plaine, le ciel,
presque toujours clair et pur, donne trop rarement
aux vapeurs atmosphériques l'occasion de se con-
denser et de répondre par la pluie aux vœux et aux
besoins de l'agriculture; on y voit souvent des séche-
resses opiniâtres se soutenir pendant huit mois et
plus, sauf quelques ondées d'orage qui donnent à
peine quelques millimètres d'eau; d'autres fois la pluie.
XVI INTRODUCTION,
après avoir été nulle pendant tout le temps que sa
présence eût été nidispensable pour la germination
des céréales ou le développement des bourgeons de
la vigne et de Tolivier, arrive tout à coup par torrents»
et jette en peu de jours sur les terres du Roussilloi)
la même masse d*eau qui tombe communément à
Paris dans le cours d*une année. Ces averses intem-
pestives achèvent alors de détruire le peu que la sé-
cheresse avait épai^é. Dans la plaine, encore , Thiver
est généralement doux et la neige très-rare, mais les
chaleurs de Tété y sont souvent accablantes ; on n'y
connaît pas de printemps : la même inconstance de
température qui a marqué l'hiver, c'est-à-dire une
variation thermométrique de o°, à 1 6 et 1 8° centi-
grades se succédant brusquement et parcourant toute
cette échelle en moins d'une semaine, se prolonge
jusqu'au moment où l'été arrive sans transition. Ce
moment est aussi variable que la température : c'est
tantôt le mois d'avril, tantôt le mois de mai; quel-
quefois même les premiers jours de juin sont encore
assez froids pour le pays. L'été , non moins incons-
tant que l'hiver, est marqué par des chaleurs de 3o
à 35** centigrades, quelquefois plus, interrompues
par un abaissement subit de température de lo à
12** centigrades, d'un jour à l'autre, suivant la direc-
tion du vent qui souffle. L'automne est fort doux, et ,
sauf quelques journées où le mercure se rapproche
du terme de la congélation , le thermomètre se sou-
INTRODUCTION. xvii
tient généralement entre i o et 19^ centigrades jus-
quà la minlécembre.
La plaine de Roussfllon est désolée par ces furieux
coups de vent du nord-ouest qui, en Provence, portent
le nom de mistraou ( magistral is), et qxd prennent ici
celui de tramontana (trans-montanus). Ce vent suc-
cède ordinairement à une petite pluie, mais ne prend
que difficilement après de grandes averses et quand
la terre est très-imbibée : son action violente et sou-
Yent répétée se fait remarquer sur les arbres de la
plaine , qui sont inclinés dans la direction de ce rumb.
Nous disons qu'il succède aux petites pluies, il suc-
cède aussi à tous les autres vents , et devient par là
le |dus habituel en Roussillon; cest celui qui con-
tribue le plus à la salubrité du pays et au maintien de
la santé. Le vent du sud , au contraire , qu'on appelle
vent i Espagne , est le plus nuisible ; il rend loiurd et
pesant, et abat les forces; Carrère le regarde comme
funeste aux personnes qui ont une disposition à l'apo-
plexie : heureusement qu'il souffle rarement. Le vent
d'est, ou vent marin, le dispute au nord-ouest pour
la fréquence, mais le plus ordinairement il ne règne
que dans la plus basse région de l'atrT Des nuages
placés à des élévations différentes nous ont donné
souvent le moyen de constater cette vérité : les plus
bas, ou, à défaut de nuages, les girouettes de la ville
obéissent au vent d'est pendant que les nuages les
plus élevés sont poussés par un vent contraire. Celui-
XVIII INTRODUCTION.
ci, venant de derrière les montagnes , glisse par-dessus
Fautre qui rase la terre. Cette observation, que nous
avons été à même de vérifier dans toutes les saisons ,
ne s'applique guère qu au vent d'est : ce n est que ra-
rement qu'on voit l'accord exister entre les deux ré-
gions de l'atmosphère, quand le vent marin souille
dans la plaine. La compression que le vent douest
exerce, dans ces circonstances, sur le vent d'est, fa-
vorisant la séparation de l'eau à l'état de vapeur dont
ce vent s'est sursaturé en passant sur la mer, chaque
fois qu'il souffle , tout s'imprègne d'humidité; les bois,
les marbres, les métaux, toutes les surfaces lisses
semblent transsuder l'eau, et le linge contracte une
sorte d'humidité dans les armoires, même les mieux
fermées. Ce vent d'ouest, qui du haut des montagnes
semble s'élancer sur son antagoniste, ne descend
que rarement jusqu'à la plaine; il est presque tou-
jours froid et pluvieux, et dangereux pour la santé,
suivant Carrère.
Le climat du Roussillon est le même à peu près
que celui de la Provence. Les Pyrénées méditerra-
néennes ressemblent beaucoup aux Alpes proven-
çales, et ses plaines ne diffèrent pas de celles qui sont
entre le Rhône et le Var; leurs productions sont les
mêmes; la vigne et l'olivier les couvrent de leurs
riches produits ; l'oranger, l'acacia d'Egypte à fleurs
globuleuses, y croissent sans effort; le grenadier, l'a-
loès agave y forment des clôtures naturelles.
INTRODUCTION. xix
Le sol du Roussilion produit abondamment tout
ce qui est nécessaire à la vie ; les jardins de Perpignan
fournissent à peu près toute Tannée des légumes ex-
cellents; le gibier de toute espèce y multiplie facile-
ment , et la mer y prodigue les poissons les plus dé-
licats. Les anciens ont beaucoup paiié , sous le nom
de poissons fossiles, de muges qu'on prenait sur les
bords de l'étang de Salses, en creusant à quelque
profondeur la terre bourbeuse qui couvrait des cre-
vasses conmiuniquant avec l'étang, et dans lesquelles
se glissaient ces poissons pour chercher leur pâture :
ce genre de pèche au lichet n'est plus en usage.
L'histoire naturelle du Roussilion aurait besoin
d'un écrivain qui pût en développer toutes les ri-
chesses. La différence de température qui signale les
deux extrémités de la province, réimit dans un court
intervalle les productions botaniques des r^ons les
plus opposées; ses montagnes recèlent des métaux de
toute espèce; le fer existe presque partout, le plomb
s'y montre sur plusieurs points, et la riche mine de
cuivre, récemment découverte à Canavellas, vient
d'ajouter une nouvelle opulence minérale à celle qui
existait déjà, et d'accroître de son produit les res-
sources de la France ^. Carrère parie de topazes trou-
vées au bas du pic de Bugarach, et cite les pierres
transparentes blanches, bleuâtres, violettes, à six
^ Des essais de cette mine faits par le directeur de la monnaie de
Perpignan ont donné un résultat de quinze pour cent.
b.
■eut,
après
XX INTRODUCTION.
Ëices, des montagnes de Salses, et les pierres dures,
noires/brillantes , de Notre-Dame du Corail , en Val-
lespir, auxquelles il donne le nom de corail noir, et qu*il
croit être le lapis obsidiaris de Pline. Plusieurs points
de ces diverses montagnes sont très-riches en fossiles ;
des pectinites de tout genre, depuis les plus rares jus-
qu'aux plus communes, et d'un volume remarquable;
des gryphites, des ostracites de toute forme, des spa-
tangus, des cyclolithes , des trochytes, des phytolithes
et une foule d'autres espèces s'y rencontrent en grande
abondance; enfin, des marbres de toutes les qualités,
depuis le plus beau statuaire jusqu'au plus grossier,
ne demanderaient que des chemins pour aller, de
leurs carrières, remplir les ateliers des ouvriers qui
les mettent en œuvre.
Le Roussillon possède im grand nombre de sour-
ces d'eaux minérales , dont plusieurs sont appliquées
au traitement de différentes maladies. Les principaux
établissements thermaux sont ceux d'Âries et de la
Preste, en Vallespir; de Molitg, du Vemet et de
Vinça en Gonflent, et des Escaldas en Cerdagne ^.
^ M. J. Anglada, professeur de médecine légale et de chimie à
Montpellier, après avoir publié des mémoires pour servir à lliistoîre
générale des eaux minérales et thermales, 2 vol. in-8^ venait démettre
au jour un savant ouvrage spécial sur les sources d'eaux thermales de la
contrée roussillonnaise, lorsque la mort est venue le frapper, plein de
force et de santé. Le monde savant des départements méridionaux et
Perpignan, sa patrie, déplorent vivement cette perte. M. Anglada, peu
de jours avant sa mort, écrivait à son compatriote J. Tastu : c Félicitez-
INTRODUCTION. xxi
Dans Tantiquité , le territoire de la province appar-
tenait à quatre peuples différents , savoir : aux Sor-
i<mes^ qui avaient la plaine, ou Roussillon propre-
ment dit; aux Consuarani, qui habitaient, à ce qu'il
parait, le Gonflent et le Gapcir; à une partie des Cer-
retanif qui cultivaient les montagnes de la Cerdagne,
et à une partie des Indigetes, qui, à notre sens , étaient
maitres du haut Vallespir. Scylax donne le Roussillon
aux Liguro-Ibériens, qui s'étendaient d'Emporiœ au
Rhône; Ptolémée comprend les Sordones parmi les
Volscœ-Tectosages, ce qui est une erreur; Strabon dit
seulement que ces peuples étaient voisins des Pyré-
nées, mais leur territoire ne dépassait pas Narbonne,
et Silius Italiens en donnant le Roussillon aux Be-
bryee^, le place au midi de ces mêmes Volscœ; Scym-
aus de Chos, Dion, Zonare, attribuent également
aux Bebryces le pays des Sordones*
Dom Bouquet, dans une note sur le passage de
Silius relatif aux Gaules, dans le premier volume de
la collection des historiens de France , conteste l'exis-
tence de ces Bebryces occidentaux. Dans son opinion,
SiUus, pour rendre plus célèbre l'origine du nom des
Pyrénées, aurait imaginé de transporter en Espagne
le royaume d'Amycus, roi des Bebryciens d'Orient,
et c est dans cette fable que les écrivains venus après
moi, moD cber, comme le père le plus heureux du monde , car je viens
de &îre à la fois trois établissements importants : j'ai marié mou fils,
ma fille, et lancé dans le monde un livre nouveau. »
XXII INTRODUCTION.
ce poète auraient pris ce nom de Bebryces donné aux
Sordones. Cette supposition ne nous semble pas con-
cluante. Silius ne parie point d'Âmycus, et les histo-
riens de l'antiquité ne cherchaient pas plus que nous
la vérité des faits dans les poèmes d'imagination ; com-
ment croire qu'ils eussent adopté si légèrement un
nom de peuple , s'ils n'avaient pas eu d'autre autorité
pour appui? Ajoutons que, si c'était là une invention
poétique, Silius se serait borné à la fable d'Hercule
et de Pyrène , et qu'il n'aurait pas donné le nom de
Bebryces aux Sordones, qui ne sont point dans les
montagnes , ni celui de Bebryca aula à la Narbonnaise.
Il est plus probable que le nom du pays a donné nais-
sance à la fable , que la fahle au nom du pays.
Le nom de Roussillon vient de l'antique ville de
Ruscino , capitale du pays des Sordones sous les
Gaulois et sous les Romains. L'emplacement de cette
ville, honorée du titre de colonie, suivant Mêla, et
simplement investie du droit latin, selon Pline, ne
présente absolument aucuns vestiges de ces grands
monuments dont les Romains ne manquaient jamais
d'enrichir leurs colonies : les guerres calamiteuses
dont ces contrées ont constamment été le théâtre
ont tout anéanti. Narbonue, qui était d'une bien
autre importance que Ruscino, et qui, à titre de ca-
pitale d'ime des grandes divisions de la Gaule ro-
maine , a dû voir s'élever sur son sol tous les monu-
ments qui concouraient à l'embellissement des villes.
INTRODUCTION. xxiii
au culte des dieux et à l'amusement des peuples , ne
conserve pas plus que sa voisine des traces de ces im-
menses et somptueux édifices dont on admire encore
les ruines à Nîmes, à Arles et en tantd*autres lieux.
Ruscino fut détruite par les Normands vers Tan
859 ^ Les débris de sa population se réunirent sur
une partie de remplacement de la ville ruinée , et ils
y bâtirent quelques maisons entoiuées de murailles :
ce fut le castram Ruscinonense y RoscoUonense ou de Ros-
dUione. Ce castrum, encore habité au mUieu du xrv'
siède, a perdu depuis toute sa population, et il n'y
reste plus aujourd'hui que quelques maisons rurales
avec une tour de vigie et une église : ce lieu porte le
nom de Gastel-Roussillon.
Le Roussillon était traversé par la voie Domitia,
qui menait de Rome en Espagne par le midi des
Gaules. L'itinéraire d'Antonin trace cette partie de
route de deux manières ; l'une , qui menait de Va-
pincum à Gallecinam , n'a que trois stations :
Narbone Sabulas, m. p. xxx.
ad Stabalum , xlviii.
ad Pyretif^am, xvi.
L autre, qui d'Aries se rendait à Castellon, Are-
iota ad Castalonem, compte cinq mansions de Nar-
bonne à la frontière :
* Mërca kispan. lib. ilJ. — Hist. gén. de Long. tom. I.
XXIV INTRODUCTION.
Narbone ad Vigesimum, m. p. xx.
ad Combustam, xiv.
Ruscinoney vi.
ad Centurionem, xx.
summo Pyrenœo , v .
La carte de Peutinger donne la même roule avec
quelques différences. ATépoque où elle fut construite,
l'un des enfants de Constantin avait restauré Tantique
ville d'Illiberis , à laquelle il avait donné le nom de
son aïeule Helena : c est sans doute à raison de cette
restauration, que cette ville usurpa sur Ruscino la pré-
rogative d'être capitale du pays , et qu'elle obtint une
station militaire et xm évêché. Cette carte de Peutinger
porte, après Ruscino , le nom d'illiberis , qui, à cette
époque, n'avait pas encore cédé entièrement la place
à celui d'Helena ; ainsi , cette route est :
Narbone Rascino, m. p. vi.
niiherey vu.
ad Centenarium, xii.
summo Pyrenœo t v.
Suivant toute apparence, l'un des premiers co-
pistes de la caite itinéraire originale a oublié d'ins-
crire deux stations à partir de Narbonne , le Vigesî-
mum et Combustam. On ne trouve en effet que le
nombre vi après Ruscino, ce qui indique la distance
réelle de cette ville à Combustam. Les autres dis-
INTRODUCTION. ' xtt
tances sont justes à un mille près» et conformes à
celles de la route d^Ârles à Gastellon.
La voie Domitia était pavée dans la traverse du
Roussillon , et Resendius , qui Ta vue encore en cet
état , assure que les pierres y étaient prodiguées pêne
mma profasione : on n'en reconnaît plus de traces.
Dans une petite dissertation que nous publiâmes
en 18a G sur cet itinéraire^, nous avons placé le lieu
appelé Vigesimum, aux cabanes de la Palme, etCom-
bnstam, sur la rive gauche de la Gly, en un lieu qui
portait le nom de Tora , et qui a cessé d'exister au xv*
siècle; lieu où en 163g l'évêque d'Elue fit bâtir une
chapelle dédiée à saint Martin et fondée sur l'empla-
cement du château. Nous venons de parier de Rus-
dno, seconde station de cette route. Ad Centarionem,
ffd vient après , était évidemment un poste militaire
placé non loin de la frontière; la preuve s'en trouve
dans les tables de Peutinger, oh ce même poste a pris
le nom de ad Centenariam ^ et nous savons qu'en effet,
aux derniers temps de l'empire , on avait changé en
celui de centeniers , le nom de ces officiers qu'on ap-
pelait auparavant centurions. Quant à la position to-
pc^phique de ce poste, nous croyons qu'elle n'était
ni à Ceret , comme le veulent Marca et Wesselingius , ,
ni à Locertetum, lieu désigné par DanviUe, mais
qu'elle se trouvait de l'autre côté du Boulou , à une
petite distance au nord-est de Maurellas, en un en-
^ Voyez ia note I à la fin du volume.
rxYi INTRODUCTION.
droit où se voit une ^ise entourée de quelques
fermes, ancien chef-lieu d'une commune xmiquement
composée de métairies éparses , et qu on appelle Saint-
Martin de Fenollar.
Le Portas ad sammwn F^renœam est le passage de
ces montagnes au point culminant de la route , sous
les trophées de Pompée : son nom se retrouve dans
celui de Pertus qu'il porte aujourd'hui.
La route de Vapincum à Gallecinam , qui , dans la
traverse du RoussiJlon , est évidemment et nécessaire-
ment la même que celle qui vient d'Arles , renferme
une erreiu* de numération , puisqu'elle présente une
différence en plus de vingt-neuf milles, sur la pre-
mière, dont les distances sont à peu près exactes ^«
De Narbonne cette route se rend directement à Sal-
sulas ou Salsulae, qui empruntait son nom à une source
d'eau salée qui s'y trouve ; de là elle se porte ad 5to-
balum, lieu connu dans le moyen âge sous le nom de
Volo, et nommé aujourd'hui le Boulou, à raison de
la constante permutation des lettres b et v, familière
aux peuples de ces contrées.
Nous pouvons dire d'IUiberis, où la carte de Peu-
tihger place une station, ce que nous avons dit de
Ruscino. Cette ville était déjà ruinée dès le temps
d'Auguste puisque Mêla, contemporain de cette épo-
que, en parie comme des restes obscurs d'une ville
autrefois grande et florissante. L'un des enfants de
* Voyez la note J.
INTRODUCTION. xxvii
Constantin en fit un castrant ^ auquel il donna le nom
de son aïeule Hélène. L'assassinat de Constans auprès
de ce castram fournit k Zonare Toccasion de dire
qu'ainsi s'accomplit l'horoscope qui annonçait que ce
prince périrait dans le sein de son aieale. La restauration
de cette ville lui procura l'avantage d'être le chef-lieu
du pays à la place de Ruscino ^ et de devenir plus
tard le siège de l'épiscopat fondé dans le territoire
des Sordones, siège qui, sans cette circonstance, au<-
rait du être à Ruscino.
Outre la voie Domitia , qui était la route militaire ,
le Roussillon était encore traversé, comme de nos
jours , par des chemins entretenus aux frais de la pro-
yince, que les Romains nonmiaient actas, et qui
étaient comme nos routes départementales. Ces che-
mins, qui n'avaient de largeur que pour le passage
d'un seid char, communiquaient d'une province à
Fautre. Nous classerons dans ce nombre , l '^ le chemin
qui longeait la plage entre la mer et les étangs , tra-
versait le grau de la Nouvelle et celui de Leucate ,
passait à Toreiles et conduisait chez les Indigetes par
la Massane et par Banyuls. Soit que cette route fût
devenue grande voie ou, comme nous dirions, route
royale , dans les derniers temps de l'empire , et que
plus tard Charlemagne eût affecté quelques fonds à
sa réparation , toujours est-il qu'il s'y trouvait un de
* Eutrope ne lui donne que ce titre de castrum.
* Voyei la note I.
xxvui INTRODUCTION,
ces établissements nommés Mutationes, espèce de
postes oii Ton entretenait des chevaux au compte du
gouvernement pour la célérité des dépêches , et que
les vestiges qui subsistent encore de cette route por-
tent dans le pays le nom de carrera de Carlos-magno.
L'embranchement de cette route, qui passait par le
col de la Massane , était défendu par un château sous
la garde dun détachement de la l^ion décumane
de Narbonne : ce château s'appelait Vulturaria et plus
tard Oltrera. L'autre branche traversait CancoUberis ,
CoUioure dont le nom se trouve pour la première fois
dans l'itinéraire de l'anonyme de Ravenne. De ce point
elle passait au fond du golfe du portas Veneris, et se
dirigeait sur Gervaria , limite des Gaules, a® Un autre
chemin qui conduisait aussi au pays des Indigetes par
les montagnes du Vallespir : un poste militaire dé-
fendait également ce passage, ainsi que l'indique bien
évidemment le nom de Custodia donné à un ancien
village de l'extrême frontière, aujourd'hui appelé
Custojas : on sait que ce nom de Custodia conune
ceux de Gastellum et de Praesidium , indiquaient des
lieux fortifiés sur les frontières d'un état et propres à
recevoir une garnison.
Nous ne parlons pas des autres chemins moins
grands que les actus, et que les Romains nonmiaient
iter. Entretenus aux frais des propriétaires usagers,
ils devaient avoir à peu près les mêmes sinuositéa
que les chemins vicinaux d'aujourd'hui.
INTRODUCTION. xxix
Avant de terminer ce peu de mots sur la géogra-
phie ancienne du Roussillon , où nous n'avons parlé
que des lieux mentionnés dans les itinéraires et se
trouvant sur le passage des grandes routes, nous de-
vrions décrire la ligne divisoire qui formait la limite
des Gaules et de TEspagne dans cette partie des Py-
rénées, et justifier, en la motivant, l'opinion que
nous avons émise , que le haut Vallespir a dû appar-
tenir aux Indigetes; mais comme nous aurons à traiter
cette matière avec quelque détail quand nous paiie-*
rons de la séparation du Roussillon de la Catalogne ,
basée sur les anciennes limites des deux grands terri-
toires gaulois et espagnols, d'après les dispositions
du traité des Pyrénées , nous nous abstiendrons d'en
parler ici, et nous jetterons un coup d'oeil sur la partie
archéologique de la province : nous n'aurons pas à
nous étendre beaucoup sur les restes des temps an-
ciens.
Le Roussillon , aujourd'hui à peu près nu d'arbres,
comparativement aux temps antérieurs au xv* siècle ,
possédait dans l'antiquité de vastes et épaisses forêts
qui durent abriter les mystères des Druides et om-
brager leurs grossiers monuments; mais nous ne
connaissons aucun de ces simples autels, qui, pros-
crits par les Romains, ne purent que très-rarement
échapper à leurs fureurs ^ Deux monticules de terre
* Depuis que ceci est écrit, M. Jaubert-de-Reart a découvert et fait
coDiuâtre divers monuments celtiques ; i** près de rétablissement tlier-
XXX INTRODUCTION.
rapportée étaient signalés naguère dans la plaine, et
non loin de Perpignan, mais nous n'oserions affirmer
qu'ils fussent des tombelles ou tumuli. Le premier
situé à Orles a été rasé depuis peu d'années , et son
intérieur, jusqu'au niveau du sol, n'a présenté aucune
trace de monument sépulcral. L'autre, connu sous le
nom de Mant de la terra et qui existe près de la com-
mune de Saint - Cyprien , est de même nature que
celui du département d'Eure-et-Loir dont il est parlé
dans les mémoires de la société royale des antiquaires
de France ^ Comme celui-ci, le monticule de Saint-
Cyprien, dont ie diamètre supérieiu* est d'environ
quinze pieds , a un puits maçonné en pierres équar^
ries, et des restes de murailles se font apercevoir au
bord de la circonférence supérieure de son cône.
mal de Molitg, un dolmen composé d'une table granitique de huit
pieds de long sur cinq de large et un d^épaisseur, supportée par trois
autres tables de même nature, saillantes d'environ trois pieds au-dessus
du sol : il porte dans ie pays le nom remarquable de tamul dels Gentils ;
2° un autre autel semblable, non loin du premier, au lieu dit coU
del Trihec (col du Trépied) •, 3" deux tombeaux composés de pierres
parallèles dont les latérales ont sept pieds de long, et que recouvrent
des pierres de même dimension; 4** des pierres tranchantes du genre
de celles qu'on nomme celiœ et dont Tune était percée d'un trou au
bout le plus étroit; 5° sur la montagne de Liauro, un autre dolmen
placé dans un endroit qui domine une réunion de vestiges d^anciennes
constructions en pierres sèches et brutes; là se trouve aussi une es*
pèce de polygone de six toises en carré, dont un côté est de forme
elliptique. Le rapport de ces découvertes a été fait à la société royale
des antiquaires de France en décembre i832.
» Tome VII, pag. 3o.
INTRODUCTION. xxxi
Si tes vestiges laissés par les aborigènes sont si
rares et si équivoques, ceux qui peuvent rappeler
leurs vainqueurs ne sont ni plus abondants ni plus re*
marquables. Les culées d*un pont sur le Tech, un
peu en amont du pont actuel de Ceret, sont les seuls
témoins des moyens pris par les Romains pour as-
surer en tout temps la traversée des fleuves. Ce qu^ils
avaient fait pour le Tech, nul doute qu'ils ne l'aient
iait aussi pour la Tet et la Gly ; des traces du pont de
laGly se remarquent encore sous le pont actuel, mais
rien ne rappelle aujourd'hui qu'il ait jamais existé de
construction de ce genre à travers la Tet.
Les roches qui encaissent le Tech avaient permis
de fonder solidement le pont qui le traversait, tandis
que la mobilité du terrain, siu* les rives des deux
autres fleuves , avait dû les faire établir sur pilotis.
La destruction simultanée de ces trois ponts aurait-
elle été le résultat de quelque opération militaire à
une époque inconnue? Les matériaux de celui de la
Tet auront été enlevés, et l'exhaussement du sol,
par les alluvions, aura enseveli profondément ses
fondations.
Des substructions assez nombreuses sont répan-
dues sur un terrain de la rive droite du Tech , à en-
viron quinze cents toises au-dessous de Ceret, dans
une plaine spacieuse nommée plaine des tombeaux.
Outre une assez grande quantité de débris de poterie
grossière de l'époque romaine qui couvre un vaste
XXXII INTRODUCTION.
espace de cette plaine , on y voit des vestiges de mu-
railles et les restes, assez bien conservés, d'un tom-
beau élevé au-dessus du sol. Ce monument, construit
tout en briques, est terminé par un encorbellement
des briques des cotés qui s'avancent Time au-dessus
de l'autre jusqu'à ce qu'elles se rencontrent sous nne
dernière rangée formant cette espèce de voûte. Ce
lieu est désigné par le nom de Locertetum, dans l'acte
par lequel Louis le Pieux confirme en 833, aux firères
Wimar et Radon , la donation des landes situées aux
environs du viens 5imûlam, Ceret, faite par Charie-
magne à leur père , fondateur de ce viens aussi bien
que du lieu de Villeneuve ^ Une chapelle fut bâtie
en 1387 sur l'emplacement de l'ancien Locertetum,
qui acheva peut - être d'être complètement ruiné
comme tant d'autres boui^ ou villages, dans la guerre
si caiamiteuse de l'extinction du royaume de Ma-
jorque. La fondation d'une chapelle signale générale-
ment le lieu où existèrent anciennement des villages
ou des bourgs. Des titres incontestables attestent que
l'église de Saint-Martin de Tora a été élevée smr les
ruines du château; une église semblable se trouve
aux lieux où furent Rascino, ad Centarionem, Muta-
tioneSf Villa Gotïiorum, et sur l'emplacement de tous
les anciens boui^s anéantis.
C'est à Locertetum que Danville plaçait la station
du Centurionem , mais il ignorait le nom de ce lieu
* Marca hispcaiica, pag. 771.
INTRODUCTION. xxxiii
dont i*acte que nous avons cité donne seul la con-
naissance ^.
Des substructions romaines se remarquent au vil-
lage delà haute Cluse, improprement nommé Lecluse.
Là se trouvait , au moyen âge , un château fort pour
la défense du passage des Pyrénées par le Pertus. A
l'époque de la dislocation de Tempire romain sous les
ravages des hordes harhares, la nécessité de garder
6t de défendre les défilés des montagnes entre les-
quelles passait Tantique voie Domitia fit construire
des fortifications dans la position la plus avantageuse
au-dessous du Pertus. Ces fortifications, qu'on voit
figurer sous le nom de claasurœ, dans la guerre de
Wamba contre le rebelle Paul , et qu on désigne dans
les vieux actes sous celui de clasœ, sont en face Tune
de l'autre , aux deux cotés de la route qui menait au
col de Panissas , et forment aujourd'hui les villages
de la haute et de la basse Cluse ^. Sur un ancien
plan de route des ponts et chaussées, le château de
la basse Cluse est appelé château des Maures, sans
doute par ce préjugé populaire qui fait attribuer dans
le pays aux Arabes ou au diable toutes les construc-
tions dont l'origine n'est pas connue.
* Cesi à MM. de Saint-Malo que nous sommes redevable de Tin-
dication de cette pièce importante.
' Le village de la haute Cluse est à Tendroit même de Tancienne
fortification; celui de la basse Cluse est au bas de la montagne que
domine son château.
I. c
ixxiv INTRODUCTION.
 deux mille toises des Cluses se trouve le iSiim-
mam Pyrenœum, dominé par une colline en pain de
sucre, qui, par cette configuration, offre deux pas-
sages : à droite celui de Panissas , à gauche celui du
Pertus. Entre ces deux défilés s élève le fort de Belle-
garde , qui a remplacé siu* cette hauteur les oi^eii-
leux trophées de Pompée, monument que Vauban fit
démolir pour établir la place d'armes de la fortifica-
tion régulière qu'il construisit à sa place ^ : il consis-
tait en une grande tour carrée. Non loin de là , mais
dans un endroit aujourd'hui tout à fait inconnu , César
fit élever à son tour un monument qu'il décora du
nom plus modeste d'autel.
Nous avons dit qu'aucuns vestiges de grand monu-
ment ne marquent l'emplacement de l'antique ville de
Ruscino; quelques légers fi:*agments de tables de
marbre avec des traces d'inscriptions , des tessons de
poterie fine, quelquefois avec des figures en relief
de très-bon goût et d'un style de la bonne école, ont
été trouvés en différents temps dans l'étendue du ter-
rain que cette ville occupait ; des débris de poterie
grossière couvrent en grande abondance la super-
ficie du castrwn qui remplaça l'ancienne ville dont
le périmètre se trouva par là considérablement ré-
duit , et qui n'était guère que la sixième partie de la
ville actuelle de Perpignan. Il existe à côté d'ime mé-
tairie qui se trouve dans l'enceinte de ce castrant un
^ Voyez ia noie II.
INTRODUCTION. xxxv
reste de réservoir dont les murs sont enduits du ci-
ment rouge ordinaire, et dont le fond est pavé en
petites briques de o"*,o68 de long sur o",o4o de
large et o", et o"*,o 1 8 d'épaisseur, posées de champ
et de manière à former ce que les Romains appelaient
opoi spicatum. Ce genre de très-petites briques était
commun en Roussillon , et se retrouve partout où il
subsiste quelques traces de l'antiquité. Auprès du réser-
voir dont nous parlons , on trouva en 1 8 1 6 im bout de
conduit en plomb dont la tête est garnie d'une plaque
(b même métal, tout hérissée d'aspérités saillantes
de o",oo8 , et remarquables en ce qu'elles ont été
coulées avec la plaque même : leur destination était
d'arrêter le ciment qui devait couvrir cette plaque
autour de Torifice du conduit.
La plaine du coté de Ruscino est sur deux plans ,
dont l'un plus élevé que l'autre de trente à quarante
pieds. Ce ressaut du terrain, qui se fait d'une ma-
nière brusque et qui oflfre comme une sorte de fa-
laise, s'étend depuis Perpignan jusqu'aux environs de
Caoet. C'est au bord du plan supérieur que s'élevait
la vUle gauloise, et, après elle, le castrum qui la
remplaça. De ce castrant il n'existe plus aujourd'hui
que relise, une tour de vigie et quelques fermes
bâties sur une partie de l'emplacement que devait
occuper le château seigneurial auprès de ces deux
monuments. A l'avantage de cette position au bord
d'un escarpement naturel, on avait encore ajouté, à
c.
XXXVI INTRODUCTION.
ce qu'il semble, autour du manoir féodal, un lai^e
fossé qui Tisolait du reste du castram : c est ce que
semble indiquer du moins le mouvement du terrain^
D'autres ravinements qu'on remarque plus loin , au-
tour de la partie de cette plaine la plus abondante en
débris de poterie, indiquent les fossés qui circons-
crivaient le castrum et la ville. Un pan de muraille
tout en pierre , et par conséquent du moyen âge , se
voit à l'orient de la position du château, et un peu
plus en dedans on trouve les vestiges d'une seconde
enceinte construite en pierres et briques qu'on éleva
sans doute après la ruine de la première : l'interca-
lation des briques parmi les pierres remonte au
xni* siècle. L'église très-basse et bâtie extérieurement
en moellons d'appareil, couronnés sous le toit par
une suite de petits arcs dont la convexité est en haut
et saillants de quelques centimètres hors du nu du
mur, porte tous les caractères d'une construction du
IX ou x' siècle. La tour, bâtie de la même manière , est
percée du côté de l'orient d'une fenêtre murée par
dehors, et dont le dessus, en plein cintre, indique
aussi une construction du moyen âge. La porte et les
fenêtres carrées qu'on y voit ont été ouvertes ou ré-
parées depuis à la moderne. Après la ruine de l'an-
tique Ruscino on jugea sans doute indispensable d'é-
lever cette tour de vigie , afin de surveiller la mer et
d'être informé à temps de l'apparition des flottes des
pirates.
INTRODUCTION. xxxvii
L'Oliberis gauloise, qui n'était déjà plus qu un mau-
vais village du temps de Mêla, n*a laissé aucun té-
moin de son antique existence. L'Héléna des enfants
de Constantin , ruinée xme première fois de fond en
comble, en même temps que Ruscino , par les pirates
du nord, et une seconde fois, au xiii* siècle, par Phi-
lippe le Hardi, ne montre plus guère, des temps an-
ciens, que des lambeaux de murailles équivoques,
quelques substructions cachées par des édifices mo-
dernes et un petit nombre de sarcophages chrétiens.
Un firagment d'im de ces sarcophages, incrusté dans
un des murs du cloître de la cathédrale , apparte-
nait , suivant une tradition toute moderne et que rien
ne justifie, au tombeau de l'empereur Gonstans, fils
de Constantin , tué aux environs d'Elne par un émis-
saire de Magnence. Ce fi*agment n'offre que le mo-
nognunme du Christ enfermé dans un cercle comme
on le voit sur la plupart des sarcophages les plus
conmiuns des iv* et v* siècles; le reste de la face de
ce tombeau était orné de ces cannelures ondulées
qu'on appelle strigles. U est à croire que la sépulture
d'un empereur dont le fi:ère régna après lui sur toutes
ces contrées n'aurait pas été aussi mesquine, et il n'est
pas supposable que son corps n'ait pas été emporté à
Rome ou à Byzance. Le silence de Marca, au sujet
de ce tombeau, prouve que de son temps cette tra-
dition n'avait pas encore pris naissance, ou que, si
elle existait déjà , il n'en faisait aucun cas.
xxxviii INTRODUCTION,
Sur le» nombreux établissements thermaux que
possède le Roussillon, deux seulement paraissent
avoir été fréquentés du temps des Romains : ce sont
ceux d'Arles en Vallespir et des Ëscaldas en Cerdagne.
Les bains d'Arles étaient construits sur un plan
très-vaste , autant qu on peut en juger par les restes
antiques qu'on retrouve encore aujourdliui , quoique
cependant il soit bien difficile d*en reconnaître toute
rétendue au nûlieu des bâtisses modernes qui cou-
vrent une grande partie des anciennes substructioDS.
On ignore le nom que portait dans l'antiquité le lieu
où existent ces bains; donnés à l'abbaye d'Arles par
Chaiiemagne en 788, ib ont porté depuis cette
époque le nom de cette ville , qui en est éloignée de
plus de deux mille toises. Quant au nom d'Arles lui-
même, AruléB, mot qui appartient à la basse latinité,
il est di£BciIe de deviner d'où il tire son origine ^.
La seule partie de l'antique établissement thermal
qui se soit bien conservée jusqu'à ce jour consiste
dans la salle où se trouvait le grand bassin commun
ou lavmrum. Cette salle est un parallélogramme
orienté est et ouest, de 2 a ",60 de long, sur 12* de
larçe et i i°*,2o de haut sous la clef de la voûte. Le
long des murs latéraux on voit de chaque côté deux
niches, ayant 2",8o d'ouverture, i'^.So de hauteur
et o",95 de profondeur au centre, séparées par un en-
^ Anda signifiait également un petit vase a contenir du feu et un
petit autel chrétiem. Dtuxmge,
INTRODUCTION.
foDcement carré de même hauteur et de même profon-
deur que les niches , mais plus laides de i o"". Au mur du
fond se trouve une autre niche qui en occupe presque
toute la largeur, et qui a 7", 1 o* d'ouverture , 6" de
iiautéor et i*" de profondeur au centre. Ces niches la-
térales étaient sans doute pour des baigneur» particu-
liers* et dans celle du fond devait être un bassin de
phis grande dimension. Le lavacram, qui était au mi-
lieu de cette salle» converti depuis en cabinets de
baÎD, avait 16'^ de long et S'^^Uy de large; sa pro-
fondeur de a*" prouve qu'il servait en même temps de
fixme^ c est-à-dire quon pouvait s*y livrer à l'exer-
dce de la natation. On descendait jusqu'au fond par
mÈf{ marches r^nant le long des quatre faces et qui
servaient en même temps de siège aiuc baigneurs. Le
fond de ce bassin était pavé en petites briques, de
mêmes forme et grandeiu* que celles dont nous avons
parlé à pt^pos du réservoir de Ruscino.
Cette salle des bains , en Fétat où elle est aujour-
d'hui , a deux entrées rapprochées Tune de l'autre : la
première est percée à T extrémité du mur oriental,
tout près de l'angle qu'il forme avec celui du nord; la
seconde se trouve de l'autre côté de ce même angle,
de telle sorte qu'elles ne sont séparées que par l'en-
coignure : l'une et l'autre nous paraissent postérieures
à la construction du monument. L'entrée antique de-
vait être à travers l'enfoncement carré qui sépare les
niches du coté septentrional, comme aux thermes
XL INTRODUCTION.
de Fréjus, qui ont beaucoup de rapport avec ceux-ci ^
Au midi de la grande salle il y avait jadis une se-
conde salle moins vaste , garnie d'enfoncements carrés
sur les côtés, et où venaient aboutir les tuyaux des
eaux chaudes ; un ancien acte donne à cette pièce le
nom d'estufs, ce qui semble indiquer le sudatoriam.
La voûte n'existe plus , et ime partie de cette salie a
été prise pour la construction du réservoir actuel
des eaux froides. D'autres substructions romaines se
voient partout aux environs , et des médailles impé-
riales y ont été trouvées.
Un aqueduc creusé en partie dans la roche vive ,
sur la pente de la montagne , et dont on voit encore
de grands vestiges, amenait aux bains les eaux de la
petite rivière de Montalba au moyen d'une prise d'eau
faite par un barrage en forte maçonnerie, encore exis-
tant à travers le ravin dans lequel coule cette rivière
ou ruisseau : ce barrage est ce qu'on appelle dans le
pays le saut ttAnnibal.
Les bains des Ëscaldas, situés sur le penchant
d'une des montagnes de la Cerdagne française , étaient
beaucoup plus somptueux que ceux d'Arles , suivant
Marca , qui les a vus encore dans im certain état de
conservation. Ëscaldas est une corruption évidente
du nom d'aquas caKdas qu'ont porté plusieurs établis-
sements thermaux de l'antiquité. Le docteur Carrère,
^ Ces thermes de Fréjus sont gravés dans le supplément de Tanti-
quité expliquée de Montfaucon.
INTRODUCTION. xu
auteur du Voyage pittoresque du Roussilion publié
en 1 787, ouvrage que nous citons souvent parce que
c'est le seul qui nous donne un état statistique de
cette province avant la révolution , mais qui abonde
en erreiu^ , avance que les bains des Escaldas furent
construits sous Auguste pour Tusage de la ville de
livia, que cet empereur avait fondée en llionneur de
livie, sa fenune; mais cet écrivain n'avait pour appui
de ce dernier fait que le nom même de la ville : or ce
nom n'est prononcé Livia que par le son équivoque
des lettres b et v, dans les langues occitanique et ibé-
rienne , et cette ville n'est autre que la Libya de Pto-
lànée, la Jalia Lihyca de Pline, ancienne capitale
des Terretani. Du temps de Carrère les bains des Es-
cddas consistaient en un lavacram de 8°", 7 6^ de long
«or 4" 5o* de large et o"*,97' de profondeiu*, pavé
en larges pierres de taille par-dessus une charpente
qa'on avait découverte en soidevant une de ces dalles.
On descendait dans ce lavacram par trois marches de
marbre blanc qui en faisaient le tour. A la même
époque on voyait encore les restes du sudatoriam.
Rien de tout cela n'existe plus aujoiœd'hui; tout a dis-
paru complètement sous les reconstructions faites en
18a i. Un seul lambeau de pavé, que la dureté du
statmnen a empêché de démolir, est l'unique témoin
<{ui atteste encore qu'il y eut là jadis un établissement
thermal des Romains : ce fragment se trouve dans
f écurie construite sous la maison.
xui INTRODUCTION.
L'établiisement thermal du Vemet ne date guère
que du règne des rois wiâigoths. La salle du grand
bassin a près d'un tiers de plus en hauteur que celle
des bains d*Ârles, mais elle n'a guère plus de longueur
et de largeur. Sa voûte est formée par Tintersection de
deux arcs près de leur centre , ce qui la rend légère-
ment ogive. Le bassin , divisé comme celui d*Âiies en
cabinets particuliers, avait autrefois lo'^ySS de lon-
gueur, i'^ySS de largeur et o'^,6k de profondeur,
proportions bien inférieures à celles du lavacram de
Tanitre éuMissement* Ces bains se trouvèrent com-
pris dans la donation que fit, en i oaSy du village du
Vemet avec ses dépendances, à Tabbaye de Sainl^
Martin du Canigou, le comte de Gerdagne Wifred«
fondateur de cette abbaye* Le dernier abbé^ Gmmet
de Maupui, archidiacre de la cathédrale de Toulouse,
qui fit séculariser cette abbaye en 1787^ vendit à
cens , Tannée suivante , à Pierre Barrère, médecin de
Perpignan, le local des bains « qui se trouvait dans un
état complet de ruines : c'est ce médecin qui le fit ré-
parer, et qui ajouta les maisons d'habitation au moyen
des bois et des matériaux de toute nature que, par
l'acte de vente , il s'était réservé la faculté de prendre
dans les domaines de l'abbaye.
Les monuments du moyen âge sont très*abondants
en Roussillon. Presque tontes les églises des com-
munes les plus anciennes de la province portent le
caractère de cette architecture pesante que des arcs
INTRODUCTION. xuii
I
i plein cintre et une certaine disposition rappelant
de très -loin la construction antique firent désigner
par le titre d'ouvrage romain, opas ronumam, sous Tem*
pire du gothique. Parmi ces édifices il y en a un que
nous citerons : cest i*église du village de Gustojas,
l'antique Custodia. Cette é^ise , dont la consécration ,
rapportée par Baluze à Tan 1 1 ^s , ne peut être que
k seconde, est probablement Tune des plus anciennes,
peut-être même la plus ancienne de tout le Rous-
nUon. Des reccmstructions et des restaurations faites
au xn* siède et qui portent en effet les caractères du
gothique , motivèrent sans doute cette seconde consé-
<ratiofi dont l'acte se trouve dans l'appendice du Marca
hùpaaica. Ces reconstructions ne portèrent que sur la
partie extérieure du monument et sur sa couverture ,
dont ks arcs sont à tiers-pûînt. Quant à h partie in-
firieure de cette ég^dse, la construction en est bien
certainement antérieure à Tinvasion du gothique. Par
leur édit de l'an A56 Vaientinien et Marden ayant rég^é
que les prêtres seraient payés sur les fcmds de l*impot«
des égUses commencèrent à s'élever dans les villages ^
et c'est vers cette époque que nous parait remonter
la construction de celle de Gustojas. Un mesaalùmi en
fu^écède la nef; les colonnes de la porte d'entrée sont
ime réminiscence grossière du corinthien , et le sanc-
' Au commencement du y* siècle les moines n'avaient point encore
(Téglises; ils allaient à la cathédrale, où ils occupaient les premières
piioes poimi les laïques. Godeou , Hisl, eecUf.
xLiv INTRODUCTION.
tuaire ou berna est séparé de la nef par trois arcade^
inégales, appuyées sur des colonnes courtes et épais-
ses , commencement du style barbare qui s'établissait.
Un autre monument du moyen âge dont nous ne
poiœrions nous dispenser de parler existe en Cerdagne,
dans le petit village de Planés. Unique en Europe par
sa forme, ce monument, qu*on ne s'attendrait pas à
trouver au milieu de ces montagnes , repose sur\ un
plan dont le dessin est un triangle équilatéral , du mi-
lieu de chacune des faces duquel est décrit un cerde
dont la circonférence va passer par le centre d'un
quatrième cercle inscrit dans le triangle. Ce qua-
trième cercle , transporté en l'air, donne la circonfé-
rence de la coupole qui couronne le monument pen-
dant qu'un cinquième cercle , toujours du même dia-
mètre , et dont la circonférence passerait paiement
par le centre d'un cercle perpendiculaire à l'axe du
monument et reposant sur le sol , donne la hauteur
de cette même coupole. La solution de ce problème
très -compliqué de géométrie appartient à M.' Stan.
Leveillé, ancien ingénieur en chef des ponts et chaus-
sées de ce département.
Quelques personnes croient que ce joli petit édi-
fice (ut une mosquée ; nous pensons que ce fut plutôt
un tombeau , puisqu'une mosquée aurait été accom-
pagnée d'im minaret et que laforme^de ces édifices
n'est pas si compliquée. La chapelle de Sainte-Croix
qu on voit s élever tout près de l'abbaye de Montma-«
INTRODUCTION. xlv
jour, aux environs d'Arles , en Provence , a beaucoup
d'analogie avec cette construction de Planés ; ce mo-
nument, du commencement du xi* siècle, dont le
plan est une croix grecque formée par quatre cercles
rentrant lun dans Tautre , diffère de celui de la Cer-
dagne , quant à la construction , par un avant-corps
carré au-devant de Tentrée , et par une corniche du
meilleur goût et d*une exécution parfaite; l'édifice de
Planés, au conti*aire, est entièrement nu d'ornements.
Ce monument appartient à l'époque où les Maures
étaient maîtres de la Cerdagne, et notre conviction
est qu'il fut élevé pour la sépulture de Munuza, sou-
verain de ces montagnes, forcé dans Livia en ySa ,
et tué dans sa fuite auprès de Planés. L'entrée de cet
édifice , très-bien conservé grâce à sa transformation
ea ^lise , la seule que possède ce petit village , était
percée autrefois dans le rond-point qui regai'de l'occi-
dent ^ : elle fut murée par dehors il y a un siècle , et
son embrasure intérieure devint une niche dans la-
([uelle on plaça la cuve des fonts baptismaux : une
nouvelle porte fiit ouverte à travers l'une des alettes
de la face méridionale du triangle.
Le monument le plus épais de forme , le plus bar-
bare de construction qui existe en Roussillon, se voit
sur le penchant de la montagne du Canigou du côté
deVemet : c'est l'église de Saint-Martin, qui parait
dater du vu* siècle et à laquelle le comte de Cerdagne
^ Narcisso Caïuos, Jardin de Maria. ,
XLvi INTRODUCTION.
Wifred rattacha en looi un monastère de Tordre
de saint Benoit. Les trois nefs de cette lourde église
ont une longueur égale de ^i'^.i'j ; la largeur est de
3",a4 pour celle du milieu et de a" 69 poiu* celles
des côtés. Ces nefs sont séparées par cinq colonnes
et un pilier de chaque coté. Les colonnes, hautes seu-
lement de l'^tÔQ, très-renflées au milieu , où leur dia-
mètre est de o'',3!i , sont surmontées d*un chapiteau
qui n'est quune pierre carrée s*élargissant un peu en
montant, et aux angles de laquelle la pointe du ciseau
a à peine tracé une raie en volute. Le monastère ,
moins ancien que cette église ^ est aussi un peu
moins barbare. Les colonnes du cloître en étaient
effilées comme toutes celles de la même époque, et
les chapiteaux très-variés dans leurs formes et leurs
ornements. Nous en avons vu un , au-devant d'une
maison du village de Castel (les habitants démoli-
rent ce cloître pour en transporter les colonnes chez
eux lors de la sécularisation du monastère) , où se
trouve représentée une cérémonie religieuse. D*abord
parait le porte-croix entre deux acolytes , puis vient
' La priorité de temps de l'église de Saint-Martin sur la fondation
du monastère, outre qu'elle est incontestablement indiquée par la dif-
férence de constructions de ces deux parties de Tédifice, est encore
prouvée d'une manière irréfragable par les termes de la bidle da pape
Sergiuft pour la confirmation de ce monastère. On y lit : Qaia poitalatH
a nobis, Guijrede dilecte cornes, qvmienus ecclesiam sancti Martini tibi
concederemus ut — in ea monasterium faceres — iWun prœfatam ec
clesiam cum suis pertinenciis tibi concedimus — et cetera.
INTRODUCTION. xlvii
un moine portant ia crosse de labbé , qu*on voit der-
rière une table sur laquelle sont une colombe et un
rameau d'arbre, d'olivier peut-être; Tabbé est entre
demLmoines;le reste de la pierre est occupé par cinq au-
tres moines de tout âge avec la chape sur les épaules.
L'entrée du monastère était à travers le clocher,
qu'on avait élevé à la gauche du chevet de l'église
préexistante dont la façade était tournée du coté des
précipices : sous cette église on en creusa une autre
dans le roc.
Le gothique de ia seconde époque, ou gothique
fleuri , se montre dans une foule d'églises et d'autres
monuments du Roussillon, plus ou moins remar-
quables sous le rapport de l'art. Nous ne citerons que
le doître d'Elue et l'église ruinée de Saint-Michel de
Cuxa. Le premier fut construit au xi*" siècle par Té-
vêque Bérenger IV, qui en fit bâtir l'église sur le
pian de celle du Saint-Sépulcre de Jérusalem , dont il
avait rapporté le dessin, de son pèlerinage à la Terre
sainte. Ce cloître, tout en marbre blanc, se distingue
par sa double colonnade du goût le plus élégant, par la
diversité de ses chapiteaux et la combinaison des ani-
maux bizarres et fantastiques qui les composent, par
la délicatesse du travail dans quelques parties ^ , par la
profusion des nœuds, des entrelacs, des rosons, et
' La grande différence qu on aperçoit dans l'exécution d'une partie
àt cet ornements vient d'une restauration postérieure à Tépoque de la
coQstraction du monument.
xLViii INTRODUCTION.
leur infinie variété. Le cloitre de Saint-Michel paraît
dater de la même époque , et appartient à la même
école que celui d*Ëlne , mais il n'est pas si beau ; quant
à l'église, qui a été démolie au commencement de la
révolution, elle avait dû être rebâtie à une époque
plus rapprochée, à en juger par les embellissements
de son architecture. Après avoir épuisé dans ses orne-
ments, répandus avec tant de prodigalité, tous les
produits du règne v^étal, le gothique fleuri en vint
à employer les figures d'animaux, et l'homme même
dans toutes les attitudes imaginables : c'est ce qu'on
voyait à Saint-Michel de Cuxa. Les pierres les plus
curieuses , sous ce dernier rapport , avaient été enle-
vées depuis longtemps par des nationaux et des étran-
gers , quand le propriétaire de ces ruines , M. Jacomet,
de Prades, eut l'heureuse idée d'en réunir le peu qui
restait encore, dans le mur d'enclos de son domaine,
et de composer la porte de ce même domaine avec
des voussoirs dépareillés , mais chargés d'ornements.
Parmi ces pierres ainsi conservées, nous avons re-
marqué un saltimbanque marchant sur les mains, le
corps renversé en arrière. La porte de la maison ab-
batiale de ce monastère S qui date de la même
époque que le cloitre , est remarquable par la richesse
de sa décoration , composée de figures d'animaux sym-
boliques, et de saints.
* Chaque moine avait une petite maison à part avec &on jardin et
son ménage, le tout était entouré d'un mur d'enceinte commune.
INTRODUCTION. xlix
Le gothique uni au sarrasin se montre dans Té-
difice de la ioge ou bourse de Perpignan. Ce monu-
ment, tout bâti en grosses pierres équarries, est
percé, au rez-de-chaussée, de cinq grandes ouver-
tures, égaies de forme, de largeur et de hauteur,
dont fune servait de porte d'entrée à la vaste salle de
la bourse, et les quatre autres de fenêtres. L'arc
ogive de ces ouvertures est entouré de nervures le
long desquelles serpente extérieurement une tige d'a-
canthe épineuse , dont un groupe de feuUles , réunies
en Êdsceau , forme , au-dessus de la clef, un bouquet
de très-bon goût. Le reste de la façade est uni; au
baut seulement règne une rangée de petites fenêtres
accouplées de deux en deux , ornées de nervures et
de figures de toute espèce , et dont le tiers supérieur
est formé par des pierres découpées à jour. Sur le
coté sont deux autres fenêtres parallélogrammatiques,
ornées coomie les précédentes , et fermées aussi en
partie par des pierres découpées à jour. L'édifice était
terminé à l'orientale, par une balustrade de pierres
déchiquetées en dentelle, dont il ne reste plus qu'un
échantillon.
Après avoir indiqué les principaux monuments ar-
dûtectoniques du Roussillon , dont nous avons voulu
présenter en même temps la chronologie, nous revien-
drons sur nos pas pour faire connaître quelques ves-
tiges isolés de la domination romaine. La nomencla-
ture n'en sera pas longue : aucune fouille régulière n'a
I. ci
t INTRODUCTION
jamais été faite sur le sol des villes anciennes et des
mansions romaines , et pomtant il est à peu près cer-
tain que des recherches dans ces terrains, vierges d'ex-
plorations, auraient des résultats satisfaisants.
Nous ne parlons pas des médailles qu'on trouve
fréquemment sur divers points du Roussillon. La dé-
couverte la plus importante en ce genre lut celle d'un
vase de terre trouvé en 1816, aux environs d'Argelès,
près de la métairie de Pujols, renfermant près d'un
millier de deniers d'argent, tous consulaires ou du
temps de J. César.
Nous avons dit que le col de la Massane était dé-
fendu par un château qui portait le nom de Vulturaria,
que gardait un détachement de la légion décumane de
Narbonne ^ Ces soldats élevèrent en l'honneur de
Gordien III, la seconde année de son règne et pre-
mière de son consulat, par conséquent en 2 89 de
notre ère , un cippe , retrouvé dans le massif de l'au-
tel de l'église de Saint-André de Sorède, avec cette
inscription, dont le commencement, jusqu'au mot
pîo, n'a été connu qu'en 181 4, par la publication
qu'en fit M. le professeur Puiggari, dans l'annuaire
des Pyrénées-Orientales, imp. cas** m. Antonio gor-
DIANO PIO FELICI INVICTO AVG. P. M. TRIBVN. POT. II COS.
P. P. DECVMANI NARBONENS.
Au village de Calla, près de Prades, on a trouvé
^ La tour de in Massane ne date que du règne du premier roî de
Majorque.
INTRODUCTION. li
uu cippe tumulaire portant sur lune de ses &ces un
rameau très-mal sculpté, et sur 1 autre face cette ins"
cription : c. pompeivs qvartds i. a. m. svo ^
Un autre cippe est renfermé dans le massif dé
faute! de Téglise de Labastide, mais on ignore s*il
porte (pielque inscription; enfin un autel rond, en
marbre blanc , de forme élégante , saris inscrip-
ticm,' ceint d'une branche de myrte sur laquelle re-
posent des oiseaux d'un style médiocre , existe dans
la commune de Pezillâ, à une lieue de Perpignan,
et semble indiquer le culte de Vénus dans cette lo-
calité ^
<
^ Ce Gains était quelque affiranchi de Pompée.
SoÎTant M. Puiggari cette pierre provient de Rennes-les-Bains.
' Nous devons mentionner ici les découvertes qui ont été faites en
archéologie depuis que ce travail est terminé, i** Un tombeau signale
pvM. Puiggari et découvert près de Garrius, sur le bord de Tétang de
Leacate, creusé dans le tuf et contenant, un ossuaire de terre cuite en-
tooréd^une quinzaine de fioles de cinq à six pouces de baut^ les unes
cflindriques, les autres carrées, d autres dans la forme de celles dîtes
laaymatoires, toutes renfermant des traces de baumes dessécbés sous
fivme de pellicide légère; plus extérieurement étaient quelques vases
de terre fine, d'un pied de baut sur cinq à six pouces de diamètre,
conteqant une matière terreuse. Tous ces objeU et quelques autces re-
pottdent sur une coucbe de cendres, épaisse d'un demi-[Hed, et maii^
tenue par des tuileaux. Parmi cc^ cendres se trouvaient encore des mor-
ceaux de corail, une agrafe en métal, des anneaux de cuivre à chatons
dont les pierres calcinées s'étaient détacbées , et une bague d'or, ce qui
semblerait indiquer la sépulture d'une femme. 2" Deux inscriptions
sur des pierres placées diâas la bâtisse de l'église de Theza, mais qu'on
sait avoir été tirées de la chapelle de Saint-Julien, près de Villeneuve-
la-Raho. L'une de ces pierres porte les aigles d. m. en tête, et au-des-
d.
ijv INTRODUCTION.
cèlent Tennemi et iui causent de grandes pertes. Leste
et agile comme Tisard de ses montagnes , le miquelet
se faisait autant remarquer par son audace au feu que
par son ardeur au butin.
L'idiome catalan , le même que parient les Rous-
sillonnais , les Valenciens et les Aragonnais , a été l'un
des dialectes les moins altérés de la langue romane,
tant qu'il a pu être langue nationale, et, conmietel,
être uniquement employé dans les actes publics ; mais
après la réunion du RoussiUon à la France , il perdit ,
de ce côté des Pyrénées , une partie de sa pureté par
le mélange de tournures et d'expressions françaises et
languedociennes , et après l'incorporation de la data*
logne à la monarchie espagnole, sous Philippe V, il
s'appauvrit aussi , de l'autre côté des monts , par le
mélange du castillan.
Parier de la langue, c'est être amené à faire men*
tion de ceux qui l'ont cultivée : nous devons nous
borner aux seuls enfants du RoussiUon.
Les lettres furent, dans cette province, après le
moyen âge , ce qu'elles étaient au même temps dans
tout le midi des Gaules. La douceur du climat, si &-
vorable au développement du génie, l'exemple des
poëtes catalans, occitaniens et provençaux, les rap-
ports que le RoussiUon avait conservés avec la Septi'^
manie et qu'il avait établis avec la Provence, gou*-
vemée pendant quelque temps comme lui par les
mêmes princes, la proximité de la cour d'amour de
INTRODUCTION. i.v
Narbonne, ne pouvaient qu exciter, chez le Roussil-
lonnais spirituel , la verve poétique et la plus noble
émulation.
Le plus ancien des troubadours roussillonnais dont
le nom et quelques œuvres aient traversé les siècles
(ut seigneur du village de Cabestany , près de Per-
pignan; son nom, Guillaume, immortalisé par ses
Yers, le fut encore plus par Fhorrible vengeance dont
le troubadour périt victime. Épris des charmes de la
femme de Raymond, seigneur de Castel-Roussillon ,
Guillaume lui adressa ses vœux et ses poésies. Ray-
mond , le jaloux le plus forcené de son siècle , et
Fun des plus puissants barons du Roussillon , signa-
taire, quelques années auparavant, avec douze autres
barons, du traité de paÛL et trêve imposé à ce comté
par Alphonse II , roi d* Aragon , crut mettre son esprit
CD repos en enfermant sa femme dans une tour de son
château. Guillaume composa, k ce sujet, une nouvelle
chanson commençant par ce vers :
Lo dous cossire^ etc.
Ce fut l'arrêt de sa mort. Le iéroce baron l'attira
dans un guetrapens , et lui arracha le cœur, qu il fit
inan^r à sa femme. Montrant ensuite à celle-ci la tête
du troubadour, il lui apprit quelle sorte de mets elle
venait de dévorer et lui demanda si elle lavait trouvé
bon: «Si bon et si savoureux, répondit-elle, que ja-
« mais autre manger ne m en ôtcra le goût ! » A ces mots
m INTRODUCTION.
elle se précipita de la fenêtre de la tour sur le pavé ,
où elle se tua. Le bruit d'un tel for£ût ayant soulevé
d'indignation toute la Catalogne et la Septimanie ,
divers chevaliers prirent les armes pour venger Guil-
laume , et le roi d'Aragon accourut luF-même k Per-
pi^an. Par son ordre les deux victimes furent en-
terrées devant la porte de la vieille église de Saint-
Jean, de cette ville; les biens de Raymond furent
confisqués au profit des parents du troubadour et de
la dame, le baron fut enfermé dans une prison où il
périt, et son manoir de Castel-Roussillon lut rasé.
Telle est la manière dont les biographes les plus an-
ciens des troubadours rendent compte de la catas-
trophe de Guillaume de Cabestaii^ et de ses suites :
iKHis venons de voir qu en eflfet il ne reste jdus rien
du château féodal dans remplacement qu'il devait oc-
cuper, et où, $*il n avait pas été détruit par justice do
prince, des ruines devraient encore subsistera
Les autres troubadours connus pour appartenir
incontestablement au Roussillon sont :
Foruiit de Perp^an . dont Millot cite un tenson
plem de grâce:
Raymond Bistors. qui se répand en plaintes tou-
chantes sur son éloignement de ses chères monli^iies ;
Poiis dXhrtatTa , dont on connait de très-jolis vers;
Rêrenser de Palasols ou de Palaiols*. dont la for-
dkmie m iâtM Pilnniii , Piilk4. tielMe fecitse niar.
INTRODUCTION. lvii
tune ne fut en harmonie ni avec son talent ni avec sa
valeur^.
Le premier roman de chevalerie serait sorti d une
plume rousflionnaise si Ton juge de la patrie du trou-
badour par le nom de Heu qui suit le sien , et si le mot
Roussillon indique le comté plutôt que Time des villes
ses homonymes. Le savant explorateur de la langue
romane n hésite pas à croire que le roman de Gérard
ie BûssiUon appartient au douzième siècle et qu'il pour-
rait être même d'une époque plus ancienne^, a La ru-
desse du stylé, la violation fréquente des règles de la
versification, des fautes nombreuses qu'on ne peut at-
tribuer toujours à l'inexactitude du copiste ou à l'alté-
ration du texte, sont, dit M. Raynouard, des marques
certaines de son antiquité. » L'homonymie a Ëdt sup-
poser à un auteur que le poète était le comte de Rous-
sillon , qui porta ce nom de Gérard ; mais un intervalle
de près de trois siècles sépare Charles Martel de ce
dernier personnage.
Après ce premier âge de la littérature moderne ,
le Roussillon continua à payer son tribut aux lettres ,
et nous comptons , jusqu'au xix* siècle , un grand
nombre d'écrivains qui, à notre connaissance, se
^ Raynouard , Choix des poésies des tronhadours, tom. V.
' «Quand il s^est agi d*un manuscrit de la fin du xiii* siède, conte-
'oant an texte semi-provençal de Girars de Roussillon , M. Fauriel n^a
* pas un instant hésité à croire que les dix mille vers qu'A renferme
•eussent été chantés, et ne fussent hien antérieurs à tous les textes
■ Trançais du ui* siècle, i ( M. Paulin , Paris. )
Lviii INTRODUCTION.
sont exercés dans tous les genres , tels que la philo-
sophie, les sciences ou Térudition^
Pour achever de faire connaître lliabitant du Rous-
sillon, il nous reste à parler de ses mœurs, de ses
usages , de ses habitudes, c'est-à-dire à l'observer dans
sa vie privée avant de le suivre dans sa vie publique.
Pour cela, avant de dire ce qu*il est aujourd'hui, il
nous faut examiner ce qu'il fut autrefois, et remonter
le plus haut possible dans l'histoire de ses mœurs,
afin de bien apprécier les changements que le temps
a apportés dans sa manière d'être. Ces recherches,
auxquelles nous donnerons seulement l'extension que
comporte un ouvrage comme celui-ci , qui n'est pas
une statistique spéciale, embrasseront, autant que
possible, toutes les classes de la population.
S m.
9
Etat des mœurs jusqu au xvi* siècle.
L'histoire de Roussillon est, dans l'histoire géné-
rale des peuples, l'une de celles qui offirent le plus de
calamités. Battu par mille tempêtes sous les diffé-
rentes dominations auxquelles il a été soumis ; dévasté
par des guerres continuelles, toujours accompagnées
de meurtres et d'incendies, le Roussillon a été saccagé
tour à tour par les Romains, les Goths, les Sarrasins,
* Voyez la note IV.
INTRODUCTION. lix
les Normands, les Âragonnais et les Français ; ses ha-
bitants, avant d'être Français, n'avaient jamais vu un
siècle s'écouler sans que quelque nouveau désastre ne
vint (aire coider leurs larmes et leur sang. Une pa-
reille situation dervait nécessairement influer sur les
habitudes de la vie , et donner aux mœurs une teinte
de saupvagerie qui dura non-seulement pendant/le
moyen âge , mais encore pendant ime partie des cinq
siècles qui le suivirent; siècles qui fondent la transi-
tion entre cette période d'ignorance et de barbarie qui
accompagna la dislocation de l'empire romain, et les
temps où, grâce aux découvertes qui signalèrent les
quinzième et seizième siècles, une nouvelle civilisa-
tion commença à se répandre sur l'Europe.
Chez tous les peujdes de l'antiquité et du nloyen
âge, la captivité des vaincus étant de droit légitime»
cet usage avait partagé les nations subjuguées en deux
classes à jamais séparées : les vainqueurs , gens libres,
militaires ou nobles, qualités alors synonymes; les
vaincus , gens désarmés, réduits è la servitude, n'ayant
plus aucun intérêt k défendre le pays quand ils en
auraient conservé la possibilité , et favorisant forcé-
ment, par leur annulation, toutes nouvelles invasions
étrangères. Les Romains s'étaient réservé seuls le
droit de défendre les Gaules : inférieurs aux Goths ,
ils durent subir leur loi. Vainqueurs avant les Goths ,
les Romains s'étaient partagé la population indigène;
vaincus à leur tour, ils durent en 24)andonner la plus
Lx INTRODUCTION.
grande partie aux Goths , qui se réservèrent aussi uni-
quement le droit des armes.
Le Roussillon, traversé à tout instant par des
hordes barbares que T excès de la population , la ru-^
desse du climat, im certain besoin de déplacement
poussaient alors du Nord au Midi , et qui, après avoir
ravagé la Gaule, où les Gaulois n'avaient plus la fa-
culté de leiu* opposer de la résistance , se ruaient sur
l'Espagne où les attiraient im soleil inconnu à leurs
âpres contrées et des richesses que s'exagérait leur ima-
gination; le Roussillon , théâtre constant de la guerre
entre ceux qui défendaient les barrières des Pyré-
nées et ceux qui s'efforçaient de les franchir, ne pou-
vait que partager l'état de barbarie dans lequel ces
peuples envahissants plongeaient tous ceux qu^ils sub-
juguaient. Les dispositions arrêtées au concile de
Touloujes, par les seigneurs de la Septimanie et de
la marche d'Espagne réunis aux prélats que présidait
l'archevêque de Narbonne , les constitutions de paix
et trêve imposées aux seigneurs féodaux du Roussillon,
un siècle et demi plus tard , par le roi d'Aragon, pour
garantir le respect aux églises, la sécurité aux fa-
milles , la sûreté aux voyageurs , la protection à
l'agriculture, font connaître l'excès de misère au-
quel ces ftmestes passages avaient réduit les peuples
de ces contrées. Cet excès de misère était, du reste,
du plus au moins, le partage de toutes les contrées de
l'Europe que ces hordes du Nord avaient empestées
INTRODUCTION. lxi
de leur haleine. La tragique aventure du troubadour
Guillaume de Gabestaing nous donne une idée de la
fi&rocité des mœurs de quelques grands seigneurs de
cette époque; le testament du dernier comte de Rous^
sillon nous apprend et les maux que produisaient les
guerres privées, et la moralité des personnages les plus
éminents ^; ses exécuteurs testamentaires sont chargés
de faire à ceux qu*il a dépouillés ou volés les restitu-
tions convenables : c'est à ce titre qu'il lègue diffé-
rentes sommes aux habitants de Pollestres, de Candell,
de Banyuls, de Villamolaca, de Canamals, de Mau-
rellas, de Selon, de Peirestortes, de Masnou, de Ro-
gis, et au chapitre de Sainte-Marie del Camp; il res-
titue cent quarante sous à im Perpignanais qui a été
Yolé , et fait vêtir neuf cents pauvres , en restitution
de la part qu'il a eue dans le vol fait par un certain
Pons de Navaga : pro parte kUrocimi qaam ego habni.
Rien n'était respecté à cette époque, les maisons
rdigieuses pas plus que celles des particuliers; aussi
trouvons-nous des actes par lesquels certains sei-
gneurs, en mourant, mettent leurs veuves et leurs
enfants sous la protection d'autres seigneurs en état
de les défendre ^ et d'autres, par lesquels des familles
^ Le tome IX des mémoires de la société royale des antiquaires de
Fnmce contieiit un extrait du cartulaire de Tabbaye de Saint-Père , à
Chartres, qm est intéressant à consulter sous le rapport de la frénésie
de rapine /erocitotif impetus mUitaris, qui portait les seigneurs à ces
actes de brigandage. (Voyez lextrait n** 6 de ce cartulaire.)
' Voyes aux preuves n** I.
Lxii INTRODUCTION,
puissantes couvrent de leur égide certains établisse-
ments religieux , qui leur promettent quelques rede-
vances ^ Une note curieuse de i'abbaye de Saint-Mar-
tin du Ganigou fait voir à quelle espèce de brigan-
dage se livraient certains seigneurs envers ces mai-
sons : les griefs énumérés dans cette note témoignent
uniquement du désir de nuire ^. L auteur de ces vio-
lences était im très-riche seigneur, nommé Pons du
Vernet, poursuivi plus tard par l'inquisition conune
adhérant à Thérésie des Albigeois. Nous ne saurions
dire si la cause de Fanimosité de Pons contre le mo-
nastère venait de quelques prétentions sur le lieu du
Vernet de Gonflent, qui faisait partie des domaines
que le comte Wifred avait donnés à celte mabon; ce
qu*il y a de certain, c'est que vers l'époque où Pons
exerçait ces hostilités contre les biens du monastère ,
l'abbé^ avait affranchi en masse tous les serfs de ce
village du Vernet, qu'il avait constitué en commune
en 1 2 4^ '•
La démoralisation était à son comble dans ces
siècles de barbarie, et l'avarice la rendait encore
plus hideuse. Tout, en effet, était alors trafic; la reli-
gion, rhonneur, la justice, la pudeur étaient dans le
commerce, et chaque classe avait son négoce parti-
' Voyez aux preuves n" II. — * Voyez aux preuves \\^ III.
' Cette pièce est une de celles qui ont disparu des archives de la
préfecture des Pyrénées-Orientales depuis 1822 où nous l'avions vue.
Nous insérons aux preuves, sous le n* ÏV, un autre acte d'afiranchis-
sement.
INTRODUCTION. lxiii
cuJier, en Roussillon comme partout. Les grands
seigneurs trafiquaient des prélatures et des abbayes,
les moindres seigneurs vendaient les bénéfices ecclé-
siastiques, s'érigeaient eux-mêmes en abbés laïques
et disposaient des dîmes, des donations et même des
sépultures ; les évêques et les abbés trafiquaient des
biens de leurs églises, dont ils enrichissaient leurs pa-
rents et leurs amis ; les prêtres trafiquaient des sacre-
ments, et se faisaient une part dans les successions; le
peuple trafiquait de sa liberté ^, de la vertu de sa fUle ,
de rhonneur de sa couche, et ces ignominies étaient
consacrées par des titres notariés. Dans im acte pu-
blic de cette espèce, une nommée Ermessende, de
Perpignan, abandonne à son époux outragé une partie
de sa dot et de son trousseau, et, par la plus crimi-
nelle des prévoyances , elle s'oblige à perdre la tota-
lité de cette dot, si elle est surprise de nouveau dans
cet état de tm-pitude ^. Il n'était pas toujours néces-
saire qu'un commerce criminel fût prouvé pour que
l'avarice en tirât parti; sur une simple rumeur pu-
blique, un père ou un époux extorquait à celui que
ce bruit désignait comme le séducteur de sa femme
ou de sa fille une somme quelconque d'argent. Une
composition de cette nature, dont nous donnons le
' Preuves n* V.
' Qnod si ego , de ipsa infaniia unde prius reperta fueram amplius
probata fuero, nichil deinceps in ipso exoar (pro axovar) habeam vel
reqairam, sed omnino perdam. Cette pièce est du mois d'août 1175.
Arch. eccîes.
wiv INTRODUCTION.
texte \ est fondée sur un simple oui-dire : ut Jicitar.
Et comment des abus n auraient-ils pas eu lieu ? A
cette époque, la loi accordait toute espèce de con-
fiance à un paysan qui possédait ime métairie et une
paire de bœufs , jusqu'à concurrence d*ime somme
pénale de sept sous d'argent ^.
L*avarice avait introduit Tautorité de ces honteuses
transactions, la loi créa un tarif au moyen duquel
tous les crimes et tous les délits pouvaient se ra-
cheter : en voici quelques articles que nous tirons des
constitutions de Catalogne, reçues en Roussillon pour
tout ce qui n'était pas prévu par ses propres usages.
Pour une simple meurtrissure 2 sous.
Blessure avec effusion de sang 5
Un os cassé 5o
Un sou£3et 5
G)up de poing, de pied ou de pierre 10
Et s*il y avait effusion de sang 20
Cheveux tirés avec une main 5
avec deux mains 10
Jeter quelqu*un par terre 1 5
Le tirer par la barbe 20
Le renverser de son cheval 4o
Le renverser en le poussant 3
Gracher au visage qo
Voilà pour les délits correctionnels, voici pour les
crimes. La mutilation des différentes parties du corps
faisait alors partie du code pénal. La perte d'un
* Preuves n" VI. — * Constitutions de Catalogne.
INTRODUCTION. lxv
membre ou d*un œil pouvait se racheter pour cent
sous. Lia peine de mort, pour homicide de simple
particulier, se convertissait en une amende de trois
cents sous; si le meurtre avait été commis sur un
moine, le prix était de quatre cents sous; il s'élevait
à six cents pour un prêtre, et à neuf cents pour un
érèque. De même, on composait à cinq sous la peine
encourue pour la coupe dun olivier, à trois sous,
celie d*un hêtre; à deux, celle d'un chêne, et ainsi de
suite pour les autres délits forestiers. La conséquence
de tout cela est que l'homme riche pouvait com-
mettre impunément toutes sortes de crimes.
L'extrême désordre des mœurs, au xiii* siècle , avait
forcé les gouvernements à établir, dans les villes po-
puleuses, des maisons dans lesquelles étaient relé-
guées les personnes du sexe qui, secouant toute pu-
deur et se vouant à l'infamie, étaient d'un exemple
trop dangereux pour l'innocence. L'inunense amélio-
ration survenue dans les mœurs, depuis moins de
trois siècles, et la trop juste susceptibilité de nos
oreilles, rendent extrêmement difiicile aujourd'hui
la tâche de l'historien qui doit aborder cette matière
délicate; et cependant, dans l'histoire des mœurs,
qui est réellement celle des peuples , comment éviter
ce passage scabreux? Glissons donc le plus rapide-
ment et le plus légèrement possible sur ce terrain
£u)geux.
Perpignan posséda de très-bonne heure im de ces
1. e
Lxvi INTRODUCTION.
honteux repaires où le vice était confiné , dans Tinté-
rét de la morale publique et de la sécurité conjugale :
c'était un premier pas vers le retour aux bonnes
mœurs. Le premier règlement sur cette sale matière
remonte à Tan i3i& : le a 8 mars de cette année,
Sanche, roi de Majorque, ordonne à tous les agents
de ces turpitudes de sortir de la ville dans la semaine,
sous peine d*être fouettés dans toutes les rues, et d'a-
voir les oreilles coupées. Pèdre IV rendit des ordon-
nances, tant pour la tenue des mauvais lieux, que
pour obliger toutes les fenmies de mauvaise vie à
n'en pas sortir. Eji vertu de son édit de i363, toute
femme de ce genre qui habiterait ime rue où se
trouvent des femmes honnêtes doit en être enlevée,
quand même la maison qu'elle occuperait lui appar-
tiendrait; en 187 5 il défendit à toute femme pu-
blique de faire obligation de son corps à qui que ce
fût pour argent, pour nippes ou pour tout aiftre
objet, sous peine de dix roubles; il défend pareille-
ment à tout homme de prendre pour amie une fenmie
du lapanar, sur le principe que nul ne peut s'approprier
la chose commune ^ Nul ne pouvait entrer dans ces en-
droits avec des armes, la dague seule lui était per-
mise. L'auteur d'ime histoire manuscrite de T^lise
de Saint -Jean de Perpignan met au nombre des
actions de vigueur de l'évêque Bérenger d'avoir, en
\i2li, «corrigé l'insolence des officiers royaux de
* Archives du domaine.
INTRODUCTION. lxvii
«Perpignan, qui se permettaient de capturer et de
cSiire composer les prêtres trouvés dans les maisons
«déshonnêtes ^. »
Une ordonnance des consuls de Perpignan défen-
dait à toute personne d'avoir, dans sa maison ou au
dehors, aucune concubine. La peine encourue par le
contrevenant pouvait être composée , à moins que le
délinquant ne fût un ecclésiastique, cas auquel la
composition était défendue : tout religieux ou clerc
convaincu d'avoir une femme de cette espèce devait
sabir la peine du fouet, ce quon appelait courir la
ville ^; fl leur était aussi expressément défendu d'a-
voir des esclaves du sexe féminin.
Un motif de décence publique avait porté le roi
don Sanche à ordonner que les personnes surprises
en addtëre ne fussent plus , suivant lusage , prome-
nées dans la ville dans un état de nudité complète ,
mais que Thomme portât un caleçon et la femme un
tablier; la même raison l'engagea, peu de temps
après, à alx^ toute peine contre ce crime, dans
Perpignan : ainsi pour éviter le scandale de la puni-
tion ce prince autorisait l'adultère , en assurant son
impunité ^. a Ce honteux privilège , dit Bosch, ne fîit
^ Cofma, Mot de la insigne coU, de S. Jaan de Perp.
Voyez sur la même matière les constitutions de Ferdinand II dans
^ Code des constitutions de Catalogne.
* Liber ordiiuU. in arck, commun,
' Considérantes plora scandala et mala qus inde bactenus conti-
SCiiot in damnnm et vitaperium — damus et concedimus— ita ut
e.
LxvHi INTRODUCTION.
«jamais révoqué, mais on n'en faisait aucun usage,
« comme étant contraire à la religion et à la morale
« publique ^. »
Les Roussiilonnais aimaient passionnément les
jeux de hasard; partout on trouve des ordonnances
sévères pour les prohiber, et la fréquente réitération
de ces défenses atteste la grande difficulté qu'il y
avait à les faire exécuter. Dès 1282 on trouve une
ordonnance des consuls de Perpignan qui défend de
prêter de l'argent au jeu, sous peine au prêteur de
perdre sa créance, quel que soit lemprunteur, juif ou
chrétien. En 1284 Jayme I*, roi de Majorque, pro-
hibe toute espèce de jeu de dés, tant dans l'intérieur
qu'à l'extérieur de cette ville , sous peine de dix livres
d'amende contre le jouem* et contre celui qui tien-
drait le tripot ; le condamné qui n'aurait pas de quoi
payer cette amende devra recevoir un coup de fouet
pour chaque sou dont il sera insolvable. Un règle-
ment du bailli de la même ville, de juin iSoa,
porte que nul ne pourra jouer sa chasse ou ses fro-
mages ^ sous peine de cinq sous d'amende ^. La charge
de collecteur des amendes prononcées en matière de
jeu devient, en i386, l'indemnité d'un sous-viguier
de Roussillon, grièvement blessé dans l'exercice de
nollus habitator masculus aut femina possit aut debeat capi infira dic-
tamvillam, propier ^duiterium — nec pœna aliqua condemnarî, nec
compelli ad compositionem aliquam , etc. Lib. virid. minor.
* TitoU de honor de Catal. — * Arch. com. liber ordin.
INTRODUCTION. lxix
ses fonctions, et, pour mieux stimuler son zèle,
Pèdre IV lui abandonne la moitié des amendes per-
çues. Le dispositif d'un édit d'Alphonse V atteste en-
core la (ureur avec laquelle on se livrait aux jeux de
hasard, malgré toutes ces défenses. Pour la décharge
de sa conscience, dit ce prince, et pour faire cesser
les innombrables indécences , dommages, scandales,
jurements et blasphèmes qui se commettent dans les
tipots de Perpignan , il défend d'en soufiîjir aucun
soit public soit caché. Cette défense, renouvelée en
liiy, ne fiit pas mieux observée. Pendant l'absence
d'Alphonse, la reine Marie en recommanda à son
tour la sévère exécution, et elle alla même jusqu'à
frapper de l'énorme peine de trois mille florins d'or les
officiers royaux qui toléreraient dans Perpignan des
teoeurs de tripots et des pourvoyeurs de mauvais lieux :
l'énonnité de cette amende peut faireapprécièr la ré-
sistance que rencontrait en Roussillon l'exécution des
«aiutaîres mesures de l'autorité royale, résistance qu'en-
^tenaient sans doute les honteux profits que retiraient
de leur tolérance ceux qui étaient chargés de l'adminis-
tration. Nous devons, avant d'aller plus loin, expli-
<per la cause de cette résistance que npus verrons
opposée souvent aux dispositions prescrites pair l'au-
^rité régulatrice dans le courant de cette histoire.
Dépendant des états d'Aragon , mais séparé du
ï^ste du royaume par les Pyrénées qui l'isolaient en
<iuelque sorte au milieu d'une terre étrangère, le
Lxx INTRODUCTION.
Roussillon se regardait plutôt comme une espèce de
république placée sous la protection de cette cou-
ronne que comme une de ses parties. R^ par ses
coutumes particulières, se défendant par ses propres
moyens, sans qu*il îùi permis au prince d*y introduire
mi soldat étranger au sol de la Catalogne, hors le
cas de guerre agressive , toute son existence se con-
centrait en lui-même. La difficulté des conununica-
tions d*une province à Tautre , par l'interposition des
montagnes, à une époique où les routes étaient hé-
rissées d'obstacles et de mauvais pas, et où il n'eids-
tait aucun de ces établissements qui de nos jours
ont tant rapproché les distances , le peu de relations
que le Roussillon conservait avec le gouvernement
quand la paix régnait sur ses frontières , contribuaient
«ficore à maintenir et à fortifier cet esprit d'indépen-
dance locale. Le gouverneur, le bailli royal, les con-
suls avaient chacun leurs messagers qu'ils envoyai^it
à Barcelone quand il y avait quelque affaire è sou-
mettre aux corts ou à la décision du roi, mais hors
de ces circonstances il n'y avait à peu près aucun
rapport entre les autorités locales et le centre du gou-
vernement; aussi le gouverneur des deux comtés de
Roussillon et de Gerdagne, ainsi que chacun des c^-
ficiers chçii^és de r^ir une partie quelconque de l'ad-
ministration, pourvu qu'ils ne sortissent pas de la
ligne tracée par les constitutions , s'incpiétaient peu
de ce qui se passait en dehors de leur juridiction , et
INTRODUCTION. uuw
Q*obéissaienl guère aux ordres émanés du roi qu'au-
tant que la chose leur convenait ou qu'ils ne pou-
vaient plus s* en dispenser. De là un relâchement gé-
nérai dans toutes les parties du service public, une
léthargique apathie à adopter les nouvelles mesures
prescrites par l'autorité suprême; de là aussi cette
force d'inertie opposée constamment à tout ce qui
pouvait gêner des habitudes vicieuses ou contrarier
ies intérêts privés.
Le désordre dans Perpignan ne s'arrêtait pas à cette
passioD irréfirénable des jeux de hasard. Des gens
sans aveu séduisaient les jeunes filles des familles
opulentes, les épousaient secrètement et s'emparaient
ainsi de leur fortune malgré leurs parents. Cet ahus
des mariages dandestins était parvenu à un tel point ,
sur la fin du r^ne du premier roi de Majorque, que
le 29 septembre 1 3o6 ce prince dut prendre des me-
sures pour l'arrêter. «Lfiformé, dit -il dans son édit,
«que des gens osent prendre les demoiselles [domi-
uceïlas) à l'insu de leurs parents ou tuteurs, et vou-
«lant empêcher ce genre de séduction, j'ordonne
éL que toute demoiselle âgée de moins de vingt-cinq
«ans qui se sera mariée sans l'exprès consentement
« de ses parents ou tuteurs , sera , par le fait même ,
« déshéritée de toute part à leur succession. Celui qui
« Taura épousée sera exilé à perpétuité, ainsi que tous
« ceux qui auront facilité ces unions clandestines ^. »
* Arck. com. Ubro v'uridi min.
Lxxii INTRODUCTION.
La rigueur de cette ordonnance suspendit pour quel-
que temps le désordre, mais il reparut aux dernières
années de Texistence du royaume de Majorque, époque
à laquelle le choc des partis et les convtdsions poli-
tiques précipitaient toutes choses dans une complète
désorganisation. Après la réunion de ce royaume à
celui d'Aragon , Pèdre IV remit en vigueur Tédit de
Jayme , et il ajouta encore à la sévérité des premières
dispositions. Dans sa nouvelle ordonnance, du 28 fé-
vrier 1369, il déclare qu'il a eu connaissance que
«par suggestions, par fraudes et même par violence,
c( on force les jeunes demoiselles à se marier à Tinsu
«de leurs parents ou de leurs tuteurs, et que des
« haines et des dissensions deviennent la suite de ces
«unions illicites; en conséquence, sur les plaintes
« portées par les consuls et les notables de la ville de
«Perpignan, il défend ces sortes de mariages sous
«peine de bannissement pour ceux qui en contracte-
« raient. Dans ce cas aucune partie des biens patri-
« moniaux ne pourra être donnée par la fille à son
« mari , par forme de dot , en se mariant , ni par tes-
« tament à sa mort. Que si le séducteur est un donoies-
« tique il sera pendu après que sa condition aura
«été constatée par les consuls ^ »
Le luxe était la passion des Perpignanaises comme
le jeu était celle de Tautre sexe. Ce texte constant des
déclamations des moralistes , qui crée tant de besoins
^ Arch. com, libro viridi min.
INTRODUCTION. lxwii
bcûcés, mais qui stimule les arts, favorise le com-
merce, ouvre des ressources nombreuses à Tindus-
trie, et n*estim vice réel dans un état qu'autant qu'il
provoque la sortie de capitaux que ne remplacent
pas des échanges utiles , le luxe éveilla souvent la
soliidtude des rois de Majorque et des magistrats de
laviOe. La première loi somptuaire que nous trou-
vions dans les archives de Perpignan est du 1 9 sep-
tembre 1 3 o 6 . Le même j our qu* il prononçait des peines
sévères contre les mariages clandestins , Jayme I"" fai-
sait défeiise à toute fenmie ou fille de porter à l'a-
venir sur ses vêtements de l'or, de l'argent, des
perles ou des pierres précieuses; à elles permis seu-
lement d'attacher leurs robes et corsages avec des
agrafes en aigent ou en vermefl, uni ou relevé en
bosse, et de mettre sifr leur tête trois paires ou quatre
et demi au plus de longues épingles appelées mem"
iretsie vermeil, dont le prix ne devra pas excéder
vingt sous ^ Elles pourront porter aussi des chemises
brodées et garnies de soie ; les demoiselles auront de
plus la permission de border leur robe de certaine
passenaenterie que l'ordonnance appelle /r<?5 de lis ou
d*une frange double.
«Défense à toute femme de porter sur son man-
teau ni bulles d'or ou d'argent , ni caixets , ni chaîne
dor ou d'argent, ni émaux pesant plus de douze onces;
elles peuvent les attacher avec des agrafes d'argent
* On peut évaluer à 66 cent. 1/8, le sou de ceUe époque.
txxiv INTRODUCTION.
ou de venneil, uni ou travaQlé, mais sans perles ni
pierreries ni émaux , et leur valeur ne pourra excéder
celle qu'auraient ces mêmes agrafes, si elles étaient
simplement en argent. Les chaînes ne pourront avoir
plus de trois cannes de longueur; elles seront d'ar-
gent, hors les boutons, les agrafes et les £nrmoirs
qui pourront être dorés.
«Toute femme pourra porter la scaxma (sorte de
fichu), d'un tissu de soie et or ou argent, mais sans
perles ni pierreries et sans aucun autre ornement d'cH*
ou d'argent ; elles ne porteront ni perles ni colliers
d'aucune manière.
«Aucune cape ni mante ne pourra être ornée
d'or, d'argent, de perles, de pierres précieuses; on
laisse pourtant la faculté de garnir d'argent ou de ver-
meil la coupe de devant, le chdperon et les ailettes,
pourvu que ces ornements ne montent pas au ddUi
du prix de trente sous pour les manteaux ronds et de
cinquante pour les capes.
«n est permis de mettre au peylat (pelisse peut-
être ) , à la cotte , aux fiotxes et robes longues ou
autres semblables, des boutons, des grains ou pe-
dretes ou tout ce qu'on voudra , à condition que la va-
leur n'en dépassera pas vingt sous. Â l'endroit des
boutonnières on pourra mettre une garniture pareille
i celle du collet.
a Défense de porter aucun vêtement de drap d'or,
dallent, de soie ou de velours, mais seulement do
INTRODUCTION. lu?
drap de laine , par lequel nous entendons camelot, de
teHe couleur qu'on voudra. Le drap ne sera percé »
taflladé ni barré ; on pourra le border de ruban ou de
corde» de soie. Dans la présente capitulation ne s<mt
pas comprises les femmes de mauvaise vie.
«Permis aux demoiselles de se parer de colliers,
de perles ou de ce qu'dles voudront, de la valeur de
vingt sous au plus; défense aux femmes mariées d'en
porter.
« II est pareillement défendu de se vêtir de drap de
Pranoe ou d'autre lieu du prix de fins de cinquante
sons la canne. »
Dne partie de cette ordonnance, commune au
RoassiUon et à la Cerdagne, fut renouvelée spédale-
moit pour Perpignan, le la mars 1/109, P^ ^^ ^^^
Martin. Ce prince, informé que quelques peroonnes
de fun et de l'autre sexe portent des robes traînanteSt
oanfteoses, pompeuses et trop magnifiques ^ ce qui leur est
w occasion de pécher et les jette dans des dépenses excès-
^f défend qu'à l'avenir aucune robe descende plus
bas que les talons sous peine de dix sous d amende,
sans rémission , par chaque jour de contravention : la
même peine sera encourue par le tailleur qui aura fait
cette robe contraire à Tordonnance.
Le bailli de Perpignan fit publier, le 7 avril 1 4 1 9 »
un nouveau règlement somptuaire aussi sévère au
fond que l'édit de Jayme I*, mais contenant quelques
modifications que le temps et les goûts avaient rendues
Lxxvi INTRODUCTION,
nécessaires. L*or, l'argent , les pierreries, les émaux,
çt, de plus, Fambre, dont ne parle pas Jayme, con-
tinuent à être .prohibés sur les vêtements sous peine
d une amende de dix livres et de la perte des matières
précieuses; sont seuls exceptés les anneaux et les ba-
gues pour les femmes, les chaînes et les fermoirs de
vermeil pour les hommes, qui pourront s*en parer et
en orner leurs armes, leurs courroies ^ . et ceintures ,
les cordons de selle , les freins des chevaux et leurs
éperons. Les femmes pourront aussi enrichir d'orne-
ments en argent ou en vermeil les rubans et cordons
de leurs chapeaux , les courroies et harnais de leurs
palefrois ; mais les broderies en or ou en ai^nt leur
sont sévèrement interdites ; les hommes seuls peuvent
en orner leurs colliers, chaînes, fermoirs, courroies
et ceintures, dagues, poignards, couteaux et garni-
tures d*épées. Les vêtements de draps d'or ou d'ar-
gent et de soie cramoisie sont défendus aux deux
sexes, mais la prohibition ne s'étend pas aux soubre-
vestes et aux cuirasses , qu'on poiura faire aussi riches
qu'on voudra. Permis aux femmes de porter la man-
tille ou manteau navarrois^ en drap de soie, pourvu
qu'il ne soit pas broché d'or ou d' aident, et que la
cotdeur n'en soit pas cramoisie. Huit jours après la
^ Ces courroies 5c portaient en ceinture et se serraient avec une
boucle.
' Cest le capulct nommé capuche en Roussillon et dont la mode s^esi
maintenue jusqu'à nos jours parmi le peuple de la campagne.
INTRODUCTION. Lxxvii
publication de Tordonnance aucune femme ne pourra
se montrer avec des fourrures d'hermine ou de toute
autre pelleterie précieuse; celle d*agneau est seule
permise. Les fourrures précieuses ne seront placées
ni autour de la robe ni autour des souliers; on pourra
continuer cependant à border les vêtements de bandes
de renard de Bretagne, d*écureuil ou de petit-gris,
pourvu que la lai*geiu* de ces bandes n excède pas
deux empans. La queue des robes ne pourra pas
traîner de plus de trois empans à partir de terre. Au-
cune ouverture de manche ne pourra avoir plus de
dix empans de circonférence ou de cinq au redoublé
sous peine de dix livres d'amende. Les chemises de
soie, les parures de corail de plus de cinquante flo-
rins d'or d'Aragon sont défendues; nul manufacturier
ne pourra vendre des tissus de plus de quatre à cinq
florins d'or la canne.
S IV.
Mœurs et usages jusqu'au temps présent.
Trois grandes époques de la vie de l'homme sont
accompagnées de cérémonies dans lesquelles se ma-
nifestent particulièrement les usages spéciaux et les
habitudes de localité : ce sont celles de son entrée
dans le monde , de son imion avec une compagne , de
sa disparition du milieu des vivants. Nous allons con-
signer ici quelques-uns de ces usages qui tiennent aux
mœurs locales, et qui, tendant à s'effacer de jour en
Lxxviii INTRODUCTION,
jour, finiront par se perdre entièrement. Nous parler
rons aussi bien de ceux qui n'eidstent déjà plus que
de ceux qui ont éprouvé des modifications telles qu'ils
ne ressemblent plus à ceux dont ils tirent leur ori»
gine, et leur consacrant ainsi aux uns et aux autres
une place dans cette histoire , nous tâcherons d'arra-
cher leur souvenir à Tentier oubli dont il est menacé.
NAISSANCES.
U ne paraît pas que les naissances aient jamais
donné lieu , en Roussillon , à aucune cérémonie parti*
culière ou à quelque divertissement dont les circons-
tances puissent exciter l'intérêt ou la curiosité de l'ob-
servateur. Gomme dans presque tout le midi la rentrée
du nouveau-né sous le toit paternel , après son bapr
tême, est suivie d'une lai^esse au peuple k laquelle
on donne ici le nom de rallea ^ Ce raUea consiste à
jeter par les fenêtres divers fruits secs , quelques poi-
gnées de dragées , et des feuilles de ces oublies blan-
ches, fades et insipides, dont on fait les pains à ca-
cheter. Les rivalités des en&nts et des individus de
tout sexe , qui se disputent ces friandises avec toute
la grossièreté de la lie du peuple, sont im spectacle
pour les invités et pour les voisins. Dans les anciennes
ordonnances et règlements locaux, nous ne trouvons
rien qui se rapporte aux circonstances des baptêmes,
^ Prononcez rmilUim,
INTRODUCTION. lmw
si ce n*est un artide du règlement somptuaire du
7 avril 1 & 1 9 qui défend aux parrains et marraines
de donner à leurs filleuls ou filleules , soit au bap-
tême, soit à la confirmation , la valeur- de plus d'un
Bonn d*or.
MARIAGES.
La demande de la main d'ime fille se faisait autre-
fois, dans les Gaules , avec une solennité dont il reste
quelques traces dans les usages particuliers de di-
verses localités sur toute l'étendue de la France , et
principalement dans les pays de montagnes où les
^es, une fois établis, sont difficiles à déraciner.
Une des circonstances de cette solennité se retrouve
dans les Vosges et dans le Capcir : c est celle qui con-
liste à bire passer successivement devant celui qui
veut se marier un certain nombre de jeunes filles
avant d'en venir à celle qu'il veut épouser : voici
comment se fait cette cérémonie. Quand tous les ar-
rangements entre les deux familles sont terminés , les
parents et les invités de la part du garçon se rendent
avec lui au logis de la fille , dont le père feint une
grande surprise à la vue de cette visite. On lui en
expose le motif, et on lui demande solennellement
la main de sa fille. Le père conduit alors toutes ces
personnes i la porte de la chanibre de la jeune vierge
qui s'y est enfermée avec ses sœurs et plusieurs de ses
compagnes. On frappe ; la porte s'ouvre et l'on voit
VKxx INTRODUCTION,
sortir successivement toutes les jeunes (îHes. Devant
chacune d'elles le père demande à celui qui doit être
son gendre si c'est là celle qu'A recherche , et il ré-
pond que non; enfin celle dont il demande la main
sort la dernière, et la réponse est affirmative. Sur
cela la parole est donnée, on fixe le jour de la noce,
et une fête de famille termine ces fiançailles. Le jour
des épousailles le marié se rend setd de son logis à
l'église; la fiancée, au contraire, y va accompagnée
de tous les parents et invités. Avant de partir le plus
proche parent de son fiitur époux , qui doit lui donner
le bras, lui chausse lui-même une paire de souliers
dont il lui fait présent; Dans les Vosges les souliers
de la mariée sont censés perdus et les jeunes gens
avec les jeunes filles s'empressent de les chercher ^.
Le feu a toujours joué un grand rôle dans toutes
les religions : c'est le symbole de la vie élémentaire ,
de la spiritualité; c'est l'emblème de la pureté de
l'âme. Dans les noces les Romains allumaient des tor-
ches en l'honneur de Cérès , et ils aspergeaient d'eau
la mariée. Lactance dit que le feu doit être regardé
comme l'élément masculin et l'eau comme l'élément
féminin, et que c'est pour cette raison que les anciens
avaient introduit ces deux principes dans les céré-
monies du mariage. L'épouse était aussi conduite chez
son époux, aussitôt que la nuit était venue , à la lueur
de torches que portaient quelques jeunes enfants.
^ Mémoires de la société royale des antiquaires de France.
INTRODUCTION. lxxxi
Serait-ce en réminiscence de cet usage qu'ancienne-
ment les mariages se faisaient de nuit h la lueur des
torches?
Quelle que soit Torigine de cet usage il existait
encore en Roussillon au xiv" siècle, et les lois somp-
tuaires avaient dû intervenir pour en borner la dé-
pense. Le 3 des nones de janvier i3oo les pru-
cThoaunes de Perpignan permettent à tout nouvel
époux de S13 faire accompagner de torches allumées,
mais au nombre de douze seulement et du poids de
cinq livres chacune au plus; on pourra les placer
entre le marié et la mariée en allant et en revenant
de r^se; mais celui qui en ferait porter plus de
douze et pesant plus de cinq livres se les verrait con-
fisquer^. Une autre ordonnance permettait aux ma-
riés de se faire suivre d'un cortège aussi nombreux
qu'il leur plairait : de nos jours encore les mariages,
de la classe du peuple comptent quelquefois des cen-
tres de couples d'invités marchant k la suite des
époux; tous assistent au repas de noce. Le roi don
Sanche modifia l'article des torches. Dans son ordon-
nance du 1 3 mars 1 3a3 , qui fait connaître quelques-
uns des usages de ces temps dans cette circonstance ,
il dit qu'une mode blâmable s'est introduite depuis
peu de temps , et qu'il importe à la décence publique
de la supprimer; il défend en conséquence k tous pa-
rents, amis ou voisins des nouveaux époux, de se
' Arck. com. liber ordin.
Lxxxii INTRODUCTION.
porter tumultueusement et avec des torches allumées
à leur maison pour leur rendre visite , les précéder ou
les accompagner dans les rues, et de se rendre de chez
Tun chez Tautre en dansant. On pourra monter chez
les mariés avec des orchestres, si on peut y être reçu
convenahlement, ou bien à défaut on pourra danser
dans la rue, auprès de leur habitation, mais que ce
soit sans torches ni flambeaux. Si Theure trop avancée
exigeait que les époux fussent éclairés dans les rues,
le prince veut que ce soit avec décence et sans super-
fluité ; du reste il défend de faire à Tavenir aucun ma-
riage avant le jour, afin d*éviter les scandales san>enus
jusqaà ce momerU. Que si une veuve, se remariant,
veut, ajoute le roi, que par honnêteté la cérémonie se
fasse de nuit, il sera permis dans ce cas de se faire
accompagner par des torches : la mariée avec sa suite
en aura six et le marié avec la sienne en aura quatre.
Une ordonnance fort singulière des consuls de Per-
pignan, du 17 des calendes de décembre iSao, lait
défense à tout courtier qui se sera entremis de ma-
riage de rien exiger pour son courtage.
Des lois somptuaires furent rendues pour arrêter
les profusions, à T occasion des mariages. Celle du
a 6 septembre i388 défend à tous nouveaux époux
de donner, en présent de noces, aucun vêtement
neuf, chausses, chaperons, bourses, courroies,
coiffes ou tout autre objet semblable, ni joyaux d*au-
cune sorte à qui que ce soit, si ce n est à la mère seu-
INTRODUCTION. lxxxiii
lement ou à laieule ou à la sœur de la mariée , sous
peine à la personne qui aurait reçu le don de s'en
voir privée, et à celui ou celle qui Taurait donné de
payer une somme égale à la valeur de ces objets. H
est paiement défendu, sous la même peine, à tout
proche parent ou ami, de donner aux époux des
tasses, coupes, couverts d'argent, anneaux ou autres
joyaux, soit ostensiblement soit en cachette. Au festin
de noces , ni le mari ni toute autre personne ne doit
servir de volaille , sous peine de vingt-cinq livres de
Barcelone d'amende. Nous pensons que cette circons-
tance pouvait avoir pour origine l'usage très -ancien
doffiîr à une nouvelle mariée la poule ou geline
comme le modèle d'une bonne épouse et d'une bonne
mère, usage qui se pratique encore dans les Vosges,
ou le père de la mariée présente à celle-ci la geline,
au moment où il la confie à son futur époux. Une
ordonnance du 19 juin iSyâ, dont celle que nous
venons d'analyser n'est qu'un renouvellement , défen-
dait à tout propriétaire de maison où il y a une fille
sur le point de se marier, d'avoir chez lui aucune as-
semblée, plusieurs jours à l'avance; il ne lui est permis
déformer de semblables réunions qu'une seule fois,
i tel jour qu'il lui plaira, et ensuite le soir des noces,
et cela sous peine de vingt-cinq livres d'amende pour
le contrevenant et pour les invités ; on pourra toute-
fois danser dans sa maison au son d'instruments à
cordes , ou de la voix , mais sans ménétriers ni iacglas,
/■
Lxxxiv INTRODUCTION,
ni aucune autre solennité. Personne ne pourra don-
ner de fêle ni de banquet, si ce n'est le jour du ma-
riage, sous la même peine contre Thôte et les invités,
sans aucune grâce ni rémission.
Le vin du coucher était un usage très-ancien en
Roussillon , ainsi que Tatteste le roman de Gérard de
Rossillon; cet usage se conserve encore dans la vallée
de Carol. Le soir des noces , le plus proche parent du
marié danse avec la mariée ce quon appelle un ball^
et quand il Ta assise sur son épaule , dans le saut à
deux \ il remporte dans la chambre nuptiale , suivi
de femmes portant du vin , de Teau et des biscuits.
Dans les siècles de barbarie qui terminèrent le
moyen âge et commencèrent Tâge de transition , le
besoin de défendre les femmes en général , mais plus
particulièrement les nouvelles mariées qui, demeu-
rant dans une auti'c ville , village ou métairie que leur
époux, étaient exposées à être enlevées, dans le trajet
qui séparait le domicile paternel de leur nouvelle ha-
bitation , par ces bandits qui se faisaient un jeu de tous
les actes possibles de brigandage , avait introduit l'u-
sage de les faire escorter par des personnes armées,
qui ne devaient pas les quitter d'un pas. Cet usage
s'est maintenu dans les montagnes du Roussillon, prin-
cipalement dans le Vallespîr. Des jeunes gens quon
désigne sous le nom de spades attachaient à leur
ceinture un tonnelet, pour se rapprocher de l'ancien
* Nous parlerons bientôt de ces danses.
INTRODUCTION. lxxxv
costume, et ceignaient une épée, d*où leur venait
leur nom; aujourd'hui, au lieu de Tépée ils portent
des pistolets dont ils font feu de temps en temps , le
long du chemin. Ces spades accompagnent à pied la
mariée, qui est montée sur une mule pompeusement
harnachée ; le marié suit à cheval , et après lui tous les
invités, montés par couples, et ornés de rubans, eux
aussi bien que leurs montures. Se conformant stricte-
ment à la tradition qui veut qu'ils ne s*écartent ja-
mais de Tépousée , quels que soient les accidents et
les difficultés du chemin , les spades marchent ou
courent à ses côtés, suivant Tallure des chevaux,
sautent sm* les pointes des rochers ou s'élancent d'ime
pierre à l'autre , s'il y a un gué à traverser, aux éclats
de rire de tout le cortège et au bruit de leurs armes à
feu, qu'ils ne manquent jamais de tirer dans ces cir-
constances, et seuls ils ont le privilège d'aider la
mariée à monter ou descendre de son palefi*oi. S'il y
a quelque village à traverser, de jeunes filles, qui sont
les marguillières de la chapelle de la Vierge, viennent,
précédées par quelques musiciens, barrer le passage
i la cavalcade , en tendant un ruban à travers le che-
min. Elles s'approchent ensuite des mariés, à qui
elles offrent des fleurs , et en reçoivent dans un petit
panier couvert extérieurement et intérieurement de
satin brodé en or et garni de petites fleurs artificielles
quelque monnaie pour l'entretien de leur chapelle,
be joli petit panier est présenté successivement à
Lxxxvi INTRODUCTION.
chaque couple d*inyités, qui y dépose sa l^ère oF
frande. Ce pieux tribut levé sur les mariés semble
un reste de ce droit de pebte, que tout veuf ou veuve
se remariant , ou que toute mariée étrangère au pays
de son époux devait payer autrefois , les premiers pour
se racheter du charivari , les autres pour indemnité à
celui qu*on appelait en France labbé de la basoche,
et en catalan Yabbat de mal govem. Ce droit de pelote
fut supprimé en Roussillon par édit de Jayme l^^ du
mois de mai 1 3oo, et il fut défendu de l'exiger aussi
bien des juifs que des chrétiens. Nous ignorons quel
était ici le tarif de ce droit. En Provence , où il sub-
sista jusqu'à la révolution, il avait été fixé, par arrêt
du parlement d'Âix du 3 août 1717, à cinq livres par
chaque mille francs de dot, pour celles au-dessous
de trois mUle livres.
Nous ne pousserons pas plus loin ces explorations
au sujet des mariages; nous nous bornerons à ajouter
que dans tout le Roussillon les prêtres, au lieu de
se contenter d'un simple oui, de la part des épousés,
dans la cérémonie de la bénédiction nuptiale, leur
font répéter mot à mot la formule de l'engagement
réciproque; tous les assistants se mettent ensuite à
crier. Que sefassi, qu'il se fasse (le mariage).
FUNÉRAILLES ET DEUIL.
Les funérailles et les deuils n'ont pas moins attiré
l'attention et la sollicitude de l'ancien gouvernement
INTRODUCTION. lxxxvii
du Roussilion que les mariages et les noces. L*orgueî],
la vanité n'ont jamais laissé échapper une occasion
de se mettre en évidence , dans tous les actes exté-
rieurs et les solennités publiques, et cette superfluité
de dépenses auxquelles entraînaient le plus sot amour-
propre et la plus ridicule rivalité était souvent une
charge de plus pour les familles qui venaient de
perdre leur chef. Par édit du i3 mars i3îi3 le roi
don Sanche régla ce qui concernait les funérailles et
le deuil : c'est le premier règlement qui ait été fait en
Roussilion sur cette matière , et il nous fait connaître
quels étaient les usages de ce temps-là. Le roi défend
d'abord à toute personne , de quelque état et condition
qu'dle soit, de réunir dans sa maison, pendant plu-
sieurs jours consécutifs, à Toccasion de la mort de
qudqu'un des siens, des parents, des amis, des alliés
ou des étrangers ; les convocations ne pourront avoir
lieu que pour la cérémonie des funérailles et pour
les offices de la neuvaine, sans pouvoir s'étendre hors
du cercle des parents et des alliés. Ceci, dit le prince,
a pour but d'éviter les frais et Yingratitade auxquels
donnent toujours lieu ces réunions, qui ayant moins
pour objet de prier Dieu pour le mort que d'ho-
norer les parents vivants , sont constamment suivies
de murmures et de haines. Il est également défendu
découvrir le cadavre de draps d'or ou de soie,
quand on le porte à la sépulture, sous peine de dix
lirres d'amende au profit de la fabrique de l'église de
LXxxviu INTRODUCTION.
Saint-Jean, de Perpignan. La même peine serait en-
courue par toute personne qui, dans ce cas, faisait
partie du cortège. Par cette prohibition le roi n'en-
tend pas empêcher les parents de couvrir de draps de
soie le défunt, dans Tintérieur de la maison, ni de
donnera 1 église des draps d'or ou d'autres joyaux,
pouj|ÉkQe du trépassé. A l'enterrement on ne pourra
pctfl^Huus de quatre torches , du poids de cinq livres
F^indant l'occupation du Roussillon par les Fran-
çais, sous Louis XI, les consuls, de l'autorité du gou-
verneur, firent publier une ordonnance qui défendait
à toute personne de faire porter aux offices de neu-
vaine, c'est-à-dire aux messes chantées qu'on célé-
brait alors le premier, le second et le neuvième jour,
et aux anniversaires, plus de quatre corbeilles d'of-
frandes, quelle que fût la condition du mort : la mode
s'était établie depuis peu de temps d'en envoyer un
grand^jy mbre , suivant ce que dit l'ordonnance. Ces
offraridll' , dont l'usage se conserve encore de nos
jours, sont une suite des oblations que dans les pre-
miers temps du christianisme les fidèles donnaient à
l'égltÉfe «acore très-pauvre , et qui étaient à peu près
les séidfibiens dont les prêtres tirassent leur subsis-
tance. Cl^ oblations avaient lieu pour les vivants et
pour les morts, et le concile de Vaison déclara sacri-
lège et larcin la retenue des offrandes faites pour les
morts. Cependant cet usage des oblations cessa de
INTRODUCTION. lmxix
très-bonne heure presque partout; il se maintint
seulement dans quelques diocèses, et nous voyons
que celui d*E^e fut du nombre. Nous ignorons en
quoi elles consistaient, à Tépoque où Ton dut en mo-
dérer la quantité; aujourd'hui chacune des deux ou
quatre corbeilles que portent des femmes en deuil,
aux services funéraires , contient une certaine - quan-
tité de pain et un litre de vin, placés sous une serviette,
qu'au moment de Tofirande le clerc reçoit des mains
de ces fenmies , et qu*il emporte à la sacristie. Cette
fixation des offrandes au nombre de quatre au plus
Alt renouvelée le 22 juin i5o4, par une nouvelle
ordonnance des consids. A cette époque , les parents
du défunt , en se rendant à Téglise pour les offices des
neuvaines ou des anniversaires , se faisaient précéder
pompeusement par un grand nombre de porteuses
dobiations destinées à diverses églises. En restrei-
gnant le nombre à quatre, les consuls déclarent qu'ils
ne prétendent pas s'opposer toutefois, à ce qu'on
donne un plus grand nombre d'offrandes si l'on veut,
et à telles églises qu'on voudra, mais que ce soit
occultement et non avec ostentation, afin d'éloigner
^ péché de vaine gloire : tout contrevenant devait être
puni d'une amende de dix livres et de la confiscation
des ofihuides ^
L'édit de don Sanche , prohibitif de l'exposition des
corps morts sous des couvertures de draps d'or, fut
' Ârck. com, liber ordiMoi,
xc INTRODUCTION.
renouvelé le 26 septembre i388. Depuis quelque
temps , dit le bailli de Perpignan , il s* est introduit lu-
sage de mettre beaucoup de draps d*or, de porter
beaucoup de torches de cire aux offices des neuvaines
et des anniversaires des morts, des personnes de con-
dition , d*où résultent des charges pour les familles ;
c*est pourquoi il prononce une amende de cinquante
livres pour chaque contravention , à moins que ce ne
soit pour un service de roi , de fils de roi ou de fib
du premier né du roi ; et si c'étaient les consuls qui
contrevenaient à cette ordonnance, ils devaient payer
Tamende de leurs propres deniers.
L'ordonnance des consuls du 22 juin iSoA» dont
nous venons de parler, portait aussi règlement sur la
pompe des fimérailles; elle établissait qu'à l'avenir
les généreux (gentilshommes), les bourgeois et les per-
sonnes qui compteraient parmi leurs ancêtres quel-
qu'un qui aurait exercé la charge de consul , pourraient
seuls, après leur mort, être présentés à l'église de
Saint-Jean, qui commençait seulement alors à servir
aux fonctions du culte ; tous les autres morts devaient
être présentés, suivant l'usage, à la chapelle du ci-
metière ; une exception était faite néanmoins en fa-
veur des personnes qui consentiraient k payer, pour
V amour de Dieu, cinq livres de Barcelone à l'œuvre
de l'église, pour l'achèvement de l'édifice. Ceux qui
voudraient faire sonner les cloches de cette ^[lise
4evaient payer la même somme, en sus des frais de
M^j
INTRODUCTION. «a
la sonnerie. Cette même ordonnance fiiah à TÎngt le
nombre de prêtres qu'on pouvait demander pour Fen-
terrement d'un boui^eois ; à seize , pour Traterrement
im mercaier, ou d une personne qui aurait été con-
sd, et à douze, pour celui de tout habitant d*une
moindre condition.
Cet usage des services funèbres aux jours de Ten-
terrement, du lendemain et de la neuvaine, n'existe
pios depuis longtemps; cependant le nombre des
messes qu'on fait célébrer est toujours de trois ,
^on chante tout de suite et immédiatement Tune
après l'autre , en présence du corps , ce qui alors
dispense du service commémoratif au bout de la se-
maine , ou bien on en chante deux consécutives et la
troisième est renvoyée à la neuvaine, si l'enterrement
s lieu le matin ; mais, si c'est le soir, les trois messes
se disent k la suite l'une de l'autre , sans interruption ,
le jour de la neuvaine ou tout autre jour, au choix des
parents. A chacune de ces messes, les invités re-
çoivent une petite chandelle allumée, et au moment de
l'offertoire ils se rendent , tous à la file , précédés par
les prêtres et les parents, au pied de l'autel pour
l^aiserl'étole et déposer la petite chandelle dans le bé-
"■^tier que tient l'enfant de chœur ; ils l'y plongent par
le bout allumé : le flambeau renversé a toujours été
1 emblème de la mort. Avant d'arriver jusqu'au
naarchepied de l'autel , chacun se tourne successive-
nient vers celui qui le suit et le salue d'une inclina-
xcii INTRODUCTION.
tion de tête; celui-ci rend le salut, et se tournant
à son tour du côté de celui qui marche après lui,
il le salue de la même manière. La file des femmes
se rend à Tofiertoire quand celle des hommes est
épuisée, avec le même cérémonial et les mêmes
salutations.
Les parents et les amis accompagnent le mort jus-
qu'au bord de la fosse. Dans plusieurs cantons des
montagnes tous se réunissent ensuite à un repas, qui
se fait ordinairement en maigre-, s* il est en gras, on
n'y doit servir ni volaille ni gibier. Au moment où le
mort est descendu dans la fosse on voit encore , dans
quelques lieux de la campagne , des femmes le charger
de commissions pour leurs parents déjà trépassés ^.
Dans la vallée de Garol, les hommes qui suivent l'en-
terrement couvrent leur tête d'une capuche de
femme, et celles-ci la remplacent par un voile.
La première ordonnance sur les deuils est du rè-
gne de Jayme I", roi de Majorque, sous la date du
20 octobre i3o8. Ce prince en avait futé la durée i
un mois pour la mort du roi et celle d'un prince âgé
au moins de quinze ans, pour celle de père, mère,
rère et sœur, et pour celle d'une personne dont on
serait légataire imiversel : ce deuil pouvait se porter
^ Diodore disait des Gauiois : «Quelques-uns jettent dans le bûcher
« des morts des lettres écrites comme si le défunt devait en prendre
«connaissance.* Autrefois, et peut-être encore aujourd'hui dans quel-
ques endroits des montagnes, on jetait dans la fosse de celui qu'on en-
terrait des lettres adressées à d'autres morts plqs anciens.
INTRODUCTION. iciii
en noir ou en blanc, à volonté; pour tout autre pa-
rent, on devait se borner à mettre une bordure de
deuil à ses vêtements ordinaires.
L'ordonnance du roi Sanche dont nous avons parlé
plus haut, relativement aux funérailles, contient, sur
le deuil des femmes, quelques dispositions dont on
a peine à se rendre compte aujourd'hui. Ce prince dé-
fend à toute femme mariée , de quelque état ou con-
dition qu'elle soit, de prendre le deuil pour aucune
autre personne que pour son mari, car il est dur, dit-
il, qu'une femme dont le mari est vivant, et qui ne
doit faire attention qu'à celui de qui son état dépend ,
pleure dans ses vêtements un autre que celui qui est
son chef et son honneur ^ Toute femme qui contre-
Tiendrait h cette défense encourrait par le £aiit une
amende de dix livres , que le mari aurait à imputer
sur sa dot, si elle n'avait quelque autre bien en
propre. La même ordonnance fait expresses inhibi-
tions aux maris de se vêtir de bure noire ou de toute
autre étoffe lugubre, à la mort de leurs femmes. Le
dispositif de cet article aurait l'air d'une mauvaise
plaisanterie, si une plaisanterie avait pu être intro-
duite dans une loi. « Plusieurs personnes , dit le mo-
«narque, ont commencé à extravaguer, dans ces der-
«niers temps, dans la vUle de Perpignan, en se
^ Damm enîm est quod millier, vivente marito , cum non sit quod
^ceredebeat, nisi Ulmn a quo status suus dependet, lugeat in ves-
^u, nisi illum qui caput qus est atque honor.
iciv INTRODUCTION.
(( couvrant de deuil quand leurs femmes viennent k
(( mourir, oubliant qu*il n y a pas de deuil pour les
(( femmes ; et c est pour extirper une si grande folie
« que la présente ordonnance est rendue ^ » En consé-
quence, le veuf ne pouvait porter sur ses vêtements,
pour tout signe de douleur, qu'une bande verte ou de
quelque autre couleur obscure et décente, pendant
un mois seulement, et pas au delà; toute contraven-
tion, soit en public soit en particulier, contre ce
statut, devait être punie d une amende de dix livres,
sans pour cela que le contrevenant fût dispensé de
s'y conformer.
Rien ne peint de couleurs plus vives , et en même
temps plus hideuses, T espèce de sauvagerie des
mœurs de cette époque que ce qui concerne les
femmes dans cet édit. G*est surtout le comble de la
tyrannie, que cette brutale disposition qui interdite
la portion du genre humain la plus vivement affectée
de la perte de ses proches, toute démonstration pu-
blique de sa profonde douleur. Cette barbare défense
fut encore renouvelée par Jayme II en i332. Ayant
appris que des femmes, à la mort de leur père, mère,
sœur ou frère, se permettaient , du vivant de leur mari, de
se vêtir de vert ou de toute autre couleur sombre,
* Verum, cumplures, in dicta villa Perpiniani, fatuitzare incepe-
rint, a pauciâ temporibus citra, induendo se vesiibus lugubribns cum
eorum moriuntur uxores, non advertentes quod uxoris non est luctus,
tantam fataitateni excipere volens, etc. Liber ordinat.
INTRODUCTION. xcv
afin de porter, de cette manière, des vêtements lu-
gubres, il fait très-expresses injonctions à ses officiers
d*empècher cet abus , avec ordre de ne ménager au-
cune contrevenante , quelle que puisse être sa condition.
Le 7 mars ligk le bailli et les consuls de Per-
* pignau firent publier un nouveau règlement sur la
forme et la durée du deuil. Pour père , mère , fi^ère et
sœur on devait porter, à Tenterrement et aux offices
fiinéraires de la neuvaine et de l'anniversaire , le cha-
peron taillé ou rabattu , et le reste de la neuvaine, le
chaperon habUlé ; et quant aux vêtements , le noir ou
le blanc, à volonté, pendant im an, sans plus;
Pour oncle, tante, rieveu, nièce, cousin et cou-
sine germains, le chaperon taillé ou rabattu aux
mêmes jours quen Tarticle précédent; le chaperon
habillé le reste du temps, et le blanc ou le noir pen-
dant un mois ;
Pour beau-père, belle-mère, beau-frère, belle-
sœur, le chaperon habillé , et le noir ou le blanc pen-
dant la neuvaine seulement;
Pour une personne dont on hériterait, le deuil
comme pour cousin , hors le chaperon rabattu ^ , et
^ Les personnes qui ne connaissent pas la forme du chaperon peu-
vent ae figurer un bonnet de police non aplati, dont le retroussis,
fendu par devant, pouvait se rabattre sur la nuque et les oreilles. La
^e du chaperon était en pointe comme celle du bonnet de police,
nuôs cette pointe était très-longue et descendait jusqu'à la ceinture où
onrarrètait. Quelquefois même cette pointe descendait jusqu'aux pieds,
xcvi INTRODUCTION,
pour tout parent à des degrés inférieurs , ni noir ni
blanc, mais seulement la bordure noire ou blanche,
aux vêtements ordinaires, lors de Tenterrement et
aux offices , t|Ét des trois jours de la neuvaine qu à
celui de randftrsaire.
TISSEMENTS PUBLICS.
Ce n*est pas seulement dans les grands actes de la
vie civile que se manifestent les usages particuliers
aux différents peuples; on les retrouve aussi dans
leurs amusements privés, dans les divertissements
publics, dans toutes les circonstances de la vie poli-
tique ou religieuse. Une recherche attentive et minu-
tieuse de tout ce qui distingue , sous ces derniers rap-
ports, rhabitant du Roussillon de celui des autres
provinces de France nécessiterait un travail tout spé-
cial, et ne peut entrer dans le cadre, déjà trop élargi
peut-être , de oplui dont nous nous occupons ; nous
devons donc 4ousJ borner à jeter un simple coup
d*œil sur ce qu'il y a de plus tranché dans les récréa-
tions du peuple roussillonnais, et dans ses habitudes
de divertissement.
Musique. Cheztdftis les peuples de la terre , le chant
et la danse sont Isxpression de Tallégressc, de la
gaieté, du contentOMient d esprit. La musique, qui en
et on en relevait le bout ^'on engageait sous la ceinture, au côté op-
posé à celui le long duquel il descendait.
INTRODUCTION. xcvii
fait la base, éprouve des modifications et des diffé-
rences, suivant les variétés du climat, des mœurs et
du caractère des nations. Sous Tinfluence du soleil
méridional , le mouvement est vif, la mesure rapide
et la voix franchit brusquement des intervalles plus
ou moins grands, dans les graduations de Féchelle dia-
tonique. En Roussillon , où ToreiUe est généralement
bien organisée, il existe une foule d'airs nationaux
d'une harmonie remarquable. Un contraste assez sin •
gulier règne , au reste , entre la musique adaptée au
chant et celle appropriée aux mouvements de la
danse. Pendant que la première se distingue par une
douce mollesse et une langueur amoureuse, une pétu-
lance perpétuelle forme le caractère éminent des airs
des danses nationales.
Entre autres chansons appartenant à la localité , il
en est deux (jui sont dans la bouche de tous les Rous-
sillonnais de tout âge, de toute condition; elles sont
aussi inhérentes au pays que le sol même , et il n'est
pas un seul habitant qui n'en chantât à l'instant l'air,
idéËiut des paroles. La musique de l'une de ces chan-
sons, intitulée montanyas régalades, véritable ranz
roussillonnais, que l'homme de cette province, éloi-
gné de sa patrie , ne saurait entendre sans la plus vive
émotion , se distingue par une suavité , une sorte d'in-
génuité qui la mettent fort au-dessus de tous les autres
chants nationaux. La musique de la seconde, qu'on
appelle h pardal, se fait remarquer par une facture
»• . 9
■•%%
xcviii INTRODUCTION,
originale toute particulière, et par un changement
continuel de mesure, qui se renouvelle huit fois dans
le courant du couplet , sans nuire au charme de l'en-
semble.
Danses. Les danses pratiquées en Roussillon sont
assez nombreuses. Les unes, sans apparat, semblables
dans .tous les temps à celles de tous les autres pays, et
que nous avons vues autorisées par l'ordonnance du
19 juin 1876, à l'occasion des mariages, s'exécutent
au son d'instruments à cordes ; les autres, solennelles,
dansées au bruit d'un orchestre tout spécial, semblent
être un héritage légué par les Maures aux habitants de
ces montagnes, où elles se soht conservées comme
tous les usages confiés à ces localités , et auxquels les
empruntent les habitants de la plaine, sur les deux
revers des Pyrénées catalanes. Nous ne dirons rien
des premières , et quant aux secondes , nous ne par-
lerons, que des principales, comme types de toutes les
autr^.
Ces danses spéciales , qui font partie de toutes les
réjouissances publiques, et qui n'ont jamais manqué
ri'çxciter à un haut degré la surprise de ceux qui les
-soient pour la première fois, s exécutent en plein air,
sur une place publique , dans toutes les fêtes de pa-
roisses, tant à Perpignan que dans toute l'étendue de
la province. Elles se composent ordinairement de ce
qu on appelle le contrepas et te bail K Le premier n'est
* Dans le catalan deux U se mouillent toujours.
INTRODUCTION. xcix
qu'un balancement grave et mélancolique, exécuté
par une file de danseurs se tenant parla main. Les
sexes ne se mêlent pas dans cette danse, qui n*a lieu
le plus souvent qu entre hommes; si des femmes y
prennent part, eile^ forment une file qui se place de-
vant celle de l'autre sexe. Ces danseurs font quelques
pas dun côté , reviennent, en font autant de l'autre,
s'abandonnent un instant et se reprennent ensuite, et
pendant un quart d'heure à peu près que dure Taii*
affecté à cette danse continuent ce même manège
en exécutant le pas qu'on appelle Vespardanyeta, qui
consiste en un rapide battement du talon autour
des cou<de-pied. L'air du contrepas , dont le rhy thme
accentué et plein de syncopes passe du mode sé-
rieux et grave à un mode gai, vif et animé, est très-
ancien, et se joue par tradition depuis le siècle de
Cervantes, qui en parle, dans une de ses nouvelles ^ ,
comme d'une danse introduite tout récemment en
Espagne. Le bail est une sorte de ronde qu'exécutent
à la fois des couples indéterminés de danseurs avec
leurs danseuses , dont le nombre , dans les fêtes des
villages, s élève quelquefois à plusieurs centaines. Ca-
valiers et dames avancent et reculent alternative-
ment, sans faire ce qu'on appelle des pas; ils changent
de danseur et de danseuse , se perdent, se retrouvent ;
et i la fin de l'air, dont la durée est égale à celle d'une
contredanse, divers couples se réunissent pour le
' La ilbuire Fregoha.
S'
c INTRODUCTION
saat qui termine chaque bail. Pour exécuter ce saut,
un certain nombre de couples de danseurs se ras-
semblent et se forment en rond ; les femmes appuient
à droite et à gauche leurs mains sur Tépaule des ca-
valiers placés à leurs côtés, et sellent en Tair, aidées
par ces cavaliers, qui favorisent ce mouvement d'as-
cension au moyen de leur pouce placé sous laisselle
de la femme , le reste de la main appliquée sur son
omoplate. Après setre soutenues quelques instants
dans cette position, ces femmes reprennent teiTe, et
une nouvelle ronde commence. Presque toujours au-
trefois, mais rarement aujourd'hui, si ce n'est à la
campagne, en même temps que divers couples i*éunis
élevaient ainsi les danseuses en groupes, d'autres
couples exécutaient isolément ce qu'on appelle le
saut à deux. La danseuse, plaçant sa main gauche dans
la droite du cavalier, appuie sa main droite sur
l'épaule gauche de celui-ci , et s'élance en l'air, secon-
dée par la main gauche du cavalier qui la porte sous
son aisselle; à mesure qu'elle s'élève, cette main
gauche du cavalier glisse rapidement le long du flanc
de la danseuse , et va lui servir de siège. Ainsi assise
sur la main de son danseur, qui la tient quelques se-
condes à la hauteur de sa tête, ou qui la place sur son
épaule , elle offre un spectacle fort gracieux , et qui
frappe d'admiration l'étranger qui n'en a pas encore
l'habitude. U y a , au reste , beaucoup plus d'adresse
que de force dans l'exécution de ce saut.
INTRODUCTION. ci
On ne peut guère douter que cette espèce de danse
lie soit d'origine maure ^ ; ses passes, son mode, son
langage, si nous pouvons nous exprimer ainsi, l'in-
diquent. Le manège qui en fait le caractère était une
peinture de Tamour. Cette expression primitive s* est
perdue naturellement à travers tant de siècles , et il
n en est plus resté que des passes exécutées machina-
lement, traditionnellement, et sans y attacher aucune
idée. Ce qui ne peut laisser aucune incertitude sur
cette origine, c est Temploi exclusif dans cette danse
d'une sorte de petite burette de verre blanc à pied ,
à panse large et goulot étroit, garnie de plusieurs becs
très-menus par lesquels les danseurs faisaient pleuvoir
autrefois sur leurs danseuses une fine rosée d'eau de
senteur. Ce vase , dont le nom encore arabe est al-
ïïuiratxaj et dont le pied était orné de rubans, aban-
donné presque partout depuis une trentaine d'années,
ne se retrouve plus que dans quelq[ues localités de
la montagne.
Aux danses dont nous venons de parler, et qui
sont générales dans tout le Roussillon, s'en joignent
encore quelques autres, communes à la Catalogne et
H'Espagne; et d'abord, les segaidillas, qu'on danse
lopins souvent au chant de couplets portant ce même
nom, et dont le rhythme est vif, court et très-animé.
Ce nom de seguidiUas est donné à ces petits couplets
parce que le mode en est bref, vif et suivi ^. Les $e-
* Voyei la noie V. — * Dictionnaires espagnols.
cil INTRODUCTION
gaidUlas ont cela de particulier, que le cavalier les
danse avec deux dames à la fois. Dans la petite place
de Prats-de-MoUo , dans les montagnes du Valiespir,
on danse encore lo baU de cerimonioj où chaque dan-
seur a un nombre indéterminé de danseuses devant
lesquelles il figure tour à tour.
L*orchestre des contrepas et des halls se compose
d*un certain nombre d'anciens et grands hautbois,
d*une cornemuse et d*un flageolet très-aigu, à trois
trous, dont joue le chef de musique , qui en même
temps marque la cadence en frappant avec une ba-
guette sur un petit tambour de quelques pouces de
haut et de diamètre , suspendu au bras qui tient le
flageolet. Ces musiciens ont retenu le nom dejutglars,
jongleurs, qu*on donnait anciennement aux mimes,
et il est étonnant que cette dénomination, tombée
dans le mépris dès le temps de Philippe- Auguste, se
soit conservée en bonne part dans ces montagnes.
Mystères. Dans l'article des amusements particu-
liers aux habitants du Roussillon nous ne devons pas
oublier de placer ia représentation des mystères^ ou
anciennes comédies sacrées.
Ces sortes de pièces informes, par lesquelles se
manifesta la renaissance de l'art dramatique en Eu-
rope, commencèrent à obtenir de la vogue vers la fin
du w* siècle, et au milieu du xvi* elles cédèrent la place
aux premières remédies et aux premières tragédies,
«imposées sur le modèle de celles de l'antiquité.
INTRODUCTION. cm
Les mystères qu*on joue encore en Roussillon , aux
fêtes patronales de certains villages, datent, pour la
plupart, de deux ou trois siècles, et sont la prolixe
DaiTation du martyre de quelque saint, ou de quelque
trait de Tancien ou du nouveau testament ; il en est
même qui comprennent toute la durée du monde,
depuis la création jusque, et inclusivement, à la mort
de Jésus-Christ. Là on voit paraître successivement
Dieu le père, Adam et Eve, Noë, Moïse, les pro-
phètes, Héix>de avec le massacre des innocents, Jo-
seph, Marie , les disciples, tous les personnages de la
Passion, et enfin celui qui remplit le rôle de Jésus-
Christ , attaché sur une vraie croix. Nous allons ana-
lyser une de ces pièces que nous avons vu jouer
autrefois , et dont nous avons décrit ailleurs la repré-
sentation. Le théâtre était dressé en plein air sur une
place publique ; ce mystère était intitulé , Martyre de
^nte Basilisse ; les acteurs, au nombre d environ
quatre-vingts, étaient des cultivateurs de tous les âges,
les plus jeunes remplissant les rôles de femmes.
Après un long prologue débité par un acteur en
costume d'abbé , la scène s ouvre par une longue con-
versation entre le père et la mère de saint Julien sur
le mariage de leur fils. Julien arrive, et déclare qu il
ne se mariera qu après avoir consulté la volonté du
ciel. Paraît bientôt sainte Basilisse, accompagnée de
nombreux parents, et son mariage avec Julien est
arrêté. Une cellule du fond montre alors une cha-
civ INTRODUCTION.
pelle, avec autel paré et prie-Dieu. Julien y entre et
se met en prières , puis s endort. Pendant son som-
meil il a une vision : Jésus , accompagné de divers
anges, sort d*une des cellules du fond, traverse le
théâtre , entre dans la chapelle et inspire à Julien qu*il
peut se marier, pourvu qu*il garde sa virginité au sein
du mariage. Resté seul, celui-ci s'éveille, tous les pa-
rents arrivent, et le mariage est béni avec les for-
mules du rituel. Suit le banquet de noces, ample et
copieux. Les époux vierges entrent dans Tétat sacer-
dotal, se trouvent bientôt à la tête de nombreux néo-
phytes , et le théâtre retentit des chants de T^^e. La
scène change : le préteur romain parait, et Tarrêt de
persécution contre les chrétiens va être exécuté ; les
moines et moinesses , saint Julien et sainte Basilisse
à leur tête, refusent Tencens aux idoles et reçoivent le
martyre ; enfin le préteur, frappé par la foudre , est
emporté par une légion de diables. La longueur de
ces pièces est telle , que leur représentation dure
quelquefois dix heures de temps, et prend ainsi toute
une nuit d*été.
USAGES DU CARNAVAL ET DU CAREME.
Mascarades. Le carnaval se ressemble partout :
c'est toujours un temps de folies et d'extravagances,
une période d'intempérance et de dissipation.
Le masque , imitation de ces figures postiches dont
les anciens faisaient usage dans leurs jeux scéniques.
INTRODUCTION. cv
fut emprunté par les premiers chrétiens aux acteurs
mimiques , pour figurer les démons familiers , dans la
réunion qu'on fit, en un divertissement permis, des
bacchanales, des saturnales et des lupercales de Tan-
tiquité; c'est une concession que les premiers pasteurs
deTégiise durent faire à des catéchumènes trop dis-
posés à retourner aux erreurs du paganisme, si on
leur arrachait les plaisirs qu'il leur procurait. L'insti-
tution du jeûne quadragésimal par les apôtres, impo-
sant pendant quarante jours de rudes pénitences et
d'austères privations , ce fut un motif pour se rassasier
de nourriture et de plaisirs avant cette époque , et le
carnaval fiit établi. Mais les mascarades n'étaient pas
bornées à ce seul temps ; elles avaient lieu dans une
foule d'autres circonstances, et les capitulaires syno-
diaux d'Hincmar, archevêque de Rheims, de 85 a,
nous apprennent qu'on se masquait même aux com-
mémorations des morts.
