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Full text of "Histoire des Camisards"

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TUniversitç  of  Toronto 

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BÎNDÎNG  LISÎÀUG  15  1923 


LES  DRAGONNADES 


HISTOIRE 

DES    GAMISARDS 


DU   MEM12    AUTEUR    : 


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Histoire  des  Paysans.  2a  édit. ,  in-18 7    -> 

La  France  sous  Louis  XIV.  2«  édit. ,  in-8 10    » 

La  Vendée  eN  1793.  1  vol.  in-18 3  50 

Études  historiques  saumuroises.  1  vol.  in-18 1  50 

Le  Roman  de  l'Avenir.  1  vol.  in-18 3    » 

Louis  Hubert,  Mémoires  d'un  curé  vendéen.  1  vol  in-18...  3    » 

Les  Déclassées.  1  vol.  in-18 3    » 

Histoire  de  la  Jacquerie  .  1  vol .  in-32 »  30 

La  Commune  Agricole.  1  vol .  in-3"2 »  30 

Les  Paysans  avant  1789.  br.   in-18 »  15 

Les  Paysans  après  1879.  br.  in-18 »  15 

Le  Maître  d'école,  br.    in-18 »  15 

LaDime.  br.   in-18 »  15 

Histoire  populaire  de  France.  5  vol.  les  deux  premiers 

sont  en  vente.  Chaque »  30 


F.  Aurean.  —  Imprimerie  de  Largny- 


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LES    DRAGONNADES 


HISTOIRE 


CAMISARDS 


EUGÈNE    BONNEMÈRE 


AUTEUR    D  E 


L'HISTOIRE  DES  PAYSANS  —  LA  FRANCE  SODS  LOUIS  XIV 
LA  VENDÉE  EN  1793 

TROISIÈME    ÉDITION,    CORRIGÉE  ET   AUGMENTEE 


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PARIS 

E.   DENTU,  ÉDITEUR 


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LIBRAIRE   DE    LA.     SOCIETE    DES    GENS    DE    LETTRES 
TALUS-ROYAL,    15-17-19,    GALERIE    D'ORLÉANS 


1877 

Tous  droits   réservés. 


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1811 


HISTOIRE 

DES   GAMISARDS 


PREMIERE  PARTIE 


CHAPITRE   I 


L'Édit  de  Nantes  (1598).  —  Le  clergé  pousse  Louis  XIV  à  le  révo- 
quer (1650-1685).  —  Les  Parlements,  les  Intendants  conspirent 
avec  le  clergé.  —  Les  illégalités  précèdent  les  violences.  —  La 
persécution  commence  dès  1662.  — Destruction  des  temples  pro- 
testants (1679). 


Henri  IV  était  venu  étouffer  en  Bretagne  les  derniers 
tressaillements  de  la  Ligue.  Il  appela  auprès  de  lui,  à 
Nantes,  des  membres  du  conseil  d'État,  des  députés  du 
parti  calviniste,  Gaspard  de  Schomberg,  l'historien  de 
Thou,  le  président  Jeannin,  et  quelques  autres,  et  ré- 
digea avec  eux  l'édit  célèbre  qui  confirmait  les  franchises 
que  les  protestants  armés  avaient  arrachées  aux  rois  ses 
prédécesseurs,  et  que,  vainqueur  et  affermi  sur  le  trône, 
il  leur  laissait  dans  la  plénitude  de  sa  volonté. 

Les  édits  de  Charles  IX  et  de  Henri  III  étaient  «  provi- 

î 


2  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

soires»;  celui  que  Henri  IV  signa  le  15  avril  Io'J8  devait 
être  «  perpétuel  et  irrévocable  » . 

«  Maintenant,  dit-il  dans  le  préambule,  qu'il  plaît  à 
Dieu  de  commencer  à  nous  faire  jouir  de  quelque 
meilleur  repos,  nous  avons  estimé  ne  le  pouvoir  mieux 
employer  qu'à  pourvoir  a  ce  que  son  saint  nom  puisse 
être  adoré  et  prié  par  tous  nos  sujets;  et  s'il  ne  lui  a  pas 
plu  de  permettre  que  ce  soit  en  une  môme  forme  de 
religion,  que  ce  soit  au  moins  d'une  même  intention, 
et  avec  telle  règle  qu'il  n'y  ait  point  pour  cela  de  trouble 
ou  de  tumulte  entre  eux.  » 

Aux  termes  de  cet  édit  célèbre,  les  calvinistes  purent 
circuler  librement,  habiter  par  tout  le  royaume  sans 
être  contraints  à  aucun  acte  que  réprouvât  leur  con- 
science; l'exercice  de  leur  culte  fut  rétabli  ou  maintenu 
partout  où  il  leur  était  accordé  par  les  édits  antérieurs,  et 
en  outre  dans  une  ville  ou  dans  un  bourg,  pour  chaque 
sénéchaussée  ou  bailliage;  il  leur  fut  permis  d'être  reçus 
dans  tous  hôpitaux,  écoles,  collèges,  d'en  foncier  de 
nouveaux,  et  de  publier  les  livres  de  leur  religion  dans 
les  villes  où  leur  culte  était  autorisé;  ils  sévirent  ad- 
missibles à  toutes  charges  et  à  tous  emplois,  sans  être 
astreints  à  aucune  forme  de  serment  condamné  par 
leur  croyance;  on  leur  abondonna  un  lieu  de  sépulture 
dans  toute  ville,  bourg  ou  village  ;  on  ne  put  plus  leur 
enlever  leurs  enfants  pour  les  contraindre  à  changer  de 
religion,  et  les  parents  conquirent  le  droit  de  pouvoir, 
par  testament,  disposer  de  leur  éducation  ;  il  n'y  eut 
plus  d'exhérédation  pour  cause  de  religion;  ils  se  virent 
affranchis  de  payer  les  dîmes  aux  ministres  d'un  culte 
qui  n'était  pas  le  leur,  à  la  condition  de  respecter  ses 
jours  fériés,  ainsi  que  les  prohibitions  qu'il  établissait 
pour  les  mariages  entre  parents  ;  leurs  pasteurs  furent 


HISTOIRE   DES   CAMÎSARDS  3 

affranchis  d'acquitter  les  servitudes  et  redevances  féo- 
dales; des  garanties  leur  furent  accordées  en  justice, 
pour  juger  les  affaires  dans  lesquelles  des  protestants 
étaient  intéressés;  ils  s'interdirent  toutes  pratiques,  né- 
gociations et  intelligences  avec  les  ennemis,  au  dedans 
ou  au  dehors  du  royaume  ;  leurs  conseils  provinciaux 
furent  dissous  ;  le  roi  permit  la  levée  de  deniers  néces- 
saires pour  l'entretien  des  synodes  et  des  ministres  du 
culte  réformé. 

Il  ne  faut  pas  s'exagérer  la  portée  de  ce  grand  acte  de 
justice  tardive,  et  encore  bien  incomplète.  En  fait,  on 
leur  accordait  la  liberté  de  conscience,  bien  plus  que 
celle  du  culte,  qui  restait  entravé  parbiendes  réticences. 
Il  n'était  permis  que  dans  certaines  villes,  et  chez  les 
seigneurs  hauts  justiciers,  pour  eux,  leurs  familles  et 
tous  autres  qu'il  leur  plaisait  de  recevoir;  chez  les 
simples  possesseurs  de  fiefs,  pour  eux,  leurs  familles  et 
amis,  jusqu'au  nombre  de  trente  seulement.  On  ne  leur 
laissait  que  pour  huit  années  leurs  petites  places  d'asiles, 
et  on  les  rejetait  en  dehors  du  droit  commun,  puisqu'on 
établissait  des  chambres  à  part  pour  les  juger. 

Telles  étaient  les  faibles  garanties  que  Louis  XIV  ré- 
solut de  leur  enlever.  Son  immense  orgueil  se  révoltait 
à  la  pensée  que  quelque  chose  ou  quelqu'un  existât  en 
dehors  de  lui  ou  lui  fit  obstacle,  et  il  voulut  qu'il  n'y  eût 
plus  de  protestants  en  France,  comme  plus  tard  il  devait 
(lire  qu'il  n'y  avait  plus  de  Pyrénées  en  Europe. 

Il  venait  de  soutenir  contre  le  pape  une  longue  lutte  dans 
laquelle  la  victoire  lui  étaitrestéc,  et  qui  avait  abouti  àla 
fameuse  Déclaration  du  clefgé  de  France  sur1  la  puissance 
ecclésiastique  (1C82).  Sa  santé,  jusque-là,  avait  été  ro- 
buste. Mais  vers  la  même  époque  il  fut  atteint  d'un  mal 
qui  n'avait  rien  de  majestueux,  mal  presque  ridicule,  et 


■4  HISTOIRE   DES   CAMISARDS 

dont  la  cour,  qui  en  était  si  vivementpréoccupée,  ne  par- 
lait cependant  que  le  sourire  aux  lèvres.  Tout  a  son  im- 
portance dans  un  gouvernement  personnel  et  despotique . 
Il  s'agissait,  puisqu'il  faut  le  dire,  et  que  cela  pesa  d'un  si 
grand  poids  sur  les  destinées  de  la  France  et  de  l'Europe, 
d'une  fistule  à  l'anus.  Était-ce  un  avertissement  du  Dieu 
vengeur  dont  la  droite  s'appesantissait  sur  celui  qui 
avait  osé  s'opposer  à  certaines  prétentions  de  son  vi- 
caire? Dans  tous  les  cas,  on  ne  manquait  pas  de  le  dire, 
et  d'exploiter  cela  contre  lui.  Il  se  décida  donc  à  faire 
quelque  chose  pour  Dieu.  En  attendant,  il  lutta  contre 
le  mal,  mais  il  fut  vaincu.  Ce  ne  fut  cependant  que 
longtemps  après,  en  1686,  qu'il  se  résigna  à  la  grande 
opération,  devenue  indispensable  et  qui,  d'ailleurs,  réus- 
sit complètement. 

Mais  enfin  le  puissant  monarque  avait  eu  de  longues 
insomnies  pendant  les  trois  ou  quatre  années  que  dura 
cette  indisposition.  La  crainte  de  la  mort,  la  peur  de 
l'enfer  s'étaient  assises  à  son  chevet;  se  trouvant  assez 
vieux  pour  se  faire  ermite,  il  se  décida  à  faire  pénitence, 
et  surtout  à  la  faire  faire  pour  lui  à  tous  ses  sujets.  Et 
alors  adieu  les  plaisirs  et  les  fêtes  galantes,  et  les  jeunes 
amours  et  les  belles  maîtresses!  Voici  venir  le  règne  de 
la  veuve  Scarron,  qui  amène  à  sa  suite  les  confesseurs, 
les  dragonnades  et  la  puissance  scandaleuse  des  bâtards, 
ses  élèves  favoris. 

Madame  de  Maintenon  l'avait  débarrassé  de  la  Mon- 
tespan.  La  mort  le  délivra  de  la  reine  et  de  Colbert. 
Libre  enfin,  il  jugea  le  moment  venu  de  mener  à  bien  ce 
qu'il  estimait  être  la  plus  glorieuse  entreprise,  l'œuvre 
providentielle  de  son  règne. 

Cet  homme  se  croyait,  dans  la  naïveté  de  son  âme,  le 
représentant  de  Dieu  dans  ce  monde.  Si  l'un  était  le  roi 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  O 

des  cieux,  l'autre  était  le  Dieu  de  la  terre.  On  le  lui  répé- 
tait chaque  jour,  dans  la  chaire  comme  dans  les  prolo- 
gues d'opéra.  Fléchier  ne  confondait-il  pas  Louis  et 
Jéhovah,  ne  faisait-il  pas  de  l'un  le  collaborateur  et  le 
complément  de  l'autre,  lorsqu'il  s'écriait  dans  l'oraison 
funèbre  de  Letellier  : 

o  Quelle  main  était  plus  propre  à  achever  l'œuvre 
de  prince,  ou  plutôt  l'œuvre  de  Dieu,  en  scellant  la  ré- 
vocation de  ce  fameux  édit  (1)  ?  » 

C'était  une  quatrième  personne  dans  la  Trinité,  voilà 
tout. 

Il  entreprit  donc  de  se  faire  le  champion  de  sa  cause 
et  le  vengeur  de  ses  injures,  sur  les  juifs  d'abord,  qui 
l'avaient  crucifié  dans  le  temps,  puis  ensuite  sur  les 
calvinistes,  qui  niaient  l'infaillibilité  de  son  Eglise. 

Repoussés  de  toutes  les  positions,  de  toutes  les  fonc- 
tions, les  juifs  s'étaient  lancés  dans  le  commerce  et  la 
finance,  qui  étaient  presque  tout  entiers  dans  leurs 
mains;  les  protestants  dans  l'industrie,  où  ils  avaient 
conquis  une  habileté  et  une  prépondérance  sans  égales. 
Riche  comme  un  protestant  était  un  proverbe  d'alors.  Une 
très-notable  partie  de  la  fortune  sociale,  de  l'avenir  du 
royaume,  se  trouvait  donc  entre  leurs  mains,  et  depuis 
longtemps  Golbert  disputait  au  roi  ces  utiles  auxiliaires 
de  sa  politique  intérieure,  ceux  qui  avaient  le  mieux 
compris,  le  mieux  secondé  ses  vingt-deuxannées  d'efforts 
pour  créer  en  France  le  commerce  et  l'industrie. 


(1)  Les  évoques  étaient  unanimes  sur  ce  point.  De  Chambonnas, 
évêque  de  Lodève,  écrit  au  duc  de  Noailles,  le  29  juillet  1684  : 

«  Il  n'y  a  qu'à  laisser  faire  au  roi,  qui  est  conduit  par  l'esprit  de 
Dieu,  et  avec  un  peu  de  temps  nous  aurons  la  consolation  de  ne 
voir  qu'un  autel  dans  l'État.  »  Bulletin  du  Protestantisme  français, 
1853,  p.  167. 


G  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

Cependant,  il  fallait  faire  la  part  du  feu  en  accordant 
quelque  chose  au  bigotisme  étroit  du  roi- soleil  et  de 
ses  funestes  conseillers.  Le  grand  ministre  sacrifia 
d'abord  les  juifs,  mais  il  espéra  le  faire  lentement,  peu 
à  peu,  en  s'opposant  tout  d'abord  à  l'entrée  en  France 
de  nouvelles  familles  juives,  ce  qui  était  déjà  une  faute 
capitale  :  puis,  en  chassant  de  temps  en  temps  huit  ou 
dix  familles  anciennement  établies,  sous  prétexte  de  pro- 
fanation de  sacrements,  «  ou  pour  d'autres  raisons  », 
Il  pensait  qu'en  dix  ou  douze  années  de  temps,  la 
France  serait  purgée  de  leur  présence,  que  le  com- 
merce se  transporterait  peu  à  peu  «  sur  les  Français  », 
et  qu'ainsi  les  capitaux  ne  sortiraient  pas  du  royaume(l). 

Tout  porte  à  croire  que,  s'il  n'eût  pu  sauver  les  pro- 
testants en  retenant  Louis  XIV  sur  la  pente  fatalo  où  il 
allait  lancer  le  royaume,  Golbert  eût  du  moins  employé 
contre  eux  de  pareils  moyens,  qui  eussent  encore  été 
un  bienfait  immense,  si  l'on  songea  ce  qui  allaitarriver. 
Mais  il  mourut  sans  être  regretté  du  peuple  ni  du  roi, 
laissant  ce  dernier  libre  de  céder  h  toutes  les  funestos 
suggestions  qui  l'entouraient. 

Pour  rendre  justice  à  qui  de  droit,  il  faut  dire  que 
depuis  longtemps  les  parlements,  et  le  clergé  surtout, 
poussaient  aux  persécutions  religieuses.  Bossuet  traitait 
d'impies  ceux  qui  ne  voulaient  pas  que  le  prince  usât 
de  rigueurs  en  matière  de  religion  (2),  et  dès  1630,  le 
clergé  adressait  à  un  roi  de  treize  ans  les  conseils  qui 
suivent  : 

«  Nous  ne  demandons  pas,   Sire,  a  Votre   Majesté 


(1)  Depping,  Correspondance  administrative,  t.  III,  p.  876.  —  CoN 
bert  à  de  Riz,  janvier  1083. 

(2)  Bossuet,  Politique  tirée  de  l'Écriture  sainte,  Ijv,  VII, 


1IIST01RE   DES   CAMISARDS  7 

qu'elle  bannisse  à  présent  de  son  royaume  cette  mal- 
heureuse liberté  de  conscience,  qui  détruit  la  véritable 
liberté  des  enfants  de  Dieu,  parce  que  nous  ne  jugeons 
pas  que  l'exécution  en  soit  facile  ;  mais  nous  souhaitons 
au  moins  que...  si  votre  autorité  ne  peut  étouffer  tout 
d'un  coup  ce  mal,  elle  le  rende  languissant  et  le  fasse 
périr  peu  à  peu.  » 

Tous  les  cinq  ans,  le  clergé  do  France  se  réunissait 
en  assemblée  générale.  Il  daignait  accorder  au  roi  quel- 
ques légers  subsides,  en  échange  des  immenses  do- 
maines de  mainmorte  immobilisés  entre  ses  mains,  et, 
comme  récompense  sans  doute,  il  réclamait,  tous  les 
cinq  ans,  de  1650  à  1683,  que  l'on  supprimât  les  hu- 
guenots en  renversant  «  leurs  chaires  de  pestilence  et 
leurs  synagogues  de  satan  »  (1). 

Dans  cette  dernière  année,  1685,  il  devient  plus  pres- 
sant, plus  explicite  :  «  Que  défenses  soient  faites  à  ceux 
de  la  Religion  Prétendue  Réformée  de  faire  exercice  de 
leur  religion  dans  les  terres  et  domaines  du  roi.  »  Et 
comme,  à  bien  dire,  en  France,  tout  est  terre  et  do- 
maine du  roi,  il  demande  implicitement  parla  la  révo- 
cation de  l'édit  de  Nantes. 

L'évèque  de  Valence,  Cosnac,  que  nous  retrouverons 
bientôt  archevêque  d'Aix,  présidait  cette  année-là  l'as- 
semblée. Il  faut  l'entendre  se  féliciter  des  résultats  de 
son  éloquence  ;  «Je  fis  une  harangue  au  roi,  où  je  crois 
que  je  n'oubliai  rien,  et  peut-être  môme  que  je  contri- 
buai un  peu  à  faire  avancer  le  dessein  de  faire  révo- 
quer l'édit  de  Nantes  et  de  ne  souffrir  que  des  catho- 
liques (2).  » 


(1)  Assemblée  de  1GG0,  discours  de  l'évoque  de  Lavaur  au  roi, 

(2)  Cosnac,  Mémoires,  t.  II,  p.  nr>. 


8  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

L'acte  révocatoire  fut  donc  un  fait  de  religion,  non 
de  politique,  et  les  sentiments  du  clergé  sur  ce  point  de- 
meurèrent invariables.  «  On  ne  peut  s'empêcher  d'ob- 
server que  la  plupart  des  ecclésiastiques  n'agissent  dans 
cette  affaire  que  par  faux  zèle  et  par  passion,  »  disait 
Pontchartrain,  dans  un  mémoire  présenté  au  roi  en 
1698  (1).  Sous  la  pression  patiente  et  implacable  de 
madame  de  Maintenon  et  des  jésuites,  Louis  ne  connut 
plus  que  la  passion  de  la  conversion,  contagieuse 
comme  toutes  celles  du  maître,  et  qui  gagna  les  inten- 
dants, les  chefs  militaires,  les  magistrats.  Chacun  se  fit 
apôtre  et  missionnaire  et  se  servit,  pour  convertir,  des 
moyens  qui  étaient  en  sa  puissance. 

On  n'eut  que  trop  égard  aux  pressantes  exigences  du 
clergé.  Déjà,  en  1662,  on  sonde  le  terrain,  on  s'informe, 
auprès  des  intendants,  des  dispositions  du  peuple,  de 
celles  du  parlement.  Celui  de  Metz  répond  en  ordonnant 
que  les  réformés  ne  pourront  enterrer  les  personnes  qui 
leur  sont  chères  que  clandestinement,  avant  le  lever  ou 
après  le  coucher  du  soleil  (2)  ;  mais  en  même  temps 
l'intendant  Bourlié  avertit  le  ministre  qu'il  sera  difficile 
d'amener  le  peuple  au  catholicisme  (3).  Au  commence- 
ment de  1663,  unédit  légalise  la  déloyauté,  décharge  les 
nouveaux  convertis  du  payement  de  leurs  dettes  envers 
les  religionnaires;  ils  obtiennent  l'exemption  de  deux 
années  de  tailles  et  leur  part  retombe  à  la  surcharge 
de  ces  derniers.  Un  arrêt  du  12  mai  1665  prescrit  aux 
prêtres  de  pénétrer,  accompagnés  par  des  magistrats, 
auprès  des  religionnaires  malades,  pour  leur  demander 


(1)  Rulhière,  Éclaircissements  historiques  sur  les  causes  de  la  révo- 
cation de  l'Édit  de  Nantes,  t.  I,  p.  136. 

(?)  Emmanuel  Michel,  Histoire  du  Parlement  de  Metz,  p.  198. 
(3)  Depping,  t.  IV,  p.  305. 


HISTOIRE    DMS    CAMISARDS  9 

s'ils  n'ont  pas  le  désir  de  mourir  catholiques.  La  popu- 
lace, ameutée  par  les  curés,  hurlait  dans  la  rue,  péné- 
trait dans  la  chambre,  violait  l'asile  où  agonisait  un 
homme,  insultait  à  la  douleur  de  toute  une  famille,  tan- 
dis qu'assisté  d'huissiers,  de  sergents  et  de  recors,  le 
prêtre  disputait  au  ministre  le  moribond  effaré.  Une  dé- 
claration du  24  octobre  1665  autorise  les  garçons  de 
quatorze  ans  et  les  filles  de  douze  à  quitter  leurs  parents 
pour  changer  de  religion,  en  exigeant  d'eux  des  pensions 
proportionnelles  aux  besoins  des  uns,  aux  facultés  des 
autres.  C'est  la  révolte  et  la  démoralisation  soufflées  au 
sein  de  la  famille.  On  attirait  par  tous  les  moyens  ces 
pauvres  enfants  dans  des  couvents,  et  une  fois  dans  ces 
asiles,  ils  ne  pouvaient  plus  être  forcés  de  voir  leurs 
parents  jusqu'à  leur  abjuration.  Les  protestants  se  mon- 
traient en  tous  lieux  plus  instruits  que  les  catholiques  : 
un  arrêt  du  conseil  du  9  novembre  1670  défend  aux 
maîtres  d'écoles  d'enseigner  aux  jeunes  huguenots  autre 
chose  que  la  lecture,  l'écriture  et  l'arithmétique,  et  de 
se  trouver  plus  de  douze  réunis  aux  cérémonies  de  noces 
et  de  baptêmes.  Après  un  arrêt  qui  interdit  d'appeler 
des  sages-femmes  protestantes  auprès  des  femmes  en 
couches,  il  en  vient  un  autre  du  parlement  de  Rouen, 
du  22  avril  1681,  qui  permet  aux  sages-femmes  d'on- 
doyer les  enfants  des  religionnaires,  formalité  qui  suf- 
fisait pour  qu'un  enfant  fût  ravi  à  ses  parents.  Ils 
purent  se  convertir  à  sept  ans,  —  chose  où  l'odieux  le 
dispute  au  ridicule,  —  et  il  fut  interdit  de  les  élever  ou 
faire  élever  à  l'étranger... 

Les  parlements,  les  intendants  lancent  à  l'envi  des 
arrêts  vexatoires  ;  Louis  s'en  empare,  les  rend  d'une 
application  générale  par  tout  le  royaume,  en  fait  des 
lois.  Un  édit  d'août  1669  interdit,  sous  peine  de  confis- 

î. 


10  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

cation  de  corps  et  de  biens,  c'est-à-dire  sous  peine  de 
galères  perpétuelles  et  de  ruine  absolue,  d'aller  s'établir 
en  pays  étranger  par  mariage,  acquisition  d'immeubles, 
transfert  de  famille  et  de  biens.  Un  autre  du  G  novem- 
bre 1674  défend  aux  ministres  d'habiter  ou  de  prêcher 
hors  de  leur  résidence. Plus  tard,  c'est  tout  le  contraire, 
—  e  sempre  'bene; —  pour  leur  enlever  toute  autorité 
morale,  il  leur  est  sévèrement  interdit  d'exercer  leur 
ministère  pendant  plus  de  trois  ans  dans  le  même  lieu. 
On  supprime  dans  les  temples  toute  distinction  de  siège 
ou  de  place,  afin  d'en  écarter  les  gentilshommes  et  les 
nobles  dames  qui,  lorsqu'il  ne  s'y  trouve  plus  que  des 
bancs,  reculent  devant  la  honte  d'être  confondus  avec 
les  manants.  Le  2  décembre  1680,  les  greffiers,  notai- 
res, procureurs,  huissiers,  sergents,  ne  pourront  plus 
exercer  leurs  charges  et  sont  contraints  de  les  vendre  à 
des  catholiques,  on  devine  à  quel  prix  !  Là  où  il  n'y  a 
pas  de  juge,  les  syndics,  les  marguilliers  doivent  aller 
demander  aux  malades  s'ils  n'auraient  pas  pour  agréable 
de  mourir  dans  la  religion  de  Rome.  Les  mariages 
mixtes  sont  proscrits,  sans  nul  effet.  Par  une  impu- 
dence sans  égale,  Louis  déclare  légitimes  ses  bâtards, 
fruits  d'un  double  adultère,  et  bâtards  les  enfants  légi- 
times des  protestants  mariés  avec  des  catholiques.  Le 
moindre  défaut  d'une  pareille  mesure  était  d'être  d'une 
maladresse  insigne,  d'aller  contre  le  but  où  l'on  tendait. 
Car  lorsqu'une  personne  appartenant  à  la  religion  la 
plus  nombreuse  et  qui  groupait  autour  d'elle  toutes  les 
sympathies  en  épousait  une  autre  de  la  minorité,  les 
enfants,  entre  ces  deux  influences  égales,  devaient  al- 
ler tout  naturellement  du  côté  d'où  venaient  les  faveurs. 
Les  biens  légués  aux  pauvres  de  la  Religion  Prétendue 
Réformée  seront  réunis  aux  hôpitaux  ;  que  nul  ne  s'ingère 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  11 

de  recevoirchez  soi  les  pauvres  malades  de  la  R.  P.  II. 
(27  janv.  1683,  4  sept  1684)  ;  on  voulait  les  tenir  sous  sa 
main,  à  l'hôpital,  pour  livrer  leurs  derniers  moments  à 
l'obsession  des  prêtres,  des  bourreaux  deleurs  coreligion- 
naires. Un  protestant  ne  peut  être  nommé  tuteur,  exercer 
les  fonctions  d'expert  (21  août  1684);  il  est  défendu  aux 
pasteurs  d'exercer  leur  culte  dans  les  lieux  où  les  temples 
sont  démolis  (30  avril  1685).  La  peine  demortprononcée 
contre  ceux  qui  émigrent  à  l'étranger  est  commuée  en 
celle  des  galères  perpétuelles  (31  mai  1685).  Les  galères 
chômaient,  elles  manquaient  de  sujets,  et  quand  nous 
aurons  dit  quelles  tortures  y  attendaient  les  réformés,  on 
comprendra  quelle  terrible  aggravation  de  peine  il  y 
avait  là.  Tout  temple  où  un  mariage  mixte  aura  été 
célébré  sera  démoli  (Q  juillet  1685).  Défense  aux  li- 
braires et  imprimeurs  de  laR.  P.  R.  d'exercer,  aux  juges, 
notaires  et  avocats  d'avoir  des  clercs  de  la  R.  P.  II.,  aux 
protestants  d'avoir  des  domestiques  catholiques  (9-10 
juillet  1685).  L'exercice  du  culte  réformé  est  proscrit  dans 
les  villes  épiscopales,  et  dans  les  faubourgs,  à  une  lieue 
à  la  ronde  ;  les  ministres  ne  pourront  résider  dans  le  rayon 
de  six  lieues  autour  d'un  temple  démoli,  ou  interdit.  De 
sorte  qu'il  suffisait  d*en  abattre  un  de  douze  en  douze 
lieues  pour  que  le  pasteur  n'eût  plus  ni  feu  ni  lieu,  et 
tombal  sous  le  coup  dos  galères  perpétuelles. 

11  ne  serait  plus  reçu  de  médecins  huguenots  ;  interdic- 
tion aux  médecins,  chirurgiens,  avocats,  notaires,  pro- 
cureurs, sergents  huguenots  d'exercer;  la  moitié  des 
biens  des  émigrés  sera  donnée  à  leurs  dénonciateurs; 
ceux  qui  favorisent  l'évasion  des  émigrés  seront  con- 
damnés aux  galères  perpétuelles  (1)... 

(1)  Isambcrt,  Anciennes  Lois  françaises,  t.  XVIII,  XIX,  XX,  pattfm» 


12  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

C'est  la  loi  insensée,  en  démence,  passant  à  l'état  de 
folie  furieuse. 

Que  l'on  veuille  bien  graver  profondément  dans  sa  mé- 
moire que  celte  législation  sauvage  continua  de  peser  sur 
les  prostestants  jusqu'à  la  fin  de  la  monarchie  et  qu'en 
1786,  le  baron  [de  Breteuil,  en  présentant  à  Louis  XVI 
un  Mémoire  ou  Rapport  général  sur  la  situation  des  cal- 
vinistes en  France,  sur  les  causes  de  cette  situation,  et  sur 
les  moyens  d'y  remédier,  s'exprimait  ainsi,  en  faisant  allu- 
sion à  l'omission  qui  avait  été  faite  d'une  «  loi  générale 
et  universelle  »  pour  régulariser  cette  même  situation. 

«  J'ose  demander  aujourd'hui  si  cette  infortune  de 
plusieurs  millions  de  Français,  qui  dure  depuis  tant 
d'années,  et  qui  menace  encore  des  générations  sans 
nombre,  si  les  imprudentes  lois  dont  cette  fatale  réti- 
cence a  été  la  cause,  la  persécution  qu'elles  ont  produite, 
l'émigration  qu'elles  ont  renouvelée,  émigration  qui 
n'est  à  présent  suspendue  que  par  une  tolérance  tacite 
et  insuffisante;  si  plus  de  cinq  cent  mille  mariages  dé- 
savoués par  l'Église,  méconnus  par  les  tribunaux  et  faits 
au  désert,  lesquels  en  produiront  une  infinité  d'autres; 
si  la  confusion  toujours  prête  à  se  porter  dans  les  héri- 
tages et  qui  n'est  maintenant  arrêtée  que  par  un  autre 
renversement  de  l'ordre  civil,  seront  encore  regardés 
comme  de  légers  inconvénients,  qui  ne  méritent  ni 
d'être  réparés,  ni  d'être  prévenus  (1).  » 

Dès  l'année  1679,  vingt-deux  temples  sont  abattus. 
Ils  commencent  à  s'agiter  sur  leurs  fondements,  comme 
secoués  par  un  tremblement  de  terre,  et  de  jour  en  jour 
leurs  ruines  jonchent  le  sol.  Tout  prétexte  était  bon 
pour  qu'un  temple  dût  être  détruit,  il  suffisait  que  l'en- 

(I)  Rulhière,  t.  II,  p.  87. 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  13 

fant  d'un  nouveau  converti,  ou  un  bâtard,  —  ils  étaient 
tous  réputés  catholiques, —  y  eût  pénétré. 

Intendants  et  évoques  rasent  à  l'envi  les  édifices  du 
culte  proscrit.  Cosnac  triomphe  sur  ce  terrain  :  «  De 
sorte,  dit-il,  qu'avant  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes, 
je  me  glorifiais  d'avoir  détruit  l'exercice  des  temples  de 
mon  diocèse  (1).  » 

Qu'eussiez-vous  dit,  prélats  de  la  religion  des  plus  forts, 
si,  dans  l'an  de  grâce  1789,  la  révolution  victorieuse  eût 
voulu,  faibles  représailles  de  quinze  siècles  d'oppression, 
se  glorifier  de  jeter  à  bas  vos  églises  ! 

Il  y  avait  longtemps  que  Cosnac  poursuivait  cette 
œuvre  odieuse,  dénonçant  ses  frères  égarés,  appelant 
sur  eux  les  colères  royales,  sollicitant  la  destruction  des 
temples  avec  l'insistance  qu'un  autre  mettrait  à  l'ac- 
complissement d'une  bonne  action.  C'est  ainsi  que  le 
30  octobre  1683,  il  s'adressait  en  ces  termes  au  duc  de 
Noailles,  gouverneur  militaire  de  la  province  : 

«  Monsieur,  —  je  vous  demande  la  démolition  du  tem- 
ple de  Bastie-de-Crussol,  de  la  part  de  Dieu,  pour  le 
bien  du  service  du  roi,  pour  l'intérêt  de  la  justice...  Le 
peuple  de  la  Bastie  a  été  le  premier  rebelle  aux  édits  du 
roi,  et  mon  diocèse  ayant  été  sans  doute  le  plus  criminel 
se  trouve  le  moins  puni,  n'ayant  vu  que  la  destruction 
de  deux  temples  dans  l'espace  de  douze  lieues,  au  lieu 
que  celui  de  Viviers  en  a  vu  tomber  sept  en  trois  lieues 
de  pays.  Serait-il  possible,  monsieur,  que  ces  raisons 
ne  vous  paraissent  pas  bonnes,  et  que  vous  puissiez  me 
refuser  ce  dixième  temple  qui  dépend  uniquement  de 
votre  volonté?  (2)  » 


(1)  Daniel  de  Cosnac,  Mémoires,  t.  II,  p.  115. 

(2)  Bulletin  du  Protestantisme  français,  1853,  p.  168. 


14  HISTOIRE   DES   CAMISAKDS 

Tous  les  évoques  ne  déployaient  peut-être  pas  la 
môme  fougue  dévastatrice,  mais  tous  approuvaient  et 
applaudissaient  de  toutes  leurs  mains.  Ainsi  faisait  de 
Chambonnas,  évêque  deLodève,  dans  sa  lettre  au  même, 
en  date  du  29  juillet  1684  :  «  ...  Je  conviens  avec  vous 
que  la  condamnation  des  ministres,  leur  interdiction  et 
la  démolition  des  temples  est  le  plus  sûr  moyen  d'hu- 
milier leur  religion  et  de  la  finir  en  France...  Cependant, 
il  ne  faut  pas  négliger  de  punir  les  fautes  de  ceux  qui 
sont  des  consistoires.  J'en  ai  eu  encore  deux  familles 
complètes  depuis  peu  de  jours,  sur  un  procès  au  sujet 
d'un  enfant  rebaptisé  au  temple,  la  sage-femme  catho- 
lique l'ayant  baptisé  dans  sa  naissance,  le  croyant  prêt 
à  mourir.  Je  n'ai  pu  prouver  encore  que  le  ministre  eût 
su  ce  premier  baptême  (Id.) ...» 

Persuasion,  corruption,  violence,  tous  les  moyens 
étaient  bons  à  Louis.  Il  tenait  boutique  de  religion 
comme  de  noblesse  ;  il  marchandait  les  apostasies,  il 
achetait  les  baptêmes,  comme  il  vendait  aux  maltôtiers 
enrichis  les  titres  héraldiques.  Un  renégat  du  protes- 
tantisme, «  qui  eut  le  bonheur,  dit  Voltaire,  d'être 
éclairé  et  de  changer  de  religion  dans  un  temps  où  ce 
changement  pouvait  le  mener  aux  dignités  et  à  la  for- 
tune,» Pélisson,  manipulait  les  fonds  de  la  caisse  de 
conversion,  alimentée  surtout  par  les  produits  de  la  Ré- 
gale, que  l'on  venait  d'enlever  à  Rome,  et  correspon- 
dait avec  les  évoques.  Les  consciences  n'étaient  pas 
chères  alors:  six  livres  étaient  le  prix  moyen  d'une  con- 
version. Bossuct  en  fit  moins  que  Pélisson,  mais  Pélisson 
beaucoup  moins  que  les  dragons.  Seulement  le  ca- 
tholicisme ne  faisait  ses  recrues  que  dans  l'écume  et 
la  lie  du  protestantisme,  et  encore  ne  conservait-il  pas 
ces  tristes  conquêtes  d'un  jour,  car  une  fois  les  six 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  15 

livres  reçues,  les  nouveaux  baptisés  s'empressaient  de 
revenir  au  protestantisme,  et  cet  abus  de  confiance 
amena  la  déclaration  du  13  mars  1679  contre  les  relaps. 
Louis  avoue  naïvement  tout  cela  dans  le  préambule  de 
cette  ordonnance  : 

«  Nous  avons  été  informé  que,  dans  plusieurs  pro- 
vinces de  notre  royaume,  il  y  en  a  beaucoup  qui,  après 
avoir  abjuré  la  Religion  Prétendue  Réformée  dans  l'espé- 
rance de  participer  aux  sommes  que  nous  faisons  dis- 
tribuer aux  nouveaux  convertis,  y  retournent  bientôt 
après...  » 

Ainsi,  ils  avaient  cru  pouvoir  échapper  à  la  persé- 
cution par  une  formalité  payée  à  vil  prix  et  qu'ils 
croyaient  sans  conséquence.  La  législation  terrible  que 
l'on  fit  peser  sur  les  relaps  les  exposa  aux  peines  les 
plus  rigoureuses. 

Le  grand  roi  s'attriste,  mais  ne  se  décourage  pas,  et 
en  son  nom  Louvois  pousse  les  intendants  à  faire  lar- 
gement les  choses,  à  offrir  quelques  bons  sacs  d'écus 
aux  gentilshommes  obérés,  aux  ministres  surchargés 
de  famille  et  peu  favorisés  de  la  fortune. 

«  Sa  Majesté,  écrit-il  à  Baville  (5  mars  1G85),  ne  se 
plaindrait  point  des  sommes  assez  considérables,  si  elle 
pouvait  espérer  que,  étant  distribuées  secrètement  à 
ceux  de  la  province  en  qui  la  noblesse  de  cette  religion 
a  plus  de  créance,  la  distribution  qui  en  serait  faite  par 
vous  pût  être  suivie  d'un  nombre  considérable  de  con- 
versions. Sa  Majesté  connaît  bien  que,  si  l'on  pouvait 
savoir  que  les  gentilshommes  ou  ministres  qui  seraient 
convenus  de  se  convertir  auraient  reçu  des  gratifica- 
tions en  argent  de  Sa  Majesté,  bien  loin  que  ces  con- 
versions eussent  les  suites  que  Sa  Majesté  en  attend,  les 
autres  demeureraient  plus  opiniâtres  dans  leur  erreur, 


16  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

les  uns  pour  avoir  part  aux  mômes  gratifications,  et  les 
autres,  qui  seraient  plus  sincères,  par  la  connaissance 
qu'ils  auraient  du  motif  qui  aurait  porté  ceux  qui  sont 
présentement  accrédités  parmi  eux  à  quitter  leur  reli- 
gion. Aussi  Sa  Majesté  croit-elle  que  cet  argent  ne  pour- 
rait être  utilement  employé  qu'autant  qu'il  serait 
distribué  avec  secret,  et  de  manière  que  personne  ne  pût 
avoir  connaissance  que  ceux  qui  auraient  été  portés 
à  se  convertir  eussent  reçu  aucune  gratification  de  Sa 
Majesté.  » 

Certes,  l'homme  qui  donnait  de  telles  instructions  à 
ses  agents  connaissait  bien  la  nature  humaine.  Mais 
quel  est  le  rôle  d'un  ministre,  ou  de  tenter  de  la  relever 
de  sa  déchéance,  ou  de  spéculer  sur  ses  plus  vils 
instincts? 

On  n'avait  pas  même  l'excuse  de  pouvoir  s'abuser 
sur  l'indigne  comédie  que  jouaient  convertis  et  conver- 
tisseurs, et  un  jour  le  comte  de  Tessé  en  écrivait  très- 
plaisamment  àLouvois  (13  novembre  1685)  ^(Non-seule- 
ment, dans  une  même  journée  toute  la  ville  d'Orange 
s'est  convertie,  mais  l'État  a  pris  la  même  délibération, 
et  MM.  du  parlement,  qui  ont  voulu  se  distinguer  par 
un  peu  plus  d'obstination,  ont  pris  le  même  dessein 
vingt-quatre  heures  après.  Tout  cela  s'est  fait  douce- 
ment, sans  violence,  sans  désordre  (1).  II  n'y  a  que  le 
ministre  Chambrun,  patriarche  du  pays,  qui  continue  de 
de  ne  point  vouloir  entendre  raison  ;  car  M.  le  président 
qui  aspirait  àl'honneur  du  martyre,  fût  devenu  mahomé- 
tan,  si  je  l'eusse  souhaité.  En  tout  cas,  il  faut  que  Sa 
Majesté  regarde  ce  qu'on  fait  avec  ces  gens-ci  comme 
quand  d'une  mauvaise  paye  l'on  tire  ce  qu'on  peut.  » 

(1)  Le  pasteur  Chambrun  réfutera  bientôt  cet  impudent  mensonge. 


HISTOIRE   DES   CAMISARDS  17 

Les  évêques  eux-mêmes,  satisfaits  du  petit  rôlet 
qu'ils  acceptent  pour  laisser  le  grand  rôle  aux  dragons, 
plaisantent  agréablement  de  tout  cela.  Gosnac,  rentré 
dans  son  diocèse  après  l'assemblée  du  clergé  de  1685, 
travaille,  à  la  suite  des  garnisaires,  aux  conversions, 
«  soit  par  des  instructions,  soit  par  des  grâces  et  de 
l'argent...  J'avoue  que  la  crainte  des  dragons  et  les  loge- 
ments dans  les  maisons  des  hérétiques  y  pouvaient  con- 
tribuer beaucoup  plus  que  moi  (1).  » 

Faut-il  faire  peser  sur  la  mémoire  de  Louvois  la  res- 
ponsabilité de  l'attentat  du  22  octobre  1685  ?  Nous  ne 
le  croyons  pas.  Le  fils  de  Letellier  n'était  même  pas 
dévot.  On  l'avait  vu  se  ranger  du  parti  de  la  Montespan, 
qui  poussait  son  royal  amant  vers  le  faste  et  les  grandes 
choses,  contre  la  veuve  Scarron,  qui  ne  triompha  de 
sa  rivale  qu'en  excitant  les  scrupules  religieux  de  Louis. 
On  sait  avec  quelle  énergie  l'impétueux  ministre  com- 
battit un  mariage  qui,  pensait-il,  couvrait  son  maître 
de  ridicule  aux  yeux  de  l'Europe.  Seulement,  après  que 
madame  de  Maintenon  et  les  jésuites  eurent  triomphé, 
il  sut,  lui  aussi,  opérer  sa  conversion  et  se  ranger  du 
parti  des  forts.  Il  fit  beaucoup  de  zèle,  sentant  qu'il 
avait  beaucoup  à  se  faire  pardonner. 

Tout  était  disposé  d'ailleurs  pour  remettre  entre  ses 
mains  la  direction  des  événements.  Déjà  il  avait  fait 
rendre,  en  1681,  une  ordonnance  ayant  pour  effet  de 
faire  passer  au  département  de  la  guerre  les  choses  de 


(l)  Cosnac,  t.  II,  p.  115. 

«  Je  me  réjouis  par  avance  de  tout  le  bien  que  vous  venez  faire  au 
milieu  de  nous,  et  m'oiïVe  à  vous  pour  un  de  vos  missionnaires,  quoi- 
que je  reconnaisse  que  ceux  qui  frappent  fassent  bien  plus  d'effet 
que  ceux  qui  parlent.  »  Pierre  delà  Broue,  évêque  de  Mi  repoix,  au 
duc  de  Noailles,  22  août  1685.  Bulletin  du  Protestantisme,  1853,  p.  168. 


18  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

la  R.  P.  R.,  et,  dans  une  lettre  spéciale  et  confidentielle 
(18  mars  1681),  il  donnait  à  Marillac,  intendant  du 
Poitou,  do  secrètes  instructions  qui  contenaient  en 
germe  les  dragonnades  et  les  missions  bottées  : 

«  J'ai  eu  l'honneur  de  lire  au  Roi  les  lettres  que  vous 
avez  pris  la  peine  de  m'écrire  les  5  et  12  de  ce  mois, 
par  lesquelles  Sa  Majesté  a  appris  avec  beaucoup  de 
joie  le  grand  nombre  de  gens  qui  continuent  à  se  con- 
vertir dans  votre  département.  Sa  Majesté  vous  sait 
beaucoup  de  gré  de  l'application  que  vous  donnez  à  en 
multiplier  le  nombre,  et  Elle  désire  que  vous  conti- 
nuyiez  à  y  donner  vos  soins,  vous  servant  des  mêmes 
moyens  qui  vous  ont  réussi  jusqu'à  présent.  Elle  a 
chargé  M.  Colbert  d'examiner  ce  qu'on  pourrait  faire 
pour,  en  soulageant  dans  l'imposition  des  tailles  ceux 
qui  se  convertiraient,  essayer  de  diminuer  le  nombre 
des  religionnaires.  Elle  m'a  commandé  de  faire 
marcher,  au  commencement  du  mois  de  novembre 
prochain,  un  régiment  de  cavalerie  en  Poitou,  lequel 
sera  logé  dans  les  lieux  que  vous  aurez  soin  de  proposer 
entre  ci  et  ce  temps-là,  dont  Elle  trouvera  bon  que  le 
plus  grand  nombre  des  cavaliers  et  officiers  soient  logés 
chez  les  protestants  ;  mais  Elle  n'estime  pas  qu'il  les 
y  faille  loger  tous  ;  c'est-à-dire  que  de  vingt-six  maîtres 
dont  une  compagnie  est  composée,  si,  suivant  une 
répartition  juste,  les  religionnaires  en  devaient  porter 
dix,  vous  pouvez  leur  en  faire  donner  vingt 

«  Sa  Majesté  a  trouvé  bon  encore  de  faire  expédier 
l'ordonnance  que  je  vous  adresse,  par  laquelle  Elle  or- 
donne que  ceux  qui  se  seront  convertis  seront,  pendant 
deux  années,  exempts  de  logements  de  gens  de  guerre. 
Cette  ordonnance  pourrait  causer  beaucoup  de  conver- 
sions dans  les  lieux  d'étapes,  si  vous  teniez  la  main  à 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  i(J 

ce  qu'elle  soit  bien  exécutée,  et  que  dans  les  réparti- 
ments  qui  se  feront  des  troupes  qui  y  passeront,  il  y 
en  ait  toujours  la  plus  grande  partie  logée  chez  les  plus 
riches  de  ladite  religion  ;  mais,  ainsi  que  je  vous  l'ai 
expliqué  ci-dessus,  Sa  Majesté  désire  que  vos  ordres 
sur  ce  sujet  soient,  par  vous  ou  par  vos  subdélégués, 
donnés  de  bouche  aux  maires  et  échevins  des  lieux,  sans, 
leur  faire  connaître  que  Sa  Majesté  désire  par  là  violenter 
les  huguenots  à  se  convertir  ;  et  leur  expliquant  seu- 
lement que  vous  donnez  ces  ordres  sur  les  avis  que 
vous  avez  eus  que,  parle  crédit  qu'ont  les  gens  riches 
de  la  religion  dans  ces  lieux-là,  ils  se  sont  exemptés  au 
préjudice  des  pauvres.  » 

Ainsi,  injustice  au  fond,  hypocrisie  dans  la  forme. 
Rien  d'écrit,  tout  de  vive  voix,  tout  traité  sous  le  man- 
teau de  la  cheminée,  afin  qu'il  ne  reste  nulle  trace  de 
tant  d'iniquités. 


20  IIIST01RE   DES  CAMISARDS 


CHAPITRE  II 


Riche,  adonné  à  l'industrie,  le  protestantisme,  sans  chefs,  était 
inoffensif.  —  Ignorance  du  clergé  catholique.  —  Supériorité  des 
pasteurs  protestants.  —  Louvois,  madame  de  Maiutenon,  les  Jé- 
suites. —  Commencement  de  l'émigration  (1680).  —  Internement 
des  pasteurs  réduits  au  silence. —  Premières  dragonnades  (1683). 
—  Lamoignon  de  Bàville,  intendant  du  Languedoc,  Noailles 
maréchal  de  France,  gouverneur  de  la  province,  rivalisent  de 
cruauté. 


L'intendant  du  Roussillon,  Foucauld,  le  duc  de  Noail- 
les, qui  commandait  dans  le  Languedoc,  en  racontant, 
dans  leurs  Mémoires  comment  ils  aggravaient  les  ri- 
gueurs de  la  cour  par  leur  mépris  de  la  légalité,  par  leur 
intolérance  poussée  jusqu'à  la  férocité,  parla  déloyauté 
insolente  de  leur  conduite  à  l'égard  des  protestants, 
montrent  assez  quel  était  l'esprit  du  temps.  Ils  con- 
fessent, du  reste,  le  peu  de  nécessité  de  la  révocation, 
avouant  que  le  calvinisme  se  montrait  «  alors  peu  re- 
muant et  tenu  en  bride,  non-seulement  par  la  puissance 
du  roi,  mais  par  l'intérêt  de  ses  propres  sectateurs  (1) .  » 
En  effet,  depuis  la  prise  de  la  Rochelle,  les  protestants 
n'avaient  pas  même  essayé  de  jouer  un  rôle  politique  ;  ils 

(1)  Mémoires  du  duc  de  Noailles,  par  l'ahbé  Millot,  p.  9. 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  21 

avaient  refusé  de  prendre  part  aux  mouvements  de  la 
Fronde  :  «  Le  petit  troupeau  broute  de  mauvaise  herbe, 
disait  Mazarin,  mais  il  ne  s'écarte  pas.  » 

Le  protestantisme,  d'ailleurs,  était  sans  chefs.  Bien 
différent  du  christianisme,  qui  s'était  recruté  à  l'origine 
dans  les  derniers  rangs  de  la  plus  infime  populace  (1), 
parmi  les  pécheurs,  les  esclaves,  les  mendiants  et  tous  les 
deshérités  de  ce  monde,  la  Réforme  s'était  adressée  sur- 
tout aux  gentilshommes  et  aux  lettrés  de  la  bourgeoisie, 
qui  trouvaient  en  elle  un  puissant  auxiliaire  pour  résister 
aux  envahissements  de  la  monarchie  grandissant  sans 
cesse  au  préjudice  des  licences  féodales  et  des  franchises 
municipales.  Quand  au  peuple,  qui  avait  reçu  tous  les 
coups  entre  ce  marteau  et  cette  enclume,  il  était  resté  en 
tous  lieux  assez  indifférent  à  des  luttes  dont  le  sens  lui 
échappait.  Peu  à  peu  les  gentilshommes,  devenus  courti- 
sans, étaient  allés  vers  le  parti  d'où  venaient  les  faveurs, 
et  avaient  abjuré  à  leur  tour  une  religion  qui  était  un  ob- 
stacle à  leur  ambition.  Il  n'y  restait  donc  plus  guère  que 
le  monde  pacifique  des  savants  et  des  riches  industriels 
de  la  bourgeoisie,  qui  n'avaient  nulle  action  sur  le 
peuple  des  campagnes,  toujours  arriéré  d'un  siècle  et 
décidé  à  se  cramponner  le  dernier  à  des  croyances 
qu'il  avait  adoptées  quand  déjà  elles  étaient  répudiées 
par  ses  maîtres. 

Louis,  d'ailleurs,  avait  pris  soin  de  condamner  lui- 
même  par  avance  son  attentat  et  d'amnistier  ses  vic- 
times, lorsqu'il  écrivait  ces  lignes  (2)  : 

«  Nos  sujets  de  la  II.  P.  R.  nous  ont  donné  des  preu- 


(1)  Ecclesia  Christi  non  de  Academia  et  Lycœo,  sed  de  vili  plebe- 
cula  congregata  est.  —  Saint  Jérôme,  in  Epist.  ad  Gai.,  cap.  V. 

(2)  Déclaration  de  mai  1652. 


22  HISTOIRE   DES   CAMtSARDS 

vcs  certaines  de  leur  affeclion  et  fidélité  (notamment 
dans  les  occasions  présentes) ,  dont  nous  demeurons 
très-satisfait.  Nous  voulons  donc  qu'ils  soient  main- 
tenus et  gardés  en  la  pleine  et  entière  jouissance  de 
l'édit  de  Nantes,  édits,  déclarations,  arrêts,  règlements, 
articles  et  brevets  expédiés  en  leur  faveur,  registres  es 
parlements,  notamment  en  l'exercice  public  de  la  dite 
religion,  en  tous  les  lieux  où  il  a  été  accordé  par  iceux, 
nonobstant  toutes  lettres  et  arrêts,  tant  de  notre  bon 
conseil  que  des  cours  souveraines,  et  autres  jugements 
au  contraire  ;  voulant  que  les  contrevenants  à  nos  édits 
soient  punis  et  châtiés  comme  perturbateurs  du  repos 
public.  » 

Et  cependant  Louis  signa  la  révocation  de  l'édit  de 
Nantes,  qui,  à  une  époque  où  la  France  était  déjà  dé- 
peuplée et  misérable  par  suite  de  ses  fautes  sans  nom- 
bre, chassa  du  royaume  un  million  et  demi  de  ses  su- 
jets, les  plus  riches  et  les  plus  industrieux. 

Il  faut  reconnaître  que  l'on  avait  songé  tout  d'abord 
aux  moyens  de  persuasion,  aux  discussions  théologi- 
ques, aux  colloques,  mais  on  s'aperçut  bientôt  que, 
sur  ce  terrain,  on  serait  toujours  honteusement  battu 
par  les  protestants,  dont  les  ministres  se  montraient 
aussi  instruits  que  les  membres  du  clergé  catholique 
étaient  grossièrement  ignorants...  «  Abêtissez-vous  pour 
croire  !  »  avait  dit  Pascal  avec  une  désolante  convic- 
tion, quand  sa  haute  intelligence  se  révoltait  contre 
certains  dogmes  que  repoussait  sa  raison.  Le  clergé 
l'avait  pris  au  sérieux;  mais  pendant  qu'il  s'abêtissait 
jusqu'à  l'idiotisme,  le  libre  clergé  protestant  s'éclairait 
des  vives  lueurs  de  la  science,  et  toute  lutte  devenait 
désormais  trop  inégale  entre  les  ministres  des  deux 
Églises  rivales.  C'est  ce  que  reconnaissent  l'intendant 


HISTOIRE   DES    CAMISARDS  23 

du  Languedoc,  d'Aguesseau,  et  le  duc  de  Noailles,  qui 
commandait  dans  cette  province  dont  nous  nous  occu- 
perons tout  particulièrement,  puisqu'elle  servit  de 
théâtre  aux  événements  que  nous  allons  raconter. 

«  Une  des  choses,  dit  le  premier,  qui  retient  le  plus 
les  huguenots,  est  la  quantité  d'instruction  qu'ils  re- 
çoivent dans  leur  religion,  et  le  peu  qu'ils  en  voient 
dans  la  nôtre  (1)  .  » 

«  Le  zèle  des  catholiques  en  général  n'étant  soutenu 
dans  la  province  ni  par  la  science,  ni  par  les  mœurs  du 
clergé,  ressemblait  moins  au  vrai  zèle  qu'à  l'esprit  de 
haine  et  de  vengeance.  Noailles  se  plaignait  amèrement 
de  la  conduite  des  évoques  et  des  prêtres  qui  négligeaient 
entièrement  les  moyens  de  conversion.  Dans  les  Gé- 
vennes  surtout,  ce  rempart  de  l'hérésie,  les  vices  du 
clergé  méritaient  les  plus  grands  reproches.  Une  cathé- 
drale, des  collégiales,  des  cures,  plusieurs  commu- 
nautés, fournissaient  à  peine  aux  catholiques  un  ser- 
mon par  mois,  tandis  que  les  calvinistes  du  même  lieu 
en  avaient  un  par  jour,  sans  avoir  plus  de  deux  ou 
trois  ministres...  Et  comment  vaincre  l'entêtement  de 
sectaires  mieux  instruits  de  leur  religion,  plus  attachés 
à  leur  Croyance  et  à  leurs  devoirs  que  le9  catholiques 
dont  ils  étaient  environnés,  méprisant  les  superstitions 
que  ceux-ci  préféraient  souvent  au  culte  divin,  mépri- 
sant les  subtilités  triviales  qui  faisaient  presque  leur 
unique  théologie? 

«  Le  roi  envoya  enfin  l'abbé  Hervé  avec  douze  mis- 
sionnaires, suppléer,  en  Languedoc,  à  la  disette  d'ec- 
clésiastiques zélés  et  suffisamment  instruits.  Des  grati- 
fications en  argent,  destinées  aux  nouveaux  convertis, 

(1)  Pierre  Clément,  le  Gouvernement  de  Louis  XIV,  p.  93. 


24  HISTOIRE   DES   CAMISARDS 

ajoutaient  du  poids  aux  discours  des  prédicateurs  :  les 
sommes  se  réglaient  sur  le  nombre  de  ceux  qui  compo- 
saient les  familles  (1).  » 

Noailles  alors  pressa  l'intendant  d'Aguesseau  d'ou- 
vrir des  conférences  à  Nîmes.  Mais  le  résultat  fut  tel, 
qu'il  fut  bientôt  forcé  de  lui  écrire  que,  «  puisqu'on  ne 
trouvait  point  de  docteurs  catholiques  assez  savants 
pour  soutenir  la  cause  de  Dieu  dans  ces  conférences, 
il  fallait  profiter  de  ce  refus  que  les  religionnaires  fai- 
saient d'y  entrer,  et  les  rompre  avec  honneur,  plutôt 
que  de  les  tenir  avec  déshonneur  pour  la  religion  (Id.).  » 

Ainsi,  dans  la  lutte  terrible  déjà  engagée,  le  protes- 
tantisme représente  la  lumière  et  le  progrès,  tandis  que 
la  sombre  milice  de  Rome  personnifie  les  ténèbres  et  la 
barbarie.  Pourquoi  faut-il  que  ce  rôle  ait  été  si  sou- 
vent le  sien  ! 

Il  fallut  donc  en  revenir  aux  termes  des  instructions 
du  18mars  1681,  aux  logements  militaires.  L'intendant 
.Foucauld  semble  revendiquer  le  triste  honneur  de  s'être 
lancé  le  premier  dans  la  voie  ouverte  par  le  terrible 
ministre.  Le  Béarn,  qu'il  administrait,  comptait  vingt 
temples  protestants  :  il  les  fit  raser  jusqu'au  dernier  : 
«  Le  23  juillet  (1681),  écrit-il  dans  son  journal,  j'ai  pro- 
posé à  M.  Louvois  de  faire  venir  du  Roussillon  deux 
compagnies  de  cavalerie  dans  le  haut  Rouergue  et  dans 
le  haut  Quercy...  J'ai  reçu,  pendant  cette  année  et  les 
suivantes,  des  arrêts  pour  exclure  les  religionnaires  des 
charges  publiques  et  des  emplois  dans  les  villes.  » 

Il  était  impossible  de  mépriser  plus  complètement 
toutes  les  lois  et  toutes  les  garanties  les  plus  sacrées, 
car  ce  ne  fut  que  quatre  années  plus  tard  que  l'édit  de 

(1)  L'abbé  Millot,  Mémoires  de  Noailles,  p.  il. 


HISTOIRE   DUS   CAMISARDS  25 

Nantes  fut  révoqué,  et  jusque-là  les  réformés  avaient 
bien  le  droit,  —  en  admettant  que  l'attentat  de  Louis  XIV 
le  leur  ait  fait  perdre,  —  de  prier  Dieu  à  leur  manière 
et  de  vivre  de  leurs  positions  acquises. 

Le  zèle  convertisseur  de  Foucauld  fut  parfois  jugé 
sévèrement  par  quelques-uns  de  ses  comtemporains, 
notamment  par  d'Aguesseau,  qui  écrit  dans  la  Vie  de 
son  père  :  «  Je  ne  nommerai  point  ici  l'intendant  qui, 
par  une  distinction  peu  honorable  pour  lui,  fut  chargé 
de  faire  le  premier  essai  d'une  méthode  si  nuisible  pour 
la  conversion  des  hérétiques.  Il  était  des  amis  de  mon 
père  et  des  miens  :  homme  d'un  esprit  doux,  aimable 
dans  la  société,  orné  de  plusieurs  connaissances,  et 
ayant  du  goût  pour  les  lettres  comme  pour  ceux  qui  les 
cultivent.  Mais  soit  par  un  dévouement  trop  ordinaire 
aux  intendants  pour  les  ordres  de  la  cour,  soit  parce 
qu'il  croyait,  comme  bien  d'autres,  qu'il  ne  restait  plus 
dans  le  parti  protestant  qu'une  opiniâtreté  qu'il  fallait 
vaincre,  ou  plutôt  écraser  par  le  poids  de  l'autorité, 
il  eut  le  malheur  de  donner  au  reste  du  royaume  un 
exemple  qui  ne  fut  que  trop  suivi,  et  dont  le  succès  sur- 
passa d'abord  les  espérances  mêmes  de  ceux  qui  le  fai- 
saient agir.  Il  n'eut  besoin  que  de  montrer  les  troupes, 
en  déclarant  que  le  roi  ne  voulait  plus  souffrir  qu'une 
seule  religion  dans  ses  États,  et  l'hérésie  parut  tomber 
à  ses  pieds.  Les  abjurations  ne  se  faisaient  plus  une  à 
une;  des  corps  et  des  communautés  entières  se  conver- 
tissaient par  délibération,  et  par  des  résultats  de  leurs 
assemblées;  tant  la  crainte  avait  fait  d'impression  sur 
les  esprits,  ou  plutôt,  comme  l'événement  l'a  bien  fait 
voir,  tant  ils  comptaient  peu  tenir  ce  qu'ils  promettaient 
avec  tant  de  facilité.  » 

«  Quand  Louvois  vit  que  l'affaire  était  entamée,  il 


26  HISTOIRE   DES   CAMISARDS 

la  poussa  à  l'extrémité  et  aux  cruautés  qui  furent  exer- 
cées, prétendant  convertir  en  six  mois  seize  cent  mille 
personnes  par  des  traitements  indignes  de  la  religion 
et  de  l'humanité  (1).  »  C'est  au  nom  du  Dieu  d'amour 
et  de  charité  que  l'amour  et  la  charité  sont  proscrits, 
que  Colbert  écrit  à  la  Reynie  (23  mars  1682)  de  s'op- 
poser aux  associations  organisées  par  quelques  dames 
riches  de  la  religion  persécutée,  en  vue  de  secourir  les 
pauvres  de  leur  communion.  Ces  réunions  continuent 
cependant,  se  cachant  comme  pour  faire  le  mal  ;  mais 
d'habiles  espions,  soudoyés  par  le  père  La  Chaise, 
livrent  le  secret  de  leur  existence,  et  on  les  poursuit 
avec  plus  de  rigueur  que  par  le  passé  (2). 

Vers  le  môme  temps,  le  parlement  de  Toulouse  rendit 
le  16  octobre  1682,  «  conformément  aux  ordres  de  la 
cour,  »  un  arrêt  qui  interdisait  l'exercice  de  la  R.  P.  R. 
dans  Montpellier,  qui  ne  comptait  pas  moins  de  huit 
mille  protestants,  et  ordonna  que  le  temple  de  cette  ville 
fût  démoli.  Les  pasteurs  tentèrent  d'opposer  les  voies 
légales  à  l'arbitraire  de  la  cour.  Ils  annoncèrent  que  si 
on  les  empochait  de  se  réunir  dans  les  temples,  ils  prê- 
cheraient sur  les  places  publiques  ;  que  si  on  les  chassait 
de  la  ville  ils  iraient  clans  la  campagne. ..  Pour  toute  ré- 
ponse, Noailles  les  fit  conduire  à  la  citadelle,  et  le  temple 
fut  rasé  jusqu'aux  fondements. 

Montauban  et  la  plupart  des  villes  avaient  manifesté* 
comme  Montpellier,  quelques  velléités  de  résistance.  Le 
parlement  de  Toulouse  commença  des  procédures 
contre  Ces  malintentionnés,  mais  Louvois  lui-même 
hésitait  encore  à  entrer  dans  la  voie  où  bientôt  il  allait 


(1)  Le  Fare,  Mémoires,  p.  285. 

(2)  Depping,  t.  IV,  p.  338,  343. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  27 

se  lancer  à  outrance,  et  il  donna  ordre  de  surseoir  à 
l'exécution,  «  pour  ne  pas  mettre  trop  de  bois  au  feu  à 
la  fois,  »  écrivait-il  à  Noailles  (7  décemb.  1G82). 

La  petite-fille  indigne  d'Agrippa  d'Aubigné,  la  veuve 
Scarron,  pouvait  craindre  déporter  la  peine  de  sa  souil- 
lure originelle,  aussi  croyait-elle  sans  doute  nécessaire 
de  déployer  plus  de  zèle  contre  ses  anciens  coreligion- 
naires pour  se  faire  pardonner.  Elle  s'empressa  de  faire 
éclater  son  contentement  lorsqu'elle  vit  le  grand  roi 
prêt  à  céder  aux  funestes  inspirations  de  son  entourage. 
«  Le  roi  commence  à  penser  sérieusement  à  son  salut 
et  à  celui  de  ses  sujets,  écrit-elle  le  24  août  1682,  jour 
anniversaire  de  la  Saint-Barthélémy.  Si  Dieu  nous  le 
conserve,  il  n'y  aura  plus  qu'une  religion  dans  son 
royaume.  C'est  le  sentiment  de  M.  de  Louvois,  et  je 
le  crois  plus  volontiers  là-dessus  que  M.  de  Colbert,  qui 
ne  pense  qu'à  ses  finances  et  presque  jamais  à  la  reli- 
gion. » 

Et  quand  le  résultat  trompa  les  espérances  de  ces 
insensés  qui  l'assuraient  qu'il  n'en  coûterait  pas  une 
seule  goutte  de  sang  (1),  quand  il  coula  à  flots  sur  les 
champs  de  bataille,  et  que  la  potence,  la  roue,  le  bû- 
cher et  les  galères  reçurent  leurs  victimes,  elle  crut 
assez  faire  de  tromper  le  roi  sur  les  conséquences  de 
son  crime.  «  Il  est  inutile,  se  contenta-t-clle  de  dire, 
que  le  roi  s'occupe  des  circonstances  de  cette  guerre  : 
cela  ne  guérirait  pas  le  mal,  et  lui  en  ferait  beau- 
coup (2).  » 


(1)  «Le  roi  est  fort  content  d'avoir  mis  la  dernière  main  au  grand 
ouvrage  de  la  réunion  des  hérétiques  à  l'Église.  Le  Père  de  La  Chaiso 
a  promis  qu'il  n'en  coûterait  pas  une  goutte  de  sang,  et  M.  de  Lou- 
vois dit  la  même  chose.  »  Lettres  de  madame  de  Maintenait,  p.  112. 

(2)  Rulhièrc,  t.  II,  p.  282. 


28  HISTOIRK    DES   CAMISARDS 

Qu'un  million  et  demi  de  Français  périssent  dans  les 
supplices  ou  fuient  vers  la  terre  d'exil,  pourvu  que  le 
sommeil  du  monarque  ne  soit  pas  troublé  pour  si  peu  ! 

Il  y  avait  là,  pour  cette  femme  à  l'esprit  implacable, 
au  cœur  froid,  à  la  volonté  patiente,  non-seulement 
une  affaire  de  scrupule  religieux,  mais  encore  une  ex- 
cellente spéculation  financière.  Elle  voyait  l'opération 
sous  tous  ses  aspects,  et,  non  contente  d'avoir  fait 
donner  à  son  frère  un  pot-de-vin  de  800,000  livres  sur 
une  réadjudication  des  fermes,  elle  écrivait  à  celui-ci,  le 
2  septembre  1681  :  «  Je  vous  prie,  employez  utilement 
l'argent  que  vous  allez  avoir.  Les  terres  en  Poitou  se 
donnent  pour  rien;  la  désolation  des  huguenots  en  fera 
encore  vendre...  Vous  pouvez  aisément  vous  établir 
grandement  en  Poitou.  »  Et  encore  le  22  octobre  de  la 
même  année  :  «  Vous  ne  ne  sauriez  mieux  faire  que 
d'acheter  une  terre  en  Poitou  ou  aux  environs.  Elles 
vont  s'y  donner,  par  la  fuite  des  hugeunots.  » 

L'émigration  avait  donc  déjà  commencé  bien  long- 
temps avant  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes.  On  pou- 
vait prévoir  quel  en  serait  l'effet,  et  l'on  chercha  à  l'atté- 
nuer par  la  déclaration  du  18  mai  1682,  condamnant 
aux  galères  perpétuelles  les  chefs  de  famille  qui  vou- 
laient quitter  la  France,  et  à  une  amende  arbitraire  de 
3,000  livres  au  minimum  ceux  qui  leur  auraient  servi 
de  complices.  Plus  tard,  une  ordonnance  du  20  août 
1685  accorda  aux  dénonciateurs  la  moitié  des  biens  des 
religionnaires  sortant  du  royaume  (1). 

Toutes  les  âmes  ne  sont  pas  trempées  pour  le  martyre. 
Par  séduction  ou  par  crainte,  on  obtenait  du  plus 
grand  nombre  un  acte  extérieur    de  catholicité,   que 

(1)  Isambert,  t.  XIX,  p.  38*,  524. 


HISTOIRE   DES   CAMISARDS  29 

beaucoup  accomplissaient  sans  y  attacher  une  sé- 
rieuse importance,  espérant  à  ce  prix  acheter  le  droit  de 
prier  Dieu  à  leur  manière.  Mais  la  loi  contre  les  relaps 
vint  les  retenir  pour  toujours  dans  cette  religion  qu'ils 
croyaient  n'avoir  acceptée  que  passagèrement,  sous  bé- 
néfice d'inventaire,  et  pour  se  ménager  de  fuir  vers 
l'étranger  qui  leur  tendait  les  bras.  En  môme  temps  la 
loi  contre  l'émigration  les  clouait  en  France  parmi  leurs 
persécuteurs.  Partez,  et  vous  êtes  rebelles.  Restez,  et 
vous  voilà  convertis,  et  vous  tombez  sous  le  coup  de 
l'implacable  législation  qui  frappe  les  relaps. 

Bientôt,  en  effet,  tous  les  calvinistes  furent  réputés  tels, 
de  parle  bon  plaisir  du  roi  :  «  Le  séjour,  dit-il,  que  ceux 
qui  ont  été  de  la  R.  P.  R.,  ou  qui  sont  nés  de  parents 
religionnaires,  ont  fait  dans  notre  royaume  depuis  que 
nous  y  avons  aboli  tout  exercice  de  ladite  religion,  est 
une  preuve  plus  que  suffisante  qu'ils  ont  embrassé 
la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine,  sans 
quoi  ils  n'y  auraient  été  soufferts  ni  tolérés  (1).  » 

Certes,  c'était  pousser  loin  l'impudence  et  le  men- 
songe, car  si,  à  l'origine,  on  avait  laissé  sortir  librement 
les  calvinistes,  du  moins  aucun  édit  de  bannissement 
n'avait  jamais  été  rendu  conLre  eux,  et  bien  au  con- 
traire la  sortie  du  royaume  leur  avait  été  interdite  sous 
les  peines  les  plus  terribles. 

Grâce  à  ces  lois  contradictoires,  folles  et  coupables 
à  la  fois,  les  protestants  se  voyaient  condamnés,  on  le 
savait,  à  commettre  chaque  jour  des  sacrilèges.  Mais 
du  moins  les  enfants,  élevés  sur  les  genoux  de  l'Église, 
seraient  sauvés,  et  madame  de  Maintenon  n'était  que  le 


(1)  Rulliière,  t.  II,  p.  269. 


30  HISTOIRE   DES   CAMISARDS 

{idole  interprète  de  La  Chaise  et  des  jésuites  lorsqu'elle 
écrivait  les  lignes  suivantes  : 

«  Je  crois  bien  que  toutes  ces  conversions  ne  sont 
pas  sincères  ;  mais  Dieu  se  sert  de  toutes  voies  pour 
ramener  à  lui  les  hérétiques.  Leurs  enfants  seront  au 
moins  catholiques,  si  les  pères  sont  hypocrites.  Leur 
réunion  extérieure  les  approche  du  moins  de  la  vérité. 
Ils  ont  les  signes  communs  avec  les  fidèles.  Priez  Dieu 
qu'il  les  éclaire  tous.  Le  roi  n'a  rien  tant  à  cœur.  » 

Les  mémoires  du  temps  nous  ont  conservé  l'opinion 
de  Godet-Desmarets,  profond  théologien,  évoque  de 
Chartres,  et  directeur  de  madame  de  Maintenon  :  «  Si 
l'on  n'a  pas  fait  difficulté,  disait-il,  de  recevoir  l'abjura- 
tion d'un  grand  nombre  de  calvinistes,  dont  on  pouvait 
craindre  que  la  conversion  ne  fût  pas  sincère,  pourquoi 
se  ferait-on  aujourd'hui  de  la  difficulté  de  les  contraindre 
par  les  mêmes  voies  à  recevoir*  les  sacrements  ?  On 
craint  de  se  rendre  complice  de  leurs  sacrilèges  ! 
Pourquoi  ne  craignait-on  pas  de  se  rendre  complice  du 
mensonge  qu'ils  faisaient  au  Saint-Esprit?  On  s'est 
élevé  avec  beaucoup  de  sagesse  au-dessus  de  cette 
crainte,  parce  qu'en  leur  demandant  des  choses  justes, 
on  ne  s'est  pas  cru  responsable  de  la  manière  impie 
dont  ils  le  faisaient.  N'a-t-on  pas  les  mômes  raisons 
d'éloigner  aujourd'hui  tous  les  scrupules,  en  les  obli- 
geant à  fréquenter  les  sacrements  ?  » 

Des  arrêts  du  conseil  qui  ordonnaient  aux  pasteurs 
de  s'éloigner  des  lieux  où  l'exercice  de  leur  culte  était 
interdit,  augmentèrent  la  fermentation,  à  Nîmes  surtout 
où  le  peuple,  toujours  en  armes,  jouissait,  dans  les 
marais,  au  bord  des  étangs  et  sur  les  montagnes,  d'un 
privilège  de  chasse  qui  souvent  lui  permettait  seul  de 
vivre,  et  où  abondaient  les  montagnards  cévenols,  qui 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  31 

¥Y  voyaient  attirés  par  les  besoins  de  leur  subsistance. 
(Partout  les  ministres^  acceptant  la  persécution  et  exal- 
pant  le  martyre,  préparaient  une  résistance  à  laquelle 
febacun  était  disposé.  Une  ligue  formidable  unissait  le 
[Poitou,  la  Saintonge,  la  Guienne,  le  Languedoc,  les 
!|Cévennes,  le  Vivarais  et  le  Dauphiné.  Le  clergé  romain, 
llpar  la  violence  de  ses  paroles,  irritait  ces  consciences 
déjà  troublées,  et  soufflait  le  feu  à  pleine  poitrine  :  «  Les 
catholiques,  dit  Noailles  (1),  ne  se  conduisaient  pas  de 
['manière  à  calmer  ces  cœurs  inquiets  et  ulcérés.  Des 
ecclésiastiques  se  montrèrent  si  emportés  dans  le  Viva- 
rais, qu'on  fut  obligé  d'écrire  aux  principaux  gentils- 
hommes du  pays  pour  qu'ils  réprimassent  leur  faux 
izèle,  et  cherchassent  en  secret  les  moyens  de  servir  la 
religion  et  le  roi.  » 

Louvois,  en  aggravant  les  mesures  rigoureuses  or- 
données contre  les  protestants,  n'avait  pris  aucune 
mesure  pour  comprimer  la  rébellion  que  vingt  années 
de  persécution  atroce  devaient  inévitablement  enfanter 
à  la  fin.  C'est  que  Louis,  habitué  à  n'être  entouré  que 
de  courtisans  à  genoux,  croyait  pouvoir  commander 
aux  consciences,  briser  au  gré  de  son  caprice  les  cro- 
yances et  les  convictions.  Il  daignait  octroyer  une  reli- 
gion à  ses  sujets  égarés,  et  il  exigeait  qu'ils  l'accep- 
tassent sur  sa  garantie  dès  qu'il  affirmait  que  c'était  la 
meilleure.  Louvois  et  le  P.  La  Chaise  lui  avaient  affirmé 
que  cela  soulèverait  à  peine  quelques  murmures  passa- 
gers, et  qu'après  avoir  étouffé  l'impuissante  opposition 
des  parlements,  des  états  provinciaux  et  des  munici- 
palités, quelques  pauvres  ministres  n'oseraient  pas 
parler  quand  il  commandait  le  silence,  protester  quand 
il  ordonnait  d'obéir. 

(1)  Mémoires,  p.   12. 


32  H1ST0IUK    DES    CAM1SARDS 

Le  résultat  trompa  leur  prévision.  Du  Languedoc,  où 
l'on  comptait,  disait-on,  200,000  huguenots  (1),  la  résis- 
tance gagna  jusque  dans  le  Dauphiné,  et  le  29  juillet 
1683,  les  consistoires  des  deux  provinces  envoyèrent  à 
Chalençon  leurs  députés,  qui,  réunis  en  grand  nombre, 
prirent  la  résolution  de  ne  pas  tenir  compte  des  entraves 
apportées  à  l'exercice  de  leur  culte,  tout  en  protestant 
bien  haut  de  leur  dévouement  au  roi,  en  dehors  de  ce 
qui  concernait  la  liberté  de  conscience.  Ils  se  sentaient 
appuyés  par  quelques  gentilshommes,  prêts  à  se  mettre 
à  la  tête  du  mouvement.  Des  attroupements  nombreux 
d'hommes  armés  se  montraient  sur  plusieurs  points. 
On  fît  marcher  contre  eux  deux  régiments  de  dragons  et 
trois  d'infanterie,  en  tout  3,500  hommes  environ,  sous 
la  conduite  du  maréchal  de  camp  marquis  de  Saint-Ruth, 
le  Simon  de  Montfort  de  cette  seconde  croisade  contre 
la  langue  d'oc,  celui  dont  les  évêques  récompensèrent  le 
fougueux  apostolat  en  le  baptisant  du  titre  de  treizième 
apôtre. 

Le  29  août,  il  tomba  à  l'improviste  sur  une  nom- 
breuse assemblée  convoquée  au  village  de  Bordeaux. 
La  résistance  fut  énergique,  mais  en  présence  des  forces 
supérieures  qu'on  leur  opposait,  les  calvinistes  se  dissi- 
pèrent et  cessèrent  de  se  réunir.  La  paix  parut  se  ré- 
tablir, et  l'on  accorda  des  lettres  d'amnistie,  mais  bien 
incomplète,  puisqu'on  en  exceptait  les  ministres  cou- 
pables d'avoir  prêché  où  il  était  interdit  de  le  faire,  et 
une  cinquantaine  d'autres  personnes  encore,  dont  les 
maisons  furent  démolies. 

Parmi  ceux  que  se  réservait  la  vengeance  royale  se 
trouvait   l'arrière-petit-fils  de  l'un  des  rédacteurs  de 

(l)  Berwick,  Mémoires ,  p.  369. 


HISTOIRE   DES    CAM1SARDS  33 

l'édit  de  Nantes,  Charnier,  pasteur  à  Montélimar.  C'était 
un  jeune  homme  de  vingt  ans  à  peine.  Comme  les  autres, 
il  était  coupable  de  s'être  défendu  contre  l'attaque  des 
dragons.  Les  jésuites  lui  offrirent  la  vie,  s'il  voulait  ab- 
jurer. Il  refusa.  Par  un  singulier  raffinement  de  cruauté, 
il  fut  ramené  à  Montélimar  pour  être  supplicié  devant  la 
maison  qu'habitait  son  père,  qui  y  exerçait  les  fonctions 
d'avocat.  «  Il  reçut  cinquante  coups  de  barre  de  fer,  avant 
qu'on  lui  donnât  le  coup  mortel,  ou  coup  de  grâce,  de 
sorte,  que  ses  horribles  souffrances  durèrent  trois  longues 
journées,  au  bout  desquelles  on  se  décida  enfin  à  l'a- 
chever (1)...  » 

Les  lettres  d'amnistie  ordonnaient  en  outre  la  démo- 
lition de  tous  les  temples  de  Chalençon,  de  Saint-For- 
tunat  et  du  Ponsin,  avec  défense,  sous  peine  de  la  vie, 
de  faire  en  ces  lieux  aucun  acte  de  la  religion  proscrite. 

De  pareilles  grâces,  qu'entouraient  d'aussi  sanglantes 
réserves,  ne  pouvaient  que  rallumer  l'incendie  prêt  à 
s'éteindre.  Bientôt  le  Vivarais  fut* en  feu.  Noailles 
marcha  le  24  septembre  contre  les  mécontents,  les 
attaqua  au  dessus  de  Pierregourde,  en  tua  un  grand 
nombre.  On  fit  douze  prisonniers  qui  furent  pendus, 
séance  tenante,  par  un  treizième.  Il  y  eut  encore,  dans 
d'autres  lieux,  quelques  victimes  et  quelques  pendai- 
sons. «  Ces  misérables  allaient  au  gibet  avec  une  ferme 
assurance  de  mourir  martyrs,  et  ne  demandaient 
d'autre  grâce,  sinon  qu'on  les  fit  mourir  promptement. 
Ils  demandaient  pardon  aux  soldats  ;  mais  il  n'y  en  eut 
pas  un  seul  qui  voulût  demander  pardon  au  roi  (2).  » 


(1)  Daniel  Charnier,  par  Ch.  Read,  p.  408-410.  —Mémoires  de  la 
famille  Portai,  p.  403-405.—  Voltaire,  Siècle  de  Louis  XIV,  ch.  XXXVI. 

(2)  Noailles,  p.  14. 


34  HISTOIRE   DES   CAMISARDS 

Do  son  côté,  Saint-Ruth  devait  aller  le  rejoindre 
après  avoir  traversé  le  Dauphiné.  Mais,  comprenant 
qu'il  importait  surtout  de  ne  pas  pousser  à  bout  des 
peuples  qui  ne  songeaient  nullement  à  la  révolte  pourvu 
qu'on  les  laissât  prier  Dieu  comme  ils  l'entendaient, 
d'Aguesseau  crut  pouvoir  prendre  sur  lui  d'arrêter  la 
marche  des  troupes.  Louvois,  dont  la  fureur  grandissait 
à  mesure  que  la  résistance  s'accentuait  davantage, 
s'empressa,  dans  une  lettre  du  1er  octobre  1083,  d'expri- 
mer son  vif  mécontentement  à  Noailles: 

«  Il  est  difficile  do  comprendre  comment  il  a  pu  tom- 
ber dans  l'esprit  à  M.  d'Aguesseau  d'imposer  à  M.  de 
Saint-Ruth  la  patience  qu'il  a  eue  de  soutenir  les  insul- 
tes de  ces  canailles,  dès  que,  ayant  eu  connaissance  de 
l'amnistie,  l'on  a  vu  qu'ils  ne  voulaient  pas  poser  les 
armes.  Je  vous  supplie  de  leur  lire  cette  lettreà  tous  deux, 
qui  leur  fera  connaître  combien  ils  se  sont  trompés,  et 
particulièrement  à  M.  d'Aguesseau;  combien  la  con- 
duite qu'il  a  exigée  de  M.  de  Saint-Ruth,  qu'il  tient  contre 
son  inclination,  a  été  contraire  aux  intentions  de  Sa 
Majesté,  et  capable  d'attirer  de  grands  inconvénients. 
L'intention  du  roi  n'est  pas  que  l'amnistie  ait  lieu  pour 
les  peuples  du  Vivarais  qui  ont  eu  l'insolence  de  conti- 
nuer leur  rébellion  après  qu'ils  ont  eu  connaissance  de 
la  bonté  que  Sa  Majesté  avait  pour  eux  ;  et  elle  désire 
que  vous  ordonniez  à  M.  de  Saint-Ruth  d'établir  des 
troupes  dans  tous  les  lieux  que  vous  jugerez  à  propos, 
de  les  faire  subsister  aux  dépens  du  pays,  de  se  saisir 
des  coupables  et  de  les  remettre  h  M.  d'Aguesseau  pour 
leur  faire  leur  procès,  de  raser  les  maisons  de  ceux  qui 
on  tété  tués  les  armes  à  la  main,  et  de  ceux  qui  ne  revien- 
dront pas  chez  eux,  après  qu'il  çn  aura  fait  publier  une 
ordonnance  ;  que  vous  lui  donniez  ordre  de  faire  raser 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  35 

les  huit  ou  dix  principaux  temples  du  Vivarais,  et,  en 
un  mot,  de  causer  une  telle  désolation  dans  ledit  pays 
que  l'exemple  qui  s'y  fera  contienne  les  autres  religion- 
naires  et  leur  apprenne  combien  il  est  dangereux  de  se 
soulever  contre  le  roi. 

«  Sa  Majesté  trouve  bon  que  l'amnistie  ait  lieu  à 
l'égard  des  religionnaires  qui  habitent  les  Cévennes, 
pourvu  qu'ils  ne  prennent  plus  les  armes  et  exécutent 
les  édits  du  roi  avec  la  soumission  qu'ils  doivent.  Son 
intention  est  que  vous  défendiez  dans  tout  ce  pays-là, 
aux  catholiques  comme  aux  religionnaires,  le  port  d'ar- 
mes, et  fassiez  sévèrement  exécuter  votre  ordonnance. 
Quand  je  dis  le  port  d'armes,  ce  n'est  pas  seulement  de 
ne  point  marcher  dans  les  grands  chemins  avec  des 
armes,  l'intention  de  Sa  Majesté  étant  que  vous  leur 
défendiez  d'en  conserver  chez  eux.  » 

Saint-Ruth  n'avait  besoin  que  de  n'être  pas  retenu, 
et  dans  la  suite  il  exécuta  religieusemeut  les  ordres 
prescrits.  Il  tomba  une  fois  sur  une  assemblée  de  près 
de  quatre  mille  protestants,  dont  quelques-uns  étaient 
armés  pour  la  défense  commune.  Après  les  avoir  taillés 
en  pièces,  il  en  fit  brûler  deux  cents  qui  s'étaient  réfu- 
giés dans  une  grange.  «  Ceux  qui  avaient  été  pris,  dit 
Cosnac,  furent  condamnés  à  mourir  par  la  main  du 
bourreau.  Toutes  les  prisons  de  mon  diocèse  étaient 
remplies  de  ces  malheureux,  et  M.  l'intendant  en  faisait 
exécuter  plusieurs  à  mesure  que  leur  procès  était 
insiruit.  C'était  un  terrible  spectacle  (1).  » 

Une  autre  fois  il  en  surprit  trois  ou  quatre  cents  dans 
le  bourg  de  Bordeaux,  entre  Crest  et  Dieu-le-Fit.  Une 
vingtaine  se  réfugièrent  encore  dans  la  grange  à  laquelle 

(1)  Cosnac,  t.  II,  p.  lis. 


36  histoire  des  camisards 

il  lit  mettre  le  feu.  Tous  périrent  dans  les  flammes. 
Cinq  seulement  avaient  été  faits  prisonniers  :  l'un  d'eux 
obtint  sa  grâce  à  la  condition  de  pendre  les  quatre 
autres.  On  voit  que  ce  procédé  était  ordinaire.  Le  nom 
de  bourreau  se  perpétua  dans  la  famille  de  celui-là. 
(Id.,  p.  190.) 

Ces  barbares  exécutions  ne  découragèrent  pas  les 
calvinistes,  et  à  son  retour  à  Nîmes,  Noailles  fut  «  étran- 
gement surpris  »  de  recevoir  une  députation  des  Cé- 
vennes,  demandant  le  rétablissement  de  l'exercice  de 
leur  religion  à  Saint-Hippolyte,  où  ils  étaient  quatre 
mille,  et  enfin  l'exécution  complète  de  l'édit  de  Nantes, 
avec  révocation  de  tous  les  édits,  déclarations  et  arrêts 
du  conseil  lancés  au  préjudice  de  leurs  libertés  et  privi- 
lèges depuis  le  commencement  du  règne  du  grand  roi. 

Pour  toute  réponse,  Noailles,  «  surpris  de  l'extrava- 
gance de  ces  pauvres  misérables,  »  les  fit  jeter  tous  en 
prison  (2  octobre  1683).  Puis  il  marche  sur  Saint-Hip- 
polyte, y  fait  raser  quelques  maisons  et  démolir  six 
temples  du  Vivarais  (Noailles,  p.  16). 

Les  persécutions  contre  les  ministres  devinrent  plus 
pressantes  ;  l'un  d'eux,  Audoyer,  fut  pendu  seulement, 
un  autre  Isaac  Homel,  «  fort  estimé  dans  son  parti  », 
fut  roué  vif  après  avoir  subi  la  question,  et  «  son  ca. 
davre  exposé  aux  quatre  endroits  du  Vivarais  où  il 
avait  été  plus  de  trente  ans  ministre  (Gosnac,  tome  II, 
p.  117).  » 

«  Cependant  on  continuait  de  suivre  envers  la  secte 
proscrite  le  même  plan  de  sévérité  et  de  destruction. 
Tandis  que  l'abbé  Hervé  et  ses  missionnaires  se  livraient 
aux  travaux  apostoliques  avec  un  succès  médiocre,  les 
troupes  inspiraient  toujours  la  crainte  :  on  poursuivait 
des  ministres,  on  démolissait  des  temples,  on  défen- 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  37 

dait  les  assemblées  religieuses,  on  multipliait  les  en- 
traves (1) ...  » 

«  L'expérience  montrait  combien  les  conversions  ra- 
pides, fruits  de  la  terreur  ou  de  l'avarice,  étaient  vaines,  • 
pour  ne  pas  dire  contraires  à  la  fin  qu'on  se  proposait. 
Les  nouveaux  convertis  du  Vivarais  ne  se  montraient 
plus  protestants  et  se  montraient  encore  moins  catho- 
liques :  ils  n'allaient  ni  à  la  messe  ni  au  prêche  ;  ils 
n'avaient  aucune  religion,  après  avoir  quitté  la  leur. 
La  négligence  de  l'évêque,  l'ignorance  grossière  de 
la  plupart  des  curés,  leur  mauvaise  conduite  (les 
cures  ne  rapportant  qu'une  cinquantaine  d'écus , 
pouvait-on  y  placer  d'honnêtes  gens  et  des  gens  ha- 
biles?), tout  augmentait  le  mal  et  éloignait  le  remède 
(p.  19).'» 

L'intendant  du  Languedoc,  d'Aguesseau,  gémissait 
des  conversions  qu'opérait  le  duc  de  Noailles.  «  La  ma- 
nière dont  ce  miracle  s'opérait,  dit  son  fils  et  son  bio- 
graphe, les  faits  singuliers  qu'on  venait  tous  les  jours 
nous  raconter,  auraient  suffi  pour  percer  un  cœur 
moins  religieux  que  celui  de  mon  père..  »  Nous  l'avons 
vu  hésiter  à  seconder  les  desseins  deLouvois  en  arrêtant 
Saint-Ruth  sur  la  route  du  Vivarais.  Ce  ne  fut  pas  la 
seule  fois  qu'il  tenta  de  réparer  les  fautes  du  gouver- 
nement du  roi-soleil.  La  prospérité  de  Nîmes  dépendait 
des  manufactures  de  soie,  qui  produisaient  pour  deux 
millions  de  livres  par  an.  «  On  le  devait  à  l'industrie 
des  religionnaircs,  plus  riches,  plus  intelligents,  plus 
accrédités  au  dehors  que  les  marchands  catholiques. 
Ceux-ci,  jaloux  de  leurs  succès,  projetèrent  de  leur  en- 
lever cet  avantage,  comme  si  l'hérésie  devait  exclure  de 

(l)  Noailles.  p.  18. 


38  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

la  possession  même  du  travail  et  du  talent  (Noailles:. 
p.  12).  »  Déjà  de  sourdes  tracasseries  les  avaient  avertis 
du  sort  qui  les  attendait.  On  avait  introduit,  au  mépris 
des  privilèges  locaux,  les  règlements  de  la  maîtrise  de 
Lyon,  qui  excluaient  les  protestants  des  manufactures  et 
du  commerce  de  la  soie.  D'Aguesseau  détourna  pour 
un  moment  ce  coup,  qui  allait  ruiner  la  contrée.  «  La 
prudence,  fit- il  observer,  demande  qu'au  moins  on  en. 
tolère  la  continuation  entre  les  mains  des  religion- 
naires,  qui  seuls  ont  l'argent,  le  crédit,  les  habitudes, 
les  correspondances  et  la  conduite  nécessaire  pour  les 
soutenir  (Id.) .  » 

Il  se  bornait  d'ailleurs  à  demander,  non  d'abroger 
les  règlements,  mais  d'en  ordonner  la  surséance.  Lou- 
vois  passa  outre.  Ainsi,  exclus  déjà  de  toutes  les  profes- 
sions libérales,  il  ne  restait  plus  aux  huguenots  que  le 
choix  entre  mourir  de  faim,  ou  résister  par  la  force  à 
une  tyrannie  devenue  intolérable. 

Ne  voulant  pas  assumer  plus  longtemps  sur  ses  épaules 
la  responsabilité  des  attentats  qu'il  Voyait  commettre 
chaque  jour,  d'Aguesseau,  découragé  et  épuisé  de  fati- 
gues, demanda  sa  retraite  de  la  province.  Il  l'obtint  et 
fut  remplacé  par  Lamoignon  de  Bàville,  de  sinistre  mé- 
moire, Bàville,  «  le  roi  du  Languedoc,  »  ainsi  que  l'ap- 
pellent les  mémoires  du  temps. 

Se  sentant  alors  secondé  suivant  ses  vœux,  Noailles 
donna  tous  ses  soins  à  exécuter  rigoureusement  -les 
ordres  de  la  cour.  «  On  ne  voulait  plus  rien  ménager; 
on  voulait  forcer  les  huguenots  à  devenir  catholiques; 
on  voulait  que  la  terreur  décidât  ou  multipliât  les  con- 
versions. Enfin  on  avait  résolu  d'envoyer  des  troupes, 
au  lieu  de  missionnaires,  partout  où  il  restait  des  par- 
tisans de  l'hérésie,  et  de  loger  chez  eux  les  soldats,  jus- 


HISTOIRE   DES    CAMISARDS  39 

qu'à  ce  que  de  tels  hôtes  les  fissent  obéir  aux  volontés  du 
roi  (1) .  » 

L'abbé  Millot  cherche  à  innocenter  Noailles  pour  tout 
rejeter  sur  Louvois  :  «  Pouvait-il  ne  pas  se  conformer 
au  langage  de  ce  ministre  ?  »  dit-il. 

Oui,  certes,  il  le  pouvait,  et  il  le  devait.  Son  devoir 
était  de  lui  faire  connaître  la  vérité  vraie,  au  lieu  de  le 
tromper  en  lui  parlant  des  rapides  et  faciles  abjura- 
tions qu'il  prétendait  opérer  en  tous  lieux. 

Le  15  octobre  1685,  il  lui  écrivait  de  Florac  que  déjà 
plus  du  tiers  du  Gévaudan  était  converti,  qu'il  marchait 
accompagné  des  dragons  de  Barbezières  «  pour  faire  ses 
missions  »  ;  il  suppliait  le  roi  d'accorder  aux  convertis 
quelques  remises  sur  les  tailles  :  «  car  quoiqu'on  les  ait 
fort  ménagés,  à  cause  de  leur  prompte  obéissance  aux 
ordres  du  roi,  il  ne  se  peut  qu'ils  n'aient  souffert.  » 
C'était  bien  impossible,  en  effet,  puisqu'il  avait  doublé 
les  logements  dans  toute  la  province.  Puis  il  annonce 
qu'il  va  lui  envoyer  «  quelques  hommes  d'esprit  pour 
lui  rendre  compte  de  tout  en  détail  et  répondre  à  tout 
ce  qu'il  désire  savoir,  et  qu'il  ne  saurait  écrire.  (Id., 
p.  22.)  » 

On  sentait  donc  instinctivement  que  l'on  faisait  là 
quelque  chose  d'infâme,  dont  on  rendrait  compte  à  la 
postérité,  et  l'on  ne  voulait  pas  qu'il  restât  de  traces 
écrites  de  tout  cela,  tant  sans  doute  ces  détails  étaient 
hideux.  Nous  ne  savons  donc  pas  tout,  nous  n'avons 
pas  toutes  les  pièces  du  procès,  mais  si  incomplètes 
qu'elles  soient,  celles  qui  restent,  avec  les  faits  que  l'on 
a  cru  pouvoir  confier  au  papier,  suffisent  pour  faire 
maudire  la  mémoire  de  Louis  et  de  ses  complices. 

(1)  Noailles,  page  20. 


40  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Noailles  avait  juré  «  sur  sa  tète  »  que  tout  serait  fait 
et  parfait  avant  le  25  novembre.  «  Les  conversions  qui 
ont  suivi  depuis  le  15  octobre  ont  été  si  générales,  et 
avec  une  si  grande  vitesse,  que  l'on  ne  saurait  assez  re- 
mercier Dieu,  ni  songer  trop  sérieusement  aux  moyens 
d'achever  entièrement  cet  ouvrage,  en  donnant  à  ces 
peuples  toutes  les  instructions  dont  ils  ont  besoin,  et 
qu'ils  demandent  avec  instance.  Il  est  certain  que  vous 
pouvez  ajouter  bien  près  d'un  tiers  de  moins  à  l'état 
qui  vous  fut  donné  des  gens  de  la  religion,  du  nombre 
de  182.000  hommes  ;  et  quand  je  vous  ai  demandé  jus- 
qu'au 25  du  mois  prochain  pour  leur  entière  conversion, 
j'ai  pris  un  terme  trop  long;  car  je  crois  qu'à  la  fin  du 
mois,  cela  sera  expédié.  » 

«  Les  plus  considérables  de  Nîmes  firent  abjuration 
dans  l'église  le  lendemain  de  mon  arrivée.  11  y  eut  en- 
suite du  refroidissement  ;  mais  les  choses  se  remirent 
dans  un  bon  train,  par  quelques  logements  que  je  fis 
faire  chez  les  plus  opiniâtres.  » 

Or  savez-vous  ce  qu'étaient  ces  quelques  logements  qui 
firent  merveille?  Une  autre  dépèche  nous  apprend  que 
deux  de  ceux-là  furent  de  cent  hommes  chacun.  (Ici., 
p.  21) ! 

Il  faut  lire,  dans  le  journal  de  Jean  Migault,  le  récit  des 
excès  que,  dès  l'année  1681,  les  dragons  se  permettaient 
chez  leurs  hôtes:  «En  général,  la  troupe  n'abandonnait 
jamais  une  paroisse  tant  qn'il  restait  à  une  famille 
protestante  quelques  meubles,  quelque  effet,  la  moindre 
chose  dont  on  pût  faire  de  l'argent  ;  on  exigeait  15  francs 
pour  les  officiers  supérieurs,  9  francs  pour  un  lieutenant 
3  francs  pour  un  soldat,  et  38  sols  pour  le  moindre  in- 
dividu attaché  au  régiment.  Cette  monstrueuse  exaction 
cessait-elle  d'être  payée  ponctuellement,  on  était  dans 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  41 

l'usage  invariable  de  vendre  le  mobilier  et  les  bestiaux, 
et,  quand  on  avait  disposé  de  ces  objets,  jusqu'aux  bar- 
des des  malheureux  hôtes. 

«  Que  plusieurs  papistes  aient  profité  d'une  si  bonne 
occasion  pour  remplir  leurs  écuries  de  chevaux,  leurs- 
fermes  de  bétail,  et  leurs  maisons  de  meubles,  sans 
doute  c'est  ce  qui  étonnera  peu,  car  l'officier  comman- 
dant faisait  rarement  attention  à  la  véritable  valeur  de 
ce  qu'il  mettait  en  vente,  et  concluait  le  marché  au  prix 
qui  lui  était  offert   de  prime  abord. 

«  Ainsi  ces  fidèles  serviteurs  du  Christ,  après  avoir 
nourri  leurs  oppresseurs,  les  uns  dix  jours,  les  autres 
vingt,  et,  quelquefois  plus  longtemps,  se  voyant  dé- 
pouillés de  tout  ce  qui  avait  quelque  valeur,  prenaient  le 
parti,  pour  se  soustraire  à  la  fureur  de  leurs  ennemis, 
de  s'évader  de  nuit  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants, 
et  d'errer  dans  les  bois,  sans  nourriture,  et  souvent  sans 
vêtements  (1).  » 

C'était  ce  que  faisaient  en  tous  lieux  ceux  qui 
avaient  quelques  ressources  et  quelque  énergie.  Mais 
Bâville  publia  une  ordonnance  contre  ces  fugitifs,. 
«  comme  ayant  abandonné  leurs  maisons  et  détourné 
leurs  meubles,  pour  éviter,  par  cette  désertion  affectée, 
déloger  des  troupes,  »  Ils  payèrent  mille  livres  d'amen- 
des, trente  livres  par  jour  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  ren- 
trés et  qu'ils  eussent  mis  leurs  maisons  en  état  de  les 
loger;  il  fut  enjoint  aux  consuls  de  faire  exécuter  l'or- 
donnance «  nonobstant  opposition  et  appellation  quel- 
conque. » 

Tout  allait  au  mieux  dans  le  Languedoc.  Désireux  de 
voir   la  France   tout    entière  marcher  du  môme  pas, 

(1)  Jean  Migault,  Journal,  p.  1G. 


42  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Louvois  écrivit  au  marquis  deBoufflers,  qui  commandait 
l'armée  d'observation  rassemblée  en  Béarn  (31  juillet 
1685)  : 

«  Vous  aurez  vu  par  mes  précédentes,  qu'il  n'y  avait 
point  d'apparence  que  le  roi  vous  ordonnât  cette  année 
de  faire  aucune  irruption  en  Espagne.  Je  ne  puis  présente- 
ment que  vous  confirmer  la  môme  cbose,  le  conseil  de 
Madrid  consentant,  sur  les  instances  qui  lui  sont  faites 
de  la  part  du  roi,  à  tout  ce  que  Sa  Majesté  peut  désirer  ; 
ce  qui  lui  a  faitjuger  à  propos  de  se  servir  des  troupes 
qui  y  sont  à  vos  ordres,  pour,  peudant  le  reste  de  cette 
année,  diminuer  le  plus  que  faire  se  pourra  dans  les 
généralités  de  Bordeaux  et  de  Montauban,  le  grand 
nombre  de  religionnaires  qui  y  sont,  et  essayer  d'y 
procurer,  s'il  est  possible,  un  aussi  grand  nombre  de 
conversions  qu'il  s'en  est  fait  en  Béarn. 

«  Pour  y  parvenir,  Sa  Majesté  désire  que  vous  confé- 
riez avec  MM.  de  Bis  et  de  la  Bercbère  (intendants  de 
ces  deux  généralités),  et  vous  informiez  d'eux  des  en- 
droits de  leur  département  où  il  y  a  le  plus  de  religion- 
naires ;  qu'en  exécution  des  ordres  de  Sa  Majesté,  dont  je 
vous  envoie  un  grand  nombre  en  blanc,  et  que  vous 
remplirez  pour  cet  effet,  vous  fassiez  marcher  dans  cha- 
que communauté  le  nombre  de  cavalerie,  d'infanterie  ou 
de  dragons  que  vous  concerterez  avec  eux  ;  que  vous  les 
fassiez  loger  entièrement  chez  les  religionnaires,  et  les 
délogiez  de  chez  chaque  particulier,  à  mesure  qn'il  se 
convertira;  que  vous  retiriez  les  troupes  de  la  commu- 
nauté, pour  les  envoyer  dans  une  autre,  lorsque  tous  les 
religionnaires  seront  convertis,  même  lorsque  la  plus 
grande  partie  aura  pris  le  bon  parti,  différant  jusqu'à  un 
autre  temps  de  faire  convertir  le  reste,  suivant  qu'il  vous 
sera  expliqué  ci-après... 


HISTOIRE   DES   CAMISARDS  43 

«  Que  si  ce  qui  s'exécutera  à  l'égard  des  religion- 
naires en  portait  quelques-uns  à  tenir  quelques  discours 
séditieux,  vous  les  fassiez  diligemment  arrêter  et  re- 
mettre entre  les  mains  du  parlement  du  ressort  duquel 
il  sera,  pour  lui  être  fait  son  procès. 

«  Que  si  quelque  communauté  prenait  les  armes  ou  que 
les  religionnaires  fissent  quelque  assemblée,  Sa  Majesté 
vous  ordonne  de  lui  en  rendre  compte  en  même  temps  par 
un  courrier  exprès;  cependant  d'assembler  destroupes, 
sans  attendre  de  nouveaux  ordres,  et  d'y  marcher  si  fort 
que  vous  puissiez  les  dissiper,  et  par  des  exemples  sé- 
vères que  vous  feriez  faire  sur-le-champ  de  tous  ceux  qui  se 
trouveraient  les  armes  à  la  main,  ôter  aux  autres  l'envie 
de  suivre  un  si  mauvais  exemple...  » 

A  en  croire  les  intendants,  les  populations  reconnais- 
santes volaient  au-devant  des  dragons  qui  leur  appor- 
taient les  lumières  de  la  foi.  C'était  une  véritable  furie 
de  conversion  qui  prenait  ceux-ci  presque  au  dépourvu  et 
les  embarrassait  par  sa  prodigieuse  rapidité.  Louvois 
acceptait  tout  cela  et  s'en  faisait  l'écho  à  la  cour  : 

«  La  nouvelle  que  j'ai  reçue  hier  soir  (7  septembre 
1685)  est  trop  considérable  pour  ne  vous  en  pas  faire 
part,  s'empresse-t-il  d'écrire  au  contrôleur  général. 
Elle  porte  que  depuis  le  15  août  jusqu'au  4  de  ce  mois, 
il  s'est  fait  soixante  mille  conversions  dans  la  généralité 
de  Bordeaux,  et  vingt  mille  dans  celle  deMontauban;  et 
l'on  assure  qu'auparavant  que  ce  mois  soit  passé,  il  ne 
restera  pas  dix  mille  religionnaires  dans  la  généralité 
de  Bordeaux,  où  il  y  en  avait  cent  cinquante  mille.  Les 
ecclésiastiques  ne  peuvent  pas  suffire  à  recevoir  les  ab- 
jurations, les  villes  et  les  bourgades  envoient  dos  déli- 
bérations de  se  convertir,  de  dix  et  douze  lieues,  et  si 
•  quelqu'une  attend  l'arrivée  des  troupes,  elle  se  convertit 


\\  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

auparavant  qu'elles  soient  entrées...  L'on  demande 
partout  que  le  roi  fasse  bâtir  des  églises  qui  soient  ca- 
pables de  contenir  le  nombre  de  nouveaux  convertis,  et 
surtout  qu'il  envoie  des  prêtres  de  bonnes  mœurs,  y 
ayant  eu  des  communautés  entières  qui  n'ont  point 
voulu  abjurer  entre  les  mains  de  leurs  curés,  par  l'hor- 
reur  qu'elles  avaient  du  désordre  de  leur  vie.  » 

«  La  Trousse,  dit  Dangeau,  fut  nommé  pour  aller 
commander  les  troupes  en  Daupbiné,  et  tâcher  de  faire 
aussi  bien  dans  ce  pays-là  que  Boufflers  a  fait  en  Béarn, 
en  Guyenne  et  en  Saintonge  (1).  » 

Et  peu  de  jours  après,  le  7  octobre,  Louvois  annon- 
çait à  son  frère,  archevêque  de  Reims,  le  complet  succès, 
de  ce  nouveau  missionnaire  :  «  Par  les  lettres  que  j'ai 
reçues  de  M.  de  La  Trousse  du  2  de  ce  mois,  il  paraît  que 
les  trois  quarts  des  habitants  de  la  R.  P.  R.  du  Daupbiné 
se  sont  convertis,  et  par  celles  de  Languedoc,  que 
Castres,  Montpellier,  Lunel,  Aiguës-Mortes,  Sommière,, 
Bagnoles,  et  pour  le  moins  trente  autres  petites  villes 
dû  nom  desquelles  je  ne  me  souviens  pas,  se  sont  con- 
verties en  quatre  jours  de  temps,  que  Nîmes  avait  aussi 
résolu  de  se  convertir,  et  que  cela  se  devait  exécuter  le 
lendemain.  Les  dernières  lettres  de  Saintonge  et  d'An- 
goumois  portent  que  tout  est  catholique.  » 


(l)  Dangeau,  Journal,  t.  I,  p.  181. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  45- 


CHAPITRE  III 


Révocation  de  l'édit  de  Nantes  (16S5).  —  Tyrannie  effroyable  de 
Louis  XIV.  —  Prescriptions  sanguinaires  de  Louvois.  —  On  en- 
lève les  enfants  pour  les  baptiser  catholiques.  —  Fuite  des  pas- 
teurs. —  Les  missionnaires  bulles.  —  Extermination  des  derniers 
Vaudois. 