L'usage de mascarades dramatiques, qui de l'Italie
s est répandu partout, n'est guère connu en Rous-
siUon. A l'exception de quelques pourceaugnacs et de
^elques chariatans, on ne voit guère que des bandes
de gens du peuple masqués bizarrement, couinant les
nies, et insultant plus qu'ils n'intriguent. Des indivi-
dus de tout âge vous brisent la tête avec les tambours
qu'ils battent sans relâche du matin au soir, se croi-
sant dans toutes les rues et allant dans tous les sens.
Deux manières de se masquer, qui sont très-répandues
oi INTRODUCTION
daïïs ce pays, consistent à se vêtir d*un capot de
paysan par-dessus ses propres vêtements, ou bien à
couvrir sa tête d*un capuchon de femme et à attacher
un jupon sur ses épaules et un autre sur les hanches.
Quelques usages particuliers distinguent certains
cantons dans les libertés du carnaval. A Prades, s*il
se trouve dans la ville quelqu'un à qui on veuille
(aire honneur, une personne du pays vient douce-
ment derrière lui, passe sa tête brusquement entre
ses jambes et Fenlève sur son cou pendant que d'au-
tres personnes le soutiennent de chaque coté. Ainsi
chaigé sur les épaules on le porte au café, où il
doit régaler ceux qui lui ont fait cette singulière
galanterie. A Prats-de-MoUo, le vendredi qui suit le
jeudi gras, on exécute ime sorte de danse ridicule
qu on appelle lo bail de posta. Un homme porte dans
ses bras, comme un marmot, une planche longue de
six pieds, à Tun des bouts de laquelle est dessinée
une tête grotesque. Tous les danseurs viennent de
* trois en trois, et se tenant par-dessous le bras, figurer
devant Thomme k la planche , qui fmit par en donner
xm coup au derrière du danseur du milieu.
Il est une mascarade de tradition que chaque année
voit se renouveler. Un homme de la lie du peuple se
déguise en ours; ses camarades, vêtus des haillons les
plus sales , et barbouillés de la façon la plus ignoble ,
raccompagnent et le font danser au bruit assourdis-
sant de silHcts, dVntonnoirs. de crécelles et de tara-
INTRODUCTION. cvii
bours. Nous n aurions pas fait mention de cette dé-
goûtante farce , si ce n*était un usage d*une grande
antiquité ; c*est un des divertissements que Hincmar
défend dans les mêmes circonstances que les masca-
rades, c'est-à-dire aux vefliées et aux conmiémora-
tionsdes morts.
Le carnaval se termine , à Perpignan , le mercredi
des Cendres , par une promenade de toute la popula-
tion sur la route d'Espagne. Près de cette route , à
quelques cents toises de la ville, existait autrefois
un bourg que d'anciens actes désignent sous le nom
de Vilia-Godorum , bourg qui s'est éteint vers le
iif siècle sous celui de Malleolas ou Malloles. Ce
bourg, dont le nom primitif ne nous a été révélé que
pv des actes du x* et du xi* siècle, avait une église
où le premier jour de carême on allait faire, à ce qu'il
paraît, une sorte de pèlerinage pour expier les désor-
dres du carnaval. A mesure que la ville de Perpignan
s'^ndit aux dépens des communes environnantes,
la nouvelle population de cette ville continua à faire
**€ pèlerinage dont l'usage se fonda ainsi à perpétuité.
Quand le bourg et son église eurent tout à fait dis-
paru, on se rendit encore sur leurs ruines par tradi-
tion et par habitude. Au commencement du xix* siècle
un citoyen philanthrope, le sieur Comte, ayant fait
disposer une pelouse au bord d'une fontaine atte-
nante à ses propriétés, et l'ayant embellie de marbres
îîvoc le concours de la ville de Perpignan qui les lui
cviii INTRODUCTION,
livra, au lieu d'aller jusquà Malloles, on s arrêta à
cette fontaine, qu on appela d'abord Bagatelle et qu'on
nomme aujourd'hui Fontaine d'amour.
Carême. Ce que le Roussillon oflFre de particulier
dans les usages du carême n'a lieu que pendant la
scmaine^inte. Ces usages sont en général conservés
le , qui elle-même les a conservés des
tens. Ainsi pour le dimanche des Rameaux
, à l'un des côtés de l'autel, un gros laurier
biSï feuille, et on attache à ses rameaux quelques
branches de palmier. Cet arbre reste là tout le temps
pascal. Aux jours des oflices de ténèbres des enfants
armés de longs maillets parcourent les rues par bandes,
en chantant une chanson catalane fort plate et d*un
rhythme très-monotone, dans laquelle ils maudissent
les marchands de comestibles maigres et invoquent
le retour des bouchers, qui, cependant, dans ces
vers peu harmonieux sont traités de voleurs ne fai-
sant jamaj^ le poids. Après cette boulTonncrie tous
frappent à* coups redoublés de leurs maillets, aujour-
d'hui le pavé de la rue, mais il y a peu de temps
encore la porte de certaines maisons. Cette exécution,
qui est, ij^t-on, pour tuer les juifs et les hérétiques,
pourrait Ben avoir pris naissance dans les avanies
dont on aflKuvait les juifs avant leur expulsion.
Dans la 5>lupart des églises de Roussillon on fait
avec beaucoup do solennité, le mercredi saint, le la-
vement des pieds de Jésus-Christ sur la croix. Cette
INTRODUCTION. cix
cérémonie , qiii était pratiquée autrefois dans quelques
^lises de France par des prêtres , Test ici par des en-
fents en bas âge sous la direction des confréries de
pénitents ^ Ce droit de laver les pieds du crucifix ap-
partenait, il n'y a pas encore un demi-siècle, à de
jeunes filles nubiles, qui représentaient ainsi la pé-
cheresse Marie-Madeleine aux pieds du Sauveur.
Des motifs de décence leur ont fait substituer depuis
déjeunes garçons de l'âge de six à huit ans. A
Processions. Les processions sont partout un 3es
spectacles du peuple , qui se précipite en foule sur
leur passage. Eln Roussitlon comme en Espagne et en
Italie il y avait autrefois des processions nocturnes
dans la semaine sainte; celles qui se faisaient encore
dy a deux ans n'en étaient plus qu'un très-pâle reflet.
Anciennement elles ne sortaient que de neuf à dix
heures du soir et ne rentraient guère qu'un peu
avant le jour ; on y voyait des flagellants ; des hommes
dont les bras étendus en croix étaient liés le long
d'une barre de fer appliquée sur la nuque; d'autres
<pi étaient vêtus d'une sorte de pantalon, veste et
bonnet composés d'enroulements de tresses de sparte ,
et une foule d'autres pieuses momeries tout aussi dé-
goûtantes. Dans la matinée du joiu* de Pâques on fait
une autre procession, qui n a de remarquable que trois
' Le détail de toutes ces cérémonies ne pouvant trouver place ici ,
^^^en parlerons amplement dans un travail spécialement consacré
« «les recherches sur les mœurs et les usages du Roussillon.
i.x INTRODUCTION,
révérences (\uk certains lieux marqués les porteurs
(le la statue de la Vierge font faire à cette statue devant
<'cl]e du Christ ressuscité ou devant le saint sacrement.
DES GITÂNOS.
En terminant cette introduction nous ne devons
pas omettre de mentionner une classe d*individus
que Télranger arrivant en Roussillon y voit avec éton-
nement, et qui est remarquable par la légèreté de son
costume autant que par la couleur de sa peau indi-
quant ime race transplantée : ce sont les gitanos on
Bohémiens.
La race des gitanos , étrangère à la Catalogne et nu
Roussillon, où elle se trouve en permanence, paiiie
domiciliée dans les principales villes , partie se dépla-
isant sans cesse et n ayant aucun établissement fixe, ni
feu, ni lieu, nest autre que celle dont la première
apparition en France et dans le midi de l'Europe fut
signalée par les écrivains du xv" siècle.
Induit en erreur par quelques rapprochements
inexacts nous avions avancé autrefois * que les gitanos
étaient les descendants proscrits des anciens Mauivs,
foivês par le sort des armes de tomber dans les fers
de ceux qu'ils avaient subjugués, et qu'ils n avaient de
commun avec cette caste vagabonde, dite des Bohé-
miens, que leui> vices, leur propension au vol, leur
' Hrrm /w>»ivN«^[r . jinuee 1811.
INTRODUCTION. cixi
habitude de prédire la bonne aventure par la chiro-
mancie, leurs maraudages et leur dégoûtante saleté.
Des documents que nous n avions pas eus alors nous
ont convaincu depuis que les gitanos n avaient pas
plus de rapport avec TArabe implanté dans la pénin-
sule, qu'avec la population originaire de ces mêmes
contrées. La différence de fdiation entre les gitanos
et les Morisqucs est complètement établie par la date
de l'expulsion des derniers et par celle des premières
ordonnances rendues contre la caste vagabonde, an-
térieures de quatre-vingt-sept ans à Tédit d* expulsion.
L'annaliste de Catalogne Féliu de la Pena y Pareil
nous indique même 1* époque précise de Tarrivée des
premiers gitanos en Catalogne , qui eut lieu trente ans
après leur apparition en France. «Le 1 1 juin i/idy,
«dit cet écrivain, entrèrent dans Barcelone un duc,
«un comte et un grand nombre d'Égyptiens quon ap-
« pelait gitanos, se retirant de la province occupée
«par les mahométans afm de conserver la foi : ils se
«divisèrent en Espagne, et deux descendent les gi-
«tanos. »
Lorsque, chassés de partout et traqués même en fis-
pagne comme des bêtes féroces, ces hommes d'ori-
gine inconnue , désignés sous les noms de Bohémiens,
de gypsies , de zingari ou gitanos, lurent contraints de
chercher un abri dans les antres des animaux dange-
reux auxquels on les assimilait, la facilité de se cacher
dans les montagnes les multiplia dans les Pyrénées
c.xii INTRODUCTION.
catalanes, qui devinrent en quelque sorte leur patrie:
c'est de là qu ils font des excursions dans les pays voi-
sins, surtout à répoque des foires. Les gitanos no
mades, qui sont en quelque manière la race pure,
vont et viennent de Catalogne en Roussillon par
bandes ou tribus composées d un nombre plus ou
moins grand d'individus de tout âge et de tout sexe,
remarquables par leur horrible saleté, leur dégue-
nillage, le dévergondage des femmes, et, ce qui ins-
pire le plus d'horreur, par la facilité de leur appétit,
qui s'accommode de tout ce qu'il y a de plus immonde
et de plus repoussant. Jamais embarrassés de leur
gîte, une masure abandonnée, une arche de pont
sans eau sont leurs stations ordinaires : leur vie est
un bivouac continuel. A peine la tribu a-t-elle fait
halte que les femmes se répandent dans les rues de la
ville ou du village auprès duquel elle s'est arrêtée pour
acheter des provisions et tâcher de faire des dupes;
les enfants, nus et couverts de crasse, obsèdent les
passants pour leur arracher quelque aumône, et les
hommes cherchent à vendre ou k échanger quelques
ânes ou mulets dont l'origine entre leurs mains est
toujours suspecte : le maquignonnage et la tonte des
bêtes de somme sont toute leur industrie.
Partout où passe une bande de gitanos la surveil-
lance des fermiers et des villageois aussi bien que des
marchands est alerte pour préserver de leur rapine
les basses-cours, les jardins, les vergers ou les bou-
INTRODUCTION. cxiii
tiques. Adroits à voler les montures de toute espèce ,
ib n ont pas moins d'adresse à les déguiser ensuite
pour les rendre méconnaissables aux yeux mêmes de
ceux à qui ils les ont enlevées ^
Le physique dugîtano est une peau enfumée, des
dieveux lisses et plats , des traits fortement modelés :
grande bouche , nez aquilin , angle facial point diffé-
rent de celui des races caucasiennes. Sa taille , géné-
ralement au-dessus de la moyenne, est bien prise et
élancée. Adroit, leste, robuste, il supporte sans peine
toutes les intempéries et brave toutes les saisons.
Quoique son costume ne diffère pas de celui du Ca-
talan il s*y trouve cependant toujours quelque chose
de remarquable : son pantalon monte sur la poitrine,
son gilet, de couleurs toujours brillantes, descend ra-
rement de plus de quatre travers de doigt au-dessous
des aisselles , parfois même il n'a pas cette longueur ,
sa veste, qui n'est guère plus longue, est ronde et
garnie le plus souvent, comme le pantalon, de passe-
poils, de cordons ou de lacets disposés avec symétrie.
Un mouchoir appliqué en bandeau sur son front et
noué derrière la tête , et par-dessus un long bonnet
tombant à plat sur les épaules ou relevé sur la tête
d'une manière toute spéciale, forment sa coiffure. Une
ceinture de soie ou de laine, cramoisie ou noire,
^ Voyei dans la nouvelle de la Gitanilla de Cervantes la manière
drat cet admirable peintre de mœurs a rendu la vie et les habitudes
^gitanos.
1. h
cxiv INTRODUCTION.
s'enroule autour de ses reins, et à cette ceinture
sont suspendus les instruments de son industrie : des
ciseaux de diverses grandeurs, dont les principaux, à
lame très-longue et large, sont arqués d'une façon
particulière et tous enfermés dans un étui commun, fait
pjï forme de gaine de pistolets d'arçon ; des morailles ,
cordes et autres ustensiles semblables. Les fenmaes,
dont les cheveux sont toujours en désordre, se cou-
vrent la tête d*un ample ficbu noué sous le menton;
leur corset, de drap, de velours, de coton ou de
nankin, à mancb es justes et à longue taille, est lacé
sur le devant , et le jupon est garni de découpures ou
bordé d'un ruban de couleur bien tranchée avec celle
du vêtement.
Les gitanos domiciliés sont un peu moins dégue-
nillés que leurs compagnons nomades; mais toujours
une excessive saleté est le cachet de la race. Leurs
fenunes ont un peu mieux que des haillons , quelques-
unes arrivent même jusqu'à une mise décente; mais
toujours encore dans ces vêtements et dans la ma-
nière de les porter on voit quelque chose qui tient è
la caste et qui les ferait reconnaître indépendamment
de tous les caractères particuliers à leur espèce.
PREMIÈRE PARTIE.
HISTOIRE
DB
ROUSSILLON
LIVRE PREMIER.
CHAPITRE PREMIER.
Annîbal traverse les Pyrénées. — Chefs gaulois dans Ruscino.
— Ambassadeurs romains à Ruscino. — Pompée et César. —
EtaUissement des Goths. — Expédition de Wamba. — Prise
de livia, les Qusas , Sordonia. — Villa Godoram.
Uhistoire de Roussiilon, proprement dite, ne
commence véritablement qu*au moment' où les mar-
dies d^Espagne se trouvant délivrées du joug des
musulmans, Tancien pays des Sordones fut constitué
en comté particulier, sous un nom emprunté à celui
de la ville qui en était le chef-lieu , et devint bientôt
un petit état souverain et indépendant, autant du
moins que pouvait Têtre une portion de territoire
I. 1
Avant
JcMM-Chmi»
2 LIVRE PREMIER.
que ]e lien féodal retenait sous la suzeraineté d*un
autre territoire de qui il recevait indirectement la
loi. Tout ce qui s'est passé avant cette époque rentre
donc dans le domaine de l'histoire générale. Mais la
connaissance de ces faits étant un préidable nécessaire
à la narration des événements qui composent This-
toire locale , nous allons remonter dans les fastes de
ce pays aussi haut que les souvenirs écrits peuvent
atteindre.
Nous avons déjà dit ce que (ut la terre de Rous-
si8. sillon sous les Gaulois, et quels peuples Thabitaient.
Ce quon sait des annales de ces temps reculés se
réduit à fort peu de chose. Le passage d*Ânnibal k
travers ces contrées est l'événement le plus ancien
dont la mémoire se soit conservée, et ce souvenir
est borné lui-même à un très-petit nombre de faits.
Le point précis où le gr^nd capitaine de l'antiquité
effectua le passage des Pyrénées est encore im mys-
tère. Trois défdés se présentaient à lui pour opérer
cette traversée, qui pouvait être périlleuse si les po-
pulations lui avaient été hostiles : c'étaient les cols
de Banyuls \ de la Massane et du Pertus. De ces troij
défilés, qui tous débouchent sur Illiberis, oùTite-Livc
nous montre l'assiette du camp carthaginois» le se
cond seid nous semble avoir dû obtenir la préfé
^ Nous conserverons aux noms de lieu, le plus possible, leur véri
table orthographe. Ce mot Banyuh est écrit vicieusement Baignols oi
ikigmdsp parce qu en catalan ny équivaut à la n (egne) des Espagnob.
CHAPITRE PREMIER. 5
rence. D'après ce que rhistorien romain nous fait
connaître de ses dispositions de marche , Ânnibsd ne
voulait pas s*écarter de la mer, afin de se tenir cens*
tamment à portée de sa flotte qui la côtoyait. Quoi-
que le col du Pertus ne l'en éloignât pas beaucoup ,
ceux de Banyuis et de la Massane en étaient encore
plus rapprochés. Mais le premier n*était qu'un sentier
impraticable pour une armée qui avait avec elle des
éléphants; le second, au contraire, présentait une
route abordable , et au moins aussi facile que celle du
Pertos, qui n'était point alors ce qu'on la fit depuis.
Le soin que prirent plus tard les Romains de cons-
truire dans ce défUé un casteUum que , sous le nom
de VuUararia, nous savons avoir été gardé à certaine
époque par des détachements des Decumani de Nar-
Inmne, atteste que la route du col de la Massane était
accessible aux armées.
Annibal, brûlant du désir de faire la guerre aux
Romains, avait pris et ruiné, en pleine paix, la ville
de Sagonte, alliée de la république, et le sénat de
Rome avait envoyé à Garthage des ambassadeurs pour
demander, en réparation de cette insulte , qu'on leur
Uyrit le général coupable, ou pour déclarer la guerre
û cette satisfaction était refusée. Ce dernier parti
ayant été préféré , les ambassadeurs romains s'étaient
rendus de Garthage en Espagne potu* solliciter l'al-
liance des habitants de la rive gauche de TËbre, qui
^ seraient ainsi opposés au passage d' Annibal mena-
1.
li LIVRE PREMIER.
çant ritalie; mais la catastrophe de Sagonte, délaissée
par Rome dans son pressant danger, n*était pas de
nature à faire écouter favorablement les propociitions
du sénat.
Refusés par les peuples d*Espagne , les envoyés de
Rome étaient venus faire la même tentative auprès
des Gaulois voisins des Pyrénées. Les che& de ces
peuplades étaient en ce moment réunis à Rusdno. En
se présentant devant leur assemblée, les Romains ne
purent se défendre de quelque inquiétude à la vue de
tous ces princes couverts de leurs armes, suivant fii-
sage de la nation. Bientôt rassurés, ils exposent leur
message ; mais à peine ont-ils cessé de parler, qu*un
nouvel incident vient déconcerter leur gravité. Ac-
coutumés à ËEiire la guerre pour eux et par eux-mêmes,
ces chefs gaulois n*avaient pu entendre sérieusement
des étrangers les engager à se battre pour leur compte,
et à faire ravager leurs propres terres pour épargner
celles de la république qui en étaient très-loin. Quand
les plus âgés de ces chefs eurent réprimé cet accès de
gaieté de la part des plus jeunes, celui qui présidait
rassemblée répondit aux Romains que , n*ayant reçu
ni bienfaits de la part de ceux qui les envoyaient, ni
injure de la part des Carthaginois, il ne leur conve-
nait pas de prendre les armes en faveur des uns au
préjudice des autres; qu*au reste, les mauvais traite-
ments que les Romains faisaient éprouver à ceux des
Gaulois, leurs compatriotes, qui étaient en Italie,
CHAPITRE PREMIER. 5
n'étaient pas un motif qui pût les déterminer à épouser
leur querelle.
Annibal, quittant les bords de TEbre pour aller
combattre sur leurs propres terres les implacables et
éternels ennemis de son pays, avait chargé Hannon,
nommé par lui commandant, en son absence, des
cantons espagnols qu'il avait à traverser, de se porter
en avant avec ses dix mflle fantassins et ses mille che-
vaux pour occuper les passages des montagnes. Après
avoir franchi ces défilés avec le reste de son armée,
qui, par la désertion des Carpetard et le congé donné
aux Geltibériens , qu'eOrayaient les périls de l'entre-
prise , se trouvait réduite à cinquante mâle fantassins,
neuf mille chevaux et trente-sept éléphants, le grand
capitaine vint déployer son camp sous lUiberis, ville
alors grande et opulente. De là il envoya aux chefs des
peuplades gauloises, toujours réunis à Ruscino, et
avec qui il était déjà en rapport^, des députés chargés
de réclamer poiu* lui la liberté du passage. Ces chefe ,
déjà peu disposés à s'opposer de vive force aux pro-
grès de l'armée africaine , et qui n'aiu*aient pu le faire
avec quelque avantage, lorsque, sans défendre les
gorges de leurs montagnes, seul poste où ils pou-
vaient lutter avec supériorité, ils avaient laissé ces
étrangers s'établir dans la plaine avec toutes leurs
forces , séduits d'aiUeurs par les présents que l'adroit
Carthaginois avait eu soin de leur faire distribuer d'a-
vance , se rendirent dans son camp et le traitèrent en
6 LIVRE PREMIER.
ami. Assuré de la neutralité des Bebryces et desVolces,
Ânnibal s'avança rapidement vers le Rhône , où Tat-
tendaient de tout autres dispositions. Là , lès Romains
plus connus qu'au pied des Pyrénées , et qui avaient
des alliés dans les Phocéens de Marseille, avaient
trouvé confiance et bon accueil , et une armée gallo-
romaine s'était portée sur les rives du fleuve. Les
détails de cette mémorable campagne, totalement
étrangers à la province de Roussillon et d'ailleurs
trop connus de tous les lecteurs, nous dispensent de
pousser plus loin le récit de cette célèbre expédition.
Depuis longtemps les Romains nourrissaient le
désir de s'établir dans les Gaules, quand la jalousie
des Saluvii, qui habitaient une partie de la Provence,
contre les Phocéens de Marseille , vint leur en fournir
l'occasion et les moyens. Déjà, vingt-neuf ans aupa-
ravant, les Marseillais avaient appelé une première
fois à leur secours les armes du Capitole. Appelés de
nouveau en l'an 627 de Rome, les Romains ne se
contentèrent plus d'aider leurs alliés, ils jetèrent,
dans le voisinage même de Marseille, les fondements
de lem* puissance dans les Gaules : le consul Sextius
bâtit Ja ville d'Aix, et Rome travailla à se former une
province qui, en trois ans, s'étendit jusqu'aux Pyré-
nées. En effet, pendant que Fabius battait les Auver-
gnats, Domitius traversait le Rhône et obtenait la
soumission des divers peuples du bas Languedoc.
Tous les pays, depuis les Alpes jusqu'aux Pyrénées,
Avaot
118.
CHAPITRE PREMIER. 7
subirent le joug de ces deux Romains ; et ceux-ci éter-
nisèrent ie souvenir de leurs conquêtes par un trophée
élevé sur le sommet des AJpes : ce fut alors pour la
première fois quon vit ie vainqueiu* insulter au mal- lai.
heur des vaincus ^.
Pour contenir les peuples nouvellement acquis à
la république, le sénat avait décidé rétablissement
d'une colonie qui , par sa position , pût en même
temps protéger le passage des troupes en Espagne et
&voriser iasservissement de cette péninsule. La ville
gauloise de Narbo paraissant offrir au plus haut de-
gré ce double avantage , Toraleur Lucius Crassus fut
chargé d*y conduire des habitants. Cette colonie,
que Gicéron appelle la sentinelle du peuple romain ,
est la première que le sénat ait fondée au delà des
Alpes.
Les Romains étaient à peine établis dans les Gaules,
quand les Cimbres foulèrent leur sol pour se rendre jos.
en Espagne. La partie de la province romaine qu'ha-
bitaient les Sordones, ancêtres des Roussillonnais ,
ravagée par le premier passage de ces barbares, eut
encore à souffrir de leur retour, quand, battus par
M. Fidvinus et les Celtibériens , ils furent contraints
de repasser les Pyrénées pour aller se faire exter-
miner par Marins.
Pompée traversa à son tour le pays des Sordones à
' Nunquain populus romanus hostibus devictis victoriam suam
aprolvavit. L, M, Ftori HisL 111, a.
190.
8 LIVRE PREMIER.
ATant la poursuite de Sertorius. En retournant en Italie,
ce Romain fit ériger un trophée de se» victoires au
sommet d*une colline qui domine le passage des Py-
rénées : ce trophée consistait en une tour carrée qui
pouvait être aperçue facilement de i*Âmpourdan et
flu Roussillon. César passa lui-même par le Rous-
sillon quelque temps après, et, ne voulant le céder
en rien à son rival , il fit aussi construire un monu-
ment sur ces montagnes. Mais le blâme qu'avait en-
couru Pompée pour avoir qualifié de trophée un
monument de déplorable souvenir, puisqu'il se rap-
portait à des triomphes remportés sur des conci-
toyens au milieu dune guerre civile, porta son vain-
queur k donner au sien le nom plus modeste d*ara,
aire ou autel.
Pendant toute la durée de l'empire romain, le
Roussillon suivit les mouvements que Narbonne im-
primait à cette partie des Gaules dont elle était la
capitale; il dut aussi recevoir les lumières du chris-
tianisme vers le même temps que cette ville , où elles
pénétrèrent sous le règne de Néron.
A, Le pays des Sordones , qui prit le nom de diocèse
de jé>a» cbrui. j'Eluc lors dc la nouvelle division des territoires an-
671.
tiques en arrondissements épiscopaux, eut pour pre-
mier évêque Domnus, qui vivait en Syi : c'est du
moins , comme l'observe Marca , le premier dont on
ait une connaissance bien certaine.
Suivant ce qui se pratiquait généralement dans
CHAPITRE PREMIER. 9
tous les cantcms qai avaient formé un peuple parti-
calier, le $i^e épiscopal des Sordones aurait dû être
placé à Ruscino , chef-lieu de ce pays ; mais , tout en
donnant au territoire le nom de pagus rascinonensisy
emprunté à celui de ce chef4ieu , Tévèché (ut trans*
féré à Elne, sans doute en mémoire d'Hélène , mère
de Constantin, dont les petits -fils avaient tiré des
ruines dlUiberis un castrwn auquel ils avaient donné
le nom de leur aïeule ^. Du reste , la cathédrale
d'Elne portait le titré A'eccksia rascinonensis ou ros-
soUonensUp tout comme, dans une charte du roi Eu-
des, de 889, le comté de Roussillon est appelé comi-
ttttas elenensis. Au concile de Thusi, Tévêque d'Elne,
Audesinde, signa A. RoêceUensium episcopus : c*est cette
circonstance qui a fait croire à quelques écrivains
qu*il y avait eu des évêques à Ruscino.
Le Roussillon , possédé pendant les premiers siè-
cles de l'ère chrétienne par les Romains, fut tour à
tour saccagé par les hordes harbares qui se succé-
dèrent à des intervalles si rapprochés. Les Vandales
y pénétrèrent en ilo8 en se rendant en Espagne. Leurs *^*
' Marca exjdique ce déplacement insolite du siège épiscopal, en sup-
posant ({ne Ruscino aurait été détruit par les Vandales; mais si cela fut
r^Uement, E^ne ne fut pas plus épargné. Ce prélat ajoute qu^Elne dut
être rétabli ensuite; mais on doit en dire autant de Ruscino, qui exis-
tait encore postérieurement à cette époque, et qui, de Taveu du savant
pràât, fut complètement ruiné en 85g, époque où commença le coê-
tnun nucinonense. Ainsi, les circonstances ayant été les mêmes pour les
deux villes, il faut nécessairement chercher une autre cause au dépla-
cement de Tévèché.
6^i
10 LIVRE PREMIER,
bandes ii*ayant pu traverser les Pyrénées, trop bien
gardés par Didyme et Vérînien , refluèrent dans la
Narbonnaise, qui fut exposée à leurs ravages jusqu'à
Tannée suivante , où elles parvinrent enfin à forcer la
barrière des monts du côté de la Navarre. Soustrait
ensuite à Tentière domination des Romains par les
Wisigoths, le diocèse d*Ëlne fut incorporé dans le
royaume de Gallo-Gothie avec la partie du Languedoc
qui avait résisté aux armes de Clovis.
L'empire des Wisigoths, ou simplement des Goths,
comprenait six vastes provinces, dont cinq, au deii
des Pyrénées, formées parTEspagne, qu'ils avaient
envahie ; la sixième en deçà portant le nom de Septî-
manie. Une révolte ayant éclaté dans celle-ci^ Wamba,
monté sur le trône Tan 678, envoya poiu: la corn*
primer un seigneur de sa cour, parent du roi son pré-
décesseur, et dont le nom de Flavius Paulus décèle
une origine romaine. Ce Paulus, auquel on ne con*
naissait aucun sujet de plainte ou de mécontentement,
loin de remplir lobjet de sa mission , se mit à la tête
des révoltés, souleva la Tarragonaise, et s'empara
de Barcelone, de Girone, de Vie, alors nommé Au-
sone, et de Narbonne. S'étant fait déclarer roi d'Orient
par les rebelles , il écrivit à Wamba qu'il ne qualifiait
que roi d'Occident une lettre pleine de jactance et de
forfanterie ^.
Wamba, parti de Tolède, capitale de son empire,
' Apud scriptorcs rerum frauc.
CHAPITRE PREMIER. 11
pour Tenir châtier Tinsolent qui répondait à sa con-
fiance par une perfidie, marche rapidement 6ur Tar-
ragone ^ od il entre de vive force , reprend Barcelone,
et se dispose à passer dans les Gaides* Pour traverser
[dus Êicilement les Pyrénées et agir stu* piusieiurs
points k la fois , il divise son armée en trois corps.
Le premier, conduit par Didier, neveu du roi et com-
mandant de la Narbonnaise avant la révolte , pénètre
par la Cerdagne et se rend maître de Castrum Libym
(Livia), mdgré la résistance d'Yacinthe, évêque
d*Urgel , et d*Âraugiscle , général de Paul ; de là il se
jeta dans la vallée de Garol et alla attaquer Sordonia
(la tour Cerdane), que défendait Witimir. Le second
corps, sous les ordres de Wamba lui-même, passa
par le diocèse d*Âusone , d*où il s'avança vers le col du
Pertus. Ce corps , partagé en deux divisions , attaqua
à la fois les deux châteaux des Clausuras (haute et
basse Cluse), qui furent emportés d'emblée. Rano*
onde et Hildigise, le premier, duc de la Tarragonaîse,
l'autre , général de Paul , qui commandaient ces châ-
teaux, furent conduits à Wamba les mains liées der-
rière le dos. Le troisième corps entra par le coi de
la Massane , attaqua et prit le château de Vulturaria
(Ultrera), et de là descendit à Caucoliberis (Collioure),
qu'il eideva aussi de vive force. Pendant ce temps le
premier corps, qui venait de forcer Livia, se dispo-
sait à attaquer Sordonia , où Witimir avait annoncé
devoir faire une vigoureuse résistance ; mais ce gé-
12 LIVRE PREMIER.
néral ayant appris la chute des Clausuras fut saisi
d une telle épouvante , qu*il séchappa secrètement de
son château et courut rejoindre Paul i Narbonne.
Arrivé dans la plaine du Roussillon, Wamba s*y
reposa deux jours pour donner à ses deux corps d'ar-
mée le temps de venir le rejoindre; et, après avoir
partagé entre ses soldats le butin fait dans les châ-
teaux emportés de vive force , il fit partir un fort dé-
tachement pour aller entamer le siège de Narbonne.
A Tapparition des troupes royales, Paul, aussi lâche
qu'arrogant , se hâta de fuir à Nîmes, où il se barri*
cada dans les arènes. Les rebelles , voyant qu'ils n'a-
vaient plus de ressource que dans la clémence du
vainqueur, la firent implorer par Ârgebaud, évèque
de Narbonne , qui sollicita et obtint leur grâce. Paul ,
redevable de la vie à ceux qui devaient le juger, eut
les cheveux coupés et fut emmené à Tolède chargé
de chaînes.
Wamba séjourna encore deux jours à Elne à son
retour de Nîmes, et il s'y occupa de régler les limites
des diocèses de la Septimanie, sujet fréquent de di-
visions entre les évêques. Ces diocèses étaient au
nombre de huit : Narbonne , Agde , Bézîers , Mague-
lonne, Nîmes, Lodève, Carcassonne et Elne ^. Quel-
^ La province de Roussillon se composait de cent quatre-vingt-huit
paroisses, dont cent quarante seulement appartenaient au diocèse
d'Elnc; celles de la Gerdagne étaient du diocèse d'Urgel, les sept du
Gapcir étaient du diocèse d'ÂIcth *, Tautavel et Vingrau appartenaient
à larchevéque de Narbonne; enfin les abbayes d'Arles et de Saint-Michel
CHAPITRE PREMIER. 15
ques anciennes notices des évèchés d'Espagne en oni
placé un à CoUipure , mais c'est à tort. B est probable ,
comme le pense Marca, que les auteurs de ces écrits
ont confondu CaacoUberis ou Caac(hIUib$ris ^ conmie
on voit ce nom écrit quelquefois, avec Eine qui n'a-
vait pas encore entièrement perdu alors son nom
d'Dliberis, ainsi que l'attestent les tables de Peu-
tinger.
C'est après son retour de cette expédition que
Wamba rendit une loi qui assujettissait les prêtres
séculiers à prendre les armes pour la défense du pays ,
quand ils seraient convoqués par les comtes. Le on-
zième concile de Tolède modifia ensuite cette loi , de
concert avec le roi Évei^ire.
L'empire des Goths sur l'Espagne et la Septimanie
finit avec l'invasion des Arabes en l'an 7 1 a . Sa durée,
depuis le moment où l'empereur Honorius fut con-
tramt de céder à ces conquérants la partie des Gaules
dans laquelle ils s'étaient établis , et toute l'Espagne ,
que les armes romaines ne pouvaient plus reprendre ,
avait donc été de deux cent qifatre-vingt-quatorze ans.
Cest dans cet intervalle, mais à une époque tout
i fait inconnue, que ces peuples fondèrent, à un
Qullier de toises de Perpignan, qui n'existait point
encore alors , un bourg dont le nom de Villa Godorum
tvaieot juridictioii épiscopale sur vingt paroisses du Vallespir et du
enflent. Essais tûstoriques et militaires sur la province de RoassiUon,
14 LIVRE PREMIER.
fut changé plus tard en celui de MaUeolas ^ : ce n*est
plus aujourd'hui qu*un quartier où s'aperçoivent quel-
ques ruines.
Nous ne pouvons citer aucune autre fondation de
ce peuple dans cette province; l'histoire dé cette
époque est enveloppée des plus épaisses ténèbres,
et rien ne peut aider à en pénétrer Tobscurité.
' Voyez la note vi à la fin du voltune.
CHAPITRE DEUXIEME. 15
CHAPITRE IL
Invasion des Arabes. — Mort de Munuza près de Hanez. — Jie
RoussiUon se donne à Pépin. — La Cerdagne délivrée des
Arabes. — Réfugiés espagnols. -^ La marche d'Espagne di-
visée en comtés. — Titres d*honneur. — Plaids et Champs-
de-mai. *-« Création d*abbayes.
n serait tout à fait superflu de parler ici des causes
de Tinvasion de TEspagne par les Arabes. Maîtres de
la péninsule , après avoir défait les Goths et tué leur
roi Roderic, ces Africains cherchèrent à s'étendre dans
la Gaule, et, sous la conduite d*Alahor \ ils se présen-
tèrent au passage des Pyrénées. Suivant les historiens
arabes, ils les auraient franchis et seraient parvenus
jusqu'à Nîmes; suivant les écrivains chrétiens, au
^^ntraire, la vigoureuse résistance qu'ils auraient
éprouvée dans ces montagnes les aurait forcés de
* Al-haour ben Abdel-Rhaman al-kaisi. Voyez i'Ârt de vérifier les
'laies. Continuatioo, 3* partie.
Les Occidentaux n'ont pas moins défî^oré les noms arabes que les
arabes les noms chrétiens, an point qu il est souvent diiEciie d'établir
^^ne identité. Il n est pas plus facile de faire concorder lea mêmes ^vé-
v^ements rapportés par les historiens des deux peuples. Voyez VHistoria
«le la dominacion de ïos Arabes en Espaha, par J. Ant. Gonde, 5 vol. in-4^
^830*1891. Madrid. Forcé d^opter entre les nns ou les autres de ces
^ittoriens pour le petit nombre de faits qui se rattachent à notre hift-
%i>ire, nous croyons devoir suivre de préférence les écrivains occiden-
"taux, puisque la discussion des faits, pour en établir la concordance,
4nctirait du cadre dans lequel nous devons nous restreindre.
16 LIVRE PREMIER,
rentrer dans la Tarragonaise , et ce n'aurait été que
le successeur d*Alahor, Zama \ qui aurait pu vaincre
7*'* cet obstacle trois ans après.
En pariant de cette invasion des Arabes, l'histoire
ne nous la peint que sous les couleurs les plus lu-
gubres. Le nom des Arabes, Maures ou Sarrasins, ne
se montre à notre esprit qu accompagné de toutes les
idées d'épouvante et de terreur; il y effiice ou fidt pâlir
celui des Hims , des Alains , de tous les peuples les
plus barbares ; notre imagination , habituée à ne voir
ces Africains que le fer d'une main et la torche de
l'autre , croit ne pouvoir suivre leurs pas qu'aux traces
du sang des chrétiens et à la lueur de l'incendie de
leurs églises. Écrivant sous l'influence de la diflSrence
de religion au moment de la plus grande ferveur pour
le catholicisme, qui n'était généralement répandu dans
toutes les Gaules que depuis trois siècles, ces chroni-
queurs contemporains ont singulièrement exagéré les
ravages dont ces peuples se rendirent coupables. Les
Arabes ne firent pas plus que n'avaient fait les bar-
bares , dont le passage fut une calamité pour les con-
trées civilisées par les Romains, qui étaient chrétiennes
comme eux, et où ils éteignirent toutes les connais-
sances humaines. A cette époque déplorable de l'his-
toire , les guerres étaient toutes terribles et les inva-
sions désastreuses. Les Arabes, quelles que fiissent
leurs connaissances, ne différaient nullement, à cet
* Al-Samah beo Melik al-Khaulani. Art de vérifier U$ dates, 3* partie.
CHAPITRE DEUXIÈME. 17
égard, des autres peuples , mais il est constant que ceux
qui se résignaient à leur domination , et le nombre en
était très-grand, pouvaient mettre des conditions à
leur obéissance, et que ces conditions étaient fidèle-
ment observées. «Épargnez les peuples désarmés et
«ceux qui vivront en paix avec vous; réservez vos
«coups pour ceux qui feront contre vous. usage de
«leurs armes; gardez-vous de rien enlever à Thabitant
«des campagnes, mais dans les villes prises d assaut
«que les dépouilles vous appartiennent.» Telles fu-
rent les instructions de Tarie à ses lieutenants : elles
ne décèlent pas le sanguinaire cbef de ce qu*on fait
exprimer au mot Sarrasins. Les chrétiens des pays
conquis conservèrent leurs lois , leurs prêtres et leurs
autels, et les muzarabes d*Espagne sont une preuve
de la protection accordée à la religion des vaincus.
Des chefs arabes eux-mêmes ont fait des règlements
pour la juridiction diocésaine d* églises de pays soumis
i leur domination ^
Possesseurs du Roussillon et de Narbonne , les Ara-
bes voulurent pousser leurs conquêtes dans la Septi-
manie , qu'ils tenaient à soumettre en entier comme
taisant partie de l'empire des Goths, dont ils voulaient
s'approprier tout l'héritage. L'un de leurs généraux,
Munuza^ commandant une armée dans les montagnes
' Voyez dans Damet, Historia del Regno Balearico, la charte d'Ali,
P^Téglise de Dénia : elle se trouve aussi dans Marca.
* Oihman-Ben Abn-Nexa, nommé Munuxa parles Occidentaux.
i. 1
18 LIVRE PREMIER.
des Pyrénées, jaloux, dit-on, de la gloire acquise par
rémir d*Espagne Âbd-Errahman-Ben Abdalach et Ga-
73o. feki, avait conclu, en 7 3o , une trêve avec Eudes , duc
d'Aquitaine, dont il avait épousé la fille Lampegie,
princesse d*une rare beauté. Munuza , ayant reçu de
l'émir Tordre de faire une nouvelle irruption chei le»
chrétiens , il lui répondit que la trêve signée ne lui
permettait pas de reprendre les hostilités. Âbd-Errah-
man, apprenant bientôt les liaisons de son lieutenant
avec le prince chrétien , réitéra l'ordre de fi*anchir les
frontières, attendu qu'une trêve signée sans sa parti-
cipation n'avait pas de valeur, et Munusa , forcé
d'obéir, prévint secrètement son beau-père de se tenir
sm' ses gardes. Instruit de cette trahison, l'émir en-
voya contre le cheik infidèle un corps de troupes qui
le surprit dans Livia \ lieu de sa résidence , où Mu-
nuza voulut se défendre jusqu'à l'extrémité; mais,
manquant bientôt de tout dans cette place, il s'en
échappa pour s'enfuir vers son beau-père. Gedhi-Ben
Zeyan, chargé du commandement des troupes en-
voyées contre lui , le fit poursuivre de tous les côtés.
Épuisé de fatigue et retardé dans sa marche pajr sa
* Le nom que les Arabes donnent à celle ville où fut surplis Abu-
Neza est Allah, qui signifie la Porte. Coude croit que c'était Puycerda ,
mais c'est à tort, puisque cette derni^re ville ne date que de io5o en-
viron (voyez Maira liisiKin.). Isidore de Badajos la nomme Livia, et
Marca pense que c'est à celte occasion que l'ancienne Livia, qui était
sur la colline au pied de Inquelle est l)âlie la ville moderne, fut dé-
Iruite par les Arabes. On voit encore ses ruines au haut de cette colline.
CHAPITRE DEUXIÈME. 19
femme , qu'il ne voulait pas abandonner, Munuza s'é-
tait arrêté auprès dune fontaine, quand il aperçut
près de lui les soldats de Gedhi. Abandonné par tous
ses serviteurs, il voulut défendre seul sa femme, et ^3,.
tomba accablé par le nombre. Nous pensons que
cette fontaine était celle de Planez , et que le singulier
monument qu'on voit dans ce village fut le tombeau
d'Abu-Neza. Planez ne se trouve pas sur la route de
V Aquitaine., mais on doit supposer que le cheik, qui,
comme le dit Vaissette, connaissait très* bien toutes
œs montagnes , dut chercher à éviter, par un détour,
ks soldats de Gedhi et à gagner la Septimanie par
(Mette et le Capcir. Quant au monument élevé sur
ses restes mutilés , Abd-Ërrahman , après avoir puni le
traître, a pu faire donner à ces mêmes restes une se-
pidture convenable au rang du cheik : un pareU fait
n'a rien d'extraordinaire de la part des musulmans.
Lampegie fut envoyée en présent au calife, à Damas,
a?ec la tête de son époux.
Âbd-Ërrahman fut battu cette même année par
Charles Martel, près de Poitiers, et il perdit la vie
dans la mêlée. Son successeur, Abd-el-Melic , chaîné ^u.
de le venger, fut écrasé dans les Pyrénées. Les écri-
vains arabes ne parlent pas d'une irruption qui , sui-
vant les chroniqueurs chrétiens , eut encore lieu vers
cette époque, et où les Maures, après avoir pénétré
jvistju'en Bourgogne, furent repoussés et enfermés
dans Narbonne.
20 LIVRE PREMIER.
Narbonne était Tunique ville qui restât aux Arabes
en deçà des Pyrénées. En apprenantdie danger qui la
menaçait, ils lui envoyèrent d'Espagne un puissant se-
cours sous la conduite d'Âmoros ^ Celui-ci embarque
ses troupes sur des vaisseaux, mais ne pouvant pas
opérer une descente à Tembouchure de TAude, trop
bien gardée, il alla prendre terre auprès de la petite
ville de La Nouvelle, et de là il se porta rapidement
dans une vallée des Corbières , entre Villefalse et Si-
gean. Charles Martel, qui était devant Narbonne,
n eut pas plus tôt appris Tar rivée de ce secours ennemi
^3^, qu'il se porta à sa rencontre. Les deux armées se me-
surèrent; le chef des Franks tua de sa propre main le
chef des Arabes, et par ce coup hardi jeta Tépou-
vante au milieu de leurs bandes. La déroute fut com-
plète et le carnage affreux; le vainqueur poursuivait
les fuyards jusque dans les eaux de Tétang, où il les
perçait de dards ou les tenait enfoncés dans Teau
pour les y noyer : très-peu parvinrent à sauver leur
vie^. Cependant, malgré cette victoire, Narbonne ne
fut pas prise : cette ville ne succomba qu'après un
' C'est apparemment Amer-Ben Amru , émir de la mer.
* Il existe, sur la rive gauehe de la petite rivière de Berre, À la sortie
du village de Portel, un assez grand nombre de tombeaux presque à
fleur de terre, construits et couverts avec des dalles, et tous orientés
orient et occident. Nous supposons que ce sont ceux des principaux
Arabes qui périront dans cette aflaire, et que leurs compatriotes, qui
occupaient ces montagnes, auront enterrés après la bataille. Amer ne
fut pas tué, comme ravunccut les chroniqueurs français, puisquHl se
révolta en 749.
CHAPITRE DEUXIÈME. 21
l^locus de sept ans, et par le concours des Goths qui
l^habitaient. Ces restes de l'ancienne population con-
quérante , après avoir fait leurs conditions avec Pépin
pour conserver leurs lois et leurs usages , égorgèrent
les Arabes qui formaient la garnison de la ville, et en 7^9-
ouvrirent les portes au roi des Franks.
Le RoussUlon et le Gonflent s'étaient donnés à Pé-
pin dès le temps qu'il faisait le siège de Narbonne ^
Les Goths, les Romains, les naturels du pays, qui,
tous confondus formaient alors la population roussil-
lonnaise, s'étaient sans doute défaits aussides Arabes
restés au milieu d'eux, de sorte que par la reddition
de Narbonne la Septimanie entière se trouva acquise
à la France; mais, ainsi que Ta fort judicieusement
remarqué le savant historien du Languedoc, cette
possession n'était pas, pour les Franks, un droit de
conquête , elle fut uniquement le résultat d'un traité
solennel, suivant lequel le peu de Goths qui occu-
paient encore les charges de cette province, en vertu
de la cession que leur en avait faite jadis l'empereur
Honorius, la cédèrent à leur tour aux Franks qu'ils
appelaient à leur secours ^. C'est à cette circonstance
(jue fut due la continuation de l'usage des lois wisî-
gothes dans cette partie de la Septimanie , au lieu de
l'assujettissement au droit romain comme dans toutes
les provinces soumises par les armes des Franks.
' Marcahisp. pag. 34o.
' Hist. gén. de Long. VIII. 47.
22 LIVRE PREMIER.
De ce moment commencèrent les véritables droits de
la France sur le Roussillon , le Gonflent et le Vallès-
pir , très-différents et bien distincts de ceux, auxquels
elle prétendit depuis sur le comté de Barcelone.
Après la chute de Narbonne , les armées françaises
passèrent les Pyrénées et soumirent la marche d'Es-
pagne (Catalogne), où commandait Soliman ^. Â Pé-
pin succéda Charlemagne, qui acheva Touvrage de
ses deux prédécesseurs.
776. Les premiers exploits du fJs de Pépin furent con-
tre les Saxons. Ce prince se trouvait à Paderbom,
quand Fémir Ibn-el-Arabi ^ vint lui faire Thommage
pour une partie de TÂragon dont il était gouverneur.
Le roi des Maures, Âbd-Errahman, qui s*était emparé
sur Jussuf du trône musulman de la péninsule, avait
pour gouverneurs des provinces voisines des Pyré-
nées , des parents ou des créatures du prince détrôné.
Plusieurs de ceux-ci, et entre autres Soliman, gou-
verneur de Barcelone, s étaient, en 769, mis sous
la protection de la France; Ibn-el-Arabi avait tenté
den faire autant, mais Âbd-Errahman, en ayant eti
avis, s'était mis en marche pour TAragon et Tavait
forcé de se soumettre. Cet émir avait dissimulé quel-
que temps, mais, croyant enfin le moment favorable,
' Lp gouverneur de Sarragoîiwî, à relie époque, était Abd-el-Mdic,
qui commandait égalemenl la Catalogne.
' \ucun nom de celle espèce ne figure chez les historiens arabes
traduits j>ar Conde; c'est toujours Abd-el-Melic qui est gouverneur de
Sa rra gosse.
CHAPITRE DEUXIÈME. 28
il était allé joindre Ghariemagne à Paderborn, et dans
la diète de cette ville il Tavait reconnu pour son
souverain et avait demandé son secours pour repren-
dre ce qu*Abd-Errahman lui avait enlevé. Charles se 778-
mit en effet en campagne Tannée suivante , et son ar-
mée, divisée en deux corps, entra en Espagne par la
Navarre et par le Roussillon. La prise de Sarragosse
ne tarda pas à coiœonner cette expédition. Après
avoir ainsi remis Témir en possession de ce qui lui
avait été enlevé , les deux corps d armée reprirent la
route de France par la Navarre et furent taillés en
pièces à Roncevaux.
Ghariemagne, ayant été forcé de rentrer en Ger-
manie pour soumettre de nouveau les Saxons révol-
tés, Âbd-Errahman avait profité de son éloignement
pour reprendre une partie des terres que ce prince
lui avait arrachées ; à son retour, Charles les fit re-
conquérir une seconde fois, et c*est alors que, pour
en assurer la conservation , il divisa tout ce territoire
en comtés.
L'empereur avait élevé Louis , son fils , au trône d*Â-
quitaine, dès Tâge de trois ans. Ce jeune roi en avait
quinze, quand, en 7 9 3, il alla secourir Pépin, son 79^
frère, roi dltalie, contre les Bénéventins révoltés.
Lémir Issem, maître de TEspagne, voulant tirer parti
de cette circonstance, fit franchir les Pyrénées à une
armée sous le commandement d*Abd-el-Melic ^ qui
' Abd-el-Melik-Beti Omar, que des Occidentaux appellent Marsille'.
24 LIVRE PREMIER.
ravagea tout le pays jusqu*à Narbonne. Celui-ci était
déjà sur ia route de Carcassonne, quand Guillaume,
duc de Septimanie , qui avait réuni à la hâte les trou-
pes réparties dans son gouvernement, lui livra ba-
taille et fut vaincu , malgré tous les prodiges de valeur
personnelle. Cependant, les Maures affaiblis par les
pertes que leur avait coûtées la victoii'e, jugèrent à
propos de repasser les Pyrénées, emmenant un grand
nombre d esclaves et un immense butin. Cinq ans
après, le roi d^Aquitaine, par Tordre de son père,
7»'- entra sur les terres des Maures et prit sa revanche.
Dans cette expédition , Louis fit relever les murailles
et les maisons de la ville d*Ausone ou Vie, de Cardone
et de quelques autres châteaux, et il en confia le
commandement et la garde à Borcl avec le titre de
comte d'Ausone : alors cessa entièrement la domina-
tion des Maures dans la Cerdagne.
L'invasion de l'Espagne par les Sarrasins avait fait
refluer dans la Septimanie une foule de familles de
Golhs et de naturels du pays, qui avaient reçu de
Charlemagne des terres incultes dans la province.
Des voisins jaloux avaient usurpé sur ces terres, et les
comtes exigeaient des concessionnaires le cens et le
tribut, quoique ces terres leur eussent été abandon-
nées libres de toutes charges. L'empereur, à qui ces
familles avaient adressé leurs plaintes, avait renvoyé
le jugement du fond de l'affaire â Louis, roi d'Aqui-
taine , son fils, et il avait écrit aux comtes de leur faire
CHAPITRE DEUXIÈME. 25
restituer, en attendant, ce qui leur avait été enlevé,
avec défense d*exiger d*eux aucun impôt. La consé-
quence du renvoi fait à Louis fut que ce prince rendit
deux ordonnances pour fixer la manière dont ces ré-
fugiés devaient être traités, et les obligations aux>
quelles, par réciprocité, ceux-ci étaient tenus de se
soumettre. Ces obligations, qui n'étaient du reste que
celles qui étaient commîmes à tous les hommes libres
de France, étaient, en substance, de suivre le comte
à la guerre, de monter les gardes et faire sentinelle,
d'héberger les envoyés du roi [missi dominici) allant
en Elspagne ou en revenant, et de leur fournir des
chevaux^. Deux chartes, de 81 5 et 816, confirmè-
rent cette ordonnance; aux termes de la dernière, il
en fîit fait huit copies pour être déposées , Tune dans
les archives du palais et les autres dans les che&4ieuK
des diocèses où se trouvaient sans doute établis ces
réfugiés; ces villes étaient Narbonne, Carcassonne,
Béziers, Ampurias, Barcelone, Girone et RosciUona
<m Elne , car ici ce mot ne se rapporte point à Rus-
cino.
En divisant la marche d'Espagne en comtés , Char-
lemagne avait innové sur l'usage constant jusqu'alors
de ne mettre qu'un comte par diocèse , seule division
territoriale connue à cette époque : il en avait établi
plusieurs dans chaque arrondissement épiscopal. Ainsi,
le diocèse de Barcelone, qui, comme tous les aii-
' Capital, regam Franc, toin. I, pag. 55o.
26 LIVRE PREMIER.
très, n aurait dû former qu*un comté, en eut deux,
Barcelone et Penitès; le diocèse de Girone en eut
quatre, Girone, Pierrelate, Âmpurias et Besalu; le
diocèse d'Uhgel en eut trois , Urgel , Cerdagne et Pal-
las ; Ausone en eut trois aussi, Ausone ou Vie, Manresa
et Berga; enfin le diocèse d*Elne eut les comtés de
Roussillon , de Gonflent et de Vallespir. A cette épo-
que le Capcir appartenait au diocèse de Narbonnè et
faisait partie du Carcasses. Elnlevé en 980 au comte
de Carcasses par celui de Cerdagne, ce canton fut
décidément attribué au dernier par le traité de paix
survenu entre ces princes. Quant à la vallée de Ga-
roi, il paraît que de tout temps elle a été comprise
dans la Cerdagne.
Ce morcellement des diocèses, tout insolite qu*il
était , fut maintenu par Louis le Débonnaire , après
la mort de son père , par la seule raison qu*il existait
déjà, car une partie de ces comtés, et, entre autres,
pour le diocèse d*Elne, celui de Vallespir, n'eurent
jamais de comtes particuliers, mais seulement des vi-
comtes, et celui de Confient, s'il en avait avant qu'ils
devinssent héréditaires, n'en a plus eu depuis cette
époque après la mort de Radulphe qui le possédait
alors ^
La charge de comte ne fut d'abord qu'à vie , et ne
' Chez les Goihs, comme cliez les anciens Franks, chaque diocèse
avait son comte et son évêque. Cette dignité de. comte avait commencé
vers le milieu du m' siècle.
CHAPITRE DEUXIEME. 27
passait pas à la famille de celui qui en était pourvu.
Plus tard les guerriers préposés au gouvemèment
des provinces en usurpèrent généralement la souve-
raineté qu^ils transmirent à leurs descendants. Gettç
usurpation , dont on avait eu déjà quelques exemples
H)us Charles le Chauve , et que Tautorité royale ne
pouvait plus empêcher désormais, fut confirmée et
rendue l^itime dans la diète de Kiersi, Tan 876.
Deux sortes d'adjointe étaient accordés aux comtes
pour les aider dans leurs fonctions. Les uns , préposés
à l'administration de certains cantons , à la place du
comte, prenaient le titre de vice-comte, et par syn-
cope , vicomte ; les autres , dont la charge était plus
bornée, n'administi^aient qu'une portion de canton,
et s'appelaient vicarii , dont on a fait viguier. Le
Roussillon , la Cerdagne , le Confient et lé Vallespir
eurent aussi leurs vicomtes jusqu'au commencement
au \f siècle; mais ie plus souvent ces vicomtes ne
furent que des parents des comtes , à qui ceux-ci dé-
partaient une partie de leur juridiction, peut-être
même un simple et vain titre.
Pour mieux ^surer encore la défense de la maït^he
d'Espagne, Charlemagne y avait établi, ce que, en
langue teutoniquéf, on appelait des va;s5ori, person-
nages, auxquels, en récompense de quelque vertu
guerrière , le prince accordait une certaine quantité de
terres, à la charge, de la part du concessionnaire, de
faire l'hommage au souverain , c'est-à-dire de lui être
28 LIVRE* PREMIER,
soumis et fidèle comme à son seigneur. Le vassor cé-
dait à son tour une partie de ce qu*il avait reçu k
d autres personnes , qui se plaçaient ainsi sous sa dé-
pendance, et qui étaient ses vavassors, et les arrière-
vassaux de la couronne.
Vers le règne de Charles le Chauve, ces vassors
avaient pris, en France, le titre de barons, du mot
teutonique bar, qui signifie homme ^, comme pour
dire Thomme du prince. Il est vraisemblable que
Texpression catalane rich-hom, que les Castillans adop-
tèrent plus tard (rico-homhre) , et qui répondait à celle
de baron , fut Texpression , en langue romane ou lan-
gue d'oc, de ce même mot bar, auquel on ajouta Tépi-
thète de riche, à raison sans doute des grandes terres
dont ceux qui en étaient honorés étaient redevables à
la libéralité du souverain.
Chez les écrivains du moyen âge et des siècles sui-
vants , les grandes concessions de terre sont appelées
bénéfices y parce qu'elles étaient un effet de la muni-
ficence du monarque, et les fielis prennent le nom
àlionnears, parce qu'ils étaient ordinairement la ré-
compense dune action d'honneiu*, cest-à-dire d'un
acte de bravoure.
Après les barons, qui formaient la première no-
blesse, venaient les chevaliers, milites. Celui qui était
investi de cette qualité prenait le titre de dominus ou
domnusy seigneur, titre qui, dans la péninsule, se na-
* Mana hisp. pag. 268.
CHAPITRE DEUXIÈME. 29
turalisa en s*abrégeant en don. Dans la Septimanie,
les chevaliers, au lieu de tirer leur titre de dominas,
le firent dériver du mot senior ou ancien , abrégé en
celui de sen. Ce titre , joint à radjectif possessif mon,
devint mon sevyor, ou, abréviativement, mon sen,
que par euphonie on prononça mossen, et qui sa-
brégea encore lui-même en en qu on trouve fréquem-
ment dans les poésies des troubadours. La Catalogne,
faisant partie de la Septimanie, adopta le titre de
en, auquel sassocia plus tard celui de don, qui n'é-
tait donné qu'aux plus grands seigneurs. Le dernier
degré de la noblesse était distingué par le titre de
iomnicellas, donzel ou damoiseau, donné à ceux qui,
possédant des fiefs , n'étaient ni barons ni chevaliers.
Ce titre eut pour correspondant , en Catalogne , celui
itgeneros, équivalent de gentilhomme, qui succéda
i damoiseau.
Les rois de France , suivant un usage établi dans
les Gaules dès la plus haute antiquité , tenaient à la
fin de chaque année, sous le nom de plaids, une as-
semblée générale de tous les barons, prélats, grands
seigneurs et abbés , dans laquelle se discutait et s'ar-
rêtait tout ce qui devait se faire dans le courant de
l'année suivante, soit en guerre, soit en administra-
tion. L'année commençant alors à Pâques, et ces as-
semblées se tenant en rase campagne , on donnait le
nom de champ-de-mars à l'endroit où l'on se réunis-
s^t, et le même nom servait à désigner aussi l'assem-
30 LIVRE PREMIER.
blée. Pépin, trouvant le mois de mars trop incom-
mode, lui substitua celui de mai, d'où le lieu des
séances des plaids, et les plaids eux-mêmes prirent le
nom de champs-de-mai. Les comtes eurent aussi leurs
plaids, quand ils avaient quelque grande question â
décider; mais ces plaids n'étaient que de circons-
tance , et les comtes ne pouvaient les tenir autrement
qaàjean ^ c'est-à-dire de grand matin. Le contrat de
vente d'un terrain situé au terroir de la Ville des Gaths,
place au nombre des confronts le campus madii, ce
qui semble indiquer que les plaids des anciens comtes
goths, et peut-être aussi des premiers comtes firanks
du Roussillon , se tenaient près de ce bourg.
Les délibérations arrêtées dans les champs-de-mai
étaient envoyées par le chancelier aux évêques et
comtes métropolitains, qui les ti*ansmettaient aux au-
tres évêques , s'il y en avait dans le ressort de la ju-
ridiction, et aux abbés pour les faire promulguer. La
marche d'Espagne n'ayant que peu d'abbayes quand
Charlemagne en organisa le gouvernement, la raison
de la tenue des plaids fut, suivant Marca, un des mo-
tifs qui déterminèrent ce prince à en augmenter le
nombre. Le Roussillon ne possédait alors que l'ab-
baye d'Arles^, fondée en 778; celles qui paraissent
* Nec placitum liabcat cornes, nisi jejunus. Capit. reg. Franc, t. î,
pag. 8^3.
* L'abbaye d'Arles, alors sous le nom d'abbaye de Vallespir, était un
des dix-neuf monastères de la Septimanie et un de^ trente-quatre qui
ne devaient au roi ni présents ni soldats, mais seulement des prières.
CHAPITRE DEUXIÈME. 51
s*être établies à cette époque sont, Tabbaye de Saint-
Genys-de-Fontanis, qui remonte vers l*an 8 1 9, et celle
de Saint-André-de-Soréda , à laquelle on voit Charles
le Chauve donner une charte en 869.
Un concile fut tenu dans l'église de Saint-Genys
vers la fin du ix* siècle , pour la déposition , si le fait
est vrai, de Selva et d'Hermemiro, usurpateurs des
évêchés d'Urgel et de Girone ^
^ Marca hispan.
32 LIVRE PREMIER.
CHAPITRE m.
Obscurité de Thistoire des comtes de Roussillon. — Gaucdme.
— Bera. — Suniaîre. — Miron. — Suniaire H. — Bencion et
Gausbcrt. — Gausfred. — Comtes de Cerdagne, Wifred. —
Wifred II. — Oliba. — Miron. — Comtes de Roussillon , Gui-
labert. — Gausfred II.
comtw Rien de plus obscur que Thistoire des comtes de
RoaMtUon. Roussillou , dc plus embrouillé que leur chronologie.
Admis par certains écrivains, rejetés par d'autres, les
princes qui en composent la suite se mêlent confusé-
ment dans les ténèbres des siècles passés, et on ne
sait de quel flambeau s éclairer au milieu de ce chaos,
historique. Les actions militaires, soit agressives, soit
défensives , de ces princes , leurs actes législatifs ou de
simple administration , sont à peu près ensevelis dans
le plus profond oubli. Quelques fondations pieuses,
quelques donations à des églises, quelques prises d'ar-
mes que nous considérerions aujourd'hui comme des
actes de brigandage, mais qui étaient dans les mœurs
du temps, rappellent bien le nom de quelques-uns,
mais ne peuvent suffire pour les faire -distinguer de
leurs voisins homonymes. En effet, les comtes de Bar-
celone, de Besalu, d'Ampurias, de Cerdagne, de
Roussillon, sortant tous de la même tige, celle de Wi-
fred de Ria, se montrent sous des noms identiques;
CHAPITRE TROISIÈME. 35
et si on ajoute à cela que, leur domaine privé se trou-
vant épars sur toute la surface de la marche d'Es-
pagne, ils font avec ce domaine des donations à des
églises situées hors de leur propre comté, et que dans
ces actes de donations aussi bien que dans d autres
qui les concernent, ils ne sont désignés que par le
simple titre de comtes, sans spécification de lieu, on
concevra combien il est diifficile de reconnaître, à
travers toute cette confusion , quel fiit précisément le
pays soumis à leur puissance. Si Baluze, si Vaissette,
Fossa, Gispert, n'ont pu débrouiller cette chrono-
logie lorsqu'ils avaient à leur disposition les monu-
ments dont nous sommes privés aujourd'hui, c'est-à-
dire les archives entières et complètes des églises et
maisons religieuses, et des titres, des archives publi-
ques, qui, à une époque de vandalisme, ont été livrés
aux flammes, comment pourrions -nous espérer de
6ire mieux qu'eux? Essayons cependant d'extraire le
plus de lumière possible du peu qui nous reste sur
cette matière difficile.
Le premier comte de RoussiUon nommé par Ghar-
lemagne n'est pas connu. Celui qui se montre à la
tête de cexix dont on a conservé le souvenir, c'est
Gaucdme ou Gaucion , frère de Bernard , duc de Sep- - Giocu»
timanie, et fils de ce Guillaume que Charles avait
^voyé contre les Maures entrés en Languedoc, et
qui fut battu près de Carcassonne. Gaucelme avait,
comme son firère, embrassé le parti de Pépin P', roi
I.
83i.
SA LIVRE PREMIER.
d'Aquitaine, contre Louis le Pieux ou le Débonnaire,
quand les enfants de ce roi se révoltèrent contre lui.
Bernard, dont la conduite hostile était connue de
toute la cour, fut privé de ses dignités dans rassem-
blée convoquée pour juger Pépin et ses adhérents;
quant à Gaucelme, une commission fut envoyée sur
les lieux pour faire une enquête sur la part qu*ii avait
pu prendre dans la révolte , et , reconnu coupable , il
fut dépouillé de ses dignités comme son frère.
Pour expier leurs fautes et rentrer dans les bonnes
grâces du monarque, Bernard et Gaucelme se dé-
vouèrent chaudement à ses intérêts. Le duc de Septi-
manie obtint la restitution de ses titres et de ses hon-
neurs, et revint en Languedoc Tannée suivante. Son
frère n*eut pas le même bonheur' : Thistoire nous ap*
prend qu'il continua à servir dans les armées de Louis,
et qu'il périt misérablement en 834. Enfermé dans
Châlons-sur- Saône, quand Lothaire vint faire le siège
de celte ville , il tomba avec elle entre les mains de
ce prince qui le fit décapiter : sa sœur, qui s'y trou-
vait aussi, fut enfermée dans un tonneau et jetée dans
la rivière.
Un seigneur nommé Béranger avait été substitué à
Bernard quand celui-ci fut éloigné de son duché de
Septimanie. A ce titre, et en l'absence du comte de
Roussillon dont le remplaçant n'était pas encore dé-
signé, ou ne se trouvait pas sur les lieux, Bérenger se
rendit à Elne, oii, le Ix des nones de février 83a
CHAPITRE TROISIÈME. 35
(833), il tint un plaid dans lequel il fit restituer à
Babila, abbé d'Arles, certaines terres usurpées sur
l*abbaye.
Suivant Fossa ^ et Gispert ^, Gaucelme fut rem-
fàdicé par Suniaire ; mais Baluze ^ suivi en cela par
Vaissette \ lui donne Bera pour successeur immédiat.
Fossa cite à Tappui de son opinion Tédit de Charles
le Chauve en faveur des Espagnols réfugiés en France ;
mais dans cette pièce Charies se borne à nommer
le comte Simiaire, sans ajouter la désignation de son
comté, ce qui n'apporte aucun témoignage ni pour
ni contre ce sentiment. Bera , qu'admettent Baluze et
Vaissette, et que repousse Fossa, se présente dans
lliistoire comme ayant véritablement possédé cette
dignité ainsi que nous le démontrerons bientôt.
Nous nous conformons au sentiment des deux der- B«r«.
niers critiques , et nous plaçons le nom de Bera après
oeltii de Gaucelme. Il nous paraît cependant qu'il y
a eu une lacune entre l'année où ce dernier fut privé
de son gouvernement et celle où Bera fut revêtu du
rien : cette lacune fut-elle remplie par un intérimaire
substitué ou par un titulaire, c'est ce qu'il nous est
impossible de décider.
C'est sous le comte Bera qu'en 846 fut fondé dans ^^^
^ Mim, sar les comtes de Rouss, dans i'Art de vériGer les dates.
' Observations sar le traité de iiSb.
' Appendix Marcœ kispanicœ.
^ Hist. gin. de Long. tom. I.
36 LIVRE PREMIER.
la vallée d*Engarra, en Gonflent, le monastère de
Saint -André d'Exalada, en faveur duquel Louis et
Charles rendirent quelques ordonnances.
Parmi les donations dont Bera enrichit cette ab
baye de Saint- André, il en est une qui, vingt-trois ans
après, donna lieu à une contestation entre le comte
Salomon et labbé , et qui est la preuve que ces deux
princes ont gouverné le Roussillon.
saBttir*. Vaissette pense que Suniaire a pu succéder à Bera
wo- en 85 o, et en elTet les termes dans lesquels il est
parlé de ce comte dans un édit de Charles pour le
monastère d'Exalada ne laissent pas douter qu*il ne
possédât le comté de Roussillon avec ceux d*Ampurias
et de Besalu.
«59. Nous ignorons si Suniaire vivait encore en SSg,
quand les Normands dévastèrent le Roussillon. Ces
pirates, dont la flotte se trouvait à Tile de Camai|;ue,
dans les Bouches- du-Rhône, pillèrent et brûlèrent
Ruscino, Elne et les lieux circonvoisins , poussèrent
jusqu à Arles , dont ils saccagèrent et incendièrent le
monastère, et, longeant la côte jusqu*à Valence, ils
mirent tout à feu et à sang sur leur passage.
A Suniaire succéda Salomon , dont ne parlent Fossa
ni Gispert. On ne peut pas douter cependant qu'un
personnage de ce nom n*ait possédé à la fois la Cer-
dagne, le Gonflent et le Roussillon, qui n'étaient
guère et peut-être même jamais séparés avant d'être
«69 héréditaires. Le 1 5 des calendes de septembre 869,
CHAPITRE TROISIÈME. 37
ce Saiomon réclama la restitution de Talleu de Cana
vellas, compris dans la donation de Bera au monas-
tère d*fixa]ada, prétendant que cet alleu n'était pas du
domaine privé de Bera , mais qu'il appartenait au fisc
et n avait pu, par conséquent, être aliéné. La posses-
sion privée ayant été prouvée, Tabbé de Saint-André
gagna sa cause. Pour qu'on pût supposer que Bera
avait disposé indûment d'une portion du domaine du
fisc, dans le Gonflent, qu'on sait avoir été uni au Rous-
sillon à cette époque, il fallait bien que ce prince eût
autorité souveraine sur ces pays; et pareillement,
pour que Saiomon en réclamât la réintégration au
&c, il fallait bien qu'il eût aussi autorité à le faire , à
raison de sa dignité.
Avec la Cerdagne, le Gonflent et le Roussillon,
Saiomon posséda bientôt encore le comté de Barce-
lone.
Jusqu'à l'an 863, la marche d'Espagne avait été
unie à la Septimanie; mais à cette époque Humfi^id
ou Wifi'ed, ancien seigneur de Ria, marquis de Go-
thie, s'étant permis de chasser de Toulouse le comte
Raymond, qui en avait l'investiture de Gharles le
Chauve, ce prince, outré de colère, le dépouilla de
sa dignité et lança contre lui un arrêt de proscription.
C'est alors que, regardant cette province comme trop
puissante, Gharies en fit deux gouvernements sépa-
rés : il donna la Septimanie à Bernard II et la marche
^'Espagne à Saiomon : le Roussillon se trouva donc
38 LIVRE PREMIER,
compris dans le gouvernement de la marche d'Es-
pagne.
A travers les fabulosités qui obscurcissent les pre-
miers temps du Wifred , surnommé le Vêla, on peut
distinguer que ce prince tua Salomon avant 87 3, qu'il
se mit en sa place , et qu'il eut assez de crédit pour
obtenir Fabsolution de ce meurtre et la confirmation
de son usurpation. Wifred travaillait, comme tous les
autres grands feudataires , à s approprier la province
Mîroii. qu il Yégissait. Il donna le gouvernement du Rous-
sillon à son &6re Miron , qui en fut ainsi le premier
comte héréditaire ^ ; il confia le Confient à son autre
frère Radulphe , probablement sous la dépendance de
son frère Miron, le Gonflent étant alors en quelque
sorte partie intégrante du Roussillon, et garda sous
sa main le comté de Barcelone et tout ce qui en dé-
pendait, la Cerdagne, le Besalu et TUrgel.
Fossa ne reconnaît pas Miron pour comte de Rous-
sillon; il met à sa place un Suniaire, personnage
presque complètement inconnu et dont nous parie-
rons bientôt.
Une guerre qui éclata entre le comte de Roussillon
et le marquis de Septimanie semble indiquer que les
princes de la maison de Wifred, regardant la Septi-
' Dans le numéro du Publicaleur, du i6 février i833, M. Renard
dr Sainl-Malo contcsle a Miron le litre de comte de Roussillon. Ses
raisons ne nous ayant pas convaincu, nous ne changeons rien à celle
chronologie.
CHAPITRE TROISIÈME. 59
manie qu'avait possédée Wifred, le proscrit, leur
oncle, comine une propriété de famille, voulaient la
ressaisir. Avec un autre de ses frères nommé Hum-
frid, moine échappé de son cloître, et secondé par
Lindoin , vicomte de Narbonne , Miron fit la guerre à
Bernard. Peut-être serait-il parvenu à reconquérir un
pays, que Tétat où se trouvait alors la France Veut 878.
difficilement empêché de conserver, s'il avait su res-
pecter le bien des églises; mais ayant voulu en dis-
poser à sa volonté , le pape intervint , et en menaçant
Miron et Lindoin des foudres pontificales, et en
sommant Humfrid de renti^er dans son couvent, il
arrêta cette usurpation ^.
* Wifred le Velu , avec Miron , comte de Roussillon ,
et Radulpbe , comte de Gonflent , ses frères , fit aussi
la guerre aux Sarrasins qui s'étaient emparés d'Âu-
sone et de plusieurs autres lieux, et il les en expulsa.
Si cette expédition fut suivie de la fondation sup-
posée du monastère de Ripoll, cette guerre serait
de Tan 880 à 888, époque de cette fondation par
Wifred ^
Un plaid qui avait été tenu en Roussillon au mois
de décembre 876, par Isimbert, lieutenant de Ber-
nard, marquis de Septimanie, avait eu pour objet de
faire restituer à Audesinde, évêque d'Ellne, des terres
^ Joannis Papœ VIII epistola, apud iMhhei coUect. conciliorum, t. IX.
* Jaime Villanueva, Viage lit. tom. VIII , append. pag. 309, donne
U charte qai fait remonter à l'an 880, au moins, cette fondation.
40 LIVRE PREMIER.
que le comte de Roussillon lui avait enlevées ^. Quel
ques écrivains ont cru voir, dans le fait même de la
tenue de ce plaid par le délégué du marquis de Septi-
manie après la séparation des deux provinces , une
preuve que ce comté dépendait de la Septimanie et
non de la marche d'Espagne : c est une erreur. Un his-
torien anonyme des actions mémorables des comtes
de Barcelone, qui écrivait au xin* siècle, dit positi-
vement que Wifred posséda le comté de Barcelone
depuis Narbonne jusqu en Espagne ^, et nous voyons
deux des frères de Wifred gouverner, à la même
époque , le Roussillon et le Gonflent. Cette vérité est
encore plus positivement démontrée par rassemblée
générale tenue à Urgel, Tan loio, par Ermengaud,
archevêque de Narbonne, Au nombre de ses suffra-
gants espagnols, ce prélat place Oliba, évêque d'Ellne»
dont Uévéché est en deçà des Pyrénées^, Le fait dont il
s'agit s'expliquera de lui-même, si l'on fait attention
aux dates. En 876 les possesseurs des grands fiefs
s'étaient déjà emparés de Tautorité souveraine des
provinces qu'ils régissaient pour la transmettre à leurs
héritiers; mais cette usurpation, bien qu'existante en
fait, ne l'était pas encore en droit, puisque l'assem-
* Marca hispan. lib. IV.
' Gesta comitum Barcinonensium a monaco RivipuHensis monas-
tcrii scripia apiid Baluzium, in Marca bispanica.
' Et hispanoruni simiil sufl'raganeorum praedicti Ermengaudi , quo-
rum noniina sunt : Pelrus, Gerundensis; Borelius, Âusonensis; et qui
cis montps Pyre.napos est, Oliba, Helcnensis. Marca hisp. pag. 977.
CHAPITRE TROISIÈME. 41
blée de Quiercy-sur-Oise dans laqueUe Charles publia
ses capitulaires, dont le troisième reconnaît le droit
de survivance pour les fils des comtes, ce qui, dans
rétat de la monarchie, était une véritable reconnais-
sance d'hérédité, ne se tint quau mois de juillet de
Tannée suivante ^. Les comtes, qui, après celte confir-
mation de leur usurpation, ne cessèrent pas de recon-
naître la suzeraineté du monarque, pouvaient bien
moins encore décliner son autorité avant que leur
possession fût solennellement légitimée. Un certain
Avddus, agent du comte de RoussiUon, occupait la
terre de San-Feliu, qui appartenait à Icvêque , et vou-
lait en exiger les régalies : c'était donc le comte lui-
même qui était le détenteur des biens de l'église. Le
prélat savait que son adversaire était firère du comte
de Barcelone, gouverneur général de la province, et
3 avait tout lieu de craindre, s'il s'adressait à lui pour
obtenir justice, que la partialité ne dominât la déci-
sion; il ne voulut pas lui soumettre le jugement d'une
question si importante, et réclama l'autorité du roi
de France , qui , par ces mêmes motifs de légitime
suspicion , dut commettre un tiers pour juger le dif-
férend. Ce tiers ne pouvait être autre que le marquis
de Septimanie, égal en puissance au comte de Barce-
lone, et qui se trouvait le plus voisin des parties en
litige, outre que, les deux provinces ayant été si long-
temps réunies en une, le marquis de Septimanie
* Apad scriptorfs rrrum franc, lom. VII.
42 LIVRE PREMIER.
devait le mieux connaître les affaires du comté de
Roussillon. Bernard II, marquis de Septimanie, se
trouvant alors en Poitou, Isimbert avait été chargé
de le remplacer provisoirement en Languedoc, et
c'est en cette qualité dmtérimaii'e de Bernard qu'il
vint en Roussillon pour juger cette affaire.
878. Miron favorisa, quelques années après, la fonda-
tion du monastère de Saint-Michel de Cuxa, qui suc-
cédait à celui de Saint-André d'Elxalada, ruiné par un
débordement de la Tet. Les effrayantes circonstances
de cette inondation ne sont plus connues. Eln une
heure de temps les bâtiments de l'abbaye forent em-
portés, et plusieurs des moines, ainsi que la plupart
des gens de peine attachés au couvent, périrent avec
tout le matériel et les archives. Protasius, abbé,
et Witiza lun des moines survivants , s'adressèrent à
Miron , qui leur permit de s'établir dans la vallée de
Cuxa. L'ordre des bénédictins, auquel appartenait
cette abbaye, s' occupant alors uniquement de l'exploi-
tation des terres incultes, le capital du nouveau mo-
nastère bâti sous fin vocation de Saint- Michel se
trouva être, à la fin de Tannée, de cinq cents brebis,
cent aumailles, cinquante juments, quarante porcs,
deux chevaux, cinq ânes et vingt bœufs. Le person-
nel était de cinquante moines et de vingt valets;
quant au matériel du couvent, il se composa, outre
les objets pour le service divin, de cinq paires de
vêtements d'église, de pareil nombre d'autres vête-
CHAPITRE TROISIÈME. 43
ments à l'usage des moines et de trente volumes
complets ^.
L'année de la mort de Miron n est pas connue.
Son successeur fut le Suniaire dont Fossa a fait le pre- s«i»i«ir».
mier comte héréditaire.
On ignore quel degré de parenté pouvait unir ce
Suniaire à son prédécesseur. Ce personnage serait
même resté complètement inconnu sans une dona-
tion faite à l'église d'Elhe par ses enfants , qui disent
que cette libéralité a pour objet le repos de l'âme du
cmte Saniaire leur père : voilà tout ce qu'on sait de
lui. Ce peu de mots, assez équivoques, ayant paru
suffisants à tous les écrivains pour classer ce prince
* Trente volumes entiers formaient, à cette époque, un capital de
haut prix, à raison de k rareté des livres et de la cherté du parchemin.
^ 855 il n^existait pas en France un seul exemplaire complet du livre
de l'Orateur de Cicéron et des Institutions de Quintilien. [Muratnri
^(f. tom. III.) La valeur s'en soutint à peu près au même niveau
jusqu'à Tinvention de Timprimerie. La comtesse d'Anjou paya un exem-
pt des homélies d'Uaimon, deux cents moutons, cinq quartiers de
frwnent et cinq de seigle et de millet. Cela se conçoit très-bien : il fal-
**ïtiantde temps pour copier un livre! Au xv* siècle même, Louis XI,
*y>nt voulu emprunter à la faculté de médecine les ouvrages de l'Arabe
'^^, fut obligé de déposer en nantissement une quantité considé-
'™le de vaisselle, et de désigner un seigneur pour servir de caution
"•Ds facte notarié par lequel ce prince s'obligeait à rendre le livre.
("oyeiRobertson, Histoire de Charles-Quint, dans l'Introduction.)
£q i33o un prêtre de Saint-Jean, de Perjtignan, ayant légué une
"Metn deux volumes à cette église, la remise en fut constatée par un
>ct€ notarié que nous avons vu , dans lequel les deux volumes sont dé-
'^^' [Anh, eccUs.)
B«adoo,GMtH
Mft«
tik LIVRE PREMIER.
parmi les comtes de Roussillon, nous n'avons pas de
raison pour Ten exclure. Ses enfants étaient Bencion
et Gausbert, qui iui succédèrent, Hilmerade, qui fut
évêque d*Eine en 91 6, et Wadalde, qu'on trouve re-
vêtu de cette même dignité en 980, sans doute après
la mort de son frère.
915. Bencion et Gausbert prirent ensemble les rênes du
comté en 915. Le premier nen jouit pas longtemps;
il suivit son père au tombeau cette même année. Quant
à Gausbert , il assista , au mois de septembre de l'année
suivante, à la consécration de l'église de Sainte-Eu-
lalie, d'Elne.
Cette église cathédrale, construite depuis long-
temps, et restée sans consécration, ce qui ne l'em-
pêchait pas de servir aux usages du culte, était déjà
presque en ruines quand enfin eut lieu sa dédicace ^
Gausbert lui fit don d'un alleu qu'il avait acquis d'Ât-
ton , comte de Pallas , au terroir de l'antique lieu de
Mutacionemy aujourd'hui simple quartier rural sous le
nom de Madahons.
Suivant une inscription existante à Saint -Martin
d'Anipurias , Gausbert aurait acquis un nom célèbre
par quelque expédition guerrière, puisqu'il y est qua-
lifié de héros triomphant; on ignore complètement
contre qui il eut à prendre les armes ; on ne sait pas
mieux quelle fut Tannée de sa mort.
' Ecclesia jam ponc vetusta a longo teuipore, iiiconsccrata reman-
serat. Marca hispan.
CHAPITRE TROISIÈME. 45
Wifred, Gausfred ou Goifrid, car on trouve ce Cmnbtàv.
nom écrit de ces trois manières, succéda à Gausbert,
son père, et fut en même temps comte de Roussil-
lon, d'Ampurias et de Peralade^ La première époque
connue de son règne est indiquée par une charte de
juin 946. Suivant Zurita, ce prince aurait peuplé la
ville de Coliioure, en vertu de la permission qu'il en
aurait reçue de Lothaire en 981; mais on a vu que
GoUioure existait déjà comme château du temps du
roi Wamba. Ce que Lothaire concéda à Wifred, ce
(ut un terrain inculte entre Coliioure et Banyuls,
ainsi que le démontre l'acte de cette concession rap-
porté par Baluze. Dans cet acte le roi donne au
comte le titre de duc son ami ^.
En 978 Wifired et Suniaire, son troisième fils, ^^s.
évèque d'Elne, car cet épiscopat ne sortait guère de
la maison des comtes de Roussillon, assistèrent, avec
l'évique de Vie et quelques autres personnages émi-
nents, à la fête patronale du monastère de Saint-
PieiTC de Rodes, en Âmpourdan, et Wifred, en sa
qualité de comte d'Ampurias, y jugea en faveur de
Tabbé une contestation sur un droit de pêche. .
Ce comte partagea ses domaines entre ses deux
ffls : le plus âgé , Hugues , eut les comtés d'Ampurias
' Fossa, Mém. sur Us comtes de RoussiUon, dans l'Art de vérifier les
dates.
' Haecomnia secundum petitionem jam dicti ducis Goifridi, amici
Bostri, etc. Marca hispan.
A6 LIVRE PREMIER.
et de Besalu, le second, Guilabert, obtint celui de
Roussillon.
L'année de la mort de Gausfred , ou Wifired , est
tout aussi inconnue que celle du décès de ^s prédé-
cesseurs; il parait cependant qu'il vivait encore au
moment où un illustre personnage accourut , du fond
de ritalie, au monastère de Saint-Michel de Guxa
pour y prendre Thabit religieux. Attiré par la réputa-
tion dont jouissaient ces laborieux cénobites, Pierre
Urseolo, ancien doge de Venise, vint chercher parmi
eux et au milieu des solitudes de cette vallée de Guxa,
à cette époque âpre , sombre et boisée , un port contre
les orages du siècle. Une vie monastique, alors tout
employée au travail des mains, lui faisait espérer le
calme et le repos qu'il ne rencontrait pas au mflieu
de l'opulence et des grandeurs ^ Le monastère» de
Saint-Michel était de l'ordre de Saint-Benoit, ordre
utile et précieux qui enseigna d'abord aux hommes
qui habitaient les vallées des montagnes, couvertes
partout de landes ou de forêts, à défricher les teiTes
incultes et à les mettre en produit ; et qui, après s'être
rendu ainsi le bienfaiteur de Tagricultiure, entra avec
* P. Urséolo passa dix-neuf ans dans ce monastère et y mourut en
997. Voypz J. Villanueva, Vlage Ut. etc. tom. VF, page 1 85, et Just. Fon-
tanini, de S. P. Urseolo, duce Vrnetonun. Rome, 1730. En 1752 les
moines de Saint-Michel, à la prière du cardinal de Fleuri, accordèrent
à la république de Venise une relique de Saint-Pierre Urséole, et re-
çurent en présent un bassin d'argent avec son vase, d'un très-beau tra-
vail. Essais hisloriqurs et mililairfs sur la province de Boussillon.
CHAPITRE TROISIÈME. 47
la même ardeur dans le champ , alors non moins sau-
vage, des lettres dont il fut le restaurateur, après en
avoir été le conservateur au milieu de la barbarie du
moyen âge ^.
La première année du xi* siècle fut signalée par la
fondation du monastère de Saint -Martin, aussi de
l'ordre de Saint-Benoit, au milieu des rochers du pied
du mont Canigou par le comte de Cerdagne.
La Cerdagne, qu'avaient possédée les trois pre- comiai
miers comtes de Barcelone, Wifred le Velu, Wi- ^c«d*gn«.
fred II, son fils, et Miron, frère de ce dernier mort wifr»dn.
sans postérité , avait été donnée par celui-ci k Oliba
Cabreta, le second de ses enfants. Après Oliba, mort
enggo, ce comté avait passé sur la tête de Wifred,
le quatrième de ses enfants, qui fut le fondateur de
Saint-Martin, où il se retira par la suite avec sa se- looi.
conde femme : après la mort de celle-ci, il y prit
même lliabit monastique.
La fondation de cette abbaye ne fut point due,
comme l'ont avancé quelques auteurs, à une pré-
tendue pénitence imposée à Wifi^d par le pape, en
expiation du meurtre d un neveu qu'il aurait tué dans
im mouvement de colère , mais à la piété de ce prince ,
' On a vu, par le capital du nouveau monastère de Saint-Michel,
que c'était une vaste école d'exploitation rurale; c'est aux bénédic-
tiaa que l'on dut plus tard les ouvrages de recherches les plus impor-
tants, tels que la Gallia chris^ana, TÂrt de vérifier les dates, l'Antiquité
expliquée, la Nouvelle diplomatique, la Collection des historiens fran-
çais, etc. etc.
1009.
Gnikbert I"*.
looi.
Gansfrad II.
1014.
48 LIVRE PREMIER.
ainsi que le témoigne Sergius IV, dans la confirma-
tion de cette fondation ^ L'église en fut consacrée
le 4 des ides de novembre 1009 par Oliba, évèquc
d'Elne, et cette consécration fut confirmée ensuit!
dans un concile tenu à Narbonne vers loSa ^
Avant sa reti^aite dans le monastère de Saint-Mar
tin , le comte de Cerdagne faisait sa résidence dani
le village de Comella-de-Conflent, alors beaucoup
plus considérable que de nos jours, et où il avait fail
bâtir un palais et une église au retable de laquelle on
voit ses armoiries.
Le comte de RoussiUon , Guilabert I", n est connu
que par quelques donations au monastère de Saint-
Pierre de Rhodes, en 1 007, et par un plaid auquel il
assista k Urgel en 1010. Du vivant de ce comte, l'é-
vêque d'Elne assista à une assemblée convoquée pai
Gui m, évêque du Puy, dans laquelle furent dressés
des règlements faisant défense aux prêtres de porter
des armes, et aux laïques de troubler les cultivateurs
dans leurs travaux.
Le successeur de Guilabert, dont on rapporte la
mort à Tannée 1 o 1 4 , fut Gausfred II , en comptant
Wifred pour Gausfred I". Ce prince, encore très-
jeune quand son père mourut, eut à disputer son hé-
* Cette bulle, écrite sur des feuilles de roseau, se conserve à la bi-
bliothèque de Perpignan.
* L'acte original de cette confirmation, souscrit par vingt-cinq pré-
lats, est aux archives de la préfecture des Pyrénées-Orientales.
CHAPITRE TROISIÈME. 49
ritage contre son oncle Hugues, comte d'Âmpurias,
qui tenta de l'en dépouiller. Grâce au comte de Be-
salu, qui prit la défense de lorphelin, Gausfred fut
maintenu dans la possession de ses domaines. La
guerre qui avait eu lieu à cette occasion se termina
en lotio par la médiation d'Oliba, évêque d'Ausone loao.
(Vie). Gausfred assista, le 16 mai 1012 5, à la dédi- ioa5
cace deTéglise de Saint-Jean de Perpignan, première
paroisse fondée dans cette ville alors naissante , et
dont nous allons retracer succinctement lorigine.
1.
50 LIVRE PREMIER.
CHAPITRE IV.
Origine de Perpignan. — Première église de Saint-Jean. — Dé-
sordres en RoussiUon. — G)ncile de Touloujes. — - Trêve de
Dieu. — Fiefs de Fcglise d*Elne. — G)mtes de Cerdagne. —
Etat de misère du RoussiUon. — Testament du dernier
comte.
La ville de Perpignan , dont quelques écrivains ont
voulu faire remonter Torigine jusqu'aux temps Ëd)u-
leux, suivant Thabitude des anciens auteurs d'his-
toires locales , a pris naissance k la fm du x* siècle.
Marca, trompé par une inscription antique apportée
dans cette ville par un de ses citoyens, Davi, qui
avait été gouverneur de Tîle dTvice ', inscription qui
se rapporte à la ville dTvice , anciennement nommée
Flaviam Ebasum, attribue ce dernier nom à Perpi-
gnan, qui, d'après cette pierre, aurait été im muni-
cipe romain. Cette erreur, accréditée par son auto-
rité et partagée par divers écrivains, et entre autres
par le savant dom Vaissette, a été répétée dans l'his-
toire de l'académie des inscriptions et belles-lettres *.
Si, comme tout autorise k le croire, il existait du
temps des Romains une route directe de Combusta
' Fossa, Mémoires pour Tordre des avocats.
* Tome XXV.
CHAPITRÉ QUATRIÈME. 51
oi Sùibtdmn, cette route devait inévîtaMement tra-
Tetser la Tet vers le point où se trouve aujourd'hui
le pont tout moderne de Perpignan. Sur la rive droite
de Cette rivière, au point oii on la traversait, il a pu
y ânrôir anciennement une de ces hôtelleries k Tusage
des voyageurs qu'on appelait hospitiutn ou diversorium.
Ce iivefsonum a pu être Forigine de la ville actuelle
de Perpignan. Quant au nom même, rien n'autorise
l'étymologie qu'on lui attribue vulgairement ^ Le mo-
lAiment le plua ancien qui en fasse mention est un
acte dé vente de Fan 95121, dans lequel la villa Perpi-
lisnîest citée comme lun des confronts. Dans un acte
postérieur de six ans à celui-ci, le chemin qui y mène
est également confront dans une donation. Perpi-
gnan n'est donc considéré, dans ces deux pièces, que
eomme un alleu, et il se montre en effet sous ce nom
tfdleu en 9 58. Mais cet alleu devait être considé-
raMe, puisque le marquis de Septimanie, qui en était
propriétaire, le partage par son testament entre les
églises (FElne , de Gironeet de Saint-Pierre de Rodes
' Ud€ tradition fait dériver le mot Perpignan, Perpinya, en catalan,
depCTv-Pmya, Pierre Pigne. Si cette étymologie était vraie, les très-
▼ieux actes ne porteraient pas viUa Perpiniani on de Perpiniano, mab
tilk Pétri Pinjœ, Les anciens étaient très-attentifs à conserver les noms
propres, et il n''y a pas d^exemple qu'ils aient syncopé des noms avec
leoH prénmns pour en faire une dénomination de lieu; il n'y a pas
(Texemple aussi qu ils aient conservé, dans les actes écrits en latin, des
fwénmns en langue vulgaire, comme serait Père pour Petrus. D après
Baluze, on attribuait Torigine de Perpignan à une hôtellerie de Ber-
nard Perpinya, ce qui serait plus croyable.
4.
52 LIVRE PREMIER,
en Âmpourdan ^ Ces terrains durent être achat
ces églises par le comte Gaus&ed , quand il vou
établir une ville.
L'existence d'une ville ne commence qu'au
ment où une population réunie sur un même ]
est assez considérable pour qu on lui donne les me
de se livrer aux pratiques du culte. L'alleu qui i
tituait la villa Perpiniani ne commença à jouir d
avantage qu'en loaS. A cette époque seulemen
glise-mère fut bâtie au moyen des fonds Êiits par
sieurs personnes k la tête desquelles figiu^nt P
Gausbert, Bernard, un autre Pons, Amalric, Ci
Austun et Pierre, que l'acte de consécration qu
barons ou boni homines, expression qui se con^
ensuite en richi homines. Réunis au comte de F
sillon , ces barons , et d'autres qui ne sont pas nom
fondèrent, sous l'invocation de saint Jean, la pren
paroisse, dont la consécration fut faite, comme i
l'avons dit, le 17 des calendes de juin (16 mai)
l'évêque d'Elne ^. C'est alors sans doute que le ce
Gausfred accorda h cette localité les privilèges qu
vaient en augmenter la population , et faire la bas
son code coutumier.
A l'église de Saint-Jean, dotée des dîmes du
roir de Perpignan , fut annexé un cimetière ainsi
le dit l'acte de consécration : voilà donc le mor
* Voyez ce testament dans les preuves de Thistoire de Languedi
* Voyez aux preuves n° VII.
CHAPITRE QUATRIÈME. 53
où une population fut réellement agglomérée sur le sol
de la villa de Perpignan , où cette population put re-
cevoir sur ce sol le baptême et la sépulture; jusque-
11 ce n'était qu'une population éparse, obligée d'aller
chercher le premier des sacrements et déposer sa dé-
pouille mortelle , soit à Ruscino , soit au Vemet ou à
la titta Godoram. Voilà donc le berceau réel de la ville
de Perpignan ^; ainsi, c'est à tort que, trompé sans
doute par l'erreur de Marca , Dulaure a mis Perpi-
gnan au nombre des villes qui, comme Toulouse et
Bordeaux , conservèrent le droit de donner à leurs
magistrats la dénomination de consuls, jurats, capi-
touls, ainsi que leur autorité antique ^.
L'époque de Gausfred II fut, à ce qu'il paraît, l'une
de celles où les désordres occasionnés par les haines
particulières et l'ambition des barons étaient par-
"venus au degré le plus effrayant. A l'exemple des sei-
gneurs souverains, les seigneurs moins puissants ,
cherchant à agrandir leurs domaines et à accroître
leur importance aux dépens les uns des autres , s'en-
levaient réciproquement leurs héritages et leur juri-
diction ; les inimitiés étaient inextinguibles et les ani-
ïûosités de familles héréditaires. Des guerres privées
avaient lieu de village à village, de château à château;
*es églises étaient dévastées, les voyageurs arrêtés et
dépouillés, les cultivateurs maltraités, leurs maisonv
* Voyez la note vu à la fin du volume.
* Mémoires de F académie celtique, tome f.
54 LIVRE PREMIER,
incendiées, leurs bestiaux tués ou enlevés : ladésc
lation était partout ^. Les principaux seigneurs de l
Septimanie et de la marche d*£spagne, dans la vui
de mettre un terme ou au moins des bornes à i
somme de maux qui accablaient les peuples, proyo
quèrent la réunion d'une assemblée générale des m
gncurs laïques et ecclésiastiques au milieu d*un pu
attenant au village de Touloujes, à upe lie^e de Pei
io4i. pignan. Le nom de tous les seigneurs qui se trou
vèrent à cette assemblée n'est plus connu; il n>
échappé à l'oubli que ceux du comte de Roussillon
de Guillaume , son fils , de Raymond , comte de Cer
dagnc, de Pons, comte d'Ampurias, de Guillaume
comte de Besalu et de Gausbert, vicomte de Cas
telnou. C'est sans doute de la circonstance que cett
assemblée fut présidée par un prince de l'église , i'ar
chevêque de Narbonne , et de ce qu'elle s'occupa d'iii
térêts sacrés, quelle prit le nom de concile au liei
de celui de plaid.
Dans cette réunion fut décrété ce qu'on appela 1
trêve de Dieu, treuga Dominiy parce qu'elle suspen
dait les hostilités pendant certains jours fériés ^.
' L'ignorance était si grande aussi , à la même époque, que rautev
(l'une chronique manuscrite du chapitre d'Elne remarque que sous \i
Ycquc Rérenger, en io38, il y avait un chanoine qui ne savait pc
écrire. Archives du (jènie miliiaire. Mémoire sur le Roussillon, par M. Dai
vare.
* Dvs synodes axaient déjà décrété des trêves de Dieu, etDucang
en cite une de l'an 99^^, mais elles n'infligeaient que des peines cano
10^ I .
lr<'\e de Dieu
CHAPITRE QUATRIÈME. 55
Comtne les guerres particulières n'étaient ni en-
tièrement autorisées ni entièrement condamnées par
les lois, et que les excès commis dans ces sortes de
^mres étaient de droit, quand un défi avait préala-
bl^inent précédé l'agression, l'abolition subite et ab-
solue d*un usage aussi barbare , outre qu elle n était
pas dans les moeurs du temps, aurait été encore im-
possible : on ne pouvait chercher qu*à en restreindre
la durée. Pour y parvenir, on protégea du manteau
4e la religion certaines époques de Tannée , et Ion
déclara sacrilèges tous excès commis pendant ces temps
réservés. L'immunité des lieux saints se trouvait sou-
Tent violée dans la poursuite d'un ennemi qui se ré-
&giait dans une église comme dans un fort inatta-
quable; certains seigneurs, afin de fiadre participer leur
retraite à cette même immunité , faisaiept aussi adosser
leurs châteaux à l'é^e même : le concile de Tou-
loujes seSbrça d'empêcher tous ces abus. Il fiit dé-
^du : 1° de poounettre aucune violence dans ]es
^^8 contre lesquelles on n'avait pas élevé de for-
teresse ou château, dans les cimetières et autres
ueui^ sacrés , à trente pas à la ronde , sous peine de
werilége;
^"^ D'attaquer les clercs marchant sans armes, les
^ligieux et religieuses , et les veuves ;
3* De saisir les juments et les poulains au -des
^tt; ceBe de Touloujes fat la première où, par le concours des
^^icft, on put &ire lapplicaiion de peines temporelles.
56 LIVRE PREMIER.
sous de six mois , les vaches , ânes et autres bestiai
utiles à l'agriculture ;
4" De brûler les maisons des paysans et des der
qui portaient les armes. Le contrevenant à ces st
tuts , qui n'aurait pas réparé dans le terme de quin:
jours le mal qu'il aurait fait, était condamné à paye
entre les mains du comte ou de l'évêque qui aun
fait exécuter le décret du concile , le double des doi
mages qu'il aurait causés.
5"* Étaient placés sous la trêve de Dieu , qui devi
être observée par tous les chrétiens , le jeudi, le ve
dredi , le samedi et le dimanche de chaque semain
à partir du soleil couchant du mercredi jusqu^au soh
levant du lundi; tout l'Avent et temps suivant jusqii
l'octave de l'Epiphanie; tout le carême, depuis
lundi gras jusqu'au lundi après l'octave de la Peni
côte; les fêtes et vigiles de l'exaltation de la croix, i
la Vierge, de tous les apôtres, de saint Laurent, i
saint Jean , de saint Michel et saint Martin , la vîgi
de la Toussaints et les Quatre-Temps : tout violate
de ces statuts devait payer au double de sa valeur
dommage qu'il aurait causé, et se justifier dans la <
thédrale par Vépreuve de Veaa froide. Si un meurt
avait été commis dans ces jours de trêve forcée,
coupable était condamné à un exil perpétuel.
Ces articles de la trêve de Dieu, du concile de To
ioujes, la première où l'autorité temporelle intervi
avec la spirituelle, furent confirmés par le concile i
CHAPITRE QUATRIÈME. 57
Saint-Gilles le k septembre de l'année suivante. Les
évêques des Gaules, qui de leur côté s*efibrçaient
aussi de mettre un frein aux guerres privées dé leurs
diocèses , la revêtirent de leur approbation dans leurs
synodes particuliers, et ils firent tout leur possible
pour la faire adopter par les seigneiurs soumis à leur
régime spiriUieL Les modifications et les légers chan-
gements que chacun de ces prélats crut devoir ap-
porter aux statuts du concile de Touloujes, pour les
approprier à son diocèse, furent T origine des va-
riantes qui se font remarquer dans les différentes
copies de cet acte célèbre ^
0 ne suffit pas de décréter le bien, il faut avoir
les moyens d'en assurer l'observation , et ces moyens
manquaient le plus souvent pour la trêve de Dieu.
L'impérieux besoin de mettre un terme aux affreuses
calamités qui avaient provoqué cette mesure fit alors
passer sur la forme, et l'on convint que tout viola-
teur de la trêve de Dieu, quand il aurait été condamné
paries évêques ou par les barons, à qui appartenait
également la connaissance de ces infractions , pour-
fait être tué impunément par qui que ce fût ; et pour
donner plus d'autorité encore à cet homicide légal,
on le qualifia du nom de zèle de justice; et dans la
f^mese ou instruction des évêques des Gaules sur la
*^e de Dieu, de l'année suivante, lodii, il fiit in-
séré que ceux qui vengeraient ainsi la cause de la jus-
ffisbire gémérale du Languedoc , tome I.
58 LIVRE PREMIER.
tice seraient regardés comme sélatemv de la caBSe de
Dieu ^. La violence du remède prouve sans contredit
toute celle du mal; mais ni l'une ni l'autre ne sau-
raient jamais changer la nature criminelle de ce mode
d'exécution si susceptible des plus efiroyables abus.
Les désordres qui avaient motivé la tenue du con-
cile de Touloujes étaient trop généraux, trop dans les
habitudes de ceux même qui devaient faire exécuta
cette trêve de Dieu, pour que les statuts décrétés dans
cette assemblée pussent les arrêter : on n'en tint au-
cun compte, et les guerres privées continuèrent
comme auparavant et aux jours prohibés. En multi*
pliant trop les jours réservés , on avait annulé le re-
mède : on le sentit très-bien. Le 1 7 des calendes de
1047. juin lody, l'évêque de Vie, en l'absence de cdiui
d'Ëlne qui se trouvait alors en pèlerinage à la Tefre»
Sainte , réunit de nouveau à Touloujes les dignitaires
de la cathédrale d'Elne, le chapitre et une grande
foule de laïques, tant hommes que femmes, et dans ce
synode on modifia les statuts du concile. Les jours ré-
servés pour la trêve de Dieu furent bornés aux seuls
dimanches, à partir du samedi soir à neuf heures jus-
qu'au lundi au lever du soleil ; la raison alléguée fut
celle de laisser k chacun la faculté de remplir libre-^
' Cum «utem cvepcrit cuidam vindicare in eos qui banc charbon et
Dei trevam irrunipore prxsunipsorint, vindicantes nulli culpœ ha-
beanlur obnoxii, sed sicut cultores causse Dei ab omnibus christianis
eieant et redeant benedicli. Apud scripl. remm franc, tom. XJ.
CHAPITRE QUATRIÈME. 50
ment et sans péril ses devoirs de chrétien le jour éa
semeur; fl fut défendu d* attaquer, i** les cAercs et les
moines ¥oyageant sans armes; a** toute pei^onne al-
lant à l'église ou au concile, ou en revenant; ^^ les
hommes voyageant avec une besace ou accompa*
gnant des femmes; il fut également défendu d'envahir
les églises ainsi que les maisons bâties auprès d'elles,
à un rayon de trente pas.
Le comte de Roussillon Gausfred avait assisté le 1068.
i5 de novembre 10 45 à la dédicace de la nouvelle
éj^ d'Arles; le k des ides de décembre io58 il se
rendit au concile tenu |à Ëlne pour la condamnation
de la vieille cathédrale et pour l'acte expiatoire qui
devait précéder là construction de la nouvelle , cons^
tniction à laquelle il contribua puissamment par ses
libéralités. La vieille église, qui était déjà presque en
mines au moment où elle fut consacrée , se trouvant
dans la ville basse et trop exposée aux ravages des pi>
rates, il fut décidé de la démolir et de la remplacer
par une autre, construite dans la ville haute; mais
comme la destruction d un lieu consacré était une
sorte de sacrilège, l'évêque Bérenger II réunit dans
sa ville épiso^ale l'archevêque de Narbonne avec
une très-grande suite, l'évêque de Garcas^onne avec
sa suite, celui de Girone aussi avec la sienne, les
comtes de Roussillon et de Gerdagne avec une suite
nombreuse, ainsi qu'un très-grand nombre d'autres
personnes de différentes villes. L'objet de cette vaste
60 LIVRE PREMIER.
convocation était, dit le prélat, de les rendre témoins
de la réparation que les destracteurs de t église faisaient
envers le chapitre de Sainte-Ealalie pour la rémission de
leurs péchés. Cette réparation expiatoire consista dans
la donation très-considérable faite à Téglise du village
de Salelles avec toutes ses dépendances. Déjà , à cette
époque , Téglise d'Elne possédait de grandes proprié-
tés. En 898 révêque Riculfe, voyant sa cathédrale
et presque toutes les églises de son diocèse en ruines,
s*était adressé à Ghaiies lU et à sa mère Adélaïde, et
il en avait obtenu la donation pour lui et ses succes-
seurs de plusieiu's villas et de plusieurs terres. Ces do-
nations et celles des comtes , tant de RoussiUon que
de Baixelone et des états voisins, finirent par attri-
buer à réglise d'Ellne une juridiction immense dans
le pays. Un état des fiefs dépendants de cette église,
dont récriture paraît être du xii* siècle , place parmi
ses feudataires les vicomtes de Taxu, de Castelnou,
de Rocabcrti; les seigneurs de Pia, de Salses, d'Ol-
trera, du Vernct, de Touloujes, de Montesquiou, de
Laroque, de Vilasèque, de Latour-d*Elne , du Canet,
de Villerase, de Saint-Cyprien, de Mossol, de Péra-
pertusa , de Montescot et de Castel-Roussillon ; peu
d'années après elle eut encore pour vassal le seigneur
de Bages.
La nouvelle église d*Elne, qui fut construite en
dix ans , s*éleva sur le même plan que celle du Saint-
Sépulcre, de Jérusalem, dont Bérenger avait lui-
CHAPITRE QUATRIÈME. 61
même rapporté le dessin de son pèlerinage à la Terre
Sainte.
Gausfred eut pour successeur, dans son comté, GoikiMrt i.
Goilabert II , son fils, vers Tan 1078. Le nombre des ^075.
maisons groupées autour de 1 église de Saint-Jean de
Perpignan s'accrut sous ce prince, qui, en 1 1 oa , ins-
titua dans cette église un chapitre de collégiale sous
Tautorité d'un chapelain majeur. Cette église, quoique
moins opulente que celle d'Elne, n'en acquit pas
moins en peu de temps une juridiction qui s'étendait
sur plusieurs villages, où elle avait le droit d'exercer
la haute et basse justice , et d'infliger toutes sortes de
peines à la réserve de celle de mort. Toutes les autres
^;lises de Roussillon, s' enrichissant dans le même
temps et dans la même proportion , on peut dire qu'au
m* siècle le dixième de la superficie de ce comté était
directement ou indirectement sous la dépendance du
dergé; cependant, malgré ces libéralités excessives,
plusieurs finirent par tomber dans la pauvreté. Les
guerres désastreuses que le Roussillon eut fréquem-
ment à essuyer, les dévastations, les pillages aux-
quels ces églises, aussi bien que les monastères,
furent si souvent en proie, les forçant de temps à
autre d'aliéner des portions considérables de leurs
domaines, l'indigence en atteignit plusieurs.
L'événement le plus remarquable du règne du
comte Guilabert fut, sans nul doute, la grave insulte
que ce prince reçut de la part du comte de Gerdagne.
62 LIVRE PREMIER.
Goakom^ Guillaume-Raymond avait succédé à Wifired, «on
a. père, au comté de Cerdagne, quand celui-ci prit
cerdâgne. j'ijjajjit rellgicux daus le monastère de Saint-Martin,
qu'il ayait fondé, et où il mourut en lo/ig, suivant
rinscription de son tombeau ^. On ne sait pas quelle
cause donna lieu k Tinimitié qui exista entre les deux
comtes; la seule chose connue, c'est que celui de
Roussillon , se trouvant dans l'église de Saint-Michel
de Guxa, les soldats de Guillaume-Ray tnond Fen chas>
sèrent de vive force. En réparation de la profanation
du lieu saint, Tévêque dTllne condamna le comte de
Cerdagne k une pénitence canonique et à quelques
hbéralitéls envers la cathédrale et certaines autres
églijses; quant à la question entre les deux comtes,
iioo. on ignore quelles en furent les suites. L'an i loo ce
même comte Guilahert envahit la villa de Texneriis,
dont il revendiquait la propriété sur l'église d'Ehie, k
qui Guillaume Arnaud de Salses en avait donné le
tiers. Après des incendies, des morts d*hommes et des
dommages de toute espèce, le comte finit par faire à
* Otte inscription avait été transportée , avec le tombeau du comte,
dans Téglise du village de Castell; la voici : Anno M. XLIX incarna-
tionis Domini, pridie Kalendas augusti , obiit Dominas Gaufredus » quondam
cornes nohilissimus : qui sub titulo heati Martini prœsidis, hune locumjussit
œdijican : unde et monackusfait annis deccmci ocio. Nomine Domini nostri
J.'C. cajus dicti Domini comiiis et ejus uxoris Elisabeth» comitissœ, cor-
para transladari fecit in hoc tumulo Dominas Berenqarius de Columhario,
ahbas istias loci. anno Domini M. CGC. ij. La translation dont il s agit
était dé la chapelle basse dans Véglise haute.
CHAPITRE QUATRIÈME. 69
i'évéqae un abandon volontaire de la portion con-
testée *.
Fossa pense que Guilabert s'associa, à nne époque
iiiconnne, le comte d*Ampurias, Hugues, qu'on Toit
en effet ajouter à ses titres cefaii de comte de Roos^
sillbii; nous penserions plutôt, avec f évèque Taver-
ner, auteur d'une histoire manuscrite des comtés
d*Ampurias citée par le même Fossa, que le Rous-
ftîUon et l'Ampourdan étaient possédés par indivis par
la &mille qui régnait sur ces deux pays, quant aux
di^oits honorifiques, et qu'il n'y avait de séparé que
les revenus. Nous Toyons en effet à tout instant des
comtes de Roussillon prendre le titré de comtes d'Amr
puiias du vivant des comtes spéciaux de ce pays, et
réciproquement < les comtes d'Ampurias s'intituler
comtes dé Roussillon : ce sentiment nous senible seill
expliquer convenablement cette singulatrité.
Guinard ou Gérard, nom sous lequel ce prince est GBUwrdi".
plus connu hors du Roussillon, soccédaf k Guilabert,
son père. Parti pour la Terre Sainte, avec la premîèt^
croisade, Guinard s'était particulièrement distingué
^ si^ d'Antioche, et Guillaume de Tyr le cite
comme étant monté l'un des premiers à l'assaut de
«nisalem. A la même époque le fils du comte de
Cerdagne, Guillaume Jourdai/i, surnom emprunté au
^bre fleuve de la Palestine, se couvrait aussi de
gloire outre mer.
* Mvca hispan. lib. IV.
oomto
d« RoainBoa.
64 LIVRE PREMIER.
Après avoir pris les armes en faveur de Bernard ,
comte de Toulouse, son parent, en guerre avec le
duc d'Aquitaine, Guillaïune s*ctait rendu auprès des
croisés et avait reçu de Raymond de Saint-Gilles, son
>>o^' oncle, la donation des domaines que celui-ci avait
conquis sur les infidèles. Guillaume entreprit ensuite ,
mais sans succès , le siège de Tripoli que bloquait le
comte Baudouin , et se livra à quelques autres expé-
ditions. Après des démêlés et un accommodement
avec son cousin, Bertrand, fils de Raymond de Saint-
Gilles, qui ne voulait pas reconnaître la donation faite
par son père, Guillaume revint avec lui devant Tri-
poli, qui fut enfin emporté. Ce prince ne jouit pas
longtemps de sa part de triomphe : il fut tué quelques
jours après par un de ses écuyers. Â cette époque
il avait déjà succédé à son père Guillaume-Raymond,
au comté de Cerdagne , conjointement avec son frère
Bernard-Guillaume,
g^^^^^^ Ce dernier, resté seid comte de Cerdagne par la
G.iik«iM, mort de son frère , avait disputé au comte de Barce-
comte
aec«ra«gM. lone, Raymond -Bérenger, la succession au comté
de Besalu que Bernard, dernier possesseur de ce fief,
avait légué à Raymond. Mais Bernard-Guillaume n'a-
vait point d'enfants, son frère n'en avait pas laissé,
et l'héritage de la Cerdagne devait exciter l'ambition
de tous les princes voisins. Des pourparlers eurent
lieu, et un accord survint bientôt entre le comte de
Barcelone et le comte de Cerdagne. Par ce traité.
CHAPITRE QUATRIÈME. 65
le dernier abandonna à Raymond-Bér^nger les places
qu'fl avait déjà conquises, lui céda tous ses droits sur
les domaines de Bernard dont il avait été le plus
proche parent , et bientôt après il Tinstitua lui-même
«on propre héritier aux comtés de Cerdagne et de
Gonflent. Ainsi, Raymond-Bérenger fut en possession
dès un des comtés de Besalu, de Vallespir et de
Pienre-Pertuse , aussi bien que des vicomtes de Riupol
et de Fenouillède qui formaient l'héritage du comte
Bernard, et en 1 1 1 7, époque de la mort de Bernard-
Guillaume, il devint également maître de la Cer-
dagne et du Gonflent.
Le comte de Roussillon , Guinard I* revenu de la
Terre sainte, ime première fois du vivant de son
père, une seconde fois en 1 1 la , fut tué, on ne sait
par qui ni comment. Tannée suivante, et laissa ses ,,,3.
domaines à son fils, Gausfi:ed III, encore mineur, ^■»'^'"'
comic
80US la tutelle de son oncle Arnaud, fds de Gausfred, a«RouMiiioD.
ÇÙ ajoutait ce nom au sien. Get Arnaud-Gausfred a
été mal à propos confondu avec le comte Gausfred III ,
son pupille , ainsi que le démontrait très-bien Fossa ^
dans un mémoire destiné , à ce qu'il paraît , à rectifier
Iw erreurs contenues au sujet des comtes de Rous-
sfllon dans la première édition de TArt de vérifier les
dates.
* M. Renard de Saint-Malo, qui a eu connaissance du mémoire
inédit de Fossa, a publié ce fait dans le numéro du Publicateur du
i mai i833.
I. 5
66 LIVRE PREMIER.
Pendant le temps que dura sa régence, Arnaud-
Gausfredj-qui s* intitulait aussi comte de Roussiilon,
1116. fonda dans la nouvelle ville de Perpignan, en 1116,
un hôpital , qui est Thospice actuel de la Miséricorde.
C'est le seul acte connu de ce comte-régent.
Gausired III, que Y Art de vérifier les dates fait époux
d'Ermengarde Trencavel , fille du vicomte de Béziers,
dès Tan 1110, tandis que lacté sur lequel il se fonde
n*cst qu'un simple projet dunion, dans lequel on pré-
voit même le cas où Gausfred, au lieu d'Ejrmengarde,
prendrait toute autre des fdles de ce vicomte \ épousa
réellement Ermengarde à une époque inconnue; mais
vivant très-mal avec cette femme, il la répudia en
I i5i ou 1 i5a pour en épouser une autre. Ermen-
garde se plaignit au pape Eugène II, qui, n'ayant pas
autorisé ce divorce , excommunia Gausfred. Adrien IV,
successeur d'Eugène, renouvela cette sentence, en
ajoutant cette fois, pour la rendre plus formidable,
une disposition qui déclarait les enfants du second lit
illégitimes et inhabiles à succéder à leur père. De son
côté, Guinard, Gérard ou Guirard, fils d'&mengarde,
ressentant vivement l'outrage fait à sa mère , malgré
la précaution qu'avait prise son père de commencer
par lui donner en fief la ville de Pei^pignan avec l'as-
surance de sa succession au titre de comte , s'unit à
^ Donamus supradicto Gaufrcdo filio de Guirardo omnia supradicta
per supradictas convciiicntias cum alia una de filiabus nostris quam
habueris ad uxorcm. Dackerii Spicileij. tom. 111, pag. 46 1.
CHAPITRE QUATRIÈME. 67
son onde Raymond Trencavel, vicomte de Béziers,
et Tun et Tautre entrant en Koussilion exercèrent les
plus grands ravages , tant sur les terres des seigneurs ,
et des particuliers que sur les biens du temple et des
élises.
Au milieu de Texcès de misère qui semble avoir
pesé sur le Roussillon pendant la durée du règne de
ses comtes, misère quon pourrait dire avoir été la
conséquence des mœiu's de Tépoque, le règne de
Gausfred se fait encore remarquer par un siu*croît de
désastres et d'infortune. Avant que le père , le fils et
fonde déchirassent le pays par leiu*s divisions, les
pirates i* avaient déjà désolé par leurs rapines. Au con-
cile tenu à Narbonne en 1 1 35 \ nous voyons févêque ,133.
dXIne, Udalgarius, solliciter les grâces de la sainte
assemblée en faveur de ses ouailles. Après le tableau
le plus déchirant de la situation de son diocèse, le
respectable prélat ajoute qu en ce moment même les
infidèles demandent cent jeunes filles pom^la rançon
des prisonniers qu'ils avaient faits ^. Les pères , vive-
ment touchés de cette désolante peinture, décrètent
aussitôt de faire un appel à la générosité des fidèles
^ Decrettun concilii Narbonensis ann mcxxxv, in favorem ccclesisB
fkmuàSf ex orig. in arch. ecd. cated. Vicens. n. 494. Voyez Appen-
dice XLVII, pag. 34o, tom. VI du Viage Utemrio a las Iglesias de
Eipna, su aoÊorelP. Fr. Jaime Villanueva.
' • • . Centum adolescentulas virgines , ut haberent , et tenerent , et
Morerent eas nefario concubitu, et cum eis delectarentur (De-
oetum.)
5.
G8 LIVRE PREMIER.
de toute la province de Septimanie, et, pour rendre
plus eflicace cet appel , ils attachent de grandes in-
dulgences aux aumônes qui seront faites dans cette
intention ^
ii43. Délivré du fléau des pirates, le Roussillon fut en-
sanglanté par une guerre intestine. Le vicomte de
Taxo, Tun des plus puissants barons du pays, voulut
disputer au comte de Roussillon les droits honori-
fiques sur la terre de Pujols qu'il prétendait lui ap-
partenir. On prit les armes de part et d'autre, de
grands ravages furent exercés réciproquement sur les
terres des guerroyants, et le vicomte de Taxo, vaincu
enfin , fut obligé de renoncer à ses prétentions : l'acte
de renonciation est du 7 des calendes de novembre *.
i»5s. Après cette guerre de féodalité vint celle de fa-
mille. Dans celle-ci, le sang des Roussillonnais coula
de toute part sous le fer de ceux qui étaient appelés à
les protéger; les maisons furent incendiées, les récoltes
détruites , les terres ravagées , les églises mises au pil-
lage. Enfin , après de longues alternatives de succès
et de revers, pendant lesquelles tous les malheurs
accablèrent le pays, le comte Gausfred et son fils se
réconcilièrent , et le dernier fut admis en part dans le
* L'archevt^que Arnaud, l^gat du saint si6ge, qui présidait le concile
de 1 1 35, rendit en son nom le Decrcfum cité plus haut. 11 y est dit : Sar-
rexit Vdalgarius Elencnsis cpiscopus in prœsentia toiius synodi, ostendens
miseriam ecclesiœ suœ
* L'original de cette pic*ce existe aux archives du département des
Pyrénées-Orientales.
CHAPITRE QUATRIÈME. 69
gouvernement du comté : on le voit en effet prendre
le titre de comte en 1 162, un an avant la mort de uSa.
son père. Déjà, dès Tan 1 1^7, il avait reçu le titre
de vicomte, qui n'était qu'honorifique, et dont le
prince revêtait plusieurs personnes à la fois.
En cette année, 1162, fut fondée dans le Gonflent^
sur la limite du Languedoc, Tabbaye Clariana ou de
Jau, de l'ordre de Gîteaux.
Gausfred mourut le 24 février 1 1 63 sans avoir fait ,,^3
de testament; mais il avait déclaré verbalement de- Cuinurdij.
oomto
vant sept témoins qu'il laissait ses domaines à Gui- deRouMUion.
nard; ces témoins, qui étaient Pons de Gollioure,
Bernard de Villelongue , Guillaume de Soler, Vincent
de Palau, Âmaud-Radulfe, Jean-Robert et Raymond
de Terrade en firent une déclai^ation soleimelle, at-
testée par serment, sur l'autel de Saint-Pierre de l'é-
glise de Perpignan, en présence de l'évêque d'Elne,
de l'abbé de Saint<André de Sorède et de Miron , juge
de Roussillon. Il résulte de cet acte que la ville de
Perpignan était déjà, à cette époque, le chef-lieu du
comté et la résidence de ses princes.
Le nouveau comte avait déjà confirmé l'année pré-
cédente, en entrant en part dans le gouvernement du
pays, les privilèges de cette ville nouvelle ainsi que
les coutumes de ses habitants. Ces coutumes étaient
remarquables en cela, que le premier article déclare
que les lois gothiques , généralement observées alors
dans la Septimanic et la marche d'Espagne , n'étaient
70 LIVRE PREMIER.
pas reçues à Perpignan (ce qui semble indiquer que
Fancicn alleu de Perpignan avait encore une popuda-
lion d'origine romaine); que ses habitants ne pou-
vaient être jugés que par les coutumes de la ville et
par le droit romain , là où les coutumes manquaient, et
qu elles nadmettaient pas les épreuves par Teau froide
ou chaude, ni par le feu et le du?l *. Guinard con-
finna ce dernier usage en particulier, et défendit
qu'on pût jamais s'en écarter ^. Ce comte s'occupa
beaucoup de l'agrandissement de la ville, fit dessé-
cher un marais ou étang que formait sans doute le
ruisseau de la Basse derrière Saint-Jean, et il est pro-
bable que c'est lui qui fit construire la première en-
ceinte fortifiée. Il est certain qu'il n'existait aucunes
murailles au moment où son père fonda l'hospice de
Saint-Jean, puisque ce prince donne pour confix)nt
au terrain qu'il abandonne pour cette fondation, le
ruisseau de la Basse qui coule en dehors des restes
' Iloinines Pprpiiiiaiii debeut placiiare et judicari per consuetudines
\illa;, ci per jura ubi consuetudincs deficiuni, et non per usaticos Bar-
rhinoua? neque per leges Goticas, quie non habent locun) in villa Per-
piniani. Consuet. art. i.
^ In Dei nominc. Ego Guinardus Hossilioni conies, laudo et concedo
et recognosco at([ue dono omnibus honiinibus et feminis ville Perpi-
iiiani, pnrsentibus atque futuris, omncs bonas costumas et usaticos
quos habucnmt cum pâtre mco et cuni antecessoribus meis, quod ju-
dicium aquap frijçid.T nec calida?, nec ignis neque batalla non sil in hac ■
villa, nec in ea consenseriut ex utraque parte; et quod domious prae-
dicta; villa' non faciat illic uUam toltam neque tbrtiam. Consuei. Per^
piniani.
1 l'/V.
CHAPITRE QUATRIÈME. 71
de cette première enceinte. Guinard, au contraire,
parle des murailles dans son testament. G est sans
doute à ces travaux que ce prince dut le titre qu'on
lui donna de restaurateur de Perpignan.
Guinard n avait pas d*enfants légitimes à qui il pût
laisser ses domaines et son titre. Après avoir, par un
acte du ti des calendes de juin 1 170, ajouté de nou-
veaux privilèges à ceux dont jouissait déjà la ville de
Perpignan, il fit son testament en faveur du roi d'A-
ragon, Alphonse II, fils de ce Raymond-Bérenger,
comte de Barcelone, qui avait déjà hérité des comtés
de Cerdagne, de Gonflent et de Besalu, et que la for-
tune la plus prospère portait au trône d'Aragon , par
son mariage avec la fille unique de Ramire le Moine. 117a
Le testament de Guinard fut du 4 des nones de juillet
1 172 ; à sa mort, survenue peu de temps après, Al-
phonse entra en possession du Roussillon , de ce que
Guinard possédait en Ampourdan et du bas Valles-
pir ^ Le haut Vallespir, qui appartenait au comte de
Besdu, était déjà, comme nous lavons dit, réuni au
comté de Barcelone.
Une phrase du testament de Guinard a fait douter
à quelques écrivains que le Roussillon relevât du
comté de Barcelone du temps de ses comtes, et
d autres, allant encore plus loin, n ont pas hésité d af-
firmer qu'il dépendait uniquement du comté de Tou-
louse; d'après eux, Guinard, de sa propre autorité,
' Voyez le testament de Guinard aux preuves n" VIll.
72 LIVRE PREMIER.
l*aui*ait placé ainsi sous une suzeraineté étrangère ^ ;
comme s il avait été loisible à un feudataire de changer
arbitrairement de suzerain! La dépendance du Rous-
sillon, de la marche d'Espagne, depuis la séparation
de cette province de celle de Septimanie, est trop
bien établie pour qu'on puisse la contester; le comte
Guinard ne fit que donner au roi d'Aragon , comme
comte de Barcelone , ce qui n'appartenait pas encore
à ce prince, la propriété même des comtés sur les-
quels il avait auparavant l'autorité féodale , aussi bien
que sur ceux dont son père avait hérité déjà ^.
* Gispert-Dulcat, Observ, sarle traité de Corbeil de 1 285. Fossa, M. a».
* Vo\ez la note viii à la fin du volume.
CHAPITRE CINQUIEME.
CHAPITRE V.
Impcditique retranchement dû Roussillon de la Septimanie. -—
Alphonse II soustrait la Catalogne à la suzeraineté de la
France. — Sollicitude de ce prince pour les Roussillonnais. —
Albigeois. — - Sanche , premier comte apanagiste. — Pèdre II
tué à Muret , prison de Jayme.
Le testament du comte Guinard, en donnant le 1173.
Roussillon au roi d'Aragon, avait achevé de détacher ^'p^""
dos Gaules une portion de territoire qui en avait cons-
tamment fait partie dans Tantiquité et le moyen âge;
*l ftit le complément de F impolitique retranchement
de c;e comté au marquisat de Septimanie, lors de la
dîv^îsion de cette vaste province en deux gouveme-
«^oxits.
Tout attachait le Roussillon à la Narbonnaise : la
»^oilité des communications qui établissait une com-
'^^-Uiauté d'intérêts entre les peuples des deux pays,
*^ souvenir de cette ancienne et longue alliance qui
^^ avait rniis de tout temps contre les peuples de
^ Vitre côté des monts. En rompant ces liens naturels,
adjonction du comté de Roussillon à la marche
^ Espagne rendit les Roussillonnais étrangers à leurs
P**opres compatriotes, sans pouvoir les identifier avec
^^Ux à qui on les forçait de s allier. Dans fignorance
74 LIVRE PREMIER.
dos raisons qui motivèrent une séparation si contraire
aux intérêts locaux, nous ne pouvons en soupçonner
d'autres que des convenances de famille, et le désir
d'augmenter l'étendue du territoire de la marche d'Es-
pagne, alors trop inférieure à celle de la Septimanie.
La province de Septimanie comprenait, avant sa
division en deux gouvernements , du côté des Gaules,
les diocèses d'Elne , Narbonne, Béziers , Lodève,
Agde, Maguelonne, Nîmes; du côté d'Espagne, ceux
dé Barcelone, Girone, Ui^el et Ausone ou Vie. La
capitale de cette province, que les uns appelaient
marquisat de Gothie à cause de ses anciens maîtres,
les autres duché de Septimanie, à cause des sept
principales villes qu'elle renfermait, était Barcelone.
Humfrid, Wifred, Guifred ou Gausfred, ce qui est
toujours le même nom, ancien seigneur é'Aria, au-
jourd'hui Ria, entre Prades et Villefranche, ayant été
pourvu de ce gouvernement, voulut, ainsi que nous
l'avons dit déjà, réunir à sa province le comté de
Toulouse qui faisait partie de l'Aquitaine, et de sa
propre autorité il en chassa le comte Raymond. Le
roi do Franco, indigné, avait proscrit Wifred, et, pour
diminuer la puissance d'un vassal qui pouvait être
dangereux., il s'était décide à partager ce grand fief en
doux gouvernements : celui do la Septimanie et celui
de la marche d'Espagne. Quoique l'hérédité des fiefs
no fût pas encore établie d'une manière absolue, elle
l'était déjà tacitement par le soin que prenait le roi de
CHAPITRE CINQUIÈME. 75
ch.c5Tcher le plus souvent le remplaçant ou le succes-
se^jÊJT dans la famille de lancien feudataire. En nom-
mstnt Bernard duc de Septimanie, et Salomon comte
de Barcelone, Charies s était écailé de cet usage à
peut, près constant; mais ce principe indirect d'héré-
dit-é fut rétabli quand Wifred le Velu , proche parent
de Wifred ou Himfrid le Proscrit, remplaça Salomon
daxiLs le gouvernement de la marche d'Espagne.
CJuand, pendant les troubles qui agitèrent bientôt
la France, les gouverneurs des provinces achevè-
rent de se soustraire au joug de Tobéissance passive,
c^ qu'ils convertirent leurs fiefs à vie en propriétés
àe famille , le Roussillon se trouva définitivement lié
^ U Catalogne par le devoir de vasselage auquel les
fractionnaires dun grand fief étaient tenus envers le
gi^d feudataire. Jusque-là le mal n'était pas encore
eitreme : les deux sections de la Gothie relevant éga-
lement de la couronne de France et n'en déclinant
pas la suzeraineté, la France n'avait pas un ennemi
sur son propre territoire. Mais ce dernier degré du
mal arriva quand le comte de Barcelone , devenu roi
d'Aragon, acquit, par le testament de Guinard, la
propriété du Roussillon, au lieu du simple droit de
grand feudataire, et qu'il se déroba à la suzeraineté
de la France. Alors l' Aragon se trouva en possession ,
sur le propre sol de celle-ci, d'une étendue de terroir
qui lui en ouvrait les portes, tandis que la France, au
contraire, pour combattre l' Aragon, avait d'abord à
76 LIVRE PREMIER,
lutter contre les peuples du RoussiUon qui gardaient
une ligne de défense qu'il fallait emporter, et en-
suite, après de grands efforts pour la franchir, elle
se trouvait aiTetée jpar une seconde barrière encore
plus puissante, les défdés des Pyrénées : la sépara-
tion du comté de RoussiUon de la province de Sep-
timanie devait donc avoir des conséquences fâcheuses
pour la France , et c'était une grande faute de la part
de Charles le Chauve.
Si ce démembrement était funeste à la France , il
n'était pas moins désavantageux aux Roussillonnais en
particulier. Les intérêts de ce peuple n'étaient pas de
l'autre côté des Pyrénées ; ils se trouvaient naturelle-
ment liés à ceux des habitants de la Narbonnaise avec
qui ils n'avaient jamais cessé de faire cause commune.
La facihté des communications établit toujours des
rapports de commerce entre les pays limitrophes,
outi'e ceux de la communauté de défense et les rela-
tions de la vie civile. Pour le RoussiUon, le commerce
le plus facile, le scid que permissent la liberté de
correspondance et une très-longue communauté d'in-
térêts, était avec les peuples du Languedoc; pour lui
comme pour eux les Pyrénées formaient un rempart
naturel qui séparait de l'ennemi ou tout au moins de
l'étranger qui était au delà. Tant que le comté de Bar-
celone reconnut la souveraineté des rois de France,
(*es relations amicales avec la Narbonnaise furent con-
linuées, parce que la dépendance de ce pays de la
CHAPITRE CINQUIÈME. 77
marche d*Ëspagne n'avait guère d'action que sur le
chef; mais quand Guinard eut donné la propriété de
son héritage au comte de Barcelone, que la fortune
la plus favorable avait en peu d'années enrichi de
tous les comtés de la marche d'Espagne et porté sur
le trône d'Aragon, et lorsque, au même temps, ce
prince , ne voulant reconnaître aucune puissance tem-
porelle au-dessus de la sienne, se fut soustrait à l'an-
cienne suzeraineté reconnue par ses ancêtres, les
mtérêts privés des habitants du Roussillon furent né-
cessairement froissés, parce que de cet instant ils de-
vinrent des étrangers pour ceux de leurs voisins dont
ils cessaient d'être les compatriotes. La difficulté du
passage des Pyrénées, ne favorisant pas le transport
à l'autre côté des monts, de ces intérêts déplacés, les
Roussillonnais se trouvèrent isolés de lune et de
l'autre nation. Nous avons montré déjà , dans l'intro-
duction, tout ce que cet isolement avait eu de funeste
pour la morale dans ce pays ; on doit bien croire que
l'inertie des autorités locales, leur résistance à tout
ce qui émanait de l'autorité suprême , quand ces me-
sures contrariaient leur avarice ou leur ambition , ne
devaient pas contribuer au bonheur des particuliers.