On  le  voit,  l'édit  de  Nantes  était  déchiré  bien  avant 
l'acte  révocatoire  qu'enregistrèrent  tous  les  parlements 
le  22  octobre  1685,  et,  aux  yeux  abusés  de  Louis,  les  onze 
articles  qu'il  contenait  ne  faisaient  que  donner  force  de 
loi  à  ce  qui  existait  déjà  par  tout  le  royaume.  Voici  du 
reste  la  teneur  de  ces  onze  articles  : 

1°  Révocation  de  tout  édit  et  concession  faite  en  fa- 
veur des  prétendus  réformés  :  en  conséquence,  tous  les 
temples  seront  incessamment  démolis. 

2°  Défense  à  eux  de  s'assembler  pour  l'exercice  de  leur 
religion  en  aucun  lieu  ou  maison  particulière,  sous 
quelque  prétexte  que  ce  puisse  être. 

3°  Défense  à  tous  seigneurs  de  faire  cet  exercice  dans 
leurs  maisons  et  fiefs,  «  le  tout  à  peine  de  confiscation 
de  corps  et  de  biens.  » 

4°  Ordre  à  tous  les  ministres  qni  ne  voudront  pas  em- 

3. 


46  HISTOIRE    DES    CAMISADDS 

brasser  la  religion  catholique  de  sortir  du  royaume 
quinze  jours  après  la  publication  de  l'édit. 

5°  Les  ministres  convertis  jouiront  d'une  pension 
d'un  tiers  plus  forte  que  leurs  anciens  appointements,  et 
après  leur  mort  les  femmes  en  jouiront  de  même  tant 
qu'elles  seront  en  viduité. 

6°  En  cas  que  ces  ministres  veuillent  se  faire  avocats, 
ou  prendre  les  degrés  de  docteur  en  droit,  ils  seront  dis- 
pensés, des  trois  années  d'études  prescrites  par  les  décla- 
rations. 

7°  Toutes  écoles  particulières  pour  les  enfants  de 
cette  religion  sont  défendues,  et  toutes  les  choses  géné- 
lement  qui  peuveut  marquer  une  concession  quel- 
conque en  sa  faveur. 

8°  Les  enfants  seront  désormais  baptisés  par  les  curés 
des  paroisses  :  ordre  aux  pères  et  mères  de  les  envoyer  à 
l'église  à  cet  effet,  sous  peine  de  cinq  cents  livres  d'a- 
mende au  moins. 

9°  Le  roi,  «  pour  user  de  sa  clémence  »  envers  ceux 
des  religionnaires  qui  ont  abandonné  le  royaume,  leur 
permet  de  rentrer  en  possession  de  leurs  biens,  s'ils  re- 
viennent dans  quatre  mois  :  sinon  les  biens  demeurent 
confisqués  en  conséquence  de  la  déclaration  du  20  août. 

10°  Défenses  itératives  à  tous  de  sortir,  eux,  leurs 
femmes  et  enfants,  hors  du  royaume,  sous  peine  des 
galères  pour  les  hommes,  et  de  confiscation  de  corps  et 
biens  pour  les  femmes. 

11°  Les  déclarations  contre  les  relaps  seront  exécutées. 
«  Pourront  au  surplus  lesdits  de  la  R.  P.  R.  en  atten- 
dant qu'il  plaise  à  Dieu  les  éclairer  comme  les  autres, 
demeurer  dans  les  villes  et  lieux  de  notre  obéissance,  et 
y  contiuer  leur  commerce  et  jouir  de  leurs  biens,  sans 
pouvoir  être  troublés  ni  empêchés  sous  prétexte  de  ladite 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  47 

R.  P.  R.,  à  condition  de  ne  point  faire  d'exercice,  ni  de 
s'assembler  sous  prétexte  de  prière  ou  de  culte,  de  quel- 
que nature  qn'il  soit,  sous  les  peines  ci-dessus  de  corps 
et  de  biens  (Noailles,  p.  22)  » 

Tout  cela  paraissait  seulement  empreint  d'arbitraire 
et  de  violence  :  c'était  surtout  inepte  et  inexécutable. 
Les  enfants  devaient  être  baptisés  catholiques  :  mais  on 
n'osait  pas  dire  encore  qu'on  allait  les  arracher  bientôt 
des  bras  de  leurs  mères  et  du  sein  de  leurs  nourrices,  et 
jusque-là,  en  dépit  de  leur  baptême,  ils  suçaient  le  lait 
des  doctrines  perverses  de  Luther  et  de  Calvin.  Le  ré- 
formé ne  pouvant  plus  être  troublé  ni  empêché  sous  pré- 
texte de  sa  religion,  chaque  maison  était  un  temple  où, 
la  Bible  à  la  main,  il  devenait  ministre  au  milieu  de  sa  fa- 
mille agenouillée  à  ses  pieds.  Les  conversions  militaires, 
si  semblables  à  celles  des  Saxons  du  temps  de  Charle- 
magne,  se  voyaient  arrêtées  au  moment  où  elles  s'ac- 
complissaient avec  un  tel  entrain.  Or,  Noailles  l'avoue  : 
«  Les  dragons  avaient  tout  fait;  cet  épouvantail  une  fois 
•éloigné,  tout  était  perdu  (1).  » 

Aussi  s'empressa-t-il  d'adresser  au  ministre  ses  obser- 
vations à  cet  égard  :  «  Il  est  certain  que  la  dernière 
clause  de  l'édit,  qui  défend  d'inquiéter  les  gens  de  la 
R.  P.  R.,  va  faire  un  grand  désordre  en  arrêtant  les  con- 
versions, ou  en  obligeant  le  roi  de  manquer  à  la  parole 
qu'il  vient  de  donner  par  ledit  le  plus  solennel  qu'il  pût 
faire  (2).  » 

Gela  n'embarrassa  pas  Louvois.  Le  grand  roi,  qui 
chaque  jour  changeait  la  valeur  de  l'or  et  de  l'argent, 
et  vendaiUcbaque  année  aux  maltôtiers  et  manants  en- 


(1)  Noailles,  Mémoires,  p.  23. 

(2)  Rulhièrc,  t.  I,  page  341. 


48  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

ricbis  des  titres  de  noblesse  qu'il  annulait  l'année  sui- 
vante afin  de  les  revendis  encore  (1),  le  grand  roi,  di- 
sons-nous, n'avait  vécu  que  de  manquements  de  pa- 
roles. Il  la  violera  une  fois  de  plus,  et  tout  sera  dit,  et 
le  6  novembre  le  grand  ministre  fait  à  Noailles  cette- 
fière  réponse: 

«  Je  ne  doute  point  que  quelques  logements  un  peu 
forts  cbez  le  peu  qui  reste  de  noblesse  et  du  tiers-état 
des  religionnaires  ne  les  détrompent  de  l'erreur  où  ils 
sont  sur  l'édit  que  M.  de  Châteauneuf  nous  a  donné, 
et  Sa  Majesté  désire  que  vous  vous  expliquiez  fort  dure- 
ment contre  ceux  qui  voudront  être  les  derniers  à  pro- 
fesser une  religion  qui  lui  déplaît,  et  dont  elle  a  défendu 
l'exercice  par  tout  son  royaume  (kl.).  » 

L explication  fut  des  plus  simples,  on  fit  parler  le 
sabre  des  dragons,  et  la  loi  se  trouva  dès  l'origine  violée 
dans  ce  qu'elle  contenait  de  moins  rigoureux.  Dans  le 
seul  Languedoc,  soixante-sept  ministres  prirent  des 
passe-ports  pour  quitter  le  royaume  maudit.  Le  trou- 
peau suivit  le  pasteur,  et  il  fallut  multiplier  les  édité 
pour  retenir,  par  la  crainte  des  peines  les  plus  terri- 
bles, les  fugitifs  et  ceux  qui  leur  facilitaient  les  moyens 
de  passer  à  l'étranger. 

Louis  avait  semé  la  corruption.  Elle  germait  et  pullu- 
lait «ui  point  que  Noailles  épouvanté  reculait  devant 
les  exécutions  sans  fin,  provoquées  parle  zèle  impie  des 
dénonciateurs.  Écoutez  ce  qu'il  écrit  à  Seignelay  :  «Je 
ne  puis  être  plus  en  garde  que  je  le  suis  contre  tous  les 
avis  qu'on  me  donne,  par  l'expérience  que  j'ai  que  la 
plupart  des  gens  de  ce  pays,  et  surtout  les  prônes,  agis- 


(l)  Voir  La  France  sous  Louis  XIV,  par  E.  Bormomère,  passim. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  4& 

sent  par  passion,  et  pour  satisfaire  des  ressentiments 
particuliers  (p.  23).  » 

«  Qn  ne  cessait  de  publier  des  ordres  foudroyants  de 
la  cour...  Le  calcul  des  conversions,  au  23  novembre,, 
montait  à  plus  de  trois  cent  cinquante  gentilshommes, 
dont  quelques-uns  s'efforçaient  de  gagner  leurs  femmes, 
et  les  trouvaient  inflexibles  ;  à  cinquante-quatre  minis- 
tres, qu'on  avait  soin  de  récompenser,  et  à  près  de= 
250,000  personnes  (P.,  p.  24),  » 

Nous  venons  de  faire  observer  que  l'édit  ne  statuait 
rien  pour  l'éducation  des  enfants.  On  combla  cette  la- 
cune. «La  cour,  trop  accoutumée  aux  partis  violents, 
en  prit  un  très-propre  à  révolter  toute  âme  sensible. 
Un  nouvel  édit,  «  afin  de  suppléer  au  défaut  des  parents 
«  qui  se  trouvent  encore  malheureusement  engagés 
a  dans  l'hérésie,  qui  ne  pourraient  faire  qu'un  mauvais 
«  usage  de  l'autorité  que  la  nature  leur  donne  pour  l'é- 
«  ducation  de  leurs  enfants,  »  (ce  sont  les  termes  du 
préambule),  ordonne  que  tous  ces  enfants,  depuis  l'âge 
de  cinq  ans  jusqu'à  celui  de  seize  accomplis,  soient  mis 
entre  les  mains  de  leurs  parents  catholiques,  s'ils  en 
ont  qui  veuillent  bien  s'en  charger  :.en  cas  qu'ils  n'en 
aient  point, ou  que  les  pères  et  mères  aient  des  raisons 
légitimes  pour  empêcher  que  l'éducation  ne  leur  soit 
confiée,  ils  seront  mis  entre  les  mains  de  catholiques 
nommés  par  les  juges,  qui  régleront  aussi  leur  pension. 
Que  si  les  pères  et  mères  sont  hors  d'état  de  payer  les 
pensions  nécessaires,  les  enfants  seront  mis  dans  les  hô- 
pitaux les  plus  proches  de  leur  demeure.  Tout  ce  qui 
sera  ordonné  par  les  juges  royaux  et  par  ceux  des  sei- 
gneurs hauts-justiciers,  pour  l'exécution  de  cet  édit, 
sera  exécuté  huit  jours  après  (Id.,  p.  25).  » 

Pour  bien  comprendre  ce  qu'il  y  avait  de  monstrueu- 


50  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

sèment  odieux  dans  une  pareille  mesure,  il  faudrait 
savoir  ce  qu'étaient  les  hôpitaux  d'alors,  dilapidés  sans 
vergogne  par  des  administrateurs  infidèles,  où  l'on  en- 
tassait sur  chaque  lit  cinq  ou  six  corps  humains,  morts, 
morihonds  et  malades,  et  où  les  enfants  surtout  n'en- 
traient que  pour  mourir. 

A  ce  coup  suprême,  les  mères  prirent  leurs  enfants 
dans  leurs  bras,  en  poussant  le  cri  de  la  Médée  de  Cor- 
neille : 

Qu'ils  me  rendent  le  sang  que  je  leur  ai  donné! 

Elles  entraînèrent  leurs  maris,  et  tous,  comme  en 
péril  de  feu,  prirent  la  fuite,  les  riches  vers  la  fron- 
tière, les  pauvres  vers  les  montagnes  des  Cévennes,  où 
Noailles  éperdu  se  mit  à  les  poursuivre  pour  les  rappeler 
vers  leurs  demeures  :  «  On  ne  sait  quel  parti  prendre, 
écrit-il  à  Louvois,  pour  ramener  ces  misérables,  et  pour 
accorder  les  sentiments  de  la  bonté  et  de  la  clémence  du 
roi  pour  ses  sujets,  avec  ce  qu'il  doit  à  son  autorité.  » 

Pour  arrêter  cette  émigration  persistante  et  pour 
faire  produire  ses  effets  à  l'acte  révocatoire  «  qu'on  vou- 
lait en  quelque  sorte  cimenter  de  sang  »  (Noailles,  26), 
on  rendit,  le  1er  juillet  1688,  un  édit  portant  :  1°  Peine 
de  mort  contre  tout  ministre  français  ou  étranger,  qui 
serait  rentré  dans  le  royaume  au  préjudice  de  l'édit 
du  22  octobre;  2°  défense  de  leur  donner  retraite  ni 
assistance,  sous  peine,  contre  les  hommes,  de  galères  à 
perpétuité,  contre  les  femmes,  d'être  rasées  et  renfer- 
mées pour  le  reste  de  leurs  jours,  et  de  confiscation  de 
biens  pourles\ins  et  pour  les  autres  ;  3°  récompense  de 
5,500  livres,  payées  comptant,  pour  quiconque  donnera 
lieu,  par  ses  avis,  à  la  capture  d'un  ministre  ;  4°  peine 
de  mort  contre  tout  sujet  du  roi  qui  sera  surpris  faisant 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  51 

des  assemblées,  ou  quelque  exercice  de  religion  autre 
que  la  catholique  ;  dans  la  supposition  que  la  plupart 
des  réfugiés,  désireux  de  revenir  et  de  quitter  leurs 
erreurs,  n'en  étaient  empêchés  que  par  la  crainte  d'être 
punis  de  leur  évasion,  et  de  ne  plus  retrouver  leurs 
biens,  on  promet  de  ne  point  disposer  de  ces  biens 
avant  le  1er  mars  1687  ;  les  réfugiés  y  rentreront  et  ne 
pourront  être  inquiétés,  pourvu  qu'ils  fassent  abjuration 
dans  la  huitaine  après  leur  retour. 

u  Pour  exécuter  cette  déclaration,  Bâville  fit  plusieurs 
actes  de  rigueur.  Une  vingtaine  de  religionnaires  furent 
mis  à  mort  en  peu  de  temps,  et  la  secte  se  crut  glorifiée 
par  des  martyres.  On  poursuivit  surtout  les  fugitifs  qui 
excitaient  à  s'assembler  dans  les  montagnes  ;  on  promit 
aux  communautés  un  soulagement  considérable  dès 
qu'elles  en  auraient  remis  douze;  on  promit  trois  ou 
quatre  pistoles  aux  soldats  par  chaque  personne  qu'ils 
saisissaient  ;  on  fit  des  battues  avec  les  communautés 
et  les  troupes  comme  pour  une  chasse  de  bêtes  féroces 
(Noailles,  p.  26).  » 

Qui  croirait  que  ce  fut  au  milieu  des  applaudissements, 
des  cris  de  joie,  d'enthousiasme  et  d'admiration  que  les 
parlements  enregistrèrent  la  fatale  ordonnance  qui  don- 
nait le  signal  de  cette  chasse  à  courre  et  à  tir  contre  un 
million  et  demi  de  Français?  Les  femmes  elles-mêmes 
n'eurent  que  de  l'approbation  pour  ce  crime  de  lèse- 
bumanité  auprès  duquel  tous  les  autres  pâlisent,  car 
Louis  venait  de  donner  le  signal  d'une  série  de  forfaits 
que  rien  n'égala  et  dont  rien  n'approchera  jamais  dans 
aucun  pays  ni  dans  aucun  temps  (1). 


(l)  «  Vous  avez  vu,  sans  doute,  l'édit  par  lequel  le  roi  révoque 
celui  de  Nantes.  Rien  n'est  si  beau  que  tout  ce  qu'il  contient,  etja- 


52  HISTOIRE   DES   CAMÏSARDS 

Lorsque  les  empereurs  romains  persécutaient  les 
chrétiens  signalés  à  leur  colère  par  la  haine  et  le  mépris 
puhlics  (-1),  ils  protégeaient  la  société  païenne  tout  en- 
tière contre  une  secte  qui  recrutait  ses  premiers  adeptes 
dans  les  has-fonds  et  parmi  le  rebut  de  la  plus  vile  mul- 
titude. Ainsi  qne  l'a  très-justement  fait  remarquer 
M.  Guizot,  u  le  christianisme,  pour  s'établir  en  fait,  avait 
à  vaincre  toutes  sortes  d'ennemis,  les  gouvernements, 
les  peuples,  les  prêtres  et  les  laïques  païens,  le  pouvoir 
civil  comme  le  pouvoir  religieux,  les  lois  comme  les 
mœurs  (2).  »  Certes,  contre  des  gens  dont  les  doctrines  ten- 
dent à  renverser  les  lois,  les  mœurs,  les  gouvernements, 
la  religion,  toutes  les  bases  sociales,  tout  fut  permis  en 
tous  les  temps,  et  la  loi  leur  retire  son  appui  et  sa  ga- 
rantie. Les  empereurs  païens  accomplissaient  donc,  en 
les  faisant  mettre  à  mort,  le  devoir  que  leur  imposait 
leur  qualité  d'empereurs  païens ,  et  il  n'y  a  pas  au- 
jourd'hui un  souverain  qui,  sans  être  pour  cela  un  Néron 
ou  un  Dioclétien,  ne  fit  fusiller  un  saint  Martin  ou  un 
saint  Maurice,  qui,  en  présence  de  l'ennemi,  refuserait 
de  marcher,  sous  prétexte  qu'il  partage  les  opinions  po- 
litiques ou  religieuses  de  cet  ennemi. 

Les  huguenots,  au  contraire,  chrétiens  au  même  titre 
que  les  catholiques,  ne  retournaient  ni  à  Jupiter  ni  à  Teu- 
tatès.  Ils  lisaient  comme  nous  la  Bible,  ils  prétendaient 


mais  aucun  roi  n'a  fait  ni  fera  rien  de  plus  mémorable  (Madame 
de  Sévigné,  t.  VIII,  p.  378).  » 

(1)  «  Bientôt  les  bruits  effrayants,  les  imputations  infâmes  que 
soulevait  partout  le  nom  de  chrétien  commencèrent  à  circuler.  On 
ne  parla  plus  que  d'incestes,  de  meurtres  d'enfants,  de  festins  de 
chair  humaine;  on  citait  des  faits,  on  indiquait  les  témoins,  on 
rapportait  les  indiscrétions  des  esclaves.  »  A.  Thierry,  Hist.  de  la 
Gaule,  t.  II,  p.  187. 

(2)  Guizot,  Histoire  de  la  civilisation  en  France,  29e  leçon. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  53' 

suivre  mieux  que  nous  l'Evangile;  ils  adoraient  Jéhovah 
et  Jésus-Christ;  leur  morale  était  la  morale  chrétienne; 
ils  n'avaient,  comme  les  autres  Français,  d'autres  lois 
qne  le  droit  écrit  ou  le  droit  coutumier,  suivant  qu'ils 
étaient  du  Midi  ou  du  Nord.  Ils  rendaient  à  César  ce  qui 
appartenait  à  César.  Ils  n'étaient  une  menace  ni  un 
danger  pour  quoi  ni  pour  qui  que  ce  fût  en  France.. 
Mais  quoi!  ils  priaient  Dieu  en  français,  dans  une  langue 
que  l'on  comprend,  au  lieu  de  le  prier  en  latin,  dans 
une  que  l'on  ne  comprend  pas.  C'était  là  un  des  plus 
graves  parmi  les  points  de  dissidence  qui  les  séparaient, 
si  bien  qu'après  une  défaite  des  calvinistes,  une  reine 
de  France  s'était  écriée  au  siècle  précédent  :  «  Eh  bien  ! 
nous  prierons  Dieu  en  français!  » 

Les  apologistes  de  Louis  XIV  ont  cru  l'amnistier  en 
avançant  qu'il  avait  été  trompé,  que  la  vérité  lui  avait 
toujours  été  cachée,  qu'il  n'avait  jamais  connu  les  persé- 
cutions effroyables  subies  par  un  si  grand  nombre  de  ses 
sujets,  les  plus  inoffensifs  et  les  meilleurs.  L'histoire  doit 
faire  justice  de  pareilles  excuses,  et  la  postérité  est  en 
droit  de  porter  à  l'actif  d'un  despote  tout  le  mal  qui  s'est 
fait  sous  son  nom.  Louis  appliqua  tous  ses  efforts  à 
étouffer  toutes  les  voix,  à  briser  toutes  les  plumes.  Il 
anéantit  l'une  après  l'autre  toutes  les  libertés,  chaque  fois 
qu'il  les  trouva,  anciennes  ou  modernes,  sous  ses  pas;  il 
substitua  sa  volonté  à  la  volonté  de  tous,  son  intelligence 
à  l'intelligence  de  tous;  ce  soleil  prétendit  pouvoir  se 
passer  de  toutes  les  lumières  qui  eussent  resplendi  sur  le 
monde,  et  dont  il  retarda  l'avènement  d'un  grand  siècle. 
Il  oublia  et  fit  oublier  les  états  généraux,  il  persécuta, 
avilit,  faussa,  corrompit  les  états  provinciaux,  dont 
quelques-uns  disparurent  encore  ;  il  réduisit  les  parle- 
ments au  silence,  il  détruisit  toutes  les  libertés  commu- 


54  HISTOIRE   DES   CAMISARDS 

nales,  il  cessa  de  réunir  les  assemblées  de  notables,  et 
sous  son  règne,  une  ordonnance  interdit  aux  gens  de 
cour  de  parler  d'affaires  d'État  (1) .  Il  annihila  le  clergé 
comme  il  avait  fait  de  tout  le  reste,  fit  peser  sur  lui  sa 
volonté  despotique.  A  toutes  ses  réunions,  le  clergé  récla- 
mait le  rétablissement  des  conciles  provinciaux  :  cet 
article  n'obtint  jamais  de  réponse  de  sa  part  ;  n'osant 
avouer  que  toute  réunion  l'effrayait,  même  de  prêtres, 
il  faisait  la  sourde  oreille,  n'entendait  pas  ou  ne  répon- 
dait pas  (2).  Il  entrait,  le  fouet  à  la  main,  dans  toutes 
les  discussions.  Le  clergé  de  Sens  voulait  élire  l'abbé  de 
la  Mivoye  à  son  assemblée  générale  ;  on  craignait  sa 
libre  parole  ;  Louis  défend  de  le  nommer,  ordonne  d'en 
choisir  un  autre  :  «  Si  n'y  faites  fautes,  car  tel  est  notre 
plaisir  (3)  .  »  Cela  devint  une  habitude  et  passa  en  sys- 
tème (4).  Il  courba  tout  ce  qui  restait  debout,  fit  dispa- 
raître tout  ce  qui  eût  été  grand  auprès  de  lui .  Il  n'y  eut 
plus  de  premier  ministre.  Il  n'y  eut  plus  d'amiral  :  il 
rétablit  plus  tard  cette  charge  pour  ses  bâtards.  La  con- 
nétablie  disparue  sous  Richelieu  ne  reparut  plus.  Les 
deux  colonels-généraux  de  l'infanterie  et  de  la  cavalerie 
s'éclipsèrent  à  leur  tour.  Tyran  jusque  dans  sa  famillle, 
il  imposait  à  tous  les  siens  des  confesseurs  jésuites  à 
son  choix.  Son  fils  eut  toujours  le  même  confesseur  que 
lui-même  (5)  ;  par  là  il  était  assuré  de  connaître  jusqu'à 
la  pensée  de  celui  qui  devait  être  son  successeur  ;  pré- 
caution bien  inutile,  car  le  grand  dauphin  ne  pensait 
pas.  Les  conseils  des  villes  étaient  dans  l'habitude  d'en- 


(t)  Isambert,  t.  XVII,  p.  10J. 

(2)  Dangeau,  Journal,  t.  IX,  p.  414. 

(3)  15  mai  1671.  —  Depping,  t.  IV,  p.  116. 

(4)  Saint-Simon,  Mémoires,  t.  III,  p.  379,  3sl. 

(5)  Dangeau,  t.  IX,  p.  289.  —  Note  de  Saint-Simon. 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  55 

voyer  des  députations  au  roi  :  on  fit  passer  cette  mau- 
vaise coutume.  Le  prétexte  fut  l'abus  que  faisaient  de 
leurs  fonctions  ces  députés  grevant  parfois  leurs  com- 
mettants de  dépenses  inutiles  ;  le  motif  fut  d'empêcher 
que  les  doléances  du  peuple  ne  parvinssent  par  cette  fis- 
sure jusqu'aux  pieds  du  monarque.  Il  était  bien  plus 
maître  de  suivre  toutes  ses  volontés,  ne  connaissant 
rien  des  circonstances  qui  les  rendaient  inexécutables. 
Lorsque1  l'on  créa  l'Académie  des  Sciences,  on  sup- 
prima la  section  de  théologie  :  «  Il  fut  en  même  temps 
résolu  qu'on  ne  disputerait  point  sur  des  matières  de 
controverse  ni  de  politique,  à  cause  du  péril  qu'il  y  a  à 
remuer  ces  sujets  sans  mission  et  sans  nécessité  (1).  » 
En  1682,  l'enseignement  de  la  philosophie  cartésienne 
fut  interdit  à  Paris  ;  Seignelay  apprend  que  trois  années 
plus  tard,  dans  cette  même  fatale  année  1685,  à  laquelle 
nous  sommes  arrivés,  un  professeur  d'Orléans  «  renou- 
velle la  philosophie  de  Descartes,  que  le  roi  avait  dé- 
fendu être  enseignée.  »  Il  ordonne  à  l'intendant  de  la 
province  de  s'informer  «  en  vertu  de  quoi  cet  homme 
enseigne  la  philosophie  (2).  »  En  1679,  un  édit  avait  dé- 
fendu de  faire  des  leçons  publiques  de  droit  civil  et  ca- 
nonique, àtous  autres  qu'aux  professeurs  en  titre,  de  la 
parfaite  orthodoxie  desquels  on  était  bien  assuré,  sous 
peine  de  3,000  livres  d'amende,  de  privation  de  tous  les 
degrés  qu'ils  avaient  obtenus,  etc.  Cette  prescription 
fut  étendue,  trois  années  plus  tard,  à  toutes  les  fonc- 
tions, et  appliquée  à  tous  docteurs  agrégés  et  autres.  Il 
fut  interdit  d'enseigner  publiquement  ni  d'assembler 
des  élèves  chez  soi.  On  voulait  être  bien  sûr  de  ceux  qui 


(1)  Ch.  Perrault,  Mémoires,  t.  I,  p.  51. 

(2)  Depping,  t.  IV,  p.  608.  —  9  nov.  1685. 


56  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

enseignaient,  et  de  ce  qu'ils  enseignaient,  et  en  res- 
treignant ainsi  l'enseignement  au  profit  du  monopole 
des  professeurs  titulaires,  Louis  fit  disparaître  jusqu'aux 
dernières  traces  des  vieilles  libertés  scolastiques  du 
moyen  âge. 

<(  Les  ennemis  de  la  France,  disait  Vauban,  ont  publié 
et  publient  tous  les  jours  une  infinité  de  libelles  contre 
elle  et  contre  la  sacrée  personne  du  roi  et  de  ses  minis- 
tres... La  France  foisonne  de  bonnes  plumes...  11  n'y  a 
qu'à  en  eboisir  une  certaine  quantité  des  plus  vives  et 
à  les  employer  ;  le  roi  le  peut  faire  aisément  sans  qu'il 
lui  en  coûte  rien,  et  pour  récompenser  ceux  qui  réussi- 
ront, leur  donner  des  bénéfices  de  deux,  trois,  quatre, 
cinq  à  six  mille  livres  de  rente,  ériger  ces  écrivains ,  les 
uns  en  antilardonniers,  les  autres  en  antigazettiers  (1).» 
Le  génie  éminemment  pratique  de  Yauban  lui  faisait 
découvrir  cette  vérité  féconde,  que  la  liberté  de  la  presse 
est  le  meilleui  remède  aux  excès  de  la  liberté.  Peut-être 
aussi  protestait-il  par  avance  contre  ce  système  d'étouf- 
fement  intellectuel,  pressentant  déjà  qu'un  jour  vien- 
drait où  il  serait  persécuté  pour  avoir  osé  écrire  la 
Dîme  royale,  un  des  livres  les  meilleurs  et  les  plus  utiles 
de  son  siècle.  Mais  Louis,  «  qui  se  nourrissait  volontiers, 
comme  dit  Saint-Simon,  des  prologues  d'opéras  et  des 
peintures  de  sa  galerie  de  Versailles,  »  Louis,  qui  vou- 
lait que  l'on  ne  pensât  que  comme  lui,  que  l'on  ne 
parlât  ou  n'écrivît  que  pour  lui,  Louis  poursuivit  impi- 
toyablement le  journalisme  qui  tendait  à  naître.  La  ga- 
zette de  Renaudot  lui  semblait  fort  suffisante  à  satisfaire 
cette  curiosité,  qui  déjà  croissait  en  France  dans  l'esprit 

(1)  Vauban,  Oisivetés.  —  Cité  par  Monteil,  Histoire  des  Français 
des  divers  étals,  t.  VIII,  p.  442. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  57 

de  chacun,  de  connaître  les  affaires  de  la  France  aux- 
quelles on  voulait  leur  persuader  qu'ils  n'entendaient 
rien  et  qu'ils  ne  devaient  s'intéresser  en  rien.  Aussi 
beaucoup  de  villes  avaient-elles  des  nouvellistes  qui 
publiaient  des  nouvelles  à  la  main,  quelques-unes  clan- 
destinement imprimées,  mais  le  plus  souvent  manus- 
crites. On  vit,  en  1683,  deux  individus,  Bourdon  et 
Dubois,  attachés  à  la  chaîne  des  forçats  comme  distri- 
buteurs de  libelles.  Mieux  valait  alors  être  assassin  que 
journaliste.  La  liberté  d'écrire  n'existait  que  pour  les 
flagorneurs  du  roi-soleil.  On  comprend  combien  de 
bons  livres  ont  dû  être  étouffés,  combien  de  généreuses 
inspirations  refoulées,  lorsque  l'on  voit  Louis,  dans  sa 
terreur  de  l'imprimé,  aller  jusqu'à  s'opposer  à  la  réim- 
pression de  Y  Histoire  de  Louis  XIII,  par  le  père  Le- 
vassor  (1). 

C'est  l'excuse  de  Louis  XIV,  de  s'être  accepté  lui-même 
pour  une  incarnation  de  Dieu  sur  cette  terre.  On  n'est 
pardonnable,  en  effet,  de  se  résigner  au  rôle  impossible 
de  souverain  absolu,  qu'à  la  condition  de  se  reconnaître 
les  principaux  attributs  de  la  divinité  :  l'infaillibilité  et 
la  science  absolue  de  toutes  choses.  A  lui  seul  donc 
incombe  la  responsabilité  de  tout  ce  qui  s'est  fait  de 
mal  sous  son  nom  :  ses  ministres  ne  sont  que  ses  com- 
mis, ses  généraux  que  ses  lieutenants,  son  entourage 
que  ses  courtisans  ;  il  est  tout,  et  ils  ne  sont  rien.  C'est 
donc  à  Louis,  et  à  Louis  avant  tous  les  autres,  que  l'his- 
toire demande  compte  des  souffrances  inouies  de  la 
France  sous  son  trop  long  règne,  de  la  ruine  de  ses  cam- 
pagnes, de  la  dépopulation  de  ses  cités,  de  ses  finances 
aux  abois,  de  son  armée,  de  sa  marine  anéanties,  des 

(1)  Depping,  t.  IV,  p.  G21. 


58  HISTOIRE   DES    CAMISARDS 

persécutions  des  protestants,  de  toutes  ces  tortures,  de 
ces  bûchers,  de  ces  massacres,  de  ces  exils  et  de  ces 
émigrations  qui  enrichirent  nos  ennemis  de  nos  dé- 
pouilles et  de  notre  industrie,  Il  est  le  grand  coupable, 
les  autres  ne  sont  que  ses  complices. 

Si,  aux  premiers  jours  de  la  persécution,  Louvois  se 
trouva  pris  au  dépourvu,  il  n'est  pas  exact  non  plus  de 
dire  que  les  moyens  implacables  auxquels  il  va  désor- 
mais avoir  recours  furent  motivés  seulement  par  la  ré- 
sistance persistante  autant  qu'imprévue  des  calvinistes. 
Les  mémoires  du  duc  de  Noailles  constatent  au  con- 
traire, à  chaque  page,  que  l'impitoyable  ministre  savait 
qu'il  y  avait  du  sang  dans  la  route  où  il  se  lançait,  et 
qu'il  était  dès  le  premier  pas,  résolu  d'aller  jusqu'au 
bout. 

Sans  hésitation  ni  remords,  il  ordonne  à  des  soldats 
français  de  massacrer  des  enfants,  des  femmes,  lâche- 
ment, de  sang-froid  :  «  Il  eut  été  à  désirer,  mande-t-il 
au  marquis  de  Boufflers,  que  M.  Du  Saussay  eût  fait  tirer 
par  les  dragons  sur  les  femmes  de  la  R.  P.  R.  de  Clérac 
qui  se  sont  jetées  dans  le  temple  lorsqu'on  a  commencé 
la  démolition,  et  Sa  Majesté  a  été  surprise  qu'il  y  ait 
encore  une  si  grande  quantité  de  huguenots  dans  cette 
ville.  »  (2-4  novembre  1685.) 

Le  26  juillet  1686,  il  écrit  à  La  Trousse  :  «  Le  roi  ayant 
jugé  à  propos  de  faire  expédier  une  déclaration,  le  15  de 
ce  mois,  par  laquelle  Sa  Majesté  ordonne  que  tous  ceux 
qui  se  trouveront  dorénavant  à  de  pareilles  assemblées 
seront  punis  de  mort,  M.  de  Bâville  ne  recevra  point 
l'arrêt  que  je  vous  ai  mandé  contre  les  femmes,  devenant 
inutile  au  moyen  de  cette  déclaration.  » 

Il  renouvelle  ses  injonctions  au  même,  le  25  août 
1688:  «  Sa  Majesté  désire  que  vous  donniez  ordre  aux 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  59 

troupes  qui  pourront  tomber  sur  de  pareilles  assemblées 
de  ne  faire  que  fort  peu  de  prisonniers,  mais  d'en  met- 
tre beaucoup  sur  le  carreau,  n'épargnant  pas  plus  les 
femmes  que  les  hommes  ;  et  cet  exemple  fera  certaine- 
ment beaucoup  plus  d'effet  que  celui  que  pourrait  ordon- 
ner la  justice  ordinaire.  » 

Si  du  Midi  nous  nous  transportons  dans  le  Nord,  le 
même  spectacle  viendra  attrister  nos  regards.  «  La  ville 
de  Caen,  suivant  les  registres  du  corps  municipal,  comp- 
tait alors  parmi  ses  habitants  environ  un  tiers  de  protes- 
tants qui  depuis  plus  d'un  siècle  vivaient  en  paix  avec 
les  catholiques.  Cette  heureuse  harmonie  était  d'autant 
plus  nécessaire  que  les  premiers  étaient  presque  tous 
commerçants.  Des  rapports  d'intérêt  et  de  parenté  les 
unissaient  donc  aux  autres  habitants.  Les  réformés 
avaient  à  leur  tête  des  ministres  dont  l'Europe  savante 
révérait  les  lumières,  et  la  ville  s'honorait  des  noms  des 
Bochart,  des  du  Bosc,  comme  elle  se  glorifiait  de  ceux 
des  Huet,  des  Grentemesnil  et  des  Ségrais  (1).  »  C'est 
un  prêtre  catholique,  l'abbé  de  la  Rue,  qui  rend  en  ces 
termes  justice  au  parti  protestant. 

A  Rouen,  douze  compagnies  de  cuirassiers  servirent 
d'appoint  aux  missionnaires  et  activèrent  les  conver- 
sions. Le  pays  de  Caux  eut  vingt-quatre  compagnies 
du  régiment  royal  et  de  Royal-Étranger  ;  Montivilliers, 
Harfleur,  eurent  des  dragons.  Ceux-là,  c'étaient  les  meil- 
leurs, la  fleur  des  pois  de  la  férocité  sauvage,  et  ils  ont 
mérité  le  triste  honneur  de  baptiser  de  leur  nom  ces 
hideuses  boucheries.  A  Dieppe,  L'archevêque  de  Rouen 
en  personne,  après  quinze  jours  d'éloquence  non  inler- 


(1)  L'abbé  de  la  Rue,  Essais  historiques  sur  la  ville  de  Caen.  t.  II, 
p.  347. 


■60  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

rompue,  n'avait  réussi  à  convertir  qu'un  seul  enfant  de 
douze  ans  ;  on  appelle  la  troupe,  on  établit  un  habile 
système  de  délation  grassement  payée,  et  le  vénérable 
prélat  subit  l'affront  de  voir,  en  deux  jours,  la  majorité 
de  la  population  convertie. 

L'intendant  Marillac  écrit  aux  échevins  de  Rouen 
pour  leur  annoncer  un  renfort  de  huit  compagnies 
tirées  de  Royal-Étranger  :  «  Mettez,  leur  recommande- 
t-il ,  la  cavalerie  chez  les  meilleurs  bourgeois,  les 
mieux  en  état  de  les  loger  et  les  plus  endurcis ,  car  c'est 
entrer  dans  les  intentions  du  maître...  Vous  devez  faire 
une  recherche  très-active  et  nouvelle  des  religionnaires. 
Qu'on  aille  de  maison  en  maison,  comme  j'ai  fait  faire  à 
Dieppe...  Promettez  de  donner,  comme  on  a  fait  dans 
cette  ville,  jusqu'à  trente  sols  à  qui  vous  découvrira  un 
huguenot  caché  ;  il  y  a  bien  des  petites  gens  qui  en  dé- 
couvriront. » 

Louvois  attise  le  feu,  stimule  le  zèle  de  ses  agents, 
donne  une  fois  de  plus  le  révoltant  spectacle  d'un  mi- 
nistre écrivant  des  instructions  secrètes  qui  prescrivent 
de  violer  les  ordonnances,  et,  joignant  le  mensonge  le 
plus  impudent  à  la  violence  la  plus  sauvage,  se  flatte  de 
détacher  les  huguenots  normands  de  leur  croyance  en 
leur  affirmant  qu'eux  seuls,  dans  tout  le  royaume,  ne 
s'empressent  pas  d'abjurer  une  religion  qui  a  le  tort 
impardonnable  de  déplaire  au  roi  : 

«  Le  roi  a  été  informé  de  l'opiniâtreté  des  gens  de  la 
R.  P.  R.  de  la  ville  de  Dieppe,  pour  la  soumission  des- 
quels il  n'y  a  pas  de  plus  sûr  moyen  que  d'y  faire  venir 
beaucoup  de  cavalerie,  et  de  la  faire  vivre  chez  eux  fort 
licencieusement.  Gomme  ces  gens-là  sont  les  seuls  dans 
tout  le  royaume  qui  se  sont  distingués  à  ne  pas  vouloir 
se  soumettre  à  ce  que  le  roi  désire  d'eux,  vous  ne  devez 


niSTOIRE    DES    CAMISARDS  61 

garder  à  leur  égard  aucune  des  mesures  qui  vous  ont  été 
prescrites,  et  vous  ne  sauriez  rendre  trop  rude  et  trop 
onéreuse  la  subsistance  des  troupes  chez  eux  ;  c'est-à- 
dire  que  vous  devez  augmenter  le  logement  autant  que 
vous  croirez  le  pouvoir  faire  sans  décharger  de  loge- 
ment les  religionnaires  de  Rouen,  et  qu'au  lieu  de  vingt 
sous  par  place  et  de  la  nourriture,  vous  pouvez  en  laisser 
tirer  dix  fois  autant,  et  permettre  aux  cavaliers  le  dé- 
sordre nécessaire  pour  tirer  ces  gens-là  de  l'état  où  ils 
sont,  et  en  faire  un  exemple  dans  la  province  qui  puisse 
être  autant  utile  à  la  conversion  des  autres  religion- 
naires qu'il  y  serait  préjudiciable  si  leur  opiniâtreté 
demeurait  impunie  (1).  » 

On  espérait  que  tout  se  passerait  plus  doucement  dans 
la  catholique  province  qui  avoisinait  la  Normandie. 
«  M.  de  Chaulnes  est  reparti  pour  la  Bretagne,  dit  Dan- 
geau  (2).  Il  espère  pouvoir  convertir  les  huguenots,  qui 
sont  en  fort  petit  nombre,  sans  qu'il  soit  besoin  d'y  en- 
voyer de  troupes.  » 

Il  en  fallut  cependant,  et  madame  de  Sévigné  rendait 
ainsi  hommage  à  leur  éloquence  à  coups  de  sabre  : 
«  Les  dragons  ont  été 'de  très-bons  missionnaires  jus- 
qu'ici; les  prédicateurs  qu'on  envoie  présentement  ren- 
dront l'ouvrage  parfait  (3).  » 

Des  extrémités  passons  au  centre,  suivons  dans  le 
Poitou  l'intendant  Foucauld  qui,  avant  la  fin  de  juillet, 
avait  déjà  converti,  s'il  faut  l'en  croire,  21,000  religion- 
naires sur  22,000  que  comptait  la  contrée  (4).  Il  provo- 


(1)  Louvois  à  Beaupré,  nov.  1685. 

(2)  Dangeau,  Journal,  t.  I,  p.   193. 

(3)  Madame  de  Sévigné,  t.  VIII,  p.  378. 

(4)  Mémoires  de  Foucauld,  publics  par  Adh.  Bemier,  à  la  suite  de 
ceux  du  marquis  de  Sourches,  p.  287 


62  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

que  les  mesures  de  rigueur,  écrit  à  l'archevêque  de 
Paris  qu'il  est  urgent  de  pensionner  les  ministres  con- 
vertis, et  d'empêcher  ceux  qui  ne  le  sont  pas  de  sortir 
du  royaume  (1).  Là,  les  dragons  font  merveille  comme 
partout  (2).  Les  premières  instructions  de  Louvois  à 
Foucauld  sont  cependant  de  nature  assez  conciliantes  ; 
Foucauld,  d'ailleurs,  nous  le  savons,  avait,  depuis 
quatre  ans,  amirablement  travaillé  la  province.  Mais  le 
ministre  avait  hâte  d'en  finir,  il  ne  tarde  pas  à  changer 
de  ton  : 

«  Il  faut,  dit-il,  d'abord  faire  représenter  les  titres  aux 
gentilshommes  dont  la  noblesse  est  douteuse,  et  faire 
informer  coutre  les  véritables  gentilshommes  qui  ont 
commis  des  vexations,  et  qu'enfin  on  leur  fasse  à  tous 
entendre  qu'ils  n'auront  ni  paix,  ni  douceur  chez  eux, 
jusqu'à  ce  qu'ils  aient  donné  des  marques  d'une  sincère 
conversion.  »  Les  ordres  de  Louvois  sont  suivis,  Fou- 
cauld réunit  chez  lui  les  gentilshommes  du  pays,  et  leur 
dit  que  «  c'est  une  illusion  qui  ne  peut  venir  que  d'une 
préoccupation  aveugle,  de  vouloir  distinguer  les  obliga- 
tions de  la  conscience  d'avec  l'obéissance  qui  est  due  au 
roi.  » 

Éloquence  perdue!  «  Il  y  eut  peu  de  conversions,  » 
avoue-t-il  ;  et  même  les  gentilshommes  adressèrent  au 
ministre  leurs  plaintes  contre  Foucauld,  qui  les  imposait 
aux  tailles  et  envoyait  des  compagnies  de  dragons  tout 
entières  chez  eux.  «  Nonobstant  ces  plaintes,  M.  de  Lou- 
vois manda  à  M.  de  Vérac  d'envoyer  la  moitié  d'une 


(1)  P.   IV,  291,  298. 

(2)  «  J'appris  que  Hasfelt,  brigadier  des  dragons,  était  allé  en 
Poitou  commander  les  troupes  qui  y  sont,  et  dont  les  intendants 
ont  quelquefois  tiré  des  secours  pour  de  bons  effets.  »  Dangeau, 
t.  I,  p.  205. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  63 

compagnie  dans  une  seule  maison,  et  il  a  fallu  vendre 
leurs  meubles  lorsque  les  vivres  et  le  fourrage  ont  été 
consommés  (1).,.  » 

Le  marquis  de  Vérac  était  un  ancien  calviniste  qui  avait 
déserté  ses  croyances,  et  Louis  ne  savait  rien  refuser  à 
ceux-là.  Il  avait  acheté  pour  80,000  livres  la  charge  de 
lieutenant  général  de  Poitou,  qui  lui  permettait  de 
persécuter  ses  anciens  coreligionnaires,  mais  il  ne  pos- 
sédait que  la  moitié  de  cette  somme.  Il  s'adressa  au  roi, 
qui  la  lui  fit  donner  (2).  «  Vérac,  dit  Saint-Simon,  était 
lieutenant  général,  et  Marillac  intendant  du  Poitou,  lors 
de  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes  et  des  barbaries  qui 
furent  exercées  contre  les  huguenots  ;  tous  deux  crurent 
y  trouver  leur  fortune,  tous  deux  donnèrent  le  ton  aux 
autres  provinces,  tous  deux  obtinrent  ce  qu'ils  s'en 
étaient  proposé.  Vérac  fut  fait  chevalier  de  l'Ordre  en 
1686,  et  Marillac  conseiller  d'État,  avec  une  grande  pré- 
férence sur  les  anciens  (3).  » 

C'est  que  c'était  surtout  sur  les  corruptions,  c'était 
sur  sa  caissse  de  conversions  que  Louis  comptait  pour 
assurer  le  succès  de  son  œuvre.  Il  promit  de  nouveau 
aux  ministres,  pour  payer  leur  apostasie,  une  pension 
viagère  double  de  celle  qu'ils  touchaient  comme  pas- 
teurs, et  la  moitié  de  cette  pension  réversible  sur  la  tète 
de  leurs  veuves,  l'exemption  des  tailles  et  des  logements 
des  gens  de  guerre  (Foucauld,  p.  318)..,  c'est-à-dire  des 
privilèges.  Mais  à  ce  hideux  marché  des  consciences,  où 
des  évêques  jouent  le  rôle  d'entremetteurs  (4),  on  se  dé- 
fi) Mémoires,  p.  305,  307,  308... 

(2)  Reboulet,  Histoire  du  règne  de  Louis  XIV,  t.  V,  p.  331. 

(3)  Saint-Simon,  Mémoires,  t.  III,  p.  82. 

(4)  Lettre  de  Ch.  de  Pradel,  évêque  de  Montpellier,  au  duc  de 
Noailles,  22  mai  1685  : 

«  Vous  eûtes  la  bonté,  monsieur,  de  vous  employer  auprès  du 


64  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

mande  s'il  n'y  a  pas  encore  plus  de  honte  pour  l'ache- 
teur que  pour  le  vendeur,  surtout  cpiand  le  premier  fait 
son  commerce,  l'escopette  à  l'épaule  et  le  sabre  à  la 
main. 

En  même  temps  que  le  grand  roi  payait  aussi  grasse- 
ment les  défections,  son  tout-puissant  ministre  s'em- 
pressait de  réprimer  les  scrupules  de  ses  agents,  lorsqu'il 
leur  arrivait  d'en  avoir  :  «  M.  de  Louvois  m'a  mandé  par 
sa  lettre  du  17  novembre,  continue  Foucauld,  que  l'in- 
tention du  roi  est  que  les  dragons  demeurent  chez  les 
gentilshommes  de  la  R.  P.  R.  du  Bas-Poitou  jusques  à 
ce  qu'ils  soient  convertis,  et  qu'on  leur  fasse  faire  le 
plus  de  désordre  qu'il  se  pourra  (t.  II,  p.  309).  » 

«  Le  27  décembre,  M.  de  Louvois  m'a  mandé  de  faire 
mettre  en  prison  les  religionnaires  chez  lesquels  il  n'y 
aura  plus  de  quoi  nourrir  les  dragons,  et  de  faire  raser 
les  maisons  de  ceux  qui  s'absenteront  (Id.,  p.  311).  » 

<(  Les  dragons  faisaient  alors  plus  de  conversions  en 
huit  jours  que  les  missionnaires  n'en  faisaient  en  un  an, 
parce  qu'on  n'en  mettait  point  chez  les  catholiques  et 
qu'aussitôt  qu'un  huguenot  s'était  converti,  on  ôtait  les 
dragons  de  chez  lui  et  on  les  remettait,  par  augmen- 
tation, chez  les  huguenots  qui  étaient  encore  dans  le 
lieu.  Cette  manière  de  convertir  était  un  peu  nouvelle, 
mais  elle  ne  laissait  pas  de  faire  de  bons  effets,  et  si  les 
conversions  n'étaient  pas  tout  à  fait  sincères  de  la  part  des 


roi  pour  faire  obtenir  une  pension  de  600  livres  à  mademoiselle  de 
Nancrest,  qui  se  fit  catholique  cet  hiver  passé.  Maintenant  son 
aînée  est  en  état,  à  l'exemple  de  sa  sœur,  de  faire  son  abjuration; 
mais  elle  souhaiterait  une  pareille  pension  de  Sa  Majesté,  j'ai  cru 
que  vous  m'approuveriez  que  je  m'adressasse  à  vous  une  seconde 
fois  pour  obtenir  cette  grâce.»  Bulletin  du  Protestantisme  français^ 
1853,  p.   167. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  65 

pères,  on  était  sûr  au  moins  de  gagner  leurs  enfants  (1).» 
Les  rigueurs  furent  moins  pressantes  à  Paris  et  dans 
un  certain  rayon  de  la  capitale  :  on  ne  voulait  pas  que 
Louis  entendît  de  trop  près  les  cris  de  désespoir  et  de 
fureur  de  ses  sujets  infortunés.  Cependant  il  est  difficile 
de  douter  qu'il  soit  intervenu  de  sa  volonté  personnelle 
dans  les  détails  de  l'affaire,  lorsqu'on  le  voit  envoyer 
d'Artagnan,  major  de  son  régiment  des  gardes,  —  le 
cousin  du  vieux  d'Artagnan,  —  avec  deux  cents  soldats, 
dans  le  village  de  Yilliers-le-Bel  (Seine-et-Oise),  pour 
convertir  les  huguenots,  qui  s'y  rencontraient  en  grand 
nombre.  Mais  il  trouva  le  village  presque  désert,  tous 
avaient  fui  à  la  seule  annonce  de  son  approche  (Mém,  de 
Sourches,  p,  346).  Ses  ordres  ne  se  bornaient  pas  à  cette 
seule  localité,  puisqu'il  écrivit  au  célèbre  traitant 
Samuel  Bernard,  de  son  château  de  Chenevière-sur- 
Marne,  la  curieuse  lettre  que  voici  (2)  : 

«  Je  suis  bien  fâché,  monsieur,  destre  obligé  desta- 
blir  garnison  dans  vostre  maison  de  Chenevière.  Je 
vous  supplie  den  arrester  la  suite  en  vous  faisant  catho- 
lique, apostolique  et  romain,  sans  quoy  j'ai  ordre  de 
faire  vivre  à  discrétion,  et  quant  il  ni  aura  plus  rien,  la 
maison  court  grand  risque.  Je  suis  au  désespoir,  mon- 
sieur, destre  commis  pour  pareille  chose,  et  surtout 
quant  il  faut  que  cela  tombe  sur  une  personne  comme 
vous.  Permettez-moi  donc  que  je  vous  supplie  de  vous 
solliciter  au  remède,  car  il  n'y  en  a  pas  d'autre  que  de 
m'envoyer  votre  abjuration  et  celle  de  toute  vostre  fa- 
mille. En  attendant,  je  vais  donner  ordre  qu'on  ne  fasse 
nul  désordre  dans  la  maison,  et  mesme  je  ferai  sub- 


(1)  Mémoires  du  marquis  de  Sourches,  p.  275. 

(2)  Ap.  Th.  Muret,  A  travers  champs,  t.  II,  p.  304. 


66  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

sister  les  soldats  fort  médiocrement  :  mais  contés  que 
ces  modérations  la  n'iront  que  jusque  àdemain  deux 
heures  après-midi,  car  je  les  pren  sur  moy,  ayant  ordre 
du  contre.  Encore  une  l'ois,  monsieur,  ottés-moi  le  cha- 
grin destre  obligé  de  vous  en  faire,  et  me  croies,  mon- 
sieur, vostre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

«  Artagnan.  » 

«  De  Chenevière,  le  4  janvier,  à  trois  heures 
après-midy.  » 

On  fuyait  donc  de  toutes  parts,  vers  Paris,  dans  les 
forêts,  à  l'étranger,  et  ni  les  rigueurs  du  roi,  ni  la 
crainte  des  délations,  vraies  ou  fausses,  ni  les  effets  du 
zèle  intéressé  de  ceux  qui  les  arrêtaient  dans  leur  fuite, 
rien  ne  put  décourager  les  émigrants.  Toutes  les  me- 
sures étaient  parfois  déjouées  par  l'imagina  lion  des  fu- 
gitifs. Tessé  racontait  à  Louvois  (lettre  du  6  juin  1686) , 
qu'une  femme  ayant  acheté  la  complicité  d'un  mar- 
chand de  fer  savoyard,  s'était  fait  empaqueter  dans 
un  épais  faisceau  de  verges  de  fer,  dont  les  bouts  dé- 
passaient aux  deux  extrémités.  Elle  fut  portée  à  la 
douane,  pesée  avec  le  fer,  et  ne  fut  dépaquetée  qu'à 
plus  de  six  lieues  de  la  frontière. 

On  comprend  que,  si  riche  que  soit  le  sujet  en  détails 
effroyables,  nous  n'avons  pu  nous  arrêter  à  en  raconter 
tous  les  épisodes.  En  voici  encore  un,  cependant,  que 
nous  empruntons  aux  Mémoires  de  la  famille  de  Portai  : 

«  Les  habitants  de  Saint-Fortunat  avaient  caché  dans 
un  précipice,  derrière  les  rochers  de  Martenac,  les 
femmes,  les  enfants  et  les  vieillards  ;  quand  ils  vinrent 
les  chercher  après  le  départ  des  dragons,  ils  trouvèrent 
toutes  les  femmes  dépouillées  et  la  plupart  dans  un  état 


HISTOIRE   DES    CAMISARDS  67 

horrible.  Un  père  vit  le  cadavre  de  sa  fille  que  les  dra- 
gons avaient  percé  de  six  balles...  Un  fils  retrouva  son 
vieux  père  sans  bras,  les  dragons  les  lui  avaient  coupés 
à  coups  de  sabre  ;  un  mari,  demandant  ses  enfants  et 
sa  femme,  qu'il  avait  laissée  dans  les  douleurs  de  l'en- 
fantement, ne  revit  qu'un  cadavre  défiguré,  auprès  du- 
quel pleuraient  deux  pauvres  petits  innocents  mutilés  : 
à  l'un,  le  sabre  avait  emporté  la  moitié  du  visage,  à 
l'autre  la  main,  » 

Louis  de  Portai,  sa  femme  et  ses  enfants  furent  mas- 
sacrés dans  leur  demeure.  Quatre  autres  enfants  furent 
sauvés  ;  à  l'arrivée  des  dragons,  ils  s'étaient  réfugiés 
dans  un  four  banal,  situé  en  dehors  de  l'habitation. 
Après  avoir  laissé  le  plus  jeune  d'entre  eux  sur  la  route, 
les  trois  aînés  arrivèrent  enfin  à  Bordeaux,  où  ils  furent 
reçus  à  bord  d'un  navire  marchand,  et  cachés  dans  des 
tonneaux  vides,  rangés  parmi  des  tonneaux  pleins,  où 
ils  n'avaient  que  la  bonde  pour  respirer. 

Ce  mode  de  sauvetage  s'étant  renouvelé  souvent,  les 
bourreaux  de  Louis  en  eurent  connaissance,  et  l'on  fai- 
sait enfumer  les  vaisseaux  en  partance  dans  les  ports  de 
mer.  «  On  se  servait  d'une  composition  qui,  lorsqu'on  y 
mettait  le  feu,  développait  une  odeur  mortelle  dans 
tous  les  recoins  du  navire,  de  sorte  que,  en  la  respi- 
rant, ceux  qui  s'étaient  cachés  trouvaient  une  mort 
certaine  (1).  » 

Un  de  nos  plus  grands  hommes  de  guerre,  Schoni- 
berg,  se  retira  en  Portugal,  et  la  France  perdit  ses  ser- 


(i)  Mémoires  de  la  famille  de  Portai,  p.  406-411.  —  Voir  aussi 
Mary  Lafon,  Histoire  du  midi  de  la  France,  t.  IV,  p.  "240;  Diion, 
Histoire  chronol.  de  l'église  protestante  en  France,  t.  Il,  p.  206  ;  Be- 
noît, Histoire  de  Védit  de  Nantes,  t.  V,  p.  660;  Reyer,  Histoire  de  la 
colonie  française  en  Prusse,  p.  153... 


G8  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

vices  dans  un  moment  où  ses  plus  illustres  capitaines 
étaient  morts  déjà,  ou  vieillis,  et  n'allaient  bientôt  plus 
avoir  que  des  successeurs  indignes.  Bien  d'autres  offi- 
ciers supérieurs,  de  l'armée  de  mer  comme  de  l'armée 
de  terre,  imitèrent  cet  exemple.  Varenne,  lieutenant- 
colonel  du  régiment  du  Maine,  entrainait  à  sa  suite  plu- 
sieurs officiers  de  la  garnison,  des  magistrats  de  la  cour, 
des  habitants  de  Metz,  des  femmes,  tout  une  colonie.  Ils 
furent  attaqués  de  nuit  par  La  Bretêche,  gouverneur  de 
Hombourg,  qui  parvint  à  en  ramener  une  partie,  parmi 
lesquels  un  riche  conseiller  au  parlement.  Le  roi  con- 
fisqua tous  les  biens  de  celui-ci  et  les  donna  à  La  Bre- 
têche (1). 

Comment  de  tels  encouragements  n'eussent-ils  pas 
porté  leurs  fruits,  aune  époque  de  démoralisation  pro- 
fonde où  l'on  voyait  les  plus  titrés  parmi  les  gentils- 
hommes tendre  honteusement  la  main,  mendier  des 
confiscations  qu'ils  provoquaient  par  leurs  délations, 
enrichir  leurs  familles  de  la  ruine  de  celles  dont  ils 
avaient  trahi,  vendu,  massacré  quelquefois  le  chef  et  le 
soutien  (2)? 

Bien  ne  mettait  à  l'abri  des  derniers  outrages,  ni  l'âge, 
ni  les  dignités,  ni  le  souvenir  d'une  longue  carrière  dans 


(1)  Dangeau,  Journal,  t.  I,  p,  264, 

(2)  «  Le  duc  de  Guiche  avait  demandé  une  confiscation  du  bien 
que  des  Hollandais  ont  en  Poitou;  cette  confiscation  est  considé- 
rable. Le  roi  fera  régir  le  bien  de  ces  gens-là  par  l'intendant  de 
Poitiers,  et  donnera  au  duc  de  Guiche,  pendant  la  guerre,  20,000  li- 
vres de  pension  qui  seront  payées  au  trésor  royal.  Le  duc  de 
Guiche  a  promis  le  quart  de  ce  qui  lui  reviendrait  à  ceux  qui  lui 
ont  donné  l'avis  :  ainsi  il  n'aura  que  15,000  livres  pour  lui.  »  Dan- 
geau, Journal,  t.  IX,  p.  50. 

«  M.  de  Roquelaure  avait  demandé  au  roi  les  lots  et  ventes  de 
quelques  terres  de  M.  de  Lauzun,  et  le  roi  lui  refusa,  disant  qu'il 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  69 

la  magistrature.  La  vengeance  du  grand  roi  poursuivait 
I  ses  victimes  jusque  dans  le  tombeau,  et  lorsque  les  âmes 
lui  échappaient,  il  s'acharnait  sur  les  cadavres.  Le  parle- 
ment de  Metz  en  vit  un  terrible  exemple.  Affaibli  par 
les  années,  le  doyen  de  la  cour,  Paul  de  Chenevoix,  en 
fonction  depuis  la  création,  depuis  1633,  avait  feint  de 
se  convertir,  espérant  vivre  en  paix  les  derniers  jours  de 
sa  vie.  Il  meurt  sans  avoir  réclamé  les  secours  de 
l'Église  :  il  est  déclaré  relaps  par  arrêt  de  la  cour,  son 
cadavre  est  livré  au  bourreau  et.  traîné'sur  la  claie  par 
les  rues  de  Metz  (1). 

Souvent  on  forçait  les  familles  à  suivre  le  hideux  cor- 
tège. La  foule  hurlante  servait  de  bourreau,  déchirait  le 
cadavre,  en  semait  les  membres  par  les  campagnes. 

Mais  ce  n'était  pas  assez  pour  le  roi-soleil  de  poursuivre 
jusque  dans  la  mort  et  de  persécuter  dans  ses  États  les 
calvinistes  français  ;  il  prétendait  entraîner  toute  l'Eu- 
rope à  sa  suite,  et  il  poussa  le  duc  de  Savoie,  Victor- 
Amédée  II,  alors  son  allié,  à  contraindre  ses  sujets  à  se 
convertir.  Beaucoup  de  calvinistes  du  Dauphiné  s'étaient 
réfugiés  dans  le  Piémont.  Le  1er  février  1686,  Victor- 
Amédée  lança  un  édit  qui  interdisait  l'exercice  de  la 
religion  proscrite,  et  ordonnait,  sous  peine  de  la  vie,  la 
fermeture  des  écoles. 

Les  protestants  se  révoltèrent,  et  Louis  envoya  6.000 
Français  égorger,  dans  les  vallées  voisines  de  Pignerol, 
les  Barbets,  derniers  vestiges  des  Vaudois,  ces  ancêtres 


ne  fallait  pas  vouloir  profiter  de  la  disgrâce  des  malheureux.  » 
Id.,  9  mars  1(387. 

«  Le  roi  a  fait  don  à  madame  la  princesse  d'Harcourt  d'un  homme 
qui  s'est  tué  lui-même,  dont  elle  espère  tirer  beaucoup.  Ou  dit  qu'il 
a  20,000  livres  de  rente,  nid.,  t.  II,  p.  212. 

(1)  Emm.  Michel,  Histoire  du  Parlement  de  Metz,  p.  200-203. 


70  HISTOIRE   DES   CAMISARDS 

des  protestants  (1).  Les  troupes  de  Louis  étaient  com- 
mandées par  Catinat,  qui  bientôt  expia  ce  tort  involon- 
taire. Il  était,  avec  Vauban,  le  plus  pur  des  hommes  de 
guerre  du  grand  siècle,  le  seul  qu'animât  l'amour  de  la 
patrie,  le  seul  qui  méritât  de  partager  avec  Vauban  le 
titre  de  patriote,  si  heureusement  créé  par  Saint-Simon, 
pour  Fauteur  de  la  Dîme  royale.  Tous  les  deux  termi- 
nèrent leurs  jours  à  l'écart.  Si  Vauban  était  coupable 
de  patriotisme,  Catinat  l'était  de  jansénisme,  on  le  soup- 
çonnait, du  moins,  et  ces  choses-là  ne  se  pardonnaient 
pas.  Il  était  assez  indifférent  au  grand  roi  que  l'on  ne 
crût  à  rien,  que  l'on  fût  athée;  mais  dès  que  l'on 
croyait,  il  ne  devenait  plus  permis  de  rien  admettre  en 
deçà  ni  au  delà  de  ce  qu'il  croyait  lui-même  (2).  Toutefois 
le  plus  sûr  était  de  simuler  la  dévotion  ;  c'est  à  cette 
condition  que  l'on  obtenait  les  bonnes  grâces  de  ma- 
dame de  Maintenon,  qui,  désormais,  disposait  des  vo- 
lontés de  Louis,  et  elle  a  pris  soin  de  consigner,  dans  ses 
lettres,  la  part  qu'elle  eut  dans  sa  disgrâce  :  «  Il  ne  ser- 
vira plus,  dit-elle  ;  le  roi  n'aime  pas  à  confier  le  soin  de 
ses  affaires  à  ceux  qui  n'aiment  pas  Dieu.  » 

L'implacable  Louvois  écrivait  au  marquis  de  Feu- 
quières,  qui  commandait  un  détachement  en  Savoie  : 
«  Monsieur,  Sa  Majesté  a  vu  avec  plaisir,  par  la  lettre  que 
vous  avez  pris  la  peine  de  m'écrire  le  6  de  ce  mois,  ce 
qui  s'est  passé  dans  la  vallée  de  Lucerne,  dans  laquelle 
il  eût  été  seulement  à  désirer  que  vous  eussiez  fait 

s , 

(1)  Mémoires  de  Sourches,  t.  II,  p.  12.  —  Mémoires  de  Choisy, 
p.  600. 

(2)  Le  roi  reprochait  au  jeune  duc  d'Orléans  ses  relations  avec 
un  de  ses  amis,  dont  la  mère  était  janséniste  :  «  Lui  ne  l'est  pas, 
répondit  le  duc;  il  ne  croit  pas  en  Dieu.  —  Si  cela  est,  dit  le  roi 
tout  radouci,  il  n'y  a  point  de  mal,  il  peut  vous  suivre  en  Espagne.  » 
Saint-Simon,  t.  IV,  p.  96. 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  71 

brûler  tous  les  villages  où  vous  avez  été  (1).  »  Si  Louis, 
ainsi  que  les  évêques  et  les  prédicateurs  n'avaient  pas 
trop  de  peine  à  le  lui  persuader,  était  le  représentant 
et  l'image  de  Dieu  ici-bas,  Louvois, l'homme  du  Pala- 
tinat,  était  bien  l'incarnation  de  Satan,  promenant  par 
l'Europe  la  torche  allumée  aux  feux  inextinguibles  du 
royaume  infernal. 

Certes,  Louvois  se  plaignait  à  tort.  Rien  ne  justifiait 
ses  regrets,  et  l'on  se  demande  avec  épouvante  quels 
hommes  étaient  donc  ces  généraux  du  dix-septième 
siècle,  lorsque  l'on  voit  Gatinat  rendre  compte  dans  les 
termes  suivants  de  son  expédition  néfaste  (9  mai)  : 

«  Ce  pays  est  parfaitement  désolé  ;  il  n'y  a  plus  du 
tout  ni  peuple  ni  bestiaux.  Les  troupes  ont  eu  de  la 
peine,  parl'àpreté  du  pays;  mais  le  soldat  en  a  été  bien 
récompensé  par  le  butin.  M.  le  duc  de  Savoie  a  autour 
de  huit  mille  âmes  entre  ses  mains.  J'espère  que  nous 
ne  quitterons  point  ce  pays-ci,  que  cette  race  de  Bar- 
bets n'en  soit  entièrement  extirpée.  J'ai  ordonné  que 
l'on  eût  un  peu  de  cruauté  pour  ceux  que  l'on  trouve 
cachés  dans  les  montagnes,  qui  donnent  la  peine  de  les 
aller  chercher,  et  qui  ont  soin  de  paraître  sans  armes 
lorsqu'ils  se  voient  surpris  étant  les  plus  faibles.  Ceux 
que  l'on  peut  prendre  les  armes  à  la  main,  et  qui  ne 
sont  pas  tués,  passent  parles  mains  du  bourreau.  » 

On  pouvait  craindre  que  Victor-Amédée  ne  se  trouvât 
embarrassé  de  veiller  sur  ces  huit  mille  captifs.  Par 
bonheur,  pour  parler  comme  le  grand  roi  et  son  digne 
ministre,  la  peste  se  mit  parmi  eux  et  les  emporta  tous. 
Louis  XIV  se  chargea  de  leur  oraison  funèbre  (lettre  au 
marquis  d'Arcy,  8  novembre)  : 

(1)  Lettres  médites  de  Feuquières,  t.  V.  p.  334. 


72  HISTOIRE   DES CAMISARDS 

«  Je  vois  que  les  maladies  délivrent  le  duc  de  Savoie 
d'une  partie  de  l'embarras  que  lui  causait  la  garde  des 
révoltés  des  vallées  de  Lucerne,  et  je  ne  doute  point 
qu'il  ne  se  console  facilement  de  la  perte  de  semblables 
sujets  qui  font  place  à  de  meilleurs  et  de  plus  fidèles.  » 


IIISTOIRE    DES    CAMISARDS  73 


CHAPITRE  IV 


Ordres  implacables  donnés  aux  garnisaires.  —  Férocité  des  soldats. 
Émigration  générale.  —  L'Europe,  l'Amérique  s'enrichissent  de 
notre  appauvrissement.  —  Les  galères  se  peuplent  de  pasteurs, 
de  protestants  échappés  au  massacre.  —  Vie  effroyable  des  for- 
çats sur  les  galères  royales. 


Tandis  que  l'époux  de  madame  de  Maintenon  pour- 
suivait les  calvinistes  en  Savoie,  il  envoyait  en  Angle- 
terre et  en  Hollande  un  de  ses  lecteurs,  M.  de  Bonrepos, 
redemander,  non  plus  pour  ses  flottes,  mais  pour  ses 
galères,  les  notables  de  la  religion  persécutée  qui  s'y 
étaient  réfugiés,  démarches  qu'il  eut  l'humiliation  de 
ne  pas  voir  accueillir  (1).  D'un  autre  côté,  les  cruautés 
inouïes  des  soudards  logés  chez  les  huguenots  n'étaient 
faites,  ni  pour  retenir  ceux  qui  n'avaient  pu  fuir  encore, 
ni  pour  rappeler  ceux  qui  avaient  eu  l'heureuse 
chance  de  pouvoir  secouer  la  poussière  de  leurs  san- 
dales sur  la  frontière  de  leur  ingrate  patrie. 

A  l'arrivée  de  Bàville  en  Languedoc,  l'instant  est 
favorable  pour  faire  de  la  terreur,  et  le  marquis  de  la 

(1)  De  Sourches,  p.  378. 


74  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Trousse,  commandant  du  roi  dans  la  province,  adresse 
en  ces  termes  ses  ordres  à  ses  officiers  (1)  : 

« Lorsque,  dans  une  paroisse,  il  se  trouvera  des 

opiniâtres  qui  refuseront  d'abord  d'aller  à  la  messe  et 
aux  instructions  et  d'envoyer  leurs  enfants  à  l'école  et 
aux  catéchismes,  il  est  nécessaire  de  leur  doubler  et 
tripler  les  logements  des  cavaliers,  dragons  ou  soldats, 
et  de  ne  les  retirer  que  quand  ils  auront  donné  des 
marques  d'une  meilleure  conduite. 

«  Si  les  logements  ne  corrigent  pas  les  nouveaux 
catholiques  obstinés,  l'officier  en  donnera  avis,  afin  que 
l'on  y  mette  ordre  en  les  envoyant  dans  de  dures  prisons 
et  en  faisant  condamner  à  l'amende  les  pères  et  mères 
des  enfants  qui  n'iront  pas  aux  écoles. 

«  Il  faudra  que  l'officier  s'entende 'avec les  consuls  et 
missionnaires  pour  connaître  au  vrai  les  gens  qui  se 
conduisent  mal.  Il  est  pourtant  bon  d'examiner  les 
choses  de  soi-même,  y  ayant  beaucoup  de  consuls  et 
d'ecclésiastiques  qui  agissent  par  passion  et  par  zèle 
trop  indiscret. 

«  Quelque  soin  qu'on  ait  pris,  jusqu'à  présent,  de  dis- 
siper les  assemblées  que  les  religionnaires  fugitifs  ou 
quelques  nouveaux  convertis  ont  faites  dans  cette  pro- 
vince, il  n'est  pas  impossible  qu'il  ne  s'en  fasse  encore 
quelques-unes  ;  et  comme  il  est  de  conséquence  au  ser- 
vice du  roi  de  les  détruire  entièrement,  chaque  officier 
doit  remettre  jusqu'à  cinquante  pistoles  à  celui  ou  à  ceux 
qui  avertiront  de  quelque  assemblée  assez  à.temps  pour 
que  l'on  puisse  tomber  dessus  avec  des  troupes.  Il  y  a 
une  chose  essentielle  à  remarquer,,  c'est  que  les  gens 
qui  composent  ces   assemblées  ont  soin  de  poser  des 

(l)  Isambert,  Anciennes  Lois  françaises,  t.  XX,  p.  3,  4. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  75 

sentinelles  une  lieue  à  l'avant  de  l'endroit  où  ils  les 
font.  Ainsi,  il  y  a  de  la  prudence  a  prendre  les  précau- 
tions nécessaires  pour  se  saisir  de  ces  sentinelles  ;  et 
lorsque  l'on  aura  tant  fait  que  de  parvenir  au  lieu  de 
l'assemblée,  il  ne  sera  pas  mal  à  propos  d'en  écharper 
une  partie  et  d'en  faire  arrêter  le  plus  qu'on  pourra,  du 
nombre  desquels  on  fera  pendre  sur-le-champ  quelques- 
uns  de  ceux  qui  se  trouveront  armés,  et  conduire  le 
reste  en  prison,  soit  hommes  ou  femmes,  et  principa- 
lement le  président.  11  faut  observer  de  ne  point  tirer, 
à  moins  qu'on  ne  tombe  sur  l'assemblée. 

«  Si  on  pouvait  même  engager  quelques-uns  à  livrer 
un  prédicant  ou  un  proposant,  on  donnera  cinquante 
louis  d'or  pour  le  prédicant,  et  autant  pour  un  propo- 
sant, c'est-à-dire  pour  ceux  quiiiuront  prêché  aux  assem- 
blées. 

«  Le  roi,  par  sa  déclaration  du  1er  juillet  1686,  a  or- 
donné qu'il  fût  payé  5,500  livres  pour  la  capture  d'un 
ministre  réfugié  ou  caché  dans  le  royaume,  et  comme 
il  peut  y  en  avoir  dans  la .  province  du  Languedoc,  on 
ne  saurait  trop  donner  de  soins  à  les  pouvoir  attraper, 
afin  de  donner  à  Sa  Majesté  des  marques  d'affection  à 
son  service,  et  de  profiter  des  5,500  livres  promises...» 

Ce  n'était  pas  le  tout,  de  penser  aux  moyens  de  tuer 
les  vivants  ;  Louis  n'avait  oublié  ni  les  mourants,  ni  les 
morts,  et  dans  une  ordonnance  du  24  mai  1686,  il  rap- 
pelle qu'il  leur  avait  déjà  ménagé  leur  part  : 

«  Ordonnons,  voulons  et  nous  plaît,  que  si  aucun  de 
nos  sujets  de  l'un  ou  de  l'autre  sexe,  qui  auront  fait 
abjuration,  et  qui,  venant  à  tomber  malades,  refuseront 
de  recevoir  les  sacrements  de  l'Église,  leur  procès  leur 
sera  fait  et  parfait,  et,  en  cas  qu'ils  recouvrent  la  saule . 
les  hommes  condamnés  aux  galères    avec  confiscation 


76  HISTOIRE    DES    GAM1SARDS 

de  biens,  et  les  femmes  et  filles  à  l'amende  honorable 
avec  confiscation,  et  à  être  enfermées.  Et  en  cas  qu'ils 
en  décèdent,  que  le  procès  sera  fait  aux  cadavres,  et 
leurs  biens  confisqués. 

«  Car  tel  est  notre  plaisir.  » 

Partout  où  l'on  envoyait  des  soudards, on  avait  bien 
soin,  dans  la  distribution  des  logements,  de  séparer  les 
officiers  des  hommes  qu'ils  commandaient,  et  alors 
ceux-ci,  libres  de  toute  crainte,  affranchis  de  toute 
discipline,  faisaient  bombance  dans  les  maisons,  dont 
ils  vendaient  le  mobilier  à  l'encan  pour  défrayer  leurs 
orgies.  Ils  démolissaient  celles  des  plus  récalcitrants,  et 
le  pillage  prit  quelquefois  de  telles  proportions,  qu'ils 
tirèrent  du  seul  village  deVilliers-le-Bel,  où  nous  voyions 
arriver  naguère  le  major  d'Artagnan  à  la  tête  de  soldats 
du  régiment  des  gardes,  plus  de  deux  cents  charretées 
de  bons  meubles,  sans  compter  ceux  que  l'on  avait  mis 
en  pièces  ou  brûlés.  Aux  champs,  ils  se  plaisaient  à  loger 
leurs  chevaux  dans  la  plus  belle  chambre  de  la  ferme, 
étendaient  sur  eux  les  draps  arrachés  del'armoirc  brisée, 
ou  leur  faisaient  une  litière  des  meilleures  bardes  du 
pauvre  paysan  et  de  sa  femme.  Gorgés  de  boisson  et 
n'en  pouvant  plus  contenir,  on  les  voyait  défoncer  les 
tonneaux,  forcer  leurs  hôtes  à  verser  le  sang  généreux 
de  la  vigne  dans  le  chaudron  suspendu  à  la  crémaillère, 
et,  pour  se  redonner  de  la  vigueur, prendre  des  bains  de 
pieds  de  vin  chaud. 

Profitant  de  l'impunité  assurée  aux  soldats,  de  véri- 
tables brigands  se  déguisaient  en  dragons,  et,  pour  trom- 
per la  justice  sur  leur  identité  en  paraissant  dignes  de 
ce  nom,  commettaient  en  tous  lieux  les  crimes  le  plus 
effroyables. 

Mais  c'est  surtout  sur  les  personnes  que,  se  livrant  à 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  77 

toutes  les  excentricités  d'une  férocité  en  délire,  ils  épui- 
saient les  raffinements  de  cette  science  de  mal  faire 
dont  cinq  siècles  de  pratique  avaient  accumulé  le  dépôt 
entre  les  mains  de  l'armée  (1). 

aOn  s'étudiait,  disent  les  mémoires  du  temps,  à  trouver 
des  tourments  qui  fussent  douloureux  sans  être  mortels, 
et  à  faire  éprouver  à  ces  malheureuses  victimes  tout  ce 
que  le  corps  humain  peut  endurer  sans  mourir  (2).  » 
Beaucoup  en  moururent  cependant,  mais  c'était  par 
accident,  par  malheur  et  sans  mauvaise  intention.  Ils 
pendaient  les  hommes  et  les  femmes  par  les  pieds,  les 
cheveux,  les  aisselles,  par  les  parties  les  plus  molles  et 
les  plus  sensibles  du  corps,  soit  au  plancher,  soit  même 
aux  crochets  de  la  cheminée  dans  laquelle  ils  allu- 
maient du  foin  mouillé  pour  les  asphyxier  à  moitié.  Ils 
les  jetaient  un  instant  sur  les  charbons  et  les  retiraient 
à  demi  brûlés,  leur  arrachaient  les  dents,  les  ongles,  les 
épilaient,  les  flambaient,  nus,  avec  un  bouchon  de  paille 
enflammée.  Ils  leurs  lardaient  le  corps,  les  seins,  avec 
des  épingles,  les  enflaient  avec  des  soufflets  jusqu'à  les 
faire  crever.  Quelquefois  ils  bernaint  ces  malheureux 
jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  sans  connaissance,  ou  ils  les 
entraînaient  dans  les  tourbillons  d'une  danse  infernale 
qui  ne  s'arrêtait  que  lorsqu'ils  tombaient  épuisés,  demi- 
morts.  Ils  les  faisaient  fumer  de  force,  leur  faisaient 
avaler  du  tabac  en  feuilles,  les  gorgeaient,  un  entonnoir 
entre  les  dents,  de  vin  ou  d'eau-de-vie,  etc'est  dans  cet 
état  que  ceux-ci  prononçaient  leur  acte  de  foi,  et  ju- 
raient leur  adhésion  aux  croyances  de  Rome. 

Ils  infligeaient  à  d'autres  la  torture  par  l'eau ,  dont  ils 


(1)  Voir  notre  Histoire  des  Paysans,  passim. 

(2)  Rulhière,  t.  I,  p.  292. 


78  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

leur  ingurgitaient  vingt  ou  trente  verres  :  il  se  trouva  par- 
fois que  cette  eau  était  bouillante.  On  les  descendait 
dans  des  puits  au  moyen  de  cordes,  ou  bien  on  leur 
jetait,  en  plein  hiver,  des  seaux  d'eau  glacée  sur  le 
corps. 

Mais  de  tous  les  supplices,  le  plus  cruel  était  l'insomnie 
prolongée.  Ils  les  pinçaient,  leur  brûlaient  la  plante  des 
pieds,  et  pendant  huit  ou  dix  jours,  ils  se  relayaient, 
d'heure  en  heure,  pour  écarter  le  sommeil  de  leurs  pau- 
pières, en  sonnant  de  la  trompette  dans  leurs  oreilles, 
en  les  coiffant  de  chaudrons  sur  lesquels  il  frappaient  à 
grands  coups  de  marteau.  S'il  y  avait  des  malades,  ils 
battaient  du  tambour  dans  leurs  chambres... 

On  pense  bien  que  ces  missionnaires  bottés  n'épar- 
gnèrent pas  les  femmes.  L'occasion  était  trop  belle,  et 
Ton  pouvait  s'en  fier  à  eux  pour  savoir  en  profiter.  «  Qu'on 
laisse,  avait  dit  Louvois,  vivre  les  soldats  fort  licencieu- 
sement (nov.  1685).»  —  «  Ceux-ci  insultaient  ouverte- 
ment à  la  pudicité  du  sexe  et  à  l'honneur  des  maris, 
ceux-là  forçaient  des  citoyens  à  racheter  leur  subsistance 
au  prix  de  leur  honte  et  de  leur  infamie  (1).  »  Ils  atta- 
chaient les  époux  et  les  pères  aux  quenouilles  du  lit  sur 
lequel  ils  violaient  les  épouses  et  les  fdles.  Quelquefois 
c'étaient  de  pauvres  mères  que  l'on  liait  ainsi,  tandis 
que  sous  leurs  yeux  leurs  nourrissons  se  tordaient  dans 
les  convulsions  de  la  faim.  Les  seins  gonflés,  folles  de 
souffrance  et  de  désespoir  ,  elles  abjuraient,  maudissant 
les  hommes  et  blasphémant  Dieu. 

A  peine  ces  t  dragons  d'enfer  pénétraient-ils  dans  un 
village  livré  à  leur  fureur,  que  l'on  voyait  se  reproduire 
les  diverses  scènes  de  martyre  dont  le  vénérable  pasteur 

(1)  Cathala  Couture,  Histoire  du  Quercy,  t.  III,  p.  26. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  79 

d'Orange,  Pineton  de  Ghambrun,  a  tracé  ie  douloureux 
tableau: 

«  Toutes  les  troupes  furent  mises  sur  les  bras  de  ceux 
de  la  religion,  et  ce  logement  ne  fut  pas  plus  tôt  fait, 
qu'on  ouït  mille  gémissements  par  la  ville,  le  peuple  cou- 
rant par  les  rues  le  visage  tout  couvert  de  larmes.  La 
femme  criait  au  secours  pour  délivrer  son  mari  qu'on 
rouait  de  coups,  que  l'on  pendait  à  la  cheminée,  qu'on 
attachait  au  pied  du  lit,  ou  qu'on  menaçait  de  tuer,  le 
poignard  à  la  main,  Le  mari  implorait  la  même  assis- 
tance pour  secourir  sa  femme  qu'on  avait  fait  avorter 
par  des  menaces,  par  des  coups  et  par  mille  mauvais 
traitements.  Les  enfants  criaient:  «  Miséricorde  !  on  as- 
sassine mon  père,  on  viole  manière,  on  met  à  la  broche 
un  de  mes  frères  !...  »  J'arrête  ici  ma  plume;  elle  me 
tombe  des  mains,  et  ce  triste  souvenir  me  fait  verser 
tant  de  larmes,  que  je  ne  pourrai  plus  poursuivre  pour 
décrire  les  borreurs  de  ces  tristes  journées  (1).  » 

Pineton  de  Chambrun,  perdu  de  tout  son  corps  par  les 
douleurs  de  la  goutte,  était  en  outre  travaillé  de  la  pierre, 
et  cloué  sur  son  lit  ou  sur  une  chaise,  parce  qu'il  s'était 
brisé  une  cuisse  en  tombant  d'entre  les  bras  de  ses  do- 
mestiques. Ordre  était  venu  de  la  cour  de  tout  faire  pour 
obtenir  son  abjuration  : 

«Si  le  comte.de  Tessé,  dit-il,  m'avait  menacé  de 
m'exécuter rigoureusement,  ilfuthomme  deparolêàcet 
égard:  car,  sans  être  touché  d'aucune  compassion  de  l'état 
où  il  m'avait  vu,  il  envoya  chez  moi,  dans  moins  de  deux 
heures,  quarante-deux  dragons  etdeux  tambours  qui  baL 
taient  nuit  et  jour  autour  de  ma  chambre  pour  me  jeter 


(1)  Les  larmes  Je  Pineton  de  Chambrun,  p.   lll. 


80  HISTOIRE   DES   CAMISARDS 

dans  l'insomnie,  et  me  faire  perdre  l'esprit,  s'il  eût  été 
possible. 

«  Ces  nouveaux  hôtes  venaient  en  foule  dans  ma 
chambre  pour  me  demander  de  l'argent...  Il  fallait  qu'on 
courût  à  tous  les  cabarets  de  la  ville  pour  leur  donner 
tout  ce  qu'ils  demandaient.  S'étant  gorgés  du  gibier  le 
plus  délicat,  cela  ne  fut  plus  de  leur  goût;  ils  deman- 
daient des  choses  qu'il  aurait  fallu  aller  chercher  aux 
Indes,  et  tout  cela  pour  avoir  prétexte  de  maltraiter  mes 
domestiques  et  mes  bons  voisins  qui  étaient  accourus 
pour  les  servir,  croyant  par  là  d'adoucir  leur  rage  et  leur 
fureur. 

«  Dans  peu  d'heures  ma  maison  fut  toute  bouleversée : 
toutes  les  provisions  ne  suffirent  pas  pour  un  seul  repas, 
ils  enfonçaient  les  portes  de  tout  ce  qui  était  sous  clef, 
et  faisaient  un  dégât  de  tout  ce  qui  leur  tombait  sous  la 
main. 

«  Mon  épouse  tâchait  de  subvenir  à  tout  avec  un  cou- 
rage intrépide...  Elle  essuya  toutes  les  insolences  qu'on 
se  peut  imaginer:  les  menaces,  les  injures  de  p...,deca- 
rogne,  et  d'autres  mille  discours  d'impudicité  que  ces 
malheureux  prononçaient  à  tous  moments.  La  crainte 
où  j'étais  qu'elle  ne  fût  insultée  plus  avant  m'obligea  de 
la  conjurer  de  se  retirer  chez  M.  de  Chavannes,  son  père. 
Elles'opposalongtemps  à  mon  désir;  mais  enfin,  vaincue 
par  mes  larmes,  elle  voulut  bien  me  donner  cette  satis- 
faction. 

«  La  nuit  ne  fut  pas  venue,  que  les  dragons  allumèrent 
tles  chandelles  par  toute  la  maison.  Dans  ma  basse-cour, 
dans  mes  chambres,  on  y  voyait  comme  en  plein  midi, 
et  l'exercice  ordinaire  de  ces  malhonnêtes  gens  était  de 
manger,  de  boire  et  de  fumer  toute  la  nuit.  Cela  eût  été 
supportable  s'ils    ne    fussent    venus    fumer    dans  ma 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  81 

chambre,  pour  m'étourdir  ou  m'étouffer  par  la  fumée 
de  tabac,  et  si  les  tambours  avaient  fait  cesser  leur  bruit 
importun,  pour  me  laisser  prendre  quelqne  repos. 

«  Il  ne  suffisait  pas  à  ces  barbares  de  m'inquiéter  de 
cette  manière,  ils  joignaient  a  tout  cela  des  hurlements 
effroyables,  et  si,  pour  mon  bonheur,  les  famées  du  vin 
en  endormaient  quelques-uns,  l'officier  qui  com- 
mandait, et  qu'on  disait  être  proche  parent  de  M.  de 
Louvois,  les  éveillait  à  coups  .de  canne,  afin  qu'ils  re- 
commençassent à  me  tourmenter. 

«  Après  avoir  essuyé  cette  mauvaise  nuit,  le  comte  de 
Tessé  m'envoya  un  officier  pour  me  dire  si  je  ne  voulais 
pas  obéir  à  mon  roi.  Je  lui  répondis  que  je  voulais  obéir 
à  mon  Dieu. 

«  Cet  officier  sortit  brusquement  de  ma  chambre,  et 
Tordre  fut  donné  de  loger  tout  le  régiment  chez  moi,  et 
de  me  tourmenter  avec  plus  de  violence.  Le  désordre  fut 
furieux  pendant  tout  ce  jour  et  la  nuit  suivante.  Les 
tambours  vinrent  dans  ma  chambre;  les  dragons 
venaient  fumer  à  mon  nez;  mon  esprit  se  troublait  par 
cette  fumée  infernale,  par  la  substractiondes  aliments, 
par  mes  douleurs  et  par  mes  insomnies, 

«  Je  fus  encore  sommé  par  le  même  officier  d*obéir  au 
roi;  je  répondis  que  mon  Dieu  était  mon  roi,  et  que, 
bientôt,  je  paraîtrais  devant  lui  pour  lui  rendre  compte 
de  mes  actions;  qu'on  ferait  bien  mieux  de  me  dépêcher 
que  de  me  faire  languir  par  tant  d'inhumanités.  Tout  cela 
n'amollit  pas  ces  cœurs  barbares,  ils  en  firent  encore  pis  ; 
de  sorte  que,  accablé  partant  de  persécutions,  je  tombai, 
le  mardi  13  de  novembre,  dans  une  pâmoison  où  je  de- 
meurai quatre  heures  entières  avec  peu  d'apparence  de 
vie...  » 

11  ne  mourut  pas,  cependant,  la  persécution  continua 


82  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

son  cours;  vaincu,  le  comte  de  Tessé  traîna  le  moribond 
jusqu'à  Valence,  et  le  remit  aux  mains  de  l'évéque  Gos- 
nac,  qui  poursuivit  et  sut  mener  à  bien  l'œuvre  corn» 
mencée. 

«  II  fallait  agir  avec  moi,  continue  Chambrun,  toutde 
même  qu'avec  un  enfant  de  naissance,  et  j'aurais  pourri 
dans  ma  propre  ordure,  si  je  n'avais  été  entre  les  mains 
d'autres  personnes  que  je  n'aurais  pu  souffrir  pour  les 
emplojrer  à  ce  vil  et  triste  usage.  On  fit  donc  connaître  à 
mon  épouse  et  à  mon  neveu  qu'il  faudrait  qu'ils  se  reti- 
rassent, et  à  moi,  qu'on  me  donnerait  des  dragons 
et  des  archers  pour  me  servir, 

«  Je  souffris  tant  de  douleurs,  que  j'allai  lâcher  cette 
maudite  parole  :  En  bien!  je  me  réunirai  !  » 

Et  voilà  comment  se  jouaitla  comédie  infâme  des  con- 
versions ! 

Lorsqu'une  contrée'  avait  été  suffisamment  préparée 
par  les  fureurs  des  dragons,  unévêque,  un  intendant,  un 
subdélégué,  un  curé  se  présentait,  faisait  rassembler  sur 
la  principale  place  de  l'endroit  tous  les  calvinistes,  ceux 
surtout  que  l'on  espérait  trouver  les  plus  dociles.  Ceux- 
là  renonçaient  à  leur  religion  au  nom  de  tous  les  autres, 
et  c'est  ainsi  que  l'imbécile  monarque  goûtait  la  satisfac- 
tion de  recevoir  chaque  matin,  à  son  réveil,  la  nouvelle 
de  conversions  qui  se  montaient  quotidiennement  à  une 
moyenne  de  deux  cent  cinquante  à  quatre  cents  (1). 

Il  était  bien  impossible  que  le  spectacle  ou  le  récit  de 
pareilles  horreurs  ne  portassent  pas  à  des  extrémités 
terribles  quelques  natures  énergiques  poussées  au  dé- 
sespoir. On  arrêta    dans  le  Palatinat,  et,  se  disait-on 


(l)  Voir,  pour  ces  conversions  miraculeuses.  Dangeau,  1. 1,  p.  173. 
177,    182,  183,  184,  186,   187,  188,  201,  218,  222. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  83 

tout  bas  à  l'oreille,  jusque  dans  les  rues  de  Versailles, 
des  fanatiques  qui  avaient  osé  concevoir  cette  pensée 
inouïe,  d'attenter  à  la  vie  du  grand  roi  !  Toutefois,  le 
marquis  de  Sourches  remarque  «  qu'il  n'était  pas  sur- 
prenant que,  parmi  tant  de  huguenots  que  l'on  persé- 
cutait pour  les  faire  changer  de  religion,  il  s'en  trouvât 
quelques-uns  qui  eussent  la  tête  assez  mal  timbrée  pour 
regarder  comme  une  tyrannie  ce  qu'on  ne  faisait  que 
pour  leur  bien,  pour  prendre  sur  cette  idée  des  résolu- 
tions extraordinaires  (p  359).  » 

C'était  surtout  sur  les  personnes  affaiblies  par  l'âge 
ou  par  les  maladies  que  l'on  pouvait  espérer  d'exercer 
quelque  action.  Le  médecin  catholique,  seul  admis  dé- 
sormais auprès  des  moribonds,  faisait  appeler  le  curé  : 
par  malheur  ce  dernier  manquait  toujours,  soit  de  zèle, 
soit  de  capacité.  Les  prêtres  de  l'Oratoire,  invités  à 
faire  entendre  dans  les  bourgs  et  dans  les  villages  la 
parole  du  Dieu  né  dans  l'étable  de  Bethléem,  dédai- 
gnaient de  le  faire,  prétendant  qu'ils  avaient  été  envoyés 
pour  prêcher  dans  les  villes  seulement  (1).  Quant  aux 
curés  du  pays,  il  fallait  renoncer  à  compter  sur  eux  à 
cause  des  scandales  de  leur  vie  privée.  «  Lesévêques  ne 
pouvaient  les  ranger  dans  leur  devoir  par  des  procédures 
régulières,  à  cause  des  appels  comme  d'abus  de  leurs 
ordonnances.  »  Foucauld  les  traita  militairement  et  en 
fit  enfermer  quelques-uns  au  séminaire. 

Le  Poitou  était  infesté  de  calvinistes.  Niort,  où  la 
veuve  Scarron  était  née,  avait  la  moitié  de  ses  habitants 
attachés  à  la  religion  proscrite.  Les  nouveaux  converlis 
n'allaient  pointa  la  messe,  ne  fréquentaient  point  les 
sacrements,  et  il  fallait,  pour  les  y  contraindre,  emplir 

(1)  Foucauld,  p.  315. 


84  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

leurs  maisons  de  dragons.  Ils  se  rendaient  plus  volon- 
tiers aux  sermons,  sans  doute  parce  que  les  curés  y 
déployaient  une  si  crasse  ignorance,  qu'ils  trouvaient 
qu'il  n'y  avait  aucun  danger  aies  aller  entendre  (Fou- 
cauld.  p.  339). 

Le  fougueux  intondant  fit  condamner  aux  galères  per- 
pétuelles deux  gentilshommes  et  un  avocat  qui  cher- 
chaient à  gagner  l'étranger.  Mais  ce  qu'il  avait  imaginé 
de  mieux,  ce  qui  «  avait  attiré  plus  de  gentilshommes  à 
l'église  que  les  dragons  (ld.,  p.  216),  »  c'était  de  les 
faire  transporter  dans  des  prisons  éloignées,  à  l'extré- 
mité du  royaume.  C'est  encore  être  libre  par  le  cœur 
et  par  la  pensée,  que  de  vivre  sous  les  verrous  dans  cette 
petite  patrie  que  chacun  possède  dans  la  grande,  de 
respirer  l'air  que  respirent  nos  mères,  nos  fils,  nos 
épouses,  tout  ce  que  nous  aimons.  On  peut  entendre 
leur  voix  chérie,  on  peut  espérer  d'entrevoir  leurs  traits 
à  travers  les  barreaux  du  cachot  ;  on  sait  s'ils  vivent  ou 
s'ils  meurent,  on  sait  qn'auprès  de  nous  quelqu'un  prie, 
pense  à  nous,  pleure  sur  nous,  travaille  peut-être  à  notre 
délivrance.  C'était  trop  de  bonheur  encore  pour  d'aussi 
grands  coupables,  et  Foucauld  inventa  cette  persécution 
suprême,  de  combiner  l'exil  avec  la  détention,  d'ajouter 
la  douleur  de  l'un  aux  tortures  de  l'autre. 

Et,  cependant,  il  y  eut  quelque  chose  qui  dépassa  tout 
cela,  quelque  chose  qui  inspira  plus  de  terreur  que  les 
dragons  eux-mêmes,  que  la  captivité  loin  du  sol  natal, 
quelque  chose  qui  brisa  la  résistance  des  femmes  que 
nous  avons  vues  reculer,  plus  courageuses  et  plus  fières 
que  les  hommes,  devant  la  lâcheté  de  l'apostasie.  Il 
faut  bien  le  dire,  cette  torture  qui  triompha  de  leur  hé- 
roïsme, ce  fut  le  couvent,  où  elles  trouvaient  dans  les 
pieuses  épouses  de  Dieu  des  maîtresses  jurées  dans  l'art, 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  85 

■si  raffiné  alors,  de  torturer  son  semblable  (l).  Quelles 
scènes  terribles  se  jouaient  donc  derrière  ces  hautes  et 
Uombres  murailles  au  pied  desquelles  la  loi  civile  recule 
[encore  aujourd'hui,  presque  impuissante  (2)  ?  Quels 
'sombres  mystères  s'accomplissaient  donc  dans  ces 
Isaintes  demeures,  et  quels  hommes  effroyables  étaient 
leurs  directeurs,  pour  surpasser  les  horreurs  de  ces  dra- 
gons d'enfer,  que  Louvois-Satan  avait  déchaînés  sur  la 
'France  ? 

Toutefois,  l'inépuisable  imagination  de  Foucauld 
'trouva  à  rehausser  encore  le  haut  goût  de  ce  supplice 
par  un  dernier  raffinement  :  ce  fut,  «  comme  pour  les 
gentilshommes ,  de  les  expédier  dans  des  couvents 
éloignés  (3).  » 

Mais  prisons,  bagnes,  couvents  ne  suffisaient  pas  à  conr 
tenir  la  multitude,  chaque  jour  renouvelée,  des  victimes 
du  fanatisme  implacable  de  Louis.  Tout  cela,  de  temps 
en  temps,  versait  son  trop-plein  dans  les  hôpitaux,  où 
.l'on  ne  séjournait  guère,  et  pour  cause.  Le  roi-soleil 
les  multipliait  dans  toutes  les  villes.  Toutefois,  avant 
d'applaudir  au  sentiment  charitable  qui  l'inspirait  quand 
il  élevait  ces  splendides  édifices,  ces  monuments  d'or- 
gueil aux  misères  que  tant  de  causes  enfantèrent  pendant 

(1)-  «  Les  femmes  et  les  filles  de  la  R.  P.  R.  craignaient  plus  les 
couvents  que  les  dragons,  et  il  s'en  est  beaucoup  converti  de  celles 
que  les  dragons  n'avaient  pu  convertir,  qui  n'ont  pu  résister  à  l'a- 
version qu'elles  avaient  pour  le  couvent.  »  Foucault,  p.  319. 

(2)  «  Dans  le  temps  de  la  révocation  de  Nantes,  les  religieuses 
chez  qui  l'on  enfermait  les  filles  arrachées  des  bras  de  leur  parents, 
ne  manquaient  pas  de  les  fouetter  vigoureusement  lorsqu'elles  ne 
voulaient  pas  aller  à  la  messe  le  dimanche.  Quand  les  religieuses 
n'étaipnt  pas  assez  fortes,  elles  demandaient  du  secours  à  la  gar- 
nison, et  l'exécution  se  faisait  par  des  grenadiers,  en  présence  d'un 
officier  major.  »  Voltaire,  Dictionnaire  philosophique,  V.  Vierge. 

(3)  Foucauld,  p.  340.  346,  347,  348. 


86  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

les  soixante-douze  années  de  son  règne  interminable,  il 
importe  de  savoir  ce  qui  s'y  passait,  et  comment  ils 
étaient  administrés. 

En  vain  ils  se  cachaient  sous  la  touchante  appellation 
d'Hôtels-Dieu.  C'étaient,  pour  le  peuple,  des  maisons  du 
diable,  et  les  plus  misérables  parmi  les  mendiants,  les 
plus  moribonds  parmi  les  malades  s'enfuyaient  pour 
crever  librement  dans  un  coin ,  plutôt  que  d'aller 
pourrir  dans  ces  lieux  maudits  où  la  mort  trônait  en 
souveraine.  L'hospice  était  une  variante  du  gibet,  de  la 
roue,  du  bûcher,  seulement  l'inévitable  dénouement  s'y 
présentait  entouré  des  affres  d'un  plus  lent  trépas- 
sement. 

Aussi  fallait-il  les  fouets  de  la  police  pour  y  chasser  les 
.pâles  mortels,  tremblant  de  pçur  et  grelottant  de  fièvre. 
Afin  de  ménager  la  place,  les  lits  étaient  superposés, 
comme  les  tiroirs  d'un  meuble.  Jamais  moins  de  deux 
et  parfois  jusqu'à  six  malades  étaient  entassés  sur  la 
paille  sordide  de  ces  lits,  les  convalescents,  s'il  y  en 
avait,  à  côté  des  agonisants,  à  côté  des  morts,  que  l'on 
n'avait  pas  eu  le  temps  d'enlever  encore.  Les  émanations 
des  ulcères  infectaient  les  simples  blessures,  et  les  ren- 
daient incurables.  Au  milieu  de  ces  senteurs  méphitiques 
et  de  ces  ordures,  toute  affection  devenait  contagieuse, 
chacun  prenant  un  peu  du  mal  de  ses  camarades  de  lit, 
et  leur  communiquant  du  sien  en  échange. 

Le  mélange  odieux  de  ses  puanteurs  pestilentielles 
vous  saisissait  à  la  gorge,  et  Ton  sentait  que  l'on  respi- 
rait là  la  mort  à  pleins  poumons,  qu'on  l'aspirait  par 
tous  les  pores. 

Toute  maladie  était  un  châtiment  de  Dieu  et  tout 
malade  un  pécheur  qu'il  fallait  punir.  De  là  les  mau- 
vais traitements  qui  lui  étaient  infligés.  Les  vénériens 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  87 

notamment,  étaient  fustigés  sans  pitié.  Pouvait-on  ne 
i  pas  se  montrer  particulièrement  sévère  pour  ce  qui  avait 
pour  cause  l'incontinence,  sous  un  prince  qui,  marié, 
vivait  publiquement  avec  la  femme  du  marquis  deMon- 
tespan,  et,  souffletant  la  loi  après  avoir  souffleté  la  pu- 
deur publique,  faisait  proclamer  parles  juges  que  les 
enfants  d'un  double  adultère  étaient  des  enfants  légi- 
times ! 

On  ne  nourrissait  les  malades  que  de  coups  de  bâton, 
et  ces  rations-là  étaient  les  seules  qui  fussent  libérale- 
ment distribuées.  Môme  dans  les  hôpitaux  militaires  où 
l'on  avait  grand  intérêt  à  ce  que  les  malades  ne  mou- 
russent pas,  les  administrateurs  partageaient  avec  les 
officiers  le  prix  du  pain  quei'on  ne  distribuait  pas.  Le 
clergé  y  avait  seul  la  haute  surveillance.  Faible  garantie, 
car  voici  ce  qu'à  la  date  du  7  mai  1G83,  Louvois  écrivait 
à  l'intendant  de  la  province  au  sujet  du  père  Montellier, 
directeur  des  hôpitaux  d'Alsace  : 

«  J'ai  vu  ce  que  vous  avez  découvert  jusqu'à  présent 
des  friponneries  du  P.  Montellier.  Gomme  il  n'est  point 
nécessaire  de  plus  grandes  preuves  pour  sa  punition, 
puisqu'il  a  avoué  sa  faute,  le  roi  trouve  bon  que  vous  le 
fassiez  condamner  à  être  promené  dans  tous  les  hôpi- 
taux d'Alsace  par  l'exécuteur,  avec  un  écriteau  devant 
et  derrière  qui  dit  :  Fripon  public,  et  que  l'on  le  ban- 
nisse de  l'Alsace  pour  toute  sa  vie.  Vous  ferez  retenir 
sur  les  appointements  des  commandants  des  bataillons, 
l'argent  dont  ils  ont  profité  de  concert  avec  le  P.  Mon- 
tellier. » 

Mais,  sous  la  monarchie,  les  abus  étaient  sans  re- 
mède, et  le  29  octobre  1789,  le  maréchal  de  Lorges 
dont  le  corps  d'armée  occupait  cette  même  province, 
écrivait  au  ministre  : 


88  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

«  Je  m'informerai  des  plaintes  que  les  troupes  font 
des  hôpitaux  de  Mont-Royal  et  de  Sarrelouis.  Je  sais 
qu'en  gros  elles  disent  que  la  plupart  des  soldats  ne 
sont  couchés  que  sur  la  paille,  trois  dans  le  môme  lit; 
que  les  chirurgiens  sont  des  ignorants  fort  paresseux  à 
soigner  les  malades,  et  que,  à  la  moindre  chose  qu'ils 
ont,  ils  coupent  bras  et  jambes  sans  nécessité.  Aussi, 
ce  qui  est  certain,  c'est  que  tous  les  malades  y  meurent, 
généralement  parlant.  Il  y  a  un  capitaine  qui  doit  vi- 
siter tous  les  jours  les  hôpitaux  ;  cependant  l'abus  est 
que  le  capitaine  craint  de  prendre  la  maladie,  ne  visite 
pas  les  malades  ;  je  crois  que  le  commissaire  ne  va  pas 
plus  que  le  capitaine  (1)...  » 

Ainsi,  nul  regard  humain  n'osait  plonger  dans  cet 
enfer  qui,  comme  l'autre,  ne  connaissait  pas  l'espé- 
rance et  d'où  l'on  ne  sortait  plus,  après  y  être  entré. 

Quelquefois,  au  contraire,  l'hôpital  n'était  que  le  ves- 
tibule et  l'antichambre  du  couvent,  qui  venait  reprendre, 
pour  faire  leur  éducation  religieuse,  celles  des  malheu- 
reuses femmes  et  filles  protestantes  que,  si  elles  n'en 
étaient  pas  entièrement  mortes,  des  traitements  d'une 
férocité  véritablement  sauvage  avaient  amenées  à  se  con- 
vertir. Je  raconterai,  comme  spécimen,  les  façons  de 
La  Rapine,  gardien  de  l'hôpital  de  Valence  et  agent  de 
l'évèque  Daniel  de  Gosnac  (1687)  : 

«...  Quand  ces  dames  et  ces  demoiselles  sont  arri- 
vées et  qu'elles  ont  été  livrées  entre  ses  mains,  il  les 
sépare  et  les  met  en  différents  cachots  remplis  de  boue 
et  d'ordures.  Il  leur  ôte  leurs  habits  et  leur  linge  et  leur 
envoie  quérir  à  l'hôpital  des  chemises  qui  ont  été,  plu- 
sieurs semaines,  et  quelquefois  plusieurs  mois,  sur  des 

(!)  E.  Bonnemère,  La  France  sous  Louis  XIV,  t.  II.  p.  175. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  89 

corps  couverts  de  gale,  d'ulcères  et  de  charbon,  pleines 
de  pus,  de  rache  et  de  poux.  Ce  fut  de  cette  manière 
que  l'on  habilla  mademoiselle  Ducroc  (1),  Ce  malheu- 
Ireuxne  leur  faisait  donner  pour  nourriture  que  du  pain 
(que  les  chiens  n'auraient  pas  voulu  manger,  et  un  peu 
d'eau.  Plusieurs  fois  le  jour,  La  Rapine  leur  rendait 
visite,  avec  des  estafiers  par  lesquels  il  les  faisait  dé- 
pouiller et  leur  faisait  donner  des  coups  de  nerf  de 
bœuf,  et  lui-même  leur  donnait  cent  coups  de  canne 
par  tout  le  corps ,  et  même  sur  le  visage  ;  de  sorte 
qu'elles  n'avaient  plus  de  figure  humaine.  Il  les  fit 
rouer  de  tant  de  coups,  qu'elles  ne  pouvaient  ni  mettre 
un  pied  l'un  devant  l'autre,  ni  porter  leurs  mains  à  leur 
bouche,  ni  remuer  les  bras.  Outre  cela,  il  les  faisait 
plonger  plusieurs  fois  par  jour  dans  un  bourbier  pro- 
fond, détrempé  par  une  eau  puante,  et  il  ne  les  tirait 
de  là  que  quand  elles  avaient  perdu  la  connaissance  et 
le  sentiment.  Elles  ont  enfin  succombé  sous  ces  tour- 
ments qui  n'ont  point  d'exemple  dans  l'histoire  de  la 
barbarie  dupaganisme.  Après  quoi  on  les  a  transportées 
dans  un  couvent,  où  elles  sont,  n'ayant  ni  forme  ni 
figure,  couvertes  de  plaies  depuis  la  tête  jusqu'aux 
pieds.  Mademoiselle  de  La  Farelle,  de  Nîmes,  est  entre 
les  mains  de  ce  bourreau,  avec  plusieurs  autres  demoi- 
selles. Et  le  parlement  de  Grenoble,  depuis  peu,  lui  a 
encore  envoyé  vingt-cinq  personnes,  tant  hommes  que 
femmes,  pour  être  converties  par  les  même  voies  (2). . .  » 
11  en  est  des  grands  événements  de  l'histoire  comme 
de  ces  édifices  élevés  qu'on  ne  doit  pas  regarder  de  trop 
près,  et  dont  il  faut  s'éloigner  pour  rencontrer  leur  vé- 


(1)  Fille  d'an  ministre  protestant,  martyr  de  sa  foi. 

(2)  Bulletin  du  protestantisme  français,  1802,  p.  386. 


90  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

niable  point  de  vue.  Les  contemporains  ne  comprirent 
pas  la  portée  morale  et  politique  de  l'attentat  du  22  oc- 
tobre 1685,  et  tandis  que  dans  son  oraison  funèbre  de 
Le'Tellier,  Bossuet  se  plaît  à  ne  voir  là  «  que  des  trou- 
peaux égarés  revenant  en  foule,  de  faux  pasteurs  les 
abandonnant  sans  même  en  attendre  l'ordre,  »  Arnauld 
lui-même,  le  grand  Arnauld,  écrit  à  l'un  de  ses  amis 
(13  déc.  1685)  :  «  Je  pense  qu'on  n'a  point  mal  fait  de 
ne  point  faire  à  Rome  de  réjouissances  publiques  pouri 
la  révocation  de  l'édit  de  Nantes;  car,  comme  on  y  a 
employé  des  voies  un  peu  violentes,  quoique  je  ne  les 
croiepas  injustes,  il  est  mieux  de  n'en  pas  triompher  (1) .» 

Une  pareille  indulgence  au  sujet  d'un  acte  que 
l'on  ne  saurait  flétrir  en  termes  assez  énergiques, 
semble  prouver  que,  grâce  aux  mensonges  intéressés  des 
auteurs  et  des  acteurs  des  persécutions,  ainsi  qu'à  l'ab- 
sence de  toute  espèce  de  moyens  de  publicité,  les  détails 
ne  furent  pas  connus  tout  d'abord.  Mais  qu'est-ce  que 
la  nuit  de  la  Saint-Barthélémy,  contre  des  sujets  armés 
et  révoltés,  en  somme,  auprès  de  cette  effroyable 
persécution  de  vingt-cinq  années  contre  les  meilleurs  et 
les  plus  inoffensifs  des  sujets  du  roi-soleil,  auprès  de  ces 
massacres,  de  ces  bûchers  que  tout  à  l'heure,  à  l'insti- 
gation de  Bâville,  nous  allons  voir  en  permanence  dans 
toutes  les  villes  du  Midi? 

Les  parlements  applaudirent,  comme  le  clergé,  à  l'at- 


(1)  Arnauld  se  trompe.  Le  pape  voyait  alors  un  ennemi  dans  le  fils 
aîné  de  l'Église.  De  là  vient  son  hésitation  à  louer  plus  vite  l'acte 
révocatoire.  Mais  au  commencement  de  l'année  suivante  (mars  16S6), 
il  l'approuva  hautement  et  fit  chanter  un  Te  Deum  d'actions  de  grâces 
à  cet  effet.  Il  répondit  à  un  cardinal,  qui  déplorait  l'excès  des  rigueurs 
auxquelles  on  avait  eu  recours,  que,  «  quand  le  roi  aurait  été 
obligé  d'employer  la  force,  il  aurait  bien  fait  de  s'en  servir.  »  M.  de 
Noailles,  Histoire  de  Madame  de  Maintenon,  t.  II,  p.  447-452. 


HISTOIRE   DES    CAMISARDS  91 

tentât  de  Louis,  et  beaucoup  imitèrent  celui  de  Provence, 
qui  fit  allumer  des  feux  de  joie  et  qui  multiplia  les  déco- 
rations allégoriques  pour  célébrer  la  révocation  de 
l'édit  (1). 

L'ami  de  Henri  IV,  l'homme  qui  était,  au  commence- 
ment du  siècle,  le  chef  du  parti  huguenot,  Duplessis- 
Mornay,  avait  fondé  à  Saumur,  dont  il  était  le  gouver- 
neur, une  académie  protestante  qui,  en  1680,  comptait 
parmi  ses  professeurs  les  Amyrault,  les  Duncan,  les 
Tanneguy-Lefèvre,  le  père  de  madame  Dacier,  c'est-à- 
dire  les  hommes  les  plus  érudits  de  l'Europe,  qui  en- 
voyait des  élèves  en  grand  nombre  étudier  dans  la  se- 
conde ville  de  l'Anjou,  brillant  foyer  de  lumières  qui 
rayonnait  alors  sur  tous  les  pays  protestants.  En  janvier 
1685,  Louis  fit  démolir  le  temple  et  fermer  l'académie, 
et  Saumur  perdit  les  deux  tiers  des  ses  habitants  (2). 

Pour  faire  passer  au  catholicisme  le  lustre  dont  avait 
si  longtemps  brillé  le  protestantisme,  il  permit  de  créer 
dans  la  même  année  une  académie  à  Angers,  honnête 
fille  qui  ne  fit  jamais  parler  d'elle,  au  dire  de  Voltaire, 
et  qui  a  disparu  sans  bruit,  trouvant  moyen  de  mourir 
sans  avoir  vécu.  En  1686,  les  académiciens  de  l'endroit 
mirent  cette  question  au  concours  :  Le  triomphe  du  roi 
sur  l'hérésie, 

Il  existe  dans  la  province  un  édifice  qui  semble  avoir 
été  destiné  à  en  éterniser  le  souvenir.  AbelServien,  sur- 
intendant des  finances,  seigneur  de  Sablé,  en  Anjou,  avait 
fait  commencer  en  1654,  à  Saumur,  l'élégante  église  de 
Notre-Dame-des-Ardillers,  que  madame  de  Montespan 
fit  terminer  en  1695.  Dans  la  frise  de  l'entablement  qui 


(1)  Cabasse,  Histoire  du  parlement  de  Provence,  t.  III,  p.  72. 

(2)  J.-R.-F.  Bodin,  Recherches  historiques  sur  l'Anjou,  t.  II.  p.  3S8. 


f)2  I1IST0IRE    DKS    CAMISARDS 

est  au-dessous  des  huit  grands  vitraux  qui  éclairent  le 
dôme,  on  lit  cette  inscription  en  grandes  lettres  de 
bronze  doré  : 

P.  0.  P.  M.  D.  C.  X.  G.  V.  Deiparœ  virgini. 
Ludovicus  XIV  Dei  gratia  Franc,  et  Navar. 
Rex  toto  regno  hœresim  destruxit,ejusque  fautores 
Terra  marique  profligavit  (1). 

«  Louis  XIV,  par  la  grâce  de  Dieu  roi  de  France  et  de 
Navarre,  a  chassé  l'hérésie  de  tout  son  royaume,  et  en  a 
poursuivi  les  fauteurs  parterre  et  par  mer.  » 

La  correspondance  de  Foucauld  avec  son  père  montre 
assez  quel  était  l'esprit  de  servilisme  du  temps,  combien 
chacun  cherchait  à  déguiser  la  vérité,  combien  le  roi  et 
ses  ministres  voulaient  être  trompés,  redoutaient  la  lu- 
mière. L'intendant  de  Poitiers  adresse,  en  décembre 
1687,  un  mémoire  à  son  père  pour  qu'il  le  communique 
à  l'archevêque  de  Paris,  de  Harlay.  Après  avoir  constaté 
le  succès  des  mesures  ordonnées  pour  la  conversion 
des  protestants,  il  indique  de  nouvelles  rigueurs  à  em- 
ployer pour  consolider  le  résultat  obtenu  :  «...  La  cour, 
dit-il,  permettait  de  se  servir  de  toutes  les  voies,  non 
pas  de  force  et  de  violence,  mais  de  contrainte  un  peu 
plus  que  morale,  pour  les  obliger  à  faire  profession  de 
la  religion  qu'ils  ont  embrassée...  Il  aurait  été  à  sou- 
haiter qu'il  eût  plu  à  Dieu  de  se  servir  de  la  voix  des 
curés  et  des  missionnaires  pour  rappeler  les  religion- 


(1)  Par  une  coïncidence  assez  étrange,  et  qui  semble  une  pro- 
phétie, Servien  décora  l'une  des  chapelles  d'un  magnifique  tableau 
de  Philippe  de  Champaigne,  qui  représente  Siméon  à  l'entrée  du 
temple  de  Jérusalem,  prononçant  ces  mêmes  paroles  que  répéta  Le 
Tellier  en  signant  le  fatal  édit  :  Nunc  dimittis  servum  tuum,  Dû' 
mine... 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  93 

naires  à  l'Église  romaine,  et  que  l'on  n'eût  point  été 
obligé  d'y  employer  l'autorité  temporelle  ;  mais  puisque 
la  Providence  a  voulu  se  servir  du  roi  pour  consommer 
un  aussi  grand  ouvrage,  il  faut  croire  qu'elle  lui  en  a 
réservé  la  consommation.  » 

Malgré  la  modération  excessive  des  expressions,  il 
pouvait  se  faire  que  l'on  aperçût  dans  ces  phrases  l'ap- 
parence d'un  blâme  à  l'adresse  des  auteurs  de  tant  de 
massacres.  En  homme  prudent  et  qui  a  l'expérience  du 
monde  des  cours,  le  père  de  Foucauld  lui  renvoie  sa 
lettre  avec  les  judicieuses  observations  que  voici  :  «  Les 
ministres  et  tout  ce  qui  les  approche  ne  cherchent  qu'à 
faire  leur  cour  aux  dépens  de  qui  que  ce  soit,  et  sacri- 
fient sans  scrupule  tout  ce  qui  peut,  par  sa  ruine,  leur 
attirer  quelque  mérite.  En  un  mot,  c'est  faire  le  procès 
au  ministère  que  de  le  rendre  suspect  de  flatter  le  prince 
et  de  lui  faire  entendre  les  choses  autrement  qu'elles 
ne  sont.  On  ne  pardonne  point  de  telles  offenses,  et  la 
seule  défiance  en  est  mortelle.  Monsieur  notre  archevê- 
que parle  trop  pour  faire  de  lui  un  confident...  Ne  vous 
avaucez  de  rien,  et  vous  ne  serez  garant  de  rien,  mais 
exécutez  promptement  et  ponctuellement.  Réservez-leur 
l'honneur  de  toutes  choses,  ils  en  sont  passionnément 
jaloux.  » 

Lancé  dans  cette  voie  de  persécution  qui  renouvelait 
contre  des  chrétiens  dissidents  tous  les  supplices,  — 
l'amphithéâtre  excepté,  qui,  par  bonheur,  n'était  plus 
dans  les  mœurs,  —  que  les  Césars  païens  déployèrent 
contre  les  premiers  sectateurs  d'une  religion  nouvelle  et 
jalouse,  le  grand  roi  se  voyait  donc  dans  l'impossibilité 
de  s'arrêter  :  c'eût  été  avouer  qu'il  avait  pu  se  tromper. 
Aussi,  plus  que  jamais,  la  force  remplace  la  persuasion, 
le  soldat  fait  la  besogne  du  missionnaire.  Toutes  les  fois 


94  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

que  la  guerre  se  ralentit,  que  la.  paix  est  signée  avec 
l'étranger,  qu'il  y  a  quelque  part  des  troupes  à  occuper, 
il  les  lance  sur  les  calvinistes,  et  leurs  fureurs  redou- 
blent d'implacabilité.  Il  veut  que  l'on  fasse  éprouver  les 
dernières  rigueurs  aux  nouveaux  convertis  assez  indis- 
crets pour  ne  pas  pratiquer  ouvertement  les  cérémonies 
extérieures  du  culte,  il  ordonne  d'appliquer  la  sévérité 
de  l'ordonnance  du  29  avril  à  tous  ceux  «  à  qui  les  acci- 
dents de  la  maladie  n'avaient  pas  laissé  leur  bon  sens, 
ou  aux  morts  subitement.  »  Tout  doit  être  majestueux 
et  compassé,  sous  ce  majestueux  monarque  ;  et,  mourir 
en  enfance,  ou  trop  prestement,  devient  une  légèreté 
punissable.  Enfin,  une  déclaration  du  12  octobre  1687 
convertit  en  peine  de  mort  celle  des  galères  portée 
contre  quiconque  favorise  la  fuite  des  protestants  à  l'é- 
tranger (1).  Les  fugitifs  eux-mêmes  ne  sont  punis  que  des 
galères.  Le  complice  est  plus  durement  frappé  que  le 
principal  coupable.  Nous  l'avons  dit,  c'est  la  loi  en  dé- 
mence. Et  alors,  qu'importe  une  absurdité  de  plus! 

On  ne  se  préoccupait  ni  de  justice,  ni  d'humanité,  on 
ne  songeait  qu'au  bon  plaisir  du  roi,  à  ce  qui  lui  était 
avantageux,  ou  même  agréable  ;  seulement,  on  ne  sa- 
vait que  faire  pour  atteindre  ce  but.  On  défaisait  au- 
jourd'hui ce  que  l'on  avait  fait  hier.  Les  malheureux 
protestants  ne  savaient  plus  s'il  fallait  marcher  vers  la 
terre  d'exil  ou  rester  dans  leur  patrie,  et  les  agents  de 
Louvois  flottaient  indécis  entre  ces  mesures  souvent 
contradictoires  et  toujours  arbitraires. 

C'est  ainsi  qu*à  la  date  du  16  décembre  1685,  Louvois 
donneàBpufflers  les  instructions  suivantes  :  «  Lavande 
quantité  de  nouveaux  convertis  qui  sont  sortis  de  Metz 

(1)  lsambert,  t.  XX,  p.  52. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  95 

ne  peut  qu'être  avantageuse  au  service  du  roi  ;  et,  sans 
Leur  permettre  de  s'en  aller,  ni  faire  de  vexations  pour 
(les  y  obliger,  vous  pouvez  compter  que  le  service  du  roi 
requiert  qu'il  n'y  en  reste  pas  un' grand  nombre.  » 

Nous  ne  croyons  pas  que  jamais  ministre  ait  tenu  un 
langage  aussi  profondément,  inepte,  anssi  complètement 
dépourvu  du  sens  politique  le  plus  élémentaire. 

«  Le  moyen  de  faire  que  peu  de  gens  s'en  aillent,  écri- 
vait-il aux  intendants  (8  décembre  1686),  c'est  de  leur 
donner  la  liberté  de  le  faire,  sans  néanmoins  la  leur  té- 
moigner. » 

A  d'autres  au  contraire  il  donnait  des  ordres  tout  diffé- 
rents (31  décembre  1686)  :  «  Il  n'y  a  point  d'inconvénient 
de  dissimuler  les  vols  que  font  les  paysans  aux  gens  de 
la  R.  P.  R.  qu'ils  trouvent  désertant,  afin  de  rendre  leur 
passage  plus  difficile  ;  et  même  Sa  Majesté  désire  que 
l'on  leur  promette,  outre  les  dépouilles  des  gens  qu'ils 
arrêteront,  trois  pistoles  pour  chacun  de  ceux  qu'ils 
amèneront  à  la  prochaine  place...  » —  «  Sa  Majesté 
désire  que  vous  fassiez  en  sorte  que  les  paysans  des  Ar- 
dennes  courent  sus  et  même  fassent  main-basse  sur 
ceux  des  religionnaires  qui  auront  l'insolence  de  se  dé- 
fendre, leur  faisant  entendre  qu'on  leur  donnera  tout  le 
butin  qu'ils  feront,  pourvu  qu'ils  les  ramènent  dans  les 
prisons  des  places  du  roi  les  plus  voisines  (30  jan- 
vier 1686)...  » 

Il  fallait  que  le  grand  roi  eût  fait  de  la  patrie  un  enfer, 
pour  qu'en  touchant  la  terre  d'exil  ces  malheureux  pous- 
sassent des  cris  de  joie  comme  celui  qui  s'échappe  de 
la  poitrine  de  Jean  Migault  : 

«  Le  lendemain,  qui  était  un  dimanche,  tous  les  voya- 
geurs assistèrent  au  service  divin,  dans  une  église  fran- 
çaise de  Rotterdam.  Tous  étaient  impatients  d'épancher 


96  HISTOIRE   DES    CAMISARDS 

leur  cœur  devant  Dieu  ;  ils  allaient  habiter  enfin  une 
terre  libre  et  chrétienne  !  Gomment  n'auraient-ils  pas 
senti  tout  le  prix  d'un  tel  bonheur!  J'aime  à  croire  qu'il 
n'y  en  avait  pas  un  seul  dont  le  cœur  ne  fût  plein  de 
reconnaissance  et  d'amour  (1).  » 

On  rencontrait  dans  le  Poitou  certains  cantons  privi- 
légiés dans  lesquels  la  bonne  harmonie  avait  toujours 
existé  entre  calvinistes  et  catholiques.  Ces  derniers  ne 
s'opposaient  point  aux  assemblées  secrètes  des  nouveaux 
convertis,  ne  les  dénonçaient  point  à  l'autorité,  refu- 
saient même  de  fournir  des  témoignages  contre  ces 
réunions,  innocentes  à  leurs  yeux.  Louvois,  sur  la  de- 
mande de  Foucauld,  traita  en  coupables  ces  complices, 
envoya  dans  ces  cantons  des  régiments  de  cavalerie, 
«  accabla  de  troupes  les  lieux  dont  ces  habitants  avaient 
assisté  aux  assemblées,  et  lui  expédia  un  arrêt  pour  leur 
faire  leur  procès  (9  février  1687).-»  L'intendant  du  Poitou 
avait  cru  faire  un  exemple  suffisant,  et  se  montrer  assez 
rigoureux  en  condamnant  un  ministre  et  trois  hugue- 
nots, le  premier  à  être  pendu,  les  trois  autres  aux  galères 
perpétuelles.  Louvois  lui  écrivit  de  les  faire  pendre  tous 
les  quatre. 

Foucauld  attribuait  l'entêtement  des  nouveaux  con- 
vertis aux  lettres  pastorales  qu'ils  recevaient  de  leurs 
ministres,  réfugiés  à  l'étranger,  et  il  proposait  de  faire 
arrêter  aux  frontières  les  lettres  adressées  aux  pro- 
testants. Mais  Louvois  qui  avait  pour  lui  le  revenu  des 
postes,  comme  la  Montespan  s'était  fait  attribuer  celui 
des  tabacs,  et  qui  retirait  deux  millions  de  rente  des 
seules  postes  étrangères,  Louvois  feignit  cette  fois,  pour 
le  dépôt  des  lettres,  un  respect  qui  n'était  guère  dans 

(1)  Jean  Migault,  Journal,  p.  171. 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  97 

les  habitudes  de  la  cour.  «  Il  était  donc  beaucoup  plus 
sacré  pour  lui  que  celui  de  la  religion  !  »  dit  Foucauld 
avec  un  regret  amer  (p.  342). 

Rien  ne  l'était  cependant  pour  les  exécuteurs  des  or- 
dres sanguinaires  du  ministre  ;  on  ne  respectait  pas 
môme  la  douleur  des  veuves.  Celle  d'un  pasteur  de  Châ- 
tellerault  s'était  cachée,  sachant  qu'on  allait  venir  l'ar- 
rêter pour  l'enfermer  dans  un  couvent.  A  l'approche  des 
soldats,  elle  perd  la  tête,  va  se  précipiter  dans  un  puits, 
d'où  on  la  retire  avant  sa  complète  asphyxie,  puis  on 
la  conduit  aux  Filles-Repenties  de  Poitiôrs,  c'est-à-dire 
parmi  les  rebuts  du  lupanar  (Foucauld,  p.  3i9).  A  la  fin 
de  cette  année,  sauf  quelques  septuagénaires,  toutes  les 
femmes  religionnaires  du  Poitou  avaient  été  expédiées 
dans  des  couvents  éloignés. 

Lorsque  Fénelon  arriva  dans  cette  province  pour  y 
prêcher,  il  n'y  trouva  que  le  désert,  «  et  sa  voix  évan- 
gélique  exprima  douloureusement  les  tristes  effets  des 
premières  mesures  (1).  » 

Il  est  impossible  d'évaluer  les  pertes  que  fit  la  France 
aune  époque  où  les  sciences  de  l'économie  politique  et 
de  la  statistique  n'existaient  pas.  L'Angleterre,  la  Suisse, 
la  Hollande,  la  Prusse,  l'Allemagne  tout  entière,  l'Amé- 
rique même,  le  Canada,  recueillirent  cinquante  mille 
familles  françaises,  prises  toutes  parmi  les  plus  riches, 
nobles,  marchands,  industriels,  qui,  indépendamment  de 
la  portion  de  leur  fortune  qu'ils  parvinrent  à  réaliser, 
eur  portèrent,  trésor  bien  plus  inappréciable,  le  secret 
de  nos  arts,  de  notre  supériorité  industrielle.  L'œuvre 
de  Colbert,  si  laborieusement  élevée,  s'écroula  sous  cette 
longue  persécution  qui  ne  cessa  plus  qu'avec  la  monar- 

(1)  Joseph  Guérillière,  Histoire  générale  du  Poitou,  t.  II,  p.  400. 

6 


98  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

chie  elle-même.  Déjà  en  1688,  au  dire  de  Vauban,  neuf 
mille  matelots,  les  meilleurs  du  royaume  (1),  six  cents 
officiers,  et  douze  mille  soldats  avaient  déserté  la  France 
pour  aller  peupler  les  flottes  et  les  armées  des  ennemis. 
Un  faubourg  tout  entier  de  Londres  se  peupla  de  nos 
ouvriers  en  cristaux  et  en  acier,  de  nos  habiles  tisseurs 
en  soie  de  Lyon,  ainsi  que  de  Tours.  Cette  dernière  ville 
disputait  alors  à  la  capitale  des  Lyonnais  le  sceptre  de 
l'industrie  de  la  soie.  Plus  de  trois  mille  familles  furent 
contraintes  d'émigrer,  et  de  quatre-vingt  mille  âmes,  la 
population,  d'sfprès  le  témoignage  de  l'intendant  Hue  de 
Miromesnil,  y  tombe  à  trente-trois  mille  :  les  métiers, 
de  huit  mille,  descendirent  à  douze  cents;  les  ouvriers 
de  quarante  mille  à  quatre  mille.  La  consommation, 
qui  avait  été  de  quatre-vingt-dix  bœufs  par  semaine, 
fléchit  à  vingt-six,  le  reste  à  proportion  (2). 

«  Les  Français,  dit  Voltaire  qui  cette  fois  pourtant 
n'admire  pas,  furent  dispersés  plus  loin  que  les  Juifs.  » 
Quelques-uns  en  effet  s'enfuirent  jusqu'aux  extrémités 
de  l'inhospitalière  Afrique,  où  un  neveu  de  Duquesne 
fonda  une  colonie  vers  le  cap  de  Bonne-Espérance. 

Mais  si  la  France  se  dépeuplait  de  l'élite  de  sa  popula- 
tion au  profit  de  l'Europe  et  de  l'univers  entier,  en 
revanche  les  galères  du  roi  se  peuplaient  de  nobles,  de 
bourgeois,  de  marchands,  d'avocats,  de  médecins,  de 
ministres,  de  protestants  de  tous  états,  et  lorsque  l'on. 
songe  à  ce  qu'était  cette  société  du  dix-septième  siècle 
qui  les  rejetait  de  son  sein,  on  est  tenté  de  répéter  cette 
phrase  de  madame  de  Sévigné,  quand  elle  voyait,  lors 

(1)  «  Nos  matelots  n'étaient  pas  en  grand  nombre;  la  religion  en 
avait  fait  évader  une  infinité,  et  des  meilleurs...  »  Madame  de  La- 
fayette,  Mémoires,  p.  212. 

(2)  Chalmel,  Histoire  de  Touraine,  1. 1,  p.  31  ;  t.  II,  p.  480. 


HISTOIRE    DES    CAMISARBS  99 

des  révoltes  de  1675,  enlever  autour  d'elle,  «  par  cen- 
taines »,  ses  chers  Bretons  que  l'on  envoyait  ramer  à 
Toulon  ou  ailleurs  :  «  Ceux  qui  sont  demeurés  ici  sont 
plus  malheureux  que  ceux-là  ;  vos  galériens  me  semblent 
une  société  d'honnêtes  gens  qui  se  sont  retirés  du 
monde  pour  mener  une  vie  douce.  » 

Pas  si  douce,  cependant,  que  la  spirituelle  marquise 
veut  bien  le  dire,  et  c'est  encore  une  bien  sinistre  his- 
toire à  ajouter  à  toutes  les  autres,  que  celle  des  galères 
du  grand  roi.  Colbert  voulut  que  la  marine  comptât  tou- 
jours cent  galères.  Chacune  avait  de  vingt-cinq  à  trente 
bancs,  avec  cinq  ou  six  rameurs  sur  chaque  banc.  Il 
fallait  donc  un  personnel  toujours  complet  de  quinze  à 
dix-huit  mille  galériens,  et  pour  se  les  procurer,  ainsi 
que  pour  les  garder  quand  on  les  tenait,  on  faisait  des 
choses  qui  méritaient  que  l'on  y  envoyât  intendants  et 
magistrats.  L'intendant  des  galères  de  Marseille,  Arnoul, 
qui  appelait  le  peuple  «  la  bête  à  cent  têtes  »,  avouait 
que  «  la  grande  passion  qu'il  avait  pour  ce  corps  »  lui  fai- 
sait donner  une  extension  extrême  à  l'arrêt  contre  les 
bohèmes  et  les  vagabonds.  Une  fois,  il  avait  fait  arrêter 
par  un  garde,  il  s'en  vante  à  Colbert  comme  d'un  acte 
de  zèle  (9  janvier  1668),  cinq  individus  qu'il  avait  fait 
condamner  à  la  rame,  par  cette  seule  raison  que  «  les 
habitants  lui  avaient  dit  que  ces  gens-là  ne  faisaient  que 
rôdera  l'entour  du  village  cherchant  peut  être,  je  rien 
sais  rien,  à  dérober.  » 

On  se  passionnait  volontiers,  paraît-il,  pour  les  ga- 
lères, et  le  duc  de  Beaufort  partageait  les  sentiments 
d'Arnoul  et  de  madame  de  Sévigné  pour  cette  insti- 
tution :  «  J'ai  donné  deux  grands  Turcs  dont  le  vice-roi 
m'avait  l'ait  présent,  écrivait-il  à  Colbert  (18  octobre 
1563),  et  s'il  m'était  permis,  j'y  mettrais  jusqu'à  mes 


100  HISTOIRE    LES    CAMISARDS 

valets.  »  Aussi,  quand  on  y  était,  ne  pouvait-on  plus 
s'en  arracher.  Vous  aviez  été  condamné  à  dix  années  de 
galères  :  si  l'on  était  bien  content  de  vous,  on  vous  y 
gardait  pendant  vingt  ans,  pendant  trente  ans,  on  vous 
y  gardait  toujours.  Toutefois,  Arnoul  conseillait  d'en 
relâcher  de  loin  en  loin  quelques-uns  de  ceux  qui  avaient 
fait  leur  temps  «Et,  ajoute-t-il,  quand  bien  môme  il 
leur  resterait  quelque  petite  vigueur,  il  est  très-impor- 
tant d'en  laisser  sortir  quelques-uns  qui  aient  fait  leur 
temps,  et  qui  ne  paraissent  sortir  que  sous  ce  prétexte, 
pour  guérir  la  fantaisie  blessée  de  ceux  qui  ont  passé  le 
temps  de  leur  condamnation,  que  le  désespoir  saisit,  et 
qui  commettent  sur  eux-mêmes  des  excès  pour  recou- 
vrer leur  liberté.  » 

Colbert  n'eut  pas  égard  à  cette  demande  si  légitime  ( 
car,  à  sept  années  delà,  l'évoque  de  Marseille  lui  mande, 
en  date  du  31  janvier  1673,  sans  récriminer,  mais  seule- 
ment pour  constater  un  fait  usuel  et  normal,  qu'il  y  a 
des  forçats  qui  ont  doublé  et  triplé  le  temps  de  leur  con- 
damnation et  qui  attendent  encore,  ou  plutôt  qui  n'at- 
tendent plus  leur  élargissement  (I).  Comme  Arnoul,  et 
sans  protester  contre  une  iniquité  indigne,  il  se  contente 
d'exprimer  le  vœu  que  le  roi  fasse  chaque  année  quelques 
grâces  pour  donner  courage  et  espoir  à  ceux  que  l'on 
détient  ainsi.  Sous  la  monarchie  du  droit  divin,  la  justice 
s'appelait  une  grâce.  Mais  on  n'obtenait  ni  grâce  ni 
justice,  ainsi  que  le  prouvent  ces  lignes  de  Dangeau, 
écrites  le  25  novembre  1697  : 

«  Le  roi  a  résolu  d'ôter  de  dessus  ses  galères  beaucoup 
de  ceux  qui  ont  fait  leur  temps,  quoique  la  coutume  fût 
établie  depuis  longtemps  d'y  laisser  également  ceux  qui 

(l)  Depping,  Correspondance  administrative,  t.  11,  passim. 


HISTOIRE    DES    CAMISÂRDS  101 

yétaiont  condamnés  pour  toute  la  vie  et  ceux  qui  y  étaient 
condamnés  pour  un  certain  nombre  d'années.  On  en 
tirera  aussi  tous  les  invalides,  et  on  a  résolu  d'envoyer 
tous  ces  misérables-là  dans  nos  îles  d'Amérique  poul- 
ies peupler  (IV  » 

Il  faut  dire  que,  par  une  compensation  étrange  et  qui 
ajoute  une  dernière  touche  au  tableau,  on  relâchait  par- 
fois en  masse  ceiïx  qu'un  autre  devoir  non  moins  impé- 
rieux commandait  de  retenir  sous  les  verrous.  Le  1er  mars 
1707,  un  nouvel  évêque  est  nommé  à  Orléans  et  y  fait 
son  entrée.  Pour  faire  à  peu  de  frais  largesse  au  peuple, 
il  ordonne  d'ouvrir  toutes  les  prisons  et  délivre  du  coup 
850  criminels  incendiaires,  faux-monnayeurs  et  assas- 
sins. 

Arnoul  raconte  qu'il  lâche,  mais  avec  une  grande 
réserve,  ceux  qui,  ayant  fait  leur  temps,  mettent  un 
Turc  à  leur  place;  de  quelques-uns,  des  meilleurs  ou  des 
bandits  de  bonne  maison,  il  exigeait  deux  Turcs,  pour 
éviter  «  le  mauvais  effet  que  cela  pourrait  faire  dan? 
l'esprit  des  parlements,  qui,  n'examinant  pas  toujours 
les  affaires  à  fond,  pourraient  dire  qu'au  lieu  de  con- 
damner aux  galères  ils  n'auraient  qu'à  condamner  à 
l'amende  ou  à  un  Turc,  ce  qui  causerait  de  très -grands 
abus.  » 

Un  de  ces  malheureux  dont  le  temps  était  expiré,  se 
tordait  de  désespoir  d'être  attaché  sur  ce  banc,  tandis 
que  loin  de  lui  sa  femme  et  ses  enfants  mouraient  de 
faim,  peut-être,  privés  de  la  présence  de  celui  dont  le 
travail  les  faisait  vivre.  L'aumônier  général  des  galères, 
touché  de  cette  douleur  immense,  sollicite  de  prendre 
la  place  de  cet  infortuné.  Pour  peu  qu'il  n'y  eut  pas  une 

(1)  LemeiUey,  Nouveaux  Mémoires  de  Daugeau,  p.  111. 


102  HISTOIRE   DES   CAMISAHDS 

place  vide  sur  le  banc  de  la  galère,  il  n'importait  guère 
qu'un  bandit  lut  libre  et  qu'un  juste  fût  enchainé.  Tant 
de  bandits  vivaient  affranchis  dans  les  \  Mes  et  les  cam- 
pagnes du  royaume,  et  tant  d'honnêtes  gens  étaient  au 
bagne,  surtout  depuis  le  grand  attentat  de  1685,  que 
l'échange  ne  tirait  pas  à  conséquence.  Un  accepta  donc; 
le  galérien  s'éloigna,  L'aumônier  général  fut  attaché  dans 
la  chiourme  des  forçats,  et  ses  pieds  restèrent  enflés  pen- 
dant le  reste  de  sa  vie  du  poids  des  fers  qu'il  avait  portés. 

Quand  on  songe  que  Jeanne  d'Arc  est  montée  sur 
l'échafaud  et  que  Vincent  de  Paul  a  traîné  le  boulet  des 
galériens,  tandis  que  Dubois  a  porté  la  pourpre  des  car- 
dinaux et  Louis  XV  celle  des  rois,  on  prend  en  grande 
pitié  les  choses  de  ce  bas  monde,  châtiments  et  récom- 
penses, et  l'on  jette  vers  le  ciel  un  regard  de  suprême 
espérance. 

Donc,  on  faisait  son  service  au  bagne  comme  aujour- 
d'hui à  l'armée,  et,  grâce  à  la  misère  effroyable  de  ces 
temps  maudits,  il  se  trouvait  des  gens,  martyrs  sublimes 
peut-être,  qui,  pour  donner  le  dernier  morceau  de  pain 
à  leurs  familles,  passaient,  le  front  courbé,  sous  la  porte 
de  cet  autre  enfer  au  seuil  duquel  il  fallait  laisser  toute 
espérance. 

On  connaît  l'histoire  du  galérien  Fabre,  le  héros  du 
drame  de  l'honnête  criminel.  En  1732,  un  détachement 
fut  envoyé  pour  dissiper  une  assemblée  de  calvinistes. 
Gomme  toujours,  les  hommes  furent  condamnés  auxga- 
lères  ;  les  femmes  à  la  réclusion  perpétuelle.  Fabre  se 
trouvait  parmi  les  premiers.  Son  fils  se  rendit  sur  le 
passage  de  la  chaîne,  et,  à  prix  d'or,  obtint  du  con- 
ducteur de  remplacer  son  père.  Mais  déjà  les  temps 
étaient  moins  durs.  La  révolution  approchait  ;le  souffle 
de  l'esprit  nouveau  ébranlait  le  vieux  monde  monar- 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  103 

chique  ;  Fabre  fut  relâché  après  six  années  seulement  de 
séjour  sur  les  galères. 

Un  gentilhomme  condamné  pour  assassinat  ou  faux- 
monnayage,  achetait  un  Turc  pour  se  faire  remplacer.. 
Le  Turc  devint  une  marchandise  fort  recherchée.  Les 
chevaliers  de  Malte  ou  les  vaisseaux  des  puissances 
étrangères  en  enlevaient  beaucoup.  On  se  traitait  de 
Turc  à  More  :  lorsqu'on  saisissait  un  brigantin  turc,  on 
envoyait  tout  l'équipage  aux  galères.  Louis  eût  pu  pro- 
poser de  l'échanger  contre  des  chrétiens  esclaves  chez 
les  peuples  barbaresques  qui  ne  restaient  pas  en  retard 
et  faisaient  sur  nos  côtes  des  razzias  pareilles  :  il  n'y 
songea  jamais.  Regnard  fut  enlevé  ainsi  pour  être  vendu 
à  Alger  ;  celui-là,  cependant,  eût  bien  valu  d'être  ra- 
cheté au  prix  d'un  Turc  ou  deux  des  galères  royales.  Et 
combien  d'autres  qui  n'ont  pas,  comme  l'auteur  du 
Légataire  universel,  laissé  leurs  Mémoires. 

Il  y  avait  des  catégories  plus  ou  moins  appréciées,  et 
l'on  faisait  ouvertement  trafic  de  chair  humaine  pour 
le  grand  roi.  On  achetait  des  Russes  captifs  et  esclaves 
chez  les  Turcs  ;  ils  devenaient  forçats  et  esclaves  chez 
le  roi  très-chrétien,  sans  même  rencontrer  l'avantage 
qu'au  dire  d'Arnoul,  ils  trouvaient  chez  les  musul- 
mans, de  n'être  pas  tourmentés  pour  leur  religion.  Le 
Grand-Turc  était  plus  tolérant  que  Louis  XIV  !  (Jue  l'on 
fût  bandit,  voleur,  assassin,  rien  de  mieux  :  mais  dès 
que  l'on  était  chrétien,  il  fallait,  même  au  bagne,  être 
de  la  communion  du  roi.  Quant  aux  Juifs,  l'intendant 
des  galères  en  essaya,  mais  en  fut  mauvais  marchand. 
Par  bonheur,  ce  commerce  de  galériens  se  faisait  avec 
probité  et  garantie  delà  marchandise  livrée.  Aussi  fait-il 
très-bien  observer  à  Colbert  qu'il  les  rendra,  «  en  me 
rendant  mon  argent  et  autres  frais.  » 


104  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Pellot,  intendant  du  Poitou,  annonçait  à  Colbert  ce 
qu'il  avait  à  faire  pourobéir  à  ses  instructions  (4  janv., 
8  av.  16(31)  :  «  J'écrirai  aux  officiers  des  présidiaux  de 
mon  département,  afin  qu'ils  condamnent  le  plus  qu'ils 
pourront  les  criminels  aux  galères...  Si  l'on  donne  la 
peine  des  galères  aux  faux-sauniers  de  la  Touraine,  l'on 
en  aura  beaucoup  par  ce  moyen-là:  vous  pouvez 
prendre  la  peine  d'écrire  à  M.  Legay.  Ce  sont  bons 
hommes  et  vigoureux,  et  fort  propres  à  servir  à  ce  mé- 
tier, et  dont  on  purge  ainsi  le  pays.  J'en  peux  parler 
par  expérience,  en  ayant  tiré  80  ou  100  des  prisons  de 
ce  pays-là,  que  je  fis  conduire  et  embarquer  alors  que 
j'eus  ordre  défaire  des  recrues  (V infanterie  pour  l'armée 
de  Flandre  (1).  Il  y  a  des  gens  de  Périgord  qui  viennent 
en  Limousin,  et  qui  servent  aux  gentilshommes  quand 
ils  en  ont  besoin  pour  faire  des  assemblées  et  lever  la 
gerbe  contre  toute  justice,  et  l'autorité  du  roi  et  ses  dé- 
fenses. Quand  je  saurai  que  ces  gens  gagés  ainsi  et  sans 
aveu  sont  en  campagne,  je  tâcherai  de  mettre  à  leurs 
trousses  quelques  compagnies  de  dragons,  et  les  ayant 
livrés  au  présidial,  d'en  faire  un  beau  coup  de  filet  pour 
la  chaîne...  J'ai  jugé  àBellac,  avec  les  officiers  du  siège 
royal,  les  gens  attroupés  du  marquis  de  la  Ponze.  Il  y 
en  a  cinq  condamnés  aux  galères,  compris  le  capitaine 
La  Treille.  Il  n'a  pas  tenu  à  moi  qu'il  n'y  en  ait  eu  da- 
vantage ;  mais  Ion  nesl  pas  maître  des  juges..  »  Il  insiste 
souvent  pour  que  l'on  enlève  vite  Jes  forçats,  ce  qui  ne 
peut  manquer  d'encourager  les  juges  à  multiplier  les 
condamnations  aux  galères. 

Yers  la  môme  époque,  l'intendant  d'Orléans  fait  valoir 


(1)  Louis  XIV  faisait  souvent  ses  recrues  au  bagne.  Voir  notre 
France  sous  Louis  XIV,  t.  II,  p.  171. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  105 

auprès  de  Colbert  les  services  qu'il  rend  dans  le  môme 
sens  :  «  Cette  lettre,  dit-il,  sera  seulement  pour  vous 
informer  de  ce  que  j'ai  fait  pour  l'exécution  de  la  vo- 
lonté du  roi,  pour  le. regard  des  criminels  que  Sa  Ma- 
jesté désire  être  condamnés  aux  galères,  afin  de  rétablir 
ce  corps  qui  est  nécessaire  à  l'État.  J'ai  fait  entendre 
aux  officiers  du  présidial  et  prévôté  de  cette  ville  l'in- 
tention de  Sa  Majesté...  »  Le  roi,  en  effet,  avait  ordonné 
de  condamner  aux  galères  tous  les  criminels  qui 
avaient  encouru  la  peine  de  mort,  et  comme  la  pénalité 
n'était  fixée  sur  rien,  que  beaucoup  de  peines  étaient 
laissées  à  l'arbitraire  des  juges,  il  leur  était  très-facile 
d'obéir  à  ses  ordres. 

Le  chevalier  de  Goût  écrivait  d'Orange  à  Colbert 
(28juin  1662)  :  «  J'ai  un  bon  forçat  que  j'ai  fait  condamner 
à  ce  Parlement,  que  j'enverrai  à  Toulon  ;  et  si  je  puis 
attrapper  encore  deux  huguenots  qui  ont  fait  les  inso- 
lents à  la  procession  de  la  Fête-Dieu,  je  les  enverrai  de 
compagnie.  » 

L'intendant  de  la  marine  deToulon  se  plaint  (29  août 
■1662)  qu'un  de  ses  forçats  lui  a  été  enlevé  en  route 
«  par  nombre  de  noblesse  asemblée,  qui  était  un  gentil- 
homme nommé  de  Minty,  filleul  de  M.  le  duc  de  Ma- 
zarin...»  Le  corps  de  la  noblesse  fournissait,  en  effet, 
un  assez  bon  contingent  de  forçats,  surtout  en  qualité 
de  faux-monnayeurs  (1),  et  l'on  regardait  comme 
quelque  chose  de  fort  avantageux  quand  les  forçats 
abondaient.  «  C'est  une  bonne  nouvelle  pour  Sa  Majesté, 
écrit  Colbert  (22  janv.  1666),  qu'il  y  ait  trente  bons  forçats 
dans  la  conciergerie  de  Rennes.  »  Louis  eût  pu  recevoir 
bien  plus  souvent  de  ces  heureuses  nouvelles-là,  car,  au 

(l)  Colbert  à  de  Harlay,  3  iléc.  L6G6.  —  Depping,  t.  II. 


106  HISTOIBE    DES    CAMISARDS 

dix-seplième  siècle,  on  pouvait  dire  du  forçat  <:e  que 
l'on  a  dit  de  l'esprit:  il  courait  les  rues,  il  n'y  avait  qu'à 
se  baisser,  et  encore  fort  peu,  pour  en  prendre.  Le  grand 
obstacle  venait  delà  parcimonie  des  fermiers  ou  receveurs 
du  roi,  qui  refusaient  de  fournir  aux  frais  nécessaires  pour 
instruire  les  procès  et  faire  punir  les  criminels  (1).  il  est 
vrai  qu'il  y  avait  aussi  un  peu  de  la  faute  de  la  justice 
elle-même,  qui  coûtait  beaucoup  plus  qu'elle  ne  valait, 
et  était  devenue  tellement  ruineuse,  que  tous  les  crimes 
demeuraient  impunis  (2).  Lesjuges  prenant  plus  que  les 
autres  voleurs,  il  valait  mieux  s'en  tenir  aux  derniers, 
sans  passer  encore  par  les  mains  des  premiers. 

Si  l'avarice  des  fermiers  des  droits  du  roi  était  cause 
que  l'on  poursuivait  seulement  un  petit  nombre  de 
galériens  qui  couraient  la  France,  l'avarice  de  ceux 
qui  conduisaient  les  ebaînes  faisait  que  la  plupart  mou- 
raient de  misère  et  de  faim  dans  le  trajet,  entre  les  di- 
verses conciergeries  du  centre  et  les  ports  où  ils  devaient 
être  employés;  les  plus  robustes  arrivaient  mourants  (3). 
Une  fois  rendus  à  destination,  ils  étaient  vêtus  de  rouge, 
la  barbe,  les  cheveux,  les  sourcils  rasés,  et  comme  on 
coupait  le  nez  et  les  oreilles  à  tous  les  forçats  qui  s'é- 
taient évadés  et  qu'on  avait  repris,  on  juge  si  ce  person- 
nel était  assez  hideux.  Chargés  d'une  chaîne  de  trois 
pieds  de  long  à  la  jambe,  ils  étaient  rivés  pour  toujours 
à  leur  banc,  de  jour,  de  nuit:  ils  y  mangeaient,  ils  y 
dormaient,  ils  y  vivaient;  la  mort  seule  brisait  leurs 
liens. 


(1)  De  Poutac,  procureur  général  au  parlement  de  Bordeaux,  à 
Colbert,  8  février  1661. 

(2)  Note  du  commissaire  du  roi  auprès  des  états  du  Languedoc,. 
Béziers,  7  décembre  1685. 

(3)  Le  marquis  de  Ternes  à  Colbert,  29  nov.  1667. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  107 

A  l'approche  du  combat,  le  garde-chiourme  criait  : 
«  Alerte  !  le  tap  en  bouche  !  »  Le  tap  était  un  bâillon,  un 
morceau  de  liège  d'un  pouce  d'épaisseur  et  trois  pouces 
carrés,  qui  pendait  attaché  au  cou,  dans  lequel  on  les 
faisait  mordre,  et  qu'au  signal  donné  chacun  retenait 
devant  ses  lèvres  par  deux  cordons  liés  fortement  der- 
rière la  tête.  Alors  la  mitraille  pouvait  pleuvoir  sur  les 
galères,  on  pouvait  risquer  l'abordage,  aucun  cri,  aucun 
gémissement  ne  troublait  les  ordres  des  chefs,  ni  l'har- 
monie de  la  manœuvre  ;  les  blessures  arrivaient,  la  mort 
survenait,  le  voisin  n'était  averti  de  celle  de  son  voisin 
que  parce  qu'il  le  voyait  s'affaisser  sur  lui-même.  Les 
cris  des  blessés,  des  mourants  eussent  pu  jeter  le  dé- 
couragement dans  l'âme  de  ces  hommes  que  l'on 
menait  au  combat  sans  les  laisser  combattre,  sans  qu'ils 
pussent  s'enivrer  du  bruit,  du  mouvement,  de  la  lutte, 
de  toutes  ces  choses  qui  font  passer  sur  l'horreur  de  ces 
hideuses  boucheries  humaines  qui  constituent  les  plus 
glorieuses  éphémérides  de  l'histoire. 

L'amiral  Baudin  raconte  qu'en  1846,  étant  alors  préfet 
maritime  à  Toulon,  le  hasard  lui  fit  trouver  des  papiers 
provenant  d'une  ancienne  matricule  du  personnel  des 
galères,  vers  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV  :  «  Vous  avez 
remarqué,  écrit-il,  que  des  jeune  gens  de  dix-huit,  de 
seize,  et  même  de  quinze  ans  figurent  au  nombre  de  ceux 
qui  ont  été  condamnés  à  vie  pour  cause  de  religion.  Je 
me  souviens  d'une  apostille  qui  a  surtout  excité  mon  at- 
tention, c'est  celle  relative  à  un  malheureux  enfant,  con- 
damné, était-il  dit,  par  M.  de  B avilie,  pour  avoir,  étant 
âgé  de  plus  de  douze  ans,  accnmjjar/né  son  père  et  sa  mère 
■au  prêche. 

«  Vous  avez  sans  doute  remarqué  que  toutes  les  con- 
damnations, sans  exception,  prononcées  pour  cause  de  re- 


108  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

ligion,  sont  des  condamnations  à  vie;  tandis  que  la  plu- 
part des  criminels,  même  de  ceux  qui  sont  coupables 
d'homicide,  ne  sont  condamnés  qu'à  un  petit  nombre 
d'années  seulement  (1).  » 

Les  protestants  se  voyaient  maltraités  d'une  façon 
toute  particulière  sur  les  galères  royales.  En  frappant 
les  bandits  et  les  assasins,  on  ne  vengeait  que  le  roi,  dont 
ils  méprisaient  les  lois  ;  en  martyrisant  les  réformés,  on 
vengeait  Dieu  et  Louis  à  la  fois.  A  eux  donc  tous  les  coups 
et  tous  les  mauvais  traitements,  à  eux  les  dures  corvées 
et  les  expéditions  aventureuses.  Lisez  cette  lettre  de  Sei- 
gnelay.  en  date  du  18  avril  1686  ; 

«  Comme  rien  ne  peut  tant  contribuera  rendre  traita- 
bles  les  forçats  qui  sont  encore  huguenots  et  n'ont  pas 
voulu  se  faire  instruire,  que  la  fatigue  qu'ils  auraient 
pendant  une  campagne,  ne  manquez  pas  de  les  mettre 
sur  les  galères  qui  iront  à  Alger  (2).  » 

Il  faut  lire  les  mémoires  de  Jean  Martheille,  si  l'on 
veut  descendre  jusqu'aux  derniers  cercles  de  cet  enfer 
qui  eût  fait  reculer  le  Dante.  Gela  est  écrit  sans  fiel,  avec 
une  résignation  sublime,  et  l'accusation  qui  en  ressort 
n'en  est  que  plus  terrible. 

Il  était  de  Bergerac,  les  dragons  allaient  pénétrer  chez 
lui,  il  se  sauve  avec  un  de  ses  amis,  nommé  Le  Gras;  ils 
traversent  la  France  au  millieu  de  mille  dangers,  arrivent 
jusqu'à  la  frontière  du  Nord,  qu'ils  allaient  franchir  lors- 
qu'ils sont  trahis,  vendus,  livrés,  traduits  devant  le  par- 
lement de  la  province  qui  les  acquitte,  faute  de  preuves. 
Une  chose,  cependant,  déposait  contre  eux:  ils  étaient 
sans  passe-ports.  Le  procureur  général  en  écrit  au  mi- 


(1)  Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  du  protestantisme,  1853,  p.  53. 

(2)  Depping,  Corr.  admin.,  t.  IV,  Introd.,  p.  26. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  109 

nistre  d'État  La  Vrillière,  «  lui  annonçant,  dit  Martheille, 
que  nous  avions  fait  preuve  parfaite  de  notre  innocence 
à  sortir  du  royaume.  »  Quinze  jours  après,  le  président 
le  fait  appeler  pour  lui  remettre  la  réponse  du  ministre, 
ainsi  conçue  :  «  Messieurs  Jean  Martheille,  Daniel  Legras 
s'étant  trouvés  sur  la  frontière  du  Nord  sans  passe-ports, 
Sa  Majesté  prétend  qu'ils  soient  condamnés  aux  galères. 

«  Je  suis,  messieurs,  etc.  Signé  :  Le  marquis  de  la 
Vrillière.  » 

Le  greffier  leur  lut  alors  la  sentence  que  le  Parlement 
venait  de  rédiger  :  «  Avons  lesdits  Jean  Martheille  et 
Daniel  Legras,  dûment  atteints  et  convaincus"  de  faire 
profession  de  la  R.  P.  R.,  et  s'être  mis  en  état  de  sortir 
du  royaume  pour  professer  librement  la  dite  religion  ; 
pour  réparation  de  quoi,  les  condamnons  à  servir  de 
forçats  sur  les  galères  du  roi,  à  perpétuité.  » 

«  La  lecture  de  cette  sentence  finie,  je  dis  au  con- 
seiller : 

—  Comment,  monsieur,  le  Parlement,  un  corps  si  vénéré 
et  si  judicieux,  peut-il  accorder  la  conclusion  de  cette 
sentence  (atteints  et  convaincus),  avec  la  déclaration 
de  nous  absoudre,  comme  il  l'avait  effectivement  fait  ?  — 
Le  Parlement,  nous  dit-il,  vous  a  absous,  mais  la  Cour, 
qui  est  supérieure  au  Parlement,  vous  condamne.  — 
Mais  où  reste  la  justice,  monsieur,  qui  doit  diriger  et 
l'un  et  l'autre  tribunal  ?  —  N'allez  pas  si  avant,  me  répon- 
dit-il, ilne  vous  appartientpas  d'approfondir  ces  choses.  » 

Cet  homme,  cet  innocent,  que  le  bon  plaisir  du  roi 
condamnait  aux  galères  perpétuelles,  avait  seize  ans  ! 
C'était  le  17  décembre  :  «  il  gelait,  comme  on  dit,  à  pierres 
fendre.  »  La  chaîne,  composée  de  quatre  cents  forçats 
environ,  dont  vingt-deux  criminels  au  môme  titre  que 
Martheille,   quitte  Paris  pour   se  rendre   à  Marseille; 

7 


110  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

chacun  d'eux  portait  environ  cent  cinquante  livres  de 
fer.  A  la  fin  de  la  première  journée,  ils  arrivèrent  à  Cha- 
renton,  accompagnés  par  quatre  bourgeois  de  Paris  qui, 
touchés  de  compassion,  avaient  donné  cent  écus  au  ca- 
pitaine afin  qu'il  se  pourvût  d'une  ou  deux  charrettes 
pour  le  cas  où  quelques-uns  des  protestants  n'eussent 
pu  se  traîner  sur  les  routes. 

«  A  neuf  heures  du  soir,  qu'il  faisait  un  grand  clair  de 
lune  et  une  gelée,  par  un  vent  de  bise  qui  tout  glaçait, 
on  décramponna  la  chaîne,  et  on  nous  fit  tous  sortir  de 
l'écurie  dans  une  spacieuse  cour,  close  d'une  muraille 
qui  régnait  devant  cette  hôtellerie.  On  fit  arranger  la 
chaîne  à  un  bout  de  cette  cour,  ensuite  on  nous  ordonna, 
le  nerf  de  bœuf  à  la  main,  qui  tombait  comme  grêle  sur 
les  paresseux,  de  nous  dépouiller  entièrement  de  tous 
nos  habits,  et  de  les  mettre  à  nos  pieds. 

«  Il  fallut  obéir  ;  et  nous,  vingt-deux,  ni  plus  ni  moins 
que  toute  la  chaîne,  nous  subîmes  ce  cruel  traitement. 
Après  que  nous  fûmes  dépouillés,  nus  comme  la  main, 
on  ordonna  à  la  chaîne  de  marcher  de  front  jusques  à 
l'autre  bout  de  la  cour,  où  nous  fûmes  exposés  au  vent 
de  bise  pendant  deux  grosses  heures  ;  pendant  lequel 
temps  les  archers  fouillèrent  et  visitèrent  tous  nos  habits, 
sous  prétexte  d'y  chercher  couteaux,  limes,  et  autres 
instruments  propres  à  couper  les  chaînes.  On  peut  juger 
si  l'argent  qui  se  trouva  échappa  des  mains  de  ces  har- 
pies !  Ils  prirent  tout  ce  qui  les  accommodait,  mou- 
choirs, linge  (s'il  était  un  peu  bon),  tabatières,  ciseaux, 
etc.,  et  gardèrent  tout,  sans  en  avoir  jamais  rien  rendu  ; 
et  lorsque  ces  pauvres  misérables  leur  demandaient  ce 
qu'on  leur  avait  enlevé,  ils  étaient  accablés  de  bourrades 
de  leurs  mousquetons,  et  de  coups  de  bâton. 

«  La  visite  de  nos  hardes  étant  faite,  on  ordonna  à  la 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  111 

chaîne  de  remarcher  de  front  jusqu'à  la  place  où  nous 
avions  quitté  nos  habits.  Mais,  ô  spectacle  cruel!  la  plu- 
part de  ces  malheureux,  de  même  que  nous,  étions  si 
raides  du  grand  froid  que  nous  avions  souffert,  qu'il 
nous  était  impossible  de  marcher,  quelque  petit  espace 
qu'il  y  eut  de  l'endroit  où  nous  étions  jusques  à  nos 
habits.  Ce  fut  alors  que  les  coups  de  bâton  et  de  nerf  de 
bœuf  plurent,  et  ce  traitement  horrible  ne  pouvant  rani- 
mer ces  pauvres  corps,  pour  ainsi  dire  tout  gelés  et 
couchés,  les  uns  raides  morts,  les  autres  mourants,  ces 
barbares  archers  les  traînaient  par  la  chaine  de  leur  cou, 
comme  des  charognes,  leur  corps  ruisselant  de  sang 
des  coups  qu'ils  avaient  repus.  Il  en  mourut,  ce  soir-là  ou 
le  lendemain,  dix-huit... 

«  Par  une  espèce  de  miracle,  il  n'y  eut  aucun  de 
nous  vingt- deux,  qui  y  périt,  ni  pendant  la  route,  où  on 
nous  fit  encore  trois  fois  cette  barbare  visite,  en  pleine 
campagne,  avec  un  froid  aussi  grand  et  même  plus  rude 
qu'il  n'était  à  Charenton...  Ce  qui  nous  aida  le  plus  à 
nous  réchauffer,  et  qui  vraisemblablement,  après  Dieu, 
nous  sauva  le  vie,  ce  fut  le  fumier  des  chevaux  de  cette 
écurie  sur  lequel  nous  étions  assis  ou  à  demi  couchés. 
Pour  moi,  je  me  souviens  que  j'eus  la  facilité  de  m'y 
enterrer  entièrement.  Ceux  qui  purent  le  faire  s'en  trou- 
vèrent bien,  se  réchauffèrent,  et  se  remirent   bientôt... 

«  Le  lendemain,  au  matin,  nous  partîmes  deCharenton. 
On  mit  sur  les  chariots  quelques-uns  de  nous  vingt-deux 
qui  le  requirent,  sans  qu'on  les  maltraitât  le  moins  du 
monde;  mais  les  autres  malheureux,  accablés  de  leurs 
souffrances  du  soir  précédent,  et  quelques-uns  à  l'article 
de  la  mort,  ne  purent  obtenir  cette  faveur  qu'après  avoir 
passé  par  l'épreuve  du  nerf  de  bœuf;  pour  les  mettre 
sur  les  chariots,  ou  les  détachait  de  la  grande  chaîne, 


112  11IST01HE    DES   CAM1SADDS 

et  on  les  traînait  par  celle  qu'ils  avaient  au  cou,  comme 
des  bêtes  mortes,  jusqu'au  chariot,  où  on  les  jetait  comme 
des  chiens,  leurs  jambes  nues  pendantes  hors  du  chariot, 
où  dans  peu  elles  gelaient  et  leur  faisaient  souffrir  des 
tourments  inexprimables  ;  et,  qui  pis  est,  ceux  qui  se 
plaignaient  ou  se  lamentaient  sur  ces  chariots  des  maux 
qu'ils  souffraient,  on  les  achevait  de  tuer  à  grands  coups 
de  bâton. 

«  On  demandera  ici  pourquoi  le  capitaine  delà  chaîne 
n'épargnait  pas  plus  leur  vie,  puisqu'il  recevait  vingt 
écus  par  tête  pour  ceux  qu'il  livrait  vivants  à  Marseille, 
et  rien  pour  ceux  qui  mouraient  en  chemin.  La  raison 
en  est  claire.  C'est  que  le  capitaine  devait  les  faire  voi- 
turer  à  ses  dépens,  et  les  voitures  étant  chères,  il  ne 
trouvait  pas  à  beaucoup  près  son  compte  à  les  faire  char- 
rier. Car,  à  faire  charrier,  par  exemple,  un  homme  jus- 
ques  à  Marseille ,  il  lui  en  aurait  coûté  plus  de  quarante 
écus,  sans  la  nourriture  ;  ce  qui  fait  voir  qu'il  lui  était 
plus  profitable  de  les  tuer  que  de  les  faire  voiturer.  lien 
était  quitte  en  laissant  au  curé  du  premier  village  qui 
se  présentait  le  soin  d'enterrer  ces  corps  morts,  et  en 
prenant  une  attestation  dudit  curé  (1).  >> 

Arrivés  à  Marseille,  ils  se  virent  livrés  aux  féroces 
caprices  du  comité  et  des  deux  sous-comites,  pris  parmi 
les  mousses,  «élevés  dans  la  cruauté  et  à  être  sans  pitié 
(p.  v.  463),  »  et  grandis  dans  le  mépris  et  l'horreur  du 
bétail  humain  que  l'on  abandonnait  sans  contrôle  à  leur 
brutalité  sauvage.  Non  contents  de  les  frapper  sans  cesse r 
ils  leur  infligeaient  une  rude  bastonnade  à  la  moindre 
dénonciation,  à  la  plus  légère  faute. 

«  Voici  comment  se  pratique  cette  barbare  exécution, 


(1)  Jean  Martheille,  Mémoires,  p.  333-337. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  113 

dit  Martheille.  On  fait  dépouiller  tout  nu,  de  la  cein- 
ture en  haut,  le  malheureux  qui  doit  la  recevoir.  On  lui 
fait  mettre  le  ventre  sur  le  coursier  de  la  galère,  ses 
jambes  pendantes  dans  son  banc,  et  ses  bras  dans  le 
banc  à  l'opposite.  On  lui  fait  tenir  les  jambes  par  deux 
forçats,  et  les  deux  bras  par  deux  autres,  et  le  dos  en 
haut  tout  à  découvert  et  sans  chemise  ;  et  le  comité  est 
derrière  lui,  qui  frappe  avec  une  corde  un  robuste  Turc 
pour  l'animer  à  frapper  de  toutes  ses  forces  avec  une 
grosse  corde  sur  le  dos  du  pauvre  patient.  Ce  Turc  est 
aussi  tout  nu  et  sans  chemise,  et  comme  il  sait  qu'il  n'y 
aurait  pas  de  ménagement  pour  lui  s'il  épargnait  le  moins 
du  monde  le  pauvre  misérable  que  l'on  châtie  avec 
tant  de  cruauté,  ilappliqueles  coups  de  toutes  ses  forces, 
de  sorte  que  chaque  coup  de  corde  qu'il  donne 
fait  une  contusion  élevée  d'un  pouce.  Rarement  ceux 
qui  sont  condamnés  à  souffrir  un  pareil  supplice  en 
peuvent-ils  supporter  dix  à  douze  coups  sans  perdre  la 
parole  et  le  mouvement.  Cela  n'empêche  pas  que  l'on 
ne  continue  à  frapper  sur  ce  pauvre  corps,  sans  qu'il 
crie  ni  remue,  jusqu'au  nombre  de  coups  auquel  il  est 
condamné  par  le  major.  Vingt  ou  trente  coups  n'est 
que  pour  les  peccadilles  ;  mais  j'ai  vu  qu'on  en  donnait 
cinquante  ou  quatre-vingts,  et  mômecent;  mais  ceux-là 
n'en  reviennent  guère.  Après  donc  que  ce  pauvre  patient 
a  reçu  les  coups  ordonnés  ,  le  barbier  ou  frater  de  la 
galère  vient  lui  frotter  le  dos  tout  déchiré  avec  du  fort 
vinaigre  et  du  sel,  pour  faire  reprendre  la  sensibilité  à 
ce  pauvre  corps,  et  pour  empêcher  que  la  gangrène  ne 
s'y  mette  (p.  123)...  » 

Aux  tortures  physiques,  il  faut  ajouter,  pour  ces  pas- 
teurs vénérables,  pour  ces  protestants,  l'élite  de  la 
population  du  royaume,  le  supplice  affreux  du  contact 


114  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

de  ces  forçats,  rebut  hideux  d'une  société  déjà  bien 
infâme,  même  dans  ses  plus  hautes  régions,  et  jusque 
sur  le  trône  où  l'on  pouvait  contempler  l'insolent  spec- 
tacle d'un  prince  faisant  promener  devant  ses  armées, 
dans  la  même  voiture  et  à  la  face  de  la  France,  son 
épouse  légitime  et  ses  deux  principales  maîtresses,  dont 
la  plus  nouvelle  était  elle-même  mariée. 

Aux  jours  de  ses  désastres,  quand  les  alliés  vainqueurs 
dictaient  les  conditions  de  paix  que  subissait  la  France 
frémissante,  il  était  une  chose  qu'ils  réclamaient  inces- 
samment, mais  sur  laquelle  le  grand  roi  se  montrait 
inflexible.  Ils  demandaient  la'liberté  des  malheureux  cal- 
vinistes qui  peuplaient  les  galères.  Louis  rendait  les 
provinces,  mais  gardait  fièrement  ses  galériens.  Con- 
vaincu qu'à  l'étranger  ils  vivraient  et  mourraient  dans 
la  religion  que  l'on  avait  enseignée  à  leur  enfance,  il  se 
laissait  aller  à  l'espoir  que,  sous  le  fouet  du  comité,  ils 
embrasseraient  à  la  lin  la  religion  de  Rome,  et  c'était 
pour  lui  une  affaire  de  conscience  de  prolonger  jusqu'à 
la  mort  leur  supplice,  leur  agonie  et  leur  martyre. 

De  temps  en  temps,  aux  grandes  fêtes,  les  aumôniers 
convertissaient  quelques  galériens  catholiques  que  l'on 
disait  huguenots.  On  en  faisait  un  pompeux  rapport  au 
roi,  et,  à  ce  prix,  on  obtenait  de  lui  qu'il  ne  songeât 
jamais  à  relâcher  les  autres  (1). 

Pendant  près  d'un  siècle,  on  continua  de  jeter  aux  ga- 
lères perpétuelles,  sans  jugement  et  pour  toute  la  vie, 
des  Français  coupables  de  protestantisme.  Ce  fut  seule- 
ment le  16  janvier  1763  que,  dans  une  dépêche  au  duc  de 
Choiseul,  M.  de  Saint-Florentin  signala  l'étrangeté 
d'une  situation  pareille,  à  propos  de  trente-sept  protes- 

(1)  Martheille,  p.  345. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  115 

tants  détenus  aux  galères,  et  de  vingt  autres,  prisonniers 
à  Aiguës-Mortes,  pour  avoir  assisté  à  une  assemblée,  et 
qui  furent  relâchés,  grâce  àlïntervention  de  l'Angleterre. 

«  Le  feu  roi,  disait  M.  de  Saint- Florentin,  avait  si  fort 
à  cœur  l'exécution  des  ordonnances  qu'il  avait  données 
sur  le  fait  de  la  religion  que,  par  un  règlement  particu- 
lier concernant  le  détail  des  galères,  et  qui  est  dans  vos 
bureaux,  il  décida  qu  aucun  homme  condamné  pour  cause 
de  religion  ne  pourrait  jamais  sortir  des  galères  (1).  » 

Cette  existence  de  damnés,  à  laquelle  le  pieux  époux  de 
la  veuve  Scarron  condamnait  ceux  de  ses  sujets  hugue- 
nots qu'il  ne  lui  plaisait  pas  de  faire  massacrer  par  ses 
soudards,  ou  pendre,  rouer,  ou  brûler  par  ses  bourreaux  ; 
cette  existence,  disons-nous,  n'était  cependant  pas  sans 
quelques  compensations,  elle  avait  ses  jours  de  joies  et 
de  folles  liesses  :  c'était  quand  quelques  gentilshommes 
désœuvrés, quelques  grandes  dames  ennuyées,  quelques 
maîtresses  influentes  voulaient  se  donner  la  récréation  de 
visiter  les  galères.  Navires  et  personnel,  tout  faisait  toi- 
lette, manœuvrait  de  son  mieux,  excitait  les  applaudisse- 
ments des  spectateurs: 

«  Une  galère  ainsi  parée  de  tous  ses  ornements  offre 
à  la  vue  un  spectacle  qui  frappe  d'admiration  ceux  qui 
n'en  voient  que  l'extérieur.  Mais  ceux  qui  portent  leur 
imagination  sur  la  misère  de  trois  cents  galériens  qui 
composent  la  chiourme,  rongés  de  vermine,  le  dos  la- 
bouré de  coups  de  corde,  maigres  et  basanés  par  la  ri- 
gueur des  éléments  et  le  manque  de  nourriture,  en- 
chaînés nuit  et  jour  et  remis  à  la  direction  de  trois 
cruels  comités  qui  lqs  traitent  plus  mal  que  les  bêtes  les 
plus  viles:  ceux,  dis-je,  qui  font  ces  considérations  dimi- 

(1)  Bulletin  du  Protestantisme  français,  1858,  p.  78. 


H  6  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

nucnt  infiniment  leur  admiration  pour  ce  superbe  exté- 
rieur. 

«  Les  seigneurs  et  dames,  ayant  parcouru  les  galères 
d'un  bout  à  l'autre,  reviennent  à  la  poupe,  s'asseyent  sur 
des  fauteuils;  et  le  comité,  ayant  reçu  l'ordre  du  ca- 
pitaine, commande  l'exercice  à  la  chiourme  au  son  du 
sifflet.  Au  premier  temps,  ou  coup  de  sifflet,  ebacun  ôte 
son  bonnet  de  dessus  sa  tête;  au  second,  sa  casaque; 
au  troisième,  sa  chemise.  On  ne  voit  alors  que  des  corps 
nus...  On  les  fait  coucher  tout  à  coup  sur  leurs  bancs. 
Alors  tous  ces  hommes  se  perdent  à  la  vue.  Après,  on 
leur  fait  lever  le  doigt  indice;  on  ne  voit  que  des  doigts; 
puis  le  bras;  puis  la  tête;  puis  une  jambe;  puis  les  deux 
jambes;  ensuite  tout  droits,  sur  leurs  pieds;  puis  on  leur 
ait  à  tous  ouvrir  la  bouche  ;  puis  tousser  tous  ensemble, 
s'embrasser,  se  jeter  l'un  l'autre  à  bas,  et  encore  diverses 
postures  indécentes  et  ridicules,  et  qui,  au  lieu  de  di- 
vertir les  spectateurs,  font  concevoir  aux  honnêtes  gens 
de  l'horreur  pour  cet  exercice,  où  l'on  traite  des 
hommes,  et  qui  plus  est,  des  chrétiens,  comme  s'ils 
étaient  des  bêtes  brutes.  Ces  sortes  d'exercices  arrivent 
très-fréquemment,  dans  l'hiver  comme  dans  l'été  (1).  » 

On  avait  vu  parfois,  au  temps  des  Césars,  quand,  dans 
l'amphithéâtre,  la  chair  des  martyrs  volait  en  éclats  sous 
les  fouets  des  tortionnaires,  ou  saignait  sous  les  dents 
et  les  griffes  des  tigres  et  des  lions,  de  vieux  païens,  subi- 
tement convertis,  pousser  le  cri  sublime  de  la  Pauline  de 
Corneille  : 

—  «  Je  vois  !  je  sais  !  je  crois  !...  » 

La  férocité  implacable  des  bourreaux  du  grand  roi 
amena  de  pareils  prodiges  : 

(l)  Martheille,  p.  511-513. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  117 

«  En  1700,  tout  retentit  des  gémissements  de  ceux  qui 
languissaient  dans  les  prisons  et  dans  les  fers.  On  voit, 
sur  la  fin  d'avril,  partir  une  chaîne  de  soixante-trois 
galériens,  dont  les  crimes  sont  la  fidélité,  l'attachement 
et  le  zèle  pour  leur  religion,  et  parmi  lesquels  on  re- 
marque plusieurs  pères  de  famille,  plusieurs  tètes  à  che- 
veux gris.  Sur  les  galères,  à  Marseille,  un  réformé 
refuse  de  fléchir  les  genoux  devant  l'hostie,  parce  qu'il 
ne  croit  pas  pouvoir  le  faire  en  concience;  on  l'étend 
sur  le  coursier  ;  le  plus  puissant  Turc  qui  soit  dans  la 
galère,  armé  d'une  corde  goudronnée  et  trempée  dans 
l'eau  de  mer,  frappe  de  toutes  ses  forces  ;  le  corps  rebon- 
dit, retombe  sous  des  coups  terribles  et  redoublés,  et  ne 
fait  plus  qu'une  plaie  sanglante.  Et  quelle  plume  pourrait 
décrire  des  horreurs  capables  d'attendrir  les  forçats? 
Deux  galériens,  romains  de  religion,  qui  n'étaient  pas 
là  pour  des  excès  de  zèle,  changent  à  la  vue  de  cet 
affreux  spectacle.  Ils  vont  le  déclarer  à  l'évêque  de 
Marseille.  On  les  associe  aux  souffrances  de  leurs  nou- 
veaux frères,  et  ils  en  font  leur  joie  et  leur  bonheur  (1).  » 

Les  galères,  telles  que  nous  venons  de  les  décrire, 
parurent  au  grand  roi  une  peine  trop  douce  encore 
pour  de  pareils  criminels,  puisque,  nous  l'avons  vu,  à 
partir  de  juillet  1680,  hommes,  femmes,  enfants,  tous 
ne  furent  plus  passibles  que  d'une  peine  unique  et 
égale,  la  mort  :  la  mort  sur  place,  autant  que  possible, 
ou  la  pendaison  en  masse  pour  les  prisonniers.  On 
tomba  donc  sur  deux  assemblées,  à  peu  de  jours  de 
distance,  à  And  use  et  au  Vigan  ;  on  massacra,  sans 
faire  quartier  à  personne,  tout  ce  que  l'on  put  tuer,  on 


(1)  Court  de  Gébelin,  Histoire  des  troubles  des  Cèvennes,  liv.  I, 
p.  34-35.  —  Louis  Figuier,   Histoire  du  Merveilleux,  t.  II,  p.  261. 


118  niSTOIRE    DES    CAMISARDS 

pendit  haut  et  court  tout  ce  que  l'on  put  saisir,  et  l'on 
attendit. 

Hélas  !  les  infatigables  convertisseurs  comptèrent 
bientôt  une  déception  de  plus,  et  Bâville  fut  contraint 
d'avouer  à  la  cour  la  complète  insuffisance  de  cette 
nouvelle  mesure  (î).  «  Je  viens  d'apprendre  que,  di- 
manche dernier,  27  de  ce  mois,  il  y  a  eu  une  assemblée 
de  près  de  quatre  cents  hommes,  dont  plusieurs  étaient 
armés,  dans  le  diocèse  de  Mende,  au  pied  de  la  mon- 
tagne de  Lozère.  Bien  que  cette  assemblée  se  soit  tenue 
à  près  de  12  lieues  de  l'endroit  où  a  été  la  dernière,  je 
ne  puis  m'empêche'r  d'être  fort  surpris  d'un  pareil  évé- 
nement. Je  croyais  que  le  grand  exemple  que  j'ai  fait 
au  Vigan  et  à  Anduse  mettrait,  au  moins  pour  quelque 
temps,  les  Gévennes  en  tranquillité.  Mais,  puisque  ce 
dernier  n'a  de  rien  servi,  je  ne  crois  pas  que  l'on  puisse 
rien  espérer  de  ce  genre  de  peine  à  l'avenir.  Je  crois 
même  qu'il  sera  à  la  fin  dangereux  de  le  continuer  ;  et 
je  crains  que  tant  de  condamnations  à  mort,  dans  une 
affaire  mêlée  de  religion,  n'irritent  les  esprits  et  n'en- 
durcissent tous  les  mauvais  convertis  par  un  si  méchant 
exemple...  » 

Mais  il  n'était  pas  aisé  de  prendre  Louvois  au  dépourvu. 
Il  songea  à  quelque  chose  de  mieux  que  la  mort,  —  à  la 
transportation  arbitraire,  qui  inspire  moins  d'horreurT 
parce  que  le  sang  ne  coule  pas,  mais  qui,  combinant  la 
captivité  avec  l'exil,  tue  presque  aussi  sûrement,  et  per- 
met de  tuer  à  distance,  au  loin  et  par  grandes  masses. 
Les  révoltés  prétendent  s'être  retirés  au  désert.  Il  les 
prend  au  mot,  et,  si  tuer  les  habitants  ne  suffit  pas,  il 
tuera  le  pays  lui-môme  et  en  fera  un  désert.  Il  confie  ce 

(l)  Bâville  à  Louvois,  29  octobre  1686. 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  119 

nouveau  projet  à  Bâville  :  «  Je  vous  ai  marqué  que  le  roi 
se  résoudra  à  changer  tous  les  peuples  des  Gévennes  ; 
c'est  en  effet  son  intention,  s'il  continue  à  s'y  faire  des 
assemblées,  n'y  ayant  point  de  parti  que  Sa  Majesté  ne 
prenne  pour  mettre  ce  pays-là  sur  le  pied  d'être  soumis 
à  ses  ordres  (1).  » 

Le  duc  de  Noailles  prévoit  bien  quelques  difficultés 
dans  l'exécution  (2)  :  «  J'avoue  que  cela  m'afflige  d'au- 
tant plus  qu'après  les  châtiments  rigoureux  qui  ont  été 
faits  avec  si  peu  de  fruit,  depuis  environ  huit  mois,  au 
sujet  de  ces  assemblées,  on  ne  sait  quasi  plus  quel  parti 
prendre  ponr  ramener  ces  misérables  et  pour  accorder 
les  sentiments  de  la  bonté  et  de  la  clémence  du  roi  pour 
ses  sujets,  avec  les  desseins  que  le  ciel  lui  a  inspirés  pour 
le  bien  de  la  religion  et  ce  qu'il  doit  à  son  autorité.  J'es- 
time que  si  Sa  Majesté  juge  qu'il  n'y  ait  d'autre  remède 
que  celui  de  changer  quelques  peuples  des  Gévennes,  il 
faudra  commencer  par  ceux  qui  ne  font  aucun  com- 
merce, et  qui  habitent  des  montagnes  inaccessibles,  où 
la  rudesse  du  climat  et  la  température  de  l'air  leur  inspi- 
rent un  esprit  sauvage,  tels  que  ceux  de  la  dernière  as- 
semblée; la  perte  de  ces  peuples  étant  d'une  moindre 
conséquence  pour  la  province  que  ceux  qui  contribuent 
au  commerce.  Si  le  roi  prenait  ce  parti- là,  il  faudrait  en- 
voyer ici  au  moins  quatre  bataillons  pour  l'exécution  de 
ses  ordres,  qui  ne  se  fera  pas  sans  de  grandes  difficultés 
et  de  grandes  peines  pendant  l'hiver.  » 

En  effet,  le  grand  ministre  paraît  tenir  compte  de  ces 
sages  objections,  et  il  amende  son  projet  primitif  (3)  : 


(1)  Louvois  à  Bâville,  21  octobre  1686. 

(2)  Noailles  à  Bâville,  29  octobre  1686. 

(3)  Louvois  à  Bâville,  29  novembre  1686. 


120  HISTOIRE    DUS    CAMISARDS 

«  Il  a  paru  extrêmement  difficile  d'ôter  entièrement  les 
peuples  de  plusieurs  villages,  pour  y  en  mettre  d'autres 
en  leur  place,  et  Sa  Majesté  a  cru  qu'il  se  fallait  réduire 
à  choisir,  dans  les  endroits  où  les  communautés,  en  gé- 
néral, sont  moins  bien  converties,  et  où  l'âpreté  du  pays 
les  rend  plus  disposés  à  se  soulever,  ceux  qui  paraîtront 
avoirplusdecrédit,etlespluscapablesde  commencer  des 
séditions,  pour  les  envoyer  incessammentdans  différents 
châteaux  de  la  province,  jusqu'à  ce  que  deux  vaisseaux, 
que  le  roi  va  faire  armer  à  Marseille,  soient  en  état  de  les 
transporter  dans  les  îles  de  l'Amérique  et  du  Canada, 
où  ils  peuvent  être  suivis  par  leurs  femmes,  si  elles  le  dé- 
sirent. Sa  Majesté  s'attend  que  cet  exemple,  fait  sur 
cent  ou  cent  cinquante  habitants  des  Cévennes,  purgera 
le  pays  des  plus  dangereux,  et  imprimera  une  telle 
terreur  aux  autres  qu'ils  se  contiendront  mieux  qu'ils 
n'ont  fait  par  le  passé.  » 

Le  marquis  de  La  Trousse  s'emploie  activement  avec 
Bàville  à  ce  travail  d'épuration.  Au  premier  moment,  le  ré- 
sultat semble  dépasser  leurs  espérances.  Après  un  pre- 
mier coup  de  filet  jeté  à  Nîmes,  où  l'on  arrête  une 
cinquantaine  de  personnes,  La  Trousse  s'empresse  de 
rendre  compte  au  ministre  des  heureux  effets  de  leur 
zèle  (1)  :  «  Je  n'ai  rien  à  me  reprocher,  Monseigneur,  pour 
l'exécution  de  tous  vos  ordres  ;  mais  j'ai  affaire  à  des 
peuples  les  plus  légers  et  les  plus  fous  qu'il  y  ait  au  monde. 
Les  habitants  de  Nîmes  ont  une  telle  peur  qu'ils  courent 
en  foule  aux  églises  ;  ils  demandent  et  voudraient  qu'on 
leur  donnât  tous  les  sacrements  en  un  môme  jour, 
croyant  par  là  se  mettre  à  couvert  de  l'orage  qu'ils 
croient  être  prêt  à  tomber  sur  leur  têtes.  Mon   avis  est 

(1)  La  Trousse  à  Louvois,  3,  7,  10  janvier  1687. 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  121 

toujours,  Monseigneur,  qu'il  ne  faut  point  se  reposer  sur 
leurs  belles  paroles  ;  ce  sont  des  canailles  dans  le  fond, 
qui  ne  valent  rien,  et  qui  sont  malintentionnés... 

«  Nous  avons  composé  une  voiture  de  cent  personnes 
pour  les  Iles,  que  nous  ferons  partir  d'Aigues-Mortes 
par  mer,  le  24  ou  25  de  ce  mois,  pour  les  conduire  à 
Marseille.  Toutes  les  mesures  sont  prises  pour  cela, 
comme  aussi  pour  faire  bientôt  après  une  seconde  et 
une  troisième  voiture  de  cent  nouveaux  convertis  cha- 
cune, parce  que  nous  prévoyons  ne  pouvoir  nous  dis- 
penser de  faire  sortir  au  moins  trois  cents  personnes  de 
cette  province,  à  ne  prendre  que  ceux  qu'il  est  essentiel 
de  chasser,  et  dont  l'esprit  mutin  et  dangereux  les  por- 
terait toujours  à  troubler  les  cantons  dont  on  les  tire.  » 

Que  l'on  se  figure  quelle  terreur  inouïe  devait  presser 
toutes  les  poitrines,  là  où  il  suffisait  de  la  volonté,  de  la 
rancune,  du  caprice,  de  la  légèreté  de  l'intendant,  d'un 
chef  militaire,  ou  de  quelqu'un  de  leurs  subdélégués, 
pour  vous  faire  arrêter  par  ce  seul  motif  que  l'on  vous 
soupçonnait  d'être,  non  pas  même  un  protestant,  mais 
un  mauvais  converti,  et  pour  vous  faire  transporter  par 
centaines,  jeter  aux  galères,  rouer  vif,  et  torturer  en  cent 
façons  !  Car  ce  n'étaient  là  que  des  mesures  de  surcroît, 
et  l'ancienne  pénalité  n'avait  rien  perdu  de  ses  rigueurs. 
Louvois-Satan  le  rappelle  en  passant  (1)  :  «  Sa  Majesté 
n'a  par  cru  qu'il  convînt  à  son  service  de  se  dispenser 
entièrement  de  l'exécution  de  la  déclaration  qui  con- 
damne à  mort  ceux  qui  assisteront  à  des  assemblées. 
Elle  désire  que  de  ceux  qui  ont  été  à  l'assemblée  d'auprès 
de  Nîmes,  deux  des  plus  coupables  soient  condamnés  à 
mort,  et  que  tous  les  autres  hommes  soient  condamnés 

(!)  Louvois  à  Bàville,  10  janvier  1687. 


122  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

aux  galères.  Si  les  preuves  ne  vous  donnent  point  lieu 
de  connaître  qui  sont  les  plus  coupables,  le  roi  désire 
que  vous  les  fassiez  tirer  au  sort,  pour  que  deux  d'iceux 
soient  exécutés  à  mort.  » 

Il  craint  que  ses  dignes  agents  ne  faiblissent  dans  leur 
terrible  besogne,  il  les  reconforte  et  les  ranime  (1)  :  «  Je 
n'ai  rien  à  vous  dire  sur  l'état  où  vous  me  mandez  que 
sont  les  Cévennes,  parce  que  rien  ne  convient  moins  au 
service  du  roi  ni  au  bien  de  la  province  que  de  témoigner 
que  l'on  soit  capable  d'avoir  pitié  de  gens  qui  se  sont 
conduits  comme  ont  fait  ceux-là,  lesquels  doivent  être 
abîmés  de  manière  que  l'état  où  ils  demeureront  serve 
d'exemple  à  tous  les  autres  nouveaux  convertis.  » 

Ah  !  vous  avez  reproché  à  notre  glorieuse  Révolution 
ses  listes  de  suspects,  ses  échafauds,  ses  transportations  ! 
Mais  ceux  qu'elle  frappait  le  méritaient,  étant  tous  des 
conspirateurs  et  des  révoltés,  ligués  avec  l'étranger  en 
armes,  tandis  que  Louis  XIV  frappait,  en  pleine  paix, 
les  meilleurs  et  les  plus  inoffensifs  parmi  ses  sujets, 
qu'il  poussait  au  désespoir.  Mais  la  Terreur,  — trop 
longue,  hélas  !  —  ne  put  se  soutenir  que  pendant  quel- 
ques mois,  tandis  que  les  effroyables  persécutions  contre 
les  calvinistes  durèrent  trente-cinq  années,  autant  que 
lui  et  se  prolongèrent  même  longtemps  encore  après 
que  la  mort  en  eut  délivré  la  France. 


(1)  Louvois  àBàville,  28  janvier  1687. 


LA 

GUERRE   DES  CAMISARDS 

SECONDE  PARTIE 


CHAPITRE  I 


Les  assemblées  du  désert.  —  Premières  résistances  armées  dans 
les  Cévenires.  —  Conjuration  des  trois  hêtres.  —  Meurtre  de 
l'inspecteur  des  missions.  —  Les  Camisards.  —  Les  prophètes 
cévenols.  —  La  belle  Isabeau.  —  Les  petits  prophètes  dormants. 


On  a  voulu  comparer  la  guerre  des  Camisards  à  l'insur- 
rection vendéenne  de  1793.  Historien  de  ces  deux  san- 
glants épisodes  de  nos  annales,  nous  n'acceptons  pas, 
pour  les  Cévenols,  cette  assimilation.  Sans  provocation 
aucune,  les  paysans  du  Bocage  se  soulevèrent  contre  la 
patrie  à  l'heure  suprême  où  elle  était  envahie  par  toutes 
ses  frontières,  et  quand  elle  ne  leur  demandait,  comme 
au  reste  du  pays,  que  le  sacrifice  de  quelques-uns  de 
leurs  enfants  pour  voler  à  sa  défense.  Ils  faillirent  faire 
sombrer  dans  une  mer  de  sang,  ils  exaspérèrent  et  ren- 
dirent furieuse  cette  sublime  Révolution  de  1781)  dont 
eux,  surtout,   la  race   éternellement  taillable  et  cor- 


124  HISTOIRK    JiKS    CAMISARDS 

véable,  allaient  cueillir  les  meilleurs  fruits,  et  qui  se 
montrait  si  merveilleusement  conciliante  à  ses  débuts, 
jusqu'au  jour  où  elle  se  vit  poussée  à  bout  par  les  trahi- 
sons de  la  cour,  du  clergé  et  de  la  noblesse. 

Lorsque  les  pauvres  habitants  des  montagnes  cében- 
niques  brandirent  à  la  fin  le  bâton  ferré  des  Jacques,  il 
y  avait  vingt  longues  années,  et  plus,  que  le  despotisme 
sauvage  du  grand  roi  faisait  peser  sur  eux  cette  persécu- 
tion atroce  qui  les  arrachait  de  leurs  berceaux  et  n'ac- 
cordait pas  même  un  tombeau  à  leurs  cadavres,  traînés 
sur  la  claie,  déchiquetés  par  morceaux,  brûlés  pour  en 
jeter  les  cendres  aux  quatre  vents  de  l'horizon.  De  la 
naissance  à  la  mort,  la  vie  pour  eux  n'était  qu'une  longue 
torture.  Louis  avait  élargi  sous  leurs  pas  et  creusé  à  des 
profondeurs  inouïes  l'abîme  des  douleurs  humaines.  Ils 
avaient  enfin  touché  le  fond,  et  par  ce  beau  désespoir 
dont  parle  le  poëte,  ils  voulurent  remonter  à  la  surface, 
ou  mourir. 

Nous  osons  affirmer  que  la  Jacquerie  vendéenne  fut 
la  plus  coupable  des  révoltes,  parce  qu'elle  est  la  plus 
injustifiée,  tandis  que  celle  des  Camisards  fut  la  plus 
légitime  des  insurrections,  parce  qu'elle  était  la  plus 
inévitable. 

Ils  ne  pouvaient  plus  se  marier,  ensevelir  leurs  morts, 
élever  leurs  enfants.  11  n'y  avait  plus  pour  eux  ni  patrie, 
ni  religion,  ni  propriété,  ni  famille.  On  leur  enlevait  les 
titres  du  citoyen,  les  droits  de  l'homme,  ils  étaient 
rejetés  hors  delà  loi  civile  et  de  la  loi  religieuse,  hors 
de  l'humanité,  et  voici  ce  qu'écrivait  un  homme  qui, 
certes,  n'avait  nul  goût  aux  batailles  ni  aux  luttes  ar- 
mées, Jean-Jacques  Rousseau  dans  sa  lettre  immortelle 
à  M.  de  Beaumont: 

«  Le  seul  cas  qui  force  un  peuple  ainsi  dénué  de  chefs 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  125 

à  prendre  les  armes,  c'est  quand,  réduit  au  désespoir 
par  ses  persécuteurs,  il  voit  qu'il  ne  lui  reste  plus  de 
choix  que  dans  la  manière  de  périr.  Telle  fut,  au  com- 
mencement de  ce  siècle,  la  guerre  des  Camisards.  Alors 
on  est  tout  étonné  de  la  force  qu'un  parti  méprisé  tire 
de  son  désespoir  :  c'est  ce  que  jamais  les  persécuteurs 
n'ont  su  calculer  d'avance.  Cependant  de  telles  guerres 
coûtent  tant  de  sang,  qu'ils  devraient  bien  y  songer 
avant  de  les  rendre  inévitables.  » 

On  rencontrait  dans  le  Languedoc  une  population  pro- 
testante plus  nombreuse  que  dans  le  reste  du  royaume. 
Là,  brûlées  par  le  soleil  du  midi,  les  têtes  sont  ardentes 
et  promptes  à  s'exalter.  Et,  dans  le  Languedoc,  il  y  avait 
les  Cévennes*,  qu'habitaient  des  hommes  grossiers,  igno- 
rants, isolés  du  reste  du  monde  au  milieu  de  leurs 
montagnes  sauvages  que  la  neige  couvrait  pendant  de 
longs  mois  de  l'année,  et  qui,  encore  aujourd'hui,  por- 
tent la  redoutable  coutelière  suspendue  à  leur  côté,  ou 
fixée  entre  les  boutonnières  de  leur  veste. 

Après  que  l'on  eut  renversé  les  temples  où  ils  allaient, 
aux  pieds  de  l'Eternel,  puiser  la  force  de  lutter  contre  les 
rigueurs  de  la  création  et  de  résister  à  la  triple  tyrannie 
du  fisc  royal,  du  clergé  et  des  gentilshommes,  ils  se  ras- 
semblèrent, d'abord  inoff'ensifs  et  sans  armes,  dans  ces 
Assemblées  du  Désert,  comme  ils  les  appelaient  dans  leur 
langage  biblique,  où  un  ministre,  qui  ne  savait  pas,  en 
commençant,  si  sa  voix  ne  serait  pas  éteinte  avec  sa  vie 
sous  la  fusillade  des  dragons  embusqués  aux  environs, 
venait  leur  parler  de  Dieu  et  des  espérances  d'un  monde 
moins  rigoureux. 

Un  de  ceux  que  l'on  appelait  les  Anciens  organisait 
l'assemblée,  faisait  les  convocations.  Dépêché  par  lui,  en 
émissaire,  protégé  par  la  pénombre  de  l'aurore  ou  du 


126  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

crépuscule,  traversait  le  village,  heurtait  mystérieuse- 
ment à  la  porte  entre-bâillée,  jetait  à  demi-voix  quel- 
ques mots  en  passant  :  «  Demain,  à  minuit,  en  tel  lieu, 
tel  ministre  fera  entendre  la  parole  de  Dieu...» 

La  nuit  venue,  on  partait,  par  petites  bandes,  pour  ne 
pas  éveiller  les  soupçons.  On  allongeait  à  dessein  sa 
route,  on  multipliait  les  détours,  on  prenait  des  chemins 
différents  afin  de  déjouer  la  surveillance  des  espions, 
dont  la  cour  soudoyait  si  largement  l'infamie.  Vieil- 
lards, femmes,  enfants  risquaient  le  dangereux  pèleri- 
nage. Les  enfants  fatigués  pleuraient;  pour  apaiser 
leurs  cris,  les  hommes  les  chargeaient  sur  leurs  épaules, 
et  franchissaient  ainsi  les  ravins,  que  l'obscurité  des 
nuits  rendait  plus  périlleux.  Dans  ces  morftagnes,  elles 
sont  glacées  en  hiver,  bien  souvent  orageuses  en  été.  Par 
la  bise  ou  par  la  pluie,  quand  on  n'avait  pas  été  trahi, 
quand  le  rendez-vous  n'avait  pas  été  contremandé,  on 
se  rencontrait,  par  centaines,  parfois  par  milliers,  dans 
quelque  carrefour  caché  au  plus  profond  des  forêts,  dans 
quelque  ferme  dont  on  ne  pouvait  plus  compromettre 
les  habitants  en  fuite,  dans  quelque  caverne  bien  cachée, 
et  c'est  là  ce  qu'ils  appelaient  le  Désert. 

Les  femmes  surtout,  toujours  plus  enthouasiastes,  et 
souvent  plus  courageuses  que  les  hommes,  y  accouraient 
en  foule.  Les  plus  robustes,  les  plus  avisés  parmi  les  as- 
sistants étaient  posés  en  sentinelles,  et  par  des  cris  con- 
venus, avertissaient  de  l'approche  de  l'ennemi.  Bien  de 
fausses  alertes  troublaient  les  assemblées.  Puis  enfin, 
lorsque  le  pasteur  arrivait,  vers  le  milieu  de  la  nuit,  l'of- 
fice divin  commençait.  On  chantait  des  psaumes,  le  pré- 
dicant  lisait  quelques  chapitres  de  la  Bible,  donnait  le  si- 
gnal de  la  prière  commune.  Ce  n'était  point  l'éloquence 
savante  des  Bourdaloue  ou  des  Bossuet.  L'orateur,  quel- 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  127 

quefois  presque  illettré,  improvisait  de  longs  discours, 
allongés  encore  par  des  citations  des  Livres  Saints  prodi- 
guées sans  mesure.  Mais  ces  naïvetés  devenaient  tou- 
chantes, tant  le  cœur  était  bien  sur  les  lèvres  de  celui 
qui  parlait,  comme  il  était  dans  toutes  les  oreilles  de 
ceux  qui  écoutaient.  La  paix,  la  charité,  la  patience 
étaient  seules  invoquées,  et  l'on  promettait  les  féli- 
cités célestes  pour  récompense  des  tortures  endurées 
sur  cette  terre  des  méchants. 

Les  mariages,  les  baptêmes  se  faisaient  généralement 
au  Désert,  les  premiers,  après  des  publications  faites  dans 
les  Assemblées,  les  secondes  dans  les  fermes  isolées 
où  l'on  apportait  les  nouveau-nés.  Mais  souvent  aussi 
beaucoup,  redoutant  les  dangers  laissés  après  elles  par 
ces  formalités  que  ne  reconnaissait  par  la  loi  civile, 
achetaient,  de  la  vénalité  des  curés,  des  bénédictions 
de  mauvais  aloi.  On  en  rencontrait,  parmi  ceux-ci,  qui  se 
faisaient  payer  jusqu'à  quinze  pistoles  (150  livres),  et  un 
évêque  de  Gap  dénonçait  trente  mariages  bénis  de  cette 
manière  dans  une  seule  de  ses  paroisses  (1). 

Lors  de  la  paix  de  Ryswick  (20  septembre  1697) , 
après  vingt  années  de  guerres  effroyables,  de  dévasta- 
tions et  d'incendies  sans  exemple  dans  l'histoire,  après 
que  l'on  eut  doublé  les  effectifs  militaires,  dépensé 
les  hommes  par  centaines  de  mille  et  l'argent  par  cen- 
taines de  millions,  le  roi-soleil,  après  tant  de  Te  Deum 
chantés  dans  ses  églises,  rendit  toutes  ses  conquêtes  (2), 
céda  sur  tous  les  points,  un  seul  excepté,  comme  toujours, 
la  rentrée  de  ses   sujets  huguenots.   Immuable  à  cet 


(1)  Ed.   Hugues,   Hist.  de  la  Restauration  du  Protestantisme  en 
France,  t.  I,  p.  96. 

(2)  Strasbourg,  toutefois,  resta  à  la  France. 


128  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

égard,  il  répondit  par  un  redoublement  de  rigueurs  à  l'in- 
solente prétention  des  alliés,  qui  réclamaient  quelques 
garanties  pour  les  calvinistes  français.  Il  fallait  bien, 
d'ailleurs,  occuper  l'armée,  et  puisqu'il  était  inévitable 
qu'elle  pillât,  mieux  valait,  après  tout,  qu'elle  pillât  les 
huguenots,  et  qu'elle  laissât  respirer  un  peu  les  bons 
catholiques.  Cela  sanctifiait  en  quelque  sorte  leurs 
crimes,  en  faisant  d'eux  les  instruments  de  Dieu.  Ne 
faut-il  pas  des  démons  pour  être  les  ministres  des  ven- 
geances du  Très-Haut,  et  n'était-ce  pas  encore  des  élus, 
ceux-là  qu'il  choisissait  pour  leur  commettre  ses 
intérêts  ? 

Lesédits  se  succédèrent  donc,  plus  pressés  que  jamais. 
Nous  ne  les  citerons  pas,  ils  ne  faisaient  que  reproduire 
les  peines  déjà  édictées.  Que  pouvait-on  y  ajouter,  lors- 
qu'elles punissaient  de  la  mort  la  plus  effroyable,  du 
supplice  de  la  roue  ou  du  bûcher  après  la  torture  préa- 
lable, ordinaire  et  extraordinaire,  des  malheureux,  cou- 
pables de  ce  forfait  étrange,  de  s'être  réunis  pour  chanter 
des  psaumes  ou  pour  prêcher  sur  la  Bible  ou  sur 
l'Évangile  ! 

Un  détail  précieux,  cependant.  Une  ordonnance  du 
5  mai  1699  défendit  aux  nouveaux  convertis  de  vendre 
une  partie  de  leurs  immeubles  ou  l'universalité  de  leurs 
meubles,  ni  d'en  disposer  d'aucune  manière,  sous  peine 
de  nullité  et  de  confiscation.  La  prohibition  n'était  que 
pour  trois  ans  :  seulement  elle  fut  rafraîchie  tous  les 
trois  ans,  jusqu'à  l'an  de  grâce  1789. 

Nous  le  répétons,  il  n'y  avait  donc  nul  avantage  à 
embrasser  la  religion  de  Rome.  Rien  ne  désarmait 
la  défiance  de  Louis,  et,  sûrs  désormais  d'être  per- 
sécutés, quoi  qu'ils  fissent,  les  calvinistes  comprirent 
qu'il  fallait  mieux  résister,  fût-ce  par  les  armes,  que 


HISTOIRE    DES    CAM1SARDS  129 

de  céder,  sans  espoir  de  détourner  les  fureurs  royales. 

Sans  doute  Louvois-Satan  n'était  plus  là  (1),  mais  ses 
dragons  d'enfer  sentirent  leurs  narines  se  gonfler  d'aise 
en  aspirant  par  avance  ces  parfums  de  chair  rôtie  qui 
leur  étaient  promis.  Les  missionnaires  reprirent  leurs 
bottes,  et  clans  tout  le  royaume,  mais  principalement 
dans  les  montagnes  cébenniques,  la  situation  devient 
plus  effroyable  qu'elle  n'avait  jamais  été.  On  n'entendait 
parler  que  de  prisons,  de  galères,  de  bûchers,  d'enlè- 
vements d'enfants  pour  lesquels  on  exigeait  des  parents 
des  pensions  considérables,  d'internements  par  lettres 
de  cachet,  detransportations.  Les  Assemblées  du  Désert 
étaient  recherchées  avec  fureur;  on  traquait  les  réformés 
comme  des  bêtes  fauves,  on  massacrait  jusqu'aux  enfants 
à  la  mamelle,  on  les  arrachait  du  sein  des  mères 
éventrées,  pour  les  porter  en  triomphe  au  bout  des 
baïonnettes.  Ceux  que  l'on  saisissait  étaient  condamnés  à 
mort,  roués,  pendus,  brûlés  ;  les  mieux  traités  obtenaient 
les  galères  perpétuelles,  où  les  attendait  l'horrible  traite- 
ment que  nous  savons. 

Dans  une  seule  expédition,  à  Orange,  en  1698,  on  ar- 
rêta quatre-vingt-dix-sept  hommes,  dont  soixante-onze 
furent  condamnés  aux  galères  perpétuelles,  et  trente- 
huit  femmes,  dont  dix-neuf  furent  renfermées  dans  le 
château  de  Sommières  (2).  Mais  les  calvinistes  avaient 
la  fureur  du  martyre,  comme  les  missionnaires  bottés 
de  Louis  avaient  la  fureur  du  massacre:  cela  ne  diminua 
pas  la  fréquence  des  assemblées,  et  la  colère  du  roi 
grandissait  à  proportion  de  l'entêtement  des  résis- 
tances. 


(1)  L'homme  du  Palalinat  et  des  Cévennes,  ce  monstre  qui,  au 
xixc  siècle,  trouve  encore  des  apologistes,  était  mort  le  L6  juillet  L691. 

(2)  Court  de  Gébelin,  Histoire  des  troubles  des  Cévennes,  t.  I,  p.  10. 


130  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Bien  des  scènes  semblables  attristèrent  le  cours  de 
l'année  1701.  En  juin,  vers  Foissac,  auprès  d'Uzès,  une 
assemblée  nombreuse  est  massacrée  par  les  dragons  ; 
une  autre  en  Vivarais,  auprès  d'Oulières.  Bâville  con- 
damne cinq  personnes  aux  galères,  et  dix,  dont  une 
jeune  fille,  à  être  pendues  dans  divers  lieux.  Toutes  les 
maisons  de  ceux  qu'il  frappait  ainsi  furent  rasées,  tous 
leurs  biens  confisqués.  Ainsi,  par  une  spéculation  ha- 
bile, le  grand  roi  prenait  à  la  fois  la  bourse  et  la  vie,  et 
s'enrichissait  de  la  fortune  de  ceux  qu'il  faisait  assas- 
siner. Parmi  ceux  qui  furent  pendus,  se  trouvait  un 
nommé  Marlié,  et  ses  deux  fils.  Le  troisième  meurt  en 
prison.  Il  laissait  une  femme,  qui  se  trouva,  le  même 
jour,  sans  mari,  sans  enfants,  sans  maison,  sans  biens. 

Une  autre  assemblée,  à  Sainte-Croix-de-Caderles, 
dans  les  Cévennes,  amena  des  répressions  semblables. 
Dans  la  nuit  du  6  au  7  novembre,  quinze  personnes  fu- 
rent tuées  à  celle  de  Tornac,  les  galères  reçurent  tous 
ceux  que  l'on  arrêta  dans  le  diocèse  d'Uzès,  il  y  eut  dix- 
huit  personnes  tuées  sur  place,  trois  femmes  enceintes 
éventrées... 

«  J'en  passe,  et  des  meilleurs  !...  » 

Le  même  spectacle  se  continue  en  1702  :  assemblée 
écharpcc  à  Saint-Côme,  dans  la  Vaunage  ;  dans  les  bois 
de  Candiac,  à  Yauvert,  le  3  juin,  veille  de  la  Pentecôte; 
là,  quatorze  hommes  sont  envoyés  aux  galères,  trois 
filles  sont  fouettées,  marquées  de  la  fleur  de  lis  par  la 
main  du  bourreau,  le  prédicateur  est  pendu  devant  l'é- 
glise... 

Bien  que  les  prédicants  prêchassent,  à  l'origine  tout 
au  moins,  la  patience  aux  protestants  qui  se  rendaient 
sans  armes  aux  assemblées  du  Désert  et  le  plus  souvent 
se  laissaient  égorger  sans  essayer  même  de  se  défendre  r 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  131 

c'était  sur  eux  que  s'acharnait  surtout  la  rage  des  bour- 
reaux de  Louis.  Presque  toujours  ils  étaient  rompus 
vifs  sur  la  roue.  Il  pensait  que  le  plus  effroyable  de  tous 
les  supplices,  celui  que  l'on  tenait  en  réserve  pour  les 
assassins  vieillis  dans  le  crime,  n'était  pas  de  trop  pour 
châtier  ce  forfait  inouï,  d'oser  comprendre  autrement 
que  lui  certains  points  obscurs  du  dogme  catholique. 