Ajoutons que par ce changement de domination le
théâtre de la guerre, dans toutes les contestations
entre les deux puissances, se trouvant sans cesse
transporté en Roussillon , ks désastres , les calamités
de toute espèce que ce fléau entraîne après lui, furent
78 LIVRE PREMIER,
pendant cinq siècles le sinistre partage de ses habi-
tants et la teriîble conséquence de la faiblesse du petit-
fds de Cbarlemagne.
Raymond, comte de Barcelone, qui, en montant sur
le trône d'Aragon , avait quitté ce nom pour prendre
celui d'Alphonse II, venait, disons-nous, de se sous-
traire au devoir de foi et hommage envers le roi de
France pour son comté; le complaisant concUe de
1180. Tarragone, de 1 180, consomma cette usurpation en
défendant à tous les peuples de la marche d'Espagne
de continuer à dater leurs actes publics et privés de
l'ère de nos rois. Rien ne pouvait excuser cependant
une aussi criante injustice. De toutes les suzerainetés
possibles , celle de la France sur la Catalogne était la
plus légitime et la plus incontestable, puisqu'elle n'é-
tait pas le produit de la force qui contraint le plus
faible à subir sa loi , mais le vœu d'une reconnaissance
libre et volontaire de la part des Catalans. Cbarle-
magne, ayant arraché cette province au joug des mu-
sulmans, ne pouvait pas la rendre à son propre gou-
vernement, qui n'existait plus depuis l'envahissement
de ces Africains. Les Franks avaient conquis, il est
vrai, le pays avec le concours d'une partie de sa po-
pulation révoltée contre les Africains , mais cette po-
pulation n'avait nullement combattu dans l'intérêt des
débris des conquérants wisigoths, destructeurs eux-
mêmes de la domination romaine. La liberté de se
choisir un gouvernement restait donc tout entière à
CHAPITRE CINQUIÈME. 79
ces indigènes, qui s'étaient volontairement donnés à
leur libérateur, et à Louis, son fils, ainsi que le dé-
clare hautement Charles le Chauve *. l\ien n'était
donc plus religieusement établi que cette suzeraineté ,
et le roi Alphonse, en la brisant et le concile en
sanctionnant de son autorité cette violation d un de-
voir auquel était légitimement soumis le monarque,
excédaient paiement leur pouvoir; ils déchiraient un
pacte que le pays avait consenti et auquel ils étaient
tenus de se soumettre. Malheureusement la France
D*était pas alors en état de venger par la force des
armes loutrage que lui faisait un prince puissant et
à qui tout prospérait; et la séparation de la marche
(ITlspagne de la couronne de Charlemagne fut à ja-
mais consommée.
Alphonse s*était rendu à Perpignan immédiatement
après la mort de Guinard. A son arrivée dans cette
ville, il confirma les privilèges des habitants , et s oc-
cupa du soin d'augmenter les fortiAcations de la place.
Avant de quitter le Roussillon , il échangea avec labbé
de Saint- Martin de Canigou quelques portions de
' Gothos sive Hispanos intra Barcliinonam — simul cum his oni-
nibns qui infra eunidem comitatum BarchinoïKc Hispani extra dvitatpin
qaoqoe ooDftiituunt, quorum progenitorcs, criidelissimum jugum Sar-
racenoram évitantes, ad eos (Karolum et Illuduvicuni) fecere confu-
gioin, et eamdem civitatem illorum omnipotentia^ Ubenter condonanmt
seu tradidenint, et ab eorunidem Saracenorum potestate se. subtra-
beotes, eonim nostraeque demum libéra et prompta voluntate se siibje-
cernnt, etc. Capit. reg, franc, tom. U.
80 LIVRE PREMIER.
terre situées dans le Gonflent, contre un champ que
le monastère possédait auprès de Hix, dans la Cer-
dagne ^ Onze ans après il donna à cette même ab-
baye les pasquiers d*Odello ^. Le monastère de Saint-
Michel de Cuxa obtint de ce même prince la permis-
sion de bâtir, dans la villa de BasoUf sous son autorité
royale , une forteresse dont le commandement appar-
tiendrait à labbé de ce monastère : cette permission
est du i3 mai 1 178 '.
Maître du Roussillon , Alphonse mit toute sa solli-
citude à purger cette terre des brigandages qm' la dé-
solaient. Immédiatement après sa prise de possession,
il convoqua à Perpignan les principaux barons et sei-
gneurs du pays , et il leur fit jurer l'observation dWe
loi qu'il avait préparée sous le titre de Constitations de
paix et trêve, de concert avec l'archevêque de Tarra-
gone et les évêques de Barcelone et d'Elne. Ces cons-
titutions, qui depuis furent appliquées à toute la
Catalogne , font connaître quels étaient les maux aux-
quels le roi d'Aragon jugeait très-urgent d'apporter
remède. Le premier article concerne les églises et les
cimetières à tout instant profanés; le second prescrit
à ceux qui auraient été dépouillés , et dont les objets
enlevés se trouveraient déposés dans les églises, de
s'adressera lui ou à l'évêque pour obtenir justice; le
quatrième et le cinquième garantissent la sûreté des
clercs, des moines, des veuves, des religieuses, des
* Arch, eccles. — * Ibidem. — ' Ibidem.
CHAPITRE CINQUIÈME. 81
templiers et des hospitaliers de SaintJean de Jéru-
salem; le sixième met spécialement sous la protection
royale tous les cultivateurs avec leurs capitaux d'ex-
ploitation. Le prince défend très-expressément, par
le septième article, d'enlever ou de détruire les ani-
maux de toute espèce , qu'ils soient ou non consacrés
k Tagriculture , aussi bien que les instruments ara-
toires. Cette disposition tient tellement à cœur au
monarque qu'il y revient dans les autres articles, et
qu'il insiste spécialement pour que ces capitaux des
fermes soient constamment sous ie bénéfice de la
paix et trêve. Les routes et chemins publics sont aussi
placés sous sa paix et trêve; le roi veut que les voya-
geurs y soient désormais en telle sûreté, que qui-
conque oserait en attaquer un soit puni du crime de
lèsennajesté. Revenant ensuite aux dispositions de la
trêve de Dieu, complètement tombées en désuétude,
il défend toutes hostilités privées pendant les diman-
ches et les fêtes, depuis l'Avent jusqu'à l'Epiphanie,
depuis le carême jusqu'à l'octave de Pâques , les jours
de l'Ascension et de la Pentecôte avec leurs octaves ,
les fêtes de la Vierge , celles des Apôtres , de Saint-
Jean, de Saint-Michel et de la Toussaint ^
^phonse venait chaque année passer quelque
temps à Perpignan, et sa présence était toujours
marquée par quelque acte législatif à l'avantage des
habitants. Un de ces actes, de l'an 1173, leur accorda
* Voyei évtx preuves n° IX.
1. 6
82 LIVRE PREMIER.
le droit de saisie sur les biens de leurs débiteurs, sauf
les bœufs de labour déclarés à jamais insaisissables.
En 1 lyS il confirma pour la deuxième fois les pri>
viléges de la ville, en y ajoutant cette fois quelques
nouvelles dispositions. La plus importante fut que nul
Perpignanais ne pourrait jamais être jugé aflleurs que
dans cette ville : c est cette disposition qui , étendue
plus tard k tout le Roussillon , donna lieu à rétablis-
sement d une cour souveraine dans la province è l'é-
poque où elle passa sous la domination française.
Alphonse trouvant défectueuse la position de Per-
pignan, dans un bas-fond dominé par deux collines,
avait voulu en changer Tassiette et la transporter au
haut du puig de Saint-Jacques, qu'on appelait alors
le puig des Lépreux , parce que la léproserie était sur
la pente de cette hauteur; mais les habitants, qui
avaient déjà leurs maisons autour de l'église de Saint-
Jean , consternés d une décision si préjudiciable k leurs
intérêts , firent parvenir au roi leurs supplications par
les mains des vierges, des veuves et des vieillaixls de
la ville, et Alphonse, touché de cette désolation gé-
nérale, consentit, de l'avis de son conseil et avec l'as-
sentiment de la reine sa femme, et de ses frères, k
laisser Perpignan dans Tendroit où le comte Gaus-
fred lavait établi ^ ; il s obligea même pour lui et pour
' Ildefonsus, Dei gratia, rex Aragoniim, — convocavit popuJuni
Perpiniani et prsecepit populo ut mutaret unusquisque domicilium
suum in podio leprosoruni. — Motus ergo, rex pn^ictus, precibus po-
CHAPITRE CINQUIÈME. 83
tes successeurs à ne plus en exiger à lavenir le trans-
fert au puig des Lépreux; mais , comme il importait à
k «ùreté de la ville que cette hauteur en fît partie, il
se réserva le droit d*y établir des habitants au bout
de trois ans, soit au moyen d'étrangers, soit avec les
Perpignanais eux-mêmes , si la chose leur convenait.
Le même édit portait que tout habitant devait
coopérer à la construction des murailles: celui qui
ne voulait pas y travailler manuellement pouvait s'en
radieter, moyennant un certain tribut applicable à
ces mêmes travaux. Enfin, par mesure de police, ce
même prince défendit expressément de laisser à l'a-
venir aucune fosse à fumier dans les rues , sous peine
de dix sous d'amende , dont moitié applicable aux tra-
vaux des murailles et l'autre moitié au fisc ^.
Quoique à cette époque la paroisse actuelle de
SdntJean constituât toute la ville de Perpignan , une
eneeinte de murailles qui ne se bâtissait que par près-
tutioD en nature , et au moyen de quelques légères ré-
tributions, n'était pas une entreprise de courte durée;
aussi ces travaux se prolongèrent pendant de longues
années. En 1207 nous voyons Pèdre II, successeur
d'^phonse , régler la forme d'une imposition à lever
psli el«^ij0if viduarum, virginum et senum, et habito suorum pro-
cemm oonsilio, qui cum eo ibi aderant, et totius curiae suae, acquievit
Tolontati populiPerpiniani, cum voluutate et laudamento regiiue fra-
tmmqae suoniin , etc. Ex coiice consuetud,
* Ibidem.
6.
84 LIVRE PREMIER.
pour le payement de ces constructions, et défendre
expressément d exempter de cette charge aucune per-
sonne possédant quelque propriété dans la ville, soit
clerc , laïc ou religieux ^
La Septimanie, à cette époque, était désolée par
les premières guerres de religion , et ces atroces exé-
cutions par le feu qui devaient bientôt remplir le
monde d'épouvante préludaient dès ce moment contre
les Albigeois.
Plusieurs passages de lancien et du nouveau testa-
ment dont le sens est visiblement allégorique, ayant
fait naître la pensée que toute TÉcriture avait un sens
mystérieux qu on pouvait interpréter, le sens littéral
n'était plus compté pour rien à la fin du xn* siècle
dans plusieurs cantons de la Septimanie et de l'Aqui-
taine. Alarmées des progrès que faisait cet esprit d'in-
discipline religieuse , les cours de France et de Rome
songèrent à en arrêter l'effet. Le Toulousain , où cette
fureur de gnosticisme s'était le plus répandue, devint
le but d'une croisade ordonnée par Innocent HI, et
les bûchers couvrirent bientôt tout ce pays : le con-
cile d'Orléans , de 1 02 a, les alluma le premier contre
de simples erreurs qu'il eût été plus convenable , sui-
vant l'esprit de l'Evangile et plus encore suivant le
bon sens, la raison et la charité, de combattre par
la douceur, par la persuasion et par l'enseignement.
Le soin d'extirper par la violence cette reproduction
^ Ârch, Dom.
CHAPITRE CINQUIÈME. 85
du amnichéisme» qu'on appela l'hérésie des Albigeois, ,194.
^^ confié à une corporation religieuse qu'on institua
tout exprès sous le nom de Préciiears, connue plus tard
sous celui de Dominicains, qu'elle prit de l'un de ses
plus ardents fondateurs.
La réunion , sous la main du roi d'Aragon , de deux
coDatés situés , l'un tout à fait en deçà des Pyrénées,
1 autre au milieu de ces montagnes, et tous deux au
voisinage des pays infectés par l'hérésie, avait suffi
au légat du pape près d'Alphonse pour presser ce
pnuce d'appliquer à cette nouvelle province de ses
^^ts les fougueuses dispositions que le concile de Vé*
rorie venait de décréter contre les Albigeois , c'est-à-
uire d'abandonner à la justice séculière tous ceux que
les évèques auraient déclarés hérétiques. Alphonse
hésita longtemps. Ce roi troubadour, que la culture
"^» lettres portait plutôt à la clémence qu'à la ri-
P^^iu*, céda enfui aux importunités du cardinal, et
'^^pulsion, sous peine de crime de lèse-majesté, de
tou^ VandoiSf Cathares, pauvres de Lyon et autres héré-
^T^ies quelconques fiit ordonnée. Ceux de ces héré-
^T^es qui auraient été trouvés dans les limites de ses
éta%^^ après l'expiration du terme qu'on leur donnait
P^^xr en sortir, devaient être passibles de toutes les
P^ï^es, à l'exception toutefois de la mort et de la mu-
til^ition.
Alphonse était doux et humain. Tant qu'il vécut,
^ sut contenir le zèle déjà trop ardent des inquisi-
86 LIVRE PREMIER.
leurs; mais, après sa mort, son fils ne sut pas résister
,,36. comme lui à la tendance envahissante de Tautorité
spirituelle et aux instances réitérées des archevêque et
évêques de Tarragone, Barcelone, Girone, Vie et
Elne; le décret du concile de Vérone fut publié de
nouveau en 1 197, et la sévère exécution en (îit or-
donnée dans toute la Catalogne.
Cest le a 5 avril 1 196 qu'Alphonse fut enlevé à
Tamour de ses peuples , dans Perpignan > où il était
tombé malade en arrivant. Sa mort, qui était un mid-
heur public dans les circonstances présentes, fut prin*
cipalement déplorée par les Roussillonnais , dont il
semblait s*étre constitué le tuteur, et qui^ se ressen-
tant chaque jour des améliorations que sa sagesse et
sa fermeté avaient apportées à leur situation, per*
daient en lui im zélé protecteur contre les vexations
de leurs seignetu^s féodaux. Son corps fut transporté
au monastère de Poblet qu il avait fait bâtir pour la
sépulture des princes de sa race.
irii.eii. Cest la première année du règne de Pèdre II, fils
et successeur d'Alphonse , que la population de Per-
pignan, qui, jusque-là, s'était régie par ses usages,
sous Tautorité du bailli institué par les comtes de Rous-
sillon , changea le régime de son administration du con-
sentement du roi, et se donna des consuls , « pour dé-
(( fendre, garder et régir tout le peuple delà ville, tant
u grand que petit, avec tout ce qui lui appartenait en
a meubles et immeubles, ainsi que les droits du roi. »
CHAPITRE CINQUIÈME. 87
Cle changement dans le mode d^administration de
la vîJle fut donc un effet de la voionté des habitants ,
en vertu des droits municipaux dont les villes jouis-
^tent dès avant la troisième race de nos rois , ainsi
9^^ la si bien démontré dans un ouvrage récent le
^èl>re restaurateur de la langue romane ^. Les termes
ààMxs lesquels est rédigée la charte de conmiune de
I^^^pignan sont remarquables : c*est le peuple qui
P^x^le et non pas le roi. «Quil soit notoire à tous
«o^ux qui verront ou liront cet écrit, que nous tous
^^n^mble, les peuples de la ville de Perpignan, habitant
^^t, résidant dans ladite ville, de Tavis et volonté, et
«aussi par le commandement de Mustre seigneur
«i^oi, Pèdre, Nous constituons entre nous cinq consuls
«cl Ans cette dite ville de Perpignan, etc.» Ainsi, en
côl«i, le roi n'intervient que par le consentement
aoKiné pour la réunion de tout le peuple et par Tordre
<P-a« cette convocation eût lieu. «La sanction royale,
«dît M. Raynouard, devenait indispensable quand les
«u Citants établissaient dans leur ville an nouvel ordre
« ^'^^ministration, conféraient à leurs magistrats une au-
*^^orité plus étendue que Tancienne ou demandaient,
* *oit des lois nouvelles en faveur de la cité, soit le pri-
«^''ilége d'une juridiction civile et criminelle , etc. ^. »
C»*^8t donc pour établir ce nouvel ordre d adminis-
Hsynouard , Histoire du droit municipal en France. Paris, 1829.
* Onvrage cité, tome II.
Li charte de commane de Perpignan est une preuve de plus de ce
1196.
88 LIVRE PREMIER.
tratioii que les Perpigiianais avaient dû recourir à
) autorité du prince.
^écrivain judicieux que nous citons reconnaît que
r excès de brigandage des seigneurs féodaux envers
les citoyens rendant impuissante la protection royale,
le prince dut accorder à ceux-ci le droit de s*armer
pour leur propre défense. Pèdre II donna ce privi-
lège aux habitants de Perpignan. En vertu de cette
concession, ces habitants pouvaient marcher sous la
conduite du bailli, du viguier et des constds, contre
toute personne qui aurait fait tort ou injure à lun
d eux, quel que fût son sexe ou sa condition, si l'agres-
seur ne voulait pas faire réparation amiable, suivant
l'arbitrage de ces magistrats : dans ce cas, nui ne
pouvait être responsable des morts d'hommes et des
désastres qui surviendraient à l'occasion de cette
agression : c'est ce qu'on appelait le privilège de la
main-armée ^
Pèdre vint à Perpignan en 1200 pour s'aboucher
avec Raymond VI, comte de Toulouse, qui s'y était
(jii'a si bien démontré M. Raynouard, sur rexislence d'un droit mu ni-
cijMil en France» avant l'établissement des communes. Des traces de ce
droit, pour Perpignan, se retrouvent dans ses coutumes, qui montrent
clairement que la population a concouru à leur établissement. Or, ce
concours dénote un droit, et ce droit se manifeste entre autres dans les
articles 2, 55, 59, qui imposent des conditions au seigneur ou à son
bailli, et dans l'article 52, qui astreint tout nouvel officier royal à préier
serment devant le peuple. Voyei aux prei*ves n** X.
' Voy/ la charte de commune, preuves n" X.
Sur le privilège des armes, voyci la note vu de la 2* partie.
CHAPITRE CINQUIÈME. 89
rendu de son côté. Le résultat de cette entrevue (ut une
alliance dont la jeune princesse Eléonore, sœur du
monarque aragonnais , devait être le lien : Raymond
ne répousa solennellement que quelques années plus
tard, à raison de sa trop grande jeunesse.
Quoique incorporé à TAragon, le Roussillon eut
encore des comtes titulaires , qui furent des princes
de la maison royale à qui ce domaine était donné en
apanage avec le comté de Cerdagne, désormais insé-
parable du Roussillon , et formant avec lui une seule
et même province.
Le premier de ces comtes fut don Sanche , troi- sucIm ,
sième fils de Raymond-Bérenger, etfi'ère d'Alphonse II.
Le comte de Toulouse , Raymond V, s'étant emparé
de la Provence en 1166 après la mort du comte Ray-
mond-Bérenger II, cousin du comte de Barcelone,
qui la possédait patrimonialement , Alphonse Ten avait
expulsé, et, en 1 168, il avait donné ce comté à don
Pèdre, son frère, pour le tenir de lui en commande.
Ce prince ayant été tué en trahison par Aymar, fils
du seigneur de Melgeuil, le 5 avril 1181, Alphonse
avait tiré vengeance de cet assassinat, et il avait subs-
titué à don Pèdre son troisième frère don Sanche :
mais bientôt, voulant gratifier de la Provence Al-
phonse, son fils, il avait retiré cette province des
mains de son frère, en lui donnant en dédommage-
ment le Roussillon et la Cerdagne.
Sanche conserva toujours le titre honorifique de
te
laoa.
Pèdrall
coiBto
<)e RousMllon.
90 LIVRE PREMIER.
comte de Provence , ce qui ne Tempêcba pas en i aoa
s.ncii6. de prendre le parti du comte de Forcaiquier contre
le roi don Pèdre , son neveu , qui en était comte titu-
laire. La paix s étant faite deux ans après , Sanche as-
>>oA- sista aux noces de Pèdre avec la princesse Marie, fille
de Guillaume VIII, seigneur de Montpellier. Le
douaire de Marie fut assigné sur le comté de Rous-
silion depuis la fontaine de Salses jusqu'à la Cluse ,
et cette princesse se constitua en dot tous les do-
maines qui avaient été possédés par Guillaume , son
père. Ces domaines, d'après les termes de la dona-
tion de Raymond Âton , s'étendaient de l'Hérault à
la Vidourie et du pont de Saint-Guillem à la mer,
outre quelques autres châteaux détachés. C'est par ce
mariage que la seigneurie de Montpellier et toutes ses
dépendances passèrent sous la couronne d*Âragon,
non toutefois d'une manière parfaitement loyale. En
effet : Guillaume VIII, en faisant du comte de Tou-
louse et du roi d'Aragon ses puissants exécuteurs tes-
tamentaires avait chargé ces princes de mettre en
possession de ses domaines Guillaume , son fils ,
issu d'un second lit^; mais Pèdre, d'accord avec le
comte de Toulouse, au lieu de remplir les intentions
du testateur, jugea plus convenable à ses intérêts
d'épouser lui-même la jeune princesse du premier
lit, et de s'approprier ainsi l'héritage de son beau-père.
' Le |>ape n'ayant pas approuvé ce second hymen avait déclaré les
enfants qui en proviendraient inhabiles à succéder.
CHAPITRE CINQUIÈME. 91
La nouvelle reine d*Aragon , quoique à peine âgée
We vingt-deux ans ^ avait été mariée déjà deux fois : la
première avec Barrai i vicomte de Marseille , par les
soins de sa marâtre qui voulait se débarrasser d'elle.
Veuve à quinze ans, elle avait épousé Bernard IV,
comte de Comminge , qui avait déjà deux femmes vi-
vantes et répudiées, et qui venait de répudier en-
core cette troisième : tel était alors Tétat barbare des
mœurs. En formant cette nouvelle union avec le roi
d'Aragon, Marie, pour se soustraire à Tafiront d'une
seconde répudiation , avait fait promettre solennelle*
ment à son époux de ne jamais la délaisser; Pèdre en
fit insérer la clause dans le contrat , et n*en tenta pas
moins I deux ans après, de ^e séparer d'elle : par in-
oonfftance ou par politique, ce prince voulait alors
épouser rhéritière du royaume de Jérusalem. Une
rencontre ménagée entre ce prince et Marie , à l'insu
du premier, dans le château de Lates, près de Mont-
pellier, fut Toccasion de la naissance de don Jayme
ou Jacme (Jacques) le i" février i!io8.
Le comte de Roussillon , prince brave et guerrier,
(ut du nombre des seigneurs qui marchèrent contre
les Maures, avec les rois d'Aragon, de Castille et de
Navarre , et il se signala particulièrement à la célèbre
bataille de las nava$ de Têhsay remportée par les chré-
tiens en 1 û 1 ii« Don Nunea, son fils , qui y combattait
à ses cotés, (ut armé dievalier par le roi d'Aragon
sur le champ de bataille. Après la mort de Pèdre ,
lïia.
92 LIVRE PREMIER,
tué à la bataille de Muret , don Sanche unit ses ef-
forts à ceux des Catalans et des Âragonnais pour la
délivrance du jeune roi don Jayme qui se trouvait
entre les mains du comte de Montfort : voici & quelle
occasion.
Simon IV, successeur de son père à la baronie de
Montfort, et Tun des plus ardents croisés contre les
Albigeois, avait emporté en laog la ville de Garcas-
sonne. L*église avait décidé que les seigneurs héré-
tiques seraient privés de leurs héritages, et les princes
souverains se prêtaient à consommer cette spoliation,
sans penser au dangereux exemple qu*ils donnaient,
sans réfléchir au funeste antécédent qu*ils établis-
saient contre eux-mêmes. Le duc de Bourgogne, les
comtes de Nevers et de Saint-Paul , mus par un sMe
de religion , avaient contribué à exécuter la sentence ,
mais avaient refusé de profiter des dépouilles; Taïn-
bitieux Montfort fut moins scrupuleux : il accepta les
terres conquises , échangea son titre de baron contre
celui de comte, et ne tarda pas à tourner ses armes
contre Raymond VI, comte de Toulouse, qui, tout
en désapprouvant la conduite quon tenait à Tégard
de ses sujets, avait été forcé d'être lui-même Tun des
chefs des croisés. Ce blâme quil avait jeté sur les
sanglantes exécutions de la cour de Rome fut contre
lui un arrêt de proscription. Appuyé par le fougueux
abbé de Cîteaux, légat du pape, qui venait d'excom-
munier les consuls de Toulouse, parce quils n'a-
CHAPITRE CINQUIÈME. 93
'Paient pas voulu trahir leur province, Simon, qui
Voulait à toute force envahir les domaines de Ray-
tnond, avait soumis la plus grande partie de ses terres
sans ménager celles du comte de Foix : Thistoire de
Languedoc et TÂrt de vérifier les dates témoignent
des perfidies au moyen desquelles cet homme ambi-
tieux étendit sa puissance.
Dans la crainte que le roi d*Âragon , beau-fi*ère du
comte de Toulouse, ne prît parti pour son parent,
Montfort lui avait offert Thommage pour le comté
de Carcasses que Pèdre avait refusé d*abord, et qu'il
eut le tort daccepter ensuite à la sollicitation du
l^t : l'acceptation eut lieu dans une conférence qu'on
qualifia de concile, parce qu'elle avait été tenue en
présence de plusieurs prélats, et dans laqueUe on ar-
rêta le mariage de la fille de Simon avec le fils de
Pèdre, l'infant don Jayme, à peine âgé de trois ans.
En garantie de sa parole, Pèdre avait livré le jeune
prince à son futur beau-père. Pèdre ne tarda pas à
reconnaître la faute qu'il avait faite et le piège qu'on
lui avait tendu : il marcha au secours du comte de
Toulouse, et périt sous les murs de Muret, laissant >"^
ainsi son fils entre les mains de son ennemi.
94 LIVRE PREMIER.
eomto
à* RoawUkHi.
CHAPITRE VI.
Ligue pour la délivrance de Tinfant roi. — - Le comte de Rous-
sillon régent du royaume. — Guerre civile en Aragon. —
Guerre entre le comte de Roussillon et le vicomte de Béirn.
— Ligue contre le jeune roi. — <- Nunez ou Nunyo^ suocède à
Sanche ou Sanchez. — G)nquête de Majorque. — Le Rous-
sillon retourne à, T Aragon. — Traité de G)rbeil. — Partage
des états d* Aragon.
»*'* Pèdre II était mort, et son fils, le nouveau roi
s»eiM. d'Aragon , se trouvait au pouvoir du vainqueur, qui
redoublait de vigilance pour le garder. Vainem^it les
corts * du royaume Tavaient réclamé , Montfort refu-
sait de le rendre : on prit les armes de part et d*autre.
Lie comte de Roussillon envoya son fils Nunez se
mettre à la tête de cette patriotique expédition, que
' Les corts (cories en espagnol) d* Aragon et de Catalogne différaient
des étais généraux de France, auxquels on les assimile, i" en ce que le
second ordre, qu'on appelait bras militaire, comprenait aussi bien les
nobles que les roturiers devenus possesseurs de terres en justice; 9* en
ce que les étrangers nobles ou roturiers, possédant des terres en Cata-
logne, y avaient droit de séance comme représentant les peuples de
leurs seigneuries ; 3" en ce que le troisième ordre , qu'on appelait bras
roycd, était fomié des députés des villes dont le souverain lui-même
était seigneur : ces villes étaient en petit nombre, et Barcelone et
Perpignan en étaient les principales. Ces différences font que nous con-
serverons à ces assemblées le nom de coris. puisque celui d^états géné-
raux n'en est pas la traduction exacte.
CHAPITRE SIXIÈME. 95
dirigeaient Guillaume de Moncade et Guillaume de
Cardone. Cet élan généreux, qu*appuyait le vicomte
de Narbonne, n*eut cependant aucune suite; les né-
gociations de révêque de Segorbe , ambassadeur d'A-
ragon auprès du pape, obtinrent un résultat que le
sort des armes eût peut-être rendu douteux : le pape
ordonna et le jeune monarque fut rendu à ses peuples.
Le cardinal de Bénévent, légat du pontife près l'armée
des croisés, reçut le roi d'Aragon k Narbonne, où
étaient accourus Sanche et son fils avec l'élite de la
noblesse du royaume. Le légat conduisit Jayme en
Catalogne, où furent immédiatement réunies les corts.
Dans cette assemblée solennelle, tenue à Lérida, il
(ut arrêté que la tutelle de l'infant roi et la régence
seraient confiées au comte de Roussillon , et que la
résidence du prince serait à Monçon , sous la garde
de Guillaume de Montredon , maitre du temple pour
TAragon et la Catalogne, chargé en même temps de
surveiller son éducation. Trois gouverneurs lui furent
donnés, dont deux pris parmi les seigneurs aragonnais
et un parmi les seigneurs catalans.
Sanche, comte de Roussillon, et Femand son
frère, tous deux grands-oncles du jeune roi et égale-
ment jaloux de l'autorité , avaient causé quelque in-
quiétude aux corts. La préférence que cette assemblée
avait enfin donnée à Sanche pour la régence blés*
sant l'orgueil de don Fernand , ce prince fit prendre
les annes à ses nombreux partisans, et deux armées
191'
1311.
96 LIVRE PREMIER,
également formidables ne tardèrent pas à ensai
glanter l*Àragon. Cette querelle des deux oncles d
roi finit par causer de telles alarmes à Guillaume d
Montredon, aux prélats et aux principaux seigneu]
du royaume , que , ne regardant plus leur jeune me
narque comme en sûreté à Monçon , ils crurent d<
voir former une ligue pour len tirer. L'an 1 2 i y ii
marchèrent contre ce château et en enlevèrent Jaym
qu'ils emmenèrent à Saragosse , où don Sanche s en
pressa de se rendre pour se mettre lui-même à la têt
du cortège. Cette démarche dissipa tous les soupçon
qu'on avait pu concevoir sur sa fidélité , et ce princ
prouva encore mieux l'année suivante qu'il n'en vou
lait pas à la couronne de son neveu en se démettan
volontairement, en faveur de la tranquillité publique
de cette même régence que lui avaient confiée le
corts de Lérida , et qu'avaient encore confirmée le
prélats et les barons ligués pour la sûreté de leur roi
Sanche obtint, en manière d'indemnité, plusieur
châteaux et une rente de dix mille sous sur les rc
venus de la ville de Barcelone.
Une discussion qui s'éleva entre le fils du comt
de Roussillon et Guillaume-Raymond de Moncade
vicomte de Béarn, aux corts de Daroca, en mai i a a a
donna naissance à une nouvelle guerre. La cause d<
cette discussion était toute frivole, mais la perfidie
envenimant auprès des deux princes quelques propo:
légers, l'étroite amitié qui avait jusque-là uni ces ri
CHAPITRE SIXIÈME. 97
vaux se convertit en une haine violente. Chacun d*eux
chercha aussitôt des auxiliaires parmi ses puissants
amis, et la plus grande partie de la nohlesse du
royaume se divisa en deux bamiières. Pendant que
Nunez avait pour lui le jeime roi d*Aragon lui-même ,
Moncade se confédérait avec plusieurs seigneurs , au
nombre desquels était don Pèdre de Ahonès, l'un
àes quatre conseillers désignés par le pape Honorius IIl
pour diriger le monarque. Les corts du royaume étant
réunies à Monçon, Jayme, âgé alors de quatorze ans,
ordonna aux habitants de cette ville de prendre les
armes, de garder leurs portes et leurs tours, et d*em-
pêcher l'entrée de leurs murs k toute bande armée.
Moncade ainsi réduit à l'impossibilité de rien entre-
prendre dans la place, contre son ennemi, en sortit
manifestant l'intention de ravager le Roussillon. Jayme,
de l'avis des corts , lui écrivit pour le détourner de ce
projet; Moncade feignit de se rendre à cette invita-
tion, et n'en continua pas moins son chemin vers les
Pyrénées, qu'il traversa en se jetant sur les terres de
aon Sanche. Après un combat à la lance et l'écu, il
* empara du château d'Avalri, peu éloigné de Perpi-
gi^^m et appartenant au baron de Château-Roussillon ,
et de là il marcha contre cette ville.
Les Perpignanais avaient pris les armes en faveur
de leur comte, et, sous le commandement de Gisbert
^^hera , îls s'étaient avancés à la rencontre de Mon-
cade. Barbera , consultant plus son dévouement que
1. n
98 LIVRE PREMIER.
ses forces, voulut barrer le passage aux ennemis, mais
il fut battu et resta lui-même parmi les prisonniers.
La nouvelle de faudacieuse entreprise du vicomte
de Béam mit en rumeur toute la Cat^dogne; Raymond
Folch, vicomte de Gardone, ennemi particulier de
Moncade, vint avec une nombreuse suite au secours
du comte de Roussillon , et de toute part on courut
aux armes. Pendant que Jayme , indigné du manque
de foi de son vassal , réunissait un grand nombre de
lances aragonnaises , Moncade se mettait en mesure
de résister à toute attaque, et se fortifiait de Tappui
d*une partie de ceux qui entouraient le monarque. A
la fm d*août Jayme était devant le château de Cer-
bellon, près de Barcelone, qu*il força en quatonè
jours, quoique ce fut une des plus fortes places de ce
temps. Après divers autres avantages, sa bannière^
sous laquelle étaient rangés ses deux oncles Sanche
et Fernand, Nunez, divers grands seigneurs de sa
maison, et près de deux cents chevaliers, se présenta
devant le château de Moncade , où le vicomte, sommé
d*en ouvrir les portes au roi , répondit qu'il n'en fe-
rait rien tant que le roi le lui demanderait à la tête
d'une armée. Le secret appui que ce seigneur trou-
vait dans la plupart des barons qui accompagnaient
Jayme à une guerre qu'ils faisaient à contre -cœur
lui donnait le moyen d'être arrogant avec impunité.
Malgré sa grande jeunesse, le prince avait pris les
dispositions les plus efficaces pour réduire le château
. x
CHAPITRE SIXIÈME. 99
de Moncade; mais les barons de son armée, en fai-
sant parvenir eux-mêmes secrètement des vivres aux
assises, rendaient toutes ces dispositions illusoires.
Les murmures de ces barons démontrant enfin au roi
Finutilité de ses efforts, il dut subir l'affront d'une
levée de siège devant un sujet révolté après deux
mois de blocus. Moncade, enhardi par ce départ, se
jeta de nouveau sur le Roussillon.
L'opposition que la haute noblesse manifestait
contre les vœux du roi n'avait pas seulement pour
objet d'empêcher la chute du château de Moncade;
eQe prenait sa source bien plus haut. Jayme encore
ïûineur, dirigé par des conseillers qui faisaient trem-
Wer les barons pour leur toute-puissance, se mon-
^t peu disposé à se prêter à la domination qu'ils pré-
tendaient s'arroger, et ces barons voulaient l'y sou-
mettre. Ménageant donc une réconciliation entre les
i^vcL seigneurs ennemis, une ligue générale se forma
contre le prince, et cette ligue déféra la régence du
royaume à l'infant don Femand depuis si longtemps
^Dïibitieux de cette charge. Jayme était à Alagon, en-
▼ïronné de riches hommes qu'il croyait tout dévoués
i *a personne, quand Moncade et Pierre de Âhonès
viehnent lui demander d'être admis à le servir. Le
jCttne roi les accueille de son mieux, mais, par pru-
dence, il recommande à Nunez et à Pierre Femandez
de n'admettre dans la place que quatre ou cinq che-
valiers de la suite de ces barons : l'ingrat Nunez
HottMtUoa.
100 LIVRE PREMIER.
permit qu il en entrât jusqu'à deux cents. Peu de jours
après, le roi, prisonnier des conjurés, (îit conduit k
Saragosse avec Léonore, infante de Gastille, que son
conseil lui avait fait épouser dès Tâge de douze ans.
13,4. Nunez fit Tannée suivante sa paix pailiculière avec
Jayme, et de ce moment on ne le voit plus figurer
dans les troubles qui continuèrent encore quelques
années à agiter T Aragon. Tout porte à croire que c'est
là l'époque à laquelle il succéda à l'apanage du Rous-
sillon , et à la fois à don Sanche, son père, dont l'année
de la mort n'est pas connue.
Nuayo. conte Nuncz OU Nunyo-Sanchez , en joignant à son nom
celui de son père comme la chose se pratiquait quel-
quefois , ne prit d abord que le titre de seigneur du
Roussillon Dominus Rossilionis, qu'il portait du vivant
>^'6- de son père. En 1 2 2 6 ce prince aida le roi de France,
Louis VIII , à faire la guerre aux Albigeois , et il en
rerut en récompense les vicomtes de Fenouillède et
de Pierre-Pertuse , pour lesquelles il prêta l'hommage
à ce prince , sauf la fidélité qu'il devait avant tout au
roi d'Aragon. Pour concilier ces deux devoirs, il fut
réglé que si une guerre venait à éclater entre la France
et TAragon , Nunyo déposerait entre les mains du roi
Louis ou ses .successeurs les fiefs qu'il tenait de lui,
lesquels lui seraient rendus sans contestation à la paix ^
' Martene, Veterum script, collccûo, tom. I. — Marca hisp. p. ^\o.
Dans ceUe lettre le roi df France donne h Nunyo le titre de comte de
RouMillnn , Vallespir, Coiiflent et Cerdagne.
CHAPITRE SIXIÈME. 101
Nunyo fut Tun des principaux chefs de Texpédition '^'s
du roi d'Aragon contre les îles Baléares, occupées
par les Maures , comme il avait été Tun des signataires
de la résolution prise pour entreprendre cette con-
quête. H n'y contribua pas seulement de sa personne,
3 fit encore lever dans ses domaines pour les frais
de cet armement le droit de bovage qui était le plus
onéreux de tous , parce qu'il frappait l'agriculture en
atteignant tous les bœufs de labour; aussi ny recou-
rait-on que dans des circonstances extraordinaires :
ici, le but religieux de l'expédition fit acquitter cette
imposition sans murmurer. Les chroniques du temps
citent Nunyo comme s' étant , l'un des premiers , élancé
des vaisseaux sur le rivage en présence des ennemis, et
comme ayant, dans la première bataille , sauvé f armée
chrétienne par sa valeur et sa présence d'esprit : à
la tête de trois cents chevaux , il reprit certaines po-
sitions dont les Maures s'étaient emparés après en
avoir débusqué Guillaume et Raymond de Moncade
qui y avaient perdu là vie : ces positions dominaient
l'armée.
La souveraineté du Donezan devint entre Nunyo
et le comte de Foix le sujet d'ime guerre assez longue,
et à laquelle mit fin , le 2 7 septembre 1 2 33 , une sen- lasa.
tcnce arbitrale rendue par le vicomte de Cerdagne et
l'évèque d'Elne. D lut dit dans cet accord qu'Arnaud
de Son et Bernard d'Alion son frère, «esteraient à
(t droit, tant pour eux que pour Bernard d'Alion, leur
102 LIVRE PREMIER.
tt père , à la cour du comte Nuny o pour le château de
u Son (Donezan), et que si le comte de Foix venait à
((obtenir ce pays, soit par droit, soit par guerre ou
ude toute autre manière, il en ferait hommage au
a comte Nunyo comme les prédécesseurs de Bernard
ud'Âiion en avaient fait Thommage aux comtes de
u Cerdagne. )) On voit par là, ajoute Thistorien de
Languedoc que nous venons de copier, que le Do-
nezan , qui était anciennement un fief immédiat du
comté de Cerdagne, en était devenu un arrière-fief
depuis que feu Pierre, roi d'Aragon, avait donné ce
pays aux comtes de Foix ^
Cette contestation était à peine terminée qu'il s'en
éleva une nouvelle entre Nunyo et le roi Jayme.Le
premier réclamait la suzeraineté sur la ville et le
comté de Carcassonne; sur l'honneur de Trencavel,
sur la vicomte de Millaud , sur celle de Narbonne et
sur la Provence; Jayme, de son côté, revendiquait
le Vallespir, le Gapcir et quelques autres terres; ce-
pendant ces prétentions réciproques ne donnèrent
lieu à aucune hostilité, et n empêchèrent pas Nunyo,
qui ne le cédait à aucun prince de son époque pour
lardeur aux combats, de se joindre à Jayme pour
porter la guerre au sein du royaume de Valence.
Cette même année iNunyo aida encore l'archevêque
(le Tarragone à faire la conquête des îles d'Yviça et
(le Fromentera.
' Histour tfcnéixilf de l.an(juedoc , loiiie 111, livre XXV.
CHAPITRE SIXIÈME. 105
Nunyo navait pas d*enfants légitimes » et son apa-
nage ne pouvait manquer après lui de retourner à
fAngon. Cette considération et les services que ce
prince avait rendus à la couronne décidant le mo-
narque i renoncer aux prétentions qu il avait élevées
en opposition à celles que le comte avait mises au
jour, en mai i a 35 il signa un compromis par lequel
il laissait Nunyo en possession de tout ce qu'il avait»
et lui faisait de plus le don d une certaine somme
d'ai^ent. Ce n'est que de ce moment , à ce qu'il pa-
rait, que le fils de Sanche prit le titre de comte de
Roussillon qu'on lui donnait, mais qu'on ne trouve
dans aucun des actes émanés de lui avant cette
époque ^ Quatre ans après, ce prince vendit au roi
saint Louis , pour la somme de vingt mille sous mel-
goriens , le château de Pierre-Pertuse que Louis VIII
lui avait donné quelques années auparavant avec la
vicomte de Fenouillède, ainsi que nous l'avons dit
l^us haut.
Niinyo mourut en 12 Ai. Ce prince avait épousé
en 1 2 1 5 la princesse Pétronille , fille de Bernard V,
comte de Conmiinge et d'Étiennette de Centule , fille
du comte de Bigorre. Cette princesse , qui avait été
mariée d'abord à Gaston le Bon , vicomte de Béam ,
(ut enlevée à Nunyo Tannée qui suivit leur mariage
par le comte de Montfort, qui la fit épouser à son
fils, afin de faire entrer par ce moyen le comté de
* Fofsa, dans TArt de vérifier les dates.
ia3.).
laili-
104 LIVRE PREMIER.
Bigorre dans sa famille. L*odieux de cette conduit
ne doit pas étonner : nous avons assez fait connaît!
Tétat des mœurs à cette époque. Après la mort de <
nouvel époux, Pétronille contracta un quatrième
puis un cinquième mariage. Quant à Nunyo, il époui
Thérèse Lopès qui ne lui donna point d'héritier. &
domaines rentrèrent ainsi sous la main du roi d*)
ragon, après que ses exécuteurs testamentaires ei
rent rempli ses dernières dispositions. Ce prince a va
quitté le monde sur ses vieux jours, et il était ch
noine d*Elne au moment de sa mort ^
Soixante ans ne s étaient pas encore écoulés depu
que le Roussillon avait été donné en apanage aux i
fants d'Aragon quand il fit retour à la couronne. I
sort de la population ne (ut pas meilleur sous a
derniers comtes que sous les anciens. Les maux d<
peuples sont toujours aggravés par Tétat de guerre,
Saiiche et son fils eurent sans cesse les armes à la maîi
aussi les impôts pour payer ces dépenses écrasaiei
l'agriculture pendant que les continuelles levées d
cimaient la population des campagnes. Dans ur
semblable situation , les désordres auxquels le roi A
phonse II avait voulu porter remède ne pouvaiei
pas cesser. Aux sollicitations de Galterius, évêqi
d'Elne, Nunyo avait bien promulgué, le 6 des nom
d'octobre 1227 ^, ^^ nouvelles constitutions de pa
' Bosch , Titols de honor.
' Dans le spicilfgium de Dachery cette pièce porte la date de i 2 i
CHAPITRE SIXIÈME. 105
et trêve, qui, de plus que les précédentes, garantis-
saient ia tranquillité de toutes les classes quelconques
de la population, y compris les Juifs et les Sarrasins,
habitants ou captifs en Roussillon ; mais que pouvaient
de stériles engagements aussitôt oubliés que pris par
les seigneurs féodaux! Nunyo fit son testament le
16 des calendes de janvier laAi. Les restitutions
qu'il ordonna, jointes aux legs qu'il fit, s'élevèrent à
de telles sommes que pour les acquitter le roi permit
aux exécuteurs testamentaires de percevoir encore
pendant six mois après la mort de Nunyo les revenus
des deux comtés.
Jayme prit à l'égard du Roussillon, après que ce
fief fut rentré dans ses mains, les mêmes mesures
qu'avait prises Alphonse II quand il en hérita; il y fit
promulguer les constitutions de paix et trêve qu'il
avait apphquées àl'Aragon le la des calendes de jan-
vier 1228. Par son ordre exprès un chanoine de Bar-
celone, nommé Guillaume de San-Roman, se rendit
en Roussillon, et, le 5 des ides de mars i24i, il fit
jurer et signer cette paix et trêve par les principaux
seigneurs de la province réunis , non pas à Perpignan ,
mais à Malloles ^. Jayme fit aussi rédiger par écrit les
coutumes de Perpignan , qui n'étaient conservées que
mais il y a eu évidemment omission d'un X , puisque ce prince ne suc-
céda au plus tôt à son père qu en 1 324 * et que cet acte est un acte de
souveraineté.
* Dacherii spicile^ium, tom. III.
106 LIVRE PREMIER.
dans la mémoire des hommes , et il en confirma la
rédaction.
Le renouvellement de Timpôt du bovage en i a &5
causa quelques troubles en Roussillon. Une lettre de
Tabbé de Saint- Martin du Canigou à Raymond de
Pompéian, procureur de Tinfant don Jayme, venu
dans la province pour faire rentrer cette contribu-
tion , renferme la prière de faire respecter et défendre
le monastère et toutes ses dépendances, attendu
qu* aucun de ses honunes , dit-il , n*a pris part à la ré-
bellion ^
Les rois de France et d'Aragon étaient en paix;
mais il existait entre eux de nombreux ferments de
querelle , à raison de réciproques prétentions sur des
fiefs de leurs domaines respectif. Les rois de France ,
nous l'avons démontré , étaient réellement suierains
de toutes les terres qui formaient l'ancienne marche
d'Espagne, distinguées désormais par les noms spé-
ciaux de Catalogne, de Cerdagne et de Roussillon.
Cette suzeraineté était établie , i ° par le fait incontes-
table de la conquête de ces terres sur les Arabes d'Es-
pagne avec laide des rois de France; 2° par le par-
tage de ces terres en différents comtés opéré par ces
mêmes rois; 3° par l'investiture de ces comtés donnée
par eux à leurs barons; 4° enfin, et principalement
par le choix libre et volontaire que les peuples de c^s
' Cum nos nec aliquis homo noster non fuerimus rebelles inpnB-
dirlo bovalico dando. (Arch. eccles.)
CHAPITRE SIXIÈME. 107
contrées avaient fait de ia domination française , sui-
vant la solennelle déclaration de Chaiies le Chauve ,
pour obtenir secours et protection contre les Maures ,
leurs dangereux voisins. De leur côté , les rois d'Ara-
gon avaient des droits fondés sur plusieurs pays situés
en Languedoc, et Jayme se préparait à les £iire va-
loir. Louis IX eut connaissance des intentions de
TAragonnais , et , pour opposer prétentions à préten-
tions, il chargea deux commissaires de recevoir la
déposition de Tévêque de Maguelonne au sujet du fief
de Montpellier. Ce prélat leur déclara que cette ville >»"•
et ses dépendances avaient été de tout temps un fief
de la coiu*onne de France , et que lui , aussi bien qae
ses prédécesseurs , avaient toujours tenu à ce titre la
partie de la ville quon appelle Montpellieret ; que
lautre partie de cette ville et le château de Lates
étaient de la mouvance de Téglise de Maguelonne,
et fiefs du roi d'Aragon en sa qualité de seigneur de
Montpellier, du chef de sa mère ^ Jayme, voyant la
tournure que prenait lafTaire qu il avait suscitée , se
décida à négocier un arrangement amiable. Un com-
promis fut donc passé au mois de juin entre les deux
mcmarques , qui promirent de s en rapporter sous un
dédit de trente mille marcs d'argent , à la décision de
* Les seigneurs de subsiantion étaient feudataires directs de la sei-
§Wtiine de MoQtpellier. Les fiiles du dernier de ces seigneurs la don-
nèrent à Téglise de Maguelonne, qui la céda à Gui , ancêtre de Marie,
fiemme de Pèdre III et mère de Jayme, qui, de cette manière, se trou-
vait arrière-vassale de la couronne de France.
108 LIVRE PREMIER.
deux arbitres tenus de prononcer leur sentence dans
le terme d'un an. Mais, soit négligence, soit mauvaise
volonté, ce terme s'écoula sans conclusion. Les in-
fants d'Aragon, se mettant alors à la tête de quelques
troupes , firent une irruption dans le Carcasses , et la
nouvelle de ces hostilités fit reprendre les négocia-
tions. Jayme chargea de sa prociu^ation Arnaud,
évêque de Barcelone , Guillaume , prieur de Comella
et Guillaume de Rocaful, son lieutenant à Montpel-
lier, avec pouvoii' de transiger et compromettre avec
le roi de France sur les droits qu'il prétendait avoir
sur le Carcasses, le Rasés, le Lauraguais, le Terme-
nois, le Minervois, le Fenouillède, le Pierre -Per-
tuse , le comté de Millaud , le Gevaudan , le Gresèz ,
les comtés de Toulouse et de Saint-Gilles et sur tous
les autres domaines et juridictions qui avaient appar-
tenu à Raymond, comte de Toulouse ^ Par conven-
ii68. tion du 1 1 mai i a58 passée à Corbeil, où se trouvait
alors saint Louis, le roi d'Aragon renonça à toutes
ses prétentions sur les pays ci-dessus, et le roi de
France , de son coté, abandonna et céda au roi Jayme
et à ses successeurs tous ses droits sur les comtés de
Barcelone, d'Urgel, de Besalu, de Roussillon, d'Am-
purias, de Cerdagne, de Gonflent, de Girone et de
Vie.
Ce traité de Corbeil , dont Texistence est contestée
par quelques écrivains et mise en doute par le prési-
' Hist. yen. de Laiiy. tom. III, aux preuves.
CHAPITRE SIXIÈME. 109
dent Hénaut \ mais à l'authenticité duquel donnent
toute créance les recominandables historiens du Lan-
guedoc, fut, suivant le père Daniel, plus avantageux
à la France qu'à T Aragon, en ce que la première aban-
donnait des droits qu'elle ne pouvait faire valoir que
difficilement sur des pays situés de l'autre côté des
monts, tandis qu'elle acquérait une foule de villes
placées sur son propre territoire. Le savant Vaissette,
qui discute à fond la validité des prétentions des deux
couronnes, prouve de la manière la plus évidente
que tout le désavantage, dans cette transaction, fut
du côté de la France. Louis renonçait aux droits les
plus positifs sur la Catalogne , la Cerdagne et le Rous-
sillon, pendant que le roi d'Aragonne pouvait lui op-
poser que des droits chimériques et imaginaires sur
tous les pays autres que le Carcasses, le Rasés, le
Lauraguais, le Termenois, le pays de Sault et le do-
maine immédiat de Fenouillède. Ajoutons que, rela-
tivement à la difficulté de faire valoir des droits de
l'autre côté des monts, la position du roi de France
ne fîit rendue plus désavantageuse que celle du roi
d'Aragon que par le ti^aité même, puisque, si la Ca-
tadogne est par delà les Pyrénées par rapport à la
France , toutes les terres sur lesquelles Jayme fondait
^ Un conseiller au conseil souverain de Roussiilon, Gispert-Dulcat,
fit imprimer en 1790 un mémoire en forme d'observations pour nier
rnistence de ce traité. Le même écrivain nie également Texistence du
tesUment du dernier comte héréditaire de Roussiilon.
110 LIVRE PREMIER,
des prétentions étaient dans une position toute sem-
blable par rapport à f Aragon. C'était donc pour le roi
de France une raison de plus de ne pas renoncer aux
droits que sa couronne avait acquis sur le Roussillon,
dès ayant Charlemagne , par la cession que les Goths
en avaient faite à Pépin lors de leur révolte contre les
Maures, ainsi que nous Tavons fait remarquer en son
lieu. La situation de ce comté en deçà des Pyrénées,
du côté de la France , établissait entre les deux princes
une balance de position qui fut rompue au profit de
FAragon par cet imprudent et impolitique traité de
Corbeil. La soumission de Montpellier, révoltée contre
Jayme, fut le premier bénéfice que ce prince retira
de ce traité : les habitants de cette ville n*étant plus
soutenus par la France durent recourir à la clémence
de leur seigneur, qui leur pardonna, et qui fit son
entrée solennelle dans leurs murs le i o décembre.
Dans le cours de cette année, 1^58, il y eut à
Perpignan un soulèvement dont la cause n'est pas
connue, et dans lequel le bailli royal fut grièvement
insulté. Le roi d'Aragon se rendit dans cette ville,
pardonna aux habitants et fit divers changements dans
les monnaies , ce qui peut faire croire que quelque
surhaussement ou quelque altération dans la valeur
de ces monnaies avait occasionné cette émeute ^.
lafîo. A la date du 6 octobre 1260 nous trouvons une
charte du roi d'Aragon relative au fils de ce Pons du
' Arch. dom.
CHAPITRE SIXIÈME. 111
Veniet dont nous avons parlé dans Tintroduction k
cette histoire à propos des mœurs du xiii* siècle. Nous
avons dit qu'une note manuscrite d*un abbé de Saint-
Martin du Canigou énumérait les griefs du monastère
contre ce seigneur et contre son fils. Nous ne savons
pas si ces violences contribuèrent à faire livrer le
père à Tinquisition , et si ces brigandages contre Té-
g^e furent une suite de sa participation à Thérésie
des Albigeois, ou si l'accusation d*hérésie ne fut pas
uniquement un prétexte dont on se servit pour se dé-
faire de ce personnage dangereux; nous ignorons
aussi de quelle mort finit ce seigneur; mais quoique
tout porte à croire qu il périt de mort violente , il ne
parait pas qu'il ait subi le supplice du bûcher. Quoi
qu'il en soit, comme il était mort sous le poids des
poursuites de l'inquisition, ses biens avaient été con-
fisqués au profit du fisc. Par sa charte de la veille des
nones d'octobre, Jayme rendit au fils, nommé Pons
du Vemet comme son père , tous ses domaines et ses
châteaux da consentement des deux inquisiteurs du
royaume, et il défendit de l'inquiéter en rien à Ta-
vmr, ou de le noter i infamie à raison de l'hérésie de
son père^ L'année suivante, ce Pons fils échangea
avec le vicomte d'Ampurias le château et la ville de
Cadaquers, en Ampourdan, contre les châteaux de
* Voyex aux preuves n* XI. Cette restitution fut achetée par le fils
de ^ons, au prix de vingt-deux mille sous de Barcelone, somme tr^
coandéraUe à cette époque.
112 LIVRE PREMIER.
Tautavel , du Vemet , près de Perpignan , de Millas
deTorelles, de Saises et de Saint-Laurent qui appaj
tenaient à ce vicomte.
Le roi Jayme, à qui ses brillantes expéditions mi
litaires avaient fait donner le surnom de conquérant
s*était emparé des lies Baléares , du royaume de Va
lence et de quelques autres terres dont il avait expids
les Maures. Ce prince avait eu d^Ëléonore de Castillc
sa première femme, im enfant nommé Alphonse, c
d'Yolande, qu'il avait épousée après avoir répudi
Éléonore, plusieurs autres enfants à qui il voulait fair
une part dans son royal héritage; mais afin d'évité
tout sujet de contestation entre eux après sa mort, :
avait résolu de leur faille accepter à chacun , de so
vivant, la partie de sa succession qu'il se proposai
de leur départir. Les différentes vicissitudes qu';
éprouva dans sa famille le forcèrent de refaire pii
sieurs fois ce partage.
L'infant don Alphonse avait été reconnu en i2aj
par les corls du royaume, pour héritier universel d
ia couronne, à la demande de Jayme lui-même ai
moment où il poursuivait son divorce avec la rein
Eléonore; mais à cette époque, ni lesiles Baléares, r
le royaume de Valence n'étaient encore conquis, c
Jayme, qui devait ces terres à son épée, pouvai
croii^e qu'il était maître d'en disposer suivant sa vc
lonté; mais, d'autre part, comme parles constiti
tions du royaume le monarque ne pouvait rien feir
CHAPITRE SIXIÈME. 115
sans les subsides votés volontairement et librement
parles corts, celies-ci étaient aussi en droit de con-
sidérer comme acquises au profit de imdivisibiiité de
\a couronne toutes terres dont i acquit avait eu lieu
au moyen de subventions fournies par les sujets de
cette même couronne; et comme, de plus, le roi ne
pouvait faire aucune expédition de ce genre sans le
consentement et le concours des barons du royaume,
^i étaient maîtres de refuser subsides et secours,
^si que nous le verrons plus tard , il est évident que
les conquêtes auxc[ueiles ils contribuaient de leur per-
*onne et de leurs revenus devaient appartenir à la
communauté, c'est-à-dire à Tétat, et que le roi n'en
P<>uvait pas disposer seul et sans leur participation.
^ reconnaissance faite par les corts de l'infant Al-
phonse comme héritier universel de la couronne en-
*^^înait donc , pour cet infant, la possession de cette
^Wonne, non pas seulement telle qu'elle était au
moment de la reconnaissance , mais avec toutes les
éventualités qui pouvaient lui arriver par le concours
des barons. On voit par cet exposé que le projet de
J^ynae devait rencontrer de grands obstacles; un de
^8 premiers résultats lut d'augmenter la vive mésin-
^U^ence qui existait déjà entre le roi et son fils aîné :
Alphonse ne manqua pas de partisans parmi les bâ-
tons, mécontents de voir mettre ainsi en oubli les
constitutions du royaume.
Le premier partage, fait en laAy» avait attribué
I. 8
lU LIVRE PREMIER.
le royaume d*Âragon à Alphonse, la principauté de
Catalogne et Tfle de Majorque à don Pèdre , f i^é des
enfants d'Yolande, et le royaume de Valence k don
Jayme, second fils de cette reine; don Femand, qui
venait après Jayme, avait pour sa part les comtés de
Roussillon et de Gerdagne , avec la vicomte de Mont-
pellier et tous les droits sur les différents domain
situés en Languedoc, auxquels Jayme renonça
parle traité de Corbeil. Ce partage, comme ceux quS:
suivirent, était ime atteinte violente portée aux cens — ^
titutions du royaume, puisqu'il en séparait, non
seulement des pays conquis , mais des terres qui fiu-
saient partie intégrante de Tétat sous son prédéces
seur. Sanche, le dernier enfant d'Yolande, était d
tiné à Tétat ecclésiastique; quant à Tenfant que 1
reine portait en ce moment dans son sein , si c*étaÊ:
un garçon, il devait entrer dans Tordre des templiene
et si c'était une fille elle devait être religieuse,
reine accoucha d une fille ; mais , au lieu d'entrer di
la religion , elle devint reine de France par son n
riage avec Philippe le Hardi.
La mésintelligence était extrême entre Jayme
son fils aîné ; bientôt la révolte de celui-ci ,
par le roi de Castille, gendre de Jayme et méconte
lui-même de son beau-père , ajouta de nouveaux
barras à la position du monarque. Un accommod
ment ménagé entre le père et le fils, en i a 5o, fi
passer Tadministration générale du royaume sur l^
CHAPITRE SIXIÈME. 115
tète de cet infant , suivant les droits attachés à sa qua-
lité d'h^tier de la couronne.
La mort de don Fernand, survenue cette même
année , ayant rendu nul le premier partage , il fallut
diviser entre les autres enfants le lot de ce prince.
Alphonse ne reçut rien de plus que ce qu'il avait eu
la première fois; mais Pèdre eut la Catalogne avec
la Cerdagne et le Roussillon, les comtés de Riba-
gorça et de Pallas, et les villes de Tortose et de Lé-
rida; et Jayme obtint le royaume de Valence, les îles
Haléares et la seigneurie de Montpellier. Ces pro-
vinces furent reçues par ces princes à titre de dona-
tion entre-vi&, le roi s'en réservant la jouissance, et
l^infant Alphonse en confu^ma solennellement l'acte
^ux corts de Barcelone de 1^53.
Un arrangement qui enlevait à la couronne d'Ara-
%<^ la plus belle partie de ses domaines ne pouvait
i*ecevoir l'approbation de la noblesse du pays : de
nouveaux troubles éclatèrent, et l'infant don Al-
phonse, qui, bien qu'il eût souscrit aux volontés de
^w père, n'avait jamais été franchement dans ses
lionnes grâces , et qui trouvait dans l'opposition des
wons, au morcellement de la monarchie, un aii-
^nt à son ressentiment, se retrouva à la tête dun
P^iti formidable. Jayme , désirant maintenir la paix
Milérieure, consentit à modifier ce nouveau partage,
et le royaume de Valence lut ajouté à la portion du
premier- né. Enfin, la mort de ce dernier prince,
8.
116 LIVRE PREMIER.
enlevé presque inopinément en laGo^ donna lieu k
de nouvelles dispositions qui furent les dernières. Ce
partage définitif, qui fut arrêté le ai août 126a,
donna à don Pèdre l*Aragon avec le royaume de Va-
lence et la Catalogne; et à don Jayme, le royaume de
Majorque, avec la seigneurie de Montpellier et les
comtés de Roussillon, de Vallespir, de Cerdagne et
de Conflent. Les limites de ces comtés furent fixées i
Pincem, au pont de la Corba, au cap de Creus et i
Bellegarde; la vallée de Ribes leur était annexée er
entier, ainsi que le bailliage qui s'étend du Berguerdar
à Roca Sausa K Cette donation était faite sous Tex
presse condition que les monnaies de Barcelone au-
raient cours à perpétuité en Roussillon, Vallespir el
Conflent , où continueraient à être observés les usages
de Barcelone et les constitutions de Catalogne ,- saul
les coutumes particulières des localités. En cas de
mort sans enfants mâles, les deux frères étaient subs-
titués l'un à Vautre; et s'il arrivait que, par mariage
ou autrement, le Roussillon et la Cerdagne , avec leurs
dépendances, passassent dans une maison étrangère,
dans ce cas spécial seulement , le prince qui devien-
drait possesseur de ce démembrement de la monar
chie serait tenu d*en faire hommage au roi d'Aragon
Il était encore stipulé que si don Pèdre allait contre
ces dispositions du partage , et qu'il fît la guerre à soi
frère, sans soumettre à des arbitres communs le ju
* Testam. JcLcobi, apiul Dacherii spicile^. tom. III.
CHAPITRE SIXIÈME. 117
gement de ses griefs contre lui, il perdrait, par cela
seul , les droits de suzeraineté qui lui écherraient sur
ces comtés de Roussillon et de Cerdagne dans le cas
prévu du transport de ces domaines en maison étran-
gère par mariage ou autrement. Ces diflerentes stipu-
lations fiirent confirmées de nouveau par Jayme dans
son dernier testament fait à Montpellier le 7 des ca-
lendes de septembre 1272. Dans ce nouvel acte Jayme
constitua de plus l'indivisibilité des deux royaumes
d'Aragon et de Majorque, et, afin d'assurer encore
mieux la substitution des deux frères en cas de mort
de Tun ou de l'autre sans enfant mâle, il défendit
que jamais une femme pût hériter de leur couronne ^.
' Testam, Jacobi, apud Dacherii spicileg. tom. III.
118 LIVRE PREMIER.
CHAPITRE VIL
Indépendance des seigneurs catalans reconnue. •— Nouveaux
troubles en Aragon. — Ports de Collioure et de Port- Vendre.
— Royaume de Majorque. — Agrandissement de Perpignan.
— Eglise de Saint-Jean. — Mense canonicale.
jajmt 1 '. L^ dernier partage arrêté par le roi d* Aragon le fut
définitivement et irrévocableftient, mais il n'obtint
pas plus que les précédents Tapprobation des riches
hommes du royaume , qui ne souscrivirent jamais à
ce morcellement de la monarchie. Cette invincible
opposition fut même par la suite Tune des causes les
plus puissantes de Textinction du royaume de Ma-
jorque après une très-courte durée. Le mécontente-
ment des barons ne se renferma pas toujours dans les
paroles : Jayme fut bientôt forcé d*en venir aux armes
avec eux. Cet événement, dont la cause partait ainsi
de loin , eut pour occasion immédiate la guerre que
les Maures de Murcie et de Grenade faisaient au roi
de Castilie.
Après la prise de Coi doue par les Castillans,
l'Arabe Mahoniet-ben-Alaniir s'était emparé du trône
de (iienade fondé sur les débris de fancien califat
d'Occident. Les Arabes de Murcie , ne voulant pas
reconuaitre lautorilé de ce nouveau roi, setaient
CHAPITRE SEPTIEME. 119
soulevés et avaient réclamé le secours de Tinfant de
Castille. Sacrifiant ainsi à une basse jalousie leur in-
térêt le plus pressant , celui de rester unis entre eux
pour mieux résister aux attaques des chrétiens qui
leur étaient si fatales sur tous les points , ils se jetèrent
dans les bras de leurs ennemis, et se rendirent vassaux
de la couronne de Castille : toutes les villes et tous les
diâteaux de Murcie , depuis Âlicante jusqu*à Lorca et
Chinchilla, reconnurent la suzeraineté du roi chrétien,
cpii partagea avec le roi maure de Murcie les revenus
de rétat. Cependant cette alliance contre nature, pro-
duit d*une irritation d'amour-propre, ne pouvait pas
durer. Lies Murciens s'unirent secrètement aux Gre-
nadins, et les uns et les autres aux Maroquins pour
fiiire la guerre aux Castillans. Les Maures de Murcie
se soulevèrent contre les garnisons castillanes ; ceux
d'Andalousie suivirent leur exemple, et la Castille
eut sur les bras toutes les forces musulmanes d'Es-
pagne , aidées de celles d'outre-mer. Dans cet état de
crise, le roi de Castille s'adressa à celui d'Aragon,
son beau-père , pour qu'il opérât une diversion en sa
(aveur du côté de Murcie.
Jayme était à Saragosse quand le grand-makrc
d'Alcantara vint lui apporter les lettres de son gendre
et de sa fille : il s'empressa de convoquer à Huesca
une réunion de prélats et de barons. Mais cette as-
semblée ne pouvait rien décider dans une affaire aussi
majeure , et qui était uniquement de la compétence
120 LIVh£ PREMIER.
des corts. L'un des barons observa seulement que s'il
était juste d* aider ie roi de Castille dans une si grande
extrémité, il ne l'était pas moins que ce prince com-
mençât, avant tout, par restituer à l' Aragon la ville
de Requena et quelques châteaux provenant de la
conquête de Valence, que ce prince s'était injuste-
ment appropriés.
ia64. Le roi savait bien que la question d'une guerre à
entreprendre ne pouvait être résolue que dans les
coi*ts; mais, en les réunissant, il était sûr d'y ren*
contrer des obstacles très -graves, et c'est ce qu'il
aurait voulu éviter. Voyant cependant qu'il ne» pou-
vait rien décider sans leur concours , il prit le parti
de ne pas les assembler toutes au même endroit ,
mais de convoquer séparément celles d'Aragon à Sa-
ragossc , et celles de Catalogne à Barcelone, espé-
rant en venir plus facilement à bout de cette ma-
nière.
Jayme se rendit d'abord dans cette dernière ville,
et s'il ne tarda pas à reconnaître que ses craintes
étaient fondées, il eut aussi la preuve que ses prévi-
sions avaient été justes. Les barons catalans, quoique
bien moins irrités contre lui que ceux d'Aragon,
parce que, se regardant comme entièrement indé-
pendants de ce royaume et se concentrant dans l'in-
dividualité de leur propre comté, ils voyaient dans
Jayme, non \o chef de la monarchie, mais le comte
spécial de Barcelone, ne s'en abandonnèrent pas moins
CHAPITRE SEPTIÈME. 121
à de vives plaintes sur les griefs particuliers qu'ils
avaient contre leur seigneur, et sur les prétentions
qu'il montrait contre leur indépendance. Raymond
Folch, vicomte de Cardone, avec tous ceux de son
parti , proposa même de ne pas ouvrir l'oreille à la
demande du roi, tant que ce prince n'aurait pas fait
justice à leurs réclamations , et qu'il n'aurait pas re-
connu hautement leurs droits. Jayme, voyant qu'on
voulait lui forcer la main au moment où il s'agissait
d'une affaire qui lui semblait devoir imposer silence
à toute considération personnelle, puisqu'elle inté-
ressait la religion et l'avantage général de la commune
patrie , manifesta tout le déplaisir qu'il en éprouvait ,
et se disposa à quitter sur-le-champ Barcelone. Une
résolution aussi rigoureuse produisit un grand effet
sur l'esprit des seigneurs catalans, qui, au fond,
étaient très-attachés à leur prince. On transigea, et
les corts accordèrent, pour l'expédition projetée, ce
même droit de bovage qui avait été levé déjà deux
fois dans des circonstances semblables, c'est-à-dire
pour la conquête des îles Baléares et pour celle de
Valence. Le roi , satisfait , se fit un devoir de conten-
ter à son tour les barons, et le xi novembre i!2 6/i
il jura et fit jurer par ses enfants une déclaration so-
lennelle par laquelle il reconnaît que les subsides et
secours qu'il a reçus des riches hommes et chevaliers
catalans, dans la guerre qu'il a faite aux Maures, ne
lui ont été accordés par eux que volontairement et
122 LIVRE PREMIER.
gratuitement» et non à raison d'aucune espèce de ser-
vitude ou d'obligation ; que ni lui ni aucun des siens
ne pourront jamais se prévaloir de cette assistance
contre eux ni aucun des leurs , pour en exiger aucun
service , et qu'ils ne seront tenus qu'au seul droit de
bovage, ainsi qu'il venait d'être consenti. La date de
cette pièce importante» dont nous croyons devoir
produire le texte S a été reculée par erreur de onze
jours par l'annaliste Zurita.
Les affaires s'étant ainsi terminées à la satis&ction
générale en Catalogne, Jayme se rendit à Saragosse,
où il ne devait pas être aussi heureux. Les corts y
furent très-orageuses. Les barons aragonnais repro-
chèrent au monarque plusieurs violations de leurs
droits, et diverses infractions aux fors du pays. Ce-
pendant toutes leurs plaintes n'étaient pas Clément
légitimes. Ils avaient raison de trouver mauvais qu'a-
près la conquête de Valence le roi eût enlevé à ce
pays l'usage des fors d'Aragon , dont on commençait
à se servir, pour les remplacer par d'autres fors spé-
ciaux dressés de sa propre autorité et sans la partici-
pation des riches hommes. Puisque c'était à leurs
armes et aux secours volontaires qu'ils avaient prêtés
au roi que cette conquête était due, ils avaient des
droits évidents au partage des pays envahis, et ceux
d'entre eux qui s'y établissaient ne pouvaient pas être
forcés de renoncer aux avantages que leur assuraient
* Voyez aux preuves n" XII.
CHAPITRE SEPTIÈME. 123
tes constitutions de la mère patrie; tout au moins
auraient-ils dû être consultés pour rétablissement des
nouvelles constitutions qui devaient les régir, le roi,
en vertu de la loi constitutive de la monarchie d* Ara-
gon, nayant pas le droit de les leur imposer de sa seule
volonté. Ces barons étaient également fondés dans
leur improbation contre le partage de la monarchie
qu'ils avaient contribué à agrandir, et pour le dé-
membrement de laquelle Tassentiment des corts eût
été nécessaire. La justice de ces réclamations était in-
contestable ; mais il n*en était pas ainsi des autres , et
le roi le prouva. Ces barons demandaient la stricte
observation de la coutume d*Aragon qui voulait que
les enfants mâles des riches hommes pussent être
élevés, mariés et faits chevaliers par le roi, et que
leurs filles pussent aussi être élevées et mariées par
les infantes : Jayme démontra que jamais aucun baron
ne lui avait recommandé son fils, qu'il ne se fût em-
pressé de l'admettre à son service , et qu'il était no-
toire que le plus grand nombre de ceux qui existaient
en ce moment en Aragon avaient été élevés dans son
palais; que quant aux filles, la prétention de vouloir
qu'elles fussent élevées par les infantes était une ei>
reur, puisque la coutume n'imposait cette obligation
qu'aux seules reines. Comme la passion mêle et con-
fond trop souvent le juste avec l'injuste, et les pré-
tentions d'intérêt privé avec les demandes d'intérêt
général, chacun des barons, k peu près,. eut quelque
137a.
124 LIVRE PREMIER.
exigence particulière à présenter, et un riche homme
alla même jusqu'à réclamer la seigneurie de Mont-
pellier qu*il disait que le roi possédait à son préju-
dice. Ces altercations n'ayant pu être pacifiées, les
barons manifestèrent des dispositions hostiles, et le
roi manda aux riches hommes catalans de se réunir
à tel jour à Monçon avec leurs gens d*annes. La
prise de quelques châteaux suffit pour imposer aux
barons aragonnais; et la guerre civile, qui semblait
imminente, fut heureusement étouffée. Le jasticia
d*Âragon, personnage dont nous aurons occasion de
parler plus tard, députa au roi, de la part des ba-
rons, pour en venir à un accommodement; une trêve
fut conclue, et le roi partit pour aller combattre les
Maures.
Jayme se rendit à Montpellier en i^iy^i; et c'est
dans cette ville que, le 7 des calendes de septembre,
il signa son dernier testament. Un article de cet acte
célèbre nous apprend que c est ce prince qui fit com-
mencer le port de CoUioure , pour la construction du-
quel un péage était déjà établi par lui dans cette ville ;
il nous apprend aussi qu avant de s'occuper de Col-
lioure on devait curer, restaurer et mettre en état le
Port-Vcndre , et que ce n'était qu'après le complet ré-
tablissement de celui-ci qu'on pourrait appliquer aux
travaux du port de CoUioure les cinq mille sous dont
il ordonnait le prélèvement à perpétuité sur les re-
venus do cette ville; quand ces deux ports seraient
CHAPITRE SEPTIÈME. 125
entièrement achevés , la rente perpétuelle devait être
consacrée à leur entretien ^
Un concile général que le pape Grégoire X avait
d*abord voulu convoquer à Montpellier, et qu'il se
décida ensuite à réunir à Lyon, appela dans cette
dernière ville le roi d'Aragon , avec qui le pape vou-
lait avoir une conférence. Grégoire venait, à force
d'instances auprès du roi de France Philippe le Hardi ,
d'obtenir de lui la cession du comté Venaissin,
malgré les réclamations du comte de Provence , et il
désirait que le roi d'Airagon, capitaine très -expéri-
menté, se mît à la tête d'une croisade pour la Terre
sainte. Jayme se prêtait à ce désir, mais il demandait
que le pape le couronnât de sa propre main. Le pon-
tife déclarait y consentir si Jayme voulait payer cer-
taines sommes qu'il disait lui être dues par son père
avec tous les arrérages : Jayme refusa et quitta Lyon
avant la fin du concile. Ce prince séjourna quelque
temps à Montpellier, et se rendit ensuite à Perpignan ,
où il se trouvait au mois de juin. C'est pendant le sé-
jour qu'il fit dans cette ville qu'il confirma l'ancienne
coutume du pays qui permettait à tout habitant de
vendre et exporter son blé partout où il lui plairait,
par terre et par mer, sans payer aucun droit, pourvu
que la destination n'en fut pas pour des pays ennemis
de l'Aragon. C'est encore de cette ville que le 2 de l*^k.
juin il nomma son second fils, don Jayme, futur roi
^ Dacherii spicUeg. tom III.
• 126 LIVRE PREMIER.
de Majorque, son lieutenant dans la viUe et seigneur»
de Montpellier, avec pouvoir absolu de la gouvemei
comme lui-même.
•«7&- L*infant don Jayme avait déjà épousé par procura
tion, ie ^li septembre i^yS, la princesse Esdar
monde, sœur de Roger Bernard, comte de Foîx; b
célébration de ce mariage se fit dans Perpignan avec
beaucoup de solennité, le k octobre suivant, en pré-
sence du roi d'Aragon, de Tin&nt don Pèdre, du rà
de Castille, son beau-frère, et dune foule de sei-
gneurs de France et d'Elspagne. Ces noces donnèrent
lieu aux divertissements les plus recherchés de cette
époque, et à des tournois où se firent remarquer les
chevaliers de France, de Castille et d'Aragon. La
princesse s'était constitué en dot trois nulle marcs
d'argent fin , poids de Perpignan , équivalant à cent
cinquante mUle sous melgoriens, que son firère lui
avait comptés le 2 A août précédent pour tous ses
droits à la succession de leur père, et dont elle donna
quittance par devant divers témoins; de son côté l'in-
fant don Jayme avait assuré à sa femme ime somme
pareille pour son douaire, et il s était obligé, par un
acte séparé, de restituer au comte de Foix quatre-
vingt mille sous melgoriens si Esclarmonde venait à
mourir sans enfants.
.,76. Jayme I**, surnommé le Grand et le Conquérant,
mourut le 27 juillet 1276 sous Thabit de moine de
Tordre de Cîteaux qu'il avait pris peu do temps après
CHAPITRE SEPTIÈME. 127
le mariage de Tinfant don Jayme. Aussitôt après son
décès, Pèdre et Jayme se mirent en possession des
couronnes qui leur revenaient. Alors commença pour
les provinces continentales lexistence du royaume de
Majorque dont dles faisaient partie, et qui était déjà
institué depuis quarante-six ans. En effet, Jayme avait
en I ^129 donné une forme régulière de gouvernement
à la partie des îles Baléares dont il avait expulsé les
Maures; et le premier mars 1 tà3o les habitants de ce
nouveau royaume avaient vu tous leurs droits fixés
par une charte que leur avait donnée le conquérant,
^^ à laquelle avaient souscrit comme témoins Nuny o •
^^^>oate de RoussiUon , et les principaux che& de Tex-
pédition. De cette antériorité du royaume propre-
ineot baléarique sur celui de Majorque, composé
<les fles Bsdéares et d'une portion continentale du
'^yaume d*Âragon, il résulte que, pendant que Tîn-
™t Jayme lut le roi Jayme I^ pour cette partie con-
toentale de son royaume, il était Jayme II pour les
»es Baléares, son père ayant été pour elles Jayme I*.
'-•e roi de ce nouveau royaume se rendit successi-
vcQaent dans l'île de Majorque, en RoussiUon et à
Montpellier, pour y faii'e reconnaître son autorité et
recevoir l'hommage de ses sujets, et il choisit Perpi-
P^^n pour le lieu de sa résidence , quoique la ville de
^^j orque (ut toujours la capitale nominale de ses
*^^* Le 1 8 des calendes de février il confirma , par
^cte solennel, les coutumes de la première de ces
n
77-
128 LIVRE PREMIER.
villes, écrites ou noh écrites , ainsi que tous les privi
léges et libertés de ses habitants.
Jusquà rétablissement du royaume de Majorqu*
la ville de Perpignan n'avait été qu*un bourg mé
diocre , renfermé dans la circonscription de l'une A
ses paroisses actuelles, celle de Saint-Jean. Le roi d
la nouvelle monarchie que venait de fonder Jayme I*
en adoptant cette ville pour sa résidence et pour s^
capitale réelle, songea à lui donner une extensioi
suffisante pour en faire une des villes les plus consi
dérables de cette époque.
Nous avons dit, en parlant de l'origine de Perpi
gnan , qu Alphonse II , trouvant cette ville mal placé<
au pied de la colhne qui la dominait, avait consent
à la laisser dans Tassiette où elle se trouvait, sous la
condition qu'on peuplerait le haut de cette colline,
qu'une maladrerie bâtie à mi-côte faisait appeler le
puig des Lépreux. Cette hauteur fut peuplée en effet,
mais les maisons qui s'y trouvaient formaient un fau-
bourg détaché de la ville. Dans le plan d'agrandisse-
ment projeté par le premier roi de Majorque, ce puig
fut compris dans l'enceinte de la nouvelle ville, dont
le périmètre , de l'autre côté , s'étendit également sur
une autre colline que devait couronner le palais des
rois. La nouvelle enceinte renferma quelques édifices
épars hors de l'ancienne ville, et plusieurs tènements
ruraux appartenant, soit au roi et aux templiers,
qu'on voit en inféoder des portions à des habitants
CHAPITRE SEPTIÈME. 129
pour j construire des maisons , soit à Tévêque d*Elne
ou à des particuliers, tels que les nommés comte de
Salses, Jean Bastit ^ Guillaume Sordani, et autres
dont les actes de cette époque font connaître le nom.
Les édifices qui se trouvèrent enfermés dans cette
enceinte furent le couvent des frères mineurs ou cor-
deliers, la maison de la rédemption des captifs,
vendue depuis au commandeur de la Merci qui la
i^emplaça par un couvent de son ordre; la maison
des frères de la pénitence, jointe depuis aux terrains
^e céda le roi de Majorque pour la construction de
l*^lifie qui, devenant la paroisse du château, prit le
«umom de real; le couvent des grands Carmes et
<^tte ancienne léproserie bâtie au bas du puig Saint-
Jacques, mais qui, depuis trente -quatre ans, avait
^^^ngé de destination; en effet, en iîi43 Jayme I*
I avait cédée , soûs la condition d*ime rente annuelle
"^ <{uarante-quatre livres (évaluation de 1696), au
P*t>fit de l'ordre de Saint-Lazare , à Tordre des prê-
^'^eurs nouvellement institué pour la poursuite des
Albigeois. Les moines de ce couvent furent renvoyés
^^ ï ^44, Tannée qui suivît leur établissement, par
P^^iiîtion d*on ne sait quelle faute , mais ils en furent
^''®*>^ en possession bientôt après ^ : c'est Tancien
^^•^ tènement de ce Jean Bastit était traversé par le ruisaeau royal
l«f|Qel on jeta un pont quand ce terrain fut réuni k la ville ; de ià
^ ^ooq ^ pont d^n-Bastit, que porte encore la petite place qui se
^^uve au bas de la rue Saint-Martin.
J^orea hiMpan,
1- Q
130 LIVRE PREMIER.
couvent des dominicains , aujourdliui serrant de ma
gasin et de bureaux au génie militaire.
Le premier roi de Majorque voulant se donner, e
à ses successeurs , un logement convenable dans h
ville qu*il choisissait pour sa résidence , fit jierter ie
fondements d'un château royal sur une petite coUin
réunie à la ville. Les travaux de cette constructioi
s'exécutèrent concurremment avec ceux des muraille]
de la nouvelle enceinte pour lesquels on trouve fika
sieiurs pragmatiques de Jayme. L'occupation de partii
d'un tènement appartenant aux frères mineurs étan
nécessaire pour la construction de ces murailles » k
roi força les templiers de vendre à ces moines, ei
compensation de ce terrain , un jardin et quelque
maisons qu'ils possédaient auprès du couvent K Là
nécessité de conduire à travers les remparts les inc
mondices de la ville fit alors établir, sous certaine
rues , des canaux voûtés qui se dégorgeaient dans 1-^
cloaques pratiqués k la place des fossés de la vift.
primitive : c'est à cette circonstance que quelqu
ims de ces cloaques doivent leur profondeur extra
dinaire ^.
Le château que le roi de Majoi'que faisait bâti
Perpignan était dans une situation agréable, do
nant toute la ville et la campagne. Ce château fo
un parallélogramme d'environ trente-cinq toises
nord au midi , et de vingt-huit dans l'autre sens ,
• Preuves n* XIII. — ' Voyez la note ix.
CHAPITRE SEPTIÈME. 151
fonné de créneaux et flanqué de trcâs tours à chaque
£ice : c'e^t aujourd'hui le donjon de la citadelle. Son
peu d*éteDdue atteste que la cour des rois de Major-
ette était modeste et peu nombreuse ^ Après la réu*
nion de ce royaiune à TAtagon, ce château finit par
Hne aSSecti au logement des gen^ de guerre , et Louis XI
l'entoura des premiers travaux qui en firent une ci-
tadeile^ La construction du Gastillet ne vint que iong-
teiBrps après celle de ce château ^.
Quoique les miurailles de la nouvelle enceinte em-
brassassent tout le périmètre actuel de la ville, ce
itom de ville continua encore quelque temps à être
^^fifecté uniquement à la partie ancienne. L'époque &
^Bxju^e lès muraiOes de la nouvelle enceinte furent
^^^hevèeSf ou à peu près, est indiquée par la permission
^pte le second roi de Majorque donna aux consuls de
I^er^Mgnaii d'en louer les tours à des habitants : cette
pêimission est de i Sa 4*
En augmentant l'étendue de Perpignan , les rois de
Majorque prirent des mesures pour y attirer une nom-
breuse population. Les privilèges qu'ils attachèrent
au droit de cité y firent affluer les habitants d'une
fouie de bornas et de villages circonvoisins dont plu«
rieurs finirent par disparaître entièrement ^.
L'accroissement de la ville et de sa population exi-
geait une augmentation de secours spirituels. Vers
l'an 1 3oo le premier roi de Majorque créa trois nou-
* Voyez la note x. — • Voyez la note xi. — * Voyetlâ note nu.
132 LIVRE PREMIER.
velles paroisses, en érigeant comme telles des églises
qui existaient déjà, à ce qu*ii parait ^ Quant à la pa-
roisse primitive de Saint Jean , conune son vaisseau
n*était plus en rapport avec le nombre des paroissiens
et des habitants, il fallut en construire une autre
beaucoup plus vaste. Le second roi de Majorque posa
lui-même, le 5 des calendes de mai i3a4» la pre-
mière pierre d une nouvelle église à coté de Tancienne,
et révêque dElne en posa immédiatement la seconde,
ainsi que le disent les deux inscriptions incrustées
dans deux des piliers de la nef. Une partie du cime-
tière ayant été prise pour cette fondation 2, les consuls
de la ville demandèrent et obtinrent rautorisatioD
dacheterun certain nombre de maisons, et de prendre
les rues et ruelles voisines pour établir un nouveau ci-
metière qui pût suffire à la population de la paroisse.
La construction de la nouvelle église de Saint-Jean
éprouva de grands retards, à raison de diverses cir-
constances; elle ne fut achevée quau commence-
ment du xvi* siècle par Tintervention du concile de
Baie , qui, au moyen des indulgences qui! attacha aux
dons qui seraient faits dans cet objet, provoqua
des aumônes suffisantes pour y mettre la dernière
main ^.
Le chapelain majeur de la collégiale de Saint- Jean
^ Voyez Fossa, Mémoire pour l ordre des avocats, pag. 68 et suiv.
' Arch. comm. lib. virid. Maj.
' Vovei la note xiii.
CHAPITRE SEPTIÈME. 135
avait été pendant longtemps Tunique curé de Perpi-
gnan; cette chapeDenie fut réunie à i'évèché d*Elne
par le pape Grégoire IX en ia3o, et les chanoines
continuèrent à avoir la chaîne d'âmes, conjointe-
ment avec le chapelain; l'é^se elle-même conserva
le droit de porter le viatique et d'exercer les offices
paroissiaux dans toute la ville ^
Par un des ahus si communs au moyen âge, le cha-
pelain majeur s'était attribué, non-seulement la dé-
pouille des morts de la ville de Perpignan , mais en-
<^ore tout ce qui se trouvait dans leur chambre au
moment du décès. Quand la chapellenie fut donnée à
l*^êque , il devint moins difficile de transiger siur cette
spoliation des £unilles : par arrangement conclu entre
1 evêque Bérenger et les consuls de la yîiie , le 1 6 no-
>^enabre laôy, ce droit de dépouilles fut converti en
^**ï abonnement de mille sous melgoriens ^, qui lui-
ïiaênae fut remplacé, le 3 des nones de septembre
* ^ 7 o, par l'abandon de quelques portions de dîmes des
Paroisses de Sain t-Hippoly te, Clayra, Bages, Malloles
^ Vemet qui appartenaient à la ville de Perpignan *.
I^s les premiers temps de son existence il s'était
^troduit dans l'église de Saint-Jean un usage qui s'est
*^^^îiitenu pendant plusieurs siècles. Tout chanoine
'Nouvellement élu était tenu de réimir ses collègues en
Mis. du chanoine Coma , pag. 6 1 .
Ct non pas onze mille comme dit Fossa. Arch. eccîes,
Anh. dotn.
134 LIVRE PREMIER.
une festina ou collation dont le menu, réglé dés rorî-
gine, ne varia jamais, et pour les frais de iaqueile il
recevait deux florins sur les fonds du chapitre. Une
festina était également imposée à Tévêque pour le
jour de Saint-Julien. Le prélat versait d abord k cfaicun
des chanoines de Saint- Jean , réunis dans la salie capi*
tulaire, un verre de vin muscat ou de vin cuit, et' leur
servait ensuite des dragées de deux qualàés. Uri se-
cond verre, mais de vin rouge, leur était versé pen-
dant qu ils mangeaient ces dragées , et un autre verre
de vin muscat terminait cette collation succincte K La
pitance de ces chanoines de Saint -Jean, mangeant
alors à la raense commune, était réglée à trente tmcei
de pain du plus pur froment, à environ trois litres de
vin , et des mets en proportion ^. Dans le principe, lé
vin était donné trempé; ce ne fut qu'en layS que
révêque Bérenger le fit donner pur. Plus tard, les
chanoines s'étant plaints que le vin des distributions
était de qualité inférieure, Tévêque ordonna que la
portion canonicale serait de vino bono et optimo ^.
A la même époque, des personnes fondaient dans
les églises des obits dont la modicité a droit de nous
étonner aujourd'hui, ou qui étaient soumis à des con-
ditions qui peuvent nous sembler bizarres. En i ayS,
par exemple, un particulier fonde dans Tég^se de
Saint- Martin de Canigou un anniversaire composé
d'un morceau de fromage de la valeur de trois oholes
* MS. Coma. — - Voyeit la iiolo xiv. — '" Arch. ccclcs.
CHAPITRE SEPTIÈME. 155
au dîner, et de trois œuîs au souper, si c*est un jour
gras, ou bien réquivalent en poisson, si c*est un jour
maigre ; dans le même monastère, un autre règle im
baoquet qui devra avoir lieu à perpétuité après le ser-
vice anniversaire pour le repos de son âme : dans ce
banquet, Tabbé lui-même servira à tous les moines,
prêtres, religieux et religieuses qui y aiœont assisté,
œt cBufe, une tranche de fromage, un flan, une poi-
Yrade , une salade au lard , de la liqueur, des oublies ,
écL |)ain de froment et du bon vin ^
* âex ova , et nnum castronum casd et uoum flaonem , et piperatam
lioii^iD, et oleram cum sagmo, et nectar, et nebalœ et panis finimenti,
^l^onnrn vinom ad bibeiadum, in iOa die. Arch. eccîes.
LIVRE IL
HISTOIRE DU ROYAUME DE MAJORQUE.
Fcdralll.
roi d*Arafi».
JayuM I",
roi
4« Majorque.
>>77-
CHAPITRE PREMIER.
Inégalité des deux royaumes d'Aragon et de Blajorque. -— Pèdre
veut faire casser le testament de son père. — 0 force son
fipère d'être son vassal. — Cartel du duc d* Anjou au roî d'A-
ragon. — Gx)isade contre l' Aragon. — Surprise de Perpignan.
— Armée française. — Sac d*£3ne. — La Massane.
Après avoir été régi par ses comtes particuliers
Tespace de trois siècles et demi, le Roussillon avait
passé sous la domination de T Aragon. Le premier des
rois de ce pays dont les Roussiilonnais connurent la
puissance avait regardé coiAme un devoir sacré pour
lui d'alléger la somme des maux qui oppressaient de-
puis si longtemps ses nouveaux sujets. Par ses soins
un large règlement de police , sous le titre de consti-
tutions de paix et trêve , devait garantir aux lieux saints
le respect que tout chrétien est tenu de leur rendre,
aux laboureurs les instruments et le matériel indis-
pensables à leurs travaux, aux voyageurs la sûreté des
roules et la liberté des communications. Dans Tétat
des mœurs, à cette époque, c'était tout ce qu'on pou-
CHAPITRE PREMIER. 137
Tait faire. Prélats, barons, hommes de parage, sei-
gneurs de tous châteaux , églises à juridiction étant en
possession du droit de guerre, le souverain ne pou-
vait en modérer les horreurs et les calamités que par
ces ordonnances de paix et trêve qu*il leur imposait
i tous , et dont se trouvaient exclus ceux qui , refu-
sant de les jurer ou les transgressant, se mettaient
ainsi au ban du prince. L'institution du royaume de
Majorque vint recommencer pour les Roussillonnais
une autre ère de calamités.
Jayme I* le grand conquérant, roi d*Âragon , de
Valence et des âes Baléares était mort , et la puissante
monarchie que ses conquêtes avaient fondée formait
deux royaumes d*inégale grandeur, d'inégale force et
d'inégale consistance politique. Pendant que l'un,
composé de l'Âragon , de la Catalogne et du royaume
de Valence, avec la vallée d'Aran et les comtés de
Ribagorca et de Pallas, présentait un territoire de
plus de trois mille six cents lieues carrées, compacte
et homogène , et couvert d'une population nombreuse,
forte de ses antiques institutions et solidaire dans
toutes ses parties, l'autre royaume, qui comprenait
les îles Baléares , le Roussillon et la Gerdagne avec la
seigneurie de Montpellier, la vicomte de Cariât, en
Auvergne, et quelques fiefs épars que les comtes de
Foix et d'Ampurias tenaient de l'Aragon, ne se trouvait
composé que de lambeau^ de territoires dont toute
la superficie réunie n'arrivait pas au huitième de celle
158 LIVRE DEUXIÈME,
du royaume d* Aragon, territoires qui se trouvaient
séparés les uns des autres par de grandes distances, et
dont les dîfCérents peuples, étrangers entre eux, ne
pouvaient jamais s'entre-secourir ^cacement au be-
soin. Ainsi, pendant que le premier renfermait en
soi tous les moyens de conservation , de stabflité, de
durée et de prospérité , le second apportait dans sa
foriBatîon tous les éléments de destruction et d* anéan-
tissement. Peu s* en fallut que le mécontentemeiit dea
riches hommes d'Aragon, qui n'avaient jamaîa con*
senti à cette division de la monarchie , et la politique
de leur nouveau roi n étouQSaissent dès son berceau le
royaume naissant. Mais si le roi don Pèdre nie voulut
pas enlever violemment la couronne à son firèoeè h
chiite du royamne de Majorque, pour être retardée
de quelques successions, n en fut que plus*terrii^ et
plus désastreuse.
Le premier soin de don Pèdre , après la mort de
son père et ses obsèques , avait été de se faire cou-
ronner à Saragosse. La cérémonie avait eu lieu le
17 novembre 1276. Le roi de Majorque, qui assis-
tait à cet acte solennel, s'était déjà fait couronner lui-
même à Majorque. La prise de possession du Bous-
sillon et de la Gerdagnc, qui eut lieu ensuite, fut
suivie à Perpignan de grandes fêtes auxqueUes assis-
tèrent de nombreux chevaliers d* Aragon, de Cata-
logne , de Gascogne et de Languedoc ^.
^ Muntaner.
CHAPITRE PREMIER. 159
Dans le teni]^ que Jayme s'occupait de Toi^anisà-
tiob de 60Û nouTcau royaume; Pèdre continuait i
ùm la guerre aux Maures de Valence qui ' s'étaient
réroltés. Bientôt tt eut sur les bras le comte de Foix\
qui s'était uni contre lui à quelques seigneurs cata-
lans, et le soulèvetnènt devint presque général en
Cataloguée. Ce soulèvement avait pour cause le délai
que Pèdre*'. en sa Qualité de oorate de Barcelone^
apportait à veair jurer le maintien dbs libertés cata-
lanes, suivant l'obligatibn qiie les constitutions du
pays en imposaient à tout nouveau comte. Des expli*
cations eurent lieu , la Catalogne se -calma , et la |>anL
fiit conclue avec le comte de Fôîx. Pendai^t qiie cela
^ passait de l'autre côté des teonts, de ce côté le r6i
^ MajoirqU'e reoidit l'hodimage à l'évéque de Magbe-
■OiUie pour les fiefs qu'il tenait de son église.
Pèdre ni pensait comiùe ses barons à l'égard du
''^aume de Majorque : il né reccnmaissait pas à son
P^re le droit de démembrer la ihonardne; aussi, à
i*époque où Jaynle fit te dernier partage , il avait pro^
^^^té secrètement contre l'érection dé cette nouvelle
puissance, bien que pour obéir à son père il eût sous-
^^t pithlMpiement 3i ciet acte de sa volonté. A peine
^Ut-il ceint là oourcttme qu'il voulut &ire annuler le
^fttament de Jayme I* comme inbflGicîeux et excessif;
^ conséquence , après s'être arrangé avec les MaUres
^^ l'es barons catalans, il prit la route du RoussiUoni
lies deux frères étaient aigris l'un contre i'auti^
140 LIVRE DEUXIÈME,
depuis ce dernier partage : don Pèdre, parce qu'il
n*avait pu cacher son mécontentement du morcelle-
ment d une couronne qui aurait dû lui arriver tout
entière , comme au fils aîné du roi ; don Jayme* parce
que dans ce partage il avait perdu le royaume de Va-
lence , qui lui avait été donné d*abord et auquel il te-
nait beaucoup. En voyant son frère aux prises avec
les barons catalans et le comte de Foix , Jayme s'était
ligué avec ce dernier. Cet acte d'hostilité ne fit que
confirmer don Pèdre dans la résolution de lui im-
poser sa suzeraineté. Jayme ne pouvant plus compter
sur Tappui efficace du comte de Foix, son beau-fi^re,
quand la paix eut été signée entre celui-ci et le roi
d* Aragon , lappela auprès de lui quand il sut que son
firère se disposait à exécuter le dessein qu'il n'avait ja-
mais caché. Roger-Bernard vint en efiet à Perpignan i
et sa présence contribua à laisser encore sur ses faibles
bases le royaume de Majorque. Résistant à toutes les
séductions du roi d*Aragon qui voulait l'attirer à lui,
ce comte défendit le testament du père des deux rois ,
et Pèdre, dans Timpossibilité de le faire casser, exigea
qvie son frère se reconnût son vassal. Cette affaire,
négociée par ce même comte de Foix, fut terminée le
'7» i3 des calendes de février 1278. Ce jour-là Jayme
fit rhommage au roi d'Aragon , dans le cloître du cou-
vent des dominicains en présence et sous la garantie
de ce même comte Roger-Bernard, son beau-frère,
des comtes d'Anipurias et de Pallas, du vicomte de
CHAPITRE PREMIER. 141
Gastelnou , de dix autres barons de la compi^nie du
roi d*Àragon , et des syndics des villes de Perpignan
et de Majorque appelés à être témoins de cette hu-
miliante cérémonie ^
Ce que venait de faire le roi d'Aragon était con-
traire aux dispositions formelles de son père , qui avait
institaé le royaume de Majorque libre et indépen-
dant, et qui, dans son dernier testament, prononçait
une pénalité contre don Pèdre s'il allait contre ses vo-
lontés ; mais en se conduisant ainsi Pèdre avait obéi '
aux vœux d'une saine politique : le nouveau roi d'A-
i^n devait à sa couronne , et peut-être à la tranquil-
lité de ses états , d'établir au moins sa suzeraineté sur
^ domaines démembrés de cette couronne auxquds
^ rattachait la sûreté de ses propres frontières, et
TU, trop faibles pour se défendre contre de puissants
^oisiiis, pouvaient, en cédant à leurs menaces, aug-
^©nter contre lui-même le nombre des ennemis.
Quoique la violence exercée contre Jayme fât re-
S^ixlée à bon droit comme une oppression , et que ce
P'^ce en eût conçu la plus violente animosité contre
^x^ frère ^, cependant dans les circonstances où se
^Uvait ce prince, c'était encore beaucoup que de
^être réduit qu'à une dépendance féodale, lorsque
'^ \œu de toute la noblesse aragonnaise était pour
* Zmîta, Anal, de Ara^, IV, 7. — Damet, Hist, del reyno Ba*
ï'wr. ni, i. — Castillo .Solonano, Vida del rey don Pedro, pag. a4.
142 LIVRE DEUXIÈME.
l*aiiéantis8Cfnent de sa cx)uronne. Les obligations con-
tractée& par Ja^me^ pour lui et ses mccesseurs, furent
de se reconnaître feudataire du roi d'Aragon pour tous
les domaines provenant de la couronne de Jâjme 1*,
à la seide exception du fief dépendant de Té^que de
Maguèlonne et des terres nouy^lement acquises; de
livrer au roi d* Aragon, dès qu il en serait requis par
lui, les places de Majorque, de Perpignan et de Puy-
cerda; de se rendre aux corts de Catalogne quand il
y serait appelé, à moins quil ne se trouvât alors à
Majorque, enfin, ainsi qu'il avait été ordonné par le
feu roi, de ne gouverner que par les constitutions de
Catalogne et de ne compter que par les monnaies de
Barcelone. Relativement à farticle de la présence aux
corts, Jayme en était personnellement dispensera vie
durant; cette sujétion n'était obligatoire que pour $e$
successeurs; ajoutons qu'il avait aussi contracté Tobli-
gation d'aider le roi d'Aragon de tous ses moyens en-
vers et contre tous.
L'occasion de remplir cette dernière partie de ses
engagemrnts ne tarda pas à se présenter, et Jayme
s'en acquitta avec toute loyauté. La paix avec le conate
de Foix avait été rompue, et ce prince, de concert
avec quelques barons catalans, avait recommencé
contre le roi d'Aragon une guerre qui devait finir pour
uso. lui par la captivité. Le roi de Majorque, en sa qua-
lité de vassal, vint au secours des Aragonnais, et pé-
nétra de sa personne dans le château de Balaguer où
CHAPITRE PREMIER. 145
l'étaient rétirés les rébeUes ^; De son coié, pour rem-
{dir ses piopres. obligations de seigneur suzerain,
Pèdre prit là défense du roi de Majorque contre le
toi de France, qui usurpait chaque jour sûr la sei-
gneurie de Montpelliei:; il voulut même s'aboçcber
a?ec ces* dernier prince pour plaider la cause de son
fi^re et traiter quelques questions qiii le regardaient
penoimellemenL Une entrevue eut lieu à Toulouse
entre les trois monarques; elle donna occasion à des
fêtes et des tournois , mais ne fut suivie , de part ni
d'autre, d'aucun des résultats qu'on s'en était promis.
Le roi de France réclama vainement la liberté dés
deux in&nts de Castitle, leurs commuhs neveux, Âl*
phonse et Femand, que la reine leur mère, fille de
%me le Conquérant comme la première femme de
Philippe, aVait conduits en Aragon pour les soustraire
i leur oncle don Sancbe , usurpateur de la couronne
de CâstiUe , et que Pèdre retenait pour s'en servir au
besoin contre Sanche. Les rois d'Aragon et de Ma-
jiH'que ne purent obtenir aussi que Philippe se désistât
^ rien de ses prétentions sur Montpellier. De nou-
Idéaux sujets de discorde ne tardèrent pas à amener
enfin une rupture ouverte entre la France et l' Aragon.
Après la mort de Guillaume le Bon , rbi de Sicile ,
derbier descendant du Normand Robert Guiscard,
conquérant de cette île , les Siciliens avaient élu pour
roiTsncrède, neveu de Guillaume; mais, suivait le
* Castillo Solonano, Vida àel rey don Pedro, pag. 3i.
144 LIVRE DEUXIÈME,
privilège que Timpré voyante ambition des princes avait
laissé prendre aux papes, cest-à-dire celui de s'ar-
roger l'autorité suprême sur le tempord des états et
la libre disposition des couronnes en faveur de qui il
leur plaisait , Clément III avait rejeté cette élection,
et après lui son successeur, Gélestin 111, avait donné
le trône de Sicile à lempereur Chaiies VI. Le second
successeur de ce Charles, mort aussi sans enfants,
avait légué son sceptre k son neveu Conradin ; mais
le pape Clément IV, rejetant à son tour cette disposi-
tion , avait fait don de la couronne à Charles , duc
d*Ânjou, frère de saint Louis. Mainfroi, qui, de tu-
teur du jeime Conradin, fait prisonnier par ce même
duc d*Ânjou et barbarement décapité par son ordre,
était devenu roi de Sicile , d* abord par usurpation du
vivant de son pupille, ensuite par l'élection des ba-
rons de ce royaume , disputait la couronne au prince
français et occupait une partie de Tîle. Le roi d'Ara-
gon, don Pèdre, gendre de Mainfroi, avait fait partir
pour la Sicile la reine sa femme , après la mort de ce
dernier, pour se porter héritière de ce royaume. C'est
seize ans après cet événement qu'eut lieu la sanglante
tragédie des Vêpres Siciliennes.
Le pape Nicolas III était mort , et les intrigues ou
la violence du duc d'Anjou avaient fait placer la tiare
sur la tête d'un Français, sa créature, Simon de Brion,
qui prit le nom de Martin IV. Pendant que Charles
faisait payer au nouveau pontife son élection, parles
CHAPITRE PREMIER. 145
mesures violentes qu*il le forçait de prendre contre le
roi d*Aragon , l^itime successeur de Mainfroi par Ba
fenume, ce même roi d* Aragon poussait ses succès
ismxs cette île. Appelé par les Palermitains , Pèdre m8>.
dvait débarqué à Trapani le i o août 128a, et il avait
été reçu par les Siciliens comme un libérateur. Le
duo d'Anjou , qui se trouvait alors en Calabre , irrité
^® ce que ce prince venait lui disputer par droit de
suocession une couronne qu'il tenait du souverain
Pootife, envoie de Re^io à Messine, où était Pèdre,
de» messagers lui dire qu'il a manqué à la loyauté en
Venant sur ses terres sans le défier, et qu'A est prêt à
^^ lui prouver la lance à la main. En conséquence de
^^ oartel, une bataille de cent chevaliers contre cent
^^t, décidée, et le rendez-vous assigné à Bordeaux
P^tirie 1' de juin ia83 ^
dette bataille n'eut pas lieu, et chacune des deux
*^^lions a cherché à en rejeter la faute sur sa rivale:
*cs Français en taxant Pèdre de lâcheté, les Aragonnais
^^ les Italiens en accusant le duc d'Anjou et le roi de
*'*'suice, son neveu, de perfidie. Mais Taigreur a pris
^^î la place de la justice et a étouffé la vérité. Aux
^x^CKies mêmes de la convention du combat, il ne pou-
^^* pas se donner, et dans ce qu'en ont raconté les
^^^toriens des deux partis il n'y a que haine et ani-
^^Osité. H avait été arrêté que les deux rois ne pour-
^ Ce carld se trouve transcrit tout au long dans la chronique d^Es-
Ï^S^« de Caibonel.
I. 10
U6 LIVRE DEUXIÈME.
raient se battre qu en présence de celui d* Angleterre ,
et celui-ci, qui n avait pas cru pouvoir ^[alement ga-
rantir aux deux champions la sûreté du camp , avait
non-seulement refusé de venir à Bordeaux , mais avait
même défendu la bataille dans toute Tétendue de sa
domination ^
Charies d*Anjou s'était débarrassé de Gomradin,
son premier rival , par un acte de barbarie ; pour se
délivrer du second, il appela sur lui les foudres de
Téglise. Le complaisant Martin IV avait déjà fulminé
contre le roi d* Aragon des bulles d'excommunica-
tion immédiatement après la provocation de Charles;
ainsi, au moment où la bataille devait avoir lieu, le
roi don Pèdrc était déjà voué à Tanathème, et ses
sujets déliés envers lui de tout devoir de fidélité.
Ni Pèdre ni ses sujets ne s'étaient mis en souci de
l'excommunication dont le pape avait fiappé le trône
d'Aragon : c'est l'effet des injustices trop violentes
d'enlever leur force aux mesures même les plus re-
doutables. Pèdre, qui, sur la défense que lui avait faite
le pontife de prendre le titre de roi, se donnait par
ironie celui de « soldat aragonnais , père de deux rois
et maître de la mer, » se prépara à défendre sa propi
couronne que le même pontife lui avait égalemen^j
retirée pour la donner au second fils du roi de France;^
afin d'engager ce monarque à lui faire la guerre.
,,g5. Philippe le Hardi, décidé à conquérir le royaun
' Vovci la note \v.
CHAPITRE PREMIER. U7
d*Ajragon malgré les instances contraires de »es deux
fils , Philippe le Bel et Charles , nommé roi d'Aragon ,
s'il faut en croire la chronique de Zantfliet ^, avait
rétJUBii une puissante armée ; la croisade ordonnée par
^ pape contre le prince que sa haine poursuivait de-
▼îit: rendre cette armée encore plus formidable. Les
pwrts de Marseille , d'Aiguës- Mortes , de Gênes et de
Naï*lK)nne fourmillaient de vaisseaux destinés à porter
«es provisions d'une armée qui devait aller au delà de
^'^îa cent mille hommes, puisqu'elle se composait de
"*^-4mit mille six cents chevaliers de parage avec leurs
'^^^Qunes d'armes, de cent cinquante mille hommes de
P^^«] , de dix-sept mflle arbalétriers et de plus de cin
T^^^uate mflle goujats ou conducteurs des bagages,
^^'^^^re quarante mille ribauds , gens destinés à pour-
8UX fourrages du quartier royal , et qui n'avaient
ir arme qu'un bâton. Cent quarante galères furent
ts et équipées pour escorter cette forêt flottante.
^"^^^md toutes les dispositions eurent été prises , Phi-
Ppe fit sortir de Saint-Denis la célèbre oriflamme ,
^^ à la tête de la principale noblesse du royaume il
P^t la route du Roussillon. Les deux princes ses fils,
^^ reine, le cardinal Jean Gholet, légat du pape,
^^*ûent du voyage; il n'y eut pas jusqu'aux dames de
^^ ooor, qui , pour gagner les indulgences que le pape
^^^tef^uit i cette croisade, ne voulussent être de la
ie.
Mfftène, yy^nwn scriffl. collectio, tom. V.
lO.
148 LIVRE DEUXIEME.
Le roi de Majorque , placé entre deux états d<Mit
il était également feudataire , aurait dû fiûre tous ses
efforts pour rester neutre ; mais la dépendance à la-
quelle Tavait soumis son frère avait ulcéré son cceur,
et en secondant les ennemis de TAragon il espérait
pouvoir faire annuler l'engagement forcé qu'il avait
été contraint de souscrire. Se couvrant donc du pré-
texte sacré de la croisade , il se déclara contre Pèdre,
s'unit aux t'rançais, et pour gage de sa foi livra deux
de ses fils en otage à Philippe.
Le roi d'Aragon ne pouvait pas ignorer les intrigues
*
de son frère avec le roi de France. Lui rappelant ses
devoirs de vassal, il lavait d'abord pressé de s'unir k
lui contre le prince dont il avait à se plaindre au sujet
de son fief de Montpellier, ajoutant que s'il avait con-
tracté avec le roi de France quelques engagemen
qui l'empêchassent de se montrer ostensiblemen
son ennemi, il l'aidât au moins secrètement de
finances; le trouvant inébranlable de ce côté, il s'étar^
ensuite borné à lui faire demander, par un chevalier
nommé Bérenger de Rossanes, la liberté du passage
à travers ses états en allant à la rencontre du roi d
France, faveur égale à celle qu'avait obtenue ce de
nier; mais le roi de Majorque , aveuglé d'une part
le ressentiment, et berce de l'autre de l'espoir de
couvrer son indépendance , ne voulut rien entendr^^
Lorsque Pédre vit qu'il fallait en venir à un coup
main contre son frère , il se ménagea quelques inte
CHAPITRE PREMIER. 149
gences en Roussiilon, et, sous le prétexte d*aller for-
tifier divers châteaux, il prit le chemin de la frontière
k la tête de quelques compagnies des barons et des
chevsdiers dont il connaissait le dévouement ^ Après
avoir pourvu en passant à la sûreté de Girone, il tra-
verse les Pyrénées et ne fait connaître Tobjet de son
expédition que sous les murs de Perpignan. En appre-
nant que l'enlèvement du roi de Majorque est le but
de cette course, le vicomte de Cardone, l'un des ba-
rons qui accompagnaient Pèdre , s'excuse d'y prendre
part sur les relations de famille qu'il avait avec la
reine E^clarmonde , et le roi consent à ce qu'il se re-
tire de sa personne , mais en laissant tous les cheva-
liers et hommes d'armes qui suivaient son pennon.
La troupe royale avait pris des chemins détournés
dès son entrée en Roussiilon , et elle était parvenue
au terme de sa course avant même qu'on soupçonnât
sa marche. Se présentant inopinément devant une
des portes de Perpignan qu'elle trouva fermée, elle la
brise et pénètre dans la ville sans que de fintérieur
on ait pu se mettre en défense. Le fils du vicomte de
Narbonne , le seigneur de Durban et quelques autres
barons français qui étaient venus voir le roi de Ma-
jorque, dors malade, furent arrêtés et durent par la
suite donner rançon pour leur liberté.
Pèdre se rendit maître du château royal, qui,
* Caslillo Solorxano, Vida del rey don Pedro, pag. leS. — ProUsIaiio
J^coki, Maj, régis, apud Mariene, Thés, atiecd, tom. \.
150 LIVRE DEUXIÈME,
n étant pas encore terminé , ne pouvait être une dté-
fense , et il fit occuper une certaine enceinte fortifiée ,
mais non achevée aussi probablement, qu'on appelait
la Maison du temple : là se conservaient les joyaux
et le trésor de la couronne que Pèdre fit saisir. S'il
faut en croire Aciot, historien presque contemporain,
on aurait trouvé dans cette même maison , qui dans
ce cas aurait servi aussi de chancellerie au roi de Ma-
jorque, ce qui est très-probable, un traité entre le
pape, le roi de France et celui de Majorque, par
lequel , en récompense des facilités que le dernier de-
vait donner pour la conquête de l'Âragon, il aurait
reçu en fief, des mains du pontife , le royaume de Va-
lence , objet de son ambition. Mieux eût valu pour
lui laisser Valence à TAragon et demander à sa ^ace
la Catalogne, contiguë au Roussilion, puisque ce
royaume placé encore à une grande distance du point
central de ses états, par delà un pays étranger, n'au-
jait fait qu'augmenter les embarras de Tadministra-
tion et les difficultés de la défense de son royaume.
Pèdre n'avait pas voulu voii* son frère, mais il lui
avait fait signifier pai* deux chevaliers qu'aux termes
(le l'hommage qu'il hii avait rendu et de l'engagement
(ju'il avait contracté il était requis de livrer aux Ara-
connais tous les châteaux et places fortifiées du Rous-
sillon, et Jaynie, surpris dans son palais, avait signé
tout ce qu'on avait voulu. Apprenant ensuite que son
frère devait remmener prisonnier en Catalogne, il se
CHAPITRE PREMIER. 151
coula pendant la nuit hors du château par un conduit
souterrain, et se réfugia secrètement à Laroque. Le
lendemain, au bruit de Tévasion de ce prince, les
Perpignanais, s*imaginant qu on lavait £aiit périr, s' ar-
mant en tumulte pour le venger siu* la personne de
80X1 frère. Ils montent vers le château , s'emparent du
cofnte de Pallas et de quelques autres barons , et se
dîisposent à assaillir le palais que gardaient les Âra-
gonnais. Pèdre, forçant alors à le suivre la reine de
I^Sajorque avec deux de ses fils et une infante, se hâte
d^ sortir de ce château par la porte de la campagne,
et^« après avoir déposé en lieu de sûreté ses otages ainsi
q»ic les joyaux de la couronne de Majorque, il rentre
^^«s la ville pour apaiser cette émeute. Étant par-
venu à faire entendre aux Perpignanais que leur roi
• était enfui lui-même, ceux-ci se calmèrent, déli-
^^^^rent les prisonniers qu ils avaient faits et promirent
"^ ne prendre aucune part à la guerre qui allait avoir
"^U- Alors don Pèdre, qui n'avait pas des forces suf-
"^^ntes pour garder Perpignan et le château contre
les Prançais , qui étaient déjà dans le voisinage , re-
passa les Pyrénées après avoir jeté des garnisons dans
^elques-unes des petites places. Arrivé à la Jon-
^^*^ère, ce prince rendit la liberté à la reine de Ma-
Jorc|ng , sollicité à cela par le comte de Pallas et le
^^omte de Cardone, alliés de cette princesse, et
^^s deux seigneurs escortèrent la mère et la fille jus-
^ au col de Banyuls. Quant aux deux jeunes princes,
la 85.
152 LIVRE DEUXIÈME.
ils furent retenus quelques jours dans le château de
Mongrin, et emmenés ensuite à Barcelone, d*où un
certain Vilar exilé de Garcassonne les enleva pour les
ramener à leur père.
Le roi d'Aragon, frappé d'interdiction et d'ana-
thème par le chef de l'église , menacé par toutes les
forces de la France et délaissé par le roi de Castille
qui, après lui avoir fait espérer les plus puissants se-
cours , ne lui envoya pas une lance , n'avait plus pour
faire tête à tant d'ennemis que la fidélité de ses ba-
rons * : il trouva en elle les moyens d'afifronter l'o-
rage. Le comte d'Ampurias se chargea de défendre les
cols de Banyuls et de la Massane ; le vicomte de Ro-
cabcrti , seigneur de la Jonquière , se porta au passage
du Pertus, et Pèdre lui-même, à la tête des autres
seigneurs , monta au col de Panissas.
Cependant Philippe , ayant laissé à Garcassonne la
reine Marie de Brabant, s'avançait vers Perpignan
accompagné des deux princes ses enfants du premier
Ht et du cardinal légat. Les troupes étaient venues
confusément jusqu'à Salses; là, elles prirent leur
ordre de bataille. Philippe jeta d'abord en avant, sou-
tenue par mille cavaliers , sa nuée de ribauds , bandits
dont les brigandages avaient déjà attaché à leur nom
* Pèdre III était troubadour. On trouve dans le choix des poésies
M. Raynouard une épître de ce prince à un Raymond Salvage, par la
quelle il semble demander des secours aux Gascons, aux Carcassins ei
aux Agcnois.
CHAPITRE PREMIER. 153
cette note d'infamie que le temps a rendue inefia-
cable. Après eux venaient les sénéchaux de Carcas-
sonne, de Toulouse et de Beaucaire, le sire de Lunel,
le comte de Foix et Raymond Roger de Pallas , firère
du comte de Pallas, vassal du roi d*Âragon; ces sei-
gneurs avaient avec eux cinq mille hommes d'armes.
A <^té de cette colonne, marchait la plus grande
partie des arbalétriers , tous gens d'élite et bien armés.
Les compagnies des comtes de Toulouse et de Saint-
Gilles, du Garcassez et de Narbonne venaient ensuite,
s^vîes de celles de Provence et du bas Languedoc;
après s'avançaient les troupes de l'île de France, de
1* Picardie, de la Normandie et du comté de Flan-
™^; enfin, derrière celles-ci, les compagnies que
cond^iîgait le légat , gens à la solde de l'église , et qui
s élevaient à plus de cinq mille chevaux, outre de
i^onibreuses compagnies de Toscane et de la Ro-
°^^igne, commandées par des capitaines du parti des
Guelfes. A l' arrière-garde étaient le roi de France et
^Ivu. de Navarre, aussi en guerre avec le roi d'Aragon,
^vis d'une multitude de barons convoqués pour
^tte croisade ; cette troupe aurait été encore plus
ï^onabreuse que la première, s'il fallait donner une
entière confiance aux récits des écrivains aragonnais.
Cette armée campa entre Perpignan et Je Boulou,
ouvrant de ses tentes toute l'étendue de terrain qui
^pare ces deux communes. Le roi de France , avec
^oute sa maison et sa cour, et avec le légat et le duc
154 LIVRE DEUXIÈME. '
de Brabant, prit son logement à Laroque, où se troa>
vait le roi.de Majorque depuis sa (îiite de son palais.
Là fut traitée entre Jayme et Philippe la remise de
Perpignan et de toutes les places du RoussiUon aux
troupes françaises, ainsi que la levée de tous les gens
de guerre de ce comté pour marcher avec Tannée
expéditionnaire aux frais du roi de Majorque : cent
otages furent livrés au roi de France pour garantie de
lexécution de ce traité. Les Français entrèrent à l'ins-
tant dans les châteaux de Laroque et de la Cluse;
quant aux places d^Elne, de Collioure et de Perpi-
gnan , leur occupation présenta plus de difficultés. Les
habitants de ces villes neiu*ent pas plus tôt appris l'ac-
cord conclu entre les deux rois qu'ils prirent les armes
pour s'opposer à l'introduction de tout étranger dans
leurs murailles. Le comte de Foix et le sénéchal de
Toulouse se mirent en rapport avec les consuls de
Perpignan pour que les habitants vendissent au moins
des vivres à l'armée, les menaçant, en cas contraire, ,
de faire arracher les vignes et les arbres du terroir. —
Sur l'assurance que donnèrent ces seigneurs que per —
sonne ne pénétrerait dans les murs, les Perpignanai^
firent l'hommage au roi de France et promirent de n^
porter aucun préjudice à ses troupes : on s'en tin^
là pour le moment.
Siuvant quelcjues écrivains français , la ville de Pe;- -
pignan aurait été prise , pillée et livrée aux flammes
ils se trompent, c'est Elne qui fut traitée ainsi,
CHAPITRE PREMIER. 155
a 5 mai, »près avoir vu passer au fil de i'épée, par
VoMcire eotfrès èa légat, tous ceux de ses habitants,
S3X1S distinction dâge ni de sexe, qui ne Tavaient pas
([«xittée afveo les soldats aragonnais que Pèdre y avait
Ifliûaés ^.
 la lecture de semblables atrocités , comment se
rendre maître de son indignation ; comment ne pas
s* abandonner aux plus douloureuses réflexions sur le
sort des peuples , victimes obligées des querelles des
rois? Quels étaient donc alors, quels sont peut*ètre
encore aujourd'hui les affreuses lois de la guerre, et
^^s exécrables droits ! Des fenames , des enÊuits que
le hasard a fait naître sor tel point plutôt que sm* tel
Autre , et où ils n ont ni empire ni volonté , sont impi-
toyablement égorgés, parce que le mutre du pays
^fu^âs habitent est en discussion d'intérêts avec un
*utre maître que le sort a rendu vainqueur ! Mais si
* on éprouve un frémissement d'horreur à Taspect de
^nt de férocité , de quels sentiments n est-on pas saisi
quand on apprend que Tatroce exécution d'Elne fut
^e Cruii de Timpérieuse volonté du légat , de celui qui
^représentait le père des chrétiens? Ce fut, dit Guil-
*^ume de Nangis , « un châtiment ord<»mé avec jus-
^ Uce par le légat contre un peuple insensé qui met-
I^lûlippua rex Francorum venit ad civitatem quae vocabaiur Jaune
\P<t> ESena), quam rex, de prmcepto legaJd» omninodestnixit, irucidans
^'^'^i^es qai intus erant, juvenes, aenes, clericos, mulieres et parvuloa.
1^ ckronica sancli Beriini, ofmd Mariene, Tkes. aiucdoL tom. II.
156 LIVRE DEUXIÈME.
« tait son appui dans im faible roseau tel que Pèdre
« d'Aragon, roi excommunié, qui avait méprisé le com-
<( mandement de la sainte ^ise et de ses ministres; »
c est-à-dire qui n'avait pas déposé sa couronne sur
Tordre du légat. Un langage aussi froidement barbare
eût pu, dans les idées du temps, être excusable, si
dans cette lutte Téglise avait été victorieuse , si l'élu
du pape avait pu devenir roi ; mais quand le prétendu
faible roseau eut été vainqueur, quand il put con-
server sa couronne et la transmettre à sa postérité,
le langage de l'apologiste de tant de crimes serait ri-
dicule s'il n'était aussi féroce que déplacé. Le roi de
Majorque dut être sans doute profondément afHigé
du massacre de ses sujets, et réclamer auprès du roi
de France; mais une voix réputée sacrée couvrit son
impuissante voix, et le roi de France, par forme de
dédommagement, lui fit expédier sur-le-champ une
charte qui l'exemptait lui et ses successeurs dans la
seigneurie de Montpellier, ainsi que les habitants de ^
cette ville, de la juridiction des sénéchaux royaux de?^
Beaucaire et de Carcassonne ^ : quelle indemnité pomza
tant de sang innocent! La Providence se chai^ead^
le mieux venger.
La ville de Perpignan ne fut pas prise , pas mêm» ^
attaquée ; elle fut occupée par surprise au mépris
ce qui avait été convenu entre les consids de cette p
pulation et le comte de Foix. Sur le bruit qu'on i
* Uist.ijhi. de Languedoc et preuves, tom. IV.
CHAPITRE PREMIER. 157
fecta de répandre dans le camp que le roi d'Aragon ,
d'intelligence avec les habitants de cette ville, des-
cendait la montagne avec des forces considérables,
le oomte de Pallas se rapproche de la place, en
mande auprès de lui les principaux habitants sous
le prétexte que le roi veut conférer avec eux, et les
retient en otage; alors les troupes entrent dans la
ville , et mettent au pillage la plupart des maisons.
I^es habitants, indignés de ce manque de foi, s ameu-
tent et prennent les armes; un combat s'engage dans
les rues, et un capitaine de Picardie, avec plusieurs
de ses gens, y perdent la vie. L'approche de forces
axixcjuelles îi était impossible de résister faisant mettre
bas les armes aux Perpignanais, les Français s'établis-
*ei^t dans la ville au mépris de la foi jurée, et en oc-
^^pent les tours , les églises et les postes les plus im-
P^i^tants^.
I^endant que ces choses se passaient à Elne et à
^^^rpîgnan , les habitants de CoUioiu'e, redoutant ^a-
lenaent l'occupation française, qui ne différait nulle-
'^^nt d'une occupation ennemie, avaient fait dire au
ï'oi d'Aragon , qui était à Panissas , qu'ils étaient prêts
*^ Se livrer à lui s'il venait avec des forces suffisantes.
"èclre y accourut en effet. Mais le gouverneur du
^l^âteau, qui avait eu vent de la conjiu*ation , la fit
^cHouer. Ce gouverneur, nommé Arnaud de Saga,
plaçant im habile arbalétrier derrière une barbacane ,
^ Zurita, Anales de Aragon, lib. IV, cap. lx.
158 LIVRE DEUXIÈME.
demande une conférence à don Pèdre , qui ignora
qu'A ne fut pas pour lui. Pèdre se rend auprès d
château, accompagné d*im seul cavalier, et met pie
k terre pour s'entretenir avec Talcayde; mais sapei
cevant que celuici voulait Tattirer plus près du reni
part il soupçonna une trahison, et, remontantàchevaj
il alla rejoindre ses gens qui lattendaient au pori
Avant de regagner la montagne , les Aragonnais mi
rent le feu aux maisons extérieures, aux galères et i
tous les navires qui se trouvaient au port ^.
Philippe pouvait voir de son camp les montagne
qu'il avait à franchir couvertes des tentes des Aragon
nais. Après quinze jours d'hésitation, il se décide enfii
à prendre son passage par le col de Panissas , moini
diflicUe alors, et beaucoup moins périlleux que celui
du Pertus ^.
Ce qu'on nomme col de Panissas est un défilé sîtu^
dans un abaissement des montagnes qui forment h
frontière. Là , se trouve un mont isolé et pyramidal
dont le sommet est couronné par le fort de BeUegarde.
Le point où ce mont se rattache à ceux de droite et
de gauche forme deux passages ou cols; le premier
est celui du Pertus, le second, celui de Panissas, im-
praticable aujourd'hui, et le plus fréquenté à cette
époque.
Avant de se mettre en mouvement, Philippe et la
' Castillo Solorzano, Vida del rey don Pedro, pag. 180.
* Ibidem , pag. 179.
CHAPITRE PREMIER. 159
l^at avaient fait sommer don Pèdre d*abandonner sa
couronne, dont le pape avait disposé en Êiveur de
Charles de France , et de se retirer avec ses gens , le
rendant responsable du sang qui serait répandu s'il
n*obéissait pas. La réponse de don Pèdre fut celle d*un
roi : Celui , dit-U , qui disposait si libéralement de sa
couronne en connaissait bien peu la valeur; ses an-
cêtres l'avaient conquise par le sang , celui qui voulait
Tavoir devait la payer au même prix.
L'armée française se trouvait en Roussillon depuis
plus de vingt jours, et le mois de juin était déjà corn-
ii^eiicé quand elle se mit enfin en marche par le cdi
^c Panissas. L'avant-garde entrait à peine dans le dé-
ulé quand les almogavares, qui garnissaient tout le
baut de ces montagnes, firent rouler du haut en bas,
^ travers les rochers, soldats et cavaliers. Dans l'im-
possibilité de franchir ce passage, le roi de France
^uercha ime autre route pour pénétrer en Catalogne.
W^uîana veut qu'il y soit parvenu sous, la conduite
^'uu seigneur, qu'il appelle le bâtard de Roussillon,
*^ul individu que le roi de Majorque aurait pu arra-
cher au massacre d'ïllne; Zurita lui donne pour guide
* ^bbé du monastère de Saint-Pierre de Rhodes ; sui-
^^ot l'annaliste Félix de la Pena, ce guide aurait été
^^'^ simple Français; enfin le chevalier Ramon Mun-
*^*ier, témoin oculaire et acteur dans cette guerre, sou-
^^nt que ce furent l'abbé et trois moines du monasn
^re de Saint-Andi*é de Sorède , maison dépendante de
i
160 LIVRE DEUXIÈME.
Tabbaye française de la Grasse , près de Narbonne ; e
cette opinion est la plus vraisemblable. Ces religieo:
indiquèrent aux croisés le col de la Massane qu'il
connaissaient très -bien, puisque leur couvent étai
bâti dans la vallée qui y conduit.
Décidé à prendre sa route par ce passage, Phi
lippe fit d abord partir pendant la nuit le comte d'Âr
magnac et le sénéchal de Toulouse , avec mille che-
vaux servant d appui à deux mille pionniers chaigéi
de rendre la route praticable aux chevaux et aux ba
gages. Â laube du jour, cette troupe était parvenue
au haut du col sans avoir été entendue ni découverti
par les gens du comte d*Ampurias qui en avaient h
garde; en Tabsence du comte, qui dans ce moment
se trouvait à Castellon avec la meilleure partie de ss
cavderie pour y établir des postes , la vigilance s'était
endormie. Dès que le roi de France fut informé que
ses soldats étaient maîtres de ces défilés, il fit dé-
ployer l'oriflamme , et Tarmée entière se dirigea vers
la Massane. La traversée des Pyrénées, par cette mul
titude de gens , dura quatre jours pleins. Le roi d'Araj
gon, voyant l'obstacle forcé et ne se trouvant plus en
mesure de disputer le terrain à une armée si formii
dable, fit annoncer dans son camp que les almog^
vares pouvaient rentrer dans leurs foyers. Ces aime:
gavares, comme nous l'avons dit aiUem^s, étaient 1^
paysans du pays qui prenaient les armes quand ils
étaient requis pour la défense de leurs frontières,
CHAPITRE PREMIER. 161
qui, soldats vétérans pour la plupart, étaient re-
nommés par leur farouche valeur autant que par
leur ardeur au butin , seul prix qu'ils recevaient de
leur déplacement. Après avoir ainsi congédié ceux
dont il n'avait plus besoin pour le moment , Pédre se
rendit à Péralade accompagné de Tinfant don Al-
phonse, son fils, du comte de Pallas, des vicomtes
<le Cardone et de Rocaberti, et des autres riches
hommes et chevaliers de Catalogne.
S'il fout en croire quelques écrivains, le roi de
France, en se rendant de Panissas à Ja Massane,
voulut emporter en passant le château de Montes-
<iuîu dont le châtelain se trouvait avec le roi d'Ara-
Son, et qui, vaillamment défendu par la châtelaine,
la dame Élizende , offrit une résistance telle que Phi-
*^PpCf pour n'y pas perdre trop de temps, fut obligé
^^ passer outre. Ce fait, qui ne présenterait rien
^^extraordinaire , nous parait cependant apocryphe,
-■^untaner, qui rapporte un trait de bravoure de femme
^T^î eut lieu quelque temps après à Péralade , ne dit
***eii <]e celui-ci, et Castillo Solorzano, dans la vie de
"èdre III, déclare ne pas savoir le nom du château
^^ se serait passée cette action, quoiqu'il donne le
^oua d'Élizende de Montesquiu à la vaillante châte-
■aine. La terre de Montesquiu était domaine de fa-
'^ Jie , mais le château , qu'une lettre d'Alphonse cite
^^tame l'un des plus forts du Roussillon , appartenait
^^ roi : c'était une place du même genre que celles
ï. Il
162 LIVRE DEUXIÈME.
de Tautavel, d'Opol, de CoHioure, de Perpignan, de
Puycerda , dont le châtelain ou alcayde était nommé
par le prince , et il existe à la cour de l'ancien do-
maine royal de Roussillon des commissions de cette
espèce pour ce château de Montesquiu. Il paraît cer-
tain cependant que ce château, comme ceux d'Ëine
et de Castelnou, avait reçu garnison aragonnaise
quand Pèdre fit son irruption sur Perpignan , et, sous
ce rapport, Philippe a très-bien pu tenter de Tem-
poiier par un coup de main.
CHAPITRE DEUXIEME. 163
CHAPITRE IL
Levers des Français. — Typhus dans le camp. — Retraite et
désastres. — Examen du récit des historiens français sur cette
retraite. — Relation d*un témoin oculaire.
Le premier pas, celui qui semblait au roi de France
^ plus difficile, était fait : son armée avait heureuse-
Ki«it franchi les Pyrénées. Mais cette expédition ,
iîOTmnencée avec tant de bonheur, ne devait pas tarder
^ éprouver des revers que la multitude de gens qui
ïn faisaient partie rendrait encore plus terribles.
Le premier soin de Philippe, en entrant en Am-
^ourdan, avait été d'occuper toute la côte depuis Col-
^oure jusqu'à Blanes , et de se rendre maître du port
•« Roses , afin d'avoir un abri commode et sûr pour
'« vaisseaux de charge; de là il attaqua et prit le
râteau de Lers, où le légat donna en grande solen-
^é au prince Charles de France l'investiture du
ïnté de Barcelone; Charles, de son côté, nomma
sénéchal de Catalogne , et l'armée marcha sur Gi-
^e et s'établit devant cette ville.
'-•a première affaire sérieuse entre les Français et
Ajagonnais eut lieu à l'occasion des vivres et mu-
^ns débarqués des vaisseaux. A peine ces appro-
^nnements furent à terre que l'infant don Alonze
] 1.
164 LIVBE DEUXIÈME.
ou Alphonse, fils de don Pèdre, forma le projet de
les détruire. Soutenu par le roi son père et par le
comte d*Ampurias, ce prince fond, à la pointe du
jour, sur les magasins que gardaient mille chevaux,
et dans le même temps deux mille hommes de pied
se mettent à arracher les tentes , briser les coffres e
incendier les barraques. D autres hommes d'armes ac-
courant au secoiœs , une vive escarmouche s engage ,
et la victoire fut décidée pour les Français par l'arrivée
des comtes de Foix et d' Astarue , par le sénéchal de
Mîrepoix et quelques autres seigneurs qui vinrent
renforcer la garde à la tête des chevaux de Langue-
doc ^ L'infant rentra alors à Péralade, que le roi ne
tarda pas à évacuer, et qu inceqdia le comte de Roca-
berti qui en était seigneur, afin d empêcher le roi de
France de s'y fortifier : la même chose avait été faite
à Figuières K Les Français cherchant à faire tomber
le roi d'Aragon dans quelque embuscade, le 1 5 d'août
il y eut encore une escarmouche assez vive dans la-
quelle Pèdre paya de sa personne : c'est dans cette
action que quelques écrivains ont avancé qu'il avait
péri, d'autres qu'il fiit blessé au visage.