Au  premier  rang  parmi  les  causes  qui  lassèrent  la 
patience  des  Cévenols  et  qui  les  contraignirent  à  se  ré- 
volter, il  faut  compter  «  la  conduite  cruelle  et  barbare 
que  les  ecclésiastiques,  évoques,  grands  vicaires,  curés, 
les  moines  eux-mêmes  tenaient  à  l'égard  des  protes- 
tants (1).  n  Mais  les  excès  auxquels  un  faux  zèle  porta 
ces  prêtres  indignes  pâlirent  devant  ceux  de  François 
de  Langlade  du  Chayla,  prieur  de  Laval,  archiprêtre  du 
diocèse  de  Mende,  auquel  Bâville  avait  fait  confier, 
en  1687,  l'inspection  des  missions  des  Cévennes. 

Cet  homme  avait  cinquante-cinq  ans  lorsque  arri- 
vèrent les  événements  que  nous  allons  raconter.  Gen- 
tilhomme et  prêtre,  il  nourrissait  contre  les  nu-pieds 
des  Cévennes  une  double  haine,  celle  de  la  caste,  et 
celle  de  la  croyance  religieuse.  D'une  piété  sombre  et 
exaltée  à  la  fois,  de  haute  taille,  de  mine  austère  et  bel- 
liqueuse, tout  annonçait  en  lui  le  persécuteur  ardent 
et  implacable,  le  prêtre  de  l'Église  militante.  11  avait 
fait  ses  premiers  débuts  dans  l'apostolat  bien  loin  de 
France,  dans  le  royaume  de  Siam,  et  il  était  sincè- 
rement convaincu  que  les  croyances  des  disciples  de 
Luther  et  de  Calvin  étaient  aussi  éloignées  de  la  vérité 
que  celles  des  sectateurs  de  Bouddah. 

Lui-même  avait  connu  le  martyre.  Les  Indiens  avaient 

(1)  Court  de  Gébelin,  t.  I,  p.  38. 


132  HISTOIRE   DES   CAMISARDS 

laissé  pour  mort  le  fougeux  missionnaire,  lorsqu'il  fut 
recueilli  par  un  pauvre  Paria  qui  crut,  en  le  sauvant, 
secourir  une  créature  plus  malheureuse  que  lui-même. 
Rentré  dans  sa  patrie,  son  courage  éprouvé  le  recom- 
mandait à  l'attention  du  Père  La  Chaise,  et  Bàville  re- 
connut vite  en  lui  le  fanatique  qui  devait  servir  d'ins- 
trument docile  à  ses  desseins.  Infatigable,  il  marchait 
la  nuit  à  la  tête  des  expéditions  organisées  pour  sur- 
prendre les  assemblées  du  Désert,  et  il  renfermait  les 
captifs  qu'il  faisait,  dans  le  château  qu'il  occupait  au 
bourg  de  Pont-de-Mont-Vert,  transformé  par  lui  en 
prison. 

Du  Ghayla  devait  cette  demeure  à  la  libéralité  de 
Louis  XIV.  Lors  de  l'une  de  ses  furieuses  expéditions 
de  1685,  le  duc  de  Noailles  avait  fait  massacrer  et  traîner 
sur  la  claie  un  riche  calviniste  du  pays,  Louis,  naturel- 
lement, dépouilla  la  veuve  et  les  enfants  de  sa  victime  ; 
il  confisqua  tous  ses  biens,  et  donna  gracieusement  le 
château  du  protestant  à  celui  qui  venait  les  persécuter 
tous. 

Ce  sont  de  tels  faits  qui  ont  conquis  à  l'époux  de  ma- 
dame de  Main  tenon  sa  renommée  de  grandeur  et  de  gé- 
nérosité. 

C'était  là  qu'entouré  de  soudards  aux  ordres  d'un  état- 
major  d'ecclésiastiques  et  de  moines,  l'inspecteur  des 
missions  épuisait  contre  ses  prisonniers  tous  les  raffine- 
ments de  cette  science  de  torturer  dans  laquelle  les  prê- 
tres n'ont  point  connu  de  rivaux  et  ne  furent  jamais  dé- 
passés. Avec  des  pinces,  il  leur  arrachait  un  à  un  les 
poils  de  la  barbe,  des  sourcils,  des  cils  ;  il  leur  liait  les 
doigts  des  deux  mains  avec  des  cordes  de  coton  imbi- 
bées d'huile  ou  de  graisse,  qu'il  faisait  brûler  lentement 
jusqu'à  ce  que  les  chairs  fussent  rôties  jusqu'aux  os.  Il 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  133 

leur  mettait  des  charbons  ardents  dans  les  mains  qu'il 
fermait  et  comprimait  violemment  avec  les  siennes.  Il 
plaçait  ces  malheureux  dans  les  ceps,  nom  que  l'on 
donnait  à  deux  pièces  de  bois  entre  lesquelles  il  enga- 
geait leurs  pieds  de  telle  sorte  qu'ils  ne  pouvaient  se 
tenir  ni  assis  ni  debout  sans  souffrir  les  plus  cruels 
tourments.  Il  multiplait  les  effets  de  sa  rage  contre  les 
jeunes  enfants,  contre  leurs  mères  (1). 

Un  guide,  nommé  Massip,  avait  déjà  su  conduire,  à 
travers  mille  dangers  ,  plusieurs  colonnes  de  fugitifs 
jusqu'à  Genève.  Du  Chayla  le  fait  surveiller,  apprend 
qn'un  nouveau  convoi  d'émigrants,  composé  surtout  de 
femmes  déguisées  en  hommes,  va  se  mettre  en  route 
pour  gagner  la  Rome  des  huguenots.  Guidé  par  ses 
espions,  il  les  fait  arrêter  tous,  et,  en  attendant  l'instruc- 
tion de  leur  procès,  dont  l'issue  d'ailleurs  n'était  pas 
douteuse,  il  les  fait  mettre  dans  les  ceps.  Les  parents, 
les  amis  de  ces  infortunées  viennent  se  précipiter  à  ses 
pieds,  lui  offrant  une  rançon  ;  mais  ce  bourreau  était 
incorruptible  et  ne  se  laissa  pas  séduire.  Il  voulait  que 
Massip  fût  pendu,  que  les  hommes  fussent  aux  galères, 
les  femmes  aux  Filles-Repenties. 

Désespérés,  ils  se  retirent,  et  se  donnent  rendez-vous 
au  sommet  de  la  montagne  du  Bougés,  qu'abritaient 
trois  hêtres  centenaires.  C'était  dans  la  nuit  du  2!  au  25 
juillet  1702.  Là,  trois  hommes  se  rencontrèrent  :  Pierre- 
Esprit  Séguier,  Salomon  Couderc,  Abraham  Mazel.  De- 
puis que  la  persécution  avait  dispersé  ou  mis  à  mort  les 
pasteurs  protestants,  ils  s'étaient  constitués  eux-mêmes 
ministres  prédicants  et  prophètes  à  la  fois.  Quarante-huit 
ou  cinquante  réformés  vinrent  les  rejoindre,  armés  au 

(1)  Court  de  Gébelin,  t.  I,  p.  23. 


134  HISTOIRE  DES    CAMISARDS 

hasard  de  sabres,  de  fusils,  de  bâtons,  de  pistolets,  de 
faux,  de  hallebardes. 

Esprit  Séguier,  cède  à  l'inspiration  qui  le  domine  : 
«  Dieu  le  veut  !  s'écria-t-il,  Dieu  nous  commande  de  déli- 
vrer nos  frères  et  nos  sœurs,  et  d'exterminer  cet  archi- 
prêtre  de  Satan  !  » 

Abraham  Mazel,  Salomon  Gouderc  appuient  ses  pa- 
roles de  l'autorité  des  leurs,  et  la  foule  entraînée  pousse 
le  cri  des  croisés  d'autrefois  :  «  Dieu  le  veut  !  Dieu  le 
veut  !  » 

Cette  fameuse  réunion  du  Bougés  est  connue  sous 
le  nom  de  la  conjuration  des  trois  hêtres.  Elle  fut  le  si- 
gnal et  le  point  de  départ  de  l'insurrection  des  Gé- 
vennes. 

Bientôt  le  sommeil  des  habitants  de  Pont-de-Mont-Vert 
fut  interrompu  par  le  chant  lointain  d'une  grave  mélopée. 
Les  voix  se  rapprochent,  le  bruit  grandit,  on  distingue 
bientôt  les  paroles  d'un  psaume  de  Marot  que  les  pro- 
testants entonnaient  avant  de  s'élancer  au  combat.  Une 
avant-garde,  traversant  le  village  au  pas  de  course,  avait 
défendu  que  personne  n'eût  à  se  mettre  aux  fenêtres, 
sous  peine  de  la  vie.  On  entoure  le  château,  dont  les 
hôtes  ont  été  réveillés  déjà  par  les  chants  de  plus  en 
plus  rapprochés.  L'archiprêtre  croit  que  les  réformés 
ont  l'insolence  de  venir  faire  une  assemblée  jusque 
dans  le  bourg  même;  il  ordonne  à  ses  gardes  d'aller 
faire  main  basse  sur  ceux  qui  la  composent.  Mais  déjà 
les  cours  de  sa  demeure  sont  envahies,  et  de  toutes 
parts  des  voix  furieuses  réclament  les  prisonniers.  Du 
Chayla  ordonne  de  tirer  sur  les  assaillants  :  un  d'eux 
tombe  frappé  à  mort.  Alors,  exaspérés,  ils  se  font  un 
bélier  d'une  poutre  qu'ils  ramassent,  défoncent  les 
portes  et  pénètrent  dans  le  château,  tandis  que  l'abbé 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  135' 

court  se  barricader  dans  un  cabinet  voûté  du  second 
étage. 

On  se  précipite  vers  les  cachots,  on  trouve  les  mal- 
heureux captifs  dans  les  ceps,  moitié  morts,  n'ayant 
plus  même  la  force  de  profiter  de  la  liberté  qu'on  vient 
leur  rendre. 

«  Mort  à  l'archiprêtre  !  »  s'écrie  la  foule  en  furie.  Ils- 
le  cherchent  en  vain,  et  ne  pouvant  le  découvrir,  ils  se 
décident  à  mettre  le  feu  au  château,  bieu  sûrs  qu'il  pé- 
rira sous  ses  ruines  fumantes. 

Le  feu  gagne  du  terrain,  le  toit  s'écroule,  un  débris 
de  charpente  blesse  légèrement  Du  Chayla  qui,  à  l'aide 
des  draps  de  son  lit,  essaye  de  fuir  par  une  fenêtre. 
Cette  échelle  improvisée  se  trouve  trop  courte,  il  tombe, 
et  se  brise  la  jambe.  Il  se  traîne  en  rampant  jusqu'à 
une  haie  qui  clôt  le  jardin,  mais  qu'il  ne  peut  franchir. 
Les  flammes  qui  couronnaient  le  château  et  s'échap- 
paient de  toutes  les  ouvertures  dissipaient  au  loin  les 
ténèbres  ;  il  est  reconnu,  saisi,  entraîné  sur  la  princi- 
pale place  du  bourg.  Il  disputait  de  son  mieux  sa  vie, 
mais  à  son  tour  il  trouve  les  oreilles  et  les  cœurs  sourds 
à  sa  voix. 

—  Ah  !  leur  dit-il,  si  je  me  suis  damné,  voulez-vous 
donc  vous  damner  de  môme? 

Il  y  eut  alors  une  scène  imposante,  effroyable,  éclairée 
par  les  lueurs  de  l'incendie  et  des  torches  que  tenaient 
quelques-uns  des  révoltés.  On  délibéra,  il  fut  décidé 
que  l'archiprêtre  avait  mérité  la  mort.  Ce  fut  une  exé- 
cution, non  un  assassinat.  Chacun  s'avançait  à  son  tour, 
et  lui  portait  un  coup  qu'il  s'efforçait  de  ne  pas  rendre 
mortel  : 

—  Tu  as  fait  périr  mon  père  sur  la  roue  ;  voilà  pour 
mon  père  assassiné  par  toi! — Ma  mère,  ma  sœur  ont 


136  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

été  enlevées,  enfermées  par  ton  ordre  dans  un  de  vos 
couvents  maudits  ;  voilà  pour  ma  mère,  pour  ma  sœur  ! 
—  Tu  as  envoyé  mon  frère  aux  galères  ;  voilà  pour  mon 
frère  I  —  Tu  m'as  enlevé  la  fortune  de  mes  enfants  ; 
voilà  pour  ma  fortune  détruite  !... 

Les. crimes  de  ce  monstre  étaient  trop  nombreux,  son 
corps  n'avait  pas  assez  de  surface  pour  tant  de  coups, 
pas  assez  de  vie  pour  les  recevoir  tous  sans  mourir.  Ils 
étaient  cinquante-deux  :  chacun  avait  une  victime  à 
venger;  ils  défilèrent  à  leur  tour  devant  lui,  et  quand  la 
lugubre  procession  eut  passé,  on  compta  cinquante- deux 
blessures  sur  son  cadavre. 

On  tua  aussi  un  autre  ecclésiastique,  le  cuisinier  et 
le  receveur  de  rentes  de  l'archiprètre.  Un  domestique 
et  un  soldat  furent  épargnés,  parce  que  les  prisonniers 
témoignèreut  qu'ils  n'avaient  eu  que  de  bons  procédés 
pour  eux  (1).  C'était  donc  bien  un  châtiment  qu'ils  pré- 
tendaient infliger,  après  avoir  délivré  leurs  frères  cap- 
tifs, et  non  des  meurtres  qu'ils  voulaient  aveuglément 
commettre. 

On  dit  que,  pour  se  reconnaître  dans  cette  première 
expédition,  les  Cévenols  avaient  passé  par-dessus  leurs 
vêtements  une  blouse  de  toile  blanche,  sorte  de  chemise 
qu'ils  appelaient  camisa  dans  leur  patois  languedocien, 
et  que  de  là  vint  le  nom  de  Camisards,  sous  lequel  ils 
furent  désignés.  Suivant  d'autres,  il  leur  fut  donné  parce 
qu'ils  changeaient  volontiers  leurs  chemises  sales  contre 
des  blanches  lorsqu'ils  en  trouvaient  chez  les  catholiques 
qu'ils  pillaient.  Quatre-vingt-dix  années  plus  tard,  les 
révoltés  de  la  Vendée  avaient  aussi  adopté  cette  facile 
manièrede  blanchir  leur  lingeaupréjudice  des  patriotes. 

(1)  Court,  t.  I,  p.  52. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  137 

Enfin,  suivant  d'autres  encore  il  \ienl  de  camùade,  ancien 
terme  de  guerre  tombé  en  désuétude,  par  lequel  on  dé- 
signait une  expédition  nocturne,  à  l'heure  où  chacun 
dort  dans  sa  seule  chemise  pour  tout  costume.  Les  Céve- 
nols, en  effet,  affectionnaient  les  attaques  de  nuit,  aux- 
quelles les  chefs  royalistes  de  1793  ne  purent  jamais 
décider  leurs  hommes  dont  le  courage  avait  besoin  du 
grand  jour.  Par  là  encore  les  Camisards  différèrent  des 
Vendéens. 

Le  monde  n'a  jamais  rien  vu  de  semblable  à  cette 
guerre  des  Cévennes.  Dieu,  les  hommes  et  les  démons  se 
mirent  de  la  partie,  les  corps  et  les  esprits  entrèrent  en 
lutte,  et,  bien  autrement  encore  que  dans  l'Ancien  Tes- 
tament, les  prophètes  guidaient  aux  combats  les  guer- 
riers qui  semblaient  eux-mêmes  ravis  au-dessus  des  con- 
ditions ordinaires  de  la  vie. 

Les  sceptiques  et  les  railleurs  trouvent  plus  facile  de 
nier  ;  la  science  déroutée  craint  de  se  compromettre, 
détourne  ses  regards  et  refuse  de  se  prononcer.  Mais 
comme  il  n'est  pas  de  faits  historiques  qui  soient  plus 
incontestables  que  ceux-là,  comme  il  n'en  est  pas  qui 
aient  été  attestés  par  d'aussi  nombreux  témoins,  la  raille- 
rie, les  fins  de  non-recevoir  ne  peuvent  pas  être  admises 
plus  longtemps.  C'est  devant  le  sérieux  peuple  anglais 
que  les  dépositions  ont  été  juridiquement  recueillies, 
avec  les  formes  les  plus  solennelles,  sous  la  dictée  des 
protestants  réfugiés,  et  elles  ont  été  publiées  àLondres, 
en  1707,  alors  que  le  souvenir  de  toutes  ces  choses  était 
-encore  vivant  dans  toutes  les  mémoires,  et  que  les  dé- 
mentis eussent  pu  les  écraser  sous  leur  nombre,  si  elles 
.eussent  été  fausses. 

Nous  voulons  parler  du  Théâtre  sacré  des  Cévennes,  ou 
Récit  des  diverses  merveilles  nouvellement  opérées  dans  cette 

s. 


138  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

partie  du  Languedoc  (1),  auquel  nous  allons  faire  de  larges 
emprunts. 

Les  phénomènes  étranges  qui  s'y  trouvent  rapportés 
ne  cherchaient,  pour  se  produire,  ni  l'ombre  ni  le  mys- 
tère, ils  se  manifestaient  devant  les  intendants,  devant 
les  généraux,  devant  les  évêques,  comme  devant  les  igno- 
rants et  les  simples  d'esprit.  En  était  témoin  qui  voulait» 
et  eût  pu  les  étudier  qui  l'eût  désiré. 

«  J'ai  vu  dans  ce  genre,  écrivait  Villars  à  Chamaillard, 
le  25  septembre  1704  (2),  des  choses  que  je  n'aurais  ja- 
mais crues,  si  elles  ne  s'étaient  pas  passées  sous  mes 
yeux  :  une  ville  entière,  dont  toutes  les  femmes  sans 
exception  paraissent  possédées  du  diable.  Elles  trem- 
blaient et  prophétisaient  publiquement  dans  les  rues. 
J'en  fis  arrêter  vingt  des  plus  méchantes  dont  une  eut  la 
hardiesse  de  trembler  et  prophétiser  devant  moi.  Je  la 
fis  pendre  pour  l'exemple,  et  renfermer  les  autres  dans 
les  hôpitaux.  » 

De  tels  procédés  étaient  de  mise  sous  Louis  XIV,  et 
faire  pendre  une  pauvre  femme  parce  qu'une  force  in- 
connue la  contraignait  à  dire  devant  un  maréchal  de 
France  des  choses  qui  ne  lui  agréaient  pas,  pouvait  être 
alors  une  façon  d'agir  qui  ne  révoltait  personne,  tant 
elle  était  simple  et  naturelle,  et  dans  les  habitudes  des 
temps.  Aujourd'hui,  il  faut  avoir  le  courage  d'aborder 
en  face  la  difficulté  et  de  lui  chercher  des  solutions 
moins  brutales  et  plus  probantes. 

Nous  ne  croyons  ni  au  merveilleux,  ni  aux  miracles. 
Nous   allons  donc  expliquer  naturellement,   de  notre 


(1)  Par  Maximilien  Misson,  ancien  conseiller  au  parlement  de 
Paris,  réfugié  protestant  à  Londres,  1701.  - 

(2)  Villars,  Mémoires,  p.  142. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  139' 

mieux,  ce  grave  problème  historique,  resté  sans  solu- 
tion jusque  ici.  Nous  allons  le  faire  en  nous  aidant  des 
lumières  que  le  magnétisme  et  le  spiritualisme  mettent 
aujourd'hui  à  notre  disposition,  sans  prétendre  d'ailleurs 
imposera  personne  ces  croyances. 

Il  est  regrettable  que  nous  ne  puissions  consacrer  que 
quelques  lignes  à  ce  qui,  on  le  comprend,  exigerait  un 
volume  de  développements.  Nous  dirons  seulement, 
pour  rassurer  les  esprits  timides,  que  cela  ne  froisse  en 
rien  les  idées  chrétiennes  ;  nous  n'en  voulons  pour 
preuve  que-  ces  deux  versets  de  l'Evangile  de  saint 
Mathieu  : 

«  Lors  donc  que  l'on  vous  livrera  entre  les  mains  des 
gouverneurs  et  des  rois,  ne  vous  mettez  point  en  peine 
comment  vous  leur  parlerez  ni  de  ce  que  vous  leur 
direz  :  car  ce  que  vous  leur  devez  dire  vous  sera  donné 
à  l'heure  même  ; 

«  Car  ce  n'est  pas  vous  qui  parlez,  mais  c'est  l'Esprit 
de  votre  Père  qui  parle  en  vous  (1).  » 

Nous  laissons  aux  commentateurs  le  soin  do  décider 
quel  est,  au  vrai,  cet  esprit  de  notre  père  qui,  à  certains 
moments,  se  substitue  à  nous,  parle  à  notre  place  et 
nous  inspire  (2).  Peut-être  pourrait-on  dire  que  toute 
génération  qui  disparaît  est  le  père  et  la  mère  de  celle 
qui  lui  succède,  et  que  les  meilleurs  parmi  ceux  qui 
semblent  n'être  plus,  s'élevant  rapidement  lorsqu'ils  sont 
débarrassés  des  entraves  du  corps  matériel,  viennent 


(1)  Saint  Mathieu,  ch.  X,  vers.  19  et  20. 

20.  «  Non  enim  vos  estis  qui  loquimini,  sed  spiritus  patris  vestri 
qui  loquitur  in  vobis.  » 

(2)  Le  prolixe  Lemaistre  de  Sacy  passe  prudemment  à  coté  de 
ces  deux  versets,  sans  en  chercher  ni  le  sens  littéral,  ni  le  sens  spi- 
rituel. 


140  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

emprunter  les  organes  de  ceux  de  leurs  fils  qu'ils 
estiment  dignes  de  leur  servir  d'interprètes,  et  qui  ex- 
pieront chèrement  un  jour  le  mauvais  usage  qu'ils  au- 
ront fait  des  facultés  précieuses  qui  leur  sont  délé- 
guées. 

Le  magnétisme  réveille,  surexcite  et  développe  chez 
certains  somnambules  l'instinct  que  la  nature  a  donné 
à  tous  les  êtres  pour  leur  guérison,  et  que  notre  civili- 
sation incomplète  a  étouffé  en  nous  pour  le  remplacer 
par  les  fausses  lueurs  de  la  science. 

Le  somnambule  naturel  met  son  rêve  en  action,  voilà 
tout.  Il  n'emprunte  rien  aux  autres,  ne  peut  rien  pour 
eux. 

Le  somnambule  fluidique,  au  contraire,  celui  chez 
lequel  le  contact  du  fluide  du  magnétiseur  provoque  cet 
état  bizarre,  se  sent  impérieusement  tourmenté  du  désir 
de  soulager  ses  frères.  Il  voit  le  mal,  on  vient  lui  in- 
diquer le  remède. 

Le  somnambule  inspiré,  qui  peut  parfois  être  en  même 
temps  fluidique,  est  le  plus  richement  doué,  et  chez  lui 
l'inspiration  se  maintient  dans  des  sphères  élevées  lors- 
qu'elle se  manifeste  spontanément.  Celui-là  seul  est  un 
révélateur,  c'est  en  lui  seul  que  le  progrès  réside,  parce 
que  seul  il  est  l'écho,  l'instrument  docile  d'un  esprit 
autre  que  le  sien,  et  plus  avancé. 

Le  fluide  est  un  aimant  qui  attire  les  morts  bien-aimés 
vers  ceux  quirestent.  Il  se  dégage  abondamment  des  ins- 
pirés, et  va  éveiller  l'attention  des  êtres  partis  les  pre- 
miers, et  qui  leur  sont  sympathiques.  Ceux-ci,  de  leur 
côté,  épurés  et  éclairés  par  une  vie  meilleure,  jugent 
mieux  et  connaissent  mieux  ces  natures  primitives,  hon- 
nêtes, passives,  qui  peuvent  leur  servir  d'intermédiaires 
dans  l'ordre  de  faits  qu'ils  croient  utile  de  leur  révéler. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  141 

Au  siècle  dernier,  on  les  appelait  des  extatiques.  Au- 
jourd'hui, ce  sont  des  médiums. 

Le  spiritualisme  est  la  correspondance  des  âmes  entre 
elles.  Suivant  les  adeptes  de  cette  croyance,  un  être  in- 
visible se  met  en  communication  avec  un  autre,  jouis- 
sant d'une  organisation  particulière  qui  le  rend  apte  à 
recevoir  les  pensées  de  ceux  qui  ont  vécu,  et  à  les  écrire 
soit  par  une  impulsion  mécanique  inconsciente  im- 
primée à  la  main,  soit  par  transmission  directe  à  l'intelli- 
gence des  médiums. 

Si  l'on  veut  accorder  pour  un  moment  quelque 
créance  à  ces  idées,  on  comprendra  sans  peine  que  les 
âmes  indignées  de  ces  martyrs  que  le  grand  roi  immolait 
chaque  jour  par  centaines,  soient  venues  veiller  sur  les 
êtres  chéris  dont  elles  avaient  été  violemment  séparées, 
qu'elles  les  aient  soutenus,  guidés,  consolés  au  milieu 
de  leurs  dures  épreuves,  inspirés  de  leur  esprit,  qu'elles 
leur  aient  annoncé  par  avance, —  ce  qui  eut  lieu  bien 
souvent, —  les  périls  qui  les  menaçaient. 

Un  petit  nombre  seulement  étaient  véritablement  ins- 
pirés. Le  dégagement  fluidique  qui  sortait  d'eux,  comme 
de  certains  êtres  supérieurs  et  privilégiés  (1),  agissait  sur 
cette  foule  profondément  troublée  qui  les  entourait 
mais  sans  pouvoir  développer  chez  la  plupart  d'entre 
eux  autre  cbose  que  les  phénomènes  grossiers  et  large- 
ment faillibles  de  l'hallucination.  Inspirés  et  halluci- 


(l)  Il  y  a  une  bien  belle  scène  dans  l'Évangile  de  saint  Luc.  Une 
femme  malade  s'approche  de  Jésus,  touche  ses  vêtements,  est  guérie  : 

46.  «  Jésus  se  retourna  et  dit  :  Quelqu'un  m'a  touché;  car  j'ai 
enti  qu'une  force  est  sortie  de  moi.  »  Ch.  VIII. 

Jésus  lui  dit,  avec  le  langage  du  Père  qui  parle  par  la  bouche  des 
inspirés  : 

4S.  «  Ma  pie,  ta  foi  t'a  guérie  :  Va  en  paix.  »  Ch.  III,  v.  40,  48. 


142  HISTOIRE    DES    OAMISARDS 

nés,  tous  avaient  la  prétention  de  prophétiser,  mais  ces 
derniers  émettaient  une  foule  d'erreurs  au  milieu  des- 
quelles on  ne  pouvait  plus,  discerner  les  vérités  que  l'es- 
prit véritablement  souillait  aux  premiers.  Cette  masse 
d'hallucinés  réagissait  à  son  tour  sur  les  inspirés,  et 
jetait  le  trouble  au  milieu  de  leurs  manifestations. 

Après  cette  courte  explication,  nous  allous  raconter 
les  scènes  prodigieuses  dont  les  Gévennes  furent  témoins 
pendant  vingt  années. 

Suivant  Brueys,  le  protestant  renégat,  l'abbé  dont  on  a 
d'excellentes  comédies  et  de  pitoyables  livres  de  contro- 
verse religieuse,  l'historien  qui  a  su  accomplir  ce  tour  de 
force  d'écrire  trois  volumes  sur  la  révolte  des  Cévennes 
sans  prononcer  le  nom  des  dragons  ni  le  mot  de  dragon- 
nade  ;  suivant  Brueys,  disons-nous,  cinq  ou  six  cents  pro- 
phètes apparurent  tout  à  coup  dans  le  Dauphiné,  puis 
dans  le  Yivarais.  Ils  avaient  eu,  selon  l'usage,  un  pré- 
curseur, qui  n'était  rien  moins  que  le  célèbre  Jurieu, 
réfugié,  ministre  et  professeur  de  théologie  à  Botterdam, 
depuis  l'attentat  du  22  octobre  1685. 

«  Il  fallait,  dit  l'abbé  Pluquet  (1),  pour  soutenir  la  foi 
des  restes  dispersés  du  protestantisme,  des  secours 
extraordinaires,  des  prodiges.  Ils  éclatèrent  de  toute 
parts  parmi  les  réformés,  pendant  les  quatre  premières 
années  qui  suivirent  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes. 
On  entendit  dans  les  airs,  aux  environs  des  lieux  où  il  y 
avait  eu  autrefois  des  temples,  des  voix  si  parfaitement 
semblables  aux  chants  des  psaumes,  tels  que  les  protes- 
tants les  chantent,  qu'on  ne  put  les  prendre  pour  autre 
chose.  Cette  mélodie  était  céleste,  et  ces  voix  angéliques 
chantaient  les  psaumes  selon  la    version  de   Clément 

(1)  Auteur  d'un  Dictionnaire  des  Hérésies,  1762,  vol.  in-S°. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  143 

Marot  et  de  Théodore  de  Bèze.  Ces  voix  furent  entendues 
dans  le  Béarn,  dans  les  Cévennes,  à  Vassy,  etc.  Des 
minisires  fugitifs  furent  escortés  par  cette  divine  psal- 
modie, et  même  la  trompette  ne  les  abandonna  qu'après 
qu'ils  eussent  franchi  les  frontières  du  royaume.  Jurieu 
rassembla  avec  soin  les  témoignages  de  ces  merveilles, 
et  en  conclut  que  «  Dieu  s'étant  fait  des  bouches  au  mi- 
«  lieu  des  airs,  c'était  un  reproche  indirect  que  la  Pro- 
«  vidence  faisait  aux  protestants  de  France  de  s'être  tus 
«  trop  facilement.  »  Il  osa  prédire  (1)  qu'en  1689  le  cal- 
vinisme serait  rétabli  en  France  (2)... 

—  L'esprit  du  Seigneur  sera  avec  vous,  avait  dit  Jurieu 
il  parlera  par  la  bouche  des  enfants  et  des  femmes,  plutôt 
que  de  vous  abandonner. 

C'était  plus  qu'il  n'en  fallait  pour  que  les  protestants 
persécutés  s'attendissent  à  voir  les  femmes  et  les  enfants 
se  mettre  à  prophétiser. 

Un  homme  tenait  chez  lui,  dans  une  verrerie  cachée 
au  sommet  de  la  montagne  dePeyra,  en  Dauphiné,  une 
véritable  école  de  prophétie.  C'était  un  vieux  gentil- 
homme nommé  Du  Serre,  né  dans  le  village  de  Dieu-le- 
Fit.  Ici  les  origines  sont  un  peu  obscures.  On  dit  qu'il 
s'était  fait  initier  à  Genève  aux  pratiques  d'un  art  mys- 
térieux dont  un  petit  nombre  de  personnages  se  trans- 
mettaient le  secret.  Rassemblant  chez  lui  quelques  jeunes 
garçons  et  quelques  jeifnes  filles,  dont  il  avait  sans  doute 
observé  la  nature  impressionnable  et  nerveuse,  il  les  sou- 
mettait préalablement  à  des  jeûnes  austères;  il  agissait 


(1)  Jurieu,   Accomplissement    des  prophéties,    ou  la  Délivrance   de 
V Église,  \oxc>,  2  vol.  in-12. 

(2)  Dictionnaire  universel,  historique,   critique   et  bibliographique. 
V.  Jurieu 


144  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

puissamment  sur  leur  imagination,  étendait  vers  eux  ses 
mains  comme  pour  imposer  l'Esprit  de  Dieu,  soufflait  sur 
leurs  fronts,  et  les  faisait  tomber  comme  inanimés  devant 
lui,  les  yeux  fermés,  endormis,  les  membres  raidis  par  la 
catalepsie,  insensibles  à  la  douleur,  ne  voyant,  n'enten- 
dant plus  rien  de  ce  qui  se  passait  autour  d'eux,  mais 
paraissant  écouter  des  voix  intérieures  qui  parlaient  en 
eux,  et  voir  des  spectacles  splendides  dont  ils  racontaient 
les  merveilles.  Car,  dans  cet  état  bizarre,  ils  parlaient, 
ils  écrivaient,  puis  revenus  à  leur  état  ordinaire,  ils  ne 
se  rappelaient  plus  rien  de  ce  qu'ils  avaient  fait,  de  ce 
qu'ils  avaient  dit,  de  ce  qu'ils  avaient  écrit. 

Voilà  ce  que  Brueys  raconte  de  ces  «  petits  prophètes 
dormants,  »  comme  il  les  appelle  (1).  Nous  trouvons  là 
les  procédés,  bien  connus  aujourd'hui,  du  magnétisme, 
et  quiconque  le  veut,  peut,  dans  bien  des  circonstances, 
reproduire  les  miracles  du  vieux  gentilhomme  verrier. 

Deux  de  ces  prophètes  se  rendirent  bientôt  célèbres 
et  communiquèrent  en  foule  autour  d'eux  le  don  de  pro- 
phétie. L'un  était  un  jeune  homme  de  vint-cinq  ans,  Ga- 
briel Astier;  d'autre  une  jeune  bergère  de  Grest,  Isabeavi 
Vincent,  fille  dJun  cardeur  de  laine,  ignorante  et  grossière 
comme  l'était  alors  le  peuple  des  campagnes.  La  belle 
Isabeau  gardait  les  moutons  chez  un  pauvre  paysan,  son 
parrain,  la  misère  l'ayant  chassée  du  toit  paternel.  Un 
homme  inconnu  vint,  Du  Serre  peut-être,  ou  quelqu'un 
de  ceux  auxquels  il  avait  communiqué  le  secret  de  son  j 
pouvoir;  il  développa  et  surexcita  en  elle  une  prédispo- 
sition extatique  encore  à  l'état  latent,  et  la  fit  prophé- 
tesse. 

Doutant  d'elle-môme,  comme  toutes  les  somnambules 

(1)  Brueys,  Histoire  du  fanatisme,  t.  I,  p.  71,  91,  08,  106,  10O,  110... 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  145 

au  début,  et  luttant  contre  celte  sorte  de  dépossession 
de  sa  propre  personnalité,  'elle  s'essaya  d'abord  dans 
des  endroits  obscurs,  d'où  bientôt  la  renommée  vint  l'ar- 
racher pour  la  produire  sur  de  plus  vastes  théâtres.  De 
petite  taille,  ses  formes  grêles  et  amaigries,  ses  traits 
irréguliers,  son  visage  hâlé  et  bruni  par  le  soleil,  sou 
front  élevé,  ses  yeux  largement  fendus,  un  peu  saillants, 
noirs,  doux  et  profonds  à  la  fois,  avaient  besoin  d'être 
embellis  par  l'inspiration  pour  lui  mériter  l'épithète  que 
lui  avait  donnée  l'admiration  populaire.  L'Esprit  l'endor- 
mait, et  rien  ne  pouvait  plus  la  tirer  de  ce  sommeil 
léthargique,  ni  le  bruit,  ni  les  coups,  ni  la  douleur.  Dé_ 
gagée  de  tous  les  liens  charnels,  l'âme,  pour  un  mo- 
ment, vivait  seule,  et  visible,  en  quelque  sorte,  par  ses 
manifestations  supérieures,  dans  le  corps  anéanti.  Elle 
chantait,  avec  plus  de  grâce  et  de  charme  qu'elle  ne 
l'eût  pu  faire  dans  sa  vie  habituelle,  puis  sa  voix  tonnait 
contre  les  persécuteurs  de  l'Église,  et  alors  son  élo- 
quence frappait  d'étonnement  ceux  môme  de  ses  au- 
diteurs dont  l'intelligence  était  cultivée.  On  eût  dit  qu'il 
se  dégageait  d'elle  une  force  irrésistible,  elle  fascinait 
•son  entourage,  et  elle  avait  le  pouvoir  de  transmettre  sa 
merveilleuse  faculté  à  beaucoup  de  ceux  qui  l'appro- 
chaient. Ils  prophétisaient  comme  elle,  mais  bien  peu 
le  faisaient  avec  une  élévation  égale  à  la  sienne. 

Elle  entraînait  les  foules  à  sa  suite,  et,  toujours  prê- 
chant, elle  arriva  à  Grenoble.  Son  succès,  devant  un 
public  d'élite,  fut  plus  grand  encore  qu'en  présence  des 
auditoires  naifs  qu'elle  avait  eus  jusqu'alors.  Parmi  les 
prosélytes  qu'elle  fit,  on  compte  madame  de  Bays,  veuve 
d'un  conseiller  auParlemeut,  qui  devint  bientôt  prophé- 
tesse  avec  sa  fille.  Raillée  par  les  uns,  inquiétée  par  les 
autres,  elle  se  retira  à  Livron,  dans  les  montagnes  de  la 

9 


146  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Drôme.  Bientôt  il  y  eut  autour  d'elle  trois  cents  inpirés 
à  son  exemple.  Elle  revint  alors  à  sa  maison  des  champs, 
où  ses  fils,  ses  lilles,  ses  valets  et  ses  servantes  se  mirent 
à  prophétiser  à  l'envi.  Le  mal  devenait  contagieux  et 
gagnait  du  terrain.  L'intendant  Bouchu  la  fit  arrêter  et 
cpnduire  à  Tournon. 

Le  même  sort  attendait  la  belle  Isabeau,  dont  Bouchu 
parvint  aussi  à  se  saisir.  Traduite  devant  ses  juges,  elle 
répondit  fièrement  à  leurs  menaces  :  «  Vous  pouvez 
bien  me  faire  mourir  ;  mais  Dieu  en  suscitera  d'autres 
qui  diront  de  plus  belles  choses  que  moi  (1).  » 

«  Après  plusieurs  questions  auxquelles  elle  satisfit, 
dit  Fléchier,  étant  interrogée  sur  les  discours  qu'elle 
tenait,  elle  répondit  avec  les  apparences  d'une  grande 
simplicité  qui  ne  laissait  pas  d'être  affectée  (qu'en  savait 
donc  le  charitable  évêque  de  Nîmes  ?),  qu'à  la  vérité  elle 
avait  ouï  dire  qu'elle  prophétisait  en  dormant,  mais 
qu'elle  ne  le  croyait  pas,  ne  pouvait  pas  le  savoir,  puis- 
qu'on ignore  ce  qu'on  fait  en  dormant.  Quelque  soin 
qu'on  prît  pour  s'éclairer  sur  ce  point,  on  ne  put  tirer 
d'autre  réponse  d'elle  (2).  » 

Nous  le  répétons,  il  n'y  a  rien  de  miraculeux  dans 
tous  ces  faits,  et  nous  retrouvons  là  tous  les  caractères 
du  somnambulisme  naturel,  de  l'extase. 

Par  bonheur,  le  temps  n'était  pas  venu  encore  des 
persécutions  implacables  contre  les  prophètes.  Les  plus 
nobles  dames  de  Grenoble  s'intéressèrent  à  la  belle  Isa- 
beau,  la  visitèrent  dans  sa  prison,  passèrent,  comme 
madame  de  Périssol,  femme  d'un  président  de  chambre 
au  Parlement,  des  nuits  entières  au  chevet  de  son  lit, 


(1)  Brueys,  t.  I,  p.  106. 

(2)  Fléchier,  Relations  des  fanatiques,  à  la  suite  des  Lettres  choisies. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  147 

et  obtinrent  qu'elle  fût,  avec  toutes  les  autres  prophé- 
tesses,  transportée  à  l'hôpital,  où  leurs  bons  soins  ne  les 
abandonnèrent  pas. 

«  Les  personnes  pieuses  qui  avaient  la  charité  de  tra- 
vailler à  la  guérison  de  ces  pauvres  malades  d'esprit  les 
empêchaient  seulement  de  jeûner  et  leur  donnaient  des 
aliments  fort  nourrissants  ;  par  ce  moyen,  on  leur  fai- 
sait reprendre  le  peu  de  sens  que  les  jeûnes  excessifs 
leur  avaient  fait  perdre,  et  l'on  n'avait  pas  ensuite  beau- 
coup de  peine  à  leur  faire  comprendre  leur  folie  passée, 
et  à  les  ramener  peu  à  peu  à  la  raison,  et  de  la  raison  à 
la  foi  (1).  » 

C'étaient  des  enfants,  et,  comme  les  enfants,  on  les 
prenait  par  la  gourmandise.  Il  appartenait  aux  nonnes 
et  aux  dévotes  d'imaginer  ce  moyen  de  corruption,  qui 
valait  bien  la  grande  foire  aux  consciences  de  Pélisson, 
à  un  écu  de  six  livres  la  pièce.  Quoi  qu'il  en  soit,  les 
bons  soins  calmèrent  cette  pauvre  âme,  exaspérée  par 
la  vue  des  souffrances  de  ses  coreligionnaires  ;  la  belle 
Isabeau  sortit  de  l'hôpital,  libre  et  guérie,  et  ses  pro- 
tecteurs lamarièrent  à  un  jeune  et  beau  garçon  du  pays. 

Mais  on  n'était  pas  parvenu  à  tarir  la  source  du  mal, 
et  partout  les  prophètes  avaient  surgi  sur  les  pas  de  la 
bergère  de  Grest  pour  continuer  l'œuvre  qu'elle  aban- 
donnait. «  Un  homme,  dit  Brueys,  tomba  comme  frappé 
du  haut  mal,  puis  les  yeux  fermés,  comme  une  per- 
sonne endormie,  se  mit  à  prêcher  et  à  prophétiser  (t.  I, 
p.  109).  »  De  telles  initiations  spontanées  étaient  de 
tous  les  jours,  et  saint  Paul  n'avait  pas  reçu  plus  rapi- 
dement le  Saint-Esprit  sur  la  route  de  Damas. 


(1)  Brueys,  t.  I,  p.  i35. 


148  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Gabriel  Astier  révolutionnait  le  Yivarais,  comme  la 
belle  Isabeau  avait  fait  le  Dauphiné.  C'était  un  simple 
paysan  deGlieu,  qui,  pendant  ses  crises  extatiques,  pos- 
sédait une  éloquence  entraînante.  Il  développa  d'abord 
l'esprit  prophétique  chez  son  père,  dans  toute  sa  famille 
et  parmi  les  populations  avoisinantes.  Inquiété  par  l'in- 
tendant Bouchu,  il  se  réfugia  auprès  de  madame  de 
Bays,  et  fit  subir  son  influence  à  toute  la  contrée. 

Ses  adeptes  se  réunissaient  en  conciliabules  secrets 
pour  se  soustraire  aux  recherches  de  ceux  que  l'on  dé- 
pêchait à  leur  poursuite.  C'était  surtout  sur  la  cime  des 
montagnes  que  se  tenaient  ces  assemblées  qui,  de  quatre 
à  cinq  cents  personnes,  s'élevèrent  bientôt  jusqu'à  trois 
ou  quatre  mille.  Les  prophètes  incliquaient  le  jour  et  le 
lieu  de  la  réunion.  Des  émissaires  en  donnaient  connais- 
sance à  plusieurs  lieues  à  la  ronde.  On  y  accourait  en 
foule,  vieillards,  femmes,  enfants,  sans  armes,  pour 
chanter  les  cantiques  de  Marot  et  de  Théodore  de  Bèze. 
Des  sentinelles  étaient  placées  sur  les  rochers  les  plus 
escarpés,  sur  la  cime  des  arbres  isolés.  Puis  le  président 
se  dressait  au  milieu  de  la  foule,  et  fixant  ses  regards 
inspirés  vers  le  ciel,  les  mains  étendues  sur  les  assistants, 
il  commandait  au  sommeil  de  les  coucher  à  terre,  à  l'ins- 
piration de  descendre  sur  eux,  «  et,  à  mesure  que  ces 
pauvres  idiots  se  jetaient  à  la  renverse,  il  abaissait  in- 
sensiblement ses  mains  jusqu'à  ce  qu'il  eût  vu  par  terre 
toute  l'assemblée  (1).  » 

Excitée  par  le  souffle  de  l'éloquence  de  Gabriel  Astier, 
l'extase  embrasa  tout  le  Vivarais  avec  la  rapidité  d'une 
traînée  de  poudre,  et  vers  la  fin  de  janvier  1689,  ces 
exaltés  osèrent  faire  leurs  réunions  en  plein  jour. 

(1)  Brueys,  1. 1.  p.  27-132. 


HISTOIRE   DES    CAMISARDS  149 

De  Folleville,  colonel  du  régiment  de  Flandre,  marcha 
contre  eux  et  dissipa  les  premières  réunions,  non  sans 
faire  beaucoup  de  victimes.  Mais  la  mort  même  ne  pa- 
raissait leur  inspirer  aucune  crainte,  et,  massacrés  en  un 
lieu,  ils  se  réunissaient  dans  un  autre.  On  en  avertit  Bâ- 
ville  et  son  beau-frère,  le  comte  de  Broglie,  lieutenant 
général  du  roi  (16  février  1689).  Ils  partent  de  Montpel- 
lier, accompagnés  des  évoques  de  Lodève  et  de  Viviers. 
Comme  on  ne  disposait  que  de  quatre  compagnies  de 
dragons  et  d'une  égale  quantité  d'infanterie,  on  fait 
armer  toutes  les  communautés  du  Yivarais,  et  on  presse 
Folleville  de  réunir  tout  ce  qu'il  pourra  trouver  de  trou- 
pes dans  le  pays. 

«  C'était  sans  doute,  dit  Brueys,  un  spectacle  bien  ex- 
traordinaire et  bien  nouveau  ;  on  voyait  marcher  des 
gens  de  guerre  pour  aller  combattre  de  petites  armées 
de  prophètes  (t.  I,  p.  156).  » 

Spectacle  étrange,  en  effet,  car  les  plus  dangereux 
parmi  ces  petits  prophètes  se  défendaient  à  coups  de 
pierres,  réfugiés  sur  des  hauteurs  inaccessibles.  Mais  le 
plus  souvent  ils  n'essayaient  même  pas  de  disputer  leur 
vie.  Lorsque  les  troupes  s'avançaient  pour  les  attaquer, 
ils  marchaient  hardiment  contre  elles,  en  poussant  de 
grands  cris  :  «  Tartara  !  tartara  !  Arrière  Satan  !  »  Ils 
croyaient,  disait-on,  que  ce  mot,  tartara,  devait,  comme 
un  exorcisme,  mettre  leurs  ennemis  en  fuite,  qu'eux 
mêmes  étaient  invulnérables,  ou  qu'ils  ressusciteraient 
au  bout  de  trois  jours,  s'ils  venaient  a  succomber  dans 
la  mêlée.  Leurs  illusions  ne  furent  pas  de  longue  durée 
sur  ces  divers  points,  et  bientôt  ils  opposèrent  aux  ca- 
tholiques des  armes  plus  efficaces. 

Dans  deux  rencontres,  sur  la  montagne  de  Chailaret 
et  non  loin  de  Saint-Genieys,  on  en  tua  quelques   cen- 


150  HISTOIBE   DES    CAMISARDS 

taines,  on  en  prit  un  bon  nombre,  et  le  reste  parut  se 
disperser.  Bâville  jugeait  les  captifs,  en  faisait  prendre 
quelques-uns,  envoyait  le  resteaux  galères;  et  comme  rien 
de  tout  cela  ne  paraissait  décourager  les  réformés,  on 
continua  à  rechercher  les  assemblées  du  Désert,  à  égor- 
ger sans  pitié  ceux  qui  s'y  rendaient,  sans  que  ceux-ci 
songeassent  encore  à  opposer  une  sérieuse  résistance  à 
leurs  bourreaux.  D'après  la  déposition  d'une  prophétesse 
nommée  Isabeau  Charras,  consignée  dans  le  Théâtre  sacré 
des  Cévennes,  ces  malheureux,  martyrs  volontaires,  s'y 
rendaient,  avertis  d'avance,  par  les  révélations  des  exta- 
tiques, du  sort  qui  les  attendait  : 

«  Le  nommé  Jean  Héraut,  de  notre  voisinage,  et  quatre 
ou  cinq  de  ses  enfants  avec  lui,  avaient  des  inspirations. 
Les  deux  plus  jeunes  étaient  âgés,  l'un  de  sept  ans, 
l'autre  de  cinq  ans  et  demi,  quand  ils  reçurent  le  don; 
je  les  ai  vus  bien  des  fois  dans  leurs  extases.  Un  autre  de 
nos  voisins,  nommé  Marliant,  avait  aussi  deux  fils  et 
trois  filles  dans  le  même  état.  L'ainée  était  mariée. 
Étant  enceinte  d'environ  huit  mois,  elle  alla  dans  une 
assemblée,  en  compagnie  de  ses  frères  et  sœurs,  et 
ayant  avec  elle  son  petit  garçon,  âgé  de  sept  ans.  Elle  y 
fut  massacrée  avec  son  dit  enfant,  un  de  ses  frères  et 
une  de  ses  sœurs.  Celui  des  ses  frères  qui  ne  fut  pas  tué 
fut  blessé,  mais  il  en  guérit;  et  la  plus  jeune  des  sœurs 
fut  laissée  pour  morte  sous  les  corps  massacrés,  sans 
avoir  été  blessée.  L'autre  sœur  fut  rapportée,  encore 
vivante,  chez  son  père,  mais  elle  mourut  de  ses  blessures 
quelques  jours  après.  Je  n'étais  pas  dans  l'assemblée, 
mais  j'ai  vu  le  spectacle  de  ces  blessés. 

«  Ce  qu*il  y  a  de  plus  notable,  c'est  que  tous  ces  mar- 
tyrs avaient  été  avertis  par  l'Esprit  de  ce  qui  devait  leur 
arriver.  Ils  l'avaient  dit  h  leur  père  en  prenant  congé  de 


HISTOIRE    DES    CAMISAMIS  151 

lui,  demandant  sa  bénédiction,  le  soir  môme  qu'ils  sor- 
tirent de  la  maison  pour  se  trouver  dans  l'assemblée 
qui  devait  se  faire  la  nuit  suivante.  Quand  le  père  vit 
tous  ces  lamentables  objets,  il  ne  succomba  pas  à  sa 
douleur,  mais,  au  contraire,  il  dit  avec  une  pieuse  rési- 
gnation :  «  Le  Seigneur  l'a  donné,  le  Seigneur  l'a  ôté1 
que  le  nom  du  Seigneur  soit  béni  !  »  C'est  du  frère,  du 
gendre,  des  deux  enfants  blessés  et  de  toute  la  famille 
que  j'ai  appris  que  tout  cela  avait  été  prédit.  » 

Quelque  temps  après,  Gabriel  Astier,  qui  était  parvenu 
à  s'échapper  lors  du  désastre  de  Chilaret,  fut  découvert 
à  Montpellier.  Il  n'avait  jamais  prêché  la  révolte,  — 
aucun  prédicantnele  faisait,  d'ailleurs,  — mais  la  résis- 
tance passive  et  la  résignation.  «  Il  déclara  dans  son  in- 
terrogatoire, dit  Fléchier,  que,  lorsque  la  maladie  de 
prophétiser  lui  prenait,  et  lui  montait  de  la  tête  aux 
pieds,  ce  sont  ses  termes,  il  n'était  pas  en  son  pouvoir 
de  se  retenir.  »  Bàville  le  fit  rouer  vif,  le  2  avril  1690,  à 
Bays,  sur  les  domaines  de  la  principale  disciple  de  la 
bergère  de  Grest. 


152  HISTOIRE    DES    CAMISÀRDS 


CHAPITRE   II 


Martyre  des  prédicants  Brousson,  Vivens,  Capieu,  Carrière...  — 
Arrestation  en  masse  des  prophètes-enfants.  —  Condamnations 
arbitraires  contre  leurs  familles.  —  Martyre  des  prophètes 
Esprit-Séguier,  Salomon  Couderc,  Abraham  Mazel. 


Cependant,  dans  le  temps  même  de  la  défaite  auChai- 
laret,  c'est-à-dire  au  milieu  de  février  1689,  l'événement 
était  venu  faire  comprendre  aux  Cévenols  qu'il  y  avait 
pour  eux  autre  chose  à  faire  que  de  tendre  la  gorge  aux 
bourreaux  du  grand  roi.  Une  assemblée  de  trois  mille 
calvinistes,  que  guidait  un  prophète  nommé  Vallette,  se 
rendait  au  village  de  Saint-Cierge.  Un  des  officiers  de 
Folleville  la  surprend,  descendant  de  la  montagne  en 
longue  procession,  et  chantant  des  psaumes.  Connais- 
sant leurs  habitudes  pacifiques,  il  ordonne  à  ses  troupes, 
malgré  leur  faible  nombre,  de  tirer  sur  le  cortège  inoffen- 
sif. Quelques  victimes  sont  jetées  sur  le  carreau.  Les 
calvinistes  alors  entourent  la  petite  troupe,  et,  à  coups 
de  pierres,  assomment  le  capitaine  et  quelques-uns  de 
ses  soudards.  Le  reste  se  sauve  en  désordre. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  153 

Cette  première  résistance  démontra  la  nécessité  de 
mettre  sur  pied  des  forces  considérables.  C'est  ce  que 
l'on  fît,  et  bientôt  le  Vivarais  parut  rentrer  dans  le 
calme.  Bâville  et  Broglie  se  transportèrent  alors  dans 
les  Cévennes,  où  deux  fameux  prédicants,  Brousson  et 
Vivens,  agitaient  toute  la  province. 

Claude  Brousson,  de  Nîmes,  défendait  les  causes  de 
ses  coreligionnaires,  en  qualité  d'avocat  de  la  cour,  mi- 
partie  à  Castres,  puis  à  Toulouse,  quand  cette  Chambre 
fut  incorporée  au  Parlement.  C'était  à  son  instigation, 
et  chez  lui,  qu'avait  eu  lieu  l'assemblée  des  députés  ré- 
formés qui  avaient  résolu  de  continuer  à  se  réunir,  mal- 
gré la  démolition  de  leurs  temples.  Après  qu'il  les  eût  vus 
tomber  tous  autour  de  lui  sous  le  marteau  des  démo- 
lisseurs de  Louis  XIV,  il  se  fît  ministre  delà  religion  per- 
sécutée, pour  soutenir  le  zèle  de  ceux  dont  la  foi  était  bat- 
tue en  brèchepar  les  séductions,  parles  menaces,  déjàmè- 
me  par  les  persécutions.  Infatigable,  il  fuyaità  Genève,  en 
Hollande,  lorsque  le  péril  devenait  trop  pressant,  mais  il 
revenait  toujours  là  où  l'appelaient  les  devoirs  qu'il  s'était 
faits.  Dans  un  de  ces  séjours  si  tourmentés  qu'il  fit  dans 
sapatrie,  il  parcourut  leVivarais  etle  Dauphiné,  étudia  les 
merveilles  qu'y  accomplissaient  les  disciples  de  Gabriel 
Astier  et  de  la  Belle  Isabcau,  et  il  écrivit  même  une 
Relation  des  prodiges  du  Vivarais.  Enfin,  vendu  par  un 
traître  qu'alléchaient  les  trois  mille  livres  promises  à 
ceux  qui  livreraient  un  ministre,  il  fut  arrêté  à  Oléron, 
le  18  septembre  1698,  lorsqu'il  se  disposait  à  quitter 
encore  une  fois  la  France.  Conduit  d'abord  à  Pau,  il  se 
vit  enfermé  dans  ce  même  château  où  était  né  le  prince 
qui  avait  donné  à  ses  anciens  coreligionnaires  les  garan- 
ties de  l'édit  de  Nantes. 

Bâville  réclama  cette  proie,  et  Brousson  fut  transféré 


154  HISTOIRE    DES   CAMISAHDS 

à  Montpellier.  Une  fois  l'occasion  s'offrit  ù  lui  de  s'échap- 
per sur  la  route  :  il  dédaigna  de  le  faire.  Le  4  novembre 
il  comparut  devant  ses  juges.  Sa  défense  fut  simple  et 
digne  :  «  Dans  un  discours  d'un  quart  d'heure  qu'il  pro- 
nonça avec  beaucoup  de  fermeté,  il  dit  qu'il  était  mi- 
nistre de  l'Évangile;  il  avoua  qu'il  en  avait  exercé  les 
fonctions  en  France;  et  enfin  il  s'attacha  principale- 
ment à  faire  valoir  la  réputation  d'homme  d'honneur  et 
d'homme  de  bien  qu'il  s'était  acquise  dans  ce  royaume 
et  dans  les  pays  étrangers  (1).  » 

Il  était  difficile  de  trouver  là  les  bases  d'une  condam- 
nation capitale.  Mais,  sans  qu'aucune  pièce  lui  fût  com- 
muniquée par  avance,  et  sans  qu'il  lui  fût  permis  de  dé- 
montrer la  fausseté  d'une  allégation  calomnieuse,  on 
l'accusa  d'intelligences  avec  les  ennemis  de  l'État,  et  il 
fut  condamné  à  être  rompu  vif  sur  la  roue,  après  avoir 
subi  la  question  ordinaire  et  extraordinaire. 

En  somme,  le  crime  qu'expiait  Brousson  par  ce  sup- 
plice atroce,  c'était  d'avoir  prononcé  des  sermons  em- 
preints du  plus  pur  esprit  de  l'Évangile.  Il  comparait, 
dans  les  termes  suivants,- les  deux  Églises  de  Rome  et  de 
Genève  : 

«  La  colombe  est  un  animal  pur  et  net  qui  ne  se 
souille  pas  dans  les  ordures.  De  même,  l'Église  de  Jésus- 
Christ  est  pure  et  exempte  des  souillures  de  ce  siècle; 
mais  l'Église  romaine,  qui,  depuis  plusieurs  siècles, 
se  souille  de  toutes  sortes  d'impuretés,  n'est  donc  pas 
la  colombe  de  Jésus-Christ! 

«  La  colombe  est  un  animal  doux  et  pacifique.  De 
même  la  vraie  Église  est  douce,  paisible,  charitable,  dé- 
bonnaire ;  mais  l'Église  romaine,  qui  fait  de  si  grands 

(1)  Brueys,  t.  I,  p.  277. 


BIST01RK    DES   CAMISARDS  155 

maux  aux  fidèles,  qui  les  dépouille  de  leurs  biens,  qui 
les  chasse  de  leurs  maisons,  qui  les  traîne  dans  des  basses- 
fosses,  qui  leur  fait  souffrir  les  cruels  tourments  de  la 
géhenne  et  de  la  galère,  qui  les  fait  mourir  dans  les 
plus  horribles  supplices  ou  qui  les  fait  massacrer  inhu- 
mainement... Ah  !  elle  n'est  pas  la  colombe  de  Jésus- 
Christ  ! 

«  La  colombe  est  un  animal  très -faible  ;  elle  n'est  pas 
armée  de  griffes,  ni  d'un  bec  terrible  pour  se  défendre. 
De  même  l'Église  de  Dieu  est  ordinairement  faible  et  op- 
primée par  ses  ennemis;  mais  l'Église  romaine  est  puis- 
sante et  terrible  aux  yeux  de  la  chair  ;  elle  est  la  bête 
mystique  à  qui  le  dragon  a  donné  sa  puissance  et  son 
trône,  et  de  qui  la  terre  a  dit:  «  Qui  est  semblable  à  la 
bête  et  qui  pourra  combattre  contre  elle?  »  Donc  elle 
n'est  pas  la  colombe  de  Jésus-Christ. 

«Les  biens  du  monde  sont  périssables,  mais  les  biens 
célestes  sont  éternels.  Ceux  qui  ne  veulent  pas  souffrir 
avec  Jésus-Christ  ne  régneront  pas  un  jour  avec  lui.  Ils 
ont  leur  partage  en  cette  vie  ;  mais  un  jour  leur  portion 
sera  dans  l'étang  de  feu  et  de  soufre  :  mais  pour  vous, 
pauvres  fidèles  qui  êtes  persécutés  pour  la  justice,  ré- 
jouissez-vous dans  le  Seigneur,  car  le  royaume  des 
cieux  est  à  vous! 

«  Ah!  que  vous  êtes  heureux-,  vous  qui  maintenant 
êtes  chassés  de  vos  maisons  pour  la  cause  de  l'Évangile, 
car  un  jour  vous  serez  reçus  daus  les  tabernacles  éter- 
nels !  Que  vous  êtes  heureux,  vous  qui  maintenant 
faites  votre  séjour  dans  les  bois,  dans  les  déserts,  dans 
les  fentes  des  rochers  et  dans  les  cavernes  ;  car  un  jour 
vous  habiterez  le  palais  du  roi  des  rois,  et  vous  serez 
éternellement  abreuvés  au  fleuve  de  ses  délices.  » 

Il  faut  tout  dire.  Comme  si,  cette  fois,  Bâville  eût  re- 


156  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

culé  devant  l'accomplissement  de  son  infamie  en  pré- 
sence de  ce  juste  qu'il  allait  attacher  au  gibet  des  plus 
vils  assassins,  il  ordonna  qu'après  avoir  été  seulement 
présenté  à  la  question,  mais  sans  y  être  appliqué,  Bous- 
son  fût  pendu  d'abord,  pour  n'être  roué  qu'après  sa 
mort. 

C'était  le  matin,  aux  portes  de  la  ville,  sur  de  vastes 
terrains  élevés,  sorte  de  calvaire  destiné  alors  au  sup- 
plice des  protestants  seuls.  La  se  dressaient  la  potence, 
la  roue,  le  bûcher  et  tous  les  sombres  instruments  de  la 
torture. 

Le  soleil  radieux  du  Midi  éclairaitla  scène  et  l'on  voyait 
se  dérouler  à  tous  les  coins  de  l'horizon  des  perspectives 
peut-être  uniques  dans  le  monde  :  au  sud  la  ligne  bleue 
de  la  Méditerranée  ;  puis  à  l'ouest,  le  Canigou,  dans  les 
Pyrénées  ;  à  l'est,  le  mont  Ventoux,  auprès  desAlpes  :  au 
Nord,  le  pic  Saint-Loup,  la  sentinelle  avancée  des  Cé- 
vennes.  C'est  aujourd'hui  la  splendide  place  du  Peyrou, 
l'orgueil  de  Montpellier.  Monté  sur  l'échafaud,  Brous- 
son  voulut  faire  entendre  pour  la  dernière  fois  au 
peuple  cette  voix  sympathique  qui  lui  avait  si  souvent 
prêché  le  courage  et  la  patience.  Le  bruit  de  dix- huit 
tambours  couvrit  ses  paroles,  et  le  bourreau,  plus  trou- 
blé que  le  patient,  le  lança  dans  l'espace  et  dans  l'éter- 
nité. 

Vivens  était  un  prophète  d'un  tout  autre  tempérament. 
Né  dans  les  derniers  rangs  du  peuple,  il  avait  exercé, 
comme  son  père,  la  profession  de  cardeur  de  laines. 
Petit,  boiteux,  mais  robuste  et  infatigable,  d'un  esprit 
vif  et  fécond  en  ressources,  hardi  jusqu'à  la  témérité, 
on  peut  dire  que  celui-là  appartenait  à  l'Église  militante, 
et  il  ne  craignit  pas  de  prendre  plusieurs  fois  l'offensive 
contre  les  soldats  du  roi. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  157 

Il  avait  vu  le  jour  à  Valleraugue,  dans  les  Hautes-Cé- 
vennes,  et  ses  premières  années  n'avaient  pas  annoncé, 
Idit-on,  un  futur  ministre  de  l'Évangile.  La  persécu- 
tion le  ramena  dans  de  meilleures  voies ,  et  on  le 
compta  bientôt  parmi  les  prédicants  les  plus  en  fa- 
veur. 

Après  avoir  quitté  une  première  fois  la  France,  il  y 
rentra  pour  organiser  la  résistance  armée,  et  il  se  vit 
dans  peu  de  temps  à  la  tête  d'une  troupe  de  quatre  cents 
révoltés.  Bâville  mit  sa  tête  à  prix,  et  il  fut  traqué  dans 
les  montagnes  comme  une  bête  fauve.  Mais  les  cavernes, 
les  chaumières,  les  châteaux  lui  offraient  des  asiles  in- 
violables. Pour  toute  réponse,  il  rassembla  ses  hommes 
et  fit  tuer,  ou  tua  de  sa  main  quelques  ecclésiastiques 
|  et  quelques  officiers  désignés  à  sa  vengeance  par  le  zèle 
qu'ils  avaient  déployé  contre  les  réformés.  Ceux  qu'il 
marquait  pour  la  mort  ne  tardaient  pas  à  tomber  sous 
des  coups  mystérieux,  frappés  dans  leurs  demeures  ou 
par  les  chemins. 

La  terreur  régnait  dans'le  pays,  lorsqu'un  prédicant, 
ami  et  confident  de  Vivens,  s'étant  laissé  saisir  par  les 
agents  de  Bâville,  faiblit  en  présence  de  la  torture,  et  fit 
connaître  que  quatre  dragons  de  la  garnison  entrete- 
naient, des  relations  avec  Vivons.  On  les  fait  venir,  on 
leur  vend  le  pardon  au  prix  d'une  trahison,  et  ils  con- 
duisent un  détachement  au  lieu  où  ils  avaient  un  rendez- 
vous  avec  le  ministre  proscrit. 

Surpris  avec  deux  de  ses  lieutenants,  Carrière  et  Ca- 
pieu,  mais  non  abattu,  Vivens  avait  déjà  tué  quelques- 
uns  de  ceux  qui  venaient  pour  le  saisir,  lorsqu'un 
officier  des  milices,  se  hissant  au  sommet  des  rochers 
qui  dominaient  la  caverne  qui  lui  servait  de  retraite, 
toit  à  quelques  pas  de  lui  le  prédicant  qui  se   disposait 


158  HISTOIRE   DES   GAMISAHDS 

à  faire  une  nouvelle  victime.  11  abaisse  sonfusil  et  le  lue 
presque  à  bout  portant, 

Conduits  triomphalement  à  Alais,  Capieu  et  Carrière 
y  furent  pendus.  Ce  supplice,  le  plus  doux  de  tous  ceux 
qui  attendaient  les  prédicants,  ne  pouvait  satisfaire 
B avilie,  qui  en  ménageait  un  plus  terrible  à  Vivens,  s'il 
fût  tombé  vivant  entre  ses  mains.  Faute  de  mieux,  il  fit 
le  procès  à  la  mémoire  du  ministre  «  dont  la  mort  même 
n'avait  pu  effacer  la  fureur  et  la  rage,  qu'on  voyait  en- 
core peintes  sur  son  visage  lorsqu'on  le  jeta  dans  le  feu, 
où  il  aurait  bien  mieux  mérité  d'être  jeté  tout  vivant,  » 
dit  Tablé  Brueys  avec  un  vif  sentiment  de  regret  (1). 

Après  la  mort  de  Vivens,  de  Brousson,  et  de  quelques 
prédicants  moins  célèbres,  il  y  eut,  de  1607  à  1700,  trois 
ou  quatre  années  d'accablement  extrême  pendant  les- 
quelles les  résistances  parurent  moins  vives  dans  les  Cé- 
vennes.  Mais  bientôt  la  guerre  contre  l'Espagne,  absor- 
bant toute  l'attention  de  Louis  XIV  et  toutes  les  forces 
disponibles  du  royaume,  vint  ranimer  l'espoir  et  l'énergie 
des  calvinistes. 

Les  logements  militaires  n'avaient  pas  cessé,  ni,  par 
conséquent,  les  causes  légitimes  d'irritation.  Les  pour- 
suites contre  les  prédicants,  surtout,  redoublaient  d'ac- 
tivité. En  1609,  ce  fut  le  tour  de  Pierre  Roman,  qui, 
quelques  années  auparavant,  par  un  dévouement  su- 
blime, s'était  laissé  prendre  au  lieu  et  place  de  Brous- 
son, qu'il  considérait  comme  plus  utile  que  lui  à  la 
cause  commune. 

«  Je  parus,  dit-il,  devant  l'intendant  et  le  comte  de 
Broglie,  qui  me  reçurent  d'un  visage  ouvert,  me  promet" 
tant  la  vie  si  je  déclarais   la   retraite   de  Vivens  et  de 

(!)  Brueys,  t.  II,  p.  (33. 


HISTOIRE   Oi:s   CAMISARDS  159 

Brousson  avec  leurs  complices,  et  si  je  leur  nommais 
ceux  de  ma  connaissance  qui  fréquentaient  les  assem- 
blées :  «  S'il  n'y  a  point  d'autre  moyen  de  sauver  ma 
«  vie,  leur  dis-je,  laites-moi  exécuter  tout  à  l'heure, 
«  car  si  telle  est  la  volonté  de  Dieu,  je  suis  aussi  prêt  à 
«  mourir  que  vous  à  me  condamner.  »  Sur  cela  le 
comte  de  Broglie  me  prit  par  les  cheveux  et,  m'ayant 
donné  deux  ou  trois  secousses,  me  dit  que  s'il  n'y  avait 
point  de  bourreau  pour  me  pendre,  il  en  ferait  lui- 
môme  l'office  (l).  » 

Le  gouverneur  en  fut  pour  ses  frais  de  zèle  et  de 
bonne  volonté,  carie  captif  fut  sauvé  par  le  dévouement, 
aussi  héroïque  qu'ingénieux,  d'une  jeune  fille  qui  trouva 
moyen  de  le  tirer  des  mains  de  ses  gardes,  dans  le  pro- 
pre château  qui  abritait  Broglie  et  Bâville.  L'indomp- 
table prédicant  ne  changea  rien  à  ses  habitudes  ;  arrêté 
une  seconde  fois,  dans  la  nuit  du  0  au  10  août,  il  fut 
délivré  de  vive  force  par  des  protestants  en  armes.  Ne 
pouvant  se  saisir  des  ravisseurs,  on  s'en  prit  aux  habi- 
tants du  bourg  où  ce  sauvetage  avait  été  opéré.  Les 
prisons  se  remplirent.  Deux  innocents  périrent  sur  la 
roue,  six  moururent  par  suite  des  mauvais  traitements 
qu'ils  subirent,  dix-sept  lurent  envoyés  aux  galères. 

Trois  autres  prédicants  furent  suppliciés  vers  la 
même  époque:  Claude  Maire,  dit  Caucadon,  fui  pendu  ; 
Isaac  Salomon  et  David  Raoul  furent  mués  vifs.  Ce  der- 
nier était  un  simple  laboureur;  l'Esprit  de  Dieu  des- 
cendit sur  lui,  comme  jadis  sur  les  apôtres,  et  tout  à 
coup  il  se  mit  à  prêcher  avec  une  grande  éloquence. 

Doué  d'une  force  prodigieuse,  ses  souffrances,  sur  la 
roue,  furent  extrêmes.   11   reçut,    dit-on,   «  cent   trois 

(1)  Court,  i.  I,  p.  17. 


100  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

coups  de  barre,  le  sang  lui  sortait  par  la  bouche  ;  elle 
ue  fut  ouverte  que  pour  bénir  le  Seigneur,  il  n'en  sortit 
aucune  plainte,  ni  aucune  marque  d'impatience  (1).  » 

11  y  eut,  en  1701,  une  explosion  nouvelle  de  prophètes. 
Ils  pleuvaient  du  ciel,  ils  sourçaient  de  terre,  et  des 
montagnes  de  la  Lozère  jusqu'aux  rivages  de  la  Médi- 
terranée, on  les  comptait  par  milliers.  Les  catholiques 
avaient  enlevé  aux  calvinistes  leurs  enfants  :  Dieu  se 
servit  des  enfants  pour  protester  contre  cette  prodi- 
gieuse iniquité.  Le  gouvernement  du  grand  roi  ne  con- 
naissait que  la  violence.  On  arrêta  en  masse,  au  hasard, 
ces  prophètes-enfants,  on  fouetta  impitoyablement  les 
plus  petits,  on  brûla  la  plante  des  pieds  aux  plus  grands. 
Rien  n'y  fit,  et  il  y  en  avait  plus  de  trois  cents  dans  les 
prisons  d'Uzès,  lorsque  la  faculté  de  Montpellier  reçut 
l'ordre  de  se  transporter  dans  cette  ville  pour  examiner 
leur  état.  Après  de  mûres  réflexions,  la  docte  faculté 
les  déclara  «  atteints  de  fanatisme  (2).  » 

Cette  belle  solution  de  la  science  officielle,  qui  au- 
jourd'hui encore  n'en  saurait  pas  dire  beaucoup  plus 
long  sur  cette  question,  ne  mit  pas  un  terme  à  ce  flot 
débordant  d'inspirations.  Bàville  publia  alors  une  or- 
donnance (septembre  1"01)  pour  rendre  les  parents  res- 
ponsables du  fanatisme  de  leurs  enfants. 

«  On  mit  des  soldats  à  discrétion  chez  tous  ceux  qui 
n'avaient  pu  détourner  leurs  enfants  de  ce  dangereux 
métier,  et  on  les  condamna  à  des  peines  arbitraires. 
Aussi  tout  retentissait  des  plaintes  et  des  clameurs  de 
ces  pères  infortunés.  La  violence  fut  portée  si  loin  que, 
pour  s'en  délivrer,  il  y  eut  plusieurs  personnes  qui  dé- 


(1)  Court,  t.  I,  p.  21,  23. 

(2)  Court,  t.  I,  p.  26, 


HISTOIRE   DES    CAMISARDS  161 

noncèrent  elles-mêmes  leurs  enfants  ou  les  livrèrent 
aux  intendants  et  aux  magistrats,  en  leur  disant  :  «  Les 
voilà,  nous  nous  en  déchargeons,  faites-leur  passer 
vous-mêmes,  s'il  est  possible,  l'envie  de  prophétiser  (1).» 
Yains  efforts  !  On  enchaînait,  on  torturait  le  corps, 
mais  l'esprit  restait  libre,  et  les  prophètes  se  multi- 
pliaient. En  novembre,  on  en  enleva  plus  de  deux  cents 
des  Cévennes,  «  que  l'on  condamna  à  servir  le  roi,  les 
uns  dans  ses  armées,  les  autres  sur  les  galères  (Court  de 
Gébelin).  »  Il  y  eut  des  exécutions  capitales,  qui  n'épar- 
gnèrent pas  même  les  femmes.  On  pendit  à  Montpellier 
une  prophétesse  du  Vivarais,  parce  qu'il  sortait  de  son 
nez  et  de  ses  yeux  du  sang,  qu'elle  appelait  des  larmes 
de  sang  qu'elle  pleurait  sur  les  infortunes  de  ses  coreli- 
gionnaires, sur  les  crimes  de  Rome  et  des  papistes... 

Une  sourde  irritation,  un  ilôt  de  colère  longtemps 
contenue  grondait  depuis  longtemps  dans  toutes  les 
poitrines,  au  bout  de  ces  vingt  années  d'intolérables  ini- 
quités. La  patience  des  victimes  ne  lassait  pas  la  fureur 
des  bourreaux.  On  songea  enfin  à  repousser  la  force  par 
la  force. 

Il  faut  se  rappeler  aussi  les  incroyables  extorsions  du 
fisc,  les  impôts  écrasants,  leur  levée  par  les  garnisaires 
que  le  gouvernement  mettait  à  la  disposition  des  fer- 
miers généraux.  On  accusait,  non  sans  raison,  les  curés, 
qui  dressaient  les  rôles  pour  la  taille  et  la  capitation,  de 
décharger  les  catholiques  pour  faire  peser  tout  le  faix 
des  charges  publiques  sur  les  calvinistes,  et  môme  sur 
les  nouveaux  convertis  (2).  Souvent  les  receveurs  fai- 
saient vendre  jusqu'aux  derniers    meubles  des   insol- 


(1)  Court,  p.  27. 

(2)  Duval,  Histoire  du  soulèvement  des  fanatiques,  p.  31. 


162  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

Tables.  Ceux-ci  en  pendirent  quelques-uns  aux  arbres 
de  la  route,  avec  les  registres  des  impositions  suspendus 
à  leur  cou  (1). 

La  situation  était  donc  devenue  intolérable.  Les  sou- 
dards remplissaient  toutes  les  demeures.  Le  village  de 
Pont-de-Mont-Vert  en  avait,  à  lui  seul,  trois  compagnies. 
L'abbé  Du  Chayla  encourageait  leurs  excès.  Nons  avons 
raconté  la  scène  terrible  qui  donna  le  signal  du  soulè- 
vement. 

DuPont-de-Mont-Vert,  les  insurgés,  guidés  par  Esprit 
Séguier,  volent  à  Frugières,  au  village  de  Saint-Maurice, 
et,  vainqueurs  partout,  vont  goûter  quelques  instants 
de  repos  au  sommet  de  la  montagne  qui  domine  le  pays. 
Ils  redescendent  sur  Saint-André-de-Lancize,,  «  préci- 
pitent le  curé  du  haut  du  clocher  où  il  s'était  réfugié, 
et  le  livrent  ensuite  à  ses  propres  paroissiens,  qui  re- 
gorgent, après  lui  avoir  coupé  le  nez  et  les  lèvres  (2).» 

Il  semble  que  le  saut  du  haut  du  clocher  suffisait  et 
rendait  regorgement  inutile.  Mais  Brueys,  qui  ne  voit 
rien  des  férocités  que  commettent  les  catholiques, exagère 
à  chaque  page  jusqu'à  l'absurde  les  représailles  de  leurs 
victimes. 

Ceux-ci  manquaient  d'armes.  Pressentant  qu'ils  ne 
tarderaient  pas  à  être  attaqués,  ils  résolurent  d'aller  en 
chercher  au  château  delà  Devèze.  Le  châtelain  repousse 
leur  demande,  fait  tirer  sur  eux.  Ils  s'élancent,  enfoncent 
les  portes,  massacrent  trois  générations,  M.  de  la  Devèze, 
sa  vieille  mère,  sa  jeune  fille,  le  frère  de  celle-ci,  un  oncle 
et  un  de  leurs  serviteurs,  ils  pillent  le  château  et  se 
retirent  après  y  avoir  mis  le  feu. 


(1)  Duval,  p.  35. 

(2)  Brueys,  t.  II,  p.  109. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  1G3 

Trois  jours  avaient  suffi  à  Esprit  Séguier  pour  accom- 
plir ces  terribles  justices.  Frappés  de  stupeur  à  la  nou- 
velle du  meurtre  de  l'archiprêtre,  Broglie  et  Bâville  mon- 
tent aux  Cévennes,  accompagnés  de  toute  la  noblesse  du 
pays,  à  la  tête  de  ceux  de  leur  tenanciers  qu'ils  ont  pu 
contraindre  à  les  suivre,  arrivent  à  Pont-de-Mont-Vert, 
puis  retournent  à  Montpellier  après  avoir  laissé  le  com- 
mandement des  troupes  au  capitaine  Poul. 

Ce  hardi  partisan,  qui  allait  conquérir  dansles  Cévennes 
une  si  sinistre  renommée,  avait  fait  son  apprentissage 
en  Allemagne,  en  Hongrie,  dans  le  Piémont,  contre  les 
Barbets  des  vallées  de  la  Savoie.  C'était  un  homme  de 
haute  taille,  de  tête  et  de  main,  robuste,  énergique,  infa- 
tigable, intrépide,  sans  pitié  pour  les  faibles  et  pour  les 
vaincus. 

Il  fixa  son  quartier  général  à  Florac,  et  ne  tarda  pas 
à  surprendre  les  Camisards  dans  la  petite  plaine  de  Font- 
Morte.  Il  les  tailla  en  pièces,  et  s'empara  de  la  personne 
des  trois  principaux  chefs,  Esprit  Séguier,  Pierre  Nouvel 
et  Moyse  Bonnet. 

— Misérable  !  demanda  Poul  à  Esprit  Séguier,  com- 
ment t'attends-tu  à  être  traité? 

—  Comme  je  t'aurais  traité  moi-même,  si  je  t'avais 
pris  !  lui  répondit  fièrement  et  avec  dédain  le  prophète 
enchaîné. 

Son  calme  héroïque  ne  l'abandonna  pas  un  instant 
dans  les  fers. 

—  Ton  nom?  lui  demandèrent  les  juges. 

—  Pierre  Séguier. 

—  Pourquoi  t'appelle-t-on  Esprit  Séguier  ? 

—  Parce  que  l'Esprit  de  Dieu  est  avec  moi. 

—  Ton  domicile 

—  Au  Désert,  et  bientôt  au  ciel. 


'164  HISTOIRE    DUS    CAMISARDS 

—  Demande  pardon  au  roi  de  ta  révolte. 

—  Mes  compagnons  et  moi  n'avons  d'autre  roi  que 
l'Éternel. 

—  N'éprouves-tu  pasquelques  remords  de  tes  crimes? 

—  Mon  àme  est  un  jardin  plein  d'ombrages  et  de  fon- 
taines, et  je  n'ai  point  commis  de  crimes. 

On  condamna  Esprit  Séguier  à  avoir  le  poing  coupé  et 
à  être  brûlé  vif  au  Pont-de  Mont-Vert;  Pierre  Nouvel  à 
être  roué  à  la  Devèze  ;  Moyse  Bonnet  à  être  pendu  a. 
Saint- André— Lancize.  Celui  au  nom  duquel  tant  de  for- 
faits allaient  se  commettre,  Louis  XIV,  semblait  craindre 
que  la  monotonie  ne  fatiguât  ses  bourreaux,  et  il  voulait 
varier  leurs  exercices.  Les  trois  prophètes  moururent 
avec  le  stoïcisme  des  martyrs  chrétiens  (12  août). 

Les  tortures  ne  firent  pas  faiblir  un  instant  l'âme  in- 
domptable de  Séguier,  et  sur  son  bûcher,  il  se  vantait 
encore  d'avoir  porté  le  premier  coup  à  l'abbé  du 
Chayla. 

On  commença  par  établir  à  Florac  une  chambre  de 
justice  qui  multiplia  en  tous  lieux  les  plus  effroyables 
exécutions  (1),  «  parce  que,  ditBrueys,  ces  furieux  s'al- 
lèrent follement  mettre  en  tète  qu'ils  étaient  en  droit 
d'user  de  représailles  sur  les  chefs  catholiques  qui  tom- 
baient entre  leurs  mains  (2).  » 

Le  comte  de  Boulainvilliers  est  plus  sincère  et  plus 
vrai  dans  son  appréciation,  lorsqu'il  avoue  que  le  parti 
essaya  «  si  la  révolte  ou  la  mort  ne  mettraient  point 
de  fin  à  ses  souffrances.  »  Et  il  ajoute  :  «  Il  périt  cent 
mille  hommes  qu'on  immola  pour  justifier  la  conduite 


(1)  Court,  t.  I,  p.  70. 

(2)  Brueys,  t.  II,  p.  129. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  165 

de  M.  de  Bàville,  et  de  ce  nombre,  il  y  eut  la  dixième 
partie  qui  finit  par  le  feu,  la  corde  ou  la  roue  (1).  » 

Un  ancien  notaire,  innocent  de  tout  crime,  accusé, 
mais  non  convaincu,  fut  pendu,  et  sa  femme  avec  lui- 
D'autres  encore  subirent  un  sort  analogue.  Les  délations 
se  multipliaient,  et  étaient  toujours  bien  accueillies.  Les 
prisons  regorgeaient  de  captifs,  on  ne  parlait  que  de  gi- 
bets, de  maisons  rasées,  de  confiscations.  Il  ne  s'agissait 
pas  d'être  juste,  mais  de  frapper  la  contrée  de  terreur 
pour  la  réduire  aux  caprices  du  grand  roi. 

Bâville  se  trompait  dans  ses  calculs.  Les  Camisards 
n'avaient  songé  encore  qu'à  châtier  du  Chayla  et  quel- 
ques ecclésiastiques  trop  impitoyables  à  leur  égard.  Ils 
ouvrirent  les  yeux  à  la  fin,  et,  comprenant  qu'ils  n'a- 
vaient aucune  pitié  à  attendre  de  leurs  persécuteurs,  ils 
prirent  l'offensive  et  se  montrèrent  sans  pitié  à  leur  tour. 

Même  dans  leurs  manifestations  les  plus  excessives 
d'indépendance  et  de  liberté,  les  hommes  ont  besoin  de 
reconnaître  un  chef  qui  les  commande  et  auquel  ils 
obéissent.  Esprit  Séguicr  mort,  les  révoltés  acclamèrent 
Laporle,  qui  avait  servi  dans  les  armées,  et  qui  prit  â 
leur  tête  le  titre  de  colonel  des  Enfants  de  Dieu,  qui 
cherchent  la  liberté  de  conscience.  Ses  ordres  étaient 
adressés  du  Camp  de  l'Éternel. 

11  persuada  aux  Camisards  de  se  diviser  en  petites  ban- 
des, afin  de  contraindre  l'ennemi  à  éparpiller  ses  forces, 
de  délivrer  surtout  leurs  frères  captifs,  et  d'exterminer 
les  curés,  à  l'instigation  desquels  on  les  persécutait. 
Deux  prophètes  déjà  célèbres  parmi  eux,  Salomon  Cou- 
derc  et  Abraham  Mazel,  appuyèrent  son   opinion.  Ce 


(1)  Boulainvilliers.  État  de  la  France,  province  du  Lamjuedoc. 
Court,  ld.,  p.  89. 


106  HISTOIRE   DES    CAMISARDS 

dernier    avait  reçu,  dans   un  songe  prophétique,  une 
mission  du  ciel  (1). 

«  Quelque  temps  avant  que  j'eusse  reçu  de  l'Esprit 
l'ordre  positif  et  redoublé  de  prendre  les  armes,  je  son-* 
geais  que  je  voyais  dans  un  jardin  de  grands  bœufs 
noirs  et  gras,  qui  broutaient  les  plantes  du  jardin. 
Une  personne  me  dit  de  chasser  ces  bœufs,  mais  je  re-- 
fusai  de  le  faire  ;  cependant  la  même  personne  ayant 
fait  insistance,  je  les  chassai.  Fort  peu  de  temps  après, 
je  reçus^une  inspiration  dans  laquelle  il  me  fut  dit  que 
le  jardin  était  l'Église,  que  les  gros  bœufs  noirs  étaient 
les  prêtres  qui  la  dévoraient,  et  que  je  serais  appelé  à 
mettre  en  fuite  ces  sortes  d'hommes.  A  quelques  jours 
de  là,  l'Eprit  m'avertit  de  me  préparer  à  prendre  les 
armes  pour  la  cause  de  Dieu.  Cet  avertissement  fut  suivi 
de  plusieurs  autres  pareils  :  et  comme  je  parlais  assez 
haut  dans  l'extase,  les  uns,  qui  voyaient  ma  faiblesse, 
ou  pour  mieux  dire  mon  néant,  étaient  comme  scan- 
dalisés de  cet  ordre  inconcevable  ;  les  autres,  plus  hum- 
bles, se  contentaient  de  lever  les  yeux  au  ciel.  Dans  ces 
réitérations,  il  n'y  avait  jusque-là  qu'une  déclaration 
générale.  Pierre  Esprit  et  Salomon  Couderc,  deux  de 
nos  principaux  inspirés  (qui  ont  été  brûlés  vifs),  eurent 
des  avertissements  conformes  aux  miens,  et  quelques., 
autres  en  eurent  aussi.  Enfin,  le  dimanche  24  juillet 
J  702,  comme  nous  étions  dans  une  assemblée  proche 
de  la  montagne  de  Lauzère  (Isaac  Soulage,  David  Ma- 
sauric  et  quelques  autres),  l'Esprit  me  saisit  et  m'or- 
donna en  m'agitant  beaucoup  de  prendre  les  armes  sans 


(1)  Court,  t.  I,  p.  75.  —  Nous  renvoyons  le  lecteur  au  Théâtre 
jacré  des  Cèvennes,  auquel  Court  a  emprunté  ces  citations,  et  dans- 
lequel  nous  puiserons  nous-mêmes. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  167 

aucun  retardement  et  d'aller  délivrer  ceux  de  mes  frères 
[que  les  persécuteurs  détenaient  prisonniers  au  Pont- 
de-Mont-Vert.  Ils  étaient  dans  le  château  d'André,  que 
l'abbé  Du  Chayla  occupait.  » 

Cette  obsession  victorieuse  ne  ressemble-t-elle  pas  à 
pelle  qui,  autrefois,  avait  chassé  Jeanne  d'Arc  de  Vaucou- 
jleurs  pour  la  pousser  vers  Charles  VII,  le  gentil  dauphin 
pont  elle  voulait  faire  le  roi  de  France  ? 

Un  gentihomme  renégat,  le  baron  de  Saint-Cômes, 
[touchait,  depuis  son  abjuration,  une  pension  de  deux 
mille  livres.  Il  déployait  un  zèle  ardent  contre  ses  anciens 
[coreligionnaires,  croyant  sans  doute  justifier  ainsi  les 
libéralités  du  roi.  Depuis  quatorze  ans,  bien  des  assem- 
blées avaient  été  surprises  par  lui,  et  massacrées,  à 
ISaint-Cômes,  Candiac,  Garrigues,  Vauvert...  Pour  payer 
|;es  services,  l'intendant  lui  confia  les  charges  d'inspec- 
|;eur  des  nouveaux  convertis  et  de  colonel  des  milices. 
Il  avait  publié  une  ordonnance  de  désarmement  général 
nour  contraindre  ces  populations,  qui  ne  vivaient  que 
lie  la  chasse  et  de  la  pêche,  à  déposer  toutes  leurs  armes 
aians  les  arsenaux  des  villes. 

Un  de  ceux  qui  se  trouvaient  ruinés  par  cette  mesure, 
jkbdias  Morel,  que  l'on  avait  surnommé  Catinat  à  cause 
Ile  son  admiration  enthousiaste  pour  ce  grand  général 
|;ous  lequel  il  avait  longtemps  servi,  —  Catinat  donc,  et 
lïinq  ou  six  autres  avec  lui,  condamnent  à  mort  M.  de 
Eaint-Cômes,  vont  l'attendre  sur  une  route  qu'il  doit 
|;uivre,  se  précipitent,  arrachent  leurs  armes  aux  hommes 
lie  sa  s  îite,  le  tirent  de  son  carrosse,  et  le  tuent  sur  place. 

C'était  le  13  août,  le  lendemain  môme  des  supplices 
■l'Esprit  Séguier,  Nouvel  et  Bonnet.  Le  réponse  était  ter- 
rible. Bâville  prétendait  faire  de  l'intimidation  :  ils 
pillaient  en  faire  à  leur  tour. 


168  HISTOIRE   LES   CAMISARDS 

N'ayant  pu  se  saisir  des  coupables,  le  roi  du  Languedoc 
frappe  les  innocents,  sous  prétexte  de  complicité  morale, 
et  exaspère  encore  les  populations. 

Prévoyant  de  longue  date  que  tant  de  cruautés  porte- 
raient tôt  ou  tard  leurs  fruits  sanglants,  Bàville  avait 
fait  tracer  dans  les  Cévennes  et  dans  le  Vivarais  cent 
chemins  royaux  pour  permettre  de  faire  arriver  l'artillerie 
jusque  dans  les  lieux  les  plus  élevés.  On  avait  formé 
par  ses  soins  cinquante-deux  régiments  de  milices  lo- 
cales, choisis  parmi  les  anciens  catholiques,  plus  nom- 
breux dans  les  contrées  que  les  protestants,  et  soldés 
par  la  province,  c'est-à-dire  en  grande  partie  par  ceux 
qu'ils  avaient  mission  de  poursuivre  à  outrance.  Us 
étaient  exercés  séparément  tous  les  dimanches,  et  pas- 
saient, une  fois  l'an,  une  revue  générale.  En  outre,  on 
avait  fait  élever,  en  1686,  des  forteresses  à  Alais,  Nîmes 
et  Saint-Hippolyte,  principales  entrées  des  Cévennes. 
Tous  les  châteaux,  tous  les  lieux  de  défense  étaient 
armés.  Mais,  dans  ce  siècle  d'anarchie  et  à  une  époque 
où  l'armée  régulière  elle-même  ne  connaissait  pas  la 
discipline  et  ne  vivait  guère  que  de  pillages  sur  le  plat 
pays,  les  mesures  les  plus  sages  en  apparence  n'étaient 
que  des  causes  de  désordre  et  de  vexations  intarissables. 
Une  lettre  écrite  le  7  septembre  1702,  de  Saint-André- 
de-Valborgne,  nous  laisse  entrevoir  un  petit  coin  du 
tableau  (1)  : 

«  Une  troupe  de  vagabond»  s'est  élevée  dans  notre 
pays.  Elle  commet  de  si  grands  désordres  qu'on  ne  peut 
prévoir  que  la  ruine  totale  de  nos  cantons.  Nos  supé- 
rieurs, pour  remédier  aux  ravages  de  ces  brigands,  et 
pour  dissiper  leurs  attroupements,  ont  rempli  le  pays  de 

(l)  Court,  t.  I,  p.  87. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  169 

troupes.  Mais  une  fois  que  nous  les  avons,  hélas!  nos 
malheurs  augmentent  au  lieu  de  diminuer.  Nous 
trouvons  dans  ces  troupes  des  gens  plus  cruels  et  plus 
barbares  cent  fois  que  nos  ennemis  ;  elles  sont  composées 
de  milices  bourgeoises,  anciens  catholiques.  Dispersées 
dans  nos  villages,  on  les  fait  sans  cesse  courir  de  tous 
côtés  pour  tâcher  d'arrêter  ces  malheureux  vagabonds  ; 
mais  elles  nous  désolent  totalement  par  leur  rage.  Le 
peu  d'égards  qu'ils  ont  pour  leurs  désolés  voisins  les 
porte  elles-mêmes  â  toutes  sortes  d'excès  et  de  vio- 
lences. 

<(  En  passant  par  le  pays,  elles  pillent,  elles  battent, 
elles  saccagent  tout  avec  une  cruauté  horrible.  Elles  en- 
chaînent, elles  emprisonnent  indifféremment  tous  ceux 
qu'elles  attrapent,  et  les  punissent  rigoureusement,  sans 
certitude  s'ils  sont  innocents  ou  coupables.  Les  plaintes 
que  l'on  fait  ià-dessus  ne  sont  point  écoutées.  Quel 
n'est  pas  notre  état  !  Nous  sommes  absolument  exposés 
en  proie  à  la  fureur  extrême  de  ces  troupes  impitoyables, 
et  la  seule  qualité  de  nouveau  converti  suffit  pour  n'a- 
jouter aucune  foi  à  ce  qu'il  dit,  quoique  très-souvent  il 
fasse  les  actions  de  très-bon  catholique,  et  qu'il  soit  plus 
zélé  pour  le  service  du  roi,  que  celui  qui  le  persécute. 
En  un  mot,  un  ancien  catholique  ennemi  est  aujour- 
d'hui maître  absolu  du  sort  du  purifié  nouveau  con- 
verti, qui  est  entièrement  exposé  à  tous  ses  ressenti- 
ments. » 

Laporte  débute  par  tailler  en  pièces  trois  compagnies 
de  bourgeoisie  qui,  après  avoir  pillé  plusieurs  villages 
qu'habitaient  de  nombreux  calvinistes.,  emportaient  un 
butin  considérable.  C'était  au  passage  d'un  pont  établi 
sur  la  rivière  de  Vabron,  non  loin  de  Florac.  Pour  bien 
établir  dès  le  début  quelle  «différence  existait  entre  les 

10 


170  HISTOIRE   DES    CAMISARDS 

catholiques  et  les  calvinistes,  il  fit  inviter  ceux  qui 
avaient  été  dépouillés  à  venir  revendiquer  leur  bien, 
sans  permettre  que  les  Camisards  s'en  appropriassent  la 
moindre  parcelle. 


HISTOiRE    DES    CAMISARDS  171 


CHAPITRE  III 


Principaux  chefs  des  insurgés  :  Roland,  Laporte,  Jean  Ca-valier, 
Catinat,  Esperandieu,  Rastalet,  Ravanel,  Castanet,  Joanny.  — 
Phénomènes  de  l'inspiration  :  l'avertissement,  le  souffle,  la  pro- 
phétie, le  don. 


Que  l'on  se  figure  la  situation  effroyable  d'un  pays  ha- 
bité par  deux  populations  hostiles,  des  catholiques  et 
des  protestants,  divisées  parla  plus  terrible  des  haines, 
—  une  haine  religieuse,  —  saccagé  tour  à  tour  par  les 
troupes  du  roi  et  les  bandes  des  révoltés  !  L'indifférence 
était  impossible,  la  neutralité  inutile,  on  eût  été  en  butte 
aux  deux  partis,  et  à  quelque  communion  que  l'on 
appartînt,  on  était  également  menacé. 

C'est  à  ce  moment  qu'apparaît  sur  la  scène  l'homme 
qui  va  jouer  le  plus  grand  rôle  dans  ce  drame  en  même 
temps  sanglant  et  fantastique.  Nous  voulons  parler  de 
Roland,  le  véritable  héros  des  Cévennes,  qui,  lui,  ne 
déposera  jamais  les  armes,  qui  ne  traitera  jamais  avec 
les  bourreaux  de  ses  frères,  qui  sera  vaincu  et  mourra 
martyr,  mais  sans  qu'une  minute  de  défection,  de 
faiblesse  puisse  lui  avoir  jamais  été  reprochée. 


172  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

Roland,  neveu  de  Laporte,  avait  servi  dans  un  régi- 
ment de  dragons.  Il  possédait  donc,  comme  son  oncle, 
quelques  connaissances  militaires,  qu'il  employa  à  dis- 
cipliner un  peu  la  seconde  bande,  qui  accepta  de  marcher 
sous  ses  ordres.  Sa  haute  taille,  sa  voix  fortement 
timbrée,  son  activité  infatigable,  son  courage  froid  et 
persévérant,  son  altitude  imposante,  tout  semblait  le 
prédestiner  à  commander  parmi  les  hommes.  Bien  su- 
périeur à  tous  égards  à  Laporte,  simple  chef  militaire, 
Roland  se  présentait  comme  prédicant,  chef  et  prophète 
à  la  fois.  Aussi  exerçait-il  sur  les  Cévenols  un  prestige 
considérable. 

En  descendant  des  Cévennes,  et  avant  d'arriver  à  la 
plaine  fertile  qui  de  Nîmes  s'étend  jusqu'à  la  mer,  on  ren- 
contre une  longue  vallée  très-peuplée  de  riches  villages, 
presque  tous  protestants.  C'est  la  Yaunage,  qu'ils  se 
plaisaient  à  appeler  leur  petite  Canaan.  C'est  là  que 
Roland  s'établit  tout  d'abord. 

Castanet,  soldat  intrépide  et  bon  prédicant,  ancien 
garde  des  bois  de  la  forêt  del'Aygoal,  commande  bientôt 
une  troisième  troupe  d'insurgés. 

Un  pauvre  petit  pitot  du  pays,  qui  venait  de  naître 
au  moment  de  la  révocation  de  ledit  de  Nantes,  s'était 
vu  contraint  de  suivre  les  écoles  catholiques.  Mais  sa 
mère,  calviniste  fervente,  détruisait  le  soir  l'ouvrage  du 
matin,  et  relevait  dans  la  haine  de  la  religion  de  Rome. 
Elle  le  conduisait  aux  assemblées  du  Désert,  où  l'élo- 
quence de  Brousson  enflamma  plus  d'une  fois  son  ima- 
gination, et  où  il  fut  témoin  des  prodiges  des  petits  pro- 
phètes. Bientôt  lui-même  fut  visité  par  l'esprit  de  Dieu. 
Aprè§  avoir  quitté  son  modeste  métier  de  berger  pour 
celui  de  garçon  boulanger  à  Anduze,  il  s'était  réfugié  à 
Genève,  pour  éviter  la  persécution. 


HISTOIRE    DES    CAM1SARDS  173 

Sa  foi  y  avait  grandi,  son  esprit  s'y  était  développé, 
en  môme  temps  que  ses  facultés  extatiques.  11  rêva  que 
Dieu  lui  commandait  de  revenir  secourir  ses  coreligion- 
naires  opprimés.  Il  obéit,  et  vers  le  commencement  de 
juin  1702,  il  rentra  en  France,  assista  à  quelques  assem- 
blées, et,  après  la  sanglante  nuit  du  Pont-de-Mont-Vert, 
il  proposa  à  des  jeunes  gens  de  prendre  les  armes  à  l'i- 
mitation de  leurs  frères  des  Gévennes,  de  délivrer  les 
captifs,  de  venger  les  victimes,  et  de  faire  respecter  leurs 
croyances.  Il  les  entraîne  par  son  éloquence  persuasive, 
et  ils  jurent  de  le  suivre  partout  où  il  voudra  les  conduire. 

Petit,  le  cou  court  et  gros,  sa  tête  trop  rapprochée 
des  épaules,  ses  yeux  bleus,  son  visage  sans  barbe,  ses 
longs  cheveux  blonds  flottant  sur  ses  épaules  lui  eussent 
fait  donner  seize  ans  à  peine.  Ce  nouveau  chef  en  avait 
près  de  vingt  ;  il  était  né  à  Hibaute,  non  loin  d'Anduze, 
et  il  s'appelait  Jean  Cavalier. 

Ils  étaient  ^dix-huit,  et  ne  possédaient,  en  tout,  qu'un 
fusil  et  deux  vieilles  épées.  Mais  ils  savaient  que,  dans 
les  localités  éloignées  des  grandes  villes,  on  avait  forcé 
les  calvinistes  à  déposer  leurs  armes  chez  les  curés  les 
plus  voisins.  Le  presbytère  de  Saint-Marlin-de-Durfort 
était  non  loin  delà.  Ils  s'y  rendent  au  milieu  delà  nuit, 
éveillent  le  prêtre, et  lui  disent  de  les  suivre  pour  admi- 
nistrer un  homme  qui  va  mourir.  A  leur  nombre  non 
moins  qu'à  leur  attitude,  le  curé  devine  le  péril  qui  le 
menace. 

—  Vous  voulez  des  armes  !  leur  dit-il.  Vous  pouvez 
m'égorger,  et  charger  votre  conscience  du  meurtre  d'un 
vieillard  qui  n'a  jamais  inquiété  un  seul  d'entre  vous. 
Entrez  chez  moi,  puisque  vous  êtes  les  plus  forts,  et  fai- 
tes suivant  votre  volonté. 

Après   avoir  accepté  quelques  rafraîchissements  que 

10. 


174  HISTOIRE   DES    CAMISARDS 

le  vieux  prêtre  leur  offrit,  ils  se  contentèrent  d'enlever 
les  armes  dont  ils  avaient  besoin,  et  ils  se  dirigèrent 
vers  le  camp  de  l'Éternel. 

Pendant  ces  premiers  temps,  ces  bandes  parurent  se 
recueillir,  et  leur  nombre  ne  leur  servit  qu'à  se  réunir 
plus  fréquemment  et  avec  moins  de  danger,  dans  leurs 
assemblées  du  Désert.  La  maladie  de  fanatisme,  de  plus 
en  plus  contagieuse,  se  développa  dans  des  proportions 
prodigieuses,  et  l'histoire  n'a  rien  à  enregistrer  d-' aussi 
merveilleux  que  ce  que  l'on  vit  alors.  Pendant  quatre 
années,  des  révoltés  n'agirent,  ne  vécurent  qne  sous 
l'inspiration  d'hommes  et  de  femmes  prophètes,  ou 
même  de  prophètes  enfants,  chez  lesquels  on  constatait 
quatredegrés  différents  d'initiation,  etauxquels  il  n'était 
accordé  qu'une  confiance  proportionnée  à  leur  élévation 
dans  l'échelle  des  faveurs  divines.  11  y  avait  l'avertisse*- 
ment,  le  souffle,  la  prophétie  et  le  don. 

«  Ils  ne  se  regardaient  pas  tous  comme  inspirés,  dit 
Court  de  Gébelin.  Le  nombre  même  de  ceux  qui  pré- 
tendaient l'être  était  très-petit  en  comparaison  des 
autres,  mais  ils  croyaient  tous  aux  inspirations.  C'était 
par  elles  que  tout  se  réglait  parmi  eux.  Fallait-il  élire 
des  chefs,  livrer  des  combats,  former  des  projets,  les 
mettre  à  exécution,  décider  du  sort  des  personnes  de 
qui  ils  prétendaient  avoir  reçu  de  mauvais  traitements, 
et  qui  dans  la  suite  avaient  le  malheur  de  tomber  entre 
leur  mains?  Ce  n'était  jamais  qu'après  avoir  consulté 
l'Esprit-Saint,  dont  les  inspirés  se  croyaient  animés,  et 
qu'en  conséquence  de  l'ordre  qui  en  était  émané.  C'était 
l'inspiration  qui  découvrait  les  traîtres  cachés,  qui  or- 
donnait du  temps  où  il  fallait  mettre  des  sentinelles, 
ou  n'en  mettre  pas,  qui  rendait  les  croyants  intrépides 
dans  les   combats,  qui  leur  faisait    affronter  la  mort 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  175 

sans  crainte,  qui  les  soutenait  dans  leurs  fatigues,  et 
dans  les  supplices  même.  Sur  tout  cela,  il  est  bon  de 
rapporter  leurs  propres  termes  (1): 

«  Les  premières  personnes  que  j'ai  vues  dans  l'ins- 
piration étaient  ma  mère,  mon  frère,  mes  deux  sœurs 
et  une  cousine  germaine.  Il  y  a  présentement  treize 
ans  pour  le  moins  que  ma  mère  a  reçu  les  grâces,  et 
elle  les  a  toujours  eues  depuis  ce  temps-là  jusqu'à  mon 
départ  de  Montpellier,  vers  le  mois  de  mai  1702  ;  et 
j'ai  appris  de  diverses  personnes,  qui  l'ont  vue  il  n'y 
a  pas  longtemps,  qu'elle  est  encore  dans  lé  même 
état.  Il  y  a  onze  ans  qu'elle  est  détenue  en  prison.  Mes 
sœurs  reçurent  le  don  quelque  temps  après  que  ma 
mère  l'eut  reçu  ;  l'une  à  l'âge  de  dix-neuf  ans,  l'autre 
de  onze.  Elles  sont  mortes  eii  mon  absence.  Les  plus 
grandes  agitations  de  ma  mère  étaient  de  la  poitrine, 
ce  qui  lui  faisait  faire  de  grands  sanglots.  Elle  ne  par- 
lait que  français  pendant  l'inspiration,  ce  qui  me  causa 
une  grande  surprise  la  première  fois  que  je  l'entendis, 
car  jamais  elle  n'avait  essayé  de  dire  un  mot  en  ce  lan- 
gage, ni  ne  l'ajamais  fait  depuis,  de  ma  connaissance, 
et  je  suis  assuré  qu'elle  ne  l'aurait  pu  faire,  quand  elle 
aurait  voulu. 

«  Environ  un  an  avant  mon  départ,  deux  de  mes 
amis  (Antoine  Coste  et  Louis  Talori)  et  moi,  allâmes 
visiter  Pierre  Jacquet,  notre  ami  commun,  au  moulin 
de  l'Eve,  proche  de  Vernon.  Comme  nous  étions  en- 
semble, une  fille  de  la  maison  vint  appeler  sa  mère 
qui  était  avec  nous,  et  lui  dit  :  «  Ma  mère,  venez  voir 
l'enfant.  »  Ensuite  de  quoi,  la  mère  elle-même  nous  ap- 
pelle en  nous  disant  que  nous  venions  voir  le  petit  en- 

(I)  T.  II,  p.  166.  Nous  puiserons  à  la  même  source  que  Court  de 
Gébelin,  mais  sans  nous  astreindre  à  reproduire  les  mêmes  citations. 