Pendant que Pèdre faisait fortifier tous les châteaux
^ Munianer, cliap. cxxiii.
' Cest par erreur que dans un mémoire du tome V du recueil de la
Société des antiquités de France on lit que les Françab détruisirent
Tantique Emporias. Cette ville n'existait déjà plus à cette époque, et
les lieux incendiés en Ampourdan le furent par les Âragonnais eux-
mêmes. Voyei Zurita, Anal, de Àrag.
CHAPITRE DEUXIÈME. 165
aux environs de Girone , pour de là inquiéter les Fran-
çais qui formaient le blocus de cette place, et que le
comte de Cardone se renfermait dans cette même
place pour la défendre , les riches hommes d'Aragon
se concertaient un peu tardivement, à Saragosse, sur
les secours à fournir à leur roi. L'inévitable tendance
du pouvoir royal à lenvahissement rendant plus irri-
table la susceptibilité de ces barons pour la conser-
vation de leurs droits , que de leur côté ils ne cher-
chaient pas moins à étendre, au préjudice de f autorité
royale, ces seigneurs s'étaient ligués contre Pèdre en
vertu d'un de leurs privilèges dont nous aurons occa-
sion de parler plus tard, et qu'on appelait privilège de
l'union. Cependant en voyant le danger qui menaçait le
royaume ils firent trêve un instant à leur querelle , et
ils arrêtèrent que les riches hommes, les chevaliers de
Masnada ou bannerets, et les infançons ou simples gen-
tikhommes, qui n'étaient pas occupés aux frontières
de la Navarre, se rendraient en Catalogne. Suivant le
moine de San Juan de la Pena , cité par Ferreras , les
Catalans et les Valenciens auraient seuls marché au
secours de leur prince; quant aux Âragonnais, ils au-
raient refusé de le faire sur le motif de fanion, c'est-à-
dire parce qu'ils étaient en état d'hostilité avec le roi
pour le redressement de leurs griefs. Cette version
peut très-bien se concilier avec celle de Zurita. De
laveu de ce dernier, qui cherche à dissimuler le tort
de la noblesse aragonnaise , celle-ci ne se réunit qu'à
166 LIVRE DEUXIÈME.
la fin de juin pour délibérer sur le secours à envoyer
en Catalogne, tandis que c était au mois d'avril que
Pèdre lui avait donné l'ordre de se porter dans cette
province pendant que la noblesse catalane se rendrait
elle-même en Âmpotœdan : les Catalans et les Valen-
-ciens obéirent à l'instant, et ce ne fiit que trois mois
après, qu'en présence d'un péril commun les nobles
aragonnais se décidèrent enfin à ne pas abandonner
leur prince.
Les revers de Philippe commencèrent par la ma-
rine. Déjà la fortune, contraire aux Français, avait
justifié la dernière partie du titre que s'était donné
le roi d'Aragon , celui de maître de la mer, en attendant
qu elle fît ressortir dans toute sa splendeur celui de
valeureux soldat. Roger de Lauria, amiral d'Aragon,
après avoir battu les galères de Provence devant
Malte en 1 2 83 et devant Messine en 1 286, et après
avoir enlevé dans ce dernier combat la galère capi-
tane, sur laquelle se ti^ouvait le prince de Saleme,
fils du duc d'Anjou, roi de Sicile, avec un grand
nombre de barons de sa suite, avait fait voile pour
Roses. De leur côté , Raymond Marquet , amiral de
Catalogne, et Bérenger Mayol, son vice^miral, ve-
naient avec onze galères d'en prendre quinze aux
Français, entre San Féliu et Roses, pendant que Lau-
ria, infoiTné par ces deux officiers de la présence de
la flotte française dans les mers de Toscane, l'avait
cnlièrenient prise ou détruite en faisant route pour
CHAPITRE DEUXIÈME. 167
91 Catalogne. Ârriyé sur ces parages, et de concert
Tec Marquet, Lauria se tient un peu à Técait pen-
Lant que le premier se présente devant le port de
loses avec dix galères. Séduit par Tappât d*une vie-
pire £Biciie , Tamiral de Philippe , Jean Scot , qui crut
;ue ces dix galères étaient toutes les forces navales
!*Aragon en cet endroit, sort à leur poursuite avec
ingt-cinq de ses galères. Â la vue des dix premiers
aisseaux de Lauria qui se présentent sous pavillon
nançais , il se persuade que c'est le reste de sa flotte
[ui a mis à la voile; mais bientôt la bannière aragon-
taise, substituée à la bannière française, lui fait re-
<Minaitre le piège : tout fut pris ^ Après cette bril-
axite action , Lauria donna dans le golfe de Roses ,
»ù il détruisit plus de cent cinquante navires de trans-
port, et Raymond Marquet en fit autant à San Féliu.
Mettant ensuite pied à terre pour combattre cinq
uenU chevaux français venus pour escorter un convoi
l« mulets chargés de vivres pour l'armée, Lauria les
>at et s empare de Roses quil fortifie. Alors le roi
le France se trouva privé du seul port où pussent
iJborder ses vaisseaux, et cette armée formidable qui
'tait venue en Catalogne avec des approvisionne-
Kients immenses, au lieu de chercher à reprendre
* 2urita dit que les Français cherchèrent à tromper les Aragonnais
^ prononçant leur cri de guerre au milieu de la nuit. Nous avons pré-
«T^ suivre la versioo de Muntaner, qui se trouvait au camp du roi
'^'^on, et dont le récit nous a paru plus vraisemblable.
168 LIVRE DEUXIÈME
Roses pour rétablir ses communications par mer et
se remettre en possession de ses magasins , reste sous
Girone et se voit sans ressources au milieu d'im pays
ennemi.
Dès son entrée en Ampotœdan, le roi de France
avait mis le siège devant cette place de Girone , au-
jourd'hui bicoque indigne des regards d'une armée,
alors ]e boulevart de TAragon sur la ligne des Pyré-
nées catalanes. Une épidémie affreuse, suite de la
chaleur du climat , de l'intempérance du soldat , des
excès de tout genre auxquels s'abandonnèrent des
gens sans aveu et de tout sexe, accourus à la voix du
légat \ ne tarda pas à exercer ses ravages sur cette
multitude d'hommes amoncelés dans un petit espace.
Les Espagnols voulurent voir dans cette maladie,
très-naturelle en de telles circonstances, et connue
maintenant sous le nom de typhus des armées, un
effet de la vengeance divine contre cette horde de
bandits de tous les pays qui se souillaient de mille
crimes et commettaient les plus révoltantes impiétés,
quoique réunis sous le signe de la croix. La disette
qui se fit sentir après la destruction des vaisseaux
chargés de munitions, la saleté , qui ne pouvait qu'être
extrême parmi tant de gens sans firein et sans police,
favorisant la propagation de l'épidémie, en peu de
temps la mortalité devint effrayante , et il fut impos-
^ Utriusqiie sexus turba maxima affluebat, ad tnbam indulgentia:
cardinalis. Gesta com. Barck, a monaco RivipaUense, in Marca hispan.
CHAPITRE DEUXIÈME. 169
sible d'en enterrer les innombrables victimes. La fé-
tidité qui s'exhalait de tant de cadavres d'hommes et
de chevaux laissés sans sépulture rendait mortelle l'ap-
proche du camp, et donna naissance à des essaims
de moucherons qui augmentèrent encore l'horreur
de cette affreuse calamité. Ces insectes attaquaient
également les hommes et les chevaux , s'introduisaient
par les narines et les oreilles , et ne quittaient leur
proie qu'après qu'elle avait perdu la vie ^.
L'horrible odeiu* qui s'exhalait du camp des Fran-
çais, jointe à la privation des aliments substantiels,
avait développé dans la place assiégée la fatale épi-
démie qui dévorait les assiégeants. Privée de tout se-
cours, ravagée par ce nouveau fléau, la ville de Gi-
rone dut venir à composition , et , après sa reddition ,
les deux foyers d'infection se trouvant réunis , la ma-
ladie augmenta encore d'intensité : elle ne cessa en-
tièrement dans Girone que lorsque les premiers froids
se firent sentir, et chez les Français que lorsqu'ils
eurent changé de climat et de régime. Quoique les
assiégés n'eussent pas été plus épargnés que les assié-
geants, par cet horrible fléau, les Âragonnais ne le
considérèrent pas moins comme un miracle opéré par
l'intercession de saint Narcisse, patron de la ville,
pour sa délivrance.
Le roi de France s'était établi au milieu des ruines
^ Gesta com. Barck. a monaco RivipuUense, in Marca hispan, — Car-
bonel, Chronica de Àrag.
170 LIVRE DEUXIÈME.
de Péralade , ^nprès que le roi d*Âragon en fut sorti en
y Faisant mettre le feu. Elntouré de morts et de mou-
rants, et atteint lui-^nême par Tépidémie, Philippe se
vit forcé de songer à la retraite. Une revue générale
de ses troupes lui avait démontré de la manière la
plus déplorable la nécessité de prendre ce parti : de
cette immensité de gens qui, quatre mois auparavant,
avait traversé les Pyrénées, il ne restait plus qu'en-
viron trois mille chevaux armés ^ : il en avait péri
quarante mille, suivant ce que Pèdre écrivait lui-
même au roi de Castille.
i2bb. Le dimanche, 3o septembre, les débris de cette
armée reprirent le chemin de France, le roi étant
porté moribond dans une litière. Le légat aurait vo-
lontiei^s absous alors de toute faute le roi d'Arag<»i ,
dit malignement Muntaner, pourvu que celuioi le
laissât sortir de sa terre en toute sûreté.
Les almogavares , rappelés à la frontière par don
Pèdre, et impatients de se venger des Français, s'é-
tai^it portés de nouveau au passage des Pynénées,
où ils devaient, cette fois, écraser facilement dea
gens qui navaient plus la force de se défendre. Dans
cette funeste retraite, qui donna à i autre extréaiité
des Pyrénées un effroyable pendant au désastre de
Roncevaux, les soldats du roi d* Aragon powsuivirent
les croisés pendant plusieurs lieues, en en faisant une
horrible boucherie ; ils ne s'arrêtèrent enfin , à Mon-
' Zurita.
CHAPITRE DEUXIÈME. 171
[uiu, que parce que, épuisés de fatigues et ne
rvant plus soulever leurs épées, il ne leur restait
assez de forces physiques pour continuer le car-
e. Le choc retentissant des armes , les hurlements
[ureur des combattants, les cris plaintifs de ceux
m égorgeait remplissaient Tair d'un bruit afireux
s'entendait à plusieurs lieues au loin , suivant les
ariens du temps. Ceux qui purent échapper à ce
sacre arrivèrent à Perpignan, laissant derrière eux
longue trace de casques brisés, d'armures fra-
ées, de tronçons d'épées et de cadavres dont la
brisée par les coups de hadbe et de massue prê-
tait le plus horrible aspect ^
jes historiens français ont glissé rapidement sur œ
sage des Pyrénées , qui est pourtant la circonstance
ÀU8 mémorable de cette fatale expédition , et ils
lent le silence sur la manière dont le roi mori-
d put être soustrait aux périls qui entouraient son
Ȏe; plusieurs laissent entendre, et Daniel le dit
itivement, que ses soldats se firent jour, l'épée à la
n, à travers les ennemis qui gardaient ces défilés.
s, les personnes qui connaissent ces mêmes dé-
i ne sauraient accueillir une aussi étrange narra-
1. Si le trajet s'était fait en pays plat, et qu'il eût
i de faire une trouée à travers des rangs épais de
lats ennemis , on concevrait que le roi et ses en-
:«, placés au centre d'un bataillon de sujets dé-
Gttla com. barckin.
172 LIVRE DEUXIÈME,
voués qui se seraient fait tuer pour sauver leurs
princes , auraient pu parvenir à faire leur retraite en
sûreté; mais il nen pouvait être ainsi au milieu des
Pyrénées. Ici il s*agissait de traverser des gorges de
montagnes dont le haut était couvert d'ennemis qui
pouvaient tout détruire en faisant rouler les rochers
qu ils avaient à leurs pieds; il fallait suivre im chemin
en pente et bordé de précipices, où on ne pouvait
aller le plus souvent qu'au petit pas , et où trois che-
vaux armés n'auraient pas passé de front; il fallait faire
ce chemin, embarrassés d'une litière dans laquelle
gisait un roi mourant, litière qui non-seulement de-
vait prendre toute la Iai|;eur du chemin, mais qui,
sur bien des pomts de cette route, présenta sans doute
des difficidtés au passage : û est donc évident qu'il y
a ici quelque mystère que les historiens français n'ont
pas voulu avouer. Abandonnons ces réticences d'a-
mour-propre, et rétablissons la vérité, même aux
dépens d'un peu de gloire nationale : l'histoire de
France est assez riche pour n'avoir pas besoin de
glaner des lauriers.
Si l'escadron où se trouvait le roi Philippe, avec
les princes et le légat, passa librement et sans danger,
sinon sans inquiétudes, au milieu d'innombrables
paysans armés, ne respirant que la vengeance et pous-
sant sans cesse des cris de mort; s'il put échapper
aux coups de ces intraitables marins qui, sous la
conduite de leur amiral, Roger de Lauria, s'étaient
CHAPITRE DEUXIÈME. 173
empressés d'accourir de Roses à Panissas pour avoir
lart, eux aussi, à un infaillible butin, c'est que le roi
['Aragon voulut bien protéger lui-même son passage;
'est parce que Tagresseur de ce Pèdre, à bon droit
ommé le grand roi par ses compatriotes , parce que
elui qui voulait lui enlever sa couronne et ses
l:ats était réputé mort, et que les fils de cet agres-
sur qui s'étaient montrés, laîné tout au moins, de
aveu de Muntaner, contraires à cette expédition,
valent sollicité la liberté du retour en France de la
énérosité de ce même roi d* Aragon , leur oncle ma-
3Tnel. Nous apprenons toutes les circonstances de
^tte £itale retraite d'un témoin oculaire, de ce même
Laymond de Muntaner, déjà plusieurs fois cité, et
rmxi était l'un des chevaliers qui avaient suivi don
^édre au col de Panissas. Quoique l'impartialité n'ait
»2is toujours été la règle de ce chroniqueur, et qu'on
»usse lui reprocher des mensonges d'une évidence
>^pable dans ce qui ne s'est pas passé sous ses yeux ^,
pendant les détails qu'il rapporte sur cette retraite
^ Muntaner n'écrivit ses chroniques que dans sa vieillesse, et il a
bien pu suppléer quelquefois à Tinfldélité de sa mémoire; mais il a
ftnasi oublié volontairement ce qu'il ne voulait pas dire, et de ce nombre
*« trouve tout ce qui se rapporte à la conduite du roi d'Aragon envers
celui de Majorque, et vice versa. Il avait été l'administrateur de don
^^dre, il fut ensuite l'ami dévoué du troisième fils du roi de Majorque:
c'est cette double affection qui le porta à ne jamais parier des torts ré-
ciproqoes de ces deux rois, et à les excuser tous deux aux dépens de la
mérité.
174 LIVRE DEUXIÈME.
des Français de l*Ampourdan s'accordent trop avec
la vraisemblance pour que nous refusions de donner
toute confiance à sa narration.
Le roi de France, ayant pris la résolution de re-
passer les Pyrénées, se rendit avec ce qui lui restait
de monde à Péralade , où il tomba malade , et où il
serait mort à la fin de septembre, suivant notre histo-
rien. Il est dans Terreur : Philippe ne mourut que le
2 octobre dans Perpignan. Philippe le Bel eut peut-
être ridée de faire croire que son père était mort,
afin d*éprouver moins d'opposition dans la demande
quil fit faire secrètement à son oncle, de concert
avec le légat. Cest là le sentiment de Thistorien du
royaume Baiéarique, et rien ne peut nous empêcher
de l'adopter. Ce point convenu , le reste du récit de
Muntaner ne présente plus de difficulté.
Le roi d'Aragon avait répondu à son neveu qu'il
laisserait passer sans empêchement la litière et tout
ce qui serait avec elle autour de l'oriflamme , mais il
avait déclaré aussi que pour ce qui était du reste de
l'armée, le voulût-il, il ne pourrait jamais empêcher
les almogavares et les marins de fondre dessus et de
l'écraser. Sur cette réponse le légat pressa les princes
de se mettre en route sans perdre de temps, ajoutant
que tous ceux qui mourraient dans cette circonstance
iraient en paradis. Philippe le Bel s'empressa d'in-
former le roi de Majorque de cet accord, afin que ce
prince pût, de son côté, se porter au pas delà Cluse
CHAPITRE DEUXIÈME. 175
»ur prot^er la retraite de l'armée à travers le Rous-
lon : les preuves de Thistoire de Languedoc vien-
nt ici corroborer le récit de Técrivain catalan; elles
lis apprennent qu'en effet Aymery, vicomte de
rbonne , reçut l'ordre de s'y rendre aussi à la tête
milices de Languedoc. Laissons maintenant parler
mtaner lui-même, en conservant dans notre tra-
ction cette simplicité de style, cette naïve bon-
mie qui jettent tant d'intérêt sur les écrits de ce
nps.
« Monseigneur Philippe (le Bel) appela ses barons,
t forma une avant -garde où marcha d'abord le
omte de Foix avec cinq cents chevaux armés. Le roi
enait après avec l'oriflamme, avec son frère, avec
e corps de son père et avec le légat, et entre eux
ous, cela allait à environ mille chevaui armés,
^près venaient tous les bagages avec la memio gent
ït les gens de pied. A l'arrière -garde venait toute
'autre cavalerie restante, qui pouvait être d'environ
piinze cents chevaux armés. Ils se mirent ainsi en
Mouvement de Pujamilot \ et songèrent à aller ce
|Our-là à la Jonquière. Ce même jour l'amiral Roger
ie Lauria , avec tous les hommes de la mer, monta
au col de Panissas. Et cette nuit. Dieu sait comme
les Français la passèrent : pas un d'eux ne se désha-
billa, et aucun ne dormit, mais toute la nuit vous au-
* Cétait le quartier du roi , qui y habitait une maison de campagne,
Ji environs de Péralade.
176 LIVRE. DEUXIÈME.
« riez entendu plaintes et gémissements , car les almo-
«gavares, les goujats et les hommes de mer fondirent
«sur les tentes, et tuaient les gens et brisaient les
(( coffres, tellement que vous auriez oui im plus grand
«bruit de ce bris de coffres, que si vous aviez été
« dans une forêt où il y aurait eu mille honmies à ne
« faire autre chose que couper du bois. Quant au car-
udinal, je vous assure que depuis son départ de Pé-
«ralade il ne fit autre chose que dire des oraisons;
« ce ne fut qu'aux environs de Perpignan qu*il se remit,
(( car h tout instant il craignait d être égorgé : Us pas-
ce sèrent ainsi toute la nuit. Le lendemain matin le
<( seigneur roi d'Aragon fit savoir par des criées que
«toute personne quelconque eût à suivre sa bannière,
(cet que, sous peine de mort, nul ne frappât où sa
« bannière ne frapperait pas , et que les trompettes et
ce les nacaires n en donnassent le signal ; ainsi chacun
« se réunit-il à la bannière du seigneur roi d* Aragon.
« Comme le roi de France fiit arrivé avec Tavant-
« garde , ce corps passa par le Pertus , et le seigneur
«roi d*Âragon le laissa passer; et toute la gent dudit
«seigneur roi criait, Frappons, seigneur, fi^ppons!
« et le seigneur roi les massait pour qu'ils n'en fissent
« rien ^. Ensuite vint l'oriflamme avec le roi de France,
^ Muntaner dit capdellava (pelotonnait) , qui répond au masser^ em-
ployé dans la chronique de la mort de Roland à Roncevaux : « Baudoin
cet Thyerry, et aucuns peu de chrestiens estoient dedans parmi les
c bois, et se massoient, pour la paour des Sarrasins. •
CHAPITRE DEUXIÈME. 177
son neveu» avec son frère, et le corps de leur père,
et le cardinal , ainsi que vous avez déjà vu qu*il avait
été réglé , et ils se mirent en devoir de passer par
ledit lieu du Pertus ; et de même alors les gens du
roi crièrent à grands cris, Honte, seigneur! frap-
pons, seigneur! et le seigneur roi tenait plus fort
jusqu'à ce que le roi de France eut passé avec ceux
qui allaient avec lui près de Toriflamme. Mais quand
les gens du seigneur roi virent les bagages et la
menue gent qui commençait à passer, ne croyez pas
<{ue le seignem* roi ni autre eût pu les retenir. Si
l)ien qu'un cri s'éleva par tout Tost du seigneur roi
d'Aragon , Frappons , frappons ! et alors chacun se
mit à courir sus, et vous auriez vu brisement de
c^ofiBres et enlèvement de tentes et d'effets , et d'or et
d'argent, et de monnaie, et de vaisselle, et de tant
de richesses , que chacun de ceux qui se trouvèrent
là fut riche ^ Que vous dirai-je? que qui avait déjà
)assé, bien lui valut, car des bagages et de la menue
ent, ni des chevaliers de l'arrière-gai'de, il n'en passa
as im qui ne fut tué et son bagage emporté. Quand
\ commencèrent à frapper, les coups furent si forts
'on les entendait de quatre lieues ; si bien que le
Vest ce que dit aussi le moine de Ripoll. «Auri et argenti, quod
nostri milites et pedites habucrunt, non potuit esse pondus. La-
pretiosi , moniiia , auri texta , panni sériel totam Catalonia; pau-
en ditaverunt. Dominus rex noster nihil accepit de campo, sed,
gus, et in omnibus factis suis nobilis, eum dédit militibus et pe-
s regni sui. » Apad Marca hisp.
l^lVRï^ v^ (West ce®*' ^
^"^ , Mes ouiidUa«^;;^;^^iac France
Tpcur nous ^--J-- ..^^^^^^ P;;^ J, ,^.
«^^^'C^ Va^ors U -v^^^;:^ et que le. g«
« frappons- ^^ons eu Y «^ eolev-
, cotnpte^ ^^' Vainsi so«S«««*: ^us et à un col c
«CcpeodaM;^^ • ,e trouve M ^^ ^^,
« - -^ r roi;:^^ 'o. ae n^p;^^ kouss..---
aa baumcre ^ ocA^a ^u J^ ^ ,,o:,ex le
"^- r'tt-! q- ^;7, :L.t nous; etl- -
.. de Vrau^e . qu ^.^. ^e Majo ^ ^^^ de M"
„cravguexneu,*e
CHAPITRE DEUXIÈME. 179
[ue , qui vient nous escorter. Et alors le cardinal
grande joie; cependant il ne se tint pas encore
r bien assuré. Que pourrai- je vous dire?
tout où ils purent aller au grand trot, ils le fi-
i, jusqu'à la Cluse, si bien que personne ne se
fait en sûreté jusqu'à ce qu'ils furent au Boulou.
roi de France et sa compagnie s'arrêtèrent dans
lieu pour y passer la nuit; mais le cardinal ne
sa qu'à se rendre à Perpignan sans prendre souci
l'arrière -garde qu'ils auraient laissée derrière et
î les gens d'Aragon n'eussent pas manqué d'en-
er en paradis ^ »
hronicafetaperlo maynific en Ramon Mantaner, capit. cxxxix.
180 LIVRE DEUXIEME.
CHAPITRE III.
Q)nquéte des îles Baléares par T Aragon. — G)ntinuation de 1
guerre. — Paix entre la France et 1* Aragon. — Le royaum
de Majorque en séquestre. — Il est rendu à Jayme. —
de Jayme. — Edits et ordonnances. — Esclaves maures.
Templiers du Roussillon.
Une des armées les plus formidables que la Fran<
pût mettre sur pied venait detre presque entiërem^^K^t
détruite par les maladies et par les coups du roi d* ^
ragon , et ce prince , triomphant à la fois de ses'
nemis et des foudres encore plus redoutables de ^"*^
glise , conservait une couronne dont le pontife s'é^K^ait
trop hâté de disposer. Après la retraite de Tamc^ée
française, Pèdre avait renvoyé à leurs vaisseaux les
gens de mer, et il s'était rapproché de Castellon-d'Ajm-
purias où Philippe avait laissé une garnison axissi
bien qu'à (îirone. Ces places reprises, le roi d'Aragon
songea à punir son frère d'avoir fait cause cominune
avec ses ennemis. Pour remplir ce dessein, l'iiifant
don Alplionse fut chargé d'aller soumettre l'île de 3fe-
jorque pendant que Pèdre marcherait en perso/me
contre le Roussillon. Cette campagne n'eût été, pour
ce prince, ni longue ni difficile si la mort ne fut
venue interrompre le cours de ses projets. Pèdre 11/
CHAPITRE TROISIÈME. 181
Knoiinit le 8 de novembre , environ un mois après le
x>î de France , dont les obsèques avaient eu lieu à ^
Perpignan avec beaucoup de pompe, et dont le corps
lépecé et bouilli avait été partage pour la sépulture
lïtre Narbonne et Saint-Denis *.
La guerre continuait entre T Aragon dune part, et AiphoM*ni.
i France et Majorque de l'autre. La première opé- j'aiI^u.
ation du nouveau roi d'Aragon, Alphonse IJI, avait »*»®-
lé de soumettre les îles de Majorque et dTvice. Re-
enu ensuite dans ses états pour régler les affaires de
administration aux corts de Saragosse, il reprit les
rmes pour s^opposer aux Navarrais et aux Roussil-
Dnnais qui faisaient quelques progrès sur les (ron*
[ères de ses états.
Jaynie aurait désiré de tenter im coup de main sur las?.
lie de Majorque dont Alphonse , son neveu, s'était
^ Philippe mourut à Perpignan le 5 octobre: voici ce (pie Muntaner
il des cbdèques qui lui furent faites dans cette ville. • Le roi de Ma-
jorque garda pendant huit jours, à ses frais, le roi de France (Phi-
lippe le Bel] avec le corps de son père et son frère; et chaque jour
la procession sortait pour aller faire des absoutes qui avaient lieu
et de jour et de nuit; et le roi de Majorque fit brûler mille grands
brandons de cire à ses dépens pendant le temps que ces princes
' forent dans ses terres; si bien qu il fit tant d'honneur au corps du roi
tde France, à ses enfants et à tous ceux qui étaient avec eux, ainsi
K qa^au cardinal, que la maison de France et celle de Rome lui en de-
K Traient conserver une éternelle reconnaissance. » Quand au moyen de
Tébollition on eut séparé les chairs du cadavre, des os, on enterra les
premières à Narbonne, et on emporta les ossements à Saint-Denis.
Miit. gin. de Lang.
182 LIVRE DEUXIÈME.
rendu maître , et c est ce qui convenait le mieux à ses
intérêts; mais il n était pas libre d's^ir suivant sa vo-
lonté. Condamné par sa position à ne pouvoir nea.
faire par lui-même, il fut obligé de se jeter en Am —
pourdan , parce que le roi de France , dont les troupe^^
formaient la meilleure partie de son armée, très-
faible encore malgré ce secours, voulait se venge
des ravages que Lauria avait exercés sur la cote d.
Languedoc. Jayme obtint quelques légers avant
pendant qu*Âlphonse était occupé sur les firontièr^^^^
de la Navarre; mais au retour de ce piînce, Jaym e,
qui faisait le siège de Gastelnou , dut repasser les I^^sy.
rénées, poursuivi par le roi d*Âragon jusqu'aux li-
mites des deux états. Une trêve d un an signée au m ^m'ir
de juillet entre la France et T Aragon n'ayant pu
amener la paix, les hostilités furent reprises en i afl&-88.
13.S9. Jayme fit encore une irruption en Catalogne en
1289; i^^î^f ^^op fsiible pour résister aux forces^^sde
TAragon , il leva le siège de Cortavignon à Tappro^ -cbe
de son neveu et rentra en Roussillon. Le résulta^^^lde
cette insignifiante expédition fut dattirer les {^^ylus
grands désastres sur une partie de ses états. Ces - ra-
vages furent tels, de la part des Aragonnais, c^^qu'i
Texception des environs de Puycerda, de Belver.^.. de
Lîvia et de Dalo, toute la Cerdagne, le Capcir r — 't Je
Confient jusqu'à Villefranche , ne furent qu'un im-
mense incendie : « Jamais, dit lanonyme de RipolHK, on
n avait ouï parler dans nos contrées d\me si gra^-iîrfe
CHAPITRE TROISIÈME. 183
Jévastation dans les blés et dans les autres objets ^ »
\près cette exécution militaii^e , Tarmée aragonnaise
narcha sur RipoU que le jeu des machines de guerre
îut bientôt forcé de se rendre. De son côté , Jayme
/'oulut faire une tentative sur Ribes, mais il ne fut
3as plus heureux dans cette expédition que dans les
3récédentes.
Pendant que le comte de Pallas suivait le parti du
"oi d*Âragon, dont il était feudataire, le frère de ce
x>mte , Raymond-Roger , engagé dans celui du roi de
^lajorque, avait été jusque-là un des plus fermes
ippiiisde ce prince. Ce Raymond-Roger ayant, cette
uinée 1289, fait sa paix particulière avec le roi d'A-
ragon qui ladmit dans ses bonnes grâces, Jayme,
courroucé de son abandon, le traita de traître et l'en-
voya défier en combat singulier, lui et le roi son ne-
veu, offrant de se battre contre eux, à Bordeaux, en
la puissance du roi d'Angleterre. Alphonse répondit
à ce cartel qu'il ne se battrait pas contre le roi de
Majorque à cause de Raymond -Roger, ou pom^ de
prétendus propos offensants à la personne de ce roi
qui auraient été tenus entre lui et ce seigneur comme
le croyait Jayme; mais qu'il accepterait le combat
pour soutenir que c'était lui, roi de Majorque, qui
était le traître, puisqu'il avait manqué à sa parole et
aux devoirs que lui imposait son vasselage envers son
père ; que quant au choix de Bordeaux, pour le lieu
^ Geda com, Barch. apad Marca hisf).
184 LIVRE DEUXIÈME,
du combat, Jayine, en cela, faisait asses voir qu'A
n'avait pas envie de s y rendre , puisqu'il savait très-
bien que cette ville ne pouvait pas lui ofiFiir plus de
sûreté à lui qu'elle n'en avait offert au roî son père,
lorsqu'il avait dû se battre avec le duc d'Anjou; que,
pour la désignation du lieu où pourrait se tenir le
champ-clos entre les deux rois l'un contre l'autre , et
entre Raymond-Roger et quelque riche homme de
même condition que lui, il s'en rapportait au roi
d'Angleterre qu'il acceptait pour juge. Cette provo-
cation n'eut pas d'autre suite, sans doute parce que
le roi d'Angleterre eut encore la sagesse de ne pas
autoriser le combat en sa présence ou dans ses
états.
La donation de la couronne d'Aragon au prince
Charles de France n'était pas révoquée, et le pape,
Nicolas IV, successeur de Martin , donateur de cette
couronne, tenait à ce que cet acte de la toute-puis-
sance pontificale sur les rois eût son effet. Le roi de
France se trouvait donc avec deux royaumes à con-
quérir : celui d*Aragon pour son frère, et celui de Si-
cile pour son cousin, le prince de Saleme, héritier
du duc d'Anjou, à qui le pape l'avait aussi donné, et
qui, fait prisonnier par Lauria, était captif en Aragon.
L'excommunication que Martin avait lancée jadis
contre le défunt Pèdre III avait été étendue par Ni-
colas à la reine Constance, veuve de ce prince, et à
ses deux enfants, Mphonse, roi d'Aragon, et Jayme,
CHAPITRE TRQISIÈME. 185
qui portait le titre de roi de Sicile en vertu du legs
que son père lui avait fait de cette couronne; mais
l'abus de ces excommunications en avait tellement
émoussé la pointe que les peuples d'Aragon , devenus
insensibles par lliabitude, en avaient pris depuis long-
temps leur parti. Le roi de France, pressé de re-
tourner en Roussillon, témoignait une grande répu-
gnance à recommencer une expédition si malheureuse,
et les grands comme les peuples avaient également be-
soin de repos. D'autre part, le prince de Saleme, qui,
cx>ndamné à mort en Sicile, en représailles de Tassas- "90-
sinat juridique de Conradin , avait reçu la vie de la
£;énérosité de la reine d'Aragon et de ses enfants , s'en-
xiuyait de sa captivité et voulait à tout prix en être dé-
livré. Dans cet état de choses le pape, ne pouvant
plus se refuser è prêter les mains à im arrangement
réclamé par toutes les parties, des plénipotentiaires
se réunirent en février 1290 à Perpignan. Les con-
férences ne purent rien produire d'abord, et il fallut
en venir à de nouvelles démonstrations hostiles;
mais les négociations fiu^ent reprises en mars , à Ta-
rascon, et un traité de paix générale fut enfin conclu.
Par ce traité le roi d'Aragon s'obligeait à satisfaire au
saint siège, et à jurer, entre les mains du pape lui-
même, obéissance à ses commandements; et le pon-
tife se donnait le mérite de lui laisser un sceptre qu'il
n'avait pu lui arracher. Le seul roi de Majorque, vé-
ritablement/r^fc roseau, entre les deux grandes puis-
319*-
186 LIVRE DEUXIÈME.
sances que son intérêt aurait dû le porter à ménager
également, éprouvait combien il en coûte de se laisser
maîtriser par le ressentiment. Condamné par le roi
d*Aragon , et ne pouvant plus être défendu par celui
de France , il ne fut pas compris dans le traité de
paix et réintégré par conséquent dans la possession
du titre de sa couronne; il fut arrêté au contraire
que le royaume de Majorque resterait sous la puis-
sance du roi d\\ragon qui serait tenu d*indemniser le
fils aine de Jayme de la perte du trône de son père ^
Quant au royaume de Sicile, cause première et im-
médiate de toutes ces guerres, comme le pape en
avait lui-même couronné roi le prince de Saleme
après que celui-ci, pour sortir de sa prison, eut re-
noncé par serment à cette couronne , et que cette cé-
rémonie du couronnement par le pontife, en rele-
vant le prince parjure de son serment était censée
consacrer irrévocablement sa légitimité» Alphonse
promettait , non seulement d'user de tous ses moyens
pour (aire abandonner File par les seigneurs.de ses
états qui s y trouvaient en les menaçant de la perte
de leurs domaines d'Aragon , mais encore d'aller, au
besoin, aider le pape et le roi de France à forcer les
Siciliens de rentrer sous Tobéissance de Charles II.
C'était donc le roi dVVragon qui faisait lui-même l'a-
bandon des droits que sa famille avait au trône de Si-
cile; mais ce prince voulait en fmir avec ses
• Ziirita, hv. IV, chap. c\x.
CHAPITRE TROISIÈME. 187
et avec Tégiise, et pour s'assurer la paisible jouis-
sance de la couronne d'Aragon , il ne craignait pas de
compromettre la sûreté de sa mère et de ses frères
qui pouvaient être victimes du désespoir des Sici-
liens, ainsi trahis par ceux en faveur de qui ils s'é-
taient révoltés.
Un article du traité de paix avait r^é que les rois
d'Aragon et de Sicile, afin de mieux cimenter entre
eux la bonne harmonie, auraient une entrevue sur
^es frontières du Roussillon. Cette entrevue eut lieu
au haut de la colline qui domine les cols de Panissas
et du Pertus, et qu'on nommait alors le Puy de l'ata-
keya (de la tour), aujourd'hui colline de Bellegarde,
où se trouvaient les restes de la tour des trophées de
Pompée. Chacun des deux rqis s'y rendit le 7 avril,
i neuf heures du matin, accompagné de douze che-
valiers armés de leur seule épée, et de six autres
personnes choisies, tant parmi les prélats et les gens
d'église que parmi les docteurs laïques. Dix cheva-
liers avaient été postés, de part et d'autre, sur le
sommet des montagnes voisines, afin de s'assurer
que pendant la conférence il ne viendrait des gens
armés d'aucun côté : les chevaliers de France sur-
veillaient les avenues du côté de la Catalogne, et ceux
d'Aragon les avenues du côté du Roussillon. Dans
cette entrevue, le roi de Sicile sollicita la grâce du
roi de Majorque présent à la conférence; mais Al-
phonse s'excusa de l'accorder, sous le prétexte qu'il ne
roi d'Angoa.
188 LIVRE DEUXIÈME.
pouvait rien décider à cet égard sans la participation
des corts de son royaume.
J«yni«n. Alphonse mourut inopinément le 18 juin de cette
même année à Fâge de vingt-sept ans. Cette fin si
imprévue jeta la consternation parmi les peuples dont
elle pouvait compromettre de nouveau le repos. Ce
prince mourant sans postérité, la couronne d'Aragon
passait sur la tête du second fils de la veuve de
Pèdre III, ce même Jayme à qui on venait d'enlever
le trône de Sicile. Cependant les craintes qu'on avait
conçues furent bientôt dissipées ; tout le courroux de
Jayme II s'évanouit sous la pourpre royale, et ce
prince ne tarda pas à devenir lui-même un des plus
zélés soutiens de ce roi Charles II à qui on l'avait sa-
crifié. La guerre continua en Sicile, où, par haine
des Français, les Siciliens restés fidèles au sang des
rois qu ils s'étaient donnés mirent la couronne sur la
tête de Frédéric, frère cadet de Jayme. Ainsi, par un
de ces effets de la Providence qui déjouent toutes les
combinaisons humaines, la couronne de Sicile ne put
s'ajuster sur la tôle des princes français, nonobstant
les investitures que leur en donnèrent différents papes,
dans toute la plénitude de leur puissance apostohque,
et nonol)stant les anathèmes fulminés contre leurs ri-
vaux , et cette couronne resta dans la maison d'Ara-
gon, malgré la double renonciation qu'en furent deux
rois de celte maison , cl malgré la bassesse qu'eut le
dernier de ces deux rois d'accepter du pape Boni-
CHAPITRE TROISIÈME. 189
face Vin le titre de gonfalonnîer et d*amiral de l'é-
glise , contre son frère et sa mère , que la nature et le
bon droit lui commandaient de protéger.
Le traité d'alliance contre nature entre Jayme, roi "9*
d'Aragon, et Charles, roi de Sicile, avait été signé
dans une conférence qu'eurent ces deux princes, le
ik novembre itig^. Dans cette conférence le pape,
qui considérait la dépossession du trône du roi de
Majorque comme injuste , par la raison qu*à ses yeux,
dans la conduite déloyale que Jayme avait tenue à l'é-
gard de son frère , il n'avait fait qu'obéir aux ordres
du saint siège , qui avait absous et dégagé de tout de-
voir de fidélité envers le roi don Pèdre tous les vas-
saux et les sujets de sa couronne, fit renouveler par
son légat ses sollicitations en faveur de ce prince , et
ces sollicitations , fortement appuyées par les rois de
France et de Sicile , déterminèrent Jayme d'Aragon à
lui rendre son royaume en séquestre depuis quatre
ans. La restitution en aurait eu lieu immédiatement
si Jayme de Majorque ne l'avait encore fait ajourner
par son imprudence.
Avant de reprendre les rênes de ses états Jayme ,,35.
crut devoir au principe d'indépendance de sa cou-
ronne, de protester, dans un acte reçu le 1 o des ca-
lendes de septembre isgS par Michel Roland, no-
taire de Perpignan , contre la violence que lui avait
feite Pèdre, son fi^ère, quand il força à devenir vassal
de l'Aragon le royaume de Majorque institué libre et
190 LIVRE DEUXIÈME.
indépendant par leur père , contre tous les actes qui
s'en étaient suivis et contre le nouvd hooimage au-
quel il était encore contraint pour la restitution de ses
états \ Le secret sur cette protestation, si elle était
clandestine comme Tavance Vaissette, ne fiit pas si
bien gardé qu*il ne vint à la connaissance du roi d'A-
ragon , et c est là sans doute le véritable motif qui
porta ce prince à retenir pendant quatre ans encore
les états de Jayme. Enfin, sur les nouvelles instances
du roi de France , qui avait chargé de sa médiation
Pierre de la Capelle, évêque de Garcassonne, la re*
mise en fut faite définitivement en 1 2 98 à la suite
d'im traité signé par lés deux rois à Argelès le 219 juin
de cette année ^. Nous ne doutons pas que ce ne soit
encore par sorte de nouvelle forme de protestation ,
que te U des calendes d octobre 1^99 Jayme de Ma-
jorque fit , de concert avec le comte de Rhodes , tious
ignorons k quel titre de la part de celui-ci, présenter
à Raymond, évêqiic d'Elne, et publier en sa présence
le testament ou acte de partage des états de Jayme
le Conquérant, instituant le royaume de Majorque
libre de toute sujétion envers celui d'Aragon ^.
,,99. L'action politique du royaume de Majorque, sus-
pendue pendant huit ans, recommença donc à la fin
' Proteslatio Jacobi, régis Majoricarum. Apud Maiiene, Thés. anecdoL
tom. I.
* Ibidem.
* Dacherii Spicilrcj. loni. ÏII.
CHAPITRE TROISIÈME. 191
de Tannée 1 298. Jayme de Majorque avait fait Thom-
mage au roi d'Aragon à Argelès même , et les alliances
anciennes avaient été renouvelées aux mêmes condi-
tions que celles qui avaient été imposées jadis par
Pèdre III; comme sous ce prince Jayme fut person-
nellement aflranchi de Tobligation de se rendre aux
corts de Catalogne : le roi de Majorque se trouva
donc dans la même position où son frère l'avait placé,
avec cette différence pourtant qu'à cette première
époque Jayme était fondé à ressentir le plus juste cha-
grin de la perte de son indépendance , tandis qu'au-
jourd'hui il devait s'estimer heureux de recouvrer
son trône avec ses servitudes.
Jayme, premier roi de Majorque pour la partie ,311.
continentale de ce royaume , moiu^ut le 2 8 mai 1 3 1 1 .
Bon et juste, ce prince laissa une réputation qu'ont
respectée tous les historiens. Le seul reproche qu'il
ait encouru, dans les trente-cinq années qu'il occupa
le trône, et ce reproche est très-grave à nos yeux<
c'est d'avoir compromis l'existence de son royaume
par son impolitique coalition avec le roi de France.
Ses intérêts étaient de l'autre côté des Pyrénées , quoi
qu'en aient dit les historiens de Languedoc pour le
justifier. En faisant céder à son ressentiment contre
son frère les devoirs que lui imposaient sa position ,
les liens du sang et les obligations qu'il avait con-
tractées envers son suzerain , toutes forcées qu'elles
étaient, il s'exposa à perdre pour toujours sa cou-
192 LIVRE DEUXIÈME.
ronne mal affermie, et contribua par là aux malheurs
qui affligèrent son peuple dans le cours de la guerre
injuste des Français. Il était hoi^s d*état, il est vrai,
d'opposer une résistance efiicacc à la multitude guer-
rière qui accompagnait Philippe le Hardi; mais dans
ce cas, et au mépris du prétexte sacré dont il pouvait
couvrir sa félonie , il devait subir la loi de la néces-
sité et rester tout au moins neutre de sa personne ,
au lieu de former une alliance que repoussaient la
droiture et la justice , non moins que les liens du sang
et Tintérêt réel de ses sujets. Ceux-ci n'auraient pas
souffert plus qu ils ne souffrirent de la présence des ^^ j
Français, qui, ainsi qu'on la vu, les traitèrent moins ^a^ <
en alliés quen ennemis; et véritablement les affec es-
tions des Roussillonnais, placés entre les Catalans
les Français, étaient toutes pour les premiers. En
rachant donc de l'histoire de Jayme cette page pewLjr^u
glorieuse à sa mémoire, le reste de sa vie ne montre^^^^
plus quun roi dont la douceur et le caractère hu — -^-
main et bienfaisant s'attachèrent à rendre son peuples Je
heureux.
Nous allons examiner maintenant quelques-uns de^s-*^^
actes de son administration dont il ne nous a pas ét&^ — ^
possible de nous occuper dans le cours de son règne. '^^*
Chacune des portions dont se composait le royaum<
de Majorque se trouvant régie par ses coutumes
ticulières ou par les constitutions générales de Cata
logne, Jaymc eut peu à faire comme législateur; Scr H
^e
CHAPITRE TROISIÈME. 193
l'eut guère à s'occuper que d'ordonnances r^emen-
aires pour le maintien de la police ou pour des in-
érets de simple locdité. C'est ainsi- que, complé-
ant ce que son aïeul et Alphonse II avaient &it pour
^établir l'ordre en Roussillon, il avait, n'étant encore
p'infant, rendu les viUes et villages de ses futurs
^tats responsables des vols, incendies et autres crimes
^nunis clandestinement sur leur territoire dans l'é-
endue d'un certain rayon , tant par mer que par terre,
es obligeant d'en payer la valeur, si c'était vol ou in-
»ndie , ou la somme k laquelle le crime était sus-
^ptible d'être composé, s'il était d'une autre espèce :
^'était le moyen le plus sûr d'éveiller la sollicitude
les habitants et la surveillance des magistrats. Pour
kvoriser la vente du vin du Roussillon et du terroir
le Perpignan en particidier, Jayme établit un système
prohibitif dans un double rayon : nul étranger n'en
pouvait introduire en Roussillon ni en Confient , et
nul habitant de ces comtés n'en pouvait introduire
lans Perpignan, tout vin à vendre dans cette ville dé-
liant y être fabriqué intra mnros; il leur était permis
cependant de faire entrer dans la ville les vendanges
de quelque lieu que ce fut pour y être vinifiées. La
raison de cette différence était le droit que le roi per-
cevait sur ]a vinification.
Parmi les autres édits de ce prince, on en trouve
vn, du i" septembre 1 288, par lequel il s'efforce de
rassurer les marchands qui fréquentaient les foires
I. i3
\
m LIVRE DEUXIÈME,
de Perpignan et qii*effiray aient , soit lee eiactnro, usk
le danger des routes. Le prince veut, dit-i, qfae toute
personne qui y viendra puisse y rester et i*en fe-
tourner sauve et en toute sécurité , avec tous ses effets
et marchandises ^ H défend de contracter en toute
autre monnaie que celle de Barcelone , et détermine
le rapport du tournois d'argent de France avec le d
nier de Barcelone; ce rapport est de seixe déni
pour ]a valeur du tournois , et de douze tommois
la valeur d'un florin d'or. A la suite de cet édit, )
bailli royal fit publier une ordonnance par laquelle
est enjoint aux marchands détaillants , à qui on
acheté pour la valeiu* de huit deniers et à qui on
sentera en payement un tournois d'argent, d'uvoir i
rendre le surplus k l'acheteur, jusqu'à c(»iciirrmc=:3e
des seize deniers , valeur du tournois ; mais m Fnnh m
ne s'élève pas à cette somme de huit deniers, fael^t^^
teur aura à s'arranger avec lui comme pour totifcr^e
autre dette.
Un autre édit du 18 avril i^gti prouve que Is
manie de se ruiner pour chercher la pierre philoap-^
phale avait pénétré en Roussillon. Jayme défende: i
toute personne d'essayer de faire de l'or par olâiyTwrwie
ou autrement , sous peine d'être considéré comnie
faux monnayour^. Ce prince créa tout ce qui devait
concourir à l'administration de son royaume, rftgJa
' Liber ordinal, ex archiv. municip.
• Liber vind. minor. in archti). municip.
CHAPITRE TROISIÈME. 195
s devoirs de chacun et fixa la manière de procéder
uEls Tarrentenitent de» biens du domaine royal.
Jayme avait eu avec Gaston, comte de Foix, son
nreu , qudques discussions au sujet de leurs juri-
ction» respectives sur la Cerdagne et le Capcir
une part, et d'autre part sur le Savartès et le Do-
aan ; mais ces différends se terminèrent le 1 5 juillet
ioU par un arbitrage laissé au jugement de Pierre
! Fenouillet et du vicomte de Narbonne. Ce dernier
ait venu à Perpignan pour s'entendre avec le roi de
iajorque sur quelques difEicultés accompagnées de
lies de £atit qui s étaient levées à la frontière au
Jet de la leude payaUe par les sujets n^jorquins à
iichevèque de Narboime et à ce vicomte. Ces deux
biftres avaient déjà été appelés à signer aussi conune
moins dans le don que le roi de Majorque avait fait,
t mois de juin de cette même année 1 3o/i» au pro-
ireur du comte de Foix, du château de Lez, dans la
[comté de Castelbon : l'investiture en fut faite dans
: chambre royale du château de Perpignan par un
tpuchon que le roi Jayme mit sur la tête de ce pro-
ureur^
Les difficultés qui existaient entre les rois de France
fli» Majorque au sujet de Montpellier et du château
le Lates, et qui n'avaient pu être conciliées dans
'entrevue que ces deux princes et le roi d'Aragon
I valent eue à Toulouse , l'avaient été un peu plus tard
' Hiit. gèn. de Long, tom. IV.
i3.
>
196 LIVRE DEUXIÈME,
dans une autre entrevue que Philippe le Hardi et
Jayme avaient eue au lieu de Palairac en iiSS.
Jay me reconnut , par acte du 1 8 août , que Montpel-
lier, le château de Lates, Omeillas et généralement,
tout ce qu'avait possédé Guillaume de MontpeUier, ,^^ -
appartenait au royaume de France et à la mouvanccg,^^
de réglise de Maguelonne, et en i3o5 intervint
nouveau traité entre ce prince et Philippe le Bel,
la possession en commun et en pariage, de cette mêm^,
ville de Montpellier et du château de Lates.
Pendant le règne de Jayme I* les rois d*Ârago^^n
rendirent, dans les corts de Catalogne, diverses
donnances qui étaient également applicables au
1189. sillon. L'une de ces ordonnances assujettissait to' ut
médecin et chirurgien à un examen préalable aVa^— nt
de pouvoir être admis à la pratique de son art; mètÊ^mae
disposition pour les avocats et les notaires. Une
ordonnance, non moins importante pour la police
la navigation, prescrit que toutes les fois que desc»
saires aborderaient avec des prises dans l'un des po- :^t^
des royaumes d'Aragon ou de Majorcjue, on les ^cdé-
tiendrait jusqu'à ce qu'on eût acquis la certitude c^tj^
ces prises avaient été faites loyalement et de borm^ne
guerre. Au cas contraire, ou si les navires captiK-vés
provenaient de nations avec lesquelles Aragon et ^4a-
jorque étaient en paix, les bâtiments capturés devaient
être restitués à ieuis propriétaires.
Une vente d'esclaves maures, que nous trouvons
CHAPITRE TROISIÈME. 197
àite à Perpignan en 1297, ^^^^ amène à parier de
;ette classe de captifs. Comme les esclaves chrétiens
>u ser£s, les Maures pris à la guerre étaient vendus
lubliquement sur les tables du marché par ceux qui
Lvaient le privilège de tenir ces tables. Le prix se dé-
battait de gré à gré, et le vendeur devait affirmer et
e rendre garant que lliomme-marchandise qu'il ex-
K)sait en vente provenait de bonne guerre , et n*avait
tté pris ni par embûches ni par fraude : dans ce cas ,
'esclave aurait été remis en liberté.
Pour pouvoir distinguer les esclaves maures des
ier£s chrétiens y qui les uns et les autres devaient porter
es cheveux courts, Jayme II, par édit rendu aux
x>rts de Barcelone de 1291, assujettit les premiers
i tailler ces cheveux en cercle autour de la tête, sous .
[>eine de cinq sous d'amende ou dix coups de fouet.
D après les constitutions de Catalogne , les méfaits
envers les esclaves maures étaient amendés comme
l'esclave à patron, et leur mort, suivant la valeur de
i'esdbve , à raison des talents dont il était doué. C*est
k raison de ces talents, qu'en achetant ces esclaves
on prenait toutes les sûretés possibles pour garantir
hoa acquisition, et qu'on ne négligeait aucune pré-
caution pour la rendre vahde. Un contrat de vente
de ce genre nous montre que l'épilepsie et l'inconti-
nence d'urine étaient des cas rédhîbitoires ^
Les esclaves maures avaient un pécule sur leurs
' Voyez aux preuves n" XV.
198 LIVRE DEUXIÈME.
travaux, cl c'est sur ce pécule qu'ils deraient payei
les amendes et les frais auxquels ils pouvaioit
condamnés, pour fuite, pour évasion ou pour tout
autre délit. Dans le cas d'évasion, l'amende était
portionnée k la longueur de la distance parcourue
l'esdave depuis le point de départ jusqu'à celui o& £9^ fl
avait été arrêté. Pour l'esdave fugitif de ia
logne, si l'arrestation avait lieu avant qu'il eût
versé le Lobregat, il était tenu de payer à son mail
un mancus d'or qui était la septième partie d'une
Du passage du Lobregat jusqu'à Francolin la peiirme
était de trois jnancns et demi; après Francolin,
même peine était d'une once d'or, outre le prix d c«
fers et du vestiaire qui étaient toujours à la chai]ge ^Hde
l'esclave. Pour le Roussillon, outre les amendes
portionnelles, il y avait encore les frais d'airestatii
que nous trouvons tarifés dans le style de la cour i^du
vîguier, frais qui se payaient également de
côté des Pyrénées , mais dont le taux n*est pas 6
connaissance. Si Tcsclave fugitif était arrêté dans Je
ressort des viguerics de Roussillon ou de VaUespir -^ 3
devait être remis au viguier, qui le retenait jusqu'à ^
que son maître eût payé le droit des eaux, c'est-à-d ire
un morabotin pour Veau à la glace par chaque lieue j^- ^^
courue par Tesclave depuis son point de départ j
qu'à celui de son arrestation ^
* Lo drcl de les aygues, ço-es, hun inoraboti pcr ayga neval, «^'■"p"
tant del loch ont son fugits al loch ont son trobats. Stil de la cori deE wy*
CHAPITRE TROISIÈME. 199
Là sortie des esclaves maures de Roussilion pour
France était prohibée, et des aïoendes très -fortes
étaient j^noncéies contre ceux qui se seraient livrés
ï ce genre de contrebande. Ceux de ces mêmes e»-
elaves qui avaient encouru la peine de mort, pour im
orime quelconque , étaient brûlés* Ce supplice , poiu*
i^ux de Perpignan, avait lieu au milieu de la grève
de la Tet. Gomme ces sortes d^esdaves étaient tou-
jours d'une assez grande valeur, ce n'était que rare-
umafL et pour des crimes bien énormes qu'on exécu-
tait à leur égard la sentenoe de mort Dans tout autre
cas, le bailli royal arrêtait cette exécution en con-
fisquant le suppUciable au profit du fisc : nous avons
pour preuve , en ce genre, un événement qui se passa
k Perpignan au xiii* siècle. Le baiUi ayant arraché au
bûcher un nommé Âli, le maître de cet esdave le
réclama comme sa propriété. Sur l'audition des parties
et des témoins la cour du domaine rendit le jugement
suivant : « Attendu qu'il conste évîd^oiment que ledit
«S^rasin, du npm d'Ali, esclave de Jean Redon,
t marchand de Perpignan , a été condamné à la mort
« cwporelle , c'est-à-dire à être brûlé corporellement
«à cause de ses fautes [propter démentis) ^ et qu'il
«conste qu'à raison de cette condamination ledit es-
u dave a été placé par ladite cour royale dans le lieu
« de la grève oà on a coutume de brûler ces sortes de
igens; qu'il conste que ledit esclave a été relevé ou
( libéré de cette condamnation par le bailli de la ville
200 LIVRE DEUXIÈME.
«de Perpignan sans aucune solennité de droit, et
c( qu'ainsi il est devenu esclave du fisc ; à ces causes
«nous prononçons, soutenons, déclarons par la pré-
« sente sentence que ledit esclave, à raison de cette
«libération, a été et est esclave de ce même fisc, et
«par conséquent du domaine de notre sérénissime
«seigneur, le roi d'Aragon, auquel domaine nous
«agrégeons et prononçons être agrégé par le fait
« même ce dit esclave \ »
Une autre anecdote que nous trouvons sous l'aimée
1296 nous parait mériter d'être mentionnée, parce
qu'elle montre l'état de liberté dont jouissaient à cette
époque les populations af&anchies de leur état de ser-
vitude. Les habitants du Vemet avaient été constitués
en communauté par le monastère de Saint-Martin du
Canigou dont ils étaient serfs dès l'an isi^i ^. E^
1296 l'abbé de ce monastère, ayant donné un festin
splendide au roi Jayme et trouvant ensuite que la dé-
pense qu'il avait faite était très -considérable, voulut
en faire supporter une partie à la population dont il
restait toujours seigneur. Sur le refus que ceile-ci fit
d'y concomir, l'abbé fit saisir par son bailli divers im-
meubles des habitants du Vemet. Le U des nones de
décembre la communauté fit présenter à l'abbé par
* Arck. dom.
* Nous avons parlé , dans l'introduction , de Tacte de cet aflBranchis-
sement que nous avons lu et qui a été depuis soustrait des archives de
la préfecture des Pyrénées-Orientales.
CHAPITRE TROISIÈME. 201
ses procureurs une requête tendante k obtenir que
toutes ces saisies fussent relâchées , dédarant que si
le festin avait été contraint et forcé , la communauté
les habitants ne refuserait pas d'en supporter une
partie de la dépense ; mais que puisqu'il avait été vo-
lontairement offert par l'abbé au roi, qui l'avait ac-
cepté pour faire honneur au monastère, les habitants
le devaient contribuer en rien aux firais qu'il avait
occasionnés; ils menacent de s'adresser à qui de droit
pour obtenir justice si les saisies ne sont pas res-
tituées^.
Une . rixe violente s'éleva cinq ans plus tard dans
se mêjne monastère du Canigou entre les moines»
livisés en deux pards, soutenus par des laïques; la
sause de cette rixe fut une accusation de simonie portée
contre l'abbé avec complot pour lui refuser l'obéis-
lance. Une bataille à coups de poings ayant eu lieu ',
à la suite de cette rixe des censures furent lancées
contre les dissidents. Le pape Boniface VIII fît in-
former sur ce scandale; les laïques furent renvoyés
devant leur évêque poiu* les peines qu'ils avaient en-
courues, et les religieux fiirent suspendus de leurs
ordres pendant un temps plus ou moins long suivant
leur degré de culpabilité.
Sous les dernières années du règne de Jayme I*
* Voyez aux preuves n* XVI.
* L'acte d'absolution des religieux s'exprime en ces termes : Propier
^iolentam manuam injectionem in se ipsos religiosos. Ârch. écoles.
202 LIVRE DEUXIÈME.
avaient commencé, contre les templiers, les perse-
entions dont son successeur vit la catastrophe. Get.:^r^d
ordre , qui s était établi en Catalogne dès Tan 1119
en Roussillon neuf ans après, avait acquis dans
dernier pays des richesses immenses par 1«8 lâ»éra--.
lités dont le comblèrent à lenvi les comtes, les aei — ^^S^^j
gneuns et les simples propriétaires. Sa prinoipal^^Bi
mai; on, â laquelle on donnait le nom de MaisciK^^csi-
Dieu, MaS'Deu, et d! Hospice de la milice rifmTftfinfftïnii ^mu
da temple de Salomon, était déjà bâtie en 1 1 38 , ùa^b^^m
qu'il résulte de Tacte de donation des dîmes d^^^es
champs au milieu desquels eUe était fondée ^.
A répoque de Térection du royaume de MajorquiteLAe,
les templiers de Roussi]] on avaient élevé des prètec^sn-
(ions sur la juridiction entière des villes, lieux et
terres quelconques du Roussillon , Vallespir, Confli- ^t
et Cerdagne ^. Cette ridicule prétention, qu*3s fb^^-
daient siu* des privilèges de Jayme le Conquérant et
* Voici un extrait de Tacle d'où nous tirons ce fait : « Nos Guillclc^^tts
« de Villamolaca et OrgoUosa , uxor — donamus domino Deo et II «te
• Mariic et miliiise hierosolimitaux tenipli Salomonis et firatribos ânc^^Heni
< servicntibus praesentibus et fuUiris, ipsam decimani quam ego GotB^Biei-
«mus janidictas habebam et demandabam in ipso campo in (po est ~l<in
«sdificatus et constructus mansus supra dictas militiae bierosolimiSc^-iaiie
«qui appellatur a militibus, mansio dei, etc. Exarck, eccles,*
Les recbcrcbcs spéciales de M. P. Puigari lui ont fait conniStr^- que
cette construction date do Tan 1 1 33. Le 5 des nones d'octobre i i^^i k
seigneur de Banyuls-dels-Asprcs avait fait don, aux premien ieap^^iers,
d'une métairie au terroir de ce lieu. Puhlicat. du 23 mon iS33.
* Voyt'z aux preuves u* XV L
CHAPITRE TROISIÈME. 20S
de ses prédécesseurs , donna lieii à cette époque
k des contestations que vint tenniner une sentence
arbitrale rendue , le 6 des ides de décembre i n 7 1 ,
par GérsSd, abbé de Saint-Paul, de Naii>onne, et
Gau^eift de Voeonaco , abbé ée Saint-Félix , de Gi-
rcme , chargés par les parties de vider le différend.
Cette sentence réduisît les prétentions des templiers &
la juridiction des seuls lieux d'Odes, Saint-Hippolyte,
NjIb et Tierrats, san» vnême pouvoir ^connaître dans
oes qua^e villages des crimes entraînant la mort ci*
vile ou naturelle , ou la mutilation.
Les templiers n'avaient pas su garder, au mflieude
leur opulence , cette humilité ^t oes vertus chrétiennes
dont leurs vœux monastiques leur faisaient une loi,
et dont la pratique les avait mis d*abord en si grande
feeommandation. Devenus durs , fiers , orgueilleux et
bientôt redoutables, leurs vertus changées en vices
les précipitèrent vers leur mine.
Lorsque cet ordre, accusé de crimes imaginaires
parce q[u'on ne voulait pas articuler les véiilables , fiit
condamné par les conciles de Vienne ^ ses biens furent
1 Une première buUe de Clément V, inécUte, commençant ainsi,
Km; in esccelsô aadita est, expédiée du concile de Vienne (en Danphiné),
le 13 mars i3i s , abolit Tordre des templiers et fit {Procéder contre ses
Hembres. Non per modam diffinitivœ sententiœ, sed per modam prtmsiùnis,
lisait S. S.
Une autre bulie inédite du liième pape, donnée à Vienne le 6 mai
3i 3 , supposant Tordre des templiers éteint , ordonne à tous ceux des
itrovinces (les Français exceptés) de comparaître devant leurs métropo-
20a LIVRE DEUXIÈME,
donnés aux hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem \
qu'un acte de Tan 1 1 43 qualifie de camilana de Jern-
salent et de seniores de cavaUaria ^. Les possessions des
templiers dans les royaumes d*Âragon, de Majorque,
de Gastille et de Portugal furent seules exceptées de
cette loi commune , et cette réserve fut accordée aux
instances du roi d'Aragon, qui, dans Tintérêt de la
sûreté des frontières de son royaume, du côté des
Maures, demandait que ces biens fussent appliqués i
un ordre religieux de même nature pour combattre
les infidèles qui Tavoisinaient. Le pape Jean XXJQ ins-
titua en effet, en iSiy, ce nouvel ordre pour i'Âra-
g<Mi , et cet ordre fut un démembrement de celui de
Galatrava que possédait la Gastille. La forte place de:
Montesa, dans le royaume de Valence, ayant été as-
signée pour chef-lieu à cette milice, les chevaliers
la composèrent prirent le titre de chevaliers de Mon
tesa. La dotation de cet ordre se composa des bii
des templiers situés dans le royaume de Valence
lement, en y adjoignant ceux qu'y possédaient m
liiains respectifs, afin d'être jugés dans les conciles provinciaux, pi
s'ils sont coupables, et absous s'ils sont innocents; donnant pouvoir a'
dits conciles, en définitive, de leur assigner une portion congrue
les biens dudit ordre. Ex Ârch. retf. Barchin. Reg. templariorum, f<
33 et 35.
^ Ceci fut ordonné par une bulle du pape Jean XXII, donnée
Avignon le lo août 1317. Fr. Martin Ferez de Oros, châtelain dV
posta, fut chargé de recevoir les biens des templiers.
' Àrck. eccles.
CHAPITRE QUATRIÈME. 207
ets d'Aragon. Ce traité ayant été maintenu par
rme II, les Catalans et les Aragomiais qui se trôu-
iofit dans cette île , et que Frédéric, resté tOHJouis
en dépit de tout possesseur de la courcmne, île
avait plus entretenir avec la même magnificence,
:aient jetés sur des vaisseaux et faisaient la course
itre les bâtiments sartasii»', sains respecta:, à dé-
À de ceux-ci, les navires marchands des autres
dons. Ne connaissant , depuis lôngtempe , d'autre
isir que cehii de la vie licencieuse des camps , et
voulant pas ensevelir leur bouâlante activité dans
isive retraite de leurs terres natale», ils attendaient
^casion de reprendre leur métier favori, quand
Tuption des Turcs dans Tempire des Grecs viùt la
re naitre. Andronic les appela à son secours, et ne
da pas à s'en repentir : ils devinrent ses pkis dasi-
"eux ennemis. Après diverses vicissitudes et aprè»
3ir rempU de la terreur du nom catalan le vieux
ipûre d'Orient, ces Occidentaux, qu'on désignait
i» le n(»ii unique de Catalans, quoique ce fût un
tlange d'Âragonnai», de Catalans et de Roussîllon*
is marchant tous sous lem* bannière distincte, fuirent
pelés au secours d'Athènes par Gauthier de Briemïe
l en était duc. Gauthier n eut pas plus qu* Andronic
^'applaudir de ses hôtes. Bientôt forcé de prendre
armes contre eux , il périt dans la bataille avec les.
)t cents chevaliers qui l'accompagnaient. A cette
Dque les divisions intestines qui avaient échté
20d LIVRE DEUXIEME.
mm
CHAPITRE IV.
Let ûnrians en Grèce. -^ Sanche, roi de Mâjoiqas. -**- Dit
ficullés ayec le roi de France au sujet de MoQtpdlitrr-— el
avec le roi d*Aragon au sujet de rhommage. — Mort de
Sanche. — Difficultés à ravénement de Jayme II au trône.
— Révolte à Perpignan contre le régent. — Jayme II com-
merçant. — — Léproseries.
sueiM. L'aîné dee enfants de Jayme I** avait renoncé à aei
M*JoniM- j|.oits è la couronne pour embrasser Tétat mimas-
tique; le second, don Sanche, lui succéda.
Pendant que ce prince, dune humeur douce et
pacifique, s'étudiait à conserver k ses peuples une
tranquillité dont ils avaient un si pressant besoin, et
que, dans cet intérêt, si puissant dans le cœur d*unbon
roi , il ne faisait aucune difficulté de rendre au roi de
France rhommage pour les fiefs qu'il tenait de lui en
Languedoc, et au roi d'Aragon celui pour les états dé-
membrés de TAragon sans avoir recours à de vaines
protestations tacites, son second frère, don Femand,
parcourait la carrière la plus aventureuse au milieu
des hasards de la guerre au-devant desquels son na-
turel belliqueux lavait toujours précipité.
Par le traité conclu entre Alphonse III, roi d'Ara
gon , et le roi de Sicile de la maison de France, l
premier s'était obligé à faire vider la Sicile à tous 1
CHAPITRE QUATRIÈME. 207
sujets d'Aragon. Ce traité ayant été mnntenu par
Jayme H, les Catalans et les Aragonnais qui se trou*
iFaiofit dans cette île , et que Frédéric, resté toHJouvt
et en dépit de tout possesseur de la couiùnne, île
pouvait plus entretenir avec la même magnificence,
s'étaient jetés sur des vaisseaux et faisaient la course
contre les bâtiments sarifasins', sains respecta, à dé-
duit de ceuitci , les navires marchands des autres
nations. Ne connaissant, depuis lôngtempe, d'autre
plaisir que cehii de la vie licencieuse des camps , et
ne voulant pas ensevelir leur boaUlante activité dans
l'oisive retraite de leurs terres natale», ils attendaient
l'occasion de reprendre leur métier favori, quand
l'irruption des Turcs dans l'empire des Grecs vîM la
£âfe naitre. Andronie les appela à son secours , et ne
tarda pas à s'en r^entir : ils devinrent ses plus dasi-
^creiu ennemis. Après diverses vicissitudes et aprè»
avoir rempU de la terreur du nom catalan le vieu,
empire d'Orient, ces Occidentaux, qu'on désignait
sous le nom unique de Catalans, quoique ce fut un
Hiélaiige d'Aragcmnaia, de Catalans et de Roussillon*
nais marchant tous soua leur bannière distincte^ fuirent
appelés au secours d'Athènes par Gauthier de Briemïe
^i en était duc. Gauthier n'eut pas plus qu'Andronic
é s'applaudir de ses hôtes* Bientôt forcé de prendre
les arme» eonU*e eux , il périt dans la bataille avec leà
sept cents chevaliers qui l'accompagnaient. A cette
époque les divisions intestines qui avaient échté
208 LIVRE DEUXIEME.
parmi les che& des Catalans , ayant fait périr les uns
et forcé les autres de s* éloigner, il arriva un cas aussi
bizarre que singulier, c'est-à-dire que les vainqueurs
allèrent diercher un chef dans les rangs des vaincus :
sur les sept cents chevaliers qui accompagnaient 1^
duc d'Athènes dans la funeste bataille qu'il livra aux
Catalans , deux seuls avaient échappé à la mort, l'un
Italien, lautre RoussiUonnais. Sur le refus du premier,
le commandement de la horde catalane ayant été of-
fert au second, celui-ci, nommé Roger Desiau, l'ac-
cepta , et il régit le duché d'Athènes au nom du roi de
Sicile de la maison d'Aragon dont les Catalans ne ces-
sèrent jamais de reconnaître l'autorité.
Instruit des divisions qui désolaient l'armée cata-
lane, Frédéric avait cru pouvoir en réunir tous les
che& sous le commandement d'un prince de son
sang, et il avait envoyé à leur tète l'infant de Ma-
jorque, ce Femand, troisième fils de Jayme I*, que
Tamour de la guerre avait dès longtemps attiré en
Italie. Mais Femand, ne pouvant ramener à lui ceux
de ces chefs qu'un caractère indomptable et une ri-
valité d'ambition éloignaient de toute dépendance ,
reprit la route de l'Italie et tomba au pouvoir des
Français devant l'île de Négrepont par la trahison des
Vénitiens. Rendu ensuite à la liberté, il revint en
Roussiilon, d'où il repartit bientôt sur la nouvelle que
la guerre allait se rallumer au fond de l'Italie.
Sanche, second roi de Majorque, avait épousé em-
CHAPITRE QUATRIEME. 209
1 3o/i, à GoUioure, la princesse Marie, fille de Charles,
roi de Sicile ou plutôt de Naples , puisqu'il porta cette
couronne et n*eut jamais lautre. Ce prince eut d'a-
bord avec Philippe le Bel quelques difficultés au sujet
de Montpellier, dont le roi de France avait, en 1292,
acheté la propriété de 1 evêque de Maguelonne ; mais
ces difficultés s étant terminées à Tamiable, le nou-
veau roi de Majorque prêta Thommage au monarque
français, et bientôt après il reçut lui-même , dans Per-
pignan, celui du comte de Foix pour le Donezan et isis.
le Capcir, et pour ce qu'il possédait en Cerdagne. A
lavénement de Louis le Hutin à la couronne, de nou-
velles questions s' étant élevées sur la souveraineté de
cette même ville de Montpellier, que ce prince pré- ,3,5.
tendait posséder en entier, le roi de Majorque fut
cité devant le parlement de Paris. A cette nouvelle , le
roi d'Aragon, protecteur naturel du royaume de Ma-
jorque, au titre de sa suzeraineté, nomma pour aller
plaider les droits de son feudataire , don Guereau de
Rocaberti et don Lopez Martin de Rueda, qui étaient
à Girone quand parvint la nouvelle de la mort de
Louis. Le roi de Majorque, assigné de nouveau par
Philippe le Long , qui avait repris les prétentions de
Louis, partit de Perpignan pour Paris pendant que le ,3,-.
roi d'Aragon y envoyait lui-même don Ferrer de Vil-
iafranca, viguier de Barcelone, et don Sancbo San-
chez de Munos, juge de sa cour. Ces ambassadeurs
exposèrent au roi de France que Jayme le Conquérant
1. 1 f\
210 LIVHE DEUXIÈME,
et ses successeurs avaient possédé sans contestation la
moitié de la ville de Montpellier, dont la se^neune
était du domaine de rAragon , et que , bien qu'à raîiOD
de quelques services rendus par le roi de France &
Jayme I", roi de Majorque, le premier prétendit avoir
acquis des droits sur ce domaine , ces droits ne pou-
vaient dans aucun cas préjudicier à ceux que le roi
d*Aragon tenait de sa suzeraineté ^
Suivant les auteurs de T histoire de Languedoc, le
roi de France, par seul égard pour le pape, dont
Sanche en passant par Avignon avait reçu des lettres
de recommandation, se serait désisté de ses pour-
suites et des prétentions qu'il avait élevées : nous
n*hésitons pas à dire qu ils se trompent. En matière
de juridiction de certaine importance , jamais recom-
mandation, quelque puissante qu*on la suppose, n*a
fait abandonner des droits avérés. Si Philippe renonça
à ses prétentions, cest qu il fut forcé de se rendre à
révidence des raisons du roi d'Aragon. Le proete
entamé contre don Sanche à la cour du parlement
fut suspendu, et le roi de France envoya lui-même
des ambassadeurs à Perpignan pour terminer tous
les différends : c'eût été là pousser bien loin la con-
descendance pour la recomnjandation du pape si
celte recommandation seule avait décidé le roi de
France à transiger.
Le frère du roi de Majorque, don Femand, était
' Zurita.
CHAPITRE QUATRIÈME. 211
parti aux premiers bruits d'une nouvelle guerre en
Italie , et sacrifiant h l'amitié les liens de parenté qui
Tunissaient au roi de Naples , son beau-frère , il s'était
rendu auprès de son adversaire. En indemnité des
dépenses qu'il avait faites pour lever une troupe nom-
breuse de chevaliers de Majorque et de Rbussillon ,
Frédéric lui donna , à titre viager, la ville de Gatane
avec un revenu de deux mille onces d'or de rente
sur le trésor royal ^. Le mariage que ce prince con-
tracta deux ans après avec l'héritière de la princi-
pauté de Morée, occupée alors par le prince de Ta-
rente, frère du roi Robert, lui fournit l'occasion de
se livrer à ses goûts belliqueux par la nécessité d'aller
conquérir cet héritage. Pendant qu'il faisait ses pré-
paratifs, sa femme donna le jour, dans Gatane, à un
prince qui fiit Jayme II , dernier roi de Majorque :
cette naissance est du 5 avril i3i3. La princesse de
Morée ayant succombé peu de mois après sa déli-
vrance, Femand, qui ne voulait pas laisser son fils
en Sicile, chargea son ami, Raymond Muntaner, de
l'emporter à Perpignan. La relation que ce chevalier
dironiqueur nous a laissée de ce voyage est remar-
quable par les détails et curieuse par la connaissance
qu'elle nous donne des mœurs et du cérémonial de
cette époque^.
Femand se rendit maître de la Morée et épousa
en seconde noces la fille du roi de Ghypre dont il eut
» Ziirita. — * Voyei la note xvii.
i4.
1.
'SI
"i*^' i^ Foi». « "'^'^Aie p."»""* V,nW'« *"
«nd«"*'"l!„ae,^-.tl.e «ece^-t;:;*».*
»»'""' avant «•"^"rL.t \« ï^""',., »!«"»
de S«da*' ', .. .»-• 1„ a„ r» de *> ^^„.
CHAPITRE QUATRIÈME. 213
gageait à se méfier des conseils qiii tendaient à sa
mine, et Texhortait à se concilier la bienveillance
de don Jayme par une conduite franche et loyale ^.
Sanche , dont le caractère faible et pacifique redoutait
toute discussion, suivit Tavis qu'on lui donnait et fit
partir sur-le-champ pour Barcelone Guillaume de
€anet, Tun de ses principaux barons, et Nicolas de
Saint-Just, son trésorier, pour resserrer les liens de
bonne amitié avec le roi d'Aragon , lui offrir ses ser-
vices et répondre de sa présence aux eorts. Sur cette
assurance Jayme, au lieu de réunir les corts à Bar-
celone, les convoqua à Girone pour que son oncle,
qui était à Perpignan , eût moins de chemin à faire.
Sanche s'y rendit en effet et contribua de vingt-cinq
mille livres et de vingt galères à l'expédition de Sar-
daigne.
Sanche mourut sans postérité, le k septembre iz^k-
i3q&, à Formiguères, dans le Capcir, où il était allé
chercher un abri contre les chaleiu's de l'été. Son
corps fut rapporté à Perpignan et inhumé devant le
maître- autel de la vieille église de Saint-Jean. Son
fi^re aîné, l'infant don Philippe, qui avait renoncé
au trône pour embrasser les ordres sacrés et qui
mourut cardinal de Tournay, fut enterré par la suite
au coin gauche de ce même autel.
Le défimt roi de Majorque laissait après lui une
grande réputation de franchise et de justie : « Jamais ,
' Ziirita.
214 LIVRE DEUXIÈME.
« dit Muntaner, ce prince n eut en soi ni rancune ni
« colère contre son prochain; » or, cela ne veut^il pas
dire qu'il fut faible, pusillanime, et incapable de ja-
mais prendre une détermination vigoureuse? Cette
timidité lui faisait éviter avec grand soin toute occa-
sion de compromettre son repos , et il est plus que
douteux que si le conseil qu on lui avait donné de
résister au roi d'Aragon avait prévalu dans son esprit
il eût trouvé dans son caractère assez d'énei^ie et de
fermeté pour en poursuivre les moyens et en soutenir
l'exécution.
Parmi les actes du règne de ce prince , nous trou-
vons une pragmatique du 8 octobre i32i, par la-
quelle il ordonne que si un prélat, abbé, ecclésias-
tique, baron ou chevalier était délié ou défiait lui-
même quelqu'un, tout le temps que durerait la guerre
entre eux , ou pendant la trêve de six mois qu'il pou-
vait leur imposer de sa pleine puissance , il ne serait
pas permis aux vassaux de ces guerroyants d'élire ou
de transporter leur domicile à Perpignan , ou dans
tout autre lieu de ses domaines ou des pays étrangers.
Le but de cette mesure était sans doute de forcer les
vassaux à ne pas abandonner leurs seigneurs au mo-
ment où leur secours pouvait leur être nécessaire, e
à subir toutes les conséquences des agressions récj
proques de ces seigneurs à qui ils avaient promis a
sistance et fidélité.
L'ue lettre de levêque de Marseille, camerliiXf
«'««di^ X ^*-*'»«^ de Cant!' ^ ''*P'-«'<'
sen»^ ^^« «onée A R ^®»^o« était tenu W^
*«o>i>ie m.' "« «devait v n ?''''*'« ^« cour.
t*ône de M "'^^'^«"ant par «T! *
«"««»« devai, fl ™"'' »■""•' Parj^ r "*"
•^^ «P-ndanT^r ""^ <^' 4SI: Z """
«•"" Î..I devaiem la rfroj" ' ">^mt di.
216 LIVRE DEUXIÈME.
rien prononcer. Jayme, d après cet embarras, consi-
dérant ses droits comme suffisamment établis , fit oc-
cuper Perpignan et les autres places de Roussillon
et de Cerdagne par l'infant don Âlonze son fils,
Jayme II n*ayait pas encore dix ans quand il monta
sur le trône de Majorque. En voyant les troupes ara-
gonnaises envahir l'héritage de son pupille , le tuteur
de ce jeune roi, Tinfant don Philippe, frère aîné du
feu roi don Sanche, trésorier de l'église de Saint-
Martin de Tours , s'empressa de se rendre à Saragosse
pour défendre la cause de son neveu et plaider les
intérêts de sa couronne. Après de longues discus-
sions , ce prince prouva au roi d'Aragon que la subs-
titution sur laquelle il s'appuyait était au moins dou-
teuse , et il étaya les droits de son pupille d'un
argument qui devait être sans réplique auprès d'un
prince de bonne foi comme était le roi d'Aragon ; cet
argument était, que ce dernier ne pouvait invoquer
le bénéfice de la substitution prévue par le testament
de leur aïeul, puisqu'il s'était trouvé lui-même dans
une situation toute semblable à celle où était ac-
tuellement Jayme de Majorque. Eln effet, à la mort
d'Alphonse III, Jayme d'Aragon avait succédé à son
frère , quoique dans le temps on eût mis en question
si , en vertu de cette même substitution dont il récla-
mait maintenant le principe, ce n'était pas à Jayme I*
roi de Majorque, que la couronne d'Aragon devait
appartenir.
CHAPITRE QUATRIÈME. 217
La plaidoierie du tuteur du jeune Jayme avait fait
impression sur i'esprit de tous les lettrés et juriscon-
mltes les plus célèbi^es, dont s'était entouré le roi
i'Âragon ; leur suflrage se trouvant favorable à Jayme
le Majorque, Jayme d'Aragon abandonna ses préten-
ions, et un accord intervint le 2 4 septembre iSaS,
m an après que ce procès eut été entamé. Pour s'atta-
cher plus étroitement le roi de Majorque, celui d'Ara-
;on lui donna en mariage sa petite-fille , l'infante dona
Zonstance, fille de don Alonze. Les places de Rous-
iillon qui avaient reçu garnison aragonnaise furent
évacuées , et le roi de Majorque entra en pleine pos-
session d'un trône qu'il ne lui était pas donné de
Tansmettre à sa postérité : ce début fâcheux de son
règne semblait être le présage de la catastrophe qui
levait le terminer.
Après avoir rendu un service aussi important à la
couronne de Majorque, l'infant don Philippe devait
s'attendre à la reconnaissance des Perpignanais : il
n'en éprouva que de l'ingratitude : à son retour l'en-
trée de la ville lui fut interdite; la population en
irmes voulait l'expulser de la régence.
Les historiens ne disent pas quelles raisons avaient
porté , non pas seulement la ville de Perpignan , mais
es peuples des deux comtés à faire une si grave in-
ure au tuteur du jeune roi; Zuritaet Vaissette, qui,
chacun de son côté, entrent dans d'assez grands dé-
ails sur les faits de cette conjuration, nous laissent
218 LIVRE DEUXIÈME,
l'embarras d*en deriner la cause ; nous n'en pouvons
soupçonner qu'une , et voici à cet ^rd no» coigee*
tures. La crainte de la guerre dont le royaume de
Majorque était menacé par celui d'Aragon ayatl porté
sans doute ceux que don Philippe avait laissés k la
tête des affaires, en son absence, k conclure avec
Gaston de Foix, cousin du jeune roi, une Kgue en-
vers et contre tous, k l'exception du roi de France K
II est vraisemblable que don Phil^e, qui daifts ce
moment négociait avec succès k Barcelone \m teosm^
naissance de son neveu comme roi de Magonjue,
craignant que cette mesure, menaçante pouff Vi
gon, ne fôt contraire aux intérêts qu'il défendaôt*
improuver vivement cette conduite et s'en expli(pier:a ^i
peut-être en prince à qui l'autorité était eoaiée-.'!
Quelques amours-propres blessés par cette impvoba-
tion , et sans doute aussi l'ambition du comte de Foix
qui pouvait avoir lui-même des prétentions il la>
gence, durent faire des ennemis, au royal tuteur, imW^i
tous ceux qui lui avaient déjà prêté serment d*ol
sance et qui se tournèrent contre lui. Quoi qu'ff
soit, la ligue signée d abord entre Jayme et le comt»:
de Foix, le fut bientôt par le comte de Comminge
par le seigneur de Lille, par le fils du vicomte d
Narbonne et par les chevaliers Dalmas, de Caste^-J
nou et Pons de Caraman, que l'exemple de (îastor
avait entraînés et qui fournirent aux Perpignanais 1<
' Prpnvps Hp! l'hîstoirp de Langin'dor, tom. IV.
CHAPITRE QUATRIÈME. 219
moyens de se montrer hostiles au tuteur de leur roi.
Les vassaux directs de Philippe avaient bien tenté de
prendre sa défense, mais, attaqués partout, surtout
en Cerdî^e, ils avaient été réduits au silence. Après
ces voie» de fait, les conjurés s'étaient emparés de la
personne de Jayme et avaient placé près de lui des
conseillers et des gouverneurs à leur convenance.
La ecmduite du comte de Foix n'avait pas obtenu
l'assentiment de Chartes IV, roi de France et protec-
teur de l'inÊint régent. Ce monarque , en sommant le
1 1 de juillet le comte Gaston de rompre ses liaisons
avec les habitants de Perpignan, avait mandé aux
sénéchaux de Beaucaire , de Carcassonne et de Tou*
louse , ainsi qu'au recteur de Montpellier, qui était le
eommandant de la partie française de cette ville , de
contraindre, s*il le fallait, par la force des armes ce
même Gaston et les Perpignanais à reconnaître le
titre du tuteur du jeune roi.
Les historiens de Languedoc avancent que les me-
naces du roi de France suffirent pour tout faire ren-
trer dans Tordre, et qu'on ne fut pas dans la néces-
sité de recourir à des moyens extrêmes. Suivant eux,
les Perpignanais reçurent l'infant à son retour, et
Charles permit à ce prince de lever, s'il en avait be-
soin, quatre cents hommes d'armes en France pour
sa garde. D'après les historiens aragonnais les choses
ne se passèrent pas avec cette modération. Les ordres
du roi déterminèrent bien les seigneurs français à se
220 LIVRE DEUXIÈME,
séparer des insurgés de Roussillon, mais ceux-ci, loin
de rentrer dans le devoir, n'en devinrent que plus
acharnés contre le régent. La version de ces derniers
écrivains est d'autant plus croyable que le roi de
France n'avait pas d'ordres à donner à Perpignan. Ce
n'est d'ailleurs qu'après le départ de la garnison ara-
gonnaise que la population de Perpignan put prendre
les armes, c'est-à-dire au mois de septembre au plus
tôt; or, la ligue avait été sienée en juin , et les ordres
du roi de France étaient du mois de juillet. Quant à
l'emploi de la force contre les Pei^ignanais , il ne
pouvait pas appartenir à la France ; le régent ne de-
vait avoir recours en tel cas qu'aux lances catalanes ,
seules compétentes contre cette rébellion.
L'infant d'Aragon, don Alonze, avait déjà fait partir
pour Perpignan , sous la conduite de don Pierre de
Luna, archevêque de Saragosse, de deux jurats et
de deux citoyens de cette ville, l'infante dona Cons-
tance, sa fille, épouse future du roi de Majorque.
Cette jeune princesse, à qui on donnait déjà le titre
de reine, devait être élevée sous les yeux de la
reine douairière , et rester sous sa direction jusqu'à ce
que les deux époux eussent atteint l'âge convenable
pour la consommation du mariage ; et pour garantie
de cette future imion , les deux rois s'étaient donné
des nantissements réciproques : celui d'Aragon avait
livré aux Majorquins le château de Pons, dans le
comté d'Urgel, avec ceux de Ponton et de Bègue,
CHAPITRE QUATRIÈME. 221
liocèse de Girone, et Tinfant don Philippe, au
du roi de Majorque, avait livré aux Aragonnais
lâteau de Carol, en Cerdagne, et ceux de Bel-
1, de Berida et de Pollença dans Tîle de Ma-
ie. Mais en apprenant Topposition que les Perpi-
ais mettaient au retour du régent, le fils du roi
fait surseoir au voyage de sa fille, et, après avoir
mblé à Péralade les forces catalanes, il avait re-
ï les Pyrénées le 3 1 décembre. Ce prince reprit
lemin de Perpignan, précédé d*une journée par
Ot de Moncade , commandant de lavant-garde,
^oncadc campa au Boulou, où il fut joint par «3>6-
lud et Raymond-Roger de Pallas, et par Bernard
abrera à la tête de cent chevaux; le lendemain,
nvier, il marcha sur Perpignan. Parvenu devant
î place, dont il trouva les portes fermées et la po-
tion en armes siu* les murailles en attitude de les
ndre , Moncade forma sa troupe en ordre de ba-
î à rentrée d'un petit bois qui, à cette époque,
sinait le château royal. Bientôt, cependant, sor-
it de ce château Pierre de Belcastel et Guillaume
bns chargés d'entrer en pourparler avec Philippe.
hs diverses allées et venues, on ouvrit enfin les
es et l'arrivée de don Alonze acheva de tout pa-
r.
,e nouveau roi de Majorque se rendit à Barcelone 13,7.
aée suivante, accompagné de son tuteur, pour
;er foi et hommage au roi d'Aragon. Dans l'acte
222 LIVRE DEUXIÈME,
public dressé pour constater cette prestation d'hom-
mage, acte dans lequel Jayme déclare (fu'cfjrant dépassé
Vâge de douze ans il a une parfaite intelligence de ce qui
se fait ^, tous les traités conclus précédemment entre
les deux couronnes furent relatés et confirmés, et le
roi de Majorque confessa tenir en fief le royaume de
ce nom avec les comtés de Cerdagne et de Roussil-
lon , et, sans préjudice au droit d*autrui, les vicomtes
d*Omelas et de Carlad , ainsi que tous les domaines
qui dépendaient de la seigneurie de Montpellier, à
Texception des fiefs qui étaient tenus anciennement
de révêque et de Téglise de Maguelonne, dont quel-
ques-uns étaient encore entre les mains de ce préla
et les autres entre celles du roi de France.
Jayme II, roi d'Aragon, mourut le a noyembre?'
i3«s. 1 3a 7. Dans le courant du mois d*octobre de Tannée
suivante, Jayme de Majorque vint renouveler à son
successeur, qui fut don Alonze ou Alphonse IV, père
de la reine de Majorque, le môme devoir d*hommage
dont il venait de s'acquitter depuis peu de temps en-
Aiphoiue IV, vers Jaynic. Après la mort de Charles IV, le même
dAMwn. pî'ince se rendit à Neuville en Hez , où se trouvait le
nouveau roi de France, Philippe de Valois, et le
28 avril 1 33 1 il lui fit Thommage pour les domaines
qu'il tenait de sa couronne.
Un des premiers actes de la majorité de Jayme II
fut de pourvoir à la défense des côtes des îles Baléares
* Dacherii Spicifey. tom. III, pag. 714.
i.î.ii.
CHAPITRE QUATRIÈME. 225
infesiées par les pirates maures. Ces musulmans,
qui avaient été si lon^emps maîtres de ces îles,
n'en avalent pas oublié le chemin, et leurs fréquente®
irruptions désolaient les habitants des différents lieux
de la côte qui manquaient de moyens pour s en ga-
rantir. Jayme savait que la voie la plus efficace pour
arrêter ces brigandages était celle d'établir des garni-
sons permanentes dans les villes maritimes , et d'en-
tretenir sur la cote une croisière de galères armées ,
mais il n'avait pas de fonds pour subvenir à cette dé-
pense et ne savait où en puiser. Dans cet embarras, il
prit le moyen le plus honorable pour augmenter ses
finances sans accroître les charges de ses peuples : il
eut recours au commerce , et ne dédaigna pas , dans
Tintérêt de la sûreté de ses sujets, de se faire mar-
chand lui-même. Le commerce avec TÉgypte lui pa-
raissant devoir être le plus lucratif, c'est là qu'il se
résolut d'envoyer ses navû^es; mais comme ce pays
était occupé par les ennemis de la foi , il lui fallait une
autorisation du pape pour y trafiquer : ce prince la
sollicita, et il obtint la faculté d'expédier à Alexandrie
trois bâtiments chargés de marchandises pour son
propre compte, mais dont les armes de guerre ne
pourraient pas faire partie; il obtint également la
levée des dîmes des églises pendant trois ans ^
En i332 Jayme aida d'une flotte le roi d'Aragon, ,33,.
en guerre avec les Génois, et la ville de Perpignan
* Ferrens, Hist. gen. de Esp.
224 LIVRE DEUXIEME,
voulut contribuer de quelques galères à cet ai*ine-
ment. En récompense de cette générosité Jayme , par
ordonnance du 7 des calendes de novembre, rendue
à Majorque où il se trouvait alors , permit aux consuls
de nommer eux-mêmes lamiral de leur flottille, et
régla que cet amiral serait subordonné à celui de
Majorque, mais que celui-ci serait tenu de l'appeler
au conseil ^
L'année iSSy vit rouvrir en Roussillon les mala-
dreries, dont la multitude des malades atteints de la
lèpre faisait sentir la pressante nécessité.
Les nombreux pèlerinages des Européens à la Terre
sainte , la misère qui les accueillait outre mer, la fré-
quentation des gens du pays, le mouvement conti-
nuel des croisades avaient propagé d'une manière ef-
frayante sous nos climats laffreuse contagion qui
depuis longtemps déjà s'était introduite en Europe.
L'horreur qu'inspirait cette dégoûtante infirmité fai-
sait repousser du sein de la société ceux qui avaient
le malheur d'en être frappés , leurs propres parents ^
les abandonnaient , et on les reléguait dans des hos-
^ Liber virid, min.
* Le pape Alexandre III, dans une lettre à Tarchevêque de Cantor-
bery, s*élève avec force contre cet abandon des lépreux par leurs pa-
rents et surtout par les époux, et il ajoute : cQuoniam igitur, cum vir
«et uxor una caro sunt, non débet unus sine altero diutius esse; fra-
ctemitati tuar, per apostolica scripta praecipiendo mandamus, quod si
cqui sunt in provincia vestra viri vel mulieres qui lepne moribnm în-
ccurmnt, uxores ut viros et viri ut uxores suas sequantur et ejus con-
CHAPITRE QUATRIÈME. 225
âtis loin de toute habitation auxquels on don-
nom de léproseries, maladreries , mézelleries
rets. Une classe particulière d'hospitaliers , non
r des vœux, se donnant entre eux le nom de
et le recevant des étrangers, par un dévoue- ,337.
ne peut seule inspirer la religion évangélique,
lanmaient à donner des soins à ces infortunés,
ieurs règlements avaient été portés en diffé-
smps pour diminuer cette hideuse contagion ,
n et Chaiiemagne avaient déjà réglé, par leurs
aires, les mariages entre ceux qui en étaient
s ^ Alphonse II , le premier des rois d*Âragon
le Roussillon ait été soumis, en abandonnant
res prêcheurs la maison ou hospice des lépreux
rpignan, avait transporté cette infirmerie au
u puy Saint -Jacques ^ connu anciennement
î nom de puy des lépreux ; Jayme le Conqué-
iffectione ministrent, sollicitis, monitis et exhortationibus ia-
indacere, etc.»
>reux qui devait être séquestré ainsi pour toute sa vie était cou-
chez lui à l'égiise, par un prêtre en surplis, précédé d*une
Q lui disait une messe de mort, et après Tabsoute on le con-
. la mézeUerie, où le prêtre lui jetait une pellée de terre sur les
ant de se retirer. Il ne pouvait sortir de ce tombeau anticipé que
de son uniforme de lépreux , et ne pouvait, sur peine de la vie,
ans aucun édifice public ou particulier. Ogée, Dict de Bref,
it Pippiiû, ann. 767. — Capit. Kcuvli magni, oiui. 789.
reconnaît encore cette maison à un bas-relief placé au-dessus
orte ouverte plus tard sur la rue d^En Calce. On y voit des lé-
genoux devant la sainte Vierge, et au-dessous cette légende en
es gothiques : Espital dels leprosos.
i5
226 LIVRE DEUXIEME.
rant lavait ensuite supprimée; mais Jayme I^, roi de
Majorque, recomiaissant la nécessité de rouvrir ces
asiles de l'infortune , Fàvait rétablie par son édit du
i5 des calendes de mai 1296. Ce même édit défen-
dait à tout lépreux qui ne serait pas du Roussillon d*j
entrer et d'y séjourner, sous peine du fouet. Tout lé-
preux qui aurait cependant k traverser le Roussillon
pour se rendre dans son pays pouvait le faite , sous la
condition de n y pas séjourner au delà d'une nuit et
un jour, et de ne coucher que dans les léproseries ;
tout lépreux qui aurait commerce avec une femme
saine devait être pendu et la femme brûlée ^ Des
mesures d'une telle sévérité faisant disparaître la ma-
ladie , les léproseries avaient été supprimées de nou-
veau , et les biens qui en formaient la dotatioti étaient
devenus la proie de quelques particuliers ou avaient
été aliénés par les communes ^. Mais le fléau , qui n'é-
tait qu'éloigné, ne tarda pas à reparaître, et le i**" mai
iSSy l'évêque d'Elne, Gui de Perpignan, en provo-
quant la restitution des biens qui appartenaient aux
* Arch, Perp, liber ordinat.
* Outre la léproserie de Perpignan, nous en connaissons one à Mal-
loles, à laquelle un testament de lan 1 lao laissait quelques biens, et
une à Ville-Neuve-de-la-Raho, dont la commune inféoda les biens en
i33o. Arch, eccles. Les léproseries des autres communes sont moins
connues. Dans Tarrêt du conseil rdatif à Tunion des biens des léprose-
ries aux hospices , il est parlé de la léproserie de Perpignan et des re-
venus de Tordre de Saint-Lazare, dans cette ville, et des léproseries de
Pia, de Baixas, de la Perche. Voyez Tétat général des unions faites en
exécution de Tédit du mois de mars 1698.
CHAPITRE QUATRIÈME. 227
léproseries, ordonna le rétablissement de celles qui
n'ekistaîent plus et la réparation de celles qui tom-
baient en ruines.
Le jeune roi de Majorque, à qui ses sages disposi- isss.
tîons pour la défense des îles Baléares avaient concilié
f amour des peuples de cesfles, rendit, le 16 des ca-
lendes d'août 1 338 , un nouvel édit qui ne devait pas
moins lui concilier celui des 'peuples de la Cerdagne.
La conjuration des chrétiens contre la domination
des Maures, dans les montagnes de la Catalogne, avait
donné naissance à ce qu^on appelait les mauvais usa-
ges, sorte de tribut avilissant pour ceux qui y étaient
soumis. Les premiers chrétiens qui entreprirent de
délivrer la Catalogne du pouvoir des Sarrasins avaient
cherché des auxiliaires dans la population asservie
quïls avaient pressée de se soulever. Quelques can-
tons se révoltèrent en effet et concoururent à leur
délivrance; d'autres n'osèrent pas le faire, et atten-
dirent tranquillement Tissue des efforts qu'on tentait
pour affranchir leur pays du joug des musulmans.
Après la conquête, ces chrétiens pusUlanimes conti-
nuèrent à être soumis par les vainqueurs aux mêmes
humiliations que leur avaient imposées les Maures :
telle est, suivant les écrivains catalans, l'origine de ce
qu'on appelait les mauvais usages ou mauvaises coutumes \
^ Pujades et ceux cités par lui.
Dans quelques pays de France il existait ce qu on appelait mali usus,
mtdm consuetudines , conmetudines injuriosœ, pruoa usaiica, etc., et en
i5.
^ai» nous croï h ^^^^ ^g^ir de» «^ ^^ __
^'T Ae a victoire ^e ^^Pf ^^^^ cuvais u«g« ^
Vabus de la V ^^^ (,^^,. ,lTiadivid«s . d^ Me
j , Nord e^ suiv" tnetne» i»»^ . , ^i
tout ce que 1» »^° despotisme ie plus «lu
foi. de s« can»« ; ; ^^ y^rf^^d D^q-;^ ,
siècle après, le ^j^; e s.%î« ««
.ri,uicnl encore,
ei»«.ce*onl-. „yijanon «" |J
,. la re«»S" f ' ., ,.„ seigneur, ou de c •
.iiierlaterrede»»" * _.i,eté de to.
"' ï"" ■'C ans »•«« ""'"r ™7ur dWrher
de domicile sans ^^ ^.^eur ,,
„ers des biens de^^;,,ae la nioiuisdl
Ves ma»""»*» '°
ils
lé-
de
ger
du
s'il
CHAPITRE QUATRIÈME. 229
une veuve sans enfants ou des enfants complètement
orphelins.
3® La caguda, droit que s*attribuaient les seigneurs
de partager avec un mari outragé la dot de sa femme
infidèle, ou de s'emparer en totalité de cette dot, si
le mari connaissant Finconduite de sa femme, la dis-
simulait.
4* L'exorquia, droit du seigneur de recueillir des
biens de ïexorch, c'est-à-dire de celui qui mourait sans
postérité et ab intestat, la portion qui en serait re-
tenue aux enfants s'il en avait eu; le reste de ces
biens retournait aux héritiers naturels. Les coutumes
de Barcelone établissaient ici une difiFérence entre le
noble et le roturier; tous les biens de l'exorcfc noble
appartenaient au prince s'il mourait intestat, et par
testament il ne pouvait disposer que du mobilier;
'exorch roturier au contraire pouvait disposer de tout,
neiible ou immeuble ^.
5" La arcia ou arsina, droit d'incendie, c'^est-à-dire
onime que devait payer le vassal si le feu prenait à
a métairie par sa faute.
6* La forma de spoli forçat, le droit qu'avait le sei-
;neur de prendre le tiers de lods pour la signature
[u*ii donnait, quand le vassal obligeait ses biens pour
' Cette question de la exorqma est du reste fort embrouillée dans les
ommentaires des anciens légistes catalans sur les usages de Barcelone.
Toyez Us(Uici Bourch. fol. i56 et seq., et les Constit. de Cat. tom. If,
Mg. i3o.
230 LIVRE DEUXIÈME.
sûreté de la dot de sa femme. A ces six articles Tédit
de Ferdinand en rattache plusieurs autres sans déno-
mination particulière , et tous plus ou moins odieux ,
comme de prendre pour nourrice la femme d*un
vassal que le mari y consentît ou non , et de lui
ou non un salaire ; de prendre forcément, pour.se
servir, avec ou sans paye, les enfants des paysapsr ^
le droit le plus honteux de tous, qui était connu ec^K^i
France sous le nom de cuissage ^. La cession des draîtfe-^V'Jtt
de toute espèce composant les mauvais usages dopfl::^ii|
le nom se trouve mentionné dans Tédit de Ferdinand .^Qd
était stipulée exactement et nominativement dans l/f-^^ps
actes de vente des domaines dans lesquels ils {\m lia ni
en vigueur, et il est remarquable . que tous lesiieui^^ux
de ce genre cités par Ducange appartiennent i ~ la
Cerdagne.
Une note manuscrite , du xii* siècle , met au nomb -^mtt
des mauvais usages, dont on demande la réfc
tion, quelques autres odieuses vexations, telles
de dt'touiner à volonté Teau d'arrosage, la faculté d a^»^ ug-
mentcr arbitrairement certaines redevances, femy^ pê-
chement de détourner de son champ les bestiaux du
seigneur qui mangent les blés ^.
^ Voici en quels tenues s'exprime, à ce sujet, Tédit de Ferdinaa^i^od :
«Ni tanipocli pugaii, la primera iiit que los pagesos prenen mu^^zzzilier,
«dormir ah ella, o, en snal de vSenyoria, la nit de las bodas, apres^^ssque
«la muHer sera colgada en lo llil, passar sobre la ditamuller. » f. tonA.
de Cal.
* Pr. n' \|X. Vove/. aiiNsi Tédit de Ferdinand dans les Coust. d( Cai-
i
CHAPITRE QUATRIÈME. 231
Le comte de Foix avait donné l'exemple de r abo-
lition de ces turpitudes : ie 1 3 des calendes de mai
laSo il en avait affranchi les habitants de la vallée
de Mérens qui en étaient frappéa. Jayme l'imita un
sièole plus tard; quant au reste de la Catalogne, ce
ne fut qu'en i liS6 que Ferdinand II la délivra de ces
inËunies à la suite d'une révolte de ceux qui y étaient
assujettis. Du temps de Jaym:è, ces; mauvais usages
fiy^ot déjà été échangés en Cerd^ne contre un
ti!ihut annuel ; ainsi que l'atteste l'acte d'affranchisse-
mev^, en faveur des habitants d'Aionà ^
' Aux :J[)ones d'octobre iSSg, Jayme donna à l'in-
duit ^don Femand, son frère, le château et terroir du
^^emet, près de Perpignan, avec les fie£s et arrière-
îefs qui y étaient attachés , et tous les droits dont ils
ouissaient^. Déjà, le 29 mai i33o, il lui avait aban-
lonné la vicomte d'Omellas avec ses dépendances,
lîvers châteaux et domaines du voisinage , le fief de
^arlad, le château de Frontignan et une partie du do-
naine de la seigneurie de Montpellier. A la mort de
Femand , dont l'époque n'est pas connue , mais qui ar-
riva avant l'extinction du royaume de Majorque, ces
terres passèrent à ses enfants.
Alphonse IV était mort le 2 4 janvier i336, et son
(ils , Pèdre IV, était monté sur le trône d'Aragon qu'il
* Preuves n" XX.
* Arch. eccles. Des médailles de César trouvées dans ce lieu du
Vernet attestent que les Romains y possédaient quelque habitation.
232 LIVRE DEUXIÈME,
devait illustrer par de grandes actions et souiller par
bien des cruautés et bien des perfidies. Â lui appar-
tenait de faire rentrer sous sa couronne tout l'héri-
tage de Jayme le Conquérant, et d'afiranchir ses suc-
cesseurs du contre-poids qu*opposait à l'autorité royale
le privilège qu'avaient les barons féodaux de s'unir
contre le trône, quand le trône menaçait l'indépen-
dance féodale et les libertés publiques , deux choses
qui, par l'abus des mots dans ces derniers temps,
semblent antipathiques, et qui existaient très -bien
ensemble dans la constitution de l'Âragon. Pëdre de-
vait porter le premier coup à cet antique édifice et
poser ainsi la première pierre du pouvoir omnipotent
des rois dans la Péninsule.
CHAPITRE CINQUIÈME. 235
CHAPITRE V.
Jayme difiëre à faire l*hommage au nouveau roi d* Aragon. — -
n veut se soustraire à la suzeraineté du roi de France. —
Joutes à Montpellier. — Menées perfides du roi d* Aragon. —
Pèdre se déclare contre le roi de Majorque. — Jayme fait sa
paix avec le roi de France,
Jusqu'à ravénement de Pèdre IV à la couronne pmwiv,
d'Aragon, le roi de Majorque, Jayme H, qui avait "**^^'™*
vu deux fois la succession à ce trône se renouveler, et
qui, jusqu'à ce jour, s'était montré si exact à aller
jurer à chacun de ces nouveaux rois l'hommage dont
sa vassalité lui faisait un devoir, manqua à cette exac-
titude quand elle lui aurait été le plus nécessaire : de
cette négligence découlèrent tous les malheurs dont
il fut accablé. La raison qui l'empêcha d'abord de se
rendre à Barcelone lut que certains embarras , sur-
venus dans son royaume, et dont il avait donné con-
naissance à l'archevêque de Saragosse, chancelier
d'Aragon, le retenaient à Perpignan; mais ces em-
barras ne pouvaient pas durer éternellement; on peut
donc croire que le véritable motif qui lui fit ensuite
différer indéfiniment ce voyage d'obligation, c'était
tuiiquement l'ennui que lui causait le retour si Iré-
|uent d'une formalité toujours humiliante pour un
234 LIVRE DEUXIÈME.
front ceint du diadème. Les années s* écoulaient ce-
pendant, et rhommage ne se rendait pas. Pèdre,
ayant résolu sur ces entrefaites d'exiger le serment
de fidélité de quelques barons dont il se méfiait, il
voulut que Jayme vînt aussi remplir enfin une forma-
lité dont celui-ci voulait encore retarder raccomplis-
sement. Des lettres que le pape Benoît XII écrivait i
rinfant don Pèdre , oncle du roi d'Aragon, ainsi qu'aux
archevêques de Tarragone et de Saragosse pour les
faire intervenir entre les deux rois, afin d'empêcher
une rupture ouverte, attestent l'animosité qui existait
déjà entre eux, et prouvent qu'il y avait réellement
mauvaise volonté de la part de Jayme. On peut sup-
poser que c'est l'intérêt que le pape témoignait en
faveur du roi de Majorque qui porta l'inSuit à se
rendre à Perpignan, pour représenter à Jayme 1»
conséquences fâcheuses que pourrait entraîner un
plus long délai à remplir ce qui était un devoir pour
un prince vassal.
Le voyage de don Pèdre eut tout le succès que ce
prince s'en était promis; au mois de juillet suivant
Javme se rendit à Barcelone, et la cérémonie delà
prestation de foi et hommage eut lieu en présence
des infants don Pèdre et don Raymond -Bérenger,
oncles du roi, de l'infant don Jayme, comté d'Urgel,
son frère, de Tarcheveque de Tarragone, des évê-
qiies de Barcelone et d'Elnc, des vicomtes de TlUe,
de Cabrera, d'Évol, de dix chevaliers, officiers delà
CHAPITRE CINQUIÈME. 235
maison du roi d'Aragon, de quatre conseillers de la
ville de Barcelone, et de deux citoyens de Valence,
messagers et députés de cette ville.
Si on ne savait pas déjà que la mésintelligence ré-
gnait entre les deux rpis, la manière dure dont Pèdre
en usa, dans cette circonstance « avec ie roi de Ma-
jorque, l'attesterait suffisamment. Après l'avoir tenu
longtemps debout , sans ^ui offrir de carreau pour s'as- 1339.
seoir, Pèdre prit l'avis, de i^on conseil pour savoir s'il
devait lui en faife donne;r uu , et, sur la réponse affir-
mative, il fit apporter de sa chambre celui qu'il avait
fait préparer tout e^cprès, beaucoup plus bas que le
sien et très-différent K
Jayme avait à pçipe rempli le devoir auquel il était
tenu, mais que son. adversaire s'était étudié- â rendre
très-humilianty qu'il demanfda la perpiissiôn de se re«
tirer, et que, le cœur gjpos de ressentiments , il- reprit
le cllçm^)^e, sa capital^»
, Un événement très-fâcheux, survenu quatre mois
après, et auquel Jayme fut peut-rêtré étranger, aug-
menta encore l'inimitié . de3 deux princes : il servit de
prétexte à l'exécution des desseins que Pèdre nour-
rissait dès longtemps contre Jayme. La possession par
TAragon 4e^ Ues de Corse et de Sardai^ne était ^une
ÎQyestiture du saint. siège, et Pèdre, qui avait tenu à
l'égard du papç précisément là même conduite qui
avait;attiré sur 1^ roi de Majorque tout le poids de-sa
» Zarita.
236 LIVRE DEUXIÈME,
haine, forcé d'aller enfin prêter hommage en personne,
pour ce fief, entra dans Perpignan le 3o octobre, et
prit la route d'Avignon, accompagné de don Jayme et
de plusieurs barons de la cour de ce dernier. Le roi
d'Aragon fit son entrée avec le roi de Majorque à son
côté, et chacun d'eux ayant un écuyer pour conduire
son cheval. Le lendemain, jour de ia cérémonie,
comme les deux princes se rendaient dans le même
ordre auprès du pape, l'écuyer du roi de Majorque,
s' apercevant que le cheval du roi d'Aragon , qui était
vif et fiingant, était un peu en avant de celui de son
maître, se permit de le frapper avec la gaide qu*il te-
nait à la main, de manière que l'écuyer aragonnais
fut lui-même atteint par le coup. Pèdre, outré de ce
qu'il regardait comme une insidte, et aussi de ce que
le roi de Majorque, qui n'avait pas remarqué, ou qui
feignait de n'avoir pas remarqué l'action inconvenante
de son écuyer, ne se mettait pas en devoir de le
châtier, voulut tirer son épée pour en frapper l'é-
cuyer ou le roi lui-même; heureusement que cette
épée, qui était celle du couronnement, était très-for-
cée dans son fourreau, et que, malgré ses efforts réi-
térés, don Pèdre ne put parvenir à l'en arracher.
L'infant don Pèdre, son oncle , s'interposant au même
instant , la pompe de la cérémonie ne fiit pas ensan-
glantée; mais le cœur de TAragonnais n'en fut que plus
ulcéré contre son beau-frère. Le refus que lui fit en-
suite \v pa[)e de lui accorder quelques grâces qu'il
CHAPITRE CINQUIÈME. 257
sollicitait, et entre autres celle, dit-on, de confirmer
sur sa tête la couronne de Majorque ^ , porta au
comble sa haine contre don Jayme, et décida la ruine
de ce monarque.
Pèdre , cherchant à justifier sa conduite dans Taf-
faire de la spoliation du roi de Majorque, accuse
Jayme d'avoir cherché à se soustraire à sa suzerainté,
et un passage de Zurita peut faire croire qu'en effet
celui-ci avait sondé à cet égard les dispositions du roi
de France ; mais un autre annaliste d'Aragon , le père
\barca, n'hésite pas à repousser cette inculpation
^mme calomnieuse; suivant lui, ce ne fut qu'un ar-
ifice du roi Philippe, qui, connaissant la vanité du
'oi d'Aragon, et voulant le mettre dans ses intérêts,
e séduisit au moyen d'une pompeuse ambassade.
Philippe craignait que don Jayme ne se joignit aux
iombreux adversaires qu'il avait déjà, et, pour être
nieux assuré de ne l'avoir pas pour ennemi, il jugeait
nécessaire de l'occuper avec son beau-frère. H fit
lonc contre celui-ci, au roi d'Aragon, ce qu'Abarca
àomme une infamie , moyen bien indigne de la ma-
esté d'un si grand roi ^.
L'intention que Pèdre prête au roi de Majorque
^ Abarca, Anales de los reyes de Aragon, tom. II.
* Y si bien, Phiiipo referio esto para ganarse enteramente a don
^edro, y para cobrir, con ia hermosa capa de ias conveniencias de es-
■9.do y fineza de buen aniigo, la fealdad de medio tan poco digno de
« mayestad de tan gran rey. Âharca, ibidem.
258 LIVRE DEUXIÈME.
n*est donc rien moins que prouvée; mais en suppo-
sant même qu'elle le fut, que don Jayihe, feudata
à la fois de deux rois , eût cherché à se dérober &
des deux, comme celte intention, par rapport â ÎA»
ragon, n'avait été suivie d'aucune tentative d*exécu
tion , et que ce prince avait au contraire fait Tâvec
matériel de sa dépendance, l'année même qui
celle de son tardif hommage , enjoignant ses gaière—
à celles d'Aragon pour défendre Valence menacé pa
le roi de Maroc , Pèdre n'avait aucune raison de p:
crire sa couronne. Quelque effort qu'ait fait ce dei
nier pour rejeter les torts sur sa victime, Tacco:
unanime de tous les historiens ^ le charge de la hont^
de cette criminelle spoliation. Zurita reconnaît à do:
Pèdre un naturel pervers; il le regarde comme ehdi
à la cruauté, ennemi acharné de son propre sang, d
il l'accuse de n'avoir agi que par astuce et par fraude
dans cette affaire de la destruction du royaume de
Majorque ''^; Mariana lui reproche une ambition sans
bornes, une soif insatiable de domination qui lui fit
chasser du trône, avec une extrême iniquité et une
profonde perfidie, un roi son parent ^.
11 faut confesser cependant que, si Pèdre , mû par
la politique, n'a reculé devant aucun moyen pour
arriver à ses fins, la conduite de don Jayme ne fut
' Ziirita, Ferreras, Mariiiiia, Aharca, crUcrmiUy, Vaissclte, etc.
* Anales de Amij. \II, [)\\ Mil, î^.
* Mariana, Hist. (jennul tir Ksp. \VI, i?.
CHAPITRE CINQUIÈME. 259
is exempte de tout reproche; et^n n'admettant pais
s virulentes accusations que plusieurs historiens,
li n'ont fait que copier en cela le témoignage plud
le suspect' de don Pèdre lui-même; font peser sur
L mémoire, on né peut s empêcher de voir en lui
^ la jactance, de Timprudence et de l'entêtement.
ous contesterons presque qu'à ces défauts on puisse
outer le vice de mauvaise foi : expliquons notre
ensée.
EêMï 1 33 1 Jayme avait juré au roi de France l'hom-
lage pour la seigneurie de Montpellier; mais, à
ette époque, ce prince n'avait pas encore seize àiis,
t il n'avait pu s'en rapporter, pour la nécessité de
ettCj démarche, qu'à l'avis de l'infant don Philip^,
•Qp dévoué au roi de France, son ami, pour élever
uelque contestation sur cet article; niais, en iSSg,
jugeait les choses par lui-même, et les raiisons de
oute, sur la légitimité decet hommage, qui ne l'a-
aient pas frappé la première fois, poutaient s'êti^e
présentées depuis à son esprit, ou à celui de son con-
eil- Le moment lui semblait venu de se soustraire à
ne dépendance qu'à tort ou à raison il ne regardait
»as comme fondée sur des titres à l'abri de toute con-
estation. Après quatre années d'hostilités latentes, la
^'rance et l'Angleterre en étaient enfin venues à une
^erre déclarée, et Edouard VI avait ouvert la cam-
pagne par le siège de Cambrai. Le roi d'Angleterre
i^mptait beaucoup d'alliés parmi les princes d'Aile-
240 LIVRE DEUXIÈME,
magne, et le bruit courait qu'il devait encore s'unir
avec le roi de Majorque, dont le fils aurait épousé
une fille d'Edouard. Sur cette rumeur, le roi de
France, Philippe de Valois, voulant s'assurer des
i34o. vraies dispositions de Jayme, le fit assigner pour ve-
nir renouveler l'hommage. Jayme, regardant comme
incertains et douteux les titres sur lesquels s'appuyait
ce monarque pour établir sa suzeraineté , était réelle-
ment décidé à les contester, et le roi d'Aragon, à qui
il s'en était ouvert comme à son allié naturel, l'avait
indignement dénoncé lui-même à Philippe ^ Ne se
doutant pas de la trahison de son beau-firère, Jayme,
victime d'une double perfidie , répondit à la sonuna-
tion du roi de France , qu'il ne se reconnaissait pas
pour vassal de sa couronne pour la seigneiuîe de
Montpellier, et qu'il ne croyait pas avoir à répondre
sur ce fait au parlement de Paris , ni à se soumettre à
son jugement; mais qu'il s'en rapporterait à la décision
du pape , ou des cardinaux d'Espagne ou de Naples.
Cette proposition était raisonnable, et puisqu'il y
avait doute sur la légitimité de l'hommage, il était
juste d'en remettre la solution à celui qui en était le
juge naturel. En effet, le motif sur lequel le roi de
Majorque appuyait sa prétention était, ainsi qu'il le
1 Pue — sino particular enemistad y odio que contra d tuvo , que
se confirmo por averie (Pedro) con grande artificio descubierto al
rey de Francia, que (Jayme) se avia querido rebellar contra d. Za-
rita, VIII, 55.
CHAPITRE CINQUIÈME. 241
indait au roi d'Aragon , en lui rendant compte de ce
*il venait de faire, que Tacte par lequel l'évèque de
iguelonne avait vendu au roi de France ses. droits
? Montpellier devait être considéré comme nul,
rce qu il avait été fait contre la volonté du pape. Il est
m certain que le pape étant considéré comme le
rat^r des biens de T église , et nulle aliénation n*en
uvant être faite sans soi} consentement , s il n'avait
s autorisé ce transport de droits fait au roi de
ance en lagS, sur ce quon appelait la part antùfue
Montpellier, Jayme, partie intéressée dans ce
nsport, pouvait fort bien ne pas le reconnaître et
contester la validité ; or, en soumettant la décision
cette contestation au collège des cardinaux de
pies ou d'Espagne, partie désintéressée, et neutre
ofi la question, il ne pouvait pas être exposé au
proche de déloyauté ou de mauvaise foi. Le moyen
'il proposait était même le seul qui eût pu jeter de
lumière au milieu de laflaire si obscure du partage
la souveraineté de Montpellier, si vivement dé-
ttue de part et dautre aux xuf et xiv* siècles. Sui-
nt ce que le sénécbal de Carcassonne mandait au
\ de France, le vendredi après la Quasimodo, 1 34 1 ,
yme était même parvenu à découvrir un titre qui
ouvait son indépendance pour cette seigneurie de
tontpellier : c'est ce qu'il fallait vérifier. Pour sou- ^3;^,
nir ces prétentions d'indépendance, le roi de Ma-
)rque se rendit à Montpellier au commencement de
i. 16
tA2 LIVRE DEUXIÈME.
i34i« et il y fit publier des joutes pour le mois ^
mars suivant* malgré la défense du roi de France* qui
ne voulait pas qu'il y eût de ces fêteii sdmindes dm»
tous tes pays soumis à sa puissance, tant qoa dure-
mit la guerre avec TAngleterre.
A la nouvelle de cette résistance aux ««dres- fixr-
mds du roi de France , le comte de Vdentinois, lieu-
tenant, de Philippe en Lapguedoc, s'était raf^prodié
de Montpellier à la tête d*une année, et il avait
assis son camp au Terrail, à une lieue de cette vilk.
Cette démarche menaçante n*empècha pas Jayme de
fidre renouveler les publications de ses joutes» qui
eurent lieu effectivement le 1 1 mars. Le comte de
Vdentinois, avant d'en venir à des voies extrêmes, se
Tttidit à Montpellier pour filtre des reprësentatiom
au roi de Majorque, et celui-ci, pour toute r^KMise,
fit publier de nouvelles joutes pour le lendemapa.
Sur cela, le comte fit avancer ses troupes sous les
murs de Montpellier, et, de son coté, le roi de Ma-
jorque fit armer les habitants, sonner le tocsin et
mettre la ville en état de défense. Des hostilités au-
raient suivi sans doute immédiatement, si le comte
de Foix , qui se trouvait auprès de Jayme , n'avait pa-
cifié cette querelle. Jayme promit, dit-on, de ne pas
tenir les nouvelles joutes , mais, lûanquant à sa pro-
messe , il les présida le lundi suivant ^. Ce prince , de
Tavis de son conseil, voulut même tenter de fidre en-
^ H'ut.Qin. de Lany. tom. IV.
CHAPITRE CINQUIÈME. 243
lever au Terraîi le comte de Valentînois et ses gens ;
mais ce capitaine, qui était sur ses gardes, fit échouer
la tentative et donna commission, le même jour, au
juge royal et à celui du petit scel, de Montpellier,
d* informer contre le roi de Majorque, contre ses
officiers et contre les habitants de Montpellier qui
lui avaient prêté leur secours.
Les choses en étaient à ce point, quand Jayme
écrivit une seconde fois au roi d* Aragon pour récla-
mer son appui. Dans une conférence qui eut lieu entre
ces deux princes à Saint-Geloni , avant la fin du ca-
rême, le roi de Majorque exposa à son beau-fi^ère
f intention où il était de déclarer la guerre au roi de
France, et de se liguer avec le roi d'Angleterre pour
la faire avec plus d* avantage , et il le pressa de s'ex-
pliquer sur la conduite qu'il tiendrait dans cette cir-
constance, savoir : s'il le laisserait combattre seul, ou
s'il l'aiderait de ses armes, comme lui en faisaient une
obligation leurs conventions réciproques.
Au dire de don Pèdre et de ceux qui l'ont copié ,
le roi d'Aragon aurait cherché à détourner le roi de
Majorque de son dessein, par la peinture de tous les
dangers auxquels cette guerre pouvait l'exposer, et ,
quant au fait de son assistance particulière , il lui au-
rait répondu que c'était là une question grave, qui
demandait les plus mûres délibérations ^ ; mais ni ce
roi ni ces historiens ne disent toute la vérité ; nous
> Ziirita,VII,54.
16.
244 LIVRE DEUXIÈME.
savons par la lettre que le sénéchal de Carcassonne
écrivait au roi de France, ce que Pèdre n'avoue pas,
et que Zurila ignorait sans doute , c est-à-dire , qu'il
fut convenu secrètement entre ces deux princes, de
lever de concert une armée de trois mille hommes
d'armes et de cent mille fantassins, pour faire la
guerre à la France ^. Au moyen de c^tte convention
ténébreuse, et que Pèdre n'avait nullement l'intention
de tenir, ce prince soutenait le roi de Majorque dans
ses idées d'indépendance de la France, par l'espé-
rance d'en être puissamment secondé; il l'empêchait
de se liguer avec le roi d'Angleterre contre Philippe,
son véritable allié , et avec qui il avait renouvelé les
anciens traités , et il le poussait à engager de plus en
plus une querelle dont il espérait retirer seul tout le
profit; et l'inconsidéré roi de Majorque , qu'une
aveugle fatalité semblait pousser à sa perte, donnait
avec toute confiance dans le pié^e que lui tendait la
plus odieuse duplicité.
Une seconde entrevue eut lieu entre les rois beaux-
frères ; dans celle-ci il fut convenu que des ambassa-
deurs iraient de leur part auprès du roi de France,
pour l'engager à en venir à un accord. Cette dé-
marche, qui, en l'état où étaient les choses, aurait
pu être utile au roi de Majorque, si elle avait été faîte
de bonne foi, n avait d'autre but, de la part du roi
d'Aragon , que d'endormir son vassal , pendant que le
* Hisl. gén, de Lamj. lom. IV.
CHAPITRE CINQUIÈME. 245
n de France faisait saisir la seigneurie de Mont-
dlier avec les vicomtes d'Omellas et de Garladis,
qu'une armée, que devait commander le duc de
srmandie, fils de ce monarque, se réunissait à Saint-
lul de Fenouillède pour entrer en Roussillon.
La crise , si bien ménagée par le roi d'Aragon, ne
rda pas à arriver. Jayme , impatient de commencer
^erre, avait, le dernier jour de novembre, sommé
^dre de se trouver à Perpignan au q5 d'avril sui-
nt , avec son contingent de forces , pour reconquérir
; places que le roi de France avait fait occuper, et
tte sommation avait soulevé le voile en partie.
!ïdre avait assemblé son conseil, non pour délî-
;rer sur l'objet du message du roi de Majorque,
ais, ainsi qu'il en fait l'aveu lui-même, pour trou-
ât le moyen de se dispenser honnêtement de rem-
îr ses engagements. Ses conseillers embarrassés ne
>uvant lui en foiunir aucun , il prit la parole et s'ex-
rima ainsi , suivant sa propre histoire : « Nous vous
demandons un biais pour pouvoir dûment et rai-
sonnablement nous excuser de satisfaire à cette re-
quête, mais nous y avons pensé nous-même, et
nous avons trouvé un bon moyen, et le voici ^.w
le moyen, c'était de convoquer les côrts k Barcelone,
^ Vosaitres tots stats et pensais sobre aqucst fet, e aço com puixats
nhtoc manera que nos , rahonablement et deguda pognessem excusar
1 dit rey de Mallorqups la rcquesla a nos pcr ell fêla : e diem vos que
osahres accordas.spts algiina manera o cas perloqual nos, degudament
246 LIVRE DEUXIÈME
pour le a5 mars, un mois avant l'eutrée en campigue
du roi de Majorque, et d'y appeler ce prince, oh^gé
par sa qualité de vassal de la couronne de s*y trouver
en perscmne; s*il ne s'y rendait pas, fl ■"■"ip^it i
son devoir, et on n'était tenu à rien envers loi; c'é-
tait, comme le dit avec raison Zurita, une aubtflité
bien indigne du trône.
En même temps que don Pèdre cherchait i aravér
les apparences, tont en manquant de fin i son bean-
firère, ce prince agissait sourdement auprès du roi de
France qui, moins passionné et n'ayant aucun motif
de haine personnelle contre Jayme, aurait voufai ter*
miner amiablement ses différends avec ce prince.
lyautre part, comme il importait i ce même roi d'A-
ragon que les hostilités ne fussent point commencées
quand le coup qu'il méditait contre le roi de lia-
jorque serait porté, il lui fit dire par ses meaaagws
de ne pas rompre encore avec Philippe, l'occasion
n'étant pas opportune; il lui conseillait, et le requé-
rait même de chercher à justifier sa cause en re-
jetant les torts sur son adversaire, de manière & ce
qu*au moment de l'explosion chacun pût lui donner
droit ^
Les corts de Catalogne furent convoquées pour le
e rahonable, poguessem excosar ladita requesta — mas nos, se^ns
nostres viares, hi havem pensada, hi trobada una bona maoeni, e Teoi
quina, etc. Carbonell.
» Zurita, VU, 55.
CHAPITRE CINQUIÈME. 247
25 du mois d'avril, et le roi de Majorque reçut as-
signation pour être rendu à Barcelone le 2 5 mars.
En recevant le message qui lui commandait de
quitter ses états au moment convenu avec le roi d*A-
ragon pour l'entrée en campagne, Jayme put s'aper-
cevoir enfin qu'il était joué par son beau-frère. « Nous
«intercéderons pour vous auprès du roi de France
« pour qu'il vous rende justice, et, s'il s'y refuse, nous
«sommes prêt à remplir tes obligations que nous
«avons concertées avec vous pour le cas 011 vous
«commenceriez la guerre contre la France.» Telles
avaient été les dernières assurances que le roi de Ma-
jorque avait reçues du roi d'Aragon^. Gomment, après
des promesses aussi positives, ce prince aurait-il pu
s'attendre à une aussi indigne trahison? Étourdi de ce
coup imprévu , et ne voulant conserver aucune incer-
titude sur les dispositions hostiles de don Pèdre,
Jayme lui écrivit une dernière fois, le k février iS^a,
pour s'excuser de se rendre à Barcelone , à raison de
la situation où se trouvaient ses affaires avec la France ,
et pour le sommer de se trouver lyi-même,. au jour
cîonvenu, à Perpignan, avec le secours qu'il devait lui
fournir. C'est alors que Pèdre leva entièrement le
n^asque. Non-seulement il désapprouva hautement la
guerre que ce prince voulait faire, mais il l'accusa
liu-même d'un crime dont il n'avait jamais été ques-
tion jusque-là, celui d'altération des monnaies ^ ; ille
> Abarca. — » Zurita, VIII, 60.
248 LIVRE DEUXIÈME,
cita, en conséquence, à comparaître devairt sa cour,
dans le terme de vingt-six jours, pour se justifier,
1^ d*avoir fait fondre à Perpignan dès monnaies de
Barcelone, afin de ies frapper à son coin, et tt'en
avoir fabriqué de fausses; a® d'avoir pertnis qu'il dr-
cuiât en Roussillon des monnaies française^ , en con-
travention à ce qui avait été réglé avec le preiriîer roi
de Majorque.
Si le parti n'avait pas été pris d'avance de condam-
ner Jayme sur un prétexte quel qu'il fôt, il lui eût
été bien facile de réfuter ces griefe ; mais tout ce que
put dire ce prince, et les mémoires justificatifs que
présenta son maître rationnel ne furent d'aucun eff^:
l'arrêt était irrévocable.
La citation du roi d'Aragon fut signifiée à Jayme ,
dans son château royal de Perpignan, le 17 février.
Au moment d'entrer en campagne , ce prince ne jugea
pas à propos d'y déférer, et par cette résoîutiôn pré-
vue par don Pèdrc il combla tous les vœux de ce-
lui-ci. Pèdre fit aussitôt déclarer son vassal rebelle et
contumax, et ses domaines saisissables; c'est à quoi
tendaient toutes ses pensées depuis qu'il avait pris en
main les renés de l'état.
Le roi de Majorque avait cru que la réunion des
eorts de Catalojçne était un subterfiige de son beau-
IVère, pour se dispens(r seulement de prendre les
armes eontre le loi de France; il ne pouvait pas soup
( ornier (pril v allait pr)ur lui de la perte de sa cou-
CHAPITRE CINQUIÈME. 249
ronne. En reconnaissant le guet-apens dans lequel
Tavait attiré la plus noire trahison , Jayme s* empressa
de faire sa paix avec le roi de France , et Philippe lui
rendit sur-le-champ les domaines qu'il lui avait saisis.
Mais cet orage qu'il venait de conjurer n'était rien
auprès de celui qui grossissait et allait éclater de l'autre
coté des Pyrénées. Malheureusement pour ce prince,
le seul parent qui lui fût dévoué , celui dont la sagesse
avait pacifié deux fois à Montpellier ses imprudentes
querelles avec le comte de Valentinois, et dont la
valeur épi^uvée l'aurait, sinon sauvé dans ces grates
circonstances, au moins préservé d'une ruine et d'une
spoliation ^ complètes , Gaston II, comte de Foix»
mourut , malheureusement pour lui , alors qu'il lui
devenait le plus nécessaire.
248 LIVRE DEUXIEME.
cita, en conséquence, à comparaître devant sa cour,
dans le terme de vingt-six jours, pour se justifier,
1* d avoir fait fondre à Perpignan des monnaies de
Barcelone, afin de les frapper à son coin, et d'en
avoir fabriqué de fausses; a® d'avoir permis qu'il cir-
culât en Roussillon des monnaies firançaiséà , eh con-
travention à ce qui avait été réglé avec le prerilîer roi
de Majorque-
Si le parti n'avait pas été pris d'avance de condam-
ner Jayme sur un prétexte quel qu'il fût, il lui eût
été bien facile de réfuter ces griefs ; mais totit ce que
put dire ce prince, et les mémoires justificatifs que
présenta son maître rationïiel ne furent d'aucun efTçt :
l'arrêt était iiTévocable.
La citation du roi d'Aragon fut signifiée à Jayme ,
dans son château royal de Perpignan, le 17 février.
Au moment d'entrer en campagne , ce prince ne jugea
pas à propos d'y déférer, et par cette résolution pré-
vue par don Pèdre il combla tous les^ vœux de ce-
lui-ci. Pèdre fit aussitôt déclarer son vassal t'èbélle et
contumax, et se$ domaines saisissables; c'est à quoi
tendaient toutes ses pensées depuis qu'il avait pris en
main les rênes de l'état.
Le roi de Majorque avait cru que la réunion des
corts de Catalogne était un subterfuge de son beau-
frère, pour se dispenser seulement de prendre les
armes contre le roi do France; il he pouvait pas soup-
çonner qu'il y allait pour lui de la perte de sa cou-
CHAPITRE CINQUIÈME. 249
ronne. Eln reconnaissant le guet-apens dans lequel
l'avait attiré la plus noire trahison , Jayme s empressa
de faire sa paix avec le roi de France , et Philippe lui
rendit sur-le-champ les domaines qu'il lui avait saisis.
Mais cet orage qu'il venait de conjurer n'était rien
auprès de celui qui grossissait et allait éclater de l'autre
côté des Pyrénées. Malhciureusement pour ce prince,
le seul parent qui lui fut dévoué , celui dont la sagesse
avait pacifié deux fois à Montpellier ses impiiidentes
querelles avec le comte de Valentinois, et dont la
valeur éprouvée l'aurait , sinon sauvé dans ces grates
circonstances, au moins préservé d'une ruine et d'une
spoliation complètes , Gaston II, comte de Foix,
mourut , malheureusement pour lui , alors qu'il lui
devenait le plus nécessaire.
355 LIVKE DEUXIÈME.
L'advprsité r<'nd tmriililrs et soumis, même les po-
tpntats. .layme, dont la fierti^ s'était justement indi- .
gnée dp la d^^lcynlt^ cniidtiite du roi d'Aragon, se
voyant miîiiar^ par la formidable ligue de sei deiii
voisins, fît demander par l'entremise du pape un
Muf-ronduît pour m; rendre à Barcelone.