176  HISTOIRE   DES   CAMISARDS 

fant  qui  parlait.  Elle  ajouta  qu'il  ne  fallait  pas  nous 
épouvanter,  et  que  ce  miracle  était  déjà  arrivé.  Aus- 
sitôt nous  courûmes  tous  :  l'enfant,  âgé  de  treize  à 
quatorze  mois,  était  enmailloté  dans  le  berceau,  et  il 
n'avait  encore  jamais  parlé  de  lui-même,  ni  marché. 
Quand  j'entrai  avec  mes  amis,  l'enfant  parlait  distinc- 
tement en  français  d'une  voix  assez  haute,  vu  son  âge, 
en  sorte  qu'il  était  aisé  de  l'entendre  par  toute  la 
chambre.  Il  exhortait,  comme  les  autres  que  j'avais  vus 
dans  Tinspiration,  à  faire  des  actes  de  repentance  ; 
mais  je  ne  fis  pas  assez  d'attention  à  ce  qu'il  dit,  pour 
me  souvenir  d'aucune  circonstance.  La  chambre  où 
était  cet  enfant  se  remplit  ;  il  y  avait  pour  le  moins 
vingt  personnes,  et  nous  étions  tous  priant  et  pleurant 
autour  du  berceau. 

«  Après  que  l'extase  eut  cessé,  je  vis  l'enfant  dans  son 
ordinaire.  Sa  mère  nous  dit  qu'il  avait  eu  des  agitations 
de  corps  au  commencement  de  l'inspiration  ;  mais  je  ne 
remarquai  pas  cela  quand  j'entrai.  C'était  une  chose  dif- 
ficile à  reconnaître,  parce  qu'il  était  enveloppé  de  ses 
langes.  J'ai  beaucoup  ouï  parler  ici  d'un  autre  petit 
enfant  à  la  mamelle,  qui  parlait  aussi  à  Dieu.  Dans  le 
Dauphiné,  j'ai  assisté  à  une  petite  assemblée  dans  une 
cave,  auprès  de  Bois-Chêtel,  où  une  jeune  fille  dit  dans 
l'inspiration  après  avoir  parlé  déjà  assez  longtemps:  «Je 
t'assure,  mon  enfant,  qu'il  y  a  des  gens  qui  ont  dessein 
de  vous  surprendre  ;  il  faut  vous  retirer  bientôt  »  (ou 
quelque  chose  de  semblable)  ;  et  quand  elle  fut  revenue 
à  elle-même,  elle  continua  de  dire  qu'il  fallait  se  retirer 
promptement.  En  effet,  les  soldats  vinrent  visiter  la 
maison  aussitôt  après  (1).  » 

(1)  Déposition  de  Jean  Vernet,  de  Bois-Çhâtel,  dans  le  Vivarais. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  177 

Il  est  digne  de  remarque  que,  dans  l'extase,  la  pro- 
phétesse  parlait  français.  Tous  et  toutes  faisaient  de 
même.  Le  patois  languedocien  était  le  seul  dont  ils  se 
servaient  dans  la  vie  ordinaire,  et  dès  qu'ils  étaient 
visités  par  l'esprit,  il  leur  paraissait  plus  facile  de  s'é- 
noncer dans  un  idiome  qui  leur  était  peu  familier. 

Nous  pensons  qu'ici,  d'ailleurs,  une  large  part  doit 
être  faite  à  l'exagération,  à  l'erreur.  On  voulait  pousser 
la  chose  jusqu'au  miracle:  l'inspiration,  chez  les  enfants 
de  dix  à  douze  ans,  eût  pu  s'expliquer  naturellement. 
Alors  on  fut  jusqu'à  faire  parler  les  enfants  à  la  mamelle. 
Tout  le  monde  avait  entendu  les  premiers  prophétiser 
et  prédire  dans  leur  extase  somnamhulique;  de  plus 
ambitieux  voulurent  qu'il  leur  fût  arrivé  quelque  chose 
de  plus  qu'à  tout  le  monde.  Mais  parce  que  tout  n'est 
pas  rigouresement  vrai,  tout  doit-il  être  rejeté?  Alors 
que  reste-il  de  certain  dans  les  événements  de  ce  monde, 
au  milieu  desquels  la  passion  des  partis,  l'inintelligence 
ou  la  prévention  des  témoins,  ont  su  introduire  un 
inévitable  mélange  de  détails  erronés? 

«  Je  partis  d'Anduze  au  mois  de  juin  1702,  pour  aller 
à  Genève.  Étant  dans  mon  pays,  j'ai  assisté  à  trois 
assemblées,  dans  l'une  desquelles  un  jeune  homme  qui 
parlait  dans  l'extase  prononça  ces  paroles  :  «  Je  te  dis, 
«  mon  enfant,  que  vous  devez  vous  retirer  d'ici  ;  je  te 
«  dis  que  vous  êtes  vendus  (1).  »  Mais  comme  on  n'obéit 
pas  assez  promptement,  et  qu'on  demeura  encore  en- 
viron une  heure  dans  l'assemblée,  la  bourgeoisie  d'An- 


(l)  C'était  la  formule  presque  invariable  :  «  Je  te  dis,  mon  en- 
fant... Je  t'assure,  mon  entant.  »  Voici  une  particularité  bien 
étrange.  En  1850,  à  une  époque  où  j'étais  bien  éloigné  de  songer 
à  ces  choses,  que  j'ignorais  profondément,  le  hasard  me  permit 
d'étudier  pendant  longtemps  une  extatique  naturelle  qui  nie  mit 


178  IIISTOIRE    DES    CAMISARDS 

duze  en  armes  tomba  sur  nous,  et  il  y  en  eut  quinze 
qui  furent  faits  prisonniers  (1).  » 

Ces  faits  de  seconde  vue,  de  prévision,  si  communs 
dans  l'état  somnambulique,  étaient  de  tous  les  jours,  et 
sauvaient  parfois  les  révoltés  de  périls  imminents.  Le 
Théâtre  sacré  des  Cévennes  en  fournit  des  exemples  à 
chaque  page  : 

a  Alexis  ne  fut  pas  sitôt  assis  qu'il  tomba  en  extase  : 
il  appuyait  sa  tête  de  sa  main,  et  ses  plus  grandes  agita- 
tions étaient  de  la  poitrine.  Il  parla  à  très-haute  voix,  et 
ce  | qu'il  disait,  en  général,  était  pour  porter  ceux  qui 
l'entendaient  à  se  repentir  de  leurs  péchés  et  à  ne  plus 
participer  à  l'idolâtrie.  Étant  dans  l'inspiration,  il  repro- 
cha aux  femmes  qui  étaient  présentes  d'avoir  avalé  le 
morceau  de  basilic  (l'hostie)  ;  et  me  tendant  la  main 
il  me  dit  :  «  Toi,  mon  frère,  tu  ne  l'as  pas  avalé.»  Cela 
fut  accompagné  d'autres  paroles  et  de  circonstances 
qui  firent  une  grande  impression  dans  l'esprit  des  assis- 
tants. Il  dit  que  ce  n'était  pas  lui  qui  parlait,  mais  que 
c'était  l'Esprit  de  Dieu  qui  parlait  par  sa  bouche.  Je  me 
souviens  qu'il  reprocha  à  quatre  femmes  de  la  maison 
qu'elles  s'étaient  allées  coucher  sans  prier  Dieu  et  qu'il 
insista  en  criant  fortement  :  «  Confessez,  confessez,  mal- 
heureuses !  »  Et  elles  avouèrent  que  cela  était  vrai.  Sur 
quoi  il  exhorta  beaucoup  à  prier  sans  cesse... 

«  Le  même  soir,  Alexis,  Révault  et  moi,  allâmes  cou- 
cher chez  un  honnête  homme  de  notre  connaissance, 


en  présence  de  phénomènes  aussi  difficilement  croyables  que  ceux 
dont  les  Cévennes  furent  témoins,  et  qui,  en  parlant  d'elle,  s'expri- 
mait toujours  ainsi  :  «  Tu  feras,  ma  pauvre  enfant...  »  Elle  par- 
vint à  se  guérir  elle-même  par  ses  prescriptions,  alors  que  la  fa- 
culté l'avait  abandonnée. 
(1)  Déclaration  de  Jean  Cabanel,  d'Anduze. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  179 

nommé  Cabrit,  à  une  petite  demi-lieue  de  là.  Une  heure 
après  que  nous  fûmes  arivés,  Alexis  reçut  l'inspiration. 

«  Il  dit  entre  autres  choses  qu'encore  que  l'ennemi 
fût  proche  de  là,  il  n'y  avait  point  de  danger  pour 
nous.  «  Je  t'assure,  mon  enfant,  lui  dit  l'Esprit,  que 
vous  n'avez  rien  à  craindre,  je  ne  permettrai  pas  qu'au- 
un  détachement  passe  ici  (1)  » 

«  Gomme  notre  troupe  était  entre  Ners  et  Las-Cour- 
de-Creviez,  dit  Durand  Fage,  le  frère  Cavalier,  notre 
chef,  eut  une  vision.  Il  était  assis,  et  il  se  leva  soudai- 
nement, en  nous  disant  ces  paroles  :  «  Ah  !  mon  Dieu  ! 
je  viens  de  voir  en  vision  que  le  maréchal  de  Montrevel, 
qui  esta  Alais,  vient  de  donner  des  lettres  contre  nous  à 
un  courrier  qui  va  les  porter  à  Nîmes.  Qu'on  se  hâte,  et 
on  trouvera  le  courrier  habillé  d'une  telle  manière, 
monté  sur  un  tel  cheval,  et  accompagné  de  telles  et 
telles  personnes.  Gourez,  hâtez-vous,  vous  le  trouverez 
sur  le  bord  du  Gardon.»  A  l'instant,  trois  de  nos  hommes 
montèrent  à  cheval,  Ricard,  Bouré,  et  un  autre  ;  et  ils 
rencontrèrent  sur  le  bord  de  la  rivière,  dans  l'endroit 
marqué,  et  l'homme  et  ceux  qui  étaient  avec  lui,  dans 
toutes  les  circonstances  que  le  frère  Cavalier  avait  spé- 
cifiées. Cet  homme  fut  amené  à  la  troupe,  et  on  le  trouva 
j  chargé  des  lettres  du  maréchal  ;  de  sorte  que  nous  fûmes 
informés,  par  cette  admirable  révélation,  de  diverses 
choses  dont  nous  fîmes  ensuite  un  heureux  usage.  Le 
courrier  fut  renvoyé  à  pied.  J'étais  clans  la  troupe  quand 
cela  arriva,  et  j'atteste  ce  que  j'ai  vu.  » 

Nous  savons  que  les  parents  étaient  souvent  fort  em- 
barrassés de  leurs  enfants,  qui  prophétisaient  malgré 
eux,  et  les  exposaient  ainsi  aux  peines  prononcées  par 

(l)  Déclaration  de  Jacques  Mazel. 


180  HISTOIRE   DES   CAMfSÀRDS 

l'autorité.  Voici  qui  donne,  en  môme  temps,  la  mesure 
du  savoir  et  de  l'intelligence  des  curés  d'alors  : 

«Un  bon  paysan, nommé  Halmèdc,  avait  un  fils  de 
douze  à  treize  ans  (au  commencement  de  1702),  qui  re- 
cevait des  inspirations.  Halmède,  apprenant  la  persécu- 
tion, alla  au  curé,  :  «  Monsieur  le  curé,  lui  dit-il,  mon 
fils  prophétise,  je  vous  en  avertis,  et  ne  prétendez  pas 
me  venir  ruiner  pour  cela.  — J'ai  médité  sur  ces  choses- 
là,  répondit  le  curé  ;  croyez-moi,  faites  jeûner  votre  fils, 
vous  verrez  que  c'est  un  bon  remède.  »  Le  père  obéit, 
mais  l'enfant  continua  de  prophétiter  comme  à  l'ordi- 
naire, et  Halmède  en  donna  avis  au  curé.  »  Eh  bien  ! 
dit  celui-ci,  faites  autre  chose  :  au  moment  que  votre 
garçon  tombera  dans  les  agitations  qui  sont  le  prélude 
de  ses  harangues,  donnez-lui  de  bons  coups  de  bâton  ; 
si  c'est  un  fourbe,  vous  le  verrez  bientôt.  »  Le  père  obéit 
encore,  mais  si  ce  mauvais  traitement  interrompait 
quelquefois  l'opération,  par  une  raison  secrète  du  bon 
plaisir  de  Dieu,  l'enfant  était  pourtant  visité  de  l'Esprit 
plus  fréquemment  qu'à  l'ordinaire;  il  aurait  fallu  le 
battre  jusqu'à  la  mort... 

«  Revenons  à  notre  curé.  11  se  trouva  dans  un  grand 
embarras,  quand  le  paysan  l'assura  que  les  coups  donnés 
à  l'enfant  ne  rebutaient  pas  l'Esprit,  et  il  pensa  en  lui- 
même,  qu'apparemment  le  petit  garçon  était  ensorcelé. 
Dans  cette  imagination  de  son  cerveau  creux,  il  eut  re- 
cours aux  charmes.  Il  conseilla  au  père  de  se  munir 
d'une  peau  de  serpent  et  de  la  mettre  sur  l'enfant,  dans 
le  temps  qu'il  prophétiserait.  Halmède  voulut  obéir  pour 
la  troisième  fois.  (Les  peaux  de  serpent  se  trouvent  com- 
munément dans  le  pays,  et  les  bonnes  gens  s'en  servent 
pour  beaucoup  de  choses.  )  Gomme  son  fils  parlait  sous 
l'inspiration  du  Saint-Esprit,  il  approcha  de  lui  avec  sa 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  181 

peau  de  serpent,  belle  et  bien  choisie,  pour  la  lui  mexlre 
sur  la  tète.  Mais  à  cet  instant  même,  l'enfant,  se  sentant 
agité  avec  une  violence  extraordinaire,  haussa  sa  voix 
en  criant,  et  se  mit  à  censurer  fortement  son  père.  Il  ré- 
véla tout,  en  présence  de  diverses  personnes,  ce  qui 
avait  été  dit  et  fait  avec  le  curé,  ajoutant  menaces  sur 
menaces,  d'une  façon  terrible  contre  les  pécheurs  en- 
durcis. Le  père,  frappé  comme  d'un  coup  de  foudre, 
versa  des  larmes  de  repentance  ;  et  Dieu  voulut  que,  peu 
de  jours  après,  il  reçut  lui-môme  le  don  de  révélation 
et  de  prédication  (1).» 

«  J'ai  vu,  dit  un  autre,  un  grand  nombre  de  ces  ins- 
pirés, de  tout  âge,  et  des  deux  sexes...  C'étaient  tous  des 
gens  sans  malice,  et  en  qui  je  n'apercevais  rien  que  je 
pusse  soupçonner  être  de  leur  invention.  Ils  faisaient 
de  fort  belles  exhortations,  parlant  français  pendant  la 
révélation.  On  doit  remarquer  qu'il  n'est  pas  moins  dif- 
ficile à  des  paysans  de  ces  quartiers-là  de  faire  un  dis- 
cours en  français,  qu'à  un  Français  qui  ne  ferait  que 
d'arriver  en  Angleterre  de  parler  anglais... 

«Des  diverses  personnes  que  j'ai  vues  dans  le  saisis- 
sement (je  ne  sais  pas  comment  exprimer  cela),  il  n'y  en 
a  point  eu  qui  m'ait  causé  plus  d'étonnement  qu'une 
certaine  pauvre  idiote  de  paysanne,  âgée  d'environ  qua- 
rante ans  ;  je  la  connaissais  parce  qu'elle  avait  été  en 
service  chez  un  de  mes  amis.  C'était  assurément  la  plus 
simple  et  la  plus  ignorante  créature  que  nos  montagnes 
eussent  jamais  produite.  Quand  on  me  dit  qu'elle  prê. 
ehait,  mais  qu'elle  prêchait  à  merveille,  je  n'en  cran 
rien  du  tout.  Il  ne  pouvait  pas  me  tomber  dans  l'esprit 
qu'elle  pût  seulement  joindre  quatre  mots  de  français 

(1)  Déclaration  de  Abraham  Mazel. 

i! 


182  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

ensemble,  et  j'en  aurais  juré,  ni  même  qu'elle  eut  te 
hardiesse  de  parler  dans  une  compagnie.  Cependant,, 
j'ai  été  témoin  plusieurs  fois  qu'elle  s'acquittait  de  tout, 
cela  miraculeusement  bien.  Cette  ânesse  de  Balaam  avait 
une  bouche  d'or  quand  l'intelligence  céleste  la  faisait 
parler.  Jamais  orateur  ne  s'est  fait  écouter  comme  elle... 
C'était  un  torrent  d'éloquence,  c'était  un  prodige,  et  ce  que 
je  dis  n'a  rien  d'exagéré.  Une  autre  chose  fort  singulière r 
c'est  que  cette  prophétesse  prêchait  souvent,  et  qu'elle 
était  en  quelque  sorte  maîtresse  de  ses  enthousiasmes, 
c'est-à-dire  qu'elle  les  obtenait  quand  elle  les  demandait.  » 

En  voilà  assez,  croyons-nous,  pour  faire  connaître  les 
principaux  caractères  de  cette  lutte  sans  exemple.  Nous 
allons  maintenant  poursuivre  le  récit  des  événements. 

Dans  cette  guerre  de  surprises,  toutes  les  difficultés 
étaient  pour  l'attaque,  tous  les  avantages  pour  la  dé- 
fense. Chaque  montagnard  était  un  complice  pour  les 
révoltés,  et  se  faisait  un  devoir  de  conscience  de  faire 
tomber  les  troupes  catholiques  dans  toutes  les  embus- 
cades qui  leur  étaient  dressées.  Des  bergers,  dont  les 
troupeaux  paissaient  au  sommet  des  montagnes,  leur 
servaient  de  sentinelles,  et,  au  moyen  de  certains  si- 
gnaux, leur  faisaient  connaître  la  marche  de  l'ennemi. 
On  passait  auprès  d'un  laboureur  absorbé  par  ses  tra- 
vaux rustiques,  auprès  d'une  pauvre  femme  qui  menait 
ses  vaches  aux  champs,  auprès  d'un  enfant  qui  parais- 
sait tout  entier  aux  jeux  de  son  âge;  mais  les  soldats 
avaient  à  peine  passé,  que  le  laboureur  saisissait  son 
fusil  caché  dans  les  broussailles  et  tuait,  invisible,  les 
traînards  attardes,  l'enfant  faisait  siffler  sa  fronde  au- 
tour de  sa  tête,  et,  avec  ses  sabots,  la  femme  écrasait  le 
crâne  des  blessés. 

On  arme  les  communautés  ;  mais  on.  organise  ainsi 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  183 

la  guerre  civile.  Des  nouveaux  convertis  combattaient 
dans  les  rangs  de  ces  réquisitionna  ires.  C'était  autant 
de  traîtres  qui,  au  jour  du  combat,  passaient  du  côté 
de  leurs  frères  en  religion.  Le  découragement  se  glissait 
dans  le  cœur  des  soudards,  qui  sentaient  la  trahison  les 
envelopper  de  tous  côtés.  Mal  payés  par  un  gouvernement 
aux  abois,  le  pillage  ne  les  enrichissait  guère,  dans  ces 
contrées  pauvres  et  dévastées.  On  demandait  de  bonnes 
troupes  nombreuses  ;  mais  la  cour  se  débattait  contre 
l'Europe,  à  bout  de  patience  en  face  de  l'orgueil  intrai- 
table du  roi-soleil,  et  il  n'y  avait  plus  ni  hommes,  ni 
argent  à  expédier  en  Languedoc. 

Les  Camisards  paraissent  vouloir  se  contenter  encore 
de  se  venger  de  ceux  dont  ils  avaient  trop  à  se  plaindre. 
C'est  ainsi  qu'ils  mettent  successivement  à  mort  le  se- 
crétaire de  Du  Chayla,  qui  levait  impitoyablement  les 
sommes  auxquelles  les  paroisses  suspectes  avaient  été 
condamnées  pour  frais  de  procédures,  à  la  suite  du 
meurtre  de  l'archiprôtre  ;  le  prieur  de  Saint-Martin-de- 
Bordeaux,  homme  brûlant  de  zèle  ;  le  capitaine  Jourdan, 
protestant  renégat,  celui  qui  avait  tué  par  surprise  le 
prédicant  Yivens,  et  qui.  en  maintes  circonstances, 
avait  massacré  impitoyablement  les  assemblées  de  ses 
anciens  coreligionnaires.  Il  s'était  caché  sous  son  lit; 
après  lui  avoir  reproché  ses  méfaits,  ils  lui  accordèrent 
le  temps  d'adresser  à  Dieu  ses  dernières  prières,  et  ils 
exécutèrent  la  sentence  qu'ils  venaient  de  rendre. 

Broglie  luttant  de  son  mieux,  suppléait  comme  il  pou- 
vait aux  difficultés  sans  nombre  de  la  situation.  Il  vint 
établir  son  quartier  général  à  Saint-Jean-de-Gardon- 
nnique,  au  cœur  môme  des  Hautes-Cévenncs.  L'in- 
tendant le  seconda  par  ses  ordonnance  furibondes." 

Pour  les  appuyer,  on  fait  des  arrestations  en  masse. 


184  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

En  peu  de  jours,  à  Alais,  Bâville  juge,  c'est-à-dire  con- 
damne des  accusés  de  tout  âge  et  de  tout  sexe,  entre 
autres  deux  prédicants,  Mandagoute  et  Abraham  Pouget. 
On  arrête  ceux  qui  ne  dénoncent  pas  les  asiles  des  Céve- 
nols armés,  soit  qu'ils  en  aient  on  non  connaissance. 

Pendant  ce  temps  les  milices  poursuivaient  Laporte, 
et,  pour  commencer  les  hostilités,  se  faisaient  battre  par 
lui.  Poul,  alors,  accourut  pour  le  venger.  Il  y  eut  un  pre- 
mier combat  au  lieu  appelé  le  Champ-Domergue  (sep- 
tembre 1702).  Chacun  releva  ses  morts,  et  le  succès 
demeura  incertain. 

Il  était  difficile  d'atteindre  les  Cévenols,  retirés  dans 
les  montagnes.  On  eut  recours  à  la  trahison,  et  Poul 
surprit  la  petite  bande  de  Laporte  sur  une  hauteur, 
entre  le  château  deMazel  et  le  chemin  de  Témélac.  Une 
pluie  abondante  avait  mis  les  insurgés  dans  l'impos- 
sibilité de  se  servir  de  leurs  armes  à  feu.  Mieux  protégés, 
les  soldats  de  Poul  fondent  sur  eux,  Laporte  tombe 
mort,  en  essayant  de  protéger  la  retraite  des  siens. 
Poul  fait  trancher  la  tète  au  cadavre  ainsi  qu'à  huit 
autres  calvinistes  qui  avaient  succombé.  Il  lui  fallait  sa 
douzaine  ;  pour  la  compléter,  il  ajoute  les  tètes  de  trois 
de  ses  hommes,  tombés  sous  les  coups  des  Camisards, 
et  ce  sinistre  trophée  est  promené  par  les  ordres  de 
Broglie  dans  les  principales  villes  de  la  contrée.  Le 
25  octobre,  les  douze  têtes  sont  exposées  au  pont  d'An- 
duze  ;  le  lendemain,  à  Saint-Hippolyte,  et  de  là  à  Mont- 
pellier sur  la  place  de  l'Esplanade. 

A  cette  vue,  la  rage  des  calvinistes  ne  connut  plus  de 
bornes.  Privés  de  leur  chef,  les  hommes  de  Laporle  vin 
rent  grossir  les  deux  petites  troupes  de  Roland  et  de  Ca- 
valier. De  nouvelles  bandes  se  forment  dans  le  diocèse 
d'Uzès.  La  principale  reconnaît  pour  chef  Nicolas  Joanny, 


HISTOIRE    DES    CAMISABDS  185 

de  Genouillac,  ancien  maréchal-des-logis,  qui  signale 
son  entrée  en  scène  par  un  premier  succès  auprès 
d'Hyeuset.  La  troupe  fuit  devant  lui,  laissant  parmi  les 
morts  les  deux  capitaines  qui  la  commandaient.  Une 
seconde  marche  sous  le  commandement  de  Couderc,  sur- 
nommé la  Fleur,  de  Mazel-Rosade.  Il  avait  été  dans  les 
ceps  de  l'abbé  Du  Chayla,  et  c'est  au  dévouemeut  de  sa 
mère  qu'il  avait  dû  d'en  sortir. 

De  là  sa  fureur  contre  les  ecclésiastiques.  Réunis  ou 
séparés,  ces  deux  chefs  brûlent  les  églises  et  les  pres- 
bytères du  Bousquet,  de  Cassagnac,  du  Prunet,  de  Saint- 
Andéol,  et  de  cinq  ou  six  autres  lieux,  et,  pour  l'exemple,  . 
ils  veulentmettreàmort  un  traître  qui  lesavaitdénoncés. 
Il  parvient  à  se  sauver,  mais  sa  femme  et  ses  deux  filles 
périssent  sous  les  ruines  de  sa  maison  incendiée. 

Dès  le  mois  de  novembre,  les  insurgés,  forts  de  la 
complicité  du  pays,  marchent  ouvertement,  en  plein 
jour,  rétablissent  l'exercice  public  de  leur  culte,  défen- 
dent d'aller  à  la  messe,  de  payer  les  dîmes;  ils  font 
verser  entre  leurs  mains  l'argent  des  fermiers  des  béné- 
fices et  du  fisc  royal.  Tous  les  services  publics  sont  dé- 
sorganisés, l'anarchie  est  à  son  comble. 

Les  assemblées  du  Désert  se  rouvrent,  plus  fréquentes 
et  plus  suivies  que  jamais.  Là,  Cavalier  se  révèle  prédi- 
cantet  prophète  à  la  fois,  en  attendant  qu'il  grandisse 
sur  les  champs  de  bataille,  et  bientôt  sa  renommée  rejette 
sur  le  second  plan  Roland  lui-même.  Pour  châtier  la 
paroisse  d'Aigues-Vives,  où  il  venait  de  tenir  une  très- 
nombreuse  assemblée,  et  faute  de  pouvoir  se  saisir  des 
coupables,  Broglie  fait  pendre  quatre  personnes  à  la 
porte  de  l'église,  et  en  envoie  douze  aux  galères,  parmi 
lesquelles  le  premier  consul,  ou  fonctionnaire  munici- 
pal. Quelques  femmes  furent  fouettées  par  le  bourreau. 


186  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

On  rasa  la  maison  du  consul  et  de  quelques  autres,  et 
le  lieu  fut  condamné  à  une  amende  de  mille  livres 
pour  les  frais  delà  procédure  et  ceux  de  l'exécution. 

Un  prédicant,  La  Quoite,  fut  roué  vif,  par  surcroît. 
«  Le  supplice  qui  brisa  ses  os  ne  brisa  pas  son  cœur  en- 
durci, dit  Louvreleuil  ;  il  mourut  dans  son  hérésie  (1).  » 

Bâville,  le  roi  du  Languedoc,  avait  obtenu  de  la  cour 
qu'elle  lui  donnât  carte  blanche,  et  un  arrêt  du  conseil 
lui  attribua  «  la  connaissance  de  tous  les  crimes  relatifs 
au  soulèvement,  avec  le  pouvoir  de  mettre  tels  juges 
qu'il  jugeraità  propos,  pour  faire  le  procès  aux  prévenus 
et  les  juger  en  dernier  ressort.  »  C'était  l'arbitraire  sous 
le  masque  de  la  justice.  L'intendant  accusait  les  cal- 
vinistes de  ce  qu'il  voulait,  et  faisait  décider  de  leur  sort 
par  qui  lui  plaisait.  Mieux  valaient  les  agissements  des 
chefs  militaires,  qui  pendaient  sans  autre  forme  de  pro- 
cès. Cela  du  moins  avait  le  mérite  de  la  franchise. 

Effrayés  de  ces  ordonnances  impies,  ainsi  que  des 
exécutions  aveugles  dont  elles  donnèrent  le  signal,  les 
protestants  de  la  Vaunage,  voyant  traiter  de  môme,  in- 
nocents et  coupables,  comprirent  qu'il  ne  leur  restait 
plus  qu'à  mourir  en  se  défendant,  et  furent  grossir  les 
bandes  detîoland  et  de  Cavalier,  qui,  réunies,  se  prirent 
à  dévaster  les  églises  catholiques,  en  égorgeant  de  leur 
mieux  les  curés  dont  elles  pouvaient  se  saisir. 

Rien  ne  saurait  peindre  la  terreur  qui  s'empara  des 
ecclésiastiques.  Ils  désertèrent  leurs  presbytères  pour 
venir  se  réfugier  dans  les  villes.  Les  évoques  d'Uzès, 
d'Alais,  de  Mende,  les  recuellirent,  barricadèrent  leurs 
palais  épiscopaux,  organisèrent  la  défense  comme  si  les 
armées  d'Attila  étaient  aux  portes.  Louvreleuil,  le  curé 

(1)  Louvreleuil,  prêtre,  Le  Fanatisme  renouvelé,  t.  I,  p.  108. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  187 

nistorien,  fait  un  dénombrement  homérique  des  plans 
de  défense  de  celui  de  Mende  (1)  :  «  Contrescarpes, 
ravelins,  courtines,  portes,  herses,  fossés,  fausses 
hrayes,  murailles,  tours,  remparts,  parapets,  guérites 
tout  fut  rétabli  et  mis  en  bon  état...  Huit  compagnies 
de  cinquante  hommes  chacune,  et  une  de  cent  quarante- 
cinq,  composées  de  paysans  du  dehors,  furent  mises 
■sur  pied,  non-seulement  pour  se  bien  défendre,  mais 
encore  pour  être  en  état  d'envoyer  des  secours  aux  envi- 
rons. )> 

Les  insurgés  triomphaient  de  la  terreur  qui  pesait  sur 
la  contrée,  et  paraissaient  peu  effrayés  des  adversaires 
qu'on  leur  opposait.  Un  capitaine,  en  garnison  au  châ- 
teau de  Mandagors,  marche  contre  eux  ;  il  est  tué,  les 
siens  se  retirent  en  désordre.  Alors  les  États  du  Lan- 
guedoc, assemblés  à  Montpellier  le  9  novembre,  or- 
donnent la  levée  de  trente-deux  compagnies  de  fusiliers 
■et  d'un  régiment  de  dragons  auquel  on  donne  le  nom 
de  la  province.  Bâville  obtient  le  concours  d'un  ba- 
taillon de  marine  en  quartiers  d'hiver  dans  les  évêchés 
de  Toulon,  Aix,  et  Marseille,  et  qui  fut  transporté  sur 
ceux  de  Nîmes  et  d'Uzès  ;  du  régiment  de  dragons  de 
Saint-Cernin,  et  d'un  régiment  irlandais.  Il  fît  en  outre 
des  levées  de  miquelets  dans  le  Roussillon,  afin  d'op- 
poser les  montagnards  des  Pyrénées  aux  montagnards 
•des  Gévennes.  Enfin,  on  envoya  des  députés  à  la  cour 
pour  représenter  les  malheurs  de  la  contrée  et  réclamer 
de  prompts  secours. 

C'est,  de  part  et  d'autre,  un  effroyable  échange  d'excès 
qui  se  succèdent  sans  interruption.  La  fumée  des  églises 
incendiées  se  confond  avec  celle  des  temples  détruits, 

(l)  Le  Fanatisme  renouvelé,  t.  I,  p.  96.  —  Court,  t.  I,  p.  12S. 


188  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

tout  est  à  feu  et  à  sang.  Cavalier  grandit  sur  ces  ruines 
amoncelées,  ses  talents  et  son  audace  mettent  en  défaut 
l'habileté  des  officiers  qu'on  lui  oppose,  et  il  devient 
pourses  sectateursënthousiastesleGédéon,leMachabée, 
le  Jean  Ziska,  le  Ragotzki  du  Languedoc  (1). 

Sa  troupe  allait  grossissant  chaque  jour.*  Là  surtout, 
les  prophètes  régnaient  et  gouvernaient  avec  un  pouvoir 
absolu:  «  Tout  ce  que  nous  faisions,  dit  l'un  d'eux  (2), 
soit  pour  le  général,  soit  pour  notre  conduite  par- 
ticulière, c'était  toujours  par  ordre  de  l'Esprit.  On  obéis- 
sait aux  inspirations  des  plus  simples  et  des  petits  en- 
fants, surtout  quand  ils  insistaient  dans  l'extase  avec 
redoublement  de  paroles  et  d'agitations,  et  que  plusieurs 
disaient  une  même  chose.  Mais,  dans  la  troupe  où  j'étais, 
nos  chefs,  et  particulièrement  M.  Cavalier,  étaient  doués 
de  grâces  extraordinaires;  aussi  les  avait-on  choisis  à 
cause  de  cela,  car  ils  n'avaient  aucune  connaissance  de 
la  guerre  ni  d'autre  chose.  Tout  ce  qu'ils  avaient  leur 
était  donné  miraculeusement  sur-le-champ.  Dès  qu'il 
s'agissait  de  quelque  chose  sur  quoi  les  inspirations 
n'avaient  rien  dit,  on  allait  ordinairement  au  frère 
Cavalier  : 

«  —  Frère  Cavalier,  lui  disait-on  (car  il  ne  voulait  pas 
être  traité  de  monsieur,  encore  qu'il  eût  cinquante  bons 
gardes  et  qu'il  lût  mieux  obéi  qu'un  roi),  frère,,  telle  et 
telle  chose  se  passe,  que  ferons-nous?  »  Aussitôt  il  ren- 
trait en  lui-même  ;  et,  après  quelque  élévation  de  son 
cœur  à  Dieu,  l'Esprit  le  frappait,  on  le  voyait  un  peu 
agité,  et  il  disait  ce  qu'il  fallait  faire.  C'était  merveille 


(1)  François  Léopold,  prince  Ragotzki,  chef  des  mécontents  de 
Hongrie,  de  1700  à  1705. 

(2)  Théâtre  sacré  des  Cèvenncs,  déposition  de  Durand  Fage. 


HISTOIRE    DKS    CAMISARDS  189 

dans  les  batailles,  de  le  voir  le  sabre  à  la  main,  à  cheval, 
et,  dans  certaines  émotions  de  l'Esprit  qui  l'animait, 
courir  partout,  encourager,  fortifier,  faire  des  comman- 
dements qui  surprenaient  souvent,  mais  qui  étaient 
exécutés  à  merveille  et  qui  réussissaient  de  même. 

«  Dans  les  occasions  de  grande  importance,  on  faisait 
la  prière  générale,  et  chacun  demandait  à  Dieu  qu'il 
lui  plût  d'aider  ses  enfants  dans  l'affaire  dont  il  s'agissait. 
Incontinent  voilà  qu'en  divers  endroits  on  apercevait 
quelqu'un  saisi  de  l'Esprit.  Les  autres  couraient  pour 
entendre  ce  qui  serait  prononcé.  Et  ceux  qui  critiquent 
ici  sans  savoir  l'état  des  choses  auraient  eu  beau  crier 
que  nous  avions  des  inspirations  de  commande,  elles 
n'étaient  pas  de  commande,  mais  elles  étaient  de  de- 
mande, car  nous  implorions  le  secours  de  Dieu  dans 
notre  besoin,  et  sa  bonté  nous  répondait. 

«  —  Eh  bien  !  disaient  après  cela  les  chefs,  qu'est-ce 
que  Dieu  a  ordonné  ?  »  Tous  les  inspirés  ayant  dit  la 
même  chose,  par  rapport  ace  qui  était  en  question, 
d'abord  on  se  mettait  en  devoir  d'obéir.  Dans  les  com- 
mencements, plus  que  dans  la  suite,  on  murmurait 
quelquefois,  parce  qu'on  manquait  de  foi  et  qu'on  vou- 
lait être  plus  sage  que  la  sagesse  même,  et  cela  arrivait 
particulièrement  aux  nouveaux  incorporés  dans  la 
troupe  et  à  ceux  qui  n'avaient  pas  d'inpirations.  «  Serait- 
il  bien  possible,  disait-on  quelquefois,  que  Dieu  voulût 
qu'on  se  gouvernât  ainsi  ou  ainsi  !  »  et  alors  on  faisait 
souvent  à  sa  fantaisie,  en  supposant  que  peut-être  l'ins- 
piration n'avait  pas  été  bien  entendue.  Mais  on  en  était 
châtié  ;  et  ceux  d'entre  nous  qui  avaient  le  plus  de  sou- 
mission et  d'humilité  ne  manquaient  pas  de  faire  des 
réflexions  sur  la  faute  qui  avait  été  commise. 

«  Devions-nous  attaquer  l'ennemi,  étions-nous  pour- 

11. 


190  HISTOIRE    DES    CAMISARDS. 

suivis,  la  nuit  nous  surprenait-elle,  craignions-nous 
les  embuscades,  arrivait-il  quelque  accident,  fallait-il 
masquer  le  lieu  d'une  assemblée,  nous  nous  mettions 
d'abord  en  prières:  «  Seigneur,  fais-nous  connaître  ce 
«  qu'il  te  plaît  que  nous  fassions  pour  ta  gloire  et  pour 
«  notre  bien  !  »  Aussitôt  l'Esprit  nous  répondait,  et  l'ins- 
piration nous  guidait  en  tout. 

«  La  mort  ne  nous  effrayait  point  :  nous  ne  faisions 
aucun  cas  de  notre  vie,  pourvu  qu'en  la  perdant  pour  la 
querelle  de  notre  Sauveur  et  en  obéissant  à  ses  com- 
mandements, nous  remissions  nos  âmes  entre  ses  mains. 
Je  ne  crois  pas  qu'un  seul  de  ceux  qui  étaient  inspirés 
dans  notre  troupe  ait  été  tué  dans  le  combat  ou  ait  été 
pris  et  exécuté  à  mort  (car  notre  guerre  se  faisait  sans 
cartel),  qu'il  n'en  ait  été  averti  quelque  temps  aupara- 
vant par  l'Esprit.  Alors  on  se  remettait  avec  humilité 
entre  les  mains  de  Dieu,  et  on  se  résignait  à  sa  volonté 
avec  constance.  On  s'estimait  heureux  de  le  pouvoir 
glorifier  dans  la  mort  comme  dans  la  vie.  Je  n'ai  jamais 
ouï  dire  qu'aucun  de  nos  frères,  qui  ont  été  appelés  en 
grand  nombre  à  sceller  la  vérité  par  leur  sang,  ait  eu  la 
moindre  tentation  de  racheter  sa  vie  par  une  lâche 
révolte,  comme  plusieurs  auraient  pu  le  faire  s'ils  l'a- 
vaient voulu.  Ce  même  Saint-Esprit  qui  les  avait  tant  de 
fois  assistés  les  accompagnait  jusqu'au  dernier  moment. 
De  sorte  qu'ils  ne  perdaient  point  au  change,  et  que  la 
mort  ne  leur  était  qu'un  passage  à  la  Aie. 

«  D'ailleurs,  quand  l'inspiration  nous  avait  dit  : 
«  Marche,  ne  crains  point,  »  ou  bien  :  «  Obéis  à  mon 
«  commandement,  fais  telle  ou  telle  chose,  »  rien  n'au- 
rait été  capable  de  nous  en  détourner:  je  parle  des  plus 
fidèles  et  de  ceux  qui  avaient  le  plus  éprouvé  la  vérité 
de  Dieu.  Lorsqu'il  s'agissait  d'aller  au  combat,  j'ose  dire 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  191 

-que  quand  l'Esprit  m'avait  fortifié  par  une  bonne  parole  : 
«  N'appréhende  rien,  mon  enfant,  je  te  conduirai,  je 
«  t'assisterai,  »  j'entrais  dans  la  mêlée  comme  si  j'avais 
été  vêtu  de  fer,  ou  comme  si  ies  ennemis  n'eussent  eu 
que  des  bras  de  laine.  Avec  l'assistance  de  ces  heureuses 
paroles  de  l'Esprit  de  Dieu,  nos  petits  garçons  de  douze 
ans  frappaient  à  droite  et  à  gauche  comme  de  vaillants 
hommes.  Ceux  qui  n'avaient  ni  sabres  ni  fusils  faisaient 
des  merveilles  à  coups  de  perches  et  à  coups  de  fronde  ; 
•et  la  grêle  des  mousquetades  avait  beau  nous  siffler  aux 
•oreilles  et  percer  nos  chapeaux  et  nos  manches,  comme 
l'Esprit  nous  avait  dit  :  «  Ne  craignez  rien  !  »  cette  grêle 
de  plomb  ne  nous  inquiétait  pas  plus  qu'aurait  fait  une 
menue  grêle  ordinaire. 

«  Il  en  était  de  même  dans  toutes  les  autres  occasions, 
lorsque  nous  étions  guidés  par  nos  inspirations.  Nous 
ne  posions  point  de  sentinelles  autour  de  nos  assem- 
blées quand  l'Esprit,  qui  avait  soin  de  nous,  avait  déclaré 
que  cette  précaution  n'était  pas  nécessaire.  Et  nous  au- 
rions cru  être  en  sûreté  sous  les  chaînes  et  dans  les 
cachots,  dont  le  duc  de  Berwick  et  l'intendant  Bâville 
auraient  été  les  portiers,  si  l'Esprit  nous  eût  dit  :  «  Vous 
•serez  délivrés  !  » 

«  11  faudrait,  déclare  Élie  Marion,  de  gros  livres  pour 
contenir  l'histoire  de  toutes  les  merveilles  que  Dieu  a 
opérées  par  le  ministère  des  inspirations  qu'il  lui  a  plu 
de  nous  envoyer.  Je  puis  protester  devant  lui,  qu'à  parler 
généralement,  elles  ont  été  nos  lois  et  nos  guides.  Et 
j'ajouterai  avec  vérité  que  lorsqu'il  nous  est  arrivé  des 
disgrâces,  c'a  été  pour  n'avoir  pas  obéi  ponctuellement 
à  ce  qu'elles  nous  avaient  commandé,  ou  pour  avoir  fait 
quelque  entreprise  sans  leur  ordre. 

«  Ce  sont  nos  inspirations  qui  nous  ont  mis  au  cœur 


i(.)2       '  HISTOIRE    DES    CAMfSARDS 

de  quitter  nos  proches  et  ce  que  nous  avions  de  plus 
cher  au  monde,  pour  suivre  Jésus-Christ  et  pour  faire  la 
guerre  à  Satan  et  à  ses  compagnons.  Ce  sont  elles  qui 
ont  donné  à  nos  vrais  inspirés  le  zèle  de  Dieu  et  de  la 
religion  pure  ;  l'horreur  pour  l'idolâtrie  et  pour  l'impiété; 
l'esprit  d'union,  de  charité,  de  réconciliation  et  d'amour 
fraternel  qui  régnait  parmi  nous  ;  le  mépris  pour  les 
vanités  et  pour  les  richesses  iniques,  car  l'Esprit  nous 
avait  défendu  le  pillage,  et  nos  soldats  ont  quelquefois 
réduit  des  trésors  en  cendres,  avec  l'or  et  l'argent  des 
temples  des  idoles,  sans  vouloir  en  profiter.  Notre  devoir 
était  de  détruire  les  ennemis  de  Dieu,  non  de  nous  enri- 
chir deleurs  dépouilles.  Et  nos  persécuteurs  ontdiverses 
fois  éprouvé  que  les  promesses  qu'ils  nous  ont  faites 
des  avantages  mondains  n'ont  point  été  capables  de 
nous  tenter  non  plus. 

«  C'a  été  uniquement  par  les  inspirations  et  par  le 
redoublement  de  leurs  ordres,  que  nous  avons  com- 
mencé notre  sainte  guerre.  Un  petit  nombre  de  jeunes 
gens  simples,  sans  éducation  et  sans  expérience,  com- 
ment auraient-ils  fait  tant  de  choses,  s'ils  n'avaient  pas 
eu  le  secours  du  ciel  ?  Nous  n'avions  ni  force,  ni  conseil, 
mais  nos  inspirations  et  aient  notre  recours  etnotre  appui. 

a  Ce  sont  elles  seules  qui  ont  élu  nos  chefs  et  qui  les 
ont  conduits.  Elles  ont  été  notre  discipline  militaire. 
Elles  nous  ont  appris  à  essuyer  le  premier  feu  de  nos 
ennemis  à  genoux,  et  à  les  attaquer  en  chantant  des 
psaumes,  pour  porter  la  terreur  dans  leur  âme.  Elles 
ont  changé  nos  agneaux  en  lions  et  leur  ont  fait  faire  des 
exploits  glorieux.  Et  quand  il  est  arrivé  que  quelques- 
uns  de  nos  frères  ont  répandu  leur  sang,  soit  dans  les 
batailles,  soit  dans  le  martyre,  nous  n'avons  point 
lamenté  sur  eux.  Nos  inspirations  ne  nous  ont  permis. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  193 

de  pleurer  que  pour  nos  péchés  et  pour  la  désolation  de 
Jérusalem.  Et  je  ne  ferai  point  de  difficulté  de  dire  ici 
que  lorsque  Dieu  retira  ma  mère  en  sa  grâce,  il  m'or- 
donna d'essuyer  mes  larmes  et  m'assura  qu'elle  reposait 
en  son  sein, 

«  Ce  sont  nos  inspirations  qui  nous  ont  suscités,. 
nous,  la  faiblesse  même,  pour  mettre  un  frein  puissant 
aune  armée  de  plus  de  vingt  mille  hommes  d'élite,  et 
pour  empêcher  que  ces  troupes  ne  fortifiassent  le  grand 
et  général  ennemi,  dans  le  lieu  où  la  Providence  avait 
ordonné  qu'il  reçût  le  premier  coup  mortel. 

«  Ces  heureuses  inspirations  ont  attiré  dans  le  sein 
de  nos  églises  plusieurs  prosélytes  d'entre  les  adorateurs 
de  la  Bête,  qui  ont  toujours  été  fidèles  depuis.  Elles  ont 
animé  nos  prédicateurs,  et  leur  ont  fait  proférer  avec 
abondance  des  paroles  qui  repaissaient  solidement  nos 
âmes.  Elles  ont  banni  la  tristesse  de  nos  cœurs  au  milieu 
des  plus  grands  périls,  aussi  bien  que  dans  les  déserts 
et  les  trous  des  rochers,  quand  le  froid  et  la  faim  nous 
pressaient  ou  nous  menaçaient. 

«  Nos  plus  pesantes  croix  ne  nous  étaient  que  des  far- 
deaux légers,  à  cause  que  cette  intime  communication, 
que  Dieu  nous  permettait  d'avoir  avec  lui,  nous  sou- 
lageait et  nous  consolait.  Elle  était  notre  sûreté  et  notre 
bonheur. 

«  Nos  inspirations  nous  ont  faitdélivrer  plusieurs  pri- 
sonniers de  nos  frères,  reconnaître  et  vaincre  des  traîtres, 
éviter  des  embûches,  découvrir  les  complots  et  frapper 
à  mort  des  persécuteurs. 

«  Si  les  inspirations  de  l'Esprit-Saint  nous  ont  fait 
remporter  des  victoires  sur  nos  ennemis  parl'épée,  elles 
ont  fait  bien  plus  glorieusement  triompher-nos  martyrs 
sur  les  échafauds.  C'est  là  quele  Tout-Puissant  a  fait  des 


194  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

•choses  grandes.  C'est  là  le  terrible  creuset  où  la  vérité 
et  la  fidélité  des  Saints  inspirés  a  été  éprouvée.  Les  pa- 
roles excellentes  de  consolation  et  les  cantiques  de 
réjouissances  du  grand  nombre  de  ces  bienheureux 
martyrs,  lors  même  qu'ils  avaient  les  os  brisés  sur  les 
roues,  ou  que  les  flammes  avaient  déjà  dévoré  leur  chair, 
ont  été  sans  doute  de  grands  témoignages  que  leurs 
inspirations  descendaient  de  l'Auteur  de  tout  don 
parfait.  » 

Voici  encore  une  déposition  qui,  même  après  les 
deux  précédentes,  nous  paraît  offrir  un  grand  intérêt. 
Elle  est  dictée  par  un  cousin  et  homonyme  du  plus 
glorieux  chef  des  Camisards,  de  Jean  Cavalier,  du  village 
de  Sauves.  Celui-là  était  un  incrédule,  qui  fut  converti 
bien  à  son  corps  défendant. 

«  On  commençait  à  parler  beaucoup  des  prophètes  de 
notre  pays,  lorsque  quelques  amis  me  sollicitèrent  de 
me  trouver  dans  une  assemblée  de  gens  qui  devaient  faire 
des  prières  ensemble.  J'étais  un  garçon  de  quinze  à  seize 
ans  que  la  dévotion  n'occupait  pas  beaucoup  ;  mais  je 
consentis  volontiers  à  la  proposition  qu'on  me  fit,  quand 
je  pensai  que  je  verrais  peut-être  là  quelques-uns  de 
ces  inspirés  dont  on  disait  des  choses  si  étranges, 

«  Je  ne  fus  pas  sitôt  entré  dans  la  grange  où  tout  le 
monde  était,  que  j'aperçus  un  petit  garçon  couché  à  la 
renverse  qui  avait  des  agitations  surprenantes.  Cela  m'é- 
pouvanta en  quelque  manière,  etje  n'en  jugeai  pas 
avantageusement.  Quand  ce  petit  garçon  commença  à 
parler,  il  dit  entre  autres  choses  qu'il  y  avait  des  per- 
sonnes dans  la  compagnie  qui  n'y  étaient  venues  que  par 
curiosité,  et  avec  un  esprit  moqueur,  et  que  si  ces  per- 
sonnes-là ne  se  repentaient,  Dieu  promettait  qu'ils 
seraient  reconnus  et  rendus  honteux.  Il  ajouta  quelques 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  195 

autres  choses  de  même  nature,  et  il  fit  si  bien  mon 
portrait,  que  quand  il  aurait  pénétré  dans  mon  cœur,  il 
n'aurait  pas  si  bien  représenté  les  dispositions  oùj'étais; 
ce  qui  me  frappa  terriblement.  Mais  mon  petit  raisonne- 
ment ne  se  porta  pas  plus  loin  qu'à  soupçonner  que  ces 
gens-là  pourraient  bien  être  quelques  espèces  de  devins. 
J'aurais  voulu  être  à  dix  lieues  de  là.  En  effet,  je  me  re- 
pentais de  m'être  engagé  si  avant  parmi  les  assistants, 
et  je  formai  la  résolution  de  m'approcher  peu  à  peu  de 
la  porte,  pourm'enfuir  le  plus  tôt  que  je  pourrais;  j'étais 
non-seulement  ému  et  effrayé  de  ce  que  ce  petit  garçon 
avait  si  précisément  deviné  mes  pensées,  mais  j'avais 
grand  peur  qu'il  ne  me  nommât  ou  qu'il  ne  fit  peut-être 
quelque  chose  de  plus  fâcheux  encore. 

«  Je  ne  m'étais  de  ma  vie  trouvé  dans  un  pareil  em- 
barras. Mais  ce  fut  bien  pis  lorsque,  comme  toute  ma 
pensée  et  tout  mon  désir  ne  tendaient  qu'à  sortir  de  là, 
je  vis  un  autre  fort  jeune  garçon  directement  sur  mon 
passage, entre  la  porte  et  l'endroit  où  j'étais,  qui,  tom- 
bant tout  à  coup  dans  des  agitations  beaucoup  plus  vio- 
lentes que  celles  de  son  camarade,  dit  à  haute  voix  qu'il 
yavait  une  personne  malintentionnée  qui  voulait  sortir, 
et  que  l'on  eût  à  mettre  des  gens  à  la  porte  pour  l'en  em- 
pêcher de  peur  qu'elle  n'allât  découvrir  l'assemblée.  Après 
cela,  ce  nouveau  devin  se  mit  à  dire  tout  haut,  dans  la 
précision  la  plus  parfaite,  tout  ce  que  je  m'étais  dit  à 
moi-même  depuis  que  l'autre  avait  parlé;  il  ne  lui  man- 
quait plus  que  de  me  nommer  par  mon  nom  et  par  mon 
surnom,  et  de  me  venir  saisir  par  le  bras,  et  il  ajouta 
diverses  choses  tendant  à  m.' obliger  à  m'humilier  devant 
Dieu,  à  me  repentir,  à  lui  donner  gloire,  etc. 

«  Ma  frayeur  secrète  redoubla  beaucoup.  Je  fus  tout 
Iransi  et  j'étais  pris  de  tous  les  côtés;  car  ce  dernier  gar- 


19C  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

çon  n'avait  parlé  que  d'une  seule  personne,  qui,  comme 
je  le  sentais  bien,  ne  pouvait  être  que  moi.  Et  pour  la 
porte,  il  n'y  fallait  plus  penser.  Mon  Dieu!  disais-je  en 
moi-même,  avec  quelle  sorte  de  gens  suis-je  ici?  Qu'est- 
ce  qui  a  dit  à  ces  petits  garçons  ce  qui  est  dans  mon 
cœur?  S'ils  m'affrontent  ici,  que  ferai-jc?  Que  devien- 
drai-je?  Que  diront  mes  parents?  J'étais  dans  un  grand 
embarras.  Mais  pourtant,  ajoutais-je,  ces  gens-là  parlent 
du  bon  Dieu;  si  c'étaient  des  sorciers,  ils  ne  diraient  pas 
toutes  les  bonnes  choses  qu'ils  disent;  ils  ne  feraient  pas 
de  si  belles  prières;  ils.  ne  chanteraient  pas  des  psaumes, 
et  ces  deux  enfants  ne  m'auraient  pas  exhorté  à  me  re- 
pentir. Ces  pensées-là  calmèrent  un  peu  mon  esprit  et 
me  portèrent  à  prier  Dieu... 

«  Alors  voilà  un  troisième  jeune  garçon  qui  tombe 
comme  avaient  fait  les  autres,  Après  quelques  agitations, 
il  se  leva  plein  de  l'Esprit,  et  dit  à  peu  près  ceci  :  «  Je 
t'assure,  mon  enfant,  que  cette  assemblée  est  en  sûreté, 
ne  crains  rien,  je  suis  avec  vous,  et  je  veux  maintenant 
mettre  ma  parole  dans  ta  bouche  pour  que  tu  consoles 
mon  peuple.  »  Gela  "me  toucha  de  nouveau  et  fortifia 
mon  cœur. 

«  Le  jeune  prédicateur  parla  deux  grandes  heures 
avec  une  facilité  merveilleuse,  et  il  dit  des  choses  si 
pathétiques  et  si  excellentes,  que  tout  le  mondre  fon- 
dait en  larmes  et  moi  avec  les  autres.  Personne  ne  dor- 
mait, j'en  suis  sûr,  les  paroles  que  ce  petit  serviteur  de 
Dieu  prononçait  n'étaient  pas  endormantes:  on  n'en 
perdait  pas  une,  car  elles  étaient  toutes  du  sujet  et  toutes 
proportionnées  à  la  capacité  du  bon  et  simple  peuple 
qui  les  écoutait  quoiqu'elles  fussent  toutes  sublimes  et 
divines.  Les  deux  heures  passèrent  comme  deux  mo- 
ments. Et  qui  est  l'enfant  qui  pourrait  dire  des  choses  sem- 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  197 

blables?  Tout  le  monde  assurait  que  ce  petit  garçon  ne 
savait  pas  lire;  mais  quand  il  aurait  su  lire,  en  vérité,  il 
n'était  point  capable  par  lui-même  de  composer  un 
pareil  discours,  ni  de  le  réciter,  ni  même  d'avoir  la  har- 
diesse de  parler  en  public  et  en  français... 

«  Aussitôt  après  que  sa  prédication  fut  finie,  je  sentis 
comme  un  coup  de  marteau  qui  frappa  fortement  ma 
poitrine,  et  il  me  sembla  que  ce  coup  excitait  un  feu  qui 
se  saisit  de  moi,  et  qui  coula  par  toutes  mes  veines. 
Cela  me  mit  dans  une  espèce  de  défaillance  qui  me  fit 
tomber.  Je  me  relevai  aussitôt,  sans  aucune  douleur, 
et  comme  j'élevais  mon  cœur  à  Dieu,  dans  une  émo- 
tion inexprimable,  je  fus  frappé  d'un  second  coup  avec 
un  redoublement  de  chaleur.  Je  redoublai  aussi  mes 
prières,  ne  parlant  et  ne  respirant  que  par  grands  sou- 
pirs. Bientôt  après,  un  troisième  coup  me  brisa  la  poi- 
trine et  me  mit  tout  en  feu.  J'eus  quelques  moments  de 
calme,  et  puis  je  tombai  soudainement  dans  des  agita- 
tions delà  tête  et  du  corps  qui  furent  fort  grandes,  et 
semblables  à  celles  que  j'ai  eues  depuis,  jusqu'à  présent 
que  je  raconte  ceci.  Ces  grands  mouvements  ne 
durèrent  pas,  mais  l'émotion  et  l'ardeur  du  dedans 
continuèrent.  J'étais  alors  tout  occupé  du  sentiment  que 
j'eus  de  mes  péchés.  Les  fautes  du  libertinage,  aux- 
quelles j'étais  le  plus  principalement  sujet,  me  pa- 
rurent des  crimes  énormes  et  me  mirent  dans  un  état 
que  je  ne  saurais  ici  décrire. 

«  Cependant  le  prédicateur  faisait  une  seconde  prière. 
Après  qu'il  eut  fait  chanter  le  psaume  centième,  il  nie 
fit  venir  devant  lui,  et  il  m'adressa  des  exhortations 
que  je  ne  pus  recevoir  que  comme  venant  d'une  part 
extraordinaire,  tant  elles  frappèrent  vivement  mon 
cœur.  La  hardiesse  même  de  ce  jeune  garçon  m'éton- 


198  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

nait,  ainsi  que  la  pensée  qu'il  avait  eue  de  prendre 
connaissance  de  ce  qui  m'était  arrivé,  et  d'en  entre- 
tenir le  public.  Et,  en  effet,  quelle  merveille  de  voir  un 
enfant  timide  et  ignorant  entreprendre  d'enseigner  un 
peuple  !  prêcher  dans  un  langage  qu'il  n'était  pas 
capable  de  parler  dans  un  autre  temps  !  s'exprimer 
magnifiquement!  fournir  abondamment  des  choses  excel- 
lentes 1  et  présider  en  évêque  dans  une  assemblée  de 
-chrétiens  !  Il  me  dit  que  j'étais  bien  heureux  de  m'être 
trouvé  parmi  ceux  que  Dieu  avait  appelés  pour  être 
rassasiés  de  sa  grâce,  sans  qu'il  leur  en  coûtât  rien  ; 
que  je  devais  bénir  éternellement  la  bonté  de  notre 
Père  céleste,  qui  m'avait  tendu  si  aimablement  les 
bras  en  me  présentant  ses  trésors  ;  que  je  l'en  devais 
•remercier  avec  un  cœur  humble  et  reconnaissant,  en 
tous  les  moments  de  ma  vie,  et  quantité  de  choses  de 
cette  nature  d'un  prix  infini.  Mais  il  ajouta  que  parce 
que  j'avais  murmuré,  la  volonté  de  Dieu  était  de  me 
tenir  un  certain  temps  dans  un  état  d'humiliation,  et  qu'il 
me  visiterait  en  me  terrassant  seulement,  jusqu'à  ce 
que  son  bon  plaisir  fût  de  mettre  aussi  ses  paroles  en 
ma  bouche  ;  qu'en  attendant,  j'eusse  à  prier  sans  cesse. 

«  Après  cela,  ce  bon  petit  ministre  de  Jésus-Christ 
donna  la  bénédiction  et  déclara,  étant  toujours  rem- 
pli de  l'Esprit,  que  chacun  arriverait  en  paix  dans  sa 
maison  sans  aucune  mauvaise  rencontre. 

«  Sur  le  chemin,  comme  je  m'en  retournais  chez 
mon  père,  j'étais  toujours  en  prière  et  en  admiration, 
non-seulement  à  cause  des  grandes  choses  qui  m'é- 
taient arrivées,  mais  pour  toutes  les  autres  merveilles 
que  j'avais  vues  et  entendues.  Je  ne  cessais  de  pleu- 
rer, et  les  grandes  agitations  que  j'eus  de  temps  en 
temps  me  jetèrent  plusieurs  fois  à  terre  ou   m'obli- 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  199 

gèrent  de  m'arrêter.  Je  fus  près  de  neuf  mois  dans  cet 
état.  La  main  de  Dieu  me  frappait  souvent,  mais  ma 
langue  ne  se  déliait  point.  Il  est  vrai  que  sa  grâce  me 
consolait  d'ailleurs,  car  j'obéissais  avec  plaisir  à  l'Es- 
prit intérieur,  qui  me  portait  toujours  à  l'invoquer. 
Je  ne  me  souciais  plus  de  mes  jeux  et  de  mes  divertisse- 
ments ordinaires,  et  surtout  je  me  sentis  une  véritable 
haine  pour  tout  cet  attirail  du  culte  public  des  pa- 
pistes, et  pour  toute  cette  farce  de  messe  dont  je 
m'étais  auparavant  fait  un  jeu.  Je  ne  pouvais  seule- 
ment pas  regarder  leur  église  sans  frissonner. 

«  Enfin,  après  environ  neuf  mois  de'sanglots  et  d'agita- 
tions sans  parole,  un  dimanche  matin,  comme  je  fai- 
sais la  prière  dans  la  maison  de  mon  père,  je  tombai 
dans  une  extase  extraordinaire,  et  Dieu  m'ouvrit  la 
bouche.  Pendant  trois  fois  vingt-quatre  heures,  je  fus 
toujours  sous  l'opération  de  l'Esprit,  en  différents  de- 
grés, sans  boire,  ni  manger,  ni  dormir,  et  je  parlais 
souvent  avec  plus  ou  moins  de  véhémence,  selon  la 
nature  des  choses.  On  fut  bien  convaincu  dans  la  fa- 
mille, par  l'état  extraordinaire  que  jamais  où  on  me  vit 
alors,  et  même  par  le  prodige  d'un  jeune  de  trois  jours, 
après  lequel  je  n'eus  ni  faim,  ni  soif,  qu'il  fallait  que 
des  choses  semblables  vinssent  de  la  souveraine  puis- 
sance. » 


200  HISTOIRE    DES    CAMISABDS 


CHAPITRE      I 


Premiers  succès  des  Caraisards.  — Vie  évangélique  des  rebelles,  an 
camp  de  l'Éternel.  —  Broglie,  maréchal  de  France,  remplace 
Noailles.  —  Soulèvement,  général  des  campagnes.  —  Les  Flo- 
rentins massacrent  catholiques  et  protestants. —  Fureurs  inouies. 


Roland  semblait  s'être  réservé  les  hautes  Cévennes, 
en  abandonnant  le  bas  Languedoc  à  Cavalier.  Quatre 
personnages  qui  se  firent  un  nom  à  la  tête  des  Enfants 
de  Dieu  se  réunirent  à  ce  dernier  :  c'étaient  Catinat, 
Espérandicu,  Rastalet  et  Ravenel.  Comprenant  la  né- 
cessité d'imprimer  à  la  lutte  une  direction  unitaire,  ils 
s'effacèrent  généreusement  devant  lui  et  voulurent  le 
faire  reconnaître  comme  chef  suprême.  Cavalier,  s'ex- 
cusant  sur  sa  trop  grande  jeunesse,  s'efforçait  de  dé- 
cliner ce  périlleux  honneur.  Il  crut  les  faire  reculer  en 
exigeant  qu'on  lui  reconnût  le  droit  de  vie  et  de  mort 
sur  ses  hommes.  Mais,  après  avoir  consulté  l'Esprit,  ils 
lui  accordèrent  le  pouvoir  de  faire  fusiller  ceux  qu'il, 
jugerait  coupables,  sans  rassembler  aucun  conseil  de 
guerre. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  201 

Pour  justifier  leur  choix,  il  bat,  le  5  décembre,  trois 
compagnies  de  troupes  régulières  que  commandaient 
deux  gentilshommes  de  la  contrée,  et  les  poursuit  dans 
les  bois  de  Vaquières,  non  loin  d'Hieuzet.  Plaçant  Ra- 
vanel  à  l'extrémité  d'un  défilé  dans  lequel  les  troupes 
devaient  s'engager,  il  les  attaque  lui-même  en  flanc, 
les  culbute  et  tue  les  deux  gentilshommes.  Des  armes, 
des  vêtements,  de  l'argent  sont  le  prix  de  la  victoire. 
L'argent  est  employé  à  acheter  des  chaussures.  Quel- 
ques jours  après,  il  obtient  un  nouveau  succès  à  Cen- 
dras,  sur  un  détachement  de  milices  bourgeoises,  dont 
il  tue  le  capitaine.  Enfin,  à  Saint-Cornes,  où  ils  tenaient 
une  assemblée,  un  capitaine  veut,  à  la  tête  de  sa  com- 
pagnie de  fusiliers,  troubler  leurs  pieux  exercices.  Mais 
les  temps  étaient  passés,  où  les  calvinistes  attaqués  en- 
tonnaient des  psaumes  et  se  laissaient  égorger  sans 
essayer  de  se  défendre.  Une  terreur  panique  s'empare 
des  fusiliers,  ils  fuient  devant  les  Camisards,  le  capi- 
taine lui-môme  n'échappe  qu'à  grand'peine  à  la  fureur 
de  ceux  qui  le  poursuivent  jusqu'au  château  de  Cavei- 
rac,  où  il  trouve  un  asile. 

Le  château  de  Servas,  entre  Mais  et  Uzès,  était  dé- 
fendu par  une  nombreuse  garnison  à  laquelle  les  pro- 
testants avaient  à  reprocher  bien  des  cruautés  commises 
à  leur  égard.  Cavalier  ordonne  à  trente  des  siens  de  re- 
vêtir des  habits  d'ordonnance,  fait  lier  avec  des  cordes 
six  autres  huguenots,  et  se  met  lui-même  à  leur  tête  en 
costume  d'officier.  Arrivé  au  village  que  domine  la  for- 
teresse, il  mande  le  consul  : 

—  Je  suis,  lui  dit-il,  le  neveu  de  M.  de  Broglie,  je 
viens  de  défaire  les  révoltés  sur  lesquels  j'ai  fait  ces  six 
prisonniers.  Je  crains  qu'on  ne  me  les  enlève  avant  que 
je  les  conduise  en  lieu  sûr,  et  je  demande  au  comman- 


202  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

dant  du  château  de  les  [faire  coucher  dans   ses  prisons. 

Celui-ci  n'a  garde  de  refuser.  11  presse  le  prétendu 
neveu  du  gouverneur  de  la  province  d'accepter  pour 
lui-même  un  lit  dans  le  château,  et  d'y  venir  prendre 
quelques  rafraîchissements.  Cavalier  se  fait  prier,  et 
cède  enfin  à  ses  instances!  Ses  hommes  étaient  de- 
meurés en  bataille  sur  la  place  du  village,  bâti  au  pied 
de  la  forteresse.  Pendant  le  souper,  quelques-uns  en- 
traient de  temps  en  temps,  avec  leurs  fusils,  pour  rendre 
compte  à  leur  officier  de  quelques  détails  de  service. 
Quand  il  en  voit  un  assez  grand  nombre  autour  de  luir 
il  donne  le  signal,  les  Camisards  tombent,  les  uns  sur 
le  corps  de  garde,  les  autres  sur  la  garnison,  lui-même 
se  charge  du  commandant,  et  ils  les  massacrent  tous 
jusqu'au  dernier.  Ils  mettent  le  feu  au  château,  et  s'é- 
loignent, chargés  de  munitions  de  guerre  et  de  provi- 
sions de  bouche. 

Le  jeune  héros  avait  résolu  de  célébrer  les  fêtes  de 
Noël  dans  une  grande  assemblée  au  Mas-Cauvé,  dans 
le  village  de  Saint-Cristol,  non  loin  d'Alais.  Il  s'y  trou- 
vait le  24  décembre,  et  n'avait  alors  avec  lui  que  quatre- 
vingts  hommes.  Le  chevalier  de  Guines,  qui  comman- 
dait à  Alais,  se  met  à  la  tète  de  la  garnison,  appuyée 
par  six  cents  hommes  des  milices  bourgeoises  et  cin- 
quante gentilshommes  à  cheval.  Cavalier  et  Espérandieu 
dissipent  l'assemblée,  attendent  de  pied  ferme  l'ennemi 
qui  s'avance,  et  se  mettent  chacun  à  la  tête  d'une  petite 
bande,  protégés  pas  des  haies  et  quelques  broussailles. 

La  noblesse  voulait  se  réserver  l'honneur  d'exter- 
miner à  elle  seule  cette  faible  troupe,  sans  discipline, 
sans  armes.  Mais  à  la  première  décharge  des  Camisards 
que  dirige  Espérandieu,  ils  tournent  le  dos  et  prennent 
la  fuite,  en  renversant,  sous  le  galop  de  leurs  chevaux,. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  203 

l'infanterie  qui  se  préparait  à  les  appuyer.  Profitant  de 
ce  premier  mouvement  de  désordre,  Cavalier  fond  avec 
sa  poignée  d'hommes  au  milieu  de  cette  multitude  dé- 
bandée, et,  pour  les  poursuivre  plus  à  leur  aise,  ses 
gens,  malgré  la  rigueur  de  la  saison,  se  dépouillent  de 
leurs  habits.  Ils  les  chassent,  l'épée  dans  les  reins,  jus- 
qu'aux portes  de  la  ville,  où  ils  fussent  entrés  pêle-mêle 
avec  eux,  si  leur  petit  nombre  ne  les  eût  empêchés  de 
s'y  risquer.  Des  armes,  des  vêtements,  des  munitions, 
de  l'argent,  des  souliers,  chose  précieuse  entre  toutes, 
furent  le  prix  de  cette  victoire.  Ce  succès  était  telle- 
ment inespéré,  qu'ils  l'attribuèrent  modestement  à  un 
miracle  de  Dieu  en  leur  faveur. 

Le  27,  réuni  à  Roland,  il  entreprend  d'aller  désarmer 
la  garnison  de  Sauves,  ville  lermée,  sur  la  rivière  de  Vi- 
dourle,  dans  les  Cévennes.  Pour  opérer  une  diversion 
et  attirer  au  dehors  une  partie  des  forces  ennemies, 
Cavalier  va  brûler  l'église  de  Manoublet,  tandis  que 
Roland,  à  la  tête  de  cinquante  hommes,  déguisés  comme 
lui  en  troupes  royales  en  quête  des  révoltés,  vient,  muni 
d'un  faux  ordre  du  duc  de  Rroglie,  faire  rafraîchir  ses 
hommes  dans  la  citadelle.  On  les  accueille,  on  les  fête, 
un  joyeux  et  fraternel  banquet  leur  est  servi,  on  fait 
rafraîchir  leur  troupe  sur  la  principale  place  de  la  ville. 
Lejeune  colonel,  —  Rolandavait  vingt-cinq  ans,  — cour- 
tise sa  voisine  de  table,  madame  de  Sauves,  et  se  montre 
trop  entreprenant.  Elle  conçoit  quelques  doutes,  et  au 
dessort,  comme  chacun  se  levait  en  désordre  pour  courir 
aux  remparts  de  la  ville  afin  de  repousser  Cavalier,  dont 
on  signalait  l'approche  à  la  tète  de  deux  cent  trente 
hommes  environ,  elle  fait  fermer  sur  eux  la  porte  qu'ils 
viennent  de  franchir.  Mais  sur  la  place  où  sa  troupe 
bivouaque,  le  faux  colonel  se  démasque,  et  désarme  la 


204  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

garnison.  Ils  se  retirent  après  un  séjour  de  quatre  heures 
pendant  lequel  ils  brûlent  la  principale  église,  entraînent 
au  dehors  un  certain  nombre  de  catholiques  trop  zélés, 
relâchent  le  plus  grand  nombre,  et  tuent  les  ardents, 
parmi  lesquels  trois  ecclésiastiques. 

A  ce  dernier  coup,  curés,  prieurs  et  bénéficiaires  de 
tous  ordres  se  remettent  à  trembler  sur  de  nouveaux 
frais.  Dès  le  31  décembre,  les  pasteurs  abandonnent 
leurs  troupeaux  pour  se  réfugier  dans  les  villes  fermées, 
et  implorent  à  grands  cris  des  secours  qu'on  ne  peut 
leur  envoyer.  L'évoque  de  Nîmes,  Fléchier,  se  fait  l'écho 
de  la  terreur  universelle  (1)  : 

1703.  —  «  Jamais  temps  ne  fut  plus  malheureux  que 
celui-ci.  Les  dangers  deviennent  toujours  plus  grands, 
et  il  semblé  qu'on  ait  toujours  plus  de  peine  d'être 
assisté.  Rien  ne  coûte  à  ces  scélérats  pour  faire  du  mal, 
et  tout  coûte  quand  il  faut  secourir  les  gens  de  bien. 
Ceux  qui  gouvernent  sont  bien  embarrassés,  quelque 
bonne  intention  qu'ils  aient.  Il  sort  des  ennemis  de  tous 
côtés,  et  il  n'y  a  ni  assez  de  troupes,  ni  assez  d'argent 
pour  les  réprimer.  » 

C'est  qu'il  n'était  pas  facile  de  réduire  une  formidable 
insurrection  qui  couvrit  bientôt  une  superficie  de  qua- 
rante lieues  de  long  sur  vingt  de  large,  comprenant  les 
six  diocèses  de  Mende,  Alais,  Viviers,  Uzès,  Nîmes  et 
Montpellier,  ce  qui,  pour  parler  le  langage  plus  intelli- 
gible de  la  géographie  moderne,  répond  à  nos  quatre 
départements  de  l'Ardèche,  de  la  Lozère,  du  Gard  et  de 
l'Hérault. 

La  longue  et  imposante  chaîne  des  Cévennes,  qui 
couvre  en  grande  partie  toute  cette  portion  du  royaume, 

(l)  Fléchier,  Lettres  choisies.  Lettre  du  12  janvier  1703. 


HISTOIRE   DES    CAMISARDS  205 

et  qu'habite  une  population  robuste,  sobre,  agile,  éner- 
gique et  un  peu  sauvage,  comme  le  sol  qui  la  nourrit, 
paraît  avoir  été  prédestinée  par  la  nature  pour  servir  de 
théâtre  à  une  guerre  de  partisans.  L'Ardèche  (ancien 
Vivarais)  embrasse  les  ramifications  connues  sous  le  nom 
de  montagnes  des  Boutières,  au  nord,  et  de  montagnes 
de  Sanargue,  au  sud.  Le  géant  de  ces  contrées,  le 
Mézenc,  se  dresse  à  1774  mètres  au-dessus  du  niveau  de 
la  mer.  Des  grottes  nombreuses  se  creusent  aux  flancs 
des  montagnes.  Dans  la  Lozère  (Gévaudan),  l'élévation 
des  pics  est  moins  considérable,  et  cependant  les  sommets 
de  la  Margeride,  de  la  Lozère,  d'Aubrac,  possèdent  une 
altitude  de  1,350  à  1,500  mètres.  Enfin,  le  Gard  et 
l'Hérault  ont  aussi  leurs  parties  difficilement  accessibles, 
présentant  en  tous  lieux  d'immenses  avantages  à  la  dé- 
fense, des  difficultés  excessives  à  l'attaque  ;  des  pics 
inabordables,  des  forêts  de  pins,  des  chênes,  des  hêtres, 
des  châtaigniers  abritant  des  lacs  et  des  étangs,  anciens 
cratères  éteints. 

Les  assemblées  du  Désert  étaient  aussi  fréquentes 
que  le  cours  des  événements  pouvait  le  permettre.  On 
se  réunissait  le  dimanebe  surtout,  sur  le  sommet  d'une 
montagne,  dans  un  vallon,  une  caverne,  une  grange,  où 
on  pouvait;  mais,  par  prudence,  elles  avaient  rarement 
lieu  deux  fois  dans  le  même  endroit.  On  lisait  la  Bible, 
l'Evangile,  on  chantait  des  psaumes,  on  écoutait  les  dis- 
cours des  prédicants,  on  admirait  les  extases  des  pro- 
phètes. Aux  grandes  fêtes,  un  certain  nombre  rece- 
vaient l'Eucharistie.  Agenouillés  et  tremblants,  ils 
voyaient  les  chefs  qui  jouissaient  du  privilège  de  la 
seconde  vue,  ûudon,  parcourir  les  rangs,  et,  inspirés  de 
l'Esprit,  ajourner  les  indignes,  les  consoler,,  tandis  que 
les  autres  communiaient  au  milieu  des  prières  de  tous. 

12 


206  HISTOIRE    DES    CAMISARUS 

En  temps  ordinaire,  ils  faisaient  trois  fois  par  jour  des 
prières  publiques.  Ils  ne  quittaient  un  lieu  qu'après  avoir 
demandé  à  Dieu  de  les  guider  dans  leur  route,  et,  arrivés 
sans  mauvaises  rencontres,  ils  le  remerciaient.  Vain- 
queurs, ils  lui  rendaient  grâce  sur  le  champ  de  bataille 
môme,  si  cela  était  possible.  Ils  se  livraient  à  des  jeûnes 
particuliers  ou  publics  (1). 

«  Ni  les  querelles,  dit  Cavalier,  ni  les  inimitiés,  ni  les 
calomnies,  ni  les  larcins,  n'étaientpoint  pratiqués  parmi 
nous.  Tous  nos  biens  étaient  en  commun  :  nous  n'étions 
qu'un  cœur  et  qu'une  âme.  Tout  jurement,  toute  impré- 
cation, toute  parole  obscène,  étaient  entièrement  bannis 
de  notre  société  ;  et  les  inspecteurs  que  nous  avions  éta- 
blis parmi  nous,  afin  que  tout  s'y  fît  avec  ordre  et  dé- 
cence, prenaient  un  soin  particulier  de  nos  pauvres  et 
de  nos  malades,  et  leur  fournissaient  toutes  les  choses 
nécessaires.  Heureux  temps,  s'il  avait  toujours  duré  (â)!  » 
Inquiétés,  poursuivis,  traqués  en  tous  lieux  comme 
des  bêtes  fauves,  les  malheureux  Cévenols  avaient  dû 
renoncer  à  cultiver  la  terre  et  à  exercer  les  modestes 
industries  qui  les  faisaient  vivre.  Comment  donc  trou- 
vèrent-ils moyen  de  prolonger  une  existence  que  le  grand 
roi  leur  faisait  si  amère,  alors  qu'il  n'y  avait  autour 
d'eux  que  des  maisons  détruites,  des  granges  incendiées,, 
des  troupaeux  dispersés  ?  Ils  surmontèrent  toutes  ces. 
difficultés,  cependant,  et  triomphèrent  des  résistances 
des  hommes  comme  de  celles  de  la  nature.  Dépouillés 
de  leurs  biens,  ils  pillèrent  à  leur  tour  les  catholiques, 
et  emmagasinèrent  dans  les  cavernes  des  montagnes 


(1)  Jean  Cavalier,  Mémoires,  livre II,  p.  115  et  suivantes. —  Cour 
t.  I,  p.  176. 

(2)  Cavalier,  Mémoires,  livre  II,  p.  121. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  207 

les  fruits  de  leurs  razzias  impitoyables.  Vivres,  vête- 
ments, vins,  armes,  fromages,  viandes  salées,  tout  leur 
était  bon  et  ramassé  avec  soin  par  eux.  On  se  nourrissait 
tellement  quellement,  grâce  à  la  complicité  généreuse 
des  habitants  qui  n'avaient  pas  encore  pris  les  armes.  La 
soupe  était  rare,  c'était  le  régal  des  grands  jours  ;  on  ne 
l'avait  qu'à  tour  de  rôle. 

Lorsqu'ils  ne  purent  plus  se  procurer  de  poudre 
dans  les  villes,  ils  s'adressèrent  aux  contrebandiers,  aux 
soldats  mêmes  qui  devaient  les  combattre,  et  desquels 
ils  l'achetaient.  Puis  enfin  ils  parvinrent  à  en  fabriquer 
eux-mêmes.  Quant  aux  balles,  la  vaisselle  d'étain,  le 
plomb  qu'ils  enlevaient  aux  églises  et  aux  fenêtres  des 
presbytères  qu'ils  saccageaient,  leur  en  fournirent  tou- 
jours amplement.  Enfin,  dans  les  grottes  les  plus  mysté- 
rieuses, les  plus  inabordables,  ils  cachaient  leurs  blessés 
qui  étaient  entourés  de  tous  les  secours  de  la  charité  la 
plus  attentive. 

Au  commencement  de  janvier  de  l'année  1703,  la 
cause  des  révoltés  est  triomphante.  Dédaignant  les  expé- 
ditions nocturnes  des  premiers  temps,  ils  marchent  au 
grand  jour,  tambours  battants  et  enseignes  déployées. 
Ils  ont  des  corps  d'armée,  d'excellents  chefs  pour  cette 
guerre  de  partisans,  et  pour  soldats  de  robustes  monta- 
gnards que  la  persécution  stimule  et  que  soutient  le 
fanatisme.  Ils  se  défendent  dans  les  plaines,  dressent 
des  embuscades  dans  les  défilés,  opèrent  de  savantes 
retraites  à  travers  les  montagnes,  et,  sans  aucun  secours 
de  l'étranger,  sont  raremeut  vaincus,  sinon  par  surprise 
ou  par  des  forces  trop  supérieures,  et  restent  presque 
toujours  vainqueurs  sur  les  champs  de  bataille. 

Justementinquietdes  succès  croissants  desCamisards, 
le  gouvernement  se  décide  à  envoyer  sur  les  lieux  quel- 


208  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

ques  troupes  commandées  par  deux  brigadiers  distin- 
gués, de  Parate  et  de  Julien.  Ce  dernier  venait  même 
d'être  élevé  à  la  dignité  de  maréchal  de  camp  à  la  pro- 
motion du  23  décembre  1702,  avant  d'être  expédié  sur 
lesCévennes. 

Né  protestant,  de  Julien  avait  quitté  la  France  lors 
de  l'attentat  du  22  octobre  1685,  espérant  sans  doute 
que  le  grand  roi  retirerait  une  ordonnance  plus  impoli- 
tique encore  que  cruelle.  Mais,  infaillible  comme  le 
pape,  —  ses  courtisans  le  lui  disaient,  et  il  le  croyait  1 1), 
—  Louis  XIV  ne  revenait  jamais  sur  ce  qu'il  avait  fait. 
Lassé  d'attendre,  de  Julien  abjura  pour  reconquérir  sa 
patrie,  son  grade,  et  les  faveurs  que  la  cour  prodiguait 
aux  renégats.  Converti  par  ambition,  tourmenté  par  ses 
remords,  peut-être,  on  le  voyait  déployer  en  toute  cir- 
constance un  zèle- amer  et  bigot  contre  ceux  dont  il 
avait  délaissé  les  croyances,  et  dont,  dans  ses  dépêches, 
il  ne  parlait  que  dans  les  termes  les  plus  insultants.  «Ce 
sont,  écrit-il,  des  misérables,  des  gueux,  des  bandits, 
des  canailles.  »  Il  fit  parfois  passer  au  fil  de  l'épéc  des 
villages  tout  entiers.  Aussi  obtint-il  bientôt  la  confiance 
absolue  des  ecclésiastiques  et  de  l'intendant  de  la  pro- 
vince. 

Tandis  que  les  deux  nouveaux  capitaines  se  dirigeaient 
vers  le  théâtre  de  leurs  futurs  exploits,  le  comte  de  Bro- 
glie  apprend  que  les  Camisards  sont  descendus  dans  la 
Yaunage  (11  janvier).  Il  appelle  à  lui  le  terrible  Poul, 
on  se  met  à  leur  recherche,  et  on  les  atteint  au  Val  de 


(1)  «  Si  l'on  tenait  un  consistoire  pour  décider  de  l'infaillibilité 
du  roi  comme  on  en  a  tenu  pour  celle  du  pape,  je  déciderais  pour 
celle  de  Sa  Majesté.  Ses  ordres  ont  confondu  toute  la  science  hu- 
maine. »  Lettre  de  Tessé  à  Chamillard  ,  5  avril  1706.  Mémoires  de 
Noailles,  p.  192. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  209 

Bane,  sur  le  territoire  de  Nîmes.  On  se  met  en  marche, 
en  ordre  de  bataille,  Poul  à  la  droite,  la  Dourville  à  la 
gauche,  Broglie  avec  son  fils  au  centre.  Cavalier  se 
trouvait  alors  à  Nîmes,  et  Ravanel  et  Catinat  comman- 
daient à  sa  place.  Avant  de  s'éloigner,  il  leur  avait  pré- 
dit, dans  une  de  ses  extases,  qu'ils  livreraient  un  combat 
en  son  absence,  qu'ils  seraient  vainqueurs,  et  que  Poul 
y  perdrait  la  vie. 

Après  avoir  congédié  tous  ceux  qui  ne  se  trouvaient 
là  que  dans  l'espoir  de  prier  Dieu  au  milieu  du  Camp  de 
l'Éternel,  les  deux  lieutenants  du  jeune  général  mas- 
sèrent leurs  hommes  sur  une  hauteur  qui  dominait  le 
Val  de  Bane.  Ils  n'étaient  en  tout  que  deux  cents.  On 
hésitait  néanmoins  à  les  attaquer,  quoique  l'on  eût  à 
leur  opposer  un  chiure  égal  de  milices  bourgeoises, 
appuyées  par  le  régiment  du  Petit-Languedoc  et  une 
compagnie  de  dragons.  Poul  lui-même,  qui  savait  à 
quels  adversaires  on  avait  affaire,  était  d'avis  que  l'on 
attendit  des  renforts.  Les  plus  aventureux  l'empor- 
tèrent, et  on  livra  la  bataille. 

Ils  étaient  agenouillés  et  chantaient  des  cantiques, 
lorsque  la  première  décharge  de  l'ennemi  éclate  sur 
eux.  Ils  se  lèvent  alors,  et  répondent  par  un  feu  telle- 
ment meurtrier,  chacun  ajustant  son  homme,  que  les 
milices  terrifiées  tournent  le  dos  et  entraînent  les  dra- 
gons dans  leur  fuite. 

Un  jeune  garçon,  nommé  Samuelet,  n'était  armé  que 
d'une  fronde.  Mais  il  la  maniait  si  bien,  que  d'une  pierre 
il  abattit  Poul,  frappé  à  la  tète.  Le  berger  David  avait 
châtié  l'orgueil  du  géant  Goliath.  L'enfant  se  précipite, 
arrache  le  sabre  des  mains  du  blessé,  lui  tranche  la  tète, 
s'élance  sur  son  vigoureux  cheval,  et  se  met  à  la  pour- 
suite des  dragons. 

12. 


210  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Les  catholiques  s'enfuirent  tout  d'une  haleine  jusqu'à 
Nîmes,  où  ils  entrèrent  toujours  courant,  sans  armes, 
sans  chapeaux,  frappés  d'une  terreur  qui  devint  de  plus 
en  plus  contagieuse.  Cavalier  put  réjouir  sa  vue  de  ce 
spectacle.  Confiant  dans  la  prophétie  qu'il  avait  faitela 
veille,  il  était  venu,  déguisé  en  marchand,  acheter  lui- 
même  de  la  poudre  dont  il  manquait.  Grâce  à  la  con- 
fusion générale,  il  sortit  de  la  ville  sans  être  inquiété, 
s'amusa  à  rassurer  sur  la  route  les  fugitifs  effarés  qui 
voulaient  lui  persuader  de  retourner  avec  eux  vers  la 
ville,  et  bientôt  ilrejoignitRavanel  et  Catinat,  auxquels  il 
avait  voulu  réserver  les  honneurs  de  la  journée. 

Les  vainqueurs  résolurent  d'aller  brûler  un  village 
qui  avait  la  maie  chance  de  s'appeler  Poul,  et  qui  n'était 
guère  qu'à  une  lieue  de  Nîmes.  L'église,  quatorze  mai- 
sons furent  réduites  en  cendres,  et  quelques  victimes 
furent  fusillées.  Le  chevalier  de  Saint-Chattes  se  flattait 
de  leur  faire  expier  ce  facile  triomphe.  Tout  son  déta- 
chement resta  sur  la  place  ou  se  noya  dans  le  Gardon  ; 
lui-même  ne  dut  son  salut  qu'à  la  rapidité  de  son  cheval. 

Cependant  de  Julien  et  les  renforts  que  l'on  attendait 
étant  arrivés,  Broglie  résolut  de  venger  sa  défaite  et  de 
poursuivre  les  Camisards  à  outrance.  Dans  un  conseil 
auquel  assistait  Bàville,  de  Julien  avait  émis  cette  pro- 
position radicale,  de  passer  au  fil  de  l'épée  tous  les  pro- 
testants de  la  province  et  de  brûler  tous  les  villages 
soupçonnés  de  favoriser  la  révolte  (1).  C'était,  on  le  voit 
beaucoup  mieux  que  la  Saint-Barthélémy,  seulement 
l'exécution  de  ce  beau  projet  demeurait  fort  épineuse, 
attendu  que  les  victimes  étaient  prévenues,  que  beau- 
coup d'entre  elles  étaient  armées,  et  tout  aussi  bien  en 

(i;  Court,  t.  I,  p.  212. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  211 

situation  d'égorger  les  catholiques  que  de  se  laisser 
égorger  par  eux.  Ils  ne  le  prouvaient  que  trop  bien  tous  les 
jours.  On  se  contenta  donc  de  décider  que  l'on  s'effor- 
cerait de  les  rejoindre,  si  l'on  pouvait,  sauf  à  les  tuer,  si 
l'on  parvenait  à  les  battre. 

«  On  les  courait  partout  comme  on  court  des  loups 
enragés,  dit  Brueys  :  mais  on  ne  savait  où  courir  pour 
les  rencontrer  (1).  » 

C'était  là  le  difficile,  en  effet.  Quand  on  croyait  les 
tenir,  ils  disparaissaient,  semblaient  s'enfoncer  sous  terre, 
et  le  lendemain,  ils  brûlaient  des  villages  bien  loin  du 
lieu  où  ils  se  trouvaient  la  veille.  Nul  ne  trahissait  le 
secret  de  leur  marche.  Ceux  que  l'on  arrêtait  et  dont  on 
espérait  obtenir  quelques  éclaircissements  mouraient, 
mais  ne  parlaient  pas. 

On  apprend  enfin  qu'ils  sont  du  côté  de  Saint-Jean-de- 
Ceyrargues.  Bâville  y  court,  avec  toutes  les  forces  dont 
la  province  pouvait  disposer  ;  et  comme  il  s'agissait  d'en- 
velopper les  Cévenols  dans  un  réseau  de  feu,  de  Julien 
y  marche  d'un  côté  à  la  tête  de  deux  bataillons  de  troupes 
régulières,  Broglie  d'un  autre  avec  deux  compagnies  de 
dragons  et  un  corps  considérable  de  fusiliers,  le  comte 
de  Tournon  d'un  troisième  côté,  avec  huit  cents  hommes 
de  milices  rassemblés  à  Uzès. 

L'Église  les  accompagne  de  ses  vœux  les  plus  ardents, 
et  adresse  pour  eux  au  ciel  ses  prières  les  plus  instantes  : 
«  On  est  actuellement  après  les  Camisards,  écrit  Flé- 
chier  ;  les  troupes  de  Nîmes  et  d'ailleurs  ont  marché  vers 
Uzès  et  Saint-Esprit  pour  tomber  sur  la  troupe  auda- 
cieuse que  M.  de  Julien  poursuit  depuis  quelques  jours, 
Dieu  veuille  bénir  ceux  qui  combattent  pour  la  religion!  » 

(1)  Brueys,  t.  I,  p.  155. 


212  HISTOIRE    DES   CAMISAliDS 

Hélas  !  la  Providence,  dont  les  desseins  sont  insonda- 
bles et  les  voies  bien  détournées,  ne  devait  bénir  les  gros 
bataillons  qu'après  que  les  petits  auraient  été  décimés 
bien  des  fois  encore  dans  les  combats  et  sur  les  échafauds. 

Seul  contre  trois,  c'eût  encore  été  assez  pour  ces  glo~ 
rieux  champions  de  la  liberté  de  conscience,  de  mourir 
d'une  mort  glorieuse.  Ils  jugèrent  qu'il  valait  mieux 
vaincre  leurs  nombreux  adversaires  et  faire  triompher 
la  noble  cause.  Seulement,  ils  voulurent  prendre  leur 
temps  et  choisir  leur  lieu.  Aussi  Bàville,  Broglie,  Tour- 
non  et  Julien  ne  trouvèrent- ils  plus  à  Saint- Jean-de- 
Ceyrargues  ceux  qu'ils  croyaient  surprendre,  et,  dans 
le  même  moment,  ils  brûlaient  les  village  de  Salendrés 
et  de  Geyras,  de  l'autre  côté  de  la  rivière.  On  la  franchit, 
on  s'avance  ;  mais  il  n'y  a  plus  personne  ;  ils  sont  devenus 
invisibles,  impalpables,  ils  se  sont  évanouis  dans  les 
airs,  ou  bien  cachés  dans  le  tronc  des  arbres  des  forêts. 
Et  voilà  que  tout  à  coup,  le  23  janvier,  ils  enlèvent  un 
convoi  de  vivres  à  Mandajors,  et  pour  comble  d'audace 
et  d'irrévérence,  le  25,  ils  prennent  la  liberté  grande  de. 
venir  attaquer  un  corps  de  garde  aux  portes  d'Anduze, 
où  était   Broglie  avec  des  troupes  nombreuses. 

Boland  et  Cavalier,  trop  jeunes  peut-être  pour  le  grave 
métier  de  généraux  d'armées,  manquaient  déplorable- 
ment  de  sérieux.  On  chercherait  en  vain  dans  leurs  actes 
ce  caractère  de  majesté  compassée  qui  distinguait  le 
grand  siècle.  C'étaient  chaque  jour  de  véritables  espiè- 
gleries de  pages  en  goguettes  ;  ils  introduisaient  un  élé- 
ment nouveau  —  l'esprit,  qui  s'y  trouvait  fort  dépaysé, 
—  dans  l'art  éminemment  grave  de  tueries  hommes,  et 
l'on  eût  dit  qu'ils  avaient  juré  de  susbstituer  le  vaude- 
ville insolent  et  railleur  à  la  tragédie,  où  l'on  préten- 
dait leur  réserver  le  rôle  de  victimes  au  dénouement. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  213 

Nous  avons  déjà  raconté  de  leurs  tours.  Une  fois,  ils 
écrivent  à  un  capitaine  pour  l'avertir  qu'une  assemblée 
va  se  tenir  au  Colet.  Celui-ci,  naïvement,  s'empresse  de 
s'y  rendre  avec  toute  sa  garnison.  Les  Gamisards  arrivent 
au  lieu  qu'il  vient  de  quitter,  y  tiennent  leur  assemblée, 
prêchent  et  chantent,  et  ne  se  retirent  qu'après  avoir  tout 
saccagé. 

Une  autre  fois  (27  janvier),  il  prend  fantaisie  à  Roland 
de  détruire  une  garnison  de  cent  hommes  qui,  du  châ- 
teau de  Saint-Félix,  exerçait  sur  les  protestants  des  en- 
virons une  rude  tyrannie.  Il  met  le  feu  aux  métairies  du 
château,  situées  à  quelque  distance,  et  en  fait  donner 
avis  au  vicomte  de  Saint-Félix,  qui  s'élance  à  la  tête  de 
la  meilleure  partie  de  la  garnison  pour  aller  faire  main 
basse  sur  les  incendiaires.  Roland  alors  marche  sur  le 
château,  somme  le  reste  de  la  garnison  de  se  rendre, 
promettant  la  vie  sauve  à  ceux  qui  lui  ouvriront  les 
portes,  et  la  mort  à  ceux  qui  lui  résisteront. 

Deux  soldats  se  laissent  intimider  et  font  pénétrer  Ro- 
land dans  l'intérieur  de  la  forteresse.  On  poursuit  les 
autres  de  chambre  en  chambre,  et  tous  sont  tués  sans 
miséricorde  à  l'exception  des  deux  qui  avaient  cédé.  On 
enlève  cent  cinquante  pains  de  munition,  quarante-cinq 
fusils,  un  baril  de  poudre.  Puis  on  marche  à  la  rencontre 
du  vicomte  qui,  n'ayant  trouvé  personne  aux  alentours 
de  ses  granges  incendiées,  accourait  au  secours  de  son 
château,  que  déjà  les  flammes  couronnaientdc  leurrouge 
panache.  Ses  hommes  sont  taillés  en  pièces,  et  il  se  sauve 
lui-même  à  grand'peine.  Roland  fait  couper  la  tête  à 
douze  cadavres  qu'il  fait  exposer  au  pont  d'An  duze,  sinis- 
tre représaille  que  le  comte  de  Broglie  dut  comprendre  (  1  ). 

(1)  Court,  t.  I,  ().  21G-218. 


214  HISTOIRE   DES    CAMISARDS 

De  leur  côté,  Castanet,  Joanny,  Couderc,  répandent 
la  terreur  autour  d'eux.  Afin  de  donner  au  lecteur  une 
idée  de  la  situation  effroyable  de  cette  malheureuse 
province  habitée  par  deux  populations,  catholique  et 
protestante,  dont  Louis  XIV  avait  fait  des  ennemis 
acharnés,  nous  allons  laisser  raconter  à  Court  de  Gé- 
belin  les  exploits  de  Joanny  à  Genouillac,  sa  ville  na- 
tale. Déjà,  dans  deux  expéditions  différentes,  il  avait 
brûlé  l'église  et  les  maisons  de  quelques  catholiques 
trop  compromis,  et  égorgé  les  milices  bourgeoises, 
auxquelles  on  avait  accordé  le  privilège  du  logement 
militaire  chez  les  protestants  : 

«  Quelques  jours  après,  on  mit  une  nouvelle  gar- 
nison dans  ce  lieu.  Joanny  forma  le  dessein  de  les  dé- 
busquer une  seconde  fois  :  il  se  présenta,  demanda 
les  armes  et  promit  de  laisser  retirer  la  garnison  en 
paix  si  on  les  lui  accordait.  De  la  Perrière,  capitaine 
d'infanterie,  qui  était  à  la  tête  de  la  garnison,  trouva 
la  proposition  insolente  et  se  mit  en  défense  ;  mais  il 
fut  tué  à  l'attaque,  avec  quelques-uns  de  ses  soldats,  et 
le  reste  de  sa  troupe,  poursuivie  et  écharpée  dans  les 
casernes  où  elle  s'était  réfugiée.  Un  seul  lieutenant  et 
cinq  soldats  trouvèrent  leur  salut  dans  la  fuite.  Au 
bruit  de  ses  exploits,  les  catholiques  de  ce  canton,  au 
nombre  de  cinq  ou  six  cents,  prirent  les  armes,  cou- 
rurent la  campagne,  firent  main  basse  sur  les  protes- 
tants, et  pillèrent  leurs  maisons.  Le  colonel  Marsilly 
fut  les  joindre  à  la  tête  de  quatre  cents  hommes  et 
marcha  avec  eux  à  Genouillac.  Joanny  eut  l'audace  de 
les  attendre  de  pied  ferme  à  la  porte  de  la  ville,  en  or- 
dre de  bataille;  mais  après  une  décharge,  accablé  par 
le  nombre,  il  battit  en  retraite  et  se  retira  dans  les 
montagnes  sans  être  poursuivi.  Le  colonel,  étant  alors 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  215 

entré  dans  la  ville,  fit  main  basse  sur  les  habitants  ré- 
formés, tranquilles  dans  leurs  maisons.  Une  centaine 
de  ces  malheureux  furent  immolés  à  son  zèle,  et  péri- 
rent par  la  main  des  soldats. 

«  Marsilly  s'étant,  quelques  jours  après,  retiré  à  la 
Forte,  Joanny  revient,  pour  la  troisième  fois,  à  Ge- 
nouillac,  et  forme  le  projet  de  châtier  les  catholiques 
des  environs,  qui  avaient  osé  faire  main  basse  sur  les 
protestants  et  piller  leurs  maisons  ;  il  porta  partout  la 
terreur  et  l'effroi,  et  dévoua  à  son  ressentiment  tout 
ce  qu'il  trouva  sous'  ses  pas  ;  le  lieu  de  Chambourigaud 
fut,  en  particulier,  le  théâtre  où  il  joua  sa  plus  san- 
glante scène. 

«  M.  de  Julien  accourut  au  secours  de  cet  infortuné 
canton,  et  étant  entré  dans  Genouillac,  il  fit  massacrer 
tout  ce  qui  s'y  trouva  encore  de  protestants,  et  livra  la 
ville  à  la  fureur  et  à  la  cupidité  du  soldat,  qui  se  char- 
gea de  butin.  » 

On  suit  les  Camisards  à  la  trace  du  sang  qu'ils  lais- 
sent derrière  eux.  Divisés  en  petites  bandes,  ils  pro- 
mènent au  loin  le  fer  et  la  flamme,  et  l'on  compte,  en 
janvier  plus  de  quarante  églises,  châteaux,  presbytères 
incendiés,  plus   de  quatre-vingts  personnes  égorgées 
Après   qu'il     ont  passé,   les  troupes   royales,   partout 
comme  à  Genouillac,   arrivent  le  lendemain,   brûlent 
es  maisons  des  protestants   qu'ils  égorgent   sur  ce  s 
ruines  fumantes,  et  chacun  travaille  ainsi  à  faire  le  dé  - 
sert  dans  ces  contrées,  heureuses  avant  que  la  religion 
ne  vînt  les  bouleverser. 

Suivant  Louvreleuil  (l),un  synode  des  pays  étrangers 


(1)  Le  Fanatisme  renouvelé,  t.  I,  p.  20 i. 


21G  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

intervint  pour  réprimer  les  excès  des  Camisards,  et  leur 
fit  parvenir  une  lettre  dans  laquelle  les  protestants  du 
dehors  blâmaient  énergiquement  cette  série  de  repré- 
sailles sanglantes.  Genève  aussi  réprouva  leur  conduite. 
Est-ce  à  dételles  interventions  qu'il  faut  attribuer  quel- 
ques jours  de  répit  dont  ils  laissèrent  profiter  la  pro- 
vince? Mais  pour  qu'elle  fût  durable,  cette  modération 
eût  dû  être  imitée  par  leurs  persécuteurs,  ce  qui  n'eut 
jamais  lieu. 

Aussi  Cavalier  reprit-il  bientôt  l'offensive,  et,  à  la 
tête  de  huit  cents  hommes,  il  résolut  d'aller  soulever 
le  Yivarais,  non  sans  semer  bien  des  ruines  et  des 
meurtres  sur  sa  route. 

Le  comte  de  Roure,  lieutenant  du  roi  à  Saint-Esprit, 
fit  demander  au  jeune  chef  des  Camisards  la  cause  d'une 
pareille  agression.  11  répondit  :  «  que  si  lui  et  ses  amis 
avaient  pris  les  armes,  ce  n'était  point  pour  attaquer, 
mais  pour  se  défendre  :  que  la  cruelle  persécution  qu'on 
leur  faisait  éprouver  depuis  vingt  ans,  et  qui  augmen- 
tait tous  les  jours,  les  y  avait  contraints  :  que  puisqu'on 
ne  voulait  pas  les  laisser  en  repos  chez  eux,  mais  les 
obliger  d'abandonner  une  religion  qu'ils  croyaient  bonne, 
et  les  forcer  d'aller  à  la  messe  et  de  se  prosterner  devant 
des  images  de  bois  et  de  pierre,  contre  les  lumières  et 
les  mouvements  de  leur  conscience,  ils  aimaient  mieux 
mourir  les  armes  à  la  main  que  de  se  damner  :  que 
néanmoins,  ils  étaient  prêts  à  quitter  les  armes  et  à  les 
employer  ainsi  que  leurs  biens  et  leurs  vies  pour  le  ser- 
vice du  roi,  dès  le  moment  qu'on  voudrait  bien  leur  ac- 
corder la  liberté  de  conscience,  et  la  délivrance  de  leurs 
parents,  de  leurs  frères  et  de  leurs  amis  qui  étaient  sur 
les  galères  ou  renfermés  pour  cause  de  religion  dans  les 
prisons,  et  qu'on  cesserait  de  faire  souffrir  aux  protes- 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  217 

tants,  pour  la  même  cause,  des  morts  cruelles  et  igno- 
minieuses (1).  » 

Toutefois,  ce  hardi  partisan  ne  put  traverser  les  mon- 
tagnes de  l'Ardèche  qu'il  trouva  trop  bien  gardées.  De 
Julien  l'avait  suivi,  et  résolut  de  lui  faire  payer  cher  son 
imprudence.  11  ordonna  à  de  Joviac,  colonel  des  fusi- 
liers, de  l'attaquer  de  front  avec  tout  ce  qu'il  pourrait 
rassembler  de  troupes,  tandis  que  le  comte  de  Roure, 
à  la  tête  des  milices  et  de  tous  les  gentilshommes  du 
voisinage,  se  replierait  sur  ses  derrières,  afin  de  l'écraser 
entre  deux  corps  d'armée.  Il  ne  paraissait  pas  que  Ca- 
valier pût  se  tirer  d'affaire,  au  milieu  de  troupes  aussi 
supérieures  en  nombre.  L'événement  trompa  néanmoins 
l'espoir  des  catholiques.  Ils  furent  battus,  beaucoup  de 
gentilshommes  perdirent  la  vie,  et  les  vainqueurs  pour- 
suivirent leurs  ennemis  jusqu'au  bourg  de  Salvas,  à 
plus  d'une  lieue  de  celui  de  Vagnas,  où  l'affaire  avait 
eu  lieu  (10  février). 

Le  lendemain,  de  Julien,  à  la  tête  de  dix-huit  cents 
hommes  de  troupes  fraîches,  surprit  les  Camisards,  ha- 
rassés de  leur  victoire  de  la  veille.  Il  leur  coupa  la  re- 
traite, les  força  d'accepter  le  combat,  et  les  tailla  en 
pièces,  malgré  les  prodiges  de  valeur  qu'ils  accom- 
plirent dans  cette  journée  néfaste.  Le  soir,  Catinat  et 
Ravanel  rallièrent  quelques  débris  de  leurs  bandes 
attendirent  vainement  Cavalier,  Espérandieu  et  Rasla- 
let.  Cavalier,  fugitif  avec  quatre  ou  cinq  des  siens,  ne 
reparut  qu'au  bout  de  quelques  jours  pendant  lesquels 
il  défendit  sa  vie  contre  des  hasards  et  des  périls  inouïs. 
Espérandieu  était  resté  sur  le  champ  de  bataille.  Quant 
à  Rastalet,  la  célébrité  qu'il  s'était  déjà  acquise  lui  valut 

(l)  Cavalier,  Mémoires,  livre  I,  p.  91. 

13 


218  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

d'être  réservé  par  de  Julien  pour  B avilie,  auquel  il  fallait 
bien  faire  sa  part  dans  cette  curée  d'hommes;  le  terrible 
intendant  le  fit  expirer  sur  la  roue,  le  4  mars,  à  Alais. 

Nous  disons  qu'il  fut  réservé,  car  de  Julien  avait  re- 
noncé à  faire  des  prisonniers,  et  il  s'en  vante  avec  une 
naïveté  pleine  de  cynisme  :  «  Gomme  dans  nos  marches, 
à  la  moindre  alarme,  nous  aurions  été  embarrassés  de 
garder  les  prisonniers,  je  pris  la  peine  de  leur  faire  casser 
la  tête  à  mesure  qu'on  mêles  conduisait.  Le  roi  épargne 
les  frais  de  justice  et  ceux  de  l'exécution,  et  même  la 
corruption  des  juges  subalternes,  qui  souvent  par  in- 
térêt justifient  les  coupables.  Ce  sont  des  serpents  dan- 
gereux auxquels  il  est  bon  d'écraser  la  tête  le  plus  tôt 
qu'il  est  possible  (1).  » 

Il  devenait  de  plus  en  plus  dangereux  de  rester  neutre 
au  milieu  de  cette  guerre  de  cannibales.  C'est  alors  que  les 
populations  des  campagnes  se  soulevèrent  à  leur  tour, 
firent  un  troisième  parti  au  milieu  des  deux  qui  les  dé- 
chiraient, et,  brûlant,  assassinant  au  hasard,  portèrent 
au  comble  les  malheurs  de  la  contrée.  Ils  étaient  guidés 
par  Chabert,  et  le  lieu  de  Saint-Florent  ayant  fourni  le 
plus  de  recrues  à  ce  ramassis  de  brigands,  on  les  désigna 
sous  le  nom  de  Florentins. 

Les  habitants  de  Fraissinet  avaient  commis  quelques 
excès  contre  des  protestants  et  notamment  contre  plu- 
sieurs jeunes  filles  qui  revenaient  d'une  assemblée. 
Castanet,  qui  comptait  dans  sa  troupe  quelques-uns  des 
parents  des  victimes,  résolut  de  les  punir.  Ils  voulurent 
résister,  mais  mal  leur  en  prit,  car  Castanet  vainqueur 
lit  passer  une  quarantaine  de  personnes  au  fil  de  Tépée. 


(1)  Lettre  de  Julien  à  Chamillart,  février  1703.  —  Archives  de  la 
guerre,  volume  1707,  n°  69. 


HISTOIRE   DES    CAMISARDS  219 


CHAPITRE     V 


Montrevel,  maréchal  de  France,  remplace  Broglie.  —  Bàville  le 
seconde  dans  ses  sauvages  entreprises.  —  Massacre  des  protes- 
tants à  Nîmes.  —  Crimes  horribles  des  Florentins,  des  Cadets  de 
la  Croix,  des  Camisards  blancs,  des  Camisards  noirs.  —  Le  pape 
Clément  XI  fulmine  une  bulle  contre  les  révoltés  des  Cévennes. 


La  cour,  mécontente  de  Broglie  contre  lequel  le  clergé 
ne  cessait  d'adresser  des  plaintes,  envoya  pour  le  rem- 
placer le  maréchal  de  Montrevel  à  la  tête  de  troupes 
considérables,  qui  portèrent  à  environ  60,000  homme* 
l'effectif  dont  il  put  disposer.  Arrivé  à  Nîmes  le  15  février, 
il  eut  une  conférence  avecBâville,  de  Julien  et  de  Parât .. 
qui  lui  firent  connaître  les  difficultés  de  la  situation. 

Nicolas  La  Beaume  de  Montrevel  n'avait  aucune  des 
qualités  nécessaires  pour  apaiser  la  formidable  insur- 
rection des  Cévennes.  Orgueilleux,  dur,  implacable,  sol- 
dat brutal  et  ne  connaissant  que  la  force,  il  pouvait, 
avec  Bâville  et  de  Julien,  faire  du  Languedoc  un  désert  ; 
mais  il  n'eût  jamais  su  ramener  dans  la  voie  pacifique 
un  seul  protestant.  Parlementer  avec  ces  misérables 


220  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

bandits  lui  semblait  bien  au-dessous  de  la  dignité  d'un» 
maréchal  de  France  ;  il  jugeait  plus  simple  et  plus  ex- 
péditif  de  les  tuer  le  jour  du  combat,  de  les  pendre  le 
lendemain. 

La  partie  était  trop  chaudement  engagée  pour  que  les 
Camisards  se  laissassent  décourager  par  les  démons- 
trations imposantes  des  catholiques.  Ils  avaient  juré  de 
mourir  tous  jusqu'au  dernier  plutôt  que  d'abjurer  leurs 
croyances,  et  ils  se  préparaient  à  tenir  parole. 

Bien  que  vaincu  à  Vagnas,  le  corps  de  Cavalier  rem- 
porta bientôt  quelques  petits  avantages  partiels,  brûla 
dix-huit  églises,  quatre-vingts  maisons,  tua  une  cin- 
quantaine de  personnes,  massacra  tous  les  habitants  de 
Uruguière...  Mais  Ravanel,  qui  commandait  alors,  fut 
lui-môme  battu,  le  20  février,  aux  portes  de  Nîmes,  par 
le  maréchal  de  Montrevel.  La  perte  fut  grande  des  deux 
côtés. 

Les  Cévenols  éparpillent  leurs  forces,  afin  de  pouvoir 
se  dérober  plus  facilement  aux  recherches  et  de  forcer 
leurs  adversaires  à  se  diviser  eux-mêmes  pour  les  pour- 
suivre. Et  alors,  grâce  à  leur  connaissance  plus  exacte 
du  pays,  ils  se  réunissent  à  un  jour  donné,  tombent  sur 
un  des  petits  corps  royalistes,  le  taillent  en  pièces,  et 
jettent  ainsi  la  terreur  et  la  démoralisation  chez  ceux 
qui  les  poursuivent.  Ils  semblent  toujours  en  fuite,  et 
sont  partout  vainqueurs. 

Pour  que  la  frayeur  ne  fût  pas  toute  du  côté  des  catho- 
liques, Montrevel  fait  piller  et  brûler  les  villages  où 
■  les  révoltés  ont  séjourné,  Marvejols,  Hieuset,  Saint- 
Jean-de-Ceyrargues  ...,  puis  il  publie  coup  sur  coup 
deux  ordonnances  menaçantes. 

«Le  roi, disait-il  dans  la  première,  en  date  du  23  fé- 
vrier, étant  informé  que  quelques  gens  sans  religion  por- 


HISTOIRE    DliS    CAMISARDS  221 

tent  des  armes,  exercent  des  violences,  brûlent  des 
églises  et  tuent  des  prêtres,  Sa  Majesté  ordonne  à  tous 
ses  sujets  de  leur  courir  sus,  et  que  tous  ceux  qui  seront 
pris  les  armes  à  la  main,  ou  parmi  les  attroupés,  soient 
punis  de  mort  sans  aucune  forme  de  procès  :  que  leurs 
maisons  soient  rasées  et  leurs  biens  confisqués  :  comme 
aussi  que  toutes  les  maisons  où  ils  ont  fait  des  assemblées 
soient  démolies.  Le  roi  défend  aux  pères,  mères, 
frères,  sœurs  et  autres  parents  des  fanatiques  et  autres 
révoltés,  de  leur  donner  retraite,  vivres,  provisions , 
munitions,  ni  autre  assistance,  de  quelque  nature  et 
sous  quelque  prétexte  que  ce  soit,  ni  directement,  ni 
indirectement,  à  peine  d'être  réputés  complices  de  leur 
rébellion,  et  comme  tels,  il  veut  et  entend  que  leur 
procès  soit  fait  et  parfait  par  le  sieur  de  Bàville  et  les 
officiers  qu'il  choisira. 

«  Sa  Majesté  ordonne  encore  aux  habitants  du  Lan- 
guedoc qui  dans  le  temps  de  cette  ordonnance  seront 
hors  de  leurs  demeures,  d'y  retourner  dans  huit  jours: 
si  ce  n'est  qu'ils  eussent  une  cause  légitime,  qu'ils  dé- 
clareront au  sieur  de  Monlrevel,  commandant,  ou  au 
sieur  de  Bàville,  intendant  ;  et  cependant  aux  maires  et 
consuls  des  lieux,  de  la  raison  de  leur  retardement  :  de 
quoi  ils  prendront  des  certificats  pour  les  envoyer  aux- 
dits  sieurs  commandant  ou  intendant,  auxquels  Sa 
Majesté  ordonne  de  ne  laisser  entrer  aucun  étranger  ni 
sujet  des  autres  provinces,  sous  prétexte  de  commerce, 
ou  autre  affaire,  sans  un  certificat  des  commandants  ou 
intendants  des  provinces  d'où  ils  partiront,  ou  des  juges 
royaux  des  lieux  de  leur  départ  ou  des  plus  prochains. 

«  A  l'égard  des  étrangers,  ils  prendront  des  passe-ports 
des  ambassadeurs  ou  envoyés  du  roi  dans  les  pays  où 
ils  sont,  ou  des  commandants  ou  ries  intendants  des  pro- 


222  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

vinces,  ou  des  juges  royaux  des  lieux  où  ils  se  trouveront, 
Au  surplus,  Sa  Majesté  veut  que  ceux  qui  seront  pris 
en  ladite  province  du  Languedoc  sans  de  tels  certificats 
soient  réputés  fanatiques  et  révoltés,  et  comme  tels,  que 
leur  procès  soit  fait  et  parfait,  et  qu'ils  soient  punis  de 
mort  :  auquel  effet  ils  seront  menés  audit  sieur  de  Bâ- 
ville  ou  aux  officiers  qu'il  choisira.  » 

Une  autre  ordonnance,  du  lendemain  24,  n'était  pas 
moins  rigoureuse  : 

«  Nous,  etc.,  étant  informé  qu'il  se  fait  tous  les  jours 
dans  différents  endroits  des  attroupements  de  soulevés, 
qui  commettent  toutes  sortes  de  crimes  et  qui  conti- 
nuent de  massacrer  les  anciens  catholiques  et  de  brûler 
les  églises,  et  que  les  habitants  de  plusieurs  endroits 
qui  sont  nouvellement  convertis,  loin  de  contribuer 
à  repousser  de  telles  violences,  les  favorisent  de  tout 
leur  pouvoir,  ou  ne  donnent  aucun  avis  de  leurs  marches, 
ni  de  leur  séjour  dans  les  lieux  où  ils  sont  aussi  tran- 
quilles que  si  tout  le  pays  n'était  pas  dans  une  obliga- 
tion indispensable  de  leur  courre  sus  :  et  même  quel- 
ques uns  des  bourgs  et  villages,  ayant  poussé  leur  mau- 
vaise volonté  jusqu'à  attenter  sur  les  troupes  du  roi  :. 
Nous  croyons  devoir  mettre  tous  prêtres,  ecclésiastiques, 
religieux,  anciens  catholiques,  et  les  églises,  sous  la 
garde  des  habitants  nouveau  convertis  des  commu- 
nautés. Déclarons  que  s'il  leur  arrive  aucun  accident, 
ces  communautés  seront  responsables,  et  qu'elles  seront 
brûlées  et  entièrement  détruites,  le  lendemain  qu'il  s'y 
sera  commis  la  moindre  de  ces  cruautés  inouïes  qui  ont 
été  ci-devant  exercées. 

«  Déclarons  en  outre  que  s'il  arrive  qu'aucun  soldat 
des  troupes  du  roi  se  trouve  tué  dans  aucune  des  com- 
munautés ou  villages,  les  lieux  eu  seront  aussi  respon- 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  223 

sables,  et  punis  de  la  même  peine.  Et  afin  que  personne 
n'en  ignore,  nous  ordonnons  qu'à  la  diligence  des  syn- 
dics des  diocèses,  la  présente  ordonnance  sera  partout 
lue,  publiée  et  affichée  :  de  laquelle  publication,  dans 
chaque  communauté,  ils  nous  rapporteront  dans  huit 
jours  un  certificat.  Enseignons  à  tous  les  maires  et  con- 
suls de  tenir  la  main  à  l'exécution  de  la  présente  ordon- 
nance, à  peine  d'en  répondre  en  leurs  propres  et  privés 
noms.  » 

On  le  voit,  il  n'était  plus  permis  de  demeurer  tran- 
quille au  milieu  de  la  conflagration  universelle,  la  neu- 
tralité se  voyait  poursuivie  à  l'égal  de  la  révolte  armée, 
et  le  grand  roi  soulevait  une  jacquerie  générale  dans 
une  des  plus  vastes  provinces  de  son  royaume.  Chacun, 
puisque  cela  était  commandé,  s'arma  donc,  mais  pour 
sa  cause  :  les  catholiques  pour  la  foi  de  Rome,  les  pro- 
testants pour  la  religion  réformée,  et  les  Florentins  pour 
le  meurtre  et  le  pillage. 

Bien  décidé  à  faire  suivre  ces  menaces  des  effets  les 
plus  rigoureux,  Montrevel  proposa  d'emprisonner  un 
certain  nombre  de  nouveaux  convertis  reconnus  sus- 
pects, et,  à  chaque  meurtre  ou  incendie  que  se  permet- 
traient les  Gamisards,  de  pendre  haut  et  court  trois  ou 
quatre  de  ces  otages  ;  en  outre,  de  faire  lever  par  les 
troupes  une  certaine  somme  à  laquelle  seraient  con- 
damnés chacun  des  habitants  des  lieux  où  l'on  com- 
mettrait quelque  désordre.  La  cour  rejeta  ces  beaux 
projets,  autorisant  seulement  l'intendant  à  lever  cent 
mille  livres  sur  les  nouveaux  convertis,  pour  indem- 
niser les  catholiques. 

Bàville  secondait  de  son  mieux  le  fougueux  maréchal, 
et,  remontant  droit  des  effets  à  la  cause,  il  s'en  prenait 
aux  ministres,  qui,  par  leur  éloquence  inspirée,  entre- 


224  iiisTOiRi-;  di-:s  camisards 

tenaient  le  zèle  des  calvinistes  :  «  J'ai  fait  prendre  et 
punir  seize  de  ces  prédicants,  écrivait-il  un  jour.  Je  n'en 
connais  plus  que  deux,  qui  sont  fonçasses,  que  j'espère 
faire  arrêter,  s'ils  paraissent.  Le  moyen  le  plus  efficace 
que  j'ai  pu  trouver  pour  empêcher  ces  assemblées  est 
de  rendre  les  communautés  responsables,  de.  condamner 
en  des  amendes  solidaires  tous  les  habitants,  de  leur 
envoyer  des  troupes  en  pure  perte,  et  de  raser  les  mai- 
sons où  elles  ont  été  tenues.  Depuis  que  nous  avons  mis 
en  pratique  cet  expédient,  les  assemblées  ont  été  beau- 
coup moins  fréquentes  (1).  » 

De  telles  mesures,  quoi  qu'en  pensât  Bàville,  n'étaient 
pas  faites  pour  apaiser  les  haines  religieuses.  Aussi 
quand,  vers  cette  époque,  il  parut  en  Hollande  et  en 
Angleterre  différents  manifestes  pour  engager  les  puis- 
sances alliées  à  voler  au  secours  de  leurs  infortunés  co- 
religionnaires de  France,  ces  ouvertures  trouvèrent  les 
esprits  merveilleusement  disposés  à  les  accueillir. 

Le  4  mars,  la  petite  bande  de  Cavalier  chantait  des 
psaumes  en  marchant,  lorsqu'elle  fut  rencontrée,  vers 
Saint-Manet,  par  La  Jonquière  à  la  tête  de  trois  à  quatre 
cents  hommes  de  troupes  de  la  marine.  Le  jeune  héros 
cévenol  la  repousse,  et,  à  quelques  jours  delà,  il  venait 
de  se  réunir  à  Roland,  lorsqu'il  fut  atteint  de  la  petite 
vérole.  Il  remit  son  commandement  aux  mains  de  Rava- 
nel  et  de  Catinat,  et  se  retira  àCardet,  où  il  attendit  que 
la  nature  lui  envoyât  la  guérison. 

Après  quelques  escarmouches  heureuses,  les  Cami- 
sards, au  nombre  de  1,300  environ,  s'avancent  du  côté 
de  Ganges,  où  ils  pénètrent  après  avoir  tué,  jusqu'au 
dernier  homme,  un  détachement  d'infanterie  qui  pré- 

(1)  Rulhière,  Éclaircissements,  t.  II,  p.  230. 


HISTOIRE    DES    CAM1SARDS  225 

tendait  leur  disputer  le  passage.  Ils  s'y  ravitaillent,  tra- 
versent la  montagne  de  Sérane,  et  attaquent  la  ville  de 
Pompignan.  Déjà  ils  avaient  brûlé  une  quarantaine  de 
maisons,  lorsque  Montrevel  accourt  à  la  tête  de  forces 
supérieures.  Une  bataille  sanglante  s'engage  dans  la 
plaine  de  Pompignan,  et  Gatinatet  Ravanel,  après  avoir 
fait,  au  dire  de  Court  de  Gébelin,  «  des  actions  dignes 
des  plus  grands  capitaines,  »  opérèrent  de  leur  mieux 
leur  retraite.  Roland,  blessé,  fuit  avec  eux.  La  perte  des 
Genevois  dépassa  deux  cents  hommes.  Battus,  mais  non 
découragés,  ils  s'arrêtèrent  pour  brûler  l'église  de  Dur- 
fort,  à  deux  lieues  de  là.  Montrevel  souilla  sa  facile  vic- 
toire en  faisant  exécuter  par  la  main  du  bourreau  plu- 
sieurs prisonniers;  puis  il  leva  10,000  livres  d'amende 
sur  la  ville  de  G  anges,  pour  n'avoir  pu  s'opposer  à  ce  que 
les  Gamisards  y  prissent  des  rafraîchissements,  et  y  logea 
à  discrétion  deux  régiments.  C'était  à  la  fois,  pour  cette 
malheureure  ville,  la  honte,  la  ruine  et  la  mort. 

Une  mesure  plus  heureuse  de  Montrevel  fut  de  réu- 
nir à  Nîmes  les  gentilshommes  protestants  ou  nouveaux 
convertis,  de  leur  prêcher  la  modération,  la  fidélité  au 
roi,  de  les  encourager  à  se  jeter  entre  les  partis  pour 
arracher  les  armes  des  mains  des  révoltés.  Mais,  hélas! 
ils  étaient  impuissants,  le  roi  seul  pouvait  accomplir  ce 
miracle,  en  rendant  à  ces  malheureux  la  liberté  de  con- 
science, la  seule  chose  qu'ils  demandaient. 

Dès  le  15  mars,  les  vaincus  reprenaient  l'offensive  et 
brûlaient  l'église  de  Saint-Laurent-d'Aigouse,  presque 
sous  les  yeux  de  Montrevel.  Joanny  etCastanct,  dans  les 
hautes  Gévennes,  remportaient  aussi  quelques  petits 
avantages  partiels,  se  reposaient  de  vive  force  dans  les 
villages  et  les  métairies  où  la  fatigue  les  prenait.  Les 
catholiques   survenaient,  et,  forts    des  ordonnances  de 

13. 


226  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Montrcvel,  arrêtaient  ces  complices  involontaires,  pour 
lesquels  des  échafauds  étaient  dressés  en  permanence 
à  Mende,  Alais,  Nîmes  et  Montpellier. 

Mais  toutes  ces  horreurs  de  détail  pâlirent  devant  une 
scène  effroyable  qui  eut  Nîmes  pour  théâtre,  et  qui 
porta  au  comble  l'exaspération  des  révoltés. 

C'était  le  1er  avril,  un  dimanche,  jour  des  Rameaux. 
Cent  cinquante  réformés,  —  des  vieillards,  des  femmes, 
des  enfants  pour  la  plupart,  —  étaient  rassemblés  pour 
chanter  des  cantiques,  dans  un  moulin  du  faubourg  de  la 
porte  des  Carmes.  Ce  moulin,  situé  sur  le  canal  de  la  Gau, 
petit  ruisseau  qui  traverse  la  ville,  avait  pour  fermier  un 
protestant  zélé.  Iln'yavaitpas  un  homme  arméparmi  eux. 
Leur  crime,  le  douxFléchier,  dans  une  lettre  du  25  avril, 
a  pris  soin  de  nous  le  faire  connaître  : 

«  Ils  osèrent  môme,  le  dimanche  des  Rameaux,  tenir 
une  assemblée  dans  un  moulin,  sans  aucune  précaution, 
à  la  porte  de  la  ville;  et  dans  le  temps  que  nous  chantions 
vêpres,  chanter  leurs  psaumes  et  faire  leur  prêche  !  » 

Certes, 

—  Rien  que  la  mort  n'était  capable 
D'expier  un  pareil  forfait!... 

Montrevel  dinait,  lorsqu'on  vint  lui  annoncer  cet 
attentat.  Il  s'élance  de  table,  arme  ses  dragons  et  court 
investir  le  moulin.  Par  son  ordre,  sous  ses  yeux,  on  dé- 
fonce les  portes,  on  massacre  ces  innocents.  Quelques- 
uns  tentent  de  s'évader  par  une  fenêtre  :  Montrevel  y  fait 
placer  des  sentinelles  pour  les  repousser  dans  le  moulin, 
et  le  massacre  continue  au  milieu  des  cris  de  fureur  des 
égorgeurs,  des  hurlements  d'effroi  des  femmes  et  des 
enfants.  Mais  il  y  en  avait  trop  à  égorger,  et  cela  perdait 
du  temps.  Montrevel  fait  rappeler  tous  ses  hommes,  et 


HISTOIRE   DES   CAMISARDS  227 

ordonne  de  mettre  le  feu  au  moulin.  Alors  il  y  eut  quel- 
que chose  de  hideux.  Ces  martyrs  cherchaient  à  s'é- 
chapper par  la  porte,  par  la  fenêtre,  par  le  toit  effondré. 
Blessés,  demi-consumés,  sanglants  et  hrûlés,  fous  de 
terreur,  de  désespoir  et  de  douleur  à  la  fois,  ils  se  pré- 
cipitent... Montrevel  les  fait  refouler  dans  le  brasier  par 
ses  dragons  d'enfer. 

Une  seule  jeune  fille  de  dix-sept  ans  avait  été  arrachée 
du  milieu  des  flammes  par  un  valet  de  chambre  du 
maréchal.  Montrevel  furieux  ordonne  qu'on  les  pende 
sur-le-champ  tous  les  deux.  La  fille  était  exécutée  déjà 
et  son  complice  allait  l'être,  lorsque  des  religieuses  par- 
vinrent, après  de  longs  efforts,  à  arracher  sa  grâce  au 
maréchal,  qui  se  contenta  de  le  chasser  de  sa  maison  et 
de  la  ville. 

Il  n'y  eut  désormais  ni  piété  ni  merci  d'aucun  côté. 
«  Epoque  fatale,  dit  un  historien  (I),  qui  réduisit  une  des 
plus  belles  provinces  de  la  France  dans  la  désolation  la 
plus  affreuse  !  On  n'entendit  plus  parler  que  d'enlè- 
vements, que  de  meurtres,  que  de  carnages,  de  pillages  et 
d'incendies.  Les  Gamisards  d'un  côté,  les  troupes  du  roi  et 
les  cadets  de  la  Croix  d'un  autre,  se  disputaient  l'horrible 
gloire  de  se  surpasser  tous  en  cruauté.  » 

Les  cadets  de  la  Croix,  les  Florentins,  les  Camisards 
noirs,  trois  variétés  d'une  même  espèce  de  brigands, 
étaient  les  routiers  du  parti,  recrutés  parmi  les  assassins 
de  grand  chemin,  les  déserteurs  de  l'armée  et  du  bagne. 
Poussés  par  le  double  incitant  du  fanatisme  religieux  et 
de  la  soif  du  pillage,  on  devine  jusqu'où  ils  allèrent 
dans  les  voies  du  mal!  Les  Camisards  noirs  avaient 
pour  chef  un  ancien  boucher  d'Uzès  qui  croyait  conti- 

(1)  Court,  t.  I,  p,  317. 


228  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

nuerson  métier  en  égorgeant  des  hommes  comme  il 
avait  assommé  des  bœufs.  Quant  aux  cadets  delà  Croix, 
qui  devaient  leur  nom  à  une  petite  croix  blanche  fixée 
à  leurs  habits,  ils  obéissaient  à  un  gentilhomme  du  nom 
de  Fayolles,  vieux  diable  qui  s'était  fait  ermite  sous  le  nom 
de  frère  François-Gabriel.  Florimond,  Alary,  Le  Fèvre 
guidaient  d'autres  bandes,  et  toutes  rivalisaient  de 
crimes. 

«  Il  a  passé  par  la  tête  aux  anciens  catholiques,  écri- 
vait Montrevel  (9  novembre  1703),  de  faire  main  basse 
sur  tout  ce  qu'ils  ont  trouvé  dans  les  villages  de  nouveaux 
convertis  ;  ce  qui  produit  deux  espèces  de  Camisards 
quasi  également  fâcheux. . .  Les  cadets  de  la  Croix  ne 
cherchent  qu'à  voler  et  à  faire  impunément  un  pillage 
universel,  sans  chercher  les  rebelles  en  armes  :  ils  se  con- 
tentent de  faire  comme  eux. . .  ;  ils  tuent  tout  sans  règle 
et  sans  mesure . . . ,  ce  sont  la  plupart  de  francs  bri- 
gands  » 

Épouvanté  lui-même,  Montrevel  voulut  d'abord  s'op- 
poser à  leurs  attentats,  puisque  les  catholiques  en  étaient 
victimes  comme  les  protestants.  N'ayant  pu  en  venir  à 
bout,  il  accepta  leur  concours,  en  essayant  de  détourner 
cet  orage  sur  la  tête  des  réformés. 

Pour  ajouter  encore,  s'il  se  pouvait,  à  la  terreur  som- 
bre qui  pesait  sur  la  contrée  ,  Montrevel  et  Bâville  allon- 
gèrent démesurément  leurs  listes  de  suspects.  Ils  se  firent 
donner  l'état  exact  des  catholiques  et  des  nouveaux 
convertis  de  chaque  paroisse,  le  nom  et  la  religion  de 
leurs  seigneurs,  ainsi  que  de  tous  ceux  qui  tenaient  à 
ferme  des  jardins,  moulins  ou  métairies;  puis  un  autre 
état  encore  des  nouveaux  convertis  qui  étaient  absents 
depuis  neuf  mois  du  lieu  de  leur  domicile;  enfin,  on  ré- 
solut de  revenir  aux  enlèvements  en  masse,  et  on  dé- 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  229 

clara  passibles  de  la  transportation  les  parents  des  re- 
belles attroupés  ;  les  notables  de  chaque  lieu  comme  ca- 
pables, par  leur  notoriété,  de  pouvoir  entraîner  les 
autres;  les  jeunes  gens  mal  pensants,  qui,  à  un  moment 
donné  pourraient  faire  des  recrues  pour  les  rebelles  (1). 

Ils  exigèrent  que  tous  ceux  qu'ils  désignaient  ainsi 
aux  futures  vengeances  des  catholiques  se  rendissent  les 
délateurs  de  leurs  frères,  et  ils  les  firent  solidairement 
responsables  de  tous  les  désordres  que  commettraient 
les  Camisards  dans  leurs  communautés,  qu'ils  divisèrent 
en  trois  classes  :  les  plus  riches  devaient  payer  20,000 
livres  pour  le  moindre  meurtre,  celles  de  la  seconde 
classe  12,000, et  les  plus  pauvres  8,000. 

Ce  n'étaient  pas  là  de  vaines  menaces  et  l'on  se  hâta 
de  mettre  à  exécution  ces  mesures  excessives.  A  Mialet 
près  d'Anduze,  de  Julien  opéra  une  razzia  de  cinq  cent 
quatre-vingt-dix  personnes,  après  avoir  mis  le  village  à 
sac.  De  là,  il  en  fut  enlever  environ  trois  cents  àSaumans, 
chargea  cinquante  mulets  de  butin,  livra  tout  le  reste  aux 
flammes.  Dans  la  fertile  Vaunage,  mille  cinq  cents  ré- 
formés furent  arrachés,  le  même  jour,  de  vingt-quatre 
paroisses  différentes.  Ce  heau  travail  d'épuration  eutpour 
résultat  de  faire  prendre  les  armes  à  tous  les  nouveaux 
convertis  qui  avaient  espéré  jusque-là  que,  demeurant  en 
paix  eux-mêmes,  on  les  y  laisserait  à  leur  tour. 

On  procéda  ensuite  à  un  désarmement  général.  Villes, 
bourgs,  villages,  hameaux,  maisons  isolées,  tout  fut 
fouillé,  bouleversé.  Nîmes  même  n'échappa  pas  au  pil- 
lage. Le  30  avril  au  matin,  dès  quatre  heures,  le  tam- 
bour, les  trompettes  éveillèrent  les  habitants,  et  l'on  lit 
défense  que  nul  ne  sortît  de  sa  maison  avant  dix  heures. 

(1)  Court,  t.  I,  p.  324. 


230  HISTOIRE   DES    CAMISARDS 

Toute  la  force  armée  était  sur  pied,  bivouaquant  dans  la 
rue.  Le  souvenir  récent  de  la  hideuse  boucherie  du 
moulin  du  faubourg  faisait  redouter  aux  protestants 
une  nouvelle  Saint-Barthélémy.  On  en  fut  quitte  pour 
des  visites  domiciliaires,  et  pour  l'enlèvement  de  toutes 
les  armes  que  l'on  put  trouver. 

Au  milieu  de  tant  de  massacres  qui  se  succèdent, 
on  ne  sait  plus  si  les  Gamisards  répondent  à  ces  vio- 
lences par  des  violences  nouvelles,  ou  s'ils  les  pro- 
voquent par  leurs  fureurs.  A  Montlezan,  gros  bourg 
dont  la  majorité  des  habitants  appartenait  à  la  religion 
de  Rome,  ils  brûlent  quarante-deux  maisons,  passent  au 
fil  de  l'épée  tous  les  catholiques  qui  s'étaient  réfugiés 
dans  l'église.  A  Aurillac,  à  La  Salle,  les  mêmes  scènes 
d'horreur  se  renouvellent  encore. 

De  Planque  reçoit  l'ordre  de  les  poursuivre  à  la  tête 
de  mille  deux  cents  hommes  ;  il  les  surprend  au  Golet 
de  Dexe,  alors  qu'ils  se  reposaient,  endormis  dans  une 
prairie.  Il  fond  sur  eux  et  ils  ont  à  peine  le  temps  de 
se  sauver  en  désordre  dans  les  montagnes  voisines,  où 
de  Planque  n'ose  pas  les  poursuivre. 

Mais  quelques  jours  après,  le  29  avril,  il  leur  fit  es- 
suyer un  désastre  plus  considérable.  Désireux  de  re- 
descendre dans  la  plaine,  Cavalier  avait  convoqué  une 
assemblée  dans  la  vallée  de  Malle-Bouisse,  où  il  fit  trois 
prédications  dans  la  journée.  Le  soir  venu,  épuisés  de 
fatigue  et  de  faim,  ils  se  retirent  à  la  tour  Belot,  an- 
cienne ruine  féodale  inhabitée,  entre  Alais  et  Anduze. 
Le  secret  de  leur  retraite  fut  livré  par  un  meunier,  du 
nom  sinistre  de  Guignon,  Ce  misérable,  qui  avait  su 
tromper  le  jeune  chef  cévenol  par  des  démonstrations 
de  piété  exaltée,  s'était  jusque-là  utilement  employé  à 
la  subsistance  des  Camisards.  Mais  il  se  laissa  séduire 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  231 

par  l'appât  de  cent  louis  qui  lui  furent  comptés  par  Bâ- 
ville  et  Montrevel,  arrivés  la  veille  à  Alais. 

De  Planque  divisa  sa  petite  armée  en  trois  corps  de 
troupes.  Le  premier,  commandé  par  de  Tarnaud,  se 
rendit  auprès  de  la  tour  Belot,  en  passant  par  le  haut 
chemin  d'Anduze  ;  le  second,  sous  la  conduite  de  de 
Foix,  attendait  les  fuyards  le  long  du  Gardon  ;  de 
Planque,  à  la  tête  du  troisième,  se  rendit  à  la  tour  par 
un  autre  chemin.  Cette  triple  attaque  était  bien  plus 
que  suffisante  pour  défaire  une  poignée  d'hommes  sur- 
pris dans  leur  sommeil  et  harassés  de  lassitude. 

Les  sentinelles  se  replièrent  en  désordre  sur  le  camp 
des  Enfants  de  Dieu,  poursuivies  de  près  par  les  catho- 
liques, et  regorgement  commença.  11  ne  fallait  pas 
songer  à  une  défense  impossible.  Cavalier  rallia  de  son 
mieux  ses  compagnons  et  ne  pensa  qu'à  la  retraite. 
Quelques-uns  sortent  de  la  tour  et  tentent  de  repousser 
la  nuée  des  assaillants.  D'autres,  ne  pouvant  sortir  as- 
sez vite,  tirent  parles  fenêtres,  percent  les  murailles, 
et  dans  les  ténèbres,  chacun  fait  feu  au  hasard,  tuant 
indifféremment  amis  et  ennemis. 

Ce  fut  une  scène  de  désordre  impossible  à  décrire. 
Le  jour  commençait  à  paraître,  Cavalier,  la  rage  et  la 
douleur  dans  l'âme,  se  retira,  laissant  dans  la  tour  trois 
cents  des  siens,  qui  se  défendirent  jusqu'au  dernier. 
Désespérant  de  les  réduire,  de  Planque  avait  envoyé 
chercher  de  l'artillerie,  laissée  à  Alais.  La  grêle  de  gre- 
nades, qu'en  attendant  on  ne  cessait  de  faire  pleuvoir 
sur  les  assiégés,  finit  par  y  mettre  le  feu,  sans  mettre 
encore  un  terme  à  cette  lutte  désespérée.  Ils  savaient 
que  la  roue  ou  le  bûcher  les  attendaient,  s'ils  tombaient 
vivants  entre  les  mains  des  vainqueurs.  Ils  préféreront 
se  laisser  brûler  en  se  défendant,   puisque  du  moins 


232  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

cette  mort  affreuse  n'était  pas  sans  vengeance,  et  que 
les  affres  en  étaient  voilées  par  l'ardeur  du  combat. 

Enivré  de  ce  succès,  Montrevel  multiplie  les  ordon- 
nances furibondes  contre  ceux  que  visiteraient  les  ré- 
voltés. Tout  sera  pillé,  confisqué,  détruit.  Ils  doivent 
veiller  de  jour,  de  nuit,  s'avertir  de  proche  en  proche.... 
Enfin,  il  se  décide  à  armer  les  cadets  delà  Croix  contre 
les  Camisards.  Les  nouveaux  convertis  se  virent  con- 
traints à  soudoyer  quatre  de  ces  bandes,  qui  furent  en- 
tretenues et  payées  sur  le  pied  de  troupes  régulières. 

La  province  est  hérissée  de  baïonnettes,  et  chaque 
soldat  est  un  bandit  sûr  de  l'impunité.  A  la  tête  de  forces 
imposantes,  de  Julien  observe  les  hautes  Cévennes,  de 
Villars,  colonel  réformé,  est  au  pied  de  la  Lozère,  de  Gé- 
vaudan,  maréchal  de  camp,  surveille  le  diocèse  d'Uzès. 
Les  passages  du  Vivarais  sont  surveillés  par  de  nom- 
breux détachements. 

Castanet  se  fait  remettre  par  les  collecteurs  les  sommes 
dues  au  roi,  et  il  en  donne  audacieusement  quittance. 
Il  se  marie,  et  pour  que  chacun  prenne  part  à  la  fête,  il 
fait  relâcher  vingt-cinq  catholiques  qui  allaient  être  mis 
à  mort,  à  la  condition  qu'ils  épargneront  les  protes- 
tants. 

Instruit  par  l'expérience  et  s'apercevant  de  l'avantage 
que  la  cavalerie  donnait  à  l'ennemi,  tandis  qu'il  ne  pou- 
vait pas  toujours  profiter  de  ses  succès,  n'étant  pas  en 
mesure  de  poursuivre  assez  rapidement  les  vaincus,  Ca- 
valier résolut  d'en  opposer  une  à  celle  des  catholiques, 
et  à  cet  effet  il  fit  enlever  bon  nombre  de  ces  chevaux  à 
demi  sauvages  que  nourrit  la  Camargue.  Catinat  et  Sa- 
muelet,  le  vainqueur  de  Poul,  le  possesseur,  par  droit 
de  conquête,  de  l'étalon  d'Espagne  qu'il  montait  aux 
combats,  furent  mis  par  lui  à  la  tête  de  ces  nouvelles 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  233 

recrues,  et  il  put  risquer  désormais  certaines  expéditions 
qui  exigeaient  une  grande  célérité. 

Nous  passons  sous  silence  les  arrestations,  les  pen- 
daisons qui  étaient  de  chaque  jour,  à  Nîmes,  à  Alais,  à 
Montpellier,  partout.  Nous  dirons  seulement  que  le 
18  mai  les  Cévenols  subirent  encore  un  échec  considé- 
rable à  Bruéis. 

Réconcilié  avec  le  fils  aîné  de  l'Église,  le  pape  Clé- 
ment XI  lança  une  bulle  contre  «  cette  race  maudite  et 
exécrable,  »  et  les  six  évoques  des  contrées,  révoltées 
l'appuyèrent  de  toutes  leurs  forces,  et  réchauffèrent 
ainsi  le  fanatisme  des  curés,  qui  prescrivirent  dans  leurs 
paroisses  «  de  ne  donner  aucun  secours  ni  assistance 
aux  rebelles,  et  de  ne  leur  fournir  ni  vivres  ni  provi- 
sions ;  mais  de  les  poursuivre  et  de  les  détruire  par  le 
feu  et  par  l'épée,  les  assurant  que  tous  ceux  qui  s'ac- 
quitteraient de  ce  devoir,  comme  il  convenait  à  de 
dignes  soldats  de  l'Église  et  du  roi,  recevraient  indul- 
gence plénière  de  leurs  péchés,  comme  il  est  porté  dans 
la  bulle,  etc.  (1)...  » 

Pour  faire  face  à  tant  de  périls,  à  tant  d'ennemis  con- 
jurés pour  leur  perte,  les  réformés  publièrent  encore 
un  écrit  qui  avait  pour  titre  :  Nécessité  de  donner  un 
prompt  et  puissant  secours  aux  protestants  des  Cévennes.  Ils 
y  exposaient  en  ces  termes  leur  situation  actuelle,  après 
avoir  raconté  les  horreurs  inouïes  des  dragonnades  et 
les  périls  des  transportations  en  masse  dans  les  colonies  : 

<(  Le  premier  vaisseau  qu'on  y  envoya,  et  qui  était 
tout  chargé  de  nos  pauvres  gens ,  périt  proche  de  la 
Martinique,  où  on  les  envoyait  ;  la  plus  grande  partie, 
tant  hommes  que  femmes  et  filles,  furent  noyés  et  sub- 

(1)  Brueys,  t.  III,  p.  360. 


234  HISTOIRE    DES    CAMISAHDS 

mergés.  Nous  avons  souffert  tous  nos  terribles  maux 
dans  l'espérance  que  Dieu  toucherait  le  cœur  de  nos 
ennemis  et  leur  ferait  connaître  l'injustice  de  tant  de 
persécutions.  Nous  sommes  demeurés  tranquilles,  nous 
tenant  resserrés  dans  nos  bois  et  dans  nos  montagnes, 
où  quelques  bons  personnages  sans  lettres,  sans  études, 
commes  les  apôtres  de  Jésus-Christ,  mais  pleins  de  piété, 
se  mirent  à  nous  consoler  dans  nos  bois ,  nos  cavernes 
ou  nos  maisons.  C'étaient  des  gens  simples,  cardeurs, 
tisserands,  maîtres  d'école,  dont  nos  peuples  furent  si 
édifiés  qu'il  n'y  eut  personne,  tant  hommes  que  femmes, 
qui  ne  voulût  entendre  ces  nouveaux  prédicateurs  ;  de 
sorte  que  le  nombre  s'augmentant,  on  résolut  de  s'as- 
sembler à  la  campagne,  sans  bruit,  sans  éclat,  sans 
armes.  Nous  choisissions  les  lieux  écartés,  les  heures 
de  la  nuit,  pour  faire  ces  exercices  en  repos  et  en  sû- 
reté. Dans  ces  assemblées,  on  lisait  la  parole  de  Dieu, 
on  chantait  ses  louanges,  on  faisait  des  prières  pour  le 
roi  et  pour  l'État.  Rien  n'était  plus  innocent  ;  mais  les 
moines  et  les  prêtres  suscitèrent  contre  nous  de  nou- 
velles persécutions.  Ils  faisaient  embusquer  des  troupes 
dans  les  lieux  où  nos  gens  devaient  passer,  ils  les  fai- 
saient prendre  et  mettre  en  prison,  puis  les  faisaient  con- 
damner, les  hommes  et  les  femmes,  à  être  pendus,  ou 
au  moins,  les  hommes,  à  être  conduits  aux  galères,  les 
femmes,  à  être  renfermées  dans  les  couvents. 

«  Si,  par  hasard,  les  dragons  découvraient  les  lieux 
où  nos  gens  étaient  assemblés,  ils  tiraient  sur  eux  sans 
miséricorde  comme  sur  des  bêtes  sauvages,  sans  distinc- 
tion d'âge  ni  de  sexe,  même  sur  les  femmes  enceintes 
qu'on  faisait  mourir  cruellement  avec  l'enfant  qu'elles 
avaient  dans  le  ventre.  Après  vingt  ans  de  souffrances 
inouïes,  voyant  qu'il  nous  fallait  tous  périr,  qu'il  n'y  avait 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  235 

plus  d'autre  parti  à  prendre  pour  éviter  la  mort  que  de 
prendre  les  armes,  nous  les  avons  prises,  prêts  à  les 
déposer  le  jour  où  l'on  voudrait  nous  rendre  la  justice 
que  nous  réclamons.  Ce  n'est  point  ici  une  révolte  ni 
une  rébellion  :  c'est  un  droit  de  nature  qui  nous  oblige, 
en  conscience,  de  repousser  la  violence  ou  la  force. 
Autrement,  nous  serions  complices  de  nos  propres  mal- 
heurs, traîtres  à  nous-mêmes  et  à  notre  patrie.  Nous  ne 
voyons  partout  que  misère,  injustice  et  tyrannie.  Nous 
ne  savons  quels  sont  ceux  qui  gouvernent  la  France. 
Mais  nous  n'y  comprenons  rien.  Car  jamais  un  bon  roi, 
comme  le  nôtre,  n'a  pris  plaisir  à  détruire  ses  sujets  in- 
nocents, à  les  perdre,  à  les  massacrer,  parce  qu'on  les 
trouve  priant  Dieu  dans  leurs  maisons  ou  dans  les  trous 
de  la  terre 

«  Nous  n'ignorons  pas  les  préparatifs  de  guerre  qu'on 
fait  contre  nous.  Le  maréchal  Montrevel  nous  menace 
d'un  grand  nombre  de  troupes  pour  nous  détruire.  Notre 
résolution  et  notre  intrépidité  ont  jusqu'à  présent,  dé- 
concerté nos  ennemis,  Nous  ne  serons  point  épouvantés 
de  leur  grand  nombre  :  nous  les  poursuivrons  partout  ; 
nous  userons  de  justes  représailles  contre  nos  persé- 
cuteurs, en  vertu  de  la  loi  du  talion  ordonnée  par  la  pa- 
role de  Dieu  et  pratiquée  par  toutes  les  nations  du  monde, 
et  nous  ne  mettrons  jamais  bas  les  armes  que  nous  ne 
puissions  professer  librement  notre  religion,  confor- 
mément aux  édits  et  déclarations  qui  nous  en  confèrent 
le  droit,  et  qu'on  viole  aujourd'hui  sans  honte  et  sans 
justice.  » 

Cette  protestation,  si  digne  et  si  calme,  ne  pouvait 
pas  manquer  d'avoir  un  profond  retentissement  dans 
l'Europe  tout  entière,  déjà  si  furieusement  irritée  contre 
l'orgueil  de  Louis.  Aussi  parut-on  prendre  en  considé- 


23G  histoire  di:s  camisards 

ration  ce  nouvel  appel.  On  envoya  quelques  vaisseaux 
croiser  dans  laMéditerranée  ;  mais,  soitqueles  Camisards 
ne  répondissent  pas  aux  signaux  qui  leur  étaient  faits', 
soit  que  ces  démonstrations  ne  fussent  pas  sérieuses,  ces 
tentatives  n'aboutirent  pas,  et  la  cour,  mise  en  éveil, 
prit  des  mesures  pour  accélérer  la  ruine  du  Languedoc. 

Afin  d'être  plus  à  portée  de  surveiller  les  événements, 
Montrevel  avait  établi  son  quartier  général  à  Alais.  11 
continua  à  faire  opérer  des  enlèvements  à  peu  près  arbi- 
traires. De  ceux  qu'il  prenait,  les  uns  étaient  suppliciés, 
les  autres  envoyés  aux  galères,  les  autres  détenus  indé- 
finiment dans  les  prisons,  d'autres  enfin  transportés  en' 
masse  dans  les  îles.  Le  ministre  félicite  les  magistrats 
de  juger  à  la  chaude,  comme  disait  un  vieux  juriscon- 
sulte, et  Chamillart  ose  écrire  à  Montrevel  : 

«  Le  roi  a  paru  fort  content  de  la  diligence  avec  la- 
quelle le  présidial  de  Nismes  juge  les  rebelles,  et  trou- 
vera bon  que  vous  témoigniez  aux  officiers  qui  le  com- 
posent que  Sa  Majesté  leur  sait  gré  de  leur  attention 
pour  ce  qui  regarde  son  service  (1).  » 

De  son  côté,  de  Planque  exposait  cyniquement  en 
ces  termes  ses  plans  à  Chamillart  :  »  La  guerre  ne  finira 
jamais  si  on  ne  prend  pas  le  parti  que  j'ai  proposé  il  y  a 
deux  mois,  qui  est  d'enlever  toutes  les  subsistances  de 
la  campagne  et  de  les  enfermer  dans  les  villes...  Qu'on 
ne  donne  aux  nouveaux  catholiques  de  subsistances  que 
toutes  les  vingt-quatre  heures  seulement  :  ainsi  on  affa- 
mera les  rebelles  ;  et  si  on  avait  pris  ce  parti-là,  je  ne 
crois  pas  que  les  choses  seraient  si  gâtées...  Dé  plus,  il 
faut  enlever  tous  les  plus  suspects,  tant  hommes  que  femmes, 
et  les  envoyer  périr  sur  mer...  11  ne  sert  à  rien  qu'on  les 

(i)  Chamillart  à  Montreuil,  Archives  de  la  guerre,  vol.  1708,  n°  55. 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  237 

mette  eu  prison,  les  nourrissant  aux  dépens  du  roi  ;  ils 
se  moquent  de  tous  ces  traitements,  disant  qu'on  n'o- 
serait les  faire  périr  (1).  » 

Il  n'y  a  rien  de  neuf  sous  le  soleil.  Qui  savait  que  les 
officiers  du  grand  roi  avaient  imaginé  les  noyades  quatre- 
vingt-dix  années  avant  l'affreux  Carrier,  le  bourreau  de 
Nantes  ! 

Parmi  les  condamnations  qui  eurent  le  plus  de  reten- 
tissement à  cause  du  rang  des  victimes,  il  faut  compter 
celle  du  baron  de  Saïgas,  gentilhomme  protestant,  de 
fort  ancienne  noblesse.  11  espérait  demeurer  neutre  au 
milieu  de  la  guerre  civile,  et  évitait  de  se  rendre  aux 
assemblées  du  Désert.  Gastanet  fut  froissé  de  cette  tié- 
deur. Le  il  février  1703,  il  vint  l'enlever,  à  la  tête  de 
quatre-vingts  hommes  armés,  et  le  contraignit  d'assister 
à  l'assemblée  du  Vébron.  Pois,  quand  la  cérémonie  fut 
terminée,  on  le  laissa  libre  de  se  retirer. 

11  eut  le  tort  de  demeurer  deux  heures  parmi  eux. 
Plus  tard,  il  assista  à  la  réunion  des  gentilshommes  que 
Montrevel  avait  faite  à  Nîmes.  Il  y  montra  du  zèle,  de- 
manda à  servir  auprès  du  maréchal  contre  les  révoltés, 
décida  môme  quelques  Camisards  à  faire  leur  soumis- 
sion. Il  se  croyait  doue  bien  en  paix  avec  tout  le  monde, 
lorsque  six  ou  huit  hommes  vinrent  l'arrêter  dans  son 
château  de  Saïgas,  et  le  conduisirent  à  Saint-Hippolyte. 
Dès  le  lendemain,  Bàville  s'empressa  d'interroger  le 
prévenu.  «  Je  comparus  dix-huit  fois  devant  lui,  dit  le 
baron.  Je  fus  confronté  avec  vingt-huit  témoins,  qui 
tous  ensemble  ne  fournirent  pas  de  quoi  faire  donner 
le  fouet  à  un  écolier.  Ma  plus  grande  charge  était  celle 


(1)  De   Planque  à  Chamillart,  27  mai   1703.   —  Archives  Je  la 
guerre,  vol.  1707. 


238  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

d'avoir  resté  deux  heures  volontairement  avec  Castanet 
et  sa  troupe.  » 

Vainement  il  fut  appliqué  à  la  question  ordinaire  et 
extraordinaire  ;  jamais  il  n'avoua  rien,  ne  put  être  con- 
vaincu d'aucun  autre  crime  que  de  celui-là. 

Le  27  juin,  en  vertu  d'un  jugement  rendu  à  Alais  par 
Bâville  et  quelques  conseillers  du  présidial  de  Nîmes,  il 
fut  condamné  aux  galères  perpétuelles,  après  avoir  été 
dégradé  de  noblesse  dans  sa  personne  et  dans  celle  de 
sa  postérité.  Ses  biens  furent  confisqués  au  profit  du  roi, 
et  son  château  rasé  jusques  aux  fondements. 

Quatre  paysans  avaient  été  arrêtés  en  même  temps  que 
le  baron  de  Saïgas,  coupables  d'avoir  laissé  les  Camisards 
prendre  des  rafaîchissements  chez  eux.  Pour  ce  (.'rime, 
deux  avaient  été  pendus,  les  deux  autres  envoyés  aux 
galères,  où  ils  étaient  attachés  au  même  banc  que  leur 
ancien  seigneur.  Des  deux  condamnés  au  gibet,  l'un  avait 
subi  son  supplice  avec  courage,  l'autre  avait  faibli  au 
pied  de  l'échelle  fatale,  et  s'était  flatté  de  racheter  sa  vie 
au  prix  de  son  abjuration,  Henri  IV  faisait  de  ces  mar- 
chés-là. Seulement,  Henri  IV  y  gagnait  Paris,  et  le  pauvre 
manant  n'y  gagna  que  le  très-faible  adoucissement  de 
voir  ses  derniers  instants  entourés  des  consolations  et 
des  prières  de  quelques  moines  de  sa  nouvelle  religion. 

Lorsque  les  pénitents  le  descendirent  dans  la  fosse 
ouverte  pour  le  recevoir,  on  crut  remarquer  que  le  cada- 
vre faisait  quelques  mouvements.  Un  chirurgien  accourt, 
le  rappelle  à  la  vie.  Le  prévôt  averti  réclame  son  pendu 
pour  le  rependre  mieux,  la  sentence  portant  qu'il  devait 
être  attaché  au  gibet,  suivant  la  formule,  «  jusqu'à  ce  que 
mort  s'en  suivit.  »  Les  pénitents  résistent,  cachent  le 
ressuscité  dans  leur  couvent,  espérant  que  l'on  respectera 
ce  pieux  asile.  Le  prévôt  va  chercher  main-forte,  assiège 


HISTOIRE   DES   CAMISARDS  239 

le  couvent  d'un  côté,  tandis  que  de  l'autre  son  pendu, 
prenant  ses  jambes  à  son  cou  pour  que  l'on  n'y  remît 
pas  la  corde,  détale  avec  une  légèreté  facile  à  com- 
prendre. Il  ne  reprit  haleine  que  lorsqu'il  fut  arrivé  au 
milieu  des  Camisards,  qui  oublièrent,  comme  lui,  qu'on 
venait  de  le  faire  catholique  in  exfremis. 

On  ne  pendait  pas  beaucoup  les  femmes,  par  décence. 
Une  paysanne  venait  d'être  fouettée  par  les  mains  du 
bourreau,  pour  le  même  crime  qui  avait  été  si  durement 
expié  par  les  quatre  pauvres  diables  dont  nous  venons 
de  parler.  On  crut  voir  quelque  chose  de  providentiel 
dans  cette  étrange  coïncidence,  et  le  pendu  épousa  la 
femme  fouettée. 

C'était  sans  doute  le  premier  mariage  que  faisait  le 
bourreau. 

Revenons  au  baron  de  Saïgas,  que  nous  avons  presque 
oublié.  Il  était  âgé  déjà,  la  torture  avait  brisé  ses  mem- 
bres, il  ne  pouvait  manier  la  rame.  Cependant  les  deux 
évoques  de  Montpellier  et  de  Lodève  voulurent  se  donner 
la  satisfaction  d'aller  contempler  leur  victime  sur  les 
galères  royales.  Le  capitaine  ne  crut  pas  devoir  leur  re- 
fuser ce  plaisir,  et' fit  lancer  le  navire  en  mer.  Mais  après 
quelques  coups  de  rame,  le  comité,  ce  bourreau  que 
nous  savons,  le  comité  lui-même,  voyant  que  ce  vieil- 
lard était  dans  l'impossibilité  de  faire  ce  qu'on  exigeait 
de  lui,  s'écria  avec  indignation  :  »  Assez  !»  —  et  fit  mettre 
bas  les  rames  (1). 

Telle  était  la  justice  et  telles  étaient  les  mœurs,  pen- 
dant le  grand  siècle  et  sous  le  règne  du  grand  roi.  Mais 
si  l'on  traitait  ainsi  les  gentilshommes,  et  pour  de  pa- 


(l)  Court,  t.,  p.  Ho?. 


2-iO  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

reils  crimes,  que  pouvait  attendre  la  race  si  méprisée 
du  populaire  et  des  manants  ! 

Après  quatorze  années  de  tortures,  après  d'inutiles 
instances  de  la  reine  Anne,  et  seulement  après  la  mort 
de  Louis  XIV,  le  baron  de  Saïgas  fut  relâché  en  1710, 
sur  les  pressantes  sollicitations  de  la  douairière  d'Or- 
léans, mère  du  régent.  Moins  d'une  année  après,  de 
Saïgas  mourut  à  Genève,  auprès  de  sa  femme. 

Pendant  le  procès  de  Saïgas,  les  enlèvements,  les 
supplices  poursuivaient  leur  cours.  A  l'assemblée  de 
Fabrôgue,  de  Parate  tua  quatre-vingts  réformés.  Trois 
paysans  de  Gaveirac  furent  fusillés,  pour  ne  s'être  pas 
trouvés  chez  eux  lorsqu'un  capitaine  de  la  garnison  fut 
tué  dans  leur  village.  On  en  roua  d'autres,  Brunel, 
Durand,  et  un  notaire  âgé  de  quatre-vingts  ans.  On 
pendit  un  jeune  Genevois,  parce  qu'il  n'avait  pas  de 
passe-port;  un  autre,  ancien  catholique,  parce  qu'il 
ressemblait  à  un  chef  de  Camisards... 

Les  mois  de  juillet  et  d'août  voient  chaque  jour  de 
pareilles  exécutions.  Il  suffisait  qu'un  village  fût  soup- 
çonné d'avoir  fourni  des  rafraîchissements  aux  Cami- 
sards pour  être  livré  aux  caprices  des  soudards.  Les  Cé- 
venols rendaient  de  leur  mieux  le  mal  pour  le  mal,  et 
vraiment  on  eût  dit  que  tous  les  démons  de  l'enfer 
étaient  déchaînés  sur  cette  malheureuse  province.  On 
se  rencontrait,  on  se  précipitait  aveuglément  les  uns  sur 
autres,  sans  prendre  la  peine  de  vérifier  si  l'on  était 
ami^ou  ennemi.  La  poudre  manquait,  le  fer  se  brisait 
entre  les  mains  des  combattants  :  on  se  déchirait  avec 
les  dents,  avec  les  ongles.  On  avait  soif  de  sang,  et  l'on 
s'enivrait  de  carnage.  Un  jour  des  miquelets  servaient 
d'escorte  à  la  maîtresse  du  vieux  maréchal;  des  soldats  du 
régiment  de  Tarnaud  allaient  arrêter  un  suspect.  Les 


HISTOIRE    DES    CAMISAHDS  24  f 

uns  descendaient  des  hautes  Cévennes,  les  autres  y  mon- 
taient. On  marchait  de  nuit,  pour  éviter  la  chaleur  du 
jour.  On  se  charge  brusquement,  et  plusieurs  morts 
jonchaient  le  sol,  lorsque  l'on  reconnut  l'erreur.  Aux 
environs  du  Chayla,  des  dragons  et  un  régiment  d'in- 
fanterie se  chargèrent  également,  dans  les  ténèbres. 

Montrevel  prit  de  nouvelles  mesures,  plus  rigoureuses 
^encore  que  les  précédentes.  Les  pères,  mères,  femmes 
des  révoltés  reçurent  l'ordre  de  faire  déposer  les  armes 
à  leurs  enfants  et  époux,  sous  peine  d'être  traités  eux- 
mêmes  comme  rebelles.  Ordre  fut  donné  aux  catholi- 
ques de  se  renfermer  dans  les  villes  ou  lieux  fortifiés  et 
d'abandonner  les  campagnes,  sous  prétexte  qu'ils  n'y 
étaient  pins  en  sûreté.  Mais  auparavant  ils  durent 
abattre,  ou  murer  à  chaux  et  à  sable  tous  les  fours  des 
métairies.  Menacés  de  la  famine,  les  Camisards  firent 
savoir  qu'ils  brûleraient  tous  les  lieux  abandonnés  et 
où  ils  ne  trouveraient  pas  de  subsistances,  et  il  dé- 
fendirent à  tous  et  à  chacun,  sous  peine  d'être  incendiés 
et  égorgés,  de  porter  des  vivres  et  provisions  dans  les 
villes  et  lieux  fermés. 

Les  ordonnances  de  Montrevel,  auxquelles  les  Cé- 
venols ne  faisaient  jamais  que  répondre  par  des  repré- 
sailles, ne  pouvaient  qu'amener  une  recrudescence 
d'horreurs  de  part  et  d'autre  :  «On  ne  voyait  plus  dans 
Nîmes,  à  Monde  et  à  Montpellier,  que  gibets  et  écha- 
fauds  dressés  et  ensanglantés  (1).  »  Le  7  août,  à  Nîmes, 
on  compte  sept  exécutions  :  quatre  hommes  roués,  trois 
femmes  pendues,  accusés,  mais  non  convaincus,  d'avoir 
favorise  les  calvinistes.  Le  maréchal  ayant  brûlé  quel- 
ques villages,  ils  l'avertirent  qu'ils  en  brûleraient  autant 

(1)  Court,  t.  1,  p.  425. 

U 


242  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

•de  leur  côté.  Ils  n'exécutaient  pas  toutes  leurs  menaces. 
Leur  intérêt  était  de  respecter  les  villages,  pour  se  con- 
server les  moyens  de  trouver  des  aliments.  Mais  ils 
firent  retomber  leur  vengeance  sur  les  églises,  qu'ils 
incendièrent,  sur  les  curés,  qu'ils  tuèrent,  dans  huit  ou 
dix  paroisses. 

Les  rencontres  se  renouvelaient  chaque  jour  et  se 
multipliaient  en  tous  lieux,  avec  des  fortunes  diverses. 
En  passant  à  Vie,  Cavalier,  comme  un  preux  des  temps 
anciens,  fit  défier  l'officier  qui  commandait  à  descendre 
dans  la  plaine  pour  se  mesurer  avec  sa  garnison  contre 
sa  petite  troupe.  L'officier  accepta  le  cartel,  et  bien  mal 
lui  en  prit,  car  il  fut  tué,  et  sa  garnison  battue. 

Dans  les  hautes  Gévennes,  une  autre  bande  cévenole 
bat  les  troupes  royales  dans  la  plaine  de  Fondmorte.  A 
Saint-  Julien-d'Arpaon,  Salomon  Couderc,  prédicant, 
prophète  et  général,  se  reposait  au  milieu  des  siens.  Un 
soldat  captif  s'évade  sans  être  aperçu,  vole  au  Pont-de- 
Mont-Vert,  y  trouve  des  miquelets;  il  les  guide  vers  la 
retraite  des  Gamisards,  qu'ils  surprennentendormis,  et 
dont  ils  égorgent  un  bon  nombre.  Ils  pénètrent  dans  le 
village  qu'ils  venaient  de  quitter,  le  pillent,  y  fusillent 
quinze  personnes. 

Dans  le  même  temps.  Cavalier,  plus  heureux,  battait 
les  royalistes  auprès  de  la  rivière  de  Vidourle.  Roland, 
le  26  août,  tenait  une  pieuse  assemblée  à  la  Combe  de 
Bisoux,  non  loin d'Anduze.  Les  sentinelles  signalcntl' ap- 
proche de  l'ennemi.  Roland  ordonne  de  continuer  l'exer- 
cice religieux;  puis  il  fait  placer  les  femmes  au  milieu, 
portant  toutes  une  branche  d'arbre  sur  leur  tête.  Les 
hommes,  un  peu  espacés,  en  portaient  également,  pour 
dissimuler  leur  petit  nombre.  Inquiets  à  la  vue  de  cette 
longue  forêt  qui  marche,  les  miquelets  se  rangent  hors 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  243 

de  la  portée  du  fusil.  Mais  bientôt  ils  découvrent  la  ruse 
et  fondent  sur  les  derrières  des  Camisards,  qui  font 
face  à  l'ennemi,  résistent  jusqu'à  la  nuit,  et  opèrentleur 
retraite  après  avoir  plus  tué  de  catholiques  qu'ils  n'a- 
vaient perdu  d'hommes. 

Le  1"  septembre,  Cavalier  et  Roland  étaient  réunis 
pour  causer  des  intérêts  communs,  entre  Durfort  et 
Saint-Hippolyte.  Un  détachement  de  quatre-vingts 
hommes  passe  non  loin  d'eux,  Mais  ils  n'étaient  pas  dis- 
posés à  se  battre  ce  jour-là.  Le  soir,  le  détachement 
revient  à  son  point  de  départ,  A  la  vue  de  quelques  sen- 
tinelles, il  a  la  curiosité  d'aller  voir  de  plus  près  ce  que 
c'était.  Les  deux  chefs  alors  cèdent  à  la  tentation  et 
tombent  sur  le  détachement.  Ce  fut  une  tuerie  générale, 
à  laquelle  un  seul  échappa,  parce  qu'il  s'était  attardé  à 
manger  du  raisin  dans  une  vigne.  Cette  brillante  escar- 
mouche ne  coûta  que  deux  hommes  aux  Camisards, 
qui  se  pourvurent  abondamment  d'armes  et  d'habits, 
dépouilles  précieuses  pour  des  combattants  sans  solde, 
sans  fournisseurs,  sans  budget. 

Enorgueillis  de  ce  succès,  ils  envoyèrent  défier  le  gou- 
verneur de  Saint-Hippolyte  de  venir,  comme  celui  de  Vie, 
se  mesurer  avec  eux  dans  la  plaine.  Il  refuse,  laissant  à 
Montrevel  et  àBâville  le  soin  de  châtier  les  rebelles  par 
des  moyens  moins  héroïques.  Us  brûlent,  en  effet,  et 
dépeuplent  entièrement  plusieurs  villages,  font  couler 
le  sang  sur  les  places  publiques  de  toutes  les  villes.  Ne 
pouvant  se  saisir  de  Cavalier,  ils  font  enlever  son  père 
et  l'un  de  ses  frères.  Furieux,  le  jeune  héros  menace 
Montrevel  de  les  aller  enlever  à  la  tête  de  10,000  hommes. 
Le  maréchal  ne  lui  répond  qu'en  faisant  raser  la  mai- 
son paternelle. 


2ii  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 


CHAPITRE      VI 


(Bâville  ordonne  l'anéantissement  du  pays,  fait  brûler  les  forèls  et 
166  villages.  —  Vastes  projets  de  Guiscard  de  la  Bourlie.  — 
L'Angleterre,  la  Hollande  promettent  des  secours  aux  Cami- 
sards.  —  Massacres  dans  lesCévennes,  exécutions  dans  les  villes. 
—  Jean  Cavalier  est  défait  à  Vergèse.  —  Ses  extases  prophé- 
tiques. 

Toujours  à  la  piste  des  révoltés,  et  après  avoir  large- 
ment usé  des  espionnages  et  des  délations,  Bàvillc  ima- 
gina un  nouveau  moyen,  et  des  plus  originaux,  pour 
justifier  les  enlèvements.  Il  fit  venir  de  Lyon  un  habile 
sorcier  qui,  au  moyen  d'une  baguette  magique,  vulgai- 
rement appelée  le  Bâton  de  Jacob,  avait  la  prétention 
de  découvrir  les  assassins.  «  La  baguette  tourna  sur 
dix-huit  personnes,  qui  étaient  dans  les  métairies  voi- 
sines. On  les  prit,  et  on  les  conduisit  à  Alais  (1).  » 

Bâville  perdait  la  tête.  Il  revint  au  projet  de  suppri- 
mer les  Ce venues  et  les  Cévenols,  de  faire  disparaître 
quatre  cent  soixante-six  villages,  de  brûler  les  forêts  et 
tout  le  pays.  Cette  fois  la  cour  approuva,  et  chargea 

(1)  Louvreleuil,  t.  H,  p.  73. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  245 

Montrevel,  Julien  et  Canillac  de  l'exécution  de  ce  pro- 
jet, qui  fut  ajourné  à  la  fin  de  septembre.  Pour  toute 
réponse,  les  Camisards  prirent  l'initiative,  et  prome- 
nèrent le .  fer  et  les  flammes  surtout  aux  environs  des 
villes,  qui  abritaient  leurs  irréconciliables  ennemis. 
«  L'émotion  fut  grande,  dit  Fléchicr  (1),  quand  on  vit  du 
haut  des  maisons  les  métairies  en  feu,  et  ces  incen- 
diaires allant  de  l'une  à  l'autre  impunément,  le  flam- 
beau à  la  main,  et  menaçant  jusqu'à  nos  faubourgs,  où 
l'on  voyait  aborder  de  toutes  parts  des  gens  effrayés 
des  massacres  qu'ils  avaient  vus.  » 

Il  faut  entendre  Flécbier  épancher  les  navrements  de 
son  âme  à  la  vue  de  ce  troupeau  tout  nouvellement 
acheté  et  payé  par  la  caisse  des  conversions,  qui  fran- 
chit le  parc  pour  se  sauver  à  travers  les  rochers  des 
Gévennes  : 

«  Vous  avez  raison  de  me  plaindre  dans  la  triste  si- 
tuation où  je  me  trouve  ici  depuis  plus  de  deux  ans, 
voyant  les  nouveaux  convertis  de  mon  diocèse,  qui, 
comme  vous  savez,  sont  en  grand  nombre  dans  la  ville 
et  la  campagne,  que  j'avais  instruits,  servis,  assistés, 
traités  avec  beaucoup  de  douceur  et  de  charité,  depuis 
leur  conversion,  presque  tous  entièrement  pervertis  et 
devenus  tout  d'un  coup  ennemis  de  Dieu,  du  roi,  des 
catholiques,  et  surtout  des  prêtres  (2).  » 

Ailleurs,  l'évêque  de  Nîmes  est  forcé  de  confesser 
qu'ils  ne  demandent  qu'à  travailler  en  paix,  à  cesser 
leurs  massacres,  qui  ne  sont  que  des  représailles  : 

«  La  moisson  se  fait  tranquillement.  On  a  enlevé 
grand  nombre  de  Cévenols  moissonneurs.  Ces  scélérats 


(1)  Fléchier,  Lettres  choisies,  8  oct.  1703. 

(2)  /<*.,  lettre  du  27  avril  1704. 


246  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

ne  tuent  plus...  Ils  déclarent  que  si  on  fait  mourir 
quelqu'un  de  leurs  frères,  ils  reprendront  le  glaive,  et 
tueront  plus  que  jamais.  Voilà,  monsieur,  un  état  bien 
triste  (1).» 

Oui,  certes,  bien  triste,  mais  pour  ces  scélérats  qui 
ne  voulaient  plus  tuer,  et  que  l'on  continuait  à  enlever 
pour  les  envoyer  ramer  sur  les  galères  du  roi  ou  périr 
sur  mer. 

Vingt  fois  Fléchier  dépose  en  leur  faveur,  sans  que 
jamais  une  parole  de  pardon  ou  de  pitié  tombe  de  ses 
pieuses  lèvres  : 

«  Nous  sommes  encore  dans  la  désolation  où  les  fana- 
tiques nous  ont  réduit.  Ils  ne  sont  pas  moins  révoltés 
qu'auparavant,  mais  ils  tuent  moins  (2)...  » 

«  Les  fanatiques  sont  toujours  les  mêmes  :  ils  ne  tuent 
pas  tant  qu'ils  faisaient  autrefois,  mais  ils  n'en  sont  pas 
moins  rebelles  et  malintentionnés  (3).  » 

«  Ils  ne  tuent  plus,  ils  se  remettent  au  travail,  et  sont 
bien  aises  de  dormir  dans  leurs  maisons,  et  de  manger 
en  paix  le  pain  qu'ils  ont  gagné  dans  la  journée  (4).  » 

Ils  se  montraient  heureux  de  cela,  sans  nul  doute; 
mais  se  rappelant  que  l'homme  ne  vit  pas  que  de  pain 
et  qu'il  lui  faut  par  surcroît  la  parole  qui  sort  de  la 
bouche  de  Dieu,  ils  demandaient  autre  chose  encore,  et 
dans  une  lettre  du  14  septembre,  datée  du  Désert  et 
signée  :  Cavalier,  chef  des  troupes  envoyées  de  Dieu, — 
le  jeune  capitaine  osa  écrire  au  grand  roi  pour  l'assurer 
que  les  mauvais  traitements  seuls  les  avaient  poussés 


(!)  Fléchier,  Lettres  choisies ,  lettre  du  4  juillet  1704. 

(2)  ld.,  lettre  du  10  janvier  1704. 

(3)  ld.,  lettre  du  18  août  1704. 

(4)  ld.,  lettre  du  8  janv.,  1705. 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  247 

à  bout,  qu'ils  étaient  bons  et  loyaux  sujets,  et  qu'ils  ne 
réclamaient  que  la  liberté  de  conscience. 

Avant  de  mettre  à  exécution  ses  projets  de  ruinetotale, 
Montrevel  ordonna  aux  nouveaux  convertis  de  la  cam- 
pagne de  se  retirer  dans  les  villes  d'Alais,  Anduze,  le 
Yigan,  Montpellier,  Saint-Hippolyte,Uzès  et  Sommières. 
Il  désigna  de  même  à  ceux  de  quatre  cent  soixante-six 
villages  condamnés,  les  paroisses  clans  lesquelles  il 
leur  était'enjoint  de  se  rendre  sous  huit  jours  avec  leurs 
bestiaux  et  tout  ce  qu'ils  pourraient  emmener.  C'étaient 
environ  vingt  mille  personnes  qui  allaient  être  chas- 
sées de  chez  elles,  à  l'entrée  de  l'hiver,  qui,  comme  on 
sait,  commence  de  bonne  heure  et  se  prolonge  tard 
dans  ces  montagnes  élevées. 

Le  26  septembre,  Montrevel,  Bâville  et  leurs  troupes 
quittèrent  Alais  et  se  mirent  en  marche  pour  aller  ac- 
complir ces  farouches  desseins.  Seulement,  à  leur  ap- 
proche, les  [habitants,  se  figurant-qu'on  voulait  les  réunir 
tous  dans  un  petit  nombre  d'endroits  pour  pouvoir  les 
massacrer  avec  plus  de  facilité,  se  jetèrent  dans  les 
montagnes  et  vinrent  grossir  les  différentes  troupes  des 
chefs  révoltés.  Ainsi  ces  sanglantes  mesures  tournaient 
d'abord  contre  leurs  auteurs.  Et,  comme  ils  allaient  com- 
mencer la  dévastation,  des  lettres  pressantes  leur  si- 
gnalèrent un  danger  nouveau,  une  expédition  plus 
urgente  encore.  Les  Camisards  s'étaient  jetés  dans  la 
plaine,  et  deux  vaisseaux  anglais  croisaient  en  vue  des 
côtes.  L'alarme  fut  chaude,  mais  les  craintes  se  dissi- 
pèrent promptement.  Montrevel  accourut  à  Cette  à  la 
tête  do  la  plupart  de  ses  troupes,  pour  s'opposer,  s'il  y 
avait  lieu,  à  un  débarquement  que  l'on  redoutait.  Les 
vaisseaux,  détachés  de  la  flotte  combinée  d'Angleterre 
et  de  Hollande,  apportaient  de  l'argent,  des  vivres  et  des 


248  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

munitions.  N'ayant  pas  aperçu  les  signaux  convenus, 
ils  reprirent  le  large  et  regagnèrent  la  flotte. 

Vers  le  môme  temps,  une  diversion  puissante  attira 
l'attention  des  troupes  royales  sur  le  Roucrgue,  où  un 
vaste  projet  de  soulèvement  avait  été  sourdement 
fomenté  par  un  ancien  capitaine,  nommé  Boëton, 
homme  de  tète,  qui  s'aboucha  avec  les  chefs  camisards, 
pour  agir  de  concert  avec  eux.  Catinat,  Dayre,  et  un 
autre  officier  de  Cavalier  vinrent  le  joindre.  Tout  devait 
être  ajourné  jusqu'à  l'instant  où  Boëton  aurait  eu  le 
temps  de  réunir  tous  ses  adhérents,  et  l'on  convint  d'un 
rendez-vous  général  où  tous  devaient  se  rencontrer  en 
armes.  Mais  l'impatience  de  Catinat  perdit  tout.  Tenté 
par  l'occasion,  il  fit  brûler  quelques  églises  dans  le 
canton.  Les  gentilshommes,  les  milices  se  réunirent 
contre  eux,  les  attaquèrent,  les  dispersèrent,  après  avoir 
pris  quelques  officiers,  parmi  lesquels  Dayre,  qui  fut 
rompu  vif  à  Montpellier,  et  qui  mourut  avec  le  stoïcisme 
qu'ils  déployaient  tous. 

Boëton,  que  l'on  n'avait  pu  instruire  de  ces  mésaven- 
tures, arrive  au  rendez-vous  à  la  tête  de  sixeents  hommes, 
et  n'y  trouve  personne.  Réduit  à  l'impuissance,  il  se 
retire  dans  les  montagnes,  s'empare  du  château  de  Fer- 
rières,  et  s'y  met  en  défense.  Assiégé  bientôt  par  des 
forces  trop  supérieures  aux  siennes,  il  capitule  et  obtient 
une  amnistie  pleine  et  entière  pour  lui  etpour  tous  ceux 
qui  ont  embrassé  sa  cause. 

Ainsi  échoua  une  entreprise  qui  se  rattachait  à  un 
plan  beaucoup  plus  vaste,  conçu  par  un  aventurier  plein 
d'énergie,  cadet  de  l'antique  famille  de  Guiscard,  puis- 
sante dans  le  Périgord,  et  connu  sous  le  nom  d'abbé  de 
la  Bourbe.  Il  avait  rêvé  de  donner  une  impulsion  unique 
à  ces  mouvements  divers  qu'il  observait  autour  de  lui, 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  2'l9 

de  grouper  en  faisceau  les  griefs  communs  des  catholiques 
et  des  protestants,  et  de  conquérir  par  les  armes,  avec 
quelques  autres  libertés  encore,  la  liberté  de  conscience, 
dont  les  cruautés  implacables  du  roi-soleil  avaient  sur- 
tout pour  effet  de  faire  apprécier  l'importance.  On  n'en- 
tendait d'ailleurs  que  plaintes  générales  de  tous  côtés, 
contre  l'excessive  misère  et  l'extrême  oppression,  contre 
les  traitants  d*abord,  puis  contre  l'orgueil,  le  luxe  inso- 
lent, la  tyrannie,  la  démoralisation  profonde  du  clergé, 
ses  richesses,  ses  grandes  possessions,  ses  rigueurs  à 
percevoir  les  dîmes,  son  refus  de  concourir  aux  charges 
de  l'État.  Les  catholiques ,  sur  tous  ces  points,  par- 
tageaient donc  le  mécontentement  général,  aussi  les 
principales  vengeances  des  révoltés  se  tournaient-elles 
contre  les  agents  du  triple  lise,  royal,  ecclésiastique  et 
seigneurial  contre  des  traitants  de  tout  ordre,  et  contre 
les  curés. 

La  Bourbe  n'espérait  rien  moins  qu'un  vaste  soulève- 
ment général  par  tout  le  royaume,  pour  rendre  la  li- 
berté à  la  France  «  gémissante  dans  les  fers  d'un  dur  et 
honteux  esclavage,  »  soulèvement  qui  resserrât  «  le 
pouvoir  illimité  du  prince  dans  ses  anciennes  et  légi- 
times bornes,  »  et  qui  procurât  aux  citoyens  «  les  dou- 
ceurs d'un  honnête  et  solide  repos.  »  Il  lança  donc,  le 
8  mars  1703,  un  manifeste  adressé  aux  mécontents  des 
deux  religions,  et  ils  étaient  nombreux  dans  l'un  et  dans 
l'autre  parti:  «Crions  liberté!  liberté!  disait-il.  Deman- 
dons hautement  des  états  généraux  libres,  et  tels  qu'ils 
étaient  autrefois  (1).  » 

Ainsi  dirigée,  la  lutte  eûtété  politique  et  sociale,  au 
lieu  de  devenir  une  simple  guerre  religieuse.  On  devait 

(1)  Guiscard,  Mémoires,  p.  38. 


250  HISTOIRE    DKS    CAMISARDS 

cesser  toute  violence  contre  les  églises  et  les  prêtresr 
éviter,  dans  le  commencement  surtout,  tout  exercice 
public  de  religion,  si  ce  n'est  en  temps  et  lieux  convenus.. 
Profitant  des  embarras  intérieurs  et  extérieurs  dans 
lesquels  la  politique  insensée  de  Louis  XIV  avait  fini 
par  plonger  le  royaume,  on  était  assuré  d'être  for- 
tement appuyé  au  dedans  commeaudehors.  Leschances 
de  succès  étaient  donc  sérieuses,  lorsque  la  terrible 
explosion  des  Cévennes  et  la  tentative  prématurée  de 
Catinat  vinrent  faire  tout  échouer.  Les  catholiques 
effrayés  oublièrent  pour  un  moment  leurs  justes  motifs 
de  plainte  pour  se  réunir  au  pouvoir  central,  cause  de 
tous  les  maux,  mais  qui,  du  moins,  pouvait  les  rassurer 
contre  la  révolte  armée. 

L'abbé  de  la  Bourbe  se  retira  dans  les  pays  étrangers, 
où  il  conçut  de  nouveaux  projets,  qui  échouèrent  comme 
le  premier. 

On  n'en  avait  pas  fini  avec  les  terreurs  que  causaient 
les  flottes  alliées.  Deux  vaisseaux  vinrent  encore  croiser 
sur  les  rivages  du  Languedoc  et  de  la  Provence  ;  quel- 
ques Gamisards  ayant  paru  dans  le  Marais,  on  pensa  que 
c'était  dans  l'espoir  de  favoriser  une  décente.  De  Saint- 
Gilles  à  Aiguës-Mortes,  on  détruisit  tout  sur  le  littoral, 
jusqu'aux  cabanes  des  pêcheurs,  on  fit  tout  renfermer 
dans  les  lieux  fortifiés,  et  les  ouvriers  des  campagnes  ne 
purent  avoir  de  nourriture  que  pour  un  jour.  Ces  me- 
sures pouvaient  paraître  excellentes  contre  les  insurgés, 
mais  elles  ruinaient  la  contrée  par  contre-coup. 

Ce  fut  encore  vers  la  fin  de  ce  même  mois  de  sep- 
tembre 1703,  que  l'on  arrêta  deux  officiers  qui,  venus 
de  la  Hollande,  allaient  s'aboucher  avec  les  Cévenols. 
L'un  deux,  Jonquet,  était  lieutenant  au  service  des  Pro- 
vinces-Unies ;  l'autre,  Peytau,  avait  une  commission  de 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  251 

•capitaine  au  service  de  la  môme  puissance.  Conduits  à 
Alais,  ils  furent  interrogés,  soumis  à  la  torture,  et  l'on 
obtint  d'eux  des  aveux  qui  firent  connaître  ce  qu'on 
avait  à  redouter  de  la  complicité  des  alliés.  Ils  venaient 
s'assurer  des  forces  des  Camisards,  leur  offrir  des  armes, 
•des  munitions,  de  l'argent,  s'entendre  avec  eux  pour 
opérer  une  descente  sur  les  côtes  du  Languedoc,  pré- 
parer la  rentrée  de  bon  nombre  d'officiers  protestants 
émigrés  depuis  l'attentat  de  1685  ;  soulever  le  Dauphiné, 
le  Vivarais,  et  les  autres  provinces  de  proche  en  proche  ; 
persuader  aux  révoltés  de  s'abstenir  de  ces  sanglantes 
représailles,  qui  perdaient  leur  cause,  de  respecter  les 
catholiques,  et  de  prendre  pour  prétexte  unique  de  leur 
insurrection  la  décharge  des  impôts  excessifs,  la  recons- 
truction des  temples,  la  revendication  de  la  liberté  de 
conscience  ;  de  n"accepter  enfin  aucune  amnistie , 
comme  de  n'accorder  aucune  trêve. 

C'était,  en  un  mot,  la  mise  à  exécution  des  plans  de 
la  Bourbe.  Mais  on  savait,  en  France,  que  l'orgueil  du 
grand  roi  ne  lui  permeltaitjamaisde.se  lancer  sur  le 
terrain  des  concessions. 

Il  ne  restait  donc  plus  qu'à  pousser  énergiquement 
l'œuvre  de  destruction  un  moment  ajournée.  La  besogne 
était  rude,  longue  et  difficile  ;  les  maladies  attaquaient 
les  soldats,  harassés  de  fatigue,  mal  nourris,  malpayés; 
beaucoup  désertaient.  Les  paroisses  étaient  trop  consi- 
dérables :  l'une  d'elles,  celle  deSaint-Germain-de-Col- 
berte,  n'avait  pas  moins  de  neuf  lieues  de  tour,  compre- 
nait cent  onze  hameaux,  était  habitée  par  deux  •cent 
soixante-quinze  familles,  dont  neuf  seulement  appar- 
tenaient à  la  religion  de  Rome. 

%  Julien,  l'homme  d'expédition,  celui  qui  prenait  la  peine 
de  casser  la   tète  des  prisonniers  pour  gagner  du  temps 


252  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

et  pour  économiser  les  frais  de  justice,  Julien  proposa 
alors  au  maréchal  de  tout  incendier,  toujours  afin  d'éviter 
les  difficultés  et  les  lenteurs.  Muntrevel  en  écrit  à  la 
cour  qui  s'empresse  de  lui  expédier  l'ordre  qu'il  ré- 
clame (14  octobre  1703). 

a  Aussitôt,  dit  Louverleuil ,  cette  expédition  fut 
comme  une  tempête  qui  ne  laisse  rien  à  ravager  dans 
un  champ  fertile.  Les  maisons  amassées,  les  granges,  les 
baraques,  les  métairies  écartées,  les  cabanes,  les  chau- 
mières, tous  les  bâtiments  tombèrent  sous  l'activité  du 
feu,  comme  tombent,  sous  le  tranchant  de  la  charrue 
quiles  coupe,  les  fleurs  champêtres,  les  mauvaises  herbes 
et  les  racines  sauvages.  » 

Vingt-cinq  habitants  s'étaient  réfugiés  dans  un 
château  de  leur  voisinage.  Les  miquelets  y  accoururent 
et  huit  des  fugitifs  sont  fusillés,  parce  qu'ils  avaient 
choisi  un  autre  asile  que  celui  qui  leur  était  assi- 
gné  (1). 

Se  sentant  soutenus,  les  cadets  de  la  Croix  redoublent 
de  fureurs.  Us  incendient  douze  maisons  au  Golet  de 
Dèze.  Dans  le  seul  lieu  de  Brenoux,  ils  massacrent  cin- 
quante-deux personnes.  Il  y  avait  parmi  elles  plusieurs 
femmes  enceintes  :  ils  les  éventrent  et  portent  en  pro- 
cession, à  la  pointe  de  leurs  baïonnettes,  leurs  enfants 
arrachés  de  leurs  entrailles  fumantes  (2).  Cela  était  de- 
venu, de  catholiques  à  protestants,  un  procédé  tradi- 
tionnel. 

Les  Camisards  désespérés  rendent  de  leur  mieux  une 
partie  du  mal  qu'on  leur  fait.  Dans  la  nuit  du  2  au 3  oc- 
tobre, Cavalier  surprend  Sommières,  dont  il  saccage  les 


(i)  Court,  t,  II,  p.  93. 

(2)  Id.,  p.  94. 


HISTOIRE   DES   CAMISARDS  253 

faubourgs.  Les  habitants  sortent  de  la  ville  pour  le  re- 
pousser, mais  il  les  met  en  fuite,  et  beaucoup  restent 
sur  la  place.  Le  canon  de  la  forteresse  tonne  sur  la  tête 
des  insurgés.  Le  jeune  Cévenol  se  retire  dans  la  crainte 
que  le  bruit  de  la  canonnade  n'attire  les  garnisons  voi- 
sines. H  brûle  les  églises  et  les  maisons  presbytéralesà 
Uchau,  au  Pont-de-Lunel,  au  Chayla,  à  Vergèse,  Nages, 
Boissières,  Sincens,  Aubair,  Junas,  Saint-Côme.  Il  tue 
des  catholiques,  enlève  les  chevaux  des  postes,  l'argent 
des  recettes. 

Le  plan  de  Cavalier  réussit;  Julien  est  rappelé  des 
hautes  Cévennes  et  se  met,  mais  en  vain,  à  la  poursuite 
des  Camisards.  «  Us  ne  sont  jamais  trouvés,  dit  Flé- 
chier,  et  ils  ne  trouvent  aucun  obstacle  à  tout  le  mal 
qu'ils  veulent  faire;  ils  sont  les  maîtres  de  la  cam- 
pagne; on  désole  leurs  montagnes,  et  ils  désolent  notre 
plaine.  11  ne  reste  plus  d'églises  dans  nos  diocèses,  et 
nos  terres,  ne  pouvant  être  ni  semées  ni  cultivées,  ne 
nous  produisent  aucun  revenu.  L'on  craint  le  désordre, 
et  Tonne  veut  pas  donner  lieu  à  une  guerre  civile  de  re- 
ligion. Tout  se  ralentit,  tous  les  bras  tombent  sans 
savoir  pourquoi,  et  l'on  nous  dit  :  Il  faut  avoir  pa- 
tience, on  ne  peut  pas  se  battre  contre  des  fantômes 
qui  se  rendent  invisibles  (1).  » 

Ils  se  faisaient  voir  à  leurs  heures,  cependant,-  et 
Cavalier,  après  quelques  courses  à  découvert,  vient 
■enlever  les  sentinelles  aux  portes  mômes  d'Uzès,  défie 
audacieusement  Vergetot  qui  y  commandait,  et  l'avertit 
qu'il  va  l'attendre  du  côté  de  Lussan,  entre  Uzès  et 
Bargeac.  Lussan  est  bâti  sur  des  rochers  qui  lui  forment 
comme    une  ceinture  de  remparts  naturels.   Cavalier 


(i)  Fléchier,  Lettres  choisies,  lettre  du  23  oct.   1703. 

15 


254  HISTOIRE    DES  CAMISARDS 

fait  demander  des  vivres  aux  habitants  qui  tirent  sur- 
son  parlementaire,  le  blessent,  et  envoient  réclamer  des 
secours  à  Ycrgetot,  qui  accourt  à  leur  aide  au  point  du 
jour  avec  un  régiment  et  quarante  officiers  irlandais. 
La  bataille  s'engage  auprès  du  vieux  château  de  Fan» 
Après  une  lutte  acharnée,  ils  sont  battus  et  Catinat 
leur  donne  la  chasse  avec  sa  cavalerie. 

Il  est  inutile  de  dire  que  les  exécutions  se  multipliaient 
sur  de  simples  soupçons,  à  Nîmes,  àMontpellier,  à  Mais, 
à  Mende  ;  «  mais  elles  n'eurent  aucun  effet,  dit  un  his- 
torien (1),  parce  que  l'endurcissement  des  fanatiques 
était  à  toute  sorte  d'épreuves,  et  qu'ils  se  regardaient 
comme  des  martyrs  qui  versaient  leur  sang  pour  la  dé- 
fense de  la  véritable  religion.  » 

Fatigué  des  prétentions  exorbitantes  de  Louis  XIVT 
le  duc  de  Savoie  ayant  quitté  le  parti  de  la  France  pour 
celui  des  alliés,  les  protestants  redoublèrent  d'efforts 
pour  quitter  cette  terre  maudite  qui  n'était  plus  pour 
eux  qu'un  vaste  bagne  et  un  immense  calvaire,  et  pour 
aller  prendre  du  service  à  l'étranger.  La  reine  Anne,  la 
Hollande,  favorisèrent  avec  ardeur  ce  mouvement  de 
désertion  dont  leur  cause  profitait,  et  envoyèrent  vers 
le  duc  quelques  anciens  émigrés  pour  préparer  les 
cadres  des  régiments  qu'ils  devaient  armer  contre  la 
France. 

Les  catholiques  avaient  organisé  trois  autres  com- 
pagnies de  cadets  de  la  Croix,  formées  surtout  de  nou- 
veaux convertis,  c'est-à-dire  de  l'écume  et  de  la  lie  du 
parti  calviniste,  des  gens  qui  flottaient,  indifférents, 
entre  les  deux  religions,  n'appartenaient  plus  à  aucune, 
ne  voyaient  dans  cette  guerre  impie  qu'un  prétexte 

(1)  Cité  par  Court,  t.  II,  p.  109. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  2oÔ 

pour  pouvoir  piller  en  toute  impunité  (1).  Ces  étranges 
défenseurs  de  la  cause  de  Dieu  chargèrent  leur  con- 
science facile  de  tant  de  forfaits  qu'ils  firent  horreur  à 
leur  parti  lui-même,  et  que  Montrevel,  sur  la  plainte 
des  états  du  Languedoc,  se  vit  forcé  de  publier  contre 
eux  les  ordonnances  les  plus  sévères.  Mais  leur  faire 
entendre  la  voix  de  la  discipline  était  chose  impossible. 
On  leur  opposa  des  troupes  régulières,  ou  à  peu  près, 
qu'ils  attendirent  les  armes  à  la  main,  et  cette  petite 
lutte  intestine  permit  aux  malheureux  montagnards  des 
Cévennes  de  respirer  pendant  quelques  jours. 

Il  en  était,  paraît-il,  de  l'inspiration  prophétique  de 
Cavalier,  comme  de  l'inspiration  poétique  d'Homère  et 
de  Corneille,  qui  sommeillait  quelquefois,  et  les  aban- 
donnait à  leurs  propres  forces.  Le  jeune  héros  cévenol 
n'avait  pas  été  averti  par  l'Esprit  de  l'approche  d'un 
nombreux  détachement  qui  investit  sa  petite  troupe 
dans  la  plaine  de  Nages.  Sans  se  troubler  plus  que  de 
raison,  il  s'empresse  de  masser  ses  hommes  sur  une 
hauteur.  De  là,  et  sans  même  attendre  l'attaque  de  leurs 
ennemis,  ils  fondent  sur  eux  avec  une  telle  impétuosité, 
qu'ils  les  culbutent  du  premier  choc.  Une  trentaine  de 
femmes,  qui  leur  apportaient  des  provisions,  se  trou- 
vaient parmi  eux.  Sachant  les  misères  et  les  hontes  qui 
attendaient  les  vaincus  dans  cotte  guerre  de  cannibales, 
elles  se  précipitent  au  milieu  des  dragons  avec  des  cris 
de  rage  et  les  massacrent  sans  pitié.  L'une  d'elles, 
nommée  Lucrèce  Guigon,  se  distingua  entre  toutes. 
«  Vive  l'épée  de  l'Éternel!  vive  l'épée  de  Gédéon!  »  s'é- 
criait-elle  ;  et  saisissant  le  sabre  des  soldats  blessés,  elle 
les  abattait  à  ses  pieds.  On  eût  dit  l'ange  de  la  mort 

(1)  Villars,  Mémoires,  p.   138. 


256  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

exécutant  les  arrêts  du  Très-Haut.  Ils  se  virent  pour- 
suivis jusque  dans  les  plaines  de  Galvisson,  où  des  ren- 
forts qu'ils  reçurent  forcèrent  les  Cévenols  à  ne  pas 
pousser  leur  succès  plus  avant. 

Le  vainqueur  s'en  vint  prendre  quelques  heures  de 
repos  à  Clarensac,  où  il  prêcha,  redevenu  prédicant 
après  avoir  été  général,  et  dont  il  ne  s'éloigna  pas  sans 
en  avoir  renversé  les  murailles. 

Dans  cette  guerre  de  suprises,  toutes  les  rencontres 
n'étaient  pas  toujours  heureuses  pour  les  protestants. 
Le  jeune  héros  en  fit  la  dure  expérience  dix  jours  après, 
dans  le  bourg  de  Vergèse.  On  délibérait  sur  le  sort 
d'un  maçon  qui,  malgré  la  défense  expresse  de  Cavalier, 
et  pour  obéir  aux  ordres  non  moins  positifs  de  Montrevel, 
travaillait  à  réparer  les  fortifications  de  ce  village.  Alter- 
native terrible,  car  si  le  pauvre  maçon  eût  obéi  à  Cava- 
lier, sa  situation  eût  été  exactement  la  même  le  lende- 
main, vis-à-vis  des  troupes  royales.  Or,  comme  les  uns 
et  les  autres  ne  faisaient  que  passer  et  repasser  dans  la 
contrée,  on  n'avait  jamais,  du  jour  au  lendemain,  la  tête 
bien  solide  sur  ses  épaules. 

Le  comte  de  Fimarcon  ayant  subitement  investi  Vergèse 
de  tous  les  côtés,  il  fallut  se  résoudre  à  combattre, 
malgré  la  trop  grande  infériorité  du  nombre. 

Cavalier,  lorsqu'il  se  voyait  entouré,  avait  adopté  une 
tactique.  C'était  de  ne  faire  aucune  attention  aux  coups 
de  fusil  qui  venaient  de  droite,  de  gauche,  nipar  derrière, 
mais  de  pratiquer  une  trouée  droit  devant  lui  dans  la 
direction  de  la  montagne  la  plus  voisine.  C'est  ce  qu'il 
fit  cette  fois,  mais  non  sans  avoir  perdu  quelques 
hommes.  Fimarcon  pénétra  à  Vergèse,  pilla  les  maisons, 
fit  passer  parles  armes  quatre  ou  cinq  personnes  qui, 
sans  doute,  avaient  travaillé  dans  un  sens  opposé  à  celui 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  257 

du  maçon  de  tout  à  l'heure,  et  ne  laissa  vivre  qu'un 
seul  prisonnier  qu'il  emmena  à  Galvisson.  C'était  un  Ca- 
misard,  ancien  calviniste  renégat.  Mais  comme  il  déclara 
qu'il  persistait  à  vouloir  mourir  huguenot,  il  fut  jeté  hors 
de  la  prison  et  de  l'hôpital,  condamné  à  mourir  de  ses 
blessures  et  de  faim. 

Un  prêtre  passait;  fou  de  douleur,  il  lui  demanda  pour 
toute  grâce  que  l'on  achevât  de  le  tuer  :  «  Volontiers, 
dit  le  prêtre,  si  vous  voulez  vous  confesser  et  com- 
munier. »  A  bout  de  forces,  le  malheureux  céda.  Alors 
il  obtint  la  faveur  d'être  fusillé  et  enterré  honorablement. 

Le  jour  même  de  l'affaire  de  Vergèse  (23  novembre), 
il  arriva  une  horrible  aventure  dont  la  victime  fut  la  fille 
du  baron  de  Meyrargues,  mariée  depuis  un  an  à  M.  de 
Miraman.  Confiante  dans  cette  force  que  fait  à  une 
femme  sa  jeunesse  et  sa  beauté,  confiante  d'ailleurs 
dans  l'innocence  de  sa  vie  ainsi  que  dans  l'indulgence 
qu'elle  et  son  mari  avaient  toujours  témoignée  aux  ré- 
voltés, elle  s'était  mise  en  route  pour  aller  rejoindre 
celui-ci,  accompagnée  seulement  d'une  femme  de 
chambre,  d'une  nourrice,  d'un  valet  de  pied  et  du  cocher 
qui  la  conduisait.  Mais  elle  avait  compté  sans  les  cadets 
de  la  Croix,  Camisards  noirs  lorsqu'il  s'agissait  de  déva- 
liser les  protestants,  et  blancs,  dès  qu'il  fallait  massacrer 
les  catholiques. 

Quatre  de  ces  bandits  les  arrêtent  entre  Lussan  et 
Vendras,  et  les  entraînent  dans  un  bois  où  ils  les  mas- 
sacrent, à  l'exception  du  valet  qui  parvint  à  prendre  la 
fuite.  Laissée  pour  morte,  la  femme  de  chambre  vécut 
cependant  assez  longtemps  pour  raconter  les  détails  de 
cette  sanglante  tragédie. 

«  Ces  malheureux,  dit-elle,  nous  ayant  obligé  de  mar- 
cherdans  le  bois  pour  nous  écarter  du  grand  chemin,  ma 


258  HISTOIRE    DE6    CÀMISARDS 

pauvre  maîtresse  se  trouva  si  lasse  et  si  fatiguée  qu'elle 
pria  le  bourreau  qui  la  conduisait  de  permettre  qu'elle 
s'appuyâtsur  son  épaule.  «  Nous  n'irons  guère  plusloin,» 
lui  répondit-il.  En  effet,  on  nous  fit  asseoir  sur  un 
lieu  où  il  y  avait  du  gazon  et  qui  devait  être  celui  de 
notre  martyre.  Là,  ma  chère  maîtresse  dit  à  ces  barbares 
les  choses  les  plus  touchantes,  et  d'une  manière  si  douce 
qu'elle  aurait  fléchi  un  démon.  Elle  leur  donna  sa  bourse, 
sa  ceinture  d'or  et  un  beau  diamant  qu'elle  sortit  de  son 
doigt  ;  mais  rien  n'adoucit  ces  tigres.  Un  d'eux  lui  dit: 
a  Je  veux  tuer  tous  les  catholique,  et  vous  tout  à 
«  l'heure.  —  Que  vous  reviendra-t-il  de  ma  mort?  lui 
«  dit-elle  ;  accordez-moi  la  vie  !  —  Non,  c'en  est  fait,  lui 
«  répondit  ce  brutal,  vous  mourrez  de  ma  main,  faites 
votre  prière.  » 

«  Alors  ma  pauvre  maîtresse,  se  mettant  à  genoux,  pria 
Dieu  tout  haut  de  lui  faire  miséricorde,  et  à  ses  meur- 
triers; et  comme  elle  continuait  sa  dévotion,  elle  reçut 
un  coup  de  pistolet,  à  la  mamelle  gauche,  qui  la  jeta  par 
terre  ;  un  coup  de  sabre  à  travers  le  visage,  et  un  coup  de 
pierre  sur  la  tête.  Un  autre  scélérat  tua  la  nourrice  d'un 
coup  de  pistolet,  et  soit  qu'ils  n'eussent  pas  d'armes 
chargées,  ou  qu'ils  voulussent  épargner  la  munition,  ils 
se  contentèrent  de  me  percer  de  plusieurs  coups  de  baïon- 
nette. Je  contrefis  la  morte  ;  ils  crurent  que  je  l'étais  en 
effet,  et  ils  se  retirèrent.  Quelque  temps  après,  je  me 
traînai  auprès  de  ma  maîtresse,  je  l'appelai,  elle  me  ré- 
pondit, et  me  dit  d'une  voix  basse: 

—  «  Ne  me  quittez  point,  Suzon,  jusqu'à  ce  que  j'aie 
«  expiré.  »  Elle  ajouta:  «  Je  meurs  pour  ma  religion  et 
«j'espère  que  le  bon  Dieu  aura  pitié  de  moi.  Dites  à  mon 
«  époux  quejelui  recommande  notre  petite.  »Aprèscela, 
elle  ne  s'occupa  que  de  Dieu,  par  des  oraisons  courtes 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  259 

et  tendres,  jusqu'à  son  dernier  soupir  qu'elle  rendit  à 
mes  côtés  à  l'entrée  de  la  nuit  .  » 

Aussitôt  qu'il  eut  connaissance  de  ce  crime  odieux,  Ca- 
valier fit  saisir  ces  misérables  dans  les  bois  du  Bouquet, 
où  ils  s'étaient  réfugiés.  Un  conseil  de  guerre  les  con- 
damna àmort  et  ils  furent  exécutés,  àl'exception  de  l'un 
des  quatre  qui  n'avait  pas  pris  part  au  meurtre. 

Les  Cévenols  purgeaient  souvent,  par  des  exécutions 
semblables,  leurs  rangs  de  ceux  qui  se  rendaient 
coupables  de  crimes  particuliers,  ainsi  que  de  faux- 
frères  qui  s'y  glissaient  parfois  pour  les  trahir.  Et  ici 
se  présente  encore  un  des  côtés  merveilleux  de  cette 
histoire.  En  voici  deux  ou  trois  exemples  quiparaissent 
se  rapporter  au  mois  de  novembre  1703,  et  que  ra- 
content ainsi  les  dépositions  consignées  dans  le  Théâtre 
sacré  des  Cévennes: 

«  Un  nommé  Languedoc,  sergent  dans  le  régiment  de 
Menon,  se  vint  jeter  parmi  nous  comme  déserteur,  décla- 
rant qu'il  voulait,  à  l'avenir,  combattre  pour  la  cause  de 
Dieu.  Quelques-uns  des  nôtres  savaient  qu'il  était  de  fa- 
mille protestante,  et  ses  discours  nous  parurent  si  rai- 
sonnables, que  nous  le  reçûmes  d'abord  sans  difficulté, 
comme  nous  avions  déjà  admis  d'autres  déserteurs.  Mais 
il  arriva  deux  jours  après  que  ce  malheureux  fut  lui- 
même  témoin,  dans  une  assemblée,  de  diverses  inspi- 
rations qui  l'indiquèrent  évidemment  et  qui  le  décla- 
rèrent traître.  L'un  de  eeux  qui  parlèrent  dans  l'inspi- 
ration dit  positivement  que  ce  méchant  homme  était 
venu  pour  nous  vendre,  et  qu'on  en  serait  convaincu  si 
on  cherchait  dans  sa  manche,  où  on  trouverait  une  lettre 
de  l'ennemi.  Sur  cela,  il  fut  incontinent  saisi  et  fouillé, 
et  on  trouva  effectivement,  dans  la  manche  de  son  jus- 
taucorps, une  lettre  du  lieutenant  général  Lalande,  qui, 


260  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

entre  autres  choses,  lui  faisait  des  reproches  de  ce  qu'il 
n'avait  pas  encore  exécuté  sa  promesse.  L'accusé,  étant 
ainsi  marqué  du  doigt  de  Dieu,  avoua  d'ahord  et  lui 
donna  gloire.  Il  fît  môme  une  grande  confession  de  tous 
ses  péchés,  et  ne  demanda,  pour  toute  grâce,  que  les 
prières  des  gens  de  bien  qu'il  avait  eu  le   malheur  de 

vouloir  trahir Il  fut  exécuté  par  l'ordre  de  M .  Cavalier, 

qui,  sans  doute,  avait  reçu  quelque  ordre  de  l'Esprit;  et 
il  fit  une  mort  édifiante.  » 

Un  peu  auparavant,  La  Salle,  un  autre  traître,  avait 
été  également  découvert,  et  exécuté  par  les  ordres  de 
l'Esprit. 

«  Gomme  nous  étions  proche  du  village  de  Fons,  à  deux 
lieues  de  Nîmes,  dans  un  bois  où  nous  nous  étions  re- 
tirés après  avoir  été  poursuivis  pendant  deux  jours,  il  ar- 
riva queplusieurs  inspirations  concoururent  à  dire  qu'ily 
avait  dans  la  troupe  un  traître  qui  avait  été  séduit  par 
sa  femme  et  qui  avait  un  dessein  formé  de  tuer  le  frère 
Cavalier.  (Les  inspirations  le  nommaient  ainsi.)  Ce  traître 
nommé  La  Salle,  avait  été  papiste;  mais  il  avait  depuis 
longtemps  fait  les  fonctions  de  bon  protestant,  et  le  frère 
Cavalier  avait  eu  tant  de  confiance  en  lui  qu'il  en  avait 
fait  un  de  ses  gardes,  et  qu'il  se  servait  de  lui  en  diverses 
occasions  particulières.  Nos  inspirations  insistèrent,  en 
assez  grand  nombre,  et  entre  autres  celles  de  frère  Ra- 
vanel  et  la  mienne.  Sur  ces  instances,  nous  allâmes  rap- 
porter la  chose  au  frère  Cavalier,  qui,  pour  lors,  était 
un  peu  éloigné  du  gros  de  la  troupe. 

«  Nous  le  trouvâmes  pensif,  car  il  avait  eu  lui-même 
des  avertissements  sur  cela,  comme  je  le  dirai  tout  à 
l'heure.  11  ordonna  que  La  Salle  fût  saisi  ;  ce  qui  fut  aus- 
sitôt exécuté.  D'abord  cet  homme  se  mit  à  crier  miséri- 
corde, sans  nier  le  fait,  demanda  fortement  à  voir  le 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  261 

frère  Cavalier.  Mais  le  frère  Cavalier  ne  le  voulut  point 
voir.  De  sorte  que  La  Salle  ayant  pleinement  confessé 
qu'il  avait  été  suborné  pour  commettre  le  crime  dont  il 
était  accusé  parles  inspirations,  il  fut  conclu  qu'il  aurait 
la  tête  coupée,  parce  que  si  on  l'avait  fait  passer  par  les 
armes  selon  la  pratique  ordinaire,  le  bruit  des  fusils  aurait 
pu  nous  attirer  l'ennemi,  qui  nous  cherchait,  et  qui  pou- 
vait être  proche  de  nous. 

«  Le  frère  Cavalier  avait  un  double  sujet  de  tristesse. 
Il  se  voyait  privé,  par  un  accident  douloureux,  d'un 
homme  qu'il  avait  aimé  et  dont  il  avait  été  bien  servi;  et 
d'ailleurs  il  se  reprochait  d'avoir  en  quelque  façon  dis- 
simulé l'avertissement  que  Dieu  lui  avait  envoyé,  ou 
plutôt  de  n'en  avoir  pas  profité  aussitôt  qu'il  l'aurait  dû 
faire.  Car  lorsqu'il  consentit  à  la  mort  du  traître,  il  nous 
dit  qu'il  avait  eu  lui-même  un  avertissement  en  vision  du 
mauvais  dessein  de  cet  homme;  dans  laquelle  vision  le 
dit  La  Salle,  étant  couché  auprès  de  lui,  avait  voulu  par 
trois  fois  le  tuer  d'un  coup  de  pistolet,  et  que  chacun 
des  trois  coups  avait  manqué. 

«  Dès  qu'il  eut  été  résolu  défaire  mourir  La  Salle  et 
qu'on  eut  ordonné  qu'il  fût  exhorté  et  consolé,  selon 
que  cela  se  passait  en  pareille  occasion,  je  m'éloignai 
de  l'endroit  de  l'exécution  et  je  m'en  allai  vers  le  frère 
Cavalier  qui  n'avait  pas  voulu  non  plus  en  être  témoin. 
Comme  toute  la  troupe  était  en  prières  pour  le  criminel, 
le  frère  Cavalier,  qui  était  assis  à  terre,  tomba  en  extase 
et  eut  des  agitations  extraordinaires.  Dans  la  violence  des 
mouvements  qui  le  soulevaient  et  qui  le  secouaient  ru- 
dement, l'Esprit  lui  dit  :  «Je  t'assure,  mon  enfant,  que 
«  si  tu  murmures  contre  mon  commandement,  je 
«  t'abandonnerai.  Je  t'avais  fait  connaître  qu'il  fallait 
«  que  ce   traître  fût    mis  à  mort,  et  tu  m'as  résisté. 