Ce voyagf fonmit it .■'on astucieux ennemi un nou-
veau jip^tcxte pour le perdre. Pèdre prétendit, vhoM
Ibrt étrange, que le roi de Majorque avait voulu \6
faire arrAter lui, sa femme et ses enfants, pour 1m
envoyer A Majortjue d,^n!» le cliàtcau d'AIaron '.
t>a supi>osition que Jayme, au milieu d'une cour
hostile, eût pu concevoir un projet aussi extravagant
que celui de se saisir, par force ou par adresse , de la
personne du roi et de tmite sa famille, de les enlever
dii sein tin leur palais, au centre de la capitale, souâ
les yeux d'une population dévouée, c«tte supposition J
Ae pouvait tromper personne, et les liistoricns rtra-
gonnais trouvent eus^némes qu'en fait d'invention Km
n'en pouvait intaginer de plus grossière et de plus
honteuse. Pèdre ne s'en servit pas ttioiiU pour at»
projets, et SHr ce ridicule motif il retint prisonmiret
dans son palais, la reine de Majorque, sa propre
sœtn*. Une violente altercation s'en itant suivie mtre
' E havia aii delliberat que de continent <{ne Sotseû eu la cAllA
iaa facs pendre I noa e ■!» dit» infants. Esicridanem ne an ^uiA,
queos occi*>rn toti decontineut, eiino nos menu..... en lo midi
de Aliiro. Chronica lirt iry en Pfrr, écrite de SB nwin et raj^KHl^par
Carbonpil.liï, (II, fol. i3o.
CHAPITRE SIXIÈME. 253
les deux rois, Jayme, qui vit qu on violait à son égard
le sauf-conduit, se hâta de retourner en Roussiilon,
emmenant avec lui toutes les dames et demoiselles de
la suite de sa femme, qui resta captive à Barcelone.
A son retour à Perpignain , il justifia toute sa conduite
dans im manifeste où il prouvait qu'il aurait pu, si
telle avait été son intention, enlever, dans Perpignan
même, le roi d'Aragon et ses en&nts, mais qu*il n*en
avait jamais eu la pensée, ce qu'il était prêt à soutenir
en combat singulier. En représailles de Tinjuste dé-
tention de sa femme, il fit arrêter tous les sujets ara-
gonnais qui se trouvaient dans ses états , et séquestrer
leurs biens.
Le malheureux roi de Majorque, voué à une ruine
complète par un prince qui, joignant à une grande
puissance et de vastes moyens, une astuce et une
perfidie plus grandes encore, ne s était pas contenté
d'isoler son adversaire de ceux qui auraient pu lui
prêter leur appui, mais s'était fait de nombreux par*
tisans en Roussiilon, ne pouvait plus compter sur
ses propres sujets. En attendant l'examen que nous
nous proposons de faire de la conduite de Jayme et du
jugement que doit porter de lui l'impartiale postérité,
disons un mot de la cause de la défection de ses
peuples du continent.
L'avantage de faire partie d'un royaume fort de
ses propres ressources et pouvant en toutes circons-
tances prendre l'attitude que lui commandaient sa
25'( LIVRE DEUXIEME,
politique et SCS intérêts, au lieu de n'appartenir qu'à
un pnnoe dont les moyens, déji^ insignifiants, étaient
tellement dissémines qu'il ne pouvait, au besoin, les
réunir en temps opportun; qui, dans l'impuissance
de prendre un ton ferme et imposant, était forcé de,
se traîner de ligue en ligue, et de chercher à tout
instant des auxiliaires parmi ses voisins, disposés i
le soutenir aujourd'hui et demain  l'abandonner, eL j
qui, vendant toujours chèrement leurs services, l'obli-
geaient d'écraser ses peuples d'impôts pour subvenir
à ces dépenses; cet avantage, dîsous-nous, devait
frapper nécessairement les grands comme le peuple
de la couronne de Majorque , et leur faii'G regretter le
temps où, à l'ombre de la bannière royale d'Aragon,
ils vivaient tranquilles et heureux, dans une indépen» J
dance à peu près complète. Dans une telle situation ]
d'esprit, si k des motifs aussi réels et aussi li^itimes |
de fatigues et d'accablement, il venait à se joindre
quelque sujet de mécontentement personnel contre le
chef du gouvernement, il était bien dîfficfle qu'on te
refusât k prêter l'oreille aux insinuations de cdlui qui,
étant le plus fort, s'annonçait hautement comme on
réparateur qui devait &ire cesser pour jamais cette
position le plus souvent pénible et malheureuse, et
toujours équivoque, en éteignant l'éphémère puis-
sance qui seule l'occasionnait ; qui promettait garantie
entière et récompenses à qui le seconderait. Pour
rester inébranbbles dans ses devoirs , en des circms-
CHAPITRE SIXIÈME. 255
tances semblables , il faudrait un dévouement et une
résignation qui ne sont pas le partage du commun des
liommes. Le sujet personnel de mécontentement
contre Jayme II était un goût de dépenses qui, n é-
tant pas en proportion avec ses revenus, lui faisait
augmenter encore la somme, déjà si lourde, des im-
pots. Les agents du roi d'Aragon, exploitant sourde-
ment ce mécontentement, et leurs souples intrigues se
façonnant à toutes les conditions, se prêtant à toutes
les formes, et se mettant à toutes les portées, gagnè-
rent de proche en proche la plus grande partie de
la population, et il arriva alors ce qu*on voit toa-
jours se reproduire en de pareilles conjonctures : les
sujets se détachèrent peu à peu de leur prince; sa
justice, son équité, ses bienfaits anciens et récents
:iurent mis en oubli, tout lui fut imputé à crime , et
le monarque, après avoir perdu leur affection, se
trouva insensiblement isolé au milieu de ses peuples.
Xn des circonstances identiques, les résultats aussi
sont toujours les mêmes , et l'histoire des xviii* et xix'
«ècles doit rendre très-intelligibles pour nous , s'ils ne
l*ont pas été pour nos devanciers, les événements du
avi* siècle au sujet de Tinfortuné roi de Majorque.
Le petit nombre de personnes que le torrent de la
séduction et de l'exemple n'avait pas entraîné dans
ie parti du roi d'Aragon, et qui était resté fidèle
au milieu d'une défection générale, éprouva combien
la loyauté devient un crime odieux et impardonnable
266 LIVRE DEUXIÈME,
aux yeux de ceux qui ont trahi leurs devoirs. Le pres-
sant besoin d argent pour subvenir aux dépente^ né-
cessaires à une lutte aussi dangereuse que celle qui
allait souvrir ayant fait passer le roi da Majorque
sur 1 exacte légalité des formes exigées par les cons-
titutions pour la levée des contributions, une sédi-
tion éclata dans Perpignan, et la populace, excitée
par ceux qui, en poussant les masses, ont toujotu:s
grand soin de se cacher dans Tombre, pilla , non-seu-
lement les objets appartenant à la couronne, mais en-
core les propriétés des seigneurs connus pour être
dévoués au roi. Jayme, forcé de reconitaître qu*il ne
pouvait frapper de nouvelles impositions sans l'avis et
le consentement des consuls, conseillers et chefs de métiers
de la ville, donna, le 17 décembre, cette déclaration
solennelle, ( t amnistia par le même acte tous qeux qui
avaient pris part à la révolte à découvert oa en ^cret ^
Le roi d'Aragon , pour mener à une bonne fin une
perfidie si heureusement commencée, b était empressé
de réunir son armée, et, sans attendre Texpiration du
délai d'im an assigné à Jayme pour sa justification, il
prononça en grande pompe la réunion définitive des ^
états de Majorque à ceux d'Aragon, en présence des^
syndics des villes royales convoqués à cet effet dan^ ^
Barcelone ; l'acte dressé en conséquence est du j^
des calendes d'octobre de cette année 1 3^2 ^ Pieri^^,^
' An h. Pcrj). lih. liriil. min.
* Voyez VixvW d'union aux preuves n" WI.
CHAPITRE SIXIÈME. 257
Paschal, procureur du roi de MajOrc[ue, avait bien
opposé k la sentence de don Pèdre des exceptions
'fondées sur la donation royale de Jayme le Conque-
:M*ant, qui défendait toute diminution des états de Ma-
jorque, et plusieurs autres raisons péremptoires; mais
les armes du droit n étaient plusd aucune vaieui* contre
la volonté bien décidée de n'employer que celles de
la force. Le pape Benoît XII, de son côté, avait fait
plus vives instances en faveur de Topprimé; rien
pouvait faire changer ia résolution irrévocable*
jment prise de confisquer Théritage de Jayme. Ainsi,
pendant qu une armée navale de cent dix:-sept voiles
de toutes grandeurs mettait en mer sous la conduite de
I^ierre de Moncade pour faire la conquête de Tile de
Alajorque , une armée de terre se réunissait sous le
cominandement de Tinfant don Jayme, frère du roi,
et de don Lopè de Luna , pour agir sur le continent.
Le*jroi de Majorque s'était rendu de sa personne 1343.
dans la principale des îles Baléares pour attendre son
^snnemi qui y passait lui-même avec sa flotte. Le car-
dinal André Ghini Malpiggi , légat du pape près de
Jayme, et qui, suivant les vœux du pontife, avait fait
de longs et inutiles efforts pour réconcilier les deux rois,
disposait à passer lui-même dans cette île pour
mpécher ces princes d'en venir aux mains, quand sa
jmauvaise santé le força de rentrer à Perpignan , où il
ourut le a de juin ^.
^ Baluze, Hist. des papes d Avignon, tome I.
258 LIVRE DEUXIÈME.
La tête ardente de Pèdre ne pouvait sou£Brir de
contrariétés. Voulant maîtriser ies déments comme
les hommes, il fit appareiller sa flotte en dépit de
tous les pilotes , dont Tavis unanime était qu'il y avait
la plus grande imprudence à mettre en mer au mo-
ment où les signes d*une tempête se manifestaient de
la manière la moins équivoque. Impatient d*entamer
Taflaire de la spoliation , il ne voulut rien entendre ,
et ce seul trait le peint en entier. La tourmente éclata
comme on Tavait prédit, et sa violence fut extrême
pendant six jours. Un calme plat lui succéda, qui re-
tint encore à la mer les vaisseaux pendant plusieury
jours avant de leur permettre d'aborder à Majorque.
Eln voyant la cote garnie de troupes disposées à re-
pousser son débarquement , Pèdre envoya deux de
ses chevaliers leur dire qu'il trouvait bien étrange
qu'ils prétendissent résister à leur roi ^; et en effet
ce prince devait s'étonner de ces dispositions hostiles
d'après les intelligences qu'il s'était ménagées dans
les principales villes de cette île. Cependant il fiedlut
en venir aux armes. L'amiral Pierre de Moncade
donna ses ordres aux gdères dans la nuit du a 5 mai.
Ces galères , divisées en quatre escadres qui mena*
çaient les Majorquins sur quatre points différents, les
obligeant ainsi de partager leurs forces, les jetèrent
dans l'incertitude et Êicilitèrent le débarquement
Pèdre, dont la bravoure égalait les mauvaises qua-
^ Abarca, And, de Arag. tom. II.
CHAPITRE SIXIÈME. 259
ités, et qui, dans un corps grêle et chétif, portait
ine âme toute de feu et une énergie qui participait
le la nature de cette âme , sauta le premier à terre
n s'élançant de la poupe de son vaisseau sur une
»ointe de rocher de la montagne de Péguera , malgré
I nuée de flèches, de dards, de javelots et de pierres
lont les Majorquins couvraient le rivage. Il gravit
nsuite à pied et sous le poids de son armure cette
dénie montagne, par une pente ardue et difficile,
d8 principaux officiers qui devaient l'entourer pou-
ant à peine le suivre. Parvenu au haut de ce mont,
[ en débusque ceux qui le gardaient pendant que
in£auit don Pèdre , son oncle , débarquant d'un autre
ôté, poussait également devant lui ceux qui lui
taient opposés et que commandait Jayme en per-
t>nne. C'est alors que triomphèrent les intrigues de
Aragonnais : le roi de Majorque se vit en un instant
bandonné de ceux mêmes sur lesquels il comptait
; plus.
Pendant que l'armée d'Aragon marchait en ordre
or la ville de Majorque d'où les syndics étaient sortis
u-devant de don Pèdre , Jayme , consterné de cette
iremière défection qui lui en présageait tant d'autres,
oguait vers le Roussillon avec la crainte d'être pour-
uivî par les galères de son ennemi et livré peut-être
oême par les siennes propres.
Le premier soin de Pèdre , en entrant à Majorque,
ut de faire proclamer la sentence de confiscation
260 LIVRE DEUXIÈME.
des états de son beau -frère, ce qui eut lieu sans
aucune opposition. H n en fut pas de même pour la
formalité qui devait suivre, celle de faire confirmer
cette sentence par les syndics de la commune. A la
sommation qui leur en fut faite , ces braves gens ré-
pondirent avec courage que don Jayme était leur roi,
et queux, comme ses vassaux, ne devaient point croire
aux crimes quon lai imputait et moins encore l'en panir«
Cette réponse si pleine de noblesse et de dignité irri-
tant rinfant don Pèdre, oncle du roi, il repartit avec
toute râpreté de son caractère sauvage : « Le roi et
c< nous tous sommes dans la ferme résolution de faire
« périr le royaume et les états d^Ai^agon avec tout ce
«qui s'y trouve d'hommes, de femmes et d'enfants,
«et chacun de nous comme sa propre chair et son
« propre sang, plutôt que de permettre que cette royale
« couronne souffre de notre vivant la moindre altéra-
« tion et la moindre diminution ^ » De pareils propos
étaient bien dignes de celui qui , pendant que le roi
de Majorque était à Barcelone sous la garantie d'un
sauf-conduit, voulait qu'on lenfermàt dans une prison,
afin de s'emparer de ses états sans tirer Tépée. La
même sentence de confiscation fut solennellement
publiée ensuite dans la cathédrale de Majorque, le
a a juin, en présence de tout le peuple, et confirmée
^ Abarca, Anal, de Arag. tom. II. Les dernières paroles se rappor-
taient à la réunion, ordonnée parla sentence royale, des états de Ma-
jorque à ceux d* Aragon.
CHAPITRE SIXIÈME. 261
[mmédiatement par le roi lui-même, la main posée
lur la croix et les évangiles.
Les hostilités avaient déjà commencé sur le con-
Jnent avant le départ de la flotte pour la conquête de
Majorque. Dès la fin d'octobre de fannée précédente
quelques compagnies de cavalerie , sous le comman-
lement d'Arnaud d'Eril et de Guillaume de Belléra ,
econdées par les paysans des vigueries de Ripoll et
le Berga, étaient entrées dans la Cerdagne où elles
ivaient fait le dégât.
En quittant Majorque, Pèdre avait mis en délibé-
ation devant son conseil la question de savoir s'il
levait retourner directement à Barcelone ou s'il ne
râlait pas mieux aller sur-le-champ débarquer à Col-
ioure pour se mettre immédiatement en possession
les deux comtés. Plusieurs étaient de ce dernier sen-
îment, mais la majorité ayant été d'avis de se rendre
Tabord à Barcelone poiu* de là marcher ensuite , le
dus promptement possible , sur le Roussillon , la
lotte vogua vers la Catalogne.
Pendant que Pèdre travaillait à réunir des forces
mposantes, et que des levées considérables se fai-
aient dans toute la principauté, ce même prince
cherchait, d'autre part, à justifier sa conduite auprès
lu pape dans une lettre où étaient longuement ex-
K>sës tous les griefs qu'il prétendait avoir contre le
•ci de Majorque. Le pontife lui répondit de Ville-
ineuve-lez- Avignon , le i ''juillet, que, s'il croyait avoir
262 LIVRE DEUXIEME,
à se plaindre de Jayme, ce prince n avait pas moins à
se plaindre de lui. Clément VI fit partir quelques jours
après un nouveau légat , ami de don Pèdre , qui ar-
riva à Barcelone le 1 1 du même mois : ses instances
en faveur de Jayme n*eurent pas plus de succès que
celles de son prédécesseur. Ce l^at, qui était Ber-
nard, cardinal de Rodés, s*épuisa en longs et bons
raisonnements. Pèdre écouta , et énuméra de nouveau
ses griefs contre son beau-frère, leçon, dit Âbarca,
qu'il avait très-bien apprise par cœur; et, poiu* se dé-
barrasser de toute nouvelle sollicitation de ce genre ,
il ajouta qu'il y regarderait; mais, au sortir du con-
seil, et après avoir soupe avec le légat, il partit sur-
le-champ pour le Roussillon.
L'état des finances de Pèdre ne répondait pas au
grand développement de son armée : la solde était
arriérée. Â Girone quarante cavaliers à qui il était
dû , et qu on n avait pas voulu indemniser de la perte
de leurs chevaux , retournèrent chez eux. « B est vrai,
((dit Pèdre dans sa chronique, que les chevaliers et
(( riches hommes qui étaient restés en deçà , lorsque
(( nous allâmes à Majorque , nous firent grand afiront
(( sur le manque de solde; surtout l'infant Jayme et le
(( comte de Luna , lequel parlait pour les siens. Bs di-
(( saient que les cavaliers aragonnais avaient un arriéré
(( de quinze jours et ceux de Catalogne de dix , qui plus
((que moins. Ému de ce reproche, nous leur répon-
((dîmes qu'ils n'avaient qu'à partir, que nous entre*
CHAPITRE SIXIÈME. 265
16 en Roussillon avec ceux qui avaient conquia
jorque. Mais , craignant qu'ils ne noua quittassent
lement , nous les primes chacun à part , et fina-
lent leur promimes, foi de roi, de les payer du
îs de solde qui leur serait dû pour avoir été en
issillon et pouvoir retourner dans leurs foyers,
te promesse les satisfit; ils nous suivirent tous, n
ï ^9 juillet l'armée aragonnaise sortit de la Jon-
re et se dirigea vers le col de Panissas qu elle
ï sans opposition. Un détachement se porta vers
lâteau de Bellegarde , et le reste de l'armée alla
>er sur les bords du Tech, près de Saint-Jean de
s. Le lendemain, comme l'armée s'acheminait
Perpignan, quelques cavaliers et fantassins qui
^haient séparés du corps de bataille, allèrent
parer de la tour de Nidolères à laquelle ils mi-
le feu après en avoir égorgé toute la garnison :
débutait cette guerre toute de haine , et d'autant
furieuse que cette haine était de famille; guerre
use et sacrilège qui devait couvrir le Roussillon
Cerdagne de meuitres et d'incendies.
8 roi d*Aragon était à Elne quand arrivèrent
de lui révêque de Huesca et Hugues d'Ârpajon ,
gés d*implorer à leur tour sa miséricorde en fa-
de don Jayme pour qui chaque pontife témoi-
; successivement le plus vif intérêt : vaines ten-
es. Le légat se joignit encore à eux le lendemain
) fut pas plus heureux; une ambassade de la reine
264 LIVRE DEUXIÈME,
de Sicile, dona Sancia, cousine dii roi de Majorqae,
n*avait pas eu plus de succès : l'intérêt de i'Aragon
exigeait Textinction du royaume de Majorque, et la
résolution de don Pèdre était inébranlable. Quoique
^ des sentiments de haine personnelle entrassent pour
beaucoup dans sa conduite contre son beau-frère, il
est certain néanmoins qu une politique bien entendue
lui commandait de réintégrer à ses domaines ce que
son aîeid en avait si imprudemment retranché, et
cette considération, très-bien sentie par ce prince,
prêtait une nouvelle énergie à son immuable volonté.
D*Ëlne , le roi dÂragon s'était porté devant Ganet,
d'où il présidait au ravage des terres du RoussiUon :
ce prince ne laissait d'autre alternative aux sujets du
roi de Majorque qu'une soumission aveugle ou une
entière ruine.
Pendant que le quartier royal se trouvait devante" .«it
Ganet, une rixe s'éleva dans l'intérieur de cette petiULUi»'^
ville entre la garnison qui voulait la défendre, et le^ft ^s
habitants qui, dans leur intérêt personnel, n'aspi^-KÎ-
raient qu'à la livrer. Ces soldats, que commandait"-5^t
François dOms, se voyant hors d'état de se défendr^^""^
tout à la fois contre les traîtres du dedans et les en— -^"^-
nemis du dehors, prirent le parti de la retraite et cé-^^^^
dorent la place aux Aragonnais. Le lendemain, a août ^^ -•^»
les milices de Manresa, avec quelques compagnies d^ -Ce
gens de guerre, allèrent attaquer le château de Sainte^^ -^
Marie-la-Mer dont elles s'emparèrent et que le rot^^^oi
J
CHAPITRE SIXIÈME. 265
Pèdre fit fortifier. Ge même jour, Ximenès de ^parça
entra de vive force dans Gastei-Rosselio après en avoir
dé&it la garnison sortie à sa rencontre , et d'autres
compagnies se rendirent maîtresses de Gastel-Amaud-
Subira qui fiit incendié.
Pèdre fit sommer Raymond, vicomte de Ganet,
qui avait été son prisonnier à Majorque , de se rendre
et de lui livrer le château : il s'y décida sans di£Qculté.
Le vicomte et sa fenune eurent le diocèse de Girone
pour prison.
Le roi d'Aragon confia le commandement de Ga-
net, dont il fit sa place d'armes , à Philippe de Gastre.
Le 6 août il se rapprocha de Perpignan pour le blo-
quer, et campa entre Bajoles et la ville.
Perpignan ne répondait pas à la sommation de don
Pèdre ; les consuls de cette ville refiisaient même de
hii envoyer leurs messagers, car plus tard, alors que
Pèdre était à la Jonquière , lui ayant demandé com-
munication du procès fait à Jayme afin de l'examiner
avant d'en exécuter la sentence, il leur avait été ré-
pondu an poch asprement par le roi d'Aragon que,
puisqu'ils prétextaient ignorance d'une chose claire
et notoire, ils eussent à se rendre, sinon que leurs
successeurs en verseraient des larmes amères ^.
' En effet, arrivé sous les murs de la place, il fit ar-
racher toutes les vignes, brûler les oliviers et déra-
' Que si no venian, que a llurs successors ne romandria plorosa
memoria. CarhoneU, cap. xix, liv. III.
26() LIVRE DEUXIEME.
cinfîrleN autres arbres, à la seule exception (les figuiers
dont il aimait le l'ruit '. Sa colère ne s'arrêtant pas là,
il fit nicllre h mort quelques Perpigiiaiiais, capturée
dans une sortie qui avait Hé repoussée avec taiit de
vigueur, qu'un chevalier aiagoiuiais , entraîné lui- ,
même par le (lot des fuyards, avait été fait prisonnier A
dans l'intérieur des murailles.
Au mouienl où cela se passait, une colonne de ^
quiiiEc cenls hommes de Cerdagne descendait au se- —
fours de Perpignan. Pidre, informé de l'approche de ^a
cette troupe, avait envojé pour la combattre don m~:i
l'ieiTe de hjterica. Celui-ci voulut se mettre en cm- — j-
huscade sur la route; mais, l'ayant aperçu . les Cerda- — m'
^n<)ls se retirèrent^ Rodés, d'où quelques jours après <^k>i.
ils parvinrent h Perpignan.
Le roi d'Ai-agon s'était persuadé qu'en se priten- — *■
tant devant Perpignan , dont une bonne partie de laj
population était dans ses intérêts, les portes lui em
Mraîent ouvertes. Irrité d'une râaiataiK» à ktpicfiB
ne s'attendait pas, et blessé surtout qu'oB n*eàt£
aucune réponse au^ messagers qu'il venait d'enVoyn
de nouveau aux consuls , il fit continuer pendantu
joufB encore, sous ses propres yeux, la <
du terroir de cette ville, et U ae rendit i
Solcr qu'il emporta facilement. De là, de«eèodHitIv!^^a
' B Iota la gCDt de pen aoiuen nrampau, tnllanl vinycs, oUuErei -^ '
■Itm aibrei, him figuena, per tal cntn les figu» nos ubien tnillo^E -^n
que altn firuyla. Clavn. dm Prre.
CHAPITRE SIXIÈME. 267
Tet jusqu'à Saint-Estève , il brûla ce village, en dé-
truisit les moulins et ravagea les terres. Le 1 3 août il
revint à Ganet, d'où il envoya des détachements ar-
racher les vignes et dévaster les champs de Glaira.
Malgré le mauvais succès des démarches du saint
si^e en faveur du roi de Majorque, la charité zélée
des papes ne se refroidissait pas , et Clément VI , hé-
ritier des bonnes dispositions de Benoit XII pour le
monarque opprimé, ne pouvant renoncer à l'espoir
que Pèdre ne se laissât enfin toucher aux vives ins-
tances de l'é^'se, pressait son légat de revenir tou-
jours à la chaîne sans se décourager. Le légat, avec
Tévêque de Huesca et quelques grands personnages,
eut donc encore les 1 7 et 1 8 de ce même mois d'août
des conférences avec le roi d'Aragon, et cette fois
l'issue fut plus hemreuse : il fut arrêté qu'une trêve
suspendrait les hostilités. Le pape crut avoir triomphé
de l'obstination de don Pèdre : il ne connaissait pas
le caractère de ce prince. Pèdre déclare lui-même,
dans l'histoire de sa vie , que le seul motif qui le dé-
termina à accéder à cet armistice, c'était le besoin de
rentrer en Catalogne pour renouveler ses provisions
et faire confectionner des machines de guerre pour
l'attaque de vive force de Perpignan, sur la résis-
tance duquel il n'avait pas compté.
Cette trêve, que le légat, au comble de la joie,
s'était empressé d'aller annoncer à celui qui fut roi
de Majorque, pour nous servir des propres exprès-
268 LIVRE DEUXIEME,
sions de don Pèdre ', commençant le 19 août, de-
vait durer jusqu'au premier avril suivant. Pidre fit
suspendre les dévastalions, retourna à Canet doat il
fit augmenter les ibrtilications , en donna )e comman-
deuiffnt, sous le litre de capita et procarador, à frère
Guillaume de (îuimera, de l'ordre de Saint-Jean de
l'Hôpitai, et reprit ensuite avec la plus grande partie
de ses troupes la route de fiarcetonc.
' Cm ciprRssÏDDs, il les rl-pf^le i i»ûhé «1 du ton le plui oalngeD-
Hmcot raillFur : En Jaamr qat fo rry dt MaUorifaa.,..; rn Jaunie Je
Mi&>rqart...... dri ^ J»,...: h ilit i/uffùn ; m^ll^Ut «olîa rM«r„...:
itl «lit afim rry, PMre avait h cette époque ritigt~lr«* koi ol d«mi : «a
ctri qat noi rrrm tn tdal dr XXIII anyï r mig. Sos reaseutiiiients, bien
iiu mal runilM, avaient donc loule l'ardeur de toa JEunc Age. Son im-
pitrtÏDentr fierté scmlîla se radoucir h partir du jour où le maltieureoi
Itjmi: te Tut livré à la merd de aon ennemi : Pèdre lui danaa alon le :
tilrt de (a ail en Jaunir dt JUdllonfiiri: mais >ur le refus que fait pdus -^
tard Jajme de reconnaître les litres nouveaux de f usurpateur, ces tit
dont il est crueDemeat dépouilla, Pèdre, nouveau roi de Majonpi*^
cointe de Rounïllon. de Cerdsgne, etc., n'appelle plus son oneemFj
vaincu que in Jaame de JWaHor^iu^i, cl un peu plus tard Jdiuiu d,t Mont— i
petier, parce que le roi détrôné était allé se réfugier dans cette ville
dernier Beuron de u couronne bri»ie.
CHAPITRE SEPTIEME. 269
CHAPITRE VIL
Nouveaux préparatifs de guerre. — Reprise des hostilités. —
Prise de diverses places. — Siège et capitulation de Col-
lioure. — Divers châteaux ouvrent leurs portes. — Jayme se
livre à discrétion. — Le reste du Roussîllon se soumet. —
Pèdre dans Perpignan.
Le roi de Majorque commençait à respirer. A la
crainte de se voir forcé dans sa capitale succédait
Tespoir d*une entière réconciliation avec son beau-
frère; il ne doutait pas que, par une conséquence né-
cessaire de la déférence que le roi d'Aragon venait
de montrer enfin aux désirs du pape, un arrange-
ment définitif n eut lieu par la même médiation : le
malheureux ne tarda pas à être arraché à ses illusions.
Averti des préparatifs qui se faisaient de l'autre côté
des Pyrénées, il ne pouvait se méprendre sur la des-
tination des machines qu'on fabriquait en si grande
hâte à Barcelone et à Valence. Voulant alors, de son
coté , faire de nouveaux efforts pour se mettre en dé-
fense, il trouva partout sur ses pas son implacable
ennemi. Le 1 5 du mois d'août il avait vendu à Guarin
de Château -Neuf le village de Saint- Côme, pour
douze cents écus de France. Pendant la trêve, il
se décida à engager à quelques cardinaux les sei-
gneuries d'Omellas, de Montpellier et de Garlad;
i343.
tm LIVRE DBDXIEMK
mais Pàdre» ae fiuidaiit sur ce que le.priiicipil.4ai
terres lui appartenait, et ^e Jayme ne pouvÉft les
diéner, fit tant auprès du pape et du roi de Kranee,
qu'A empêcha le roi de Majorque d*en reee?oir b
finanoe. Phflippe aUa |dus loin* par lettres MMUMi
du 5 septembre il fit défenses à tout sujet déisà odo-
romie de fidre sortir du royaume des chefèôxv '^
armes» des vivres, rien en un mot de ce qui<éba|i^
cessaire au roi de Bfajorque, et ce fut le roi d*AngQB
hii-4nèmet qui fit notifier ces lettres* le 1 1 'lidtafcn
suArant, aux sénéchaux de Beaucaire, de Giiesi
sonmè,deToidouseet deBigorre. m. : /
,144. iajrme , retombé dans les plus croe&es amdélfts',^!
serait plus de quel côté se tourner pouf coijuWÉfb'' ^-
rage. Dès le commencement de janvier i Sft&ll'
éerit au roi d*Aragon, le priant de se souveaftri
était doublement de sa fiimflle par les liens dit Ml^.
et par son mariage avec sa propre sœur, et qifl
titre il implorait sa justice. Pèdre impatienté répon-
dit au religieux chargé de ce message, qu*il avait
cédé contre Jayme avec toute justice comme juge
comme suzerain , et suivant le commandement de&'
lois divines et humaines ; puis il récapitula aussi!
tous les griefs qu*il avait contre son heau-fi:ire, l'ac--
cusant de plus cette fois d* avoir dit que s'il pouvar5=--^
boire de son sang il ne se croirait pas encore asses:^^^
vengé ^ : propos horrible s'il fut tenu en eflet, nùSlm^^
' Abarca.
i
CHAPITRE SEPTIÈME. 271
fois plus horrible encore s*il fut imaginé par le roi
(l*Aragon , ou par quelqu'un de ceux qui fomentaient
sa haine contre son beau-frère. Afin d enlever toute
espérance à ce prince, Pèdre, sur un bruit vague
[|ui se répandit que Jayme voulait venir à lui en
bahit de moine ou de pénitent, manda au bailli de
Piguières de couvrir d'espions tous les passages , pour
que, si le roi de Majorque se présentait effectivement
sous ce déguisement, il fôt arrêté, et enfermé dans
ta tour de la Giit)nella. Pour manifester ensuite com-
bien sa résolution était irrévocable, il prononça, le
39 mars, en grande solennité, dans la chapelle du
palais de Barcelone , incorporation perpétuelle et in-
aliénable des états de Majorque à la couronne d'Ara-
gon, et déclara ses sujets déliés de toute obéissance
envers lui et envers ses successeurs, quant à ce, si lui
ou eux venaient à séparer ou aliéner aucune partie de
ce qui avait constitué ce royaume de Majorque, soit
par donation entre vifs, par testament ou par alliance,
soit même pour occasion de paix ou de concorde ; et
si pareille chose arrivait jamais, le roi déclarait qu'il
serait Ubre à ses sujets de s y opposer par la force , et
de lever à cet effet des hommes, des armées et des
contributions ^.
Les riches hommes d'Aragon avaient été convo-
<{ués poiu* le commencement du printemps. A la nou-
velle de cette disposition de guerre, le pape avait
^ Pfccnfos n XXII.
272 LIVRE DEUXIÈME,
envoyé près du roi d* Aragon l'archevêque d'Aii, pour
tâcher de fkire prolonger la trêve jusqu'à la fin de
septembre ; mais ce prélat ne put rien obtenir. Au
jour convenu, toutes les compagnies se trouverait
réunies à Girone : c était le 2 5 avril.
Le roi de Majorque avait contracté Tengagemaitde
ne rien entreprendre contre les garnisons aragonnaises
laissées dans les places de ses états occupées par elles,
tant que durerait la trêve; dès qu'il eut connaissance
de la marche des ennemis , il voulut faire le dégât au-
tour de Canet ; mais rien de ce qu'il pouvait entre-
prendre ne devait réussir : ia fatalité avait marqué sa
destinée. La compagnie de chevaux sortie de Per-
pignan pour cette expédition fut mise en déroute par
Guillaume de Guimera, qui la ramena avec tant de
vigueur jusqu'aux portes de la ville, que les Majo^
quins furent très-heureux d'y pouvoir rentrer.
Avant de repasser les Pyrénées, Pèdre avait gravi
la montagne de Montserrat, pour offrir à la Vierge de
ce célèbre monastère une j^alère d'argent, en actions
de grâces de la victoire qu'il avait remportée l'année
précédente à Majorque, dans la campagne contre
cette île. L'infant don Raymond-Bérenger, frère de
co prince et comte apanagiste d'Ampurias, avait ren-
du la liberté à Bérenger de Villaragut, à Bernard de
So et à quelques autres chevaliers du parti du roi de
Majorque, qui avaient été faits prisonniers du côté de
Lança, et que rinfant avait enlevés à leurs capteurs
CHAPITRE SEPTIÈME. 275
our les délivrer. Sur la connaissance de cet événe-
lent, Pèdre avait fait entamer contre son frère un
rocès-criminel. Raymond-Bérenger, ayant joint don
èdre à Girone, et étant parvenu à lui faire entendre
I justification, en obtint son pardon, et il dut sesti-
ler heureux, car la clémence n'était pas la qualité
e don Pèdre, qui nen avait pas fait preuve, surtout
ïivers son propre sang. Par reconnaissance , ou pour
accomplissement des conditions mises à son pardon ,
laymond-Bérenger procura au roi la soumission de
oute la vallée de Banyuls. Arrivé k Figueras, le
mai, Pèdre mit quelques jours à faire ses dernières
ispositions de campagne, et, le i5, il traversa le
ol de Panissas, précédé par les deux infants, ses
rères, qui étaient à favant^arde. Quelques soldats
e la garnison des Châteaux des Cluses voulurent
enter d'enlever une partie des bagages, au moment
lu passage; mais Tescorte du convoi les força de ren-
per dans leurs forts. Pèdre coucha entre Saint-Jean-
la-de-Corts et le Boulou, et le lendemain il se dirigea
ers Fine, faisant de nouveau ravager les terres et
acendier les habitations sur toute sa route.
Après avoir employé quelques jours à consommer
es dévastations, le roi d'Aragon avait établi son quar-
ier dans les jardins au-dessous d'Elne, pendant que
Herre de Queralt se portait sur la Tour-Bas-Elne,
!t que Guillaume de Guimera , gouverneur de Canet,
i'emparait de Ville - Longue de la Salanque. Les
1. i8
274 LIVKE DEUXIEME.
femmes et les enfants de ce dernier lieu furent forcée
d*en sortir, on ne dit pas pourquoi, et* de se rendre
k Ganet.
La ville de Collioure était investie par Dalmas de
Totzo, viguier de Girone, h la tête des gens de sa
viguerie; Pèdre fit renforcer ce corps par quelques
compagnies de chevaux , sous les ordres de Raymond
de Riusec, et il se disposa à investir Argelès.
Le roi d'Aragon était près de Pujols, où était son
quartier royal, quand le vicomte dlUe ^ vint, de la
part de Bernard de So, Tun des principaux officiers
du roi de Majorque, le même que le comte d*Ampu-
rias avait arraché à la captivité quelques mois aupa-
ravant, traiter de sa soumission k ce prince. Les
conditions étant réglées, ce seigneur augmenta le
nombre des transfuges qui, chaque jour, vendant
leurs sei"vices à Tennemi, trahissaient la cause du
malheur.
Deux vaillants chevaliers de Saint-Jean de Jérusa-
lem, Pierre d'Oms et Pierre-Arnaud de Peirestortes _
fidèles au roi de Majorque, et inaccessibles à toute
corruption, avaient fortifié le Mas-Deu, Palau ettou
les châteaux qui dépendaient de Tordre. Pèdre, poiL-
faire cesser cette résistance, ordonna au grand-prie
' La terre d'Ille, on Iloussillon, avait été ôrigéc en vicomte par
roi Sanche, prédécesseur de Jaynic II, en faveur de Pierrede Fenouil!
^n i5i/i. Pierre épousa Ksclarmonde, vicomtesse de Canet, ce c
réunit ces deux vicomtes sur la même léte.
CHAPITRE SEPTIÈME. 275
de Catalogne de révoquer ces chevaliers, et de les
remplacer par d'autres qui, nés dans ses états , fussent
dévoués à sa personne; de cette manière il eut, sans
coup férir, ces points qui étaient susceptibles d'une
bonne dé£ense. La tour de Pujols, dépendante de
l*âbbaye de Fontfroide, se montrant disposée aussi à
ixiquiéter ses troupes, Pèdre fit sommer iabbé de la
faire remettre entre ses mains ; mais Tabbaye de Font-
finoide était française , et n'avait rien à démêler avec
l€^ roi d* Aragon : la sommation fut sans effet.
Le château d'Argelès, où commandait un Français,
nionnmé Joflfre ou Geofroi E^tendard, et qui avait
pour garnison une compagnie de Génois qui dans
toutes les occasions avaient fait preuve de valeur,
^tait cerné par les Âragonnais , et battu par deux en-
gins et un mangonneau. Pèdre fit creuser, entre la
place et le quartier royal, un canal communiquant à
la mer, dans lequel il fit remonter, pour concourir au
si^ge , tous les navires qui se trouvaient à Canet et à
Port-Vendre ^ Une tour en bois fut construite pour
<^ombattre une maison que Joffre avait bien fortifiée,
^t qui causait beaucoup de mal aux Aragonnais. A la
preimière attaque, le commandant de cette maison
*yant été tué, la garnison pnt l'épouvante et le-
vacna, et cette perte entraîna celle de la place, qui
^^pîtula le 6 juin. Maître d'Ai^elès, Pèdre fit atta-
^^r la tour de Pujols, dont la résistance, quoique
' -Znrita.
18.
276 LIVRE DEUXIÈME.
vive, ne fut pas longue, et il se porta ensuite sur
Collioure.
CoUioure était investi depuis plusieurs semaines
quand Farrivée du roi d'Aragon fit prendre de nou-
velles dispositions pour en pousser le siège avec vi-
gueur. Le quartier du roi s'établit au-dessus de la
ville, du côté de la montagne; don Jayme d'Aragon ,
fils naturel du roi Jayme II, quil venait d'armer che-
valier dans Argelès, lut placé à la gauche du quartier
royal, du côté de la mer; l'infant don Pèdre, son
oncle, se porta de l'autre côté, sur le chemin de Port-
Vendre, avec don Pierre d'Exerica; le vicomte de
Gardone campa dans le bas, à l'endroit nommé la
Coma, et l'amiral don Pierre de Moncade, avec le
comte de Pallas, s'établit sur le rivage de la mer.
Les opérations d'attaque de CoUioure commen-
cèrent par une tour aussi forte par sa construction
que par sa position sur un point élevé. L'ardeur des
combattants les entraînant jusqu'aux fossés, quoique
la retraite fût sonnée, Pèdre s'aperçut qu'ils ne pou-
vaient plus revenir sans danger, et il envoya pour les
soutenir et continuer l'attaque don Artaud de Foces.
Cette témérité lut couronnée de la plus heureuse
réussite ; la tour fut emportée , après un rude combat
qui causa beaucoup de mal aux assiégeants. Une autre
tour placée au-dessus du couvent des prêcheurs fut
attaquée ensuite , et il y eut là un combat à la lance
et à l'écu. L avantage restant aux Aragonnais, les Ma-
CHAPITRE SEPTIÈME. 277
quins se replièrent dans leur forteresse , et Exerica
npara du boulevart, qui fut pillé et démantelé,
ut moyen de résistance se trouvant enlevé succes-
ement aux assiégés, le gouverneur de Gollioure,
n Raymond de Codolet, qui était un des principaux
gneurs du Roussillon et majordome du roi de Ma-
nque, demanda à capituler, et Tobtint aux condi-
us les plus honorables. La garnison, composée de
mois et de nationaux, eut la faculté de se retirer
ec armes et bagages , sous Tescorte de compagnies
lyonnaises pour la faire respecter, et les habitants de
ville obtinrent, non-seulement la garantie de leurs
Dpriétés, mais la restitution de ce qui avait été pillé
r les gens de Pierre d*Ëxerica, dans le boidevait
àporté auparavant.
-A l'époque où nous sommes arrivés y le pape , dont
persévérance à chercher les moyens de sauver la
ironne de Majorque ne pouvait être égalée que par
stination de Pèdre à se refuser à tout accommo-
dent, avait encore envoyé à ce prince le cardinal
ibrun avec des paroles de réconciliation; Tinu-
de cette nouvelle démarche devait bien démon-
m pontife que toute proposition était désormais
flue, et que c était ajouter peut-être à Tirrita-
le l'oppresseur, que de témoigner trop d'intérêt
eur de sa victime.
roi d'Aragon , dans Thisloii^e de sa vie, prétend
cardinal d'Embrun s'avança jusqu'à lui de-
S78 LIVRE DEUXIÈME.
muider si, dans le cas où le toi de liajorqlie^MqOMt-
tvait entre ses mains sa personne, ses enfroAi^ «es
terres et sa couronne, il lui garantirait la ne et les
membres saii&, et s*il i^abstiendmit de le tenir
une longue et dure captirité, et qu'ayant
des deux in&nts ii «Tait répondu dans k sens de
demande. Nous ne croyons pas «{uePèdre ffisesfî
Térité. L*ind%nation que témoigna Jay mé en
nant, de la bouche du l^t , une ^oposilioil dé
nature, dont tout atteste que Tinidative est dise an
d*Aragon lui-même , surtout si l'on considèfe faa
que prit par la suite ce roi pour amener son
firére k ce résultat, fiit oelle d'un prince qui
dignité : il déclara au l^at qu'il -aimait mirai
son royaume par la force des armes que de
à en (aire l'abandon par une lâcheté.
GoUioure était, après Perpignan, le point le fftwÉ
important du Roussillon , et celui sur lequd était foÊLée
Tattention des commandants des forts et châteaux des
environs. Â son sort paraissait lié celui de toutes c^es
places ; après sa chute , toutes firent leur soumissidXi'
Les premières qui demandèrent des conditions fiii^^n^
ies châteaux de Saînt-Elme , de Paiau et de la Ro^'^ic*
Pèdre s* établit dans ce dernier, et il envoya d^B^^
trois cents chevaux s'emparer de Millas et de Th^^oir,
et ravager toute la campagne. Le château de Mon^ tes-
quiu se défendit encore quelque temps contre le vi-
comte de Cardone ; Maurellas se rendit ensuite , c^ i^
CHAPITRE SEPTIÈME. 279
4ragonnais allèrent faire le blocus d*Elne. Dans Tinter-
Italie, Pèdre reçut les clefs de la lourde Madeloch et
lu château d'Ultrera. Dans le même temps, don Gila-
>ert de Centellas se rendait maître d'une maison for-
îfiée qui était tout près de Perpignan; il y fit prison-
liers quelques cavaliers provençaux, sous le com-
nandement d'un chevalier nommé Pierre de la
iaume. Ille, Brulla, Mosset ouvrirent aussi, à la
nême époque, leurs portes à leurs seigneurs, qui
taient déjà depuis longtemps dans le parti du roi
r Aragon.
Eàne était à peine investie, que la défection d'une
lartie des habitants la fit tomber au pouvoir de don
^ècire. La fidélité et la trahison en étant venues aux
nains dans cette ville , quelques hommes et quelques
emmes coururent aux murailles, appelèrent à grands
;rîs les Aragonnais, en hissèrent plusieurs sur le rem-
part, au moyen de cordes qu'ils leur jetèrent, et in-
roduisirent ainsi les premiers ennemis dans la place.
Ileux-ci s'emparèrent d'une des portes qu'ils s'empres-
^rent d'ouvrir à leurs compagnons. Surpris de cette
manière, ceux des habitants et des soldats que les
Vragomiais n'avaient pu rendre transfuges, se reti-
•^rent dans leur fort, sans cesser de combattre, tandis
jue d'autres , restés dans la ville basse , continuèrent
pendant toute la journée à lutter contre les ennemis;
rre ne fut que le soir, qu accablés de fatigue et écrasés
par le nombre ils durent enfin se rendre. Pèdre,
280 LIVRE DEUXIÈME.
pour récompenser la perfidie qui avait fait tomber
celte place entre ses mains, y envoya trois de ses che-
valiers en empêcher le pillage. Au bout de quelques
jours ceux qui s'étaient enfermés dans la ville haute,
manquant d*eau et de vivres, furent forcés de capi-
tuler; on les échangea contre des Âragonnais faits pri-
sonniers dans la Cerdagne. Le lendemain, 1 2 de juillet,
on put voir de Perpignan l'étendard royal d'Aragon
flottant au haut du clocher de la cathédrale.
Ce même jour les almogavares et quelques cava-
liers ravagèrent les terres de Saint-Hippolyte et de
Claira. Les propriétés de ceux de Saint -Laurent
furent respectées, parce que les habitants faisaient
cause commune avec les ennemis , et qu'ils avaient eu
même quelques engagements avec les habitants des
deux villages voisins.
En même temps que le roi d'Aragon cherchait à
soumettre par la terreur et la misère ceux des sujets
du roi de Majorque qu'il n'avait pu corrompre; il
poursuivait avec ce prince la négociation qu'il avait
entamée avec le cardinal d'Embrun, et qui avait
pour objet de porter Jayme à se remettre lui-même
en son pouvoir, avec ce qui lui restait encore de
châteaux et de places, et surtout la ville de Per-
pignan. Le malheureux roi de Majorque en était ar-
rivé à ce point, qu'il n'avait plus d'autre alternative
que de s'abandonner à la discrétion de son ennemi,
ou d'attendre qu'une sédition le livrât peut-être pieds
CHAPITRE SEPTIÈME. 281
et poings liés. La majeure partie des habitants de sa
capitale attendait les Aragonnais , qu'elle favorisait de
tous ses moyens. Plusieurs conspirations découvertes,
et qui avaient nécessité des exemples , ne lui avaient
que trop révélé le péril de sa position. Un événement
qui venait de se passer lui avait appris aussi quil
ne devait plus compter que bien faiblement sur ses
propres troupes; la séduction et la corruption les
avaient détachées de lui ; le parjure était dans tous les
rangs. Ayant voulu, de l'avis du corps municipal, qui
en sentait la nécessité, faire brûler le faubourg des
teintureries, aujourd'hui faubourg de Notre-Dame,
|ui exigeait une garde de trois cents hommes dont la
Présence eût été très-utile dans la place , et qui , hors
les murailles, pouvaient être facilement enlevés par
ennemi, cette garde, d'accord avec les gens du fau-
lOiii^Y refusa d'obéir, se fortifia dans l'église, et ap-
•ela contre son propre roi le secours de don Pèdre.
ayme se trouvait donc à la merci de ce prince.
Don Pierre d'Exerica avait été chargé d'entrer en
ourparlers avec le roi de Majorque, et de l'assurer,
e la part de son maitre , qu'il pouvait se mettre entre
»s mains librement, sans crainte et sans conditions,
"u'îl serait traité avec indidgence, qu'on n' entre-
rendrait rien contre sa personne , et qu'il en serait
.-sé envers lui miséricordieasement Ce seigneur s'ap-
iTocha de Perpignan à la tête de trois cents chevaux
X mille almogavares. Arrivé à une petite distance
282 LIVRE DEUXIEME,
de cette ville, il s^arrêta, et don Pierre de Godolet
alla le joindre de la part du roi de Majorque. Après
quelques débats préliminaires, ces deux seigneurs
convinrent qu^Eoierica se tirerait un peu à Técart
avec quinze de ses chevaliers, et que le roi de &fa-
jorque, accompagné de pareil nombre de cheva-
liers, viendrait s'aboucher avec lui. L'entrevue eut
lieu dans une vigne, k côté du chemin qui mène à
Ëlne. Eoierica , après avoir rendu son message , donn
au roi Jayme l'assurance que son maître tiendrai
fidèlement toutes ses promesses; et le roi de Ma-
jorque, privé de tout appui, menacé comme on F
vu dans sa propre ville par la plus grande partie d
ses sujets, ([ue les malheurs de cette affreuse gue
autant que les intrigues de TAragonnais avaient so
levés contre lui , forcé en un mot de subir la dur
loi de la nécessité, promit de s'abandonner à do:r
Pèdre,^aver tous ses châteaux de Roussillon et
C(Tdagne.
La position de don Jayme était bien faite pour e
citer rintéret de tous les potentats, et toutefois,
l'exception du paj)e, aucun n'avait voulu interven
pour lui; le roi d'Angleterre, avec qui il était sur
point de s'allier au commencement de cette guer
était occupé avec le roi de France, tacitement lig
avec le roi d'Aragon; et ni le roi de Castille ni cel
de Navarre, dont la politique devait être l'empêcl^-
ment de l'augmentation do puissance de la couron
CHAPITRE SEPTIÈME. 283
i* Aragon, n'avaient fait la moindre démarche en sa fa-
veur. Cependant le fils aîné de Philippe de Valois,
fean , dac de Normandie , entraîné par un sentiment
généreux, avait voulu interposer ses bons offices entre
es deux beaux-fi'ères , et, par son ordre, Gofllaume
le Vîilers, maître des requêtes du royaume, était allé
(emander une conférence au roi d'Aragon , et soUî-
iter, en attendant, une suspension d*armes« Mais
ette tardive ambassade , dont le succès eût été plus
ne douteux, ne put profiter à Jayme; de Villers
l'airiva à Elne qu au moment où Exerica et le roi de
faj orque étaient en pourparlers, et il ne fut pas dîf-
iriie au roi d'Aragon, s'excusant sur l'état actuel des
hoses, de ne point déférer à l'invitation de l'héritier
u trône de France.
Elxerica revint à Perpignan le lendemain du jour
e sa conférence avec Jayme. Sa mission était, ce
>ur-là , de régler avec ce prince la manière dont se
^rait la soumission , ou , en d'autres termes , de faire
onnaltre au roi de Majorque jusqu'à quel point le
onseil d'Aragon avait décidé que son front royal de-
ait s'humilier. Il fut aiTêté que le jour suivant, 1 5 du
30ÎS de juillet, Pèdre recevrait Jayme en présence
es infants don Pèdre et don Jayme ^ de dix -sept
îches hommes ou chevaliers de sa cour, et de son
onfesseur.
Le jour qui devait éclairer la déposition du roi de
Majorque s étant levé, Jayme, qui ne pouvait se per-
284 LIVRE DEUXIÈME.
suader que la couronne ne lui fài rendue après quil
aurait satisfait à Foi^eil de don Pèdre , se disposa à
cousonuner son douloureux sacrifice. Accompagné du
^eul Elxerica il quitte Perpignan, et, cédant à sa mau-
vaise fortune , il prend la route d*^ne. Pèdre Tatten-
dait sous sa tente : celui-ci entrait dans sa vingt-qua-
trième année, Jayme avait alors vingt-neuf ans.
La distance de Perpignan à Ëlne n*est que de deu]
lieues; mais qu'elles durent être longues à parcouriE
pour le malheureux roi de Majorque !
La tente du roi d*Âragon était dressée hors de h
ville. Entouré de tous les personnages désignés poi
être témoins de Taccomplissemcnt d*une perfidie pi
parée avec tant d'art et poursuivie avec tant de pei
sévérance , Pèdre biiilait d*impatience de voir sa vi<
time à ses pieds. Ces inquiétudes, il ne peut les
simuler en écrivant sa chronique, u Nous attendioi
«dit-il, la venue de Jayme de Mallorques; il ne p
« raissait point. Nous ouïmes la messe, et attendîuL^^^s
« encore un peu ; mais il ne venait point. Puis , no ^ja.s
«nous mîmes à table et disions que s'il venait no^xs
«nous lèverions. Finalement nous avions fait no^^re
«sieste qu'il n était pas venu. »
Enfin le roi de Majorque entra dans la tente cîii
roi d'Aragon. Il était armé de toutes pièces, hors la
tête qui resta découverte. Pèdre, qui était assis qustnd
ce prince se présenta , se leva quand il le vit près de
lui. Javmr mit un genou en terre et Pèdre lui tendît la
CHAPITRE SEPTIÈME. 285
1, que son beau-frère baisa malgré la volonté du
l' Aragon, s'il faut s'en rapporter à ce que dit
i-ci. Pèdre le releva et l'embrassa. « Mon sei-
îur, dit alors le roi de Majorque, j'ai erré envers
15, mais non pas contre ma foi. Cependant, sei-
;ur, si je l'ai fait , je voudrais qu'il n'en fiât ainsi ^
le Tai fait c'est faute de bon sens, ou par mauvais
iseil, et je viens m'en amender devant vous, car
suis de votre maison , et veux vous servir parce
B je vous ai toujours aimé de cœur; et que je
s certain que vous, mon seigneur, m'avez beau-
ip aimé et que vous m'aimez encore. Je prétends
as servir de telle manière que vous puissiez vous
lir pour bien servi par moi, et je mets en votre
issance ma personne ainsi que toute ma terre. »
re lui répondit : « Si vous avez erré, c'est peu de
ose, car errer et reconnaître son erreur c'est
ose humaine , mais y persévérer c'est malice,
asi , puisque vous reconnaissez votre erreur, nous
rons de vous miséricorde et vous ferons grâce,
manière que chacun pourra voir que nous avons
t envers vous miséricordieux et gracieux. Vous,
pendant, remettez en notre puissance votre per-
nne et toute votre terre suivant nos conven-
ons. »
kprès ces deux discours assez décousus et dans les-
Yo he errai vers vos , mas no contra fe; pero, scnyor, siu he, nou
aver fet, e siu he fet nou cuyt hauer fet, etc. CarhoneU.
286 LIVRE DEUXIÈME,
quds chacun des deux rois mentait à sa conscience \
Eierica conduisit son prisonnier dans la ville d^Elne.
L*inibrtuné Jayme, le front rouge de honte, iTtit
k peine quitté la tente du roi d'Aragon que déjà cehii-
ci envoyait don Philippe de Castro et ramiral doa
Pierre de Moncadc lui demander les pouvoirs néces-
saires pour se mettre immédiatement en posaeasioim
de Perpignan et de ses fortifications. Jayme se oon —
tenta de faire dire verbalement au commandant d
château, qui se nommait Saragossa, et aux jsrofs o
corps municipal , de recevoir les troupes d'Aragon
Ces deux chevaliers s v rendirent incontinent a?ecr*
quelques compagnies de cavalerie et prirent postes —
sion de la ville et de ses murailles; quant au château j^^
dont le châtelain avait été solennellement délié de so:
serment par Jaymc avant son départ ^ ce ne (ut qu
le lendemain , 1 6 de juillet, après bien des protesta
tions de la part du corps municipal , des sommation
de la part des roiiiniissaires , et enfin la présentatioc
d'un ordn' mit de la main du roi drtrôné ^, qu'il leu
' ('.es deux discours n Ont p.is oit* traduits trAs-exactement on ca==
tillaii par Zurita. Il ^^l bien douteux , au reste, que ce soient ceux qu
furent tenus dans c«'tte circonstance solennelle. Le n>i don Pèdre n'fc
cri\it son liisloire (jur près de (juarante ans apr^s ces é\éncmonts, m
dans un ài;c où. jnijeanl sa (onduite a>ec d'autres yeux qu'à vin^
quatre ans, il >"i'IVorc;nt d» juNtilier tout cr (pra\ait d'odieux ce grarv
acte de prilitiipie, sinon <lc |.robih-.
* L'acte puhln" <'n cxiNt»^ <ians l«s registres de l'ancienne cour c^
domaine.
' Preu\«'> n Wlll
-»i
y
CHAPITRE SEPTIÈME. 287
ouvert. Alors Tétendard royal de Majorque fut
nplacé sur la plus haute tour de ce château par
ui d'Aragon. En le voyant flotter, le château de
lira fit sa soumission.
Le roi d'Aragon , couvert de fer comme pour une
:aille , fit son entrée dans Perpignan le même
ur, 1 6 juillet , à la tête de ses gens d armes dont la
nne tenue émerveilla, dit-il, les habitants. Pendant
il entrait par la porte d'Elne , celle de Notre-Dame
nnait issue à une compagnie de chevaux de France
l était à la solde du roi de Majorque. Aucun his-
ien ne dit à qui elle appartenait ; on a tout lieu de
lire que c était à la comtesse de Foix, qui avait tou*
irs refusé de déférer aux sommations de ne prêter
[mn secours k Jayme. Comme cette bande passait
r Salses , elle voulut s indenmiser sur ce pays de
perte de sa solde, qui ne lui avait pas été payée, et
e se mit à butiner ; mais Roger, comte de Pallas ,
'il ne faut pas confondre avec Artaud de Pallas,
nrîteur fidèle et dévoué de Jayme, sortit du château
ec sa compagnie, et trouvant les Français épars
ins les maisons , il en tua im grand nombre et l'eprit
ut le butin. Ceux qui purent échapper ne durent la
e qu'à la générosité de ce seigneur qui défendit à ses
;ns de les poursuivre. Peu s'en fallut que ce Guil-
iime de Villers, que le duc de Normandie avait en-
Dyé au roi d'Aragon et qui s'( n retournait avec cette
cupe , ne fut tué dans cette échauffourée.
288 l.iVRK DKliXlKMK.
A Perpignan, où l'èdre iil qiieltiue séjour, il i-eçitt
riiomniago àe» seigneurs roiissillonnais que la maii*
vaisf foitime de leur mi força il à plier devant le vain-
(pieur. Après iivoir fait cliajiger ks consuls et renou-
veler les jnrats . ce prince nomma bailli royal de la
ville et lietitennnt général des doux comtés don Ray-
mond de Tolïo, et il envoya plusieurs de ses cheva-
liers recevoir dans les principaux cantons l'hommage^ —
des différents seigneurs de Roussilion et de Cerdagn^s
qui ne s'étaient pas rendus personnellement à Perpi —
giian. Maitin Lopès de Oteyça marcha à la tête des
cjuvlqu»?s foices contre le château de Força-Heal qu .
tenait encore, et François Aiadren alla mettre gar-
nison dans Salses. Les châteaux d'Opol . de Teutave -^
et de Corsavi reçurent garnison, et à cette mèm^w
époque ou restitua ^ Raymond, vicomte de Canet, l^v
château de ce nom ainsi que t^elui de Saintfr-MarifrJ^^
Mer qui lui appnrtenaient '.
Cependant le roi Jayme, toujours persuadé qu
s«s états lui seraient rendus , ne cachait pas ses iMlf^"^
rances à ses amis, et soutenait ainsi la fidélité dh<ii — '-
cdante de quelques-uns; mais bientôt il fut tiré dMI
cette agréable erreur par la nouvelle qu'un -p
génénd du royaume allait être assemblé pour ]
noncer solennellement la confiscation définitive i
' CeBaymoDdéUit vicomtedeCaoetet letgoeurdeSunta-UaRBa
ne faut pu le confondre a<rec le vicomte d'IUe et deCanet, de !■ mû^
de Fenonillet, qui avait des premiers trobil* cause dorai dsHijar^
CHAPITRE SEPTIÈME. 289
perpétuelle de son royaume : son geôlier, don Pierre
d^Exerica, lui notifia même une lettre de don Pèdre
qui lui enjoignait de lui faire rendre lobéissance par
tous ses sujets indistinctement, ajoutant, de la part
de ce prince, qu'il lui serait fâcheux dctre obligé d*en
venir avec lui à de dures extrémités , mais que s'il ne
remplissait pas immédiatement toutes ses promesses
on saurait l'y contraindre. La lettre du roi d'Aragon
se terminait par les recommandations les plus ex-
presses à son agent de bien surveiller son prisonnier
pour qu'il ne pûttrouver aucun moyen de s'échapper ^
Ce qui avait donné lieu à cette missive , c'est que dans
ce moment même don Juan de So, vicomte d'Évol,
bien différent de ce Bernard de So qui avait lâche-
ment abandonné son roi pour passer dans les rangs
ennemis, continuait à harceler les Aragonnais, en
Gonflent, avec quelques compagnies à ses ordres. Ce
sagneur venait de saccager le village d'Ejis , où les
Aragonnais avaient une garnison , et d'autre part les
Majorquins qui étaient au château de Bellegarde guet-
tant les almogavares licenciés qui passaient par les
cols du Pertus ou de Panissas , les tuaient sans mi-
séricorde.
La réunion du royaume de Majorque à celui d'A-
ragon , décrétée par Pèdre IV depuis près de deux ans
et confirmée par lui dans la cathédrale de Valence
au mois de décembre de la même année \oli^, puis
* Znrita.
1. 19
290 LIVRE DEUXIÈME.
dans celle de Majorque au mois de juin i343 avait
été publiée à son tour dans Té^ise de Saint-Jean de
Perpignan, et confirmée devant tout le peuple as-
semblé, le 3 2 du mois de juillet, six jours après
l'entrée solennelle de don Pèdre dans cette ville. Déj
le dimanche précédent un moine de Saint^Françoi
s* était chargé de faire Téloge du roi d* Aragon, et d
démontrer ses droits au royaume de Majorque a
moyen du sermon qu'il prêcha en présence du princ
dans la cour du château royal dont, à cette i
tion , on avait laissé l'entrée libre au public; le mê:
jour deux autres moines avaient fait entendre
sermon analogue dans 1 église de Saint-Jean et d
celle des cordeliers. Après avoir ainsi fait prépa
l'esprit du peuple par ces discours apologétiqu
Pèdre était descendu du château dans la ville» e
en avait parcouru les rues à cheval , suivi de ses c
valiers, et affectant de saluer avec bienveillance
ceux qui se trouvaient sur son passage et qui ï
cueillaient par des acclamations.
CHAPITRE HUITIEME. 291
CHAPITRE VIII.
oorts coniinnent la spoliation. — Jayme accuse Exerica de
ravoir trompé. — Démentis et cartels. — Jayme quitte la Ca-
talogne. — Echauflburée en Cerdagne. — Inquiétudes de don
Pèdre. — Ses vengeances en Roussillon. — Conduite odieuse
do roi de France.
Si la loyauté, marchant toujours tête levée, af- 1344.
nte hardiment tous les regards , le transfuge , bour-
lé de remords, évite avec anxiété celui qu*il a
i et craint incessamment la juste peine due à son
'amie. Le roi de Majorque, après avoir obtenu de
d'Ëlne à Thuir, s était bientôt vu forcé d*en-
T en Catalogne , et avait sollicité du roi d*Âragon
e entrevue que celui-ci lui avait accordée, malgré
vives instances des seigneurs roussillonnais, trem-
*>i^nt que ce monarque , ébranlé par le prince dont
il» avaient favorisé et précipité la ruine, ne revînt
^u.x' ses résolutions. Cette entrevue eut lieu au mi-
H^ti du grand chemin, à une demi -lieue de Perpi-
an, et sans qu aucun des deux princes descendit
cheval.
L'entretien roula sur neuf articles que Pèdre re-
^^a par ordre. Premièrement, le roi de Majorque
^^ïTianda à son adversaire de vouloir entendre son
"9-
292 LIVRE DEUXIÈME.
droit ; à quoi Pèdre répondit que la chose était déjà.
faite , et qu*il aurait dû le plaider à Tépoque où ii
avait été cité à comparaître par devant lui. Second
ment, il demanda que les droits de ses neveux, 1
enfants de don Femand , sur certains châteaux qu'il
possédaient en Roussillon» fussent respectés. Troi
sièmement, il désirait qu*c^ la place de la ville d
Manresa , qui lui était assignée pour résidence , o
substituât celle de Berga ; quatrièmement» qu'il 11
fût permis de voyager armé et avec une escorte s
(isante pour le mettre à couvert des attaques d'A —
naud de Roquefeuil, chevalier français, allié du r^
d'Aragon, devenu lennemi personnel de Jayme i
cause du meurtre commis par ce dernier, dans » "» ji
mouvement de colère, sur la personne du fils de -^r^e
seigneur ^ ; cinquièmement , que copie de son proc:^ ^s
lui fut délivrée : ces quatre derniers articles
furent accordés. Au sixième, qui était de ne
ajouter foi aux propos qu'on lui tiendrait contre 1
Pèdre répondit qu'il lui serait pénible que persom.
pût mal parler de lui avec vérité. La septième
mande ne fut pas reçue avec les mêmes égards. Jay
I
' Aucun écrivain ne nous dit à quel sujet Ja\Tiic avait fait péri*" *'f
chevalier; IVdre se borne î\ citer le l'ait sans ajouter, comme ccuk <7W'
l'ont copié, «pie ce prince TaNait fait périr criullcment. Peu de ie''Mnpf
après une reconciliation survint entre Jaynie et Arnaud de Roque fcu"
par Tentreniise du pape, et Arnaud reçut en dédommagement les lîeui
de Pouget, Pouzols, Salnl-I^usile et Vindemian dé|>endant de la ba-
ronie d'Omelas
CHAPITRE HUITIÈME. 293
triait son beau-frère de ne pas s entourer de ceux de
es anciens vassaux qui l'avaient trahi. Pèdre, choqué
c cette expression , répondit qu'il ne fallait pas ap-
cler traîtres ceux qui avaient loyalement rempli leur
«voir, qu'A les défendrait contre qui que ce fût. Jayme
tarait ensuite prié le roi d'Aragon , s'il fallait en croire
elui-ci , de lui permettre de le servir lui-même de
^s armes , ce à quoi Pèdre aurait répondu évasive-
3ent. Cette assertion n'est pas croyable. Jayme aurait
entablement mérité son sort s'il avait pu descendre
ime aussi basse demande ; elle lui ferait perdre tout
ijQtérêt que sa position réclame de l'impartiale pos-
éxité; mais un roi qui perd sa couronne n'offre pas
.o» bras et son épée à celui qui la lui ravit; cela ne
^Aurait être, et Pèdre ajoute ici une calomnie à ses
amtres crimes contre son parent. Le prince qui re-
commande à son spoliateur l'avenir de ses neveux
n'est pas un prince qui veuille se déshonorer. Pèdre
avait quelque intérêt à avilir celui dont il usurpait
l'héritage, et cette demande de service qu'il nous dit
lui avoir été faite ne doit pas avoir plus de créance
T^e le prétendu projet d'enlèvement de toute une fa-
^*^e royale au milieu de sa cour. Ce qui se passa
ensuite est le meilleur démenti à cette inculpation.
Au reste il n'existait plus personne de la famille de
J^yme quand Pèdre , pour pallier ses torts aux yeux
de la postérité , écrivit son histoire : ne pouvait-il pas
en imposer impunément à sa propre conscience P
294 LIVRE DEUXIÈME.
Lie roi de Majorque, forcé de quitter le Roui-
sillon, avait été conduit à Berga; fl arait enauite
changé cette résidence pour celle de Saint -Gug^t^
Quand Pèdre revint à Barcelone Jayme , muni d'i
sauf*conduit , se rendit au château de Badalona, à un
lieue de cette dernière ville. Cest là que le ao octob
suivant il reçut des mains de Pierre de Moncade, d
Philippe Boys, de Garcia de Loris et de Raymom
Sicart, secrétaire du roi d'Aragon, le message d
corts qui lui signifiait que ses états étaient confisqi
sans retour. Ces hauts messagers déposèr^fit en mèm
temps entre ses mains, en faisant dresser acte pub:
de cette remise , les articles suivants proposés par
roi d'Aragon et adoptés par les corts :
Cl 1^ Il sera donné par nous au roi de Majorque d
tt mille livres de rentes perpétuelles , lesquelles
«lui compterons jusqu'à ce que nous ayons
«pour lui, hors de notre seigneurie, des biens
« rapportent autant de rentes pour son entretien ,
« de sa femme, notre sœur, et de ses enfants , avec I«
(( condition que s ils meurent sans postérité lesdiK^^^^
<( rentes nous retourneront.
(( 2° Nous lui laissons les droits de commis ou ^J^
<( eondscation qui nous appartenaient sur les viconi'*:^^
(« d'OuK^las et de Carlad et sur les terres de Mo ^nt-
<• pellier.
<( y Nous lui relaxons la seigneurie directe et a^llo-
« diale dcsdites vicomtes et terres.
CHAPITRE HUITIÈME. 295
« b!* Nous lui remettons les (rais et dépens pour
l'exécution par mer et par terre (c'est-à-dire pour la
conquête de ses états ) , lesquels montent à de très-
grandes et inestimables sonunes , sous la condition
que ledit don Jayme de Majorque sera tenu de re-
noncer au titre et aux insignes de roi, de briser
les sceaux où étaient le nom et le titre de majesté
royale, de changer Técusson de ses armes ou d*y
faire des différences notables, de nous remettre
toutes chartes et écritures relatives aux royaume,
comtés et terres qu'il avait possédés ;
« 5^ Qu'fl nous restitue toutes écritures et obliga-
tions que peuvent lui avoir adressées les gens des
comtés de Roussillon et de Gerdagne qui ne nous
A obéissent pas, et qu'il ne leur prête ni faveur ni
ui aide;
« 6^ Qu'il fasse assurance et obligation de ne ja-
c« xnais nous faire, ni lui ni les siens, aucune de^
« mande ni procès sur ce que nous lui avons pris par
« justice.
<c 7"* Si lesdites conditions ne sont pas accomplies
« par lui, les présents articles seront sans effet ^ »
A la lecture de ces propositions, dont le roi don
Pèdre nous a conservé la substance, Jayme indi-
8>^ rejeta avec mépris le message; il protesta contre
'e titre de roi de Majorque et comte de Roussillon
^t de Gerdagne que s'attribuait le roi d'Aragon, en
* Cari>one]l.
296 LIVRE DEUXIÈME.
ne lui en donnant aucun à lui-même , et déclara qu'il
n acceptait rien et qu'il ne consentii^ait à rien de ce
que portait cet écrit. Dans la crainte ensuite qu'on
n'attentât à sa liberté , il crut prudent de sortir sur-le-
champ de Badalona, et il se transporta à Saint-Vin-
cent, près du château de Cervellon.
Six jours s'étaient écoulés depuis que Jayme avait
quitté le voisinage de Barcelone, quand ce prince en-
voya au roi d'Aragon ses protestations contre tout ce
qui avait été fait contre son autorité. Le roi de Ma-
jorque soutenait que la conduite qu'on tenait envers
lui n'était pas celle dont Pierre d'Elxerica lui avait
donné l'assurance sous serment; il accusait ce sei-
gneur de l'avoir trompé sur les véritables intentions
de son maître; que, ne lui laissant pas croire que ce-
lui-ci voulait éteindre le royaume de Majorque, il lui
avait fait livrer par surprise la ville et le château de
Perpignan avec toutes les places qui tenaient encore
pour lui; enfm, il alléguait ses droits à la couronne ,
antérieurs et plus sacrés que ceux du roi d'Aragon ;
et demandait la restitution de ses états.
Le prince qui peut se faire rendre par la force la
justice qu'on refuse à son bon droit n'a pas besoin
d'exhaler d'inutiles protestations, ne lui reste-t-il pas
la dernière raison des rois ^? mais celui qu'on a pré-
cipité du trône , plus malheureux que le dernier de
^ C'est la devise que Louis XIV avait inscrite aur ses canons, aUima
railo reguni.
CHAPITRE HUITIÈME. 297
::eux qui furent ses sujets, ne peut trouver aucun
uge pour recevoir sa plainte, aucun tribunal pour
ni rendre justice. La lettre par laquelle le roi spolié
ivait réclamé contre l'injustice dont il était victime,
i*eut pour réponse qu'une longue justification de la
conduite du roi spoliateur avec le refus formel de la
restitution qu'il réclamait. Pèdre fut si content de la
ettre qui fut écrite à cette occasion , que quarante ans
iprès û s'arrête encore deux fois avec complaisance
HT son style et sur sa diction ^.
Le message du roi d'Aragon au roi de Majorque
i^arriva pas seul entre les mains de celui-ci : Jayme
l'avait pas encore épuisé toute la coupe d'amertume.
Jn message particulier de don Pierre d'Exerica ac-
compagnait celui du prince, portant démenti sur ce
[ue Jayme avait avancé sur son compte, et se justi-
îant de lui avoir jamais rien promis au delà de ce
[ue le roi don Pèdre avait l'intention de faire; il finis-
ait par traiter de menteur quiconque prétendrait le
ontraire.
Pour qualifier convenablement un pareil langage,
L faudrait bien savoir la vérité sur im fait d'aussi
grande importance que celui avancé par Jayme , c'est-
L-dire que pour amener sa soumission on lui avait
>romis de ne pas lui faire perdre la couronne, fait
^ £ era molt bella resposta e be dita, e assats longa. — Li presen-
cmren la nostra resposta, que era moit bella e ben dictada , e ben com-
plîda. CorèoRf// , fol. i56, v.
298 LIVRE DEUXIEME.
dénié par les uns et soutenu par les autres. Si Tim-
putation du roi de Majorque était fausse, Exerica,
n'eût-il même pas été du sang royal , était en droit de
repousser, avec toute Tindignation d*ime âme géné-
reuse , ime calomnie qui blessait son honneur ; et ni
la qualité de don Jayme ni ses malheiu^ ne sauraient
Tabsoudre de l'indignité d'im semblable mensonge;
mais , si le monarque détrôné rappelait un fait vrai , si,
pour hâter l'accomplissement de sa ruine , on lui
avait caché toute la vérité et on l'avait assoupi par de
fausses promesses, rien ne serait comparable à cet
horrible abus de confiance , si ce n'est l'insolence du
démenti de celui qui s'en serait rendu coupable. A
défaut de témoignages authentiques, si nous interro-
geons les probabilités , la balance ne penchera pas en
faveur d'Exerica. Ce seigneur, allié des deux rois au
même degré , mais ami particulier, confident et con-
sefller intime de celui d'Aragon, fiit chargé par ce
prince de la négociation qui devait amener le roi de
Majorque à se livrer lui-même; il n'ignorait aucun
des projets de son maître , et la mauvaise foi , les per-
fidies de Pèdre ne sont pas une garantie de la loyauté
de son agent; les graves inculpations dont le char^
gèrent bientôt les seigneurs restés fidèles au prince
spolié ne sont pas non plus de nature à nous faire
prendre \le lui une opinion trop favorable.
Le message d'Exerica ne pouvait qu'enflammer
l'indignation du roi détrôné : ne se possédant plus et
CHAPITRE HUITIÈME. 299
ne ménageant plus rien , H prodigua à ce seigneur les
épithètes les plus offensantes, en offirant d'apporter
les preuves les plus positives de ce qu'il avait dit ^
De leur côté , don Artaud de Pallas, don Juan de Ma-
jorque, don Pierre Raymond de Godolet, Bérenger
d'Oms, le Français JoSre Estendard, Raymond de
Villamaud , Perrin de Balma , Delmas Desvolo , Fran-
çois Lopès , Raymond de Pallarols et d'autres cheva-
liers , tant roussillonnais que français, qui, au nombre
de dix-neuf, n'avaient pas voulu se séparer du roi de
Majorque dans son malheur, confirmèrent la déclara-
tion de ce prince, et affirmèrent qu'Exerica mentait
lui-même en donnant un démenti au roi, et qu'ils
étaient prêts à le soutenir les armes à la main. Pierre
de Godolet rompant le silence sur la conversation se-
crète qui avait eu lieu enti^ lui etExerica, sous les
murs de Perpignan , rapporta que ce seigneur s'était
complu à faire Téloge du roi de Majorque, ajoutant
qu'il déplorait sincèrement les malheurs qui lui ar-
rivaient, résultats de la trahison des siens, et qu'il
aurait beaucoup mieux aimé le servir que le roi d'A-
ragon. Exerica se justifia auprès de ce dernier des
propos qu'on lui imputait, et protesta de sa fidélité,
et Pèdre, qu'irritait cette altercation, dont tout l'o-
dieux , en définitive , retombait sur lui , voulait user
d'un moyen extrême pour y mettre un terme.
Il ne restait plus au roi d'Aragon que de faire
* Abanca.
500 LIVRE DEUXIÈME.
arrêter, et péril' peut-être, celui dont il avait brisé le
sceptre et qui le fatiguait encore de ses plaintes im-
portunes; il ne Tosa pas. Ce ne fut pas le désir d'é-
pargner à Jayme une humiliation de plus, moins en-
core celui d'épargner à lui-même un nouveau crime ,
qui arrêta Pèdre ; ce fut la crainte de ce qui pourrait
en résulter pour lui-même. Le roi de Majorque était
en Catalogne sous sa sauvegarde. En usant de vio-
lence envers lui , Pèdre se parjurait aux yeux de tous
les princes de l'Europe , et cette voix protectrice des
opprimés, qui restait partout silencieuse, pouvait
enfin se faire entendre. Qui sait si ce droit sacré de
sauvegarde, violé dans la personne d'un monarque
détrôné et respectable par l'excès de son infortune,
ne lui aurait pas suscité alors quelque défenseur!
Pèdre se détermina à dissimuler, mais pour que son
dépit pût se manifester par quelque endroit, il fit
retenir une somme de mille livres que son trésorier
devait payer à Jayme pour fournir à ses premiers
besoins.
Le roi de Majorque savait à quel ennemi il avait
affaii^e ; la nuit qui suivit le retour des messagers du
roi d'Aragon et de Pierre d'Exerica fut pour lui, et
pour les siens, une nuit de transes et d'anxiétés; tous
s'attendaient à quelque violence de la part de don
Pèdre, et dès le lendemain, de bonne heure, ils par-
tirent de Saint- Vincent, et se rendirent à Martorell,
ville d'une population plus considérable et où ils sup-
CHAPITRE HUITIÈME. 301
posaient que le roi d'Aragon oserait moins attenter à
leurs jours ^ Le 12 de novembre, qui était le lende-
main de l'arrivée des fugitifs à Martorell, de nouveaux
messages furent transmis à Jayme et à ses barons, par
Pèdre et par Exerica , et un cartel les suivit. Les Ma-
jorquins ayant accepté le champ-clos , des saufs-con-
duits furent demandés au roi d* Aragon, qui les fit
expédier sur-le-champ. Douze barons du parti du roi
de Majorque devaient combattre corps à corps Exe-
rica , accompagné d'un nombre équivalent de barons
aragonnais. Mais le combat n'eut pas lieu : Jayme,
qui, de l'aveu de son ennemi, ne se regardait comme
en sûreté nulle part dans les terres de la domina-
tion de son beau-frère , se décida à quitter à l'instant
même la Catalogne, et il ordonna à ses barons de le
suivre.
Le départ précipité de don Jayme et des siens , au
moment où un combat singulier devait, suivant les
mœurs du temps , manifester de quel côté se trouvait
le bon droit, pouvait être considéré comme une fuite
lâche et honteuse, et fut en effet proclamé tel par le
roi d'Aragon , non pas pour Jayme, mais pour ses ba-
rons; quant aux historiens, qui ont copié ce prince,
ils ne se font pas difficulté d'étendre cette inculpation
jusqu'au prince même. Mais en présentant le départ
^ Abarca dit que le roi de Majorque et ses chevaliers dorent plutôt
la vie à la sauvegarde sous laquelle ils étaient placés qu'à leur change-
ment de résidence.
302 LIVRE DEUXIÈME.
du roi de Majorque comme une fuite précipitée, ces
écrivains accusateurs n'ont pas médité sur les paroles
de don Pèdre. Ce prince n'inculpe nullement le roi de
Majorque , et il est loin de présenter son départ
comme une fuite honteuse. En traçant l'itinéraire
suivi par Jayme pour sortir de Catalogne, il lui fait
employer huit joiu's dans le trajet de Martorell à
Puycerda, distance qu'on peut facilement parcourir
en quatre, et le second jour il le fait s'arrêter à Car-
done, pour se rendre à une invitation du vicomte.
Est-ce là une fuite lâche et précipitée? Pèdre, après
avoir parlé de cette invitation, ajoute : «Les autres
« que nous avions garantis pour faire les batailles ne
« se mirent pas en peine de venir, mais ils se hâtèrent
i\ de s'en aller : » c'est en ces mots qu'il jette sur eux
l'accusation de lâcheté. Mais, dans un fait aussi grave ,
peut-on s'en rapporter uniquement à lui ? Si nous con-
sultons un écrivain qui ne saurait être taxé de partia-
lité dans cette discussion. Ferreras, qui a mérité la
confiance des judicieux historiens de Languedoc, ce .
sera par la faute même de don Pèdre que le combat
aura manqué: ce prince, suivant cet historien, «qui
(f avait les états de don Jayme, s'inquiéta peu de tous
« ces raisonnements et empêcha le combat ^. »
Zurita et Abarca avancent que Pierre d'Exerica
devait se mesurer avec le roi de Majorque lui-même :
rien ne prouve qu'un semblable duel ait été proposé.
^ Hisi. génér, d Espagne, traduction de d'Hermilly.
CHAPITRE HUITIÈME. 305
Non-seulement la chronique de don Pèdre n'en parle
pas, mais elle déclare au contraire que c'était avec
dion Artaud de Pallas qu*Ëxerica devait croiser la
lance ^ Don Jayme se trouverait donc personnelle-
ment disculpé de toute lâcheté, si ce mot ignominieux
pouvait jamais se trouver à côté de son nom. Quant
aux chevaliers qui étaient avec lui , quel si grand in-
térêt auraient-ils eu à éviter ce combat ? Ce ne sont pas
<;es êtres rares et magnanimes qui , se faisant de la fidé-
lité un culte d'idolâtrie, sacrifient leur bien, leur fa-
mille, leur existence sociale pour suivre leur prince
«ur la terre d'exil , qui peuvent chercher à conserver
leur vie aux dépens de l'honneur. Un grand dévoue-
ment entraîne nécessairement l'entière abnégation de
soi-même, et qui croira jamais qu'auprès d'une vertu
^ussi sublime un sentiment bas puisse se faire jour?
li'fle de Sainte-Hélène, à défaut d'autres lieux, serait
là pour nous prêter son grave témoignage.
Suivant les historiens de Languedoc, dont le lan-
gage ne peut être accusé de passion, Jayme, bien loin
^e prendre la fuite, ne quitta la Catalogne que du
^consentement du roi d'Aragon , à qui la permission en
^tait demandée depuis longtemps avec beaucoup
^'instances. Pèdre nous donne lui-même l'itinéraire
^u voyage de son prisonnier, et nous y voyons des
' E Mossenyer n'artal proferis que si nos io guiavem ab los altres
<\ni eren nomenats en la ietra, que vendria davant nos e ques combatria
<^n ab con ab don Pedro de Exerica. Carbonell.
304 LIVRE DEUXIÈME,
journées de quatre à cinq lieues. Ce n*est pas avec une
telle lenteur quon fuit. Ce qui parait certain, c'est
qu*aux derniers jours de ce voyage, Pèdre, informé
sans doute par ses agents qu un mouvement en faveur
du roi de Majorque se tramait dans la Cerdagne, se
repentit du consentement qu il avait donné au départ
de ce prince, et prit des moyens pour le retenir.
Ferreras assure qu'il envoya même quelques troupes
à sa poursuite : « Jayme , ajoute cet historien , fut con—
«traint, avec une poignée de monde qu'il avait, d^
« repasser les Pyrénées couvertes de neige et par urm.
«froid cuisant, implorant la justice de Dieu contre 1
«tyrannie de don Pèdre. »
Un trône renversé laisse encore longtemps sur ft
sol des traces de son existence ; la foudre qui le brise
en disperse, mais n'en anéantit pas du même coiza
les éléments. La réunion du royaume de Majorque ^
celui d'Aragon était au premier rang dans les intér^^ -ts
politiques dos doux peuples; mais le roi détrôné av ^=^ it
des partisans en très-grand nombre, et de ceux-^r^i,
les uns par pure fidélité, les autres par intérêt p^^i"-
sonnel, avaient résisté à toutes les séductions de dL<:>J}
Pèdre, et ressentaient vivement tout l'odieux de Ja
conduite de ce prince. Le plus grand nombre de cc*s
partisans existait en Cerdagne, où les menées du i^cpi
d'Aragon avaient du être moins pressantes et moins
actives, parce que la chute du Roussillon devait en-
traîner inévitablement celle de ce comté. La petite
CHAPITRE HUITIÈME. 505
iacé de Villefranche , en Gonflent, fut la première à
éprendre les armes en faveur de son prince. Les ha-
îtants de cette ville ^ s*étant soulevés , tuèrent mi
rndic de Puy cerda venu dans leurs miu*s pour esdger
lommage au roi d'Aragon , et Puy cerda lui-même
e tarda pas à se déclarer pour don Jayme.
En apprenant que ce prince, quittant la Catalogne,
» rendait auprès du comte de Foix , les habitants de
uy cerda lui avaient député dix d'entre eux, pour lui
ire qu'As étaient prêts à lui ouvrir leurs portes; et en
Tel, quand Jayme se présenta devant cette viUe, le
o novembre, à la tête de sa petite troupe, qui se com-
osait d'une quarantaine d'hommes à cheval et d*en-
LTon trois cents à pied , les habitants prirent les armes
M cris de vive le roi de Majorque I tuèrent un prêtre
tiî voulait les contenir, et un chevalier d' Ampourdan
jd gardait la porte par laquelle devait entrer le roi ,
ils donnèrent ainsi accès à sa troupe. Le viguier et
s consuls nommés par le roi d'Aragon s'échappèrent
» la ville; et de ceux qui tenaient le parti de ce der-
er, les ims prirent la fuite, les autres se cachèrent
»igneusement dans les maisons.
^ La fondation de Villefranche est de Tan 1075*, c est le comte de
Tdagne, Guillaome Raymond, qui , dans ses démêlés avec le comte de
>assillon, la fit bâtir sur la rive droite de la Tet, dans une position qui
rme tout à la fois la vallée qui du Roussillon mène à Cornella-de-
>pflp.nt où était le palais des comtes de Cerdagne, et celle qui mène
ftns le baut Gonflent, le Capcir et la Cerdagne. Son premier nom fut
iUaMbera qui fut bientôt après changé en celui de Villo'franca.
1. 20
306 LIVRE DEUXIÈME.
Puycerda n avait pas été surpris : les Âragonnais
qui s*y trouvaient avaient été avertis, dès le grand
matin, de rapproche du roi de Majorque. A la pointe
du jour, l*alcayde ou capitaine de Garoi, voyant pa-
raître la troupe de ce prince , qui avait fait un détour
pour arriver à Puycerda par cette vallée , s* était em-
pressé d'en donner avis au viguier, qui était sorti de
cette ville à la tête de quelques soldats pour disputer
le passage de ces défdés; mais c'était trop tard. Forcé
de se retirer devant la troupe royale, ce viguier rentra
dans Puycerda, où Jay me le poursuivit, et entoura
la place. C'est dans ce moment que les partisans du
roi détrôné se soulevèrent en sa faveur.
Maître de Puycerda, Jay me voiUut, sans perdre de
^ temps, essayer son ascendant sur les autres popula-
tions, et il fit partir pour Livia don Artaud de PaUas
avec sa troupe : l'alcayde de cette place, Guillaume
Despervès, s'était déjà réfugié dans le château, après
avoir démantelé les murailles de la ville, ce qui
semble indiquer que les sentiments des habitants
étaient favorables au roi de Majorque. Le lendemain
Jay me s'y rendit lui-même avec un renfort de gens de
Puycerda; mais, ne trouvant pas ses forces suffisantes
pour faire le sicge du château, il rentra le soir même
dans cette dernière ville.
Jayme vo dut faire une tentative sur Villefrancbe
où les Aragonnaiç étaient rentrés. Le 22 il descendi"
la Tet avec sa petite troupe, qui, bien qu'augmenter
CHAPITRE HUITIÈME. 507
d*im certain nombre d'habitants de Puycerda et de
Cerdagnols , n^était pas cependant en force pour pou-
voir rien entreprendre contre une ville murée; aussi
Le prince comptait plus siu* un mouvement de la po-
pulation que sur la puissance de ses moyens; mais
\sinar de Mosset, qui s'était jeté dans cette place avec
{uelques cavaliers, et Guillaume Despuig, viguier de
Honflentt qui s'y trouvait pareillement avec bon
nombre de partisans d'Aragon, avaient rendu im-
possible tout soulèvement de la part des habitants.
Fayme arrivé devant cette ville au milieu de la nuit,
^n avait fait attaquer immédiatement la porte à coups
le hache. En voyant les Aragonnais accourir à la dé-
^Qnse des murailles, et n'apercevant rien qui pût in-
liquer quelque coopération de la part des habitants,
I reconnut que l'afFaire était manquée, et abandonna
<NQ entreprise. Dans la crainte ensuite d'être enve-
oppé par les troupes aragonnaises , il reprit la route
e Gerdagne.
LiCs mesures que s'était empressé de prendre le roi
Aragon pour la sûreté du Roussillon et de la Cer-
\gne , à la première nouvelle de ce qui venait de se
sser à Puycerda, sont le témoignage le moins équi-
que que ce prince n'était pas aussi assuré du dé-
lement des anciens sujets du roi de Majorque, qu'il
»cte de le dire dans l'histoire de sa vie , et que l'ont
uglément répété tous ceux qui l'ont suivie^. Jayme,
Carbonell, Zuriia, Feliu de la Pena, Bosch, Fossa, etc.
20
5()8 LIVRE DEUXIÈME.
qu ils représentent comme un objet de haine si una-
nime et si excessive , que la plus grande inquiétude des
habitants du Roussilion était que Pèdre, se laissant
enfin toucher par les sollicitations du pape en faveur
de leur roi , ne les rendit au supplice de Tavôir encore
pour maître; Jayme se montre à peine à Textrémité
de ses domaines avec une misérable poignée de gens,
que déjà la Catalogne entière est en mouvement. Le
conseil du roi et celui de la ville de Barcelone sont
convoqués à Tinstant même : cYtait au milieu de la
nuit, et les ordres les plus prompts et les plus pres-
sants sont expédiés sur tous les points. D*abord le
conseil s* oppose à ce que le roi parte de sa personne,
avant de pouvoir marcher à la tête d'une puissante
armée; puis tous les prélats, barons, chevaliers,
villes et boui^s , et généralement toutes personnes de
quelque état et condition qu elles soient , depais le sa- — y-
vetier jusqu'au possesseur d'un alleu, ont ordre de s'ar- ^.
mer et de voler en Cerdagne ^; des courriers et des ^^^
instructions sont expédiés de tous côtés, conune si un
ennemi des phis redoutables, à la tête de la plus for-
midable des années, inmarait le pays d'une invasioi
prochaine. Le comte d'IJrgel, celui de Pallas, P^» ^-
de Cabrera, le tuteur du jeune vicomte de Rocaberl /
' Tranu'lnn à tols Ictres a spngles prélats, romtos, barons, riut^/^
e viles genenilenjent lotlioni de qualsevol stanicnt fos, savater o aloc-y,
qiiens \eni.niessen soccorer en (lertlanya, bon anaveni per cobrar Jt
vUa (le Puis|;cerda. Carhonrll. fol. i58.
CHAPITRE HUITIÈME. 509
Galceran de Gabrenz , Giiabert de Cniilles doivent se
porter rapidement sur la contrée menacée, avec tout
ce qu*ib pourront réunir de compagnies de chevaux ,
et avec les gens des vigueries» afin d'en contenir les
<li£férents lieux; le comte d'Urgel est chargé» de plus,
de pourvoir à la sûreté des châteaux de Berida, de
Carol et de la tour Gerdane ; le comte de Pallas veil-
lera à celle du château de Livia. Le bailli de Figuières
doit, de son coté , jeter des garnisons dans les places
de Bell^arde et de la Gluse. Le procureur royal de
nToroella-de-Mongriu défendra Gollioure et la tour de
Aladelock; Galceran de Pinos se portera, avec les
Inommes d*armes de Berga , à Belver et à Gampredon,
^t il jettera des vivres et des hommes dans les châ-
"^eaux de la vallée de Ribes; enfin la ville de Per-
pignan , dont Pèdre devait être si sûr, après toutes les
intrigues et les trahisons quil y avait accumulées,
oette ville , il ne s'en rapporte qu à lui-même pour la
défendre. Après avoir chargé son onde, Tinfant don
Haymond, dy passer avec toutes les forces de TAm-
pourdan , il s y rend de sa personne en toute diligence,
^t y arrive le dernier jour de novembre; et comme
c'était alors Tusage que les reines suivissent leurs maris
:3ans leurs expéditions militaires, celle d* Aragon, à
oeine relevée de couches, fait ce voyage avec son der-
îier né, alors âgé de quarante-deux jours. Gomment
-roire, après cela, à la haine si universelle des sujets
u royaume de Majorque contre leur souverain,
SIO LIVHE DEUXIÈME.
comme le prétend Pèdre? Si tout le» sujet» de Jayme
avaient été si révoltés des orvantés ê$ ce pH»eé, ^*fli
eussent, non-seulement appelé de leurs vœux, ma»
aidé unanimement de tous leurs moyetts Tartivée des
AragonnaiSt bars UbératêurSf s'ils avaient manifesté tant
d*allégresse quand ils eurent appris qu'ils n^avtfiettt
plus à redouter le sceptre du tyran, ainsi qtiele dît le
roi d'Aragon, pourquoi tant d'inquiétude» pour là
conservation de pays où son rival était ri abhoirré;
pourquoi la défection d'une seule ville oause^^dle
tant d'alarmes et tant de mouvements de troupe» dans
la Gatfdogne entière , et dans toute l'étendue de» deuk
comtés ? L'amour des peuples pour le tihérattw/\ leur
haine contre le tyran n'étaient-ils donc pas la meflleute
garantie de leur fidélité au premier et de leur Oj^^
sition au retour du roi de Majorque ? C'est que le nA
d'Aragon savait très-bien que la [dus grande partie de
ceux qui étaient opposés à l'existence politique dn
royaume de Majorque ne Tétaient pas personnelle-
ment au roi, et ne prendraient jamais les armes contre
lui , que les grandes protestations de dévouement à la
cause d* Aragon venaient de ceux qui, trop compromis
avec le prince qu* ils avaient trahi, devaient redouter -
par-dessus tout un changement qui pourrait leur pro —
curer le juste salaire de leur perfidie, que ces trans
ports de joie qui, suivant lui, avaient éclaté à sa vue «^
et dont il fait parade , n*étaient Texpression des rœa^m
que de ces factieux qui, dans tous les temps, oraf
CHAPITRE HUITIÈME. 311
roula fidre regarder la nation comme identiBée avec
leim personnes.
En quittant Puycerda pour descendre à Ville-
finnche avec la meilleure partie de sa petite troupe »
en d^amissant surtout la première de ces villes du
plus grand nombre de ceux de ses habitants qui
étaient dans ses intérêts, le roi de Majorque avait fait
iule &ute qui devait lui coûter cher ; elle donnait à
eeuz des partisans du roi d'Aragon cachés dans les
maisons la fietcilité de faire une tentative pour se re-
mettre en possession de l'autorité. Le suriendemain
clu départ de Jayme, qui était le a 4 novembre , s étant
armés secrètement , ces partisans courent la ville de
trèa-grand matin » en criant , Aragon ! Aragon I pendant
^pie des gens à leur solde vont sonner le tocsin dans
tons les clochers. Se ruant impétueusement dans
'toutes les rues, ils forment des barricades, tendent
de» chames, et font main -basse siu* tous ceux qui
tsherchent à se rallier au cri de Majorque I Bientôt
maîtres des portes, des tours et des murailles, ils le
9ont de toute la ville.
La fortune , toujours contraire au roi de Majorque,
avait servi à souhait ses ennemis : une heure plus
tard leur complot ne pouvait plus s'exécuter : Jayme
arrivait, au moment même, du col de la Perche, où
il avait couché en revenant de sa malencontreuse ex-
pédition. II était déjà sorti de Livia quand le son du
tocsin vint frapper son oreille. Tl se presse de marcher
S12 LIVRE DEUXIÈME.
sur Puycerda; mais au pied des nuirafflet, un mofaie
de Saint- Dominique arrive, lui raconte ce qui 8*esl
passé, et le conjure de se retirer au [dus tôt, s*il ne veut
s*eaqK>ser à une mort certaine ainsi que tous oeoz qm
raccompagnent.
Jayme, trop fidble pour songer à tenir la oam-
pagne, dut évacuer la Cerdagne ce même jour, lais-
sant tous »eB bagages au pouvoir de Tenneim; S dut
traverser le col de Pimorent, dors couvert de neige,
au risque de s'y perdre et d*y laisser la vie. Sou£Brant
de la faim, il n*avait rien mangé depuis la veSle*
et de la rigueur du froid, &ute des vêtements né-
cessaires pour fisiire un tel voyage dans cette saison,
ce ne fut qu*avec bien de la peine qu*il parvint à Ax
avec ses compagnons. D*Âx ce prince passa à Fonc,
où le comte Gaston et sa mère , qui, en dépit des dé-
fenses réitérées du roi de France et des sommations
de celui d*Aragon , n'avaient jamais cessé de lui donner
des marques de leur attachement et de Tintérêt qu'ils
prenaient à son désastre ^ , 1 accueillirent avec la plus
grande amitié.
Pendant que le roi de Majorque, dans un complet
dénùment , cherchait un refuge auprès du seul parent
qui ne leùt pas abandonné; qu'il s'éloignait de ses
états, emportant la cruelle pensée qu'il laissait ex —
posés aux vengeances du roi d'Aragon ceux qui si
taient si généreusement dévoués à sa cause , Pèdre
' Histoire de Ixtuguedoc.
CHAPITRE HUITIÈME. 515
traitant de rebelles, parce qu'il était le plus fort, les
Tictimes de leur fidélité , faisait périr du dernier sup-
plice tous ceux qui tombaient entre ses mains , et par-
tageait leurs dépouilles entre ses familiers. Les re-
ntres de l'ancien domaine du Roussillon, de cette
époque, sont pleins des actes de ces déplacements de
propriétés , et la modicité du plus grand nombre de
€XB biens ainsi enlevés à leurs propriétaires , atteste
que ce n'était pas seulement parmi les grands sei-
^eurs entourant le trône, et, comme le prétend don
Pèdre, parmi cette popidace de prolétaires dont il
parie avec tant de mépris , c'est-à-dire , dans les deux
points extrêmes de la popidation, que Jayme avait
conservé des amis, mais qu'une foule de gens delà
classe moyenne le disputait aussi avec eux de cou-
mge et de dévouement.
A son arrivée en Roussillon , Pèdre fit trancher la
'tête à tous ceux qui avaient été favorables au roi dé-
"trônéy et entre autres à Arnaud de Pallarols, à Hu-
^et d'Âlaignia , tous deux chevaliers de la coiu* de
don Jayme et de son conseil, et à quatorze autres
personnes de marque de la suite de ce prince, les
xins et les autres faits prisonniers à Puycerda, au mo-
ment où le complot des partisans d'Aragon remit cette
ville sous la puissance de don Pèdre.
Le roi d'Aragon, parti de Barcelone quand ses
moyens de résistance à une insiurection générale qu'il
eroyait imminente dans les deux comtés eurent été
Slft UVRE DEUXIÈME.
organiflés, éntm dus Perp%iuui le 3o DOfTeiiilite« etk
reine, sa femme, j rintle la da mdf suiTimt, cvecin
enfimt nouveau-né. Cette princesse fut reçue airee beau-
coup de pompe, et son arrivée donna à doil Pèdra,
qui cherchait tous les moyens de se popdafiaer dans
Pei|iignan, l'occasion de remplir ces vues toutes po-
litiques« Ce prince , après avoir fidt mention , dans son
histoire, des beaux vêtements de soie dont se cou-
vrirent dans cette oocuirence , tant les principaux ha-
bitants que ceux qui occupaient des charges pdUiqnei,
parte des fttes et des réjouissances qui eurent liea
dans la ville. Nous recuefllons de ses récits que des
danses publiques s'exécutaient alors comme oujour
d'hui dans le Roussillon ; qu'une grande foule J p»
naît part tout à la fois, et que ces danses, qui s'appiK
laient danses mêlées, danses m$sokdB$, et qui nous
paraissent être les mêmes que celles qu'on appdle
maintenant bs balles, dont nous avons parié dans Tin^
troduction, étaient très- vives et très-animées. Ces
danses, que don Pèdre généralise sous le nom de
ballades, montèrent au château royal, dans la soirée,
et se renouvelèrent dans la coiu* intérieure. Le roi y ^
descendit de ses appartenients, se joignit aux dan —
seurs, dansa lui-même, et prit, nous assure-t-ii
beaucoup de plaisir à ce divertissement. Après quel ^^
bail fut fini , il fit apporter du vin et des dragées , qu' ij
fit distribuer à tous ceux qui étaient présents, et Si
mangea nt but avec eux. Cette familiarité, sioppor*
CHAPITRE HUITIÈME. 315
tune dans cette circonstance , n*avait rien de choquant
k cette époque , elle était dans les mœurs du temps.
Le jour de Noël, qui suivit de très-près cette fête, le
roif voulant frapper les yeux par la splendeur de la
majesté royale, se couvrit de tous les insignes de sa
puissance, et fit, ainsi vêtu, une cavalcade dans les
rues de la ville. Ce prince énumère lui-même ces in-
signes: c'étaient la dalmatifjue ou manteau royal, la
couronne , f étole et le manipule ; il portait dans une
main la pomme , symbole de la puissance souveraine ,
et dans iautre, le sceptre fleuronné ^ Raymond-
Roger, comte de Pallas, et Pierre de Fenouillet, vi-
comte d*llle, marchaient aux cotés du mors du cheval,
et les consuls de Perpignan étaient à la droite et à la
g^che du monarque , suivis des plus notables de la
ville* Un orage qui éclata pendant cette marche pom-
peuse força la cavalcade de remonter au château en
grande diligence.
Pèdre s'arrêta k Perpignan jusqu*à la fin de Tannée
suivante, ne négligeant rien, dans ce laps de temps,
pour bien fonder sa domination dans les deux comtés.
Au pretnier février il reçut dans cette ville une am-
bassade du roi de Grenade , qui demandait la paix en
son nom et en celui du roi de Maroc : le traité fut
signé le 1 1 .
Cependant, ni le mauvais succès des conjurations,
* Voyez la suite de portraits. Tel est représenté Alphonse IV, père
de PMre IV.
Sl« LIVRE DEUXIÈME.
ni la terreur des supplices n'arrêtaient les partisans
de don Jajme : cette année i3&5 en fimmit une
nouv^e preuve. Une vaste conspiration, tramée i
Majorque et à Perpignan , et qui s'étendait sur tout
le RoussiUon et le Gonflent , avait pour objet de li-
vrer lUe de Majorque au roi détrôné , dès qu'il s'y
présenterait avec quelques gdères, et de iaire périr
Pèdre dans Perpignan même. Poiur ce dernier pro^
des arbalétriers, cachés dans la maison d'un certain
François Caldès et dans les maisons voisines, de-
vaient tirer des flèches sur ce prince, pendant que
d'autres conjurés se jetteraient 9ur les gens de sa suite
et les égorgeraient. Si une circonstance quelconque
faisait manquer cette partie du complot , les mêmes
conjurés, munis de &usses cle&, devaient s'intro-
duire dans le château royd avec des gens armés,
pour s'en rendre maîtres, fidre main-basse sur les
Aragonnais , tuer le roi , et n*épai^er ni la reine ni
ses enfants, s* il faut en croire sur parole don Pèdre
lui-même, narrateur de ces faits. Au même jour di-
vers châteaux devaient être livrés aux Majorquins.
Trahis par la femme de i un des chefs , tous les con-
jurés furent arrêtés , envoyés à' Barcelone, et mis à
mort par divers supplices. L'histoire signale comme
étant à la tête de ce projet hardi, François d*Oms,
Jean de Saint-Jean, Richaume du Vernet et Guillot
de Claira : ceci se passa à la fm d*octohre.
Le pape Clément VI ne s'était pas démenti dans la^
i
CHAPITRE HUITIÈME. 317
protection qu'il accordait au malheureux roi de Ma-
jorque. Jayme , assuré de trouver toujours ouverte à
ses plaintes 1 oreille du père des chrétiens, s'était
rendu auprès de lui, k Avignon. Dans le courant de
janvier de cette même année i3&5, un messager du
pontife avait été envoyé à Perpignan , pour réclamer
en faveur de ce prince la restitution du royaume de
Majorque, et la faculté pour la reine Constance, tou-
jours prisonnière de son firère , le roi d'Aragon , de
rejoindre son mari. Pèdre avait répondu aux de-
mandes du pape par une ambassade solennelle; sur
le premier chef, il priait sa sainteté de ne plus se fa-
tiguer désormais en sollicitations à jamais inutiles, ce
qui était consommé étant irrévocable; et, quant à la
liberté de la reine de Majorque, Pèdre, après avoir
fiiit tous ses efforts poiu* dissuader sa sœur d'aller se
réunir à son mari, avait enfin consenti à la laisser
partir. Mais, dans la crainte que la vue de cette
princesse ne causât quelque mouvement en Rous-
sillon, il s'était décidé à ne pas lui laisser traverser
ce comté; en conséquence une galère était partie de
CoUioure poiu* Lança au mois de juillet, et elle avait
transporté la princesse par mer à Leucate, où l'at-
tendait un cardinal envoyé par le pape pour la con-
duire à Avignon. Cette persévérance de la reine
Constance à se réunir à son époux dans le malheur
la justifie de l'inculpation dont la charge le roi Pèdre :
celle d'avoir dénoncé elle-même le projet absurde
318 LIVRE DEUXIÈME.
que ce prince prête à Jayme, d*avoir voulu TenieTer
à Barcelone avec toute sa famille pour Tenvoyer pri-
sonnier à Majorque.
Une mésintelligence survenue, à la même époque,
entre le roi de France et celui d* Aragon, après avoir
jparu promettre au roi de Majorque 1 appui des lances
françaises, protection qui aurait été bien autrement
. puissante que celle des supplications du chef de l'é-
glise, ne servit, en définitive, qu'à faire sentir plus
vivement au prince spolié toute l'étendue de son in-
fortune. La France était toujours en guerre avec
l'Angleterre, et un valeureux baron de Catalogne,
Pons de Santapau, l'un des capitaines les plus re-
nommés de l'époque, s'ennuyant de l'oisiveté dans
laquelle le laissait l'état de paix de l' Aragon , était (dlé,
à la tête de quelques compagnies de chevaux, offirir
ses services au roi d'Angleterre. Le roi de France,
Philippe de Valois, regardant ce voyage du seigneur
catalan comme une infraction au traité dailiance
entre la France et TAragon, avait envoyé à Perpignan
une ambassade pour réclamer la restitution de la
couronne de Majorque en faveur de don Jayme, et
Pèdre alarmé s'était empressé de rappeler Santapau.
Celui-ci, qui en vertu des libertés de la Catalogne au-
rait pu ne pas déférer à cet ordre du roi, s'empressa
d'obéir par sentiment de patriotisme , et son retour
rétablit la bonne harmonie entre les deux monarques.
Le malheureux Jayine, abandonné au moment oik.
i
CHAPITA£ HUITIÈME. 519
son âme s'puvmt à l'espérance , fit par lui-même Tex-
péfîence de cette cruelle vérité, qu'il ne faut jamais
<x>mpter sur Tamitié du puissant quand on est tombé
dan» l'infortune , et qu entre les mains de celui qui a
tout celui qui n'a plus rien n est qu'un épouvantait
<]ue l'autre lance ou brise suivant ses intérêts. Non-
seulement le roi de France sacrifia derechef l'op-
primé qu'il semblait avoir pris sous sa défense, mais,
ajoutant l'indignité à l'abandon , il se ligua une se-
conde fois, et plus étroitement encore, avec l'oppres-
seur, et consentit à lui livrer même tous ceux qu'il
svait pris sous sa sauvegarde f alors fut conclu le pre-
mier traité d'extradition pour la remise des criminels
ou dénoncés pour crimes, et des rebelles; la remise de-
vait s'en faire sur la simple demande de l'une des
parties contractantes. Ce traité fut^igné le 29 avril, et
six mois après, le ^29 octobre, Raymond de Sagariga,
gouverneur des deux comtés , alla s'aboucher à Nar-
bonne, avec le sénéchal de Garcassonnc, pour régler
es formes à observer dans ces extraditions ^ Le roi
e France , dès le a 1 avril , avait mandé aux séné-
laiix de Carcassonne , de Toulouse et de Beaucaire ,
isi qu'à ses officiers de Montpellier, d'accorder
ite faveur au roi d'Aragon, et de s'opposer à tout
ours en faveur de celui de Majorque ; ainsi deux
îs avaient suffi pour changer complètement les
ositions du roi de France, et pour lui faire sous-
rch. dooi.
SSO LIVRE DEUXIÈME.
crire un traité qui confirmait la spolialioa contre
laqudle fl avait d*abord semblé vouloir protester. 11
est vrai que le roi d'Aragon avait promis de donner
la main de Tainée de ses filles au fib de Jean, dnc de
Nmmandie, l'aîné des enfiuats de Philippe de Vdois,
et cette spécieuse raison d'état, ou plutôt de fiimflle,
avait &it taire toutes considérations , non-teulmnettt
de justice et de loyauté, mais de saine politique. N'était-
il pas, en effet, du jdus grand intérêt pour la France
de ne pas permettre l'agrandissement de l'Âragon,
puissance très-considérable à cette époque , et devait-
elle souffrir l'anéantissement d'un petit état intenné-
diaire, qui l'empêchait d'être avec elle en contact
direct* et dont l'absorption par l'Âragon donnait à
l'Espagne les portes du Languedoc? Mais un mariage
sembla une garantie plus certaine que le rempart des
Pyrénées. Cependant ce mariage, teUement reculé
dans l'avenir que la princesse qui en était te lien n'a-
vait encore que cinq ans, ne se fit jamais : cette in-
fante épousa par la suite le roi de Sicile, Frédéric II;
la France n obtint aucun des avantages qui lui étaient
promis par cette union problématique, et son roi
resta pour jamais souillé de la tache la plus odieuse,
celle d'avoir trahi le malheur au moment même où il
avait paru lui tendre la main poiu» le secourir.
L'honneur fut de tout temps pour les Français un j
mobile plus puissant et plus décisif que les froides.^
combinaisons de la diplomatie ou de l'intérêt par
CHAPITRE HUITIÈME. 321
50iind. Malgré les défenses de Philippe de prêter au-
cune assistance au roi de Majorque , malgré Tordre
donné, le 27 avril, au sénéchal de Carcassonne de
punir quelques. uns des seigneurs de sa sénéchaussée
qui s'étaient joints à don Jayme pour marcher sur le
Roussillon, ce prince ne cessa jamais de trouver
dans la généreuse noblesse de Languedoc, des bras
prêts à défendre en sa personne la cause du malheur.
I. 3 1
522 LIVRE DEUXIÈME.
CHAPITRE IX.
Jayme tente de ressaisir sa couronne. — Le roi de France lui
enlève ses dernières ressources. — Les Roussilloonais trans-
fuges , odieux aux seigneurs d* Aragon. — Idée du gouverne
ment d* Aragon. — Les seigneurs aragonnais recourent à
Y union. — Ce que c'était que V union. — Autorité du jastida.
Le guet-apens tendu au roi de Majorque par le roi
d'Aragon, pour le priver de ses états, avait couvert
d'opprobre le monarque vainqueur, malgré tout son
triomphe , et celui-ci avait su faire rejaillir une partie
de sa honte jusque sur la couronne de France, de-
venue complice du crime de la spoliation. Cependant, ^
à quelque extrémité que l'infortuné roi de Majorque ^
fût déjà réduit, 1 œuvre d'iniquité préparée contre lui _5r
n'était pas entièrement consommée. Jayme, dépos
sédé de sa couronne héréditaire par un roi puissant^ ,
son parent, son allié, son suzerain, celui qui devais t
être son protecteur tant qu'il ne se rendrait pas cou — :
pable de félonie, ne possédait plus que ce que ce vo^^i
n'avait pu lui ravir, la seigneurie de Montpellier et 1^=^5
autn^s terres de Languedoc qui relevaient directemer""^/
de la couronne de France. Au moyen des faibles s<
cours qu'il tirait de ces fiefs, il pouvait encore tent«
quelques entreprises contre le détenteiu' de ses état:5;
CHAPITRE NEUVIÈME. 523
il fallait lui enlever ces dernières ressources : les deux 1347
géants unis contre le pygmée en prirent la résolution,
et le roi de France n'eut pas honte de se rendre Texé-
cateur de cette nouvelle injustice.
L'année i3&6 s'était passée en négociations et en
préparatifs. Au commencement de iS&y, Jayme,
avec les levées qu'il avait faites à Montpellier et dans
ses autres domaines , et surtout avec le secours des
seigneurs français, qui dans tout le cours de cette
gaerre n'avaient pas craint de s'exposer au ressenti-
ment de Philippe, se vit en état de causer quelques
inquiétudes à l'Aragonnais : il le trouva déjà en me-
sure. Aux premiers bruits de ce nouvel armement,
Pèdre avait mandé de Valence , où il se trouvait alors,
âi son firère, don Raymond-Bérenger, au vicomte de
Cardone , au vicomte de Canet et à quelques autres
barons, de se porter rapidement en Roussillon, et à
Ion Graiceran de Pinos, de se rendre à Puycerda
vec ses compagnies de chevaux; et, dans le niéme
?nips , il provoquait, de la paît du roi de France , un
nouvellement de défense à tous ses sujets de prêter
^ours à son ennemi, défenses qui furent signifiées à
noblesse du Languedoc le 3o mars.
Tayme'débuta par une tentative sur l'île de Ma-
fue, où l'appelaient les vœux de quelques amis
l y avait laissés. Mais, pour imposer aux Aragon-
et augmenter la confiance de ses partisans, il
t un certain déploiement de forces, et il n'avait
ai.
524 LIVRE DEUXIÈME.
que quelques galères , insuflisantes • même - potir se
montrer avec sûreté sur les cotes de cette iie -z raminl
des galères de Provence, Ghaiies de Grimaldi» prince
de Monaco, consentit à l'accompagner dflins cette
course, avec sa flotte, afin de laisser croire aux Mt-
jorquins que toute cette armée navale appartenait k
leur roi ^. Ces galères se présentèrent en eSet devant
Majorque , mais leur apparition ne produisit aucun
eflfet : depuis la découverte du complot qui tendait,
deux ans auparavant, à rendre les Baléares au itx
spolié, Pèdre avait rendu impossible toute nouvelle
insurrection. Hors d'état de rien entreprendre àforae
ouverte avec de si faibles moyens , Jayme se ooa-
tenta de ravager les côtes» et l'amiral de Grima)dL«i
ayant pris des rafiraîchisfements pour ses équipages^,
toute la flotte reprit le chemin de Provence. Bieat&^-r:
les troubles qui éclatèrent en Aragon Êusantsupposm:
à Jayme que Toccasion était opportune pour essayi
un coup de main sur le continent, ce prince se hàl
de réunir tout ce qu'il put de compagnies de chevauaa
et de fantassins, et il entra en Roussiilon.
Les facilités que le roi de Majorque trouvait dan5
la population de ses anciens états le mirent à inéme
d'occuper tout le Confient ayant que doU; Pèdre
n'eût connaissance de son arrivée. Infornié de cette
invasion subite par le gouverneur de Roussillon, ce
prince manda au comte de Pallas et au vicomte de
» Zurila,VIII,9.
CHAPITRE NEUVIÈME. 325
larckme de marcher en diligence sur la Gerdagne ,
our en interdire l'entrée aux Français qui suivaient
lyme, et il rassembla lui-même en toute hâte des
irces pour les conduire à Perpignan.
Pendant que le tocsin appelait aux Pyrénées tous
s paysans armés de la Gatdogne, don Arnaud
Ëril , gouverneur des deux comtés , le vicomte d'Ule
t quelques autres chevaliers , à la tête des. gens de
lerre qu'ils avaient pu tirer de la Catalogne et du
oussillon, s'étaient portés sur le Gonflent. Arrivés
lus Vinça , ces capitaines attaquèrent ce bourg avec
opétuosité, mais en désordre, et furent repoussés,
ependant la faible garnison que le roi de Majorque
irait laissée dans Vinça ayant éprouvé de grandes
ertes dans l'attaque , et se voyant hors d'état de re-
ster une seconde fois aux forces qui la menaçaient,
décida à l'évacuation dès la nuit suivante. Le mou-
ment était à peine commencé, que les Aragonnais,
îTtîs de cette retraite , se précipitèrent dans la place
firent un grand carnage des partisans du roi de
'^orque qui fuyaient avec les Français. Plusieurs de
habitants , pour mettre la Tet entre eux et leurs
»mis, voulurent traverser cette rivière; mais les
}s en ayant malheureusement enflé les eaux,
Tue tous ceux qui y avaient cherché leur salut y
èrent la mort ; d'autres , croyant que l'immunité
»ux saints leur sauverait la vie, s'étaient réfugiés
es églises , mais la fureur du soldat ne respec-
520 LIVRE DEUXIEME,
tait l'icii : ils furent tués à coups de couteaux , sur les
autels même . et les chapelles , comme si elles avaient
été complices de l'insurrection, furent mises au
pillage '.
La nouvelle àe ce désastre parvint au roi de Ma-
jortiue à Ria, en même temps que l'annonce de la
prochaine entrée en Rousnillon du roi d'Aragon,
parti de Fîguières avec l'infant don Pèdre. son oncle.
6 la tête de forces considérables. Incertain de ce qu'il
devait Paire, Jayme s'était d'abord décidé à livriîr ba-
taille aux Antgonnais campés à Cadolet. avant qu'il»
pussent i-ccevoir le puissant renfort qui déjà traversait
les Pyrénées; c'était le parti le plus sage: son irréso-
lution ie perdit. A peine avait-il fait un mouvement ^
pour se rapprocher de rrtte armée, que, changeant.^
subitement d'avis, il monte en Cerdagne et tente de:^^
s'emparer de Fuycerda. Forcé de i^-noncer à cette^a
conquête, après d'inutiles efforts, il rcvifnt en Con-
fient, mais il était trop tard : le roi d'Aragon était déjSE
à Thuir. Reconnaissant alors l'impossibilité de teni=)
ta campagne contre des forces aussi supérieures, ^B
reprit le chemin de France : c'est i son retour d^-^
cette fâcheuse expédition , que ce prince sévît mler^T
ses domaines de Languedoc.
Dans ce nouvel acte de spoliation dont l'infortuné
roi de Majorque était victime, on ne sait ce qu'on doA
le plus admirer, de l'odieux, de l'injustice ou de la fri-
CHAPITRE NEUVIÈME. 527
YoUté! du prétexte dont on se servit pour la com-
mettre : J<ii(pn€ était entré en RoussiUon sans la permission
da rci de France. Ainsi, le roi de Majorque était
asiioiflé à ceux qui lui prêtaient leur aide, et le
pripce détjroné devait demander la permission d'em-
ployer ses deniers à recouvrer sa puissance! Mais
Jayme , bien qu'il fut vassal de la couronne de France,
pOAiyait-il être compris dana la mesure générale par
laquelle Philippe avait défendu de prêter aucun se-
court au roi de Majorque P N'était-il pas lui-même, ce
roi de Majorque , privé de ses états par une perfidie ,
^t autorisé par tous les droits de la justice et de l'é-^
quité à chercher à les reconquérir ? Le roi de France
deyait-il lui ravir ses domaines , quand il ne saisissait
paA eemi des seigneurs qui l'avaient secondé dans ses
tentatives, en dépit de ces mêmes défenses? Ou bien,
en ne considérant même le roi Jayme que comme
vassal direct de la couronne de France , avait-il besoin
de l'agrément du roi pour venger ses propres injures ?
Le droit de guerre appartenait aux possesseurs de
fieCs; ce droit était de Tessence du gouveiisemenl féo-
dal . alors encore dans toute sa plénitude. Les troubles
que les guerres privée^ jetaient dans le royaume
avaient bien porté quelques rois à y mettre des bornes,
mais la défense absolue en était impossible, parce
que la noblesse regardait ce droit de guerre comme un
le ses privilèges les plus précieux. En octobre i a 45
«ouis IX avait rendu son ordonnance dite la qnaran-
328 LIVRE DEUXIEME.
taine-le-roi, par laquelle il défendait de recourir atix
armes avant que quarante jours ne se fussent écoulés
entre l'ofiense el les hostilités ; Philippe le Bei, après
avoir fait tous ses efforts pour prohiber à jamais dans
ses états, par ses édits des g janvier i3o3 et a dé-
cembre I 3 1 1 , les guerres privées que se faisaient les
seigneurs, avait fini, le aj) juOlet i3ii, par les dé-
fendis seidement pendant la durée de sa guerre de
Flandre; plus tard, en mars i356 el en décembre
i363, Charles, lieutenant du royaume pour le roi
Jean, son père, el ce monarque lui-même se bor-
nèrent à défendre qu'aucune guerre privée pût avoir
lieu pendant que le royaume aurait à soutenir lui-
niême une guerre '■ : le privilège en existait donc en-
core entier en i3i7;Jayme était donc dans son droit,
et l'action du roi de l'Vance n'était qu'un acte de [rfus
de violence , qui tenait à la loi du plus fort.
Jayme, réduit au désespoir par cette dernière in
justice, implora de nouveau l'assistance du pape son^
unique soutien. Gément écrivît au roi de France^,
non pour rédamer de lui une restitution , la poUtiqa^=
de PhUippe lui commandait de conserver des terre^^
qui convenaient à l'unité de son royaume, et il B'étaL~4
pas plus disposé que Pèdre à se dessaisir de ce qu'SJ
avait pris, mais pour solliciter sa commisération e-wj
fiiveur d'un prince qui n'avait plus, disait le pontife ,
de quoi se sustenter, lui sa femme et ses en&ots,
' OrdonnaDceidei Toii de France.
CHAPITRE NEUVIÈME. 329
leMfiiel^, quoique pauvres, n'en étaient pas moins issus
de race royale K En attendant que la commisération
de l'oppresseur permît à cette royale famille d'avoir
en propre un peu de pain, le pontife la recueillit
chex lui et l'entretint, disons de ses propres de-
niers, pour ne pas dire des produits de la charité pu-
blique^ '
La guerre que le roi d'Aragon avait faite en Rous-
silion pour envahir le patrimoine du roi de Majorque
arait été avancée bien plus encore par le parjure et la
trahison des sujets majorquins, que par la valeur et
la force des armes des Âragonnais. La perfidie d'une
partie de la noblesse de ce comté , qui avait si puis-
samment contribué à briser le trône de la patrie , eut
pour la monarchie même d'Aragon des conséquences
taxquelles on eût été loin de s'attendre , et dont nous
dlons rendre compte succinctement , comme se liant
idirectement à notre sujet.
Pour s'attacher de plus en plus ceux dont le dés-
Hineur lui avait facilité la conquête de leur pays ,
^dre s'était environné de tout ce qu'il y avait de plus
loent parmi les riches hommes de RoussiUon et
Cerdagne; il les avait placés dans son conseil,
\8 les offices de sa maison, dans toutes les chaînes
dépendaient de sa couronne et qui donnaient le
«mn aliande non habeat nnde se ac filios , licet pauperes , regali
\ prosapia genitos, sustentare valeat , amovere. Preuves de t histoire
de Lan€fuedoc.
530 LIVRE DEUXIEME,
plus d'accèii auprès de sa personne. Cet entourage
presque exclusif dVlrangers, excitant bientôt i'inquié-
tude des barons aragonnai», cciix-cî avaient cru devoir
se liguer pour éloigner d'auprès du monarque des pcr-
soni)at;es dont l'obsession pouvait finir par devenir
préjudiciable à l'état.
Sous un gouvernement absplu, cette conjuration,
dont le prétexte elle motif titaient le bien public, au-
rait pu paraître n'avoir réellement pour cause qu'une
basse jalousie des faveurs du prince, le dépit de voir
donnera d'autres des postes honorables ou lucratifs, un
i^ioblc sentiment d'envie contre d'ambitieux favoris
qui , en maîtrisant l'esprit du monarque, pouvaient en-
lever Btix Aragonnais sa confiance , les lui rendre sus-
pecLi et les faire tomber dans sa disgrâce; mais rien de
tout cela u'élait possible en Aragon. Modèle des états- -^
où les devoirs de toutes les classes étaient le plue exac
fement trart'^s, tout y étiiit prévu pour la garantie dcgz^
libertés de chacune d'elles, en se maintenant c~
la ligne d'obligations réciproques que le Code t
constitutions leur imposait. Bien loin que le im d'A- —
ragon pût jamais devenir despote , les lois fondamen.'—
laies de l'état le tenaient dans une dépendance ^â
directe des corts du royamne , et des seigneurs Ëo-
daux, créateurs de la monarchie aragonnaise, que
ceux-ci n'avaient rien à redouter des alentours du roi,
dans leurs intérêts privés.
Républicain sous les formes de la royauté, le gou-
CHAPITRE NEUVIEME. 331
Yemement d'Aragoû, comme; celui de Catalogne,
appartenait miiquement aux corts. Composées des
deux classes de la noblesse , les riches hommes ou
barons et les chevaliers , des députés du clei^é et des
représentants des villes royales , ces corts souveraines
pouvaient seules ordonner les impôts, ratifier les
traités, régler les monnaies; à elles seules apparte-
nait le droit de rendre les lois, de revoir les juge-
ments, de surveiller l'administration, de réformer
les abus. Rempart inexpugnable des institutions so-
ciales, elles recevaient les plaintes du roi comme
celles du demiei' des sujets, et ne manquaient jamais
d'y faire droit. Dans Tintervalle des sessions , tous les
pouvoirs de ce corps étaient confiés à un haut ma-
gistrat, qui, sous le nom dejusticia, voyait soumis à
son suprême tribunal les grands du royaume et le
monarque lui-même. En vertu d'un ancien for, si le
roi ou ses ministres blessait les intérêts dé l'état ou
des particuliers , s'il violait quelques parties des cons-
titutions , s'il n'obtempérait pas aux remontrances que
lui avaient faites les corts, les grands seigneurs se
réunissaient en une confédération nommée union, et
cette union empêchait qu'aucun revenu payable au
roi lui fut compté, jusqu'à ce que justice fût ren-
due. Si la réparatioh de l'injure, de l'injustice ou de
l'atteinte portée aux libertés, ne suivait pas promp-
tement les remontrances failes par Yunion, celle-ci
pouvait, sans rébellion , et en vertu des droits de son
532 LIVRE DEUXIÈME,
institution , se dégager dn serment dé fidéiité , ré-
viser obéissance au monarque , et même s*en donner
un autre : telle était Tétendue des droits des hants
barons ^ Sous un gouvernement de cette espèce, la
faveur royale ne pouvait pas être , pour ces hauts ba-
rons, presque les pairs du roi, l'objet d'une suscep-
tibilité d'ambition ou d'envie. L'intérêt seul du bien
public fut donc, en i S&y, la cause première et inmié-
diate du recours à l'amoTi; d'autres passions s'y mê-
lèrent plus tard , et finirent par transformer en vraie
sédition ce qui n'était d'abord qu'une opposition lé-
gaie et dans un but patriotique. Ce but était, conune
on l'a vu , de forcer le monarque à se séparer des ba-
rons roussillonnais , pour lesquels ceux d'Aragon
étaient pleins de mépris. Jaloux à l'excès de leurs
prérogatives, mais pleins d'honneur et de droiture,
ils ne voyaient qu'avec indignation , autour du souve-
rain , des- hommes qui avaient trahi leur propre roi e1
favorisé sa spoliation. Dans l'intérêt de l'état ili
avaient accepté le bénéfice de la trahison , mais 1(
cœur soulevé contre ceux qui s'en étaient rendus cou
pables, ils ne voulaient pas les trouver dans les co
seils du monarque. Parjures une fois, ceux-ci poi
vaient l'être encore, et les Âragonnais devaient/
craindre qu'ils ne cherchassent à amener des noux-
veautés contraires aux vrais intérêts du royaume ;
c'est là le motif noble, grand, généreux, que Znriîâ
' Ziirita — Ant. Percr, firlacion , part. i.
CHAPITRE NEUVIÈME 533
donne à la confédération légale qui se forma alors
entre tous les grands d*Âragon ^.
Les membres des corts de ce royaume, réunis
spontanément à Saragosse, jurèrent Taïuon, et furent
imités par ceux de Valence. A la tête de cette douUe
ligué était le frère du roi, Tin&nt don Jayme, que
Pèdre avait exclu de toute participation aux affaires
du royaume, en faveur de sa fille, dona Constance,
mesure contraire à Tusage suivi jusque-là, les femmes
ne pouvant succéder au trône qu'à défaut de mâles
dans les lignes collatérales : c'était là un motif de
j^us pour l'union. Les précédents sur lesquels les
seigneurs ligués s'appuyaient pour soutenir les pré-
tentions de l'iofant étaient que la reine Pétronille^
quoique héritière du roi Ramiré, son père, avait pré-
féré, en mourant, laisser le trône au comte de Bar-
celone, .son mari, plutôt qu'à ses filles, que Jaytne le
Conquérant avait aussi exclu les filles de sa succession,
et que, conformément à ces principes, le père du roi
actuel, Alphonse IV, avait substitué l'infant don
Tayme à don Pèdre lui-même, si celui-ci venait à
lourir sans enfants mâles.
Quand cette ligue des seigneurs aragonnais eut ac-
lis toute la consistance qu'on voulait lui dcmnér, elle
^ Esto procuravan con grande instancia , impatando à ios cavalleros
^osaellon que el rey ténia en su consejo, que avian sido traydore» a
ey, y que fueron causa que el rey (de Aragon) lo de^eredasse^ y
no cessarian de intentar ciras novedades muy préjudiciables y
idalosas. Zurifa . VIÏI, 12.
354 LIVRE DEUXIÈME.
exposa au roi ses demandes et ses grie&; elle réclamait
principalement la confu*mation des donations fidtes
par Alphonse IV à la mère de don Pèdre et à ses
frères , et dont le prince les avait dépouillés ; la créa-
tion pour le royaume de Valence d'une magistrature
correspondante à celle du yiu^tcîia d'Aragon; le choix,
parmi les membres de Yanion, d'un certain nombre
de personnes pour être du conseil du rot et de celui
de l'héritier présomptif de la couronne; l'ordre qu'au-
cun individu du Roussillon , ou qui ne serait pas né
du côté des Pyrénées qui regarde la Catalogne, ne
pût être auprès de la personne du roi ou de celle de
l'héritier présomptif, soit en qualité d'o£Qcier de sa
maison, soit en celle de conseiller, jusqu'à ceq[u'en
un parlement général de l' Aragon, de Valence et de
Catalogne , on eût examiné si le roi pouvait s'ent
des Roussillonnais sans préjudice pour l'état, ^t san
péril pour sa personne. Quant à la réintégration d
Imfant don Jayme à la dignité de lieutenant du roi
dans Tadministration du royaume, poste inhérent i
la qualité d'héritier présomptif, la question en fu —
ajournée, parce que, dans Tinterv aile, une assemblé
de lettrés, après Tavoir examinée et avoir entend
les débats de part et d*autre, avait décidé que Tusag
adopté dans les autres royaumes de la péninsule, A^
faire succéder directement la fille au père, à dékmjt
de garçons, devait être commune à TAragon.
La politique de don Pèdre n était pas celle des corts.
CHAPITRE NEUVIÈME. 555
CldleiH^ avaient sanctionné la réunion du royaume
le Majorque à celui d'Aragon comme la réintégration,
longtemps provoquée , d'un démembrement de Tétat
]ui n'avait jamais été consenti par elles, et comme le
Bruit d'une conquête, sans s'inquiéter par quels moyens
Dette réint^ration et cette conquête avaient eu lieu;
mais Pèdre , qui savait très-bien qu'il les devait peut-
&tre inoins encore au tranchant de Tépée qu'aux menées
ténébreuses qu'il avait su pratiquer dans le pays , avait
le jdus grand intérêt à ménager ceux que les Aragon-
nais ne voyaient qu'avec ombrage. Diamétralement op-
posés dans leurs vues, c'était précisément la raison
mêine qui faisait abhorrer ces étrangers par tô no-
blesse, qui le forçait, lui, de se les attacher. Ces
traîtres avaient une grande influence dans les cottités
oè le roi spolié conservait de nombreux partisans ,
le ia part desquels chacune des années précédentes
vait vu éclore des conspirations. En se soumettant
IX volontés de Yunion, Pèdre humiliait les barons et
levaliers roussillonnais et pouvait les rejeter dans
parti de Jayme, qui dans ce moment même me-
^t le Gonflent : la force des choses l'entraînait
ic à résister à ce qu'on exigeait de lui , outre que
caractère altier et violent, qui lui donnait des
chants despotiques, lui faisait regarder comme
humiliation la loi qu'on prétendait lui imposer,
rminé à affronter l'orage, il accepta toutes les
t^es qui pouvaient en résulter.
336 LIVRE DEUXIÈME.
En prenant la résolution de braver la féodsdité de
son royaume, Pèdre , plus astucieux encore qu*adroit,
et il Tétait extrêmement, eut soin de chercher à en
diminuer les forces en semant la discorde entre les
grands seigneurs. Ce moyen n est jamais sans succès :
plusieurs de ces seigneurs et un certain nomhre de
villes se déclarèrent en sa &veur.
Deux partis , qui se partageaient toute retendue du
royaume, étaient en présence. Le roi, pour essayer
ses forces, convoqua les cortsà Montso; mais Yunion
en réclama la tenue à Saragosse , et Pèdre dut y con-
sentir : ce fut une première défaite. Craignant poiu:
sa personne, il demanda un sauf-conduit aux chefs
de Yunion, qui répondirent que le roi jouissait de toute
sa liberté, qu'il pouvait nonnseulement se rendre à
Saragosse en toute sécurité , mais qu'il trouverait ses
sujets toujours prêts à lui obéir, dès qu'il les aurait
satisfaits sur leurs griefs , suivant ce qui était ré^é
par les constitutions.
Pèdre alla donc tenir les corts à Saragosse „ dont
les membres de ï union refusèrent l'entrée aux dé-
putés des villes qui n'avaient pas voulu se confédérer.
La méfiance existait de part et d'autre. Le roi se pré-
sentant à l'assemblée accompagné de quelques Cata-
lans , l!anîon. exigea lem* sortie , et Pèdre dut ies ren-
voyer. Les frères du roi se montrèrent lés plus animés
contre le monarque, qui venait de i faire décider à
leur préjudice l'ordre de successibilité aU:.troa6..en
CHAPITRE NEUVIÈME. 337
faveiir des filles; ils allèrent jusqu'à le menacer de le
déposer.
Le roi demandait de remettre aujusticia la décision
de toutes les difficultés qui existaient entre lui et hi
noblesse; il ne voulait pas admettre la légale exis
tence de ramon, le privilège s'en trouvant aboli, sui
vant lui, par une prescription de soixante ans pen-
dant lesquels on n'y avait pas eu recours : depuis
ce laps de temps on n'avait eu aucun besoin d'en faire
usage. Forcé pourtant par la nécessité, Pèdre dut
consentir à la confirmation de ce privilège , mais en
protestant secrètement contre la violence qui lui ar-
rachait cette confirmation , qui eut lieu le i "^ de sep-
tembre; le 6, en gage de sa parole, il remit en
otage à Yunion vingt-<[uatre châteaux royaux, tant en
Aragon que dans le royaume de Valence. Il éloigna
aussi d'auprès de lui un certain nombre de seigneurs
tant roussillonnais que catalans, également suspects
aux Âragonnais et aux Valenciens ^, et Yunion désigna
im nombre égal de ses membres poiu* remplir ces
vacances; il fiit arrêté de plus que le roi ne poiœrait
entremettre dans ses affaires propres, comme dans
' Les Aragonnais et les Valenciens faisaient cause commune, parce
qoe TAragon ayant conquis Valence sur les Maures, c'étaient des familles
tfBgonnaiaes qui en avaient obtenu les fiefs, et les uns et les autres
avaient le même intérêt dans les affaires d'Aragon. Les Catalans, au
contraire, formaient une principauté étrangère qui avait ses intérêts h
part; il ne leur appartenait donc pas d'intervenir dans les affaires de
rAragon, et les Aragonnais étaient fondés à les en repousser.
338 LIVRE DEUXIÈME.
celles qui concernaient TÂragon , aucun Catalan » sou»
peine de perdre les châteaux déposés en otage.
Après avoir obtenu satisfaction sur ce grief, Yunion
remit sur le tapis la question de la successibilité au
trône. La décision des lettrés paraissait trop visible-
ment influencée par le roi pour être admise sans dis-
cussion , et conune Pèdre ne voulait rien céder mr
cet artide, de nouvelles discordes agitèrent encore
r Aragon. Enfin cependant, en faisant la clôture de la
session des corts au mois d* octobre, ce prince rendit
k son frère la lieutenance générale du royaume , et
révoqua Thommage reçu par la princesse sa fille, sauf
toutefois les droits qu*il lui reconnaissait toujours à
sa succession s*il mourait sans héritier mâle.
L*infant don Jayme n*eut pas à se réjouir long-
temps du demi-triomphe qu*il venait de remporter.
Étant venu trouver le roi son frère k Lérida, û en re-
partit avec le germe d une mort violente : le poisoi^
que chacun soupçonna qu*il avait reçu le mit au tom
beau en peu de jours ^
Les Valenciens n avaient pas obtenu ce qui faisai^t^
particulièrement l'objet de leur ligue avec les .\ra —
gonnais; ils n avaient donc pas encore dissous leumr^
confédération , quand la mort funeste du frère du roi
vint produire une nouvelle irritation dans tous les
esprits. L'union générale reprit soudain une nouvelle
activité, et on mit à sa tête l'autre frère du roi, l'în-
1 Zurita, Vni, i8.
CHAPITRE NEUVIÈME. 339
bni don Femaiid , qui devait succéder à don Jayme
au poste de lieutenant générai du royaume. De ce mo-
ment ce prince (ut également proscrit dans le secret
de Tâme de son frère. La iùauvaise foi de ce dernier,
qui venait de rappeler autour de lui les mêmes per-
soilnages qu*il avait dû éloigner de son conseil , don-
nant en outre un prétexte légitime au renouvèttement
de la confédération , ïanion se reconstitua plus mena-
çante que jamais. Don Pèdre se trouvant, au com- 1348.
Aiencement de 1 368, à Murviedro , fantique Sagonte,
une violente émeute s*éleva contre son entourage , et,
poitr se soustraire à ta (ureûr du peuple , les Catalans
et Roussillonnais du conseil du roi s'échappèrent se-
crètement de la ville.
Dès là fin de 1 3 67 les deux partis en étaient venus
aux mains pour la première fois. Pierre d^Exerica ,
que le roi avait nommé gouverneur général de Va-
lence , et Taicade de Xativa avaient réuni un grand
nondbi^e de Maures soumis à la domination des chré-
tiens, et cette armée, jointe aux levées qu'avait faites
de son coté le grand maître de M ontesa qui tenait pour
le roi, s*étaif mesurée afvec les troupes de Y union;
mais la victoire n'avait pas été pour les royaux. Une
Acbnde bataille fut encore perdue par eux, et chaque
îKouvet échec , en affaiblissant l'armée de don Pèdre ,
augmentait les forces de Vunion de tous les mécon-
tents qui n'avaient pas osé se déclarer d'abord , et de
cette foule timide et flottante qui, dans toutes les
340 LIVRE DEUXIÈME.
crises politiques , attend pour se déclarer que la for-
tune ait signalé le parti le plus fort.
Toujours vaincues dans toutes les rencontres, les
troupes royales ne trouvaient plus à se recruter, et
Vunion croissait chaque jour en force et en audace.
Dans cette crise violente, et dans cet état d'abandon
et de discrédit, lorgueil de don Pèdre fut forcé de
plier, et des concessions furent faites qui aiuraient dû
mettre fin aux troubles. Us ne cessèrent pas, parce
qu*il est bien difficile que dans im grand conflit les
passions ne viennent pas se mettre à la place du bon
droit quand le bon droit est satisfait, et que les exi-
gences les plus injustes ne s accroissent pas avec
concessions les plus légitimes.
Kissue de la guerre civile , qui sévissait avec im<
extrême fureur, n aurait pas été facile à prévoir " — '
une division fomentée par les intrigues du roi navai t
détaché de la ligue Tun des personnages les plus mai
quanls ci les plus innuents. Lopù de Luna, posseî
seur d'une foule de villes et de châteaux, tant e:
Aragon qu'à Valence, et dont la puissance territ(
riale, supérieure à celle d'aucun autre seigneu]
même de la maison royale, était renforcée de toi
le poids que lui donnait son alliance avec le roi doc^t
il avait épousé la tante, était entre en discussion av^c
Ximenés de Lrrea, autre grand personnage de la con-
fédération, devenue séditieuse depuis que le roi, ei/
accordant tout ce qui était légitimement réclama,
CHAPITRE NEUVIEME. 341
l'avait dépouUlée de toute sa légalité. Lopè de Luna
devint le chef le plus ardent de Tarmée royale , où se
trouvait désormais le bon droit : la guerre civile et
toutes ses horreurs désolèrent donc encore T Aragon.
La victoire d'Epila, remportée le 21 juillet par ce
même Lopè , anéantit enfin la sédition en mettant en
même temps à la discrétion du vainqueur le privilège
à l'abri duquel cette sédition avait commencé. Pèdre
n était pas assez généreux pour séparer le principe de
l'abus qu'on en avait fait; avec la guerre civile finit
pour toujours la faculté qu'avaient les barons du
royaume de pouvoir se rallier légitimement sous l'é-
tendard de YunioUf et le même coup qui renversait
l'antique privilège créé pour opposer une puissante
barrière aux envahissements de l'autorité royale ou-
vrit aussi la première porte à l'établissement du pou-
voir absolu. Pèdre, victorieux, révoqua solennelle-
ment ce privilège aux corts de Saragosse. Après en
avoir lacéré lui-même le titre de ses mains ce prince,
dans toute la fougue de son caractère impérieux , tira
son poignard , s'en blessa légèrement à la main , et
couvrant ces lambeaux de parchemin du sang qui
coulait de sa plaie : «Qu'un privilège, s'écria-t-il avec
«furie, qui permet à des sujets de se choisir un roi,
«soit effacé par le sang d'un roi^» C'est à cet acte
d'un despotisme aussi stupide qu'arrogant que ce
prince dut le surnom de Pugnalet ou du petit poi-
^ Antonio Ferez , Rehiciones.
3&2 LIVRE DEUXIÈME.
gnard ^. Par la suppression de cette célèbre institu-
tion de Vunion, la défense des libertés publiques se
trouva placée uniquement dans les mains du jasticia;
mais quel devait être le sort de cette autorité quand
la puissance qui pouvait au besoin 1^ soutenir par la
force des armes était anéantie? La force morale la
maintint encore quelque temps, avant qu elle n'expirât
de Ëiit sous la despotique volonté de Philippe IL
G*est donc à un incident de la guerre de Rous-
sillon qu*est dû le renversement de Tune des institu-
tions les plus remarquables du régime féodal , et la
décadence du pouvoir sans bornes de ce juge extra-
royal, magistrature suprême, modéra tnce de la puis-
sance royale et boulevart des libertés publiques, qui
datait en Aragon du berceau même de la monarchie ^.
' Le caractère hautain de ce prince, qui le rendait très-exigeant sur
le cérémonial , le fit aussi surnommer le Cérémonieux.
« Voyei note XVIIL
CHAPITRE DIXIEME. 343
CHAPITRE X.
Jayme reçoit le prix de ses domaines de Languedoc. — Der-
nière tentative et mort de ce prince. — Jugement impartial
sur son règne.
Après la dissolution de Vanion, le roi d^Âragon ,340,
avait resserré davantage les liens de son sdliance avec
le roi de France, afin de mieux s*entendre avec lui
sur ce qu'il aurait à faire ultérieurement contre le roi
de Majorque, qu'on n'appelait plus que Jayme de
Montpellier en Aragon, et qui, après l'extorsion de
ses domaines situés en France, ne fat plus désigné
que par le titre de Jayme de Clarence , du chef de sa
mère, princesse de Morée.
Privé de toutes ses ressources , et dans l'impossi- ,3^^.
bilité de rien entreprendre contre son ennemi , Jayme
végétait depuis deux ans dans une oisiveté bien con-
traire à son caractère, et rien ne pouvait faire prévoir
le terme d'une situation qui l'humiliait, quand un
voyage que fit le roi de France à Avignon , en avril
1349, ^^^* ^*^^ ^^^ sortir d'une manière inespérée.
Philippe était allé voir le pape , et ce pontife s'était
empressé de lui présenter la royale famille que sou-
tenaient seules ses libéralités. Jayme savait trop bien
MA LIVRE DEUXIEME.
qu'il ne pouvait plus compter sur la restitution d'au-
cune partie de ses c^tats; il proposa nu roi de France
de lui vendre les domaines qu'il lui avait saisis, et
Philippe acrepta avec joie une offre qui, en régida-
risant un acte dont ii ne pouvait se dissimuler l'injus-
tice, le metlaiten possession légale de plusieurs lerre$
qui convenaient parfaitement à l'agrandissement de
son royaume. Kirmin de Coqiierel , évt^que de Noyon,
chancelier de l'Vance, Guillaume de IHoMe, seigneur
de Hevei, et Pierre de la Forêt, chancelier de Nor-
mandie, cliarg^s par ce prince de terminer cette af-^i
faire, entrèrent aussitôt en conférence avec le roi d^
Majorque, et le marché fiit conclu le 18 du mémo-
mois d'avril. La France acquit ainsi, pour le prix do
cent vingt mille ^cus d'or payables en trois termes,
la seigneurie de Montpellier qui rapportait 3,380
livres de i-cnte, et celle de^Lates qui en produisait
435 '.
Jayme ne se vit pas plus tôt possesseur d'une somme
qui lui permettait de faire des levées, qu'il se mit en
mesure de tenter encore la fortune des armes. Quel-
ques intell%ences qu'il avait à Valence, parmi les
anciens mécontents de ronion, lui faisant regarder
l'invasion de Majorque comme plus facile qu'une at-
' Il est stipulé dans l'acte de vente que si le roi de Fnuce lecon-
naissait que les revenus annuels de ces seigneurs étaient iaféntim^
celte fiiation, on retiendrait sur le dernier payement autant de foiiilii
soQiqu'ily aurait EU de sous de moins de revenu par an.
CHAPITRE DIXIÈME. 3A5
taque sur le continent , il s*était décidé à passer dans
cette île. Avec la faveur de la reine' de Naples ,
Jeanne I**, comtesse de Provence, qui lui prêta cette
même flolte que commandait Charles de Grimaldi,
il embarqua quatre cents chevaux et trois mille fan-
tassins , tous recrutés en France , et il vogua vers les
îles Baléares.
Le roi d'Aragon avait trop d'intérêt à faire épier
toutes «les démarches de Jayme pour n'être pas in-
formé à temps des préparatifs que faisait ce piînce.
Il sut que son intention était de se rendre à Ma-
jorque , et se hâta d'en donner avis au gouverneur de
cette île pour qu'il se tînt sur ses gardes et qu'il prît
toutes ses mesures pour être en état de défense ; il
donna en même temps l'ordre à Pierre de Moncade,
amiral de sa flotte , de chercher partout sur mer les
vaisseaux de Provence pour tâcher de détruire cette
armée avant qu'elle ne pût toucher terre. Peu s'en
fallut en effet qu'un combat naval ne décidât du sort
de Jayme : les deux flottes abordèrent presque en
même temps à Majorque.
ïln touchant au rivage baléarique Jayme trouva
tout contre lui. Outre les secours qu'il avait reçus di-
rectement, le gouverneur de Majorque, Gilabert de
Gentellas, se trouvait avoir encore en sus im surcroît
fortuit de forces par le relâche des compagnies de
cavalerie et d'infanterie que Raimbaud de Corbère,
gouverneur général du royaume de Sardaigne et de
su LIVRE DEUXIEME.
Corse , emmpnait avec lui , et qui se trouvaient k Ma-
jorque depuis le commencement d'août.
L'intention de Jayme était d'attaquer, dès le len-
demain de son arrivée , la ville de Majorque , éloignée
de trois milles du point du débarquement. Il fut pré-
venu par les Aragonnats , qui ne lui donnèrent pas le
temps de s'écarter de la plage. Gilaberl de Centeltas
et Raimbaud de Corbérc, sortis de très-bomie beure
et saiks bruit de la ville, le s S octobre, se présen-
tèrent devant le roi de Majorque au moment où ce
prinr^? se mettait en marche : la rencontre eut lieu
uti peu après le lever du soleil. La partie était loin
d'Être égale. Pendant que Jayme ne comptait pas trois
mille cinq cents combattants en tout , les généraui
aragonnaLs se trouvaient à ta tète de forces considé-
rables du continent et de nombreuses compagnie»
d'insulaires qu'ils avaient dressés , ce qui portait l'ef-
lèctif de l'armée à huit cents chevaux et vingt mille
fantassins '.
L'apparition de cette multitude d'ennemis ne dé-
couragea ni Jayme ni les siens ; s'étant empressé de
mettre ses Français en bon ordre de bataille, il donna
lui-même le signal de l'attaque. La bataille commencée
au soleil levant était encore dans toute se ■ furie à
midi, et le succès en demeurait incertain, tant lei
Français, animés par l'exemple du chef, mettaieiU
d'acharnement à combattre. Pour eux il ne s'E^;iBSUt
' Zurita, Vm, 34.
CHAPITRE DIXIEME. 347
que de Thonneur , mais pour Jayme il y aUait du
destin de sa vie , puisqu'il en était à ses dernières res-
sources. L'ennemi battu, l'île de Majorque lui appar-
tenait, et avec elle il regagnait une partie de sa cou-
ronne et les moyens de reconquérir l'autre; mais s'il
était vaincu toute espérance était perdue, et il n'y
voulait pas survivre.
GepéDdant tes Français , quelque téméraire que fût
leur valeur, ne pouvaient pas balancer la multitude
des ennemis qu'ils avaient en tête et qui les envelop-
paient de toute part. Aucun ne lâchait pied; tous
mouraient à la place où ils combattaient. Les Âragon-
nais , convaincus qu'à la vie seule de Jayme tenait
l'issue de la journée, se réunirent en si grand nombre
contre lui, qu'à force de coups et de blessures ils
parvinrent à le renverser de cheval. L'un d'eux, le
voyant enfin sans mouvement, lui coupe la tête et la
montre aux Français : la vue de ce funeste trophée
éteignit tout à cjoup l'ardeur des combattants ; n'ayant
plus aucun intérêt à continuer la bataille, ils cher-
chèrent à se rembarquer, mais aucun n'y put par-
venir; tous ceux qui avaient mis le pied sur cette
Ëitale terre furent tués ou pris , et le fils du malheu-
reux roi, blessé lui-même au visage, fiit du nombre
des prisonniers. Le roi d'Aragon, à qui ce prince foi
envoyé» ie fit enfermer d'abord dans le château de
Xativa , l'antique Saetabis , d'où il fut transféré ensuite
au château neuf de Barcelone et gardé à vue nuit et
SAS LIVRE DEUXIEME,
jour. Quant au corps du feu roi, transporté à Valence
par les ordres de don Pèdre. il fut inhumé dans le
chœur de la cathédrale de cette ville.
Telle fut la fin de Jayme II, troisième et dernier
roi de Majorque, qui, après s'être vu contester la
couronne au déhut de son règne, finit par se la voir
arracher avec violence après l'avoii' portée vingt-
quatre ans. Indignement calomnié de son vivant et- ^
après sa mon par don Pèdre, son parent, son rival^H
et l'auteur de tons .ses maïu. ce prince périt comra^^
devrait mourir tout monarque dont on brise ie trône
les armes à la main, laissant à la postérité une mé=^
moire chargée des crimes imaginaires dont l'a souillé ^
son implacahle ennemi. Par une inconcevable ta^^
talité ces odieuses accusations n'ont trouvé jusqu'i^HW
que des échos poiu- les répéter, sans rencontrer pe?::^-
sonne qui voulût se donner la peine d'en vérifier ^a
«incérité et d'en apprécier la justice. C'est donc à no-^s
à examiner, avec cette rigoureuse impartialité q^ue
l'histoire doit à ceux qui ont tenu dans leurs maLwu
le bonheur ou le malheur des peuples, quelle fiit h
conduite de ce prince sur le trône et quelle part \ui
revient réellement dans la somme d'injures que lui
ont prodiguées et que lui prodiguent encore des écri-
vains tant étrangers que nationaux, les premiers à
l'imitation des autres qui sont supposés devoir être le
mieux instruits de leurs propres affaires.
Les auteurs aragonnats, catalans et roussillonnaii
CHAPITRE DIXIÈME. 349
nont jusqulci parlé de Jayme II que comme d'mi
monstre de barbarie , d*un lâche tyran comparable à
Néron par son humeur féroce et sanguinaire, et dont
les violences et les fureurs ne pourraient reconnaître
pour cause qu'un cerveau en démence. Mais une
chose qu'il convient, qu'il importe de constater avant
tout, c'est que les crimes dont on accuse Jayme, tous
les actes révoltants qu'on lui attribue, ne datent que
de l'an i343. Avant ce terme, rien dans ce prince
n'avait provoqué encore l'animadversion des peuples;
si en parlant de lui, antérieurement à cette époque,
les écrivains modernes ajoutent à son nom quelque
épithète flétrissante , cette épithète est plutôt fondée
siu* ce qui se passa depuis que motivée par des faits
accomplis d'avance; or, en i343, le roi d'Aragon
avait déjà condamné son beau-frère à perdre la cou-
roime ; ce monarque rival exerçait en Roussillon les
ravages dont nous avons essayé de rendre compte ; il
s'efforçait de contraindre par la terreur et les dévas-
tations les peuples de ce comté à se soumettre à lui;
à cette époque , par la violence ou par la séduction ,
don Pèdre avait attiré à son parti le plus grand
nombre des barons roussillonnais et les plus in-
fluents; à cette époque encore Jayme, réduit à im
petit nombre d'amis qui avaient repoussé toutes les
avances, toutes les insinuations de l'adversaire de
son trône , et qui lui étaient restés fidèles et dévoués ,
avait à lutter, d'une part contre im ennemi extérieur
350 LIVHF. DEUXIEME.
qui semait la mort , l'incendie et les mines dans ses
état», et s'attachait h l'isoler de ses sujets, de l'autre
contre la trahison intérieure qui faisait tous ses efforts
pour précipiter la catastrophe.
Si nous faisons la part des mœurs du siècle où vi-
vaient l'èdre et Jayme , et si nous pesons bien la po-
ailion si particulière et surtout si critique où se trou-
vait ce dernier prince, notLs serons peut-être conduite
h penser que les cruautés qu'on lui reproche , si elle»
ne sont pas exagérées, pourraient bien notre qu'une
^numération, présentée avec les couleurs de la passion
et du ressentiment, des mesures de sévérité auxquelles
il était forcé de recourir pour contenir ses peuples,
atteindre et frapper les parjures et les fauteurs de
corruption , et déjouer des conspirations ourdies en
faveur du roi d'^Vragou. Ce qu'il fit dans des circons-
tances aussi difficiles, tout autre l'eût fait comme lui,
<H le prince le plus doux et le plus humaiû, s'il était
vaincu par le succès d'une conjuration , pourrait être
é^lement accusé de férocité, k raison des mesures
de r^eur qu'il aurait dû prendre pour briser les com-
|!dots et châtier les traîtres. Si Jayme' eût triomphé,
tout l'odieui qu'on a versé sur lui aurait été le pa^
tage de ceux qu'après sa chute on a présentés comme
ses victimes-, mais ce lut Pèdre qai t'emporta. Le
succès ayant couronné l'usurpation, il faliutjustifief une
spdiation injustifiable autrement que par ces taisont
d'état et de haute convenance politique qu'on n'avait
CHAPITRE DIXIÈME. 551
pas encore à cette époque la hardiesse d*avouer hau-
tement poiu* excuser les plus révoltantes injustices; il
fdlut colorer cette odieuse spoliation du prétexte de
Tintérèt spécial des habitants des domaines inféodés
à Jayme, et qui étaient toujours et d*abord les sujets
du roi d'Aragon, avant de letre du roi de Majorque,
en ne considérant celui-ci que comme simple feuda-
taire de la couronne de don Pèdre. En conséquence
de ce principe, il fallut établir que les sujets de Ma-
jorque qui servaient la cause du roi d'Aragon au pré-
judice de leur propre seigneur ne faisaient que rem-
plir un devoir; alors les traîtres envers ce dernier
fnînce , qui avaient reçu la peine de leur infamie , ne
furent plus que des martyrs. Pèdre a lavé lui-mèmé
don Jayme des prétendus actes de barbarie et d'inhu-
manité qu'on lui reproche, en fournissant des fonds
pour l'érection d'une chapelle expiatoire à l'endroit
oà avaient péri, de la main du bourreau, certains
Perpignanais qui reconnaissaient, dit-il, son bon droit,
ou, en d'autres termes, qui avaient conspiré contre
leur monarque.
Les crimes que le roi d'Aragon reprochait à celui
de Majorque étaient d'avoir surchargé d'impôts la por-
tion des sujets de sa couronne qui se trouvaient sous
l'administration du roi de Majorque, à qui ces do-
maines étaient inféodés , de les avoir tyranniquement
persécutés par toutes sortes de moyens, de leur avoir
enlevé leurs biens comme si c'était des peuples nou-
I
LIVRE DEUXIEME. ^^^^^
vellenient conquis; d'avoir fait périr des innoccnb,
d'en avoir renfermé d'iiiitresdnns d'étroites prison»,
d'en avoir banni d'iiutres encore pour leur ravir leur
héritage, cl tout cela au mépris des luis et constitutions
de Ciitalogne qui régissaient le royaume de Majorque :
c'étaient ces motifs qui l'avaient mû, disait-ïl, k re-
prendre tous ces Tiefe sous su main. Mais avant d'en-
trer dans cette énurnération des griefs présentés par —
don Pèdre contre Jayme et que Zurita récapitule -^
d'après lui, ce grave historien a grand soin de dire nue— -j
c'est là une exagération dont le roi d'Aragon se scrvît^r- t
pour justlTicr sa conduite quand le roi de Majorgm' ti
fut tombé en sa puissance'. L'écrivain roussi'llnnnaifa— - _s
Aadré Bosch nous donne la liste de tous les forfaits rs
imputés au dernier roi de Majorque d'après un procé:. ;^s
instruit contre ce prince ; il i'accuse :
1° D'avoir fait arrêter, le dimanche des Rameau . jx
de. Tau i3A3, le vicomte d'Ille avec plusieurs an m <
(^evaliers, et de les avoir fait conduire à Majorqu e
où on devait les mettre k moil. Le courrier qui po:^H<;, '
tait cet ordre fut pris, ce qui empêcha l'exécution ^-*' '
cette sentence : leurs biens furent saisis par le 6eL~"f
motif qu'i/s voataient moyenner un accommodement entr-^
les deax rois;
3° D'avoir invité le jour de Pâques les consuls d
notables de Perpignan à se rendre au château dan5
l'intention de les iàire arrêter de guet-apens : le coup
> Zurita, VU, 65.
CHAPITRE DIXIÈME. 555
manqua parce que deux d'entre eux ne s'y rendirent
paa;
3* D'avoir, au mois de juin , excité les pauvres k
^'emparer des biens des riches; de s'en être fait une
escorte qui injuriait les autres citoyens pour les pro-
voquer à leur riposter, afin ictooir un prétexte pour les
tuer;
4* D'avoir fait fondre beaucoup d'ustensiles d'or et
d'argent de la chapelle du château royal, ainsi que du
couvent des frères mineurs de Perpignan pour en faire
de la monnaie;
S** D'avoir, dans le courant du mois d'août, laissé
tuer par les soldats qui allaient avec lui un marchand
qui le suppliait défaire la paix avec le roi d'Aragon;
6" D'avoir fait monter au château le jour de Sainte-
Elisabeth trois cents Perpignanais des plus riches,
sous prétexte de lui faire cortège pour une messe so-
lennelle; d'en avoir fait mettre aux fers, sans motif,
cent dix-huit, dont trois étaient consuls; d'avoir me-
nacé et injurié ceux qui s'intéressaient pour eux, et
de ne les avoir relâchés que moyennant une compo-
sition de deux mille cinq cents florins;
7" D'avoir fait tenailler et couper la langue à trois
consuls, trois jours avant Noël, pour inspirer de la
crainte aux autres;
8" D'avoir tenu dans des lieux obscurs les enfants
uniques des riches et des vassaux des barons aux dé-
pens des pères; si bien que plusieurs en moururent,
I. a3
Sûfi LIVUE DEUXIEME. V,
d'autres eu tombèrent malades et ne piu'ent jamaU
bien se r^lablïi-. IJ y .iv^ït iiussi parmi ces captïis Âei
moines, des dtanoincs et d'autres ecclésiastiques qâ
se refusaient à payer les droits; Jaunie en empêchait
d'aiilrcs de sortir de leurs coiivenb;
9" De n'avoir admis dans sa société <fae des folean
lie rjrand chemin : d'avoir fait saisir les biens et démolir
leti maisons de cetix ifai s'étaient absentés de Perpigwa;
lo" D'avoir révoqué les privilège» des consuls,
après que les deux mille cinq centj (lorins auxquels
avait été futée la rançon de ceux qui étaieni reteiiin
au ch^tea» eurent été comptés, et cel,i pour n'être
pas contredit, etc.
Tous ces griefs furent insérés dans un procès fail
au roi de Majonpie, au mois d'août i3i6, c'est-à-
dire, lorsque les Aragonnais étaient en possession de
Perpignan depuis un mois; dans im temps où per-
sonne, dans cette ville, ne pouvait élever la voix en
faveur de l'accusé ; où le tribunal érigé par l'enneaii
de cet accusé ne faisait qu'enregistrer les accusatioit)
quelles qu'elles fussent, plausibles et spécieuses, ou
absurdes et ridicules; où cet ennemi avait intérêt i
chercher la justification de sa propre conduite dam
la culpabilité de celui qu'il avait dépouillé, et oà
ceux qui avaient favorisé son usurpation devaient
nécessairement calomnier le prince qu'ils avaieni
trahi.
De toute cette série d'actes imputés à crime au roi
CHAPITRE DIXIÈME. 355
de Majorque, le plus grand nombre ne mérite pas
d'être réfuté aujourd'hui, et on s'étonnerait qu'ils
aient pu trouver place dans un procès de cette nature,
si on ne voyait dans une foulé d'autres procès de ces
époques , des accusations non moins révoltantes par
leur absurdité. Quant à celles de ces inculpations qui
portent sur des faits d'une certaine gravité, il n'en est
aucune qui, examinée avec cette sévère impartialité
que la postérité doit mettre dans ses tardives investi-
gations, ne soit de nature à être justifiée par les cir-
constances dans lesquelles ce prince se trouvait placé :
remplissons ce devoir.
Le roi de Majorque a fait arrêter le vicomte d'Ule
et jdusieurs autres barons et chevaliers. Ces arresta-
tions n'ont pas eu L'eu sans cause. Le prince dont un
ennemi puissant proscrivait la couronne avait trop
d'intérêt à ménager ses barons pour se livrer à des
aetes insensés qui n'auraient fait qu'ajouter une force
morale aux forces matérielles de son ennemi. Le seul
iait de ces arrestations atteste donc que Jayme avait
Aé^k découvert leur trahison , et que ce fut pour les
empêcher de la consommer qu'il les fit déporter à
Majorque.
Le jour de l'arrestation de ces prisonniers était,
BOUS dit Bosch, le dimanche des Rameaux de l'an
i3â3. Cette année, la fête de Pâques tombait aii
1 3 avril ^ ; le dimanche des Rameaux fut donc le 6 de
* Art de vérifier les dates, lom. I.
2 3.
556 LIVKE DEUXIÈME,
ce mois. Jayme passa à Majorque à la fm de ce même
mois , pour défendre cette île contre le roi d*Âragon.
Les seigneurs déportés n'étaient déjà plus à Majorque,
puisque Jayme aurait pu faire exécuter à son arrivée
la condamnation à mort qu on prétend qu'il avait pro-
noncée contre eux , s'il était vrai que la prise du mes-
sager qui portait Tordre de cette exécution en eût seule
empêché Teffet. Mais le roi de Majorque n'avait
même pas ordonné de les tenir en prison , puisqu'ils
avaient pu quitter cette île, et que peu de temps
après nous trouvons en effet ce même vicomte d'IUe
dans le camp du roi d'Aragon : l'envoi de ces person-
nages à Majorque n'avait donc été qu'une simple dé-
portation , et la saisie de leurs biens , présentée
comme postérieure à leur arrestation, n'eut lieu ap-
paremment que lorsque Jayme fut informé qu'ils
avaient passé à l'ennemi.
Le guet-apens tendu aux consuls et conseillers de
la ville de Perpignan, avorté par le seul fait de l'ab-
sence de deux d'entre eux, n'est pas susceptible de dis-
cussion. Coinnient l'absence de deux individus qu'on
pouvait arrêter plus tard aurait-elle empêché le prince
de s'assurer de la personne du plus grand nombre?
Les troisième et einquiènje griefs portent le cachet
de ces contes populaires qu'on voit se renouveler à
loutes les époques, quand il y ^ un chef à désaffec-
tionner : on sait s'il dépendait du roi de Majorque de
faire la paix avec le roi d'Aragon. Quant à la fonte
CHAPITRE DIXIÈME. 557
d'une partie de l'argenterie de la chapelle du château
royal, Jayme n'en devait compte à personne; et pour
celle du couvent des frères mineurs , ce prince fit ce
qu'ont fait tant d'autres princes dans un moment urgente
La détention arbitraire d'un certain nombre d'en-
fents de familles riches, pour forcer les parents à les
racheter, serait une iniquité que rien ne saurait jus-
tifier si elle était prouvée. Peut-être pourrait-on soup-
çonner que cette mesure avait plutôt pour objet de
s*assurer, au moyen de ces otages , de la fidélité de
£aimilles suspectes ; mais ce qui paraît devoir éloigner
toute criminalité de ce fait , c'est que dans ce même
article on voit des prêtres et des moines arrêtés égale-
ment pour n'avoir pas voulu payer certains droits. Si la
détention de ces derniers avait été illégale, eîle aurait
excité les plaintes des autorités supérieures de l'église,
toujours si promptes à s'irriter quand on touchait aux
privilèges et aux immunités cléricales , ou à ce qui te-
nait à leur juridiction; or nous avons vu que le pape
avait, au contraire, constamment soutenu et défendu
le monarque accusé. Que Jayme ait commis quelques
extorsions pour se procurer l'argent dont il avait un si
extrême besoin pour l'entretien des troupes étrangères
qui, dans ce moment, faisaient toute sa force, il n'y
aurait là rien de surprenant; la prodigalité paraît
avoir été son plus grand défaut , et , à une époque où les
voies les plus criminelles pour accroître ses finances
ne répugnaient pas, il a du faire sans doute comme les
358 LIVRE DEUXIÈME.
autres. Nous avons déjà dit que ce prince avait voulu
lever arbitrairement sur les Perpignanais une contri-
bution dont l'illégalité avait causé une sédition dan-
gereuse.
Le septième article est le plus grave. Jayme aurait
fait saisir avec des tenailles et couper la langue à deux
consuls, afin d'intimider les autres. Mais d'abord il
faut se rappeler qu'à cette époque l'amputation de la
langue aussi bien que la mutilation des membres
étaient des peines prononcées judiciairement, et qui
faisaient partie du barbare code pénal du moyen
âge. La perte de la langue était l'horrible peine portée
contre ceux qui tenaient des propos contre les droits
du souverain, et cette disposition légale nous explique
l'application de cette peine à deux consuls^. Sans
doute que ces magistrats, séduits par les agents du
roi d'Aragon , avaient parlé publiquement en faveur
de ce prince, qui avait prononcé, depais plas d'un an,
la confiscation du royaume de Majorque, et leur tra-
hison était d'autant plus punissable, que par leur po-
sition élevée ils pouvaient ébranler davantage la fidé-
lité de leurs administrés.
^ En 1390 ce supplice fut inflige publiquement, au milieu du
marché de Narbonne, à un ouvrier maçon, pour avoir dit que le roi
d'Aragon avait des droits sur le comté de Toulouse. Voici le récii d*iiii
témoin oculaire : • Anno Dom. mccxc fuit abscissa lingua publiée in
«> mercato castri iNarbonnensis cuidam homini csmentario, quia aflinna-
« verat rorani senescaiio quod rex Aragonum habebat jus in comitatu
« Tolosano; et ego vidi abscindi sibi linguam. » Aurta practica J, de AmiU.
CHAPITRE DIXIÈME. 559
Nous ne pousserons pas plus loin l'examen des
;rimes reprochés au roi Jayme II; nous nous borne-
'ons à conclure par cette observation , que beaucoup
rhabitants de Perpignan désiraient ardemment de voir
déterminer la lutte qui les ruinait tous; qu'ils voyaient
)ue cette lutte ne pouvait finir que par l'extinction du
royaume de Majorque ; et que tous ne se contentaient
pas de la désirer seulement. Une charte du 7 des ides
ie mai i3&5 sert à prouver que la corruption avait
jagné toutes les classes; par cet acte Pèdre déclare
concourir pour une somme de cent livres à l'érection
d'une chapelle au terroir de Malloles, à l'endroit où
existaient les fourches patibulaires auxquelles furent
pendus Pierre Ribera et Pierre Armand , apothicaires,
et un autre Pierre Armand, menuisier, condamnés;
dit le roi d'Aragon, à la mort des traîtres, pour avoir
ressenti les injustices du roi de Majorque ^
Un fait très-avéré, cest que les sujets de la cou-
ronne de Majorque désiraient avec ardeur un change-
ment de domination , et c'est ce désir, ou mieux en-
core, ce besoin, qui causa tant de défections, de
trahisons et de parjures; aussi, sous ce rapport,
quand le roi don Pèdre avance qu'il était appelé par
le vœu des habitants , il n'en impose pas à la postérité.
Nous avons déjà dit quelque chose de la cause de ce
besoin , nous allons la développer complètement.
Le royaume de Majorque, composé de démem-
' Voyez aux preuves n" XXIV.
MW LIVRE DEUXIEME,
brenients épars de l'Aragou, avait apporté en nais-
sant le germe de sa mort. Les trois portions de terri-
toire dont il se formait, ^tant sans homogénéité, ne
pouvaient ni faire ensemble cause commune, ni avoir
les mêmes inlérêls. Le grand intervalle qui les sépa-
rait les unes des autres faisait qu'elles ne pouvaient
établir entre elles des rapports faciles, des liaisons I
amicales, de ces alliances de famille, de ces associa- I
lions d'affaires qiiî fondent les provinces les unes
dans les antres, et établissent entre tontes une véri^
table solidarité; la même cause les empêcbait ausSL^
de pouvoir, au besoin , s'entre-secourir efficacement---
Montpellier, Carlad et les autres domaines situés en t
France, séparés du Roussillon par de vastes portions
du Languedoc ou de l'Auvergne, et étrangers eux-
mêmes pour la plupart les uns aux autres, ne pou-
vaient pas consUtuer une force dans l'état. Les îles
Baléares, plus éloignées encore du Roussillon, centre
de l'administration aussi bien que des intérêts de la
monarcbie, ne pouvaient pas établir des communi-
cations promptes, sûres et régulières avec Perpignan,
capitale réelle du royaume, à raison des chances de
la navigation par les vents en temps de paix , par les
vents et les croisières ennemies en temps de guerre;
ces îles ne pouvaient guère constituer aussi une force
dans l'état : c'était donc dans les deux seuls comtés
de Roussillon et de Cerdagne que consistait principa-
lement la puissance de ce royaume. Mais les res-
CHAPITRE DIXIÈME. 361
sources de ces deux comtés«sont très-bornées. Quelle
que soit Tindustrie qu'on suppose dans Perpignan , à
cette époque où elle était véritablement très-grande ,
son commerce devant être resserré entre d'étroites
limites, et d'autres villes non moins industrielles exis-
tant autour d'elle, ce négoce pouvait bien procurer
de l'aisance à quelques familles, mais non pas de
très^randes ressources à l'état; aussi avons-nous vu
le roi lui-même obligé de faire ce même négoce pour
son propre compte, afin de se procurer lés moyens
de pourvoir à la sûreté des côtes de Majorque. Tout
tendait donc à la ruine de ce petit royaume.
Les intérêts de Montpellier et autres domaines du
Languedoc liaient, d'une part, ces domaines à la
France et les isolaient du Roussillon, dont cette ville
était éloignée de trois journées de marche, outre que
ses habitants ne pouvaient soufirir la domination es-
pagnole et avaient tenté plusieurs fois de la secouer,
notamment en 12 15, isSS, 12712; d'autre part, les
btérêts des îles Baléares en attiraient les habitants
vers Valence et l' Aragon, dont ces îles étaient les plus
voisines, d'où étaient sorties les familles qui s'y
étaient établies après la conquête, et avec qui elles
avaient conservé les plus intimes relations; restaient
donc encore le Roussillon et la Cerdagne, isolés, et
obligés pourtant de prendre un intérêt actif à la pros-
périté de pays qui ne leur étaient que d'une médiocre
ressource : voilà les mines placées sous les fondements
562 LIVRE DEUXIÈME.
du royaume de Majorque dès son origine. A ces causes
premières de destruction étaient venues se joindre
celles qu'entraînait la dépendance que Pèdre III avait
imposée à cette couronne.
La plus onéreuse des chaînes auxquelles le roi d'A-
ragon assujettit le roi de Majorque est peut-être celle
qui le semble le moins au premier aspect : l'obli-
gation de ne laisser circuler dans les deux comtés
que la monnaie de Barcelone. Les rois d'Aragon le
sentaient si bien que c'est toujours sur cette servitude
qu'ils insistent le plus. Jayme le Conquérant, en ins-
tituant le royaume nouveau , avait ordonné que les
usages du comté de Barcelone et les constitutions de
Catalogne y seraient toujours observés, et que la
monnaie de ce même comté y aurait cours k perpé-
tuité; mais Pèdre III, allant plus loin que son père,
lorsqu'il imposa sa suzeraineté au royaume institué
libre, rendit cette monnaie exclusive, et l'un des
principaux griefs sur lesquels Pèdre IV avait fondé
son décret d'extinction du royaume de Majorque,
c'était que Jayme II avait permis la circulation des
monnaies françaises, conjointement avec celles de
Barcelone; ainsi, cette dernière monnaie n'avait pas
cours à Montpellier, et celle de France ne pouvait
pas être reçue en Cerdagne et en Roussillon, quoique
ces deux provinces fissent partie de la même cou-
ronne. La condition du change des monnaies, dans
le connnerce du Roussillon et de Montpellier, d'où le
CHAPITRE DIXIÈME. 563
roi aurait pu tirer de plus grandes ressources, devait
nécessairement gêner et restreindre ce commerce,
qu'elle assimilait au commerce étranger; il fallait
donc , dans les affaires , stipuler les qualités des mon-
naies , et perdre probablement sur les valeurs ; l'unité
monétaire attachait donc Montpellier à la France , et
par Montpellier nous entendons tous les autres do-
maines de la couronne de Majorque situés sur le ter-
ritoire français ; la même unité attachait le Roussillon
et la Cerdagne à la Catdogne ; ce n*était que là que
les valeurs réciproques ne perdaient pas : les intérêts
du Roussillon étaient donc, sous tous les rapports,
de l'autre côté des Pyrénées.
A leur titre de vassaux de la couronne d'Aragon,
les rois de Majorque étaient tenus de contribuer aux
armements de cette couronne, contre quelque en-
nemi que ce fût; et ce pays était toujours en guerre :
les Maures , les Pisans , les Génois , les Siciliens atti-
raient tour à tour ses armes. Les Roussillonnais étaient
doue traînés sans cesse en auxiliaires à la suite des
Aragonnais, sans qu'il en résultât poiu* eux ni hon-
neur, ni gloire, ni profit. La détresse qui devait ré-
sulter naturellement d'une pareille situation s'était
déjà fait sentir sous Jayme I"* et sous Sanche; elle
augmenta encore sous Jayme II, dont les goûts dépen-
siers n'étaient pas en rapport avec les ressources. Il
est donc bien évident que le plus grand intérêt des
lies Baléares, de la Cerdagne et du Roussillon, était
564 LIVRE DEUXIÈME.
dans la dislocation de leur petit empire, dans l'anéan-
tissement du pacte qui rapprochait leurs éléments
hétérogènes en les séparant de ceux avec qui ils con-
servaient leurs affinités, dans la cessation de cet état
pénible et équivoque qui ne présentait jamais à la
chose publique que la misère pour perspective. Ce
changement était appelé par tous les vœux, se trou-
vait dans tous les cœurs, était l'objet de toutes les
espérances. Tant que les rois d'Aragon n'annoncèrent
pas l'intention de détruire le royaume de Majorque,
on prit patience par l'impossibilité de faire autrement;
mais aussitôt que la suppression de ce trône eut été
arrêtée, ceux même des sujets de Jayme qui étaient
le moins opposés à ce prince durent, sans rien en-
treprendre à son préjudice, souhaiter au moins, dans
l'intérêt de la patrie, le triomphe de la cause étran-
gère , qui était malheureusement pour tous une cause
de famille.
Si à ces considérations générales et permanentes
on ajoute encore la gêne dans laquelle les ravages
exercés sur les terres du Roussillon pendant deux an-
nées consécutives avaient dû jeter les propriétaires de
ces terres, la misère extrême qui devait en être la
conséquence, surtout dans Perpignan, l'irritation qu'a-
vaient dû faire naître dans les esprits certaines me-
sures fiscales , commandées par l'urgence , mais mal
calculées dans leur exécution , et, sans contredit aussi,
une foule de vexations , produit inévitable de cet étal
CHAPITRE DIXIÈME. 565
de défiance auquel le dernier roi de Majorque était
réduit par la connaissance des trames et des com-
plots qui s'ourdissaient contre lui, au dedans et au
dehors de ses états, on aura la raison de cette dé-
fection du plus grand nombre de ses sujets, la cause
de cette ardeur avec laquelle un très -grand nombre
de Perpignanais embrassa le parti de la rébellion,
et on trouvera immanquablement aussi Torigine ir-
rémédiable de lanimosité du peuple contre ce prince,
et celle des inculpations que la perfidie inventait ou
exagérait, et que la crédulité plébéienne s'empressait
d'accueillir et de propager.
Que si, du reste, la postérité doit juger un roi par
ses actes, ceux qui nous restent de Jayme II sont loin
d'être ceux d'un tyran sanguinaire et cruel. Le premier,
ce prince arrêta l'abus révoltant de la barbarie que
les anciens peuples avaient introduit dans la recherche
des coupables : par édit de i332 il défendit d'appli-
quer personne à la question , sans jugement et sans
cause connue ; avant cette époque ,' il suilisait d'un
léger soupron pour faire torturer un malheureux,
sans commencement de preuves et sans procédure
préliminaire. En 1 3 3 4, pour tarir une source de procès
ruineux, il ordonna aux notaires d'expliquer bien
exactement toutes les clauses dans les contrats ; cette
même année, dans l'intérêt de la fortune des parti-
culiers comme dans celui de la couronne, il établit
les archives dites de la cour du procureur royal ou du
366 LIVRE DEUXIÈME,
domaine , et fil transcrire sur des registres toutes les
chartes, titres, pragmatiques, privilèges et autres
actes émanés de lui ou de ses prédécesseurs au titre
de comtes de Roussillon , en faveur des commimautés
d'habitants ou des particuliers, et qui n existaient que
sur des feuilles volantes, trop susceptibles de se
perdre ou de se dégi^ader; sous son autorité, les con-
suls de Perpignan fondèrent également les archives
de la commune et firent aussi transcrire sur divers
registres les ordonnances, provisions, titres et actes
quelconques relatifs à l'administration ou à la police
de la ville ^ En iSSy Jayme défendit aux juges et
aux greffiers de rien exiger des habitants de Per-
pignan plaidant entre eux ou contre des étrangers, si
ce n est dans les cas d'appel. Deux ans après il régla
que dans toutes les questions qui n'excéderaient pas
une valeur de cent sous, il serait procédé simple-
nient et sans écrit, et sans solennité de droit ni juge-
ment; enfin c'est lui qui le premier attaqua, dans ses
états, cette turpitude des mauvais usages qui subsista
encore un siècle en Catalogne. Ces actes ne décèlent,
dans le caractère de ce prince, ni cette iniquité, ni
cette férocité que lui reprochent les historiens qui ont
copié la chronique de don Pèdre ; ils montrent bien
plutôt le roi qui, suivant Vaissette, se rendit célèbre
par son amour pour la justice et par plusieurs autres
^ Le livre vert-majeur ne fut commencé que plus tard, sous le
règne de Jean V\
CHAPITRE DIXIÈME. 367
^rtas^. Jayme eut les défauts de son siècle; son
rand malheur fut de trouver dans le roi d'Aragon
n suzerain qui voulait à toute force faire rentrer
oussa main les provinces quen avait distraites Jayme
B Conquérant, et qui, sans pudeur et sans loyauté,
egardait comme bons et légitimes tous les moyens
[ui pouvaient le conduire à ce but.
' Hitt. gin, de Languedoc, tom. IV.
I
DiiTinilli^ cuire !n Frnnce el l'Aragon au sujet des domainn
i\e l^nRucdoc, — Giptivité et i^asion de l'infant de Ma-
jorque. — Liitlc entre le dcfgë el les cnatuls de Perpignaa.
— TcDlsIive» de l'infant de Majorque et m mort. — Le diic
d'Anjou hérite de ses droits.
Aprî's cinq années d'iiuitilcs efforts pour ressaisir
son diadf^me, Jaytnell avait enfin perdu la rîe comme
un h^ros, À la tète d'autres héros que n'avait pu intS-
mider lo nombre si disproportionné des ennoiiiis qu'ils
avaient à combattre, et sa mort laissait son heiireia
rival libre possesseur du sceptre qu'il venait de lui
airacber. Mais tout n était pas éteint avec don Jayme :
ce prince di-trôné laissait un fils el une fille, béritirrs
de ses droits, et qui longtemps encore suscitèrent des
embarras à la politique spoliatrice de l'Aragonnais.
La couronne de Majorque, bien que brisée par te fait,
existait encore moralement dans la personne dujeune
prince que f issue funeste d'une bataille trop inégale
avait fait tomber entre les mains d'un irréconciliable
ennemi.
L'intérêt général des deux comtés eidgeait, comme
nous l'avons montré , que la monarchie de Majorque
fût supprimée, et que la domination aragonnaise^
CHAPITRE ONZIÈME. 369
étendît, comme auparavant, son miité sm* tout le
territoire qui en avait été distrait autrefois. Mais le
triomphe des intérêts généraux ne peut jamais avoir
lieu, sans froisser une foule d'intérêts privés, et ceux-
ci usurpent tacitement, dans bien des cœurs, la place
qixe semble y occuper seul le sentiment d'une fidélité
à toute épreuve. Ceux des Roussillonnais pour qui Ta-
mour du prince était un véritable culte, aussi bien
c[i:te ceux qui cachaient leur ambition sous Tapparence
à.e» sentiments généreux, désiraient avec une égale
ardeur que le fils de l'infortuné Jayme pût reprendre
sa c^ouronne , et tous étaient prêts à le seconder dans
*^s efforts ; mais entre l'époque où nous sommes par-
veràxis et celle où ce jeune prince put fiaire quelques
*®ï^t:atives, l'histoire signale divers événements dont
ï^Oias avons à rendre compte.
l'union des rois de France et d'Aragon contre le
ice qu'ils voulaient dépouiller n'avait subi aucune
«tération tant que Jayme avait vécu ; mais cette bonne
"^i*ttonie cessa après la mort de la victime; il arriva
"^x^ ce qui arrive toujours quand on en est au par-
*^e des dépouilles : des contestations s'élevèrent au
*Hl^t des droits réciproques sur les domaines situés en
^•^^^guedoc. Tranquille désormais sur le fruit de ses
^^Urpations , Pèdre prétendit que Philippe n'avait
P^ acheter de Jayme ces domaines au préjudice de
*^ Couronne, et il en revendiqua la propriété, que
'^îlippe lui contesta. Pèdre envoya en France, pour
I. ai
i35o.
à'
^ trôi
i loni
^^ bor
'•LIVRE hRUXIÈME "'^
demander lu restitution des sc^ieurics de Mont-
pellier, Lates. Omeias et Curlad, don Pierre de Ke-
nouillet, vicomte d'illc et de Canet, qui lui-même
lïTait à it^damer, pour son propre compte, la levée
'^ de la saisie faite, durant la guerre des Albigeois, dp
la viromté de FonouîHide dont sea ancêtres avaient
joui. /Vucun droit ne fut fait à cette trop Juste récia'
matioii ': et cpinnt à cellefi de don l'èdre, Philippe
envoya en Aragon le doyen de Paris. Raymond de
Saignes, pour »e bien mettre au Ëtit des droits àea
ndeux rois sur les pays coiitcutia. Le roi d'Aragon , pour
•voir meilleur miirché do celui de France, remit sur
le tapis le projet de mariage entre l'aînée de ses filles,
qu'il avait jadis d^clart-e héritière pi-ésumptive de son
trône, et l'un des petits -fils de France. ApW-s de
longues coiileslHtions, un traité intervint, qui dt^clara
bonne et valable la vente effecti»ie par Jayme de
ijnrqiie, cl le roi de France consentit à solder au
d'Aingon , qui se portait pour tuteur de son neveu,
l'infant de Majorque, son prisonnier, la somme qu'il
restait devoir sur les cent vingt mille éciis d'or du
prix d'achat, si Pèdre pouvait iiii présenter une auto-
nsation à recevoir de la part de l'mËint à qui cett^
somme revenait de droit, et au nom de qui Pèdre 1^
' Cette vicomte fut uûie sur une Mutence de t'ia([uiûte<i^ aB<r«
la plus alwininible, puisqu'il fit le procès i un prince mort d^Mkû
plus de vingt aus din» l'union de l'égHse et *ous tlitlnt raligîraz :
sps nssements furen) pihuniés du Masdeu et brOléa.
CHAPITRE ONZIÈME. 371
rédttmait. Quant au mariage du prince Charies de
Franoe avec Tinfainte dona Constance, comme ce
prince devait épouser la fille du duc de Bourbon , la
main de cette infante iîit promise au second des
petits-fils du roi; mais le mariage de cette princesse se
trouvasit ensuite arrêté avec le roi de Sicile , l'infante
Jeanne, sa isœur, lui fut substituée, comme Louis avait
été substitué lui-même à son frère aîné.
Ces n^ociations, commencées quelques mois
avant la mort de Philippe de Valois , ne se terminèrent
que sous Jean I* son successeur. A cette époque, de
nouveaux commissaires ayant été adjoints à Raymond
de Salgues, ils s'abouchèrent, dans Perpignan, avec
ceux do roi d'Aragon, et après de nouvelles discus-
sions, et une foule d'observations de part et d'autre ,
ils arrêtèrent enfin , le S février 1 35 1 , qu'en considé- issi.
ration du mariage projeté pour l'alliance des deux
fianilles le roi Jean donnerait à son fils la ville de
llontpelUer et le château de Lates avec tout ce qui
avait appartenu au roi de Majorque en Languedoc,
et que l'infante recevrait en dot cinquante mille flo-
rins ; au moyen de cet accord , le roi de France acqué-
rait définitivement, et sans plus de contestations, les
domaines achetés, sur lesquels le roi d'Aragon aban-
donnait toutes ses prétentions à tout jamais. Le roi
Jean s'engageait, de plus, à donner cinquante mille
florins pour les enfants qui naîtraient du futur ma-
riage , et s'il arrivait que les deux époux n'eussent pas
2/1.
sn
LIVHE DEUXIEME.
de poslérité. ou même si le mariage ne s'accomplissait
pas. ie roi de France devait compter à celui d'Aragon
c£nt cinquante mille florins, sur lesquels seraient pré—,
levés les cinquante iiiille que If roi d'Aragon pro-^
mettait en dot <i sa (îile.
Ce mariage, que la grande jeunesse de l'infante avai|
fait ditli^rer jusqu'au moment oi'i elle aurait atteint &q
dousième année, devait se rélébicr au mois de sep.
tembre i356. Le roi d'Aragon s'était rendu k Per-
pignan, ofi devait avoir lieu la ct^rémonie nuptialp;
lout était pn'^t pour les fêtes qui devaient soleniùsfr
cet événement, et on n'attendait plus que le fianeé,
quand la fatale isnue de la bataille de Poitiers vint
changer entièrement la face des alfaires. Dans cette
journée funeste, \a France avait perdu le due dp
Bourbon , frère du roi et père de ia reine de CasiiUe.
Gauthier de Brlenne, duc d'Athènes, et un grand
nombre d'autres personnages de marque; maïs le
malheur le plus sensible , c'était la captivité du roi
Jean lui-même, tombé entre les mains des AngUts
avec le dernier de ses enfants, Philippe, qui depoit
fut duc de Boui^ogne et comte de Flandre. Alors, tmu
les grands projetsfondésde si loin sur l'union desdein
maisons de France et d'Aragon s'évanouirent, et toutes
les ténébreuses menées de Philippe VI pour seconder
le roi d'Aragon contre le roi de Majorque furent m
pure perte : l'infante promise à Louis de France de-
vint l'épouse de don Juan , comte d'Ampurias.
CHAPITRE ONZIÈME. 373
La mort du roi de Majorque avait délivré don
Pèdre d'un ennemi qui, tant qu'il aurait vécu, ne lui
aurait pas permis de jouir en paix du fruit de son
usurpation; mais un fils restait de ce roi, et ce jeune
prince s'était signalé à côté de son père dans l'une des
plus âpres et des plus célèbres batailles dont les fastes
de la guerre aient conservé le souvenir. L'intrépidité
dont l'infant don Jayme avait donné des preuves
pouvait faire prévoir qu'en héritant des droits et de
la vfideur de son père il aurait hérité aussi de sa téna-
cité à poursuivre l'usurpateur de son patrimoine; il
était donc de l'intérêt de don Pèdre de tenir ce
prince, son neveu, dans une captivité si étroite,
qu'avec la liberté il ne pût jamais recouvrer les
moyens de lui susciter de nouveaux embarras. Cet
infant était gardé à vue dans sa prison; et, connais-
sant le caractère de son ennemi, sachant qu'aucun
crime ne lui coûtait pour conserver ou augmenter sa
suprême puissance, qu'il s'était défait parle poison et
par le fer ^ des deux infants ses fi:ères , que Yanion lui
avait opposés, on doit lui savoir quelque gré de n'a-
voir pas attenté aux joiu's de son jeune prisonnier : la
rigoureuse surveillance à laquelle il avait soumis ce
, ^ Llnfant don Jayme avait péri, comme on Ta vu, de mort violente
à la saite d'une visite qu'il fit à son frère; don Fernand, qui lui avait
été substitué par Ywùon» voulant se retirer en France, Pèdre fit courir
après lui avec ordre de le ramener ou de le tuer s'il refusait de revenir,
ce qui fut rigoureusement exécuté en i363.
374 LIVRE DEUXIÈME,
prince , dans le château fort où il devait passer «a vie ,
lui fit regarder ce crime comme iautile, et il ne le
commit pas.
Le protecteur du père n'avait pas manqué au fils ;
le pape Innocent VI, successeur de Clément VI, avait
recommencé pour lui, auprès de don Pèdre, les in*
fructueuses démarches dont ses prédécesseurs avaient
si longtemps fatigué ce monarque en faveur du feu
roi; mais, avec don Pèdre, un intérêt trop marqué
poiu* le captif devait plutôt nuire que servir : les ins-
tances réitérées du pontife n'avaient abouti, en défi-
nitive , qu'à faire ajouter aux rigueurs de la captivité
de l'infant. Rien ne pouvait faire présager la déli-
vrance de ce jeune prince, quand tout à coup une
main hardie parvint à briser ses fers. Le premier mai
i36a. 1 36a, à minuit, le capiscol de la cathédrale de Bar-
celone, Jacques de San Clémente, muni de fausses
cle&, et accompagné de serviteurs dévoués, pénètre
dans la prison, tue le geôlier particulier du prince,
qui, ne devant jamais le perdre de vue, couchait dans
la même chambre que lui , et rend l'infant à la
liberté \
L'évasion de don Jayme causa de grandes aiudétés
au roi d'Aragon , qui se trouvait en ce moment à Per-
pignan. Ceux des RoussUlonnais qui n'avaient jamais
varié dans leurs sentiments pom* le père avaient con-
servé leur fidélité au fils , et cette classe de gens dont
Zurila, IX, Sq.
CHAPITRE ONZIÈME. 375
l'opinion flottante ne se plait qu'aux changements se
ressouvenait avec affection du jeune prince qu'à sa
naissance la population entière avait proclamé héri-
tier légitime de la couronne de Majorque, et elle
n'était pas éloignée d'embrasser sa cause. Â la crainte
qu'un soulèvement en faveur de l'in&nt n'éclatât donc
' en RoussiUon^, se joignait, dans l'esprit de don
Pèdre , celle que , profitant de la guerre que l'Âragon
avait à soutenir en ce moment contre la CastiUe et la
Navan^ , l'in&nt ne se servît contre lui de ces bandes
d'aventuriers que la paix laissait en France sans occu-
pation , favorisé en cela même par le roi Jean , qui
cherchait à tout prix à délivrer ses provinces de ces
hôtes dangereux qui les désolaient. Tout préoccupé
de ces terreurs, qui n'étaient pas sans fondement,
le roi d'Aragon s'était empressé de faire entrer en
Roussillon toutes les troupes qui se trouvaient en
Catalogne; mais la fortune le servit encore mieux que
ses combinaispns. Lm&nt don Jayme, soit qu'il
ignorât, soit qu'il ne voulût pas profiter de ces circons-
tances favorables , vogua ver^ Naples au sortir de sa
prison , et bientôt après il devint l'époux de la reine
Jeanne I"*, veuve , depuis un an, de Louis de Tarente.
L'événement prouva que les sinistres prévisions de
don Pèdre auraient pu se réaliser si Jayme était venu
en Languedoc au lieu de se rendre en Italie. En effet,
dès l'année précédente, les compagnies, qui dévas-
* Znrita, IX, 39.
^P^^^H LIVUË DEU.MKME.
(aient la France, étaient entrées pu RoussiUon; elles
y revinrent encore cette ann<^e, et Jayme aaraîl pu
ntiliser h son profil leur voleur et leur ardeur guer-
rière; en Il's {ironant à son servire, il les aurait em-
ployées à roiever le trône de Majorque, comme plus
tard Henri de Transtamare les employa à l'aire passer
la couronne de Castillc, de la tête de Pèdre le Cruel
sur la sifime propre.
Ces bandps de pillards et d'assassins que l'histoire,
qui leur attribue des cruautés inouïes, et peut-être
exag<'-ré('8 . signale sous les noms de tofidean, à'écor-
vhcan, de tard-venus, raniassis dv f^cns de toutes les
nations, dont la guerre était l'unique métier, et qui.
jusqu'au nombre de plus de trente mille hommes
pleins d'audace et d'intrépidité, se moquaient cl
triomphaient do toutes les forces qu'on voulait leur
opposer, devaient leur origine à la paix qui suivit la
délivrance du roi Jean. Accoutumés à ne vivre que de
rapines , ces aventuriers s'étaient réunis sous des chefi
de renom, qui eiix>m£mes, n'ayant d'autre fortune
que Icurépt'c, vivaient du pillage des provinces sur
lesquelles ils se niaieiil. Bertrand du Gueseliu parvint
enfm k en débarrasser la France en 1 365, en les em-
menant en Castille au secours du comte de Tnns-
tamare '.
' Suivant lachroDÎquedeDuGuGsdin, cecapitaine, afiD(IetracD|Kr
\e roi de Cailillc sur la des^nation de ces bandes , et lui faire aàrt
qu'il \ti emmenai! contre les Maures de Grenade , Et coudre une cnii
CHAPITRE ONZIEME. 377
L*année i368 vit commencer dans Perpignan i368.
ime lutte entre les consuls de la vHie et le clergé,
lutte scandaleuse qui se prolongea l'espace de sept
ans, et dans laquelle prirent parti le pape et le roi
d'Aragon.
Les calamités qui avaient pesé sur ]a ville da Per-
pignan durant la guerre dévastatrice qui s'était terminée
par l'écroulement du trône de Majorque avaient im-
posé à cette ville des charges pour lesquelles elle
avait été dans la nécessité de contracter des dettes.
Pour parvenir à les éteindre , les consuls avaient dé-
cidé de mettre un impôt sur la viande; mais, pour le
rendre moins onéreux aux habitants, en le faisant
porter sur un plus grand nombre de contribuables , le
corps mimicipal, avec l'autorisation du roi d'Aragon,
avait établi qu'au lieu de frapper d'impôt la viande
débitée à la boucherie on assiérait cet impôt sur
chaque tête d'animaux qui entreraient en ville pour
la consommation; de cette manière la taxe atteignait
blanche sur la casaque des soldats, d'où ces compagnies furent appelées
compagnies blanches ; mais ce fait est de Tinvention du poète chroni-
^enr. L'expédition de Du Guesdin est de 1 365 , et d^à les compa-
gnies blanches avaient ce nom en i36i : voici une note qui se lit au
livre vert mineur de la commune de Perpignan : Eodem aiuio (i36i) , in
wnense angasto intrarant in hoc terra magni prœdatores vocaJti, les compa-
nyes blanques, quorum erant capita, Segui de BadafoU et Petit Mosqni,
I^es sont aussi signalées sous le même nom dans un acte par lequd,
«n i363 , Pèdre IV abolit certains arrérages de rentes réclamés par le
cardinal Nicolas, prieur d'Espira, sur le motif que le Roussilion avait
été, ces années-là, dévasté par les gents blantiues. Arch. eccles.
578 LIVRE DEUXIÈME.
les clercs , alors très-nombreux dans Perpignan , aussi
bien que les séculiers.
A peine la criée de cette taxe fut-elle fidte dans la
ville, que le clergé jeta des cris d*alanne; il pré-
tendit que l'administration violait les libertés de
TégUse et attaquait ses immunités» et Tévèque d*Ëlne,
Pierre Planella , admonesta plusieurs fois les consuls
pour qu'ils eussent à révoquer une mesure qui rédui-
sait, disait-il, les prêtres à un état de servitude.
N'ayant rien pu obtenir d'eux , le prélat lança une sen-
tence d'excommunication et fit entamer devant les
juges ecclésiastiques un procès contre ces magistrats*
>369. Sur ces entrefaites» l'année consulaire venant à ex-
pirer, et d'autres consuls ayant été nommés & la place
des premiers, ces nouveaux magistrats, loin de ré-
voquer la taxe imposée par leurs prédécesseurs,
ajoutèrent crime sur crime^ suivant le langage du vi-
caire génércd, en établissant une nouvelle oontribo-
tion qui, comme celle de la viande, devait frapper
également les ecclésiastiques et les séculiers ; ils sup-
primèrent en conséquence l'impôt ordinaire sur le
vin, et le portèrent sur ies raisins qu'on apportait
en ville, soit pour être mangés en nature, soit pour
cire convertis en vin. Ces consuls, aussi bien que ceux
qu'ils avaient remplacés, avaient réellement excédé
leur pouvoir dans cette mesure. En droit, les biens
(le Téglise étant alors exempts de toutes charges mu —
nicipairs, les consuls ni le conseil de ville ne pou—
CHAPITRE ONZIEME. 579
Tttent ocxitraindre les prêtres à payer une contiibu-
tîoo qui, quelque déguisée qu'elle fôt, n en frappait
pas moins les produits de ces mêmes biens. Le clergé
se r^idait coupable d*égoisme en refiisant obstiné^
ment de contribuer à allier des charges extraordi-
naires qui demandaient le concoturs du patriotisme
de.tou&.les citoyens, et cet égoîsme était ici. d'autant
{dus odieux, que le pape lui-même, dans, une des
pièces du procès , proclamait que ces dettes avaient
été contractées par la vflle pour la défense de la patrie
et du trône ^; il se déclarait donc de fait, par cette
sordide avarice , rennemi du pays et de la monarchie ;
mais enfin, puisque son cœur voulait rester fermé à
f intérêt général , on ne pouvait pas le contraindre à
lui ouvrir la bourse. Atteint par la nouvelle mesure ,
il n'^d devint que plus furieux.
Le roi d'Aragon avait trop d'intérêt à s'attacher la
population de Perpignan , pour ne pas abonder dans
le sens du corps municipal de cette ville. Ce prince,
sur la demande des consuls , donna ordre à l'évêque
d'Elue de rencmcer aux procédures qu'il avait com-
mencées contre les consuls , sous peine de voir pro^
céder contre lui-même; et, sur le refus de ce prélat,
il fît saisir et occuper ses temporalités.
La saisie des temporalités était à peu près le seul
moyen de répression que les princes de la teire eus-
* Pro sêhendis debitis quœ propter pcUriœ et regrd Aragonum âefen-
ûme contraxerartt. \ojti preuves n** XXV, la note de la fin.
380 LIVRE DEUXIEME.
sent conti'e des prètrc:a tui'buleiits ou iactieux: luaû
ce moyen a rarement atteint le but qu'on s'était pro-
posé en y recourant, paree que l'intérêt de la religion,
la dignité du sacerdoec. les pa^rogatives de l'église que
celni qu'on voulait frapper ne manquait jamais de
faire intervenir dans ces sortes do circon stances, ral-
liaient autour de lui par le mot sonore de persécution,
le nombre toujours très-grand des ^mes craintives et
le rouvraient d'un rempart toujours dangereux à at-
biquer. Ce moyen employé contre l'évèque et le rha-
pitre d'Elne, qui étaient dans leur droit, ne pouvait
donc qu'ajouter h l'irritation qui existait déji^, saus
rien produire d'avantageux en faveur de la mesure
fiscale, cause prenuèi-e de cette sévérité. L'a^reur
s'en mêlant de part et d'autre , une foule d'ignoblci
vexations furent prodiguées au prélat par les olIidEn
royaux. Ainsi, l'évèque devant procéder !i une ordi-
nation générale et voulant la faire hors de la vtie
de ceux qu'il avait excommuniés, ceux qu'A voulait
éviter le suivirent à Pallol, où elle devait avoir lieu,
afin d'en être témoins malgré lui. Une autre fois le
même prélat voulant réunir son synode à f^e comme
de eoutume , le capitaine que le vtguîer de Rous-
sillon avait placé dans cette ville, dont la juridiction
avait été retirée à l'église, fit fermer les portes pour
qu'aucun des prêtres convoqués ne pût entrer dans
la cité. Cédant à toutes ces tracasseries l'évèque s'ex-
patria; après son départ son psdais fiit envahi et sac-
CHAPITRE ONZIEME. 581
cage. Bientôt plusieurs prêtres furent arrêtés, d'autres
lurent exilés , et on fit de vains efiForts pour se saisir
lie la personne du vicaire générai , âme et principal
agent de tous ces troubles. Celui-ci lança alors un in-
terdit général sur la ville de Perpignan : les consuls
et le bailli firent fermer tous les clochers pour qu'on
ae pût pas le fiilminer.
Cependant les amis de i'évéque agissant auprès du
roi d'Aragon , ce prince avait ordonné qu'il fut sursb
aux exécutions contre le clergé : cette modération jeta
l'alarme dans le corps municipal de Perpignan. Les
consuls envoyèrent des messagers représenter au roi
combien cette condescendance allait être préjudi-
ciable aux intérêts de la population , et la politique de
don Pèdre le fit revenir sur ses derniers ordres.
L'évèque d'Elne avait porté sa plainte au pape , qui
avait pris fait et cause pour le clergé , comme le roi
d'Aragon pour les consuls. Après deux années entières
de récriminations la cour de Rome, que les rapports
contradictoires des parties n'avaient pu fixer encore
sur la nature des faits, parce que le roi d'Aragon ac-
cusait le pré^^t d'avoir altéré la vérité dans ses plaintes
et que les consuls s'inscrivaient aussi en faux contre
ses rapports , chargea les prieurs de Cornclla et d'E^
pira d'entamer une enquête sur touâ les griefs pour les
soumettre au jugement du saint siège; mais avant
tout il était prescrit à ces commissaires de faire rendre
à l'évèque et au chapitre leurs temporalités et leur
3M 1.IVKK DRUXIRME,
jnrîdirlion dont \r roi les avait dt^pouill^a; ils de-
VHÏent faire restituer dniu les greniers de i'évèché tout
)e h\é que les conaiils de Perpignan el les oiTicien
royaux en avaipn! iait rulnver, ou en faire pajrur la
valeur sur l'csdinatioii ; ils t-laîent ehargi^s de rappeler
les prêtres exil^, de rendre la libcrtt^ à ceux qui
pouvaient être détenus, de faire révoquer toutes pro-
hibitions, citations et proelamations lnno4^es contre le
clerg<^ ou l'évèque, et de fairo Jurer aux eonsuls qn'ils
reslitueraiwit h ehaeun dos cleres , si la ville succom-
bait dans ce pntcès. toute fiomnte de denier» qui aurait
étv payée par eux à raison des taxe», avec obligatinn
de n'eu plu» établir Jainalti de semblables h l'avenir;
ils devaient, en un uiot, d^JÎrc tout ce qui avait éti
fait par l'autorit*^ séeulière. et cela comme simple pp^
liminaire k une absolution provisoire des consuU et
des officiers royaux , et Ha levée de l'interdit qui pe-
sait sur la ville;et, si trois mois apri-s l'établissement
de ce (pie le pontife appelait une paix et trêve, le*
consuls n'avaient pas satisfait k ces conditioDS, ces
commissaires devaient rétablir l'excommunication et
l'interdit comme auparavant.
Les deux commissaires n'auraient jamais pn mettre
asses d'impartialité dans une affeire qui touc^ît k
leur ordre, pour que leur intervention fût de quelque
utilité, dans l'intérêt de la pacification de cette que-
relle. Dans leur sentence du a décembre tS^o ils ne
firent que répéter mot k mot plusieurs des i
CHAPITRE ONZIÈME. 583
de rinterdit du vicaire général, pièce aus&i remar-
quable par sa violence que par Tabus du langage mys^
tique, et la comparaison assez ridicule des fiaitU de la
cause avec quelques traits de rÉoriture sainte; pièce
dans laquelle on Ut que , semblable à la princesse
des provinces qui était devenue la tributaire ies na-
tions, suivant les pandes de Jérémie, Téglise d*Elne
est tombée sous la servitude des consuls de Perpi-
gnan, pires que Pharaon qui, en réduisant tout son peuple
à tesdavage , avait au moins conservé aux prêtres leurs
biens et leurs revenus ^.
Cette sentence , qui préji^ait la question, n'ayant
pas été acceptée parles consuls, Texcommuoication
et f interdit furent maintenus. La conteatation se pro*
longea encore pendant Tespace de cinq ans de la
même manière, et elle se termina enfin en iSyG par .s^e.
une transaction. Les taxes fiirent supprimées avec pro-
messe de n'en jamais établir de semblables à l'avenir,
la vUle paya à l'évèque, par forme de dédommage*
ment, une somme de cinq mille sept cent cinquante
florins d'or, toute la procédure fiit annulée pour que
jamais on ne pût s'en servir comme de fondement à
des poursuites ultérieures, et les consuls durent jurer
sur les évangiles qu'en aucun temps on ne toucherait
aux revenus de l'église : telle (ut l'issue de cette
longue et scandaleuse discussion, fruit de l'entête-*
ment autant que de l'égoïsme et de l'avarice» discus-
i Preave» n*» XXIV.
58& LIVRE DEIJXIF.MK,
siun (litiis laquelle, pour rtnployer une phrase que
nous trouvons dans une lettre du cardinal de Saint-
Marcel sur cette aflfaire, 'rL'évèque avait d<!-fendii In
^libertés de l'église avec un lèle ofiostoUijae pendant que
u Ifs consuls cherchaient les avantages de (a patrie avK
u une excessifs témérité. »
Une nouvelle excommunication fut prononcée cm-
tic les consuls de Perpignan, en t386. par l'offiriai
pour n'avoir pas payé un cens de quinze livres sur
tine maison que la ville ne possédait plus. Pendant
que depuis un siècle les papes étaient devenus tr^*
réservés sur l'emploi de ces anathtmes, l'abus en
était si grand dans les mains des oCGciers inférieurs de
l'église que plus tard la ville itntière d'Elne fut excom- '
muniéc pour sept «ous que les consuls avaient cru ne <
pas devoii' payer. i
Le nombre des clercs était excessif en Roussillon. J
el leur moialité souvent fort équivoque; don Pèdrc '
fut obligé de rendre diverses ordonnances pour les
rappeler au sentiment de la dignité de leur état et les
contenir dans les limites de la décence. Le désir de
jouir des franchises ecclésiastiques, de participer aux
avantages et aux privilèges dévolus à la cléricature,
celui d'échapper à la juridiction civile pour n'être
justiciables que de l'église, extrêmement indulgente
pour une foule de déhts, portait un grand nombre
d'individus k prendre le premier degré des ordre*
sacrés, ce qui suffisait pour les placer pour toujoun
CHAPITRE ONZIEME. 585
ous la férule de Téglise. Mais cette multitude de ton-
urés ne pouvait pas toujours remplir des fonctions
tonorables, et parmi ceux qui prenaient la prêtrise
ous n avaient pas le bonheur d'arriver aux bénéfices.
Ijrêtés par la misère au début de la carrière, ils
talent souvent forcés pour vivre d'exercer des mé-
iers qui dégradaient le caractère qu'ils avaient reçu
»u qui déshonoraient le costume dont ils ne pou-
vaient se séparer. Le roi d'Aragon dut intervenir
>our les forcer à se respecter eux-mêmes. Se trouvant
i Perpignan en 1 345 , ce prince avait été informé par
a rumeur publique que plusieurs clercs, tant simples
106 mxuiésy remplissaient des emplois interdits, of-
fensant ainsi les règles divines et humaines , et qu'ils
commettaient une foule de délits pour la répression
lesquels ils échappaient ensuite aux poursuites de la
ustice en déclinant la juridiction séculière; c'est pour-
pioi , par édit du 7 des nones de mai de cette année
i345, il défendit expressément au gouverneur de
loussillon, au viguier, au bailli et à tous autres of-
lâers royaux , d'admettre à l'avenir à l'exercice des
charges de consul, d'avocat, de procureur, de notaire
!t autres, aucun individu portant tonsure ou l'ayant
)ortée et pouvant alléguer de cette tonsure. Si malgré
^ette défense ces officiers se permettaient d'en recevoir
sciemment quelques-uns, ils encourraient son indi-
cation et seraient condamnés à une amende de mille
pièces d'or, à prendre sur leurs biens, sans grâce ni
I. 25
imn LIVRI-: DF.DXIKME.
r^-mission. Le i5 murs i366 le même prince avait
(^crit à ce même gouverneur, qu'ayant appris tout r^
cemment que des prélats, barons, chevaliers et antret
ayant une juridiction particulière, permettaient â àet
clercs d'exercer des fonctions défendues par son édit,
se flattant par l<^ de (eut- faire i^luder la juridiction
royale , il lui enjoignait d'y mettre opposition , et de
remplacer par des laïques les clercs qui occuperaient
de ces sorte» de places, sous peine d'une amende de
mille morabotins '. En i3(ïo lui certain Bt-rengcr,
juge oi*dinairp de San-Feliu. qui avait falsifié uiie
pièce, ayant été arrtHé par ordre du viguier et s'étant
réclamé comme clerc de la juridiction ecclésiastique,
Pèdre , par lettres patentes du a i février i 3fi i , avait
ordonné de passer outre ^ attendu ses constitutioQf
de i345, qui furent renouvelées en i366.
Les clercs pauvres s'étaient rejetés sur le» arts mé-
caniques, et plusieurs ne rougissaient pas d'embrasser
les professions les plus viles et nièine les plus infâmes-,
le roi d'Aragon dut encore arrêter ces excès désho-
norants. Une ordonnance du 6 mars 1374, qui fui
publiée dans Perpignan et dans tout )e Roussillon \f
g décembre suivant, signale comme exercés par des
clercs les métiers de cabaretiers, de cordonniers, de
teneurs de tripots, de crocheteurs, de jongleurs et
mimes, de pourvoyeurs de mauvais lieux, de cor-
saires et même de bourreaux, dans les cours séni
' Arch. dont. — ' Ihîilrm.
CHAPITRE ONZIÈME. 387
lières, pour lapplication de la torture ^ Avant de faire
publier cette ordonnance, Pèdre avait eu la sage
précaution de la faire sanctionner par le pape, qui
Tavait trouvée juste et raisonnable, et qui avait pres-
crit à tout clerc exerçant une des professions men-
tionnées dans la prohibition, ou un métier mécanique
quelconque, d'y renoncer dans le laps dun mois,
sous peine de perdre ses droits à la juridiction ecclé-
siastique. Le scandale cessa pour quelque temps;
mais le mal avait de trop profondes racines pour
être extirpé entièrement. Après la mort de Pèdre,
Martin, son successeur, fut obligé de renouveler deux
fois ces édits, le i6 décembre i4o5 et le 26 février
làoy.
L'infant de Majorque, en devenant l'époux de la
reine de Naples , s'était obligé à ne prendre que la
qualité de roi de Majorque, sans y joindre jamais
celle de roi de Naples, dont Jeanne n'entendait pas
partager avec lui l'autorité et dont le trône lui était
interdit après elle. Cependant s'étant donné ce titre,
des plaintes s'étaient élevées contre lui , et le pape
l'avait averti de se tenir dans les conditions des
clauses de son mariage , s'il ne voulait pas s'exposer à
quelque accident funeste. Dégoûté alors de partager
la stérile couche d'une reine qui ne lui faisait pas par-
tager sa puissance, il l'avait quittée, et, après avoir,
par donation entre-vifs, cédé tous ses droits h la cou-
* Arch. donu
q5.
388 LIVRE DEUXIÈME,
ronne de Majorque à sa sœur, dans le cas où il mour- ,
rail sans postérité ' , il s'était rendu auprès du roi de ,
Castille, alors en guerre avec celui d'Aragon, pour
exercer sa valeur contre le détenteur de son héritage.
Fait prisonnier bientôt après par Henri de Transti-
mnrc, qui disputait la couronne de Castille à Pcdre
le Cruel, il fut délivré par les soins de sa femme, qui \
paya soixante mille ducals d'or pour sa rançon '. \
Jaymc avait enfin reporté ses regards sur ses do-
maines Itérédiluircs; il voulut, mais ti'op tard . tenter '
quelques clforEs pour les reconquérir. S'étant assuré '
de la protection de la France et de failiance d'Henri II, d
comte de Transtamare et roi de Castille, qui pro- l
mettait d'entrer en Aragon par ses frontières pendant
que les Français y pénétreraient avec Jayme par ie
Roussillon, ce prince réunît à Narbonne, pai- le con-
cours de la reine de Naples et du duc d'Anjou, gou-
verneur de Lanpiedoc, mille lances tant provençales
que françaises , bretonnes et gasconnes , ce qui faisait
tme petite armée de six mille hommes '. Au moii
d'août il entra en Roussillon, passa k une lieue de
Perpignan qu'il savait trop bien défendu pour perdre
' Cet acte fut passé le i3 novembre i363, à Villaocipota. lienia-
coDDD aujoDrdliui. D'Egly, Hiit. iet mit dt SiciU de la maûon Je Fnatet,
tom. n.
* Muratori, AnnnJ. tom. VIII.
' A cette époque une lance on lanctJaumU te composait dn dmt-
lier, de trois arcben, d'un écuyer et d'nn page. Son* Lonii XITU
Unce fournie fut de »cpt bommea, et d« huit sons François I**.
CHAPITRE ONZIEME. 580
du temps à en feire le siège , et prit immédiatement
la route du coi de Panissas.
Trop actif et trop vigilant pour être pris en défaut,
le roi d* Aragon avait pourvu de bonne heure à la sû-
reté de ses états. Don Bérenger, frère de don Galce-
ran de Pûios, gouverneur général de Roussillon et
de Gerdagne, avait reçu ordre de joindre, suivant
que le besoin l'exigerait, les compagnies quil avait
avec lui à celles du vicomte d'Ule, qui se trouvait en
Gonflent, ou à celles du vicomte de Rocaberti, capi-
taine des gens de guerre d'Ampourdan et de Girone;
don Bernard de Son et le comte de Pallas étaient en-
trés avec leurs compagnies dans cette dernière vUle ;
Figuières avait reçu les levées de tous les lieux de
son district; ceux du village de Barraça et du terri*
toire du château de Crexel s étaient portés au col de
Panissas, sous le commandement d*un chevsdier
nommé Galceran d'Ortal, et s'étaient fortifiés dans
l'église du village même de Panissas, qui était très-
forte de construction; enfm les comtes d'Urgel et de
Prades, le vicomte de Cardone et d'autres chevaliers
s'étaient rendus à Barcelone à la tête de leurs vas^
saux, pour y former une réserve.
L'infant de Majorque n'arriva pas jusqu'à Panissas.
Informé de la difficulté qu'il aurait à forcer ce pas-
sage , il s'était décidé à pénétrer en Aragon par l'Ur-
gel , et il avait pris la route de Gonflent , attaquant ,
chemin faisant, les places qui se trouvaient à sa
no LIVItt: DEUXIEME.
(lorU^e. Fidèle à sa promesse le roi de Castille faisait
entrer dans le même temps eu Aragon doiue cetiU
Isnces, M>UA le capitaine Geofroi Rechon. chevalier
breton.
Le désir de ména^^er iin pays qu'il regardait comme
son palrimoine et où il trouvait de nombreux amis,
et ce besoin de vengeance (jiii le rendait impatient de
ravager les terres de son ennemi, ne laissaient pas
retirer à l'infant de grands fruits de l'ntlaque det
places fortes, quoiqu'il trouvât des pailtsans, même
parmi les officiers du roi d'Aragon. Une réqiusilion
de B^irenger-Jean, juge ordinaire de Confient, aux
capitaines Btirenger de Pinos , frère du gouverneur
général des deux comtés, et Bérenger d'Apilia, qui
l'un et l'autre commandaient à Villefranche , semble
prouver que ces deux seigneurs favorisaient secrète-
ment ce prince. Par cet acte , dressé solennellement
par devant notaire, Bérenger-Jean somme ces offi-
ciers, en présence des consuls de la vilie, de ne pas
en permettre la sortie aux habitants en état de coo-
courir à sa défense. « Plusieurs des personnes qui se
«trouvent dans Villefranche, frappées, dit-il daiu
«cette réquisition, d'une vaine terreur à l'approche
« de l'infant , ont défectionné et se sont retirées k Per
u pîgnan ou ailleurs; plusieurs d'entre les plus riches,
« tant parmi ceux qui restent encore , que parmi cem
u qui sont déjà sortis , font tous leurs efforts pour
u retirer de cette ville leurs femmes et leurs familles,
CHAPITRE ONZIÈME. 591
«et, ce qui est bien plus coupable, le font avec un
asauf-conduit de cet infant, sauf-conduit dans lequel
«ce prince se qualifie roi de Majorque et comte de
« Roussillon et de Gerdagne , au grand scandale de la
«communauté, et au préjudice du seigneur roi d'A-
«ragon; c'est pourquoi (ajoute le requérant) moi,
« Bérenger-Jean , juge ordinaire de Gonflent, tant en
« mon propre nom qu'en celui de tous mes adhérents,
« dans l'intérêt de la chose publique , pour la conser-
«vation de cette place et pour la gloire de notre
«illustrissime seigneur, le roi d'Aragon, je vous re-
«quiers par cet écrit, vous, nobles seigneurs Bé-
«renger de Pinos et Bérenger d'Apilia, capitaines
« dudit Villefranche , et vous vénérable Pierre Fabre ,
« consul dudit Villefranche , et vous aussi qui gardez
« les clefs des portes de cette ville , de ne plus rien
« permettre de semblable à l'avenir, etc. »
Les deux capitaines ne répondirent à cette réqui-
sition qu'en lacérant la copie qui leur en fut remise :
quant aux consuls , le premier d'entre eux répondit
que son vœu était conforme à celui du juge, et il
exigea que sa réponse (ut consignée dans l'acte , dont
copie lui serait remise ^.
* Cette réponse fut insérée telle que le consul Tavait prononcée,
c'est-à-dire en catalan : « £1 no consent ni vol que negun hom ni ne-
« guna dona del loch de Villafranca ne de la recultia (P) ischaper neguna
t manera , ny ab salfconduyt ni sens aquell , del dit loch de Villafranca ,
t e de asso requer los senyors capitans e lo senyor lochtenent de gover^
t nador. t Arch. eccles.
2 LlVItE DEUXIEME.
Si par bienveillance pour ceux qu'il regardait
eomme se.i .sujets, l'infant de Majorque n'avait pas
ravagé leurs lerres, il n'en fut plus ainsi quand il fut
parvenu sur le sol de la Catalogne; \à il mit tout à
feu et à sang. De la Catalogne il descendit dans le
plat pays d'Aragon, en suivant le cours du Gallego,
et en continuant les mêmes dévastations : cV'tail en
janvier 1375.
Les dispositions prises par le roi d'Aragon et les
ravages exercés par l'infant curent bientôt amené la
disette dans l'armée française. Obligé de la conduire
dans la Castille pour la faire subsister, Jayme fut
saisi, pre.sque en y arrivant, d'une fièvre maligne
dont il moui-ut à Almacan, et il fut enterré dans le
monastère de Soria.
La manière dont le roi Pédre raconte dans sa
chronique l'incursion de l'infant de Majorque et sa
mort est entièrement opposée h la version suivie
par tous tes historiens et que nous venons de répéter
nous-même. Suivant le royal chroniqueur Jayme entra
en Catalogne et descendit directement à Barcelone;
se dirigeant ensuite sur la Seu-d'Ui^el , il serait res-
sorti par la vallée d'Aran et serait mort empoisonné
presque aussitôt.
Quelle que soit la véritable de ces deui versions,
ce passage de l'infant don Jayme à travers le Rous-
sillon donna matière à de nombreuses poursuites
contre les partisans do ce prince. Une foule de che-
CHAPITRE ONZIÈME. 305
raliers , dont quelques-uns tenaient à la maison même
lu roi d* Aragon, furent arrêtés comme complices de
jette irruption , et entre autres un certain Jean Ra-
mirèz d'Ârellano, vassal direct du roi et élève de son
propre palais. Accusé parle vicomte de Perellos, qui
s'obligeait à soutenir son dire Tépée à la main, Ra-
mirèz demanda au roi la permission de se battre avec
lui en champ-clos, mais cette affaire n'eut pas de
suite.
Après la mort de l'infant don Jayme, sa sœur,
dona Isabelle, mariée au marquis de Montferrat, et
qui l'avait accompagné dans cette expédition parce
ipi'elle était encore plus animée que lui contre don
Pèdre , et à qui Mariana donne le titre d'héroine sans
rien dire de ce qui a pu le lui mériter, ramena l'armée
française en Gascogne, secondée par don Jean de
Malestit et par les autres capitaines. Dans l'impossi-
bilité de pouvoir désormais rien entreprendre de plus
par elle-même cette infante céda à Louis, duc d'An-
jou, ses droits à la couronne de Majorque ^, et reçut
sn indemnité une pension viagère de cinq mille cinq
:ents livres sur la ville et la chàtellenie de Lavaur;
' L'infant de Majorque avait cédé ses droits à sa sœur avant de quitter
tapies, et d'Égly cite Tacte et la date de cette donation. H est bien
^Dnant alors que le duc d'Anjou, dans ses instructions à ses ambas-
kadeurs auprès du roi de Gastille, assure avoir reçu lui-même une sem-
blable donation de ce même infant; ce devait être probablement une
substitution, qui devint une donation réelle par la cession que lui fit
Infante.
5M LIVRE DEUXIEME.
mais les habitants de cette ville s'étant opposés k
cette assignation, le prince remplaça cette pension
par la baroniede Lunel dont la princesse devait jouir
tout le temps de sa vie : cet acte fut passé le i a juin
i38i.
Investi de droits à une couronne , le duc d'Anjou
n'eut plus de repos jusqu'à ce qu'il se fût mis en état
de les faire valoir. ïl s'empressa de se liguer avec le
roi de Portugal , qui promit de seconder par mer la
conquête du royaume de Majorque, et, en février
*^7«- 1 376 , il s'adressa à Henri , roi de Cas tille , pour qu*il
l'aidât à conquérir son trône. Louis demandait à ce
monarque un secours de trois mille hommes d'armes ^
de mille genetes, sorte de cavalerie légère qui n'avait
pour combattre que la lance et le bouclier, et de mille
arbalétriers , pour rester sous ses ordres l'espace de
trois ou quatre mois quand il attaquerait le roi d'Ara-
gon; il lui demandait de plus d'engager le roi de Na-
varre à entrer dans la ligne. Henri souscrivit à tous
ces vœnx, et, assuré de cette assistance, Louis, qui
était gouverneur de Languedoc, reçut de l'assemblée
des communes des trois sénéchaussées de la pro-
vince, réunies au Pont-Saint-Esprit, un subside de
deux francs par feu ^.
Kn apprenant les prétentions de ce nouveau rival,
le roi d'Aragon avait envoyé des ambassadeurs au roi
' lioinmr d'armes était la iiuMiie chose que lance fournie.
' llisioirr iièncralr de Lamjnedoc . lonie IV.
CHAPITRE ONZIÈME. 395
de France, fipère du duc d'Anjou, pour lui exposer
ses titres à la possession de la couronne de Majorque
et le constituer juge du différend qui s'élevait entre
son frère et lui. Ghaiies V, surnommé à bon droit le
Juste, ne voulut pas accepter l'arbitrage d'une contes-
tation dans laquelle son frère était partie , et en ren-
voya la connaissance au pape. Celui-ci qui, dans ce
moment , se disposait à quitter Avignon pour trans-
férer de nouveau le saint siège à Rome, délégua le
cardinal de Terrouene pour s'instruire des faits. Le
duc d'Anjou, qui connaissait et l'ennemi à qui il avait
affaire et les lenteurs de la cour de Rome , et qui vou-
lait être en mesure de commencer les hostilités aus-
sitôt que la paix entre la France et l'Angleterre serait
conclue, réunit sur les frontières du Roussiilon quatre
mille lances , dont il donna le commandement à Ar-
naud d'Espagne , équipa quarante galères pour courir
les cotes de Catalogne et envoya son défi au roi
d'Aragon.
Arbitre de la querelle qui divisait les deux conten-
dants, Grégoire XI, qui désirait de maintenir la paix,
avait chargé le cardinal de s'interposer entre eux pour
négocier im accommodement, et Louis avait, h sa
prière, sursis à l'entrée en campagne : cette déférence
lui fit perdre la partie , ou tout au moins les chances
qui étaient alors en sa faveur. Il avait été convenu
que de part et d'autre des plénipotentiaires seraient
envoyés à Avignon au mois d'avril suivant, et que,
377.
1^7^-
596 LIVRE DEUXIEME.
pour donner au cardinal plus de facilité pour Toir
alternativement les deux princes , le duc d*Anjou se
rendrait à Narbonne et le roi d* Aragon à Perpignan.
Le prince français se trouva effectivement à Narbonne
le 9 décembre, mais ce fut vainement que le cardind
attendit l'arrivée de don Pèdre à Perpignan. Celui-ci,
qui ne voulait qu*amuser son adversaire et gagner du
temps, se contenta d*y envoyer don Juan, son fils,
sans même lui donner des instructions pour entrer
en traité. Le duc d*Ânjou et le cardinal, las enfin d*at-
tendre, s*en retournèrent, le premier à Toulouse et
l'autre à Avignon.
Le système de temporisation adopté par don Pèdre
avait complètement réussi. A la mort du roi d*Angle^
terre , Edouard III , loccasion paraissant fiatvorable à
Cbaries V pour recommencer la guerre dans les pro
vinces que les Anglais possédaient en France , le duc
d'Anjou fut occupé dans la Guienne et dut ajoumei
SCS projets de campagne contre le roi d'Aragon. Ce-
pendant pour tenir ce prince en demeure il engagea
le roi de Castille, son allié, à entrer en négociations
avec lui. Henri invita en effet don Pèdre à envoyer à
Biirgos des ambassadeurs pour s'aboucher, en sa pré-
sence , avec ceux qui devaient y venir de la part du
dur d'Anjou ; mais il en fut encore cette fois comme
la première : les envoyés de Louis arrivèrent à Bui^os
à la fin de janvier iSyS, et, après y avoir attendu six
mois ceux du roi d'Aragon, ils s en revinrent k Ton-
CHAPITRE ONZIÈME. 597
louse. Cependant Pèdre fit parvenir ses propositions
au roi de Castille , et ces propositions furent de con-
fondre toutes les prétentions réciproques dans un
mariage entre sa petite-fille , Tunique enfant du duc
de Girone, et le fils du duc d* Anjou. Ce projet de ma-
riage» qui fiit réellement effectué le a du mois de
décembre 1 4oo , c'est-à-dire vingt-deux ans plus tard,
et qui donna à la France des droits à la couronne
d* Aragon qu'on chercha à faire valoir à la mort du
roi Martin, ne pouvait pas satisfaire pour le moment
le duc d'Anjou , dont l'ambition était de porter une
couronne. On en vint aux armes, à ce qu'il paraît,
quoique l'histoire garde le silence sur les hostilités
qui purent avoir lieu et qui ne durent ofirir aucune
circonstance remarquable. On ignorerait même en-
tièrement cette prise d'armes, si les registres de la
sénéchaussée de Carcassonne n'avaient appris aux his-
toriens de Languedoc qu'ime flotte aragonnaise fit, au
mois d'octobre de l'année suivante, une descente et ,3^^
quelques dégâts sur les côtes du diocèse de Béziers ^.
Le duc d'Anjou renonça bientôt, sinon à ses pré-
tentions à la couronne de Majorque, du moins aux
moyens de se la faire restituer. Ce prince voulait ab-
solument un trône. Jeanne I**, reine de Naples, veuve
de l'infant don Jayme, et qui venait de perdre encore
son quatrième époux, Otton de Brunswick, cher-
chant partout un appui contre son implacable en-
> Hitloire générale de Langvtedoc, iom. IV.
90e LIVRE Ui:UXIEME.
ncmi, le roi tic Hongrie, avait, par son U'stanicnt du
1 3 juin 1 38o , ÎiisUIim^ lo frère du roi de France son
héritier universel. Regardant avec raison la cotironuft
de Naplcs commo plus importante que celle de Ma-
jorque, dont la possession était d'ailleui-s très-incer-
taine, ce prince tourna toutes ses vues vers la pre-
mière, qui pouvait par la suite lui fournir plus de
moyens poui* parvenir h l'acquisition de la seconde.
Après s'être fait couronner par le pape il passa en
Italie, mais arriva trop tard pour être utile à sa bien-
faitrice. Jeanne , faite prisonnière par Charles de Du-
ras, compétiteur de Louis d'Anjou au Iràne de Naples,
venait de terminer sa vie par une mort violente. Le
dur d'Anjou mourut lui-même le 1 1 octobre l38à.
CHAPITRE DOUZIEME. 399
CHAPITRE XIL
Divisions dans la famille royale d'Aragon. — Le justicia ré-
voque un édit royal. — Mort de Pèdre IV. — Caractère de
ce prince. — Événements en Roussillon. — Juan I", roî
d* Aragon. — Les Armagnacs en Ampourdan. — Fin de la
monarchie de Majorque.
Le roi don Pèdre avait débuté dans son règne par
dépouiller sa mère de son douaire et ses frères de
leurs apanages; il le termina en cherchant à faire
perdre à son gendre ses domaines, et à son fils aîné les
droits que sa naissance lui donnait à sa succession.
Pèdre avait épousé en quatrièmes noces Sy bille de
Forcia , fille d'un simple chevsdier d* Ampourdan , et
veuve d'un autre chevalier nommé Artaud de Foces.
D'un esprit adroit et insinuant cette reine avait su si
bien s'emparer de l'esprit de son vieil époux qu'elle
le faisait obéir aveuglément à tous ses caprices. L'au-
torité de don Juan, qui remplissait les fonctions d'ad-
ministrateur général du royaume , inséparables de la
qualité d'héritier de la couronne, la contrariant, elle
ne cessait d'aigrir le roi contre cet infant. Pèdre vou-
lait marier ce prince, veuf de Marthe, fille du comte
d'Armagnac, à la princesse Marie de Sicile, mais
Juan était amoureux d'Yolande, fiUe du duc de Bar.
i384.
400 LIVRE DEUXIEME.
Pour éviter un hymen qui le contrariait et satislàire
en même temps sa passion, l'infant s'était retiré au-
près de Jean, comte d'Ampurias, son beau-frère,
où son mariage avec Yolande s'était célébré. Le roi
d'Aragon, vivement offensé de cette désobéissance,
tourna son ressentiment principalement contre son
gendre qui avait favorisé cette union, et qui lui avait
donné quelques autres sujets de mécontentement; ii
forma le dessein de le priver de son comté et mit aus-
gitôt la main à l'exécution. Une armée entra en Am-
pourdan, s'empara des places, pilla le pays et en
occupa bientôt la plus grande partie. Le comte d'Am-
purias, menacé d'être assiégé dans CasteDoti, de-
manda le secours de quelques compagnies fran<;aises,
qui traversèrent en eifet le Roussillon sans rencontrer
d'obstacles et entrèrent en Ampourdan,
Pendant que le comte d'Ampurias était en butte à
toute la colère du roi pour avoir rendu service à
l'infant d'Aragon, celui-ci, retourné auprès de son
père après son mariage , se trouvait forcé de prendre
les armes contre son beau-frère. D avait cherché d'a-
bord à obtenir la grâce de celui-ci , maïs n'avait pu
fléchir le vietu monarque , malgré les ménagements
que le comte avait eus pour l'armée royale, qu'il au-
rait pu attaquer avec avantage et qu'il avait laissée
passer librement , et ceux même qu'il avait eus pour
la reine qu'il aurait pu faire prisonnière et dont il
avait respecté l'asile. Dans t'impossibUité de rien
CHAPITRE DOUZIÈME. 401
obtenir de Tobstmation du roi, Juan fit dire secrète-
ment au comte de ne pas se confier uniquement au
peu de troupes françaises qu'il avait sous ses ordres,
mais de se concerter avec le comte d*Armagnac pour
se mettre en état de faire tête à Tarmée que son père
menait contre lui. Jean écoutant cet avis s'était ligué
en effet avec le comte d'Armagnac et de Gomminge ,
Jean III , neveu de la première femme de don Juan.
D'après leurs conventions, ces princes devaient se
partager toutes les conquêtes que les Français feraient
en Catalogne , mais oe qui serait pris en Roussillon
devait appartenir à l'infante de Majorque, marquise
de Montferrat , sauf les droits de la princesse d'Ar-
magnac.
Pèdre n'avait pu ignorer la ligue que son gendre
v^enait de conclure avec le prince qui se déclarait
protecteur de l'infante orpheline. Déterminé par l'im-
coinence des hostilités à passer l'hiver à la proximité
des Pyrénées, il s'était établi à Figuières, d'où il avait
envoyé au gouverneur de Roussillon une ordonnance
[jui réglait les signaux que devaient se transmettre , à
l'apparition des Français, les tours bâties sur la crête
des montagnes. Ces tours, dont l'usage en Espagne
remonte à la plus haute antiquité, portent de nos
jours le nom d'atalayas, qu'elles ont retenu de la
langue arabe ^ Suivant cette ordonnance le guetteur
^ Le mot atalayas, passé de Tarabe dans les langues de la Péninsule,
(ignifie guetter. Tite-Live parle de ces tours de signaux à propos de la
1. 26
402 LIVRE DEUXIEME.
de ia tour la plus voisine du point où se trourait k
rendez-vous de Tennemi était tenu de faire le premier
signal, aussitôt qu'il aurait connaissance du mouve-
ment des Français pour se porter en Roussillon. Ce
signal devait être un grand feu, qui produirait une
épaisse fumée qu'on ferait durer une heure de temps,
si c était pendant le jour, ou dont Tédat ne pût être
confondu avec celui d* aucun autre feu, si le signai
avait lieu la nuit ^ Après ce premier feu, qui devait
éveiller Tattention, on aurait à signaler le nombre
de troupes ennemies en faisant un nouveau feu ré-
pété autant de fois qu'il y avait de centaines de lances
dans l'armée d'invasicHi; enfin, quand cette armée
flotte d'Asdrubal mouillée à Tarragone que Scipion vint attaquer. Dé-
cade m, liv. II. Le célèbre article des usages de Barcelone, mtitaié
Princeps namque, fait connaître que de tout temps Tusage a âé de se
transmettre les signaux par des feux. L'une de ces tours de sigaaux,
élevée au col de la Massane , ayant été frappée trois fois de la foudre,
de 1711 à 1 7 1 6 , ot la (lernirrc fois les quatre soldats avec le caporal
qui en faisaient ia garde ayant été tucs^ elle fut abaixlonnée, ainsi que
ccHe de Madeloeh qui avait le même nombre d'hommes pour la garder.
On relevait tous les huit jours ces petits détachements.
' Les signaux par le feu ont eu lieu de toute antiquité; Polvbe, Tile-
Live, Vegrce en parlent, et Jules Africain nous apprend que pour cela
on faisait de grandes provisions de bois sec, de chaume, de paille et de
branchages d'arbres, et il ajoute qu'en jetant de la graisse sur ces ma-
tirrcs on produisait beaucoup de flamme et une fumée très-épaisse qui
s'élevait par tourbillons. On appelle en catalan ces feux, alimarias,
d'où est veim le dicton fer alimarias, faire des embarras, beaucoup de
bruit pour rien ; en espagnol almcnara, feu de signal, appelé ainsi parce
qu'on l'allumait sur les hautes tours, ou aUdayas, nommées mimu ou
menas en arabe.
CHAPITRE DOUZIÈME. 403
urait passé la frontière et se trouverait sur les terres
TAragon, le guetteur devait renouveler le feu, et le
lire durer plus longtemps que les fois précédentes,
ja tour du phare de Perpignan , qui était au château
oyal , et probablement celle qui en termine la cha-
melle, était chargée de répéter immédiatement le
ignal donné par la première vigie, pour que de là il fût
ransmis de tour en tour jusqu*à celles qui sont au re-
ers des Pyrénées ^ Une circidaire écrite le 1 5 dé-
embre de cette année par le gouverneur des deux
omtés aux commandants des tours les informa que
inq cents lances étaient prêtes à entrer en Roussillon ;
«pendant aucune tentative ne fut faite de tout cet
iver. Ce^e circulaire fut présentée le 1 6, au châte-
ain d*Opol , le 1 7 à celui du château de Força-Real ,
1 successivement à tous les alcaydes ou commandants
tt châtelains des tours et châteaux de la frontière
lu Roussillon, ainsi quil conste du visa apposé au
las de cette même lettre ^; de là le nom de circulaire
lonné à ces missives. Ce moyen abrégeait le travail
le bureau, à une époque où l'administration, étant
Boins compliquée , n'exigeait pas un si grand nombre
le scribes, mais elle causait une grande perte de
emps, par T obligation où était le même messager de
urésenter sa lettre circulaire à tous ceux qui devaient
^n prendre connaissance.
L'infant d'Aragon après avoir lui-même compromis
* Arch. dom, — * Ibidem.
a6.
iISS.
404 LIVRE DEUXIEME,
son lieaii-frère, cherrhait à regagnera ses dépens la
confiance (lu roi. Sur 1r prétexte que le comte d'Am-
purias avait appfl<^* aiipii-s de lui beaucoup pliis de
fortes françaises qu'il ne l'avait cngagi* à le laîre',
Juan prend à Fipii^res trais cents chevaux de ^a^
mie que rommandaîl le comte de Foroia , frère de 11
reine, qni venait dr lever le siège de Verges, traverse
le RousKillon pendant la nuit, dans iv plus grand si-
lence, entre dans lesCorliitVes, arrive à la pointe do
jour à Durban, où se i-éunissaient les compagnie!
françaises destinées k entrer en Ampourdan , les sur-
prend pendant leur sommeil, cl fuit prisonniers les
principaux chefs qu'il emmène à Perpignan.
Cette action hai-die plut singulièrement 311 roi. qui
doutait des dispositions de son fds pour l'art de la
guerre, mais elle ne servit en rien les vues de doa
Juan. Devenant au contraire de plus en plus odieuii
la reine, celle princesse se mil k inlrigner pour lui
faire perdre les droits qu'il tenait de sa naissance, et
Pèdre, dont la faiblesse pour sa femme se manifestait
principalement par les poursuites qu'il dirigeait contre
son propre sang , ne sut pas lui résister : par son
ordre, un procès fut entamé contre son fils, pourie
déclarer indigne de lui succéder et faire tomber la
couronne sur la tète de l'enfant de l'ambitieuse reme.
Des cricurs publics promulguèrent dans toutes 1»
villes du royaume des défenses expresses do roi it
' Abarca, An^. dr Aragon, loni. II.
CHAPITRE DOUZIÈME. kOb
reconnaître à l'avenir lautorité de l'infant en sa qua-
lité de futur héritier du trône.
Un acte aussi révoltant d'injustice et de tyrannie
ne pouvait pas être admis en Aragon , où les consti-
tutions du royaume offraient aux princes et aux
peuples lésés dans leurs droits un recours légal contre
l'abus de la puissance royale elle-même. Le premier
mouvement de l'infant avait été de se joindre à son
beau-frère , pour soutenir par les armes les privilèges
de sa naissance; mais l'inégalité des forces qu'ils au-
raient pu opposer à celles du roi lui faisant bientôt
abandonner ce dessein , il recourut à la voie de la
justice , la seule en effet qu'il avait à invoquer, puis-
qu'il était assez heureux pour qu'il y eût dans le
royaume un tribunal compétent pour connaître de
Fexcès de l'autorité souveraine. Dominique Cerdan ,
jasticia d'Aragon, à qui l'infant présenta sa requête,
trouvant ses plaintes justes et fondées , et l'édit du roi
contraire aux constitutions et aux fors de la nation ,
s'empressa de donner des lettres inhibitoires , qui
furent publiées dans tout le royaume , et qui annu-
lèrent l'ordonnance du monarque , forcé par la loi de
se rétracter.
Le comte d'Ampurias , obligé de se défendre contre
les attaques de son beau-père, n'avait pu réunir au-
tour de lui qu'un petit nombre de gens de guerre de
Languedoc. Au printemps de i386 il voulut tenter i386.
de rentrer dans ses domaines; mais cette troupe , avec
'i06 LIVRE DEUXIEME,
laquelle U espérait pouvoir se maînlenir en Ainpourdan,
où le peuple i^tait pour lui. n'était pas suffisante pour
espérer de se Q-ayer, à miiin armée, un passage A tra-
vers \v Roussillon : Jean fit donc demander A Gilubert
de Cruilles , gouverneur de la province , la liberté de
ce passage. Giiaberl ne n^pondit qu'en renouvelante
Ions les alcaydcs dos forts l'ordre de s'opposer de
vive force à l'entrée dfi toute lance étrangère, et en
faï.tant arri'ter les messagers du comte, qui furent re-
tenus h Caheslany. Obligé de renoncer à conduire M
petite année par la grande route, Jean songea aîOTl
îk ia faire Fder le long de la mer, en pi-ëvenanl de son
passage la vicomtesse d'Ille et de Canet qui se trouvait
dans celte dernière ville, et sur la neutralité de qui 1
il devait d'autant plus compter, qu'en vertu de li
ligue qu'il avait signée avec le comte d'Armagnac 1«
terres de cette dame devaient être respectées par les j
Français. Don Alonre d'F.xerîc3, l'un des chevaliers
du comte d'Ampurias, chaîné de s'aboucher avec il
vicomtesse, se rendit auprès d'elle dans une barqne;
mais Gilabert, dont l'activité égalait la vigilance, in-
formé de cette démarche par ses espions , força ta ri-
comtesse de venir h Perpignan , rt fit occuper Canet
par Raymond Zaportella. A cette nouvelle, qui décon-
certait tous ses projets, le comte d'Ampurias renonçi
h sa tentative, et rentra en Languedoc. La mort de
Pèdre, arrivée le 5 de janvier suivant, mitim terme
^ ces querelles de famille.
CHAPITRE DOUZIÈME. 407
Le lecteur connaît la vie politique de Pèdre IV ; il
ne nous reste qu'à porter un regard impartial sur son
caractère. Si Thistoire de ce prince contient une in-
finité d'actes qui vouent sa mémoire à l'exécration , il
en est aussi une foule d'autres qui la recommandent
aux honunages de la postérité.
Les historiens nationaux , imités en cela par les
étrangers, n'épai^nent à don Pèdre ni le blâme ni
les injures. Mariana et Ferreras l'accusent de n'avoir
cherché que des prétextes pour enlever la couronne
à son beau-frère; l'annaliste Abarca, après avoir parié
en son lieu de tous ses crimes , finit cependant par
fiure de lui im éloge brillant , et avance que ce fut un
prince sage , juste et pieux; il ajoute qu'il fut adonné
aux lettres et très-versé dans l'alchimie et l'astrologie.
L'autre annaliste d'Aragon, Zurita, dont l'esprit judi-
cieux, et généralement assez critique et impartial, ne
se dément jamais dans tout le cours de son histoire ,
nous a laissé de don Pèdre le portrait le plus odieux.
Le début du chapitre cinquième de son huitième livre
est surtout remarquable, n Le caractère de don Pèdre
«et son naturel furent, dit-il, si pervers et si portés
aau mal qu'il ne se signala jamais, et jamais ne mit
« plus d'ardeur en aucune chose, que dans la poursuite
tt de son propre sang. Il débuta dans son règne par
«déshériter ses deux frères, les infants don Juan et
«don Femand, ainsi que sa mère, la reine Léonore ,
tt sur un motif aussi illégitime qu'indécent , et il fit
M8 LIVUK DEUXIEME.
« lous ses efTortH pour les détruire. N'y pouvant rémsir
u parce que le roi de Castilie prit la défense de U
u reine aa Bceur, de ses neveux et de leurs domaines,
nU 8C tourna contre le roi de Majorque, son beau-
a frère , qu'il ne lâcha que quand il l'eut perdu. Après
u l'avoir dépouillé de son patrimoine avec tant d'înliu-
iimanité, il fit périr ses frères, fun par le poison,
u l'autre par le poignard. A la fin de sa carrière il
Il poursuivit le comte d'Urgel, son cousin , et le comte
M d'Ampurias son gendre, et il termina enfin sa vie en
a cherchant â se défaire de son propre fiis, son béri-
Ktier.n L'annaliste de Catalogne, Félùi de la Pena y
I''^reU, qui, tout f opposé de Zurita, ne se montre
qu'écrivain passiomié , superstitieux et d'une d^oû-
tante partialité, assure que Pédre fût très-sage , pieux,
religieux, attentif, curieux et très-brave; seulement
il le trouve un peu trop ardent et prompt, et pour
preuve de ce défaut il cite la mort de don Femand,
son frère , et celle de l'infante Jeanne , sa fdle , épouse
du comte d'Ampurias, que l'indignation d'avoir reçu
un soufflet de son père parce qu'elle avait pris la dé-
fense de son mari conduisit au tombeau en peu de
temps ^.
Tous ces faits ne justifient que trop la perversité
de nature] que Zurîta reproche à don Pèdre ; et ce-
pendant les actes d'administration de ce prince sont,
pour la plupart, empreints d'une sagesse qui motive-
' Anaitt de CabdaÀa. tom. Il, Ub. Xltl, cap. xu.
CHAPITRE DOUZIÈME. 409
rait seule les éloges d'Abarca et de Pareil : citons ceux
de ces actes qui se rapportent au Roussillon.
L'année même de Tincorporation de cette province
à son empire , Pèdre étend sur elle l'article des cons-
titutions de Catalogne qui soumet toute personne
ayant rempli un emploi de juridiction à tenir taala,
c est-à-dire à répondre à tous les griefs que qui que ce
soit pourra articuler contre elle relativement à l'exer-
cice de ses fonctions ; et plus tard il défend de pour-
voir d'aucun nouvel office tout citoyen qui , après en
avoir exercé un, n'aurait pas encore subi cette espèce
de jugement national. En 1 3^5 il rend cette célèbre
ordonnance dont nous avons parlé, destinée à forcer
les clercs du Roussillon à se tenir dans la limite des
professions honorables , et à savoir se respecter eux-
mêmes pour forcer les autres au respect. Eln 1 35 1
parut de ce prince une ordonnance non moins re-
marquable dans Imtérêt de la sécurité des citoyens.
Considérant, dit-il, qu'une barbe postiche facilite
les homicides en déguisant le meurtrier, il défend
expressément de s'en affubler, prononce la peine
de dix années d'exil contre tout chevalier ou noble
qui en porterait une, et celle de la mutilation du
poing contre le coupable du même délit s'il est rotu-
rier, et ordonne de plus que cette dernière peine sera
paiement appliquée au barbier qui l'aurait fabriquée.
Donnant encore plus d'extension à l'acte de justice
ît d'humanité de Jayme II, Pèdrc défend d'infliger
410 LIVRE DEUXIÈME.
aucune peint corporelle et d'applûpier aucun cou-
pal>tf> Â la torture avant d'avoir ouï su défense.
C'est !\ ce prince (pie ic Roussillon , qu'il semble
avoir voulu s'attacher par la reconnaissance après l'a-
voir subjugué par la corruption et la teiTeur, dut t'a-
Vfintagc de posséder une oniversité. D^jà , dès 1 3aâ,
dea clasKOii d'Études avaient été fondées daiu Perpi-
gnan par i'évèquc d'Elne, Bt-rcnger VII; mais ce
n'était proprement lyue pour l'instruction des ecdé-
aiastique.H '. Par une pragmatique datée du i 5 des ca-
lendes d'avril i 3^g, Pj^dre fonda daus la même ville
une université pour l'instniction des laïques, et ceux
qui éludiaicnl sous les professeurs qui y furent établit
purent obtenir, en vertu de cette charte d'institution,
les mêmes pril-ro^atives que les étudiants en l'univer
site de Lérida. Le préambule de cette pièce remar-
fpiahle mérite d'être signalé. Pédre considérant u que
» If Roussillon abonde en aliments ', par la disposition
u de son sol , suivant le vœu de la divine providence,
«et désirant qu'il abonde aussi en instruction; vou-
«lant féconder les sciences dans ses états pour que
uses sujets puissent y recueillir les fruits des con*
H naissances qu'Us sont obligés d'aller chercher arec
' Manuscrit da chaDoine Coma, pag, il S.
* Une lettre de Pèdre IV à ion procureur t<fjd, du lè àécOÊk*
i36>, fait coDDutre que le vUt muicat de PvpgDau ou peut-eu^
Rivesaltej, était déjà tr^s-renammé i celte époque, puitqne ce fnutt
le chargp de lui en envoyer i Barcelone trois sommées, de manière la
qu'il arritc pour les ilte* de Noél.
CHAPITRE DOUZIÈME. 411
«grande peine chea les nations étrangères» et qu'ils
« trouvent de quoi contenter à cet égard leur avidité;
« sur la demande des consuls de Perpignan et sur le
a désir qu'il a de favoriser de tout son pouvoir toute
« espèce d'augmentation de prospérité dans sa princi-
«pauté, et éviter d'inutiles dépenses aux habitants
« de Perpignan que l'aménité de son site , la fertilité
« de son sol , la profondeur dans les sciencea des doc-
« teurs qui y résident rendent compétente pour une si
«grande entreprise; » à ces causes il fonde dans cette
vflle une université pour l'enseignement de la théo-
logie, du droit et des arts ^
En voyant une si grande contradiction entre les
actes d'administration du roi don Pèdre et sa con-
duite» ne dirait-on pas que ce prince réunissait dans
sa nature les deux principes du bien et du mal ? Pèdre
fut méchant par ambition et par caractère, et bon
par politique et par calcul ; et , à cet égard , le lan-
gage cauteleux et adulateur du préambide que nous
venons de citer en faveur des RoussiUonnais en gé-
néral et des Perpignanais en particulier, rapproché
de la conduite que tint ce prince envers les seigneiu^
de ce pays , malgré les dangers imminents dont leur
entourage le menaçait de la part de Ymnion, en dit
[dus que les plus longs discours. Enclin au despo-
tisme, mais forcé de se contenir dans les limites des
constitutions du pays, Pèdre saisit avec empresse-
' Àrch, dom.
tIS LIVKE DEUXIKME.
ment toutes les occasions d't^tctidre sa puissance, et
la victoire d'Epila vint parfaitempnt seconder ses vue»
en lui donnant la facuiti^ de pouvoir détruire l'ancien
privilège de l'union devenue séditieuse; mais là dut
s'arrêter sa haine contre les institutions qui le contra-
liaient, et sa vengeance contre ceux qui lui avaient
tenu ttite. Les Espa^^iols donnent à Pèdre IV le titre
de grand roi, et en considérant tout ce que ce prince a
fait en guerre , en politique, en adminiâtration , on ne
peut s'empi^cher de le lui confirmer; mais le litr« de
grand nVst pas synonyme de bon , de juste ni de cons-
ciencieux, qualitt'S qui seides font l'honnête homme.
Les crimes de don Pèdre prii'ent naissance dans ce
caraclère de hauteur et de fierté qui lui faisait exi-
ger (ant de déférences et de soumission de la part
de ceux fjui l'approchaient, et dans une politique
ambitieuse, astucieuse et absolue qui ne connaissait
ni amitié ni liens du sanj;. Aux nombreuses preuves
qu'il avait données de ce caractère, durant tout le
cours de son règne , il en ajouta , h l'heure de sa mort,
une dernière qui n'est pas la moins remarquable. Ce
prince avait imposé à don Juan , son fds et son suc-
cesseur, quelques obligations à remplir. Pour être
assuré que ses derniers ordres seraient exécutés avec
la même exactitude que s'il était vivant il ordonna,
par un dernier codicille, à tous les prélats, barons,
chevaliers et k tous ses sujets en général, de ne pas
reconnaître son fils pour leur roi, et de ne pas lui
CHAPITRE DOUZIÈME. 413
prêter serment de fidélité s'il ne remplissait pas ponc-
tuellement ses volontés , ajoutant que s'ils ne faisaient
pas eux-mêmes ce qu'il leur prescrivait il les frappait
d'avance de sa dernière malédiction ^. On peut dire
que sous le plus grand nombre de rapports Pèdre fut
le chef de l'école dans laquelle se distinguèrent après
lui, don Juan II, Louis XI et Ferdinand le Catho-
lique.
Au nombre des actes d'administration de Pèdre IV
se trouve une ordonnance rendue en 1 3 5o, le 1 7 dé-
cembre , à Perpignan , par laquelle il est défendu de
compter à l'avenir le temps par l'ère de César, et qui
prescrit de n'employer, pour la date des actes publics
et particuliers, que l'ère de la Nativité de Jésus-Christ.
Une autre ordonnance , dont le but était tout poli-
tique et qui fut rendue le 22 juillet 1 364, avait forcé
les généreux ou gentilshommes de Roussillon à se faire
recevoir chevaliers dans le courant de l'année. La
générosité étant en Aragon comme dans toute l'Es-
pagne le dernier degré de la noblesse, celui qui avait
obtenu celte distinction se trouvait exempté des
charges municipales et des impositions roturières. Sa
qualité de généreux l'assujettissait bien à un service
militaire , mais ce service , très-facile , était rarement
exigé. Le chevalier, au contraire, s' obligeant par ser-
ment à sacrifier à tout instant sa vie pour le bien
public, devait avoir incessamment un cheval équipé
^ Zurita.
UMi LIVRE nEllXIEME.
iivpc tout l'attirail d'un homme de guerre, afin iv
pouvtiir marchor au preniîor s^al. Pèdre, qui vou-
lait Irouvrr dans sa noblc-ssc im corps de cavalerie
redouUiliip Pt toujours pn;t k cotubattre, ^taït inlcrcssé-
à ce que (es nomhreux généreux, qu'il avait créés parm^
ceux qiii avaient servi sa cause, devinssent cheva- —
lîers, et il leur en Ct un devoir sous peine de perdra
leur qualité.
Une disposition an-ét^e en iS^o, et renouvelé^
cinq ans après, dt^fendail de laisser sortir dn Rous-
sillon i'or, l'argent et le* chevaux. Toute personne
qui arhrtait un cheval était tenue d'en faire la décli-
ration, le jour mâme, i\ la cour du domaine poor
qii'on pût être assuré qu'il ne s'en emportait pas en
France ', A cette époque la race des chevaux de Ce^
dagne était bonne, estimée et recherchée.
Avant que les deux comtés de Ccrdagne et (le
RûuMitlon fussent tombés soits la domination des nÛ ^v
d'Aragon par le testament de leurs derniers comta
héréditaires, les assemblées des cœIs n'y étaient p»
connues ' -, ce ne fut même que trente-cinq ans «{Mil,
que le roi Pèdre II vint tenir la première de cet t*-
semblées pour la province. La réunion en eut lieu 1
Puycerda, et dans ces corls fut rendu l'édit parleqod
' Arth. àotn.
* Les ccaite* lenaient lenn plaids, mais les nobla Mob «ne k
haut clergé y assisUieot. Cependanl il y avait des auemblëcï pcfHi-
Uires pour l'élection des niagistrals et des évoques. Voyet i cet égtri
rhisinire du droit municipl de M. Baynouard.
CHAPITRE DOUZIÈME. 415
Pèdre règle ce qu*il y aura à faire contre les magnats
du royaume et tous autres qui refuseraient de donner
des garanties pour le maintien de la paix et trêve.
Aux ^différentes corts qui furent tenues ensuite en Ca-
talogne, sous Jayme le Conquérant, le comte apana-
giste de Roussilion fut appelé comme représentant de
ces comtés. Pendant toute la durée de la monarchie
de Majorque aucunes corts ne furent convoquées
dans ce royaume, parce que Pèdre III, ayant imposé
violemment sa suzeraineté au premier roi de ce nou-
veau royaume, et le droit de convoquer ces assem-
blées n appartenant qu*au souverain., Jayme I*, de-
venu simple feudataire du roi d* Aragon , s'en trouva
dépossédé par le fait, et que, aux termes mêmes de
Tacte de vasselage qu*il avait été forcé de souscrire ,
il devait aller représenter lui-même ses fiefs aux corts
de Catalogne comme l'avaient fait les comtes apana-
gistes. Après Textinction du royaume de Majorque le
roi d'Aragon, voulant faire participer les deux comtés
au privilège de la représentation aux corts générales de
Catalogne , Pèdre , par sa pragmatique du 1 2 des ca-
lendes d'août i344, c'est-à-dire du cinquième jour
après son entrée dans Perpignan , établit qu'à l'avenir,
toutes les fois que ces sortes d'assemblées auraient
lieu à Barcelone ou dans toute autre ville de Cata-
logne , les syndics de la ville de Perpignan y seraient
appelés ainsi que les barons, chevaliers et tous autres
des deux comtés ayant droit d'y assister.
41fi tlVRB DEUXIEME.
Plusieurs fléaux désok'rent le î\oiissîllon soiu \f
ri'gru! de Pètlre IV. Nous ne pai'loi'ons pas de diverse»
secousses àc tremble ment de terre qui ne produisirent
aucun désastre ', m»is nous citerons de miellés mtr-
(alités qui décimtreut h population. D'abord eu mars,
avril, mai et juin iS/|8, \me peste, ou toute autre
rontigion sous re nom générique, exerça les plus
grands ravnges diins toute la Catalogne et l'Angon,
mais sévit de la manière la plus terrible sur Perpignan,
où il périt très-soavent plus de mille personnes ]«r
jour '. I^a gi-andr pénurie de personnes instniil»
pour remplir les places de l'administration et \es
fom-tions publiques, causée par cette aOreuse morta-
lité , força le roi d'Aragon it se relâcher momentané-
ment de ia défense qu'il avait faite de laisser occuper
ces charges par les rlcrcs. Une autre mortalité non
moins désolante se manifesta dans Perpignan eo
jaîllet, août et septembre i36i, et celle^à exa^ ■
principalement ses ravages sur les enfants; enlîn, en
1 570. la même maladie se renouvela, et la mortaiiié
porta sur les jeunes gens , dont un très-grand nombrt
périt pendant les sbc derniers mois de l'année. Noui
n'avons trouvé nulle part des indications sur la nature
et le caractère précis de cette maladie.
' Voyei note m.
' Fuil in terra ista magna mortatitat gentiiun , talitn qM'
de decem persoDU vix una renianail, quia id una di«, mille peW
el plu*, ampiuinif in hac villa moriebantur, Libro viiidi minan, «sli Jf
morialilatf.
CHAPITRE DOUZIÈME. 417
 Pèdre IV succéda don Juan , duc de Girone, son juan i«
Ss; et ce qu'il y a de remarquable encore dans les '^*^'
ctes de ce roi, c*est que lui, qui avait suscité une
;uerre civile dans ses états pour assurer la couronne
TAragon à sa Sile , au préjudice de ses frères , con-
rairement aux usages du royaume , finit dans son tes-
ament par exclure absolument toute femme de sa
iuccession, en substituant à don Juan Tinfant don
Martin , son second fils , si le premier mourait sans
léritier mâle, et à Martin, ses neveux et arrière-
leveux, ou, à défaut de ceux-ci, Tenfant qu'il avait
m de Sy bille de Forcia.
L'Aragon ne pouvait jouir d'une longue paix. De-
puis longtemps , soit par ses propres agressions , soit
pour repousser celles de ses voisins ou pour faire
valoir des droits fondés ou équivoques sur des pays
bintains, la guerre semblait être devenue l'âme de
se royaume, le tumulte des camps le seul délassement
ie ses citoyens. La Gastille, la Navarre, la Sicile, la
Sardaigne, la France, Majorque, les pays encore pos-
lédés par les Maures d'Espagne , les grands vassaux
le sa couronne étaient le but contre lequel sa va-
leur s'exerçait tour à tour. Des prétentions quelque-
fois fondées , souvent injustes , le plus ordinairement
douteuses; des inimitiés de famille, des tracasseries
domestiques étaient sans cesse la cause ou le prétexte
de nouvelles hostilités, et servaient d'excuse à Thu*
meur belliqueuse de ses rois.
I. 117
418 LIVRE DEUXIÈME.
Celui qui venait de succéder à un prince dont un
demi-siècle de règne $*était passé en entier au milieii^
des combats ne pouvait manquer de revêtir lui^
même la cuirasse. Ce fut moins cependant par s^
propre inclination que pour obéir à Timpulsion d^
son siècle et è une sorte d'inquiétude martiale qui
agitait Tesprit des grands de son royaume, que don
Juan I* tira Tépée.
Les historiens montrent, en effet, ce prince
comme plus porté à la paix qu*à la guerre , et comme
moins sensible à la gloire des armes qu'aux charmes
de la poésie et aux douces inspirations des trou-
badours.
Au reste , jamais peut-être le portrait d*un roi ne
s'est offert au jugement de la postérité moins ressem-
blant è Toriginai que celui que les historiens nous
ont laissé de don Juan. Suivant Zurita, le roi don
Pèdre, son père, le regardait comme trop humain
pour être un bon homme de guerre. Mariana lui ac-
corde une très-grande alTabilité, «un fonds de bonté
a et de douceur qui le rendait incapable de faire du
(• chagrin à personne , à moins qu'on ne Tirritât par
« quelque offense considérable. » Le lecteur jugera
par les faits de la vérité de fapologie.
Cet infant don Juan , qui s'était montré si ingrat
envers son beau-frère, malheureux parle seul fait de
sa condescendance pour lui, ne démentit pas ce ca-
ractère en montant sur le Irone. A peine y fut-il assis,
CHAPITRE DOUZIÈME. 419
dr d*une maladie qui avait mis ées jours en
, k Girone , qu'il rendit à sa beUe-mère , avec
irayante usure , tous les maux qu'il avait reçus
La veille de la mort dé don Pèdre, cette prin-
pour éviter les effets du ressentiment des in-
i'était enfuie de Barcelone avec son frère , don
d de Forcia et le comte de Pdlas; mais le
monarque n'avait pas encore les yeux fermés,
y à le frère cadet de don Juan, l'infant don
, se mettait à sa poursuite. Assiégée dans le
Il de sa famille, elle fat forcée de se rendre, et
^e à Barcelone. Juan la fit enfermer dans une
prison. Bientôt ce prince eut l'indignité de la
ppliquer à la question pour de prétendus sor-
dont un juif l'accusait de s'être rendue cou-
ses complices, c'est-à-dire, ses amis, furent
avec la même barbarie, et périrent presque
une mort violente. Cette princesse elle-même
^a ses jours que par la vive intercession du car-
égat, et par l'abandon qu'elle fit à la jeune
Violante , de tous les domaines dont le feu roi
apanagée. C'est à la même intercession que
d de Forcia et le comte de Pallas furent rede-
de la vie. De tous les grands biens que la reine
» avait possédés, il ne lui resta, pour vivre,
igt-cinq mille sous de rente que lui donna don
Les amis de don Pèdre , et entre autres ce Gi-
de Cruillcs, gouverneur de Roussillon, qui
27-
420 LIVRE DEUXIÈME,
avait rendu de vrais services à la monarchie par son
inébranlable fidélité, furent aussi emprisonnés et
poursuivis avec plus ou moins d*achamement ; enfin
le comte d*Ampurias lui-même, ce prince qui depuis
trois ans était dépouillé de ses domaines et avait
éprouvé toutes les misères et les calamités d'une
guerre haineuse dont le nouveau roi était seid la cause,
i388. dut passer aussi par Tépreuve d*un injuste emprison-
nement, et d'un procès plus injuste encore, avant de
rentrer dans la possession de ses terres , que la seule
volonté du roi pouvait lui rendre, conune seule elle
Ten avait privé. Pour soutenir des dépenses au-dessus
de ses moyens , Juan augmenta les impôts , et souleva
ainsi une indignation générale. Une réunion de sei-
gneurs eut lieu à Galasans; cette réunion fut mena-
çante , et une guerre civile était sur le point d'éclater,
quand Juan, intimidé, mit de la réforme dans sa
conduite et éloigna d'auprès de sa femme ime in-
trigante dont les perfides conseils avaient déjà lait
commettre bien des fautes. Cette détermination du
roi lut très-heureuse : la guerre qui ne tarda pas à se
renouveler sur la frontière d(^ France eût pu devenir
fâcheuse pour le monarque, s'il avait été encore sé-
par(^ de ses barons.
^^^0- Les historiens de l'autre côté des Pyrénées pré-
tendent ([ue ce fut sans sujet que le comte d'Ar-
nia^nac se jeta sur le Roussillon et fAmpourdan; ils
n'iijnoraient pas cependant, et quelques-uns favouent
\
CHAPITRE DOUZIÈME. ^21
même , que le prince français avait des droits à faire
valoir contre le monarque aragonnais.
Après la mort de Louis I"^, duc d'Anjou et roi de
Naples, la marquise de Montferrat avait transporté à
Jean ni, comte d*Annagnac, ses droits à la couronne
de Majorque , et ce comte avait fait entrer en Rous-
sillon, sous les ordres de Bernard, son frère, une
année recrutée parmi ces restes de bandes françaises
et gasconnes qui brigandaient encore dans les pro-
vinces de Touest et du midi. Les dispositions arrêtées
par don Juan contre les prisonniers de guerre, dans
cette irruption du comte d'Armagnac, sont conformes
à f état des gens que Bernard emmenait avec lui. Le
a 3 juin iSgo ce monarque prescrivit au gouverneur .j^^,
de Boussillon , don Gilabert de Gruiiles, renvoyé à
son poste à sa sortie de prison, de n'autoriser la ran-
çon d'aucun des hommes d'armes oa pillards ennemis
qui tomberaient en son pouvoir : tous devaient être
retenus en prison ou vendus comme esclaves , et seu-
lement à des sujets du roi d* Aragon ^.
Le comte d'Armagnac , instruit par l'expérience du
duc d'Anjou, savait très-bien que tout autre moyen
que celui des armes était inutile pour ressaisir une
com^onne. Aussi , sans perdre de temps en vaines né-
^ No puga ningos, lo dit hom d'armes o pillart presoner, dar à
alcan réscat; ans, envers si aquell haya à retenir presoner o vendre d,
si mes amarà, per càtice à hom, mes natiiral del dit senyor, e no a
a)lra qnalsevol persona. Liber provitionam.
422 LIVRE DEUXIÈME.
gociations , il avait £ût traverser rapidement le Rous^
sillon à son armée , qui avait pénétré en Ampourdan
sans obstacle , pris Bascara de vive force , et qui me-
naçait encore d'autres places. Bernard d'Armagnac
était depuis six mois en Catalogne, qnand le roi
d* Aragon se trouva enfin en mesure de marcher
contre lui.
Pendant que toutes les places de la principauté ré-
paraient en diligence leurs fortifications et que Gih-
bert de Gruilles réunissait dans Perpignan les forces
qu'il avait à sa disposition pour garder la province et
couper la retraite à Tennemi , Juan partait de Girdne
pour livrer bataille aux Français, avant qu'ils ne
fussent joints par les renforts qu'il savait qu'on levait
en Languedoc. Bernard ne l'attendit pas ; trop fidbie
pour tenir tête à l'armée aragonnaise avec ce qu'il
avait de monde , il repassa la frontière , et se jeta dam
les Corbières , sans que Gilabert de Gruilles pût s'op-
poser à son passage. Le roi Juan, parti de Gironde
3i mars, vint à Perpignan, où il s arrêta jusqu'au
mois de juin, qu'il retourna à Barcelone.