15. 


262  histoire  Di:s  camisards 

«  Prends  garde,  mon  eufant,  car  je  déclare  que  si  tu 
«  n'obéis  pas  aux  ordres  que  je  te  donne,  je  t'aban- 
«  donnerai  et  je  donnerai  mon  troupeau  à  conduire  à 
«  d'autres  qui  le  conduiront  aussi  bien  que  toi.  »  Je 
puis  bien  répondre  de  ces  paroles  ;  mais  il  y  en  eut  beau- 
coup d'autres,  qui  tendaient  à  la  même  chose.  Je  fus 
extraordinairement  touché,  de  même  que  les  autres  qui 
étaient  présents,  de  cette  terrible  extase  du  frère 
Cavalier.  » 

Ainsi  donc  un  réseau  de  trahisons  enlaçait  le  jeune 
héros  cévenol.  Ne  pouvant  le  vaincre,  ces  généraux  en 
étaient  réduits,  — ô  honte  et  misère  !  —  à  payer  des  es- 
pions pour  qu'ils  leur  livrassent,  mort  ou  vif,  celui  qui, 
avec  sa  poignée  de  proscrits,  d'hommes  sans  terres,  de 
va-nu-pieds,  les  battait  en  toute  rencontre,  à  la  tête  de 
leurs  nombreux  bataillons.  Écoutons  encore  la  curieuse 
déclaration  de  son  cousin,  Jean  Cavalier,  du  village  de 
Sauves  : 

«  Après  la  bataille  de  Gaverne,  nous  nous  en  allâmes 
au  château  de  Rouvière,  à  une  demi-lieue  de  Sauves. 
Comme  j'étais  avec  le  chef  Cavalier,  mon  cousin,  et  plu- 
sieurs des  principaux  de  la  troupe,  il  dit  tout  haut  :  «  Je 
»  me  sens  tout  contiïsté  ;  un  Judas  m'a  baisé  au- 
jourd'hui. »  Cependant  on  prépare  le  dîner,  environ 
vingt  personnes  se  trouvèrent  à  table,  tant  de  ceux  de 
la  troupe  que  des  amis  du  voisinage.  Entre  autres,  il  y 
avait  un  certain  N. ,  protestant  de  profession,  qui  avait 
été  ami  de  l'illustre  Brousson  :  il  avait  aussi  toute  la 
confiance  de  M.  Cavalier,  et  nous  le  regardions  tous  en- 
semble avec  d'autant  plus  d'estime,  qu'il  avait  toujours 
fréquenté  nos  saintes  assemblées,  qu'il  aidait  souvent  à 
les  convoquer,  qu'il  recevait  les  charités  de  ceux  qui 
nous  communiquaient  des   secours   d'argent,  et  qu'il 


IIISTOIRK    DES    CAMISARDS  263 

avait  même  souffert  la  prison  pour  quelqu'une  de  ces 
bonnes  œuvres. 

«  C'était  un  homme  de  quarante-cinq  ans.  Comme 
nous  étions  tous  à  table,  N.  à  la  droite  de  mon  cousin 
et  moi  à  sa  gauche,  l'Esprit  me  saisit  avec  de  grandes 
agitations  au  milieu  du  repas,  et.  entre  autres  paroles,  il 
me  fit  prononcer  celles-ci  :  «Je  te  dis  mon  enfant,  qu'un 
«  de  ceux  qui  sont  assis  à  cette  table  et  quia  trempé  la 
«  main  dans  le  même  plat  avec  mon  serviteur  a  des- 
«  sein  de  l'empoisonner.  »  Presque  aussitôt  que  mon 
inspiration  eut  cessé,  un  parent  de  M.  Cavalier,  qui 
était  dans  la  même  chambre  auprès  du  feu,  tomba  en 
extase  et  dit  en  propres  termes  :  «  Il  y  a  ici  un  Judas 
«  qui  a  baisé  mon  serviteur  et  qui  est  venu  pour  l'em- 
poisonner. »  Dès  que  mon  cousin  eut  entendu  ce  que 
j'avais  prononcé,  il  s'était  abstenu  de  manger  et  avait 
ordonné  que  les  portes  fussent  gardées  ;  mais  après 
qu'il  eut  reçu  le  second  avertissement  par  la  bouche 
de  la  jeune  fille,  il  fit  redoubler  la  garde.  La  compagnie 
continua  de-  dîner.  Comme  on  était  encore  à  table,  le 
frère  Ravanel  (celui  qui  a  souffert  le  martyre  )  fut  sou- 
dainement saisi  de  l'Esprit  avec  des  agitations  très- 
grandes. 

«  Je  t'assure,  mon  enfant,  lui  dit  l'Esprit,  qu'il  y  a 
«  présentement  un  traître  assis  à  cette  table,  qui  a  reçu 
«  une  somme  d'argent  pour  empoisonner  mon  serviteur, 
«  et  même  toute  la  troupe,  s'il  lui  était  possible.  Je  ite 
«  dis  qu'il  a  promis  a  l'ennemi  d'empoisonner  le  chef, 
<(  et  qu'il  s'est  proposé,  en  entrant  dans  cette  maison, 
«  d'empoisonner  l'eau  de  la  citerne  et  le  s(>au,  pour 
«  tâcher  de  détruire  le  troupeau,  s'il  ne  peut  pas  l'aire 
périr  le  berger.»  A  l'instant  que  M.  Cavalier  eut  en- 
tendu ces  paroles,  il  défendit  qu'on  puisât  de  l'eau,  et 


264  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

il  fit  garder  la  citerne  du  château  après  que  l'on  eut 
jeté  le  seau  dedans. 

«  Dans  le  même  temps,  on  vint  dire  dans  la  chambre 
où  nous  étions,  que  le  frère  Duplan  brigadier  de  la 
troupe,  qui  était  dans  une  autre  chambre,  venait  de  tom- 
ber dans  une  extase  extraordinaire,  avec  de  fort  vio- 
lentes agitations;  j'y  courus  et  j'entendis  qu'il  prononça 
ces  paroles:  «  Je  te  déclare,  mon  enfant,  qu'il  y  a  dans 
«  cette  maison  un  homme  qui  a  vendu  mon  serviteur 
«  pour  une  somme  d'argent  (il  nomma  500  livres  ou  500 
«  écus).  Il  a  mangé  à  la  même  table  que  lui.  Mais  je  te 
«  dis  que  ce  traître  sera  reconnu,  et  qu'il  sera  con- 
te vaincu  de  son  crime.  Je  te  dis  qu'il  a  dessein  présen- 
te tement  de  jeter  le  poison  qu'il  a  caché  sur  lui,  ou  de 
«  le  mettre  dans  les  habits  de  quelqu'un  de  la  com- 
te pagnie  :  mais  je  permettrai  qu'il  soit  reconnu  et 
«  nommé  par  son  nom.  » 

«  M.  Cavalier,  ayant  été  averti  de  l'inspiration  de 
Duplan,  le  fit  venir  dans  une  chambre  particulière  avec 
les  trois  personnes  qui  avaient  eu  des  inspirations,  et 
tous  ceux  qui  avaient  mangé  avec  nous  à  la  même 
table.  On  avait  commencé  à  fouiller  plusieurs  de  ces 
mêmes  personnes,  lorsque  Duplan,  qui  marchait  au 
milieu  de  ses  agitations,  entra  dans  la  chambre,  il  vint 
droit  à  N.,  et  lui  mettant  la  main  sur  le  bras,  il  l'accusa 
et  le  censura  avec  beaucoup  de  véhémence,  disant: 
«  Ne  sais-tu  pas,  misérable,  que  je  vois  toutes  choses  ? 
«  que  je  sonde  les  cœurs  et  les  reins,  et  que  les  plus 
a  secrètes  pensées  me  sont  découvertes  ?  n'appréhen- 
«  des-tu  pas  mes  jugements  terribles  ?  Oserais-tu  nier 
«  le  complot  que  tu  as  fait  avec  les  ennemis  de  mon 
«  peuple? Confesse,  confesse,  malheureux, ton  crime!  » 

«  N.  voulut  s'excuser  ;  mais  Duplan,  dans  un  redou- 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  265 

blement  de  l'inspiration,  déclara  positivement  que  le 
poison  était  dans  la  tabatière  et  dans  la  manche  du  jus- 
taucorps de  celui  qui  était  accusé,  de  sorte  qu'il  fut 
pleinement  convaincu.  J'étais  présent,  et  j'ai  vu  tout 
cela.  Le  poison  était  dans  du  papier.  M.  Cavalier  ayant 
des  raisons  particulières  pour  ne  pas  faire  mourir  ce 
traître,  et  sa  mort  n'ayant  pas  été  ordonnée  par  une 
des  quatre  inspirations,  il  se  contenta  de  le  censurer  et 
de  lui  représenter  quantité  de  choses  qu'il  n'est  pas  né- 
cessaire que  je  rapporte  ici.  De  sorte  que,  la  nuit  étant 
venue,  N.  eut  la  liberté  de  s'en  retourner  chez  lui.  Il  y 
eut  ordre  à  la  troupe  de  se  préparer  pour  la  prière  gé- 
nérale, en  actions  de  grâces  de  la  délivrance  que  Dieu 
nous  avait  accordée.  » 

Cependant  les  troupes  que  commandait  Montrevel 
poursuivaient  l'œuvre  de  dévastation  commencée  dans 
les  Cévennes,  et  la  cour  le  secondait  de  loin  par  ses  or- 
donnances. Le  commencement  de  novembre  en  vit  pa- 
raître une  qui  enjoignait  aux  nouveaux  convertis  des 
diocèses  de  Montpellier,  Nîmes,  Uzès  et  Alais,  de  payer 
200,000  livres  aux  anciens  catholiques,  en  dédomma- 
gement du  préjudice  qu'ils  pouvaient  avoir  essuyé  à  la 
suite  des  pillages  des  Camisards. 

Parmi  les  exécutions  qui,  chaque  jour,  épouvan- 
taient les  villes  du  Languedoc,  nous  ne  relèverons  que 
celle  d'unjeune  garçon  de  quatorze  ou  quinze  ans,  pendu 
à  Montpellier,  soupçonné  d'avoirpris  part,  disait-on,  à 
un  massacre  commis  à  Saturargues,  accusation  qui 
avait  déjà  conduit  son  père  à  la  potence,  un  mois  plus 
tôt. 

Malheur  aux  pauvres  huguenots  qui,  chassés  de  leurs 
demeures  pour  être  internés  au  loin,  se  risquaient  à 
venir  pleurer  sur  ces  ruines  fumantes  !  En  décembre, 


266  HISTOIRE    DES    CAMISAftDS 

le  comte  de  Tournon  en  rencontra  une  quarantaine 
aux  environs  de  Saint-Julien  d'Arpaon.  Beaucoup  par- 
vinrent à  fuir;  mais  les  soldats  tuèrent  les  enfants,  les 
vieillards,  et  >les  femmes  enceintes. 

Cavalier  indigné  écrivit  au  gouverneur  de  Nîmes  pour 
le  rappeler  à  la  modération,  en  le  menaçant  de  se  mon- 
trer implacable  à  son  tour,  et  de  massacrer  indifférem- 
ment tous  les  catholiques  coupables  ou  non  à  l'égard 
des  religionnaires. 

Près  de  Florac,  le  lieutenant-colonel  Oourbeville  donne 
la  chasse  à  cent  de  ces  pauvres  exilés.  Us  se  réfugient 
dans  une  maison  dont  ils  forcent  l'entrée,  et  presque 
tous  sont  égorgés. 

Ainsi  qu'on  l'avait  promis,  tout  était  terminé  avant  la 
fin  de  l'année.  Le  23  décembre,  Montrevel  en  donnait 
avis  à  Chamillart,  et  chantait  en  ces  termes  les  louanges 
de  Julien  :  «  J'ai  eu  l'honneur  de  vous  mander,  monsieur, 
«  que  M.Julien  a  enfin  achevé  son  ouvrage,  c'est-à-dire 
■«  qu'il  a  brûlé  les  maisons  des  paroisses  condamnées 
«  dont  il  n'aurait  pu  détruire  en  un  an  les  murailles. 
«  On  ne  peut  pas  s'être  acquitté  de  cette  commission 
«  avec  plus  d'application  qu'il  a  fait  (1).  » 

Les  quatre  cent  soixante-six  villages  condamnés  avaient 
disparu.  On  avait  fait  sauter  à  la  mine  ce  qui  eût  résisté 
à  la  flamme,  et  tout  était  anéanti,  arbres,  récoltes, 
vignes,  mûriers,  fermes,  maisons  ou  cabanes.  Et  parce 
qu'il  ne  restait  plus  une  voix  pour  chanter  en  français 
•des  cantiques  à  Dieu  dans  ce  désert  fait  de  main 
d'hommes,  l'imbécile  et  cruel  monarque  crut,  pour  la 
seconde  fois,  que  tout  était  converti  dans  son  royaume, 
et  qu'il  avait  enfin  sauvé  la  religion.  Six  semaines  avaient 


(1)  Archives  de  la  guerre,  vol.  1708,  no  323. 


HISTOIRE    DBS    CAMISARDS  267 

suffi  pour  renouveler  en  pleine  France  les  atrocités  que 
le  grand  roi  avait  fait  commettre  jadis  dans  le  Palatinat. 
Commencée  le  29  septembre,  l'œuvre  sinistre  était  faite 
et  parfaite  le  14  décembre,  Brueys  le  dit  du  moins  (!)•: 
«  Les  fanatiques  qui  n'avaient  pu  être  réduits  ni  par  les 
expéditions  militaires,  ni  par  les  supplices,  commen- 
cèrent à  sentir  les  premières  horreurs  de  la  faim  ;  ils 
erraient  comme  des  bêtes  féroces  par  les  bois  et  par  les 
montagnes,  fuyant  les  troupes  du  roi  qui  les  suivaient 
sans  cesse.  » 

Il  y  eut  une  torture  de  plus  ajoutée  à  leur  martyre, 
voilà  tout  ;  mais  c'était  chanter  trop  tôt  victoire,  et  l'in- 
domptable Cavalier  le  fit  bien  vite  voir  à  ses  ennemis. 
Il  ne  restait  plus  aux  Cévenols  que  leurs  fusils,  leurs 
faux  et  leurs  bâtons  ferrés  ;  ils  accoururent  en  foule  les 
apporterdans  le  camp  des  Enfants  de  Dieu.  Dès  le  17  dé- 
cembre, le  chef  en  qui  ils  avaient  foi  remportait  un  avan- 
tage signalé  sur  les  catholiques,  aux  Roques  d'Aubais. 
Une  recrue  de  soixante  enfants  armés  de  frondes  faisait 
pleuvoir  sur  les  troupes  une  grêle  de  cailloux.  Des 
femmes,  à  la  tête  desquelles  on  distinguait  Lucrèce 
Guigon,  combattaient  avec  un  courage  tout  viril.  Ce 
n'était  plus  de  la  bravoure,  c'était  de  la  fureur,  de  la 
frénésie,  de  la  rage,  et  l'on  eût  dit  que  l'on  avait  soif  du 
sang  les  uns  des  autres. 

A  trois  jours  de  là,  une  bande  de  Camisards  goûtait 
quelques  heures  de  repos  dans  un  pré,  à  Tornac.  Quel- 
ques femmes,  qui  leur  apportaient  des  rafraîchisse- 
ments, sont  enlevées  par  cinq  ou  six  cents  hommes  que 
commandait  le  gourverneur  de  Saint-Hippolytc.  Les 
Cévenols  en  sont  instruits,  et  jurent,  malgré  l'infériorité 

(l)  Histoire  du  fanatisme,  t.  III,  p.  266. 


268  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

du  nombre,  de  délivrer  leurs  hardies  pourvoyeuses,  ou 
de  périr  avec  elles.  Une  lutte  acharnée  s'engage,  et  le 
gouverneur  prend  la  fuite  vers  Anduze,  poursuivi  par 
ceux  que,  lâchement,  dans  son  rapport,  il  appelle  de 
faux  braves. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  269 


CHAPITRE  Vil 


Catholiques  et  protestants  s'exterminent  sans  pitié.  —  Les  Cami- 
sards  font  un  appel  aux  États  protestants  de  l'Europe.  —  Succès 
de  Roland,  de  Cavalier.  —  La  cour  rappelle  Montrevel  et  le  rem- 
place par  le  maréchal  de  Villars. 


1704.  —  Le  courage  des  Camisards,  on  le  voit,  n'était 
nullement  abattu.  On  avait  détruit  sous  leurs  pieds  la 
patrie  terrestre.  Mais  ils  contemplaient  avec  sérénité  la 
patrie  céleste  sur  leurs  têtes,  certains  que,  par  la  mort, 
celle-là  du  moins  ne  leur  échapperait  pas.  Chaque  chef 
agissait  dans  son  indépendance,  sous  sa  responsabilité 
personnelle,  guidé  par  les  inspirations  d'en  haut,  et 
sous  l'approbation  d'un  conseil  de  guerre  formé  par  la 
réunion  de  ses  officiers.  On  avait  renoncé,  de  part  et 
d'autre,  à  faire  des  prisonniers  :  les  vaincus  étaient 
passés  par  les  armes.  Il  y  eut  cependant  une  fois  un 
échange.  Castanet,  nous  l'avons  vu,  avait  trouvé  le 
temps  de  se  marier  entre  deux  expéditions.  Mariette,  sa 
jeune  femme,  ayant  été  arrêtée,  Gastanet  parvint  à  se 
saisir  d'une  femme  de  considération,  dans  le  bourg  de 


270  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Valeraugues,  et  proposa  de  l'échanger  contre  sa  femme, 
ce  qui  fut  accepté. 

Les  catholiques,  toujours  vaincus  lorsqu'ils  luttaient 
avec  des  chances  égales,  souvent  défaits,  môme  lors- 
qu'ils avaient  la  supériorité  du  nombre,  étaient  frappés 
de  démoralisation,  et. les  officiers  eux-mêmes  ne  se  lan- 
çaient que  mollement  dans  des  expéditions  où  il  n'y 
avait,  disaient-ils,  ni  quartier  à  espérer,  ni  profit  à 
faire.  «  Je  vois  dans  une  partie  des  troupes,  écrivait 
Fléchier  avec  découragement  (I),  si  peu  de  zèle  pour  le 
service  de  Dieu  et  du  roi,  que  je  n'attends  pas  de  grands 
succès  des  expéditions  qu'on  médite,  si  le  ciel  n'échauffe 
nos  guerriers.  » 

Hélas  !  Dieu  semblait  déserter  sa  propre  cause,  la 
jugeant  sans  doute  mauvaise,  et,  sourd  aux  prières  des 
évêques,  il  n'échauffait  que  le  courage  de  ceux  que  l'on 
disait  ses  ennemis.  Ne  comprenant  rien  à  la  résistance 
héroïque  de  ces  hommes,  qui  cependant  luttaient  pour 
leurs  autels,  leurs  foyers,  leur  famille  et  leur  modeste 
avoir,  la  cour  pressait  Montrevel  d'en  finir,  et  celui-ci 
se  voyait  contraint  d'avouer  que,lesCévennes  détruites, 
rien  n'était  terminé  avec  les  Cévenols.  Le  maréchal  avait 
néanmoins  sous  ses  ordres  des  forces  imposantes,  secon- 
dées par  une  population  catholique  ardente,  et  plus  fana- 
tique encore  que  ne  l'étaient  les  Camisards.  Il  avait  le 
régiment  de  dragons  de  Fimarcon,  celui  de  Saint-Cernin, 
deux  bataillons  de  Hainault,  deux  de  Royal-Comtois, 
un  de  Soissonnais,  un  de  Blaisois,  un  de  Dauphiné,  un 
de  Labour,  un  de  Marsilly,  un  de  Tournon,  un  de  la 
Fare,  un  de  Dugua,  trois  de  miquelets,  quatre  de  la 
marine,  deux  des  galères,  trois  du  régiment  suisse  de 

(1)  Fléchier,  lettre  du  9  fév.  1704. 


HISTOIRE    DES    CAM1SARDS  271 

Courten,  deux  de  Cbarolais,  un  de  Froulay,  et  en  outre 
deux  compagnies  de  fusilliers  de  la  province,  de  nom- 
breuses milices  bourgeoises,  sans  compter  les  bandes 
des  cadets  de  la  Croix,  et  une  artillerie  formidable.  Ces 
forces,  imposantes  étaient  commandées  par  un  maréchal 
de  France,  deux  maréchaux  de  camp,  treize  brigadiers, 
et  l'on  ne  pouvait  réduire  cinq  ou  six  bandes  comman- 
dées par  un  garçon  de  vingt  ans  et  quelques  jeunes 
pâtres  comme  lui,  qui,  toutes  réunies,  n'eussent  peut- 
être  pas  pu  mettre  en  ligne  un  total  de  trois  ou  quatre 
mille  combattants. 

Pour  répondre  aux  actes  de  sauvagerie  que  le  roi- 
soleil  venait  d'accomplir,  ainsi  que  pour  réchauffer  le 
zèle  des  alliés,  qui  faisaient  des  promesses  qu'aucun 
acte  ne  suivait,  les  réfugiés  protestants  publièrent  un 
nouvel  écrit:  L'Europe  esclave,  si  les  Cévenols  ne  sont  pus 
promplement  secourus.  Après  avoir  surabondamment 
prouvé  qu'en  anéantissant  toutes  les  garanties  accordées 
par  ses  prédécesseurs  et  par  lui-môme  aux  religionnaires. 
Louis  XIV  avait  rompu  le  pacte  qui  engageait  la  fidélité 
de  ses  sujets,  l'auteur  s'écriait  : 

«  Qu'est-donc  que  l'Europe- doit  faire  dans  cet  état  ? 
Nous  devons  l'apprendre  des  Romains,  qui  ne  trou- 
vèrent pas  de  moyens  plus  efficaces  pour  chasser  1rs 
Carthaginois  de  l'Italie,  que  de  porter  la  guerre  en 
Afrique  et  de  les  attaquer  dans  leur  propre  pays.  Mais 
sans  aller  si  avant  dans  les  siècles  passés,  nous  pouvons 
l'apprendre  de  l'ennemi  commun  même  (car  pus  est  ab 
hosle  doceri),  lequel,  avec  un  succès  merveilleux  et  pres- 
que incroyable,  a,  non-seulement  envoyé  une  partie  <le 
ses  forces  dans  le  cœur  de  l'Allemagne,  mais  aussi  fo- 
menté le  mécontentement  des  Hongrois  persécutés,  et 
les  a  portés  à  se  soulever;  ce  qui  ne  donne  pas  peu  d'in- 


272  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

quiétude  à  l'empereur,  et  divertit  une  partie  considérable 
de  ses  troupes,  qu'on  pourrait  employer  plus  utilement 
contre  les  véritables  ennemis  de  l'État. 

«  Portons  donc  la  guerre  dans  le  cœur  de  la  France, 
et  profitons  des  mécontentements  que  l'oppression  et  le 
pouvoir  arbitraire  ont  causé  dans  ce  royaume,  et  qui  ont 
non-seulement  éclaté  parmi  les  protestants  des  Gévennes 
et  du  Languedoc,  mais  qui  commencent  déjà  à  se  faire 
voir  en  Dauphiné  et  en  d'autres  provinces,  ou  pour 
mieux  dire  dans  tout  l'Etat.  Car  si  la  France  est  vigou- 
reusement attaquée  au  dedans,  elle  sera  bientôt  dans 
l'impuissance  de  soutenir  une  guerre  étrangère  ;  et  elle 
se  verra  contrainte  d'abandonner  ce  qu'elle  a  usurpé 
sur  les  autres,  pour  conserver  ce  qui  esta  elle.  En  un 
mot,  si  l'on  a  une  fois  ruiné  quelques  provinces,  la  mi- 
sère est  si  grande  en  France,  que  les  peuples  ne  pourront 
ni  se  rétablir,  ni  payer  les  subsides.  Ainsi  les  ressources 
qu'on  pratique  en  France  pour  avoir  de  l'argent,  qui 
est  le  nerf  de  la  guerre,  étant  taries,  celle-ci  ne  pourra 
plus  se  faire  avec  avantage  par  les  Français.  » 

L'auteur  ajoutait,  avec  raison,  qu'il  était  à  propos  de 
composer  de  réfugiés  français  les  régiments  que  l'on 
enverrait  dans  les  Gévennes.  Ceux-ci  s'entendraient  plus 
facilement  avec  les  Camisards,  en  même  temps  qu'ils 
pourraient  entraîner,  par  leur  influence,  ceux  de  leurs 
amis  ou  parents  qui  hésitaient  encore  à  se  soulever  pour 
revendiquer  les  libertés  perdues. 

Si  l'on  y  joignait  trois  ou  quatre  mille  braves  Vaudois 
et  dix  ou  douze  mille  Anglais,  Allemands  et  Hollandais, 
on  soumettrait  le  Dauphiné  et  la  Provence,  on  mettrait 
à  contribution  les  riches  cités  de  Grenoble,  Lyon  et  Mar- 
seille, on  pénétrerait  dans  le  Bordelais  après  s'être  ren- 
du maître  du  Languedoc.  Une  flotte   anglaise  remon- 


HISTOIRE    DES    CAM1SARDS  273 

terait  la  Garonne  pendant  que  les  révoltés  et  les  alliés  en- 
treraient à  Bordeaux,  s'empareraient  du  Château-Trom- 
pette et  des  forts  qui  dominent  le  cours  du  fleuve,  et 
l'Angleterre  reconquerrait  ainsi  sa  chère  et  regrettée 
province  de  Guienne,  le  pays  des  bons  vins  ! 

Tout  cela  était  bien  séduisant,  et  possible  peut-être, 
dans  l'état  d'énervement  et  de  profonde  misère  où 
les  folies  de  Louis  XIV  avaient  réduit  le  malheureux 
royaume.  Mais  il  eût  fallu  de  l'unité  dans  la  direction 
de  l'affaire,  et  lorsque  les  Anglais  se  montraient  décidés, 
les  Hollandais  ne  l'étaient  pas  encore,  ou  bien  les  Alle- 
mands ne  l'étaient  déjà  plus.  On  ne  s'entendait  ni 
sur  le  contingent  à  fournir  dans  l'œuvre  commune,  ni 
sur  la  part  que  chacun  se  taillerait  dans  la  peau  de  l'ours. 
On  choisit  néanmoins,  dans  une  conférence  tenue  à  la 
Haye,  le  28  avril,  chez  le  duc  de  Marlborough,  le  bri- 
gadier Belcastel,  officier  sage,  brave  et  expérimenté, 
pour  faire  des  levées  d'hommes  et  amener  des  secours. 
Puis  il  fallut  consulter  l'Angleterre,  et  lorsque  Belcastel 
eut  tous  ses  pouvoirs  pour  se  mettre  en  mouvement,  la 
partie  était  déjà  perdue  en  France. 

Ni  les  catholiques,  ni  les  protestants  ne  s'endormaient 
dans  le  Languedoc,  tandis  que  les  alliés  se  disposaient 
à  attaquer  les  premiers  et  à  secourir  les  autres.  Planque 
et  Julien,  chacun  de  son  côté,  brûlaient,  égorgeaient, 
enlevaient  en  masse,  détruisaient  moulins  et  fours, 
internaient  dans  les  villes  murées  les  serruriers,  maré- 
chaux, armuriers,  cordonniers,  médecins  et  chirurgiens, 
afin  que  ceux  de  ces  malheureux  qui  échappaient  au  fer 
et  à  la  flamme  mourussent  de  faim  et  de  l'excès  de  leur 
misère. 

Parmi  les  captures  importantes  qu'ils  firent,  on 
doit  compter  une  fameuse  prophétesse  qu'à  cause  de  sa 


274  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

haute  taille  on  appelait  la  Grande-Marie,  et  Louis  Jon- 
quet,  un  des  officiers  de  Cavalier. 

Montrevel  rivalisait  de  férocité  avec  ses  lieutenants, 
mais  les  sanglants  exploits  de  tous  les  égorgeurs  catho- 
liques palissaient  devant  ceux  de  l'ermite,  le  principal 
chef  des  cadets  de  la  Croix.  Les  états  du  Languedoc 
demandent  encore  que  l'on  mette  un  terme  à  leurs  excès 
intolérables  :  les  évèques  prennent  hautement  leur  dé- 
fense :  «  On  tâche  de  décrier  lui  et  les  siens,  écrit  Flé- 
chier  (1)  :  mais  nous  l'avons  bien  soutenu.  » 

Le  17  janvier,  Cavalier  défait,  entre  Montpesat  et  Vie, 
un  détachement  de  royalistes,  et  le  lendemain,  au  col 
du  Marcou,  Roland  tend  une  embuscade  dans  laquelle 
viennent  tomber  deux  bataillons  du  régiment  de  Dau- 
phiné,  qui  conduisaient  de  Saint-André-de-Vollongue  h 
La  Salle  de  nombreux  captifs  arrêtés  par  Planque  dans 
les  hautes  Cévenncs.  Ce  fut  une  boucherie  plutôt  qu'un 
combat;  Monblanc,  qui  les  commandait,  y  perdit  la  vie,, 
ainsi  que  presque  tous  ses  hommes.  La  petite  cava- 
lerie cévenole  les  poursuivit  jusqu'auxportes  de  La  Salle, 
tuant  tous  ceux  dont  la  fuite  se  ralentissait.  Le  vainqueur 
fut  chanter  un  Te  Deum  d'actions  de  grâces  à  Valescure, 
attaqua  ensuite  les  faubourgs  de  Saint-Hippolyte,  in- 
cendia une  église,  abattit  quelques  croix,  et  se  retira 
sans  que  la  garnison  osât  sortir  pour  inquiéter  sa  retraite. 
Planque  y  étant  revenu  quarante-huit  heures  après  fit 
brûler  ses  morts,  et  aussi  bon  nombre  de  maisons  de 
Vallongue,  Roucou,  et  de  quelques  autres  lieux.  Cavalier, 
à  quelques  jours  de  là,  remporta  encore  un  avantage 
sur  les  dragons. 

Bâville  répond  à  ces  défaites  par  des  exécutions,  Mon- 

(l)  Fléchier,  lettre  du  9  fév.  1704. 


HISTOIRE   DES    CAMISARDS  275 

trevel  parties  ordonnances  de  plus  en  pins  impitoyables. 
Les  prisons  des  îles  Sainte-Marguerite  se  peuplent  de 
plusieurs  centaines  de  ces  malheureux,  qu'ils  font  en- 
lever en  masse.  Deux  cent  cinquante  disparaissent  ainsi 
de  Nîmes,  en  deux  ou  trois  jours,  cent  cinquante  de 
Quissac... 

«Aux  enlèvements,  dit  Court  de  Gébelin  (1),  Montre- 
vel  ajouta  les  massacres.  Tous  les  malheureux  qui  furent 
censés  n"avair  pas  obéi  à  l'ordonnance  qui  portait  de 
s'enfermer  dans  les  villes  ou  dans  les  lieux  murés  ou 
qui  furent  trouvés  à  la  campagne,  ou  qui,  après  avoir 
obtenu  congé  de  sortir  de  leur  asile  pour  vaquer  à  quel- 
que affaire  indispensable,  n'étaient  pas  revenus  à  l'heure 
marquée,  quelque  bonne  raison  qu'ils  pussent  alléguer 
pour  leur  justification,  ou  enfin  tous  ceux  qui  furent 
soupçonnés  avoirfourni  quelques  secours auxCamisards  : 
tous  ces  gens-là  éprouvèrent  irrémissiblement  le  triste 
sort  dont  je  parie.  Nous  avons  des  exemples  et  des  uns 
et  ries  autres.  » 

Les  deux  mois  de  février  et  mars  sont  consacrés  en 
entier  à  ces  sauvages  expéditions.  Dans  une  seule,  le  20 
février,  Planque  massacre  plus  de  six  cents  de  ces  in- 
fortunés. Voici  un  détail,  pris  au  hasard.  Un  grand 
nombre  d'habitants  de  paroisses  incendiées  s'étaient 
réfugiés  à  Saint- André.  Afin  de  se  procurer  quelque 
secours,  ils  s'écartent  du  lieu  de  leur  internement,  où 
ils  périssaient  de  faim.  Planque,  instruit  de  cette  in- 
fraction grave  aux  ordonnances,  fait  partir  un  déta- 
chement pour  les  aller  châtier.  Déjà  ils  étaient  rentrés 
tous  dans  leurs  cantonnements:  c'était  la  nuit,  ils  dor- 
maient. On  les  arrache  de  leurs  lits  pour  les  enfermer 

(1)  Court,  t.  II,  p.  227. 


276  HISTOIRK   DES    CAMISARDS 

dans  l'église.  On  les  en  faisait  sortir  à  leur  tour  pour  les 
égorger.  Cinq  femmes  ouvrirent  cette  sanglante  tragédie. 
L'une  d'elles  fut  massacrée  sous  les  yeux  de  ses  deux 
enfants,  deux  petites  filles  de  six  à  sept  ans  qui,  hurlant 
de  désespoir,  se  jetaient  sur  les  soldats  qui  riaient  de 
leur  fureur  impuissante.  Quand  tout  fut  fini,  on  jeta 
morts  et  mourants,  hommes,  femmes  et  enfants,  dans 
la  rivière  qui  roula  leurs  cadavres  sur  ses  bords,  où  ils 
furent  dévorés  par  les  chiens  affamés  et  les  bêtes 
sauvages. 

Ailleurs,  quatre  paysans  et  une  jeune  fille  obtiennent 
la  permission  de  s'éloigner  pour  des  affaires  pressantes. 
On  leur  avait  fait  promettre  de  rentrer  dans  la  même 
journée.  Mais  ils  sont  surpris  par  un  de  ces  orages  épou- 
vantables comme  on  en  voit  parfois  dans  les  montagnes. 
Les  plus  faibles  ruisseaux  sont  devenus  des  torrents 
impossibles  à  franchir.  La  jeune  fille  épouvantée  se  réfugie 
sous  un  abri,  les  supplie  d'attendre  l'aube'pour  se  remettre 
en  route.  Ils  cèdent,  arrivent  de  grand  matin  à  La  Salle, 
lieu  de  leur  internement.  Furieux,  le  commandant  de 
place  fait  fusiller  les  quatre  hommes.  Chacun  intercède 
pour  la  jeune  fille.  Des  religieuses  la  pressent,  pour 
obtenir  un  sursis,  de  déclarer  qu'elle  est  enceinte.  Elle 
refuse  d'acheter  sa  vie  au  prix  d'une  tache  à  son  hon- 
neur. Les  religieuses  alors  prennent  sur  elles  la  respon- 
sabilité de  ce  pieux  mensonge.  Une  sage-femme  est! 
appelée,  qui,  acceptant  la  complicité  de  leur  fraude, 
déclare,  après  visite,  qu'elle  est  grosse  en  effet.  «  Eh 
bien!  dit  La  Place,  qu'on  les  arrête  toutes  deux,  qu'on! 
les  garde  en  prison,  et  si  dans  deux  mois  il  ne  paraît! 
pas  signe  de  grossesse,  on  les  pendra  toutes  deux.  »  Laj 
sage-femme  Jbaisse  la  tête,  et  déclare  qu'elle  n'a  dé-j 
couvert  que  les  signes  de  la  virginité.  Les  soldats  alorsl 


HISTOIRE   DES    CAMISARDS  277 

tuent  la  jeune  fille  sur  les  corps  de  ses  quatre  compa- 
gnons de  route. 

Le  8  février,  Jean-Louis  Maury  futpendu  à  Franchas- 
sin,  auprès  de  Prades,  par  ordre  de  Julien.  11  y  eut 
sans  doute  des  conversions  dans  sa  famille,  et  plus  de 
quatre-vingts  ans  plus  tard  un  de  ses  descendants, 
l'abbé  Maury,  passa  un  jour  à  fleur  de  corde  et  eût  été 
pendu  comme  son  aïeul,  par  des  forcenés  qui  voulaient 
l'accrocher  à  la  lanterne,  lorsqu'il  leur  dit:  «  Eh! 
messieurs,  en  verrez-vous  plus  clair!  »  On  se  tirait 
alors  d'affaire  avec  un  bon  mot.  Mais  qu'étaient  les 
égorgeurs  de  93,  luttant  avec  la  férocité  du  désespoir 
contre  l'Europe  envahissante,  contre  le  Midi  frémissant, 
contre  la  Vendée  avec  ses  cent  mille  combattants,  contre 
la  conspiration  flagrante  de  là  noblesse  et  du  clergé; 
qu'étaient-ils  auprès  des  égorgeurs  du  grand  roi, 
massacrant  des  malheureux  dont  le  crime  unique 
était  de  préférer  le  prêche  à  la  messe  ! 

En  apprenant  l'arrestation  de  son  lieutenant  Jonquct, 
et  surtout  celle  de  la  Grande-Marie,  Cavalier  avait  rugi  de 
colère  et  de  douleur  à  la  fois.  Il  parvint  à  se  saisir  de  la 
sœur  de  Le  Fèvre,  l'un  des  chefs  des  cadets  de  la  Croix, 
et  fit  proposer  entre  elle  et  la  célèbre  prophétesse  un 
échange  qui  ne  fut  pas  accepté.  La  Grande-Marie  fut 
pendue  à  Nîmes,  et  Jonquet  roué  vif  (6  mars). 

Des  protestants  de  Saint-André-de-Magencoules  s'é- 
taient assemblés  pour  faire  des  exercices  de  religion.  Ce 
fut  cette  fois  la  bourgeoisie  catholique  de  Saint-André  qui 
massacra  jusqu'au  dernier  ces  malheureux,  qui  n'essayè- 
rent pas  même  de  se  défendre. 

Il  semble  que  ce  soit,  de  part  et  d'autre,  un  assaut  de 
férocité  dans  lequel  la  palme  appartient  aux  catholiques. 
Entre  Bargeac  et  Bagnols,  les  cadets  de  la  Croix  s'empa- 


278  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

cent  de  trois  jeunes  filles,  leur  font  subir  le  dernier  ou- 
trage, leur  emplissent  le  corps  de  poudre,  les  bourrent 
comme  une  pièce  d'artillerie,  y  mettent  le  feu,  et  les 
font  éclater  (1).  Flécbier  voit  ces  atrocités,  et  timidement 
les  blâme.  Il  écrit  à  l'un  de  ses  curés  (2)  :  «  Vous  devez 
contenir  les  catholiques  armés  :  ils  doivent  combattre  et 
faire  la  guerre  du  Seigneur,  non  pas  piller  les  amis  et 
les  ennemis.  » 

Les  Camisards  s'efforcent  de  ne  pas  rester  en  arrière  : 
«  On  ne  se  fait  nul  quartier,  écrit-on  dans  ce  temps-là. 
Si  Le  Fèvre  l'ermite,  et  ceux  qu'il  commande,  brûlent 
des  contrées  entières  et  passent  au  fil  de  l'épée  les  nou- 
veaux convertis,  Cavalier  et  les  autres  chefs  camisards 
brûlent  et  saccagent  de  leur  côté,  et  font  main  basse 
par  représailles  sur  tous  les  prêtres  et  anciens  catholiques 
qu'ils  rencontrent.  On  ne  saurait  parler  de  ces  choses 
sans  horreur  :  le  pays  qui  sert  de  théâtre  à  cette  guerre 
intestine  est  devenu  un  désert  affreux...  (3)  » 

C'est  désormais  une  lutte  de  loups  enragés,  la  terreur 
règne  jusque  dans  les  cités  :  «  Nous  sommes,  écrit  l'é- 
vêque  de  Nîmes  (-4),  dans  une  ville  où  nous  n'avons  point 
de  repos,  ni  de  plaisir,  non  pas  même  de  consolation. 
Quand  les  catholiques  sont  les  plus  forts,  les  autres 
craignent  d'être  égorgés.  Quand  les  fanatiques  sont  en 
grand  nombre  près  d'ici,  les  catholiques  craignent  à 
leur  tour.  Il  faut  que  je  rassure  tantôt  les  uns,  tantôt 
les  autres.  Nous  sommes  ici  comme  bloqués,  et  l'on  ne 
peut  sortir  de  la  ville  à  cent  cinquante  pas  sans  crainte 


(1)  Court,  t.  II,  p.  240. 

(2)  Lettres  choisies,  lettre  163. 

(3)  Cité  par  Court,  t.  II,  p.  249. 

(4)  Fléchier,  lettre  du  27  avril. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  279 

et  sans  danger  d'être  tués.  Il  n'est  pas  permis  de  se  pro- 
mener, ni  de  prendre  l'air.  J'ai  vu  de  mes  fenêtres  brûler 
nos  maisons  de  campagne  impunément.  Il  ne  se  passe 
pas  de  jour  que  je  n'apprenne  à  mon  réveil  quelque  mal- 
heur arrivé  la  nuit.  Ma  chambre  est  souvent  pleine  de 
gens  qu'on  a  ruinés  ;  de  pauvres  femmes  dont  on  vient 
de  tuer  les  maris  ;  de  curés  fugitifs  qui  viennent  repré- 
senter les  misères  de  leurs  paroisses.  Tout  fait  horreur, 
tout  fait  pitié.  Je  suis  père,  je  suis  pasteur  ;  je  dois 
soulager  les  uns,  adoucir  les  autres,  les  aider,  les  se- 
courir tous.  L'exercice  de  notre  religion  est  presque 
aboli  dans  trois  ou  quatre  diocèses.  Plus  de  quatre 
mille  catholiques  ont  été  égorgés  à  la  campagne  ; 
quatre-vingts  prêtres  massacrés,  près  de  deux  cents 
églises  brûlées...  » 

Si  telles  étaient  les  angoisses  des  persécuteurs,  qu'elles 
ne  devaient  pas  être  celles  des  persécutés  I  Voilà  donc 
qu'elles  étaient  les  conséquences  du  crime  commis  par 
Louis  XlVen  octobre  1685  !  Voilà  ce  qu'avait  amené  la 
persécution  implacable  provoquée  à  l'origine  par  le 
clergé,  soutenue  par  lui  depuis  !  C'est  ce  qui  fut  repré- 
senté dans  une  lettre  que  l'on  adressa  vers  cette  époque 
à  Montrevel  : 

«  Monseigneur,  je  ne  doute  pas  que  vous  ne  soyez  sur- 
pris et  en  même  temps  touché,  de  voir  l'entière  désola- 
tion du  bas  Languedoc,  où  l'on  n'entend  parler  que  de 
meurtres,  d'incendies,  de  pillages,  de  cruautés  et  d'in- 
justices. II  semble  que  ce  soit  par  une  cruelle  émula- 
tion. 

«  La  plupart  deshommes  ne  tendent  qu'à  sedétruire 
et  qu'à  ruiner  la  province  et  l'État.  Le  plus  grand 
malheur  est  que  la  corruption  est  allée  jusque  dans  le 
sanctuaire.  Ce  sont  les  ecclésiastiques  qui  sont  la  cause 


280  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

de  tous  les  désordres.  Ceux  qui  devraient  être  occupés 
à  prier  Dieu  sans  cesse  et  à  gémir  à  la  vue  de  tant  de 
sang  répandu,  s'en  réjouissent;  et  ils  scandalisent  par 
une  conduite  si  éloignée  de  la  charité  ceux  qui  ont 
encore  quelque  sentiment  de  la  nature  et  de  la  reli- 
gion. 

«  Oui,  Monseigneur,  je  dis  qu'ils  en  sont  la  cause,  lors- 
que, par  un  principe  d'orgueilplutôt  que  par  des  motifs 
chrétiens,  ils  ont  voulu  dominer  sur  la  foi  d'autrui  et 
tyranniser  les  consciences.  Que  n'ont-ils  pas  fait  pendant 
plusieurs  années?  Ou  plutôt  qu'ont-ils  fait?  A  quoiont 
abouti  toutes  leurs  violences?  Ont-ils  fait  des  chrétiens, 
ou  pour  mieux  dire  n'ont-ils  pas  fait  des  athées,  des  liber- 
tins, et  enfin  des  rebelles?  Voilà  ce  qu'ont  produit  les 
séminaires,  les  couvents,  les  prisons,  les  exils,  les  amen- 
des et  les  enlèvements,  des  pères  à  leurs  enfants,  des  en- 
fants à  leurs  pères,  des  femmes  à  leurs  maris,  et  des 
maris  à  leurs  femmes.  Il  n'est  pas  nécessaire,  monsei- 
gneur, que  je  vous  fasse  le  détail  de  la  conduite  de 
quelques  évoques  de  cette  province  et  des  prêtres  de  leurs 
diocèses,  qui,  sous  le  prétexte  spécieux  delà  religion, 
ont  insolemment  abusé  de  l'autorité  de  l'Église  et  par 
leurs  vexations  ont  jeté  le  monde  dans  le  désespoir  où 
vous  le  trouvez.  Si  vous  prenez  la  peine  de  vous  informer 
des  choses,  vous  saurez  que  non-seulement  ils  sont  les 
auteurs  du  plus  grand  malheur  qui  peut  jamais  arriver 
dans  cette  province,  mais  encore  qu'ils  approuvent  et 
animent  hautement  ceux  qui,  sous  le  nom  de  Cadets, 
vont  impunément  tuer,  piller  et  brûler.  Après  cela,  je 
vous  avoue,  Monseigneur,  qu'il  faut  avoir  une  grâce 
toute  particulière  pour  ne  pas  douter  de  la  vérité  de  la 
religion  catholique,  et  il  ne  faut  pas  s'étonner  si  ceux 
qui  commençaient  d'en  goûter  les  principes  se   sont 


HISTOIRE   DES   CAMISARDS  281 

rebellés  lorsqu'on  a  vu  des  manières  si  opposées  à  la 
douceur  de  l'Évangile  (1).  » 

Les  nouveaux  convertis  adressent  de  leur  côté  un 
placet  à  Montrevel,  dans  lequel  ils  protestent  de  leur  dé- 
vouement et  demandent  des  chefs  pour  marcher  contre 
les  cadets  de  la  Croix.  11  refuse,  et  se  co  ntente  de  rendre  en- 
core une  ordonnance  sévère  contre  ceux-ci  ;  mais  comme 
on  ne  voyait  pas  qu'un  seul  fût  jamais  puni,  [tandis  que 
l'on  se  montrait  si  impitoyable  à  l'égard  des  religion- 
naires,  il  n'était  que  trop  évident  que  ce  n'étaient 
là  que  de  vaines  démonstrations,  et  ces  bandits  pour- 
suivaient sans  crainte  le  cours  de  leurs  atrocités.  Les 
Camisards  seuls  leur  faisaient  parfois  payer  cher  leur 
audace,  ainsi  que  cela  arriva  le  8  mars,  aux  environs  de 
Garigues. 

Trois  nouveaux  chefs  cévenols,  Dortial,  Abraham 
Charmasson  et  Mercier,  essayent  de  troubler  encore  le 
Vivarais.  Ils  s'y  montrent  le  19  mars,  brûlent  l'église 
de  Gluiras,  tuent  deux  curés,  incendient  quelques 
presbytères.  Julien  marche  contre  eux,  les  surprend 
dans  le  village  de  Franchassin,  et,  après  les  avoir  taillés 
en  pièces,  fait  tout  détruire  afin  d'étouffer  dès  le  début, 
dans  le  sang  et  sous  les  ruines,  cette  nouvelle  tenta- 
tive de  soulèvement. 

Au  milieu  de  toutes  ces  horreurs,  il  se  rencontra  un 
gentilhomme  protestant  d'Uzès,  nommé  de  Rossel, 
baron  d'Aigalliers,  qui  conçut  la  noble  pensée  d'y 
mettre  un  terme.  A  son  avis,  les  plus  influents  parmi 
les  réformés  devaient  s'interposer  entre  les  bourreaux 
et  les  victimes,  tenter  de  désarmer  d'abord  celles-ci, 
et  d'obtenir  ensuite  des  autres  qu'ils  leur  laissassent 

(1)  Cité  par  Court,  t.  II,  p.  252. 

16. 


3»2  JJIST01IU-;    DES    CAMISARDS  . 

cette  faculté,  la  seule  qu'ils  réclamaient,  de  prier  Dieu 
à  leur  manière.  Il  se  rendit  à  Paris,  désireux  d'exposer 
ses  projets  et  de  les  faire  agréer.avant  de  rien  entre- 
prendre pour  leur  réussite.  Il  vit  le  duc  de  Chevreuse, 
le  duc  de  Montfort,  son  fils,  Chamillart,  qui  le  présenta 
à  Villars,  dont  on  parlait  déjà  pour  l'envoyer  remplacer 
Montrevel,  dont  l'insuffisance  était  surabondamment 
démontrée,  et  auquel  on  s'en  prenait  du  prolongement 
de  cette  lutte  fratricide.  Villars  lui  prêta  une  oreille 
favorable,  et  lui  dit  d'aller  l'attendre  à  Lyon,  où  lui- 
même  devait  bientôt  se  rendre. 

Pendant  ces  pourparlers,  Cavalier  remportait,  le 
15  mars,  sur  l'armée  catholique,  une  victoire  sanglante 
qui  acbeva  de  ruiner  Montrevel  dans  l'esprit  de  la  cour. 

Le  maréchal  venait  d'arriver  à  Uzès,  lorsqu'il  apprit 
que  les  Cévenols  se  trouvaient  du  côté  de  Saint-Chattes. 
Dédaignant  de  marcher  en  personne  contre  eux,  il  se 
contenta  de  lancer  à  leur  rencontre  La  Jonquière  à  la 
tête  de  six  cents  hommes  d'élite  de  la  marine,  appuyés 
par  quelques  compagnies  de  dragons  de  Fimarcon, 
sous  la  conduite  de  de  Foix,  leur  lieutenant-colonel. 

De  Foix  rejoignit  La  Jonquière  à  Saint-Chattes  ;  mais 
celui-ci,  ne  voulant  partager  avec  personne  la  gloire 
d'un  succès  qu'il  croyait  assuré,  le  renvoya  à  Uzès.  Puis 
•il  se  mit  à  suivre  les  Camisards  à  la  piste,  non  sans  faire 
quelques  exécutions  sur  sa  route,  pour  entretenir  chez 
ses  soudards  leur  appétit  du  sang.  Enfin  il  rejoignit  les 
révoltés  aux  Devois  deMartignargues,  où  ils  avaient  ré- 
solu de  l'attendre  de  pied  ferme. 

Cavalier  enflamma  le  courage  de  ses  compagnons  par 
une  allocution  chaleureuse,  et  ils  adressèrent  à  Dieu 
leur  prière  ordinaire.  Abrité  derrière  quelques  arbris- 
seaux, il  prit  habilement  position  au  bord  d'un  ravin 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  283 

qu'il  mit  entre  lui  et  ses  adversaires,  fortifia  sa  gauche 
d'une  trentaine  de  cavaliers  que  commandait  Catinat, 
et  sur  la  droite,  protégée  également  par  un  massif  d'ar- 
bustes, il  plaça  en  embuscade  soixante  hommes  d'élite 
auxquels  il  ordonna  d  essuyer,  sans  broncher,  le  pre- 
mier feu  des  catholiques,  puis  de  tomber  ensuite  sur 
eux  de  tous  les  côtés  h  la  fois. 

La  Jonquière  avançait  toujours  plein  de  confiance 
dans  sa  supériorité  numérique  et  dans  la  bravoure  plus 
savante  de  ses  troupes.  Arrivées  à  la  portée  du  fusil, 
elles  font  feu  ;  Cavalier  commande  aux  siens  de  se  cou- 
cher ventre  à  terre,  et  les  balles  passent  par  dessus  leurs 
têtes.  La  Jonquières,  les  croyant  tous  morts,  ordonne  à 
ses  bataillons  de  fondre  sur  eux  la  baïonnette  en  avant. 
Mais  les  Gamisards,  dont  pas  un  n'était  atteint,  se  re- 
lèvent, entonnent  à  pleine  voix  le  cantique  de  circons- 
tance, et  se  précipitent  sur  eux  à  leur  tour.  Puis  d'un 
côté  s'avance  la  petite  cavalerie,  de  l'autre  les  soixante 
hommes  sortent  de  derrière  les  arbres  qui  les  cachaient 
aux  regards,  et  la  petite  armée  de  La  Jonquière,  enve- 
loppée de  toutes  parts,  n'essaye  pas  même  de  lutter  et 
fuit  éperdue  devant  les  Gamisards  qui  se  fatiguent  à  les 
massacrer. 

Presque  lous  les  officiers  se  firent  tuer.  Six  cents  ca- 
tholiques restèrent  sur  la  place,  tandis  que  les  Cévenols, 
assure-t-on,  ne  perdirent  que  deux  hommes  morts  quel- 
ques jours  après  des  suites  de  leurs  blessures.  Un  riche 
butin,  des  fusils,  des  pistolets,  desépées,  des  habits,  des 
chevaux  furent  "le  prix  de  ce  brillant  fait  d'armes.  La 
Jonquière,  blessé  légèrement  au  visage,  parvint  à  se 
sauver  en  traversant  le  Gard  à  la  nage,  et  ne  se  reposa 
qu'à  une  lieue  du  champ  de  bataille.  Dans  sa  fuite, 
il  Jaissa   comme  trophée   son   cheval   aux   mains  de 


284  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Cavalier,  qui 'en  fît  désormais  sa  monture  ordinaire. 

Montrevel,  au  comble  de  l'exaspération,  se  décide 
enfin,  mais  trop  tard,  à  se  lancer  à  la  poursuite  des  Ca- 
misards.  11  ne  convenait  pas  à  la  fortune  de  Cavalier  de 
livrer  une  seconde  bataille.  Le  maréchal  ne  put  le  ren- 
contrer. 

Il  crut  sauver  sa  renommée  en  gardant  le  silence  sur 
cette  triste  affaire.  Chamillart,  dans  une  lettre  sévère  en 
date  du  24  mars,  lui  apprit  que  rien  n'était  ignoré  à  la 
cour  :  «  Quoique  vous  n'ayez  rien  mandé  au  roi  de  ce 
qui  s'est  passé  à  Saint-Chattes,  vous  ne  doutez  point 
que  M.  de  la  Jonquière  n'en  ait  informé  son  supérieur, 
et  que  Sa  Majesté  n'ait  été  bien  fâchée  d'un  si  triste  évé- 
nement. Elle  m'a  même  recommandé  de  vous  dire  sur 
ce  qui  lui  en  est  revenu,  qu'il  n'aurait  tenu  qu'à  vous  de 
l'éviter,  si  vous  vous  étiez  mis  en  mouvement  avec  toutes 
les  troupes  dont  vous  pouviez  disposer.  » 

La  victoire  de  Saint-Chattes  avait  porté  à  son  apogée 
la  gloire  du  jeune  héros  cévenol.  Sa  troupe  grossissait 
chaque  jour,  et  bientôt  il  compta  autour  de  lui  un  millier 
de  fantassins  et  deux  cents  hommes  à  cheval.  Cette 
petite  armée  possédait  un  trompette,  huit  tambours  et 
un  fifre,  et  celui  qui  la  guidait,  enivré  de  ce  succès  prodi- 
gieux, nourrissait  dans  son  âme  les  plus  grands,  les 
plus  généreux  projets. 

Hélas  !  Montrevel,  avant  de  quitter  le  Languedoc,  lui 
ménageait  de  terribles  adieux.  La  cour  l'avait  enfin  rap- 
pelé, et  le  dernier  des  grands  capitaines  de  la  monar- 
chie, Villars,  que  l'on  opposait  à  Cavalier,  devait  venir 
le  remplacer  le  20  avril.  Montrevel,  qui  était  décidé  à 
partir  le  18,  fit  courir  le  bruit  qu'il  se  dirigeait  définiti- 
vement le  16  sur  Montpellier,  Ses  derniers  préparatifs 
de  départ  étaient  faits,  ses  équipages  avaient  déjà  pris 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  285 

les  devants.  Une  partie  des  troupes  marchait  ostensi- 
blement à  la  rencontre  de  son  nouveau  général,  l'autre 
devait  accompagner  celui  qui  lui  cédait  la  place.  C'é- 
taient six  mille  hommes  d'élite,  avec  lesquels  il  reste  à 
Sommières,  entre  Nîmes  et  Montpellier,  à  portée  de 
tout  observer,  de  tout  entreprendre. 

Cavalier,  instruit  des  faux  bruits  répandus  par  les 
agents  du  maréchal,  y  ajoute  foi,  et  arrive  le  15  au  soir 
à  Caveirac,  dans  la  Vaunage,  à  une  lieue  de  Nîmes,  avec 
ses  douze  cents  hommes.  Il  s'y  repose  la  nuit,  et  le  len- 
demain il  prend  plaisir  à  passer  en  revue  sa  petite 
armée  et  à  lui  commander  des  évolutions. 

Un  curé  de  Montpezat,  qui  avait  à  sa  solde  des  es- 
pions vigilants  et  fidèles,  tenait  Montrevel  au  courant 
de  tous  les  mouvements  du  jeune  chef  cévenol.  Averti 
par  lui,  le  maréchal  revient  sur  ses  pas  et  fait  entourer 
Caveirac  par  toutes  les  forces  dont  il  dispose. 

Avant  que  l'affaire  ne  s'engageât,  Cavalier,  qui  sou- 
vent ne  s'en  remettait  qu'à  lui-même  du  soin  de  faire 
des  reconnaissances,  se  vit  couper  la  retraite  par  un 
cornette  et  deux  dragons,  qu'un  bouquet  d'oliviers 
l'avait  empêché  d'apercevoir.  Il  est  reconnu,  poursuivi 
par  eux,  attaqué  par  tous  les  trois  à  la  fois.  D'un  coup 
de  fusil  il  tue  le  cornette,  et  de  ses  deux  coups  de 
pistolet,  il  casse  la  tête  aux  dragons,  puis  il  vient  re- 
joindre sa  troupe  qu'il  dispose  de  son  mieux  sur  une 
petite  colline. 

Un  premier  corps  d'armée,  commandé  par  Granval, 
engage  la  bataille.  Cavalier  accepte  le  combat,  remporte 
une  première  victoire,  et  pendant  une  heure  on  poursuit 
les  fuyards.  Mais  voilà  qu'ils  se  trouvent  en  face  d'une 
nouvelle  armée  de  troupes  fraîches,  qui  coupe  la  re- 
traite à  la  petite  cavalerie  camisarde,  et  intercepte  toute 


28G  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

communication  avec  son  infanterie.  Harassés  de  fa- 
tigue, il  leur  faut  recommencer  la  lutte.  Ils  résistaient 
de  leur  mieux,  quand,  au  bruit  de  la  fusillade,  accourt 
un  troisième  corps  d'armée,  commandé  par  Montrevel 
en  personne. 

Il  ne  fallait  plus  songer  qu'à  opérer  la  retraite  dans 
les  conditions  les  moins  désastreuses  possibles.  Cavalier 
confie  sa  fortune  à  un  paysan  qui  lui  indique  le  cbemin 
de  Soudorgues  à  Nages  comme  étant  le  seul  qui  pré- 
sentât encore  quelque  chance  de  salut.  Il  s'y  lance  avec 
ce  qu'il  peut  réunir  des  débris  de  sa  troupe,  mais  tout  à 
coup  le  cbemin  lui  est  coupé  par  un  quatrième  corps 
d'armée,  détaché  par  Montrevel  et  commandé  par 
Menon.  Les  Gamisards  étaient  pris  entre  deux  feux. 
C'était  une  déroute.  Mais  de  quel  côté  fuir  ?  Cavalier 
réunit  ceux  qui  survivent  encore  et  leur  dit  :  «  Enfants, 
nous  sommes  pris  et  roués  vifs,  si  nous  manquons  de 
cœur.  Nous  n'avons  plus  qu'un  seul  moyen  :  il  faut  se 
faire  jour  et  passer  sur  le  ventre  à  ces  gens-là.  Serrez 
vos  rangs,  suivez-moi,  et  que  Dieu  nous  protège  ?  » 

Alors  ils  se  précipitent  comme  des  taureaux  blessés 
au  plus  épais  des  bataillons  ennemis.  C'est  une  mêlée 
effroyable,  au  milieu  des  cris,  des  blasphèmes,  des  hur- 
lements. On  lutte  corps  à  corps,  on  se  prend  aux  che- 
veux,on  se  roule  à  terre,  on  se  mord,  on  se  déchire.  Quel- 
ques-uns passent,  cependant,  et  franchissent  un  pont, 
dont  bientôt  un  détachement  de  dragons  vient  inter- 
cepter le  passage  aux  autres. 

Le  frère  de  Cavalier  se  trouvait  du  nombre  de  ceux 
qui  étaient  passés  les  premiers.  C'était  un  enfant  de 
dix  ans,  qui  montait  un  étalon  de  la  Camargue,  et  se 
battait  comme  un  jeune  lionceau.  Il  se  retourne, cher- 
che des  yeux  son  frère,  et  le  voit  de  l'autre  côté  de  la 


HISTOIRE  DES    CAMISARDS  287 

rivière,  luttant,  avec  une  poignée  de  braves,  au  milieu 
d'une  multitude  d'ennemis  qui  veulent  l'avoir  vivant. 
Il  arrête  les  fuyards,  le  pistolet  à  la  main  :  «  Où  allez- 
vous  ?  leur  crie-t-il.  Retournez  renverser  les  dragons, 
sauvons  frère  Cavalier!...   » 

On  lui  obéit,  et  les  dragons,  pris  à  leur  tour  en  tête 
et  en  queue,  cèdent  le  passage  aux  derniers  débris  de 
l'insurrection  cévenole. 

Cavalier  était  sauvé,  mais  son  armée  n'existait  plus 
Dans  cette  journée,  il  avait  déployé  le  génie  d'un  gé- 
néral et  le  courage  héroïque  d'un  soldat.  Surpris  suc- 
cessivement par  quatre  corps  d'armée  dont  chacun  était 
plus  nombreux  de  beaucoup,  qu'ils  ne  l'étaient  en  tota- 
lité, ses  braves  et  lui  luttèrent  jusqu'à  la  fin.  Lorsqu'ils 
avaient  quelque  avance,  ils  tenaient  tête  à  l'ennemi, 
échangeaient  avec  lui  leurs  dernières  fusillades,  et 
quand  la  poudre  leur  manqua,  ils  le  repoussèrent  à 
coups  de  pierres. 

Cette  poignée  de  héros  avait  combattu  sur  un  champ 
de  bataille  de  plus  de  deux  lieues  d'étendue.  La  victoire 
resta  aux  gros  bataillons,  mais  certes  la  plus  large  part 
de  gloire  demeura  aux  vaincus.  La  perte  fut  égale  des 
deux  côtés. 

Cavalier,  rassemblant  autour  de  lui  les  restes  mutilés 
de  son  armée,  se  retira  vers  Pierredon,où  pendant  deux 
jours,  il  fut  rejoint  par  quelques  malheureux,  blessés  ou 
fugitifs,  qui  accouraient,  sans  armes,  mourant  de  faim, 
les  vêtements  en  désordre,  les  cavaliers  sans  chevaux, 
qu'ils  avaient  abandonnés  pour  franchir  les  fossés  de  la 
plaine  ou  les  escarpements  des  montagnes,  les  fan- 
tassins sans  chaussures,  qu'ils  avaient  jetées  pour  fuir 
plus  vite.  Se  sentant  poursuivi,  le  jeune  capitaine  tra- 
versa le  Gardon,  qui  roulait  dans  son  lit  ensanglanté  les 


288  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

cadavres  des  meilleurs  parmi  ses  compagnons,  et  cher- 
cha un  asile  dans  les  bois  d'Hieuset.  Mais  Dieu,  sans 
doute,  avait  fait  sonner  pour  lui  cette  heure  fatale  que 
connaissent  à  leur  tour  tous  ceux  qui  frappent  avec 
l'épée  :  rien  ne  lui  réussissait  plus,  il  doutait  de  son 
étoile,  l'extase  le  visitait  plus  rarement,  le  succès  n'ha- 
bitait plus  sous  sa  tente.  Lalande  l'y  poursuivit  avec 
mille  hommes,  qu'il  divisa  en  trois  petits  corps  pour 
être  plus  certain  que  les  Gamisards  ne  pourraient  lui 
échapper.  Chacune  de  ces  troupes  était  bien  plus  que 
suffisante  pour  accabler  ces  débris  expirants.  Surpris, 
ils  essayèrent  à  peine  une  défense  inutile,  et  se  disper- 
sèrent dans  la  profondeur  des  bois  d'Hieuset,  de  Va- 
quières  et  du  Bouquet,  où  il  n'était  plus  possible  de  les 
poursuivre. 

Dans  une  lettre  datée  du  «  Désert,  ce  19  avril  1704,  » 
Cavalier  annonça  à  son  père  le  désastre  qui  l'avait  frappé 
mais  sans  l'abattre:  «  ....Je  vous  prie,  lui  disait-il,  ne 
vous  inquiétez  en  rien;  priez  toujours  plus  instamment, 
car  cela  ne  m'a  en  rien  étonné.  Quoiqu'on  vous  ait  dit 
que  j'étais  blessé,  ne  le  croyez  pas.  Il  est  vrai  que  je  fus 
pris  à  la  mêlée  par  trois  dragons,  mais  Dieu  me  fit  la 
grâce  de  m'en  défaire,  et  je  les  tuai  tous  les  trois.  Enfin, 
c'est  pourquoi  nous  sommes  tous  ensemble,  et  nous 
avons  encore  beaucoup  de  grâces  à  rendre  à  Dieu,  c'est 
qu'il  nous  a  tiré  de  cette  terrible  affaire.  Quelque  monde 
qui  s'élève,  je  ne  crains  rien,  car  je  sais  que  Dieu  sera 
ma  garde.  Je  vous  prie  de  prier  pour  moi,  comme  je 
fais  pour  vous.  » 

Un  nouveau  désastre,  plus  terrible  encore  peut-être, 
vint  frapper  les  malheureux  religionnaires.  On  arrêta 
une  femme  âgée  que  l'on  voyait  se  diriger  souvent  vers 
le  bois,  passant  et  repassant  sans  cesse,  tantôt  avec  une 


.    HISTOIRE    DES    CAMISARDS  289 

corbeille  sur  la  tête,  tantôt  avec  un  panier  sous  le  bras. 
Corbeille  et  panier  étaient  pleins  à  l'aller,  et  vides  au 
retour.  On  l'interrogea,  et  il  fallut  la  conduire  jusqu'au 
pied  de  la  potence  pour  la  contraindre  à  parler.  Mais  là, 
son  courage  faiblit  ;  elle  consentit  à  marcher  à  la  tête 
d'un  régiment  de  dragons,  et  elle  guida  sa  marche  jusqu'à 
l'entrée  d'une  caverne  qu'il  eût  été  impossible  de  dé- 
couvrir sans  elle.  Les  catholiques  y  trouvèrent  une 
trentaine  de  Camisards  blessés,  qu'ils  assassinèrent 
sans  pitié.  Puis,  à  mesure  qu'ils  avançaient,  ils  décou- 
vrirent les  provisions  de  vivres,  les  amas  de  blés,  de 
vins,  de  châtaignes,  les  ingrédients  de  pharmacie,  les 
dépôts  d'armes,  de  vêtements,  le  matériel  de  leur  fa- 
brique de  poudre... 

Lalande,  après  avoir  tout  détruit,  jugea  que  les  dix 
ou  douze  villages  les  plus  voisins  avaient  dû  fournir 
surtout  à  ces  approvisionnements,  et  être  visités  souvent 
par  les  Camisards..  Pour  les  châtier  de  cette  complicité, 
volontaire  ou  forcée,  il  fit  tout  détruire,  tout  passer  au 
fil  de  l'épée,  sans  excepter  femmes  et  enfants. 


n 


290  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 


CHAPITRE  VIII 


Villars  cherche  à  désarmer,  par  de  trompeuses  promesses,  ceux 
que  l'on  n'a  pu  vaincre. —  Préliminaires  du  d2  mai  1704.  —  Ca-. 
valier  réclame  la  liberté  de  conscience,  l'élargissement  des  pri- 
sonniers et  galériens,  ou  la  liberté  de  quitter  la  France.  —  Con- 
férence de  Cavalier  avec  Villars.  —  Roland  refuse  de  suivre  Ca- 
valier dans  sa  défection.  —  Catinat,  Ravanel  abandonnent  Ca- 
valier, qui  ne  trouve  pas,  à  Versailles,  l'exécution  des  promesses 
qui  lui  ont  été  faites.  — Il  passe  au  service  de  l'Angleterre.  ■ 


Cependant  Villars  arrivait  dans  la  province,  accom- 
pagné du  baron  d'Aigaliers,  qu'il  avait  pris  en  passant  à 
Lyon,  et  avec  lequel  il  descendit  le  Rhône  jusqu'à  Beau- 
caire.  Bâville  et  le  clergé  vinrent  l'y  recevoir  et  cherchè- 
rent à  le  pousser  vers  les  moyens  extrêmes;  mais  il  avait 
promis  d'avoir  toujours  «  deux  oreilles  pour  écouter  les 
deux  partis.  » 

<(  Il  en  eut  besoin,  dit  d'Aigaliers  dans  ses  mémoires 
manuscrits  (1),  lorsque  Julien,  qui  commandait  en  Vi- 
varais,  nous  eut  joints  vis-à-vis  de  Tournon,  car  la  con- 
versation ayant  bientôt  roulé  sur  les  Camisards,  M.  de 
Julien  ne  manqua  pas  de  prendre  la  parole  et  de  dire 
dans  les  termes  d'un  homme  rpui  a  profondément  réfléchi 

(1)  D'Aigaliers,  Mémoires,  cité  par  Court,  t.  II,  p.  3268. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  291 

sur  la  matière,  et  qui  la  connaît  à  fond,  que  si  l'on  avait 
suivi  ses  conseils,  il  n'y  aurait  pas  un  seul  Camisard  dans 
la  province  ;  mais  que  pour  cela  il  n'aurait  pas  fallu  s'en 
tenir  aux  quatre  cents  villages  ou  hameaux  qu'il  avait 
fait  démolir  ou  brûler  dans  les  hautes  Cévennes,  mais 
qu'il  aurait  fallu  saccager  tous  les  autres  et  tuer  tous  les 
paysans  qu'on  eût  trouvés  à  la  campagne.  » 

D'Aigaliers,  sans  se  troubler,  maintint  avec  fermeté 
ses  projets  de  conciliation,  que  Julien  combattit  avec 
hauteur  et  mépris,  affirmant  qu'on  ne  trouverait  pas 
dans  toute  la  province  quatre  protestants  pour  y  prêter 
les  mains.  Villars  écoutait,  paraissait  indécis,  et  le  jeune 
gentilhomme  redoutait  qu'à  la  nouvelle  des  désastres  de 
Cavalier,  le  maréchal  n'inclinât  vers  les  voies  de  rigueur. 
Aussi,  à  leur  arrivée  à  Nîmes,  s'empressa-t-il  de  voir  les 
gentilshommes  les  plus  influents  de  son  parti,  et  de 
mettre  Villars  à  même  de  s'assurer  que  leur  concours  lui 
était  tout  acquis,  pour  mener  à  bien  l'œuvre  de  désar- 
mement qu'il  le  pressait  d'entreprendre. 

Pendant  ce  temps,  Villars  visitait  les  principales  villes, 
écoutant' interrogeant,  faisant  son  profit  de  tout,  tra- 
vaillé en  sens  contraire  par  d'Aigaliers  d'un  côté,  par 
Bâville,  Julien  et  Lalandede  l'autre,  parlant  un  langage 
ferme  et  sévère,  mais  sans  menaces  inutiles,  sans  colères 
folles,  sans  injures,  semant  au  besoin  de  vagues  pro- 
messes, qui  n'engageaient  encore  rien  ni  personne. 

Laissons  au  futur  vainqueur  de  Denain  le  soin  de 
nous  dévoiler  l'esprit  de  cette  guerre  odieuse.  Un 
pareil  témoin  ne  paraîtra  pas  suspect  : 

«Parmi  les  catholiques,  les  uns,  aveuglés  par  leur 
zèle,  trouvaient  du  danger  pour  la  religion  dans  tous  les 
adoucissements  qu'on  croyait  devoir  accorder  aux  héré- 
tiques, par  l'espérance  de  les  ramener;   d'autres,  en- 


292  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

traînés  par  leur  cupidité,  se  voyant  les  plus  nombreux 
et  les  plus  forts,  regardaient  le  bien  des  hérétiques  et 
même  des  nouveaux  convertis,  comme  une  proie  qui 
leur  était  due.  Il  n'y  avait  pas  en  eux  la  moindre  ombre 
de  charité  chrétienne  :  à  les  entendre,  il  n'y  avait 
d'autre  parti  à  prendre  que  de  tuer  tous  ces  gens-là,  du 
moins  de  les  chasser  du  pays  sans  distinction  ;  ils 
tenaient,  à  cet  égard,  des  propos  mêlés  de  menaces  qui 
revenaient  aux  révoltés  et  les  aigrissaient.  Enfin,  le  plus 
petit  nombre  était  de  ceux  qui  plaignaient  l'aveuglement 
des  hérétiques,  sans  leur  faire  de  mal,  ni  désirer  qu'on 
leur  en  fit  (1) ...  » 

«  Le  soldat  n'aimait  pas  cette  guerre,  parce  qu'il  fal- 
lait se  battre  contre  des  gens  déterminés,  parents  et  amis 
de  leurs  hôtes  ordinaires.  L'officier  la  détestait  et  re- 
doutait encore  davantage,  parce  qu'il  n'y  avait  ni  hon- 
neur ni  sûreté,  étant  réduit  à  faire  le  métier  de  prévôt  et 
d'archer,  dans  la  crainte  perpétuelle  des  représailles. 
Nous  découvrîmes  aussi  que  parmi  nos  commandants 
(ceux  surtout  qui  étaient  du  pays),  ily  en  avait  qui  crai- 
gnaient la  fin  de  la  guerre,  qui  leur  aurait  fait  perdre 
leur  petite  domination  ;  qui  écrivaient  aux  révoltés  des 
lettres  dures,  qui  leur  faisaient  croire  que  les  offres  de 
grâce  dont  ils  accompagnaient  leurs  menaces  n'étaient 
qu'un  leurre  pour  les  surprendre.  Nous  eûmes  lieu  de 
croire  que  quelques  massacres  qu'on  voulait  faire  passer 
pour  fortuits  avaient  été  ménagés  pour  intimider  et  éloi- 
gner plus  que  jamais  des  rebelles  qui  étaient  prêts  à  se 
rendre  (2)...  » 


(1)  Villars,  Mémoires,  p.  137.  —Voir  aussi  ses  lettres  à  Cha- 
millart  des  V,  12,  30  mai,  5,  18,  28  juin... 

(2)  Jd.,p.  138. 


histoire  des  camisards  293 

Villars  ne  fut  pas  longtemps  avant  de  se  convaincre 
que  c'étaient  surtout  «  les  supplices  les  plus  cruels,  sans 
grâce  aucune,  qui  portaient  les  Camisards  à  exposer  sans 
ménagement  dans  les  combats  une  vie  qu'ils  étaient  in- 
failliblement destinés  à  perdre  par  une  mort  ignominieuse 
et  cruelle  (1).  »  Aussi  se  décida-t-il  à  laisser  agir  d'Ai- 
galiers,  malgré  l'opposition  énergique  de  l'évêque  d'Uzès, 
porté,  comme  Bâville  et  les  autres,  aux  mesures  de  ri- 
gueur. 

«  C'était,  dit  d'Aigaliers  (2),  un  homme  qui  aimait  pas- 
sionnément tous  les  plaisirs,  la  musique,-  les  femmes  et  la 
bonne  chère.  11  avait  toujours  chez  lui  de  bons  musiciens, 
de  jolies  filles  dont  il  prenait  soin,  et  des  vins  excellents, 
qui  augmentaient  visiblement  sa  vivacité.  11  ne  sortait  ja- 
mais de  lable  sans  être  excessivement  animé,  et  alors  s'il 
imaginait  que  quelqu'un  de  son  diocèse  ne  fût  pas  aussi 
bon  chrétien  que  lui,  il  écrivait  à  M.  Bâville  pour  le 
faire  exiler...  » 

Une  autre  considération  poussait  Villars  vers  l'emploi 
des  moyens  diplomatiques.  A  peine  arrivé  sur  le  théâtre 
de  la  guerre,  il  avait  reçu  de  Cavalier  une  missive  dans 
laquelle  il  lui  répétaitune  fois  de  plus  qu'ils  se  défendaient 
sans  prétendre  attaquer,  et  qu'ils  déposeraient  les  armes 
aussitôt  qu'on  leur  aurait  accordé  la  liberté  de  con- 
science. Voici  les  principaux  passages  de  cette  lettre,  qui 
n'a  rien  de  littéraire,  mais  qui  cependant  ne  manque  pas 
d'une  certaine  grandeur  (3). 


(1)  Villars,  Mémoires,  p.  136. 

(2)  Cité  par  Court,  t.  II,  p.  337. 

(3)  Voir  Ernest  Moret,  Quinze  Ans  du  règne  de  Louis  XIV,  t.  I, 
p.  374. 


29-4  HISTOIRE   des  camisards 

«  Du  désert,  ce  dernier  avril   1704. 
«  Monseigneur, 

«  Ayant  appris  que  vous  n'étiez  pas  informé  de  notre 
demande,  quoique  plusieurs  fois  nous  en  avons  donné 
avis  à  la  cour;  mais  nous  craignons  que  ces  avis  ont  été 
cachés  à  Sa  Majesté  et  à  Votre  Grandeur,  j'ai  voulu 
mettre  derechef  la  main  à  la  plume  pour  vous  supplier 
d'accepter  cette  demande  pour  le  bien  et  la  prospérité 
du  royaume,  quiest  la  liberté  de  notre  conscience  et  la 
délivrance  des  prisonniers  et  de  tant  de  galériens  qui 
souffrent  injustementpour  avoir  voulu  soutenir  la  vérité. 
Nous  sommes  massacrés  pour  prier  Dieu,  comme  si  c'é- 
tait une  chose  mauvaise  de  servir  Dieu  suivant  la 
pureté  de  son  Évangile.  On  a  pillé  nos  biens,  démoli  nos 
maisons,  on  nous  a  exposés  à  des  souffrances  les  plus 
cruelles  du  monde,  et  voyant  cela,  nous  nous  sommes 
assemblés,  non  point  pour  résister  à  Sa  Majesté,  mais 
pour  nous  défendre  contre  ceux  qui  ont  voulu  nous  em- 
pêcher de  prier  Dieu. 

«  Sa  Majesté  nous  permettra  de  dire  que,  si  on  ne 
nous  accorde  cette  demande,  nous  souffrirons  plutôt 
toutes  les  souffrances  qu'il  plaira  à  Sa  Majesté  de  verser 
sur  nous,  que  d'abandonner  notre  loi...  Il  est  vrai  qu'on 
a  fait  entendre  à  notre  roi  que  nous  étions  des  rebelles 
et  des  meurtriers,  mais  plusieurs  mauvaises  choses  ont 
été  faites,  disant  que  c'était  les  rebelles  qui  faisaient  ces 
désordres,  qu'ils  étaient  commandés  par  Cavalier.  11  est 
vrai  que  dans  toutes  les  attaques  qu'on  nous  a  faites, 
j'ai  toujours  donné  mon  avis;  mais  pour  le  désordre,  je 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  295 

l'ai  toujours  défendu,  particulièrement  de  tuer,  ni  piller 
aucun  endroit  du  monde.  Quelque  méchanceté  qu'on 
nous  ait  fait,  j'ai  toujours  laissé  à  Dieu  la  vengeance, 
qui  la  rendra  à  chacun  selon  ses  œuvres  ;  mais  pour  vrai, 
je  n'abandonnerai  jamais  mes  armes  qu'on  ne  m'ait 
accordé  cette  demande,  qui  est  la  liberté  de  tout  le 
royaume.  Si  cela  est,  je  me  viendrai  remettre  très- 
volontiers  à  la  soumission  de  Sa  Majesté  avec  tous  ceux 
qui  veulent  continuer  la  vérité,  et  y  finir  nos  jours  pour 
son  service...  Je  prie  la  grandeur  de  votre  personne  de 
vouloir  jeter  les  yeux  sur  la  désolation  du  pays,  et 
donner  vos  ordres  pour  le  repos  du  monde  et  la  pros- 
périté du  royaume.  Car  tout  royaume  divisé  ne  peut  pas 
subsister;  ainsi  ce  royaume  ne  peut  pas  subsister  si  la 
paix  n'y  est.  » 

Muni  dune  commission  signée  le  4  mai  par  le  mare" 
chai,  d'Aigaliers  se  mit  donc  à  la  tête  de  quatre-vingts 
nouveaux  convertis,  et  alors  Bàville  et  Lalande,  pour  ne 
pas  lui  laisser  tout  l'honneur  du  succès,  si  l'entreprise 
réussissait,  dépêchèrent  vers  Cavalier  l'ancien  maître 
chez  lequel  il  avait  été  berger  autrefois,  nommé  La- 
combe,  qui  depuis  avait  conservé  son  amitié. 

Doué  d'un  sens  droit,  d'un  cœur  noble  et  généreux,  le 
jeune  chef  écouta  avec  quelque  complaisance  les  pre- 
mières ouvertures  qui  lui  étaient  faites,  mais  tout  en 
établissant  bien,  dès  le  principe,  «qu'ils  ne  mettraient  ja- 
mais les  armes  bas,  qu'on  n'eût  rétabli  dans  le  pays  les 
exerrices  de  leur  religion  (1).  » 

«  La  perte,  dit-il,  que  je  venais  de  faire  à  Nages  était 
d'autant  plus  considérable  qu'elle  était  irréparable, 
puisque  j'avais  perdu  tout  d'un  coup  une  grande  quan- 

(1)  Cavalier,  Mémoires,  p.  257  et  suiv. 


296  HISTOIRE    DES    CAM1SARDS 

tité  d'armes,  toute  ma  munition,  tout  mon  argent,  mais 
surtout  un  corps  de  soldats  faits  au  feu  età  la  fatigue,  et 
avec  lesquels  je  pouvais  tout  entreprendre.  Mais  ma  der- 
nière perte  (celle  de  ses  magasins)  était  la  plus  sensible* 
Elle  m'était  plus  fatale  que  toutes  celles  qui  l'avaient 
précédée  mises  ensemble,  parce  qu'auparavant  j'avais 
toujours  eu  quelque  ressource  pour  me  rétablir,  mais 
alors  je  n'en  avais  aucune.  Le  pays  était  désolé;  l'amitié 
de  nos  amis  refroidie,  leurs  bourses  épuisées;  cent 
bourgs  ou  villages  saccagés  et  brûlés;  toutes  les  prisons 
pleines  de  protestants;  la  campagne  déserte;  ajoutez  à ' 
cela  que  le  secours  d'Angleterre,  promis  depuis  si  long- 
temps, ne  venait  pas  et  que  le  maréchal  de  Villars  était 
arrivé  dans  la  province   avec  de  nouvelles  troupes.  » 

De  plus,  s'il  faut  en  croire  la  déposition  de  Claude 
Arnassan  (1),  ses  voix  lui  conseillaient  de  cesser  une 
^utte  qui  avait  causé  déjà  tant  d'horribles  désastres,  et 
qui  allait  fatalement  s'éteindre,  quand  il  n'y  aurait  plus 
de  combattants  pour  la  soutenir.  La  raison  ne  com- 
mandait-elle pas  de  traiter,  alors  que  l'on  étaitencoreen 
situation  de  discuter  les  conditions  de  la  paix? 

«  Une  fois,  dit  Claude  Arnassan,  comme  nous  étions 
près  de  tomber  dans  une  embuscade  de  nos  ennemis, 
sur  le  bord  du  Gardon,  l'un  de  nos  frères  en  fut  averti 
par  inspiration,  et  lEsprit  lui  fit  dire  que  nous  eussions 
à  prendre  un  autre  chemin.  Le  lendemain  nous  eûmes 
connaissance  certaine  du  danger  dont  nous  avions  été 
garantis. 

«  Un  autre  jour  le  frère  Cavalier,  aujourd'hui  colonel, 
tomba  en  extase  proche  du  petit  Saint-Hippolyte  en 
ma  présence,  et  de  huit  ou  dix  autres  qui  étaient  fort 

(l)  Théâtre  sacré  des  Cévennes,  p.  149. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  297 

proches  de  lui.  L'Esprit  lui  dit  :  «  Mon  enfant,  je  te  dis 
«  qu'on  te  fera  de  grandes  propositions  ;  mais  ne  te  fie 
«  point  à  eux.  »  Les  paroles  qu'il  prononça  ensuite 
m'échappèrent;  mais  je  me  souviens  qu'il  dit  encore 
«  ceci  :  «  Tu  -parleras  au  roi  » .  Je  suppose  qu'il  a  eu 
depuis  des  avertissements  positifs,  puisqu'il  a  traité  ;  car 
on  ne  faisait  rien  qui  fût  de  quelque  conséquence  dans 
nos  troupes  sans  la  direction  des  inspirations. 

«  Le  combat  où  le  fameux  partisan  Poul  fut  tué  avait 
été  prédit  en  ma  présence,  le  matin  du  jour  même,  par 
le  chef  Cavalier  et  par  un  autre  frère  de  la  troupe,  lors- 
qu'il n'y  avait  aucune  apparence  que  cette  bataille  se 
donnerait.  M.  Cavalier  était  dans  le  château  deCandiac, 
l'Esprit  lui  dit  que  nous  aurions  unhomme  tué  et  deux 
blessés  ;  ce  qui  arriva.  » 

—  ...  «  Tu  parlera*  au  roîfnSi  l'on  veut  bien  songer 
au  prestige  prodigieux  qui  entourait  l'orgueilleux  mo- 
narque que  depuis  cinquante  années  la  France  entière 
adorait  à  genoux,  on  comprendra  que  ces  mots  devaient 
chatouiller  l'orgueil  du  petit  pitot  languedocien,  comme 
la  prédiction  des  sorcières  de  Macbeth.  Pauvre  berger 
des  Cévennes,  avoir  vingt-deux  ans,  traiter  d'égal  à  égal 
avec  le  plus  illustre  capitaine  du  royaume,  aller  àVer- 
sailles,  voir  le  roi;  octroyer  à  ses  frères  la  liberté  de 
conscience,  obtenir  de  Louis  XIV,  à  la  place  de  ses 
bandes  déguenillées  et  indisciplinées,  un  beau  régiment 
à  la  tête  duquel  il  marcherait  à  la  gloire  et  à  l'immor- 
talité!... Certes,  un  tel  rêve  était  fait  pour  tourner  une 
tète  plus  mûre  quenel'étaitcelle  du  jeune  héros  cévenol. 

Sur  le  rapportquelui  fitLacombe,  de  Lalande  lui  écri- 
vit pour  lui  proposer  une  entrevue.  Cavalier  chargea 
Catinat  de  lui  porter  sa  réponse.  Celui-ci  accepta  sans 
crainte  cette  mission  épineuse,  et  se  présenta  devant  le 

17. 


2(J8  nisTOiiu:  des  camisards 

lieutenant  de  Villars,  non  comme  un  rebelle  et  un  sup- 
pliant, mais  comme  un  général  d'armée  en  conférence 
avec  un  général  ennemi. 

—  Je  suis  Gatinat,  lui  dit-il,  commandant  de  la  cava~ 
lerie  de  Jean  Cavalier. 

—  Quoi  !  s'écria  Lalande,  vous  êtes  ce  Gatinat  qui  a 
massacré  tant  de  gens  sur  le  territoire  de  Beaucaire  ? 

—  Oui,  répondit  Gatinat,  c'est  moi  qui  ai  fait  ce  que 
vous  dites,  et  j'ai  cru  le  devoir  faire.  On  nous  attaquait 
avec  la  torche  et  le  poignard,  nous  nous  sommes  dé- 
fendus avec  les  mêmes  armes  qu'on  employait  contre 
nous. 

—  Vous  êtes  bien  hardi,  reprit  Lalande,  d'oser  paraître 
devant  moi  ! 

—  J'y  suis  venu  sans  crainte,  repartit  Gatinat,  sous  la 
sauvegarde  de  la  foi  jurée,  et  sur  la  parole  que  frère  Ca- 
valier m'a  donnée  qu'il  ne  me  serait  fait  aucun  mal. 

—  Et  il  a  eu  raison,  répondit  Lalande.  Retournez  vers 
lui  ;  assurez-le  que  dans  deux  heures  je  me  rendrai  au 
pont  d'Avènes  avec  trente  dragons  seulement  et  quel- 
ques officiers.  Qu'il  s'y  trouve  en  nombre  égal,  et  nous 
verrons  à  nous  entendre  ! 

C'était  le  12  mai.  La  conférence  dura  deux  heures. 
Lalande  s'était  fait  accompagner  du  jeune  frère  de  Cava- 
lier, qui  était  détenu  depuis  quelques  jours  dans  les 
prisons  d'Alais.  Ils  se  précipitèrent  dans  les  bras  l'un  de 
l'autre,  et  confondirent  pendant  quelques  instants  leurs, 
larmes.  «  C'est  le  roi  quivous  le  rend  !  »  dit  Lalande.  Puis- 
il  pressa  Cavalier  de  formuler  ses  demandes. 

—  Nous  voulons  trois  choses,  répondit  celui-ci  :  la 
liberté  de  conscience  ;  la  délivrance  de  tous  ceux  qui 
sont  détenus  pour  cause  de  religion  dans  les  prisons  ou 
sur  les  galères  ;  et  enfin,  si  les  deux  premières  grâces. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  299 

nous  sont  refusées,  que  Ton  nous  laisse  sortir  librement 
du  royaume. 

Lalande  n'espérait  pas  que  l'orgueil  du  roi-soleil  lui 
permît  de  céder  jamais  sur  les  deux  premiers  points.  Il 
arrêta  donc  l'attention  de  Cavalier  sur  le  troisième,  et 
lui  demanda  pour  combien  de  ses  coreligionnaires  il  ré- 
clamait cette  liberté  de  l'exil  :  «  Pour  dix  mille  !  répliqua 
Cavalier,  —  Impossible  !  interrompit  Lalande.  On  con- 
sentirait peut-être,  si  vous  vous  contentiez  de  deux 
mille.  » 

Cavalier  maintint  ses  exigences.  Lalande  dit  qu'il  en 
rendrait  compte  au  maréchal,  et  avant  de  se  retirer,  il 
jeta  quelques  poignées  d'or  à  ceux  qui  entouraient  le 
jeune  chef,  pourboire,  dit-il,  à  la  santé  du  roi.  Cavalier 
l'arrêta  d'un  geste  rapide  :  «  Nous  ne  demandons  pas 
d'or,  lui  dit-il,  mais  la  liberté  de  conscience  !  —  Il  ne 
dépend  pas  de  moi  de  vous  l'accorder,  répondit  Lalande, 
soumettez-vous  en  attendant  aux  volontés  du  roi.  — 
Nous  sommes  prêts  à  obéir,  reprit  Cavalier,  s'il  daigne 
accéder  à  nos  justes  demandes,  sinon  nous  mourrons 
jusqu'au  dernier  homme,  les  armes  à  la  main,  plutôt  que 
de  nous  voir  exposés  de  nouveau  aux  cruelles  violences 
qu'on  nous  fait  souffrir.  » 

Le  lendemain,  le  baron  d'Aigaliers  vint  trouver  Cava- 
lier a  Saint- Jean-de-Ccyrargues.  C'était  la  première  fois 
que  ces  deux  jeunes  hommes  se  rencontraient.  Ils 
échangèrentune  chaudeaceolade,  les  deuxtroupes  se  con" 
fondirent,  et  Camisards  et  nouveaux  convertis  mêlèrent 
leurs  voix  pour  entonner  des  psaumes.  Le  gentilhomme 
obtint  du  chef  révolté  de  persévérer  de  plus  en  plus  dans 
des  projets  de  transaction  dont  celui-ci  ne  sentait  que 
trop  bien  la  nécessité. 

Ce  fut  sans  doute  pressé  par  d'Aigaliers  qu'il  écrivit  à 


300  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Yillars  la  lettre  suivante,  beaucoup  trop  humble  pour  la 
circonstance,  et  dans  laquelle  il  avait  le  tort  grave  de  ne 
pas  rappeler  les  demandes  des  protestants  : 

«  Monseigneur, —  quoique  je  me  donnaihier  l'honneur 
de  vous  écrire,  je  ne  saurais  m'empècher  de  recourir 
encore  à  Votre  Excellence  pour  vous  supplier  très-hum- 
blement de  m'accorder  la  grâce  de  votre  protection, 
pour  moi  et  pour  ma  troupe,  qui  brûlons  d'un  zèle 
ardent  de  réparer  la  faute  que  nous  avons  commise  en 
prenant  les  armes  :  non  pas  contre  le  roi,  comme  nos 
ennemis  nous  l'ont  voulu  imputer,  mais  pour  défendre 
nos  vies  contre  nos  persécuteurs,  qui  les  ont  attaquées 
avec  une  si  grande  animosité,  que  nous  n'avons  pas  cru 
que  ce  fût  par  ordre  de  Sa  Majesté.  Nous  savons  qu'il 
est  écrit  dans  Saint-Paul  que  les  sujets  doivent  être 
soumis  â  leurs  souverains.  Si  malgré  ces  protestations 
très-sincères  le  roi  demande  notre  sang,  nous  serons 
prêts  dans  un  peu  de  temps  à  remettre  nos  personnes 
à  sa  justice,  ou  à  sa  clémence. 

«  Nous  nous  estimerons  très  heureux,  Monseigneur, 
si  Sa  Majesté  touchée  de  notre  repentir,  à  l'exemple  du 
grand  Dieu  de  miséricorde  dont  elle  est  l'image  vivante 
sur  la  terre,  nous  veut  faire  la  grâce  de  nous  pardonner 
et  de  nous  recevoir  à  son  service.  Nous  espérons  que 
par  notre  fidélité  et  par  notre  zèle,  nous  acquerrons 
l'honneur  de  votre  protection,  et  que  sous  un  illustre  et 
bienfaisant  général  tel  que  vous,  Monseigneur,  nous 
nous  ferons  gloire  de  répandre  notre  sang  pour  les  inté- 
rêts du  roi.  C'estpar  laque  je  souhaite  aussi  qu'il  plaise 
à  Votre  Excellence  de  permettre  que  je  me  dise  avec  un 
profond  respect  et  une  profonde  soumission,  Monsei- 
gneur, votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur, 

Cavalier.  » 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  301 

Il  est  permis  de  croire  que,  pour  obtenir  de  Cavalier 
cet  acte  de  faiblesse,  d'Aigaliers  avait  fait  miroiter  de- 
vant les  yeux  du  jeune  Cévenol  l'espérance  d'une  en- 
trevue avec  le  maréchal  lui-même.  Et  en  effet,  il  ma- 
nœuvra avec  une  telle  habileté,  que  Villars  consentit  à 
cette  conférence  étrange,  d'autant  plus  facilement, 
d'ailleurs,  que  deux  échecs  successifs  essuyés  par  les 
troupes  catholiques  démontraient  trop  bien  que  les  Ca- 
misards  n'étaient  ni  abattus  par  le  désastre  de  Cavalier, 
ni  hors  d'état  de  soutenir  encore  cette  lutte  sanglante. 

Le  jour  môme  de  l'entrevue  de  celui-ci  avec  Lalande, 
le  comte  de  Tournon  était  parti  de  Florac,  où  il  comman- 
dait, à  la  tête  de  trois  cents  miquelets.  Roland,  qui  aban- 
donnaitvolontiers  à  son  jeune  ami  le  rôle  le  plusbrillant 
pour  ne  se  montrer  que  dans  les  occasions  décisives, 
Roland  sut  attirer  le  comte  dans  la  plaine  de  Fond-Morte, 
le  tailla  en  pièces,  lui  tua  deux  cents  hommes  et'  beau- 
coup d'officiers,  et  chargea  vingt-quatre  mulets  de  butin. 
Par  cette  dure  leçon,  l'impénétrable  chef  des  révoltés 
donnait  assez  clairement  à  entendre  qu'il  prétendait  se 
tenir,  jusqu'à  nouvel  ordre,  en  dehors  de  tout  ce  que 
faisait  Cavalier,  et  qu'il  se  réservait  d'intervenir  à  la  der- 
nière heure,  suivant  que  le  dénouement  serait,  ou  ne 
serait  pas,  tel  que  le  parti  protestant  le  désirait.  Enfin, 
quelques  jours  après,  Joanny,  dans  un  défilé  au-dessus 
du  hameau  de  Calberte,  massacra  un  détachement  de 
quarante  royalistes  qui  accompagnait  des  fourrageurs. 

Grâce  à  la  tolérance  de  Villars,  Cavalier  circulait 
librement  et  sans  être  inquiété  ;  il  recevait  les  officiers 
catholicpes,  sa  troupe  logeait  par  étapes,  et  ils  allaient 
par  le  pays,  prêchant,  chantant  des  psaumes  et  accom- 
plissant, au  grand  scandale  du  clergé,  tous  les  actes 
extérieurs  du  culte  proscrit. 


302  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Enfin  Villars  fit  proposer  à  Cavalier  la  conférence 
que  celui-ci  espérait,  et  qu'il  n'avait  garde  de  refuser. 
Le  lieu  du  rendez-vous  fut  le  jardin  des  Récollets  de 
Nîmes,  situé  hors  de  la  ville,  entre  les  portes  de  la 
Boucairie  et  de  la  Madeleine,  abrité  par  de  grands  arbres 
et  entouré  de  hautes  murailles. 

C'est  le  15  mai  170i.  De  Langlade,  où  il  avait  passé 
la  nuit,  Cavalier  se  dirigea  sur  Nîmes.  Entre  Caveirac  et 
Saint-Cézaire,  il  rencontra  Lalande,  qui  s'avançait  de 
son  côté.  On  échangea  des  otages,  puis,  après  avoir 
placé  ses  sentinelles  et  disséminé  sa  troupe  aux  environs 
de  la  ville,  le  jeune  héros  cévenol  y  fit  son  entrée  ac- 
compagné de  son  frère,  qui  montait  avec  grâce  son 
petit  étalon  de  la  Camargue,  de  d'Aigaliers,  de  Lacombe, 
de  Daniel  Billard,  son  favori,  et  de  dix-huit  de  ses 
gardes  à  cheval,  sous  la  conduite  de  Catinat. 

Villars  l'attendait  en  causant  avec  Bâville,  Lalande 
et  Sandricourt,  gouverneur  de  Nîmes  :  «  La  conférence 
que  vous  allez  avoir  avec  Cavalier,  dit  celui-ci  au  ma- 
réchal, sera  remarquable  dans  l'histoire,  et  ceux  qui 
viendront  après  nous  seront  surpris  d'apprendre  qu'un 
homme  tel  que  Cavalier,  de  la  lie  du  peuple,  et  qui  ne 
s'est  fait  connaître  que  par  des  crimes  et  par  sa  révolte 
contre  son  roi,  parvienne  à  faire  sa  paix  avec  son  sou- 
verain, et  qu'elle  se  traite  aujourd'hui  dans  une  confé- 
rence entre  ce  misérable  et  le  maréchal  de  Yillars. 

—  Vos  réflexions  sont  justes,  à  ne  regarder  ceci  que 
par  l'extérieur,  répondit  le  maréchal  ;  mais  il  s'agit  des 
sujets  du  roi,  qui  sont  fomentés  et  soutenus  par  les 
ennemis  de  Sa  Majesté,  pour  diviser  ses  forces  par  les 
troupes  qu'elle  est  obligée  d'avoir  dans  cette  province  : 
ce  qui  procure  un  avantage  aux  ennemis,  ou  du  moins 
diminue  ceux  que  le  roi  peut  avoir  sur  eux.  D'ailleurs 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  303 

1  est  question  de  gens  fous  et  aliénés  qu'on  ne  peut  ra- 
mener à  leur  devoir  que  par  des  démarches  extérieures 
et  inespérées,  qui  puissent  les  flatter  et  les  toucher  ;  et 
il  est  toujours  digne  d'un  grand  roi  d'user  envers  ses 
sujets  plutôt  de  clémence  que  de  rigueur.  Plus  le  sujet 
-est  bas  et  abject,  et  plus  la  générosité  y  est  grande  ; 
et  pour  un  général,  il  est  aussi  glorieux  de  pacifier  les 
guerres  civiles  que  de  vaincre  les  ennemis  de  l'État.  » 
C'étaient  là  de  nobles  paroles  et  de  généreux  senti- 
ments, peu  faits  pour  être  compris  par  ses  trois  inter- 
locuteurs. Là  voix  du  maréchal  fut  couverte  par  les 
acclamations  d'un  peuple  immense  qui  se  pressait 
pour  contempler  les  traits  de  celui  dans  la  personne 
duquel  triomphait,  pour  un  moment,  la  cause  protes- 
tante. «  Il  n'y  aurait  pas  eu  un  plus'  grand  concours  si 
c'eût  été  le  roi,  »  dit  Louvreleuil  avec  amertume  (1). 
Ses  longs  cheveux  blonds  flottant  sur  ses  épaules 
étaient  abrités  sous  un  chapeau  que  surmontait  une 
plume  blanche.  Monté  sur  le  brillant  coursier  qu'il 
avait  pris  naguère,  à  Saint-Chatte,  au  colonel  de  la 
Jonquière,  il  était  vêtu  d'un  justaucorps  de  drap  gris 
clair,  d'une  veste  et  d'une  culotte  écarlates  ;  les  extré- 
mités d'une  cravate  de  mousseline  richement  brodée 
retombaient  sur  sa  poitrine.  Chacun  voulait  admirer 
ce  grand  général  de  vingt-deux  ans,  qui  venait  de  tenir 
en  échec  deux  maréchaux  de  France,  et  qui,  capitaine, 
orateur  et  prophète  à  la  fois,  avait  causé  plus  d'une 
nuit  d'insommie  au  grand  roi  lui-même. 

La  garde  du  maréchal  était  rangée  sur  une  ligne 
d'un  des  côtés  de  la  porte  ;  Cavalier  disposa  la  sienne  en 
face,  et  delà  même  manière. 

(1)  Le  Fanatisme  renouvelé,  t.  III,  p.  114. 


3(M  HISTOIRE    DKS    CAMISARDS 

A  la  vue  de  cet  homme  dont  l'aspect  juvénile  contras- 
tait si  étrangement  avec  les  grandes  choses  qu'il  avait 
accomplies  depuis  deux  années,  Bàville  et  Villars  échan- 
gèrent un  regard  dans  lequel  se  peignait  leur  profonde 
surprise,  llsnepouvaientcomprendre  l'ascendant  prodi- 
gieux que  cet  homme,  si  jeune,  de  petite  taille,  de  ché- 
tive  apparence,  avait  su  prendre  sur  des  bandes  révoltées, 
qui  obéissaient  en  esclaves  à  une  parole  de  sa  bouche, 
à  un  geste  de  sa  main.  Villars  surtout  était  émerveillé 
du  mérite  militaire  qu'il  avait  déployé  dans  cette  lutte 
désespérée,  mérite  qui  eût  fait  honneur  à  un  vieux 
général. 

«  C'est  un  homme  du  plus  bas  étage,  écrivait-il  quel- 
ques jours  après,  qui  n'a  pas  vingt-deux  ans  et  n'en 
paraît  pas  dix-huit,  petit,  et  aucune  mine  qui  impose, 
qualité  nécessaire  pour  les  peuples  ;  mais  une  fermeté 
et  un  bon  sens  surprenants.  Je  vous  conterai  ce  trait. 
Il  est  certain  que  pour  contenir  ses  gens,  il  en  faisait 
souventmourir;  etjelui  demandais  hier:  «  Est-il  possible 
qu'à  votre  âge,  et  n'ayant  pas  un  long  usage  du  com- 
mandement, vous  n'eussiez  aucune  peine  à  ordonner 
souvent  la  mort  de  vos  propres  gens?  —  Non,  monsieur, 
me  dit-il,  quand  elle  me  paraissait  juste.  — Mais  de  qui 
vous  serviez-vous  pour  la  donner?  — Du  premier  à  qui 
je  l'ordonnais,  sans  qu'aucun  ait  jamais  hésité  à  suivre 
mes  ordres.  »  Je  crois,  monsieur,  que  vous  trouverez 
cela  surprenant.  D'ailleurs  il  a  beaucoup  d'arrangement 
pour  ses  subsistances,  et  dispose  aussi  bien  ses  troupes 
pour  une  action  que  des  officiers  bien  entendus  pour- 
raient le  faire.  C'est  un  bonheur  si  je  leur  ôte  un  pareil 
homme  (l).  » 


(1)  Villars,  Mémoires,  p.  139. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  305 

Dans  cette  conférence  mémorable,  chaque  personnage 
conserva  son  caractère.  Bàville  se  montra  furieux,  em- 
porté, dur,  implacable;  Cavalier,  digne  et  fier;  Villars, 
habile  et  conciliant.  Ce  dernier,  pour  épargner  à  son 
adversaire  les  embarras  d'une  situation  difficile,  lui 
adressa  quelques  paroles  gracieuses,  auxquelles  il  ré- 
pondit de  son  mieux. 

L'impétueux  Bàville  se  sentait  profondément  humilié 
du  rôle  que  la  condescendance  du  maréchal  lui  impo- 
sait. 

—  Le  roi,  s'écria-t-il,  est  bien  bon  de  s'abaisser  à 
traiter  avec  un  rebelle  tel  que  vous  ! 

—  Si  c'est  là  tout  ce  que  l'on  veut  me  dire,  répliqua 
vivement  Cavalier,  ce  n'était  pas  la  peine  de  me  faire 
venir,  et  je  suis  prêt  à  me  retirer.  Mais  si  nous  avons 
pris  les  armes,  sachez,  monsieur,  que  c'est  vous,  que  ce 
sont  vos  cruautés,  votre  tyrannie  qui  nous  ont  poussés 
à  bout  et  qui  en  sont  cause. 

Plus  calme  et  plus  parlementaire,  Villars  s'empressa 
de  ramener  à  lui  la  direction  de  l'entrevue  : 

—  C'est  à  moi  que  vous  avez  affaire,  lui  dit-il,  et  je 
vous  demande  de  me  faire  connaître  ce  que  vous  dé- 
sirez. 

—  Je  l'ai  dit  déjà,  il  y  a  trois  jours,  au  général  de 
Lalande,  qui  est  auprès  de  vous.  Nous  n'avons  rien  à  y 
ajouter  ni  à  en  retrancher.  Nous  demandons  la  liberté 
de  conscience,  la  liberté  des  protestants  en  prison  ou 
aux  galères,  ou  bien  la  liberté  de  vendre  ce  que  nous 
possédons  et  de  passer  à  l'étranger. 

—  Ne  parlons  pas  de  religion  !  s'écria  Bàville.  Le  roi 
daigne  vous  pardonner  ;  vous  devez  le  remercier  à  deux 
genoux,  et  il  n'y  a  ni  condition  à  faire,  ni  article  à  dis- 
cuter. 


,30C>  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

—  Ce  sont  précisément  ces  articles-là  qui  nous  ont 
mis  les  armes  à  la  main,  repartit.  Cavalier,  et  ce  n'est 
pas  pour  moi  seul  que  j'agis  ici.  J'y  soutiens  les  intérêts 
de  mes  frères  et  de  mes  amis  qui  me  les  ont  confiés  ;  et 
d'ailleurs,  les  choses  ont  été  portées  trop  loin  pour  qu'il 
nous  reste  d'autre  parti  :  ou  de  mourir  jusqu'au  dernier 
les  armes  à  la  main,  ou  d'obtenir  l'objet  de  nos  justes 
demandes. 