Les Français, en quittant TAmpourdan pour gagner
les Corbières, avaient eu pour principal objet la sû-
reté de leur butin, qu'ils voulaient mettre hors des
atlcintcs des Aragonnais. A peine eurent-ils appris
que don Juan avait repassé les Pyrénées, que, se je-
tant de nouveau sur le Roussillon, ils ravagèrent le
pays et se hâtèrent d'emporter dans les montagnes le
CHAPITRE DOUZIÈME. 425
finit de leurs nouvelles déprédations. Une troisième
incursion eut bientôt lieu, et dans celle-ci ils tentèrent,
mais vainement, d'escalader le château de Força-
Real : ces irruptions , qui se renouvelèrent successi-
vement contre Mosset, Salses, Saint-Hippolyte et
d'autres lieux tour à tour pillés et dévastés , avaient ré-
pandu la consternation et Teflroi dans le pays. Le gou-
verneur de Roussillon ne savait plus conunent arrêter
des courses , qui , se faisant avec une rapidité extrême
sur des points inconnus, et favorisées par les diffé-
rents passages des montagnes, mettaient en défaut
tous les moyens qu'on pouvait employer : il imagina
d'user de représailles. Informé par un espion que
l*un des principaux capitaines des ennemis, le sei-
gneur de Fraisse, avait quitté Rhodes où était le
quartier-général, pour aller passer dans son château
la fête de Notre-Dame d'août, il part de Perpignan ce
jour-là même, arrive le lendemain à la pointe du
jour avec soixante chevaux et soixante arbalétriers
devant le château de Fraisse, qu'il surprend; mais le
seigneur en était déjà reparti. Avant de se retirer,
Gilabert incendia le village et son château.
Le succès de cette expédition démontrant la possi- 1391.
bilité de faire une guerre de partisans, le gouverneur
de Roussillon rechercha les occasions de rendre aux
ennemis le mal qu'il en recevait dans sa province.
L'année suivante, pendant que les Français recom-
mençaient leurs irruptions et qu'une fois, entre
424 LIVRE DEUXIEME,
autres, ils s avançaient jusqu'au pont de la Tet, sous
Perpignan, il envoya contre le château de Rassi-
guières, Raymond d*Àbella, capitaine d'une com-
pagnie cantonnée à Baixas, Arnaud de ServeUon, qui
occupait Rivesaltes , avec la sienne , quelques autres
cavaliers et deux cents arbalétriers ; mais cette expé-
dition ne réussit pas : les Roussillonnais, battus,
éprouvèrent de grandes pertes. Après quelques nou-
velles incursions de part et d autre, le comte d'Âr-
magnac partit enfin pour lltaUe avec ses bandes,
dans l'intention de remettre son beau-frère , Charles
Visconti, en possession de la ville de Milan, dont
Galeazzo Visconti l'avait chassé, et ce départ, qui
eut lieu à la fin de cette année i Sg i , mit fin à ce
système de mutuelles dévastations, et aux hostilités
dont la restitution de la couronne de Majorque était
le prétexte.
On ne sait en quelle année mourut l'infante de Ma-
jorque. Les dernières notions qu'on ait d'elle sont
de i4o3, année où elle toucha encore la pension
(|u'elle avait obtenue du roi de France en indemnité
de la cession de ses droits sur Montpellier. Voici ce
qui s'était passe à cet égard.
En janvier iSgo Charles VJ étant venu à Mont-
pellier, rinfante Isabelle avait réclamé de ce prince
le payement de la somme de quatre-vingt mille écus
qui reslai( nt encore dus sur la vente faite à Philippe
de \ alois par le roi Jayme 11, delà seigneurie do
CHAPITRE DOUZIÈME. 425
Mon^ellier et de ses dépendance». Le oqnseil du
m, consulté sur cette rédamation i ayait répondif
(pi*on n!y pourrait faire droit que lorsque la priur
cesse aurait; accompli sa vingt-cinquième année. Jba?
belle , $*étant ensuite rendue à Paris , prouva qu*après
la mort de son père le château de Pésenas lui ayant
été assigné pour demeure avec une pension de mille
dnq cents livres ide rente » : cette somme ne lui avait
jamais )été comj^tée. Enfin le i3 septembre iSgS il
lui fut accordé, en échange de toutes ses prétentions
sur Montpellier, auxquelles elle déclarait renoncer
formellement, une somme de cinq mille livres une
fois payée , et une pension viagère de mille deux cents
livres, sur les château et châtellenie de Gallaigues et
sur quelques autres domaines de Languedoc^.
Avec cette princesse finit, en droit > Texistence du
royaume de Majorque, qui avait fini en fait depuis
soixante ans : jetons un dernier regard sur sonorga-
nisation intérieure , pour la partie du continent.
L*histoire de dix-huit siècles écoulés de notre ère
ne nous montre aucune monarchie dont la durée ait
été plus courte , et dont cette courte durée ait été tra*
versée par plus de vicissitudes que celle du royaume
de Majorque. À peine institué, ce royaume se voit
menacé dans son existence, et s*il: reste debout sur
ses débiles fondements , c-est pour perdre 50n indé-
pendance. Bientôt une guerre funeste vient de nou-
* Uistùin générale de Languedoc, tom. IV. . . ^
426 LIVRE DEUXIÈME.
veaa comprofnettre cette chancelante couronne. Ce
pays n'est pas encore bien revenu de cette secousse,
que des convulsions plus violentes l'atteignent, et
cette fois ses maux ne lui donnent quelipie relâche
qu'au moment où s'écroule un trône que les sièdes
n'avaient pas consolidé.
Tant qu'exista le royaume de Majorque , les
peuples du continent furent soumis à deux rois i
la fois : ils avaient à reconnaître l'autorité de leur
prince immédiat, et celle des rois d'Aragon, qui, en
leur qualité de suzerains, étendaient sur les deui
comtés les dispositions du plus grand nombre de leurs
ordonnances.
La cour des rois de Majorque avait été très-mo-
deste , et leur entourage très-circonscrit. Leur gou-
vernement se composait de deux lieutenants généraux
ou vice-rois, l'un pour les parties cismarmes, c'est-
à-dire , pour le Roussîllon , la Cerdagne et les autres
domaines continentaux, Tautre pour les parties trans-
marines où îles Baléares. A ces deux officiers appar-
tenait la juridiction suprême, qu'ils n'exerçaient tou-
tefois qu'en l'absence du roi, ou par son exprès
commandement, dans les causes qu'il leur dépai^
tait. Chacun des deux comtés de Roussillon et de
Cerdagne avait en outre , pour l'administrer, un
autre officier royal , sous ce même titre de lieutenant
général .
Lo lieutenant général des parties cismarincs ou
CHAPItftE DOUZIEME. 427
transmarine^ avait le même conseil que le toi lui^
même. Ge ôonseil se composait du chancelier, du
trésorier, des sénateurs , des docteurs en droit , de
plusieurs chevaliers et nobles et des secrétaires
royaux. La formule des commissions que le roi don-
nait pour exercer certaines fonctions était très -simple :
a Qu'un tel remplisse Toffice de conseiller ou de vi-
guier ou de baUli , » ou bien , « Qu'un tel entende les
causes de telle viguerie ou de tel bailliage ^ »
Le roi de Majorque avait deux procureurs royaux,
dont l'institution émanait de don Sanche : ces o£B-
ciers prenaient connaissance de toutes les causes féo-
dales, ou appartenant à son propre domaine. Ils
avaient , poiu* les suppléer, des lieutenants , nommés
en catalan portant veus, dénomination qui s'appliquait
à tous les suppléants des offices de juridiction. Il y
avait aussi des commissaires poiu* l'amortissement,
mais qui n'étaient le plus souvent que des officiers
ordinaires, spécialement députés poiu* amortir la
somme dont l'acte fait mention.
Les officiers attachés à la personne du roi de Ma-
jorque étaient le camerlench ou chambellan et chan-
celier de son sceau secret, le majordome ou grand
maître du palais, des chambellans ordinaires, des
veneurs , des aposentadors ou maréchaux des logis, des
* Bosch, Tiiols de honor, II, a 8, S i . En voici un exemple quant aux
affaires à suivre : Qaod ahbcu Arularam, vocaiis consiUariis consubun,
conferei cam eU» et ordinet. Lib. virid. maj.
428 LIVRE DEUXIÈME.
alguasiUf des huissiers, des famiUars, gens attachés à
la maison du prince sans être domestiques , et d'autres
encore dont le titre et les fonctions sont spécifiés
dans le code des lois palatines, dû à Jayme U.
«■
ÉTAT DES TERRAINS
foi constituent le sol d'alluviom de la plaine de RomsiUon dressé par
M. Booix, fils, professeur de chimie à Perpignan, pendant le son-
dage qui se fit sur la place Royale de cette ville pour rétablissement
d'un puits artésien K
1^ Décombres et fondements de bâtisse i"65*
a** Argile marneuse cellulaire o 4q
3** Marne argileuse avec rognons de marne cal-
caire , blanche , quelquefois dure , souvent
friable • • •* • o 3o
4** Sable fin argileux, presque pas calcariière et
fortement micacé o 65
5** Sable graveleux o i5
6" Sable sans gravier o 6o
7** Gravier et gros cailloux roulés de même na-
ture que ceux qui régnent le long delà Tet. 3 a5
8** Nappe d'eau , niveau des puits des environs.
9** Gravier et cailloux 2 a5
lo*^ Gravier sans gros cailloux o a5
1 1* Gravier fin argileux o 76
1 a** Argile plastique brune o 3o
i3" Idem bleuâtre o 70
i^*" Idem bleuâtre avec sable graveleux o 65
i5^ Idem plastique o 80
16^ /(2?m jaunâtre o 18
^ Ce sondage, commencé le 3 août 1829, fut poussé jusqu'à une
)rofondeur de 4i mètres 43 centimètres, et abandonné ensuite.
/|50 TERRAINS DU ROUSSILLON.
17* Ai^e plastique 3" 75'
18* /f&m ocracée, avec mica. 3 35
19* Mamn calcaire friable ' i £0
3o* Argile sablonacuse grisâtre a 00
91* /(J«m av«c saille rougefttre foncé. 1 60
39* Idtm vcrd&tre 1 00
i3* Saille «rpleut ocrncé 1 3o
9/1° Ciravicr argileux 1 3o
a5' SoWc» 8 55
96" Sable grossier lié par un limon argileux for-
mant pite très-dure , espèce de gré» gros-
«er 5 bo
97' Sable fin verdAtre, argileux o 30
Cessation des travai» par suite de la fréquente
rupture de la sonde causée par l'inexpérience de»
ouvriers.
NOTES ET PREUVES
DE LA PREMIÈRE PARTIE.
NOTES.
NOTE I.
.Sur la voie Domitia dans la traverse du Roussillon.
Dans la petite dissertation que nous publiâmes autrefois
sur la partie de la voie Domitia qui traverse le Roussillon , et
que nous examinions depuis Narbonne jusqu*au Pertus , nous
avions établi que les trois stations dont remplacement inconnu
est un sujet de controverse, c'est-à-dire Vigesimum, G)mbustam
et Centurionem , se trouvaient aux cabanes de la Palme , àTora ,
bourg ruiné en face de Rivesaltes, et à Saint-Martin-de-Fe-
noUar. Cette opinion , vivement critiquée tout récemment *,
nous force de justifier ici le choix de ces trois positions subs-
tituées par nous à celles indiquées par Marca, VVesseling et
Danville. Comme notre critique n*a fait que combattre notre
travail sans proposer un autre système » nous n'avons qu*à nous
occuper de nos propres idées.
Les raisons alléguées contre nous sont que nos calculs des
distances sont engoués , et que le sol sur lequel nous plaçons
Combusta et Centurionem n'a jamais fourni aucune preuve ar-
chéologique.
Nos calculs des distances contiennent des erreurs , nous le
reconnaissons ; mais nous devons dire que de quelque manière
qu*on s'y prenne pour calculer les distances indiquées par les
itinéraires , en comptant le nombre de toises que donnent les
routes tracées sur les meilleures cartes entre les stations dont
• Le PuhUcaieur. journal de Perpignan , numéro du 6 octobre iSSa.
I. a8
I ■
.<
l'Dinpl(tceiuei)l e»l ie mieux conmi , el converl usant i^i»nitc ru
loise» PLI milles romnius, jamais on uo {Miurro nrrivcr à un r«-
Riilut parfaitmneni tatùfaiMnt, noît ptrco que TasBicUe Am
route» moderne* n'mt plus In mfmc que cdio des anneonei'
voie» . le be»oiii do supprimer rwlitioti di^uurs devenus inutil»
par le df^lnccment de» {xipulalions , ou cnUù d'adoucir rerUÏnei
mnnléc» trop urduttii . iiyunt (ttrcà de raccourcir ou d'ollouger as
dltlauce» ; »uil parc« qu'en traçant sur les caries les contours
des roules dans les endroits où la nature du terrain ii parcourir
lex a muitipliif's, ou a indiqué ces roittours snns s'astreindre i
leur iàire exprimer rifrourcusemcnt le nombre de tm»cs qu'il»
doivent représenter. Nom nous sommes convaincu que lenieil-
lenr moyen do parvenir i retrouver sur ip» cartes les nombra»
do milles indiqua par le» itiiiér»ire» , cVtail de mesurer l'intïf
vallc entre deux |Kiints dotiru%, non pnrlccatctil minutieu.i dr*
toises |Miur les réduire ensuite en milles romains, mais (nrr
une fraction de ce mille lui-même. Ainsi , prenant sur l'i^cltfll''
de la carte de Cassini sept cent soixante toises, i^les n la loit'
gueur du mille romain . nous Avons divis* celle long:ueur m
quatre parties , et c'est avec une de ces fractions , re|ir<-scnlsnl
«a qunrl de mille , que nnu^ nvon« parrotini toutes les distanrM
que l'itinéraire d'Antnnin met entre les stations placées depaii
Narbonne jusqu'au Pcrtus. dans la route d'Arles à CasteUon,
Areiale ad Catlatlùnem : cette méthode nous a donné un résultat
beaucoup plus certain que le calcul rigoureux des toises que
nous avions employé la première fois.
En sortant de Narbonne la voie Domitia se rendait ad Vige-
ùmam ( milliariam ) . éloigné de vingt milles. Marca place cette
station aux cabanes de Fitou ; Wesiieling la suppose k Sigcao.
En plaçant la pointe du compas ouvert à un quart de mille ro-
main , sur le point de la carte de Cassini où la route qui mène k
Montredon s'embranche avec celle qui conduit en Espagne,
nous venons en soixante-dix -neuf enjambées, faisant dis-neuf
:«..>.jiiaiA
DE LA PHEMIEHK PARTIE. ^35
milles trois quarls sur la rive droite d*uii ruisseau qui passe au-
dessous des cabanes de la Palme : c*e8t là que nous croyons
devoir placer ce vingtième milliaire.
Du Vigesimum à G)mbustam Titinéraire compte quatorze
milles. Marca et Wesseling placent cette station à Rivesaltes ;
nous pensons , nous , qu^elle a dû se trouver sur la rive gauche
de la Gly, à Tora , bourg aujourd'hui anéanti , et qui existait
encore au xv* siècle. L'intervalle qui sépare de ce lieu les ca-
banes de la Palme est de soixante-huit fractions de mille ou
dix-sept milles entiers , ce qui donne trois milles de plus que
Tindication de Titincraire. Ici on est forcé de reconnaître une
erreur dans l'expression de cette distance de l'itinéraire , puis-
que la route depuis le Vigesimum étant resserrée entre l'étang
de Leucate et les montagnes des G>rbières , elle n'a jamais pu
varier au point d'offrir une différence de deux mille deux cenl
quatre-vingts toises.
Le lieu de Tora où nous plaçons Combusta nous paraît être
le seul qui réunisse toutes les conditions qui peuvent déter-
miner les antiquaires : existence immémoriale du lieu et con-
cordance parfaite de toutes les autres parties de l'itinéraire à
partir de ce point. Tora , ruiné d'abord en grande partie par
une violente inondation delaGly en i33a, fut sur le point d'èli*e
abandonné par ses habitants : l'abbé de Fontfroide, seigneur
du lieu, et le roi de Majorque empêchèrent cette désertion.
Tora était encore un bourg considérable en 1875 , puisque par
ordonnance du 6 octobre de cette année le viguier de Roussillon
faisait notiûer aux deux consuls qui en régissaient les habi-
tants d'avoir, de concert avec les deux consuls de Rivesaltes , à
faire réparer le pont de la Gly dans la semaine *. Puisque cette
commune avait deux consuls comme Rivesaltes, Timportance
de ces deux lievix était la même. Mais la population de Tora
avait disparu en i56i, puisque le j 5 octobre Noquorol de Pei-
* Tiihle RigaudÏHe. fol. 1 7. de la Taaia deU «stH$ de /a rori Jel f.
28.
U5Ù NOTES
restortes en acquit la propriété à titre de fiel', et que Tacte dit
que le château et la ville sont totalement ruinés et abattus:
c*est donc évidemment dans le cours de la guerre de Loub XI
que ces derniers restes de l'ancienne Mansio ont été effacés.
On a objecté contre notre opinion qu'en aucun temps le soi
de Tora n'avait offert de vestiges d'antiquité. Grâce au lèle
éclairé de M. J. Parés de Rivesaltes pour les recherches d'in-
térêt public de toute espèce , ce sol muet a parlé , et son témoi-
gnage ne laisse plus matière a aucune objection raisonnable :
d'anciennes substructions , dédaignées jusqu'à ce jour, entêté
reconnues pour romaines , des médailles soit de la colonie de
Nîmes, soit de F'austine, ont été exhumées, et on a découvert
plusieurs tombeaux et des ossuaires de différentes grandeurs'
Mais ce nom môme de Tora n'est-il pas aussi une antiquité?
Loin de croire qu'il ait succédé à celui de G)mbusta, nous
sommes persuadé qu'il lui est antérieur et qu'il s'est encore
maintenu aprî's lui. M. P. Puiggari a constaté la racine phéni-
cienne de plusieurs noms de lieux existants dans le Roussillon ;
nous ne croyons pas qu'il ait parlé de celui de Tora dont la ra-
cine tor se retrouve dans une foule de noms de villes, tant en
Orient qu'en Occident, et qui en hébreu comme en chaldéen.
en arni)c cl dans le irrer ropiç, exprime un lien circonscrit : am
hitus mûri , seplnni {Lc.vic. hcptiKjL). Quant an mol Combusla il
pourrait bien venir de la combustion (\vs landes on garigiiesqiii
encombraient I endroit ou les Romains fondèrent leur mansio.
Iiois de l'enceinle de Fora*', et ce qui nous le fait penser cesl
quOn donne encore aujourd liui a celle manière de défriche-
ment le nom de (vcmadit . cpii esl la Iradudion de (À>mbusta.
D.in^ lin \.isr 'Ml il lioinr iinf rapsnlo dr icrrc , «lo la forinr cl de la grandeur i'ant
lin ufl'', roiilVrmanl lr> oi^clllCllt^ d un folus. Dau» un aniic (or:>liri}ti on a trouvé un MiM-
lotir (Ir li.nitr ^^aluro . dont t(ius le» o« riaient pnrf.«i)pnw'iit en pLrc, à IVicoption de U tflf .
(jiii s«- IrmiviMt .inpli<|in<» nur la rolonne xertébi .dt' , prcme que liodividn avait été detamif.
rii'- anciiMinf r^^li^o provrnant des bien"» de» templier»». a«lo\«ée à une métairie, porl«
• 11- m le nom dViîlise dn ma» de la (inrigite.
DE LA PREMIÈRE PARTIE. ^37
De cette station de Ck)inbusta à Ruscino ritinéraire compte
six milles. En faisant parcourir à la fraction du mille romain
l'espace qui sépare remplacement de Tora (à l'extrémité du
coude que fait la route qui du mas de la Garigue va à Rive-
salles, point où ont été trouvés les tombeaux romains, à environ
huit cent cinquante toises à Touest de la chapelle de Saint-
Martin , bâtie sur remplacement du château de Tora) de celui
de Ruscino , en traversant la Gly à gué ou en bac et passant
par les villages de Pia (Appia), et de Bon pas où des médailles
romaines ont été découvertes , on trouve juste ces six milles.
De Ruscino on allait auCenturionem : distance , vingt milles.
En partant de cette ville , capitale du pays des Sordones , la
voie romaine devait se porter à Elne par Cabestang , Salleles ,
Theza et G)rnella ; et d'Elne au Centurionem par OrtafiTa , BruUa,
et le Boulou. Là, traversant le Tech à gué ou en bac, elle se
rendait au Centurionem , que nous croyons avoir dû être vers
lendroit où se trouve la chapelle de Saint-Martin de FenoUar.
Entre ces deux points, notre compas nous donne de quatre-
viogt-une à quatre-vingt-deux enjambées ; ce qui fait bien les
vingt milles de Tilinéraire d'Antonin , plus une fraction qui
peut être facilement absorbée par quelques contours, dans
cette longue étendue de chemin.
Saint-Martin n*est qu'une cha{)e]le entourée de quelques
métairies, mais elle a été paroisse d'une commune, sous ce nom
de Saint-Martin, qui, depuis quelques années seulement, a été
réunie à celle de Maurellas, éloignée d'environ mille toises. Ce
titre de paroisse et de commune atteste que ce lieu a joui d'une
certaine importance , à une époque quelconque. Jamais on n'y
a trouvé , il est vrai , du moins à notre connaissance , de mé-
dailles romaines; mais à Tora aussi on n'en avait encore trouvé
aucune il y a une dizaine d'années , et nous ne sachons pas qu'on
en ait trouvé également au Boulou, quoique l'identité de ce
lieu avec l'antique Stabulum ne soit mise en doute par per-
438 NOTES
sonne. Ce qu'il y a de certain , c*est que sur le coteau au bas
duquel s'élève la chapelle de Saint-Martin de Fenollar, à ren-
drait qui est aujourcVliui couvert de chénes-liéges , il a exis^
des maisons dont nous avons parfaitement reconnu les rester à
ras de terre , au milieu des pierres sans nombre qui recouvre^Dj
ce sol y maisons qui ont du disparaître depuis bien des sièd^s
puisque des chênes ont pu s'y établir. A la métairie qui est
adossée à Téglise , nous avons cru reconnaître certaines partie»
de bâtisses romaines , avec des portes à plein cintre , parties sur
lesquelles on a reconstruit plus tard une voûte à tiers-point.
Derrière cette métairie on découvrait aussi , il y a une vingtaine
d'annc^s, des restes de canaux assez larges et profonds, coiu-
truits en pierre de taille , et qui ne peuvent se rattacher à aucun
usage d'exploitation rurale. Un jour peut-être, d'autres décou-
vertes viendront, comme à Tora, attester d'une manière moins
équivoque que là était réellement le poste du Centurion.
La seconde roule décrite par l'itinéraire d*Antonin, cdlede
Vapincum ad Gaîleciam , diffère essentiellement de la première;
ce ne sont plus les mêmes gîtes ni les mêmes distances : au lieu
du Vigesimum, de Combusta, de Ruscino, du Centurionem,
r'est Salsnlis, Slahuhim; au lieu de soixante-cinq milles à par-
courir (le Narlxunie au IVrliis , c'est quatre- vingt -qualone
uiilies. KvidenHnent cette derni^Te roule était tracée difTérem-
uient que 1 autre. Celle d'Arles à (]aslellon su[)pose toutes les
rivières j^uéables ou Iraversahles en bac, suivant la ligne la
|)lus courte ; la seconde les suppose débordées, ou trop pleines
tleau (»our cire traversées autrement que sur des ponts. Mêla
nous (lit de (es r'i\ ivrv», pnrra flumhia, ubi crcvere p€rsœva,el,
en ellet , à la moindre crue , nous les voyons se changer en tor-
icnts (lani^ereux ; il fallait donc prévoir ce cas, et établir une
seconde loute praticable dans ces circonstances : c'est ce qu'a
N aient lait les IU>mains. ^
La |»l;une du IU)ussillon, Ires-basse a mesure quelle s ap
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 439
proche de la mer, est souvent inondée, et les routes qui tra-
versent celte partie basse, qu*on appelle Salanque, demeurent
impraticables pendant un temps plus ou moins long. Ces diffi-
cultés s'opposaient à la fondation des ponts sur la ligne la plus
courte , celle de la première route dont nous venons de parier.
On chercha donc , pour la nouvelle route , des points moins ex-
posés aux suites fâcheuses des débordements : pour le passage
de la Gly, ce point fut fixé à un millier de toises au-dessus
de Tora, en un endroit où les berges, aujourd'hui presque
aplanies par Tëxhaussement du lit du torrent, se trouvaient
alors plus élevées , ad ripas altos : de là le nom de Rivesaltes
donné au village qui s'établit sur la rive droite de la Gly, à
Tissue de ce pont. Il n est pas inutile de remarquer que ce
même nom de ripas altos, Rivesaltes , est donné à Tendroit où se
trouvent les restes du pont romain du Tech. Des traces du poot
romain de la Gly se font reconnaître encore au pied de quelques
unes des culées actuelles , sous les nombreuses réparations qu'a
reçues ce monument à toutes les époques.
De la Gly la route se dirigeait vers la Tet, en passant par le
Vemet où des médailles romaines ont été trouvées. Cette direc-
tion nous mène au pont actuel , dit de la Pierre, sous Perpignan;
elle nous porte à en déduire que ce pont actuel a remplacé le
pont romain. Cette idée n*est pas nouvelle et a été fort com-
battue ; il est certain pourtant qu'un pont a existé sur la Tet du
temps des Romains , et , cela avéré , il n*a pu être qu'en cet en-
droit. Le pont actuel existait en 1 1 96, époque à laquelle Per-
pignan n'était qu'un petit bourg : ce c'est pas pour lui qu'on
dut faire l'énorme dépense d'un pont en pierre de sept arches ;
il n'y a qu'un intérêt général, comme celui d'une grande
route, qui ait pu la motiver : c'est donc le pont romain qui a
été réparé et remplacé successivement à mesure de sa destruc,
tion. Nous en disons autant du pont jeté sur le ruisseau delà
Basse, ruisseau qui grossit souvent d'une manière formidable ;
et i)u'oti u loujuur» dû traverseï' sur un pont. A ciiHi cciib
(Dises ilii |M)iil (le la Tel, et un peu uu^dessus de» moulins clet
Qualre-Gisals . u» voit des restes de cult^ qui doivunl appar-
(eiiir H ce poul. dont l'ori^iac remoiile sans doute aux Ro-
jrnuns . et qui . comaw celui de la Tel . n èlé restaura de sîcde
en siècle Jusqu'au moment où nii le n-mplai;a par rdui qu'on
appelle Poul-Kouf^ *.
Du pont de In Basse la roule so diri^ail vers le poul du
Toclt. en passant probablement par VilUGodorum. TulujUi
Canolien, Ponlrlln <?t Trullas, afin de traverser le Re^rl pnx
d« »û snun-<-; df la elle venait rejnindre U roule d'Uliberii i
Stabutiim. par Tressere, tous lieux connus de luntiquité. Dt
Saitttliv ad Stttbiilarn, par riliitî-raire que nous traças, la dis-
tance est d'environ trente-neuf mîUcs romains , nu lieu de qot-
nuitc4iuil romme l'initique l'ïlioémire d'Antoiiin ; il y a donc
évtdcmmcnl ici un dix île trop, La loo^eur que nous faisoni
parcourir à cette mute nous semble la plus grande qu'on
puisse lui sllribuer. et |>our trouver ces dix milles de [4us. H
faudrait lui taire faiiv d'iiiulilos cîreuits à travers faute cetts
partie de k plaine du Koussillon.
Hc .Stnbninm retlc m^-mc route «r ivndnil nu puni du Ti-4:li.
dont partie d<^s culées subsiste encore à une centaine de
toises en amont du pont moderne de Ceret. De la elle devait
aller joindre la montée de la Guse et se rendre au Pertus par
Locertelnm et Maurdlas : distance, seize milles. En faisant
parcourir au compas la longueur de roule que nous signalons,
nous trouvons ijoixante-trois à soixante-quatre enjambées, qui
font bien les seiie milles indiqués ".
Hdu|> >tDi I'. rf opWi. U larpiir i* êtt nUtt iUit U mtm i|»> uB> Ja nlin in p«t
•*
DE LA PREMIERE PARTIE. 441
NOTE IL
Sar la position des trophées de Pomj)èe.
L*emplacement des trophées de Pompée n*est pas connu , et
leur position a été fort controversée par les écrivains. Les uns
ont cru que certains gros anneaux de fer qu*on trouve sur
quelques unes des montagnes qui bordent la Catalogne, et
dont nous aurons occasion de parier, servaient à les fixer;
d'autres ont voulu voir ce monument dans cette suite de tours
qui couronnent les crêtes des montagnes , d'autres enfm dans
]a ville même de Pampelune , et Lamartinière en fait une ville
maritime de la Tarraconnaise. Nous ne pensons pas qu'il y ait
lieu à réfuter des systèmes qui ne peuvent pas se soutenir, mais
nous dirons un mot de celui du savant Pierre de Marca , qui
place ces trophées sur la montagne de la Cluse ou TEcluse; à
l'endroit même où , dans le moyen âge, on éleva des forticalions
pour la défense du passage du Summum Pyrenaeum.
Les trophées de Pompée étaient au haut d'une montagne.
Salluste dit : Devictis Hispanis, trophœa in Pyrenœi jugis cons-
truxit. Us étaient dans une position à être aper(^nis des terres
des Gaules et de celles d'Espagne, et, suivant Strabon, ils se
trouvaient près de la roule qui conduit en Ibérie, à l'extrémité
des terres des Emix)ritains. Admettre que ce monument existait
à la Cluse , ainsi que le dit Marca , ce serait admettre égale-
ment que les Emporitains s'étendaient jusque-là, et que le
ncnîre d'Anlooin qni »e rendait d'Arles à Castulon. Suivant ce littérateur, cette voie lon-
geait la mer, et passait entrr l'étang de Salses et le rivage; et les stations étaient Combusta
aa Toisinage de Sain t-Laurenl-de-la-Salan que, Centurionem au hameau de Lavall, dans la
«a(l^ de Sorèdc , et Sno^mum Pyrencum au col de la Garbessera par lequel la route par le col
ém la Maisane débouche en Espagne. Cette opinion , toute nouvelle , peut se défendre &ciiemeiftt
dans le sens pour ou contre. Quoique nous ne soyons nullement convaincu par les raisons
qa« donne notre érudit adversaire, et que nous persistions dans notre sentiment avec plus
de fisTce encore depuis que le sol de Tora a montré tant de preuves de l'habitation des Romains
sar ce point, nous n'en sommes pas moins empressé de rendre au travail de M. de Sainl-Malo
toute la justice qai lui est due.
kkl NOTES
passage (lu Sumiiuini PYrenaeiim était en Elspagiie, et non aux
limites des deux contrées, ce qui serait opposé à tous les té-
moignages historiques. Cest donc plus près de ce passage qu" il
faut chercher la place de ces trophées , et le savant auteur c^e
rhistoire générale de Languedoc avait déjà reconnu quec*^st
la colline de Bellegarde qui les supportait. Cette colline s*élf&\e
sur le point culminant de la traversée des Pyrénées; elle se d^
tache de toutes les autres , et domine deux passages : c*esL un
pain de sucre que la nature semblait avoir destiné à Tusage tjue
voulait en faire le vainqueur de TEspagne. Sur la cime de cette
colline ainsi isolée, et qu*on voyait se dessiner sur un cîe/
presque toujours pur, tant du côté de TEspagne que du côté de
la France , s*éleva la tour qui constituait les trophées de Pom-
pée. Le mémoire de Vauban relatif à la construction du fort de
Bellegarde , qui a remplacé ce monument, le représente, à son
époque , comme « un carré long dont les deux grands côtés coo-
• tenaient chacun dix-huit toises de longueur, et les deux autres
«treize toises chacun, hors d'œuvre. Sa hauteur était de dii
« toises et l'épaisseur des murs , de quatre pieds *. »
On ne saurait dire si , à Tépoquc de la décadence de Tempire,
les Bomains n'avaient pas transformé eux-mêmes cette tour
monumentale on une loin' de drfense; ce qu'il y a de certain,
c est (|u'elle était déjà telle sous les rois i^ollis : ils en a\aienl
fait im |)osle uulitaire assez important, et ils avaient ajouté, à
l'an^^le orientalde la tour principale, une seconde tour plus
petite, niais [)lus clevco. L entrée de re poste était gaixléc par
un petit ouvrap^ecpii en couvrait la porte, et l'on avait pratiqué
a sa base un clienn'n de ronde avec un parapet d'un pied et
deuii d'épaisseur. Ces tours, à ce qu'il |)araît, i*estèrent dans
ce même étal, ou du moins avec peu de cha.ij^ement, pendaul
toute la durée de la monaicliie (rAra<;on. Devenus maîtres du
[>a\> [)ar le traite des PvnMU'es . les Krançais les maintinrent
DK LA PREMIÈRE PARTIE. 443
dans le même état, mais les Espagnols qui s'en emparèrent
quinze ans après y tirent quelques augmentations; enfin elles
disparurent après la paix de Nimègue. Ce poste étant reconnu
trop faible, à raison de son importance conmie clef de la France
dans cette partie, Louis XIV envoya Vauban sur les lieux, pour
arrêter ce qu'il y avait à faire dans rintérét de la sûreté de la
frontière , et ce célèbre ingénieur en proposa la démolition pour
construire, à la place, la fortification régulière qui B*y voit au-
jourd*hui. Le sol sur lequel s'^evait la tour fut aplani et
abaissé de dix toises , pour rétablissement de la place d'armes :
ainsi disparurent jusqu'aux derniers vestiges les trophées de
Pompée.
Sur la foi de Pline, tous ceux qui ont padéde ces trophées,
Marca et Vaissette eux-mêmes, ont pensé qu*on y voyait
l'image de ce Romain : nous n'hésitons pas à dire que c'est une
erreur. Nonne illa similior tut, imago, quam Pyrenœi jatjis impo-
snisti ? voilà ce que dit l'historien naturaliste. Mais à quel
propos s'exprime- 1- il ainsi? c'est en parlant du troisième
triomphe de Pompée , dans lequel le vainqueur de Mithridate
avait fait porter fastucusement son portrait entouré de pierres
précieuses ; c'est en lui reprochant cette vanité puérile , indigne
d'un grand homme. N'est-il pas bien évident alors qu'il n'est
point du tout question ici d'une représentation de Pompée
placée sur cette tour, mais de la tour elle-même avec les tro-
phées qui s'y trouvaient gravés et l'inscription qui annonçait
sommairement les hauts faits du héros? C'est une figure ora-
toire , grande , noble , sublime ; une métonymie par laquelle il
compare le monument et les glorieux souvenirs qu'il consacre
à cette peinture périssable qu'un méprisable orgueil porte le
même vainqueur à faire paraître dans la pompe de son triom-
phe. Quelle pitoyable comparaison n'eût-ce pas été que celle
d*une image , soit statue , soit buste , soit médaillon , on ne con*
çoît pas trop lequel , posée , on ne sait trop comment , sur cette
tilik NOTES
tour avec celle qu'on promenait dans les mes de Rome! Qui
aurait pu ju^i^er d'ailleurs de la ressemblance ?
Après sa campa^pie d'Espagne, César, repassant les Pyrénées
par le RoussiUon , voulut aussi élever un monument en face de
celui du rival qu'il voulait poursuivre de toutes les manières.
Non moins orgueilleux, mais plus adroit, il sut cacher sa va-
nité sous le manteau de la religion : au lieu de dresser des
trophées comme son adversaire , il éleva sur un sommet voisin
une grande masse de pierres taillées régulièrement et bien
polies , à laquelle il donna le nom d autel.
L'emplacement de cette construction n'étant indiqué d'une
manière précise par aucun historien ancien , il devient très-dif-
iicile de découvrir en quel lieu elle a pu se trouver. Dion assure
que ce fut non loin des trophées de Pompée que César éleva son
autel ; il est probable qu'il dut choisir pour cela une hauteur en
présence du monument auquel le sien devait insulter; nous
pensons que sous ce rapport aucun lieu ne lui convenait mieux
que la montagne de la haute Cluse , qui n'est séparée de Belle-
garde que par le vallon du Pertus , et où se voient des restes
de substructions romaines et gothes. L'autel de César qui,
massif et sans creux comme le fait entendre Dion, ne pouvait
pas, ainsi (jiie la tour dv l\)in|)ce, c'ire coincrli en ibiiiiication ,
fui sans (loiilc dénioli à Irpoquc* ou , le |)assaj^e des Pvrcnees
devant être numi de (bateaux forts, on l)àtil en cet endroit
l'une (les drux clausuirs i]\\\ en gardaient le (lefdc'.
NOTJL 111.
Surir Irouhiidour (iudUuimr dr (lahrsUtintj .
l)e|)uis (^ue Ihistoire de Koussillon est coni|)osee , quelques
nouvelles (kromertes laites parmi les débris des ancieimes ar-
rhi\es (lu houssilion ont j>ort(' 1 un de^ hommes de lettres les
|)lus di>lin|;ue> du |mn> . M f^iei re Pui^j^aii , à mettre au ran^
DE LA PREMIERE PARTIE. kUb
des fables la fin tragique du troubadour Guillaume de Cabes-
taing ou plutôt de Cabestanh *. Dans un des numéros du Publi-
cateur, journal littéraire de Perpignan , ce critique dit qu*un
acte de vente de divers droits seigneuriaux en faveur des tem-
pliers, consenti solidairement par Raymond de Castel-Rous-
sillon , Saurimonde sa femme , et Raymond leur fds , sous la
date du 1 7 des calendes de juin 1 3o5 , « est une preuve irréfira-
« gable que ces deux époux jouissaient encore de la vie et de
« leur domaine neuf ans après la mort d'Alphonse , roi d*A-
a ragon. » Le fait est incontestable ; mais faut-il en conclure avec
M. Puiggari que l'aventure de Guillaume « doit être réléguée
« au rang des contes des jongleurs ? » Dans l'annuaire de Per-
pignan pour i834 ce littérateur, revenant sur le même sujet,
ajoute: «Un titre de l'an laio nous apprend encore que Sau-
« rimonde était vivante, mais veuve à cette date (Arch. da dont.
«liasses n° ^^9)- D'un autre côté les historiens espagnols
« comptent Guillaume de Cabestanh au nombre des chevaliers
* Ijt CançomTdt ohrax enamoradai que va publier iocnssamment M. J. Tastu, competriote
de ce troubedour, contient un poème de lo^a vers de F. Rocaberti, intitule Ut Gloria
Xamer. L'auteur a traité aon sujet dans la manière des comédies de Dante : les ombres des
amanis beureux et malheureux , inconstants ou fidiles lui apparaissent aussi. Dans la Se^na
atmtfiia on trouve une sorte de dialogue commençant ainsi :
Passât, io viu Guiilem de Cap ettanjr.
Viansb ell, o Psris lo segon ;
Isol d'sprès • sb lo noble Tristany
Tots arreglats ab forma de cos ait :
Cascu cantant per divcrça lagria
Ab délit gran , sens enuig e desait.
Vent lur délit comcnsi dir en mi :
Quant boll délit, e quant bell pensament
Porten aquells tant deLlabla fil
lo piedors, cuytat los fui mirar;
E dells après viu , ab trista stmblança
Ser Capeslany, lo primer en cantar.
VoiU sans doute l'antique manière d'écrire ce nom que plus tard les Catalans ont écrit
CalÊStaaj. ayant changé cap. du caput latin, en eah , dont los modernes Castillans ont bit
tahexa. En tout cas le village de Cabeslany est situé en Ronaaillon contre l'étang de Saint-
Ifaunrr , qu'il semble dominer.
kUù NOTES
« roussillonnaisqui combattireDt à U célèbre bataille de las navas
• de Tokua en ma.»
La mort tragique de Guillaume n^est pas une liction. Dn
troubadour de ce nom a existé , et plusieurs de ses poésies sont
venues jusqu'à nous : les noms de Raymond de Castel-Rous-
sillon . donné à son meurtrier, et de Sauriroonde , donné à la
dame de ses pensées, se trouvent dans les actes du temps, et
ce n*est pas sur des personnages aussi connus et d*une telle
c^ébrité qu*un vil jongleur se serait permis de forger une his-
toire si déplorable pour les uns , si atroce pour Tautre. Un autre
chevalier troubadour, Raymond de Miraval , qui raconte toutes
les circonstances de cette horrible aventure ne peut pas être
flétri du titre de jongleur, titre qu*une charte de Tan 1191 as-
simile d^à à celui de voleur (Ducange, au motjoca^ator). Ce
troubadour était en relations avec le roi d'Aragon , Pèdre II , qui
devait reprendre pour lui , sur les croisés contre le comte de
Toulouse, le château de Miraval dont il était co-seigneur. Ce
Raymond mourut en 1218: il avait donc été contemporain de
Guillaume, et, puisqu'il était du Carcassèz, la tragédie dont il
rend compte s*était presque passée sous ses yeux. La seule er-
reur qu*il y ait à reprendre dans le fond de Taventure , d*aprcs
les deux biographies citées par M. Raynouard , dans son choix
des poésies des troubadours , c'est qu'au lieu d'Alphonse II il
faut lire Pèdre H, successeur du premier, et troubadour cou-
ronné aussi bien que son père. Raymond de Miraval donne , il
est xTai, au meurtner de Guillaume, le nom de Castel au lieu
de celui de Castel-Roussillon : d*où vient cette dilTérence P c'est
ce que nous n'avons aucun moyen d'expliquer; mais cette diffé-
rence de nom ne détruit pas le fait. Ce n'est pas le hasard qui
a pu réunir dans nos parchemins, à l'époque à laquelle on
place cet événement, les noms de Raymond de Castel-Roussillon,
de Saurimonde sa femme, et de Guillaume de Cabestanh, donnés
par les biographes aux acteur et victimes de la catastrophe.
DE LA PREMIERE PARTIE. 447
Il es'l doiic bien avéré que le meurtre de Guillaume n*a pas
eu lieu sous le règne d'Alphonse II, mais bien sous celui de
Pèdre II, son iils. Quant à Vacte duquel il consterait que
âaurimonde était veuve en 1210, M. Puiggari s*est trompé en
oroyant à Tidentitc de la Saurimonde dont il s'agit dans cette
pièce avec la Saurimonde , châtelaine de Castel-Roussillon ; il
n'existe entre ces deux femmes aucune espèce de rapports. Cette
pièce commence ainsi : Notum sit cunctis quod ego , Pondus de
Vemeto, — dono et kuido , Jirmùerque concedo alque in prœsenti
trado adfeuodam, iibi Saurimundœ, Jiliœ dominœ Mariœ de Pe-
tralata, et tuis, omnique tuœ posteritati , etc. Ce nom de Sauri-
monde ne se trouve plus qu'à la lin de cette même pièce , et
egfo prœnominala Saurimunda, recipiopro te, domino meo, Poncio
de Vemeto, dictum honorem infeuodam, etc. U n*est donc nulle-
ment question ici de la dame de Castel-Roussillon , moins en-
core de son prétendu veuvage , et M. Puiggari a été trompé par
Thomonymie ; mais le nom de Saurimonde était aussi commun
à cette époque que celui d*Ermengarde , d'Ek'messende , de
Guisla, et autres dont fourmillent les actes du temps. Et d'ail-
leurs la veuve de l'un des plus puissants seigneurs du Rous-
sillon se serait-elle constituée vassale d'un autre seigneur? En
effet, Saurimonde promet à Pons du Vernet, son seigneur,
domino meo, pour elle et pour sa postérité, d'être toujours, tiln
et tuis, boni komines et fidèles ac légales in omnibus et per omnia.
Nostradamus place la mort de Guillaume vers l'an 1 2 1 3 :
cette date doit être la vraie : ce serait alors au retour de la cam
pagne de las navas de Tolosa que ce poète serait tombé dans le
guel-apens que lui tendit le vieux Raymond. Celui-ci devail
avoir alors au moins soixante ans , en ne lui en supposant que
vingt quand il souscrivit en 1 1 78 le traité de paix et trêve im-
posé par Alphonse aux seigneurs roiissillonnais. Le soin que lui
et sa femme prennent de faire inter>'enir leur fils dans l'acte de
i2io5 prouve que ce dernier était déjà homme à cette époque.
titiS NOTES
Saurimonde devait bien approcher alors de la quarantaine ^|
eOe ne la dépassait pas. Cétait, comme on voit, de la part ^y
baron une bien vieille jalousie , et de la part du troubadour ^^^ne
bien ancienne passion.
NOTE IV.
Sur quelques écrivains roussiUonnais.
Notre ambition aurait vie de donner ici une note exacte de
tous les écrivains qu*a produits le Roussillon jusqu'au zix' siècle;
mais dans l'impossibilité de remplir cette tâche , nous devons
nous borner à signaler ceux dont le nom est parvenu à notre
connaissance. Uignorance où nous sommes de Tépoque précise
où florissaient quelques uns de ces écrivains nous force d'a-
dopter, pour cette nomenclature. Tordre alphabétique. Pour
ce qui est du titre des différents ouvrages que chacun d'eu a
pu produire nous renvoyons à la France littéraire.
Amanrich (Cyr ) de Pia , mort en 1 728 , a publié divers ou-
vrages de médecine.
Arng (Nicolas), de Perpignan, recteur de T université de
cette ville en i663 : divers ouvrages de théologie.
AKii'STiN (Micliel), prieur du tem|)le à Perpignan, publia
en catalan un livre d a<^^ricullure iii folio, 161 7, qui fut traduit
en ( aslillan en iG'.WJ, el qu'on desij^nait en Catalogne parle
nom de Livre du Prieur.
Baldo ( Louis). On le croit Houssillonnais parce qu'il aécril
sur le houssillon el la (AMHla<^ne.
IUkkkha ( Pierre), de Per[)ij?nan , uiorl en 1 ^55 : entre autres
ouvrajies de médecine et d'histoire naturelle, Ornithologiœ spé-
cimen novnni , .sivc séries aviuru in ïluicinone , ete. Perpinianis. U
Comte, 17/16, petit in-V-
IVviuu.HA , de Prades , a écrit sur les épidémies elsiirlato-
pogra|)lHe de Mnntlouis.
DE LA PREMIERK PARTIE. 449
iN-DE-BoiSMORTiER (M"* Suzanne), de Perpignan, a publié
nans moraux et une correspondance épistolaire, 1760.
PUS (Manahem), juif de Perpignan, est auteur d*une
de manuel lexique intitulé Michâl-josi (perfection de
). Le texte hébreu a paru à Salonique en 1667. Ann. des
es-Orientales.
:u (André), de Perpignan , est connu par ses recherches
s titres d'honneur de la Gitalogne et du Roussillon,
QH (Joseph), de Perpignan, a écrit sur la valeur des
» monnaies de Catalogne , 1771*
fiL (Michel-Jean-Joseph), né à Baixas en l'jà^, mort à
;n 1829, Tun des derniers religieux des bénédictins de
^gation de Saint-Maur et des plus infatigables écrivains
ordre célèbre. Outre divers petits écrits sur difiTérents
d'histoire et de nombreux articles insérés dans les me-
\ de rinstitut , il a composé les volumes XII à XVIQ de
lection des historiens de France, et préparé et mis en
les matériaux du XIX' dont il n'a pas vu terminer l'édition,
volumes XIII à XVI de l'Histoire littéraire de France.
I AN VAS (Pierre), de Villefranche : commentaires sur
n.
iRERA (François), de Perpignan, mort en iGgS, a écrit
médecine militaire et contre l'astrologie.
iRERA (Joseph), fils du précédent, mort en 1787 : divers
^es de médecine.
IRERA (Thomas), fds du précédent, né en 1714, a écrit
sur les différentes branches de la médecine et sur les
minérales du Roussillon. Rival de Pierre Barrera, son
itriote , leur controverse n'a pas toujours été exempte d'ai-
et d'animosité. Cependant Barrera , ayant été attaqué par
onyme sur l'opinion qu'il avait émise, que la médecine
it arriver à la connaissance des maladies par l'autopsie
29
450 \OTKS
île* cadavres , ift . w tnmvaol eii ce iiHiment Iriit-iiitilnilL- , Citr-
pwa M chargen de iia défense qui fut vielorîeusc.
Cahhiiia (Josepii-liartiiétem)'). (ils de ce dernier, a i-ouune
son père publi<'- un trrs-irrnnd nombre d'ogniicul^s »ui lenUf-
fércnti?» parties de la mMccine. On lui attribue nuMi dtt n>-
man», des piérc» de tliéiitre. des pw^sicn ol larticl* do Rmrn-
«lion dans lo Vojage piltorf^Hjue do la France,
Coma (JnM|ih|, de Perpignan, recteur de runivenili^ di
retlo viUe en 1617. a laissé un manuscrit un peu diffus , mAii
|dein de reckerclie» importantes sur les églises d'Elni^ vl <ie
Saint-Jean du ferpi^^nnu.
Couine (Frnurois), nntnire a lilr: avait i*cri( sur la );«gf!n
phie du Bnussillnn et de la T^rda^r.. [Maniueril.)
CoMPTKH-De-SAf.Aitiiir.i ( sunyora Uabd ). retipeiiHi rn»e<
gnante. cbuniiinesse de Suint- Au^isltn , an ruuvenl tU' Stini-
Sanveur de Perpignan : connue par une pti>cr do omt witmil^
dû-neuf ven catalans, inliltilée Liw a naîtra mroni ^^
Camt ; elle vivait en 1 1')^ 5 . M . Tastu se pro|Hue de faire ron
naîtra cette muie oubliée rnmme tant d'autres qui ont illuitn'
le Parnasse rataian. ,
CosTK (Louin). de Pi'qtij^nii , a rimlinvers'^ nvec JoMfli
Barthélémy Carrera quelques questions anatoniiques, 1771-
Cnos (Jérôme J. chinii^en de Perpignan , a laissé un nu-
nuscrit ou journal de ce qui s'est passé de plus important, i"
l'ao i5g7 à l'an 1637. Nous avons fait usage de ses notes.
Delpas (Ange), de Perpignan, mort en 1&96 el bMifiè:
dilTérents ouvrages de théok^e.
DescAUPS (Antoine-Ignace), de Perpignan; reçu jteuile a
i63o. Il a écrit sur la congrégation de Notre-Dame iM 5k^
et la vie de Soarès. Perpignan, 1671 et 1673.
EsTHiïGOs et non Estubgos (Ira Joseph -Élîes). prédicateur (t
supérieur du couvent des Cannes de Perpignan : difiënnttoo-
vrages a!irétiques, parmi lesquels Ftnix caiala toi }An M i»-
DE LA PREMIERE PARTIE. 451
ar privilegi tfavors , y gracias de N. S. del Carme, in-8*. Perpi
m, Estève Bartau , an i6il5.
PossA (François), de Perpignan, a écrit sur le droit public
Catalogne et a puldié en 1 777 un mémoire plein de savantes
herches sur la condition des ciloyens honorés de Catalogne
le Roossillon. On lui doit aussi les mémoires sur les comtes
Roussillon, de Cerdagne, de Besalu et d*Ampunas insérés^
is TArt de véri&er les dales.
Cjelabert (Jean), chirurgien de Perpignan > a fait avec deux
9e» compatriotes des corrections au traité de chirurgie de
trre d^Ai^[iiata. Cet ouvrage eat un des premiers livres im-
més à Perpignan en i5io.
Gelabert (Melchior), de Rîvesaltes, mort en 1767 : ou-
ige» de théologie.
GiGENTA (NRchel), vicaire général d'Elne, a écrit sur la cha-
é, 1587.
GiSPEAT-DuLCAT , Conseiller au conseil souverain du Rous-
Ion : Observations sur le traité du 1 7 des calendes d'août ia58,
naidéré principalement dans son rapport avec le Roussillon ,
4^, imprimé en partie à Perpignan , partie à Narbonne.
Gdilla (Louis), notaire à Perpignan, auteur en 1 685 d'un
inuel de la doctrine chrétienne en catalan , et en 1 695 d*un
re mystique sous ce titre : Alaspervolar à Deù.
HoRTOLA ou bien Cosma-Damia-Ortala (Damien), de Perpi-
an « poète , mathématicien , orientaliste , étudia la médecine
08 Silvius et fit son droit à Bologne : il mourut en i566.
I a de lui In cantica canticoram, in-4®. Barcelone, i583.
Htssop (Joseph), de Perpignan, poète hébreu, que Ton pré-
me avoir vécu vers la fin du xv* siècle , est auteur du Vase
ïTgent, poème imprimé à Constantinople en i5a3 , et traduit
latin par Reuchlin sous ce titre : Raîbhi Jos, Hjrssopus, Per-
lianensis, jadœorum pœta dulcissimus, ex hebrœa lingua in la-
tam traiuctus. Tubingœ» ibii, in-4°- (Ann. des Pyr.-Orient. )
Jalahkht (KrniK^i*). dt^ Perpigiinn . tuurl «n )83a .a puUi^
«>U8 te litn-di! Oivçiraiiliie ilet Pyrrnitt'OrieKtaU* une Htatitlifiw
iibrégée de ce dé|>arleiu(^iil.
JuCAVerx ( Joaepli ] . de Finestrel . a puUié en i <i88 Rt^lm i
iheummlot parlientarei por la viiia rrtmilatia.
hw (Pierre), de Perpignan, fut un Mvnnl lliéologim. il
fnrma une Irà^WIle bihtiod]èt|iieet n'n rien publia.
Lenis (Aiiloinej, de Montlonis. a r'-rril xur )a ei^i^phirtl
le» thMlrei.
LLOT-DE-hiBKHA (Mîrliel). de Qnira. recleurde iX'niYwilf
en ibH^. Hittoria rU ta S. rrliquiitdelhnuynui eiquerra lU S. Jms
Raptiila Perpi|{Dni). iSyool ibgo-
Malkh (Jpjin), de Perpignan, reçu iMKhelier k TuulonH'.
fiit du rwtciir de rilnivcr»iti> de Pcrpifnian en ifK>6. ii ïip
de vingt on», à cause de »on ^and lavoir, qaoi qu'il ne ftl p»
enturt? docteur. 11 alla prendre ce [^ade k Bologne apr^ ton
rectorat , et nmurtit »aiift doute tK's-jeuiie puikmi'on ti'» mn
de lui.
Mtnci. rurr^ deCornella-de-la-ltivière. a i^rit nur la manière
de recueillir les denrées en Koussillnn un petit volume plnn
de vues judicieuses, 1785.
Memton , capiKin. de Perpignan, a écrit sur la comctioii
du calendrier Grégorien et sur les épacte».
MiBO, nom d'une ramille transplantée du Roussilkm en
France , où elle est devenue très-célèbre. Gabriel Hiro fiit fn*
mier médecin de Charles VIII en 1^89 1 son fils le fat d'Anne
de Bretagne et de Louis XII ; son petît-lils jouit à (op tour de
la confiance d'Henri 11 et de Charles IX. Ses autres fttittHi
furent, l'un président au pariementde Paris, un autre prè^
des marchands, et un troisième archevêque de Lyon. De lui
descendit Robert , seigneur de TremUay.
■ L'.iii««rtil«diP»rp(>'«» •• IrouMil .lot. ..4.11U. i U MiU im gmmrm itUàV.
DE LA PREMIERE PARTIE. 453
Navarro (Bernard), de Perpignan, a écrit la vie de Saint-
icolas le Tolentin
NiGOLAU (Pierre), de Millas, prieur d*Espira , a écrit en ca-
lao sur les vertus de la Sainte- Vierge d*Espira, 1607.
Oliba (Antoine), de Porta, dans la vallée de Carol, reçu
Kteur à Perpignan en i58o, devint loracle du barreau de
ircelone. Il a publié plusieurs ouvrages de jurisprudence très-
tiinés , et entre autres celui sur les usages.
Ortola , voyez Hortola.
Paschal (Pierre), notaire de Perpignan , a laissé eu manus-
it un journal intéressant de tout ce qui s'est passé dans cette
Ue pendant sa vie et surtout dans la révolution de Catalogne
3 i64o.
PÈRE (Jean), de Perpignan , est cité par Bosch comme au-
ur de divers livres.
Prior (Pierre-Nicolas), d'Espira de G)nflent, auteur du
irre De la Conception de Notre-Dame, in-4". Perpignan , i63o.
PuiGNAU , notaire de Perpignan, avait écrit comme Paschal
n journal de tout ce qui s'était passé de mémorable de son
!mps au XVI* siècle.
PujOL (Bernard), chanoine de Perpignan , a écrit de adora-
one et Thistoire , 1 608 .
Ramon (Joseph), de Perpignan, a écrit sur la jurispru-
ence, i6a8.
Riu ou Rio (Honoré), de Saint-Hippoly te , a laissé divers
uvrages ascétiques. Il entra aux jésuites en 1606, à Tâge de
iDgt ans, et mourut à Perpignan le a A septembre de Tan
644.
Ri MO (Pierre), de Perpignan, a écrit sur les psaumes vers
i milieu du xiii' siècle.
RocA (Thomas), de Perpignan, a écrit sur l'astrologie et
ontre la nécromancie , 1 6a a .
Ros (Antoine), de Perpignan , a écrit sur le droit, i564*
^54 NOTKS
ScoEAT (Franco»^, ckinirgien de Peq>ignan, a concouru
aux corrections et à la publication catalane de la chirurgie
d'Argilata.
SoLRB (Françoia), de Perpignan, a publié un traité sur la
réforme des monnaies catalanes , 1611.
Soi.eA-DABiiEXDABis ( liekhior), abbé de Saint-Martin du
Canigou , a écrit sur le uii* chafMtre de Danid.
Sc.xiER (Pierre), de Perpignan, a écrit la vie de Saint-Do-
minique,
Terbeka (Guy), de Perpignan, mort à Avignon en iSSq;
général des grands Carmes en i3i8, puis évèque de Majorque
en i33i, ensuite d*Elneen i33o; patriarche de Jérusalem et
évéque de \ aisoo. D a laissé des constitutions synodales cé-
lèbres , et a écrit sur rhérésie , sur les sentences , sur la phy-
sique et la métbaphysique de l*âme, sur la philosophie morale
d'Aristote,surlavie de Jésus-Ouvt, etc. H laissa plusieurs autres
ouvrages, dont deux manuscrits. De correctione vit», Correc-
tariumjuris, sont conservés dans la bibliothèque du Vatican.
ToRBELLA (Jean), de Perpignan, a écrit sur la grammaire,
1678.
ToHELLO ( Alibnse de), chirurgien de Perpignan , a concouru
aussi aux corrections et à la publication de la chinir^e d*Ar-
gilata.
Xaupy (Joseph), de Perpignan, mort en 1778, a contro-
versé avec Fossa la question de la noblesse des citoyens honorés.
11 a aussi écrit sur Tédifice de Téglise métropditaine de Bor-
deaux et sur le prétendu épiscopat de Pierre de Grammont
Dans les arts et les sciences le Roussillon a produit aussi des
noms célèbres. Les portraits d* Hyacinthe Rigaud , né à Perpi-
gnan, sont connus de TEurope entière, et les scienoes phy-
siques et mathématiques transmettront à la dernière postérité
le nom du chef actuel de Tastronomie, François Arago, que
Perpignan dispute à Estagel , lieu de sa naissance.
i
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 45b
NOTE V.
Sur les différentes espaces de danses populaires du RotusUlon.
Nous avons parlé assez au long, dans le texte, des danses
catalanes ou roussillonnaises ; nous allons pourtant revenir sur
cet article qui nous semble mériter quelque attention.
Dans sa statistique générale des départements pyrénéens,
M. Alex. Dumège conteste à cette danse lorigine arabe que
nous lui avons attribuée dans une petite notice publiée il y a
une quinzaine d'années. Ce savant, dont les laborieuses inves-
tigations archéologiques ont été si précieuses pour Thistoire de
la France occitanique, ne croit pas que les bals soient un
héritage des Maures , parce que , dit-il , les sectateurs de Tisla-
misme ne se mêlaient pas , même en Espagne, publiquement avec
les femmes , et que la liberté de celles-ci n'était pas dans leurs
mœurs. M. Dumège est dans Terreur : la sévérité musulmane
s'était au contraire fort i*elâchée dans la péninsule , par l'exemple
des chrétiens ; et c'est un des reproches que les Maroquins , qui
s'en scandalisaient fort, ne cessaient de faire aux Maures de
Grenade, quand ceux-ci les appelaient à leur secours. On n'a
qu'à consulter à cet égard l'histoire de la domination des Maures
en ELspagne , d'après les auteurs arabes eux-mêmes. Les règle-
ments du roi de Grenade , Jussef V\ le prouvent encore mieux.
Ce prince ordonna que dans les mosquées les femmes fussent
séparées des hommes , que les jeunes filles y fussent placées
dans une tribune à part , où elles seraient couvertes de leurs
voiles, etc. *. S'il y a quelque chose de peu décent dans la danse
catalane , comme le croit M. Dumège , ce n'est que dans Tespèce
de saut introduit depuis peu de temps , et qui consiste à élever
la danseuse sur le poing , le derrière en l'air et la tète et les pieds
pendants ; mais dans le saut par groupes , et dans celui où le
" Conde , Hi$toirt tU la domination dei Arabes tn Espagne.
â56 NOTES
JaDseur ^ève sa danseuse assise sur sa main , il n*y a rien que
de gracieux. Tout est arabe dans cette danse. Le mode en est
calqué sur les mœurs amoureuses des Maures : agaceries, bou
deries, jalousies, tout y était exprimé, dans Torigine; aujour-
d'hui ce n*est plus qu*une suite de mouvements en avant , en
arrière^ sans autre but que de danser suivant Tusage tradi-
tionnel, et sans y attacher aucune espèce d*idée. Nous avons
parié du vase de verre , autrefois accessoire obligé de cette danse
et dont Tusage est presque perdu aujourd'hui * : son nom est
encore arabe, ^^ marrahh; les instruments eux-mêmes sont
arabes aussi. Qu'est-ce, en effet, que le hautbois , si ce n*est Yal-
boque des Espagnols P et celui-ci , peut-on contester qu*il ne
soit Yal-boq, (j^^ flûte ? Il n*y a pas jusqu'aux castagnettes ,
avec lesquelles les danseurs accompagnent encore parfois leur
danse, dont le nom ne tire son étymologie de cette même langue,
dans laquelle kas signifie vase, gobelet, et par extension,
cymbale **.
Au sujet de ces danses , nous avons remarqué deux erreurs
dans les mémoires de l'académie celtique , et nous devons les
relever. La première appartient à M. Elie Johanneau, qui,
dans une note à la traduction de l'alphabet de la langue pri-
mitive de l'Espagne, de don J. de Erro , tome II de la collection,
parie Jtune danse aa clair de la lune, exécutée à Perpignan par
divers danseurs, dont l'un, conducteur de la danse, porte un
chapeau orné d'un plumet. Rien absolument de semblable ni
même d'approchant n'a lieu en Catalogne ni en Roussillon. La
danse catalane s'exécute de jour comme de nuit, mais , dans ce
dernier cas , non pas à la lueur de la lune , mais bien à celle
d'un éclairage éclatant : cette danse au clair de la lune ap-
partient aux Pyrénées occidentales. La seconde erreur, dont il
* Ce vase m trouve figuré dans les planchée du Toyage d'Egypte de Denon , pkacbe 94 ,
fig. 16 et 95. .
" Viioteau, Afaiifuc dtt Egypiiins. Caatagnelte nous parait \euir des mot» ..ySr . «vO
Km (aAAana, comme qui dirait froisaement de vaaea. Les. krptag. ^
DE LA PREMIERE PARTIE. 457
est parié au tome IQ , dans une dissertation de M. MuUer sur
l*origine d*un pèlerinage qui se fait en Allemagne, en dansant,
c'est qu*en Roussillon comme en Espagne et en Portugal, on
exécute des danses solennelles en Thonneur de nos nuptères et de
nos plus grands saints. De mémoire d'hommes on n'a vu, et
rien , dans aucun écrit du pays n'autorise à croire qu'on ait va
les veilles des fêtes de la Vierge, les jeunes Jilles s'assembler devant
la porte des églises et passer la nmt à danser en rond, en chantant
des cantiques. En Catalogne , comme en Roussillon , on danse la
veille et le jour des fêtes patronales des paroisses ; mais c'est
comme partout, et sans y attacher d'autre idée que cdle de se
donner un plaisir selon le goût de la population. On danse
devant la porte de l'église quand l'église est sur l'une des faces
de la place publique ; mais c'est uniquement parce que la place
publique est l'endroit le plus convenable , comme lieu spacieux,
et s'il y en a un de plus spacieux encore , il obtient la préférence
sur la place de l'église.
NOTE VI.
Sar la VUla-Godoram ou MaUoles.
Le bourg de MaUoles , dont quelques vestiges se voient à une
demi-lieue de Perpignan, fut fondé, à ce qu'il parait, par les
Goths, qui lui donnèrent le nom de Villa-Godorwn^ que dans
certains actes du x* et du xi' siècle nous avons lu plus souvent
Villa-Godoro et Villa-Godore. Nous ne sachons pas qu'aucun
écrivain eût encore fait connaître ce nom de lieu avant que
nous l'eussions découvert, en 1819, dans de vieux parchemins,
provenant des archives des églises, que nous étions chargé de
vérifier. Ce nom était toujours accompagné de celui de Mal-
liolas; une seule fois nous l'avons trouvé seul, dans un contrat
de vente, du règne du roi Robert. Les monuments d'origine
gothique de ce lieu ont disparu entièrement, et nous n'en
45« NOTES
(Viiimiwui)s plu» qu'un teul encore existant: c'eal l'umctii
lUai'biT blunc qui xervait de ibiiti baptismaux à r«^M dei:r
bour|^ . et qui . IrunsporU-e à Perpignan . «ert au tnime ungc
dar» l'égliBc de âBinl-Jeiiu *.
Le poni (le Maliole» vicnl d'une églîte qui avait 61e bntir
au milieu il' un plan de jeuut» vigi^ie» . malliola. el qui avut uu
uhapitiv de cuU^iale. Mallole» élail encore liabit^ par dei fw
nonnca do distiRction eu 1 197. et c'eat la qu'ea laài onjun
la paix et IWWe de -layma I". C« nom de Mdliolse , qui sccotn-
pafsiia d'ab»rd cnliii de V'illa-tiodunmi , eu usurpa enstiils ta-
ttei«ui«ut b place. Un cuniral di: venli; de l'an io3li distingue
trtt-bîeu le bour(( uu Vtlla-liuiluruin. ilu terroir mi p\»tt dt
Malioles ; ■( eil. y esl-il dit , ipro mato ei peeiai Jaoi de iun
in (timitala liotolioneiui . infraftiut ni lerminiuik Villa fiwàirtff
lie Mailealat ; et «il ipto maio intiu m ipia villa , ci pmat Jtiai ^
rifuKuin ipio piano. (Arcb. evcies. )
NOTE Vil.
.W laJondalioH lU Prrpigaaii.
L'existence do Perpipinan. c'est- 11 dire, le
!iil a
iiiuiMins se groupcrcnt sur tiii puml du len-uir di- h villu qui
portail ce nom . date de la fondation de l'église qui fuldoaikt
en paroisse à la peuplade nouvelle réunie sur ce point, c'est-i-
dire, en 102b. Cependant, avant la fondation de c«tteé)^
paroissiale, qui est celle du vieux SainlJean. il existait, nn
l'endroit où elle fut bâtie, un moDastère connu sous le titredt
Saint-Pierre du Moj>t-MaJeur. L'église de ce monastère, dédiée i
la Vierge et aux saints Jean-Baptiste. Pierre et Paul, était de-
là pnCI. DU (tau plu W^ Ht
DE LA PREMIERE PARTIE. 450
signée sous le nom d*ég^se del correck du canal, du nom de
l'endroit où die était bâtie , in villa qnœ valgo œrrecho diâtur,
La bulle du pape Sergius , qui autorise la consécration de cette
église , dit : benedictionem nostram comcedimns kaic loco de comcho.
Le pontife accorde à ceux qui assisteront à cette consécration ,
avec des sentiments convenables , la rémission du tiers de leur
pénitence canonique et le droit de couper leurs cheveux, tfmod
capillos possint incidere. Deux hommes pieux, Albert et Raymond,
avaient obtenu la faculté de pouvoir augmenter cette é^Use
nouvdlement édifiée, et d* agrandir le monastère de Mont* Ma-
jeur : voilà tout ce que Ton sait de cette ancienne église du
Correch , et encore ne le sait-on que par cette bulle pontificale ,
qui n*e8t pas d*une authenticité telle , qu*dle n'ait fait naitre de
graves soupçons dans Tesprit de Marca et de Fossa *. Voyec le
mémoire de ce dernier pour l'ordre des avocats , p. 67, note II.
NOTE VIIL
iSar la dépendance du Roussillon de la marche d'Espagne.
La dépendance du Roussillon delà marche d'Espagne, ou
du comté de Barcelone, est incontestablement établie, i** par
le manuscrit du moine de RipoU , publié par Baluze, dans lequel
il dît que Wîfred posséda la marche d'Espagne depuis Naor-
bonne jusqu'en Espagne; a^ par la possession successive de ce
comté par deux frères de ce Wifred, premier comte héréditaire,
et 5" par la déclaration de Tarchevêque de Narbonne , dans l'as-
semblée générale d'Urgel, déclaration que nous avons rapportée
dans le texte de cet ouvrage. Cependant qudques écrivains , et
entre autres Gispert-Dulcat , conseiller au conseil souverain de
RoussiHon, dans ses Observations sur le traité de G)rbeil de 1 a 58,
* Un obtt fondé dans l'égUie d« Noire -Dame de/ comck, par Raymond d'Onu, cha-
■oino de Snot-Jean , en i373 {Àrek. ecclw. ), démontre que celte eglite n'ot autre que celle
d« TMni. SanilrJeen, fondée en loaS.
MO 'NOTKS
ont voulu MjHictiir cjiip te comb^ n'avait pa» twsc de dépendre
>lf cctiii de Tcutwusc , nprè» te partage de la f>ep1iiniuiie en dew
prOTin<r«>; Gisperl vu jusqu'il dire que le comte Guinard fùl
Ini-inétne l'aveu de celte df^pondance, dans co passajfe de mu
lestuDeiil où, en pariaitt du roi d'Aragon, auqud il latuese*
terre» . il dit . Mtam Imnonm qui ad jut iUiat non pertinebat iHi
(iiNio, qu'il interprète ain«i : Mon fief lai ne Trhrvait pai de liu.et
tar Itqtul, n'étant pos luztrain, il n'avait auean dixtit, Cett« iulei^
prélation e»t erroiM'v.
S*il iHait vrai qui^ Ir comte de IlouMiiion eût pu , par tu
■impie «i^te de mi» deniit-rei va)oriti>i , flou»traire wn fief i la
iuteniaeU' du marquis de Septimanie, et le placer sous celif
du (."omte di^ litre eloiie . il s'ensuivrait qui) était libre et facul-
latif aux di^tenleurs uu possesseurs de fieb de se donner tel ou
tel maître, ce qui est contre toute vi^té. On a bien vu qudque^
foi» un fcudataire ne d^ober à son seigneur, et se placer *oui
ie patruiiaj^ d'un autre , qui s'cnfçageait à le défendre contre le
premier, dont il avnit 'a sr plaindre; mais un pareil acte, qui
eoustîtuait. de la part du feiidalaire. anc félonie, mot adapte
Ji la chow, était toujours suivi de voies de fait. Ce môme vusal
ii'aunilpas, au moment de su mort, frustré son seJgneurd'nM
suie ru il] clé qu'il iii? lui availjamais conlesiée de son vivant,
quand aucun intérêt ne l'y obligeait, quand il n'aiticulail
aucun grief contre celui de qui on suppose qu'il releraît. On
doit bien croire que le marquis de Septimanie n'aurait pas eo-
duré patiemment un acte aussi ill^time, et aussi ofiensaiil
pour lui; qu'une guerre s'en serait suivie entre lui et leroi d'A-
ragon , afm de décider par la voie des armes à qui dei deux It
Koussillon devait rester : ce comté en valait bien la peine. Bien
loin de là. nous voyons ce comte de Toulouse, Raymond V.
conclure, immédiatement après qu'il aurait eu re^u cette io-
jure, en février 1 1^3. un traité de paix avec le roi d'Anglelem
par la médiation de trois princes, dont l'un est prétûémeat ce
DE LA PREMIERE PARTIE. 461
même roi d* Aragon. Et , dans le cas où des circonstances impé-
rieuses lui eussent en ce moment commandé de s'abstenir de
voies de fait contre une pareille dépossession, il aurait, tout
au moins, protesté contre le testament de Guinard, et fait re-
vivre ses droits dans Toccasion ; ce qui n*eut jamais lieu.
L'article du testament de Guinard concernant ce legs est
conçu ainsi : Omnem meum alium honorent, videlicet comitatas
Rossiliofûs et quicqnid ai jus ejus pertinet in petra latensi et empu'-
ritanensi comitata, sicut haheo vel habere deheo, et sicat in cartis
antiqms inier me et comitem empuritanensem scriptum est -^ totvan
integriter dono domino mec , régi Aragonam; dono et successoribus
ejus, Rogo etiam dominum, meum regem, per illanijidem et per
illum amorem quem illi demonstro in hoc testamento, quando meum
honorem qui ad jus illius non pertinebat illi dono, ut Berengarium de
Orle, meum parentem et meum carissimum amicum, et Poncium de
Taékone et omnes meos homines diligat et defendat ah omnibus ho-
minibus, et honoretomnia quœ illius sont. Dans tout cela peut-on
voir autre chose que le don de la propriété , et non celui de
Thommage ? Si Guinard n'avait voulu que placer le Roussillon
sous la suzeraineté du roi d'Aragon , il en aurait laissé la pro-
priété à quelque parent , comme ce Bérenger d'Orie , qu'il qua-
lifie de très-cher ami ; mais il n'en est rien. Le Roussillon ne
change pas de suzerain , c'est la propriété qui passe en d'autres
mains ; c'est la possession qui appartiendra désormais à celui
qui n'avait encore que la suzeraineté. Et quant au comte de
Barcelone lui-même, comme celui de Septimanie 0 se trou-
vait placé sous la suzeraineté supérieure du roi de France,
depuis la conquête de la Catalogne sur les Maures.
Le seul mot équivoque , dans toute cette partie du testament
du dernier comte héréditaire de Roussillon , c'est celui de jus,
dont la signification la plus ordinaire est, juridiction; mais
un écrivain du xiv* siècle, Jean Charlier, surnommé Gerson,
a très-bien démontré qu'il ne veut pas toujours dire juridiction
Mi NOTES
(la juxlic« , mais , luiviul le cas . propriété . puimaiice : Uictm
ji» Bûn ngmjiail lemper Jariftalionem mu jiuluium, tad iignifioil
inttrdttm poleilalef». qaa non nt jutla '. Apr^» avoir donné w
Mais BU roi (i'Arap^n, à qui, loin do contester l'honuawige.
GuiDird donne le titiv de suieraju, Jominum m*»!», il lui re-
command» p«rticuli('rrment deux de «es barons . et «es sujeU
en K<>néral : il 1» lui recommande . comme le psypmant duM
detl43 qu«Ja rcvonnnis santé impose au priiH«, toujoan son
MÎgneiir. tkminum meum. par le don <|ii'il lui fait dan» son tes
tamont ; cr iMiament Ini démoolre combien il lui fltt fidèle.
fm" iUam fidem: (combien il lui est atloi'hi^. par iilam umoreni
ifaem illi Jrmonilro, puisqu'il lui donne ion firf . mcum honorrm ,
qui n'était pa» en sa possession, ijai ndjai îUw nonpcrtimtbal.
(iispert veut trouvej- un nouvel argument fatnrabln a %nn
■jsléaie . dans un passage d'une cliarle de boiiiiind . otmilc dr
Toulouw, en faveiirdcs Génois et de* l.oinlMrds, qui l'avaient
aidé dans son (rt|H'<dition de la tcrro sainte. En I io() ce priiioe
leur niK'orila l'cKeniptinn île toutes Mrics d'impôts , depuis
Nice juMju'à l'urt-Veudn.' ; (.'ancrai al nallat Janueiuium nrr
alifuu SaoHeiau lioe NauUiaii ont Albinganetuii. a Nixzu Wfw
adporlun Vmerit.tuetliamijaâlibet LombaniHteàintocUMiti
Junctut. ttltam Irihutiim ilum'l ut U-rixt mt'u ". \l nous semble évi-
dent qu'on ne doit voir, dans toute cette obacurilé, qu'une
«xemption de tribut pour tous ceux qui font le cabotage depuit
Nice jusqu'à Port- Vendre, et dont les marchaudise* airiveroat
dans les terres de Bertrand . soit directement par le Languedoc,
soit indirectement par le Roussillon ou par la Proveoce, qui
appartenait alors au comte Gilbert, de la maison de Boson '".
DE LA PREMIERE PARTIE. /i65
Un traité des Narbonnais avec ces mêmes Génois , de Tan 1 1 65 ,
époque à laquelle ces peuples étaient en hostilité avec le comte
de Toulouse, porte qu*ils observeront la paix depuis Monaco
jusqu*au Port- Vendre : Nos Narhoaenses,faâmas et tenehimas pa-
cent a Monaco sciUcet nsque ad Portum Venerit. On ne peut pas
imaginer que les Narbonnais aient prétendu , par cet acte , se
déclarer propriétaires de tout le littoral du midi des Gaules. A
cette dernière époque , la Provence était possédée en toute sou-
veraineté par Raymond Bérenger II, de la maison de Barcelone,
qui , en épousant Richilde, nièce de l'empereur Frédéric , avait
reçu ce comté ab Alpibas usque ad Rhodanam, et qui n'avait rien
de commun avec les Narbonnais. Ceux-ci ne font donc que
mettre sous leur paix et trêve les arrivages maritimes , depuis
Monaco jusqu'à Port- Vendre, c'est-à-dire, qu'ils s'engagent à
ne capturer aucun navire génois le long de la côte de Provence,
de Languedoc et de Roussillon.
n est un fait qui domine tout , dans cette discussion ; c'est
que si le comte Guinard avait voulu soustraire ses domaines à
la suzeraineté du comte de Toulouse, il l'aurait fait de son vi-
vant, et non pas après sa mort; car un intérêt quelconque étant
le mobile des actions des hommes, cet intérêt n'existait plus
pour lui après son décès, puisqu'il ne laissait pas d'enfant; e(
le comte de Toulouse n'aurait pas enduré patienmient un pareil
afËront. Si, comme nous l'avons dit, des circonstances, qudles
qu'elles fussent , avaient empêché ce dernier prince de reven-
diquer par la voie des armes , ou par celle des négociations , le
droit qu'on lui enlevait , la question de ce droit aurait été natu-
rellement un des griefs qu'il eût pu faire valoir quand la guerre
se déclara entre lui et le roi d'Aragon en 1 1 79. Les historiens
ne se taisent pas sur les causes de cette nouvelle guerre ; c'était ,
{tarti* de b Provence aommée «l«pais comtat KtHoiuin , ce qui nelsi doniuit aacua drail sur
1 autre partie que possédait souverainement Gilbert et qui comprenait tout le littoral de
la mer.
nea NOTES
■lu lu part du rai d'Aragon, de» prétenlioDs sur )e txaità it
Mel^ueuîl et le thAleau d'Albnron , pos»ikl^« par le comte in
Toutoitse; et de la part de celui-ci. de» prétentions rut les do-
niaine» de Ilouergue el do Gevaudao : c'était bien le cai de
parler mni du ItoitMiIlnn ; mai) il n'en est nullenjeot question ;
If cfinite de Toidoiisc n'avait donr rien à r^lamor il cet^ud.
NOTK IX.
Surlrt rianijafi dr Perpignan.
lia ville primitive de Perpi^an , cieconscrile du» ce i|iii
ferme In paroiMe actuelle de Saint-Jean , êlaii entoura' de
fossés . dont ceux du luidi et de l'e^t étaient les [^us prolbtKlt.
\ relie i^poque. le moulin de la ville étaîl dans la rue qui porte
encore lo nom de rue <la Moulin, perpendiculaire ^u luarcbé
Neuf. L'eau de celte usine était amenée par le canal royal . qui
avait son entrée à l'endroil qui a été depuis, la porte Sainl-
Martin , traversait les champs rpii forment aujourd'hui les niw
de Saint-Martin et de Saint-Auguslin . et venait aboutir au mou-
lin , ou s'en trouve encore la chute , ce qu'on appelle l'efttoaflMr.
De ik cet eaui étaient conduites hors de la ville par une eu-
nette praliquée au fond des fossés méridional el oriental, qui
existent encore en partie , sous les maisons de ta rue de la Fus-
terie . sous le marché au blé . sous la place de l'Huile et la nie
qui va à la fontaine de Na-Piitcarda , de là, à la place Saint-
Dominique, et de cette place hors des remparts, par ia porte
qui , à raison de cet égout . prenait le nom de porte de VAxa-
gador, au boul de la rue de la Douane. Ce fut quand la ville
s'agrandit, sous le premier roi de Majorque, qu'on bitit une
voûte au-dessus de celte cunette , ce qui constitua la grande
cloaque que parcourent encore les eaux de la ville , à certaini
jours de la semaine. Il résulte de cette disposition , que le court
des eaux . dans relie cloaque , est en raison inverse de la pente
>â.i:k...
DE LA PREMIÈRE PARTIE. k6b
de la rue de la Fusterie qui la couvre , et que , dans le même
temps que les eaux du ruisseau de cette rue coulent de Test à
Touest , celles du canal qui se trouve au-dessous vont dans le
sens contraire. La grande profondeur à laquelle se trouve le
plan de ce canal en a fait diviser la hauteur en deux parties par
une forte voûte ; la partie du dessus forme des caves à plusieurs
des maisons de ce quartier. Un autre fossé ou canal fut creuse
plus tard autour de Tun des quartiers de la paroisse de la Real.
Ces nouvelles cloaques , partant du marché Neuf, remontent
sous la grande rue de la Real , passent sous celle qui traverse
devant cette é^ise , descendent par la petite rue de la Real au
marché au Blé , et vont se décharger dans la grande cloaque.
Ce canal , non moins profond que le premier, est interrompu
par un mur en maçonnerie vers le milieu de la petite rue de la
Real. Un troisième embranchement, partant de l'ancien moulin
de la ville , se dirige vers la rue de T Ange , qu il parcourt dans
toute son étendue , et va déboucher dans le fossé de la Basse , à
côté de la porte qui existait anciennement au bout de cette rue.
NOTE X.
Sur l'ancien château des rois de Majorque.
Le château royal de Perpignan était entièrement terminé, à
ce qu'il paraît , à Tépoque de la mort du premier roi de Ma-
jorque. Après Textinction forcée de ce royaume , il n*eut plus de
destination fixe, et il resta à la disposition du roi d'Aragon
comme maison royale. Ferdinand I'' Tassigna pour demeure à
Tantipape Benoît XIII , qui y séjourna tant que TAragon re-
connut son autorité ; il fut ensuite affecté au logement des gens
de guerre, sans cesser d'être désigné par le nom de château
royal. Ce château avait une grande entrée avec pont-levis, au
milieu de la façade occidentale, et trois autres portes, aux
autres façades , pour communiquer, soit avec le jardin et le pré
I. 3o
dôe • iNOTES
dits lie la Betne. M>it avec lu bo» du Itoi. Au milieu de U vule
rttur que laîsseni entre iMva Ica i[uati« lactts de ce bâtimeot,
exitle un puits trèB-pitifiintl. La chupelle, loule bàlie eu pierm
d<^ taille, s eli>vc du milieu de la face urienlule. Cette chap^
t4ait double, c'esl-à-dire qu'il s'en troufail une au rei-de«hau»
%/ie, qui n'était que ciiinmt! diapelle aouteiraine ; cello qui ta-
vait à la cel<-J)ration dca saiub uiyslènr» l'Iail uu |)tu au-dessut
du plan An» appaiiementa du pramier éta{^c. et ou y luontait
par un larfje perron . aboulitsant à uuc |;nlerie couverte atten-
dant aur toute la face intnîeure du bàlimenl de ce col^, LW
très de la cbspelle intérieure i»t nue et sans aucune etpùce
d'ornaiDont» -, celle do la chapelle inpf^rieure élail toute en
marbre, et d^orée, nuivant le gtiût du temps, do colonnea
minci» et itr^lei ctonl le» Hinpil^aui aonl orné.t d'animaui
chimMqiiCii. Le* bntlanln fie la porte, en bois de iinirGr, ifturni
divine» (tn mmpa< lînitntt» par de» listels m>u» Imqnd* ilam<
cacJu^ de» cluus qui tendaient une toile |)eiiile eu liltiu ila ciel
Celle toile avait été placét^ sur ce» batlanta . sans doute potii
masquer )e» fente* et les jours que forme le retrait du buis iwn<
ce ciiiual. quelque vieui que soient les madrier» qu'on eoi
ploie pour les ouvrages de inennlserîp ■ de* veslipe* de rplii'
loiie peinte s'y remarqueni encore , près des iisieis.
La galerie placée à la liauteur des appartemenb, el par
laquelle on montait à la chapelle, établissait une conuDuaica-
tion entre les appartements du roi, placés du calé du nord,('
ceux de la reine qui se trouvaient au côté opposé. A coté de la
grande entrée , au milieu de la face occidentale, on voit iol^
rieurement un bel escalier suspendu, d'une constructioD k-
marquable.
Les registres de l'ancienne cour du domaine royal nous ip-
prennent que pendant longtemps les rois d'Aragon firent ât
ver des lions dans le château royal de Perpignan ; on y tionis
inscrites plusieurs commissions de personnes chaînées dca
DE LA PREMIERE PARTIE. ^67
prendre soin ; on y a même transcrit la manière dont il faut
élever les jeunes lionceaux. Le lion étant le symbole de la puis-
sance suprême , il ne devait avoir pour gouverneurs que des
personnes nobles ; aussi voyons-nous cette chaîne confiée à des
chevaliers, dont Tun, en i455, Daimas del Volo, se qualifie
chambellan du roi. Une lettre de Tinfant don Juan, fils de
Pèdre IV, et lieutenant général dans les comtés de Roussillon
et de Cerdagne , défend au gouverneur du château de permettre
qu*aucun troupeau puisse brouter les gazons de ce château , ré-
servés pour le pâturage des chèvres et autres animaux destinés
à la nourriture des lions.
Un trompette fut attaché au château royal quand on le con-
vertit en logement de gens de guerre. Le 8 de janvier i Aoa le
roi Martin , informé que Tinsuflisance du salaire de ce trompette
le forçait à servir de domestique , ordonne à son procureur royal
de porter ce salaire à cent sous de Barcelone *, « Attendu , dit
« ce prince , que Tofiice de trompette est très-nécessaire et très-
« important à ce château , clef non-seulement des comtés , mais
■ de toute la Catalogne. »
C'est dans ce château que fut enfermé et que mourut en
bas âge Tainé des enfants de Jacques d'Armagnac , placé avec
son firère sous Téchafaud sur lequel on décapita ce prince , le
4 août 1477. (Sainte-Fois.)
Le château royal était entouré de prés et de bois garnis de
bancs, pour la conmiodité des promeneurs. Une défense qui
se renouvelait tous les ans portait que personne n*y devait
entrer avec des chiens , des arbalettes et toute espèce d*attirail
de chasse. Au bois étaient contigus un olivet , un verger et un
champ de figuiers , qu'après la ruine du royaume de Majorque
les rois d'Aragon baillaient à ferme. Un bail de quatre ans,
commençant au 1" mars iÂo3, porte le prix annuel de ce fer-
mage à la sonmie de trente livres de Barcelone. ( Arch. dom. )|
3o.
.Sur r^puyuf dr la toiatraction Ja CofliUrt, I
L'i>poqiie d« !a coosiruction du [«lit cltâtran cm casUttel de \
Perpignan eut al>»ol union t incountiv. Eu Tnlufincc dr tout do- ,
cumcDl »ur ettXe origine , le» uns onl rt'panlc mj fi>rt cnninM
uii inonnnicnt du \' sjnrle, le* autres t^tinime ue nunontuitj
{iM au doln du xV si«-lo. Un nncieu pr*tre avail tmurc. dilon^
iiiio nnic qui allriliuait In ronHalînn t\v cotte masse n In pm—
mière du et» deux époijUT'ii, mni« col Pcclétiastique est roor^
dcpuU linigl«m[i« , et noux n'ovoii» pu avoir aucun renseigne-
ment [(rïcû siu" \n viriié de ce fuit, dont nous avons de t)onn«
niiRuna de douter. Pour ce i]ui eut du la co»»tmclion de re
chùteau au xi' «iècle, nom no croyons pas que cette opinion
»uit mieux ruiidcv. A celte époque , la métlimle de rortificRlioii
n'était plus celle employée au castiltcl, et d'aîUcur* nou* Ir
Irouvuns mentionné, des iA3o, tous le nom de Cattillttun
htatw Maria, dan» udl' senteiiitr arLIliale de cette anni!^.
Tout porte à croire que la fondation de ce rhâtcau . entière-
ment de d^Tense. e»l postiVipure à la ri'union du mvaumede
Mxjorque à celui d'Aragon, Si cette forteresse avait existât
celte époque, il est impossible qu'il n'en eût pas été faitnteii'
lion dans le courant de cette guerre désastreuse , dans laquelle
Perpignan fut resserré de si jircs. L'occasion d'en parler se pré-
sentait nécessairement, nous disons même, inévitablenienl.
soit à propos de la révolte des habitants du faubourg de Notit-
Dame , que ce fort domine . soit au sujet de la remise des fof-
lifu;ations de la place et du cbàteau royal aux troupes du coi
d'Aragon. La construction de cette masse, toute en briqua, et
encore un indice qu'elle appartient au xiv' siècle. L'usag« de
faire entrer ces matériaux dans la bâtisse . Irès-répandu du»
r.uilicjuiti'. avail commencé à se perdre vers le temps de Gtl-
DE LA PREMIERE PARTIE. 469
lien. Au lieu d*une maçonnerie toute en briques, on n'em-
ploya plus celles-ci que conjointement avec des pierres. On
faisait une assise de pierres et moellons d'environ un pied de
haut, sur laquelle on plaçait deux ou trois rangs de briques,
quelquefois plus, et on alternait ainsi jusqu'au haut de Tédi-
fice. Cette manière de bâtir fut abandonnée vers le temps d'At-
tila , et on en revint à la bâtisse toute en pierres. Au xiii* siècle
on recommença à introduire la brique dans les constructions,
de la même manière qu'au m* siècle, c'est-à-dire en inter-
calant des rangées de briques dans les assises de pierres et
moellons. Perpignan ayant été fondé à l'époque où l'on ne bâ-
tissait qu'avec des pierres , les murailles qui entourèrent la
ville primitive furent construites en remblai de pierrailles,
avec parements de galets tirés du lit de la Tet, et on recon-
naît à cette uniformité de bâtisse les maisons les plus anciennes
de la paroisse de Saint-Jean. Cette méthode commençant à
changer à l'époque où Perpignan devenu, de fait, capitale du
royaume de Majorque, s'agrandissait de deux tiers, on peut
suivre , dans les constructions faites depuis cette époque , les
différents progrès du nouveau système de bâtisse. L'église des
Carmes, construite en 12 13, celle des Prêcheurs, en ia43,
celle des Cordeliers, en 1292, sont en parements de galets,
mais avec le tour des fenêtres et le pilier qui en partage la lar-
geur, en briques ; celles de la Real et de Saint-Jacques , bâties
plus tard , présentent des parties de murs de quatre pieds de
haut, en galets, séparés par un ou deux rangs de grosses
briques. Cette méthode d'entremêler les briques avec la pierre
multipliant les briqueteries, et rabaissant par conséquent le
prix de ces matériaux , on les fit entrer en plus grand nombre
dans les constructions ; au lieu de trois ou quatre pieds d'in-
tervalle entre les rangées de briques , on n'en mit plus qu'un de
douze à quatorze pouces , comme à l'église de Saint-Jean , fon-
dée en iSad- Bientôt on ne fit plus qu'un lit de briques et un
470 >iOTES
<1« galet*, tjui souvient m^me ^laiFtit «éparé» entre eux pu une
brique indinée: enfin, ver» l« xvT fcietle. le iriagp dp» j(«lcb
(Uo» In riviVre. cl leur transport devenant plu» cwileux qo»
l'achat de» britfiics , nn rcmim^n k s'en senir , et on n'an*
ployi plus que In l>riqiie wule. Les coiiitructions militaira
avaient devance cetle l'po^iie , comme auMÎ Hlr» continuèrent
h employer l'anHcnne méthode, concurremmrjit avec la nou-
velle, quand le» particulierH n'admettaient pins «i piermnk
paletu dan» leur» coutirrictiona. Le caslîtlet. tout bili en briqoM^
i l'exception dr» angle» pi ilu tour des feu^tn?» et portes . a dA
ttro construit »om le rt^e de Pedro iv ou de Martin , son soc-
cesseur. qui ont lont fatt, l'un et l'autre, pour celte ville et ptmr
•a conservation . et qttï voulurent , par co moyen , assurer dm
protection cfEcacc aux deux fauboun?» . liabités alor» par 1»
ttniiturier» «t le» lanneun.
Lu rdi-mt! du cusiillcl eut celle d'un cam^ long, terminé atu
deux bouts par unii tour qui n'a de saillie que du crlté deli '
campagne , pour la défense do In porte de la ville , qui élail •
travors ce cIiAIoru. Celte saillie des tours n'est même pus wk-
lameDl arrondie; le milieu de cette demi -circonférence poniM
m avant un ventre encore plus saïllanl que le resle. L'cnlH* d(
la ville qui se trouvait entre ces deux lours s'appelait portali
Noilra-Dona del Pont, comme le témoignent de vieux ado.
parce que le pont de la Tet, comme presque tous les ponts uh
ciens, élail sous la protection de la Vierge, dont la chapde
étail bàlie en dehors du faubourg. Environ un siècle après k
construction de la forteresse , on supprima l'entrée de la rSe
qui la traversait, et on bâiil l'appendice qui forme VentréeK-
tudle , à la gauche du castillel. La différence des temps esl b»»
marquée par celle des mâchicoulis qui la couronnent. Ceik
construction nous fait penser que cet appendice est l'ouvngc
des Français . sous Louis XI. C'est ce prince . qui , comme M
sait, changea, en prison d'état, une foule de chàleaui- 1^
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 471
archives du domaine nous apprennent que sous sa domination
en Roussillon, le castilletfut dégagé des maisons qui lui étaient
adossées, que les fenêtres en furent garnies de grilles de fer, et
que des réparations à neuf y furent faites ; il est donc à croire
que c'est pour assurer encore mieux la garde des prisonniers
qui devaient y être enfermés, que Louis fit supprimer le pas-
sage qui traversait cette prison.
NOTE XIL
Sur qaelqaes bourgs dépeuplés et abandonnés.
Le nombre des villages ou bourgs dépeuplés à la suite des
longues et sanglantes guerres auxquelles le Roussillon a été si
souvent en proie, et par d'autres causes , est considérable. Nous
oe voulons parier ici que de ceux qui existaient aux environs de
Perpignan , et dont la dépopulation paraît avoir été provoquée
aussi par Tagrandissement de cette ville , sous les rois de Ma-
jorque qui l'avaient choisie pour leur résidence.
Les actes des x% xr, xii* siècles font mention d'une foule de
lieux qui n'existent plus depuis longtemps, et dont, pour quel-
ques uns , l'emplacement est inconnu ; tels sont, à un rayon de
qudques lieues , Canomalis , Ortolanes , Ories , Malleolas , Ver-
netum , Villamaldum , Mutaciones , Ponciones , Villa de
Barres, etc.
Nous avons déjà parié de Malleolas ou Villa-Godorum ; nous
avons dit à peu près tout ce qu'il y a à dire sur le Castrum de
Rossillone, l'antique Ruscino, dont la population finit par
s'éteindre pendant la guerre qui avait pour objet la réunion du
royaume de Majorque à l' Aragon. En effet , nous trouvons dans
un ancien titre de l'an 182 4 une publication faite par le crieur
pahlic , dans toutes les rues de cette ville; et un siècle après, une
maison que son acte de vente signale comme placée dans i'in-
472 NOTES
(Meur do In ville, i/i/iu villam iIp Castro Rouihoiie, n'a pour
confroiit» cjiic dos k'^nemcntji nirnt»,
A pru de (liïtniit:c du (^ostruin de Rossilione était le village
<le Villnruuud. I i7/a -/IrnaWi, dinUtigué en supérieur et infé-
rieur. (« vilbgL', dont la ]Kisitioii prétiw est dilTicile à deler-
miiter ttujuunnnii . était pourtant encore habité eo iSpô.
ptiisqu'à cett« é[K)i]ue il y existait, d'après un acte que noua
avum lu. une euur [curia] et itu Uaillî. En i hà^ il n'y reaUit pini
{Mtnunnu. et lu recturie eu fut unie au di api tre de Saint-Jean
de rer|iignau. Le aa décembre i485 le vicomte d'Ille et Canet.
sénéchal d<> ToulotiM , pondant l'cn^jagement du lioussillon ■
la t'rancc. approuva In vente, faite m la m^me éj^isc, de ce fief
que Vidal de Vnt|;ornera toiinit de lui.
Ortolnnes était prcH de Hivptinlle» ; In Villa de barres était nui
environ» de Snlm^, et avnil encore des Imliitnnts cii 119J;
celle de Contliionrai ou de Pontionihns était auprès de C^éi;
Ortn. ancien domaine drs templiers, est très-counu, et n'a
jiunais été. j>enl-étre. ipi'un hameau, comme les trois autre»
lieux: leVoruel. possédé uusxi en partie par les templiers , est
également (rés-connu ; des niédaUles i-omaines trouvées «or
Hon sol slleslenl son nntiqnité. Quant aux lieux de Cauomulii
ou Kanomales, et de Mutaciones. Mutacionibus. Mudaiionibos ,
i\i cxislaienl dans la Salanque. aux environs de Bonpas et de
Claira, et ce sont aujonrd'liui deux quartiers appelés Gma-
Malh et Madahons. Le premier avait déjà perdu tous ses habi-
tants au comniencenienl du xiii' siècle. A partir de cette
époque, le nom de ce village, qui dans tous les actes anté-
rieurs est écrit (x)nomalis et Canomalibus, devient Canis-Mali),
et finit par n'être plus écrit que Canibus-Malîs. L'autre boui^,
Mutaciones. qui datait des temps antiques, était, à ce que soa
nom indique . un de ces logis où exblaient des rdais de cIk-
vnux apparlcnant à l'étal , pour le transport des paquets dont
étaient cliar^és les messn^ers , comme aujourd'hui les courrios,
DE LA PREMIERE PARTIE. 475
et pour le service des voyageurs qui avaient le droit ou Tauto-
risation de s'en servir. Cette espèce de bureau de poste était sur
la route directe de Salses à Ruscino , et servait pour la prompte
conununication des dépêches. Mutaciones n'est pas mentionné
sur les itinéraires d'Antonin et de Théodose , par la raison que
ces itinéraires ne citent que les villes et villages d'étape pour le
logement des soldats en marche , et que les mutations étaient
toujours dans des lieux ouverts , et où Ton pût arriver de nuit
conune de jour. L'église de Mutaciones avait le titre de pa-
roisse , ce qui semble annoncer une population d'une certaine
importance. Cette église, convertie en ferme, existe encore
sous le nom de Saint-Sébastien. £^e avait été réunie en lààS à
la mense capitulaire de Saint-Jean de Perpignan , par la raison
qu'il ne résidait plus personne sur cette paroisse : attendens
qnod parochialis ecclesia Sancti-Sebastiani de Mutacionibus, dicta
dioBcesis, per unam leucam vel circa ah eadem villa Perpiniani dis-
tans, parochianis adeo destituta erat, eo quod in ilUus parochia
nuïlus twic residebat, etc. (Arch. eccles.)
NOTE XIII.
Sur Cachhement de l'éylise de Saint-Jean.
L'agrandissement de Perpignan avait exigé l'augmentation
des édifices consacrés au culte. Trois nouvelles paroisses avaient
été érigées par le premier roi de Majorque , en attendant qu'on
pût reconstruire à neuf celle de Saint-Jean, devenue beaucoup
trop petite pour la population nouvelle. Les fondements de
cette seconde église de Saint-Jean furent jetés, comme nous
l'avons dit, en i324« et les travaux en furent continués sans
interruption jusqu'à la naissance des voûtes. Interrompus alors
par la guerre que le roi d'Aragon faisait au dernier roi de Ma-
jorque, ils furent repris à la paix, et abandonnés encore en
1627, à cause de la peste qui désolait alors le Roussillon A la
û7i ^0T^■:s
cestalion <lu liteau, ie manf)ue de fonds empÀsba la Dotivdle
re|iri»e des trnvaun ; ro ne fui que par la faveur du concile de
Bile qu'on pul achever cet pdilice. Ce concile nttachnil ua
f^Hiid intérêt n fairp Irmiincr lus églises dont la conslructioD
durait depuis lon^mps. L'év-t^iue d'EIne el le cliapiire de
Saint-Jean rà:laiuérent aoo intervention . et dans Itt séiuioe du
b des calendes d'août, ces prélats dérrélérent de grandes iU'
diligences en faveur de tous les lideles cjui concourraient . par
leurs oilraiides, à l'achèvement de cette église. Le» travaux k
trouvant ainsi repris pendant l'occupation du Houssilloii par
les rran<;ti», la voûte fut terminée, et les armes de France
furent «vulptées à la clef de cette voûte. au-deMUs du »aDe-
tuaire, La reine de ^apIes , doim Saiicia, infante de Majorque,
avait déjà fait terminer n ses frais la cliapeiic de la Vierge, dite
du la Ma^rana : cette princesse donna pour cela 1^5 llorîiu
il'nr, valant trente-cinq onces. {M. S. du chait. Coma.)
L'élise entière ne fut complètement achevée qu'on iSio;
cejjeudant. dès l'an i5o4, époque à laquelle l'orgue fut placf.
un avait commencé à y célébrer quelques oflices. La consccnilion
aulennelle n'eut lieu toutefois que le 16 mai 1509. On trouve
dans les archives de la ville une publication faite par ordre à»
consuls, obligeant tous les habitants, vu ia sainteté dasam-
ment de la dédicace, à se rendre à l'église de Sainl-Jean, pour
assister à la messe et vËpres qui y seront célébrés, *diu peiwJt
cinqioiu d'amende. [Lib. Ordinal.)
Le retable du maître- autel lut d'abord de bois doré. Va
siècle plus tani , le chapitre et les consuls s'entendirent pour
faire les fonds néc«ssaires pour payer celui , en marbre blaoc .
qu'on y voit aujourd'hui. Le zèle fut tel , que ce travail , d'uw
assez belle exécution , entrepris à la fin de iGiS, parunscnlp^
leur de Barcelone, se trouvait déjà, le 5 juillet de l'année joi
vniite, presque nu point où on le voit aujourd'hui : In nwrl ^
l'artiste enipiV'ha qu'il fût achevé.
DE LA PKEMIEKE PARTIE. 475
L*église de Saint-Jean n*a qu'une seule nef, mais imposante
par sa grandeur et par la hardiesse de sa voûte. La largeur du
vaisseau , entre les piliers qui séparent les chapelles en enfon-
cement qui régnent sur les côtés , est de soixante pieds ; sa lon-
gueur, depuis la porte jusqu'au chevet , est de deux cent qua-
rante pieds , et la hauteur, sous voûte , est de quatre-vingt-sept
pieds. Une lézarde s'étant manifestée dans les grosses mu-
railles, du côté du clocher, au commencement du xviii' siècle,
on se hâta d'y faire quelques réparations ; mais ces travaux ,
maladroitement calculés , ne firent qu'augmenter le mcd. L*ar-
chitecte des états de Languedoc appelé à Perpignan par l'in-
tendant de Roussillon, fit, le 27 février lyAii un rapport
duqud il résultait que les réparations qu'on avait exécutées
avaient occasionné une nouvelle lézarde , que le mur de l'église
présentait un ventre de huit pouces , et qu'il existait une pous-
sée de la voûte d'ogive contre le mur de face extérieure du
clocher ; il conseilla , pour arrêter le mal et consolider le monu-
ment, la construction d'un contre-mur avec des arcs-boutants
pour soutenir l'ancien : ce qui fut exécuté. (Arch, près.)
Le clocher, suivant la tradition , était de la même date que
l'église du vieux Saint- Jean , et ce qui reste dé" la construc-
tion primitive ne dément pas cette origine. Cette tour, fondée
sur quatre gros piliers angulaires , était terminée par un dôme
couvert en plomb *, sur lequel s'élevait une statue de Saint-
Jean , de dix pieds de haut. En 1 709, cette tour menaçant
ruine, on en démolit la plus grande partie, qui fut reconstruite
en briques "* et à pans coupés , comme on la voit aujourd'hui.
La tour de l'horioge était aussi , k la même époque , terminée
par un dôme couvert de plomb, qui s'écroula en 1717. La re-
construction n'en commença que longtemps après. En 1 787,
* I^ dépense da plomb fat faite par 1m consub, avec let fonds de la ville, auMibien qae
ctUedee denx grandes cloches, qui furent fondues le 9 novembre i353. Note da livn vert mintur.
" Les pierres dont était construite lancienne tour servirent à paver le parvis , qui avait
d*aboird M fait en briques.
476 NOTKS
oii descendit In ditchc. ifu't tlulr de l'on 1.^99 *, et on refit In
deux mure en pierre» de luilie, L'dégante cape de fer qui 1er
mine U tonr. fat fHitc en 1 7^3 . >-■( te 1 ^ mai de l'aitn^ lui-
tHfil« Qii y rvplarn In cloche.
Lt façade de l'^liso nt resli^ sans ornement», faute d« Ebiid«.
Au xvii' aiérle on lileva, devant la porte. )c tambour en m*-
i,»nnerie que couronne nii dôme »urnionl4 de In statue de
laint Jemi. cl on construisit le psrvi» rjui U prrcède. De
I haque cité ilc l'entra de ce pnrvi» on plaça nnc sinine , enle-
va depuiv la i^union du Konssillon ■ la France. La statue de
gauche représenUiit un vieillard portant »ur sa poitrine nn ecu .
avec cette inH'ri|)lion . Innala /iilrtilm in conle Pcrpiiiianeiuiim ;
il montrait du datgt un pli de »n rolw où se trouvaient renfer-
més un cliien, nn rhnt, nn rnl et des lambeaux d*enfant. nvec
cos mot» : En eihai et etra Perpiiuanrniitm pra lervitiù régit et pa-
Irim. Celte statue fui [losiV! I'- fi tnnrs 16.^1 : sur son piédestal
on lisait c«s trois inscriptions :
Première inscription. JVon mihi, uni tnli Deo honor ri ijlona
Deuxiénte inscription. Fiêeliuima aria Pfrpimanrniii.fmdiUa
aiitt X" advêulum, i>ccci.ixx oniiM; 1 eomilihua gubrrmtta al aium
Dùmini nccc luijue ad MKhwu.
Troisième inscription. Eccifsiœ vêlera Sancti Johannis cowe-
La seconde statue , qui était placée du côté de l'hoHoge , avsîl
été inaugurée sur son piédestal te 18 juin de la même année;
elle représentait ta vilte de Perpignan, sous la figure d'up
guerrier casi^ué et cuirassé, ayant sur ta poitrine cette inscrip-
tion : Fiiiem à Sancio Pauio. ftdetitatem a natara, roiuiliam t
mcis, arma a t'icloriis, tituiamJideUssimm a servitiit; cl/nem et "<■'
riim Hispaitiœ ab obedientia sustenlo. Au piédestal on lisait la lin
de l'inscription de l'auti-c piédestal . en ces termes :
DE LA PREMIÈRE PARTIE. ^77
Première inscription. Gubernata per Aragonum reges, ah an-
no MCLXXii usqiie ad mcclxii : per reges Majoricaram, usque
ad MCCCXLIV : itérant per reges Aragonum ad mcggglxii, quœ fuit
per reges Galbrum tyramûce oppressa y usque ad mggggxciii, quœ
fuit régi Aragonum restituta.
Deuxième inscription. Non gestis sed solo servitio Dei glorior.
( M. S. d*Honoré Clavari. )
L'église de Saint-Jean possédait autrefois un ostensoir de
vermeil, de plus de six pieds de haut, et dont le poids excédait
quatre cents marcs *. Pour le porter aux processions du saint-
sacrement, il fallait huit ecclésiastiques des plus forts. ( Voyage
pitt. de Rouss. )
NOTE XIV.
Sar les portions canonicaUs à la mense de Saint- Jean.
La quantité de vivres qui formait chaque portion canonicale
aurait de quoi e£Brayer, si Ton ne savait pas que la charité en-
vers les pauvres est une des vertus imposées au sacerdoce , et
que Texcédant de la table capitulaire donnait à chaque cha-
noine les moyens de faire chaque jour une large aumône. Voici
à cet égard ce que nous trouvons dans le manuscrit du cha-
noine G)ma.
«La mense commune (capitulaire) avait de rentes environ
«deux mille florins d*or d'Aragon. La portion de pain et de
« vin qui se donnait aux chanoines , ainsi que celle des dilTé-
• rents autres aliments , était si excessive , qu'une seule aurait
« suffi à la nourriture de quatre personnes. En effet, on donnait
• à chacun une livre de pain du poids de trente-huit onces
• (équivalant à environ treize hectogrammes), de très-belle fa-
* Cette belle pièce ainsi qu'un plat sur lequel se trouve la tête de saint Jean , le tout en
argent, étaient un don de la confrérie des pareurs de Perpignan, et attestent la richesse de
cette corporation, qui avait contribué puissamment ii la construction de 1 église, où elle avait
une chapelle à la droite du sanctuaire. Marcé, Euai tur la manurt de rrcueillirUt denriei du
RotuiUloH.
«8 NOTES
• rinp. rt une certniii* mt-sure tie viii ap[wl*d /wdri* (é(|iii«a-
«Unt h lieux litres quatre treiuéntm). Chnque jour, ^o* ou
• maigre, un «ervail au réfectoii-e deu» sotipp»; nu x jours in»i-
■ gnw, l'uDe ^Liit irbortola^s. l'autre de Irgunu-s- Ces joiin-
■ là un (loiiuait de deux e^^péces de poÎMon , l'une de pobun
■ frttit. l'aulre de poiuoD salé. En carèoie et aux jours de jeûne
■ aussi bien qu'aux vendredis de l'nnn^. le cliapdain (cdui
■ qui élail rliai-){^ des dislribntioiii) était tenu de donner à
• chacun trois morceaux de poiston frais ou salé, excepté dc-
■ puis le premier vendredi apr^s PAques juvqu it la Saint-MicW
■ de septembre, qu'on (ttmnnil n rliKuiiriiiq (euIs eu sus de ce
■ qui est dit, K un jwtit friimagn. Mats le vendredi saint, en
■ m^oire do la mort et pasiion de Jésus-Christ, ou ne piaçaîl
1 sur In table cuinmune que des foucices chaudes et de l'eau.
■ Les samed-îs ou jeiïuait en l'Iionneur de Notre-Dame, et on
< servait douse oeufs et du jardinage. La vigile de Sainl-JMu on
« donnail pour dessert trois fi(;ne» Iraiches ou auliv fruit. Aax
■ villes de lo PcRterûte. do l'Ascension, de Saint-Jean, du
• Saint-Pierre, de Saiut-Paul cl aulres. en sus du poisnon.
■ chacun recevait cinq trufa.
• Aux jours pr"-'' "" donnait enli-e six |)ersonnes un quir-
• lier de mouton qui était apprêté de trois manières difTérentes,
■ aussi bien que le quart d'un aduaco, et on jetait dans ta mar-
• mite de gros quartiers de vache et de porc. Le jour de Noët
■ le chapelain était obligé de distribuer entre six un agneau rôti
• avec deux soupes de paradei ', et de donner deux deniers de
• uectar [ il doit vouloir dire hypocras ) , et un denier de gaulres.
■ Aux jours de Saint-Etienne et de Saint>Iean l'évangéliste , on
• distribuait entre deux personnes un oiseau dit cyrogrHlat~.et
• l'on ajoutait des épices aux soup^ ; la m£me pitance se don-
î
DE LA PKEMIÈRE PARTIE. 479
nait à la Grconcision , à l'Epiphanie et à la Puriûcatiou , avec
force vache (c*est sans doute bœuf qu*îl faut entendre), et
porc à la marmite. Le dimanche de carnaval on partageait
entre six un quart de nK)uton , et on donnait une moitié de
poule à chacun. Aux trois fêtes de Pâques oo donnait un
chevreau pour quatre personnes, la moitié en était ix>uillîe,
Tautre moitié rôtie; on ajoutait ces jours-là du petit-salé au
bouilli, et la soupe était de macarons. Aux jours de T Ascen-
sion et de la Pentecôte , comme aux jours de Pâques , le jour
de Saint Jean on mettait au pot au-feu un gios morceau de
vache et de porc , et on partageait un canard entre deux ;
même chose au jour de TAssomption. Tous les dimanches,
depuis Saint-Jean jusqu'à TAssomption , on partageait entre
quatre personnes un gros canard en sauce.
« Tous les jours de distribution , les restes du diner étaient
distribués aux pauvres qui attendaient à la porte. Quand un
des conunensaux s'absentait, ou 5'i7 n'avait pas assisté aax ser-
vices divins, sa portion ne restait pas au proiit de la mense
conunune ; elle augmentait celle des pauvres , etc. >
NOTE XV.
Sar le combat singulier entre le roi d Aragon et le doc d Anjou.
L'histoire de Pèdre m , roi d'Aragon , se lie trop intimement
avec celle du Roussillon , pour qu'il ne nous soit pas permis de
défendre sa mémoire de l'odieuse inculpation dont n'ont pas
hésité à la flétrir quelques écrivains , peu soucieux de cette im-
partialité , premier devoir de l'historien.
Les circonstances qui firent manquer le combat qui devait
avoir lieu entre ce prince et le roi de Sicile , Chaiies d'Anjou ,
chacun à la tête de cent chevaliers , sont racontées si difiérem-
ment par les historiens des deux nations , que ce n*est , comme
y invite Ferreras , que dans les écrits de ceux qui n'avaient au-
cun inlérèt à Uirc la vérité.
quoi
cheit-l.c
I I» ,M.
Suivant In Fraoçais, l'cdre aurait propose liiitnôm« te c«rtd,
«t il ne l'nurftit fnit que tiens le seul objet de ^gner du temp*
Bn Sicile, en attciidaiil quu les maindies vinssent détruire l'or-
mée frHn<;ni*c. Im lAi^lielt^ du voi rl'Arngon, qui n'aurait pu
paru au mndei-vous . taiidi» que le iluc d'Anjou . roi de Sicile,
Mrait reaté en armes, au milieu du cliaiup dus . depuit le
soleil levaul jusqu'uu soleil louciiunl, le jour que devait aroir
lieu le L'ombnl . l'aurait seule fuît manquer. Suivant les Aragon-
nais , Charles d'Anjou aurait porli^ le pi-emier dél'i ; il aurait a»-
signi^ lui-ni^me la ville de lloideaux comme le lieu du combat,
el y «orail venu avec le roi de France, qui se serait fait suivre
de douie mille cLovaui artii^'s. Le roi d'Angleterre, inrormé de
celle circonstance, et jugeant bien qu'il ne pouvait pas assurer
le camp nu roi d'Aragon , n'aurait pas voulu se transporter »
Bordeaux, et imn sénéchal aurait fait connaître cette réaoIutitiD
nu rui don l'èdre. Oclutci , malgré les dangers qu'il poiiviit
courir, se serait œiidu dans cette ville . déguisé . aurait dcmanil^
acte de sa présence
guago de sa venue .
mains de cet oITicier.
Il répugnera toujoi
roi comme Pédre, qi
jamais aucune
seul son royaui
lancée contre lu
de générositi' di
'bal. et aurait laissé, en témoi
le , sa lance el »ou épée entre let
tout lecteur impartial de croire qu'un
t'ait de si grandes choses, qui n'évita
de combattre , qui défendit presque
2 contre toute la croisade que le pape avtil
qui paya si souvent de sa personne et mit taat
is sa conduite envers le roi de France et se
I dcnoùment de leur funeste expédition en Calati^;
que ce prince , disons-nons , ait pu se rendre coupable de l'x^
tion dégradante qu'un lui prête : cette expression infâme, t*
mol lâcheté, semble reculer de lui-même devant son nom.
Thomas livmer. compilateur des actes publics de l'hisloiR
..J
DE LA PREMIERE PARTIE. (i8l
d^An^eterre, en fixant l*opiniou sur quelques-unes des circons-
tances de cette célèbre discussion , montre le jugement qu*on
doit porter sur lensemble.
Les articles arrêtés par les commissaires désignés par les
deux princes pour régler les conditions du combat furent en
substance :
« Que le combat aurait lieu à Bordeaux dans le lieu que le
roi d'Angleterre jugerait le plus convenable, lequel lieu serait
environné de barrières;
• Que les deux rois se présenteraient devant le roi d'Angle-
terre pour donner ce combat le i" juin 1 283 ;
« Que si le roi d'Angleterre ne pouvait pas se rendre en per-
sonne à Bordeaux les deux rois n en seraient pas moins tenus
de se présenter devant celui que le n>éme roi aurait député
pour recevoir acte de leur comparution ;
« Que si le roi d'Angleterre ne se trouvait pas en personne au
même lieu , ni n'envoyait quelqu'un pour tenir sa place , les deux
rois seraient encore tenus de se présenter devant celui tfui comman-
dait à Bordeaux pour lui ;
« Que le combat ne pourrait avoir lieu quen la présence du roi
d'Angleterre et non devant qui que ce fut des gens de ce monarque,
sauf aux deux rois de convenir entre eux , par un consentement
mutuel, de combattre de cette manière, c'est-à-dire en l'ab-
sence d'Edouard ;
« Que si le roi d'Angleterre ne se trouvait pas en personne au
lieu et au temps marques , les deux rois seraient tenus de l'at-
tendre trente jours;
« Que celui des deux rois qui manquerait de se trouver au
lieu et jour désignés serait réputé vaincu , parjure , faux , in-
fidèle, traître; qu'il ne pourrait jamais s'attribuer ni le nom de
roi ni les honneurs dus à ce rang ; qu'il demeurerait pour tou-
jours privé et dépouillé du nom de roi et de Thonneur royal , et
serait incapable de tout emploi et dignité comme vaincu , par-
I. 3i
W2 \OTKS
jiire . fauk . ifilHlrlo , inràniu «^(«nwllant^ul. ■ Voye* le te)de tU
rrt ac«)ni dmin Rymer. Inciii' U.
Ui rni (l'AiiglitU-'irp nuviiît tro(t bien le* dispoxilïoii» que fiii-
MÎI la rni it« Frunt-u («nr «muixt le wirrM du rambat «n ft
veiir de >nn ouclu [Htur oter {iromrltre la iiireti^ du camp n
rtri d'Ara(»oii : c est ce inolif ijni i'i'mjiiVho du »c- rendn» à Bof-
itoaua ol (l'autoriser la haUiUo. nin» qu'il s'en cxfdiqiiii kvoc le
rai de Sicile . Charim d'Anjou, (|iiand il lui ^ril ^ua fSMirfif
pourrait gognnr Irt ihux tvyautnei A'Anujonet ih Sifile, l'JncM»
(6wf fHU affunrr f' raui^ aiu: dtiu: mit ni ptrmtttn f ue ce Ja^
MJttiin ourun (ifu de au dimiinalion . ni «n auriin autre où il$ml
oa «on fMMiMir de Vempichet. I«i iiutaocM (rM-pr^esantca du
pape, tout (li'ntiiiéà CIiuHm. pour qu'txlouui-d ne pt^nnll pu
)e cnmbal . motivaitMit «ans doula aussi U lin du pacage qiie
non» riions. Le^ hislorien* frani;nii qui conviennent det il^
marchea midtiplii^» du pape aupn'-s de» rois d'An^lvIenv rt Hf
France pour i^u'iU s'appotnwcnt au caml>at du prince non la
vori . contre un advpruniif qu'il avait ctimnM-nrt^ par fticom
muiiier pour le mettre linrs du droit oommuTt . ne renur
quant pas qu'ils font du duc d'Anjou uii fan» bratr. qui, lùr
du triomphe par le sii'ours di*» lances françaises qiip Ip mi Plii
lippe avait réunies autour de Bordeaux . n'aurait tenu daas
toute cette affaire qu'une conduite de fanfaron, ce qui ne <>
nullement au caractère de Cliaries. féroce il est vrai, mis
brave et lojal. Les torts . dans cette circonstance , appartiennenl
au roi de France, qui avait fait avancer ses troupes sons Bar-
deaux pour assurer le succès à son oncle malgré même la vo-
lonté de celui-ci.
Il est bien avéré que Philippe , a qui on a si sin^liéremenl
donné le surnom de Hardi , puisque . comme le remarque Hé-
lerat , rien dans sa vie ne peut le justifier, avait entouré Bor-
deaux de ses troupes et tendu ainsi desembùcheaau roi d'Aragon.
Los savants historiens de Languedoc alTirmentque ce princeanil
DE LA PREMIÈRE PARTIE. /i85
convoqué toute la noblesse de son royaume pour raccompagner à
Bordeaux, et les archives de Montpellier leur ont fourni la preuve
que le sénéchal de Gircassonne avait mandé , en conséquence ,
les principaux vassaux de sa sénéchaussée , et leur avait or-
domié de se trouver à Bordeaux en chevaux et en armes avec
les gens de leur suite le 3i mai 13 83 * : or, le 3 1 mai était In
veille du jour assigné pour le duel. Comment après avoir donne
des témoignages si authentiques du peu de sûreté qu'il y avait
pour le roi d* Aragon à se rendre librement au rendez-vous , ces
historiens peuvent-ils, quelques lignes plus bas, accuser ce
prince d* avoir craint de prétendaes embûches ? Etait-ce pour ne
la rendre que simple spectatrice d'un combat dont il n'était
pas juge et qui ne se donnait pas sur ses propres terres que le
roi dé France faisait prendre les armes à toute sa noblesse ?
Charies se trouva à Bordeaux le 1" juin , et y resta , dit-on ,
toute la journée au milieu du champ clos. Mais pourquoi cda P
ce prince savait très-bien que le combat ne devait pas avoir
lieu , puisque le roi d'Angleterre lui avait écrit d*une manière
si précise qu'il ne voudrait pas permettre , au prix même des
deux royaumes , que le duel se fit en aucun lieu de sa domina
tion : les historiens français qui rapportent cette conduite de
Charies lui font donc faire une rodomontade. Muntaner, écrivain
contemporain et qui raconte avec beaucoup de détail toute cette
a&ire, ne parie nullement de cette circonstance, et en cela il
rend plus de justice à Charles. La seule chose qu'eût à faire
le roi de Sicile c'était, aux termes du paragraphe à, de faire
acte de comparution par devant le sénéchal du roi d'Angle-
terre. D'après le paragraphe 6 , il aurait dû attendre à Bordeaux
pendant trente jours la venue du roi d'Angleterre ; mais il savait
très-pertinemment que ce prince n'y viendrait pas : raison do
plus pour que Charles n'ait pas fait ce que lui prêtent les his-
toriens français.
* HUtfin fimérûli de Lanjutéoc . tnm« TV, pag. 4 > •
Uharlcn fil l'acln tir iTnuipiinitinii nuquet il '^sil tenu el su
râtfl tl Bonlcjuix; {icnikiil l'c li'inpx les Ixuupes françaîHM f;iirt-
tairol l'tirnvpf (lu nii i]'Ara)^u jiour s'emparer de. m
c'ent dti muiru ut que celui-ci uvuil taule raison de cninilrr, «l
re qui muliva le il^uïwineul<[ii'il prit pour entrer «IlanfHiii
en loiiUi hùrelf^ et faire «'gaiement acte de coinpanitiou. (7(91 li
aaiiiaeuuial ce k quoi ih Élai^-nt leim* l'un «t r«iilre. i:ar puur
In bataille, HOU» le rrpolon* , elle ne poiivaîl piu nvoir lieu, Ir
roi d'AaitUilvrra ^nt ala«nl et n'aynnt d^ignr pectonne pour
le reBiplAccr ; r'c*t encan ce. que ce (>rince proclame htsi»'
Hieul (bti* la lettre qu'il (^rivjt «u pritice de Snleme. Tili ir
(HinHe*. que Ai>fl loin d'avoir aa^vrJè à toa pèrr en tfa'il lai né-
mande loitchani ce nmbal , it Va rv/uté loui ifutrv : re nM lt>
«ipreMioiis vat-au>» d'bdouard, dan» cette lellrequ'il avait ticnlt
en fnui<;aî» , el que Hi^iner rnpporle flan» «on tonte II.
Pâlir noua ri-namitr, si le rninbat entre les deux mit u ■ p•^
«m lieu , on n'ait pu [Mr la Tiiiite dii roi d'Aragon , moins eutn
par M làcliol^, luoi qui. «uivatit l'exprosKion de MonUigM.
biirlc de ae Iniuver à eùt^ de l'e niitn ; c'e^t ytar In Taule du >rul
rui de France, dont la cai)duile iiesaureil »« justifier n rmicii'
Wiail que le roi d'ArBRûi) tlaJl sous le poids des Toniln» ^
l'église, que cet analhcme le nacttait hors du droit commun,
et que, dans les idées ilti temps, tout étant permis contre un
excommunié, une fierridîe cessait de paraître contre lui une
action détestable.
NOTE \V1.
.Sur tinlrrrofiatoire drs lem'Airrt du RousnlloH.
Tout ce qui se rattache à ces malheureux, que de ■rop
gmiiiles riche.«ses. et san.s doute aussi la crainte qu'ils u'-
busnsseni plus tard de l'inHuence que leur donnait ces mè\acs
rii'hu.'ise» , pn^ipititrcnt à leur ruine , intéresse vivement aujour
DE LA PREMIERE PARTIE. 485
à raison de riiorrible injustice dont ils périrent victimes
a plupart. Nous croyons devoir extraire des savantes et
euses recherches de M. Raynouard ce qui se rapporte
mpliers du Roussillon > dont rétablissement était au Mas-
et nous le faisons avec d'autant plus de plaisir que ces
tiers sont du nombre de ceux qui soutinrent le plus lié-
ïment l'innocence de Tordre.
fut dans le courant du mois de février iSog que, par
z de Tarchevéquc de Narbonne, son métropolitain. Té-
d'E^ne commença une information contre vîngt-cinq
iers du Mas-Deu qui se trouvaient alors détenus dans le
lu de TruUas. «Tous soutinrent Tinnocence de Tordre
cette fermeté et cette candeur que la vérité seule peut
irer. Le livre des statuts fut déposé entre les mains de
que; ils déclarèrent qu^ils ne concevaient pas que des
iliers eussent fait Taveu des crimes qu'on imputait à
Ire , puisque jamais Tordre ni les chevaliers n*en avaient
oupables ; que si quelqu'un d'eux avait &it de tels aveux
ait menti par sa gorge ; un autre ajouta que celui-là de-
être le diable incamé sous la peau étnn homme.
AYMOND DE LA Garde, précepteur du Mas-Deu, observa
selon leurs statuts un chevalier coupable des dérégle-
ts de mœurs qu'on imputait à tous aurait perdu Thabit
'ordre , et , les fers aux pieds et aux mains , aurait été
dans une prison pour y être nourri du pain de la tristesse
>reuvé de Teau de la tribulation tout le reste de sa vie.
ARTHÉLEMi DE LA TouR, prêtre, s'exprima ainsi: Je ne
( pas , sauf Thonneur et le respect que je dois au souve-
pontife et aux cardinaux qui attestent les aveux du grande
tre, je ne puis pas croii*e qu'il ait avoué les crimes dont
Ire est faussement accusé.
•ÉRENGUiER DE CoLLO dit : En Thonueur de la croix et de
is crucifié les frères de Tordre adorent solennellement 1^
tm NOTKS
• croix U'oia foû l'HuaMcIt? veiuircdi »aiiit tl le» joui-s des tHi
> de la croix en mai el «n septembre.
> Jban dk Coma, [ir^lrp. ejouta que bien loin d'iiiRiiiter « la
■ croix Ir» chevalier* flvnieiU pour die un le) respect, que In»-
• i]u'iU duvAici'l Riititfaire a ipjclqiies bemim nature!», ii
■ ivaienl l' Attention Hn dtfKMcr leur uianleau , où «>t b li^n
-drlacntix..
1 L'iiifunnation iiit Ivriniiic): !<■ 1 1 de> caleiiden de sepleuiNT
• l^io. • Moaamenli hiit. rtlal. à la i-anilam.drs chev, ilii Teitpli,
paj(e> àh et ^67.
NOTE Wll.
IMalion d» l'oj-nji Jr Miuitancr, dr Colonr A Prrpujnan . (mur ajifiurtf
rinjanl Jaymr A $f>n aï/alt.
• Quand rinl'ant don Fernand fut parti de Meitsine (puur l>
Uor^). je nolîsai une net' de Barcelone qni était à PiiHW
pour qu'elle vint è Messine et de là à Catane , et je li* é^-
nirnl puster dans cette ville une Irejt-bonne dame de parop
qui était Amjiaurdanr! et sn nommait madame Agnès Dtin.
venue en Sicile dans la coinpa^'iiîc de iiolilc dume Isabelle ilt
Cabrera, femme du noble Bérenger de Sarria. Elle avait w
vingt-deux enfants, et était très-dévote et pleine de boDtàJt
[n'arrangeai avec celte dame et avec ce noble personna^ poar
qu'il la laisaât venir avec moi , afm de la charger de la guit
du seigneur infant, messire Jayme. fils du seigneur in^'
HMsaire Femand ; et il me la laissa par un effet de sa courtoiW'
Je lui confiai donc le seigneur infant , parce qu'il me pariisuit
qu'elle devait avoir beaucoup d'expérience en ce qui coDcenc
les enfants, et qu'elle était d'une condition distinguée etl»
iiorée. H y avait là aussi une brave dame qui avait été noomM
de l'infant don Femand et que madame la reine de M^OT]i>e
lui avait envoyée aussitdl qu'dle apprit qu'il s'était mari^-J*
J
DE LA PREMIERE PARTIE. 487
ris encore d'autres femmes, outre la nourrice de l'infaDt, qui
tait une femme de Catane forte et bien constituée, et qui l*al-
âitàt avec grand succès. Outre cette nourrice j*en pris encore
eux autres que j'embarquai dans la nef avec leurs nourris-
>ns , aiin que si une venait à manquer, il y en eut toujours
'autres pour la remplacer. J'enibarquai ces deux dernières
rec leurs enfants pour que leur lait ne passât pas et qu'elles
ts allaitassent jusqu'au moment ou leur service deviendrait
écessaire.
« Mon voyage étant ainsi disposé , je mis un bon équipage
ans la nef, et j'y fis monter cent vingt hommes d'armes de
arage et d'autres , et je me munis de tout ce qui m'était né-
essaire pour la nourriture et pour la défense. Au moment où
appareillais de Messine arriva de Qarence une barque armée
ue le seigneur infant envoyait au roi de Sicile pour lui £ùre
avoir la grâce que Dieu lui avait faite (la prise de Clarence) ;
t il me le mandait à moi-même avec détail pour que je pusse
n informer le seigneur roi de Majorque , madame sa mère et
es amis ; il m'envoyait aussi des lettres pour madame sa mère
t pour le seigneur roi de Majorque , et me priait de me hâter
le quitter la Sicile. Assurément je me dépéchais bien , mais je
ois bien plus de diligence encore quand je sus ces bonnes
touvelles.
« Je ils donc partir la nef de Messine pour Catane où je me
endis par terre , et peu de jours après mon arrivée elle entra
lans le port et j'y fis embarquer tout le monde. Au moment de
tire monter à bord le seigneur infant, messire Ot-de-Monel
gouverneur de Catane) fit rassembler tout ce qu'il y avait de
hevaliers catalans, aragonnais et latins dans Catane, ainsi
rue tous les citoyens honorés de la ville , et s' adressant a eux
1 leur dit : Reconnaissez-vous , messieurs , cet enfant pour le
leigneur don .layme, fils du seigneur infant don Femand et
le madame Ysabelle, sa femme défunte PTous direnl que oui .
488 NOTKS
«gii'ils avaient assisté à son bapléme. qu'ils l'avaient cnMulr>n
(Il connu , et qu'ils étaient sûrs que c'était lui. Sur ctïtte ilécli-
ration le seigneur Ot tit di-esser un acte public. Il répéta eiuuile
la même queilion . et ïur la même rép}n»e il lit faii^ un second
acte public, et il retommen^o une troisième Tniiet fil Tain un
Iniistémc écrit. Il mil ensuite l'eofanl ilans mes In-as , el voulul
avoir (le moi nn nouvd acte lémoijîuuut qu'il était quille du
serment el bommu^c qu'il m'avait fuît . ol par loquet je recon-
naissais avoir re(;ii ce dépôt. Quanti cela fut terminé j'eroporUt
de la villo, dans mes bras, le seipineur inânt, suivi pir pin»
dtt mille persomies. et quand je le mis daus la nef tout Inr
liront if sip>e de la croix cl lo bénirent. Ce jour-iii «rriïii »
Catnne nn huissier du seigneur roi Frédéric, apportniil de»
part deux puires de rol>es de drnp d'or, avec divers préiiciu pour
le setgmuir itiFnnt don Javmp,
• Nous lunes voil^ de Cnlunn lu premier aoûl de l'an i3i5
Quand je fus au ca|> Trapani je reçus des lettres où l'on i»
di^sit de nie mélier de quatre galères q«i avaient Hé arorfn
contre moi poureidever celenfaiil, psrce qu'on s«]^)osailqw
si on pouvait l'avoir on recouvrerait la ville de Oarenw. Kn
apprenant celle nouïi4le j'Hupneiiiai encore les force* ilt tt
nef. et j y mis plus d'armes el plus de gens, et je vousfmHiiN>
que de quatre-vingt-onze jours ni moi ni auCMne des (éninK)
qui étaient avec moi ne mîmes le pied à terre. Nous nousanf
lames douze jours à l'ile de Saint-Pierre (dépendant de Is Str-
daigne), et nous y attendîmes le départ de vingt-quatre neb.
tant catalanes que génoises, qui allaient au ponent. Nouspv-
limes tous ensemble de cette île . et nous essuyâmes une tdk
tempête qu'il y en eut sept qui se perdirent, et nousell»
autres fûmes en grand ilanger. Cependant il plut à Dieu dt
nous lai.sseï' prendre leriv à Salon . le jour de la Toussainl.
"ans que jamais la mer eût fait le moindre mal an seipMW
infant ni à moi ; car il ne sortit pas de mes bras ni nuit ni jour
DE LA PREMIERE PARTIE. 489
lut que dura la tempête. Je devais le tenir moi-même, parce
ue la nourrice ne pouvait se soutenir tant elle souffirait du mal
e mer> ainsi que les autres femmes , qui ne pouvaient ni le
orter ni se mouvoir.
«Quand nous fûmes à Salou Tarchevêque de Tarragone,
lonseigneur don Pierre de Rocaberti, nous envoya autant de
lontures que nous en avions besoin , et on nous donna pour
abitation Tbôtel de Guauesch. Nous nous en allâmes ensuite à
etites journées à Barcelone où nous trouvâmes le seigneur roi
'Aragon qui accueillit très-bien le seigneur infant , voulut le
oir> le baisa et le bénit. Nous nous remimes ensuite en chemin
vec la pluie , un grand vent et très-mauvais temps. J*avais fait
lire une litière sur laquelle le seigneur infant était placé avec
a nourrice ; la couverture en était d'un drap enduit de cire et
e dessus de preset rouge : vingt hommes, au moyen de bandes,
SI portaient sur le cou , et ainsi attdés ils mirent vingt-quatre
3urs pour aller de Tarragone à Perpignan. Avant d'arriver dans
etle viUe nous trouvâmes frère Raymond de Saguardia , avec
lix cavalcadours que madame la reine de Majorque avait en-
oyés pour accompagner le seigneur infant, si bien qu'il ne
'doigna jamais de nous , lui et quatre huissiers du seigneur
oi de Majorque qui nous avaient été envoyés dès que nous
urnes à Perpignan.
«Quand nous arrivâmes au Boulou, pour le passage du
?ech , tous les hommes de ce lieu sortirent ; les plus forts pri-
ent la litière sur leurs épaules et firent traverser la rivière au
eigneur infant. Cette nuit nous fûmes joints par les consuls et
^rand nombre de prud'hommes de Perpignan , et par tous les
hevaliers qui n'avaient pas accompagné le roi de Majorque en
'Vance (à Montpellier). Nous entrâmes ainsi dans la ville de
'erpignan au milieu des honneurs qu'on nous faisait , et nous
nontâmes au château où étaient madame la reine, mère du
eigneur infant Kernand , et madame la reine , femme du sei-
MO NOTES
)tnpiir rui dri Mnjorque : et toutes deux . quand «Jlm nom timil
montrr nii rhiitcnu . descendirent à la chafidle '.
t Qtianil noiu IViiiies nrriv«f n la porte diidit cbàtnau . je {irù
ilan* tni-n lirn* 1p M'ignt^ur inrani , el là , avec grande joie, je )c
portai dt-vant Un mncs qui étaient ensemble. Que Dîeti nau»
lionne untanl île ^nir qu'en restentit madame la mne. vm
ftieule. quand elle Ir vil ainiî grftcienx et beau , av«c la bct
Hniite et belle, et vêtu de drap d'or avec un manloau ù la m-
tala ne fourré , et un beau batal (bonftot en foritiedottiorlî^jiJu
m^mc drap sur (a léte. Quand je fui pr^ de» reine» je m'ige-
nouillni et baisai la main de rhacune. et Je fis baiMT au wi-
^etir in&nl la main do ion iiieide. Quand cela lîil fait élu
voulut le prendre don^t rcs bi-a« , mais je lui dis : Paile»-nioi li
fjice et tnnnri. t>t qu'il nevousdi-pUisepas . car vous ncratuei
paa que je n'aie été déchargé dn lardcau que j'ai. Madame It
reine se mil k rire et dit qu'elle y consentait. Je lui dis alori:
Madame . le lieutenant du sei^ueur roi csl'ii ici i' et elle dit ■■
Oui, «eigncur, le voici : c'était uieKsire Hugues de l'otao. Je dt-
mmidai ensuite m le bailli élait ik, ainsi que le vtguier et 1»
consuls de Perpignan ; ils y Étaient. Je demandai alors un no
lain public qui se trouva là-, il y avait aussi beaucoup àt
c-hevnlien ainsi que tous les hommes bonorés <le la v iUe. Qufl.iii
tous furent réunis. Je fis venir les femmes, les nourricea. In
chevaliers el fils de chevaliers et la nourrice de monKigneur
Pemand. et en présence des dames reines Je leur demsiulii
par trois fois : Reconnaissei-vous cet enfant que je tiens dam
mes bras pour l'infant , messire Jayme , premier né du seigneor
infaut , messire Fernand de Majorque . et fils tie madame Y»
belle , sa femme f Tous répondirent que oui. Je répétai la même
chose trois fois , et chaque fois on me répondit qu'il était bien
certainemrat celui que Je disais. Et comme j'eus dit cela je n-
DE LA PREMIÈhE PARTIE. 491
quis récrivain de m'en donner acte public. Je dis ensuite à
madame la reine , mère du seigneur infant messire Fernand :
Madame , croyez-vous que ce soit là Tinfant Jayme , ûls de Tin-
fant , messire Fernand votre fils , que mit au monde madame
Ysabelle , sa femme ? Oui , seigneur, dit-dle. Et trois fois je ré-
pétai la même question en présence de tout le monde , et elle
me répondit de même : Oui, je suis bien sûre que c'est là mon
cher petit-fils et je le reçois pour tel ; et je demandai acte pu-
blic de cette réponse au témoignage de tous les ci-dessus
nommés. Alors je lui dis : Madame, de votre part et de la part
du seigneur infant, messire Fernand, tenez-moi pour bon,
loyal et quitte de cette conunission , et de tout ce dont j'étais
responsable envers vous et envers le seigneur infant, don Fer-
nand , votre fils ; et die me répondit , Oui , seigneur, et je ré-
pétai la même chose trois fois , et à chaque fois elle me répondit
qu'elle me tenait pour bon , loyal et quitte , qu'elle me déchar-
geait de tout ce dont j'avais été chargé envers elle et envers
son fils ; et j'en fis dresser acte public. Et quand tout ceci fut
fait, je lui livrai le seigneur infant en bonne santé, et elle le
prit et le baisa plus de dix fois ; et puis madame la reine , la
jeune, le prit et le baisa aussi plus de dix fois. Madame la reine
le reprit et le donna à madame Pierrette , qui était près d'elle ,
et nous nous quittâmes le château et allâmes à l'hôtel où je de-
vais loger, à savoir, dans la maison de don Pierre, bailli de
Perpignan. Ceci eut lieu le matin. Après dîner je remontai au
château et je remis les lettres que j'apportais de la part du
seigneur infant, messire Fernand, pour madame la reine, sa
mère, et pour le seigneur roi de Majorque , et je leur rapportai
tout le message dont j'avais été chargé.
« Que vous dirai-je I je restai quinze jours à Perpignan , et
chaque jour j'allais voir deux fois le seigneur infant, et j'éprou-
vai un si grand ennui quand je m'en séparai que je ne savais
plus que devenir. • Chron. d'En Ram. Munt. cap. a 68 et 269.
NOTE XVlll.
Sui faulniiU da Jiulicin it.lruijoii,
f^ons ci-oyoïis devoir donner id, ttn favpnr de ceux de m»
iocUsuT» (fui ne «utit pa» faniilîeni avec l'Iiittoire d'Aragoji.
<{ucl([ucs déLaili «ur uiHtc niagislrature unique dans 1» faile*
du moïKlt!.
\<iniil le lï' siècle l'Ara^n élail répi [lar de» contle». Vas
l'an tlig IniRo ArisU, roi de Pampelune. fut do bumî mi
d'Artp^n par le» rkbn homme» dn pap : celte rialfi eal reculé»
pBrquel([UM>niutjus()u'ii H8â. Quoi qu'il en soit, il parait qur
LMt il rélaldÙNnnent m^mv dp la Diounrcliie que le» hauts pet
Mmnagui qui fblidî-roiit et! Iràttf d'Aragon lirpnl leurs rràerîO
|wiir Ui partage de l'aulDriliA entre eux et le priacr qu'il* rh--
voietilsiir le pavois, (^ réserve» LoastituérenI le for» {faen]
lie Subrarve , compilé sur ce que les loi» lomlNutles et fraoïjua '
avalent de uiicux. Il Tut établi en prineipe que puttqiie le* lit-
ron» abaudonnaient au régime d'un roi ce qu'ils aTatunt voit
(jais sur le» Maure», eo coi commeuteraît . avant tout, fai
jnrar de le» mainleciir dan» leur» itivît» : qii'iiticuu mi ite (lour
rait rien décider sans le conseil de ses barM)», ni taire guêtre.
trêve ou traité important sans l'avis de doute riches b(»nmes on
de douze des plus anciens et des plus sages du pays qui lÔRDe-
raient ce conseil. En même temps , pour donner un contre-
poids à cette autorité royale, il fui convenu d'instituer un juge
pour prononcer, en toutes circonstances, entre celui àqni It
]>ouvoir souverain était confié et ceux qui le lui défeviênt Ea
conséquence Inigo Arisla, en recevant la couronne , recoooul
Il ceux qui la lui donnaient le droit de le déposer, ti jamais il
nllait conti'e les lois qui existaient au moment de son âecdoo'
de là le privilège de Vunion . pour résister aux envahissemealf
(le [MiUïoir <lo la pnil du nionni-qui' . el l'odice de jiulicia, pour
DE LA PREMIERE PARTIE. U95
s'interposer entre le roi et ses peuples, et prononcer entre eux.
Le justicia était donc le conservateur légal des libertés, qui con-
sistaient dans l'exacte observation , de la part du monarque ,
des fors et coutumes de la nation. Le roi , aussi bien que le der-
nier de ses sujets, ressortissait du tribunal de ce magistrat,
et les uns et les autres lui présentaient leurs réclamations sous
le titre de manifestation. Au justicia seul appartenait le droit de
réparer les injustices des tribunaux et cours, en revenant sur
la chose jugée, quelle que fût la juridiction, luque ou ecclé-
siastique, de qui elle émanait. Seul au monde, il pouvait ar-
rêter l'exécution des ordonnances royales qui lui paraissaient
injustes ou illégales; il avait le droit d'évoquer à lui toutes les
affaires , d'exclure les ministres et de leur faire rendre compte
de leur administration. Sa force était toute morale, car il ne
pouvait pas donner des ordres aux gens de guerre, et on sent
la sagesse de cette mesure. Responsable de ses faits et actes
devant les corts seules, le justicia était les corts elles-mêmes ,
permanentes dans sa personne pendant les intervalles des ses-
sions.
La même prudence qui avait fait défendre au justicia de
s'appuyer sur la force armée avait aussi fait exclure de ces fonc-
tions les riches hommes , qui , n'étant pas passibles de la peine
de mort, n'auraient pas offert assez de garanties à la société;
la seconde classe de la noblesse pouvait seule fournir ce ma-
gistrat , qui était à la nomination du roi , et qui avait pour as-
sesseurs cinq jurisconsultes qui décidaient de la légalité des
plaintes.
Jusqu'à Tan i46i le justicia n'avait été responsable que des
corts; a cette époque on jugea convenable d'instituer une com-
mission d'enquête de dix-sept membres des corts qui se réunis-
saient trois fois par an pour examiner la conduite du justicia et
recevoir les plaintes auxquelles ses actes auraient pu donner
lieu.
C'est le jusUciA (|)ii , A chaque clmngempnl ()e régne. a«anl
i[ue les Kuj«li> jiirnK*piil fiiJHiU' au roi. i-ecevail rlu monaïqiM
le aermcnt de nupocter pt mainleDÎr le* libertés publique»
AtMs »\iT non tribunni et lo t6tc couverte il voyait le poMe»-
»eur de 1a cnuronne plirr. nnoti^b:, le ^non devant lui.d
jurer «iir un cnu'iUi t.X niir le» ^von^ili^a . d'observer les fon
du royitinnt- Ol de guuvtu-nrr tuivnrit los luis; c'vït lai qui prn
tHin<;oil njor» sur Is It'tc du uionaïque proslenié devant If
corps de la nation, reprtwenlé par ce ma^iurat suprême, cts
paroles «AcriKiicnlslIeR : Kos, QVt valem tant (»m vns. i» ri*
NosTDE II», rart jm, qce ko» guakdktï NusTn» roiut t. u-
BuniTM. K (iK ^o. NO {Ziirita Père», /l*W.)
.Sur ifiiriifafi lrttnhlemenl$ ,U trirr ru HmuiUtoH .
L« litre des archive» de la mairie de Perpignan, intituir
livre œrt miaear, commence par un calendrier sur Ictfud onl
été inscrite» Icn priocipoles .secousses de Irrmblemenl de tenr
rcuenties dans celte ville : les voici. Le 1 1 fiWricr 1 33o , à uni'
heure avant le jour, secousse de la diir^y cl'un «ir Mana.
Le 'i mars 1 373 , avant minuit , secousse qui dura près à'nnt
heure ; le reste de cette note est devenu iliiiiUe.
Le 19 du méDie mois il y eut. le soir, une nouvelle secousse
peu considérable de la durée d'environ la moitié d'un ow
Le 3 mai suivant, à une heure après v^res , renouvdlemeal
du tremMement de terre de la durée d'un one Mmria.
Le 37 avril i3Si. à une heure après midi, secousse dont la
durée nest pas appréciée.
lie 3 février lâ^S. entre huit et neuf heures du matin, vio-
lente secousse de la durée de plu» de deiiï Pater noster. Tout
les habitnnts de Perpignan s'enfuirent dans la campagne, lui
DE LA PREMIERE PARTIE. W5
récroulemetit des maisons paraissait iinniineiit. Cependant
aucun accident ne survint dans cette ville; mais à Barcelone
cette même secousse ùi crouler tout un côté de Téglise Sainte-
Marie-la-Mer, ce qui tua vingt-deux personnes ( c*était le jour
de la Chandeleur). Divers accidents arrivèrent en d*autres lieux
de la Catalogne et firent périr plusieurs personnes.
Le !25 mai i4^8« vers une heure après minuit, secousse
très-violente.
Le 1 6 septembre 1 45o secousse qui dura Tespace d*un pater
et d'un ave; une maison du quartier de Tuniversité, aujour-
d'hui de la Monnaie , fut renversée.
Le i5 février i56o légère secousse de la durée de quelquet^
secondefl. Quelques autres notes semblent se rapporter à de6
événements de cette espèce, mais récriture en est presque
ef&cée.
qiiod ego , l'etnu de Tii-
In Dei ncimiiie. Nuvttrtnt u
lii^îû, (tuai hiilxxi totuai n
moriam ft liM^iK^Um . coinendo trsdfiqiir tîhi . nepotî moe.
l'étal An lluili||;iirtins . lilio sororisiune Ciiiil*:, et mello tihi ni
[Mtc*Utii «4 iii riistixlià et in defensinne uior nicn . EmiMMndii.
«I fiiîii» ineii». Petrus Berenganu». et lolu» a
measreHiuobilia et immobilta.iii (|uocuiuque loco sînt. ]<leoqae.
quod lu uon fuisti îii i|)»imi I^Hlameutum quod ego, Petnif <le
Tuliifsii* . cond«in feci ot iliM:o^()sco , et ai>nega ipsum tnb-
menUim. piv oroni tcmfiore.quoU aliqua pote»Uite nec vdJlu-
dioe non liBbcat;ol ut beno manul«neas cl defendas . «ecundimi
tuHin possere, uxor mea ot fdim meus et totii* meu« lu
feuos , alodios doiuinx uxori iiieae. Ermessendi , ut ipsa )il
dives m omni vita sua. Posl iiiorlcm vero suam , mnaneil
filio meo. Pclro Berengario. Et, si lilius meus, Petnu Beitn-
g:ariiis . obieril sine infante , ca légitime ab integro , tolus meut
hoiior, fcuos, alodios dimitto. dono, laudo, Hnniterque cou
cedo tibi nepoti meo , Petro de Radigueras . et omnibus tim
successoribus ad omnes tuas voluntates faciendas in aetemum;
et totum hoc facio ad eUicmam meam voluntatem, cum omni
meo sensu , pro nomine teslamenti. El haic tene fet
Denm et per ista sancta quatuor evangelia. Actum est hoc,
IV iinnis Augiisti. anno ucr.i. signum Pétri de Tulugiis.qui
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 497
hanc cartam fieri jussi , firmavi , laudavi et testes firmare ro'
gavi , etc. ( Arch. eccles.)
N" II.
Protection aux maisons religieuses.
In Dei nomine. Nolum sit cunctis quod anno incarnationis
€jusdem mcgviii , rege régnante Philippo , mense madii , ego ,
domina Fina de Qairano , et ego , Bernardus Guillelmi , et ego ,
Petnis de Qairano , filii ejusdem dominœ Fins , nos omnes si-
mul, bona Bde, sine enganno et pro sainte animarum nostra-
rum et remissione peccatorum nostronim recipimus sub garda
et protectione nostra potenti, domum et familias scilicet et
omnes res Fontisfrigidi monasteriî, et expressim grangiam
S. Salvatoris de Cauomalis , et totum honorem et fratres et fa-
milias et bestiaria et omnes res ad ipsam grangiam pertinentes,
abique , sub specialî protectione et defensîône nostra potenti ,
et sine enganno, ad bonum et ad omnem utilitatem praedicti
monasterii Fontisfirigidi ettuî, Bernardî, abbatis, et fratrum
illias lo<:i recipimus bona fide, sine enganno, ad vestrum posse,
in omnibus locis. Dam us etiam et concedimus firmiter per nos
el per nostros , pro amore Dei et remissione peccatorum nostro-
rum , Deo et prsedicto monasterio , el abbati et fratribus illius
loci, perpetuo solvimus et penitus diffinimus ab bine, et in
perpetuum, sine enganno et ullo retentu mali ingenii, omnes
vestras petitiones et quaerimonias quas ad usus illud monaste-
rium et abbatem et fratres illius loci habemus et habere vel
petere possumus, apud Mollctum, in campo scilicet quem
abbas et fratres alii ab Amalrico de Caneto sibi emerunt et
acquisierunt , et in omnibus aliis locis, sicut abbas et fratres
Fontisfrigidi tenent et habent, et ab eodem Amalrico et ab aliis
personnis sibi adquisierunt, totum integriter atque generaiiter,
sine ullo enganno et aliquo retentu mali ingenii , prout meliùs
I. 3a
itW t'UKUVKS
in hoc carta dîci . I^i vet iiitelligi potcsl , ad utilital^m prxdùli
monaslerii. inlira tîim ot icrmiiios Suiicti Saivslofis. el Saocii
Pelici» de Sancto Stophano dr PJnn. El si quœ. jure iegis id
consuctudini» . conlra lior fncluin venire possumus vei poleri-
mu* . illi juri ex rcrin noirntia rt ronsiilte reiiunciamus. Lan-
dataTuil hs<c caria donadiinin et diffinidoniit cl niaiiutenencic.
a|)ud vilUm de Ocranu, infra pirtain ciuln de Ititenia. coran
«dhibili* U.>!itiliui> : nnintinrlo de Petra Calcitc, Hamuiula
AyiDfirica. [WitMr<lo Eibrinu et uliit. Et est verum quod pfD[i-
ter haio liabuiiaii» et recepîmus de bonio jaindtcli monasterii.
de mantbuH fratria Bcmardî de Codalelo, xxv aolidos Darchi'
nnniB, boii<M,<piî Kilicel scriptor cxlilil iiujtia. el Ikh: si^inn
fecit. {Anh. Kclet.]
N- 1)1.
Hnlftil/' fabbi de Sainl-^far1ln i/a Cotiijou contrt Pons da Vtnitt.
i'rtïttière aatt. lieu est lueiiioria lualefîcûuiim quvt Ponciiu
d« Vcrnelo l«cil douiiii Sancti Martini. In pi-iinû Trcgit ciut^
noatrum. et copit ibi xi vacas. ot cuni Pelriia de Aspirano, qd
modo e«l abbas , et G. de Caaafabri conTcnirent , R. de Venwl» I
Tnili'i )irii'ill<'l.> iiinK'l'Kio. junnil idem It. super iiij cvangelii.
3ub preaencià el tcstimonio B. Gleiici. et R. Clerici, et Poodi
de Vernelo, G. deVernelo, A. Dominici etlî. Moncr, et Veroeli
Pabrici et multonim aliorum hominum , quod dictus P. tilios
suus, numijuam rediretcum eonecdaretci aliquod conaUiiuD
vel auxilium. donec di rectum faceret doniui Sancti Martiai. El
habemus eiim suspectutn pcr mullag preaumpcioDe* quod
postea rediit cum eo, et quod omnia malebcia Utciiopenti
consilio ipsius.
El post prxdictum sacramentum , quadam nocte idem P. Jt
Vemeto fregil casteDum de Verneto , et talavit ibi clau
et ortos, et dicitur quod eadmn nocle rediit cum pâtre wo <)
DE LA PREMIERE PARTIE. 499
maire ; et in crastino cepit et ligavit duos nuncios nostros in
boscho, et abstulit eis iiij solidos et vj denarios. Ëodem die
fregit cortallem nostnim de E^dino ( Egat ) , et traxit inde unam
tunicam et calcias et sotulares de B. de Mosscto. Alia die fregit
cortallum de Oris , de Comeliano , et traxit inde duas vacas de
Vemeto. Alia die occidit duas vacas et vulneravit quatuor, in
cortallo de Coilo de Jou , et traxit inde omnes caseos qtios ibi in-
venit. Alia die fecit redimere homines de Rial xl solidos, et pro
tîmore ipsius miserunt se predicti hoflunes in manutenencia P.
Demalait, et dederuntei, pro introitu, x solidos et unam libram
cerae annuatim. Alia vice fregit cortales de Egher, et habuit
inde cl oves et unum asinum et très pueros , quos fecit redimere
c solidos , et capas et tunicas et caseos. Alia vice in treuga et
guidatico habuit de P. de Rial , unam tunicam et conigiam et
cultdlum de Bonofdio , duas capas de P. Amato , una pelles et
ima savana. Et post sacramentum quod ipse et R. de Vemeto,
pater suus, fecerunt in ecclesia Sanctae Mariae de Vemeto, de
compositione facienda cum domo Sancti Martini , abstulit homi-
nibus nostris de Avidano, viiij soHdos, vij galinas, et empa-
ravit nobis bordam de Odilone quam pater suus nobis ven-
diderat.
Post haec omnia, dictus P. de Verneto stando in ûde et
guidatico cum abbate , ita quod non expedivit se de illo , leva-
vît bestiare nostrum de Vemeto , ultra dc oves , et cepit iiij ho-
mines qui, per Dei gratiam, evaserunt. Postea, cepit duos ho-
mines de Odilone , quorum alterum fecit redimere xv solidos et
altenim tenet adhuc captum.
La seconde note n'est qu'une répétition abrégée de celle-ci, mais
au bas de la feuille on lit une sorte d'arrêt de poursuites conçu en ces
termes :
Sub tali conditione;
Quod nulla convenientia quam monachi fecerunt non poterat
requirere nec demandare. Si filius suus maie fecit in aliquam
3a.
«Kl PRKDVES
rvm quoil mOHJidii |HM»iiil vindicnrc in iili<fiii>m ruin , lir fji
ciai)t. ( Arck-eccla.)
N- IV.
âctf daffraochiufinfiil (fun irrf lU l'igUtt.
NolHtn lit ciiiirtû ({uod egn Arnolduii de Sallono . prebiler
tiliue et decanuB Hosatlionii ^ali» . bona lide , per me et per
oœnes succeMores meos alTrajiqui»co le Peirutn Divini. Ik<-
mincnn noAtnini, de Mîliariii, et luos présentes atque futnro»
ab omni qiiesta. forcia et servicio copendo. pminileni lilii
bona fide et Roleuini sliptilalioiie . quoi! ep) et successorcj n
nnmquam te et luo» ducam ad exercilum vel hoslc» noc ad
valcatM . ucc pouain to et tuos . 6^ vcl niei . in alïijuD loto ps
Rt^lida nec raicemo» in riminncin pro aliqtia neceasitule,
cum tun voloiitnlc. nec abslrabemus nb i»la doni
dando vcl rwlmdo vel aJterî dùlr.tbcndo, A(Tranqui»co ilaquc
ta el tno» in prrprliiiini nb omnibus , exccpUs ccnsibus Cl
lici» qntis foccrc consiievisti.
Egoqnc prrHirlns Pelnis Divini. gratis, bona Gde. {itnniDttD
ttbi, Amaido de SrIIoiio prcdiclo. et snccesaoribiis tuis, qonl
^ço et mei erimiis vobis fidèle» hominos cl defensorc» rwi/m
cetem bomines pro posse noslro , et quod non euemm de isli
dominacione nec faciemiis alium dominuni neque donÛDani
nec in castris vd viliis domini régis nec alibi, nec in vilUde
Miliariis continiiam residenciam Taciemus nisi cum veatrs li-
cencia speciali. Actum est boc nonis mercii , anno Christi mï
lesimo ducentesimo quinquegesimo secundo. Signuii>< '^
{Arch. eccUs.)
N" V.
Vtaie de ta libtrU oa OMalioa.
Notum sit cunctis quod ego, Beraardua Xatmar, de tbl-
leolis , facio me et omnes descendentes mecs natos et Dasdtnn))
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 501
homines proprios et solidos militiae Templi, in potestate vestri
firatrifl Pétri de Camporotundo, praeceptoris domus Templi Perpi-
niani , mitendo manus meas inter vestras et osculando venera-
bilem signum crucis quam in chlamyde vestra portatis ; pro-
mittendo vobis et fratribus militiae Templi , et eidem militiae
Templi , fidelitalem et hommagium ; et pro recognitione dicti
hominatici, dabo vobis et fratribus Templi , quolibet anno , in
festo natalis Domini , xij denarios Barchinonae eorum monetœ
legitimi terni, pro quibus vobis et fratribus Templi solvendis
obligo vobis et successoribus vestris et militiae Templi , omnia
bona mea presentia et futura. Et hoc totum ut in charla conti-
netur me observaturum bona fide et per stipulationem vobis
promitto, et etiam per Deum, tactis corporaliter sacrosanctis
quatuor evangeliis, sponte juro.
Elt nos, frater Petrus de Camporotundo, promittimus libi,
dicte Bemardo Xatmar, quod nos et fratres Templi deffendemus
te et tuos et bona tua , secundum bonas mores Templi. Actum
est hoc ij kal madii, anno Domini mccclxxx secundo. (Arch.
mies.)
Autre ablation à Saint-Martin du Caniyou.
Notum sit omnibus, quod ego, Guillelmus ill. spontanea
mea volontale dono me îpsum et mea quaeçumque habeo mo-
naslerio Sancti Martini de Gmigone , et tibi , patri abbati , et
pmni ejusdem loci conventui , et me semper devotum in om-
nibus et fidelem me bona fide promitto. Et incontinenti, de
bonis meis in pecunia numerata ccc solidos offero Deo et al-
tari beati Martini ; reliquorum vero bonorum meorum in usum
^ctum in vita mea retineo; cessa domui Sancti Martini, et
tibi , patri abbati , et conventui ac successoribus vestris proprie-
tate ipsorum bonorum in perpetuum.
Et ego, Guillelmus, Dei gracia abbas Sancti Martini , de vo-
Juntate et conseusu totius conventus, recipio te pradictum
jvita r«ÇBl«D :jwict) B«nnfictî . cnm omiubns ilUs. quicqnid
«iat <|iioil v|ro «d aliquis pcr me anqnam commeodavimiB
jmtlîrtz «cdcNf «i mm oauiî meo ntanso et borda de CcrId
<]uod est mran liberum alodium. H cum omnibus habiMo-
riba* eidnn . <|uod maosiim ei bordMn tenent et habeol per ne
fttnii Porcelli de Cereto el Bemardus . filiiu qus , totum in-
teinter ac gpnenliler el plenarie de cœlo tisque ad abjuDD
cum omni plenitudine lotim int^ritatis. sicut melius ac |^
mus dici et intelligi vel nontinari potest «el poterit unquam , là
onine^ volimlales dictx ecciesix et snorum servilorum corn-
|>lenda5 et faciendas in omnibus per secula cuncta , per alodiuis
y^
DE LA PREMIERE PARTIE. 503
firaiichum et liberum et sine omni contradictu meî et meorum
et totius viventis personae. Et est certiim quod in his praedlctis,
nec in aliquo horiun, uichil aliud amplius retineo nisi dimi-
<lium in rébus praedictis et usumfiructum in manso et borda ,
tantum modo in vita mea, et hoc tenebo , dum vixero , in conni-
mendationem dicta; ecclesiae et non aliter, etc. Quod est actum
xiij kal. aprilis, annoChristi Mr.xxviii. (Arch, eccîes.)
N» VI.
Composition. hontea$e.
Notum sit cunctis quod nos, Oairanus Torrellani et Jacobus
Torrellani , fiHus ejus , de Qairano , per nos et omnes nostros
profitemur et recc^oscimus tibi, Bernardo Blanqueti, dicti
loci , quod tu solvisti nobis plenarie et integriter ad meam vo-
luntatem, illas quindecim libras Barchinonœ, earum de qua
moneta lxv solidos valent unam marcham argenti fini, recti
pensi Pcrpiniani, quos nobis promiseras sglvere , ratione Ermes-
sends filiae meae, dicti Qairani, quam, ut dicitur, cognoveras
carnalîter, et ad praedictas quindecim libras Barc. fuerat compo-
situm inter nos et te , rationibus predictis ; de quibus predictis
quindecim libris Barc., a te per paccatos nos tenemus, reuuu-
ciates exceptioni pecunis non numeratae; facientes inde tibi
firmum et perpetuum pactum de non potendo aliquod ulte-
rius pro predictis, et de non movendo aliquam de cetero
questionem vel demandam , et quod contra predicta vel aliquid
predictorum non veniemus bona fide et per stipula lionem tibi
proniittimus. Actum est hoc decimo kalendas novembris , anno
Domini millesimo trecentesimo duodecimo. Signum Clairani
Torellani et Jacobi Tordlani , filii ejus predictus, qui hœc om-
nia laudamus. Signum Pétri Boschi, Pétri Fabri, Poncii Bar-
<lani de Gayrano, testium. Petrus Jauberti scriptor publicus de
Ciairano hoc scripsit, et hoc signm 4- fecit. (Arch- eccles.)
Extrait de FAcIfJfciinUcnilion île Tiglar lU Saint' Jtm^e-Vtau.
In rioiuioe Domini Dci oelonil. Sub die iucaruBtiotiis Domini
iiostri Jésus Clirisli, anno xxv post milles. Iitdictionis quïnto,
veniens vir reverendissimus , doiunus Bcrengarius, epucoptu.
ia comilatu Rossiliouensi . in suburbîo ^nen»i, in villa qiis
vocotar de Porpiniano. ad consocianilam eccleaiom in honore
Suicti Johonni* fiaptist^p. quam axlilicaverunt boni honiîneti
id c9l baronex Pondus, Gausberlus. Bernanlns, Ponci
Amoiricus, Cicardn», Austem, Petrus Baron cutn aliis bonis
liominibus (fiii ihi aderanl; et bobet icmninos ip&a ecclesia. de
parte orientis in coma Crosa, île parte occidentis a Petra Fila,
et vadit indc u Puigitiest, de parte meridie ia regido Beari. et
de parle cîrci iii regido de Vcmet , et de qtiiiita parte in régula
de Arccdonta , et de sexta parte in borgoErbiuo. Ego vera.jam-
dicttis Oereogarius episcopos . concedo el tirmo pnedicta omnia
infra terminos contiiienlia cum decimis et oblaliunibus suis et
cnm cimiterio ia ginim ecclcsia? ad corpora mortuonim wpe-
lienda. Et ego predicttis Berengarius episcopus sic dono o
stipradicla iid domiini San( li Jobftiinis qui est fiindalus in villa
Perpiniani , tolum ac Integnun, etc. (Ex Marca hi^)aa.\
N" Vlll.
Ttttâiiual da comte Gainard.
In Dei Domine. Notum sit cunctis prssentïbus alque futuris.
quod ego, Guinardus, conaes Rossilionensis , futuri timens ^
cussionem judicii et hxres esse cupiens regni cœlestïs, in aeo
bono sensu cl plena memoria condo meum teslameatuo) toUui
averi. el continnare illud prax:ipio.
In primis , dono Domino Deo et beatse Mariai PoDtîsIngidi ,
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 505
me ipsum per vitam et mortem , ita quod si vivens seculum re-
linquero, ibi ad rdigionem veniam, ibique monachus pauper-
que miles Christi Jesu efiiciar ; si autem citra mare mortuus
fuero , ibidem corpus meum ad sepeliendum relinquo. Relinquo
monasterio Fondsfrigidi mille centum morabotinos bonos , quos
douent praedicto monasterio Templarii, pro mea laboratione
quam rdinquo eis in Pujols. Relinquo praedictis Templariis,
pro amore Dei et sainte animœ meae, meum castnun de Palatio
cum omnibus terminis suis , cum ingressibus et egressibus suis
et cum omni jure suo , sicut ego possideo et possidere videor
sicut melius potest intelligi. Similiter rdinquo Templariis fumos
de Perpiniano , et ut in prsedicta villa furnus vel fumi non pos-
sint fieri sine licentia eorum. Relinquo etiam eis ipsas heminas
de Perpiniano et molinos qui sunt juxta portale qui eidt ad
Midleolas. Relinquo hospitali de Jérusalem meum castrum de
Malpas , cum omnibus terminis suis et cum omni jure suo , cum
ingressibus et egressibus suis , sicut ego possideo et possidere
videor, et cum terris tam eremis quam oondirectis , sicut mdius
potest scribi et intelligi. Relinquo Guilldmo de castro-novo
ipsum honorem quem sibi clamabat in prsdicto Castro et teneat
illum pro praedictos hospitalarios. Relinquo etiam eis campum
de stagno qui est in adjacencia Sancti Johannis de Perpiniani,
de quo ejeci aquam , et molinos quos Bemardus Saucius habet
in pignore pro mille solidis, qui sunt subtus domum Leproso*
rum. Relinquo monasterio Sancti Genesii albergam quam in eo
habeo, et ut in valle Sancti Pétri in proprio bonore habeat pro*
prium custodem qui diligenter custodiat ne bajulus meus de
colligendis expietis aliquod dampnum faciat praedicto monas-
terio. Relinquo monasterio Sancti Andres boscum quem habeo
in adjacencia et in décimale Sancti Martini de Ripa, cum om-
nibus terminis suis , cum ingressibus et egressibus et cum omni
jure suo , et albergam suam quam habeo in praedicto monas-
terio, per me et per omnes successores meos. Relinquo etiam
50ë PREUVES
predicto monasierio omne pignus quod fiemardus de Rocha
habet pro me in villa de Cabanas et in villa sancd Martini de
Ripa, et ipsius abbas monasterii trabat eam de pignore. Relin-
quo ecclesis sancti Johannis Peq)iniani agrarium illomm hor-
lonim qui sunt a canonica juxta regum qui vadit ad molendint
nova, excepto illo quem dedi Leprosis. Relinquo etiam praedictx
eodesiae Sancti Johannis Peq)iDiani condaminas quas habeo
in adjacencia ejus. Relinquo Leprosis Perpiniani agrarium de
horto Johannis Roberti. Relinquo Guillelmo Sancti Laurentii
et Petro Sancti Hippoliti albergas quas mihi faciebant. Re-
linquo populo Perpiniani, praesenti et futuro, viduaticum
quem in eis accipiebam. Relinquo hominibus de Albera omnes
meas novas defensas. Relinquo illud quod supra miseram jugi
donatîco, excepto legitimo usatico. Relinquo Beatrici, conso>
brine meae , meum castrum de Mesova per allodium. G>ncedo
Berengario de Orle unum locum in villa Peq)iniani , ante fur
nos , ubi possit edificare duos mausos , ad recognitionem Poncii
de Tadione et Raymundi de Redotta et Guillelmi Sancti Lau-
rentii. Ëcclesiffî et populo de Polestres , pro malefacto quod eis
fisci , reslituo duos mille solidos melgurienses , bonos et miti-
biles, ut dividant inter se juste , consilio probonim hominum.
I loiiiinibus de Cerelo, aiil hercdibiis aut propinquis eoriim ,
relinquo, pro inalcfaclo quod eis fcci , mille solidos nielpii-
rienses bonos et niilibiles, ul dividaul inter se juste, consilio
pi-oborum lioniinuni. Hominibus de Candel quibus abstuli
sunm avère, reslituo cenlum solidos melgurienses. lîeredibus
Poncii de Baniuls , et ceteris bominibus pra'dicla' villa* , restituo
Irecentos solidos melg;urienscs , quibus malum feci. Petro Mar-
tine, fœneratori Perpiniani, ()ro dampnoquodei intulil quidam
lalro, restituo cenlum quinquaginta solidos melgurienses. Ca-
nonicis Sancta* Maria* de (^am(>o, restituo rbuenlos solidos niel
gurienses pro malefacto quod eis feci. l\estituo bominibus de
Villamulaclia , pro malefacto quod eis feci, mille solidos iiiel
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 507
gurienses ut dividant inter se juste. Hominibus de Ganomals
restituo, pro malefacto quod eis feci, trecentos solidos melgu-
rienses. Pro parte latrocinii Pontii de Navaga quam ego habui,
restituo mille solidos mdgurieDses , ex quibus induantur cen-
tum pauperes tunicis novis. Si quid residuum fuerit de ilHs
mille solidis , in cibos pauperum totidem expendantur. Homi-
nibus Maureliani restituo , pro malefacto quod eis fieci , quin-
gentos solidos mdgurienses. Hominibus de Relon restituo, pro
malefacto quod eis feci, ducentos solidos melgurienses. Homi-
nibus de Parietestortas restituo, pro maleBcio quod eis feci,
ducentos solidos melgurienses. Hominibus de Domo-nova res-
tituo , pro malefacto quod eis feci , mille solidos melgurienses.
Hominibus de Rogis, pro malefacto quod eis feci, restituo
oentum solidos Bitterenses. Restitutionem istam , que scripta
est in boc testamento, fJEiciant Templarii et Hospitalarii de me-
dietate expletorum illius eleemosinœ quam eis fisK^io , médium
per médium , exceptis ille mille centom morabotinis quas soli
Templarii debent persolvere monasierio Fontisfrigidî. Istam res-
titutionem prsBdictam faciant Templarii et Hospitalarii, ad recog-
nitionem abbatis Fontisfrigidi , ad persolvenda débita mea,
qu« sunt tria millia quingenti solidi. Rdinquo , ad recogni-
tionem manumissorum meorum, omnia expleta quœ haberc
debeo in Albera et in Pujols, excepta laboratione, quam dono
Templariis , et tabernam Perpiniani et guidaticum vetulum et
expleta quas exierint de condaminis Perpiniani , quae relinquo
ecclesisB Sancti Johannis de Perpiniano. Omnia alia expleta que
habere debeo in villa Perpiniani, excepto illo quod dedi tem-
plariis et Hospitalariis et Leprosis et ecclesix Sancti Johannis ,
tamdiu teneant donec omnia débita sint persoluta. Quod si post
hoc, clamer venerit prodebitis vel dampnis, secundum recog-
iiitionem suam tamdiu praefati manumissores predicla expleta
Albere et Pujols et Perpiniani (eneaiit, donec omnia, siciit jus-
ticia et ratio dictaverit, sint persoluta. Qmnem meum alium
5(» l'IlElIVBS
hoDorcm , vuldicet comilalum Itossilianeii&CRi , cl qiiidquid id
jus îlltua ptrlinet in PetraJatcmi cl iii EmpuriUiiiensi conûtatu,
lient liaboo vd linbcre ilebeo. et ticut in aaliquis cartis iiiter
me (ït («mitum Empiifitoneusem scriplum ett. exccptis liis qui
in htK tcutamcut» expresse reliqiii monosteriis . Templania el
liospilBlariisctecdeiiiisel onuiihus mcis. totum inlegriter diiuo
dumiuo mco. régi Aragonuni. et Buccessoribus cju9, 61 abiero
sine iiifaiile de le^ilinio conjugio; tali coavcnieatia el tali iafr
pecla ralione ut ip»e. ea qutt in hoc testamcnto pro salulc
aiiiuu! meai rdif;i(MiB el veiierabtlibus locis reliqui . manu le-
neanl el praidicta raligiusa el veiierabilia loca ea qua^ ilU» rc-
linquu in puce atque quielv absr|uc diiuinulione scu veinliono
in perpeiuum teuere ai: j>ossiilere Cucial, Hogo etiani tlominum
ineum rcgcm, pcr eam lidein et per illum nmoreni quem illi
dsmonsiro in hoc U'stamenlo, quando nieum honorem qui ad
jus illius non pertinebal illi dono, ut Rercugoriuiu de (Mes.
mcnm parenUnn el mcum ciirÎMimuni amicnm, et Pouicum
de Tacidone cl GuilIclmuDi Snncli Laurenlii cl omnes meot
aniicoB ddigat ntque defendat nb omnibus boniinibus et lio-
norat, el omnia qux illius sunt.
Si qui» conlra boo mcum Icstaraenltnn venire IcmptaveHl,
agere non vaieat , sed in duplo componat. Factum est hoc tesla-
menlum U nonas Julii , anno dominicee iiicamationis mclxiii ,
r^nanle Lodoico rege. SignumGuînardi, qui hocteslamentum
scribere jussit, finnavit, lestibusque rinnari rog;avit, etc.
[Excodiee coruuet. Perpin.]
N" IX.
ConititatioHs ik paix ri frcttf ttAlphonte II.
Divinaruni cl humanarum rerum tuitio ad neminem mngii
quani ad principem perlincl: nihîlque lam proprium eue
débet boni m- l'ccli priucrpis. qnam injurias propulsarc, betla
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 509
sedate, pacem stabilire et infonnare, cl informatam subditis
conservandam tradere, ut de eo non incongrue dicî etpraedicari
possit quod a principe regum dictum est : per me reyes régnant
et patentes scrihant jasticiam, Ea propter.
Nos Ddefonsus , Dei gratia rex Aragonum , cornes Barchinonœ
et Rossiiionis, et marchio Provincis, publics utilitati totius
tems nostrsB consulere et providere satagens , et intuitu divini
numinis, tam ecclesias quam religiosas personas cum omnibus
suis tebus nostrse protectionis prœsidio vallare ac perpetuo mu-
nire cupiens, anno ab incamatione Domini mclxxiii. Habito,
apud Peq)inianuni *, super hoc tractatu et deliberatione cum
venerabilîs viris Guilielmo , Tarragonensi archiepiscopo , apos-
tolicas sedis legato et B. Barchinonensi episcopo ; et Guilielmo
Jordani , Eïnensi episcopo , omnibus baronibus comitatus Ros-
siiionis, nec non et aliis pluribus magnatibus sive baronibus
curiae meae, quibus unanimiter omnibus justum et œquum
visum est et communi utilitati expedire, ut in comitatu Rossi-
lionensi, quem per Dei graciam nuper adeptus sum, vel alias
in toto Eïnensi episcopatu , pax et trega institua tur, et nefanda
raptorum et praedonum audacia exterminetur ; praedictorum
omnium assensu et voluntate, omnibus tam laicis quam cle-
ricis qui in prasdicto episcopatu degere noscuntur, trevam et
pacem, secundum formam infra positam et praescriptam, te-
nenda et inviolabiliter conservauda injungo; meque ad obser-
vandam et in eos qui eam violaverint vindicandum alligo et
astringo.
I. In primis igitur, cum praedictorum episcoporum et alio-
* Dalau donne, page i363 du Marca lÙÊpaHiea , b oopie de ces constitntiont de paix et
trêve, qui, plu» tard furent appliquées à toute la Catalogne; à la place des naots apud Perpi-
uianum. il y a dans celles-ci, apud fonlem dt Aldara. La copie que nous transcrivons est
extraite d'un manuscrit du xiii* siècle, provenant do Saint-Martin du Canigou , et qui nous
appartient. Dans la copie que Baluze a extraite des codex de la bibliothèque Colberiine, il y a
fAuaieurs articles qui furent ajoutés à ces nouvelles constitutions t entre autres un contre les
voleurs elles receleurs; plusieurs autres articles présentent dce différencet notables, enfin le«
signatures sont toute» différente».
â
I
i|«*apeciâti hemîoain c«n*un in bonn Doî inlellipintuT. mb
perpelna |wcr H MniriUI« intbtwn. iu qund nullus eaa vd
conim cnnilrria vd Mcrari« ûi niraibi cujii»caK|ue eoelnir
maUilnla. înnwlen! vel in&in^ef« {intMininl. nirhil^iw ïndp
alutnlHïTi! amnplet, Icriendî» hujn» ntatnlj iriDeralorihis ,
[■ma sacnl«;;n. i-]ti»dan kwi «pÎM:o|K> infemida. et luititfiK
donc ilupltti damimi quvd flccMÎt , n qui pMtus est pr«ttandi
U. Uccinuf quoqoc ÎBCMlrUaU* Mib «Mkea pads ol Irrvf
dafanioue Do«»liluo; il» Inmrii quod lî raplore^ vd Fuirs in
•odcHÎ* pnnlMn tel ali» makiiciB can|7^avn-iiil . ({tutrimonii
wl epiiwopaiii d ad me «ive ad bajuluni meum. iteferanl. el
n lune, nmirti jwlicio. tcI qiiod commûsum ftient. enttn-
ddnr, vd a paco prviiicbi eoclivin i^ue»trelur,
111. Uominicaiuros qiioquc (-jinonirarum »ub e&deiu pads
MCiirilaUi conulituo . ximili pu-na imimnrnle mi qui eas iava-
tiera prc!>ui»ps«not
I\ . Seil et diricos, nwtiachcw. vidiias r.t Mnctimonides
eOTUinque mt »iiti radeni pm^is dprentkuie iioatra aucloribtf
winslitniu*. iiemo a|>rvbendBt. et aîchil eb iujuric inférât. iu«i
ïa ludeGdia ioventi fuerini, .Si qui» in nlîqueEii îsturuin monus
mjecerit, vd aliqucxIabstulerit.BblaU in duplum restituât, et
de injuria nichilominus. judicio episcopi, satùfacial. et lacri-
legii (Mcnam cpiitcopo dependat.
V. Emunitates quoque templi et hospilalis Jherosolimitani ,
nec non et aliorum locorum venerabitîum , cum omnibui rebu»
>ui>, subeadem pacis defensione etpenx intenntnacioDe, pa-
riler cum riericis et ecdesiis constituo.
VI. Villanos et villanas, et omnes res eoruoi tam mobUes
quant se movenles. viddicet boves, ovea, asinos vd asinai.
equos vel equn» celeraque animalia , sive sint apta ad arandain ,
sive non , sub pacis et trerx secnritale instiluo , ut nollus eos
capial, vd alias, in corpore proprio in rébus mobilibus vd
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 5li
iiumobilibus dampnum inferat, nisi in maleficio inventi fiue-
rint, vel in cavalcadis cum dominis aut aliis ierint.
VII. Praeterea, sub eadem pœna interminacione prohibée ul
nuUus , in prsdicto episcopatu , praedam facere présumât de
equabus, mulis, mulabus, vaccis, bobus, asinis, asinabus,
ovibus, arietibus, capris, porcis siye eonim ^Detibus; neque
mansiones villanorum aiiquas diniant vel incendant, vel aliis,
ad nocendum , ignem subponant.
Vni. Terras in contentione positas, nidlus villanus laboret,
postquam inde commonitus fuerit ab eo in quo justicia placiti
non remanserit. Si vero, ter commonitus, postea laboraverit et
propterea damnum inde susceperit, non requiratnr pro paoe
fracta; salva pace bestiarum in usum laborationis deditarum,
et eorum qui eas gubernaverint cum omnibus quœ secum por-
taverint : nolo enim quod propter rusticorum contumaciam ,
aratoria animalia deperdantur, invadantur vel dispendanlur.
IX. Vomeres et alia aratoria instrumenta sinl in eadem pace ,
ut ille vel illa qui cum supradictis animalibus araverit vel eas
gubemaverit vel ad ea confugerit, cum omnibus qus secum
portaverit vel habuerit, eadem pace muniatur. Et nullus homo
ea animalia , pro plivio vel aliqua occasione , capere vel rapere
presiunat. Si quis contra hujus modi constitutionem commiserit
damnum, componat illi cui malum fecerît, infra xv dies sim-
plum , post XV dies duplum , praestandis insuper lx solidis epis-
copo et mihi , ad quos quaerimonia infracta pacis et trevs dinos-
citur pertinere.
X. Si quis autem ûdejussor extiterit, si fidem non porta-
verit de suo proprio, pignoretur, servata pace bestiarum in
usum laborationis deditarum , nec pro pace fracta habeatur. Si
vero infra primos xv dies , temerator constitutae pacis et trevs
simplum non emendaverit, postea, ut dictum est, duplum
praestet, ita quod medietatem istius dupli habeat querelator,
et alteram medietatem episcopus et ego, qui ad banc justiciam
I
I
UuUm it dio» ps ne td pcr epûoofHUb «d per nnncitiiii id
per Boaàtm aantiv* 'nieta Irmcistar canmuaibn dampnum
MM cnModaimil . noidc ipw malelKlor tt romplices soi.
cDM^Hlvra H tnuilùtnn» cju ■ ptvdirta pacc et bW4 wpa-
ratî intcOiguibir. ila qnoil nulmn ifood profila- hoc iUaUuu
fiwrit . ntn mpiiralnr pn> pooe et te«a fracU . «ervaUi Umea
pan) ani>B«]ian) et nulronuatoftnn araloriuiD -, «od si niale-
faclor el •djalona giM jamdiclo quoeltand nDiuii mAlum fè-
eerÎDl tmeadHar MiilB |m fatm bvcU.
XL \ u» puUieiB tm eMBinni vd tiralaa in uU wcuriuie
et pnXedînae |nkki m amxtitni). al nnllus iode iln- o^^ctitct
iovKial. (d ûi ccvporv me in rebui Moialîquid inalestia; in-
faM, pcniB letc inijc»Utid umnineDte ci ijaj bac icc«rit, poM
MtûiactMnnii dupli <ie malefocUa et injuria dAmputuu paMi
prsslîtam. lUuil aaitm p^ucnUUn uomiliiu interdîco aU]u«
pnihibco, quod aninulU ankirïa nulla raiionc ncc «4 pro At-
\kta domtnt depndtfe aUqui» id ptgnome audeat
Xn. IVslerea tUiHi ntDtliluetMlum ert Mque finnitcr obscr<^
nutduB ccmuimu* »ub eadent trera el p*ce. die» DoRuak»
me (ntiviUlrt tminiuin npcMitolnriim . ndvniluiii Domini usqua
ad octavam Epipbania et Quadragesimam usque ad Uctavam
Pascbx . diem quoque Asceosionb aec non Pentecoste cum
Octabis suis et très festivitates Sanctx Maris et festivitatem
Sancti Johaonis Baplistz et Sancli Micbaelis et omnium «anc
XIU. Salvitates quoque tolius epUcopalus EJneosis, lam
Dovat quam antiquitus constilutas. sub pradkla pacis et secu-
ritale ponimus et constiluimus.
i^o. II(tefon«iis , Dei gratis rei .\ragonum, cornes Barchi-
norue el niar((uio Provincîx, pro Dei amore et subdictorum
meorum utilitate , juro per Deuni et hsc sancta quatuor evan-
)^ia . quod prcscriplam trevan) et paceœ Unniter tenebo el
n
DE LA PREMIERE PARTIE. 515
observabo et teneri et observari ab omnibus meis volo atque
precipio. Quod si quis infitiDgerit, non habebiC meum amo-
rem, sed sub aquindamento meo erit quousque supradicto
modo restituât quod rapuerit vel infiregerit.
Ërmengardus de Verneto. . Berengarius de Orle. Berengarius
de Caneto. Guillebnus de Apiano. Raimundus de Tacidone.
Raymundus Ermengaudi de Villarasa. Gausbertus de Castro
novo. Guillebnus de Sancto Laurentio. Bemardus de Alione.
Guillebnus Bemardi de Paracols. Guillelmus de Sancta G>-
lumba. Bernardus Bertrandi de Doroonova. Raymundus de
Castello-Rassilione. (Exveten codice nostro,)
Extrait des couiumes de Perpignan.
Hscc sunt consuetudines Perpiniani quas ad praesens inve-
nimus et ad memoriam reducimus quibus homines Perpiniani
cum dom. Nunone Sancio eî cum antecessoribus suis et ciun
Dom. Guirardo et cum antecessoribus suis et cum Gaufredo
firatre suo usi sunt pro bona consuetudine.
1. Homines Perpiniani debent placitareet judicare per con-
suetudines villse et per jura ubi consuetudines deficiant, et non
per usaticos Barchînonae neque per legem gothicam quse non
habent locum in villa Perpiniani, neque intestatio neque exor-
quia , nec aiiquod désuet nisi in sale tantum , quod incipit in
ultima die Jovis Aprilis usque in primam diem Jovis Junii.
a. Item, si Dominus conqueratur de aliquo liomine Perpi-
niani , débet eum certificare facere quo et de quo conqueratur.
Et si postea potes t petere ab eo firmanciam et si reus petierit,
Dominus débet illum expectare de firmancia usque in cras-
tinum diem , nisi esset querimonia facta de enormi crimine in
quo dilatio esset periculosa. Idem et in bajulo quod in domino
dictum est , et omni alio ut prius cQrtificent de quo conqueritur.
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DE LA PKEMIEHE PARTIE. 515
test, aiitequam testes jurent contra eum, jurare quod per iram
et non per veritatem illud dîxit, et sic a nulla parte débet ha-
bere justiciam dominus.
ao. Item, si vilispersona vel bacailalor injuriam fecerit vel
dixerit alicui probo homini de Perpiniano> alhis circumstans
potest eum coiriperc in ipsa rixa, sine defeerioratione illius
personaB-, et quod dominus nichii possit petere ab eo qui etim
corripuit.
a 6. Item, quilibet de Perpiniano potest mutare stationem
suam et domicilium ubicumque volucrit infira provinciam vel
extra sine impedimento domini et alterius personne et ubicum-
que ipse vel sui fuerint, possunt retinere possessiones suas in
YÎlla Perpinianî , etc.
4o. Item, homines Perpiniani quando milites guerregant se
possunt se mittere alii in Castro alterius militis et alii in alterius
Castro , et intérim ille miles contra quem se mittunt in Castro
alterius militis non potest facere aliquod malum aliquibus bonis
suis, nec aliquod dampnum dare, sed solummodo personis
illorum , dum fuerint in defensione castri et non in alio tem-
père. Si vero voluerint esse valitores et adjutores se alii alterius
militis et alii alterius habentium guerras , possunt hœc facere et
equitare contra adversarium illius quem adjuvant. Quo casu
etiam si revertantur ad Perpinianum taies valitores et adju-
tores exti tente guerra, ille miles contra quem sunt non potest
facere aliquod malum, vel dampnum dare bonis suis, sed
tantum personis suis et illorum qui eum eis erunt et bonis qum
secum ducunt et portant, nisi forte illi dixerint militi contra
quem sunt quod de cetero non erunt contra eum. Postea, ille
miles cui hoc dixerint nullum malum vel dampnum possunt
facere vel dare personis suis vel illis qui eum illis in illa guerra
fuerint vel bonis quae secum duxerint vel portaverint in illa
guciTa ; et quodcumque malum vol dampnum fecerint vel de-
derint in diclu guerra est per consuetudinem diflinitum eis.
33.
510 PREUVES
5a. Item, quîcumque bajulus vel vicarios vel scriplor mo-
Ulur, débet jurare coram populo se factanim bene et fiddiler
suiim ofRcium et cum justicia , secundum quod ei justom et
viftuiD (îierit et secuDdmn consuetudines et leges.
55. Item, dominus dod potest mutare macdlum nec aliquis
aiiiis ; et si aliquc tabulae in macello ponerentur praeler cod-
siMlas , débet eas inde bajtdus expellere ; qui bajulus si beat
uoiueht « licset impuue illud iacere probis hominibus Perpiniani.
6s. llem, simimimms ut nemo agens teneatur in Iota ctosa
esfirànere causam suc petitionis dum tamen ea de pecuoii
sibî sciheiida CKÎal cum instrumento publico facto in scribaiiti
IVrpimani, elt.
QiM» prcdkias consuetudines , dominus Jacobus, Dei gracis
m Anf^miun, llj^oncanmi et Valenciae, cornes Barchinonc
H iWi«MliMi» H dom. Ilootîspessulani laudavit, et approbtrit
pff\>bfes lnmiiiiibiKS H umnenilmti villm Perpimani,
( Jbi ar if rMMMMT fi ^viU^e des armes de Perpiymaii,
V^um sît cuncb» TÎdentibus ei audientibns banc scripto-
nuii . qu^xl ix>* i>mn<» insimul , populî totius villse Perpiniani
hâî .îA tt^ ;-î >'..\:.U> :^ tsiilem villa Perpiniani, consilio et vo-
liiv.t.»'.:' .¥. :v .%,/..%:: ■.:uî:îî domini Pelri, Dei p*acia régis Ara-
Cv'i.uuî. V ::r.t.* Tvirv :.;iv;iia^. constitmmus inter nos v consules
in v'-.vî.i >:...•• P/r; -.".riAni . nomine M:ilicel : Emientraudum
Cm SM. it Nt; î.a: -.im àe \ ilUra^a. el Bernardiim de Solatico.
et \iîA:t:r. J.; N.irtvn.i. ti JjKvbuni Andream qui bona fide
iu<t.xii.Miî t*. /leisiuiAi^î .K m.miiteneant et reganl cunctum
jvputuiu M.i.v IVr. ::u.ur. . Uni |var>um quam magnum, el
omnes rt^ t\ mm ni.b.ic^ t: immohile5. et ouinia jura d'' re^s
^À (:À'.\\\M-:n\ d:\\\::\\ r\\:i> rrvdicti in omnibus el ad ulili-
taUm ti î.it itaitm 1. 1:1:5 ix ; uli pnvfali \i\Lv Perpiniani. Qui
ronsuie* | : m inin.^ti suit ibi va ronsularia de istis proximis
DE LA PREMIERE PARTIE. 517
Lalendis roarcii usque ad unum aonum. Quo termino com-
pleto, si tune pnedicti oonsules in pnefata consularia remanere
aduerint, sive quod non essent ibi utiles, sive causa necessi-
tads quam haberent, sive quod xlictus populus viltœ Perpi*
nianî pro • consulibas eos habere noluerit, mittantur, et sta-
tuantur ibi, in dicta villa, arbitrio et ci^icione totius populi
pnedicti, idios v consules ad unum annum, et ita prosequatur
semper de anno in annum omni tempore , de praedictis consu-
libiis si ibi non fuerint utiles et fidèles in dicta consularia, sive-
que populus noiiet eos habere et retinere ibi de uno anno el
antea. Adhuc, nos omnes habitantes et stadantes in dicta villa
Perpiniani , bona fide et sine omni enganno cum bac prœsentî
carta in perpetuum valitura, unusquisque ex nobis propria
Bostra manu dextra juramus oorporaliter, tactis sacrosanc-
tis iiij evangeHis , vitam et membra et fidelitatem domino régi
pnedicto et suis, et de omnibus suis juribus et in omnibus bona
ide. Adhuc, nos omnes habitatores prae&tse villœ Perpiniani,
lam parvi quam magni, convenimus inter nos omnes, bona fide
et sine omni enganno , quod erimus insimul nobîsmetipsis et
ex viribuf domini régis et suorum boni valitores et veri adju-
tores et defensores scilicet ex nobismetipsis et ex omnibus
rébus nostris , et ex omnibus juribus domini régis contra omnes
homines qui non sint villœ Perpiniani , salva semper fidelitate
domini régis et suorum in omnibus , et hoc totum dicimus nos
observaturos , et juramus sub eodem sacramento prsescripto.
Et ego , Petnis , Dei gracia , rex Aragonum , cornes Barchi-
Donœ , p^ me et per omnes meos successores , cum hac prae-
senti carta in perpetuum valitura , laudo et concedo , firmiterque
eonfirmo cunctîs hominibus meis villœ Perpiniani ibi habi-
tantibus et stadantibus, prssentibus et futuris , cum hac eadem
carta in perpetuum valitura , quod si aliqua persona qus non
sint villse nostnc Perpiniani aiiquod forisfactum sive dampnum
sive malum sive detrimentum sive injuriam fecerit de honore
de iqhiJiili»ne aive ailo alio
srare KaoBs, me
et ML vicKHii. (pu in cBcte nosln TÎBa
«ttiBÉCBirfiÉ cifr iiipiliaBft ci
CBIKBieO IM^IIIO et
va nnllMit soDB
■HfMH» iHiift et iafert
ei:a iB pnsentui eomm
<« re^titnere et UBeuda
âcotâ jua et rat» dîcta^pcrit,
]■>« tiiiiafqriut, vohmia», et ex
ntdicti coÊtsnàa^ cttm laeo
ja^iiîo -sK ssnm '^vearm^ «nBeomii pafNife Ptrpîniaoi vadmt et
TiMunni . JMcmt ^aiaa. auper indeCailaiein qui lor-
infaDMii âBczi 41 isBOHe Hfrr* aàiî lefeifceietnr et erit et
•lÎB rear dvtift «snm: 4I ifr mmphi oMile&ctii (|aani ifat
■if «1^ .Je jMmvt: 'maBint» iiKnntt ÉMBunnit lUBiMiDaHi
■umquani ego
j|Mfiare oaqse aiif|iiid
ncne iive pelere. ffMHpuMi Mrtrrn «iicii coosuIb com meo
;iiio et vinau ei oum pupuîi» Ftfpiuieni ^mptr alk|aeBa
âumwi.^ ruiper riiiam ifuitewiHrint-, h. abipiis ex ipsa YÎBe
baoeat inde dampaimi il âuiiiiua^ BacdbinaiL. cpii — ■**^"^1nr et
'ientnr in opère muronua villa? P^KrpâuaaL Mandanma adhoc
<pjnd oafln» :ut jiuHia eipiitace aeqne aiîipia inaèfftcii
•iiicai hmnmi S¥e iniinie «pâ aim ait viiks Papmiaoî «
rjniaâio dictomni consHihun tit mm. Im^iÀ et ^kartL QMid si
rpiiaauaa» âieit tamptare . liin^ qaaàe&cta cognitiPMe pnedic^
Uirum conanlum et oiei bajuli «t vicarii. et idtra kabeat iwle
'tampniun x solidoa . tpÂdenlnr et nûttantiir in opère ptjedici»-
rrim nniromm. GmMii» vaiu reevpefcal
>
DE LA PREMIERE PARTIE. 519
quam fecerint pro conducto sive pro loguerio de bestiis si
equitaverint, pro iilo cni debitum sive tortom restitutum fui(
bona lide. Similiter quaiecumque consules in supradicta con-
Bularia mittentur ac statuentur de anno in annum , jurent si-
miiiter ûdelitatem nostram et omnia jura nostra , et fidelitatem
totias popali praedicts viike nostre Perpiniani et ex omnibus
rébus eorum , eodem modo ut jara juraverunt praedicti con-
suies. Et ego, Ermengaudus Grossi ; et ego , Stephanus de Vil-
larasa; et ego, Bemardus de Solatico; et ego, Vitalis de Nar-
bona, et ego, Jacobus Andréas, nos quinque supradicti
consules, juramus quisque ex nobis lidelitatem domini régis et
suonim et omnium jnrium suorum în omnibus, et vitam et
membra omni tempore , et fidelitatem tolius populi Perpiniani
et ex omnibus rébus eorum , tactis sacrosanctis iiij evangeliis ,
quod sacramentum corporaliter facimus, et est manifestum.
Actum est hoc septimo kalendas marcii, anno incamationis
domini mclxxxxvi , signum Pétri , régis Aragonum et comitis
•BarchinonsB, qui predicta omnia laudo et confit mo proprio si-
^o meo -f Petrus Ausone sacrista. Signum Guillelmi Durfortis.
iSignum Johannîs Beraxensis domini régis notarii qui litteras
signi domini régis scripsit
Confirmation des coutumes par Pedre IL
Manifestum sit omnibus prssentibus et fiituris quod ego ,
Petrus, Dei gracia rex Aragonum etcomes BarchinonaD, laudo
et concedo et confirmo, et cum bac praesenti carta perpeluo
Yiditura liberaliter autoriio vobis omnibus hominibus tam ma-
joribus quam minoribus habitantibus et habitaturis in Perpi-
niano , omnes illas bonas consuetudines quas pater meus , bona$
memoria;, dominus Udefonsus, iiiustris rex, vobis condam
dédit, laudavit, concessit et confirmavit, sicut melius et since
rius coutinetur in instrumento ab eo ipso nobis inde facto. Prae-
terea volo et mando , et paginas presentis auctoritale iirmissirae
b Vacvs . «rdàù >■>— > iracKcntomm . m 19* A J
> nn*tTt> ah afic«tol>t-M Milr romÙM. per teilts t^v
i-iwl» iuiratuoi fu«rit <{uo(l IVwkïus de Vernelo. ^Hiad^
[lalri iïliuî PtMHài tle \«i>rto, luKvtkoos receperft, cda^A.
Mi»tiHu«il. funiliu-es habueril. cas bene fecerit k elî^Mi
MWav«rïl : ptr que consut quoit eonim erroribiu onBifil d
iioM constat quod confeMu» riiil, nec etiam penltuît, fOf'B'
(juc omnia bona dkti 1V(m.-u itf fuiicti erant de jure DOrtro ht-
rario confiscanda ; no», volettes dïcio Poncîo, filîo dïctî dfr'
fiindi mis«Ticordiz i iscera afierirp , eidem , auctoritate pmM-
lium indidgemus . retniltimtis * roDcedîmus et in pape*
luuin abMlvimus et defTinintu!' omnia castra et viSas on
tenninis suis et alias poueMiones el omnia bona mobilîa et
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 521
immôbilia quae fuerunt dicti patris sui âefuncti, et omnem
justidam generalem et penonalon seu mittam
cujuscuique generis ait quam habemus vel habere possumus
super omnia bona dicti Pondi defuncti, patris sui, ratione dicti
criminis , vd ratione • criminis vd ddicti a dicto
pâtre suo, vd etiam ab ipso usque nunc, quacumque ratione
comissi, sive inventum fuit, sive possit unquam de rétro inve-
niri; et ex bac concessione dictus Pondus, filius
dicti Poncii defuncti , omnia predicta bona libère ac licite reti-
nere, et de ipsis testari et suam perpetuo faoere voluntatem
possit « etiam recipere et capere omnes et qui d ad-
venient et advenire poterunt ratione proximitatis , agnatorum
vd cognatorum, vd aliarum personnanim. Ac si « ratione dicti
criminis, dictus pater suus , vd etiam ipse, numquam
et dicto Pondo, filio dicti patris defuncti , quod propter dû^um
ddictum preteritum non possit unquam ab aliquo inquietari
nec infamiœ notasignari, ex patemo ddicto seteum
ad £simam et ad onmia supradicta de plenitudine nostrae potes*
tatis , et quod possit peragere omnia qus quiiibet homo capax
et integ rum ut tanquam fiddis et catbo^
licus admittatur semper ad onmes légitimas actiones. Volumus
quod onmia supradicta Poncius defunctus, fuit
in ipso bœreticus judicatus. Propler banc autem re-
missionem et graciam , a dicto Poncio , filio .... viginti duo
millia solidorum mdgonensium concedimus récépissé , reniin-
ciantes except doli et pecuniae non numeratse, renun-
ciantes etiam scienter et consulte, quantum ad
minons pretii et auxilio illius legis qua succuritur deceptis
ultra dimidium et onmi dio jure et ratione et civili
repugnantibus contra predicta vd aliquod predictorum. Et
banc gratiam et remissionem facimus de assensu et voluntate
dictorum , fratris Pétri de Cardila et fratris Bernardi de Vacco
{ou JBorco), inquisitorum haereticas pravitati& in regnoct domi*
&30
coiiilitiiD quod o:
PKËUVES
il persona ûve sît miles, si*
sit religiosa , vel aliNS cujuslibct condicioiiU v'
aliquid liabcat et positideet iii viUa Perpinw
suis, dct cl mitUt in expensis et missionib
Perpiniaiii vicinaliter «ecundum qiiod hr
et limiiler precipio bajulo quicumque
vd il) poMcnim. sulwUtuendoque bo'
lînnilei' conipleat cl coiiservel, et qur
rieccsM! fucrit |)utciitialitcr diitrinf
Datiim rcrpiiiiaiii xiij Laleudait
l'er uiaiiiiiu Pelri i\c Ulandis, not
.ii-chinoBB tl Ui-
Novermt iiiiivcrsi. qiiod
Arngoniiii), Majoricarum
(Jrgclli et domîiius Mon'
iiiqiiîsitoribus )ia»«ticon
nardo de Vacco, ordin
•Idiiiîiiio nfistro nb ai
ni-iik-- iiivnjliim fur
piilt-i i^tiiis roncii '
Mislitiiicril, rnmiliii
.dm»
, alicujus alterius serfiôi:
■&c nos et nosiros, volumus.
olris et vntris , quod , ralione
hominibiis vctlris prejiulkiaiii
. veslTonim prcjudicio.inodoel
i-ecognoscîmus fore c-oncessa mm-
■lOftria, infanlîbiis Pedro et Jacobo,
iiictil quatuor evangcliis quod ip)i
rlii nullum vobÎK vel veslris.necrliun
oneni raciantvd demandant. neciiMiin
jui intendant adquisivissc vel lialHW,
o qucui UnlH'ie <lcbcii( tcmjMirf «iKinini
■ l<
'*.RE PARTIE. 523
-^ et Jacobus prœdicti,
) adjutorium amore
iiclo, fore (ÎEictum, et
uiisuetudinis vel usus,
i quatuor evangelia, ma-
iiod nulluni vobis, richis
ncc vestris nec hominibus
e subsîdii vel adjutorii, fa-
>ii possit parare nec faccre pre-
cl vestris per nos nec nostros in
1 de vcslra fuerit volunlate; imo
0 dono gratuitu conûtenuir et re-
lod fuit actum in Barchinone, in pa-
iiovembris anno Doniini mcclx quarto ,
le. (Arch, eccles. )
N" XIII.
t-ment de ienxiin pris pour les niaraillfs.
versi quod nos, frater Guillelmus de Abellariis,
I us Mansi Dei , militiœ Templi , sciens et rccognos-
-operatoriis domus fratrum minorum Peq)iniani,
^dem domus fratrum minorum Perpiniani recipien-
itbis fratri G. Ferrando, guardiano fratrum minorum
iii et fratribus totius conventus tam pncsentibus quam
. quod fuit voluntas illustris domini régis Majoricarum
=l)orum hominum vills Perpiniani quod in satisfactione et
{>ensationc cujusdam tenenciœ quam clavarii cisae Perpi-
•ni occupaverunt pro opère murorum dictœ vills Perpiniani,
ater Amaldus de Torricela, praedecessor noster, olim prse-
ceptor dictsB domus Mansi Dei , vendcret vobis , nomine dictas
domus fratrum minorum et fratribus minoribus conventus
perpiniani ortum dicta* domus Mansi Dei inferius alTroiilatum,
522 PKKUVES
nio. Ad mnjurein etiam limiiutein prxseiiton (Mi|;iiiam hiiUi
iKisIra MMK^iliiuus roburari. Dstiim Barcliiloiis . piidie notât
outobri , uuiKi Dumîiii millesimo duceiitesimo sexa^sùno.
Kgiiuin Jocobi, Dei gralia, régis Arngonuin. MRJoi'icaruiii e<
VAleiiliiU, cooiitis Barcliiloiijf et Urgdli. et domiai Moatùpts^
Milani. Tesbjti stint A. de l,uitii, iVxùiiius de tJrrea. Kùmiuiu
de FoMÎbug et d« Anlillo, MarlÎDua de Luua. Signum Mi-
cboelli, etc. { Ex anh. vcclet. ]
Iniliiifiiilancr rtn ^ri^Jllfarl eaialsinl.
fkrretitii iiniveni qiiod mw, Jacobn». IVi gratis, rei Arn-
i;iMiUDi, Majortcarum et Valeutiir, romes Barchinouie et Hr
gsBî. et domimis MuntiftpeMulani , per nos «l iioRlro». reco|;
DMc:in>us et conlilemur votij» . ricliis liomtiiLbus el milhibin
Catalonioi, qiiml subsidiutn sive ^ervitium quod iiobi* tnodn
conccM»l», n vobi» vri a ve«trîs bominibus, dedistis el con
ceMisliii noli» (p-atisct >ponlan«n volantatc, pt aroore mixin»,
ac puro et graluitu dono , ei ad preces nostras , in aonlium
frnerrft- qiiam contra Snirnren os praponuimus babere.flDOO
ratîone aervitutis sabjectorum vel alicujns alteriiu servidi,
OBUS tel consuetudinis. Unde, per nos et nostros, volumu».
recognowîmus et concedimus vobb et vestria, quod, ratkmc
dkti adjutorii , nulhiln vobia vel hominibus vesiris prqudkâtiiii
generetur, imo. sine veitro et veRtronim prejudîcio, modod
in posterum , nobis predicta recc^o»cimus fere coocesM tnan-
dootes excellentiMimii filiis nosiris , inbntibus Pedro et iaoobo.
4)uod jurent super Mcroeanctif quatuor evangdiis qiiod ipti
■tecsui, racionedicti auxilii nullum vobis vd veafaria.aec etiam
vestria hominibus, peticionem faciantvel demandant, necuHim
aut consuetudinem vd jus intendant adquisivisse vel habere,
eKccpto tanici> bovalico qiiem hnltere debent tentpore suonini
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 523
regiminuiD. Ad hœc, nos infantes Petrus et Jaeobus prœdicti,
recognoscentes prsedictum subsidium seu adjutorium amore
maximo domini régis, patri nostro prœdicto, foré £sctam, et
non racione alicujus servitutis, juris, consuetudinis vel usus,
juraniMS per Deum et ejus sacrosancta quatuor evangelia, ma-
nibus nostris corporaliter tacta, quod nullum vofais, richis
hominibus et militibus antedictis, nec vestris nec hominibus
etiam vestris peticionem, racione subsidii vel adjuiorii, fa-
ciemus , nec istud servicium non possit parare nec facere pre-
judicium in posterum vobis vel vestris per nos nec nostros in
isto caau vel simili alio, nisi de vestra fiierit vcduntate; imo
hoc servicium ex vestro puro dono gratuitu confitemur et re-
cognoscimus récépissé. Quod fuit actum in Rarchinone, in pa-
lacio dcmiini régis, ij idus novembris anno Domini mgglx quarto ,
praesentibus testibus, etc. (Arch, eccîes,)
N« XIII.
Remplacement de terrain pris pour les nmraiUes.
Noverint universi quod nos, frater GuiUdmus de Abellariis,
prvceptor domus Mansi Dei , militi» Templi , sciens et recognos-
cens vobis — operatoriis domus firatrum minorum Perpiniani,
nomine ejusdem domus fratrum minorum Perpiniani recipien-
tibus, et vobis fratri G. Ferrando, guardiano fratrum minorum
Perpiniani et fratribus totius conventus tam prsesentibus quam
futuris , quod fuit voluntas illustris domini régis Majoricarum
et proborum hominum vilis Perpiniani quod in satisfactiokie et
compensatione cujusdam tenenci» quam clavarii cisœ Perpi-
niani occupaverunt pro opère murorum dictA viUse Perpiniani,
frater Arnaldus de Torricela, prffidecessor noster, olim prie-
ceptor dicta domus Mansi Dei , venderet vobis , nomine dictas
domus fratrum minorum et fratribus minoribus conventus
perpiniani ortum dictée domus Mansi Dei inferius affroutatum,
PREMIÈRE PARTIE. 525
lans exceptioni pecunûe non numerais
ir qui ullra dimidium justi pretii deoepti
ivit; et si hsec venditio plus valeat dicto
(t valitura, iliud totum, in ter vivos^dictus
fratri Jacobo dédit; et promisit eodem
line proprio quam nomine procuratorio
^arracenum poterat vendl per ipsum ,
' ûistelario , et se facturum et cura-
^QB Pontius de Castelario habebit
1 ipenditionem , et faciet ipse, et
im eidem domui Mansi Dei et
Bonum habere et tenere in
pefpetuum, et se teneri
n Jacobo nomine ejus,
■'t sumptibus et inter-
itrem Jacobum seu
Dei facere contin-
.lendo quam in in-
uo verbe absque testibus
ois omnem necessitatem de-
^ super praedictis. Item, nominibus
. eodem fratri Jacobo, nomine dictas
ulanti, quod dictus Sarracenus est de
m est de paiia aliqua nec fiirtim raptus,
c patitur morbum caducum ; aligando
nomine dictse domus Mansi Dei, omnia
futura. Et incontinenti , constituit se
mine suo , vel qui possidere
3t corporalem possessionem quam possit
oluntate. Et Raymundus de Porta , ha-
(ido, precibus et mandato dicti Pétri
ejussorem dicto fratri Jacobo de Œeriis,
Mansi Dei recipienti, de praedictis om-
52ft l'RKIIVKS
et c«n»iit et furit ca|iii)Tn , tU\ Et nunc . de oiandalo tlieli Ju-
mîni régi», pev nos et succtssore» matro» et ouiiies TralreB lui-
Utiu! Teiupli |ir>cseiites et futuri , vendimus vobis. dtcli»
operariis (•mentibus noniinp l<1 ad opu» fratrum minorum Per-
pinioai et convcatus ejuïdem domu*, dictum ortum, etc.
{Arch. ccela.)
N° XV.
Vmlr pubUiiiw dan Sarraiin.
Novttriiit iiiiivenii ijuod ego, Pelnis Florjs, liabîUlor de
(juiilMioUindo, procurntor l'oiitii de Cnsteldrio. mililis, no-
mine procuralorio ejus data «ub mandnlo per ip»uiii Pontium.
lie veiideiido Surraceauin infraMriptua) , ut per publieuiu lat-
Irumentum in<ln luctuiu apparebat, quenidam SBiraoï-uiiiu
tiomtiie Aimel. qutin, ut dîcebal, dederat dicto PonlioGaus-
beiiiu de Caïtronovo; veudidîl et tradidit publiée ïn plalei
publics viUc l'erpinîani , in tabula Pétri Kiperio;, mercatorii
PcrpiDiaoi, cum publiée dictus Soiracenui aubaslarelur per
plateam piiblicam villie Peqiinianî, fratri Jacobo de Olerii),
pnrceplori donius lempl! Perpiniani, prœseoti, nomine do-
mus Hausi Dei militite Templi ement! et recipienti , totum inte-
nter ac generaliter cum omnibusjuribusquoshabebat indicto
Sairaceno prsdictus PetruB Floris ex nomitie procuratorio et
potestatesibi data per dictum Pontium de Gistelaria , utsuperiiu
continetur, ad ulililatem et comodum dictse dotnus Mansi Dei,
Biititiae Templi : cedendo dicto fratri Jacobo omnia jura et ac-
cione» qu« et qua» habebat in dicto Sarraceno, Domine pro-
ctu-atorioet vice dicti Ponlii de Castdario, conslituendodiclum
fratrem Jacobum, nomine dictœ domus Mansi Dei emeuleni,
at iii rem suam procuralorem contra omnes peraonas. Quam
vendicionem eidem fratri Jacobo fecit precio undecim librarum
et dcceni salidoriim malgon. bonorum, de quibus per pacca-
DE LA PREMIERE PARTIE. 525
tum se tenuit , renuncians exceptioni pecuniae non numeralae
et iUs legi qua juvantur qui ullra dimidium justi pretii deoeptî
5unt, similiter renunciavit; et si hœc venditio plus valeat dicto
pretio, velinposterum est valitura,illud totum,inter Yivos,dictua
Petrus Fions praedicto fratri Jacobo dédit; et promisit eodem
firatri Jacobo , tam nomine proprio quam nomine procuratorio
prsedicto , quod dictum Sarracenum poterat vendi per ipsum ,
ut proprium dicti Pontii de Castelario , et se facturum et cura-
turum cum efFectu quod dictus Pontius de Castelario habebit
ratam et ûrmam semper dictam venditiouem , et faciet ipse, et
dictus Pontius , dictum Sarracenum eidem domui Mansi Dei et
dicto fratri Jacobo nomine ejus, bonum habere et tenere in
pace et quiète ab omni persona, in perpetuum, et se teneri
eidem domui Mansi Dei et dicto fratri Jacobo nomine ejus,
et successoribus suis de omni evictione et sumptibus et inter-
esse signos in eam evictîonis dictum firatrem Jacobum seu
successores suos vel dictam domum Mansi Dei facere contin-
geret pro praedicto Sarraceno, tam in obtinendo quam in in-
cumbendo , ex quibus credatur pleno suo verbo absque testibus
et juramento ; demitens sibi et suis omnem necessitatem de-
nunciandi diclo Pontio et suis super praedictis. Item, nominibus
quibus supra, promisit eodem fratri Jacobo, nomine dictas
domus Mansi Dei stipulanti , quod dictus Sarracenus est de
bona guerra et quod non est de palia idiqua nec furtim raptus,
nec mingit in Iccto nec patitur morbum caducum; aligando
in dicto fratri Jacobo, nomine dictae domus Mansi Dei, onmia
bona sua pnesentia et futura. Et incontinenti, constituit se
dictum Sarracenum nomine suo , vel qui possidere
munus fuerit, plenamet corporalem possessionem quam possit
accipere sua propria voiuntate. Et Raymundus de Porta , ha-
bitator de Camporolundo , precibus et mandato dicti Pétri
Floris, constituit se fidejussorem dicto fratri Jacobo de Œeriis,
nomine dictan domus Mansi Dei recipienti , de praedictis om-
PltfctVES
) el sinpiilia «apradictis ultendPndÎR el compUndis dictu
fralri Jacolm el RiiccMioribiis nuis et dictt doinni Mansj LVÎ
CUDi tt> ol Rtne oo. in vila el iii inoric. renuncîans reecriplo
divi Adriatii el benelicio novtp conatilulioni» et dividcnd^r ac-
lionîii. et illi aiileiilîce dkei)li reum principalcm primo fera
oonveniendtim , obligAndo jflmdiclo fratri Jacobo et succcmo
ribii* «uis nomine dicta- domim Maitsi Dei el eidcni doomi
ntnnia boiia *iin prm«nlin «t fuliira. Acluni est hoc priino ka-
Uadu Martin, a mio Domini iU(:i:nonageRitno sexto. Signiim. etc.
{Ex areh. eceiet. ]
V urftii . au roi dr Atajori/m- .
Extrait. Nos, |>rocuratores iiiiiverMlntis huminiiRi dicii Inci
(le Venietn, uoniiiio procuratorio prasiiclo. suppliRARiu» ft
. requirimuR vobîa. rcvcreodo domino Guillelnio, Dei gntii
■bbali Saacii Marliiii Caiiigonenaîs , qualtrou* iila pignon* que
vo« recepisti» «eu recipi el pignorarc feciftlia per diulum Potnim
de Joncelo. bajtiliim de Vcrni'ln, mliono r.r, f>olidi>ruiu aiil
majoris aiit minons summs quos aeu quam vos vultis et inlen-
ditis extorqiiere et eiigere ab universitate hominiun de Ver-
neto, occasione illiiisconviviiquod hoc aano fecistû et dedistis
illustrissime domino régi Majoricarum in vestro monasierîo.
nobis et aliis bominibus dicti loci quorum sunt dicta pignon
restitualis et reddi et restitui faciatis, cum prtedicta unitersilas
non teneatur ad solvendum prxdictum convivitun, expeosu
seu missiones ejusdem, nec ad coiitribuendum et solvendoni
partem aliquam in eisdem . cum vos spontaneus et absque ali-
qua coactione, invitando dictum dominum regem feceritis et
dederitis eidem , in dicto vestro monaslerio conviviiuo anle-
dictnm, et idem dotoinus rex, sua liberalitate, ad honoreœ
DE LA PREMIERE PARTIE. 527
veslruna et dicti monasterii pnedielom convivium a vobis
duxeril aoceptandum , etc. ( Ex orra, ecehs.)
N" XVII.
Prétentions des TempUets sur les comtés de RoussiUon et de Cerdagne,
Noverint univeni quod oo9 , infans Jacobus , iUosiris régi»
Aragonum filius, hasres Majoncamm, Montbpessulani , Ro6«
silionis, Vallespirii, Ceritaniaa et G)Qflaeiiti8 , nomine domini
régis patris nostri et oostro ei successorum ejusdem et nostri,
dominorum Rossilionis, Vallespirii, CeritaniaB et ConflueDlis
ex una parte, et nos frater Amaldus de Castronoro, humais
militiaB Templi magister in Aragonia et Cathaionia, per nos et
omnes successores nostros ex parte altéra , consilio et assensn
fratrum nostrorum coropromittimus in vos, venerabiles et dis-
cretos Geraldum, abbatem Sancti Pauli, de Narbona, et Gos
bertum de Voconaco, abbatem Sancti Felicis de Gerunda,
tanquam in arbitros arbitratores seo amicabiles compositopes
super controversia quorundam privilegiorum , tam a dicto do-
mino rege quam ab antecessoribus quibusvis inductorum seti
concessorum domui militise Templi et hominibus ejusdem, in
terra Rossilionis, Vallespirii, Ceritaniœ, et Ginfluentis, orta
diuiius inter infantem Jaod^um et Curiam dicti domini régis
ex una parte , et nos fratrem Arnaldum prsdictum et fratres et
hooûnes militise Templi ex altéra , super eo , yidelicet , quod nos,
firater Arnaldus praedictus, asserebamus et asserimus in onmibus
honûmbus etfemnis, villis et castris ntis in proedictis locis temm
Rossilionis, Vallespirii, Ceritanim et Conjlnentis, nos debere ha-
bere, occasione praedictorum privâegiorum , in praedictis locis,
scilicet castris et villis et hominibus et feminis eorumdem , et
sdibi in hominibus môlilî» Tem{^ infira prsdictas terras , josti-
cias civiles et criminales etetiam merum imperimn. Ex adverso,
nos infans Jacobus prœdictus, nomine dicti domini régis et
/
53A PHEUVES
iKwtri et iiicccKMiriim iioitrortini in dicii* terris, <lu.'ebatniii> rt
aw«rebaiiiii» et nx«oriiniix vx IvuDrc [M'aHlkloruiu prïvilp^ionim
prsiclictuni fratn;ut Arnaldum, inaginlrum, seu fratre» mÛilùe
Templi, nomme dictieiloinus, non debereliabere aliquamjurU'
dictionentinkuaiiuibuB (rutnirum «eu rillaruiuniilitiivTt»n{di,
Ktt aliû in terra [ioitilionu, Vallttpirii, Ceritaniw ft VonfiatRlii
rontmorontitiu. wà tolum iiiodo faticain decem diertim in pro-
prii» et Milidi» castris Templi , maxime qiiod ex intprprvUlioR*
facta o dictu doniiiio r^^ , paire no»tro , super dictis privilf^iù
rolligtlur Gvidenter. noc etiam ex tenora diclarum privilegiiv
nim videbattir en qux sunt meri împcrii (bra rnticessa domui
mil) tir Templi îii liomînilxis supradictin. Diide, de cotnmuni
coucordid et atitensu. super omudiui piwdiclîii el siogulii,
excepta rutro cl villa de Palan , dt^ cuju» jiirisdrcttooe et jua-
ticîa nou intoDigimn* aliqiitd compromit 1ère , de pricscnli ctm-
promittimua in in* . prediclos vjrm el diicrelos Gerarditm el
Gocbortiim, abbates pntdiclos. lanquEtin in ai-bîlm» arbîtr*-
Inre» seu amicabiles co mponi tores , ni supcriu» dictum ml;
îUujue quitquid pm>dictis nliqno WM aliquiliiis prcedictorum
jure, laudo, consilio seli omicabili conipositioDC juxta QMtri
ordinitcioncm dirUm .s(>u voliinUtem duxeritis ordinandum.
quocumque modo , ralum fiabebimus atque tinnum , mu olifi-
gatione boiiorum dicti domini régis et nostrorum el domm
dicta; militia; Templi , volecites ctiam quod de prsdictis et sin-
guli5 possitis cognoscere et inquirere de piano et sine strepila
judicii, omissaomnis juris solemnitate, et nos, consulte et ei
cerla scientia , renunciamus quod contra dictum seu prootm-
ciationem ve) ordinacîocem vestram nos vel aller nostrum dod
possimus recurrerc ad arbitrium boni viri.
Nos vero , Geraldus, abbas Sancti Pauli , et Gosbertus , abbas
Sancti Felicis Gerunda: , arbitri arbitratores seu amicabilet
composilores , habita inter nos et cum sapientibus super pn-
dictis dili^nti consilio et Iractatu, proedictis domiDO infanli
DE LA PREMIERE PARTIE. 529
Jacobo et fratri Amaldo, magistro domus militiae Templî, in
nostra prsesentiaconstitutis, visis privil^^iis hinc iude productis
et rationibas utriusque partis auditis , inquisito commuai usu
totios terne Rossilionis, Vallespirii, Ceritanis et G)nfluentis et
liJbertatibas concessis villis et civitatibus et hominibus domini
régis a dicto domino rege vel ab antecessoribus suis, inter eos
taliter duximus ordinandum quod prsdictus magister Templi
et successores ipsius et firatres militûe Templi habeant omni-
modam jurisdictionem et omnes justicias civiles et criminales
in castris seu villis , parrocbiis et terminis de Sancto Ypolito et
de Orulo et de Angils et de Terrats , et hominibus in eis inha-
bitantibus , excepto mero imperio in omnibus criminibus qui
inducunt mortem civilem vel naturalem seu detruncationem
membrorum , et jurisdictionem et cognitionem et punicionem
pacis et treugae qui et quae sunt et rémanent in prœdictis locis
pênes dictum dominum regem et dominum infantem Jacobum
et successores eorum, dominos terr» Rossilionis, Vallespirii,
Ceritanise et G>nfluentis.
Item, dicimus etordinamus quod si homines domini régis et
domini infantis Jacobi delinquerent iufra prsdicta castra seu
terminos eorumdem , quod non teueantur respondere pro dicto
ddicto seu delictos in posse bajuli seu bajulorum praedictorum
loconim seu parrochiarum , nisi in posse curiae dicti domini
régis et domini infantis Jacobi et successorum suorum domi-
norum terrae Rossilionis, Vallespirii, Ceritaniae et G)nfluentis;
aed volumus quod bajulus sive bajuli militiae Templi prœdicto-
mm locorum seu parrochiarum possint homines dicti domini
regb et domini infantis capere , et ipsos captos ad curiam dicti
domini régis et domini infantis Jacobi incontinenti mittere et
tradere teneantur.
Item, dicimus et ordinamus quod si homines praedictomm
locorum sive parrochiarum , prsesentes et futuri comitterent seu
delinquerent aliquod conlra dictum dominum regem vel in-
I. ' 34
650 l'Rtl'VEft
raDtcin Jacobiim . vel contra vivuiiuiii vel bajulo» seit nlio» offl>
ciales eorum , aiil contra ramiliaiu ipsïus domiiii rcgis vel àa-
mini infantis, ([uo<) tpncanlur i^spoodere pro dicliti ddiclii
comîïsis ac ofTensin in pti^sc riiriafdicli domiDÎ re^iï et domini
ïiifiuilit Jacobt et «iiurum aïKXJCWMriini , dominonim Kto hofr
ttlioDÎs, Va)lL'S[imî, Cçrilauiit etGtnfluentis, et salvo doniÎM
régi el doaiUio inbiili itnaho ni mi» successoribus , dominii
tttrf» Ru»ilioniB, VaDespù-it. Ceritamie et Conlliicnlis omn
jurûdictiuiie el plenaria polcstale iu pncdtctù loci». *i in dicio
laaptlrti st!u bajuiis pra-dictorum locorum de&ctu» jmlici*
iurentiin fueril.
It«in, diciniTK et ordinanm» cjuod m homioes Perpioiani,
chriMiani vel judiri , linbcnl cnnxuin sive causas contra hanùiKi
dictonim locorum »C» pnnw.hiaruni in curia praxlictofum lo»
corum, qnnd non trnpHnlnr wilverc nliquas expcnsa» pro jo-
dirc vcl srriptnra, iiisi Imaiines liiniliterdictoruni loconim KO
porrocUiarum l«ni!uiitur Bolv(>re aliquas expcnsnft pru judice v«j
ScHpIoro in poste turiu.' bujiili l'eqiiuiani cum contïgerit ipM)
habore causaui »ive causas in possecuria; bajtiii Perpiniaoi.
Iteoi. dicimus et ordinamiis quod si homines dictoruin loco-
ntm seu parrochiRrum v(>l prod^cessores eorum craiit . vel sur-
ceMores eorum erunt in alïquo, racione mutui seu contractas
aliquibus christianis vel judsis perpetuum obligati. pra dicte
magistro seu commendatore Mansi Dei vel Iratribus militiff
Templi principaliter vel secundarie aut accessorïe, quod te-
neantur respondere et placitare in posse domini régis et do-
mini infantia Jacobi et successorum suorum , dtamnorum teirc
Rossilionis. Vallespirii, Ccritaniœ et Confluentis et curis
Perpiniani.
Item , dicimus cl ordinamus quod in aliis locis et bominibui
et feminis in compromisso compensis militia; Templi in terri
Rossilionis, Vallespirii, Cerilaniaj et Confluentis dictus doni'
nus rex et succcssoressuî, domini terr-icRossilionb, Vallespitii.
DE LA PREMIERE PARTIE. 531
Ceritaniae et Ginfluentis , habeant omnimodam jurisdictioneni
personalem, civilem et criminalem et menim imperium et pa-
cem et treugam , sine ornai contradictione dicti magistri et om-
nium successorum suorum et firatrum domus militiae Templi,
salvo dicto magistro et fratribus domus dictas militiœ Templi
omni jurisdictione reali etfeudali. Actum est hoc vj idus decem-
bris , anno Domiui millesimo ducentesimo septuagesimo primo,
^num, etc. {Ex arch. eccles,)
N« XVIII.
AttesUUioa da CamerUngue du pape Jean XXII, qae la cour apostolique na
rien reçu du déUgui de Hahbé de Saint-Martin.
Uniyersis praesentes litteras inspecturis , Gasbertus permis-
sione divina Massiliensis episcopus , domini papae camerarius ,
salutem in Domino.
Ad universitatis vestrae notitiam praesentîum tenore deduci-
mus quod cum dominus firater Berengarius, abbas monasterii
Sancti Martini canigonensis , Elnensis diœcesis, teneatur sin-
gulis annis, curia existente citra montes, sedem apostolicam
visitare, sedem ipsam pro uno anno proxime nunc transacto
per religiosum virum firatrem Raymundum de Odelone , mo-
nachum dicti monasterii, procuratorem suum in hoc specia-
liter constitutum cum devotione débita visitavit, nichil tam'en
idem procurator, visitationb hujus modi nomine camerae do-
mini nostri paps , obtulit vel servivit. In cujus rei testimonium
praBsentes litteras fieri fecimus et sigilli cameriatus nostri ap-
pensione muniri. Datum Avenione, die décima Junii, anno
Domini mgcg vicesimo tertio, indictionis, etc. (Ex arch. eccles,)
N» XIX.
Réclamation au siyet des mauvais usages.
Hase sunt quaB 1 remorata de mala consuetidine ; et
in primis del aiga que hom nos toi. don fem lo sens, aube ia
34.
ÛSa PREUVES
seslofada. don ioiii lo »pn». qiie oni nos a cregiida. e In fbgaces
ovgiide». no gni>nm melrc messager, ne bover. ne porcher, ne
g«ïo. ne. . . . ncTaber. nieimdemanament debaile. lorbcsliw
qtlon» Idein nostrcn blndi c non sen gosam defendei'e. Do tôt
ftragnm. si vobi» i)locel. cbû altesles cuslumes adobeile». [ire-
gum quK les ol>li(w del vino. preneii del vi de In Invpiiia que
aiii es i^onsuetudo. ( Ex areh. recia. )
N- XX.
Affranehiiiemnit dei nioiivuii uio^i,
Jacolius. Dei gracia, rt-n Miijoricnnim el conies. fidelîbiu
novtris iiniversituti» de Aloiio, in Ccrdania, et *in)>ulisde et
presentdjus et fiiluris. aaliik-ni ul graciam. Siipptîcatis pni
parte veatra, aiiiiuenles favorabiltter !» Iiac parle, vos et ves-
IruDi siugulos et boua ve»tra omnia afTraDquîmus , per nos et
nostros (juo^libol succêssores, el Immunes reddimus perpetoo,
lam de spécial! gracia', quam ratione infra scriptce quanlilstû
pecuniœ, ab inleitiis, aissiiiis, cuguciac, ewrquiis et homiaum
redemplionibus , îd est pra^slatioDÎbus quœ nobis debebanlur,
si sb intestato deccdeos et ratione casiialis iacendii . adulleiii.
sterilitnti.'i , el si adlocaalia vesira dotniciliFi mnlarelis; volenlM
et staluentes quod ex nuac oichil teneamini solvere, vel per
DOS vel per nostros a vobis, seu vestnim aliquod quidem peli
But exhigi valeat pro prxdictis, aut aliquo eorumdem; quo-
□iam ab eis omnibus et prestnlione et exactione eorum vos et
bona vesira absolvimus et penilus liberamus ; nos enim falemur
quod de trecentis Ubris Barchinonx quce nobis dare consue-
visHs pro praediclis, contenli sumus; mandamus itaque qui-
buslibet ollictalibus nosiris et nostrorum , preseotibus el fulum,
quatenus omnia et singula supradicta vobis aut veslrum cui-
libet observent lîrmiler et faciant obsenari. Datum Perpiniani.
xvj kal. Augusti, anno Domini millesimo trecentesimo Irige-
■imo nclavo. [Areh. <lom.]
DE LA PREMIERE PARTIE. 533
N" XXL
Union du royaame de Majorque,
In Domine sanctœ irinitatis et unicœ deitatis , amen. Pateat
universis quod nos, Petrus, Dei gratia, rex Aragonum, etc.
Sedule cogitantes quœ ab altissimo , qui ex suœ clementiœ ma-
jestatis nos regnorum et terrarum culminis decoravit, ac hono-
rificatus populis insignavit, precipue nobis importât ut ea sic
unita servemus , quod nequaquam desolationem incurrat. Nam
jure veritatis eloquium omne regnum in se divisum desolabitur,
régna quoque debent unitatis constantia et indivisibililatis so-
liditate gaudere, ut virtus unita sit fortior ad exercendum, sine
personarum acceptione , justiciam sine qua omnis terra périt et
babitatoris ejus civis ruil utilitas et principes nequeunt diu
regnare. Gonilatb quidem in unum viribus, qui majori potencia
Ailciuntur, publicas res adversusque hostiles incursusque
uberiori defensionis et pacis quietudine solidatur. Etenim do-
cuit experientia temporibus retrolapsis, qualiter attemptata
divisio regnorum Aragonum, Valentiœ et comitatus Barchi-
nons a nostris progenitoribus , nimium paravit excidium, in-
duxit scandalum , vehemensque periculum formidavit.
Sane , g^oriosus princeps , dominus Jacobus , divalis recor-
dationis, rex Aragonum, abacius noster, praemissa considerans,
regnis suis univit ex destinatione conquiesce regnum Majori-
canun et ei adjacentes insulas , quod et quas ut electa magna-
nimus a manibus eripuit paganorum, et eamdem unionem
privilegiis edictis etlegibus exlutis, successivis temporibus con-
firmavit, et quibusvis postea de regno et insulis memoratis
cum certis Cathalomœ partibus incisionem prejudicialiter
acceptasset, attamen, prseexcelsus princeps, domînus Petrus,
rex Aragonum , proavus noster recordalionis felicis , incisionem
praefatam reduxit ad deditam unitatem qua serenissimus dQ-
M. Vémitm m «HÏlalni BmU-
■oMra Ma paMico iabm fado etcWuo pcr Kriptarem iiottnua
et noUrian nfra maiplam ' in ip»> diiuie EudûnoDa,
dj kal, odofarâ. ukm tVmîni iÉrj-.cu. Mciuuki. ptool 'm H
■KMcilur, hzcetaliapleDiustkclanri. EiexttuK.dom cdfln-
buDDS in cintate Vakolûe cariam geoeralcfn rcgnict^
Valentic regni . diclAm uniotwm confinDaTÛnns et deaao ié-
cimus, roboraUm Ênnis et juramentis lingulomni ad dictam
cnriam vocaloruai. qui solerlnn in hiit inslantiam faciebanl,
cunt prïvilegio iiostro clauio et facto per euDdeai Dotarium io
ecdetia cathedrali beats Marûe, sedis Valeatic, dum inîbi
publicabatur generalis curùe memonita , pridie kalendas jt-
nuariî, proxime dicti anni. Cumqae pmt aprehoisioDeni de
regnoet civitate Majoriez et ei adjaceDtibus iniulis per nos, ni
'^
DE LA PREMIERE PARTIE. 535
prœtangitur, juste factam, et per ipsam civitatem diadema
nofttmm et regalia providessemus portare insiguia, dictas
onîones , quas inibi legi et publicari fecimus , présente geutium
copiosa muititudine coufirmavimus , iterato tactis per nos ad
earum corroborationem , cruce Domini et evangeliis sacro-
sanctis, cum carta nostra seu publico instrument) facto in
eeclesia cathedrali dictas civitatis Majorics, x kal. julii, anno
ifCGGXL tercii, per notarium supracitatum. Nuncquippe, me-
morantes omnes uniones et singulas supradictas, ac eas hujus
série confirmantes ad humiiis gentis supplicationis instanciam
vestri, fidelium nostrorum Guillelmi Çacosta, Francisci Im-
berti et Amaidi de Quintana, civium Majoric», et Johannis
Ecbalii, habitatoris villae internée, syndicorum et nuncionim,
juratorum, consiliariorum , proborum hominum et universi-
tatum Majoricœ, ad haec speciaiiter constitutorum nobisque
missorum, cum publico instrumento de quo frases in posse
infra nominati scrîptoris nostri et notarii plenariam fidem ; nec
non etiam syndicorum civitatum et villarum regalium Catha-
ioniaB predictarum, quorum nomina inferius descrîbuntur, nec
minus de expresso consensu inclitorum infisintium, ricorum
hominum et baronum ac ediorum prout nominantur inferius
seriatum , tenoris praïsentis nostri paginas perpetuis temporibus
inyiolabiliter duraturae , de certa scientia et spontanea voluntate
per nos et omnes heredes et successores nostros prefatum reg-
num Majoricae , cum civitatibus et insulis Minoricae , Evicœ ac
aliis adjacentibus ipsi regno ac comitatu Rossilionis et Geri-
tanise terras Gonfluentis et Vallespirii et Caucoliberim , nec non
jura quaevis nobis pertinencia quomodo libet, in eisdem dictis
AragoniaB et Valentiae regnis ac comitatui Barchinonae adjmi*
gimus indissolubiliter et unimus ; nec non etiam promit timus,
providemus, ordinamus, statuimus, decemimus ac facimus
quod dictum regnum Majoricae , cum civitate et insulis supra-
ci ictis, nec non comitatu praedicto cum terris aliis memoratis et
5sa pnEtJVKS
lix'n univcnuilibu» cl singulis silualis in illîs. et ctioijuniiu»
universùi ad nos perlinentibiis in eÎMlem . cum dictts Angonic
el V'ateuti4! regiiii cl camilalu Barchinonic sïnt nniLa p«rpelua
et conjiuicta . aine medio el aine aliquo intenrallo . el »ub uno
Dolo no»lro el iiCMlroriim auccessorum univorsaliuin (lominio
iii<)iviiil)ili ol iiiieptirabili [)ci'se> eret . ita quod quicitm^ueatt
rvi Aragoniii-. ValcnliiD comeRque Barehinons idem eliam ait
rei Majurico! et pm^iiicUnini et adjacenlium insularuoi ac
«Oines dictorum cuniilaliiiim et lerraruiD. Nos eniin. pernoset
(unuca havede* el sui»«s9om tiiistros protoitlimiu , de certo
Kientia et «[ira^Mi. <{uud dictu re^iuin, i.'ivtlaleiD. iusuUs.
(.-oinilatum et terra» .aive loca. vila», (.-aftlra. regaliat. reddilui,
jurn oITicia, usufruclum aut aervilute» eorum. nos,
vel ipai boredes auL succeMorca noatri nullo teuipore in te,
vel > *e, vel etiaot intcr te dividcnuia !>eii njiennbimui ant
Mparabiniiia , nec dividi, aeparari aeu alienari faciemus. va
«juoinodo lîbet pci-mitentua in perpetuuui vel ad tempus. a
rt^in cl cutnilatu prxdicii». acii a iioslm coroiia iTgia. in
lotum ïcilîcct vel iu parte, uec jier nos vci illos dari valeaiil nà
faudum honoratiu» yà aliud, proprielatem vel possessioneiD
per ïendicioneiii, canibiutu vel ab^oliitionem. etiam precarie,
uec etiam inler vivos vel in ultima valuntate, etiam in filiuoi
filiamve, aeu aiios deacendentes aut collateralea aut alios quoavis
unum vel plures aut nemini cuicumque, nec per arbitrium,
transactionem seu quamvia compositionem , nec p^ aliquam
aliana racionem quxdici, Qominari.excogitari posait, aune, vd
edom in fulurum, quacumque etiam parliculari alienacione
de premiasia el aliù in ipsis regno, civïtale, inaulia. conùti-
lîbua, terria et locia eorum nobis perlinenlibus quovis modo
nobia et noalris succesaoribua penitus interdicta; promitimiu
etiam de certa acientia et conaulte , et per dos et omnea heredea
s nostros decemimua el finnîler alatuimu* quod
n Hiclrirum regni Majorirs, rivilatis, inaulaniro, co-
DE LA PREMIERE PARTIE. 537
mltatuum, lerrarum, locorum et aliorum superius descripto-
mm, quod dudum inclito Jacobo de Majoiica jure utilis
dominii pertinebant, nunc autem sunt nobis, ut pretangitur,
pleno dominio adquisita, vel aliquod eonim nullatenus eidem
Jacobo remitemus, renunciabimus, dabimus; nec concedemus,
vendemus , permutabimus vel alienabimus alio quovis titulo
sive modo ad imperpetuum vel ad tempus, nec concedemus in
feudum precario, emphitheotico , libellario vel alio quovis
titulo sive modo, nec filio seu filiis ejus natis aut nascituris,
nec alii vel aliis personis extraneis vel privatis , etiam racione
concordiœ sive pacis, si forsan inter nos et ipsum Jacobum
tractaretur, fieret vel firmaretur, nec racione compromissi,
transactionis aut pacti quœ de premissis aliquod facere non
possemus, nec ex alia quivis etiam vel alicujus vel aliquorum
supplicationem nec motu proprio inter vivos aut in ultima vo-
luntate, nec alias, modo aliquo sive causa.
Volumus insuper, concedimus, decemimus et statuimus
quod si forsan , quod absit , nos vel nostri successores vellemus
unionem peractam quomodolibet violare seu contra eam facere
vel venire, vel ipsam non tenere vel observare, prout supe-
rius continetur, incliti infantes Petrus Rippacurciœ et Monta-
nearum de Prades cornes, parens Jacobus, cornes Urgdli et
vicecomes Agerenus, frater Raymundus Berengarius, Impuria
comes , parentes nostri carissimi et successores eorum ac uni-
versitates praedicts et earum singuli non teneantur, nec pos-
sint nos vd ipsos successores nostros in aliquo juvare in pra&-
dictis , vel circa eas , nec obedire nostris et eorum jussionibus ,
quoad ea ; quinymo , dicti infisintes suique successores , sub-
dicti, vassali, et valitores ac universitates pretactœ, necnon
omnes habitatores dictorum regni et civitatis Majoricœ eique
adjacentium insularum , ac ipsorum comitatuum et terrarum ,
ac singularum ipsarum, présentes et fiituri possint, teneantur
et debeant ipsum regnum, civitatem et insulas, comitatum et
QftDfaCtM H
id MnvMonsDOOtri.perDOi
wllilimii de km intromitteTe
ab unirant-
Qooâ ert actaaa in capcAa palacâ ivfa crritrta BanhhioaB'
dÏF Ino» ïi^ L^ aprfli». MMin Doninî «cxcxL qnarla> Sigoum
hitari. Dr çracia. n:^ Ar«£«ovn. Valeoàc. de. 5wMat
Jia.1 yajfi A ofmatmmét trmmm^, ^nwtwutmm momJaéfi-
ecrmûi. «M/ 1» «Mft Hpianlwï lËn in iMihitadiDe copnu
DE LA PREMIERE PARTIE. 539
N» XXII.
Procès-verbal de la remise du Château royal de Perpignan
aux Aragonnais.
0
SU omnibus notum quod nos, Jacobus, Dei gratia, rex
Majoricœ, cornes Rossilionis et Ceritaniae ac dominus Montis-
pessuiani absolvimus, quittamus etliberamus vos Franciscum
Saragossa, militem, ab homagio ac fidelitatis sacramento per
vos nobis prestatis, pro castellania et custodia castri magni
nostri regii, viUœ Perpiniani ; mandantes vobis quatenos dictum
castrum de nostro spécial! mandato trada... domino regi Arago-
num yel cui ipse voluerit Nam quamcumque traditionem inde
fiBCoritîs ex nunc prout et tune ratam habebimus per-
petuo atque iirmam et gratam. Actum est in Gunera regia,
Yocata àds Timbres, castri regii Perpiniani, quinta décima die
Julii , anno Domini mggcxl quarto , in presentia et testimonio
nobilis Alti de Cuor, nobilis Berengarii de Vilario acuto et Pétri
Adalberti , mercatoris Perpiniani.
Post hoc, die Jovis, sexta décima dicti julii, nobilis et egre-
gius vir, dominus Philippus de Castris, in littore pontis-levadis
castri regii praedicti, ante januam priorem introitus ipsius
castri personaliter constitutus, presentavit dicto Francisco,
castellano praedicto, et per me, notarium subscriptum legi
mandavit, in presentia et audiencia dicti castellanî et testium
subscriptorum , quandam litteriam régis Majoricarum pre-
dicti, tenons subsequentis :
« Rey de Maylorchas.
tDe paraula vos avem manatqud castdl nostre dePerpinya
livrastes a aqueyla persona de qui per letra vos escrivem.
Perque, aquesta letra vos manam, quel dit castdl livretz al
noble En Phelip de G^tres, car tôt nostre, loqual es haud, es
I
&W PREUVES
trrt dd WHjor nj d« Ar^o. Dal a EInA . a xyj de Jnliol , de)
aaj «uxiAitii. >
QtM lillcTB lecU. dicUM noinlU pelîîl H requistvit ex parle
dkli dumini reftb Araçoiium ut Lastrum |)redictuiii aibi Ire-
dnvt, «krui liabumiiit a dicta domino ^e^e MajoricK în nlln-
ilnlû, Fl honitn ftieniul (estes Anialdus do Corbaria, Beruinlut
dm Corbaria. DoniicelU et Petrus Companirs. jurisperiliu. el
ego , itictu» Anioniai Galexerii . notsriu» . (|ui de presenlatione
didJe lîttcrac el wciihp raquisitionig , requisitUR notam rewpi,
Poat lunr, cudmi die, dirliiR rn^IcllaDi» dictum pontem qui
Icvatiu crat baxari fecit. et. jiitla lîtterx predictK tenorem,
tticium Doliilimi pcr roanui» actijiîens . januant primam dicii
caïlri , aiiU* quam e>t dictii.i pou» . iutroduul et clavcs eju»deni
januf Kibi tradidit. Deiiide aicedens ad jaouam rerratam in-
troiliia dicli easirt. idem fc«it ut Ruprn. Deiade acceden* ad
januaui ferratain qua liabelur accessus ad praluiD. etiam
clavM illius sibi tradîdîl. Conseqiienler accedetis ail januaui
ferralain nemoria, eliant sibi clavr» cdidît. Et eidem fecit de
janiin rcrrntn ((ua habeliir introitiu ad eiiindcin pralum , quft
c»t prope januDin dicti imnoris. Et hax. facla fuerc in prr-
wntia et tcslimniiio lestium proxime M.'riptorutD. De quibi»
omnibus prsdictÎB el singulis , jamdictus castellanus quoque
□obilis petiemnt et requisiverunt stbi Eieri publicum instru-
mentum. Sîgnum Antonii Gualexerii, noiarii pablicî, etc. (El
Ubro viridi minori.)
N» XXIII
Provisio del senyor rey en père ab laquai mana al procu-
rador fiscal que de cent lliures B. à la obra de la capella que
deu fer à les forques de Mailoles à le»quals Toren p«njats pcr
lo rey en Jacme de Mallorca , los bonrats en P. Riben e en
P. Arnau, apothicaris e en Père Amau, fuster.
Petrus, Dei gracia, rex Aragonum. Valencis, Majoricaniiii.
DE LA PREMIERE PARTIE. 541
Sardinîœ et G)rsic8B , comesque BarchiDons , Rossiiionis et Ce-
ritaniœ, fidelibus suis procuratoribus Rossiiionis salulem et
graciam. Attendentes sanum propositum successorum fideHum
nostrorum Pétri Ripariae, Pétri Arnaldi apothecarii et Pétri
Amaldi fusterii, his annis crudeli et fere inhumano mortis
tormento traditorum nidlo preeunte reatu, per inclitum Jaco-
bom de Majorica, eo solum quia eos non suœ nobis tune
rcpugnanti injusticis sentiebant, suo arbitrio inclinatos;
qui successores , ut eorum retulit supplicatio , valde in votivis
genint affectibus quamdam constnii et edificari capellam in
podio de Malleolis ubi praefati defuncti dictum crudele su-
plicium subierunt, ut quia ibi illorum corpora minus debitœ
mortis passi fuere suppHciùm, ibidem in eonim remissionem
precaminum divina et Deo accepta fiant officia quibus ipsorum
anîms valeant in cœlestibus collocari , dedimus et concessimus
predictis successoribus in adjutorium dicts capellae operis,
centum libras Barchinonae ut eadem edificetur citius, et bono-
rum qus in ea fient simus particeps. Domino permittente.
Igitur, vobis dicimus et mandamus quatenus de pecunia ex
redditibus et juribus uostris pênes vos missae vel de cetero
existenti, dictas centum librâs tradatis et solvatis Bernardo
Aybri, Vitali Rotundi et Petro Raymundo Amaldi, qui procu-
ratores et operarii dicuntur operis supradicli, quibuscumque
aliis mandatis vobis verbo seu litteris factis obsistentibus nullo
modo , ipsis vobis banc tradentibus et apocham de soluto. Vo-
lumus tamen quod eadem pecunia, per eosdem operarios in
operi necessanis et non ad usus alios aliquatenus convertatur.
Nos enim damus dilecto nostro magistro rationali, aut cui-
cumque aiteri a vobis tompotum recepturo presentis série in
mandatis, ut dictas centum libras in nostro admittant com-
puto ; recuperando a vobis presentem et apocham memoratam.
Datum Perpiniani , vij idus Madii , anno a nativitate Dom.
MCGC quadragesimo quinto , rex Petrus. ( Ex libro provis. )
V /Eh*, n ^«m J> FMfw f>Mnr HaMb '.
Tttn FraMçot* , far U gHcc de Dîen , ahbé du monaalére
de S>. Gcos de Pootûnn, éiicUd'Eloe. ikairv gntenl aa
•fàfilMl ri tamporel do rtftrandiwiiDf m J. C père et notre
M^pnor Pienv.pkr b pic* de Dira, «oique d'Qne, qui m
ta«Tc «n term lainUisa. »n r^entnd* abi)é>. «as véné-
nll» ftin^J al atrt faocb umituns, domers. nclenn.
«ÎDWW fmfétmÊit ri Mn «nlm pr itm carés n«mpts ou non
■■i^ ^fu Mot dan* notiT ^rché d'Qne , »4lul- Par le» pré-
MMh> MIri. arac m ossr fmàa i Bnerfonie el uoc setuîlile
■hmliiii naos voaa (Ù3om mtoît oamBe les vèoéT^M Pierre
Fafari. DariMtd .^mand , CnilbuDW Aowcd) et Deniwd Go-
menc , cuauib d« U *îDe de PerpâgDan , ianiKe dernière, avec
dm [N^leittf ri Ma» cotaiàént que lei per»onnes eccle«iu-
bqne* . uoo-sndcancnl de U part de Dieu au ponroir de qni
MQl la eaipÎK* fi loa* le* royaoïnes de l'univers, mats eooon
de lj jiMl de nolnr t*igi»ear tepspe. îon vicaire stir la terre,
auquel Jâus-Chnst. qui nous a rachetés avec son sang. ■
promis que ce qu'il lierait sur la terre serait lié dans le
cid, elc. connue aussi de la part des empereun chrétiens,
sont exempts des impositions ordonnées par les téculiers; et,
ce qu'il faut bien peser, c'est que Pharaon, prince païen et in-
fidèle, qui tenait tout sou peuple en esclavage et qui ignonil
la loi catholique, n'avait pas moins laissé en leur première
liberté les prêtres et les ministres de Dieu qui desservaient ton
temple. Mais les cousuls de Perpignan (ce que nous vous an-
nouons avec douleur), oubliant leurétemd salot, cherchent
r\
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 543
à faire perdre la liberté, et à réduire en servitude non-seu-
lement le clergé de Perpignan , mais encore tous les ecclésias-
tiques de révéché d*£^ne , en voulant soumettre les ecclésias^
tiques qui, de tous temps, ont été afiranchis de tout impôt de
la ville, à payer comme les séculiers certaine imposition par
livre de viande. Elnvieux de la liberté du clei^é , ils trouvèrent
un moyen pour les faire payer, et ce fut d*ordonner que tous
ceux qui vendraient des bestiaux pour la boucherie eussent k
payer, par tète de chacun d*eux , une certaine somme au per-
cepteur qu'ils nommeraient. Avec ce moyen , les ecclésiastiques
se trouvaient dans Tobligation de payer comme les séculiers,
et ainsi ces ecclésiastiques , qui auparavant étaient exempts des
tributs, se virent réduits à la servitude et mis à Tégal des sécu-
liers. Monseigneur Tévèque, comme un bon père que son
oflBce pastoral charge de défendre et de conserver les libertés
ecclésiastiques , de veiller au salut de ceux qui lui sont soumis
et de corriger les délinquants en les retirant de la voie de la
perdition , ne négligea pas d'avertir les consuls dans diverses
conférences, pour qu ils restituassent au clergé tout ce qu ils
avaient usurpé sur lui, les admonestant, pour faire retourner
les choses à leur premier état, que, puisqu'ils avaient été les
auteurs de la servitude des prêtres, au préjudice de leur cons-
cience, ils fussent maintenant les médiateurs pour qu'ils
jouissent de leur liberté en achetant la viande sans aucun im-
pôt Mais les consuls , comme de sourds serpents , ne voulurent
pas écouter ses avis , désireux de s'approprier ce qui apparte-
nait aux ministres du Seigneur, lesquels nuit et jour prient
Dieu pour qu'il pardonne les péchés du peuple, et convoiteux
de s'enrichir du mal des autres , afin de pouvoir mieux détruire
les privilèges et les libertés saintes de l'élise; il fut donc
oMigé de leur déclarer qu'ils avaient encouru la sentence
d'excommunication. Aux honneurs du consulat succédèrent ,
l'aunéo suivante, Pierre d'Alamany, Bernard Garriga, Pierre
■MA â^^ ^H-^t^^^Bi^ ■ i 1^
CMnr p TU t tcaeia
Oft UKfiMJkWt lEnHi
r\
DE LA PREMIERE PARTIE. 545
grande foule se rendit à EUne et aux autres lieux qui sont de la
dépendance de Tévêc^é ou du chapitre , prenant possession , de
la part du roi, de touties les temporalités, dépouillant Tévèque
et le chapitre de leur juridiction , destituant les bayles et autres
officiers nommés par Tévêque ou le chapitre, et en mettant
d'autres à la place. Non contents de ce qu'ils venaient ainsi
d'obtenir du roi, les consuls lui envoyèrent en message les vé-
nérables Bérenger de Cabestany, licencié en droit, et Bernard
Gomeric , et ce prince ficcorda à leurs importunes instances un
nouveau mandat par lequel, entre autres choses, il est ordonné
que si Tévèque ne révoquait pas les procédures par lui faites
contre ses officiers et les consuls, 1^ lieutenant du gouverneur
eût à sévir contre l'évéque plus encore qu'il n'avait fait ; mais
monseigneur l'évéque, toujours constant, ne voulut se désister
de rien de ce qu'il avait commencé. Le vénérable Raymont de
Parasis , lieutenant du vice-gérant du gouverneur, voyant donc
que le seigneur évéque n'obtempérait pas aux ordres du roi,
mit dans la ville d'E^e un capitaine ou gouverneur, bien qu'en
ce temps-là il n'y eût aucun danger de guerre, et cela au grand
préjudice de l'église , et quoiqu'il n'y eût de semblables capi-
taines ni à Perpignan ni en aucun lieu de ces comtés. Ledit
lieutenant nomma Jean Fuster, banquier de Perpignan , pour
recevoir et recouvrer les rentes de l'évéque et du chapitre et les
distribuer à sa volonté. Ce Jean Fuster, au moyen de ce titre
de receveur, faisait publier par la ville de Perpignan que per-
sonne ne payât k l'évéque ni cens , ni rentes de cdles qui lui
étaient dues ; il arriva en outre que le samedi de carême , après
le mercredi des Cendres, l'évéque, voulant célébrer une ordina-
tion générale dans l'église de Pallol , ne pouvant le faire à Elne
à cause des excommuniés qui s'y trouvaient et pour lesquels
l'interdit avait été mis , à raison de leur occupation de la cité,
les deux exempts Pierre Marta et Jacques Fabre , que le viguier
avait placés à Elne , se rendirent à Pallol. L'évéque leur ayant
I. 35
M^|| à k ■<&>>
^■■■Sem. MOT* dui le piliii
1^*.. •■ IriiHil I» |Kjrta dt li
BK» b «DclaâMtîcpr* ri le* don»
L 0« JbiAvt. **ec PierTc Siiihd <k
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■» 1 ndMl pour »• prorâioD.
■ . If dàtriboant ■ <}ui bon levf
c Pi(n« S«iMa, se swsireDi, fn
A <ie Ptnoia . de* bœufa que monieigMitr
«s leim, lesqud* fuienl
(«ttdw» «s «K jn paUar a EVrppBan. Comme les eodésùitiqna
^ ftip^gin mttbàtat a euratian le mandement que moD-
»ctt:D«ttr fei^qoe arui fait cMitac les excoaunuoite, icdil
iKfwtnkult àm ^roarrmear H les rontul* firent fenner In cl»
.-hen .le b *iUe
DE LA PREMIÈRE PARTIE. 547
Monseigneur Tévéque , par Tintermédiaire de ses députés ,
avait exposé au roi les outrages que ses officiers avaient com-
mis contre lui , et , sur Taudition de ces plaintes , ce prince ,
comme bon chrétien, révoqua son ordonnance. Les consuls,
c'est-à-dire, Pierre d'Aleraany, Bernard Gariga, Pierre Ga-
randi, Bernard Fabre et Laurent Montilia, envoyèrent une
autre fois les vénérables Bérenger de Cabestany et Raymond
Sarda ou roi , qui , sur les impertinentes représentations de ces
députés , ordonna au lieutenant du gouverneur des comtés de
Roussillon et de Cerdagne de rétablir les choses sur le même
pied qu*avant son dernier mandat , si Tévéque ne révoquait pas
ce qu'il avait fait contre ses officiers et contre les consuls. Et
bien que le vénérable Pierre de Saint- Amant, hospitalier et
chanoine de Tortose, vicaire général de monseigneur Tévêque,
eût, en maintes occasions, représenté de la part de Tévèque
les intentions de monseigneur Tévéque, et qu'il se fût opposé
aux prétentions des consuls , il ne put jamais avoir le bonheur
de se faire écouter. Alors Pierre Bemardi , sous-bayle de Rous-
sillon , par ordre de Raymont de Parasis , vice-gérant du gou-
verneur, occupa les temporalités du seigneur évéque dans Elne ,
ia Tour et Saint-Cyprien ou , de la part du roi , il nomma des
bayles et des officiers au préjudice de monseigneur Tévéque et
de l'immunité de l'église d'Elne. Après avoir donné diverses
exhortations et différentes admonitions à Pierre Bemardi et à
ses compagnons, pour qu'ils cessassent et revinssent sur ce
qu'ils avaient fait, on les déclara enfin contumaces et excommu-
niés. Le vice-gérant du gouverneur se rendit k Elne, accom-
pagné de quelques hommes ; aussitôt entrés dans la ville , ils
investirent le palais , rompirent la grande porte de la rue et ap-
[tiquèrent des échelles en d'autres endroits pour y faire monter
d'autres gens dans le seul objet de me capturer; mais, le bon
Dieu soit louél j'eus le temps de me réfugier dans l'église cathé-
drale, où Raymont de Parasis accourut avec une grande foule
35.
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LA PREMIERE l»AUTIE. f.'i9
nge l'erreur aussîlot qu'elle la connaît et qui
e que quand elle est seule. Que si les of-
I et les consuls actuels, aussi bien que leurs piV-dé-
uDieu présenta leur pcnséeel avaient rédéclii
ulaieat faire, ils n'auraicnl pas allenlé conlro les
TéglÏK et ne se seraîeul pas mis eu opposilion avec
S et leur pasteur. Mais l'évéquu , son clergi} et l'église
ï jMuvons pleurer avec une profonde douleui- et
• •iteoler comme le prophète Jérémie quand il disait,
iirvviruioram facla est sab Iribalo, c'est-à-dire l'église
'st rendue tributaire par les consuls de Perpignan ; cl
iséquent les ecclésiastiques sont réduits ù la dernière
<on. Que si Pharaon , faute de connaître la loi de Dieu ,
.lit lout son peuple à l'esclavage , il laissait néanmoins les
s exempts de tributs et avec la liberté de jouir de toutes
poEsessions ; mais à Perpignan les ecclésiastiques sont en
éganxavec les séculiers, par le fait des consuls, qui pour-
avaient été admonestés eu différentes occasions pour qu'ils
saMent les ecclésiastiques jouir de leur liberté, et qu'ils ne
r fiwent pas payer l'impôt de la viande et du vin, à quoi
n'ont pas voulu consentir, aimant mieux subir la seutcncc
■ TexcommuDication que de satisfaire k monseigneur l'évëque
l à l'église d'Elne , dont les officiers royaux se sont rendus
ualtres. Et encore que, en fréquentes occasions, les officiers
rojmix aient été requis , de la part de monseigneur l'évéque et
d» U nâtre, de restituer la Juridiction lemporello de l'église
(THne et de rendre au seigneur évéquc et au chapitre tout ce
qui Kvait été usurpé sur eux, comme aussi de retirer de la ville
etatriRslIeuxdépendantsdel'évéchc et du chapitre les oITicicrs
rojMix, les leÎMant jouir de tout ce que Jean Puster leur rele
DÛt, ils ne Grent aucun cas de ces avis. Il est vrai que le sei-
gneur roi, sauf toujours sou honneur et sa révérence, a accordé
HUx consuls dificrentek ordonnances sur les impertinentes sup-
DE LA PREMIERE PARTIE. 551
les élises et chapelles dé Perpignan, mais encore dans son
terroir jusqu'à ce qu'il soit par nous ordonné le contraire. Et
pour que la sentence d'interdit que nous donnons soit notoire
à tous et que personne n'en puisse alléguer prétexte d'igno-
rance, nous faisons publier les présejites dans l'église de Saint-
Jean de Perpignan parles semainiers, et nous en faisons pla-
carder aux portes une copie sur laquelle sera empreint le sceau
de notre vicariat. Données dans l'église de Saint-Fructueux de
Rupe veteri, diocèse d'E^ne, le 39 août 1369; témoins Jean
Lilcc , recteur de ladite église , Bernard Estève , prêtre de
Rupe, et plusieurs autres. [Mss, can. Coma,)
Nota, a la suite de cette pièce nous voulions donner le texte d*un
rescrit apostolique contenant le détail de ce qui s'était passé subséquem-
ment, mais nous ne Tavons plus retrouvé aux archives de la préfecture
des Pyrénées-Orientales où nous l'avions lu. Cette pièce est du nombre
de celles qui ont disparu de ces archives en 1 83 1 .
TABLE DES CHAPITRES,
DES NOTES ET PREUVES
CONTENUS
DANS LA PREMIÈRE PARTIE.
Avertissement ?
Introduction ix
S f . Topographie. — Histoire naturelle. — Géographie an-
cienne. — Antiquités Id.
S II. Caractère des Roussillonnais. — Langue. — Ecri-
vains LU
S III. État des mœurs en Roussillon jusqu'au xvi* siècle.. LViii
S IV. Mœurs et usages jusqu'au temps présent: mariages,
funérailles et deuil. — Divertissements publics. —
Musique. — Danses. — Mystères. — Mascarades.
Carême. — Procession. — Gitanos lxxtii
LIVRE PREMIER.
Chap. I. Annibal traverse les Pyrénées. — Chefs gaulois. — Am-
bassadeurs romains à Ruscino. — Pompée et César. — Établis-
sement des Goths. — Elxpédition de Wamba. — Prise de Livia,
des Clusae, de Sordonia. — Villa-Godorum
554 TABLE
Pag».
Cbap. II. Invasion des Arabes. — Mort de Munaza. — Planez.
— Le Roussillon se donne à Pépin. — La Cerdagne é^Uvrée
des Arabes. — Réfagiés espagnols. — La marcbe d^Espagne
divisée en comtés. — Titres d*bonneur. — Plaids et cbamps
de mai. — Création d'abbayes 1 5
Chap. III. Obscurité de Tbistoire des comtes de Roassîllon. —
Comtes de Roassillon et de Cerdagne • 33
Chap. IV. Origine de Perpignan. — Première église de Saint-
Jean. — Désordres en Roussillon. — Concile de Touloujes. —
Trêve de Dieu. — Fiefs de Téglise d'Elne. — Comtêt de Cer-
dagne. — Misère du Roussillon. — Testament de Gjpinard. . . 5o
Chap. V. Séparation impolitique du Roussillon, de la Septimanie.
— Âlpbonse II soustrait la Catalogne à la suzeraineté de la
France. — Sollicitude de ce prince pour les* flft^issillonnais.
— - Albigeois. — Sancbe. — Pèdre II > 73
Chap. VI. Ligue pour la délivrance de Jayme I*'. — Le comte de
Roussillon régent du royaume. — Guerre civile. — Guerre entre
le comte de Roussillon et le vicomte de Béam. — Ligue contre
le jeune roi. — Nunyo-Sancbez.^— Conquête de Majorque. —
Traité de CorbeU. — Partage des états d* Aragon 94
Cbap. VII. Indépendance des seigneurs catalans.— Nouveaux
troubles en Aragon. — Collioore et Port- Vendre. — Royaume
de Majorque. — Agrandissement de Perpignan. — Eglise de
Saint-Jean. — Meuse canonicale 118
LIVRE II.
\
Chap. I. Royaame de Majorque. — Inégalité ^is xleux royaumes
d'Aragon et de Majorque. — Pèdre veut Jkre casser le testa-
ment de son père. — Il force son frère iStre son vassal. —
Cartel du duc d'Anjou au roi d'Aragoi^||hCroi8ade contre
Pèdre. — Surprise de Perpignan. — SarVpMie. — La Mas-
sane > 1 36
DE LA PREMIERE PARTIE. 555
Chap. II. Philippe le Hardi en Ampourdan. — heven des Fran-
çais sur mer. — - Typhus dans le camp. — Retraite et désastre
des Français. *— Examen critique de la narration des historiens
français. — Relation de Muntaner. i63
Cbap. m. Conquête des îles Bdéares par TAragon. —Continua-
tion de la guerre. — Paix entre la France et TAragon. — Le
royaume de Majorque en séquestre. — 11 est rendu à Jaymc. —
Édita et ordonnances. — Esclaves maures. — Templiers de
Roussillon. 180
Chap. IV. Les Catalans en Grèce. ^— Sanche , roi de Majorque.
— Difficultés avec le roi de France — et avec le roi d* Aragon.
— Mort de Sanche et difficultés à Tavénement de Jayme II au
trône. -^ — Révolte en Roussillon contre le régent. — Jayme II
fait le commerce dans Tintérêt de ses sujets d*outre-mer. —
Rétablissemeni des léproseries 906
Chap. V. Jayme diil^re Thommage au roi d*Aragon , — veut se
soustraire à la suzeraineté du roi de France. — Joutes à Mont-
pellier.— Menées perfides du roi d* Aragon, — qui se dédarc
contre celui de Majorque. — Jayme fait la paix avec le roi de
France 233
Chap. VI. Alliance des rois de France et d* Aragon contre Jayme.—
Causes de la défection des RoussUlonnais. — Émeute dans Per-
pignan. ^Attaque de Majorque et trahison. — Pèdre en Rous-
sillon.— Résistance de Perpignan. — Médiation du pape. —
Trêve aSo
Chap. VII. Nouveaux préparatifs de guerre. — Reprise des hosti-
lités.— Prise de diverses places. — Siège et capitulation de
Collioure. — Jayme se livre à discrétion. — Le reste du Rous-
sillon se soumet. — Pèdre dans Perpignan. • 269
Chap. VIII. Les corts éoofinnent la spoliation. — Jayme accuse
Exerica de Tavoir trompé.— Démentis et cartels. — Jayme quitte
la Catalogne. — É^anffourée en Cerdagne. — Inquiétudes de
don Pèdre. — SeU veiigeances eu Roussillon. — Odieuse con-
duite du roi de franco 291
DE LA PREMIERE PARTIE. 557
Pages.
Xlf . Sur quelques communes dépeuplées et abandonnées 471
XIII. Sur l'achèvement de Téglise de Saint- Jean 473
XIV. Sur les portions de la mense capitulaire. 477
XV. Sur le combat singulier entre le roi d'Aragon et le duc
d'Anjou 479
XVI. Sur rinterrogatoire des templiers da Roussillon 484
XVII. Sur le voyage de Muntaner, de Catane à Perpignan 686
XVIII. Sur l'autorité du justicia 492
XIX. Sur quelques tremblements de terre en Roussillon '^94
PREUVES DE LA PREMIERE PARTIE.
I. Protection aux veuves des seigneurs et à leurs enfants 496
II. Protection aux maisons religieuses 497
III. Notes de l'abbé de Saint-Martin du Cai^igou contre Pons du
Vemet 498
IV. Acte d'affranchissement d'un serf de l'église 5oo
V. Vente de sa liberté ou oblation Id.
VI. Composition honteuse 5o3
VII. Extrait de l'acte de consécration de l'église Saint-Jean-le-
Vieux 5o4
VIII. Testament du comte Guinard Id.
IX. Constitutions de paix et trêve d'Alphonse II 5o8
X. Extrait des coutumes de Perpignan 5i3
XI. Restitution des biens de Pons du Vemet 620
XII. Indépendance des seigneurs catalans 532
XIII. Remplacement de terrain pris pour les murailles. ....... 523
XV. Veute publique d'un Sarrasin Sa 4
XVI. Réclamation des habitants du Vemet au sujet du festin
donné à Saint-Martin , au roi de Majorque 536
XVII. Prétentions des templiers sur les comtés de Roussillon et
de Cerdagne • 527
TABLE DE LA PREMIERE PARTIE. 558
XViri. Attestation do Camerlingue du pape Jean XXII , que la
cour apostolique n a rien reçu du délégué de Tabbé de Saint-
Martin 53 1
XIX. Réclamation au sujet des mauvais usages Id,
XX. Afiranchissement des mauvais usages 533
XXI. Union du royaume de Majorque 533
XXIf. Procès-verbal de la remise du château royal de Perpignan
aux Aragonnais 539
XXIII 54o
XXiy. Interdit général mis sur la ville de Perpignan par le vicaire
général du diocèse d'Elue , en labsence de Tévéque Pieire Pla-
nella 54^
•
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