Cavalier  se  sentait  de  force  à  tenir  tête  à  Villars  lui- 
même  sur  un  champ  de  bataille  ;  mais  dans  les  conseils, 
le  rusé  général  devait  battre  facilement  son  jeune  rival. 
Il  fit  d'abord  briller  devant  ses  yeux  la  perspective  de 
servir  Louis  XIV  comme  colonel  d'un  régiment  formé  de 
ses  coreligionnaires,  au  lieu  d'aller  traîner  à  l'étranger 
son  exil  volontaire  et  de  s'ensevelir  dans  l'obscurité. 
Puis  après  avoir  fait  de  vagues  promesses  au  sujet  des 
protestants  qui  gémissaient  sur  les  galères,  il  sut 
ajourner  la  difficulté  en  le  priant  de  formuler  par  écrit 
ses  demandes  pour  qu'il  les  soumît  à  l'approbation  de 
la  cour. 

—  Que  le  roi  accède  à  nos  justes  réclamations,  répon- 
dit Cavalier,  et  jamais  Sa  Majesté  n'aura  eu  de  plus 
fidèles  sujets  que  nous. 

Pendant  l'entretien,  Lalande  appuyait  familièrement 
son  bras  sur  l'épaule  du  jeune  Cévenol.  «  Adieu,  Sei- 
gneur Cavalier  !  »  lui  dit  Villars  en  le  congédiant.  Et  ce- 
lui-ci, après  être  resté  à  causer  pendant  quelques  ins- 
tants avec  différentes  personnes  de  l'état-major  du  ma- 
réchal, se  retira  et  reprit  sa  marche  triomphale  à  tra- 
vers la  ville.  Les  dames  se  pressaient  sur  sa  route,  heu- 
reuses de  lui  serrer  la  main.  La  belle  duchesse  de  Villars 
elle  même  voulut  qu'il  lui  fût  présenté.  Enfin,  précédé 
de  quelques-uns  de  ses  hommes  qui,  le  sabre  à  la  main, 


HISTOIRE    DES    CAMISABBS  307 

faisaient  ranger  la  foule  sur  son  passage,  il  fut  finir  mo- 
destement sa  journée  chez  le  jardinier  Guy  Billard,  le 
père  du  prophète  Daniel  Billard,  son  ami. 

Cavalier  se  retira  dans  la  petite  ville  de  Calvisson,  et 
partout,  dans  le  Vaunage,  les  protestants  enivrés  se  ré- 
unirent sur  les  débris  de  leurs  temples  renversés,  chan- 
tant des  cantiques  de  paix,  écoutant  les  discours  des 
prédicants,  admirant  lesjcxtascs  des  prophètes.  Bâville 
hurlait  de  rage,  et  le  clergé  grondait  sourdement. 

«  La  cessation  des  meurtres  et  des  incendies,  écrivait 
l'évcque  de  Nîmes  (1),  la  paix  et  la  tranquillité  de  la 
province,  estime  fin  très-souhaitable;  mais  il  faut  pas- 
ser par  des  moyens  bien  désagréables  et  tristes  pour  la 
religion.  Nous  avons  vu  Cavalier  jusqu'à  nos  portes  : 
son  entrevue  avec  M.  le  maréchal  et  M.  de  Bâville  ;  ses 
soumissions,  ses  fiertés,  la  hardiesse  des  scélérats  qui 
l'accompagnent,  l'assemblée  de  tant  de  meurtriers  im- 
punis, le  concours  des  nouveaux  convertis  qui  les  veut 
voir,  les  psaumes  qu'ils  chantent  et  dont  toute  la  Vau- 
nage retentit  ;  les  prêches  qu'ils  font,  où  ils  débitent 
mille  extravagances  applaudies  de  tous  les  peuples  ;  les 
prophètes  et  les  prophétesses  qui  s'élèvent  parmi  eux  en 
grand  nombre,  et  qui  jettent  dans  les  esprits  faibles  les 
espérances  du  prochain  rétablissement  de  leur  reli- 
gion :  tout  cela  scandalise  et  afflige  fort  les  catholiques, 
et  nous  paraît  bien  triste  à  supporter.  Mais  le  désir  de 
remettre  l'exercice  de  la  religion  catholique  et  la  crainte 
qu'on  a  de  rompre  cette  paix  qu'il  semble  que  Dieu 
nous  présente,  nous  font  dissimuler  bien  des  choses 
qu'on  aurait  autrefois  punies,  et  ménager  ces  gens  qui, 


(i)  Fléchier,  lettre  du  2î  mai  1704. 


308  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

dans  le  temps  qu'ils  se  soumettent  au  roi,  contrevien- 
nent à  toutes  ses  ordonnances.  » 

«  Chacun  croit  rêver,  dit  l'abbé  Gilles  Bégault,  secré- 
taire de  l'évêché,  de  voir  qu'en  un  moment  les  choses 
changent  d'une  manière  si  extraordinaire  et  qu'un 
gueux,  qu'un  petit  marmot,  car  Cavalier  n'a  pas  plus  de 
vingt  ans  et  n'en  paraît  que  seize,  avec  la  mine  d'un 
enfant  ou  d'un  petit  écolier,  traite  comme  de  couronne 
à  couronne  avec  le  roi,  par  l'entremise  de  maréchaux 
de  France,  et  que  les  plus  scélérats  que  l'enfer  ait 
jamais  vomis,  noircis  des  crimes  et  des  attentats  les 
plus  affreux,  viennent  hardiment  dans  Nîmes,  sous  la 
protection  des  puissances,  avec  otages  et  sauvegardes  ; 
que  des  malheureux  qu'on  devait  s'attendre  à  voir  sur 
une  roue  ou  sur  un  bûcher  paraissent  hardiment  armés, 
à  la  face  d'une  infinité  de  gens  dont  ils  ont  brûlé  les 
biens,  massacré  les  pères,  les  mères,  les  frères  !  ...  Mais 
il  est  question  de  la  plus  maudite  affaire  qu'dn  ait 
jamais  vue  (1)  !  » 

C'étaient  chaque  jour,  entre  d'Aigaliers,  Bâville  et 
Villars  de  nouvelles  difficultés  :  «  Il  faut  que  ces  gens- 
là  partent  1  répétait  sans  cesse  l'intendant.  Les  laisser 
plus  longtemps  à  Calvisson,  cela  ne  se  peut  point.  L'état 
est  trop  tendu.  Souffrir  des  gens  qui  s'assemblent  tous 
les  jours  quatre  ou  cinq  mille  personnes,  pour  chanter, 
prêcher  et  prophétiser  ! 

—  C'est  quelque  chose  de  bien  ridicule,  interrompit 
Villars,  que  l'impatience  que  les  prêtres  témoignent  à 
ce  sujet.  J'ai  reçu  je  ne  sais  combien  de  lettres  remplies 


(l)  Lettres  de  Gilles  Bégault,  chanoine  et  archidiacre  de  la  ca- 
thédrale de  Nîmes;  publiées  par  Léonce  Anquez,  dans  le  Bulletin 
du  Protestantisme  français. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  309 

de  plaintes,  comme  si  les  prières  des  Camisards  écor- 
chaient  non-seulement  les  oreilles,  mais  la  peau  de 
tout  le  clergé.  Je  voudrais  de  tout  mon  cœur  savoir  qui 
sont  ceux  qui  m'ont  écrit,  et  qui  n'ont  eu  garde  de 
signer,  pour  leur  faire  donner  la  bastonnade.  Car  je 
trouve  que  c'est  une  impudence  bien  grande,  que  ceux 
qui  ont  causé  ces  désordres  se  plaignent  et  désapprou- 
vent les  moyens  dont  on  se  sert  pour  les  faire  cesser  (1).  » 
A  l'issue  de  la  conférence  avec  le  maréchal,  Cavalier 
s'était  retiré  pour  rédiger  les  demandes  de  son  parti. 
Elles  revinrent  bientôt  de  la  cour  (22  mai),  avec  les  ré- 
ponses qui  avaient  été  faites  à  chaque  article  : 


Très-uumble  requête  des  réformés  du  Languedoc 
au  Roi. 

I.  Qu'il  plaise  au  roi  de  nous  accorder  la  liberté  de 
conscience  dans  toute  la  province,  et  d'y  former  des  as- 
semblées religieuses,  dans  tous  les  lieux  qui  seront 
jugés  convenables,  hors  des  places  fortes  et  des  villes 
murées. 

(Accordé,  à  condition  qu'ils  ne  bâtiront  point  d'églises). 

II.  Que  tous  ceux  qui  sont  détenus  dans  les  prisons,  ou 
sur  les  galères,  pour  cause  de  religion  depuis  la  révoca- 
tion de  l'édit  de  Nantes,  soient  mis  en  liberté  dans  l'es- 
pace de  six  semaines,  à  compter  de  la  date  de  la  présente 
requête. 

(Accordé,) 
(1)  D'Aigaliers,  Mémoires.  —  Court,  t.  II,  p.  400. 


310  HISTOIRE   ni;s  CAMISAIIDS 

III.  Qu'il  soit  permis  à  tous  ceux  qui  ont  abandonné 
le  royaume  pour  cause  de  religion  d'y  revenir  librement 
et  sûrement;  et  qu'ils  y  soient  rétablis  dans  tous  leurs 
biens  et  privilèges. 

(Accordé,  à  condition  qu'ils  prêtent  serment  de  fidélité 
au  Roi.) 

IV.  Que  le  parlement  du  Languedoc  soit  rétabli  sur 
son  ancien  pied,  et  dans  tous  ses  privilèges. 

(Le  Roi  y  avisera). 

V.  Que  la  province  soit  exempte  de  capitation  pour 
dix  ans. 

(Refusé.) 

YI.  Que  les  villes  de  Montpellier,  de  Perpignan,  de 
Cette  et  d'Aigues-Mortes  nous  soient  accordées  et  remises 
comme  nos  villes  de  sûreté. 

(Refusé.) 

YII.  Que  les  habitants  des  Gévennes  dont  les  maisons 
ont  été  brûlées  ou  détruites  pendant  la  guerre  soient 
exempts  d'impôts  pour  sept  ans. 

(Accordé.) 

VIII.  Qu'il  plaise  à  Sa  Majesté  de  permettre  à  Cavalier 
de  choisir  deux  mille  hommes,  tant  des  gens  de  sa  troupe 
que  de  ceux  qui  seront  délivrés  des  prisons  et  des  galères , 
pour  lever  et  former  un  régiment  de  dragons  au  service 
de  Sa  Majesté,  qui  ira  servir  en  Portugal  et  qui  recevra 
immédiatement  les  ordres  de  Sa  Majesté. 

(Accordé  ;  et  moyennant  que  tous  mettent  bas  les 
armes,  le  roi  leur  permettra  de  vivre  tranquillement  dans 
le  libre  exercice  de  leur  religion.) 

En  vertu  du  plein  pouvoir  que  nous  avons  reçu  du  roi, 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  311 

nous  avons  accordé  aux  réformés  du  Languedoc  les  ar- 
ticles ci-dessus  énoncés, 
Fait  à  Nîmes,  le  dix-septième  de  mai  1704  (1). 

Signé  :  Le  maréchal  de  Villars, 
Lamoignon  de  Bayille, 
Jean  Cavalier. 
Daniel  Billard. 

Cavalier  comprit,  mais  trop  tard,  qu'il  était  joué,  et  que 
non-seulement  on  ne  lui  accordait  pas  ce  qu'il  réclamait, 
mais  encore  que  l'on  paraissait  se  ménager  les  moyens 
de  revenir  sur  les  concessions  mêmes  que  l'on  faisait. 
«  Quand  j'eus  vu,  dit-il,  que  la  plupart  de  mes  demandes 
m'étaient  refusées,  je  m'en  plaignis,  et  surtout  de  ce 
qu'on  ne  nous  accordait  pas  des  villes  de  sûreté  ;  mais 
M.  le  maréchal  me  répondit  que  la  parole  du  roi  valait 
plus  que  vingt  villes  de  sûreté,  et  qu'après  les  troubles 
que  nous  avions  occasionnés,  nous  devions  regarder 
comme  un  effet  de  sa  grande  clémence  qu:il  nous  ac- 
cordât la  plupart  de  nos  demandes.  Cette  raison  n'était 
pas  suffisante  :  mais  comme  il  n'était  plus  temps  de  re- 
culer et  que  j'avais  mes  raisons  aussi  bien  que  la  cour 
pour  faire  ma  paix,  je  pris  ma  résolution  de  bonne 
grâce  (2).  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  Villars  lui  envoya  quelques  jours 
après  son  brevet  de  colonel,  un  autre  de  capitaine  pour 
son  jeune  frère,  et  un  troisième  de  douze  cents  francs  de 
pension.  La  cour  lui  reconnaissait,  eu  outre,  le  pouvoir 


(1)  La  date,  tout  au  moins,  de  cette  pièce  est  erronée,  l'entrevue 
de  Cavalier  avec  Villars  étant  du  15.  Nous  la  donnons  telle  qu'elle 
existe  dans  les  Mémoires  de  Cavalier. 

(2)  Cavalier,  Mémoires,  p.  271. 


31i2  HISTOIRE  DES    CAMISARDS 

de  nommer  ses  officiers,  et  il  devait  conduire  son  régi- 
ment en  Espagne  ou  sur  le  Rhin,  selon  qne  la  marche 
des  événements  l'exigerait. 

Le  jeune  chef  cévenol,  avant  d'entrer  en  pourparlers 
avec  les  catholiques,  en  avait  donné  connaissance  à 
Roland.  Plus  ferme  dans  ses  principes,  et  sans  vouloir 
s'engager  lui-même,  celui-ci  le  laissa  agir,  prêta  traiter 
lui-même,  si  Cavalier  ohtenait  des  garanties  suffisantes 
pour  la  cause  dont  ils  poursuivaient  le  triomphe,  mais 
dans  le  cas  contraire,  bien  décidé  à  ne  jamais  déposer 
les  armes. 

Villars,  avec  sa  longue  habitude  des  hommes  et  son 
coup  d'oeil  d'aigle,  voyait  tout  ce  qu'il  y  avait  de  défiance 
cachée  derrière  la  iroide  réserve  de  ce  chef,  qui  était 
l'âme  même  de  la  révolte,  dont  Cavalier  représentait  sur- 
tout le  côté  poétique,  extérieur  et  brillant.  Rien  n'était 
terminé  tant  que  Roland  n'était  pas  gagné.  11  dépêcha 
donc  vers  lui  le  nouveau  colonel,  pour  qu'il  l'engageât 
à  faire  sa  soumission  aux  mêmes  conditions  que  lui- 
même  avait  acceptées. 

Les  deux  chefs  se  rencontrèrent  le  24  mai,  non  loin 
d'Anduze.  Cavalier,  en  somme,  avait  traité  pour  lui  seul. 
Après  qu'il  eut  exposé  à  Roland  sur  quelles  bases  il 
l'avait  fait,  celui-ci  haussa  dédaigneusement  les  épaules. 
Que  valait  cette  prétendue  liberté  de  conscience  qu'il 
croyait  avoir  obtenue,  quand  on  y  mettait  cette  restric- 
tion qu'ils  ne  pourraient  pas  avoir  de  temples?  Les  pri- 
sons, les  galères  avaient-elles  relâché,  à  l'exception  de  son 
frère,  une  seule  des  malheureuses  victimes  de  la  tyrannie 
du  roi?  On  offrait  des  régiments  à  tous  les  chefs,  pour 
qu'ils  entraînassent  à  leur  suite,  de  l'autre  côté  du  Rhin 
ou  des  Pyrénées,  tous  les  protestants  armés:  c'est-à-dire 
que  l'on  voulait    les    éloigner  tous,  pour  avoir  ensuite 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  313 

meilleur  marché  de  la  province  sans  défense.  Quant  à 
eux,  une  fois  enrégimentés,  sous  la  discipline  de  fer  du 
service  militaire,  il  ne  leur  restera  plus  qu'à  obéir,  ou 
on  les  fera  fusiller,  s'ils  résistent. 

Ne  pouvant  donner  de  bonnes  raisons,  Cavalier  s'em- 
porta jusqu'aux  menaces.  Roland  alors  lui  répondit  fiè- 
rement qu'il  oubliait  qu'il  parlait  à  son  ancien  et  à  son 
chef,  et  qu'il  n'appartenait  pas  à  celui  qui  venait  de  trahir 
la  cause  du  protestantisme  de  venir  dicter  des  conditions 
à  ceux  qui  étaient  décidés  à  la  défendre  tant  qu'il  leur 
resterait  un  souffle  de  vie. 

Cavalier  furieux  porta  la  main  à  son  pistolet,  mais  leurs 
hommes  se  jetèrent  entre  eux  et  les  séparèrent.  Toute- 
fois, le  prophète  Salomon  consentit  à  suivre  Cavalier  à 
Nîmes,  et  dans  une  seconde  entrevue  qui  eut  lieu,  comme 
la  première,  dans  le  jardin  des  Récollets  et  avec  Villars, 
Bâville,  Lalande  et  Sandricourt,  Salomon  avoua  à  ceux- 
ci  que  les  Camisards  étaient  décidés  à  ne  se  soumettre 
jamais,  s'ils  n'obtenaient  pas  le  libre  exercice  de  leur 
culte.  Le  lendemain,  il  remit  à  Villars  une  lettre  de 
Roland,  dans  laquelle  il  exigeait,  avant  de  désarmer, 
que  l'on  rétablît  l'édit  de  Nantes,  que  tous  les  prisonniers 
et  galériens  détenus  pour  fait  de  religion  fussent  re- 
lâchés, que  tous  les  exilés  fussent  rappelés,  que  l'on 
cessât   de  lever  des  impôts  intolérables. 

On  savait  par  avance  quelle  eût  été  la  réponse  du  roi 
à  de  pareilles  prétentions.  Mais  qu'importait  désormais 
à  Bâville  et  à  Villars  l'insuccès  de  leurs  démarches  ulté- 
rieures? Ils  avaient  jeté  la  division  parmi  les  Camisards, 
ils  venaient  de  leur  enlever  le  plus  populaire  de  leurs 
chefs,  le  plus  habile  de  leurs  généraux.  Il  ne  restait  plus 
maintenant  qu'à  éloigner  celui  qu'ils  venaient  de  cor- 
rompre, presque  sans  qu'il  s'en  aperçût  ni  qu'il  eùtcons- 

18 


31  4  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

cience  de  ce  qu'il  avait  fait.  La  ruine  des  rebelles  ne  pou- 
vait plus  se  faire  beaucoup  attendre. 

Cavalier  traversa  encore  la  ville  au  milieu  de  l'enthou- 
siasme d'une  population  en  délire.  Rien  n'avait  trans- 
piré des  résultats  de  tous  ces  pourparlers,  et  les  popula- 
tions, également  fatiguées  de  ces  trois  années  de  luttes 
effroyables,  savaient  gré  au  jeune  et  brillant  héros  de 
ses  efforts  pour  ramener  le  calme  parmi  elles. 

Hélas!  ce  fut  la  dernière  grande  journée  de  sa  vie.  En 
quittant  sa  troupe,  il  en  avait  laissé  le  commandement  à 
Ravanel,  son  lieutenant.  Celui-ci  n'avait  pu  s'empêcher 
de  concevoir  certains  soupçons,  et  Catinat  et  les  autres 
officiers  partageaient  ses  défiances.  Les  triomphes  de 
Cavalier  à  Nîmes  avaient  été  trop  personnels  pour  ne  pas 
exciter  la  jalousie  des  autres  chefs.  Qui  sait  si  l'on  ne 
s'était  pas  plu  à  lui  élever  si  haut  son  Capitole,  pour  que 
les  abîmes  de  la  roche  Tarpéienne  se  creusassent  plus 
profonds  autour  de  lui  ? 

Donc,  à  son  retour  à  Calvisson  (28  mai),  sombres  et 
mécontents,  les  siens  le  pressent  de  s'expliquer  et  de 
renoncer  à  ce  système  de  réserves,  de  réticences  et  de 
mystères  dont  il  semblait  décidé  à  entourer  sa  conduite. 
Peu  satisfait  lui-môme  de  ce  qu'il  avait  à  leur  apprendre, 
il  veut  éluder  leurs  questions.  Mais  des  instances  ils 
passent  bientôt  aux  menaces. 

—  Le  traité!  s'écrièrent-ils  avec  fureur.  Nous  voulons 
connaître  le  traité! 

—  Eh  bien!  dit  enfin  Cavalier,  tout  est  fini,  préparez- 
vous  à  me  suivre,  nous  allons  servir  en  Portugal.  Les 
uniformes  sont  prêts,  nous  partons  dans  trois  jours  ! 

Il  était  difficile  detomberdeplushaut.  Il  fallait  quitter 
cette  patrie  pour  l'affranchissement  de  laquelle  ils 
avaient  fait  couler  tant  de  sang,  laisser  derrière  soi  dans 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  315 

les  prisons  et  sur  les  galères  les  pasteurs  et  les  frères 
que  Ton  avait  juré  de  délivrer,  renoncera  voirlestemples 
se  relever  de  leurs  ruines,  et  se  mettre  enfin  aux  ordres 
et  à  la  solde  de  ceux  qui  leur  avaient  ravi  la  liberté  de 
conscience! 

Ce  fut  alors  parmi  ces  malheureux  une  explosion  de 
cris  de  rage  et  de  désespoir,  de  reproches  amers  et  de 
paroles  menaçantes.  Mais  Cavalier  avait  souvent  apaisé 
ces  flots  courroucés  ;  il  se  plaça  hardiment  au  milieu  du 
groupe  qui  paraissait  le  plus  irrité,  et  voulut  reprendre 
son  autorité  perdue. 

—  Qui  donc  est  maître  ici?  demanda-t-il  avec  colère. 

—  Moi  !  répliqua  Havane]  ;  moi,  depuis  que  tu  nous 
as  trahis  tous  !  Va-t-en,  retourne  vers  ceux  qui  t'en- 
voient, dis-leur  qu'il  n'y  aura  jamais  ni  paix,  ni  accom- 
modement entre  nous,  tant  que  l'on  ne  nous  aura  pas 
rendu  nos  temples  ! 

—  Itavanel  a  raison  !  dit  à  son  tour  Catinat.  Tu  n'as 
plus  d'ordres  à  donner  ici.  Nous  t'avions  fait  notre 
général,  te  voilà  tombé  colonel  parmi  nos  ennemis. 
C'est  bien  !  Va  prendre  place  dans  les  conseils  de  Bàville 
et  de  Yillars.  Pour  nous,  nous  retournons  dans  nos 
montagnes. 

Cavalier  s'efforça  de  lutter  encore.  Son  àme  se  brisait 
à  la  pensée  de  se  séparer  de  ces  hommes  à  la  tête  des- 
quels il  avait  si  souvent  bravé  la  mort,  et  de  s'éloigner 
d'eux  sous  le  poids  de  leur  mépris.  Il  sentait  le  terrain 
manquer  sous  ses  pas,  et  le  nombre  de  ceux  qui  parais- 
saient encore  bien  disposés  en  sa  faveur  diminuait  à 
chaque  instant.  Il  fit  un  dernier  effort,  et  d'une  voix 
qui  semblait  prier  bien  plutôt  que  commander  il 
s'écria  :  «  Qui  m'aime  me  suive  !  » 

Moïse,    Daniel  Billard   et  une   quarantaine   d'autres 


316  HISTOIRE   DES   CAMISABDS 

passèrent  de  son  côté.  Le  reste  se  groupa  autour  de 
Catiuat  et  de  Ilavanel.  On  se  mit  en  marche  vers  la 
montagne.  Cavalier  les  suivit  longtemps  encore,  em- 
ployant tour  à  tour  les  prières,  les  menaces,  la  per- 
suasion, les  conseils,  pour  les  détournerde  leur  dessein. 
Ravanel  et  Catinats'irritèrentàla  fin,  lui  ordonnèrent  de 
se  retirer,  et  firent  retentir  à  ses  oreilles  les  mots  de 
traître  et  de  lâche.  11  veut  les  châtier,  mais  vingt  fusils 
s'abaissent  sur  sa  poitrine.  Moïse  et  Billard  se  préci- 
pitent entre  lui  et  les  furieux  qui  veulent  l'immoler. 
Sans  doute  ils  pensaient  que  l'avenir  réservait  encore 
un  rôle  à  celui  qui  les  avait  si  souvent  guidés  à  la  vic- 
toire. Cavalier  alors  se  retira,  le  cœur  abîmé  de  douleur, 
de  remords  et  de  honte  à  la  fois.  Il  avait  promis  un  ré- 
giment :  il  revenait  vers  Villars  à  la  tète  de  quelques 
déserteurs  ! 

D'Aigaliers,  ayant  appris  l'inutilité  des  efforts  de 
Cavalier,  vint  le  trouver  à  Cardet,  le  consola  de  son 
mieux  et  le  ramena  vers  le  maréchal  qui,  bien  loin  de 
lui  adresser  aucun  reproche,  et  satisfait  peut-être  en 
secret  de  se  voir  débarrassé  d'un  régiment  de  religion- 
naires  dont  il  eût  été  bien  difficile  de  faire  accepter  les 
services  au  roi,  le  reçut  avec  sa  bienveillance  accoutu- 
mée, lui  permit  de  le  suivre  à  Anduze,  mais  donna 
pour  cantonnement  à  sa  petite  troupe  l'île  de  Vala- 
brègue,  au  milieu  du  Rhône,  à  quatre  lieues  de  Nîmes, 
comme  s'il  eût  voulu  la  mettre  par  là  dans  l'impossi- 
bilité de  rejoindre  les  Camisards,  si  le  regret  de  ce 
qu'ils  avaient  fait  venait  à  les  prendre. 

Il  en  coûtait  à  d'Aigaliers  de  renoncer  à  toute  espé- 
rance de  conciliation.  De  concert  avec  Villars,  il  fit 
encore  une  tentative,  et,  avec  Cavalier  et  quelques 
autres,  il  eut  une  dernière  entrevue  avec  Roland,  Cati- 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  317 

nat  et  Ravanel,  auxquels  on  proposait  les  conditions 
suivantes  : 

On  offrait  à  Roland  les  mômes  avantages  qu'avait  ob- 
tenus Cavalier  ;  les  prisonniers  seraient  élargis  ;  les  nou- 
veaux convertis  pourraient  sortir  du  royaume  avec  leur 
fortune  ;  ceux  qui  voudraient  y  rester  le  pourraient 
faire  en  rendant  leurs  armes  ;  ceux  qui  en  étaient 
sortis  y  pourraient  rentrer  ;  on  n'inquiéterait  personne 
pour  la  religion,  à  la  condition  que  chacun  restât 
paisible  dans  sa  maison  ;  les  indemnités  seraient  sup- 
portées par  la  province  tout  entière,  sans  qu'on  pût 
les  faire  peser  en  particulier  sur  les  nouveaux  con- 
vertis ;  il  y  aurait  enfin  une  amnistie  générale  et  sans 
réserve. 

En  somme,  c'étaient  là  des  promesses,  et  rien  de 
plus.  Il  s'agissait  pour  les  Camisards  de  rendre  leurs 
armes  à  des  adversaires  qui  gardaient  toutes  les  leurs, 
et  pour  les  chefs,  de  quitter  leurs  commandements 
sans  aucune  garantie  sérieuse.  A  la  vue  de  Cavalier, 
Roland  et  Ravanel  sentirent  renaître  leur  indignation  ; 
ils  ne  lui  épargnèrent  ni  les  injures  ni  les  sanglants  re- 
proches. Celui-ci  sut  conserver  son  calme,  et  voulut 
parler  aux  troupes  elles-mômes.  Sa  voix  fut  couverte 
par  les  huées,  et  il  lui  fallut  quitter  la  place,  non  sans 
avoir  couru  les  plus  grands  dangers  pour  sa  vie. 

La  soumission  de  Cavalier  n'en  fut  pas  moins  un  coup 
terrible  porté  au  parti  calviniste.  Chaque  jour  quelques 
révoltés  imitaient  son  exemple.  Trente  se  rendirent  à  la 
fois  à  Lalande,  vingt  à  Grandval.  Le  15  juin,  huit  de 
l'anciennebande  de  Cavalier  vinrent  déposer  leurs  armes: 
huit  autres  demandèrent  à  le  suivre.  Quelques  autres 
avaient  déjà  obtenu  la  môme  faveur,  sous  la  conduite 
du  jeune  frère  du  nouveau  colonel,  et  allèrent  grossir 

18. 


318  niSTOIIu;   DES   camisahhs 

le  nombre  de  ses  fidèles.  On  pardonnait  à  tous,  les  plus 
notables  même  étaient  récompenses.  Ceux  qui  voulaient 
continuer  de  servir  recevaient  :  les  chefs  quarante  sous, 
les  soldats  dix  sous  par  jour.  Ils  logeaient  dans  les 
casernes,  «y  prêchaient,  y  chantaient  des  psaumes,  y 
faisaient  la  prière  nuit  et  jour  (la  Baume;,  »  au  grand 
scandale  des  catholiques.  Mais  Villars  laissait  chanter 
tout  haut  les  uns,  et  gronder  les  autres,  pourvu  que  ce 
fût  tout  bas.  Son  plan,  sans  nul  doute,  était  de  gagner 
du  temps,  d'éloigner  le  plus  grand  nombre  possible  de 
révoltés,  et  de  tomber  ensuite  sur  les  autres,  quand  le1* 
caresses  ou  la  corruption  auraient  suffisamment  affaibli 
le  parti. 

Le  11  juin,  il  rentra  à  Nîmes,  toujours  accompagné 
de  Cavalier,  qu'il  accablait  de  marques  d'amitié.  Aussi 
celui-ci  se  berçait-il  encore  de  quelques  espérances.  Il 
le  disait,  du  moins,  à  ceux  qui  l'approchaient.  Le21  juin, 
il  prit  congé  du  maréchal,  fut  rejoindre  sa  petite  troupe 
à  Yalabrègues,  et  reçut  l'ordre  de  la  diriger  sur  Neuf- 
Brisach.  Ils  étaient  cent  cinquante  environ,  dont  seule- 
ment cinquante-huit  armés,  escortés  ou  plutôt  sur- 
veillés par  cinquante  dragons  et  autant  de  soldats  de 
Hainault.  Arrivés  à  Màcon,  ils  reçurent  l'ordre  de  l'y 
arrêter. 

Cavalier  ayant  écrit  à  Chamillart  qu'il  avait  d'impor- 
tantes communications  à  lui  faire,  fut  mandé  à  Ver- 
sailles, où  il  causa  longtemps  avec  le  ministre.  Tillars, 
qui  avait  deviné  en  lui  un  héros,  voulait  non-seulement 
l'enlever  à  son  parti,  mais  encore  l'attacher  au  roi.  Lui 
et  Vendôme  exceptés,  la  France  épuisée  n'avait  plus  de 
généraux.  Le  nouveau  colonel  fut  donc  placé  sur  le 
grand  escalier  par  où  Louis  devait  passer;  mais  celui- 
ci  renouvela  avec  lui  la  faute  déjà  commise   avec  le 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  319 

prince  Eugène.  En  voyant  ce  petit  homme  blond,  d'une 
physionomie  douce  et  agréable,  qui,  à  vingt  ans,  avait 
pris  la  liberté  grande  de  battre  ses  armées,  ce  roi  de 
parade  haussa  les  épaules  et  passa  sans  lui  adresser  une 
parole. 

Toutes  les  illusions  de  Cavalier  étaient  tombées  l'une 
après  l'autre.  Ses  craintes  étaient  grandes,  pour  lui- 
môme  et  pour  les  malheureux  qui  s'étaient  attachés  à 
sa  fortune.  De  retour  à  Màcon,  ses  défiances  augmen- 
tèrent. Au  village  d'Onnan,  à  trois  lieues  de  Montbéliard, 
ils  parvinrent  à  tromper  la  surveillance  de  leur  escorte, 
et  ils  se  rendirent  à  Lausanne,  où  un  meilleur  accueil 
les  attendait.  Cavalier  passa  bientôt  après  en  Hollande  ; 
enfin  la  reine  Anne  l'appela  à  sa  cour  et  lui  donna  du 
service. 

Trois  années  plus  tard,  il  se  livrait  une  étrange  ba- 
taille à  Almanza,  de  l'autre  côté  des  Pyrénées.  Là,  des 
Français,  des  Anglais  et  des  Portugais  s'entre-déchi- 
raient  pour  savoir  à  qui  appartiendrait  le  trône  d'Es- 
pagne. L'armée  française  était  commandée  par  un 
Anglais,  Berwick,  bâtard  de  Jacques  II  et  d'Arabella 
Churchill,  sœur  de  Marlboroug,  tandis  que  les  Anglais 
avaient  à  leur  tête  un  Français  M.  de  Ruvigny,  protes- 
tant réfugié,  devenu  lord  Galloway  en  Angleterre. 
Enervé  et  dépeuplé  par  les  soixan le- quatre  années  de 
tyrannie  et  d'exactions  de  Louis  XIV,  le  noble  royaume 
n'avait  plus  de  jeunes  gens  à  livrer  tous  les  ans  à  son 
maître,  si  bien  que  l'on  en  était  réduit  à  recruter  les 
mécontents,  les  transfuges,  les  bandits  et  les  déserteurs 
de  l'Europe  entière  (1),   pour  former  de  tous  ces  élé~ 


(1)  Voir,  sur  la  formation  et  la  composition  des  armées  fran- 
çaises, notre  France  sous  Louis  XIV,  t.  II,  p.  16-1-166. 


320  HISTOIRE   Di:S    CAMISARDS 

ments  impurs  les  bandes  sauvages  qui  saccageaient 
indifféremment  le  Palalinat  et  le  Languedoc.  En  môme 
temps,  un  régiment  de  Français  réfugiés,  commandés 
par  le  colonel  Jean  Cavalier,  faisait  admirer  sa  belle 
tenue  dans  les  rangs  des  Anglo-Portugais  au  service  du 
parti  national  espagnol.  S'étant  reconnus,  les  Français 
de  Cavalier  et  ceux  de  Berwick  fondirent  les  uns  sur  les 
autres,  à  la  baïonnette,  et  tel  fut  leur  acharnement,  que 
des  deux  régiments  engagés,  cent  cinquante  hommesà 
peine  restèrent  debout  de  chaque  côté.  On  distinguait 
dans  la  mêlée,  monté  sur  le  fier  coursier  conquis  jadis 
à  Saint-Chattes,  sur  le  marquis  de  la  Jonquière,  l'ancien 
général  des  Camisards  excitant  la  furie  de  ses  compa- 
gnons et  disputant  un  moment  la  victoire  au  duc  de 
Berwick  (1). 

On  voit  encore  dans  la  vallée  de  Dublin  un  cimetière 
abandonné  qui  fut  consacré  aux  réfugiés  français.  C'est 
là  que  repose,  sous  la  terre  pesante  de  l'exil,  Jean  Ca- 
lier,  mort  en  1740,  après  avoir  été  officier  général  et 
gouverneur  de  l'île  de  Jersey,  en  vue  de  la  patrie  d'où 
le  bigotisme  sauvage  de  Louis  XIV  l'avait  chassé. 

Cavalier  occupe  une  des  premières  places  parmi  ces 
brillants  météores  qui  passent  comme  un  éclair  au 
milieu  d'une  nuit  d'orage.  Mais  quand  nous  voyons  des 
hommes  comme  lui  et  Cathelineau,  paysans  hier,  devenir 


(l)  Quelques  jours  après,  il  rendait  compte  en  ces  termes  aux 
puissances  alliées  de  sa  conduite  dans  cette  affaire  (Gênes,  le 
10  juillet  1707): 

«  La  seule  consolation  qui  me  reste,  c'est  que  le  régiment  que 
j'avais  l'honneur  de  commander  n'a  jamais  regardé  en  arrière,  et 
il  a  vendu  sa  vie  chèrement.  Je  combattais  jusqu'à  mon  dernier 
homme,  lorsque  la  multitude  des  ennemis  m'accabla,  perdant  une 
grande  quantité  de  sang  par  douze  blessures  que  j'eus  dans  cette 
action...  » 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  321 

du  jour  au  lendemain  de  grands  capitaines  et  tenir  tête 
aux  plus  anciens  généraux  vieillis  sous  le  harnais,  nous 
prenons  en  grande  pitié,  sans  compter  les  raisons  d'hu- 
manité qui  nous  la  font  prendre  en  grande  horreur,  cette 
science  militaire  que  Condé,  lui  aussi,  possédait  complète 
à  vingt  ans,  et  sans  l'avoir  jamais  étudiée.  On  ne  s'im- 
provise pas  aussi  facilement  poëte,  ingénieur,  artiste  ou 
savant,  et  quand  ceux-là,  par  le  labeur  de  toute  une  vie, 
arrivent  à  quelque  célébrité,  ils  sont  les  bienfaiteurs  de 
l'humanité,  dont  les  autres  sont  les  fléaux. 

Il  en  coûtait  à  l'infatigable  d'Aigaliers  d'abandonner 
la  partie.  Il  retourna  à  Versailles,  espérant  toujours  obte- 
nir la  liberté  de  conscience,  «  sur  laquelle,  dit-il  {Mé- 
moires), Dieu  seul  s'est  réservé  l'empire  ».  Le  duc  de 
Beauvilliers,  président  du  conseil,  le  roi  lui-même,  lui 
firent  un  accueil  favorable  ;  mais  Ghamillart,  qu'il  vit 
ensuite,  lui  annonça  que,  plutôt  que  de  céder  sur  ce 
point,  Louis  consentirait  à  voir  son  royaume  bouleversé, 
ruiné  sous  les  efforts  réunis  des  alliés  et  des  Cévenols. 


322  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 


CHAPITRE   IX 


La  trahison  livre  Roland,  qui  se  fait  tuer  après  avoir  refusé  de  se- 
rendre.  —  Le  maréchal  de  Berwick  remplace  Villars.  —  Tous 
les  chefs,  Catinat,  Ravanel,  Castanet...sont  achetés  à  des  traîtres, 
livrés  à  leur  tour,  et  périssent  au  milieu  des  supplices  les  plus 
effroyahles.  —  Fin  de  la  guerre  des  Camisards. 


Débarrassé  de  Cavalier,  Villars  résolut  de  brusquer 
les  choses  et  d'en  finir  avec  cette  formidable  insurrec- 
tion qui  le  condamnait  à  une  besogne  indigne,  de  lui, 
quand  une  plus  noble  tâche  l'appelait  sur  nos  frontières  - 
Le  21,  c'est-à-dire  le  jour  môme  du  départ  de  celui  qu'il 
venait  de  jouer  si  habilement,  il  renouvela  les  ordon- 
nances de  Montrevel  contre  les  parents  des  Camisards 
qui,  sous  trois  jours,  ne  seraient  pas  venus  déposer 
leurs  armes,  et  le  28,  les  enlèvements  reprirent  leur 
cours.  Dans  peu  de  jours,  les  prisons  de  [Nîmes,  Uzèsr 
Alais,  Saint-llippolyte,  Sommièrcs  et  Montpellier 
regorgèrent  de  ces  innocents,  ramassés'aveuglément  et 
au  hasard. 

«  Plus  de  cinq  mille  moissonneurs  qui  s'étaient  ren- 
dus de  divers  lieux  à  Nîmes  et  dans  la  plaine  éprou- 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  323 

vèrent  le  même  sort  :  on  supposa  que  la  plupart  étaient 
des  Camisards,  et  dans  cette  supposition,  ils  furent 
tous  enlevés.  Il  est  vrai  que,  comme  la  moisson  dépé- 
rissait faute  d'ouvriers,  on  mit  en  liberté  tous  ceux  qui 
furent  en  état  de  donner  des  preuves  de  catholicité.  Une 
trentaine  de  cadets  de  la  Croix,  qui  avaient  été  enfer- 
més dans  des  prisons  pour  des  crimes  énormes,  furent 
aussi  élargis  (1).  » 

Lalande,  de  Planque,  de  Parateet  Menon  recommen- 
cèrent leurs  sauvages  expéditions,  à  Saint-Sébastien, 
Mialet,  Soudorgues  et  ailleurs,  pillant,  brûlant,  et  égor- 
geant, tandis  que  de  leur  côté  les  Camisards  enlevaient 
des  chevaux  et  entassaient  au  plus  profond  des  cavernes 
des  provisions  qui  allaient  leur  permettre  de  prolonger 
cette  lutte  fratricide.  Cependant,  pour  bien  établir  une 
fois  de  plus  qu'ils  prétendaient  se  maintenir  sur  le  ter- 
rain de  la  légitime  défense,  sans  prendre  jamais  l'offen- 
sive, et  sans  user  môme  toujours  de  représailles,  s'é- 
tant  saisis  par  surprise,  le  o  juillet,  de  quatre  officiers 
de  la  garnison  d'Alais,  ils  les  renvoyèrent  en  disant  que 
dès  que  l'on  cesserait  de  leur  faire  du  mal,  ils  cesseraient 
d'en  rendre  à  leur  tour  (2). 

Roland,  de  son  côté,  opéra  l'arrestation  de  vingt  cadets 
de  la  Croix.  Il  en  fit  fusiller  deux  et  renvoya  lés  autres. 

On  avait  annoncé  que  de  nouveaux  embarquements 
se  faisaient  à  Yillefranche,  et  que  les  alliés  préparaient 
une  descente  sur  les  côtes  du  Languedoc.  Bàville  et 
Villars  se  rendirent  sur  les  lieux  et  couvrirent  le  pays 
de  soldats.  La  flottille  ennemie,  composée  de  deux 
frégates  et  de  trois  tartanes,  sortit  le  2i  juillet  du  port 


(1)  Court,  t.  III,  p.  24.  —  Louvreleuil,  t.  III,  p.  157. 

(2)  Court,  t.  III,  p.  26. 


4  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

de  Villefranclie,  mais  elle  fut  dispersée  deux  jours  après 
par  une  violente  tempête.  On  savait,  en  outre,  que  la 
troupe  de  Roland  s'était  grossie  des  débris  de  celle  de 
Cavalier  ;  que  Joanny  comptait  quatre  cents  révoltés 
sous  ses  ordres,  la  Rose  trois  cents  ;  Roizeau  de  Roche- 
gude,  cent  du  côté  d'Uzès;  Saltat  de  Soustelle,  deux 
cents  ;  Louis  Coste,  cinquante.  Celle  de  Catinat  était 
moins  considérable,  mais  le  prestige  qu'exerçait  son 
chef  la  rendait  redoutable,  et  l'on  pouvait  penser  qu'elle 
ferait  de  nombreuses  recrues. 

Tout  cela  donnait  à  réfléchir  à  Villars,  qui  autorisa 
l'infatigable  baron  d'Aigaliers  à  tenter  encore  une  dé- 
marche conciliatrice  auprès  de  Roland  et  de  Ravanel. 
Pour  témoigner  de  ses  intentions  pacifiques,  il  s'était 
fait  accompagner  de  sa  mère.  On  se  rencontra  à  Durfort 
(28  juillet).  Mais  comme  la  cour  ne  voulait  pas  accorder 
la  liberté  de  conscience  et  que  les  Camisards  étaient, 
bien  décidés  à  ne  jamais  transiger  sur  ce  point  capital, 
le  féroce  entêtement  du  grand  roi  rendait  tout  rappro- 
chement impossible.  On  se  sépara  donc  sans  parvenir 
à  s'entendre. 

Les  cadets  de  la  Croix  renouvelèrent  leurs  incursions 
dévastatrices.  Les  choses  allèrent  si  loin  qu'il  fallutleur 
choisir  de  nouveaux  chefs,  qui  se  montrèrent  pires  que 
ceux  qu'ils  remplaçaient,  n'étant  pas  gorgés  de  sang  et 
d'or,  comme  les  premiers.  Ceux  que  l'on  appelait  les 
troupes  réglées  semblaient  jaloux  de  rivaliser  avec  eux. 
Villars  mit  en  mouvement  toutes  les  forces  dont  il  pou- 
vait disposer,  et  alors  cadets  de  la  Croix  et  royalistes  à 
l'envi,  pillèrent,  brûlèrent,  arrêtèrent  en  aveugles,  tan- 
dis que,  dans  les  villes,  l'intendant  et  le  maréchal 
transportaient,  pendaient,  rouaient;  on  jetait  les  moins 
malheureux  sur  les  galères. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  32o 

Toutefois  l'orgueil  de  Louis  XIV  était  fatigué  de  ces 
lenteurs  et  de  cette  longue  résistance.  Habitué  aux 
bons  effets  d'une  terreur  salutaire,  il  résolut  d'ajouter 
la  famine  au  désert  qu'il  avait  fait,  et  après  avoir  dé- 
truit par  les  flammes  tout  ce  qui  couvrait  le  sol,  il  lui 
interdit  de  produire.  Défense  fut  faite  d'ensemencer  les 
champs  dans  les  hautes  Cévennes,  où  toutes  les  habi- 
tations avaient  été  brûlées.  Quelques  Camisards  ayant 
osé  enfreindre  ces  ordres,  où  la  démence  le  dispute  à  la 
férocité,  on  réduisit  en  cendres  les  récoltes  recueillies 
et  l'on  fit  exécuter  vingt  personnes  coupables  de  ce 
forfait  d'avoir  osé  féconder  le  sein  de  la  terre.  Il  appar- 
tenait à  la  tyrannie  du  grand  roi  d'inventer  et  de  punir 
des  crimes  pareils. 

La  trahison  et  la  lâcheté  viennent  en  aide  à  la  féro- 
cité inepte.  Bàville  fit  promettre  cent  louis  d'or  à  un 
jeune  homme  d'Uzès,  nommé  Malarte,  s'il  livrait 
Roland,  dont  il  possédait  toute  la  confiance.  L'intré- 
pide chef  de  partisans  venait  se  reposer  de  ses  fatigues 
au  château  de  Castelnau,  à  trois  lieues  d'Uzès,  dans  les 
bras  d'une  jeune  orpheline  d'origine  napolitaine,  ma- 
demoiselle de  Cornelly,  qui  nourrissait  pour  lui  une 
passion  ardente.  Elle  le  suivait  souvent  dans  ses  expé- 
ditions aventureuses.  C'était  le  14  août.  Roland  se  trou- 
vait à  Castelnau  avec  sept  ou  huit  de  ses  officiers.  Ma- 
larte en  donne  avis  à  de  Parate,  qui  s'empresse  d'en- 
voyer deux  compagnies  de  dragons  pour  se  saisir  par 
surprise  d'une  dizaine  d'hommes  endormis.  Le  chef 
des  Camisards  était  couché  en  effet,  et  tous  les  siens 
aussi,  à  l'exception  d'un  seul  qui  devait  veiller  en  sen- 
tinelle sur  le  donjon  du  manoir  de  la  noble  fille.  Celui- 
ci  succomba  au  sommeil,  et  n'aperçut  les  troupes  que 
lorsque  le  château  était  déjà  envahi  de  toutes    parts. 

19 


'A20  HISTOIRE   DES   CAMISARDS 

Roland  s'élance  de  son  lit,  à  demi  nu,  et  suivi  de  cinq 
de  ses  principaux  officiers,  se  dirige  vers  les  écuries. 
Mais  quelques-uns,  plus  diligents,  s'étaient  emparés  déjà 
des  meilleurs  chevaux  avant  que  les  dragons  ne  se  fus- 
sent embusqués  devant  la  principale  porte.  Les  six  fu- 
gitifs gagnent  une  porte  de  derrière  ;  les  dragons  les 
aperçoivent,  s'élancent  à  leur  poursuite,  les  atteignent. 
Roland  s'adosse  contre  un  arbre,  et  l'épée  à  la  main, 
attend  les  plus  hardis.  Ils  s'arrêtent,  hésitent,  malgré 
leur  nombre.  Les  défenses  brisées,  ce  sanglier  fascinait 
sous  son  regard  et  tenait  à  distance  la  meute  effarée. 
L'un  des  dragons  couche  Roland  en  joue,  et  au  mépris 
des  ordres  de  Villars  qui  voulait  l'avoir  vivant,  il  l'étend 
mort  du  premier  coup.  Frappés  de  stupeur  à  la  vue  de 
ce  malheur  immense  pour  leur  cause,  les  cinq  autres  se 
laissent  prendre  «  comme  des  agneaux  ». 

Le  corps  de  Roland  fut  porté  en  triomphe  à  Uzès,  et  de 
là  à  Nîmes.  On  fit  le  procès  à  son  cadavre,  il  fut  brisé 
sur  la  claie,  brûlé  vif,  et  l'on  jeta  ses  cendres  au  vent. 
Les  cinq  officiers  camisards,  Maillé,  Grimaud,  Coute- 
reau,  Guérin  et  Raspal,  condamnés  à  la  roue,  furent 
exécutés  le  môme  jour,  et  moururent  en  héros.  «  Ils 
souffrirent  le  supplice,  dit  d'Aigaliers,  avec  une  cons- 
tance et  môme  avec  une  gaîté  qui  surprirent  tout  le 
monde,  surtout  ceux  qui  n'avaient  pas  vu  mourir  dans 
les  tourments  les  Camisards.  » 

«  On  les  destinait  à  servir  d'exemple,  dit  de  son  côté 
Villars.  Mais  la  manière  dont  Maillé  reçut  la  mort  était 
bien  plus  propre  à  établir  leur  esprit  de  religion  dans 
ces  têtes  déjà  gâtées,  qu'à  le  détruire.  C'était  un  beau 
jeune  homme,  d'un  esprit  au-dessus  du  commun.  Il 
écouta  son  arrêt  en  souriant,  traversa  la  ville  de  Nîmes 
avec  le  même  air,  priant  le  prêtre  de  ne  pas  le  tour- 


HISTOIRE   DES   CAMISARDS  327 

menter;  et  les  coups  qu'on  lui  donna  ne  changèrent 
point  cet  air,  et  ne  lui  arrachèrent  pas  un  cri.  Les  os 
des  bras  rompus,  il  eut  encore  la  force  de  faire  signe 
au  prêtre  de  s'éloigner;  et  tant  qu'il  put  parler,  il 
encouragea  les  autres.  Gela  m'a  fait  penser  que  la  mort 
la  plus  prompte  à  ces  gens-là  est  toujours  la  plus 
convenable;  qu'il  est  surtout  convenable  de  ne  pas 
donner  à  un  peuple  gâté  le  spectacle  d'un  prêtre  qui 
crie,  et  d'un  patient  qui  le  méprise  (1).  » 

Le  spectacle  était  pour  tout  le  monde,  et  plus  complet 
que  ne  le  dit  le  maréchal  :  cinq  prélats  se  donnèrent  la 
satisfaction  d'y  assister. 

La  balle  qui  atteignit  Roland  Laporte,  frappa  mor- 
tellement l'insurrection  cévenole.  Cette  âme  d'airain 
l'avait  animée  de  son  souffle,  fait  vivre  de  sa  vie.  Il 
comptait  trente  années,  et  depuis  qu'il  s'était  mis  à  la 
tète  des  Gamisards,  on  ne  saurait  relever  en  lui  une  heure 
de  défaillance.  Moins  heureusement  doué,  moins  brave, 
moins  brillant  que  son  jeune  émule,  il  prit  les  armes 
avant  lui,  et  elles  tombèrent  de  sa  main  mourante, 
sans  qu'il  ait  jamais  songé  à  les  déposer. 

Deux  jours  après  cette  sanglante  exécution,  Nîmes  en 
vit  encore  une  autre  qui  fut  entourée  d'une  grande 
solennité.  Nous  avons  vu  que  la  flottille  envoyée  par  les 
alliés  pour  croiser  dans  la  Méditerranée  avait  été 
dissipée  par  une  violente  tempête.  Une  tartane  échoua 
sur  les  côtes  de  Provence,  et  l'on  arrêta  deux  naufragés 
Pierre  Martin  et  Charles  de  Goulaine,  pourvus  de  com- 
missions d'officiers  au  service  de  la  reine  Anne.  Ils 
déclarèrent  que  l'abbé  de  la  Bourbe  dirigeait  les  mou- 
vements de  la  flottille,  abondamment  pourvue  d'armes, 

(1)  Viltars,  Mémoires,  p.   143, 


.'J:28  HISTOIRE    DES    CAMlSARItS 

de  munitions  et  d'argent  que  l'on  destinait  aux  insurgés. 
Martin  fut  pendu,  et  de  Goulaine,  en  qualité  de  gentil- 
homme, eut  la  tète  tranchée. 

Pendant  que  l'on  suppliciait  les  martyrs  de  la  sainte 
cause  de  la  liberté  de  conscience,  on  amnistiait  les 
assassins,  pourvu  qu'ils  fussent  catholiques  et  qu'ils 
eussent  massacré  beaucoup  de  calvinistes.  Au  besoin, 
Fléchier  se  faisait  leur  avocat,  et  voici  en  quels  termes 
il  sollicitait  la  présidente  Druilet  pour  un  criminel  que 
le  Parlement  devait  juger  : 

—  «11  est  de  sa  profession  maître  d'école.  Il  n'est  pas 
autrement  savant,  mais  il  s'est  trouvé  brave.  Il  a  défendu 
plus  d'une  fois  le  clocher  de  son  village  contre  une 
troupe  de  fanatiques;  il  a  poursuivi  et  battu  ces  gens-là 
en  plusieurs  rencontres.  lien  a  tant  tué,  qu'un  meurtre 
s'étant  fait  dans  sa  paroisse,  on  a  voulu  croire  que  c'était 
lui  qui   l'avait   fait  (1).  » 

Tous  les  malheurs  fondaient  à  la  fois  sur  les  Cévenols. 
Trahi  par  un  paysan,  Catinat  fut  surpris  par  un  déta- 
chement, dans  une  vigne  où  il  se  reposait  avec  onze 
des  siens.  Dix  furent  tués,  le  onzième,  Béchard,  fut  fait 
prisonnier,  et  lui-môme,  blessé  légèrement,  se  sauva 
à  grand'peine. 

Il  était  arrivé  a  ce  Béchard  d'accomplir  une  action 
d'une  audace  prodigieuse.  Non  loin  d'Aigues-Mortes,  en 
compagnie  de  deux  autres  Camisards,  il  avait  mis  le  feu 
à  un  convoi  de  foin,  après  avoir  dispersé  l'escorte  qui 
l'accompagnait.  Deux  compagnies  de  dragons  à  pied 
arrivent,  attirées  par  la  vue  de  la  fumée.  C'était  le  soir. 
Les  trois  Cévenols,  qui  étaient  à  cheval,  se  séparent  et 
se  mettent  à  crier,  dans  trois  directions  différentes:  A  moi 

(l)  Fléchier,  lettre  du  2  juillet  l~05. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  3:29 

Camisarris! ...  tuez  î...  tuez!...  Tel  était  l'effroi  qu'inspi- 
rait ce  cri  de  ralliement,  que  les  dragons  tournant  le 
dos  se  sauvent  en  désordre,  persuadés  que  ceux-là  ne 
sont  que  l'avant-garde  de  quelques  bandes  d'insurgés. 
Nos  trois  cavaliers  tombent  sur  les  fuyards,  les  pour- 
suivent l'épée  dans  les  reins  jusqu'au  Ghayla,  et  en 
tuent  un  grand  nombre. 

Dans  l'attente  des  secours  promis,  et  bien  décidé  à 
soutenir  la  lutte  jusqu'au  bout,  Roland  avait  fait,  dans  la 
montagne,  de  nombreux  magasins  d'armes  et  de  muni- 
tions. Lui  mort,  la  trahison  eut  beau  jeu  contre  des  mal- 
heureux sans  chefs  pour  soutenir  leur  courage  et  leur 
fidélité.  Le  secret 'de  la  plupart  de  ces  cavernes  fut  livré, 
on  fusilla  les  blessés  que  l'on  y  rencontra,  et  l'on  enleva 
ou  détruisit  tout  ce  qu'elles  contenaient. 

Faussant,  avec  un  sans-façon  de  grand  seigneur, 
toutes  les  paroles  données  naguère  à  Cavalier,  Villars 
multipliait  les  mesures  de  rigueur.  Pour  faire  périr  plus 
rapidement  de  faim  des  rebelles,  il  prescrivit  à  tous  les 
habitants  de  la  campagne  de  se  retirer,  avec  meubles, 
denrées  et  bestiaux,  dans  le  délai  de  dix  jours,  sous 
peine  d'être  fusillés,  dans  les  lieux  fortifiés  qu'on  leur 
désigna.  «  11  fit  enlever  au  voisinage  d'Uzès,  environ 
quatre-vingts  personnes,  et  en  divers  endroits  quantité 
de  pères  et  de  mères  de  ceux  qui  étaient  parmi  les 
Camisards  (1).  »  Pressé  d'en  finir,  il  recourait  en  môme 
temps  aux  mesures  d'accommodement,  et  à  son  insti- 
gation d'Aigaliers  voulut  bien  s'y  entremettre  une  der- 
nière fois.  Mais  ce  fut  pour  échouer  encore.  On  n'avait  plus 
besoin  de  ce  calviniste,  aussi  entêté  dans  ses  croyances 
religieuses   que  dans    ses    espérances    conciliatrices. 

(l)  Louvreleuil,  t.  III,  p.  192. 


330  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

Dénoncé  par  l'implacable  Bâville,  il  reçut  de  la  cour 
pour  toute  récompense  de  ses  généreux  efforts  l'ordre 
de  sortir  du  royaume. 

Il  arriva  le  27  septembre  à  Genève.  On  lui  avait  promis 
autrefois,  à  Versailles,  une  pension  de  douze  cents  livres. 
Mais  quand,  dans  la  France  agonisante,  les  services  les 
plus  importants  n'étaient  plus  payés,  môme  à  l'intérieur, 
il  ne  pouvait  espérer  de  la  toucher.  Sansressourc.es  à  l'é- 
tranger, il  tenta  de  rentrer  dans  sa  terre  d'Aigaliers.  Arrêté 
à  Lyon  et  conduit  au  château  de  Loches,  en  Touraine,  il 
fut  tué  d'un  coup  de  fusil  par  un  factionnaire,  au  mo- 
ment où  il  tentait  de  s'évader,  après  avoir  fait  sauter  un 
des  barreaux  de  sa  fenêtre. 

Ravanel  s'était  mis  à  la  tête  de  ce  qui  survivait  des 
troupes  de  Roland  et  de  Cavalier.  Ils  se  laissèrent  sur- 
prendre (13  septembre)  dans  les  bois  de  Saint-Benezet 
par  des  forces  dix  fois  supérieures  aux  leurs.  C'était 
encore  la  trahison  qui  les  avait  fait  découvrir.  Résister 
était  impossible,  la  retraite  même  paraissait  difficile. 
Accablés  parle  nombre,  la  moitié  restèrent  sur  biplace, 
et  Ravanel  ne  dut  son  salut  qu'au  bruit  de  sa  mort  qu'il 
fit  répandre,  ce  qui  empêcha  qu'il  fut  poursuivi  et  recher- 
ché avec  l'ardeur  que  l'on  y  eût  déployée  sans  cette  cir- 
constance. 

Quelques  jours  après,  une  soixantaine  de  ces  malheu- 
reux qui  étaient  parvenus  à  se  réunir  furent  attaqués 
encore  par  des  troupes  nombreuses ,  et  massacrés  de 
nouveau.  . 

Accablés  par  ces  derniers  coups,  la  plupart  ne  songè- 
rent plus  qu'à  déposer  les  armes.  Villars  profita  de  cet 
abattement  général  pour  publier  une  amnistie,  et  bientôt 
plusieurs  chefs,  Catinat,  Salomon,  Castanet,  Joanny, 
Marion,  Abraham  et  quelques  autres  vinrent  faire  leur 


HISTOIRE    DES   CAMISARDS  331 

soumission.  Les  plus  redoutables  recevaient  une  somme 
de  deux  ou  trois  cents  livres  et  des  passe-ports  pour 
sortir  du  royaume.  On  les  faisait  escorter  jusqu'à  Genève 
aux  dépens  du  roi,  et  en  outre  on  s'engageait  à  délivrer 
les  prisonniers  et  à  ne  plus  inquiéter  les  protestants  sur 
leur  religion,  sauf,  après  le  danger  écarté,  à  manquer 
une  fois  de  plus  à  ces  promesses. 

Les  catholiques  respirèrent,  mais  ce  fut  au  tour  des 
réformés  de  vivre  dans  les  transes,  car  les  premiers, 
«  voyant  les  Gamisards  désarmés  dans  leurs  maisons, 
étaient  fortement  tentés  de  les  égorger  (1).  » 

Fléchier  se  fit  l'écho  du  désenchantement  général  à  la 
vue  de  ces  hommes  qui  avaient  fait  trembler  la  province 
pendant  quatre  années,  auxquels  la  terreur  populaire 
avait  prêté  sans  doute  des  proportions  d'ogres  et  de  Ti- 
tans, et  qui,  exténués,  misérables,  en  haillons,  mourant 
de  faim,  répondaient  si  peu  à  l'idée  qu'on  s'était  faite 
d'eux  :  «  Nous  avons  vu  paraître  ici  tous  leurs  chefs,  plus 
fous  et  plus  gueux  les  uns  que  les  autres,  qui  se  disaient 
pourtant  évangélistes,  prédicateurs  et  prophètes,  qui 
sont  partis  pour  aller  porter  leurs  extravagances  et  leurs 
misères  dans  les  pays  étrangers  (2).» 

Cet  immense  incendie  paraissait  éteint.  A  l'exception 
de  Ravanel,  tous[les  chefs  étaient  morts,  ou  volontaire- 
ment exilés.  Yillars,  le  pacificateur  de  la  contrée,  s'en 
éloigna,  comblé  degloire,  rassasié  d'honneurs,  et  ne  dé- 
daignant pas  môme,  suivant  l'usage  du  temps,  détendre 
la  main  aux  récompenses  pécunaires.  Les  états  du  Lan- 
guedoc, qu'il  tint  en  novembre,  lui  firent  un  présent  de 


(1)  Louvreleuil,  t.  III,  p.  218. 

(2)  Fléchier,  lettre  du  8  janv.  1705. 


'Mil  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

12,000  livres,  et  un  de  8,000  à  la  maréchale,  «  avec  tous 
les  éloges  qu'ils  avaient  mérités  ». 

1705.—  Le  duc  de  Berwick  remplaça  Villars,  qui  prit 
congé  de  la  province  le  6  janvier.  C'était  le  quatrième 
maréchal  de  France  que  la  cour  envoyait  dans  les  Cé- 
vennes.  Avec  lui,  les  mesures  de  rigueur  qu'affection- 
nait Bâville  furent  remises  plus  que  jamais  en  faveur. 
Gela  n'eut  pour  effet  que  de  réveiller  les  passions  reli- 
gieuses mal  assoupies,  et  c'est  dans  ces  circonstances 
désespérées  que  trois  personnages,  l'abbédelaBourlie,le 
marquis  de  Miremont  et  de  Belcastel,  prenant  l'étranger 
pour  point  d'appui,  nécessité  douloureuse,  mais  inévi- 
table pour  une  minorité  opprimée,  conçurent  le  projet  de 
recommencer  la  lutte.  Par  malheur,  ils  n'agissaient  pas  de 
concert,  parfois  même  l'un  défaisait  l'œuvre  des  deux 
autres.  Aussi  ne  nous  arrêterons-nous  pas  longtemps  à 
exposer  des  projets  qui  ne  devaient  pas  aboutir,  et  qui 
poussèrent  seulement  vers  une  mort  effroyable  ceux 
qu'égarèrent  de  décevantes  espérances.  Nous  nous 
contenterons  de  dire  que  le  soulèvement  devait  être  gé- 
néral et  qu'il  coïncidait  avec  une  formidable  invasion 
dont  les  alliés  eussent  confié  la  direction  à  Cavalier, 
qui  était  à  la  fois  la  terreur  et  l'espoir  de  la  contrée.  La 
plupart  des  anciens  lieutenants  ou  compagnons  de 
l'héroïque  enfant  des  Cévcnnes  se  laissèrent  persuader 
de  rentrer  en  France  afin  de  travailler  de  concert  avec 
lui.  Plusieurs  conférences  eurent  lieu,  dont  la  plus  im- 
portante se  tint  chez  le  capitaine  Boëton,  entre  Nîmes 
et  Montpellier.  Ravanel,  Catinat,  Villars,  Jonquet,  Clary 
et  quelques  autres  chefs  y  assistaient.  Ils  comptaient 
surprendre  à  la  fois  ces  deux  villes,  s'emparer  du  port  de 
Cette,  tuerBàville,  enlever  Berwick  et  l'envoyer  ;\  bord  de 
la  Hotte  anglaise.  On  devait  entraîner  les  populations  au 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  333 

cri  de  :  Vivo  le  roi  sans  jésuites!  Vive  la  liberté  de  cons- 
cience !  Tout  fut  découvert,  et  il  n'y  eut  plus  qu'à  re- 
chercher et  châtier  les  coupables. 

La  formidable  insurrection  des  Cévennes  eût  réussi, 
sans  doute,  si  elle  eût  commencé  seulement  à  l'heure 
où  elle  s'éteignait  sous  les  ruines  de  tous  les  villages 
détruits,  et  sur  les  échafauds  où  l'on  suppliciait 
tant  de  martyrs  d'une  cause  juste.  Lorsque  Roland 
mourait,  la  France  perdait  la  bataille  d'Hochstet,  où  il 
resta  sur  le  champ  de  bataille,  suivant  l'expression  de 
Fléchier,  «  une  armée  presque  entière  de  morts,  de 
blessés  et  de  prisonniers  (1) .»  C'était  le  temps  où  la 
longue  tyrannie  du  grand  roi  portait  ses  fruits,  et  com- 
mençait à  déchaîner  sur  la  France  cette  série  de  mal- 
heurs qui  allait  la  plonger  dans  un  abîme  du  fond 
duquel  il  devait  s'écrier  dans  son  orgueil  :  «  Est-ce  que 
Dieu  a  oublié  ce  que  j'ai  fait  pour  lui?» 

En  apprenant  la  nouvelle  tentative  des  Camisards, 
Berwick  et  Bâville  redoublèrent  de  fureur  et  jurèrent 
d'exterminer  jusqu'au  dernier  ceux  qui  avaient  osé  cons- 
pirer contre  leur  liberté  et  contre  leur  vie.  Ils  deman- 
dèrent des  pouvoirs  plus  absolus  encore  pour  eux  et 
pour  leurs  agents  :  «  Plus,  monseigneur,  disait  le  maré- 
chal, je  fais  rétlexion  sur  les  affaires  de  ce  pays-ci,  sur  la 
légèreté  des  peuples  et  sur  leur  mauvaise  volonté,  plus 
je  suis  convaincu,  aussi  bien  que  M.  de  Bàville,  de  la  né- 
cessité d'ôter  entièrement  les  armes  à  tous  les  nouveaux 
convertis, et  surtout  à  ceux  qui  on  t  été  engagés  dans  la  der - 
nière  révolte.  Nous  ne  trouvons  point  pour  cela  d'autre 
remède  que  de  punir  avec  la  dernière  sévérité  ceux  qui 
se  trouveront  avoir  des  armes  chez  eux,  etprincipalement 

(1)  Fléchier,  lettre  du  ?,  septembre  1704. 

lu. 


;i'A\  HISTOIRE    DES   CAM1SARHS 

ceux  sur  qui  l'on  en  trouvera  dans  les  campagnes  et 
grands  chemins.  La  peine  des  galères  imposée  par  les 
ordonnances  du  roi  ne- suffit  pas  pour  les  intimider, 
c'est  pourquoi  j'ai  l'honneur  de  vous  proposer  que  le 
roi  veuille  bien  m'envoyer  la  permission  de  les  traiter 
militairement,  c'est-à-dire  que  je  puisse  enjoindre  aux 
commandants  des  différents  quartiers  de  punir  de  mort 
sur-le-champ  tous  ceux  que  l'on  trouvera  avec  des  armes 
dans  les  champs  ou  grands  chemins.  » 

Bàville  appuie  la  demande  deBerwick.  Toutefois  le  lé- 
giste reparaît  un  instant  derrière  le  féroce  proconsul,  il  a 
des  scrupules  de  légalité  :  «  Je  sais  que  cela  ne  convient 
pas  tout  à  fait  aux  règles  ordinaires,  mais  le  mal  qui 
a  régné  dans  cette  province  est  d'une  nature  qui  de- 
mande des  remèdes  extraordinaires  pour  en  prévenir  le 
retour  (1).  » 

Par  leurs  soins,  huit  ou  dix  personnes  furent  rouées 
vives  en  janvier  1705  et  plusieurs  maisons  rasées, 
«  pareequ'on  les  soupçonnait  d'avoir  servi  à  des  assem- 
blées religieuses  (2).  » 

Une  ordonnance  déclara  Ravanel  hors  la  loi,  déchu  de 
tout  droit  à  prétendre  à  aucune  grâce  ni  amnistie,  cent 
cinquante  louis  furent  promis  à  quiconque  le  livrerait 
vivant,  cent  louis  à  qui  apporterait  sa  tête.  Des  menaces 
terribles  planèrent  sur  ceux  qui  le  recevraient,  ou  qui, 
connaissant  sa  retraite,  ne  le  dénonceraient  pas.  Peine 
inutile  :  cette  fois  on  ne  rencontra  pas  le  traître  que  l'on 
cherchait. 

Rentré  dans  le  Vivaraiscn  février,  Castanet  avait  tenu 


(1)  Les  Insurgés  protestants  sous  Louis  XIV,  par  G.  Frosterus,  pro- 
fesseur à  l'université  de  Helsingfors,  p.  69. 

(2)  Court,  t.  III,  p.  146. 


HISTOIRE   DES    CAMISARDS  335 

une  assemblée  dans  une  caverne  du  côté  de  la  Gorce. 
Vallette  et  Boyer  s'étaient  joints  à  lui.  On  apprit,  grâce 
à  la  trahison  d'un  paysan,  qu'ils  erraient  dans  un  bois 
aux  environs  de  Rivières.  Quarante  hommes  furent  ex- 
pédiés à  leur  poursuite.  Surpris  dans  une  embuscade, 
Boyer  fut  abattu  d'un  coup  de  fusil,  et  Castanet  arrêté 
avec  Valette.  Ils  furent  conduits  à  Montpellier,  Castanet 
portant  à  la  main  la  tête  de  son  infortuné  compagnon. 
Ce  n'était  là  que  le  premier  raffinement  d'un  supplice 
qui  devait  se  terminer  sur  cette  sombre  place  du  Peyrou, 
au  centre  de  laquelle  se  dresse  encore  la  statue  équestre 
de  Louis  XIV,  monument  de  l'ineptie  et  delà  lâcheté  des 
hommes. 

«  11  souffrit  sur  sa  croix  des  douleurs  horribles  avant 
que  d'expirer,  après  avoir  eu  les  quatre  membres  fracas- 
sés. On  eût  dit,  à  entendre  ses  cris  perçants,  qu'il  était 
possédé  du  démon.  »  Repoussant  les  salutaires  remontran- 
ces du  prêtre  qui  l'assistait,  «  il  cria  d'un  ton  ferme  à 
l'exécuteur  :  Bourreau,  bourreau,  achève  ton  œuvre!  Cet 
abbé  lui  dit  alors  :  que  dans  ce  triste  état  où  ses  péchés 
l'avaient  réduit,  il  ne  devait  avoir  d'autre  volonté  que 
celle  de  Dieu,  et  que  s'il  avait  quelque  chose  à  demander 
à  ce  ministre  de  la  haute  justice,  c'était  de  différer  le 
dernier  coup  de  son  tourment,  pour  lui  donner  le  temps 
d'expier  par  ses  maux  et  par  le  sang  qui  coulait  de  ses 
plaies,  tant  de  sang  innocent  qu'il  avait  répandu.  A  quoi 
il  répondit  :  qu'il  voulait  mourir  dans  sa  religion,  parce 
qu'il  y  était  né  (1).  » 

Quand  à  Vallette,  aussi  coupable,  mais  moins  notable 
dans  le  parti,  on  se  contenta  de  le  pendre. 

C'était  le  26  mars.  La  vengeance  ne  devait  pas  se  faire 

(I)  Loùvreleuil,  l'Obstination  confondue,  p.  11. 


33G  HISTOIRE    DES   CÂM1SABDS 

beaucoup  attendre,  car  le  jour  de  l'explosion  du  com- 
plot était  fixé  au  25  avril.  Mais  le  18,  on  arrêta  à  Mont- 
pellier un  déserteur  suisse  nommé  Jean-Louis,  qui  livra 
le  secret  des  conjurés  et  assura  que  tous  les  chefs  se 
trouvaient  à  Nîmes,  où  il  serait  facile  de  s'emparer  d'eux 
si  on  voulait  l'y  conduire  et  suivre  les  indications  qu'il 
était  prêt  à  donner. 

On  n'eut  garde  de  négliger  ces  précieuses  indications, 
et  Jean-Louis,  bien  escorté,  fut  livré  à  M.  de  Sandricourt, 
gouverneur  de  Nîmes. 

Le  lendemain,  à  dix  heures  du  soir,  cent  Suisses  vin- 
rent investir  les  rues  qu'il  avait  désignées  dans  le  quar- 
tier de  Sainte-Eugénie,  et  sans  nul  avertissement  préa- 
lable, on  se  mit  à  fouiller  toutes  les  maisons.  La  porte  de 
l'une  d'elles,  celle  d'un  riche  fabricant  de  soieries, 
nommé  Alison,  calviniste  ardent,  était  toute  grande 
ouverte  sur  la  rue,  si  bien  que.  convaincus  que  nul  ne 
pouvait  songer  à  mal  faire  dans  une  demeure  dont  l'en- 
trée était  si  largement  libre,  ils  allaient  porter  plus  loin 
leurs  pas  lorsqu'ils  crurent  entendre  des  hommes  causer 
dans  une  chambre  de  plain-pied  avec  le  vestibule  où  ils 
se  trouvaient.  Ils  écoutent,  et  distinguent  ces  paroles  : 
«  C'est  une  chose  sûre  que  dans  trois  semaines  le  roi  ne 
sera  plus  maître  du  Dauphiné,  du  Vivarais  ni  du  Lan- 
guedoc. On  me  cherche  partout;  mais  je  suis  dans 
Nîmes,  et  je  ne  crains  rien.  » 

Les  Suisses  se  précipitent  l'épée  à  la  main  dans  la 
chambre,  dont  la  porte  n'était  pas  môme  fermée,  et,  sans 
leur  laisser  le  temps  de  revenir  de  leur  surprise,  ils  s'em- 
parent de  trois  hommes  assis  autour  d'une  table.  Ces  trois 
hommes  n'étaient  rien  moins  que  Ravanel,  Villars  et  Jon- 
quet. 

On  se  saisit  dans  la  môme  nuit  de  quarante-six  autres 


HISTOIRE   DES   CAMISARDS  337 

personnes,  parmi  lesquelles  se  trouvaient  plusieurs 
femmes,  qui  furent  rejoindre  les  trois  chefs  camisards 
dans  leurs  cachots. 

Au  matin,  on  arrêta  encore  le  négociant  Alison.  11  se 
tenait  au  premierétage  de  sa  demeure.  Pendant  l'arres* 
tation  du  rez-de-chaussée,  il  gagna  les  toitset  passa  une 
nuit  d'angoisses,  tapi  derrière  le  tuyau  d'une  cheminée. 
Un  soldat  l'aperçut  lorsque  le  jour  fut  venu,  et  l'ajusta, 
en  lui  criant  qu'il  avait  ordre  de  l'abattre,  s'il  ne  consen- 
tait pas  à  se  rendre.  Il  céda  et  eut  tort,  car  peu  de  jours 
après  il  fut  rompu  vif  sur  la  roue,  tous  ses  biens  furent 
confisqués,  et  sa  maison,  la  plus  belle  delà  ville,  fut  con- 
damnée à  être  rasée,  pour  avoir  abrité  les  conjurés  pen- 
dant quelques  heures. 

»  Ce  fut  un  spectacle  bien  surprenant  aux  habitants  de 
Nîmes,  lorsqu'ils  virent  à  leur  lever  toutes  les  rues  gar- 
dées par  des  soldats  la  baïonnette  au  bout  du  fusil,  etles 
portes  fermées  sans  qu'il  fût  permis  à  personne  de  sortir 
de  la  ville,  à  moins  qu'on  n'en  eût  un  besoin  extrême,  et 
qu'on  ne  donnât  une  bonne  caution...  Jamais  les  nou- 
veaux convertis  n'avaient  eu  tant  de  peur.  Ils  appré- 
hendaient à  tout  moment  qu'on  ne  fît  main  basse  sur 
eux  pour  les  punir  du  projet  qu'ils  avaient  formé  contre 
les  anciens  catholiques  (1).  » 

Cependant  un  des  chefs,  et  des  plus  redoutables),  Ca- 
tinat,  parvenait  à  déjouer  l'ardeur  des  investigations  que 
dirigeaient  Bàville  et  Berwick  en  personne.  Jean-Louis 
le  Genevois  affirmait  qu'il  était  à  Nîmes.  Spéculant  sur 
les  plus  viles  passions,  sur  l'avarice  et  la  peur,  le  maré- 
chal fit  alors  publier  dans  toute  la  ville  à  son  de  trompe 
une  ordonnancé  par  laquelle  «  il  promettait  de  donner 

(1)  Louvreleuil,  l'Obstination  confondue,  p.  55. 


.'538  HISTOIRE    DES    CAMISARUS 

cent  louis  d'or  à  quiconque  livrerait  ou  ferait  prendre 
Catinat,  avant  qu'on  en  vînt  à  des  extrémités  pour  le 
trouver.  En  second  lieu,  il  déclarait  qu'il  ferait  grâce  à 
celui  qui  l'aurait  retiré,  s'il  le  dénonçait  ;  que  si  personne 
ne  le  dénonçait,  il  allait  faire  visiter  toutes  les  maisons, 
et  que  s'il  découvrait  celle  où  le  rebelle  aurait  logé,  l'ha- 
bitant de  cette  maison  serait  pendu  sur-le-champ  à  sa 
porte,  sa  famille  emprisonnée,  tout  son  bien  conlisqué, 
sans  autre  forme  de  procès  (1).  » 

Catinatentendaittout,  dufond  de  sacachette.  Ilnevou- 
lutpas  attirer  ces  peines  terribles  sur  la  tête  de  ses  hôtes, 
bien  qu'ils  ne  se  laissassent  pas  tenter  par  la  prime 
offerte  à  la  trahison.  Après  s'être  fait  raser,  couper  les 
cheveux  et  poudrer  la  tête,  pour  tâcher  de  dépister  les 
regards  haineux  qui  le  cherchaient,  le  malheureux 
sortit,  et  se  mit  à  errer  dans  ces  rues  où  il  se  sentait 
traqué  comme  une  bête  fauve,  le  long  de  ces  maisons 
dont  pas  une  seule  désormais  ne  pouvait  s'ouvrir  devant 
ses  pas.  Il  voulait  tenter  de  sortir  delà  ville  par  la  porte 
Saint-Antoine.  Un  corps  de  garde  de  la  garnison  du 
fort  veillait  à  l'entrée.  Son  chapeau  enfoncé  sur  les 
yeux,  une  main  à  la  bouche,  et  tenant  de  l'autre  une 
lettre  qu'il  paraissait  lire,  il  passe  sans  saluer  devant 
l'officier  qui  se  promenait  à  l'entrée  du  corps  de  garde. 
Irrité  de  ce  manque  de  civilité,  celui-ci  le  fait  arrêter; 
on  le  fouille,  et  l'on  trouve  sur  lui  une  lettre  à  l'adresse 
de  M.  Abdias  Morel,  dit  Catinat. 

Il  demanda  à  parler  ta  Berwick,  auquel  il  annonça 
que  s'il  ne  consentait  pas  à  l'échanger  contre  le  ma- 
réchal de  Tallard,  captif  à  Londres,  la  reine  d'Angle- 
terre ferait  à  son  prisonnier  le  même  traitement  qu'on 

(l)  Louvreleuil,  p.  74. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  -339 

lui  ferait  à  lui  môme.  Pour  toute  réponse,  le  maréchal 
le  renvoya  à  Bâville  (1). 

Catinat,  Ravanel  et  Jonquet  étaient  nés  dans  le  peuple. 
Quant  à  Villars,  qui  comptait  vingt-cinq  ans  à  peine,  il 
avait  tenu  son  rang  dans  la  meilleure  compagnie  de  la 
province.  Petit-fils  d'un  pasteur,  fils  d'un  médecin  pro- 
testant, et  cachant  sa  foi  sous  le  masque  de  l'apostasie, 
il  s'était  fait  l'ami  de  Bâville,  auquel  il  arrachait  tous 
ses  secrets  pour  les  aller  ensuite  livrer  à  ses  coreligion- 
naires. C'était  sous  son  toit  même  qu'il  conspirait  contre 
lui.  L'intendant  fut  lui  reprocher  dans  sa  prison  la  délo- 
yauté de  sa  conduite  et  ses  relations  avec  des  hommes 
grossiers  et  perdus  de  crimes.  «  Pour  acheter  nos  vies, 
lui  répondit  Villars,  vous  avez  employé  la  délation,  la 
torture,  et  la  trahison  sous  toutes  ses  formes.  Pourquoi 
me  reprochez-vous  d'avoir  défendu  mes  croyances 
avec  les  mômes  armes  dont  vous  vous  serviez  contre 
nous?  Quant  à  ces  malheureux  dans  la  société  de 
qui  j'étais ,  plût  à  Dieu  que  j'aie  l'âme  aussi  belle 
qu'eux  !  » 

Le  jugement  n'était  que  pour  la  forme  :  on  savait 
quelle  serait  la  sentence.  Le  mode  de  supplice  pouvait 
seul  faire  l'objet  d'une  délibération.  «  Il  y  eut  plusieurs 
conseillers  qui  étaient  d'avis  que  Catinat  fût  tiré  à 
quatre  chevaux,  mais  le  plus  grand  nombre  opina  pour 
le  feu,  qui  est  un  supplice  plus  violent  et  plus  long  que  le 
déchirement...  Ravanel  eut  le  môme  sort,  mais  on  lui 
aurait  arraché  auparavant  la  langue  comme  à  un  insigne 
blasphémateur,  si  le  sentiment  de  quelques-uns  des  juges 
avait  été  suivi.  Jonquet  fut  condamné  â  être  rompu  tout 


[1)  Berwick,  Mémoires,  p.  3G9. 


340.  HISTOIRE    DES   CAMISARDS 

vif  et  ensuite  jeté  dans  le  feu,  et  Villars  à  avoir  seulement 
les  os  cassés  (1) .  » 

Nous  n'avons  pas  besoin  de  dire  qu'ils  furent  préala- 
blement appliqués  à  la  question  ordinaire  et  extraordi- 
naire. C'était  le  préliminaire  obligé  de  ces  sortes  de 
cérémonies. 

Pendant  que  l'on  s'acharnait  à  les  torturer,  la  nuit 
était  venue;  on  les  conduisit  au  pied  de  l'échafaud,  on 
leur  fit  voir  à  tous  les  quatre  les  instruments  de  leur 
supplice,  puis  Bâville  ordonna  de  surseoir  à  l'exécution 
jusqu'au  lendemain,  afin  que  le  soleil  éclairât  de  ses 
rayons  le  dénouement  de  cette  effroyable  tragédie.  Ce  ne 
fut  donc  que  le  22  avril,  vers  dix  heurs  du  matin,  que 
ces  quatre  moribonds  se  virent  portés  sur  l'échafaud 
qu'entourait  toute  la  garnison,  les  officiers  en  tête  et  les 
tambours  ne  cessant  pas  de  battre. 

Ravanel  et  Catinat  étaient  enchaînés  dos  à  dos  au 
môme  poteau,  et  l'on  vit  quelques-unes  de  ces  misé- 
rables créatures  comme  il  s'en  rencontre  en  ces  occur- 
rences, à  la  honte  de  l'humanité,  qui  apportèrent  leur 
fagot  au  bûcher  qui  allait  les  dévorer  (2).  Ravanel  mou- 
rut avec  un  stoïcisme  qui  ne  se  démentit  pas  au  milieu 
des  tourments.  On  l'entendit  chanter  des  psaumes 
jusqu'au  moment  où  le  feu  étouffa  sa  voix.  Le  supplice 
de  Catinat  fut  plus  horrible,  et  les  spectateurs  remar- 
quèrent qu'il  souffrit  «  avec  quelque  impatience  (3).  » 
Doué  d'une  force  herculéenne,  il  était  mieux  trempé 
pour  mourir  moins  vite  et  souffrir  plus  longtemps.  La 
pluie  qui  avait  tombé  pendant  toute  la  nuit  empêchait 


(1)  Louvreleuil,  p.  83. 

(2)  Louvreleuil,  p.  91. 

(3)  Court,  t.  III,  p.  J95. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  341 

le  bois  de  brûler  rapidement,  et  le  vent,  en  écartant  de 
lui  les  flammes,  ne  permettait  pas  au  feu  de  consommer 
son  œuvre.  On  voyait  ce  malheureux  se  tordre  au  milieu 
de  ses  chaînes  de  fer  et  poussant  des  hurlements 
horribles. 

Jonquet  fut  brisé  sur  la  roue.  La  sentence  portait 
qu'il  ne  serait  jeté  au  bûcher  qu'après  sa  mort.  Le  bour- 
reau ajouta  quelque  chose  au  programme,  et  pour 
satisfaire  sans  doute  ses  nombreux  spectateurs,  l'y  jeta 
vivant.  Quant  à  Villars,  il  l'étrangla  après  lui  avoir  rom- 
pu les  membres. 

«  Telle  fut,  dit  le  curé  Louvreleuil,  la  détestable  fin 
de  ces  quatre  brigands  Ils  allèrent  où  va  le  chemin 
qu'ils  avaient  pris,  ils  furent  payés  du  maître  qu'ils 
avaient  servi,  je  veux  dire  qu'ils  tombèrent  entre  les 
mains  du  démon,  qui  paya  de  ses  noires  fureurs,  de  ses 
tisons  ardents  et  de  ses  cruautés  éternelles  l'obéissance 
qu'ils  avaient  rendue  à  ses   suggestions    criminelles.  » 

On  comptait  alors  plus  de  trois  cent  cinquante  calvi- 
nistes dans  les  prisons  de  Nîmes  (1).  Malgré  son  activité, 
Bâville  ne  suffisait  pas  à  y  faire  des  places  nouvelles.  Le 
24,  c'est-à-dire  deux  jours  après,  il  fit  encore  rouer  ou 
pendre  sept  personnes  coupables:  d'avoir  abrité  les 
conspirateurs,  de  n'avoir  pas  dénoncé  Gatinat,  d'avoir 
réparé  les  armes  des  Gamisards,  ou  d'autres  forfaits 
analogues  (2). 

Laissant,  à  ses  subdélégués  le  soin  de  continuer  ce  tra- 
vail d'épuration,  Bàville  fut  le  poursuivre  à  Montpellier, 
et  Louvreleuil,  aussi  jaloux  de  varier  ses  formules  narra- 


(1)  Duval,  Histoire  nouvelle  et  abrégée  de  la  révolte  des  Cècennes, 
p.  242. 

(2)  Louvreleuil,  p.  95-99. 


3i2  HISTOIRE    DES    CAMISARDS 

tives  que  l'intendant  ses  genres  de  supplices,  nous  apprend 
que  la  roue,  le  bûcher  et  la  potence  furent  encore  adju- 
gés à  bon  nombre  de  Gamisards  :  Annibal  Gaillard,  tor- 
turé, puis  rompu  vif;  Jeanne  Cuitard,  pour  l'avoir  re- 
cueilli chez  elle,  pendue  ;  Jean  de  Leuse,  pendu  ;  Glande 
Malier,  pendu... 

Au  bon  vieux  temps,  le  roi  et  le  bourreau,  son  com- 
père, héritaient  de  leurs  victimes,  l'un  par  la  confisca- 
tion qui  lui  attribuait  l'argent  et  les  domaines,  l'autre 
en  s'emparant  des  habits  et  de  toute  la  défroque  des  sup- 
pliciés. Quant  aux  demeures,  châteaux,  maisons  ou 
chaumières,  on  les  rasait,  — comme  les  chiens  mordent 
les  pierres  qu'on  leur  lance,  —  sans  pouvoir  s'élever 
jusqu'à  comprendre  tout  ce  qu'il  y  avait  d'inepte  dans 
cet  anéantissement  de  valeurs  souvent  considérables. 
Us  avaient  donc  tous  les  deux  un  intérêt  identique  et 
direct  aux  fréquentes  exécutions.  Il  faut  dire  qu'ils  aban- 
donnaient volontiers  ces  épaves  de  la  mort,  l'un  à  ses 
valets,  pour  récompenser  leur  zèle  ou  leur  habileté, 
l'autre  à  ses  courtisans,  pour  payer  leurs  complaisances 
et  leurs  lâchetés. 

Les  soldats  du  grand  roi  venaient  d'arrêter  quatre  Ca- 
misards.  Les  trouvant  trop  bien  vêtus  pour  la  circon- 
stance, ils  volèrent  le  bourreau  en  les  dépouillant  de  leurs 
vêtements  pour  les  couvrir  de  sordides  haillons.  De  ces 
quatre  Gamisards,  deux  furent  brûlés,  un  fut  rompu,  et 
l'autre,  son  fils,  pendu. 

11  faudrait  le  souffle  puissant  d'Homère  pour  suffire  à  ces 
longs  etsinistres  dénombrements  de  l'échafaud.  «A  force 
d'exécutions,  en  un  mois  de  temps,  le  calme  fut  réta- 
bli, »  ditBerwick  (Mémoires),  qui  touche  ici  au  sublime 
de  Tacite  :  solitudinem  faciunt,  pacèm  appellant.  Il  avait 
tout  tué,  et  réalisé  ainsi  le  calme  des  solitudes.  Bor- 


HISTOIRE    WîS    CAMISARDS  343 

nons-nous  donc,  en  concentrant  l'intérêt  sur  les  chefs. 

On  se  rappelle  ce  Boëton  qui  avait  pris  une  partie  si 
considérable  aux  premiers  projets  de  révolte.  11  fut 
arrêté  par  un  de  ses  cousins  germains,  le  baron  de  Saint- 
Chattes,  et  transféré  à  la  citadelle  de  Montpellier.  Les 
juges  deBâville  le  condamnèrent  au  supplice  de  la  roue, 
après  qu'il  aurait  subi  la  question  ordinaire  et  extraor- 
dinaire. L'intendant  y  assistait,  épiant  sur  ses  lèvres  le 
nom  de  quelques  nouvelles  victimes  à  faire  arrêter. 
Boëton,  toujours  muet,  mettait  en  défaut  la  science  et 
lapatiencedes tortionnaires. Bâville,  furieux,  allajusqu'à 
l'insulter.  Boëton  leva  les  yeux  au  ciel  et  dit  :  «  Jusques 
à  quand  souffriras-tu,  Seigneur,  le  triomphe  de  l'impie? 
Jusques  à  quand  permettras-tu  qu'il  répande  le  sang  de 
l'innocent?  Ce  sang  crie  vengeance  devant  toi  !  Tarderas- 
tu  encore  longtemps  de  faire  justice  ?  » 

Tandis  qu'on  le  conduisait  au  supplice,  harcelé  par 
deux  religieux,  on  lui  offrit  sa  grâce  s'il  consentait  à  ab- 
jurer sa  religion.  11  la  refusa. 

Un  de  ses  amis  se  trouvait  sur  le  passage  du  lugubre 
cortège,  et  se  détourna,  cachant  les  pleurs  qui  mondaient 
son  visage  :  «  Mon  ami,  lui  dit-il,  pourquoi  me  fuyez-vous 
parce  que  vous  me  voyez  couvert  des  livrées  de  Jésus- 
Christ?  Pourquoi  me  pleurez-vous,  quand  il  me  fait  la 
grâce  de  m'appeler  à  lui  et  de  sceller  de  mon  sang  la  dé- 
fense de  sa  cause?  » 

Ne  pouvant  trouver  une  parole  pour  exprimer  l'im- 
mensité de  sa  douleur,  celui-ci  voulutse  précipiter  dans 
ses  bras  :  les  soldats  le  repoussèrent. 

A  la  vue  de  l'échafaud,  il  s'écria  :  «  Courage,  mon 
âme,  je  vois  le  lieu  de  ton  triomphe.  Bientôt,  dégagée 
de  tes  liens  douloureux,  tu  entreras  dans  le  ciel  !  » 

Après  que  le  bourreau  lui  eut  rompu  les  jambes  et  les 


\¥l\  HISTOIRE   DES   CAMISARDS 

bras,  il  l'étendit  sur  la  roue  les  membres  repliés  sous  le 
corps,  et  la  tête  sans  appui,  pendant  dans  le  vide.  Il  y 
avait  cinq  heures  qu'il  était  ainsi,  chantant  de>  psaumes 
ou  adressant  des  paroles  d'encouragement  aux  calvi- 
nistes qui  s'approchaient  de  lui,  lorsque  l'abbé  Marsillan 
vint  prévenir  Bâville,  que  «bien  que  cette  mort  effrayât 
les  protestants,  elle  ne  servait  qu'à  les  affermir  dans 
leur  religion,  ce  qu'il  était  facile  de  reconnaître  par  les 
larmes  qu'ils  versaient  et  par  les  louanges  qu'ils  don- 
naient au  mourant.  » 

Cette  considération  toucha  Bâville,  qui  donna  la  per- 
mission de  l'achever.  Un  archer  voulait  s'y  opposer. 
«  Vous  croyez,  mon  ami,  que  je  souffre,  lui  dit  Boëton. 
Je  souffre  en  effet  :  mais  apprenez  que  celui  qui  est  avec 
moi  et  pour  lequel  je  souffre  me  donne  la  force  de  sup- 
porter mes  tortures  avec  joie.  »  L'exécuteur  s'approcha 
alors  ;  le  martyr  souleva  une  dernière  fois  la  tête,  et 
dit  :  «  Mes  très-chers  frères,  que  ma  mort  vous  soit  un 
exemple  pour  soutenir  la  pureté  de  l'Évangile  ;  et  soyez 
fidèles  témoins  que  je  meurs  dans  la  religion  de  Jésus- 
Christ  et  de  ses  saints  apôtres.  »  Le  bourreau  souleva 
sa  barre  et  lui  donna  le  coup  de  grâce. 

La  guerre  des  Cévennes  est  terminée.  Les  supplices 
poursuivirent  leur  cours,  les  persécutions  continuèrent 
jusqu'au  règne  de  Louis  XVI,  mais  l'insurrection  n'osa 
plus  relever  la  tête.  Nous  laissons  à  Fléchier  le  soin  de 
prononcer  le  dernier  mot  pour  clore  ce  lamentable  récit. 

On  disait  que  Cavalier,  la  terreur  des  catholiques, 
croisait  sur  une  flottille  anglo-hollandaise,  prêt  à  opé- 
rer une  descente  : 

«  Grâces  au  Seigneur,  écrivait  l'évêque  de  Nîmes  (1), 

(1)  Fléchier,  lettre  du  15  août  1700. 


HISTOIRE    DES    CAMISABDS  345 

nous  sommes  ici  dans  une  grande  tranquillité,  contents 
que  Cavalier  soit  embarqué  sur  une  flotte  anglaise.  Ce 
vaisseau  périra  sans  doute,  étant  chargé  de  tant  de  cri- 
mes. Quelque  orage  imprévu  s'élèvera  et  le  brisera 
contre  quelque  effroyable  rocher.  Aussi  bien  ce  scélé- 
rat serait-il  venu  périr  ici  sur  la  roue. 

«  Tous  nos  amis  se  portent  bien.  » 

Il  ne  semble  pas  que  dans  son  évangile,  où  il  ordonne 
d'aimer  jusqu'à  ses  ennemis,  Jésus  ait  légué  à  ses  mi- 
nistres les  modèles  de  pareils  sentiments  ni  d'un  sem- 
blable langage. 

Quel  jugement  l'histoire  prononcera-t-elle  sur  ces 
hommes  qui,  trop  faibles  pour  résister  à  leur  implacable 
persécuteur,  se  virent  contraints  de  tendre  les  bras  aux 
ennemis  de  leur  patrie  ?  Hélas  !  quand  Louis  XIV  avait 
fait  pour  eux  de  la  France  un  immense  bagne  d'où  il 
leur  était  défendu  de  sortir,  en  même  temps  qu'il  ne 
leur  laissait  plus  les  moyens^d'y  vivre  ;  quand  il  soule- 
vait contre  eux  une  jacquerie  universelle  en  ordonnant 
à  toute  la  population  catholique  de  leur  courir  sus, 
tandis  qu'il  leur  prescrivait,  sous  peine  de  mort,  de  dé- 
poser leurs  armes,  ne  purent-ils  pas  croire  que  leurs 
véritables  frères  étaient  les  protestants  d'Angleterre, 
d'Allemague,  de  Suisse  et  de  Hollande,  et  que  la  patrie 
était  là  où  on  leur  offrait  des  établissements  qui  leur 
étaient  refusés  chez  eux  ? 

Sans  doute  ils  brûlèrent  bien  des  églises  et  bien  des 
presbytères.  Mais  qui  donc  avait  commencé,  depuis 
vingt  longues  années,  à  raser  leurs  temples  et  les  mai- 
sons de  leurs  ministres?...  Ils  massacrèrent  bien  des 
prêtres.  Mais  qui  donc  avait  commencé  à  peupler  les 
galères  avec  leurs  pasteurs,  quand  ils  n'étaient  pas 
pendus,   brûlés,    rompus  vifs?...  Ils  massacrèrent  drs 


34G  HISTOIRE    DES    CAMISAIUJS 

enfants.  Mais  qui  avait  commencé  à  faire  des  bâtards 
de  leurs  fds  et  de  leurs  filles,  à  les  ravir  aux  bras  des  mères, 
qui  donc  les  avait  massacrés  sur  leur  sein,  et  jusques 
dans  leurs  flancs  éventrés?... 

Ce  furent  d'horribles  représailles,  mais  légitimes,  ce- 
pendant, car  la  religion  et'la  conscience  sont  au  dessus 
des  décisions  d'un  homme,  si  puissant  qu'il  soit,  si  in- 
faillible qu'il  lui  plaise  de  se  proclamer.  Après  l'attentat 
du  22  octobre  1685,  il  fallait  céder  et  se  faire  apostat, 
ou  se  laisser  égorger,  ou  se  défendre  les  armes  à  la 
main.  Chacun,  dans  cette  terrible  extrémité,  agit  sui- 
vant le  tempérament  que  le  ciel  lui  avait  donné.  11  y 
eut  des  convertis,  il  y  eut  des  martyrs,  il  y  eut  des 
combattants.  Nous  n'avons  rien  à  dire  des  premiers;  ils 
étaient  faibles,  et  la  faiblesse  est  encore  une  sorte  d'in- 
nocence. Mais  tout  en  prodiguant  notre  sympathique 
pitié  aux  martyrs,  nous  réservons  le  tribut  de  notre 
admiration  pour  les  combattants.  Honte  à  Louis  XIV, 
qui  déchira  l'édit  de  Nantes  pour  se  faire  le  bourreau 
de  ses  sujets  inoffensifs,  et  gloire  aux  champions  de  la 
liberté  de  conscience!  Souvenons-nous,  avant  d'avoir 
pour  eux  des  paroles  sévères,  que  nous  recueillons  le 
prix  de  leur  sang  versé  sur  ces  obscurs  champs  de  ba- 
taille.  Ils  ont  fait  faire  un  grand  pas  à  l'esprit  humain, 
et  nous  n'en  voulons  pour  preuve  que  les  paroles  sui- 
vantes, prononcées  un  demi-siècle  plus  tard  par  le  neveu 
même  de  Bàville.  Il  appartenait  au  vertueux  Ma- 
lesherbes  de  relever  le  parti  tout  entier  dans  la  personne 
de  son  chef  le  plus  populaire,  et  de  venger  Cavalier  des 
injures  de  Bâville  et  de  l'évoque  de  Nîmes  (1)  : 
«  J'avoue  que  ce  guerrier  qui,  sans  avoir  jamais  servi, 

(1)  Rulhière,  Eclaircissements,  t.  II,  p.  287. 


HISTOIRE    DES    CAMISARDS  347 

se  trouva  un  grand  général  par  le  seul  don  de  la  na- 
ture ;  ce  Camisard  qui  osa  une  fois  punir  le  crime,  en 
présence  d'une  troupe  féroce,  laquelle  ne  subsistait  que 
par  des  crimes  semblables  ;  ce  paysan  grossier  qui,  admis 
à  vingt  ans  dans  la  société  des  gens  bien  élevés,  en 
prit  les  mœurs  et  s'en  fit  aimer  et  estimer;  cet  homme 
qui  justement  enorgueilli  de  ses  succès,  eut  assez  de 
philosophie  naturelle  pour  jouir,  pendant  trente-cinq 
ans,  d'une  vie  tranquille  et  privée,  me  paraît  un  des 
plus  rares  caractères  que  l'histoire  nous  ait  transmis.  » 


FIN 


F.  Aureau,  —  Imprimerie  de  Lagny. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


PREMIERE   PARTIE 


CHAPITRE  PREMIER.  —  L'Edit  de  Nantes  (1598).—  Le 
clergé  pousse  Louis  XIV  à  le  révoquer  (1650-1685).  —  Les 
Parlements,  les  Intendants  conspirent  avec  le  clergé.  —  Les 
illégalités  précèdent  les  violences.  —  La  persécution  com- 
mence dès  1662.  —  Destruction  des  temples  protestants  (1679).        1 

CHAPITRE  IL  —  Riche,  adonné  à  l'industrie,  le  protestan- 
tisme, sans  chefs,  était  inoffensif.  —  Ignorance  du  clergé  ca- 
tholique. —  Supériorité  des  pasteurs  protestants.  — Louvois, 
madame  de  Maintenon,  les  Jésuites.  —  Commencement  de 
l'émigration  (1680).  —  Internements  des  pasteurs,  réduits  au 
silence.  —  Premières  dragonnades  (1683).  —  Lamoignon  de 
Bàville,  intendant  du  Languedoc,  Noailles ,  maréchal  de 
France,  gouverneur  de  la  province,  rivalisent  de  cruauté.  20 

CHAPITRE  III.  —  Révocation  de  l'édit  de  Nantes  (1685).  — 
Tyrannie  effroyable  de  Louis  XIV.  —  Prescriptions  sangui- 
naires de  Louvois.  —  On  enlève  les  enfants  pour  les  baptiser 
catholiques.  —  Fuite  des  pasteurs.  —  Les  missionnaires  bottés. 
—  Extermination  des  derniers  Vaudois.  45 

CHAPITRE  IV.  —  Ordres  implacables  donnés  aux  garni- 
saires.  —  Férocités  des  soldats.  —  Emigration  générale.  — 
L'Europe,  L'Amérique  s'enrichissent  de  notre  appauvrisse- 
ment. —  Les  galères  se  peuplent  de  pasteurs,  de  protestants 
échappés  au  massacre.  —  Vie  effroyable  des  forçats  sur  les  ga- 
lères royales.  73 

SECONDE  PARTIE 

CHAPITRE  PREMIER.  —  Les  Assemblées  du  Désert.  — 
Premières  résistances  armées  dans  les  Cévennes.  —  Conju- 
ration des  trois  hêtres.  —  Meurtre  de  l'inspecteur  des  Mis- 
sions. —  Les  Camisards.  —  Les  prophètes  Cévenols.  —  La 
Belle  Isabeau.  —  Les  petits  prophètes  dormants.  123 

CHAPITRE  II.  —  Martyre  des  prédicants  Brousson,  Vivens, 
Capien,  Carrière...  —  Arrestation  en  masse  des  prophètes  en- 
fants. —  Condamnations  arbitraires  contre  leurs  familles.  — 
Martyre  des  prophètes,  Esprit  Séguier,  Salomon  Couderc, 
Abraham  Mazel...  152 


350  TABLE    DES   MATIÈRES 

Ptges. 
CHAPITRE  III.   —  Principaux  chefs  des  insurgés  :  Ro- 
land, Laporte,  Jean  Cavalier,  Catinat,  Esperandieu,  Rastalot, 
Ravanel,  Castanet,  Joanny...  —  Phénomènes  de  l'inspiration  : 
l'avertissement,  le  souffle,  la  prophétie,  le  don.  171 

CHAPITRE  IV.  —  Premiers  succès  des  Camisards.  —  Vie 
évangélique  des  rebelles,  au  camp  de  l'Eternel.  — Broglie, 
maréchal  de  France,  remplace  Noailles.  —  Soulèvement  gé- 
néral des  campagnes.  —  Les  Florentins  massacrent  catho- 
liques et  protestants.  —  Fureurs  inouies.  200 

CHAPITRE  V.  --  Montrevel,  maréchal  de  France,  rem- 
place Broglie.  —  Bàville  le  seconde  dans  ses  sauvages  entre- 
prises. —  Massacre  des  protestants  à  Nîmes.  —  Crimes  hor- 
ribles des  Florentins,  des  Cadets  de  la  Croix,  des  Camisards 
blancs,  des  Camisards  noirs.  —  Le  pape  Clément  XI  fulmine 
une  bulle  contre  les  révoltés  des  Cévennes.  219 

CHAPITRE  VI.  —  Bàville  ordonne  l'anéantissement  du 
pays,  fait  brûler  les  forêts  et  166  villages.  —  Vastes  projets  de 
Guiscard  de  la  Bourlie.  —  L'Angleterre,  la  Hollande  pro- 
mettent des  secours  aux  Camisards.  —  Massacres  dans  les  Cé- 
vennes, exécutions  dans  les  villes.  —  Jean  Cavalier  est  défait 
à  Vergèse.  —  Ses  extases  prophétiques.  214 

CHAPITRE  VIL  —  Catholiques  et  protestants  s'exterminent 
sans  pitié.  —  Les  Camisards  font  un  appel  aux  États  protes- 
tants de  l'Europe.  —  Succès  de  Roland,  de  Cavalier.  —  La 
cour  rappelle  Montrevel  et  le  remplace  par  le  maréchal  de 
Villars.  269 

CHAPITRE  VIII.  —  Villars  cherche  à  désarmer,  par  de 
trompeuses  promesses,  ceux  que  l'on  n'a  pu  vaincre.  —  Pré- 
liminaires du  12  mai  1704.  —  Cavalier  réclame  la  liberté  de 
conscience,  l'élargissement  des  prisonniers  et  galériens,  ou  la 
liberté  de  quitter  la  France.  —  Conférence  de  Cavalier  avec 
Villars»  —  Roland  refuse  de  suivre  Cavalier  dans  sa  défection. 

—  Catinat,  Ravanel  abandonnent  Cavalier,  qui  ne  trouve  pas, 
à  Versailles,  l'exécution  des  promesses  qui  lui  ont  été  faites. 

—  Il  passe  au  service  de  l'Angleterre.  290 
CHAPITRE  IX.  —  La  trahison  livre  Roland,  qui  se  fait  tuer 

après  avoir  refusé  de  se  rendre.  —  Le  maréchal  de  Berwick 
remplace  Villars.  —  Tous  les  chefs,  Catinat,  Ravanel,  Cas- 
tanet... sont  achetés  à  des  traîtres,  livrés  à  leur  tour,  et  péris- 
sent au  milieu  des  supplices  les  plus  effroyables.  —  Fin  de  la 
guerre  des  Camisards.  •  322 


F.  Aureau.  —  Imprimerie  de  Lagny. 


3  6*» 


DC  Bonnemère,  Eugène 

127       Histoire  des  Csmisards 

G336  3.  éd.,  ccrr.  et  augri. 

1377 


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